Prières privées et textes de dévotion du Moyen Age latin 2503512143, 9782503512143

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Prières privées et textes de dévotion du Moyen Age latin
 2503512143, 9782503512143

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Anima mea: Prières privées et textes de dévotion du Moyen Age latin

J,ŒCHERCHES SUR LES RHETORIQUES RELIGIEUSES

Collection dirigée par Gérard FREYBURGER et Laurent

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BREPOLS

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~CHERCHES SUR LES RHETORIQUES RELIGIEUSES

Collection dirigée par Gérard

FREYBURGER

et Laurent

PERNOT

Anima mea: Prières privées et textes de dévotion du Moyen Age latin Autour des Prières ou Méditations attribuées à saint Anselme de Cantorbéry (XIe-XIIe siècle)

par Jean-François CoTTIER

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BREPOLS

© 2001 BREPOLS ~ PUBLISHERS, Turnhout, Belgium. Ail rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher. D/2001/0095/47 ISBN 2-503-51214-3 Printed in the E. U. on acid-free paper

PRÉFACE Après la Bibliographie analytique de la prière grecque et romaine et le Corpus de prières grecques et romaines, qui constituent respectivement le volume 1 et le volume 2 de la collection «Recherches sur les Rhétoriques Religieuses», voici un troisième volume, également consacré à la prière, mais cette fois dans le domaine chrétien et à l'époque du Moyen Age latin. Ainsi se manifeste l'ouverture de la collection aux phénomènes de rhétorique religieuse dans toute leur étendue et leur diversité, non seulement à partir des sources antiques, mais aussi à partir des sources postérieures, dès lors que l'Antiquité y joue un rôle. De fait, le recueil des Prières ou Méditations de saint Anselme de Cantorbéry (t 1109) est un témoin majeur du changement qui s'est opéré au xre siècle dans la spiritualité de l'Occident médiéval. La prière anselmienne a ouvert des voies nouvelles à la littérature de dévotion, aux exercices spirituels de meditatio et d' oratio, en y introduisant une méthode dialectique d'introspection et des visées esthétiques qui passent par la poétique et par la rhétorique. Mais les textes eux-mêmes, victimes de leurs succès, ont été intégrés à des recueils plus larges et mêlés à d'autres prières de diverses provenances. Il fallait démêler l'écheveau, éditer et traduire sur des bases sûres. C'est ce qui est fait dans le présent ouvrage, qui invite le lecteur à découvrir des textes qui n'avaient plus été édités depuis le xvrre siècle. Une importante introduction et des notes servent de guides dans cette découverte. Jean-François Cottier, maître de conférences à l'Université de Nice, est spécialiste de la littérature latine chrétienne, depuis l'Antiquité tardive jusqu'à la Renaissance, et en particulier des textes spirituels et de l'exégèse. Il a soutenu en 1997 une thèse de doctorat, dont Anima mea est la version révisée.

Gérard FREYBURGER & Laurent PERNOT

v

La parole humaine nous arrive du passé par relais successifs, cahin-caha, pourrie de malentendus, rongée d'omissions et incrustée d'ajouts M. YouRCENAR, «Sur quelques lignes de Bède le Vénérable>>.

A la mémoire de mes parents

VII

AVANT-PROPOS Anima mea, expauesce; mens mea, defiee; cor meum, scinde re ... S. Anselme, Méditation 3, 1. 84-85.

«Tremble, ô mon âme; évanouis-toi, ô mon esprit; déchire-toi, ô mon cœur. .. »: ces mots qui éclairent l'aube spirituelle du xne siècle d'une lueur nouvelle, sont ceux d'un vieil archevêque en exil, méditant sur la Rédemption, et que l'examen de son âme saisit d'effroi. Pourtant saint Anselme, au moment où il rédige sa troisième Méditation 1, est admiré par la chrétienté entière pour la force de son esprit et la sainteté de sa vie 2 • Ce philosophe et théologien génial, qui a cherché les raisons de la foi, fides quœrens intellectum 3 , est considéré par tous comme un père spirituel accompli. Son abondante correspondance nous montre moines et évêques, princesses et puissants du monde cherchant auprès de lui des avis et des conseils, ainsi parfois que des exemples de textes de dévotion. Et pourtant son examen de conscience le fait trembler: humilité excessive? délicatesse spirituelle d'un esprit trop anxieux? simple formule édifiante d'un genre littéraire suranné? C'est dom André Wilmart qui dans la première moitié du xxe siècle attira l'intérêt des érudits sur la littérature de dévotion, estimant, comme il l'écrivait en 1923, que «pour être négligée de nos jours, elle n'en est pas moins précieuse à consulter ( ... ): elle ne traduit pas seulement, parfois dans les termes les plus heureux, l'esprit religieux de nos ancêtres, à son tour, et pour sa part, elle montre en action les principes qui nous semblent régler les fores de la prière chrétienne» 4 . Or parmi les textes médiévaux qui l'ont particulièrement intéressé, il y a justement le livret des Orationes siue Meditationes de saint Anselme et ses ajouts apocryphes, auxquels il consacra un grand nombre d'articles, jetant ainsi les bases de tous les travaux futurs en la matière 5 . Il est vrai que le livret anselmien et ses avatars offrent un exemple particulièrement intéressant et original de l'histoire des écrits de dévotion. En effet, dans leur diversité, leur originalité, voire parfois leur banalité, ces textes illustrent le développement et la richesse d'une littérature dont l'abondance atteste qu'ellen' avait rien de

1 Vers 1099-1100; il est mort neuf ans plus tard à Cantorbéry, le 21 avrilll09, à l'âge de 76 ans. 2 Sainteté dont la Vita rédigée par son secrétaire et ami Eadmer est le plus beau témoignage contemporain. 3 Voir Proslogion, prologue, OA, t. 1, p. 94, 1. 7. 4 Auteurs, p. 25. 5 La plupart sont réunis dans Auteurs. Pour ses autres travaux, voir la bibliographie générale; citons toutefois ses deux articles les plus importants sur la question: , RB, 41, 1929, p. 342-357 (cité désormais Tradition) et «Les Méditations réunies sous le nom d'Anselme>>, Auteurs, 12, p. 249-282.

IX

AVANT-PROPOS

secondaire pour son époque. Le recueil d'Anselme, dont la vigoureuse beauté a immédiatement frappé ses contemporains, a suscité dès le xue siècle un tel engouement que ces textes furent copiés et recopiés 6, et qu'on leur ajouta très rapidement d'autres écrits de dévotion qui semblaient proches par l'inspiration ou la forme, et qui venaient compléter un livret jugé sans doute trop court: habent sua fata Zibe !li. Anselme, quand il envoya en 1104 à son amie, la puissante comtesse Mathilde de Toscane, le livret de ses Orationes siue Meditationes, ne pouvait sans doute pas imaginer que moins d'un siècle après sa mort ce recueil serait multiplié par deux, puis bientôt par quatre, pour aboutir aux éditions prolixes du xvue siècle7 , elles-mêmes reprises dans la Patrologie Latine de J.-P. Migne en 18648 , qui ne comporte pas moins d'une centaine de prières et de méditations! Ainsi au fil des siècle et des éditions les textes authentiques et les apocryphes furent si intimement mêlés qu'on ne parvint plus à distinguer les uns des autres. Dom André Wilmart, qui s'intéressa à ce problème d'histoire littéraire «plus compliqué que vraiment difficile» 9, parvint, grâce à son travail sur les sources, à identifier un nombre important de prières ayant circulé sous le nom d'Anselme, réussissant peu à peu à redessiner les contours du livret originaF 0 . Un peu plus tard, dans le cadre de son édition générale de l'œuvre d' Anselme 11 , dom François de Sales Schmitt publia les vingt-trois textes authentiques des Orationes siue Meditationes. Une fois le recueil primitif reconnu, les textes apocryphes commencèrent eux aussi à retenir l'attention des chercheurs. En effet, on s'est rendu compte que ces écrits, réunis parfois dès la fin du XIe siècle, apportaient un éclairage nouveau sur la littérature spirituelle de la seconde partie du moyen âge. L'adjonction même de textes apocryphes n'est d'ailleurs pas propre aux ~uvres d'Anselme, et longtemps on a eu coutume - en particulier pour les textes spirituels - d'attribuer à un auteur plus prestigieux, Père de l'Eglise ou Docteur de la foi, des écrits de plus humble origine. Cette habitude fort ancienne 12 a perduré pendant tout le Moyen Âge, et au XIVe siècle le nombre d'ouvrages de dévotion circulant de manière erronée sous le nom d'Anselme, de Bernard ou d'Augustin est considérable. Notons que cette instabilité dans la tradition textuelle des ouvrages de dévotion n'est pas la simple conséquence des difficultés matérielles d'une époque soumise à la copie manuscrite des textes. Elle est également culturellement déterminée, puisque lorsque 1' on tenait à sauvegarder la littéralité la plus exacte d'un texte (comme celui de la Bible ou des grands ouvrages théo6 On sait qu'il y a plus de témoins manuscrits du seul recueil des Prières que de n'importe lequel des autres ouvrages d'Anselme: R. W. Southem, Anselm, p. 37. 7 Celles du jésuite Théophile Raynaud (Lyon, 1630), et du mauriste Gabriel Gerberon (Paris, 1675, puis 1721). 8 PL 158, col. 709-820 et 855-1016. 9 Pax, p. 1. 10 Voir «Le recueil de prières adressé par saint Anselme à la comtesse Mathilde>>, Auteurs, 11, p. 162 sq. 11 Sancti Anselmi Cantuariensis archiepiscopi opera omnia, 2 t., 6 vol., Stuttgart-Bad Canstatt, 1968, les Prières ou Méditations se trouvent au vol. 3, p. 3-91. 12 Ainsi le célèbre Livre de Cerne (VIIIe-rxe siècle) contient bon nombre de textes attribués faussement à Grégoire, Jérôme ou Ephraïm le Syrien, voir T. H. Bestul, Texts of the Passion, Philadelphia, 1996, p. 13.

x

AVANT-PROPOS

logiques par exemple) le système y parvenait parfaitement 13 • Aussi, bien que notre époque, plus exigeante dans son approche scientifique de la question, se réjouisse d'avoir retrouvé un Anselme plus «authentique», il convient de se souvenir cependant que cet Anselme-là ne fut connu que d'un tout petit nombre de lecteurs médiévaux, ceux qui eurent accès à la demi-douzaine de manuscrits qui conservaient le seul recueil primitif. Tous les autres, pendant près de huit siècles, ont aimé et admiré un Anselme bien plus bigarré 14 . Quoi qu'il en soit, grâce aux travaux contemporains 15 ayant porté sur l'étude des manuscrits, on est parvenu peu à peu à identifier bon nombre d'auteurs ou de textes des collections apocryphes 16 , et certaines pièces ont même pu être éditées, séparément ou en groupe, dans le cadre d'un article ou d'un livre. On a également cherché à découvrir l'unité des recueils apocryphes, en tentant de comprendre les raisons qui ont poussé les copistes à réunir des textes d'origines parfois si différentes 17 • Mais en dehors de l'édition du mauriste Gabriel Gerberon, reprise dans la Patrologie Latine, l'ensemble de ces prières n'avait jamais été ni édité, ni traduit; le présent travail voudrait remédier, en partie du moins, à cette lacune. Le projet initial de ce livre était de donner un texte latin critique et une traduction française de 1' ensemble des prières et méditations pseudo-anselmiennes présentes dans la Patrologie Latine 18 • Mais cette idée de départ se révéla rapidement inadaptée, car trop dépendante du cadre somme toute rigide et artificiel de 1' édition de Gerberou-Migne. D'autre part, l'étude des manuscrits ayant remis en cause le tableau de la stratification du recueil que dom Wilmart avait dressé au début du siècle 19 , il est apparu que les recueils des XIe et XIIe siècles formaient le noyau le plus intéressant par la qualité et le choix des textes retenus, les anthologies postérieures se révélant finalement plus hétéroclites et moins significatives. Enfin, limiter l'étude de la tradition

13

Voir T. H. Bestul, op.cit., p. 15.

14

T. H. Bestul, op. cit., p. 13-18, donne d'autres illustrations de ce phénomène, et on

ne peut que souscrire à son analyse. 15 Nous renvoyons à la bibliographie, essentiellement aux articles et ouvrages de T. H. Bestul, G. R. Evans, D. H. Farmer, R. W. Southem et B. Ward. 16 Les trois éditeurs les plus importants pour les textes du XIIe siècle sont T. H. Bestul (6 textes), in A Durham Book of Devotions; A. Wilmart (5 textes) in Auteurs; etH. Barré (3 textes) in Prières anciennes. 17 Il faut citer en particulier les articles de T. H. Bestul, «The Collection of Private Prayers in the Portiforium ofWulfstan of Worcester and the Orationes siue Meditationes of Anselm of Canterbury. A Study in the Anglo-norman Devotional tradition>>, SB2, p. 355-364; «The Verdun Anselm, Ralph of Battle and the Formation of the Anselmian Apocrypha>>, RB, 87, 1977, p. 383-389; «St Anselm and the Continuity of Anglo-saxon Devotional Traditions>>, AM, 18, 1977, p. 20-41; «St. Anselm, the Monastic Community at Canterbury, and Devotional Writing in late Anglo-saxon England >>,ASti, 1983, p. 185-198. 18 Soit, en dehors des vingt-trois textes de saint Anselme, soixante-quatre méditations et oraisons. 19 Voir A. Wilmart, , Auteurs, 11, p. 162 sq., et infra.

XI

AVANT-PROPOS

manuscrite aux seuls xre et xrre siècles 20 permettait aussi de comprendre plus exactement la genèse des différentes lignes d'édition et de suivre leur développement dans l'espace et le temps. En effet, dans cet imbroglio textuel que représente l'histoire des recueils de dévotion attribués à Anselme, il semble bien que ce soit aux origines que se trouve le principe de compréhension. Par ailleurs, en guise d'introduction à l'édition de textes qui valent surtout comme exemple d'un genre littéraire trop méconnu, il a paru intéressant, après avoir présenté rapidement les grandes lignes de l'univers anglo-normand des xre-xrre siècles, de tenter de proposer une synthèse sur la littérature de dévotion, ses sources, son rapport à la liturgie, sa rhétorique, tout en réfléchissant aux caractéristiques fondamentales de ce que l'on a pu appeler parfois la «révolution anselmienne» 21 • Cet ouvrage est le fruit de plusieurs rencontres, en particulier avec Benedicta Ward, qui m'a fait découvrir à Oxford l'univers monastique anglo-normand et la figure rayonnante de saint Anselme de Cantorbéry, et avec Michel Corbin, philosophe et théologien passionné par l'œuvre d'Anselme, qui me suggéra de m'intéresser aux écrits anselmiens apocryphes. Je dois beaucoup aussi à Jean-Claude Fredouille qui accepta de diriger l'élaboration de ma thèse, à Pierre-Marie Gy qui encouragea toujours mes travaux, et à François Dolbeau dont la science et le soutien ne m'ont jamais fait défaut. Ma gratitude va également à Nicole Bériou et à Martine Dulaey, dont les remarques critiques m'ont permis d'enrichir utilement ces pages, ainsi qu'à Gérard Freyburger et Laurent Pernot, qui ont généreusement accueilli ce livre dans la collection qu'ils dirigent. Je tiens encore à exprimer ma profonde reconnaissance à mes amis et mes proches, à ceux qui ont toujours été là, discrets mais efficaces, et qui savent chacun ce que ces pages leur doivent. Je dédie ce livre à la mémoire de mes parents, tous deux trop tôt disparus, mais après avoir donné l'essentiel.

20

Soit près de quatre-vingts manuscrits, si l'on ajoute aux recueils les manuscrits qui ne livrent que quelques prières. 21 R. W. Southem, Anselm, p. 99. XII

Sigles et abréviations Nous donnons ici la liste des sigles pour les collections, les dictionnaires et les revues que nous avons utilisés; dans la mesure du possible nous suivons les sigles en usage dans la revue Medioevo Latina. Les abréviations renvoyant aux ouvrages et articles les plus souvent cités figurent dans la bibliographie générale à côté du titre de l'ouvrage ou de l'article concerné. A. AA ABMA ABR ACist AHDL ALMA AM AMon ANRW ASt 1 ASt 2

BA BAGE BECh BEFAR Benedictina BHL

BLE BPhH BTAM

BTT2 BTT3 BTT4 CCCM

COLLECTIONS, DICTIONNAIRES ET REVUES

Analecta Anselmiana. Untersuchungen über Persan und Werk Anselms von Canterbury. Auctores Britannici Medii lEvi, Londres. American Benedictine Review. Analecta Cisterciensia. Archives d'Histoire Doctrinale et Littéraire du Moyen Âge. Archivum Latinitatis Medii lEvi (Bulletin Du Cange). Annuale Mediœvale. Analecta Monastica. Aufstieg und Niedergang der romischen Welt. Geschichte und Kultur Roms im Spiegel der neueren Forschung, Berlin-New York. Anselm Studies, an occasional Journal, 1, New-York, 1983. Anselm Studies, an occasional Journal, 2. Proceedings of the fifth international saint Anselm conference: St. Anselm and St. Augustin. Episcopi ad sœcula, edited by J. C. Schnaubelt et alii, New-York, 1988. Bibliothèque Augustinienne. Bulletin de l'Association Guillaum Budé Bibliothèque de l'Ecole des Chartes. Bibliothèque des Ecoles Françaises d'Athènes et de Rome. Benedictina. Rivista di studi benedittini. Bibliotheca Hagiographica Latina antiqua et mediœ œtatis, Bruxelles, 1898-1901, 2 vol., et un volume de supplément, Bruxelles, 1987. Bulletin de Littérature Ecclésiastique. Bulletin Philologique et Historique du Comité des Travaux historiques et scientifiques. Bulletin de Théologie Ancienne et Médiévale. J. Fontaine, Ch. Pietri (éd.), Le monde latin antique et la Bible, Paris, 1985 (Bible de tous les temps, 2). A. M. La Bonnardière, (éd.), Saint Augustin et la Bible, Paris, 1986 (Bible de tous les temps, 3). P. Riché, G. Lobrichon (éd.), Le moyen âge et la Bible, Paris, 1984 (Bible de tous les temps, 4). Corpus Christianorum. Continuatio Mediœvalis, Turnhout, 1966-... (IXe-xne s.).

XIII

SIGLES ET ABRÉVIATIONS

CCSL

Corpus Christianorum. Series Latina, Turnhout, 1953-... (Ier_ VIlle s.).

CCM CPPM

CEFR CLCLT CollCist CSEL CUF DACL DFM DHGE DHP DIP DLF

DR DSp DTC EL EM EU HBS Irénikon JMH JWCI LTK MA M&v Manuscripta MARS MDieu MEFRM MGH

MHMA

Ml ML

XIV

Cahiers de Civilisation Médiévale. I. Machielsen, Clavis patristica pseudepigraphorum medii œvi. 1: Prœfatio, Theologica, Exegetica. 2: Ascetica, Monastica (Indices), Turnhout, 1994 (CPPM). Collection de l'Ecole Française de Rome. CETEDOC, Library of Christian Latin Texts, Turnhout, 19942 .

Collectanea Cisterciensia . Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, Vienne, 1866-... Collection des Universités de France. Dictionnaire d'Archéologie Chrétienne et de Liturgie, publié par F. Cabrol, H. Leclercq, Paris, 1903-1953, 15 vol. Dictionnaire de la France Médiévale, publié par J. Favier, Paris, 1993. Dictionnaire d'Histoire et de Géographie Ecclésiastiques, publié par A. Baudrillart et alii, Paris, 1912-... Ph. Levillain (éd.), Dictionnaire Historique de la Papauté, Paris, 1994. Dizionario degli Istituti di Perfezione, entrepris par G. Pellica (196268), publié par G. Rocca (1969-... ), Rome, 1974-... Dictionnaire des Lettres Françaises. Le Moyen Âge, publié parR. Bossuat, L. Picard, G. R. De Lage, édition revue et remise à jour sous la direction de G. Hasehnor et M. Zink, Paris, 1992. Downside Review. Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique, doctrine et histoire, publié par M. Viller, Paris, 1932 -1994. Dictionnaire de Théologie Catholique, publié par A. Vacant et E. Mangenot, Paris, 25 vol., 1899-1957. Ephemerides Liturgicœ. Ephemerides Mariologicœ. Encyclopœdia Universalis, Paris, 1968, 20 voL-suppléments. Henry Bradshaw Society. Irénikon. Revue des moines de Chevetogne. Journal of Medieval History. Journal of the Warburg and Courtaud Institutes. Lexikon für Theologie und Kirche, entrepris par M. Buchberger, publié par J. HOfer et K. Rahner, Fribourg, 1957-1968, 11 vol. Le Moyen Âge. Revue trimestrielle d'histoire et de philologie. Medium &vum. Manuscripta. A Journal for Manuscript Research. Mediœval and Renaisssance Studies. La Maison Dieu. Mélanges de l'Ecole Française de Rome. Moyen Âge/Temps Modernes. Monumenta Germaniœ Historica. Scriptores (in folio), G. H. Pertz (éd.), réimpression de l'édition de Hanovre, 1839-Stuttgart, 19741995. Mélanges d'Histoire du Moyen Âge. Mittellateinisches Jahrbuch. Mediœvo Latina. Bolletino bibliografico della cuttura europea dal Boezio a Erasmo (secoli VI-XV).

SIGLES ET ABRÉVIATIONS

MS MSR NGML

NRPs OA

OMT PG Philologus PL

RA RAM RB REAug RHE RHEF RHSpir RHT RLAC

RMAL RQH RSF RSPhTh RSR RTAM SAns SEI SB2

sc Schmitt

Scriptorium SE Sig SM SMon Spec

Medieval Studies. Mélanges de Sciences Religieuses. Nouum glossarium mediœ latinitatis ab anno DCCC usque ad annum MCC, Hafniœ (Copenhague), 1957-... +Index scriptorum nouum, 1973. Nouvelle Revue de Psychanalyse. M. Corbin (éd.), L'œuvre de Saint Anselme de Cantorbéry. Texte latin de dom F. S. Schmitt, introduction et traduction française, Paris, 1986-... (7 volumes parus). Oxford Medieval Texts. J.-P. Migne, Patrologiœ cursus completus. Series Grœca, Paris, 1 (1857)-162 (1866). Philologus. Zeitschrift für das klassische Altertum. J.-P. Migne, Patrologiœ cursus completus. Series Latina, Paris, 1 (1841)-221 (1864) +cinq volumes de suppléments (pour les 96 premiers tomes) publiés de 1958 à 1974 par A. Hamman. Recherches Augustiniennes. Revue d'Ascétique et de Mystique. Revue Bénédictine. Revue des Etudes Augustiniennes. Revue d'Histoire Ecclésiastique. Revue d'Histoire de l'Eglise de France. Revue d'Histoire de la Spiritualité. Revue d'Histoire des Textes. Reallexikon for Antike und Christentum, publié par Th. Klauser puis E. Dassmann, Stuttgart, 1950-.... Revue du Moyen Âge Latin. Revue des Questions Historiques. Rivista di Storia della Filosofia. Revue de Sciences Philosophiques et Théologiques. Revue des Sciences Religieuses . Recherches de Théologie Ancienne et Médiévale . Studia Anselmiana philosophica, theologica. Congrès international du !Xe centenaire de l'arrivée d'Anselme au Bec, Le Bec-Hellouin-Paris, 1959 (Spicilegium Beccense, 1). Les mutations socio-culturelles au tournant des XIe-xiie siècles. Études Anselmiennes (IVe Session), Paris, 1984. (Spicilegium Beccense, 2). Sources Chrétiennes, Lyon, 1941-... Dom F. S. Schmitt, Sancti Anselmi cantuariensis archiepiscopi opera omnia, Stuttgart-Bad Canstatt, 19842 , 2 t.-6 vol. (reprise de Sancti Anselmi cantuariensis archiepiscopi opera omnia, 1-VI, SeckauRome-Edimbourg, 1938-1961; avec adjonction des Prolegomena seu ratio editionis, 1968, t. 1*,p. 1-244). Scriptorium. Revue internationale des études relatives aux manuscrits. Sacris Erudiri. Jaarbœck voor Godsdienstwetenschappen. Sigillum. Studi Medievali. Studia Monastica. Commentarium ad rem monasticam inuestigandam. Speculum.

xv

SIGLES ET ABRÉVIATIONS

STh TMLT Traditio

Studia Theologica. Scandinavian Journal ofTheology. Toronto Medieval Latin Texts. Traditio. Studies inAncient and Medieval History, Thought and Religion.

B. B.N. B. L. B. M. B.R. Bodl. Libr. I. R. H. T.

XVI

INSTITUTIONS

Bibliothèque Nationale de France, Paris. British Library, Londres. Bibliothèque Municipale (avec indication du lieu). Bibliothèque Royale (avec indication du lieu). Bodleian Library, Oxford. Institut de Recherches et d'Histoire des Textes, Paris.

INTRODUCTION

CHAPITRE PREMIER LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX «C'est la grandeur du xne siècle, période de renaissance s'il en fut, d'avoir découvert au sein du christianisme des filons qui n'avaient pas encore été exploités ( ... ): dans la plupart des domaines, pensée, piété, art, littérature, le xne siècle a fait œuvre nouvelle, extraordinairement féconde; pour cela, il a réellement inauguré une ère distincte dans l'histoire de la civilisation chrétienne» A. Wilmart, Auteurs, 5, 1927, p. 59.

RÉFORMES POLITIQUES ET RELIGIEUSES

Longtemps on s'est contenté de présenter Anselme 1 comme un homme de paix et de prière, comme un théologien génialement doué, ayant donné à la littérature latine médiévale des chefs-d' œuvre qui semblent surgir de nulle part et éclairer de leur perfection même l'aube d'un XIIe siècle prometteur2 . C'est également l'image qu'ont voulu laisser de lui ses biographes, et en particulier Eadmer, qui s'est complu à souligner la sainteté de son héros :

1

Né à Aoste au royaume de Bourgogne en 1033, Anselme se fit moine dans la lointaine Normandie où la réputation de Lanfranc de Pavie, prieur et écolâtre de l'abbaye du Bec, l'avait attiré. Après l'élection de Lanfranc à l' abbatiat, il1ui succède comme prieur (1063); quinze ans plus tard il fut lui-même choisi comme abbé (1078), et ce pour quinze autres années. C'est pendant ces trente années de vie monastique que celui que l'Eglise nommera doctor magnificus, consacra son énergie créatrice à la composition d'ouvrages fondamentaux où la méditation théologique et philosophique se fait prière pour dire la foi. Citons les plus célèbres d'entre eux: le Monologion (1076), le Proslogion (1077), et la majorité des prières qui composent le recueil des Prières ou Méditations. L'influence d'Anselme au Bec et le réseau qu'il tissa autour de sa personne fut si considérable qu'on a pu parler à son propos d'un ordo Beccensis (R. Foreville). En 1093, à la mort de Lanfranc qui avait accompagné Le Conquérant en Angleterre, Anselme est choisi, malgré ses protestations, pour devenir à son tour archevêque de Cantorbéry. Sa position en tant que primat de l'Eglise d'Angleterre ne fut pas simple, et ses conflits avec les rois Guillaume le Roux et Henri 1er Beauclerc pour défendre la liberté de l'Eglise lui valurent l'exil à deux reprises (1097-1100 et 1103-1106). Il mourut à Cantorbéry le 21 avril1109. 2 Voir p. ex. J. de Ghellinck, L'essor de la littérature latine au X/le siècle, t. 1, BruxellesParis, 1946, p. 36 sq., et surtout G. Constable, The Reformation of the Twelfth Century, Cambridge, 1996. Sur Anselme on ne peut que renvoyer à la magistrale présentation de R. W. Southem, Saint Anselm. A Portrait in a Landscape, Cambridge, 1990.

XIX

INTRODUCTION

«Dans le même temps, il y avait un certain abbé du Bec, nommé Anselme, homme vraiment bon et magnifiquement doué dans la science des lettres; il s'adonnait tout entier à la vie contemplative. Lui qui, pour le mérite de sa parfaite sainteté, était connu, chéri et reçu dans toute la Normandie et la France, avait aussi grand renom en Angleterre ... >> 3 •

Toutefois, certains travaux récents 4 ont tenté de montrer qu'Anselme fut aussi un habile politique, et qu'à la suite de Lanfranc il contribua à installer en Angleterre un réseau de responsables ecclésiastiques issus des monastères continentaux, pour y soutenir la réforme politique et religieuse entreprise par les Normands 5 . L'histoire même du développement des premiers recueils apocryphes des prières d'Anselme est tributaire des relations étroites tissées entre les mondes religieux anglais et normands 6 , et on ne peut le faire comprendre qu'en rappelant quelques données fondamentales sur la situation politique et culturelle de l'Etat anglo-normand et sur le rôle qu'y joua Anselme.

3 Historia novorum in Anglia, traduction H. Rochais, OA, t. 9, p. 49. Texte latin édité par M. Rule, Londres, 1884 (reprt. 1965), p. 23: «Per idem tempus erat quidam abbas Be cci, nomine Anselmus, uir equidem bonus et scientia litterarum magnifiee pollens; contemplatiuœ uitœ totus intendebat. Hic toti Normanniœ atque Franciœ pro suœ excellentis sanctitatis merita notus, carus et acceptus, magnœ famœ in Anglia quoque habebatur. .. ». En dehors deHN, Eadmer est aussi l'auteur d'une Vita sanctiAnselmi archiepiscopi Cantuariensis, largement diffusée et lue, et qui a servi de modèle à tous ses successeurs: texte latin édité avec introduction, notes et traduction anglaise parR. W. Southem, Londres, 1962 (Medieval Texts), repris à Oxford en 1979 (OMT, 4); traduction française par H. Rochais, OA, t. 9, p. 243-395. 4 On pense surtout aux ouvrages de S. N. Vaughn, The Abbey of Bec and the AngloNorman State 1034-1136, Woodbridge, 1981 et Anselm of Bec and Robert of Meulan. The Innocence of the Dove and the Wisdom of the Serpent, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1987. R. W. Southem a contesté vigoureusement cette vision des faits, incompatible à ses yeux avec les écrits du saint. Sur cette controverse, voir R. W. Southem, «Sally Vaughn's Anselm: an Examination of the Foundations», Albion, 20, 1988, p. 181-204, et la réponse de S. N. Vaughn, «Anselm: Saint and Statesman», Albion, 20, 1988, p. 205-220. Voir aussi I. Biffi, Protagonisti del Medioevo, Milan, 1996, p. 80 sq., qui reprend les données du débat et défend les positions traditionnelles. On préférera l'analyse plus nuancée de M. Grandjean, Laïcs dans l'Eglise, p. 176 sq. qui souligne bien l'intérêt de la remise en question opérée par S. Vaughn. Il semble en effet difficile de continuer à lire naïvement la vita d'Eadmer, sans tenir aucun compte des topiques du genre hagiographique. Il est à craindre en outre que la violente réfutation de l'approche nouvelle de la question, considérée comme une «interpretazione aprioristica» (I. Biffi, op. cit., p. 81, n. 26), défende en fait une vision idéologique plus conforme à l'idéal de sainteté représenté par Anselme qu'à la vérité historique. Sur cette problématique, voir p. ex. A. H. Bredero, Bernard de Clairvaux (1091-1153), culte et histoire. De l'impénétrabilité d'une biographie hagiographique, Turnhout, 1998. 5 Sur la réforme entreprise par les Normands voir les pages très éclairantes de G. Picasso, Lettere, Il, 1, 1990, p. 15-37, les travaux de F. Barlow et les études publiées dans AngloNorman Studies. 6 Voir F. Barlow, The English Church 1066-1154, Londres-New-York, 1979, p. 187 sq.

xx

LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX

L'Angleterre et les Normands 7 L'essor intellectuel anglo-saxon, qui au VIlle siècle avait fait rayonner la culture latine et chrétienne sur le continent grâce à l'essor des écoles northumbriennes et à l'autorité de maîtres tels que Bède le Vénérable ou Alcuin, avait été brutalement interrompu par les invasions scandinaves qui submergèrent la Northumbrie et la Mercie au IXe siècleS. C'est seulement grâce à la pénétration normande outre-Manche que l'Angleterre fut réintroduite dans l'univers de la culture antique et moderne9 , et qu'elle reçut un savoir éclairé par la tradition classique, transmis aux Normands euxmêmes par des maîtres venus d'Italie, comme Guillaume de Volpiano, Lanfranc de Pavie, Maurille de Rouen, et plus tard Anselme 10 . Les deux personnages-clés de la conquête (1066) furent le duc Guillaume bien sûr, mais aussi son ami et conseiller Lanfranc 11 , qu'il connaissait depuis l'époque où ce dernier était devenu écolâtre et prieur du Bec. Guillaume l'avait associé à son œuvre fondatrice d'une nouvelle capitale pour la Normandie, en lui demandant d'accepter

7

Sur l'histoire de cette période voir N. Cantor, Church, Kingship and Lay Investiture in England, I089-1135, Princeton, 1958; D. Knowles, The Monastic Order in England, Cambridge, 1963, p. 83 sq.; La Normandie bénédictine au temps de Guillaume le Conquérant (XIe siècle), Lille, 1967; D. C. Douglas, The NormanAchievement, I050-1100, Berkeley-Los Angeles, 1969; F. Barlow, The English Church I066-1154, Londres-New-York, 1979; S. N. Vaughn, The Abbey of Bec and the Anglo-Norman State, Woodbridge, 1981; M. Chibnall, Anglo-Norman England 1066-1166, Oxford, 1986; M. Parisse, J. Kloczowski, Histoire du Christianisme, t. 5, 1993, p. 112-129, et I. Biffi, Protagonisti del Medoevo, Milan, 1996. 8 Voir R. Foreville, «L'Ecole du Bec et le studium de Canterbury>>, BPhH, 1957, p. 357. 9 Ce qui ne veut pas dire non plus que la culture anglo-saxonne était complètement stérile avant la conquête normande (1066). En outre, il y avait déjà depuis 1042 (début du règne d'Edouard le Confesseur) de nombreux contacts entre l'Angleterre et le reste du continent: voir par exemple D. C. Douglas, The Norman Achievement, Berkeley-Los Angeles, 1969, et L. Musset, «Les contacts entre l'Eglise normande et l'Eglise d'Angleterre de 911 à 1066>>, SB2, p. 67-84. Sur la conquête elle-même, voir M. Chibnall, Anglo-Norman England I066-1166, Oxford, 1986. 10 Voir R. Foreville, «L'Ecole de Caen au XIe siècle et les origines normandes de l'Université d'Oxford>>, Etudes médiévales, offertes à M. le doyen Fliche, Montpellier, 1952, p. 81100. Il ne faut pas oublier cependant qu'avant de conquérir l'Angleterre, les Normands s'étaient d'abord installés en Italie du Sud, à l'époque même où les abbés du Mont-Cassin faisaient de cette région un des centres culturels les plus éminents d'Europe: voir D. C. Douglas, op. cit., p. 194 sq.; M. Chibnall, La Normandie bénédictine au temps de Guillaume le Conquérant (XIe siècle), Lille, p. 399-415; P. Bouet, F. Neveux (éd.), Les Normands en Méditerranée, dans le sillage de Tancrède, Colloque de Cerisy-la-Salle (24-27 septembre 1992), Caen, 1994. Sur le contexte intellectuel de l'époque, la synthèse la plus récente et la plus complète est celle de L. Viallet, >. 17 Voir R. Foreville, op. cit., p. 420 sq.

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LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX

qu'il n'y a quasiment aucun groupe humain qui songe à son âme ou qui désire seulement entendre la doctrine salutaire du progrès en Dieu>> 18 . Ses efforts tendirent donc essentiellement à redonner à l'Eglise d'Angleterre un cadre digne de ce nom 19 • Une de ses premières mesures fut d'affirmer, contre les prétentions de l'archevêque d'York, le droit primatial de Cantorbéry, opération qui rentrait dans un projet politique d'unification et de pacification du royaume, comme l'analysait déjà Hugues le Chantre: «il pouvait être utile à l'intégrité et à la sécurité du royaume d'assurer sa subordination à un seul primat, de crainte que les rebelles du nord ne se donnent un roi parmi les chefs danois, norvégiens ou scots qui ne laissaient pas d'attaquer la région d'York>> 20 . Par ailleurs, il renouvela tout le haut personnel ecclésiastique en confiant les évêchés et les abbayes à des clercs continentaux, essentiellement normands 21 ; il fit construire de vastes monastères dotés d'abbatiales grandioses à l'initiative de certains de ses disciples: son neveu Paul de Caen à Saint-Alban, Siméon de Rouen à Ely, Wauquelin à Winchester. Il institua ou rétablit des chapitres monastiques dans des cathédrales comme Rochester ou Cantorbéry. Il rédigea des Constitutions, inspirées des usages de Cluny et du Bec 22 , pour le chapitre de Christ Church à Cantorbéry, et bannit de la nouvelle liturgie monastique certaines pratiques antérieures à la conquête. Il développa la bibliothèque et le scriptorium de Christ Church, et il fit également ramener dans le domaine monastique ou capitulaire les propriétés foncières sur lesquelles repose la dotation des communautés.

18 The Letters of Lanfranc, archbishop of Canterbury, edited and translated by H. Ciover and M. Gibson, Oxford, 1979 (OMT, 24). Ep 18, p. 96, l. 10-13, lettre de Lanfranc à Anselme (hiver 1073): «Tot enim tantisque tribulationibus terra ista in qua sumus cotidie quatitur, tot adulteriis aliisque spurciciis inquinatur, ut nullus fere hominum ordo sit qui uel animœ suœ consulat, uel proficiendi in Deum salutarem doctrinam saltem audire concupiscat>>. Déjà dans sa lettre adressée au pape Alexandre II, Lanfranc faisait état de ses souffrances à la vue de la situation en Angleterre: Ep 1, ibidem, p. 32-33, 1. 23-27; on retrouve les mêmes plaintes adressées à l'archevêque Jean de Rouen, Ep 15, ibidem, p. 88-89, 1. ll-15.Voir aussi C.E. Viola, , Anselm. Aosta, Bec and Canterbury, p. 21-22. 36 Voir M. Morgan, The English Lands of the Abbey of Bec, Oxford, 1946, et les contributions de V. Gazeau et M. Chibnall, SB2, p. 259 sq. et 273 sq. 37 Vzta I, 29, p. 50; traduction H. Rochais, OA, t. 9, p. 287-88: «Quo tempore et ego ad sanctitatis eius notitiam peruenire merui, ac pro modulo paruitatis meœ beata illius familiaritate utpote adolescens qui tune eram non parum potiri>>. 38 Vita 1, 30, ibidem, p. 288: «Erat praeterea Lanfrancus adhuc quasi rudis Anglus; necdumque sederant anima eius quœdam institutiones quas reppe re rat in Anglia>> (p. 50). 39 Vita l, 30, ibidem, p. 290: «Qui pro ueritate et iustitia moritur, pro Christo moritur. Qui autem pro Christo moritur, œcclesia teste martyr habetur>>.

xxv

INTRODUCTION

mémoire, non seulement en prose pour la lecture, mais encore en mélodie musicale pour le chant» 40 . A la lecture de cet épisode, il fait peu de doute qu'Osbeme, le plus talentueux des moines anglo-saxons de Cantorbéry, ait informé ses frères des bonnes dispositions d'Anselme à leur égard; il est probable même que c'est lui qui engagea Anselme à rétablir le culte de l'archevêque martyrisé. On peut imaginer la joie qui a dû l'animer 1 quand Lanfranc lui confia le soin de célébrer les mérites du saint martyr4 . Cette intervention d'Anselme marqua par ailleurs un tournant décisif dans le sauvetage des tra42 ditions monastiques et culturelles antérieures à la conquête •

Anselme et la politique 43 Quand le nouveau roi, Guillaume le Roux , accepta finalement de confier le siège de Cantorbéry et l'Eglise d'Angleterre à Anselme, considéré comme l'héritier naturel de Lanfranc, bon nombre de moines normands occupaient déjà des postes importants sur l'île44 . Mais à peine nommé archevêque (1093), il dut faire face à l'absolutisme royal et à de fortes tensions à l'intérieur de sa nouvelle Eglise. Guillaume le Roux n'avait en effet ni les mêmes principes que son père, ni le même rapport à l'Eglise. A l'assemblée de Rockingham, qui réunit en février 1095 évêques et barons, Anselme affirma solennellement son obéissance inconditionnelle au pape en matière de droit de l'Eglise 45 , mais son inflexibilité lui valut l'exil (1097), et c'est en France, à la ChaiseDieu, qu'il apprit la mort du roi. Anselme fut alors invité par le nouveau souverain, 46 Henri Beauclerc, à revenir sur son siège , et la reine Mathilde l'exhorta pour sa part à prendre soin de sa santé, afin qu'il puisse longtemps continuer à faire du bien dans le service de Dieu 47 . Malgré ses premiers espoirs, Anselme de retour à Cantorbéry (1100) fut très vite déçu par l'attitude du nouveau souverain, et il reprit le chemin de l'exil (1103), jusqu'à ce qu'enfin le roi accepte que les lois chrétiennes ne soient plus soumises aux lois et coutumes civiles, et que le principe de primauté du siège apostolique et romain demeure intact. Ainsi le long conflit politico-religieux, dans lequel la

ibidem:> 53 .

Il est probable que la narration a été quelque peu mise en forme; le thème de la montagne et le motif même du rêve sont des lieux communs de la littérature religieuse. De même on peut distinguer dans notre récit au moins deux références augustiniennes: «l'affabilité souriante» du Seigneur qui fait penser au jeune homme «éclatant, plein de gaieté et souriant» que Monique vit arriver vers elle en songe54 , et la mention des «yeux de l'esprit>>55 , qui renvoie pour sa part à la classification des visions chez Augustin56 . Mais la grande sobriété de la narration et la pureté de l'émotion qui s'en dégage parlent en faveur de l'authenticité de la réminiscence. Par ailleurs, si Anselme 53 Vita 1, 2; trad. OA, t. 9: 1, 2, p. 250-251: «At Anselmus cum puer paruulus esset, mate mis, prout œtas sua patiebatur, coloquiis libenter animum intendebat. Et audito unum Deum sursum in cœlo esse, omnia regentem, omnia continentem, suspicatus est, utpote puer inter montes nutritus, cœlum montibus incumbere, in quo et aulam Dei esse, eamque per montes adiri passe. Cumque hoc sœpius anima uolueret, contigit ut quadam nocte per uisum uideret se debere montis cacumen ascendere, et ad aulam magni regis Dei properare. Verum priusquam montem cœpisset ascendere, uidit in planitie qua pergebat ad pedem montis mulieres, quœ regis erant ancillœ, segetes metere, sed hoc nimis negligenter faciebant et desidiose. Quarum puer desidiam do lens ac redarguens, proposuit anima se apud dominum regem ipsas accusaturum. Dehinc monte transcenso, regiam aulam subit. Dominum cum solo suo dapifero inuenit. Namfamiliam suam, ut sibi uidebatur, quoniam autumnus erat, ad colligendas messes miserat. Ingrediens itaque puer, a Domino uocatur. Accedit, atque ad pedes eius sedet. Interrogatur iucunda affabilitate quis sit, uel unde quidue uelit. Respondet ille ad interrogata, iuxta quod rem esse sciebat. Tune ad imperium Domini panis ei nitidissimus per dapiferum affertur, eoque coram ipso reficitur. Mane igitur cum quid uiderit ante oculos mentis reduceret, sicut puer simplex et innocens se ueraciter in cœlo et ex pane Domini refectumfuisse credebat, hocque coram aliis ita esse publiee asserebat>>. 54 Confessions 3, 11, éd. P. de Labri olle, Paris, 1925 (CUF), p. 61, l. 14:«iuuenem splendidum hilarem atque arridentem sibi>>. M. Dulaey souligne par ailleurs que l'apparence majestueuse et la grande beauté, la silhouette juvénile, la taille supérieure à la normale, et l'aspect joyeux et souriant sont des images récurrentes du personnage divin apparaissant en songe, voir Le rêve dans la vie et la pensée de S. Augustin, Paris, 1973, p. 198. 55 Vita 1, 2: «quid uiderit ante oculos mentis>>. 56 Voir supra, et M. Dulaey, op. cit., p. 178.

XXVIII

LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX

ne retient de son enfance que cette seule anecdote, c'est qu'il s'agit du souvenir d'une expérience spirituelle qui a dû impressionner fortement sa mémoire, et qui peut servir de clé interprétative pour ses œuvres spirituelles57 • En effet, ce récit onirique contient en puissance quatre thèmes anselmiens majeurs, qui ont été approfondis au cours des ans par notre auteur, et qui ont constitué la base même de tout son enseignement spirituel. Il y a d'abord l'ascension de la montagne, métaphore 58 de la montée spirituelle vers le Très Haut, et du désir du cœur aspirant à Dieu. Ainsi dès le premier chapitre du Proslogion, Anselme s'exclame: «Mais certainement tu habites la lumière inaccessible ...Comment accéderai-je à la lumière inaccessible (1 Tm 6, 16)? ... ton serviteur... s'essouffle pour te voir, et ta face lui est trop absente. Il désire accéder à toi, et ton habitation est inaccessible ... >> 59 •

On retrouve cette exclamation à plusieurs reprises dans les œuvres d' Anselmé0, car sa théologie de la prière s'est développée comme une doctrine du désir devant aboutir à une plénitude de la joie, et les mots qui l'expriment aiment à rappeler l'opposition entre «ici-bas» et «là-bas» (hic et ibi): «Je t'en prie, Dieu, que je te connaisse et t'aime pour me réjouir de toi ... que je progresse de jour en jour jusqu'à ce que tout vienne à plénitude. Qu'ici-bas progresse en moi ta connaissance et qu'elle se fasse pleine là-bas; que croisse ton amour et qu'il soit plein là-bas, pour que ma joie soit grande en espérance ici-bas, et pleine en réalité là-bas ... >> 61 •

A ce premier thème s'ajoute celui de la faute et du repentir, important dans l'économie des Prières ou Méditations. Au début de son ascension, l'enfant observe des servantes négligentes et paresseuses: «déplorant et critiquant cette paresse, il décida en son cœur d'accuser ces femmes auprès du Seigneur Roi».

Illusion d'enfant bien sûr, et Anselme comprendra vite que les péchés ne sont pas à l'extérieur de lui, mais à l'intérieur. Toutefois, cette horreur du péché et ce sentiment profond de culpabilité resteront une constante tout au long de sa vie. On en trou57

Sur cette idée voir B. Ward, «Le Orazioni e Meditazioni di sant' Anselmo>>, Anselmo d'Aostafigura europea. Convegno di studi, Aoste, 1988, p. 93-101. 58 Il ne s'agit d'ailleurs pas d'une simple image naturelle, mais d'un motif qui parcourt toute la Bible et les écrits des Pères. La symbolique scripturaire fait naturellement de la montagne le lieu de rencontre avec Dieu dans la révélation: Moïse à l'Horeb (Ex 3), au Nebo (Dt 34); Elie au Carmel (IR 18, 20 sq.), etle Christ lui-même transfiguré sur la montagne et entouré de Moïse et d'Elie (Mt 17, 1 sq., Mc 9, 2 sq., Le 9, 28 sq.), etc ... 59 Proslogion 1, OA, t. 1, p. 98: «Sed certe habitas lucem inaccessibilem... quomodo accedam ad lucem inaccessibilem? ... seruus tuus ... anhelat uidere te, et nimis abest illifacies tua. Accedere ad te desiderat, et inaccessibilis est habitatio tua>>. 60 Ainsi, rien que dans le Proslogion, on la retrouve aux chapitres 9 et 16. 61 Proslogion 26, OA, t. 1, p. 120: «Oro, Deus, cognoscam te, amem te, ut gaudeam de te ...proficiam in dies usque dum ueniat illud ad plenum. Proficiat hic in me notitia tui, et ibifiat plena; cre scat amor tu us, et ibi sit plenus: ut hic gaudium meum sit in spe magnum, et ibi sit in re plenum>>.

XXIX

INTRODUCTION

ve l'écho à bien des reprises, et en particulier au début de sa Déploration sur la malperte de sa virginité62 : mon âme, âme accablée, âme misérable, dis-je, d'un misérable petit ta torpeur, rabroue ton péché, ébroue ton esprit. A ton cœur secoue homme, délit, de ton cœur profère un rugissement de fou. Vois, mall'énorme rappelle de ton crime, et prévois l'horrifique terreur et la terril'horreur vois heureuse, 63 • fiante douleur» «Û

Il ne s'agit pas d'une sorte de complaisance morbide dans le souvenir de la faute; Anselme se plaît plutôt à souligner la distance qui sépare l'homme de Dieu, distance due au manque d'amour de la créature pour le Créateur: «et Lui m'a rendu 64 le bien pour le mal, Lui à qui j'ai rendu le mal pour le bien» . Et si ces cris, si ce sens aigu du péché peuvent sembler exagérés, surtout lorsqu'ils émanent d'un moine de la qualité d'Anselme, il faut se souvenir qu'ils sont l'apanage des plus grandes figures spirituelles de la tradition chrétienné5 . D'ailleurs, à côté de ce sentiment profond du péché, on trouve l'assurance que le Seigneur est aussi le «Sauveur» et «l'Ami»; «ce bon samaritain t'a guéri; au prix de son âme, ce bon ami t'a racheté et libéré» 66 • Et c'est bien comme à un ami que le jeune Anselme répond lorsqu'il est interrogé par le Seigneur. Voilà la troisième caractéristique des écrits spirituels d'Anselme: la simplicité du dialogue amical, utilisé comme structure de base de la pensée et de l' écrituré7 . Car chez lui le rationnel et l'irrationnel sont conçus selon les catégories du langage et tout son raisonnement est struc68 turé selon un modèle oral, même s'il s'agit d'une intima locutio • Il y a en effet un lien très intime entre le dialogue avec autrui et le dialogue avec soi, puisque seul celui

Med 2: Deploratio uirginitatis male amissœ. Med 2, 1. 3 sq., OA, t. 5, p. 80: . 65 Voir p. ex. l'article d'A. Boureau,«La chute comme gravitation restreinte. Saint Anselme de Cantorbéry et le mal>>, NRPs, 38, aut. 1988, p. 129-145. Par ailleurs T. H. Bestul fait remarquer que l'influence importante d'Augustin sur Anselme peut s'expliquer par le fait que l'abbé du Bec trouvait dans ces écrits, et en particulier dans les Confessions, l'expérience d'un autre grand pécheur luttant pour contrôler ses passions afin d'atteindre la paix intérieure: «St. Augustine and the Orationes siue Meditationes of St. Anselm>>, ASt 2, p. 599. 66 Med 3, 1. 14, OA, t. 5, p. 84: «ille bonus Samaritanus te sanauit, ille bonus amicus anima sua te redemit et liberauit». 67 Sur l'importance de l'amitié pour Anselme, voir R. W. Southern, Anselm, p. 138-165. 68 Sur cet aspect de la méthode anselmienne, voir les pages très éclairantes que B. Stock a consacrées à Anselme, The implications of Literacy. Written language and Models of interpretation in the eleventh and twelfth Centuries, Princeton, 1983, p. 333 sq. Rappelons également ce que P. Hadot a écrit sur le sujet dans Exercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1987, p. 52: «Au fond, bien que tout écrit soit un monologue, l'œuvre philosophique est toujours implicitement un dialogue; la dimension de l'interlocuteur éventuel y est toujours présente>>. On retrouve la forme dialoguée dans un certain nombre de traités théologiques d'Anselme. 62 63

xxx

LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX

qui s'ouvre à une vraie rencontre avec autrui est capable d'une rencontre authentique avec lui-même. Aussi, comme l'écrit P. Hadot «le dialogue n'est vraiment dialogue que dans la présence à autrui et à soi-même. De ce point de vue, tout exercice spirituel est dialogique dans la mesure où il est exercice de présence authentique à soi et aux autres» 69 . Enfin il y a ce pain très blanc dont l'enfant se restaure. Ce quatrième thème sera particulièrement développé dans deux prières tardives, Med 3: Meditatio redemptionis humanœ et Or 3: Oratio ad accipiendum corpus Domini et sanguinem70 . La méditation, d'après Eadmer, fut composée à Lyon en 1099-110071 ; quant à la prière, elle appartient aux dernières pièces du recueil anselrnien puisqu'elle n'apparaît pas dans les oraisons envoyées à la comtesse Adélide, à Gondulphe ou à la comtesse Mathilde72. Et pourtant, malgré la distance chronologique qui sépare ces deux pièces du songe initial, elles demeurent très proches de lui par la forme comme par le fond: dialogue direct de l'âme avec le Christ, et fraîcheur de la foi initiale. Par ailleurs, le thème de la nourriture d'un blanc immaculé, topos de la littérature hagiographique7 3, se retrouve à plusieurs reprises dans la Vita. Ainsi quand Anselme quitte Aoste, et que n'ayant plus rien à manger il tente de réparer ses forces en mâchant de la neige, son serviteur, fouillant soigneusement le sac que portait leur âne, «contre tout espoir, trouva un pain bien blanc» 74 • Ce pain blanc, qu'Eadmer interprète comme le «pain du Seigneur» 75 , est présent également à la fin de la vie d'Anselme, lorsque celui-ci «fort d'esprit mais très faible de corps( ... ), désirant toutefois assister à la consécration du Corps du Seigneur, qu'il vénérait d'une particulière dévotion s'y faisait porter chaque jour sur une chaise» 76 . Cette dévotion s'explique naturellement parce que ce «pain bien blanc», ce «pain du Seigneur» représente pour

69

P. Hadot, op. cit., p. 33-34. OA, t. 5,p. 84 sq. et 10 sq. 71 Vita 2, 44, traduction H. Rochais, OA, t. 9, p. 349.: «Dans ce temps-là [Anselme, de retour de Rome, est arrivé à Lyon fin mai 1099; 2, 39] il écrivit( ... ) un autre opuscule agréable et savoureux pour beaucoup qu'il intitula Méditation sur l'humaine rédemption». 72 Voir infra. 73 Voir J. Amat, Songes et visions, p. 145 et 241. Voici p. ex. le songe d'Hermès tel qu'il est transmis dans le Martyrium Philippi, 25, passion dont il ne reste que la version latine d'un original grec, et qui est considérée comme authentique et sincère (op. cit., p. 241, n. 59): «Comme j'étais étendu, enchaîné par un doux sommeil, une colombe m'apparut, éclatante, d'une blancheur de neige; elle entra dans ma chambre et se posa tout à coup au sommet de ma tête, puis elle descendit sur ma poitrine, en m'offrant une bouchée d'une nourriture qui me fut très agréable: je compris aussitôt que le Seigneur me faisait l'honneur de m'appeler et me jugeait digne de la passion». Pour le Moyen Âge, on peut citer p. ex.la légende qui raconte que s. Bernard fut allaité par la Vierge, voir C. Bynum, Jeûnes et festins sacrés. La femme et la nourriture dans la spiritualité médiévale, Paris, 1994, p. 371-373, pl. XVIII et XIX. 74 Vita 1, 4, traduction H. Rochais, op. cit, p. 253. C'est le même adjectif nitidissimum qui est utilisé ici et dans le récit du songe en 1, 2. 75 Vita 1, 2: «ex pane Domini refectum>>. Voir aussi C. Bynum, op. cit., p. 74: «Les auteurs chrétiens considèrent l'eucharistie comme une nourriture spirituelle et comme le gage de l'unité de l'Eglise, comme le pain du Ciel et le corps unique du Christ». 76 Vita 1, 65; traduction H. Rochais, op. cit., p. 363-364. 70

XXXI

INTRODUCTION

Anselme l'œuvre entière de la rédemption de l'homme opérée par Dieu dans la croix et le don de son Fils77 • Ainsi, l'ensemble de la pensée théologique qu'Anselme exposa au long de ses différents traités se trouve-t-il déjà dans ce songe initial, qui contient en germe ce que seraient la prière et l'enseignement spirituel du saint1 8.

