Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018) 2343152004, 9782343152004

Après un demi-siècle erratique, la production des films et oeuvres audiovisuelles connaît dans les anciennes colonies fr

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Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018)
 2343152004, 9782343152004

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Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone

Claude FOREST est professeur en études cinématographiques. Ses travaux portent principalement sur l’histoire économique du cinéma en Europe et en Afrique, ainsi que sur la socioéconomie de la demande des publics. Il a publié une vingtaine d’ouvrages sur ces questions.

Claude Forest Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone

Après un demi-siècle erratique, la production des films et œuvres audiovisuelles connaît dans les anciennes colonies françaises d’Afrique sud saharienne une effervescence qui la portera très haut. Éloignées des process conventionnels et ne disposant pas de moyens, notamment financiers, des industries du nord, il convenait de mieux connaître les contraintes et conditions d’exercice du métier de producteur en cette région. Une analyse critique des principaux dispositifs de coopération et coproduction, français et européens, montre l’influence positive mais également l’impact structurellement destructeur qu’ils ont pu avoir jusqu’à présent. Après avoir questionné les critères et définition de cette production cinématographique, l’ouvrage recense l’ensemble des longs métrages produits depuis les indépendances, et en livre certaines caractéristiques économiques. Il donne également la parole à vingt-deux producteurs africains de tous les pays concernés, réputés ou encore inconnus. Souvent livrés pour la première fois, les points de vue de ces artistes-entrepreneurs permettent de cerner comment les moyens sont mobilisés pour qu’advienne une œuvre, aujourd’hui essentiellement destinée à l’audiovisuel mais peut-être aussi, bientôt, cinématographique. Il constitue le premier volume d’une histoire économique du cinéma en Afrique sud saharienne, d’autres portant sur les salles de cinéma ou le rôle de l’État.

Claude Forest

Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018)

Photographie de couverture : L’or des Younga (Boubakar Diallo, 2006) © Les films du dromadaire.

ISBN : 978-2-343-15200-4

32 €

IMAGES PLURIELLES scènes & écrans

Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone

Images plurielles : scènes et écrans Collection dirigée par Patricia Caillé, Sylvie Chalaye et Claude Forest Cette collection entend promouvoir les recherches concernant les cinématographies et les expressions scéniques des Suds qui méritent de gagner en visibilité et d’être mieux documentées, notamment celles d’Afrique, du Moyen-Orient, de l’Océan indien et des Amériques. Sans négliger les apports de la critique et de l’analyse esthétique, elle s’intéresse principalement au fonctionnement des filières audiovisuelles, cinématographiques et théâtrales – production, distribution, exploitation, diffusion sous toutes ses formes –, ainsi qu’aux publics et à la réception des œuvres. La collection souhaite favoriser les approches historiques issues du dépouillement d’archives et des enquêtes de terrain, afin d’œuvrer à combler le déficit de données permettant de cartographier et de comprendre les enjeux et les acteurs des transformations profondes à la fois géopolitiques, politiques, sociales, technologiques, anthropologiques et culturelles qui affectent le théâtre et la scène comme le film et ses usages. La collection comprend deux séries : l’une est destinée à accueillir les travaux les plus développés, l’autre, au format plus réduit, a pour vocation d’explorer de nouveaux champs ou questionnements, y compris méthodologiques. Images plurielles : scènes et écrans privilégie, hors de tout dogmatisme, la lisibilité du texte, la pluralité des approches, la liberté des idées et la valeur des contenus.

Claude Forest

Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018)

Cet ouvrage est publié après expertise du comité éditorial composé de : Axel Arthéron, Université des Antilles Joël Augros, Université de Bordeaux - Montaigne Olivier Barlet, Critique, cofondateur de la collection Patricia Caillé, Université de Strasbourg Sylvie Chalaye, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Pénélope Dechaufour, Université d'Arras Laurent Creton, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Emmanuel Ethis, Université d'Avignon et des Pays de Vaucluse Claude Forest, Université de Strasbourg Odile Goerg, Université Diderot Paris 7 Edwige Gbouablé, Université Félix Houphouët-Boigny Nolwenn Mingant, Université de Nantes Raphaëlle Moine, Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3 Justin Ouoro, Université d’Ouagadougou Dominique Traoré, Université Félix Houphouët-Boigny

Publié avec le concours de l’Université de Strasbourg

© L’Harmattan, 2018 5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris http://www.editions-harmattan.fr ISBN : 978-2-343-15200-4 EAN : 9782343152004

Introduction Le sujet désire l’objet parce que le rival lui-même le désire. En désirant tel ou tel objet, le rival le désigne au sujet comme désirable. Le rival est le modèle du sujet, non pas tant sur le plan superficiel des façons d’être, des idées, etc., que sur le plan plus essentiel du désir. René Girard1

Le temps de l’enfance cinématographique des pays africains est révolu. Celui de l’innocence également, même si au lendemain de la période coloniale ce fut surtout celui de l’affirmation politique et la nécessité d’une décolonisation des regards qui anima nombre de réalisateurs. Mais ce fut souvent par l’imitation d’un modèle, le cinéma français, dit « d’auteur », modèle utile pour faire ses premiers pas, mais moins pour construire une industrie. Désormais, le temps écoulé depuis les indépendances des pays d’Afrique sud saharienne francophones (ASF) est supérieur à celui écoulé antérieurement entre celles-ci et l’apparition du cinématographe sur leurs territoires. Cette première période historique coïncide exactement avec le début de la structuration administrative de la colonisation par la France, 1895 pour les pays de l’AOF2, 1910 pour l’AEF, fédérations toutes deux dissoutes en 1958, les indépendances intervenant dans les deux années suivantes, à l’instar des colonies belges, également francophones. Si la totalité des productions filmées durant les six premières décennies dans ces pays l’a été exclusivement par des Européens, qu’en a-t-il été durant les six décennies suivantes ? Si les Africains et les cinéphiles d’autres continents peuvent citer quelques noms de grands réalisateurs d’ASF, essentiellement en raison de leur carrière internationale et des prix qu’ils ont pu obtenir en festivals, ils ne le peuvent certainement pas de tous ses pays (quid du Burundi ? du Rwanda ? du Togo ?...), assurément d’abord en raison de leur très faible nombre, comme de celui des films produits. Mais le peuvent-ils pour leurs producteurs africains francophones, de quelque nationalité qu’il soit ? Certainement pas, même d’un seul par nation, voire peut-être d’un seul tout court pour les vingt et un pays concernés. Les professionnels ou spécialistes pourraient peut-être citer quelques noms de Français ou Européens qui ont produit ou coproduit des films de réalisateurs africains tels Pierre Braunberger, Michel David, Eric Névé, Patrick Quinet, Sophie Salbot, Guillaume Mainguet, Claude Gilaizeau, etc. Mais qui ont 1 2

René Girard, La violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p. 216. Afrique-Occidentale française. La liste de tous les sigles figure en annexe.

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tous peiné à trouver des partenaires stables en ASF, même s’ils ont souvent initié des formations en ce sens, et multiplié les coproductions3. Certes, la figure du producteur de films est nettement moins médiatisée et valorisée que celle du réalisateur ou de l’acteur, mais depuis la Première Guerre mondiale et la montée en puissance d’Hollywood, de nombreux noms, de personnes ou de structures des cinématographies dominantes, peuvent être identifiés, y compris par le grand public. Pour les États-Unis, David O. Selznick, Carl Laemmle (ou sa société Universal), Samuel Goldwyn ou Louis Mayer (ou la Metro-Goldwyn-Mayer), Adolph Zukor (ou la Paramount), George Lucas, Steven Spielberg, etc. Pour la France, Georges de Beauregard, Christian Fechner, Daniel Toscan du Plantier, Anatole Dauman, Claude Berri, Luc Besson, ou les firmes Gaumont, Pathé, EuropaCorp. Pour les plus cinéphiles, Dino de Laurentiis leur parlera pour l’Italie, Charlie Chaplin pour l’Angleterre, peut-être Paulo Branco pour le Portugal, ou William Dieterle pour l’Allemagne. Mais pour l’ASF ? Certes également, y compris dans la courte liste arbitraire qui précède, de nombreux noms sont davantage connus pour, aussi ou avant tout, leur passé de réalisateur. Et d’ailleurs, notamment en France, ils forment une catégorie particulière qui s’est regroupée en association, celle des auteurs, réalisateurs, producteurs (ARP). Si en Occident, souvent, ce cumul l’a été par choix, en ASF il l’est fondamentalement par nécessité. Absence de structuration de la filière, législations inadaptées, méfiance des banques et des investisseurs, désir d’émancipation pour la création, méconnaissance du métier, tous ces facteurs expliquent que la quasi-totalité des professionnels concernés soient devenus producteurs pour, d’abord, financer leurs propres films. Puis souvent, ensuite, ceux des autres. Reflet de l’état de santé du cinéma, en Europe la proportion et le cheminement sont nettement inverses. C’est pourquoi, après une première partie historique et théorique, le choix de regrouper dans une seconde partie vingt-deux entretiens avec des producteurs d’ASF, certains (re)connus, d’autres moins, permettra d’illustrer des parcours singuliers mais comportant de nombreuses problématiques communes : destruction du parc de salles dans leurs pays, piratage des DVD, faible rémunération des diffusions télévisées, donc non-amortissement du coût des films sur le marché et nécessité d’un préfinancement. Mais aussi mutualisation des risques avec l’équipe de tournage, astuces techniques pour pallier le manque de matériel et de techniciens formés qui peuvent vivre de leur métier, ambition de créations nationales pour satisfaire leurs publics dont l’exigence de consommer des histoires qui leur ressemblent croît proportionnellement à la propagation mondialisée d’images façonnées ailleurs. 3 Sur certains de leurs parcours, démarches et témoignages, voir Claude Forest (dir.), Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2018.

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Alors que voici encore quelques années dominaient les discours de déploration sur la faillite de la filière, et ceux incantatoires sur des solutions miraculeuses proportionnelles aux récriminations contre les États défaillants, un nombre croissant d’acteurs se situe dans l’action, fait des œuvres filmées, se débrouille et certains plus que très bien matériellement, ne cessant de dire et montrer qu’il est possible de vivre de leur métier. Pour de nombreuses raisons, et notamment la révolution numérique qui a touché la production, mais surtout la diffusion des images, à commencer par la multiplication des supports et aussi du nombre de chaînes de télévision, le besoin d’œuvres filmées, commercial pour les diffuseurs, social pour les populations, ne va cesser de grandir. Internet et les smartphones ont tout changé, à commencer par le regard sur le monde. Isolé, rétréci, le sous-continent, comme toutes les régions du globe, s’ouvre à une vitesse vertigineuse sur les données issues du monde entier. Les applications d’accès gratuit aux communications (Skype, Viber, WhatsApp, etc.) permettent à une part grandissante des populations d’échanger couramment et instantanément – même si encore souvent à bas débit, ou de manière aléatoire en raison des dysfonctionnements récurrents des réseaux nationaux– avec la diaspora et des alter ego implantés dans le monde entier. Et la perception, puis la comparaison, avec ce qui se passe ailleurs s’amplifie et légitime de nouvelles aspirations et consommations. Mais parallèlement à cette ouverture mondialisée et à l’afflux d’images dont, sur internet et les réseaux sociaux, on ne cerne plus les origines, ni en termes d’identité, de fiabilité, validité, légitimité ni nationalité, à l’afflux sur les écrans de cinéma des films hollywoodiens, hongkongais ou indiens s’est substitué la diffusion massive de feuilletons télévisés en provenance d’Inde, d’Amérique centrale, du Sud ou de Turquie, plébiscités par les populations d’ASF en raison des thématiques et des traitements d’histoires plus proches de leurs préoccupations. Concomitamment, en raison et à côté de cette mondialisation des images, croît une demande de toutes les populations d’un recentrage sur le national, l’identitaire, avec des personnages et des histoires qui leur ressemblent, auxquels elles peuvent s’identifier, incarnés par des acteurs au teint moins pâle que celui des anciens colons. Séries télévisées ou sur internet (YouTube, etc.) aux formats courts, feuilletons, téléfilms, les besoins commerciaux des chaînes et plateformes sont immenses, pour ne pas dire illimités. Tous les grands groupes de l’audiovisuel ont bien compris la nécessité de la glocalisation4, ce qu’illustrent par exemple les moyens financiers considérables mis par Canal+ dans la production audiovisuelle en ASF, notamment pour alimenter sa chaîne dédiée A+ lancée en octobre 2014. Visant d’abord les classes moyennes des populations, il était impératif de faire faire des émissions par, car pour, elles, pour qu’elles leur 4

Adaptation d’un produit ou d’un service proposé par un groupe multinational à chacun des lieux où il est vendu, en fonction des cultures ou spécificités locales auxquelles il s’adresse.

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ressemblent, et auxquelles elles puissent s’identifier, donc de toutes nationalités. Certes, les sommes mises en production pour des projets locaux demeurent modestes. Mais elles ne sont plus insignifiantes et vont permettre l’émergence de talents créatifs, de techniciens qui pourront vivre de leur métier, donc s’améliorer, se spécialiser. De leur compétition est en train de naître une véritable filière audiovisuelle : industries techniques, prestataires d’équipements, techniciens et groupes intégrés, réalisateurs et… producteurs. Les compétences et les moyens vont s’accroître et se consolider, simplement parce que le marché est là même si, pour le moment, des groupes étrangers le dominent. Mais qui a empêché durant un demisiècle les hommes d’affaires africains, ou leurs États, de le faire émerger ? Au-delà du constat, nous reviendrons dans un second volume sur les causes de l’absence à ce jour de filières nationales audiovisuelles, comme sur celles de la destruction de la filière cinéma en ASF. Pour ce secteur, la situation n’est toutefois pas comparable, et en détaillant l’Histoire comme le fonctionnement économique de l’industrie du cinéma nous essaierons à la fois de montrer pourquoi, et donc d’abord de comprendre son fonctionnement comme les causes de sa destruction dans toute l’ASF au cours de la dernière décennie du XXe siècle. Là aussi, le groupe Bolloré a récemment fait preuve d’un fort volontarisme en lançant un vaste chantier de construction de mono-salles dans la plupart des capitales de la région de 2016 à 2018, qu’il est encore trop tôt pour évaluer, mais pour lesquelles de nombreuses questions se posent. La réception comme l’économie de la filière cinématographique, à commencer par la production des films, ne reposent en effet pas (encore ?) exactement sur les mêmes bases que l’audiovisuel, même si elle y tend. D’une part, l’argent versé par le spectateur en salles exige une remontée de recettes efficace et une garantie que, à ce jour et depuis les indépendances, aucun pays d’ASF n’a su mettre en place. D’autre part, la taille des marchés nationaux est trop exiguë pour une rentabilité d’une branche, la distribution, qui les alimente, ce qui nécessite dès lors la structuration d’un marché de taille sous-régionale. Ensuite les sommes nécessaires pour produire un film ne sont pas de même grandeur que pour une série télé, et ne proviennent pas des mêmes sources : avant une logique de préfinancement (modèle audiovisuel (AV), toutes les cinématographies dominantes ont été structurées par une logique financière d’amortissement du coût des films sur les différents marchés (salles, VàD, vidéo, internet…). Les œuvres, dans leurs création, réception et valorisation, n’obéissent pas non plus à la même démarche : prises dans une logique de flux pour l’AV, elles sont destinées à une consommation éphémère au renouvellement accéléré dans une surabondance programmée. Obéissant davantage (même si les frontières tendent de plus en plus souvent à s’estomper) à une volonté patrimoniale de stock, les films (dits de) cinéma jouent sur leur rareté relative, notamment en raison de leurs coûts de production et de leur nombre nécessairement plus restreint car il existe 10

moins d’écrans de salle de cinéma que de grilles horaires ou faisceaux de diffusion numériques accessibles sur écrans domestiques. Toutefois, au-delà de leur diffusion, les conditions de production (écriture, tournage…) ne sont pas les mêmes non plus, et à ce jour, en sus de l’absence de filière industrielle du cinéma (production, distribution, exploitation), il manque encore également un autre triptyque pour fonder une cinématographie : lieux de formation (techniques et théoriques), instances d’échanges et d’élaboration d’un discours (ciné-clubs, critiques), puis de rencontres et de légitimation (festivals nationaux), même si ces derniers sont en phase d’émergence accélérée. À ce constat d’un quart de siècle d’évolutions historiques, il convient d’en rajouter un autre, qui porte à l’optimisme. Si, dans les nations industrialisées, le cinéma a précédé la télévision, aujourd’hui, en ASF, l’inverse est possible –et nous le croyons probable –, car le maillon de départ pourrait être construit par ceux qui se trouvent au cœur de cet ouvrage, les producteurs africains. Nous estimons en effet que la conjonction de conditions matérielles historiques objectivement favorables qui bouleversent les cultures et leurs pratiques (les outils liés au numérique, la diffusion satellitaire, l’augmentation globale du niveau de vie des populations, une croissance démographique du continent jusqu’ici inconnue, le poids grandissant des jeunes, un niveau scolaire qui s’élève, l’urbanisation galopante, etc.), avec la mutation radicale et définitive d’une relation demeurée longtemps pathogène avec la France, forment le terreau propice à la vraie naissance d’un audiovisuel africain francophone et, peut-être mais plus difficilement, à celui d’une cinématographie réellement africaine. Si nous revenons sur les facteurs historiques, techniques et économiques, et sur les effets « l’aide » française aux cinémas d’ASF durant un demi-siècle, nous devons évoquer rapidement l’évolution du désir mimétique5, individuellement et collectivement, qui semble aujourd’hui en effet permettre une autonomisation à ce qui apparaît comme la troisième génération de professionnels africains depuis les indépendances juridiques des nations concernées. La liberté de l’être humain réside dans ce qu’il croit être sa capacité de choisir un modèle qu’il imitera, d’un autre auquel il s’identifiera, mais ensuite il doit veiller à maintenir sa relation sur le mode de l’apprentissage. Très nettement, la première génération de cinéastes d’ASF, dont beaucoup deviendront (co)producteurs, se référera et tentera de copier ceux qu’ils avaient côtoyés – lorsqu’ils ne les avaient pas formés –, en France massivement à l’IDHEC ou à Vaugirard, en URSS au VGIK, autour du cinéma dit d’auteur. Si une sociologie détaillée de cette première génération demeure à établir (combien de cinéastes issus des villages ou de 5 Développé par René Girard notamment dans La violence et le sacré, op. cit., puis Des choses cachées depuis la fondation du monde, Paris, Grasset-Fasquelle, 1978.

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parents paysans ? Quels modes d’accès à l’éducation, à leur formation et à la culture ? Combien de femmes ? Etc.), il n’en demeure pas moins que, fruits de leur époque, ils vont croiser les mouvements sociaux et politiques post indépendance, et notamment le panafricanisme et le tiers-mondisme. Poussée par des idéologues plus soucieux de messianisme que de pragmatisme gestionnaire, la croyance en la faisabilité d’une émancipation financière immédiate et totale va se répandre d’autant plus facilement qu’elle résonnait avec une aspiration légitime des peuples à disposer d’eux-mêmes, et de maîtriser leur destin comme les images que d’autres n’avaient cessé de leur imposer. Si nous analysons précisément dans le second volume les effets négatifs imprévus des positions de quelques intellectuels, européens comme africains, au début de la Fepaci (1969), qui conduiront à la désastreuse charte d’Alger (1975), prélude à la condamnation d’une production africaine francophone et à la destruction de toute la filière cinéma en ASF, par stricte vision doctrinaire et méconnaissance des fondements de son fonctionnement économique, cela aboutira d’abord à transformer le modèle en rival. Dans cette logique, si les productions cinématographiques africaines ne peuvent émerger, la cause en serait que les françaises et états-uniennes diffusées par des Français qui tiennent les salles, leur prennent la place. L’aveuglement du désir mimétique fonctionne toujours de la même manière : en s’illusionnant que ce serait la possession d’autrui qui empêcherait d’accéder au désir, il suffirait de liquider le rival en s’emparant de son bien et l’affaire serait réglée, pour devenir enfin son égal (il faut donc nationaliser les salles). Enveloppée d’une rhétorique marxisante (« qui tient la clef de la distribution tient le cinéma », Tahar Cheriaa), au-delà de l’erreur d’analyse du fonctionnement réel du marché, « l’illusion consiste à croire que c’est la possession de tel objet qui confère au modèle ce supplément d’être qui nous fascine et que nous convoitons »6. Et, immanquablement, même si les États d’ASF vont porter l’entière responsabilité de ce qui n’adviendra pas – le non-remplacement du modèle français par un système régional ou sousrégional du cinéma – le duopole français (Comacico, Secma et son successeur éphémère, l’UGC/UAC) aura beau avoir été liquidé, ses biens captés, il ne sera pas remplacé et rien ne lui succédera. Les salles et les distributeurs disparaîtront complètement et ne naîtront pas les producteurs, pas plus que la production, de films d’ASF. Le modèle évanoui, le rival liquidé, si rien n’a bougé, la troisième étape et dernière possibilité de la rivalité mimétique se met en place : l’Autre devient un obstacle. Et c’est à cet obstacle imaginaire que va se confronter puis dépérir la seconde génération des rares réalisateurs-producteurs d’ASF (du milieu des années quatre-vingt-dix au milieu des années deux mille dix). Mais pas d’Afrique sud saharienne anglophone (ASA), qui n’ont absolument 6 Jean-Michel Oughourlian, Cet autre qui m’obsède, Paris, Albin Michel, 2017, p. 29.

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pas le même rapport à l’ancienne métropole, qui ne s’était pas non plus comportée administrativement de la même manière durant la colonisation, et dont la production d’images animées va décoller (Afrique du Sud, Nigeria, puis Ghana, Kenya, Ouganda, mais aussi Éthiopie…) à la fin du XXe et début du XXIe siècle. Et quand le sujet ne peut plus imiter, lorsqu’il ne se croit même plus capable de faire pareil que son modèle s’il était à sa place, l’Autre devient un obstacle. Il est celui qui empêche, décourage, et la rumination à son encontre justifie l’impuissance ; il n’est même plus possible de se mettre en compétition avec lui (même symboliquement dans les festivals). Il devient insurmontable. Vaine lutte, découragement, abandon, stérilisation de la production, hors quelques cas isolés, souvent issus de la diaspora, le dernier quart de siècle a été meurtrier pour les possibilités créatives de cette deuxième génération. Toutefois, la position de la troisième génération, qui n’a absolument plus en mémoire les enjeux de la décolonisation (1ère génération), ni ceux d’une dépendance économique souvent captée par des rentiers d’une aide internationale en voie de raréfaction (2e), est nettement plus pragmatique et a intégré, y compris en voyant l’essor d’un autre modèle, nigérian, que, face à l’obstacle, la meilleure stratégie n’était ni l’affrontement stérile à se confronter avec lui, ni la dépression face à sa puissance, mais le contournement. Aller voir ailleurs. Se coltiner le réel. Faire autrement. Se débrouiller. On ne peut vivre du cinéma ? Faisons des séries télé. Ce n’est pas suffisant ? Équilibrons les comptes en tournant des vidéos institutionnelles. Les pirates nous pillent nos vidéos ? Piratons-nous nousmêmes. Le long métrage coûte trop cher ? Faisons des festivals de courts. On ne peut s’offrir huit semaines de tournage ? Allons voir comment filment les Igbo7 en moins de deux semaines. Mais les courts métrages, ce n’est pas du cinéma ? Citez-nous les longs métrages d’Auguste Lumière et de Georges Méliès… L'abandon de l'analogique (support pellicule), l'essor de la vidéo puis surtout du numérique, tant en production qu'en diffusion, change tout le paradigme, évidemment. Toutefois leurs films ne sont toujours pas du Cinéma aux yeux des gardiens du temple industriel, pas plus qu’à ceux de l’Église orthodoxe auteuriste ? Eh bien non. Et alors ? Grand bien leur fasse, enfin. Car accepter de ne plus imiter un modèle matériellement inatteignable8, pour ne plus s’empêcher de construire d’autres prototypes d’assemblages d’images, qui parleraient différemment de leur monde différent, il existe des 7 Nous

respectons le choix de l’invariabilité des noms se référant aux peuples africains. Le budget d’une production française de Luc Besson (Valérian, 2017, 180 M€) représente le quart du budget annuel du CNC français, mais cinq quarts de siècle du plus important fonds de soutien au cinéma d’ASF, le Fopica du Sénégal. Ou, le coût moyen d’un film français (4,9 M€) représente le budget annuel de fonctionnement d’un hôpital public du Bénin.

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rêves plus funestes pour les producteurs africains. Reste à savoir ce qu’ils vont en faire dans les décennies à venir, mais cela, c’est une autre histoire. Et nous pensons que c’est la leur, d’histoire, pas – plus– celle de la France ou de l’Europe. Et cela quelles qu’aient été les motivations, pensées, arrièrepensées et surtout impensés des donneurs de leçons et de prébendes occidentaux, français notamment. Depuis longtemps, ces derniers ont justifié la domination états-unienne mondiale dans le champ cinématographique par le différentiel de moyens financiers, tant au niveau de la production que de la distribution. Outre que nous avons montré9 que cette préférence pour les films états-uniens sur les films nationaux, en Europe notamment, résultait au moins tout autant de faiblesses des industries européennes, dont française, que des forces d’Hollywood, si un écart budgétaire de 1 à 12 l’expliciterait (un budget moyen français avoisine 5 M€, celui d’une major états-unienne 60 M$), que dire d’un écart de 1 à 25 voire 1 à 100 entre un film français et un film contemporain d’ASF ? Comment, simplement, les comparer ? Surtout lorsque l’on ne les connaît pas, et presque, pourrait-on dire, de moins en moins ? Car, hormis un film emblématique qui surgit épisodiquement, moins d’une fois par an, combien de titres issus d’ASF pourraient être cités par un spectateur, même un peu cinéphile ? Cela renvoie aussi, mais pas seulement, aux problèmes de la réception, et donc de la diffusion de ces œuvres, dont la complexité sera abordée dans le volume II. Mais, il convenait d’abord de s’intéresser à la production, tant en termes de niveau, de modes de fabrication que d’origines des financements et des producteurs, et plus seulement aux réalisateurs. Si ces derniers – au moins certains d’entre eux (essentiellement ceux de la diaspora ou qui exportaient aisément leurs films) – ont fait l’objet de nombreux articles et études au Nord, notamment dans les décennies 1980-90, la production n’a fondamentalement été abordée que sous l’angle de la déploration : manque de moyens humains matériels et financiers, manque de soutien des États, désintérêt des distributeurs, interventionnisme de l’« aide » française, etc. Si ces points, et particulièrement les modalités de la coopération française, sont abordés (chapitres II et III), la parole sera aussi largement donnée à des professionnels, 22 de 9 pays différents, dont les témoignages sur les conditions contemporaines d’exercice de leur métier constitueront la seconde partie de ce volume. Enregistrés en face à face durant un entretien semidirectif d’une à deux heures chacun, qui s’est tenu la plupart du temps à Ouagadougou lors du Fespaco 2017, les questions portaient sur les aspects financiers, pratiques et matériels très concrets de leur profession. Choisis en nombre suffisant pour tenter de représenter les différentes générations, 9 Voir notamment Claude Forest, Quel film voir ? Pour une socioéconomie de la demande, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010, chapitre 5.

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nationalités et parcours sociaux, certains sont très connus à l’étranger comme le regretté Idrissa Ouédrago qui nous a quittés peu après, ou le médiatisé Alain Gomis, d’autres sont très prolixes mais s’exportent peu comme Boubakar Diallo, quelques-uns sont rapidement devenus des vedettes dans leur pays comme Steven AF au Togo, mais tous illustrent concrètement leurs difficultés et espoirs. Dans tous les cas, le but était de dépasser le simple témoignage pour tenter de mener avec chacun d’entre eux séparément une réflexion sur le contenu spécifique ou commun, l’évolution et la place de leur profession au sein d’une filière qui n’existe plus en tant que telle. Préalablement toutefois, il convenait d’analyser ici l’ensemble de la production de longs métrages de cinéma des pays concernés depuis 1961, long et délicat travail de vérification et mise à jour de travaux antérieurs souvent anciens. Il a révélé d’importantes difficultés, d’abord d’accès aux données, ensuite méthodologiques concernant le corpus, ensuite de recensement dont nous devons d’emblée souligner qu’une exhaustivité de type encyclopédique, comme ont pu le mener avant l’ère numérique des passionnés comme Georges Sadoul, Jean Mitry ou Roy Armes, nous paraît désormais impossible10. Enfin, de nombreuses définitions de termes nous ont semblé devoir être questionnées, leur non transposabilité du Nord au Sud en l’état nous paraissant manifeste au vu des écarts de conditions de fonctionnement, notamment juridiques, de la filière. Également, l’impensé culturel sous-jacent à nombre d’entre eux expose à de nombreux tropismes imaginaires, susceptibles de déformer grandement cette partie du réel que nous avons tenté d’approcher.

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Certains s’y essaient encore, notamment sur internet, telle la plateforme collaborative Sud planète, ou des sites commerciaux plus puissants comme IMDb. Et cela très utilement pour le chercheur et la connaissance commune, mais aussi assez imparfaitement, ce que la masse de données collectée et mise à disposition peuvent aisément masquer à un regard surfant. Pourtant, pour une majorité de films, une simple comparaison entre sites, d’abord de la liste des ceux originaires d’un pays, ou de leurs caractéristiques précises (date de production, durée, etc.) montre l’étendue de la difficulté : accès aux sources originelles non toujours respecté, copier-coller des sources numériques entre elles, absence d’identification et de traçabilité de ces sources, absence de contrôle scientifique des données, illusion que procurent la puissance numérique et l’abondance de la compilation, souci de la précision et de l’exactitude remplacé par celui de la compilation ou de la collection, rythme de production des œuvres plus élevé que celui de leurs recensement, formation et compétence parfois limitées des collecteurs de données, inintérêt du plus grand nombre des contributeurs comme des lecteurs pour certaines données, etc. Il n’est qu’à tenter de connaître l’identité des producteurs – sans même chercher le budget ! – des films pour retrouver une certaine humilité face à la tentation de l’exhaustivité. Mais il n’est évidemment pas inutile d’aspirer à y tendre le plus rigoureusement possible.

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Que tous les collègues et professionnels de cette partie de l’Afrique que nous avons rencontrés, notamment du Bénin, Burkina Faso et plus particulièrement du Togo, soient ici remerciés pour les questionnements qu’ils ont su faire jaillir afin de permettre à une pensée d’avancer. Puisse en retour les fruits de cette recherche faire naître chez le lecteur quelques autres réflexions pour continuer de progresser sur le chemin de la connaissance dans le respect de l’Autre.

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Première partie : Les Afriques marronnes étaient mal parties

Chapitre I - Réflexions lexicales et méthodologiques « Oh mais c’est bien ce qu’ils font ! », « Ce n’est pas au niveau bien sûr, mais tu as vu… regarde comme ils sont… ». Autant de phrases qui nous disent que tout n’est pas soldé dans le rapport de la France au continent africain. Sophie Salbot1 Si les cinémas d’Afrique, surtout sud saharienne, intéressent peu au Nord les chercheurs comme les spectateurs, et encore moins l’économie de leur existence, force est de constater que tel est également le cas sur ce continent même, où aucune étude globale n’a été menée depuis celles des précurseurs Paulin S. Vieyra2 et Tahar Cheriaa3. Concernant les films et leurs réalisateurs, deux tentatives sérieuses et très bien documentées de « dictionnaires » ont été publiées ensuite, l’une en 2000 sur les réalisateurs de tout le continent et leurs films4, la suivante huit ans plus tard, moins détaillée mais qui la complétait, avec différentes entrées, dont une par pays5. Néanmoins, pour de nombreuses raisons sur lesquelles nous reviendrons (absence de dépôt légal dans la plupart des pays considérés, porosité films/téléfilms depuis la disparition de la pellicule, notamment), l’exhaustivité nous semble désormais hors de portée, même si l’illusion de la puissance numérique et d’internet laissaieraient accroire le contraire. Si le présent travail n’y prétend pas, le croisement des sources disponibles, tant sur papier (voir bibliographie), que sur internet (Africultures, Africiné, CNC, IMDb, Institut français, Sud planète essentiellement) permet d’évaluer la production cumulée dans les pays d’ASF de longs métrages de cinéma entre 1960 et 2017 à environ cinq cents titres (479 recensés en juin 2018, avec une faible marge de titres qui seraient non recensés). Toute valeur est relative et ce niveau pourra être comparé dans l’espace (vs l’Afrique du Nord par exemple, ou un pays industrialisé), comme dans le temps, permettant de mesurer ce qui a été parcouru depuis les indépendances, comme ce qui resterait à traverser. Mais quelques indicateurs 1 Claude Forest, « Sophie Salbot - Travailler un film après l’autre », dans Claude Forest (dir.), Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, op. cit. 2 Paulin Soumanou Vieyra, Le cinéma africain, Des origines à 1973, tome I, Paris, Présence Africaine, 1975, 444 p. 3 Tahar Cheriaa, Écrans d’abondance, ou cinémas de libération en Afrique ?, SATPECTunisie/ El Khayala- Libye, 1978, 312 p. 4 Association des 3 mondes, FESPACO, Les cinémas d’Afrique. Dictionnaire, Paris, Karthala/ATM, 2000, 600 p. 5 Roy Armes, Dictionnaire des cinéastes africains de long métrage, Paris, Karthala/ATM, 2008, 402 p.

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généraux de la filière cinématographique (production, distribution, exploitation et nombre de tickets vendus dans les salles), permettent déjà de situer les États francophones du continent africain, au moment du démarrage effectif de la production de films, une décennie après leurs indépendances politiques. Tableau 1 : Principaux indicateurs cinématographiques des pays d’Afrique du Nord et d’ASF en 1972 (Classement par zone et nombre de salles décroissant) pays Afrique du Nord R.A.U (Égypte) Algérie Maroc Tunisie Libye Total AdN Total ASF Sénégal Côte d’Ivoire R. Dém. Congo Cameroun Gabon Guinée Mali R. Pop. Congo Haute-Volta Niger Togo Tchad Centrafrique Dahomey

Indép. 192236 1962 1956 1957 1951

1960 1960 1960 1960 1960 1958 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960

Salles (16 Fauteuils Entrées Fréquentation Films Distrib. +35 mm) (milliers) (millions) an/habitant produits 400

330

60

2,3

42

?

250+250 40+210 38+76 35 842 323 70 48 45 32 30 28 18 13 10 10 7 6 3 3

280 120 45 23 616 298 59 48 36 26 24 24 18 9 11 9 24 5 2 3

26 17 7 3 115 25 4,4 2,8 10 1 0,2 1,8 2 1 0,8 ? 0,2 0,07 0,1 0,4

2,2 1,2 1,5 2,5 2,3 0,3 1,2 0,7 0,6 0,2 0,4 0,5 0,4 1,2 0,2 0,1 0,02 0,1 0,2

12 1 4 0 59 9 2 1 0 0 1 2 1 0 1 1 0 0 0 0

1 (État) 26 1 (État) ?

2 2 5 2 2 1 (État) 3 2 3 2 2 2 2 2

Sources : Unesco, UniFrance, Vieyra Ces grands indicateurs permettent de situer, pour les Afriques francophones, les pays entre eux, et immédiatement le niveau de faiblesse absolue d’où est partie l’ASF. Mais, au niveau de la production, pour le recensement des films dits de cinéma, pour leurs caractéristiques puis pour leur analyse, un certain nombre de définitions et précisions méthodologiques doivent être apportées avant de poursuivre, dont certaines ne sont pas de sens commun et pourront questionner le lecteur. 1) De l’usage de quelques termes 1.1. Afrique L’Afrique est d’abord un continent, que l’on peut délimiter spatialement notamment par ses bordures maritimes, Méditerranée au nord, océan 20

Atlantique à l’ouest, océan Indien à l’est. Mais faut-il y inclure les îles qui l’entourent ? La question est marginale pour le cinéma mais renvoie aussitôt au problème des définitions et de l’enjeu de leur délimitation, qui semblent indûment aller de soi. En effet, si on inclut les îles, selon quel critère ? La distance géographique ? En ce cas jusqu’à quel éloignement des côtes ? Si la distance prime, la Sicile n’est-elle pas plus africaine (144 km de la Tunisie) que Madagascar (440 km des côtes du Mozambique) ? On voit que la question quitte immédiatement le champ scientifique pour devenir historique et politique, et renvoie strictement au passé colonial, et non plus à la spatialité physiquement mesurable, ni à une quelconque identité (physique ?) des habitants qui les peuplent. En effet, pour quitter la Méditerranée qu’on pourrait historiquement défendre comme d’influence européenne, au sud-est, si on inclut Madagascar, pourquoi pas les Comores ? Toutes ? Si oui, un natif de certaines de ces îles est-il toujours Comorien, donc Africain, ou de Mayotte, donc Français ? De même pour la Réunion. Et pour les îles Canaries (espagnoles) ? Pour les Acores (portugaises) ? Etc. Inexistante aujourd’hui, on mesure l’enjeu symbolique et politique qu’elle représenterait si une circonstance historique venait à implanter une école de cinéma sur l’une d’entre elles et former un bataillon de cinéastes conquérant le cinéma-monde6. Par convention, nous retiendrons la résultante géopolitique issue des rapports de forces postcoloniaux, bien que, notamment pour les départements et territoires français d’outre-mer, la question ne nous semble pas du tout anodine : un cinéaste ayant grandi et été élevé dans la culture d’une de ces îles ou territoires de droit français, s’il fait des films juridiquement français, sont-ils de culture française ou africaine (ou comorienne, antillaise…) ? 1.2. Afriques Continent géographiquement plus vaste, écologiquement plus diversifié, historiquement plus ancien, et linguistiquement plus riche que l’Europe, alors que pour cette dernière on en parle continûment au pluriel (Europe du Nord, du Sud, communauté européenne, etc.), l’Afrique est la plupart du temps nommée au singulier. Et si l’Afrique du Nord est spécifiée, celle du Sud est interdite puisqu’une nation s’est ainsi dénommée, et qu’il n’existe pas encore de communauté d’États suffisamment homogène pour en dénommer autrement une autre partie. Surtout, les cultures présentes sur ce continent sont tellement diversifiées et hétérogènes (quoi de commun entre un Algérien et un Guinéen, un Mozambicain et un Sénégalais ?), que si l’on perçoit bien l’intérêt qu’il y a eu pour ses habitants, à la sortie de la 6

Sur ces questions qui ne sont pas nouvelles, voir notamment Imruh Bakari et Mbye Cham (eds.), African experiences of cinema, British Film Institute, 1996, 276 p., et Nwachukwu Frank Ukadike et Jude G. Akudinobi (eds.), Critical Approaches to African Cinema Discourse, Lexington Books, 2014, 300 p.

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colonisation, d’en parler au singulier pour tenter de former un groupe d’appartenance et de pression face aux anciennes métropoles, unis en façade, personne n’a oublié les fortes oppositions, notamment entre « Arabes » et « Noirs », mais aussi entre anglophones et francophones, sans oublier les spécificités lusophones. Au cours de recherches antérieures, surtout sur les pratiques spectatorielles7, nous avons considéré que l’utilisation du singulier pour parler de tous les peuples de ce vaste continent était devenue une utilisation langagière trop réductrice. C’est pourquoi, s’il a été reconnu depuis longtemps que « l’Afrique n’est pas plus une que l’Europe, peut-être l’est-elle encore beaucoup moins »8, hors la désignation du continent physique, pour tout ce qui concernera les cultures et le cinéma, le pluriel sera désormais préféré. 1.3. Africain(e) Logiquement et étymologiquement, tout pays, ou toute personne née dans un des pays du continent aurait dû pouvoir, ou devoir, revendiquer ce nom. Or, d’une part, sauf parfois par intérêt politique lors de combats communs, les habitants d’Afrique du Nord utilisent rarement pour eux-mêmes cette dénomination mais préfèrent celle de Maghrébins, ou Arabes. D’autre part et réciproquement, lorsque ceux au sud du Sahara l’utilisent, ils le pensent pour eux-mêmes, à l’exclusion des habitants de l’Afrique du Nord, avec lesquels les différences et contentieux historiques ne sont pas minces, à commencer par la traite des esclaves. Enfin, et la question n’est pas marginale pour le cinéma, qu’en est-il des personnes nées et ayant grandi en Afrique, mais issues de parents, voire grands-parents, des anciennes métropoles colonisatrices ? Si, comme en Algérie, elles ont conservé la nationalité d’un autre pays, européen en l’occurrence, puis l’ont rejoint (pied-noir), la question ne se pose pas puisqu’elles détiennent cette nationalité (même si parfois elles bénéficient aussi de la double nationalité). Mais si, comme en Afrique du Sud notamment, tel n’est pas le cas ? Sauf à nier le métissage ou la créolisation, et défendre l’exclusivité d’une pureté colorimétrique, la réponse nous parait également sans équivoque : la couleur de peau n’intervient pas pour définir ni la nationalité, ni la « continentalité » d’une personne, fut-elle réalisateur. Ni d’un film. 1.4. Afrique Noire Longtemps la partie du continent située sous le tropique du Cancer a été dénommée Afrique noire, en référence à la présupposée uniformité de couleur de peau de ses habitants. Même si certains d’entre eux peuvent en 7

Patricia Caillé et Claude Forest (dir.), Regarder des films en Afriques, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017, 350 p. 8 Pierre Haffner, Essai sur les fondements du cinéma africain, Abidjan / Dakar, Nouvelles Éditions Africaines, 1978, p. 30.

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afficher aujourd’hui une certaine fierté d’appartenance, la facilité langagière autrefois imposée par les colons nous semble devoir être désormais déconstruite et abandonnée. D’une part cette colorimétrie est inexacte factuellement (cf. infra Blancs/Noirs), d’autre part elle n’est pas homogène, et enfin toute globalisation langagière est réductrice si ce n’est réductionniste. Elle semble également porteuse d’une logique raciste d’exclusion, ce que l’absence de symétrie renforce : il n’existe pas d’Afrique blanche, mais « du Nord ». Appliquer le taux de mélanine d’une espèce vivante pour caractériser un espace géographique paraît inapproprié, et que cette appellation, cas unique au monde, perdure – alors que l’Asie des jaunes a été abandonnée depuis longtemps et que personne ne se permet plus d’appeler Peaux-Rouges les Indiens d’Amérique du Nord – en dit long sur la permanence de la déconsidération et de l’enfermement assignés aux populations concernées. Pour la délimitation de son étendue géographique au sud, nous ne retiendrons pas non plus celle parfois énoncée, qui réserve son appellation aux pays situés entre les deux tropiques9. Si au nord le tropique du Cancer coïncide avec le Sahara et que cette limite écarte correctement les pays de la bordure méditerranéenne de l’Afrique, elle exclut symétriquement cinq pays au sud du tropique du Capricorne (Afrique du Sud, Botswana, Lesotho, Swaziland, Namibie). Sauf que, si une motivation politique sous-tend une telle délimitation restrictive10 afin d’écarter un pays longtemps dirigé par une minorité raciste qui imposait le régime de l’apartheid, cela nous semble nier une réalité historique et culturelle bien différente. Au motif d’exclure trois millions de personnes issues de l’immigration européenne, elle en bannit plusieurs dizaines de millions d’autres, dont la très grande culture zouloue, un rare peuple africain à avoir infligé une sévère défaite militaire à l’armée anglaise11. Ces deux lignes tropicales ne sont donc que de strictes conventions construites par les géographes occidentaux pour cartographier et contrôler commodément le monde, elles ne correspondent en rien à des situations humaines, culturelles, physiques ni politiques. Et la nation la plus au sud du continent ayant capté l’appellation cardinale, cette dernière ne pourra donc être retenue pour toute la zone, incluant ce pays postapartheid (d’autres chercheurs l’excluant encore12), soit un périmètre de 49 nations. 9

« L’Afrique noire désigne la partie du continent africain située entre le Tropique du Cancer et le Tropique du Capricorne, laquelle est habitée par des peuples noirs », Justin Ouoro, Poétique des cinémas d’Afrique noire francophone, P. U. de Ouagadougou, 2011, p. 23. 10 Keyan Tomaselli, The Cinema of Apartheid: Race and Class in South African Film, Routledge, 1989, 299 p. 11 La bataille d’Isandhalwana (KwaZulu-Natal, Afrique du Sud), du 22 janvier 1879, a notamment été portée au cinéma dans L’ultime attaque (Zulu dawn, Douglas Hickox, ÉtatsUnis, 1979). Y a-t-il eu des productions africaines sur ce fait d’armes historique ? 12 Johannes Rosenstein, Die Schwarze Leinwand: Afrikanisches Kino der Gegenwart, IbidemVerlag, 2003, 188 p.

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1.5. Afrique sud saharienne Le Sahara est une large bande territoriale traversant d’est en ouest la totalité du continent sur 5 000 kilomètres, zone très faiblement habitée qui partage distinctement les cultures, agricultures, modes de vie, etc. situées à ses nord et sud. On pouvait donc qualifier la partie du continent située en deçà comme Afrique sub-saharienne, nous-mêmes ayant repris cette appellation dans des travaux antérieurs. Elle nous semble toutefois désormais devoir être également abandonnée pour deux motifs. Le préfixe « sub » signifie « sous » ce qui, à la fois peut relever d’une connotation minorante voire péjorative, et également se référer à une géographie spatiale qui ne renvoie pas au réel physique, mais uniquement à une autre convention de représentation imposée par les puissances européennes : or il n’existe ni haut ni bas dans notre système solaire. La représentation graphique de la planète Terre résulte de l’identité et d’une vision dominatrice des cartographes et de leurs commanditaires, l’Europe s’étant de la sorte placée au centre (le méridien de longitude 0, référence du temps dit universel, passe chez elle, à Greenwich en Grande-Bretagne), et au-dessus, donc dominant spatialement l’Afrique dans les représentations dessinées comme mentales. Cette ascendance graphique renvoie évidemment à l’assujettissement militaire et politique de l’époque, mais toute autre convention de représentation est donc possible13. Sans la modifier mais l’ignorant, le préfixe « sud » nous paraît à la fois respecter les conventions d’écriture géographique quelle que soit l’orientation dans l’espace que l’on veuille donner à la planète, et surtout sémantiquement respectueux des peuples et nations qui s’y trouvent. L’Afrique sud saharienne s’étend donc du Sahara au nord jusqu’au cap sud du continent, en incluant tous les peuples et toutes les nations. Donc des films pourront être africains avec des descendants d’Afrikaners. Et aussi de toute personne issue de l’immigration ayant acquis une nationalité africaine, qu’elle vienne d’Inde, de Chine14, du Liban ou d’ailleurs. Et également si elle est albinos. 1.6. Afrique sud saharienne francophone Il ne s’agit pas de revenir sur la notion de francophonie qui a fait l’objet de nombreux écrits et débats. Le partage de la langue française avec les anciennes colonies françaises et belges est un lien fort, car 11 des 13 pays 13

La Chine, par exemple, ne s’en prive pas, en plaçant son empire au centre des représentations du globe. Ou certaines ONG, qui pivotent de 180° et inversent le sud et le ord, l’Europe apparaissant dès lors surplombée et pour ce qu’elle est territorialement, plus petite que les autres continents. Mais on pourrait aussi imaginer que l’équateur soit l’axe vertical central, etc. Comme l’Histoire, la Géographie est bien politique et renforce la domination culturelle de ceux qui en ont imposé violemment les normes et représentations. 14 Ce que l’Afrique du Sud post apartheid a accepté en 2008, les Chinois étant depuis cette date classés dans la catégorie administrative « noir » afin de bénéficier des politiques de discrimination positive.

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qui ont le français comme seule langue officielle, et 12 des 18 pays dans lesquels le français est une des langues officielles, sont africains, pays qui regroupent le quart de la population supposée francophone, mais la moitié à moyen terme compte tenu de la croissance démographique de ce continent. Toutefois, concernant l’usage de la langue importée, et pour l’Afrique, imposée, de France (l’anglais et marginalement le portugais dans les autres), il convient de souligner plusieurs points. Au regard du temps historique, cet usage est très récent (à peine un siècle pour le Cameroun et le Togo) ; il est réversible (tel son abandon comme langue d’enseignement au Rwanda en 2010) ; et surtout très parcellaire, inégalement et faiblement répandu au sein des populations, d’ASF comme du Maghreb. Essentiellement langue de l’administration et des élites urbaines, inusitée des populations rurales, encore majoritaires dans les pays concernés, les recensements nationaux comme nos enquêtes de terrain15 ont bien montré que, en banlieues urbaines comme en villages, la compréhension du français pouvait être très parcellaire, son usage oral peu fréquent dans la vie quotidienne, son écriture et surtout sa lecture pratiquée seulement par une très faible minorité en dehors des capitales et grandes villes. Si politiquement le fait est minoré ou ignoré de Paris et des grandes organisations concernées, qui amalgament commodément tous les habitants pour les ranger sous le grand étendard de la francophonie, et affirmer que l’Afrique sera bientôt le premier continent francophone, au niveau du cinéma et de sa diffusion, cela pose un problème qui a été soulevé depuis longtemps, mais dont le numérique modifie un peu les données. En effet, les centaines de langues utilisées en ASF par des communautés parfois peu nombreuses ne sont souvent qu’orales, et ne pouvaient faire l’objet de sous-titres comme le français. En analogique, le coût d’un doublage en de nombreuses langues s’avérait prohibitif, puisqu’autant de copies devaient être tirées que de doublages effectués. En numérique, un seul DCP peut contenir toutes les versions souhaitées, avec les bandes-son concernées : un coût demeure pour l’enregistrement des textes, mais plus pour leurs diffusions. Demeure néanmoins la résistance, voire le rejet, de certaines cultures à voir parler des acteurs étrangers, mais les entendre en une langue qui n’est pas la leur. Pour autant, quelle que soit la langue utilisée dans la bande sonore du film, l’absence de sous-titres et la non-compréhension des dialogues par tous les spectateurs n’a jamais été un obstacle rédhibitoire à l’appréciation du spectacle cinématographique, ainsi que l’ont montré la popularité du cinéma en ASF jusqu’aux années 1980 et toutes les études menées16 à ce sujet. Toutefois, deux conditions, simultanées ou non, étaient requises pour rendre le cinéma populaire : la présence dans la salle d’intermédiaires spontanés, 15 Patricia

Caillé et Claude Forest (dir.), Regarder des films en Afriques, op. cit. Odile Goerg, Fantômas sous les tropiques. Aller au cinéma en Afrique coloniale, Paris, Vendémiaire, 2015 ; Pierre Haffner, op. cit. ; Patricia Caillé et Claude Forest (dir.), op. cit.

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qui racontent – ou interprètent – l’histoire à leur manière, et, surtout, que la diégése des films soit aisément compréhensible. Tout le contraire des « films français bavards », mais d’où le vaste succès – et pas qu’en ASF – des films d’action, policier, western et karaté d’un côté, romances, notamment musicales indiennes de l’autre. Il faut s’en souvenir en relisant les discours des cinéastes africains des années 1970 sur le cinéma à produire et diffuser. Tableau 2 : Principales populations francophones au sud du Sahara (Valeurs absolues décroissantes, en 2014)

Pays Congo (Rép. Démocratique) Cameroun Côte d’Ivoire Madagascar Sénégal Burkina Faso Bénin Guinée Mali Togo Congo (Rép.) Niger Tchad République centrafricaine Gabon Burundi La Réunion Rwanda Djibouti Guinée équatoriale Comores Mayotte Seychelles Total

Population Dont francophones 79 723 000 37 175 000 23 924 000 9 546 000 23 254 000 7 881 000 24 916 000 4 983 000 15 589 000 4 521 000 18 634 000 4 124 000 11 167 000 3 950 000 12 947 000 3 118 000 18 135 000 3 061 000 7 497 000 2 914 000 4 741 000 2 758 000 20 715 000 2 631 000 14 497 000 1 827 000 4 998 000 1 467 000 1 763 000 1 077 000 11 553 000 959 000 867 000 763 000 11 883 000 669 000 900 000 450 000 870 000 251 000 807 000 205 000 246 000 155 000 97 000 51 000 309 723 000 94 536 000

% 47 % 40 % 34 % 20 % 29 % 22 % 35 % 24 % 17 % 39 % 58 % 13 % 13 % 29 % 61 % 8% 88 % 6% 50 % 29 % 25 % 63 % 53 % 31 %

Sources : OIF, ONU17 D’autres États africains sud sahariens sont devenus membres de l’OIF : CapVert (lusophone), Ghana (anglophone), Guinée-Bissau (lusophone), Mozambique (lusophone), Sao Tomé-et-Principe (lusophone), mais nous ne les considérerons pas comme faisant partie de l’ASF. 17 Organisation

des Nations Unies, « World Population Prospects : The 2015 Revision », New York, ONU, 2015 ; OIF, La langue française dans le monde 2014, Paris, Nathan, 2014.

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Toutefois, et notamment au niveau culturel, au-delà du ciment que peut constituer la langue française, il faut encore se garder d’une uniformisation qui serait par trop réductrice, les modes de vie et pratiques, dont cinématographiques, étant loin d’être unifiées. Entre les îles – dont singulièrement Madagascar – et le continent, la différence des approches est notable, et en ce dernier les anciennes colonies belges peuvent s’éloigner sur certains points des françaises. Et même au sein de ces dernières, des pays travaillés par les tensions linguistiques comme le Cameroun peuvent se voir animés par d’autres problématiques que des pays de taille plus réduite et à la population plus homogène comme le Bénin. Ou encore ailleurs, les richesses du sous-sol comme les vastes étendues désertiques peuvent former d’autres césures. Pour ces raisons, l’Afrique sud saharienne francophone pourrait aussi s’écrire au pluriel, mais ne sera en tout cas pas considérée comme un bloc homogène, à commencer pas ses cinémas. 1.7. Blanc/Noir Bien que catégorisations issues de l’universalisme européen, si la revendication d’être Noir a pu servir d’étendard, pour porter une fierté d’appartenance revendiquée à une communauté opprimée, outre la difficulté qu’elle entraîne pour l’insertion du nombre croissant de Métis, c’est également ce à quoi la couleur noire est associée dans les imaginaires occidentaux qu’elle ne peut échapper : le Mal issus des ténèbres, le danger qui naît la nuit, le deuil de la mort, les idées dépressives, etc. Et à l’inverse, la couleur blanche renvoie à la pureté, la virginité, l’innocence, etc. Au-delà des couleurs, ce sont donc des considérations morales et des jugements qui sont intégrés et se voient inconsciemment véhiculés18. La commodité langagière et la familiarité utilisées pour désigner physiquement les individus d’origines européennes vs africaines nous semblent donc devoir également être abandonnées. Un autre motif, pourtant évident, mais si éclatant qu’on ne le perçoit plus, est qu’elles sont physiquement inexactes et infidèles au réel. Me plaçant dans une salle de cinéma devant l’écran, si sa toile est blanche, je ne le suis pas manifestement pas, et aux côtés d’un réalisateur d’ASF la peau de cet Africain se distingue nettement du noir du fond de la scène. Si ses cheveux le sont, comme ceux de la plupart des peuples de l’hémisphère sud, sa couleur peau ne l’est pas, mais marronne, ou brune, et la mienne plus pâle, beige ou marron clair par le bronzage au soleil. De surcroît, l’observation physique des peuples montre qu’il n’existe pas deux couleurs tranchées, mais des diversités de pigmentation, d’abord au sein de chaque continent, en Occident entre les Suédois et les Portugais par 18

Y compris dans les représentations sociales, les histoires et l’utilisation des acteurs et actrices au cinéma. Voir notamment Aïssa Maiga (dir.) Noire n’est pas mon métier, Paris, Seuil, 2018, 128 p.

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exemple, et en Afrique sud saharienne entre les Pygmées de RDC et les Afars de Djibouti également, voire entre les Peuls eux-mêmes, selon qu’ils sont issus du Sénégal ou du Cameroun. Il ne s’agit donc pas d’une opposition franche, mais c’est d’un continuum planétaire dont il faut parler, de surcroît renforcé par la croissance du nombre de métis, comme en Amérique du sud ou ailleurs. L’adoption de la dénomination Blanc/Noir a donc permis de structurer un contraste mental net, une opposition que le bon sens apparent de l’appellation voulait irréductible, parce que nommant deux polarités qui paraissaient flagrantes, antithétiques, incompatibles. Blanc contre Noir, sous le sceau d’une fausse conviction d’apparence a pu ainsi se structurer un manichéisme des positions. Or, si le b(B)lanc s’oppose si facilement au n(N)oir, dans la palette du peintre, à quoi s’oppose le marron ? 1.8. Film de cinéma Est considéré en droit français comme film cinématographique toute œuvre d’images animées ayant obtenu un visa d’exploitation en vue de sa diffusion en salles. La juridicité de son enregistrement, et sa destination effective permettent de la distinguer d’autres œuvres de format voisin, dès lors dites audiovisuelles, et pouvant être diffusées exclusivement sur tout autre support (télévision, vidéo, internet, etc.), le film pouvant également l’être, mais en sus et généralement postérieurement à la salle. On voit bien que la destination finale, la salle de cinéma, provoque une rareté relative, permet une différenciation et donc crée de la valeur, totalement indépendante du contenu de l’œuvre enregistrée. Mais on saisit également que cette définition juridique est comme toujours liée à une évolution historique, et qu’une autre approche du droit, liée à une autre Histoire – par exemple celle d’un pays ayant peu, ou pas, de salles de cinéma – peut conduire à une autre définition du même objet. Il est notamment possible d’enregistrer comme tels ceux ayant été validés par une commission de censure (Nigeria), ou quel que soit le mode de commercialisation prévu (support vidéographique par exemple). L’usage, puis le droit, a conduit à diviser ces œuvres en deux catégories selon leur durée, celles inférieures à 60 minutes étant dénommées courts métrages (CM), et celles d’une durée supérieure, longs métrages (LM) ; il n’existe juridiquement pas de catégorie intermédiaire (moyen métrage). L’évolution historique a conduit à ce que seuls les LM soient commercialisés en salles, et reçoivent ainsi l’appellation de films de cinéma. 1.9. Films africains Amalgame et abus langagier très réducteurs, les films africains n’existent pas plus que les films européens19. Le cinéma africain n’existe pas non plus, ni le cinéma asiatique. Il existe des films produits, ou coproduits, par certains 19 Sur

les difficultés et précautions méthodologiques, voir aussi Roy Armes, Dictionnaire des cinéastes africains de long métrage, op. cit., p. 17-29.

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pays d’Afrique, et/ou réalisés par des individus nés en tel ou tel pays de ce continent. Tout au plus pourrait-on parler de cinématographie sénégalaise ou burkinabè, ce que des critiques ou analystes de films montreraient peut-être, bien que cela paraisse néanmoins délicat en raison de l’étroitesse des corpus, des diversités de cultures au sein même de nombreuses nations, des variétés de situations quant aux réalisateurs (sur place, en exil, ayant toujours vécu à l’étranger, etc.). Tandis qu’assurément peut être évoquée telle ou telle production nationale, et à coup sûr plus rigoureusement la nationalité de réalisateurs, techniciens ou producteurs nationaux20. Il convient toutefois de s’arrêter sur ce point et d’interroger le phénomène : pourquoi n’y a-t-il qu’avec l’Afrique que l’on se permette cette globalisation ? Pourquoi un film peut-il clairement être identifié comme japonais et non point asiatique, néo-zélandais et pas océanien ? Pourquoi se réjouira-t-on, ou déplorera, la présence, ou l’absence, d’un « film africain » en tel ou tel festival, et pas d’un film sud-américain ? Certes, la faiblesse quantitative des productions nationales peut inviter à tous les rassembler. Certes également, il peut se trouver une fierté d’appartenance à une large communauté continentale de la part de certaines personnalités africaines. Mais n’y a-t-il pas, au mieux une paresse et une méconnaissance, ou plus certainement une indifférenciation inconsciemment réductrice de la part de nombreux locuteurs occidentaux ? Un film congolais et un sénégalais raconteraient la même chose de la même manière ? Qui le dirait entre un film danois et espagnol ? Une généralisation, une massification (« ils sont tous pareils »), un refus d’individualisation, une non-réversibilité du raisonnement et des situations ne révèlent-ils pas encore un sentiment de supériorité, et de domination, d’abord par l’imposition langagière ? 1.10. Images et actualités des Afriques Constat banal, à commencer par les actualités, les chaînes de télévision occidentales (et les journaux) n’utilisent quasiment pas d’images produites par des Africains, et en diffusent très peu les concernant, sauf sur les sujets négatifs et dévalorisants qu’elles traitent quasiment exclusivement pour ce continent : guerres, famines, exodes, migrations, catastrophes sanitaires, etc. Rien sur leurs réussites ou sur leurs manifestations culturelles. Par ailleurs, le système de représentation utilisé s’appuie toujours sur une logique binaire, inapte à expliciter des situations complexes21 : face aux victimes africaines seront montrés les sauveurs humanitaires ; aux troubles 20

L’étude des films de réalisateurs ou producteurs issus de la diaspora constitue un autre angle, très différent économiquement et culturellement, mais utile à aborder. Voir notamment Ricci Daniela, Cinémas des diasporas noires : esthétiques de la reconstruction, Paris, L’Harmattan, 2016, 292 p. Mais elle pose encore d’importants problèmes de délimitation : combien de générations doit-on considérer ? Une ? Deux ? Remonter à la traite négrière ? 21 Bill Ashcroft et alii. (eds.), Post-colonial studies. The key concept, New York, Routledge, 2e éd., 2007.

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provoqués par des milices (dont on ne nous dit jamais d’où elles émergent) seront opposés les soldats français (qui demeurent présents sur la moitié de l’ASF et qui n’ont jamais cessé de s’opposer par les armes à des Africains)22 ou de l’ONU ; au désordre et à la barbarie, l’ordre et le professionnalisme ; à la sauvagerie bestiale, la discipline qui permet de sauver, soigner et protéger ; etc. Toujours indifférenciés, les acteurs africains semblent ainsi soumis à leurs instincts et subir les événements dont ils sont victimes, ne jamais avoir prise sur eux, être dépendants, tandis que la France (l’Occident) agit de manière libre et consciente, puis leur apporte la solution. Il s’agit bien là, toujours, de la logique manichéenne qui a légitimé l’impérialisme français et construit l’imaginaire colonial, et continue d’alimenter les croyances des communautés occidentales23. Encore faut-il qu’elles montrent des images et traitent des sujets, ce qui n’est encore guère fréquent aujourd’hui malgré la miniaturisation et portabilité des matériels ainsi que la facilitation des moyens de transmission pour les reporters depuis vingt ans. Le désintérêt supposé des téléspectateurs pour l’étranger, surtout trop lointain, comme la nécessité de faire de l’audience sont souvent mis en avant. Mais nous avons montré, à propos du génocide des Rwandais Tutsi commis par des Rwandais Hutu en 199424, génocide très rarement évoqué, et sa spécificité encore moins, que la différence de couleur de peau ou de culture, ou que l’éloignement géographique pouvaient certes constituer un obstacle contre l’identification possible, limiter une empathie immédiate, mais que cela ne suffisait pas. À preuve l’élan de générosité vis-à-vis de nombreuses victimes de certaines catastrophes naturelles, d’épidémie par exemple, celle des réfugiés rwandais au Zaïre en juillet 1994 (dont personne n’indiquait à ce moment qu’ils étaient les génocidaires) : durant la décennie qui suivra, il ne sortira aucun film en salles françaises traitant de ce sujet, de quelque nationalité et genre qu’il soit. Le nombre de morts et l’ampleur des catastrophes ne suffisent donc pas. Il faut, aux victimes et à leur histoire, des éléments bien précis liés au mécanisme mimétique pour que le processus fonctionne. La claire caractérisation des personnages est un élément déterminant pour intéresser ceux à qui l’on s’adresse. En effet, quelles que soient ses caractéristiques, il faut que la victime soit distinctement identifiable.

22 Outre leur présence permanente en ASF sur des bases françaises à Djibouti, en Côte d’Ivoire, au Gabon et Sénégal, on ne compte plus les « opérations spéciales », plus ou moins médiatisées, telles, seulement durant le dernier quart de siècle, au Rwanda (1994), Cameroun (1996-2007), Congo Brazzaville (1997), Guinée-Bissau (1998), Zaïre (1998, 2003), Côte d’Ivoire (2002, 2004, 2011), République centrafricaine (2013), Tchad (2006, 2008, 2014), Djibouti (2008), Mali et Niger (depuis 2014), etc. 23 Bénédict Anderson, L’imaginaire colonial. Réflexions sur l’essor et l’origine du nationalisme, Paris, La Découverte, 1996. 24 Claude Forest, Quel film voir ?, op. cit., chap. 8.

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Août 2017. Une vague d’attentats revendiqués par l’État Islamique frappe plusieurs pays : –13 août, Ouagadougou (Burkina Faso), deux hommes, qui seront tués par les gendarmes, tirent sur la foule d’un restaurant : 19 morts de 9 nationalités. L’événement fera une brève aux actualités des chaînes télévisées nationales françaises (TF1, FR2), une demi-page (en page 6) du quotidien papier Le Monde seulement trois jours plus tard, puis plus rien sur aucun support. –17 août, Barcelone et Cambrils (Espagne), deux voitures béliers foncent dans la foule : 15 morts de 8 nationalités. L’événement fera la une des actualités télévisées plusieurs jours de suite, ainsi que l’objet d’innombrables émissions spéciales durant plus d’une semaine, et l’information sera relayée en continu sur les chaînes spécialisées. Il occupera la page une de Le Monde sur les six colonnes, ainsi que les pleines pages 2 et 3, puis des pleines pages les jours suivants. –18 août, Turku (Finlande), attaque au couteau, deux morts. Rien au JT, une brève dans Le Monde. – 19 août, Surgout (Sibérie en Russie), un homme poignarde sept personnes. Rien aux JT ni dans Le Monde, toujours mobilisés sur l’Espagne. Ces deux derniers événements seront surtout relayés sur internet et les réseaux sociaux, ainsi que deux autres tragédies, se déroulant au même moment en Afrique de l’Ouest. –14 août, Freetown (Sierra Leone) : une coulée de boue fait environ 500 morts et 600 disparus, le président Koroma demande l’aide internationale. Durant la semaine qui suivra, l’événement fera une unique brève dans un JT et dans Le Monde. Seules les chaînes spécialisées (BFM, I-télé) accorderont une place au drame et feront des reportages. –19 août, Sokodé (Togo) : manifestation du parti d’opposition (Parti national panafricain), la gendarmerie tire à balles réelles, et fait entre deux et sept morts selon les sources. Rien aux JT, ni sur les autres chaînes télé, ni dans Le Monde. Au-delà du traitement quantitativement inégal de l’information, surtout entre les deux premiers attentats, et envers la catastrophe incommensurable de la Sierra Leone, il est à noter : – du côté africain, la rareté de la production de reportages et d’images autres que d’amateur (sur téléphone portable) dans leurs pays concernés (à quand d’ailleurs une production de reportages d’Africains sur des événements survenant au Nord ?) ; – du côté européen, la rareté d’interviews et de portraits individuels. Alors que pour Barcelone, les interviews de témoins, touristes, personnalités ont foisonné, rien de tel pour Ouagadougou ni Freetown (mais sur internet pour cette dernière, oui, mais sans identification des sources). Très nettement, les populations africaines sont d’abord, et souvent exclusivement, perçues de manière collective (foule de migrants, camp immense de réfugiés, files d’attente interminables, etc.) renforçant le sentiment de passivité, de victimes du sort (de la nature ou des rivalités ethniques) dans un continent où régnerait le chaos en permanence. Il ne s’agit pas d’individus, l’empathie personnelle est structurellement impossible, ces populations montrées n’étant constituées que d’anonymes interchangeables. 31

Il convient avant tout que son histoire soit aisément compréhensible avec un début (l’origine des faits), un milieu (tragique) et une fin (que l’on souhaite heureuse). Pour l’observateur, le sort (le hasard, les éléments naturels, les autres hommes, la Destinée) doit paraître injuste à son encontre, précisément et uniquement parce qu’elle est victime, et dès lors l’identification et la projection de son propre sort deviennent possibles (« ça pourrait nous arriver… »). Il convient subséquemment de les aider, ces victimes, comme nous aimerions l’être nous-mêmes en une telle circonstance. « L’élan du cœur » redevient possible puisqu’aucun obstacle, aucune différence visible n’apparaît pour heurter l’observateur. Il importe que ces circonstances, les victimes, la tragédie, et toutes les pièces du dispositif puissent être imitées, intérieurement d’abord par le spectateur, par d’autres humains ensuite25. Toutefois, les massacres inter ou intra groupes africains sont illisibles et non projetables pour un observateur, notamment occidental26. Qui a commencé ? Que se passe-t-il ? Cela se terminera-t-il un jour ? Le mimétisme ne peut jouer, ni l’empathie se mettre en place. Le nombre de morts ou l’horreur de la situation ne sont pas des déterminants suffisants. Il en va de même pour une coulée de boue en ville (« n’est-ce pas un peu de leur faute ? Incompétence ? Fatalisme de l’inorganisation ? Etc. »), mais pas pour un tsunami (car personne n’est responsable), et encore moins pour une épidémie qui frappe aveuglément, donc qui pourrait toucher le (télé)spectateur. 1.11. Nationalité Définir la nationalité d’une personne physique n’est ni toujours simple, ni identique sur toute la planète (droit du sol vs droit du sang), et cette personne peut en changer au cours de sa vie. Celle d’une personne morale peut également changer mais est davantage repérable, se référant au lieu d’enregistrement et d’établissement du siège social. Pour un produit la nationalité était aisée jusque récemment, en se référant au lieu de production : des olives du Maroc, des fèves de cacao de Côte d’Ivoire, etc. La mondialisation des échanges, la facilitation des transports, la délocalisation des lieux de transformation ont bouleversé les évidences et complexifié les définitions : quid de l’huile d’olive et du cacao en poudre ? Faut-il retenir le lieu de production, celui de transformation, ou de mise en conservation, ou celui du siège de l’entreprise exportatrice ? Il ne peut exister de définition mondiale, mais des variations au fil des intérêts nationaux et des rapports de force évoluant dans le temps, pour faciliter la circulation des biens ou l’imposition de taxes douanières, notamment. Mais 25

Aristote, Poétique, 1447 a. Mais pas seulement. Démontrant, s’il le fallait, la grande hétérogénéité des pays de l’ASF, en évoquant en Afrique de l’Ouest à moult reprises le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda, à peu près aucun de mes interlocuteurs, cultivés, ne put relater approximativement ce qui avait provoqué ces (au moins) 800 000 morts. La distance, quand ce n’était pas de l’indifférence, n’était pas feinte : « cela ne pouvait pas leur arriver, chez eux » (au Bénin, Burkina, Togo…). 26

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pour une œuvre collective, tel un film ? Là aussi, des intérêts politiques et symboliques sont en jeu, et il n’existe pas de définition universelle. En France, la nationalité retenue pour les films se voit ainsi déterminée27 : La nationalité résulte de l’origine du film mentionnée par la commission de classification lors de l’attribution du visa d’exploitation. La nationalité est automatiquement française lorsqu’il s’agit d’un film ayant reçu l’agrément. Les films français comprennent donc les films 100 % français et des coproductions avec d’autres pays (…). Pour l’immatriculation au Registre public du cinéma et de l’audiovisuel, sont considérées comme œuvres françaises les œuvres produites par un producteur français ou dont l’un au moins des coproducteurs est français. Toutes les coproductions franco étrangères sont immatriculées en tant qu’œuvres françaises, même si la part française est minoritaire, même si l’œuvre ne bénéficie pas d’un traité de coproduction28. Assez technique, cette définition juridique a de nombreuses implications : la nationalité (française) pour un film se trouve totalement déconnectée de celle des personnes physiques (producteur comme réalisateur) qui concourent à son existence ; aucun producteur n’étant autorisé à exercer en tant que personne physique mais devant le faire au sein d’une entreprise, cette personne morale sera titulaire de l’autorisation d’exercice délivrée par le CNC. Il en résulte que la nationalité se réfère à l’identité de l’entreprise de production, et non pas à son dirigeant, ni à l’origine de ses capitaux, ni du financement du film. In fine, la nationalité du film, via celle de la production, ne découle que de la domiciliation de l’entreprise : est considérée comme française celle dont l’adresse postale de l’entreprise productrice se situe sur le sol national. Cette définition étant également en vigueur en de nombreux autres pays, notamment industriels et certaines anciennes colonies, en cas de coproduction un film pourra donc posséder plusieurs nationalités, française en France ET camerounaise au Cameroun par exemple29 ; la France considère donc dans ses statistiques comme français tout film enregistrant la présence d’une entreprise française de production, quelle que soit la hauteur de sa participation. En cas de coproduction, deux catégories de films peuvent s’enregistrer selon ce critère, ce qui a amené le 27

Pour un plus long développement sur l’identité des films, voir Claude Forest, « Produire un premier film en France », dans L’internationalisation des productions cinématographiques et audiovisuelles (dir.), Villeneuve d’Ascq, P. U. du Septentrion, 2017, p. 143-164. 28 Rapport du Sénat - Les aides publiques au cinéma en France, 2002 (www.senat.fr/rap/r02276/r02-27616.html) 29 Ce qui pose de délicats de comptabilisation des œuvres lorsque l’on agrège plusieurs pays, un même film coproduit internationalement ayant été comptabilisé dans chacun des pays.

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CNC, en fonction du pourcentage déclaré30, à définir trois appellations selon les participations financières des entreprises de production : minoritaires, majoritaires ou intégralement français31 ; mais d’autres pays peuvent adopter des critères différents, ou encore, au vu notamment de l’extrême faiblesse d’une production erratique, n’établir aucune législation sur la question (qui n’en est pas une pour eux). Dès lors, n’importe qui peut définir selon son souhait (nationalité du réalisateur, du lieu de tournage, etc.) cet objet qui ne possède pas d’identité juridique ! Toutefois, il est à noter, et ce n’est pas anodin, notamment pour l’ASF, que la définition juridique de la nationalité pour la société de production, s’applique en France à tous les films, y compris en coproduction, et cela quelle que soit la nationalité du partenaire. Or, plus de la moitié des films de l’ASF étant des coproductions internationales, ils sont donc aussi, et souvent, avant tout, d’une autre nationalité, massivement européenne dont majoritairement française (cf. infra). Néanmoins, en France comme ailleurs, même avec un montage financier majoritaire, voire parfois quasi exclusivement français, ils seront mis en avant comme « africains ». Preuve d’un généreux souci de diversité culturelle ? Il faudra évidemment y revenir. 1.12. Réalisateur africain D’autres définitions de la nationalité d’un film sont donc possibles, mais elles résultent souvent d’un classement familier, subjectif, non fondé juridiquement, comme retenir celle du réalisateur pour la transférer au film, critère ordinairement retenu par des festivals et certains fonds publics, souvent pour légitimer la sélection des films. Pour historiquement intéressante qu’elle soit afin de mesurer l’évolution et l’apport de ces cinématographies, et pour apparemment facile, elle paraît, aujourd’hui, très critiquable et devoir être abandonnée pour de nombreuses raisons : - Le film étant une œuvre collective, ne retenir qu’une seule personne, sans rien connaître de l’apport, effectif et souvent déterminant, voire irremplaçable, de tous les autres collaborateurs, apports qui s’avèrent de surcroît très différents d’un film à l’autre, y compris pour ledit réalisateur, nous semble exorbitant et méconnaître les conditions objectives de tournage. Un producteur, un scénariste ou, souvent, un monteur peut avoir eu plus de poids dans l’initiative ou le résultat final de l’œuvre. Le nier est renforcer 30

On saisit immédiatement les limites, intérêts et jeux possibles des entreprises en cas de participations croisées, face à l’enjeu de la capacité à pouvoir bénéficier des critères d’une nationalité afin d’accéder aux soutiens financiers de l’État du pays considéré. 31 C’est essentiellement la croissance des deux premières catégories (+ 30 % sur la dernière décennie) qui a permis celle des films dits français, la part de ceux intégralement financés en France ne cessant de diminuer, pour représenter désormais à peine la moitié de l’ensemble (56 % en 2016) ; CNC, Bilan 2016, Paris, CNC, mai 2017, p. 89. D’où l’intérêt, politique et symbolique, de considérer comme français tous les films dans lesquels participe une entreprise de production française, quelle que soit la hauteur de son investissement.

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une aura imaginaire, puis transformer un être en démiurge, ce que la Nouvelle vague française a réussi à imposer dans les imaginaires d’Europe de l’Ouest, mais pas dans le monde anglo-saxon soumis à un autre régime juridique (le copyright), et qui ne correspond absolument pas au réel. - De surcroît, y compris sous le régime du droit d’auteur32, sont désignées comme auteurs d’une œuvre audiovisuelle quatre à cinq autres personnes selon les cas : l’auteur du scénario, de l’adaptation, du texte parlé (dialogues), des compositions musicales, et éventuellement de l’œuvre originale (roman ou premiers auteurs en cas de remake). Le réalisateur du film n’est que l’un d’entre eux. Et par ailleurs, surtout depuis le développement de la numérisation des supports de diffusion, ce droit enregistre de très nombreuses exceptions33. - Que se passe-t-il pour le film lorsque le réalisateur change de nationalité ? Ou lorsqu’il en dispose de plusieurs (Alain Gomis, Mama Keïta, etc.) ? Lorsqu’il y a eu plusieurs réalisateurs de nationalités différentes ? Etc. - Il y aurait, par essence, et uniquement pour cette catégorie d’humains, voire d’Africains34, une sorte de transfert immanent qui, en raison exclusive de leur lieu de naissance ou couleur de peau, passerait automatiquement de leur être au film, à son contenu, son esthétique ? Nous ne le soutiendrons pas35. Là aussi, il n’y a guère que pour les films réalisés par des Africains que d’aucuns appliquent cette règle, pas pour un autre continent. Nous ne suivrons donc pas cet essentialisme36 qui ferait que seule une partie des natifs d’Afrique (car pas d’Afrique du Sud ni du Maghreb) seraient dotés de cette aptitude, qui poserait par ailleurs d’autres questions. Si un Sénégalais réalise automatiquement des films sénégalais, ne peut-il plus faire des films français ? En revanche cette disposition ne s’appliquerait pas au Sénégalais producteur ? Et réciproquement, un Français ne peut donc pas faire un film sénégalais ? Etc. 32 Régi en France par le code de la propriété intellectuelle, et en particulier son article L 1137, qui respecte la Convention de Berne (1886, modifiée en 1979), traité diplomatique signé par 166 pays, dont tous les francophones. 33 Francisco Javier Cabrera Blázquez, Maja Cappello, Gilles Fontaine, Sophie Valais, Les exceptions et limitations en matière de droit d’auteur, Strasbourg, Observatoire européen de l’audiovisuel, 2017, 96 p. 34 Cela ne joue pas pour les Maghrébins, qui revendiquent rarement une « africanité ». 35 Et qui affirmerait qu’Avatar (James Cameron, 2009) est un film canadien ? Les contrebandiers de Moonflet (Fritz Lang, 1955) austro-hongrois ? Le fleuve (Jean Renoir, 1951) français ? Cet obscur objet du désir (Luis Buñuel, 1977) mexicain ? Etc. 36 Encore adopté par nombre d’instances, y compris comme critère d’attribution des aides financières comme dans le dispositif du CNC « aide aux cinémas du monde », la nationalité du réalisateur demeure un critère majeur. Par exemple en 2015 pour le film Wùlu, Daouda Coulibaly est indiqué comme originaire du Mali alors qu’il se présente comme franco-malien (et a grandi à Marseille) et le film référencé sous cette nationalité, alors qu’il a été produit par une société française (La Chauve-souris) avec une coproduction « officielle » minoritaire d’une société domiciliée au Sénégal (Astou films) montée avec des capitaux… français.

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Dès lors, la subjectivité est totale et a conduit à de nombreuses contorsions, exceptions et contradictions. Par exemple : « Pour qu’un film soit africain, suffit-il qu’il soit réalisé par un Africain ? Sans doute, dans la mesure où le film est remarquable par ses rapports des valeurs de la civilisation africaine »37. Qui juge de ces valeurs ? Quelle instance ou quel tribunal ? Selon quels critères ?… Cependant, a contrario, « quelle que soit la valeur d’un film réalisé par un non-Africain sur l’Afrique, nous le qualifions de film ‘’d’inspiration africaine’’ »38. Discriminer les gens non sur ce qu’ils font, mais sur ce qu’ils sont, étant l’exacte définition du racisme, nous ne reprendrons pas ce type de critères, largement répandus dans les années 1960-80, compréhensibles dans une logique d’affirmation identitaire postcoloniale, mais porteuse de malentendus et de bannissements inféconds. Si on distingue bien l’avantage symbolique pour leurs bénéficiaires de s’approprier un espace plus grand qu’eux, et pour certains locuteurs du Nord, de se montrer apparemment généreux (ou de plier sous une culpabilité postcoloniale) tout en camouflant le dramatique échec d’une politique de soutien à la production des pays concernés, de là à la condescendance et, encore, à la globalisation indifférenciatrice, il n’y a jamais loin dans les esprits. Il nous paraît qu’aujourd’hui une marque de respect, de considération égalitaire et d’insertion dans le champ de l’industrie mondiale du cinéma, impose d’appliquer les mêmes règles de droit et définitions pour les films produits en ASF que dans le reste du monde. 1.13. Réalisateur africain d’un premier film Selon les définitions qui précèdent, La Noire de… (Ousmane Sembène, 1966) n’est donc pas le premier long métrage africain ni même d’ASF, mais une coproduction franco-sénégalaise (Les Actualités françaises39 et Filmi Domirev40), d’un réalisateur sénégalais. Et il s’agit d’un court métrage, puisque d’une durée effective de 56 minutes, et non de 60 à 65 annoncés à sa sortie : l’enjeu symbolique d’être « le premier film africain »41 et créer une mythologie a pu l’emporter sur les exactitudes matérielle et historique. Car d’autres pays, la Tunisie dès 1924, l’Algérie (clandestinement), Madagascar et l’Égypte notamment, avaient déjà commencé à produire, dont Youssef Chahine avec Gare centrale (Egypte, 90 min) en 1958. Sans compter l’Afrique du Sud qui produisait abondamment depuis la Première Guerre mondiale, ni le Gabon (1961) ou la Guinée (1966). 37 Paulin

Soumanou Vieyra, Le cinéma africain des origines à 1973, op. cit. Idem. 39 Fondée en 1908 par Charles Pathé, elle cesse son activité en 1968 et le fonds des Actualités Françaises est racheté par l’ORTF, puis conservé à l’Institut national de l’audiovisuel (INA). 40 La société d’Ousmane Sembène qui produira nombre de ses films, en souhaitant ne plus dépendre financièrement de l’étranger, et notamment de l’ancienne puissance coloniale. 41 Ousmane Sembène avait réalisé un premier CM en 1963, Borom Sarret. 38

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Afrique sur Seine (1955) n’est pas non plus l’un des premiers courts métrages africains, mais le premier court métrage français réalisé par des Africains de l’ASF. Mamadou Sarr (Sénégal) et Paulin Soumanou Vieyra (Dahomey) en sont les seuls crédités au générique, mais, nouvelle illustration de l’enjeu symbolique de cette place de réalisateur, ce CM a été ensuite crédité dans la littérature de deux autres coréalisateurs, Robert Caristan et Jacques Mélo Kane, qui apparaissent cependant au générique du film respectivement à l’image et à la régie42. Or, les quatre formaient le « Groupe africain de cinéma », qui a… produit le film. Nous ne pourrons pas suivre non plus Vieyra lorsqu’il affirme qu’ils auraient été « les quatre premiers cinéastes de l’histoire du cinéma africain au sud du Sahara »43 et qu’Afrique sur Seine aurait été « le premier court métrage négro-africain »44. Outre l’Afrique du Sud, ce serait oublier d’autres CM, dont les congolais La leçon du cinéma (The Cinema Lesson, Albert Mongita, 1951), et Les pneus gonflés (Inflated Tires, Emmanuel Lubalu, 1953), ainsi que le Guinéen Mamadou Touré (Mouramani, 1953), etc.45 Toutes ces rectifications ne modifient évidemment en rien le rôle pionnier, ni l’intérêt cinématographique de ces films ainsi qualifiés « d’africains ». Mais cela révèle, outre la dimension emblématique, voire matérielle, pour les intéressés (place sociale, reconnaissance, Ousmane Sembène qui peut se voir décerner l’appellation « d’aînés des anciens du cinéma africain », etc.), le combat idéologique de la définition des mots et de leurs territoires imaginaires. Historiquement mené pour lutter et s’affirmer contre le colonialisme et l’idéologie postcoloniale dont on a déjà pu mesurer combien elle perdurait, il nous paraît aujourd’hui fructueux de dépasser une logique d’affrontement binaire, y compris sémantique, pour pouvoir tenter, chacun à sa place, de suivre une voie réellement autonome. Et, aussi, dans les discours de cesser de prendre l’ASF et ses problèmes pour toute l’Afrique sud saharienne, voire de les transposer sur l’Afrique entière. Notamment pour le 42

Inversement, lors de l’édition DVD du film (par les héritiers de Vieyra et soutenus par l’Institut français et l’OIF), seul le nom de P. S. Vieyra apparaît comme seul réalisateur sur la jaquette : Mamadou Sarr a « disparu ». 43 Paulin Soumanou Vieyra, Le cinéma africain des origines à 1973, encart photo p. 17. Ces réécritures de l’Histoire sont par ailleurs contradictoires aux écrits de Vieyra lui-même qui associe bien Mamadou Sarr, et lui uniquement, à la réalisation (dans le même ouvrage, p. 156), en regrettant d’ailleurs à cette occasion le côté « boiteux » de cette bicéphalie. 44 Ibid. Incidemment, l’attachement militant et parfois quasi-romantique de défenseurs de la cause des Noirs (Senghor, Césaire, Damas…) au concept de négritude se concevait parfaitement au milieu du XXe siècle pour affirmer la volonté d’une reconnaissance des droits et la reconquête des identité et altérité des hommes de « couleur ». Le détournement ultérieur du mot qui s’est opéré à des fins insultantes nous semble devoir conduire à son abandon. 45 Olivier Barlet, Les cinémas d’Afrique des années 2000. Perspectives critiques, L’Harmattan, 2012, p. 117 s. Cet auteur estime que l’idéologie du film Afrique sur Seine est à l’origine du fait qu’il ait été retenu comme le premier film africain.

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cinéma, les problématiques apparaissent comme très spécifiques à la zone francophone. Inversement, au-delà du succès de Nollywood, que le modèle des marketers nigérians n’ait pas été copié ou imité un quart de siècle plus tard en ASF aurait dû interroger tous leurs professionnels, notamment de la deuxième génération, dont certains se sont trop longtemps complus dans la déploration ou la quête de prébendes, freinant d’autant l’émergence d’une production adaptée à leurs moyens et aux goûts du public. 2) Délimitation de la production cinématographique en ASF Si, de par son Histoire, la France et nombre de pays industrialisés ont développé depuis longtemps une législation, des catégorisations précises et des modes de fonctionnement juridiquement clairs de nature à limiter les conflits, notamment de propriété, mais également pour favoriser la perception de taxes et impôts, comme pour attribuer des subventions, il n’en va pas de même en ASF. Secteur économique marginal ou inexistant, d’autres priorités et considérations ont légitimement accaparé l’attention des États. Il s’ensuit que, outre les difficultés ordinaires à comparer des systèmes internationaux dont les fondements juridiques et modalités de fonctionnement peuvent diverger (droit d’auteur vs copyright par exemple), l’absence de règles de droit ou de définition établies rend plus délicate la constitution d’un corpus homogène. Ainsi, les réponses à des questions apparemment simples comme « qu’est-ce qu’un film ? Qu’elle est sa nationalité, sa date de naissance, son auteur, son genre, etc. ? » peuvent recevoir différentes réponses. Nous allons préciser les choix et définitions qui nous ont permis de constituer le corpus qui a servi de base à notre étude. Certaines vont s’inspirer du droit français, non par ethnocentrisme, mais parce qu’elles semblent avoir souvent montré leur opérationnalité. 2.1 Film de cinéma Le définir, en absence d’organisme d’État permettant de clairement les répertorier et enregistrer, s’avère très délicat. En effet, si cela est légitimé en France via l’attribution du visa d’exploitation, ou par exemple au Nigeria par l’autorisation d’une commission de censure, comment attester de leur existence effective ? Une simple déclaration ne peut suffire, car il peut s’agir de l’annonce d’un projet qui ne s’est pas concrétisé ou qui s’est transformé, ou d’une simple vantardise, etc. Surtout pour ceux des premiers temps, le film lui-même a pu physiquement disparaître, ou ne plus être disponible sur aucun support : faible nombre de copies originel, faillite du producteur, non traçabilité des ayants-droits, absence de lieu de conservation, etc. Une majorité des œuvres des deux premières décennies postindépendances se retrouve en cette situation, ce qui pose au passage la question de la conservation et de la transmission de ce patrimoine culturel. Nombre d’entre 38

eux ont toutefois laissé d’autres traces : présence dans les catalogues de festivals, programme de salles, critiques de journaux, ouvrages cinéphiliques, etc. Bien que le doute subsiste pour quelques titres, nous avons considéré que le croisement de plusieurs sources fiables (supra) mentionnant un faisceau d’indications précises (auteur, durée, etc.), de manière concordante, pouvait attester de son existence. Les cas de dissonances, notamment sur les durées, identité du producteur, année de production, ont néanmoins été très nombreux, appelant à des recherches et longues vérifications complémentaires. À cet égard, les bases de données sur internet, qui se copient souvent les unes les autres, ont présenté des taux d’erreur très élevés, IMDb apparaissant cependant comme la plus fiable et la mieux référencée. Pour la période récente, à partir de la fin de la dernière décennie du XXe siècle, l’identification des films s’est pourtant avérée très délicate, et il appert aujourd’hui qu’un recensement exhaustif s’avère impossible sur l’ensemble du continent. En effet, si jusqu’à cette période la transposition des définitions et règles françaises ne posait pas de problèmes, étaient reconnues voire revendiquées, la problématique s’est radicalement modifiée avec, au niveau du tournage, l’arrivée de la vidéo, puis du numérique ; au niveau du financement l’intrusion massive de la télévision et de la publicité ; et au niveau de la diffusion la fermeture puis la disparition des salles en de nombreux pays. La propagation d’internet et des supports numériques individuels de visionnage ont fini de brouiller les repères, et accru la porosité entre les films, vidéo films, téléfilms, feuilletons, séries, capsules internet, etc. Si certains critères définitoires du cinéma, pour valides qu’ils peuvent apparaître (esthétique de l’œuvre, niveau de son écriture, rythme, temporalité, etc.), et si un regard occidental peut affirmer que telle œuvre « c’est du cinéma » (vs « ça n’en est pas »), outre qu’un autre regard, différemment cultivé, pourrait affirmer l’inverse, la subjectivité qui domine ces approches les rend difficilement opposables rigoureusement. 2.2 Les caractéristiques du film de cinéma en ASF Le support originel, la pellicule, qui fut longtemps consubstantiel au cinéma, puis dominant et symboliquement valorisé surtout en ASF (l’admission très tardive de films en numérique au Fespaco en atteste), ne saurait absolument plus, tant en enregistrement qu’en diffusion, être un critère définitoire (mais de qualité d’enregistrement et surtout de conservation, probablement). 2.2.1 Le support physique, justement, nous semble ne plus devoir rentrer en considération dans la définition des films : pellicule 35 mm (format standard) ou 16 mm (sub-standard, majoritaire en ASF dans les années 1970) ne paraissent plus des critères pertinents, bien que le tournage 39

en ce dernier format explicite pour partie, d’une part la dévalorisation symbolique qui, à l’époque, a affecté nombre de films des Afriques, en ce qu’ils auraient été du sous-cinéma (un cinéma du pauvre, tourné avec de faibles moyens, donc peu digne d’intérêt), et d’autre part des difficultés de diffusion, le gonflage d’une copie du 16 mm au 35 mm étant relativement onéreux (de l’ordre de 100 000 FF de l’époque). L’enregistrement numérique, qui a supplanté une vidéo éphémère, élève le niveau de qualité à l’enregistrement des images, malgré une obsolescence rapide et inévitable, engendrée par la course à l’innovation technologique pour créer un avantage concurrentiel par différenciation au profit des entreprises dominantes. Très éloignés des normes industrielles minimales (le 2 K) imposées au niveau mondial par les majors étatsuniennes réunies au sein du DCI46, la course technologique (4 K, 8 K...)47 et les investissements qu’ils imposent se situent hors de portée des professionnels de l’ASF, creusant immanquablement les écarts, au sein des films du Nord d’une part, et avec ceux du Sud de l’autre. Imposer un critère technique ou financier ne serait que renforcer une barrière à l’entrée du marché et créer un outil de domination par exclusion. 2.2.2 Sa longueur, ou durée, pourrait également être discutée car, comme toute norme, elle présente une part d’arbitraire. Toutefois, nous conserverons celle de 60 minutes pour marquer une césure entre le court métrage, d’une durée inférieure, et le long métrage d’une durée supérieure, seul objet qui sera ici recensé et étudié. Non point que le CM soit de moindre intérêt ou valeur artistique, mais ses conditions de production, comme d’amortissement et de commercialisation, obéissent à de tout autres règles et lois, qui l’éloignent du professionnalisme (au sens de vivre de son métier) et de l’industrie. Et leur nombre, incommensurable mais en croissance accélérée, interdit désormais tout recensement et analyse d’ensemble. Historiquement, la mesure d’une œuvre a d’abord été sa longueur de pellicule (1600 m), qui correspondait pour un LM à cette durée de 60 min à une vitesse de défilement précise dont le changement peut donc, marginalement, poser problème. En effet, la vitesse de défilement d’un projecteur, qui était de 16 images par seconde (i/s) jusqu’à l’arrivée du parlant (1928), a été mondialement normalisée ensuite à 24 i/s. Mais, en raison de contraintes électroniques, cette vitesse est légèrement supérieure à la télévision (25 i/s en Europe avec les normes Pal/Secam, et 30 i/s aux 46

Le Digital Cinema Initiatives (DCI) est un groupement créé en 2002 par les majors d’Hollywood (Metro-Goldwyn-Mayer, Paramount Pictures, Sony Pictures Entertainment, The Walt Disney Company, 20th Century Fox, Universal Studios, Warner Bros) afin d’établir des normes mondiales pour la production et la diffusion du cinéma numérique. 47 2 K correspond à une résolution d’image de 2048 x 1080 pixels, 4 K à une résolution non pas double, mais quadruple de la 2 K, etc. Sur ces questions, voir notamment Claude Forest « De la pellicule aux pixels : l’anomie des exploitants de salles de cinéma », dans Laurent Creton & Kira Kitsopanidou, Les salles de cinéma, Armand Colin, 2013, p. 113-129.

