Philippe Le Beau: Le Dernier Duc De Bourgogne 2503512267, 9782503512266

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Philippe Le Beau: Le Dernier Duc De Bourgogne
 2503512267, 9782503512266

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PHILIPPE LE BEAU Le dernier duc de Bourgogne

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BURGUNDICA VI

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PHILIPPE LE BEAU Le dernier duc de Bourgogne

Jean-Marie CAUCHIES de l’Académie Royale de Belgique

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Couverture:

camée (XVIe siècle) représentant Philippe le Beau et Charles Quint (Bibliothèque Royale de Belgique, Cabinet des Monnaies et Médailles)

ISBN 2-503-51226-7 D/2003/0095/15 © 2003, BREPOLS PUBLISHERS nv, TURNHOUT, BELGIUM All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without prior permission of the publisher. Printed in the EU on acid free paper

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Table des matières

TABLE DES MATIERES Introduction

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Sigles

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Bibliographie

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Première partie - Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre

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Ch. I - «Vie cachée» 1. Une naissance dans les turbulences 2. Otage et «enjeu» politique 3. Premières actions personnelles

3 3 8 15

Ch. II - «Naturel», «natuerlijk» 1. La légitimité d’un pouvoir acquis 2. La fin d’une longue insécurité 3. Les cérémonies d’inauguration

25 25 29 32

Ch. III - Le mariage espagnol 1. Les relations hispano-bourguignonnes et austro-espagnoles 2. Les négociations préalables 3. La célébration

41 41 43 48

Deuxième partie - Philippe de Bourgogne, «enfant terrible» de la politique européenne ?

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Ch. IV - Des desseins monarchiques, entre centralisation et participation 1. Entourage, conseils et assemblées A. Les grands commis : portraits B. Les charges officielles et les lieux de décision C. La représentation des sujets D. Un modèle pour l’exportation ? 2. La naissance d’une tutelle communale 3. Maximilien : instructions, influence, défiance

57 57 57 69 75 78 79 84

Ch. V - Des relations de bon voisinage 1. La France et la paix 2. La Gueldre ou le refus aux armes 3. L’Angleterre : les accords commerciaux

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Ch. VI - Un prince en Europe 1. Un jeune Habsbourg et l’Empire 2. Le Saint-Siège et la politique bénéficiale 3. «Au fil d’une éphéméride funèbre»

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V

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Table des matières Troisième partie - Promesses et brutalité d’un destin interrompu

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Ch. VII - Le prince héritier d’Espagne 1. Beaux-parents, gendre, royaume et intrigues 2. Le premier voyage d’Espagne 3. Négociations de France et d’Autriche A. A la poursuite d’un mariage introuvable B. Voyage et projet tyroliens

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Ch. VIII - Le roi de Castille 1. La reine morte 2. La campagne de Gueldre 3. Le second voyage d’Espagne A. Une trop longue «escale» anglaise B. Cinq mois sous le ciel de Castille C. Mort à Burgos

159 159 171 176 182 189 203

Ch. IX - Profils 1. Le charmeur «Croit conseil» 2. Une épouse embarrassante 3. L’empreinte d’une culture

219 219 230 237

Conclusion

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Annexes

251

Chronologie

269

Cartes

273

Index des noms de personnes

275

Index des noms de lieux

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VI

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Introduction

INTRODUCTION Quelqu’un me disait un jour, non sans amusement: «Je me demande parfois qui je suis. Dans le milieu rural qui m’a vu naître, on ne m’appelait que “le fils à François”. Dans le quartier résidentiel que j’habite maintenant avec les miens, peuplé de familles de toutes provenances, où les enfants sont les premiers à nouer des liens, je ne suis pour les autres parents que “le père de Denis”. Non, décidément, je n’ai jamais été moi-même»... Je lui répliquai: «Moi, je sais qui vous êtes: vous êtes Philippe le Beau réincarné»! Philippe de Habsbourg, dit le Beau (1478-1506), archiduc d’Autriche, héritier des Pays-Bas bourguignons et de quelques autres terres, éphémère roi de Castille (novembre 1504 - septembre 1506): voilà le prototype du «personnage historique» souvent ignoré, oublié, voire délibérément sous-estimé sinon méprisé, ou encore confondu, dans l’historiographie. Il y apparaît, quand on daigne s’y arrêter, sous les traits du rejeton des ducs Valois de Bourgogne, du fils de l’imposant monarque germanique Maximilien (Ier) dit d’Autriche et de son épouse trop tôt disparue, Marie de Bourgogne, du mari de la princesse puis reine Jeanne d’Aragon ou de Castille, surnommée la Folle, du père enfin d’une figure dominante, voire écrasante, du XVIe siècle européen, Charles Quint. J’ai lu plus d’une fois de ce dernier qu’il était né de mère espagnole et de «père autrichien», qualification acceptable quant au propre sang paternel et au premier élément de la titulature - «archiduc d’Autriche» - de Philippe, mais bien éloignée de sa vie, de ses sentiments et de sa destinée politique. Il n’est pas un chaînon manquant, il est un chaînon omis. Dans une publication scientifique récente, Marie, mère de Philippe, est décrite - est-ce par galanterie? - comme «le maillon parfait» reliant Philippe le Bon à Charles Quint, curieuse formule faisant fi d’un père, Charles le Hardi (ou le Téméraire), et d’un fils dont les impacts respectifs dans l’histoire valent bien celui de la bonne duchesse, la «grande héritière»1 ... Dans un autre livre de circonstance, notre homme est systématiquement devenu «Philippe-le-Bel», une qualification inconcevable en français sous des plumes compétentes2! Voilà près d’un demi-siècle, un historien allemand constatait la place déséquilibrée et insatisfaisante dévolue dans la mémoire à Philippe le Beau par les historiens «modernes». Il posait alors une question cruciale: comment le situer à la croisée d’une politique (Realpolitik) bien ancrée dans les Pays-Bas, attentive à leurs intérêts, et des prétentions dynastiques à la dimension du «monde» (Universalismus), fondatrices pour leur part de la vision des Habsbourg3? «Qui vouldra», telle fut la devise d’un homme dont précisément la capacité personnelle de «vouloir» a pu être mise en doute. Pour peu, certains en eussent fait un faible, sans envergure, un être passif et attentiste laissant d’autres agir pour lui. L’intérêt qu’il a suscité comme tel demeure sans commune mesure avec les centaines, que dis-je, les milliers de pages noircies par les biographes de ses aïeux

1 2 3

Bruges à Beaune. Marie, l’héritage de Bourgogne, Beaune et Paris, 2000, p. 107. Carolus, Charles Quint 1500-1558, Gand, 1999, passim. F. PETRI, Die früheren Habsburger in der niederländischen Geschichte, dans Bijdragen en mededelingen van het Historisch Genootschap, t. LXXII, 1958, p. 20*-21*.

VII

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Introduction bourguignons, de sa mère, de son père, de sa femme, de sa sœur Marguerite, de plusieurs de ses fils et filles. Il y apparaît évidemment toujours, mais sans beaucoup de relief. Les doigts de la main suffisent souvent à dénombrer les lignes qu’ici et là on lui réserve. Si les synthèses d’histoire dite de Belgique ou des anciens Pays-Bas lui consacrent l’un ou l’autre paragraphe spécifique, souvent dans l’ombre de Maximilien et en simple prélude au long règne de Charles Quint, les travaux espagnols ne lui font guère les honneurs que d’appendices au gouvernement des Rois Catholiques, ses beaux-parents; il est vrai qu’il ne devait guère être qu’une étoile filante dans le ciel ibérique. Dans l’ensemble enfin, en dépit de son appartenance familiale, il demeure forcément ignoré des travaux autrichiens, n’ayant d’ailleurs jamais dépassé vers l’est le cœur du Tyrol. A l’aube du siècle dernier, une notice substantielle permettait à Philippe de prendre place dans la galerie de la Biographie nationale de Belgique. Bien documentée, elle offre une vue panoramique de son existence et de sa carrière, non exempte d’erreurs pour certaines dates précises et charriant, fussent-elles fondées ou non, de grandes opinions alors déjà bien arrêtées: ses «mœurs dissolues», sa politique extérieure «conforme aux intérêts des Pays-Bas», son «œuvre monarchique» à l’intérieur dans la ligne des ducs de Bourgogne4. Au fil du temps, deux auteurs au moins ont cultivé le projet d’écrire une véritable biographie de l’homme. Karl (ou Carl) Adolf Konstantin (ou Constantin) Höfler (18111897), originaire de Souabe, professeur aux Universités de Munich puis de Prague, honoré par l’accès au Ritterstand autrichien (Ritter von Höfler depuis 1873), manifestait en sa qualité de catholique et d’érudit großdeutscher une vive sympathie à l’égard de la prépondérance des Habsbourg. Ceci l’amena à publier plusieurs éditions de sources et travaux, dont une biographie consacrée à Jeanne de Castille, mais de livre sur le jeune archiduc, point5. Après un Marie de Bourgogne ou le Grand Héritage (1945) et un Marguerite d’York ou la Duchesse Junon (1959), l’écrivain et académicien belge Luc Hommel (1896-1960) escomptait achever la réalisation d’un «triptyque» bourguignon par un Philippe le Beau qui ne vit jamais le jour6. Il appartiendrait à Rogelio Perez Bustamante, catedrático d’histoire du droit espagnol à Madrid, de fournir enfin, en 1995, une première biographie complète d’el Rey Felipe de Castilla, concentrée sur les phases espagnoles (mariage, voyages, règne bref) de l’existence, de son aveu même, d’une des figures le plus mal connues, mais non pas le moins vilipendées, dans l’histoire de sa patrie. Il faut, soulignent les premières pages de ce livre, rompre avec un romantisme persistant, trop préoccupé des amusements, de la chasse et des femmes, toutes choses que ne dédaignait certes pas Philippe, pour suivre à la trace una historia más veraz, reconstituée sur la base de sources aussi diverses par leur nature que par leur provenance7.

4 5

6 7

A. DE RIDDER, Philippe d’Autriche (cf. Bibliographie). Cf. Bibliographie. A la fin d’une de ses contributions (Antoine de Lalaing, Vincenzo Quirino und Don Diego de Guevara, p. 510), il annonçait son intention de consacrer une «monographie» spécifique à «das Leben dieses vielverkannten (c’est-à-dire fort méconnu) habsburgischen Fürsten». L’historien et sociologue allemand Andreas Walther (1879-1960) devait écrire de Höfler qu’il fut débordé par la masse documentaire: WALTHER, Die Anfänge Karls V., p. 51. L. HOMMEL, Philippe le Beau, dans Revue générale belge, t. XCVII, déc. 1961, p. 31 (note liminaire de Georges Sion). R. PEREZ BUSTAMANTE et J.M. CALDERON ORTEGA, Felipe I (1506), p. 9-12.

VIII

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1. Innsbruck - Hofkirche. Statue en bronze (1511/16), en pied, du monument funéraire de Maximilien Ier : figuration de Philippe le Beau.

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Introduction Tel a bien été mon objectif. Constantin (von) Höfler, déjà cité, me fut d’une grande aide. Ses Kritische Untersuchungen über den Quellen der Geschichte Philipps des Schönen... (1883) paraissent de prime abord bavardes, touffues et, pour tout dire, indigestes. Leur décryptage permet toutefois aujourd’hui encore de nouer un premier contact avec des sources narratives et diplomatiques originaires des Pays-Bas, d’Espagne, de France, d’Angleterre, d’Italie,... A condition d’élaguer certaines considérations subjectives et autres détails oiseux, le solide exposé de près de cent pages, truffé de références, aide à connaître et apprécier la valeur de divers chroniqueurs, recueils de correspondances ou de dépêches d’ambassadeurs. Tout un pan de la documentation disponible est - naturellement, vu l’époque - ignoré de von Höfler: ce sont les sources comptables, ou encore les registres et autres mémoriaux pourvoyeurs de détails aussi nombreux que changeants. Grâce aux travaux existants, parfois aussi en y recourant directement, j’ai pu moi-même en tirer profit. Qu’on ne s’attende pas à trouver ici une sorte d’«encyclopédie philippine», soucieuse de recenser jusqu’à l’embarras gastrique (pour le lecteur!) toutes les données possibles de la vie privée et publique de Philippe le Beau. Qu’on n’y cherche pas davantage une histoire des structures et de la conjoncture dans les Pays-Bas ou la Castille au temps de ce «monarque». Qu’ai-je voulu livrer? Une forme de biographie politique et morale d’un homme, immergé dans l’écheveau politique de son temps, où l’Empire, les royaumes de France et d’Angleterre, le Saint-Siège, les seigneurs «bourguignons», c’est-à-dire des Pays-Bas («Benelux»...), et les grandes castillans, les pouvoirs municipaux, les assemblées représentatives,... occupent leurs créneaux respectifs, à travers les hommes, non pas l’«Homme» abstrait et irréel, ni davantage un collectif exclusif et étouffant, mais des visages, des actes, des pensées, pour tout dire des «personnes». Il fallait éviter le jeu du touche-à-tout. Ainsi, dans l’action politique menée tous azimuts par Maximilien Ier, roi des Romains puis empereur élu, on n’a pris en compte que ce par quoi le fils de cet entreprenant souverain allait être directement concerné, ne réservant à l’Italie, à l’Europe centrale ou à la «xième» version d’un plus ou moins vague projet de croisade contre les Turcs que de fugaces mentions destinées à montrer que l’auteur n’en ignore pas tout à fait les enjeux... Le plan du livre ne surprendra pas les très nombreux étudiants auxquels, depuis un quart de siècle, j’ai dispensé des enseignements universitaires: trois parties de trois chapitres de trois sections rythment un développement où, comme le veut la pratique sainement conçue de l’histoire, démarches chronologique et thématique se combinent plutôt que de s’affronter dans un vain combat. Des thèmes déterminés auraient encore pu fournir matière à autant de chapitres spécifiques. Mais il reste autour d’eux beaucoup d’essartages à réaliser et de plantations nouvelles à promouvoir, qu’il s’agisse, entre autres, des aides consenties au gouvernant par ses gouvernés8, des cours archiducale puis royale susceptibles d’une étude systématique9, ou encore de la politique monétaire et de

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Travail à mener sur les finances dont l’environnement institutionnel et socio-politique est en partie fourni par les études importantes de Robert Wellens et Wim Blockmans consacrées aux assemblées d’Etats. Quantité de matériaux ont en particulier été rassemblés par Rafael Domínguez Casas.

X

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Introduction l’approche hautement technique qu’elle requiert10. Dans une perspective plus événementielle, une histoire détaillée des relations avec la Gueldre, sur le mode «guerre et paix», attend encore son initiateur, côté bourguignon11. Au terme de plusieurs années de lectures, de visites, de dépouillements, de réflexion et d’écriture, il m’est agréable de formuler ici quelques remerciements. Si le petit univers des dépôts d’archives et bibliothèques des anciens Pays-Bas n’avait déjà plus pour moi des allures de terrae incognitae, il n’en allait pas de même pour d’autres horizons. En Espagne, le Professeur Miguel Ángel Ladero Quesada (Universidad Complutense, Madrid), de la Real Academia de la Historia, m’a soutenu utilement dans mes démarches par des conseils et des recommandations. Son collègue Rogelio Perez Bustamante (Universidad Complutense et Universidad Rey Juan Carlos, Madrid) m’a cordialement invité à participer activement, à Palencia (Castille-Léon), à une universidad de verano («université d’été»), consacrée au thème de La proyección europea de Castilla: Las bases del Imperio. 1495, où j’ai pu nouer des contacts privilégiés. Un séjour en résidence universitaire à Valladolid a été rendu aisé grâce à l’intervention du Professeur Luis Antonio Ribot García, de l’université de cette ville. M. François Zumbiehl, directeur-adjoint, m’a accueilli avec bienveillance, pour un autre séjour, à la Casa de Velázquez de Madrid, où j’ai pu déambuler des jours durant dans les collections de livres de ce prestigieux établissement. Mme Anne Vandenbulcke, actuellement conservateur des Archives de la Ville de Bruxelles, m’a fait pour sa part profiter de son expérience des fonds conservés à l’Archivo general de Simancas. Avec une générosité totale, M. Robert Wellens, chef de département honoraire des Archives générales du Royaume de Belgique, m’a cédé une vaste documentation qu’il avait rassemblée précédemment à l’Österreichisches Staatsarchiv (Haus-, Hof- und Staatsarchiv) de Vienne. Dans cette ville et cette institution, j’ai bénéficié de la courtoisie et des conseils du Professeur Leopold Auer. Lors d’un séjour à la Karl-Franzens-Universität de Graz, Mme Dr Inge Wiesflecker-Friedhuber (Institut für Geschichte) a mis à ma disposition, avec une chaleureuse prévenance, les travaux inédits répertoriés plus loin, fruit de recherches dirigées par son époux, le Professeur Hermann Wiesflecker. Bref, en Autriche et en Styrie, tout comme en Castille, j’ai eu la conviction d’être accueilli ainsi qu’un féal sujet des Habsbourg, de la Casa de Austria... De quoi me plonger dans l’ambiance «européenne» d’un livre qu’il restait alors encore à écrire.

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Un essai partiel de clarification et de compréhension figure dans J.-M. CAUCHIES, La législation princière pour le comté de Hainaut..., p. 311-315 (avec références à des sources et travaux); il faudrait donner ici une suite au livre de P. SPUFFORD, Monetary problems and policies in the Burgundian Netherlands 1433-1496, Leyde, 1970. Cf. les chapitres V/2 et VIII/2.

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Sigles

SIGLES ADN : Lille, Archives départementales du Nord AGR: Bruxelles, Archives générales du Royaume AGS : Simancas, Archivo general BCRH : Bulletin (à l’origine : Compte rendu des séances) de la Commission royale d’histoire (de Belgique) HHSA : Vienne, Haus-, Hof- und Staatsarchiv PCEEB : Publication du Centre européen d’études bourguignonnes (XIVeXVIe s.)

XII

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Bibliographie

BIBLIOGRAPHIE

La bibliographie dressée dans ces pages demeure strictement sélective et répertorie les publications spécifiquement consacrées au sujet ou couramment utilisées dans l’ouvrage. On trouvera une multitude d’autres références précises dans les notes infra-paginales. Les sources imprimées et travaux figurant ci-dessous sont toujours mentionnés de manière abrégée dans ces mêmes notes. 1 - Sources imprimées - ANGHIERA ou ANGLERÍA: Pedro Mártir (Pietro Martire) de Anglería (d’Anghiera), Epistolario. Estudio y traducción, édit. J. LÓPEZ de TORO, t. I et II, Madrid, 1953 et 1955 (Documentos inéditos para la historia de España, IX et X). - W.P. BLOCKMANS, Autocratie ou polyarchie? La lutte pour le pouvoir politique en Flandre de 1482 à 1492, d’après des documents inédits, dans BCRH, t. CXL, 1974, p. 257-368. - Briefe des Grafen Wolfgang zu Fürstenberg zur Geschichte der Meerfahrt des Königs Philipp von Castilien (1506), édit. K.H. Freiherr ROTH von SCHRECKENSTEIN, dans Zeitschrift der Gesellschaft für Beförderung der Geschichts-, Alterthums- und Volkskunde von Freiburg..., t. I (1867-1869), 1869, p. 123-163. - Cartas de Felipe el Hermoso..., dans Colección de documentos inéditos para la historia de España (CODOIN), t. VIII, édit. M. SALVA et P. SAINZ de BARANDA, Madrid, 1846, p. 270-384. - J.-M. CAUCHIES, Liste chronologique des ordonnances de Charles le Hardi, Marie de Bourgogne, Maximilien d’Autriche et Philippe le Beau pour le comté de Hainaut (1467-1506), dans Bulletin de la Commission royale pour la publication des anciennes lois et ordonnances de Belgique, t. XXXI (1982-1984), 1986, p. 1-125. - J. CHMEL, Urkunden, Briefe und Actenstücke zur Geschichte Maximilians I. und seiner Zeit, Stuttgart, 1845 (Bibliothek des literarischen Vereins in Stuttgart, X). - Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, t. I, édit. L.-P. GACHARD, Bruxelles, 1876 (Commission royale d’histoire). - Corpus documental de las Cortes de Castilla (1475-1517), édit. J.M. CARRETERO ZAMORA, Madrid, 1993. - V. del CERRO BEX, Itinerario seguido por Felipe I El Hermoso en sus dos viajes a España, dans Chronica nova [Grenade], 1973, n° 8, p. 59-80. - Documentos sobre relaciones internacionales de los Reyes Católicos, édit. A. de la TORRE, t. IV, V et VI, Barcelone, 1962, 1965 et 1966, 3 vol. (Biblioteca «Reyes Católicos», Documentos y textos, XI-XIII). - Documentos relativos al gobierno de estos reinos, muerta la Reina Católica Doña Isabel, entre Fernando V, su hija Doña Juana y el marido de esta Felipe I, dans Colección de documentos inéditos para la historia de España (CODOIN), t. XIV, édit. M. SALVA et P. SAINZ de BARANDA, Madrid, 1849, p. 285-365.

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Bibliographie - J. DU MONT, Corps universel diplomatique du droit des gens..., t. III/2 et IV/1, Amsterdam et La Haye, 1726. - Etat de l’hôtel de Philippe-le-Bel, duc de Bourgogne, en l’an 1496, à Bruxelles, édit. Baron de REIFFENBERG, dans BCRH, [1e série], t. XI, 1846, p. 678-718. - FUENSALIDA: Correspondencia de Gutierre Gómez de Fuensalida, embajador en Alemania, Flandes é Inglaterra (1496-1509), édit. Duque de BERWICK y de ALBA, Madrid, 1907. - L. GILLIODTS-VAN SEVEREN, Inventaire des archives de la ville de Bruges... Section première: Inventaire des chartes. Première série: Treizième au seizième siècle, t. VI, Bruges, 1876. - Handelingen van de Leden en van de Staten van Vlaanderen. Regeringen van Maria van Bourgondië en Filips de Schone (5 jan. 1477 - 26 sept. 1506). Excerpten uit de rekeningen van de Vlaamse steden en kasselrijen en van de vorstelijke ambtenaren, édit. W.P. BLOCKMANS, Bruxelles, 1973-1982, 2 vol. (CRH. In-4°). - LA MARCHE: Mémoires d’Olivier de La Marche, maître d’hôtel et capitaine des gardes de Charles le Téméraire, édit. H. BEAUNE et J. d’ARBAUMONT, t. I et III, Paris, 1883 et 1885 (Société de l’histoire de France). - Letters and papers illustrative of the reigns of Richard III. and Henry VII., édit. J. GAIRDNER, Londres, 1861-1863, 2 vol. (Rerum britannicarum medii aevi scriptores... Rolls series). - Lettres de Charles VIII, roi de France, édit. P. PÉLICIER, t. III, IV et V, Paris, 1902, 1903 et 1905, 3 vol. (Société de l’histoire de France, 310, 313 et 321). - Lettres inédites de Maximilien, duc d’Autriche, roi des Romains et empereur, sur les affaires des Pays-Bas, de 1478 à 1508. Deuxième partie (1489-1508), édit. L.-P. GACHARD, dans BCRH, 2e série, t. III, 1852, p. 193-328. - Memorials of King Henry the Seventh, édit. J. GAIRDNER, Londres, 1858 (Rerum britannicarum medii aevi scriptores... Rolls series). - Middelnederlandsche historieliederen, édit. C.C. VAN DE GRAFT, s. l., 1904; réimp.: Arnhem, 1968. - MOLINET: Chroniques de Jean Molinet (1474-1506), t. I et II, édit. G. DOUTREPONT et O. JODOGNE, Bruxelles, 1935 (Académie royale de Belgique, Classe des Lettres et des Sciences morales et politiques, Collection des Anciens auteurs belges). - Négociations diplomatiques entre la France et l’Autriche durant les trente premières années du XVIe siècle, édit. [A.] LE GLAY, t. I, Paris, 1845 (Collection de documents inédits sur l’histoire de France, Première série: Histoire politique). - PADILLA: Lorenzo de Padilla, Crónica de Felipe I° llamado el Hermoso, dans Colección de documentos inéditos para la historia de España, t. VIII, édit. M. SALVA et P. SAINZ de BARANDA, Madrid, 1846, p. 5-267. - Panegyricus ad Philippum Austriae ducem, édit. O. HERDING, dans Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, t. IV/1, Amsterdam, 1974, p. 1-93. - Quellen zur Geschichte Maximilians I. und seiner Zeit, édit. I. WIESFLECKER-FRIEDHUBER, Darmstadt, 1996 (Ausgewählte Quellen zur deutschen Geschichte der Neuzeit, XIV). - QUERINI: Depeschen des venetianischen Botschafters bei Erzherzog Philipp, Herzog von Burgund, König von Leon, Castilien, Granada, Dr. Vincenzo Quirino 1505-1506, édit. C.R. von HÖFLER, dans Archiv für österreichische Geschichte, t. LXVI, 1885, p. 45-256.

XIV

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Bibliographie - QUERINI: Relazioni di Borgogna con aggiunta di alcuni particolari intorno i regni d’Inghilterra e di Castiglia letta in pregadi da Vincenzo Quirini l’anno 1506, dans Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato, t. I (Serie Ia. Volume I°), édit. E. ALBÈRI, Florence, 1899, p. 1-30. - C.R. von HÖFLER, Antoine de Lalaing, Seigneur de Montigny, Vincenzo Quirino und Don Diego de Guevara als Berichterstätter über König Philipp I. in den Jahren 1505, 1506, dans Sitzungsberichte der Philosophisch-Historische Classe der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften [Vienne], t. CIV, 1883, p. 433-510. - C.R. von HÖFLER, Das diplomatische Journal des Andrea del Burgo, kaiserlichen Gesandten zum Congresse von Blois 1504, und des erzherzoglichen Secretärs und Audienciers Philippe Haneton. Denkschrift über die Verhandlungen K. Philipps und K. Ludwigs XII. 1498-1506, dans Sitzungsberichte der Philosophisch-Historische Classe der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften [Vienne], t. CVIII, 1885, p. 411-502. - C.R. von HÖFLER, Kritische Untersuchungen über den Quellen der Geschichte Philipps des Schönen, Erzherzogs von Österreich, Herzogs von Burgund, Königs von Castilien, dans Sitzungsberichte der PhilosophischHistorische Classe der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften [Vienne], t. CIV, 1883, p. 169-256. - J. ZURITA, Historia del rey Don Hernando el Católico: de las empresas y ligas de Italia, t. II, III et IV, édit. A. CANELLAS LÓPEZ e. a., [Saragosse], 1991, 1992 et 1994. 2. Travaux - B. ARAM, Juana «the Mad’s» signature: the problem of invoking royal authority, 1505-1507, dans The Sixteenth Century Journal, t. XXIX, 1998, p. 331-358. - W.P. BLOCKMANS, De volksvertegenwoordiging in Vlaanderen in de overgang van Middeleeuwen naar Nieuwe Tijden (1384-1506), Bruxelles, 1978 (Verhandelingen van de Koninklijke Academie voor Wetenschappen, Letteren en Schone Kunsten van België, Klasse der Letteren, 90). - J.M. CARRETERO ZAMORA, Cortes, monarquía, ciudades. Las Cortes de Castilla a comienzos de la época moderna (1476-1515), Madrid, 1988. - J.-M. CAUCHIES, L’archiduc Philippe d’Autriche, dit le Beau (1478-1506), dans De Orde van het Gulden Vlies... (ci-dessous), p. 45-54. - J.-M. CAUCHIES, Baudouin de Bourgogne (v. 1446-1508), bâtard, militaire et diplomate. Une carrière exemplaire?, dans Revue du Nord, t. LXXVII, 1995, p. 257-281. - J.-M. CAUCHIES, Die burgundischen Niederlande unter Erzherzog Philipp dem Schönen (1494-1506): ein doppelter Integrationsprozess, dans Europa 1500. Integrationsprozesse im Widerstreit, édit. F. SEIBT et W. EBERHARDT, Stuttgart, 1987, p. 27-52. - J.-M. CAUCHIES, «Croit conseil» et ses «ministres». L’entourage politique de Philippe le Beau (1494-1506), dans «A l’ombre du pouvoir». Les entourages princiers au Moyen Âge, édit. A. MARCHANDISSE, Liège, 2002, p. 391-411. - J.-M. CAUCHIES, Dans les allées et les coulisses du pouvoir: Philibert de Veyré, diplomate au service de Philippe le Beau (m. 1512), dans Liber amicorum

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Première partie

Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre

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Chapitre I «VIE CACHEE»

1. Une naissance dans les turbulences Ipsa [domina nostra] enim hesterna die... hora secunda cum viginti quatuor minutis post meridiem filium pepererit salvum mire pulcritudinis et in omnibus perfectum1 Combien funeste doit paraître le sort de Bourgogne lorsque, le 5 janvier 1477, le duc Charles, dit plus tard le Hardi, périt de mort violente devant Nancy, de la main armée de ses nombreux ennemis. De combien de promesses il paraît au contraire porteur quand, le 22 juin 1478, dans les murs de Bruges, la duchesse Marie donne naissance à son fils premier-né, Philippe, dit plus tard le Beau. Jour de deuil intense. Jour de liesse profonde. Entre ces deux dates, la fille du quatrième duc Valois et son époux, l’archiduc Maximilien d’Autriche, unis devant Dieu le 19 août 1477, à Gand, ont entrepris avec énergie une lutte défensive, un véritable combat vital, pour sortir les possessions bourguignonnes de leurs ornières et sauvegarder l’héritage, le «grand héritage» comme l’ont dénommé certains historiens. Louis XI s’est emparé définitivement du duché de Bourgogne lui-même, mais les Pays-Bas tiendront bon, en dépit des coups terribles que le roi de France va leur asséner, en Hainaut, puis en Artois; par des voies indirectes, par agents interposés, le même monarque veille aussi à multiplier les brûlots en Hollande et Zélande, traditionnellement en proie aux luttes opposant les factions dites Hoeken et Kabeljauwen, ainsi que dans le duché de Gueldre libéré de l’emprise de feu Charles le Hardi, pays hostile à Bourgogne. Maximilien et Marie ne peuvent guère tabler sur une aide extérieure effective. Frédéric III, père de l’archiduc, n’en a pas les moyens: tout au plus, le 19 avril 1478, leur donne-t-il, pour eux et leurs héritiers légitimes (und ir beider eelichen leibserben) l’investiture des fiefs d’Empire dans les Pays-Bas, soit pour l’essentiel les territoires de la rive droite de l’Escaut, Hollande, Zélande et GueldreZutphen compris2. Edouard IV d’Angleterre, pour sa part, ne renonce pas alors à traiter avec Louis XI aux dépens des successeurs de Charles de Bourgogne,

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«Car hier, à deux heures et vingt-quatre minutes de l’après-midi, notre dame (la duchesse Marie) s’est accouchée d’un fils en bonne santé, d’une admirable beauté et d’une totale perfection»: Actenstücke und Briefe zur Geschichte des Hauses Habsburg im Zeitalter Maximilian’s I., édit. J. CHMEL, t. II, Vienne, 1855, p. 414. Original: HHSA, Familienakten (Habsburg-Lothringische Familienarchiv, Akten), 18, f. 2r. (lettre de deux médecins à Maximilien rapportant la naissance de Philippe le Beau; Bruges, 23 juin 1478). Op. cit., p. 396-401.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre même s’il va conclure avec eux le 12 juillet suivant un des nombreux traités de commerce qui jalonnent l’histoire des relations anglo-bourguignonnes. Bruges est au centre de l’existence et de l’action politique de Maximilien en cette année de guerre 1478. C’est là que le 1er mai, après son installation en qualité de chef et souverain de l’ordre de la Toison d’or, il en ouvre le 13e chapitre, où seront élus et effectivement agrégés à la compagnie huit nouveaux chevaliers, une bonne moyenne en l’espèce. Une trêve - relative - intervenue dans les opérations militaires contre la France (11 juillet 1478) coïncide à peu près avec l’heureux événement par excellence, survenu au même lieu: la naissance d’un fils. L’archiduc Philippe voit donc le jour en la résidence brugeoise comtale du Prinsenhof le 22 juin; la cérémonie de baptême a lieu le 29 juin, jour des saints Pierre et Paul, en la collégiale Saint-Donatien. Maximilien n’assiste pas à ces grands moments: il est encore en campagne. Adolphe de Clèves, seigneur de Rave(n)stein, cousin germain de Charles le Hardi, et Pierre de Luxembourg, comte de Saint-Pol, tiennent le nouveau-né sur les fonts baptismaux. Au côté de ces deux parrains, Marguerite d’York, duchesse douairière de Bourgogne et belle-mère de l’archiduchesse Marie, est la marraine. Il appartient à cette princesse des Iles, veuve de Charles le Hardi, de présenter l’enfant à l’assistance, et de prendre ainsi le peuple à témoin du sexe masculin de l’héritier de HabsbourgBourgogne, pour que nul n’en ignore ou ne répande de façon malveillante des bruits contraires. Aucune autre femme, dans les années à venir, ne se dévouera avec plus d’endurance et de détermination aux intérêts de sa belle-fille puis de l’enfant Philippe, pour lequel elle sera une seconde mère. Le jeune archiduc, alors récemment émancipé et inauguré, comme on le verra, lui rendra un hommage vibrant et certes sincère autant que mérité, dans un acte officiel relatif à la confirmation de son douaire (28 décembre 1494): «aussi eu regard a sa bonne et honneste conduite envers nostredit seigneur et grant pere et la grant amour que elle a demonstré avoir a nostredicte feue dame et mere, ses pays et seignouries tant avant son mariaige que depuis, pareillement envers mondit seigneur et envers nous durant nostre minorité, en maniere que, aprés le trespas de nostredicte feue dame et mere, elle s’est conduite envers nous comme se elle eust esté nostre propre mere, en soy tenant deléz nous a ses trés grans fraiz et despens, et pour nous a soustenu dommages inestimables sans nous avoir habandonné»3. La bonne nouvelle se diffuse évidemment très vite: ainsi, dès le 24 juin, la naissance est-elle connue dans les principautés septentrionales 4. Les sources livrent les noms de plusieurs personnes étroitement associées aux premières années d’existence de Philippe. Ce sont d’abord des femmes. Jeanne (Le) Josne, épouse d’un seigneur hainuyer, Gilles de Bouzanton, prodiguera ses

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S. DAUCHY, Le douaire de Marguerite d’York, la minorité de Philippe le Beau et le Parlement de Paris (1477-1494), dans BCRH, t. CLV, 1989, p. 126 (dans la datation des lettres patentes, corriger novembre en décembre: CAUCHIES, Liste chronologique 1467-1506, p. 87, n° 245). VAN GENT, «Pertijelike saken», p. 196 n. 34.