Prière et théologie monastique Car Anselme fut un «mystique rationnel» chez qui l'intellection et la contemplation se sont continuellement stimulées et rejointes. C'est toujours l'expérience spirituelle qui a fondé le raisonnement logique, au point que l'on peut considérer que ce dernier est chez lui partie intégrante de l'expérience spirituelle. Aussi, avant d'être théologien ou philosophe, l'abbé du Bec fut surtout un homme de prière méditant de façon raisonnée sur l'Essence divine: Fides quœrens intellectum79 • La célèbre formule d'Evagre s'applique donc particulièrement bien à l'abbé du Bec: «si tu es théologien tu prieras en vérité, et si tu pries en vérité, tu es théologien» 80 . On est donc en droit de considérer que sa vocation de contemplatif est la source même de sa pensée et de sa réflexion, modelée tout particulièrement par la prière psalmique, fondement de la vie monastique 81 . On en trouve un exemple probant dans le Proslogion 82 qui se présente comme une prière dialectique, «quête d'intelligence des choses de Dieu si intérieure à une supplication et inversement, que les distinctions ultérieures de Thomas d'Aquin entre la théologie qui s'acquiert 'par l'étude' et la mystique qui se reçoit par 'mode d'inclination' 83, lui sont inapplicables» 84 . On comprend ainsi le progrès accompli par rapport à une conception du primat des simples à l'honneur dans le monaIl s'agit d'un aspect fondamental de la théologie d'Anselme: l'œuvre accomplie par l'Incarnation et la Rédemption, c'est de permettre à l'homme de participer pleinement à la droiture (rectitudo) du Verbe orienté vers le Père; et si Dieu a voulu associer sa propre liberté à celle de la liberté humaine, c'est pour manifester et restaurer pleinement l'honneur qui est dû à Dieu et à l'homme. Ainsi pour Anselme c'est l'exercice de notre liberté humaine, unie à Dieu, qui nous libère, voir M. Corbin et A. Galonnier, OA, t. 3: Lettre sur l'Incarnation du Verbe; Pourquoi un Dieu-homme, Paris, 1988. 78 Voir infra. 79 Proslogion, prologue, OA, t. 1, p. 94: «La foi qui cherche l'intelligence>>, c'est le titre qu'Anselme donne lui-même à son ouvrage. 80 De oratione 60, PG 79, col. 1165-1290: «Ei 8m\ôyos d, TTpoCJn!ÇlJ àÀ.T)8ws, ml. d àÀ.T)8ws TTPOCJEVÔJ, 8EOÀ.Ôyos ét >>.C'est sous le nom de Nil d' Ancyre que l'ouvrage d'Evagre, soupçonné d'origénisme, a été conservé; c'est dans ce traité qu'Evagre expose sa doctrine de la prière pure. 81 Les 150 psaumes, que les moines connaissent par cœur, rythment chaque jour de la vie et fournissent l'essentiel de la substance de 1' oraison monastique: voir les Consuetudines Beccenses, édités par M. P. Dikson, Siegburg, 1967 (Corpus Consuetudines Monasticarum, 4), et P. L'Hermite-Leclercq, «La prière dans la Règle de saint Benoît>>, Prier au moyen âge, p. 135 sq. 82 Vita 1, 19: «petit volume, mais grand par le poids de ses sentences et de la plus subtile contemplation>>. Sur les circonstances de la rédaction du Proslogion, traduction H. Rochais, op. cit., p. 271. 83 Somme Théologique la, q.l, art. 6, 3m. 84 OA, t. 1, p. 209. 77

XXXII

LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX

chisme depuis l' Antiquité 85 , même s'il demeure toujours vrai que le plus humble des chrétiens récitant avec foi son Pater tient le tout du christianisme à l'égal du plus savant des théologiens 86 . Par ailleurs, notre auteur se situe à un moment privilégié de la pensée religieuse où la liberté théologique fut très grande. En effet, à cette époque, la théologie n' existe pas encore comme discipline autonome, et elle n'est pas encore passée aux mains des «maîtres» comme objet de science et de recherche systématique, fragmentée en diverses branches spécialisées. Et si Anselme se donne le droit, contre la tradition, de lire l'Ecriture selon l'ordre de la raison, il soumet toutefois cette raison à la méditation. Après lui seuls quelques grands esprits comme JElred de Rielvaux, Bernard de Clairvaux ou Guillaume de Saint-Thierry87 , tenteront encore de retrouver l'unité perdue, mais ils se heurteront à la théologie spéculative d'un Abélard et d'un Gilbert de la Porrée, et seront vaincus par eux. Peu à peu le savoir religieux va passer des monastères aux écoles 88 . Anselme peut donc être considéré comme une figure emblématique de cette époque charnière 89 , qui représente le point culminant de l'expérience monastique occidentale mais qui en inaugure également le déclin. Cet idéal monastique était fondé

85 Ainsi celui que l'on considère comme le père des moines, Antoine, est-il présenté par son biographe Athanase comme un paysan égyptien sans culture, qui dès son enfance refusa d'apprendre les lettres païennes (Vie d'Antoine l, 2). Ce qui ne l'empêche pas de confondre les philosophes païens par sa sagesse: cf. Vie d'Antoine, 72, 1, édition G. J. M. Bartelink, Paris, 1994 (SC, 400), p. 321. 86 Voir J.-Cl. Fredouille, Littérature latine, Paris, 1993, p. 344. 87 Voir p. ex. A. M. Piazzoni, Guglielmo di Saint-Thierry. Il declina dell'ideale monastico neZ secolo XII, Rome, 1988 (lstituto Storico Italiano peril Medio Evo. Studi Storici, fasc. 181-183). Mais Guillaume sépare la raison, qui a sa source dans l'intellect, et la foi qui se réfère à l'autorité: «aliud est enimfides, aliud scientia» (PL 180, col. 345 A); pour Guillaume les données de la foi sont un point de départ qui peuvent ensuite s'éclairer avec l'aide de l' acies mentis. 88 Sur les «Maîtres>> et la «science>> théologique, voir M. D. Chenu, La théologie au XII' siècle, Paris, 1957, p. 325 sq. Pour illustrer cet avènement des maîtres et les débuts de la science religieuse, M. D. Chenu livre le récit du vieux Rupert, abbé de Deutz, qui entreprit, depuis le monastère Saint-Laurent de Liège, un voyage à dos d'âne . Ces deux maîtres sont Guillaume de Champeaux (maître puis ennemi d'Abélard) et Anselme de Laon (disciple émancipé d'Anselme de Cantorbéry). Cette dispute sur la question du mal, oppose nettement des techniciens de la dialectique à un adepte de la méditation scripturaire: les maîtres élaborent une distinction introduite dans les volontés de Dieu entre une uoluntas permittens (malum), et une uoluntas approbans, distinction reposant donc sur les modes affectifs de la volonté humaine, alors que Rupert, grand commentateur de l'Ecriture, ardent contemplatif dont la foi se complaît dans le mystère, brandit le livre de Job et ne peut supporter ce déclassement de la perspective sacrée. On reproche à Rupert de n'avoir pas fréquenté les écoles, inversement Rupert affirme que (De omnipotentia Dei, 23, PL 170, 473 C); voir aussi A. Boureau, op. cit., et «De la félonie à la haute trahison. Un épisode: la trahison des clercs (version du XIIe siècle)», Le Genre humain, 16-17, 1988, p. 267-291. 89 Voir M. D. Chenu, op. cit., p. 343 sq. et J. Leclercq, Regards monastiques sur le Christ au moyen âge, Tournai-Paris, 1993 (Jésus et Jésus-Christ, 56), p. 6.

XXXIII

INTRODUCTION

sur la lectio diuina, que l'on divisera au xne siècle90 en lectio, meditatio et oratio 91 . L'étude de l'Ecriture sainte et des Pères recouvre alors une finalité contemplative: la lecture conduisant à la méditation, la méditation à 1' oraison, 1' oraison à 1' action, et 1' action à la contemplation92 . Ce mode de vie fondé sur l'enseignement des Ecritures 93 94 est la source même de ce que l'on a appelé plus tard la théologie monastique . Cette dernière est entièrement préoccupée de trouver la voie vers une participation à ce qu'elle contemple, vers une union à Dieu; elle se caractérise par son orientation contemplative et elle a pour but de favoriser la prière et la croissance spirituelle95 . Or l'activité intellectuelle d'Anselme est une vivante illustration de cette réalité. En effet, si l'on examine les grandes périodes de sa créativité littéraire, on en trouve confirma-

90

Donc après la mort d'Anselme. Ainsi Guillaume de Saint-Thierry peut -il écrire dans sa Lettre aux frères du Mont-Dieu, 5, 171, édition J. Dechanet, Paris, 1975 (SC, 223) p. 278-295: «Amorem ergo Dei, in homine ex gratia genitum, lectio lactat, meditatio pascit, oratio confortat et illuminat», «Engendré dans l'homme par la grâce, l'amour de Dieu trouve dans la lecture son lait, dans la méditation son aliment solide, dans 1' oraison sa force et sa lumière»; voir aussi P. Sicard, Diagrammes médiévaux et exégèse visuelle. Le "Libellus de formatione arche, de Hugues de Saint- Victor, Paris-Turnhout, 1993, ch. III: , p. 193-253. 92 Voir J. Châtillon, «La Bible dans les écoles du XIIe siècle>>, BIT4, p. 163-197 et «saint Anselme et l'Ecriture>>, SB 2, p. 431-442, voir infra. 93 C'est si vrai, que les premiers moines ne voulaient pas d'autre règle que les Ecritures elles-mêmes. Celles-ci étaient à la fois école de vie et école de prière (jusqu'à saint Benoît le sens de lectio diuina et de sacra pagina se confondent d'ailleurs). Ainsi c'est l'Ecriture qui poursuit le travail de conversion du moine, on en trouve un bel exemple dans la Vie d'Antoine, qui devient moine et entame sa conversion après avoir entendu à deux reprises des passages des Evangiles (Vie d'Antoine 2, 3 sq. et 3, 1), on peut penser également au tolle lege d'Augustin (Confessions 8, 29, où il est d'ailleurs fait explicitement allusion à la vocation d'Antoine). Ajoutons que dans l'Antiquité la lecture des Ecritures n'a pas d'autre but que de se concrétiser dans la vie et le combat spirituel, la lectio n'étant pas simplement un exercice préalable à la meditatio, puis à l'a ratio s'accomplissant éventuellement dans la contemplatio! La vision des Pères est beaucoup plus unifiée, et la prière n'est pas seulement le résultat de la lectio, elle en est surtout le point de départ « ... car il est absolument nécessaire de prier pour comprendre les choses divines>> (Origène, Lettre à Grégoire le Thaumaturge, 4, édition H. Crouzel, Paris, 1969 (SC, 148), p. 192-195). Cependant le monachisme occidental du XIIe siècle cherchera peu à peu à mettre au point une méthode pour la lectio, comme l'atteste par exemple la distinction opérée par Guillaume de Saint-Thierry. Voir D. Gorce, La «lectio diuina» des origines du cénobitisme à saint Benoît et Cassiodore. I. Saint Jérôme et la lecture sacrée, Wépion-Paris, 1925. 94 La théologie monastique est la théologie d'un monde en train de disparaître. La tournure d'esprit des moines ne les porte guère vers la méthode scolastique qui éclôt au xne siècle. Si Lanfranc et Anselme semblent goûter la méthode scolastique, ils le doivent à la formation qu'ils reçurent l'un et l'autre avant leur engagement monastique. Cependant l'Ecriture demeure la base de leur théologie, qui est théocentrique et kérygmatique. Le déclin de la pensée monastique s'explique sans doute par son incapacité à intégrer pleinement une méthode nouvelle qui s'épanouira dès lors dans les villes et les universités. Sur l'histoire de la théologie monastique et de ses rapports à la scolastique, voir F. Gastaldelli, «Teologia monastica, teologia scolastica e lectio divina>>, La dottrina della vita spirituale nelle opere di San Bernardo di Clairvaux. Atti del Convegno Internazionale, Rome, 11-15 septembre 1990,ACist, 46, 1990, p. 45-63; voir aussi F. Vandenbrouke, «La lectio diuina du XIe au XIVe siècle», SMon, 8, 1966, p. 267-294. 95 Voir J. Leclercq, op. cit., p.175 sq. 91

XXXIV

LE CONTEXTE POLITIQUE ET RELIGIEUX

tion 96 : toutes correspondent soit à la période du Bec, soit aux moments où l'archevêque échappe à ses charges et revient, provisoirement, à la vie monastique97 . Nous sommes donc en présence d'un modèle de sainteté original, à la fois novateur et pourtant authentiquement monastique, puisque la piété y devient une longue recherche intellectuelle qui relègue à l'arrière plan la «prière utile». La mort du saint représente à cet égard un exemple particulièrement frappant, puisque dans le récit qu'en propose Eadmer, l'effort intellectuel prend la place de l'oraison: c'est à la composition d'un ultime traité, le De concordia prœscientiœ et prœdestinationis et gratiœ Dei cum libera arbitrio, qu'Anselme consacre ses dernières forces, ses paroles finales étant pour regretter de ne pas pouvoir résoudre un problème sur l'origine de l'âme98 !

Dynamique théologique La transformation de la réflexion théologique opérée par Anselme fut donc profonde99. Ainsi, au problème du mal et à la thématique «faute-pardon» omniprésente dans les libelli carolingiens, le Docteur Magnifique a préféré les thèmes de l'amour divin et de l'ascension mystique de l'âme, qui seront repris et amplifiés par la génération suivante 100 . Par là-même, il a contribué à faire passer la piété médiévale «de l'esprit de repentir à la tendresse amoureuse» 101 . En effet, face à un christianisme médiéval qui représentait le mal comme principe d'équilibre dans ses architectures doctrinales et matérielles, perpétuant ce faisant l'univers sacré des païens où bien et mal font système, Anselme a toujours affirmé que l'absolue éminence de Dieu ne peut être limitée par rien: «Dieu est lumière, et de ténèbres il n'y a pas trace en lui» (lln 1, 5) 102 • Il s'agit

96 Vita, passim. 97 1) De veritate, De libertate arbitrii, De casu diaboli, De grammatico, Monologion, Proslogion: Anselme est moine au Bec; 2) De incamatione Verbi: devenu archevêque, Anselme se retire dans une pièce isolée pour écrire, la mention de la rédaction suit un chapitre consacré à l'entourage monastique; 3) achèvement du Cur Deus homo, Anselme mène une vie monastique à La Schlavia; 4) De conceptu uirginali et de peccato originali et Meditatio Redemptionis humanœ, écrits à Lyon lors d'une période de retrait du monde; voir P. Henriet, La parole et la prière au Moyen Âge, Turnhout, 2000, p. 111. 98 Vi ta 2, 64-66. Anselme meurt à ChristChurch de Cantorbéry, le monastère d'Eadmer; il est difficile d'imaginer mort plus intellectuelle dans un environnement plus monastique: voir P. Henriet, op. cit., p. 111-112. 99 Voir p. ex. I. Biffi, > 116 .

Mais la subtilité et la difficulté de cette pensée, et le triomphe prochain de la théologie scolastique, condamneront la pensée d'Anselme à demeurer largement incomprise ou ignorée 117 • 112 Proslogion,

prologue, OA, t. 1, p. 93. OA, t. 1, p. 101, l. 5: «Nous croyons que tu es quelque chose par rapport à quoi rien de plus grand ne peut être pensé». 114 Maxime le Confessseur, Ep. 44, éd. J. CL Larchet, Paris, 1998. 115 Re;,ponsio editoris, X, OA, t. 1, p. 138. 116 Med 3, OA, t. 5, p. 431: «Considera, anima mea, intendite, omnia intima mea, quantum illi de beat tota substantia me a. Ce rte, Domine, quia me fecisti, debeo amori tuo me ipsum tatum. lmmo tantum amori tuo plus quam me ipsum. quantum tu es maior me, pro quo dedisti te ipsum et cui promittis te ipsum. Fac precor, Domine, me gustare per amorem quod gusto per cognitionem. Sentiam per affectum quod sentio per intellectum. Plus debeo quam me ipsum tatum, sed nec plus habeo nec hoc ipsum possum perme reddere tatum: trahe tu, Domine, in amorem tuum uel hoc ipsum tatum. Tatum quod sum tuum est conditione; fac tatum tuum dilectione ». 117 Voir à ce sujet p. ex. la résistance des propres disciples d'Anselme à sa vision de l'Incarnation: J.F. Cottier,«lustitia diaboli: Anselme, Gilbert Crispin et Rodulfus monachus», Cur Deus homo, Rome, 1999, p. 260. 113 Proslogion,

XXXVII

CHAPITRE II LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION Le monde médiéval a multiplié les recueils qui réunissent des prières, des hymnes, des extraits de la Bible ou des Pères destinés à la dévotion privée. Cette littérature riche, et pourtant peu étudiée, transmet en quelque sorte l'âme du Moyen Âge 1, car en faisant connaître les textes jaillis du cœur de cette époque, elle permet d'en comprendre les besoins et les aspirations. En effet, comme le rappelle Ch. Guittard, «la prière est toujours un phénomène plus ou moins intérieur; même dans ses manifestations les moins émotionnelles, les moins pathétiques, elle relève de la vie intérieure du sujet. Son domaine est autant celui de la psychologie, individuelle et collective, de la linguistique, de l'expression écrite ou orale, que du culte proprement dit» 2 • Par ailleurs, si les textes eucologiques prennent le plus souvent la forme dynamique d'un dialogue avec Dieu, le Christ, la Vierge ou les saints, ils sont cependant parvenus jusqu'à nous figés par l'écrit, en une forme exemplaire que d'autres à leur tour ont parfois empruntée3. On peut donc tenir que la prière privée, devenue parole de beauté, appartient au même titre que les sermons, les vies de saint, les hymnes, l'histoire ou la poésie religieuses, à la littérature. Ce constat entraîne que l'on s'interroge sur le rapport de la prière à 1' art. Il peut en effet sembler paradoxal qu'un texte de dévotion, par nature aussi sincère que possible (puisqu'il a pour objet Celui qui se définit comme étant la Vérité)4 , puisse se compromettre avec 1' artificieuse rhétorique ou se perdre dans les rets de la poésie5. Mais si la Révélation a le Verbe pour sujet et pour Auteur premier, la prière littéraire, expression du dialogue entre l'homme et Dieu, est également divine poésie6, puisque, comme l'ajustement souligné H. U. Von Balthazar, «tout ce qui est beau et splendide dans le

1 Ce que soulignent H. Barré, Prières anciennes, p. 3, et A. Wilmart, «The Prayers of the Bury Psalter>>, DR, 48, 1930, p. 198: «Ali this devotionalliterature is still very little known, although it illuminates better than other text the medieval spirit>>. Le savant bénédictin tenait d'ailleurs beaucoup à ce que la place que la dévotion privée tient depuis toujours aux côtés de la liturgie fût reconnue et davantage étudiée, voir p. ex. Auteurs, I, p. 25. On trouve encore les mêmes considérations chez P. Rézeau, >. 5 Sur cette question, voir p. ex. E. R. Curtius, La littérature européenne et le Moyen Âge latin, Paris, 1956, ch. XI: , p. 327-362. 6 Voir A. Michel, Théologiens et Mystiques du Moyen Age, Paris, 1997, p. 9 sq.

XXXIX

INTRODUCTION

monde est l'épiphanie, le rayonnement, l'éclat des principes d'êtres puissants et cachés jaillissant dans une figure expressive. Dès lors la révélation du Dieu caché, absolument libre et souverain, apparaissant sous une forme terrestre dans la parole et dans l'histoire, et finalement dans la figure de l'homme, ne peut constituer que le terme suréminent d'un rapport d'analogie avec la beauté naturelle» 7 • Il faut donc replacer le livret des Prières ou Méditations d'Anselme, et les textes qui lui ont été rattachés, dans l'histoire de la littérature de dévotion, avant d'étudier ce qui en fait sa radicale nouveauté.

AUX ORIGINES DES TEXTES DE DÉVOTION

Pour comprendre la place qu'occupe dans l'évolution du genre le petit recueil anselmien, il suffit d'écouter Anselme lui-même, qui dès la lettre adressée en 1072 à Adelide, prologue au premier recueil de prières, permet de saisir tout l'esprit de l'entreprise: «Au sujet des Fleurs des psaumes que votre Grandeur bien-aimée en Dieu a trouvé bon de me commander, notre humilité dans sa fidélité à votre égard n'a pu s'exécuter ni mieux ni plus vite. De fait, notre obéissance a subvenu à votre ordre d'autant plus dévotement quel' ordre lui-même provenait d'une sainte dévotion( ... ). Le court ouvrage sans valeur que notre pauvre petitesse vous envoie, je demande à votre opulente Excellence de ne pas le dédaigner. Car s'il n'est pas serti d'or et de gemmes, il est toutefois entièrement l'œuvre d'une fidélité affectionnée et le don d'une affection fidèle. A la suite des Fleurs des psaumes, sept Prières ont été ajoutées ... » 8 .

Ainsi, à la demande classique de la princesse d'obtenir de son guide spirituel une sélection d'extraits du psautier, flores psalmorum, Anselme fournit une double réponse. D'une part, en conseiller obéissant, il lui fait parvenir le psautier abrégé demandé, seul ouvrage d'Anselme à n'avoir pas été conservé, mais d'autre part, il y ajoute, sur une initiative toute personnelle, sept prières de sa composition. Dans sa lettre dédicatoire, le prieur du Bec ne consacre au psautier que quelques mots 9 qui font comprendre que le florilège psalmique est avant tout le fruit d'une humble obéissance. En revanche, il analyse en profondeur l'objet de ses Prières, la méthode qu'il convient d'adopter en les lisant, et leur visée: «Sept Prières ont été ajoutées, dont la première doit moins être appelée prière que méditation, car l'âme du pécheur s'y examine rapidement, s'exami-

7

La Gloire et la Croix, Paris, 1968, t. II, p. 9. S. Anselme, Ep 10, l. 4-14, Schmitt, vol. 3, p. 113: >, DR, 48, 1930, p. 198-216; P. Salmon, «La composition d'un Libellus precum à l'époque de la réforme grégorienne», Benedictina, l, 1979, p. 285-322; J. Lemarié, «Le Pontifical d'Hugues de Salins, son Ordo Missœ et son Libellus precum», SM, 19, 1, 1978, p. 369-425, surtout p. 393 sq.: « se place à la charnière entre les libelli precum compilés au XIe siècle à partir des livrets carolingiens (Arnoulf, Jean Gualbert) et ceux qui apparaissent à partir de la seconde moitié du même siècle, les recueils de dévotion de Pierre Damien et de Jean de Fécamp. Comme Jean de Fécamp et Pierre Damien, Hugues de Salins est nourri de l'Ecriture Sainte. Les psaumes en particulier viennent spontanément sous sa plume pour exprimer ses sentiments personnels ... » (p. 397). 12 Voir P. Grelot, , article «Prière», DSp XII, 2, col. 2226-2234. 13 Ainsi lors de la dernière cène, Marc et Mathieu nous font entrevoir la récitation des psaumes du grand Hallel (Ps 112-117) : Mc 14, 26 et Mt 26, 30.

XLI

INTRODUCTION

11 de l' Epître aux Romains, Paul voit dans les psaumes l'annonce de la conversion des païens: «Je l'affirme en effet, le Christ s'est fait ministre des circoncis, à l'honneur de la véracité divine, pour accomplir les promesses faites aux patriarches, et les nations glorifient Dieu pour sa miséricorde, selon le mot de l'Ecriture: C'est pourquoi je te louerai parmi les nations et je chanterai à la gloire de ton nom (Ps 18, 50), et cet autre: Nations, exultez avec son peuple (Deut 32, 43), ou encore: Toutes les nations, louez le Seigneur, et que tous les peuples le célèbrent (Ps ll7, 1)>,1 4 .

Le christianisme antique Mais c'est l'Antiquité latine qui a enseigné au Moyen Âge que la prière du Christ accomplit les prières de tous les hommes. Ainsi pour saint Augustin, c'est précisément ce mystère de récapitulation qui se joue dans les psaumes, puisqu'un seul y chante, le Christ total, à la fois tête et membres de 1' Église: «Dans les psaumes, nous ne devons pas entendre la voix d'un homme en prière, mais la voix de tous ceux qui sont dans le corps du Christ. Comme tous les hommes sont rassemblés en son Corps, on reconnaît qu'ils parlent comme si un seul parlait; le Christ, tous les hommes ce n'est qu'un. Ils sont innombrables, pris en eux-mêmes; ils sont Un en Celui qui est Un>> (In Ps 130); «Dieu ne pouvait faire aux hommes un don plus magnifique que de leur accorder pour tête son propre Verbe par lequel il a créé toutes choses, et de les associer à cette Tête comme ses membres, afin qu'il soit tout à la fois Fils de Dieu et Fils d'homme, un seul Dieu avec le Père, un seul homme avec les hommes; afin qu'en adressant à Dieu nos prières, nous n'en séparions pas le Christ, et que le Corps du Christ offrant ses prières ne soit pas séparé de sa Tête; afin que notre Seigneur Jésus Christ, Fils de Dieu, unique Sauveur de son Corps, prie pour nous, prie en nous et reçoive nos prières. Il prie pour nous comme notre prêtre, il prie en nous comme notre Tête, il reçoit nos prières comme notre Dieu. En lui, c'est nous qui parlons; en nous, c'est lui qui parle>> (In Ps 85) 15 •

C'est donc cette lecture christologique des psaumes qui explique que les chrétiens, dès 1' Antiquité, aient privilégié le psautier comme base pour la prière commune, comme l'atteste pour les débuts du monachisme Jean Cassien Ct 435), au second livre de ses Institutions cénobitiques: «Quelqu'un se leva au milieu pour chanter des psaumes au Seigneur. Tous étaient assis- comme c'est aujourd'hui encore la coutume en Egyptel'attention de leur cœur fixé aux paroles du chantre. Lorsque ce dernier eut chanté onze psaumes séparés par des prières, les versets se suivant saus interruption avec un débit uniforme, il acheva le douzième par le répons d'un alléluia et se déroba subitement aux regards de tous ( ... )A partir de ce moment, comprenant 14 Voir F. Vandenbroucke, «Le psautier, prophétie ou prière du Christ?>>, Les Questions Liturgiques et Paroissiales, 33, 1952, p. 201 sq. 15 A. M. Besnard, S. Augustin, prier les psaumes, Paris, 1964, p. 91 et 61-62; CCSL 40, p. 1899;39,p. 1176.

XLII

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

que, par l'enseignement d'un ange, le Seigneur avait voulu fixer une règle générale pour les réunions des frères, la vénérable assemblée des Pères décida que ce nombre serait gardé aussi bien dans les réunions du soir que dans celle de la nuit. .. » 16 .

Il apporte un peu plus loin cette précision au sujet de la façon de dire les psaumes: «C'est pourquoi, même les psaumes qu'ils chantent dans les assemblées, ils ne cherchent pas à les réciter d'une seule traite, mais selon le nombre des versets, ils ne vont jusqu'au bout qu'en les coupant en deux ou trois sections par les prières intercalaires. En effet, ils ne se satisfont pas du nombre des versets, mais de l'intelligence spirituelle, s'appliquant de toutes leurs forces à cet avis: 'Je chanterai avec l'esprit, je chanterai aussi avec l'intelligence'. Aussi estimentils plus profitable de chanter dix versets avec application que de dévider tout un psaume avec l'esprit brumeux( ... )>>.

On comprend donc que dès le IVe siècle on intercalait, entre les psaumes, des prières destinées à orienter les intentions eucologiques de l'assemblée en fonction des thèmes propres à chacun des textes utilisés dans l' office 17 . On connaît trois grandes séries de ces collectes psalrniques: une série africaine, une série italienne 18 (série qui selon Ch. Mohrmann pourrait être l'œuvre de Cassiodore, et provenir du Vivarium) 19 , et une série hispanique, toutes trois inspirées de l'Ecriture et des commentaires exégétiques du psautier20 . Mais ce qui est particulièrement intéressant ici, c'est l' émergence de la tradition des psautiers abrégés dans le cadre du développement de la dévotion privée. Prières privées et liturgie En effet, si la récitation des psaumes et des cantiques bibliques a toujours été privilégiée dans la liturgie et dans l'office des Heures 21 , les psaumes ont également été 16 édition J.-C. Guy, Paris, 1965 (SC, 109). Sur ce sujet voir aussi l'ouvrage du Père R. Taft, La Liturgie des Heures en Orient et en Occident. Origine et sens de l'Office divin, Turnhout, 1991, (Mysteria, 2),passim. 17 Voir aussi Le Journal de Voyage d'Egérie (381-384), édité par P. Maraval, Paris, 1982 (SC, 296). 18 L. Brou et A. Wilmart, The Psalter Collects from V- VI Century Sources, Londres, 1949 (HBS, 83), et PL 26, col. 821-1270: «Breuiarium in psalmos». 19 «A propos des Collectes du psautier», Vigiliœ Christianœ, 6, 1952, p. 17. 20 Recomposition et édition critique par dom J. Pinell, Liber orationum psalmographus. Colectas de salmos del antigua rita hispânico, Barcelone-Madrid, 1972 (Monumenta Hispaniœ Sacra, Series liturgica, vol. IX). 21 Voir par exemple la Règle de s. Benoît, ch. 18, v. 22 sq.: «Nous avertissons expressément que si cette distribution des psaumes ne convient pas à quelqu'un, il peut établir un autre ordre qu'il jugera meilleur, pourvu toutefois que chaque semaine le psautier soit chanté en entier avec ses cent-cinquante psaumes, et qu'on le recommence toujours aux Vigiles du dimanche; car ils font trop paresseusement le service qu'ils ont voué, les moines qui dans le cours d'une semaine chantent moins que le psautier avec les cantiques en usage; quand nous lisons que nos saints Pères remplissaient vaillamment cette tâche en un seul jour, acquittons-la du moins, lâches que nous sommes, dans la semaine.»

XLIII

INTRODUCTION

utilisés à des fins d'oraison privée. Il n'est bien sûr pas étonnant que la dévotion privée puise son inspiration eucologique dans les textes cardinaux de la liturgie, l'office commun jouant en quelque sorte le rôle de matrice spirituelle de la dévotion privée, cette dernière enrichissant d'ailleurs à son tour la liturgie par des prières qui sont peu à peu entrées dans l'ordo de l'office. La liturgie et la dévotion privée se renvoient donc l'une à l'autre sans solution de continuité, la prière privée poursuivant dans le silence la prière de l'office commun, qui en échange la nourrit22 • Toutefois, en ce qui concerne le psautier, son changement d'utilisation a également entraîné une modification de sa présentation, et on voit apparaître vers le siècle des psautiers abrégés et autres flores psalmorum. Il semble, d'après une lettre qu'Alcuin ( t 804) fit parvenir en 802 à son ami Amon de Salzbourg, que c'est à Bède le Vénérable que revienne l'initiative d'une telle pratique. En effet, Alcuin décrivant dans sa lettre un manuel de dévotion23 qu'il fait parvenir par le même courrier, écrit que: «ce livret contient encore le petit psautier attribué au saint prêtre Bède, que ce dernier a confectionné en recueillant dans chaque psaume, selon la vérité hébraïque, les versets qui conviennent à la louange de Dieu et à la prière( .. .)» 24 .

vnc

La mention de ce psalterium paruum semble bien être la trace la plus ancienne du changement qui est en train de s'opérer dans l'utilisation des psaumes. C'est également le nom de Bède qui apparaît, un peu plus tard, dans la préface du psautier abrégé de Verceil, préface transmise sous le nom d'Eginhard (t 840?5 :

22 Voir J. Leclercq, «Dévotion privée, piété populaire et liturgie au moyen âge>>, Etudes de pastorale liturgique, Paris, 1944, p. 153. 23 R. Constantinescu, «Alcuin et les Libelli precum de l'époque carolingienne>>, RHSpir, 50, 197 4, p. 18, n. 6 identifie ce manuel avec le livre Ad Fredegisum in psalmos, mentionné par la Vita Alcuini (MGH, SS, 15, l, p. 195). Il subsiste un exemplaire presque contemporain de ce recueil dans le manuscrit 106 de la Diêizesanbibliothek de Cologne, copié à Cologne vers 805: voir L. W. Jones, «Cologne Ms. 106: a book ofHildebald>>, Spec, 4, 1929, p. 27-61 et The Script of Cologne, Cambridge (Mass.), 1932, p. 42. 24 MGH, Epist., 4, p. 417, Ep. 259 = Ep. 156, in PL 100, col. 407-408: «( ... )est quoque in eo libella psalterium paruum quod dicitur beati Bedœ presbyte ri, psalterium quod ille collegif per uersos dulces in laude Dei et orationibus per singulos psalmos iuxta Hebraicam ueritatem ( ... )>>. 25 M. Vatasso, , Bessarione, 19, 1915, p. 92-104, avait cru pouvoir identifier le psautier abrégé de Verceil avec le Libellus Einardi de Psalmis mentionné par Sigebert de Gembloux dans son Liber de scriptoribus ecclesiasticis (PL 160, col. 566), indiqué également dans le catalogue de Bobbio au IXe siècle. Mais dom Salmon a démontré que ce psautier a été écrit en Allemagne au IXe siècle, et que le nom d'Eginhard en tête de la préface était sans doute un pseudonyme. Le manuscrit de Verceil (Bibl. Cap., Eusebiana 149) comprend principalement un psautier Gallican, avec pour chaque psaume, titres chrétiens, oraisons psalmiques (série romaine ou italienne des oraisons psalmiques) et gloses marginales; il renferme également comme tous les psautiers de cette époque, les cantiques bibliques, les symboles, des litanies et des preces, seconde partie où se trouve le psautier abrégé, f. 146-154: voir Testimonia orationis christianœ antiquioris, éd. P. Salmon, C. Coebergh, et P. de Puniet, Turnhout, 1987 (CCCM, 47), introduction, p. 39-53.

XLIV

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

«Préface d'Eginhard ( ... ).Avant moi, Bède, prêtre angle, a fait un tel recueil qui pourrait suffire à ceux qui veulent l'avoir, s'il ne 1' avait pas fait à partir du psautier que nous appelons hébreu ... >> 26 .

Il n'est pas anodin que dans les deux cas, la figure invoquée soit celle de Bède le Vénérable (t 735), maître d' LElbert d'York, dont Alcuin fut le disciple, et que Notker le Bègue (t 912) désigne comme «Un nouveau soleil surgi de l'Occident pour illuminer toute la terre>> 27 • En quoi consiste alors ce «petit psautier>> que Bède aurait composé en «recueillant dans chaque psaume, selon la vérité hébraïque, les versets qui conviennent à la louange de Dieu et à la prière>>? Ce que la tradition occidentale connaît sous le nom de Collectio psalterii Bedœ 28 est en fait un choix de versets psalmiques, entre un et dix vers suivant les psaumes (mais la moyenne est de deux ou trois versets par poème), qui pour chaque psaume offre des formules qui peuvent être directement assumées29. La Collectio est alors suivie d'un recueil eucologique, ayant pour but d'aider le chrétien à exprimer sa prière personnelle. Ce texte fut d'abord publié parE. Martène à Paris en 171730 sous le nom de Bède suivant un ancien manuscrit de Saint-Germain-des-Près31: Paris, B. N., lat 13388, Saint-Martin de Tours, IXe s., f. 82-106: «lncipiunt uersi uenerabilis Bedœ presbyteri collecti de singulis psalmis orationibus conuenientes cotidianis>>; A. Wilmart en donna à nouveau une édition dans ses Precum Libelli quattuor JEvi Karolini 32 , en attribuant également le texte à Bède. La même composition fut encore reprise sous le titre de « Collectio psalterii Bedœ >> parmi les œuvres d'Alcuin, dans 1' édition de Duchesne33 qui utilisa le manuscrit Paris, B. N. lat 1153, Saint-Denis, IXe s., f. 56v-65v. Enfin J. Fraipont fit du texte une édition critique, sur la base des deux témoins déjà cités, et du manuscrit de Cologne, Diozesanbibliothek 106, Cologne, IXe s., f. 65-71: «Dicta Bedœ presbyteri>>. Les modernes ont d'ordinaire accordé à Bède la paternité sinon du Libellus precum (PL 94, col. 529-532 sq.), du moins de la Collectio psalterii (PL 94, col. 515-529 sq.). Mais leur source commune est la phrase d'Alcuin déjà citée, où l'emploi de dicitur semble au contraire faire peser sur 1' ouvrage 1' ombre du doute, doute renforcé par l'absence de toute mention de cet ouvrage dans la liste de ses œuvres établie par Bède en personne dans la partie autobiographique qui sert de dernier chapitre à son Histoi-

26

Psalterium Vercellense, éd. P. Salmon, ibidem, p. 55, 1. 11: «Prefatio Einhardi (. .. ) Fecit hanc excerptionem ante me Beda presbyter Anglorum, quœ sufficere potest illam habere uolentibus, si de illo psalterio, quod Hebraicum appellamus, eam nonfecisset... >>. 27 Notatio de illustribus uiris, PL 131, col. 996: >. 28 Je dois à M. Gorman des éclaircissements importants concernant l'histoire et l'attribution de ce texte: qu'il en soit ici remercié. 29 Voir P. Salmon, Analecta Liturgica. Extraits des manuscrits liturgiques de la bibliothèque Vaticane. Contribution à l'histoire de la prière chrétienne, Vatican, 1974 (Studi e Testi, 273), p. 69-70. 30 Thesaurus nouus anecdotorum, Paris, 1717, vol. 5, col. 383-394. 31 Edition reprise par J. P. Migne PL 94, col. 515-527. 32 Rome, 1940, p. 143-159. 33 PL 101, col. 569-579.

XLV

INTRODUCTION

re ecclésiastique 34 . Cette assertion fut ensuite reprise et amplifiée pendant tout le Moyen

Âge, comme dans la préface du psautier abrégé de Verceil déjà cité, ou chez Sigebert de Gembloux (t 1112) qui dans le chapitre consacré à Eginhard (ch. 84) de son De scriptoribus ecclesiasticis 35 , affirme à son tour que ce dernier a imité l'œuvre de Bède qui avait abrégé le psautier hébraïque 36 , ouvrage dont pourtant lui-même ne fait aucunement mention dans son chapitre sur Bède (ch. 68, col. 561-562). Les modernes n'ont fait alors que reprendre l'attribution médiévale à Bède37 , transformant ainsi une tradition en certitude. Un second ouvrage, plus directement lié à l'exégèse des psaumes, est également attribué à Bède dans de nombreux manuscrits, le In psalmorum librum exegesis38. On en trouve le texte dans un manuscrit de Münich, Clm 14387, IXe s., Salzbourg ou Saint-Amand, f. 20-94, imprimé par Heerwagen dans son édition des œuvres de Bède parue à Bâle en 1563 39 , et repris ensuite par Migne (PL 93, col. 477-1104). Il est également présent dans Paris, B.N. lat. 12273, xe s., Corbie, et dans un témoin

34 Bede's Ecclesiastical History of the English People, éd. B. Colgrave et R. A. B. Mynors, Oxford, 1969, et Bède, Histoire ecclésiastique du peuple anglais, traduit de l'anglais et du latin, présenté et annoté par Ph. Delaveau, Paris, 1995 (L'Aube des Peuples), Livre V, ch. 24 B, p. 365-367: «Depuis mon ordination sacerdotale jusqu'à ma cinquante-neuvième année, je me suis appliqué, tant pour mes propres besoins que pour ceux de mes frères, à reproduire, sous une forme brève, des commentaires sur les Ecritures saintes que j'ai tirés des œuvres des saints Pères, surajoutant ma contribution à la formule de leurs interprétations( ... )>>. 35 PL 160, col. 566-567. 36 «Hic imitatus Bedam, qui abbreuiauit Hebraicum psalterium, excerpendo de illo omnes uersus, uerba orationis habentes>>. Pour le texte hébreu du psautier, voir H. de Sainte-Marie, S. Hieronymi Psalterium iuxta Hebrœos, Vatican, 1954 (Collect. Biblica Latina, XI). 37 Voir p. ex. F. J. E. Raby (DHGE, 7, 1934, col. 401) qui pense que si le Libellus precum (PL 94, col. 529 sq.) ne doit pas être regardé comme l'œuvre de Bède, par contre le psautier abrégé (PL 94, col. 515-527 et 101, col. 569 sq.) ;de même F. Vernet, DSp, 1, 1937, col. 1324: «Le Libellus precum publié sous le nom de Bède n'est pas inscrit dans son catalogue .... Le centon des psaumes (col. 515-527) peut être de Bède>>. La Clavis par contre considère que cette œuvre est authentique: «genuitas confirmatur>>, tout comme B. Ward, qui a consacré à cette œuvre le seul article sur la question, en proposant en outre une traduction anglaise de la Collectio psalterii: «Bede and the Psalter>>, Bede and his world. The Jarrow Lectures, vol. 2, 1979-1993, Aldershot, 1994, p. 872-902. 38 On trouve in PL 93, col. 587-612 un recueil composé vers 1140-1150, intitulé In Psalmorum librum exegesis, où pour chaque psaume sont donnés un Argumentum - qui représente en fait la série des tituli tributaires de Théodore de Mopsueste -, puis une Explanatio tirée du Commentaire du psautier de Cassiodore (Expositio psalmorum, éd. M. Adriaen, Turnhout, 1958 (CCSL, 97 et 98)), et enfin un Commentarius qui est de Manegold de Lautenbach (t d. XIIe s.): voir J. Leclercq, «Les psaumes 20-25 chez les commentateurs du haut moyen âge>>, Richesses et déficiences des anciens psautiers latins, Vatican, 1959 (Collectanea Biblica Latina, 13). 39 Voir B. Bischoff, «Zur Kritik der Heerwagenschen Ausgabe von Bedas Werken (Basel, 1563)>>, 1933, repris dans Mittelateinischen Studien, 1, 1966, p. 112-117. Voir aussi H. Weisweiler, «Die handschriftlichen Vorlagen zum Erstdruck von Pseudo-Beda, In Psalmorum librum exegesis>>, Biblica, 18, 1937, p. 197-204.

XLVI

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

copié à Zwiefalten vers 1100, Stuttgart, Theol. Phil. Fol. 20640 . Parmi les six parties qui le composent, seul pourrait être rendu à Bède le Liber de titulis psalmorum41 , où pour chacun des cent cinquante psaumes Bède, plus copiste que rédacteur, reprend une phrase d'introduction résumant la version latine de Théodore de Mopsueste (t 428) 42 • On pourrait éventuellement y ajouter l' Interpretatio psalterii artis cantilenœ (Sb), attestée sous le nom de Bède dans plus de cent vingt manuscrits43 . Dans ces deux ouvrages, l'exégèse développée n'est ni historique, ni littérale, mais spirituelle, chaque psaume étant analysé comme annonçant l'œuvre rédemptrice du Christ. Typologie des psautiers abrégés A partir des différents psautiers abrégés conservés, il est permis de distinguer trois types d'ouvrages, qui correspondent aussi à trois formes d'utilisation différentes. Ainsi, la Collectio psalterii attribuée à Bède demeure très proche du texte biblique, son texte étant celui du psautier iuxta Hebrœos selon une recension insulaire44 • Elle n'omet aucun des cent cinquante psaumes et tente de donner une idée générale de chaque texte. En voici quelques exemples 45 : Ps 1

(

... )

Ps 3

1 Beatus uir qui non abiit in consilio impiorum. Et in uia peccatorum non stetit. Et in cathedra derisorum non sedit. 2 Sed in lege Domini uoluntas eius. Et in lege eius meditabitur die ac nocte. 3 Et erit tamquam lignum transplantatum iuxta riuulos aquarum. Quod fructum suum dabit in tempo re suo. Et folium eius non dejluet. Et omne quod fecerit prosperabitur.

4 Tu autem Domine clypeus circa me. Gloria mea et exaltans caput meum. 7 Surge Domine saluum me fac, Deus meus.

( ... )

Ps 20 (

... )

Ps 72

14 Exaltare Domine infortitudine tua. Cantabimus et psallimus fortitudines tuas. 28 Mihi autem propinquare Deo bonum est, posui in Domino Deo spem meam.

( ... )

Ps 150

6 Omne quod spirat, laudet Dominum.

40 Voir B. Fischer, "Bedre de titulis psalmorum liber», Festschrift Bernhard Bischoff, 1971, p. 90-110. 41 Voir P. Salmon, Les 'Tituli psalmorum' des manuscrits latins, Rome-Vatican, 1959 (Collectanea Biblica Latina, 12), séries I et VI; PL 93, col. 477-1104. 42 Voir R. L. Ramsay, "Theodore of Mopsuestia in Eng1and and Ireland>>, Zeitschrift für celtische Philologie, 8, 1912, p. 452-497, et Theodori Mopsuesteni Expositio in Psalmos, ed. L. De Coninck, Turnhout, 1977 (édition du texte grec traduit en latin par Julien d'Eclane). 43 M.L.W. Laistner, A Rand-List of Bede Manuscripts, 1943, p. 17. 44 Analecta Liturgica, éd. P. Salmon, Vatican, 1974 (Studi e Testi, 273), p. 69. 45 éd. J. Fraipont, Turnhout, 1955 (CCSL, 122), p. 452-470.

XLVII

INTRODUCTION

C'est le même esprit qui anime les Flores psalmorum46 de Prudence de Troyes (t 861), composées vers 830-833, qui veut lui aussi rester le plus proche possible de l'expression de la prière formulée dans chacun des psaumes bibliques. Toutefois, il ne s'agit plus d'une simple compilation, mais à raison d'un texte pour chacun des cent cinquante psaumes, Prudence cherche à développer une prière plus personnelle. On y trouve peu de trace des psaumes historiques ou prophétiques, encore moins des malédictions contre les impies; les psaumes messianiques ou ceux du règne de Yahvé ne semblent pas non plus l'avoir beaucoup intéressé. Ces Flores sont donc avant tout un recueil d'expressions de confiance en Dieu et d'actions de grâces sous forme individuelle, qui anticipent en quelque sorte les textes de la devotio moderna47 • En voici quelques exemples: Ps 1

Ps 150

Domine Iesu Christe rex altissime, Filius benedicti Patris, fac me sociari inter uiuos beatos, qui in lege tua meditantur die ac nocte. Et dignum esse cum omnibus qui confidunt in te etc ... In omni etenim loco dominationes tuœ, te benedico, te glorifico, te adora et cum omnibus qui in lege tua meditantur die ac nocte adhœrere et sociari delector atque desidero et te lauda in terris quem omnis spiritus in excelsis laudat Dominum de cœlis. Tibi laus, tibi honor, tibi gloria Dea Patri et Filio et Spiritui Sancto qui sine fine regnas in sœcula sœculorum. Amen. 48

Mais très rapidement, le texte biblique va être également adapté en vue de réaliser une prière plus expressive de sentiments, développant une nouvelle forme de spiritualité chrétienne. On peut citer comme exemple d'une telle transformation le psautier abrégé du Livre de Cerne et celui du manuscrit de Verceil. Le premier trouve place dans un beau recueil réunissant du matériel celte, anglosaxon, carolingien et romain, et qui représente le seul manuscrit enluminé qui subsiste du puissant royaume de Mercie49 • Cet ouvrage était destiné à la dévotion privée, et fut composé entre 818 et 830 pour !Ethelwald, évêque de Lichfield. M. P. Brown considère qu'il peut être interprété comme une méditation sur la communion des saints, les prières servant à leur invocation pour le bien de tous 50 ; en outre, la présence de péricapes évangéliques en tête du recueil semble indiquer que sa lecture est à elle seule une véritable prière 51 . Après le récit de la Passion selon les quatre Evangiles, un poème

46

Analecta Liturgica, op. cit., p. 94 sq. ibidem, p. 74. 48 Analecta Liturgica, op. cit., p. 74 sq. 49 The Frayer Book of /Edeluald the Bishop, commonly called the Book of Cerne, édité par A. B. Kuypers, Cambridge, 1902; M. P. Brown, The Book of Cerne. Patronage and Power in ninth-century England, Londres-Toronto, 1996 (The British Library Studies in Medieval Cul47

ture, 1). 50

Id., op. cit., p. 148. Voir J. P. Bouhot, Prier au moyen âge. Pratiques et Expériences (Ve-xve siècle), Turnhout, 1991, p. 24. 51

XLVIII

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

acrostiche 52 , des prières (confessions de louange ou de pénitence, prière à Dieu, à la Trinité, à chacune des trois personnes divines, au Christ, à la croix, aux anges, à la Vierge, à saint Jean Baptiste, aux Apôtres, à saint Pierre et à saint André) avec quelques hymnes et des oraisons liturgiques (f. 40v-87v), et avant un dialogue entre Adam, Eve et le Christ quand il vient les rechercher aux Enfers (f. 98v-99), on trouve le psautier abrégé (f. 87v- 98) 53 avec la rubrique suivante: Hoc argumentumforsorii (uersarii) /Edelvald episcopus decerpsit. Il y manque les psaumes 11, 13, 14, 19, 20, 23, 41, 42, 49,52,57,60,62,66, 73-75,77,79-83,86,90,92,95- 100,104,107,109,116,118136, 143, 147, 15054 • Le psautier abrégé de Verceil (seconde moitié du IXe siècle), fondé pour sa part sur le psautier romain, marque la même préoccupation «de trouver des expressions pouvant s'adapter à une prière personnelle d'invocation et de louange, d'appels à la miséricorde et au pardon, d'espérance et d'action de grâces» 55 . Là encore seule une partie du psautier est utilisée (environ les deux tiers), et parmi ces textes le compilateur a extrait seulement quelques formules et expressions agencées en une seule prière. Sont exclus les psaumes 1, 2, 13, 14, 23, 28, 33, 36, 45, 52, 57, 71, 77, 86, 92, 94, 95, 97, 99, 103, 104, 106, 109, 111, 112, 116, 120, 121, 123, 125-128, 130-133, 135, 136, 144-150, soit quarante-sept psaumes sur cent cinquante. Les textes «oubliés» sont les psaumes historiques, ceux du règne de Yahvé, les psaumes royaux, messianiques ou didactiques, à l'exception du psaume 118. Les textes utilisés le plus largement sont les psaumes 30, 37, 50, 68, 70, 85, 118, 142 et 144; seul le psaume 102 est cité intégralement, et c'est le psaume 144, hymne à la grandeur et à la Providence divines, qui sert de conclusion aux supplications et prépare l'hymne final d'action de grâces 56 . En comparant en outre le texte de la collection attribuée à Bède avec le texte de Verceil, dom Salmon a pu remarquer que ce dernier a utilisé de façon systématique la Collectio psalterii, en réemployant son texte quatre-vingts fois et en cherchant à le compléter. Le dessein n'est plus dès lors de donner une idée générale du contenu de chaque psaume, mais plutôt de composer une prière personnelle faite d'extraits de psaumes. Voici quelques exemples extraits du Psalterium Vercellense 57 : Ps3

Ps 20

52 53

2 Domine quid multiplicati sunt qui tribulant me multi insurgunt aduersum me. 3 Multi dicunt animœ meœ non est salus ipsi in Dea eius. 4 Tu autem Domine susceptor meus es gloria mea et exaltans caput meum. 7 Exsurge Domine saluum me fac Deus meus et super populum tuum sit benedictio tua. 14 Exaltare Domine in uirtute tua cantauimus et psallemus uirtutes tuas.

f. 21: /Edelvald episcopus. Voir en particulier M. P. Brown, op. cit., p. 129 sq.: «Observations on the textual com-

ponents>>. 54

Analecta Liturgica, op. cit., p. 70. Psalterium Vercellense, éd. P. Salmon, Turnhout, 1977 (CCCM, 47), p. 44. 56 ibidem, p. 41. 57 ibidem.

55

XLIX

INTRODUCTION

Enfin un troisième type de psautier abrégé, dit« Verba mea ... » 58 , souvent attribué à tort à saint Jérôme, apparaît à la suite du psautier de Verceil59 • Beaucoup plus court que le précédent, il est davantage lié à la liturgie, dont ils va devenir paradoxalement une forme de substitut, le Breuiarium psalterii anticipant sur le Breuiarium officii.

Développement des ouvrages de dévotion Prière personnelle et psautiers abrégés La raison principale de la fortune qu'ont connue les psautiers abrégés est avant tout pratique, comme le montre Prudence de Troyes qui explique dans sa préface qu'il a composé son ouvrage non seulement pour répondre à la demande d'une noble dame, mais aussi pour que tous ceux qui seraient empêchés de célébrer l'office solennel puissent quand même le faire en privé: «Que ceux qui ne peuvent lire le psauti~r en entier, et qui ne peuvent non plus participer à la célébration des heures canonique~, ne rechignent pas à répéter dans leur cœur et leur bouche ces petits versets(-/"). En eux, comme il a été écrit, on peut avec l'aide du Seigneur Ch~ist- en/tenant le tout pour la partie et la partie pour le tout- accomplir les cent-cinq~nte ps>. 61 Voir Institutions, 10.

L

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

transmise par les rares survivants des Pères très anciens, de même nous ne la livrons qu'à un très petit nombre qui en ont vraiment soif. Donc pour avoir le souvenir perpétuel de Dieu, voici la formule de piété qui vous est proposée inséparablement: Dieu viens à mon aide; Seigneur, hâte-toi de me secourir (Ps 69, 2)>> 62 • La préface du Pseudo-Eginhard, auteur du psautier de Verceil va encore plus loin, qui précise que: «le livre des psaumes, bien que tout son contenu soit sacré et qu'il soit considéré comme beaucoup plus approprié pour célébrer l'office divin que les autres livres de l'Ecriture Sainte, ne peut convenir dans son entier à ceux qui veulent invoquer Dieu et le supplier pour leurs péchés. C'est pourquoi j'ai pris soin de recueillir les passages qui semblent convenir à cet usage particulier, et d'en faire un seullivret. .. >> 63 . La préoccupation est dès lors de trouver dans le Livre de David des expressions pouvant se prêter à la prière du pécheur et s'adapter à une prière personnelle d'invocation, de louange, d'appels à la miséricorde et au pardon, d'espérance et d'action de grâces. Sans plus s'inquiéter du contexte biblique, on recherche les mots qui permettent de s'adresser à Dieu en usant de son propre langage. De cette manière les versets du psalmiste incitent moins à la répétition qu'à l'invention, créant pour chaque situation nouvelle des voix inédites: les extraits des psaumes se font alors prière personnelle, créant un genre littéraire nouveau. Cet usage du psautier est bien attesté dans les vies de saints, et si au XIe siècle Pierre Damien fait dire à saint Romuald, à propos de la prière intime:« Vna uia est in psalmis>> 64 , on lit déjà dans la vie de saintAnschaire (t 865) que «des passages de la Bible qui portaient à la componction, il s'était fait, pour chaque psaume, une petite prière à lui .. .il ne s'y souciait guère de l'ordonnance des mots; il y recherchait seulement la componction du cœur>> 65 • 62 Conférences 10, édition E. Pichery, Paris, 1958 (SC, 54), p. 85: «huius quoque spiritalis theoriœ tradenda uobis est formula, ad quam semper tenacissime uestrum intuitum defigentes uel eandem salubriter uoluere indisrupta iugitate discatis uel sublimiores intuitus scande re illius usu ac meditatione possitis. Hœc igitur uobis huius quam quœritis disciplina: atque orationis formula proponetur, quam unusquisque monachus ad iugem Dei memoriam tendens incessabili cordis uolutatione meditari expulsa omnium cogitationum uarietate consuescat, quia nec alias eam ullo modo pote rit retentare, nisi ab omnibus fuerit corporalibus curis ac sollicitudinibus absolutus. Quœ sicut nabis a paucis qui antiquissimorum patrum residui erant tradita est, ita a nabis quoque non nisi rarissimis ac uere sitientibus intimatur. Erit itaque ad perpetuam Dei memoriam possidendam hœc inseparabliter proposita uobis formula pietatis: 'Deus in adiutorium meum intende; Domine ad adiuuandum mihifestina'... >>. 63 Psalterium Vercellense, op. cit., p. 54: «Liber psalmorum quamuis totus sacer sit, atque ad diuina officia celebranda ce te ris Sanctœ Scripturœ lib ris multo accomodatior habeatur, Deum tamen inuocare ac pro suis peccatis supplicare uolentibus totus conuenire non potest. Idcirco eam partem, quœ ad hoc proprie pertinere uidetur, excerpere, atque unum ex ea libellum conficere curaui .. . >>. 64 Pierre Damien, Vita B. Romualdi, éd. J. Leclercq, Saint Pierre Damien, Ermite et Homme d'Eglise, Rome, 1960, p. 24-35. 65 PL 118, col. 1002 C: «ex ipsis compunctiuis rebus, ex sacra Scriptura sumptis, per omnes psalmos propriam aptauit oratiunculam ( ... ). In quibus uidelicet figmentis, non compositionem uerborum curabat, sed compunctionem cordis tantum quœrebat .. . >>

LI

INTRODUCTION

Alcuin Mais le principal artisan de l'utilisation de plus en plus importante des psaumes dans la prière personnelle, ce fut Alcuin 66 , comme le montre le petit manuel de dévotion qu'il fit copier vers 802 à l'intention de son ami Arnon de Salzbourg: ce «petit manuel contient beaucoup de choses sur des sujets divers: de brèves expositions sur les sept psaumes de la pénitence, sur le psaume 118 et pareillement sur les quinze psaumes des degrés; ce livret contient encore le petit psautier attribué au saint prêtre Bède et que ce dernier a confectionné en recueillant dans chaque psaume selon la vérité hébraïque les versets qui conviennent à la louange de Dieu et à la prière; il contient encore le très bel hymne Sur la création en six jours et les six âges du monde; on y trouve la lettre sur la confession que nous avons rédigée pour les enfants et les jeunes élèves; on y trouve l'ancien hymne sur les quinze psaumes des degrés; il renferme encore diverses prières et aussi le très noble hymne en vers élégiaques ... sur une reine nommée Edildryde» 67 .