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États-Unis en norme NTSC), ce qui signifie que le défilement des films y est plus rapide, et donc que lors de leurs diffusions à la télévision ils durent…moins longtemps. Un film de 60 min au cinéma ne passe plus que durant 57 min 36 sec (60*24/25) à la télévision en Europe. Et devient donc un CM. Il aurait été dès lors aussi possible de considérer l’inverse : une vidéo de 58 min (CM) deviendrait un LM de plus de 60 min s’il se voyait transposer sur pellicule. Ne concernant qu’un nombre très limité de cas, nous avons choisi de ne pas tenir compte de ces transpositions, mais de considérer les durées des œuvres sur leur support originel. 2.2.3 Depuis les origines, le support ne caractérise pas le film de cinéma, au contraire de son lieu d’exposition : la salle. Le cinéma se définit bien d’abord comme étant une projection collective, publique, payante d’images animées. Sont donc exclues du recensement toutes les œuvres n’ayant jamais été diffusées dans un lieu public, mais directement en vidéo/DVD, à la télévision, sur internet ou tout support et mode de consommation privée et/ou individuelle. Mais deux difficultés surgissent dès lors pour l’ASF : la majorité des pays n’abrite plus de salles, ou très peu, et cela à partir des années 1990/2000 ; et lorsqu’ils en ont ou ont eu, il n’existe pas d’organisme public recensant les films sortis, leurs entrées ou leurs recettes, questionnant dès lors les sources disponibles et, lorsqu’elles existent, leur fiabilité. Aussi, tenant compte de ces réalités et de la nontransposabilité du critère d’une exploitation commerciale, la nécessité d’une exposition en un lieu collectif nous a conduit à considérer que tout lieu public, hôtel, Institut étranger (Français ou Goethe essentiellement), festival (national ou étranger), etc., répondait bien à ce critère et marquait le point de départ de la vie publique du film. 2.2.4 En revanche, la date de naissance d’un film s’avère extrêmement complexe à définir. Le jour et l’heure sont évidemment impossibles (et de peu d’intérêt), mais même l’année est souvent délicate à cerner. Faut-il retenir celle où l’idée a germé chez son auteur ? Celle où il en a parlé ? Où il a signé avec un producteur ? Commencé à passer des contrats ? À tourner ? Ou bien sa date de sortie ?... Des temps très longs, notamment en ASF, pouvant s’écouler entre ces différentes étapes, nous avons retenu l’acceptation la plus courante, celle du passage de l’idée au début de sa concrétisation, c’est-à-dire le commencement de son existence juridique, la mise en production, qui coïncide souvent avec la déclaration des contrats par le producteur, officiellement lorsque cela est imposé par l’État, informellement en cas contraire. Pour les films qui ont, quelle que soit la raison, demandé un visa d’exploitation en France, son obtention est officialisée par une date d’immatriculation au registre de la cinématographie et de l’audiovisuel (RCA) auprès du CNC. Nous intéressant ici à la production, mais de 41

nombreux films n’étant pas diffusés en France, et la date précise de sortie en salles à l’étranger s’avérant souvent impossible à déterminer, nous avons considéré que cette année d’enregistrement représentait bien la naissance juridique du film. Exception a été faite pour quelques cas où, par exemple, il était avéré que la production du film avait commencé bien antérieurement, et/ou que le film était déjà sorti en festival ou en salles dans son pays d’origine. Mais, inversement, si la date de sortie ou de déclaration sur certaines sources était postérieure à l’immatriculation au RCA, nous les avons écartées et avons toujours retenu le RCA. Des écarts de plusieurs années peuvent donc apparaître entre notre référencement et certaines sources, qui sont de surcroît rarement unanimes entre elles, en raison même des difficultés de datation évoquées48. Si cet écart pouvait être signifiant pour l’analyse microéconomique d’une société de production ou de la carrière d’un réalisateur, et demandait donc à être analysé finement pour voir comment les œuvres ont pu se succéder et/ou se chevaucher, son impact est négligeable dans l’analyse globale de la production de toute la zone. Il révèle bien, en revanche, les difficultés qu’ont pu rencontrer de nombreux films dans leurs modes de financement et de fabrication. Il convient de noter que l’immatriculation au RCA, qui autorise mais ne garantit pas pour autant d’une exploitation en salles en France, a été obtenue par une moitié (53 %) des films produits en ASF durant la période 19602017. Pour l’autre moitié, qui n’a pas eu d’immatriculation au RCA et n’a donc pas pu être commercialisée en salles en France (mais a pu l’être sur d’autres supports), la datation a été beaucoup plus délicate, et demeure sujette à des imprécisions. Le recoupement des différentes sources, souvent discordantes même marginalement (à une année près), a été croisé avec la recherche d’une date de sortie, en salles nationales ou en festival, celle retenue ne pouvant en aucun cas lui être postérieure. 2.2.5 Le réalisateur du film retenu a été celui qui avait été déclaré comme tel, ou qui apparaît ainsi au générique, même s’il y a eu de très rares tentatives de réappropriation/exclusion ex-post, et même s’il est de notoriété publique que certains n’ont été que des prête-noms. Leur nationalité a été conservée pour eux, quelques-uns en possédant une double, mais n’a pas été transférée à l’œuvre. Toutefois, en cas de coproduction, c’est celle du

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Parmi la quarantaine de films concernés, on peut citer Pim-Pim Tché (Toast de vie) (Jean Odoutan, Bénin/ France), qui a obtenu son visa (n° 108617) avec une date d’immatriculation au RCA le 01/08/2003, mais est référencé pour 2009 sur le site d’Africultures, 2010 sur IMDb, 2014 sur Allociné, etc. Il n’a pas de date sur celui de son producteur/distributeur (45 rdlc), mais son réalisateur mentionne 2016 sur son CV, ce qui correspond à la sortie en France (17/02/2016), soit une gestation de 13 ans (cf. infra son entretien). Pour lui comme pour les autres en cette situation, nous avons retenu l’année de son immatriculation au RCA, ici 2003.

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réalisateur qui a été retenue comme apparaissant en premier, mais pas exclusivement. 2.2.6 La nationalité définissant le film a donc été celle de la localisation de la société de production – et non de son dirigeant –, souvent le réalisateur lui-même. Nombre d’entre eux (J.-M. Teno, A. Sissako, M. Hondo, etc.) ont créé des sociétés en Europe, essentiellement en France, assurément pour pouvoir bénéficier d’un accès facilité aux subventions publiques (cf. infra). En ce cas, le film a été exclu du corpus puisque film français, réalisé par un Africain, et cela quelle que soit sa notoriété où le positionnement marketing qui avait été adopté à sa sortie, tels L’Afrance (Alain Gomis, 1999), Aya de Yopougon (Marguerite Abouet et Clément Oubrerie, 2008), Les habitants de Conakry (Manthia Diawara, 2004), Medan vi lever (Dani Kouyaté, 2016), etc. Inversement, quelques films d’ASF, produits par des sociétés qui y étaient établies, ont pu être réalisés par des non nationaux, tels Les combattants africains de la Grande Guerre (Laurent Dussaux, 1983), Djembefola (Laurent Chevalier, 1990), Ceux de la colline (Berni Goldblat, 2009), etc. Par souci de compréhension et de facilitation de l’analyse de la production des films, toutes les coproductions, majoritaires en nombre (58 %), ont été classées en nommant en premier le pays d’ASF coproducteur, et s’il y avait plusieurs pays du continent, en privilégiant la nationalité du réalisateur, si elle était identique à l’un des producteurs. Et cela quelles que soient les parts de coproduction respectives, au demeurant rarement connues, mais l’apport du Nord étant le plus souvent dominant (infra). Il en va ainsi des films de Mahamat-Saleh Haroun, de Dyana Gaye, etc. Évidemment cela ne correspond souvent qu’à de l’affichage, et non à la réalité de l’identité des apporteurs de capitaux, l’africanité du projet ayant pu être mise en avant pour de très nombreuses raisons, que d’aucuns pourront évaluer différemment : aide au pays et/ou au réalisateur ; vrai ou faux souci de développer la filière, ou de promouvoir la « diversité culturelle » ; opportunité ou opportunisme pour bénéficier de fonds de guichets institutionnels censés soutenir les Sud, etc. 2.3 Les sociétés de production L’identification des sociétés de production a constitué une difficulté majeure pour cette recherche, car si les titres de films et identité des réalisateurs, fortement valorisés depuis la Nouvelle vague française, ne posent aucun souci majeur de recensement, il en va tout autrement pour repérer exhaustivement ceux qui ont permis l’existence du film, les producteurs. Dans les ouvrages de référence, sur les sites internet, sur les œuvres ellesmêmes, la totalité des apporteurs du financement de l’œuvre n’est que très rarement référencée. Ainsi, pour environ 5 % des films d’ASF répertoriés l’identité des producteurs réels demeure inconnue ou pose souci, et pour une 43

proportion identique nous la savons incomplète. L’inaccessibilité aux œuvres l’explicite massivement, ce qui minore la proportion réelle de coproductions, souvent par intérêt (idéologique ou de reconnaissance symbolique) des partenaires de mettre en avant le pays d’ASF (et de minorer, ou taire, l’apport de celui du Nord). Une telle proportion, outre qu’elle reflète bien le désintérêt, voire le rejet, qui peut affecter l’argent et ceux qui le mobilisent pour l’Art, invite évidemment à la prudence pour ne pas généraliser certaines analyses qui suivent. Que personne ne revendique, ni ne se soit interrogé sur, l’identité du « premier » producteur ou distributeur africain, et qu’aucun de ceux-ci n’ait été valorisé symboliquement, en dit long sur place accordée à ces métiers. Par impossibilité devant l’ampleur des recherches d’archives à mener sur un continent entier, nous ne pourrons approfondir cette question ici, mais espérons que des équipes de chercheurs des pays concernés s’emploient un jour à retracer la généalogie de ce métier. Car la problématique centrale du cinéma vient assurément de son financement. Or certaines aides, du CNC français ou de l’OIF, pour conséquentes qu’elles aient pu être par le passé, mais que d’aucuns peuvent qualifier aujourd’hui « d’aumône », ont annihilé la production locale en Afrique francophone, l’ont placée dans une situation d’assistanat, et ont empêché une filière cinéma de se construire en ASF. S’il n’y existe pas encore de cinéma commercial, c’est d’abord parce qu’il s’agit de l’une des rares régions du monde où les films ont toujours été produits grâce aux subventions de corps constitués, « accordées par des jurys siégeant sur les quais de la Seine, lesquels financent uniquement du cinéma d’auteur »49. Il importera donc assurément d’analyser comment la tutelle française s’était exercée durant un demi-siècle sur la production cinématographique de l’ASF, mais il convient préalablement de rappeler quelles sont ces œuvres, comment leur production a évolué depuis six décennies en ces différents pays, avant d’aborder comment fonctionnent et ont muté leurs sources de financement.

49 Bernard Azria, directeur général de Côte Ouest Audiovisuel, http://coteouest.tv/blog/index.php?post/discop-africa-abidjan-2016-entretien-avec-bernardazria-pdg-films-francais, [consultée le 24/08/2017]

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Chapitre II – Les longs métrages produits en ASF

Le recensement de la production, et surtout des producteurs, de longs métrages dans tous les pays d’ASF entre la date de leurs indépendances et 2017, s’est avéré beaucoup plus complexe que ne l’aurait laissé envisager l’existence de plusieurs ouvrages de référence, et celle de bases de données internet spécialisées. Cette étendue dans la production n’est toutefois que théorique, car effective seulement pour quatre pays qui ont commencé dans les années 1960 (Guinée, Gabon, Côte d’Ivoire, Sénégal), la majorité ne commençant que la décennie suivante, tandis que trois n’ont débuté que nettement plus tard, durant la dernière décennie du XXe siècle (Burundi, Tchad, Togo), et un la décennie suivante (Rwanda), et qu’on ne recense encore aucun film dans deux autres (Djibouti, République centrafricaine). Tableau 3 : Production totale de longs métrages en ASF (1960-2017) Bénin Burkina Faso Burundi Cameroun Côte d’Ivoire Djibouti Gabon Guinée Madagascar Mali Mauritanie Niger Rép. centrafricaine Rép. Dém. du Congo Rép. du Congo Rwanda Sénégal Tchad Togo

Indépendance

date 1er LM

1960 1960 1962 1960 1960 1977 1960 1958 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960 1960

1974 1972 1991 1975 1969 1961 1966 1973 1974 1970 1972 (1962) 1972 1974 2001 1966 1998 1992

dont total LM produits coproduction 21 13 93 54 3 2 53 29 35 20 0 0 20 8 23 18 14 8 45 25 13 11 18 9 0 0 25 18 6 2 12 8 76 43 10 10 12 1 479 279

De nombreuses incertitudes demeurent encore, notamment au niveau des coproductions, l’accès aux œuvres comme aux contrats n’étant pas exhaustif. Les indications qui suivent ne doivent donc pas être considérées comme définitives, d’autres travaux ultérieurs pouvant certainement compléter et affiner à la marge la liste des films donnée en fin de ce chapitre. 45

1) Présentation générale de la production en ASF Les 479 films cités représentent un corpus conséquent en soi, mais extrêmement réduit relativement aux pays du Nord, car cette production cumulée sur 57 ans pour les 19 pays concernés est inférieure à celle d’une seule année aux États-Unis, ou de deux ans en France. Le niveau absolu de la production illustre bien l’impossibilité de parler dans aucun de ces pays de l’existence d’une industrie cinématographique (comme audiovisuelle), et ce premier écart quantitatif rappelle l’incommensurabilité, notamment qualitative, de l’écart entre les œuvres qui, encore plus qu’ailleurs, méritent la dénomination de prototypes en raison de leur caractère souvent isolé. Trois CM y ont été rajoutés, deux de Djibril-Diop (Le franc, 1994 ; La petite vendeuse de soleil, 1995) qui ont été diffusés sous la forme d’un programme unique, et l’historique La Noire de… Cinq autres programmes de CM qui seront diffusés en France sous les titres de Terres Africaines (1996 à 1999) ne sont pas recensés ici car de réalisateurs et d’années différentes. 1.1. La répartition par pays Sur la période, quatre pays se détachent nettement au niveau quantitatif. De très loin le Burkina Faso est le premier pays producteur de la zone en cumulant le cinquième des films, suivi du Sénégal (16 %), du Cameroun (11 %), soit près de la moitié du total à eux trois. Graphique 1 : Géographie de la production cinématographique en ASF (1960-2017) 5 autres Afrique de l'Ouest 16%

Burkina Faso 20%

5 autres Afrique centrale 13% Madagascar 3% Rép. Dém. du Côte d'Ivoire Congo 7% 5%

Sénégal 16% Mali 9%

Cameroun 11%

L’importance quantitative de la production n’est donc pas liée à l’ancienneté de la mise en production, ni à la taille économique, démographique ou géographique du pays. La place du Burkina Faso s’explicite doublement, 46

d’abord en raison de l’implantation précoce du Fespaco en sa capitale, qui a induit des politiques pour soutenir son rang et son prestige, l’État s’investissant dès 1970 avec l’une des premières nationalisations de salles sur le continent, engagement renouvelé avec le soutien du colonel Thomas Sankara durant sa présidence quinze ans plus tard, même si la participation de l’État s’est largement estompé au XXIe siècle. Favorisé par l’accession de Léopold Sédar Senghor, un ancien député de la IVe République française, à la présidence de son pays durant vingt ans, le soutien relatif de l’État sénégalais à son cinéma a également été précoce, quoique de faible intensité et erratique à partir des années 1990, mais s’est remis en place au XXIe siècle au niveau de la production après le succès des films d’Alain Gomis. La précocité du nombre de grands réalisateurs souvent prolixes, à commencer par son doyen, Ousmane Sembène, mais également Moussa Touré, Djibril Diop-Manbeti, etc., a assuré au pays une cinématographie relativement diversifiée reconnue internationalement. 1.2. Des productions nationales ? Compte tenu des liens de dépendance économique et politique d’une part, de la faiblesse des ressources financières nationales d’une autre, la moitié des films sont des coproductions, la notion « d’indépendance » devenant dès lors très relative. Toutefois, quatre grandes phases s’observent sur la période : Les années 1960 connaissent un niveau de production absolu extrêmement faible, la moitié des années n’enregistrant aucun film, mais les rares qui se tournent sont essentiellement des coproductions. La période de 1969 à 1984 voit émerger, et dominer, des productions strictement nationales, ce qui coïncide avec le fort mouvement panafricaniste, la création de festivals sur le continent, celle de la Fepaci, etc. Les vingt années suivantes connaissent, à la fois et en symétrie, une baisse du volume de ces productions nationales, essentiellement due à l’effondrement de la filière cinéma, à la baisse des soutiens étatiques, aux restrictions économiques liées aux plans d’ajustement structurels, et parallèlement la très nette montée des coproductions, appuyée notamment par la mise en place des dispositifs français et de la francophonie (infra). Les treize dernières années voient une nette remontée des productions nationales, permises par la légèreté des coûts et du matériel numérique, qui font désormais jeu égal avec les coproductions, avec six à huit titres en moyenne chacune par an. On peut noter que ces coproductions touchent tous les pays dans une proportion sensiblement voisine (hors le Togo et le Gabon dont la faible production est financièrement plus autonome), et : Pour l’essentiel sont binationales, un quart (26 %) étant tri nationales ou plus ; 47

Dans ces partenariats, la présence française domine en représentant exactement 80 % des cas, seule ou avec une troisième nation ; 16 14

Graphique 2 : Productions nationales et coproductions en ASF (1960-2017)

12 10 nationaux 8

coproductions

6 4 2

1960 1962 1964 1966 1968 1970 1972 1974 1976 1978 1980 1982 1984 1986 1988 1990 1992 1994 1996 1998 2000 2002 2004 2006 2008 2010 2012 2014 2016

0

Les autres pays partenaires sont dispersés géographiquement, même si les puissances du Nord sont presque toutes représentées (GrandeBretagne, Italie, Allemagne, États-Unis et Belgique essentiellement) ; Elles consistent dans moins de 10 % des cas en des coproductions Sud/Sud, l’essentiel de ces situations l’étant de surcroît seulement lorsqu’il y a trois partenaires ou plus, dont un du Nord ; Elles résultent plus d’opportunités individuelles que de stratégies nationales, même si des accords binationaux officiels de coproduction ont pu être signés, notamment dans les années 1990 ; aucune politique globale cohérente ne s’observe dans le temps sur l’ensemble, ni sur une seule nation. 1.3. Les réalisateurs de longs métrages d’ASF - les 479 films ont été réalisés par 252 réalisateurs différents, soit une moyenne inférieure à deux films d’ASF par personne ; - ils sont dans plus de neuf cas sur dix de la même nationalité que les films produits ; - ce sont massivement des hommes, moins d’une vingtaine de femmes (7 %) étant des réalisatrices. Cette proportion est largement inférieure aux taux pourtant faibles observés aux Nord (22 à 25 % en France), et de surcroît comprend deux femmes non africaines et trois à la double nationalité. La barrière à l’entrée est donc culturellement toujours extrêmement forte, malgré la présence précoce de la Sénégalaise Safi Faye (Lettre paysanne,

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1975), que quelques autres ont pu suivre, mais essentiellement dans le CM ou le documentaire télé et vidéo1. - les coréalisations demeurent rares mais pas exceptionnelles, une trentaine de films étant concernés ; - si l’accès au métier est difficile, y demeurer l’est encore plus. En effet, si l’on recense 154 personnes ayant pu réaliser un film, les deux tiers en réaliseront au moins un autre, dont 48 deux, puis seulement 21 un troisième, etc. Tableau 4 : Ventilation des réalisateurs selon leur nombre de LM d’ASF (1960-2017) Nombre de films 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 Réalisateurs 154 48 21 9 8 4 3 1 1 2 0 1 Très classiquement, la ventilation des effectifs selon la quantité de films réalisés est asymptotique, la grande masse étant concentrée pour un unique film tourné, tandis qu’une faible poignée en cumule un grand nombre. Boubakar Diallo2 (BF) fait figure de stakhanoviste avec presque un film par an depuis ses débuts en LM en 2004 (12 au total), suivi de noms plus anciennement connus à l’international, Med Hondo (MR) et Jean-Marie Teno (CM) en ayant réalisé 10 chacun, Idrissa Ouedraogo3 (BF) et Ousmane Sembène (SN) 9, Henri Duparc (GN) 8 à partir de la Côte d’Ivoire, etc. 1.4. Des auteurs-réalisateurs-producteurs Si les noms précédemment cités n’exercent pas forcément dans leur pays natal, ils sont tous des hommes et une autre caractéristique commune est qu’ils ont monté, rapidement si ce n’est dès leur début en LM, une société de production qu’ils contrôlent ou qui leur appartient. Très rares en effet sont les réalisateurs qui, comme Gaston Kaboré, ont duré dans le temps sans s’appuyer sur leur propre structure de production. Ce positionnement le plus partagé, en sus de leur talent, constitue assurément un gage de longévité, si ce n’est d’indépendance économique, dont Ousmane Sembène fut le précurseur, dont il avait très tôt saisi la nécessité, tant d’un point de vue politique qu’artistique. Ils gèrent ainsi leur structure dans un des pays de la région ou en France tels, parmi ceux qui ont produit plus de trois films : * Cissé Mahamadou, Mamo Films (ML) * Cissé Souleymane, Les films Cissé - Sissé filimu (ML) * Diallo Boubakar, Les films du dromadaire (BF) * Dikongué Pipa Jean Pierre, Cameroun spectacles (CM) * Duparc Henri, Focale 13 (CI) 1 Elisabeth Lequeret, « L’Afrique filmée par des femmes », Le Monde diplomatique, août 1998, p. 11. 2 Voir son entretien en deuxième partie. 3 Voir son entretien en deuxième partie.

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* Fila David-Pierre, Bantous productions (CG) * Goldblat Berni, Les films du Djabadjah (BF) * Haroun Mahamat-Saleh, Goï Goï Productions (TD) * Hébié Missa, FASO Films.com (BF) * Hondo Med, MH Films - ex Films Soleil Ô (FR) * Kaba Alkaly, Kaba (ML) * Kamwa Daniel, DK7 Communications (FR) * Keïta Mama, Kinterfin (FR) * Obiang Melchissedec, Les studios Montparnasse (GA) * Ouedraogo Idrissa, Les Films de l’avenir (BF) puis Les Films de la Plaine (FR) * Prince Edorh, Togo Films Industry (TG) * Sembène Ousmane, Filmi Domireve (ou Domirev) (SN) * Thiam Momar, Les Films Momar Thiam (SN) * Touré Moussa, Les Films du Crocodile (SN) * Traoré Mahama Johnson, Sunu films (SN) * Yaméogo Pierre, Dunia prod (FR) Quelques producteurs-réalisateurs ont sécurisé leurs financements, en ayant soit deux sièges pour la même société (l’un en ASF, l’autre à l’étranger), ou en contrôlant deux sociétés dans deux continents pour maximiser, à la fois l’accès pratique aux guichets bancaires et institutionnels, et remplir les conditions d’attribution des fonds spécifiquement dédiés aux Sud. Dans le cas d’un financement exclusif entre ces deux structures, pour formelle qu’elle soit, la qualification de coproduction internationale peut être financièrement fictive (comme en de nombreux autres cas où la société africaine ne se révèle être qu’une coquille juridique vide à stricte vocation de prête-nom). Parmi les plus connus, et/ou productifs, on peut évoquer : * Ba Kobhio Emile Bassek : Les Films Terre Africaine (CM et FR) * Bekolo Obama Jean-Pierre : Jean-Pierre Bekolo Sarl (CM) et Kola case productions (FR) * Laplaine Zéka : Bakia Films (CD), Les Histoires Weba (FR) * Mora Kpai Idrissou : Noble films (BJ), MKJ films (FR) * Ngangura Mweze Dieudonné : Sol'Œil films (CD), Films Sud (BE) * Odoutan Jean : Tabou-Tabac Films (BJ) et 45 rdlc (FR) * Teno Jean-Marie : Raphia film prod. (CM), Les Films du Raphia (FR) De très rares produisent majoritairement d’autres réalisateurs d’ASF, bien que l’étant eux-mêmes : * Sahélis Productions (BF), fondée en 1992 par Dani Kouyaté, Sékou Traoré et Issa Traoré de Brahima qui produisent CM et LM de plusieurs pays d’ASF, dont ceux de ce dernier (Siraba, la grande voie, 2001 ; Le monde est un ballet, 2005, etc.).

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* Patoudem Jean Roke, via Patou Films International (FR), a produit l’un de ses LM, mais surtout Alphonse Beni (La déchirure, 2005, CM/FR), Owell Brown (Le mec idéal, 2011 CI/FR), etc. * Philippe Lacôte et Ernest Kouamé, au sein de Wassakara Productions (CI), ont coproduit plusieurs LM : Boul Fallé, la voie de la lutte (2009), Le Djassa a pris feu (2012), Run (2013), etc. * Sissako Abderrahmane, via Chinguitty Films (ex-Duo Films) (FR), qui coproduit aussi Mahamat-Saleh Haroun (Daratt-Saison sèche, 2006 ; Abouna (Notre père), 2011)4, etc. Mais rarissimes sont les structures en ASF qui produisent essentiellement pour autrui, même si on peut citer Mutotu Productions (CD), fondée par Kiripi Katembo Siku, gérée après sa mort par sa sœur Dada Siku Kahindo, qui produit notamment les documentaires de Dieudo Hamadi (Atalaku, 2013 ; Maman colonelle, 2017). Pour des raisons historiques sur lesquelles nous reviendrons, et en raison essentiellement de la très faible profitabilité de cette activité par absence d’un marché organisé, la profession de producteur ne s’est pas structurée sur la zone. Elle n’a donc pas été exercée de manière exclusive et pérenne dans aucun des pays d’ASF depuis leurs indépendances juridiques, et n’a guère attiré les investisseurs étrangers. 1.5. Les producteurs extérieurs à l’ASF Symétriquement, un très faible nombre d’entreprises étrangères à l’ASF ont produit ou coproduit un nombre significatif de films d’ASF. Parmi celles-ci il faut souligner le rôle de trois françaises, à l’importance quantitative décroissante : * Claude Gilaizeau5, Les productions de la lanterne (FR), qui a accompagné un nombre considérable de films et d’auteurs d’ASF : Moussa Sène Absa, Dani Kouyaté, Mahamat-Saleh Haroun, Fabienne Kanor, Didier Mauro, etc. * Sophie Salbot6, Athenaïse (FR), avec notamment La nuit de la vérité (Fanta Regina Nacro, 1999, BF/FR) ; La lune est tombée (Gahité Fofana, 2015, GN/FR), etc. * Florence Stern, Pili films (FR), qui a essentiellement coproduit plusieurs LM de Mahamat-Saleh Haroun (Un homme qui crie, 2009 ; Grigris, 2012 ; Une saison en France, 2016, etc.). 4

Sur le travail de ce réalisateur et son environnement au Tchad, voir notamment Debora Geißler, Le cinéma de Mahamat-Saleh Haroun : La culpabilité morale dans les films Daratt et Un homme qui crie, Hamburg, Diplomica Verlag GmbH, 2012, https://www.diplom.de/document/229380. 5 Sur son parcours et la philosophie de son métier, voir notamment son entretien dans, Claude Forest (dir.) Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, op. cit., p. 370 s. 6 Idem.

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Au-delà de quelques autres personnalités marquantes ou emblématiques, de soutiens importants, symboliques, matériels et parfois militants mais non financiers, sur une aussi longue période l’atomisation des structures françaises, leur faible nombre, leur absence d’implication durable dans la coproduction est notable, reflétant les difficultés concrètes et la faible profitabilité financière de telles opérations. Le fait qu’aucune autre société étrangère ne se soit non plus impliquée en coproduction sur un nombre significatif de films, renforce le constat de l’isolement économique de tout le sous-continent depuis les indépendances. 2) Quelques caractéristiques des films produits Si nombreuses et fluctuantes sont les déclarations sur le coût affiché des LM, l’absence de transparence sur les réalités des financements et budgets caractérise la région en général, le secteur cinématographique n’y échappant pas. Aussi, aucune étude d’ensemble ne peut être abordée sous cet angle, le calcul comme la structure d’un coût moyen s’avère impossible, l’évaluation de la « débrouille », du mégotage et de l’informel étant connus, mais dès lors difficilement analysables précisément. Du corpus général de la production, certains traits secondaires quantifiables peuvent être mis avant, l’analyse de sa distribution en salles étant conduite au volume II. 2.1. La durée La durée moyenne d’un LM d’ASF est exactement de 90 minutes, durée un peu plus faible mais très proche de celle des films français, mais significativement inférieure à celle des états-uniens plus proches de 105 min. 180 minutes 165

Graphique 3 : Ventilation des LM d'ASF selon leurs durées

150 135 120 105 90 75 60

1 15 29 43 57 71 85 99 113 127 141 155 169 183 197 211 225 239 253 267 281 295 309 323 337 351 365 379 393 407 421 435 449 463

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L’effet d’imitation est patent, alors même que les contraintes qui ont poussé les producteurs français à adopter cette durée (nécessité pour les exploitants de faire cinq séances par jour lors de leur passage au permanent à la fin des années 1960, puis format télévisuel inférieur à deux heures, publicités inclues, pour passer en prime time) n’existent pas sur la zone. Toutefois cette moyenne de 90 min, qui est aussi la médiane, est extrêmement représentative, et indique aussi les effectifs les plus nombreux des films produits (95 titres), le faible écart type (18 min) illustrant un fort resserrement autour de cette moyenne. Très peu de films ont une durée significativement supérieure, 12 % des effectifs durant plus de 105 min, une vingtaine de titres seulement dépassant les deux heures. 2.2. Les genres des films Sans débattre ni du traitement esthétique et formel des œuvres, ni de la notion de genre, très poreuse, dans ses grandes lignes la production globale d’ASF se caractérise doublement : par sa très faible diversité, et par une forte concentration (plus de la moitié des titres) sur le drame/comédie dramatique7. Sans traiter non plus du problème de la réception et de l’adaptation de l’offre à la demande du public, largement tourné vers les films d’action et les romances, force est de constater l’impact négatif de cette « monoculture ». De nombreux genres ne sont pas représentés (comédie musicale, science fiction, fantastique, espionnage, érotisme, etc.), et certains très faiblement (aventure, fresque historique, policier/thriller, etc.). Il n’est recensé que deux films d’animation, et il n’a quasiment rien été proposé en direction spécifique des jeunes et encore moins des très jeunes. Le comique et le burlesque sont rarement traités, alors même que la réception des publics y est très favorable8. La comédie est certes très tôt apparue, mais demeure circonscrite à quelques auteurs (Alphonse Beni, J.-P. Pipa Dikongue, Mustapha Alassane, Henri Duparc, etc.) et s’est vue assez peu valorisée, tant par les instances financières que de légitimation symbolique (festivals, critiques, etc.). Si les films des premiers temps (postindépendances) se sont essentiellement construits « contre » la France et l’Occident en général, contre ses images imposées, et plus largement contre les visions ethnographique et impérialiste européennes (Sembène Ousmane, Gaston Kaboré, Med Hondo, Serge Coelo, etc.), ils ont longtemps voulu exposer une certaine vision idyllique d’une vie précoloniale détruite par les Européens. Le passé joue un rôle prépondérant 7 Sur cette thématique, voir aussi : Françoise Pfaff, Focus on African Films, Bloomington, Indiana university press, 2004, 344 p. 8 Voir notamment, Pierre Haffner, op. cit. ; Claude Forest et Juliette Akouvi Founou « La réception des films en milieu rural au Togo (2012-2015) », dans Claude Forest et Patricia Caillé (dir.), Regarder des films en Afriques, op. cit., p. 299-316.

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dans nombre de films réalisés par des Africains, notamment dans ceux qui traitent des réalités locales de l’Afrique, souvent dures ou violentes9. Graphique 4 : Genres des films d'ASF (1960-2017) autres musical thriller 5% 3% aventure 4% 2%

drame 53%

prog. CM historique 2% 3%

documentaire 16% comédie 12%

Mais plus largement, la sur représentation du drame – souvent social et/ ou politique, mais très rarement psychologique – s’explicite originellement par le souci des cinéastes de s’emparer de thématiques aptes à favoriser, selon eux, l’éducation et l’émancipation des peuples, comme montrer leurs spécificités de mode de vie, de relations, et de rapport au temps. Or nombreux sont ceux qui estiment toujours que l’outil cinématographique peut, et doit, n’être utilisé que pour décrire tous les maux de leurs sociétés, pour tenter de les résoudre, la posture d’éducateur des populations les conduisant dès lors, depuis les origines10, à emprunter le drame ou la comédie dramatique sociale. Il en résulte toutefois un manque de diversité frappant, que les injonctions et orientations des attributions financières d’institutions françaises ont de surcroît largement contribué à renforcer, pour fabriquer des films qui ne correspondaient souvent qu’à leurs propres attentes cinématographiques et représentations de l’Afrique. Selon les définitions et critères définis ci-avant, voici, classée par ordre chronologique, une liste des LM de cinéma produits en ASF des indépendances à 2017, qui reste encore probablement à compléter à la marge, notamment sur l’identité des coproducteurs. (Toute erreur ou omission peut utilement être signalée à l’auteur).

9

Lindiwe Dovey, African Film and Literature: Adapting Violence to the Screen, Columbia University Press, 2009, 360 p. 10 Jacques Binet, « Apport et influence du cinéma négro-africain », Diogène, n°110, avril-juin 1980, p. 72-89.

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Tableau 5 : Les longs métrages de cinéma produits en ASF (1961-2017) Période 1961-1969 : 7 films, 5 pays année titre réalisateur production 1961 Cage (La) Darène Robert GA/FR Allégret Yves 1962 Konga-Yo (Terreur sur la savane) CD/FR Sembène Ousmane 1966 La Noire de... SN/FR 1966 Sergent Bakary Woolen (Le) Akin Mohamed Lamine GN 1968 Mandat (Le) Sembène Ousmane SN/FR 1969 Femme au couteau (La) Bassori Timité CI 1969 Diegue-bi (La femme) Traoré Mahama Johnson SN Période 1970-79 : 69 films, 13 pays 1970 À nous deux France Ecaré Désiré CI/FR 1970 Soleil Ô Hondo Med MR 1971 Tams tams se sont tus (Les) Mory Philippe GA 1971 Emitai (Dieu du tonnerre) Sembène Ousmane SN 1971 Karim Thiam Momar SN 1971 Kodou Samb Ababacar Makharam SN 1972 Sang des parias (Le) Kola Mamadou Djim BF 1972 Abusuan (La famille) Duparc Henri CI 1972 Identité Dong Pierre-Marie GA 1972 Funérailles de Kwame Nkrumah (Les) Diakité Moussa Kémoko GN 1972 Hirde Dyama Kémoko Diakité M., Jentsch G. GN/DE 1972 Wandyalanka (Les) Kaba Alkaly ML/CA 1972 FVVA : Femmes Voitures Villas Argent Alassane Mustapha NE/BF 1972 Reou-Takh Traoré Mahama Johnson SN 1972 Pour une infidélité Mafuta Nlanza Ndoma Lwele CD 1972 Lambaaye (truanderie) Traoré Mahama Johnson SN 1973 Rançon d’une alliance (La) Kamba Sébastien CG 1973 Very remby - Retour (Le) Randrasana Ignace Solo MG 1973 Toula ou le génie des eaux Alassane Mustapha NE 1973 Touki Bouki (Le voyage de la hyène) Diop-Mambeti Djibril SN 1974 Sous le signe du Vaudou Abikanlou Pascal BJA 1974 Walanda - La leçon Kaba Alkaly ML/FRA 1974 Bicots-nègres vos voisins (Les) Hondo Med MR/FR 1974 Baks / Yamba Thiam Momar SN 1974 Option (l’) / Mon beau pays Sow Thierno Faty SN 1974 Bracelet de bronze (Le) Aw Tidiane SN 1975 Esprit de Salongo (L’) Kwami Mambre Nzinga R. CD 1975 Chapeau (Le) M’Bala Roger Gnoan CI 1975 Pousse pousse Kamwa Daniel CM 1975 Muna Moto (L’enfant de l’autre) Dikongué Pipa Jean Pierre CMA 1975 Faim du monde (La) Hondo Med MR/FRF 1975 N’Diangane Traoré Mahama Johnson SN/FRAF 1975 Xala Sembène Ousmane SN 1975 Lettre paysanne (Kaddu Beykat) Faye Safi SN/FRA 1975 Garga M’Bossé (Cactus) Traoré Mahama Johnson SN/SE 1975 Den Muso (La (jeune) fille) Cissé Souleymane MLA 1976 Nouveau venu (Le) De Medeiros Richard BJ/FR 1976 Sur le chemin de la réconciliation Yonli René Bernard BF

durée 94 108 56 100 105 80 90 60 102 80 95 69 89 80 93 90 90 90 81 68 89 70 80 71 88 76 87 95 90 190 90 90 91 180 70 106 89 104 90 128 98 80 86 87 75

55

1976 1976 1976 1976 1976 1977 1977 1977 1977 1977 1977 1978 1978 1978 1978 1978 1978 1978 1978 1978 1979 1979 1979 1979 1979 1979 1979 1979 1979 1979 1979 1980 1980 1980 1980 1980 1980 1981 1981 1981 1981 1982 1982 1982 1982 1982

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Hasard n’existe pas (Le) Luzolo Mpwati N. N, Madenda K. Masekela CD Danse mon amour Beni Alphonse CM/FR Obali Dong P.-Marie, Mensah Ch. GA Wamba (Entre l’eau et le feu) Kaba Alkaly ML/CA Nous aurons toute la mort pour dormir Hondo Med MR/FR Herbe sauvage (L’) Duparc Henri CI Ayouma Dong P.-M., Mensah Charles GA Ilay boky nodrana nefa tsy levona Rasoloheritsimba ; Rabary (Ce livre que le feu ne consumait MG Emmanuel ; Rabary Navotana pas) Destin (Le) - Mokho dakan Coulibaly Diambere Sega ML MR/FR Safrana ou le droit à la parole Sokhona Sidney Ceddo Sembène Ousmane SN Prix de la liberté (Le) Dikongué Pipa Jean Pierre CM Ribo ou le soleil sauvage Nama J.-Henri, Racine Roger CM/CA Anna Makossa Beni Alphonse CM/FR Demain, un jour nouveau Dong Pierre-Marie GA Ilombe Gavary Christian, Mensah Ch. GA/FR Hafia, triple champion d’Afrique Diakité Moussa Kémoko GN Baara (Le travail) Cissé Souleymane ML/FRA Polisario, un peuple en arme Hondo Med MR/FR Tiyabu-Biru (La Circoncision) Bathily Moussa Yoro SN Chapelle (La) Tchissoukou Jean-Michel CG Homme d’ailleurs (L’) Traoré Mory CI Appât du gain (L’) Takam Jules CM Notre fille Kamwa Daniel CM CM/FR Saint voyou Beni Alphonse Fitampoha Rahaga J.-Cl., Lombard Jac. MG/FRA Kasso den - le prisonnier Coulibaly Diambere Sega ML West Indies... les nègres marrons de la liberté Hondo Med MR/FR Nuages noirs Maïga Djingarey NE Sey, Seyeti (Un homme, des femmes) Beye Ben Diogaye SN Fad’jal (Premier arbre) Faye Safi SN/FR Période 1980-89 : 75 films, 12 pays Gloire dans la rue (La) Nkieri Ngunia Wawa CD Adja Tio : À cause de l’héritage Koula Jean-Louis CI An be no don - Nous sommes tous coupables Traoré Falaba Issa ML À banna - c’est fini Kalifa Dienta ML Exilé (L’) Ganda Oumarou NEA En résidence surveillée Vieyra Paulin Soumanou SN Djeli, conte d’aujourd’hui Kramo-Lanciné Fadika CI Si les cavaliers (étaient là) Bakabé Mahamane NE Certificat (Le) Aw Tidiane SN Jom ou l’histoire d’un peuple Samb Ababacar Makharam SN/DE Courage des autres (Le) Richard Christian BF Paweogo (L’émigrant) Sanou Kolo Daniel BF Wend Kuuni, le don de Dieu Kaboré Gaston BFAF Sœur Anuarite. Une vie pour Dieu Madenda Kiesse Masekela CD/IT Lutteurs (Les) | M’Pongo Tchissoukou Jean-Michel CG

100 90 91 91 160 90 90 62 80 121 120 93 93 90 90 90 90 91 90 69 84 86 94 90 90 77 82 90 95 85 108 70 90 109 90 88 100 90 90 85 76 92 82 75 90 76

1982 1982 1982 1982 1982 1982 1982 1982 1982 1982 1983 1983 1983 1983 1983 1983 1983 1983 1983 1983 1984 1984 1984 1984 1984 1985 1985 1985 1985 1986 1986 1986 1986 1987 1987 1987 1987 1987 1987 1987 1987 1987 1987 1988 1988 1988 1988 1988 1988

Dalokan / La parole donnée Dosso Moussa CI Coup dur Beni Alphonse CM Histoires drôles et drôles de gens Dikongué Pipa Jean Pierre CM Suicides (L’imaginaire collectif) Tchuilen Jean-Claude CM/FR Equateur Gainsbourg Serge GA/FR Naïtou (L’orpheline) Diakité Moussa Kémoko GN Finyé (Le vent) Cissé Souleymane MLA Kankamba le semeur de discorde Alassane Mustapha NE Xew Xew… la fête commence BÂ Seex Ngaïdo SN Sa dagga : le troubadour Thiam Momar SN Jours de tourmente Zoumbara Paul BF Sarraounia Hondo Med BF/FR Combattants africains de la Grande Guerre (Les) Dussaux L. BF/FR Comédie exotique Touré Kitia CI Petanqui- Le droit à la vie Yeo Kozoloa CI/NE/FR Coopérants (Les) Sibita Arthur CM Ouloukoro Camara Dansogho GN Dahalo, Dahalo-Il était une fois dans le Moyen-Ouest Ramanpy B. MG Aube noire Maïga Djingarey NE Médecin de Gafiré (Le) Diop Moustapha NE/BF/ML Visages de femmes, destin de femmes Ecaré Désiré CI/FR Vie platinée (La) -Koteba Cadiou Claude CI/FR/PA African Fever Beni Alphonse CM/FR Cameroon connection Beni Alphonse CM/FR Yeelen (La lumière) Cissé Souleymane ML/FRAC Vertige de la passion (Le) Balima Amand Maurice BF Ironou (Ironu) Okioh François Sourou BJ Ablakon M’Bala Roger Gnoan CI Kiri kara watita (Duel dans les falaises) Traoré Falaba Issa ML Yam Daabo (Le choix) Ouédraogo Idrissa BFC Vie est belle (La) Ngangura Mweze D., Lamy B. CD/BE/FRC Pourquoi les blancs font la polygamie ? Gottraux Pierre CM Tabataba (Rumeur) Rajaonarivelo Raymond MG/FRC Histoire d’Orokia Sou Jacob, Jacques Oppenheim BF Desebagato (Le dernier salaire) Sanon Doba Emmanuel BF/CU Guérisseurs (Les) - Adefue Bakaba Sidiki CI/FR Succession de Wabo Defo (La) Mouchangou David (Daouda) CM Badiaga Dikongué Pipa Jean Pierre CMA Mbarakaly (Le prix de la paix) Ramampy B., Rakotozanany A. MG Ilo tsy very (Mad-47) Flamme éternelle Randrasana Ignace S. MG/DZ Miroir noir Maïga Djingarey NE/FR Camp de Thiaroye Sembène Ousmane SN Petits blancs au manioc et à la sauce gombos Bathily Moussa Y. SN/FR/UKAC Zan Boko (Bras de fer) Kaboré Gaston BFAC Yaaba Ouédraogo Idrissa BF/FR/CHC Bouka M’Bala Roger Gnoan CIC Bikutsi water blues (L’eau de misère) Teno Jean-Marie CM Nyamanton, la leçon des ordures Sissoko Cheick Oumar ML Saaraba Seck Amadou Saalum SN

90 90 90 86 85 120 107 85 85 68 123 120 82 90 115 110 80 75 90 93 105 86 115 90 104 76 93 90 90 80 83 90 75 78 90 90 115 111 72 90 80 150 90 95 90 90 93 86 90

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1988 1988 1988 1989 1989 1988 1989 1989 1989 1989 1989 1990 1990 1990 1990 1990 1990 1990 1990 1990 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1991 1992 1992 1992 1992 1992 1992 1992 1992 1992 1992 1993 1993 1993 1993 1993 1993

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Les faiseurs de pluie -Baw Naan 2-Nitt…Ndoxx ! Gaï Ramaka J. SN/FR Niiwam Delgado Clarence Thomas SN/FRC Mossane Faye Safi SN /DE/FRAC Grotto (Le) Sou Jacob BF/CH Tilaï (question d’honneur) Ouédraogo Idrissa BF/FRC Bal poussière Duparc Henri CIC Sixième doigt (Le) Duparc Henri CI/FRC Angano angano. Nouvelles de Madagascar Paes C., Rajaonarivelo R. MG/FR Falato (L’orphelin) Cissé Mahamadou (Mamo) MLAC Finzan Sissoko Cheick Oumar ML/DEC Mamy Wata Diop Moustapha NE/ML Période 1990-99 : 93 films, 14 pays Yelbeedo Sow Abdoulay BF Karim et Sala - A Karim Na Sala Ouédraogo Idrissa BF/FR/CH Blanc d’ébène Doukouré Cheik GN/FR Djembefola Chevalier Laurent GN/FR Ragazzi Keita Mama GN/FR Choisis-toi un ami Keita Mama GN/FRF Bamunan - Pagne sacré (Le) Traoré Falaba Issa ML Ken Bugul (La République des enfants) Sène (Absa) Moussa SN Toubab Bi Touré Moussa SN/FR Laada Touré Drissa BF/FRAC Laafi - Tout va bien Yaméogo Pierre BF/CH Samba traoré Ouédraogo Idrissa BF/FR/CHC Etrangers (Les) - Tougan Kola Mamadou Djim BF/FR/DZ Gito, l’ingrat Ngabo Leonce BI/CH/FRC Au nom du Christ M’Bala Roger Gnoan CI/FR/CHC Sango Malo (maître du canton) Ba Kobhio Emile Bassek CM/BF/FRAC Quartier Mozart Bekolo Obama Jean-Pierre CM/FRC Ta Dona – Au Feu ! Drabo Adama MLAC Waati (Le Temps) Cissé Souleymane ML/FRA Guelwaar Sembène Ousmane SN/FR Hyènes Diop-Mambeti Djibril SN/FR/CHC Sababu Traoré Nissi Joanny, Sanou BF Wendemi, l’enfant du Bon Dieu Yaméogo Pierre BF/FRC Rabi Kaboré Gaston BF/FR/UK Changa-Changa, Rythmes en Noirs et Blancs Ngangura Mweze D. CD/BE Grand blanc de Lambaréné (Le) Ba Kobhio Emile Bassek CM/GA/FR Ballon d’or (Le) Doukouré Cheik GN/FR Yelema - la mutation Cissé Mahamadou (Mamo) ML/DZ Lumière noire Hondo Med MR/FR Ngor, l’esprit des lieux Ndiaye Samba Félix SN Kawilasi - Sabi, la mort et moi Abalo Blaise Kilizou TGC Cri du cœur (Le) Ouédraogo Idrissa BF/FRC Rue princesse Duparc Henri CI Wariko, le gros lot Kramo-Lanciné Fadika CI/FR/CHC Totor Kamwa Daniel CM/FRC Enfant noir (L’) Chevalier Laurent GN/FR Tiefing Kouyaté Djibril ML/DZ

85 80 105 88 81 91 90 64 70 107 90 80 96 88 85 85 90 103 80 96 80 95 85 100 90 80 93 88 105 140 105 110 90 98 62 60 94 90 82 103 90 90 86 88 99 107 92 90

1993 1994 1994 1994 1994 1994 1994 1995 1995 1995 1995 1995 1995 1995 1996 1996 1996 1996 1996 1996 1996 1996 1997 1997 1997 1997 1997 1997 1997 1997 1997 1997 1997 1998 1998 1998 1998 1998 1998 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999 1999

Twist à Popenguine Sène (Absa) Moussa SN Tourbillon (Silmandé) Yaméogo Pierre BF/FR Haramuya, les proscrits Touré Drissa BF/FR Roi, la Vache et le Bananier (Le) Ngangura Mweze Dieudonné CD Matanga Fila David-Pierre CG/CA/FRC Quand les étoiles rencontrent la mer Rajaonarivelo Raymond MG/FRC Franc (Le) Diop-Mambeti Djibril SN/FR/CH Keïta ! l’héritage du griot Kouyaté Dani BF/FRC Macadam Tribu Laplaine Zéka CD/ML/FRC Clando Teno Jean-Marie CM/FR/DEC Guimba – un tyran, une époque Sissoko Cheick Oumar ML/BF/DE/FRC Etoile noire (L’) Alassane Mustapha NE Tableau Ferraille Sène (Absa) Moussa SN/FRC Petite vendeuse de soleil (La) Diop-Mambeti Djibril SN Buud Yam Kaboré Gaston BF/FRCF Sankofa Gerima Haile BF/GA/DK/US Jumelle (La) Lanciné Diaby CI/FR Cercle des pouvoirs (Le) Kamwa Daniel, Jules Takam CM/FRC Dakan Camara Mohamed GN/FRCF Genèse (La) Sissoko Cheick Oumar ML/FRC Prix du pardon (Le) | Ndeysaan Wade Mansour Sora SN/FRCFU TGV Touré Moussa SN/FR Kini et Adams Ouédraogo Idrissa BF/ZA/FRCF Revanche de Lucy (La) Mrozowski Henrik Janusz BF/FR Barbecue Pejo Odoutan Jean BJ/FR Pièces d’identités Ngangura Mweze Dieudonné CD/BE/FRC Une couleur café Duparc Henri CI/FRF Dôlè - L’argent Imunga Ivanga GA/FRFU Faraw ! Une mère des sables Ascofaré Abdoulaye MLAC Yelema II Cissé Mahamadou (Mamo) ML Taafé Fanga – Pouvoir de pagne Drabo Adama ML/FR/DEAC Rostov-Luanda Sissako Abderrahmane MR Watani, un monde sans mal Hondo Med MR/FR Moi et mon Blanc Yaméogo Pierre BF/FRU Circus Baobab Chevalier Laurent GN/FR Vie sur terre (La) Sissako Abderrahmane ML/FRC Karmen Geï Gaï Ramaka Joseph SN/CA/FRCF Baaba Maal: Live at the Royal Festival Hall Maal Baaba SN/UK Bye bye Africa Haroun Mahamat-Saleh TD/FR Sia ! Le rêve du python Kouyaté Dani BF/FRCU Voyage à Ouaga Mouyeke C., Kouka A. Zongo BF/FRCF Nuit de la vérité (La) Nacro Fanta Regina BF/FRAU Mama Aloko Odoutan Jean BJ/FR Djib Odoutan Jean BJ/FR Valse des gros derrières (La) Odoutan Jean BJ/FR Roues libres Bakaba Sidiki CI/FR Chef ! Teno Jean-Marie CMU Fragments de vie Woukoache François CM/BE/FR/DE Vendredi noir Maïga Djingarey NE/FR

87 89 87 62 75 87 45 100 90 98 94 95 90 45 89 124 94 115 87 102 90 90 93 90 86 93 95 80 90 72 95 60 80 90 100 60 85 71 86 99 90 100 90 80 72 89 61 85 90

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1999 Faat Kiné 1999 Bàttu 1999 Daresalam

115 95 95

2000 2000 2000 2000 2000 2000 2000 2000 2000 2000 2001 2001 2001 2001 2001 2001 2001 2001 2001 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2002 2003 2003 2003 2003 2003 2003 2003 2003 2003 2003 2003 2004 2004 2004 2004 2004 2004

107 62 75 90 104 76 93 90 105 104 107 75 104 88 97 76 100 85 86 95 78 120 97 105 80 98 96 112 90 90 85 86 75 108 78 93 90 75 117 96 105 90 90 78 63

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Sembène Ousmane SN Sissoko Cheick Oumar SN/UK/FRC Coelo Serge Issa TD/FRCF Période 2000-2009 : 126 films, 15 pays Amours et résignation (2MM) Teno J-M., Mora Kpai I. BF/CM/FR Si-Gueriki, la reine-mère Mora Kpai Idrissou BJ /DE/FRU Vacances au pays Teno Jean-Marie CM/FR/DE Adanggaman - Roi Nègre M’Bala Roger Gnoan CI/BF/FR/CHC Couilles de l’éléphant (Les) Koumba Bididi Henri-Joseph GA/FR I.T. (immatriculation temporaire) Fofana Gahité GN/FR Fatima, l’Algérienne de Dakar Hondo Med MR/BF/FRC Heremakono (En attendant le bonheur) Sissako Abderrahmane MR/FRU Appel des arènes (L’) Ndiaye Cheikh A. SN/BF/FRCFU Madame Brouette Sène (Absa) Moussa SN/FRC Siraba, la grande voie Traoré de Brahima Issa BF/FRU Paris : xy Laplaine Zéka CD/FR Trois bracelets (Les) Yeo Kozoloa CI Afrique, je te plumerai… Teno Jean-Marie CM/DE Paris selon Moussa Doukouré Cheik GN/FR Bamako Sigi-Kan (Le Pacte de Bamako) Diawara Manthia ML/FRF 100 jours Hughes Nick RW/UK Almodou Thior Amadou SN Abouna (Notre père) Haroun Mahamat-Saleh TD/FRCF Colère des dieux (La) Ouédraogo Idrissa BF/FR Mama Africa Nacro Fanta Regina, Otto-Sallies Z. BF/FR Laurent Gbagbo : la force d’un destin Duparc Henri CI Pari de l’amour (Le) Aufort Didier CI/FR Fleuve (Le) Keita Mama GN/FRC Soalandy Randrianierrenana Henri MG/FR Mahaleo Paes Cesar, Rajaonarivelo R MG/FRU Faro, la reine des eaux Traoré Salif ML/BF/DE/FR Kabala Kouyaté Assane ML/FRAC Tasuma, le feu Sanou Kolo Daniel BF/FRCU Delwende (Lève-toi et marche) Yaméogo Pierre BF/FRC Ouaga saga Kouyaté Dani BF/FR Africa paradis Amoussou Sylvestre BJ/FRU Jardin de Papa (Le) Laplaine Zéka CD/FRU Après l’océan (Les Oiseaux du ciel) De Latour Eliane CI/FR/UK Malentendu colonial (Le) Teno Jean-Marie CM/DE/FRU Silence de la forêt (Le) Ouénagaré D., Ba Kobhio E. CM/GA/FRC Un matin bonne heure Fofana Gahité GN/FR Zabou, mannequin des sables Ascofaré Abdoulaye ML Moolaadé Sembène Ousmane SN/BF/FR/DZCU Traque à Ouaga Diallo Boubakar BF Sofia Diallo Boubakar BF Kato Kato (Un malheur n’arrive jamais seul) Ouédraogo I. BF/FRU Sous la clarté de la lune Traoré Appoline BF/FR Arlit, deuxième Paris Mora Kpai Idrissou BJ/FRCU Lewat Osvalde CD Un amour pendant la guerre

2004 2004 2004 2004 2004 2004 2004 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2005 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2006 2007 2007 2007 2007 2007 2007 2007 2007 2007 2007

Habits neufs du gouverneur (Les Ngangura Mweze Dieudonné CD/BEU Caramel Duparc Henri CI/MA Meilleur et le pire (Le) Ba Kobhio Emile Bassek CM Bamako Sissako Abderrahmane ML/FRC Al’ lèèssi, une actrice africaine Alassane Mustapha NE Bul déconné Dieng Massaër, Picavez M. SN/FR/GN Un amour d’enfant Beye Ben Diogaye SN/MA/FRU Dossier brûlant Diallo Boubakar BF Code Phénix Diallo Boubakar BF Monde est un ballet (Le) Traoré de Brahima Issa BF Rêves de poussière Salgues Laurent BF/FRU Enfants esclaves (Les) Hellequin, Chabi Kao Christ. BJ Juju factory Bakupa-Kanyinda Balufu CD/FR/BE Saignantes (Les) Bekolo Obama Jean-Pierre CM/FR Déchirure (La) / Tear (The) Beni Alphonse CM/FR Amata Fred CM/NG Before the sunrise Sisters in Law (Sœurs de loi) Ayisi Flor., Longinotto Kim CM/UK Ombre de Liberty (L’) Imunga Ivanga GA/FRCU Sourire du serpent (le) Keita Mama GN/FR Il va pleuvoir sur Conakry Camara Cheick Fantamady GN/FRCU Homeland Kalimunda Jacqueline RW/FR Et si Latif avait raison ! Gaï Ramaka Joseph SN Désirs du cœur Obanikoua Aimé TG Or des Younga (L’) Diallo Boubakar BF Mokili Goldblat Berni BF La belle, la brute et le berger Diallo Boubakar BF Souké et Siriki : Ya Kanga Sanon Emmanuel BF Médaille de la honte (La) Frankignoul G.-I, Amadji D., Agnangnan P. BJ Omon mi Frankignoul G.-I, Amadji D., Agnangnan P. BJ Agbako Kelani Tunde BJ/NG Abeni Kelani Tunde BJ/NG Kinshasa Palace Laplaine Zéka CD/FR Tenrikyo, une tradition en toge noire Mbou Mikima Rufin CG Confidences Masso Cyrille CM Mâh Saah-Sah (Ma Sâsâ) Kamwa Daniel CM Nosaltres Touré Moussa SN Teranga blues Sène (Absa) Moussa SN/FR Daratt (Saison sèche) Haroun Mahamat-Saleh TD/BE/FRC Vanessa et sosie Ayité Madjé TG Djanta Ouédraogo Tahirou Tasséré BF Danse sacrée à Yaka Yaméogo Guy-Désiré BF Mogo-Puissant Diallo Boubakar BF Amazone candidate (L’) Panou Sanvi BJ/FR Ebah Hélène CM Blessures inguérissables (Les) Paris à tout prix Ndagnou Joséphine CM Sentence criminelle Onana Victor CM Une affaire de nègres (Le bois des singes) Lewat Osvalde CM/FRC Munyurangabo Chung Lee Isaaac RW/US N'Djamena city (Tartina City) Coelo Serge Issa TD/GA/FRF

86 88 80 118 69 75 96 90 90 90 86 60 95 92 115 85 104 86 90 115 90 95 91 100 83 100 100 75 75 105 105 71 60 85 92 71 90 85 90 106 96 107 90 80 133 86 88 97 88

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2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2008 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2009 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2010 2011 2011 2011

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Sam-le-caïd Diallo Boubakar BF Cœur de lion Diallo Boubakar BF/FRF Poids du serment (Le) / Nyama Sanou Kolo Daniel BF/FR Lieux saints Teno Jean-Marie CM/FRF Amour du diable (L’) Obiang Melchissedec GA Confession finale Ottong André Côme GA Fantan Fanga (Le pouvoir des pauvres) Drabo Adama, Ladji D. ML Boujouniéré invite à dîner Lajoumard Christian ML/FR Segoufanga Coulibaly Mambaye ML /TN/FRCF Behind This Convent Ndahayo Gilbert RW Le pèlerin de Camp Nou Masar Abakar Chene TD/US Bataille des absents (La) Ayité Madjé TG Point de suture AF Steven TG Fauteuil (Le) Hébié Missa BF Ceux de la colline Goldblat Berni BF Bayiri, la patrie Yaméogo Pierre BF/CD/FRCFU Notre étrangère Bouyain Sarah BF/FR Un pas en avant, les dessous de la corruption Amoussou Sylvestre BJ Pim-Pim Tché (Toast de Vie) Odoutan Jean BJ/FRC Tu n’as rien vu à Kinshasa Ngangura Mweze Dieudonné CD/BEF Zao Fila David-Pierre CD/FR Viva riva ! (Wa) Munga Djo CD/FR/BECFU Min Yé (Dis moi qui tu es) Cissé Souleymane ML/FRA Quatrième nuit noire (La) Maïga Djingarey NE Rwanda : Beyond the Deadly Pit Ndahayo Gilbert RW Feux de Mansaré (Les) Wade Mansour Sora SN Techniciens, nos cousins (Les) Touré Moussa SN Xali Beut les yeux grands ouverts Touré Moussa SN Boul Fallé, la voie de la lutte Thiaw Rama SN/CI/FRCF Un homme qui crie Haroun Mahamat-Saleh TD/BE/FRU Venu de France Abalo Blaise Kilizou TG Période 2010-17 : 109 films, 15 pays En attendant le vote... Hébié Missa BF /FRCF Clara Diallo Boubakar BF Koundi et le Jeudi national Atodji Astrid Ariane CM/DE Morbayassa, le serment de Koumba Camara Cheick Fantamady GN/FRF Absence (L’) Keita Mama GN/SN/FRCF Da Monzon, la conquête de Samanyana Diabaté Sidy Fassara ML Koukan Kourcia (Le cri de la tourterelle) Magori Sani Elhadj NE/FR Agadez, the Music and the Rebellion Wyman Ron NE/US Indochine, sur les traces d’une mère Mora Kpai Idrissou BJ/FRC Ndobine Seck Amadou Saalum SN Ramata Baker Léandre-Alain SN/FR Des étoiles Gaye Dyana SN/FRF Aujourd’hui (Tey) Gomis Alain SN/FRF Diago Alassane SN/FR Larmes de l’émigration (Les) Paris mon paradis Yaméogo Éléonore BF/FR Suzana Jabibu Mpawenimana Juma BI Bakoroman Ganou Simplice BF/FRF

100 90 87 70 108 99 88 65 80 66 94 90 84 92 72 91 82 105 86 90 60 98 135 98 96 80 73 60 71 100 99 100 100 86 120 84 110 62 75 71 68 90 88 86 78 67 91 62

2011 2011 2011 2011 2011 2011 2011 2011 2011 2011 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2012 2013 2013 2013 2013 2013 2013 2013 2013 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014 2014

Larmes de sang Faranpojo L., Koumagnon BJ Mec idéal (le) Brown Owell A. CI/FR La banane Bieleu Franck CM/UK Annie Flore Batchiellilys. Sur la route des Anges Patoudem J. Roke GA Amour ou sentiment Mabadi Van GA Collier du Makoko (Le) Koumba Bididi Henri-Joseph GA/FR Toiles d’araignées (Les) Touré Ibrahima ML Matière Grise Ruhorahoza Kivu RW/AU Pirogue (La) Touré Moussa SN/FR Henriol Henri SN/FR Baobabs ne poussent pas en hiver (Les) Moi Zaphira ! Traoré Appoline BF 15 avril Olukunga Ibrahim BF Royaume de Zabota (Le) Olukunga Ibrahim BF Piège de la passion (Le) Dagnon Oumar BF Congé de mariage Diallo Boubakar BF Soleils Kouyaté Dani BF/FR/IT Djassa a pris feu (Le) Solo Lonesome CI/FR Ninah's Dowry Viyuoh Victor CM/US Cœur des femmes (Le) Obiang Melchissedec GA Légendes de Madagascar Ratovoarivony Haminiaina MG Hamou Beya, pêcheurs de sable Diarra Samouté Andrey ML/FR Aaru mbédd (Les murs de Dakar) Cissé A. Aziz, Guéye Wagane SN Dakar Trottoirs Ndao Hubert Labo SN/FRU Grigris Haroun Mahamat-Saleh TD/FRFU Crime silencieux (Le) Ozou Guillaume Komi TG Sheria AF Steven TG Atlantic produce Togo SA Houzangbe P., Tregoat J.G TG/FR Villa rouge (La) Diallo Boubakar BF Atalaku Hamadi Dieudo CD/FR Run Lacôte Philippe CI/BF/FRFU Président (Le) Bekolo Obama Jean-Pierre CM Ménages Tchouichoui Edith Rene CM/US Ady Gasy Lova Nantenaina MG/FR Timbuktu Sissako Abderrahmane ML/FRF Imbabazi : Le Pardon Karekezi Joël RW/US Tu me prends pour qui ? Dagnon Oumar BF À vendre Traoré Kady BF Œil du cyclone (L’) Traoré Sekou BF/FRFU Sirène de Faso fani (La) Zonogo Michel K. BF /DE/FR C Thom Ouedraogo Tahirou Tasséré BF/FRU Suzana 2 Jabibu Mpawenimana Juma BI Examen d’état Hamadi Dieudo CD/BF/FR Choses et les mots de Mudimbe Bekolo Obama Jean-Pierre CM Colère des ancêtres (La) Obiang Melchissedec GA Cieux interdits (Les) : Prince Akamayong Ondo Chasa GA Fragments de vie (Odayiana) Laza MG Rapt à Bamako Sissoko Cheick Oumar ML Mu Buzima Kayongo Andrew RW Intore Kabera Eric RW

82 110 70 80 80 105 90 110 87 95 102 96 92 84 105 90 70 95 90 93 72 66 90 101 114 105 115 106 62 90 120 120 84 97 73 92 75 101 89 85 97 90 243 95 230 85 90 120 76

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Wùlu Coulibaly Daouda SN/FRCU Roi debout (Le)-Futur dans le rétro (Le) Teno Jean-Marie CMCF Farafin ko : une cour entre deux mondes Boro C.-A., Leterrier C. BF/FRC Une simple parole Sylla Khady, Sylla Faye M. SN/QAF Sembène ! Gadjigo Samba, Silverman J. SN/USF Cellule 512 Hébié Missa BF Wallay Goldblat Berni BF/FR Jean de Dieu (John of God) M’Poko Selé CD We Will Win Peace Seth Chase CD/BI/CA/UK Fila David-Pierre CG/FRF Sur les chemins de la rumba Esclave et courtisane (de l’ombre à la lumière) Lara Christian CI/FR Africain qui voulait voler (L’) Biffot Samantha GA/FR/BE Fofana Gahité GN/FR Lune est tombée (La) Ombre de la folie (L’) Gakou Boubacar ML Masque de San (Le) Sarasin Jacques ML/CH/FR O Ka (Notre maison) - Oka Cissé Souleymane ML/FRAF Héritiers de la colline (Les) Samassekou Ousmane ML/FR tedalat taha tazoughai / Kirkley C., FinoJ., Mdou Moctar NE/US 2015 Akounak Rain the Color of Blue with a Little Red in It

96 80 92 63 89 100 84 86 98 98 90 70 77 73 84 96 82

2015 2015 2015 2015 2015 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2016 2017 2017 2017 2017 2017 2017 2017 2017

79 110 60 100 91 90 90 89 124 96 100 94 72 100 82 90 80 90 82 72 90 80 90 78 95

2014 2014 2014 2014 2014 2015 2015 2015 2015 2015 2015 2015 2015 2015 2015 2015 2015

I Have Seen My Last Born Chung Lee Isaac, Anderson S. Gray RW/US Revolution won't be televised Thiaw Rama SN Cheval blanc (Le) Sie Adam SN Félicité Gomis Alain SN/GA /BE/DE/LI/FR CF Solim AF Steven TG Dernier tir (Le) Assogba Koffi, Bague Abdoul BF Frontières Traoré Appoline BF /SN/FRF Orage africain : un continent sous influence (L’) Amoussou S. BJ Kiss of Death Tenn Musing Derick CM Zin'naariya ! The Wedding Ring Keïta Rahmatou NE/BF/FR Bienvenue au Gondwana Mamane CI/FR Kemtiyu - Cheikh Anta Mbaye Ousmane William SN/FRF Umutoma Kwezi John RW/US Une saison en France Haroun Mahamat-Saleh TD/FR Hissein Habré, une tragédie tchadienne Haroun Mahamat-Saleh TD/FR EBI les otages des lacs Prince Edorh TG À la recherche de mon père Diago Alassane SN/FRC Clémence de la jungle (La) Karekezi Joël RW/BE/FRCF Ouaga girls Dahlberg Theresa Traoré BF/SE/FRC Maman Colonelle Hamadi Dieudo CD/FRF Life Point Brice Achille CM Minga et la cuillère cassée Edou Claye CM Koussaw (tempête de sable) Touré Ibrahima ML Koro du bakoro (Le) Ganou Simplice BF/FRCF Désorientées Prince Edorh TG

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*En exposant aux pays producteurs, une partie des aides spécifiques : A = A. Davanture / ATRIA ; C= aides sélectives du CNC ; F= aides de la Francophonie ; U = soutiens de l’UE.

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Chapitre III – Les soutiens financiers de la France à la production cinéma en ASF1 Curieux destin que d’écrire pour un autre peuple que le sien ! Plus curieux encore que d’écrire pour les vainqueurs de son peuple ! Albert Memmi2

Son passé d’ancienne puissance coloniale a longtemps conféré à la France un statut, un rôle et un sentiment de devoir particuliers vis-à-vis des nations anciennement dominées, notamment africaines. Son empire se constituant concomitamment avec l’apparition du cinématographe, au moment de la rédaction de cet ouvrage, la borne des indépendances politiques sépare en deux périodes temporellement équivalentes son histoire et sa diffusion sur le continent. Le ministère des Colonies a centralisé la gestion des territoires de l’ASF durant plus d’un demi-siècle au sein de deux regroupements, l’Afrique-Occidentale française (1895-1958) et l’Afrique-Equatoriale française (1910-1958). La production de films ne peut s’y distinguer de celle de la métropole durant cette période, et cela jusqu’à la dissolution des gouvernements coloniaux de la zone, son autonomisation étant considérée comme l’un des marqueurs symboliques culturels de l’émancipation. Si ces productions sont quasi exclusivement dues à des Français, avec des capitaux et techniciens d’origine métropolitaine, elles reflètent inévitablement leurs visions et préoccupations, essentiellement illustrées par des thématiques exotiques, puis de l’ethnographie. La transformation du continent sera traitée à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale, puis les ébauches de cinémas africains seront esquissées dans un mouvement soutenu par quelques cinéastes français engagés pour la reconnaissance des arts africains (Jean Rouch, Chris Marker, Alain Resnais, etc.). Aussi convient-il d’évoquer l’évolution postérieure, durant demi-siècle, des modalités et conséquences des liens financiers et institutionnels entre la France et les pays de l’ASF, au niveau de la production cinématographique. Très tôt, le développement du cinéma africain avait interrogé nombre d’intervenants français, une réunion d’intérêts leur semblant créer une synergie qui ne pouvait apparemment que lui être profitable. D’un côté nombre d’intellectuels et militants anticolonialistes œuvraient collectivement ou individuellement dans leurs métiers selon leurs possibilités, pour 1 Le présent chapitre reprend les principaux éléments contenus dans Claude Forest (dir.), Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, op. cit., chap. I. 2 Albert Memmi, Portrait du colonisé, Gallimard, 2016 (1957), p. 127.

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sensibiliser et proposer des solutions afin de favoriser la production de films3. D’un autre côté, l’État français adoptait une politique de coopération plutôt que d’assimilation, et souhaitait apporter un soutien appuyé à ses anciennes colonies, notamment afin de préserver des liens économiques et culturels avec elles, d’abord pour y conserver ses propres intérêts. À l’inverse de Londres qui avait mis en place dans ses colonies des unités cinématographiques locales – ce qui constitue, avec la volonté de favoriser le commerce et les entreprises, l’un des facteurs institutionnels et culturels explicatifs majeurs du dynamisme contemporain des productions africaines anglophones–, la forme adoptée, de l’aide, et sa centralisation, à Paris, vont forger les caractéristiques essentielles de l’intervention française dans le champ cinématographique en ASF. Apparu dès 1959 pour assurer un lien avec les pays qui prenaient leurs indépendances, un ministère de la Coopération (et du Développement à partir de 1981) est créé, et fonctionnera exactement quarante ans, se dissolvant en 1999 au sein du ministère des Affaires étrangères (MAE). Continûment ministère à part entière jusque là, l’influence du MinCoop sera très forte, et notamment en ASF en disposant de moyens financièrement plus importants que pour les autres zones. Ils expliqueront, d’une part sa longévité provoquée par l’attachement des pays concernés eux-mêmes, et les réticences comme la difficile intégration au sein du MAE. Au contraire de ce dernier en effet, il a pu mener des actions plus globales et intégrées (enseignement, culture, économie) tandis qu’au MAE elles ont toujours été séparées. Elles étaient également parfois conçues globalement, pour tous les pays de la sous-région, et également, notamment au début et absolument en ce qui concerne le cinéma, elles tentaient d’être innovantes, étant souvent souples, individualisées pour permettre des expérimentations. Cette politique marquera, au-delà du nom, le type de rapports que l’ancienne métropole souhaitait conserver avec ses anciennes colonies : fondés sur la « coopération », celle-ci sera avant tout militaire, monétaire avec le franc CFA4 (fabriqué encore en 2018 en métropole5, le Trésor français détenant une part des réserves des banques centrales africaines6), politique et culturelle. Cette dernière va connaître trois grandes phases, le cinéma y 3

Jean Rouch, Situation et tendances actuelles du cinéma africain, UNESCO, Table ronde de Venise, 10-11 septembre 1961, 27 p. 4 Créé en 1945 par l’État français sous le nom de Franc des colonies françaises d’Afrique, il prend en 1958, le nom de franc de la Communauté Française d’Afrique puis en 1960, celui de Franc de la communauté financière d’Afrique pour les pays membres de l’UEMOA, et Franc de la coopération financière en Afrique centrale pour les pays membres de la CEMAC. De même valeur, les deux francs CFA ne sont toutefois pas interchangeables. 5 La majorité des pays africains fait imprimer sa monnaie à l’étranger, essentiellement en Allemagne (Mauritanie, Soudan, etc.) et Angleterre (Angola, Sierra Leone, etc.). 6 Près de 11 milliards d’euros en 2017. Sur cette question, voir : Kako Nubukpo, Martial Ze Belinga, Bruno Tinel, Demba Moussa Dembele, Sortir l’Afrique de la servitude monétaire ?, La Dispute, 2016.

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jouant un rôle de premier plan, essentiellement via la production de longs métrages dont la valorisation sera sans cesse recherchée, certains Français y jouant un rôle déterminant. 1) Le service cinéma du ministère de la Coopération 1.1 Les années Débrix Au sein de ce ministère de la Coopération, à la direction de la coopération culturelle et technique, sous-direction des actions culturelles, est créé en 1963 un service cinéma, dont Jean-René Débrix prendra la direction et qu’il marquera par son dynamisme, son pragmatisme et sa souplesse d’intervention durant seize ans. La naissance du cinéma africain francophone lui doit beaucoup. Son service regroupait le bureau du cinéma, la Cinémathèque et un service technique, pièce essentielle pour la production africaine francophone durant ses deux premières décennies. Le bureau du cinéma était notamment chargé de la mise en œuvre de l’action culturelle cinématographique du Département, l’administration et la gestion du service, la liaison avec les services culturels des ambassades, la sélection et l’achat de films destinés aux cinémathèques des centres culturels en Afrique, la sélection et l’achat des matériaux et équipements cinématographiques destinés aux centres culturels africains, l’activité du Consortium audiovisuel international (CAI) : actualités, reportages, magasines, courts métrages. Il produisait également un programme de films africanistes destinés au secteur d’État, comme au secteur privé, avec des réalisations pour le compte du Département. Comme la plupart des fonctionnaires de ce ministère, ceux du bureau cinéma étaient dotés d’une formation d’expert et de technicien, se méfiaient d’une bureaucratie administrative qu’ils jugeaient trop éloignée des réalités de terrain7, et ne cachaient pas leur engagement et leur goût pour l’Afrique. Il en ressortira ainsi des solutions très pragmatiques et adaptées aux missions qu’ils se forgeaient souvent eux-mêmes. « Monsieur Débrix était quelqu’un de très passionné et libre. Il avait des coups de foudre, c’était un homme de cinéma. Il a tout de suite vu que Muna moto8 était intéressant et s’est débrouillé pour trouver les fonds nécessaires. Avec lui, on oubliait qu’on était dans un ministère. On adaptait les contraintes administratives aux problèmes qui se posaient »9. Dès 1963 est abondée une ligne de crédits au cinéma africain qui prend les deux formes classiques : avant réalisation (crédit, ou fourniture de prestations techniques fournies par la « section technique cinéma » ou par le 7

Julien Meimon, « Culte du terrain à la rue Monsieur : les fonctionnaires de la France d’Outre- Mer et de la coopération », Afrique contemporaine, vol. 236, n° 4, 2010, p. 53. 8 Un LM de Jean Pierre Dikongué Pipa, 1975, Cameroun. 9 Andrée Davanture dans un entretien avec Olivier Barlet, Africultures, octobre 1995.

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CAI), et après réalisation (achat des droits de diffusion non commerciale dans les centres culturels des États africains notamment). Mais si des efforts sont aussi consacrés à la production, dès le démarrage, l’aide est liée, et donc liante, en ce sens que l’argent versé à la réalisation des projets doit principalement être dépensé en France (service technique, location du matériel, montage du film, frais de laboratoire). Au-delà du reproche qui a pu être fait que l’argent donné par la France revienne d’abord à la filière et aux techniciens vivant en métropole, il convient surtout de souligner qu’elle n’a pas permis aux infrastructures ni aux productions locales de se développer. Aucun studio de tournage, mixage ou de postproduction, ni de laboratoire notamment pour développer la pellicule (qui devait toujours être renvoyée en France) ne sera construit ou ne fonctionnera durablement, ni n’existe encore à ce jour (2018). Critique a également été émise que cette dépendance financière et technique pouvait peser sur le contenu que les cinéastes pouvaient souhaiter donner à leurs films, même si aucune censure n’a été démontrée et que Débrix a toujours fermement défendu l’autonomie éditoriale qui lui avait été donnée10. Les résultats quantitatifs sont indéniables, puisque sur le plan de la production, s’il souligne assurément que les Africains ne l’ont pas attendu pour faire des films, J.-R. Débrix dresse son bilan : « de 1963 à 1975, il a été réalisé en Afrique noire francophone quelque 185 films, courts et longs métrages mélangés. Sur ces 185 films, environ 125 ont été produits avec le concours technique et financier de la Coopération »11. Il convient d’y rajouter toute la production directe du CAI, soit 416 films d’actualité et documentaires sur l’ASF entre 1961 et 197512. Mais on voit bien que la dénomination « films » est utilisée à des fins valorisantes, l’essentiel de la production étant constitué de CM, peu ou pas diffusés (ni conservés). Conscient que produire les films ne suffisait pas, il militera, vainement, pour que les États africains prennent en considération les problèmes généraux du cinéma, dont ceux de sa diffusion13, qu’ils s’en emparent comme outil de développement, et il commettra les articles les mieux documentés de la

10

Jean-René Débrix, Le cinéma africain, Afrique contemporaine, n°38-39, Paris, Documentation française, juil.-oct., 1968, p. 7-12 ; Jean-René Débrix, « Dix ans de coopération franco-africaine ont permis la naissance du jeune cinéma d’Afrique noire », revue Sentiers, n°1, 1970, p. 15. Ce que confirme également A. Davanture, op. cit. 11 « Entretien », dans Guy Hennebelle, Catherine Ruelle, Cinéastes d’Afrique noire, Afrique littéraire et artistique - Jeune Cinéma, CinémAction 3, 1978, p. 153. 12 Manthia Diawara, African Cinema : Politics & Culture, Indiana University Press, 1992, p. 25. 13 En avril 1966 au premier Festival mondial des arts nègres de Dakar, il formule avec Blaise Senghor et Jean Rouch les premières recommandations pour réformer le marché africain du film (chapitre cinéma de la charte l’UNESCO) ; puis il commande un plan de réforme : SODECINAF, Situation du cinéma en Afrique. Rapport à l’attention du Consortium Audiovisuel International, mai 1971, 41 p.

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période, tout en regrettant que « le cinéma africain reste un cinéma d’idéologues, un cinéma de festival »14. La France et les techniciens français engagés à leurs côtés, pour la plupart artisans également de la « nouvelle vague », avaient pourtant clairement orienté les cinéastes africains vers le « cinéma d’auteur », en ce qu’il serait opposé au cinéma commercial, favorisant et poussant au désir de s’autonomiser de l’emprise économique du marché, mais sans produire de films de nature à séduire leurs propres populations, et donc à garantir des recettes par le marché. Après la mort de Débrix en 1979, l’action du service sera fortement ralentie durant une décennie, d’autant que la plupart des cinéastes réunis au sein de la Fepaci avaient proclamé à Alger en 1975 une charte, fort peu réaliste économiquement, et les ayant fait apparaître comme « des panafricanistes dont la mission prophétique était d’utiliser le film comme outil de libération des pays colonisés et comme un pas vers l’unité complète de l’Afrique »15 (cf. infra). 1.2. Andrée Davanture et ATRIA Plusieurs facteurs conduisent à la fermeture du Bureau du cinéma. Outre le décès de J.-R. Débrix en 1978, les bâtiments de la cellule technique sont touchés par un incendie au début de l’année 1980. Également des pressions sont exercées par des gouvernements africains pour contrôler leur production nationale16, et parallèlement l’augmentation des demandes de cinéastes semble effrayer le ministère de la Coopération qui ferme le service d’aide technique aux réalisateurs africains et licencie une partie de son personnel en 1980. Dès lors, certains techniciens et des professionnels se regroupent hors de l’administration dans une Association Technique de Recherches et d’Informations Audiovisuelles (ATRIA)17, à laquelle s’adosse une coopérative de production (ATRIASCOP) assurant spécifiquement la production exécutive des films africains initiés sans producteur. L’objectif, militant et reposant aussi sur de nombreux concours bénévoles, était d’offrir une assistance à la réalisation et à la production d’œuvres cinématographiques africaines. Claude Le Gallou, chargée des programmes, et Andrée Davanture, déléguée générale d’ATRIA, en étaient les deux 14

« Entretien », dans Guy Hennebelle, Catherine Ruelle, op. cit., p. 156. Manthia Diawara, African Cinema : Politics & Culture, op. cit., p. 48. Sur l’ambivalence des relations, voir notamment : Olivier Barlet, « France, je t’aime ; France, je te hais : les cinémas d’Afrique dans le trouble de la coopération », Africultures, vol. 83, n° 1, 2011, p. 52. 17 Journal Officiel n° 245 du 19 octobre 1980. Les membres fondateurs en sont Andrée Davanture, Férid Boughedir (critique et réalisateur), Georges Garcia (économiste), Alain Garnier (chef-opérateur son), Étienne Carton de Grammont (directeur de la photographie), Jacques Lombard (ethnologue et réalisateur), Marie-Christine Rougerie (cheffe-monteuse) et Jean-Jacques Schakmundès (directeur de production). 15 16

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animatrices principales. Professionnellement monteuse depuis 1965, cette dernière avait rejoint le bureau cinéma en 1974 et découvert les films africains à cette occasion. C’est elle qui permettra à plusieurs dizaines de longs métrages de s’achever, et à de nombreux réalisateurs africains (Souleymane Cissé, Jean-Pierre Dikongué Pipa, Gaston Kaboré, etc.) d’accéder à une stature internationale18. Lâchée financièrement vingt ans plus tard par le ministère de la Coopération qui souhaitait désormais davantage de retombées en France et une meilleure visibilité dans les festivals européens, victime également de la dévaluation du franc CFA (1994) et de nombreuses factures impayées, elle cesse ses activités en 1999 et sera dissoute en 200119 sans qu’aucune structure technique équivalente n’ait jamais vu le jour depuis ; une époque s’achevait20. 2) Deux décennies contrastées 2.1. Le CNC L’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981 modifia un peu les rapports avec les Sud, et au niveau du cinéma un programme interministériel de soutien fut mis en place en 1984 entre les ministères de la Coopération et du Développement, celui des Affaires étrangères, et de la Culture (puis par le ministère des Affaires étrangères et européennes et le ministère de la Culture et de la Communication), géré par le CNC : le Fonds Sud cinéma. Il convient toutefois de souligner que le CNC ne faisait que gérer les dossiers retenus, le centre de décision se situant au ministère de la Coopération, obéissant donc souvent à des logiques davantage (géo)politiques qu’esthétiques, le CNC ne voyant pas arriver toutes les demandes qui étaient adressées au Fonds. Doté initialement d’un budget équi-réparti entre les trois ministères à hauteur de 4 MF chacun, soit 12 MF au total (2,3 M€), l’objectif de cette aide sélective était de favoriser la production et la diversité cinématographique de manière plus élargie, sur tous les Sud. Réservée aux longs métrages destinés à une exploitation en salles et réalisés par des ressortissants des pays du Sud, tournés majoritairement dans les zones géographiques éligibles, entre 1984 et 2011, date de sa clôture, ce sont près de 500 films issus de 70 pays différents de tous les continents qui ont été coproduits. L’élargissement progressif à d’autres pays s’était fait sous la pression de l’UE, et si cela lui donnait une plus grande visibilité, le montant était de ce fait dilué entre un plus grand nombre de prétendants, et par ailleurs la concurrence avec des 18 Sur

ses philosophie et action, voir son entretien de 1995 avec Olivier Barlet, op. cit.. Cet épisode est développé dans Olivier Barlet, Le lâchage d’ATRIA, entretien avec Andrée Davanture, dans Samuel Lelièvre (dir.), Cinémas africains, une oasis dans le désert ?, Paris, Corlet/Télérama, CinémAction n° 106, 1° trim. 2003, p. 72-76. 20 Le fonds papier d’Atria a été déposé aux Archives départementales de la Seine-Saint-Denis en décembre 2004 par A. Davanture (décédée en 2014) : sous-série 257 J, l’aide à la production et à la diffusion apportée par la coopérative l’étant sous 257J/578-783. 19

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réalisateurs mieux formés leur donnait un avantage concurrentiel relativement aux cinéastes d’ASF. Graphique 5 : Répartition géographique des films aidés par le Fonds Sud cinéma (1984-2011) Maghreb, Proche et MoyenOrient. 130

Asie. 92 Europe de l’Est. 27 Afrique Amérique sud latine . 127 saharienne. 110

Lors des dernières années d’attribution, cet avantage sera nettement marqué au profit des productions d’Amérique latine et arabes, qui prendront les premières places au détriment des Afriques sud sahariennes qui dominaient durant les deux premières décennies d’ouverture du fonds. Dans le bilan de ses vingt-sept années d’exercice21, géographiquement le dispositif a bénéficié légèrement plus au Maghreb, Proche et Moyen-Orient avec 27 % de films soutenus, à peine plus que l’Amérique latine mais distançant l’Afrique sud saharienne qui en représente moins du quart cumulé sur la période, essentiellement par ralentissement des deux pays les plus producteurs, le Burkina Faso et le Sénégal. Tableau 6 : Pays d’Afrique sud saharienne bénéficiaires du Fonds Sud cinéma (1984-2011) Francophones Non francophones Burkina Faso, 17 films Mali, 13 Sénégal, 11 Cameroun, 8 Côte d’Ivoire, Rép. Dém. du Congo, 6 Guinée Conakry, Tchad, Bénin, 3 Madagascar, Rép. Populaire Congo, 2 Gabon, Togo, 1

Afrique du Sud, 6 films Guinée-Bissau, Zimbabwe, 5 Mauritanie, Mozambique, 4 Angola, Cap-Vert, Éthiopie, 2 Burundi, Kenya, Namibie, Nigeria 1

21

Pour un détail des vingt premières années, voir Jean-Michel Frodon (dir.), Au Sud du cinéma, Cahiers du cinéma/Arte éditions, 2004, 255 p.

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Pour les Afriques, les trois quarts de l’aide à l’Afrique sud saharienne sont allés à l’un des pays de l’ASF, mais en son sein plus de la moitié a bénéficié à l’un des trois « grands » de la région, qui réussissaient à placer un film plus d’une année sur deux : Burkina Faso, Mali, Sénégal. 2.2. Dominique Wallon En 1989 Dominique Wallon prend les fonctions de directeur général du CNC et va impulser une politique volontariste en faveur de cette zone, d’une ampleur inconnue avant, et inégalée depuis. La volonté de coopération proprement dite, appuyée sur le Ministère des Affaires étrangères, se fondait sur une relation entre États, plutôt que sur une relation individuelle avec les cinéastes comme antérieurement. Premier DG du CNC à se rendre symboliquement au Fespaco, en 1991, l’effort de soutien et de valorisation est net et sans précédent, et va au-delà de la production22. Cette nouvelle politique s’est traduite par un accès croissant de films du sud aux mécanismes de droit commun de financement du cinéma français23, et surtout le MAE va signer, sous l’impulsion du CNC, des accords de coproduction bilatéraux avec 44 pays dont le Burkina Faso dès 1991. La contrainte de la langue de tournage – le français – soulèvera de nombreuses réticences, mais seront rapidement admises les langues parlées localement, entérinées au Burkina par un avenant dès 199324. Le Sénégal (1992), le Cameroun (1993), la Guinée (1993), la Côte d’Ivoire (1995) passeront les mêmes accords de coproduction avec la France dans lesquels, élément essentiel, ces pays se voient ouvrir le droit à l’avance sur recettes. Souhaitant aller plus loin, en 1992 Catherine Tasca, ministre déléguée à la Francophonie, initiera une association éphémère présidée par Dominique Wallon, Écrans du Sud, destinée à soutenir financièrement les cinéastes (à l’écriture, aux courts métrages, etc.), mais qui cessera dès 199425. Il présidera une autre association, Écrans Nord-Sud, destinée à soutenir la diffusion et la promotion des cinémas d’Afrique, qui sera également fugitive (1998-2002), ces soutiens étant intégralement dépendants des orientations politiques décidées au sommet de l’État. Le budget moyen d’un long métrage de l’ASF sur cette période avoisinait les 400 MFCFA mais les sources de financement françaises ont contribué à instaurer, de fait si ce n’est intentionnellement, un ordre cinématographique 22 Il donnera lieu à un supplément du CNC info, Spécial cinémas d’Afrique, n°237, novembre 1991. 23 En 1993 par exemple, trois réalisateurs africains, Cheick Doukouré, Bassek Ba Kobhio, Idrissa Ouedraogo, ont obtenu l’avance sur recettes, originellement destinée aux films en français. 24 Teresa Hoefert de Turégano, African cinema and Europe: close-up on Burkina Faso, Florence, European press academic publishing, 2004, p. 104. 25 Sur le détail de son action, se reporter à l’entretien avec Dominique Wallon mené en mars 2017, Claude Forest, Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, op. cit.