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2. Paris - Collection Wilkinson (collection privée). Peinture (v. 1488): portrait de Philippe le Beau.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre soins à l’archiduc et à sa sœur Marguerite, née en janvier 1480; elle bénéficiera, selon l’usage de la cour de Bourgogne, d’une rente, assignée en l’espèce sur une recette domaniale hainuyère5. Jeanne de Comines, épouse de Jean de Halewijn, plus tard dame d’honneur de Jeanne de Castille, décédée en 1512, a dû remplir quelque temps la fonction de gouvernante auprès de Philippe6. En 1493, Maximilien et son fils feront encore payer, pour arriérés de gages, une somme de 1.000 livres à une certaine Ysabeau Veyse, «bercheresse» des enfants archiducaux, en fonction du 21 juin 1478 au 31 décembre 1482 au moins7. Bientôt, lors du chapitre de l’ordre de la Toison d’or tenu à Bois-le-Duc (mai 1481), un quadragénaire, Josse de Lalaing, fidèle serviteur de la dynastie et depuis peu gouverneur des pays de Hollande, Zélande et Frise, est commis précepteur du prince8. Plus tard, l’ecclésiastique François de Busleyden sera désigné en qualité de «maistre d’escole» de Philippe; il bénéficiera à ce titre d’une pension annuelle attestée depuis 14929. On mentionnera encore le maître d’hôtel et écrivain Olivier de La Marche, affecté par Maximilien dès 1484 à la formation intellectuelle de l’enfant, auquel il dédiera ses Mémoires et d’autres œuvres et à l’hôtel duquel il sera bientôt attaché10. Digne rejeton de Marie de Bourgogne, pour laquelle on rechercha très tôt un fiancé en Angleterre, en Aragon, en Bretagne, en Lorraine, en Savoie... et même en France - le dauphin Charles, futur Charles VIII, en 1472-1473 - , avant que ne s’impose le fils de l’empereur, Philippe le Beau s’inscrit très tôt au cœur d’un bouillonnement diplomatique. A l’époque où Maximilien remporte sur une armée française son premier grand combat, la victoire encourageante, mais non décisive malgré de lourdes pertes ennemies, de Guinegatte, en Artois (7 août 1479), des pourparlers sont en cours en vue de fiançailles entre le jeune héritier - un an à peine - et Anne, fille d’Edouard IV d’Angleterre, âgée pour sa part de trois ans, et un premier accord, option sur le futur, intervient en juillet 1479. Au cours de l’été suivant, la duchesse douairière Marguerite d’York démontre une fois de plus ses talents de diplomate. La voici négociant personnellement à Londres, avec son frère, les conditions d’une alliance offensive contre la France, d’une aide militaire, mais aussi un mariage futur anglo-bourguignon. Ce dernier point donne lieu en conséquence à l’élaboration d’un contrat en date du 5 août 1480, et on stipule en outre quelques jours plus tard que le tout s’accomplira 5

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J.-M. CAUCHIES, Seigneurs et seigneurie à Naast (1424/1432 et 1505/1519): histoire locale et «grande politique», dans Hainaut et Tournaisis. Regards sur dix siècles d’histoire. Recueil d’études dédiées à la mémoire de Jacques Nazet (1944-1996), Bruxelles, 2000, p. 228-229. En avril 1483, elle quittera les Pays-Bas pour accompagner à la cour de France la petite Marguerite, fiancée au dauphin Charles: WEIGHTMAN, Margaret of York, p. 141. Elle était née de La Clyte, dame héritière de Comines. A. VANDENPEEREBOOM, Ypriana. Notices, études, notes et documents sur Ypres, t. VI, Bruges, 1882, p. 298. L. REYNEBEAU, Een hofordonnantie en een «état» van Johanna van Castilië, 1500-1501, dans BCRH, t. CLXV, 1999, p. 258. ADN, B 2146, f. 181v.-182r. Il perdra la vie au cours du siège d’Utrecht, le 5 août 1483: M. BAELDE, Josse de Lalaing, dans Les Chevaliers de la Toison d’or, p. 194-196. COOLS, Mannen met macht, p. 182. Sur cette figure politique dominante de l’entourage futur de Philippe, cf. not. infra ch. IV/1/A. H. STEIN, Etude biographique, littéraire et bibliographique sur Olivier de la Marche, Bruxelles, 1888, p. 89, 90.

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«Vie cachée» ultérieurement sans versement de dot par l’avare monarque. Marguerite fait acheter à Londres, au nom de son «petit-fils», une bague sertie de diamants et de perles ainsi qu’une chaîne d’or destinées à Anne, tandis que son royal frère lui confie une autre bague de fiançailles a pretty engagement ring (Scofield), à l’intention du petit fiancé11. La petite enfance de Philippe le Beau est encore marquée par un événement porteur d’un lourd symbole. A l’occasion du 14e chapitre de l’ordre (Bois-leDuc, 6-25 mai 1481), tenu en comité restreint - sept membres seulement, Maximilien inclus - le voici introduit, dans son troisième printemps, au sein des chevaliers de la Toison d’or, dont il est d’ores et déjà appelé à devenir un jour le quatrième chef et souverain12. A cette occasion, il aurait aussi été armé chevalier, au sens proprement militaire du terme, ridder gheslaghen13, sur ordre de Maximilien et par les soins de son parrain Rave(n)stein... qui le trouvait encore jeunet! Il paraîtrait plus que téméraire d’écrire que la prime jeunesse de notre archiduc fut paisible, eu égard à la conjoncture politique et diplomatique. Chacune des années 1478 à 1482 a bien apporté son lot de campagnes et de négociations. Aux hostilités avec la France se sont superposés de nombreux troubles dans le nord, axés sur les interminables querelles entre les guelfes et les gibelins de làbas, Hoeken et Kabeljauwen, que Maximilien et ses grands auxiliaires ne peuvent juguler par la force ou la persuasion. L’Artois et la Franche-Comté subissent momentanément une rude occupation française. Le duché de Bourgogne, on l’a dit, est irrémédiablement perdu et sans conteste rallié à Louis XI. Maximilien est fréquemment éloigné des siens, nécessités guerrières obligent. En outre, les grandes villes flamandes, tout particulièrement, rechignent et lui refusent les aides financières qu’il sollicite pour la garde des frontières et la protection des territoires. Les Etats généraux dans leur ensemble, prônant avec insistance une politique de paix envers la France, n’accordent plus aucun subside en janviermars 1480, en dépit du péril imminent. Néanmoins, aux côtés de sa mère et de sa «grand-mère» Marguerite, loin des champs de bataille, Philippe a pu grandir sous haute protection. S’il bénéficia de la compagnie de sa cadette, la future Marguerite d’Autriche (10 janvier 1480), appelée à un destin tout à la fois mouvementé et brillant, il ne put guère jouir de celle du troisième et dernier enfant du couple archiducal, François, né à Bruxelles le 2 septembre 1481, prénommé ainsi en l’honneur de son parrain François II de Bretagne, et décédé, le lendemain de Noël, la même année.

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C.L. SCOFIELD, The life and reign of Edward the Fourth, king of England and of France and lord of Ireland, t. II, Londres, 1923, p. 267, 290, 295. Ch. ROSS, Edward IV, Londres, 1974, p. 247, 283-284. VAN GENT, op. cit., p. 268. P. ROBINS, Le veuvage et le douaire de Marguerite d’York dans le contexte politique de 1477 à 1503, dans Handelingen van de Koninklijke Kring voor oudheidkunde, letteren en kunst van Mechelen, t. XCVII, 1993 (1994), p. 153. CAUCHIES, Philippe le Beau, dans Les Chevaliers de la Toison d’or, p. 204-206. Dit sijn die wonderlijcke oorloghen van den doorluchtighen hoochgeboren prince, Keyser Maximiliaen..., édit. W. JAPPE ALBERTS, Groningue et Djakarta, 1957, p. 106.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre L’événement qui met un terme tragique et subit à cette première et courte tranche de vie est la mort accidentelle de Marie de Bourgogne, après une fatale chute de cheval et une douloureuse agonie, survenue le 27 mars 1482 à Bruges. Cette disparition, «un coup de tonnerre dans un ciel radieux»14, frappant un prince héritier de moins de quatre ans, modifie sérieusement la donne politique dans les Pays-Bas: la populaire duchesse, issue du sang des Bourguignons, n’est plus, et une part des fondements de la loyauté des sujets descend dans la tombe avec elle. 2. Otage et «enjeu» politique «... les pays de monseigneur l’archiduc Philippe, qui lors estoit en eage de adolescence, furent fort desoléz, foulléz, vexéz et traveilliéz par crueles divisions qui a tous costéz s’y lancherent»15 Sur papier - sur parchemin plutôt... - la situation paraît limpide. Par un testament en date du 24 mars, la duchesse déjà condamnée et mourante a désigné ses deux enfants en qualité d’héritiers de toutes ses possessions et confié à Maximilien le soin d’être leur tuteur et le régent des pays jusqu’à la majorité du fils; elle encourage verbalement, sur son lit de mort, les chevaliers de la Toison d’or à demeurer fidèles à l’époux qu’elle laisse sur terre, comme ils l’eussent été à elle-même. Si la reconnaissance de Philippe comme prince héritier légitime ne génère aucune contestation, il n’en va pas de même à l’égard de son père et la session des Etats généraux ouverte à Gand le 28 avril 1482 entame à ce propos un large débat de fond16. Les avis des délégations se révèlent fort divergents. Les plus conciliants, Hainuyers et Hollandais, reconnaissent les droits de l’archiduc tuteur et gouvernant. Les Namurois, sans opposition de principe, demeurent sur la réserve avant d’avoir consulté leurs mandants. Les Brabançons, sans mettre en cause le bien-fondé de sa démarche, reprochent à Maximilien une gestion trop «personnelle» des affaires de paix et de guerre, menée sans l’avis des Etats. Les Flamands, quant à eux, revendiquent plus radicalement une participation directe de ces derniers à la régence. Certes le Habsbourg obtient-il finalement gain de cause sur ce point de principe, mais au prix fort: régent en titre, il devra toutefois laisser en Flandre à un conseil désigné ad hoc le soin de diriger le comté, tandis qu’il lui faut accepter la perspective, suggérée par Louis XI et spécialement appuyée par les influents Gantois, d’un mariage franco-bourguignon pour sa fille Marguerite et le dauphin Charles, avec de bons territoires en dot. Un front du refus ne s’impose pas au prince, mais on ne lui laisse pas les mains libres: être agréé et financièrement soutenu lui impose de passer sous des fourches peu glorieuses.

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«Een donderslag bij heldere hemel»: VAN GENT, op. cit., p. 342. MOLINET, Chroniques, II, p. 114 (année 1489). WELLENS, Etats généraux, p. 186-190.

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«Vie cachée» Maximilien a beau bénéficier de certaines sympathies, à tout le moins de circonstance, dans plusieurs contrées des Pays-Bas. On sait notamment qu’il veille à en utiliser valablement les parlers roman et thiois17. Mais il doit se rendre à l’évidence: si son fils est de ces terres, lui-même y est et demeurera toujours un étranger et son veuvage précoce, bien entendu, déforce sa position. Rien de moins ambigu à cet égard que les reproches que lui adresseront en octobre 1483 les Trois Membres de Flandre pour avoir toléré à ses côtés les assassins (août 1482) du prince-évêque de Liège Louis de Bourbon, «oncle de nostre prince»; les auteurs de la lettre dissocient ainsi le père et le fils, n’attestant de liens étroits qu’avec le second18. Lorsqu’en 1482, le beffroi de Gand est pourvu d’une nouvelle cloche des ouvriers, ou vercclocke (werkklok) rythmant la journée de travail, on l’y baptise du nom de l’enfant Philippe, naer onsen prinsche: ce simple fait divers, rapporté dans un mémorial de la ville, revêt dans le contexte politique urbain une profonde signification19. «... mondit seigneur est fondé en ce que maditte feue dame par son testament et ordonnance de derreniere voulenté l’a delaissié gouverneur et administrateur de mesdis seigneurs ses enfans et de tous leurs pays, seigneuries et biens quelzconques»20: ces lignes vigoureuses tirées d’instructions de Maximilien à ses ambassadeurs auprès des mêmes Trois Membres (août 1482) manifestent sa détermination à faire reconnaître dans son propre chef une légitimité de fonction. Il se voit néanmoins contraint d’accepter des négociations qui aboutissent, le 23 décembre 1482, à la conclusion du traité d’Arras avec le roi Louis XI, un traité a priori peu favorable aux intérêts du Habsbourg, fondé seulement sur l’«intention de paix»: «et jura ladicte pais, combien que a regret», note sobrement le juriste et historien flamand Wielant21. Sa fille Marguerite, bientôt âgée de trois ans accomplis, y est promise en mariage au dauphin Charles et sera accueillie pour son éducation à la cour de France; elle apportera en dot l’Artois, la Franche-Comté et quelques autres territoires voisins des Bourgognes22, à restituer en cas de non-consommation du mariage ou de défaut d’héritier. Si le monarque et son fils renoncent à toutes prétentions sur les Pays-Bas, la souveraineté royale française en Flandre et l’hommage en découlant sont clairement affirmés. D’autres articles de ce très long texte concernent notamment encore la confirmation royale de privilèges et le ressort du Parlement de Paris en Flandre. Durant les négociations qui vont y mener, spécialement lors d’une session des Etats généraux tenue à Alost (Flandre) en octobre, d’aucuns, entendons des Flamands, s’efforcent de déstabiliser Maximilien, d’«affoiblir leurdict seigneur» 17 18 19 20 21 22

WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 139. P. HARSIN, Etudes critiques sur l’histoire de la principauté de Liège 1477-1795, t. I: La principauté de Liège à la fin du règne de Louis de Bourbon et sous celui de Jean de Hornes (14771505), Liège, 1957, p. 122 n. 160. A.-L. VAN BRUAENE, De Gentse memorieboeken als spiegel van stedelijk historisch bewustzijn (14de tot 16de eeuw), Gand, 1998, p. 158, 168. BLOCKMANS, Autocratie ou polyarchie?, p. 326. Ph. WIELANT, Recueil des Antiquités de Flandre..., édit. J.J. DE SMET, dans Corpus chronicorum Flandriae, t. IV, Bruxelles, 1865, p. 328. On remarquera que rien n’est dit du duché de Bourgogne, dont l’annexion à la France est de toute évidence tenue alors pour un fait à jamais acquis.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre (Commynes)23. L’archiduc d’Autriche apparaît ici dans le rôle d’un «suiveur», non d’un initiateur. Gardons-nous toutefois de voir dans le traité d’Arras l’instrument d’un échec cinglant. Dans le bras de fer engagé avec des Etats généraux noyautés par les Membres, c’est-à-dire les trois grandes villes, de Flandre, le Habsbourg sait que conclure la paix avec la France et museler sa propre autorité représentent deux objectifs conjoints, indissociables, fût-ce au profit du monarque des lys. La situation des Pays-Bas, les rapports entre forces en présence rendent alors l’acte inéluctable. Mais Louis XI ne vivrait pas éternellement - ses jours étaient d’ailleurs comptés - et une conjoncture peut toujours se renverser. En acceptant «a regret» de souscrire au traité d’Arras, Maximilien ne compromet pas les perspectives du futur gouvernement personnel de son fils24. Les lendemains du traité d’Arras constituent pour le tout jeune archiduc Philippe un moment crucial. Des villes flamandes procèdent à son inauguration en qualité de comte, dans la tradition des joyeuses entrées princières en usage aux Pays-Bas25, à laquelle avant lui ses parents s’étaient volontiers conformés en divers lieux, ainsi Marie comtesse reçue à Mons puis à Valenciennes en Hainaut, peu de mois avant sa mort, en novembre 1481, pour son serment de «primitive venue»26, ou Maximilien tuteur et régent à La Haye (Hollande), Louvain (Brabant) et Middelbourg (Zélande), respectivement les 21 mai, 20 juillet et 20 août 148227. Le 10 janvier 1483 se déroule pareille cérémonie pour Philippe à Gand, le 6 juillet suivant dans le quartier de Bruges: pas de véritable tournée, comme cela se fait parfois, mais une concentration des formalités, pour la Flandre en tout cas, dans la région où réside le prince ainsi célébré, en l’occurrence, il est vrai, un enfant. C’est alors aussi qu’est maniée l’épine volontairement fichée dans le talon de Maximilien: le (premier) conseil de régence. Derechef absorbé par sa politique de reprise en main des provinces du nord et d’intervention dans le Sticht, ou principauté épiscopale d’Utrecht, au secours de l’évêque David de Bourgogne, son «allié»28, l’archiduc ne peut se permettre de laisser la Flandre sans surveillance, à la merci de menées contestataires internes et d’une éventuelle agression française. Des pourparlers avec les sujets flamands, qui n’adoptent certes pas tous la ligne dure des Gantois, débouchent le 5 juin 1483 sur l’installation d’un conseil de régence, où siègent officiellement trois puis quatre nobles et des

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Ph. de COMMYNES, Mémoires, édit. J. BLANCHARD, Paris, 2001, p. 463. J.-M. CAUCHIES, Maximilien d’Autriche et le traité d’Arras de 1482: négociateurs et négociations, dans Arras et la diplomatie européenne (XVe-XVIe siècles), Arras, 1999, p. 143-164, avec indication, p. 145 n. 8, des éditions du texte. ID., La signification politique des entrées princières... MOLINET, Chroniques, I, p. 368. Op. cit., p. 372. H. KOKKEN, Steden en Staten van Holland onder Maria van Bourgondië en het eerste regentschap van Maximiliaan van Oostenrijk (1477-1494), La Haye, 1991, p. 273. SMIT, Vorst en onderdaan, p. 108-109. Maximilien viendra encore beaucoup plus tard en Zélande pour une autre inauguration qualitate qua à Zierikzee, le 19 novembre 1483: VAN GENT, op. cit., p. 368. Cf. J.-M. CAUCHIES, David de Bourgogne, un prince-prélat, dans La chasuble de David de Bourgogne. Une enquête pluridisciplinaire sur une œuvre maîtresse du Trésor de la Cathédrale de Liège, Liège, 2002, p. 15.

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«Vie cachée» députés des Membres; on dénombre parmi les nobles deux princes du sang, Adolphe de Clèves-Rave(n)stein et Philippe de Bourgogne-Beveren, aux côtés de Louis de Bruges, seigneur de Gruuthuse, exécuteur testamentaire de la défunte duchesse, et d’Adrien Vilain, seigneur de Ressegem, un Gantois29. L’ayant mis en place pour «la cure, charge et conduite des affaires d’icellui notre pays et conté de Flandres, tant qu’il nous plaira» (c’est nous qui soulignons), Maximilien s’efforce dès l’automne de l’«éliminer», mesure à laquelle le conseil entend bien résister, et ce au nom des intérêts de Philippe, seul gouvernant légitime à ses yeux. «Vous usurpates ledict gouvernement», réplique sans fards l’Autrichien30! Après une médiation de chevaliers de la Toison d’or, en juin 1484, on se résout à garder les choses en l’état, et le conseil tant contesté va se maintenir en place durant un an encore. Pour ce qui nous concerne, remarquons l’effet principal de la conjoncture sur le jeune prince: Philippe est littéralement «cloîtré« à Gand, sous la garde des seigneurs du conseil de régence, sans pouvoir quitter la ville hors le consentement des Membres de Flandre. On lui a confectionné son propre sceau équestre, sur lequel il est figuré en homme quasi adulte, donc apte à «gouverner» à l’écart de toute aile tutélaire paternelle31. Philippe est devenu un otage... Pour Maximilien, cette situation reste inadmissible: sur quel fondement ses sujets - du moins certains d’entre eux: des Flamands, pas tous... - revendiquentil de détenir son fils? Dans l’«advis» exprimé par écrit par les chevaliers de l’Ordre, qui ne dénie pas au prince la mambournie de ses enfants et de leurs biens, à l’exclusion de tout autre droit prétendu, il est dit que Maximilien, dans la suscription de ses actes, s’intitulera «pere et mambour de nostre trés chier et trés amé Phelippe...» (suivront les titres et possessions de ce dernier); il lui sera aussi défendu, dans la formule de datation, de dénommer telle ville ou autre lieu «nostre», selon l’usage des dynastes lorsqu’il se trouvent «chez eux»32. Le conseil de régence se valorise comme un véritable organe de gouvernement, sui generis33, pour le comté de Flandre, alignant initiatives et décisions politiques, au nom du jeune prince; bij mijnen heere den hertoghe in zijnen raed, portent les mentions de service, comme s’il s’agissait s’un conseil «ordinaire»34. On y remarque la présence, outre des nobles désignés en 1483, de Wolfart de Borselen, seigneur de Veere, beau-frère de Louis de Bruges et futur beau-père de Philippe de Bourgogne-Beveren, ainsi que de Jacques de Savoie, comte de

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BLOCKMANS, op. cit., p. 340-341. Op. cit., p. 282 n. 2. ONGHENA, De iconografie van Philips de Schone, p. 323-324. BLOCKMANS, op. cit., p. 350-353. Op. cit., p. 288. Une ordonnance de septembre 1483 pour le Conseil de Flandre, la principale institution judiciaire et administrative permanente du comté, ignore totalement Maximilien et ne se réfère qu’à «mijn gheduchte heer de hertoghe Phelips, grave van Vlaendren», auquel seul est reconnue la légitimité en Flandre; de même le jeune «duc de Bourgogne» est-il mentionné isolément dans l’en-tête de registres d’«acten en sententiën» du même organe: P. VAN PETEGHEM, De verordening van 1483 voor de Raad van Vlaanderen herzien, dans Recht en instellingen in de oude Nederlanden tijdens de Middeleeuwen en de Nieuwe Tijd. Liber amicorum Jan Buntinx, Louvain, 1981, p. 342-343.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre Romont, tous deux chevaliers de la Toison d’or et porte-drapeau de la résistance aristocratique à l’autoritaire étranger. Et bien d’autres, gens du Conseil de Flandre, délégués de villes, y passent et repassent. C’est de toute évidence un lieu où l’on débat, tranche et parle haut, en référence à la légitimité de l’enfant Philippe le Beau en Flandre, auquel on entend bien donner une éducation de prince «belge», à bonne distance de son Autrichien de père et des «Allemands» désireux d’asservir avec lui le bon peuple autochtone... Maximilien recourt donc à la force: en imposant ainsi ses droits, il escompte enfin les faire reconnaître. Un traité conclu à L’Ecluse , le 28 juin 1485, au terme d’une campagne militaire couronnée de succès et à la suite de la soumission et du ralliement de Bruges au Habsbourg, permet à celui-ci d’abolir enfin l’organe rival et usurpateur. Le voici donc reconnu par l’assemblée représentative flamande, à savoir les Etats et non pas les seuls Membres, en qualité de tuteur et régent, avec promesse d’inauguration à Gand et de restitution concomitante de son fils. Lui-même s’engage à ratifier toutes résolutions prises au nom de Philippe durant la période pénible qui s’achève. A la fin de juillet, le jeune archiduc quitte en effet la cité gantoise pour Bruxelles35, où son père le rejoint bientôt et où se tient jusqu’au 10 août une session des Etats généraux des Pays-Bas, durant laquelle on se préoccupe des moyens financiers à procurer à Philippe. Après avoir fait face à la contestation politique et aux troubles militaires dans les possessions de son fils, Maximilien va se consacrer un moment aux affaires paternelles, en d’autres termes à l’Empire, là où demeurent tracées les lignes de faîte de sa haute destinée. Quand le temps lui en parut venu, l’empereur septuagénaire Frédéric III prépara avec autant de prudence que de ténacité les voies de l’élection de son fils unique en qualité de roi des Romains, politique dynastique oblige. Maximilien y mit lui-même la main, s’activant à cultiver la sympathie des princes électeurs, à entretenir chez eux l’espérance de réformes selon leurs vues; ainsi, au cœur même du conflit qui l’oppose aux Flamands, ne néglige-t-il pas de négocier avec une ambassade venue d’outre-Rhin, à Termonde puis à Bruxelles (décembre 1484)36. Après un essai manqué au début de l’année 1485, la stratégie politique des Habsbourg, toute faite de pourparlers avec les Kurfürsten réticents et d’habileté dans la conduite des opérations préliminaires, aboutit à l’élection du 16 février 1486 à Francfort. La signification de cet acte est très grande pour l’Empire où, pour la première fois depuis bien longtemps, un successeur d’Otton le Grand est parvenu à faire désigner un fils de son vivant et à prendre ainsi une option sérieuse, en dépit du principe électif, sur la transmission de la couronne dans sa lignée37. Mais les Pays-Bas n’auront pas à se réjouir trop intensément de l’exceptionnelle promotion de leur gouvernant obligé, le nouveau roi des

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C’est à Malines qu’il sera ensuite mis en lieu sûr pendant plusieurs années, sous la protection de la loyale et dévouée duchesse douairière de Bourgogne, Marguerite d’York. GACHARD, Collection des voyages, I, p. 106-107, n. 6-7. Cf. WIESFLECKER, op. cit., p. 192.

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«Vie cachée» Romains ne tardant pas à requérir d’eux «de grans deniers» pour les cadeaux d’usage aux Electeurs et les festivités de circonstance38... Couronné solennellement le 9 avril à Aix-la-Chapelle, le nouveau roi des Romains, après un séjour prolongé et riche d’entretiens à Cologne, regagne les pays de son fils. Alors même que les terres patrimoniales de l’est, en proie à une agression et une occupation partielle hongroises, notamment à Vienne, auraient bien eu besoin de son secours, Maximilien accorde de toute évidence une attention prioritaire aux affaires bourguignonnes. West- ou Ostpolitik d’abord? Voilà une interrogation qu’il dut avoir souvent à l’esprit et face à laquelle il lui fallut trancher: à l’époque, et sans préjudice pour l’avenir, en faveur de l’ouest, de toute évidence, avec un souci alors constant et fondé, que partageront ses successeurs, de parer au danger français. C’est en Hollande que nous voyons le jeune Philippe reparaître sur scène quand il vient y saluer son royal géniteur, en juin 1486, avant de cheminer avec lui vers le Brabant39: il atteint alors l’âge de huit ans. Aux bruits de bottes, permanents aux frontières méridionales, des tumultes font écho du côté des villes flamandes, à la suite des revers militaires de l’été 1487 et de la pression fiscale toujours plus insoutenable engendrée par l’état de guerre; Gand en tête, on y embouche à nouveau, selon le mot imagé d’un chroniqueur contemporain, Josef Grünpeck, «les trompettes de la rébellion»40 ... Bientôt prend place l’épisode le plus dramatique de la régence de Maximilien lorsque, coincé tel un rat dans Bruges où il avait convoqué une assemblée des Etats généraux, le roi des Romains va y subir une honteuse incarcération, du 5 février au 16 mai 1488. Durant ce temps, Philippe le Beau, en sécurité à Malines, se trouve bien malgré lui au centre des discussions. La question de la régence est derechef posée par les Gantois, désireux de la reprendre au père du prince et de la confier à des seigneurs, comme par le passé, et aux Etats. Consentant sous la menace physique, Maximilien libéré se ravise très vite et reprend les armes, ce qui lui vaudra l’accusation de parjure et le choix du puissant Philippe de Clèves, garant de son engagement, en faveur de la révolte. Ce seigneur du sang figure d’ailleurs, avec Ressegem et des délégués des Membres, dans les rangs du (second) conseil de régence, créé à la mi-mai et en activité pendant plus d’une année, «soubz le nom du duc Phelippe, leur prince et seigneur naturel»41. Le 9 juin, c’est conjointement à ce dernier, aux (Trois) Membres et au roi de France que Clèves et les Gantois prêtent en commun serment. Lorsqu’en octobre est 38 39 40 41

L.-P. GACHARD, Lettres inédites de Maximilien, duc d’Autriche, roi des Romains et empereur, sur les affaires des Pays-Bas, de 1478 à 1508. Première partie (1478-1488), dans BCRH, 2e série, t. II, 1851, p. 319. LA MARCHE, Mémoires, III, p. 287. «Et mit le pere son filz en possession de tous les pays dont il avoit la mambournie», note alors le mémorialiste, promu depuis peu grand et premier maître d’hôtel du jeune archiduc. Cité par WIESFLECKER, op. cit., p. 480 n. 5. R. WELLENS, La révolte brugeoise de 1488, dans Handelingen van het Genootschap gesticht onder de benaming «Société d’émulation» te Brugge, t. CII, 1965, p. 5-52. BLOCKMANS, op. cit., p. 293-302.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre établie au nom du jeune prince seul une lettre de «grâce et abolition» en faveur des Brugeois, l’acte est scellé du sceau du Conseil de Flandre et la mention de service révèle que la décision a été prise en présence, notamment, de Philippe de Clèves, Philippe de Bourgogne(-Beveren), Gruuthuse et Ressegem, c’est-à-dire des seigneurs les plus impliqués dans l’opposition à Maximilien, «téléguidant» ici un fils (de dix ans) prête-nom42. Entre-temps, Philippe le Beau confère cependant toute légitimité à l’activité que déploient à Bruxelles et Malines les Etats généraux (mars 1488), soucieux d’ouïr d’abord à bonne distance de Gand les prétentions et propositions de délégués des Trois Membres de Flandre. Mais le voilà aussi qui met en garde par écrit ses sujets hainuyers, douaisiens et autres contre des négociations par trop inspirées des œuvres des Gantois: il faut y voir sans doute la main de Frédéric III, courroucé comme on le pense devant la détention de son fils et ayant alors envoyé des troupes sur les bords de l’Escaut, aux confins territoriaux de sa souveraineté43. Il est vrai que le péril n’est pas vain et que la situation éveille des appétits de violence: Jean Lemaire de Belges ne relatera-t-il pas - anecdote sans doute recueillie dans l’entourage de sa protectrice, Marguerite d’Autriche - que les Vénitiens auraient incité les Brugeois à tuer leur illustre captif: Homo morto no fa più guerra44! Le nom du jeune archiduc fait durant ces mois troublés l’objet d’un usage intensif. Les décisions de Maximilien, de portée normative ou non, peuplent des actes dont la suscription mentionne simultanément le père et le fils: «Maximilien... et Phelippe...». Les membres du conseil de régence, pour leur part, s’y réfèrent aussi; dans une Hollande-Zélande toujours en proie à de vives luttes de clans, Philippe de Clèves désigne un Brederode, Jonker Frans, à la charge de gouverneur (stadhouder) au nom de son seul prince légitime et le pourvoit à cette fin en hommes et en bateaux, et c’est aussi sous la même référence que ledit Brederode va réclamer le contrôle de villes pour ses alliés flamands (novembre 1488)45. En septembre 1489, le capitaine en exercice refusera encore de livrer de son plein gré le château de Luxembourg au nouveau gouverneur du duché, Christophe de Bade, cousin de Maximilien, en déclarant le tenir en vertu du serment qui le lie au seul archiduc46. A Gand, les autorités communales battent monnaie de leur propre initiative et y font figurer le nom de Philippe, alors que le monnayage officiel, celui qu’a prescrit Maximilien, est interrompu à l’atelier de Bruges, dont la surveillance échappe évidemment au prince, au début de 1488; par une ordonnance de juillet suivant, le roi des Romains défend la circulation des espèces prétendument émanées de son fils et déclare les tenir pour faux numéraire, totalement illégal47.

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GILLIODTS-VAN SEVEREN, Inventaire des archives de la ville de Bruges, VI, p. 308-310. WELLENS, Etats généraux, p. 207-208, 212, 459-462. J. LEMAIRE de BELGES, La légende des Vénitiens (1509), édit. A. SCHOYSMAN, Bruxelles, 1999, p. 16 (et XXXI). VAN GENT, op. cit., p. 376-377. J. DEBRY, Claude de Neufchâtel…, dans De Orde van het Gulden Vlies te Mechelen in 1491..., p. 230 (et n. 138). H. ENNO VAN GELDER, De rekeningen van de Vlaamse munt onder Philips de Schone, dans Revue belge de numismatique et de sigillographie, t. CVII, 1961, p. 161-162. CAUCHIES, Liste chronologique 1467-1506, p. 74, n° 192.

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«Vie cachée» Fût-il régulièrement mentionné dans les sources, comme en filigrane du tissu événementiel, Philippe le Beau, compte tenu de son âge encore modeste, peut malaisément passer pour partie prenante dans les faits et choix politiques du temps. On ne doute toutefois pas que plus d’une circonstance, plus d’une expérience, heureuse ou non, va contribuer à sa maturation de jeune dynaste. 3. Premières actions personnelles On a vu qu’ayant à peine souri à la vie, le fils de Marie de Bourgogne avait été fiancé - sans lendemain - à une petite princesse anglaise. D’autres projets, tout aussi irréalisés et dictés bien entendu par des opportunités politiques, vont voir le jour au moment où son père s’affaire à régenter les Pays-Bas. En 1485, on envisage de le marier à une enfant de deux ans son aînée, issue elle aussi du sang de Bourgogne, fille de Jean, comte d’Etampes puis de Nevers († 1491), cousin germain du duc Philippe le Bon48: héritière, par testament paternel (23 mai 1479), des comtés de Nevers et de Rethel, Charlotte eût apporté dans la corbeille des territoires issus du patrimoine de Philippe le Hardi, fondateur de la dynastie, qui les devait à son beau-père Louis de Male, comte de Flandre. Tout un symbole... L’année suivante, on voit poindre l’éventualité d’une union avec Isabelle, fille cadette du duc François II de Bretagne, dans un traité d’alliance conclu le 15 mars 1486 par ce dernier avec le fraîchement élu roi des Romains, dont il recherche la protection pour ses terres contre le redoutable ennemi commun français49 - on rappellera que François avait été, en 1481, le parrain du second fils de Maximilien et Marie, baptisé de ce prénom - . Mais on sait que si une union brito-habsbourgeoise va prendre corps, ce sera, en 1490, le mariage (par procuration) de Maximilien et d’Anne, la sœur aînée d’Isabelle, duchesse de Bretagne à l’âge de douze ans (1488), union d’ailleurs aussi promptement rompue que conclue, au profit du roi Charles VIII50. A ce propos, l’entourage du monarque Valois va naturellement mettre en cause la validité du «lien de mariaige» de 1490, limité selon lui et de l’aveu d’Anne, désormais reine de France, à «parolles a futur». Mais il dénoncera aussi, en particulier devant l’Université de Paris, une prétendue manœuvre de Maximilien: la véritable intention du roi des Romains aurait été de marier à la duchesse de Bretagne son fils Philippe, et non pas lui-même, tout le reste n’étant que feintes, «cautelles», mise en scène51. Aussi lourde que fût l’argumentation, se référant aussi à de prétendues déclarations dans ce sens de l’empereur Frédéric, elle convenait évidemment bien pour sauvegarder, du moins en façade, la bonne conscience du fils de Louis XI. Le 48 49 50

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J.-M. CAUCHIES, Charlotte de Bourgogne, dans Nouvelle biographie nationale, t. III, Bruxelles, 1994, p. 87-88. B. QUILLIET, Louis XII, Père du Peuple, Paris, 1986, p. 102. Commynes écrira l’année suivante à Laurent de Médicis (21 avril 1491) que «le mariage estoit mal profitable: pour le filz ut esté milleur que pour le pere» (le célèbre mémorialiste veut dire en l’occurrence qu’une union entre Habsbourg et Bretagne impliquant Philippe plutôt que Maximilien eût suscité davantage la vigilance voire une intervention de l’Angleterre, encline à protéger les Pays-Bas et leur prince): Ph. de COMMYNES, Lettres, édit. J. BLANCHARD, Genève, 2001, p. 150, 152. Lettres de Charles VIII, III, p. 414-424 (décembre 1491), en particulier 417, 421, 422.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre jeune archiduc Philippe ne se voyait attribuer ici qu’un rôle de pion, tandis que la politique de son père pouvait être clouée par l’adversaire au pilori du droit et de la morale. Par la suite (1491), Maximilien envisagera un moment d’unir son fils à Elisabeth, fille du duc de Bavière-Landshut (ou Basse-Bavière) Georges, dit le Riche, une héritière bien pourvue, dont le père devait servir l’empereur en qualité de maître d’hôtel. Projet avorté, promesse non tenue, la voie espagnole, comme on le verra plus loin, ayant finalement été préférée à la bavaroise52. Si nous nous garderons bien de poser la question: Philippe le Beau, à 10 ans, s’intéresse-t-il déjà aux dames?, nous avons par contre tout lieu de penser que l’armement retient vivement son attention. On conserve de lui une lettre du 27 octobre 1488 dans laquelle il prie l’archiduc Sigismond de Tyrol de lui faire façonner une armure de production innsbruckoise; il la souhaite simple, légère, bien polie, et entend la porter aux côtés de son père, pour combattre les ennemis de sa maison... Pourquoi hésiterait-on à percevoir ici l’éveil d’un sentiment dynastique, autant que filial, tant ce garçon, fût-il éduqué à distance de Maximilien, voire prévenu par d’aucuns contre lui, doit être dûment éclairé sur la situation politique ambiante? Achevée en mars 1489, l’armure sera confiée à un intermédiaire, qui la transportera aux Pays-Bas, tandis que l’important Jean de Berghes, seigneur de Walhain, premier chambellan de Philippe, intervenu dans les démarches, va profiter des circonstances pour se faire fournir une armure de la même fabrique réputée53. L’horizon tend à s’éclaircir partiellement pour Maximilien au terme de cette pesante pénultième décennie du siècle. On le doit à deux grands facteurs: un homme énergique, des négociations de paix. L’homme d’abord. Albert, duc de Saxe, cousin germain54 du roi des Romains, avait déjà exercé une fonction de commandement dans les troupes impériales présentes aux Pays-Bas. Maximilien lui confie bientôt, à la fin de l’année 1488, la direction des opérations militaires: il est son véritable lieutenant général55. C’est qu’à ce moment, les mouvements d’opposition à la politique du Habsbourg ont gagné56 non seulement une grande partie de la Flandre mais aussi des villes

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S. von RIEZLER, Geschichte Baierns, t. III: 1347 bis 1508, Gotha, 1889 (Allgemeine Staatsgeschichte. Abteilung 1: Geschichte der europäischen Staaten, 20), p. 548-549. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 302-303 et V, p. 11. NOFLATSCHER, Räte und Herrscher, p. 69. D. SCHÖNHERR, Die Kunstbestrebungen Erzherzogs Sigmund von Tyrol, dans Jahrbuch der kunsthistorischen Sammlungen der allerhöchsten Kaiserhauses, t. I, 1883, p. 197. L’objet, en fer et laiton, est conservé aujourd’hui au Kunsthistorisches Museum de Vienne; il a été reproduit en dernier lieu dans Bruges à Beaune. Marie, l’héritage de Bourgogne, Beaune et Paris, 2000, p. 53. Et non pas neveu: BLOCKMANS, Autocratie ou polyarchie?, p. 302. Sur son action vigoureuse de 1489 à 1492, cf. ID., Albrecht de Stoutmoedige hertog van Saksen, stadhouder-generaal der Nederlanden, dans De Orde van het Gulden Vlies...., p. 193-200. «La révolte fit tache d’huile», écrit WELLENS, Etats généraux, p. 217.