Alcuin serait également l'auteur du De psalmorum usu, petit guide spirituel destiné aux pratiques de dévotion de l'empereur, «maintes fois copié, remanié ou imité» 68 , et qui est en fait une forme d'introduction au psautier à l'usage des laïques. L'original en est perdu, mais on en possède une copie assez fidèle grâce au livre de prières de Charles le Chauve69 ; on peut citer également comme témoins proches le manuel de

66 Alcuin (c. 730-804), moine anglais originaire de Northun1brie, fut élève puis maître de l'école épiscopale d'York. A la demande de Charlemagne, il prit la tête de l'école palatine d'Aix-la-Chapelle en 782. Maître à penser du monde franc, il participa entre autres à la réforme liturgique de cette époque en révisant le Lectionnaire et le Sacramentaire grégoriens. En 796, il devint abbé de Saint-Martin de Tours dont il fit un des foyers de la renaissance carolingienne, voir DFM, p. 31. 67 MGH, Epist., 4, p. 417, Ep. 259 = Ep. 156, in PL 100, col. 407-408: «manualem libellum multa continentem de diuersis rebus, id est breues expositiones in psalmos XV pœnitentiœ, in psalmum quoque CXVIII, similiter in psalmos XV graduum (PL 100, col. 570-638; tradition manuscrite, R. Constantinescu, op. cit., p. 18, n. 7); est quoque in eo libella psalterium paruum quod dicitur beati Bedœ presbyteri, psalterium quod ille collegit per uersos dulces in laude Dei et orationibus per singulos psalmos iuxta Hebraicam ueritatem; est quoque hymnus pulcherrimus De sex dierum opere et sex œtatibus mundi (CCSL, 122, p. 407 sq.); est in eo epistula de confessione quamfecimus ad infantes et pueras (Ep 131, MGH, Epist., 4, p. 193-198); et est in eo hymnus uetus de XV psalmis graduum (PL 100, col. 637-640); habet et alias orationes et hymnum... de quadam regina, Edildryde nomine >>. 68 R. Constantinescu, «Alcuin et les Libelli Precum de l'époque carolingienne>>, RAM, 50, 1974, p. 19-20. Voir aussi A. Wilmart, «Le manuel de prières de saint Jean Gualbert>>, RB, 48, 1936, p. 263 sq. Le savant bénédictin a souligné l'influence qu'a exercée cet ouvrage sur l'œuvre de Jean de Fécamp «à tel point que j'avais d'abord songé à lui en attribuer la rédaction, avant d'avoir identifié les exemplaires romains du rxe siècle>>, p. 265. 69 Voir W. Meyer, «Ueber das Gebetbuch Karls des Kahlen in der Kôniglichen Schatzkanuner in München>>, Sitzungsberichte der Baye ris chen Akademie, 1883, p. 424-436. Voir aussi la lettre d'Alcuin à Charlemagne «Beatus igitur Dauid rex magnus ... >>, éditée par E. Dümler, MGH, Epistolœ Carolini lEvi, 2, 1895, n. 304, p. 462 et A. Wilmart, Precum Libelli, p. 33 n. l

LII

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

prières de Louis le Germanique, le Livre de Beauvais et celui d'Eptemach 70 • Le De psalmorum usu propose huit groupements thématiques de psaumes. Il a contribué à organiser la prière privée à l'imitation de l'office liturgique, en introduisant même une seconde et une douzième heures afin d'établir une correspondance entre l'office et le décalogue de Moïse. On connaît également un De psalmorum usu liber, attribué faussement à Alcuin, et dont le texte fut publié à Cologne en 1571 d'après un manuscrit aujourd'hui inconnu 71 . C'est un lieu de rencontre de différents genres de prières privées carolingiennes, composé de trois parties: un bref directoire pour l'usage des psaumes dans les diverses circonstances de la vie (col. 465-468) 72 , un court traité en dix-sept chapitres sur la prière privée (col. 468-492) 73 , et un livret de prières pour diverses circonstances divisé en quinze chapitres (col. 493-508). Restent enfin les Officia per ferias 74 , qui sont un recueil composite de prières pour la dévotion privée autour d'une certaine distribution du psautier, dédié à Charlemagne et sans doute composé en France dans les milieux fidèles au souvenir d'Alcuin vers les Vllle-Ixe siècles 75 • Libelli precum carolingiens

On comprend donc que la place fondamentale qu'occupent les psaumes dans les libelli precum carolingiens, soit sous forme d'extraits du psautier, accompagnés parfois d'un bref commentaire ou d'une courte prière, soit plus simplement sous forme de versets isolés, est directement liée au développement depuis le vne siècle des psautiers abrégés. Et même si ces derniers ont pu également jouer un rôle dans la prière publique, ils étaient destinés avant tout à la prière privée, des moines et des clercs d'abord, puis assez rapidement des laïques. Parallèlement, c'est aussi à l'époque carolingienne qu'ont fleuri les plus anciens recueils de dévotion privée. Ces premiers libelli precum sont attestés par cinq manuscrits, tous d'origine anglo-saxonne: Londres, B. L., Royal2. A. XX (VIlle s.); Oxford, Bodl. Libr., Selden Supra 30 (VIlle s.); Londres, B. L., Harley 2965 (VIIIe-Ixe s.), Book of Nunnaminster; B. L., Harley 7653 (VIIIe-IXe s.), et Cambridge, Univ. Library, L 1.1. 10 (820-840), Book of Cerne 76 . Les textes qu'ils contiennent remontent euxet p. 51. Lettre reproduite in PL 101, col. 509, en tête des Officia per ferias. Cette lettre a un parallèle dans le Livret de Fleury, sous la rubrique Commemoratio de ordine quotidianœ orationis, PL 101, col. 1412. 70 Berlin, Elect. 250 Theol., f. 58; Florence, Bibl. Laur. Ashbumham 10, copié vers 895 et B. N. lat. 9433, copié vers 895-900: R. Constantinescu, op. cit., p. 20, n. 12. 71 PL 101, col. 465-508. 72 Il s'agit de l'authentique De psalmorum usu d'Alcuin. 73 Voir pour la présentation de ce traité: J. P. Bouhot, Prier au moyen âge, p. 142-157. 74 PL 101, 509-612: , et qu'il faut se résoudre aujourd'hui à considérer comme perdu; voir aussi J. P. Bouhot, in Prier au moyen âge, p. 23: «Par les textes qu'ils renferment, par leur organisation, ces livrets, du moins ceux qui sont les mieux conservés, donnent l'impression d'avoir un ancêtre commun. Plus probablement, les divers rédacteurs ont puisé aux mêmes sources, mais ils semblent avoir le plus souvent réalisé un ouvrage original, en fonction des moyens dont ils disposaient et de la personne à laquelle le livre de prières était destiné. Même s'il est possible, un jour, de dresser une certaine généalogie des livrets carolingiens, l'absence d'éditions critiques et d'analyses des manuscrits rend incertaines toutes les conclusions auxquelles on pourrait actuellement aboutir>>. 78 Orléans, B.M., 184. Voir l'édition de dom E. Martène, Tractatus de antiqua Ecclesiœ disciplina in diuinis celebrandis officiis, Lyon, 1706, p. 619-663; De antiquis ecclesiœ ritibus, 3, Anvers, 1737, col. 655-694, texte reproduit in PL 101, col. 1383-1416. 79 Orléans, B. M., 184, p. 240-255 et Münich, Bayer Staatsbibl., Clm 14392. 80 J. P. Bouhot, in Prier au moyen âge, p. 25-26. 81 Bamberg, Stadtbibliothek, Mise. Patr. 17/B. IL 10, f. 133-162, xe siècle. 82 T. H. Bestul souligne que ce travail de compilation ou de composition de textes utiles à la dévotion privée, caractérise l'Angleterre de cette époque, «Continental Sources of AngloSaxon Devotional Writing>>, Sources ofAnglo-Saxon Culture, edited by P. E. Szarmach, V. Darrow Oggins, Kalamazoo, 1986 (Studies in Medieval Culture, XX), p. 107.

LIV

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

dives des xe et XIe siècles, certains textes ont connu une fortune dépassant largement le cadre spatial et temporel qui les a vu naître. Aussi, avant les productions majeures de Jean de Fécamp, d'Anselme de Cantorbéry ou de Bernard de Clairvaux, qui à partir de la seconde moitié du XIe siècle vont véritablement recréer le genre littéraire des Prières et des Méditations, on peut dire que les psautiers abrégés ont été à l'origine d'un nouveau courant de spiritualité, permettant à la piété personnelle d'exprimer de façon instante les sentiments de foi, de componction et de confiance en Dieu.

LA NOUVEAUTÉ ANSELMIENNE

Ce long excursus était nécessaire pour bien comprendre l'évolution des livrets de dévotion jusqu'au XIe siècle, car on peut maintenant, tout en montrant dans quelle mesure le recueil anselmien est fidèle à la tradition, analyser la nouveauté radicale du projet qu'il reflète.

Métamorphose d'une tradition En donnant à son recueille titre de Prières ou Méditations 83 , Anselme a indiqué clairement à quelle tradition littéraire et spirituelle il se rattachait. Les traducteurs modernes se plaisent d'ordinaire à souligner la similarité des deux termes qui n'expriment à leurs yeux que des aspects différents d'une même activité 84 • Ils donnent donc à la conjonction siue une simple valeur de coordination, équivalent à «et», certains allant même jusqu'à y voir une forme d'hendiadys 85 . Si cette confusion des deux termes est ancienne, certains manuscrits du xne siècle n'opérant déjà plus de distinction 86 , il

83 Il s'agit des premiers mots du prologue, OA, t. 5, p. 3: «Ürationes siue meditationes quœ subscriptœ sunt... >>. 84 Ainsi J. Leclercq, SAns, 48, Rome,l961, p. 128: «Les noms de la prière contemplative ont varié. Mais tous ne veulent exprimer que différents aspects d'une même réalité, différents gestes ou différentes phases d'une même activité. Aussi ces mots peuvent-ils être employés en quelque sorte les uns pour les autres, et, apparemment, confondus, comme c'est le cas en d'innombrables textes ... ». De même G. R. Evans, «Mens Devota: the literary community of the devotional works of John of Fécamp and st Anselm», ML'Ev, 43, 2, 1974, p. 106 et 114, n. 11, pense que la différence entre les deux termes n'est plus très sensible pour Anselme et ses contemporains, et que la conjonction siue du titre du recueil implique au moins un certain chevauchement. Voir aussi R. Roques, «Structure et caractères de la prière anselmienne>>, Sola Ratione, Stuttgart-Bad-Canstatt, 1970, p. 119; B. Ward, The Prayers and Meditations of Saint Anselm, Londres, 1988, p. 12, 43 sq.; R. W. Southèm, Anselm, p. 103. 85 Ainsi I. Biffi, «Preghiera e teologia nelle 'Orazioni meditative' di sant' Anselmo>>, Graziani e Meditazioni, p. 31, n. 1, préfère, à la suite d'A. Wilmart, utiliser le terme d'«oraisons méditatives>>. 86 Voir p. ex. le manuscrit de Saint-Amand-les-Eaux, B. N. lat. 18111, f. 9 qui donne le titre de Meditatio ad accendendum amorem Dei à l'Or 2: Oratio ad Christum cum mens uult eius amore feruere, alors que le manuscrit B. N. lat. 2882, f. 39v intitule Oratio ad concitandum timo rem la Med 1: Meditatio ad concitandum timo rem. De même, PsOr 3 intitulée clairement oratio est en réalité une méditation sur le péché qui aboutit à une prière au Christ.

LV

INTRODUCTION

semble toutefois que la différenciation réalisée par Anselme, auteur précis et rigoureux dans le choix de son vocabulaire, mérite d'être conservée. En effet, même si les mots oratio et meditatio sont effectivement très proches 87 , les explications fournies par Anselme lui-même dans ses préfaces renvoient bien à deux exercices différents. Lectio diuina et exercices spirituels

Dès la première phrase du prologue 88 , Anselme utilise les trois termes techniques fondamentaux des exercices spirituels médiévaux: a ratio, meditatio et lectio 89 (legens), qui désignent trois aspects différents de la lectio diuina . Mais ces trois termes, pour proches qu'ils soient, ne sont pas identiques, comme le montre la correction 90 opérée par notre auteur dans sa lettre à la comtesse Adélide, déjà citée : «A la suite du Florilège des psaumes, sept Oraisons ont été ajoutées, dont la première à proprement parler n'est pas tant une oraison qu'une méditation91, car l'âme du pécheur s'y examine rapidement, s'examinant se méprise, se méprisant s'humilie, s'humiliant se trouble à la crainte du jugement dernier, troublée éclate en gémissements et en larmes ... ».

- Meditatio

Que représente alors pour Anselme l'exercice qu'il appelle lui-même «méditation»? Si en latin classique meditari signifie «réfléchir, penser», il peut recevoir également une orientation marquée d'ordre pratique ou moral. Dans son acception médiévale et monastique, la meditatio est davantage une réflexion qui s'applique à un texte 92 ; méditer «c'est s'attacher étroitement à la phrase qu'on se récite, en peser tous Voir I. Biffi, ibidem: «Anche le Orazioni sono 'meditative', cos! come sono 'oranti' le Meditazioni e il modello di questa fusione o circolazione è il Proslogion». 88 OA, t. 5, p. 254: «Ürationes siue Meditationes quœ subscriptœ sunt, quoniam ad excitandam legentis mentem ad Dei amorem uel timo rem ... »; «Les Prières ou Méditations qui suivent, parce qu'elles ont été publiées pour éveiller l'esprit de celui qui lit à l'amour ou à la crainte de Dieu ... >>. 89 J. Leclercq, SAns, 48, Rome, 1961, p. 138: «Toutes ces pratiques constituent ce que l'on appelait, dans le monachisme du Moyen Âge, l'exercice spirituel: la lecture, la méditation, l'oraison, étaient inséparables des autres pratiques monacales, celles de l'ascèse et de la pénitence comme celles de la prière, celles de la componction comme celles de la contemplation ... >>; voir aussi, du même auteur, Aux sources de la Spiritualité occidentale. Etapes et constantes, Paris, 1964, ch. IX, «Liturgie et prière intime>>, p. 285-290. C'est au XIIe siècle que l'on fixera dans un ordre arrêté la liste des exercices spirituels: lecture, méditation, prière, contemplation, voir p. ex. Guigues II, Lettre sur la vie contemplative (L'échelle des moines). Douze Méditations, édition E. Colledge et J. Walsh, Paris, 1970 (SC, 163), p. 85. 90 Ep 10, Schmitt, vol. 3, p. 113, voir supra n. 10. 91 Il s'agit de Med 1. 92 D'après P. Saenger, Space between Words. The Origins of Silent Reading, Stanford, 1997, p. 203, c'est Jean de Fécamp le premier qui dans son De vita ordine et morum institutione (PL 147, 477-80) aurait utilisé le terme de meditatio pour désigner un texte rédigé en vue d'un usage de dévotion privée. Toutefois A. Wilmart, «Jean l'homme de Dieu auteur d'un traité attribué à saint Bernard>>, Revue Mabillon, 15, 1925, p. 5-29 ne pensait pas que le texte fût de Jean de Fécamp; il paraît donc difficile d'établir une chronologie de l'emploi de ce terme à partir d'un ouvrage incertain. 87

LVI

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

les mots, pour parvenir à la plénitude de leur sens: c'est assimiler le contenu d'un texte au moyen d'une sorte de mastication qui en dégage la saveur; c'est goûter, comme saint Augustin, saint Grégoire, Jean de Fécamp et d'autres le disent d'une expression qui est intraduisible, avec le palatum cordis et in ore cordis» 93 . Pour Guigues II le Chartreux, «la méditation recherche plus attentivement ce qu'il faut désirer; en creusant, elle découvre le trésor et le montre» 94 . Il s'agit donc d'un acte lié à la lecture, héritier à la fois de la tradition rabbinique, qui médite en mémorisant un texte par la répétition orale de ses mots et de ses phrases, et de la pédagogie latine qui insistait davantage sur l'effort de réflexion proprement dit. Méditer c'est s'arrêter, se libérer des soucis pour revenir à soi, c'est laisser le texte parler grâce à la ruminatio, la «rumination», des mots qui le composent, et la perception de leur saveur. Mais en analysant le prologue, on a également le sentiment qu'Anselme renoue avec le grand courant des exercices spirituels antiques qui définissaient l'activité intérieure de la pensée et de la volonté. On est ainsi frappé de constater que les termes qu'il utilise (lire, méditer, examen de soi-même, ... ) sont déjà présents dans l'une des listes d'exercices proposés par Philon d' Alexandrie 95 • Cependant la méditation antique n'était-elle pas déjà un exercice qui tendait à transformer spirituellement ceux qui s'y adonnaient? Comment comprendre autrement par exemple, l'exercice stoïcien de contemplation du déroulement rationnel et nécessaire des événements cosmiques, qui aboutissait à un exercice de l'imagination dans lequel les choses humaines apparaissaient comme de peu d'importance dans l'immensité de l'espace et du temps: en acceptant, pour les dépasser, les limites de l'individualité, et en se reconnaissant partie d'un cosmos animé par la raison, ces philosophes apprenaient à ne plus désirer ce qui ne dépendait pas d'eux et qui leur échappait donc, pour ne plus s'attacher qu'à l'action droite conforme à la raison 96 . Cette pratique de la méditation doit d'ailleurs remonter à des temps très anciens97 , mais elle n'émerge pour nous qu'avec la figure de Socrate, comme 1' atteste par exemple Aristophane qui, dans les Nuées, parodie le philosophe enseignant l'art de méditer: «Médite à présent et concentre-toi à fond, par tous les moyens, enroule-toi sur toi-même en te concentrant. Si tu tombes dans quelque impasse, cours vite à un autre point... Va donc, enveloppe-toi et, sectionnant ta pensée en fines

93 J. Dubois, «Comment les moines du Moyen Âge chantaient et goûtaient les Saintes Ecritures», BIT 4, p. 262; cf. aussi P. Saenger, op. cit., p. 203: «For Anselm, like John of Fécamp, meditation was the free, speculative thought stimulated by private reading>>. 94 Guigues II, op. cit., p. 107. 95 Philon, Legum allegoriœ 3, 18, édition Cl. Mondésert, Paris, 1962, p. 179: «Les lectures, les méditations, les thérapies des passions, les souvenirs de ce qui est bien, la maîtrise de soi, l'accomplissemen t des devoirs ... >>. 96 Voir P. Hadot, Excercices spirituels et philosophie antique, Paris, 1987, p. 26. 97 Sur la préhistoire de l'exercice spirituel, voir P. Hadot, op. cit., p. 30, n. 77, qui considère que l'on peut remonter au pythagorisme, voire aux traditions magico-religieuse s et shamaniques de techniques respiratoires et d'exercices de mémoire; il renvoie à E. R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, Paris, 1965, p. 135-174; L. Gemet, Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1968, p. 423-425; J.-P. Vernant, Mythe et pensée chez les Grecs, Paris, p. 94 sq. et 108 sq.; M. Detienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1967, p. 124 sq.; etH. Joly, Le renversement platonicien, Paris, 1974, p. 67-70.

LVII

INTRODUCTION

parcelles, réfléchis en détail et à fond sur les choses, selon les règles divines et examine ... >> 98 .

Dans la tradition chrétienne, elle s'est développée dans la lectio divina, et on peut reprendre pour la comprendre ce que J. Leclercq a expliqué à propos de son sens chez Jean de Fécamp, qui vaut aussi pour les auteurs monastiques postérieurs: «méditer c'est s'attacher étroitement à la phrase qu'on lit, ... en peser tous les mots et parvenir ainsi à la plénitude de leur sens; c'est assimiler le contenu d'une proposition. La méditation n'est donc pas une vague et diffuse paraphrase, mais une explication de texte: elle est une lecture bien faite» 99 .

- Oratio Quant à l' oratio, la prière personnelle, c'est essentiellement dans le cadre du monachisme naissant qu'elle se développa. En effet, dans la vie cénobitique la prière étant surtout communautaire et liturgique, une volonté de développer une démarche plus personnelle se fit jour rapidement. C'est ce que montre par exemple la Vie d'Antoine composée par Athanase d'Alexandrie pour célébrer celui qu'il considère comme le fondateur de l'anachorétisme et qu'il se plaît à présenter comme le «Père des moines». Antoine y est décrit en héros du combat spirituel 100 , qui passant sa vie dans la prière, arme du nouveau combat contre les forces obscures, lutte avec Satan et les 102 démons 101 : «il faut prier pour que le Seigneur nous aide à vaincre le diable» . De même abba Agathon répond à ses disciples qui l'interrogent pour connaître la vertu qui demande le plus d'effort: «Pardonnez-moi, mais je crois qu'il n'y a pas d'effort plus grand que de prier Dieu. Chaque fois en effet que l'homme veut prier, ses ennemis veulent

Aristophane, Nuées, 700-706, 740-742, édition V. Coulon etH. Van Daele, Paris, 1923 (CUF), p. 193, 195: «>, les termes qui sont utilisés font irrésistiblement penser à ceux du prologue anselmien. 99 Un maître de la vie spirituelle au Xl' siècle, Jean de Fécamp, Paris, 1946, p. 99. Sur cette question, voir F. Vernet, La spiritualité médiévale, Paris, 1929, p. 118-143; J. Leclercq, >. 102 34, 1, édition de G. J. M. Bartelink, Paris, 1994 (SC, 400), p. 228-229: . 98

LVIII

LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

1' en empêcher. Car ils savent qu'ils n'entraveront sa marche qu'en le détournant de la prière. Quelle que soit la bonne œuvre qu'entreprenne un homme, s'il y est persévérant, il y obtiendra du repos. Mais pour la prière, il lui faudra combattre jusqu'à son dernier soupir>> 103 •

Cet idéal de prière intense et personnelle, qui est au cœur de la vie des solitaires d'Egypte, est également attesté très tôt en Occident, comme à Noirmoutier par exemple 104 • Celui qui demeure le grand théoricien de la prière monastique, Jean Cassien, a abordé le sujet sous ses deux aspects essentiels: l'office communautaire 105 et la prière personnelle 106 • Il est bien sûr l'héritier de l'enseignement des Pères en la matière, mais il l'applique à l'univers des moines. C'est ainsi qu'il affirme que prière et travail ne sont pas incompatibles, mais qu'au contraire durant les occupations manuelles celleci prolonge le temps de lecture quotidien et renforce l'écoute de la parole de Dieu. La journée monastique trouve ainsi son unité: le moine écoute Dieu du matin au soir, et lui répond dans un dialogue incessant 107 . Peu après, c'est Benoît de Nursie qui a fait la synthèse de toute cette tradition spirituelle, en plaçant 1' oraison parmi la liste des «instruments des bonnes œuvres»: «Ecouter volontiers les lectures saintes. Se recueillir fréquemment dans la prière. Confesser chaque jour à Dieu dans la prière ses fautes passées, avec larmes et tristesse ... » 108 . A l'instar de ses prédécesseurs, il souligne que la prière personnelle doit être brève, instante et pure 109 . Et de même que Jean Cassien déclarait que: «les Pères pensent qu'il vaut mieux faire des prières brèves mais très rapprochées; prières très rapprochées, afin que priant plus souvent nous puissions adhérer assidûment à lui; prières brèves, pour éviter par cette brièveté et contraction les traits que le diable, qui nous attaque, décoche contre nous au temps de la prière» 110 ,

103 Paroles des Anciens. Apophtegmes des Pères du désert, textes rassemblés et traduits par J. Cl. Guy, Paris, 1976 (Points-Sagesse), p. 33. 104 Sulpice Sévère, Vie de St Martin, 10, éd. J. Fontaine, Paris, 1967 (SC, 133): «On n'exerçait aucun art, à l'exception du travail des copistes: encore n'y affectait-on que les plus jeunes: leurs aînés vaquaient à la prière. On ne sortait que rarement de sa cellule, sauf pour se réunir au lieu de la prière ... ». 105 Institutions, 2, 2-3. 106 Conférences, 9 et 10: «De oratione >>. 107 Voir Institutions, 10. 108 Règle, 4, 55-58, édition A. de Vogüe, Paris, 1971-72 (SC, 131), p. 460-461: >. 115 B. Ward, «Anselm of Canterbury a Monastic Scholar>>, Signs and Wonders, XV, p. 11: «For Anselm prayer is not a static reception of something that can be passed on to others but an ardent and vigorous quest in which others may join him if they wish>>. 116 Peut-être faut-il voir aussi derrière ces mots une allusion à la difficulté même de l'acte de lire, et une mise en garde topique contre une lecture trop rapide et fautive, déjà dénoncée au IXe siècle par le moine Hildemar dans son Commentum in Regulam sancti Benedicti; cf. P. Saenger, Space between Words. The Origins ofSilent Reading, Stanford, 1997, p. 204: «Anselm insised that spiritual works be read decorously, with the requisite emotion. As reading became a silent and solitary activity, constraints imposed by the group were no longer efficacious, and explicit injunctions against private abuse were required». 117 Proslogion, 1, OA, t. 1, p. 97 et n. a.: «Eia nunc, homuncio, Juge paululum occupationes tuas, absconde te modicum a tumultuosis cogitationibus tuis. Abice nunc onerosas curas, et postpone laboriosas distentiones tuas. Vaca aliquantulum Deo, et requiesce aliquantulum in eo. Intra in cubiculum mentis tuœ, exclude omnia prœter Deum et quœ te iuuent ad quœrendum eum, et clauso ostio quœre eum. Die nunc, tatum cor meum, die nunc Deo: Quœro uultum tuum; uultum tuum, Domine, requiro >>. 118 Voir les pages très éclairantes de P. Hadot à ce sujet, op. cit., p. 20 sq. et passim; il renvoie lui-même sur ce problème à P. Rabbow, Seelenführung. Methodik der Exerzitien in der Antike, Münich, 1954, p. 55-90; L. Hijsmans, ASKHSIS. Notes on Epictetus educational system, Assen, 1959, p. 89; I. Hadot, Seneca und die griechisch-romische Tradition der Seelenleitung, Berlin, 1969, p. 17 et 184; H. G. Ingemkamp, Plutarchs Schriften über die Heilung der Seele, Gottingen, 1971, p. 99 sq.

LXI

INTRODUCTION

«J'ai cherché les biens (Ps 121, 9), voici le trouble (fr 14, 19)! Je tendais vers Dieu, je suis tombé sur moi-même. Je cherchais le repos en mon secret, j'ai trouvé tribulation et douleur en mon intime (cf. Ps 114, 3). Je voulais rire de la joie de mon esprit, je suis forcé de rugir du gémissement de mon cœur (cf. Ps 37, 9). L'allégresse était espérée et voici que les soupirs se font denses!» 119 .

Rien ne doit donc être négligé pour réussir le chemin d'une conversion devant se réaliser avec la totalité de l' âme 120 • Ce que recherche Anselme c'est la libération du moi de tout ce qui l'enchaîne, afin que par la vraie connaissance de soi il s'ouvre pleinement à la Plénitude elle-même 121 • Et cela il l'opère par le dialogue avec Dieu et avec lui-même, sous la forme de la prière et de la méditation, héritières de la longue tradition des exercices spirituels et de la sagesse chrétienne. - La méditation par points Pour soutenir cet exercice de méditation et de prière, Anselme renoue avec l'ancienne pratique de la «méditation par point». Cet exercice était déjà connu des différentes école philosophiques antiques qui mettaient à la disposition de leurs adeptes des sentences, comme le célèbre TETpa A. Michel, Théologiens et Mystiques au Moyen Âge, Paris, 1997, p. 193.

123 Voir H. Chadwick, 'The Sentences of Sextus '. A Contri bution to the History of Early Christian Ethics, Cambridge, 1959. Le savant anglai s qui date cet ouvrage des années 180-210, a montré combi en cet auteur avait christianisé des senten ces connues d'aute urs païens. 124 Et ce dès le début du monac hisme , comm e 1' atteste la recom manda tion de Benoî t au chapit re 73 de sa Règle, . Les apophtegmes étaient connus au Moyen Âge par la traduc tion des Verba seniorum réalisée par Pélage et Jean (PL 73). 125 Cf. P. Saenger, op. cit., p. 203-04: . 126 Ainsi dans la préface du Monologion (OA, t. 1, p. 8), déclare-t-il: «Je prie et supplie instam ment quiconque voudra transcrire cet opusc ule de placer cette préfac e en tête du livre, avant les chapitres eux-mêmes. Il importe grande ment, je pense, à l'intell igence de ce qu'il lira que l'éven tuel lecteu r connaisse dans quelle intenti on et de quelle manière ont été menées les discussions ... >>.

LXIII

INTRODUCTION

Pour mieux comprendre en quoi consiste ce que R. W. Southern a appelé la «révolution anselrnienne», ou, plus sobrement, la «transformation anselmienne» 127 , il convient maintenant d'analyser les principaux aspects de la nouveauté du recueil des Orationes siue Meditationes. Dialectique et analyse introspective On a vu que si l'a ratio se caractérise surtout par sa dimension dialogique, manifestée par son invocation initiale, la meditatio pour sa part est davantage introspective128. C'est ainsi que les trois méditations 129 du recueil authentique (Med 1 «Pour éveiller la crainte»; Med 2 «Déploration sur la maleperte de la virginité», Med 3 «Sur la rédemption humaine» ) 130 sont toutes rédigées sous la forme d'un monologue se déroulant sous le regard de Dieu: «Âme stérile, que fais-tu? Pourquoi t'endors-tu, âme pécheresse? 131 . Dès à présent c'est lui, dès à présent c'est Jésus. C'est lui le juge entre les mains de qui je tremble ... 132 ».

Ce mode d'écriture est certainement influencé par la lecture du De Trinitate d' Augustin 133 , ouvrage qui a profondément marqué Anselme comme le montre l'étu-

127 AB, p 42; Anselm, p. 99. 128 A ce sujet, voir R. W. Southem, The Making of the Middle Ages, Londres, 1953, p. 219-257, et l'étude très stimulante de T. H. Bestul, «Self and Subjectivity in the Prayers and Meditations of Anselm of Canterbury», à paraître dans les Actes du Congrès Anselmien de LublinSeptembre 1996. 129 Remarquons toutefois que les XIe et XIIe siècles voient fleurir ce type d'écrit: à côté des textes d'Anselme et de Raoul, on connaît les trois rédactions de la Confessio theologica de Jean de Fécamp, qui sera elle-même découpée en parties sous le nom de Meditationes s. Augustini, les Meditationes d'Arnaud de Bonneval (t 1158), les Meditatiuœ orationes de Guillaume de Saint-Thierry (t 1148), ou bien les considérations sur les mystères du Christ que l'on trouve dans le De laude nouœ militiœ ad milites Templi de Bernard de Clairvaux (t 1153) ou dans l' lnstitutio inclusarum d'lElred de Rievaulx (t 1166). Tous ces textes offrent du matériel pour une lecture méditée, mais non pas une réflexion élaborée sur ce que représente la méditation et encore moins une méthode, qu'on ne commencera à trouver qu'à la fin du XIIIe siècle, en particulier chez les Franciscains. 130 Sur le contenu de ces trois textes ainsi que sur celui des prières authentiques, on peut renvoyer aux pages rédigées par dom F. S. Schmitt en guise d'introduction à l'édition italienne de G. Sandri, S. Anselmo d'Aosta. Il Proslogion, le Orazioni e le Meditazioni, Padoue, 1959, p. 18-26, ainsi qu'à l'introduction de B. Ward, The Prayers and Meditations of Saint Anselm, with the Proslogion, Londres, 1988, p. 59-77. 131 Med 1,!. 23, OA, t. 5, p. 77: . 132 Med 1,!. 80-81, OA, t. 5, p. 79: «lam ipse est, iam ipse est Jesus. Ipse idem est iudex, inter cuius manus trema ... ». 133 Prologue du Monologion, OA, t. 1, p. 8: «S'il semble alors à quelqu'un que j'ai avancé en cet opuscule quelque point trop nouveau, ou dissonant par rapport à la vérité, qu'il ne crie pas d'emblée, je l'en prie, au novateur présomptueux ou au prôneur de faussetés, mais qu'il scrute d'abord avec soin les livres dudit docteur Augustin sur la Trinité, puis juge, d'après eux, mon opuscule ... ».

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de du Monologion, et qu'il connaissait donc à l'époque où il entreprit la composition de ses premières méditations et prières. C'est précisément l'originalité de la dimension intérieure de la réflexion en présence de Dieu qui a intéressé le Prieur du Bec, et en reprenant le terme «soliloquia» 134 qu'Augustin avait forgé pour désigner cette forme nouvelle, Anselme a innové à son tour, en appelant son premier grand traité Monologion. Lorsqu'il en explique le sens, c'est tout naturellement à l'évêque d'Hippone qu'il renvoie: «J'ai nommé le premier Monologion, c'est-à-dire soliloque ... », par opposition au Proslogion, davantage dialogique, et qui revêt, lui, la forme d'une allocution 135 . Les thèmes qui reviennent dans les trois méditations sont la crainte de Dieu, l'horreur provoquée par le souvenir du péché, la volonté de guérir ses passions, et surtout le souvenir des bienfaits opérés par le Seigneur: «Homme de rien, laisse donc leur cruauté 136 au jugement de Dieu, et réfléchis à ce que tu dois à ton Sauveur. Considère ce qu'il en était de toi, et ce qui a été fait pour toi. Pense quel est celui qui l'a fait pour toi, de quel amour il est digne. Observe le besoin où tu es, et sa bonté. Vois quelles grâces tu vas rendre, et tout ce que tu dois à son amour. Tu étais dans les ténèbres, tu dévalais la pente surplombant le chaos de l'enfer d'où l'on ne revient pas. Un poids énorme, comme de plomb, pendu à ton cou, t'entraînait. Un fardeau importable t' écrasait, d'invisibles ennemis t'attaquaient de tout leur élan. Ainsi étais-tu sans aucun secours et tu ignorais avoir été conçu et être né en cet état. 0 qu'en était-il alors de toi et à qui ces choses te ravissaient-elles! Crains à t'en souvenir, tremble à y penser. .. »137 .

Les méditations, par ailleurs, se terminent par une prière qui élève le regard vers Dieu et qui lui adresse les mots ultimes, le monologue s'achevant alors en dialogue 138 .

134 Voir Soliloques 2, 14, texte de l'édition bénédictine, traduction, introduction et notes de P. De Labriolle, Bruges, 1948 (BA, 5), p. 112-113: (la Raison s'adresse à Augustin): . 138 Voir Med 1, OA, t. 5, p. 79, 1. 86-99: «Jésus, à cause de toi-même, sois donc pour moi Jésus»; Med 2, p. 82-83, 1. 86 sq.; Med 3, p. 91, 1. 201-211.

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INTRODUCTION

Quant aux dix-neuf prières, elles ont été éditées par dom Schmitt dans l'ordre carolingien de la hiérarchie céleste; même si cette présentation est artificielle au regard de l'usage des manuscrits et de l'histoire même de la composition du recueil, elle n'est pas dénuée de fondement, tout en ayant l'avantage d'être commode. Ainsi, après le Prologue on trouve une prière à Dieu (Or 1), deux prières au Christ (Or 2 et 3), dont la seconde est destinée à se préparer à recevoir l'eucharistie 139 , une prière à la Croix (Or 4 ), trois prières à la Vierge (Or 5-7), puis viennent une prière à Jean-Baptiste (Or 8), quatre aux apôtres: Pierre (Or 9), Paul (Or 10), Jean (Or 11et 12), cinq prières aux saints: Étienne (Or 13), Nicolas (Or 14), Benoît (Or 15), Marie Madeleine (Or 16), au saint patron du lieu (Or 17), et enfin une prière pour les amis (Or 18), et une autre pour les ennemis (Or 19). Poétique d'une transformation Si certains chercheurs ont voulu trouver des rapports étroits entre les textes anglo-saxons et le recueil de l'abbé du Bec 140 , il semble pourtant qu'au moment où Anselme a commencé à rédiger ses prières, l'influence principale qui a dû s'exercer sur lui, en dehors de la liturgie et des anciens recueils de dévotion, est celle de la nouvelle spiritualité bénédictine, représentée éminemment en Normandie par Jean de Fécamp 141 , et dans une moindre mesure par Maurille, évêque de Rouen, ancien moine de Fécamp et ami de Lanfranc 142 • R. Roques 143 a pu dégager une structure commune aux prières anselmiennes, qui les différencie assez nettement des formules carolingiennes, beaucoup moins élaborées: 1) Arétalogies de Dieu, ou du Christ ou du saint invoqué, avec cette réserve que lorsque l'interlocuteur direct n'est pas l'une des personnes de la Trinité, tous les titres, pouvoirs et vertus énoncés et loués par la prière doivent être compris comme inférieurs et subordonnés à Dieu ou au Christ. 2) En contraste, regard de l'homme sur lui-même, sur sa faiblesse et ses péchés, à la fois détestables et inexcusables. Le pécheur s'accuse lui-même et analyse sans complaisance sa propre méchanceté. Mais il reconnaît en même temps qu'il ne peut pas échapper à sa condition de pécheur sans l'aide de Dieu ou des saints médiateurs. 139

«Oratio ad accipiendum corpus Domini et sanguinem .. . >>. T. H. Bestul, «St Anselm and the Continuity of Anglo-saxon Devotional Traditions>>, AM, 18, 1977, p. 20-41; «StAnselm, the monastic Community at Canterbury, and Devotional Writing in lateAnglo-saxon England>>, ASt 1, 1983, p. 185-198; «The Collection ofPrivate Prayers in the Portiforium of Wulfstan of Worcester and the Orationes siue Meditationes of Anselm of Canterbury. A Study in the Anglo-Norman Devotional Tradition>>, SB2, p. 355-364; R. W. Southern, Anselm, p. 99-100: «Anselm began by observing the Carolingian pattern of private prayer in one respect at !east, by attaching his payers to a selection of passages from the Psalms ... >>. 141 Originaire de Ravenne, Jean (990-1078) fut le neveu et le disciple préféré du grand réformateur Guillaume de Volpiano, qu'il suivit de Fruttuaria à Saint-Bénigne de Dijon que celuici avait fondé. Il y demeura jusqu'en 1017, date à laquelle il devint prieur du monastère de La Trinité à Fécamp, puis abbé (1028). 142 Vi ta, 1, 6. 143 R. Roques, «Structure et caractère de la prière anselmienne>>, Sola Ratione, p. 167 sq. 140 Voir

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LA LITTÉRATURE DE DÉVOTION

3) Viennent alors les supplications de l'homme misérable pour que lui soit accordée la grâce d'en haut. Il ne dit pas seulement son malheur à Dieu ou aux saints, mais aussi parfois aux péchés eux-mêmes, qu'il accuse de ses propres maux et auxquels il reproche leurs séductions trompeuses. 4) S'ensuit une démarche confiante auprès de Dieu et des saints. Ils ne peuvent pas se désintéresser du pécheur. Souvent, un plaidoyer simple mais habile en appelle à leur puissance, à leur générosité ou à leur miséricorde. De Dieu par les saints, des saints à l'instigation de Dieu, de Dieu et des saints à la fois, la miséricorde et l'amour doivent parvenir au pécheur qui les sollicite instamment de Dieu par les saints, des saints par Dieu, et de tous à la fois. 5) Cette étape conduit à un mouvement d'amour et de reconnaissance du pécheur, mêlé encore du regret de ses péchés. Cet amour va aux saints et à Dieu, à Dieu par les saints, aux saints par Dieu et à tous réunis, dans une démarche semblable à celle qui a imploré le pardon. A tous, le pécheur demande que soit augmenté et parfait l'amour qu'ils lui portent, comme celui qu'illeur doit. Cette demande concerne aussi les amis et les proches, les ennemis, les vivants et les défunts: tous doivent être insérés dans la même et unique communion de l'amour divin. 6) La prière se clôt par une louange finale à Dieu ou au saint avec Dieu et en subordination à Dieu.

Par ailleurs, si comme l'a fait T. H. BestuF 44, on compare le livret des prières d'Anselme avec des recueils insulaires contemporains, comme le Portiforium de Wulfstan de Worcester 145 , on peut d'une part mettre en évidence leur dette commune par rapport à la tradition, qui se manifeste en particulier par des similitudes de contenu, d'expression et d'organisation caractéristiques d'une certaine sensibilité anglo-normande. Mais d'autre part, on est forcé de constater que les prières anselmiennes représentent un progrès considérable, tant stylistique que théologique, par rapport à l'ouvrage de Wulfstan, beaucoup plus conservateur. - Texte et langage Par comparaison avec les recueils antérieurs, ce qui caractérise peut-être le plus fortement les prières et méditations anselmiennes est leur débordement émotionnel et leur caractère profondément personnel, expression d'une puissante introspection, liée à la question du développement de 1' expression littéraire de soi. Cet aspect a suscité

144 «The Collection of Private Prayers in the Portiforium of Wulfstan of Worcester and the Orationes siue Meditationes of Anselm of Canterbury. A Study in the Anglo-norman Devotional Tradition», SB2, p. 355-364. 145 The «Portiforium» of saint Wulfstan (Corpus Christi College, Cambridge Ms 391), edited by dom A. Hughes, 1958-1960, 2 vol. (HBS, 89-90). Le terme portiforium est interchangeable à cette époque avec celui de breuiarium. Il s'agit d'un bréviaire portable utilisé sans doute par l'évêque Wulfstan de Worcester (1 062-1 095), qui outre des prières privées contient un psautier, des cantiques, des collectes et un commune sanctorum.

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INTRODUCTION

chez les médiévistes de la seconde moitié du XXe siècle beaucoup d'intérêt 146 . En particulier après la publication en 1953 de l'importante étude deR. W. Southern, The Making of the Middle Ages, dans laquelle des pages fondamentales sont consacrées au développement de la conscience d'une vie intérieure en Europe entre le XIe et le xve siècle, on a vu paraître de nombreux ouvrages sur la question, dont ceux de Colin Morris 147 , Pierre Courcelle 148 , Walter Ullman 149 , Robert Hanning 150 , et John Benton 151 pour ne citer que les plus importants d'entre eux. Ces études elles-mêmes, toutes reflet plus au moins conscient de l'idéologie de leur temps, ont été remises en cause dans les années 1980 par Caroline Bynum dans son essai intitulé «Did the Twelfth Century discover the Individual?», repris et développé dans son célèbre ouvrage Jesus as Mother: Studies in the Spirituality of the High Middle Ages 152 . La savante américaine considère en effet que le concept même d' «individualité» ou d' «ego» aux Xle-xne siècles n'a rien à voir avec ce que l'on entend par ces mots au xxe siècle, «la religion du xne siècle n'ayant pas exalté la personnalité de l'individu aux dépens de l'appartenance sociale» 153 . Elle réaffirme, ce qui avait déjà été souligné par John Benton, que lorsque l'homme médiéval se tourne vers lui-même il ne s'attend pas à retrouver un «ego» particulier, unique et différent des autres, mais la nature humaine faite à l'image de Dieu, autrement dit le lien qu'il a avec les autres hommes 154 . Dès lors, l'individualisme ne s'oppose pas à l'institution sociale, mais il cherche au contraire à trouver des formes institutionelles nouvelles et meilleures afin de pouvoir exprimer ses élans religieux intérieurs. D'autre part, si l'on accepte les Confessions d'Augustin comme horizon à toute expression d'analyse introspective dans la littérature médiolatine, et si l'on se souvient en outre que cet ouvrage s'achève sur un commentaire de la Genèse 155 , on comprendra mieux qu'en ce temps l'expérience individuelle se trouve toujours transcendée au niveau même de l'intention profonde du texte. Si par ailleurs, on applique aux textes spirituels anselmiens les théories contemporaines de penseurs comme Barthes qui a affirmé que l'auteur était mort, de structuralistes comme Saussure ou Benveniste, pour qui le Je du texte est avant tout une catégorie grammaticale facilement transférable de l'auteur au lecteur, ou de psychanalystes comme Lacan, qui préfèrent, plutôt que «d'individu» ou de «personnalité», parler de «sujet» et de «subjectivité» (dans la mesure où il leur semble que la personnalité humaine n'est pas une essence autonome mais un produit dépendant des forces sociales et des circonstances), on ne peut plus penser que 146 Sur cette question et son traitement en contexte anselmien, voir T. H. Bestul, «Self and Subjectivity in the Prayers and Meditations of Anselm of Canterbury», à paraître in Actes du Congrès Anselmien de Lublin-Septembre 1996. 147 The Discovery of the 1ndividual 1050-1200, Londres, 1972. 148 Connais-toi toi-même: De Socrate à saint Bernard, Paris, 1975, 3 vol. 149 The 1ndividual and Society in the Middle Ages, Baltimore, 1966. 150 The Individual in Twelfth-Century Romance, New Haven, 1977. 151 Self and Society in Medieval France. The Memoirs ofAbbot Guibert of Nogent (10641125), edited with an Introduction and Notes, New York-Evanston, 1970. 152 Berkeley, 1982, p. 82-109. 153 Jesus as Mother, p. 85. 1 4 5 Jesus as Mother, p. 87. 155 Aug., Conf, XIII.

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ces textes puissent être considérés simplement comme une expression directe de lapersonnalité d'Anselme, ou d'une vie intérieure parfaitement transmise au lecteur. Cette perspective nouvelle a l'intérêt de reconnaître la complexité des relations entre l'auteur, le lecteur et le langage utilisé: 1' étude du texte ne part plus de 1' auteur ou de ses intentions, mais du langage même. On peut dire alors que ce n'est plus tant Anselme qui crée le langage des prières que le langage des prières qui crée Anselme, c'est-à-dire une voix construite et complexe à laquelle nous nous référons comme étant «Anselme». Une telle approche nous conduit alors à être attentif au statut de la voix que nous entendons dans les prières et à considérer son impact sur le public. On pense en particulier aux complexes dialogues intérieurs qui caractérisent bon nombre de ces textes, en particulier quand le locuteur s'adresse à ses propres péchés ou au «pauvre homme» (homuncio) comme à un autre personnage; ainsi dans la Prière à saint Paul: 156 .

Ou bien quand l'auteur utilise la voix des Ecritures pour se faire entendre de Dieu, paroles sacrées elles-mêmes inspirées par Dieu, dans une dynamique réflexive au fondement même de la prière chrétienne 157 : «Dieu tout-puissant, Père miséricordieux, bon Seigneur, aie pitié de moi pécheur (Le 18, 13)» 158 • Par ailleurs, il faut se souvenir des instructions données par Anselme 159 insistant sur la possibilité d'une lecture fragmentée, accordant leur liberté aux voix individuelles et multipliant les perspectives de ses textes. Ainsi pour reprendre l'extrait de la prière à saint Paul qui vient d'être cité, on peut se demander quelle voix se fait entendre et quelle image d' Anselme est véhiculée, si l'on omet le reste de la composition, et en particulier sa conclusion si consolatrice 16o. Un autre apport intéressant du post-structuralisme pour la compréhension des textes de dévotion médiévaux, est la notion d'exemplarité: un texte, même une prière, exprime moins les pensées intimes d'un auteur qu'il ne construit par sa fonction rhétorique un exemplum parlant auquel un public peut répondre ou sur lequel il peut 156 Or. 10, ibidem, t. 5, p. 318-319: ; cf. aussi le début du Proslogion, OA, t. 1, p. 237. 157 Cf. aussi ibidem, p. 261, 265, 267 etc ... 158 01: 1, OA, t. 5, p. 259: «Omnipotens Deus et misericors Pater et bone Domine, miserere mihi peccatori>>. 159 Cf. supra. 160 Or. 10, OA, t. 5, p. 331: «Christ, Toi qui es mère et, sous tes ailes, rassemble tes petits, ce mort, ton petit, se glisse sous tes ailes. Car ta douceur conforte les effrayés, ton parfum restaure les désespérés. Que ta chaleur vivifie les morts, que ton toucher justifie les pécheurs ! Reconnais, mère, ton fils mort soit au signe de la croix, soit à la voix de ta confession. Ranime ton petit, ressuscite ton mort, justifie ton pécheur. Effrayé par Toi, qu'il soit consolé par Toi: désespérant de soi, qu'il soit conforté par Toi et par Toi reformé dans ta grâce intègre et inaliénable. De toi s'écoule la consolation des malheureux; béni sois-Tu dans les siècles des siècles. Amen>>

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INTRODUCTION

calquer sa conduite. Cet exemplum ne doit pas être considéré par rapport à sa conformité vis-à-vis de son auteur, mais par rapport à sa réalisation, et il doit donc avant tout être perçu comme une construction linguistique. Il est clair que l'Anselme qui énonce ses prières a la puissance d'un exemple moral et qu'il modèle ceux qui le lisent. Lorsqu'une prière montre son auteur pleurant sur ses péchés, priant pour son pardon et acceptant la grâce de Dieu, elle entraîne le lecteur dans une démarche similaire. On possède d'ailleurs un témoignage de ce phénomène, dans une lettre envoyée vers 1076 à Anselme par Durand, abbé de La Chaise-Dieu, qui décrit sa propre réaction à la lecture de la première Méditation: «La piété de la prière que tu as écrite éveille en nous la piété d'une componction endormie, si bien que nous nous réjouissons ensemble en nous élevant par 1' esprit, en aimant ces choses en toi, ou plutôt toi en elles, et par dessus elles et avec elles en aimant Dieu et toit »161 •

Si l'on ajoute à cela que cette lettre de Durand nous est parvenue par les bons soins d'Anselme qui a composé en personne ses recueils de correspondance, on peut remarquer d'une part qu'il était lui-même conscient de la valeur d'exemplarité de ses textes, et d'autre part, que la lettre devient elle-même, au second degré, un nouvel exemplum moral pour son lecteur! Enfin, le post-structuralisme, en attaquant la position centrale de l'auteur, que la critique classique a toujours privilégiée pour comprendre ce qu'il est convenu d'appeler le «sens du texte», nous a fourni de nouvelles clés pour entendre les textes. Hans Robert Jauss 162 a particulièrement insisté sur l'importance du lecteur dans la réception d'un texte, en montrant que ce dernier n'est pas le simple receptacle passif d'un sens constitué et contrôlé par l'auteur, mais qu'il représente une entité historiquement conditionnée, participant activement à la formation d'une compréhension qui peut donc évoluer au cours du temps. Cette idée s'applique particulièrement bien au corpus de nos textes, qui, authentiques ou non, sont très souvent accompagnés de la lettre et/ou du prologue d'Anselme, qui encouragent justement l'autonomie du lecteur dans sa démarche en reconnaissant son importance dans la réception et la compréhension des prières et en l'invitant à se les approprier en vue de son propre bienfait spirituel: « .. .sed potius aliquem inde colligat lector propter quodfactœ sunt pietatis affectum» 163 • -Esthétique d'une visée D'autre part, ce qui est neuf aussi dans le recueil d'Anselme, c'est son esthétique et sa visée. Car si toute théologie est touchée au centre par la gloire de la révélation divine, et veut refléter cette impression à partir du centre 164 , celle d'Anselmequi craint de «traiter d'un si beau sujet dans un style méprisable et sans art» 165 - est 161

Ep. 70, Schmitt, vol. 3, p. 190-191: «Pietas scriptœ tuœ orationis excitat in nabis pietatem sopitœ compunctionis, adeo ut quasi mente prosiliendo congaudeamus, ea diligendo in te, uel potius in eis te, super ea et per ea Deum et te>>. 162 Pour une esthétique de la réception, préface de J. Starobinsk:i, Paris, 1978, p. 46-63. 163 OA, t. 5, p. 3. 164 Voir H. U. Von Balthasar, La Gloire et la Croix, Paris, 1968, t. Il, p. 11. 165 CDH 1, 3, OA, t. 3, p. 49: «si tam decoram materiam incompto et contemptibili diefamine exarare prœsumo>>.

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façonnée par une prose rythmée, fort éloignée de l'austère simplicité des textes carolingiens, où abondent les antithèses, les parallélismes et les symétries, les jeux de mots et les effets d'accumulation. Par la beauté dynamique de sa langue, Anselme a ainsi pu donner à l'expression de sa piété une chaleur subtile et généreuse qui frappe l'esprit et le cœur du lecteur et qui l'entraîne irrésistiblement vers la méditation et l'oraison 166 • Son esthétique théologique est donc monastique dans sa forme, «communautaire et dialogale, contemplative, spectatrice, réceptive pour ce qui lui est montré» 167 . Par ailleurs, sa volonté d'indépendance est également remarquable, puisque, prenant ses distances avec la traditon ancienne, il ne rattache ses prières à aucun ouvrage de dévotion; son livret existe par lui-même et refuse l'anonymat des recueils antérieurs. On sait en outre, depuis les travaux d'O. Pacht, que c'est Anselme en personne qui a commandité un programme d'enluminures pour ses prières 168 , fait d'autant plus remarquable qu'il s'agirait du premier exemple dans l'histoire de l'enluminure médiévale d'un lien intime entre un auteur et un programme iconographique. Ce que l'on peut distinguer derrière cette double volonté, c'est le désir d'Anselme d'être véritablement un père spirituel guidant ses lecteurs dans leur prière. Enfin, si les exercices spirituels étaient jusqu'alors réservés essentiellement au monde monastique, Anselme est de ceux qui en ont ménagé l'accès aux laïques qui en avaient le désir et la possibilité matérielle. Aussi de grandes dames de la société de l'époque, comme la comtesse Adélide ou la comtesse Mathilde de Toscane, vont être parmi les premières destinataires de ces textes d'un genre nouveau; elles seront aussi en partie à l'origine de leur diffusion et de leur succès. C'est de cette manière, qu'à l'aube d'un des très grands siècles de la spiritualité occidentale, Anselme accomplit la synthèse du passé tout en ouvrant à l'avenir des chemins nouveaux. Sans qu'il ait lui-même invité expressément ses lecteurs à l'imiter 169 , la force théologique et la beauté littéraire de ces prières susciteront l'admiration et l'émulation, et l'on se permettra vite de placer sous l'autorité de l'archevêque de Cantorbéry d'autres textes qui sembleront si proches que jusqu'au début du xxe siècle la critique a éprouvé bien des difficultés à séparer les authentiques des apocryphes.

166

Idée qu'exprimeR. W. Southern, Anselm, p. 102, lorsqu'il déclare: «We see here (Or 9), therefore, as everywhere in Anselm's writings, a characteristic combination of extreme fervour of expression, systematic completeness, practical restraint. These are the marks of the Anselmian revolution, which we shall observe also in his treatrnent of friendship: warmth, even violence, of expression is accompanied by great precision of intention and severity of operati on>>. 167 H. U. Von Balthasar, op. cit., t. Il, p. 193. 168 O. Pacht, op. cit., p. 68-83. 169 Contrairement à ce qu'affirme B. J. Jaye, Artes orandi, Turnhout, 1992, p. 89 (Typologie des Sources du Moyen Âge occidental, 61), Anselme n'invite pas explicitement la comtesse Mathilde à l'imiter et >; en effet comme le recueil contient quelques prières «qui ne concernent pas>> la comtesse Mathilde (il s'agit très probablement de la Med 2: Déploration sur la maleperte de la virginité, ou de l'Or 16 à Marie Madeleine), Anselme justifie fort courtoisement l'envoi de l'ensemble des textes en expliquant que d'autres lecteurs pourront néanmoins en tirer profit grâce à l'exemplaire que désormais elle possède.

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CHAPITRE III HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS LE LIVRET AUTHENTIQUE

Les écrits d'Anselme, comme ceux d'Augustin ou de Bernard de Clairvaux par exemple, ont donc été transmis à la postérité amplifiés de pièces apocryphes qui souvent ont transformé la compréhension que l'on pouvait avoir de l'œuvre originale. Nombreux sont les écrivains mineurs qui rehaussèrent ainsi leurs textes du nom d'un auteur plus prestigieux, plus nombreux encore les copistes qui attribuèrent à quelque grande figure de l'Eglise certains écrits anonymes, leur conférant ainsi une autorité indue 1 . Dans le cas de notre auteur, cette confusion dans la tradition des écrits authentiques reçut quasiment un statut canonique au xvne siècle avec les éditions du jésuite Théophile Raynaud et du mauriste Gabriel Gerberon, statut renforcé par la reprise de l'édition mauriste dans la Patrologie Latine de J.-P. Migne en 1864. En ce qui concerne les prières, il faudra attendre une série d'articles publiés à partir de 1923 par dom André Wilmart, pour que l'on distingue peu à peu les textes anselmiens authentiques au milieu de la masse confuse des apocryphes 2 • En 1932, un autre bénédictin, dom François de Salles Schmitt, publia un article important sur le sujet: «Zur Chronologie der Werke des hl. Anselm von Canterbury» 3 ; quelques années plus tard il édita en six volumes magistraux tous les écrits authentiques du saint archevêque4. Toujours vers la même époque, un jeune chercheur d'Oxford, Richard W. Southem, entreprit sous la direction de Sir Maurice Powicke, pionnier de l'histoire spirituelle en Angleterre, un travail sur les rapports entre saint Anselme et son biographe Eadmer; cette recherche aboutit à une étude fondamentale publiée en 1963, Saint Anselm and his Biographer. A Study ofMonastic Life and Thought 1059-c. 1130.

1 S'il fallait s'en convaincre, il suffit de se reporter aux quatre volumes publiés en 1994 par I. Machielsen, Clavis patristica pseudepigraphorum medii œvi. 1: Prœfatio, Theologica, Exegetica. 2: Ascetica, Monastica (Indices), Turnhout, 1994 (CPPM). 2 Sur l'œuvre d'A. Wilmart, voir J. Bignarni-Odier et al ii, Bibliographie sommaire des travaux du Père André Wilmart, o.s. b., 1876-1941, Rome, 1953 (Sussidi Eruditi, 5). 3 RB, 44, 1932, p. 322-350. 4 F. S. Schmitt, Sancti Anselmi Cantuariensis archiepiscopi opera omnia, 1-VI, Seckau-Rome-Edimbourg, 1938-1961 (repris dans Sancti Anselmi Cantuariensis archiepiscopi opera omnia, Stuttgart-Bad Canstatt, 1968, 2 t.- 6 vol); voir aussi H. K. Kohlenberger, «Bibliographie Pater Dr h. c. Fr. Sa1esius Schmitt, o.s.b.», Sola Ratione, Anselm Studienfur Pater Dr. h.c. Franciscus Salesius Schmitt, o.s.b. zum 75 Geburtstag am 20. Dezember 1969, Stuttgart-Bad Canstatt, 1970, p. 233-236.

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Le savant britannique a repris cet ouvrage pour en donner une version largement revue en 1990. On peut considérer cette dernière publication non seulement comme le couronnement de toute une carrière d'historien en grande partie vouée à la figure d'Anselme, mais aussi comme la synthèse des travaux d'un siècle qui redécouvrit l'œuvre du Docteur Magnifique. Or le point de départ de ce mouvement de recherches anselmiennes est précisément l'enquête que mena dom Wilmart sur l'histoire littéraire et spirituelle du recueil des Orationes siue Meditationes 5 . La question qu'il se posait en 1923 était de savoir «de quels éléments était formé, au vrai, le recueil anselmien». Il désirait pouvoir «lire saint Anselme lui-même, comme on nous le promet, prier, s'émouvoir avec lui, selon les modes de son génie; par suite ne point confondre sous un même nom l'apocryphe et le véritable, cet apocryphe fût-il digne d'attention»; ce qui lui faisait poser deux questions: «quelle confiance méritent les éditions qui sont entre nos mains, établies au XVIIe siècle? Par quels moyens, à quels signes reconnaître les compositions de l'archevêque de Cantorbéry7» 6 • C'est à ces deux questions que l'on voudrait tenter de répondre dans les pages qui suivent, en reprenant les éléments de la recherche qui permit au savant bénédictin de retrouver le «vrai et pur» 7 recueil des vingt-trois prières et méditations de saint Anselme. Dom Wilmart sera notre guide tout au long de ce parcours, mais on utilisera également tous les travaux postérieurs qui ont été menés sur ce sujet. Ainsi, avant d'étudier plus en détailles textes apocryphes du xne siècle, aura-t-on rappelé les données concernant le recueil authentique, point de départ de toute notre tradition. Par ailleurs, cette synthèse permettra d'établir l'état de laquestion d'un sujet qui n'est toujours pas entièrement épuisé, et de proposer tel ou tel élément de réflexion nouveau. Pour ce faire, trois types de sources seront utilisées: les témoignages des contemporains d'Anselme, sa correspondance, et enfin la tradition manuscrite du recueil.