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géo-centré sur l’Occident, tant financier, technique, qu’esthétique et critique26. Plus de la moitié des dépenses devant l’être en France (encore en 2018), au-delà du reproche secondaire qui pourrait être fait, si on se place d’un point de vue d’une aide au développement à ces pays, de bénéficier avant tout à la filière et aux techniciens français, force est de constater qu’elle a empêché de facto l’émergence d’une industrie cinématographique et audiovisuelle et, du point de vue de la production, de celle d’un financement marchand national ou sous-régional. Découlant de cette dépendance financière se sont structurés une dépendance technique (matériel et techniciens), et un empêchement de la constitution d’un réseau pérenne de formations et de professionnels, qui ne pouvaient être embauchés sur les postes les plus importants du fait de l’obligation contractuelle d’employer des Français, même si nombre d’entre eux se sont montrés soucieux de former leurs homologues africains lors des tournages sur place, en transmettant une partie de leurs savoir-faire. En effet, en écoles publiques d’ASF, on ne comptera sur toute la zone que l’éphémère Institut africain d’éducation cinématographique d’Ouagadougou (1977-1987). Monté notamment avec le soutien financier de l’UNESCO, sa formation de qualité était toutefois relativement inadaptée ; située au sein de l’université, elle dispensait essentiellement des cours théoriques de type universitaire, sans débouchés directs pour les étudiants. Faute de volonté et de financements nationaux, il fermera malgré la suggestion de lui rajouter une quatrième année plus technique et spécialisée27. Exactement 30 ans plus tard au Sénégal, après l’ouverture en 2007 du Master 2 Réalisation documentaire au sein de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, à l’initiative d’Ardèche images et en partenariat avec l’université Stendhal de Grenoble, la fin en 2017 par la région Auvergne Rhône-Alpes du subventionnement de cette formation a entraîné son arrêt provisoire faute, en dix ans, d’un relais par des fonds sénégalais. Il en a été de même pour les producteurs. La complexité des guichets institutionnels, la nécessité de se constituer un réseau de connaissances français, et les normes des dossiers à produire imposent dans les faits la présence d’un producteur européen, en général français, pour maîtriser également les relations avec les prestataires de la postproduction localisés en France. Au-delà du coût financier – tous ces services coûtent dix à quinze fois plus chers en France qu’en ASF – ce mécanisme non seulement n’a pas eu d’effet structurant de la filière cinéma en ASF, mais a provoqué l’effet inverse en freinant durablement la rentabilisation et donc la pérennité de sociétés de production africaines. 26

Yao Ayade, Gaston Kaboré, Toussaint Tiendrebeogo, Dominique Wallon, Projet d’orientation d’une politique sectorielle commune de l’image au sein des États membres de l’UEMOA, UEMOA, 2003, p. 27. 27 Roger Morillère, INAFEC-Rapport technique, RP/1981-1983/4/3.6/03, Unesco, 1983.

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Quelques pays d’ASF (Guinée, Mali et Burkina Faso notamment) avaient tenté de se procurer leur propre équipement de production pour être indépendants de la France, mais ont manqué de ressources financières et de compétences pour pérenniser leur fonctionnement, les gouvernements n’ayant pas durablement considéré le cinéma comme prioritaire. D’autres pays comme le Niger et la Côte d’Ivoire ont expérimenté dans les années 1980 le financement des films par les télévisions nationales, mais ont toujours eu besoin de l’aide financière et technique de la France au niveau de la postproduction. Les liens entre la France et les pays d’ASF n’ont donc pas dénoué leurs complexité et ambivalence, le cinéma n’étant qu’un élément parmi des enjeux politiques et économiques autrement plus puissants, et se trouvant lui-même intriqué au sein de relations globales, le maintien d’un niveau de production de films francophones face à Hollywood ayant été une constante28. Aussi, durant au moins quatre décennies, les indépendances politiques formelles de 1960 n’ont pas induit une indépendance économique, technique et culturelle vis-à-vis de la France, et au niveau du cinéma une politique d’assimilation a clairement perduré29. 3) Les dispositifs contemporains 3.1. L’Aide aux cinémas du monde Le CNC ré-intervient à partir de 2012, avec la création de l’Aide aux cinémas du monde, une aide sélective accordée à une société de production établie en France dans le cadre d’une coproduction avec une entreprise de production étrangère dans un des pays « aux cinématographies les plus fragiles », 73 pays étant concernés, dont ceux de l’ASF. Destinée aux projets de long métrage de fiction, d’animation, ou de documentaire de création, elle peut être accordée soit avant réalisation (aide à la production plafonnée à 250 000 €) soit au stade de la postproduction (aide à la finition, 50 000 € maximum). Le budget est d’environ 6 M€/an, et bénéficie à une cinquantaine de projets, l’aide étant encore liée, c’est-à-dire qu’au minimum 50 % de l’aide accordée doit être dépensée sur le territoire français, et au moins 25 % sur le territoire du ou des pays concernés30. Notamment pour répondre aux critères de l’UE, l’élargissement de cette aide ne concerne plus uniquement le Sud, et défavorise donc structurellement les pays les plus faibles, dont ceux de l’ASF. Sur ses cinq premières années d’existence (tableau 2), ils représentent moins de 8 % des projets aidés (19 sur 256), aucun n’ayant bénéficié d’au moins un soutien par an. Au sein de l’Afrique sud saharienne, 7 concernent les pays non-francophones, les 12 ASF bénéficiaires étant essentiellement le Burkina Faso et le Sénégal (4 28

Femi Okiremuete Shaka, Modernity and the African Cinema, Africa World Pr, 2005, 452 p. Mbye B.Cham et Claire Andrade-Watkins (eds), Black Frames: Critical Perspectives on Independent Black Cinema, The MIT Press, 1998, p. 76. 30 Décret n° 2012-543 du 23 avril 2012, art. 4. 29

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films chacun). Le nombre absolu de projets présentés (7 % de l’ensemble) est relativement faible au regard de la population concernée, et le taux de réussite des projets présentés dans la moyenne de l’ensemble, ceux de l’Asie étant comparativement deux fois plus retenus. Tableau 7 : Aide aux cinémas du monde 2012-2017. Répartition géographique des dossiers (en fonction de la nationalité du réalisateur) Région Projets déposés Projets aidés Acceptation Amérique latine et Caraïbes Europe occidentale Proche et Moyen-Orient Europe centrale et orientale Asie du Sud et de l’Est Afrique sud saharienne Maghreb Asie centrale Amérique du Nord Océanie TOTAL

321 426 216 303 129 120 140 22 35 1 1713

51 15,9 % 46 10,8 % 40 18,5 % 39 12,9 % 36 27,9 % 19 15,8 % 18 12,9 % 5 22,7 % 2 5,7 % 0 0% 256 14,9 % (Source : CNC - chiffres de juin 2017)

Mécaniquement et inévitablement, cette aide revient aux pays concernés les mieux organisés et préparés, notamment dans l’écriture des scénarii et le montage de dossiers, donc les plus proches culturellement et industriellement du modèle français. Ainsi, sur cette période, sur les cinq pays qui ont été le plus aidés, deux sont européens (Italie-14, Roumanie-12), deux sont sud-américains (Argentine-14, Chili-12), le cinquième étant Israël (11). La page de l’aide spécifique aux cinémas africains semble durablement tournée. 3.2. Désengagement du MAE et intervention de l’Union européenne Suite à l’arrivée à la tête du gouvernement français de Lionel Jospin (19972002) qui souhaitait modifier profondément les relations de l’État français avec les États africains, en décembre 1998 le ministère de la Coopération est remplacé par le ministère des Affaires étrangères dirigé par Hubert Védrine, signant la fin d’une spécificité française héritée du passé colonial avec la fermeture du « guichet de l’Afrique à Paris »31. Outre les scandales et la dénonciation de la « Francafrique », l’inefficacité des politiques d’aide au développement appelait à la rationalisation de son dispositif et ouvrait une 31 Julien Meimon, « Que reste-t-il de la coopération française ? », Politique africaine, vol. 105, n° 1, 2007, p. 27.

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phase de réorganisation de ce champ en marquant la fin d’un processus, ses anciens agents, son budget, son empreinte dans le paysage administratif et politique se voyant dispersés. En 1999, les services chargés de la promotion du film français (ex-Bureau du film français au sein du MAE) et du film du Sud (ex-Bureau du cinéma, de la Coopération) sont réunis au sein de la sousdirection Cinéma et coopération audiovisuelle de la Direction de l’audiovisuel extérieur et des techniques de communication, composante de la DGCID (Direction générale de la coopération internationale et du développement). Symptomatiquement, et très symboliquement, les anciens bureaux du MinCoop (20, rue Monsieur à Paris) étaient repris, et sont occupés depuis, par… l’ambassade de Chine. Globalement, et notamment au cours des quinquennats Sarkozy puis surtout Hollande (2007-2017), les administrations vont regrouper leurs interventions autour de trois grandes thématiques : la gestion des crises, « rendre l’Afrique aux Africains » et la diplomatie économique. Sur le fond, la culture en général et le cinéma en particulier n’apparaissent donc plus dans les critères d’intervention, et sur la forme l’hésitation entre retrait, normalisation et réinvestissement semble permanente. Il faut également rappeler qu’au fil des décennies l’Afrique a cessé d’être une destination noble pour les fonctionnaires du Quai d’Orsay. En conséquence, elle n’a plus attiré les plus brillants d’entre eux, et conséquemment « elle n’est pas la zone la plus protégée des coupes budgétaires »32. À côté du MAE dont la volonté de désengagement est pérenne et dont l’influence va décroître, sans s’y substituer, d’autres structures vont aider au développement du cinéma africain francophone, comme l’Agence intergouvernementale de la Francophonie à côté de l’Union européenne. Structurellement, l’aide évolue d’un rapport bilatéral, entre la France et ses colonies, à un rapport multilatéral. Après la mise en place de la Convention européenne sur la coproduction cinématographique en 1992, la culture a été incluse comme un volet à part entière de la stratégie de coopération dans le partenariat entre les pays d’Afrique, Caraïbes, Pacifique et la Communauté européenne par l’Accord de Cotonou (2000, révisé en 2005), notamment dans son article 27. Puis en 2005 l’adoption de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles établissait pour la première fois un pilier culturel dans la gouvernance mondiale. La subvention mise en place par l’UE sert à soutenir et consolider les échanges, la coopération et les liens économiques entre et avec les opérateurs culturels de 20 pays ACP. Ce Programme d’appui au cinéma et au secteur audiovisuel ACP (ACP Films) vise au développement et à la structuration des industries 32 Aline Leboeuf et Hélène Quenot-Suarez, La politique africaine de la France. Renouvellement et impensé stratégique, IFRI, 2014, p. 49.

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cinématographiques et audiovisuelles, afin que les États concernés puissent mieux créer et diffuser leurs propres images. Il a soutenu 24 projets pour un total de 6,5 millions d’euros dont 12 en production (et 6 de distribution, promotion et mise en réseau, et 6 de formation). Lui a succédé le Programme ACP Cultures+ (2012-2017) doté de 30 millions d’euros qui visait notamment à renforcer la création et la production de biens et services culturels des États ACP dans une approche intégrée avec les circuits de diffusion. Les appels ont bénéficié à 55 projets, pour 44 M€, dont 18 concernaient la production (pas seulement de longs métrages), mais ne concernaient pas particulièrement la zone francophone, et cela volontairement pour se démarquer nettement des politiques françaises de coopération antérieures. Au total, en ce qui concerne la trentaine de LM d’ASF soutenus par les programmes de l’UE, ACP/ACP+33, un peu plus de la moitié a également bénéficié du soutien d’au moins l’un des autres dispositifs français (fonds Sud, ACM) ou francophone (AIF, OIF), et tous sauf un étaient des coproductions, françaises (sauf une belge). Ces aides jouent donc un rôle d’aide aux réalisateurs, mais massivement par renforcement de la filière française, et notamment des producteurs qui savent monter et cumuler la rédaction de dossiers pour les différents guichets institutionnels, mais ne joue aucun rôle structurant pour les filières nationales. In fine, la coopération internationale s’est toujours située dans une problématique d’aide passive, lançant des appels sur projets impliquant des procédures longues, relativement coûteuses en temps de rédaction de dossiers très souvent complexes, d’apprentissage des normes et attendus des commissions, dans le cadre desquels la maîtrise du fonctionnement des guichets et surtout de la forme de présentation des supports écrits prime sur les contenus et formes artistiques. Avec probablement autant de bonne conscience que de bonne volonté, les commissions reçoivent ainsi des projets ponctuels issus inévitablement de soumissionnaires très bien formés et informés, jamais isolés au sein d’un des pays d’ASF, mais adossés à des structures françaises de petite taille qui ont pu se spécialiser dans ces montages, qui nécessitent de surcroît des temps de traitement (et donc d’attente) souvent très longs par une administration bruxelloise déconnectée du terrain, de ses contraintes et impératifs. Les réalisateurs bénéficiaires n’ont que très exceptionnellement exclusivement vécu dans leur pays, soit affichant une double nationalité (Alain Gomis, etc.), voire qu’ils soient nés en France (Laurent Salgues, etc.), ou résidant en Europe (Idrissou Mora-Kpaï, Djo Munga, Fanta Regina Nacro, Mama Keïta, etc.) ou y ayant durablement étudié et séjourné (Mahama Johnson Traoré, Kollo Daniel Sanou, Ivanga Imunga, Cheick Fantamady Camara, etc.). La diaspora domine donc largement et renforce les 33

La liste est disponible sur http://www.acpculturesplus.eu/

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entreprises du nord, ce que la localisation des structures de soutien et la bureaucratisation des procédures surdéterminent et génèrent intrinsèquement, renforçant l’écart des moyens mobilisés et résultats obtenus au sein même des pays concernés. 3.3. L’action de la Francophonie En 1970 21 pays signent le traité instituant l’Agence de coopération culturelle et technique (ACCT), notamment sous l’impulsion des présidents Habib Bourguiba (Tunisie), Hamani Diori (Niger), Léopold Sédar Senghor (Sénégal). Première organisation intergouvernementale francophone, l’ACCT devient l’Agence intergouvernementale de la Francophonie (AIF) en 1998, puis l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF) en 2005. Une aide à la production34 est mise en place en 1988 par le Fonds francophone de Production Audiovisuelle du Sud et l’OIF qui a contribué à une douzaine de longs métrages (150 000 € maximum par LM) et 25 projets télévisuels par an. La réglementation du fonds a été réformée en 1999 avec la volonté de produire le plus possible localement pour un marché national voire régional, et favoriser la coproduction sud/sud plutôt que nord/sud. Les aides du Fonds interviennent essentiellement (à 80 %) au niveau de la production, un peu au niveau du développement du film (avant le tournage, pour 5 % du fonds), ainsi qu’à la postproduction (15 % du fonds). Il représentait environ 2,5 M€, 30 % allant au cinéma, le reste à des productions destinées à la diffusion télévisée35. Le Fonds image de la Francophonie lui succédera en 2015 avec une voilure restreinte, géré en collaboration avec le CIRTEF (Conseil international des radios et des télévisions d’expression française), disposant d’un montant annuel de moins d’un million d’euros répartis à parts égales entre cinéma et production audiovisuelle, qu’il ventile sur une quarantaine de projets par an. Au XXIe siècle, la France va prendre ses distances avec les pays d’Afrique francophone et dans tous ses mécanismes d’aide permettre à d’autres pays de bénéficier de son soutien pour le cinéma. Ceux de la liste des pays ZSP (zone de solidarité prioritaire) auront la possibilité de solliciter des aides de la même manière que les anciennes colonies, et les cinéastes africains francophones vont se retrouver en compétition avec d’autres talents, quelquefois mieux préparés, à partager le budget annuel dédié à la 34

Teresa Hoefert de Turégano, African cinema and Europe : close-up on Burkina Faso, op. cit., p. 106. 35 Pour une évaluation des aides sur cette période, voir notamment : Olivier Barlet, Frédéric Lefebvre-Nare, Lucie Pothin, Paulin Yameogo, Evaluation rétrospective de la coopération française en matière de cinéma (1991-2001), Clermont–Lefort, Evalua, 2003, 174 p. ; Soutenir le cinéma des pays du Sud – évaluation rétrospective de la coopération française dans la Zone de Solidarité Prioritaire (1991-2001), Ministère des Affaires étrangères, DGCID, série évaluations n°67, avril 2003, 166 p.

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production cinématographique dont le montant n’a pas évolué. La politique d’intervention financière, technique et humaine, suivie par le MAE sera mise en œuvre à travers deux fonds intitulés « Appui à la production audiovisuelle et aux télévisions en Afrique sub-saharienne » (2002-2008) et « Appui à la structuration des filières et des métiers de la production et de la distribution cinématographiques en Afrique subsaharienne » (2004-2008). 202 projets audiovisuels ont été soutenus pour un total de 8,3 M€, avec un montant moyen par projet de 30 000 € pour la production TV, et 90 000 € pour l’aide à la production cinéma. Cinq pays (Burkina Faso, Nigeria, Sénégal, Cameroun, Mali) ont regroupé la moitié de ces aides à la production TV et cinéma. À ce niveau, le Fonds Images Afrique a montré une certaine efficacité tant quantitativement qu’en diversité (origines, genres), mais l’action a été beaucoup plus limitée en termes de diffusion et distribution des images produites, et les effets structurants ne paraissent guère probants à long terme pour le secteur audiovisuel des pays concernés. 3.4. La difficile réception des films d’ASF La question du public des films coproduits avec l’ASF ne peut être traitée ici, mais force est de constater qu’ils ne l’ont trouvé ni chez eux, ni en Europe, films « calebasse » de pure exportation (en festivals étrangers et en salles du Nord) d’un côté de la Méditerranée vs pas assez exotiques de l’autre. L’argument du film de festival, sous-entendu intéressant peu le grand public, a joué un rôle négatif non négligeable, car mis en avant pour illustrer la « qualité » et le niveau (identique donc aux autres films) des œuvres produites. Sauf que les quelques cas cités rituellement (Yeelen, etc.) ont piégé leurs locuteurs (qui se trouvaient réduits à ces lieux), tout en occultant la réalité d’un autre phénomène : le rejet massif de ces cinématographies par les instances de légitimation du nord, ce que la condescendance ou une culpabilité postcoloniale voile encore. Si la France a bien été le lieu de naissance de nombreux films du Sud, elle en a été de facto l’unique lieu de diffusion et d’existence matérielle et symbolique, notamment auprès d’une frange de la critique, mais sans accéder à la reconnaissance internationale. Sur les trois plus grands festivals européens, depuis leurs origines (antérieures aux indépendances donc), toutes récompenses confondues seules quatre coproductions France/ASF ont été distinguées, à peine mieux (trois) que les productions des autres pays d’Afrique. Le rejet est massif, y compris dans des prix « secondaires » comme les prix d’interprétation : aucun/e africain/e ne s’est jamais vu/e récompensé/e, hormis le Malien Sotigui Kouyaté, mais dans un film français. Il y aurait certes beaucoup à analyser sur le mécanisme d’attribution des récompenses des festivals36, à

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commencer par la composition et le fonctionnement de leurs jurys comme des attentes et postures des autres instances de légitimation (critiques de quelques journaux, institutions distributrices de prébendes monétaires ou symboliques, etc.), mais le constat est sans appel : en un demi-siècle la France n’a pas réussi à faire accéder ces coproductions à la reconnaissance institutionnelle internationale. Et, pas plus que les films des pays africains anglophones ne sont diffusés en France, hors quelques titres sud-africains, les films d’ASF ne se voient guère distribués dans les autres pays, européens notamment, en dehors de quelques exceptions multi-primées. Tableau 8 : Principaux prix en festivals européens (1939-2017) ASF Cannes Palme d’or et grand prix (1939 à 2017)

0

13

0 0

15 17/13 7

1 : Félicité FR/SN (Alain Gomis, 2017) 0 0

1 ZA Carmen de Khayelitsha (Mark Dornford-May, 2005) 0 0 0

6 8/9

4+1

3

169

1 : ML/BF/FR Yeelen (S. Cissé, 1987) Prix mise en scène 0 Prix d’interprétation 0 fém./ masc. Berlin Ours d’Or 0 (de 1953 à 2017)

Meilleur réalisateur Meilleur interprète fém. / masc. Total

France

1 DZ Chronique des années de braise (M. Lakhdar-Hamina, 1975 0

Prix du jury

Grand prix du jury

Autres Afriques

18

12

Venise Lion d’or (1949-2017) Lion d’argent (1953

0 0

0 0

12 8

2 : Algérie/Tunisie/Sénégal, Camp de Thiaroye (Ousmane Sembène, 1988) FR/BE/AT/TD + Daratt (Mahamat Saleh Haroun, 2006) 0/1 Sotigui Kouyaté London River (Rachid Bouchareb, 2009)

1 : Éthiopie, 18 Teza (Hailé Gerima, 2008) 0 6/7

- 2017)

Grand prix du jury

Meilleure interpr. fém. / masc.

36

Sur Cannes, voir Emmanuel Ethis, Aux marches du Palais. Le Festival de Cannes sous le regard des sciences sociales, La Documentation française, 2001, 264 p. ; Thierry Frémeaux, Sélection officielle. Journal, Éd. Grasset et Fasquelle, 2017, 624 p. ; Daniel Toscan du Plantier, Cinquante ans du festival de Cannes, Ramsay, 1997, 204 p.

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4) Quels impacts des soutiens financiers français ? Succédant à l’action fondatrice du ministère de la Coopération, les dispositifs du Fonds Sud cinéma puis l’Aide aux cinémas du Monde ont joué un rôle considérable d’accompagnement de certains auteurs d’ASF. La pérennité des dispositifs, la hauteur des engagements financiers, les compétences mobilisées, la volonté d’esquisser un partenariat entre professionnels des deux continents, l’inclusion des bénéficiaires à la tête même de la commission37, l’ouverture à d’autres aides (avance sur recettes…) normalement réservées aux Français sont des points extraordinairement favorables, en ce sens qu’ils sont inégalés ailleurs en leurs variété, durée et ampleur. Par ailleurs, le volontarisme français a eu un indéniable effet d’entraînement et a suscité de nombreuses imitations en Europe, où d’autres mécanismes de financement en direction des cinémas du Sud s’y sont multipliés, souvent de manière complémentaire : le Fonds Hubert Bals - Festival de Rotterdam (Pays-Bas, 1988) ; le Fonds francophone de la production audiovisuelle du Sud (OIF-CIRTEF, 1988) ; le programme Ibermedia (Espagne-Portugal et Pays latino-américains, 1997) ; le Fonds du festival de Göteborg (Suède, 1998) ; le Programme d’appui de l’Union européenne en direction de l’audiovisuel des pays ACP (2000) ; le World Cinéma Fund (Allemagne, 2004) ; le Fonds Visions Sud Est (Suisse, 2005), etc., nonobstant de nombreux autres fonds, nationaux ou régionaux, parfois éphémères. Toutefois, si elle possède toute sa légitimité d’un point de vue français, et présente un fort intérêt pour les professionnels français et d’ASF concernés, pour les professionnels du Sud dans leur ensemble, ou tout au moins pour ceux de l’ASF comme de tous les pays qui ne possèdent pas d’industrie cinéma ni audiovisuelle, sur le long terme le mécanisme de l’aide liée a créé une dépendance financière et technique, et s’est avérée addictive et aliénante. Le pays destinataire ne peut plus s’en passer pour produire au présent, et elle l’empêche structurellement de produire à l’avenir, par destruction des mécanismes du marché qui auraient pu permettre l’émergence de professionnels nationaux et la rentabilité de leurs structures. Ces aides ont pu par ailleurs facilement servir de prétexte aux gouvernements de l’ASF pour totalement se désengager, n’effectuer aucune régulation ni soutien à la filière, et cela d’autant plus légitimement à leurs yeux depuis la violente dévaluation de 50 % du franc CFA qui leur a été imposée par la France en 1994, et par l’imposition à la même période des plans d’ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale qui leur ont enjoint de se délester des secteurs non rentables comme la culture. De surcroît, ils ont pu ne pas être satisfaits du rôle, si ce n’est de l’enrôlement, 37

Parmi les présidents du Fonds Sud, on note Raoul Peck (Haïti), Moufida Tlatli (Tunisie), Rithy Panh (Cambodge), Mahamat-Saleh Haroun (Tchad), Dora Bouchoucha (Tunisie), etc.

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que la France a voulu leur faire jouer dans son combat pour la « diversité culturelle », dont elle est la première – et souvent la seule – à retirer les bénéfices à la fois symboliques et très matériels par la consolidation de son industrie cinématographique, la plus puissante du continent européen. En effet, la catégorie « cinéma du Sud » qu’elle a inventée, et celle de « cinéma africain » qu’elle met en avant, révèlent davantage les intérêts politiques ou idéologiques des institutions distributrices de subventions, qu’elles ne soutiennent une supposée identité africaine. Enrôlés malgré eux dans la constitution d’un groupe de représentations cinématographiques qui se voudrait homogène parce qu’en majorité francophone, ils ont surtout servi à montrer au monde combien la France était certes généreuse et semblait tourner le dos à son passé colonial, mais surtout n’était pas isolée dans son souci de préserver la diversité, pour laquelle elle semble ainsi œuvrer. Mais la principale dimension de ce combat est avant tout communicationnelle, pour renforcer politiquement et industriellement l’alternative qu’elle propose face à la persistance de la domination d’Hollywood. Toutefois, même s’il manque une analyse des contenus des films ainsi soutenus et/ou coproduits qui ne peut être menée ici, la puissante, et pesante, dimension institutionnelle de la régulation de la production ASF durant un demi-siècle est indéniable. Quels codes filmiques utilisés, et pour quels publics ? Quels films choisis en fonction de quelles attentes des spectateurs et guichets financiers essentiellement français ? Quels goûts des critiques influents ? Quels critères de sélection pour quels festivals ? Quelles thématiques massivement retenues (catastrophes humanitaires ou sociales, immigration, violation des droits humains, etc.) ? L’Africain peut-il ne pas y être assigné à la place de celui qui sera toujours Autre ?38 De facto, le Nord qui demeure l’arbitre des référents depuis un demi-siècle, a eu un impact déterminant sur l’imaginaire des professionnels et sur la construction des possibles des cinémas du Sud en général, de l’ASF plus particulièrement. Le souhait par la France de voir rayonner sa culture a pu conduire à l’instrumentalisation de tous ces dispositifs d’aide à la production cinématographique en ASF, leurs films ayant pu autant soutenir sa politique extérieure (rayonnement, prestige, etc.) qu’elle-même avoir soutenu ces films. Elle l’a également aidée à conserver son rang de première productrice européenne de films, les coproductions lui permettant de gonfler ses propres statistiques39. Mais au-delà, le partage de la langue française avec les anciennes colonies françaises et belges est un lien fort, car 11 des 13 pays qui ont le français comme seule langue officielle, et 12 des 18 pays dans 38 Jasmine Champenois, Les festivals internationaux de films, champs de bataille culturels ?, mémoire, Institut universitaire des hautes études internationales, Genève, février 2006, p. 129. 39 Si le CNC peut régulièrement vanter la « bonne santé » du cinéma français, et notamment de sa production, les films intégralement français représentent désormais à peine la moitié de la production, la croissance de la dernière décennie étant essentiellement due aux coproductions. CNC, Bilan 2017, CNC n°338, mai 2018.

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lesquels le français est une des langues officielles, sont africains, pays qui regroupent aujourd’hui le quart de la population francophone, mais la moitié à moyen terme compte tenu de la croissance démographique de ce continent. Dans le paysage linguistique diversifié de l’ASF – 1 200 langues parlées –, l’importance du français comme langue des échanges commerciaux et de l’intégration économique est réelle, et un atout majeur pour certains secteurs d’activité, mais demeure encore inexistant pour le cinéma qui peine à devenir un vecteur d’expansion de la francophonie économique en ASF40. Or l’heure de la promotion des cultures s’est durablement estompée, et les contours deviennent flous entre la diplomatie d’influence et les actions de solidarité, mais la France a pris conscience de sa perte d’ascendance politique et économique, ce que des opérateurs privés tentent de compenser en certains champs. Toutefois, constat doit être dressé d’un demi-siècle de résultats, très contrastés au niveau de la production cinématographique, mais catastrophiques au niveau de la diffusion et de l’exploitation des salles. Si certains cinéastes des Sud ont indéniablement bénéficié des différents dispositifs instaurés pour compenser les insuffisances du marché, pour le Fonds image de la Francophonie comme le Fonds Sud ou l’Aide aux cinémas du monde, une évaluation fine de leurs effets demeure à construire, ainsi que dresser les typologies et sociologie de leurs bénéficiaires : combien de femmes et d’hommes aidés ? Quelles origines sociales et géographiques des cinéastes retenus ? Combien vivent encore dans le pays au nom duquel l’aide est attribuée ? Quel effet de rente et combien « d’abonnés » (pluri bénéficiaires) aux guichets ? Etc. Également, il ne faut pas mésestimer la recherche de la maximisation de la satisfaction personnelle si ce n’est du profit ou des avantages individuels (voyages, etc.) des décideurs, ceux-ci, comme dans toute bureaucratie, recherchant rarement en priorité la satisfaction du consommateur final, mais leur propre pouvoir, ce qui passe souvent par un combat pour le maintien ou l’accroissement des budgets et avantages matériels de leur service ou administration. Dans la gestion des programmes de soutien, quel pourcentage alloué aux frais de gestion et de fonctionnement, et en leur sein, ceux inhérents aux stratégies individuelles de pouvoir au sein des institutions ? S’il n’existe guère d’intérêt général objectif avéré dans le champ culturel, et encore moins pour évaluer celui d’autrui sur un autre continent, sa mise en avant sert souvent d’alibi aux agents économiques41 pour justifier la poursuite – par ailleurs légitime de leur point de vue – de leurs propres objectifs, et cela d’autant plus que les contrôles ou évaluations de leurs actions sont peu fréquents, voire inexistants. Sous cet angle, on ne peut que constater l’abondance d’articles et de déclarations laudatives venant 40 Jacques

Attali, La francophonie et la francophilie, moteurs de croissance durable, Rapport à François Hollande, août 2014, 246 p. 41 Bruno Frey et Werner Pommerhne, La culture a-t-elle un prix ? Plon, 1993, p. 48.

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des institutions françaises et européennes, inversement proportionnelles aux évaluations de leurs actions effectuées de manière indépendante. Un demisiècle après, même si le constat d’effets pervers ne doit pas entacher le principe des actions publiques, il est difficile d’écarter le constat que nombre d’allocations reconduites ont structuré leurs institutions vers la recherche de projets qui correspondaient davantage à la satisfaction réelle ou supposée de leurs tutelles, qu’à la mission déclarée42. En 2018, avec la distanciation et l’effacement d’un lien exclusif souvent fondé sur la culpabilité ou l’intérêt économique à court terme, la logique de coopération semble toujours se chercher, et la réciprocité est globalement absente des relations cinématographiques France/ASF. En plaçant ces cinématographies sous tutelle et en instrumentalisant les orientations de leurs productions, la France en a indéniablement retiré des avantages, essentiellement immatériels (prestige, notoriété, rang international, etc.) et donc difficilement quantifiables, voire repérables. La complexité, l’opacité, puis l’instabilité des politiques bi puis multilatérales ont maintenu la dépendance originelle des cinéastes-producteurs africains, n’ont pas permis la création de réseaux, ni une professionnalisation sur aucun des métiers – celui de producteur n’existant toujours pas en ASF43–, et le cumul des fonctions (réalisateur/producteur) par nécessité demeure la règle. Sur ces problèmes, certes économiquement mineurs au vu des autres difficultés rencontrées sur le continent, le désintérêt des États d’ASF est total, l’absence de politique de régulation criant, les rapports d’experts qui ont pu se succéder demeurant sans effet, y compris au niveau de la sous-région44, ce que ne saurait estomper la mise sur pied d’un fonds de soutien à la production au Sénégal en 2014 ou l’annonce d’un fonds similaire en Côte d’Ivoire en 2017, trente ans après leur suppression sur toute la zone. Les causes de ce désintérêt de la part des structures des pays concernés devront donc être analysées, mais il convient d’abord de revenir sur le fonctionnement des filières cinématographique et audiovisuelle, pas toujours clairement connu. Les sources de financement de la production et les mécanismes de remontée de recettes qui permettent, ou non, d’abonder, seront également schématiquement rappelées, afin d’identifier les particularités qui ont freiné le développement du secteur, mais aussi ses marges contemporaines possibles de progression. 42 Raphaël Millet « (In)dépendance des cinémas du Sud &/vs France » dans Laurent Creton (dir.) Cinéma et (in)dépendance, Théorème n°5, Presses Sorbonne nouvelle, 1998, p. 160. 43 Vingt ans et plusieurs dizaines de millions d’euros plus tard, le même constat s’impose : « Les producteurs compétents manquent », dans « Produire en Afrique », Africultures, n°14, janvier 1999, p. 32. 44 Yao Ayade, Gaston Kaboré, Toussaint Tiendrebeogo, Dominique Wallon, op. cit., et Media Consulting Group, « Appui à la structuration des filières et des métiers de la production et de la distribution cinématographiques d’Afrique subsaharienne », MAE, 7 mai 2010, 118 p.

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Chapitre IV – Le financement de la production Le producteur, c’est le père du film. C’est celui qui enfante. C’est celui qui rassemble les éléments épars (…) Je suis prêt à tout pour que se fasse ce qui doit se faire, pour que l’utopie soit réalité. C’est cela très précisément produire des films : transformer l’utopie en réalité. Daniel Toscan du Plantier1

Cette posture flamboyante d’un des plus grands producteurs français des années 1970-80 ne lui fut permise que grâce à son adossement à Nicolas Seydoux2, une grande fortune française qui venait de racheter l’entreprise Gaumont. Car financer des films coûte cher, très cher même (5,5 M€ en moyenne en France, dix fois plus pour les majors aux États-Unis), et d’autres producteurs ont pu adopter des postures fort différentes, comme simplement, à l’instar de tout entrepreneur, gagner de l’argent, c’est-à-dire faire en sorte d’en récupérer davantage qu’il n’en a été dépensé. Et d’autres encore peuvent chercher une assise économique stable permise par des films rencontrant le succès populaire, ou au contraire chercher les moyens pour pouvoir produire des films à faible rendement financier, mais à forte valeur ajoutée culturelle ou encore, simplement, correspondant à leur désir. Loin des postures dichotomiques entre un cinéma « art », et un autre « argent », comme pour le taux de mélamine, c’est d’un continuum absolu qu’il faut évoquer dans les motivations des individus et process de production des films. Sauf que, dans chaque cas, cela nécessite de l’argent. Aussi, précocement dans les pays industrialisés (1905-1910), un métier s’est mis en place par spécialisation de cette fonction. Mais pas en ASF où, dans tous les pays depuis les indépendances, très peu de personnes ont pu durablement vivre exclusivement de la production de films de cinéma (au contraire de l’audiovisuel). Aussi convient-il d’abord de définir ce métier, avant d’aborder succinctement les modes de financement des films et leurs évolutions. Le producteur est la personne physique ou morale qui prend l’initiative et la responsabilité de la réalisation de l’œuvre. Dans la pratique, et quel que soit son mode d’exercice, le métier de producteur consiste à trouver, assembler et faire œuvrer conjointement les moyens humains, techniques et financiers

1 Dans

Toscan (film d’Isabelle Partiot-Pieri, 2010). L’un des héritiers de la famille Schlumberger. Sur cette collaboration exceptionnelle, voir notamment « Daniel Toscan du Plantier, une figure de producteur », dans Laurent Creton, Yannick Déhée, Sébastien Layerle et Caroline Moine (dir.), Les producteurs : enjeux créatifs, enjeux financiers, Nouveau monde éditions, 2011, 392 p. 2

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nécessaires pour mener à son terme un projet cinématographique (ou audiovisuel). Il ne s’agit ici ni de revenir sur l’économie générale du cinéma3, ni de décrire en détail à nouveau les mécanismes généraux bien connus de la production4, mais seulement d’en rappeler les principes essentiels, et surtout leurs évolutions historiques puis mutations récentes qui bouleversent les œuvres via leurs sources de financement et leurs modes de production. Banalité souvent oubliée, le financement originel du film, prépondérant jusqu’aux années soixante-dix mais qui n’a cessé de diminuer ensuite pour devenir minoritaire en Europe et en ASF depuis le milieu des années quatrevingt-dix, provient des producteurs eux-mêmes. Des personnes physiques et des entreprises trouvent et investissent de l’argent pour tenter, quelle(s) que soi(en)t leur(s) motivation(s) – artistique, de survie, d’exercice d’un métier, ou spéculative –, d’en gagner plus pour, d’abord, pouvoir continuer (à créer, survivre matériellement, s’enrichir, etc.). Leurs origines – sociales, de formation, de fortune personnelle, etc. – peuvent varier, et lorsque, comme en Occident, ils sont suffisamment nombreux à l’exercer, comme pour tout métier, on peut même tenter d’en établir une classification, notamment à partir de leurs discours qui dévoilent une partie de leur perception de leur métier5. Si pour l’ASF l’effectif de producteurs spécialisés est encore trop limité, ceux des producteurs-réalisateurs pourraient le permettre, à commencer par les 22 entretiens qui composent la deuxième partie de cet ouvrage. En ce dernier cas, le producteur est toujours par définition cocréateur de l’œuvre, place qu’il peut également tenir sans passer à la réalisation. Il peut se définir encore comme le maître d’œuvre du film, ou comme le gestionnaire de l’argent d’autrui. Il demeure en tous cas celui qui assure la prise de risque matérielle, et notamment financière, pour mener à bonne fin le projet, ce qui n’est pas toujours le cas. En ASF notamment une étude reste à mener sur tous les projets inachevés, involontairement ou par détournement malhonnête, y compris lorsqu’ils ont bénéficié de financements publics, nationaux, voire internationaux ; il n’est à ce sujet qu’à comparer la liste des attributaires, et celle des œuvres mises sur le marché6. 3 Voir René Bonnell, La vingt-cinquième image, Gallimard, 2006, (4° éd.), 854 p. ; Laurent Creton, Économie du cinéma, Nathan, 2014, (5° éd.), 287 p. ; Claude Forest, L’industrie du cinéma en France. De la pellicule au pixel, La Documentation française, 2013, 184 p. 4 Voir notamment : Laurent Creton, Yannick Déhée, Sébastien Layerle et Caroline Moine (dir.), Les producteurs : enjeux créatifs, enjeux financiers, op. cit. ; Philippe Laurier, Producteur de cinéma, un métier, Chiron, 2005, 311 p. ; Isabelle Terrel et Christophe Vidal, Comment financer. Cinéma et Télévision, Dixit, 2012, 320 p. ; etc. 5 Laure de Verdalle, « Une analyse lexicale des mondes de la production cinématographique et audiovisuelle française », dans Sociologie, 2012, n° 2, vol. 3, p. 179-197. 6 Par exemple pour le Cameroun, voir Calvin Boris Yadia, « Le financement du cinéma par l’État au Cameroun : le rôle du Compte d’affectation spéciale », dans Claude Forest (dir.), Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, op. cit. p. 49 s.

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Si originellement les producteurs assuraient seuls le financement des films, l’accroissement du nombre de longs métrages augmenta les besoins en capitaux, et les autres branches de la filière – lorsqu’elles n’étaient pas intégrées au sein de la même entreprise – furent rapidement sollicitées. Les salles du Nord et les sociétés de distribution jouèrent un rôle important, financier mais également d’orientation dans les choix des sujets voire des acteurs puisque, proches du public et connaissant ses réactions, elles pouvaient guider l’offre de films au plus près de sa demande. Disposant de trésorerie à court terme, mais éloignée des étapes de la production et du temps long d’amortissement des films, l’exploitation cinématographique ne joua plus après la Seconde Guerre mondiale qu’un rôle marginal dans le financement direct, qui cessa complètement avec la chute de fréquentation des années 1960. En ASF, les salles de cinéma ne jouèrent pas ce rôle de financement, dans les premiers temps parce qu’il n’existait pas de production nationale, ensuite parce que, faute d’une analyse objective du fonctionnement de ce marché, toute la filière fut détruite en moins de deux décennies dans toute l’ASF, les salles fermant massivement malgré des tentatives éparses de nationalisation ou d’économie mixte7. Plus récemment, l’arrivée massive des chaînes de télévision (années 198090) puis des acteurs d’internet (Amazon, Netflix, etc. depuis les années 2010) dans le financement des œuvres a entraîné une profonde modification du métier qui consiste désormais moins à apporter de l’argent qu’à savoir le mobiliser, puis le gérer. D’autres sources existent également, en proportions différentes et en volumes incommensurables aux Nord et en ASF, mais avant de les aborder il convient de revenir sur ce qui a fondé, jusqu’à présent, la spécificité des films de cinéma, tant dans leur exposition que dans leur logique de financement. 1) L’exploitation des films en salles 1.1. Les salles et la remontée de recettes Le rôle principal des salles n’a jamais résidé dans leur apport financier direct en amont pour produire des films, mais en aval pour participer à leur amortissement, en rapportant au producteur une partie de ses recettes générées par les spectateurs, toujours aléatoires, lui permettant de rembourser ex-post tout ou partie de ses coûts de production (et donc éventuellement de financer le film suivant, et ainsi de suite). Cet aspect, fondamental et original de son marché, pour n’avoir pas été compris par les États d’ASF et une grande partie des professionnels durant les deux décennies post indépendances, causa la faillite des salles, et par ricochet de toute la filière.

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C. Forest, « Quelles salles de cinéma en Afrique sud saharienne francophone ? », dans Les salles de cinéma. Histoire et géographie, Montréal, Cinémas, vol. 27, n° 2‐3, 2018, p. 11-30.

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En effet, au contraire de tous les autres produits, les exploitants n’achètent plus les films (depuis1907-1909 et le coup de force de Charles Pathé en France, et Thomas Edison aux États-Unis), mais les louent, auprès d’un distributeur (de films) et cela de deux manières juridiquement possibles : - le forfait, qui consiste à verser une somme fixe, d’un montant forfaitaire, établi préalablement avant la diffusion du film (pour chaque copie d’un film loué, durant une période précise et une salle déterminée) ; - au pourcentage des recettes (pour un film présenté, dans une salle précise et une période établie), aléatoire et dépendant donc du nombre d’entrées généré par le film, et du prix des places de la salle. La location au forfait, qui dominait partout dans le monde aux premiers temps du cinéma, et notamment en France et ses colonies, s’est vu interdite en de nombreux pays industrialisés au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, et a peu été utilisée depuis, sauf en ASF, car insatisfaisante pour, au moins, l’une des deux parties. En effet, le loueur (qui peut être le distributeur, mais aussi parfois le producteur lui-même, ou encore un importateur dans le cas des films étrangers), pour des films récents peut chercher à maximiser ses recettes, et donc louer cher en anticipant un succès du film. Par le montant du forfait, il souhaite ne prendre aucun risque et entre dans une négociation du « tout ou rien », d’autant plus âpre évidemment que son film aura eu du succès sur son marché national. De son côté, l’exploitant prend alors tous les risques : si le film rencontre le succès commercial, le fait qu’il l’ait acheté relativement cher diminue sa marge, et s’il ne fonctionne pas, il sera contraint de verser le forfait, même s’il est supérieur à ses recettes totales. Inversement, si le rapport de force est nettement plus en faveur d’un importateur ou d’un exploitant qui peut posséder un circuit de salles incontournables sur une zone ou un pays (tel le duopole Secma-Comacico en ASF des années 1930 au milieu des années 1970), ce dernier peut imposer des prix bas, où ne s’alimenter qu’auprès de producteurs pour lesquels ces recettes sont marginales dans l’amortissement économique de son film, déjà rentabilisé sur d’autres marchés. C’est pourquoi, massivement, le principe de la location au pourcentage assise sur les recettes effectives de la salle a été préféré et s’est répandu dans tous les pays des Nord. (Notons, mais ce point est secondaire pour la production, que cette location au pourcentage peut être assortie du versement d’un minimum garanti par l’exploitant au loueur quelle que soit sa recette ; il le complète par le pourcentage convenu dès que ce minima est atteint). Ce système de location assure ainsi un partage des risques entre toutes les branches de la filière, et c’est ce qui permet au producteur d’être rémunéré au prorata de la recette : plus son film aura du succès, plus elle sera élevée, et plus il recevra de l’argent en retour, et cela quels qu’aient pu être ses coûts de production. Ce mécanisme explicite l’efficacité de la remontée de recettes (graphique 6) : le spectateur paie sa place à l’exploitant, qui paie ses taxes et impôts divers et se rémunère avec le solde de ce qu’il verse au distributeur 88

(en général, selon les pays, entre 30 et 60 % de la recette nette, aux alentours de 50 % en moyenne). Le distributeur va prélever sa commission pour son travail de mise en place du film (tirage de copies, publicité, communication, etc.), et verser le solde convenu au producteur. Graphique 6 : Mécanisme de la remontée des recettes du film en salles (location au pourcentage) Principe

Exemple en France ventilation moyenne pour une place à 7€

(Entrées d'un film) X (prix du ticket) = recette brute guichet recette nette +

taxes

recette distributeur + recette exploitant (ou part film) commission distribution+part producteur

5,69 € (net) +

0,75 (TS-CNC) 0,47 (TVA) 0,09 (SACEM)

2,66 € (distributeur) + 3,03 (exploitant)

0,27 à 1,07 € + 1,59 à 2,39 (producteur)

Soit, pour un film ayant enregistré 100 000 spectateurs, une recette brute guichet de 700 000 € répartie en (arrondis) : 130 000 € de taxes et impôt + 300 000 € net pour l’exploitant + 270 000 € pour le distributeur, dont 30 000 à 110 000 € pour lui, et 160 000 à 240 000 € pour le producteur (qui rémunère ensuite les ayant-droits, etc.).

Incidemment, il convient d’évoquer une autre pratique des distributeurs, qui peut nuire aux intérêts des films distribués par des structures dominées économiquement, et donc aux productions locales de faible ampleur, le block booking. Importée des États-Unis durant les années 1920, interdite depuis en de nombreux pays du Nord mais qui a été appliquée en ASF, elle consiste à obliger les exploitants de salle de cinéma à louer les films par lot, en bloc, représentant généralement toute la production d’une longue période (semestre, voire année). De la sorte, le distributeur ne livre les titres à succès (la « locomotive ») qu’aux exploitants s’étant engagés à prendre tout le lot, qui inclut un nombre plus important de films de faible intérêt commercial si ce n’est cinématographique (les « wagons »). L’intérêt pour le distributeur en situation dominante est évident (il place plus de titres, et l’exploitant ne s’approvisionne pas ailleurs), pour les producteurs concernés également (ils génèrent plus de recettes sur des films faiblement attractifs), pour les exploitants aussi parfois (leur approvisionnement en titres est sécurisé) mais pas toujours (des films peuvent ne pas correspondre à la sociologie de leur public). Toutefois les écrans des salles se voient occupés par des films qui,

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mécaniquement, en empêchent d’autres, produits et/ou distribués par des structures (ou pays) plus faibles économiquement. Préalablement, s’il ne distribue pas lui-même son film – ce qui est le cas le plus fréquent – le producteur a cédé les droits d’exploitation de son film à un distributeur. Chaque film fait l’objet d’un contrat différent, avec des montants, paliers, conditions qui peuvent diverger selon l’implication du distributeur, le territoire, s’il possède d’autres droits sur d’autres supports (comme la vidéo, etc.). Selon les termes contractuels ainsi définis, le producteur se voit ensuite rémunéré, ex-post et au prorata du succès de son film en salles. Et réciproquement, le succès des films, quels que soient leurs genres ou nationalités, assure la pérennité des salles. Plus les spectateurs fréquentent les salles, plus celles-ci prospèrent et sont nombreuses, et plus les distributeurs peuvent acquérir et promouvoir de films, et rémunérer les producteurs, qui peuvent produire davantage (et/ou à budgets plus élevés), créant un cercle vertueux pour toute la filière (exploitation, distribution, production). Mais l’inverse fonctionne également, et cela comme pour n’importe quel produit. Toutefois, à la différence de tous les autres marchés, ce mécanisme ne prospère correctement qu’à une seule condition : que l’intégralité des recettes soient restituées, donc déclarées, donc contrôlées. Et c’est pour cela qu’il fallut attendre en France les mesures réglementaires du gouvernement de Vichy en 19408 rendant possible la transparence nécessaire à la location au pourcentage, plus favorable à toutes les branches, dont la production. En effet, si l’exploitant fraude et minore ses déclarations de recettes, alors le distributeur touche moins (puis rémunère moins le producteur, et encore moins si lui-même fraude également), alors il ne remonte presque plus de ressource financière au producteur. Dès lors, d’un côté la production nationale s’arrête ou ne décolle pas, et d’un autre les vendeurs internationaux lésés refusent de louer au pourcentage, montent leurs prix au forfait, voire refusent carrément de louer leurs films. Ces deux derniers mécanismes se produiront dans plusieurs pays d’ASF, et c’est pour n’avoir pas compris ni respecté l’atypie de l’économie du marché cinématographique, et donc n’avoir pas mis en place un contrôle réglementaire et institutionnel, que TOUS les marchés d’ASF s’effondreront dans les années 1980-90. En effet, à la différence de l’ensemble des autres marchés (vente de 8 Après la loi du 26 octobre 1940 portant réglementation de l’industrie cinématographique, le décret du 2 novembre crée d’un Comité d’organisation de l’industrie cinématographique (COIC), ancêtre du CNC. Il impose notamment l’habilitation exclusive du COIC à délivrer les billets avec impression de sa marque sur chacun d’entre eux et responsabilité de l’exploitant sur son stock de billets ; chaque ticket est composé de deux parties, l’une à conserver par le public lors de toute la séance, l’autre par l’exploitant qu’il doit présenter en cas de contrôle ; celui-ci est assuré par des agents habilités du COIC qui ont libre accès aux salles en permanence avec un pouvoir de sanction ; obligation est faite à l’exploitant de remplir un bordereau de recettes à envoyer à chaque changement de programme ; etc.

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matières premières ou produits transformés) la fraude ne lèse pas « que » l’État (et donc l’empêche de se développer et donc de se doter de moyens financiers, y compris de soutien à la filière). Car sur les marchés de biens et services classiques, les ventes non déclarées n’empêchent pas les producteurs de ces biens de continuer de produire, ni le grossiste de leur acheter ses produits : que le commerçant fraude ou non, il leur a toujours acheté et payé leurs produits. Il peut même tout acheter illégalement et ne rien déclarer à l’État : le producteur de fruits ou de matières premières continuera d’être rémunéré et il pourra continuer d’exercer son métier. Pas dans le cinéma. Le contrôle est donc indispensable pour attester l’exactitude des recettes et il ne peut être exercé que de deux manières : soit en interne à la filière lorsque l’entreprise est intégrée verticalement (importation/distribution + exploitation) ; soit de l’extérieur, et l’État (ou la mafia, ou un clan ethnique comme en certains pays d’ASA) joue ce rôle. Or, à la fin des années 1960, d’une part par aveuglement idéologique les intellectuels et cinéastes africains réclameront la disparition des deux entreprises intégrées verticalement qui contrôlaient le marché et ses recettes, le duopole franco-monégasque Secma-Comacico, mais ne les remplacera par aucune une autre entreprise (inter)nationale africaine. Et d’autre part, par désintérêt et incompétence, aucun État d’ASF, ni aucune instance panafricaine, ne mettra en place de réglementation pérenne avec des organes de contrôle et de répression. Dès lors, les conditions de la destruction du cinéma étaient générées. La fraude et la corruption provoqueront en moins d’une décennie la fermeture des salles privées et surtout la disparition des distributeurs, tarissant partout la source principale d’un financement possible des productions cinématographiques nationales, tant directement par remontée des recettes, qu’indirectement par la perception d’une taxe qui aurait pu alimenter un fonds de soutien à la production (voire à toutes les branches du cinéma). Pour n’avoir pas mis en place les structures et mesures nécessaires, ce sont les dirigeants des pays d’ASF qui ont détruit leurs filières cinématographiques et empêché toute industrie nationale d’émerger. Les autres facteurs (abus de position dominante du duopole, effets des plans d’ajustement structurel, de la concurrence extra sectorielle, du piratage vidéo, etc.) ont pu localement aggraver la situation, mais ne l’ont pas créée (ces problèmes autour de la diffusion seront développés dans le volume II). 1.2. Les distributeurs/importateurs Si au début du cinéma, comme en certains pays d’ASF au XXIe siècle où de rares salles fonctionnent, les producteurs ont pu vendre ou louer directement leurs films aux exploitants de salles, rapidement une spécialisation s’est opérée et un intermédiaire, le loueur de films, est apparu entre l’exploitant et le producteur, afin de commercialiser le film, c’est-à-dire le faire connaître et le diffuser. Historiquement, les distributeurs ont toujours joué un rôle primordial dans le placement et la valorisation des films, mais aussi dans le bon fonctionnement de la remontée de recettes, et également dans le 91

financement direct de la production, et de leur apparition en 1907 jusqu’au milieu des années 1980, leur rôle fut essentiel sur ce deuxième niveau. Dans un pays ou une région donnée, si le nombre de salles est suffisant pour amortir les coûts de sa structure, chaque distributeur peut se procurer les droits de diffusion des films nationaux, et négocier également ceux des films étrangers, et/ou passer par un intermédiaire importateur. Au niveau mondial, la France a dominé l’exportation des films jusqu’à la Première Guerre mondiale, notamment via les firmes Pathé, Gaumont et Star (de Georges Méliès) qui produisaient, distribuaient et exportaient leurs films. Elle fut supplantée ensuite par les États-Unis d’Amérique, dont la suprématie ne s’est pas démentie depuis, même si elle a connu des variations en étendue géographique et intensité commerciale. Pour les principales firmes de ce pays, dites hollywoodiennes car leurs studios se situant historiquement en cette ville, le revenu issu des salles étrangères est vital, l’ensemble de ressources liées à l’exportation représentant encore près de la moitié de leurs revenus. Ce marché est d’autant plus important que ces majors étatsuniennes, qui s’étaient vues interdites d’intégration verticale complète et sommées en 1948 de ne conserver que deux activités sur les trois possibles de la filière, se départirent de leurs circuits de salles sur leur territoire, pour se recentrer exclusivement sur les fonctions de production et distribution. Leurs filiales ne cessent depuis d’être les premières distributrices dans le monde, et leurs noms sont de ce fait très connus : Warner, Paramount, Twentieth Century Fox, Métro-Goldwyn-Mayer, The Walt Disney Company, Universal, Columbia. La branche des distributeurs fut historiquement indispensable en de nombreux pays pour la production des films, soit en participant directement au financement sous forme de coproduction, soit, le plus souvent, en versant des à-valoir au producteur, avance d’argent à récupérer sur les recettes ultérieures du film en salles, en procurant une trésorerie fréquemment indispensable au bon achèvement des œuvres. Par ailleurs l’achat des droits de diffusion d’un film peut être assorti, ou non, d’un minimum garanti (MG), somme minimale acquise au producteur quel que soit le résultat du film9. L’apport financier des distributeurs fut déterminant en Europe jusqu’au début des années quatre-vingt, pouvant représenter 20 à 25 % du budget des films. Mais la chute de fréquentation en salles des années 1980, puis l’arrivée de nouvelles sources de financement (télévision essentiellement) marginalisèrent totalement leur participation qui tomba à moins de 2 % la décennie suivante, remontant très légèrement aux environs de 10 % du budget du film en moyenne deux décennies plus tard.

9 Sur ces techniques et leurs dérives, voir notamment : René Bonnell, La vingt-cinquième image. Une économie de l’audiovisuel, op. cit.

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Toutefois de plus en plus couramment l’intervention du distributeur ne se limite pas aux droits qu’il possède sur l’exploitation en salles mais porte également sur les autres supports (vidéo, télévision, etc.), ces droits groupés pouvant représenter 5 à 10 % du budget global. Il peut également posséder des mandats pour la vente des films sur les marchés étrangers, dont la hauteur fluctue considérablement d’une année sur l’autre en fonction du succès des films sur ces marchés, mais qui concourent pour 6 % du budget en moyenne en France. Ces trois formes d’intervention cumulées représentent ainsi 15 à 20 % du financement d’un film européen, davantage pour un film états-unien. Mais évidemment plus rien du tout en ASF depuis la disparition des distributeurs. Graphique 7 : Sources extérieures de financement pour la production cinéma

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2) Les soutiens publics à la production en ASF Apparus dès les années 1920 dans les pays européens sous régime autoritaire (l’URSS, puis l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie), au sein desquels l’État jouait un puissant rôle politique et économique, le soutien au cinéma commença toujours, et s’exerça souvent le plus, en faveur de la production de films. Visibles, facilement quantifiables et exportables, ces derniers peuvent générer une valorisation symbolique solide et durable (au contraire des exploitants ou des distributeurs), ce qu’un souci de contrôle idéologique du média et une volonté de propagande renforcèrent, provoquant une surenchère concurrentielle entre les nations concernées (d’où la création de festivals internationaux à Venise (1932), Cannes (1946), Berlin (1951), et le soutien à l’exportation des films (via UniFrance par exemple), etc.). L’aspect économique intervint également avec la nécessité d’assainir les pratiques de la profession, de trouver puis faire circuler l’argent, d’asseoir des garanties pour des processus nécessitant des longs temps de fabrication, de soutenir une filière en difficulté face à la conjoncture (crise des années 1930, reconstruction après la Seconde Guerre), mais également face à la concurrence sectorielle (la domination Hollywoodienne) ou extra-sectorielle (l’arrivée de la télévision puis des médias AV suivants). À leurs indépendances politiques, de nombreux pays suivirent le même cheminement de réflexion politique, et voulurent copier, pour l’ASF, soit le modèle français, soit celui des Républiques socialistes de l’Est de l’Europe, avec donc des degrés d’interventionnisme assez différents. Sans retracer ici en détail le rôle des États dans tous les pays concernés, au niveau de la production il est possible de dégager quelques caractéristiques communes sur le demi-siècle qui suivit. La volonté de contrôler, et donc fabriquer, ses propres images, fut souvent affirmée, essentiellement pour se démarquer de l’idéologie coloniale, décoloniser les regards en fabriquant ses propres images, mais également se servir du cinéma pour documenter et faire partager les coutumes et pratiques des pays, livrer des informations nationales et non plus importées, instruire les populations et les éduquer sur certains risques ou comportements (santé, éducation, etc.). Il s’ensuivit, sur une période de dix à quinze ans en général, une production souvent conséquente d’actualités filmées, de courts métrages d’éducation et de sensibilisation, essentiellement sous la forme de documentaires. La fiction fut rarement soutenue, et les longs métrages que très épisodiquement (cf. tableau 4). Pour les produire, outre la volonté politique (que tous les pays n’eurent pas), il fallut des moyens à la fois financiers, techniques (matériels, pellicules, laboratoires, etc.) et humains (techniciens formés… et rémunérés durablement pour cela). Dans tous les pays concernés, sur ces trois plans, l’aide étrangère fut déterminante et parfois exclusive, celle de la France s’exerçant massivement via le CAI (Consortium audiovisuel international) du MinCoop, relativisant très 94

fortement la notion « d’indépendance », mais permettant aux dirigeants africains bénéficiaires d’en afficher l’apparence via des structures soutenues par la France, mais localisées dans leur pays. L’évolution ultérieure fut néanmoins à peu près partout la même : désengagement des États une ou deux décennies plus tard ; absence de formation de techniciens nationaux en nombre suffisant ; absence de création d’un marché AV donc incapacité de rémunérer les personnels, de construire une industrie technique ni d’attirer des producteurs ; attribution opaque des fonds gérés souvent de manière clanique ou discrétionnaire ; coups d’État politiques et instabilité des politiques nationales ; non profitabilité du secteur tant en terme financier qu’en termes d’image pour le pays ; apparition d’autres priorités économiques nationales (santé, éducation, infrastructures, etc.) ; difficultés à bâtir des politiques sur du long terme ; fuite vers l’Occident des élites gestionnaires, intellectuelles et artistiques ; isolement et éclatement des pays le plus souvent de petites tailles démographiques et économiques ; etc. Nombre de facteurs dépassent largement le micro secteur cinématographique qu’à partir des années 1980 aucun dirigeant n’a souhaité durablement appuyer au-delà de quelques annonces sporadiques, par exemple après l’obtention de prix en festivals. Il va de soi également que le manque de ressources publiques n’a pas vu naître d’aides financières à un autre échelon géographique, ni au niveau des ensembles supra nationaux (CEMAC, UEMOA), ni d’échelon plus réduit (régions, villes), ni de mécanismes sophistiqués de soutien fiscal (Sofica, tax-shelter, etc.), ni de taxes sur d’autres secteurs (téléphonie, internet, etc.) pour abonder un compte de soutien financier géré par l’État. Très réduits ou inexistants, sans pouvoir tous les retracer, au niveau de la production quelques positionnements publics nationaux et mesures représentatives peuvent néanmoins illustrer les politiques esquissées. 2.1. Les anciennes colonies belges • Le Congo belge, plus vaste pays du continent qui accueille à lui seul le tiers des Africains francophones, accède à l’indépendance en 1960, et ne cessera depuis lors de connaître de violents conflits armés sur son territoire, dont l’artificialité de la réunion de peuples très différents (pour en faire la propriété personnelle du roi Léopold II à la Conférence de Berlin de 188485), son immensité territoriale (presque cinq fois la France), et l’exceptionnelle richesse de son sous-sol (or, diamant, cuivre, etc.), en sont les causes principales. Il prendra successivement les dénominations de République du Congo (1960-64) (Première) République Démocratique du Congo (-1971), puis République du Zaïre (-1977), puis (Seconde) République Démocratique du Congo (-1997), dite RDC. La très forte instabilité politique, le règne de féodaux provinciaux et de bandes armées, la captation des principales ressources naturelles par des consortiums privés échappant au contrôle d’un État incapable d’assurer la sécurité de ses 95

concitoyens, constituent autant de facteurs interdisant la construction d’une politique, culturelle en général, cinématographique en particulier. Sur ce plan pourtant, la période belge avait été atypique et très fructueuse. En effet l’administration publique du pays se cantonnait aux aspects économiques et militaires, en étant placée sous l’autorité du Ministre belge des colonies qui dirigeait par décret et rendait compte directement au Roi. Tous les autres secteurs se situaient hors de son autorité, aussi dès le début les missions religieuses ont-elles assuré les autres fonctions, relevant notamment de la santé, de l’enseignement et de la culture. Sur ces plans l’action des religieux belges a été particulièrement volontariste et, singulièrement après la Seconde Guerre mondiale, le cinéma a été intensément utilisé pour instruire, éduquer, mais aussi distraire sous l’angle dominant d’un souci d’évangélisation. Ainsi, notamment sous l’impulsion de l’abbé Alain Cornil en RDC (et du Père Roger de Vloo aussi au RuandaUrundi), des dizaines de CM vont être produits par les missions, réalisés avec, et parfois par, des Congolais10. Les violences qui suivirent la proclamation de l’indépendance feront partir en urgence la plus grande partie des Belges et Européens, notamment les religieux qui cessent toute activité cinématographique, celle-ci se voyant totalement et durablement déstructurée au Congo du côté des missionnaires. Le gouvernement général de la colonie qui assurait les principales productions quitte aussitôt le pays, sans qu’une relève du nouveau pouvoir ni qu’un soutien public n’intervienne jamais ultérieurement11. Les productions strictement nationales seront extrêmement rares, les quelques LM étant essentiellement coproduits avec des entreprises et institutions étrangères, rarement belges mais surtout françaises. • Les Ruanda et Urundi, sous domination de l’Allemagne avant d’être administrés par la Belgique en 1916, prendront leurs indépendances en 1962 pour devenir Républiques, respectivement du Rwanda et Burundi. Leurs petites tailles, les colonies anglophones qui les bordent sur trois côtés, la présence d’une communauté d’Indiens plus importante que d’Européens, le rôle prépondérant des missionnaires dans la culture et l’enseignement comme en RDC, une utilisation populaire de la radio comme média adapté à leurs géographies difficiles qui jouera un rôle essentiel jusqu’au génocide de 199412, autant de phénomènes qui expliquent que l’évolution de ces deux pays se soit nettement distinguée de celle du Congo voisin. 10

Pour un aperçu de cette production, voir Francis Ramirez et Christian Rolot, Le cinéma colonial belge : archives d’une utopie, Bruxelles, Revue belge du cinéma, n° 29, printemps 1990, 64 p., et, des mêmes auteurs, Histoire du cinéma colonial au Zaïre, au Rwanda et au Burundi, Tervuren, éd. Musée Royal de l’Afrique Centrale, 1985, 525 p. 11 Guido Convents, Images et démocratie. Les Congolais face au cinéma et à l’audiovisuel. Une histoire politico-culturelle du Congo des Belges jusqu’à la république démocratique du Congo (1896-2006), Kessel-Lo, Afrika Filmfestival, 2006, p. 266. 12 Jean-Pierre Chrétien, Rwanda. Les médias du génocide, Paris, Karthala, 397 p.

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Au Rwanda, si un ministère de l’Information est créé dès 1964, un organisme spécifique (l’Office rwandais de l’information, ORINFOR) est mis en place dix ans plus tard qui produira quelques films d’éducation et de propagande, et jouera un rôle de censure pour la diffusion, mais pas d’aide à la production de CM ni LM. Il sera dissous au lendemain du génocide et remplacé par un nouveau ministère de l’Information, au sein duquel les militaires sont présents, et qui assure toujours un rôle vigilant sur le contenu politique des productions. Inexistante antérieurement, le dynamisme de la production cinématographique est devenu spectaculaire, notamment dans le domaine du documentaire et du CM, mais il faudra attendre 2001 pour voir coproduit le premier LM, sans intervention financière de l’État dont la conception du marché se rapproche du modèle anglo-saxon. Au Burundi, si l’État intervient fortement en direction de la télévision qu’il surveille et contrôle13, à ce jour il n’a rien fait pour le cinéma, tant réglementairement que financièrement, hormis dans le domaine de la censure et d’un éphémère Service du cinéma en 1979, sans moyens ni techniciens formés. Symptomatiquement, le premier et tardif LM sera une coproduction Burundi/France/Suisse (Gito, l’ingrat, 1991), réalisé par Leonce Ngabo qui avait vécu en Suisse et fait ses études à Paris puis aux États-Unis, son parcours lui permettant de trouver des financements internationaux (Fonds sud, UE, Unesco). L’absence de soutiens publics nationaux explicitera la maigreur du nombre de LM (3 au total) ultérieurs. 2.2. Quelques États d’inspiration socialiste • Premier pays d’ASF à proclamer son indépendance le 2 octobre 1958, la Guinée devra faire face à d’importants problèmes organisationnels et administratifs suite au brusque départ de tous les fonctionnaires français imposé par De Gaulle. Il n’y aura donc pas d’action du MinCoop ni aucun soutien français au niveau du cinéma, et les coproductions seront peu nombreuses et très tardives (1990 avec Cheick Doukouré, Mama Keïta, puis Gahité Fofana). Initialement les réalisateurs et techniciens bénéficieront de bourses et seront envoyés en très grand nombre se former plusieurs années à l’étranger, à l’Est principalement au VGIK de Moscou (Costa Diagne et une dizaine d’autres)14, en RFA à Frankfort (Moussa Kémoko Diakité…), à Belgrade en Yougoslavie (Sékoumar Barry…), à Prague en Tchécoslovaquie (Mouctar Bah…), etc., mais pas seulement. Mohamed Lamine Akin (de nationalité ivoirienne), réalisateur du premier LM (Le sergent Bakary

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Guido Convents, Les Rwandais et les Burundais face au cinéma et à l’audiovisuel. Une histoire politico - culturelle du Rwanda - Burundi allemand et belge et des Républiques du Rwanda et du Burundi (1896 - 2008), Kessel-Lo, Afrika Filmfestival, 2008, p. 221 s. 14 Gabrielle Chomentowski, « L’expérience soviétique des cinémas africains au lendemain des indépendances », Le Temps des Médias, n°26, Printemps 2016, p. 111-125.

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Woolen, 1966) fera ses études à l’IDHEC de Paris, et d’autres aux États-Unis (Mamadou Alpha Bade…). À leurs retours, et une fois son pouvoir consolidé, le président Sékou Touré crée (2 janvier 1967) la Régie nationale de cinématographie et de photographie « Syli-cinéma-photo », un établissement public doté de moyens financiers conséquents et dont les agents (ils furent jusqu’à 130) étaient fonctionnaires de l’État. Chargé de coordonner toutes les activités du secteur, il jouissait également du monopole de la production. De très nombreux documentaires de commande, éducatifs ou de propagande, et journaux télévisés furent tournés par les équipes, leur finition étant originellement assurée par des laboratoires étrangers, Belgrade, Varsovie, Prague, mais aussi Babelsberg (RDA), puis, deux décennies plus tard, au Maroc. Une tentative de laboratoire national échouera malgré une mise de fonds importante par l’État (1,6 M francs suisses) et son matériel sera dispersé en 1984. Intégrés au Ministère de l’Information et de la propagande, une centaine de CM de tous genres (reconstitutions historiques, reportages, commémorations...) furent produits entre 1967 et 1984, mais seulement une demi-douzaine de LM. La faible production du quart de siècle durant lequel régna le président Sékou Touré s’explique essentiellement par sa volonté de contrôle absolu (y compris sur les scénarios), et par la purge sanglante qu’il infligea à son pays, notamment en direction de ses cinéastes et de la direction de Syli qu’il emprisonna massivement, dont certains membres pour plusieurs années, suite à l’un des complots des Portugais qu’il dénonça en novembre 197015. À sa mort en 1984, la IIe République qui lui succède libéralise tout le secteur, vend les salles de cinéma, transforme l’ancienne Syli en Onacig (Office national de la cinématographie de la Guinée), sans grands moyens ni ambitions qui n’interviendra que très marginalement dans une production qui redémarrera faiblement à partir de 1990 (un film tous les deux ans en moyenne), la participation financière de l’Onacig étant créditée au début de cette période pour trois LM. • Au Mali fut créé l’Ocinam (Office cinématographique national du Mali) dès 1962, avec vocation de produire, distribuer et exploiter les films sur le territoire. Quelques techniciens furent formés sur de courtes durées, essentiellement pour filmer des actualités nationales. Ayant pris originellement (1960-68) ses distances avec la France, manquant de moyens techniques et humains, sans laboratoire, il se rapprocha de la Yougoslavie qui lui fournit à la fin 1963 une assistance gratuite en hommes et matériels 15

Sur le sinistre Camp Boiro où furent emprisonnées 50 000 personnes sous son règne, voir notamment Alsény René Gomez, Camp Boiro : parler ou périr, L’Harmattan, 2007, 268 p., et pour une liste des personnalités du cinéma concernées : Jeanne Cousin, Histoire du cinéma en Guinée depuis 1958, L’Harmattan, 2017, p. 56 s.

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(développement de la pellicule, montage image et son, etc.), mais aucun LM ne fut produit avant la décennie suivante. En 1966, l’Ocinam fut dissous et réuni avec d’autres organismes au sein d’une structure plus large, le Scinfoma (Service cinématographique du ministère de l’Information du Mali), financé par le budget national, produisant le journal filmé et se lançant dans la production de CM de réalisateurs maliens essentiellement formés au VGIK de Moscou (Souleymane Cissé, Djibril Kouaté, Assane Kouyaté, Abdoulaye Ascofaré, etc.). Des LM de fiction commencèrent à émerger, y compris soutenus par le MinCoop, les contacts ayant été renoués avec la France (Walanda (La leçon), 1974 ; Baara (Le travail), 1979, etc.). Un autre service d’État lui succéda en 1977, le CNPC (Centre national de production cinématographique), spécifiquement chargé de « concevoir et réaliser toute production cinématographique », sans toutefois en exercer de monopole. Plusieurs centaines de millions de francs maliens lui furent dédiés et il mit en route de nombreux projets, y compris de LM (A banna (C’est fini), 1980 ; Nyamanton (La leçon des ordures, 1988, etc.). Le CNCM (Centre national de la cinématographie au Mali) lui succéda en 2005, en continuant la même politique (Da Monzon (La conquête de Samanyana), 2010 ; Les toiles d’araignées, 2011, etc.) grâce initialement à un budget non négligeable (682 MFCFA en 2009), mais sans continuité, ce que la situation militarogéopolitique n’a assurément pas favorisé, notamment après 2012. 2.3. Quelques États sous influence française • La Haute-Volta s’intéresse précocement au cinéma, et met en place dès 1961 au sein du ministère de l’Information une cellule dédiée dirigée par un coopérant français, le réalisateur Serge Ricci, qui joua un rôle non négligeable dans la concrétisation de films d’actualité, socio-éducatifs, et ethnographiques, mais également dans la formation de techniciens voltaïques. Des moyens basiques furent attribués à ce service, dont un studio polyvalent permettant le montage image et son en 16 mm, et des CM coproduits avec le soutien du CAI. La fabrication des journaux télévisés et les tirages et développements de la pellicule demeuraient en France, ainsi que le recours à des techniciens français pour de nombreux tournages. Il faudra une décennie avant de voir émerger une production de fiction, dont des LM par des nationaux. L’année 1970 marque une césure importante pour ce pays qui vient d’accueillir le festival qui deviendra la référence de tout le continent, le Fespaco, qui sera institutionnalisé deux ans plus tard16. Les salles des deux circuits français sont nationalisées en janvier, et est créée peu après la SONAVOCI (Société nationale voltaïque de distribution et d’exploitation cinématographique) disposant d’un fonds de promotion et de 16

Sur ses genèse et fonctionnement, voir Colin Dupré, Le FESPACO, une affaire d’État(s) 1969-2009, Paris, L’Harmattan, 2012, 406 p.

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soutien à l’activité, qui permettra la réalisation de nombreux films en direction du milieu universitaire et d’éducation rurale, et également du premier LM réalisé par Mamadou Djim Kola (Le Sang des parias, 1972, 16 mm) formé en France17. De facto, l’État soutint également les LM suivants (Sur le chemin de la réconciliation, René Bernard Yonli, 1976, à hauteur de 6,5 MFCFA…), et fut le seul sur la zone à créer un lieu de formation de techniciens de cinéma, grâce au financement de l’UNESCO, l’INAFEC (Institut africain d’éducation cinématographique) rattaché à l’université d’Ouagadougou. Ouvert en février 1977, il fermera dix ans plus tard sans qu’un impact n’ait été mesuré au niveau de la production. La même année en août sera mis en place le Centre national du cinéma, et sa direction confiée durant dix ans à Gaston Kaboré, également formé en France, position qui lui permettra de réaliser une série de CM avant de produire son premier LM (Wend Kuuni, le don de Dieu, 1982). Il sera l’un des rares réalisateurs qui perdurera sans avoir été initialement producteur18, créant des films représentatifs de la génération ayant cherché et obtenu la notoriété internationale via les festivals19. Mais cette année 1982 marque une étape importante puisqu’après seulement deux LM produits depuis l’Indépendance, seront réalisés une moyenne annuelle de deux à trois LM, rythme qui permettra au pays de devenir le premier producteur d’ASF. Une conjonction d’initiatives privées et publiques a permis ce résultat durable. Un homme d’affaires, Martial Ouédraogo20, prenant acte des manques du secteur, se lance en 1980 dans la construction d’un grand studio à Kossodo dans la banlieue d’Ouagadougou : plateau de tournage, auditorium, table de montage, etc., l’investissement conséquent (plus de 600 MFCFA) permet un équipement complet qui est opérationnel dès la fin 1981. Conçu sur le modèle des majors hollywoodiennes, il participe également au financement des premiers films qui en sortent (Le courage des autres, 1982 ; PaweogoL’émigrant, 1982 ; Les combattants africains de la Grande Guerre, 1983 ; etc.), option qui ne durera pas, mais un mouvement était lancé. Il sera relayé

17 Pour une liste des premières productions voltaïques, voir Victor Bachy, La Haute-Volta et le cinéma, Bruxelles, OCIC/L’Harmattan, 1983, p. 20 s. 18 Il sera toutefois directeur général de 1989 à 2002 de CINECOM Production, qui coproduira deux de ses LM, Rabi (1992) et Buud Yam (1996). 19 Wend Kuuni obtiendra le César français du meilleur film francophone en 1985, Zan Boko le Tanit d’argent des Journées Cinématographiques de Carthage en 1988, Rabi le Prix spécial du Jury aux JCC en 1992, et Buud Yam l’Étalon de Yennenga du FESPACO en 1997. 20 Né le 23 avril 1933 à Ouagadougou où il décède le 10 avril 2010, il effectue des études supérieures à l’université de Dakar, puis obtient un doctorat d’Etat en sciences économiques à Montpellier (France). Nommé Directeur du commerce de Haute-Volta en 1963, il se lance dès 1966 dans les affaires et fonde plusieurs sociétés : L’Observateur Paalga (presse quotidienne), SOVICA (charrettes à traction asinienne), SONICO (allumettes), PLASTAFRIC (plastique), PROCHIMIE (cosmétiques), COVEMI (carrières et mines) et CINAFRIC (cinéma).

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par un événement historique : la prise du pouvoir par le capitaine Thomas Sankara qu’il exercera d’août 1983 à son assassinat en octobre 1987. Anti-impérialiste et panafricaniste, il développera une forte volonté émancipatrice qui, outre le changement de nom du pays en l’actuel Burkina Faso, promouvra notamment le cinéma et son rayonnement. Le Fespaco voit renforcer son rôle de valorisation symbolique du pays, Ouagadougou devenant la « capitale du cinéma africain », donc des moyens pérennes lui seront octroyés, et une règle non écrite voudra que le Burkina devra y présenter des films en compétition à chaque session... et donc qu’ils soient produits. La direction de la Production Cinématographique (Diproci, qui deviendra Direction de la cinématographie nationale du Burkina Faso), dont le budget était alimenté par une taxe de 10 % sur les billets depuis 1972, voit ses moyens amplifiés. Durant presque deux décennies, cela lui permettra de participer à la production de plusieurs LM (Sarraounia, 1983 ; Histoire d’Orokia, 1987 ; Les étrangers, 1991 ; Sababu, 1992 ; etc.), des fonds transitant par d’autres ministères (Jeunesse et sports, Information et Culture…) participant également ponctuellement à la production nationale. Les soutiens publics français et de la francophonie concerneront une demidouzaine de films dans les années 1980, plus du double la décennie suivante, une dizaine dans la décennie 2000 et autant la suivante, se substituant aux soutiens publics burkinabè en nette régression depuis la fin du XXe siècle. Toutefois, l’impulsion donnée par les pouvoirs publics a été déterminante, et a pu initier moult initiatives privées : création d’écoles de cinéma, émergence de plusieurs générations de cinéastes-producteurs (Jacob Sou, Idrissa Ouedraogo, Pierre Yaméogo, etc.), encadrement de la billetterie, etc. Si leur intérêt pour le cinéma perdure, certes désormais davantage dans leurs discours que dans leurs financements, des inquiétudes peuvent se manifester, notamment dans la dégradation continue de l’intérêt cinématographique et intellectuel du Fespaco21. Mais la qualité de l’écosystème cinématographique national semble désormais suffisante pour lui permettre de rechercher des financements soit en coproduction internationale, soit à l’extérieur de la filière, comme la publicité (infra). • Au Sénégal, deuxième plus important producteur de l’ASF, le rôle de l’État n’a absolument pas été le même, la faiblesse d’intervention et l’inconstance le caractérisant davantage. Comme dans la quasi-totalité des pays d’ASF, la volonté de disposer d’actualités filmées concernant le pays, et non plus la métropole, se fait pressante, et amène le gouvernement à créer un Service cinéma au sein du ministère de l’Information. Des Actualités sénégalaises ont été tournées et montées pour former un programme bimensuel à diffuser dans les salles, d’abord produites de manière autonome, 21 Voir notamment Olivier Barlet « Fespaco 2017 : un festival déconsidéré », 8 mars 2017 : http://africultures.com/fespaco-2017-un-festival-deconsidere-14012/

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puis dès avril 1961 préparées hebdomadairement par le CAI avec lequel une convention est passée, ce dernier fournissant un opérateur de prise de vues en prenant en charge son salaire et ses frais de voyage, ainsi que tout son matériel ; une convention similaire sera signée avec le Bénin, le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Dahomey, Madagascar et le Togo. Cette production perdurera jusqu’à l’introduction de la télévision qui prendra le relais en 1972, permettant de surcroît comme partout la réalisation de CM documentaires et la formation de techniciens sénégalais22. Suivant le mouvement d’émancipation qui se généralisait, est créée en décembre 1972 la SNC (Société nationale de cinématographie), une société d’économie mixte sous tutelle du ministère de la Culture, qui ambitionnait d’englober toutes les branches, dont la production. Sur les deux premières années un effort considérable fut effectué, 100 millions de francs CFA étant débloqués pour produire et réaliser 3 CM et 5 LM : Le bracelet de bronze (Tidiane Aw, 1974), L’option (Thierno Saw, 1974), Baks (Momar Thiam, 1974), N’Diangane (Mahama Johnson Traoré, 1975), Xala (Sembène Ousmane, 1975). Ainsi, si les trois derniers avaient déjà commencé à produire et réaliser des films depuis dix ans, la concentration de l’effort financier public permit une visibilité au cinéma sénégalais par un effet de masse, mais l’effort ne fut ni complété (installations techniques, etc.), ni rentabilisé (aucun des films ne rencontra du succès en salles), ni poursuivi, la société étant dissoute dès 1977 faute d’un management de qualité. Si Mahama Johnson Traoré et Ousmane Sembène profiteront encore du soutien public (20 MFCFA pour Ceddo, 1977), puis Moussa Yoro Bathily (15 MFCFA pour Tiyabu-Biru - La circoncision, 1978) ce sera via un fonds spécial (le K2) attribué discrétionnairement par le gouvernement. Il s’ensuivit un fort ralentissement puis un arrêt de la production (un seul LM en 1977, 1978, 1980, aucun de 1983 à 1986…). L’existence depuis 1972 d’un modeste fonds d’aide à l’industrie cinématographique (40 MFCFA annuels), en théorie alimenté par le budget de l’État et censé garantir des prêts, outre l’insuffisance de son montant, ne fonctionna jamais correctement, se débloquant par à coup au gré de la bonne volonté de gouvernements très instables, puis qui cesseront la décennie suivante toute mesure concrète de soutien à la production cinéma. Mis en place parallèlement à la SNC en 1973, un Bureau du cinéma sera remplacé en 2000 par une Direction de la cinématographie (DCI)23, toujours sans moyens humains ni financiers deux décennies plus tard24. Il sera missionné 22

Le MinCoop mettra également d’autres moyens à disposition : pellicule gratuite, voyage payé pour effectuer des montages en France, entremise pour trouver un producteur, voire coproduction directe (Lambaaye-Truanderie, 1972 ; Fad’jal-Premier arbre, 1979, etc.). 23 Instituée par le décret n°2000-947 du 9 novembre 2000 portant organisation du ministère de la Culture et de la Communication. 24 « Je suis tellement amer que le personnel ne soit pas trop motivé, parce que nous sommes des agents de la culture qui font de grandes choses, mais sans grande motivation et même sans

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pour gérer un nouveau fonds, décidé en 2002, pour une opérationnalité complète seulement douze ans après. Doté discrétionnairement par le Président de la République, Macky Sall, d’un milliard de francs CFA, ouvert en droit à toute la filière, le Fopica a été exclusivement réservé la production la première année (2015-2016)25. Ce montant, qui sera doublé en 2018, toujours sur décision discrétionnaire du Président de la République, trouve son origine dans le succès et l’action du réalisateur français de père sénégalais Alain Gomis. En effet, son troisième LM, Aujourd’hui, une coproduction franco-sénégalaise, remportera des prix dans trois festivals internationaux, le prix spécial du jury pour son réalisateur aux Journées cinématographiques de Carthage (2012), l’Étalon d’or au Fespaco 2013 et le Trophée Francophone de la réalisation à Paris (2013). Ce succès et le retentissement positif sur l’image du Sénégal convaincront Macky Sall à enfin abonder le Fopica. Et c’est la récidive du succès d’Alain Gomis quatre ans plus tard avec Félicité (Ours d’argent à Berlin 2017, Étalon d’or au Fespaco 2017) qui provoquera l’annonce du doublement de son montant. 3) La diffusion des films sur les autres supports 3.1. Les chaînes de télévision Les chaînes de télévision se développèrent entre les années 1940 et 1970 selon les territoires, et se mirent rapidement à diffuser des films, type de programme qui a réalisé les meilleures audiences sur leurs antennes jusqu’à la fin du XXe siècle. En ASF comme dans les pays industrialisés au début, elles le firent assez classiquement en achetant les droits de diffusion (pour X passages durant une période donnée). Puis au Nord elles participèrent à la production pour alimenter leurs antennes, mais encore assez rarement en ASF un demi-siècle plus tard. Après les chaînes publiques en clair, essentiellement rémunérées par la redevance publique ou le budget de l’État, apparurent des chaînes privées rémunérées par la publicité, puis des chaînes privées cryptées essentiellement rémunérées par abonnement, et secondairement par la publicité. Souvent spécialisées dans le cinéma et le sport (comme Canal+, A+, etc.), elles furent dans l’obligation d’alimenter leurs antennes en films, et donc soutinrent leur production. Imposée ou encadrée par la loi, cette participation directe au financement des films prend aujourd’hui deux formes : un préachat, c’est-à-dire de l’argent versé avant l’achèvement du film, en échange des droits d’exclusivité du passage sur son moyens », Hughes Diaz, directeur de la DCI, Le soleil on line, 13 avril 2017 : http://www.lesoleil.sn/2016-03-22-23-38-25/item/63396. 25 Le Fonds de promotion à l’industrie cinématographique et audiovisuelle (Fopica) a été institué par la loi n°2002-18 du 15 avril 2002 portant sur l’organisation des activités de production, d’exploitation et de promotion cinématographiques et audiovisuelles. Les règles de son fonctionnement ont été fixées par le décret n° 2004-736 du 21 juin 2004, complété par l’arrêté n°16352 du 30 octobre 2014.

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antenne une fois celui-ci terminé : ou la coproduction directe, la chaîne devenant alors un coproducteur classique, c’est-à-dire prenant les risques, mais étant aussi rétribuée comme le producteur. Ainsi il existe au total quatre grandes formes d’intervention des chaînes de télévision en direction de la production cinématographique : - deux en amont de la réalisation du film, soit en le préachetant (versement d’argent en échange d’une priorité ou une exclusivité de passage sur la chaîne), soit en le coproduisant directement (très rare en ASF) ; - deux en aval, soit en achetant ses droits de diffusion pour un passage à l’antenne, soit en concluant des partenariats en publicité ou échanges de marchandises (prêt de locaux, de matériel de postproduction, etc.). Progressivement, en Europe, dans quelques pays d’Asie et d’Amérique du Sud, les chaînes de télévision sont devenues dès la fin des années 1980 les premiers financeurs de films de cinéma, introduisant de ce fait de nombreuses distorsions, tant dans l’esthétique que les genres de films produits26, et amenant une croissance de leur nombre qui atteint des niveaux historiquement inégalés : 300 longs métrages par an en France, plus de 250 en Allemagne, Espagne, Royaume-Uni, etc., soit plus de 1 500 par an en Europe, 18 000 sur la décennie 2007-201627. En ASF, ces formes de financement demeurent encore exceptionnelles, mais Canal+/A+ y a lancé fin 2016 un vaste plan de financement de projets, pour le moment essentiellement de séries télévisuelles, mais qui devraient dynamiser le secteur. Les autres chaînes nationales, privées comme publiques, n’y ont jamais joué ce rôle, et il est de surcroît fréquent que les producteurs y voient leurs films diffusés sans qu’ils en soient toujours informés, rarement rémunérés, et encore moins souvent selon les termes du contrat, lorsqu’il y en a eu un de passé avec la chaîne. Sur ce plan, le rôle des États est fondamental pour édicter des lois, et les faire respecter. En ne rémunérant pas leurs auteurs et producteurs, c’est toute la chaîne de valeur de l’audiovisuel que les télévisions, y compris publiques, ont contribué à asphyxier ASF. Mais cela renvoie aussi au manque de volontés entrepreneuriales nationales privées, comme au sous-financement des chaînes publiques, bien que les sources ne manquent désormais plus pour d’autres secteurs (télécom, fournisseurs d’accès internet…). 3.2. Les supports vidéo physiques Une ressource désormais marginale pour les producteurs est issue des éditeurs vidéo. Apparus sur support VHS à la fin des années 1970, puis 26

C. Forest, « De la dépendance de la production cinématographique française vis-à-vis du financement télévisuel », Revue française d’études américaines, n° 136, 2e trim. 2013, p. 80. 27 Observatoire européen de l’audiovisuel, Film production in Europe, Strasbourg, European Audiovisual Observatory (Council of Europe), novembre 2017, 66 p.

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développés sur supports numériques, ils ont connu leur essor au cours des années 1990, essentiellement sous forme DVD la décennie suivante, le Bluray et les autres formes matérielles ayant été annihilées la décennie suivante en raison de la concurrence d’Internet et de la dématérialisation numérique. Fortement contrôlées au Nord, leurs ventes ont un temps assuré des revenus considérables, avec un chiffre d’affaires un moment supérieur aux salles (2 Mds € annuels à leur apogée en France au début des années 2000, trois fois moins quinze ans plus tard). Mais en Afriques, l’importance de l’économie informelle (non encadrée par l’État) a empêché que les producteurs et les auteurs de profiter de ces ventes. La diffusion de DVD dupliqués de basse qualité (VCD) s’est rapidement imposée comme mode principal de diffusion et de consommation. Puis la numérisation généralisée et la diffusion d’internet dans les foyers ont rapidement fait chuter cette forme de piratage depuis le milieu des années 2010 en Afrique du Nord. Elle est toutefois encore considérable en ASF, et même si les réalisateurs-producteurs ont rivalisé d’ingéniosité pour dupliquer plus vite que les pirates, ou se pirater eux-mêmes en insérant des publicités, l’absence de circuit commercial légal structuré a empêché une rémunération adaptée des producteurs et auteurs, majoritairement étrangers mais aussi nationaux, asséchant la production locale (au contraire du Nigeria par exemple, qui avait mis en place un autocontrôle du marché)28. 3.3. La vidéo à la demande Sous cette dénomination coexistent trois catégories de pratiques : le consommateur peut acheter un film ou un épisode de série (comme sur iTunes) ; il peut le louer à l’acte comme le proposent tous les opérateurs sur leur box-internet (vidéo à la demande, VàD), mais il peut aussi souscrire un abonnement mensuel qui donne droit à l’accès illimité à un catalogue (VàDA, vidéo à la demande par abonnement), à la télévision comme sur des plateformes internet. Leur accessibilité sur plusieurs supports – la télévision connectée, mais de plus en plus les ordinateurs et, surtout en ASF, les appareils mobiles (smartphone, tablette tactile) – a attiré des opérateurs de taille internationale qui ont progressivement mis en place leurs propres plateformes, tels Orange, Netflix, CanalPlay, iTunes, Google Play, Amazon prime vidéo, etc. accessibles dans un nombre croissant de pays. L’opérateur malaisien Iflix s’est implanté en 2016 en Afrique du Sud pour couvrir d’abord l’ASA (Iflix africa), tandis que la nigériane iROKOtv lancée en 2011 couvre les Afriques de l’Ouest et Centrale, et s’est parfaitement adaptée à l’essor

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Claude Forest, « L’industrie du cinéma en Afrique : problématique générale et exemple nigérian », Risques, n° 90, juin 2012, p. 127-131.

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exponentiel des smartphones29. Le principal obstacle en Afrique demeure encore toutefois l’établissement et le respect des contrats pour la diffusion des œuvres, et la transparence sur les recettes générées par ces nouveaux modes de visionnage des films. Mais avec un CA estimé à 40 M$ en 2016 pour 5 000 films en catalogue, cette plateforme compte plus de 500 000 abonnés, dont la moitié en diaspora, et elle a passé des accords de partenariat avec Nollywood TV, Canal+ et surtout Netflix qui est, de loin, l’opérateur qui propose le plus de titres en 2018. Ce dernier s’est lancé dès 2016 dans une vaste offensive de production de contenus tant de séries, que de films dits de cinéma mais dont il souhaite l’exclusivité avant les salles. Cette pratique tend à se répandre en VàD, puisqu’en 2018 en Europe, il est désormais proposé autant de LM inédits que sortis antérieurement en salles30. Au prix d’un fort endettement, Netflix a monté un plan d’investissement de 8 Mds $ en 2018, somme largement supérieure aux possibilités des entreprises classiques de cinéma. Son succès mondial (9,8 Mds € de CA en 2017, avec 125 millions d’abonnés, pour une capitalisation de 143 Mds $) est en train de perturber tout le secteur, et ne saurait toutefois laisser sans réaction les GAFA, au poids économique largement plus conséquent (780 Mds $ pour Amazon). Tous les opérateurs n’ont pas encore stabilisé la rentabilité de leurs modèles économiques, mais ces formes sont en plein essor, profitent essentiellement au film (plus des trois quarts des paiements à l’acte en France)31 et constituent donc de nouvelles sources de revenus pour tous les producteurs dans le monde. 3.4. Les ressources internationales Si, en amont, les coproductions avec un partenaire du Nord ont constitué un revenu déterminant pour plus de la moitié des œuvres depuis les indépendances, elles le demeurent pour celles qui veulent tendre vers les actuels standards internationaux des films de cinéma, par nécessité de trouver des financements adaptés. Toutefois, pour les coproducteurs français, européens ou d’Amérique du Nord, partenaires sur ces films d’ASF, nécessité leur est faite de trouver des préfinancements, publics (cf. la panoplie des aides précitées) ou privés (télévisions essentiellement), car, en dehors de cas véritablement exceptionnels, depuis l’origine les films d’ASF n’intéressent absolument pas les publics sur ces territoires. Les marchés télé, VàD, VàDA et vidéo y sont totalement inexistants, même si la plupart des producteurs-réalisateurs 29

Guillaume Galpin, « iROKOtv, le Netflix Africain en pleine croissance », https://www.inaglobal.fr/television/lu-sur-le-web/irokotv. Publié le 03.05.2016. 30 CNC/CSA, La vidéo à la demande par abonnement en France : marché et stratégies des acteurs, Paris, CNC/CSA, mai 2018, 100 p. 31 Cette part est passée de 68 % en 2011 à 78 % en 2016, et le CA du secteur est en forte croissance (219 M€ en 2011, 344 en 2016) : CNC, Bilan 2016, n°336, mai 2017, p. 177.