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«Vie cachée» et contrées du Brabant57 et, on l’a vu déjà, de Hollande et Zélande, sans oublier l’impact et les retombées des troubles qui perturbent alors les principautés de Liège et d’Utrecht. Le (second) conseil de régence imposé le 16 mai 1488 continue à gérer la Flandre au nom de Philippe le Beau. Dans les pourparlers qu’Albert de Saxe mène d’une manière ferme avec des délégations brabançonnes et flamandes en janvier 1489, le fonctionnement de pareil organe demeure un point crucial, en relation avec la défense des privilèges et une option affirmée en faveur de la paix avec le roi de France. Son activité, attestée par un certain nombre d’actes et de mentions, va bientôt s’estomper et des accords futurs le rendront ipso facto caduc. Pour sa part, le duc Albert orchestre sans ménagements la campagne qui lui permet de ramener une à une dans l’obéissance les villes brabançonnes soulevées, dont Bruxelles et Louvain en août. Les négociations ensuite. Le «traité de paix», en fait simple armistice (Waffenstilstand) de Francfort (22 juillet 1489) entre Maximilien et Charles VIII a pour effet de priver les sujets rebelles de tout appui royal français. Mieux encore, en octobre suivant: par le traité de Montils-lez-Tours, conclu sous l’égide de Charles VIII58 entre le roi des Romains et les Trois Membres de Flandre, Maximilien se voit à nouveau reconnu en qualité de tuteur et mambour, ou régent, dans les pays de son fils. Une autre campagne, promptement menée, s’impose toutefois à Albert de Saxe pour réduire, à tout le moins temporairement, quelques bastions d’opposition flamands, tels Bruges et Damme (janvier 1490). La situation est donc encore loin d’être totalement pacifiée, l’œuvre entreprise est de longue haleine, tous ne se sentent pas liés par les décisions arrêtées à Montils-lez-Tours; ainsi Bruges, après une nouvelle phase de rébellion, ne se soumettra-t-elle définitivement qu’à la fin de novembre 1490. Mais l’acte du 30 octobre 1489, du point de vue de Maximilien, a formellement lavé l’affront de 1488 et ouvert la voie à la sujétion de tous les pays de Philippe59. Pendant que se déroulent ces événements, le jeune prince paraît bien résider le plus souvent au palais de Marguerite d’York à Malines, une place fortifiée sûre et fidèle, où est programmée - s’est-elle tenue? - à la mi-mars 1489 une réunion aux effectifs restreints des Etats généraux pour traiter notamment de l’entretien de sa «maison»60, sujet sans doute crucial pour lui mais ô combien relégué au second plan par une situation militaire alors encore très préoccupante. On sait peu de choses de son activité, de ses déplacements, sinon qu’il en effectue pour de probables motifs de sécurité. En 1489, Albert de Saxe le mène à Breda mais Maximilien, qui semble redouter par-dessus tout les entreprises

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B. WILLEMS, Militaire organisatie en staatsvorming aan de vooravond van de Nieuwe Tijd. Een analyse van het conflict tussen Brabant en Maximiliaan van Oostenrijk (1488-1489), dans Jaarboek voor middeleeuwse geschiedenis, t. I, 1998, p. 261-286. Il se présente sous la forme d’un texte émané du roi de France, notifiant les clauses du traité, en raison de la participation de ses conseillers aux discussions avec les délégués des deux parties: DU MONT, Corps universel diplomatique, III/2, p. 242-244. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 224. Cf. WELLENS, op. cit., p. 217-218 n. 24, 467.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre guerrières de Philippe de Clèves dans des contrées trop proches de la Flandre, fait placer l’enfant en plus grande sûreté à Namur61. Notons encore un bref séjour au château (et prison...) de Vilvorde - dans quelles circonstances? une crainte persistante? - , distant de quelques kilomètres seulement de Malines, durant l’année 1490, ou, en juillet de cette même année, la venue de Philippe à Bergen op Zoom, et encore, en novembre suivant, plus au nord, pour une réunion des Etats de Hollande concernant son entretien matériel, à Heusden62. Par son environnement, il est prince «bourguignon». Mais son père persiste naturellement à voir en lui un pion potentiel de sa propre politique impériale et autrichienne, ainsi quand, l’année suivante, il forme et amorce par une convention le projet fugace de le marier à Elisabeth, fille d’un duc de Bavière-Landshut63. Depuis dix ans déjà, intervalle jamais atteint jusqu’alors, un chapitre de l’ordre de la Toison d’or n’avait plus été tenu (Bois-le-Duc, mai 1481). Après des projets ou tentatives avortés en 1484 et 1486, alors aussi que plusieurs membres de la compagnie eussent souhaité attendre la majorité de Philippe, déjà reçu comme chevalier à Bois-le-Duc, pour tenir une assemblée, Maximilien exprime à son fils, en juillet 1490, son vif désir de voir réaliser la chose. Des contacts préliminaires entre chevaliers et officiers de l’ordre, notamment en présence du jeune archiduc, mènent au chapitre ouvert à Malines, par une messe solennelle, le 22 mai 1491, dimanche de Pentecôte, avec élection de quatorze nouveaux chevaliers le 2664. Une lettre de Maximilien, retenu pour sa part dans l’Empire, ne manque d’ailleurs pas de souligner la sécurité et la commodité qu’offre cette ville. Des invitations sont envoyées au nom de Philippe à de grands ecclésiastiques des Pays-Bas en vue des cérémonies religieuses. C’est lui qui accueille les participants et qui les accompagne aux offices, son père ayant pour sa part désigné un membre en exercice aux fins de présider de facto les séances. En l’absence de Maximilien, cependant, il prend place sur le siège réservé à ce dernier, devenant alors chef et souverain de la compagnie65. Au cours de leurs réunions, les chevaliers ont coutume de débattre des qualités et défauts des confrères. Un trait concret est ainsi livré à propos de Philippe: si les membres de l’ordre se complaisent à vanter de façon banale ses grandes vertus de jeune prince - bonté, humilité, respect filial -, quasi naturelles en somme, ils lui reprochent toutefois sa véhémence au jeu66, indice possible d’un caractère passionné, et lui imposent de légères prières en pénitence... Moins magnanimes envers Maximilien absent, en dépit de l’attachement qu’ils lui manifestent sans

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A. DE FOUW, Philips van Kleef. Een bijdrage tot de kennis van zijn leven en karakter, Groningue et Batavia, 1937, p. 227. J. NAUWELAERS, Histoire de la ville de Vilvorde, t. I, Bruxelles, 1941, p. 765-769. SMIT, Vorst en onderdaan, p. 43 n. 84. Cf. supra. R. DE SMEDT, Le 15e chapitre de l’Ordre de la Toison d’or. Une fête mémorable tenue à Malines en 1491, dans De Orde van het Gulden Vlies…, p. 7-11, 24-29. On notera que le (premier) conseil de régence lui attribuait déjà ces titres en juin 1484, une manière de les dénier à son père: BLOCKMANS, op. cit., p. 345. Une somme d’argent lui est remise cette année-là de la part de l’atelier monétaire d’Anvers «pour jouer aux quartes et autrement a son plaisir»: P. SPUFFORD, Monetary problems and policies in the Burgundian Netherlands 1433-1496, Leyde, 1970, p. 144.

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«Vie cachée» ambages, ils mettent en cause le sérieux de ses promesses et le mauvais choix des bénéficiaires de ses faveurs matérielles67. Le chapitre de Malines représente à nos yeux un moment chargé d’une lourde signification politique, non seulement parce qu’il met en exergue la figure du prince «naturel» engagé dans l’adolescence, mais aussi parce qu’en rivant au pilori certains chevaliers décédés et en fonction, il indique bien que l’ère des seigneurs hostiles à Maximilien, donc aux intérêts des pays, est définitivement révolu. Sont nommément visés Jacques de Savoie-Romont († janvier 1486), Wolfart de Borselen-Veere († avril 1486), Louis de Bruges-Gruuthuse et le sexagénaire Adolphe de Clèves-Rave(n)stein, neveu de Philippe le Bon et père de l’indomptable Philippe de Clèves68. D’une manière ou d’une autre, ces grands nobles n’ont-ils pas été mêlés à l’activité des conseils de régence de 1483-1485 et 1488-1489, manquant ainsi à leur devoir d’appui envers leur suzerain et souverain dans la rébellion, encourageant au contraire celle-ci? Affirmer encore la légitimité passée de leurs actions politiques serait désormais résolument insoutenable. 1492 ne débute pas encore sous de très heureux auspices69. Philippe de Clèves poursuit ses campagnes, après avoir jeté à nouveau Gand dans un soulèvement et obtenu de l’équivoque Charles VIII le gouvernement en titre de la Flandre; il mène depuis L’Ecluse, avant-port brugeois, sa base d’attache, des opérations de piraterie. Le conflit s’éternise. Les énergies paraissent inépuisables. L’infatigable Albert de Saxe remet sans cesse l’ouvrage sur le métier. En mai, il «pacifie» la Hollande et la Frise occidentale, en proie à la révolte paysanne connue sous le nom de Kaas- en Broodvolk, fruit de difficultés aiguës de subsistance et d’une sévère pression fiscale. Revenu dans le bouillant comté de Flandre, il contraint les Gantois à signer la paix, cette fois décisive, de Cadzand (29 juillet); deux mois et treize jours plus tard, il obtient enfin la reddition de Philippe de Clèves et de sa forteresse de L’Ecluse, dernier agent et ultime bastion de la résistance. Pour Maximilien, le succès est de taille: confirmation des dispositions du traité de Montils-lez-Tours, reconnaissance cette fois bien réelle, par des Gantois dépouillés de privilèges et frappés de lourdes amendes, de ses propres prérogatives de régent - dat de voors. van Ghendt onsen genedichsten heere den Roomschen coninck ontfaen ende bekennen zullen als vader, voocht ende mamboer...70 - . Avec le retour durable de la paix et la réduction des particularismes, un grand coup est frappé en faveur de la construction de l’Etat dans les Pays-Bas et de l’intégration des forces vives des principautés, un trait dominant, comme on le verra, de la décennie du gouvernement personnel de Philippe le Beau. A la base,

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On peut voir ici une allusion visant e.a. Philippe de Clèves, aux représentants duquel les conseillers de l’archiduc rétorqueront encore aux Etats généraux de mars 1492 qu’il avait toujours vu agréer ses demandes: cf. WELLENS, op. cit., p. 225. Les deux survivants ne seront toutefois pas exclus de l’ordre, leur «procès» étant postposé; le premier décédera en novembre 1492, le second en septembre 1492. CAUCHIES, Les Pays-Bas en 1492... BLOCKMANS, op. cit., p. 360.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre en outre, c’est à une lutte pour la vie, à un combat vital pour l’héritage de sa défunte épouse, à ce que certains ont appelé «la guerre de succession de quinze ans»71, que le roi des Romains voit enfin mettre un terme. La confiance affirmée et gardée par beaucoup en faveur de son fils Philippe ainsi que le bras pesant de son cousin Albert figurent au nombre des clefs de cette issue. Philippe le Beau, pour sa part, ne demeure pas silencieux dans l’arène politique. Il s’exprime au cours de la session des Etats généraux tenue à Malines en février-mars 1492. Il y paraît très sensible à une question touchant tout autant à l’honneur des personnes qu’à la stratégie des chefs. Des représentants de Philippe de Clèves, alors encore en lutte ouverte, y proposent sous deux conditions un retour de leur mandant dans la loyauté: casser une sentence de bannissement prononcée à son encontre, le dégager de sa responsabilité prétendue dans les conflits en cours. Si l’archiduc manifeste l’intention, en cas de pacification, d’intercéder auprès de Maximilien, il refuse de prendre position sur le fond d’une décision grand-paternelle, puisque le jugement émanait de l’empereur Frédéric. La seconde demande est rejetée sans appel: décharger Rave(n)stein, ce serait sans ambages imputer cette responsabilité au roi des Romains. On relate aussi, à cette occasion, des paroles fermes sorties de la bouche du jeune prince à l’adresse des délégués de Philippe de Clèves, contre lequel il se déclare résolu à utiliser les grands moyens, en recourant à tous ses sujets représentés là: «Dites a Monsieur Philippe qu’il ne me face faire chose dont je puisse avoir regret cy aprés»72. Vraie parole de gouvernant conscient de son rang! Par les dévastations engendrées, par les coupes sombres opérées dans la population - victimes et migrants -, par les dégâts causés aux cultures et aux biens, par l’instabilité monétaire, par le climat permanent d’insécurité résultant de tous ces maux, les années séparant la tragédie de Nancy de la paix de Cadzand figurent parmi les plus noires de l’histoire des Pays-Bas à la fin du moyen âge73. Mais pour garder à bonne distance tous ces fléaux conjugués, et bien d’autres, une démarche s’imposait encore: signer avec la France, vicina sed non amica, une paix durable. Maximilien allait aussi y réussir. Les relations franco-bourguignonnes, en dépit des accords de 1489, demeuraient loin d’être cordiales. Nouveau brûlot - et de taille - pour ces relations: la rupture du lien matrimonial noué en 1490 entre Maximilien et Anne, duchesse de Bretagne, «volée» à son époux par Charles VIII, affamé de Bretagne, un an plus tard. L’affront fait au roi des Romains est double, puisque le «vol de la mariée» (Brautraub) s’accompagne de la répudiation et du renvoi de la fiancée, Marguerite d’Autriche (onze ans), unie à Charles alors dauphin depuis 1482. Anne s’était pourtant très vite intitulée «reine», en tant qu’épouse du roi des Romains, mariée per procuram en la cathédrale de Rennes au fidèle baron autrichien Wolfgang de Polheim, représentant le mari. Matrimonium ratum, non

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Ainsi WIESFLECKER, op. cit., p. 227-228. WELLENS, op. cit., p. 224-227. Cf. R. VAN UYTVEN, Politiek en economie : de crisis der late XVe eeuw in de Nederlanden, dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. LIII, 1975, p. 1097-1149.

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«Vie cachée» consummatum, et camouflet pour Maximilien dans sa politique «bretonne» autant que dans son honneur. Vaincue par les armes, la duchesse Anne joue donc une carte plus sûre - Maximilien ne lui est guère venu militairement en aide - en acceptant de se faire reine de France (couronnée en février 1492) et de rendre à terme la Bretagne française. Au lendemain même du mariage (décembre 1491), Charles VIII et ses proches, pour dénier tout fondement à l’accusation de «vol», utilisent une argumentation astucieuse, déjà exposée plus haut: Maximilien n’aurait jamais eu l’intention d’épouser la jeune princesse, tout cela, y compris l’envoi d’ambassadeurs et procureurs, n’aurait été qu’une «chose forgee», une feinte, un leurre destiné à préparer un tout autre dessein, à savoir des épousailles entre Anne et Philippe, manœuvre traîtresse d’ailleurs avouée par Frédéric III lui-même! La tromperie («cautelles») n’aurait donc été ni bretonne, ni royale, mais bien bourguignonne... Tout en y impliquant indirectement son vassal, comte de Flandre, le monarque met néanmoins en exergue sa propre volonté de «vivre en paix et luy tenir l’amour qu’il doibt avoir a son cousin et de luy estre bon souverain, mais qu’il luy soit leal subgect»74. Il n’y aura pas de «guerre du Brautraub», en dépit des craintes éprouvées. La session des Etats généraux ouverte à Malines à la mi-avril 1493 ne peut l’ignorer, puisqu’on y sollicite d’une forte délégation présente des subsides de nature à la fois militaire (paiement de gens d’armes) et diplomatique (mission en France). Mais la pièce maîtresse demandée est une somme de 200.000 écus dévolue à l’entretien de Philippe et de sa «maison»; cette subvention extraordinaire se trouve justifiée par les pertes enregistrées dans les revenus ordinaires des domaines, conséquence des années de tumultes75. Pour sa part, Charles VIII vient de négocier des paix séparées, avec l’Angleterre d’Henri VII, avec l’Aragon de Ferdinand le Catholique, pour détacher ces puissances de Maximilien et, bientôt, assurer ses arrières dans une expédition en Italie, au service de ses ambitions napolitaines. A la cour de France, un parti de grands seigneurs, autour d’Anne de Beaujeu, sœur aînée du roi et ci-devant régente, semblent persuadés que paix et Bourgogne s’inscrivent dans un même horizon; la fille de Louis XI, en perte d’influence, voudrait bien mitonner des fiançailles pour Philippe le Beau et sa propre fille Suzanne, âgée de deux ans seulement, mais d’autres ne manquent pas d’y voir une entreprise néfaste à la puissance royale, de la part d’une aristocratie de cour et de sang (Bourbon, Orléans) trop portée aux accomodements féodaux76. Quoi qu’il en soit, les pourparlers avec Bourgogne aboutissent eux aussi à la paix: c’est le traité de Senlis du 23 mai 1493. Maximilien ne souhaite pas moins

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Lettres de Charles VIII, III, p. 414-424, passim. Cf. aussi supra la présentation des divers projets de mariages conçus pour Philippe. WELLENS, op. cit., p. 229, 472-475. Les assemblées tenues, essentiellement à Malines, jusqu’à fin août 1493, ne se prononceront toutefois pas favorablement à ce sujet: cf. infra, sur l’amorce du gouvernement personnel de Philippe le Beau dans les Pays-Bas. Y. LABANDE-MAILFERT, Autour du traité de Senlis. La Bourgogne en question, dans Cinqcentième anniversaire de la bataille de Nancy..., Nancy, 1979, p. 254-255.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre cette paix que son rival Valois, d’autant plus qu’il se voit à court de moyens militaires et financiers et qu’il sait ne pouvoir guère compter sur un appui impérial; mais il n’ira pas trop vite en besogne, puisqu’il ne la ratifiera qu’en décembre suivant à Vienne, ayant dû attendre, il faut en convenir, la venue plusieurs fois retardée d’une ambassade française77. Faut-il souligner, même si ce n’est pas elle qui en décide, que la population des régions affectées par l’interminable conflit désire aussi ardemment qu’il y soit enfin mis un terme durable? Et durable, ce terme le sera de fait. Ne nous attardons pas ici à une série de clauses de ce long texte78, non sans importance il est vrai: restitution physique de Marguerite à ses père et frère par le roi de France; liberté de circulation et de commerce sur terre et sur mer; inclusion dans la paix («sont comprins») des alliés respectifs et de villes et territoires tels que Tournai-Tournaisis, Cambrai-Cambrésis ou Besançon, sans oublier la duchesse de Bourgogne, Marguerite d’York; amnistie générale réciproque; sécurité de jouissance de biens meubles et immeubles, rentes, offices, bénéfices, etc. Mais voyons plutôt les garanties offertes et les hypothèques imposées à Senlis au jeune archiduc d’Autriche et «duc de Bourgogne» quant à ses terres patrimoniales. Charles VIII restitue, outre le Charolais, la Franche-Comté, l’Artois et la seigneurie de Noyers, anciennes composantes de la dot de Marguerite en 1482, sur lesquels il conserve tous droits de souveraineté attachés à la Couronne; toutefois, les places artésiennes occupées d’Aire-sur-la-Lys, Béthune et Hesdin restent sous la garde du maréchal d’Esquerdes, Philippe de Crèvecœur79, tenu de les pourvoir en garnisons jusqu’au 22 juin 1498, jour où l’archiduc atteindra l’âge de vingt ans accomplis. C’est à ce moment précis, stipule d’ailleurs l’article suivant, que Philippe prêtera au roi l’hommage dû pour les pays tenus de ce dernier en qualité de fiefs. Les négociateurs de Charles VIII se sont montrés particulièrement vigilants quant à l’inscription dans le traité des obligations féodales du comte de Flandre, d’Artois et de Charolais: les officiers et juridictions du royaume ne pourront en aucun cas inquiéter terres et sujets de Philippe pour cause de défaut de relief avant juin 1498, mais ce défaut ne devra en nulle façon valoir la moindre atteinte ou restriction aux droits souverains du monarque des lys, en ce compris le ressort judiciaire. Les comtés de Mâcon, d’Auxerre et de Bar-sur-Seine, autres pièces de la dot bourguignonne de 1482, demeurent entre les mains de Charles VIII, en attendant que leur sort soit déterminé par des voies de droit; le royaume, en fait, ne les lâchera plus. De la Bourgogne elle-même, c’est-à-dire du duché sous la Couronne, il n’est explicitement question nulle part. Un des premiers articles réserve seulement la faculté pour le roi de France comme pour l’archiduc - pas son père! - de «poursuyr, soustenir et recepvoir, chescun d’eulx par voye amiable ou par justice et 77 78 79

WIESFLECKER, op. cit., p. 342, 525 n. 13. Cette ratification est associée à une renonciation de sa part, dans un traité secret complémentaire, à toutes prétentions sur la Bretagne: la page du Brautraub est alors définitivement tournée. DU MONT, op. cit., III/2, p. 303-311. Ancien capitaine de Charles le Hardi, passé au service du roi de France en lui livrant Arras au début du principat de Marie de Bourgogne.

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«Vie cachée» non aultrement, tous telz drois et actions qu’ilz entendent et pretendent avoir és choses qui ne sont apointies et decidees par ceste paix» (c’est nous qui soulignons). Le sort futur (final?) de la Bourgogne est de ces «choses». Maximilien ne renoncera pas à cultiver l’idée de recouvrer ce patrimoine de sa défunte épouse, même après son second mariage avec Bianca Maria Sforza (mars 1494), quitte à recourir aux armes80. Philippe le Beau et ses conseillers seront de toute évidence bien moins sensibles, on le verra, à pareil objectif, au grand dam du père d’ailleurs. Les historiens s’accordent généralement pour considérer le traité de Senlis comme un succès - fût-il loin d’être complet - pour Maximilien et l’opposent volontiers en cela à celui d’Arras (1482). Trop schématiquement peut-être. La conjoncture politique, diplomatique, militaire avait bien changé en dix ans et demi. En 1482, le Habsbourg avait dû s’y soumettre et n’eût pu raisonnablement agir d’une autre manière. En 1493, il sut en tirer bon profit, même si sa position internationale - Bretagne avait tourné le dos, Angleterre et Aragon avaient négocié avec France - et sa situation financière - les Pays-Bas étaient épuisés et l’Empire ne donnait rien - ne brillaient pas de mille feux. Mais les temps maussades d’Arras se révélèrent veille nécessaire des jours plus ensoleillés de Senlis. Sans les uns, eût-on connu les autres? Plutôt que d’opposer les deux traités, soigneusement négociés, ne faut-il pas les connecter81? Maximilien dénommera bien Senlis, selon un témoignage italien, une «paix perdue»... mais pouvait-il, dans sa passion, être satisfait d’une solution, quelle qu’elle fût, qui ne mît pas à genoux la France haïe? La pacification étant acquise, l’existence propre des états bourguignons duché de Bourgogne exclu - était assurée. Le «prince naturel» avait grandi. Pour répondre à un souhait très répandu et exprimé, le gouvernement personnel de Philippe le Beau pouvait s’ouvrir.

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LABANDE-MAILFERT, op. cit., p. 265, 267. Cf. CAUCHIES, Maximilien d’Autriche et le traité d’Arras, op. cit., p. 157.

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Chapitre II «NATUREL», «NATUERLIJK»

1. La légitimité d’un pouvoir acquis Adieu Philips, lieve sone mijn, Ick scheyde noch veel te vroech van dijn1 «... vous requerant continuer en vostre leaulté envers nous et nostre trés chier et trés amé filz, vostre prince et seigneur naturel, ainsi que avez fait jusques a ores, et que en vous en avons la fiance». Ces mots clôturent le dispositif d’une lettre écrite par Maximilien aux autorités de la ville de Mons (Hainaut), en date du 17 août 1491. Les termes utilisés reflètent exactement la manière dont les Montois, comme tous les autres habitants des Pays-Bas, sont invités à percevoir la personne de Philippe2. De même, lorsqu’il avait prêté serment, ainsi à Douai le 29 janvier 1484, le Habsbourg avait-il pris soin de rappeler qu’il le faisait au titre de la régence pour son fils, «herictier et seigneur naturel dudit conté de Flandres» - la ville, dans la formule de son serment réciproque, ajouta: «et [seigneur] proprietaire»3. «Prince naturel»: la correspondance de l’époque regorge d’emplois de l’expression. Quand en juillet 1482, les Trois Membres expriment sans détours leurs vues sur le gouvernement de la Flandre et le respect des privilèges, ils se réfèrent à Philips ende Margriete, onse natuerlijke grave ende graefsnede van Vlaendren. Ils entendent bien préserver les deux enfants, auxquels le sang maternel confère ipso facto le rang comtal, de toutes influences contraires au bien commun du pays, en ce compris celle de leur père. Ce dernier, spécifient plus tard les quatre seigneurs du conseil de régence fraîchement installé, recevra d’eux une rente annuelle en sa qualité de vader van onzen natuerlicken ende ervachteghen (c’est-à-dire celui qui a droit à l’héritage) heere ende prince, mijnen heere den hertoghe Phelips, zinen zone. Pour écarter toute velléité de transaction, le même conseil stipule en juin 1484 qu’il faut que tous, prélats, nobles, villes, reconnaissent le jeune archiduc pour «leur prince naturel, vray et droiturier seigneur et nul autre»4. Dans une lettre de novembre 1487 à leurs homologues montois, les échevins gantois, exposant leurs griefs à l’encontre de Maximilien, distinguent de façon répétée «nostre trés redoubté seigneur le roy des Rommains» et «nostre trés redoubté seigneur et prinche naturel», le premier

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«Adieu Philippe, mon cher fils, c’est bien trop tôt encore que je me trouve séparé de toi»: Middelnederlandsche historieliederen, p. 98 (chant d’adieu de Marie de Bourgogne, fin du XVe s.). GACHARD, Lettres de Maximilien. 2e partie, p. 249. Douai, Archives de la Ville, CC 680, f. 30v.-31r. BLOCKMANS, Autocratie ou polyarchie?, p. 317, 342, 349.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre (n’) étant (que) le «tuteur et mambourg» du second5. Quand, le 9 juin 1488, le chef rebelle Philippe de Clèves notifie au père l’ouverture des hostilités, ce sont les droits du fils, «prince naturel», qu’il prétend servir6. Au même moment, c’est à ce titre aussi que les Brugeois récemment révoltés veulent attendre de Philippe, en temps voulu, c’est-à-dire à sa majorité, la confirmation de divers points de droit et concessions (1er juin)7. Soucieux d’apporter de l’eau au moulin de ses «amis» flamands, Charles VIII, dans un mandement ajournant Maximilien devant le Parlement de Paris, fait qualifier le fils du roi des Romains de pair de France et «seigneur naturel» des sujets de Flandre (22 octobre 1488)8. Enfin, un factum de la même année réfutant les griefs émis par le Habsbourg à l’égard du Valois n’entend pas lui laisser le moindre espoir de s’imposer par la force ou le droit: «Mais quant audit duc d’Austrice, actendu que ladite duchesse, sa compaigne, est allee de vie a trespas, il est a present du tout estrangier des pays et seignouries, auxquelz il ne peult jamais succeder, et en y a XXX qui yront devant lui, et s’il en prend le nom ou les armes, il s’abuse»9. Maximilien lui-même a toujours dû prendre soin d’affirmer de concert deux positions en droit, de les dissocier tout en les rapprochant; les liens du sang et les volontés de sa défunte épouse l’y obligeaient. En juillet 1488, lorsque rebondit le conflit avec les villes flamandes et que le seigneur de Rave(n)stein se réclame d’une forme de légitimité féodale et «nationale», le Habsbourg reproche aux assemblées d’Etats leur complaisance, surtout vis-à-vis du roi de France, courtisé par d’aucuns après le traité d’Arras pour garder et protéger les Pays-Bas: «Et avez conclu toutes ces choses en nous delaissant derriere, [nous] qui toutesvoies, comme roy des Rommains, sommes vostre souverain, et, comme pere et mambour de nostredit filz, vostre prince et seigneur. Et est bien chose contre nature d’avoir le filz en main et estre pere, et que les pays soient en main et soubz la protection d’un estrangier, ancien et continuel ennemi de la maison et du prince»10. Si la «souveraineté» germanique ne fait aucun doute - mais que représente-t-elle encore, sinon dans des vues doctrinales, en ce XVe siècle finissant? - , la «seigneurie» au nom du fils paraît plus aléatoire. D’ailleurs, depuis quelques mois, Philippe signe lui-même des lettres de portée politique. La première qui émane de lui dans le riche recueil constitué par Louis-Prosper Gachard est encore revêtue de la signature de son premier chambellan, Jean de Berghes11. Mais ensuite on lira toujours: «Phe(lippe)». Dès son plus jeune âge, Philippe fut mis en valeur comme l’héritier de Bourgogne. Quand Marguerite d’York, en pleine cérémonie de baptême, brandit spontanément le nouveau-né, âgé de sept jours, pour prouver à tous qu’il est bien un mâle, la dynamique douairière entend en appeler au peuple, sans intermé-

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GACHARD, Lettres de Maximilien. 1e partie, p. 328-332. BLOCKMANS, op. cit., p. 356. J. PAVIOT, Philippe de Clèves, seigneur de Ravestein. L’Instruction de toutes manieres de guerroyer (...) sur mer..., Paris, 1997, p. 15. GILLIODTS-VAN SEVEREN, Inventaire des archives de la ville de Bruges, VI, p. 306-308. Op. cit., p. 313. GACHARD, Lettres de Maximilien. 1e partie, p. 400. Op. cit., p. 376. Op. cit., p. 334-335 (14 février 1488).

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3. Lille - Archives départementales du Nord - moulage: «Demay, Flandre, 82». Sceau de majesté de Maximilien et Philippe le Beau (1486).

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre diaire et sans cérémonial, afin que chacun reconnaisse là le rejeton de la dynastie à laquelle elle s’est elle-même unie et identifiée12. Ses parents ont très tôt paré l’enfant du titre de comte de Charolais, porté jadis par Philippe le Bon et Charles le Hardi du vivant de leurs pères respectifs, ducs de Bourgogne en exercice: «nostre trés chier et trés amé ainsné filz, Phelippe d’Ostrice, conte de Charolois», lit-on dans un acte de Maximilien et Marie en date du 23 octobre 148113. Que le Charolais soit alors entre les mains de Louis XI - Charles VIII le restituera au traité de Senlis (1493) - n’affecte pas le symbole, au contraire même. Bourgogne certes, mais Autriche tout autant. Concilier les deux références n’est point exercice commode. Pour le principal intéressé néanmoins, aucune hésitation ne va trouver place ici: dans sa commande d’une armure à l’archiduc Sigismond de Tyrol en octobre 148814, Philippe fait ou laisse écrire que les ennemis de l’une sont les ennemis de l’autre maison, toutes deux aussi dignes d’éloges (unser loblichen heusser Österreich und Burgundi feinde), que ce sont les mêmes insoumis qui se montrent jaloux d’elles (ungehorsamen und missgönner); pour elles, louange, honneur et bien durable se confondent (unser heuser Österreich und Burgundi lob, eer und lang hergebracht guet). La littérature du temps favorable au pouvoir en place a tenu elle aussi a consacrer le lien, ne fûtce qu’en attribuant à Philippe, à l’image de son père, le curieux surnom de Philips Stock. La chronique Dit sijn die wonderlijcke oorloghen..., celle-là même qui narre l’épisode de Marguerite d’York montrant l’enfant nu à la foule, prête la sentence à Maximilien lui-même, de retour de campagne et voyant l’héritier pour la première fois: il portera mon nom, et celui de mon père, want Maximiliaen Stock is mijnen naem15. Stock, c’est le bâton, la fermeté, la garantie d’une bonne lignée, la paternelle en l’occurrence. Marie, toujours selon le même récit, répond d’ailleurs à son époux, en acquiesçant: Uwen naem moet vore gaen. Dans l’esprit du géniteur, ceci vient explicitement compléter l’appartenance de l’enfant à une autre bonne lignée, edel Bourgoens bloet, le noble sang de Bourgogne. Et le chroniqueur de répéter le mot à diverses reprises, quasiment à tout propos, mais spécialement quand il est question des campagnes et de la quête de victoires et de gloire du futur roi des Romains, entre 1478 et 148216. En foi de quoi, le prince «naturel», parce qu’issu de Bourgogne, ne devra donc pas oublier qu’il est aussi d’Autriche, et qu’il convient que ses origines s’apportent un mutuel soutien. Mais il est bien natif des pays (een inlants gheboren heere) et il lui appartient de les gouverner (die moet here des lants sijn)17. Jamais, durant les douze années de régence à venir, ce fait établi ne sera remis en question.

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WEIGHTMAN, Margaret of York, p. 131-132. AGR, Chartes de Flandre, 1e série, 27313; la référence à l’aînesse se justifie car le petit François (2 septembre-26 décembre 1481) est alors en vie. Cf. ch. I/3 supra. Dit sijn die wonderlijcke oorloghen... (cité ch. I, n. 13), p. 58. Op. cit., p. 69, 90, 106, 108, 123, 124, 153-154 (quatre fois à propos des recommandations prêtées à Marie de Bourgogne sur son lit de mort et de son ultime entretien - bien animé pour une agonisante... - avec les grands de son entourage), 158. Op. cit., p. 157.