Les témoignages des contemporains A propos du recueil des Orationes siue Meditationes, on posséde quatre témoignages de contemporains d'Anselme. Le plus intéressant et le plus complet est celui d'Eadmer8 , le premier biographe d'Anselme, son disciple, son ami, son confident et aussi son compagnon d'exil. Il composa aussitôt après la mort du saint une Vita, qui

5 Il publia trois études sur le sujet en 1923: sa préface à la traduction de dom Castel, Pax, p. I à LXII, un article dans RB, 35, p. 146-156: «Une prière inédite attribuée à saint Anselme. La recension interpolée des prières» (reprise in Auteurs, X, p. 147-161 ), et une conférence donnée à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres: «Les éditions anciennes et modernes des prières de saint Anselme>>, Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1923, Paris, 1923, p. 152-161. 6 Pax, p. II. 7 A. Wilmart, Tradition, p. 53. 8 Eadmer (1060/64-1124 ou 1141: voir A. Cabassut, infra). En 1079, Anselme, qui venait d'être élu abbé du Bec, passa plusieurs jours à ChristChurch et remarqua Eadmer, alors âgé de dix-neuf ans, parmi les jeunes moines qui se pressaient autour de lui; ils eurent plusieurs entretiens particuliers et, raconte Eadmer (Vita 1, 29): «c'est à cette époque, que je fus admis très

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par la compréhension intime qu'il a de son sujet excède le cadre ordinaire de l'hagiographie9. Cette dernière est en effet fondée sur une longue amitié, nourrie et enrichie par des conversations quotidiennes; elle est par ailleurs d'une ampleur exceptionnelle, sans beaucoup d'équivalents dans la littérature du genre. Toutefois, en ce qui concerne notre sujet, les indications fournies sont relativement pauvres. La première mention du recueil permet seulement de savoir qu'Badmer a lu le recueil, qu'il lui est familier, mais qu'il n'a pas assisté à l'élaboration progressive de cet ensemble de textes qu'Anselme composa essentiellement au cours des années passées au Bec: «Dans les oraisons qu'il publia par écrit, selon le désir et la requête de ses amis, avec quelle sollicitude, quelle crainte, quelle espérance, quel amour il a interpellé Dieu et ses saints, et, de plus, instruit ceux qui avaient fait appel à

avant dans sa familiarité, autant du moins que le permettait ma jeunesse». Lorsqu'en 1093 Anselme devient archevêque du prestigieux siège anglais, il prit Eadmer comme secrétaire et confesseur, et durant les seize ans qui s'écouleront jusqu'à la mort du saint, des liens profonds uniront les deux hommes. Plus tard il fut désigné par le roi pour occuper en Écosse le siège archiépiscopal de Saint-André, mais il renonça à cette dignité à cause du conflit de juridiction qui s'élevait entre les Écossais et l'archevêque Raoul de Cantorbéry. Il mourut vers 1124. La carrière d'écrivain d'Eadmer est marquée par son amour patriotique pour l'Angleterre, et pour Cantorbéry en particulier. R.W. Southern a bien analysé l'œuvre d'Eadmer comme historien anglais, en mettant en lumière sa nostalgie des jours antérieurs à la conquête de 1066, Anselm, p. 404 sq.: «Eadmer and Anselm»: 1) Historia novorum in Anglia, qui est une chronique des événements politiques et religieux arrivés au temps des trois archevêques dont il est le contemporain: Lanfranc, Anselme et Raoul d'Escures: PL 159, col. 347-524, texte édité en 1884 (1965) par M. Rule (Rolls Series); traduction anglaise par G. Bosanquet, History of Recent Events in England, with a foreword by R.W. Southern, Londres, 1964, et traduction française des livres I-IV par H. Rochais, in OA, vol. 9, Paris, 1994, p. 22-239; 2) hagiographies de saints anglais: outre Anselme, Wilfrid (PL 159, col. 713-752) et Oswald (id., col. 761-786 et J. Raine, The Historians of the Church ofYork, t. Il, 1886, p. 1-59) archevêques de York, Bregwin (id., col. 753760), Dunstan (id., col. 787-800; éd. W. Stubbs, Memorials of S. Dunstan, 1874, p. 162-222 (Rolls Series)), et Odon (PL 133, col. 933-944), archevêques de Cantorbéry; 3) Eadmer est aussi l'auteur d'un traité sur l'Immaculée Conception de la Vierge, où il combat saint Bernard, qui dans sa lettre 174 proteste auprès des chanoines de Lyon contre l'institution de cette fête par le chapitre en 1136: Tractatus de conceptione B. Mariœ Virginis (PL 159, col. 301-318, édition critique par H.Thurston et Th. Slater, Fribourg-en-Brisgau, 1904 et traduction française par B. del Marmol, Maredsous, 1923, (Pax, 14)); 4) deux lettres: Ad Glastonienses monachos, de corpore sancti Dunstani; Ad monachos Wigornienses, de electione episcopi (PL 159, col. 799808); 5) enfin il composa aussi quelques méditations: sur la Vierge, Consideratio Eadmeri peccatoris et pauperis Dei de excellentia gloriosissimœ Virginis Matris Dei (PL 159, col. 557580); sur saint Pierre, Scriptum Eadmeri peccatoris ad commouendam super se misericordiam beati Petri ianitoris cœlestis, et sur son ange gardien, Insipidia quœdam diuinœ dispensationis cons ide ratio ab Eadmero magna peccatore de beatissimo Gabriele archangelo (pour ces textes, et en particulier pour les deux derniers, voir A. Wilmart qui publia six opuscules inédits: «Ead-

meri Cantuariensis cantoris noua opuscula de sanctorum ueneratione et obseruatione>>, RSR, 15, 1935, p. 184-219 et 374-79). Voir aussi A. Wilmart, Pax, p. XIV; R.W. Southern, Anselm, p. 430-436; B. Heurtebize, «Eadmer>>, DTC, col. 1977-78 et A. Cabassut, DSp, t. 4, col. 2-5. 9 Entre 1110 et 1115, voir Pax, p. XXXI sq., et P. Henriet, La parole et la prière au moyen âge. Le Verbe efficace dans l'hagiographie monastique des Xl' et XII' siècles, Bruxelles, 2000, p. 106 sq.

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lui, il suffit de le voir sans que j'aie besoin de le dire: qu'on les examine seulement avec piété et j'espère qu'on percevra avec joie les sentiments du cœur d'Anselme, qu'on y trouvera, grâce à elles, son propre profit>>w.

Plus loin, la Vita fournit cependant une indication plus précieuse à propos de la troisième méditation qu'Eadmer indique avoir été rédigée à Lyon au cours du premier exil (1099-1100) 11 : «Dans ce temps-là, il écrivit un livre De la conception virginale et du péché originel, et un autre opuscule, agréable et savoureux pour beaucoup, qu'il intitula Méditation sur l'humaine rédemption>>.

Existence d'un recueil des prières déjà formé du vivant du saint, et précision de la date de composition de la grande Méditation sur l'humaine rédemption, rapidement rattachée au reste du recueil comme l'atteste la tradition manuscrite 12 , telles sont les deux certitudes qu'autorise le témoignage d'Eadmer. Sigebert de Gembloux (t 1112), qui est également un contemporain d' Anselme, mentionne le recueil des prières d'Anselme dans le catalogue des écrivains chrétiens qu'il composa juste avant sa mort 13 . Dom Wilmart considérait que la notice de Sigebert sur Anselme avait été composée à la mort de l'archevêque 14 . Parmi les œuvres du saint qu'il énumère rapidement, figure «Un volume assez gros de méditations ou oraisons» 15 . La référence explicite aux premiers mots du prologue du recueil anselrnien16, ainsi que la précision de l'adjectif grandiusculum «assez gros>>, indiquent assez nettement que Sigebert a lui-même consulté un exemplaire de ce recueil 17 , et que le prologue, qui fait défaut dans un assez grand nombre de manuscrits, a bien été composé du vivant d'Anselme. Cette indication atteste par ailleurs que le recueil anselmien

lü Vi ta 1, 8, trad. H. Rochais, OA, t. 9, p. 258: «ln orationibus autem quas ipse iuxta desiderium et petitionem amicorum suorum scriptas edidit, qua sollicitudine, quo timore, qua spe, quo amore Deum et sanctos eius interpellauerit, nec non interpellandos docuerit, satis est et me tacente uidere: sit modo qui eis pie intendat, et spero quia cordis eius affectum, suumque profectum in illis et per illas gaudens percipiet>>. 11 Vita 2, 44, trad. H. Rochais, OA, t. 9, p. 349: «Per id etiam temporis scripsit librum unum 'De conceptu uirginali et de peccato originali', et aliud quoddam opusculum multis gratum et delectabile, cui titulum indicit 'Meditatio redemptionis humanœ'». 12 Med. 3. Les manuscrits de la tradition Mathilde montrent que dès 1104 cette méditation faisait déjà partie intégrante du recueil. 13 Catalogus de uiris illustribus (PL 160, col. 515-591: De scriptoribus ecclesiasticis), édité par R. Witte, Francfort, 1974; chap. 168: Anselme de Cantorbéry; voir aussi les articles de P. Petitmengin, «Le De uiris illustribus de Sigebert de Gembloux>>, MA, 85, 1979, p. 317322 etE. Dekkers, «Sigebert van Gembloux en zijn De uiris illustribus >>,SE, 26, 1983, p. 57102 (saint Anselme, p. lOO). 14 Pax, p. XXXII. 15 PL 160, col. 586.: . 16 OA, t. 5, p. 3: . 17 Ce qui n'a rien d'étonnant, puisque après avoir été écolâtre de l'abbaye Saint-Vincent de Metz pendant une vingtaine d'années, il revint vers 1071-1072 dans son monastère d'origine à Gembloux, qui était l'un des centres intellectuels les plus brillants du diocèse de Liège, et dont la bibliothèque était beaucoup plus importante encore que celle de Metz.

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a atteint vers 1109 les confins de la Germanie 18 . Mais dans cette brève notice, Sigebert ne donne aucune précision supplémentaire sur le contenu même du recueil. Les deux notices de Robert de Torigny ( t 1186), qui fut un temps bibliothécaire de l'abbaye du Bec 19 , ne sont pas beaucoup plus explicites. Ce dernier rédigea à deux reprises, et dans des contextes différents, une liste détaillée des ouvrages d'Anselme. Tout en reprenant ce qu'avait écrit Eadmer, il ajouta cependant des remarques inédites provenant de sa propre connaissance de l'œuvre d'Anselme, telle qu'elle était conservée dans l'abbaye normande. ll a d'ailleurs lui-même décrit minutieusement trois volumes renfermant les œuvres d' Anselme20 , et si ces manuscrits sont aujourd'hui perdus, cette description permet au moins de se faire une idée de leur contenu. Parmi ceux-ci, il a pu consulter un volume qui renfermait, encadré par différents traités, les prières anselmiennes. En effet, dans sa révision des Gesta Normannorum ducum 21 , alors qu'il introduit un chapitre sur la fondation de l'abbaye du Bec (1034) et sur ses premiers abbés, il insère une liste détaillée des ouvrages d'Anselme, dans laquelle il mentionne entre autres le recueil des prières: 18 Voir Pax, p. XXXIII. On sait que les manuscrits des prières sont assez rares dans les bibliothèques d'Allemagne et d'Autriche, ce que confirment déjà les catalogues du Moyen Âge à quelques exceptions près (p. ex. à Blaubeuren, avant 1101: «Orationes ab Anselmo Cantuariensi epis capo œditas » ). Ainsi Honorius Augustodunensis, qui représente à un degré éminent la culture de l'Allemagne méridionale pour la période 1125-1150, ignore le recueil des prières dans l'article qu'il consacre à Anselme (De luminaribus IV, 15; PL 172, col. 232): «Anse/mus, eiusdem Lantfranci discipulus, ex abbate eiusdem Cantuariensis Ecclesiœ, Angliœ prouinciœ, episcopus, multa memoranda conscripsit; ex quibus hœc sunt: liber qui dicitur 'Cur Deus Homo', 'Monologii Liber', scilicet 'De sancta Trinitate', unus 'De Incarnatione Verbi', unus 'De processione sancti Spiritus', unus 'De lapsu diaboli', unus 'De libera arbitrio', 'De predestinatione ', et multa alia Dea digna>>: «Anselme, disciple de ce même Lanfranc, après avoir été abbé, devint évêque de cette même Eglise de Cantorbéry, dans la province d'Angleterre; il rédigea de nombreux écrits mémorables, parmi lesquels: le livre qui s'intitule Pourquoi un Dieu Homme, le livre du Monologion, qui traite De la sainte Trinité, un livre Sur l'Incarnation du Verbe, un livre Sur la procession du saint Esprit, un livre Sur la chute du diable, un livre Sur la liberté du choix, Sur la prédestination, et beaucoup d'autres écrits dignes de Dieu>>. C'est d'autant plus étonnant, qu'Honorius, même s'il n' a pas été un élève direct d'Anselme (voir R. D. Crouse, «Honorius Augustodunensis: Disciple of Anselm?>>, Die Wirkungsgeschichte Anse/ms von Canterbury, Francfort-sur-le-Main, 1975, p. 131-139, et M. O. Garrigues, RA, 12, 1977, p. 231-232), a cependant appartenu à la mouvance anselmienne (voir G. R. Evans, «A Theology of Change in the Writings of St Anselm and his Contemporaries>>, RTAM, 47, 1980, p. 53-76). Sur cet écrivain, voir la bibliographie de M. O. Garrigues et en particulier «Qui était Honorius Augustodunensis?>>, Angelicum, 50, 1973, p. 20-49. 19 Robert de Torigny entra en 1128 au Bec, où il fut chargé de la bibliothèque; il devint ensuite prieur du Mont-Saint-Michel, puis abbé le 22 juillet 1124. Ce bibliophile érudit et curieux a laissé une œuvre historique importante, qui est surtout un travail de compilation. 20 Ouvrages qui permettaient aux moines des années 1150 d'avoir accès aux écrits de leur illustre abbé (voir PL 150, col. 769 sq.). 21 Cette œuvre, qui date d'avant 1142, est une continuation de la première entreprise d'Orderic Vital (t peu après 1141), qui avait continué et interpolé vers 1109les Gesta Normannorum ducum de Guillaume de Jumièges Ct avant 1087), œuvre achevée en 1071 etofferte à Guillaume le Conquérant. Robert révise et continue le texte d' Orderic. Dans son Histoire Ecclésiastique (IV, 16: chapitre rédigé vers 1125; éd. M. Chibnall, p. 294-296), Orderic fait un très bel éloge de l'affable et doux Anselme: «Anse/mus affabilis et mansuetus>>, qu'il a sans

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« onzième ouvrage, composé d'oraisons à divers saints, que l'on appelle souvent Méditations; ceux qui les lisent ont vite fait de voir combien son âme était pleine d'une douceur céleste» 22 •

Il semble que l'on trouve là un écho des propos d'Eadmer sur le même sujet23 . La mention «oraisons à divers saints», bien qu'incomplète, est compréhensible: elle rappelle que ce sont effectivement les prières aux saints qui composent l'essentiel du recueil authentique. Quant à la troisième méditation, puisque cet «opuscule» 24 n'est pas cité explicitement, on peut supposer qu'ille comprenait parmi les oraisons, comme devait le faire aussi sans doute le recueil du Bec. Plus tard, dans la suite développée qu'il donne à la Chronique de Sigebert25 , pour illustrer l'obit du saint, il reproduit quasiment à l'identique le catalogue des œuvres complètes d'Anselme. En ce qui concerne les prières, il corrige sa première phrase, mais non la suite: « onzième ouvrage, composé d'oraisons contemplatives, que l'on appelle souvent Méditations; etc ... >> 26 •

Cette correction est juste; elle permet de faire connaître en un mot l'esprit du recueil anselmien, mais elle ne fournit aucune description systématique des prières. Le dernier témoignage pour cette époque provient d'Herbert de Bosham (t après 1189), secrétaire, historien et compagnon d'exil de saint Thomas Becket, quatrième successeur de saint Anselme sur le siège de Cantorbéry 27 • Au chapitre treize du troisième livre de sa Vita 28 , le biographe rapporte que 1' archevêque Thomas, quand il célédoute connu et rencontré; il cite certains titres de traités, mais ne dit rien des prières. Les additions de Robert concernent le règne de Hemi rer avec une courte introduction sur Henri II: édition de J. Marx, Rouen, 1914 (Société de l'Histoire de Normandie): la partie de Robert de Torigny est aux pages 199-314; édition moderne en cours parE. M. C. Van Houts, qui a publié en 1992, The Gesta Normannorum Ducum of William of Jumièges, Orderic Vitalis and Robert of Torigni, I: Introduction and Books !-IV. Sur cette œuvre voir du même auteur, «The Gesta Normannorum ducum: a History without an End>>, Proceedings of the Battle Conference, 3, 1980, p. 106-118, et 215-220. 22 PL 149, col. 843: >. 23 Voir supra. 24 Voir Vita 2, 44. 25 PL 160, col. 411-516; éd. deL. Delisle, Rouen, 1872, et R. Howlet, Chronicles of the Reign of Stephen, t. IV, Londres, 1889. 26 PL 160, col. 430: « Vndecimum de orationibus contemplatiuis, quem plurimi 'Meditationes' uocant... >>.Voir éditions deL. Delisle, t. 1, p. 135 sq. et R. Howlet, op. cit., p. 90. 27 Thomas fut archevêque entre 1162 et 1170; Herbert devint son secrétaire en 1162, plus tard il fut nommé archevêque de Bénévent puis cardinal. Il écrivit une Vita sancti Thomœ archiepiscopi et martyris, (BHL 8190), sept livres rédigés entre 1184 et 1186; édition de J. C. Robertson, Materialsfor the History ofThomas Becket, Londres, 1873 (Rolls Series, 67), t. III. 28 J. C. Robertson, op. cit., t. III, p. 209 sq. Le passage manque dans la Patrologie (PL 190, col. 1098), mais on le retrouve, avec quelques changements, dans le Quadrilogus qui serait l'œuvre d'Elie d'Evesham, moine de Croyland vers 1198, et qui est en fait une Vita s. Thomœ Cantuariensis, compilée d'après quatre auteurs: PL 190, col. 356; voir aussi J. C. Robertson, op. cit., t. IV, p. 286 qui en donne l'édition complète.

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brait, avait pour habitude de tenir entre ses mains quelque ouvrage spirituel pour entretenir en son cœur l'esprit de componction, et «de préférence le livret des Oraisons, pour lui véritable enchiridion» que le bienheureux Anselme «vase catholique, bâton contre les hérétiques, marteau des tyrans ... » avait su tirer «des moelles de sa dévotion». Remarque émouvante qui indique clairement quelle place le recueil anselmien a très rapidement occupé dans la piété de son époque. Au terme de ces témoignages, on comprend qu'au XII" siècle le recueil se présente encore sous la forme d'un livret assez épais, semblable à certains témoins conservés29. Il semble déjà jouer un rôle important dans la dévotion privée, le fidèle y trouvant exprimées dans un même mouvement la douleur de la componction et la joie du salut. Mais pour connaître le contenu exact du livret original et pour suivre chronologiquement son élaboration, c'est à la correspondance du saint qu'il faut se référer.

La correspondance d'Anselme Anselme, plus que les auteurs de son temps, a consacré une partie importante de sa correspondance à son activité littéraire, montrant par là l'importance qu'il lui attachait30 ; il fut d'ailleurs souvent lui-même à l'origine de la diffusion de ses écrits. En ce qui concerne ses différentes prières, on sait qu'il en envoya régulièrement des copies à certaines grandes dames de ses relations ou à des moines qui le lui demandaient, et, contrairement à son habitude, il semble n'avoir jamais hésité à les faire parvenir isolément ou regroupées, telles qu'il venait de les écrire31 . Comme ses envois étaient accompagnés de lettres, on peut suivre, au fil de la correspondance conservée, la genèse du recueil original 32 • Le premier témoignage de l'existence des Prières est une lettre adressée par Anselme à Adélide, l'une des filles de Guillaume le Conquérant33 • A l'instar de nom29

Par exemple à Paris, B.N. lat. 2881,2882 ou 18111. Voir R. W. Sou them, AB, p. 17, et le chapitre consacré à Anselme parR. Sharpe dans son ouvrage à paraîre, New Books and their Publication in the XI and XI!th century. 31 R. Roques a étudié la question de la diffusion par les frères d'Anselme de traités insuffisamment travaillés au gré de leur auteur; voir p. ex. sa préface à l'édition du CDH, OA, t. 3, p. 42-43. On peut tenter d'expliquer cette différence d'attitude par le fait que dans ses prières Anselme ne cherchait pas à résoudre des problèmes d'ordre théologique, son seul but étant de parfaire la connaissance qu'il avait de lui-même et d'obtenir l'aide des puissances célestes. Quand il finit par rédiger le long cheminement de la prière intime, ille fait pour aider son prochain, et le texte qui jaillit est accompli dans sa forme comme dans son principe. 32 R. W. Southem a beaucoup travaillé sur le problème de la correspondance du saint; c'est dans son dernier grand ouvrage que l'on trouvera le meilleur état de la question (Anselm, p. 459 sq. «Appendix towards a History of Anselm's Letters>> ). Pour l'édition de la correspondance on peut se référer à Schmitt (vol. 3, 4, et 5), dont il existe actuellement une traduction italienne par A. Granata, Milan,1988-1993, et une version anglaise par W. Fri:ihlich, Kalamazoo, 1990; voir bibliographie. 33 Il ne faut pas confondre cette Adelis avec Adala, l'épouse du comte Etienne-Henri de Blois, et mère de Thibaut IV de Blois et d'Etienne de Blois, roi d'Angleterre en 1135 (voir le tableau généalogique présenté par M. Chibnall, Anglo-Norman England 1066-1166, NewYork, 1986, p. 222). Adelis était sans doute sa sœur cadette, Adélide, qui adopta la vie religieuse sous la protection de Roger de Beaumont, dont la baronnie se situait dans la vallée de la Risle, 30

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breuses femmes non-mariées de l'aristocratie, cette dernière vivait retirée dans une vie semi-monastique près du Bec, où, tout en gardant sa liberté, et sans s'astreindre à la rigueur austère de la vie conventuelle, elle suivait un mode de vie religieuse simplifié. Comme Anselme était alors prieur de l'abbaye voisine du Bec34 , c'est tout naturellement qu'elle s'adressa à lui comme guide spirituel, et que selon un usage fréquent pendant tout le Moyen Âge, elle lui demanda une sélection d'extraits du Psautier pour son usage privé35 • Le prieur lui fit parvenir en retour un Florilège des Psaumes 36 et sept Oraisons, accompagnés d'une lettre dans laquelle il précise l'objet de son envoï3 7 . Après le Florilège, il a ajouté sept Oraisons «dont la première doit plutôt être appelée méditation que prière», et qui traduit les sentiments du pécheur à la pensée du jugement finaP 8 . Il ne peut s'agir dès lors que de la première Méditation 39 , la seconde qui s'intitule «Déploration sur la maleperte de la virginité» semblant à l'esprit délicat d'Anselme sans doute hors de propos 40 , et la troisième ayant été composée bien plus tard à Lyon. Les Or 13 et 1641 , à saint Etienne et à sainte Marie-Madeleine sont ensui-

près de l'abbaye du Bec-Hellouin: Orderic Vital, Hist. eccl., éd. M. Chibnall, t. III, p. 114; A. Wilmart, Pax, p. XXVII-XXVIII; R. W. Southem, Anselm, p. 92, n. 2. Sur les rapports entre Anselme et la noblesse, voir M. Grandjean, Laïcs dans l'Eglise, p. 258 sq. et 269 sq., etC. Brooke, «Princes and Kings as Patrons ofMonasteries. Normandy and England», Il monachesimo e la riforma ecclesiastica, Milan, 1971, p. 125-144. 34 Sur ces grandes dames menant une sorte de vie religieuse voir p. ex. les relations entretenues par l'impératrice Agnès avec l'abbé Jean de Fécamp: J. Leclercq et J. P. Bonnes, Un maître de la vie spirituelle au Xl" siècle, Jean de Fécamp, Paris, 1946, p. 211-217; sur les rapports entre Anselme et Adélide, voir R. W. Southem, Anselm, p. 92-93. D'une manière plus générale voir N. Bériou, , La religion de ma mère. Le rôle des femmes dans la transmission de la foi, J. Delumeau (éd.), Paris, 1992, p. 52, et G. Epinay-Burgard etE. Zum Brunn, Femmes troubadours de Dieu, Turnhout, 1988. 35 On sait le succès que connut par exemple la Collectio psalterii attribuée à Bède le Vénérable (CCSL 122, p. 452-470; A Wilmart, Precum Libelli, p. 143-159) ou le De psalmorum usu attribué à Alcuin qui propose huit groupements thématiques de psaumes suivant différentes situations spirituelles (PL 101, col. 465-468). Voir supra, p. XLV sq. 36 Aujourd'hui perdu. 37 Ep 10, Schmitt, vol. 3, p. 113. On devine en lisant cette lettre que la composition des Flores psalmorum est avant tout le fruit d'une humble obéissance, alors que les prières lui tiennent fortement à cœur: on trouve là un signe très clair du changement qui est en train de s' opérer dans la dévotion privée au tournant des XIe et XIIe siècles, mutation dont Anselme est l'un des principaux artisans; voir supra, p. XL sq. 38 1. 13: >. 39 Med 1, OA, t. 5, p.76-79. 40 Med 2, OA, t. 5, p. 80 sq.: ; voir A Wilmart, Pax, p. XXVII. Comme le souligneR. W. Southem (Anselm, p. 105), qui se fonde sur des raisons psychologiques, cette méditation fut probablement la première à être composée par Anselme. 41 V. Saxer, >, «Au prieur Baudry et aux autres frères ... Envoyez-moi la Prière à saint Nicolas que j'ai faite, et la Lettre contre les propos de Roscelin, que j'ai commencée à faire ... >>.

LXXXI

INTRODUCTION

que le fait qu'Anselme demande cette prière isolément avec un ouvrage inachevé (facere incohaui) permet de penser que cette prière était récente (c. 1090) et qu'elle n'était pas encore intégrée dans le recueil des Orationes. En conclusion, on peut donc raisonnablement considérer que ce sont les Med 1 et Or 8-11, 13 et 1649 qui ont été envoyées à la comtesse Adélide vers 1072, Or 14 étant sans doute, plus tardive, et liée à l'arrivée des reliques de saint Nicolas au Bec. Un ou deux ans plus tard, vers 1074, Anselme fait parvenir trois prières à la Vierge 5° à son ami Gondulphe, moine du Bec 51 , qui suivit Lanfranc en Angleterre lorsque ce dernier fut nommé archevêque de Cantorbéry (1070). Dans la lettre qui accompagne l'envoi de ces trois textes, l'auteur explique, non sans esprit, dans quelles circonstances il s'est repris à trois fois pour parvenir à élaborer, «à la demande d'un frère de son entourage», une prière à la Vierge qui satisfasse cet ami décidément bien exigeant52 . Dans les trois ou quatre années qui suivent, la collection commence à être 53 connue hors de la Normandie, comme tend à le prouver la lettre 70 dans laquelle Durand54 , abbé de La Chaise-Dieu en Auvergne, remercie Anselme pour les prières qu'il a pu lire et lui en demande de nouvelles. L'abbé Durand indique les premiers mots de Med 1, et on peut supposer qu'il connaît aussi Med 255 .

49 A. Granata, dans son introduction à Orazioni e Meditazioni, Milan, 1997, p. 91, ajoute étrangement Or 12 portant ainsi le nombre de textes de cette première collection à huit, alors qu'Anselme lui-même parle de sept textes. On ne comprend pas mieux pourquoi il date Or 17 de 1104, alors que celle-ci figure dans la collection du manuscrit de Saint-Martin-de-Troarn, daté vers 1085, comme le rappelle pourtant C. Marabelli dans l'introduction à cette prière dans le même volume (ibidem, p. 394). 50 Or 5, 6 et 7. 51 Gondulphe deviendra plus tard évêque de Rochester (1076-1080). 52 Ep 28, Schmitt, vol. 3, p. 135-136, 1. 6-13: «Ad GONDULFUM monachum. (Quomodo tres suas orationes ad s. MAR/AM, quas mittit, exortœ sint narrat, et quomodo meditandœ sint prœscribi) ... Quidamfrater non semeZ sed sœpe me rogauit, ut de sancta MARIA magnam quandam orationem componerem... Feci igitur orationem unam unde fueram postulatus; sed in ea me non satisfecisse postulanti cognoscens, alteram face re sum inuitatus. In qua quoniam similiter nondum satisfeci, tertiam qua tandem sufficeret perfeci>>: «Au moine Gondulphe. (Récit de la façon dont ses trois prières à sainte Marie, qu'il envoie, ont été entreprises, et indications sur la manière dont elles doivent être méditées) ... Un frère m'a demandé à plusieurs reprises que je lui compose quelque grande prière à sainte Marie ...Je fis donc une prière selon ce qui m'avait été demandé; mais apprenant que par cette prière je n'avais pas satisfait celui qui me l'avait demandée, je fus engagé à en faire une autre. Celle-là non plus ne donna pas satisfaction, j'en achevai une troisième qui pût enfin convenir>>. Sur ces trois prières, voir A. Wilmart, «Les propres corrections de saint Anselme dans sa grande prière à la Vierge Marie>>, RTAM, 2, 1930, p. 189-204, etC. Marabelli, Orazioni e Meditazioni, Milan, 1997, p. 160 sq. 53 F. S. Schmitt date cette lettre de c. 1076: «Die Chronologie der Briefe des hl. Anselm von Canterbury>>, RB, 64, 1954, p. 184, et Schmitt, t. 1*,p. 143. 54 Durand fut abbé à partir de 1067, il devint évêque de Clermont en 1076; il mourut en 1095. Quand il écrit à Anselme, ce dernier est toujours prieur (1063-1078). 55 Ep 70, Schmitt, vol. 3, p. 190-191,1.7-8: «Deinde: Terret me uita mea, namque diligenter discussa, cum eo quod sequitur, scriptum hoc et prœter hoc alia piissime de contrito spiritu tua et de pietate contriti tui cordis edita et scripta ... >>: «Ensuite: Elle m'effraie ma vie, en effet soigneusement examinée ... , avec le texte qui suit cet écrit, et en dehors de cet écrit une

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HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

Mais la lettre la plus importante pour notre sujet est celle qui fut jointe par Anselme au recueil qu'il fit parvenir en 1104 à la comtesse Mathilde de Toscane56 • Les dernières lignes de cette lettre sont particulièrement intéressantes: «Votre Grandeur m'a confié par l'intermédiaire de notre fils Alexandre déjà mentionné 57 qu'elle ne possédait pas les Prières ou Méditations que j'ai composées, alors que je pensais que vous les possédiez, c'est pourquoi je vous les envoie» 58 . Ces quelques mots indiquent en effet clairement qu'Anselme a envoyé en 1104 une édition de son livret (mitto eas uobis), et qu'à cette date le recueil était déjà formé et publié depuis un certain temps (putabam uos habere).

autre très pieusement produite et rédigée à partir de la contrition de ton esprit et de la piété de ton cœur contrit...>>. Pour Med 2, voir Pax, p. XXIV; d'après R.W. Southem, cette pièce pourrait même être la plus ancienne du recueil, AB, p. 46. 56 L'active comtesse de Toscane (1076-1115) fut la courageuse alliée du Saint-Siège, et en raison de ses vastes domaines, elle tint dans les affaires politiques et spirituelles de l'Italie de cette époque une place de premier rang. Anselme rencontra cette grande amie de la Curie romaine lors de son retour de Rome en 1103, il arriva à Lyon à Noël et y demeura jusqu'au printemps 1105; c'est de là qu'il lui envoya son recueil au début de 1104 (Vita, 2, 39-46, trad. H. Rochais, OA, t. 9, p. 344-350; R.W. Southem, Anselm, p. 111). Sur Mathilde voir la monographie ancienne, mais «de première qualité>> (Auteurs, p. 163) de A. Overmann, Griifin Mathilde von Tuscien: ihre Besitzungen. Geschichte ihres Gutes von 1115-1230 und ihre Regesten, Innsbruck, 1895; voir aussi le poème du moine Donizo (bénédictin à Canossa vers 1115), qui en hexamètres dactyliques expose la geste guerrière de la comtesse, édité par L. Bethmann, MGH, 12, 1995 (1856), p. 348-409; N. Grimaldi, Donizone il cantore di Matilde e dei principi canusini, Reggio Em., 1928 (Canossa, 4): traduction italienne avec une longue introduction; G. Fasoli, «Rileggendo la Vita Mathildis di Donizone », Studi Matildici. Atti e memorie delll convegno di studi matildici, Modène, 1971, p. 15-39, et l'édition critique la plus récente avec traduction italienne parU. Bellochi et G. Marzi, Matilde e Canossa. Il poema di Donizone, Modène, 1970 (Deputazione di storia patria perle an tiche provincie modenesi; «Monumenti>>, t. XXIV). Voir aussi A. Wilmart, «Cinq textes de prière composés par Anselme de Lucques pour la comtesse Mathilde>>, RTAM, 19, 1938, p. 23-72. 57 Alexandre est un moine de Christ Church de Cantorbéry; il accompagna Anselme dans cet exil, et la remarque de cette lettre nous apprend donc qu'il était resté en arrière. Il nous est beaucoup moins bien connu qu'Eadmer, et il n'est pas véritablement écrivain, sa prose étant très proche encore du style oral du discours. Il est cependant l'auteur des Dicta Anselmi et miracula, qui sont composés de vingt sermons et cinquante-deux récits de miracles, édités dans Memorials of St Anselm, parR. W. Southem et F. S. Schmitt, Londres, 1969, p. 105-270 (ABMA, 1). O. Pacht, «The illustrations of StAnselm's Prayers and Meditations>>, JWCJ, 19, 1956, p. 81 se demande même s'il n'est pas envisageable qu'Alexandre ait été chargé d'enluminer l'exemplaire qu'il alla porter lui-même en Italie à la comtesse Mathilde; voir aussi R. W. Southem, Anselm, p. 112, n. 27. 58 Ep 325, Schmitt, vol. 5, p. 256: « ... Mandauit mihi uestra Celsitudo per prœdictum filium nostrum Alexandrum, quia ' Orationes siue Meditationes ', quas ego dictaui, et putabam uos habere, non habeatis, et ideo mitto eas uobis>>. Sur la date et les circonstances de la lettre, voir Auteurs, XI, p. 35 sq. «Le recueil de prières adressé par saint Anselme à la comtesse Mathilde>>; O. Pacht, «The illustrations of saint Anselm' s Pray ers and Meditations>>, JWC1, 1956, 19, p. 70 sq., et l'article de P. A. Maccarini, >, in Auteurs, p. 162-172. 87 O. Pacht, op. cit., pl. 15. 88 O. Pacht, op. cit., pl. 16, c. 89 O. Pacht, op. cit., pl. 15, a; 16, b; 17 b etc. 90 On sait que le prologue ne fut rédigé qu'après l'envoi du recueil à Mathilde. En effet pour accompagner son envoi Anselme avait joint une lettre qui reprend les termes du futur prologue, et dont on ne verrait pas l'utilité si ce texte existait déjà. Le premier témoin du prologue est le manuscrit 271 de la Bodléienne (1105).

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INTRODUCTION

ajoutent quelques textes nouveaux, dont aucun n'est enluminé91 . Si l'on étudie de plus près le manuscrit de Littlemore, on voit que ce dernier a puisé dans son modèle des illustrations pour les adapter à son texte, mais ces dernières ont moins de valeur illustrative que dans l'exemplaire d' Admont92 . D'autre part, pour comprendre l'influence de l'archétype anglais sur le manucrit d' Admont, les peintures les plus intéressantes sont celles qui s'inspirent directement du texte anselrnien et qui n'ont pas d'équivalent dans les modèles habituels des enlumineurs. C'est le cas, par exemple, de la vignette du f. 5693 du manuscrit d'Admont représentant une double scène: saint Jean quittant son épouse et saint Jean reposant sur la poitrine du Christ. En dehors de la beauté du dessin et de la dynamique interne de la composition où Jean quitte son épouse pour venir se reposer sur le giron du Christ, cette peinture est remarquable pour trois raisons. D'abord par le principe même de double scène qui entraîne la production d'un récit par l'image, procédé rare dans l'enluminure médiévale, mais qui est en revanche caractéristique de la manière du Maître de Saint-Alban94 . Ensuite par la représentation de Jean reposant sur le Christ, qui est le plus ancien exemple de ce motif iconographique qui connaîtra un grand succès aux XIIIe et surtout au XIVe siècle. Cette scène illustre parfaitement le texte de la onzième prière d' Anselme95 , mais elle n'appartient pas aux motifs traditionnels du scriptorium de Salzbourg: «Saint et bienheureux Jean,( ... ) toi que Dieu aime si particulièrement parmi ceux qu'il aime tout particulièrement que cette dilection suréminente est le signe propre qui te signale parmi eux, toi, ce Jean qui reposa familièrement sur cette glorieuse poitrine du Très-Haut, toi que Dieu substitua comme fils à sa place auprès de sa mère ... >> 96 .

Enfin par la première scène de la vignette qui représente Jean quittant son épouse. Elle ne provient pas du texte d'Anselme et n'appartient pas non plus aux motifs habituels de l'atelier de Salzbourg; en revanche, on trouve dans le Psautier de SaintAlban97 une double vignette montrant saint Alexis quittant son épouse pour se rendre en Terre sainte98 .

91 A l'exception de PsOr 8, voir supra. Pour un tableau comparatif des enluminures dans nos trois témoins, voir O. Piicht, op. cit., p. 83. 92 Par exemple au f. l89v et 191 v de E*, on trouve un couple agenouillé devant le Christ; le rapprochement avec le motif de l'art ottonien inspiré de la formule byzantine de la bénédiction du couple impérial est nette, et cette image utlisée par le manuscrit d' Admont (f. 2v et 56v) à des endroits opportuns (frontispice p. ex.), est utilisée à mauvais escient parE*, pour représenter les pécheurs tremblant devant Dieu au jour du Jugement, voir O. Piicht, op. cit., pl. 17. 93 O. Piicht, op. cit., pl. 17, f; 21, a. 94 Voir O. Pacht et alii, The St Albans Psalter, Londres, 1960. 95 Cet épisode de la dernière Cène est très aimé des écrivains chrétiens anciens, et en particulier de saint Augustin, mais c'est surtout la mention «le disciple que Jésus aimait>> qui retient leur attention; voir p. ex. D. Dideberg, , BTT 3, p. 189-201. 96 Or 11, 1. 6-8: texte et traduction OA, t. 5, p. 42. 97 Postérieur à 1119. 98 O. Pacht, op. cit., pl. 21, c.

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HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

Il est donc vraisemblable que cette vignette à double scène du manuscrit d'Admont fournit une preuve de l'origine anglaise de l'archétype enluminé envoyé par Anselme à la comtesse Mathilde. En effet, le rapprochement que l'on peut faire entre le manuscrit d' Admont et les exemplaires de Saint-Alban n'est pas accidentel, et un tel motif iconographique ne peut avoir été inventé deux fois. D'autre part, la thématique qu'il illustre est caractéristique du nouvel esprit de dévotion du XIe siècle, comme l'atteste par exemple le sermon de Pierre Damien sur saint Alexis 99 • Il semble même que l'on puisse deviner la volonté d'Anselme derrière le choix de cette composition, car si la scène où saint Jean quitte son épouse n'appartient pas à l'Or 11, elle est en revanche une excellente illustration de tout son enseignement qui exhorte continuellement ses interlocuteurs à quitter l'amour du monde pour choisir l'amour de Dieu. Ainsi, dans une lettre qui date du premier exil, Anselme engage à mots couverts sa sœur Richeza et son beau-frère Burgonde à se libérer des liens du mariage et à entrer dans la vie monastique puisqu'ils viennent d'offrir leur fils aîné en oblature et que leurs autres enfants sont morts en bas-âge: «Vous comprendrez que Dieu vous a fait une grande miséricorde: en vous ôtant vos héritiers en cette vie pour faire de vos enfants ses propres héritiers et ses propres enfants dans la vie éternelle, il vous a ôté toute occasion d'aimer ce siècle et de désirer les choses passagères. Rendez grâces à Dieu de ce que, délivrés de tout fardeau et de toute entrave, vous pouvez courir librement à lui, de tout votre cœur, de toute votre volonté et de toutes vos forces (cf. Le 10, 27), n'ayant pour tout souci que le salut de vos âmes» 100 .

Pour conclure sur ce sujet, on peut donc estimer qu'il y a eu un archétype enluminé aujourd'hui perdu, produit à Saint-Alban. Cet exemplaire fut envoyé à la comtesse Mathilde à sa demande pendant le second exil d'Anselme ( 1104), et c'est le moine Alexandre de Cantorbéry, l'un des quatre compagnons de l'archevêque en exil, qui fut chargé de le lui apporter 101 . Malgré l'avis de dom Wilmart, qui pensait qu'Anselme n'avait pas eu le temps à Lyon de faire enluminer ses prières, et que c'est Mathilde qui plus tard ordonna la réalisation d'un exemplaire de luxe par un atelier toscan 102 , O. Pacht a bien montré qu'il était impossible que la comtesse n'ait pas reçu un exemplaire enluminé, tant sont nombreux et profonds les rapports entre les deux cycles picturaux de Saint-Alban et de Salzbourg. II y a en outre toutes les raisons de croire que c'est grâce à une copie italienne de l'exemplaire de Mathilde que le cycle anselmien fut connu dans la région des Alpes. Par ailleurs, en identifiant l'énigmatique personnage féminin de l'exemplaire de Littlemore (E*) avec la comtesse Mathilde elle99

PL 144, col. 651 sq. Ep 211, 1. 15-21, citée par M. Grandjean, Laïcs dans l'Eglise. Regards de Pierre Damien, Anselme de Cantorbéry et Yves de Chartres, Paris, 1994, p. 193. 101 Voir supra. 102 Auteurs, p. 165, n. 1: «On ne saurait imaginer que cette illustration remonte à l'archétype même; et comment, à Lyon, aurait-on trouvé le temps d'y procéder? Mais il est possible que Mathilde ait fait exécuter un exemplaire de luxe par des Toscans à son service>>. A cela O. Pacht a répondu que dom Wilmart n'avait pas étudié les enluminures, et qu'en outre il semble ne pas avoir connu l'existence de l'exemplaire enluminé d'Oxford (E*), ses arguments ne reposaient donc sur aucun élément sérieux, op. cit., p. 77. 100

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même, O. Pacht a établi qu'un exemplaire décoré en Italie à partir de l'original anselmien serait revenu rapidement à Cantorbéry, et aurait contribué à influencer cette ligne d' édition 103 • Reste le problème de savoir comment Anselme a pu envoyer depuis Lyon un exemplaire enluminé: O. Pacht s'est demandé s'il n'était pas envisageable qu'Alexandre eût été chargé d'enluminer l'exemplaire qu'il alla porter lui-même en Italie à la comtesse Mathilde 104 . Il ne s'agit bien sûr que d'une hypothèse, plus proche de la présomption que de la démonstration, toutefois elle permettrait peut-être d'expliquer la présence de réminiscences manifestes d'un séjour italien dans un manuscrit du scriptorium de Cantorbéry 105 . Mais on pourrait également envisager une troisième possibilité: qu'Anselme ait fait parvenir à la comtesse de Toscane son propre exemplaire enluminé, gardant pour lui une copie plus simple réalisée à la hâte à Lyon. Cette hypothèse présente l'avantage d'être peut-être plus réaliste, et de concilier à la fois la remarque de dom Wilmart sur la difficulté qu'il y aurait eu à exécuter à Lyon un exemplaire de luxe, et l'évidence, soulignée par O. Pacht, de l'existence d'une tradition de manuscrits enluminés issus de l'exemplaire (perdu) envoyé par Anselme à Mathilde. Cette démarche serait en outre assez conforme à l'idéal monastique de dépouillement, ainsi qu'aux règles de la bienséance. Cette seconde recension présente donc un recueil quasiment complet, à l'exception du prologue qu'Anselme aurait rédigé à partir du billet d'envoi à la comtesse et qui n'est présent que dans quelques manuscrits. De cet archétype dépendrait l' exemplaire lyonnais envoyé à la comtesse Mathilde (m* ), d'où seraient issus les manuscrits de ce qu'A. Wilmart appelle «la tradition Mathilde». L'exemplaire envoyé à Mathilde est aujourd'hui perdu, mais on en a une copie directe avec l'exemplaire de Salzbourg: Admont, Stiftsbibliothek 289 (vers 1150). On peut citer les manuscrits suivants comme représentants de cette tradition 106 : Zwettl, Stiftsbibliothek 225 (XIIe s.); Stuttgart, Landesbibliothek Theol. 4° 234 (Zwiefalten, XIIe s.); Berlin, Preussische Staatsbibliothek lat. oct. 234 [fonds Gèirres 105] (abbaye cistercienne d'Himmerod, fin XIIe s.); Vienne, Schottenkloster 201 [53. B. 13.], (XIIIe-XIVe s.); Londres, B.L. Add. 18318 (abbaye bénédictine de Saint-Lambert d' Altenburg, en Basse Autriche, 108 XIVe s.) 107 ; Erlangen, 190 (abbaye cistercienne d'Heilsbronn, XIIIe-XIVe s.) ; Paris, B.N.lat. 3268 (copié à partir d'un exemplaire allemand, début du xve s.); Reun, Stiftsbibliothek 49 (XVe s.); Subiaco, Archivio cod. CCLXXXII (XVe s.).

103

Voir O. Pacht, op. cit., p. 76. o. Pacht, op. cit., p. 81. Manuscrit du De Ciuitate Dei de la Laurenziana à Florence, Plut. 12. 17. En effet, la structure architecturale symbolisant la Cité de Dieu (f. 2v) renvoie nettement aux façades romanes des églises de la région de Pavie: O. Pacht, op. cit., p. 80-81; M. Rickert, Painting in Britain: The Middle Ages, Londres, 1954, pl. 55, et J. Baum, Romanische Baukunst in Italien, Stuttgart, 1925, pl. 19. 106 Auteurs, p. 168-169. 107 Avant d'être donné à Altenburg en 1390, ce manuscrit aurait appartenu à un certain A. Cerann ... à Zwettl. 108 Semble être une réplique du manuscrit de Zwiefalten. 104 105

xc

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

A côté des exemplaires de la «tradition Mathilde», on conserve d'autres manuscrits témoins du recueil complet, mais qui sont sans doute postérieurs à l'archétype enluminé, puisqu'ils possèdent le prologue. Le meilleur représentant de cette tradition est le manuscrit d'Oxford, Bodl. Li br. Bodley 271 (B de Schmitt, produit à Christ Church de Cantorbéry); on peut citer également pour le recueil anselmien: Verdun, B. M. 70 (V*), Troyes, B. M. 1304 (T), Paris, B. N.lat. 12313 (G) et B. N.lat. 18111 (F), Arras, B. M. 825 (Saint-Vaast) et B. N. lat. 2882 (Mortemer= D) 109 , tous issus de monastères bénédictins 110 . C'est à partir de ces deux recensions que s'établiront ensuite les recueil apocryphes qui seront étudiés au chapitre suivant. En conclusion de cette synthèse, on peut proposer le tableau chronologique suivant: Al

A2

Vers 1072: Ep 10 à Adélide Vers 1074: Ep 28 à Gondulphe Vers 1076: Ep 70 de Durand Vers 1085: Metz, 245 Hiver 1092-93: Ep 147 à Baudry Oxford, Bodl. Libr., Rawlinson A 392

Med 1; Or 13, 16,8-11 Or 5, 6 et 7 Med 1 et 2 Or 2, 15, 18, 19

Or14 Toute la collection, Or 12 et 17 y compris, sauf Or 1, 3, 4, Med 3, prol.

1099-1100: Vita 2, 54 Med3 Avant le début 1104: Ep 325 à Mathilde Recueil complet, avec billet d'envoi et Or 1, 3 et 4. Avant 1105: Oxford, Bodley 27Jl 11 Prologue.

LES RECUEILS APOCRYPHES

Une fois le corpus authentique identifié et édité, il restait à comprendre l'histoire de la formation des recueils apocryphes. A.Wilmart est revenu plus d'une fois entre 1923 et 1930 sur la formation et l'évolution du recueil des prières de saint Anselme. Il proposa de répartir le livret en trois collections principales, dont la première (A) est en fait le recueil authentique, la seconde (B) un recueil de textes de dévotion (douze prières et deux hymnes) joint à A dès le XIIe siècle quant à la troisième (C) elle représente l'édition du XIVe siècle, qui a perpétué le rapprochement entre A et B, tout en rajoutant de nouvelles pièces apocryphes; cette dernière série sert alors de base aux éditions du XVIIe siècle. L'apport de C est de trente-sept prières, Th. Raynaud, dans son édition lyonnaise de 1630, ajouta encore dix-huit prières, le mauriste G. Gerberon sept dans son édition parisienne de 1675 reprise à son tour en 1864 par J. P. Migne dans le tome 158 de la Patrologie Latine. On arrive ainsi à un total de vingt-et-une méditations et soixante-quinze oraisons plus le prologue.

109 110

ll1

U chez Schmitt. Pour la liste des autres manuscrits, voir Tradition, p. 53, n.2. Voir F. S. Schmitt, Scriptorium, 9, 1955, p. 64-75.

XCI

INTRODUCTION

Les recueils du XIIe siècle (B) Dès sa préface à la traduction des prières par dom A Castel 112 , A Wilmart faisait remarquer qu'à la suite du recueil authentique une douzaine de manuscrits, dont sept copiés au XIIe siècle, ajoutaient une nouvelle série composée de quatorze pièces. Le savant bénédictin considérait alors qu'on avait sans doute voulu joindre à la collection authentique d'autres textes qui semblaient inspirés par le même esprit. Il reconnaissait à ces prières des qualités 113 , et comme la nouvelle série comprenait 1' oraison «Summe sacerdos... » de Jean de Fécamp 114 , il fut tenté d'attribuer au même auteur les autres prières de ce groupe 115 . Vers la même époque, il trouva cette série dans un témoin qu'il jugeait «moins important, incomplet, ... confus» 116 . Il s'agissait du manuscrit de la Bodléienne, Laud. Mise. 363, copié à Saint-Alban. Toutefois, quelques années plus tard 117 , il revint sur son jugement et se demanda si on n'avait pas là «dans ce contexte .. .la forme primitive et complète du groupe B». Enfin en 1929 118 , il révisa son attribution à l'abbé de Fécamp pour lui préférer un disciple anonyme de saint Anselme. Ainsi la lumière commençait peu à peu à se faire sur 1' origine du corpus apocryphe des Prières ou Méditations.

Rodulfus monachus L'élément capital de l'enquête s'avéra être le manuscrit Laud. Mise. 363 de la Bodléienne à Oxford. En effet, ce manuscrit contient en dehors de tout contexte anselmien le groupe B (à l'exception de PsOr 11 et 12, qui sont des hymnes de facture très banale, et de PsOr 8 qui ne fut rajoutée à ce manuscrit qu'au XIVe siècle) 119 dans l'ordre même dans lequel il apparaît dans la plupart des manuscrits anselmiens. Il contient en outre une série d'ouvrages philosophiques et théologiques que l'on retrouve à l'identique dans d'autres manuscrits 120 , et qui semble bien être l'œuvre d'un auteur unique: Rodulfus monachus. Voilà près d'un demi-siècle maintenant que la figure de cet auteur sort peu à peu de l'ombre. On lui rend désormais une série de traités théologiques et de prières

112 Méditations et Prières de saint Anselme, traduction dom A. Castel, introduction Paris-Maredsous, 1923 (Pax, 11). Wilmart, A. dom 113 Qualités d'ailleurs mises en évidence par le succès immédiat de ces prières, peut-être plus facilement accessibles au grand nombre que les prières plus élaborées de saint Anselme: R. W. Southern, Anselm, p. 373-374. 114 PsOr 8. 115 Auteurs, VII: «L'Oratio sancti Ambrosii du Missel romain>>, 1927, p. 101-125; voir aussi J. Leclercq et J.-P. Bonnes, Un maître de la vie spirituelle au XIe siècle, Jean de Fécamp, Paris, 1946, p. 33-34, où seules les gP 16 à 19 et PsOr 8 (gP 29) sont attribuées à Jean de Fécamp. 116 Auteurs, X, 1923, p. 154, n. 3. 117 id., XII, 1927, p. 198, n. 4. 118 id., p. 209. 119 Coxe, p. 558. 120 Soit PsMed 3, 4, 5 et PsOr 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7.

XCII

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

conservées dans un petit nombre de manuscrits anglais du XIIe siècle 121 • Après avoir d'abord pensé qu'il s'agissait de Raoul d'Escures, abbé de Séez, évêque de Rochester (1108-1114) puis archevêque de Cantorbéry (1114-1122) 122 - identification rejetée par J. Leclercq qui ne reconnaissait pas dans ces textes le style des autres ouvrages de cet auteur 123 -, le professeur Southem a proposé en 1963 124 de l'identifier avec Raoul de Battle qui, d'après la chronique 125 de cette abbaye 126 commença sa vie monastique à Cren 127 , d'où il suivit l'abbé Lanfranc en Angleterre. L'évêque Gondulphe de Rochester le désigna pour diriger le prieuré de sa cathédrale 128 , et en ll07le roi Remi le choisit lors d'un concile général comme abbé de Battle, fonction qu'il occupa jusqu'à sa mort le 29 août 1124, à 84 ans, «après 60 ans et 36 jours de vie monastique et 17 ans et 20 jours d' abbatiat» 129 . L'attribution des traités et des prières au même auteur et l'identification de cet auteur avec Raoul de Battle, comme l'a proposé le professeur Southem 130, ont été généralement acceptées par la critique 131 . Toutefois le professeur Sharpe a pour sa part remis en cause, sinon l'identité de l'auteur- mais si Raoul de Battle lui semble préférable à Raoul d'Escures, il estime par ailleurs que les indices pour une telle identification sont assez faibles-, du moins l'affirmation selon laquelle le même écrivain serait respon121 Londres, B. L. Royal12. C. I (Rochester, avant 1123); B. L. Royal 7. A. III (Bardney, fin xrre s.); Oxford, Bodl. Libr., Laud. Mise. 363 (Saint-Alban, début xrre s.). Le nom de Rodulfus monachus apparaît dans le prologue du premier dialogue De peccatore qui desperat du manuscrit de Rochester B. L. Royal12 C. I., f. 2v.: «incipit prologus Rodulfi monachi et peccatoris». 122 «St Anselm and his english pupils>>, MARS, 1, 1941, p. 24 sq. 123 «La vêture ad succurendum d'après le moine Raoul>>, AMon, 3, 1955, p. 158. 124 AB, p. 206 sq. 125 The Chronicle of Battle Abbey, edited and translated by E. Searle, Oxford, 1980, (OMT, 8): sur l'abbé Raoul, p. 116-133. 126 L'abbaye de Battle fut fondée par Guillaume le Conquérant sur le site de la bataille de Hastings, avec des moines de Caen. Il était considéré comme le meilleur d'Angleterre pour son esprit religieux et ses œuvres de charité, voir D. H. Farmer, op. cit., p. 21 sq. 127 Il se peut même que Raoul ait d'abord été au Bec; ce serait lui dans ce cas qui apparaîtrait en dixième place après Anselme dans la liste des moines profès du Bec: voir A. Porée, Histoire de l'abbaye du Bec, Evreux, 1901, vol. 2, p. 629, et R. W. Southem, Anselm, p. 373. 128 Le prieuré de Rochester, refondé par Lanfranc, vivait en relation étroite avec Cantorbéry. Gondulphe était d'ailleurs un des amis les plus proches d'Anselme. La bibliothèque de Rochester possédait une copie de l'œuvre de Rodulfus (Londres, B. L. Royal 12.C.l.) corrigée de la main de l'auteur et qui en livre le nom, voir R. W. Southern, Anselm, p. 372 sq. 129 Chronique, édition E. Searle, p. 132: «Ecce autem post multos agones, post multas corporis passiones, post annos uite sue octoginta iiiior, monachus autem lx'a et dies xxx'a ui, decem uero annos et septem diesque xxii ex quo Bellensis effloruit abbas; ecce, inquam, iiii kalendas Septembris hora diei uesperina pater iste pius, dulcis et humilis (. .. ) exanimauit>>. 130 R.W. Southem, Anselm, p. 372-376. 131 Voir en particulier D. H. Farmer, «Ralph's octo puncta of Monastic Life>>, SMon, Il, 1969, p. 19-29, qui a par ailleurs également suggéré que Rodulfus puisse être aussi Raoul, le prieur de Caen auquel les lettres 12 et 13 d'Anselme sont adressées; T. H. Bestul, , RB, 87, 1977, p. 383-389; J.F. Cottier, «Le recueil apocryphe des Orationes siue Meditationes de saint Anselme: sa formation et sa réception en Angleterre et en France au XIIe siècle», Anselm. Aosta, Bec and Canterbury, ed. by D. E. Luscombe et G. R. Evans, Sheffield, 1996, p. 286 sq.