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tentent désormais de vendre directement en ligne via leurs propres structures. Pour le marché primaire en salles, s’il a beaucoup été écrit à propos de quelques dizaines de LM, et si régulièrement l’un d’entre eux fait les honneurs d’un festival ou engrange des critiques favorables des instances de légitimation culturelle, leur aura symbolique ainsi acquise se mesure dans la quasi-totalité des cas à un niveau inversement proportionnel avec leurs entrées payantes en salles. Ainsi, si un peu plus de la moitié des films produits – dont quasiment toutes les coproductions France/ASF – ont obtenu un visa d’exploitation en France, seuls 40 % sont effectivement sortis en salles commerciales (la plupart des autres n’étant diffusés qu’en festivals, donc ne générant guère de recettes). Seul un titre tous les trois ans enregistrera entre 50 000 et 150 000 spectateurs, et un seul par décennie fera plus de 150 000 entrées. Ces cas rarissimes, qui ont permis à leurs auteurs de gagner une forte reconnaissance auprès de leurs pairs et des instances publiques et professionnelles internationales, sont régulièrement mis en avant notamment pour ce qu’il en serait d’une « diversité culturelle » permise par la France. Ils permettent également à de nombreux impétrants de rêver à un succès qui est donc possible, mais dont le mode de fonctionnement effectif et la rentabilisation leur sont masqués, la mise s’apparentant à celle d’un casino, et pas d’une industrie, fut-elle de prototypes. Le réel, c’est que, parmi ceux sortis en salles françaises, plus de neuf films sur dix d’ASF n’ont rien, ou quasiment rien, rapporté à leurs producteurs, et qu’au moins la moitié a fait perdre de l’argent à leurs distributeurs. 200 000

entrées

180 000

Graphique 8 : Entrées des films d'ASF en salles françaises de 1968 à 2017 (classement par niveau décroissant)

160 000 140 000 120 000 100 000 80 000 60 000

20 000 0

moyenne = 31 985 médiane = 6871 entrées

1 6 11 16 21 26 31 36 41 46 51 56 61 66 71 76 81 86 91 96 101 106 111 116 121 126 131 136 141 146 151 156 161

40 000

titres

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Sans détailler la diffusion ni la réception des films d’ASF, sur les 164 LM d’ASF diffusés en salles en France dont les entrées ont été retrouvées32, entre 1960 et 2017 le niveau médian de leurs spectateurs est de 6.871 entrées, avec une moyenne d’à peine 32 000 entrées33. Le désintérêt du public français est donc ancien, profond, récurrent, et touche tous les films d’Afrique sud saharienne et pas seulement francophones (un seul film nigérian a été distribué en salle sur les dix dernières années34, aucun du Kenya ni d’Ouganda, etc.), et il en va de même pour tous les marchés du Nord, excluant, à ce jour, une source de revenus complémentaires. En six décennies, seuls quatre films, tous en coproduction française, ont généré plus de 250 000 entrées en salles en France35. Le rejet de ces films et leur non exportation vers les autres continents du Sud et Afrique du Nord sont encore plus importants. Demeureraient les autres marchés d’Afrique sud saharienne, mais ceux d’ASF se trouvent tous dans une situation voisine (absence de salles, piratage vidéo, etc.) donc n’ont jamais constitué et ne constituent pas actuellement de sources significatives de revenus, et ceux d’ASA sont largement dominés par leurs productions nationales ou nigérianes, qui satisfont les populations. Accessoirement, l’appel au financement participatif, le crowdfunding, s’il est peu utilisé au Nord pour les LM, peut fonctionner en ressource annexe pour des CM, des projets originaux ou militants. Pour les producteurs d’ASF il se heurte sur le plan national à l’étroitesse des marchés et la faiblesse objective de l’épargne mobilisable, de surcroît sur des rendements aléatoires. À l’international, s’il pouvait dans l’absolu intéresser la diaspora voire des investisseurs étrangers, la délicate rentabilisation des projets, l’incertitude sur le retour des investissements, l’absence de cadre légal, de contrôle extérieur et de recours juridique possible, la présence dans ce métier d’un nombre non négligeable d’affairistes peu scrupuleux, sont autant de freins limitant sa mobilisation. 4) L’émergence d’un autre modèle de (pré)financement La destruction du cadre légal des marchés liés aux LM, cumulée à l’absence d’intervention réglementaire et financière des États, induit en ASF une très 32 11 autres films ont été distribués en salles mais leurs entrées, probablement limitées, n’ont pu être identifiées ; 83 autres ont obtenu un visa d’exploitation mais ne semblent pas avoir été exploités en salles ; 219 n’ont pas obtenu de visa et n’ont pas été commercialisés en France. 33 À titre de comparaison, tous films confondus (genres, nationalités…), les 829 titres (reprises inclues) distribués en salles françaises en 2017 ont généré 211 millions d’entrées, soit 255 000 en moyenne, la médiane s’établissant à 20 000 entrées. 34 Il s’agissait par ailleurs d’une coproduction internationale majoritairement française : Ezra (NG/FR/US/GB/AT, de Newton I. Aduaka, sortie en 2008). 35 Timbuktu (ML/FR, sortie 2014, 1 186 882 entrées), Le ballon d’or (GN/FR, sortie 1998 mais toujours en exploitation dans le programme « école et cinéma », 430 047 entrées), Yeelen (ML/FR, sortie 1987, 344 721 entrées), Yaaba (BF/CH/FR, 1989, 302 219 entrées).

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grande faiblesse structurelle des ressources issues des spectateurs pour produire des films de cinéma. Longtemps fantasmée par certains réalisateurs, une imitation de Nollywood est également impossible en raison de nombreuses dissemblances, tant pour des raisons linguistiques, culturelles, de la taille des marchés, comme de leurs fonctionnement, contrôle et régulation. En effet, économiquement la production nigériane fonctionne grâce à ses consommateurs finaux, notamment via les ventes de DVD/VCD. Depuis les années 1990, puis une à deux décennies plus tard pour nombre de pays de l’ASA (Ghana, Kenya, etc.), la production de LM est rentabilisée par ces ventes, qui permettent aux producteurs de réinjecter de l’argent dans de nouvelles productions. En conséquence, l’argent circule, et celui dépensé par les clients se voit réinjecté dans les films. Ces revenus ex-post (après investissement) structurent ainsi toute l’économie de la filière vidéographique (production, diffusion/ distribution, vente de détail/salles), dont le succès ne se résume donc pas simplement à des ingrédients issus d’une production low cost qu’il suffirait de copier (tournages courts, caméras numériques légères, sérialisation des synopsis, standardisation des genres, création de stars, etc.). 4.1. Les fondements d’un nouveau modèle économique Certains des facteurs clef du succès de Nollywood ont déjà été compris et repris par des réalisateurs-producteurs d’ASF (cf. infra les témoignages de Boubakar Diallo, Steven AF, Lath M’Bro, etc.) mais nombreux sont ceux, notamment parmi les « anciens » et surtout les attributeurs de fonds publics, qui raisonnent encore soit par simple transposabilité de ce modèle de fabrication, soit par persévérance du modèle économique des Nord. Or, ce qui a disparu en ASF, ce sont justement les fondements de tels modèles, cinématographique ou vidéographique : si, faute d’un marché solvable en fonctionnement, il n’existe plus de filière (production, distribution, exploitation), il n’y a plus, et pour une longue période encore en ASF, d’économie du cinéma caractérisée par la remontée de recettes (issues des salles ou des DVD) et un amortissement ex-post des films. Certes la réduction des coûts, qui a été transposée du fonctionnement des CM et des séries vers les LM, a été érigée en impératif, mais ce qui se reconstruit depuis le début des années 2010 en ASF, favorisé par l’utilisation massive du numérique au niveau de la captation des images et du son, c’est une économie de l’audiovisuel, caractérisée, elle, par un financement ex-ante des œuvres, un préfinancement. D’où, inévitablement, dans un premier temps au moins, un rapprochement (en genre, durée, format, mode de production, esthétique, etc.) avec ces produits télévisuels, pour nombre de ces œuvres qui se veulent encore être « de cinéma », mais ne le sont guère aux yeux et au grand désarroi des critiques cinéphiles et sélectionneurs de festivals internationaux. Or ce phénomène est structurellement inévitable car, ne pouvant plus amortir leurs LM par les clients/spectateurs sur les 109

différents marchés, les producteurs d’ASF doivent tendre vers la couverture de la totalité de leurs préfinancements avant l’achèvement et la diffusion des films. Dès lors, les fonds mobilisables sont structurellement moins élevés, donc les coûts de production (durées de tournages et de montage notamment) sont minorés, s’éloignant, pour le moment, d’une possibilité de compétition et d’exportation transcontinentales, mais pas de diffusions nationale et interafricaine. Cela explicite en ASF la montée en puissance rapide d’un genre, le documentaire, et d’un format, le court métrage, pour le moment essentiellement valorisés en festivals qui leur sont dédiés, et dont le nombre ne cesse de croître dans tous les pays de la zone. 4.2. La structuration du marché par la télévision payante Les télévisions diffusant en Afrique sud saharienne, ou au moins certaines notamment privées et par abonnement, se montrent désormais intéressées par ces formats, pour au moins trois raisons. D’abord pour remplir leurs temps d’antenne et faire face à une concurrence émergente qui va aller croissante, ensuite pour offrir des images nationales à des populations des plus en plus ouvertes aux productions mondiales via Internet, et indirectement pour créer un tissu compétitif de techniciens aptes à élever et diversifier le niveau des offres de programmes nationaux, actuellement proposés par des chaînes publiques nationales qui insatisfont massivement les téléspectateurs. Développées en Afrique du Nord dès les années 1990 avec la Guerre du Golfe, en commençant par l’Égypte puis affectant tout le Maghreb, les chaînes satellitaires ont d’abord répondu à une forte demande d’informations qui ne soit plus issues de l’Occident, puis ont proposé des émissions de plateau (jeux, débats, etc.), et enfin des séries et téléfilms en arabe pour former une offre désormais globale et transnationale. Les chaînes nationales publiques ne représentent plus que 15 % de l’offre, et des grands groupes privés (Al Jazeera, Arab Radio and Television Network, Orbit-Showtime Network, Middle East Broadcasting Center group, etc.), originaires essentiellement des pays du Golfe et en particulier d’Arabie Saoudite dominent aujourd’hui le secteur, en proposant plus de 85 % des 1 300 chaînes de télévision relayées par une dizaine de satellites36. Hors Al Jazeera qui a fait une discrète tentative d’adaptation en direction de cette zone, elles ne sont pas regardées en ASF, mais sont considérées comme un exemple. Accessibles essentiellement par parabole, un frein à leur essor provient toutefois de la compréhension linguistique car l’arabe, qui se décline en plusieurs variantes dialectales, n’est pas compris partout37. La barrière de la langue, française, existe aussi en ASF, mais tous les grands groupes de l’audiovisuel ont senti la nécessité de s’adapter face à la 36

Rapport annuel de l’Union des Radiodiffuseurs Arabes, 2014, p. 10. http://www.asbu.net/medias/NewMedia_2015/text/ASBU_annual_report_2014.pdf 37 Tourya Ghaaybess, Télévision arabe sur orbite, Paris, CNRS Éditions, 2005, p. 75-114.

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mondialisation des images, et Canal+ a récemment mis des moyens financiers considérables dans les productions cinématographiques et audiovisuelles. Elle y intervient en faveur du cinéma en préachat, et également en coproduction dans des LM réalisés par des Africains, tels Wùlu (2014, avec La Chauve-souris et Astou-films), Félicité (2015, avec Andolfi et Granit films), Wallay (2015, avec Batisphère prod. et les films du Djabadjha), etc. dont tous ne sont pas sortis en salles, notamment françaises, tels Sans regret (2015, Jacques Trabi) ou Dhalinyaro (2016, Lula Ali Ismail). La présence d’au moins un coproducteur français étant la règle, ce mode de production renvoie au modèle traditionnel, aujourd’hui peu accessible aux producteurs africains hors diaspora. Mais l’ambition du groupe est désormais de faire sortir le cinéma d’ASF de l’ornière art et essai dans laquelle il a été enfermé depuis les origines, ce qu’atteste par ailleurs la programmation des salles Canal Olympia dont le groupe a lancé la construction depuis fin 201638. Par ailleurs, si Canal+ est présent en Afrique depuis 1991, il ne considère que depuis peu cette partie du continent comme autre chose qu’un simple marché secondaire d’exportation destiné à absorber des productions françaises. Racheté par le groupe Bolloré qui en prend la direction en 2014, ce dernier est anciennement et fortement présent sur le continent (28 000 employés dans 46 pays en 2017 dans les transports, ports en eaux profondes, communication, etc.), dont il tire plus de 75 % de ses bénéfices. Il souhaite accompagner la croissance économique africaine, dont témoigne celle du nombre des abonnés qui est passé de 140 000 en 2007, à 3,4 millions en 2017 (pour l’un de ses quatre bouquets, de 149 à 220 chaînes télé et radio), soit la moitié de ses abonnés à l’international. Aussi, notamment pour alimenter sa chaîne dédiée A+ pour l’Afrique, lancée en octobre 2014, il était impératif de faire faire des émissions par, car pour, ces classes moyennes émergentes dans la plupart des grandes villes, afin qu’elles leur ressemblent, et auxquelles elles puissent s’identifier. Au niveau de la fiction Canal+ investit ainsi en achat, préachat ou coproduction, tandis qu’une unité spécifique recherche et soutien des partenaires pour les documentaires et les séries, en pleine expansion liée à une forte demande des populations, façonnée par deux décennies de feuilletons et télénovelas, essentiellement d’origines mexicaine, colombienne et indienne39. Certes, les sommes mises en production pour des projets locaux demeurent modestes unitairement (3 à 5 000 €) mais ne sont absolument pas insignifiantes pour la région (2 à 3,2 MFCFA) et vont permettre l’émergence de talents créatifs, de techniciens qui pourront vivre de leur métier, donc s’améliorer, puis se 38 Un mono-écran dans chaque pays, souvent implanté en banlieue des capitales, proposant sept à neuf films par semaine, tous très grand public et essentiellement étatsuniens, avec des français et un nigérian, à un tarif unique (1 500 FCFA) visant la classe moyenne. 39 Claude Forest, « Les pratiques cinématographiques au Togo », dans Regarder des films en Afriques, Patricia Caillé et Claude Forest (dir.), op. cit., p. 155-182.

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spécialiser. De leur compétition est en train de naître une véritable pépinière autour de l’audiovisuel : industries techniques, prestataires d’équipements, techniciens et groupes intégrés, réalisateurs et… producteurs. Les compétences et les moyens vont s’accroître et se consolider, simplement parce que le marché est en phase d’émergence même si, pour le moment, les groupes français et étrangers le dominent, notamment en raison de l’étroitesse de chaque marché, et du manque de ressources humaines et financières des entreprises nationales. 4.3. Dépasser l’amateurisme éclairé et le professionnalisme impécunieux S’il ne peut tout financer sur ses ressources propres, le producteur doit garantir l’ensemble du financement de l’œuvre, par des apports soit monétaires, soit en nature. L’apport monétaire résulte du cumul de plusieurs sources : fortune personnelle ou familiale, prêts d’amis, bancaires ou d’institutions, des crédits de fournisseurs et d’éventuels coproducteurs, etc. Devant l’ampleur du risque commercial et la forte probabilité d’un échec sur le marché, pour aider les producteurs à emprunter, certains États européens ont mis en place des prêts bonifiés, voire instauré un système de garantie bancaire. Afin de rassurer et d’aider les banques dans ce secteur atypique qui peut présenter des risques et susciter des réticences, il peut confier ces fonds à un institut de financement du cinéma et des industries culturelles (l’IFCIC en France depuis 1983) qui, moyennant une faible commission, les garantit en grande partie, créant un effet de levier en incitant les banques à consentir des avances de trésorerie. Ces mécanismes sont encore absents en ASF, mais pourraient se développer pour soutenir au moins les entreprises déjà en place qui ont fait la preuve de leurs compétence et probité, d’autant plus si le financement et le succès d’entreprises comme Canal+/A+ perdurait. Mais sans attendre cette prise de conscience hypothétique des pouvoirs publics en ASF, nombre de réalisateurs-producteurs de la troisième génération démarrent des projets de manière volontariste et souvent ambitieuse, comme en témoigne la majorité de ceux qui se livrent en seconde partie de cet ouvrage. Les plus jeunes le font sans soutien préalable ni garantie d’achèvement, l’incertitude et l’isolement formant des caractéristiques du métier, bien que des réseaux aient toujours existé, notamment autour des doyens, et que d’autres soient en voie de constitution. De la sorte, une entraide s’instaure parfois, les prêts de matériels et partages d’informations étant courants entre les intéressés, notamment à l’occasion des festivals, de matière individuelle et informelle, toutes les tentatives de regroupement collectif de producteurs ayant pour le moment échoué. La facilitation des tournages permise par les outils numériques a augmenté le nombre de vocations notamment dans la jeune génération, car ils ont diminué les coûts de production, abaissé la barrière à l’entrée des métiers du cinéma et de l’audiovisuel, rendu poreuse la frontière entre les 112

professionnels et les amateurs, modifié les modes et durées de tournage, pour, ceteris paribus et hors les soutiens publics, rapprocher les modes de financement des films d’ASF de ceux des CM et des documentaires du Nord. Dans le déroulé de la production, il est rarissime que les phases d’écriture du scénario puis de préparation de tournage soient rémunérées, ce qui constitue aujourd’hui une limite indéniable dans l’accroissement de la qualité des œuvres, par tentation de raccourcissement de la durée qui peut y être consacrée, cette dernière dépendant de la fortune personnelle de l’auteur et/ou du producteur. En l’absence d’assurance chômage, soit spécifique comme en France (intermittents du spectacle), ou généraliste comme ailleurs en Europe, ils ne peuvent que se reposer que leurs ressources individuelles privées, notamment pour dégager du temps libre et de la disponibilité d’esprit : épargne personnelle, second travail rémunéré, soutien du conjoint ou de la famille, etc.40 À la suite, le tournage est l’occasion de mobiliser le réseau du producteur, d’abord pour optimiser tous les apports en nature possibles : prêt du matériel, de véhicules, des costumes, du lieu de tournage et des décors, de logements pour l’équipe (acteurs, techniciens, administratifs), etc. Il s’agit d’une véritable chaîne de coopération41 qui intègre les autres professionnels, mais également la famille (dont la robustesse et l’importance prévalent toujours en ASF), les amis et connaissances qui apportent un soutien tout autant affectif que matériel et financier. Également, il n’est pas rare de demander aux acteurs d’apporter leurs propres costumes, accessoires et nourriture. Dès lors, s’en tenir au bilan comptable, qui ne mesure que les flux financiers officiels, pour mesurer et comparer les productions des Afriques, soit entre elles, soit avec celles des autres régions du monde, méconnaît leurs conditions concrètes de fabrication, et se transforme en indicateur totalement inadéquat. Il est de surcroît fréquent que les acteurs et les membres de l’équipe technique ne soient pas rémunérés, ou pas totalement, acceptant une mise en participation de leur cachet. La confiance et subséquemment l’établissement de relations à long terme au sein du réseau deviennent dès lors des conditions indispensables, d’autant que, comme fréquemment au début du XXe siècle en Occident, les margoulins sont très nombreux dans le milieu de la production. Si en amont le détournement, massif, des fonds publics nationaux mais aussi étrangers, va de pair avec la corruption administrative généralisée, ils concernent avant tout les institutions, alors qu’au moment 40 Dans le champ artistique, si les niveaux de (sur)vie sont différents selon l’époque et le continent, la polyactivité se rencontre partout fréquemment. Voir notamment Marie-Christine Bureau, Marc Purrenoud et Roberta Shapiro (éds), L’artiste pluriel. Démultiplier l’activité pour vivre de son art, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2009, 194 p. 41 Au sens d’Howard S. Becker, Les mondes de l’art, Paris, Flammarion, 1988, 382 p.

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des tournages, les malversations lèsent les travailleurs et peuvent empêcher l’aboutissement d’un projet. Au motif qu’il ne « faudrait pas en rajouter sur les misères de ce pauvre continent », avec une certaine condescendance donc, ces pratiques connues sont pudiquement, ou hypocritement, tues au Nord, même si « tout le monde sait » qu’ils constituent un handicap majeur au développement économique en général, et à celui de la filière cinéma en particulier. Or les escrocs peuvent d’autant plus prospérer dans ce secteur que, outre la faiblesse des États comme l’aléa et le coût des recours judiciaires, l’espérance de gain de tous les aspirants aux métiers du cinéma n’est pas principalement financière. L’introduction puis le maintien dans l’activité, l’accession à une profession – de surcroît valorisée et à l’espérance de gain élevé (au moins dans les modèles étrangers) –, la construction d’une réputation qui peut déborder du réseau et renforcer une employabilité durable dans la filière, « ouvrir des portes » auprès d’autres sociétés ou d’institutions, autant d’éléments qui peuvent prévaloir sur une rémunération immédiate du travail fourni. Participer à une projection en salle – désormais souvent exceptionnelle –, intégrer une association promouvant le CM ou le documentaire, être sélectionné dans un festival peuvent devenir des récompenses ou rémunérations symboliques substantielles et faire oublier l’absence ou la faiblesse de rémunération financière. Ces contreparties construisent une économie du dédommagement qui entretient un flou entre ce qu’il en serait d’une activité amateur ou professionnelle42, distinguo pertinent au Nord mais totalement inadapté en ASF ou non seulement le salariat demeure exceptionnel dans une économie au taux de non-emploi (le chômage n’existant pas puisque non enregistré ni rémunéré) structurellement très élevé, mais où vivre durablement de son activité demeure un privilège dont l’espérance d’accès demeure un puissant ressort de la motivation. Déconnectées de la stricte valeur d’une rémunération de l’intéressé sur le tournage, elles permettent la constitution d’un capital social et relationnel qui peut également amplifier la notoriété et la cotation de la personne. Hors quelques cas exceptionnels, à défaut pour le moment d’accéder à des ressources institutionnelles, cet investissement immatériel constitue ainsi un pari sur l’avenir, dont l’exemple nigérian montre à ceux qui y croient qu’il peut amener à la construction de fortunes financières bien réelles. Il en résulte toutefois des difficultés pour constituer des équipes fiables et stables, avec une contingence sur la compétence et l’adaptabilité notamment des nouveaux entrants qui, en l’absence d’école reconnue, se forment « sur le tas ». La propagation des réputations (négatives ou positives) peut s’opérer rapidement, et, pour réduire le risque certains rares techniciens (notamment dans les « grands » pays de l’ASF) se voient ainsi sur-demandés, des 42 Emilie Sauguet, « Filmer à tout prix », dans Gwenaële Rot et Laure de Verdalle (éds), Le cinéma. Travail et organisation, Paris, la Dispute, 2013, p. 91.

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tournages pouvant même se voir décalés en fonction de leurs disponibilités. En absence de filière permanente, cette incertitude se rajoute à toutes les autres dans la fabrication du LM : financements, assise de la structure de production, débouchés pour le film, rentabilité du projet, etc. Il n’en demeure pas moins des coûts incompressibles, et pour nombre de producteurs, dépassant celles du don et du troc, une économie de la débrouille peut s’avérer extrêmement lucrative en les amenant à se tourner vers les ressources classiques extérieures au marché du cinéma, comme les mécénat, sponsoring, publicité43 ou échange de marchandises. Insertion dans leurs films de plans montrant telle marque ou produit, auto piratage des DVD en insérant des spots publicitaires grassement rémunérés ; passage sur une chaîne de télévision d’un film annonce pour une sortie limitée en salle en échange d’une diffusion rapide et exclusive sur cette antenne ; scénario sur une thématique intéressant telle entreprise ou ONG44, voire réalisation de films de commande, rien de très nouveau dans ce système de financement du CM45, hors ici son extension au LM. Les exemples et astuces pour faire aboutir le projet étant innombrables, ils ont comme seule limite l’imagination des contractants. Comme partout, la production des films en ASF repose ainsi sur des processus très hétérogènes selon les ressources mobilisables. Alain Gomis ou Idrissa Ouedraogo ont peu à voir de ce point de vue avec Boubakar Diallo (infra), qui fonctionne lui-même très différemment des jeunes ambitieux de la nouvelle génération comme Lath M’Bro ou Steven AF. De la confortable coproduction internationale à l’autoproduction en passant le film filou pluri sponsorisé, les écarts montrent la variété des situations, mais également des solutions apportées pour fabriquer des films et appartenir à la famille mondiale très diversifiée du cinéma. Très proche aujourd’hui du modèle audiovisuel, tant économiquement qu’esthétiquement, le chemin est encore assurément long avant la constitution d’une incertaine cinématographie en ASF. Absence de lieux de formation technique et de transmission théorique de l’histoire du cinéma et de ses formes esthétiques, dont africaines ; domination des styles télévisuels et méconnaissance du langage cinématographique ; manque de savoir-faire pratiques ; illusion de la facilité du numérique ; standardisation et stéréotypie des scénarios ; personnages en archétypes ; etc. Mais aussi sur l’autre versant : introduction d’une modernité dans les thématiques ; représentation urbaine et contemporaine de l’Afrique ; reflet de certaines thématiques 43

Elle finance déjà intégralement certains LM, comme l’indique le site Les films du dromadaire de Boubakar Diallo : https://www.filmsdudromadaire.com/ 44 Ibid. 45 Dominique Bluher et François Thomas (éds), Le Court métrage français de 1945 à 1968 : de l’âge d’or aux contrebandiers, Presses universitaires de Rennes, 2005, 403 p.

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sociales ; amenuisement du complexe vis-à-vis de la critique auteuriste française et du « bon goût » occidental ; recours aux ressources locales et débranchement de la perfusion parfois invalidante et acculturante de l’aide internationale ; etc. Subséquemment, l’accroissement du nombre de productions audiovisuelles africaines francophones, décentralisées et issues des différents pays, devrait permettre l’émergence de talents nationaux et surtout d’une industrie technique qui a toujours partout manqué, entretenant une dépendance entière de la filière, notamment vis-à-vis de la France. Car si chaque production, audiovisuelle ou cinématographique, nécessite toujours une organisation éphémère qui se monte par projet, portée par une entreprise (plus ou moins) pérenne, à la composition changeante et adaptable, il ne faut pas oublier qu’elle ne peut exister et prospérer – et souvent grassement ainsi que le rappellent des producteurs comme Rodrigue Kaboré ou Moussa Djingarey (infra) – que s’il perdure un tissu d’entreprises stables, rentables et compétentes, dont on a souvent minimisé l’importance si ce n’est ignoré l’existence. En amont de la production, les entreprises dites techniques sont essentielles, et la qualité de leurs prestations rejaillit sur celle des œuvres : vente ou location de matériels de tournage, de prise de vue et du son ; auditorium et salles de mixage ; unités de montage ; concepteurs de trucage et effets spéciaux ; laboratoires et éditeurs de DCP et KDM ; duplicateurs de support numériques ; studios et fabricants de décors ; concepteurs de matériel publicitaires et de communication ; etc. Toutes vont de pair avec des métiers pratiqués individuellement mais absolument indispensables dans la spécificité de leurs savoir-faire : accessoiristes et costumiers, maquilleurs, bruiteurs, cascadeurs, etc. Le déroulé des génériques éclaire sommairement l’ensemble de ces métiers peu (re)connus ni valorisés, qui concourent cependant à une production de qualité permettant l’existence, puis le succès des œuvres. Du producteur au chef opérateur, les fondements des mêmes savoir-faire s’appliquant à la fabrication d’un film ou d’une série télévisée, l’accroissement de la profitabilité des œuvres audiovisuelles en ASF va faciliter la constitution de ce tissu entrelacé de compétences que des talents ambitieux ne manqueront probablement pas d’utiliser, avec des modes de production adaptés et diversifiés, leur permettant d’emprunter des voies singulières, indépendamment de tous les modèles dominants, fussent-ils en « wood », et même d’ébène.

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Deuxième partie : Portraits de producteurs d’Afrique sud saharienne francophone

Les 22 entretiens regroupés en cette seconde partie concernent géographiquement toute l’Afrique sud saharienne continentale francophone, quoique l’ouest soit davantage représenté : respectivement, un producteur a été interviewé pour le Bénin, le Cameroun et le Congo ; deux pour les Mali, Niger, Togo ; trois pour la Côte d’Ivoire et le Sénégal ; et huit pour le Burkina Faso. Nous avons essayé de respecter une certaine proportionnalité avec la production cinématographique des nations, et les personnes interviewées livrent assurément des éléments de compréhension des situations locales d’exercice de leur métier. Mais surtout, toutes réunies, nous ambitionnons qu’elles puissent former un panorama signifiant et représentatif des problématiques de la production cinématographique et audiovisuelle contemporaine sur toute la région. Malgré le très faible nombre de professionnel(le)s concerné(e)s, il n’existe pas à ce jour, ni par pays, ni encore moins pour toute la zone, de répertoire des sociétés ou personnes en activité ni de syndicat ou d’organisation professionnelle représentative, ce qui est un problème réel, d’abord pour la défense de leurs intérêts, mais également pour un recensement exhaustif qui s’avère de ce fait impossible, d’autant que le paysage se modifie à une vitesse accélérée depuis la propagation du numérique. Le faible nombre de femmes productrices interviewées – trois seulement – reflète l’état et la composition de cette profession en général, et pas seulement en Afriques d’ailleurs, et est cohérent aussi avec le très faible effectif de réalisatrices de LM. Les trois générations post indépendance sont présentes, et la variété des témoignages dresse des situations et des portraits de professionnels très contrastés. Les difficultés économiques partout rencontrées, provoquées par la vacuité de presque tous les États et l’absence de filière structurée, rassemblent ces professionnels et les font se ressembler, au-delà de conditions nationales spécifiques. Si le recours au système D, au « mégotage » est récurrent, les ressorts d’inventivité mobilisés pour contourner les contraintes matérielles dominent, et côtoient le recours aux subventions issues de France ou d’Europe, dont ils sont très peu à refuser volontairement l’apport. Mais la vraie césure, qui est davantage psychologique que générationnelle (et encore moins nationale ou genrée), réside entre ceux, désormais minoritaires, qui se maintiennent, voire se complaisent, dans la critique d’un État totalement absent et indifférent, s’arrêtant à la lamentation comme ultime alibi d’une impuissance que l’absence d’un marché régulé justifierait, et ceux et celles pour qui ces complaintes sont dépassées et constituent une dépense d’énergie stérile. Faire avec, avec son temps, avec ces dysfonctionnements, avec l’existant, non point guidé par un réalisme sage et abstrait, mais par l’ambition de vivre de son métier, de réaliser des œuvres, de se faire connaître, de conquérir. La rupture avec les doyens est flagrante, ceux de la première génération qui faisaient des films de cinéma, de ce 119

cinéma dit d’auteur. Eux n’ont jamais connu la pellicule ni le cinéma « des anciens », ou pour ceux qui l’ont connu, n’en ont nulle nostalgie. Ils ont compris qu’une époque ne reviendrait pas, que l’Histoire ne repassait pas les bobines, et ils ne s’en soucient guère. Ils et elles ont faim, moins de gloire et de reconnaissance que de construire, bâtir, avancer. Et ils et elles sont nombreux à ambitionner de subjuguer toute l’Afrique de l’Ouest qui devrait dès lors se monter trop étroite pour eux tous (sans compter les autres prétendants, bien plus nombreux, dont les propos ne figurent pas ici) ! S’ils et elles veulent faire des films, ils et elles ont tous – par nécessité – basculé vers le modèle audiovisuel, recherchant le préfinancement de leurs œuvres, et n’attendant plus que marginalement un amortissement ex-post sur des marchés en devenir qui ne seraient que des bonus. Si, sans nul doute, ils font déjà, et vont de plus en plus réaliser, des œuvres audiovisuelles, vont-ils pour autant produire des films de cinéma à la suite de quelques aînés au passé aussi glorieux que parfois mélancolique ? Certainement pas, et assurément plus de films « calebasse » qu’une colonialité leur a trop longtemps enjoint de tourner ; leurs propos montrent bien qu’une page s’est tournée. Mais s’agit-il du cinéma comme l’entendent (encore ?) les industries du Nord ? Rien n’est moins sûr, car sans le triptyque α) lieux de formation β) critique et analyse filmique γ) lieux de visionnement et d’échange autour des films du patrimoine, il est peu probable de voir émerger une cinématographie. Et alors ? Comme à Lagos il y a un quart de siècle, il se joue en cette fin de seconde décennie du XXIe quelque chose en ASF, de différent bien sûr du grand voisin anglophone, mais également de radicalement autre que cette voie tracée par les industries impériales, parce que culturellement distinct et techniquement entièrement singulier depuis la disparition de la pellicule et la pénétration d’internet sur ces territoires. Parce que le financement sera différent, la grammaire d’écriture des images le sera également. Parce que tous les peuples d’ASF ont été privés durant plus d’un siècle de leur propre expression collective autour des images animées, la probabilité est forte que les productions en devenir se réécriront différemment, sous des formes encore en gestation, inconnues, à inventer, à parfaire. Parions à l’avance que, comme l’ont été depuis leur apparition les productions nigérianes, elles seront décriées par les instances européennes de légitimation (journaux, festivals, guichets institutionnels, universités) à vision dominocentrée et à prétention hégémonique1. Puisse la lecture des témoignages qui suivent permettre une légère réduction de la cécité qui contamine trop souvent les tenants du goût dominant face aux formes spécifiques d’expression et de stylisation des dominés, de classe ou de culture. 1

Claude Grignon et Jean Claude Passeron, « Dominocentrisme et dominomorphisme » Enquête, 1 | 1985, mis en ligne le 26 juin 2013. http://journals.openedition.org/enquete/42.

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Balufu Bakupa-Kanyinda Le cinéma comme art politique Producteur en République Démocratique du Congo

Dates clefs 30 octobre 1957 : naissance à Kinshasa (RDC) Années 1970 : Études de Sociologie, Histoire et Philosophie à Bruxelles 1979-1981 : Animateur au Centre Culturel Français de Lubumbashi (Katanga, RDC) 1991 : Réalisation de son premier court métrage, Dix mille ans de cinéma 1992 : Fonde sa Compagnie de l’audiovisuel et de la communication et son département production, DipandaYo ! Films production 2000-2003 : Membre de INPUT 2000 (International Public Television) 2001-2002 : Membre de CreaTv, programme de l’Unesco pour les télévisions du Sud 2007 : Réalisation de son premier long métrage, Juju Factory 2015 : Création du prix spécial Thomas Sankara au Fespaco Principaux films réalisés, et coproduits à partir de 1996 Courts métrages 1991 : Dix mille ans de cinéma (doc., 13 min, Scolopendra Productions) 1993 : Thomas Sankara (doc., 26 min, Channel Four) 1996 : Le Damier - Papa national oyé ! (fiction, 40 min) 1999 : Bongo libre… (doc., 26 min) 1999 : Watt (fiction, 19 min) 1999 : Balangwa Nzembo (L’ivresse de la musique congolaise) (52 min) 2002 : Afro@Digital (doc., 52 min) 2002 : Article 15 bis (fiction, 15 min) 2009 : Nous aussi avons marché sur la lune (fiction, 16 min) Longs métrages 2007 : Juju Factory (fiction, 1h40) 2015 : Congo : Le silence des crimes oubliés (doc., 1h18, prod. + réal.) Né à Kinshasa (ex-Zaïre), Balufu Bakupa-Kanyinda a étudié la sociologie, l’histoire et la philosophie à l’Université de Bruxelles avant d’aller se former au cinéma dans un atelier photo à Paris, puis aux Beaux-arts de Cambridge. Considéré comme l’un des militants du cinéma africain, son premier CM en 1991 était déjà une réflexion critique sur l’histoire du 121

cinéma africain, tandis que son deuxième sera consacré au président du Burkina Faso assassiné quelques années plus tôt, et pour lequel il fondera un prix qui portera son nom au Fespaco. Comment êtes-vous venu au cinéma ? Je suis arrivé au cinéma parce que j’aime le cinéma ; j’ai vu des films, beaucoup de films quand j’étais jeune avec mes parents. On avait aussi des amis qui tenaient des salles de cinéma, et on avait une caméra, avec laquelle on a fait beaucoup de films de famille. Mon frère aîné est un brillant écrivain1, et je viens d’un environnement littéraire où je croisais de très grands noms de la littérature, et j’ai forcément été influencé par cette proximité. Je viens de l’écriture, et le désir de raconter a créé en moi un besoin de l’élargir à l’image, parce qu’aujourd’hui elle est centrale. L’imaginaire africain a besoin d’être nourri d’images ; actuellement il est encore nourri de musique et des divers bruits des discours politiques, mais il a besoin, et attend, d’être nourri par l’image de l’Afrique. Alors comme disait Sembène Ousmane, il est déplorable que, dans notre continent, quand les Africains se lèvent, ils se regardent dans un miroir mais ne se voient pas, eux ; ils se voient en Européens, en Blancs. Quand vous arrivez dans un pays d’Afrique, vous allez dans une chambre d’hôtel, vous allumez la télévision et vous voyez d’abord la télévision du colonisateur. Puis quand vous voyez, la télévision nationale, l’image est de mauvaise qualité. Donc je ne sais pas si c’est fait sciemment, mais quand on est éduqué à l’image, on perçoit tout de suite ce que sont ces rapports d’aliénation par rapport à l’image. Quand on est jeune, on pense que le cinéma est un divertissement, parce qu’on a envie d’entendre raconter des histoires. Et puis à un moment on se rend compte que le cinéma est un art politique. Il n’y a pas plus art politique que le cinéma, surtout quand on est Africain. La colonisation de l’Afrique, si nous prenons la conférence de Berlin 1884-85, intervient dix ans avant les frères Lumière. Et la cinématographie a donné aux colonisateurs, aux publicistes de la colonisation, l’outil par excellence. Les premiers clients des frères Lumière ont été les missions catholiques en Afrique. Par l’image on a pu négativiser l’autre, par l’image on a pu nous coloniser, on a pu nous aliéner, on a négativisé notre image. Donc quand moi, Africain, je fais du cinéma et que je suis au courant de ces choses-là, je pense que ce que je fais est très important et que je dois faire attention.

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Producteur, scénariste et réalisateur, Gilbert Balufu est né le 18 mai 1963 à Mbuji-Mayi (province du Kasaï oriental). Il a étudié la Communication et a suivi plusieurs formations dans le domaine du cinéma aux côtés de son frère d’abord, en France, puis à Libreville (Gabon), à Pretoria (Afrique du Sud) et à New York (États-Unis). Ils ont produit ensemble deux documentaires, New Generation et Une Saison au Congo.

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Dès le début de votre envie de cinéma, vous aviez cette conscience politique ? Non, au début on va vers un divertissement. Au début quand on regarde les films coloniaux, quand on n’est pas éduqué à l’image, on est dans la dérision, on rigole. On peut regarder King Kong et trouver que c’est un beau film, mais toute la représentation, les préjugés, l’image du Noir qu’il y a dans ces films – de King Kong ou Tarzan – on ne le perçoit pas quand on est enfant, ni quand on est dans un environnement qui n’est pas éduqué aux préjugés, à la sociologie de l’image. Mais en cours de route j’ai fait de la sociologie de l’imaginaire, et j’ai dirigé un travail sur l’image du Noir en Belgique, donc ce sont des choses qui m’ont formé et déformé. J’ai grandi en Belgique, et j’ai vu des films français dès six ans, donc je ne suis pas un Africain qu’on transplante d’un village, je suis quelqu’un qui a vu des films dans sa maison avec une famille qui avait une petite caméra 8 mm. Aujourd’hui je vis à Paris, j’y passe très peu de temps mais je suis résident en France ; ce n’est pas une question coloniale des territoires, c’est une décision personnelle, même si j’ai des garçons qui vivent en Belgique. Que voulez-vous lorsque vous commencez à faire du cinéma ? Je veux raconter des histoires ! Je veux raconter des histoires, avec des images2. Mon milieu familial est très ouvert ; ce sont des libres penseurs, parmi lesquels se mêlent des politiciens, des commerçants et des grands littéraires. Je vis dans un milieu qui ne transporte pas un quelconque complexe, la parole est libre. Et durant mes études, j’ai rencontré des personnes qui m’ont ouvert l’esprit sur des grandes questions. Donc c’est mon environnement de culture savante et de culture populaire, puis mes rencontres qui m’ont forgé. Chacun est le produit de son environnement, mais personne ne sait pourquoi il devient écrivain si ce n’est pour le désir de dire ; ce n’est qu’ensuite qu’il sait qu’il exprime une vision du monde. Où avez-vous été formé au cinéma ? J’ai fait d’abord du cinéma amateur en Belgique, où il y avait beaucoup de cinéclubs, et j’ai fait de la photographie à Paris. Quand j’ai terminé l’université à Bruxelles en sociologie, histoire et philosophie, j’ai essayé d’aller à l’INSAS (Institut national supérieur des arts du spectacle et des techniques de diffusion) à Bruxelles, mais ça me paraissait une perte de temps parce qu’il fallait reprendre le cycle à zéro, et parce qu’il y avait aussi un regard assez ambigu lors de l’entretien à l’entrée. Les propositions qui m’étaient faites ne me correspondaient pas, car je cherchais un cycle court et 2 Sur sa méthode de travail, et notamment l’utilisation de l’oralité et l’importance de la sphère narrative, voir son entretien avec Olivier Barlet, Berlin, février 2000, dans Africultures, http://africultures.com/entretien-dolivier-barlet-avec-balufu-bakupa-kanyinda-2476/ publié le 29 août 2002.

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c’est pourquoi je suis allé aux Beaux Arts, à Cambridge, durant un an, où on ne m’a pas posé de questions, mais seulement « que voulez-vous ? ». Après être allé aux États Unis je suis revenu en France, et j’y suis résident depuis 1986, mais je n’y vis pas beaucoup. Comment êtes-vous devenu producteur de vos propres films ? Par la force des choses, car j’ai d’abord vocation à être réalisateur. J’écris des scénarios pour d’autres personnes, je suis considéré comme un bon script doctor. J’ai réalisé un film sur Thomas Sankara (Thomas Sankara, 1993), qui a été financé par la télévision anglaise Channel 4 ; à cette époque, c’était supérieur à Canal + : un grand prestige. Le rapport d’un Africain au cinéma français est un rapport de préjugés et de clichés. L’Africain n’est pas lu comme cinéaste, il est d’abord lu, tout court, comme un Africain ; d’ailleurs il y a ce terme assez bizarre qui dénote d’un manque d’intelligence, qui est « cinéaste africain » ou « cinéma africain ». C’est du préjugé ou un manque d’intelligence, car il n’y a pas de médecin africain, il n’y a pas d’ingénieur africain, il y a des Africains qui exercent un métier. Mais cette ambiguïté, c’est-à-dire la lecture, le rapport de la France et du cinéma avec ses colonies françaises, c’est un rapport qu’après ce qu’on appelle les indépendances, d’aucuns auraient voulu conserver, pour une continuité du récit colonial. Dans le catalogue des films africains des années 1960 jusqu’aux années 1980, beaucoup d’Africains qui ont fait des films, financés par la France, ou qui sont de formation française, continuent tout simplement le regard colonial. Dans leur façon de poser la caméra, de filmer un corps noir, c’est encore un cadrage colonial. Donc le regard ne peut pas être le même culturellement. La rétine elle-même ne voit pas un Noir ou un Blanc de la même façon, donc on ne peut pas poser la caméra de la même manière. On ne peut pas, c’est très important. Comme beaucoup de gens de ma génération, à Paris je croyais vraiment qu’on pouvait participer à la diversité française, mais non, c’est trop compliqué. C’est très compliqué, mais je continue à faire des films, des films qui n’ont jamais été vus en France, mais qui sont connus aux États-Unis.

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Pourquoi certains de vos films n’ont-ils pas été diffusés en France ? J’ai fait un film que j’ai présenté à un ami qui est directeur général de Arte cinéma, et il m’a dit : « ce n’est pas un film africain ». Par éthique, je ne mets jamais en cause la décision de quelqu’un. Tout est subjectif, donc je ne vais pas me dire que je suis dans l’impasse ; le monde est vaste, je vais voir ailleurs. Pourquoi avez-vous produit pour d’autres, et en quoi est-ce différent que pour vous-même ? J’ai écrit et j’ai produit pour d’autres une dizaine de films. C’est accompagner l’autre parce qu’il a un beau projet, à sa demande, ou par la découverte. J’ai fait un film qui s’appelle Le damier (40 min, 1996) avec la subvention du CNC, qui a gagné tous les prix possibles3, qui a été aux Oscars. Ensuite j’ai fait un film en 2007 que j’ai produit seul, qui a coûté à peu près 700 000 €, en Belgique, Juju factory, qui a été vendu mais c’est celui-là dont on a dit qu’il n’était pas africain. Je fais des films qui n’ont jamais perdu de l’argent, même si chacun a son histoire4. On fait un film surtout avec l’argent des autres, mais quand on fait un film avec son propre argent, il faut presque considérer son argent comme si c’était l’argent de l’autre ; en termes d’éthique de production, c’est la première chose à considérer. Mais il faut être dans un environnement où l’autre vous reconnaît comme cinéaste. Raoul Peck disait en septembre 2016 au festival de Toronto lors de sa conférence de presse « même à mon niveau en France quand je m’assois avec des bailleurs de fonds, je dois encore leur expliquer qui je suis ! Ce qu’un cinéaste français qui a fait un mauvais film n’a jamais à faire ; on a l’impression que lui, on le connaît ». Ce qu’il dit est vrai : à chaque fois on doit s’expliquer, on doit dire d’où on vient. C’est quand même incroyable ! Pourquoi d’après vous ? C’est un manque d’intelligence tout simplement, un manque de curiosité par rapport aux autres. J’ai pris un avion rempli de gens du cinéma français pour aller à Rio, ils ne se sont même pas rendu compte que j’étais là, que j’étais réalisateur… Faire attention à l’autre… En France, le cinéma c’est quoi ? C’est l’imaginaire d’un pays, mais tous les Français ne sont pas blancs, et

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Fespaco (Ouagadougou) 1997, Festival de Villeurbanne 1997, Reel Black Talent Award (Toronto) 1997, Festival de Namur 1998, National Black Programming Award (Philadelphie) 1998. 4 Sur les tournages de certains films, et notamment le rapport au texte comme sur la direction d’acteurs, voir Entretien de François-Xavier Dubuisson avec Balufu Bakupa-Kanyinda à propos de Nous aussi avons marché sur la lune, dans Africultures, http://africultures.com/jeme-sens-redevable-de-mes-poetes-9073/#prettyPhoto, publié le 11 décembre 2009.

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tous les Français ne sont pas parisiens, donc ces diversités on en fait beaucoup de discours, mais dans la réalité c’est plus complexe que cela. Certaines années on entend, par exemple : « il y a un film africain à Cannes », or donc quand on dit ça, cela signifie pour le monde entier que l’Afrique n’a produit qu’un seul bon film ! Mais ce qu’on oublie de dire, c’est que ce n’est pas un film africain ; soit le réalisateur, soit les acteurs sont africains, mais c’est un film de production française, c’est un financement français, c’est presque une conception française du regard sur l’Afrique. En revanche, si vous demandez combien de films venant d’Angleterre ou d’ailleurs ont été proposés à Cannes, la liste est longue. Avez-vous constaté au cours des vingt dernières années une évolution des sources de financement ? Je ne me suis jamais posé cette question. J’ai des amis, j’ai des entrées dans des pays où les gens respectent mon travail. Je soumets un projet, on le finance, ou pas, je ne me pose pas ces questions-là. J’ai reçu des subventions de l’OIF, j’ai reçu des États-Unis, d’Angleterre, et moi je livre un film. Mais mon désir depuis un certain temps – c’est pour cela que je ne fais pas beaucoup de films – c’est de ne faire du cinéma qu’avec de l’argent qui vient d’Afrique. Je viens de produire deux films, un documentaire, Congo : Le silence des crimes oubliés5 réalisé par mon frère ; et un court métrage de fiction Mbamba, de Michée Nsunzu, avec de l’argent africain ; vous ne verrez pas de l’argent européen au générique. Et présentement je prépare un film qui se passe au Kenya et en Afrique du Sud, une coproduction avec le Nigeria, quatre pays avec le Congo. Donc il est possible de produire africain6.

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Deuxième prix du meilleur documentaire au Fespaco 2017, le film a également bénéficié d’un apport important d’archives des Nations unies et de la Monusco. 6 Sur la constance de cet engagement, voir son portrait dans Guido Convents, Les Congolais face au cinéma et à l’audiovisuel. Une histoire politico-culturelle du Congo des Belges jusqu’à la république démocratique du Congo (1896-2006), op. cit., p. 347-352.

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Est-ce un choix politique de votre part ? Non ce n’est pas un choix politique, c’est un choix de production puisqu’on ne fait jamais un film avec son argent, mais avec l’argent des autres. Si je suis dans mon pays, j’ai le droit de réclamer cet argent, de dire que j’ai envie de produire avec cet argent et pas un autre. Donc je produis douze courts métrages à Kinshasa sur un volume de 350 000 $. Il y a ici une enveloppe, il y a le gouvernement, et j’ai besoin que les gens aussi mettent la main à la poche. Chacun sa démarche, certains sont dans la complainte, moi je suis venu au cinéma par décision personnelle, donc quand je prends une décision, elle est toujours personnelle. Vous avez présidé le fonds de l’OIF ? Oui, et c’est une des aventures que je ne referai plus jamais parce que j’ai trouvé qu’il n’y avait pas de respect par rapport au cinéma africain. J’ai trouvé que les choses étaient prises à la légère alors que ma commission et moi étions très sérieux, mais nous nous sommes retrouvés à saupoudrer des petites sommes d’argent. On avait des documents disant qu’on allait donner telle somme, et à l’annonce l’enveloppe était réduite de moitié, alors on saupoudrait ! Je suis resté deux sessions mais je ne pouvais pas prolonger ; j’ai jugé que je n’avais pas de temps à perdre pour discuter avec les responsables de l’OIF et je suis parti. Je sais qui je suis, je n’ai pas de temps à perdre. J’ai beaucoup de respect envers les gens et j’aime bien que ce soit réciproque, donc si je sens que ça ne me correspond pas, je m’en libère ! J’ai toujours mené mon travail de cette façon, je suis un grand team player, un équipier, mais je pense qu’on fait des choses pour aboutir et pour en être un peu satisfait. Quelle est votre démarche par rapport au public ? Le désir de faire des films, c’est le désir de rencontrer l’autre ; nous faisons des films pour l’autre, on ne fait pas des films pour soi. On fait un film pour que le plus grand nombre puisse voir l’histoire que vous portez, puisse l’aimer autant que vous l’avez aimée. Faire un film c’est convier l’autre : vous n’allez pas le convier dans une conversation ennuyeuse. Donc vous espérez que les gens seront émus, s’en inspireront et repartiront chez eux avec un peu de bonheur. Les salles n’ont pas disparu en Afrique, elles ont disparu en Afrique francophone, et c’est ça aussi la singularité de l’Afrique, car nous disons tout le temps « Afrique », mais c’est l’arbre qui cache la forêt. L’Afrique ce n’est pas un pays, c’est un continent, avec 54 pays. En 2006 j’habitais au Ghana et j’enseignais au Ghana. Il fallait installer la classe de cinéma pour l’Université de New York ; au campus à Accra, il n’y avait pas de salle de cinéma, six mois après il y avait un mall avec quatre salles de cinéma. J’ai enseigné en Zambie, j’ai vu un mall. Il n’y a que le cerveau francophone 127

colonial qui a un problème, car ce n’est pas partout en Afrique. Au Kenya il y a des salles ; et est-ce qu’on considère que l’Égypte et le Maroc sont en Afrique ? Ils ont des salles. Au Nigeria il y a des salles, parce qu’il y a forcément des commerçants qui rencontrent les désirs du cinéma. Le cinéma c’est un commerce ! Au Burkina Faso il y a des salles qui souffrent mais survivent, même si ces salles-là appartiennent déjà aux commerces du passé. Car une salle comme le Burkina à Ouagadougou qui est isolée, toute seule, avec un seul écran, ça rapporte quoi ? Aujourd’hui les salles sont fondues dans une offre commerciale qu’on appelle les malls et les cineplex. Dans le mall il y a divers commerces ; si la salle ne peut pas assurer l’équilibre des recettes, la pharmacie, le supermarché, les bureaux équilibreront. Comment expliquez-vous la différence avec l’Afrique francophone ? Je ne sais pas ; j’ai l’impression que l’ASF évolue dans un environnement avec une monnaie qui n’est pas la sienne, le franc CFA, qui est fabriquée ailleurs par les colonisateurs. Je crois que ça ne peut pas donner une sérénité de l’esprit aux entrepreneurs, parce que la monnaie est quand même un lien souverain. Au Nigeria, au Ghana ils ont cette liberté du commerce, et leurs propres monnaies. Cette raison n’est pas la seule, mais il y a un problème. Est-ce que ces pays ont leur mental libéré par rapport au fait commercial et culturel ? C’est une question qu’il faut se poser. Il existe dans très peu de pays d’Afrique francophone une économie culturelle parce qu’une économie culturelle se fonde sur des infrastructures culturelles, ce qui n’est pas le cas. Par exemple, combien d’orchestres philharmoniques, symphoniques, en Afrique ? Vous trouvez un orchestre philharmonique à Accra, à Nairobi, en Afrique du Sud il y en a plein, à Kinshasa il y en a trois, donc c’est peu. Il y a surtout des fanfares militaires ! C’est ça aussi le rapport à la culture. Parfois on l’a expliquée à nos pères, à nous colonisés, d’une façon trop savante : la vraie définition de la culture, c’est le peuple. Et quand on aime son peuple, on aime sa culture, on la met en avant ; partout où des gouvernants se confondent avec leur peuple, aiment leur peuple, la culture est mise en avant. Quand on aime son peuple, on met en place une politique culturelle. Mais nous sommes encore dans des pays de précarité, donc de dépossession, où ceux qui accèdent au pouvoir veulent posséder et ils ont l’anxiété de retomber dans la précarité, alors ils s’accrochent. Ils pensent que, d’origine, un colonisé c’est un dépossédé parce que la colonisation dépossède. Donc après, quand on donne un peu d’espace de liberté, de pouvoir, ils ont besoin de re-posséder et ils ont l’anxiété de retomber dans la précarité. Mais à quel moment vont-ils s’occuper de l’économie culturelle ? Et, par ailleurs, je ne suis pas sûr que la France ait un jour quitté ses colonies, non je ne crois vraiment pas !

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Dans quels pays vos films sont-ils les mieux reçus ? Aux États-Unis ; presque tous mes films se trouvent dans de nombreuses médiathèques des collèges et des universités. Ils ne sont pas diffusés sur le câble, à la télévision, mais être dans un programme d’enseignement c’est encore plus large que d’être vu en câble, et presque tous mes travaux sont dans des programmes d’enseignement. Je ne souhaite rien, je fais des films pour qu’on puisse les voir mais je ne vends pas mes films en DVD, je ne fais pas des films de supermarché ; je fais des objets rares, du cousu main, donc je n’ai pas la prétention d’aller les mettre en vente à la Fnac. On peut les acheter sur commande, sur des plateformes comme l’African film library, de l’Institut français, ou California newsreel, et ça marche bien. Je n’ai pas le rêve de casser le box-office pour le moment. Je ne peux pas vous donner des chiffres que je ne sais pas vérifier, mais je ne me plains pas, et ceux qui me distribuent non plus ne s’en plaignent pas. Pourquoi produire pour les autres ? Ces douze courts métrages, ce sont douze réalisateurs. Je ne vis pas à Kinshasa mais je m’y rends beaucoup, et les jeunes venaient me voir ; alors j’improvisais un atelier, je leur transmettais. Ça a duré à peu près six ans, et chaque fois que j’ai eu une semaine de libre, je suis allé à Kinshasa. Et à un moment je me suis rendu compte que cela ne servait à rien de prétendre les former, il fallait que je produise. Donc j’ai créé l’atelier, puis j’ai commencé par leur expliquer ce qu’est le cinéma, et ce qu’il ne faut pas faire, pour ne pas tomber dans le piège du récit colonial. Je leur ai donné une thématique sur la paix, en disant que l’équation narrative était « sans justice il n’y a pas de paix », et ils ont ramené des sujets, puis on a travaillé pendant presque six mois sur l’écriture. Ils ont créé des binômes écriture-réalisateur, et après j’ai travaillé avec eux dans un autre atelier sur la préparation d’un film. Ensuite ils sont partis tourner tous seuls, ils ont fait le premier montage et je suis venu valider. Pour moi, c’est ça une production. Ce n’est pas une production au sens classique. Produire c’est former un duo ou un trio avec le scénariste et le réalisateur. Donc si quelqu’un m’amène une histoire qui me plaît, il faut aussi que lui me plaise, pour que je l’accompagne. Il faut que je mette dans ce projet, qui n’est pas encore un film, ce pourquoi je l’aime, ce pourquoi je veux l’accompagner. La générosité est un égoïsme, nous ne faisons des choses que parce qu’elles nous plaisent, parce que c’est bien pour nous aussi, donc… Si un ami m’appelle et me dit « Je veux faire un documentaire à tel endroit, je le finance mais est-ce que tu peux me faire la production ? », ma position est de lui permettre de mettre en place un cadre qui va faire que de A à Z son projet soit maîtrisé et livré. C’est juste un échange d’expériences. De la même manière, quand j’écris un scénario j’appelle deux, trois camarades, ils 129

me font du script doctor, et réciproquement si l’occasion se présente7. Mais en production c’est une implication totale. En tant que réalisateur avez-vous ressenti ce besoin d’être accompagné par un autre producteur ? J’ai toujours été produit par d’autres, même si j’ai des droits de coproduction ; j’ai besoin de quelqu’un pour prendre le recul à ma place. Je n’ai pas la capacité de diviser mon cerveau en deux, en étant réalisateur et producteur en même temps. Déjà je suis scénariste, mais je dois d’abord complètement l’oublier sur le plateau ! Est-ce que dans vos métiers le passage de la pellicule au numérique a changé quelque chose ? Dans tous mes films, il y a plusieurs couleurs, mais ma couleur préférée c’est le noir et blanc, et j’ai toujours travaillé avec plusieurs documents, c’est-àdire que je peux faire intervenir une coupure de presse, une photo, beaucoup de médias. Quand j’étais à Londres, fin des années 1980, parmi mes amis de Black audio film collective, John Akomfrah a fait de très, très beaux films documentaires, et c’était déjà cette expérimentation-là, d’aller chercher des archives en 8 mm, puis de recomposer. On savait que le numérique arrivait parce qu’on était dans un environnement où la technologie était dans les conversations, et quand ça a paru évident, j’ai été étonné que l’Afrique francophone ne soit pas en alerte. J’entendais les cinéastes d’origine africaine à Paris, ou à Ouagadougou au Fespaco 1997 et 1999, disant « ce numérique est un piège, on veut nous mettre dans un ghetto ». Parce que forcément dans le récit colonial on leur avait dit qu’un cinéaste tourne avec une grosse caméra. Mais ils ne comprennent pas le rapport entre le contenu et le contenant – la caméra n’est qu’un outil – et qu’en passant de la lourde caméra au numérique on changeait d’époque, on changeait d’esprit. Vous avez fait un film sur ce thème. J’ai tourné en 2001 un documentaire qui est une belle histoire aussi de mon rapport avec la France qui s’appelle Afro@digital. Avant, je représentais l’Afrique francophone, parce que l’Unesco me l’avait demandé, à l’INPUT (International public television screening conference), le vieux lobby des télévisions occidentales publiques qui existe depuis longtemps et qui 7

Ce fonctionnement n’est pas seulement amical mais a été conscientisé. Avec une demidouzaine d’autres cinéastes (Mahamat-Saleh Haroun, Mama Keïta, etc.), il a cofondé en 1999 la Guilde africaine des réalisateurs et producteurs qui, dans son Bulletin de la Guilde africaine, n°1, mars 2000, a publié un éditorial collectif « Solidarité », plaçant au cœur de leur projet la restauration d’une solidarité africaine « en rupture avec les logiques individualistes dans lesquelles « la modernité » nous avaient jusque-là enfermés ». À la rémunération des services en argent, le principe était d’y substituer la formalisation d’un échange de temps consacré par chacun aux projets des autres.

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organise une conférence annuelle dans un pays du monde. Ce comité faisait à Paris de très belles réunions avec des gens d’Arte, de France 2, des télévisions publiques. C’étaient des réunions qui se passaient dans des restaurants avec de très bons vins, et les gens se disputaient les factures avec les cartes bancaires de leurs entreprises. Les discussions tournaient toujours autour de millions d’euros. Et puis un jour je leur ai dit que j’avais le projet de faire un film sur le numérique en Afrique : et bien tout le monde a laissé tomber sa fourchette ! Ils m’ont dit que j’étais fou, certainement pas sur le numérique en Afrique ! Mais pourquoi pas un film sur le Sida ?… J’ai pu obtenir un peu d’argent à l’Unesco, au CNC, à la Procirep parce qu’on avait un compte entreprise, et j’ai obtenu de l’argent en Amérique, puis j’ai fait ce film. C’est un long voyage, qui part de New York, Londres, Paris et atterrit à Gorée, Ouagadougou, et traverse vingt pays en Afrique jusqu’à Robben Island, dans la cellule de Mandela, à la pointe du Cap. C’est juste un voyage à la recherche de l’esprit du numérique, un manifeste pour le numérique, qui dit tout simplement aux gens : le numérique, le digital space, c’est la fin de l’analogique ! Le film a été diffusé par une petite chaîne en France, et les gens l’ont regardé en se disant que c’était de la fiction ces Africains qui parlaient du numérique. Mais pendant très longtemps le Fespaco a refusé les films en copies en numérique ? C’était normal. Je suis président de la guilde africaine des cinéastes donc j’ai conduit toutes les discussions entre les cinéastes et le Fespaco, qui a un petit parc de salles, qui étaient équipées en 35 mm. Vous ne pouvez pas demander à un pays comme le Burkina Faso de passer tout de suite au numérique alors que le projectionniste en numérique devient pratiquement un informaticien. Vous n’allez pas demander à un pays de tout basculer d’un coup et de mettre dehors ses formidables projectionnistes qui nous ont vus grandir. Il fallait aussi comprendre les problématiques, financière liée au Burkina Faso pour l’équipement, et humaine par rapport aux projectionnistes. Moi quand je rentre dans une salle de cinéma où on projette mon film, je monte toujours saluer le projectionniste, c’est mon dernier technicien. Donc ces rapports, on ne les tue pas comme ça, il faut qu’il y ait une vraie relation. Il a fallu gérer cela, beaucoup de cinéastes étaient contre, parce qu’on leur avait dit qu’être cinéaste, c’est faire un film avec une caméra 35 mm. En fait l’outil leur semblait plus important que le contenu. Pour faire mon film sur le numérique, j’ai interviewé 50 cinéastes de renom en Afrique, et 40 n’avaient rien compris au numérique. Mais le Fespaco n’était pas contre. Il avait beaucoup de pression de cinéastes qui n’en voulaient pas, qui disaient qu’il fallait attendre. Donc ça a traîné jusqu’en 2013 et on a fini par le faire ensemble, mais il y avait beaucoup de réticences chez les cinéastes. 131

Avec le numérique, il est devenu possible de multiplier sa créativité, de produire davantage sans sacrifier la qualité, de réinterroger et d’enrichir la mémoire africaine, de redessiner l’image de l’Afrique, en économisant sur la coûteuse technologie analogique. Mais il reste au cinéaste d’Afrique de savoir ce qu’il fait, et d’avoir une histoire à raconter. Pour ne pas étouffer son chant, sa part de l’histoire africaine8. Comment expliquer une telle proportion d’incompréhension et de résistances ? Il existe aussi des complexes par rapport au métier. Mais si vous regardez l’histoire du cinéma, le passage du muet au parlant, du noir et blanc à la couleur, cela a toujours fait des drames. Toute révolution pose souci dans l’industrie, ce n’est pas propre aux Africains ; les gens avaient aussi un peu peur de perdre leur métier. Moi j’ai travaillé longtemps avec une monteuse française, le jour où elle a vu une souris passer d’un écran à l’autre, elle a failli tomber dans les pommes ; elle enseigne le montage, mais elle n’a jamais pu comprendre ce changement. Je travaille en France avec un très vieux monteur qui ne sait pas connecter les machines, et il lui faut un assistant pour dérusher, mais lui il possède la vraie grammaire du cinéma. Donc partout dans le monde il y a des gens d’une génération qui n’ont pas réussi à faire le saut vers le numérique. Quels sont vos projets ? Je suis sur deux adaptations de romans, un francophone et un anglophone. L’un Matigari9, du Kenyan Ngugi wa Thiong’o qui était nobélisable l’année dernière, un des plus grands noms de la littérature africaine. C’est une référence, peut-être peu connue chez les francophones, mais c’est le plus grand. Et l’autre projet, francophone, c’est Le bel immonde d’un très grand écrivain congolais V-Y. Mudimbe, qui a enseigné à la Duke university, d’ailleurs tous les deux ont enseigné en Amérique. Mudimbe c’est énorme, c’est lui qui a créé ce concept qui est discuté en Amérique dans toutes les universités : the invention of Africa.

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Pour un développement : Balufu Bakupa-Kanyinda, « Filmer en Afrique, filmer l’Afrique. Défier les stéréotypes », dans La Chronique ONU http://www.un.org/french/pubs/chronique/ 9 Publié chez Heinemann en 1989, puis Africa World Press en 1994, il n’est pas traduit en français. Ngugi wa Thiong’o a cessé depuis d’écrire en langue anglaise pour le faire dans sa langue maternelle, le kikuyu, afin de toucher directement ses compatriotes et jeter les bases d’une littérature en cette langue.

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Pourquoi avoir créé au Fespaco le prix Thomas Sankara ? On a toujours pensé que les Africains avaient un problème avec leur mémoire historique. Même si l’homme Thomas Sankara n’a pas de prix, j’ai créé au Fespaco ce prix spécial10, d’une valeur de trois millions de francs CFA, ce qui n’est pas le plus important, mais de récompenser un bon court métrage, parce qu’il représente l’avenir. Dès 1989 j’ai pensé à ce prix, quand je commençais mon film sur lui, dont la ligne narrative dit « que la mémoire soit notre anneau de fer n’oublie rien en chemin ». C’est le désir de garder une mémoire vivante. Le prix Thomas Sankara rappelle la présence manifeste et la grandeur de cet homme. Il ne faut pas oublier. Vous avez évoqué des réflexes liés aux racines coloniales. À quels moments le ressentez-vous encore dans votre métier ? Les racines coloniales, on les entend aussi chez les Africains : « dans tel pays ils ont 400 tribus ». En France chaque village est une tribu mais on ne l’appelle pas ainsi, donc vous ne trouverez jamais les 400 tribus ; il y a pourtant des différences entre Paris et Marseille. Mais les Africains ont adopté la logique coloniale en disant « on a beaucoup de tribus chez nous ». Le mot tribu n’est appliqué qu’en Afrique ! Si certains mots sont appliqués en France, mais d’autres ne sont appliqués que chez les autres, ça veut dire quoi, « tribu » ? Même les Africains, leurs propres langues ils les appellent dialectes ! Or ce sont des langues qui sont parlées par plus de gens que le français en France ! Mais on leur a dit : « non ce n’est pas une langue, c’est un dialecte ». Voilà, c’est le renversement du reflet dans le miroir. Comment en êtes-vous venu à l’enseignement ? On m’a sollicité et j’ai senti que j’avais aussi le devoir de transmettre. Être cinéaste ce n’est pas que faire des films. Socrate n’a pas écrit, mais nous le connaissons par Platon, donc notre travail est toujours perpétué chez ceux à 10 Créée en novembre 2014 par Balufu Bakupa-Kanyinda, pour récompenser l’un des courts métrages de la sélection officielle du Fespaco, la Guilde Africaine des Réalisateurs et Producteurs, association ayant son siège à Paris, en est le donateur. Le Prix Thomas Sankara a été attribué à Zakaria de Leyla Bouzid (Tunisie) en 2015 et en 2017 à A place for myself de la rwandaise Marie-Clémentine Dusabejambo.

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qui on a transmis un savoir. Quand on enseigne, on apprend, enseigner c’est formidable ; moi mon passage au numérique s’est fait par mon enseignement à New York. J’entrais en classe, les étudiants me disaient des termes que je ne connaissais pas ; même mon ordinateur, je ne savais pas que je pouvais faire autant de choses avec. Seulement après les avoir écoutés, quand mon cours était fini, j’allais sur Google, j’allais dans les tutoriaux, j’ai peut-être plus d’expérience pour vite comprendre les choses, et j’ai appris énormément avec mes étudiants. Mon passage au numérique s’est fait par ma proximité avec les plus jeunes. Mais quand je l’ai dit aux étudiants, ils ne m’ont pas cru, ils pensaient que je blaguais. Donc enseigner c’est formidable, parce que ça vous garde vivant et qu’on apprend beaucoup. Propos recueillis par Camille Amet, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Steven Amouzou Folligan, dit Steven AF La production par nécessité, le succès comme ambition Producteur et réalisateur au Togo

Dates clefs de Steven Amouzou Folligan 2002 : Débute en autodidacte dans le cinéma 2006 : Réalise sa première série télévisuelle Principaux films produits Longs métrages 2008 : Point de suture 2013 : Shérifa 2016 : Solim Séries télévisuelles : 2006 : Les fruits de la passion 9 * 26 min 2015 : Ton pied, mon pied 50 * 6 min Réalisateur-producteur togolais autodidacte, Steven AF se passionne à l’adolescence pour la musique et le cinéma. Enfant de la génération des années 1990, époque des boys-band, fan des séries télévisées comme Hélène et les garçons, il participe à l’université aux activités cinématographiques pour se divertir alors qu’il vit les dernières heures du cinéma en salles au Togo. Rêvant d’être acteur de cinéma, il écrit des petites séries avant d’en réaliser, et surtout d’en produire, en considérant que l’audace et l’entrepreneuriat lui permettront d’avoir un temps d’avance et de mener à bien tous ses projets. Pouvez-vous présenter votre parcours et comment vous êtes arrivé au cinéma ? J’ai quinze ans d’expérience cinématographique à mon actif. Je suis venu au cinéma par la passion et par la petite porte, mais j’espère sortir par la grande. Après mon baccalauréat, j’ai étudié la psychologie appliquée à l’université de Lomé. J’avais déjà une passion pour le cinéma et la télévision et cela m’a poussé à me lancer dans un processus d’écriture et de réalisation en 2002. J’ai écrit le scénario d’une série télé, réalisée ensuite par quelqu’un d’autre, ce qui a été mon premier contact avec l’univers de la production 135

audiovisuelle et du cinéma. Je me suis lancé aussitôt dans ce métier, j’ai laissé mes études de psychologie pour entamer la réalisation de clips vidéo de musique et de publicités. Dans ce pays, il n’y avait pas beaucoup de professionnels sur ce terrain. La génération précédente ne produisait plus, n’était plus active. Seule la télévision nationale produisait. Ma première série télé Les fruits de la passion, que j’ai réalisée et produite, sera sélectionnée pour le Fespaco 2007 : 9 épisodes de 26 minutes, débutés en 2005, finalisés en 2006. C’est à ce moment-là que j’ai compris que la production serait mon métier. Grâce à des recherches sur internet et des déplacements vers des pays plus avancés que le mien dans le domaine, j’ai pu mettre en place ma structure de production. Je suis réalisateur autodidacte et autour de moi il me fallait d’autres personnes, donc j’ai choisi de former d’autres jeunes à ce métier, pour créer une équipe. Le cinéma se fait avec une équipe, un technicien de l’image, un technicien du son, etc. On s’auto-formait et on utilisait les moyens du bord. Au fur et à mesure j’ai commencé à faire des prestations payantes, et donc à économiser pour pouvoir posséder aujourd’hui du matériel professionnel. Ensuite avec les festivals, avec les échanges avec les professionnels, j’ai compris qu’il fallait mettre la barre plus haut et je me suis lancé réellement dans le cinéma. J’ai fait mon premier long métrage Point de suture, et ensuite un autre long métrage toujours en vidéo, Shérifa. Celui-ci a rencontré un succès retentissant dans mon pays. J’ai fait une projection que le public a appréciée et la diffusion de ce film sur Canal+ Afrique a grandi ma notoriété. Sans être prétentieux, je suis alors devenu l’espoir d’un renouveau cinématographique dans mon pays. Et c’est par là que les projets ont commencé à s’enchaîner. Avec d’abord une série humoristique Ton pied, mon pied présentée au Fespaco 2017 et surtout ma dernière œuvre Solim [Amour, en kabyé], un long métrage de fiction. Il a drainé un public conséquent à la première projection dans une salle de spectacle à Lomé. Il faut noter qu’il n’y a plus de salle de cinéma au Togo et nous avions choisi pour la circonstance le palais de Congrès de Lomé, salle de spectacle et de grands événements, censée accueillir 3 000 personnes, et comme c’était à guichet fermé, il y a eu 2 000 personnes en plus qui n’ont pas eu accès à la salle. Pour atteindre ce succès, je suis passé par une diffusion de making of, montrant des coulisses du tournage, et j’ai compris que la vedette de ce film c’était moi. J’ai communiqué sur le réalisateur, sur l’exclusivité pour un film togolais, j’ai communiqué aussi sur le patriotisme et la nécessité de soutenir une œuvre togolaise. Notre stratégie de communication s’est faite par trois grands médias. La télévision d’abord. Le coût d’une promotion sur la télé c’est deux millions de francs CFA mais j’ai eu la chance d’être accompagné par des responsables de télévision qui sont acquis à la cause du cinéma togolais. La télévision a mis en avant le film par la diffusion de bandes-annonces du making of et du spot annonçant l’événement. Ensuite, les réseaux sociaux. Et enfin 136

l’affichage et une communication de proximité, qui ont permis que le film soit promu de la façon efficace et attire 5 000 personnes en une soirée. Vous avez appris le cinéma en partant de l’écriture du scénario. Pourquoi êtes-vous passé aussi à la production ? En écrivant mon premier scénario, je ne savais pas à qui il serait destiné comme producteur et réalisateur. Donc j’ai démarché la télévision nationale où il n’y a pas eu d’interlocuteur, puis une télévision privée, la première télévision privée du Togo à l’époque, et mon interlocuteur me dit : « Mais monsieur vous rêvez ! Faire un film c’est beaucoup d’investissement ». Finalement j’ai trouvé un producteur et compris que ce serait difficile de faire des films si on ne trouvait pas soi-même les moyens, parce qu’il n’y a pas vraiment de producteur, que ce soit en termes de structure de la profession, déléguée, exécutive ou de financement. Donc j’ai compris qu’il fallait chercher les moyens tout en écrivant le film, et logiquement ça a fait de moi un producteur. Je suis arrivé à la production par nécessité, par l’absence d’autres professionnels, et si je veux faire du cinéma, il faut que je sois à la fois auteur, réalisateur et surtout producteur. Je dois être producteur pour qu’un film lance son premier clap. Comment se sont passées vos premières productions ? Un producteur finançait un peu le film, et je me débrouillais pour le reste. En termes de costumes, par exemple, j’ai ramassé les habits de ma sœur, de mes cousins, par ici, par là, et quand je regarde le film, parfois je vois les vrais propriétaires des tenues dans les acteurs… Par rapport à la restauration, il a fallu aller dans la cuisine de maman pour ramasser un peu de tout, et après, les quelques pièces que tu as, tu les investis dans le film. C’était le vrai système D pour cette production. Ensuite, pour les autres projets, j’ai eu des collaborateurs, des partenaires en tant que coproducteurs, mais les apports ont toujours été limités au matériel, et à quelques moyens financiers. Mais je n’ai jamais eu de salaire. Je n’ai pas gagné directement de l’argent avec le cinéma en tant qu’auteur ou réalisateur ou producteur. Le projet dont on peut dire qu’il est le plus professionnel et a eu un effet de levier, c’est Shérifa. Une personne a décidé de raconter sa vie et m’a contacté. Je suis auteur réalisateur de son histoire et du film, son coproducteur et j’apporte surtout le matériel technique. Donc j’ai été en 137

coproduction avec cette personne, et c’était mieux que tous les autres projets. Mais j’ai été en difficulté parce qu’elle n’a pas de notion de la coopération sur un projet cinématographique ; n’ayant pas la maîtrise de la gestion du budget, ça a été catastrophique, mais passionnant. Elle a apporté quelques moyens financiers et on a eu la chance d’avoir des partenaires du terrain qui ont apporté de l’argent, mais le film a été produit avec peut-être le tiers du budget, donc on ne peut jamais rendre une œuvre compétitive quand on n’a pas tous les moyens pour le boucler. Il y a une autre réalité en termes de production chez nous. On fait un budget au départ d’un film, d’un long métrage de fiction qu’on estime à peu près à 200 millions de FCFA et à la fin on n’arrive plus à savoir combien a coûté le film pour deux raisons : la première c’est qu’on calcule l’argent cash qu’on a dépensé. Pour Shérifa, cela tourne autour de 30 millions, parce qu’on a fait beaucoup de déplacements, on a filmé au Togo, au Niger et au Sénégal. Mais au final je ne sais pas combien le film a coûté, parce qu’il y a eu beaucoup d’investissements : les décors ; faire travailler les membres de sa famille sans leur donner un cachet ; l’argent pour les communications, etc. Finalement tu n’as pas le temps de tenir la comptabilité, tu as d’autres soucis, ce n’est pas parce que tu as dépensé 1 000 F qu’il faut aller le noter quelque part pendant que tu es coincé sur un truc. C’est aussi un manque dû à la formation : le métier de producteur, c’est une formation, et il faut le maîtriser pour savoir comment travailler sur un projet pour ne pas se retrouver extrêmement en difficulté, ou ruiné avant la fin du film. Mais aujourd’hui je suis incapable de donner le coût réel de mes films. Pour vous il n’y a aucun intérêt à faire le budget réel en tenant compte de tous les apports en nature, qui peuvent être plus importants que l’apport en cash ? Aujourd’hui comme autodidacte, la première difficulté c’est la maîtrise de certains procédés, de certaines règles ou de certains fondamentaux de la production. À partir de ce moment, on fait de la négligence mais qui se paie chère. Par manque de connaissance des pratiques professionnelles. Donc quand on investit dans un projet on ne sait plus combien on a investi dans le film. Aujourd’hui la nécessité de budgétiser un film, d’évaluer les moyens et de faire un bon bilan financier de l’investissement s’impose, parce que si je veux m’inscrire dans un business, la méthode est claire : si j’investis 1 F je veux pouvoir le rentabiliser à 2 F et il doit faire vivre l’entreprise. Il y a des techniciens, des acteurs, qui sont des salariés. Je crois qu’on ne peut plus évoluer dans le système D. Nous devons pouvoir inviter des bailleurs, des investisseurs, des gens prêts à investir. Pour cela, la gestion rigoureuse de la production s’impose. Par rapport aux projets futurs, je ne suis plus dans un projet guidé uniquement par la passion, mais guidé par le métier, par le business, par la viabilité et surtout par le professionnalisme. Aujourd’hui un projet c’est un dossier, un plan d’affaires, un investissement, une 138

exploitation, une gestion et des recettes, des revenus. Il faut pouvoir avancer pour vivre dignement de ce métier, car aujourd’hui je n’ai pas droit à la retraite. Il n’y a pas de sécurité sociale. Je me dis qu’il faut dès maintenant planifier les choses et économiser pour qu’on ne soit pas désœuvré. Donc aujourd’hui s’impose la professionnalisation, l’esprit d’investissement et de retour sur investissement. Vous disiez que vous ne vous voyiez pas au début comme producteur ; est-ce encore le cas quinze ans après ? Pour moi, Africain, pour moi Togolais surtout, semblant me soustraire aux contextes sociaux, culturels de mon pays, je peux être fier de faire ce métier sans avoir eu un salaire fixe. Mais parce que je suis cinéaste, parce que je suis producteur, parce que j’ai eu de la renommée aujourd’hui, j’ai des biens mobiliers ou immobiliers qui m’assurent une retraite, qui me permettent de pouvoir vivre grâce à mon métier. Je ne me suis pas payé au début mais je suis arrivé quand même à prendre ma part sur ce qu’apportaient mes projets dans le cinéma, et aujourd’hui je vis bien. Je pense que je peux me revendiquer de la classe moyenne togolaise qui s’en sort, vu le Smig qui est à 40 000 FCFA. Mais il n’y a rien d’assuré dans ce métier et mon ambition est claire : vivre de ce métier, faire l’œuvre de la façon la plus professionnelle possible. Au Togo, comment voyez-vous le fait de faire des films de cinéma dans un pays sans salle de cinéma ? C’est le paradoxe de la production, surtout au Togo. On ne peut pas produire pour un marché qui n’existe pas, sinon ça n’a pas de sens, donc je pense qu’il faut qu’il y ait au Togo une renaissance de salles de cinéma. Aujourd’hui le marché africain est l’avenir du divertissement. Le Nigeria, avec presque 200 millions d’habitants, avec son marché de vidéo, a finalement relancé le marché du cinéma en salles. L’expérience de ma projection dans une salle de conférence qui a fait déplacer 5 000 personnes montre le désir du public de fréquenter une salle et d’y voir une œuvre togolaise. Maintenant, il faut pouvoir convaincre les investisseurs. Il faut, aujourd’hui, des salles combinées à d’autres activités, jointes à un complexe commercial ou de divertissement. Il faut militer pour la mise en place de salles publiques, par le biais de l’État mais aussi convaincre des investisseurs à transformer des lieux en cinéma. Il faut beaucoup d’effort politique… La TNT apporte des contenus mais ils sont différents des contenus que les salles de cinéma proposent, dont des exclusivités. Le combat que nos organisations 139

professionnelles vont mener pour que les salles puissent renaître permettra un plan d’affaires à proposer aux bailleurs, aux investisseurs. L’enjeu reste colossal, le défi reste grandiose, mais je reste optimiste sur cet aspect. Aujourd’hui, vous êtes en contact avec combien de techniciens togolais ? Le Togo aura un avenir dans le cinéma ; il y a une pépinière à partir de quelques centres et écoles de formation aux métiers du cinéma, de la télévision et de l’audiovisuel. Mais aujourd’hui, on est une dizaine de réalisateurs et de producteurs. Cela ne peut pas être soustrait du contexte socio-économique et politique, et démographique du Togo. Le Togo est un petit pays, on ne peut pas nous réclamer 200 cinéastes ; on fera à la densité de la population, à la proportion du marché de l’emploi, etc. Mais les métiers du cinéma et de l’audiovisuel font partie des métiers d’avenir au Togo. Une difficulté pour nous, cinéastes togolais, demeure cette difficulté à nous organiser. Il n’y a pas d’association solidement assise sur des bases ; moi je fais partie de l’association des producteurs du Togo dont je suis le président, mais avec peu de membres, une dizaine. L’APCAT, association des producteurs du cinéma et de l’audiovisuel du Togo, a deux ans. Elle peine à décoller mais on reste optimiste et on espère l’arrivée de nouveaux producteurs. Il existe aussi d’autres organisations, en coopératives. Aujourd’hui la nécessité est de créer une fédération des cinéastes et des professionnels de l’audiovisuel du Togo pour pouvoir défendre les intérêts de la corporation, mener des actions de mobilisation, des actions de défense des intérêts des professionnels, et de développement des actions pour amener au développement du secteur. Comment voyez-vous l’action des pouvoirs publics à l’avenir ? Le Togo souffre d’un manque de volonté politique pour le développement du secteur. Mais depuis quelques années, ils ont mis en place le Fonds d’aide à la culture, et ils ont voté le statut de l’artiste. Il s’agit de l’action la plus importante depuis une vingtaine d’années. Toutefois, jusqu’à aujourd’hui, le code du cinéma n’est pas encore voté. Les pouvoirs publics n’agissent pas, mais la corporation n’est pas exigeante non plus. Quand on n’a pas d’action qui interpelle les pouvoirs publics, ils pensent qu’il n’y a pas de besoin ou de nécessité. Au Fespaco 2017 il y a eu cependant une délégation importante du Togo, et on a la chance d’avoir un nouveau directeur qui depuis deux ans est très actif dans la promotion du cinéma. Comment expliquez-vous ces freins des pouvoirs publics, et la difficulté aussi des professionnels de s’organiser et de peser ? Le Togo, dans les années 2000, était cinématographiquement vierge. Pas de professionnels, pas de films. Et il y a une réalité qui est africaine, et non pas togolo-togolaise avec deux catégories dans les pouvoirs publics : il y a les fonctionnaires et les politiciens. Les fonctionnaires – pas seulement pour le 140

secteur de la culture – ne se soucient pas de l’intérêt général. Quand on voit le niveau de la corruption, quand il faut qu’une personne, quels que soient ses moyens, paye pour avoir un acte de naissance, ça pose souci. C’est un premier problème. Les fonctionnaires, c’est la corruption, l’enrichissement personnel, l’intérêt personnel : « on s’en fout, je ne suis pas l’État, l’État ce n’est pas ma famille. Je veux quelque chose pour moi et mes enfants, après vous vous débrouillez. Il y a d’autres personnes qui travaillent, allez les voir ! » À partir de ce moment, comment leur parler de la culture ?... Je connais des gens, des fonctionnaires d’état au ministère de la Culture, dans le secteur de la jeunesse, de la culture ou du tourisme, qui ne sont pas en mesure de vous citer un seul film togolais. C’est scandaleux. Les gens ne sont pas qualifiés. Quand on nomme à une direction technique quelqu’un qui est arrivé là par le biais d’une relation familiale, qui est par exemple placée au secteur de la santé alors qu’il a fait des études d’histoire et de lettres, vous comprenez que ça ne peut jamais fonctionner. Ils sont à la fois très mal payés, et ne veulent pas se bouger. Les responsabilités sont partagées, mais les fonctionnaires d’État au Togo ne font pas leur travail. De l’autre côté : les politiciens. Ils sont motivés par les intérêts électoralistes, les enrichissements personnels, la recherche de notoriété publique. Pour eux il faut aller vers des couches défavorisées à qui ils donnent des biscuits, des routes, des tam-tams pour faire le folklore. Les vraies réalités sont ignorées. Donc les pouvoirs publics, politiciens et fonctionnaires réunis, se soucient peu du développement réel de mon pays. Et même si j’ai eu la chance de rencontrer des Togolais politiciens et fonctionnaires dévoués pour la patrie, qui se sont vraiment montrés dignes, le nombre est moins élevé que ceux qui n’ont aucun intérêt pour la culture, aucun intérêt pour le cinéma. S’ils n’y trouvent pas une opportunité pour s’enrichir, ils détournent le regard. Pour que les choses changent, il faudrait des réformes structurelles et des décisions politiques courageuses. Il faudrait commencer par nommer des techniciens aux postes techniques, puis prendre le courage de structurer des secteurs porteurs, des secteurs d’avenir. Prendre en charge l’avenir de la jeunesse. Comment amortir le film, pour permettre une économie qui se structure grâce au marché ? Faire un film au Togo est une chose, pouvoir le rentabiliser en est une autre. La difficulté aujourd’hui réside en l’absence de salle, mais aussi l’absence d’exploitation en vidéogramme ou en télévision. Je pense donc aussi à conquérir le marché sous-régional francophone d’une centaine de millions d’habitants, l’UEMOA, car ce marché est la véritable chance de rentabilisation de nos œuvres. Ce sera aussi par la mise en réseau des distributeurs et des exploitants de salles de ces pays-là. La production cinématographique togolaise ne peut pas être adaptée au seul marché togolais. Et pourquoi ne pas profiter aujourd’hui du nombre de chaînes de télévision panafricaines 141

pour pouvoir être présent dans toute la zone ? L’avenir des médias c’est l’internet, et il faut aujourd’hui compter sur la VàD et sur la diaspora, ça fera partie de l’exploitation de nos œuvres du Togo. L’enjeu aussi, pour nous cinéastes togolais, c’est de pouvoir produire de la qualité. Toute la population togolaise a déjà accès à des contenus de basse qualité, par le biais des réseaux de diffusion et de distribution de programmes télévisuels. Maintenant il y a une classe moyenne qui émerge, plus exigeante sur la qualité. Alors, la première échéance, c’est l’acquisition de matériel de qualité pour de la production de qualité, qui sous-entend ensuite l’exploitation avec des espaces et des équipements de qualité. Pour la formation aux métiers du cinéma, il n’y a que trois écoles aujourd’hui, privées, qui forment des techniciens. Ces écoles essaient. Mais elles n’ont pas les moyens techniques didacticiels, ni les moyens pédagogiques, selon moi, pour qu’on arrive à des techniciens aguerris. Les formations ont énormément de mal à aboutir. Mais, grâce à ces écoles, la population professionnelle du cinéma togolais a augmenté. Je peux vous dire qu’aujourd’hui si on compte 100 professionnels au Togo, au minimum 50 sont passés par ces écoles, et d’autres sont passés par les écoles des pays voisins, que ce soit le Bénin ou le Burkina. Mais ces écoles ont besoin de plus de moyens et de formateurs qualifiés. Il faut également des ateliers pratiques pour pouvoir mettre à niveau des gens qui ont déjà une base, il faut des ateliers de groupe qui permettent aux apprenants de pouvoir acquérir des notions fondamentales, venant de formateurs qualifiés. D’où, à côté de ces écoles de formation, des ateliers saisonniers ou pratiques, de mise à niveau ou de recyclage ou de master class où le thème peut être emprunté, pour pouvoir porter le niveau et la capacité des techniciens, des professionnels à un niveau plus ou moins professionnel. On ne peut plus parler de la production en Afrique sans connaître les réalités qui diffèrent d’un pays à un autre, donc je vous remercie pour votre travail qui permettra à des gens de découvrir, de savoir ce qui se fait. Ce seront des documents qui permettront peut-être de faire bouger les choses, de faire connaître des réalités, et à ceux qui sont intéressés de prendre des dispositions pour apporter un plus. C’est important pour l’Afrique, pour que les gens puissent apprendre, puisque nous venons d’univers différents. Propos recueillis par Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 4 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Rémi Atangana Abéga Pour en finir avec un cinéma africain « de caméras en bois et de micros en bambou » Conseiller culturel et cinéasteproducteur camerounais

Dates clef de Rémi Atangana Abéga 1958 : Naissance le 1er octobre à Bikok (Cameroun) 2008 : Formation à Libreville par l’OIF, diplômé de la filière images de la francophonie 2009 : Fonde la Banque d’Images de l’Afrique Centrale (BIMAC) 2010 : Crée sa société de production et de distribution, Comptoir de Production et de Commerce - COPCO Pictures Principaux films produits Moyen-métrage : Un Royaume à part (2000) Série télévisuelle : Péripéties, 24x26 min (2016) Rémi Atangana Abéga se définit comme simple consultant culturel camerounais. Après plusieurs formations, dont celle de la filière Images de la Francophonie, et avoir travaillé dix ans à la coopération française, il se considère à la fois comme un homme de dossier et de terrain en étant producteur et réalisateur. Il a participé au développement des rencontres audiovisuelles de Douala (ex-Festival Africain de Télévision (FESTEL) devenu les Rencontres Audiovisuelles de Douala)1 à travers le Centre de Promotion de l’Audiovisuel et d’Action Sociale (CEPAAS) une ONG qu’il préside à Yaoundé. Il travaille avec l’UNESCO sur le projet Banque d’Images d’Afrique Centrale (BIMAC). Comment êtes-vous arrivé au métier de producteur ? J’ai d’abord commencé à vouloir distribuer des œuvres, mais peu sont de qualité dans notre région, d’abord en termes techniques. Les mécanismes de 1

Sur cette activité, voir l’entretien d’Olivier Barlet avec Rémi Atangana, Télévision et cinéma au Cameroun, Africultures, publié le 11 mai 2006.