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«Naturel», «natuerlijk» N’est-il pas enfin symptomatique que Jean Molinet ait recours en narrant la naissance de Philippe le Beau à une série de qualifications s’ouvrant sur le bâton: «baston de nostre viellesse, la gloire de nostre pays, le fort bras de nostre querele, la glave de nos ennemis, et le port de nostre salut»18? L’image a dû marquer les partisans de Bourgogne et de son alliance salvatrice avec Autriche. 2. La fin d’une longue insécurité De vader was tegen ‘t kint ende ‘t kint tegen de vader, écrivait avec désespoir, à propos des années de fer et de feu de la décennie -80, un chroniqueur brabançon19. Deux textes, deux issues balisent enfin avec bonheur les années 14921493. Le duc Albert de Saxe, lieutenant général de son cousin Maximilien pour les Pays-Bas, vient de mater et d’écraser en mai la révolte paysanne dite Kaasen Broodvolk, du nom de l’ornementation des bannières des insurgés, qui a enflammé la Hollande et la Frise occidentale; difficultés de subsistance et pression fiscale en avaient été les causes, la prise de Haarlem le fait saillant, des restrictions de privilèges communaux, de lourdes amendes et des exécutions capitales les effets néfastes. 1492, si souvent mentionnée à un autre échelon de l’histoire, ne laisse encore rien augurer de favorable20. Mais l’opiniâtre Albert de Saxe va pesamment contribuer à modifier le cours des choses. Revenu en Flandre après l’épisode hollandais, il contraint les Gantois à signer la paix, cette fois décisive, de Cadzand (29 juillet) et, deux mois et treize jours plus tard, il obtient enfin la reddition de Philippe de Clèves, dernier agent de la résistance, en la forteresse de L’Ecluse. Maximilien lui doit une fière chandelle. Philippe par conséquent aussi: l’archiduc renoncera plus tard en faveur d’Albert à ses propres prétentions sur la Frise, en qualité de comte de Hollande, pour prix de la remise de l’énorme dette contractée ainsi à son égard, évaluée à la somme astronomique de 250.000 florins (1499)21. Pour leur part, les négociateurs du roi des Romains vont bientôt parvenir à conclure avec ceux du roi de France, le 23 mai 1493, le traité de Senlis. Le monarque Habsbourg y récupère entre autres l’Artois, la Franche-Comté et sa fille Marguerite, répudiée dix-huit mois plus tôt par un Charles VIII rassasié de Bretagne... Les Pays-Bas, quoique les habitants ne puissent encore imaginer un sort si heureux et si inusité depuis longtemps, vont y récolter de longues années de paix extérieure. Juillet 1492-mai 1493: près d’une année, une phase cruciale qui, combinée avec la mort de l’empereur Frédéric (19 août 1493), fournit le cadre on ne peut plus propice à la montée au pouvoir de Philippe le Beau. Il était temps, d’ailleurs, que les choses prennent une nouvelle tournure, des campagnes ayant été dépeuplées - 85 % des terres à l’abandon dans le quartier de Gand, en

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MOLINET, Chroniques, I, p. 273. Cité par A. DE FOUW, Philips van Kleef. Een bijdrage tot de kennis van zijn leven en karakter, Groningue et Batavia, 1937, p. 204-205. Sur tout ceci et pour les données chiffrées fournies plus loin, cf. CAUCHIES, Les Pays-Bas en 1492… P. BAKS, Saksische heerschappij in Friesland, 1498-1515: dynastieke doelstellingen en politieke realiteit, dans Fryslân, staat en macht 1450-1650..., Hilversum et Leeuwarden, 1999, p. 93.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre 1492 encore - , des bourgs dévastés voyant leur redressement pour longtemps compromis. Aux malheurs de la guerre s’étaient ajoutés les caprices du climat, saisons hivernales ou estivales porteuses d’excès de froidure ou d’humidité, chargées de tempêtes et d’orages dévastateurs, et par le fait même l’inévitable spectre des crises de subsistance. 1491/92 est encore un temps de disette et le cours du blé y atteint de véritables «pics»: 220 sous le muid contre 136 sous en 1490/91, mais 80 sous 8 deniers en 1492/93 et 84 sous en 1493/94 sur l’actif marché céréalier hainuyer et scaldien de Valenciennes. La production artisanale et le commerce ne se portent évidemment pas mieux. La recette de la taxe dite assise sur les toiles à Courtrai atteint en 1491/92, et de loin, son chiffre le plus bas, quasi trois fois moindre que ce qu’il était vingt-cinq ans plus tôt, tandis qu’à Eekloo cette taxe ne produit alors rien en raison de l’état de guerre, niets mydts der hoorlooghen. Mais un regain progressif viendra bientôt, une reprise lente mais réelle, par exemple, pour cet important secteur qu’est l’«industrie» linière à domicile, bénéficiaire d’une croissance nouvelle dans la première moitié du XVIe siècle. Ici ou là, des mesures coercitives n’ont rien arrangé: pour le punir d’avoir emboîté le pas aux grandes cités révoltées, Maximilien avait contraint le bourg flamand de Hondschoote à interrompre son intense activité drapière. Les années 1492 à 1494 sont dans les Pays-Bas tout entiers celles d’un incontestable renversement de tendance. Les dirigeants y auront ainsi davantage la latitude et les moyens de concevoir une politique dorénavant garantie par une paix extérieure d’une assez longue durée et de développer dans un contexte moins chaotique et une ambiance plus sereine des structures de gouvernement. Leur situation paraît en cela relativement comparable à celle de Philippe le Bon, duc de Bourgogne, au lendemain du traité d’Arras de 1435, ce moment clé d’une œuvre de rassemblement territorial et de centralisation elle aussi conjuguée à une paix chèrement acquise. Dans les deux cas, une «causalité entre paix extérieure et renforcement institutionnel»22 va se donner à voir. Voilà sous quels auspices un prince de seize ans s’avance sous les feux de la rampe. S’il convient de fixer au contact de l’été et de l’automne de 1494 les débuts effectifs du «règne» personnel de Philippe le Beau, déclaré majeur, dans les Pays-Bas, on ne peut donc ignorer que les choses avaient pris depuis douze mois une tournure décisive. Le traité de Senlis, libérant gouvernants, population et territoires du spectre de la guerre, puis la mort déjà signalée de Frédéric III, orientant les préoccupations prioritaires de Maximilien d’Autriche vers d’autres horizons, ont pesé dans les balances du pouvoir. Sollicitée dès avril 1493 pour une contribution de 200.000 écus en faveur de Philippe, la «generale assemblee des estas de tous les pays» tergiverse, ainsi d’ailleurs que pour d’autres sommes, à chacune de ses sessions: on se tait, on élude, on souhaite consulter ses mandants, on vise en tout cas à ne pas précipiter une résolution. Puis en août, on décide de manifester des intentions claires et nettes auprès du roi des Romains, à présent investi de la charge impériale délaissée par son père défunt: «que son plaisir soit

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Selon l’expression de W. BLOCKMANS, La répression de révoltes urbaines comme méthode de centralisation dans les Pays-Bas bourguignons, dans PCEEB, n° 28, 1988, p. 7, à propos de 1435, mais que nous appliquerons aussi à 1493.

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4. ‘s-Heerenberg (Gueldre) - Château Huis Bergh (Fondation). Peinture (v. 1492/94): portrait de Philippe le Beau.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre de consentir que monseigneur l’archiducq soit receu a prince de tous ses pays». On entend donc bien que le prince «naturel» se prépare à entrer sans retard en possession desdits pays et qu’il y soit accueilli, inauguré ès qualités. On ajoute que les 200.000 écus, de même qu’une aide pour Marguerite, rapatriée de France, seront mis en délibération lorsque Philippe aura été effectivement émancipé,... en d’autres termes quand Maximilien, depuis longtemps physiquement absent, aura retiré sa mainmise, sa présence encore virtuelle, des territoires. Et on accorde quand même 40.000 écus pour les besoins urgents23. Une démarche est menée par quelques nobles auprès du Habsbourg. Le souverain acquiesce et promet une visite personnelle en juin 1494 ou, à défaut, une délégation à de grands personnages pour accompagner son fils au cours des cérémonies de réception. Cette manifestation de volonté s’accompagne évidemment, vu les dépenses à engager, d’une nouvelle demande financière, qui ne peut que provoquer de sérieuses réticences. Et d’invoquer ainsi, au conseil de ville de Mons, les frais d’inauguration et de cadeau à prévoir par ailleurs pour Philippe24... 3. Les cérémonies d’inauguration Hoe Brugge bedruct was voorleden, Door tderven ons princen, hoge gheboren, Sgelijcs so sijnse nu bat te vreden, Ende hebben ghetoont vele vrolicheden Door dincoemste, so elck mach horen25 Dresser un répertoire des entrées solennelles ou officielles accomplies par Maximilien et Philippe le Beau dans les Pays-Bas présente quelques difficultés. Les deux premiers Habsbourg impliqués dans le gouvernement de ces contrées ont en effet été amenés par les circonstances, par les fluctuations de leur propre «statut», à se prêter plusieurs fois à ce type de démarche. Maximilien avait dû le faire en sa qualité d’époux de la duchesse héritière Marie (1477-1478), puis de père et tuteur de l’héritier Philippe après le décès de sa femme (1482), puis encore dans la tourmente civile en Flandre (1485), avant de sacrifier derechef à l’usage par suite de son couronnement de roi des Romains (1486). Si Philippe jeune enfant fut astreint à semblable pratique, postérieurement à la mort de sa mère et à la signature du traité d’Arras (27 mars et 23 décembre 1482), c’est sur les

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WELLENS, Etats généraux, p. 233-234, 475-481. L. DEVILLERS, Le Hainaut sous la régence de Maximilien d’Autriche. Quatrième et dernière partie: 1490 à 1494, dans BCRH, 4e série, t. XVI, 1889, p. 501-502. «Autant Bruges avait été précédemment affectée parce que lui manquait notre prince (Philippe le Beau émancipé avait refusé précédemment de visiter la Flandre: cf. infra), de haute naissance, autant à présent ses habitants se trouvent-ils bien plus apaisés, et ils ont montré maintes marques de gaieté du fait de l’entrée, ainsi que chacun peut l’entendre». Poème composé en mars 1497 à l’occasion de l’entrée de Philippe et Jeanne à Bruges: Blijde Inkomst. Vier VlaamsBourgondische gedichten, édit. G. DEGROOTE, Anvers, 1950, p. 16; A. VIAENE, Blijde inkomst van hertog Filips te Brugge 1497, dans Biekorf, t. LXI, 1960, p. 39.

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«Naturel», «natuerlijk» «joyeuses entrées» consécutives à son émancipation qu’il faudra se pencher ici. La longue série va s’ouvrir à l’automne 1494, nombre de cérémonies ayant notamment encore trouvé place après le mariage de l’archiduc en octobre 1496, en partie comme effets directs de cet événement26. La légitimité innée, conférée à Philippe le Beau par sa naissance, est certes reconnue, on l’a vu. Mais il demeure souhaitable, indispensable même, d’en faire étalage aux yeux de tous les sujets et d’offrir ainsi à ces derniers l’occasion de manifester leurs sentiments à cet égard. L’inauguration se veut en cela démonstration. En accueillant dignement son maître et seigneur, une population, toutes catégories sociales et toutes opinions confondues dans une communauté locale, peut communier dans la liesse et percevoir le sens profond de la fête. Si on redoute, pour quelque raison, que le prince néglige de venir, on s’empresse de s’assurer du contraire, à la manière de quatre échevins gantois dépêchés à Anvers au nom des Membres de Flandre, le 20 octobre 1494, pour inviter Philippe à sacrifier au rite traditionnel, naer doude costume, précisent-ils, de la réception personnelle, physique, en son pays de Flandre27. En septembre 1493 déjà, les délégués des principales villes hollandaises, réunis à Schiedam, s’étaient étonnés que l’on envisageât, dans la perspective d’une émancipation prochaine de leur jeune souverain, une inauguration en dehors des frontières du comté: cela eût été du «jamais vu», et, dans l’option contraire et souhaitée, les citadins lui ouvriraient d’ailleurs toutes grandes leurs portes28. Passons donc sans nous y attarder sur les inaugurations du début de principat, qui comportaient cependant tous les éléments requis, y compris un serment, comme l’enregistre pour justifier une dépense le receveur communal d’Ypres en 1483. Et la source de préciser que cela s’est fait, en présence du clerc pensionnaire yprois, à Bruges, Damme, L’Ecluse et ailleurs encore29. C’est dans les années 1494 à 1497 que l’on peut circonscrire pour l’essentiel les entrées archiducales. Mais par la suite, le prince en déplacement aura encore l’occasion de faire halte dans des villes et d’y être accueilli, pour la première fois, avec le plus de faste possible; ainsi en sera-t-il à L’Ecluse (Flandre), en avril 1499, où les autorités locales commanderont à tous de cesser le travail et de revêtir leurs plus riches habits30. Le prince a beau être alors bien arrimé à la fonction: pour des sujets, sa «première venue» reste toujours un événement attendu, le geste, même tardif, demeure chargé d’une appréciable signification politique. Le choix des contrées et des villes dont Philippe le Beau foule le sol en grande pompe pour y prêter serment répond alors à une combinaison d’usages et de circonstances. Rien d’étonnant si Louvain, c’est-à-dire le duché de Brabant en

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CAUCHIES, La signification politique des entrées princières … (où l’on trouvera en grande quantité des références particulières relatives aux différentes inaugurations). Handelingen van de Leden en van de Staten van Vlaanderen 1477-1506, II, p. 685. SMIT, Vorst en onderdaan, p. 238. Handelingen, op. cit., I, p. 304. J.H. V[AN] D[ALE], Filips de Schone te Sluis. Feestelijkheden, dans H.Q. JANSSEN et ID., Bijdragen tot de oudheidkunde en geschiedenis, inzonderheid van Zeeuwsch-Vlaanderen, t. IV, Middelbourg, 1859, p. 137-138.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre sa vieille «capitale», relativement déclassée mais toujours prioritaire, en préséance, dans la tradition du pays, fournit, le 9 septembre 1494, le cadre de la première cérémonie. Elle revêt une importance toute particulière compte tenu de la délivrance, ce jour même, par l’archiduc, à l’instar de ses prédécesseurs depuis près d’un siècle et demi, d’une charte de «joyeuse entrée» au sens spécifique, à savoir brabançon, de l’expression; il la complétera par une additie en mars 1497, à une époque postérieure à son mariage et où se multiplieront dans ce contexte, on l’a dit, les inaugurations, plus précisément en Flandre et bientôt en Hollande31. Deuxième ville de grand poids au programme, Anvers reçoit dès le 5 octobre au soir son prince, qui y prête serment, derechef en qualité de duc de Brabant mais en outre, en ce lieu, de marquis du Saint Empire - comme l’atteste sa titulature - , le 632. Rendre visite à ses comtés de Hollande et Zélande, voilà une tâche dont le jeune prince va s’acquitter sans trop de retard. Il recourt toutefois à une solution commode, celle de la réception générale localisée, qui lui évite d’effectuer une longue tournée et de trop s’éloigner du Brabant, où il réside, tout en satisfaisant à l’exigence d’une présence sur le sol de chaque pays. Pour la Zélande dans son ensemble d’abord, c’est à Reimerswaal, sur la côte de l’île de Zuid-Beveland, face à la brabançonne Bergen op Zoom, qu’a lieu la cérémonie, le 6 novembre 1494. Puis à un comté maritime succède l’autre: aux portes du Brabant encore, à Geertruidenberg, ville hollandaise la plus proche de Bergen op Zoom, l’archiduc rencontre les Etats de Hollande pour leur prêter le serment requis, ainsi que pour la seigneurie de Frise occidentale, le 12 décembre suivant33. Après avoir «marqué le coup» en n’acceptant pour la Flandre qu’une inauguration par procuration, le 26 décembre à Gand34, il se rend au contraire de bonne grâce dans le Hainaut pour une entrée à Mons le 31 décembre; ici, on le verra même ratifier son serment dans un acte délivré le 20 novembre 1497. Le 3 janvier 1495, vient le tour de Valenciennes, ville qui, toujours soucieuse de rappeler qu’elle est en Hainaut sans être du Hainaut, requiert une réception propre pour tout nouveau comte et seigneur35. Voici alors Malines pour sa seigneurie, possession spécifique du jeune Habsbourg (27 mars), Namur pour le comté dont elle est la chefville (17 mai), Bruxelles, enfin, plus de dix mois après sa rivale louvaniste (21 juillet)36. Après un long temps d’accalmie, à la suite d’un voyage diplomatique en Allemagne (mai-octobre 1496) et de ses noces, Philippe le Beau va reprendre la pérégrination, auréolé du prestige accru que lui confère sans nul doute le mariage espagnol, célébré à Lierre le 20 octobre 149637. Middelbourg en Zélande (7 novembre, avec serment le 13), Breda et Bois-le-Duc en Brabant (5 et 13

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Placcaeten ende ordonnantien vande hertoghen van Brabandt..., t. I, Anvers, 1648, p. 179-192. MOLINET, Chroniques, II, p. 395-399, limite son récit à ces deux premières entrées, de toute évidence les plus renommées. Cf. infra ch. IV/1/C. Cf. ibid. DEVILLERS, op. cit., p. 510-512, 514-515. Seule entrée dont fasse état pour 1495 MOLINET, op. cit., p. 418. Cf. infra ch. III.

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«Naturel», «natuerlijk» décembre) encadrent une inauguration à Bruxelles, le 9 décembre, qui ne concerne pas l’archiduc, absorbé par des négociations dans le nord du duché, mais bien sa femme, et qui présente un intérêt tout particulier. Cette «joyeuse entrée» a eu en effet les honneurs de l’illustration par le canal de soixante dessins aquarellés, constituant la représentation la plus ancienne connue de nos jours pour toute l’Europe d’une telle cérémonie dans son ensemble, un véritable «reportage», peut-on écrire. Procession et tableaux vivants - ou togen, un usage très apprécié dans les Pays-Bas à la fin du moyen âge - ont animé les rues et inspiré à parts égales le dessinateur; notons, à côté d’un foisonnement de scènes bibliques et mythologiques, l’insertion de quelques représentations de circonstance, soumission de Grenade à la reine Isabelle (1492), armoiries de Philippe et de Jeanne, des possessions de Philippe, le tout très riche en messages à décrypter, pour la personnalité reçue, ou au sujet de la ville hôtesse. Ajoutons que les autorités bruxelloises, en déployant un tel spectacle, escomptent sans doute appuyer des prétentions au rôle de résidence princière, sinon de «capitale», que la cité de l’archange Michel est censée capable de tenir, pour le Brabant voire pour l’ensemble des Pays-Bas38! Passés les mois d’hiver, l’archiduc accomplit deux importantes tournées en 1497, à travers la Flandre d’abord, la Hollande ensuite. Citons d’une part, en mars-avril, Philippe et Jeanne arrivant de Bruxelles, Termonde, Gand, Bruges, Ypres, Lille, Courtrai, Audenarde. D’autre part, en juin-juillet, voici le prince à Dordrecht (pour la ville mais aussi la région domaniale de Zuidholland, dont elle est le puissant noyau), Delft, La Haye, Haarlem, Amsterdam, Leyde, Rotterdam, Gouda. Dans le comté flamand, où, rappelons-le, Philippe avait refusé, à l’instigation paternelle, de se rendre en personne dès 1494, les cérémonies de première visite contribuent à apaiser les ultimes remous, à éteindre les dernières flammèches, à remiser les souvenirs pénibles. Tout doit se faire dans un esprit de fête et de réconciliation, comme en témoignent des poèmes de rhétoriqueurs composés pour la circonstance dans les deux principales villes39. Le prince y séjourne d’ailleurs quelque temps: à Gand, il s’arrête six jours durant; entré à Bruges, sa ville natale, le 20 mars, lundi de la Semaine Sainte, il n’y prête serment que le 28, mardi de Pâques40. L’auteur du poème brugeois cité déplore évidemment que la ville ait dû patienter si longtemps, dans la tristesse (bedruct), mais il célèbre la joie (vrolicheden) qu’y suscite d’autant plus maintenant la venue de son illustre enfant, dat edel bloet... Les localités visitées sont toutes des villes de bonne taille. Une action complémentaire en territoire flamand, quelques jours avant le long périple de Hollande, entrepris via Anvers et Breda, peut surprendre. Philippe s’arrête en effet dans le bourg plus modeste de Saint-Nicolas et y prononce «sous le tilleul», lieu de tradition, un serment pour le pays de Waas (7 juin

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W. BLOCKMANS, Le dialogue imaginaire entre princes et sujets: les Joyeuses Entrées en Brabant en 1494 et en 1496, dans PCEEB, n° 34, 1994, p. 41-42, 45-49, et dans A la cour de Bourgogne. Le duc, son entourage, son train, édit. J.-M. CAUCHIES, Turnhout, 1998, p. 159160, 162-166. Blijde Inkomst, op. cit., p. 11-14, 16-19. A. VIAENE, op. cit., p. 33-41. Cf. aussi GILLIODTS-VAN SEVEREN, Inventaire des archives de la ville de Bruges, VI, p. 421-423.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre 1497)41. Le statut particulier en Flandre de ce territoire intégré à l’Empire, quoique situé sur la rive gauche de l’Escaut, justifie la démarche. Le jeune archiduc en tournée ne néglige donc pas les nuances héritées des ressorts féodaux séculaires. L’été 1497 ne clôture pas la longue série des inaugurations princières. Ce que l’on repère par la suite revêt cependant un caractère plus épisodique. Mais la pratique toujours entretenue ne peut que servir en bien les relations entre gouvernant et gouvernés. Ainsi, négligée en 1497 - simplement peut-être parce que trop méridionale - Douai voit-elle Philippe jurer le 23 juin 1499, avec entrée la veille au soir et spectacles d’usage42. Dans la foulée, voici deux jours plus tard la première venue à Arras, à l’occasion de l’hommage prêté là au chancelier de France, représentant son roi, pour les comtés de Flandre et d’Artois43. Jean Molinet, pour mai 1500, narre brièvement une série de visites princières à des seigneurs et à des villes et parle d’«entrées» à Béthune et Saint-Omer (Artois), puis à Cassel, Bergues, Dunkerque (Flandre). On voit bien ici que l’archiduc tire profit d’autres obligations pour déterminer son parcours: venant de Chimay, où il a assisté au baptême de son filleul Philippe, fils du prince Charles de Croÿ, il veut gagner les environs de Calais, où il rencontrera bientôt le roi d’Angleterre Henri VII, et traverse à cette fin Hainaut méridional, comté d’Artois et Flandre maritime; en quittant ces parages, ce sera le tour de Furnes, Nieuport, Ostende, Aardenburg44. A Furnes, par exemple, on sait que la cérémonie s’est déroulée au domicile d’une grande dame de la cour, veuve du vicomte du lieu, Eléonore (dite souvent Aliénor) de Poitiers († 1509), dame de Stavele et auteur d’un traité célèbre45. Un pays non encore visité, le Luxembourg, aura seulement l’opportunité de célébrer son nouveau duc en novembre 1500: il y prendra alors possession de la ville et du château46. Puis l’année suivante, les 9 et 12 juin 1501, deux villes zélandaises pourront le faire de manière individuelle, six ans et six mois après l’inauguration générale de Reimerswaal; il s’agit de Zierikzee et de Goes, où il est d’ailleurs bien question d’une eerste inkomste et de serments réciproques appropriés47. Notons enfin qu’à son retour d’Espagne et alors qu’il se dirige vers l’Allemagne (juillet-août 1503), l’archiduc traverse de part en part sa possession

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Chevalier de SCHOUTHEETE de TERVARENT, Inventaire général analytique des Archives de la Ville et de l’Eglise primaire de Saint-Nicolas (Waes), Bruxelles, Gand et Leipzig, 1872, p. 24. J. GEERTS et R. SCHOORMAN (édit.), Register A nr 125. Vernieuwinge van voorgeboden der Keuren van het Land van Waas, Beveren, Dendermonde enz., dans Annalen van den Oudheidkundigen Kring van het Land van Waas, t. XV, 1893-1894, p. 33. TAILLIAR, Chroniques de Douai, t. II, Douai, 1875, p. 342-344. HARDOUIN, Mémoires pour servir à l’histoire de la province d’Artois..., Arras, 1763, p. 260. MOLINET, Chroniques, II, p. 472-473, 475. Furnes, Archives de la Ville, 334 (cartulaire dit Knoopbouc), f. 36v. Cf. E. de POITIERS, Les Etats de France (Les Honneurs de la cour), édit. J. PAVIOT, dans Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, année 1996, 1998, p. 76-77. F.-X. WÜRTH-PAQUET, Table chronologique des chartes et diplômes relatifs à l’ancien pays de Luxembourg, dans Publications de la Section historique de l’Institut royal grand-ducal de Luxembourg, t. XXXVII, 1885, p. 114-115. MOLINET, op. cit., p. 475. SMIT, Vorst en onderdaan, p. 607-609.

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5. Furnes - Landhuis (ancienne salle du tribunal). Peinture néo-gothique sur cheminée (Albert De Vriendt): prestation de serment de Philippe le Beau (1500).

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre patrimoniale de Franche-Comté, visitant au passage les principales villes48. Mais si cortèges, processions, harangues officielles, tableaux vivants, cadeaux, séance au Parlement de Dole, entretiens diplomatiques et liesse populaire figurent au menu, il n’est pas question ici de serments. Les deux Bourgognes ne connaissaient en effet pas d’ordinaire de cérémonial «constitutionnel» comparable à ceux partout en usage dans les Pays-Bas49. Le grand nombre des entrées recensées pourrait étonner. Il traduit à la fois l’impossibilité de concevoir une solennité «unitaire» qui eût rassemblé, par exemple et par priorité, proches conseillers de Philippe et députés dûment mandatés des Etats généraux, ainsi que la force des particularismes régionaux (les diverses possessions du prince, des duchés aux seigneuries), sous-régionaux (voir Zuidholland et pays de Waas) et locaux (les villes, chacune pour soi). Gare aux omissions et aux susceptibilités! En 1499, Leyde refusera à l’archiduchesse Jeanne une allocation au titre de son mariage parce qu’elle n’a pas fait le voyage de Hollande50... A l’époque où il entame ses inaugurations, Philippe le Beau va se montrer aussi particulièrement vigilant à l’égard des privilèges concédés lors du précédent avènement à part entière d’un prince «naturel», en l’occurrence sa mère Marie, en 1477. Il s’en tient à une position ferme. Dès sa «joyeuse entrée» de Louvain, il entend répéter sans ambages les engagements de ses aïeul et bisaïeul les ducs Philippe et Charles, tout en se gardant bien au contraire de reconnaître et avaliser ceux que la contrainte avait ensuite arrachés à Marie, au temps du célèbre Grand Privilège et de ses textes régionaux connexes51. Le ton est donné pour la suite, pour les autres pays. En refusant de jurer les textes extorqués de 1477 et en leur déniant toute légalité, le souverain a résolu de les priver ainsi de valeur juridique dans l’avenir. A court terme, les sujets, c’est-à-dire les assemblées d’Etats, s’en contenteront. Quand, sous Charles Quint, on essaiera de s’y référer à nouveau, la position adoptée par le précédent gouvernant en 1494 sera brandie au titre de révocation explicite52. A Reimerswaal (Zélande), le 6 novembre 1494, il est bien dit que Philippe, seigneur et prince «naturel», est reçu et inauguré (ontfanck ende huldinge) in der formen ende manieren où feus Philippe le Bon et Charles le Hardi l’ont été jadis, sous-entendu: sans autre engagement de quelque nature. Une précision identique est fournie deux ans plus tard, dans la même contrée, lors du serment prêté à la

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GACHARD, Collection des voyages, I, p. 295-302. Une autre relation du temps, de la main d’un secrétaire archiducal, mentionne simplement «l’entrée au comté de Bourgogne»: ibid., p. 344. Cf. J. RICHARD, Les Etats de Bourgogne dans la politique des ducs Valois, dans PCEEB, n° 24, 1984, p. 15. SMIT, op. cit., p. 43 n. 84. R. VAN UYTVEN, 1477 in Brabant, dans W. P. BLOCKMANS (dir.), 1477. Le privilège général et les privilèges régionaux de Marie de Bourgogne pour les Pays-Bas, Courtrai-Heule, 1985 (Anciens Pays et Assemblées d’Etats, LXXX), p. 278 («geabboleert wesen ende blijven sullen»). Cf. W.P. BLOCKMANS, Breuk of continuïteit? De Vlaamse privilegien van 1477 in het licht van het staatsvormingsproces, ibid., p. 117.

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«Naturel», «natuerlijk» ville de Middelbourg: confirmation du droit et des textes en usage sous bisaïeul et aïeul précités, sans rien d’autre, en anderszins niet; à Zierikzee (1501), on stipule bien que le terminus ante quem est le trépas de Charles le Hardi (tot zijne overledene), ce qui écarte encore plus explicitement les suites immédiates de cet événement53. Les choses ne se dérouleront pas autrement en Hollande (Geertruidenberg), le mois suivant. Souhaitant sans excès voir revigorées plusieurs concessions de Marie, les Etats de Hollande et de Frise occidentale, dociles, se satisferont d’une moisson plutôt maigre, effet des leçons du passé, confiance dans une conjoncture politique enfin tout imprégnée de paix, réalisme aussi devant la situation financière alarmante de plus d’une ville54. Mais le prince et ses conseillers prennent soin de soupeser leur position. Il ne s’agit pas ici de «punir» un pays ou une ville, comme dans d’autres circonstances, en «cassant» rigoureusement ses franchises. Il s’agit de prémunir l’autorité archiducale contre des atteintes directes. Aussi, voit-on le comté de Hollande dans son ensemble d’une part, Dordrecht et sa région de l’autre, obtenir quelques jours après les serments de Geertruidenberg des textes confirmatifs de plusieurs dispositions arrêtées en 147755. Philippe et les siens tiennent par-dessus tout à ne pas se voir forcer la main et à prendre en compte deux critères: la raison, clef du bien commun, du «profit» des sujets (redelicken proffitelicken zijnde voer tlant), et les prérogatives, la «hauteur», souci légitime du souverain (niet contrarie noch tegens die hoecheyt van mynen voors. genaden heere). En Hainaut, la veille de sa réception à Mons (30 décembre 1494), il fait démentir par un de ses principaux «ministres», le prince de Chimay, grand noble du comté, l’intention qu’on eût pu lui prêter «de faire aultre serment que n’avoient fait les ducz Phelippe et Charle»56. L’épisode répété du refus de ratifier les concessions de 1477 et de l’acceptation par les sujets de ce diktat, en dépit de leurs souhaits initiaux, montre bien que les rapports de force ne sont plus ceux du temps des troubles d’avant 1493. Les assemblées d’Etats n’exigent plus, elles demandent et se plient aux réponses reçues. La confiance faite au jeune prince, le souci prioritaire de la paix civile, le noyautage des délégations par des auxiliaires du pouvoir peut-être aussi, tout cela porte au compromis voire à un certain renoncement. Les bourgeois de Leyde, par exemple, et bien d’autres avec eux sans doute, avaient pourtant sollicité la confirmation du privilège hollandais de Marie de Bourgogne, die nuwe grote privilegie: mais parce que précisément ce texte était nouveau, nuwe, donc attentatoire aux prérogatives mêmes de l’archiduc, ils ne l’obtiendraient pas57.

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SMIT, op. cit., p. 597-598, 607-608. On remarquera qu’à Middelbourg, en 1515, Charles, prince d’Espagne, se référera aux dispositions en vigueur sous Philippe le Bon, Charles le Hardi et Philippe le Beau, en gommant opportunément le principat intermédiaire, celui de son aïeule Marie: ibid., p. 609. Cf. A.G. JONGKEES, Het Groot Privilege van Holland en Zeeland (14 maart 1477), dans 1477, op. cit., p. 189-191; réimprimé dans ID., Burgundica et Varia..., Hilversum, 1990, p. 299301. SMIT, op. cit., p. 241. DEVILLERS, Le Hainaut... 1490-1494, op. cit., p. 509. SMIT, op. cit., p. 239-240 (et n. 827).

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre La tournée inaugurale de Philippe le Beau fournit enfin, comme tous événements du genre, l’occasion d’attester de bonnes relations, d’éclairer certains choix politiques, d’orchestrer une propagande. Ainsi, à Louvain et à Anvers, à l’initiative de la douairière Marguerite d’York, sa soi-disant tante, chevauche aux côtés de l’archiduc le prétendant et prétendu Richard d’York, fils cadet du roi Edouard IV, censé avoir été «miraculeusement» sauvé de la mort violente à la Tour de Londres et compétiteur d’Henri VII pour le trône d’Angleterre; dans la ville de l’Escaut, cette supercherie donne d’ailleurs lieu à des incidents avec des marchands anglais ainsi que, selon le récit de Jean Molinet, à un acte de mauvais gré ponctué par une mort d’homme58.

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MOLINET, Chroniques, II, p. 396, 398-399. Il s’agit en fait du célèbre imposteur Perkin Warbeck, natif de Tournai, accrédité auprès de différents princes européens. Cf. ch. V/3 infra.

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Chapitre III LE MARIAGE ESPAGNOL1

Anno 1496 Philippus Pulcher Lyrae, in collegiali Sancti Gummari, solemniter ducit Joannam in sacello de Colibrant, nunc sancti Christophori2 1. Les relations hispano-bourguignonnes et austro-espagnoles Nous situerons un quart de siècle avant le grand événement de 1496 la «protohistoire» - pour ne pas dire la «préhistoire», qui nous mènerait encore plus tôt - des relations politiques et dynastiques entre Bourgogne et péninsule ibérique, plus exactement Aragon, et non Castille. Sous Charles le Hardi, duc de Bourgogne de 1467 à 1477, vont être en effet conclus trois traités successifs avec le royaume aragonais, en 1469, 1471 et 14733. L’alliance burgondo-aragonaise apparaît bien alors comme une tradition diplomatique, ancrée dans le paysage ouest-européen: des instructions du roi Jean II d’Aragon à un ambassadeur auprès de son parent le roi Ferrand de Naples (28 décembre 1470) n’évoquentelles pas la antigua inteligencia que la Casa de Aragón ha tenido con la de Borgoña4? Le traité de 1469 repose aussi largement sur l’hostilité commune que manifestent alors envers Louis XI de France roi aragonais et duc bourguignon. Le mariage, conclu la même année, d’Isabelle, héritière de Castille, et de Ferdinand, héritier d’Aragon, offre en outre la perspective de voir mettre fin à une autre «amitié traditionnelle», celle qui unissait le premier de ces royaumes à la France5. En juin 1474, alors qu’une trêve avec le duc Charles et ses alliés est pourtant en cours jusqu’au 1er mai de l’année suivante, Louis XI en viole les dispositions et son armée attaque le Roussillon, pomme de discorde franco-aragonaise, et le conquiert. Le Bourguignon ne réagit pas et laisse à son grand ennemi les mains libres vers des Pyrénées à vrai dire bien éloignées de son propre champ d’intérêt, l’est, l’Empire. Les relations entre Charles et Jean II, père du futur roi Ferdinand, s’en trouvent refroidies, mais leur alliance ne se rompt pas.

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Une première version de ce chapitre a paru sous le titre Filips de Schone en Johanna van Castilië in de kering van de wereldgeschiedenis (1999): cf. Bibliographie. D’HULST, Le mariage de Philippe le Beau, p. 59 (d’après les archives de l’église collégiale Saint-Gommaire à Lierre). J. CALMETTE, Contribution à l’histoire des relations de la cour de Bourgogne avec la cour d’Aragon au XVe siècle, dans Revue bourguignonne publiée par l’Université de Dijon, t. XVIII, 1908, nos 3-4, p. 159-160. Tratados internacionales de los Reyes Católicos... ordenados y traducidos, édit. J. LÓPEZ de TORO dans Documentos inéditos para la historia de España..., t. VII, Madrid, 1952, p. 348. E. DÜRR, Karl der Kühne und der Ursprung des habsburgisch- spanischen Imperiums, dans Historische Zeitschrift, t. CXIII, 1914, p. 36-38.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre En août 1477, quelque sept mois après la mort violente de Charles de Bourgogne, Ferdinand, roi en Castille, el rey (car époux d’Isabelle), et de Sicile, munit d’instructions précises ses ambassadeurs en Bourgogne (en Borgoña). L’initiative du rapprochement est venue de la jeune duchesse Marie, fille du Hardi, par l’intermédiaire de diplomates d’origine espagnole. Le futur (1479) roi d’Aragon y répond donc, mais fermement. Il rappelle et déplore que le défunt duc ait voulu le comprendre dans une trêve non respectée ensuite par le roi de France. Il exige pour cette fois des garanties plus solides, un engagement mieux fondé, impliquant Maximilien d’Autriche, l’époux de Marie, associé au gouvernement des Etats bourguignons. A ce prix sera l’appui aragonais contre les pressions du voisin français. Dans cette alliance sous condition, Joseph Calmette voyait l’affirmation du «programme» futur de l’alliance austro-espagnole6. Au centre des relations politiques entre les Pays-Bas et la péninsule ibérique, on identifie donc clairement un objectif primordial: une ligue anti-française. La mort de Louis XI, en 1483, va baliser l’élargissement du débat. On voit alors Maximilien s’allier conjointement au monarque anglais, au duc de Bretagne, aux souverains espagnols7. Cinq ans plus tard, tandis que l’archiduc d’Autriche et roi des Romains, fils et successeur potentiel de l’empereur Frédéric III, est lamentablement retenu prisonnier dans une habitation de leur cité par les Brugeois en révolte, une flotte espagnole est envoyée au large des côtes flamandes, par mesure d’intimidation. Les Rois Catholiques se disent jusqu’en Curie offusqués de ce «vilain cas» et exhortent pape et souverains chrétiens à agir. La libération du Habsbourg donnera même lieu plus tard, à Valladolid, en Castille, à des réjouissances fastueuses, grandes fiestas con todo el aparato real que se pudo representar, selon un indiciaire aragonais8. Au cours des mois suivants, les Rois Catholiques participent avec Maximilien et Richard III d’Angleterre à une protection commune du duché de Bretagne, sous menace française. Des intérêts diplomatiques et militaires convergents consolident ainsi un axe hispano-habsbourgeois9. Pourtant, la conclusion entre le roi Ferdinand et son homologue français Charles VIII du traité de Barcelone (19 janvier 1493) altère ensuite les rapports avec Maximilien. Si les souverains espagnols y retrouvent Roussillon et Cerdagne, à l’extrémité orientale de la chaîne des Pyrénées, ils manquent d’y perdre l’amitié du Habsbourg, et ils courent d’ailleurs consciemment ce risque. Le traité interdit notamment toute alliance matrimoniale austro-espagnole (et anglo-espagnole) sans l’assentiment du monarque français10. Une rupture aurait pu survenir si, l’année suivante, l’expédition italienne de Charles VIII n’était

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J. CALMETTE, Une ambassade espagnole à la cour de Bourgogne en 1477, dans Bulletin hispanique, t. VII, 1905, p. 34-37; réimpression du texte des instructions (3 août 1477) dans: ID., Contribution..., op. cit., p. 193-196. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 169-170. J. ZURITA, Anales de la Corona de Aragón, édit. A. CANELLAS LÓPEZ, t. VIII, Saragosse, 1977, p. 554-556, 561 (sous les années 1488-1489). WIESFLECKER, op. cit., I, p. 215, 320-322; II, p. 29-30. Y. LABANDE-MAILFERT, Trois traités de paix 1492-1493, dans Le Moyen Age, t. LX, 1954, p. 390-391.