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INTRODUCTION

sable des traités philosophiques et du recueil des prières 132 • Il est vrai qu'aussi longtemps que les traités philosophiques n'auront pas été publiés et que les différents témoins de ces traités n'auront pas été systématiquement étudiés et édités, on en restera au niveau des hypothèses. Il semble cependant que les parentés de forme et de fond entre ces différents textes sont suffisamment patentes pour qu'on puisse suivre R. Southem quand il considère que ces derniers sont dus à un même auteur. En revanche, rien ne vient prouver catégoriquement que ce Rodulfus puisse être identifié avec 1' abbé de Battle, dont la chronique ne signale d'ailleurs aucune composition écrite, ce qui serait tout de même étrange si l'abbé de Battle pouvait être identifié avec Rodulfus. Aussi, dans un souci de prudence, on désignera cet auteur par l'humble titre qu'il s'est lui même donné: Rodulfus monachus, Raoul le moine, avec cette seule certitude que les traités comme les prières attestent largement l'influence d' Anselme 133 • Les premiers textes apocryphes (Bl et B2) Le manuscrit d'Oxford, en conservant le texte des prières de Raoul, devient donc un témoin essentiel de l'histoire de la formation de ce qu'A. Wilmart a appelé le groupe B, et qui est composé en fait de deux sous-groupes (Bl et B2). Or parmi les quelques manuscrits du xne siècle qui possèdent cet ensemble 134 , un témoin est d' origine anglaise, le manuscrit 70 de la Bibliothèque Municipale de Verdun. Il s'agit d'un très bel exemplaire enluminé dans le style du Psautier de Saint-Alban 135 • T.H. Bestul, en comparant le manuscrit de Verdun avec celui d'Oxford, a émis l'hypothèse que c'est à Saint-Alban, haut lieu du monachisme anglo-normand, que pour la première fois on aurait intégré les prières de Raoul au livret anselmien. Ce témoin est fort proche de l'archétype enluminé envoyé par Anselme à la comtesse Mathilde, et il a pu être également influencé par l'exemplaire italien parvenu en Angleterre peu après 1104. Pour expliquer la propagation du premier recueil apocryphe (Bl), C. R. Dodwell136 avait émis l'idée que cet exemplaire avait pu être apporté en France par Henry, archidiacre de Winchester, qui fut évêque de Verdun de 1116 à 1129; de là le modèle se serait répandu rapidement sur le continent, alors qu'il tombait peu à peu dans l'oubli en Angleterre. L'hypothèse, pour séduisante qu'elle soit, n'explique cependant pas tout. En effet, si on compare les autres témoins du XIIe siècle (F: B. N. lat. 18111, Saint-Amand; T: Troyes, B.M. 1304, Clairvaux; G: B. N. lat. 12313, Corbie), avec 1' exemplaire de Verdun, il paraît impossible qu'ils aient été copiés sur lui. Et, alors que les trois manuscrits continentaux sont très proches (les deux premiers, F et T, ne dérivent pas directement l'un de l'autre puisqu'ils témoignent chacun de variantes propres, R. Sharpe, A Handlist of the Latin Writers of Great Britain and Ire land before 1540, Turnhout, 1997, p. 444. 133 Voir D. H. Farmer, op. cit., p. 22-23, et R. Sharpe, op. cit., p. 444; voir aussi T. H. Bestul, «The Verdun Anselm, Ralph of Battle, and the Formation of the Anselmian Apocrypha», RB, 87, 1977, p. 383-389. 134 Soit en fait A + B. 135 Voir supra, et T.H. Bestul, Verdun. Rappelons que ce manuscrit a été mutilé, et qu'il ne contient plus qu'une seule peinture (f. 68v), et des lettrines à personnages peintes par le même artiste. 136 The Saint Albans Psalter, p. 280. 132

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HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

G étant pour sa part une image de 1' exemplaire de Clairvaux, T), ils ne possèdent aucune des leçons particulières au manuscrit de Verdun. D'autre part, en comparant ces trois manuscrits avec un exemplaire de type B du xve siècle copié en Angleterre (H: B. N. lat. 2886), on est frappé par les similitudes existant entre eux. Enfin, l'ordre des prières authentiques est légèrement différent dans le manuscrit de Verdun et dans les manuscrits continentaux. Il faut donc supposer qu'à côté de l'archétype de Saint-Alban, il a existé un second modèle qui aurait contaminé le texte de Raoul avec un autre exemplaire de l'œuvre de saint Anselme. Or un second témoin semble trouver son origine en Angleterre, c'est T, le manuscrit 1304 de Troyes. En effet, il posséde un système de ponctuation quelque peu particulier, que R.W. Southem a analysé comme caractéristique du scriptorium de Cantorbéry entre 1110 et 1125 137 ; il est dès lors tentant d'indiquer Cantorbéry comme origine probable de l'exemplaire de Clairvaux 138 • Il faut remarquer également que les deux archétypes semblent avoir négligé deux méditations qui se trouvent dans le manuscrit d'Oxford, et reparaîtront sous la forme d'une seule pièce dans l'édition lyonnaise de Th. Raynaud 139 . En outre, un autre groupe de textes va rapidement faire partie de ces premiers recueils (B2). En effet, les deux modèles ajoutent PsOr 8, qui ne sera pourtant intégrée au manuscrit d'Oxford qu'au XIVe siècle 140 • L'exemplaire de Verdun comprend en outre PsOr 9 «Singularis meriti sola sine exemplo ... »,qui n'est autre que la prière à la Vierge de Maurille de Rouen 141 . Quant aux exemplaires continentaux, ils ajoutent pour leur part, sans les distinguer des autres textes, les deux hymnes PsOr 11 et 12, ainsi que PsOr 10 «Summae innocentiae et tatius sacrarium... »,adressée au saint patron 142 • Enfin, l'exemplaire de Corbie 143 contient déjà un groupe de prières d'intercession (PsOr 26, 27, 28) attesté par la suite dans les éditions modernes du recueil anselmien. Il est donc très probable que l'origine du groupe B se situe en Angleterre et non dans «quelque endroit de la France septentrionale» comme l'avait d'abord pensé A Wilmart 144 ; c'est à Saint-Alban et à Cantorbéry, deux hauts-lieux monastiques du XIIe

137

The Life of saint Anselm Archbishop of Canterbury by Eadmer, Oxford, 1979, p. XXVIII-XXXIV. Voir infra, description de T. 138 Cantorbéry fut d'ailleurs l'un des principaux centres de la diffusion des œuvres d'Anselme: voir R.W. Southem, Anselm, p. 370. 139 Il s'agit de gM 19 qui fond en une seule pièce les PsMed 1 «Suauissime et dulcissime domine lhesu Christe ... >> (= c. gM 19, 3-7) et Ps Med 2 «Cum considera quid sit Deus ... >> (= c. gM 19, 1-2), tout en omettant chaque fois des passages importants du texte. On peut expliquer peut-être la redécouverte de cette méditation par les contacts qui existaient au xvne siècle entre les religieux français et certains savants anglais qui ont pu ainsi transmettre le témoignage de manuscrits britanniques oubliés jusqu'alors. Il est impossible pour l'instant d'indiquer le maillon manquant entre l'exemplaire de Raoul et l'édition de Raynaud. Sur ce sujet, voir D. Knowles, Great Historical Enterprises. Problems in Monastic History, Londres, 1963. 140 Voir supra . 141 H. Barré, Prières anciennes, p. 180-184. L'auteur est d'ailleurs correctement identifié dans plusieurs manuscrits anciens. 142 A. Wilmart, «Une prière au saint patron attribuée à saint Anselme>>, Auteurs, X, p. 147-161. Pour les manuscrits, voir n. 9. 143 G =B. N. lat. 12313, f. 42 v. 144 Pax, p. LVI, n.2.

xcv

INTRODUCTION

siècle, que l'on mêla, pour leur similitude d'inspiration, les prières d'Anselme avec celles de Raoul. De là le modèle s'est ensuite répandu sur le continent, avec le succès que l'on sait. On peut dès lors synthétiser la formation de B sous la forme d'un tableau, qui fait nettement apparaître l'homogénéité du groupe, la singularité de 0, témoin des seules œuvres de Raoul, et la fidélité de H pourtant beaucoup plus tardif, au modèle insulaire de B : TABLEAU 1

0 Bl Raoul le moine PsMed 1 + PsMed2 + PsMed3 + PsMed4 + PsMed 5 + PsOr 1 + Ps0r2 + Ps0r3 + Ps0r4 + Ps0r5 + Ps0r6 + Ps0r7 + B2 Textes associés Ps0r8 Ps0r9 PsOr 10 PsOr 11 Ps0r12 Ps0r17 PsOr 26-28

v

T

F

G

Ht4s

+ + + + + + + + + +

+ + + + + + + + + +

+ + + + + + + + + +

+ + +

+ + + + +

+ + + + + + + + + +

+ +

+

+

+

+

+ + +

+ +

+ + + + +

Les anthologies anselmiennes (B3) Mais là ne s'arrête pas l'histoire de la réception du livret anselmien au XIIe siècle. En effet, à côté de la diffusion des prières authentiques (A) et de la création du premier recueil apocryphe qui mélange les méditations et les prières de Raoul (Bl) ainsi que quelques autres prières (B2) aux textes anselmiens, on voit également fleurir des anthologies qui mélangent artificiellement et de manière plus ou moins distincte les prières anselmiennes avec des prières carolingiennes et d'autres prières des XIe et XIIe siècles (B3). Certaines de ces prières seront intégrées un ou deux siècles plus 145 0: Bodl. Li br. Laud. Mise. 363, Saint-Alban, avant 1107; V: Verdun, B. M. 70, SaintAlban, vers 1123; T: Troyes, B. M 1304, Clairvaux, vers 1110-1125; F: Paris, B. N. lat. 18111, Saint-Amand, XII" s.; G: Paris, B. N.lat. 12313, Corbie, XIIe s.; H: Paris, B. N.lat 2886, Angleterre, xve s.

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HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

tard au corpus anselmien; d'autres, pourtant récurrentes au xne siècle en contexte anselmien, seront oubliées. T. H. Bestul, qui s'est beaucoup intéressé à cette Jittérature 146 , souligne tout l'intérêt que représentent de tels témoins de la spiritualité médiévale. En effet, on trouve ainsi côte à côte des prières d'origines diverses, qui permettent de mieux comprendre le contexte littéraire et spirituel des Prières ou Méditations d'Anselme, sa dette par rapport aux formules carolingiennes, son originalité d'auteur et de mystique, et son influence sur d'autres écrits de dévotion contemporains. Mais ces anthologies, en nous faisant connaître dès le xne siècle des prières qui seront bientôt intégrées dans les recueils anselmiens du XIIIe et surtout du XIVe siècle, représentent également le chaînon manquant pour saisir ce qui s'est passé entre le XIIe et le XIVe siècles 147 . Un des plus beaux représentants de ce type d'anthologie est le manuscrit d'Oxford, Laud. Mise. 508 148 , copié en Angleterre à la fin du XIIe siècle, peut-être à Eynsham 149 . Outre deux ouvrages théologiques 150 , il présente différentes prières, dont dix compositions authentiques d'Anselme 151 , sept prières du groupe B 1-2 152, quatre prières qui deviendront des pièces habituelles des recueils apocryphes 15 3, et six prières qui reviennent assez souvent dans les anthologies anselmiennes de cette époque 154 . Ce manuscrit semble 146 Voir p. ex. «A Note on the Contents of the Anselm Manuscript, Bodleian Library, Laud. Mise. 508», Manuscripta, 21, Mars 1977, 1, p. 167-170; «The Collection of Anselm's Prayers in British Library Ms Cotton Vespasian D. XXVI», MAev, 47, 1, 1978, p. 1-5; «British Library, Ms Arundel 60 and the Anselmian Apocrypha>>, Scriptorium, 35, 1981, 1, p. 271275; et surtout A Durham Book of Devotions, edited from London, Society of Antiquaries, Ms 7, by T. H. Bestul, Toronto, 1987 (TMLT, 18). 147 Soit entre les exemplaires de type A et ceux de type C. 148 =L: Coxe, col. 366-368; et T.H. Bestul, «A Note on the Contents ... >>, p. 167-170. 149 C'est l'hypothèse formulée par A. Wilmart (Auteurs, XXIV, p. 551), mais que T.H. Bestul a mise en doute (op. cit., p. 167). 150 Meditatio de redemptione humana (f. 1), et Proslogion (f. 5) d'Anselme. 151 Or 3 (f. 39) // 8-15 (f. 90) // 16 (f. 115). 152 PsOr 5, 4, 6, 7, 1 de Raoul (f. 40), PsOr 8 (mêlée aux prières de Raoul) et 11 (f. 117). 153 PsOr 13, mêlées aux prières de Raoul, et PsOr 15 (Auteurs, XIII, p. 204) mêlée aux prières authentiques, et fort proche d'elles à bien des égards. 154 Parmi celles-ci deux prières (f. 88) aux puissances angéliques publiées par A. Wilmart (Auteurs, p. 551 sq. et 579 sq.): Prière à saint Michel: «Sancte Michael archange le, superni regis secretorum... >> et prière à l'ange gardien: «Sancte an gele Dei.. >>. Il y a aussi deux prières à Dieu: a «Domine Deus omnipotens, tibi confiteor. .. >> (f. 16) et b «Domine Deus pater incohatio et perfectio omnium ... >> (f. 87), une prière au Christ g «Domine Ihesu Chris te magne et omnipotens qui plus dare ... >> (f. 31 v) et enfin une prière à Marie Madeleine d «Piissima peccatrix pedum Domini lauatrix ... >> (f. 115). On retrouve la prière à saint Michel dans le manuscrit londonien Cotton Vespasian D. XXVI, (C), f. 47v, le même manuscrit donne aussi bau f. 26, g au f. 84, et d au f. 92 v; a est donné également in Laud. Mise. 79 (R), f. 104 et le manuscrit du B. M. Arundel 60, (M) f. 135 où il est attribué à saint Augustin. Ces prières ne sont pas explicitement attribuées à Anselme, et elles ne seront pas retenues dans le corpus apocryphe:

L

S. Michel Ange gardien a b g d

+ + + + + +

c

R

M

+

+

+ + + +

XCVII

INTRODUCTION

donc avoir puisé à différentes sources, et si l'on en étudie le texte, il semble clair qu'il a entre autres utilisé un manuscrit de type B 1-2 de la famille du manuscrit de Verdun 155 . On comprend ainsi avec quelle rapidité ce type s'est diffusé, puisque quelques années à peine après sa formation il sert lui-même de base à la création d'une nouvelle famille de recueils (B 3), et par là même contribue à brouiller un peu plus l'image du livret original. Il existe d'autres anthologies plus ou moins semblables en Angleterre et en France156, que l'on ne peut toutes passer ici en revue. Il suffit pour notre sujet de relever les prières, qui ne se trouvant pas dans les collections A et B 1 et 2, apparaissent cependant dans ces anthologies du XIIe siècle (B3), et deviendront quelques décennies plus tard partie intégrante du corpus apocryphe 157 . C'est la série des gP 10-2-14 (PsOr 13) qui revient le plus souvent dans les anthologies du XIIe siècle 158 . Cette longue confession est divisée en trois parties 159, et correspond aux chapitres 1-IX des Meditationes en 41 chapitres du Pseudo-Augustin 160. Dom Wilmart avait cru pouvoir l'attribuer à Jean de Fécarnp 161 , mais cette attribution fut contestée par J. Leclercq 162 . Quoi qu'il en soit, ces pièces ont connu un immense succès pendant toute la fin du Moyen Âge, où elles furent attribuées le plus souvent à Anselme ou à Augustin 163 . On considère aujourd'hui qu'elles sont l'œuvre d'un imitateur de Jean de Fécamp.

155

Voir supra. Ceci pour les PsOr l, 7, 4, 5 et 6 (dont le texte est fortement bouleversé). Citons p. ex. les deux manuscrits londoniens étudiés parT. H. Bestul: Society of Antiquaries 7 (S) et B. M. Cotton Vespasian D. XXVI, un manuscrit d'Oxford, Bodl. Libr. Auct. D. 2. 6. (E), et trois manuscrits français B. N., lat. 2882 (D), lat. 15045 (U), et Troyes, B.M. 914 (K). 157 Car si pour l'instant elles apparaissent en contexte anselmien, elles ne sont pas encore placées sous l'autorité directe de l'archevêque de Cantorbéry, à l'exception de PsOr 15, mêlée très souvent aux prières authentiques. 158 On la retrouve dans les manuscrits Laud. Mise. 508, f. 40 (L); Society of Antiquaries 7, f. 5 (S); B. L. Cotton Vespasian D. XXVI (C); Troyes, B.M. 914, f. 13 (K). On trouve également cette série plus ou moins complète dans B. L., Rawlinson C. 149; Cambridge, Pembroke College 154, f. 149v-168 (Pe), et Bodl. Libr. Auct D. 2. 6. (E), gP 10 et 2 (après PsOr 6, et 1, f. 194 sq.). 159 a (gP 10): «Domine Deus meus da cordi meo... >>; b (gP 2): «lnuoco te Deus meus ... >>; c (gP 14) «0 iam diuini amor...>>. 160 PL 40, col. 900-909, voir I. Machielsen, CPPM, Il, B, no 3072, p. 700-701. 161 Voir son introduction à la traduction d'A. Castel (Pax, XI), p. X, n. 1 où le savant bénédictin analyse la composition de ces Meditationes en 41 chapitres (PL 40, 901-942). Ces trois prières correspondent à la prière X de la suite de onze prières qui fait suite à la Confessio Theologica d'un des plus vénérables témoins de l'œuvre de Jeannelin: Metz, B.M. 245, f. 85v (voir PL 147, col. 462 sq.). Sur tout cela voir également G. R. Evans, «Mens deuota: the literary community of the devotional works of John of Fécamp and st. Anselm>>, MAev, 43, 2, 1974, p.107108, notamment sur le style de ce morceau. Il faut citer aussi, pour mémoire, l'article très discutable de V. Serralda, , Mittellateinisches Jahrbuch, 23, (1988) 1991, p. 17-27. 162 Un maître de la vie spirituelle au XIe siècle, Jean de Fécamp, Paris, 1946, p. 34: . 163 T.H. Bestul, A Durham Book of Devotions, p. 7. 156

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HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

On trouve par ailleurs, régulièrement, deux prières carolingiennes: «Deus inœstimabilis misericordiae ... » conservée dans les Officia per ferias attribués à Alcuin et qui deviendra sous une forme abrégée PsOr 14 164 , et PsOr 20 «Tibi aga laudes ... » 165 adressée à Dieu. PsOr 15 à saint André: «Sancte et pie Andrea, frater principis apostolorum ... » 166 revient, elle aussi, très souvent. A. Wilmart la rapprochait des gP 70, 73 et de la prière à sainte Anne (PsOr 18) qu'il publia 167 , toutes pièces dont «l'inspiration et la facture rappellent les compositions authentiques» 168 . Cette très belle prière est d'ailleurs souvent incluse dans le groupe des prières d'Anselme aux saints (Or 8-17), mais «l'état de la tradition empêche absolument qu'on rende ce texte, si estimable qu'il soit, à l'archevêque de Cantorbéry» 169 • Quant à PsOr 17 «0 intemerata, et in œternum benedicta... », adressée à la Vierge et à saint Jean, elle connut un très grand succès pendant tout le moyen âge, et les témoins de ce texte sont innombrables 170 • Elle apparaît fréquemment elle aussi dans nos anthologies dès le xne siècle 17 1, et sera mise sous le nom de saint Anselme au XIVe siècle. On l'attribua parfois à saint Edmond de Cantorbéry (t 1240), sous le seul prétexte qu'il passait pour la réciter quotidiennement; saint Pie V la publia à Rome en même temps que l'édition définitive de l'office de Notre-Dame (1571). A. Wilmart pensait que ce texte avait été élaboré en France au xne siècle «dans quelque monastère cistercien» 172 . On rencontre en outre de façon plus isolée, PsOr 16 à la Croix «Aue gloriosissima omnium lignorum .. » 173 , PsOr 19 à l'Ange gardien « Obsecro te ange lice spiritus ... » 174 , PsOr 21 à la Vierge «0 beatissima et sanctissima ... » 175 , le groupe des PsOr

164 Society of Antiquaries 7, f. 24v, et B. N. lat. 15045, f. 66v. Voir T.H. Bestul, A Durham Book of Devotions, p. 7, et A. Wilmart, Tradition, p. 64. Voir aussi PL 101, col. 524-526. 165 B. N. lat 15045, f. 71 et Laud. Mise. 508, f. 36.A. Wilmart pensait qu'une partie du texte était sous l'influence directe de l'Or 2 d'Anselme; en réalité, il s'agit d'une formule carolingienne reprise et amplifiée par Anselme, et que l'on retrouve dans d'autres textes: voir T. H. Bestul, « St Anselm and the Continuity of Anglo-Saxon Devotional Traditions», AM, 18, 1977, p. 20-41. 166 Mss. du XUO siècle: Laud. Mise. 508, parmi les prières authentiques, f. 90; B. L., Cotton Vespasian D. XXVI, f. 61; Society of Antiquaries 7, f. 125v, à la fin des prières authentiques; B. N. lat. 2882, f. 56v, parmi les prières authentiques.Voir aussi A. Wilmart, Tradition, p. 69-70. 167 «Prières à sainte Anne, à saint Michel, à saint Martin censées de saint Anselme», Auteurs, XIII, p. 202-216. 168 Auteurs, XIII, p. 204 et Tradition, p. 69. 169 A. Wilmart, Tradition, p. 70. 170 Auteurs, XXII, p. 474-504. On la retrouve en particulier dans les Livres d'heures. Voir H. Barré, Prières anciennes, p. 194 sq. 171 B. M. Cotton Vespasian D.XXVI, f. 46 (C); Society of Antiquaries 7, f. 111 v (S); B.N. lat. 2882, f. 83 (D); B. N.lat. 15045, f. 6lv (V); Troyes, B.M. 914, f. 72v (K). 172 Tradition, p. 69. 173 Society of Antiquaries, 7, f. 37 (S); Laud. Mise. 79, f. 108 (R), et Troyes, B.M. 914, f. 111 (K). 174 Cotton Vespasian D.XXVI, f. 48v. Voir Auteurs, XXIV, p. 537 sq. 175 Oxford, Laud. Mise. 79.

XCIX

INTRODUCTION

22-25 176 , qui sont des prières d'apologie «à peu près pareilles et banales» 177 , fréquentes dans les missels des xe et XIe siècle, et sans doute plus anciennes encore 178 • Ajoutons encore la très belle prière à sainte Anne, PsOr 18 « 0 felix et sanctissima Anna, genitricis Domini mater. .. » 179 , qui apparaît dans quelques unes de nos anthologies 180 et qui bénéficia parfois, mais «trop tard» (A. Wilmart), du patronage de saint Anselme. Enfin mentionnons gM 21, qui n'est qu'un assemblage d'extraits du Proslogion 181 • En ce qui concerne l'origine de ces différents témoins du XIIe siècle, il apparaît nettement que c'est l'Angleterre et le Nord-Ouest de la France qui furent le berceau de toute cette tradition. En outre, sur treize manuscrits, dix sont d'origine bénédictine: V, E, F, G, D, S, L, A, R et deux proviennent de Clairvaux: T, et K (et encore T semble-t-il issu de façon plus ou moins directe du scriptorium bénédictin deCantorbéry). Seul U (qui date de la fin du XIIe siècle) provient de Saint-Victor de Paris. On peut dès lors proposer une vision synoptique du groupe B3, sous la forme d'un tableau, qui suit 1' ordre chronologique des témoins, les trois manuscrits français (D, K, U) étant les plus tardifs: TABLEAU2

s Bl PsMed4 PsOr 1 Ps0r4 Ps0r5 Ps0r6 Ps0r7 B2 Ps0r8 Ps0r9 PsOr. 10 PsOr. 11

M

c

R

+ + + + + +

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+ + +

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L

+

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D

K

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+

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+ +

+ +

+

176 B. N. lat. 15045 (PsOr 22, 23, 24, f. 51 v-52-52v // PsOr 25, f. 57); et Troyes, 914 où au f. 114v on trouve une prière apparentée à PsOr 24 et 25. 177 A. Wilmart, Tradition, p. 65. . 178 On trouve PsOr 24 dans le vieux missel d'Angoulême écrit vers l'an 800 (Ms 2192). 179 Auteurs, XIII, p. 202 sq. 180 B. N., lat. 2882, f. 76v (D); Troyes, 958, XIVe s. (B), et Utrecht, 142, xve s. (Y). 181 On trouve cette méditation dès le XUC siècle dans un exemplaire de Saint-Victor de Paris: U, B.N. lat. 15045, f. 43. Voir I. Machielsen, CPPM, II B, n°3072h, p. 702-703. 182 S: Londres, Society of Antiquaries 7, c. 1125, Durham; M: B.L. Arundel60, d. XIIe s., Winchester; C: B. L. Cotton Vespasian D. XXVI, seconde moitié du XIIe s., Harrold (?); R: Bodl. Libr. Laud. Mise. 79, seconde moitié du XIIe s, Reading; L: Bodl. Libr. Laud. Mise. 508, fin du XIIe s., Eynsham (?); D: B. N.lat. 2882, fin du XIIe s., Normandie (Mortemer); K: Troyes, B.M. 914, fin du XIIe s., Clairvaux; U: B. N. lat. 15045, f. XIIe s., Saint-Victor de Paris.

c

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

B3 PsOr. 13a PsOr 13b PsOr 13c PsOr 14 PsOr. 15 PsOr 16

Ps0rl7 Ps0rl8 PsOr 19 Ps0r20 Ps0r21 PsOr 22-25 gM21

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Ainsi, quand on fait la synthèse de ce que l'on sait de la formation et de la réception du recueil apocryphe des Orationes siue Meditationes au XIIe siècle, on se rend compte que les données sont plus complexes que ce que la clarté du schéma en trois collections de dom Wilmart pouvait laisser croire a priori. Le savant bénédictin a eu le grand mérite de défricher ce terrain particulièrement encombré, mais les résultats des travaux les plus récents permettent de nuancer le tableau qu'il proposa. En effet, il est clair à présent que dès le XIIe siècle il a existé trois grandes lignes d'édition: à côté du recueil authentique (A), on trouve très peu de temps après la mort d'Anselme des témoins d'un second recueil (B) qui ajoutent au premier livret onze textes du moine Raoul (Bl) et cinq autres pièces supplémentaires (B2). Ces témoins eux-mêmes se divisent très tôt en deux familles, et avant le milieu du siècle ils essaiment en Angleterre et sur le continent. Il est notable que cette ligne d'édition privilégie des textes contemporains d'Anselme, issus également des milieux monastiques anglo-normands. Enfin, on trouve des anthologies anselmiennes (B3) qui mélangent des prières des recueils précédents à des textes souvent plus anciens et donc moins novateurs. Ces anthologies ramènent ainsi le livret anselmien au modèle traditionnel des recueils anonymes et brouillent son image. Cette ligne d'édition, d'origine nettement insulaire, semble vouloir souligner la dette de saint Anselme par rapport à la spiritualité anglo-saxonne et aux anciens libelli precum, mais ce faisant elle contribue surtout à rendre évidente la profonde originalité des écrits authentiques. On trouve en outre dans ces recueils de belles prières qui circulèrent sous le nom d'Anselme mais que les éditions postérieures n'ont pas conservées 183 ; elles représentent pourtant d'intéressants témoignages du contexte spirituel de l'époque, et auraient mérité d'être retenues par les éditeurs successifs au même titre que d'autres pièces qui ne présentent pas toujours le même intérêt. Telle fut sans doute, pour autant que l'histoire mouvementée de sa formation et 1' aspect prolifique de sa tradition permettent de la saisir, la genèse du recueil apocryphe des Prières ou Méditations de saint Anselme.

183 Ce qui fit dire à dom Wilmart «qu'il faut bien renoncer à prendre pour norme le type vulgarisé par Gerberon>>, Auteurs, p. 204.

CI

INTRODUCTION

Typologie des textes apocryphes du XII" siècle Les méditations Comme dans le livret authentique, la proportion des méditations est assez faible dans les premiers recueils apocryphes, puisque sur trente-quatre textes on n'en trouve que cinq (PsMed 1 à 5), toutes dues au seul moine Raoul 184 ; on trouve parfois aussi une sixième méditation, qui est en fait une compilation opérée à partir du Proslogion 185 • Les six méditations du XII" siècle s'inscrivent donc clairement dans la mouvance anselmienne, Raoul s'avérant être avant tout un imitateur: dans ses cinq méditations le sujet comme la méthode sont anselmiens. Il faut reconnaître que ces textes ne parviennent pas à égaler la force introspective des textes d'Anselme; par exemple, si la PsMed 5 débute sur le mode anselmien de l'interpellation de l'âme «Anima me a, anima misera et fe da ... », très vite elle passe à la seconde personne, pour finir par s'adresser à une troisième personne, la méditati on prenant alors la forme d'un sermon. Cette dimension pastorale, absente du livret authentique 186 , se retrouve à maintes reprises chez Raoul 187 , élément qui le distingue sans doute le plus d'Anselme. Raoul se présente comme un pasteur, soucieux du bien des âmes qui lui sont confiées, alors qu'Anselme est avant tout un mystique qui communique son expérience intime de la prière. Ainsi dans PsOr 3, quand Raoul parle de la chute d'Adam, il garde ses distances 188 , décrivant l'histoire de la Rédemption comme une succession d'événements dont il a entendu parler, le tout aboutissant à une prière finale où il s'implique enfin lui-même, alors qu'Anselme à propos du même sujet, dans la prière à saint Jean Baptiste (Or 8) 189 , s'identifie immédiatement à l'ensemble de la tragédie humaine: il ne s'agit plus d'un récit entendu, mais d'une expérience vécue personnellement dans la douleur. Dans l'expression de sa pensée, Raoul ne parvient pas non plus à retrouver le souffle anselmien: son style est souvent lourd, sinon maladroit, sa réflexion tortueuse190. Alors qu'Anselme écrit dans une prose rythmée aux antithèses subtiles, l' écriture de Raoul est beaucoup plus sobre, pour ne pas dire simple. Là où Anselme écrit: ''Anima mea, anima œrumnosa, anima, inquam, misera miseri homunculi, excute torpo rem tuum et discute peccatum tuum et concute mentem tuam ... » 191 , Raoul se contente de «Anima me a, anima misera et fe da, diligenter recollige ad te intrinsecus omnes sensus corporis, diligentiusque intuere et uide quam grauiter infus uulnerata atque 184 Cette proportion variera quelque peu aux siècles suivants, et au xrve siècle on verra certains recueils (p. ex. B. N. lat. 2821, Conches, fin du XIV< s.) ne retenir des écrits anselmiens et pseudo-anselmiens que les méditations. Parmi celles-ci on trouvera des textes d'autres auteurs des XIe-XIIe siècles, comme .tElred de Rievaulx (gM 15-17) ou Ekbert de Schèinau (gM 9 et 13). 185 gM21. 186 A l'exception peut-être d'une partie de Med 3, OA, t. 5, p. 85 sq. 187 Par exemple PsMed 3, 1. 36 sq. «Sed iam nunc diligenter uideamus ... >>, etc. 188 1. 23 sq.: «Audiui, et sicut hi attestantur qui experti sunt, uerum est quod audiui ... >> 189 OA, t. 5, p. 26 sq. 190 Voir par exemple PsMed 1, 1. 20 sq., qui semble en outre s'inspirer du début des Soliloques d'Augustin. 191 Cf. Med 2, OA, t. 5, p.80

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HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

prostrata sis ... » 192 : en lieu et place de la brillante cadence anselmienne et de la figure étymologique «excute... discute ... concute ... », on trouve simplement «recollige... intuere et uide ... ».Ce contraste s'explique par les très grandes qualités littéraires d'Anselme avec lesquelles un auteur moins doué avait sans doute du mal à rivaliser, mais il est peut-être dû également au fait qu'Anselme a composé la plupart de ses prières dans la pleine force de l'âge, alors que Raoul se décrit lui-même comme un vieil homme courbé par le poids des ans 193 . En revanche, Raoul a retenu de l'enseignement d'Anselme que Dieu ne peut pas ne pas être ce qu'il est, à savoir: le Bien qui est tout bien, rien que bien et au-delà de tout bien: «Faites donc le bien afin de pouvoir posséder ce Bien de qui procède tout bien, c'est à dire le bien de tout bien qui ne peut rien être que le Bien» 194,

et que cette impuissance à pécher, à se contredire, à vouloir le mal, est plus puissante que toute puissance superlative 195 • Il rappelle continuellement que Dieu a toujours été, et qu'il n'est rien que bon; c'est par pure bonté qu'il a créé l'homme de rien, et qu'ill' a fait à son image qui est raison et liberté. L'homme ne doit donc rien craindre de Celui «qui ne veut pas la mort du pécheur, mais qu'il se convertisse et qu'il vive» (Ez 33, 11). C'est en effet de la puissance de l'Amour dont il est question, et cette puissance s'accomplit quand le Fils de Dieu «se vide» de la «forme de Dieu» pour prendre la «forme d'esclave» (Ph 2, 6-7), qui, en même temps, la contredit et la fait rayonner encore plus 196 . Raoul développe ainsi des pages admirables sur la tendresse du Père manifestée dans l'abaissement du Fils: > 207 ,

et l'influence des Confessions fut déterminante dans l'acception de ce terme par les siècles ultérieurs. Toutefois, le genre même de la confessio mêle les trois sens énoncés par Haymon d'Auxerre. En effet, celui qui s'étonnerait que de saints moines éprouvent le besoin de reconnaître devant Dieu leurs tentations et leurs manques, aurait oublié sans doute

202 R. W. Southem, Anselm, p. 96: «Earlier collections of prayers had been mainly addressed to God; but in the tenth and eleventh centuries an increasing proportion were addressed to the saints, and especially to the Virgin Mary... >>. 203 Treize textes sur dix -neuf. 204 Entré probablement très jeune au monastère de Saint-Germain d'Auxerre, Haymon a étudié auprès du grammairien d'origine irlandaise Murethach, avant de devenir maître d'école à Saint-Germain vers 840. Son activité littéraire se situe entre les années 840 et 860, et il termina sa carrière comme abbé de Cessy-les-Bois probablement entre 865 et 875, voir C. Jeudy, in DLF, p. 661-662. 205 Voir M. Vincent, Saint Augustin, maître de prière d'après les « Enarrationes in Psalmos », p. 438 sq. 206 Hom 2, 12, PL 118, col. 796 AB: . 207 In Psalmos, 137, 2. Voir M. Vincent, op. cit., p. 440.

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INTRODUCTION

que le péché se définit justement comme le refus de «rendre grâce et gloire à Dieu comme Dieu» (Rm 1, 21), et que, comme l'écrit encore Paul (Rm 5, 20), «la grâce ayant surabondé là où la faute a proliféré», se souvenir de ses péchés sous le regard du Christ en croix permet de demander, pour s'en émerveiller d'une manière encore plus vive, l'Amour «tel que ni plus juste, ni plus grand ne se pourrait penser» (CDH, II, 20)2°8. Se confesser, c'est confesser Dieu; c'est ouvrir en son propre cœur une blessure semblable à celle de l'Amour, par où puisse fluer son eau plus que profuse, comme le dit explicitement Raoul dans sa PsOr 3: «Laisse-moi, Seigneur Jésus Christ, laisse-moi apprécier ton ineffable bonté, et raconter combien Tu es doux et bienveillant pour les pécheurs» 209 . C'est sans doute cette interaction des trois sens du mot confessio qui permet aussi d'expliquer le rôle prépondérant que joue le Psautier dans ces textes. Certes, on l'a vu, les psaumes ont toujours joué un rôle de matrice pour la prière 210 , ils ont toujours été abondamment utilisés par les textes de dévotion211 , néanmoins, s'agissant des confessions, les références aux psaumes constituent les deux tiers des citations. En outre, on trouve souvent au principe même du texte un ou plusieurs versets psalrniques, comme si finalement la prière adressée au Créateur était une sorte de méditation orante qui partant du Psautier aboutirait naturellement au repentir et à la louange 212 • Aussi, tous ces textes qui ont pour objet la confession des maux qui ravagent l'âme, soit en passant tout le corps en revue ou l'ensemble des péchés possible, comme c'est le cas dans la Confessio d'Alcuin (PsOr 14) ou la longue PsOr 13 «Domine Deus meus, da cordi meo te desiderare ... », soit en se focalisant sur un ou plusieurs vices en particulier, comme le fait Raoul dans certains de ses textes 213 , aboutissent-ils logiquement à une profession de foi dans la miséricorde de Dieu, en qui seul réside l'espérance des hommes: profession de foi, confession des péchés et louange ne sont donc que les trois

208

OA, t. 3, p. 131: « ... ut nec maior nec iustior cogitari possit». Voir infra p. 64, 1. 102-103: «Pate re ergo me, Domine Ihesu Christe, patere tuam ineffabilem pietatem inspicere, et quam dulcis et bonus sis erga peccatores et miseras enarrare>>. 210 Voir par exemple R. W. Southem, Anselm, p. 93-94: «The Psalter was the main instrument of all devotion, whether formal or informai. The repetition of the whole Psalter once a week, and of several additional Psalms once a day, was the central feature of the monastic Opus Dei ... >>. Voir aussi la Règle de Benoît, 9: «Combien de psaumes il faut dire la nuit>>; ch. 17 «Combien de psaumes chanter pendant les Offices divins>>; ch. 18 «En quel ordre il faut dire les psaumes>>. 211 On peut consulter par exemple l'index scripturaire dut. 5 de OA, p. 433-435. On peut également renvoyer à ce qu'écrit M. Vincent, op. cit., p. 17 sq., sur la place des psaumes dans la vie et la prière d'Augustin, et à Augustin lui-même: Confessions, 9, 8, édition P. de Labriolle, Paris, C.U.F., 1937, p. 214: «Quels cris, mon Dieu, j'ai poussés vers vous en lisant les Psaumes de David, ces cantiques de foi, ces chants de piété, si propres à rabattre l'esprit d'orgueil!. .. >> 212 C'est le cas des textes de Raoul (PsMed 3 et PsOr 1 et 2). Le premier part de deux versets psalmiques, Ps 7, 2 et 70, 2; le second paraphrase Ps 7, 10; le troisième médite le célèbre Ps 50, 3; c'est également Ps 50, 3 qu'utilise la Confessio d'Alcuin (PsOr 14). Quant à la longue PsOr 13, elle n'utilise pas moins de cinquante-et-une fois le Psautier sur un total de soixantedix-huit citations ... 213 Par exemple, dans PsOr 1 pour les désirs charnels, ou dans PsMed 4 sur la vaine gloire, l'envie et l'orgueil. 209

CVI

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

mouvements d'une même partition, et c'est tout naturellement que le second groupe des textes adressés à Dieu est composé de prières de louange. 2) Les prières de louange: [PsOr 11 et 20] Des deux formules d'action de grâces adressées à Dieu, la première (PsOr 20) a pour point de départ la célèbre formule carolingienne «Tibi aga laudes et gratias ... », qu'Anselme lui-même utilisa dans la rédaction de son Or 2 au Christ214 . Le succès de cette formule est attesté non seulement par l'usage qu'en a fait Anselme, mais aussi par sa présence récurrente dans les libelli precum et par les amplifications qu'elle a connues. Ainsi, pour nos premiers recueils apocryphes, on la trouve sous trois formes différentes: deux formules brèves (L, Angleterre fin XIIe siècle; et U, Saint-Victor de Paris, même époque) et une formule longue, retenue d'ordinaire par les éditeurs du recueil anselmien, attestée au début du xne siècle dans un témoin anglais provenant du Newminster de Winchester, M). D'autre part, le corpus possède deux hymnes de type ambrosien215 , d'une facture très banale, dont l'un (PsOr 11) est consacré à la louange de Dieu et de tous ses saints.

- Prières au Christ et à la Croix [PsOr 3, 7, 26, 27 et 28; PsOr 16] Cinq prières sont dédiées spécifiquement au Christ (PsOr 3, 7, 26, 27 et 28), et une à la Croix216 (PsOr 16). Parmi ces textes, seules les oraisons de Raoul (PsOr 3 et 7) s'inscrivent dans le nouveau mouvement de dévotion personnelle au Christ217 • On

214

Voir l'article de T. H. Bestul, >, SE, 27, 1984, p. 391 et 420, et à la thèse de J. Pierce, Sacerdotal Spirituality at Mass: Text and Study of the Prayerbook of Sigebert of Minden (1022-1 036), Ann Arbor, 1988. 223 Ainsi dans l'édition du Missel Romain de s. Pie V, notre prière occupe la seconde 219

CVIII

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n'est pas fixe dans les missels puisqu'elles ne sont qu'un élément adventice de la messe. Par ailleurs, si toutes sont un acte d'humilité du ministre qui, se sentant indigne, demande au Christ de le purifier, la variation presque infinie des formules s'explique par le fait qu'à partir du IXe siècle la messe proprement dite s'est figée dans une expression invariable, la créativité littéraire trouvant dès lors refuge dans ces pièces extérieures au canon. Pour ce qui est de la forme littéraire, étant donné que les apologies n'appartiennent à aucun genre ancien (oraison, préface, prière litanique ... ), elle est parfaitement libre224 . Chronologiquement, les prières d'apologie sont absentes des plus anciens manuscrits liturgiques 225 , les premières n'apparaissant que vers le rxe siècle. Elles se multiplient aux xe et xre siècles, époque où l'on tend à multiplier les rites et les formules, et elles disparaissent ensuite peu à peu ne laissant que quelques traces dans la liturgie moderne226 . C'est le cas précisément de notre PsOr 8 «Summe sacerdos et uere pontifex... » qui est une prière préparatoire du Missel Romain. Ces huit prières, dont trois n'avaient jamais été répertoriées sous cette rubrique, représentent certainement un apport original et intéressant pour l'étude de ce genre particulier. Parmi elles, trois ont été rédigées par Raoul: PsOr 4, 5 et 6, la quatrième est le célèbre «Summe sacerdos ... » (PsOr 8) de Jean de Fécamp 227 , les quatre dernières sont des formules anonymes attestées dans un manuscrit anselmien de Saint-Victor de Paris de la fin du XIIe siècle228 , mais qui sont certainement plus anciennes 229 : PsOr 22-25.

-Prières à la Vierge [PsOr 9, 12, 17 et 21] Quant aux prières à la Vierge, comme l'a fait remarquer R. W. Southern, on voit leur nombre sensiblement augmenter à partir de la moitié du xre siècle, époque qui marque, on l'a vu, un tournant dans la spiritualité médiévale230 . Les prières à la Vier-

place d'un groupe d'oraisons préparatoires à la messe, intitulées: Orationes pro opportunitate sacerdotis ante celebrationem et communionem dicendœ; il en va de même dans l'édition du Missel Ambroisien. D'après A. Wilmart le point de départ de la prœparatio romaine est l'Ordo missœ du cérémoniaire papal, approuvé par Alexandre VI et Léon X, voir Auteurs, VII, p. 101, n. 2. 224 F. Cabrol souligne par ailleurs qu'il serait téméraire de faire des analogies avec la TTp66Emç des liturgies orientales. 225 Toutefois, dès avant le vne siècle la messe était précédée d'une prière préparatoire, confession, ou amende honorable ou contrition. De même dans la liturgie gallicane, le pontife se prosterne pendant que le chœur chante l'ingres sa. Par ailleurs, saint Denys indique que c'était la coutume avant de commencer la célébration des mystères d'avoir des prières préparatoires que l'auteur appelle rrpoTÉÀLm d!xal (PG 3, col. 1097), F. Cabrol, op. cit., col. 2600-2601. 226 F. Cabro1, op. cit., col. 2592 et 2599. 227 Dont Raoul s'inspire à l'évidence dans PsOr 5: «Summe Sacerdos et maior ceteris

sacerdotibus ... ». 228

U, B.N. lat. 15045, fin du XIIe siècle. Voir A. Wilmart, Tradition, p. 65, qui signale la présence de PsOr 24 dans le vieux Missel d'Angoulême, écrit vers l'an 800. 230 R. W. Southem, Anselm, p. 98. Sur les prières à la Vierge, l'ouvage de référence est celui de H. Barré, Prières anciennes de l'Occident à la Mère du Sauveur, des origines à saint Anselme, Paris, 1963, voir aussi J. Alameda, «La mariologia de san Anselmo», Las Ciencias, 12, 3, 1947, p. 561-601. 229

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INTRODUCTION

ge, en effet, posaient un problème à ceux qui les composaient, puisque la méthode traditionnelle qui consiste à s'adresser à un saint en lui rappelant ses propres péchés et la miséricorde de Dieu à son égard ne peut en aucun cas s'appliquer à la Toute Pure. Ce qui a conduit à une écriture de pénitence, de louange et de glorification comme le montre très bien la PsOr 21, qui est une longue et belle prière, sans doute du XIe siècle231 , rédigée dans un respectueux esprit de louange. En revanche, si la PsOr 9 de Maurille de Rouen232 est fondée sur la formule carolingienne «Singularis meriti... »233 , l'évêque de Rouen l'a développée en adoptant une attitude toute filiale, et «nul mieux que lui ne montre le passage du vocable Mater misericordiœ à celui de Mater nostra qu'emploiera bientôt saintAnselme» 234 . La PsOr 17 est une courte oraison qui associe la Vierge à saint Jean, enfin PsOr 12 est à nouveau un hymne de type ambrosien, semblable par sa facture à la PsOr Il, et qui associe le Christ et les saints à la louange mariale.

- Prières aux saints 235 [PsOr 10, 15, 18, et 19] Si l'on exclut les deux hymnes 236 qui associent la dévotion aux saints à la louange de Dieu et de la Vierge, notre corpus apocryphe ne conserve que quatre prières aux saints: PsOr 10 au saint Patron du lieu, PsOr 15 à saint André, PsOr 18 à sainte Anne et PsOr 19 à l'Ange gardien. Pour expliquer le petit nombre de ces textes, on peut reprendre le raisonnement tenu à propos des prières à Dieu, mais en sens inverse cette fois-ci: le livret anselmien comportant bon nombre de prières aux saints, on ne voyait sans doute pas la nécessité d'en rajouter. Par ailleurs les compilateurs, souvent plus conservateurs dans leurs choix, ont peut-être été moins sensibles à ces textes s'inscrivant dans un courant spirituel plus moderne où les saints, par leur divinisation, appartiennent à l'univers nouveau de la charité, reconnue comme la «satisfaction» qui plaît à Dieu. Cette impression est renforcée par le fait qu'à l'exception de la prière au saint Patron du lieu, aucun texte anselmien n'était consacré à André, Anne ou l'Ange gardien. Ainsi en les intégrant au livret d'Anselme on semblait combler un vide. La remarque vaut particulièrement pour l'oraison à saint André, que l'on trouve de bonne

231 A. Wilmart, Tradition, p. 67: «ce n'est pas moins une prière relativement ancienne, rédigée peut-être en Italie; dès le XIe s., le texte en est rapporté dans un psautier napolitain ou sicilien (Dyson Perrins, 49, f. 198) ». 232 Priére éditée et étudiée par H. Barré, op. cit., p. 180 sq. 233 Voir H. Barré, op. cit., p. 73 sq. 234 H. Barré, op. cit., p. 182; voir aussi du même auteur «La maternité spirituelle de Marie dans la pensée médiévale>>, Etudes Mariales, 16, 1959, p. 87-104. 235 Sur le culte des saints en Occident, voir les contributions de Ch. Pietri, M. Van Uytfanghe et A. Vauchez publiés dans Les fonctions des saints dans le monde occidental, Rome, 1991 (MEFRM, 149), ainsi que les ouvrages de P. Rézeau, Les prières aux saints en français à la fin du moyen âge, Genève, 1982 (Publications romanes et françaises, 163), et A. Vauchez, La sainteté en Occident aus derniers siècles du Moyen Âge, d'après les procès de canonisation et les documents hagiographiques, Rome, 1988 (BEFAR, 241). 236 PsOr 11 et 12.

ex

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

heure parmi les prières d'Anselme aux Apôtres 237 . Par ailleurs, ils sont classiques dans leur composition qui obéit au modèle traditionnel de ce type de texte.

Développements ultérieurs des recueils apocryphes A partir du XIIIe siècle, les recueils apocryphes se sont multipliés et on a de moins en moins distingué les textes authentiques des apocryphes. La confusion s'est perpétuée dans les éditions modernes, qui donnèrent à cet ensemble hétéroclite un statut canonique pendant plus de deux siècles, avant que les travaux de d'A. Wilmart et l'édition critique de F. S. Schmitt rendent à Anselme ce qui lui revenait. C'est l'histoire de cette période déterminante pour le recueil anselmien que l'on va maintenant aborder. Les recueils du XIIIe au xve siècle Le mouvement entamé depuis la mort d'Anselme, s'est poursuivi et amplifié pendant toute la fin du Moyen Âge. Ainsi à côté de quelques rares exemplaires qui ont conservé le seul recueil authentique (Al et A2) 238 , ou les deux familles de recueils du XIIe siècle (Bl-2 et B3)239 , on voit naître à partir du XIIIe siècle, et surtout au XIVe siècle, de nouvelles compilations réalisées à partir du recueil des prières d'Anselme (C). A. Wilmart avait remarqué une collection, qui d'après lui aurait vu le jour à Cantorbéry vers le début du XIVe siècle, et qui englobant les deux premiers types de recueils

237

Cette prière est d'après A. Wilmart, Tradition, p. 69-70, «une des meilleures compositions certainement dont on a voulu faire l'honneur à saint Anselme. A la première lecture elle semble être du même auteur, et il se peut qu'il en soit ainsi réellement, mais l'état de la tradition empêche absolument qu'on rende ces textes, si estimables qu'ils soient, à l'archevêque de Cantorbéry». 238 On peut citer pour le XIII~ siècle un témoin de l'abbaye cistercienne d'Himmerod, conservé aujourd'hui à Berlin, lat. oct. 234 (fonds Gorres 105), ainsi que le manuscrit 201 du Schottenkloster de Vienne; pour le XIV~ siècle, Londres, B. L. Add. 18318, provenant de Zwettl d'où il aurait été donné à l'abbaye bénédictine Saint-Lambert d' Altenburg en Basse-Autriche, et Erlangen, 190 provenant de l'abbaye cistercienne d'Heilsbronn; pour le XV~ siècle un manuscrit de Subiaco, Archivio, cod. CCLXXXII et Stiftsbibliothek de Reun, 49. Tous ces manuscrits sont des témoins de la tradition «Mathilde>>, et sont donc restés à l'écart des transformations opérées en Angleterre et en France. On peut encore citer pour le XIII~ siècle: B. N. lat. 2084, provenant de l'abbaye de Saint-Amand; B. N. lat. 14591 de Saint-Victor de Paris; B. N. lat. 15694; Bruxelles, B.R. 2004-2010; Oxford, Univ. Coll., 148, provenant de Chichester; Londres, B. L. Royal5 E XX, de Rochester; pour le XIV~ siècle Londres, B. L. Royal6 D VIII de Spalding; Harley 3059, et Laon, B.M. 172. Ces témoins ne possèdent que les dix-huit premières prières d'Anselme (Al). Pour le recueil complet (A2), on peut citer, pour le XIII~ siècle Londres, B. L. Add. 15749; pour le XIV~ siècle, Cambridge, Univ. Libr. KK. IV. 12, Münich, 12105 provenant de Pruel; Troyes, B.M. 958 provenant de Clairvaux, et Wroclaw, Bibl. Univ. 180; enfin pour le XV~ siècle, B. N. lat. 3268. 239 Voir par exemple: Bruxelles, B. R. II 994, provenant de l'abbaye de Saint-Ghislain, XIIIe s.; Paris, Arsenal412 en écriture anglo-normande du XIVe s.; Londres, B. L. Royal 8. B. 1., XIVe s.; B. N. lat. 3499 provenant de la Sainte-Trinité de Fécamp, et B. N. lat. 2886, (notre H), provenant d'Angleterre, tous les deux du xve s.

CXI

INTRODUCTION

(A et B) aurait ajouté trente-sept pièces nouvelles, «première image de notre édition définitive » 240 . On a vu cependant que cette hypothèse de travail ne tient pas lorsque l'on examine de près la tradition manuscrite du xne siècle. En effet, les anthologies anselmiennes (B3) avaient commencé depuis longtemps à ajouter d'autres pièces au recueil anselmien, et elles ne connaissaient pas toutes le livret du moine Raoul. On peut donc penser que si effectivement une nouvelle collection a pu voir le jour dans les milieux bénédictins de Cantorbéry au début du XIVe siècle24 1, cette dernière n'a pas ajouté trente-sept pièces, mais vingt-quatre tout au plus, et que si cette édition a pu connaître une certaine fortune, elle n'a pas empêché d'autres compilateurs d'établir leurs propres recueils de dévotion en puisant dans les recueils anselmiens 242 . A nouveau, le tableau «Les éditions anciennes et modernes des prières de saint Anselme», Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1923, Paris, 1923, p. 159, et «La tradition des Prières de saint Anselme. Tables et notes», RB, 36, 1924, p. 54: «C n'est autre que l'édition du XIVe siècle qui a perpétué ce rapprochement et fourni le dessin des éditions du xvne siècle. Il y a lieu de penser que ce vaste recueil a été imaginé en Angleterre au début du XIVe siècle et porté tout aussitôt en France pendant la guerre de Cent Ans. Le premier compilateur a eu entre les mains et amalgamé deux exemplaires au moins: un manuscrit du type A, déjà beaucoup interpolé probablement; un manuscrit du type B duquel, vraisemblablement, il a rejeté les deux hymnes ainsi que tous les autres textes qu'il trouvait dans A. Mais il est en outre possible qu'il ait lui-même accru ces deux seuls recueils de divers morceaux empruntés à d'autres collections de prières. Quoi qu'il en soit, le nouvel apport est exactement de trente-sept pièces dont il resterait à expliquer l'origine. Les deux recueils fondamentaux se trouvent doublés d'un coup; mais il s'en faut encore de vingt-cinq articles pour arriver au total atteint par Gerberon-Migne>>; voir aussi Auteurs, XIII, p. 209 sq. 241 A. Wilmart justifie cette hypothèse, par la présence dans ce groupe de gP 73 à saint Dunstan, «qui n'est donnée nulle part ailleurs>>: «Les éditions anciennes et modernes des prières de saint Anselme>>, in Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1923, Paris, 1923, p. 159. Sur le culte de saint Dunstan à Cantorbéry, voir M. Budny, T. Graham, «Les cycles des saints Dunstan et Alphège dans les vitraux romans de la cathédrale de Cantorbéry>>, CCM, 38, 1995, p. 55-78. Un autre argument pouvant renforcer cette idée est la présence d'écrits d'Eadmer au sein de cette collection. 242 Sans pouvoir être exhaustif, on peu citer certains manuscrits rencontrés au cours de nos recherches: Cambridge, St John's College, F. 31 (=no 168 du catalogue de M. R. James, p. 201-203). Ce manuscrit provenant de la Chartreuse de Witham date du XIIIe siècle et mélange quelques textes anselmiens à un très grand nombre d'autres textes de dévotion. On y trouve ainsi pèle-mêle le prologue, Med 1 et 3, Or 1, plus loin Or 6, PsOr 9 (correctement attribuée à Maurille de Rouen), Med 2, Or 8-16, plus loin encore PsOr 13 (sous le titre Meditationes s. Augustini), PsOr 17; Laon, 172, manuscrit anselmien du XIVe siècle, qui à côté du Proslogion possède des prières et des méditations dont gM 18, Or 14, gP 1, et PsOr 3; Londres, B. L., Add 33381 qui est une collection de textes religieux provenant du Prieuré d'Ely et qui est dû à plusieurs mains du XIIIe et du xve siècle. Il possède une collection de prières anselmiennes, dont certaines ne sont pas comprises dans l'édition Gerberon-Migne. Enfin, un témoin intéressant est le manuscrit de Zwettl, 1961 (G. Achten, no 2, p. 33-37) qui est une collection du recueil authentique des Orationes siue Meditationes, dans laquelle on trouve cependant deux prières à saint André (dont PsOr 15), la prière au saint Patron (PsOr 10, f. 138) et la prière à sainte Anne (PsOr 18, f. 155), PsOr 13 (f. 196-220), gM 20 (f. 181) qui n'apparaît pas dans la collection deCantorbéry, deux prières au Christ qui n'appartiennent pas à la tradition anselmienne (f. 222: «Domine Ihesu Chris te fac ut te amem ardenter. .. >>, et f. 223 «Domine Ihesu Christe in ho ra exitus 240

CXII

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

est certainement plus complexe que ce que le schéma de dom Wilmart peut laisser penser. Toutefois, les principaux témoins du recueil apocryphe semblent bien dépendre de la collection de Cantorbéry (A2). En ce qui concerne les manuscrits, la moisson est moins abondante qu'on n'aurait pu l'espérer. L'archétype de Cantorbéry est perdu, mais il se laisse sans doute atteindre dans le manuscrit 622 de Lyon, provenant d'un atelier parisien du temps de Charles V (1338-1380), puis donné au chapitre de Toulouse par l'archevêque Pierre des Moulins (1439-1451). En voici la description 243 : f. 1 Courte biographie de s. Anselme; f. 2-5: Table du volume (le f. 6 est blanc); f. 7-63v: Prologue et gM 1, Med 1, 2, 3, PsMed 3, 4, PsOr 3244 , gM 12, 9 et 13, 14 (f. 64 «Incipit liber beati Anselmi cantuariensis archiepiscopi, de salute anime, qui est Enchiridion uel Manuale dici po test. Prolo gus: 'Dum in media laqueorum ...'>>), 15, 16 et 17 (f. 69v: «Meditatio beatiAnselmi, scripta ad sororem suam de preteritorum beneficiorum Christi memoria: 'Que ad dilectionem Dei excitandam .. .' >>; f. 84 «Liber bea ti Anselmi cantuariensis archiepiscopi de gaudiis et excellenciis beate Virginis Marie>>(= Eadmer: PL 159, col. 557 sq.); f. 104 v: «Anselmus de quatuor uirtutibus quefuerunt in beata Maria>> (= Eadmer: PL 159, col. 579 sq.); f. 111 '> (=Hom 9, PL 158, col. 644 sq.) 245 ; f. 114 v: «Incipit prologus sancti Anselmi cantuariensis archiepiscopi, in librum de beatitudine celestis patrie>> (= Eadmer: PL 159, col. 587 sq.); f. 120: «Item de septem bonis ad animam pertinentibus: 'Sunt etiam alia que quidem ... ' >>; f. 127 «Liber exhortationum beati Anselmi ad contemptum temporalium et desiderium eternorum: 'Quid agis, o homo ... '>> (PL 158, col. 677 sq. ) ; f. 136v: dncipiunt eiusdem devote orationes ... >>: cinquante-sept prières et méditations les douze dernières étant des prières d'apologie destinées au prêtre avant la célébration de la messe: gP 9, 10, 2, 15,3,4,6, 17, 16, 18, 19,gM18,gP20, 7, 12,23,24, 13, 14, 1,46,47,48, 49,50,51,52, 53,41,43, 62,63,64,65, 66,67, 68,69, 70, 71, 72, 73, 74, 75, 11, 25, 26, 27, 28, 29, 5, 30, 31, 32, 33, 35 246 ; f. 266: «Liber meditationum uel soliloquiorum beati Augustini: Agnoscam te, Domine, cognitor meus... >> (PL 40, col. 863 sq. )247 .

nostri ... >> ), ainsi que l' admonitio morienti attribuée à Anselme, PL 158, col. 685 sq.: >. 243 Manuscrit consulté sur microfilm et photocopies. Parchemin, 312 f, 23, 81 14,5 cm. Initiales de couleur avec quelques enluminures, dont deux représentations de saint Anselme, f. 1 et 7. 244 Ce texte qui dans les recueils du XIIe s. est assez clairement considéré comme une prière (oratio), est rattaché à partir du XIVe s. au groupe des méditations (gM 6). 245 Voir A. Wilmart, «Les homélies attribuées à saint Anselme>>, AHDL, 2, 1927, p. 529; 339-341. 246 Nous donnons ici la numérotation de Migne, plus explicite sur la confusion désormais établie entre les textes des trois grandes collections. 247 Représentant cette tradition, on peut citer également Marseille, 230 de Villeneuveles-Avignon, vers 1350; Cambrai, 593 du Saint-Sépulcre, xve s.; et Burgo d'Osma, 51, xve s., semblable à Cambrai 593.