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production et de financement sont défaillants, et les institutions en charge du cinéma n’existent plus dans notre pays. Je suis donc devenu producteur car il existe des scénarii, mais les œuvres ne vont pas se produire toutes seules. Et il y a peu de personnes qui soient en mesure de porter un projet de façon efficiente et de le conduire à bonne fin. Je n’ai pas suivi de formation spécifique pour cela, et ceux qui enseignent à l’université ne font pas de la production, mais de la littérature et/ou de la théorie du métier. J’ai suivi beaucoup de stages, fait des recherches. Sans oublier mon passage dans le Service culturel français à Yaoundé ; la Francophonie m’a aidé à avoir une formation de qualité en 2008 à Libreville, pour affiner les bases nécessaires au montage de projets culturels et de production de films. Signalons que le producteur doit être à même de mobiliser les ressources humaines, matérielles et financières, mais le producteur africain doit être un peu plus que ça, avec un aspect de mobilisation institutionnelle en sus de l’artistique et du financier. Il doit convaincre ceux qui ont le financement, les institutions et les pouvoirs politiques, et c’est la difficulté en Afrique. S’il a la capacité de mobiliser les ressources humaines, de choisir le bon technicien et le bon matériel selon la destination de son projet, il doit être en mesure de convaincre le bailleur de fonds, car nous ne sommes toujours pas au cœur d’une véritable économie culturelle ou du cinéma en Afrique. Au Cameroun, il existe des ressources humaines de qualité, que ce soit au niveau technique ou artistique, avec certains comédiens de valeur. Et nous avons un réservoir de belles histoires, de belles épopées dans la culture africaine. Malheureusement le scénario ne fera pas un bon film si le scénariste est très affamé, s’il a des problèmes personnels et pas assez de recul pour sortir quelque chose de ses tripes. Il manque une classe intermédiaire d’intermittents du spectacle pour aider ce secteur d’activité à se développer et à pouvoir arriver à une économie qui peut permettre au cinéma et à l’audiovisuel africain d’évoluer dans la sérénité. Il faut des mesures réglementaires pour permettre de créer ce statut social, favoriser ces vocations et stabiliser des emplois dans ce secteur. Est-ce qu’il y a un travail de lobbying, de conscientisation de la sphère publique de la part des professionnels camerounais ? Les pouvoirs publics en Afrique aujourd’hui ont comme seule préoccupation de rester aux affaires ! Pas de savoir si le peuple et les talents ont besoin de rêver, ni de s’interroger sur la trace qu’ils laisseront eux quand ils auront disparu. Ils ne se soucient pas de savoir comment est-ce qu’ils seront vus par l’histoire quand ils ne seront plus là, ni de savoir si la manière de raconter leur vécu va permettre de les grandir ou de les rabaisser. Parfois d’aucuns écoutent d’une oreille plus ou moins attentive, et d’autres vous disent qu’ils n’ont pas le pouvoir de décision, et la décision ne se trouve nulle part. La solution est pourtant dans nos têtes, nous qui marchons nus pieds, qui 144

n’avons pas de quoi manger ; malheureusement, nous n’avons pas le pouvoir de décision. Alors est-ce qu’il existe une différence entre l’image du politique et l’image de la nation ? Non, c’est la même image ! C’est l’image de ceux qui sont là, de ceux qui veulent qu’on les voit, qu’on les voit toujours, qu’on les revoit encore. Mais est-ce qu’ils ont du recul par rapport à la manière dont ils sont vus ? Est-ce qu’à un moment donné il y a un miroir qui renvoie ce que les autres perçoivent de ce qui se passe ? Moi j’ai l’impression que non, et ça ne les préoccupe pas du tout. J’aurai un discours plus tranché si j’étais un homme politique, je dirai les choses autrement, mais j’estime que j’ai un métier autrement plus noble et plus intéressant qui est la culture. Mais le politique définit l’économie, le social et le culturel, et il faut espérer qu’un jour on trouve des oreilles vraiment plus attentives, et/ou des gens qui, par un sursaut de vouloir ressembler à un tel, ou de mobiliser d’autres ressources, puissent faire mieux que maintenant. Sur X personnes qui sont en hibernation ici, une arrive à avoir la latitude ou l’audace de faire des choses pour changer ; il faut toujours un pionnier, il faut toujours un exemple. Mais en même temps, la pesanteur est si lourde qu’à un moment donné, les pauvres épaules de la personne qui prend l’audace pour porter succombent sous le poids. Mais bien évidemment, il faut que des initiatives continuent de donner de l’espoir, et la culture étant un domaine où il y a un bouillonnement d’idées et une interchangeabilité de concepts, je pense que c’est un terrain sur lequel on doit effectivement en attendre beaucoup. Dans le domaine du cinéma, l’Afrique francophone a toujours été dominée par des images venues d’ailleurs. Est-ce que vous pensez que la problématique aujourd’hui est en train de changer ? Tout le monde a soif aujourd’hui de voir ses propres images. Même les vieilles mamans de mon village voudraient qu’on mette en valeur leur condition sociale. Mais la production coûte cher, et c’est un métier qui doit être bien soutenu et réglementé. La soif seule ne suffit pas ; on ne va pas demander aux diffuseurs internationaux de cesser de diffuser en Afrique parce que l’Afrique a soif de ses propres images. On ne va pas demander à l’Afrique ou aux producteurs africains de fabriquer des images sans moyens 145

et dans des conditions absolument difficiles, parce que la fabrication des images voudrait que l’on soit dans un modèle économique qui permette que ça se renouvelle. On ne va pas reconquérir les espaces auxquels vous faites allusion simplement avec un film ou deux, alors qu’il y a 365 jours dans une année, et 24 heures par jour avec 20 heures d’images étrangères auxquelles vous êtes malheureusement habitués. Nous avons hérité d’un système colonial qui soutient la production, mais qui a contribué à fragiliser et à mettre un peu l’économie audiovisuelle sous un attentisme béat. L’Afrique centrale souffre de difficultés d’ordre réglementaires, avec une forte piraterie, et la population aujourd’hui n’est pas constituée en un marché. Alors il est très difficile d’amortir une œuvre cinématographique produite dans cette zone, d’autant que nos chaînes de télévision utilisent l’argent public pour acheter des telenovelas qui concurrencent nos productions et aliènent les populations : comment sortir de cela ? Pourquoi ne pas aider ceux qui veulent travailler dans ce secteur, avec la possibilité d’exercer dignement leur métier, d’instaurer un modèle économique et de pouvoir donner au public ce dont il a besoin ? Comment réguler le marché ? Est-ce que vous participez à un réseau pour peser sur les pouvoirs publics ? Il est très difficile d’assurer la banquabilité d’un projet de film, de pouvoir assurer au prêteur qu’il peut retrouver ses fonds à telle période, dans telles conditions, sur tel marché. Ici, tout le monde est responsable des moyens à mettre en œuvre pour faire fonctionner une économie culturelle. Il faut d’abord des pouvoirs publics, qui réglementent, administrent, régulent et soutiennent. Il faut ensuite des organisations professionnelles qui orientent et animent les activités et défendent des intérêts professionnels. Il faut enfin des porteurs de projets et des artistes qui créent des œuvres. Mais malheureusement les organisations professionnelles en Afrique ne sont pas fortes et n’orientent guère l’espace culturel ; or ce sont les syndicats qui, par leur action de défense d’intérêts peuvent avoir la capacité de convaincre ou d’influencer les pouvoirs publics, et pas les individus isolés, quels que soit leur force ou leur projet. En outre, ne peuvent se mettre en réseau que des gens qui travaillent dans les mêmes conditions, qui ont les mêmes objectifs et qui ont les mêmes capacités opérationnelles avec des moyens similaires. Si vous créez un réseau où il faut cotiser 100 000 FCFA, et qu’il y a deux ou trois collègues qui n’arrivent pas à cotiser, vous n’êtes plus un réseau. Ou si vous êtes dans un réseau avec un collègue qui se trouve dans un pays où la réglementation n’est pas la même que la vôtre, vous n’êtes plus dans le réseau, parce que vous ne pouvez pas vous fixer les mêmes règles et objectifs. C’est pourquoi les réseaux sont difficiles à monter. Si nous avons la même réglementation, les mêmes objectifs, nous travaillons dans les mêmes conditions ; avec des caméras en bambou, des micros en bois, on peut réussir à faire un réseau 146

dans les mêmes conditions. Mais si on a avec nous quelqu’un qui travaille avec une caméra numérique et les autres avec des caméras en bambou, on ne sera pas dans un réseau communautaire ; nous n’arriverons pas à poursuivre les mêmes objectifs que ce soit du point de vue économique, culturel ou patrimonial, ou du point de vue purement social. De temps en temps, une œuvre sera produite dans des conditions artisanales et va percer et faire le buzz… c’est l’exception qui confirme la règle. Mais du point de vue purement sociologique, ce n’est qu’une infime partie du résultat qu’on pourrait en attendre. Si vous voulez un résultat plus important, ce n’est pas en faisant du bricolage ou bien en attendant qu’une œuvre puisse sortir de nulle part pour faire le buzz dans les familles ; il faut avoir une démarche et un mécanisme qui permettent à plusieurs œuvres de pouvoir y arriver. Sinon on ne parle pas d’une économie, mais de quelques collègues arrivent à faire des choses par-ci par-là. Moi-même je fais pareil, mais ce n’est pas suffisant, il nous faut des mécanismes, il nous faut mettre en place une réglementation et un environnement qui permettent de favoriser l’émergence d’une industrie ou d’une économie audiovisuelle stable. Le bricolage permet de faire des choses, l’artisanat aussi, mais ce n’est pas ça l’économie audiovisuelle. Quelle est votre économie personnelle ? Moi je n’en vis pas, je bricole. Je fais des choses quand je peux, mais je ne peux pas dire que j’en vive. Certains s’en sortent en faisant mal vivre les autres, ils font un film sans payer personne ; mais en payant tout le monde, c’est très difficile de s’en sortir. Dans les cinq prochaines années, il faut que j’aligne au moins cinq projets de qualité, qui permettent de montrer le chemin, mais je n’en vis pas encore. L’argent peut venir de l’OIF, de Canal+ et de quelques autres partenaires, mais il faudrait que les pouvoirs publics fassent leur part et prennent le premier risque sur certains projets de production, qui ne sont pas forcément des projets banquables, ni économiquement rentables, mais qui ont une valeur culturelle sûre. Il leur revient de créer les conditions d’un environnement favorable, et faire de ce secteur d’activité un secteur important. Lorsque la France atteint le cap des 300 films par an, qu’est-ce qu’il reste à l’Afrique sur ce marché ? Lorsque les Américains viennent avec leurs grosses productions et leur argent pour bousculer ce système avec 550 films par an, comment fait-on pour trouver une place là-dedans ? Lorsque vous revenez en Afrique où tout le monde vit avec moins d’un dollar, comment fait-on pour établir un modèle économique et une démarche audiovisuelle ? Je pense que, comme les Chinois, il faut que chaque peuple se construise un système, un modèle économique pour ses images et la meilleure œuvre de chaque pays pourra aller conquérir des espaces ailleurs. 147

En Occident, le risque du producteur est minimisé du fait qu’il existe d’autres mécanismes d’accompagnement, mais lorsque ces mécanismes sont absents ou désuets en Afrique, qui est-ce qui accompagne le producteur africain ? S’il prend des risques, alors que le producteur français ou européen a un maximum de risques déjà supporté par le peuple européen à travers des mécanismes que les pouvoirs publics ont mis en place, on se retrouve dans des systèmes qui ne peuvent pas être comparés. D’un côté les peuples européens soutiennent la production et elle existe, et en Afrique les peuples à travers les pouvoirs publics, ne soutiennent pas et on a du mal à exister. Le marché peut produire des opérateurs qui défendent systématiquement leurs intérêts et arrivent à mettre sur pied les conditions d’une économie, comme au Nigeria, mais l’État du Nigeria a aussi mis 400 milliards de francs CFA dans le cinéma l’année passée. On est dans un système de joint venture véritable entre public et privé pour accompagner cette industrie, parce qu’ils ont compris que ça permet de booster le secteur et créer des emplois, que ça galvanise l’économie, avec des impôts, etc. Quelles sources de financement existent aujourd’hui au Cameroun ? De manière spécifique, aucune en ce moment ! Mais le ministère des Arts et de la Culture apporte quelques appuis sporadiques qui ne permettent pas de produire quoi que ce soit. Les institutions et partenaires tels que l’OIF ou Canal+ apportent de temps en temps des soutiens qui accompagnent. Mais, ce n’est pas à eux de dynamiser ce secteur dans nos pays, c’est le rôle des États. Ils peuvent ainsi appuyer à 5 000 €, 15 000 € ou un peu plus, par-ci par-là, mais ce n’est pas structurant ni viable. De plus, nos télévisions ne préfinancent rien. Mais qui sont les promoteurs de chaînes de télévision ? Des gens qui n’ont ni la formation, ni les moyens qui vont avec, et parfois aucun objectif professionnel. C’est le « M’as-tu vu », le « Je peux faire », avec ou sans les moyens, et en bricolant plus ou moins. Mais ça ne peut pas créer ou soutenir les autres pans de l’économie audiovisuelle, notamment la production. C’est-à-dire que, si quelqu’un vient faire une chaîne de télévision sans les capitaux qui vont avec, il est évident qu’il prendra des œuvres piratées le long des trottoirs et ira les diffuser à l’antenne. Et comme il n’existe pas une réglementation avec les moyens coercitifs, et préventifs, pour l’en empêcher, malheureusement ça va continuer de prospérer ainsi. Et celui qui a fait ces œuvres, comment vit-il ? Et les techniciens qui travaillent dans le pays ? Ils sont obligés de faire autre chose à côté, ou de quitter le métier et perdre leurs aptitudes et leur technicité.

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Est-ce que l’existence de ces mécanismes a desservi à long terme la production, en favorisant une course individuelle pour aller prendre de l’argent aux guichets, mais aussi en empêchant l’émergence d’une prise de conscience des pouvoirs publics nationaux ? Oui en effet, mais ces mécanismes ont un intérêt parce qu’ils montrent ce qu’il faut faire. Et ces petits financements au coup par coup sont souvent déterminants, mais ils ne peuvent pas constituer la base d’une économie par laquelle l’audiovisuel d’une nation peut se développer. Il faut que les pouvoirs publics s’en inspirent pour développer des systèmes, et implémenter des mécanismes plus importants. Si jamais un jour arrive un Jack Lang camerounais, il réussira à sa manière à donner un coup de pied, et les choses pourront se redresser plus rapidement. Je sais que la plupart de mes collègues n’ont pas le même discours. Ils ont l’impression qu’ils peuvent faire autrement, et réussir, tandis que d’autres diront qu’ils ne font plus rien du tout. Mais si l’on pense que le cinéma peut porter toute une culture, exprimer le moi profond des peuples, alors cela devient l’affaire de ces peuples. L’œuvre cinématographique ne disparaît pas avec son réalisateur et a une valeur culturelle inestimable. Mais que resterat-il de ces ministres qui se la roulent carrosse alors que les artistes marchent nus pieds et dorment affamés ? Qui pensera à eux dans 200 ans ? Bolloré a commencé à investir dans des salles au Cameroun à Douala et puis Yaoundé ; que pensez-vous de cette initiative privée d’un grand groupe français ? Toutes les initiatives privées occidentales sont des démarches qui montrent le chemin, et méritent d’être capitalisées par les pouvoirs publics. Je pense que cet homme d’affaires est dans son rôle en Afrique, mais son exemple ne peut pas bâtir une économie audiovisuelle à l’africaine. Il doit servir d’appoint aux actions des pouvoirs publics et des professionnels, pour que des structures se développent, que des réseaux se constituent. Il ne faut pas simplement que les politiques viennent inaugurer des salles, mais qu’ils consolident cette dynamique pour bâtir des circuits qui permettent aux films africains de circuler et d’être amortis sur le continent. Nos peuples ont soif de leurs images, pas des images américaines ou du Brésil qui nous ont abrutis pendant tant d’années. Nous voulons voir dans nos salles des images africaines, mais qui ne sont toujours pas produites ! Alors si on construit des salles de cinéma aujourd’hui pour nous ramener du cinéma chinois, américain, ces salles vont mourir ! Mais si on produit des films africains, des films où nous nous voyons, où nous nous reconnaissons dans notre vie de tous les jours, ces salles vont se remplir, et c’est ça qu’il faut faire aujourd’hui. Je crois que l’Afrique a de belles histoires à raconter, et notre cinéma peut très bien se consolider avec des acteurs africains, avec des belles histoires africaines, avec des techniciens et une économie propre 149

du cinéma africain. Distribuer dans les salles uniquement des films étrangers… c’est déjà du passé ça ! Aujourd’hui, s’il existait un cadre réglementaire, quelle serait la production que vous aimeriez mettre en œuvre ? Je pense qu’avec les techniciens de qualité qui commencent à être de plus en plus nombreux en Afrique, avec des histoires africaines racontées avec beaucoup de subtilité et de pertinence, on peut faire des films qui soulèvent chaque année la Palme d’Or de Cannes ! Avec des histoires tout à fait authentiques, des histoires originales, pour peu qu’on respecte la technique et toutes les considérations artistiques qui vont avec. Le cinéma africain et « les caméras en bois » n’ont jamais existé, ou alors c’est fini ! Il faut tourner avec de « vraies caméras et abandonner les micros en bambou », les films calebasse, il faut les mettre de côté, et raconter de belles histoires dont l’Afrique regorge, mais vraiment dans un style artistique et technique qui puisse plaire, et je crois que les gens vont redécouvrir l’Afrique. Quand j’évoque Cannes, ce n’est pas en termes de référence, c’est en termes de rencontre avec les autres cinématographies, c’est-à-dire séduire les autres avec ce que nous faisons. Des histoires africaines racontées avec la technique adaptée, les Africains en sont capables, et après, on pourra dire « ça va en Afrique » ; je pense que mes compatriotes africains ont suffisamment de mérite aujourd’hui pour le faire. Comment voyez-vous votre avenir en tant que producteur ? Moi je n’ai pas d’avenir, j’ai plutôt un passé (rire). J’ai un projet avec l’UNESCO et l’État de mon pays que je souhaite redynamiser, pour donner un cadre à l’Afrique qui permettrait d’aller à la conquête de l’Occident. Quand j’ai mis sur pied la Banque d’Images de l’Afrique Centrale (BIMAC), c’était pour avoir une structure susceptible de porter une dynamique vers cette reconquête, parce que les autres viennent toujours ramasser des choses bien de chez nous, les transforment et nous les ramènent souvent plus chères après ; nous pensons qu’il est possible d’en faire autant dans le domaine culturel aujourd’hui avec l’aide des nouvelles technologies. Propos recueillis par Mariam Aït Belhoucine, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 26 février 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Mamadou Kotiki Cissé Producteur au Mali Seule l’œuvre compte

Dates clef de Mamadou Kotiki Cissé 1967 : Naissance à Bamako (Mali) 1995 : Fonde sa société de production Farafina Danbé Productions à Bamako 2005 : Produit et réalise son premier court métrage Wasadenw, les élus 2014 : Produit et réalise son premier long métrage Devoir de mémoire Principaux films produits Courts métrages : 2005 : Wasadenw les élus 2007 : Râ la réparatrice 2009 : Drogba est mort (Eric Rivot, Moussa Diarra) 2011 : Korafola, joueuse de kora Long métrage : 2014 : Devoir de mémoire Autodidacte, formé et soutenu par son oncle célèbre Souleymane Cissé, Mamadou Kotiki Cissé produit depuis deux décennies au Mali, pays qui rencontre de très grandes difficultés dues à un environnement politique peu favorable au développement des arts, et à une instabilité géopolitique, guère propices au cinéma. Pouvez-vous préciser votre parcours et comment vous êtes arrivé dans le cinéma ? Je suis informaticien de formation. Quand j’ai terminé mes études en France, je suis rentré au pays avec une Renault 12. Rester sans rien faire me rongeait l’esprit, alors j’ai commencé à faire le taxi, et je me suis marié. Le premier projet auquel j’ai participé et co-organisé, était première édition de la Biennale photo au Mali1. Notre équipe a été évincée par le pouvoir en place qui finalement a pris la paternité de la Biennale. 1 Fondées en 1994, les Rencontres de Bamako (Mali) sont coproduites et organisées par le Ministère de la Culture, de l’Artisanat et du Tourisme du Mali avec l’Institut français.

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J’ai grandi sous les pieds de mon oncle Souleymane Cissé2, et le virus de faire du cinéma m’a piqué. J’ai commencé en tant que manœuvre de plateau : j’observais, je lisais, et je me posais des questions. Quand j’ai décidé de réaliser mon premier court métrage de 26 minutes, J’ai mis cinq ans pour le faire. Wasadenw, les élus en 2006 était ma première mise en scène : je ne savais pas où poser exactement la caméra, et la seule personne expérimentée s’occupait du son. À l’époque, ceux qui dirigeaient le cinéma n’ont jamais voulu nous épauler, en disant qu’on n’avait pas d’expérience. Mais si vous avez un parcours à faire et que vous n’avez pas de moyens de déplacement, il faut commencer à pied et vous arriverez un jour ! Le deuxième a été un documentaire, de 26 minutes aussi, Râ la réparatrice (2007) l’histoire d’une femme qui est réparatrice de groupes électrogènes dans une rue très mouvementée à Bamako. Ce deuxième film a eu une audience extraordinaire et m’a amené sur les cinq continents. Après j’ai eu la chance, toujours avec l’appui de ma famille et de Souleymane Cissé, de faire Korafola, joueuse de kora (2011). C’est l’histoire de cette belle femme mandingue qui est non voyante, la première femme qui joue de la kora, un instrument sacré. D’aucuns disent qu’elle est devenue non voyante, parce qu’elle joue l’instrument sacré, appartenant aux familles de griots. Il y a eu toute une interprétation autour d’elle. Avec ce film j’ai obtenu une mention spéciale aux journées cinématographiques de Carthage, puis il a fait son parcours. Et en tant que producteur ? J’ai eu un peu de sous parce que certaines institutions ont commencé à me faire confiance, l’UNESCO, des ambassades, etc. et je leur produis des films de commandes. Puis des jeunes sont venus me voir, leur histoire m’a plu, et je suis rentré dans le jeu. J’étais toujours là en train de veiller à ce que le tournage se passe dans de bonnes conditions. Il en est sorti Drogba est mort (2009), un CM de 11 min, qui est l’histoire d’un jeune mendiant qui rêvait de devenir footballeur professionnel. Il a aussi obtenu un prix en Espagne. Donc le premier film que j’ai produit, c’était pour quelqu’un d’autre. Je ne peux évaluer exactement ce que j’ai mis dans une production, ce n’est pas possible. Je peux évaluer un petit peu avec le plan de financement, mais tout ce que je fournis comme effort, je ne peux pas l’évaluer. Notre contexte africain, malien, est différent du vôtre, ça n’a rien à voir. Là je suis en train de travailler sur un film sans soutien, avec mes fonds propres. Cela fait près de trois ans maintenant, mais je ne peux pas évaluer ce que cela pourrait représenter, donc je ne pourrais donner de chiffres. Seule la finalité compte, l’œuvre que je veux réaliser, je ne sais même pas combien de temps ça prendra au total. 2 Né

le 21 avril 1940 à Bamako, il a réalisé sept longs métrages, dont son premier en 1975, en bambara, Den Muso (La jeune fille).

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Pour produire d’autres réalisateurs, est-ce vous qui les approchez, ou l’inverse ? Les deux ; quand je vois un scénario qui me convient, qui me plaît, on essaye de voir comment on peut faire le chemin ensemble, avec toutes les contraintes, parce que plus tu es au parfum de tout ce qui se passe, mieux tu sais comment t’y prendre. Mon pays ne m’a pas soutenu financièrement. Il a créé le Centre national de production cinématographique (CNPC) en 19793 dans l’optique de faire de la propagande. Parce qu’on avait accédé à l’indépendance, il fallait faire des films d’actualité, pour sensibiliser, pour montrer tout ce qui se passait à l’intérieur du pays ; cette structure a perduré. Puis finalement elle est tombée entre les mains d’un clan. En fait on n’a pas de repère, que ce soit au niveau de la classe dirigeante, ou de la société civile, donc il suffit d’avoir une parcelle de pouvoir pour faire du copinage, et c’est la médiocrité au final. Certaines personnes en profitent alors qu’on doit être éduqué dans le sens de la compétition, pour être prêt à affronter n’importe qui. On ne doit jamais s’asseoir et attendre de la pluie du dehors ; il y a le temps du ciel. Je ne compte pas sur le soutien de l’État du Mali, pour moi ça n’existe même pas, c’est le dernier de mes soucis. Mais je compte sur ma famille, mes sœurs, sur Souleymane Cissé. Tout le monde est là autour de moi pour m’encadrer et ça, c’est extrêmement important. Quand on aime le métier, on ne tient pas compte des obstacles, au contraire plus ça devient difficile plus on s’accroche, ça devient une sorte de défi ; quand le défi n’existe pas, l’existence n’a même pas de sens. Comment s’est passée la distribution de vos films ? Quand la télévision brésilienne a décidé d’acheter deux de mes films, j’étais très honoré. Mes films sont diffusés aussi sur TV5, avant sur Canal France International, et les télés locales aussi, bien qu’ils ne donnent pas beaucoup de sous, et je suis en pourparlers avec Canal+ concernant mon long métrage qui a eu le deuxième prix au Fespaco 2015, Devoir de mémoire. Mes films ne sont pas projetés en salles, il n’y en a plus au Mali ! Les autorités politiques se sont partagé certaines salles, d’autres ont été 3 Auquel

a succédé le Centre national de la cinématographie du Mali (CNCM) en 2005.

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complètement transformées en magasin de stocks de vivre. Parfois on organise des soirées isolées par-ci par-là, pour pouvoir montrer le film à un public un peu restreint. Il y a des personnes qui aimeraient voir le film Devoir de mémoire, que j’ai terminé, mais je n’ai pas pu le montrer à Tombouctou, ni à Gao, encore moins à Kidal ; ça fait mal. Il existe l’Union nationale des cinéastes du Mali, et aussi l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel de l’Afrique de l’Ouest. L’UCECAO est un organisme qui a été créé par Souleymane Cissé qui regroupe pratiquement les seize États de la CEDAO, dont l’optique est de créer une synergie entre les différents pays. On souhaite avoir une salle par pays, et des pays commencent à avoir des résultats : au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Burkina, ça commence à bouger. On est en train de les sensibiliser à comprendre la portée, la force, le rôle de l’image. En produisant un film, est-ce que vous pensez au public à qui il va s’adresser ? Ah, je pense à tout le monde ! J’essaye de me mettre de l’autre côté pour percevoir ce que je suis en train de faire. Donc ça balance, c’est très complexe, et c’est ce qui fait que c’est intéressant. Je fais des films pour tous les publics ; la culture c’est pour tout le monde, chacun trouvera sa part. Qui n’aimerait pas consommer sa propre culture ? Pour les autres diffusions à la télévision, c’est de l’exploitation, ils payent mal. Pendant qu’Arte achète certains films 300 € la minute, TV5 pour les films africains paye 120 € la minute ! Parce que les gens n’ont pas le choix, ils sont obligés de l’accepter. On avait demandé que les opérateurs téléphoniques investissent, mais c’est une question d’engagement politique. À l’époque on avait demandé un franc symbolique par coup de fil téléphonique, et même un demi-franc. Mais quand la volonté politique n’y est pas, ça ne marche pas. Ils n’ont rien compris aux problèmes du cinéma jusqu’à présent ! Parce qu’il n’y a pas de structure au pays, parce qu’ils ne comprennent pas, parce qu’ils sont assis dans des bureaux climatisés en donnant des ordres, ils ne savent pas ! Alors on se débrouille. Cela fait trois ans maintenant que je suis en train de filmer la reconstruction et la restauration de tous les mausolées détruits à Tombouctou, avec mes propres moyens. Je fais les films avec mes fonds propres. 154

N’y a-t-il pas un problème de formation, notamment pour les techniciens ? Le problème crucial est effectivement la formation. Dans toute entreprise la formation prime. Il ne s’agit pas d’organiser des rencontres sans fondement, mais il s’agit de former des universitaires. La manière dont j’ai été formé, en autodidacte, nos techniciens sont aussi formés comme cela : ils apprennent la pratique sur le tas. Parfois on organise des ateliers de deux semaines, ou un mois, en fonction des différentes sections, caméra, son, lumière et puis parfois on fait venir d’autres personnes pour partager leur opinion. Et ce qui est intéressant, c’est qu’à la fin, il y a deux ou trois jeunes qui arrivent à faire des courts métrages de 6 à 10 min. Peut-on vivre du cinéma au Mali ? Je suis un cas particulier, j’ai hérité de mon papa, ce qui me permet de vivre, mais je ne vis pas uniquement du cinéma, non, mon métier seul ne me permet pas de vivre. Tout est une question de volonté politique dans le pays. Aujourd’hui les films sénégalais existent parce qu’il y a une volonté politique, et ces films donnent une certaine visibilité au pays. Si nos politiques au Mali pouvaient comprendre que le cinéma peut ralentir, voire freiner l’immigration clandestine, ce serait déjà une partie du combat de gagnée. Les images d’ailleurs, qu’on nous balance toujours, contribuent fortement à l’exode des jeunes hors du continent africain. Propos recueillis par Camille Amet et Sofia Elena Bryant le 2 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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(Korafola, joueuse de kora, Mamadou Kotiki Cissé, 2011)

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Oumar Dagnon L’argent des commandes institutionnelles au service du cinéma Producteur au Burkina Faso

Dates clefs de Oumar Dagnon Naissance à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) 2006 : Maîtrise d’Art, gestion et administration culturelle à l’université d’Ouagadougou 2009 : Fonde sa société de production 3ème œil productions à Ouagadougou 2012 : Réalisation de son premier LM Principaux films produits et réalisés Longs métrages 2012 : Les infidèles 2013 : Les amants infidèles (Au royaume des infidèles 2) 2014 : Tu me prends pour qui ? 2016 : La folie du millionnaire Séries télévisuelles : 2011 : Multiprise (26 * 26 min) 2013 : Le pire était ma passion Originaire de Bobo-Dioulasso, Oumar Dagnon a poursuivi ses études universitaires à Ouagadougou, où il vit depuis quinze ans. Après des lettres modernes, il suit un second cycle d’Art, gestion et administration culturelle, devient directeur de production puis fonde rapidement sa propre société, 3ème œil productions. Réalisateur prolixe il produit un long métrage chaque année depuis 2011. Pouvez-vous présenter vos parcours et votre bilan comme producteur ? J’avais envie de travailler dans le domaine artistique. À l’université en 2002, il n’y avait pas de département pour le cinéma, mais j’ai beaucoup appris dans la gestion et l’administration culturelle, en matière de dramaturgie, et de technicités pour le son et l’éclairage. Après je me suis retrouvé dans une société de production en tant que directeur de production pendant six mois, et j’y ai fait ma première réalisation. Je me suis retiré pour mettre en place

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ma propre structure, 3ème œil productions, officiellement lancée en 2009, avec une jeune équipe. Nous avons commencé à travailler sur notre premier projet en 2010, avec l’écriture puis le casting, pour tourner en 2011. Nous étions partis pour faire une série mais c’était très compliqué d’avoir des partenaires financières, mécènes ou sponsors. Nous étions jeunes dans le milieu et ici les ressources sont très rares. On s’est donné corps et âme, on a tourné dans la faim, avec toutes les galères possibles. Mais le film Les infidèles est sorti en 2012. Malgré ses insuffisances techniques, il a connu un vrai succès ici. Le public avait envie de voir d’autres histoires et nous venions avec une jeunesse inconnue à l’écran. Et comme on abordait des sujets nouveaux, l’histoire a accroché. Des gens ont commencé à avoir confiance en nous et on s’est retrouvé sur un autre projet dès 2012. Au deuxième semestre notre scénario était prêt pour un long métrage, Le pire était ma passion. Grâce à un minimum d’accompagnement financier, nous avons pu le réaliser comme il fallait, et il a été retenu au Fespaco 2013 dans la catégorie « téléfilm de fiction ». Quel était exactement votre rôle sur ces deux premiers projets ? Pour ces deux films, je portais les chapeaux de producteur et de réalisateur. Après j’ai monté la suite logique de Les infidèles, intitulé Les amants infidèles avec des rushes qu’on pouvait exploiter. La grosse production qui a suivi est Tu me prends pour qui ? (2014). Une comédie qui traite de la perception par les gens des jours de fêtes. Au Burkina, le film a été troisième au boxoffice des entrées en salles, puis il a voyagé. Après ce quatrième film produit et réalisé, j’ai pris le temps de me poser des questions. Je sentais la chance que je n’avais pas eue au début, mais je savais qu’il y avait des jeunes qui venaient, qui avaient juste besoin d’un coup de pouce pour pouvoir s’exprimer. C’est ce qui m’a motivé en 2014 à prendre la production d’un film, Ma belle-sœur à tout prix, réalisé par un jeune Burkinabè, Edgar Bonkoungou. Il travaillait dans mon écurie et avait suivi sa formation à l’institut Imagine. Il m’avait proposé un scénario qui me parlait, donc je me suis battu pour réunir les fonds et nous l’avons tourné. À la suite j’ai produit La folie du millionnaire, un sixième long métrage, pour un budget de 35 MFCFA, sorti en 2016. Et le film aussi a marché et est dans le box-office burkinabé pour les comptes de l’année 2016. Il faut rappeler que quand on est dans le box-office, on a des bonifications qui nous 158

permettent sur le projet suivant d’avoir déjà de quoi le commencer. C’est intéressant, car cela fait 10 millions pour cette troisième place que nous avons occupée, et ça permet de commencer la fabrication d’un autre film. Je me suis formé en 2015 à la réalisation cinéma par Ciné court Canada, en ligne. Certes j’ai la chance de faire du terrain, mais pour essayer aussi d’avoir une nouvelle manière de faire les choses qui puisse être exportable, pour avoir le langage cinématographique universel, j’ai dû repartir à l’école. Quelles sont les sources de financement que vous avez pu obtenir ? À ce jour, en 2017, je suis à six longs métrages et deux séries télé produites qui passent sur des chaînes comme Canal +, TV5, mais pas sur des chaînes nationales. Je n’ai jamais reçu d’argent en préfinancement. Il existe une aide au niveau de l’État, faible, mais je n’ai pas encore eu la chance d’en bénéficier. Je me suis dit dès le départ que je ne compterai pas sur les autres. Pour l’expérience du premier film, le jour du casting j’ai tenu un discours assez franc avec tout le monde. Je leur ai fait comprendre que nous n’avions pas d’argent, mais que nous voulions travailler afin de donner un autre virage à notre cinéma, parce que nous avons des choses à dire, à montrer à l’écran, et que les retombées de l’exploitation du film seront ensuite réparties, que chacun aura un contrat en ce sens. Si nous avons tous des talents, mais que nous devons nous asseoir et attendre faute de financement, nous n’allons rien faire et nous n’allons pas nous en sortir. Et ça a marché. Ce qui m’a aidé dans ce travail de producteur, c’est ma formation en tant que gestionnaire administratif et culturel. Je savais comment gérer la comptabilité et toute l’équipe. La sortie de mes films a ensuite ouvert des portes, parce que les gens avaient vu les films, cela nous a fait de la bonne publicité, et nous a permis aussi de faire beaucoup de films institutionnels. On a commencé à avoir de l’argent pour pouvoir investir dans les autres projets. Cela a fonctionné parce que les gens me font confiance, mais si on veut rester uniquement sur les productions audiovisuelles et cinématographiques, on n’est pas sûr de s’en sortir. Donc ma société participe en permanence à des appels d’offres. Nous gagnons de l’argent à travers nos prestations de service, puis nous investissons sur des films qui passent en salles. Nous avons aussi créé notre propre réseau de distribution, parce que la diffusion est un gros problème ici. Il ne suffit pas de faire des films, il faut leur donner vie à travers l’exploitation dans les salles de cinéma, mais après aussi à la télévision et sur les plateformes internet. Mais l’amortissement sur ces derniers supports est compliqué, alors on essaye de se professionnaliser. Nous avons aussi un distributeur comme au Burkina où je n’y distribue plus mes propres films ; je passe des contrats avec lui et il s’occupe de tout, de la promotion jusqu’à la sortie en salles.

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Aujourd’hui votre société vit surtout de l’institutionnel ? Oui, parce que nous ne comptons pas sur les retombées des films. On y investit mais on ne récupère pas tout de suite, donc on est forcé d’être sur le marché avec les institutions pour pouvoir fonctionner normalement. Les jeunes nous considèrent comme des grands frères dans le milieu, donc il faut les faire vivre, il faut les faire travailler. Moi je ne veux pas attendre de l’argent de l’Occident, ni de mon ministère. Je pense que le cinéma est une industrie, et il faut que nous travaillions pour générer des ressources. On peut aussi mutualiser nos énergies sur un projet précis, faire un peu de la coproduction sur le plan local. En ce sens on avait créé un concept qui s’appelait Follywood1, avec six films sortis par deux sociétés de production ayant mis les moyens financiers et matériels2. On fait des films commerciaux, des films populaires, car ce sont des films qui ont leur place ici. Ce sont ces films qui marchent en salles, pas le cinéma d’auteur. Personnellement je suis en train de passer à une autre étape en termes de réalisation, mais en termes de production je continue toujours de chercher des projets fiables, des projets qui peuvent rapporter tant sur le plan artistique que sur le plan financier ici, sur le marché local burkinabè, ou dans la sous-région ouest-africaine. Quel est le public burkinabè qui va voir vos films ? Les jeunes sont friands de cinéma, à partir de 18-20 ans jusqu’à 40-45 ans, et mon premier film était tourné vers la jeunesse. Ensuite, nous avons développé des scénarios afin de toucher des personnes de toutes les tranches d’âge, avec une histoire qui rassemblait les différentes composantes d’une famille ordinaire africaine. Actuellement ma production passe plus sur les chaînes de télé, TV5 monde, A+, Nollywood, donc c’est toute l’Afrique qui regarde ces chaînes. La VàD aussi nous permet de toucher la diaspora africaine un peu partout dans le monde. Pour l’exploitation YouTube, j’ai un contrat, et même si les gens regardent gratuitement moi je me fais des sous 1

Follywood est une association de jeunes cinéastes burkinabè créée en 2013 par Oumar Dagnon et Ibrahim Olukunga. 2 Sur cet aspect, ainsi que plus de détails sur l’activité d’Oumar Dagnon et de quelques autres producteurs Burkinabè, voir Justin Ouoro « Acteurs et publics du cinéma au Burkina Faso : une nouvelle dynamique de la pratique cinématographique » dans Patricia Caillé et Claude Forest (dir.) Regarder des films en Afriques, op. cit., p. 209-223.

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avec les droits qui me reviennent tous les trois mois. Le film vit toujours, les gens peuvent toujours le découvrir. Pour l’international, il y a des codes qui sont universels, propres au cinéma, mais ici on est obligé de ne pas les utiliser si on veut rentabiliser ; il y a une autre manière de faire le film, parce que le traitement du sujet doit être différent. Les gens aiment ce qui peut les faire rigoler parce qu’ils veulent oublier leurs soucis, leurs problèmes de tous les jours, et quand ils sortent du cinéma, ils veulent repartir heureux chez eux. Donc on leur propose des histoires qui leur parlent d’eux, de leurs réalités. Mais si j’arrive en France il faut que je montre aussi quelque chose qui parle aux Français, et pas seulement à mon peuple. Nous réfléchissons à cela en ce moment et je pense que cela sera pris en compte dans les nouvelles productions, même si on fera toujours des productions pour contenter notre propre public. Vous vous orientez vers deux types de productions différentes, une pour toucher plutôt le public du nord, et l’autre plutôt pour l’Afrique ? On vise deux marchés différents, un en Afrique sud saharienne et l’autre à l’international, avec des films différents. Je souhaite produire pour les festivals, et qu’on fasse maintenant du cinéma et non du cinéma burkinabè ou du cinéma africain. C’est notre nouvelle démarche, mais il faut que ma société de production vive, et nous ne devons pas renier d’où nous venons. Nous avons tous notre propre culture, qu’il faut essayer de jumeler à la culture des autres pour développer des thèmes, des scénarios comme sur le terrorisme, la radicalisation des jeunes, tout ce que nous avons connu suite à l’attentat terroriste de Ouagadougou par exemple, comme la peur au sein de la population. Il faut changer de thématiques et plus seulement proposer aux gens des infidélités, des adultères, du viol, de la misère, etc. On peut proposer autre chose en Afrique. Quel serait le budget de ce dernier film ? Il est de 400 millions de francs CFA, que nous devons chercher, même si en termes de matériel notre société de production possède de quoi assurer le tournage, avec du matériel de pointe, et nous avons aussi les personnels techniques qui travaillent en permanence au sein de la société. Demeurent les acteurs que nous ne pouvons pas encore payer, dont l’acteur principal de ce film, Issaka Sawadogo, qui joue en Europe et aux États-Unis, et récemment dans la série Guyane sur Canal +. Il a obtenu le prix du meilleur acteur en 2016 au festival du film néerlandais, mais il est revenu au pays, au Burkina Faso, après 22 ans en Norvège, pour voir comment hausser le niveau de notre cinéma national. Nous avons initié ensemble un projet qui s’appelle Africasting pour former au cinéma les acteurs burkinabés, pour rehausser leur niveau de jeu, pour prétendre aller vers l’international. Il y a eu ainsi un travail avec les acteurs avant de passer à l’étape de la production. Nous avons aussi soumis ce projet au ministère de la Culture pour la 161

première fois, parce qu’il y a un fonds dédié au cinéma cette année, mis en place fin mars 2017, pour 500 millions à 1 milliard à répartir. TV5 et A+ ont demandé aussi le dossier pour voir dans quelle mesure ils peuvent financer. Comment fonctionne votre société de production ? Nous sommes cinq personnes en équipe permanente : un communiquant, un qui s’occupe de la distribution et des contrats, un cameraman monteur, plus un comptable, et on embauche des contractuels sur les productions. Au démarrage nous fonctionnions sur des fonds propres, puis nous avons utilisé les talents pour faire des films institutionnels qui génèrent de la trésorerie, et on a mobilisé de plus en plus d’argent pour faire des films ambitieux. Quand je suis arrivé au festival du film néerlandais, j’ai rencontré Issaka Sawadogo qui portait des critiques sur le jeu d’acteurs qui ne peuvent pas tenir un grand rôle à l’international, et aussi sur la construction du scénario. Souvent on survole cette question, parce que nous sommes dans le souci de créer dans l’urgence, alors le scénario n’est pas très abouti. Or quand le scénario est mal ficelé, on perd une énergie énorme et le résultat ne donne pas la qualité qu’on escomptait. Nos scénarios ne sont pas assez approfondis, le travail sur les personnages est survolé, on ne se prépare pas assez pour affronter le tournage, on y cumule les postes, et tout ça donne un film qui n’est pas exportable. On regarde beaucoup de films, des films américains, français, asiatiques mais s’il faut avoir une identité, nous avions mal cadré cette identité, et moi en tant que producteur, je ne dois pas développer un film de cette manière. Il faut arriver à faire fusionner des cultures différentes avec un code bien précis pour que tout le monde puisse comprendre. Les productions européennes et américaines arrivent ici et nous les consommons facilement, mais nos productions ne sont pas consommées, donc ça m’a amené à réfléchir : comment conquérir ce public ? Actuellement je travaille avec une productrice française de Scarlett production, Dominique Lesage, et j’ai pu lire pas mal de scénarios. Le cinéma c’est la guerre de l’imaginaire, et quand on parle de mondialisation, c’est donner et recevoir, or nous nous recevons mais nous n’arrivons pas à donner. Que pensez-vous de l’initiative récente de Canal+ A+ d’aider à la production, avec des critères d’exigence plus élevés ? Ce sont mes partenaires, et aujourd’hui nous discutons sur un projet de série et de trois longs métrages. C’est une bonne initiative parce que notre télé n’arrive pas à acheter nos propres productions. En Afrique nous n’avons pas assez de productions qui puissent répondre à l’attente des téléspectateurs, et c’est ce qui les a motivés pour essayer d’aider nos productions, surtout des séries pour A+. Ils ont des exigences, donc nous serons obligés de travailler pour atteindre cette qualité recherchée. Mais il va falloir aussi qu’ils achètent les films à des prix raisonnables, parce que l’argent est le nerf de la guerre. Ici nous n’avons pas le cinquième des budgets européens, mais les exigences 162

sont aussi élevées. Si on veut réellement montrer nos compétences, si nous pouvons amener nos productions à un haut niveau, il va falloir mettre les sommes adaptées dans la collaboration. Aujourd’hui ça ne peut pas faire vivre un acteur, un producteur, ni même un réalisateur, donc cela rejaillit sur la qualité de nos productions. Toutes ces chaînes qui ont besoin de contenus africains doivent revoir leurs budgets pour qu’on puisse aussi faire des séries d’un autre standing comme Windeck3, qui ont prouvé qu’en Afrique on pouvait faire des choses de qualité. Je n’ai pas envie de faire encore une série qui va parler des problèmes du quartier, des problèmes de cours communes, non ! Comment expliquez-vous que sur l’ensemble de la zone francophone les télévisions, publiques comme privées, n’aient pas joué ce rôle-là ? Je ne sais pas : est-ce le désengagement de l’État ou un problème de finances ? Les télévisions africaines sont prêtes à acheter des programmes moins chers, des telenovelas déjà réalisées qu’on nous envoie dix ans après, mais qui ne reflètent pas nos vérités, même si le public consomme ce qu’on lui propose. Mais ils pourraient accompagner différemment ; si je prends le cas de la télévision nationale, elle peut m’accompagner sur un projet. Je le réalise, je leur donne l’exclusivité, mais avant il peut y avoir des échanges de marchandises, ou on peut me donner des plages de publicité avant son passage en salle puis durant toute la programmation. Après l’exploitation de l’œuvre en salle, ils le passent en prime time, en catégorie A, c’est-à-dire la première exploitation du film en télé. Mais la télévision nationale produit sa propre série, donc devient un concurrent des sociétés de production privées. Est-ce que vous avez des coopérations avec d’autres producteurs ? Au Burkina on n’est pas très nombreux, nous échangeons facilement. Nous avons mis en place un réseau de producteurs, et un institut, Imagine, avec la présidence de Gaston Kaboré. Nous sommes une dizaine de producteurs à discuter des actions à mener pour que nous soyons entendus, comment faciliter aussi entre nous les différentes productions, en termes de matériel, de conseils aussi, partager nos expériences. Nous avons lancé des ciné-clubs chaque dernier vendredi du mois, où nous invitons des réalisateurs, des acteurs, etc. Nous regardons un film et après on le décortique, on essaye de comprendre les choses pour enrichir notre cursus cinématographique. Je pense que les producteurs ont un bel avenir ; il y a des choses qui sont en train de se passer au Burkina Faso qui peuvent motiver, avec des résultats qui commencent à se faire entendre. Tout d’abord, il y a un travail qui se fait au niveau du ministère de la Culture, avec un nouveau fonds mis en place pour le cinéma burkinabè. Ensuite, des établissements bancaires sont aussi 3 Série angolaise diffusée depuis 2012, qui évoque dans l’univers de la mode les relations rocambolesques entre des personnages avides de promotion sociale et de richesse.

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en train d’étudier la possibilité de prêts pour des sociétés de production de films. Et enfin des télévisions commencent à venir vers nous parce qu’elles ont besoin de programmes. Donc il y a de l’espoir au niveau burkinabè, même si nous n’avons plus que quatre salles de cinéma dans le pays. À Ouagadougou, Canal Olympia vient de s’installer et le Théâtre national va désormais consacrer des plages de diffusion de films le soir. Ces salles ne sont pas gérées par les mêmes personnes, et cette concurrence entre quatre promoteurs va permettre à nos films d’être vus dans plusieurs endroits ; ça va générer des recettes et peut-être rehausser le niveau de nos films. Producteur est un métier passionnant et je pense que nous avons beaucoup à dire en Afrique, nous avons énormément d’histoires que nous pouvons mettre à l’écran, donc c’est à nous de nous battre. Nous avons envie de montrer cette Afrique qui bouge, cette Afrique qui vit, cette Afrique où les gens sont ambitieux, qui ont la gaieté, la joie de vivre, où on sent cette chaleur. C’est notre rôle de produire ces films, qu’on sache que l’Afrique ce n’est pas uniquement ce qu’on a montré comme clichés durant des années. Propos recueillis par Sofia Elena Bryant et Claude Forest le 2 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Boubakar Diallo Répondre aux attentes des spectateurs Producteur au Burkina Faso

Dates clef de Boubakar Diallo 1962 : Naissance au Burkina Faso 2004 : Fonde sa société de production à Ouagadougou, Les films du Dromadaire Principaux films produits et réalisés Courts métrages : 2003 : Sur les traces des tapeurs de sable 2005 : Parenthèse à plaisanterie Longs métrages : 2004 : Sofia 2004 : Traque à Ouaga 2005 : Dossier brûlant 2005 : Code Phénix 2006 : L’or des Younga 2006 : La belle, la brute et le berger 2007 : Mogo puissant 2008 : Sam le caïd 2009 : Cœur de lion 2010 : Clara 2011 : Julie et Roméo 2012 : Le foulard noir 2013 : Congé de mariage 2015 : La fugitive Séries télévisuelles 2006 : Série noire à Koulbi (30 * 18 min) 2010 : Omar et Charly (24 * 26 min) 2013 : La sacoche (30 * 18 min) 2015 : Fabiola saison 1 (26 * 26 min) 2016 : Fabiola saison 2 (26 * 26 min) Boubakar Diallo se définit comme un autodidacte, éditeur de presse car, peu après le baccalauréat, ce fils de vétérinaire abandonne ses études pour devenir journaliste. Il anime depuis 25 ans un journal satirique hebdo165

madaire, Le journal du jeudi, et est l’auteur de plusieurs contes et romans policiers. Réalisateur prolixe, il doit surtout sa notoriété internationale à ses talents de scénariste, réalisateur, mais aussi de producteur. Directeur de sa société de production, les Films du dromadaire, il ne produit que ses films en raison des difficultés de financement. Pionnier du tournage en vidéo en Afrique francophone, la plupart des films qu’il écrit, produit et réalise, rencontrent un fort succès au Burkina Faso. Quel type de films aimez-vous en tant que spectateur ? Rat de bibliothèque donc rat de cinéma, je dévore tout, depuis tout jeune, mais ma préférence va aux comédies. J’aime bien les comédies, et des thrillers avec un scénario élaboré et des rebondissements. En tant que scénariste j’aime être surpris, voir des films qui finissent là où je ne m’y attends pas. J’aime les bonnes écritures. Il me semble que je suis plus dialoguiste que scénariste, c’est mon vrai profil ; mais dialoguiste humoriste. Comment voyez-vous le métier de producteur en Afrique francophone ? Le producteur que je suis travaille avec le réalisateur et le scénariste que je suis aussi. Depuis très jeune, je lis énormément, je vais voir plein de films, c’est ça qui me tient lieu de formation. Après le bac, j’ai fait deux ans d’université, mais ça ne me plaisait pas, j’ai laissé tomber et commencé à travailler. J’ai écrit un recueil de contes africains1, et un roman que j’ai édité à Paris, mais je me suis rendu compte qu’ici les gens ne lisaient pas beaucoup, et parmi le peu de gens qui lisent, il y en a encore moins qui achètent des livres. Donc je me suis reconverti à l’écriture de scénarios de films, dans l’idée de proposer mes scénarios aux réalisateurs professionnels. Mais ma façon d’écrire ne correspondait pas à leur vision du cinéma, donc personne ne voulait de mes scénarios ; alors par la force des choses je me suis lancé, et j’ai réalisé mes propres histoires. Être producteur pour moi consiste, à partir du moment où j’ai initié une histoire que j’ai traitée, développée, dialoguée, rediscutée avec un script doctor, puis que j’estime que le scénario est plus ou moins abouti, d’essayer d’identifier les sources de financement possibles. Comment trouver les décors qui peuvent convenir, et constituer une première équipe de préparation. Puis identifier les intervenants, les partenaires financiers, qui peuvent être locaux en totalité, ou selon l’envergure du projet les guichets traditionnels du Nord, dont la Francophonie et le ministère français des Affaires étrangères à l’époque : enfin je frappe à toutes les portes pour essayer de réunir ce qu’il faut. Mais je demeure dans une logique de low budget ; je travaille à moindre coût en numérique. Il s’agit de proposer un projet en mettant l’accent sur le scénario, en écrivant des histoires qui vont intéresser le public. Cela a 1 Le

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totem : Recueil de contes du Burkina Faso, L’Harmattan, 2000, 160 p.

beaucoup contribué à ramener les gens au cinéma, alors que ces dix dernières années dans beaucoup de pays, un certain nombre de salles de cinéma ont fermé. Au Burkina on continue parce qu’entre deux éditions du Fespaco, il y a une offre de films qui permet d’étoffer ce qui vient d’ailleurs, c’est-à-dire le cinéma d’Hollywood, les films français, de Hong Kong ou d’Inde. On s’est rendu compte que le public d’Afrique noire, et déjà le public burkinabè de Ouagadougou, va prioritairement voir les films faits localement, parce que tout simplement ils s’y reconnaissent. D’autres producteurs ont fait le même constat, ce qui fait qu’aujourd’hui à Ouagadougou on a encore un minimum de salles de cinéma. En tant que producteur, on n’a pas attendu que les financements nous arrivent du nord : on a fait des histoires réalistes en termes de budget, et on a essayé d’aller frapper à des portes, souvent des institutions dont le rôle ou la mission n’a rien à voir avec le cinéma ou la culture. En fonction du thème, on va sensibiliser les gens qui ont besoin de communiquer dans un domaine précis ; à partir du moment où ce thème est abordé dans le film, ça peut les intéresser pour mettre un peu d’argent, et ça permet de boucler le budget pour faire des films. En quoi consiste la publicité intégrée dans les films ? On écrit le scénario sans tenir compte de ceux qui peuvent mettre de l’argent, on raconte une histoire, et ensuite, en fonction des thèmes qui se trouvent dedans, on peut aller vers des partenaires institutionnels ou privés. Dans le cas des privés, ce peut être la Loterie nationale, qui a beaucoup d’argent, ce peut être une société qui vend des motos, parce que Ouagadougou est la capitale des deux roues, etc. La CNSS [Caisse nationale de sécurité sociale] quelquefois a des messages de sensibilisation envers les employeurs pour les inciter à déclarer les travailleurs. Donc si l’histoire s’y prête, on valide le sketch ou juste des visuels, et quelqu’un achète. Un partenaire potentiel assez important, la téléphonie mobile, fait qu’il n’y a pas de récit sans téléphone : il suffit de montrer quelqu’un qui recharge. Pendant longtemps on avait les cartes qu’on achetait et qu’on grattait, donc il suffisait de faire un gros plan au moment où il rentre le code. Ça fait de la visibilité à l’opérateur, il est content, et nous, on a un peu d’argent en contrepartie. Du côté institutionnel, la publicité peut être un travail interne. On a fait par exemple un film atypique, un western africain, qui traite la question du coton 167

africain (L’or des Younga, 2006). Les producteurs africains de coton avaient du mal à exister sur le marché international face aux poids lourds américains, simplement parce que le coton était subventionné, ce qui faussait les règles du marché. En abordant cette question, nous sommes allés vers le consortium des sociétés cotonnières du Burkina qui se sont concertées, et nous ont proposé une enveloppe commune. Le film peut être aussi un thème : la lutte contre le sida, qui est toujours d’actualité ; une histoire qui se passe sur un site d’orpaillage traditionnel, pour ne pas dire sauvage, avec toutes les violences que cela comporte, avec forcément de la prostitution, etc. Comme il y a des ONG dont le travail consiste à sensibiliser les populations sur le terrain, le film est aussi un moyen de toucher les gens. C’est de cette manière qu’on a réussi à amorcer notre décollage avant de pouvoir aller frapper à la porte de certaines institutions comme la Francophonie. On a essayé l’Union européenne, mais sans succès jusque-là. En fait on essaye un peu tout le monde en fonction de l’importance du sujet, et si le budget est plus conséquent, on essaye de faire des montages. Depuis quelques années on a pu avoir un distributeur, qui permet de sortir le film en Europe, en Afrique du Sud qui est un marché nouveau pour nous ; donc ça développe de nouveaux marchés, avec des recettes qui permettent à la société d’équilibrer ses comptes. Pouvez-vous évoquer les budgets de vos films ? Chaque film est unique, c’est une aventure inédite à tout point de vue, et le budget tient compte de l’histoire. S’il n’y a que deux décors côte à côte, donc pas de déplacement, il n’y a pas une grosse équipe technique ni beaucoup de comédiens, etc. C’est une différence avec un film qu’on a fait récemment, La fugitive (2015), qui est l’histoire d’une princesse au XVème siècle et qui se passe en forêt, donc il faut un décor qui s’y prête, déplacer toute l’équipe, trouver un hébergement, etc. Les réalités de la production ne sont pas identiques. Il en va de même pour les types d’équipements que l’on va utiliser : est-ce que la caméra qu’on possède fera l’affaire, ou est-ce qu’il faut en louer une autre ? Donc un low budget va de 40 000 € jusqu’à 300 000 €. Traque à Ouaga (2004) a été intégralement financé par des sponsors locaux, et son très faible coût (20 MFCFA) a été amorti en quelques jours grâce au fort succès populaire du film. Est-ce que vous pouvez évoquer la sortie en salles de certains films ? Sofia est sorti en fin d’année 2004, sur un petit budget, de l’ordre de 40 000 €, mais dans ce chiffre-là on ne prend pas en compte les facilités qu’on peut avoir. Si on a besoin d’une voiture, je vais prendre la mienne, si j’ai plutôt besoin d’un modèle qu’un ami possède, ou que le Fespaco ou le ministère possède, ils peuvent me le prêter pour les besoins du tournage. On peut tourner dans des décors qui nous sont prêtés, qu’on ne paye pas. Tout cela a une valeur, mais n’est pas un coût, ce sont des apports. Il est arrivé 168

qu’on nous mette à disposition un décor, une grande villa de type ministériel qui appartient au parc immobilier de l’État. Si on y installe notre base, cela nous permet de travailler dans un local qu’on ne paye pas. Sofia a été le premier grand succès des Films du dromadaire. Il nous a permis de nous faire connaître à l’international, même si je dis souvent avec un petit sourire à nos partenaires, que la piraterie a beaucoup contribué à nous faire connaître aussi, parce qu’on n’avait pas forcément les moyens de faire la promotion. Mais comme le film a marché, les pirates s’y sont intéressés et ils l’ont exploité ; ça ne nous a pas rapporté de l’argent, mais de la notoriété. La petite sœur de l’héroïne principale, qui s’appelle Nadia dans l’histoire, est jouée par ma propre petite sœur, qui quelques années après est partie s’installer à New York. Elle me disait qu’elle allait dans certains supermarchés des quartiers fréquentés par la communauté africaine, et voyait le DVD du film Sofia, dont ils n’avaient pas les droits évidemment, en vente dans le rayon, donc ça l’amusait. À Ouagadougou à l’époque il y avait trois salles de cinéma qui fonctionnaient, mais la difficulté était qu’il n’y avait pas de projecteur vidéo professionnel de disponible. Les salles de cinéma étaient équipées en projecteur 35 mm, et il a fallu convaincre les exploitants de salles que ce type de film avait un potentiel réel, et qu’on pouvait prendre le risque en tout cas de louer un projecteur. Au début on le mettait au milieu de la salle entre les sièges, parce que ce n’était pas assez puissant pour être installé dans la cabine de projection, puis on tirait les câbles sous les fauteuils, et le public rentrait, sans faire attention aux fauteuils condamnés. L’essentiel était ce qui se passait sur l’écran : les gens étaient contents. Le film a marché, selon moi, parce qu’on racontait des histoires dans lesquelles ceux qui sont en âge d’aller au cinéma se reconnaissent. Ce qui marche le plus, ce sont les comédies évidemment, et les histoires sentimentales. Dans Sofia, le premier rôle masculin est tenu par un musicien connu, qui joue et chante dans l’histoire, qui a composé des musiques originales pour le film, qui sont devenues des tubes, ce qui faisait un bon cocktail. Par la suite deux films ont battu les records d’affluence de Sofia, beaucoup plus tard. Congé de mariage (2012) notamment, parce que beaucoup de femmes qui n’allaient quasiment jamais au cinéma, se sont retrouvées pour aller voir et revoir ce film, et à amener une amie, une cousine, une parente, parce que cela leur avait plu. Ce qui a fait boule de neige, c’est cette histoire assez peu commune, où une femme, fatiguée de souffrir des infidélités de son mari qui est tout le temps en train de mentir, de lui prétexter des faux rendez-vous, des faux dîners d’affaires pour retrouver sa maîtresse, jusqu’au jour où ses amies lui disent : « Arrête de te morfondre, toi aussi vis ta vie ». À partir de ce moment elle se ressaisit, et elle commence à se relooker, à se maquiller, ce qu’elle ne faisait plus depuis des années, à sortir le soir et comme le mari a commencé à s’interroger sur ces nouvelles habitudes, elle a poussé le bouchon plus loin en lui disant « Écoute je vois que je t’embête en 169

te posant des questions, je te propose qu’on fasse une trêve : on fait un congé dans le mariage, donc dans ce temps tu fais ce que tu veux, tu n’as pas de compte à me rendre, et réciproquement ». Au début il est content parce que ça lui donne une liberté, mais très vite il ne supporte pas trop, parce qu’elle s’habille sexy, elle rentre de la ville au petit matin, etc. Donc beaucoup de femmes se sont rendu compte que c’était une recette qu’elles pouvaient appliquer, en tout cas c’était un regard nouveau sur les couples, sur la vie en société, et beaucoup d’épouses se sont reconnues, se sont approprié le film. Cela a été mon record personnel pour les entrées, avec trois salles au Burkina, en 2013 et en gros 50 000 entrées pour ce film, Congé de mariage. Vous étudiez les réactions du public ? Dans le but d’apprendre à mieux connaître mon public, quand un film était exploité en salle, les week-ends où la salle était comble, je rentrais avec quelques collaborateurs et on restait au fond, non pas à regarder le film mais à regarder le public, à observer les réactions. Ça m’a beaucoup appris dans les premières années parce que quelques fois, en tant que scénariste, tu es content d’un jeu de mots, d’une phrase ou d’une situation. Donc tu attends une réaction donnée à ce moment-là, et souvent ça marche : toute la salle explose, c’est drôle, tu es content, mais quelques fois tu attends et il ne se passe rien ! À un autre moment, j’estime que c’est triste, tragique, mais les gens se mettent à rire : qu’est-ce que j’ai loupé ? Donc petit à petit j’apprends à connaître les clefs : quelle sera la perception des autres quand je vais leur soumettre le film ? Ce n’est pas forcément gagné d’avance, mais on apprend à affiner en allant au contact, en observant. Ça aide ensuite à concevoir des situations, des scénarios selon qu’on veut faire un drame ou une comédie. Vous faites des films dits « populaires » ? Moi je n’ai pas besoin d’étiquette. Je fais des films, je les propose en salle, ceux à qui ça plaît viendront les voir. Maintenant il y a des gens qui ont besoin de dire « Non : ça, c’est film d’auteur ; ça, c’est film populaire ». Ceux qui font l’étiquetage pensent qu’un film est populaire à partir du moment où il plaît au public. Est-ce que le choix du public n’est pas important ? Ou un film quand la moitié des gens sortent parce qu’ils n’ont 170

rien compris, c’est un film d’auteur ? C’est pour ça qu’ils n’ont pas compris ? Mais n’est-ce pas peut-être que c’est mal écrit, tout simplement ? Vous réfléchissez au public pendant que vous écrivez le scénario ? Je ne suis pas cinéaste au départ, je suis un autodidacte grand amateur de cinéma. Enfant je voyais des comédies françaises, et des succès américains, mais je trouvais dommage qu’il n’y ait pas de films africains que je puisse voir juste pour m’amuser. Donc je me suis dit : « et si moi j’écrivais des scénarios qui correspondent à ce manque ? » Mais comme personne n’en voulait, je les ai réalisés. J’ai écrit des histoires pour des gens comme moi, qui veulent aller au cinéma chaque week-end, ou deux fois dans la semaine. À l’époque il n’y avait pas une telle offre de programmes sur les chaînes de télévision – les choses ont évolué depuis –, ce qui veut dire que j’étais à la bonne place, j’étais un maillon de ce public. Je me suis alors interrogé : de quoi est-ce que j’ai besoin ? De quel type d’images, de quel type de films ? Qu’est-ce qui manque sur nos écrans ? Donc, j’ai commencé à proposer des histoires. Puis en devenant réalisateur, j’ai proposé cela à des gens qui avaient cette même attente, et c’est pour cela que mes films ont plu. Je tiens compte des attentes des gens, et les sujets qui sont traités dedans, ce sont des préoccupations, des enjeux du moment. J’ai trouvé un peu dommage que le cinéma africain, à une époque, ne propose que des histoires de villages, des histoires un peu lentes, du cinéma d’auteur comme ils aiment se qualifier. Je ne sais pas qui attribue ce label « cinéma d’auteur »... Et puis je faisais aussi une forme de marketing de provocation, pour leur montrer que le cinéma c’est du rêve, de la fantaisie, qu’il y a la place pour tous les genres. On ne doit pas se laisser enfermer, parce qu’à mon sens le cinéma africain n’est pas un genre, mais tous les genres peuvent exister dans le cinéma africain. Je refuse l’idée selon laquelle le cinéma est un genre unique : tous les genres existent. Qu’on appelle ça cinéma d’auteur, cinéma calebasse, cinéma populaire ou cinéma de divertissement, peu importe, tous les genres existent, il y a de la place pour tous les genres pourvu que le courant passe, parce que le cinéma c’est l’émotion. C’est pour cela que je me suis permis de faire une parodie policière, une comédie sentimentale plus ou moins musicale, un western, un thriller politique, etc. Et j’ai tourné une série en 2006 (Série noire à Koulbi) dans un contexte de petit hameau de village, avec une poignée d’habitants qui se connaissent tous, qui fréquentent les mêmes endroits. Mais dans ce village où, justement, dans le chemin du cinéma africain classique, les histoires se passeraient de façon assez monotone, pour montrer que même dans un village on peut créer de l’intérêt, du suspense, j’y mets des meurtres en série ! De toutes mes quatre séries télévisées, c’est elle qui a le plus marqué les gens ; il n’y a pas de raison de se laisser porter des œillères. C’est de la fantaisie, c’est de l’imagination, on peut aller vraiment où on veut. 171

Est-ce que le système de Nollywood pourrait être appliqué au Burkina Faso ? Les schémas que j’ai proposés aux professionnels du cinéma ici, que j’ai proposés aux gens du MAE et de la Francophonie, nous auraient permis, s’ils m’avaient écouté, qu’on devance Nollywood. Mais personne ne m’écoutait parce que je n’ai pas les galons du cinéma, je n’ai pas fait la Sorbonne, je n’ai pas fait la Fémis, donc quand je parle personne ne m’écoute. En 2005 le réalisateur Denis Kouyaté, un ami, me dit que dans un colloque organisé par la Francophonie on avait parlé de mon expérience. Ils ne m’avaient pas associé pour que j’en parle ! Ce sont eux les professionnels, ils ont parlé de ce que, moi, je faisais, mais sans m’y inviter ! Jusqu’à présent, ces gens estiment que Boubakar Diallo ne fait pas du cinéma. C’est le modèle francophone, c’est l’esprit franco-français, le cinéma d’auteur. Pendant longtemps on a opposé systématiquement le numérique et le 35 mm. Je disais que le numérique est un nouvel outil, qui évolue très vite et que bientôt ils n’auront pas le choix. Aujourd’hui personne ne se pose plus la question avec son téléphone portable… Les nouvelles technologies sont arrivées et avec les caméras 2 K, 4 K, et on ne parle plus de cet antagonisme. J’ai obtenu l’écran d’or en 2012 au Festival Écrans noirs à Yaoundé avec Julie et Roméo, dont j’ai le trophée même si je n’ai pas encore reçu le chèque. Ce qui est intéressant c’est que le promoteur de ce festival, Bassek Ba Kobhio, qui est un grand réalisateur, faisait partie avant de ceux qui disaient « ce n’est pas un cinéaste, il fait de la vidéo » 2 et on ne parlait plus du numérique. Mais quelques années après il m’a invité à son festival, il a reconnu qu’il faisait partie de ceux qui pensaient comme cela mais que c’était une bêtise. J’ai envoyé un film, puis un deuxième et un troisième qui a été primé par la suite, donc lui a évolué même si d’autres freinent encore. 2 « Bassek Ba Kobhio, le délégué général des Ecrans noirs, a avoué sa surprise quant au choix du jury : "Je me serai attendu à ce que ce soit Viva Riva qui soit primé. Boubakar Diallo fait des films en vidéo, sans beaucoup de moyens, mais ce sont des films populaires. Le cinéma c’est un art, mais aussi une réponse à des attentes du public". Auteur de l’essai Je suis noir et je n’aime pas le manioc et président du jury pour cette édition, Gaston Kelman explique ce choix : "On en a marre du cinéma calebasse. On a hésité entre Julie et Roméo et Viva Riva ! On s’est dit que Viva Riva ! pouvait se porter tout seul et on a décidé de lancer Julie et Roméo qui a plein de défauts, mais aussi beaucoup de potentialités. C’est un film qui présente une Afrique nouvelle" ». Stéphanie Dongmo, Africiné, publié le 11/07/2012.

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Ce n’est pas l’outil qui est le plus important, c’est ce que vous racontez comme histoire, et à qui. Suivant que votre cible est le public d’Afrique noire ou le public maghrébin, ou le public européen ou français, vous n’avez pas la même démarche, tout simplement. Mais beaucoup d’auteurs se sont contentés pendant longtemps de raconter des histoires destinées à un public de festival, alors quand on le propose au public en salle, forcément ça n’a pas le même attrait. Pendant les festivals comme le Fespaco, ça marche, parce que les gens vont aller au cinéma, quel que soit le film. Mais entre deux éditions du Fespaco, il se passe deux ans, et il faut des films et du public pour que les salles continuent de fonctionner. C’est ce que nous avons fait mais on a commis un crime de lèse-majesté en remplissant des salles à un moment où les « vrais professionnels » du cinéma n’arrivaient pas à le faire, donc on ne nous a jamais pardonné, mais c’est un autre débat. Comment faites-vous pour produire parfois plusieurs films par an ? J’essaye de faire un film chaque année, ou une série télé, sinon la société de production ferme. Si vous faites un film tous les trois ans, comment payer les charges ? Il y a des produits dérivés, des petits marchés de spots institutionnels de sensibilisation, des spots télé publicitaires, etc., qui aident la maison à tenir, mais en termes de projets je fais un film chaque année, même s’il a été écrit plusieurs années avant ; je le revisite, on fait la réécriture, et puis on recherche de financements. Et pendant que ce dossier-là est en attente des financements, il y en a un qui est plus abouti qu’on va réaliser, en attendant le suivant. Donc comme mon truc c’est d’écrire, j’ai plusieurs projets d’avance. Trois ans pour monter un film est un délai normal. Si je réussis à faire un film chaque année, ça ne veut pas dire que je vais vite, c’est une organisation et une planification. Il y a de la matière, et cela dépend des opportunités. Et je ne me fixe aucune barrière. Julie et Roméo fait référence à l’œuvre de Shakespeare : pourquoi ce ne serait pas possible de faire une adaptation à l’africaine, qu’elle soit bonne ou pas ? L’intention, c’est d’attirer l’attention sur ce que nous faisons ici, avec une femme au premier plan, et une histoire de magie africaine. C’est juste de la fantaisie pure, on est dans le cinéma. Les films que vous faites pour le cinéma ramènent-ils des recettes suffisantes pour produire ? Les films restent une semaine à l’affiche, un peu plus s’ils fonctionnent vraiment bien. Ils ne rapportent pas suffisamment, parce qu’il n’y a pas assez de salles et que le prix du ticket est relativement bas : 1 000 FCFA pour les salles d’exclusivité, climatisées, mais la salle de quartier est à 500 FCFA. Quand le film donne bien, cela permet à la société de production d’avoir de la trésorerie pour les charges de fonctionnement, et quand on touche une petite subvention, cela permet de dégager une marge pour acheter des équipements, renouveler la caméra, acheter des micros, ou habiller le parc de 173

réflecteurs. Ces équipements sont nécessaires pour être opérationnel, ne pas dépendre des autres, parce que ça revient très cher en location, donc selon le film et les recettes qu’on a pu faire en salles, ça peut aider même si ce n’est pas suffisant pour refinancer le film suivant. Tout le monde est indépendant sans l’être puisque, pour cet art, on dépend de financements extérieurs, qu’ils soient privés ou publics : le ministère de la Culture, l’OIF, etc. Mais personne ne nous oblige à aller les chercher, quoiqu’en même temps on en a besoin, donc… Dans quels autres pays avez-vous vendu vos films ? Essentiellement en France et en Afrique, mais depuis que CFI (Canal France international) n’existe plus, on a un partenariat traditionnel avec TV5 Afrique, et Canal+ Afrique (A+) basé à Abidjan. Des chaînes comme Nollywood TV achètent de temps en temps mais pour une seule diffusion ; cela ne rapporte pas beaucoup, mais c’est un début. Il y a aussi Télé Sud qui est basée en France, récemment une télévision en Afrique du Sud, évidemment les télévisions nationales de la plupart des pays africains, la Côte d’Ivoire, le Mali, etc., et on prospecte de nouveaux marchés. Maintenant, on s’est rendu compte que les films qui passaient sur une chaîne comme TV5 ou A+, étaient systématiquement piratés et se retrouvaient sur YouTube, donc on a signé avec un distributeur pour gérer tout ce qui est plateforme internet, pour essayer de récupérer un peu. Les chaînes de télévision financent-elles vos films ? La télévision nationale n’intervient pas, ne préachète pas, et les quelques télévisions privées sont encore embryonnaires, assez fragiles, et n’ont pas de budget. Il est arrivé qu’on fasse des partenariats, pour passer notre programme à la télévision, mais avec un placement de produit, une téléphonie ou autre chose, où cette marque vous offre ce programme. Cela nous permet d’avoir un peu de recettes, et à la télévision locale d’avoir un programme sans le payer. Les téléphonies interviennent directement de façon assez infime, même si l’émergence des programmes studios vers l’Afrique commence maintenant à prendre un peu d’ampleur. Et Orange est en train de s’installer ici comme opérateur de téléphonie, et on espère que ça va changer, faire bouger le marché. L’UNCB, l’Union nationale des cinéastes du Burkina, a fait la proposition au ministère de taxer les opérateurs de télécom, mais au niveau des finances de l’État cela semble beaucoup plus compliqué. Des taxes sont perçues auprès des opérateurs, mais ne sont pas allouées directement à la culture. C’est un budget de l’État qui est voté chaque année à l’Assemblée Nationale, mais malheureusement la culture n’est pas encore perçue comme un domaine prioritaire. En Afrique l’argent va aller plutôt vers l’alimentation, la santé, l’eau potable, l’éducation, la défense et la sécurité depuis quelques années avec le terrorisme international, et c’est autant d’argent en moins pour la 174

culture. En même temps quand les hommes politiques reviennent de missions hors du pays, voire hors d’Afrique, dès que quelqu’un leur dit « j’ai vu un de vos programmes », ils sont fiers. Mais concrètement, que font-ils ? Comment avez-vous vécu le passage de l’argentique au numérique ? Ceux qui avaient l’habitude de tourner en 35 mm avaient des gros budgets, mais qu’ils ne pouvaient plus obtenir à partir de la fin des années 1990. D’ailleurs, la plupart des grands réalisateurs n’ont pas produit de films depuis quelques années, parce qu’ils sont restés dans le secret espoir du retour à cette époque… Sembène Ousmane est décédé (en 2007), mais il aimait raconter qu’il avait un projet, un grand projet qui allait coûter un milliard FCFA. Mais à force d’attendre le milliard, il est décédé sans le faire. Donc il n’est peut-être pas utile de faire un tel film vu que dans nos réalités économiques, pour moi, c’est presque un non-sens de faire un film à un milliard. Un film américain qui se fait à plusieurs millions de dollars, ça répond à une logique économique, car cet argent investi va être amorti après que le film soit sorti dans 800 salles. Donc on ne peut pas s’identifier à ce modèle dans un pays qui n’a pas de salle de cinéma, juste en voulant passer dans les festivals, parce que le paradoxe est que beaucoup de films africains n’ont jamais été vus par le public africain. Il est important que les gens s’approprient leur cinéma plutôt qu’il demeure élitiste, ou vienne de façon sporadique, une semaine tous les deux ans pour le Fespaco. Avec les sommes investies, il est dommage que ces films soient réservés au public des festivals. Surtout que vous avez 40 % des mêmes têtes qui font tous les festivals classiques, donc en fait vous montrez vos films aux mêmes personnes, alors que vous tournez pour le public africain qui est là, et qui est demandeur. Il faut aller vers le public, on fait un film pour le public : c’est comme un livre, s’il ne sort pas de votre bibliothèque, vous le montrez à vos seuls visiteurs, mais il ne sert pas à grand-chose ; il faut que les gens le lisent. Donc il faut avoir cette possibilité de proposer aux gens, d’aller vers le public, pour qu’il voie vos films, s’approprie le cinéma africain contemporain. D’autant que pour certains vieux films, y compris des grands succès du cinéma africain, les copies n’existent nulle part ailleurs qu’à la cinémathèque de l’Institut français en France, ce qui est un problème. Que pensez-vous de la montée en puissance de certaines entreprises françaises dans l’audiovisuel et les communications ? Je ne sais pas s’ils vont faire beaucoup d’argent dans les salles de cinéma. Dans la téléphonie éventuellement. Mais la France et l’Europe sont déjà présentes dans le financement du cinéma depuis toujours, à travers les fonds de l’Union européenne, du MAE, etc. Donc quand le MAE a plus ou moins laissé tomber, les cinéastes l’ont mal vécu parce que c’était une source de financement disponible. Mais au fond, peu importe d’où vient cet argent, à partir du moment où il n’y a pas de clause restrictive contraignante… 175

Toutes les téléphonies sont plus ou moins venues d’un pays étranger, mais c’est le village planétaire, et puis une offre de service. Moi en tant que réalisateur, j’ai applaudi quand j’ai appris que Bolloré a construit une salle de belle facture ; je suis content que cette salle existe, et celui qui l’a construite n’est pas mon problème ! Avec d’autres on va se l’approprier en tant qu’amateurs de cinéma, et on va aller au cinéma dans de bonnes conditions. Une salle de plus ça ne peut que renforcer le parc. Maintenant on aurait préféré que ce soit le ministère, mais en même temps l’essentiel est qu’il y ait une salle, en plus qui soit disponible et accessible. Est-ce que vous pensez que l’économie du cinéma au Burkina Faso et en Afrique peut se développer ? Absolument. Le système de financement actuel de l’OIF et autres est long et compliqué : ils font un appel à projets, avec un délai, vous déposez et puis ça va être examiné au bout de trois mois, ensuite la convention va être signée, puis le déblocage de l’argent prend du temps. Le schéma que je proposais il y a une douzaine d’années, c’était que si la Francophonie mettait en place un budget un peu plus pragmatique, de façon à ce qu’on puisse faire un film, voire deux films chaque année par producteur, ce serait plus aisé et diversifié. Sachant que la copie numérique ne coûte rien, et qu’il y avait des salles encore un peu partout, on pouvait faire une sortie simultanée du film à Ouagadougou, à Bamako, à Dakar, à Abidjan, à Cotonou, même en Afrique centrale, à Yaoundé au Cameroun, à Libreville, etc. De cette façon on aurait créé un début d’industrialisation. Mais le fait de ne pas avoir enclenché cela, le train est passé, beaucoup de salles dans plusieurs pays ont fermé, sont devenues des temples ou des supermarchés. Et pendant ce même temps des grands colloques étaient organisés ici et là. C’était sympathique, on entendait des recommandations qui finissaient dans un tiroir, des recommandations qui avaient déjà été tirées au cours de colloques précédents et qui n’avaient pas servi. Donc on continue toujours à faire plus ou moins la même chose ailleurs, avec plus ou moins les mêmes personnes. Mais avec le budget de ces colloques, au Burkina Faso on ferait combien de films ? Si vous avez tous frais payés une semaine au Fespaco dans un bel hôtel avec piscine, ça fait une semaine de vacances à voir des films, à aller le soir dans des cocktails : pourquoi arrêter un modèle qui marche ?... Propos recueillis par Camille Amet et Sofia Elena Bryant le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Moussa Hamadou Djingarey Faire des films d’Africains pour les Africains Producteur réalisateur au Niger

Dates clef de Moussa Hamadou Djingarey 1973 : Naissance le 9 juillet à Zinder (Niger) 1999-2002 : Formation pratique aux techniques de l’audiovisuel à Al-Hayat Production Djeddah en Arabie Saoudite 2002 : Fonde sa société de production MD digital vidéo production à Niamey (Niger) 2005 : Réalise et coproduit son premier documentaire 2010 : Premier long métrage de fiction Principaux films produits et/ou réalisés Courts métrages : 2005 : La mystérieuse croix d’Agadez (26 min, documentaire) 2006 : Tagalakoy (52 min, documentaire) 2008 : Casting pour un mariage (6 min) 2010 : Le chemin de l’intégration (13 min) Longs métrages : 2010 : Hassia 2012 : Mon retour au pays 2013 : Koré 2016 : Le pagne Moussa Hamadou Djingarey est un producteur réalisateur nigérien entré dans le cinéma après une première formation autodidacte en Arabie Saoudite. Il suivra ultérieurement de nombreuses autres formations dans plusieurs pays pour se familiariser aux techniques audiovisuelles, puis se lancera avec succès dans la production et la réalisation de ses propres films, documentaires puis de fiction. S’appuyant sur sa société de production MD digital production fondée à Niamey en 2002, il couvre une grande partie du champ des productions institutionnelles au Niger, qui lui permettent de faire fonctionner sa structure et produire courts et longs métrages de fiction. Rivalisant de techniques marketing et commerciales pour financer et amortir ses films, il estime l’activité cinéma et audiovisuelle profondément rentable 177

et exhorte ses compatriotes à s’y lancer, et produire enfin des films africains, par et pour les Africains. Pouvez-vous présenter votre parcours de producteur réalisateur ? Lors de ma formation en Arabie Saoudite, j’ai côtoyé et sympathisé avec des producteurs pour la chaîne de télévision nationale, ce qui m’a poussé à aimer ce métier, puis à rester avec eux comme assistant sur la production de leurs films. Durant trois ans j’ai suivi de façon pratique les métiers du cinéma en passant par la caméra, le son et surtout la réalisation. Je suis rentré en 2002 au Niger avec du matériel numérique, notamment une caméra HD et un ordinateur Mac G3, et j’ai créé une société de production, MD digital vidéo production, puis commencé à produire des vidéoclips, des films de commande, des spots publicitaires. J’ai ensuite approché les structures qui avaient besoin de films, et ils ont dit la nécessité à ce que je suive d’autres formations pour pouvoir vraiment satisfaire leurs demandes. J’ai obtenu plusieurs bourses d’études pour poursuivre des formations de courte durée grâce à la coopération française, d’abord en résidence d’écriture de documentaires avec Africadoc en mars 2005 à Saint-Louis au Sénégal. Durant quinze jours j’ai appris à écrire un projet et à faire un dossier complet de production. J’ai ensuite suivi une formation en décembre 2006 à Niamey à l’IFTIC (Institut de formation aux techniques de l’information et de la communication) en production et réalisation de films de sensibilisation. Et après j’ai également bénéficié d’une formation en doublage avec le soutien de Contre champ de l’Ambassade de France. J’ai suivi en 2009 un stage au Conseil général du Val-de-Marne, qui a duré trois mois en tournage en numérique, et aussi en montage de films dans une agence de production en France, puis en production au CIRTEF du Bénin en doublage de films en mars 2010. Après j’ai bénéficié, à travers plusieurs festivals, de formations en production et en réalisation, notamment au Clap Ivoire en Côte d’Ivoire, et au festival de Khouribga au Maroc. Vous avez commencé avec des documentaires et maintenant vous êtes dans la fiction, pourquoi ? Au Niger il n’existe pratiquement aucune société de production crédible pour les films, donc en tant que jeune réalisateur qui venait d’entrer dans le domaine, j’étais obligé de me convertir en producteur pour pouvoir produire mes propres films. À travers les festivals et rencontres j’ai pu connaître les fonds existants, les guichets qui donnent de l’argent à la production de films, et de 2002 à ce jour je produis mes propres films. J’ai commencé avec la réalisation et la production de documentaires parce qu’elles coûtent moins cher, et parce que la production d’un film et la réalisation s’apprennent sur le terrain. Il faut d’abord se confronter aux problèmes, savoir les surmonter avant de se lancer dans la fiction, parce que ça demande de grands moyens et de la disponibilité. C’est pourquoi j’ai 178

d’abord commencé à produire des documentaires, notamment Tagalakoy sur les femmes portant du sable au Niger, qui était financé par une ONG, et ça m’a permis un peu de comprendre les problèmes techniques et de les surmonter. Ensuite des ONG m’ont contacté pour produire des documentaires institutionnels, ce qui m’a permis d’économiser un peu d’argent pour financer les productions de fiction. Quand je me suis réellement senti prêt, en guise de test j’ai réalisé un court métrage de six minutes, Casting pour un mariage, mon tout premier film de fiction. Quand j’ai vu que ça a marché, je me suis lancé dans la production de long métrage. La fiction est plus compliquée car il faut suffisamment de moyens pour ne pas être limité dans la créativité. Actuellement je suis dans les deux, dans la production d’un documentaire, et en préparation pour la production de mon prochain long métrage de fiction. Comment fonctionne votre structure ? Ma société emploie au moins quatre personnes en permanence : un comptable, un comptable secrétaire de direction, des techniciens dont un cameraman et un preneur de son, et moi, pour répondre à la demande. 80 % de nos activités sont des films institutionnels, des films de commande et des publicités, et pour 20 % des films d’auteur. On a des ONG comme Plan Niger children, Care International, mais aussi les Nations Unies, l’Ambassade des États-Unis où je suis le principal consultant en matière d’audiovisuel. Je travaille aussi avec la coopération allemande et avec le grand réseau de communication ORTN (Office de radiodiffusion télévision du Niger), dont je produis des sketches, des spots publicitaires, et souvent ils participent à des productions de films d’auteur. Nos pays africains n’ont pour l’instant pas vraiment besoin de films de distraction, mais de films de sensibilisation. Tous les longs métrages que j’ai réalisés ne sont que des films éducatifs, pour pouvoir servir et apporter un changement de comportement aux Africains. Donc mes films sont produits pour un public africain, et pour le public nigérien en particulier. Ils permettent d’exposer des problèmes qui entravent le développement de notre pays, et pour que la population qui les regarde puisse comprendre un peu les enjeux, les problèmes liés à certaines pratiques traditionnelles néfastes, et trouve la solution à ces problèmes. Comment financez-vous vos films ? En Afrique, quand un réalisateur ou un producteur débute, son plus grand problème est d’avoir des fonds, et pour cela être capable de sensibiliser et de convaincre pour pouvoir financer son film. J’ai été obligé de financer à 100 % mon premier film pour d’abord montrer ma capacité en matière de production, et montrer qu’on peut avec un peu de marketing récupérer tout ce qu’on a investi dans le film. J’ai financé le film, je l’ai réalisé et j’ai organisé dans une salle de 1 500 places quatre projections le même jour ; la 179

recette était formidable, près de 4 millions FCFA. Donc au Niger le cinéma marche, les Nigériens aiment encore le cinéma. Ça m’a fait connaître, et par la suite à chaque projet de production cela a été très facile pour moi de convaincre les partenaires, et même le gouvernement qui souvent me donne des financements pour la réalisation de mes films. Pour mon deuxième projet, j’ai eu des partenaires qui m’ont soutenu après la réalisation. Quand ils ont constaté que le film avait commencé à avoir un succès, j’ai organisé des projections où je leur prévoyais des espaces pour pouvoir vendre leurs produits. Ensuite, j’ai moi-même piraté mon deuxième film ! J’ai produit des DVD ordinaires dans lesquels j’ai contacté des partenaires pour lesquels j’ai réalisé de la publicité, des spots de 30 secondes à 1 minute, et l’ai insérée dans le film. Et j’ai édité une version piratée à 500 F qui va empêcher les pirates de produire, parce que si on vend au même prix qu’eux, ils ne gagnent rien du tout. J’ai fait d’abord 10 000 copies piratées, dans lesquelles il y a le DVD avec les spots. On les a vendues en peu de temps parce que c’était moins cher que le DVD normal, et le client qui nous a soutenus a eu la visibilité qu’il cherchait, et nous on a pu récupérer un peu d’argent. C’est avec les recettes de la vente de ce DVD et celles de l’organisation des projections de ce film qu’on a financé le projet d’écriture de mon dernier film. Donc il est possible chez nous de pouvoir auto financer nos productions quand on est créatif.

(Le pagne) J’ai réalisé mon dernier film Le pagne avec le soutien d’ORTN. Quand j’avais bouclé le projet d’écriture de ce film, j’avais profité d’une interview à une télé au Niger pour demander aux partenaires de nous aider, et immédiatement après ORTN m’a contacté pour me demander de passer les voir. Ils m’ont soutenu avant la réalisation, parce qu’ils savaient déjà que des productions pouvaient marcher, donc qu’ils peuvent avoir la visibilité qu’ils cherchent. Et ça, je l’ai eu parce que j’avais fait déjà mes preuves dans le 180

passé en produisant moi-même mes films, et en produisant d’autres films de qualité. Ils profitent aussi de ce film une fois fini, avec un contrat d’exclusivité pour l’exploitation dans les salles, ou bien en organisant des caravanes de projection ; ils insèrent leur produit dans les activités liées au film. Après ORTN, j’ai eu d’autres sociétés partenaires parce que c’est un film qui traite de la violence sur la femme, de l’excision, et beaucoup de structures au Niger s’intéressent à ce thème. Donc j’ai eu Oxfam, qui organise des actions en matière de sensibilisation sur les droits de la femme, et qui a vraiment bien soutenu la production de ce film, et il y a aussi la coopération espagnole, la coopération française, l’ambassade des États-Unis et le gouvernement nigérien. Ce film est donc financé à 100 % nigérien ; l’argent a été mobilisé et dépensé entièrement au Niger, ce qui est difficile en Afrique. Moi je l’ai réussi, et je pense que ça va ouvrir des portes à d’autres producteurs pour pouvoir essayer chez eux. Et ce qui est extraordinaire, c’est que la direction des impôts du Niger m’a soutenu, alors que d’habitude c’est le contraire, c’est à nous de payer l’impôt, cette fois-ci c’est l’impôt qui m’a soutenu dans le cadre de la production de ce film. Donc en Afrique tout est possible, l’essentiel c’est vraiment d’oser aller rencontrer les gens et de discuter, et surtout c’est de faire ses preuves en matière de production, parce que personne ne peut prendre de son argent et le donner à quelqu’un qui n’est peut-être pas crédible. Il est important d’être présent en festivals ? J’ai participé à plusieurs festivals dès mon premier film de fiction, Hassia, que j’ai réalisé en 2010, et ce film m’a fait voyager et découvrir les grands festivals à travers le monde, notamment le Fespaco dont le Niger a été absent pendant longtemps. Hassia a été sélectionné dans beaucoup de festivals, à Vues d’Afrique en 2011 à Montréal, à Écrans noirs au Cameroun, au festival Cinémas d’Afrique au Sénégal, au festival de Khourigba au Maroc. En 2012 j’ai réalisé Mon retour au pays, qui a fait un parcours à travers des grands festivals, comme Le pagne en 2016, notamment le festival AMAA, African movie academic awards, à Écrans Noirs, au Nigeria, et au Fespaco dans la section Panorama. L’avantage d’un festival de cinéma ce ne sont pas les projections, mais les rencontres. Je pousse les jeunes qui veulent se lancer dans la production à y assister, à rencontrer des gens, à être audacieux pour pouvoir affronter les réalisateurs, surtout ceux qui ont commencé avant nous, qu’ils aillent poser des questions : comment on trouve les moyens, comment on produit un film, etc. C’est la meilleure façon d’apprendre en production : rencontrer les gens, connaître les guichets, savoir faire un bon dossier fiable et banquable pour pouvoir boucler le film. Au Fespaco il y a tous les grands producteurs africains et européens, et à chaque édition je rencontre des gens pour discuter de productions. 181

Comment arrivez-vous à trouver des acteurs pour vos fictions ? La particularité au Niger c’est qu’on n’a ni école d’acteurs, ni école de cinéma. On a une école de journalisme qui forme un peu des techniciens télé, donc il faut organiser ensuite une séance de formation d’une ou deux semaines avant le tournage. Les comédiens, les acteurs ne sont pas des comédiens professionnels, donc on les forme un peu, on fait venir des vrais comédiens et des vrais techniciens sur le cadrage et la prise de son, et on leur apprend comment on fait le jeu d’acteurs au cinéma. Ça a toujours marché, et ma particularité est de faire venir des acteurs non professionnels dans mes productions. C’est une façon de montrer leur talent caché, et surtout d’apporter un plus dans le monde de la culture. Il y en a beaucoup qui ont commencé à tourner dans mes films, et qui aujourd’hui sont de bons acteurs, et sont appelés dans d’autres productions. Donc dans mes productions, dans chaque nouveau film, il y a toujours un ou deux nouveaux acteurs inconnus. Que deviennent ceux que vous formez aux métiers du cinéma ? Pour la technique, certains qui veulent faire du cinéma passent par cette école de journalisme, et puis viennent chez nous pour faire un stage de trois ou six mois. Mais les jeunes, qui ont eu la chance d’assister à ces formations courtes, ont envie de produire des films pour la population nigérienne ou pour l’Afrique. Pour eux c’est une chance d’avoir cette formation, donc pour rendre la monnaie de la pièce, il faut qu’ils aient déjà un projet de films pour une population locale. C’est bien d’avoir un financement à l’étranger, de produire un film pour un festival ou bien pour l’étranger, mais ça ne fait pas partie de leur priorité. On dit tout le temps que les pays africains sont des pays indépendants, mais je vois que les films africains qui ont du succès dans le monde, qui ont eu des prix, même malheureusement au Fespaco, dans tous les films de la sélection au générique, il n’y a pratiquement aucun Noir africain. On dit que le Fespaco est le festival du cinéma africain, mais qu’est-ce qu’on appelle cinéma africain ? Est-ce un film où le réalisateur est africain et l’équipe européenne ? Ou toute l’équipe doit-elle être composée d’Africains ? Des productions pilotées par l’OIF, le ministère français des Affaires étrangères sont-elles africaines ?… Si le scénario est écrit par des Européens, et qu’il suffit juste de changer la couleur de la peau des personnages pour que l’histoire puisse tenir avec des Européens qui le tournent… ça n’est pas du cinéma africain. Le vrai cinéma africain, c’est quand l’Afrique arrive à se financer et à produire elle-même ses propres films, que toute l’équipe est africaine, que l’histoire elle-même est une histoire africaine ; c’est ça qui va impressionner les autres.