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Le mariage espagnol venue menacer les positions à la fois de Maximilien, à présent empereur élu, et des Aragonais, maîtres de Naples et de la Sicile, dans cette autre péninsule11. Le 31 mars 1495 est conclue la Sainte Ligue, succès de la diplomatie espagnole, unissant pape, empereur, Angleterre, Rois Catholiques, Vénitiens, Milanais. Voilà un moment crucial, où l’on peut considérer que, nonobstant des faiblesses et des obstacles toujours possibles, l’union hispano-autrichienne paraît désormais irréversible12. Des freins, pourtant, il en est et il en sera: prétentions souveraines de Maximilien sur Naples et la Sicile alors sous contrôle aragonais - à rattacher aux vieux rêves impériaux de domination en Italie -; revendications du même au Portugal, patrie de sa mère, un petit mais entreprenant royaume où se déploie justement la politique dynastique de Ferdinand et Isabelle; impuissance du monarque à imposer ses exigences, en particulier financières, au sein de «son» Reich, face à la résistance des nombreux états composant cette mosaïque13. 2. Les négociations préalables Quid de Philippe d’Autriche et Jeanne d’Espagne, dans tout cela? Ils sont au seuil de l’âge adulte quand se déroulent les derniers événements relatés. En 1494, on l’a vu, Maximilien devenu empereur a laissé à son fils le gouvernement à part entière de l’héritage maternel bourguignon. Le moment est venu de faire entrer en scène les deux fiancés. Traiter du mariage de Philippe de Habsbourg-Bourgogne et de Jeanne d’Aragon-Castille exige que l’on évoque en fait d’emblée un double mariage. Juan, frère de Jeanne, héritier des couronnes ibériques, et Marguerite, sœur de Philippe, «épouse» répudiée de l’actuel roi de France, se trouvent très vite impliqués eux aussi, fût-ce passivement, dans un projet, un scénario dynastique de grande envergure. Les premières propositions dateraient de 1483, l’année du décès de Louis XI de France, fait qui ne manque pas d’éclaircir, en tout cas de modifier, les horizons politiques de l’Occident. Elles émanaient de Maximilien, au moment où les Rois Catholiques, engagés dans la reconquista et ayant tout lieu de se défier de la France, ne dédaignaient certainement pas les bonnes alliances14. En 1486, on négocie, et un ambassadeur et ecclésiastique espagnol, Juan Rodríguez de Fonseca, se rend aux Pays-Bas pour parler mariage15. Deux ans plus tard, le

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WIESFLECKER, op. cit., I, p. 394. C’est l’opinion d’A. KOHLER, Die Doppelhochzeit von 1496/97. Planung, Durchführung und dynastische Folgen, dans Kunst um 1492. Hispana-Austria. Die Katholische Könige, Maximilian I. und die Anfänge der Casa de Austria in Spanien, Milan, 1992, p. 64; cf. aussi H. WIESFLECKER, Maximilian I. und die Heilige Liga von Venedig (1495), dans Festschrift W. Sas-Zaloziecky zum 60. Geburtstag, Graz, 1956, p. 178-199. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., II, p. 35. Documentos sobre relaciones internacionales de los Reyes Católicos, t. II, Barcelone, 1950, p. 39 (lettre de Ferdinand, du 30 mars 1484, e.a. à propos de «lo fet del matrimoni»). WIESFLECKER, op. cit., II, p. 27. HÖFLECHNER, Die Gesandten der europäischen Mächte, p. 348. FAGEL, De HispanoVlaamse wereld, p. 294.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre même Fonseca, derechef, et un autre diplomate, que l’on verra tenir un grand rôle dans la réalisation des mariages austro-espagnols, à savoir Francisco de Rojas, naviguent vers nos contrées. De son côté, Maximilien dépêche en Castille, à la fin de 1488, deux personnages dignes d’intérêt16. Le premier, Baudouin de Bourgogne, est un bâtard de Philippe le Bon, qui a connu une carrière particulièrement mouvementée; il profitera d’ailleurs de la circonstance pour mener à bien son propre mariage avec une aristocrate espagnole, appartenant à la maison de la reine Isabelle17. Le second, Juan de Salazar, est un militaire originaire de Biscaye mais ayant servi Maximilien aux Pays-Bas18. L’un des représentants du roi des Romains est donc natif de la péninsule, l’autre va y planter des racines par son union conjugale. Dans leur mission, il est bien question maintenant d’un double mariage. Néanmoins, d’autres voies ne peuvent alors encore être exclues. En 1487, Maximilien, veuf depuis cinq ans - il ne se remariera, avec Bianca Maria Sforza, qu’en 1495 - , envisage de demander la main de l’infante Isabelle, fille aînée des Rois Catholiques. La solution est loin d’agréer aux parents de la princesse19. Ils ont d’autres vues pour elle, ils l’ont promise en l’occurrence au roi de Portugal. Ils marquent une préférence pour le double mariage des enfants Habsbourg, que Maximilien considère quand même avec une certaine perplexité: il est vrai que si Ferdinand et Isabelle disposent d’un «potentiel» familial important - cinq enfants à marier - et estiment de bonne guerre d’en placer deux dans l’alliance autrichienne, le futur empereur n’a que ce fils et cette fille et, tout compte fait, diversifierait volontiers ses choix20. Mais l’option espagnole l’emportera bientôt. Entre-temps, en 1488, on avait cependant envisagé la possibilité d’un mariage entre l’infante Jeanne et un autre duc veuf, François II de Bretagne, puis entre le prince héritier Juan et Anne de Bretagne, fille de François21. Avec le temps, il apparaît que le double mariage sourit en premier aux Rois Catholiques. En 1495 encore, alors que les deux unions seront en voie d’accomplissement, le père de Philippe et de Marguerite n’y songera surtout que dans une perspective bien définie: la guerre et le front commun contre la France de Charles VIII. Dans les négociations terminales, il subordonnera d’ailleurs son accord définitif à l’obtention de la part de ses administrés d’aides financières

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SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional de Isabel la Católica, t. II, Valladolid, 1966, p. 172. CAUCHIES, Baudouin de Bourgogne, p. 271-272. L. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Las relaciones de los Reyes Católicos con la Casa de Habsburgo, dans A. KOHLER et F. EDELMAYER (édit.), Hispania-Austria. Los Reyes Católicos, Maximiliano I y los inicios de la Casa de Austria en España. Actas del coloquio histórico - Innsbruck, julio de 1992, Vienne et Munich, 1993, p. 43. V. FRIS, Salazar (Jean de), dans Biographie nationale, t. XXI, Bruxelles, 1911-1913, col. 183189. FAGEL, op. cit., p. 294-295, 379. Cf. aussi F. del PULGAR, Crónica de los Reyes Católicos, édit. J. de Mata CARRIAZO, t. II, Madrid, 1943, p. 357-360. ZURITA, Anales, op. cit., VIII, p. 554. WIESFLECKER, Maximilian I. und die habsburgisch-spanischen Heirats- und Bündnisverträge von 1495-1496, p. 2-4. KOHLER, Doppelhochzeit, op. cit., p. 63-64. Documentos sobre relaciones internacionales..., op. cit., t. III, Barcelone, 1951, p. 326. Tratados internacionales..., op. cit., p. 237-239.

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Le mariage espagnol dans l’Empire, pour sa politique italienne, comme dans les Pays-Bas, au titre de dot en faveur de sa fille22. Pour Isabelle et Ferdinand, pour les couronnes espagnoles, 1488 a été ainsi, selon Luis Suárez Fernández, un grand moment, la porte d’un temps nouveau: celui où, au-delà des connexions dynastiques traditionnelles et répétées avec le Portugal et le royaume de Naples, l’union Castille-Aragon s’est engagée dans une politique de grande alliance à l’échelon occidental, dans une stratégie impliquant aussi Habsbourg, donc Empire et Bourgogne, et Tudor, avec l’Angleterre23. Ce n’est pas sans nuages, voire sans turbulences, que l’entreprise matrimoniale sera menée à bonne fin. Elle aura officiellement abouti depuis de longs mois déjà quand pourtant, au tournant des années 1495 et 1496, les souverains espagnols définiront encore comme la tâche primordiale incombant à leurs ambassadeurs auprès de Maximilien de s’efforcer de garder ce dernier dans son bon vouloir d’accomplir les mariages: trabajar de conservar al Rey de Romanos en su buena voluntad de hacer luego los casamientos24. Les négociations s’étaient intensifiées depuis un certain temps et des sources dispersées en permettent la connaissance, pas nécessairement exhaustive. Ainsi, en 1492, voit-on intervenir en Espagne un maître d’hôtel des Habsbourg originaire de ces contrées, Ladrón de Guevara25. L’ambassadeur Rojas, déjà cité en 1488, homme clé de toute l’affaire, part pour la cour du roi des Romains et Ferdinand, en novembre 1493, mande à tous ses sujets établis ou séjournant au-delà des Pyrénées de lui apporter l’aide qu’il requerrait d’eux26. 1494 paraît avoir été l’année décisive. Maximilien lui-même a mené des pourparlers, largement secrets. On notera avec intérêt que le roi de France n’est pas écarté des négociations en rapport avec les mariages, en vertu du traité de Barcelone susmentionné de 149327. Une forme d’accord écrit est attendue de sa part, mais les monarques espagnols demeurent à cet égard sur la défensive, en rappelant à Maximilien combien il doit savoir de quelle manière douteuse le Valois tient ses promesses: que ya el sabe de que manera guarda el Rey de Francia lo que promete28. Voilà évidemment de quoi rouvrir la plaie de l’union manquée entre Charles VIII et Marguerite d’Autriche, quatre ans plus tôt... Le

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WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., II, p. 37. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional..., op. cit, II, p. 169. C’est alors aussi que se négocie en effet le futur mariage de l’infante Catherine et du prince de Galles Arthur, héritier du trône anglais. Correspondencia Fuensalida, p. 1. A. REDONDO, Antonio de Guevara (1480? - 1545) et l’Espagne de son temps. De la carrière officielle aux œuvres politico-morales, Genève, 1976, p. 83. FAGEL, De Hispano-Vlaamse wereld, p. 326. CAUCHIES, Les étrangers dans l’entourage politique de Philippe le Beau. A. RODRÍGUEZ VILLA, Don Francisco de Rojas, embajador de los Reyes Católicos. Noticia biográfica y documentos historicos, dans Boletín de la Real Academia de la Historia, t. XXVIII, 1896, p. 297. Op. cit., p. 297-298 (lettre des Rois Catholiques, 1er juillet 1494). WIESFLECKER, Bündnisverträge, p. 12. Correspondencia Fuensalida, p. 2.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre biographe - espagnol, il est vrai - de Rojas, Antonio Rodríguez Villa, exalte les mérites de son héros dans l’aboutissement du projet: il dut affronter nombre d’obstacles, vaincre la francophilie du jeune archiduc Philippe, à tout le moins de son entourage, surmonter des dissensions entre le père et le fils29. Un autre historien, l’Autrichien Walter Höflechner, parle dans le chef de Rojas de détermination (Zielstrebigkeit)... mais aussi de recours à la corruption (Bestechung)30. Un chroniqueur du règne de Ferdinand relatera en effet plus tard la résolution royale de recourir à des promesses, mais aussi à des «présents» de circonstance: no solo con promesas pero con dádivas que se hicieron a los privados de aquellos príncipes31. Il est patent que pour les Rois Catholiques et leurs gens, Charles VIII et sa politique, a fortiori au moment de l’expédition d’Italie, n’inspirent que défiance et même hostilité. 1495 est l’année où, plus que jamais, on échange des lettres, on expédie des instructions. Rojas s’étant acquitté de sa tâche, d’autres diplomates espagnols en charge dans l’Empire vont devoir veiller à la réalisation des mariages. Voici Antonio de Fonseca et Juan (de) Albíon, oratores hispani apud Sacram Maiestatem Serenissimam Dominum Romanorum Regem constituti32. En sens inverse, une instruction de Maximilien à ses ambassadeurs (deputati, consiliarii et oratores mei), Ladrón de Guevara et le protonotaire royal Florian Waldauf de Waldenstein, concerne à la même époque l’exécution des engagements déjà pris: ut... dicta ambo matrimonia ac vera sponsalia per verba de presenti realiter et legitime celebrentur et fiant33. Simultanément, les représentants des monarques espagnols auront soin d’entraver toute négociation unilatérale éventuelle du roi des Romains avec la France. En d’autres termes, Ferdinand et Isabelle entendent voir consommer, si besoin est, la rupture entre le Habsbourg et leur voisin commun, avec lequel eux-mêmes ont résolument pris leurs distances. Assurément, la réussite des deux mariages austro-espagnols de 1495-1496 apparaît-elle comme un résultat direct de la chevauchée de Charles VIII dans la péninsule subalpine. La conséquence de ces mariages, du moins de l’un d’eux, avec la constitution future d’un patrimoine immense et la lutte pour l’hégémonie, c’est-à-dire pour la position dominante, entre Habsbourg et Valois puis Bourbons, sera la fondation d’un ordre international durable34. Nous nous situons bien dans une perspective largement européenne. On discerne à travers l’année 1495 quelque cinq étapes en rapport avec la conclusion des mariages35.

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RODRÍGUEZ VILLA, op. cit., p. 183. Sur les divergences de vues entre Maximilien et Philippe, cf. infra ch. IV/3. HÖFLECHNER, loc. cit. n. 15 supra. ZURITA, Historia del Rey Don Hernando, I, (Saragosse), 1989, p. 176. AGS, Secretaría de Estado, Negociaciones de Flandes, legajo 496, n° 3 (octobre 1495). ADN, B 432/17820 (14 septembre 1495). Cf. R. LESAFFER, Europa: een zoektocht naar vrede? 1453-1763 en 1945-1997, Louvain, 1999, p. 27-29. Cf. à ce sujet WIESFLECKER, Bündnisverträge, p. 15-31 (étude et commentaire), 42-52

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Le mariage espagnol 1°) Le 20 janvier, sont signées par Maximilien et Francisco de Rojas, plénipotentiaire au nom des Rois Catholiques et de leurs enfants, les doubles conventions matrimoniales (matrimonium et vera sponsalia per verba de presenti), que l’empereur élu ratifiera encore le 29 avril. Le texte en est dense: on n’y parle pas seulement d’unions entre jeunes princes et d’alliances entre maisons régnantes, mais aussi de défense et d’expansion de la religion chrétienne (pro conservacione et augmento religionis christiane), de pacification de la chrétienté tout entière (pro bono et pace totius christianitatis)36, de résolution de la question italienne, c’est-à-dire des grands enjeux du temps de la reconquista sur les Maures, de la «découverte» de l’Amérique et de la plantation des germes d’une vaste politique à l’échelle européenne. La contre-signature de l’archevêque de Mayence, archichancelier du Reich, confère à l’alliance, au-delà des liens tissés entre des dynasties, le caractère d’un véritable Staatsvertrag37. 2°) Deux mois plus tard (Malines, 22 mars), Philippe et Marguerite s’accordent (Erbvertrag) sur la dot dont jouira la princesse et sur les droits successoraux auxquels elle-même, son futur époux et ses enfants pourraient prétendre dans les possessions héritées de sa mère par l’archiduc. 3°) Le 25 août (Worms), en conformité à une intervention du monarque germanique et en tenant compte des intérêts des Reichsstände et de l’Empire lui-même comme entité juridique, les termes de l’accord de mars sont revus et la teneur en est restreinte aux territoires de ressort français, à l’exclusion des fiefs de mouvance impériale. 4°) En dépit des conventions de janvier et de la ratification qu’il en a donnée, Maximilien se comporte comme s’il n’était pas encore lié. Il tergiverse, on l’a vu, pendant l’année 1495, jauge sa propre position au sein du Reich, se défie de tout engagement financier, car ses moyens demeurent limités, et donne enfin le «feu vert» à la conclusion des mariages, le 10 septembre. 5°) C’est à Malines, en l’église Saint-Pierre, que sont célébrées per procuram, le 5 novembre, les deux unions (matrimonium et vera sponsalia per verba de presenti) des jeunes Habsbourg et des princes espagnols, ces derniers étant représentés - qui s’en étonnera? - par Rojas. Philippe et Marguerite apposent personnellement leurs signatures à côté de celle du diplomate d’Outre-Pyrénées. Les ratifications des Rois Catholiques, du prince Juan

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(textes). ID., Kaiser Maximilian I., II, p. 33-39. KOHLER, Doppelhochzeit, p. 65-67. Le répertoire le plus complet de la dizaine d’actes concernés figure dans Archivo general de Simancas. Catálogo V. Patronato Real (834-1851), t. II, Valladolid, 1949, p. 67-68 (pour l’avant-dernier, lire 3 janvier - et non pas juin - 1496). Même écho perceptible dans une lettre d’Isabelle à Maximilien (minute, sans date [fin 1495], dans AGS, Secretaría de Estado, Corona de Castilla, legajo 1, 2a parte, f. 182): «de que (los casamientos) spero que se seguira mucho servicio a Dios y mucho bien a la Christiandat y a nosotros mismos»; publiée par SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional, IV, p. 470. WIESFLECKER, Bündnisverträge, p. 18.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre et de l’infante Jeanne d’une part, de Maximilien d’autre part, y font suite, le 3 janvier 149638. Phase ultime d’une longue procédure balisée de documents écrits: le 11 avril suivant, à Bruxelles, l’archiduc et sa sœur promettent de respecter toutes les dispositions en rapport avec leur matrimonium contractum respectif39. En ce jour précis, Philippe quitte d’ailleurs sa résidence bruxelloise pour un important voyage : «Le lundi XIe jour d’avril l’an mil IIIIc IIIIxx XVI apréz Pasques, monseigneur l’archiduc... se partit de sa ville de Brusselles... pour tirer devers le roy son pere és Allemaignes, lequel par pluiseurs fois l’avoit auparavant mandé venir... pour aucunes grandes matieres»40. Au préalable, il a donc tenu à régler une affaire elle aussi de grand poids. Célébrer les festivités du mariage de son fils et de l’infante d’Espagne en Allemagne, à Mayence41 ou à Worms42, aurait certes été du goût de Maximilien Ier, scellant ainsi «chez lui», oserait-on dire, pareille union, gage du succès de sa politique dynastique. Assurément perçoit-il déjà que son fils lui échappe, que Philippe ne sera pas simplement un faire-valoir de ses desseins, un héritier présumé docile envers ses propres vues. Les Etats généraux, interlocuteur collectif des Habsbourg dans l’espace bourguignon, veulent tout autre chose et s’efforcent de localiser dans les Pays-Bas le mariage de leur prince «naturel»: ils auront gain de cause. La décision étant tombée, les préparatifs, cependant, seront longs encore. Envoyer Jeanne à bon port dans la contrée lointaine de son époux n’est pas une sinécure. Les ambassadeurs de son père le savent bien, et sans nul doute ils le disent. La situation politique requiert un voyage par mer. Enfin, la princesse embarque à Laredo, sur la côte septentrionale, cantabrique, de sa patrie, et la flotte, d’une ampleur discutée43, pour laquelle des bateaux de commerce fréquentant la route maritime Castille-Flandre ont été réquisitionnés, hisse les voiles le 22 août 1496. Le 8 ou le 9 septembre, Jeanne accoste en Zélande, probablement à Arnemuiden. 3. La célébration L’accueil de Jeanne avait été initialement prévu à Bruges, comme l’atteste sans ambages le compte de la recette générale des finances archiducales pour 1496, ou encore une convocation adressée par le comte de Nassau, lieutenant général de Philippe absent dans les Pays-Bas, avertissant six grands seigneurs

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AGS, Secretaría de Estado, Corona de Castilla, legajo 1, 2a parte, f. 360-363. SUÁREZ FERNÁNDEZ, op. cit., p. 474-478. WIESFLECKER, Bündnisverträge, p. 29-31. AGS, Patronato Real, 56-2. SUÁREZ FERNÁNDEZ, op. cit., p. 511-516. ADN, B 33, f. 224r. CHMEL, Urkunden, Briefe und Actenstücke, p. 130: «et qu’il yroit jusques a Mayence recevoir madame sa femme». HHSA, Maximiliana, carton 6, septembre-décembre 1496, f. 197r. (Maximilien à Philippe, 17 septembre 1496): «et combien que, pour beaucop de bonnes raisons que ne povez congnoistre a ceste heure, eussions desir que tenssiez voz nopces a Mayance». LAMBAUER, König Maximilian I., die Erbländer, das Reich und Europa im Jahre 1496, p. 211. Les estimations vont de vingt à plus de cent bâtiments: KRENDL, König Maximilian I. und Spanien, p. 50, 54 n. 5.

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Le mariage espagnol «de la prochaine venue de madame l’archiducesse, afin qu’ilz se treuvent audit lieu de Bruges pour la recevoir»44. Mais le marin propose et, en l’espèce, Neptune dispose... Les aléas, les hasards de la navigation en décident donc autrement: c’est ainsi dans l’île de Walcheren que le petit monde débarque, volens nolens. Parmi les personnes chargées d’aller à la rencontre de Jeanne, on remarque la présence de la douairière Marguerite d’York, des évêques de Liège et de Cambrai, mais aussi, parmi d’autres, du bâtard Baudouin de Bourgogne, étroitement mêlé aux négociations matrimoniales quelques années plus tôt, témoin aux mariages per procuram de novembre 1495, comme il sera présent à la cérémonie lierroise d’octobre 149645. A Middelbourg (Zélande), première étape, premier lieu de séjour programmé pour l’infante, elle ne rencontre guère que quelques dames de haut rang, entre autres son amie Marine Manuel, épouse du même bâtard Baudouin46. On avait prévu qu’après un petit temps de repos, Jeanne partirait pour Bergen op Zoom, puis Anvers, où la rejoindraient sa bellesœur Marguerite et plusieurs grands seigneurs des Pays-Bas. En fait, Jeanne est bien reçue à Anvers, le 19 septembre47, mais Marguerite d’Autriche ne va la rencontrer que plus de dix jours plus tard. Pas de belle-sœur d’emblée donc, pas davantage de mari! Déjà la solitude, ont souligné complaisamment des biographes attendris et réprobateurs de la future reine folle... Luis Suárez Fernández met en cause la mauvaise volonté des «ministres» de Philippe, désireux de ne rien faire qui pût exalter l’union matrimoniale réalisée48. Le procès d’intention semblera tout de même quelque peu excessif. On est moins bien renseigné sur l’arrivée dans ses pays de Philippe, réputé impatient de rencontrer sa femme: Llegó allí el Archiduque ahorrado con poca gente porque vino apresuradamente en posta, écrit un chroniqueur bienveillant49. Il se trouvait alors depuis le début du mois de mai en terres germaniques, Allemagne du sud (Augsbourg, Ulm) puis Tyrol, où il avait rendu visite à son père et avait paru à la Diète, assemblée à Lindau50. Au début de juillet, il avait écrit aux Rois Catholiques, se disant tout fraîchement informé du «departement» de leur fille - nouvelle prématurée... - et les priant d’excuser son absence des Pays-Bas51. S’il déclare ne pas perdre de vue le voyage de l’infante, il ne donne guère l’impression de manifester un empressement particulier à rentrer au bercail. Venant des terres paternelles de l’Europe rhéno-danubienne, il arrive le 17 octobre52 à Lierre (Brabant), pour y rencontrer son épouse. La tradition veut

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ADN, B 2155, f. 121r.-126v., passim. B 2157/70941. Cf. CHMEL, op. cit., p. 132-133. PADILLA, Crónica de Felipe I°, p. 39. MOLINET, Chroniques, II, p. 429. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Las relaciones de los Reyes Católicos, op. cit., p. 45. PADILLA, op. cit., p. 40; mais R. PEREZ BUSTAMANTE et J.M. CALDERON ORTEGA, Felipe I, p. 63, en paraissent peu convaincus... Cf. ch. VI/1 infra. KRENDL, Maximilian und Spanien, p. 52. D’après un compte communal de Lierre: L.-P. GACHARD, Analectes historiques. 1e série, dans BCRH, 2e série, t. V, 1853, p. 209 (la même source - cf. p. 208 - ne précise pas le jour de l’arrivée de Jeanne).

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre que les deux jeunes gens, sans attendre la cérémonie religieuse, aient fait bénir leur union le 18 ou le 19 dans la soirée, soit par le chapelain principal de la princesse, soit (détail douteux...) par un prêtre de rencontre ou «un chapelain de cour quelconque» (!)53. Voilà en tout état de cause un détail qu’on ne manque pas de souligner pour mettre en exergue la grande affection réciproque que les héros du jour durent éprouver d’emblée. Coup de foudre, en quelque sorte, et de quoi faire regretter au fiancé d’avoir tant tardé... Mais avant de pénétrer dans le sanctuaire, évoquons des faits moins heureux, que véhiculent quelques sources. A savoir les pertes humaines considérables, a priori étonnantes, que devaient subir l’entourage et la suite de l’infante, tous gens mal préparés en fait aux conditions climatiques et aux agents morbides de la Zélande et du Brabant d’alors. Des chroniqueurs citent des chiffres de 9 à 10.000 morts, sur un total - peu crédible - de plus de 30.000 accompagnants (!)54 et incriminent le froid («angoisseuses froidures», «horribles froidures», boreali frigore concreti), la faim55. Dans un élan aussi véhément que comique, un bon biographe moderne de l’infante accuse Philippe d’avoir manqué de compassion, brocardant sa conducta apática é indiferente, devant l’inhospitalité de ses pays et le triste sort des visiteurs, dejandalos morir de hambre y de frío en aquellas heladas é inhospitalarias playas de sus dominios - on se croirait pour peu au Pôle Nord! - 56. Au nombre des victimes figure en tout cas un certain Juan Martínez de Ibarra, trépassé au port de Ramua, c’est-à-dire d’Arnemuiden, dont plus tard les enfants solliciteront de l’administration royale le remboursement des dépenses, supportées sur l’ordre de la reine Isabelle57. Et si c’était Jeanne qui avait succombé d’une grippe en cette année 1496, plutôt que Philippe d’une pleurésie, en Castille, dix ans plus tard? Ne comprend-on pas mieux, à la lueur de cet épisode, les morts qu’à leur tour gens de cour et de guerre des Pays-Bas, transplantés Outre-Pyrénées, allaient dénombrer dans leurs rangs, à commencer par leur maître, sans qu’il faille y rechercher coûte que coûte des symptômes d’attentats ou d’hypothétiques empoisonnements? Ainsi donc, c’est à Lierre58 que, le 20 octobre 1496, se déroulent les noces

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PADILLA, op. cit., p. 40-41: «por manos de D. Diego de Villascusa, capellan mayor». La tradition romancée (sur quelle base?) est rapportée e.a. par L. PFANDL, Jeanne la Folle. Sa vie et son temps, trad. R. de LIEDEKERKE, Bruxelles, 1938, p. 56-57, ou Ch. MOELLER, Eléonore d’Autriche et de Bourgogne, reine de France..., Paris, 1895, p. 23. Ainsi A. BERNALDEZ, Memorias del reinado de los Reyes Católicos, édit. M. GÓMEZMORENO et J. de Mata CARRIAZO, Madrid, 1962, p. 377. PADILLA, Crónica, p. 41 («murieron mas de nueve mil personas del armada»). MOLINET, Chroniques, II, p. 431 («et finerent leurs jours par decha le nombre de III a IIIIm, aucuns dient IX mile»), 432 («jusques au nombre de VI a VIIm, comme aucuns dient»). Cf. aussi FAGEL, De Hispano-Vlaamse wereld, p. 285-286. RODRÍGUEZ VILLA, La reina Doña Juana la Loca, p. 21-22. A. PRIERO CANTERO, Casa y descargos de los Reyes Católicos..., Valladolid, 1969, p. 392393 (sans date). Et non à Lille, comme plus d’un historien l’a écrit, à la suite d’ailleurs de l’indiciaire aragonais (XVIe s.) ZURITA, Historia del Rey Don Hernando, I, p. 295, voire à Anvers... ou même à Liège: cf. CAUCHIES, Filips de Schone en Johanna van Castilië, p. 83 n. 52.

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6. Lierre - Eglise Saint-Gommaire. Vitrail (1516/19): Philippe le Beau et Jeanne agenouillés.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre solennelles de l’archiduc et de l’infante, qui s’y voient conférer le sacrement de mariage. En la collégiale Saint-Gommaire, Henri de Berghes, évêque de Cambrai, chancelier de l’ordre de la Toison d’or, célèbre l’office divin59. Mais pourquoi donc à Lierre, cette ville d’une taille relativement modeste, de quelque 5.000 habitants, plutôt qu’à Anvers, à Malines, à Bruxelles, ou encore à Louvain - sans parler des villes flamandes, trop impliquées de toute manière dans les événements des temps troublés postérieurs à la mort de Marie de Bourgogne -? Henri D’Hulst, sans fournir toutefois d’arguments convaincants, penchait pour une option inspirée par l’influente famille brabançonne de Berghes, propriétaire d’un hôtel, une «cour» ou hof, dans cette ville60. Wim Blockmans met le choix de Lierre en liaison avec une dévotion particulière envers le saint patron local Gommaire dans le chef de la non moins influente duchesse douairière, Marguerite d’York61. La conjoncture politique nous suggère, sur la base d’une comparaison, une justification d’un tout autre ordre. En 1473, Charles le Hardi, duc de Bourgogne, avait établi son Parlement, cour suprême de justice de ses Etats, à Malines. Philippe le Beau suivra l’exemple de son aïeul en 1504: Malines, géographiquement centrale dans les Pays-Bas bourguignons, fidèle à ses princes, étrangère à toutes les grandes cités flamandes, brabançonnes ou hollandaises, mais intégrée toutefois au réseau urbain par excellence de ces territoires62. Quelques années seulement après de dures révoltes et luttes civiles, il y a certainement encore des régions et des centres urbains que l’empereur et son fils veulent tenir à l’écart. Et probablement évitent-ils aussi de faire choix d’une ville de premier plan, en déplaisant ainsi à ses «rivales» naturelles. Malines, honorée par la célébration des mariages per procuram de 149563, paraît maintenant «hors jeu», d’autant plus qu’on pouvait à présent la tenir pour agrégée au groupe des villes de première catégorie socio-politique. Dans les Pays-Bas voulus pour le sacrement de mariage par les Etats généraux, les Habsbourg auraient au moins déterminé le lieu de sa célébration, un lieu en l’occurrence réputé «loyal».

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Cf. A. WOUTERS et E. SCHREURS, De Lierse biotoop van Antonius Busnoys en Johannes Pullois. Muziek in Sint-Gummarus ten tijde van het huwelijk van Philips de Schone en Johanna van Castilië (20 oktober 1496), dans Musica antiqua. Actuele informatie over oude muziek, t. XIII, 1996, p. 106-132. D’HULST, Le mariage de Philippe le Beau, p. 43. Opinion relayée par H. NEEFS, Lier 1496. Een huwelijk in Europees perspectief, Lierre, 1981, p. 94-95, et par WOUTERS et SCHREURS, op. cit., p. 107. W. BLOCKMANS, The devotion of a lonely duchess, dans Th. KREN (édit.), Margaret of York, Simon Marmion and the visions of Tondal, Malibu (Calif.), 1992, p. 43. ID., Overheid en cultuur in de Brabantse smalle steden tijdens de Bourgondisch-Habsburgse periode, dans Lira Elegans. Liers Genootschap voor geschiedenis. Jaarboek, t. VI (1996), 1999, p. 61-62. Sans l’affirmer de manière explicite, WEIGHTMAN, Margaret of York, p. 194-195, avait déjà suggéré ce lien en identifiant la douairière comme une zélatrice et bienfaitrice du saint et du sanctuaire lierrois, à la suite immédiate de la mention du lieu du mariage archiducal. Cf. CAUCHIES, Louis XI et Charles le Hardi, p. 84-85. Un document inédit très intéressant nous fait cependant connaître la préférence que dans les derniers jours précédant la cérémonie malinoise, l’ambassadeur Rojas avait encore manifesté au profit d’Anvers: AGS, Secretaría de Estado, legajo 496, n° 3; de telles décisions pour le choix (équilibré) des villes étaient donc bien susceptibles de donner lieu dans les hautes sphères à de vives discussions.

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Le mariage espagnol Laissons ensuite les mariés, séparément ou ensemble, se rendre dans différentes villes, donde les fué hecho grand rescebimiento64, parfois en effet pour des inaugurations classiques, ainsi à Middelbourg, Breda, Bois-le-Duc ou Bruxelles65, ou encore à Anvers ou Bergen op Zoom. Le bateau qui a amené Jeanne, flanqué de sa flotte, appareillera de Zélande à la fin du mois de janvier 1497. A son bord se trouvera Marguerite d’Autriche qui, débarquant à Santander le 6 mars au terme d’un voyage périlleux, épousera le 3 avril à Burgos, sous le regard de l’archevêque de Tolède, Jiménez de Cisneros, le jeune Juan, héritier des royaumes espagnols. Il est à coup sûr opportun de s’interroger sur l’état des ambitions de Maximilien et de Philippe au lendemain même du mariage de 1495/96. Elles ne se confondent pas ni même ne se superposent. Le père pousuit deux objectifs, idéaux élevés pour les uns, chimères pour les autres. C’est d’abord la restauration du pouvoir impérial, dans la ligne de la renovatio Imperii, si prisée et souvent évoquée au XVe siècle. Maximilien connecte étroitement cette tâche à l’expansion et à la grandeur de sa dynastie: Austria est imperare orbi universo. C’est aussi le projet politique bourguignon, das burgundische System, l’héritage de la lignée de sa défunte épouse, fondement d’une inéluctable hostilité héréditaire à l’adresse de la royauté française, contre laquelle il a dû mener longtemps, à partir de 1477, un véritable combat vital (Existenzkampf) pour les Pays-Bas. Il ne faut pas négliger non plus les perspectives italiennes de l’empereur, incompatibles avec les entreprises conquérantes françaises dans la péninsule. Toujours, partout, l’Empire ou «la Bourgogne»66. S’allier à l’Espagne, et par ailleurs à l’Angleterre, deux royautés alors étroitement unies, n’est-ce pas le moyen d’encercler, par la force des armes, le royaume ennemi? Maximilien affiche sur ce point une réelle confiance: à ses yeux, c’est peut-être là l’intérêt, l’utilité unique des mariages austro-espagnols67. Soulignons d’emblée que l’empereur élu sera grandement déçu, et très vite, puisque, dès le début de l’année 1497, Ferdinand mène des pourparlers avec Charles VIII et ne dissimule nullement à Maximilien que son intention n’est pas de livrer rude guerre à la France68. Tandis que l’un songe à la destruction de l’ennemi commun, l’autre veut percevoir essentiellement dans la Sainte Ligue des objectifs de défense collective. Dix ans plus tard, après la mort de Philippe le Beau, les relations entre le roi d’Aragon et le Habsbourg se feront d’ailleurs plus difficiles que jamais. Il sera question de complots ourdis contre Ferdinand par Maximilien et des nobles castillans, des affidés des Habsbourg dans la péninsule ibérique seront poursuivis, l’empereur envisagera même de faire arrêter tous les marchands espagnols en activité dans les Pays-Bas69.