CXIII

INTRODUCTION

Comme on le voit, les Méditations sont nettement séparées des Oraisons, ce qui explique sans doute qu'à partir du XIVe siècle on trouve des recueils ne comportant que les Méditations 248 , et d'autres que les Oraisons 249 . Les nouveaux textes Parmi les textes qui apparaissent dans les nouveaux recueils, on peut en distinguer qui, issus des milieux monastiques anglo-normands, appartiennent à la même mouvance spirituelle que les écrits anselmiens. En premier lieu, on trouve des écrits de Jean de Fécamp, dont l'œuvre connut un étrange destin. Cette dernière en effet fut entièrement redistribuée, et le nom de son auteur oublié, mais son contenu connut un succès durable250 . Ainsi, le Libellus de scripturis et uerbis patrum, qui est une réécriture de la Confessio theologica, est-il devenu avant la fin du XIIe siècle le Liber Supputationum du Pseudo-Augustin, qui sera à son tour abrégé pour devenir les Suspiria, toujours attribués à Augustin251 • Ce même Libellus sera transformé à la fin du XIVe siècle252 en une série de Méditations, dites en 41 chapitres, encore attribuées à Augustin253 • Ce recueil de méditations a dû être formé vers le XVe siècle par des Augustins italiens 254 , à partir d'un exemplaire semblable à Metz, B.M. 245, puisque les chapitres XII à XXV, XXVII à XXXIII et XXXV à XXXVII255

248 Par exemple Paris, B. N., lat. 2821, provenant de l'abbaye de Conches en Normandie, XIVe s.: f. 30v-78v: Prologue, gM l, Med 1, 2, 3, PsMed 3, 4, PsOr 3 (=gM 6), gM 12, 9, 13, 15, 16, 17, 14 (Manuel), Cambridge, Peterhouse, 219, XIVe s.; et Edimbourg, Univ. Libr., 90, xve s. 249 Comme le manuscrit 284 du Corpus Christi College de Cambridge, remontant au début du XIVe s. et provenant de Saint-Augustin de Cantorbéry. Ce témoin ne peut être l'archétype de la collection, puisqu'il ne possède pas les Méditations, mais il en est sans doute très proche. 250 Ainsi, pour les seules Méditations en 41 chapitres, les éditions particulières sont innombrables, elles furent traduites dès les débuts de l'imprimerie dans les langues vernaculaires, et l'édition d'Henri de Sommai (Douai, 1608) qui groupait sous une forme fixée alors les Méditations, les Soliloques et le Manuel se répandit dans tous les milieux catholiques et n'a jamais cessé ensuite d'être reproduite, voir A. Wilmart, RTAM, 68, 1936, p. 337, n. 1. On était si persuadé de l'authenticité de ces œuvres, qu'une Vita b. Augustini, qui figure en tête des Canones iuxta regulam, Strasbourg, 1490, assigne comme date de composition à ces ouvrages l'époque qui a précédé le baptême d'Augustin à Milan! VoirE. Lamirande, «The Picture of the Heavenly Jerusalem de Stephen A. Hurlbut. A propos d'écrits pseudo-augustiniens>>, REAug, 25, 1979,p. 159,n.24. 251 1. Machielsen, CPPM, II B, n°3085, p. 711. 252 Ce qu'atteste le manuscrit de Florence, Laur. XVIII dext. 5, du XIVe s.: voir A. Wilmart, Auteurs, VIII, p. 128. 253 PL 40, col. 901-942. Sur les différentes méditations, voir A. Wilmart, Auteurs, VIII, p. 128, n. 1 et 1. Machielsen, CPPM, II B, p. 700 sq. 254 A. Wilmart, Auteurs, VIII, p. 128, n. 1 et 1. Machielsen, CPPM, II B, p. 700-701. 255 Ces trois chapitres représentent donc les quatre prières qui accompagnent le Libellus (I: ch. XXXV, II= ch. XXXVI, III= ch. XXXVIIa et IV = ch. XXXVIIb ), elles mêmes seront reprises dans les prières du Pseudo-Anselme (I = gP 17, II= gP 16, III= gP 18, IV= gP 19).

CXIV

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

sont repris du Libellus256 , que les chapitres 1 à IX sont composés de notre PsOr 13, indépendante du Libellus mais qui se trouve dans son voisinage dans le manuscrit de Metz (A, f. 85-93v), que le ch. X est notre gP 21, que le ch. XXXIV se trouve également au f. 56v (il deviendra plus tard gP 5), et que le ch. XXXVIII est la Confessio du f. 67 qu'on attribua parfois à Alcuin 257 . On voit bien comment ces méditations ont été fabriquées, on comprend aussi que le même processus appliqué autrement permettra d'ajouter des prières de Jean de Fécamp au recueil anselmien: gP 16 à 19, 5, 21 et la gM 18 qui est reprise à la Confessio theologica. La Confessio fidei pour sa part sera mise sous le nom d' Alcuin 258 sa première partie devenant le Speculum pseudoaugustinien259. Enfin la prière «Summe sacerdos ... » (PsOr 8), que l'on retrouve également dès les premiers recueils anselmiens apocryphes, passera à la postérité sous le nom d'Oratio sancti Ambrosii. Le recueil C possède donc les gP 16, 17, 18, 19 qui sont les quatre prières habituellement jointes au Libellus de l'abbé de Fécamp, PsOr 5 qui est la quatrième prière jointe au Libellus alter de diuina contemplatione du manuscrit 245 de Metz, gM 18 qui est l'action de grâces qui clôt le Libellus alter, et enfin la gM 14 qui est une compilation de l'œuvre de Jean de Fécamp et qui deviendra à son tour les ch. 1 à 9 du Manuel attribué à Augustin260 . Nous trouvons également trois textes du cistercien !Elred de Rievaulx (t 1166): gM 15, 16, et 17 qui représentent en fait une partie du De institutione inclusarum 261 • Ce dernier traité connut un grand succès au Moyen Âge 262 , et il fut abrégé, traduit, et introduit dans des règles de recluses; cette fortunes' explique en partie par le fait qu'on

256

Voir J. Leclercq, et J. P. Bonnes, Un maître de la vie spirituelle au Xl' siècle, Jean de Fécamp, Paris, 1946, p. 31-32, n. 4. 257 Le ch. X est gP 21 et le ch. 2b d'un autre apocryphe augustinien, le De contritione cordis (PL 40, col. 943-950), le ch. XI la fin du De Specula, le ch. XXVI, le Rythmus de gloria paradisi de Pierre Damien, le ch. XXXIX un centon anselmien (Proslogion, 1, gP 38 et 21, Med 2 et 1), le ch. XL des extraits d'Alcuin et du pseudo-Anselme (gP 1), le ch. XLI, est l'Or 2, qui deviendra le ch. 3 du De contritione cordis. 258 PL 101, col. 1027-1098. Toutefois V. Serralda pense qu'il s'agit de deux œuvres distinctes, et que les ressemblances s'expliqueraient par les nombreux emprunts opérés par Jean de Fécamp à l'œuvre d'Alcuin, «Etude comparée de la Confessio fidei attribuée à Alcuin et de la Confessio theologica de Jean de Fécamp>>, Ml, 23, 1988, p. 17-27: «En résumé, Jean de Fécamp se présente en personnage différent de l'auteur de la Confessio fidei. Celui-ci s'attribue plusieurs ressemblances avec les attitudes présentées par Alcuin dans sa correspondance; il emploie certaines formules doctrinales d'Alcuin à l'égard de textes de maîtres qu'il déforme pour leur faire exprimer son personnalisme. Ces observations sur les textes de ces deux auteurs interdisent d'attribuer la Confessio fidei à Jean de Fécamp et désignent Alcuin comme son auteur», p. 27. Mais l'auteur de cet article peu convaincant n'explique pas alors l'origine des autres traités qui, comme on l'a vu, sont fortement liés les uns aux autres. 259 PL 40, col. 967-984, voir I. Machielsen, CCPM, II A, p. 32, n. 13 et II B, no 3075, p. 705. 260 PL 40, col. 951-968, voir I. Machielsen, CCPM, II A, p. 32, n. 13 et II B, no 3074, p. 704. 261 Opera omnia, édition C. H. Talbot, Turnhout, 1971 (CCCM, 1), p. 636-682. 262 Voir par exemple P. L'Herrnitte-Leclercq, Prier au moyen âge, p. 158 sq.

cxv

INTRODUCTION

lui ait associé le nom d'Anselme, ou d' Augustin 263 • Par ailleurs, deux autres méditations sont l'œuvre d'Ekbert, abbé bénédictin de l'Abbaye allemande de Schünau (t 1184?64 : gM 9 265 et 13 266 • Dom Wilmart267 et dom Leclercq268 pensaient que gM 1 était l'œuvre d' }!~]mer de Cantorbéry, mais cette attribution a été contestée parR. W. Southem, faute de preuves 269 • Les autres textes sont anonymes: gM 12, gP 1, 7 270 , 13 271 , 35 272 , 36273 , 47, 48 274 , 70, et 73 275 . LES ÉDITIONS MODERNES 276 L' editio princeps (a) des prières apparaît dans la première édition générale des Opera et Tractatus de saint Anselme, réalisée par Petrus Danhauser et imprimée à ses frais chez Caspard Hochfeder à Nuremberg le 27 mars 1491. Cette édition comporte quatre prières authentiques (1: Or 5 et 6 regroupées; 12: Med 1; 23: Med 3), ainsi que quatre prières apocryphes (22: PsOr 13 (gP 10, 2, 14 regroupées dans cet ordre même) et 25: gM 9). C'est ce texte qui est repris à Strasbourg vers 1496, et à Bâle chez Jean Amerbach, en 1497. A Paris en 1544 et 1549, Antoine (Démocharès) de Mou263

Sous le titre De uita eremetica ad sororem, PL 32, col. 1451-1474; voir 1. Machielsen, CCPM, II B, n°3594, p. 823. 264 Il s'agit du frère de la voyante sainte Elisabeth: voir A. Wilmart, Auteurs, XII, p. 194195, et Tradition, p. 59. 265 Ce texte a été rendu à son auteur et édité par F. W. E. Roth sous son vrai titre: Stimulus dilectionis, in Die Visionen der hl. Elisabeth und die Schriften der Aebte Ekbert und Ernecha von SchOnau, Brünn, 1884, p. 216, 224, 293-303. 266 Cette méditation, qui est également l'œuvre d'Ekbert de Schonau, a été attribuée à Richard de Saint-Victor (PL 195, col. 105-114), et à Augustin (voir I. Machielsen, CCPM, II B, no 3086, p. 711), mais, ajoute A. Wilmart, Tradition, p. 60, :A. Wilmart, Tradition, p. 63-64. 271 «dérive sans le moindre doute des recueils d'oraisons privées du rxe siècle>>, A. Wilmart, Tradition, p. 64-65. 272 «pièce peu commune ... >>, A. Wilmart, Tradition, p. 66. 273 «est absolument propre au recueil C, où elle achève la série des prières adressées aux saints, celles-ci authentiques pour la plupart. Je puis indiquer seulement que le début, en l'honneur de la Trinité, est repris d'une vieille oraison privée que nous ont conservée les recueils du IXe siècle ... >>, A. Wilmart, Tradition, p. 66. 274 Voir H. Barré, Prières anciennes, p. 137. On trouve déjà cette prière dans le Livre de Cerne (IXe siècle), no 58 dans l'édition de dom Kuypers, p. 155-156. 275 Avec PsOr 15 «sont les meilleures compositions certainement, dont on a voulu faire l'honneur à saint Anselme ... >>, A. Wilmart, Tradition, p. 67. 276 Pour cette partie, voir 1'introduction générale de Schmitt, t. 1*, p. 9 sq: «Die früheren Gesamtausgaben>>, ainsi que les deux articles d'A. Wilmart qui viennent d'être cités. CXVI

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

chy, docteur en théologie de la Sorbonne, corrige les éditions précédentes en tentant de les remettre dans un ordre chronologique et logique. L'édition de Démocharès est alors reprise deux fois à Venise en 1547 et en 1549. L'édition suivante paraît en 1560 chez Maternus Cholin à Cologne, en trois volumes, le troisième reprenant 1' édition parisienne. Enfin en 1612, toujours à Cologne, Jean Picard, chanoine de Saint-Victor de Paris, reprend et corrige cette dernière édition. Toutefois, même s'il arrive à ces différents éditeurs de réviser les éditions antérieures ou d'y insérer à l'occasion des œuvres nouvelles, authentiques ou non, ils n'apportent aucun élément nouveau au corpus des prières paru dans l' editio princeps. Il existe une autre ligne d'édition (b ), dont le point de départ est à Brescia en 1498, qui rapproche des méditations de saint Augustin, saint Anselme, saint Bernard et d'autres auteurs. L'édition des prières est fondée sur un exemplaire incomplet de type A: Med 3, 1 et 2 et Or 5, 6 et 7. En outre, cette ligne d'édition donne gM 9 et 14 comme des sermons de saint Bernard et rend à son véritable contexte PsOr 13, qui appartient aux Méditations attribuées à saint Augustin277 • Cette édition de Brescia fut reprise à Paris (1510), Venise (1512 et 1520, où Or 7 fait défaut), et Lyon (1564, 1573 et 1587). Le jésuite Henri de Sommai est à l'origine d'une troisième ligne d'édition (c) parallèle pour l'ensemble à celle de Brescia et reprenant, pour les prières, l'édition de Nuremberg (a). Ainsi, elle possède Med 3 et PsOr 13 présentées comme étant d'Anselme, alors qu'illes fait précéder de l'édition complète des Méditations du pseudoAugustin! Cette édition publiée à Douai en 1608 va connaître une immense fortune bien qu'elle soit beaucoup moins originale que la précédente, et elle ne cessera pratiquement pas d'être réimprimée: Douai (1607, 1613, 1632), Lyon (1610, 1631, et 1660), Cologne (1614, 1621, 1629, 1631, 1649), Paris (1650), etc. Tout cela ne présente finalement que peu d'intérêt pour notre sujet, puisqu'à l'exception de la ligne d'édition de Brescia, fidèle à la tradition anselrnienne278 , la Renaissance a négligé les richesses accumulées par la piété médiévale, faute de les apprécier à leur juste valeur. «C'est cette fatalité sans doute, ce sont ces erreurs et ces oublis commis au point de départ, qui expliquent la faiblesse de l'édition aujourd'hui reçue. L'opinion manqua tout de suite d'un guide éclairé, et plus tard, on se trouva à la merci d'éditeurs incapables» déclarait dom Wilmart en 1923 279 • En revanche, le XVIIe siècle vit paraître deux éditions importantes, celle du jésuite Théophile Raynaud, parue à Lyon en 1630 (d), et celle du mauri ste Gabriel Gerberon 280 , sortie à Paris en 1675 et reprise en 1721 dix ans après sa mort (e). C'est

277 Meditationes ad Patrem, PL 40, col. 901-909 =ch. 1-IX des Méditations en 41 chapitres= PsOr 13 (gP 10, 2, 14): PL 158, col. 877-885, 853-865, 888. 278 En effet PsOr 13 et gM 9 appartiennent l'une à l'école de Jean de Fécamp, l'autre à Ekbert de Schonau (t 1185). 279 «Les éditions anciennes et modernes des prières de saintAnse1me», Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1923, Paris, 1923, p. 155. 280 Sur dom G. Gerberon, voir J. Daoust, «Le janséniste dom Gerberon, éditeur de saint Anselme (1675)», SB 1, p. 531-540. Dom Gerberon s'est occupé d'Anselme, en qui il voyait un janséniste avant la lettre, entre 1671 et 1674.

CXVII

INTRODUCTION

cette dernière édition qui fut reprise dans un ordre à peine différent par J. P. Migne dans sa Patrologie Latine281 • Malgré le jugement sévère d'A. Wilmart qui a reproché à G. Gerberon d'avoir subordonné son travail à la mauvaise édition de Th. Raynaud, ces deux éditions, pour critiquables qu'elles soient, ont cependant fait progresser grandement notre connaissance des textes, et l'édition du mauriste se fondait sur des témoins nombreux et sûrs 282 . Il faut néanmoins admettre qu'il aurait été moins préjudiciable pour l'œuvre d' Anselme que le savant mauriste garde ses distances par rapport à l'édition de Raynaud qui contenait quatre-vingt-dix pièces réparties en dix séries artificielles et inégales, certains textes étant même repris deux fois! Etant donné la documentation que G. Gerberon avait sous la main, il aurait dû être capable de critiquer l'édition lyonnaise fondée essentiellement sur deux manuscrits suspects. Le premier de ces manuscrits est un recueil que Leo Allatius, le scrittore de la Vaticane, lui avait fait parvenir et qui contenait tout ce qu' Allatius avait pu trouver d'intéressant au Vatican. Cependant, la Bibliothèque Vaticane ne possédait à l'époque aucun témoin de la tradition normale, et une des sources du scrittore semble être le Vaticanus 517 datant du XIVe-xve siècle. D'autre part, A. Wilmart avait remarqué que la plupart des morceaux livrés par Allatius provenaient d'un recueil semblable au manuscrit 10622 de la Bibliothèque Nationale de Paris, volume composé au xve siècle chez les Augustins de Rebdorf en Bavière. Le manuscrit 456 de Lyon conserve les copies adressées par Allatius à Raynaud. Le second témoin lui avait été fourni par le collège des Jésuites de Vienne en Dauphiné. C'est un représentant de la tradition complexe qui n'est donc plus qu'une image déformée du recueil original et dont le manuscrit 622 de Lyon (XIVe s.) semble être un témoin parfait283 . Raynaud va déformer un peu plus l'image déjà complexe qu'il avait sous les yeux, en y incorporant les pièces livrées par Allatius, et en ordonnant le tout artificiellement284 . Ce qui donne au second volume de son édition: a) gM 1, 2, 3, 11, 5, 4, 6, 12, 9, 13, 14, 15-17, 10. b) gP 9, 10, 2, 15, 3, 4, 6, 17, 16, 18, 19, gM 18, gP 20, 7, 12, 23, 24, 13, 14, 1, 46-53,41,43,62-75,36,25-29, 5, 30-35. Par rapport à l'édition de Th. Raynaud, G. Gerberon n'a pas tiré parti des ressources qui étaient à sa disposition, et il s'est contenté de reviser la lettre du texte,

PL 158 et 159. Les Orationes siue Meditationes sont publiées dans le volume 158, col. 709-820 et 855-1016, les deux séries étant séparées (col. 821-854) par une méditation sur le psaume Miserere, qui n'est pas d'Anselme. 282 Voir infra, description des manuscrits: «3. Manuscrits utilisés par dom Gerberon>>. 283 Lyon, B. M., 456, 121 f., XVIIe s., papier avec reliure en vélin, , et Lyon, B. M., 622, XIVe s., voir supra. 284 Voir A. Wilmart, Tradition, p. 56-57, et Pax, p. Ill sq, et , Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres, année 1923, Paris, 1923, p. 155: «les prières y remplissent plus de cent pages, l'apocryphe voisinant sans cesse avec les prières de bon aloi, et le tout formant un recueil aussi disparate que possible>>. 281

CXVIII

HISTOIRE DES RECUEILS DE PRIÈRES ANSELMIENS

d'ajouter quelques morceaux et de refondre l'ensemble. Son édition comporte le prologue, vingt-et-une méditations et soixante-quinze oraisons qui sont présentées selon la hiérarchie des personnes auxquelles elles s'adressent. Notons pour finir que l' édition de Gerberon-Migne ne possède pas toutes les prières qui ont pu être mises sous le nom d'Anselme au cours de l'histoire de ce recueil. Pour le xne siècle, deux textes supplémentaires ont été édités CPsOr lü au saint Patron, et PsOr 18, à sainte Anne) clairement attestées en contexte anselmien; on pourrait multiplier les exemples pour les siècles suivants 285 • Au total, Th. Raynaud a rajouté six nouvelles pièces, G. Gerberon une. Parmi les textes ajoutés dans l'édition lyonnaise, on trouve les gM7 et 8286 • gM7, 1-2 est une compilation au second degré, puisqu'il s'agit des ch. VIII et IX des Méditations en trente-neuf chapitres du pseudo-Augustin 287 , formant les deux premiers paragraphes du De contritione cordis288 , lui même composé à partir du pseudo-Augustin De spiritu et anima, que le moyen âge a cru être l'œuvre de Guillaume de Saint-Thierry Ct 1149) ou d'Aicher de Clairvaux CXIIe siècle) 289 , reprenant deux ouvrages de Hugues de Saint-Victor Ct 1141) le De modo orandP90 et le Soliloquium de arrha animœ 291 , mais dont on attribue maintenant les ch. 1-33 et 34-50 à un auteur anonyme vivant avant 1165, et les ch. 51-65 à Gérard !thier C1188-1197), éditeur d'Hugues de SaintVictor Ct 1141) 292 . Les gM 7, 3-4 et 8 reprennent la Tabula de pœnitentiœ de Guillaume d'Auvergne, évêque de Paris de 1228 à 1249. La gP21, représente le ch. lü des Méditations en quarante-et-un chapitres du Pseudo-Augustin, et est peut-être de Jean de Fécamp; la gP 22 est une suite de courtes phrases extraites de l'Or 2, la plus appréciée des prières authentiques 293 . La gM 10 est anonyme 294, de même que gP 11 qui est un double factice de Or 1295 . Quant à dom Gerberon, il rajouta gM 20 que dom Wilmart attribuait à lElmer de Cantorbéry 296 • L'édition critique qui sert aujourd'hui de texte de référence, a été réalisée entre 1938 et 1961 par dom F. S. Schmitt. Le texte en est solide, bien qu'on lui ait reproché

285 Ainsi le manuscrit 2242 de Zwettl, provenant de Ste-Barbe de Cologne, donne une série de prières sous le nom d'Anselme aux f. 101 sq.: «Sequuntur orationes sumpte ex specula euangelici sermonis b. Anselmi. Deprecatio ad Patrem: Respice Domine s. pater de sanctuario tuo ... >>,voir G. Achten, p. 27-33. 286 Sur ces deux pièces, voir A. Wilmart, Auteurs, XII, p. 173-192. 287 Les Méditations en 39 chapitres: PL 40, 941-42 = S. Anselme, Proslogion = gM 9: PL 158, col. 814-820. 288 PL 40, col. 943, voir 1. Machielsen, CPPM, II B, n° 3072h, p. 702-703 et n° 3073, p. 704. 289 Voir 1. Machielsen, CPPM, II A, no 4b, p. 76-78, qui renvoie à D. Aschoff, «Der Pseudo-augustinische Traktat De spiritu et anima», REAug, 18, 1972, p. 293-294. 290 PL 176, col. 977 sq. 291 PL 176, col. 951 sq.Voir 1. Machielsen, CPPM, II B, n°3087, p. 712. 292 Voir J. Becquet, «Gérard !thier», DSp, 6, 1967, col. 275-276 et R. Baron, «Hugues de Saint-Victor>>, in DSp, 7, 1969, col. 901-939. 2 93 A. Wilmart, Tradition, p. 65. 294 A. Wilmart, Auteurs, XII, p. 194. 295 A. Wilmart, Tradition, p. 64. 296 A. Wilmart, Auteurs, XII, p. 199 et Tradition, p. 62.

CXIX

INTRODUCTION

de ne reposer que sur un nombre fort restreint de manuscrits 297 • D'autre part, le savant bénédictin a pris le parti de n'éditer que le recueil authentique sans tenir compte des apocryphes. Ce choix dans l'économie de l'édition de l'œuvre complète d'Anselme est bien sûr compréhensible, mais contraire au fond à l'histoire même de ce recueil qui a été grossi dès le xne siècle par des apports extérieurs. En ne conservant que le noyau authentique, dom Schmitt a ôté au recueil des Orationes siue Meditationes un de ses aspects les plus intéressants, aussi l'édition Gerberon-Migne, bien qu'artificielle et contestable par son manque de sens critique, n'est-elle pas remplacée et demeure-telle précieuse pour notre sujet298 .

297 Pour les prières authentiques, 1' éditeur d'Anselme n'a tenu compte que de onze manuscrits, mais tous sont de premier ordre, certains mêmes étant contemporains d'Anselme: Metz, B.M. 245; Oxford, Bodl. Libr., Rawlinson A. 392 et Bodley 271. D'autre part, dom Schmitt n'ayant publié que le corpus authentique, on peut comprendre qu'il se soit contenté de quelques manuscrits anciens conservant un texte très fidèle à celui d'Anselme, image parfaite de ce que les contemporains lisaient, et d'où est né l'ensemble de la tradition manuscrite. 298 Ce que même A. Wilmart reconnaissait: «Sans approuver les procédés employés par Raynaud et par Gerberon pour la compilation de leur recueil, il n'est pas inexact d'admettre qu'il offre en définitive, autour de saint Anselme, quelque image de ce monument anonyme édifié au Moyen Âge par la piété chrétienne>>, Auteurs, XXII, p. 478.

cxx

Tableaux de concordance des prières anselmiennes N.B.: Par convention

g =édition de G. Gerberon, reprise dans PL, 158, col. 709-820 et 855-1016.

w =édition particulière d'A. Wilmart dans Auteurs, Paris, 1932 (1971).

PRIÈRES ET MÉDITATIONS AUTHENTIQUE S

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Schmitt

PL

Incipit

Thème

Or15 Or16 Or17 Or18 Or19

gP72 gP74 gP75 gP23 gP24

Sancte et beate Benedicte, quem tarn opulenta... Sancta Maria Magdalena, quœ cum fonte ... Sancte N., pie N., beate N., unus de gloriosis ... Dulcis et benigne Domine Ihesu Christe... Omnipotens et pie Domine, Ihesu Chris te, quem opta ...

Prière à saint Benoît Prière à Marie Madeleine Au saint patron d'un évêque ou d'un abbé Prière pour les amis Prière pour les ennemis

PRIÈRES APOCRYPHES DES Xl" ET XII< SIÈCLES

Cottier

PL

Incipit

Thème

BI: Raoul le moine PsMed 1 PsMed2 PsMed3 PsMed4 PsMed5

gM 19,3-7 gM 19, 1-2 gM5 gP3 gM4

Suauissime et dulcissime Domine Ihesu Christe ... Cum considera quid sit Deus, quam dulcis natura ... Cum anima manet in corpore, uiuit homo ... Domine Deus meus in te speraui, saluum me fac ... Anima mea, anima misera et feda, diligenter. ..

Sur la toute-bonté de Dieu Sur la bienveillance de Dieu et la misère de l'homme Sur l'âme et le corps Sur l'envie, la vaine gloire et la superbe Sur l'amendement des péchés

PsOr 1 Ps0r2 Ps0r3 Ps0r4 Ps0r5 Ps0r6

gP4 gP6 gM6 gP25 gP26 gP 27-28

Ps0r7

gP 15

Altissime et mitissime amator Deus hominum ... Miserere mei Deus, secundum magnam... Cum ad peccata quœ feci respicio, et penas ... Dulcissime et benignissime Domine Ihesu Christe ... Summe Sacerdos et maior ceteris sacerdotibus ... Dulcissime et super omnia desideranda ... 0 dulcissime Domine Ihesu Christe ... Ad te, dulcissime Domine lhesu, qui fons pietatis ...

Confession des péchés Pour que le pécheur ne désespère pas Pour que nous ne désespèrions pas Pour que le prêtre qui célèbre ne craigne rien Pour le prêtre, sur la rédemption Pour le prêtre qui célèbre: mémorial de la Passion Pour le prêtre qui célèbre: profession de foi Prière du pécheur au Christ

~

tl

f5

::1

~

Cottier

PL

Incipit

Thème

B2: Prières annexes au premier recueil Ps0r8 Ps0r9 PsOrlO PsOr 11 Ps0rl2

gP29 gP49 wl gP40 gP 61

Summe Sacerdos et uere pontifex... Singularis meriti sola sine exemplo ... Summœ innocentiœ et tatius sanctitatis... Deus Pater credentium 1 Saluus in te ... Maria templum Domini 1 Sacrarium ...

Prière du prêtre au Christ: Jean de Fécamp Prière à la Vierge: Maurille de Rouen Prière au saint Patron Hymne à Dieu et aux saints Hymne à la Vierge et aux saints

B3: Prières des premières anthologies anselmiennes Ps0r13

n

~ ~ ....... .......

.......

gP 10-2-14 Domine Deus meus, da cordi meo ... Inuoco te Deus meus, inuoco te ... 0 iam diuini Amor numinis ... PsOr 14 gP8 Deus inœstimabilis misericordiœ... Ps0r15 gP66 Sancte et pie Andrea, ad pietatis tuœ ... Ps0r16 gP42 Aue gloriosissima omnium lignorum... PsOr 17 gP 53 0 intemerata et in œternum benedicta... PsOr 18 w2 0 felix et sanctissima Anna, genitricis... Ps0r19 gP62 Obsecro te, angelice Spiritus... Ps0r20 gP 12 Tibi aga laudes et gratias, Deus meus... PsOr 21 gP46 0 beatissima et sanctissima Virgo ... Ps0r22 gP30 Impellit nos, Domine, ministrandi officium... PsOr 23 gP 33 Si tantum, Domine, nostrœ reatum... Ps0r24 gP 31 Conscientia quidem trepidi ... Ps0r25 gP32 Conscientia culpabilis uitœ trepidus ... Ps0r26 gP39 Domine Ihesu Christe, Fili Dei uiui, Dominus .. PsOr 27 gP 37 Domine Ihesu benignissime, fons uitœ ... Ps0r28 gP 38 Domine /he su Christe, dulcissime ...

Confession, école de Jean de Fécamp

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m Confession, Alcuin Prière à saint André Prière à la sainte Croix Prière à Marie et à Jean Prière à sainte Anne Prière à l'ange Action de grâces Prière à la Vierge Prière d'apologie Prière d'apologie Prière d'apologie Prière d'apologie Prière au Christ Prière au Christ Prière au Christ

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ÉDITION GERBERON-MIGNE

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> 51 • Cela n'enlève rien à la grande beauté de cet exemplaire, que l'on considère à juste titre comme le plus bel exemplaire enluminé des prières d' Anselme52 . Historique: A et B ont peut-être été réunis à Winchester avant 1200, date à laquelle un scribe a intégré le nom de saint Frideswide (dont les reliques ont été données à la cathédrale de Winchester à cette époque 53) dans le calendrier et la litanie. Par la suite le manuscrit est passé aux bénédictines de Littlemore. On trouve au f. 155 un nom du XIIIe s.: Adam Basset de Litlemore et au f. 1v une note du XVe s.: "Caucio priorisse de Lytelmore ia pro xl s. & habet sup-

47 F. Madan, A Summary Catalogue of the Western Manuscripts in the Bodleian Library at Oxford, Oxford, 1895-1953, no 3636; T. S. R. Boase, op. cit., p. 109, 179-80; 48 VoirE. W. B. Nicholson, Introduction to the Study of Sorne of the Oldest Latin Musical Manuscripts in the Bodleian Library, 1913, p. LXXX. 49 f. 51 v, 94 v, 107 v. 50 gP 10 (en partie), 2 (incomplète) et 14 (omise ici). 51 Il contient des enluminures dont la manière est une ramification de la tradition stylistique du Maître de St-Alban, mais O. Pacht a montré tout ce que ce manuscrit devait à l' exemplaire de la tradition "Mathilde>> parvenu à Cantorbéry au début du XIIe siècle, voir op. cit., p. 69. 52 Voir T.H. Bestul, op. cit., p. 387, et O. Pacht, op. cit, p. 69 53 Voir F. Madan, op. cit, p. 214.

CXLVI

LA PRÉSENTE ÉDITION

plementum por[ti]forium cum uno signaculo argenteo 2° folio incipiatur». On rencontre dans les miniatures de cette section l'image d'une femme à genoux 54 , qui représente la comtesse Mathilde. Il est par ailleurs difficile de savoir pour qui fut réalisé cet exemplaire. En effet le saint Patron de 1' église concernée est saint Pierre (Or 17), par ailleurs au f. 184, c'est un clerc en robe blanche et non un abbé qui est aux pieds de saint Pierre; en outre, l'Or 18 est adressée à saint Augustin et non à saint Benoît. On suppose donc que le manuscrit a été copié pour un chapitre de chanoines augustins rattachés à une église dédiée à saint Pierre, peut-être Dorchester. Mais les chanoines de Dorchester étaient des canonici nigri, or l'enluminure représente clairement un chanoine blanc 55 , laquestion reste donc ouverte. -France

A côté des manuscrits issus du scriptorium de Saint-Alban (0, V etE), on trouve un groupe de témoins importants issus des milieux monastiques français, mais qui semblent trouver leur origine dans des modèles provenant de Cantorbéry. T: Troyes, B. M. 1304, début du XIIe siècle (entre 1110 et 1125) 56 • Manuscrit consulté sur microfilm et photocopies. Parchemin, 143 f., 19, 8 x 14, 6 cm. Petit volume à longues lignes, avec initiales colorées, rédigé par une seule main, très belle, de la première moitié du xne siècle. Il provient de Clairvaux, et reproduit un modèle fait pour l'abbaye Saint-Vaast d' Arras57 . On en trouve une description dans le catalogue de Pierre de Virey (1472) 58 : «-Item un autre beau joly et bien escript volume contenant les Meditacions et Oraisons saint Anselme, commençant au second feullet Il clementer dispo ne et finissant au pénultième si seuit irri Il et y est l'oraison saint Ambroise, et est ledit volume ainsi signé». Contenu: Célèbre témoin du recueil des Prières ou Méditations de saint Anselme 59 , auquel il ajoute tout le recueil de Raoul et quelques autres textes qui feront désormais partie intégrante du corpus apocryphe. Pour ce qui est des prières de Raoul, il est- malgré quelques différences importantes - très proche de 0, souvent même contre V.

54

f. 156, 158v, 161, 193v. Sur ces détails, voir supra. Voir O. Pacht, op. cit., p. 69, contre F. Madan, op. cit., p. 714 etH. Barré, Prières anciennes, p. 133, n. 35. 56 = C in Schmitt, «Auswahl der Handschriften- Die verschiedenen Rezensionen>>, t. 1*, p. 136. 57 «Liber sancte Marie Clarevallis>>, f. 1; Pax, p. LVI, n. 2; Auteurs, p. 149, n. 1; p. 152155. 58 A. Vernet, La bibliothèque de l'abbaye de Clairvaux du XIIe au XV/le siècle. I. Catalogues et répertoires, publié par A. Vernet avec la collaboration de J. F. Genet et de l' I.R.H.T., Paris, 1979, p. 665. 59 Auteurs, X, p. 152 sq. et Schmitt, ibidem, p. 136. 55

CXLVII

INTRODUCTION

Historique: L'emploi du e cédillé est moins régulier que dans 0 et V, puisqu'il n'est utilisé que dans les désinences. D'autre part, le système de ponctuation est un peu différent des manuscrits précédents dans la mesure où l'on trouve dans ce manuscrit deux signes supplémentaires: ; et ;,: . Le premier est utilisé à la place d'un point final, et est suivi d'une majuscule; quant au second il représente, d'après R.W. Southem60 , une césure forte à l'intérieur d'une proposition subordonnée, et il serait caractéristique du scriptorium de Cantorbéry où il aurait été utilisé entre 1110 et 1125 sans beaucoup de postérité. Cet indice semble confirmer que nos trois témoins, T, F et Ff6 1 trouvent leur origine à Cantorbéry, et qu'ils dépendent sans doute d'un modèle très proche de celui de V. Cette hypothèse se voit renforcée par la présence de trois strophes en l'honneur de saint Alban dans la PsOr 11, strophes attestées uniquement chez Tet F, et par les liens bien connus entre les moines de Clairvaux et l'Angleterre. Ordre des prières: Prologue, Or l, Med 3, Or 2, 4, Ep 28, Or 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 14, PsOr 10, Or 17, 16, 18, 19, Med 1, 2, PsOr 8, PsMed 3, 4, 5, PsOr l, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 11 et 1262 , Hymnes à la Vierge.

F: Paris, B. N.lat. 18111, XIIe siècle. Parchemin, 164 f. et deux feuillets préliminaires A et B, 16, 8 x 10, 2 cm. Manuscrit à longues lignes, avec majuscules à filigranes peintes en vert et rouge. Écriture: XIIe siècle. Réalisé pour l'abbaye de Saint-Amand-les-Eaux63 , puis propriété du couvent des Feuillants à Paris 64 . Contenu: Prières ou Méditations de saint Anselme; prières diverses (dont les prières de Raoul et d'autres textes habituels dans ce contexte); prières rythmées. Historique: Son système de ponctuation est moins rigoureux et moins exact que celui des manuscrits précédents, et l'emploi due cédillé est un peu plus irrégulier. Ce manuscrit est proche de 0, de Tet de H. En revanche, il ne

60 R. W. Southem, The Life of saint Anselm, p. XXVIII-XXXIV. T utilise également ce signe(;,:) pour délimiter les vers de ses hymnes: «Maria templum Domini, Sacrarium Paracliti; Decus uirginum, merentium solacium, etc ... » (f. 279, PsOr 12). 61 T représente une tradition assez importante et beaucoup de manuscrits contenant le recueil apocryphe en tout ou partie lui sont semblables; à côté de F, H, et K utilisés pour notre édition, on peut citer p. ex. Bruxelles, B. R., II. 994 qui provient de l'abbaye de St-Ghislain (Hainaut) et qui date du XIIIe s., et Londres, B. L., Add. 33381, recueil de prières composé au XIIIe siècle par les moines d'Ély (Cambridgeshire), puis fréquemment augmenté jusqu'au xve siècle (voir Auteurs, X, p. 158, n. 2, 553). 62 Il manque donc Or 3 et PsMed 1 et 2. Voir Schmitt, t. 1*, p. 136. 63 Cette abbaye fut fondée avant 639 par saint Amand, apôtre de la Belgique. L'étude de la circulation des manuscrits fait apparaître un réseau de prêts et d'emprunts de manuscrits entre St-Amand et les abbayes voisines (Marchiennes, Anchin, St-Martin de Tournai, Hasnon ... ), on peut en outre affirmer qu'il existait des relations d'échange entre St~Amand et Clairvaux, voir F. Simeray, «Le scriptorium et la bibliothèque de l'abbaye de St-Amand», Positions des thèses de l'Ecole Nationale des Chartes, 1990, 1, p. 151-159. 64 Auteurs, p. 154, n. 2.

CXLVIII

LA PRÉSENTE ÉDITION

possède aucune des leçons propres à V. Il ne dépend pas non plus directement de T, puisqu'un certain nombre de variantes propres à ce manuscrit lui sont étrangères. Toutefois ces deux manuscrits (T et F) ont un certain nombre de leçons en commun avec H, par ailleurs l'ordre dans lequel le recueil est copié est quasiment identique dans les trois manuscrits. On peut donc considérer qu'ils appartiennent sinon directement à la même ligne d'édition, du moins à deux branches très proches. Ordre des prières : Prologue, Or 1, Med 3, Or 2, 4, Ep 28, Or 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 14, 17, 16, 18, 19, Med 1, 2, PsOr 8, PsMed 3, 4, 5, PsOr 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, Hymnes à la Vierge, PsOr 11 et 1265 •

G: Paris, B. N. lat. 12313, XIIe siècle. Parchemin, 50 f., 27 x 19, 8 cm. Manuscrit à longues lignes, avec certaines initiales peintes en vert. Écriture: XII" siècle. Il provient de l'abbaye de Corbie (Somme) d'où il est passé à Saint-Germain-des-Près, à Paris. Contenu: Première partie (f. 1-44): livret authentique des prières de saint Anselme, qui comprend en outre les prières de Raoul et quelques autres pièces qui sont jointes au recueil authentique sans distinction. Il ressemble beaucoup au manuscrit de Clairvaux, P 6 , toutefois certains titres sont fort différents 67 , et PsOr 1 et 2 ont disparu dans une lacuné 8 . La fin du recueil (f. 44-50) contient un traité d'Odon de Cambrai sur le canon de l'autel. Ordre des prières: Prologue, Or 1, Med 3, Or 2, 4, Ep 28, Or 5, 6, 7, Hymnes à la Vierge, Or 8, 9, 10, 11, 12, 13, 15, 14, 17, PsOr 10, Or 16, 18, 19, Med 1, 2, PsOr 8, PsMed 3, 4, 5, PsOr 3, 4, 5, 6, 7, 11, 12, 26, 27, 28 69 •

D: Paris, B. N. lat. 2882, fin du XIIe siècle. Parchemin, 91 f., 23, 5 x 16 cm. Manuscrit à longues lignes. Ecriture: XIIe siècle. Rubriques et initiales peintes en vert, rouge, blanc et or. Le dernier texte «Quœso te obsequenter... » 70 est incomplet à cause d'une lacune matérielle.

65 Il s'agit donc d'un ordre quasiment identique à celui de T, à l'exception de la prière au saint Patron (PsOr 10) exclue avec raison du corpus, et des hymnes à la Vierge qui sont situées dans F après PsOr 7, plutôt qu'en fin de recueil. Il manque Or 3, et PsMed 1 et 2. 66 Ce qui justifie qu'on n'en ait pas tenu compte pour l'édition des textes de Raoul. 67 Voici en particulier les titres de PsOr 3 : Cons ide ratio peccatorum unde timor oritur et de fonte misericordiœ numquam deficiente; PsOr 4: Confessio sacerdotis ex recordatione diuinorum beneficiorum et quid sit melius altari seruire an metu peccatorum cessare; PsOr 5: Oratio sacerdotis in consideratione suœ indignationis et huius officii dignitatis et de perceptione corporis et sanguinis; PsOr 6: Oratio ad recordandum dulcedinem corporis Christi etamaritudinem passionis eius; PsOr 7: Recordatio beneficiorum saluatoris et consideratio humanarum miseriarum. 68 Auteurs, XX, p. 152 sq. 69 Il manque Or 3, et PsMed 1 et 2. 70 Voir Auteurs, XX, p. 552.

CXLIX

INTRODUCTION

Il provient de l'abbaye normande de Mortemer, au diocèse de Rouen, d'après l' ex-libris à demi-effacé du XIVe s. au f. 1v, d'où il est passé dans la collection de Mares te d' Alge dont l'ex-libris effacé se trouve au f. 23 71 • Contenu: Office de saint Thomas de Cantorbéry, répons et versets (f. 1), Monologion (f. 2), Proslogion (f. 23v) et le recueil complet des Prières ou Méditations (f. 38-72); puis vaste collection de prières privées où s'entremêlent hymnes, litanies et prières: entre autres les PsOr 1 et 4 (f. 73-7 4) de Raoul, les PsOr 18(f. 76v), 9 (f. 77) et 17 (f. 83) du corpus apocryphe, et la prière à saint André (PsOr 15, f. 56v) qui pour sa part est intégrée dans le corpus authentique. Historique: Le fait que ce manuscrit s'ouvre sur l'office de saint Thomas de Cantorbéry et qu'il soit essentiellement composé d'œuvres d'Anselme donne à penser qu'il a été réalisé sur un modèle provenant de Cantorbéry. Comme E, il utilise un recueil anselmien authentique et il y ajoute de façon éclectique d'autres textes de dévotion en choisissant parmi le matériel à sa disposition. Ajoutons que F. S. Schmitt estimait que le recueil même d'Anselme avait été copié à partir de deux témoins différents, les prières à la Vierge appartenant à une autre tradition que celle des autres prières du recueil 72 • La césure entre le recueil authentique et le Liber precum est nette (f. 72v-91 v). Ordre des Prières: Prologue, Or 2, Med 1, 2, Or 1, 4, 3, 18, 19, Ep 28, Or 5, 6, 7, 8, 9, 10, PsOr 15, Or 11, 12, 13, 14, 15, 17, 16, Med 3, PsOr 1, 4, 18, 9, 17.

- Angleterre Paradoxalement, le recueil apocryphe primitif, né pourtant à Cantorbéry et SaintAlban, n'est pas très largement attesté dans les manuscrits insulaires, et c'est sur le continent surtout qu'il s'est propagé. Toutefois, les grands centres monastiques anglais reproduiront le recueil anselmien et le développeront à leur façon. Mais les prières de Raoul, qui font l'originalité du premier recueil apocryphe, seront quasiment oubliées dans leur pays d'origine, et les deux manuscrits insulaires qui en gardent la trace ne les transmettent pas en intégralité. H: Paris, B. N., lat. 2886, copié en Angleterre,

xve siècle.

Vélin et parchemin, IV et 129 f., 20, 5 x 14 cm. Manuscrit à longues lignes avec initiales à filigranes peintes, majuscules dorées, et fins de ligne ornementées de graphismes bleus et rouges. Écriture: XVe s. Provient de la biblio-

71 Catalogue général des manuscrits latins, Paris, 1952, III, p. 196-199. Il semble cependant que ce manuscrit ne figure pas dans le catalogue médiéval qui date du milieu du xme siècle (B.N., lat. 392 A). Il se pourrait alors qu'il n'ait été acquis par l'abbaye de Mortemer qu'après cette époque, ce que semble attester 1'ex-libris qui est du XIVe s.; il se peut aussi qu'il ait été recensé dans une partie aujourd'hui perdue, voir F. Dolbeau, «Trois catalogues de bibliothèques médiévales restituées à des abbayes cisterciennes (Cheminon, Haute Fontaine, Mortemer)», RHT, 18, 1988, p. 81-108. 72 Schmitt, t. 1*, p. 136.

CL

LA PRÉSENTE ÉDITION

thèque de Jean d'Orléans qui l'a folioté et a établi de sa main la table du f. 1. Réclames à chaque cahier, les f. II et IV sont blancs. Copié en Angleterre 73 • Contenu: Recueil des Prières ou Méditations de saint Anselme et Liber precum. Les prières apocryphes sont mélangées avec les prières authentiques, ces dernières les encadrant. Historique: Dom Wilmart avait rangé H avec 0, dans les manuscrits moins importants. Pourtant il semble bien que nous ayons là un témoin fidèle de l'archétype de Cantorbéry qui a intégré les prières de Raoul le moine dans le livret anselmien. En effet, ce manuscrit possède toutes les leçons communes à Tet F, sans pour autant donner les variantes propres à l'un ou l'autre manuscrit. Il n'a donc pas été copié sur l'un de ces deux témoins, mais reflète plutôt les leçons d'un ancêtre commun. D'autre part il confirme certaines variantes que V est seul à donner par ailleurs, ce qui tend à prouver qu'il nous permet de rejoindre la tradition à une étape antérieure à celle de T, F, et peut-être même de V. H prend donc une place importante dans notre stemma comme témoin tardif mais précieux de l'archétype de cette tradition. Il ne possède en revanche que treize des prières authentiques et les trois méditations avec le prologue. Ordre des prières: Prologue, Or l, Med 3, Or 2, Med 1, 2, PsMed 3, 4, 5, PsOr 1, 2, 3, 7, Or 18, 19, PsOr 8,4, 5, 6, Or4, Ep 28, Or 5, 6, 7,Ps0r 17, Or 8, 9, 10, 11, 1274 .

L: Oxford, Bodl. Libr. Laud. Mise. 508, fin du XIIe siècle. Parchemin, 118 f., 21,3 x 15,5 cm. Manuscrit à longues lignes, initiales colorées en rouge, vert et bleu et ornementées. Écriture: xne s. (avec indications d'une main du XIVe s.). A. Wilmart pensait que ce manuscrit provenait du monastère bénédictin d'Eynsham (région d'Oxford)1 5 , mais d'après T. H. Bestul76 il n'y a aucune preuve pour soutenir cette affirmation. Contenu: Il s'agit d'une collection abondante et complexe de prières extraliturgiques et d'écrits de dévotion 77 datant de la fin du XIIe s. En intégrant aux textes anselrniens (Meditatio de redemptione humana (Med 3) f. 1; Proslogion f.5; Orationes f. 39, et 90-115v), des prières anglo-saxonnes, antérieures à la Conquête, et des textes contemporains basés sur l'ancienne liturgie, ce manuscrit suit un modèle caractéristique des collections de prières du XIIe s.

73 74

Auteurs, p. 154, n. 3. On n'a pas retenu ce manuscrit pour l'édition de la PsOr 8: la tradition est déjà très abondante et ce témoin est conforme à la ligne d'édition attestée par V, B, T, F, G. 75 Auteurs, XXIV, p. 551. 76 «A Note on the Contents of the Anselrnian Manuscript, Bodleian Library, Laud Mise. 508», Manuscripta, XXI, 1977, p. 167. 77 On en trouvera une description dans le catalogue de Coxe, col. 366-368. Il faut compléter cette descripion par les remarques et compléments donnés parT. H. Bestul dans l'article cité, p. 167-170.

CLI

INTRODUCTION

anglais 78 , illustrant ainsi la continuité de la tradition des textes de dévotion dans ce pays 79 • Il possède dix des dix-neuf prières authentiques de saint Anselme (Or3 [f. 39], 8, 9, lü, 11, 12 [f. 90-104], 13, 14,15 [f.l07-114v], 16 [f.ll5v]8°); six des prières de Raoul le moine (PsOr 5 [f. 47v], 4 [f. 52], 6 [f. 54, version résumée], PsMed 4 [f. 57], PsOr 7 [f. 58 v], 1 [f. 61]); et cinq prières habituelles du corpus apocryphe (PrOr 20 [f. 36], 13 [f. 40], 8 [f. 49v ]8 ', 15 [f. 98], 11 [f. 117]). Comme on peut le constater, tous ces textes sont mélangés, et même pourrait-on dire, étroitement imbriqués les uns dans les autres. Dans l'état actuel de nos connaissances, on peut expliquer ce phénomène par deux raisons qui ne s'excluent pas forcément: d'une part la tentation d'atténuer ce que peuvent avoir d'original les écrits anselmiens en les mêlant à des textes plus traditionnels, d'autre part la volonté de montrer les liens qui existent entre les prières anselmiennes et la tradition anglo-saxonne.

-Belgique Z: Londres, B. L. Add. 16608, XIVe siècle82 • Parchemin, 337 f., 3,5 x 5,5 cm. Manuscrit à longues lignes provenant de l'abbaye de Stavelot (Belgique). Rubriques, et majuscules rouges et bleues. Contenu: Vaste collection de textes théologiques et spirituels (G. Crespin, Anselme et Ps. Anselme, Ps. Augustin, Ps. Hilaire, Ps. Bernard, Ps. Bonaventure). Table du livre f. 2-9v. Entre autres: De efficacia, sufficientia et potentia orationes (f. 10-22) avec en conclusion la prière au saint Patron (PsOr lü: f. 18 v) 83 . Dans ce contexte on trouve également PsO 8, dont le texte a été modifié d'un bout à l'autre pour convenir non plus au prêtre qui célèbre, mais au fidèle qui se prépare à communier en entendant la messe: « Oratio dicenda dum audit quis missam postquam recepturus est corpus Christi» (f. 16). Puis viennent les Prières ou Méditations d'Anselme (f. 22-65) avec le prologue, deux méditations de Raoul (PsMed 3 et 5, f. 70 et 88) au sein d'une nouvelle série de preces (f. 72v- 88). Plus loin, on trouve le Proslogion (f. 154 -157), et à nouveau des prières d'Anselme (f. 157-163v).

78 T. H. Bestul, op. cit., p. 169. On peut lui comparer R (Oxford, Bodl. Libr., Laud. Mise, 79, Reading, XII" s.), S (Londres, Society of Antiquaries, 7, Durham, XIIe s.) etC (Londres, B.L.,Cotton Vespasian D. XXVI, Harrold?, XIIe s.); voir infra. 79 T. H. Bestul, «The Collection of Anselm's Prayers in British Library Ms Cotton Vespasian D. XXVI», M/Ev, 47, l, 1978, p. 3. 80 Il s'agit donc essentiellement des prières aux saints, elles paraissent d'ailleurs sous le nom d'Anselme: s. Anselmi orationes ad sanctos uarios, mais les Or 3 (Ad accipiendum Corpus Domini) et 16 (Ad sanctam Mariam Magdalenam), sont anonymes, et séparées des autres. 81 Version fortement bouleversée du texte, que l'on n'a donc pas retenue pour l'édition. Voir infra. 82 Notice I.R.H.T. 83 Auteurs, p. 107, 150, 481 n. 4.

CLII

LA PRÉSENTE ÉDITION

Autres types de recueils (B3) Recueils ne comprenant pas le livret de Raoul le moine A côté des recueils qui intègrent les prières de Raoul au livret anselmien authentique, on en trouve dès le début du xne siècle qui juxtaposent des prières anciennes ou contemporaines de celles d'Anselme. On rencontre ce type d'anthologie aussi bien en Angleterre qu'en France, et si l'Angleterre illustre la continuité des traditions de dévotion anglo-saxonne, la France pour sa part préfère associer aux écrits anselmiens des œuvres contemporaines plus ou moins influencées par l'abbé du Bec ou attestant le même esprit. Ainsi s'explique l'extension progressive du corpus apocryphe des Prières ou Méditations d'Anselme. Puisqu'il est imposible de regrouper ces manuscrits en familles, ils seront présentés suivant l'ordre alphabétique du sigle. C: Londres, B. L. Cotton Vespasian D. XXVI, seconde moitié du XIIe sièclé4 . Parchemin, 96 f., 15,5 x 18,5 cm. Manuscrit à longues lignes, rédigé en minuscules gothiques. Il n'y a pas de dessins ou d'enluminures; toutefois, au début de chaque prière on a laissé la place d'ajouter une initiale illustrée ou décorée. Écriture: seconde moitié du xne sièclé 5 . Son contenu atteste une origine anglaisé 6 , et l'utilisation de terminaisons féminines dans certaines prières 87 semble indiquer que ce manuscrit a été réalisé à l'intention d'un monastère de femmes. Par ailleurs la prière d'Anselme à saint Benoît88 est ici adressée à saint Augustin, et on trouve dans l'ensemble du recueille terme canonicus à la place de monachus. Il est donc probable que ce manuscrit était destiné à une maison augustinienne. Laquelle? on ne peut qu'émettre des hypothèses, mais il est très tentant de penser à la fondation augustinienne d'Harrold dans le Bedforshire, qui accueillit pendant le xne siècle chanoines et chanoinesses 89 • Contenu: Le professeur Bestul est le premier a avoir remarqué qu'on trouvait dans ce manuscrit treize des dix-huit prières d' Anselme 90 , ce qui permet de ranger C dans le petit nombre de manuscrits anglais du XIIe siècle contenant ce recueil. Le fait est qu'aucune des prières n'est attribuée, et que les pièces authentiques sont mélangées aux autres oeuvres (méditations, hymnes, prières) 84 T. H. Bestul, «The Collections of Anselm's Prayers in British Library Ms Cotton Vespasian D. XXVI», M/Ev, 41, 1978, p. 1-5; A Catalogue of the Manuscripts in the Cottonian Library, Londres, 1802, p. 478; J. D. A. Ogilvy, Books Known to the English, 597-1066, Cambridge Mass., 1967, p. 226. 85 T. H. Bestul, op. cit., p. 1. 86 T. H. Bestul, op. cit., p. 2. 87 P. ex. «pro me miserrima», f. 36v; toutefois cet usage n'est pas absolu et on trouve également des formes masculines dans certaines prières. 88 Or 15, f. 68-70v. 89 Voir D. Know1es, R. Neville Hadcock, Medieval Religious Houses: England and Wales, Cambridge, 197F, p. 278-282. T. H. Bestul propose également la maison des chanoinesses de Londres de Clerkenwell ou d'Haliwel dans le Shoreditch, op. cit., p. 2. 90 Or 1, 2, 5-7, 11-18; f. 22-82.

CL III

INTRODUCTION

sans distinction. On trouve en outre les PsOr 9 (f. 36v), 17 (f. 46v) 91 , 19 (f. 48v) et 15 (f. 61).

K: Troyes, B. M. 914, fin du XIIe siècle92 . Manuscrit consulté sur microfilm. Parchemin, 143 f., 27 x 17,8 cm. Manuscrit à longues lignes, avec lettrines décorées et titres rubriqués. Clairvaux. Contenu: Il contient dans une première partie la plupart des prières de saint Anselme, le nom de ce dernier n'étant mentionné qu'exceptionnellement (f. 1-105). Cette série s'ouvre sur l'Or 1 (f. 1), et se clôt au f. 105 par l'Or 19. On trouve dans cette partie, et sans distinction, des prières apocryphes comme les PsOr 13 (f. 1v), 9 (f. 66, après les trois prières de saint Anselme à la Vierge93), 17 (f. 72v), et 10 (f. 93, parmi les prières aux saints d'Anselme). A la suite du f. 105 il y a une nouvelle série de prières et d'hymnes présentées sans ordre. C'est un témoin confus, au texte souvent prolixe.

R: Oxford, Bodl. Libr. Laud. Mise. 79 , seconde moitié du XIIe siècle94 . Parchemin et papier, 152 f. (il y a des folios perdus après le f. 115; le f. 116 devrait suivre le f. 122), 26, 5 x 18 cm. Manuscrit à longues lignes, avec grandes majuscules peintes et décorées, et à partir du f. 104 illustrations marginales (en partie mutilées, en partie endommagées), où la couleur verte rehaussée d'or domine 95 D'après l'ex-libris du xve siècle (f. 149), il provient du monastère bénédictin Ste-Marie de Reading, d'où il fut emporté par des voleurs en 1490, et auquel il fut remis plus tard par le moine William Wargrave 96 . Contenu: Il contient différents textes théologiques, et à partir du f. 104, une série de prières de la fin du XIe siècle et du début du XIIe siècle. On y trouve un groupe de douze prières de saint Anse1me97 , avec identification du nom

91 Cette prière est divisée ici en deux parties: Oratio ad sanctam Mariam 1 ad sanctum Iohannem apostolum. 92 =A in Schmitt, t. 1*,p. 134-135; Auteurs, p. 149 et 487. 93 Fragmentées elles-mêmes en deux ou trois éléments chacune, voir H. Barré, Prières anciennes, p. 14. 94 O. Pacht, J. J .G. Alexander, Illuminated Manuscripts in the Bodleian Library Oxford. 3. British, Irish and Icelandic Schools with addenda to volumes 1 et 2, Oxford, 1973, p. 21; Coxe, col. 90-92, et p. 545; N. R. Ker, Medieval Manuscripts in British Libraries. III: Lampeter-Oxford, Oxford, 1983, p. 213; A. Wilmart, Tradition, p. 53 et 67, et l'article déjà cité de O. Pacht, p. 83. 95 Voir f. 109, 119v, 121v, 123, 127, 130v, 132, 135v; dessins aux f. 143 et 148v. 96 f. 104. «Hic est liber monasterii beate Marie Radinge quem qui alienauerit uel frau-

dem de eo fecerit, anathema sit. Pretium lib ri x. s. ix. d. Hic liber, ut a senioribus audiuimus per latrones ablatus est circa annum Domini millesimum CCCCLXXXX postea uero Willemus Wargrave cum apud Leomunstriam moraretur hune librum a quodam generoso pro X. s. IX. d. redemit et ut potestis cernere ad monasterium iterum reduxit>>. 97 T. H. Bestul, , AM, 1977, 18, p. 36-37.