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Hassia mon premier long métrage est une histoire locale, produite localement, je l’ai fait pour une consommation locale, mais à sa sortie j’étais impressionné de voir que le film a intéressé plus largement. On m’envoie des mails de partout, on m’invite à des festivals pour pouvoir le projeter, et c’est un film où il n’y a aucun mot français dedans, tout est en langue locale. J’ai compris qu’on doit arrêter de copier les autres, arrêter de faire des films pour les autres. Faisons des productions pour nous-mêmes, quel que soit le coût de la production. Malheureusement chez nous, les réalisateurs pensent que si leur film n’a pas un financement de l’Union européenne, il ne va jamais marcher, qu’il n’ira pas dans un grand festival européen qui le sélectionnera. Mais ton festival c’est ton public ! Tes parents, tes voisins là qui vivent chez toi à côté, donne-leur un DVD et c’est eux qui te font connaître ! La grande fierté aujourd’hui, c’est quand brille ton nom chez toi, pas à l’étranger. Malheureusement beaucoup ne comprennent pas ça. Est-ce que, seul ou avec d’autres producteurs, vous essayez de faire pression sur le gouvernement pour la création d’écoles de cinéma ? C’est ma bataille ; à chaque fois que j’ai l’occasion de rencontrer les autorités, je leur parle de ce problème, parce qu’en Afrique nos autorités sont des spécialistes de la récupération. Ils attendent de voir le produit fini pour en parler à la télé : « Le Niger est présent à tel festival, le Niger a eu tel prix ! » Alors qu’ils ne participent pas ! Quand vous voyez comment un réalisateur ou un producteur africain cherche de l’argent en Afrique comme un vrai mendiant, ça fait pitié ! Les autorités ferment les yeux, alors qu’on a un problème de financement, qu’on a un problème de formation, et qu’ils n’ont aucun budget dans le budget national 2017 pour pouvoir aider la production de film, ni la formation des jeunes. Certes depuis l’avènement de ce régime qui a comme slogan la renaissance culturelle1, ils ont mis en place un système pour pouvoir encourager la production cinématographique. Au Fespaco 2017 notre ministre de la Culture était avec nous. On est soutenu moralement, et ils ont en projet d’instaurer un fonds de 10 milliards de francs CFA pour pouvoir financer les activités culturelles sur cinq ans ; peutêtre que le Niger va faire parler de lui en matière de cinéma… 1 Mahamadou Issoufou, a été élu président de la République le 7 avril 2011, puis réélu en 2016.

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Sinon, souvent j’ai des partenariats avec l’Ambassade des États-Unis ; chaque année ils financent dix jours de formation, et j’y organise pour les jeunes des sessions en production, réalisation et en jeu d’acteur. Et souvent on fait venir des formateurs étrangers, des Américains qui viennent instruire ces gens, et c’est seulement cela qui nous a permis d’avoir chaque année au moins dix réalisateurs, dix acteurs ou actrices professionnels potentiels au Niger. Si toutes les institutions, ou l’État, en organisaient, ça pourrait peutêtre dans l’avenir développer une industrie de cinéma fiable au Niger. Comment distribuez-vous vos films ? La distribution des DVD en Afrique pose toujours problème par manque d’entreprises fiables. Il n’y a qu’une société qui souvent nous contacte pour distribuer nos productions, Côte Ouest Audiovisuel, mais ils ne sont pas trop clairs, donc il n’y a aucune structure de production fiable en Afrique occidentale. On se contente juste de la distribution locale. Au Niger je distribue moi-même mes productions, car il n’y a pas de distribution organisée : je trouve des vendeurs, je donne les DVD que j’ai édités, ils revendent, ils remboursent l’argent (même si certains ne le font pas). Après deux ans le film rentre dans le domaine public, on le laisse à une autre société de distribution qui le propose à des télés, et chaque année ils font le point des ventes et sont censés envoyer l’argent, mais souvent ils ne l’envoient pas. Le cinéma africain est un cinéma destiné aux festivals, aux projections dans les salles de cinéma. Après, la vente sur des supports DVD et les passages à la télévision, ça devient systématiquement piraté. Aujourd’hui les pirates ont des appareils pour capter sur la télé, et dès que le film passe sur une chaîne ils enregistrent et dupliquent. On voit même le logo de la télé, et deux jours après ils font des containers de DVD qui partent de Chine, puis ça envahit ton pays. Donc du coup j’attends deux ans, parce que je pense qu’en deux ans on peut rentabiliser la production avec les projections et les festivals. Au Niger on n’a plus aucune salle de cinéma. J’utilise le Palais des congrès qui est une salle d’au moins 1 500 places pour organiser des projections, mais la location de cette salle coûte un million de francs CFA (1 500 €) par jour, donc nous avons dû trouver une solution. Pour la toute première fois on a signé un contrat de coproduction avec la salle qui gagnait 40 % sur les billets vendus, et moi 60 % alors que je détiens les droits sur mon film. J’ai rencontré les télévisions privées, qui ont besoin de nos productions mais qui n’ont pas les moyens de les acheter, et en échange des droits de diffusion dans deux ans, ils m’ont fait une promotion d’un mois avant la sortie du film en salle. Et toutes les télés, au moins dix, ont accepté, et pendant au moins dix jours avant la sortie de mes films, ils ont fait la promotion de mon film, ce qui m’a permis de remplir la salle aux quatre projections dans la même journée. C’est vraiment le manque de productions qui fait que les gens font semblant de ne pas aimer les films, mais les gens aiment le cinéma. 184

Grâce à Bolloré, le Niger a inauguré sa première salle de cinéma numérique début 2017, avec du matériel sophistiqué, vraiment une très belle salle et pour l’instant la seule qui existe. Mais c’est décevant que ce soit quelqu’un de l’étranger qui vienne le faire chez nous. Nos autorités n’y connaissent rien, nos commerçants, les hommes riches ne le feront pas parce qu’ils pensent que le cinéma est un domaine maudit, parce que religieusement dans l’islam on dit que le cinéma n’est pas bon, donc ils ne veulent pas s’investir dedans, ils ont peur d’être insultés chez nous. Le Nigeria est-il un modèle pour vous ? Au Niger, les films du Nigeria que nous voyons sont ceux produits dans une seule zone du Nigeria, Kano, qui fait frontière avec le Niger. On y a des éléments en commun comme la langue, et je pensais que c’était seulement cela les productions nigérianes. Ce qui m’a surpris quand je suis parti au Nigeria la première fois pour un festival, à Lagos, je n’ai vu aucun DVD des films que j’avais l’habitude de voir, car ils ont plusieurs zones de production. Il y a les films Haoussa, les films Arewa, Igbo et Yoroba, des productions qui ne sont pas identiques. Les films Igbo sont très en avance en qualité, et peuvent aujourd’hui être projetés dans le monde entier ; ce sont des films dans lesquels ils ont investi des milliards, mais malheureusement la plus grande partie du reste de la production nigériane est de mauvaise qualité, surtout celle des films de la zone qui fait frontière avec notre pays. Arrivez-vous à vivre de votre métier de producteur ? Nous sommes des grands consommateurs de films importés. Les séries, les films du Nigeria, on les consomme énormément, mais il y a un défaut de productions locales. J’étais surpris quand j’ai sorti mon film la toute première fois, je me demandais d’où venait tout ce monde ! Mais les gens aiment le cinéma africain, ils aiment la production locale, mais nous ne produisons pas assez pour eux, donc ils regardent d’autres productions. Je me suis lancé à 100 % dans la production pour pouvoir au moins satisfaire ma population, satisfaire le Niger, mais aussi gagner de l’argent parce que c’est vraiment rentable. Ma première maison, là où je vis actuellement, est construite avec les recettes de mon premier film. Je vis très bien de mon métier, ça me nourrit et c’est formidable. Parce que mon cinéma est un cinéma commercial, je produis des films, j’organise des ventes de DVD, j’organise des projections, je récupère un peu d’argent. Cet argent je l’investis dans le second film, et cela forme un cercle ! Ma société de production aujourd’hui est assez étoffée avec du matériel moderne pour pouvoir produire et être à jour en fonction du développement de la technologie. Et quand tu produis des bons films tu as toujours des films de commande, qui permettent aussi de financer les productions. Donc j’ai pu mettre en place un cercle vertueux où je peux produire, financer, produire, financer, sans demander de soutien à un pays étranger ! 185

Et pour l’avenir ? Je veux adresser une demande aux réalisateurs africains. Surtout aux jeunes qui se lancent dans le cinéma. Je leur demande de ne pas attendre des milliards pour produire des films. Aujourd’hui on a ce qu’on appelle l’entraide sociale chez nous, avec une société qui est disponible. On a des techniciens au Niger, on a des comédiens qui ont tellement envie de jouer dans des films, disponibles en fonction des budgets. Communiquez avec ces gens : « J’ai tel projet, je n’ai pas de sous, aidez-moi à réaliser mon film, on partage les recettes », ça c’est une méthode. Au moins des films vont voir le jour, et les gens vont travailler. Car quand un réalisateur me dit qu’il attend un milliard pour pouvoir produire un film, je dis qu’il rêve, ce n’est plus possible : c’était avant, ça ! Aujourd’hui les États ont tellement de problèmes, d’insécurité, de terrorisme, ils n’ont pas de temps pour la distraction, ils n’ont pas le temps à s’intéresser et financer la production de films. Donc produisez en fonction de vos moyens, cherchez des sujets simples, à petit budget. Ça va vous faire connaître, ça va vous faire travailler, et ça occupe aussi la population. Voilà le message que je lance aux jeunes réalisateurs africains : produisez, produisez avec peu de moyens, et ça vous permettra d’apprendre. Propos recueillis par Camille Amet et Sofia Elena Bryant les 27 février et 4 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Mamadou Maboudou Gnanou La difficulté de vivre du métier de producteur Producteur burkinabè

Date clef de Mamadou Gnanou 2008 : Premier long métrage, Ouaga battle et création de sa société de production, les Films de Yona Principaux films produits Longs métrages 2008 : Ouaga battle 2012 : Entre le cœur et la raison Documentaires 2010 : Initiation aux masques de Boni 2012 : Exploitation Minière au Burkina Faso. État des Lieux et Perspectives (2 * 52 min) Séries télévisuelles 2006 : Arts d’Afrique 2015 : Sentiments en otage (4 * 20 à 24 min) 2017 : Bibata, la cité de la passion Réalisateur et producteur burkinabè autodidacte, Mamadou Gnanou se passionne pour le cinéma dès son enfance. Il se forme sur le terrain par de nombreux stages, en commençant par la technique, afin d’apprendre les différentes facettes du métier. Produisant aussi bien des documentaires, des séries télévisuelles que de la fiction, il s’intéresse aussi bien aux problèmes de son pays qu’à la vie en société de ses contemporains, notamment les jeunes, dont il contribue par ailleurs à produire les films. Comment êtes-vous arrivé au cinéma ? Je suis arrivé au cinéma très jeune. Depuis le lycée je fréquentais les cinéastes sur les plateaux de tournage pour faire des stages, et après je me suis engagé personnellement pour apprendre les métiers du cinéma. Je parle des métiers du cinéma avant de parler de la production parce que j’ai commencé par autre chose avant. J’ai suivi mon chemin, de stage en stage, également auprès des chaînes de télévision, où j’ai acquis une certaine expérience. Je me suis beaucoup documenté, je n’ai pas fait une formation 187

académique en tant que telle, mais j’ai beaucoup lu, je me suis beaucoup investi dans des projets qui m’ont été très utiles, jusqu’à ce que je comprenne en tout cas le fonctionnement du cinéma de manière générale. Je dirai que cette formation m’a permis aussi d’aboutir à la réalisation, et de produire également pour d’autres personnes parce que je ne fais pas uniquement de la production personnelle. Je fais aussi la production pour des jeunes qui veulent s’exercer, s’essayer, qui ont du talent. Voici à peu près comment je suis arrivé au métier. Je suis un autodidacte, mais ça ne m’empêche pas maintenant de souhaiter une formation, parce que je suis en train d’explorer mes limites, et il est toujours nécessaire d’avoir un autre regard et de se recycler, parce que les temps évoluent, les méthodes de travail évoluent. Il faut être capable de repartir à la base pour pouvoir explorer certaines techniques. Je suis donc producteur et réalisateur à mes heures, mais avant que ça ne soit une profession réelle pour moi, je n’ai jamais su faire quelque chose d’autre que le cinéma bien qu’on dise que ça ne nourrit pas son homme. Je me débrouille par moi-même, je ne suis pas un salarié de l’État, même si généralement les cinéastes au Burkina sont dans la fonction publique. Cela leur permet d’avoir un salaire mensuel pour vivre et exercer le métier du cinéma à côté ; ce qui veut dire que le métier n’est pas indépendant, ni ne permet à quelqu’un de vivre de manière autonome. Je fais partie de cette génération qui a lutté avec beaucoup de difficultés, parce que ce n’est pas facile pour arriver à produire des œuvres, et essayer de les exploiter suffisamment pour en vivre. Dès l’enfance vous voyiez beaucoup de films ? Oui, enfant je fréquentais les plateaux de tournage, et regardais de nombreux films. Tout petit, mes parents n’avaient pas de poste téléviseur, mais le film de Sembène Ousmane Le mandat n’arrêtait pas d’être rediffusé par les chaînes, et pour celui-là, comme à chaque fois qu’il y avait un film africain, les voisins le disaient à mes parents pour que je vienne le voir chez eux. Ils savaient que je m’intéressais beaucoup aux films, surtout aux films africains. Je cherchais à comprendre le cinéma, et chaque fois ils envoyaient quelqu’un m’informer. C’est vraiment très jeune que j’ai compris que j’avais cette fibre et que je voulais m’investir dans ce métier. Plus tard, j’ai fréquenté les salles de cinéma. Au Burkina Faso on ne peut pas être cinéaste sans les fréquenter. Le cinéma est dans la culture du Burkinabè depuis bien avant la révolution, grâce au Fespaco notamment. La culture du Burkinabè est d’aller au cinéma, c’est une habitude culturelle, et la plupart des gens vont au cinéma soit pour se distraire, soit pour accompagner quelqu’un, soit pour se donner rendez-vous. C’est pour ça que ça fait mal aujourd’hui de voir que les salles sont en train de se fermer parce qu’on a moins de cinéphiles. 188

(Ouaga battle) Au cinéma, des films m’ont marqué ; c’étaient des Django, des westerns et des Jacky Chan par exemple. Les films de karaté nous ont marqués, on les regardait régulièrement, mais on allait surtout voir ce qu’il y avait à l’affiche, comme des films de l’Inde également. On avait une passion pour tous ces films avant que viennent des films africains. Comment êtes-vous entré dans la profession ? J’ai fait plusieurs métiers dans le cinéma, en commençant par assistantréalisateur, puis réalisateur, mais j’ai commencé par des stages à la technique. J’ai été électro au tout début, pendant très longtemps, avant de passer d’une branche à une autre pour pouvoir bien m’exprimer, puis faire de la production. Il n’y avait pas de producteur, et à un moment donné, quand vous avez votre œuvre sous le bras et que vous faites le tour, vous cherchez quelqu’un pour produire, mais c’est très difficile. Donc c’est pour cela que j’ai essayé de produire ma toute première œuvre, Arts d’Afrique, un magazine culturel semi-documentaire, qui faisait le portrait des artistes, musiciens, stylistes, artistes peintres, chorégraphes. L’œuvre a été diffusée un peu partout en Afrique parce que Canal France International (CFI) a coproduit avec moi et m’a fait des préachats. J’ai enchaîné par une production avec la télévision nationale du Burkina. D’où venait l’argent de vos productions ? Ma première œuvre a été réalisée à Abidjan en Côte d’Ivoire, où j’étais en coproduction avec le ministère de la Culture, qui m’a équipé avec tout le matériel, et m’a aussi fourni des techniciens pour pouvoir tourner. Pour les déplacements des techniciens, la restauration et la communication, cela a été pris sur mes fonds propres que j’investissais dans la production, sans aucun apport extérieur.

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Ensuite, pour mes sources de financement, j’essaye toujours d’investir personnellement, avant l’apport des autres. J’essaye de coproduire pour au moins garantir le matériel, avec un apport personnel qui me permette de travailler, de payer les techniciens et les comédiens. Mon principal partenaire financier c’est le ministère de la Culture du Burkina, qui apporte un peu. Je soumissionne aussi à des appels, comme l’OIF. Pour les longs métrages, il y a un peu l’exploitation des films en salles et les chaînes de télévision. Mais pour pouvoir amortir nos œuvres, les ventes en DVD, et maintenant en ligne sur le net, sont des voies à explorer pour pouvoir nous en sortir. Je suis en train d’étudier quels moyens il faut avoir pour faire de la vente en ligne avant qu’ils ne soient diffusés sur les chaînes de télévision. Mais la difficulté majeure reste la distribution, parce que, même au Burkina, il n’y a pas de distributeur professionnel. Moi-même j’ai fait un peu de distribution, mais qui se limite aux salles de cinéma du pays ; je n’ai pas cette habitude d’approcher la télévision pour pouvoir leur proposer des œuvres. J’espère qu’avec la dynamique actuelle de la réorganisation du système cinématographique au Burkina Faso, il y aura des formations destinées aux étudiants qui veulent se spécialiser dans la distribution. Quelles sont vos productions ? Dans ma structure, les Films du Yona, je travaille avec deux personnes permanentes, un secrétaire et un régisseur, mais j’embauche quand un projet se met en route. J’ai donc produit ma série de magazines de près de 50 épisodes ; en 2008 j’ai fait un long métrage de 90 min sur le hip-hop, Ouaga battle d’un coût d’environ 38 millions de FCFA, puis un film documentaire qui retrace l’initiation des masques dans une région qu’on appelle Boni (Initiation aux masques de Boni, 2010). Il a été suivi en 2012 d’un long métrage, Entre le cœur et la raison.

(Initiation aux masques de Boni)

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J’ai ensuite fait deux documentaires de 52 min sur l’exploitation minière au Burkina Faso (Exploitation minière au Burkina Faso. État des lieux et perspectives, 2012), et d’autres petits documentaires de 26 min toujours sur l’exploitation minière, sur l’orpaillage, sur la désintoxication, etc. J’ai fait une série parce que j’ai toujours quelque chose à dire, je ne suis pas du genre à ne raconter qu’un peu, et pour parler des mines, il y a plusieurs thèmes et plusieurs domaines qu’il faut explorer pour comprendre. Quand on dit « les mines », il y a l’industrie minière, mais aussi l’orpaillage, qui est typiquement différent de l’industrie minière. C’est pour cela que quand je m’attaque à un sujet, je préfère approfondir pour que celui qui suit mon film puisse le comprendre complètement. Pour le financer j’ai eu un soutien auprès de la Chambre des mines, et par la suite l’œuvre a été vendue à Canal France International, pour un petit prix mais ça démontre la valeur de mon travail qui a été reconnue quelque part. Ensuite, j’ai fait encore un long métrage qu’on a traité en série, Sentiments en otage, qui évoque la vie sentimentale des jeunes. Et ma dernière production est une série télévisuelle, Bibata ou la cité de la passion, a bénéficié d’une subvention du ministère de la Culture, des Arts et du tourisme. Bibata est une belle femme jouée par Guiré Alizeta, comédienne de profession, et le film a été tourné à Ouagadougou, mais il y aura une suite probable dans un pays voisin. Les acteurs principaux du film sont tous burkinabè, et j’en suis le réalisateur comme pour la plupart de mes œuvres. Aujourd’hui, quelles sont les qualités pour être un producteur au Burkina ? Je produis des jeunes, et récemment je viens de produire un film sur la vie des femmes homosexuelles, fait par un jeune qui a eu une idée sur ce sujet, un court métrage de 13 min qui va sortir bientôt. Pour être un producteur au Burkina je dirai qu’il faut savoir faire deux choses : ne plus se lancer comme moi uniquement dans le cinéma, mais se diversifier dans l’audiovisuel. Et il faut le faire avec les reins solides, c’est-à-dire avec les moyens nécessaires, ou bien avoir des revenus à côté pour se permettre de pouvoir produire de temps en temps. Je suis très optimiste pour mon avenir personnel, avec beaucoup de films à produire chaque année, beaucoup de réalisateurs différents, beaucoup de jeunes. Je suis très ambitieux, je sais que je vais y arriver, mais je dois faire 191

autre chose pour pouvoir me financer. Ce métier nécessite de l’argent, il faut donc trouver une bonne subvention, un bon soutien bancaire et puis se lancer ; rien n’est impossible. Propos recueillis par Sofia Elena Bryant et Claude Forest le 2 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Alain Gomis Producteur-réalisateur francosénégalais Le cinéma c’est ma vie, pas le moyen de gagner ma vie

Dates clefs d’Alain Gomis 1972 : Naissance à Paris (France) d’un père sénégalais et d’une mère française 1993 : Maîtrise d’études cinéma à la Sorbonne (Paris) 1999 : Réalisation de son premier court métrage 2001 : Réalisation de son premier long métrage 2009 : Création avec les cinéastes Newton I. Aduaka et Valérie Osouf, et de la comédienne Delphine Zingg, de la société de production Granit films 2013 : Aujourd’hui (1er Étalon d’or de Yennenga au Fespaco) 2017 : Félicité (Étalon d’or de Yennenga au Fespaco) Principaux films produits Courts métrages 1996 : Caramels et chocolats (12 min) 1999 : Tourbillons (13 min) 2003 : Petite lumière (15 min) 2006 : Ahmed (15 min) Longs métrages 2001 : L’Afrance 2006 : Cuba, une odyssée africaine 2007 : Andalucia 2013 : Aujourd’hui 2014 : Les délices du monde 2017 : Félicité Alain Gomis est avant tout réalisateur. Après un lycée scientifique, il cherche à faire une formation de chef opérateur pensant qu’il s’agissait du partenaire privilégié sur un plateau. Pour payer ses études de cinéma à la Sorbonne, après avoir échoué au concours d’entrée à la fémis et à Louis Lumière (Paris), il devient surveillant dans les écoles. Avec ses premiers salaires, il achète une caméra vidéo et commence à tourner des petits films. Sa volonté farouche de ne pas se complaire dans la complainte du manque de moyens lui donne l’énergie de se battre sur chacun de ses projets, 193

apprenant la technique sur le tas. Si des rencontres lui permettent de se lancer dans la coproduction, essentiellement sur ses films, ses succès en festivals lui donnent une reconnaissance internationale, avec l’ouverture vers de plus larges collaborations. Comment êtes-vous venu au cinéma ? J’ai toujours aimé voir les films, être dedans : vivre les films comme si j’étais dedans. En troisième année de licence de cinéma, on n’avait pas de caméra ni de matériel, les cours étaient théoriques, mais j’ai pu voir plein de films, et j’ai notamment passé beaucoup de temps à la cinémathèque. En quatrième année on nous donnait la possibilité d’écrire un scénario en guise de mémoire, sous la direction de Jean-Paul Török, récemment décédé1. Nous étions quelques étudiants dans cette section cinéma, au sein de l’Histoire de l’art, dans un bâtiment destiné à l’archéologie, ce qui donnait une certaine atmosphère… C’était passionnant, car je découvrais vraiment le cinéma, que j’aimais depuis tout petit, et c’est là que j’ai commencé à découvrir des réalisateurs comme Eisenstein, etc. Il y a eu plusieurs moments importants. J’ai reçu ma première gifle avec le film Gosses de Tokyo (Yasujirō Ozu, 1932). J’ai étrangement eu l’impression que ça me parlait, alors qu’il s’agit d’un film muet, qui se passait dans la banlieue de Tokyo. Ça m’a beaucoup étonné, parce que j’avais l’impression qu’il parlait de moi. Et plus tard c’est avec À l’est d’Eden (Elia Kazan, 1955). Je l’ai vu sur une télé pendant un cours, avec l’impression bizarre que je comprenais la grammaire de la mise en scène. C’était très étrange. J’avais l’impression de comprendre ce qu’il était en train de faire avec sa caméra, comment il essayait d’influencer la façon de regarder, et j’ai remarqué pour la première fois qu’il utilisait des cadres un peu, justement, décadrés, et ça m’a plutôt surpris. Parce que je n’avais jamais rien appris, tout d’un coup je me disais : « ah il y a un truc que, je crois, je comprends un peu ». Mais c’est toujours difficile de savoir pourquoi on tombe amoureux. J’ai toujours voulu réaliser, et quand je pensais devenir chef opérateur, c’était dans l’optique de réaliser. Étudier le scénario c’était aussi dans l’optique de réaliser. Car pour moi le cinéma était une globalité et qu’il est difficile de devenir réalisateur sans connaître ce qui se passe autour. Mais finalement, je suis devenu directement réalisateur. Une fois sur un plateau j’ai été assistant car un pote m’y avait amené pour être stagiaire, mais je ne suis pas resté ; j’avais l’impression que je n’apprenais pas, alors que j’avais envie de faire mes films. J’ai appris en faisant.

1 Né en 1936, Jean-Paul Török a été critique à Positif (1960-1979) avant d’enseigner le scénario à Paris 1 Sorbonne ; il est décédé le 3 janvier 2017, deux mois avant cet entretien.

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Pourquoi avoir créé votre société de production ? Par la force des choses, car en fait j’avais une volonté, non point d’indépendance en soi, parce que la question ne se pose pas ainsi, mais de plus grande autonomie. Newton Aduaka, un réalisateur nigérian2, est venu me voir, alors qu’on habitait tous les deux Paris, et m’a dit « il faut qu’on tourne un truc ensemble ». Anglophone, il a monté la structure plus facilement, et si je ne l’avais pas rencontré, jamais je n’aurai envisagé une société de production, parce que ça me paraissait administrativement compliqué et que je suis très désorganisé. Mais ça m’a poussé, et m’a permis au fur et à mesure de pouvoir faire le cinéma que je voulais, en tout cas que j’avais envie d’explorer. Mais j’ai eu de la chance, car après avoir écrit un premier scénario pour l’université, un ami gabonais me dit avoir des connexions avec Idrissa Ouedraogo, qui avait une société de production à Montreuil, et qu’on pourrait peut-être y faire notre stage. Je fais lire mon scénario à Sophie Salbot, qui est à ce moment la gérante d’une société qui s’appelle Les films de la plaine, et elle me dit qu’elle va le produire. Je suis flatté mais surpris car je ne suis pas du tout connecté au monde du cinéma, puisque je viens du milieu ouvrier. Elle dépose le scénario à l’avance sur recettes, et l’obtient ! Moi je ne sais pas trop ce qu’est l’avance sur recettes à ce moment-là, mais je vois, à chaque fois que je le dis, les gens ouvrir des yeux émerveillés. Mais après ça se complique parce que je n’arrive pas à avoir d’autre argent, Sophie non plus, du coup je pars et je vais chercher un autre producteur, et finalement je travaille avec Mille et Une films3. Je découvrais tout, je ne savais pas comment ça marchait. On arrive à faire le film dans des conditions un peu difficiles, mais je me retrouve propulsé et ça devient presque facile ; certes j’ai dû me battre, mais je trouve que j’ai eu de la chance par rapport à d’autres gens que j’ai croisés. À un moment la porte s’ouvre, on ne sait pas pourquoi. Comment définiriez-vous le métier de producteur ? Comme je produis davantage mes films que ceux des autres, le métier de producteur c’est peut-être d’essayer de comprendre, à la lecture du scénario ou du projet, vers qui aller, qui ça peut intéresser, quel genre de budget on peut obtenir, et ainsi inscrire le film dans une réalité économique. Il faut 2 Né

au Nigeria en 1966, il a notamment réalisé Rage (1999) et Ezra (2006). et Une Films est une société de production créée fin 1995 par Gilles Padovani.

3 Mille

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faire avec l’argent qui est là, c’est ce que j’ai appris. Au premier film je me suis aperçu qu’il y avait des éléments que je demandais que je n’obtiendrais pas, et donc dès le deuxième projet j’ai écrit en fonction d’une réalité économique. J’essaye de comprendre au fur et à mesure, dès les premières lectures quelle enveloppe est possible. Le pro-blème pour moi n’est pas de vouloir faire les films, c’est de me débrouiller avec les outils existants. Le but c’est de les faire, donc j’envisage la production comme trouver les moyens pour cela. Il faut se débrouiller avec des contraintes, et s’en servir pour trouver puis affirmer les formes du film. En termes de financements, j’ai très vite vu que les chaînes de télé n’entraient pas dans le cadre de mes films, hormis certaines dédiées comme TV5 monde, ou CFI quand ils étaient encore là, qui participaient un peu à la production. Même Arte ne m’a jamais financé. Donc j’ai essayé de trouver ailleurs, auprès de fondations, d’États, dont le CNC en France. Après j’ai commencé à comprendre qu’il y avait d’autres fonds, comme Huber Bals fund4 (Rotterdam) ; j’ai reçu des financements du World cinema fund5 (Berlin) ; j’ai découvert en Suisse un fonds que je n’ai pas eu, Vision Sud Est6. Il existe ainsi un certain nombre de possibilités sur la postproduction, avec le Canada ou la Belgique, qui ont des systèmes de crédit d’impôts, etc. Après il y a les problèmes de gestion de trésorerie : comment tu escomptes l’argent, en fonction de l’arrivée de ce qui est promis, ce que tu perds à la banque parce qu’ils prennent des pourcentages dessus, etc. Toute la mécanique financière. Mais je me suis résolument placé depuis le début sur l’idée de faire le boulot aussi difficile soit-il, en essayant de trouver des solutions. Que ça existe. Lorsque je suis arrivé, il n’y avait pas de fonds de soutien au Sénégal, maintenant il y en a un et c’est extraordinaire. Quel a été le montage financier pour Félicité ? Mon film Félicité a obtenu de l’argent du Fonds du cinéma sénégalais, de l’argent du Centre national français, une coproduction belge pour le tax shelter, le World cinema funds allemand, une boîte libanaise de Georges Schoucair – qui a presque fait du mécénat sur ce film même s’ils sont censés avoir un retour sur investissement –, et l’IGIS (l’Institut gabonais de l’image et du son). Au départ j’avais envie de travailler avec une maquilleuse gabonaise, Nadine Ostobogo, à qui je demandais aussi d’être un peu scripte et de m’aider aux costumes, ce qui a permis une équipe un peu réduite. J’ai demandé à l’IGIS de prendre en charge son salaire, ce qu’ils ont fait, et en plus ils sont intervenus sur le film en ajoutant un peu d’argent. C’est un film qui est produit par cinq sources, avec à chaque fois des sommes réduites mais qui lui permettent de pouvoir exister, pour un total 4

https://iffr.com/en/professionals/iffr-industry/hubert-bals-fund https://www.berlinale.de/en/branche/world_cinema_fund/wcf_profil/index.html 6 http://www.visionssudest.ch/ 5

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d’environ un million d’euros. Dans la répartition, pour les financements africains il y a donc eu le Fopica (fonds du cinéma sénégalais) à peu près à hauteur de 150 000 €, et l’IGIS à hauteur de 50 000 €. Si on ajoute le Liban, on arrive à peu près à 250 000 €. Ça reste des économies difficiles, parce que la postproduction est chère, et le problème pour moi aujourd’hui est d’équilibrer, car 70 % du budget en postproduction, cela fait exploser le coût du film. Et puis cela pose ensuite un problème en répartition de droits entre l’Europe et l’Afrique. La matière et la plus grosse force de travail sont africaines, mais dans la répartition des droits elles se retrouvent minoritaires. Se posent aussi des questions de valeurs de monnaies, de paiement du travail, et du coup ça m’a un peu gêné, mais je le ferai entrer dans les négociations une prochaine fois. Réévaluer non pas par rapport à la valeur de la monnaie, mais par rapport à l’importance du travail, cela reste une négociation difficile. Donc j’apprends avec l’existant, je cherche comment me débrouiller avec, j’apprends en faisant. Au final, je pense que ce sont les films qui déterminent l’architecture de la production. Est-ce qu’il existe d’autres pays avec lesquels vous pourriez travailler ? Il y a aujourd’hui des possibilités de travailler avec la Côte d’Ivoire. Même si les fonds ne sont pas encore très structurés, il y a une volonté d’implication culturelle. Avec l’Afrique du Sud, on peut faire d’ores et déjà des coproductions, surtout pour la postproduction. C’est toujours du donnant-donnant quand il y a un fonds, ce qui est normal : il faut dépenser sur place, ce qui d’ailleurs constitue un des vecteurs de la structuration de l’industrie cinématographique. Donc pour nous il faut réfléchir sur la manière dont on va faire travailler les Sud-Africains, comment il va falloir se déplacer là-bas, pour y faire quoi exactement, combien de temps, ce qui entraîne aussi des complications. Je pense qu’il y a sûrement des possibilités avec le Nigeria. Mais se posent dès lors des problèmes de langues pour ces pays anglophones : quelle langue doit être utilisée dans le film ? Avec le Kenya il y aurait des choses à faire également. Évidemment aussi avec le Maghreb. Sur mon film précédent, on avait fait une coproduction avec le Centre du cinéma marocain ; pour avoir une copie, beaucoup de gens étaient allés mixer là-bas. Il existe de nombreuses possibilités de coproductions en Afrique, mais surtout avec le reste du monde. J’ai travaillé avec les États-Unis, où il existe de nombreuses fondations, avec le Canada surtout où existent des possibilités de coproductions. À chaque fois des contreparties sont demandées, et il faut voir celles qui vont plus dans le sens du film. Chaque fonds, chaque structure produit en fonction de ses yeux et de ses oreilles, ce qui est absolument normal. La sensibilité à certaines choses n’est pas la même en différents endroits de la planète, et, du coup, avoir des possibilités 197

de financements en Afrique c’est aussi une bonne opportunité d’existence pour certains films qui ne pourraient pas du tout exister.

(Félicité) Là où ça reste très compliqué, c’est que, puisqu’il n’y a pas de salles ou très peu, le retour sur le ticket d’entrée est quasi inexistant, donc ça rend les films très dépendants des financements en amont. Après, moi je viens du cinéma d’auteur, du cinéma indépendant et je n’ai pas envie de me livrer pieds et mains liés aux résultats de la salle. Je n’aurais jamais pu faire un deuxième film si j’avais été jugé sur le nombre d’entrées. Mes films n’ont jamais fait beaucoup de recettes, mais il existe aussi un équilibre avec les festivals. Moi, j’ai besoin des festivals. Ils m’ont permis d’avoir accès à certains fonds. Quelle est votre relation au public ? Je pense au public au sens où faire un film m’engage. J’essaye d’être le plus honnête, le plus sincère possible ; j’espère que ça touchera les gens, mais je ne le fais pas dans une volonté de séduction. Le cinéma c’est ma vie ! Ce n’est pas mon moyen de gagner ma vie, même si j’essaye d’en vivre aussi. Car j’ai besoin d’y passer beaucoup de temps, et que je n’ai pas trop la possibilité de faire autre chose, mais ça m’apprend surtout des choses sur ma vie, sur la vie d’une manière générale, c’est tout ; c’est mon engagement politique, mon engagement philosophique, moral. J’ai fait Aujourd’hui en essayant d’être le plus direct, en cherchant une espèce d’authenticité, de vérité, et je l’ai d’abord destiné à un public populaire africain. Ce n’est pas faire des films mâchés comme les Américains le font, tous uniformes avec un storytelling destiné à faire du commerce. Pour moi la structure dramatique finit par transformer ce que vous essayez de dire, donc il faut tenter d’échapper aux structures dramatiques classiques. Il faut aussi essayer de trouver des moyens de faire exister autre chose autrement, être à la recherche de nouvelles formes de narration, trouver d’autres identités. 198

Si faire du cinéma en Afrique aujourd’hui, cela signifie seulement faire du copier-coller du cinéma américain, alors quelque chose ne va pas, et pour moi ce serait une grande défaite. J’espère qu’on va trouver une nouvelle forme, qu’on ne va pas se laisser enfermer dans une idée uniquement commerciale du cinéma. Qu’attendez-vous des pouvoirs publics ? Il n’y a pas d’industrie encore structurée du cinéma en Afrique, mais il existe plus de choses aujourd’hui qu’il y a 15-20 ans. Ceux qui arrivent maintenant ont l’impression qu’il n’y a rien, mais il y a quand même un tout petit peu. Le fait qu’au Sénégal aujourd’hui un jeune réalisateur ou une jeune réalisatrice puisse bénéficier d’un fonds qui va donner 10 000 €, parfois 20 000 € pour faire un premier film, je trouve cela extraordinaire. Ça n’existait pas avant, et il y a plein de pays où ça n’existe pas encore. Qu’estce qui fait que les États réagissent, qu’ils créent des fonds ? C’est d’avoir quelques prix en festivals ! Un film qui obtient un prix dans un festival donne une visibilité au pays ; tout à coup le ministre de la Culture se réveille, et le Président vient, il serre des mains, et du coup ça fait levier. Ça s’est passé en 2013 quand on a gagné le Trophée Francophone de la réalisation. Quatre ou cinq autres films sénégalais qui n’avaient reçu aucun fonds du Sénégal étaient aussi gagnants. Alors on a pu dire « ces films existent mais ils ont été faits avec de l’argent d’ailleurs, essentiellement européen ». Cela a permis de déclencher le fonds Fopica. Aujourd’hui j’en suis très fier. On a aussi coproduit plusieurs films. Avec Oumar Sall et sa société au Sénégal, Cinékap, nous avons monté des ateliers de courts métrages avec des promotions d’une dizaine de personnes par an. Parmi ceux-là il y en a deux ou trois qui ont réussi à se faire financer par le Fopica, ce qui n’est pas encore assez, mais pour moi venant de vingt ans en arrière où il n’y avait rien, je suis très content. Que ce soit en France ou au Sénégal, il faut continuer à avancer, ça se fait pierre après pierre, c’est tout. Je viens de quartiers populaires et j’ai toujours vu des gens douter de ma volonté de faire un film. J’ai été très marqué par tous ceux que je croisais, un peu assis, un peu à se plaindre. Il est certain que tu peux passer beaucoup de temps à dire que ce n’est pas réalisable. Mais il faut y arriver, donc essayer de trouver par quels chemins passer, et on va y arriver, c’est tout. Ça n’a jamais été facile, et ça ne sera jamais facile. Soit on s’assoit et on se plaint, soit on y va, on attaque le problème et des fois ça passe, des fois ça ne passe pas : c’est comme ça. Pour ma part, j’ai l’impression que je ne vais jamais y arriver si je commence à regarder tout ce qui ne va pas ; sinon, je m’assois et j’arrête tout ! Donc j’essaye de me focaliser sur les trois-quatre trucs que je peux utiliser : « Oui il y a cette nouvelle caméra, je peux tourner la nuit ; je peux tourner avec très peu de choses ; faire ça à quatre ou cinq, ça a des gros inconvénients mais ça a aussi des avantages, etc. ». Pour travailler et vivre 199

du cinéma, certains rêvent d’un endroit idéal, quelque part, où ce serait plus facile, mais ça n’existe pas ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’ait dit que c’était facile pour lui.

(Aujourd’hui) Quand je vais aux États-Unis pour un festival et que je découvre comment ils font des films là-bas, des fois sur seulement quinze ou vingt jours, je reviens et je dis « mais vous êtes malades ! » Aux États-Unis, on croit que c’est le paradis, mais dans le cinéma indépendant ils vivent avec rien du tout, et ils essayent de se débrouiller. Ce n’est pas la panacée, mais est-ce qu’il faut s’arrêter pour autant ? Non : on est juste ensemble, alors allons-y ! Faisons et puis c’est tout ! Pour moi, il en a toujours été ainsi. J’ai toujours été volontariste « faisons-le de toute façon ! » On ne sera jamais dans les conditions idéales. Certes j’ai eu de la chance, j’ai rencontré des gens, mais je venais de nulle part ! Faire un film c’est trois à quatre ans de travail, ça ne s’improvise pas. Il faut être prêt à cela, après on se débrouille. Je n’ai pas envie de passer du temps à me dire que c’est dur. Quel est votre regard sur les formations en cinéma sur le continent ? Sur le plan de la formation, il y a peu de choses, mais beaucoup plus de possibilités qu’il y a quinze ans ; il faut saisir les opportunités et c’est à chacun de faire ce qu’il peut. Aujourd’hui j’essaye de travailler avec des jeunes qui ont envie de faire du cinéma. Je ne suis plus en position de me plaindre et c’est à moi de faire en sorte d’essayer de donner la possibilité à certains quand je peux, de les aider, de discuter avec eux, de les amener dans une posture où ils ne passent pas trop de temps à se plaindre, mais tentent de trouver des solutions.

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Faire un film va prendre beaucoup d’énergie, donc il faut la consacrer à trouver des solutions : s’interroger sur telle séquence, quel est son centre, quelle est sa structure interne ; quelle est la chose importante qui peut se raconter, et qui devra se raconter en variant selon les moyens disponibles… Ce jour-là peut-être que j’aurais voulu la pluie et il n’y a pas de pluie, peutêtre qu’il m’aurait fallu trente figurants et je n’en ai que deux, etc. Si j’arrive à identifier ce qu’il y a à l’intérieur de la séquence, alors je pourrai m’adapter, je pourrai changer même ma mise en scène. Ça, je l’entends même de Francis Ford Coppola qui parle de sa façon de travailler sur Le parrain. Donc on est toujours dans cette confrontation avec la réalité, avec ce qu’on a, et ce qu’on n’a pas : c’est cela le boulot de réalisateur. Je ne suis pas une espèce de conscience morale, mais je peux souhaiter que les gens agissent. Par exemple, dans un film tunisien qui s’appelle Hedi (Mohamed Ben Attia, 2016) qui a obtenu un prix à Berlin (du meilleur acteur pour Majd Mastoura), c’est une des premières fois où on montre un personnage qui a la possibilité de partir mais qui renonce presque, parce qu’il a le sentiment que c’est le moment de faire les choses. Ça m’a beaucoup touché, j’ai l’impression que nous sommes à une époque où c’est très dur, d’accord, mais ne serait-ce que par la possibilité du numérique, il existe des choses possibles, envisageables. Il y aura des succès, des échecs, mais à un moment il faut se coltiner les choses, donc je suis content quand j’entends des jeunes qui ont cet espoir, et je pense que c’est ici, sur le continent africain, que ça va se passer. C’est plus qu’un espoir, c’est une réalité, c’est vraiment ici que ça va se passer. Le cinéma en Afrique est un des plus passionnants ; c’est là où il y a le plus d’espoirs de cinéma, parce que les questions se posent là, et pas seulement pour l’Afrique, mais pour le monde entier. Il faut juste se rendre compte que ce monde que nous vivons, qui se globalise, s’interroge vraiment ici ; la modernité elle est là avec tous les enjeux qui sont ceux aussi de la redistribution, ou comment on se démerde à l’intérieur de ce monde libéral. Le centre de la modernité est ici. Moi j’ai faim de fiction et de documentaires, ici en Afrique, vraiment ! Et je pense que le monde entier a faim de ça. Surtout il se passe quelque chose de passionnant, qui est en train de se fabriquer. L’Europe a tendance à s’interroger, à essayer de trouver sa place : vers où aller maintenant ? Pourquoi on fait les choses ? Etc. Je tourne, et il n’y a rien de plus passionnant pour moi, de m’interroger : tu prends ta caméra, où la places-tu ? Qu’est-ce que tu filmes ? Comment tu essayes de rendre compte ? Tout ça a un sens énorme ! Ce n’est pas juste un film comme ça. Le monde n’existe pas sans qu’on le fasse, le monde est ce qu’on en fait. Donc fabriquons-le à la hauteur de ce qu’on est capable de faire là, ici, maintenant. Il n’y a pas de truc donné, qui arrive je ne sais d’où, qu’on mériterait, qui serait dû : ça ne marche pas comme ça. Il y a des gens qui crèvent tous les jours, là, très concrètement, qui n’y arrivent pas, qui sont en train de chercher à manger pour tout à l’heure, pour eux et pour leurs 201

enfants, donc cette espèce de posture de réclamer au monde, on peut le soutenir théoriquement mais en fait ça n’existe pas. Donc essayons ! Essayons ! Faisons, faisons ! On est obligé, on est dans l’obligation de faire. Moi je suis dans cette optique-là. Certains rêvent d’un endroit idéal, quelque part, où ce serait plus facile, mais ça n’existe pas ! Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui m’ait dit que c’était facile pour lui. Comment cette démarche s’inscrit-elle dans votre métier ? Comment je fais les choses, avec qui je vais m’allier, c’est très concret. Des fois ça marche, d’autres pas ; il y a le talent de ceux qui le font, notamment le talent du producteur. Il y a des producteurs qui sont très doués, qui sont allés chercher de l’argent un peu partout, dans la téléphonie, ailleurs, etc. Il y a leur talent et leur inventivité. Je ne vis pas matériellement de mon métier de producteur, parce que sur mes films en général, je commence juste à coproduire, et ça me prend un tel temps d’écrire et de faire mes films seul, qu’il est incompatible avec celui que je dois donner aux autres en tant que producteur. C’est très compliqué quand on a un réalisateur qui vient avec son projet, car il attend qu’on soit avec lui, qu’on le soutienne. C’est pour ça que je coproduis très peu et que je ne gagne pas d’argent dessus, voire quand je le fais, c’est à perte. J’aimerais pouvoir le faire davantage, mais je veux être honnête avec ce que je peux faire. Les producteurs que je connais en Afrique, qui gagnent de l’argent avec ce métier, font d’autres choses à côté, de la pub, des clips, secteurs plus rentables. C’est rarement le cas avec le cinéma lui-même, même s’il y a une façon de faire, de prendre 20 ou 30 % du budget par exemple sur les films très installés et de les garder, mais de ne pas compter sur les recettes liées à la vente du film qui pour l’instant ne sont pas à la hauteur. J’ai l’impression que beaucoup se rendent compte de la difficulté de réaliser des films en les faisant. C’est pour ça que quand des jeunes me disent « je veux faire du cinéma », la première chose que je leur dis c’est : « vous êtes sûr ? » Parce que c’est très difficile, c’est un sport d’endurance et de combat. C’est très difficile d’allier les deux. Être combatif pendant aussi longtemps, c’est épuisant, tu ne gagnes pas un rond ; il faut le faire pour des motivations profondes, sinon ce n’est pas la peine, c’est trop difficile. Je pense qu’on vit la même chose que plein d’autres gens dans d’autres domaines : c’est difficile, il faut le savoir, ne pas se plaindre ni attendre je ne sais quoi qui serait un dû. Propos recueillis par Camille Amet et Sofia Elena Bryant le 3 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Rodrigue Kaboré Producteur au Burkina Faso Le cinéma c’est du business

Dates clef de Rodrigue Kaboré 1976, 1er avril : Naissance au Burkina Faso 2000 : Devient gérant du cinéma Neerwaya 2010 : Production du premier long métrage 2011 : Fonde sa société de distribution Africa Distribution Principaux films produits Longs métrages Docteur Folie (Michael Kamuanga, 2010) Faso furie (Michael Kamuanga, 2012) Gérant de salles de cinéma et distributeur de films, responsable du syndicat qui rassemble les exploitants du pays, Rodrigue Kaboré occupe une place centrale dans la filière audiovisuelle au Burkina Faso. Venu à la production après le constat que les – rares – films nationaux attiraient le public dans ses salles, il a tout naturellement investi la distribution et la commercialisation des films dans son pays. Cet homme d’affaires, dont le père était venu à l’exploitation par la promotion immobilière, connaît bien le milieu du cinéma et fonde son optimisme concernant l’avenir de la production sur ses nombreuses expériences et réussites. Il fait partie de ceux qui n’attendent pas que l’État agisse à sa place. Votre père était déjà exploitant de salles de cinéma ? Je suis d’une famille royale, de chasseurs, issue des crocodiles sacrés de Sabo, un village à environ 100 km d’Ouagadougou. Mon grand-père était chef coutumier et fut l’un des premiers à être instruit par les colons. Il était devenu infirmier d’État et lisait beaucoup de livres français, dont l’un qui racontait l’histoire de Rodrigue et de son père, qui l’avait ému. Il m’a donné le prénom Rodrigue et ma grand-mère qui tenait à la tradition a rajouté Rakisïoba qui est abrégé aujourd’hui en Rakis, qui veut dire : « quel que soit ton succès, quel que soit l’endroit où Dieu va t’amener, il ne faudra jamais oublier d’où tu viens ». Dans mon enfance, on nous appelait les petits sankaristes aux pieds nus, parce que dès l’âge de sept ans nous devions aller tout le temps dans les 203

permanences nous former à la révolution, apprendre à vivre en communauté, dans ce Burkina Faso qui signifie « le pays des hommes intègres ». Mon père était, et est toujours, un entrepreneur de construction immobilière, et Thomas Sankara, puis l’ex-président Blaise Compaoré, sont venus le voir lui, FrankAlain Kaboré, PDG, pour lui demander au nom de la nation de construire une salle de cinéma en un an, parce que sinon le Fespaco allait être envoyé à Dakar. Or Sankara exigeait que le Fespaco se tienne au Burkina Faso. Frank-Alain a donc construit la salle en 1986, après avoir demandé des prêts à la banque. Quand il a fini de construire, il a envoyé sa facture au chef de l’État qui lui a dit : « c’est très bien ce que vous avez fait pour la nation, mais nous n’avons pas d’argent à vous donner, alors vous gardez la salle, vous l’exploitez, et vous récupérerez votre argent ». C’est comme cela que notre famille s’est retrouvée dans le cinéma ; elle n’y connaissait absolument rien, mais a été obligée de l’exploiter. Mon père s’est auto formé, a appris le métier d’exploitant sur le tas et essayé de rentabiliser la salle. Il a eu un succès financier et a été riche assez jeune, mais c’est quelqu’un qui a su toujours faire la différence entre l’argent et le travail, et il dit qu’il faut toujours se former. Pour passer les films, à l’époque il avait les bras liés, parce que c’était la SONACIB [Société nationale du cinéma burkinabè], une société d’État qui avait le monopole de la distribution et dominait l’exploitation, donc il était obligé d’attendre que cette société commande les films et les lui loue. Ça faisait une concurrence déloyale parce que la société ne nous donnait pas ses films en premier. Pour Titanic (James Cameron, 1997) le fournisseur avait envoyé deux copies, mais on a eu du mal à en avoir une, alors même qu’on la louait à la SONACIB. C’est pourtant l’un des rares films qui est passé trois semaines chez nous en raison de son succès. Comment êtes-vous arrivé à ces responsabilités dans l’exploitation de salles ? En vacances je partais au village sur ses chantiers travailler, et progressivement je suis rentré dans le cinéma. J’ai commencé à balayer la salle comme n’importe quel employé, ensuite je suis passé responsable du service de nettoyage. C’était extraordinaire parce que là je pouvais toucher 5 000 FCFA par mois, et petit à petit on m’a nommé adjoint au gérant, puis gérant du Cinéma Royal, et par la suite on m’a nommé coordinateur du groupe entier qui était diversifié en plusieurs sociétés1. Je suis resté dans l’exploitation une vingtaine d’années, au Ciné Royal, qu’on a renommé Neerwaya (la beauté), à l’époque la plus grande salle de cinéma du Burkina avec 1 160 places, et le groupe possède aussi le Ciné Burkina de 550 places, également à Ouagadougou. J’ai appris à gérer, et au 1 Sur son activité d’exploitant, voir Léo Lochmann et Justine Bertheau, Entretien avec Rodrigue Kaboré, site d’Africultures, 17 avril 2014.

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bout d’une quinzaine d’années d’exploitation, j’ai rencontré les limites de cette activité, et j’ai demandé la permission – parce que chez nous, on est très famille et éducation à l’ancienne –, la bénédiction du père avant d’aller faire une autre activité. Il a accepté et j’ai ouvert la structure Pub Neeré qui régit la publicité, et j’ai aussi fait de l’importation de vin de France à partir de 2002 avec un vigneron français, Philippe Marchais. C’était le début d’une diversification ? Dans l’exploitation on a connu un problème d’accès aux films, car je pouvais désormais attendre jusqu’à trois mois avant d’avoir un titre, donc j’étais tout le temps avec des films américains, un peu des films indiens qui marchaient fort, et des films de karaté, style Shaolin à l’époque qui marchaient bien aussi, mais nous n’avions guère de films burkinabè. Un jour on a passé un film de Gaston Kaboré, Buud Yam (1997), et on a eu une queue de près de 2 km, c’était du jamais vu ! C’était la première fois qu’on avait autant de monde, et on s’est dit qu’on allait donner des films burkinabè aux Burkinabè. Je me suis retrouvé à être distributeur2, et j’ai cherché des films burkinabè, mais il n’y en avait pas, donc je suis parti en Côte d’Ivoire, je cherchais du film ivoirien, je cherchais le film béninois, j’ai même eu un film togolais, et finalement j’ai eu aussi un film nigérien. J’ai pu ramener des films et j’avais au moins deux semaines de projection de films africains par mois, en faisant plus d’entrées sur eux que sur les films américains. En bons commerçants nous avons décidé d’aller beaucoup plus sur les films africains, et de favoriser la production burkinabè. On a convaincu notre PDG qu’il était temps de financer lui-même le cinéma, de faire des avances de trésorerie aux producteurs pour qu’ils nous ramènent des films à exploiter en salle. J’ai commencé timidement avec deux productions tous les trois mois, ensuite avec deux productions par mois, et on est monté à pratiquement six productions par mois. La production tournait parce que dans nos salles de cinéma nous voyions les demandes des spectateurs, et nous voyions beaucoup de jeunes qui tournent des films et qui les amènent. Maintenant la qualité laisse à désirer, mais c’est un autre débat.

2 Sur les problèmes de la distribution, voir Africultures, Le cinéma au Burkina Faso (9), Entretien de Léo Lochmann et Justine Bertheau avec Rodrigue Kaboré, 17 avril 2014.

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Comment avez-vous conçu vos premières productions ? Nous avons débuté le soutien à la production en 2007-2008, et en 2010 je me suis rendu compte que la production était toujours faible, alors j’ai pris la casquette de producteur, sans formation particulière. Je voulais faire un film ambitieux, d’action et tout le monde me le déconseillait, me disant que je ne pourrai jamais faire aussi bien que les Américains. Seul Gaston Kaboré m’a encouragé. J’ai alors commencé avec un budget de 22 millions un premier film tourné en trois semaines, qui s’appelle Docteur Folie (Michael Kamuanga, 2010) avec Meiway, une jeune actrice ivoirienne talentueuse et très connue de certains films d’action. Mais il a été mal reçu par les critiques comme par le public au Burkina. J’ai attendu six mois et ai retravaillé sur un deuxième scénario, avec Malcolm, un ami franco-congolais, et deux autres scénaristes aussi. Cette fois-ci on a tourné sur six semaines et j’ai changé de stratégie pour la promotion du film. Au lieu de le sortir immédiatement en salle pour rapidement avoir de l’argent, j’ai gardé le film six mois et j’ai signé un contrat avec la RTB, la télévision nationale du Burkina. Chaque semaine je mettais le making of comme publicité, ce qui se passait, et je faisais un petit montage parce que j’avais droit à 50 secondes, et je mettais toujours à la fin « Le 30 novembre sortie du premier film d’action burkinabè ». Au début les gens ne comprenaient pas parce que je montrais du matériel qui était financé par l’Union européenne, qui m’avait coûté à l’époque près de 7 millions, et j’ai fait une promotion sur le matériel utilisé. Ensuite on a fait une promotion sur les techniciens qu’on avait sélectionnés, une autre sur les comédiens, une dernière promotion sur les partenaires qui nous avaient accompagnés. Donc chaque semaine il y avait des nouveautés et ça instruisait les gens. À deux mois de la sortie du film, j’ai passé un accord avec un maquis : le DJ faisait régulièrement de la publicité pour mon film, et moi j’amenais tous les techniciens qui faisaient leur show pour animer la piste. Le premier jour d’exploitation de Faso furie (Michael Kamuanga, 2012) nous avons enregistré 2 000 personnes, du jamais vu, et nous avons été premiers au box-office de Succès cinéma, l’association de Gaston Kaboré, devant Boubakar Diallo qui était deuxième, qui avait pourtant plus d’expérience et de notoriété que nous. Au total nous l’avons exploité sur trois mois, et fait 7 000 entrées. Tout le monde critique les scènes avec des bisous, mais tout le monde est concentré dans la salle à ces moments-là. Dans mon film Faso furie j’ai une partie un peu hard où un inspecteur aime les femmes, il aime les bonnes choses comme on dit chez nous. Quand j’avais fait visionner le film préalablement, les gens avaient été réticents, et j’avais dit à Malcolm d’enlever cette partie. Il avait refusé et en salles le film a été interdit aux moins de 18 ans ; j’avais un peu peur parce que je ne savais pas du tout comment le public allait réagir. À ma surprise, c’est la partie que les gens ont aimée le plus, les bisous, les caresses… 206

Et vous êtes passé aussi à la distribution des films ? J’ai transporté ce film dans chaque province et je voyais le maire à chaque fois en lui disant : « Je t’amène mon film, je le passe dans la salle, je gère l’entrée mais toi tu t’occupes d’arranger la salle, de faire la publicité, la promotion locale ». Ça m’a permis de faire le tour du Burkina, et ainsi est née ma troisième activité, de distributeur, en passant des contrats un peu partout, avec ma société Africa distribution. J’ai des films que je fais passer à Ouagadougou uniquement au Neerwaya, puis à Bobo-Dioulasso, Koudougou, Dédougou, Gaoua de telle sorte que toutes ces villes diffusent maintenant tous mes films. Je suis aussi devenu acteur par hasard, en en remplaçant un pour faire les cascades, et j’ai eu le premier prix à l’époque du meilleur acteur parce que les gens ont trouvé que je m’en sortais assez bien dans le jeu d’acteur. Quels problèmes rencontrent aujourd’hui les salles au Burkina ? L’exploitation rencontre des difficultés réelles parce que nous, les privés, nous n’arrivons pas à investir, à mettre beaucoup d’argent dans les salles pour de nombreuses raisons. Parfois les banques refusent de financer, parfois aussi l’opérateur pense que s’il met un investissement de 50 millions il faudra attendre peut-être un, deux, voire trois ans pour récupérer son investissement. Mais également il y a un manque de volonté politique. Il faut que les politiques comprennent qu’on ne peut pas sortir 500 millions ou un milliard pour financer la production cinématographique et laisser les salles nues, au prétexte que c’est une salle privée. Le partenariat public privé est un cadre pour permettre justement au privé et au public de travailler ensemble. Si vous prenez la salle de cinéma Neerwaya qui a 27 ans aujourd’hui, c’est un bâtiment national. Elle a connu des générations de spectateurs, mais comment avons-nous fait pour vivre ? Nous faisions à perte des projections pour enfants, parce que la location nous coûtait plus que les recettes, mais on a gagné parce que les enfants ont grandi, ils sont revenus avec leur maîtresse en primaire, et au collège on a instauré des séances de 15 h pour eux, donc ça augmente l’offre. Quand ils sont au lycée, ils savent faire des bisous maintenant, et on leur fait à 18 h ce qu’on appelle des matinées spéciales, et aussi pour l’université des séances à 20 h. On était arrivé à un moment à faire de telle sorte que dans chaque établissement, une projection 207

cinématographique soit jointe à une activité culturelle obligatoire. Donc au bout de 20 ans vous avez une génération qui se renouvelle, au fur et à mesure, et ça fait qu’on a effectivement des Burkinabè qui aiment le cinéma. Mais le gros problème des exploitants de salles de cinéma c’est l’investissement, notamment avec le passage au numérique. Et pour refaire le Neerwaya, le devis est à 150 millions ! Quelle banque va nous financer 150 millions qui seront amortis en cinq ou dix ans ? La banque n’a pas d’expertise sur cela et il y a trop de risque à ses yeux dans le cinéma, même en hypothéquant ma maison. Finalement sans financement de la banque, ni aide de l’État, ni de qui que ce soit, il est logique que les salles commencent à dépérir parce qu’il faut un peu d’argent pour les réhabiliter, la bonne volonté ne suffit pas. Le second problème des exploitants, c’est la billetterie. Avec la fermeture de la SONACIB, la billetterie nationale a disparu, ce qui fait qu’on a des problèmes de répartition de la recette, et ça devient compliqué entre l’exploitant et le producteur ; le producteur accuse l’exploitant de fraude, l’exploitant dit que le producteur n’a pas été clair, etc. Deuxièmement sur un billet d’entrée de 1 000 FCFA vous avez 390 F de taxes, ce qui veut dire qu’il me reste 610 F, dont je reverse la moitié au producteur, et je dois utiliser le reste pour payer les charges d’électricité, d’eau, de personnel, d’investissement, avant même de penser à un profit pour payer un vélo ou une moto pour mes ouvriers. Jusqu’à présent l’État burkinabè n’a pas pu se décider à financer une salle de cinéma, même s’ils disent qu’ils vont réaliser 15 salles. J’espère que cette fois-ci ils penseront aux privés qui existent déjà, qui ont des difficultés et qu’il faut renforcer pour que les trois dernières salles de la capitale ne ferment pas. Au Ciné Neerwaya, en un an on peut faire 30 000 entrées avec un prix d’entrée faible de 500 F parce qu’il n’y a pas toutes les commodités, c’est une salle ouverte, sans climatisation. Le cinéma Burkina a fermé mais rouvre pour le Fespaco ; il appartient à la Caisse de sécurité sociale donc à l’État, qui a fait des travaux et la met à la disposition des professionnels par un appel à candidatures avec un cahier des charges. Aux trois salles qui restent, il faut rajouter Canal Olympia qui vient d’ouvrir, malheureusement de petite taille (300 places), mais ça va peut-être permettre de faire réfléchir les opérateurs économiques pour investir aussi. 208

Comment dynamiser la production de films ? J’ai pris l’initiative d’associer le ministère de la Culture avec d’autres partenaires privés économiques, pour tenter de faire les Césars du Burkina. En effet, malgré le Fespaco qui est le plus grand festival d’Afrique, nous n’avons pas un festival pour uniquement récompenser les films, réalisateurs, techniciens et comédiens burkinabè. Une compétition nationale permettrait de rehausser le niveau, c’est notre projet en cours. Mais moi-même, depuis 2012, je n’ai plus produit de film. J’ai arrêté parce que le Burkina a traversé des moments difficiles, et quand il n’y a pas une stabilité politique, il est difficile de tourner, surtout que je fais des films policiers en utilisant des vraies armes. On va élever le niveau d’exigence, et par exemple devoir utiliser une caméra sophistiquée mais qu’on n’a pas ici, et je dois donc trouver une solution. Ensuite, sur le prochain budget on est pratiquement à 45 millions, mais c’est normal parce qu’on ne peut plus refaire la même chose, les gens attendent de la nouveauté, donc il faut aussi pouvoir mobiliser ces finances alors que les guichets se ferment au niveau national ou international, même si j’attends beaucoup du fonds qui a été mis en place par le ministère de la Culture cette année. Ce sera une petite subvention, mais surtout un crédit possible jusqu’à 50 millions, garanti bien sûr sur les recettes ; quand le film sortira, je ne toucherai rien jusqu’à ce que l’État burkinabè récupère son argent, qu’il pourra réinjecter dans le cinéma. Mais un problème se pose toujours au niveau de la distribution si on veut correctement diffuser et promouvoir nos films. Les producteurs ne veulent pas baisser leur rémunération sur les recettes en salles si les exploitants ne font pas pareil, or aujourd’hui c’est 50 % de la recette nette chacun. On négocie encore pour faire 40 % pour le producteur, 20 % pour le distributeur, et 40 % pour l’exploitation, et en attendant chacun va voir un distributeur. Moi-même avec ma structure, j’ai rencontré cette difficulté en interne, étant donné que j’ai les trois casquettes : c’est du business et chacun défend ses intérêts, mais c’est vrai que l’intérêt de la famille est quand même supérieur et à un moment on s’arrange entre nous, mais le problème se pose avec les autres exploitants. Quelles sont vos relations avec les techniciens et les autres producteurs ? On s’entraide un peu entre producteurs pour essayer d’amoindrir les charges : tel producteur peut me prêter sa lumière, tel autre sa caméra, etc., et eux aussi viennent me voir quand ils ont besoin. On fait des échanges de marchandises, on essaye toujours de trouver une solution parce que sinon le budget va grimper à 80 millions ! Il y a des difficultés de formation, il faut le reconnaître, parce que s’il faut un matériel supérieur, il faut forcément former les techniciens et les comédiens aussi, pour qu’on ne soit plus dans l’amateurisme. On commence à être exigeants parce que les cinéphiles deviennent exigeants, puisque les supports 209

se diversifient. Les chaînes de télévision internationales et l’internet nous mettent maintenant dans un village planétaire, où tout le monde a accès à tout et peut comparer la qualité, donc devenir plus exigeant. Quels sont vos souhaits pour l’avenir ? Je vais peut-être surprendre, mais le cinéma est rentable. Il ne faut pas se tromper : c’est du business. Le cinéma calebasse, c’est terminé. Et on ne peut pas continuer à s’asseoir et attendre qu’on nous finance un film à 100 % pour plaire aux festivals du Nord. Donc pour ceux qui vont mettre de l’argent dans un film, il faut qu’il soit rentable, il faut qu’ils puissent récupérer au moins ce qu’ils ont mis. Aujourd’hui il est rentable et c’est à l’État de faire en sorte que les taxes ne nous étouffent pas. Elles doivent permettre aux producteurs ou aux distributeurs d’avancer. Si la France taxe à 7 % pendant que nous avons une TVA de 18 %, vous ne pouvez pas comparer les cinémas. Certains pays exonèrent même une société qui exerce dans le cinéma pendant ses cinq premières années d’existence. Les relations avec les politiques sont compliquées et je reste prudent, mais nous faisons des demandes d’aide à notre ministère de tutelle pour qu’il nous accompagne sur tel ou tel point. On espère qu’il y aura une meilleure organisation au niveau des subventions, et aussi un élargissement des fonds pour pouvoir transformer notre activité en une industrie culturelle. Et j’attire vraiment l’attention du gouvernement pour qu’il joue son rôle en accompagnant les exploitants, parce qu’il ne sert à rien de mobiliser deux milliards pour financer les producteurs s’ils ont ensuite des difficultés pour passer les films dans les salles de cinéma. Je voudrais aussi inviter tous les jeunes à se former. C’est bien d’avoir la passion du cinéma, mais il faut se former : aller à l’université, faire des stages à l’étranger, acquérir puis garder le niveau et évoluer. S’intéresser aussi à l’exploitation, à la diffusion, à l’exportation, pas seulement se limiter à la réalisation. Mais partout, on manque de formation en ces domaines. Propos recueillis par Mariam Aït Belhoucine, Claude Forest et Akouvi Founou le 26 février 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par C. Forest.

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Issiaka Konaté Réalisateur-Producteur au Burkina Faso Le cinéma pour transmettre et émerveiller Dates clef de Issiaka Konaté 1959 : naissance à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso) 1981-83 : INAFEC Licence en sciences et technique de l’information et de la communication 1984 : Maîtrise Cinéma Université Paris I-Panthéon-Sorbonne & Paris X Nanterre 1985 : DEA Cinéma Université Paris I / Paris X & CERIS (Centre d’Études et de Recherche en Image et Son) à Chantilly Principaux films produits ou réalisés Courts métrages 1989 : Yiri Kan (La voix du bois) 1995 : Enfants du soleil 1998 : Souko (Cinématographe en carton) Série télévisuelle 2006 : Le nouveau royaume d’Abou (5 * 26 min) Clips 2014 : Réalisation Émergence (Bil Aka Kora) 2014 : Coréalisation Vessaba (Bil Aka Kora) Après une enfance baignant dans les projections cinématographiques des pères blancs à Bobo-Dioulasso, Issiaka Konaté poursuit des études théoriques à Ouagadougou, puis à Paris. Dès son retour au Burkina Faso, il passe à la réalisation avec plusieurs courts métrages documentaires sur des métiers et activités de son pays. Convaincu que l’ère de l’écriture cinématographique mute profondément avec l’avènement du numérique et des nouvelles technologies, il s’oriente vers des productions et financements institutionnels et audiovisuels, notamment avec la réalisation de clips et séries télévisuelles. Il défend le cumul des deux fonctions de réalisateur et de producteur, pour des motifs pratiques et relationnels, en l’état actuel de l’économie de la filière en Afrique de l’Ouest sud saharienne, avec un farouche optimisme pour l’avenir et la jeune génération. 211

Pouvez-vous présenter votre parcours dans le cinéma ? Passionné par le cinéma depuis l’enfance, je suis né dans la ville de BoboDioulasso au Burkina Faso. Dans le quartier où j’habitais, à côté du collège de Tounouma, le week-end les pères-blancs organisaient des projections de cinéma, ouvertes à tout le quartier, et c’est comme ça qu’à cinq ans un cousin m’y a amené, puis qu’enfant j’allais voir des films. J’ai eu de la chance, car j’ai vu Le ballon rouge (1956), et surtout Crin blanc (1953) d’Albert Lamorisse, mon premier contact avec le cinéma. Tellement émerveillé, fasciné, je me suis dit que j’aimerais bien faire du cinéma plus tard. Et effectivement après le bac, j’ai été reçu à l’Institut Africain d’Éducation Cinématographique qui avait été créé par l’UNESCO et les pays africains. Ces derniers devaient prendre la relève, mais vous savez dans nos pays, les États ne contribuent pas aux institutions sous-régionales ou panafricaines, donc le Burkina ne pouvait pas prendre en charge seul un tel établissement. J’ai fini l’institut en 1983 après trois ans de formation, j’en suis sorti avec la licence Science et techniques de la communication, section réalisation. Puis je suis allé en France continuer mes études, et j’ai commencé à travailler comme assistant. J’y ai réalisé mon premier film sur le balafon. C’est un instrument qui m’a fasciné. À chaque Nouvel An, des balafonistes venaient dans notre cour jouer des airs populaires. Décédé en 2010, Mama Konaté était un balafoniste réputé à Bobo-Dioulasso. Il a joué au concert de Wembley en Angleterre en hommage à Nelson Mandela, qui était encore en prison à l’époque. Il a aussi joué avec les Rolling Stones, Sakamoto, etc. Il était musicien et fabricant d’instruments. Je lui rendais visite à la maison, je le regardais fabriquer l’instrument ; je lui posais beaucoup de questions et je prenais des notes. Je ne voulais pas faire un documentaire classique, avec une voix off qui explique les choses ; j’ai un peu fictionnalisé et fait apparaître le rôle d’un petit à qui le père apprend la fabrication des instruments. C’était pour montrer comment le savoir se transmet dans une Afrique à tradition orale, d’un père à un fils par l’exemple, par l’observation et à travers un parcours initiatique. Au fur et à mesure que ce parcours se fait, on apprend beaucoup sur cet instrument, son contexte, les croyances et tous les mythes qui lui sont rattachés. Ce film, Yiri Kan - La voix du bois, est rentré dans le dispositif « Collège au cinéma » en France, avec un programme constitué de courts métrages (de Jean-Jacques Beineix, Pepe Danquart, Catherine Bernstein, Florence Henard, Fejria Deliba). Après j’ai fait Souko, le cinématographe en carton (1998). J’y fais un clin d’œil à « Crin Blanc » et « Ballon Rouge ». C’est, entre autres, un hommage à Albert Lamorrise. C’est aussi autobiographique parce que nous, enfants à Bobo-Dioulasso, on faisait les poubelles, on ramassait des cartons, on fabriquait le cinématographe avec le carton et on projetait des silhouettes sur le mur. On faisait notre cinéma, ça nous fascinait. On divisait une feuille de papier en deux dans le sens de la 212

longueur. On les collait bout à bout pour représenter la pellicule. On faisait des dessins de chevaux sur le papier que l’on découpait. Au cours de la séance de projection des enfants dans Souko, un cheval blanc apparaît puis disparaît. On ne sait plus quand est-ce qu’on est dans la réalité, quand est-ce qu’on est dans le rêve. Le film a obtenu plusieurs prix internationaux1, puis j’ai fait d’autres films. En ce moment nous sommes en postproduction d’un long métrage Memory, et j’enseigne depuis 2013 à l’ISIS (Institut supérieur de l’image et du son).

Yiri Kan (La voix du bois), 1989 Vous êtes toujours dans la transmission. Oui, la transmission du savoir, c’est important, et même le film sur lequel je travaille actuellement a démarré comme documentaire. Le 1er septembre 2009, la cinémathèque a été inondée. Ça a été le point de départ. J’ai commencé à filmer, et pour moi ces bobines de film sous l’eau ont été un déclic. Puis, petit à petit la fiction s’est imposée. J’avais fait une première mouture plus expérimentale, mêlant fiction et documentaire, où j’ai tenté la fusion de différentes disciplines. Mais j’ai projeté la copie de travail à quelques-uns, et selon eux il y avait trop d’informations, donc j’ai basé le film sur une histoire d’amour d’un professeur d’histoire de l’art amoureux d’une de ses étudiantes, qui est d’une ethnie atypique avec une conception particulière de l’amour. On ne sait pas si c’est vraiment une histoire d’amour, si c’est sur la cinémathèque, si c’est sur la conservation des œuvres, etc. J’ai fait un second montage en privilégiant la ligne fictionnelle, l’histoire de cet homme, et plus tard je ferai un autre film uniquement documentaire en trouvant une approche qui puisse être assez innovante. Je conçois le scénario, réalise mes films et je suis impliqué fortement dans la production en faisant des coproductions avec des partenaires. Par exemple j’ai coproduit le premier court métrage avec Arcadia films. Et Souko, 1

Prix spécial du jury à Cannes Junior, Prix coopération française pour le cinéma, Prix du public à Castellinaria, sept différents prix au Festival Panafricain, etc.

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Cinématographe en carton (photo), je l’ai coproduit avec Amka films productions, en Suisse.

Pourquoi ces partenaires ? Cela tient compte de la manière dont le cinéma africain a fonctionné jusque récemment, en étant beaucoup plus financé par l’extérieur, avec la France qui tient une place prépondérante. C’est un cinéma qui vit de subventions. Chercher un coproducteur en France, ou chercher des subventions, était vital pour faire des films. Maintenant vu que tout ce qui concerne l’aide au cinéma s’est rétréci, on réfléchit sur une économie du cinéma avec les nouvelles technologies, on essaye de trouver de nouvelles stratégies pour pouvoir faire des films à moindre coût. Mais malheureusement les gens se soucient moins de la qualité. Or, quel que soit le support, je suis tenant de cette idée qu’au cinéma il faut de la qualité. Il faut éviter le piège de ces nouvelles technologies ; du fait que c’est devenu plus « facile », on se précipite, on tourne plus rapidement, sans préparation. Quand j’ai fait mon premier court métrage, en 1988, c’était avec la première caméra Super 16, que j’avais amenée dans ce pays. J’avais la pellicule, avec seulement un peu moins de 10 boîtes de films. Donc chaque plan devenait vital pour le film, et j’ai réfléchi très en amont à ce que j’allais filmer, en prenant le temps de bien placer la caméra, quel cadre faire, etc. avant de filmer. Mais aujourd’hui, avec les nouvelles caméras numériques, on commence à filmer sans trop réfléchir, on se dit qu’on verra au montage, mais ensuite c’est une somme de travail épuisante. C’est un des aspects un peu néfastes du numérique, on réfléchit moins en amont, il y a moins de préparation. Peut-on évoquer l’aspect financier de vos productions ? En fait dans le système de financement classique de subventions, comme ce sont des versements à fonds perdus, il n’y a pas de souci de rentabilité, et elles représentent 80 à 90 % des coûts. Donc une fois que le film est fini, qu’on l’exploite ou pas, ça n’est pas vraiment important économiquement. 214

Sa vie se passe beaucoup plus dans les festivals. Maintenant on commence à changer, à penser à notre pays, à créer une économie du cinéma. En s’inspirant du système d’avance sur recettes en France par exemple, on essaye dans nos pays d’instituer des fonds qui soient comme des prêts, remboursables. La seule façon de sensibiliser les cinéastes et les producteurs là-dessus, c’est de dire que le cinéma coûte cher, nécessite des investissements importants, et quand on investit il faut qu’au final on ait un retour sur investissement. Il n’y a que de cette manière d’ailleurs qu’on pourra intéresser le privé à venir dans le cinéma. Parce que sinon, dans nos contrées, c’est un domaine peu évident, peu transparent. Dans les autres secteurs, le commerçant va dans un pays limitrophe, il achète un sac de ciment ou une autre marchandise, il achète et revend, et l’affaire est conclue. Mais pas pour un film, d’autant que le retour sur investissement est à long terme. Ils sont très méfiants, mais le jour où on va leur faire comprendre qu’en investissant dans le cinéma ils peuvent gagner de l’argent, là on aura une économie du cinéma. Est-ce que ce système de subventionnement n’a pas nui aux cinémas en Afrique francophone au sud du Sahara ? Oui, si on compare la zone anglophone et la zone francophone, la différence est patente. La zone francophone produit un cinéma d’assistés, qui ont vécu sur les subventions, alors que la zone anglophone espère tout de suite quelque chose de beaucoup plus concret, en cherchant à gagner de l’argent. Il n’existe pas de système d’assistanat, d’où l’émergence de la vidéo qui a explosé là-bas, très vite ; Nollywood aujourd’hui possède une vraie économie du cinéma. La zone francophone essaie petit à petit d’en bâtir une. Je connais une productrice nigériane ; elle appelle un distributeur, elle lui vend son film qui n’est pas encore tourné, ensuite elle se retourne vers les techniciens, elle réunit une équipe et leur dit : « Écoutez, j’ai vendu un film, vous avez deux à trois semaines pour le livrer ». À ce moment-là on met tout en place, on tourne et on livre. Donc, c’est vraiment une autre approche que la zone francophone ne connaît pas, même si elle essaie. Beaucoup plus d’ailleurs avec les séries de télévision, même si malheureusement pour l’instant je pense que c’est au détriment du style. Ce sont beaucoup plus des téléfilms que des films de cinéma avec des propositions cinématographiques. Une écriture manque, et aussi une culture cinématographique. Nous avons été formés au cinéma classique, qui est aujourd’hui presque mort. Je me soucie de la transmission, il faut qu’il y ait un pont avec ces générations-là. Si avec ces nouvelles technologies, les réalisateurs aujourd’hui s’imprègnent du patrimoine cinématographique, s’ils se l’approprient, ça ne peut que renforcer leurs connaissances cinématographiques, et améliorer de façon notoire leur création. Alors ils pourront inventer autre chose en utilisant les nouvelles technologies. 215

Sur les marchés qui émergent, existe-t-il d’autres voies de financement pour diffuser et surtout amortir les films ? C’est encourageant – même s’il faut voir ce que ça va donner – que le groupe Bolloré construise un réseau de salles. Ils viennent d’inaugurer à Ouagadougou une salle Canal Olympia, et ils demandent que le maire de la ville leur donne un site pour bâtir une seconde salle. Ils en font au Niger, Côte d’Ivoire, Sénégal, Cameroun, donc il y a un réseau. Mais sur quoi ça va déboucher ? Je pense que c’est beaucoup plus dans le transmédia qu’il va falloir voir arriver les choses, ce n’est plus dans le cinéma classique, ni seulement les salles de cinéma. Même dans la conception des films, avec une utilisation spécifique pour chaque médium, il va falloir tenir compte de ça. Si je conçois pour le même sujet une adaptation pour la télé, pour internet, je prévois pour chaque support un format et durée différents, adaptés à chaque utilisation. Je pense que c’est l’aventure de demain, et que c’est à ça qu’il faut former les jeunes, en utilisant les outils avec lesquels ils grandissent, qu’ils utilisent tous les jours. Selon vous, est-ce que faire des séries télévisées est une voie possible pour gagner de l’argent en continuant de faire du cinéma ? Dans notre métier du cinéma, les séries se sont imposées, encouragées à un moment par la Francophonie, parce qu’elle voulait initier une collaboration entre cinéastes. Pour monter un projet de film, il faut quatre ans de travail, alors qu’à la télé le contenu est pauvre, donc ils ont essayé de faire un pont pour que le cinéma amène le savoir-faire en faisant des programmes pour la télé pour rehausser et donner du contenu. Voici un point de départ qui est juste, mais très vite les effets pervers ont fait que beaucoup de cinéastes se sont dit que les séries étaient le moyen le plus facile et rapide pour gagner de l’argent. Et je trouve que la majorité des séries sont des navets, et ça devient lassant. Je ne rencontre pas ce souci d’excellence, ni un contenu de bonne facture. Pour moi la création reste la création, quels que soient le genre et le support ; en fait on doit surtout donner de la qualité. J’ai du plaisir à regarder des séries de bonne facture, que les Américains savent faire par exemple. Un esprit de série c’est quelque chose de populaire, et je suis prêt un jour à faire une série, mais il faut que ce soit intéressant, qu’il y ait du contenu, comme avec Yves Coppens par exemple et la trilogie sur l’histoire de l’Homme. On peut vulgariser des données scientifiques, on peut très bien faire des séries de bonne facture avec des sujets qui intéressent, comme les symboles lors de la période coloniale, la résistance dans la zone ouest Afrique ; on peut en faire une série comme la fiction avec Jacob Zuma le Zoulou, en Afrique du Sud, etc.

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Votre démarche est essentiellement créative. Vous avez été amené à faire de la production par nécessité ? Exactement. Ceux qui vont durer dans ce métier sont ceux qui vont allier production et réalisation, parce qu’ils auront une notion claire de l’économie du cinéma. Les contraintes économiques apparaissent avec leurs implications quand on écrit le scénario. Les deux sont complémentaires, mais il est difficile d’allier les deux. Or c’est une nécessité, et on peut citer de grands exemples, Spielberg, ou Luc Besson en France qui ont les deux casquettes, parce que ça devient indispensable. Dans ces métiers du cinéma, puisque nous sommes venus de divers horizons, nous n’avons pas le même cheminement, nous n’avons pas la même formation. Il y a ceux qui se sont formés sur le tas, il y a ceux qui sont passés par des écoles, et beaucoup ont du mal à avoir une idée claire de la hiérarchie du métier, comment il est structuré, quelle est la fonction essentielle du producteur, quel type de relations un réalisateur peut avoir avec lui, etc. Donc pour résoudre un de nos problèmes dans le cinéma, en tout cas en Afrique francophone, c’est que la même personne puisse tout faire. Mais objectivement on a nos limites, c’est-à-dire qu’on a du mal à aborder ce métier comme un travail d’équipe, parce qu’il ne faut pas voir le producteur seulement comme la personne qui signe un chèque ; c’est une collaboration, avec le film au centre. Moi en tant que réalisateur je peux avoir une idée et c’est le producteur qui peut m’amener à mieux accoucher de cette idée. Donc c’est comme ça qu’il faut aborder la situation, en travail complémentaire. Un producteur va tenter de convaincre le réalisateur en fonction de ses contraintes, pour concevoir une scène autrement, qui va coûter dix fois moins cher et va être plus efficiente. Mais il faut que le réalisateur soit dans les dispositions de pouvoir entendre cela, or dans le métier l’ego est tellement là, surdimensionné chez beaucoup de gens, que le dialogue devient souvent difficile, sans oublier le côté suspicieux qui peut amener à craindre que le producteur veuille tout prendre ! Ce ne sont pas des rapports simples, mais qui sont résolus quand le réalisateur devient producteur. Quel est le rôle d’un producteur aujourd’hui en Afrique sud saharienne francophone ? Aujourd’hui il faut travailler pour avoir une économie du cinéma qui tienne compte des nouvelles technologies, et surtout rentabiliser les films, faire comprendre que le temps des subventions à fonds perdus est révolu, que le cinéma coûte cher et que lorsqu’on investit il faut qu’il y ait retour sur investissement. Et pour cela il faut professionnaliser le métier, on ne peut pas faire ce métier en dilettante. Il faut bien maîtriser de bout en bout chaque étape, et il faut penser au public, il faut penser à des sujets porteurs. Donc aujourd’hui essentiellement le rôle du producteur est de prendre les devants, 217

avoir des idées de films, de sujets, les répertorier et approcher les réalisateurs. La génération actuelle a une chance formidable, mais elle a en même temps un lourd fardeau avec ces nouvelles technologies, parce qu’elles ont tout bouleversé. Tout reste à construire, pour se les approprier vraiment, dépasser le stade du consommateur pour commencer à influer sur ces technologies pour créer. Et c’est ça qui est fondamental, parce que si le cinéma classique dans la forme qu’on connaît est mort, en même temps ces nouvelles technologies sont une chance qui permet de faire des films. Si j’ai monté mon film sans ces nouvelles technologies, puisque je n’avais pas le budget parce que je l’ai produit sur fonds propres, aujourd’hui avec un très bon ordinateur, un logiciel professionnel, on peut se faire un poste de travail performant. J’ai fait tout le pré-montage et je suis à la recherche maintenant d’un coproducteur pour la finition, car j’espère finaliser dans une structure plus efficace, avec des coûts réduits. Avant on commençait tout dans une structure avec un budget énorme, mais aujourd’hui on peut en amont préparer d’une façon professionnelle le travail et faire les finitions ensuite, c’est l’avantage du numérique. Le cinéma sera toujours l’art de raconter une histoire qui puisse émerveiller, qui puisse émouvoir ; c’est sa fonction. Propos recueillis par Mariam Aït Belhoucine, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Sani Elhadj Magori Produire des films pour comprendre notre société Producteur au Niger

Dates clef de Sani Elhadj Magori (dit Sani Magori) 1971 : Naissance à Galmi1 (Niger) 1998-2001 : Formation d’ingénieur agronome en Algérie 2007 : Master 2 en réalisation documentaire à l’université Gaston Berger (Saint Louis, Sénégal) 2008 : Réalisation du premier documentaire, Pour le meilleur et pour l’oignon 2010 : Réalisation-production du premier long métrage, Le cri de la tourterelle - Koukan Kourcia 2010 : Fonde sa société de production Maggia images à Niamey Principaux films réalisés et produits Documentaires 2008 : Notre pain capital (13 min) 2008 : Pour le meilleur et pour l’oignon (52 min) Longs métrages 2010 : Le cri de la tourterelle - Koukan Kourcia (62 min) 2013 : Koukan Kourcia 2 : les médiatrices (72 min) 2015 : Destins Croisés (45 min) Autres films produits Niger Ina Zaki ? Où va le Niger de Catherine Martin Payen ; Chronique dessinée pour le petit peuple de Idi Nouhou ; Obalé le chasseur, de Faissol Gnonlonfin ; L’Arbre sans fruit de Aïcha Macky ; Une journée avec Alhousseini de Idi Nouhou ; Une journée avec Abdoul de Rakia Lamine Kader ; Une journée avec Moussa de Siradji Bakabé.

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Galmi est la capitale de l’oignon violet, située à 550 kilomètres à l’est de Niamey, le Niger en étant le premier producteur en Afrique de l’Ouest.

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Après avoir grandi au Niger, Sani Magori passe son diplôme d’ingénieur d’État en agronomie saharienne en Algérie, puis travaille comme journaliste pour différents magazines français et nigériens. Il se reconvertit dans la réalisation après un Master 2 à l’Université Gaston Berger de Saint Louis (Sénégal), avant de se lancer très activement dans la réalisation et production, plus par hasard puis par goût, que par choix initial. Il est l’un des rares producteurs nigériens en activité, et son parcours l’oriente de facto davantage vers le métier de producteur qu’il exerce davantage pour d’autres réalisateurs que pour lui-même. Comment êtes-vous entré dans le cinéma ? J’ai fait mes études d’ingénieur en agronomie saharienne en Algérie, et pendant mon séjour j’ai été poussé vers un métier de reporter, qui ressemble à celui de cinéaste. J’étais journaliste pigiste reporter au magazine Amina, un magazine féminin qui est édité à Paris et vendu dans l’Afrique francophone. C’est au cours de cette activité que j’ai découvert l’envie de raconter, de rencontrer, l’envie aussi d’écrire. Après mes études, en 2001, je suis revenu au Niger et j’ai continué à écrire pour ce magazine puis d’autres, j’ai voyagé en tant que reporter dans les pays de l’Afrique francophone et au Nigeria. J’ai ensuite commencé à écrire des nouvelles que j’ai publiées aussi dans le magazine Amina ; elles ont un caractère particulier parce qu’elles évoquent des images, qui donnent envie de les adapter. Durant mon enfance, je quittais mon village pour faire 20 km pour aller voir un film, mais je n’avais pas envie à cette époque de faire du cinéma. C’est cette rencontre, cette écriture, cette appréciation de mon travail qui m’ont poussé à aller vers l’écriture cinématographique, et un déclic fut la rencontre avec un jeune cinéaste nigérien, qui venait lui aussi de commencer à faire des films, Malam Saguirou. Il m’a ensuite mis en contact avec Africadoc ; j’y ai candidaté et ai été retenu pour aller à la cité universitaire de la culture à Tombouctou, au Mali. C’est là que tout a commencé, mon intérêt pour le cinéma a pris le dessus, et je peux dire je n’ai jamais exercé réellement la carrière d’agronome parce que je n’ai pas travaillé avec un contrat fixe, uniquement en contractuel et au service civique national dans le domaine agronomique Mais au fur et à mesure que j’exerçais ce travail, j’ouvrais mes yeux et mes oreilles, j’appréciais les choses sous l’angle cinématographique. C’est là que j’ai écrit Les trois larmes du violet de Galmi qui allait devenir Pour le meilleur et pour l’oignon (2008, 52 min – photo ci-après) qui est mon premier film documentaire professionnel, un récit agronomique, socioéconomique de la question fondamentale du revenu agricole, de comment est-ce que le paysan jongle avec l’agriculture familiale, comment est-ce qu’il est victime du commerce international de libre-échange. Et après ce film je suis allé faire une formation à l’université Gaston Berger à Saint-Louis au Sénégal, qui m’a permis de toucher au matériel cinématographique et d’être avec d’autres jeunes qui ont envie de faire du cinéma. Pendant un an on a 220

échangé, on a travaillé, et j’ai créé en 2010 ma boîte de production, Maggia images, basée à Niamey. Comment a été tourné votre premier film ? Pour le meilleur et pour l’oignon est un film documentaire, une coproduction d’Africadoc, association présente en Afrique depuis une dizaine d’années, et qui organise des résidences d’écriture pour permettre à des jeunes de s’approprier leurs propres images, donc c’est une coproduction entre Adalios, société de production basée en Ardèche dirigée par Magalie Chirouze, et Dangarama de Malam Saguirou, une société de production au Niger. Le film a été écrit et entièrement tourné au Niger, et a bénéficié des soutiens classiques, notamment l’OIF, la région Rhône-Alpes, et il appartient à la collection Lumière d’Afrique.

Le film a vraiment tourné et rencontré son public, il a voyagé à travers le monde et il m’a permis de m’affirmer parce qu’il a remporté beaucoup de prix. Il m’a aussi permis de rencontrer des personnes qui ont eu à jouer un rôle important dans mes projets et les films que j’ai réalisés après. Comment en êtes-vous venu à produire vous-même vos films ? Changer de peau est un film que j’ai produit avec une société liée à un festival africain de films documentaires. Chaque saison nous prenons des stagiaires qui veulent faire du cinéma et on les encadre pendant deux ans. La première année ils réalisent un film collectif, la deuxième année chacun fait son film. Donc Changer de peau et une dizaine d’autres films ont été produits sous ma direction, et actuellement je suis chargé de gérer ce film, donc ma société possède la distribution et la vente de ce film.