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PADILLA, op. cit., p. 41, 42. Cf. supra ch. II/3. Cf. e. a. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 389, 391, 393, 395. Op. cit., II, p. 28, 36. ID., Bündnisverträge, p. 36-37. FAGEL, De Hispano-Vlaamse wereld, p. 327.

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Du berceau de Bruges à l’hymen de Lierre Quant à Philippe le Beau, son père avait eu le projet, bientôt abandonné, de le faire élire roi des Romains à l’occasion de son mariage et avec l’appui des Rois Catholiques auprès du pape70. Ce dernier objecta cependant que Maximilien n’avait pas encore été couronné en sa qualité d’empereur: tout au plus «empereur élu», le père de Philippe demeurait donc lui-même en droit roi des Romains, et la fonction ne pouvait être dédoublée dans la famille... De surcroît, Alexandre VI ne souhaitait certainement pas relayer une telle initiative dans le contexte politique italien présent. De toute manière, le jeune archiduc a manifesté dès l’heure de sa majorité une volonté de pacification vis-à-vis de tous ses voisins, roi de France y compris. Cela va rapidement le placer dans une position démarquée par rapport à son père et, dans une certaine mesure aussi, à ses beaux-parents. On narrera plus loin le destin tragique de la progéniture de Ferdinand et Isabelle: Don Juan et son fils posthume mort-né, Isabelle reine de Portugal, Don Miguel son fils71. Au cœur du dernier été du siècle, fin juillet 1500, Jeanne sera devenue par la force des choses héritière des royaumes espagnols, situation peu concevable, circonstances tout à fait inattendues quatre ans plus tôt. Philippe le Beau se rendra deux fois au-delà des Pyrénées. La mort d’Isabelle, en 1504, modifiera encore les enjeux. Philippe Ier, roi de Castille, bénéficiera dans ce pays de l’appui d’adversaires mobilisés de Ferdinand, l’Aragonais, qui plus est depuis 1505 l’allié de Louis XII de France. Mais ce sera une tout autre histoire... Chaque chose en son temps. A chaque page suffit sa prose. Le mariage lierrois de 1496, moment fort d’un long processus dynastique et diplomatique, a entraîné l’assujettissement des provinces bourguignonnes à la famille de Habsbourg et à l’Etat espagnol en pleine croissance. Voilà ce qu’a souligné depuis longtemps l’historiographie belge et hollandaise traditionnelle, à la suite, notamment, de ses oracles, Pirenne ou Huizinga. Mais l’héritage des Valois-Bourgogne aurait-il pu sans cela survivre face à la France des ValoisOrléans puis -Angoulême, se demande à bon droit Hermann Wiesflecker, le principal biographe de Maximilien Ier? Il est vrai qu’en dépit, dans l’immédiat, d’une politique de paix menée par le jeune archiduc Philippe, les conflits du XVIe siècle auraient pu derechef, comme en 1477, en menacer l’existence. Ce mariage est donc bien un événement de portée européenne. Quelles qu’en aient été les conséquences, jugées favorables ou non, il a littéralement projeté les Pays-Bas bourguignons, dans leur statut intangible d’union personnelle, au cœur du concert politique européen. Elever le niveau de leurs relations, dans le domaine commercial comme dans le champ de la grande diplomatie, entrer dans le jeu des grandes alliances internationales, tels étaient par ailleurs les objectifs poursuivis depuis les années -80 par les Rois Catholiques. Lorsque Philippe et Jeanne s’étreignent pour la première fois à Lierre, c’est toute l’Europe des temps modernes qui a rendez-vous avec son propre destin.

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WIESFLECKER, Bündnisverträge, p. 33-34. Cf. aussi infra ch. VI/1. Cf. ch. VI/3 infra.

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Deuxième partie

Philippe de Bourgogne, «enfant terrible» de la politique européenne ?

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Chapitre IV DES DESSEINS MONARCHIQUES, ENTRE CENTRALISATION ET PARTICIPATION 1. Entourage, conseils et assemblées Une des questions les plus stimulantes qu’il est de bonne guerre de formuler à propos du gouvernement d’un prince arrivé jeune au pouvoir est celle du rôle prédominant qu’a pu ou dû jouer son entourage dans ses prises de décisions politiques. Elle est à l’ordre du jour pour Philippe le Beau: émancipé, à l’âge de seize ans, de la mambournie paternelle, n’aurait-il pas simplement quitté l’ombre de l’aile tutélaire de Maximilien pour se terrer dans celle de conseillers associés au pouvoir et avides d’en disposer? Les hommes, les individus en tant que tels, avec leurs personnalités et leurs fonctions, importent plus que tout, et ce sont eux que nous mettrons d’abord en scène. Mais on ne peut se limiter à répertorier et identifier des noms, «agents» ou «courtiers» du pouvoir, intégrant le service de ce dernier dans la gestion d’une carrière personnelle1. Ce que d’aucuns dénomment «l’Etat bourguignon» dispose déjà en effet de rouages partiellement rodés et plus ou moins statutairement définis: on n’appelle pas n’importe quoi «grand conseil», «conseil privé», «conseil des finances»... En se gardant bien de verser dans les interprétations rigoureuses parfois formulées par des juristes historiens de jadis, il faut quand même prendre en compte l’essence des institutions existantes, toutes souples voire empiriques qu’elles puissent demeurer. Un tableau de ces institutions ne peut évidemment faire l’économie des assemblées représentatives, dont on sait déjà qu’il y règne tout au long des années 1494 à 1506 un climat d’équilibre et de confiance dans les échanges avec le «prince naturel». A. Les grands commis: portraits2 Dans l’introduction de ses Mémoires, dédiés au jeune archiduc, le fidèle homme de cour bourguignon Olivier de La Marche s’adresse en ces termes au prince, rappelant le long conflit qui a opposé son père, Maximilien, à la ville de Gand: «Et pour vous donner a entendre verité, j’escrips cest acte affin que vous prenez exemple de jamais [ne] donner auctorité sur vous a ceulx qui doivent vivre et regner soubz vostre main. Mais je conseille bien que vous leur devez demander conseil et ayde pour vos grans affaires conduire et soustenir»3.

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Cf. sur ce thème les contributions au volume Powerbrokers in the late Middle Ages. The Burgundian Low Countries in a European context - Les courtiers du pouvoir au bas moyen âge. Les Pays-Bas bourguignons dans un contexte européen, édit. R. STEIN, Turnhout, 2001 (Burgundica, IV). Cette section de chapitre repose pour une part sur deux articles récents: J.-M. CAUCHIES, «Croit conseil» et ses «ministres». L’entourage politique de Philippe le Beau (1494-1506), et ID., «Grands» nobles, «petits» nobles, non-nobles dans les conseils de Maximilien d’Autriche et Philippe le Beau pour les Pays-Bas. LA MARCHE, Mémoires, I, p. 163.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Dissertant plus loin à propos des surnoms applicables aux dynastes de la maison de Bourgogne, il dénomme leur héritier et successeur dans les Pays-Bas «Philippe Croit conseil» et il justifie ainsi la formule: parvenu jeune au pouvoir, par la force des choses - l’accident tragique qui a coûté la vie à sa mère, Marie de Bourgogne, en 1482 - , demeuré pour son éducation politique entre les mains des Gantois avant d’en être dégagé par Maximilien, Philippe avait besoin de judicieux avis et d’influences bénéfiques4. Il ne faut pas y voir une critique, ou à tout le moins le constat d’une certaine absence de décision, voire de capacité de décision personnelle dans le chef du prince. Il s’agit plutôt là d’une double mise en garde: explicite, en ce qu’il convient d’effacer l’empreinte néfaste des Gantois rebelles («et avoit bien besoin d’estre bien conseillé»); implicite, en ce que Philippe devra éviter les travers de son aïeul, Charles le Hardi - «le Travaillant», écrit La Marche - , réputé pour son entêtement excessif. Le même La Marche, dans le préambule cité, utilisait un vocabulaire très féodal: en se gardant bien de leur abandonner par ce canal l’autorité, mais sans préjudice, au contraire, de ses prérogatives légitimes, le jeune archiduc doit demander à ses sujets le conseil et l’aide pour ses «affaires». A la fin de son œuvre, le chroniqueur et mémorialiste annonce d’ailleurs - projet interrompu par son propre décès - qu’il va relater les actions de Philippe le Beau et montrer «comment, par croire conseil, il se ressourdit (releva) et porta le temps saigement»5. Notre auteur assortit tout de même son jugement positif d’un trait d’humour politique. Il cite le surnom choisi deux fois et il écrit la première fois «Croy conseil», clin d’œil au lecteur averti, allusion au patronyme du seigneur de Chièvres, Guillaume de Croÿ, l’un des «ministres» les plus influents de Philippe le Beau et plus tard, davantage encore, du jeune Charles Quint... A mots couverts, en des termes subtils, La Marche attire donc notre regard vers les proches de l’archiduc, susceptibles d’exercer sur son action l’impact le plus grand. Une autre plume contemporaine illustre et dévouée à la cause de la dynastie , l’historiographe officiel ou indiciaire Jean Molinet, livre un commentaire circonstanciel mais non moins significatif. Lors du décès de cet important collaborateur des premiers Habsbourg, survenu le 31 mai 1504, il rappelle qu’Engelbert, comte de Nassau, avait été durant le premier voyage de Philippe le Beau en Espagne (1501-1503) lieutenant général dans les Pays-Bas et les avait gouvernés «parmi le prudent conseil de monseigneur l’archiduc, dont il avoit l’assistence et advis»: le mot «conseil» désigne ici l’institution, l’organe formé de conseillers de l’archiduc, ainsi perçus comme des gens «prudents», sages6. Molinet tient donc à souligner, au détour de cette évocation, le rôle important que doit jouer un bon entourage dans l’administration des territoires.

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Op. cit., III, p. 315-317. Ibid., p. 318. Sur tout ceci, cf. J.-M. CAUCHIES, Die burgundischen Niederlande unter Erzherzog Philipp dem Schönen, p. 31-32. MOLINET, Chroniques, II, p. 534.

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Des desseins monarchiques La question posée n’est donc rien de moins que celle de la part effective prise par Philippe dans la succession des événements, à côté de la marge de manœuvre qu’il a laissée à ses conseillers... ou que ceux-ci, bénéficiant de sa confiance ou tirant profit de son impuissance, se sont octroyée. Jusqu’où donc a-t-il eu les mains libres, ou au contraire se les est-il vu plus ou moins étroitement lier? Une communis opinio doctorum a été formulée par Henri Pirenne: éduqué par des «seigneurs belges», façonné par eux dans l’optique exclusive des Pays-Bas bourguignons («on lui avait fermé les yeux sur tous les intérêts indifférents à ses domaines néerlandais»), Philippe «s’abandonne» à la volonté des conseillers, au «gouvernement de la noblesse», et mérite donc le surnom de «croit conseil». Les responsables de cette situation sont aisément identifiés: des chevaliers de la Toison d’or, Croÿ, Berghes, Lalaing, l’«entourage habituel» de Philippe, «dominé par ses conseillers belges»7. Sans être foncièrement inexacte, cette appréciation paraîtra de prime abord restrictive et formulée à l’emporte-pièce... On ne peut certes passer sous silence le témoignage de l’ambassadeur vénitien Vincenzo Querini, en poste auprès du jeune roi de Castille en 1504-1506, décrivant ce dernier comme poco risoluto à exécuter les décisions prises et s’en remettant volontiers à des conseillers auxquels il accorde en toutes choses sa confiance, gran fede, et qu’il est prompt à suivre dans ce dont ils le convainquent, à credere quello che gli era persuaso8. Mais est-ce faiblesse chronique ou prudence de bon aloi? Le diplomate, nous semble-t-il, en laisse juge... Avant d’esquisser une réponse globale, il ne sera pas vain de parcourir attentivement, mais sans s’y attarder trop à chaque pas et figure, la galerie bien peuplée de ceux que nous avons cru pouvoir identifier comme les membres potentiels d’un «exécutif» des Pays-Bas bourguignons au crépuscule du XVe siècle et à l’aube du XVIe9. Engelbert (II), comte de Nassau(-Dillenburg), seigneur, entre autres, de Breda et de Diest et à ces titres grand féodal en Brabant (1451-1504), est l’un de ceux qui assurent par excellence une continuité entre la régence de Maximilien et le principat de Philippe. Chevalier de la Toison d’or depuis 1473, drossard de Brabant - le premier officier de justice et de police dans le duché - en 1475, il sert successivement les deux Habsbourg comme il a servi, sans faille, leur prédécesseur, Charles le Hardi. Militaire et diplomate actif, ce premier conseillerchambellan du père puis du fils (1502) cumule les fonctions dirigeantes, mais deux d’entre elles brillent d’un éclat tout particulier. A deux reprises (1496 et 1501-1503: voyages de l’archiduc en Allemagne et en Espagne), il exerce celle

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H. PIRENNE, Histoire de Belgique, 3e édit., t. III, Bruxelles, 1923, p. 60-61. Relazioni di Borgogna..., dans Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato, I, p. 5. Les informations synthétisées ici sont tirées de multiples sources et travaux. Ont été particulièrement utiles: Les Chevaliers de l’Ordre de la Toison d’or (notices par M. BOONE, J.-M. CAUCHIES, J. DEBRY, J. DEVAUX, P. DE WIN, H. SCHWARZMAIER, R. WELLENS); H. COOLS, Mannen met macht; A.J.M. KERCKHOFFS-DE HEIJ, De Grote Raad en zijn functionarissen 1477-1531. Biografieën van raadsheren; B. PETITJEAN, Les conseillers de Philippe le Beau. Sont en outre signalés ci-après les livres ou les articles ou notices récents dont certains des personnages ont fait l’objet.

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«Enfant terrible» de la politique européenne de lieutenant général, comme avant lui le duc Albert de Saxe (1488): on peut considérer ces deux princes issus de lignages germaniques, l’un - Albert - cousin germain, l’autre - Engelbert - époux d’une cousine germaine de Maximilien, comme les précurseurs, mutatis mutandis, des futurs gouverneurs et gouvernantes des Pays-Bas au XVIe siècle. Mais Nassau apparaît aussi, en 1494, comme principal membre d’un conseil dit raad ou regenterie tenu de suivre partout Philippe aux Pays-Bas, puis, en 1496, en qualité de chef du conseil dit privé dans ces mêmes Pays-Bas. Il demeure ainsi jusqu’à la fin de sa vie une figure clef du gouvernement. Il n’est pas opportun de le répertorier, à l’instar d’Albert de Saxe ou de Christophe de Bade, comme un «étranger» en charge dans les états bourguignons: son implantation brabançonne solide suffit déjà à l’y enraciner10. Illustre et apprécié rejeton illégitime du duc de Bourgogne Philippe le Bon, le Grand Bâtard Antoine - lui-même trépassé en 1504 seulement - a donné naissance à un fils, Philippe, seigneur de Beveren (-Waas), à l’existence relativement courte (avant 1464-1498) mais bien remplie, le bras armé au service de sa maison. Le «seigneur de Bièvres», comme le dénomment maints textes, élu chevalier de la Toison d’or en 1478, n’avait pas toujours soutenu la cause de Maximilien et s’était même franchement acoquiné avec Philippe de Clèves et les Gantois rebelles. Deux phares focalisent sur lui l’attention durant les quatre premières années de la majorité de Philippe le Beau, la charge d’amiral (depuis 1491) et surtout de grandes responsabilités financières. En effet, membre noble, parmi les six «seigneurs», du conseil des finances de 1487, il est dénommé en 1494 seul «superintendant et chef de toutes les finances» et son activité est attestée à ce titre entre 1495 et 1497. Tout comme Nassau dans les affaires se rapportant à la personne du prince, Beveren apparaît pour les finances comme un «responsable de département». Demeurons un moment dans le cercle familial des Bourgogne-Valois, avec deux autres bâtards de Philippe le Bon - dont le cadet de la longue série - encore en activité politique sous l’arrière-petit-fils et homonyme de ce prince. Le premier, Baudouin, s’est signalé par une carrière en dents de scie et des frasques peu communes. Tout à la fois reflet de son milieu et par certaines facettes de son existence agitée personnalité atypique, Baudouin de Bourgogne, seigneur de Fallais, à la fin de sa vie, et de divers autres lieux (ca. 1446-1508), offre à nos regards une particularité: il est le seul parmi tous ceux identifiés ici et auxquels leur naissance et leur état le permettait à ne pas avoir été gratifié du collier de la Toison d’or. De toute évidence, et en dépit de la confiance que les premiers Habsbourg ont pu placer en lui, nonobstant ses antécédents, l’Ordre n’en a point voulu dans ses rangs. Passé jadis au service du roi de France, louvoyant ensuite entre les deux camps, il semble enfin être demeuré d’une loyauté totale envers Maximilien et

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P. DE WIN, Engelbert (Engelbrecht) II graaf van Nassau-Dillenburg en Vianden, heer van Breda, dans De Orde van het Gulden Vlies…, p. 85-115.

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Des desseins monarchiques Philippe. Diplomate avéré, il joue dès 1488-1489, en Espagne, un rôle important dans la mise en chantier du futur mariage de l’archiduc et de l’infante Jeanne. Il retourne dans ce pays, dont il a d’ailleurs épousé une très noble dame, lors du voyage de 1501 et, en août 1502, deux événements impromptus et consécutifs, la disgrâce d’Henri de Berghes et la mort de François de Busleyden, font de lui le chef du conseil aulique accompagnant son prince11. Plus «rangé» que son aîné, fait chevalier de la Toison d’or en 1501, l’amiral (1498) puis évêque (d’Utrecht, 1517) Philippe de Bourgogne, seigneur de Blaton (1465-1524), légitimé en 1505, allait exercer aussi, cette même année, une charge de gouverneur en Gueldre. Promu premier maître d’hôtel de Philippe le Beau, il participe pour un temps au premier voyage espagnol, à un moment où ses intérêts paraissent proches de ceux de Jean de Berghes, premier chambellan, et incitent à le tenir pour un pion du «parti» anglophile de la cour. S’il fut aussi tôt investi d’autres commandements militaires, notamment dans sa future principauté ou Sticht d’Utrecht, il a laissé avant tout, abstraction faite de sa dignité épiscopale tardive, le souvenir de l’amiral qu’à la suite de son neveu défunt, Philippe de Bourgogne-Beveren, il fut pour l’ensemble des Pays-Bas pendant près de deux décennies12. Figure de proue de la politique intérieure et extérieure des Pays-Bas durant de longues années, connu surtout pour avoir été le mentor du jeune Charles Quint, Guillaume de Croÿ, seigneur de Chièvres (1458-1521), entre dans l’ordre de la Toison d’or en 1491. Simultanément à l’exercice de charges régionales de premier plan, comme celles de grand bailli de Hainaut (1497) ou de gouverneur de Namur (1503), il intervient aussi au plus haut niveau de la diplomatie et fait clairement figure de chef de file d’un «parti» pro-français à la cour de Bourgogne, dans le droit fil d’ailleurs des options politiques traditionnelles de sa célèbre lignée. Alors qu’il est depuis quelques mois «chef gouverneur» des finances c’est, sous une autre dénomination, la fonction assumée jadis par Philippe de Bourgogne-Beveren - , le roi de Castille en partance pour l’Espagne lui confie le 26 décembre 1505, au titre de lieutenant général, les rênes du gouvernement des Pays-Bas, comme lors de précédentes absences à feu Engelbert de Nassau. Confirmé par Maximilien dans ses hautes responsabilités financières après la mort de Philippe le Beau, le seigneur de Chièvres, grand chambellan, prônant indéfectiblement une politique d’entente avec la France, atteindra le zénith de sa puissance en exerçant dans les dernières années de sa vie une charge de trésorier général ou contador mayor des royaumes ibériques13. Avant que le comte Engelbert de Nassau ne prenne en mains la charge de premier conseiller-chambellan de l’archiduc (1502), le titulaire en avait été longtemps, depuis la minorité du prince, Jean (III) de Berghes ou de Glymes (1452-

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J.-M. CAUCHIES, Baudouin de Bourgogne (v. 1446-1508), bâtard, militaire et diplomate. J. STERK, Philips van Bourgondië (1465-1524), bisschop van Utrecht, als protagonist van de Renaissance. Zijn leven en maecenaat, Zutphen, 1980. G. DANSAERT, Guillaume de Croÿ-Chièvres, dit le Sage. 1458-1521, Paris, Bruxelles et Courtrai, 1942.

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«Enfant terrible» de la politique européenne 1532), seigneur de Walhain puis, après la mort de son père Jean (II), de Bergen op Zoom (1494). Sa brillante carrière s’est dessinée sous la régence de Maximilien: chevalier de la Toison d’or en 1481, membre noble, entre autres avec le seigneur de Beveren, du conseil des finances de 1487, puis un des quatre trésoriers des finances désignés en 1490, et en 1497 encore. En contrepoids à Guillaume de Croÿ, le francophile, nous rencontrons ici un politique convaincu des bienfaits de l’alliance anglaise: les intérêts commerciaux de sa ville et seigneurie de Bergen op Zoom ne comptent pas pour peu dans cette option, qui lui vaudra notamment plus tard la bienveillance et l’appui de la gouvernante Marguerite d’Autriche. Avec Guillaume de Croÿ et l’ecclésiastique François de Busleyden, il est assurément une des trois personnalités prédominantes dans l’entourage archiducal vers 1500. Mais au cours du premier voyage espagnol, des dissensions relatives à la politique de paix avec la France éclatent à la cour et entraînent son renvoi aux Pays-Bas (juillet 1502). Tombé en disgrâce, relevé de ses fonctions, Jean de Berghes trouvera toutefois un second souffle et accroîtra même plus que jamais son influence après la mort de Philippe14. Jean de Luxembourg, seigneur de Ville (ca. 1470-1508), chevalier de la Toison d’or (1501), pour être moins présent sur le devant de la scène, n’en demeure pas moins un «ministre» bien placé aux côtés de Philippe le Beau, qu’il sert comme second puis comme premier conseiller-chambellan. Il participe dès lors à l’intégralité des deux voyages espagnols. Lors du renvoi d’Espagne de Jean de Berghes, la charge de premier chambellan est certes attribuée à Engelbert de Nassau mais, ce dernier résidant à ce moment aux Pays-Bas, Jean de Luxembourg, lui aussi anglophile mais plus réservé sans doute que le Brabançon, l’exerce de fait auprès du prince; il la recueille enfin en titre en juin 1504, suite au trépas d’Engelbert. A la même époque, on le voit déployer une importante activité diplomatique en France, tout en siégeant au conseil des finances en qualité de chambellan, c’est-à-dire de membre noble. En 1506, «mossou de Ville», le flamenco, est avec le Bourguignon Philibert de Veyré et le Castillan Juan Manuel l’un des trois pions par excellence du jeu de Philippe dans la péninsule, qu’il va quitter le 4 novembre, quelques semaines après la mort de son roi. Prince de Chimay depuis 1486 - le comté de Chimay a été érigé en principauté par Maximilien à l’occasion de son propre couronnement royal -, Charles de Croÿ (milieu XVe siècle-1527), fait chevalier de la Toison d’or en 1491, doit surtout sa notoriété au fait d’avoir rempli, avant son arrière-petit-cousin Guillaume, seigneur de Chièvres, des fonctions de gouverneur auprès de la personne du jeune Charles Quint, qu’il avait tenu sur les fonts baptismaux, indice de la considération dont il jouissait à la cour. Militaire, il exerce notamment depuis 1488 la charge importante de lieutenant et capitaine général de Hainaut, aux frontières de France. Ne participant pas aux voyages espagnols, il collabore à l’époque du second avec son cousin Chièvres au gouvernement des Pays-Bas. Il joint tout

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H. COOLS, Les frères Henri, Jean, Antoine et Corneille de Glymes-Bergen, dans PCEEB, n° 41, 2001, p. 123-133.

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Des desseins monarchiques particulièrement le prestige d’un nom et d’un titre à des responsabilités peut-être moins visibles que chez d’autres, mais non moins déterminantes. En nous attardant au sein de la même famille, épinglons ensuite la figure typique d’un militaire: Ferry de Croÿ, seigneur du Rœulx, cousin germain de Guillaume (m. 1524), chevalier de la Toison d’or en 1505, fut des deux suites archiducale puis royale au-delà des Pyrénées. A vrai dire, c’est essentiellement sous Charles Quint que sa carrière prendra grande tournure. Chef de guerre contre la Gueldre, investi par la suite d’autres commandements, il sera premier maître d’hôtel du fils de Philippe, dont, quoique homme «de proximité», il était demeuré simple conseiller-chambellan. Quatrième et dernier Croÿ de notre galerie, Michel, seigneur de Sempy (m. 1516), est un oncle de Charles et un cadet de la branche de Chimay. Elu au sein de l’Ordre en 1501, il a certes manié les armes en Gueldre mais s’est avant tout signalé par des activités diplomatiques: ambassades en Espagne, de février 1498 à mars 1500 - il en revient avec Marguerite, veuve de Juan -, puis en Angleterre, en 1501 et 1505-1506. Aucun autre grand lignage n’est aussi bien représenté ici que les Croÿ. Toutefois, des maisons déjà évoquées «placent» encore chacune parmi les «grands seigneurs» de l’entourage un autre de leurs rejetons: Berghes, Luxembourg, Nassau. Frère cadet de Jean (III), Corneille de Berghes, seigneur de Zevenbergen (1458-1508/09), implanté aux confins du Brabant et de la Hollande, y a consacré beaucoup d’énergie aux campagnes successives et aux négociations de Gueldre. Chevalier de la Toison d’or en 1501, il assistera la même année Engelbert de Nassau dans le gouvernement des Pays-Bas et traitera l’année suivante avec des ambassadeurs anglais, au nom de Maximilien. Précédemment éphémère amiral (1490/91), il apparaît sous Philippe le Beau porteur du titre de «maréchal de l’ost»15. Frère aîné du seigneur de Ville et admis à porter la Toison d’or dix ans avant lui (1491), Jacques (II) de Luxembourg, seigneur de Fiennes (ca. 1465?-1517), fût-il éclipsé par Jean, n’en reste pas moins une personnalité digne d’un rang «ministériel». Deux activités fortes, quoique tardives dans le principat, rehaussent particulièrement la figure de cet anglophile - tout comme Jean -: la charge de gouverneur de Flandre et d’Artois (depuis janvier 1506), la collaboration étroite qu’il assure alors à Guillaume de Croÿ pendant le second voyage d’Espagne. Sa carrière politique se poursuivra intensément sous la régence de Marguerite d’Autriche, attachée comme lui à l’alliance anglaise. Ce n’est plus d’un frère mais d’un neveu qu’il s’agit, avec le second Nassau. Henri (III), comte de Nassau, seigneur de Breda et de Diest (1483-1538), che-

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Ibid.

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«Enfant terrible» de la politique européenne valier de la Toison d’or en 1505, hérite par la grâce de son oncle Engelbert (m. 1504, sans postérité) non seulement de terres mais aussi d’une position de choix à la cour. Eduqué à l’initiative d’Engelbert dans les Pays-Bas - il était né à Siegen -, il allait être déjà, jeune encore, du premier voyage d’Espagne, puis du second. Ce futur grand chambellan de Charles Quint, successeur dans cette fonction du tout-puissant seigneur de Chièvres, devait détenir après 1506 d’autres charges élevées vers lesquelles, à la fin du règne de Philippe, le gouvernement de la turbulente Gueldre serait un marchepied. S’il n’en porte pas le patronyme, Hugues de Melun, vicomte de Gand (milieu XVe siècle-1524/25), n’en est pas moins, par son aïeule paternelle, du sang des Luxembourg. Chevalier de la Toison d’or en 1491, présent au voyage d’Allemagne de 1496, puis au premier voyage d’Espagne, contrée dans laquelle, au départ de Philippe, il demeurera aux côtés de Jeanne en qualité de «chevalier d’honneur», c’est-à-dire de grand chambellan, Hugues est aussi un soldat de haut vol, dès la régence de Maximilien et plus tard, comme beaucoup d’autres, en Gueldre (1506). On s’étonnerait sans doute de ne pas trouver dans ce répertoire les noms de deux familles «piliers» de l’entourage ducal bourguignon: les Lannoy de Flandre gallicante et les Lalaing de Hainaut. Chacune d’elles fournit en effet à l’archiduc un collaborateur de choix. Baudouin (II) de Lannoy, seigneur de Molembaix (ca. 1436-1501), est certes l’un des doyens d’âge parmi les conseillers les plus écoutés. Il a déjà derrière lui une ample moisson d’activités diplomatiques et militaires lorsque l’Ordre l’accueille en son sein en 1481, quelques années après la mort de son père, lui-même chevalier de la toute première promotion (1430). En 1487, il est, aux côtés notamment de Philippe de Bourgogne-Beveren et de Jean de Berghes-Walhain, un des six «seigneurs» du conseil des finances. Le point culminant de la carrière de ce ci-devant second chambellan est atteint lorsque son prince l’élève au rang de grand et premier maître d’hôtel (1497). Au nombre des commandements qu’il a reçus, on épinglera celui de capitaine des châtellenies de Lille-DouaiOrchies, où se trouve le berceau de sa lignée. C’est davantage à son rang qu’à l’ampleur de son rôle politique que Charles, seigneur, plus tard baron (1508) et comte (1522) de Lalaing (1466-1525), doit sa présence dans cette galerie. S’il est bien, comme tant d’autres, conseiller-chambellan de Philippe le Beau dès les dernières années du XVe siècle, il n’a pas suivi son maître en Castille mais a été associé, sous la houlette de Guillaume de Croÿ, à la direction des pays en 1506. Nous ne mentionnons donc qu’avec un bémol à la clef ce «toisonné« de la promotion de Middelbourg, en 1505. Dans la susdite promotion figure encore Jacques (III), comte de Hornes (m. 1531), beau-frère par sa première épouse Marguerite du comte Charles de CroÿChimay. Il fait avant tout figure de militaire - un «état» qui lui coûtera d’ailleurs la vie, au service de Charles Quint - et va, lui aussi, combattre en Gueldre; il sera toutefois du voyage de 1506.

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Des desseins monarchiques Henri (III) de Witthem, seigneur de Beersel (ca. 1439/40-1515), chevalier de la Toison d’or depuis 1491, est déjà relativement âgé lorsqu’on le trouve en activité dans l’entourage de Philippe le Beau, en qualité de second chambellan, après qu’il ait servi avec une loyauté inébranlable Maximilien empêtré dans les luttes civiles. Simultanément à une présence de plus de trente ans au Conseil de Brabant, il est appelé à seconder le lieutenant général Engelbert de Nassau en 1501. Avec ce dernier et les frères Jean et Corneille de Berghes, ses cousins germains, il demeure un des «grands» Brabançons du principat16 et sera promu premier chambellan sous le jeune archiduc Charles. Si le patronyme Egmond renvoie à la Gueldre et à son duc hostile Charles, il est aussi porté par Florent (1469-1539), seigneur d’IJsselstein et futur comte de Buren, gendre de Corneille de Berghes, figure de proue pour les premiers Habsbourg en Hollande, homme de guerre honoré du collier en 1505 et commis l’année suivante au gouvernement de la susdite Gueldre. Déjà présent aux voyages d’Allemagne de 1496 et d’Espagne de 1501-1503, il exerce un commandement dans la flotte de 1506 en lieu et place de l’amiral en titre, Philippe de Bourgogne, retenu aussi par les affaires gueldroises. Les «ministres» archiducaux originaires des possessions ou anciennes possessions bourguignonnes du sud ne sont pas légion. Trois hommes au plus sont à épingler au sein des laïcs issus de la noblesse. Si l’un d’eux fait figure de grand capitaine, les autres apparaissent avant tout comme des négociateurs, d’une indéniable efficacité d’ailleurs. Claude de Neufchâtel (1449/50-1505), dit le seigneur du Fay, du nom de sa terre comtoise, avait exercé sous Charles le Hardi, Maximilien et Marie des fonctions de lieutenant général puis de gouverneur dans le duché de Luxembourg. Elevé au rang de maréchal de Bourgogne (1483), il devait régir ensuite les terres méridionales de ses princes, dits «pays de Bourgogne», de 1489 à 1493. En 1503, c’est lui qui prend en charge son maître, quittant l’Espagne, aux frontières de la péninsule pour le mener vers la Franche-Comté et l’Empire. Ce soldat à part entière, chargé sous Philippe le Beau majeur de diverses tâches en rapport avec le Luxembourg, la Lorraine ou la Savoie, avait fait partie de la promotion malinoise (1491) des chevaliers de la Toison d’or17. Un collaborateur envers lequel Philippe archiduc et surtout roi de Castille sera redevable d’infinis services est Philibert, seigneur de Veyré (milieu XVe siècle1512), de souche nobiliaire bourguignonne, plus précisément mâconnaise, ce qui lui permit en 1505 un accès cent fois mérité à l’ordre de chevalerie fondé par Philippe le Bon. On lui attribuera plus qu’à tout autre la qualification de «spécialiste» ès affaires espagnoles... Ce diplomate proche de la famille de Nassau, par la grâce d’une fraternité d’armes dans le conflit franco-bourguignon, voit 16 17

On remarquera qu’Engelbert, Corneille et Henri représentent précisément de concert la noblesse du Brabant à l’assemblée des Etats généraux tenue à Bruxelles en septembre 1501, en prélude au voyage d’Espagne: WELLENS, Etats généraux, p. 499. J. DEBRY, Claude de Neufchâtel. Dans la tourmente bourguignonne une fidélité sans faille, dans De Orde van het Gulden Vlies…, p. 201-257.

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«Enfant terrible» de la politique européenne culminer sa féconde carrière entre 1497 et 1506. Souvent sur la brèche, en Espagne et en France, il séjournera en particulier dans la péninsule du début du printemps 1505 à la fin de l’automne 1507, négociant avec Ferdinand d’Aragon, conseillant Philippe - il en est alors le premier maître d’hôtel - débarqué fin avril 1506, participant après la mort du jeune roi au conseil de régence improvisé dont il est le seul membre originaire des états bourguignons. Il servira aussi avec zèle, jusqu’à la fin de ses jours, Marguerite d’Autriche, qui protégera ses intérêts18. La modestie relative d’une charge de premier sommelier de corps et le fait que sa naissance ne lui ait de toute manière pas permis d’être un jour «toisonné» ne doivent pas occulter la place prise à la cour par Charles de Poupet, seigneur de La Chau(l)x (ca. 1460/70-1530), fils d’un receveur général et commis des finances de Philippe le Bon et gendre du chancelier de Philippe le Beau, Thomas de Plaine. Aux confins du cercle des nobles - mais loin de la «grande» noblesse - et de celui des légistes, ce Franc-Comtois très mobile, présent aux voyages d’Espagne, alors promu conseiller-chambellan, verra croître encore son influence politique sous les gouvernements de Marguerite d’Autriche et du jeune Charles Quint. Bien que son sang devrait lui valoir une place plus en vue dans notre répertoire, Christophe (Ier), margrave de Bade (1453-1527), chevalier de la Toison d’or en 1491, n’y apparaîtra qu’en fin de série parmi les «ministres» laïcs redevables en premier lieu de leur position à la qualité nobiliaire. C’est qu’il est le seul véritable «étranger» aux possessions de Philippe le Beau que nous y ayons introduit. Cousin germain par sa mère de Maximilien, venu avec lui aux PaysBas, installé dès le début du gouvernement personnel de Philippe dans le sérail des conseillers du jeune prince, Christophe, par la volonté du roi des Romains, a aussi régi le duché de Luxembourg. Ajoutons qu’il est le beau-frère d’Engelbert de Nassau mais que, contrairement à celui-ci et à Henri de Nassau, neveu d’Engelbert, son éducation et son patrimoine ne permettent nullement de le tenir pour un «Néerlandais» intégré. Place à présent à un groupe restreint, mais non négligeable, de quatre hauts fonctionnaires, aux profils bien distincts de ceux des «seigneurs» qu’ils côtoyaient quotidiennement auprès de l’archiduc. Deux d’entre eux, père et fils, sont Bourguignons de souche et illustrent le type même du légiste introduit dans une noblesse dont il n’est pas issu. Les deux autres, Flamands, mourront chevaliers. De part et d’autre, l’un des deux accédera à une charge de prestige: la chancellerie de Bourgogne. Voici d’abord les Plaine, père et fils. Thomas (ca. 1440/45-1507) est lui-même le rejeton d’Humbert de Plaine, homme d’affaires et fonctionnaire des finances ducales, un Comtois établi à Malines sous Philippe le Bon. Licencié en droit, conseiller-maître des requêtes au Parlement de Malines sous Charles le Hardi, on le retrouve plus tard président du Grand Conseil (de justice), charge qu’il aban-

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J.-M. CAUCHIES, Dans les allées et les coulisses du pouvoir: Philibert de Veyré, diplomate au service de Philippe le Beau (m. 1512).