CLIV

LA PRÉSENTE ÉDITION

de l' auteur98 ; mais le manuscrit mêle aux prières authentiques des pièces apocryphes; ainsi la prière à la Vierge de Maurille de Rouen (PsOr 9) ouvre la partie du recueil consacrée aux prières anselmiennes. On y trouve en outre, un peu avant le groupe des prières authentiques, les PsOr 8 (f. 105), 16 (f. l08v), 9 (f. llO), et 21 (f. ll5v) 99 . Ce témoin est finalement assez fautif, et il multiplie les oublis et les bévues.

S: Londres, Society of Antiquaries 7 , vers 1125 100 . Manuscrit consulté dans 1' édition de T. H. Bestul' 01 . Parchemin, 12, 7 x 7, 5 cm., 155 f. (numérotation des items du XIVe siècle). Manuscrit à longues lignes, rédigé en belles minuscules un peu irrégulières avec initiales colorées en rouge, vert, jaune et pourpre. Écriture: deux mains du xne siècle (1: f. 5-135; 2. f. 135-150: items 33-34, le dernier texte item 34: « Virgo mater et mater Dei ... » est coupé au milieu d'une phrase); après la perte de la fin de cette section, on a ajouté une nouvelle section (f. 151-155) à la fin du xne siècle ou début du xme siècle: une main du xne siècle: item 35 et 36, une autre main du XIIe siècle: item 37 et item Sc, une main du xve siècle: item 38 b, une autre main du XIIe siècle: item 39; corrections de la fin du XIVe siècle ou du début du xve siècle(= Sl); additions par une belle main du xve siècle (table des matières f.1 102 , et une prière au f. 2-3v; même scribe que pour les corrections?). A en juger par son contenu 103 , il fut composé à Durham, en tous les cas un ex libris de la fin du XIVe siècle (f. 5) atteste sa présence dans la bibliothèque de la cathédrale de cette ville à la fin du moyen âge 104 • Contenu 105 : Recueil authentique des prières de saint Anselme 106, auxquelles sont mélangées une vingtaine de prières qui reflètent bien les aspirations

98 f. 110: «Orationes Anselmi Cantuariensis archiepiscopi>>. Le recueil anselmien s'étend jusqu'au f. 14lv. 99 PsOr 21 qui commence au f.ll5v, trouve sa suite au f. 117, en effet le f. ll6 n'est pas à sa place et devrait se trouver après le f. 122. 100 N. R. Ker, Medieval Manuscripts in British Libraries. I: London, Oxford, 1969, p. 295; R. A. B. Mynors, Durham Cathedral Manuscripts to the End of the Twelfth Century, Oxford,1939, p. 53, no 65. 101 T. H. Bestul, A Durham Book of Devotions. La Society of Antiquaries renvoie à cette édition le lecteur désireux de consulter le manuscrit. 102 On trouve au f. 1 une inscription presque effacée du xve siècle, qui se termine par: « ... quodfaciat ipsum de noua ligari et conuenienter decorari», et une note inachevée: «Liber domini W ... ». 103 Items 29 et 30: prières adressées à saint Cuthbert. 104 «Med. de communi libraria monachorum dunelmen ... ». 105 Description très détaillée par T.H. Bestul, op. cit., p. 6-14. 106 Items 2, 10-21, 23, 26, 27, 32, avec la rubrique «Meditationes edita: ab Anselmo Cantuariensi archiepiscopo»; item 10, f. 41, soit: Med 21 Or 1: ajoutée par une main de la fin du XIIe siècle, et non attribuée à Anselme 1 Prologue; Med 1; Or 2, 18, 19, 7, 6, 10, Il, 12, 13, 14, 16,1518, 9/ 15. Il manque les Or 1 (rajoutée par après), 3, 4, et 17 et Med 3 (Voir T. H. Bestul, op. cit., p. 10-11); il est donc probable que c'est un recueil de type Al qui a servi de base à l'élaboration de ce témoin.

CLV

INTRODUCTION

spirituelles du temps. Beaucoup de ces textes reflètent également par leur style et leur inspiration, l'influence qu'a pu exercer à cette époque le livret anselmien authentique dans le Nord de l'Angleterre. Parmi ces textes on trouve six prières qui feront rapidement partie du recueil anselmien apocryphe: PsOr 13 (f. 5), 14 (f. 24v), 16 (f. 37), 9 (f. 106) 107 , 17 (f. 111 v) et 15 (f. 125v) 108 . Par ailleurs les items Sb (hymne de Bérenger de Tours, anonyme ici), 25 a et b «lmperatrix reginarum ... >> et (deux hymnes anonymes à la Vierge) se trouvent également dans deux autres anthologies anselmiennes du XIIe siècle 109 . Le texte comporte un certain nombre de corrections apportées à la fin du XIVe ou au début du xve siècle (SJ).

U: Paris, B. N. lat. 15045, fin du XIIe siècle 110 . Parchemin, 122 f. (double foliation, f. 1-37 et f. 1-85), 25,5 x 17,5 cm. Manuscrit à longues lignes, calligraphié en minuscules gothiques, orné d'initiales rouges et bleues, avec des filigranes s'étirant en bordures, de style parisien stéréotypé, typique de la fin du XIIe siècle 111 . Saint-Victor de Paris. Contenu: Cet exemplaire est essentiellement composé de deux recueils. Le premier (f. 1-37) contient la Regula pauperum commilitonum Christi fernplique Salomonici; la seconde (f. 1-84) est un recueil de prières >, RB, 42, 1930, p. 43-54, et Auteurs, p. 145, 573, n.l, 575, n. 3, édité par A. Wilmart, Precum Libelli, p. 9-30. Voir aussi R. Constantinescu, op. cit., p. 20. 124 A. Wilmart, op. cit., p. 51. 125 PL 101, col. 613-638; recueil adressé vers 801 au comte Wido. 126 PL 38, col. 573-580 (sermon 93). 127 Voir H. Barré, Prières anciennes, p. 75. 120

CLVIII

LA PRÉSENTE ÉDITION

- Psautiers et Sacramentaires:

Be: Paris, B. N., lat. 10500, début du XIe siècle. Parchemin, 207 f., 10, 3 x 7, 8 cm. Manuscrit à longues lignes, avec lettrines colorées en rouge, bleu et or, et quelques initiales à filigranes. Ecriture: plusieurs mains du XIe siècle. Une notice au f. 1 indique que ce manuscrit a été copié au début de l'épiscopat de l'archevêque Hugues Ier (1031-1070) 128 Son nom figure dans le canon de la messe, et la commémoration de la première dédicace de l'église métropolitaine de Saint-Jean l'Evangéliste figure dans le calendrier (21 avril), alors que la seconde dédicace, réalisée par l'archevêque après des travaux réalisés dans son église (23 septembre), a été rajoutée ultérieurement. Par ailleurs le système de notation musicale est antérieur à la réforme du système en 1024. Sacramentaire de l'église de Besançon, qui s'ouvre sur quelques prières dont la PsOr 21 aux f. 6v-8v 129 .

Ca: Paris, Mazarine, 364, fin du XIe siècle. Parchemin, 332 f., 20, 7 x 13, 4 cm. Ecriture lombarde très pure, avec initiales dans le goût normand et plusieurs peintures de style byzantin. Manuscrit du Mont-Cassin, rédigé à la fin du XIe siècle, au temps de l'abbé Oderisse (1087-1105), peu après l'élection du pape Pascal II (août 1099), vraisemblablement pour l'abbé lui-même 130, >, feuillet de garde. 137 Cette datation est celle du chanoine Leroquais (op. cit.); toutefois le catalogue fait de ce volume un ouvrage du IXe siècle, et dom Wilmart (Auteurs, p. 541) estimait que «son écriture offre les caractéristiques du xe siècle, et même fort avancé»; les additions (e.a. l'hymnaire et la prière à l'ange) étant à peu près contemporaines, «en tout cas fort peu postérieures>>. Il faut donc sans doute dater cette pièce, d'accord avec dom Wilmart et le chanoine Leroquais, des premières années du XIe siècle.

CLX

LA PRÉSENTE ÉDITION

Lo: Londres, B. L. Add. 16975, fin du XIIIe siècle (vers 1300) 138 • Parchemin à longues lignes, 264 f., 19,7 x 29,5 cm. Calendrier et prières diverses, psautier avec cantiques et litanies. Abbaye cistercienne de Lyre (Évreux), puis Leicester. Écriture: plusieurs mains de la fin du XIIIe siècle. On trouve aux f. 13 à 24 une série de peintures à pleine page représentant des événements de l'Ancien et du Nouveau Testament hâtivement colorées. Il y a par ailleurs dans le texte d'autres miniatures d'une facture plus méticuleuse. Les Meditationes Balduini et Anselmi, archiepiscoporum Cantuariensis, se trouvent aux f. 242 à 264. PsOr 19 se trouve au f. 261 139

M: Londres, B. L. Arunde160, milieu du XIe siècle (vers 1060) et début du XIIe siècle (entre 1090 et 1160) 140 . Parchemin, 149 f., 19,5 x 30 cm. Psautier enluminé de type gallican, à longues lignes. Dessin au trait teinté, à pleine page: crucifixion en face du Ps 1 et une seconde en face du Ps 51. Écriture: plusieurs mains, l'une du XIe siècle (vers 1060 141 ; les bordures et les initiales représentent la dernière phase du style de Winchester, qui allait être emporté par la tempête de l'invasion normande 142), l'autre du xne siècle (ChristChurch, vers 1090-1060) 143 , corrections par une main du XIIIe siècle. Monastère Newminster de Winchester. Contenu: f. 1-13 : Table des fêtes et calendrier; f. 13-119: Psautier en latin avec gloses interlinéaires en anglais, suivi de cantiques, d'hymnes (f. 119132, avec gloses en anglais) et de prières (f. l34v-l42v) ajoutées après la date de réalisation du psautier, dans la première moitié du xne siècle. Elles se présentent dans un certain désordre, et ne se distinguent guère des oraisons qui suivent les litanies. Le manuscrit se termine par une note de chronographie et une liste de noms d'évêques de Winchester (f. 149). Historique: Ce manuscrit possède la plus ancienne prière du corpus apocryphe: «Tibi aga laudes et gratias ... >>, soit PsOr 20 (f. l38v) dans sa forme

138

Voir Auteurs, XXIV, p. 540-543. Catalogue ofAdditions to the Manuscripts in the British Museum in the years 18461847, Londres, 1864, p. 335-336. 140 N. R. Ker, Catalogue ofManuscripts containing Anglo-Saxon, Oxford, 1957, no 134, et pl. 55; E. Temple, Anglo-Saxon Manuscripts, 900-1066. A survey of Manuscripts illuminated in the British Isles, 2, Londres, 1976, no 103; T. H. Bestul, «British Library, Ms. Arundel 60, and theAnselmianApocrypha>>, Scriptorium, 35, 1981, l, p. 271-275; et A. G. Watson, Catalogue of dated and datable Manuscripts c. 700-1600 in the Department of Manuscripts the Britsh Library, Londres, p. 88, no 436, pl. 55. Notice I.R.H.T. 141 Voir G. Odess, Der Altenglische Arundel Psalter, Heidelberg, 1910 et 1913 (Anglistische Forschungen, 23 et 30). 142 E. G. Millar, La miniature anglaise du xe au Xl/le siècle, Paris-Bruxelles, 1926, p. 92 et pl. 31. 143 D'après J. P. Hudson de la British Library, que je remercie pour son aide, les prières furent écrites par une main de ChristChurch à Cantorbéry, entre 1090 et 1160; voir T. H. Bestul, op. cit., p. 271. 139

CLXI

INTRODUCTION

longue 144 Il s'agit en fait de la réécriture d'une prière carolingienne qu'on retrouve dans les Officia per ferias attribués à Alcuin, développée par saint Anselme dans sa prière au Christ 145 . Cette composition trouve sans doute son origine à Christ Church de Cantorbéry, comme le laissent penser les données paléographiques146. Ce manuscrit présente donc un magnifique exemple d'une composition par emprunt, et nous permet de remonter aux origines de la propagation de cette prière dans les recueils anselmiens apocryphes 147 Dans le même temps il nous aide à mieux comprendre l'influence des prières d'Anselme sur ses imitateurs, tout en illustrant le rôle important de l'Angleterre anglo-normande dans le développement et la propagation des apocryphes anselmiens dès les premières décennies du xne siècle.

Mo: Oxford, Bodl. Libr. d'Orville 45, vers 1075 148 • Parchemin, 247 f., 33 x 22, 6 cm. Ce précieux manuscrit est difficile à classer. En effet, à la suite d'un calendrier (f. 3v-ll v) et de litanies (f. l2v-13v), il contient pour l'essentiel à la fois un psautier à collectes - selon la tradition franco-catalane- (f. 51-l54v), un hymnaire (f. 167-l96v) et un rituel (f. 237 sq.), mais aussi des prières adressées à Dieu et aux saints pour nourrir la dévotion privée (f. 36v-50). On peut le dater des environs de 1075, car de la main du texte apparaît par deux fois le nom de l'abbé Odilon dans le calendrier (f. 3v) et dans les litanies (f.l3). Ce manuscrit est le premier parmi les livres de l'Eglise de Moissac, à présenter à la fois des éléments typiquement moissagais et des

144 H. Barré, Prières anciennes, p. 132 sq. 145 Or 2; T. H. Bestul donne une édition du texte de ce manuscrit en mettant en italiques les emprunts à Anselme: , AM, 18, 1977, p. 39-41. Il faut noter toutefois qu'il manque un bifolium (f. 139v - 140) et que la fin de la prière telle qu'on peut la lire dans le manuscrit est en fait l' explicit de la prière attribuée à saint Augustin , que l'on retrouve dans de nombreuses anthologies anselmiennes: voir V; Auteurs, p. 571-577. Une main plus tardive (XIIIe siècle) a rattaché les deux prières par un pont artificiel; H. Barré, op. cit., p. 139.Voir infra édition du texte. 146 T.H. Bestul, op. cit., p. 272. 147 Alors qu'A. Wilmart n'avait pas trouvé de témoin antérieur au xve siècle (Cambrai, B. M., 142), voir T.H. Bestul, op. cit., p. 274. 148 F. Madan, A Summary Catalogue of Western Manuscripts in the Bodleian Library at Oxford, Oxford, 1897, vol. IV, p. 48-49, no 16923, et A. Wilmart, RB, 48 (1936), p. 263, n. 4 dataient ce manuscrit >. R. W. Southem, Anselm, p. 96, n. 10 et 99le date pour sa part , en soulignant que l'arrangement de ce manuscrit remonte sans doute au rxe siècle, l'ordre et la sobriété carolingiens survivant ainsi jusqu'au xre siècle.

CLXII

LA PRÉSENTE ÉDITION

éléments clunisiens 149 On trouve notre PsOr 21 au f. 37, parmi la collection d'une vingtaine de prières qui s'ouvrent par la Confessio d'Alcuin (PsOr 14).

Ne: New-York, Pierpont Morgan Library, 641, seconde moitié du XIe siècle (vers 1060) 150 . Parchemin, 184 f., 28, 5 x 21, 5 cm. Sacramentaire du Mont-Saint-Michel (Missale Gallicarum). Manuscrit enluminé, possédant 11 miniatures et 14 initiales historiées ou décorées. Il fut rédigé au Mont-Saint-Michel, sans doute pour Fécamp, comme semblent l'attester la prédominance de la Vierge, à qui est dédiée la cathédrale de Fécamp, et surtout la présence du sanctoral de Fécamp. Il est très proche du manuscrit d'Avranches, 72 signé par Fortmundus, moine au MontSaint-Michel dans la seconde moitié du XIIe siècle 151 • On y trouve la PsOr 24 au f. 105v, parmi d'autres apologies (f.103v-105v). 152 . Les f. 60v-65 et 103v105v semblent dus à un scribe plus jeune.

Pa: Paris, B. N., lat. 11550, XIe siècle 153 • Parchemin, 329 f., 23, 5 x 16, 8 cm. Manuscrit à deux et trois colonnes, avec grandes majuscules et dessins, certaines places sont laissées libres pour des lettrines. Ecriture: plusieurs mains du XIe siècle. Psautier-hymnaire de SaintGermain-des-Prés. Il contient une intéressante collection de prières à la fin du psautier, dont PsOr 21 au f. 323.

Cf. J. Dufour, op. cit., ainsi que La bibliothèque et le scriptorium de Moissac, Genève-Paris, 1972, p. 81, et «La composition de la bibliothèque de Moissac à la lumière d'un inventaire du XVIIe siècle nouvellement découvert>>, Scriptorium, 35, 1981, p. 175-226 et 36, 1982, p. 147-173. 150 Texte édité par dom J. Leclercq, «Prières d'apologie dans un sacramentaire du MontSt-Michel. Jean de Fécamp au Mont-St-Michel>>, Millénaire monastique du Mont St-Michel, II: Vie montoise et rayonnement intellectuel, 1967, p. 357-361. Voir aussi S. De Ricci, «Les manuscrits de la collection H. Y. Thompson>>, SFRMP, 10, 1926, p. 59; Les manuscrits à peinture en France V/le-XIIIe s., Catalogue de l'Exposition, 1954, p. 73, no 188; J. J. Alexander, Norman Illumination at Mt St Michel 996-1100, Oxford, 1970, p. 228 . 151 H. Y. Thompson sale catalogue, Londres, 1901, no 1; H. Y. Thompson, A descriptive catalogue of the second series offifty Manuscripts in the Collection of H. Y. Thompson, Cambridge, 1902, no 69, p. 126-130; Illustrations from one hundred Manuscripts, series 1, Londres, 1907, pl. 1-3; L. Bosseboeuf, Le Mont-St-Michel, Tours, 1910, p. 163-168; C. R. Morey (éd.), The Pierpont Morgan Library. Exhibition of llluminated Manuscripts held at The New- York Public Library, New-York, 1934, p. 13 (n°22), fig. 3, pl. 22 et ln August company. The collection ofThe Pierpont Morgan Library, New-York, 1993, p. 82. 152 Voir A. Strittmater, «An Unknown Apology in Morgan Manuscript 641 >>, Traditio, 4, 1946, p. 179. 153 H. Barré, Prières anciennes, p. 165-171. 149

CLXIII

INTRODUCTION

Q: Londres, B. L., Arundell55, XIe et XII" siècles 154 . Parchemin, 193 f., 20 x 28,5 cm. Psautier à longues lignes, délicatement enluminé avec lettrines peintes et dorées, rédigé à Christ Church de Cantorbéry par Eadvius Basan, responsable des copistes de cette maison, entre 1012 et 1023; additions vers 1050-1060, puis au xne siècle. Contenu: Le psautier (f. 12-132v), est précédé par un calendrier (f. 27v) qui inclut la fête de saintAelpheah, assassiné en 1012, la mention de la fête de la translation de ses reliques (1023) est rajoutée par une main postérieure, ainsi que des tables (f. Sv-11); on trouve ensuite des cantiques (f. 133v-135), des collectes (f. 171) et des prières (f. 175v-193v) ajoutées vers 1050-1060. Parmi les prières on trouve PsOr 14 (f. 175v-177v) adressée à Dieu.

Ro: Londres, B. L. Royal2. A. XXII, fin du XIIe siècle 155 . Parchemin, 224 f., 22,75 x 15 cm. Manuscrit rédigé d'une seule main en belle minuscule, avec grandes initiales enluminées et petites initiales en bleu et or 156 . Psautier latin avec cantiques, litanies, office des morts, calendrier avec les signes du zodiaque enluminés, et de nombreuses prières variées. Le calendrier possède la fête de saint Thomas de Cantorbéry, mais non la fête de la translation de ses reliques (1220). La place importante réservée à saint Edouard le Confesseur, montre que le manuscrit a été réalisé pour Westminster Abbey, où il se trouve entre 1388 et 1540 157 . Parmi les seize prières contenues aux f. 188 à 206, on trouve PsOr 9 au f. 194v, correctement attribuée à Maurille de Rouen, et PsOr 17 au f. 200v 158 On trouve en outre PsOr 8 au f. 222, où elle a été rajoutée au XIVe siècle 159

- Recueils ascétiques : A: Metz, B. M. 245, XIe siècle (après 1064) 160 .

154 J. J. G. Alexander, Survey of illuminated Manuscripts in British Isles,!, Londres, 1975, p. 84 sq. (avec importante bibliographie); E. G. Millar, La miniature anglaise du xe au XIIIe siècle, Paris-Bruxelles, 1926, p. 16; E. Temple, Anglo-Saxon Manuscripts, 900-1066. A survey of Manuscripts illuminated in the British Isles, 2, Londres, 1976, n°67 et 68; A. G. Watson, Catalogue of dated and datable Manuscripts c. 700-1600 in the Department ofManuscripts the British Library, Londres, 1979, vol. 2, n°447, p. 90, pl. 30; et R. W. Southern, Anselm, p. 387, n. 11. 155 H. Barré, Prières anciennes, p. 140. 156 M. D. Wyatt, Art of Illuminating, Londres, 1860, pl. 9. 157 A. G. Watson, op. cit., n° 860, p. 149, pl. 103. 158 M. R. James, , Walpole Society, 14, 1926; E. G. Millar, op. cit., p. 102, lll-112; pl. 62-63, 90 (a-b). 159 G. F. Warner, J. P. Gilson, Catalogue of Western Manuscripts in the old Royal and King's collections, Londres, 1921, vol. 1. 160 Notice I.R.H.T. et Ch. Samaran, R. Marichal, Catalogue des manuscrits en écriture latine portant des indications de date, de lieu, ou de copiste, t. 5: Est de la France, Paris, 1965, p. 578, pl. VII; Auteurs, p. 126 sq.; E. Lamirande, >, Analecta Sacri Ord. Cist., 15, 1959, fasc. 1-2, p. 73. 177 Catalogue général des manuscrits des Bibliothèques publiques des départements, Paris, 1855, t. 2, p. 394. 178 A. Wilmart, Auteurs, XIII, p. 203, n. 3.

CLXVI

LA PRÉSENTE ÉDITION

Méditations, possède en outre deux prières de Raoul le moine: PsOr 1 et 7, et PsOr 18 à sainte Anne (f. 82v).

Br: Bruxelles, B. R. II 1002, XIIe siècle. Parchemin, 144 f., 34, 5 x 24, 2 cm. Manuscrit à longues lignes à belle majuscule rouge. Ecriture: deux mains du XIIe siècle. Il appartenait à l'abbaye Saint-Martin de Tournai 179• Contenu: Ce témoin possède deux œuvres: le commentaire d'Augustin sur les psaumes (f.l à 140, le début du commentaire faisant défaut le f. 1 s'ouvre sur le Ps 5), et quelques prières authentiques d'Anselme copiées par une autre main: Or 2, 5-7, 9, 11-13, 15 et 16, après les trois prières à la Vierge (Or 5-7), on trouve sans distinction PsOr 9 de Maurille de Rouen, f. 142.

Cl: Grenoble, B. M. 179 , fin XIe- début XIIe siècle. Manuscrit consulté sur microfilm. Parchemin, 139 f., 16, 3 x 10, 5 cm. Manuscrit à longues lignes. Il semble dater de l'époque de saint Bernard 18 Clairvaux, puis Chartreuse de Portes 181 . Contenu: Recueil de prières de saint Anselme (f. 1-77) et traité de saint Bernard De gradibus humilitatis (f. 89v-135v). Entre les deux, on trouve diverses prières, dont PsOr 8 dans une version où abondent les lacunes, les inversions et les remplacements. On trouve également PsOr 11 au début du recueil anselmien, suivi d'une prière à la Vierge , qui n'est pas PsOr 12 qui lui est ordinairement associée dans les recueils anselmiens.

°

]: Londres, B. L. Harley 3059, XIVe siècle 182 . Parchemin 69 f., 20 x 27 cm. Manuscrit à deux colonnes. Ecriture: belle minuscule du XIVe siècle avec rubriques et majuscules rouges et bleues. Recueil de traités anselmiens (De casu diaboli, De conceptu uirginali et de originali peccato, De processione Spiritus Sancti, Proslogion ... ), avec des textes de Jérôme et Bernard. On trouve au f. 51 a la PsOr 19 183 •

179

f. 144. 18

«Liber sancti Martini Tornacensis, seruanti benedictio, auferenti maledictio. Amen>>,

°Fondateur de l'abbaye de Clairvaux en 1115, mort le 20 août 1153.

181

L'ex lib ris de la Chartreuse de Portes a été ajouté au xme siècle dans ce manuscrit du XIIe siècle. Catalogue général des manuscrits des Bibliothèques publiques de France, Paris, 1889, t. 7, no 735; R. Etaix, «Les manuscrits de la Grande-Chartreuse et de la Chartreuse de Portes. Etude préliminaire>>, Scriptorium, 44, 1988, p. 49-75; H. Barré, Prières anciennes, p. 212. 182 Auteurs, p. 540 sq. 183 A Catalogue of the Harleian Manuscripts in the British Museum, Londres, 1808, vol. 2, p. 731-732.

CLXVII

INTRODUCTION

Na: Londres, B. L. Add. 15749, fin du XIIIe siècle. Parchemin, 122 f., 15,5 x 23 cm. Manuscrit à deux colonnes, avec de nombreuses miniatures dans les lettrines, représentant les saints auxquels sont adressées les prières. Ecriture: fin du XIIIe siècle. Ce témoin possède le livret anselmien des Prières ou Méditations (f. 1-32a), dans lequel sont insérés PsOr 19 au f. 31, des extraits du Proslogion (ch. I, XVII, XXIV-XXVI) sous forme de méditations (gM 21, f. 32b-34b), ainsi que des textes d'Ambroise, Augustin et Bernard de Clairvaux 184.

P: Paris, B.N. lat. 12139, XIe et XIIe siècle 185 • Parchemin, 150 f., 34, 1 x 23, 5 cm. Manuscrit à deux colonnes, avec lettrines et titres rubriqués. Écriture: deux mains différentes, l'une de la fin du XIe siècle, l'autre du début du XIIe siècle. Il fut rédigé à l'abbaye de Saint-Benoîtsur-Loire186 pour l'abbaye Saint-Vaast d'Arras, puis conservé ensuite à SaintGermain-des-Prés à Paris. Contenu: Recueil composé de deux parties: la première (f. 1-64v) remonte au xre siècle et comporte un mélange de fragments et de textes d'auteurs variés (Ambroise, Augustin, Chrysostome latin ... ), la seconde qui date du xne siècle (f. 65-150), reprend à partir du f. 141le recueil des Prières et Méditations d'Anselme. On y trouve au f. 148v la prière au saint patron (PsOr 10) parmi les prières anselmiennes aux saints; le recueil s'achève par PsOr 8 (f. 150v), dans une version très incomplète.

Pe: Cambridge, Pembroke College 154, fin du XIIe siècle 187 • Manuscrit consulté sur microfilm. Parchemin, 192 f., 36, 3 x 25, 1 cm. Manuscrit rédigé sur deux colonnes d'une écriture fine et délicate, avec initiales décorées et peintes de différentes couleurs. Il provient de l'abbaye Sainte-Marie de Buildwas 188 , dont beaucoup de manuscrits sont conservés à Trinity College. Contenu: Il conserve essentiellement des lettres de saint Cyprien (f. 4v-149); mais au f. 149v on trouve le prologue du recueil anselmien des prières et PsOr 13 qui est donc placée, en dehors du recueil ansehnien, sous l'autorité d'Anselme.

184 Catalogue of Additions othe Manuscripts in the British Museum in the Years 18461847, Londres, 1864, p. 22. 185 Auteurs, p. 149 et 154, n. 2; L. Delisle, «Inventaire des manuscrits latins de St-Germain-des Prés>>, BECh, 26, 1865, p. 185-214, et 28, 1867, p. 343-376 (P =p. 351). 186 Voir M. Mostert, The Library of Fleury. A provisional List of Manuscripts, Hilversum, 1989. 187 M. R. James, A descriptive Catalogue of the Manuscripts in the library of Pembroke College, Cambridge, 1905, n°154, p. 147-152; Auteurs, p. 545. 188 f. 4v: «Liber beate Marie semper Virginis de Bildwas>>.

CLXVIII

LA PRÉSENTE ÉDITION

Y: Utrecht, Univ., 142, xve siècle. Manuscrit consulté sur microfilm 189 •

Parchemin, 106 f., in 12°, Chartreuse d'Utrecht. Manuscrit qui contient le Tractatus de custodia hominis interioris (f.l-6), XV Orationes siue Meditationes (f. 7-54), et les Orationes ad B. Mariam et aliquos santos (f. 105 à 106a), dont PsOr 18. Tous ces textes sont attribués explicitement à Anselmus Cantuariensis episcopus 190.

Manuscrits utilisés par dom Gerberon Recueil de Raoul le moine g: Édition de 1675 du mauriste dom G. Gerberon, reprise par J. P. Migne en 1864 dans sa Patrologie latine: PL 158, col. 709-820 (Meditationes) et 855-1016 (Orationes ), passim. D'après la censura et l'apparat critique, voici les manuscrits utilisés par Gerberon pour les prières du recueil de Raoul le moine 191 : 1) Méditations: Regius 2024 (H = B.N. lat. 2886), xve s.; un manuscrit de Saint-Martin de Tournai (non identifié); et pour PsMed 1 et 2 un manuscrit de Tournai, perdu, ainsi que l'édition de Raynaud. 2) Oraisons: Thuanus 267 (=B. N. lat. 5584 192 , et semblable à Troyes, B. M. 958 , tous deux du XIVe s.); Sancti-Victori KK 16 (non retrouvé); un manuscrit de Vauluisant (diocèse de Sens; perdu, mais semblable à Troyes, B. M., 1304, notre Tet sans doute dérivé de ce manuscrit); Corbiensis 160 (G =B. N.lat. 12313, XIIe s.); et Floriacensis (P =B. N. lat. 12139, XIIe s.).

Prières annexes au recueil de Raoul le moine g: PsOr 8, 11 et 12; Sancti-Victori KK 16 (non retrouvé) et Corbiensis 160 (G); ainsi que Vallis Lucentis (Vauluisant), Carthusiensis a Porta (sans doute Grenoble, B. M. 179, Chartreuse de Portes, XIIe siècle, notre Cl), et Floriacensis (P) pour PsOr 8; enfin Sancti-Germani a Pratis 345 193 et Vallis Lucentis (où la prière est justement attribuée à Maurille de Rouen, et dont les variantes concordent avec le texte de V) pour PsOr 9.

189 19

Auteurs, p. 203 sq.

° Catalogus codicum manuscriptorum Bibliothecœ Vniuersitatis Rheno-Traiectinœ,

Utrecht, 1887, p. 42-43. 191 Sur l'identification des manuscrits de Gerberon, voir A. Wilmart, Tradition, p. 5657, n. 3. 192 Voir Auteurs, p. 199 et 209. 193 no 345 du catalogue de 1677; à identifier avec B. N., lat. 13285 (XVe s.), et non avec B. N., lat. 13605 comme le pensait A. Wilmart (RB, 36, 1924, p. 56, n. 3, et EL, 46, 1932, p. 61, n. 1); voir H. Barré, Prières anciennes, p. 180, n. 2.

CLXIX

INTRODUCTION

Autres prières du corpus primitif

PsOr 14 = g: Sancti Martini Tornacensis (Oxford, Bodl. Libr. A 392) PsOr 15 = g: Thuanus 267 (=B. N.lat. 5584), et Sancti Germanensis a Pratis 345 (=B. N. lat. 13285, xve s.) PsOr 16 = g: Sancti Germanensis a Pratis 345 (=idem) PsOr 17 = g: Manuscrit du Vatican envoyé par Allatius à Th. Raynaud PsOr 19 = g: manuscrits de Vienne et du Vatican de Th. Raynaud PsOr 20 = g: manuscrit du Collège Vienne de Raynaud +PL 101, col. 1386, Floriacensis PsOr 21 = g: manuscrit du Collège de Vienne de Raynaud PsOr 22-25 = g: manuscrit du Collège de Vienne de Raynaud et PsOr 23: manuscrit D Bigot PsOr 26-28 = g: Corbeiensis 160 (G)

CLXX

ÉDITION ET TRADUCTION

CHAPITRE PREMIER LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE Les prières et méditations du moine Raoul représentent l'ensemble le plus important et le plus homogène dans les recueils anselmiens apocryphes. Nous en donnons le texte en suivant l'ordre adopté par 0, qui est le seul manuscrit à posséder toute l'œuvre de Raoul, traités et prières. Toutefois, on a ici inversé PsOr let PsMed 5, afin d'opérer plus clairement la distinction entre le groupe des méditations de celui des prières. La date de la rédaction de ce témoin, et la qualité de son texte en font notre exemplaire de référence pour ce groupe. Les autres manuscrits retenus sont V, T, F, qui, comme on l'a montré plus haut, sont les plus anciens témoins de l'intégration des prières de Raoul dans des recueils anselmiens. Le texte a été également contrôlé par H qui malgré sa date tardive (XVe siècle) transmet un texte fidèle à 0 et présente donc un témoignage intéressant de la fortune de cette ligne d'édition en Angleterre. Enfin l'apparat critique rend compte des leçons de l'édition de Gerberon-Migne (g), qui a servi de texte de référence pendant plus de deux siècles. Pour ce qui est du fond, on peut voir une sorte de progression parallèle entre les méditation et les prières: partant d'une réflexion sur la création et la bonté de Dieu (PsMed 11 PsOr 1), de sa miséricorde (PsMed 21 PsOr 2) à l'égard des pécheurs (PsMed 3-4), pleinement manifestéee dans l'Incarnation du Rédempteur (PsMed 5-PsOr 3), elles aboutissent naturellemnt à des prières au Christ, auquel s'adresse le prêtre conscient de son indignité et pris de crainte devant la grandeur du sacrement qu'il doit célébrer (PsOr 4-7: prières d'apologie).

Ordre des prières:

PsMed l PsMed2 PsMed3 PsMed4 PsMed5

Suauissime et dulcissime Domine Ihesu Christe ... Cum considera quid sit Deus, quam dulcis natura... Cum anima manet in corpore, uiuit homo ... Domine Deus meus in te speraui, saluum me fac ... Anima me a, anima misera et feda, diligenter. ..

PsOr 1 Ps0r2 Ps0r3 Ps0r4 Ps0r5 Ps0r6 Ps0r7

Altissime et mitissime amator Deus hominum... Miserere mei Deus, secundum magnam... Cum ad peccata quœ fe ci respicio, et penas ... Dulcissime et benignissime Domine Ihesu Chris te ... Summe Sacerdos et maior ceteris sacerdotibus... Dulcissime et super omnia desideranda ... Ad te, dulcissime Domine Ihesu, qui fons pietatis...

3

LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

Index siglorum: O:Oxford, Bodl. Libr. Laud. Mise. 363, St-Alban, avant 1107, f. 55v-78. V: Verdun, B. M. 70, St-Alban, vers 1123, f. 21 v-52. T: Troyes, B. M. 1304, Clairvaux pour l'abbaye St-Vaast d'Arras, entre 1110 et 1125 , f. 186-273. F: Paris, B. N. lat. 18111, Saint-Amand, puis Couvent des Feuillants à Paris, xne s., f. 81v-125. G:Paris, B.N. lat. 12313, Corbie (Somme), puis Saint Germain-des-Près, XIIe s. H:Paris, B. N. lat. 2886, copié en Angleterre, xve s., f. 21 v-48 et 61 v-75. g: Édition de G. Gerberon 1675, reprise in PL 158, col. 709-820 (Méditations) et 855-1016 (Prières), passim.

4

LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

PsMed 1 Quod omnia Deus bona fecit, et quod ipse essentialiter semper bonus fuit et est et erit

5

10

15

20

Suauissime et dulcissime Domine Ihesu Christe, qui es pius amator hominum et benignissimus Redemptor peccatorum, te adoret anima mea, tibi seruiat omnis uita mea, te desiderent omnia interiora mea. Vult, piissime Domine, uult mea misera anima cogitare de te, tua mirabilia inspicere, et quam bonus es et misericors sis erga peccatores intelligere, ne propter peccata mea desperans a boni tate tua, heu miser, me uelim alienare ut sic cogitans, et tibi, qui es Veritas, credens, iam aliquando ab iniquitatibus possim cessare, et ad recta facienda animum meum malis operibus et peccatis incuruatum reformare. Ecce scio, Domine, quia omnia qme sunt de nichilo fecisti, id est non erant et ea fecisti; sed tu ipse qui ea fecisti, semper fuisti, et numquam fuit quando non fueris. Fuisti uero semper bonus, semper omnipotens, et propterea omnia qurecumque fecisti, bona fecisti 1. Tu ergo quia semper fuisti, et es, et eris, et qui non de non esse ad esse uenisti, sicut tibi semper esse fuit, ita tibi semper bonitas et omnipotentia fuit. Et propter hoc non tibi est aliud essentia quam boni tas et omnipotentia, sed qure tibi est essentia eadem est bonitas et omnipotentia, et ideo non potes esse nisi bonus et omnipotens, et omnia ilia qure similiter de te dicuntur et creduntur. Tu uero uere es, et non est tibi aliud nisi uerum est, quia non quod modo es, modo non es, sed quod modo es, semper es. Creaturre autem, cui non semper esse fuit, sed qure de non esse ad esse uenit, creata a te cui semper esse fuit, non est eadem essentia qure bonitas et qure potentia. Sed quando bona est et bona facere potest, a te bona est et a te bona facere potest, qui essentialiter es bonus et omnipotens. Fecisti autem

tit. quod : q. solus g 1 fuit et est et erit : sit g Il 1 domine om. g Il 2 et : ac g Il 3 piissime domine om. g Il 4 es om. g Il 5 peccata mea : m. p. g Il 6 es ueritas : u. e. g Il 11 bonus : b. et g Il 12 quia: qui g 1 qui non: n. quia g Il 14 tibi est primus: e. t. g. 1 tibi-est alter: aliud nisi tu et non est tibi nisi unum est g Il 19 creata: perte et g Il 20 et: e. quando g.

6

PSMED 1

Que Dieu a fait toutes choses bonnes, et que lui-même par essence a été, est et sera toujours bon 1 Très aimable et très doux Seigneur Jésus Christ, toi qui aimes les hommes avec bonté et qui es le Rédempteur très bienveillant des pécheurs, que mon âme t'adore, que toute ma vie soit à ton service, que tout mon être profond te désire. La volonté, Seigneur plein de tendresse, la volonté de mon âme malheureuse, c'est de penser à toi, de scruter tes merveilles, de comprendre combien tu es bon et combien tu peux être miséricordieux envers les pécheurs, pour que moi je ne veuille pas, par désespoir à cause de mes péchés- hélas malheureux!- m'éloigner de ta bonté, mais que avec de telles pensées et avec ma foi en toi qui es la Vérité, je puisse bientôt mettre fin dorénavant à mes iniquités, et, pour faire des actions droites, redresser mon âme gauchie par les mauvaises œuvres et les péchés. Voici, je sais, Seigneur que toutes les choses qui sont, tu les as faites de rien, c'est-à-dire qu'elles n'existaient pas et tu les as faites 2 ; mais toi-même qui les as faites, tu as toujours été, et il n'y a jamais eu d'instant où tu n'aies pas été. En vérité tu as été toujours bon, toujours tout-puissant et pour cette raison, toutes les choses que tu as faites, tu les as faites bonnes. Par conséquent, puisque toujours tu as été, que tu es et que tu seras, et puisque tu n'es pas venu du non-être vers l'être 3 , de même qu'il t'appartint toujours d'être, de même la bonté et la toute-puissance t'ont toujours appartenu. Et c'est pourquoi l'essence n'est rien d'autre pour toi que la bonté et la toute-puissance; mais l'essence qui t'appartient est en même temps la bonté et la toutepuissance: à cause de cela, tu ne peux être que bon et tout-puissant, et tout ce que pareillement on dit et croit de toi. En vérité, toi tu es vraiment et rien ne t'appartient qui ne soit vrai4 , car il est exclu que ce que tu es à un moment, tu ne le sois pas à un autre, mais ce que tu es à un moment, tu l'es toujours. Or la créature à qui il appartint de n'être pas toujours, mais qui est venue du non-être à l'être, créée par toi à qui il appartint d'être toujours, n'a pas la même essence que la bonté et que la toute-puissance. Mais quand elle est bonne et peut faire le bien, c'est par toi qu'elle est bonne et c'est par toi qu'elle peut

1 PsMed 1 et 2, qui forment gM 19, 3-7 et 1-2 (PL 158, 805-809), ne sont attestées au XIIe siècle que dans O. Ce témoin semble donc être la source des différentes versions plus ou moins corrompues qui auront cours dans les siècles suivants, comme l'atteste l'édition de Raynaud contrôlée chez Gerberon (g) par un manuscrit de Tournai aujourd'hui perdu; cf. A. Wilmart, Tradition, p. 61-62. 2 cf. Augustin, Soli!. I, 1, 2-3: >. 49

101

cf. Is. 53, 7.

102

cf. Le 23, 34.

103

cf. Credo.

85

LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

60

65

70

75

so

0 104 dulcissime Domine Ihesu Christe, qui pro mea redemptione crucifixus es et mortuus, ante te est amne desiderium meum, et gemitus meus a te non est absconditus105. Ecce, benignissime Deus, coram te est miseria mea, et in manibus meis est misericordia tua: miseria peccatricis animœ meœ, misericordia redemptionis tuœ. Miserere ergo mei, Deus, secundum magnam misericordiam tuam, et secundum multitudinem miserationum tuarum deZe iniquitatem meam 106 , et ab hac hora usque in finem custodi uitam meam, defende ab omni iniquitate animam meam ut iam amplius agere non ualeam, unde oculos tuœ maiestatis offendam. Da michi, benignissime Deus, te, sicut iubes et rectum est super ornnia dili gere, deinde proximum non minus quam meipsum, sicut iterum prœcipis, amare 107 • Est enim hoc iustissimum et onmino rationabile, ut te super omnia, et etiam plusquam nos, debeamus dili gere, quia tu nos antequam essemus dilexisti, diligens creasti, creatos ad notitiam sanctissimi nominis tui adducere curasti. Nos uero neque hoc ipsum, quod te uel aliquid boni diligimus, a nobis ipsis nisi a te habemus. Proximum uero nostrum et tu nobis sicut nos ipsos recte diligere prœcipis, et nos recte eum diligimus sicut prœcipis 108 , quia œquali dilectione nos omnes creasti, œquali dilectione pro omnibus passionem suscepisti, œqualiter omnibus uitam œtemam prœparasti. Da omnibus, clementissime Pater, qui fidem rectam habent, recte et sancte uiuere, nec in ulla omnino re ab his quœ prœcipis deuiare, his uero qui nondum in te credunt, antequam de hac uita exeant, fidem et dilectionem sanctissimi tui nominis suscipere, et susceptam usque in finem rectam et inuiolatam custodire. Sit omnibus uiuis et defunctis sacrificium tui corporis et sanguinis remissio omnium peccatorum; uiuis quidem, qui recte uiuunt, etsi nondum recte uiuunt, recte quandoque uiuere uolunt; defunctis autem, qui per hoc sacrificium se sperant in misericordia tua accipere remissionem suarum iniquitatum et post hœc peruenire ad gloriam sempitemam regnumque cœlorum.

59 facienda a sacerdote ante consecrationem corporis add. ruhr. g 1162 ture : meœ T 1162-3 miserere : merere V Il 68 enim : autem TIl 73 eum diligimus : d. e. g 1177 in am. T 1 exeant : e. da g 1178 tui nominis :n.t. 0 g

86

PSOR6

Ô très doux Seigneur Jésus-Christ, toi qui as été crucifié et es mort pour mon rachat, tout mon désir est devant toi et mon gémissement ne t'est pas caché. Voici, Dieu très bienveillant, que ma misère est répandue devant ta face, et qu'entre mes mains se trouve ta miséricorde: misère de mon âme pécheresse, miséricorde de ta rédemption. Aie donc pitié de moi, Dieu, selon ta grande miséricorde et selon ton immense pitié, efface mon iniquité, et à partir de cette heure jusqu'à la fin, protège ma vie, défends mon âme de toute iniquité, de sorte que désormais je ne puisse plus avoir une conduite susceptible d'offenser les yeux de ta majesté. Donne-moi, Dieu très bienveillant, de t'aimer par-dessus tout, comme tu le demandes et comme il est juste, puis d'aimer mon prochain non moins que moi-même, comme tu l'enseignes derechef. Il est en effet absolument juste et pleinement raisonnable que nous devions t'aimer par-dessus tout et même plus que nous, car tu nous a aimés avant notre existence, dans ton amour tu nous as créés, après nous avoir créés, tu as eu soin de nous amener à la connaissance de ton nom très saint. Mais cet amour que nous avons de toi ou de tout ce qui est bon, ce n'est pas de nous-mêmes que nous le tenons, mais de toi. Quant à notre prochain, et tu nous enseignes à l'aimer en justice comme nous-mêmes, et nous l'aimons en justice comme tu nous l'enseignes, parce que tu nous as créés avec un amour égal, que tu as assumé la passion pour tous avec le même amour, que tu as préparé d'une manière égale pour tous la vie éternelle. Donne, Père très clément, à tous ceux qui ont une foi droite, de mener une vie droite et sainte, de ne s'écarter en aucun domaine de tout ce que tu as prescrit; accorde aussi à ceux qui ne croient pas encore en toi, avant qu'ils ne quittent cette vie, de recevoir la foi et l'amour de ton nom très saint et, après les avoir reçus, de les garder jusqu'à la fin comme il faut et sans les trahir. Que pour tous les vivants et tous les morts, le sacrifice de ton corps et de ton sang soit la rémission de tous les péchés: pour les vivants qui mènent une vie droite, ou s'ils ne mènent pas encore une vie droite veulent mener un jour une vie droite; pour les morts d'autre part, qui par ce sacrifice espèrent obtenir, dans ta miséricorde, la rémission de leurs iniquités, et après, parvenir à la gloire éternelle et au royaume des cieux.

104

Ici commence PsOr 28 (PL 158, col. 919-920). 108 cf. Jn 15, 12 et 1 Jn 4. Mt 10, 37-39.

105

Ps 37, 10.

106

Ps 50, 3.

107

cf.

87

LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

Credimus de te, Domine Ihesu Christe, quia tu idem ipse qui Filius es Dei, es Filius Virginis. Tu idem ipse qui in principio eras Verbum et Verbum eras apud Deum, et Deus eras Verbum, et per quod omniafacta sunt109 ; a Patre ante omnia s::ecula genitus, in tempore es ex Virgine natus. Quamuis altera persona sis quam Pater, postquam factus es Filius Virginis et habitasti in nobis, altera natura existens, secundum quod Filius Dei es, altera secundum quod Filius Virginis es; quamuis in duabus naturis, una 90 persona, Deus et homo, existis ::equalis Patri secundum diuinitatem, min or Patre secundum humanitatem. Quia uero tu idem ipse Deus qui homo, et qui homo Deus; propterea sanctissima Virgo qu::e te portauit, ab omnibus fidelibus Theotocos pr::edicatur et creditur, hoc est Mater Dei. Et quia tu non alter Filius Dei, alter Filius hominis, sed tu idem ipse Filius Dei, qui Filius hominis passionem et mortem pro salute humani gene95 ris suscepisti, non in natura deitatis, sed in natura humanitatis; tu idem ipse, non alter propter distantiam natur::e, sicut nec una natura existens propter unitatem person::e. Est adhuc, dulcissime Domine Ihesu Christe, quod de ineffabili cari tate qua nos diligis, cogitare possumus et debemus; quod nobis miseris et peccatoribus, ad indicium ture magnee dilectionis, in hoc mysterio tui corporis et sanguinis ostendis. Cum 100 aliquis homo alterum hominem, sicuti plus potest, diligit, pr::eter alia, in dilectione forsitan potest pro eo mori, si ita dilectio exigit110 , quod tamen raro accidit, ut quis hoc pro suo dilecto uelit pati. Quod si unquam amicus pro amico facit, in magnam admirationem magnumque stuporem omnes qui hoc audiunt conuertit. Tu uero, dulcissime Domine Ihesu, non solum pro amicis, sed etiam pro inimicis mori uoluisti. Et non 105 solum hoc sed et istud fecisti et adhuc facis quod nullus facere pro amico uult, uidelicet, cum teipsum qui pro nobis mortem sustinuisti, das ad manducandum et bibendum in hoc mysterio tui corporis et sanguinis, manducamus corpus tuum, bibimus sanguinem tuum, scilicet nostr::e redemptionis pretium. Da michi ergo, Domine Ihesu, a modo sic uiuere, sic caste et sancte deinceps tui altaris seruitium facere, ut sic uiuenuo do, sic faciendo, sic camem tuam manducando et sanguinem bibendo, post mortem camis ab omnibus peccatis absolutus, ad te Creatorem meum et Redemptorem recto itinere ualeam peruenire, ubi te cum omnibus sanctis in ::etema felicitate sine fine possim laudare et benedicere. Amen. 85

84 filius es : e. f. V 11 89 altera-es om. g 1 una : tua g 11 91 idem ante uero H 1ipse deus qui homo om. TIl 99 ture post dilectionis V Il 100 sicuti OV g: sicut TFH Il 104 etiam: et g Il 105 fecisti et adhuc facis :post uult V om. g 1 uult: u. fecisti g. Il 107 tuum: t. et g Il 109 a modo om. g Il 113 amen om. OV g.

88

PSOR6

Nous croyons en ce qui te concerne, Seigneur Jésus-Christ, que tu es toi à la fois le Fils de Dieu et le Fils de la Vierge. Tu es toi encore celui qui au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès de Dieu, et le Verbe était Dieu, et par lui tout a été fait; tu as été engendré par le Père avant tous les siècles et tu es né de la Vierge dans le temps. Bien que tu sois une personne autre que le Père, après être devenu le Fils de la Vierge et avoir habité parmi nous, tu as une première nature, au sens où tu es Fils de Dieu, et une seconde nature, au sens où tu es Fils de la Vierge; et bien que tu aies deux natures, tu es, Dieu et homme, une seule personne, égale au Père selon la divinité, inférieure au Père selon l'humanité. Car toi tu es Dieu tout en étant homme, et homme tout en étant Dieu; c'est pourquoi tous les fidèles proclament et croient la très sainte Vierge qui t'a porté Théotokos, c'est-à-dire Mère de Dieu. Et parce que tu n'es pas autre comme Fils de Dieu et comme fils d'homme, mais que tu es le même Fils de Dieu qui fils d'homme as subi la passion et la mort pour le salut du genre humain, tu es le même et non un autre, malgré la différence de nature, de même que tu n'as pas une seule nature malgré l'unité des personnes. Voilà donc, très doux Seigneur Jésus-Christ, ce que nous pouvons et devons penser de l'ineffable affection dont tu nous aimes, voilà ce que tu nous montres à nous misérables et pécheurs dans ce mystère de ton corps et de ton sang, comme signe de ton grand amour. Quand un homme aime un autre homme aussi fort qu'il peut, outre le reste, il est capable peut-être dans son amour de mourir pour lui, si cet amour exige -ce qui cependant arrive rarement- que quelqu'un veuille souffrir cette extrémité pour 1' être aimé. Et si jamais un ami agit ainsi pour un ami, il provoque chez tous ceux qui l'apprennent une grande admiration et un grand saisissement. Mais toi, très doux Seigneur Jésus, ce n'est pas seulement pour tes amis, mais aussi pour tes ennemis que tu as voulu mourir. Et non seulement tu as accompli un tel acte, mais encore tu as fait et tu fais encore ce que personne ne souhaite faire pour un ami: quand toi qui as souffert la mort, tu donnes dans ce mystère de ton corps et de ton sang ta propre personne à manger et à boire, nous mangeons ton corps, nous buvons ton sang, c'est-à-dire le prix de notre rachat. Accorde-moi donc, Seigneur Jésus, de vivre ainsi dès à présent, d'accomplir désormais le service de ton autel si chastement et si saintement qu'en vivant ainsi, en agissant ainsi, en mangeant ainsi ta chair et en buvant ainsi ton sang, absous de tous mes péchés, après la mort chamelle je puisse arriver tout droit jusqu'à toi mon Créateur et mon Rédempteur, où avec tous les saints, dans l'éternelle félicité, je puisse te louer et de te bénir sans fin. Amen.

109

Jn 1, 1-3.

110

cf. Jn 15, 13.

89

LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

Ps0r7 Oratio ad Christum cum peccator reminiscitur quœ Christus pro peccatoribus fecit

5

10

15

20

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Ad te, dulcissime Domine Ihesu, qui fons pietatis es et misericordiœ, potissimum me conuerto, quia et per potentiam diuinitatis ture, qua cum Patre et Spiritu sancto unus Deus omnia ex nichilo fecisti, me creatum esse fateor, et per incamationem tuam, quam in propriœtate personre tuœ, cooperante tamen Patre et Spiritu sancto, suscepisti, me refectum et renouatum esse scio. Oro itaque dulcissimam misericordiam tuam: Piissime et suauissime Domine Ihesu, per sanctam annuntiationem tuam miserere infelicis animœ meœ. Dulcissime Domine Ihesu, per sanctam incamationem tuam miserere animœ mere. Dulcissime Domine Ihesu, per circuncisionem tuam miserere mei. Dulcissime Domine Ihesu, per sanctam infantiam tuam miserere mei. Dulcissime Domine Ihesu, per iuuentutem tuam miserere mei. Dulcissime Domine Ihesu, per baptismum tuum miserere mei. Dulcissime Domine Ihesu, per ieiunium tuum famem et fatigationem miserere mei. Dulcissime Domine Ihesu, per miracula tua per qure etsi homo uerus eras uerus Deus agnoscebaris miserere mei. Dulcissime Domine Ihesu, per flagella, sputa et alapas quas pro nobis suscepisti miserere mei. Dulcissime et misericordisime Domine Ihesu, per spineam coronam quam in capite tuo portasti, ut spineas peccatorum nostrorum auferres, miserere mei. Miserere mei, dulcissime Domine Ihesu, per crucem tuam et mortem quam in eadem ernee passus es, ut nos a morte redimeres. Miserere mei, Domine Ihesu, per sepulchrum tuum in quo secundum carnem iacuisti, et per benignissimam descensionem tuam ad inferas, in quibus fideles et amicos tuos qui ibi te dulcissimum Redemptorem suum diu expectauerant, uisitasti. Visitans a dremonica dominatione, gloriose triumphans, misericorditer eripuisti. Infemalibus furiis suum principem ualenter incusantibus quod te in quo de suo nichil inuenerat iniuste interfecerit; pro qua iniusta interfectione iuste tune perdebant, quos tandiu captiuos et suis infeliciter uinculis alligatos tenuerant.

tit. oratio-fecit: cum recordatione beneficiorum eius et humame miserire g 1Christum: dominum H 1 fecit OV: -erit TFH Il 1 dulcissime : d. et benignissime 0 g 1 Ihesu : I. Christe g Il 4 oro : per H 1 dulcissimam: d. tuam H 117 et suauissime am. H 1 Ihesu: I. Christe g Il 7-8 per-mere am. g Il 8 infelicis : -i TIl 9 dulcissime-mere am. H 1 9 Ihesu : I. Christe g 1 incamationem: i. et natiuitatem g 1 animre mere: mei V Il 13 per baptismum-mei ante per iuuentutem-mei TIl 14 tuum : t. et T t. et sit in F am. H 1 fatigationem : f. tuam H 11 21 spineas : -as 0 11 26 ibi te : t. i. V g 1 suum ante dulcissimum V g Il 27 dremonica : dremoniaca g Il 28 ualenter ante suum TF

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PSOR 7

Prière au Christ quand le pécheur se souvient de ce que le Christ a fait pour les pécheurs C'est vers toi, très doux Seigneur Jésus, qui es la source de la bonté et de la miséricorde, que je me tourne de préférence: en effet, je reconnais que tu m'as créé par la puissance de ta divinité grâce à laquelle, Dieu unique avec le Père et l'Esprit Saint tu as tout créé de rien, et je sais que tu m'as rétabli et renouvelé par ton incarnation assumée en ta propre personne, avec l'aide cependant du Père et de l'EspritSaint51. C'est pourquoi je prie ta très douce miséricorde: Très bon et très suave Seigneur Jésus, par ta sainte annonciation, aie pitié de mon âme malheureuse. Très doux Seigneur Jésus, par ta sainte incarnation, aie pitié de mon âme. Très doux Seigneur Jésus, par ta circoncision, aie pitié de moi. Très doux Seigneur Jésus, par ta sainte enfance, aie pitié de moi. Très doux Seigneur Jésus, par ta jeunesse, aie pitié de moi. Très doux Seigneur Jésus, par ton baptême, aie pitié de moi. Très doux Seigneur Jésus, par ton jeûne, ta faim et ta fatigue, aie pitié de moi. Très doux Seigneur Jésus, par tes miracles qui te faisaient reconnaître comme vrai Dieu, même si tu étais aussi vrai homme, aie pitié de moi. Très doux Seigneur Jésus, par les coups de fouet, les crachats et les soufflets que tu as supportés pour nous, aie pitié de moi. Très doux et très miséricordieux Seigneur Jésus, par la couronne d'épines que tu as portée sur la tête pour enlever les épines de nos péchés, aie pitié de moi. Aie pitié de moi, très doux Seigneur Jésus, par ta croix et la mort que tu as endurée sur cette même croix pour nous racheter de la mort. Aie pitié de moi, Seigneur Jésus, par le sépulcre dans lequel tu as reposé selon la chair, et par ta si généreuse descente aux enfers où tu as rendu visite aux croyants, tes amis, qui t'y avaient attendu longtemps, toi leur très doux Rédempteur. Par ta visite, triomphant glorieusement, tu les as miséricordieusement arrachés à la domination du démon. Alors les furies infernales reprochèrent violemment à leur prince de t'avoir fait mourir injustement, toi en qui il n'avait rien trouvé qui fût de lui; etc' est pour cette mort injuste qu'ils perdaient alors avec justice, ceux qu'ils avaient gardés si longtemps captifs et enchaînés pour leur malheur dans leurs liens.