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Ensuite j’ai commencé à produire mes propres films et les films des autres, surtout en Afrique. Là je produis les films de réalisateurs du Bénin, du Tchad, du Niger, et même de France avec les films de Catherine MartinPayen. Maggia images a aujourd’hui dans son catalogue une dizaine de films produits ou coproduits. Le dernier en date (2017) porte sur Jean Rouch, a été réalisé par un Français et coproduit par une boîte française Roches noires production ; il a été tourné au Niger et nous pensons que ce film va parler de Rouch autrement, qu’il va être un bon outil de célébration de son centenaire. Je me suis retrouvé dans ce métier parce qu’on nous a appris à travailler ensemble, à mutualiser nos énergies avec le minimum de matériel, et aussi à aider les autres, et je crois que tout cinéaste a besoin qu’on l’aide à réussir ses premiers pas. Nous avons cette pédagogie et je crois que ça marche, quand nous voyons une Aïcha Macky réaliser son film L’arbre sans fruit, premier coup de maître, engrainer une vingtaine de prix en moins d’une année2, on est encouragé et on se dit qu’on est sur la bonne voie. Est-ce qu’à chaque fois que vous coproduisez vous changez de partenaire ? Oui, effectivement, mais ça dépend de l’intérêt du sujet, du lieu où les gens se sont rencontrés. Des contrats se font au Fespaco, vous y rencontrez une personne, vous voyez son projet, vous essayez de coproduire, et vous voyez quelqu’un d’autre, etc., mais la plupart des films que je coproduis sont dans le réseau d’Africadoc. J’ai gardé un coproducteur pour deux films d’affilée, Koukan Kourcia 1 et 2 (Sani Magori, 2010 et 2014) Smac productions, et 2 Dont

en 2016 : Aux Écrans du Réel- Le Mans (France) - Prix du Jury & Prix du public ; Les Escales documentaires de Libreville - Libreville (Gabon) - Mention Spéciale Grand Prix Charles Mensah ; Lumières d'Afrique - Besançon (France) - Mention spéciale du Jury ; Festival International Jean Rouch - Voir autrement le monde - Paris (France) - Prix du Premier Film & Prix Fleury Doc ; Africa Movie Academy Awards - Lagos (Nigeria) - Prix du Meilleur Documentaire ; FESTICAB - Festival International du Cinéma et de l'Audiovisuel du Burundi - Bujumbura (Burundi) - Premier Prix dans la catégorie documentaire.

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puis aussi j’ai fait un dernier film Destins croisés avec une autre équipe, VraiVrai films (de Florent Coulon)3, qui a coproduit le film d’Aïcha, et aussi le film d’Allamine Kader Kora (La promesse du Biram, 2016). Quand on a bien travaillé ensemble on peut renouveler le contrat, mais parfois il faut changer d’humeur, il faut changer de regards, ça permet de capitaliser diverses expériences de travail. Dans une coproduction il y a toujours une mutualisation des expériences et de la recherche du financement, très aléatoire en Afrique. Vous ne pouvez pas avoir un calendrier de production d’un film dans nos pays : vous commencez quand vous avez l’argent, mais vous ne savez pas quand tout l’argent va venir. Tandis que dans le cas d’une coproduction avec la France, on est certain que si le coproducteur a obtenu le soutien au niveau du CNC, ça peut servir de base pour déclencher certains financements. Ça amène aussi de la rigueur, de la qualité parce que généralement on peut faire venir du matériel assez puissant, parfois des techniciens pour le film mais aussi pour former les gens sur place. Mais ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas y arriver par nous-mêmes ; on peut le faire mais on gagne toujours plus en associant une autre société qui a sa méthode et qui permet d’avoir un produit correspondant à des normes internationales. Au niveau de la diffusion également, le partenaire peut aider le film avec son réseau, ce qui lui permettra d’être vu par beaucoup. Quelles différences voyez-vous entre les films documentaires et les films de fictions ? Les films documentaires dans nos pays sont généralement des films institutionnels, ce qui donne une plus ou moins grande marge de liberté. Pour les films de fiction, le cinéma n’est pas ici une industrie en tant que telle, il n’y a pas des gens qui mettent de l’argent, il n’y a pas de banque qui 3

Voir un entretien de Florent Coulon dans Claude Forest, Produire des films. Afriques et Moyen-Orient, op. cit.

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prête de l’argent, et nos États ne nous soutiennent pas. Personnellement je ne fais pas de fiction en raison des difficultés de financement, et de la hauteur des budgets. Quand vous annoncez au Niger que pour faire un bon court métrage il faut compter 200 000 ou 300 000 €, personne ne comprend, ils imaginent le coût de financement d’une campagne politique, ce qui fait qu’on n’est pas pris au sérieux. Alors on bâcle les films, on fait avec 5 ou 10 millions de FCFA, les gens sont mal payés, ils n’ont plus envie de recommencer l’expérience, et ça augmente la méfiance. Lorsque vous produisez un film, pensez-vous au public qu’il va toucher ? Absolument, quand j’écris je pense d’abord au public, à comment le film peut être reçu. Et quand je choisis un projet je vois la cible, je vois l’engagement du réalisateur et je vois la place du film dans le développement, parce que pour moi en Afrique, ce continent en voie de développement, nous avons plus besoin de films qui nous construisent. Qui nous renvoient à notre propre identité. Qui nous donnent à réfléchir. Qui suscitent des débats. Qui permettent un changement de comportement. Nos films peuvent changer la manière, même si c’est à très long terme, des dispositifs par lesquels les gens se regardent ; je pense qu’on peut changer nos mentalités. Jusqu’ici tous les films que j’ai produits, réalisés ou auxquels j’ai participé, touchent à des questions existentielles qui permettent à chaque individu de comprendre l’autre ou de se sentir concerné par le sujet. Dans chaque film nous ne traitons pas d’une question unique, mais dans cette question se retrouvent beaucoup de thèmes, beaucoup de paraboles qui permettent de comprendre comment fonctionne notre société, et de tirer la sonnette d’alarme. Dans chaque film que j’ai produit, il y a ces objectifs et un engagement du réalisateur. C’est ça le plus important pour moi. Je préfère qu’on me raconte une histoire à la première personne que voir des films de reportage. Comment diffusez-vous vos films ? J’envoie aux festivals et je vends à quelques télévisions comme TV5 Monde, ou bien aux télévisions locales, et aussi les cinéclubs des universités et des écoles. Le film d’Aïcha a été acheté par une télévision japonaise, une française, plusieurs africaines. Mais tout dépend de la thématique du film. On propose des tarifs forfaitaires aux télés, mais elles ne respectent pas toujours le contrat ; on leur cède deux diffusions par an, elles en font une dizaine le premier mois… Je ne suis pas le distributeur du film d’Aïcha à l’international, on l’a confié à la société Point du jour qui a son réseau. Pour les DVD, la distribution n’est pas aussi fiable au Niger que dans d’autres pays, parce qu’elle est sujette à beaucoup de piratage et les gens achètent peu ; un DVD ça circule vite et ça

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meurt rapidement. Vous ne pouvez pas en vendre une centaine par an parce que les gens n’ont pas la culture de participer en payant une œuvre. Au Niger il n’y a pas de salles. Il existe un grand palais des congrès, de 1500 places très difficile à remplir, et il faut oser y faire des projections. Donc généralement elles sont subventionnées, par un festival, ou une association, une ONG, ou l’État du Niger qui peut offrir des places aux gens. On a fait des projections payantes, mais c’est risqué en raison du coût de la location de la salle. Comment arrivez-vous à vivre de votre métier ? C’est une question difficile : comme presque tous les cinéastes africains, je ne fais pas que du cinéma, car il y a beaucoup d’années de disette, et je suis obligé de faire des activités parallèles, mais toujours dans le métier. Par exemple je donne des cours de cinéma. J’enseigne surtout l’écriture du scénario, comment on réalise un film, comment on s’adapte au réel, comment on assure le montage, comment on ne se décourage pas quelles que soient les adversités du réel. Et mon métier de producteur, c’est un film par an, une coproduction par an, et quand les choses marchent on peut aussi avoir des films institutionnels, des films de commandes. Des fois aussi il y a des droits d’auteur qui viennent, avec une diffusion par ci ou par là, mais le cinéma n’est pas capable de garantir un revenu permanent. Ce sont des contractuels partout, il n’y a pas d’employés permanents, il n’y a pas de structure permanente. Notre métier est tellement précaire que rares sont les sociétés dans nos pays qui s’acquittent de leurs impôts, et qui finalement peuvent prétendre aux marchés publics, parce que pour pouvoir y accéder il faut être en règle avec les impôts. On répond aussi aux appels d’offres des ONG, et certaines avancent l’argent qui permet d’avancer étape par étape. Comment définiriez-vous votre métier de producteur ? Au début je ne pensais pas produire mes propres films. Mais au cours de mon deuxième film, Koukan Kourcia, il y avait deux coproducteurs, un français et un africain, et ils ont cassé leur contrat, alors pour que le film continue j’ai été obligé de créer ma boîte, Maggia images, pour récupérer le contrat de coproduction. Et j’y ai pris goût, d’autant qu’il n’y avait pas de société de production au Niger. Je continue et je ne regrette pas, parce que je trouve que c’est un métier qui permet d’avoir le plus de points de vue, qui vous permet d’aider les gens à construire leur film. Le métier de producteur ce n’est pas seulement la recherche de financements. C’est l’accompagnement dans tous les sens du mot, en amont, pendant, et après ; on cadre le travail du réalisateur. La plupart de ceux que nous produisons sont des jeunes, et c’est leur premier film.

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Producteur est un métier mal défini, et souvent le réalisateur n’arrive pas à comprendre sa place ; aujourd’hui si j’ai vingt projets à produire, je ne peux pas être disponible équitablement pour les vingt projets. Un producteur, quel que soit son courage, sa force, sa détermination, ne peut pas être disponible équitablement pour tous les projets qu’il a devant lui, mais c’est au réalisateur de montrer qu’il travaille et pousse. C’est toujours la loi du « je donne, tu donnes » ; ce n’est pas parce qu’un réalisateur a un producteur qu’il va trouver l’argent, non. Il faut qu’il travaille aussi, sur d’autres pistes, d’autres idées. Moi je vais chercher des sous ! On a besoin l’un de l’autre, on échange : je fais des remarques, il travaille, il avance et à un moment je peux dire, « Viens on va tourner ». Propos recueillis par Camille Amet et Juliette Akouvi Founou le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Lath Ronald Armand M’Bro On est là pour faire du cinéma Producteur en Côte d’Ivoire

Dates clef de M’Bro Lath Ronald Armand (dit Lath Mbro) 1995 (27 décembre) : Naissance à Abidjan (Côte d’Ivoire) 2012 : Création de la société de production Star Vision 2013 : Réalisation de son premier court métrage, L’œil du cœur 2015 : Réalisation de son premier long métrage, Compte à rebours Principaux films produits Court métrage 2013 : L’œil du cœur Longs métrages 2015 : Compte à rebours 2016 : Le prédicateur à la mitraillette Série télévisuelle 2017 : S.O.S. Autodidacte, M’Bro Lath est acteur, réalisateur, producteur, metteur en scène et scénariste, et la foi religieuse compte beaucoup dans sa vie comme dans son travail. Du nom de son entreprise, Star Vision Production, à celui de ses films, comme Le prédicateur à la mitraillette, la présence de Dieu émaille ses actes et son discours. Sur quels projets avez-vous travaillé ? Présentement je suis sur une série de 52 épisodes intitulée SOS, réalisée et produite par moi-même, qui sera diffusée en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso. Avant cette série j’ai produit et réalisé un court métrage L’œil du cœur, l’histoire d’un agresseur qui est tombé amoureux de l’agressée sans le savoir : une belle histoire d’amour, qui prône le pardon. Après j’ai coproduit un long métrage Compte à rebours, l’histoire de personnes d’une même communauté qui, à cause de l’envie qu’elles portaient aux autres personnes, se sont divisées. Et ensuite j’ai produit mon long métrage chrétien de fiction, Le prédicateur à la mitraillette (cf. photo du tournage ci-dessous) où il est question de celui qu’on appelle Satan ou Lucifer, comment il met des pièges 227

sur le chemin de plusieurs personnes appelées à servir le Christ ; c’est un film du genre horreur.

Comment a-t-il été produit ? Il m’a coûté 3,5 millions de francs, je l’ai produit sur fonds propres, et j’ai formé mes acteurs sur deux années, puisque je suis formateur artistique. Et Dieu merci, j’ai un champ de manioc de trois hectares qui pourra donner cette somme pour investir dans mes films. Et c’est comme ça que j’investis dans le cinéma ivoirien. Sur ce film j’ai été réalisateur et producteur. J’ai eu une directrice de production, avec une équipe de six personnes. Et Dieu merci à Abidjan je ne paye pas de maison ; ma famille a des constructions, donc cela me permet d’investir dans mes films. Je rassemble une somme de 300 000 ou 400 000 FCFA, je réunis mes acteurs, je parle avec eux, on prend une Mazda de 25 places, on va sur le site de l’action du film, et on tourne. Et quand on a fini de tourner, on rentre avec la même équipe, dans les mêmes conditions. Et Dieu merci avec la compréhension des acteurs, parce qu’ils connaissent un peu la réalité des producteurs et des réalisateurs en Côte d’Ivoire, on a travaillé, on s’est entendu, et on a pu produire dans des conditions très compliquées. J’ai fait ce film avec une vieille caméra Canon 650D et un micro Speedlink troué, mais j’ai produit ce film qui a valorisé ma voix, et celle de la nation ivoirienne. Maintenant j’ai du matériel de meilleure qualité, j’ai la volonté, j’ai le don de soi, et j’ai l’amour du cinéma africain ivoirien. À sa sortie, comme je n’avais pas 3 millions pour louer une très grande salle, j’ai pris une salle de 500 personnes en Côte d’Ivoire, et le jour de l’avantpremière je suis passé à la télé nationale, j’ai fait la publicité du film via les réseaux sociaux ; avec le bouche-à-oreille, les amis et les fans qui me suivaient, on a rempli la salle. Des gens s’asseyaient par terre pour regarder le film. Il n’a pas encore été distribué, parce que c’est un film en six parties, 228

et je viens de finir la première partie. Je dois faire passer le film sur plusieurs chaînes de télévision, mais il faut d’abord que je finisse tout le contenu avant de le livrer. Le financement est-il plus facile après un premier succès ? Non ce n’est pas facile ! D’ailleurs le financement, c’est clanique ; il y a des personnes qui sont favorisées. Or on a du talent, il faut seulement qu’on nous regarde, voir ce qu’on peut faire. En Côte d’Ivoire j’ai ma maison de production, Star Vision, j’ai mes acteurs que je forme, et j’en ai formé 200 avec le contenu qu’il convient dans cette structure. Il y a du talent en Côte d’Ivoire, il y a du talent en Afrique, mais le fonctionnement est clanique. Ce sont les télévisions étrangères qui m’appellent pour parler du projet avec moi ; ce n’est pas normal.

La série télé S.O.S de 52 épisodes coûte entre 20 et 30 millions, et je n’ai même pas 12 millions sur mon compte. Cette série parle de réalités ivoiriennes1, par exemple des jeunes filles qui ont des enfants et qui sont chassées de la maison, à 16 ans ! Un autre sujet sont ces personnes qui veulent aller à l’école mais n’ont pas de moyens, et sont obligées de faire des petits métiers pour épargner afin de suivre les cours du soir. Et à la sortie il n’y a pas de boulot ; c’est un grand problème et c’est ce que je suis en train d’évoquer dans la série SOS, pour dire que beaucoup souffrent mais de manière silencieuse. En tant que scénariste, en tant que réalisateur, je ne peux que mettre ma pierre à l’édifice en décrivant ces maux. Comment tournez-vous vos films sans soutien financier ? Quand je suis en train de tourner, dès que je commence à être à court de fonds, je stoppe le tournage, on se réunit, on se dit que nous avons un délai de deux mois pour réunir par exemple 300 000 F. Puis quand on finit la réunion avec 1 « La série télévisée S.O.S. expose une jeunesse africaine travailleuse et en quête de repère, qui a besoin de reconnaissance et d’encouragement. Dans cette série, une jeunesse résignée s’apitoie sur le présent mais lutte pour construire son lendemain comme Jessie qui, par faute de moyens financiers, n’a pas pu continuer ses études et s’est investie dans la vente d’eau pour subvenir à ses besoins tout en épargnant pour ses études ainsi qu’aider sa mère ».

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l’équipe technique, on fait appel aux acteurs, on leur dit ce qu’il en est, et on associe les acteurs aux charges : on est là pour faire du cinéma, on ne dira pas qu’on va les emmener à Paris ou à Hollywood, mais nous avons un souci, on parle sincèrement, qu’on veut travailler avec eux mais que nous n’avons pas les moyens. Ceux qui veulent aider aident, ceux qui ne veulent pas aider se retirent, parce que nous voulons travailler de manière collective. Et Dieu merci le message passe très bien, chaque acteur met la main à la poche, on réunit la somme au moment opportun, on fixe les dates de tournage et on tourne. Mais plusieurs nous ont lâchés, dont mon assistant. Très souvent on se regroupe en équipe, on part tourner au bord de l’eau, à 3 h du matin. On vit tellement de choses sur le tournage, et on partage tout, la nourriture par exemple ; moi je peux prendre le riz, une actrice peut venir avec de l’huile, etc. De manière collective on s’en soucie, et ça crée quelque chose de bon. C’est l’astuce qu’avec notre équipe nous avons pu mettre en place pour pouvoir créer beaucoup de choses. Et pour vos autres activités dans le cinéma ? La formation des acteurs est importante. J’utilise une école primaire que je loue pour former mes acteurs ; et un jour viendra où je pourrai, si Dieu le veut, créer une école du cinéma en Côte d’Ivoire. Pour la distribution des films, je n’ai pas de partenaire ; j’ai un frère ivoirien qui a une structure de cinéma qu’on appelle Tif, basée en Suisse, qui aide notre cinéma. Il vient en Côte d’Ivoire tous les deux à trois mois, c’est lui qui a pris le film pour passer de salle en salle. En Europe, il y a des structures, des maisons de production, des organismes, il y a des personnes qui peuvent aider, pas seulement moi, mais toute la nouvelle génération ivoirienne, à pouvoir sortir de l’ombre. Mon cri du cœur est que cette interview ne tombe pas dans l’oreille de personnes sourdes ou muettes. Alors je pense qu’au final nous aurons gain de cause, si et seulement si vous y croyez, vous aussi. Propos recueillis par Camille Amet, Mariam Aït Belhoucine et Sofia Elena Bryant le 26 février 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Mamounata Nikièma Directrice de production au Burkina Faso Tout faire pour qu’un projet aboutisse

Dates clefs de Mamounata Nikièma 1979 : Naissance à Ouagadougou Janvier 2008 : Maîtrise en sciences et techniques de l’information et de la communication (Université de Ouagadougou), option Communication pour le Développement Juillet 2008 : Master 2 en Réalisation documentaire de création à Saint-Louis (Sénégal) 2011 : Crée sa structure Pilumpiku Production et coproduit deux courts métrages dans la collection documentaire Une journée avec Principaux films réalisés 2007 : Les bénéficiaires (fiction, 8 min) 2008 : Manges-tu le riz de la vallée ? (doc., 10 min) 2011 : Aïcha la petite ouagalaise (doc., 13 min) 2011 : Savoir raison garder (doc., 54 min) 2013 : Osez la lune (documentaire, 10 min) 2015 : La princesse du Goetho (doc., co-réalisation, 4 min) 2015 : Lumière d’octobre (doc., co-réalisation, 90 min) 2016 : Osez la scène (doc., 8 min) Films produits ou coproduits 2011 : Une journée avec Aïcha (Mamounata Nikièma, 13 min) 2011 : Une journée avec Ato (Simplice Ganou, 13 min) 2014 : Circulation ya yélé (Parfait K. Kaboré, 26 min) 2015 : An 27 (Wabinlé Nabié, 15 min) 2015 : Monsieur Bayala (Delphine Yerbanga, 15 min) 2016 : La lutte continue (Marie-Laurentine Bayala, 13 min) Après une maîtrise en communication pour le développement, Mamounata Nikièma s’intéresse au cinéma documentaire et se spécialise en master en réalisation documentaire de création. Très impliquée dans les réseaux de cinéastes burkinabè1 elle mène de front sa carrière de réalisatrice (2007) et celle plus récente de productrice (2011) et directrice de production au sein 1 Elle a notamment été la secrétaire générale de l’association Africadoc Burkina de 2009 à 2014.

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de sa structure Pilumpiku productions, essentiellement en free-lance. Profondément optimiste sur son avenir et celui du cinéma en Afrique, elle milite pour la qualité et le professionnalisme afin que les producteurs africains puissent pleinement vivre de leur métier. Quelles sont vos expériences de production ? J’ai débuté mon activité de productrice en 2011, avec une collection de dix courts métrages sur le quotidien d’enfants de la sous-région ouest-africaine, que nous avons appelée Une journée avec, en coproduction Ardèche images, basée à Lussas en France. On avait le diffuseur Arte, et sur cette collaboration j’ai été réalisatrice et productrice pour Une journée avec Aïcha, et en même temps productrice sur un autre court métrage. J’ai produit des films par la suite, des courts et moyens métrages, avec ma société de production Pilumpiku Production, et actuellement je suis en train de finaliser un moyen métrage documentaire que je produis. J’ai également été productrice exécutrice sur un documentaire en 2013, Femmes, entièrement femmes (Dani Kouyaté et Philippe Baqué, 52 min). Je coproduis avec la France essentiellement mais j’ai aussi une expérience de coproduction sur la région ouest-africaine (Burkina Faso, Niger, Togo, Cameroun, Gabon) pour une collection qui s’appelle Vues d’Afrique2. Quels sont les fonds disponibles pour produire des films au Burkina Faso ? Le ministère de la Culture a créé un fonds dédié au cinéma, et des mécènes ou des sponsors financent les projets. Ce fonds a évolué vers 250 millions de francs CFA, ce qui donne des possibilités à plus de projets pour voir le jour. Il a encore évolué parce que le besoin de productions augmente d’année en année, et l’État a créé un Fonds de Développement Culturel et Touristique. Il s’agit d’un nouveau guichet où tous les projets qui concernent la culture seront déposés, avec un comité spécifique par domaine, dont le cinéma, qui siégera pour décider quel projet soutenir, selon le besoin de financement, avec un prêt (avance sur recettes) ou une subvention.

2 Une série documentaire de 6 x 26 min produite par Sani Elhadji Magori (Niger), Cyrille Masso (Cameroun), Nadine Otsobogo (Gabon), Mamounata Nikièma (Burkina Faso), Joël M’Maka Tchédré (Togo) et Faissol Gnonlonfin (Bénin).

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Le montage d’un dossier de financement prend énormément de temps, parce qu’il faut ajuster selon le fonds : un dossier pour l’OIF sera différent de celui pour Alter cinéfondation, ou Hot Docs Blue Ice, ou Cinémas du monde. Il faut tenir compte des critères d’éligibilité, de la sensibilité du fonds, s’ils sont plus thématiques qu’artistiques, et on est tout le temps dans un perpétuel travail de dossiers qui prend du temps. Dans mes productions, toute la partie de développement en amont est assumée par l’auteur et par le producteur ; c’est un apport en participation, qui n’est pas financée parce qu’il n’y a pas de financement dédié au développement sur place. Le financement de l’État était réservé à la production et la promotion des films, mais pas pour le développement. Donc le producteur doit s’engager avec son matériel, et c’est encore un apport en participation. Par la suite il va monter un bout à bout qui peut lui servir lorsqu’il sollicite des fonds pour la finition, notamment à l’OIF qui est le financeur principal du cinéma africain. Sur les projets pour lesquels j’ai suivi le développement, j’ai mis en participation mon matériel et mon travail en tant que productrice, que je n’ai pas pu récupérer ensuite. C’est du bénévolat : on ne peut pas rentabiliser ce qu’on a déjà investi tant que le film n’a pas reçu de financement. Vous avez obtenu des aides pour vos projets à venir ? J’ai obtenu des bourses pour mes deux projets, documentaire et fiction. Je porte actuellement un projet de documentaire sur un homme d’affaires qui va en France, Belgique, Allemagne, y achète des véhicules et revient en Afrique pour les vendre. Ce personnage est vraiment délicieux dans son univers professionnel, dans ses rapports avec ses collaborateurs européens comme africains, montre une autre vision de l’Europe qui peut être une destination d’affaires, et non l’Eldorado. Et ce projet (Paris est mon jardin) est soutenu par la région Bretagne pour le développement, et a récemment été sélectionné par la PROCIREP parce qu’il y a dessus une productrice en Bretagne, Sylvie Plunian (Les Films de la pluie). En fiction j’ai obtenu récemment une bourse en développement par le bureau burkinabè du bureau des droits d’auteur, qui fait ça depuis plusieurs années ; ce n’est pas énorme mais ça permet de travailler avec un mentor à côté, qui vous briefe pour vous guider sur ce qui fonctionne. Donc on retravaille le dossier, et je viens de finir l’écriture du scénario. Mais j’ai également obtenu une autre bourse de développement d’un fonds qui a été créé au mois de décembre 2016 en partenariat avec la coopération suisse, qui s’appelle Succès cinéma Burkina Faso (SCBF)3. Il soutient les femmes cinéastes 3 D’un montant global de 49 MFCFA, cette aide, financée par la coopération suisse, s’étend sur trois ans et a 4 volets : l’aide à l’écriture (9 MFCFA), l’aide au développement de projets de films (12 MFCFA pour 12 films), l’aide à la production (24 MFCFA pour 2 films), l’aide à la promotion de films produits et/ou réalisés par des femmes (4,8 MFCFA).

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burkinabè en développement, production et promotion. Pour le volet de l’aide à l’écriture, j’ai soumis un projet qui a été retenu ; je commence l’écriture avec un scénariste qui va m’accompagner. Est-ce que vous arrivez à vivre du métier de productrice ? Il faut se dire la vérité, non ! Je fais ce métier par passion, et quand je m’engage sur un projet, je fais tout pour qu’il aboutisse, mais il n’y a pas un retour économique qui nous permet de gérer le quotidien. J’y arrive parce que je suis aussi technicienne, réalisatrice ; je peux assister des gens sur des tournages, je peux cadrer, faire le son et la régie. C’est mon travail en tant que technicienne qui me permet de gagner de l’argent, que je réinjecte au niveau de ma maison de production, pour faire face aux charges de fonctionnement, aux impôts, car il faut être en règle si on veut pouvoir continuer à soumettre des projets aux fonds, puisqu’à chaque fois ils demandent des références pour vérifier si la structure est en règle. Actuellement je suis en train de repenser les choses, pour allier l’économique à l’artistique. Je travaille sur des séries documentaires avec des thématiques qui peuvent intéresser des ONG ou des institutions. Et du point de vue artistique j’ai des idées pour pouvoir intégrer dans un projet d’auteur le volet économique qui serait susceptible d’intéresser des mécènes, mais également des fonds cinéma.

(Tournage d’Une journée avec Aïcha) Par quels moyens avez-vous diffusé vos films ? Le premier diffuseur c’est la télé. C’est le partenaire clef pour que nos documentaires soient vus, mais également aussi les festivals et de plus en plus la diffusion en ligne, la VàD. Je fais partie du réseau Africadoc qui a un

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système de circulation des films, l’association Lumières du monde4 qui aide à la diffusion, mais ça prend du temps. En tant que productrice, j’essaye aussi d’explorer d’autres façons de diffuser le film, sur les plateformes de diffusion du net, et quand il y a des opportunités je l’envoie à un festival. Au Burkina existe une association de documentaristes, et un festival de films documentaires depuis 2010, Les rencontres Sobaté, qui servent à révéler les nouveaux talents africains. Jusqu’à présent nous étions plus préoccupés que les films soient vus qu’ils ne soient rentables ! Les projections sont gratuites et on acquiert les droits de diffusion auprès des ayants droit des films. Mais de plus en plus on essaye d’intégrer des partenaires, et on réfléchit pour que les projections de films soient payantes, même avec une contribution peu élevée à l’entrée, mais pour assurer le fonctionnement, pour payer des droits. Quand un auteur fait un film, il a le droit d’être payé ; si on diffuse son film, il doit avoir un retour, et le producteur aussi parce qu’il a travaillé et que sa société doit fonctionner. D’autres festivals comme Ciné-Droit-Libre, Koudougou Doc, sont des relais de diffusion aussi importants au plan national. Pour le producteur, quelles sont les différentes taxes qui existent au Burkina ? C’est le même régime que tout le monde, général, il n’existe pas une spécificité pour le domaine de la culture ou le cinéma. Il faut être en règle, quelles que soient les taxes. Je dois payer des taxes pour avoir l’autorisation de tournage, pour avoir un agrément, pour pouvoir exercer en tant que maison de production et être reconnue par le ministère de la Culture, des Arts et du Tourisme. C’est ce qui me donne l’aval pour chercher des financements à l’international. Également il y a un impôt sur les activités de la société, un certain pourcentage sur le chiffre d’affaires qu’il faut reverser au Trésor public. Je fonctionnais dans une société unipersonnelle à responsabilité limitée en 2011, mais je suis passée en SARL (société à responsabilité limitée), et je dois faire ces déclarations depuis 2013. Les deux premières années, le bilan était négatif ; la société n’a pas eu de financements extérieurs autres que mes apports, mais elle a dépensé des millions sur l’année, donc les impôts m’ont exonérée des taxes. Une maison de production n’est pas une société comme n’importe laquelle ; on travaille sur des projets qui sont pour la plupart du temps subventionnés, et on peut passer une année sans soumettre un dossier pour un marché. La plupart du temps, je fais des films institutionnels ou des films avec de la publicité, et je soumets rarement des projets pour un marché public parce que ça prend du temps. 4 Les films de coproduction internationale issus des Rencontres Tënk qui se déroulent à Saint Louis du Sénégal, sont réunis au sein de collections (Lumières d’Afrique), puis promus en partenariat avec plusieurs festivals. http://www.lumieremonde.org/

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Quel type d’accompagnement l’État pourrait-il mettre en place ? Une subvention au démarrage de la société par exemple. Si telle société est arrivée en deux ans à faire quelques films seule, sans un financement de l’État, mais que du point de vue de son fonctionnement elle rencontre des difficultés et que son bilan est négatif, une aide pour payer ses taxes et pour tout l’administratif lui serait très utile pour supporter les coûts de fonctionnement. Comment verriez-vous un meilleur amortissement des films ? À l’étape du projet, le film doit pouvoir convaincre, pour obtenir des financements au plan local. Il existe de grands entrepreneurs qui ont envie d’investir dans quelque chose, mais qui soit rentable ; donc il faut arriver à convaincre ces entrepreneurs-là, sur la rentabilité de nos projets cinéma. Et ça, ça manque. Sur un projet de documentaire, il faut sensibiliser des structures par rapport à la thématique qui peuvent les intéresser. Au niveau du documentaire on finance le projet avant la production, mais au niveau de la fiction, il faut avoir des têtes d’affiche pour présenter le film. Les investisseurs commencent à s’intéresser à votre projet souvent à cause d’un acteur, et après il est plus facile de les rassurer et convaincre à participer au projet. On peut proposer un remboursement, par exemple de 30 % ou 40 % sur la vente du film. Donc ça veut dire qu’il ne donne pas ses sous, mais les prête et va les récupérer. Sur un projet cinéma, on pourrait demander à une entreprise de téléphonie mobile de devenir partenaire, et que cette entreprise de téléphonie mobile ait le droit de diffuser le film sur sa plateforme numérique mobile six ou douze mois après sa sortie. Est-ce qu’il existe des syndicats ou associations de producteurs pour peser sur le marché et sur les pouvoirs publics ? Il existe une association de comédiens, une de techniciens, et une fédération nationale de cinéastes qui approche l’État et des partenaires clefs comme l’Union européenne ou l’OIF pour faire du lobbying. Les producteurs travaillent sur leurs projets, et travaillent ensemble s’il y a des opportunités, mais pas en syndicat. En 2015, il y a eu une coordination entre producteurs avec des aînés du domaine, et j’étais dans le bureau comme adjointe en 2015. Mais jusque-là on n’a pas encore démarré les activités, le calendrier des uns et des autres ne l’a pas permis. Comment voyez-vous votre avenir en tant que productrice ? Je suis très optimiste. Aujourd’hui en tant que productrice je dois miser sur la qualité des films que je produis, mais aussi sur le sens du relationnel et sur le sens des relations publiques. Il faut intégrer tous ces éléments ; être productrice ça veut dire être une sorte de manager, donc il faut avoir du style, il faut savoir parler, il faut savoir convaincre. Je suis optimiste avec ma 236

nouvelle stratégie qui est de m’ouvrir à l’international, participer au marché en tant que productrice, en tant qu’Africaine, me déplacer pour aller dans les marchés de films. J’ai des projets, que je vais proposer, en étant présente sur place, discuter avec des producteurs mais aussi des distributeurs, pour faire vivre ma société. Il faut avoir ce réflexe d’aller chercher le nouveau, d’aller se former, d’aller à la rencontre des gens, des professionnels du monde.

(En repérage sur le terrain) Est-ce que vous produisez pour le public, ou pour vous ? En tant que productrice, quand un auteur porte un projet et que je m’y intéresse, je m’engage dessus ; c’est d’abord le côté artistique qui m’attire, ensuite le côté thématique, et aussi l’engagement de l’auteur à travailler sur le projet. Cela me motive à rester dessus, et j’avoue que j’oublie le public. Mais de mes expériences en production, je me suis rendu compte qu’il est vraiment nécessaire de se poser la question du public. À qui ce film est-il destiné ? Est-ce un film national, ou très local ? La thématique peut n’intéresser que celui qui vit sur place, et ne pas parler à quelqu’un en Côte d’Ivoire ou au Mali. Et ça m’a interpellée, ça m’a obligée aussi à penser au public, et orienter les auteurs à travailler en fonction de ceux à qui on va s’adresser. Pour l’avenir, il n’y a pas de raison de baisser les bras, il faut toujours changer de stratégie et aller vers les gens, avoir les réflexes de trouver les moyens, et pour cela participer aux marchés de films. Productrice est un métier de passion, et si on s’engage il faut aller jusqu’au bout. Propos recueillis par Camille Amet, Mariam Aït Belhoucine, Sofia Elena Bryant et Claude Forest le 26 février 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest. 237

(Les radoteuses dans Pim-Pim Tché (Toast de vie !), Jean Odoutan, 2016)

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Jean Odoutan Producteur au Bénin L’énergie au service d’un cinéma authentique

Dates clef de Jean Odoutan 1965 : Naissance au Bénin 1983 : Débute dans le cinéma en France comme acteur 1997 : Fonde ses sociétés de production et distribution : Tabou-Tabac Films au Bénin, puis 45rdlc en France 1999 : Réalisation-production et distribution de son premier long métrage, Barbecue Pejo 2003 : Créé Quintessence, Festival International du Film de Ouidah au Bénin, et l’Institut Cinématographique de Ouidah Principaux longs métrages produits et réalisés 1999 : Barbecue-Pejo 2000 : Djib 2002 : Mama Aloko 2004 : La valse des gros derrières 2016 : Pim-Pim Tché (Toast de vie !) Originaire du Bénin, Jean Odoutan fait des études de sociologie à Paris et commence une carrière d’acteur dans le cinéma au début des années 1980. Il se met rapidement à écrire des scénarii, puis tourne des courts métrages avant de fonder ses deux sociétés de production en 1997, l’une au Bénin parallèlement à une autre en France, 45rdlc, qui ont coproduit et distribué tous ses longs métrages. Débordant d’énergie, il est un cas atypique en assumant les rôles de scénariste, acteur, réalisateur, compositeur, producteur et distributeur sur tous ses films. Souhaitant développer le cinéma au Bénin, il fonde et anime de 2003 à 2015 un festival de films, Quintessence, et a créé l’Institut Cinématographique de Ouidah, ainsi qu’une salle de cinéma. Le Bénin se trouve à l’origine du Vodou, notamment Ouidah, une ville très présente dans votre dernier film. On parle beaucoup du vaudou haïtien, mais il faut savoir que beaucoup d’Haïtiens sont d’origine béninoise, et ont d’ailleurs conservé les mêmes coutumes culinaires, comme à Bahia au Brésil d’ailleurs. Mais Ouidah, c’est aussi le plus grand comptoir de la traite négrière. Dans mon film Pim-Pim Tché (Toast de vie !) (ou, Ma Croustillante), il y a 239

ainsi l’évocation de « La Porte du non-retour »1, qui marque le lieu où les esclaves partaient pour les Amériques. L’esclavage est arrivé chez nous au XVIe par le biais des Portugais qui allaient chercher des gens avec la complicité des locaux, notamment à Abéokuta, à la frontière avec le Nigeria. Ils arrivaient à Ouidah, à la « Place Chacha », « Place aux enchères »2, visible aussi dans Pim-Pim Tché (Toast de vie !), et la ville de Ouidah est traversée par ce qu’on appelle « la route de l’esclave »3. Ces esclaves arrivaient à Zoungbodji, une espèce de no man’s land, où se situe « l’arbre de l’oubli », censé leur faire oublier leurs origines. Les femmes tournaient autour de cet arbre sept fois, et les hommes neuf fois, avant de partir et étaient censés devenir amnésiques, puis finissaient leur route jusqu’à la « Porte du non-retour » où ils embarquaient sur les bateaux. Dans une scène de mon film Pim-Pim Tché (Toast de vie !) je suis assis avec Aïcha Ouattara, la comédienne principale, et on voit un monument représentant le Bénin avec une croix posée au XVIe siècle par les Portugais. C’est un lieu de recueil pour les catholiques du monde entier. Ouidah est devenu par la force des choses une ville qui perpétue la tradition catholique mais aussi animiste. Quels ont été vos débuts au cinéma ? Marche à l’ombre (Michel Blanc, 1984) fut le premier film dans lequel j’ai joué. Je traînais aux Halles dans le centre de Paris avec ma bande de « blousons noirs », et j’avais été repéré par un directeur de casting qui trouvait que « j’avais une tronche ». Jouait dedans aussi Maka Kotto, l’un des acteurs noirs montants de cette époque. J’y suis allé pour me faire de l’argent, pas dans l’idée d’être acteur plus tard. Mais c’est sur ce film que j’ai éprouvé pour la première fois la violence du racisme, via la personne qui s’occupait des figurants, car ce jeune homme avait un comportement indécent. Je me suis alors juré de faire du cinéma pour imposer sur mes tournages le respect de tout le monde, Noirs comme Blancs. J’ai d’abord écrit des scénarii, et n’y connaissant rien, je les envoyais à l’ADAMI et au CNC. J’ai envoyé des centaines de projets, tous refusés. Je ne connaissais rien à la dramaturgie : je me suis donc enfermé à la bibliothèque de Beaubourg à Paris pour étudier pendant des années tous les bouquins qui avaient trait à la dramaturgie, et plus globalement au cinéma. Je regardais beaucoup de films, en rentrant en cachette dans les salles pour les voir gratuitement. Je me faisais la main en réalisant des courts métrages avec des copains et avec des comédiens sélectionnés lors de castings sauvages. Nous récupérions 1La

Porte du non-retour inaugurée à l'initiative de l'UNESCO marque le symbole de la déportation dont la plage d’Ouidah fut le théâtre. 2 Sur la Place aux enchères étaient sélectionnés et marqués au fer les esclaves en partance sur les bateaux négriers. 3 La Route de l’Esclave à Ouidah comprend un ensemble de lieux de mémoire liés à la traite négrière sur les côtes du Golfe du Bénin : départ vers des sites d’embarquement, lieux de vente et de stockage d’esclaves, fosses communes ou lieux de « triage ».

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les pellicules inutilisées par d’autres – il n’y avait pas le numérique – et on empruntait des caméras 16 ou super 16 auprès des loueurs. Les vendeurs de pellicules de chez Kodak et Agfa nous faisaient quelques fleurs, et j’ai ainsi réalisé mon premier court métrage, en tournant les week-ends. En contrepartie je faisais tout pour mes comédiens qui n’avaient pas le sou : je les hébergeais, je leur faisais la cuisine dans ce petit studio qui a accueilli plus tard ma société de production, 45rdlc, pour 45 rue de la comète, où j’habitais. Je ne connaissais rien à la technique, et j’ai appris auprès des chefs opérateurs, car j’avais vraiment peur d’utiliser la caméra au début. Comment êtes-vous venu à la réalisation et à la production ? Lors de la coupe du monde de football de 1990, le Cameroun a été le premier pays africain à accéder en quart de finale. Cette victoire m’a inspiré un scénario hilarant ; j’ai donc écrit et envoyé l’année suivante le projet La Passion du Foot au CNC, ainsi que deux autres projets Kalamazo, version long métrage et version sitcom tendance Cosby-show. Parallèlement, je croise un certain Bobby qui s’occupait du casting de Diên Biên Phu de Pierre Schoendoerffer, un film qui se déroulait au Vietnam. Il m’a donc engagé pour faire de la figuration. Nous étions dix Noirs, dont Hubert Koundé qui jouera plus tard dans les films Métisse puis La Haine de Mathieu Kassovitz. Nous étions embarqués sur ce tournage ahurissant, avec de vrais militaires. Nous tirions au canon pour de vrai. Hubert qui était fragile du tympan n’entendait plus, à cause du bruit des canons. Nous étions séparés des autres acteurs qui étaient Blancs ; nous, Camerounais, Béninois, Maliens… qui ne nous connaissions pas, étions enfermés dans une pièce unique pour y vivre pendant six mois. Cela amena forcément des conflits, et nous souhaitions plus de confort. Nous avons alors fait une grève et avons refusé de tourner... et nous avons finalement eu gain de cause, après négociations auprès des réalisateur et producteur. C’est sur ce tournage très enrichissant pour moi que j’ai rencontré Momo Joseph, un acteur camerounais qui se prenait pour une grande star, ne voulait pas se mêler à nous, et bénéficiait de quelques privilèges sur le tournage4. Il a joué dans mon second long métrage Djib (2000), une comédie sociale qui est l’histoire d’un petit Noir, gamin de banlieue, qui fait du trafic de saucissons secs et de mortadelle pour payer des vacances sensationnelles à sa petite amie maghrébine. Au retour du tournage de Diên Biên Phu, qui a duré six mois, à Paris, je trouve les réponses pour mes trois demandes au CNC concernant La passion du foot et Kalamazo : l’avance sur recettes long métrage m’a financé la réécriture de Kalamazo, le COSIP m’a alloué une subvention pour le développement de la sitcom (qui n’a jamais vu le jour) et je passe en plénière à l’avance sur recettes court métrage avec La passion du foot. Ce qui m’a offert l’opportunité de la subvention du THECIF (Théâtre et cinéma d’Ile de 4 Il

avait déjà joué sur plusieurs LM dont Le crabe-tambour de Pierre Schoendoerffer (1976).

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France). D’un coup, j’avais beaucoup d’argent, mais je n’avais pas encore de société. THECIF me conseille d’en approcher une pour produire le projet, mais personne ne veut participer au tournage d’un film fait par un réalisateur noir. Finalement je rencontre Claude Pierson5, âgé d’une soixantaine d’années, qui avait fait toutes les guerres, d’Algérie, etc., qui me fait signer un contrat de production pour les 180 000 F que j’avais obtenus – une somme très importante pour l’époque – afin de faire le court métrage. J’habitais près de l’Usine Éphémère, un endroit où se retrouvaient des artistes émergents : Tonton David, Juan Rozoff, les Négresses Vertes, La Force Alphabétik… et cette Usine allait devenir le décor de notre court métrage. J’avais ramené des accessoires du Vietnam, et cela devait donner une ambiance mixte entre l’Afrique, l’Europe et l’Asie. Monsieur Pierson amène une caméra 16mm, m’impose son fils, assiste au tournage tous les jours avec épouse et amis (tous allongés dans des transats)… et ils se comportaient comme de véritables esclavagistes. On finit le film dans l’horreur, et pour le montage auquel je n’ai pas droit d’assister, il m’impose de nouveau son fils, ingénieur du son. Et quand j’ai eu l’autorisation de visionner les premières images de mon propre film, je découvre qu’ils avaient enregistré le son sur des pellicules qui servaient à des films pornographiques, et on entendait les simulations des femmes alors qu’aucune de mes scènes n’avait de rapport avec ça. De plus, le montage reconfigurait toute l’histoire que j’avais écrite. Dans leur esprit de Blancs, ils avaient inventé leur film, fait leur histoire à eux, ce n’était plus l’histoire de La passion du foot avec le Cameroun, c’était leur histoire de Blancs du 18e arrondissement. On s’est fâché. L’équipe très solidaire et moimême avons menacé le producteur, et avons tout arrêté. M. Pierson avait gardé une grosse partie de la subvention, et le son du porno... Vous décidez alors de passer à la production ? Je me suis adressé au THECIF en décidant de créer à ce moment-là ma propre structure. Mais un Noir producteur, cela n’existait pas pour eux. Ça a mis beaucoup de temps pour se débloquer, et après des pertes d’argent et des conflits, nous avons retourné le film. J’ai créé ma première société Tabou5 Claude Pierson (1924-1997), était surtout connu pour avoir réalisé une douzaine de films érotiques et une quarantaine de films pornographiques.

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Tabac Films : « tabou » pour que nous ne souffrions plus des préjugés et pour traiter des sujets virulents, « tabac » parce que nous voulions faire des tabacs avec ces films sociaux et originaux ! Avec cette structure nous avons tourné plein de petits projets, sans le moindre succès… Puis après de nombreux rejets du CNC, j’écris un nouveau scénario, Barbecue Pejo, que j’envoie à l’Avance sur recettes… En parallèle je travaillais en tant qu’animateur dans les écoles pour gagner ma vie. Pascal Thomas, grand réalisateur français, que je ne connaissais pas, m’appelle, me propose d’être mon coproducteur sur ce projet. Échaudé par mon expérience avec M. Pierson, je refuse. Mon film passe alors en commission d’avance sur recettes au CNC, et je découvre que c’était Pascal Thomas qui était à sa tête... On m’alloue la somme de 1,6 million de francs français, c’est-à-dire la moitié de ce que j’avais demandé, une somme donnée généralement pour les documentaires. En parallèle je crée ma seconde société, 45rdlc, grâce à un apport en matériel. Pour ce film, je voulais des grands noms, de grands comédiens et un grand compositeur ! Beaucoup trop chers, je décide alors de tout faire moi-même. J’apprends la musique grâce à l’ouvrage « Apprendre le piano en 90 jours » et ferai celle du film, et je suis aussi gardien des décors sur le tournage ! Personne ne voulait s’y coltiner, trop de risque, pas de sécurité… Une fois le montage terminé, je m’adresse aux distributeurs qui sont peu enthousiastes, ou me demandent si mon histoire parle de popotin « parce qu’en Europe on aime le popotin de la Négresse ». J’attends longtemps, j’essuie des rejets puis je décide d’assurer moi-même la distribution, et pour cela je rehausse le capital de ma société 45rdlc de 500 000 francs afin qu’elle puisse devenir une structure de production et de distribution. Mon ami Pierre Constantin me suit depuis le début en 1991, lorsqu’on était étudiants – moi en sociologie, lui en chimie à Nanterre – et c’est le seul car il faut être endurant pour me suivre, avoir de bonnes conditions physiques, mentales et l’énergie... On décide ensemble de distribuer le film en mettant en place une stratégie, mais en commettant des erreurs. On se paie Libération, 80 000 francs pour mettre l’affiche en première page. Pour un film qui n’a pas coûté cher, avec des comédiens pas connus, ce n’était pas pertinent. Nous aurions dû mettre ces 80 000 francs pour acheter des places du film et provoquer des entrées et recettes. Mais ils avaient publié l’affiche en noir et blanc, or nous avions spécifié en couleurs. Il faut toujours décortiquer un contrat... On a contesté, et ils nous ont remis l’affiche en couleur une deuxième fois, ce qui nous a fait de la publicité gratuite en supplément. Et notre amateurisme a payé : Philippe Azoury, éminent critique cinéma de Libération, nous a repérés, amusé par notre dossier de presse où je racontais ma rencontre cocasse avec Pascal Thomas, et il a écrit un superbe article. Le CNC n’était pas content... Mais Pascal Thomas nous a suivis, même si l’article ne lui faisait pas grâce. Il a même accompagné l’avantpremière à Asnières devant une salle comble, et aussi mes premiers pas sur les radios, notamment France Culture. Puis l’Union européenne nous a aidés 243

pour la promotion, et nous collions les affiches partout dans Paris. Ça a marché et une salle parisienne a même gardé le film 56 semaines ! Et vous avez rapidement enchaîné vos productions suivantes 45rdlc s’est développé, avec sept personnes rémunérées. Dans la foulée nous avons tourné Djib avec peu de moyens, peu de technique, des petits acteurs inconnus. Nous avons obtenu un préachat de Canal+ pour 1,2 million, sur le film et non pas sur scénario ce qui se fait très rarement. Nous avons pu payer tout le monde correctement et avons fait une sortie technique. Mais Djib ne fait pas « voyager » comme Barbecue Pejo, et le public attend de moi des films « du continent » ; il ne m’a pas suivi sur ce film. Nous avons enchaîné sur Mama Aloko, mon troisième long métrage, l’histoire d’une dame qui tient un boui-boui spécialiste des Aloko (plat de bananes plantains frites), avec de beaux dialogues.

(Mata Gabin dans Aloko) En parallèle j’ai mis en place le tournage du quatrième, La valse des gros derrières, ce qui était ambitieux pour ma petite structure, et beaucoup d’énergie pour nous qui ne sommes pas du sérail. J’ai sollicité Canal + plusieurs fois, mais à chaque fois on m’a refusé. Le vrai problème par rapport à nos productions, c’est que je ne connais aujourd’hui aucun Noir qui frappe directement à la porte de Canal +. Sissako et Haroun l’ont obtenu, mais ils ont tout le temps été adoubés : pour monter Timbuktu, c’est sa productrice Sylvie Pialat qui a été frapper à la porte de Canal pour Abderrahmane Sissako. Mahamat-Saleh Haroun aussi c’est via son épouse Florence Stern qu’il a obtenu Canal ; ils sont portés par des structures françaises. Sans ces personnes qui adoubent, c’est encore impossible, et j’avais eu cette expérience sur Barbecue Pejo avec Pascal Thomas qui a été surpris quand je lui avais dit que je voulais aller tout seul chez Canal et 244

toutes les chaînes. Aujourd’hui, je suis content car il y a Alain Gomis, et j’espère qu’il pourra un jour aller démarcher tout seul sans autre soutien. Moi, je porte mes films tout seul. Tous ont bénéficié de l’avance sur recettes du CNC et sont soutenus par l’OIF, le MAEE (Ministère des Affaires Etrangères et Européennes)… Ils sont sortis en France via 45rdlc. Entre-temps, j’ai créé à Ouidah l’Institut Cinématographique de Ouidah pour la formation, et Quintessence - Festival International du Film de Ouidah. Fort de toutes ces expériences, ces critiques dithyrambiques, avec ces structures, je pensais avoir l’argent facilement pour réaliser mes œuvres, mais ça n’a pas été le cas. Je n’ai pas de villa en Normandie, ni à Dakar. Certes, il faut être engagé à 100 % sur la production, car c’est un autre métier que la réalisation. Mais nous, réalisateurs noirs, en 2017, il nous faut encore être au four et au moulin si nous voulons faire aboutir nos projets. (Aïcha Ouattara dans Pim-Pim Tché) Quelles ont été vos difficultés sur votre dernier long métrage ? J’ai commencé Pim-Pim Tché en 2007-2008 en format cinéma, sur pellicule. On n’a pas eu beaucoup d’argent, 100 000 €. Et il fallait transférer le film en numérique, faire du kinéscopage pour produire le DCP – 150 000 € à l’époque, et on ne les avait pas. Je lance donc un crowdfunding, et entretemps les prix ont baissé à 23 000 €. J’avais eu beaucoup de bonnes critiques partout : Libé, les Cahiers du cinéma, le Canard Enchaîné... Même le magazine Elle m’avait soutenu et mis pour la première fois la tête d’un Négro-Africain dans ses pages, grâce notamment à un article d’Elisabeth Quin, qui nous avait également fait beaucoup de promotion à l’époque sur Barbecue Pejo. Elle était sur RTL et à la fin de l’émission, avait crié « il y a un film qui faut aller voir à tout prix !!! ». Pour la sortie en France de Pim-Pim Tché (Toast de vie !), le cinéma Le Lucernaire a été la seule salle à Paris à projeter le film. J’y animais beaucoup de débats, pour inciter les gens à venir, une séance par semaine. Ce travail d’accompagnement est crucial, même s’il n’y a que quatre personnes dans la salle. Depuis je tourne partout en France avec ce film, les gens me servent de VRP. Ce travail d’accompagnement est obligatoire. Avec des débats par-ci, des cinés-concerts par-là… C’est sûr qu’il faut de l’énergie, du coup je voyage un peu partout... Les gens ici veulent apprendre des choses sur 245

l’Afrique, et en Afrique, Pim-Pim Tché est piraté, mais pourquoi m’énerver puisque l’actrice principale, Aïcha Ouattara, est heureuse ; quand elle prend le train ou l’avion, tout le monde la reconnaît ! Aujourd’hui Canal+ investit beaucoup en Afrique... On sait d’où vient l’argent, même si ça reste dans le pays. Bolloré possède de nombreux ports en Afrique, mais le port c’est le poumon de nombreux pays. Au Bénin, « le Quartier latin » de l’Afrique, on n’a pas de pétrole mais l’Atlantique, et c’est la seule chose qui rapporte de l’argent, car les pays enclavés viennent chez nous. Alors, si on vend ça à un Blanc... Ces gens-là construisent quelques salles sur le continent et tout le monde en parle, mais est-ce notre intérêt ? Nous, les francophones, avons une mentalité de subvention, que n’ont pas les anglophones. Avant je méprisais Nollywood, mais leur système a bien fonctionné et les comédiennes y sont très bien payées. D’ailleurs la starisation est un phénomène important qu’il faut intégrer dans la coproduction internationale, mais ce n’est pas encore rentré complètement dans les mentalités de nos pays. Pour fonctionner, ma production internationale est toute simple : j’ai deux structures, 45rdlc à Paris et Tabou-Tabac au Bénin donc je fais une coproduction avec ces deux structures, parce qu’il n’existe rien au Bénin. Depuis l’arrivée de Macky Sall [Président de la République du Sénégal à partir de 2012] et grâce au succès d’Alain Gomis et plus particulièrement à son premier prix au Fespaco, le Sénégal s’organise. Maintenant ils ont un fonds et allouent des subventions aux réalisateurs et producteurs. Au Tchad, pareil pour quelques personnes, notamment Haroun… et en Côte d’Ivoire aussi, plutôt en matière de séries. Au Bénin il n’y a aucune structure étatique qui soutient, même si j’ai œuvré beaucoup pour qu’ils donnent de l’argent pour la postproduction. Lorsque l’on dit que tel Africain a gagné un prix dans un Festival, on ne dit pas que ses financements sont européens, français… l’institut Français, Canal +, l’OIF.... Il faudrait que nous nous bagarrions pour que nos dirigeants, qui n’ont pas la culture de la Culture, s’y mettent et se l’accaparent. C’est à nous, créateurs, de leur donner le goût de la chose, leur insuffler l’énergie créatrice pour qu’ils changent les choses. Des personnes talentueuses, ambitieuses et porteuses d’un optimisme fervent et fédérateur, mais ça ne court pas les rues… Propos recueillis par Claude Forest et Mégane Maheu le 13 mars 2017 au Château Musée Vaudou de Strasbourg ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Adélaïde Tata Ouattara Accompagner les films en free-lance Chargée de production en Côte d’Ivoire

Dates clefs d’Adélaïde Ouattara 1987, 2 janvier : Naissance à Abidjan (Côte d’Ivoire) 2012 : Premier long métrage comme actrice (Le Djassa a pris feu) 2015 : Formation à la production à Banshee Films (France) 2015 : Première production sur un pilote de la série Top radio Adélaïde Tata Ouattara, plus connue sous le nom d’Adélaïde Ouattara, est originaire de la Côte d’Ivoire, où elle a commencé en 2004 une carrière d’actrice qui l’amènera à jouer dans plusieurs longs métrages, dont Burn it up Djassa1(Lonesome Solo, tourné en 2008 et sorti en 2012), qui circulera dans une douzaine de festivals2. Elle deviendra par la suite stagiaire secrétaire de production, et se trouvera sur les plateaux dans la double fonction d’actrice et de directrice de production jusqu’en 2015, après une formation en entreprise à Banshee Films en banlieue parisienne. Elle y renforce ses connaissances du métier de chargée de production et apprend à mieux maîtriser la chaîne de production numérique, avant de rejoindre sur ce domaine la société Wassakara Productions pour y assurer cette fonction en free-lance. Pouvez-vous détailler comment vous avez été à la fois actrice et du côté de la production ? Le premier film sur lequel j’ai commencé dans la production, en tant que secrétaire, c’est un court métrage de la collection African Mediapolis, To Repel Ghosts, de Philippe Lacôte, tourné en 2013. Il était à Paris et cherchait quelqu’un pour faire l’administration, trouver les décors, et je me suis proposée. Il n’avait pas confiance au début parce que je n’avais jamais travaillé sur ce poste, et que nous étions plutôt dans la relation réalisateur /actrice. Mais j’ai réussi à négocier tous les décors, l’aéroport, et même les salaires de certains techniciens, ce qui m’a permis de fil en aiguille de 1 Le 2 La

Djassa a pris feu. Berlinale, le TIFF à Toronto, les JCC, le Fespaco, etc.

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débuter dans la production. Aujourd’hui avec Wassakara productions, je travaille en free-lance, j’intègre les productions les unes après les autres, mais l’amour pour la chose m’est venu par le contact avec les gens, que j’ai aimé très tôt. Lorsque j’étais étudiante en ressources humaines et communications, pendant les vacances j’étais commerciale, donc le contact direct avec les gens, parler du produit, c’est un peu ça que j’ai transposé dans le cinéma : négocier les décors, négocier les montants, ça intéresse les producteurs. Puis j’ai été productrice sur un pilote d’une série de 26 minutes qui s’appelait Top radio (Alexandre Ogou, 2015) coproduite avec la RTI (Radio télévision Ivoirienne) et une maison de production appelée TSK holding3. Elle était en train de s’installer, cherchait quelqu’un et j’ai signé comme chargée de production, mais je me suis retrouvée en fait comme directrice de production avec la RTI en 2014.

Ensuite il y a eu Run (Philippe Lacôte, 2014), j’ai touché à l’administratif en tant que secrétaire de production, et j’ai fait directrice de casting sur la figuration. Ça m’a vraiment imprégnée de la production exécutive. Il y a eu trois ans de recherche de financement, le film a obtenu le prix du Jerusalem International film lab, un prix d’écriture, et il est passé par tous types de subventions, pour le développement, pour la production. Il y a eu le fonds de soutien à l’industrie cinématographique (FONSIC)4 de la Côte d’Ivoire. Le budget global de ce fonds de soutien était de 200 millions FCFA, et on espère qu’il monte à un milliard. Il a aussi bénéficié du soutien du

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La première saison de la série a bénéficié d’une aide à la production de 27.500 euros du Fonds Image de la Francophonie. 4 Mis en place par la loi n° 2014-426 du 14 juillet 2014 relative à l’industrie cinématographique.

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Programme ACP/EU et du Fonds francophone de production audiovisuelle du Sud (OIF, CIRTEF), etc. Comment définissez-vous le métier de productrice, ses difficultés ? Pour moi le producteur dans le cinéma est différent du producteur dans la musique ; c’est avant tout la recherche de financement, la recherche des fonds pour la réalisation d’un sujet. Bien sûr, le producteur doit avoir la notion de tout ce qui englobe le cinéma, parce qu’il doit négocier avec les techniciens, il faut connaître le matériel qu’ils vont utiliser, connaître les astuces pour réduire les coûts, être un peu la tête pensante, pouvoir faire un plan de travail, savoir s’il faut tourner cette série ou une autre par exemple. C’est vraiment être un peu partout. J’ai rencontré des difficultés, par exemple sur Run (Philippe Lacôte, 2014), nous avions une productrice française, Claire Gadéa (de Banshee Films) qui savait parler, et même quand on partait rencontrer le ministre de la Culture, elle arrivait à le convaincre sur le fait que l’État devait investir dans ce projet qui serait une bonne visibilité pour le cinéma ivoirien. À Abidjan j’ai eu des déboires, mais j’ai beaucoup appris d’elle qui avait été aussi productrice déléguée sur To Repel Ghosts (Philippe Lacôte, 2013), qui savait comment approcher les gens. Moi j’étais confrontée parfois à des producteurs, à des réalisateurs, et quand je voulais prendre la parole, ils m’imposaient leurs choix parce qu’ils me trouvaient jeune. Aujourd’hui les choses se passent bien, même si le relationnel est occasionnellement difficile, parce que quand tu n’es pas dans le clan, on te verrouille facilement. Dans mon pays, le fonctionnement est vraiment clanique. Quand tu pars à l’étranger, pour une formation ou une production cinématographique et que tu reviens au pays, il y a un regard un peu favorable sur ta personne, mais lorsque tu débutes au pays, tu t’en sors difficilement, et certains n’y arrivent pas.

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À l’étranger j’ai eu les partenaires comme Diam Productions et Générations (Burkina Faso), Art et conception (Cameroun), Banshee Films et Initiative Film (France), 908 Studio (Allemagne). Avec Diam production, on a travaillé sur Run, et on a travaillé sur un court métrage de Adama Salé, Chacun sait ce qu’il sait faire. Art et conception, ce sont de jeunes cinéastes rencontrés pendant l’édition 2016 du festival Écrans noirs au Cameroun où j’étais membre du jury dans la catégorie « dix jours pour un film ». Ils m’ont approchée et après échange je devais les aider à commercialiser leur court métrage Mes vampires. Je n’ai pas travaillé dessus, mais je suis revenue avec en Abidjan pour la distribution. Quant au 908 Studio, j’ai fait un atelier de formation en avril 2017 sur la gestion et l’organisation d’une maison de production. Comment fonctionne la distribution en Côte d’Ivoire ? Pour les films sur lesquels j’ai travaillé, les gens avaient des plans de diffusion établis, assez portés sur l’international. Pour la télévision, en Côte d’Ivoire la chaîne nationale est très cliente de séries. Je travaille aussi avec le directeur d’une chaîne de salle de cinémas ; on a organisé des projections groupées de courts métrages, sur un mois, mais ça été très difficile. Il y a peu de public intéressé car les Ivoiriens ont perdu un peu cette culture, à part certaines périodes comme Noël, ou pendant les vacances où l’on retrouve un public étranger qui s’intéresse au cinéma. Il est difficile de vendre un film ivoirien en salle de cinéma, à moins d’investir sur la communication. Quant aux DVD/VCD, la piraterie est très développée ; même si tu fais une avantpremière en salle, tu te retrouves avec ton film sur le marché, donc c’est très difficile de procéder de cette manière-là. Et la production de DVD ne marche pas, on est envahi par la piraterie, c’est vraiment très difficile de bénéficier de cette diffusion. Donc on privilégie la vente aux chaînes de télé étrangères ou aux compagnies aériennes, la présentation dans des festivals, ou aussi des techniques de projections rurales, pour un cinéma de proximité, avec des entrées moins coûteuses, pour pouvoir s’en sortir. À Wassakara Production, on a un atelier acteurs, et pour la troisième édition cette année on a pu négocier avec le Goethe institut d’Abidjan qui a décidé de nous accompagner, avec des projections chez eux, car à la fin de chaque atelier un court métrage est produit, et on essaye de voir comme on peut le vendre dans ces projections. Sinon, par exemple pour Run, ce sont les chaînes de télé étrangères et les compagnies aériennes qui ont acheté le film, et il a fait certains festivals, mais il n’y a pas de commercialisation de supports physiques, ni de salles de cinéma. Et au niveau de la production pour votre société ? En dehors des free-lance, avec Wassakara Productions, j’ai fait directrice de production pour un projet école des étudiants de la fémis, et quelques courts 250

métrages d’école à Abidjan. Et pour le prochain long métrage de Philippe Lacôte où Wassakara Productions sera coproducteur, j’interviendrai en tant directrice de Production. En termes de financement, pour les séries, j’ai travaillé sur des devis allant de 50 à 150 millions, mais on cherche toujours à augmenter nos recettes avec des placements de produits. On sollicite des entreprises pour leur service ou des échanges marchandises, et en retour ils sont cités au générique, mais il est très rare qu’ils apportent du numéraire. Comment travaillez-vous avec l’équipe technique ? Lorsqu’on est en train d’établir le budget estimatif d’un film, on a des propositions salariales par rapport à nos attentes, donc on s’interroge sur la valeur de tel technicien par rapport à l’expérience et ses rapports avec les autres. Et après, si on réussit à réunir le budget on peut se permettre le luxe de respecter ce qu’on a prévu. Sinon, on fera le plan B ; quand on n’a pas les moyens, on revient sur les techniciens qu’on pouvait prendre en chef de poste. L’idéal pour un projet c’est vraiment de prendre des techniciens qui ont du coffre même s’ils viennent d’ailleurs, et si on se dit au fil des productions il y a un assistant local qui aura appris, et alors ça sera avantageux pour nous c’est de l’engager pour les prochaines productions. L’idéal est évidemment de trouver des techniciens de notre pays, ce qui réduit les frais. Après, si nos techniciens ne sont pas disponibles ou pas assez professionnels pour certains postes, on fait appel à des techniciens étrangers. Sur la série Marchand d’Ana Ballo, on a pris quelques techniciens burkinabè, qu’on a fait venir ici. Sur Run on a eu comme chef de poste des techniciens qui sont venus de la France, d’Israël, du Burkina Faso, et du Sénégal, parce qu’on a misé sur leur professionnalisme et leurs expériences des grands tournages. Pareil aussi avec Mamane sur son long métrage Bienvenue au Gondwana (2016). Sinon il y a des techniciens qui ont du talent en Côte d’Ivoire et qu’on utilise, mais sur les grosses productions on fait appel à l’étranger, même si ça va engendrer des frais ; mais viendra le moment où l’on prendra des chefs de postes en Côte d’Ivoire. Des producteurs se lancent, malgré les contraintes ; sont-ils ensuite félicités ? J’ai plein d’exemples de jeunes réalisateurs qui se sont autoproduits et certains ont eu un prix à l’étranger dans des festivals. À leur retour, ils sont « félicités », ça leur facilite les prochaines démarches administratives, mais on n’est pas plus aidé avant. Un jeune réalisateur m’a expliqué qu’il n’a pas eu de soutien de l’office national du cinéma, malgré ses démarches, et en a eu marre et a décidé de financer le film de ses propres poches. Son court métrage Djibada (Mho Diaby, 2015) a rencontré le succès (prix du meilleur CM international au Festicab 2015) et on le présente maintenant comme « Une fierté nationale »… C’est dommage, mais il y a de nombreux cas 251

similaires, et 80 % des films ivoiriens au Fespaco n’ont pas bénéficié du soutien de l’État. Quels sont vos meilleurs souvenirs dans ce métier ? Mon plus beau souvenir est sur le projet Top radio parce que j’y ai eu mes premières grandes responsabilités, et par la suite j’ai eu à échanger avec la maison de la télévision ivoirienne et ça m’a vraiment ouvert les portes et un carnet d’adresses. C’était un beau projet, on a tourné en peu de jours, et j’ai appris. Pour ne pas dépasser le budget, on se disait « il faut enlever ça… » et on se demandait comment faire, en fonction de ce que la RTI pouvait apporter comme moyens humains. Je me référai toujours à Philippe Lacôte ; il m’a transmis sa manière de travailler, voilà mon plus beau souvenir. Propos recueillis par Camille Amet et Juliette Akouvi Founou le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Idrissa Ouédraogo Producteur et réalisateur burkinabè Militant cinématographique

Dates clef de Idrissa Ouédraogo 1954, 21 janvier : Naissance à Banfora (Burkina Faso) 1976-80 : Formation à l’Inafec d’Ouagadougou 1981 : Réalisation du premier court métrage Poko1 1981 : Fonde sa société de production Les Films de l’Avenir 1982-86 : Formation à l’Institut des hautes études cinématographiques, Paris 1986 : Réalisation du premier long métrage Le choix (Yam Daabo) 1989 : Réalisation-production du premier long métrage Yaaba2 2018, 18 février : Décès à Ouagadougou Principaux films produits 1989 : Yaaba (Grand-mère) 1990 : Tilaï (La loi)3 1992 : Samba Traoré4 1995 : Guimba, un tyran, une époque (réal. Cheick Oumar Sissoko) 2003 : Kounandi et Sous la clarté de la lune (réal. Apolline Traoré) 2006 : Kato, Kato Réalisateur burkinabè emblématique des décennies 1980-1990, Idrissa Ouédraogo a marqué toute une génération de cinéastes, non seulement par l’ampleur quantitative de son œuvre avec une dizaine de longs métrages, le double de courts métrages ainsi que des documentaires et séries télévisées, mais surtout par leur qualité, leur écriture cinématographique très poussée, et sa reconnaissance internationale. De Cannes à Venise en passant par Berlin et Ouagadougou, avec une cinquantaine de distinctions obtenues dans tous les grands festivals, il a contribué à la reconnaissance du cinéma burkinabè, et plus largement de toute la sous-région, durant deux décennies5. Il fondera dès le début de son activité une société de production, 1 Prix

du meilleur court métrage au Fespaco 1981. de la Critique au Festival de Cannes 1989, et Prix du public au Fespaco la même année. 3 Grand Prix du Jury à Cannes 1990, Prix du meilleur long métrage au 1er Festival du cinéma africain de Milan en 1991, Étalon de Yennenga (Grand prix du Fespaco) la même année. 4 Tanit d’Argent aux Journées cinématographiques de Carthage, Ours d’Argent au Festival international du film de Berlin 1992. 5 Pour une bibliographie détaillée, voir notamment en ouvrages, June Givanni (ed), Symbolic Narratives / African Cinema : Audiences, Theory and the Moving Image, Londres, British 2 Prix

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les films de l’Avenir, qu’il transformera une décennie plus tard en Les films de la plaine, afin notamment de produire quelques-uns de ses longs métrages de fiction. Mais au-delà de la production de films, les siens ou ceux des autres, c’est toujours le désir de raconter des histoires africaines qui anima l’un des plus grands baobabs de la région, qui n’a jamais oublié ses racines profondes, pour nourrir cet art venu d’ailleurs dont il rappelait avec fougue l’exigence du respect de sa grammaire, un an avant sa disparition. Comment êtes-vous venu au cinéma ? J’ai fait des études primaires et secondaires au lycée d’Ouagadougou, et je me suis retrouvé rapidement parmi ce qu’on appelait les militants, des élèves qui consacraient leurs vacances à apporter du soutien scolaire aux plus faibles, et aussi à organiser des manifestations culturelles. On se préoccupait un peu des problèmes de santé, surtout pour nos frères et sœurs qui vivaient dans les campagnes, et pour nous le cinéma c’était faire des films à caractère socio-éducatif. Quand on connaît le nombre d’enfants qui meurent du paludisme en Afrique, de la diarrhée et de toute autre maladie parce qu’on ne filtre pas assez l’eau, le cinéma c’était filmer comment boire de l’eau filtrée, faire connaître les différentes techniques de filtres, comment lutter contre les moustiques : c’est ça qui me passionnait, ce type de cinéma à caractère éducatif. Durant ces occasions, j’ai fait énormément de théâtre, et en terminale la passion du théâtre, donc du cinéma, était en moi et j’ai demandé à faire l’Institut des hautes études cinématographiques à Paris, l’IDHEC ; je ne savais pas ce que c’était, je connaissais juste le nom. Mais plus tard après le bac je n’ai pas pu entrer, donc j’ai fait l’Institut africain d’études cinématographiques à l’université d’Ouagadougou durant trois ans. Comme je me trouvais parmi ceux qui se préoccupaient de la vie en cités des étudiants, je suis entré dans le bureau exécutif de l’association des étudiants voltaïques à l’époque, à Ouagadougou, et on a déclenché une grève qui nous a coûté très cher. Dans ma troisième année, ils ont renvoyé de l’université plus de 800 étudiants : exclus définitivement, ce fut brutal et ça a provisoirement mis fin à mes études. J’ai dû travailler pendant un an à la Direction de la production cinématographique du ministère, et pendant ce temps j’ai pu réaliser un court métrage en 1981, Poko, qui a obtenu le prix du meilleur court métrage au Fespaco de la même année. Sembène Ousmane était le président du jury, il avait fait l’Institut du cinéma de Moscou, et il m’a fortement encouragé à repartir en études. J’ai eu de la chance, parce que ce film m’a ouvert les portes dans mes relations avec les Soviétiques, qui m’ont donné une bourse. Je suis allé à Bamako où j’ai rencontré Souleymane Cissé qui avait fait ses Film Institute, 2000 ; Olivier Barlet, Idrissa Ouédraogo, réalisateur, Montreuil, Éditions de l’œil, 2005, et l’hommage du même auteur « L’immense apport d’Idrissa Ouédraogo », publié le 20 février 2018 sur le site Africultures.

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études là-bas, et qui m’a aussi encouragé, donc je suis allé à Moscou dans le but de faire des études de cinéma. Mais on m’a ramené à Kiev pour entrer à la faculté préparatoire de cinéma, or j’avais comme fixation l’école VGIK à Moscou, et quand je n’ai pas pu y avoir accès, je suis revenu sur Paris. J’avais parallèlement passé le concours d’entrée à l’IDHEC, mais je n’avais eu aucune réponse d’eux. Je m’y suis rendu avec un ami, et ils m’ont annoncé que j’avais été reçu au concours d’entrée et qu’ils m’attendaient depuis quatre mois. J’y suis resté, j’ai fait mes films d’école, des courts métrages un peu documentaires comme Les écuelles, ou Issa le tisserand (1984). Et juste quand je finissais l’IDHEC j’ai pu réaliser mon premier film Le choix (Yam Daabo, 1986), que j’ai enchaîné avec Yaaba, Tilaï, etc. Mon séjour en France a fait évoluer mes objectifs pour le cinéma ; du caractère socio-éducatif c’est arrivé à une réflexion plus profonde : pourquoi l’Autre, pourquoi le Français a-t-il de la difficulté à me connaître vraiment ? Parce que tout ce que je voyais à la télévision, c’était ce qu’il y avait de plus négatif de l’Afrique, des portraits vraiment dégueulasses, la faim, la soif, les guerres, les maladies, comme s’il n’y avait que ça ! Bien sûr la pauvreté et la misère existent sur le continent, mais pour moi le cinéma était au-delà de toute cette peinture, c’étaient de grands sentiments humains dont on devrait parler. Et sur ce terrain-là tous les hommes se ressemblent, peuvent se connaître, et que peut-être si j’essayais de faire des films dans lesquels il y avait autre chose que ces clichés de la faim, de la soif, de la maladie, s’il y avait un peu de rire, un peu de cœur, un peu d’amour, un peu de tous ces grands sentiments, si j’essayais de les mettre dans les films (peut-être) l’autre regarderait mieux mes films et me regarderait du coup autrement. Donc mon film est parti de cette constatation, et je suis allé un peu plus loin, avec cette femme abandonnée par tous : oui l’Afrique aussi était capable de ça, mais, comme avec tous les enfants du monde, elle est sauvée et accompagnée par deux enfants, car bien sûr que tous les petits enfants aiment leurs grands-mères partout dans le monde. Et je pensais approcher un peu de mon but, en faisant que les différences ne seraient que dans les cases qu’on voit au fond de l’image en noir et blanc, dans la terre rouge et brûlée, dans les cases construites en banko avec des toitures énormes, mais qu’en dehors de ça et de la couleur des peaux bien sûr, on pouvait vivre les mêmes émotions que je vivais. Et finalement même si les manifestations culturelles sont différentes d’une communauté à une autre, le fond était toujours le même : c’est ça que je cherchais vraiment. Comment avez-vous vécu les évolutions dans la production et les technologies ? Avec Tilaï on parle de tragédie grecque, mais il y a des tragédies dans tous les peuples. Et les histoires d’amitié, tout le monde les comprend. Je me suis interrogé après les années fastes du cinéma africain de Souleymane Cissé, Ousmane Sembène, etc., parce que le ministère français de la Coopération 255

était devenu celui des Affaires étrangères, et que la production était devenue plus difficile, et elle l’est encore davantage aujourd’hui. Avec l’avènement des nouvelles technologies, on nous disait que tout allait changer, mais ce ne sont que des supports, et avec tout nouveau support il faut faire comme avec toutes les sciences et techniques nouvelles : on peut se les approprier, même si ces outils-là sont beaucoup plus difficiles, avec plus de contraintes en Afrique que partout ailleurs. Le numérique par exemple, si on n’aime pas les hauts contrastes, ça claque. Le soir il peut y avoir de belles lumières, c’est pourquoi on peut tourner la nuit. Mais plein de gens ici tournent entre midi et 13 h : quelle qualité d’image peuvent-ils avoir ? Donc ça, ce n’est qu’une question de support, et quand on dit que le numérique est plus accessible, ça ne l’est pas vraiment au niveau du résultat, je pense même qu’on a reculé. Au-delà se pose le problème de la formation aux métiers du cinéma ; quand on regarde le niveau des jeunes dans mon pays au Burkina, ils sont un peu plus bas et plus faibles qu’ils ne l’étaient quand moi je faisais mon baccalauréat, donc ça veut dire que mes enfants ont encore plus de difficultés d’expression, de compréhension. Or le cinéma c’est un regard sur les choses, les êtres de la vie, un regard philosophique. Ils sont incapables aujourd’hui de réfléchir, et peut-être que c’est le niveau d’entrée dans les écoles de cinéma ici qui est un peu trop bas, peut-être qu’il vaut mieux prendre des jeunes hommes et jeunes femmes un peu plus haut dans le niveau d’études, au niveau du master, mais je constate que le niveau de cinéma de l’Afrique de l’Ouest baisse. Et pendant ce temps, ceux qui faisaient du cinéma, comme moi, comme Souleymane Cissé et d’autres, ne font plus de cinéma. Comment rehausser le niveau global des films en Afrique ? Le problème de fond réside dans la logique de production : comment produire avec les moyens dont on dispose pour que ces films puissent être compétitifs. Dans l’histoire du cinéma, on a vu le néoréalisme italien faire de belles choses, et puis la Nouvelle vague française a également fait de très belles choses, et le cinéma indépendant américain qu’on encense aujourd’hui, et d’autres. Ils ont tous commencé par réfléchir autrement, et produire autrement. Ça veut dire que d’autres avant nous en Afrique ont imaginé des logiques de production qui leur sont propres, qui leur permettent de s’exprimer avec beaucoup de liberté, et dont nous ferions bien de nous inspirer.

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(Tilaï) La coproduction, c’est comme des vases communicants : tu donnes, je donne. Mais en Afrique, les coproductions d’État sont folkloriques, fondées sur la base culturelle, des danses, des chants, etc. Quand les chefs d’État voyagent, ils amènent des troupes avec eux, mais ça ne passe pas sur le plan économique, ni sur le plan de la création cinématographique. Si la France met 100 000 € pour coproduire un film burkinabé, qu’est-ce que le Burkina pourrait donner en contrepartie ? Ça devrait être la même chose, au moins 100 000 € pour coproduire un film français, or on en est incapable. Donc on reste toujours dans cette asymétrie, dans cette même logique qui est plus forte que nous, et donc l’apprentissage aux métiers du cinéma est le premier pas vers une liberté à construire. On peut dire qu’un travelling, bien sûr, on peut le faire avec des rails, mais encore faudrait-il avoir des rails ; si on n’en a pas on peut travailler caméra à l’épaule, on peut travailler sur des plateformes de charrette, des ânes, on a plein de choses locales. Peut-être qu’on devrait se dire que tout ça est possible, que ça donne du mouvement, que ça peut donner un travelling. Donc je pense que si les gens sont bien formés, ils résolvent toutes les difficultés qui peuvent se poser à eux sur les plateaux de tournage. Et si on est bien formé parce qu’on connaît un peu les lois de la physique, au niveau du son, au niveau de la lumière, on ne tournera jamais vers 11 h en plein soleil avec ces outils-là, ce n’est pas possible, c’est mortel. Ça veut dire que dès la conception de l’histoire, il faut savoir éviter les pièges. Comme le soleil est un élément naturel permanent au-dessus de nos têtes, et qu’il devient haut déjà à partir de 10 h du matin, ça veut dire qu’on devrait pouvoir tourner dans la bonne lumière entre 7 h et 10 h maximum, puis après 15 h, 16 h, mais donc on perd beaucoup de temps, ce qui n’était pas le cas avec l’argentique. Alors, si on ne veut pas perdre autant de temps, comme c’est l’émotion qui fait le film et non la nature, ça veut dire qu’on peut tourner non dans la journée, mais la nuit, à l’intérieur, ça donnera les mêmes effets et notre discours sera mieux reçu. 257

Aujourd’hui le cinéma africain doit se poser beaucoup de questions sur la manière de faire des films avec les nouvelles technologies pour qu’elles soient compétitives, sur la manière de faire des films qui viennent de nousmêmes, du fond de nous-mêmes. Quand on regarde tous les films qui sortent, je cherche ce que le continent peut apporter aux autres, surtout au sud du Sahara. Quand j’étais gamin, on me racontait plein de contes, les mythes africains, la mythologie, il y a plein de choses intéressantes que le monde ne connaît pas, et cinématographiquement qui auraient été très belles. Et on ne parle pas de tout ça, de nos mythes, de nos contes. Je ne sais pas si c’est par complexe, et pourquoi on n’arrive pas à donner aux autres quelque chose de vraiment propre à nous, notre passé, même historique, la colonisation qui a été brutale, sauvage, pourquoi ? On a plein de matière à donner mais… Les pays africains ne doivent-ils pas s’emparer de l’audiovisuel pour davantage fabriquer leurs propres images ? Je comprends toutes les difficultés de notre cinéma parce que ce qui ne nous permet pas de décoller, c’est l’absence de marché propre. Bien sûr aujourd’hui il y a le Nigeria, Nollywood, qui est cité en exemple, mais je pense qu’on est beaucoup plus en avance qu’eux sur le plan des thèmes, des idées. J’ai l’impression qu’ils nous ramènent au début du cinéma africain avec la sorcellerie, tout ce que le cinéma africain avait déjà dépassé. Mais ils le font parce qu’ils ont un marché de 180 millions d’habitants qui regardent leurs productions, donc ils vont s’autoréguler eux-mêmes. Ça va prendre peut-être un peu de temps pour qu’ils reviennent au niveau de l’Afrique francophone au niveau de l’écriture des films, au niveau technique. Ils n’ont pas d’égard par rapport aux raccords, par rapport à toutes ces lois du cinéma qui leur importent peu, précisément parce qu’il y a une vraie soif, un vrai besoin des populations africaines de voir leurs propres images, de se voir elles-mêmes à l’écran. Donc ils n’analysent pas, ne pensent pas en termes de qualité, mais parlent d’être présents sur le marché, seul cela leur importe. Mais on peut être présent aussi en sortant des films en France, et comme dans le football, quand un Africain joue dans un club, toute l’Afrique soutient ce club ! Quand Eto’o6 était au Barça [Club de Barcelone], les gens soutenaient le Barça sans savoir où il se trouve, car la plupart des gens ne le connaissent pas. Quand il marque des buts, il y a une fierté aussi, justement parce que la colonisation a dit que les Africains étaient des gens sans culture, qui ne pouvaient pas évoluer, pas réussir. Mais chaque fois qu’un Africain à travers le monde pose un acte positif, ils ressentent une espèce de fierté, et quand moi je vais à Cannes, c’est toute l’Afrique qui est à Cannes, pas seulement le Burkina. C’est parce qu’il y a eu négation de notre culture, et peut-être qu’on n’a pas pu dépasser ça encore, et qu’on est toujours au niveau de la mentalité en train de voir comment l’autre va nous juger. 6 Samuel

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Eto'o est un footballeur international camerounais évoluant en clubs européens.

Quels films tourner, quelles images montrer ? On dit « il y a de plus en plus de films dans les villages », et hop tout le monde fait des films dans les villes. Certes, il y a de plus en plus de séries de télévision qui sont importantes dans la vie des gens, et si on ne les fait pas, ça veut dire que dans quelques années on va consommer beaucoup de choses étrangères à nousmêmes, à notre propre culture, à notre propre imaginaire, ce qui créera une grande catastrophe, avec l’impossibilité de réfléchir par nous-mêmes. Nous les vieux on s’en sortira, mais nos enfants n’auront plus de repères, car c’est le cinéma et l’audiovisuel qui se mettent ensemble pour pouvoir coloniser le monde ; c’est plus brutal parce que ça ne se passe plus avec des fusils, mais juste des images. Et déjà, dans beaucoup de capitales, tu vois la manière dont les gens marchent, comment ils se comportent, sous l’influence des séries de télévision brésiliennes et américaines. Donc le mal est là, et il y a beaucoup d’images à faire de nous-mêmes, et pour nous-mêmes. (Kato, Kato) Pourriez-vous préciser, dans vos réalisations et dans vos productions, votre relation à l’économie de la filière, et comment est-ce que vous situez son évolution des années 1980 jusqu’à aujourd’hui ? L’essentiel de nos productions des années 1970-80 se faisait grâce à la France, aux guichets français : le ministère de la Coopération, la Francophonie, le CNC, avec des mécanismes d’aide au cinéma africain. Peut-être parce que l’Afrique avait été colonisée sauvagement, peut-être avec la culpabilité que l’Occident ressentait, en tout cas il y avait une fenêtre ouverte de façon inconditionnelle pour beaucoup de films, qui ont donné quelques bons films. Il y avait une sorte de carte blanche, mais avec les difficultés économiques ces guichets ont petit à petit fermé leurs portes, et les nouveaux qui venaient dans les Affaires étrangères ne se sentaient pas du tout coupables des actes barbares de leurs pères, de leurs grands pères, ne jugeaient plus que par la qualité des dossiers, du scénario, du réalisateur, donc le nombre de films s’est rapetissé, et la production africaine s’est effondrée. Le Burkina Faso a un peu tenu grâce au système d’incitation à la production nationale, qui était la résultante de 15 % des recettes brutes des salles de cinéma, qui étaient affectées à un compte du trésor pour faire des films. C’était sur la billetterie parce que les salles de cinéma étaient nationalisées, donc l’État en avait fait son affaire. Et avec l’arrivée des révolutionnaires au pouvoir au Burkina Faso, qui avaient certes de belles idées mais aussi besoin d’argent, ils ont dû puiser beaucoup dans les comptes du cinéma, qui a financé un certain nombre d’institutions, notamment la 259

presse écrite. Et ça correspondait à l’apparition des nouvelles technologies, des télévisions privées et publiques, de la satellisation, avec d’autres types d’images qui venaient chez les populations, qui n’avaient plus le désir d’aller en ville dans les salles de cinéma, loin de leurs domiciles. Les quartiers ont grandi, du coup les populations ont voulu aller se distraire, mais c’est trop loin, donc c’est cher d’y aller, et le banditisme est là. Donc ça a correspondu en même temps au moment où le cinéma ne fonctionnait pas, donc le compte ne pouvait pas être réalimenté, et c’est ce qui a fait que le cinéma burkinabè petit à petit s’est effondré. Les rares films produits le sont encore avec une forte participation de l’Union européenne. Le cinéma est art, mais le talent ne s’improvise pas : je ne vois pas une école qui puisse transmettre le talent ; on a le talent ou pas. Mais par contre le cadre, la lumière, tout ça c’est technique, et la technique obéit à celui qui sait. La technique est ce qu’elle est, elle appartient à l’humanité. Elle est venue tard en Afrique, qu’importe ! C’est comme la médecine, c’est comme toutes les techniques modernes. Donc il faut l’apprendre, et quand on regarde autour de nous, il n’y a pas de grandes écoles de cinéma en Afrique. Il y a l’ESAV au Maroc qui commence à fournir des jeunes étudiants, mais c’est cher pour un Burkinabè qui veut aller étudier là-bas, et beaucoup de parents n’ont pas cet argent : faire des études de cinéma avec ces sacrifices, ça ne les intéresse pas. Donc il faut de grandes écoles en Afrique, au moins une grande école en Afrique, et je pense que ça aiderait à ce qu’il y ait des gens qui portent des regards différents. Quand on regarde les films de Djibril Mambéty Diop, c’est un génie, et il n’a pas dû faire une grande école ; il a du talent, il a montré une voie et personne ne s’engouffre dans cette voie-là. C’est dommage, car on a des exemples de gens qui ont fait des choses merveilleuses, or les jeunes cinéastes africains ne connaissent pas leur propre histoire du cinéma. Ils ne savent pas ce qui s’est fait, ils n’ont pas vu tous les films, ils auraient pu apprendre par la critique, et éviter les écueils de la jeunesse pour prendre ce qu’il y a de merveilleux dans ce qu’on a fait dans le cinéma des années 1980-90. Quel rôle imaginez-vous pour les pouvoirs publics ? Les politiques pensent à leur niveau que le cinéma n’est pas intéressant, en Afrique en tout cas, compte tenu du fait qu’il n’y a pas de marché propre. On ne peut pas leur vendre ce secteur, car c’est vrai que lorsqu’on regarde objectivement les populations qui crèvent de faim, avec le palu, etc. mettre autant de millions dans une activité qui ne rapporte presque rien, il est difficile de leur dire que ça va venir plus tard. Comme ce n’est pas un secteur productif de plus-value, ça n’intéresse pas les politiques. En fait il aurait fallu construire un marché avant de faire des films. Mais là nous sommes très, très en retard, et je pense qu’en termes d’efficacité il faut voir le problème maintenant au niveau des organisations régionales, la CEDAO [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest], la CEMAC 260

[Communauté économique et monétaire des États de l’Afrique centrale], la SADC pour l’Afrique australe [South African Development Community], le Maghreb et les pays de l’Est. Ils ont les mêmes politiques communautaires au niveau économique, au niveau social, alors pourquoi pas au niveau culturel ? Ça pourrait rendre toutes les régions autonomes, fortes, et capables de régler le cadre réglementaire de la culture cinématographique dans leurs zones respectives. La mise en commun ultérieure de ces régions, en une sorte de confédération, ferait qu’on pourrait avoir une seule voix politique, pour parler de quotas de distribution des films, de leur diffusion sur les antennes de télévisions européennes, puisque même les Américains ont un quota de films. L’Afrique a aidé les Français, les Allemands, les Belges à lutter contre l’impérialisme américain, mais se trouve exclue du système mondial de répartition des richesses du cinéma et de l’audiovisuel. Or toutes les chaînes de télévision africaines sont inondées par des images européennes, donc la question devient politique, et quand les films africains passent sur Canal+ Afrique ou TV5, il y a très peu de droits d’auteur ! Ça veut dire qu’on est considéré, à juste titre, comme des consommateurs, mais juste comme le dépotoir des films du monde. Qu’est-ce qui a empêché les télévisions nationales africaines d’alimenter leur temps d’antenne avec des films africains en les rémunérant ? Parce que les télévisions nationales ont des relations avec d’autres intérêts, et qu’elles ont du mal à rivaliser avec les télévisions européennes, françaises notamment. Il y a d’autres chaînes de télévision qui déversent des images en Afrique, mais peut-être le nouveau directeur du CIRTEF, qui est l’ancien directeur général de la télévision nigérienne, au moins limitera la casse, pour que les télévisions africaines francophones puissent se mettre ensemble, pour mettre chacune de l’argent, et d’exiger des coproductions. Parce que si nos télévisions ne réagissent pas, elles ne pourront même plus avoir d’images africaines à diffuser, car des groupes comme Canal+ sont très puissants, et déjà matériellement, économiquement, politiquement implantés dans nos pays. Donc cela veut dire qu’il faut que les hommes du cinéma et de l’audiovisuel puissent créer dans chacun de leur pays un syndicat fort. Mais en Afrique on est avec les fonctionnaires dans le cinéma, qui n’ont pas leur place dans un syndicat de cinéma privé, ils ne pourront pas être juge et partie, et c’est cela qui fait que ça ne fonctionne pas ! Avec des organisations syndicales fortes, capables de poser les vrais problèmes et les vrais choix que nous devons faire, le pouvoir politique, quel qu’il soit nous suivrait. Mais le cinéma africain aujourd’hui c’est un château de cartes, même s’il n’est pas trop tard parce qu’on a tellement d’autres histoires à raconter… Le public, de plus en plus, souhaite des histoires régionales, voire même nationales, ce qui pose le problème de l’offre, de la production : est-ce une période très différente d’il y a 10 ou 15 ans ? 261

Oui tout à fait, une autre période s’est ouverte. Moi par exemple je suis en train de réfléchir à 1896, à la pénétration coloniale par les capitaines Voulet et Chanoine, qui ont frappé, tué, violé. Je pense que le temps est venu de parler de nos héros, de ceux qui ont combattu la colonisation, de ceux qui ont laissé leur vie, tel ce bonhomme dont je veux parler, Boukary Kouté, mort en 1904 à Gambasa au Ghana, mais depuis personne ne connaît l’existence d’un tel héros. Il y a aussi ce héros que Sembène Ousmane voulait honorer, mais il est mort avant qu’il ait pu le réaliser. Je pense à des histoires comme ça, de nos pères, de nos héros. On ne le dit pas, mais aujourd’hui il y a des Africains riches un peu partout, en France, aux États Unis, il y a des Blancs épris de choses justes, alors il y a le crowdfunding, pour demander aux gens de coproduire. En ce qui me concerne, ma fille va m’aider, on va mettre notre scénario sur le Net, on va le faire partager par les gens qui m’aiment un peu, qui pourront participer, d’être derrière une histoire forte. Je vais le produire, avec un financement de la diaspora et puis de gens qui ont voyagé, qui comprennent. Je me rappelle dernièrement le discours de monsieur Macron en Algérie7 : une phrase simple, mais qu’est-ce que cela n’a pas donné comme interprétation de toutes sortes en France ! J’étais assez effrayé. Les gens sont conservateurs, ils ne veulent pas qu’on révèle leur passé, ils ne veulent pas en entendre parler. Et donc je me dis que moi je dois en parler, parce que ma jeunesse n’a pas de repères. Il y a eu Saint Maury, il y a eu Boukary Kouté, ils ont résisté contre les blancs, avant de mourir comme des chiens, et pendant plus de cent ans oubliés par les leurs, c’est terrible. Ce sont des thèmes qui devraient marcher, parce que ça concerne l’Afrique. Est-ce que le meilleur moyen pour vous d’écrire ces histoires, c’est de faire à la fois le scénario, la réalisation et la recherche de financement ? C’est une éducation que nous avons reçue de la France, qui a une réputation d’auteur, donc on devient auteur, producteur, réalisateur. Nulle part ailleurs on ne voit ça ailleurs, c’est vrai. Est-ce qu’il y a des recettes pour faire un beau film ? Est-ce qu’un beau scénario fait un bon film ? Il y a mille et une façons de raconter une seule histoire, de filmer une action, de poser la caméra, etc. Donc on peut s’arranger, y travailler. Mais pour la production les gens ont peur de se faire voler, et comme c’est tellement difficile, on mégote pour réaliser, et il y a eu beaucoup d’expérience avec des producteurs français, qui ont fait des demandes d’aides, d’appuis à la production, mais quant au final ils financent leurs charges, il ne reste plus rien. On dit que chat échaudé craint l’eau, donc les gens se sont dit que ce n’était pas bon pour eux. Or les réalisateurs ne sont pas forcément compétents pour cela. 7 En voyage en Algérie, Emmanuel Macron a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité » et de « vraie barbarie », dans une interview à la chaîne algérienne Echorouk News, diffusée le mardi 14 février 2017.