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Des desseins monarchiques donne pour assumer, de décembre 1496 à sa mort, celle de chancelier. La dénomination de «seigneur de Maigny» que lui donnent les sources officielles se réfère à sa terre familiale bourguignonne de Magny-sur-Tille. Gérard (ca. 1470?-1524), seigneur de La Roche (sud de la Bourgogne), lui aussi licencié en droit et conseiller-maître des requêtes au Grand Conseil, va être «transféré» par l’archiduc Philippe parmi les conseillers-chambellans (1503), une mutation qui en dit long sur la double facette professionnelle de l’homme. Négociateur vers 1500 pour les affaires de Franche-Comté et de Savoie, il exercera plus tard de hautes fonctions politiques auprès de la gouvernante Marguerite. Appelé à toucher le faîte de la direction politique des états bourguignons (entre 1508 et 1518), en qualité de chef du conseil privé de Marguerite d’Autriche, chancelier de Brabant puis enfin chancelier de Bourgogne, Jean Le Sauvage, natif de Lille (1455-1518), est à l’époque qui nous concerne conseiller puis (1497) président du Conseil de Flandre. Cet autre licencié en droit, d’une lignée de fonctionnaires bien connue en Flandre, ne se voit pas confiné dans les dossiers de ce comté. Il déploie une activité diplomatique en France comme en Angleterre et, dans ce dernier pays auquel il est très favorable, il mène tout particulièrement des négociations économiques à la fin du principat de Philippe. Jérôme Lauwerin (m. 1510), anobli - comme Le Sauvage - en 1503, seigneur de Watervliet - où il fut un bâtisseur -, peut être considéré comme un véritable ministre des finances dans les Pays-Bas, eu égard à ses fonctions de trésorier général des domaines et finances (1499). Ayant acquis une expérience de receveur des aides en Flandre, il centralise alors des activités précédemment dévolues à un quatuor de trésoriers. Cela ne l’empêche pas d’être également mêlé aux négociations franco-bourguignonnes de 1503 et de se voir attribuer la charge aulique de maître d’hôtel. La proportion d’ecclésiastiques repérables parmi les «ministres» peut paraître faible: ils sont six sur trente-trois, au nombre desquels trois devaient d’ailleurs quitter ce monde avant leur maître, l’archiduc-roi. Le plus prestigieux de tous est certainement Henri de Berghes (1449-1502), évêque de Cambrai depuis 1480 et frère aîné de Jean de Berghes, le premier chambellan archiducal. Ce prélat est lié à l’ordre de la Toison d’or, non évidemment comme chevalier mais en qualité de chancelier, la première des quatre charges d’officiers de la compagnie (1493). Il va bénir à Lierre, le 20 octobre 1496, l’union matrimoniale de Philippe et Jeanne et les accompagner cinq ans plus tard en Espagne. Ce voyage sera à la fois son Capitole et sa Roche tarpéienne...: alors chef du conseil aulique princier (hofraad), depuis 1497, il tombe en disgrâce simultanément à son frère (juillet 1502) et est contraint de rentrer avec lui aux Pays-Bas, où il décède trois mois plus tard. Agent actif, lui aussi, de l’anglophilie des Berghes, il avait négocié quelques années plus tôt d’importants accords commerciaux avec le royaume insulaire19.

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COOLS, Les frères Glymes-Bergen, op. cit.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Rival d’Henri de Berghes, l’ecclésiastique pro-français d’origine luxembourgeoise François de Busleyden (ca. 1465?-1502), issu d’un père anobli par le duc Charles de Bourgogne, gravit hardiment les échelons d’une carrière exemplaire: prévôt des chapitres cathédraux Saint-Lambert de Liège - d’où sa désignation habituelle: «le prevost de Liege» - et Saint-Donatien de Bruges, il sera fait archevêque de Besançon (1498) et cardinal (1502). Jadis précepteur de Philippe le Beau, il est pourvu d’une charge de conseiller-maître des requêtes et succède en 1497 à Philippe de Bourgogne-Beveren à la tête de l’administration des finances. Présent au voyage d’Allemagne de 1496, parti en ambassade en Espagne et en France (1500-1501), il est désigné en qualité de chef du conseil aulique de l’archiduc lorsque, dans la péninsule, Henri de Berghes est renvoyé (juillet 1502), mais il profite peu de cette faveur puisqu’il décède le mois suivant à Tolède, toujours au cours du même périple espagnol. Fût-elle éphémère, la promotion avait consacré la position élevée d’un des hommes les plus influents de la cour, l’un des deux (avec Jean de Berghes) dont la première ordonnance de l’hôtel de Philippe requérait la présence constante aux côtés du maître. «Le domprevost d’Utrecht» est pour sa part Philibert Naturel (ca. 1450?1529), un Bourguignon de famille noble qui allait se voir attribuer en 1504 l’office de chancelier de l’ordre de la Toison d’or, laissé vacant par le décès d’Henri de Berghes. L’homme d’Eglise est aussi un légiste. Outre à la cathédrale d’Utrecht (depuis 1500), on le verra prévôt à Cambrai (chapitre cathédral) et plus tard dans des collégiales de Malines et de Mons. Si, conseiller de longue date, il devient maître des requêtes de l’hôtel en 1503, c’est aussi et surtout dans la diplomatie qu’il s’illustre. Chargé de missions en France et auprès de Maximilien, dans les premières années du XVIe siècle, il représente Philippe le Beau auprès de la Curie romaine dès 1492 et il y est nommé ambassadeur résident en 1505-1506. Sa carrière féconde se poursuivra encore alors pendant une vingtaine d’années, sous le signe de l’entente avec le royaume de France et, ipso facto, de la vindicte de Jean de Berghes20. Un autre prévôt, dit de Louvain (Saint-Pierre), hante aussi les couloirs du pouvoir. Titulaire de divers bénéfices, Nicolas de Ruter (ca. 1440-1509), évêque d’Arras en 1502, a déjà derrière lui, lors de cette promotion, un long parcours dans l’administration bourguignonne. Ce Luxembourgeois, secrétaire ducal dans les années 1470, assure notamment en 1487 le secrétariat du conseil des finances embryonnaire et devient conseiller-maître des requêtes, avant d’apparaître dix ans plus tard sous les traits d’un des quatre trésoriers (1497-1499). Des missions mènent cet homme déjà âgé en Allemagne, en Autriche, en France, notamment au début du premier voyage d’Espagne, c’est-à-dire peu de temps avant son accession à la dignité épiscopale. Plus question ici de sang noble: le fonctionnaire et ecclésiastique est lui-même le fils d’un prêtre...

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D. COENEN, Naturel ou Naturelli, Philibert, dans Nouvelle biographie nationale, t. V, Bruxelles, 1999, p. 273-276.

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Des desseins monarchiques Les deux derniers conseillers ecclésiastiques répertoriés semblent être d’un moindre calibre politique mais trouvent néanmoins ici légitimement une place, ne fût-ce qu’en raison d’une présence dans les mentions de service21. Conrard de Sarto (m. 1502), prévôt de la collégiale Saint-Rombaut de Malines (1499), est d’origine liégeoise, donc étranger aux Pays-Bas bourguignons. Ce chanoine de Saint-Lambert, recteur de l’université de Louvain en 1488, doit à sa formation de juriste d’avoir détenu une charge de conseiller-maître des requêtes. Il répond au signalement du légiste à part entière. Quant à Charles de Ranchicourt (m. peu après 1506?), prévôt de la cathédrale Notre-Dame d’Arras, il est fils de petit seigneur et, tout comme Sarto, il va exploiter sa formation de licencié dans les deux droits au service de Philippe le Beau: en 1498, le voici nommé conseiller-maître des requêtes. Mais il reste avant tout un diplomate: diverses missions le conduisent par la suite en Angleterre, en France, et, en compagnie de son prince, il part pour l’Espagne en 1501. Au début de 1506, c’est lui encore que Guillaume de Croÿ, lieutenant général, et les conseillers présents aux Pays-Bas dépêchent auprès de leur souverain, séjournant en Angleterre durant une longue escale au cours du second voyage espagnol, pour l’entretenir de grands dossiers. Diversification, représentativité, cohérence: le premier bilan est éloquent. Hommes de cour, diplomates, militaires, légistes, les proches collaborateurs de Philippe le Beau, ceux qui participent à la décision politique effective et au fonctionnement des rouages de «l’Etat» couvrent un large spectre de générations, de formations, de statuts sociaux, de provenances géographiques. De tous ces paramètres sera tributaire l’appartenance de tel ou tel à l’un ou l’autre conseil, commission, groupe plus ou moins défini ou dénommé. Le potentiel d’individus et de compétences dont peut disposer Philippe le Beau dans ses pays patrimoniaux, vaste héritage humain de l’époque des ducs de Bourgogne et même du temps troublé et fort proche encore des affrontements civils, paraît être d’un très bon niveau. B. Les charges officielles et les lieux de décision L’héritage institutionnel légué par les ducs Valois de Bourgogne à leurs successeurs Habsbourg, après les événements de 1477, comporte un conseil, dénommé parfois à l’époque «grand conseil» mais dit volontiers par les historiens «conseil aulique», c’est-à-dire siégeant à la cour, hofraad, Hofrat, suivant le prince, et qu’il vaut mieux, pour bannir toute équivoque, ne pas qualifier autrement. Au sein du conseil aulique, depuis Philippe le Bon déjà, se sont affirmées des compétences et profilées des «sections», des «commissions» spécifiques.

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Cf., sur l’intérêt et la portée de ces notes: J.-M. CAUCHIES, Indices de gestion, formules de décisions. Les mentions de service dans les actes princiers pour les Pays-Bas au XVe siècle, dans Décisions et gestion. Septièmes rencontres, 26 et 27 novembre 1998, Toulouse, 1999, p. 15-24.

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«Enfant terrible» de la politique européenne C’est d’abord le cas dans le domaine de la justice. L’organe judiciaire central en activité sous Marie, Maximilien et Philippe le Beau est l’héritier de l’éphémère Parlement de Malines de Charles le Hardi (1473-1477), lui-même issu de la mutation d’une cour antérieure et non encore fixée à demeure22. On l’appelle - aussi - après 1477 «grand conseil» et nous ferons usage pour lui de capitales: Grand Conseil. Ambulatoire, dans la tradition de plus d’une institution ducale, pendant un quart de siècle, il tend toujours davantage à se sédentariser à Malines, dans les pas du défunt Parlement. Cette fixation géographique, acquise de facto depuis la fin de l’année 1501, est sanctionnée en droit par une ordonnance archiducale du 22 janvier 150423. Nous sommes ici en présence d’une des grandes décisions structurelles d’allure novatrice du principat de Philippe le Beau, de la plus marquante peut-être, de la plus durable sans aucun doute, coulée en forme législative. L’innovation demeure toutefois relative. En effet, le Grand Conseil (de justice) reste naturellement avant tout un réceptacle de juristes, mais la noblesse n’en est pas exclue qualitate qua. En 1494-1496, les textes normatifs auliques y désignent cinq «chevaliers», ou ridders, soit des nobles, et y prévoient sept «personnaiges clers», ou geleerden persoonen, au titre de maîtres des requêtes24. Sans préjudice de sa nature et de ses fonctions propres de haute cour - suprême, dirions-nous aujourd’hui -, l’activité autonome qui est sienne ne le fait pas bénéficier d’une totale indépendance, même après l’acte «refondateur» de 1504. Des liens organiques continuent à l’unir «au» conseil, en l’occurrence de Philippe le Beau puis du jeune Charles Quint dans les Pays-Bas. Le cordon ombilical a pu se distendre: il ne s’est pas rompu. On n’ignorera pas la persistance d’une collaboration voire d’une imbrication entre des corps de même souche, fussent-ils plus spécialisés que jamais. Et le constat n’est pas moins flagrant, loin s’en faut, si on se tourne vers les finances. C’est sous la minorité de l’archiduc Philippe qu’un conseil financier paraît bien cristalliser des fonctions précédemment attestées, depuis plusieurs décennies, en la personne de collaborateurs des princes bourguignons, baptisés alors des noms de surintendants ou commis(saires). Une ordonnance de Maximilien et, nominalement bien sûr, de son fils - réglemente en date du 26 décembre 1487 le «conseil de nosdictes finances»25. Le ton est donné, non seulement parce que se fait jour ici, dans la continuité plus que dans la «création», une dénomination vouée à une longue destinée26, mais aussi parce que sont associés dans un même sérail: des nobles, en l’espèce six «seigneurs», hommes de la «grande» nobles-

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Cf. J. VAN ROMPAEY, De Grote Raad van de hertogen van Boergondië en het Parlement van Mechelen, Bruxelles, 1973. Recueil des ordonnances des Pays-Bas. 2e série: 1506-1700, t. I, édit. Ch. LAURENT, Bruxelles, 1893, p. 76-77. Cf. A.J.M. KERCKHOFFS-DE HEIJ, De Grote Raad en zijn functionarissen 1477-1531. CHMEL, Urkunden, Briefe und Actenstücke, p. 543. HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 10v. WALTHER, Die Burgundischen Zentralbehörden, p. 193-195; l’expression y figure deux fois, p. 193 (art. 1) et 194 (art. 9). Cf. M.-A. ARNOULD, Les origines du Conseil des finances des anciens Pays-Bas, dans Revue du Nord, t. LIV, 1972, p. 108-109.

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Des desseins monarchiques se27 parfaitement identifiés, des techniciens, dits antérieurement déjà «commis des domaines et finances», au nombre de deux seulement, non identifiés dans le texte et subordonnés aux «seigneurs», ainsi qu’un greffier. Le conseil, ou mieux la commission, ainsi défini(e) va vivre en mutation constante jusqu’à une stabilisation durable des grandes charges financières, intervenue en 149928. Le 3 décembre de cette année-là, des lettres patentes de trésorier général unique des domaines et finances29 - au lieu de quatre alors en fonction - sont délivrées à Jérôme Lauwerin, un technicien, subordonné au dignitaire ou «chef» coiffant l’administration des finances, l’ecclésiastique François de Busleyden, auquel succédera plus tard Guillaume de Croÿ. La formule adoptée alors privilégie donc résolument l’individualité, au détriment d’une collégialité plus caractéristique de la tradition bourguignonne. Les liens organiques persistants déjà mentionnés dans l’entourage du prince sont mis en valeur par une lettre de Maximilien en date du 30 septembre [1496]30. Elle distingue clairement l’existence, d’une part, d’un «grant conseil et des finances», d’autre part, d’un «conseil privé». Les responsabilités financières, laisse entendre le document, demeurent bien exercées par des hommes appartenant à un plus vaste ensemble fédérateur, où la haute noblesse occupe généreusement le terrain; Philippe de Bourgogne-Beveren, alors «chief et superintendent des finances», est nommément cité, ainsi que deux trésoriers en exercice. Mais le même texte confirme surtout l’existence effective de ce conseil privé, geheime raad, appelé réellement à la vie, semble-t-il, à la majorité de Philippe le Beau, même s’il en existe quelques prémices sous des formes sans doute fort peu strictes. Dans la foulée de ses pouvoirs au sein d’un conseil de 1494 dit regenterie, tenu alors de suivre le jeune prince dans ses déplacements, Engelbert de Nassau le préside alors, en «chief». Le premier texte, dont la date demeure inconnue, mais que nous situerons en 1495/96 au plus tard, par lequel Philippe organise son hôtel comporte une rubrique «conseil privé»31: là, en la présence comme en l’absence du prince, «se despescheront toutes matieres quelles qu’elles soient non concernans la justice»; les quatorze membres qui le composent sont exactement les mêmes que ceux du raedt... die men heet de regenterie, établi quelques mois plus tôt, sous la houlette et le regard de Maximilien, et désormais bien relayé32. L’ordonnance suivante de l’hôtel, de mars 1497, ne laisse planer aucun doute à ce sujet: le «conseil privé» est celui «qui se tient en notre maison»33. D’une composition plus restreinte que le large «grand conseil», c’està-dire le conseil aulique, auquel paraissent globalement intégrés, qualitate qua,

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Sur cette qualification et son caractère relatif, cf. CAUCHIES, «Grands» nobles, «petits» nobles et non-nobles... On a tenté ailleurs, après d’autres historiens, de dénouer l’écheveau de cette évolution complexe, pleine d’avancées et de repentirs: CAUCHIES, «Croit conseil» et ses «ministres»… WALTHER, op. cit., p. 61. HHSA, Maximiliana, carton 42, IV/1; cf. CAUCHIES, «Croit conseil»... HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 9r.-v. CHMEL, op. cit., p. 542-544. Etat de l’hôtel de Philippe-le-Bel, duc de Bourgogne, en l’an 1496, à Bruxelles, édit. de REIFFENBERG, p. 680.

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«Enfant terrible» de la politique européenne les chevaliers de l’ordre de la Toison d’or, aux côtés du chancelier, de légistes et d’autres hauts fonctionnaires, le conseil privé est alors structuré. A l’instar du conseil aulique (Henri de Berghes), du Grand Conseil de justice, de la commission financière, il dispose en propre d’un président. Des juristes y côtoient des nobles, ainsi que l’atteste l’ordonnance du 22 janvier 1504 pour le Grand Conseil (de justice) de Malines, qui l’intitule «nostre conseil estant lez nous». A plus long terme, cette dualité hommes de sang / hommes de droit déterminera la partition de 1531 entre Conseil d’Etat et Conseil privé de Charles Quint, le Conseil des finances, troisième des conseils dits «collatéraux» ou de gouvernement central alors organisés, perpétuant pour sa part des charges et tâches relatées plus haut. Moins d’un an après la disparition de Philippe le Beau, tandis que s’organisera la régence de Marguerite d’Autriche dans les Pays-Bas, des instructions de Maximilien (10 août 1507) porteront témoignage, d’une manière particulièrement limpide, de la «diversité» des conseils en activité. Elles confieront d’abord à «ceulx du conseil secret par nous ordonnéz en nostre païz bas» le soin d’assister la princesse dans l’exercice de son gouvernement et elles feront de Jacques de Bade, archevêque-électeur de Trèves, le chef de «ceulx du grant conseil», en lui attribuant par ailleurs la charge de chancelier des Etats bourguignons, avant de mentionner un conseil des finances désormais plus étoffé. Et de poursuivre: «Item aussy que ainsy soit que sans ledit conseil secret - c’est-à-dire privé - , il y a plussieurs aultres conseilz ordonnéz en nosdis païz, lesquelz, selon l’exigence du cas et difficultéz des matieres, ledit nostre cousin - Jacques de Bade ensemble nostreditte fille pouront evocquer et assembler et a toutez les affaires les employer et mettre en oevre»34. Depuis longtemps, les historiens l’avaient noté: les corps formellement mis en place sous le fils se sont nourris en fait de la sève qui coulait déjà sous le père. Le principat de Philippe le Beau sera donc le moment crucial pour la mise en place définitive des conseils de «l’Etat» des Pays-Bas modernes. La cohérence nécessaire entre ces organes de gestion de plus en plus spécifiques paraît avant tout bien assurée par l’appartenance simultanée de certains «ministres» à plusieurs corps. Un précieux article de l’ordonnance aulique de [1495/96] nous met devant les yeux le poids des hommes dans le fonctionnement des rouages. N’y est-il pas écrit que - sans préjudice, ajouterons-nous, d’une ventilation des compétences - cinq personnes «pourront entrer en tous noz consaulx, avec nous et sans nous, quant bon leur semblera»? Ce sont, outre le chancelier, à l’époque Jean Carondelet, quatre «barons» du régime, bien campés dans notre galerie de portraits: Jean de Berghes, Philippe de Bourgogne-Beveren, Henri de WitthemBeersel et le prévôt de Liège, c’est-à-dire Busleyden35. Un dernier volet du parcours institutionnel retiendra l’attention en marge des conseils, là où prennent forme de larges pans de la gestion consécutive à la décision, sous la houlette des gens des comptes.

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ADN, B 18827/24661 (6e registre des lettres missives, f. 159r.-160r.). HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 11v.

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7. Douai - Bibliothèque municipale, ms. 1110, f. 502v. Miniature (XVIe s.): portrait tiré d’une chronique illustrée des comtes de Flandre.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Au cours de leur déjà longue histoire, les chambres des comptes des états bourguignons avaient subi une mémorable réforme quand, en décembre 1473, Charles le Hardi avait fusionné celles de Flandre (Lille) et de Brabant (Bruxelles) en un seul rouage central, siégeant à Malines. La mesure avait été dictée par deux objectifs: économiser, unifier. Dès mars 1477 toutefois, la dissolution de la chambre malinoise avait entraîné le rétablissement de trois institutions autonomes, à Lille, Bruxelles et La Haye, situation antérieure à 1463, lorsque la chambre des comptes de Hollande avait déjà été réunie à son aînée brabançonne. C’est aussi sans doute aux mêmes ressorts qu’il convient d’imputer le nouvel essai de fusion des trois chambres réalisé à la fin de 1496 sous la houlette de Philippe le Beau. De cette année semble dater un rapport anonyme, probablement émané de hauts fonctionnaires des finances, attirant l’attention du prince, chiffres à l’appui, sur le net déficit des recettes de domaines et d’aides par rapport au montant des dépenses consenties, en particulier pour l’hôtel et les gens d’armes36. Par ailleurs, les débuts du gouvernement personnel de Philippe baignent dans un climat centralisateur insufflé par les mesures politiques et institutionnelles arrêtées sous Maximilien. Et l’exemple de l’aïeul Charles, fût-il vieux d’un quart de siècle, est bien présent aussi en toile de fond, en des termes explicites. La mutation, toutefois, sera lente et de courte durée37. Le 27 avril 1496, la décision de fusionner est notifiée par écrit aux chambres des comptes et est rendue exécutoire pour la fin du mois de mai. Mais des instructions identiques doivent être répétées, non sans légitime courroux, en juillet, août et septembre. Des résistances se sont en effet manifestées au sein des Etats de Brabant, de Flandre et de Hollande contre pareil transfert dans une seigneurie «étrangère», particularismes obligeant. On fait aussi valoir des difficultés d’installation, de rangement des archives. Les fonctionnaires lillois proposent même une compensation financière si on ne les contraint pas à déménager38! Le fait que, durant cet été, l’archiduc soit en voyage dans l’Empire ne facilite pas les choses et le lieutenant général Engelbert de Nassau a de toute évidence, en plaidant auprès du prince la bonne foi des fonctionnaires et en quémandant un peu de patience, le souci de ménager les points de vue divergents. «Vous n’estes pas a eulx - les Etats - ains a nous»39, écrit notamment Philippe aux gens des comptes bruxellois: il sait clairement baliser son autorité quasi monarchique et affirmer que les institutions sont siennes. Enfin rendue opérante pendant l’automne 1496, la Chambre des comptes de Malines va cesser comme telle ses activités quelque quinze mois plus tard, l’ex-

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Ibid., f. 21r.-22v. E. AERTS, Geschiedenis en archief van de rekenkamers, Bruxelles, 1996, p. 108-112. M. JEAN, La Chambre des comptes de Lille (1477-1667): l’institution et les hommes, Paris, 1992, p. 140. L.-P. GACHARD, Inventaire des archives des chambres des comptes, t. I, Bruxelles, 1837, p. 127.

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Des desseins monarchiques périence ayant avorté bien plus vite que celle de 1473-1477, et en l’espèce sans catastrophe militaire et dynastique. A partir de février 1498, les membres transférés à la nouvelle chambre sont invités à réintégrer leurs pénates respectifs dans de brefs délais. Pour quels motifs? «Certaines raisonnables causes»... La résistance des assemblées d’Etats a dû venir à bout de la détermination d’un jeune prince qui paraît certes avoir eu la réforme à cœur mais qui devait surtout préserver un état de grâce politique. C. La représentation des sujets40 D’après le relevé établi par les soins de Robert Wellens, le temps du gouvernement personnel de Philippe le Beau a vu se tenir vingt-cinq assemblées des Etats généraux, la première en juin-juillet 1495, la dernière - qui se soit ouverte du vivant du jeune prince - en septembre-octobre 150641. Quinze d’entre elles se sont déroulées, en tout ou en partie, à Bruxelles. Deux seulement ont eu lieu dans le comté de Flandre, à Gand, tandis qu’à la fin du principat, Malines fut retenue à cinq reprises (sur huit assemblées entre janvier 1503 et septembre 1506); là encore allaient se tenir, dès octobre et novembre-décembre 1506, les deux premières réunions de l’ère «post-philippine», sur la régence des pays et la tutelle des enfants. Au total, ce sont vingt-trois sur vingt-six sessions que l’ensemble territorial Brabant-Malines a accueillies. Cet état de choses trahit bien la localisation des centres moteurs dans les états bourguignons autour de 1500. La périodicité des assemblées, parfois découpées en plusieurs phases espacées42, demeure irrégulière, assujettie aux besoins. Plus de douze mois peuvent s’écouler, ainsi entre novembre 1501 et janvier 1503, novembre 1503 et janvier 1505, et surtout mai 1499 et décembre 1500. Il est des années fastes, telles 1501, avec cinq, ou 1505, avec quatre sessions. S’il est vrai, dit-on, que les peuples heureux n’ont pas d’histoire, les pays sans écueils n’ont peut-être pas besoin de grandes concertations... Aux absences prolongées de Philippe correspondent des temps faibles. Une assemblée aborde en avril 1496 la question de son voyage très prochain en Allemagne, mais aucune autre n’a lieu pendant ce dernier. Lors du grand périple de novembre 1501 à novembre 1503, deux réunions seulement se tiennent, et c’est pour faire face, au début de l’année 1503, à des demandes financières de l’empereur Maximilien. Après le second départ pour l’Espagne, il faut attendre plus de huit mois pour qu’une session soit convoquée, poursuite de la guerre en Gueldre oblige. La participation atteste de la véritable nature «générale» des Etats. Brabant, Flandre, Hainaut, Hollande sont quasiment toujours là, les délégués de LilleDouai-Orchies, Artois (tardivement), Zélande, Namur et Malines régulièrement

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Les travaux essentiels exploités ici sont ceux de R. WELLENS, Les Etats généraux (1974), p. 235-279, et de W.P. BLOCKMANS, De volksvertegenwoordiging in Vlaanderen (1978). WELLENS, op. cit., p. 481-519 (p. 483: corriger «novembre» en «décembre» - cf. p. 238-239; p. 492: corriger «3 janvier» en «31 janvier» - cf. p. 246). Ainsi celle de Bruxelles, en trois phases, entre août 1495 et mars 1496, que l’on peut à bon droit comptabiliser pour une seule session en raison de l’unité parfaite de lieu et d’objet.

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«Enfant terrible» de la politique européenne présents, ceux du Limbourg et du Luxembourg exceptionnellement; même la Frise apparaît, par à-coups. Encore faudrait-il introduire des nuances entre les trois composantes traditionnelles des mêmes Etats. Nul territoire ne «boude» totalement ni ne «capte» les sessions. Il arrive d’ailleurs que le prince manifeste son courroux devant des absences, comme celles de députés brabançons et hollandais à la réunion de décembre 1500 à Bruxelles, préalable au départ projeté pour l’Espagne43. Les questions traitées, tributaires des «secteurs de compétences» reconnus de facto aux Etats, se résument en quelques mots clés: Jeanne, Marguerite, France, Gueldre, monnaies, voyages. Tout cela, aides financières accordées au prince, à son épouse ou à sa sœur, coût de la guerre et option de la paix (traité de Paris de 1498), politique de redressement monétaire, alimente tour à tour les débats. En suivant le fil des assemblées, on perçoit combien la politique du jeune Habsbourg coïncide avec les desiderata des sujets ou parvient en tout cas à recueillir leur adhésion. Entre gouvernant et gouvernés prédomine désormais un climat de consensus, bien éloigné sans doute de celui des années -70 et -80. Ainsi en 1496-1497, Philippe sollicite-t-il une aide pour la défense armée des PaysBas contre la menace gueldroise. Il sait que cette demande cause une gêne profonde, que les délégués aux Etats et leurs mandants répugnent à la guerre et aspirent à la paix. Pourtant il s’impose, arrache la promesse d’aide, mais s’engage à en suspendre la levée en cas d’arrangement, donc à négocier au préalable avant tout affrontement. Quand, après la conclusion du traité d’août 1498 avec Louis XII, il doit faire face aux protestations et aux pressions de son père, l’archiduc réunit en décembre suivant les Etats généraux, leur adresse un discours, plaidoyer pour la paix, et suscite évidemment leur approbation, confortant par là sa position dans les Pays-Bas et refoulant avec d’autant plus d’aplomb et de conscience du bien public les encouragements bellicistes de Maximilien. Philippe tient aussi à montrer par là qu’il ne veut ni ne peut, dans pareille conjoncture, se passer des Etats et faire fi de leur avis. D’ailleurs, qui paierait la note?... Néanmoins Philippe le Beau, à l’instar de ses prédécesseurs, n’a pas toujours, loin de là, course gagnée d’avance. Lorsqu’en mars 1505, il réclame une somme énorme de 40.000 florins, à payer en quatre ans, pour contribuer au financement de son second voyage vers l’Espagne, il se heurte à de sérieuses réticences: on proteste, les villes surtout, on invoque les aides déjà en cours, les subsides précédemment engagés. Et pourtant le nouveau roi de Castille s’obstine - quelle autre attitude pourrait-il adopter? - et il obtient gain de cause. De toute évidence, il sait se montrer convaincant et tirer parti d’un préjugé favorable auprès de ses administrés. Sans doute démontre-t-il - ironie pour qui connaît l’histoire future des anciens Pays-Bas! - que l’héritage castillan doit servir les intérêts bourguignons et ne peut à aucun prix être hypothéqué pour cause de mesquine pingrerie... A contrario, la demande de financement introduite en août 1506 pour la levée de près de dix mille hommes face à la menace militaire franco-guel-

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WELLENS, op. cit., p. 251-252.

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Des desseins monarchiques droise ne vaut au lieutenant général Guillaume de Croÿ que des atermoiements et, tout au plus, le mois suivant, un consentement mou, partiel et fragile. Mais Philippe, qui vivait alors ses dernières semaines en Castille, n’était plus là pour plaider personnellement la cause. La part active prise par les Etats généraux dans la négociation ou la conduite de grandes affaires publiques ne peut faire oublier que cette assemblée demeure statutairement une délégation des Etats repectifs des différents pays du prince. Les gens d’Artois le font bien savoir quand, fin septembre 1501, ils protestent contre une demande d’aide directement formulée devant les députés à Bruxelles sans passage préalable par les Etats de leur comté44. Une fonction classique et continue des assemblées d’Etats dits commodément provinciaux tient en l’inauguration du nouveau prince. En décembre 1494, notamment, Philippe le Beau réunit dans ce but les Etats de Hollande et de Frise occidentale, in grooten ende suffisanten getale, à Geertruidenberg plutôt qu’à La Haye et, précisons ce détail anecdotique, dans une auberge dénommée De Wildeman - il n’était que de passage et ne comptait pas séjourner dans le bourg -. Il les abreuve d’une déclaration politique de grand poids sur sa détermination à ne pas ratifier dans son ensemble un privilège extorqué par le pays à sa mère en 1477; le serment est alors prêté par l’archiduc à l’adresse des gedeputeerden van den Staten der landen van Hollant ende Vrieslant et est suivi du serment réciproque des ridderscippen, steden ende platte landen van Hollant ende van Vrieslant45. La Flandre, pour sa part, ne va pas bénéficier, en dépit de démarches dans ce sens, d’une inauguration avec présence physique du «nouveau» maître. Le 26 décembre 1494, à Gand, ce sont en effet deux «ministres» de très haut rang, princes du sang, le marquis de Bade et le comte de Nassau, qui, flanqués d’autres conseillers archiducaux, viennent prêter par procuration le serment dû par Philippe, «empêché», c’est-à-dire, à l’instar de son père, peu désireux sans doute de visiter une grande ville qui, voici quelques années encore, agitait l’étendard de la révolte. Il faut noter toutefois que les Etats de Flandre, partie prenante dans la procédure, se sont vu préalablement délivrer des lettres de non-préjudice: «ladicte recepcion par ambassadeurs et commis ne sera tiree a consequence pour le temps a venir»46. La publication systématique des extraits de comptabilités de villes et châtellenies flamandes relatifs aux activités représentatives dans le comté permet de se faire une idée précise de ce qu’on y discutait47. Il s’agit plus souvent ici des Membres (Leden), au nombre de quatre (villes de Gand, Bruges, Ypres et, rétablie à ce titre depuis 1489, châtellenie du Franc de Bruges) que des Etats (Staten), c’est-à-dire d’une délégation plus complète et plus conforme du pays, avec noblesse et clergé.

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Ibid., p. 257. SMIT, Vorst en onderdaan, p. 68, 240-241, 568-569. BLOCKMANS, Volksvertegenwoordiging, p. 317. CAUCHIES, La signification politique des entrées princières, p. 24-25. Handelingen van de Leden en van de Staten van Vlaanderen 1477-1506; cf. t. II, p. 681 sq.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Aux menus ordinaires des réunions tenues en Flandre et des démarches entreprises à l’extérieur auprès de Philippe (bij mijnen ghenadeghen heere) et de ses collaborateurs - 241 notices de toutes ampleurs ont pu être établies entre septembre 1494 et septembre 150648 -, l’octroi des aides se taille une part de choix parmi les matières concernant directement les rapports avec le prince: il en est explicitement question à 98 reprises. La monnaie, les relations commerciales avec l’Angleterre, la paix avec la France et la Gueldre concentrent aussi le regard. L’archiduc n’assiste évidemment pas toujours à ces innombrables sessions, séances ou simples contacts; il est toutefois présent dans près de 30 % des cas, un record par rapport à ses prédécesseurs (moyenne générale: 17 %)49. Mais une abondante correspondance entretient de toute façon les liens entre acteurs régionaux ou locaux et auxiliaires du pouvoir central. Les frais encourus par les villes et châtellenies en relation avec ces activités reflètent aussi les échanges entre assemblées flamandes et, un échelon plus haut, Staten van allen zijnen [l’archiduc] landen. D. Un modèle pour l’exportation? Une question de modèle, d’influence, de démarche comparative a fait couler beaucoup d’encre dans la littérature historique allemande et autrichienne: le système institutionnel bourguignon, recueilli et adapté sous Maximilien puis encore Philippe le Beau et reposant sur des options fortes de spécialisation et de centralisation, a-t-il réellement inspiré l’œuvre réformatrice entamée au cours de la dernière décennie du siècle par le monarque du Saint Empire dans ses pays patrimoniaux? Administrateur et guerrier sans cesse talonné par des contraintes financières, il aurait trouvé dans les Pays-Bas un «système» moderne de gestion et de fiscalité, plus susceptible de répondre à ses besoins que les usages des principautés habsbourgeoises. N’avait-il pu, quoi qu’il en eût coûté aux sujets, tenir ainsi la dragée haute au redoutable ennemi français et pacifier à l’intérieur les états de son fils? A l’issue - provisoire? - de débats entamés voici plus d’un siècle, l’opinion dominante actuelle est plutôt négative: les sources ne révèlent rien, les parallèles demeurent peu probants, la fixation des institutions bourguignonnes est à tout le moins contemporaine, voire tardive - majorité de Philippe le Beau, gouvernement de Charles Quint - par rapport à la réalisation des réformes autrichiennes50. A contre-courant toutefois, Hermann Wiesflecker affirme encore la réalité de cette influence (das burgundische Vorbild), en se référant en particulier à des arguments d’ordre terminologique et personnel: identité de termes par traduction fidèle dans les structures, les fonctions et les pratiques, échanges de techniciens de l’administration entre les deux contrées51.