51

cf. PsMed 1, et passim.

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Miserere mei, dulcissime et benignissime Domine Ihesu, per gloriosam resurrectionem tuam, qua tertia die postquam pro peccatoribus occisus es, discipulis et amicis tuis de tua morte dolentibus et nimis afflictis, uiuus et immortalis apparuisti, et per dulcissima colloquia tua, qure cum eis per dies quadraginta post resurrectionem tuam habuisti, in quibus in multis argumentis apparens eis et loquens de regna Dei 111 , eosque confortans ac refouens, et cum eis srepius conuescens 112 , prremissis euidentissimis signis et ueritate ture carnis 113 , in qua mortem passus es, auferens ab eorum cordibus omnem dubitationem, ad fidem et credulitatem ture resurrectionis solidasti. Miserere mei, dulcissime Domine Ihesu, per admirabilem ascensionem tuam qua, discipulis tuis et matre Virgine aspicientibus crelos petens, humanam naturam quam misericorditer pro peccatoribus susceperas 114 , et in qua mortem passus mortem destruxeras, ad dexteram Patris collocasti115 . Miserere mei, dulcissime Domine Ihesu, per aduentum sancti Spiritus, quem sicut promiseras discipulis tuis die Pentecostes misisti 116 , quo impleti et uehementissime confortati, omni timore postposito, ueritatem ture resurrectionis cunctis gentibus prredicarent, eosque docerent quod si in te crederent, tuisque prreceptis obedirent, omni dubitatione postposita, regnum crelorum post mortem caruis ascenderent, et in reterna gloria tecum feliciter regnarent. Miserere mei, dulcissime Domine Ihesu, per reditum tuum ad iudicandos uiuos et mortuos, quo iudicio malos a bonis separans reterna perditione damnabis, bonos uero tecum ad crelos ducens, in reterna felicitate collocabis. His dulcissimis recordationibus et piis memoriis animatus, dulcissime Domine Ihesu, et hrec tanta beneficia infirmis et peccatoribus a te misericorditer collata dum in secreto pectoris mei dulciter et cum magna admiratione uoluo et reuoluo, infimas memorias et recordationes peccati qure ad damnationem et ad damnationis perditionem trahunt, tua opitulante bonitate, aliquando respuo, et ea qure diuina sapiunt et infirmam et peccatricem animam subleuare soient, respicio, ueneror et amplector. Sed heu infelici animre mere, dulcissime et benignissime Domine! Heu tantre perditioni infelicem animam tarn grauiter uexanti! et nisi misericordissima pietate tua sustineatur, in puncto ad infernum descendenti!

31 domine ante dulcissime g Il 33 tua morte OV g: m. t. TFH. Il 40 matre: m. tua g Il 43 dulcissime om. TIl 46 prœdicarent: annuntiarent V g 1 crederent: c. et g Il 47 postposita: -habita V g Il 49 dulcissime om. TIl 52 dulcissime om. TFH Il 54 intimas: infirmas TIl 56 animampost infirrnam V g

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PSOR 7

Aie pitié de moi, très doux et très généreux Seigneur Jésus, par ta glorieuse résurrection, par laquelle le troisième jour après avoir été mis à mort pour les pécheurs, alors que tes disciples et tes amis pleuraient ton trépas et étaient extrêmement affligés, tu es apparu vivant et immortel, et par les très douces entrevues que tu as eues avec eux pendant quarante jours après ta résurrection, au cours desquels leur apparaissant avec de nombreuses preuves, et les entretenant du royaume de Dieu, et les réconfortant, et relevant leur courage, et mangeant souvent avec eux, et ôtant de leur cœur tout doute grâce à la présentation des signes les plus convaincantes de la réalité de ta chair dans laquelle tu as enduré la mort, tu les as affermis dans la foi et la croyance à ta résurrection. Aie pitié de moi, très doux Seigneur Jésus, par ta merveilleuse ascension par laquelle gagnant les cieux, sous les yeux de tes disciples et de la Vierge mère, tu as établi à la droite du Père l'humaine nature que tu avais prise avec miséricorde pour les pécheurs, et dans laquelle en subissant la mort tu avais détruit la mort. Aie pitié de moi, très doux Seigneur Jésus, par l'arrivée du Saint-Esprit, que selon ta promesse tu as envoyé à tes disciples le jour de la Pentecôte, pour que remplis de lui et très fortement réconfortés, laissant là toute crainte, ils prêchent à toutes les nations la vérité de ta résurrection, et enseignent aux hommes que s'ils croyaient en toi et obéissaient à tes commandements, tout doute rejeté, ils monteraient au royaume des cieux après la mort charnelle, et régneraient avec toi dans le bonheur et la gloire éternelle. Aie pitié de moi, très doux Seigneur Jésus, par ton retour pour juger les vivants et les morts, jugement par lequel séparant les méchants des bons, tu les condamneras à la perdition éternelle, tandis que tu emmeneras les bons avec toi dans les cieux et tu les établiras dans la félicité éternelle. Vivifié par ces très doux rappels et ces tendres souvenirs, très doux Seigneur Jésus, tandis que dans le secret de mon cœur je pense et repense avec douceur et grande admiration à ces si nombreux bienfaits que tu as réunis avec miséricorde pour les faibles et les pécheurs, avec l'aide de ta bonté je chasse enfin les souvenirs dégradants et les rappels du péché qui entraînent à la condamnation, et je contemple, vénère et embrasse ce qui a une saveur divine et qui est capable de soulever mon âme faible et pécheresse. Mais hélas, infortunée est mon âme, Seigneur plein de douceur et de bienveillance! Hélas! si grande est la perdition qui tourmente avec une telle violence mon âme infortunée! et si elle n'était soutenue par ta bonté pleine de miséricorde, en un instant elle descendrait vers l'enfer.

111 115

112 cf. Le 24,41-42 et Ac 1, 4. Ac 1, 3. 116 cf. Ac 1, 8. cf. 1 Co 8, 1-2.

113

cf. Le 24,39-40.

114

cf. Ac 1, 9.

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Ecce enim dum cordis mei secretum diligenter inspicio, ipsam infelicem animam meam quam ante diuinam maiestatem tuam mundam et immaculatam stare putaueram, ueneno maliti::e et iniquitatis non parum infectam inuenio. Srepius uero dum etiam causa alicuius utilitatis cum aliquo loqui incipio, statim uel post paruam moram, in detractionem incurro, uel pro aliqua re impudenter murmura, uel uicio curiositatis inepte subcumbo, uel malarum cogitationum turpitudines motusque illicitos et impudicos in ipsis interioribus meis sustineo. lterum atque iterum heu tantre infelicitati, tantre perditioni! Fateor, dulcissime Domine Ihesu, et expando coram te iniquitates meas, quas intus patitur misera anima mea. Dum enim ea qure retro sunt obliuiscens ad ea quœ ante sunt me extendere uolo, atque in his dulcissimis recordationibus quas superius commemoratus sum, diutius si possum delectari cupio, atque omnes cogitationes meas, quasi in fasciculum colligens, omni perturbatione animi remota, adhrerere Deo perseueranti continuatione desidero; subito nescio qua miseria me relabi ad inania et noxia conspicio, et tanquam mors subita interficiens, uel quemadmodum canis rabidus qui nec percussione repulsus a laceratione hominis se temperat, carnalis delectatio omnem tranquillitatem animi omnemque rectitudinem iusticiœ quam me habere credebam perturbat ac destruit. Et qui me putabam stare in arce uirtutum, pro suaui odore earum, sentio intolerabilem ac teterrimum fetorem uitiorum117 • Quid ergo faciam dulcissime Domine Ihesu, amator hominum et creator, reformator et redemptor peccatorum? Quo me conuertam tantis circumdatus malis, tantis inuolutus pessimarum delectationum tenebris? Infelix ego homo, quis me liberabit de corpore mortis huius? Quis autem, nisi gratia Domini mei Ihesu Christi? 118 • Miserere ergo, dulcissime Domine Ihesu, miserere creaturre ture, miserere peccatricis animre mere. Intende, dulcissime Domine, intende miseriœ eius et libera eam, propter inimicos eius eripe eam119 . Illumina oculos eius, ne unquam obdormiat in mortem, ne quando dicat inimicus eius: Prœualui aduersus eam 120 • Iudica, Domine, nocentes eam, expugna impugnantes eam. Apprehende arma et scutum, et exurge in adiutorium eius 121 . Credo, dulcissime Domine lhesu, credo quoniam si arma tua ad defensionem eius arripias, et scuto bonœ uoluntatis tuœ 122 animam quam creasti defendas, quod nullus hostis, nullius iacula inimici etsi foris expugnent, uel etiam intus sreuire temptauerint, animam quam defendis ullo modo superare poterunt.

64 infectam inuenio OV g: inuenio i. TFH Il 67 inepte: inepte g 1 illicitos et om. V Il 69 tantx: -que g Il 72 possum: -em g Il 75 subita: -o g Il 78 habere credebam: c. h. g 1 me putabam: p. m. g Il 83 mei: nostri TIl 84 domine : d. Ihesu g Il 85 eius alter: meus FT 1 eam: eum H Il 91 quod : quia g 1 intus om. T 11 92 poterunt TH g : -erint OVF

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PSOR 7

En effet, voici qu'en regardant avec soin le secret de mon cœur, je découvre que mon âme infortunée, que j'avais crue se tenir pure et immaculée face à ta majesté divine, est elle-même sérieusement infectée par le poison du mal et de l'iniquité. Souvent, il est vrai, tandis que je commence à parler avec quelqu'un, même pour quelque service, immédiatement ou après un court délai, je tombe dans la médisance, ou bien, sous quelque prétexte, je grommelle effrontément, ou bien je cède sottement au vice de la curiosité, ou bien j'entretiens au fond de moi-même la laideur de pensées mauvaises et de transports interdits et impudiques. Encore et encore, si grande est mon infortune, si grande est la perdition! j'avoue très doux Seigneur Jésus, et j'étale devant toi mes iniquités qu'au fond d'elle-même ma pauvre âme endure. En effet, tandis qu'oublieux de ce qui est derrière moi, je veux tendre vers ce qui est devant, aussitôt je désire faire durer si je le peux, le plaisir d'évoquer les doux souvenirs que j'ai rappelés plus haut, et en même temps, rassemblant toutes mes pensées comme en un bouquet, libéré de tout trouble de l'âme, je souhaite m'attacher à Dieu par une fidélité persévérante; soudain je rn 'aperçois que je suis retombé par je ne sais quelle misère en des choses vaines ou nuisibles, et comme la mort subite qui frappe, ou de la même manière qu'un chien furieux qui malgré les coups ne cesse de déchirer son homme, le plaisir de la chair trouble et détruit toute la tranquillité de mon âme et tout le sens de la justice que je croyais posséder. Et moi qui croyais me tenir au sommet des vertus, au lieu de leur suave parfum, c'est l'insupportable et repoussante puanteur des vices que je sens. Que faire donc, ô très doux Seigneur Jésus, toi qui es l'ami des hommes et leur créateur, toi qui guéris et rachètes les pécheurs? Vers où me tourner, entouré de si grands maux, enveloppé dans les profondes ténèbres des pires plaisirs? Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort? Qui donc, sinon la grâce de mon Seigneur Jésus Christ? Aie donc pitié, très doux Seigneur Jésus, aie pitié de ta créature, aie pitié de mon âme pécheresse. Sois attentif, très doux Seigneur, sois donc attentif à sa misère et libère-la, à cause de ses ennemis, délivre-la. Éclaire ses yeux, que jamais elle ne s'endorme dans la mort, que jamais son ennemi ne dise: «le l'ai emporté dans ma lutte contre elle». Fais justice, Seigneur, de ceux qui lui font du tort, triomphe de ceux qui l'attaquent. Prends tes armes et ton bouclier, et lève-toi pour lui porter secours. Je crois, très doux Seigneur Jésus, je crois que si tu saisis tes armes pour sa défense, et si tu défends, avec le bouclier de ta bienveillance l'âme que tu as créée, aucun adversaire, les traits d'aucun ennemi, même s'ils triomphent à l'extérieur, ou s'ils ont tenté à l'intérieur aussi de se déchaîner, ne pourront en aucune façon dominer l'âme que tu défends.

117 122

cf. Rm 7, 14. Ps 5, 13.

118

Rm 7, 24.

119

Ps 68, 19.

120

Ps 12, 4-5.

121

Ps 34, 1-2.

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Dulcissime et misericordissime Domine Ihesu, sana eam multis malis obrutam, multis iniquitatibus superatam, multis facinoribus maculatam. Adiutor pauperum, defensor pupillorum, sana et adiuua eam a te creatam, a te redemptam, per te mundatam. Sustine conatum eius, conforta desiderium eius, et concede ei hoc spacium uitre, in quo in hoc mundo conuersanda est, sic percurrere, et cunctas iniquitates suas per ineffabilem misericordiam tuam sic emendare, et per ueram prenitentiam et ueram confessionem purgare, corrigere, mundare et abstergere, ut, tua largiente indulgentissima pietate, ab omni labe uitiorum purgata, mundata, correcta et abstersa, post mortem carnis ad te dulcissimum Creatorem suum, piissimum Dominum suum peruenire ualeat, tuamque inenarrabilem gloriam cum omnibus sanctis tuis in reterna felicitate possidere, per reterna srecula. Amen.

97 conuersanda : -satura T.

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PSOR 7

Très doux et très miséricordieux Seigneur Jésus, guéris-la, elle qui est écrasée de nombreux maux, dominée par de nombreuses iniquités, salie par de nombreux forfaits. Toi qui aides les pauvres, qui défends les orphelins, guéris-la et aide-la, elle que tu as créée, rachetée, qui a été purifiée grâce à toi. Soutiens son effort, encourage son désir, et accorde-lui de traverser ce temps de vie durant lequel elle doit demeurer en ce monde, de s'amender de toutes ses iniquités par ton ineffable miséricorde, et par un regret sincère et une confession sincère de se purger, corriger, purifier et laver, de telle sorte, que purgée, purifiée, corrigée et lavée de toute souillure des vices grâce à la générosité de ta bonté très indulgente, elle puisse après la mort de la chair parvenir jusqu'à toi, son très doux Créateur, son très bon Seigneur, et posséder ta gloire ineffable avec tous tes saints dans le bonheur éternel, pour les siècles éternels. Amen.

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CHAPITRE II PRIÈRES ANNEXES AU RECUEIL DE RAOUL LE MOINE A côté du groupe des prières et méditations du moine Raoul, les différents témoins du premier corpus apocryphe anselmien ajoutent régulièrement cinq prières, réunies ici dans un même chapitre. Etant donné que les témoins sont différents d'une prière à l'autre, chaque texte est précédé de la liste de ses témoins, avec éventuellement certaines précisions complémentaires. Ordre des prières: Ps0r8 Ps0r9 PsOrlO PsOrll Ps0r12

Summe Sacerdos et uere Pontifex.. . Singuaris meriti sola sine exemplo .. . Summœ innocentiœ et tatius sanctitatis... Deus Pater credentium, Sa lus ... Maria templum Domini...

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PSORS

PsOr 8: Prière du prêtre au Christ, par Jean de Fécamp Né vers 990 à Ravenne, Jean de Fécamp fut le disciple et peut-être le neveu du grand réformateur Guillaume de Volpiano, qu'il suivit quand ce dernier partit fonder l'abbaye Saint-Bénigne à Dijon. En 1017 il fut nommé prieur de l'abbaye de Fécamp en Normandie, dont il devint l'abbé en 1028. Il gouverna également Saint-Bénigne de 1052 à 1054. Il se rendit en Angleterre en 1054 et fit peut-être le pélérinage en terre sainte. Il mourut à Fécamp le 22 février 1078 1• Quant à ses écrits, dom Wilmart a déjà fait remarquer que Jeannelin s'est plu «à pétrir et distribuer sans cesse la même pâte une fois ramassée» 2 , si bien que l'on peut considérer son œuvre mystique comme une longue méditation sans cesse renouvelée et amplifiée. Chronologiquement, sa première grande composition est la Confessio theologica, qui se divise en trois parties et dont on situe l'élaboration avant 1018 3 . Ensuite, composé entre 1030 et 1050, vient le Libellus de scripturis et uerbis patrum, également divisé en trois parties, avec un complément de quatre prières. Cet ouvrage fut successivement adressé à une moniale inconnue et, en 1063 ou 1064, à l'impératrice Agnès, acompagné de la lettre «Dudum quidem... »4 • Ce Libellus est une récriture de la Confessio theologica, mieux achevée et plus contemplative5 . Enfin, sa dernière œuvre d'importance, composée vers 1050 après les théories de Bérenger de Tours sur l'Eucharistie6 , s'intitule Confessio fidei, et s'articule pour sa part en quatre parties. Il y reprend encore le même matériel, mais «Y ajoute beaucoup dans le sens théologique»7.

1 Voir J. Leclercq, «Jean de Fécamp», DSp, 8, 1974, col. 509-511, ainsi que son ouvrage de référence sur la question Un maître de la vie sprituelle au Xl' siècle, Jean de Fécamp, Paris, 1946; voir aussi E. Lamirande, «The Picture of the Heavenly Jerusalem de Stephen A. Hurlbut. A propos d'écrits pseudo-augustiniens», REAug, 25, 1979, p. 156-157. Voir aussi les pages de P. Nagy, Le don des larmes au moyen âge, Paris, 2000, p. 190 sq. 2 «Formes successives ou parallèles des Méditations de saint Augustin», RTAM, 68, 1936, p. 338. 3 Elle date en effet de l'époque où Jean était prieur, puisqu'en 2, 400 il y prie pour son abbé: «utfamulum tuum abbatem meum et omnes senioresfratresque meos sincere et humili caritate semper diligam», voir J. Leclercq, op. cit., p. 133. 4 ibidem, p. 211-217. 5 J. Leclercq, op. cit., p. 41. 6 Voir l'indignation de l'abbé Jean à ce sujet, dans la quatrième partie. Bérenger, se fondant sur un traité eucharistique de Ratramme de Corbie (De corpore et sanguine Domini, éd. J. N. Bakhuisen Van den Brink, 1974) pensait que la présence dans le sacrement était symbolique ou spirituelle, mais non substancielle. Il fut condamné à Rome en 1059 et en 1079. Voir R. Sommerville, Dictionary of the Middle Ages, 2, 1983, p. 188; J. de Montclos, Theologische Realenzyklopiidie, 5, 1982, p. 598-601, et du même auteur, Lanfranc et Bérenger: la controverse eucharistique du XIe siècle, Paris, 1971. 7 J. Leclercq, op. cit., p. 31. A. Wi1mart, RTAM, 68, 1936, p. 338, admirait cette fidélité de Jeannelin à lui-même: «Rien du jeu dans cette publication ou mise au point; l'artifice s'il nous est sensible, parce que nous saisissons le retour des thèmes et des mots, ne devait pas exister à ses yeux. Peut-être, s'étant convaincu qu'il avait trouvé du premier coup le véhicule le plus apte, renonça-t-il à chercher autre chose; l'expérience ensuite, lui aurait donné raison».

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PRIÈRES ANNEXES AU RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

A côté de ces trois grandes compositions viennent quelques textes plus courts, marqués par la même tradition: une série de prières, dont les uersiculi ad excitandam cordis conpunctionem qu' A.Wilmart a intitulés Complainte sur le fins dernières 8, des interpolations dans la prière De uitiis et uirtutibus d' AmbroiseAutpert9 , et notre longue prière Summe Sacerdos, qui fut intégrée par la suite dans le Missel romain 10 • Dom Leclercq a en outre édité une lamentation: Deploratio quietis et solitudinis derelictœ, quatre lettres 11 , et deux poèmes: Lessus pœnitentiœ et Pater mi 12 • On peut encore ajouer une Paraphrase des litanies des saints 13 • Par ailleurs, A. Wilmart attribuait également au second abbé de Fécamp deux confessions: Humilis confessio peccatoris et indigni laudatoris et Confesio humilis peccatoris in tempore angustiœ et infirmitatis que l'on trouve dans le même contexte dans le manuscrit 245 de Metz 14 • La prière d'apologie PsOr 8, qui est bien de Jean de Fécamp comme l'attestent les recoupements importants avec le reste de ses écrits 15 , fut introduite dans les missels dès le XIe siècle comme prière de dévotion à l'usage des prêtres 16 . On peut la rapprocher des autres prières d'apologie présentes dans le corpus ps-anselmien primitif. Les manuscrits: Dom Wilmart a édité ce texte 17 sur la base de vingt-trois manuscrits et de sept éditions du Missel Romain. Le savant bénédictin a pu dégager, dans la masse importante des témoins, cinq rédaction principales (parmi lesquelles trois rédactions parallèles du xrre siècle) dont les manuscrits les plus récents semblent indiquer une instabilité de plus en plus grande. Deux versions en concurrence sont donc attestées très tôt, versions qui se différencient par la présence d'un long morceau intermédiaire 18 . Dès le XIe siècle, la prière a deux répondants, saint Anselme et Jean de Fécamp. Toutefois les témoins anselmiens sont tous nettement interpolés et tous donnent la forme prolixe du texte; il est probable que ce soit à des témoins de cette famille que les premiers missels empruntèrent leur texte. D'autre part le manuscrit 245 de Metz (A), qui est antérieur aux manuscrits anselmiens et qui contient une grande partie des

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édités par A. Wilmart, Auteurs, VIII, p. 131-134. éditée par J. Leclercq, AMon, 2, Rome 1953, p. 3-17 (SA, 31) 10 édité par A. Wilmart, Auteurs, VII, p. 101-125. 11 dont la lettre à Agnès. 12 Op. cit., p.l84 à 230. L'édition de 1946 attribue ces deux textes à l'abbé Jean, il n'est plus question du poème Lessus pœnitentiœ en 1974, et dom Leclercq ne parle pour le petit Pater mi, que de probabilité. 13 édité par J. Leclercq, «Prières attribuables à Guillaume et à Jean de Fruttuaria», Manasteri in Alta Italia. Relazioni e communicazioni al XXXII Congresso storico subalpino, Turin, 1966, p. 162-166. 14 PL 147, col. 461, Auteurs, VII, p. 127, n. 2. Ces deux prières devenant par la suite les ch. XXXIV et XXXVIII des Méditations en 41 chapitres du Ps-Augustin, la première des deux devenant en outre gP 5. 15 Passages indiqués en italique dans notre édition, voir infra. 16 Voir p. ex. Missel de Saint-Denis, B.N., lat. 9436, f. 7v, milieu du XIe siècle; Missel de Fécamp, Rouen, 290, f. 64, fin XIe-début XIIe siècle. 17 Auteurs, VII, 1927, p. 101-125. 18 Voir infra, le morceau en question est mis en italique dans notre texte. 9

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PSOR8

œuvres de 1' abbé de Fécamp, nous présente le texte sous sa forme brève. Il possède par ailleurs des leçons particulières par rapport aux plus anciens missels, ainsi que plusieurs phrases finales «dans lesquelles on ne saurait voir qu'un développement par rapport à la recension brève, dont il est pour le reste, l'un des témoins les plus autorisés» 19 • Dom Wilmart proposait de classer les témoins en quatre groupes principaux: A: forme brève conservée dans la grande majorité des missels, pour laquelle le savant bénédictin utilise cinq témoins, dont en particulier un missel de Saint-Denis de la moitié du XIe siècle (B. N., lat. 9436, f. 7v). On a utilisé V, témoin fidèle de cette recension. 2 A : forme donnée par A, dom Wilmart utilise trois autres manuscrits de la même famille. B: forme prolixe garantie matériellement depuis le début du XIIe siècle par les manuscrits anselmiens et par toute une série d'anciens missels à laquelle se rattachent la tradition du Missel Romain et celle du Missel Ambroisien. A Wilmart utilise neuf manuscrits, dont on a conservé ici les trois principaux T, F, et G, auxquels s'ajoute V; H se rattache aussi à cette famille 20 • 2 B : forme prolixe attestée par de nombreux missels dès le XIIe siècle, où le développement intermédiaire se trouve hors de sa place normale. Cette version est strictement subordonnée à la précédente. A Wilmart lit quatre témoins; cest R qui est ici utilisé. Notons que c'est également à cette tradition que se rattache le texte de L, transmis dans un ordre véritablement anarchique.

Index siglorum:

A: Metz, B. M. 245, Saint-Arnoul de Metz, vers 1085, f. 57. V: Verdun, B. M. 70, Saint-Alban, vers 1123, f. 3v. T: Troyes, B. M. 1304, Clairvaux pour l'abbaye Saint-Vaast d'Arras, entre 1110 et 1125, f. 178. F: Paris, B. N. lat. 18111, Saint-Amand, puis Couvent des Feuillants à Paris, xne s., f. 78. G: Paris, B.N.lat. 12313, Corbie (Somme), puis Saint-Germain-des-Près, XIIe s. ' f. 28. V: Paris, B. N.lat. 15045, Saint-Victor de Paris, fin du XIIe s., f. 55. R: Oxford, Bodl. Libr. Laud. Misc.79, Sainte-Marie de Reading, XIIe s., f. 105. g: Edition de G. Gerberon, 1675, reprise in PL 158, col. 921-925. w: Edition d'A Wilmart, Auteurs, VII, 1927, p. 101-125.

19 20

A. Wilmart, Auteurs, p. 105. Voir supra

103

PRIÈRES ANNEXES AU RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

Ps0r8 Oratio sacerdotis ad Christum in missœ celebratione uel ante

5

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25

Summe Sacerdos et uere Pontifex, qui te obtulisti Deo Patri hostiam puram et immaculatam in ara crucis pro nobis miseris peccatoribus, qui dedisti nobis caruem tuam ad manducandum et sanguinem tuum ad bibendum, et posuisti mysterium istud in uirtute Spiritus tui, dicens: hœc quotienscumquefeceritis, in mei memoriafacietis1 ; rogo per sanguinem tuum pretiosum, magnum salutis nostne pretium, rogo per hanc miram et inenarrabilem caritatem qua nos miseros et indignos sic amare dignatus es, ut lauares nos a peccatis nostris in sanguine tuo 2 indignos. Doce me, indignum seruum tuum, quem inter cetera dona tua etiam ad officium sacerdotale uocare dignatus es, nullis meis meritis, sed sola dignatione misericordüe tua:, doce me, qua:so. per Spiritum sanctum tuum tantum tractare mysterium ea reuerentia et honore. ea deuotione et timore quibus oportet et decet. Fac me per gratiam tuam semper illud de tanto mysterio credere et intelligere, sentire et firmiter tenere, dicere et cogitare quod tibi placet et quod expedit anima: mea:. lntret Spiritus tuus bonus in cor meum, qui sonet ibi sine sono et sine strepitu uerborum loquatur omnem ueritatem tantorum mysteriorum profunda quippe sunt nimis et sacro tecta uelamine. Propter magnam tuam clementiam concede michi missarum solemnia puro corde et munda mente celebrare. Libera cor meum ab immundis et nefandis, uanis et noxiis cogitationibus. Muni me beatorum angelorum pia et fida custodia, atque fortissima tutela, ut hostes omnium bonorum confusi discedant. Per uirtutem tanti mysterii et per manum sancti angeli tui repelle a me et a cunctis semis tuis durissimum spiritum superbia:, et cenodoxia:, inuidia:. et blasphemia:, fornicationis et immunditia:, dubietatis et diffidentia:. Confundantur qui nos persequuntur, pereant illi qui perdere cuncta festinant. Rex uirginum, amator castitatis et integritatis Deus, ca:lesti rore benedictionis tua: extingue incorpore meo totum fontem ardentis libidinis3, ut maneat in me tenor tit. oratio: o. sancti Ambrosii episcopi T add. s.l. alt. man. rec. 1 oratio-ante T: o. ante missarum celebrationem dicenda A o. sancti Gregorii dicenda a sacerdote ante missam V o. sacerdotis ante missam G o. facienda a sacerdote ante missam g sine ruhr. FUR Ill sacerdos et uere pontifex : pontifex et solus sine peccati macula sacerdos U 1 puram : uiuam R 112 nobis miseris om. U 1 qui FGU w: -que TR et q. g 1 dedisti nobis: n. d.ll3 posuisti: p. nos ad A 1 mysterium istud UR gw: i. m. F illud m. TG Il 4 spiritus : s. sancti AR w 1 feceritis AUR gw : fecitis TFG 115 rogo-pretium om. AR 116 caritatem: c. tuamA 1indignos om. U g 117 indignum post tuum TFG g 118 etiam ante inter TFG g 119 meis meritis : meritis m. R Il 10 deuotione : reuerentia FG 1 et AUR gw : ac TFG 1112 me : m. domine U 1113 tenere : retinere A w 1 placet : -eat U 1113 quod secundus om. U w Il 14 strepitu hic inc. V 1115 omnem ueritatem: u. o. F 1116 propter: secundum U 1 tuam clementiam VTFG U: c. t. R gw tuam om. A 1 secundum-clementiampost michi U 1116-17 missarum solemnia: s. m. U 1117 puro ... munda: m ... p. g 1 munda mente: mente m. R 1118 uanis et noxiis: n. e. u. U 1me : m. qmeso A 1 pia et fi da : f. e. p. A 1118-9 custodia ... tutela : t....c. R 1119 atquetutela om. A 1 atque: ac U g 1 fortissima tutela: t. f. g 1 hostes post bonorum U 1120 et-tui om. U 1et-tuis om. U 1121-3 superbi::e-festinant: et nefandissimum spem fornicationis et blasphemi::e ut tantum sacrificium cum omnis puritate ualeamus offerre A 1121 fornicationis om. U 1124 et integritatis om. g 1125 ture: t. in corde meo U 1in: de FG 1 corpore: corde T 1totum om. g 1 fontemAVTF w : fomitem GUR g 104

PSOR 8

Prière du prêtre au Christ lors de la célébration de la messe ou bien auparavant Ô Souverain Prêtre et véritable Pontife, qui t'es offert à Dieu le Père en victime pure et immaculée sur l'autel de la croix pour nous, misérables pécheurs, qui nous as donné ta chair à manger et ton sang à boire, et qui as instauré ce mystère dans la puissance de ton Esprit en disant: «ceci chaque fois que vous le ferez, vous le ferez en mémoire de moi»; je te demande par ton sang précieux, prix élevé de notre salut, je te demande par cet admirable et ineffable amour par lequel tu as trouvé bon de nous aimer de cette façon. nous malheureux et indignes!, de nous laver de nos péchés dans ton sang, malgré notre indignité. Apprends-moi, qui suis ton serviteur indigne et que tu as jugé digne, entre autres dons, d'appeler même au ministère sacerdotal, sans aucun mérite de ma part, mais simplement parce que tu m'as jugé digne de ta miséricorde, apprends-moi. je t'en prie. par ton saint Esprit, à célébrer un si grand mystère avec le respect et la considération. la dévotion et la crainte qui conviennent et qui s'imposent. 2 Fais en sorte, par ta grâce, que sur ce si grand mystère toujours je croie, reconnaisse, estime et tienne fermement assuré, dise et pense, ce qui te plaît et ce qui est utile à mon âme. Que ton Esprit de bonté entre en mon cœur, pour qu'il y résonne sans bruit et que sans fracas de mots il dise toute la vérité de si grands mystères, car ils sont trop profonds et couverts d'un voile sacré. En raison de ta grande clémence, accorde-moi de célébrer la solennité des messes avec un cœur pur et un esprit sans tache. Libère mon cœur des pensées impures et impies, vaines et funestes. Protège-moi par l'affectueuse et fidèle garde, la très puissante protection des bienheureux anges. pour que les ennemis de tous les hommes vertueux s'en aillent confondus. 3 Par la puissance d'un si grand mystère et par la main de ton saint ange écarte de moi et de tous tes serviteurs le souffle extrêmement dur de la superbe et de la fausse gloire. de l'envie et du blasphème. de la fornication et de l'impureté, 4 du doute et du manque de foi. Que soient confondus ceux qui nous persécutent, que périssent ceux qui se hâtent de tout faire périr. Roi des vierges, Dieu qui aimes la chasteté et la pureté, avec la céleste rosée de ta bénédiction éteins en mon corps tout jaillissement de désir brûlant, pour que demeu-

1 CT 3, 1230-1231. Les renvois (texte souligné) à la Confessio Theologica (CT) se font par rapport à l'édition de La confession théologique, introduction, traduction et notes par dom Ph. de Vial, Paris, 1992 (Sagesses chrétiennes).

2

CT3, 989-991.

1

Le 22, 19.

2

3

CT3, 1206-1208.

Ap 1, 5.

3

4

CT3, 1198-1200.

cf. Dn 3, 88.

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PRIÈRES ANNEXES AU RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

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totius castitatis corporis et animœ. Mortifica in membris meis camis stimulos, omnesque libidinosas commotiones, et da michi ueram et perpetuam castitatem cum ceteris bonis tuis quœ tibi placent in ueritate, ut sacrificium laudis casto corpore et mundo corde quotidie ualeam tibi offerre. Quanta enim cordis contritione et lacrimarum fonte 4, quanta reuerentia et tremore, et ueneratione, quanta corporis castitate et animœ puritate, istud diuinum et cœleste sacrificium est celebrandum, Domine, ubi caro tua in ueritate sumitur, ubi sanguis tuus in ueritate bibitur, ubi ima summis coniunguntur, ubi adest sanctorum prœsentia angelorum ubi tu es sacrificium et sacerdos5 mirabiliter et ineffabiliter? Quis digne hoc potest celebrare, nisi tu, Deus omnipotens, offerentem feceris dignum? Scio, Domine, et uere scio, et idipsum bonitati tuœ confiteor quod non sum dignus accedere ad tantum mysterium propter nimia peccata et infinitas neglegentias meas. Sed scio, et ueraciter ex toto corde meo credo, ore meo confiteor, quia tu potes me facere dignum, qui solus potes facere mundum de inmundo conceptum seminé, solus de indignis dignos, de inmundis mundos, de peccatoribus iustos et sanctos facis. Per hanc omnipotentiam tuam, te rogo, concede michi peccatori hoc cœleste sacrificium celebrare cum timore et tremore cum cordis puritate et lacrimarum fonte, cum lœtitia spiritali et cœlesti gaudio. Sentiat mens mea dulcedinem beatissimœ prœsentiœ tuœ, et excubias sanctorum tuorum in circuitu meo. Ego enim memor uenerandœ passionis tuœ accedo ad altare tuum, licet peccator, ut offeram tibi sacrificium quod tu instituisti et offeri prœcepisti in commemorationem tui pro salute nostra7 . Suscipe ergo illud, quœso, summe Deus, pro Ecclesia tua sancta, pro populo tuo quem adquisisti sanguine tuo, et quoniam me peccatorem inter te et eundem populum tuum medium esse uoluisti, licet in me boni operis testimonium non agnoscas, officium saltem dispensationis creditœ non recuses, nec perme indignum eorum salutis pereat pretium, pro quibus uictima factus salutaris, dignatus es esse redemptio. Profero ergo, Domine, si digneris propitius intueri, tribulationes plebium, pericula populorum, captiuorum gemitus, miserias orphanorum, necessitates peregrinorum, inopiam debilium, desperationes languentium, defectus senum, suspiria iuuenum, uota uirginum, lamenta uiduarum. Tu enim misereris omnium, Domine, et nihil odisti eorum 26 totius om. g 1 corporis et anima: : a. e. c. g 11 camis stimulas : s. c. U Il 27 bonis : d- Tg Il 28 in ueritate om. U Il 29 offerre : sacrificare U 1 cordis contritione AVUR gw : contritione c. TFG Il 30 et ueneratione om. U gw 1 anima: : -i UT 31 istud : illud A 1 sacrificium : mysterium U 1 domine : d. deus U 11 32 sumitur ante in U 1 ima summis : s. i. U 1 coniunguntur : humanis diuina iuguntur U Il 33 sanctorum prœsentia: p. s. R 1 prœsentia angelorum : a. p. g 1 sacrificium et sacerdos VTFG g : sacerdos et s. AUR w 1 mirabiliter et om. G Il 35 hoc potest celebrare : h. c. mysterium (sacrificium R) p. UR 1 potest celebrare: c. p. A w 11 deus om. FG 1 deus omnipotens: o. d. AR w Il 36 domine om. A 1 et uere scio om. U 1 bonitati tuœ : t. b. U 1 quod: quomodo U quia g Il 37 peccata: p. mea g 1 infinitas post meas TFG R Il 38 sed om. A 1 ex -meo om. U 1 meo primus : m. corde credo A 1 m. credo w credo ante ex AR w 1 ore : -que meo G 1 ore-confiteor om. U 1 meo alter om. AR 1 quia : q. ipse instituisti et offeri prœcepisti in commemoratione tui pro salute nostra. precor... cf infra l. 74 U 11 39-40 solus-mun dos om. A 11 40 mun dos : m. et A gw 1 facis ante et A w 11 4 2 celebrare: sacrificare FIl 43 dulcedinem ante mens G Il 44 sanctorum : s. angelorum AR w Il 44-5 passionis tuœ : t. p. R Il 46 offeri : -re F 1 commemorationem : -e TG 1 tui : -a A Il 47 ergo post quœso TFG post illud g 1 tua sancta: s. t. g 1 pro primus: et g Il 48 tuo om. g 1 me :m. aliquod g Il 50 dispensationis credita: : c. d. F

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PSOR8

re en moi une constante et totale chasteté du corps et de 1' âme. Mortifie dans mes membres les aiguillons de la chair et toutes les agitations du désir; donne-moi une chasteté vraie et continuelle avec tous les autres bienfaits qui te plaisent en vérité5 , pour que je puisse t'offrir chaque jour un sacrifice de louange avec un corps chaste et un cœur sans tache. Avec quelle contrition du cœur en effet, et quelle jaillissement de larmes, avec quelle révérence, quel tremblement, et quelle vénération, avec quelle chasteté du corps et quelle pureté de l'âme, doit-on célébrer, Seigneur, ce divin et céleste sacrifice où c'est ta propre chair qui est véritablement mangée, où c'est ton propre sang est véritablement bu 6 , où les abîmes et les sommets se rejoignent, où les saints anges sont présents, où tu es toi-même d'une manière admirable et indicible victime et prêtre? Qui peut dignement célébrer ce sacrifice, si toi, Dieu tout puissant, tu n'as rendu digne celui qui l'offre? Je sais, Seigneur, et je le sais vraiment, et cela même je le confesse à ta bienveillance: je ne suis pas digne d'approcher d'un si grand mystère en raison de mes trop grands péchés et de mes négligences infinies. Mais je sais, et de tout mon cœur je crois véritablement, et mes lèvres confessent, que tu peux me rendre digne, toi qui seul peux rendre pur ce qui est né d'une semence impure, qui seul rends digne ceux qui étaient indignes, purs ceux qui étaient impurs, justes et saints ceux qui étaient des pécheurs. Par cette toute-puissance qui est tienne, je te le demande, accorde au pécheur que je suis, de célébrer ce céleste sacrifice crainte et tremblement, avec pureté de cœur et jaillissement de larmes, avec allégresse spirituelle et joie céleste. Que mon esprit sente la douceur de ta présencebienheureuse et la garde vigilante de tes saints autour de moi. Car de mon côté, c'est en me rappelant ta passion vénérable que je m'approche de ton autel, tout pécheur que je suis, pour t'offrir le sacrifice que tu as personnellement institué et prescrit d'offrir en souvenir de toi pour notre salut. Reçois-le donc 2 , je t'en prie, Dieu très haut, pour ton Église sainte, pour ton peuple que tu as acquis par ton sang, et puisque tu as voulu que le pécheur que je suis sois l'intermédiaire entre toi et ce même peuple qui est le tien, bien que tu ne reconnaisses pas en moi le témoignage d'une bonne œuvre, au moins ne récuse pas le ministère qui m'a été confié, et que mon indignité n'annule pas le prix du salut de ceux en faveur de qui, devenu victime salutaire, tu as daigné devenir rédemption. Je te présente donc, Seigneur, si tu daignes les regarder d'un œil favorable, les souffrances des foules, les périls des peuples, les plaintes des prisonniers, les détresses des orphelins, les besoins impérieux des étrangers, la détresse des infirmes, le désespoir des malades, la faiblesse des vieillards, les aspirations des jeunes gens, les vœux des jeunes filles, les pleurs des veuves. Car toi Seigneur, tu as pitié de tous et tu ne hais rien de ce que tu as

2 Ici commence la partie du texte propre à la tradition prolixe, qui est celle des manuscrits 2 2 anselmiens, B-B (VTFG- R), cependant la tradition B (R) insère son texte après salus et uita, l. 102. On donne cette partie en italique.

5

CT3, 1186-1187.

4

cf. Jr 9, 1.

5

6

CT3, 993-994.

cf. He 7, 26-27.

6

Jb 14, 4.

7

cf. Le 22, 19.

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PRIÈRES ANNEXES AU RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

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so

qme fecisti 8 . Memorare quœ sit nostra substentia 9 , quia tu Pater noster es 10 , quia tu Deus noster es. Ne iras caris satis 11, ne que multitudinem uiscerum tuorum super nos contineas, non enim in iustificationibus nostris prosternimus preces ante faciem tuam, sed in miserationibus tuis multis12• Aufer a nobis, Domine, iniquitates nostras et ignem sancti Spiritus in nobis clementer accende. Aufer cor lapideum de came nostra, et da nobis cor cameum13, quod te timeat, te amet, te diligat, te delectetur, te sequatur, te perfruatur. Oramus, Domine, clementiam tuam ut sereno familiam tuam, sacri tui nominis officia pnestolantem, aspicere digneris, uultu; et ut nullius sit irritum uotum, nullius uacua supplicatio, tu nobis preces suggere quas ipse audire propitius et exaudire delecteris. Rogamus te etiam, Pater sancte, et pro spiritibus fidelium defunctorum, ut sit illis salus, sanitas, gaudium et refrigerium, hoc magnum pietatis sacramentum. Deus meus, sit illis hodie magnum et plenum conuiuium de te pane uiuo, qui de crelo descendisti et das uitam mundo 14, de tua came sancta et benedictaAgni uidelicet inmaculati, qui tollit peccata mundP 5 , qure de sancto et glorioso utero beatre Marire uirginis est assumpta, et de Spiritu sancto concepta, de illo, inquam, pietatis fonte qui per lanceam militis de crucifixi Domini nostri latere feliciter emanauit16 , ut exinde satiati, refrigerati, refecti et consolaci, exultent in laude et gloria tua. Peto clementiam tuam, Deus, ut descendat super illud plenitudo ture benedictionis et sanctificatio ture diuinitatis. Descendat etiam, Domine, illa sancti Spiritus tui inuisibilis incomprehensibilisque maiestas, sicut quondam in Patrum hostias descendebat, qui et oblationes nostras corpus et sanguinem tuum efficiat, et me indignum sacerdotem tuum doceat tantum tractare mysterium cum cordis puritate et lacrimarum deuotione, cum reuerentia et tremore, ita ut placide et benigne suscipias sacrificium laudis de manibus meis ad salutem omnium tarn uiuorum quam defunctorum. Rogo te, Domine, per ipsum sacrosanctum mysterium corporis et sanguinis tui, quo quotidie in Ecclesia tua pascimur et potamur, abluimur et sanctificamur, atque unius summreque diuinitatis participes efficimur, da michi uirtutes tuas sanctas, quibus repletus bona conscientia ad altare tuum accedam, ita ut hrec crelestia sacramenta

56 quia-es om. R 11 56-57 quia tu deus nos ter es om. TIl 60 domine om. G Il 64 uultu post sereno g Il 65 supplicatio: postulatio g 1 audire : a. digneris FIl 66 te etiam : e. t. g 1 pro : p. omnium T 1 spiritibus VFR w: animabus TG ga. omnium G 1 sit: sis FI! 68 te : illo R Il 69 das :da Gt R 1tua : ilia R 1 carne sancta : s. c. F 1 uidelicet om. R 11 70 peccata : -um F 1 qme : qui F 1 utero beatœ Mariœ uirginis :b. u. M. utero g Il 71 inquam om. R 1 qui om. g Il 72 de crucifixi domini nostri latere : ex tuo sacratissimo 1. g 1 nostri : n. sanctissimo T 1 feliciter om. g 1 emanavit : manauit g 1 satiati : sanati TG Il 73 refecti et ante satiati g Il 74 peto : precor U 1 tuam : t. redemptor mundi Ut. om. G 1 illud : panem et calicem A w panem tibi sacrificandum et super calicem tuœ maiestati litandum U Il 74-5 super-diuinitatis: super panem et calicem plenitudo tuœ diuinitatis R 1 tuœ benedictionis et sanctificatio om. AURI/ 75 tuœ om. F 1 tuœ diuinitatis : d. t. U 1 etiam : quœso U 1 domine om. U Il 76 inuisibilis incomprehensibilisque A U gw : incomprehensibilis i. VTFG R 1 sicut: quœ U 1 hostias: -iis w 1 hostias descendebat: d. h. U Il 77 descendebat: -it Tl qui : -œ U 1 tuum om. V g Il 78 doceat: d. digne R 1 cordis om. R Il 78-9 cum-ita om. U Il 79 deuotione: fonte AR w 1 et alter: ac R 1 sacrificium: s. hoc R Il 80 laudis om. R g laudis om. Ag 1 quam: q. et A w 1 defunctorum: d. amen hic des. U Il 81 oratio facta ante corpus et sanguinem domini rubrica quam add. ante rogo G 1 sacrosanctum: sacrum F s. et uiuificumA

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PSOR8

fait. Rappelle-toi quelle est notre nature, puisque tu es notre Père, puisque tu es notre Dieu. Ne t'irrite pas trop et n'empêche pas tes miséricordes de jaillir sur nous en abondance, car ce n'est pas en vertu de nos propres justifications que, prosternés devant ta face, nous présentons nos prières, mais confiants en tes grandes miséricordes. Ôte-nous, Seigneur, nos iniquités, et allume en nous dans ta clémence, le feu de l'Esprit saint. Ôte de notre chair notre cœur de pierre, et donne-nous un cœur de chair qui te craigne, t'aime, t'honore, te savoure, te suive et jouisse de toi. Nous sollicitons ta clémence, Seigneur, pour que tu daignes regarder d'un visage favorable tes serviteurs qui attendent d'accomplir les devoirs attachés à ton saint nom; et pour qu'aucun désir ne soit déçu, pour qu'aucune supplication ne soit vaine, toi inspire-nous les prières que tu aimerais écouter plein de bienveillance et exaucer. Nous te demandons également, Père saint, que pour l'esprit des fidèles défunts aussi ce grand sacrement de bonté soit pour eux salut, guérison, joie et rafraîchissement. Qu'ils aient aujourd'hui, mon Dieu, le grand et riche festin qui rassasie que tu constitues, pain vivant qui es descendu du ciel et qui donnes la vie au monde, chair sainte et bénie de l'Agneau vraiment immaculé, lui qui enlève les péchés du monde, chair issue des entrailles saintes et glorieuses de la Vierge Marie et conçue du saint Esprit, que constitue, dis-je, cette source de bonté qui grâce à la lance du soldat s'est épanchée avec fécondité du côté de notre Seigneur crucifié, pour que dès lors, rassasiés, rafraîchis, rétablis et consolés, ils exultent en te louant et en te glorifiant. 7 J'implore ta bonté, ô Dieu, pour que descendent sur ces offrandes la plénitude de ta bénédiction et la sanctification de ta divinité. Que descende aussi, Seigneur, cette majesté invisible et incompréhensible de ton saint Esprit, comme elle descendait autrefois sur les victimes de nos Pères, pour qu'il fasse de nos offrandes ton corps et ton sang, et qu'il m'enseigne, à moi prêtre indigne, à célébrer un si grand mystère avec pureté du cœur et dévotion des larmes, avec tremblement et révérence, de sorte que tu reçoives avec douceur et bienveillance, le sacrifice de louange de mes mains pour le salut de tous, des vivants comme des morts. Je te demande, Seigneur, par le mystère même sacro-saint de ton corps et de ton sang, grâce auquel chaque jour en ton Eglise nous sommes nourris et abreuvés, purifiés et sanctifiés, et qui nous fait participer à l'unique et souveraine divinité, donnemoi tes vertus saintes pour que rempli d'elles, je m'approche de ton autel avec bonne conscience, de sorte que ces rites célestes deviennent pour moi salut et vie. C'est toi

7

8

Ici prend fin la partie du texte propre à la tradition prolixe B-B

Sg 1!, 24-25. cf. Ez 11, 19.

13

9

10 cf. Ps 88, 48 Is 63, 16. 15 cf. cf. Jn 6, 33. Jn 1, 29.

14

11

2 •

12 Dn ls 63, 16. 9, 18. 16 cf. Jn 19, 34.

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LE RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

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efficiantur michi salus et uita. Tu enim dixisti ore tuo sancto et benedicto: Panis quem ego dabo caro me a est pro mundi uita. Si quis manducauerit ex hoc pane, uiuet in œternum17. Panis dulcissime. sana palatum cordis mei ut sentiam suauitatem amoris tui. Sana eum ab omni langore, ut nullam pneter te sentiat dulcedinem. Panis candidissime, habens amne delectamentum et omnem saporem 18 , qui nos reficis semper et in te numquam deficis, comedat te cor meum. et dulcedine saporis tui repleantur uiscera anim:e me:e. Manducat te angelus pleno ore. manducet te peregrinus homo pro modulo suo, ne deficere possit in uia tali recreatus uiatico. Panis sancte, panis uiue, panis pulcher, panis munde qui descendisti de cœlo 19 et das uitam mundo, ueni in cor meum et munda me ab omni inquinamento carnis et Spiritus 20 , intra in animam meam, et sanctifica me interius et exterius. Esto tutamen et continua salus et corporis et anim:e me:e. Repelle a me insidiantes michi hostes, recedant procul a pr:esentia potenti:e tu:e ut foris et intus munitus per te, recto tramite ad regnum tuum perueniam, ubi non in mysteriis, sicut in hoc tempore agitur, sed facie ad faciem 21 te uidebimus cum tradideris regnum Dea et Patri22 , et Deus erit omnia in omnibus23 . Tune enim me de te satiabis satietate mirifica, ita ut neque esuriam neque sitiam in :eternum. Amen.

2

85 uita: suscipe ergo-gloria tua inv. in textu B (R)I quem am. VT Il 86 uita : u. qui manducat me uiuit propter me ipse manet in me et ego in eo ego sum panis uiuus qui de c~lo descendi A w 1 si-~temum om. A Il 88 eum : illud Tg enim G 1 dulcedinem : d. nullum pr~ter te qu~rat amorem nullam pr~ter te amet pulchritudinem (pulcherrime domine w) g w Il 89 omnem: o. suauitatis Tg 1 reficis semper: s. r. A gw Il 90 numquam ante in te gIlet dulcedine: ut FIl 9! pleno ore: o. p. Tg Il 94 et alter om. TFG 1 et ter: e. sana et A Il 95 et alter om. Ag 1 corporis et anim~ me~ : a. m. e. c. mei g Il 96 pr~sentia : p. maiestatis T 1 pr~sentia -tu~ : potentia pr~senti~ tu~ w Il 97 muni tus post te g 1 regnum tuum: t. r. g Il 97-8 non-sed am. A Il 98 uidebimus : u. interim hoc agendum hoc certe frequentandum commandas ti ecclesi~ tu~ quousque uenias in finem s~culi quando erit sanctorum requies non adhuc in sacramento quo in hoc tempore consociantur membra tua quamdiu bibitur quod de latere tuo manauit sed iam in ipsa perfectione salutis atem~ A w 1 deus erit : e. d. g 1 omnibus: o. ut in ilia perspicua contemplatione tui inconuertabilis (tu~ incommutabilis w) ueritatis nullis mysteriis egeamus A w Il 100 neque ... neque : nec ... nec g 1 ~temum : ~. saluator mundi deus qui cum patre et sancto spiritu uiuis et regnas A w 1 amen am. A.

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PSOR8

en effet qui l'as dit de ta bouche sainte et bénie: «Le pain que je vous donnerai c'est ma chair pour la vie du monde. Si quelqu'un mange de ce pain, il aura la vie éternelle». Pain très doux. redonne le goût à mon coeur. pour que je sente la suavité de ton amour. 8 Guéris-le de toute faiblesse, pour qu'en dehors de toi il ne ressente aucune douceur. Pain très blanc, qui possèdes toute délectation et toute saveur, qui nous restaure sans cesse. et qui en toi-même jamais ne subis d'amoindrisseme nt, que mon cœur se nourrisse de toi et que le fond de mon âme soit rassasié de la douceur de ta saveur. L'ange te mange à pleine bouche. que l'homme pélerin te mange selon sa mesure, pour qu'il ne puisse défaillir en chemin, restauré par un tel viatique. 9 Pain sacré, pain vivant, pain magnifique, pain pur, qui es descendu du ciel et donnes la vie au monde, viens dans mon cœur et purifie-moi de toutes les souillures de la chair et de l'esprit. Entre en mon âme, sanctifie-moi intérieurement et extrérieurement. Sois mon soutien et le salut continuel de mon corps et de mon âme. Écarte de moi les ennemis qui me tendent des pièges, qu'ils se retirent loin de la présence de ta puissance, pour que défendu par toi à l'extérieur et à l'intérieur, je parvienne par un chemin sans détour à ton royaume, où nous te verrons non plus à travers les mystères comme en cette vie, mais face à face, quand tu remettras ton royaume au Dieu et Père, 10 et que Dieu sera tout en tous. C'est alors en effet, que tu me rassasieras de toi dans un rassasiement merveilleux, si bien que je n'aurai ni faim, ni soif pour l'éternité. Amen.

8

CT3, 943-944. CT3,1052-1053. 1 CT3, 1036-1038. 11 CT 3, 1024-1029. 9

°

17 22

Jn 6, 51. 1 Co 15, 24.

18

23

Sg 16, 20. 1 Co 15, 28 et

19

Jn 6, 51.

20

2 Co 7, 1.

21

1 Co 13, 12.

Ill

PsOr 9 : Prière à la Vierge, par Maurille de Rouen Contemporain immédiat de Jean de Fécamp, Maurille eut une carrière assez mouvementée : né à Reims, il poursuivit ses études à Liège, devint écolâtre d'Halberstadt, puis se fit moine à Fécamp du vivant de l'abbé Guillaume (c'est-à-dire avant l'année 1030), fut appelé par le terrible marquis Boniface, père de la comtesse Mathilde, pour réformer l'abbaye Sainte-Marie de Florence ; n'y ayant point réussi, il revint à Fécamp, mais fut enfin nommé archevêque de Rouen par le duc Guillaume, et put donner, en cette situation, la mesure de ses talents (1055-1067) 1• Sa très célèbre prière à la Vierge a été largement diffusée en France et en Angleterre, et fut incorporée au corpus ps-anselmien dès le début du XIIe siècle. Maurille qui aurait composé cette prière pendant son épiscopat2 , s'inspire de la très célèbre formule carolingienne «Singularis meriti ... »3 , dont il a fait son exorde sans changement, comme pour le développer ensuite à loisir. H. Barré a montré en outre que ce texte atteste le passage «presque insensible» du vocable Mater misericordiœ à celui de Mater nostra, qu'emploiera bientôt saint Anselme 5 . Index siglorum :

V: Verdun, B. M. 70, Saint-Alban, vers 1123, f. 62 v. S: Londres, Society of Antiquaries 7, Durham, vers 1125, f. 106. C: Londres, B. M. Cotton Vespasian D. XXVI, maison augustinienne anglaise, seconde moitié du xne s., f. 36v. R : Oxford, Bodl. Libr., Laud. Mise. 79, Sainte-Matrie de Reading, seconde moitié du xne s., f. 110. E : Oxford, Bodl. Lib. Auct. D.2.6., Saint-Alban, puis monastère des Bénédictines de Littlemore, seconde moitié du xne s., f. 161. D: Paris, B. N.lat. 2882, parchemin, Sainte-Marie de Mortemer (Normandie), fin du xne s., f. 77v. K: Troyes, B. M. 914, Clairvaux, fin du XIIe s., f. 66. U: Paris, B. N. lat. 15045, Saint-Victor de Paris, fin du XIIe s., f. 62 v. b :Edition de Th. Bestul, A Durham Book of Devotions, p. 59-62. g: Edition de G. Gerberon, 1675, reprise in PL 158, col. 946-948. h : Edition de H. Barré, Prières anciennes, p. 180-184 (édition basée sur V, D et U ).

1 A. Wilmart, EL, 49, 1935, p. 33 et M. de Bouard, , L'abbaye bénédictine de Fécamp. Ouvrage scientifique du XIIIe centenaire, Fécamp, 1959, 1, p. 81-92. H. Barré, Prières anciennes, p. 182. 3 Voir H. Barré, op. cit., n° 4, p. 75. 4 A. Wilmart, RB 36, 1924, p. 68-69. 5 H. Barré, op. cit., p. 182 et , Etudes Mariales, 16, 1959, p. 87-104.

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PRIÈRES ANNEXES AU RECUEIL DE RAOUL LE MOINE

Ps0r9 Oratio beati Maurilii Rothomagensis episcopi ad sanctam Mariam

5

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15

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Singularis meriti, sola sine exemplo, mater et uirgo, sancta Maria, quam Dominus ita mente et corpore custodiuit, ut digna existeres, ex qua sibi nostrœ redemptionis pretium Dei Filius corpus aptaret: obsecro te, misericordissima, per quam totus saluatus est mundus, intercede pro me miserrimo et cunctis iniquitatibus fe do, ut uel iam donet Dominus infelici anim