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Également dans la chaîne des métiers du cinéma en Afrique il manque l’assistant-réalisateur, il manque souvent un bon technicien comme un premier assistant pour faire des plans de travail efficaces, une organisation efficace. Donc on est souvent comme au marché, comme tous les jours, c’est un défaut africain. Même quand on sait qu’on doit voyager dans deux mois quand les prix des billets d’avion ne sont pas chers on attendra toujours, moi en tout cas, le dernier moment pour aller acheter le billet d’avion, parce qu’on est dans une sorte de fascination au temps qui dure ! Cela nous pose beaucoup de problèmes, mais ça nous donne une liberté. Lorsque je faisais Yaaba ou Tilaï, j’étais libre, j’écrivais en un mois, je ne prenais pas de temps. Depuis que j’ai commencé à vouloir écrire avec des scripts doctors, c’est-à-dire en utilisant la science, la technique de l’écriture, je me suis complètement égaré. Égaré parce que j’ai plus de connaissances que celui qui m’aide à écrire, en ce sens que j’ai été colonisé, que j’ai appris l’histoire de l’autre, sa sensibilité, je connais tout de la France. Mes enfants sont français, ils sont nés là-bas, ils ont grandi là-bas, ils ne connaissent pas grand-chose de moi, de ce que je pourrais donner qui soit différent, de ce que le monde aurait pu me donner et ce que moi j’aurais pu donner au monde. Lui ne connaît pas, alors comment peut-il m’aider ? Il ne peut pas m’aider. C’est pourquoi tous les scénaristes qui veulent travailler en Afrique doivent connaître l’histoire de l’Afrique, l’histoire de ces pays, l’Histoire… ça rendrait les choses plus faciles.

(Kini et Adams) Alors auteur, producteur, réalisateur, c’est vrai que l’on perd beaucoup de temps à autre chose, mais travailler avec des bouts de ficelles et être au four et au moulin, des fois cela donne des œuvres formidables. Pour mon premier film, j’avais juste une voiture de 15 places, mais on était 25. Il y avait des Français là-dedans, dont Jean Monsigny qui était mon chef opérateur et qui m’avait enseigné à l’IDHEC. Ils ont tous accepté qu’on fasse le voyage dans ces conditions-là. On n’avait pas d’éclairage artificiel, on n’avait pas de lampe, on n’avait que des réflecteurs, donc il nous était impossible de tourner des scènes de nuit. On le savait dès le départ, mais on avait envie de 263

faire un film, on s’est dit que les gens pourraient aimer le film même s’il n’y avait pas de nuit ni d’intérieur. On a fait ce film en un mois et demi, en traversant tout le Burkina et c’est le plus grand souvenir de cinéma que j’ai, où j’étais en même temps producteur parce qu’on m’avait donné 46 millions, presque 60 000 € pour le tournage en 16 mm, le développement, le montage en France et tout le reste. On l’a fait avec 46 millions de Francs CFA, alors il faut être très fort pour pouvoir assumer tous les rôles là. Mais être réalisateur et producteur en même temps peut être parfois antinomique ? Chercher de l’argent n’est pas facile, et avec la diminution des guichets automatiques français il faut chercher d’autres moyens de trouver de l’argent. Pour ma dernière grande production, Kini et Adams (1997), je me suis allié à une grande société française, succursale de Polygram. On a tourné en Afrique du Sud, au Zimbabwe, avec de bons techniciens, en Scope. J’avais des gens formidables autour de moi, même l’assistantréalisateur qui a fait un plan de travail serré, et on a tourné en cinq semaines au lieu de huit. Le film a été sélectionné à Cannes en compétition en 1997, on a fait du bon travail, mais là on faisait tout pour moi : l’envoi des pellicules en France, le traitement, le labo, les comptes, on avait Canal en préachat, etc. On est allé chercher une coproduction avec le Zimbabwe qui fait partie du Commonwealth, car la France leur devait encore une participation, donc mon film a pu être coproduit et il a la nationalité de la Grande-Bretagne. Dans ces conditions confortables, il est plus agréable d’avoir du temps pour réfléchir au film, au plan, à la direction d’acteurs, que de faire comme nous le faisons le plus souvent ici, en s’éreintant tout le long du film pour réunir les moyens matériels. Il commence à y avoir des producteurs africains, mais toujours pas de distributeurs africains, c’est le principal problème. Peut-être que nos enfants qui étudient aux États-Unis, en France, au Canada, toute cette génération de jeunes qui ont un rapport direct avec le business et le monde, peut-être qu’ils vont être d’un grand apport au cinéma africain. Mais en attendant, l’urgence est de continuer à tenir, que les Souleymane Cissé, les Moussa Touré, moimême, tous ceux qui savent faire du cinéma, puissent continuer à le faire. Ce n’est pas facile, mais on a un avantage sur beaucoup de gens, c’est qu’on en a déjà fait et qu’on a l’expérience ; ne dit-on pas souvent que l’expérience vaut mieux que la science ? Propos recueillis par Mariam Aït Belhoucine, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 3 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Sékou Ouédraogo Producteur au Burkina Faso Faire des films pour faire évoluer les mentalités

Date clef de Sékou Ouédraogo 2004 : Fonde sa société de production Arc-en-ciel productions à Ouagadougou Principaux films Courts métrages Afrique mon destin Ardoise publique Une longue marche L’inceste Long métrage À qui la faute ? (Taala-yaa tondfan) Émissions télévisuelles Un jour pour convaincre Jeunesse et réalité S’il n’est pas facile d’être l’homonyme d’un Ancien qui a aussi travaillé dans le cinéma, comme directeur photo aux débuts du cinéma burkinabé, Sékou Ouédraogo a tenté de suivre son chemin en autodidacte. Débutant comme directeur de producteur dans la structure d’Idrissa Ouédraogo, il a rapidement monté des émissions télévisuelles, avant de se lancer dans les courts métrages à vocation éducatrice, jusqu’à son premier long métrage réalisé difficilement sur deux ans, mais dont il espère faire une suite. Comment êtes-vous venu au cinéma ? Très jeune j’aimais partir au cinéma, et dès l’âge de quatre ans j’ai fabriqué un appareil de projection. Je dessinais très bien, et avec les ampoules je faisais déjà des projections que mes camarades venaient voir. Après mes études de banque à Dakar, je suis rentré au Burkina Faso dans l’esprit de faire du cinéma, mais j’ai d’abord travaillé pendant deux années dans une banque franco-burkinabè. J’ai échangé avec Idrissa Ouedraogo, lui disant mon désir de travailler dans le cinéma, et il me dit qu’étant encore à Paris, il montait sa structure et que je la gérerai sur place au Burkina. Il me conseille 265

de faire d’abord de la direction de production à Ouaga pour lui, et je quitte la banque pour aller dans l’incertain, mais tout homme peut créer un univers dans lequel il se sent bien. C’est comme ça que je me suis retrouvé au niveau à la production de la société d’Idrissa Ouédraogo, qui m’avait affecté à une de ses quatre productions, et mon expérience à la banque a été formatrice pour moi. J’ai aussi géré une salle dans un quartier d’Ouagadougou. Qu’en est-il des projets que vous avez montés vous-même ? D’abord j’ai commencé avec Nuit de feu et puis d’autres projets où j’étais tantôt chargé de production, tantôt directeur de production, jusqu’en 2004 où j’ai décidé de créer ma propre structure, Arc en ciel productions. Ensuite, j’ai conçu une émission pour la télévision nationale que j’ai appelée Un jour pour convaincre, mais que j’ai arrêtée parce que leur administration était compliquée et opaque. J’ai initié une autre émission, Jeunesse et réalité, pour parler des difficultés que rencontre la jeunesse, c’est-àdire l’emploi, la formation, le financement des initiatives des jeunes ; on a fait quelques numéros qui intéressaient beaucoup les gens. Ensuite j’ai réalisé un premier court métrage de 13 min, Afrique mon destin dans l’idée que c’était à moi de faire le destin de cette Afrique, et que je la bâtirai à mon image ; ce sera le plus beau, le plus chaud et un sentiment d’accueil, un sentiment chaleureux. C’est un documentaire avec une voix off où on voit des gens circuler sur un plateau qui représente l’Afrique, un documentaire que j’ai beaucoup aimé. Après j’ai fait un docufiction de 13 min que j’ai appelé Ardoise publique sur les graffitis, car chacun peut laisser les traces qu’il veut. C’était bien avant le départ de Blaise Compaoré, et il y avait des graffitis partout qui insultaient son pouvoir ; j’ai suivi un grand graffeur, qui a accepté de jouer le jeu avec moi, et j’ai essayé de comprendre son action, comment il se défoule. Ensuite j’ai fait un autre court métrage fiction de 13 min que j’ai produit et coréalisé avec un ami, et un court métrage muet de 13 min également que j’ai appelé Une longue marche, qui invite les gens à un bon comportement. Et j’ai enchaîné avec un autre court métrage de 26 min, L’inceste qui peut venir de partout, puis sur un long métrage en 2015 sur le même sujet, À qui la faute ? que j’ai produit pour 11 MFCFA et réalisé, mais je suis allé en profondeur pour creuser les responsabilités, et je voudrais faire une trilogie après ce premier numéro. 266

Pouvez-vous évoquer le financement de vos films ? Il n’est pas du tout aisé quand on commence d’avoir tout de suite des partenaires, mais après une expérience de sept ans avec Idrissa, je connais pratiquement tous les financeurs, les bailleurs européens, l’OIF, le CNC, etc. mais dans un premier temps je me suis interrogé sur ma stratégie. En faisant les émissions télé, j’ai cherché à m’équiper pour évacuer le problème du matériel. Ensuite j’ai maîtrisé la régie, en connaissant le nombre de comédiens et de techniciens qui travaillaient là avec moi sur chaque tournage, de court ou de long métrage, ce qui me donnait une maîtrise des coûts du budget global. Pour financer mes projets, je propose aux techniciens de rentrer dans le capital du film, et ceux qui acceptent sont parties prenantes du film, le film leur appartient également. Ceux qui n’acceptent pas, je les paye, mais j’aurai économisé le coût de ceux qui vont accepter d’être copropriétaires du film avec moi. Pareil au niveau des comédiens. Cette technique me permet de trouver des financements avec des amis, avec des partenaires pour pouvoir réaliser mes films. Et sur le long métrage j’étais confronté à des problèmes, et je suis allé voir le ministère de la Culture qui a bien voulu m’accompagner dans la production. Avec la fermeture des guichets européens, il faut que les producteurs changent de stratégie, qu’ils aient une vision à court et à long terme pour créer de la valeur ajoutée. Produire un film et le rentabiliser à l’ère des nouvelles technologies devient peu aisé pour les Africains. Avec l’internet, l’exploitation et la distribution ont changé de contexte, et l’évolution au niveau de la production reste à construire. Comment définiriez-vous votre métier de producteur ? Les qualités d’un producteur c’est d’avoir une stratégie, pouvoir trouver les moyens pour financer une œuvre, et de savoir confier l’exploitation et la distribution pour ces films puissent se rentabiliser. Il existe de nombreux festivals, mais il faut que le film y soit sélectionné, et les traditionnels DVD également sont en train de disparaître. On doit maîtriser les nouvelles technologies, du support de fabrication jusqu’au support de l’exploitation du film. Tant qu’on ne maîtrisera l’économie du numérique, ce sera toujours délicat de produire un film, parce qu’on ne pourra pas l’exploiter. Car qui paye nos films sur internet ? En Afrique il n’y a pas d’accord, donc j’invite nos États à pouvoir maîtriser cette économie numérique, d’abord pour qu’on dispose d’une bonne connexion et d’un bon débit qui puissent nous permettre d’être à hauteur de nos ambitions. C’est le défi principal pour les années à venir, que ce soit dans le domaine du cinéma ou du développement en général. Ce qui fait que j’aime beaucoup le cinéma, ce sont les échanges, le partage d’expériences, la diversité des points de vue. On a beaucoup à donner et le 267

cinéma c’est une école ; un film, c’est éduquer. Il y a plusieurs genres de films ou plusieurs styles pour faire des films, mais on peut passer par le cinéma pour éduquer une population, on peut faire des films pour changer les mentalités, et c’est ce qui me plaît dans le domaine du cinéma ; c’est la raison de mon engagement, c’est pour ça que je fais du cinéma. Propos recueillis par Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 2 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Joël M’Maka Tchédré Producteur au Togo Favoriser l’émergence de talents

Dates clef de Joël M’Maka Tchédré 2008 : Diplôme Universitaire Professionnalisé en communication à l’Institut des Sciences de l’Information, de la Communication et des Arts, Université de Lomé (Togo) 2009 : Formation en Réalisation cinéma et TV à l’Institut Supérieur des Métiers de l’Audiovisuel, Cotonou (Bénin) 2012 : Master 2 documentaire de création, option Production, Université Stendhal Grenoble 3 2012 : Fonde sa société de production à Lomé, Les Films du Siècle Principaux films produits Courts métrages : 2012 : Vues d’Afrique 2014 : Nana-Benz-les reines du textile africain Joël M’Maka Tchédré est devenu producteur et réalisateur après une formation initiale en journalisme à l’Université de Lomé. Mais suite à un stage à la télévision nationale, il prend conscience que le traitement de l’actualité dans les médias est limité, en termes de longueurs des sujets et d’approfondissement. Il décide alors de se lancer dans le format documentaire. S’il réussit le concours d’entrée à l’école supérieure des arts de Marrakech (ESAV) au Maroc, faute de moyens pour financer son séjour, il opte pour suivre une formation au Bénin. Puis, après un Master 2 en France, il rentre au Togo, et gère depuis 2012 une structure de production audiovisuelle à Lomé : Les Films du Siècle. Il est aussi directeur du Festival du film africain émergent, Émergence. Aujourd’hui ses œuvres circulent dans des festivals internationaux et sur les chaînes de télévision. Comment définissez-vous le métier de producteur ? Ce métier demeure encore incompris, surtout dans nos pays africains. On a encore ce mythe de l’homme au cigare, avec un compte en banque qui explose, qui s’enrichit en investissant dans un film… Mais un producteur n’est pas juste quelqu’un qui a de l’argent, ou qui sait en chercher pour une 269

production audiovisuelle ou cinématographique. Un producteur est au-delà : il accompagne un auteur réalisateur aussi bien techniquement qu’artistiquement et financièrement, pour aboutir à un film irréprochable, qui répond aux normes et standards internationaux. Donc pour moi, il s’agit d’un couple : dès qu’un producteur s’engage avec un réalisateur, ils deviennent mari et femme. Ils partagent entièrement l’esprit du film et ses paramètres, qu’ils soient financiers, techniques ou artistiques pour que le film aboutisse. Mais le producteur a beaucoup plus de pression, parce que c’est lui qui passe les contrats avec ceux qui financent le film, qui engage toute l’équipe technique, qui loue du matériel, des décors, etc. Un producteur apporte beaucoup à un auteur, plus que le simple financement du film, et je me rappelle d’une productrice française, Sophie Salbot, qui expliquait : « Je dis toujours à mes réalisateurs que c’est notre film, ce n’est pas ton film, c’est notre film » ; elle s’implique pleinement dans la production d’un film, donc elle se donne aussi le droit de réclamer la maternité de ce film. Je suis arrivé dans le métier par passion, mais j’ai eu la chance de faire partie de cette génération d’Africains qui a eu quelques œuvres à succès, qui ont obtenu des distinctions, et c’est toujours une source de motivation pour continuer. Cette reconnaissance qui commence à s’étendre impose des obligations, déjà au plan togolais. Je prends beaucoup plus de recul pour travailler les scénarios, choisir nos acteurs, faire des petites productions sur le long terme, pour lesquelles j’espère avoir un retentissement au moins national. C’est ça mon objectif, car je fais partie aujourd’hui de ceux qui font rêver nos jeunes frères et des acteurs qui ont envie de jouer. Quelles sont les principales difficultés que vous avez rencontrées dans ce métier ? Elles sont communes à tous les pays africains : difficultés financières d’abord. Il est toujours compliqué de réunir des moyens pour une production, il faut sans cesse bricoler. Une seconde difficulté est liée à la technique, avec du matériel qu’il faut trouver, et qui est difficile à acquérir. Il y a aussi le problème de trouver des techniciens dans certains domaines, surtout en postproduction où nous manquons de gens et devons former nos propres personnels. Le tournage et la production ne sont plus un problème. On tourne beaucoup en Afrique, avec des acteurs africains, parfois avec des effectifs assez importants de techniciens africains. Mais malheureusement la plupart du temps la postproduction est faite de l’autre côté, au Nord. Pour tenter d’y pallier, j’aide à former des jeunes qui sont aussi des amis, et ainsi la plupart des films que je fais depuis que je suis revenu au Togo – sauf deux sur une dizaine – sont des films 100 % Togo ; on n’a pas eu besoin d’aller chercher à l’extérieur. Mais la formation de nos techniciens demeure un problème financier, même si le numérique allège un peu ce coût. Peu nombreux sont ceux qui maîtrisent leur métier, qui sont vraiment professionnels, à peine deux ou trois. Et vu aujourd’hui l’accroissement du 270

nombre de productions, s’ils sont occupés sur des productions qui durent un ou deux mois, durant cette période vous êtes bloqués. Donc une lutte se mène, nous sommes en train de former des gens pour accroître peu à peu leur nombre. Ajouté à cela un problème d’acquisition de matériel assez onéreux, surtout celui du son : le prix d’un micro très sensible avoisine 2 000 €, et tout le monde sait ce que cela représente dans nos pays africains1. Vous évoquez la multitude de coproductions. Comment cela se passe ? Avec internet, nous sommes dans un monde sans frontière, avec tous les avantages que cela apporte. Nous faisons partie de nombreux réseaux de cinéastes du Nord et du Sud, nous fréquentons de nombreux festivals. À travers des rencontres internationales, comme celles du film documentaire de Saint-Louis du Sénégal organisée chaque année par le réseau Africadoc, nous constituons un carnet d’adresses de professionnels. Nous faisons des coproductions, surtout avec la France en raison de l’histoire de nos deux pays, mais aussi la Belgique. Je travaille notamment sur des coproductions avec des chaînes de télévision européennes. Cela permet d’avoir des financements publics, de la part par exemple d’institutions comme le CNC pour la France, et des subventions régionales en France soutiennent aussi la production audiovisuelle et cinématographique. Cela nous permet d’aller également, en tant que producteur du sud et francophone, vers l’OIF qui est l’un des guichets qui financent beaucoup l’audiovisuel francophone, et vers l’Europe à travers les différents programmes mis en place. Et des chaînes implantées localement comme Canal+, ou TV5 Monde ont aussi commencé à faire des préachats de coproductions pour les séries. Les sources de financement au Sud sont limitées, et étant donné que les fonds européens sont surtout des fonds nationaux de Belgique, d’Allemagne ou de France, on se retrouve, en général, dans des coproductions avec 60 à 70 % des fonds qui viennent d’Europe. Le Togo tarde à mettre sur pied un fonds de soutien à la production audiovisuelle et cinématographique. Il existe un petit fonds d’aide à la culture, de 300 millions FCFA2, ce qui ne représente pas le budget d’un long métrage au Nord. Dans ce fond il y a une petite partie allouée à l’aide à la création audiovisuelle ; nous nous en sommes servis pour quelques productions. Les autres fonds classiques sont ceux des festivals, des fonds spécifiques de soutien très sélectifs parce que la demande est importante – ils reçoivent des milliers de projets – pour en soutenir 10 ou 15. Je ne vois pas le cinéma des pays du Sud, surtout africains, se passer des coproductions européennes, à quelques exceptions près, comme le Maroc ou l’Afrique du Sud. Je ne vois pas certains pays, surtout francophones, réussir seuls aujourd’hui à monter de grosses productions. 1 Le

salaire mensuel moyen au Togo en 2017 est d’environ 60 000 F CFA, soit 90 €. 000 €.

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Comment travaillez-vous en cas de coproduction ? Quand on est dans des projets en coproduction avec nos collègues du Nord, on est toujours obligé d’associer des équipes parce qu’ils reçoivent de l’argent de chez eux pour produire dans leur pays. Donc même quand un film africain est coproduit par une structure française, pour qu’il obtienne des subventions ou lève des fonds publics français, il faut que ce film soit identifié comme étant un film français, donc fabriqué avec quelqu’un qui soit reconnu comme Français, avec un pourcentage de l’expression de la langue française dans ce film, des acteurs de nationalités françaises que vous allez filmer, les techniciens de nationalité française que vous allez employer, etc. Ce qui fait qu’aujourd’hui nous sommes obligés dans nos coproductions de toujours jumeler, de faire travailler des équipes locales, togolaises ou africaines, et européennes, c’est obligatoire. Mais cela fait moins travailler nos techniciens, que l’on délaisse, même si on a l’habitude de travailler ensemble et qu’on les comprend mieux que les techniciens étrangers qu’on va nous imposer. Mais dans nos autoproductions avec des petits fonds comme 2 M F, 3 M F, ce n’est plus possible. S’il faut déplacer un technicien d’Europe, le budget de son billet d’avion aller-retour et son séjour sur la durée du tournage explose les coûts, donc on ne peut pas et on fait avec nos techniciens locaux. En fonction des projets, l’équipe est toujours variable, on ne travaille pas avec les mêmes personnes, c’est en fonction des besoins qu’on sollicite untel ou untel, que ce soient les techniciens, preneur de son, directeur photo, nous travaillons avec ceux dont nous connaissons le tempérament. Selon les productions, on adapte à telle ou telle personne, dont on connaît la psychologie, on préfère solliciter tel technicien plutôt que tel autre. Comment s’opère la recherche des partenaires ? Dans la production audiovisuelle, on envisage des guichets de financement, et on décide de s’engager dans la production d’un film ou pas, en fonction de leurs démarches. Certains sujets ont une bonne thématique, ou les réalisateurs qui les portent savent ce qu’ils font et maîtrisent bien leur sujet, d’autres sont bien écrits et on peut les défendre, et pour d’autres films, on sent déjà qu’ils peuvent marcher. Le rôle d’un producteur, à l’étape de l’idée du film, comme on ne fait pas un film pour soi, c’est de savoir en partageant son histoire avec les autres si elle va les intéresser. Donc il faut parfois amener un réalisateur vers cette piste qui va au-delà de sa personne, qui fasse intéresser son œuvre au plus grand nombre, parce qu’un film vise l’universel. Il faut essayer de trouver ce genre de projet et de démarche artistique, puis réunir autour de soi des acteurs et des techniciens qui savent pourquoi ils ont été sollicités sur une production, et sortir un film de qualité répondant aux normes et standards internationaux. 272

J’ai beaucoup de projets, mais malheureusement qui ne sont pas équilibrés dans tous les domaines. Aujourd’hui, la plupart des jeunes Togolais, au vu de leur succès, s’engagent beaucoup plus dans les séries télévisées qui représentent la majorité des projets que l’on reçoit. Les gens creusent moins la fiction et le documentaire, parce qu’ils méconnaissent la manière de les faire, parce qu’ils manquent de formation.

Nana-Benz, les reines du textile africain Comment amortissez-vous vos films ? Nous amortissons nos films dans le système classique de la production audiovisuelle, en amont, contrairement au cinéma qui espère se rentabiliser par les entrées en salles et autres supports. Il faut réunir les moyens avant, pour pouvoir se payer et payer tous ceux qui ont travaillé dessus. On peut aussi espérer faire des gains après, par exemple avec quelques chaînes de télévision, essentiellement avec TV5 monde, l’une des chaînes internationales qui fait aujourd’hui beaucoup d’efforts dans l’achat des programmes africains. Il y a aussi Canal+, mais ça reste très sélectif et très restreint, et davantage dans de la coproduction. Il y a aussi quelques petites rentabilités par rapport aux festivals3, mais la première source ce sont les chaînes de télévision, qu’elles soient africaines ou européennes en Afrique. Il y a A+ pour les séries, des chaînes panafricaines comme Africable Télévision, deux chaînes de télévision nationales, et des chaînes comme RTI (Radio Télévision Ivoirienne) qui achètent ou produisent des programmes nationaux. En ce qui concerne le Togo, nous n’avons aucune salle équipée pour assurer des projections et vendre des tickets aux gens. Ce n’est plus dans les habitudes de certains de nos pays de demander à quelqu’un de se déplacer pour aller regarder un film et payer sa place. Par contre les gens vont venir dans le cadre d’un festival. Donc on peut programmer un film juste pour sa promotion et sa découverte dans un cadre événementiel, avec une entrée 3 Nana Benz recevra par exemple trois récompenses au festival Clap d’Ivoire d’Abidjan 2014, pour 5,8 MFCFA.

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modique. Pour ma part, c’est plutôt la diffusion en festival et les chaînes de télévision qui rapportent un peu. Que représente le Fespaco pour un jeune producteur ? Je me suis lancé dans la production en décembre 2012, quand je suis rentré définitivement au pays après ma formation en France, en montant ma structure dans les locaux actuels. En 2017, j’ai deux films en compétition à l’édition du Fespaco, un film en tant que producteur et un en tant que réalisateur et producteur4. Le premier est un documentaire réalisé par un Béninois, Ayéman Aymar Esse, qui a déjà été promotionné à Isma au Bénin en 2009 : Okuta, la pierre. Ce film marche bien, avec au moins une dizaine de festivals, et quatre ou cinq distinctions déjà, donc c’est avec joie que nous avons appris qu’il était sélectionné au Fespaco. L’autre est le mien, Pax, un court métrage de fiction, qui a fait sa première mondiale au Fespaco mais n’a pas encore été montré au Togo. Le visionnage des films de ce festival est un élément important : c’est souvent la première rencontre du film avec le public. C’est d’abord voir les films, surtout les films qui font partie de la catégorie dans laquelle les nôtres sont sélectionnés, documentaires et courts métrages de fictions, ensuite faire l’effort de voir des longs métrages. Et on y va aussi pour faire des rencontres avec le monde professionnel, les producteurs, distributeurs, responsables de chaînes de télévision, formateurs, étudiants, des institutions comme l’OIF, et l’Union européenne, ou Canal+, qui organisent souvent des rencontres pour parler de leurs programmes, de leurs projets à venir, etc. Avec pas mal de structures comme le Cinéma numérique ambulant, et des colloques, des rencontres. Quelles sont les principales difficultés pour être producteur aujourd’hui ? Le système de production classique, tel qu’on le connaît en Europe et dans d’autres pays, peine encore à voir le jour en Afrique. Si vous prenez dix réalisateurs africains, il y en a au moins huit qui sont leurs propres producteurs parce qu’on n’a pas encore suffisamment de structures de production audiovisuelle capables d’accompagner des auteurs réalisateurs. Mais ça vient déjà du fait que des formations telles que celles dont j’ai bénéficié sont rares sur ce continent, même si on commence à avoir des producteurs formés. La plupart des réalisateurs sont en général leur propre producteur, ce qui fait que l’œuvre en souffre parfois, parce que prendre la casquette de producteur sur ses réalisations n’est pas facile. Mais nous sommes de cette génération qui est en train de remettre les choses dans les normes, avec des structures au contact des réalisateurs. Nous formons aussi

4 Il y recevra le 3ème prix du Concours de Pitch de la francophonie, catégorie « long métrage de fiction », avec son œuvre Aujourd’hui, je suis mort.

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des étudiants à qui on inculque cette manière de fonctionner, et ça commence à porter ses fruits, peu à peu. Quel est le montant des financements de vos films ? J’ai dû produire et réaliser une dizaine de films. J’ai fait mon premier quand j’étais encore étudiant, Le reliquat, un film à petit budget mais qui a fait pas mal de festivals jusqu’en Europe, que les gens ont toujours plaisir à regarder sur YouTube. Après il y a eu Nana Benz, puis Okuta qui fait pas mal de festivals, et le dernier, Pacte, a été sélectionné au Fespaco 2017 en compétition court métrage de fiction. Je ne peux pas vraiment estimer les sommes dépensées ; j’ai fait des documentaires de 52 min avec 2 000 à 5 000 € (3 MFCFA), d’autres avec à peine 8 ou 10 millions, alors qu’ailleurs c’est impossible. Nous avons même fait des courts métrages avec à peine 2 millions. Nous sommes motivés pour continuer, mais on se vide les poches pour faire un film. On s’endette juste en espérant que le film marche, qu’il plaise. C’est l’œuvre qui compte. Pour faire une œuvre de qualité, on oublie parfois les moyens derrière. Comme on sait qu’on n’a pas assez de moyens, on part sur des scénarios qui sont moins coûteux mais avec des idées fortes. Je fais beaucoup plus de documentaires que de fictions car les budgets de fictions sont explosifs. Et puis le documentaire c’est le cinéma du réel. Un documentaire peut toucher avec presque rien. Clairement nous faisons des miracles pour continuer à produire nos films. Mais à comparer leurs coûts de production avec ceux des productions européennes, ce sont deux poids deux mesures, c’est le soleil et la lune comme on dit dans notre langage. Pour un film qui nécessite normalement 2 ou 3 semaines de tournage, au vu du budget dont nous disposons, nous allons le limiter à moins d’une semaine pour réduire les coûts, et pour un film qui nécessite peut-être une équipe de 15 ou 20 personnes, on regarde comment doubler des postes pour se retrouver peut-être à 5 ou 6 dans l’équipe pour que ça nous revienne moins cher ; on invente des petites astuces pour nous en sortir. Mais ça a de l’impact sur la qualité des œuvres. Par exemple si on prend un infographe de métier pour qu’il fasse du montage, il ne le fera pas comme un monteur, et inversement quand on prend un monteur pour faire de l’infographie, il vous fera de l’à peu près qui passera peut-être pour de l’infographie, et on se dira « bon c’est un film africain » comme on disait ailleurs un film calebasse. Nous on essaye d’aller à la limite de nos moyens pour qu’à la fin on ait une œuvre de qualité acceptable. Comment choisissez-vous les thématiques de vos films ? Aujourd’hui, nous allons davantage vers des thématiques qui s’adaptent à des réalités de notre monde, et rares sont les gens qui sont encore intéressés par des films purement traditionnels où c’est l’excision, le mariage forcé ou des thématiques officielles à explorer. C’est un moment de notre histoire, on peut toujours revenir sur ces thématiques, mais en proposant des scénarios 275

qui sont d’une qualité irréprochable. Nous ne sommes plus dans ces films où l’Africain ne porte pas de caleçon, pas d’habit, et se trouve dans une case où il mange avec les doigts… Nous sommes dans un monde en train d’évoluer, et le public est beaucoup plus exigeant, donc nous essayons de proposer des œuvres qui se rapprochent un peu de son exigence. Quels sont vos projets ? En rentrant de ma formation, j’avais initié un projet ambitieux de collection de séries de films documentaires que nous avons appelé Afrique en vue, un ensemble de six films documentaires de 26 minutes, avec des coproducteurs africains. Nous avions quatre coproducteurs de l’Afrique de l’Ouest et deux de l’Afrique centrale : le Burkina, le Niger, le Bénin, le Togo, le Gabon et le Cameroun. On a réussi à avoir un partenaire important, le CIRTEF, un réseau de 80 chaînes de télévision et radios d’expression française surtout en Afrique, et cela nous a permis d’avoir une subvention de l’OIF pour produire 16 films documentaires. C’est une des expériences qui a été très intéressante pour moi parce qu’on était dans des coproductions nord-sud, avec un réseau de six producteurs africains. Ce n’était pas aisé mais on a réussi à le faire, et c’est dans cette coproduction que j’ai fait Nana Benz, les reines du textile africain, l’un de mes films qui a beaucoup marché. Après on a fait quelques coproductions avec un réalisateur français, Rémi Jennequin qui vient beaucoup au Togo. On a bouclé un film documentaire en coproduction avec une structure française soutenue par toutes les organisations françaises de financement classiques, telles que le CNC, la Procirep, etc. Et quels sont vos grands souvenirs dans ce métier ? Ce sont d’abord les moments de formation que j’ai eu à faire, parce que c’est le métier du cinéma et de l’audiovisuel qui a fait que j’ai été nomade. Je suis allé au Bénin, au Niger, au Sénégal et après en France, donc ce sont des moments où on rencontre des collègues et des camarades de promotion. Je viens ici et j’applaudis Okuto, la pierre qui est un film réalisé par un promotionnaire en 2009 quand on a commencé ensemble. Après ce sont les festivals, les distinctions, la reconnaissance au plan national comme international, des fois la reconnaissance juste par ses parents proches qui savent que ce métier n’est pas encore très connu dans le pays. Quand tu dis que tu es artiste et que tu fais du cinéma, ce n’est pas encore vu comme un métier ici ; mais les parents te voient arriver, ils sont contents et ils te soutiennent : c’est le plus beau souvenir. Propos recueillis par Juliette Akouvi Founou à Lomé le 25 février 2017 ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Kadhy Touré Productrice en Côte d’Ivoire Le cinéma comme business

Dates clef de Kadhy Touré 1988, 13 septembre : Naissance à Bouaké (Côte d’Ivoire) 2008 : Débute dans le cinéma comme actrice 2016 : Création de la société de production Brown Angel Entertainment à Abidjan, et réalisation de son premier long métrage Principaux films produits Web Emission 2015 : Une oreille presque attentive Long métrage 2016 : L’interprète Série télévisuelle 2017 : Mimi ou la blonde Africaine Kadhy Touré est à la fois actrice, productrice et réalisatrice Ivoirienne. Décidée de faire carrière dans le cinéma depuis son enfance, elle a construit sa vie, à commencer par ses choix de filière à l’université, journalisme et communication, dans l’intention de mieux pouvoir s’exprimer au cinéma. Considérant le cinéma comme un business elle investit logiquement la production en 2016 pour son premier long métrage, L’interprète, qui connaît un succès dans les salles, d’abord de Côte d’Ivoire, puis du sous-continent qu’elle compte bien conquérir. Qu’est-ce qui vous a fait passer à la production après vos débuts en tant qu’actrice ? C’était une continuité pour moi ; en étant actrice, je savais que plus tard je passerai à la production. En Afrique, tu ne vis pas de ton art quand tu es actrice, tu es payée une fois, tu touches ton cachet, et après quand le film fait tout le tour, seul le producteur gagne de l’argent. Aujourd’hui pour vivre je suis traductrice (anglais/français) et responsable de la communication dans une entreprise, mais je veux vivre du cinéma. Pour cela il faut que je puisse porter la casquette qui me le permette. J’ai commencé comme actrice dans Le fruit non mûr (Côte d’Ivoire-Nigeria, 2008), et j’ai tourné dans plusieurs séries comme Signature ou Extrême 277

obsession. Je travaillais pour des gens. En tant que réalisatrice puis productrice, j’ai créé ma propre structure, Brown Angel Entertainment à Abidjan, et j’emploie des personnes. Je me suis mise à la production pour mon film L’interprète, qui s’est retrouvé en 2016 en première place au boxoffice en Côte d’Ivoire, et qui a été nominé pour le Fespaco 2017. Il a été apprécié du public. J’ai aussi fait des web-séries comme Une oreille presque attentive. Et je termine des capsules de short films Mimi, Mimi ou la blonde africaine. La production c’est difficile pour tout le monde, ce sont les mêmes soucis, financiers, de décors, etc. mais ça me plaît, je suis toujours passionnée. Ce premier succès vous permet-il de rentabiliser votre structure ? Bien sûr. L’interprète est sorti en salles en Côte d’Ivoire qui ne passaient que des films américains. Alors on m’a encouragée à faire une série, car étant donné qu’il y a des chaînes de télévision derrière, cela paye mieux. Au cinéma on ne connaît pas les recettes qu’on obtiendra. C’était donc un risque de me lancer dans un long métrage, mais je veux vraiment redonner aux gens le goût du cinéma. Le public est là, il suffit juste lui donner ce qu’il veut ! Et comme à Abidjan, à Ouagadougou la réponse du public a été superbe pour L’interprète ; on se dit alors que c’est toute l’Afrique qui peut l’aimer. Parce que si les Africains sont ainsi favorables à ce film, ça veut dire que c’est ce sujet-là qu’ils voulaient voir, c’est ce thème-là et ces acteurs-là aussi, sûrement. Donc il y a du potentiel. L’interprète raconte l’histoire d’une jeune dame tranquille dans son foyer, qui ne pense qu’à son boulot, à sa maison, et quand elle rencontre un Américain venu en Afrique pour qui elle doit faire l’interprète, il lui fait découvrir sa vraie féminité, une nouvelle version d’elle-même en la charmant. Donc la dame tombe amoureuse, entretient une relation avec lui au point de lui demander de tuer son époux. Mais il refuse parce que pour lui c’est une relation sans lendemain. La dame ne peut pas supporter, et c’est la descente aux enfers. En Afrique on a rarement vu une héroïne infidèle, ce sont toujours les hommes qui le sont, qui frappent les femmes, qui font ci, qui font ça. C’est souvent le point de vue des hommes. Mais les femmes existent aussi. Il fallait que je parle d’un sujet où les gens se sentent concernés en leur for intérieur. Beaucoup de couples m’ont approchée, m’ont dit merci, merci parce qu’ils n’étaient pas encore arrivés là, mais la routine du mariage faisait qu’ils y allaient petit à petit. Donc il faut souvent parler de ce que les gens n’osent pas vraiment dire. Comment avez-vous monté financièrement le projet ? Je n’ai pas eu de sponsors, je l’ai fait sur fonds propres. Il est compliqué d’avoir des financements pour des films quand on n’a pas un gros nom dans la réalisation, ou un gros nom d’auteur. Moi je n’étais que l’actrice qui était en train de se mettre à la réalisation et à la production. Alors c’était difficile 278

pour moi d’avoir des partenaires pour m’accompagner, parce que même en leur montrant le scénario, ils ne savaient pas ce que ça pouvait donner en long métrage. Donc j’ai pris sur moi de le faire sur fonds propres parce que j’avais envie de le tourner, pour prouver ce que je peux faire, avant que les autres financements n’arrivent par la suite. Parce qu’il va y avoir une suite pour L’interprète, le 2 et le 3 sûrement.

Mais ce n’était pas évident car la production, ça coûte ; j’avais économisé sur deux ans en travaillant en entreprise. Puis j’ai fait appel aux comédiens, je leur ai dit : « Voilà, je n’ai pas vraiment le budget qu’il faut, mais je suis sûre que si ce film-là cartonne, après, les conditions de tournage seront différentes ». Et comme je ne pouvais pas laisser mon boulot qui me fait vivre pour simplement tourner, je ne filmais que les week-ends, et cela sur plus de deux mois et demi. C’était fatigant, mais les comédiens ont libéré tous leurs week-ends, et ça, c’est vraiment la grâce. C’est rare d’avoir ça, à Abidjan, des acteurs connus (Stéphane Zambavy et Guy Kalou1) qui vont laisser tous leurs week-ends juste pour faire un film. Et en semaine, entre midi et deux heures je partais faire mes repérages, donc l’équipe technique ne savait pas à l’avance où on tournait le week-end suivant. Cela a été vraiment compliqué, mais c’est une expérience à vivre, parce qu’aujourd’hui quand je vois ce qui se passe autour du film, comment tout le monde me dit que la Côte d’Ivoire compte sur moi, c’est une fierté. Je ne donne pas le budget précis du film, mais approximativement il a coûté près de 20 millions de FCFA. Aujourd’hui je sais qu’il y a des erreurs que je ne ferai plus : ce sont des expériences. Pour le 2 je vais contacter des organismes qui aident au financement. Avez-vous pu l’amortir avec la sortie en salles ? Avec le succès en salles je l’ai déjà amorti sur près de 50 % alors qu’il n’est sorti qu’en août 2016, donc on n’a pas encore fini les exploitations. Après le Burkina, il part à Yamoussoukro et on va faire d’autres villes de l’intérieur encore. Je ne l’ai pas encore vendu aux chaînes de télé. Mais en Afrique 1 Débutant

au cinéma en 2005, Guy Kalou est devenu l’un des acteurs les plus réputés de Côte d’Ivoire, avec une vingtaine de films et séries à son actif.

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pour les longs métrages, quand les salles de cinéma ne marchent pas, tu ne peux pas amortir ; si tu as des partenaires, des préachats alors ça ne te dérange pas, mais quand c’est ton propre argent tu es obligée d’amortir sinon tu ne peux pas continuer. Pour moi c’est vraiment le succès en salles qui m’a sauvée. Depuis, les distributeurs me courent après. Abidjan, la Côte d’Ivoire, c’est comme une plaque tournante : quand quelque chose s’y passe tout le monde est au courant. Souvent il faut prendre le risque, il faut oser parce qu’on ne peut pas te faire confiance spontanément. Pour le produire, j’ai créé Brown Angel Entertainment, et j’emploie une assistante et un community manager en permanence, ainsi que des personnes avec qui je traite au coup par coup sous contrat, comme les étalonneurs, le coréalisateur, etc., projet par projet. Pareil pour les techniciens ; à chaque fois qu’il y a des améliorations à faire sur le film, ils sont là, disponibles, parce que le film je l’ai encore ré-amélioré après la version qui est passée au cinéma avant d’être sélectionné pour le Fespaco. J’ai refait appel à tout le monde avec de nouveaux cachets pour qu’on refasse encore certaines choses, certaines musiques, pour rendre le film encore plus dynamique, refaire le montage jusqu’à la version définitive présentée au Fespaco. Le film y a été vu par certains Occidentaux qui m’ont dit qu’il n’était pas très loin des normes internationales, et qu’il est possible qu’il soit distribué en Occident. Je suis en train d’essayer de voir comment je vais faire, parce que je veux que le film soit le plus vu possible. Avec cette première expérience à succès, comment définiriez-vous les qualités nécessaires pour un bon producteur ? La première qualité nécessaire pour un bon producteur c’est de croire en son projet. Aujourd’hui très peu de producteurs terminent un projet en raison de problèmes de moyens, donc il faut vraiment y croire et se battre. Il faut se dire que, quelles que soient les difficultés, il faut le terminer, et pour cela une certaine rigueur doit être mise en place, parce que les gens ne peuvent pas prendre un projet si on n’est pas rigoureux, notamment sur les questions d’horaires, de disciplines, etc. Ça te retarde et augmente tes dépenses. Ensuite l’honnêteté avec les techniciens est essentielle, parce qu’en Afrique on a de gros problèmes : beaucoup de gens se plaignent de producteurs qui leur promettent des cachets, mais ne les leur versent pas. Cela crée des difficultés, ensuite le producteur n’arrive pas à faire un deuxième film parce que personne ne veut plus travailler avec lui, parce qu’il n’a pas payé comme convenu. Ces points sont essentiels. Mon ambition est que ma structure, Brown Angel Entertainment, soit la plus grande société de production pas seulement de Côte d’Ivoire – je vise plus loin – d’Afrique de l’Ouest !

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(Une oreille presque attentive) Comptez-vous le faire de manière indépendante, ou en vous alliant avec d’autres partenaires ? Pour les productions à venir, je souhaite avoir d’autres coproducteurs car je veux vraiment ouvrir, parce qu’on ne peut rien faire seul. Tant que le nom de ma structure est là, qu’on arrive à employer des personnes extérieures et que tout le monde se retrouve dans les productions de Kadhy, que quelqu’un du Gabon ait la chance de tourner en Côte d’Ivoire ou au Mali, moi ça me va. Ce que je veux, c’est m’ouvrir à d’autres personnes, en fonction des projets. Il y en a qui toucheront certains pays en particulier, avec le quotidien de certaines populations sur des sujets précis. Des producteurs pourront se dire que sur ce projet-là, par exemple, le public sénégalais sera le plus concerné, alors il peut nous rejoindre. C’est en fonction des projets, au feeling, ce ne sont pas des producteurs qui seront calés tout le temps ; je préfère au feeling, projet par projet. Comment cela se passe avec les fonds publics en Côte d’Ivoire ? Aujourd’hui le ministère de la Culture en Côte d’Ivoire a un fonds de soutien à l’industrie cinématographique. Il est en train de nous accompagner et c’est aussi une carte. Quand tu as un projet et que le ministère de la Culture t’accompagne, les autres fonds viennent aussi plus facilement. Moi déjà j’ai la vision, et je n’ai pas peur d’avoir des visions, je n’ai pas peur de rêver. C’est ce que j’ai fait pour L’interprète, et ça a marché ! Si on veut attendre les fonds avant de se lancer, on ne va rien faire. Que conseillerez-vous à celles et ceux qui veulent se lancer dans la production ? Il faut poursuivre ses rêves et objectifs. Les réalités dans ce monde nous découragent parfois mais quand on emprunte le chemin qui mène vers son 281

rêve, il faut développer toute aptitude possible pouvant nous permettre de mieux vivre ou de mieux l’atteindre. Le cinéma africain en ce moment est en plein essor, mais on a toujours les mêmes problèmes et ce que je dis là, les autres l’ont dit avant moi. Pourtant les films continuent de se faire, on continue d’avancer. J’espère qu’avec des personnes comme vous qui faites des recherches ça va un peu changer, mais je pense qu’on ne doit pas s’asseoir et attendre forcément l’aide des autres. Nous devons nous-mêmes nous battre, prouver ce que nous pouvons faire, et je suis sûr qu’aujourd’hui l’Afrique est vraiment le continent que tout le monde a envie de voir. Donc s’ils voient qu’on se bat déjà, qu’on fait tout, eh bien ils viendront à nous. Propos recueillis par Mariam Aït Belhoucine, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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Moussa Touré Adapter le cinéma aux réalités africaines Producteur et réalisateur au Sénégal

Dates clef de Moussa Touré 1958 : Naissance à Dakar (Sénégal) 1987 : Fonde sa société de production à Dakar, Les Films du crocodile et réalise son premier CM Baram 1991 : Coproduit son LM, TGV 2002 : Fonde le festival de courts métrages Moussa invite à Rufisque (Sénégal) Principaux films produits et/ou réalisés Court métrage : 1987 : Baram Longs métrages : 1991 : Toubab bi 1997 : TGV 2012 : La pirogue Docu-fiction 2016 : Bois d’ébène Moussa ‘Moïse’ Touré est avant tout cinéaste et se décrit comme un technicien du cinéma, un faiseur de films racontant des histoires avec la grammaire cinématographique. Ayant produit de nombreux documentaires, il promeut la nécessité pour l’Afrique de s’adapter à sa réalité économique et matérielle, tant pour le tournage des films que pour leur diffusion. De l’Égypte au Rwanda, ou de Dakar par skype, il aime aujourd’hui voyager pour transmettre à la jeunesse sa passion du cinéma, qu’il exhorte à se révolter pour qu’on la respecte, mais aussi à s’intéresser à l’histoire du cinéma et aux films de leurs aînés. Comment résumer trois décennies dans le cinéma ? J’ai été technicien sur de nombreux films, comme éclairagiste sur Coup de torchon (Bertrand Tavernier, 1981), Mortu nega - ceux dont la mort n’a pas voulu (Flora Gomez, 1988) ou Camp de Thiaroye (Sembène Ousmane, 1988). 283

J’ai commencé par réaliser un court métrage Baram (1987) et ai fondé ma maison de production à cette occasion. Puis, j’ai travaillé un an aux Laboratoires Éclair en France, parce que j’étais électro mais n’avais jamais vu un labo, et j’y ai appris à étalonner parce que je voulais être directeur de la photo. Je savais déjà monter, et c’est de là qu’est parti mon premier long métrage Toubab Bi, produit par la famille Seydoux (Valérie) et avec Canal+ en 1991. Je me suis arrêté en 1997 après TGV qui a cartonné et je suis resté seize ans à produire des films, beaucoup de documentaires. Le numérique est arrivé, j’ai acheté du matériel, je suis resté trois ans avec une caméra et mon premier documentaire a été fait au Congo, Poussière de villes (2001). J’ai voulu m’approprier beaucoup de choses par moi-même car dans le documentaire, il y a une petite équipe ; je tenais la caméra et faisais beaucoup de choses. J’ai fait seize films comme cela, tout seul, et après je suis revenu à la fiction avec La pirogue1. Cela me plaît de faire des documentaires ; ça me plaît tellement que je peux oublier la fiction. Actuellement je monte deux documentaires qui m’ont pris deux ans, et je prépare tout seul un docu fiction sur un président de la République ; je veux parler avec des présidents africains, avec tous les présidents, parce qu’ils ne sont pas tous pareils. Les films que je fais s’adressent à un public universel, même si j’ai du succès en Afrique. Pour ma dernière réalisation, Bois d’ébène (2016), on a parlé de chef-d’œuvre, mais j’ai appris le cinéma avec tout le monde, avec Truffaut, avec Tavernier qui est un deuxième papa, avec des Italiens, avec des Africains : Ousmane Sembène, Johnson Traoré, Djibril Mambéty, avec Flora Gomez en Guinée Bissau… j’ai travaillé avec beaucoup de monde. Je fais des films populaires, mais avec de la pure cinématographie parce que c’est ce que j’ai appris. Comment produisez-vous vos films ? Si j’ai des belles histoires africaines à proposer, parce que c’est juste une collaboration, je peux collaborer avec qui on veut, quand on veut. Mais déjà je vais vers des sujets qui ne coûtent rien, des sujets forts, avec des réflexions, mais qui ne coûtent pas cher. Je sais comment filmer, arriver avec une caméra, avec un petit son, je sais faire cela et puis je monte déjà en filmant, et enfin je termine chez moi en studio, et tous mes enfants sont des monteurs ! Moi en étant technicien de longue date, j’ai des réflexions sur mon sujet avant d’arriver au tournage. J’ai produit une quarantaine de jeunes réalisateurs avec Les films du Crocodile. Par exemple la Sénégalaise Kadhy Touré, je l’ai produite pour un film sur les baobabs. Chaque année je choisis un thème, mais faisable à moins de 30 km de distance, et avec 15 000 FCFA je fais le film, en coproduction avec les gens qui sont dessus, au montage notamment. 1

Primé du Tranit d’or aux Journées Cinématographiques de Carthage en 2012, et avec l’Écran d’or 2013 doté d’une enveloppe de 2 MFCFA lors de la 17e édition du Festival Écrans Noirs de Yaoundé.

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J’ai créé un festival événement, et comme j’habite dans le plus vieux village de Dakar avec une forêt au bord de la mer, j’ai décidé de faire ce festival en plein air avec des chaises et un écran, et j’ai tout le matériel de projection. Ce festival « Moussa invite » existe à Rufisque depuis 2002 et est organisé par des jeunes. On fait une sélection de courts métrages du monde entier. Chaque jeune a son mentor quelque part dans le monde et travaille avec lui sur le scénario ; j’organise des réunions tous les mois, pour un film de 15min qu’ils vont tourner avec 150 000 FCFA, avec mon matériel, et eux-mêmes deviennent cameraman et ingénieur du son. Ils vont tourner et pendant le festival qui dure dix jours, il y a une grande monteuse que j’invite et qui collabore avec des monteurs au Sénégal qui montent les films des jeunes. Le dernier jour leurs films montés sont vus par 5 000 personnes, et pendant les autres jours il y a des projections de films, du théâtre et du rap : pendant dix jours c’est une grande fête. J’ai signé un accord en Tunisie, le pays le plus cinématographique d’Afrique où il y a des jeunes qui s’appellent des cinéastes amateurs, qui vont venir à mon festival, pour parler de leur expérience. Et en même temps on fait le mois du documentaire international dont je m’occupe. J’adore montrer les films des autres, regarder les films des autres, leur rendre honneur. C’est ça qui me plaît, peut-être aussi parce que j’ai appris le cinéma comme ça, en étant sur les films des autres. Avant de faire La pirogue, j’ai regardé Master and commander (Peter Weir, 2003), et son making of et j’ai vu que les Américains utilisaient des studios ouverts, et certains trucs, alors j’ai fait ce film dans un studio ouvert. C’est ça l’adaptation… Ici, si on veut arriver à faire du cinéma, il faut former les gens, sans beaucoup d’argent parce que quand on te forme, on te forme pour que tu aies une approche de ce que tu vas faire. Il y a beaucoup de jeunes qui veulent faire un film sur la guerre, alors que c’est beaucoup de problèmes et qu’il faut le financer pour le fabriquer puis le diffuser.

Pourquoi n’avez pas voulu être en compétition au Fespaco en 2017 ? J’avais plus envie d’observer la nouvelle génération, de voir ce qu’ils ont fait, simplement montrer mon film plutôt que d’être en compétition avec cette génération. Je voulais montrer mon film parce que je crois qu’il a un 285

certain niveau, mais qu’ils me montrent aussi leur niveau cinématographique, pour qu’on puisse discuter. Une nouvelle génération de cinéastes est arrivée et beaucoup de films sont sélectionnés, mais à un niveau très bas, il ne faut pas le cacher. La majeure partie des jeunes ne sait pas qu’il y a un langage cinématographique et un matériel pour le véhiculer. Il s’agit plus de films tournés rapidement avec les nouvelles techniques numériques, que de films avec des scénarios costauds, avec un langage, etc. Le contenu ne pose pas problème en soi, mais comment amener ces contenus, comment les raconter cinématographiquement ? C’est le problème qu’ils rencontrent. Le thème du Fespaco cette année, c’est la formation, parce que tout le monde est au courant qu’il y a un problème de formation : acheter une caméra et du matériel, c’est facile, avoir une idée, c’est facile, mais le cinéma c’est une équipe, une réflexion, un langage. Il existe juste une école, mais il faut des moyens pour une formation cinématographique et pas des petits moyens. Et puis on n’a pas de cinémathèque, on n’a pas de salle de cinéma ni d’industrie cinématographique ; mais on a du matériel, et on a des histoires. Depuis 1987, je viens en compétition, et c’est la première fois que je vois autant de délégations au Fespaco. Il y a des ministres de la Culture et ils ont mis de l’argent pour mettre les gens à l’aise, pour leur donner des per diem pour accompagner leurs films en compétition. Mais quand ces délégations vont rentrer, ce sera fini ! Quel public verra nos films ? Peu seront vus ailleurs. On va parler de Wùlu peut-être2, on va parler du film d’Alain Gomis (Félicité), des films produits par des Européens et qui vont être vus en France. À part ça, on ne verra nulle part tous les autres films, donc on se leurre au fond de nous-mêmes. Moi quand je fais un film, je veux qu’il sorte, mais où ? En France ! Parce que je suis produit par la France. Où un producteur africain sortira-t-il mon film ? Il y a 31 projets au Sénégal, mais lesquels seront vus dans les salles de cinéma à part le film d’Alain Gomis ? On produit, mais on n’a pas de salles, alors on attend les festivals. Et toute l’Afrique attend les festivals. Surtout la jeunesse, qui est sur Facebook pour montrer l’affiche avant même que leur film ne sorte, et après tout le monde leur dit « j’aime, j’aime » ! On va dans un festival, si on gagne un prix on est reçu par un chef d’État qui donne un million et puis après on s’arrête et on attend ! Donc le cinéma africain est un cinéma exportateur, 100 % exporté dans les festivals et en Europe. Mais le Fespaco reste une belle fête cinématographique, Ouaga c’est le festival de tout Africain, mais qui devrait donner une leçon à tous les Africains pour qu’ils aient une industrie. Comment diffuser les films ? Est-ce que les jeunes ont besoin d’être dans des salles climatisées ? Non, donc dans les quartiers il faut que les gens fassent des quatre murs, parce 2 Du

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réalisateur franco-malien Daouda Coulibaly, sorti en France le 14 juin 2017.

qu’aujourd’hui c’est facile de projeter. Au Burkina dans tous les quartiers il y avait des salles de cinéma en plein air. Il faut qu’on revienne à ça. Les jeunes aiment les bières ; une bière ça coûte 250 ou 500 F, donc on fait des tickets à 500 F et pas à 2 000 F, dans les quartiers on fait la pub, les petits ils savent faire, ils sont nombreux, chaque jeune qui fait du cinéma peut amener son groupe, et dans son quartier il le remplit. Une société doit s’adapter avec ce qu’elle a. Il n’y a même pas de route goudronnée, et tu veux faire une salle en dur, climatisée, avec un toit et une superbe décoration ? Le gars qui va aller au cinéma est plein de poussière, mais mets-lui une salle dans son quartier le soir avec sa petite bière, avec sa copine, il vient et il regarde un film. Car nous avons une population qui peut voir des films, et les salles sont pleines et les gens se mettent sur les rebords ; en Europe il n’y a pas ça, mais ça déborde ici ! Tout le monde est attiré par le cinéma parce que c’est un langage universel. Les jeunes vont voir les films américains alors que nous sommes loin de leur culture, mais ce qui nous lie, c’est la cinématographie. Pour les salles, en France le cinéma a commencé en plein air aussi, elle peut nous servir de modèle, mais à nous de l’adapter. Parmi les présidents africains, beaucoup ont voulu des Arcs de triomphe, d’autres des rondspoints avec des jets d’eau, comme à Dakar, la place de l’Indépendance, alors qu’il n’y a pas d’eau ! Il ne faut pas tout copier, il faut s’adapter. Le cinéma, si on ne s’adapte pas, on ne va pas y arriver. Les gouvernements africains ne peuvent verser beaucoup de sous, sinon il y aura la famine ; dans les pays où il faut 2 € pour vivre, comment prendre 1 milliard pour l’injecter dans un film ? Ce n’est pas possible. Moi j’ai dit que je préfère qu’on donne aux pauvres les 2 € plutôt que de me les donner pour faire un film. Le pauvre, c’est pour lui que je fais le film, mais s’il a faim, comment il va venir dans une salle de cinéma ? Comment il va payer un taxi pour aller au cinéma ? Le prix du taxi, c’est le prix pour que sa famille mange, alors comment il peut aller au cinéma ? Donc rapprochons-lui les choses et donnons-lui un peu de moyens pour que même s’il a faim, il puisse venir regarder et rêver. Il faut s’adapter en tout en Afrique, ce n’est pas qu’en cinéma. S’adapter aussi au niveau de la formation ? Je viens de déposer à Dakar un dossier pour ça, ils ne vont pas le faire, mais moi je le fais avec mon festival. Ça fait 13 ans que je le fais, et j’ai formé 80 jeunes ! Au dernier Fespaco un de mes élèves a gagné le prix ici, et cette 287

année une autre de mes élèves est là. Je leur apprends le regard sur l’autre et le regard sur soi, parce que le cinéma commence par l’autre. Moi je fais des écoles virtuelles, avec l’UNIS au Canada ; durant mon festival ils donnent les leçons de cinéma par Skype sur grand écran. Nous n’avons pas les moyens pour faire une grande formation à l’université non plus, mais internet nous permet d’échanger, de nous former. Parfois un de mes films sort aux États-Unis, je n’y vais pas parce que je n’aime pas les États-Unis, mais les Américains me posent des questions de là-bas, et je suis à la maison avec mon thé et la salle est là, je les vois et ils me voient, et je réponds. Alors pour quelles raisons on ne peut pas le faire avec nos cours de cinéma pour notre jeunesse ? On n’a pas l’argent, dans les universités il y a 1 000 personnes debout dans une classe qui devrait en avoir 100 ! Donc on peut faire des cours approfondis avec des professionnels de cinéma, même à la maison, et c’est ce qu’ils font pour le scénario. Cette année on a décidé de faire une masterclass pour ouvrir le festival, avec quelqu’un là-bas, et les gens à Dakar vont s’asseoir devant mon écran de cinéma et puis vont parler du documentaire ; tout le monde sera heureux. À Dakar au Sénégal il y a une série, Wiri Wiri, qui cartonne, je n’ai jamais vu ça de ma vie ! Le Sénégal entier la regarde, le public adhère, mais techniquement c’est très mal fait, et si je fais le même film que Wiri Wiri, la presse internationale et nationale va m’écraser. C’est loin de la grammaire cinématographique ! Comment est-ce que vous consommez les films ? Avant, pour voir des films, j’allais dans les salles, le matin. Mais il n’y a plus de salle et je n’en vois plus ainsi, sauf quand j’ai la chance d’aller à Paris… Mais je consomme beaucoup de films, car j’ai une cinémathèque à la maison. Et j’ai une salle de cinéma de 100 places chez moi, donc je peux voir des films ; c’est ma femme qui a fait faire cette salle, c’est elle seule qui m’a fait le cadeau, je la remercie ! Par rapport aux jeunes, je voudrais qu’ils se révoltent, qu’ils se rendent compte qu’ils sont les plus forts, qu’on les oppresse tellement qu’ils ne se rendent pas compte que quand ils veulent quelque chose ils peuvent l’avoir. Si je parle de cinéma, ils peuvent se révolter pour qu’on leur donne les moyens de se former, d’avoir une industrie cinématographique, avoir des salles de cinéma, même si le cinéma est tout petit par rapport aux problèmes de l’Afrique. Mais aussi il faut qu’ils aillent voir ce qu’ont fait leurs aînés ; on ne peut pas avancer si on ne sait pas ce qui s’est passé avant, ce n’est pas possible. Il faut qu’ils regardent les films des aînés, qu’ils connaissent ce qu’ont fait leurs aînés dans le cinéma, qu’ils aient une cinémathèque. Propos recueillis par Camille Amet et Sofia Elena Bryant le 1er mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest. 288

Abdoulahad Wone Producteur au Sénégal La passion de la réalisation, la production par nécessité

Dates clef de Abdoulahad Wone 1976 : Naissance à Diourbel (Sénégal) 2008 : Formation de monteur à l’Institut National de l’Audiovisuel (France) 2010 : Fonde sa société de production à Dakar, Buzz Studios 2009 : Réalisation-production du premier LM, Justice divine 2013 : Réalisation-production de la série télévisuelle Tundu Wundu Saison 1 Principaux films produits Long métrage 2009 : Justice divine Séries télévisuelles 2013 : Tundu Wundu saison 1 2017 : Tundu Wundu saison 2 (Prix de la meilleure série télé Fespaco 2017) Clips : Youssou Ndour, Yoro Ndiaye, Viviane Chedid…. Abdoulahad Wone a reçu une formation initiale de monteur à l’INA (France). Son envie de faire de la fiction est née en travaillant avec certains grands réalisateurs comme Moussa Toure, feu Adama Ndaiye, et Cheikh Tidiane Ndiaye au Sénégal. Il a monté son premier projet en 2009, Justice divine. L’économie qui lui semblait la plus prometteuse étant les séries télévisées, il a commencé par en réaliser et devenir son propre producteur, davantage par nécessité que par choix. Délaissant rapidement le cinéma pour se consacrer aux clips musicaux de grands noms sénégalais, aux spots publicitaires et aux séries télévisuelles, sa deuxième saison de Tundu Wundu rencontre le succès tant public que critique et remporte le prix de la meilleure série au Fespaco 2017. Très souvent en Afrique sud saharienne, devenir soi-même son propre producteur s’impose par la nécessité de trouver de l’argent. Oui, au début c’est vraiment la réalisation qui m’intéressait, et c’est parce que je n’ai pas pu trouver un producteur que j’ai endossé ce rôle pour tous mes films. Après mon premier long métrage de 2009, j’ai auto produit en 289

2013 la première saison de la série Tundu Wundu, qui a été achetée par A+. À partir de là, j’ai pu collaborer avec A+ et Canal+ pour faire la deuxième saison, qui nous a amenés au Fespaco 2017 où elle a obtenu le prix de la meilleure série. Mon premier contact avec A+ concernait juste la diffusion de la première saison. J’avais eu déjà une diffusion locale au Sénégal. Comme ils étaient à la recherche de contenus africains, j’ai cédé les droits de diffusion pour d’autres pays de la zone d’Afrique francophone. Ils ont doublé le film, qui était originellement en wolof, ce qui a permis de diffuser largement cette première saison. Pour la deuxième expérience, on a eu plus d’ambition que le marché local, et nous avons choisi la coproduction. Pourquoi ne pas avoir coproduit avec une chaîne nationale sénégalaise ? Il est excessivement difficile de produire et de négocier, et l’idéal pour nous, réalisateurs ou producteurs africains, c’est que localement nos chaînes puissent participer en amont au financement de nos productions. Mais on se rend compte que nos chaînes nationales pour le moment n’ont pas les moyens, ou bien n’ont pas la vision pour investir sur des partenariats pour faire des films. Donc le plus souvent quand on produit avec nos télévisions, elles nous proposent un mécanisme de revenu sharing, c’est-à-dire qu’on amène le produit, on se débrouille avant pour faire le tournage, pour payer les acteurs, pour acheter les droits d’adaptation ou le scénario, et au moment de la diffusion, le plus souvent, nous faisons nous-mêmes les démarches pour trouver les sponsors. Et ce n’est qu’à la diffusion qu’on partage ; c’est donc un mécanisme qui n’est pas du tout confortable pour la création parce que nous passons la majeure partie de notre temps à courir derrière les sponsors ou les partenaires, au lieu de produire ou de créer. Donc le partenariat avec d’autres chaînes internationales, qui sont très professionnelles, nous apporte un peu plus de flexibilité, un peu plus de confort pour pouvoir créer, même si pour l’instant nous sommes à des niveaux de financement qui ne sont pas très élevés. Ce sont des partenaires importants qui permettent d’assurer une partie du coût de production. Pouvez-vous donner une idée de budget et la ventilation des sources de financement que vous avez obtenues sur l’une de vos productions ? Sur nos budgets, compte tenu des réalités, nous étions sur un budget prévisionnel de 5 à 6 millions de Francs CFA, environ 8 000 €. Ce qui nous freine dans notre créativité parce qu’on est obligé de calibrer notre scénario par rapport à ce qu’on espère obtenir. Il ne s’agit pas de délirer sur l’écriture puis de se rendre compte que finalement nous ne pourrons pas le réaliser. On s’adapte en fonction des ressources possibles. Localement, au Sénégal, depuis 2015, l’apport du gouvernement permet d’avoir une partie du financement. Nous espérons que cela va se développer. On parvient petit à petit à avoir 60 %, 70 % de nos budgets en préfinancement, et je crois que 290

cela va se développer avec d’autres supports, la VOD peut-être, et les diffuseurs. Il y a quatre ou cinq ans, il y avait peut-être un ou deux guichets seulement, mais désormais certains diffuseurs incitent à leur proposer des projets, donc ça avance. Et puis au lieu d’attendre d’avoir réuni toutes les conditions pour faire quelque chose, ce qui est disponible peut nous permettre de commencer à produire. Ce qui ne signifie pas qu’on commence à gagner de l’argent… La production demeure artisanale, disons même familiale, parce que si tu manques d’un accessoire, c’est ton frère qui te prête la maison ; si tu as besoin d’une voiture, c’est un ami ; si tu as besoin d’un décor de bureau, c’est un autre ami, et ainsi on parvient à combler le budget. L’une des qualités et nécessités d’un producteur est d’avoir des relations, et par contre le métier de réalisateur est davantage un métier personnel de création. Ne sont-ce pas deux métiers, qui nécessitent des qualités très différentes ? Assurément. Un ami me proposait de réaliser un film pour lui, et j’ai accepté, pour me libérer de la pression de la production. Donc c’est vrai que les deux métiers ne vont pas ensemble parce que ce ne sont pas les mêmes exigences : le producteur cherche à économiser, à rentabiliser le temps, alors que le réalisateur, l’artiste, cherche à faire son travail et s’occupe moins des moyens. On est tributaire de cette situation ; il existe peu de producteurs, parce que le système n’est pas assez professionnalisé. Donc si j’ai un projet, je suis encore obligé d’aller chercher les financements et être le producteur de mon film. Mais j’espère que ça va évoluer et qu’on pourra se libérer de cette tâche pour pouvoir seulement réaliser. Ma passion c’est la réalisation, pour raconter des histoires. Je ne suis devenu producteur que par nécessité. Dès qu’il y aura des débouchés réels pour les productions, il deviendra rentable de produire cinq ou films à l’année plutôt qu’un seul, donc les producteurs vont se professionnaliser et travailler avec plusieurs réalisateurs. Aujourd’hui on s’entraide entre producteurs sénégalais, on discute. Nous avons même créé il y a deux ans une association des producteurs de télévision, puisqu’il était prévu un changement avec l’arrivée de la TNT. On se connaît et on se rend des services, par exemple pour amener les Blu-ray des collègues dans les festivals. Nous avons essayé de défendre nos intérêts de producteurs, surtout vis-à-vis des diffuseurs qui ne paient pas encore suffisamment les œuvres. Mais notre association n’a pas beaucoup de poids parce que c’est un peu compliqué ; chacun essaye de s’en sortir dans son coin, et on n’est pas très organisé pour peser un peu plus. 291

Quelle est votre relation avec les pouvoirs publics ? Plus largement, comment voyez-vous le rôle de l’État sénégalais ? L’État sénégalais fait des efforts par rapport au financement et parvient à aider un peu la production avec le Fopica. Il reste des questions à améliorer, comme sur la fiscalité, puisqu’on a une économie et un fonctionnement un peu différents d’une entreprise normale. Pourtant nous sommes traités de la même manière que toutes les autres entreprises. On peut rester deux ans, trois ans sur un même projet, donc il y a peut-être une adaptation des lois à mettre en place pour soutenir l’industrie culturelle en général. Au niveau administratif, il faut faire des déclarations chaque mois alors que nos projets peuvent prendre un temps long. Certains créent des entreprises uniquement pour le film, qu’ils clôturent à son achèvement, puis passent à autre chose, et ainsi de suite. Moi juridiquement, je fonctionne avec une SARL individuelle, une SUARL, donc je suis le seul actionnaire. Puisque je suis obligé de faire autre chose pour m’en sortir, parce que je ne fais pas que de la fiction, mais de la publicité en parallèle et des trucs au quotidien, je suis obligé de travailler avec un comptable, qui fait le détail financier et les déclarations chaque mois pour être en règle. J’ai un contrat de prestations avec lui ; il a son propre cabinet. J’ai une assistante qui rassemble tous les papiers, les justificatifs de paiements puis les lui remet, et il se charge de faire les déclarations ; on n’a pas la possibilité d’employer quelqu’un en interne. Est-ce que les banques aident sur les projets de fiction ? Pour l’instant elles n’aident pas du tout ! Mais je pense qu’il faut faire un peu de pédagogie, peut-être au sein des associations ou bien de la direction de la cinématographie. Essayer de sensibiliser les banques pour qu’elles comprennent notre mécanisme de financement. Par exemple, sur un film j’avais eu une lettre de mon partenaire diffuseur qui avait acheté certains droits. Il ne m’avait pas tout versé et donc m’avait donné une lettre d’engagement irrévocable que j’ai présentée à ma banque, mais ils ont eu des problèmes pour comprendre ce mécanisme dans l’industrie du film. Ça veut dire qu’ils ne peuvent pas t’accompagner, ne peuvent pas prendre de risque même si au quotidien ils peuvent être de bons amis. Vers où allez-vous orienter vos projets : la télévision, ou le cinéma ? Je suis très pragmatique et pour l’instant je me concentre sur la télévision. Les films ont plus de prestige, beaucoup plus de finesse. Il y a beaucoup plus de satisfaction artistique, mais puisque les films ne sont pas projetés il n’y a pas d’économie, pas de filière, donc on dépend à 100 % des subventions. Quand je vois certains grands noms du cinéma passer des années et des années à trouver des financements, je me dis que ce qui est concret, l’économie qui commence à naître, se trouve auprès des télévisions. On n’a 292

qu’à s’adapter à cette économie, essayer de développer cette activité, et on verra s’il y aura un jour une économie pour faire des films. Est-ce qu’avec l’essor des télévisions A+, Canal+, vous sentez l’augmentation de la demande des populations pour voir des séries africaines qui correspondent à leurs pays ? Oui on s’est rendu compte que le public préfère regarder les produits locaux à 100 %, et peut-être que la production n’est pas encore suffisante pour occuper tout le terrain. Mais dans notre cas spécifique à Dakar, un film local a plus d’impact, suscite plus l’intérêt qu’un blockbuster américain. Donc je pense que ça va se développer, même pour la diffusion télévision parce que la VàDA et la VàD ont déjà commencé dans la zone anglophone, et ça va aussi venir dans la zone francophone ; les gens voudront consommer directement les produits. Pour ma part, quand je regarde un film, c’est avec un regard professionnel. Je regarde davantage ce qui se fait ailleurs que ce qui se fait localement ; je regarde pour apprendre. Il m’arrive aussi que je me mette devant la télé pour la regarder, le plus souvent des programmes sénégalais ou autres, avant de travailler sur YouTube ou sur des sites internet ; je regarde plus rarement la télé linéaire qu’internet. Et au Sénégal, quelles sont les pratiques dans votre entourage ? Les gens aiment les séries mais c’est partagé entre la télé et internet. Les jeunes, les gens un peu plus connectés, ne sont plus devant la télé. Les ménagères, les femmes qui sont à la maison, la regardent davantage, et les chaînes n’ont pour le moment pas assez tenu compte de leur demande. Je vais caricaturer un peu, mais les chaînes nationales, à part la RTI, sont là pour gérer la situation politique avec le gouvernement et le Président. Les télévisions privées sont là pour avoir un pouvoir ; pouvoir influencer les choses, c’est ce qui les intéresse. Pouvoir politique, économique et d’influence, parce que la plupart du temps ce sont des hommes d’affaires prospères qui ouvrent des chaînes de télévision, donc leur objectif n’est pas d’être une télévision, de proposer des images à la population, mais de compter dans le pays, d’être puissants. La moitié du temps, ils diffusent des débats politiques : c’est un souhait de pouvoir, ou de contre-pouvoir, c’est ce qui les intéresse le plus. Mais ils passent beaucoup de feuilletons étrangers, d’Amérique latine, des telenovelas ? Même ça, ils ne les achètent pas ! La plupart du temps ça vient avec un spot publicitaire dedans, donc ils ne font aucun effort pour développer la production ou acheter des contenus. Ce sont des lots dont ils héritent, ou c’est un film déjà amorti qui a fait le tour du monde qu’ils achètent 293

100 000 F l’épisode, donc c’est très compétitif par rapport à une production en exclusivité qui vient de sortir, et qu’il faut acheter un peu plus cher. À Canal+ Afrique, ils ont compris qu’il y avait un public. Ils ont compris les besoins du public, donc ils sont en train de travailler pour le satisfaire, c’est ça que devraient faire toutes les chaînes privées. Mais pour nos hommes d’affaires, c’est un domaine qui ne les intéresse pas trop, donc si le groupe Canal a le pouvoir d’investir, s’il pense qu’il y a un marché, il peut le faire, tout français qu’il soit. D’autres privés africains nationaux n’ont pas fait pareil, alors on ne va pas reprocher à tel ou tel de se mettre dans le marché. Nos hommes d’affaires, au lieu de construire des immeubles devraient mettre de l’argent dans les films ! Je pense qu’à l’avenir ça va venir, mais pour l’instant ils ne comprennent pas que c’est une industrie qui peut rapporter beaucoup ; pour l’instant ils voient cela comme des trucs d’artistes, mais je pense c’est une économie à part entière qui a de l’avenir en Afrique. Comment voyez-vous cet avenir ? Il y a beaucoup plus d’ouverture qu’il y a deux ou trois ans où on courait pour essayer de trouver un diffuseur. Maintenant ça avance, et des gens nous sollicitent même. L’émulation commence et c’est en bonne voie car chaque producteur, chaque réalisateur est en train de faire des efforts au niveau de la qualité, parce qu’une concurrence s’installe. Si un collègue fait un film aujourd’hui et que vous êtes diffusés sur la même chaîne, une comparaison s’installe, qui incite à faire mieux ; l’émulation va créer la qualité et une industrie, je pense. Mais il va falloir développer un aspect très important, la formation, parce qu’on constate que, pour moi y compris, elle manque. On peut certes comptabiliser l’expérience comme un acquis, on apprend certes en exerçant, mais je trouve un peu dommage le manque de formation. Donc s’il y avait la possibilité de pouvoir faire des écoles, des formations structurées, je pense que ça aiderait à atteindre un certain niveau et qu’on se rende compte qu’il y a extrêmement de lacunes. En même temps il faut pouvoir développer les productions, mais même à Dakar, s’il y a deux ou trois productions en même temps, on va manquer de techniciens : il n’y a pas assez de gens pour faire cinq films en même temps. Propos recueillis par Mariam Aït Belhoucine, Claude Forest et Juliette Akouvi Founou le 2 mars 2017 à Ouagadougou ; entretien réalisé par Claude Forest.

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298

Liste des sigles utilisés AEF : Afrique-Équatoriale française AOF : Afrique-Occidentale française ARP : Société civile des Auteurs, réalisateurs et producteurs ASA : Afrique sud saharienne anglophone ASF : Afrique sud saharienne francophone ATRIA : Association Technique de recherches et d’informations audiovisuelles AV : Audiovisuel BCEAO : Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (ex-AOF+Togo) BLIC : Bureau de liaison de l’industrie cinématographique BLOC : Bureau de liaison des organisations du cinéma CAI : Consortium audiovisuel international CEMAC : Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (elle regroupe le Cameroun, la République centrafricaine, la République du Congo, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Tchad) CII : Crédit d’impôt international CIRTEF : Conseil international des radios et des télévisions d’expression française CM : Court métrage CNC : Centre national du cinéma et de l’image animée (anciennement, Centre national de la cinématographie - France) COMACICO : Compagnie africaine du cinéma commercial DCI : Digital cinema initiative DCP : Digital cinema package EOF : Expression originale française FAI : Fournisseur d’accès internet FEPACI : Fédération panafricaine des cinéastes FNCF : Fédération nationale des cinémas français FOPICA : Fonds de Promotion de l’Industrie Cinématographique et Audiovisuelle (Sénégal) GAFA : Google, Amazon, Facebook, Apple IDHEC : Institut des hautes études cinématographiques (1943-1986) ; deviendra la fémis (école nationale supérieure des métiers de l’image et du son) IFCIC : Institut de financement du cinéma et des industries culturelles INAFEC : Institut Africain d’Éducation Cinématographique IRCAV : Institut de recherche sur le cinéma et l’audiovisuel KDM : Key delivery message LM : Long métrage MAE : Ministère des Affaires étrangères MinCoop : Ministère de la Coopération MPAA : Motion Picture Association of America OIF : Organisation internationale de la Francophonie ORTF : Office de Radiodiffusion et Télévision Française 299

RBD : Recettes brutes distributeurs RCA : Registre de la cinématographie et de l’audiovisuel (France) SECMA : Société d’exploitation cinématographique Africaine SOFICA : Société de financement du cinéma TNT : Télévision numérique terrestre TSA : Taxe spéciale additionnelle (France) TVA : Taxe sur la valeur ajoutée UEMOA : l’Union économique et monétaire ouest-africaine regroupe huit pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, GuinéeBissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) UGC : Union Générale Cinématographique VàD : Vidéo à la demande reposant sur un paiement à l’acte (VOD – video on demand) VàDA : vidéo à la demande par abonnement (SVOD – subscription video on demand) VGIK : Institut d’État fédéral de la cinématographie S.A. Guérassimov

300

Principaux codes Iso 3166-2 des pays Afrique sud saharienne Afrique du Sud Angola Bénin Burkina Faso Burundi Cameroun Congo Côte d’Ivoire Djibouti Éthiopie Gabon Ghana Guinée Guinée équatoriale Guinée-Bissau Kenya Madagascar Mali Maurice Mauritanie Mozambique Namibie Niger

code iso ZA AO BJ BF BI CM CG CI DJ ET GA GH GN GQ GW KE MG ML MU MR MZ NA NE

Nigeria

NG

Ouganda Rép. centrafricaine Rép. Dém. du Congo Rwanda Sénégal Tanzanie Tchad Togo

UG CF CD RW SN TZ TD TG

Autres pays cités Algérie Allemagne Australie Belgique Canada Danemark Égypte Émirats arabes unis Espagne États-Unis d’Amérique France Grèce Guadeloupe Hong Kong Inde Israël Italie Koweït Maroc Norvège Pays-Bas Portugal Qatar Royaume-Uni de GrandeBretagne et d’Irlande du Nord Russie, Fédération de Suisse Tchécoslovaquie Tunisie URSS Yougoslavie

code iso DZ DE AU BE CA DK EG AE ES US FR GR GP HK IN IL IT KW MA NO NL PT QA GB RU CH CS TN SU YU

301

Table des matières

Introduction ................................................................................................................ 7 Première partie : Les Afriques marronnes étaient mal parties .................................. 17 Chapitre I - Réflexions lexicales et méthodologiques 1) De l’usage de quelques termes 2) Délimitation de la production cinématographique en ASF Chapitre II – Les longs métrages produits en ASF 1) Présentation générale de la production en ASF 2) Quelques caractéristiques des films produits Chapitre III – Les soutiens financiers de la France à la production 1) Le service cinéma du ministère de la Coopération 2) Deux décennies contrastées 3) Les dispositifs contemporains 4) Quels impacts des soutiens financiers français ? Chapitre IV – Le financement de la production 1) L’exploitation des films en salles 2) Les soutiens publics à la production en ASF 3) La diffusion des films sur les autres supports 4) L’émergence d’un autre modèle de (pré)financement

19 20 38 45 46 52 65 67 70 74 81 85 87 94 103 108

Deuxième partie :Portraits de producteurs d’Afrique sud saharienne francophone 117 Balufu Bakupa-Kanyinda Steven Amouzou Folligan, dit Steven AF Rémi Atangana Abéga Mamadou Kotiki Cissé Oumar Dagnon Boubakar Diallo Moussa Hamadou Djingarey Mamadou Maboudou Gnanou Alain Gomis Rodrigue Kaboré Issiaka Konaté Sani Elhadj Magori Lath Ronald Armand M’Bro Mamounata Nikièma Jean Odoutan Adélaïde Tata Ouattara Idrissa Ouédraogo Sékou Ouédraogo Joël M’Maka Tchédré Kadhy Touré Moussa Touré Abdoulahad Wone

121 135 143 151 157 165 177 187 193 203 211 219 227 231 239 247 253 265 269 277 283 289

Bibliographie .......................................................................................................... 295 Liste des sigles utilisés ........................................................................................... 299 Principaux codes Iso 3166-2 des pays .................................................................... 301

302

Ouvrages du même auteur  Les dernières séances. Cent ans d’exploitation des salles de cinéma, Paris, CNRS, 1995  Économies contemporaines du cinéma en Europe. L’improbable industrie, Paris, CNRS, 2001  L’argent du cinéma. Introduction à l’économie du 7e art, Paris, Belin, coll. Belin-SUP, 2002  Du héros aux super-héros. Mutations cinématographiques (dir.), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, Théorème n°13, 2009  Quel film voir ? Pour une socio économie de la demande de cinéma, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2010  L’industrie du cinéma en France. De la pellicule au pixel, Paris, La Documentation française, 2013  Le Patis. Une salle de cinéma populaire devenue salle d’art et essai (Le Mans, 1943-1983), avec Michel Serceau, Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2014  La vie des salles de cinéma (dir. avec Hélène Valmary), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, Théorème n°22, 2014  Figures des salles obscures, avec Samra Bonvoisin et Hélène Valmary, Paris, Nouveau monde éditions, 2015  Au cinéma en Afrique (dir.), (photos de Cécile Burban, Sophie Garcia, Meyer), Paris, Espaces & Signes, 2017  L’internationalisation des productions cinématographiques et audiovisuelles (dir.), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017  Regarder des films en Afriques (dir. avec Patricia Caillé), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2017  Les salles de cinéma. Histoire et géographie (dir.), Montréal, revue Cinémas, vol. 27, n° 2-3, printemps 2018  Produire des films. Afriques et Moyen-Orient (dir.), Villeneuve d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion, 2018

CINÉMA AUX ÉDITIONS L'HARMATTAN Dernières parutions CINÉMA ET CORDEL Jeux de miroirs - Intertextualités Sylvie Debs Préface d'Erika Thomas Sylvie Debs présente les liens du cinéma brésilien avec les formes traditionnelles de l'expression artistique populaire. Cette relation entre cinéma et univers du cordel au Brésil se poursuit jusqu'à nos jours. Une étude de la cinématographie brésilienne, prenant en compte les courts et longs-métrages documentaires et de fiction, permet d'identifier environ une centaine de films produits en quarante ans : il y a ceux qui font des références explicites à l'univers du cordel et ceux qui ont donné lieu à l'écriture d'un cordel. (Coll. Audiovisuel et communication, 262 p., 27 euros) ISBN : 978-2-343-14027-8, EAN EBOOK : 9782140099199

HUMANITÉ RESTANTE Penser l'évènement avec la série "The Leftovers" Saad Chakali, Alexia Roux 14 octobre 2011 : ce jour où plus rien ne sera comme avant, 2 % de la population mondiale disparaît. L'évanouissement simultané de 140 millions de personnes est l'événement impossible qui ruine toute explication rationnelle, en mettant en déroute les grands monopoles étatiques et religieux du symbolique. Adapté d'un roman de Tom Perrotta et Damon Lindelof, "The Leftovers" (2014-2017) constitue une autre passionnante création télévisuelle. La philosophie contemporaine aidera, à l'occasion du premier ouvrage en français consacré à cette série, à y reconnaître une grande pensée de l'événement. (Coll. Champs visuels, 276 p., 28,5 euros) ISBN : 978-2-343-15602-6, EAN EBOOK : 9782140100444

ECONOMIE & CINÉMA Leurs liaisons dangereuses décodées au fil des 26 lettres de l'alphabet Patrice Vivancos Cet ouvrage tente de réduire l'écart entre cinéphiles et professionnels du cinéma d'un côté ; cabinets d'experts et professeurs d'université de l'autre. Vulgariser l'économie du cinéma, faire comprendre les enjeux, expliquer d'où vient l'argent... c'est le rôle de ce livre, suivant la logique de l'alphabet. Celui-ci permet, comme dans un festival de cinéma, de passer d'une superproduction à un petit film d'auteur, ou d'un film bengali à un film d'animation. (Coll. Pour Comprendre, 178 p., 19 euros) ISBN : 978-2-343-15099-4, EAN EBOOK : 9782140100192

LE CINÉMA FRANÇAIS DE 1958 À 1967 De la Nouvelle Vague aux prémices de Mai 68 Francis Goubel De 1958 à 1967, la France a connu l'avènement de la Ve République, la fin de la guerre d'Algérie, une croissance économique importante ainsi qu'une soif de transformation de la société qui conduira à Mai 1968. Qu'il s'agisse d'oeuvres marquantes ou de réalisations plus modestes, voire de nanars, les films vont ainsi illustrer l'évolution de la société, constituant ainsi un excellent témoignage sur une époque révolue. (576 p., 45 euros) ISBN : 978-2-343-14811-3, EAN EBOOK : 9782140099793

ANNABELLA, GARDEZ LE SOURIRE ? Les mille et une vies de la jeune première d'avant-guerre Eric Antoine Lebon Préface d'Olivier Barrot Star du cinéma français des années 30, Annabella (1907-1996) connut une immense popularité. Charmante jeune première, elle illumina les écrans pendant les années de la Grande Dépression. Certains de ses films ("Napoléon" d'Abel Gance, "Le Million" et "Quatorze juillet" de René Clair, "Gardez le sourire" de Paul Fejos, "Hôtel du Nord" de Marcel Carné) ont marqué l'histoire du cinéma. Cette biographie nous livre le portrait d'une femme généreuse et entière, moderne et libre, ainsi que la description nostalgique d'une époque révolue, du Paris des années folles au monde doré d'Hollywood. (530 p., 37 euros) ISBN : 978-2-343-10294-8, EAN EBOOK : 9782140099847

CINÉMA SÉNÉGALAIS Sembène Ousmane le précurseur et son legs Mag Maguette Diop Cet ouvrage revisite l'histoire du cinéma sénégalais et le legs de Sembène Ousmane. La jeune génération de cinéastes et celle de l'avenir doivent connaître leur histoire, l'histoire du cinéma sénégalais, en garder une mémoire vivante source d'inspiration. Ce livre arrive au moment de la relance d'une Industrie Cinématographique et Audiovisuelle durable au Sénégal depuis 2013. (Coll. Harmattan Sénégal, 240 p., 25 euros) ISBN : 978-2-343-11581-8, EAN EBOOK : 9782140052453

UNE ESPÈCE ANIMALE À L'ÉPREUVE DE L'IMAGE Essai sur le calmar géant Nouvelle édition revue et augmentée Florent Barrère Le calmar géant, dont l'espèce la plus représentative est l'Architeuthis dux, est connu de tous les peuples de la mer depuis trois millénaires. Pourtant, il n'a été classé qu'en 1857 par le professeur Steenstrup, et les premiers clichés photographiques de cet animal évoluant dans son milieu n'ont été pris qu'en septembre 2004. Pourquoi un tel écart entre la connaissance du calmar géant et ses premières réprésentations ? Comment le cinéma et la photographie ont-ils propagé l'image du calmar géant, de ces créatures tentaculaires ? (Coll. Champs visuels, 304 p., 31,5 euros) ISBN : 978-2-343-12559-6, EAN EBOOK : 9782140042836

HISTOIRE DU CINÉMA EN GUINÉE DEPUIS 1958 Jeanne Cousin Sous la 1ère République, "le Guinéen n'avait rien mais il allait au cinéma tous les soirs". En 1971, presque tous les travailleurs du Sily Cinéma sont partis faire "un stage" au camp Boiro... Certains perdirent la vie, d'autres en sortirent traumatisés. En 1984, Sékou Touré meurt, avec ses idéaux, et on enterre avec lui le Sily Cinéma et les salles. Depuis les années 90, les cinéastes guinéens expatriés en France reviennent tourner régulièrement des films de bonne facture en Guinée. Ce livre veut rendre hommage à tous les cinéastes talentueux de Guinée et inscrire les jeunes désireux de "faire du cinéma" dans cette histoire. (Coll. Harmattan Guinée, 176 p., 18 euros) ISBN : 978-2-343-12043-0, EAN EBOOK : 9782140042935

Structures éditoriales du groupe L’Harmattan L’Harmattan Italie Via degli Artisti, 15 10124 Torino [email protected]

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Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone

Claude FOREST est professeur en études cinématographiques. Ses travaux portent principalement sur l’histoire économique du cinéma en Europe et en Afrique, ainsi que sur la socioéconomie de la demande des publics. Il a publié une vingtaine d’ouvrages sur ces questions.

Claude Forest Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone

Après un demi-siècle erratique, la production des films et œuvres audiovisuelles connaît dans les anciennes colonies françaises d’Afrique sud saharienne une effervescence qui la portera très haut. Éloignées des process conventionnels et ne disposant pas de moyens, notamment financiers, des industries du nord, il convenait de mieux connaître les contraintes et conditions d’exercice du métier de producteur en cette région. Une analyse critique des principaux dispositifs de coopération et coproduction, français et européens, montre l’influence positive mais également l’impact structurellement destructeur qu’ils ont pu avoir jusqu’à présent. Après avoir questionné les critères et définition de cette production cinématographique, l’ouvrage recense l’ensemble des longs métrages produits depuis les indépendances, et en livre certaines caractéristiques économiques. Il donne également la parole à vingt-deux producteurs africains de tous les pays concernés, réputés ou encore inconnus. Souvent livrés pour la première fois, les points de vue de ces artistes-entrepreneurs permettent de cerner comment les moyens sont mobilisés pour qu’advienne une œuvre, aujourd’hui essentiellement destinée à l’audiovisuel mais peut-être aussi, bientôt, cinématographique. Il constitue le premier volume d’une histoire économique du cinéma en Afrique sud saharienne, d’autres portant sur les salles de cinéma ou le rôle de l’État.

Claude Forest

Production et financement du cinéma en Afrique sud saharienne francophone (1960-2018)

Photographie de couverture : L’or des Younga (Boubakar Diallo, 2006) © Les films du dromadaire.

ISBN : 978-2-343-15200-4

32 €

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