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Mais le principat de Philippe le Beau reste le moins fourni depuis un siècle en nombre d’assemblées, selon les estimations nuancées de BLOCKMANS, op. cit., p. 194 sq. Ibid., p. 217. Deutsche Verwaltungsgeschichte, édit. K.G.A. JESERICH e.a., t. I: Vom Spätmittelalter bis zum Ende des Reiches, Stuttgart, 1983, p. 476. H. WIESLECKER, Kaiser Maximilian I., II, p. 198-199 (avec, p. 176-177, un aperçu de la vieille controverse).

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Des desseins monarchiques A vrai dire, cette démonstration nous laisse perplexe. Si un transfert, un emprunt est concevable sur tel ou tel point de détail, notamment dans les techniques comptables52, des mots usités (chambre des comptes, trésorier, état,... par exemple) ne présentent aucune spécificité par rapport à des systèmes tiers et, pour ce qui concerne les séjours réciproques de fonctionnaires, deux, ou même quatre, hirondelles ne font pas le printemps... Les potentialités du Tyrol et des niederösterreichischen Länder (Autriche, Styrie, Carinthie, Carniole) requéraient-elles vraiment de surcroît un appoint étranger pour que, désormais rassemblés, ils fussent mieux organisés? 2. La naissance d’une tutelle communale L’édition, l’analyse et l’exploitation d’une ordonnance de Philippe le Beau pour la ville hainuyère de Valenciennes, en date du 8 mars 1498, nous a précédemment ouvert des perspectives sur la politique menée par le prince à l’endroit des villes durant les années de sa majorité53. Elle fut très tôt clairement identifiée comme une «réformation». Elle est un témoignage, privilégié sans doute par son ampleur mais non isolé par sa nature, des interventions du pouvoir central qui trouvent alors place dans la gestion locale. On y discerne un effort jusque-là inégalé de mise sous tutelle administrative et financière des autorités communales. Il y aurait lieu de mener à ce propos une étude globale et matière abondante pour le faire. De l’examen de «cas», on passerait alors à une vue d’ensemble. Nous voulons ici en poser seulement quelques jalons, d’autant plus que la question n’a évidemment pas laissé indifférents des historiens des villes. Le poids fiscal pour les villes des Pays-Bas, résultant en ordre principal des guerres intestines autant qu’extérieures qui avaient assombri les temps de gouvernement de Charles le Hardi et de Maximilien, a engendré dans plus d’une d’entre elles une situation parfois inextricable de difficultés voire de quasi-cessation de paiement. En particulier et en cumul éventuel avec d’autres dettes, le service défectueux des intérêts annuels dus aux acheteurs de rentes vendues par les communautés urbaines et assises sur leur patrimoine entraîne, là où sont domiciliés les créanciers, mises sous séquestre de marchandises voire emprisonnements de marchands bourgeois des villes débitrices. Obtenir du prince des lettres de sursis ou de protection est chose possible mais ne résout fondamentalement rien. Parmi les premiers bénéficiaires sous la majorité de Philippe, voici les bourgeois d’Amsterdam (10 novembre 1494), dispensés de payer (in state ende suspencien te betalen) tous arrérages, quels qu’en soient les crédirentiers, pendant un an54. Une telle mesure est aussi promulguée en faveur des Brugeois le 11 décembre 1494 dans l’ensemble des pays de l’archiduc, et ce pour une durée de sept années, portée ensuite à huit (1496/97); le prix à payer est toute-

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Cf. op. cit., V, p. 209 (et p. 702 n. 21). J.-M. CAUCHIES, Un règlement de tutelle... La conjoncture est décrite par ID., Potere cittadino..., p. 36-39. I. PRINS, Het faillissement der Hollandsche steden: Amsterdam, Dordrecht, Leiden en Haarlem in het jaar 1494, uit de wordingsgeschiedenis van den Nederlandschen Staat toegelicht, Amsterdam, 1922, p. 35-39.

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«Enfant terrible» de la politique européenne fois déjà l’assujettissement de la ville à un règlement détaillé relatif à ses dépenses55. En mars 1497, Philippe le Beau invite les Tournaisiens à ne plus saisir de bateaux gantois, mais à rechercher plutôt avec la grande ville scaldienne flamande une solution à l’amiable touchant le paiement des rentes, par son intermédiaire d’ailleurs56. En Flandre encore, on le voit consentir aux habitants d’Oudenburg l’usage, en matière de dettes, des mêmes moyens de droit que les habitants de la châtellenie voisine du Franc de Bruges pouvaient faire valoir à leur égard (23 août 1496)57. Les quelque douze années du principat à part entière de Philippe le Beau ne constituent plus pour les villes importantes des Pays-Bas - en dépit des aides toujours requises - une ère de conflits menaçants, si l’on excepte pour un moment la brabançonne Bois-le-Duc, sur pied de guerre en 1504/05 en raison de la campagne archiducale en Gueldre proche58. Les affrontements passés en ont cependant affecté beaucoup, au cours des tristes années antérieures au «renversement de tendance» de 1492/9459. Opposition ou soutien armés à Maximilien, en Flandre, en Brabant et ailleurs encore, poursuite de la querelle interminable et sans cesse réanimée des Hoeken et des Kabeljauwen en Hollande, instabilité politique dans la principauté épiscopale d’Utrecht voisine et satellite: de répit pour les villes et pour le plat-pays, il ne pouvait guère en être alors longtemps question. Le retour d’une paix sûre ne règle d’ailleurs pas tout, les séquelles seront longtemps perceptibles, populations déplacées, habitats détériorés, pardessus tout caisses amplement vidées. Comme l’expriment les textes réglementaires, les moyens disponibles doivent être mis en œuvre pour «ressourdre», c’est-à-dire redresser l’état de choses ambiant60. Les mesures détaillées dans les règlements imposés sont diverses et touchent à mille et une facettes de la conduite des affaires communales, tantôt capitales, tantôt anodines - mais les petits ruisseaux ne font-ils pas les grandes rivières? -: ventes d’offices, produit des amendes, recettes du drap, frais de guet, de bouche ou d’éclairage, dons en nature et présents de vin, frais d’ambassades et de missions, d’artillerie ou de processions, etc. Réduire les dépenses, accroître les recettes, en tout genre, cela figure évidemment au programme. Les enjeux essen-

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GILLIODTS-VAN SEVEREN, Inventaire des archives de la ville de Bruges, VI, p. 385-397, 423-424. G. PREUD’HOMME, Extraits des registres des consaux de la ville de Tournai (1489-1499), dans Mémoires de la Société royale d’histoire et d’archéologie de Tournai, t. II, 1981, p. 104. Coutumes des pays et comté de Flandre. Quartier de Bruges. Coutumes des petites villes et seigneuries enclavées, t. IV, édit. L. GILLIODTS-VAN SEVEREN, Bruxelles, 1892, p. 399-400. Cf. L.F.W. ADRIAENSSEN, Militarisme en seksisme te ‘s-Hertogenbosch in het begin van de moderne tijd, dans Noordbrabants historisch jaarboek, t. IX, 1992, p. 135. CAUCHIES, Les Pays-Bas en 1492, p. 42. A Valenciennes, le texte de 1498 sera baptisé «reformation et resours»; à Bruges, on écrira qu’il faut «ressourdre» la ville tout en veillant à «contenter ceulx ausquelz elle doit»; à Ath et à Bergues (cf. infra), le prince souhaite respectivement «le ressourse et entretenement» (17 juin 1506), «le soulagement, reedifficacion - la petite ville flamande a été affectée par un grave incendie - et ressoursse» (26 novembre 1496). Pour les villes septentrionales, chiffres à l’appui, cf. J.D. TRACY, Holland under Habsburg rule, 1506-1566. The formation of a body politic, Berkeley, Los Angeles et Oxford, 1990, p. 24-31.

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Des desseins monarchiques tiels demeurent cependant la charge des rentes et la levée des impôts. Quelles que soient les contraintes qu’entraînent celles qui sont déjà en cours, de nouvelles émissions de rentes constituent souvent un impératif. Un accroissement des impôts existants, des accises en particulier, en est un autre. Le recours à l’emprunt forcé auprès des bourgeois est une pratique elle aussi en usage, ainsi qu’on le vit antérieurement à Gand pour le paiement de l’amende imposée à la ville rebelle par la paix de Cadzand de juillet 149261. Populaires ou non - on devine ici l’appréciation dominante... - , les décisions arrêtées visent à enrayer la solvabilité décroissante des communautés urbaines. Il y va de la sauvegarde de l’artisanat et du commerce, de la prospérité d’un bourg ou de ce qu’il en reste. Il s’agit aussi, pour le pouvoir, de mieux assurer le versement des aides et, par conséquent, de contraindre les villes à être en mesure d’y satisfaire, par la maîtrise de leurs charges financières. Certains soucis n’offrent rien de neuf. Certaines solutions potentielles non plus. Qu’est-ce qui fait alors la spécificité du temps court cerné dans ces pages? C’est une intrusion promptement plus marquée du pouvoir central. Jusqu’au milieu de l’ultime décennie du siècle, les bourgeoisies et leurs dirigeants ont gardé une ample liberté d’action dans le traitement de leurs «problèmes d’argent». Désormais, les voici destinataires des prescriptions d’un gouvernement, dépourvus d’une indépendance financière et fiscale jusqu’alors encore assez extensible. Ils ne se rebiffent pas, cependant, et, conscients de la déchéance qui les guette, ils sollicitent même des interventions que le prince et les siens, baignant dans leurs desseins monarchiques, ne dédaignent évidemment pas. Le règlement de Valenciennes, en 1498, résulte, avec l’approbation du grand conseil local, d’une démarche du magistrat (la «loi»), soit des prévôt, jurés et échevins soucieux de dresser, selon un mot partout usité, l’«estat» de la ville, et d’y remédier. A Bergues(-Saint-Winoc), les autorités ont élaboré, près de six ans plus tôt, «certain advis et moderation» détaillé sur les dépenses publiques, dont un usage prolongé va leur être consenti par l’archiduc, dans un texte assorti de quelques nouvelles clauses, pour une durée de douze ans (26 novembre 1496)62. A partir de 1490, le magistrat de Leyde met plusieurs fois sur pied une commission d’enquête au sujet des finances communales, mais les résultats atteints demeurent ténus. Devant ce manque d’efficience, les choses sont prises en main au niveau du prince lui-même et diverses mesures d’économie sont imposées en octobre 1497. Autre ville hollandaise en très précaire santé, Haarlem voit cette même année rédiger dans ses murs un premier «état» (staat ou staet), puis un second quatre ans plus tard63.

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M. BOONE, De Gentse verplichte lening van 1492-1493, dans BCRH, t. CXLVII, 1981, p. 247305. Privilèges et chartes de franchises de la Flandre, t. I: Actes généraux et Flandre française (Première partie), édit. † G. ESPINAS, Ch. VERLINDEN et J. BUNTINX, Bruxelles, 1959, p. 118-123. J.W. MARSILJE, Les modes d’imposition en Hollande, 1477-1515, dans PCEEB, n° 28, 1988, p. 163-164; H. BRAND, Over macht en overwicht: stedelijke elites in Leiden (1420-1510), Louvain, 1996, p. 47-48.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Le gouvernement fait appel à des techniciens, membres des institutions centrales, auxiliaires des services archiducaux: un maître des requêtes de l’hôtel, un maître d’une chambre des comptes et un secrétaire du prince à Valenciennes, les juristes du Grand Conseil de justice Philippe (Filips) Wielant, maître des requêtes, et Jean Rousseau, procureur général, à Haarlem. De tels commissaires peuvent être amenés, comme ils vont le faire en Hollande et en Frise occidentale en 1494, à enquêter, parcourant villes et villages, à la recherche des données utiles à l’établissement d’un bilan démographique et immobilier, interrogeant des témoins sur le poids des impôts et répertoriant des signaux alarmants pour l’activité économique64. La mainmise de l’autorité centrale des Pays-Bas sur l’administration des corps de villes se traduit bientôt, conjointement aux recommandations ou restrictions financières, par des réformes institutionnelles intra muros. Sous couleur d’épargne et d’efficacité - objectifs réels, s’il en est - , les mesures prises renforcent tout particulièrement le contrôle, la surveillance politique des lieux par les soins, notamment, des commissaires déjà mentionnés, dont les tâches s’apparentent à celles de véritables curateurs. Les interventions de Philippe le Beau et de ses «ministres» semblent légion. A Bruxelles (1503), fait inédit depuis deux siècles, on supprime des charges et on comprime des gages65. A Louvain, l’archiduc désigne des membres du magistrat hors de la liste des candidats proposés (1495), puis il substitue deux financiers locaux aux quatre receveurs communaux en fonction66. En 1495 encore, les échevins de Furnes - mais il est dit ici que c’est à leur requête - se voient adjoindre un collège de six conseillers pour les assister dans leurs tâches67. Des bouleversements introduits à Bois-le-Duc dès 1494 traduisent une volonté politique de restreindre le rôle des métiers et de confier à un patriciat favorable au prince l’essentiel de l’autorité dans la ville; les conditions du choix de deux bourgmestres et l’extension de leurs compétences trahissent les intentions d’une réforme qui se soldera d’ailleurs par un échec, en dépit de la qualité des acteurs descendus sur le terrain, dont Thomas de Plaine, alors président du Grand Conseil de justice, et Baudouin de Lannoy-Molembaix, second chambellan de l’archiduc. Changement de cap en 1499, avec l’installation d’un collège de six personnes, dits goede mannen et plus tard gecommitteerden, auxquels est confiée sans réserves, comme sous blanc-seing, la haute main sur la direction des affaires financières: le prince approuve la nouvelle méthode adoptée et pourvoit les Bosschenaars de textes réglementaires (26 août et 28 septembre) pour

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CAUCHIES, Un règlement de tutelle..., p. 88; MARSILJE, op. cit., p. 169-170. C. DICKSTEIN-BERNARD, Bruxelles, résidence princière (1375-1500), dans M. MARTENS (dir.), Histoire de Bruxelles, Toulouse, 1976, p. 162. R. VAN UYTVEN, 1477 in Brabant, dans W.P. BLOCKMANS (dir.), 1477. Le privilège général et les privilèges régionaux de Marie de Bourgogne pour les Pays-Bas, Courtrai-Heule, 1985 (Anciens Pays et Assemblées d’Etats, LXXX), p. 266; L. DE MECHELEER, Leuven, Antwerpen en het centraal gezag (1477-1506). Een bronnenexploratie, dans Bijdragen tot de geschiedenis, t. LXXIX, 1996, p. 157-158. BLOCKMANS, De volksvertegenwoordiging in Vlaanderen..., p. 80.

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Des desseins monarchiques l’acquittement de leurs dettes et arrérages de rentes, en les protégeant pour un terme de huit puis douze ans de toutes poursuites et arrestations68. Pour Leyde, une ordonnance d’octobre 1504 - associée derechef à un staat - argue de l’incapacité du magistrat à exécuter les mesures mentionnées de 1497, impose de nouvelles contraintes et promeut superintendant ende overhooft un des commissaires princiers, qui demeurera d’ailleurs en charge durant six ans, en faisant de lui un curateur, dirigeant et désignant. D’évidence, il ne s’agit plus ici d’assister, d’accompagner, mais bien de dominer. Simultanément, l’autonomie communale est bridée aussi par le maintien forcé des mêmes hommes, en continu, au sein de l’assemblée large dénommée vroedschap, situation inhabituelle qui se prolongera durant quatre années69. Qu’elles résultent en propre de l’initiative communale ou, au contraire, de décisions prises en haut lieu, les options de politique fiscale restent les plus susceptibles d’engendrer hostilité, conflits d’intérêts, voire troubles. Une taxe périodique frappant durant un certain laps de temps toute la population non indigente est instaurée à Haarlem en 1498. Pareille capitation, touchant uniformément les bourgeois de tous revenus, sécrète beaucoup d’impopularité et se révèle d’ailleurs peu rentable. La même année, le grand conseil de Valenciennes, ayant ouï les mesures prônées par les commissaires du prince, envisage la mise sur pied d’un impôt sur la fortune. La solution avorte, quantité d’habitants de la ville, nobles, clercs, personnel de l’atelier monétaire e. a., faisant valoir des motifs d’exemption et les calculs préalables effectués aboutissant à une recette prévisible limitée: le texte du 8 mars n’en retiendra rien et on y optera plutôt pour des hausses ou des créations de taxes diverses, notamment sur les marchandises. Quelques années plus tôt, le magistrat de Leyde avait renoncé aussi, en dépit des efforts des «agents de l’Etat», à imposer un paiement (50e ou 100e denier) affectant la fortune, et ce, affirmait-il, par crainte d’empoignades70. Pareilles craintes n’ont rien de futile. La ville hainuyère d’Ath, en grave déficit financier, voit s’affronter longuement devant la justice commerçants et artisans d’une part, notables rentiers et nantis détenteurs des charges publiques de l’autre; les premiers marquent leur préférence pour l’établissement d’une taille levée au prorata de la richesse («assiete capital sur tous les bourgois et manans»), les seconds privilégient la fiscalité indirecte, maltôtes et gabelles. Plusieurs actes de Philippe le Beau (1501-1506) mettent l’affaire en surséance, en raison notamment du premier voyage d’Espagne, et arrêtent en même temps, comme ailleurs, des mesures d’assainissement financier, concernant notamment les travaux, les dons, le paiement des rentes, dès le 7 juin 1501. Les rapports humains sont tendus à Ath en ce début de siècle71. On notera toutefois que les 68

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B.C.M. JACOBS, Justitie en politie in ‘s-Hertogenbosch voor 1629. De bestuursorganisatie van een Brabantse stad, Assen et Maastricht, 1986, p. 59-61, 70-75, 93-97; B. BLONDÉ, De sociale structuren en economische dynamiek van ‘s-Hertogenbosch, 1500-1550, Tilburg, 1987, p. 4-6. BRAND, op. cit., p. 59. MARSILJE, op. cit., p. 165, 168; CAUCHIES, Un règlement de tutelle, p. 76, 79. CAUCHIES, Liste chronologique 1467-1506, p. 108, 110, 112, 117 (nos 320, 328, 337 et 356); J. DUGNOILLE, Fiscalité et tension sociale à Ath au tournant des XVe et XVIe siècles, dans Hainaut et Tournaisis. Regards sur dix siècles d’histoire. Recueil d’études dédiées à la mémoire de Jacques Nazet (1944-1996), Bruxelles, 2000, p. 293-311.

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«Enfant terrible» de la politique européenne affrontements verbaux et judiciaires à caractère économique et social demeurent en quelque sorte une question «atho-athoise»... Le prince et sa politique ne se trouvent pas en ligne de mire; Philippe le Beau, au contraire, agirait plutôt en conciliateur. La conjoncture difficile dans laquelle s’étaient vues plongées les villes requérait de sérieux efforts de rééquilibrage financier. Plus d’une frôlait le désastre. Leur seigneur et maître, en intervenant pour les assister mais aussi pour les régenter, n’a pas négligé d’y introduire des corrections de structures parfois durables. Non sans grogne ou tollé, pour sûr, mais sans conflits à caractère de révolte, parce que la perte d’une portion d’autonomie est consentie devant d’impérieuses nécessités. L’axe principal de l’action politique visant à donner plus de mainmise d’une part, à laisser moins de coudées franches de l’autre, reposait sur des constats intensifiés, des négociations quasi permanentes entre administration urbaine et fonctionnaires compétents dans la gestion financière et son redressement. Cela paraît bien être là l’expression cohérente d’une méthode de gouvernement, d’une véritable ligne politique ainsi adoptée dans un «Etat» naissant. 3. Maximilien: instructions, influence, défiance Si l’été 1494 doit être tenu pour l’époque de la passation de pouvoirs effective dans les Pays-Bas, le processus fut pour ainsi dire réellement enclenché à partir de 1492, les traités de Cadzand (29 juillet 1492) et de Senlis (23 mai 1493) balisant bientôt la route de façon décisive. La correspondance adressée en 1493 aux grand bailli et Etats de Hainaut au sujet des assemblées des Etats généraux (Malines et Anvers, avril-août 1493) et de l’exécution de la paix signée à Senlis émane d’abord du duc Albert de Saxe, lieutenant général, puis, excepté une lettre de Maximilien, datée d’Innsbruck, de l’archiduc Philippe72. L’argent nécessaire, sous forme d’aide, à l’entretien du jeune prince est un des objets prioritaires ressortant des convocations et des débats. A partir d’août 1493, le prince «naturel» signe ici lui-même ce qui concerne sa personne, ainsi que la pacification de ses pays, et ne recourt plus à la «plume» du cousin saxon. Maximilien, pour sa part, manifeste bien à ce moment même l’intention de venir aux Pays-Bas pour «mettre ordre et provision» dans les affaires de son fils, mais le décès et les obsèques, à Vienne, de son père Frédéric III vont momentanément l’en empêcher. Il escompte bien passer le Rhin peu après la Noël. On ne le verra pourtant «par delà», selon l’expression adéquate utilisée pour désigner les contrées bourguignonnes lorsqu’il séjourne en Autriche ou au Tyrol, qu’en juillet 1494. Ses états patrimoniaux et le Saint Empire l’auront entre-temps entièrement capté. Les retrouvailles, pour Philippe, sa sœur Marguerite et leur père, prennent place à Maastricht, dans les jours qui suivent le 21 juillet 1494. Dans cette ville excentrique dont le duc de Brabant (depuis le XIIIe siècle), en l’occurrence Philippe, est co-seigneur direct (avec le prince-évêque de Liège), Maximilien s’entend souhaiter la bienvenue par un fils qui marque ainsi sa possession, à tout

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GACHARD, Lettres de Maximilien, 2e partie, p. 260-272.

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Des desseins monarchiques le moins partielle, du lieu. Ils y font ensemble une entrée triomphale, flanqués de grands «ministres» et de délégués des sujets, et s’y entretiennent en privé73. Si le monarque du Saint Empire a postposé son voyage aux Pays-Bas, il va maintenant s’y attarder longuement, dans le Brabant et à Malines, avec des séjours prolongés dans la fidèle ville d’Anvers. Ce n’est que dans les tout derniers jours de février 1495 qu’il repassera par Maastricht, en direction de l’Allemagne74. Il était effectivement venu «mettre ordre et provision», et il a pris le temps de le faire, sans dédaigner pour le reste les plaisirs de la chasse et en laissant derrière lui dettes copieuses et tracasseries en vue pour ses gens et sa propre épouse Bianca Maria, en butte aux poursuites de créanciers, aubergistes et autres, sans guère pouvoir espérer de secours des sujets de Philippe le Beau75... Une occasion pour les proches du souverain germanique de brocarder l’attitude inamicale des autochtones! Il paraît vain de rechercher le moindre document officiel qui sanctionnerait une «intronisation» de Philippe durant le séjour de son père. Aux yeux de la population, ce sont bien sûr les multiples inaugurations, les premières entrées, évoquées ailleurs76, qui devront faire foi. Maximilien, pour sa part, va faire dresser une ordonnance organisant l’hôtel et le conseil de son fils dans les Pays-Bas. Le texte flamand qui en est conservé n’est connu que par une copie du temps et ne porte pas de date77. J. Chmel, son éditeur, ne formulait à ce sujet aucune hypothèse, mais A. Walther l’avait ensuite daté de 149378. Cette solution est inacceptable. Nous «rajeunirons» l’acte d’un an et préciserons même qu’il ne peut être antérieur au 7 septembre 1494: c’est ce jour-là, en effet, que Jean (III) de Berghes, désigné en qualité de premier chambellan, prend le titre de heer van Berghe (Bergen op Zoom), à la mort de son père Jean (II); il porte ici ce titre et non plus celui de seigneur de Walhain, qui l’identifiait dans des sources antérieures, du vivant de son géniteur. Gageons donc que cette première ordonnance destinée à structurer l’entourage archiducal79 a été établie au début de l’automne 1494, alors que les princes étaient installés durablement à Malines ou à Anvers. La transcription en est touffue, comme si les paragraphes en avaient été reproduits dans un certain désordre. L’existence du texte normatif révèle que l’intention de Maximilien n’est pas

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MOLINET, Chroniques, II, p. 391. Pour la date: S. SIMON, König Maximilian I., die Erbländer, das Reich und Europa im Jahre 1494, p. 194. Sur la compagnie: MAYER, Politischen Beziehungen, p. 10; L. DEVILLERS, Le Hainaut sous la régence de Maximilien d’Autriche. Quatrième et dernière partie: 1490 à 1494, dans BCRH, 4e série, t. XVI, 1889, p. 506-507. Une assemblée régionale du pays de Looz proche se tient même à Maastricht à cette occasion: A. MERTENS, Loons, Diets en Luiks. Hasselt en de volksvertegenwoordiging in het land van Loon en het prinsbisdom Luik (1477-1538), Maastricht, 2000, p. 184. MAYER, op. cit., p. 174-179. Ibid., p. 20-21. Cf. ch. II/3 supra. HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 73r.-78v. CHMEL, Urkunden, p. 537-544. WALTHER, Burgundischen Zentralbehörden, p. 19, 57, 137. La composante politique en est étudiée dans nos articles: «Grands» nobles, «petits» nobles, non-nobles..., «Croit-conseil» et ses «ministres»..., et Les étrangers dans l’entourage politique de Philippe le Beau.

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«Enfant terrible» de la politique européenne de renoncer à toute influence, voire ingérence, dans la conduite des Etats bourguignons. Emancipation et renonciation ne paraissent pas rimer pour lui. Il demeure le chef de famille. Son fils a beau être le «souverain» bourguignon, il le voit avant tout comme Kronprinz habsbourgeois. Ne se le représente-t-il pas en quelque sorte encore comme un lieutenant général, à la manière d’Albert de Saxe? Déjà précédemment premier chambellan de l’enfant puis adolescent Philippe, Jean de Berghes se voit confirmé à la direction de l’hôtel (‘t regiment van den huyse). Parmi les maîtres d’hôtel, on trouve Olivier de La Marche, le célèbre mémorialiste, dont on connaît le rôle de mentor qu’il a joué auprès de l’archiduc. Si l’évêque de Cambrai Henri de Berghes, frère de Jean, est dénommé chef du conseil (hooft ende uperste van den raede), c’est le conseil aulique ou hofraad, héritage ducal bourguignon, dans toute sa souplesse et son ouverture, qui est visé ici; le prélat le dirigera effectivement par la suite, jusqu’à sa disgrâce de 1502. Mais davantage cernés sont les organes spécialisés, plus ou moins autonomes déjà dans les faits80, fonctionnant dans l’entourage des premiers Habsbourg. Een raed, un conseil plus fermé, composé de quatorze personnes nommément désignées, die men heet de regenterie, sera chargé de toutes affaires non judiciaires ou financières: voilà donc un «conseil de régence», le futur conseil privé du prince, très explicitement mis sur pied sous la houlette (‘t regiment) du comte Engelbert de Nassau, le dignitaire politique le plus en vue dans les Pays-Bas au cours des années à venir. Au juriste Thomas de Plaine, futur chancelier, et au prince du sang Philippe de Bourgogne, seigneur de Beveren, échoient les présidences respectives du Grand Conseil de justice (raed van den justicie) et du groupe des financiers, la commission préludant au futur conseil des finances (au titre de superintendent ende hooft van allen den financie). Ici sont mis en place ou confirmés des rouages et des hommes qui formeront l’ossature institutionnelle durable des Pays-Bas bourguignons aux confins des deux siècles. En 1495/1496, à une date indéterminée - le dernier feuillet de la copie contemporaine unique par laquelle l’acte (inédit) est connu fait défaut - , Philippe émancipé promulguera une nouvelle ordonnance aulique, cette fois sous son nom81. Il n’y modifiera pas les bases établies, en conservant naturellement à ses côtés ce conseil à présent baptisé explicitement «privé», composé des quatorze mêmes nobles, ecclésiastiques et juristes. La comparaison des deux ordonnances révèle évidemment des divergences, en particulier sous l’angle du contrôle que, par personnes interposées, le monarque germanique, en 1494, escomptait bien exercer à plusieurs niveaux, politiques ou domestiques. Les membres du conseil de régence (raedt dit regenterie), stipulait-on, demeureraient au pays en cas d’absence de l’archiduc, mais deux d’entre eux, à savoir un noble (ridder) et un autre (geleerde man ou secrétaire), séjourneraient pendant six mois et à tour de rôle auprès de Maximilien, dans le souci d’assurer la cohésion des intérêts et de l’information réciproque du père et du fils. Guillaume de Croÿ et Henri de Berghes étaient même nommément désignés pour le premier tour82. Il faudrait encore

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Cf. ch. IV/1/B supra. HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 1r.-12v. CHMEL, op. cit., p. 542.

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Des desseins monarchiques établir si cette disposition n’est pas d’emblée demeurée lettre morte. C’est plus que probable: on voit le seigneur de Chièvres s’éloigner dès septembre et participer, avec la pleine approbation de l’archiduc, à la campagne italienne de Charles VIII en 1494/149583. Le chancelier - c’est alors Jean Carondelet, un fidèle de l’Autrichien, en fonction jusqu’en décembre 1496 - s’était vu chargé de communiquer, pour plusieurs types d’offices, les noms des membres d’une partie du personnel pressenti du Grand Conseil de justice, avec appréciation de son cru et en vue d’une décision personnelle impériale (naer sijne goede beliefte). A un autre échelon de l’entourage archiducal, une proportion de 20 % d’«Allemands» (van den duytsken nacien) avait été imposée pour les chevaliers et écuyers en service. Quant au personnel de chambre, de cuisine et de cave, il avait été stipulé que Philippe et ses conseillers pourraient en proposer les noms au monarque, qui statuerait (naer sijnen goede wille)84. Au cours des semaines voire des mois qui vont suivre, la décision politique s’exprimera encore dans l’écrit, en dépit de la passation effectuée, à travers les noms jumelés des deux Habsbourg. Dans sa «joyeuse entrée» brabançonne du 9 septembre 1494, texte fondateur s’il en est, le prince inauguré spécifie bien que la concession a lieu by wille, wete ende consente de son seigneur et père85. Au sein d’un répertoire cohérent d’actes princiers de portée législative, des textes conjoints de Maximilien et Philippe demeurent l’usage jusqu’en juin 1495; les suivants émanent de Philippe seul86. Ce moment précis correspond exactement à celui de deux instructions de Maximilien, destinées à l’envoi aux Pays-Bas. Le premier de ces documents (17 juin 1495) est adressé à un des quatorze membres du conseil de régence, Jacques de Gondebault, conseiller-maître des requêtes. Ce diplômé en droit a déjà bien servi l’archiduc d’Autriche puis roi des Romains sous plusieurs cieux. en qualité de secrétaire et de chargé de missions diplomatiques87. Il a d’ailleurs dû rapporter le document de Worms, où il l’avait reçu en mains propres du souverain, retenu dans cette ville par les travaux de la célèbre Diète. On y aborde succinctement une longue série de matières dont Gondebault est chargé d’entretenir Philippe, en lui faisant part de volontés et décisions impériales: l’organisation de la chapelle de la cour bourguignonne, l’entretien d’hommes d’armes et la désignation de capitaines, des demandes d’aide pour la campagne de Gueldre et le futur mariage espagnol de Marguerite, des faveurs particulières88... Epinglons ici deux points. Maximilien prescrit pour son fils la réalisation de sceaux en conformité à des modèles envoyés par ses soins: un grand, un moyen, un petit, respectivement confiés au chancelier comme il se doit - , au comte de Nassau - en sa qualité de chef du conseil de

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G. DANSAERT, Guillaume de Croÿ-Chièvres, dit le Sage. 1458-1521, Paris, Bruxelles et Courtrai, 1942, p. 26-27. CHMEL, op. cit., p. 539, 540, 543-544. Placcaeten ende ordonnantien vande hertoghen van Brabandt..., t. I, Anvers, 1648, p. 179. CAUCHIES, Liste chronologique 1467-1506, p. 88-89. KERCKHOFFS-DE HEY, De Grote Raad en zijn functionarissen. Biografieën, p. 76-77. NOFLATSCHER, Räte und Herrscher, p. 58. HHSA, Maximiliana, carton 4, juin-août 1495, f. 229r.-231v. CHMEL, op. cit., p. 531-534, en édite une version flamande, sans date.

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«Enfant terrible» de la politique européenne régence/privé - et au prévôt de Liège, François de Busleyden - tenu de se trouver toujours aux côtés de son élève et seigneur - 89. Et d’ajouter: «que doresenavant toutes choses soient seellees et expediees par mondit seigneur qui sera nommé seul és lettres», nouveauté conférant toute régularité à l’usage constaté plus haut depuis l’été 1495. Plus loin, il est demandé de recourir pour une part au moins aux services de messagers connaissant la langue allemande et d’inclure dans la réserve deux hommes qui répondent à ce critère et sont estimés de Maximilien. Ultérieurement va se mettre en place un véritable service des postes entre Malines et Worms, propre à rendre aisés les contacts entre les deux cours90. Le second document, daté simplement de juin 1495 et établi aussi à Worms, revêt un caractère plus homogène. Ici encore, Maximilien «ordonne»: à propos de divers points de gestion, affermage d’offices, octrois délivrés aux villes pour la perception d’assises, parties aliénées du domaine, ... ainsi que des grandes charges financières, chef, trésoriers, receveur général ou secrétaires spécialisés. Il avalise cependant toutes autres propositions soumises de la part de Philippe et lui recommande prudence avec les choses et doigté avec les hommes91. Dans un des articles, il est prescrit («voulons que faictes publyer et deffendre») de mettre un terme à toutes exportations de chevaux hors des Pays-Bas, un commerce pour ne pas dire trafic - préjudiciable à ceux-ci, qu’il prive d’auxiliaires à quatre pattes utiles à la paix autant qu’à la guerre. Lorsqu’est «criée», au début de septembre, une ordonnance générale de Philippe le Beau portant pareille prohibition, l’empreinte du monarque germanique est donc bien et directement perceptible92. Philippe et son entourage «belge» n’entendent cependant pas relayer sans sourciller les commandements venus d’ailleurs. N’auront-ils pas à cœur de prendre toujours davantage leurs distances? Les relations vont en devenir difficiles, tendues, voire aigres. Afin de renforcer son emprise, de reconquérir le terrain, Maximilien convoque son fils auprès de lui. Il invoque dès septembre 1495 une réunion prochaine de la Diète et le convie à se diriger vers Francfort pour la Noël93. Dans les circonstances du moment, l’objectif principal doit être d’amener les Pays-Bas à fournir troupes et moyens de guerre. Là blesse le bât. Au premier rang de la contestation, on identifiera sans nul doute, ainsi d’ailleurs qu’on le fit bien déjà à la cour autrichienne, François de Busleyden, celui que, plus tard encore, en Espagne, on accusera de gouverner à part entière l’esprit de son prince. Il est de ceux qui, pour des motifs politiques autant que financiers, effets

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Ceci est parfaitement conforme à l’ordonnance de l’hôtel de 1494: CHMEL, op. cit., p. 542, 543 (middelsten, cleynen et groeten zeghel). Le type du grand sceau (diamètre: 102 mm.) sera équestre (attesté à partir de décembre 1496 seulement), les deux autres (diamètres respectifs: 60 et 30 mm.) seront armoriaux, le «moyen» étant dit aussi «de secret» et le «petit», «signet»: R. LAURENT, Les sceaux des princes territoriaux belges de 1482 à 1794, Bruxelles, 1997, p. 13, 19-20. CHMEL, op. cit., p. 111 (24 juillet 1496). HHSA, Maximiliana, carton 4, juin-août 1495, f. 257r.-258v. ADN, B 10458, f. 32v. HHSA, Maximiliana, carton 5, septembre-décembre 1495, f. 71r.

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Des desseins monarchiques bénéfiques de la paix et poids abusif des dépenses, prônent avec la France une entente de bon aloi, dans la foulée du traité de Senlis. Il refuse d’ouvrir la porte à cette unruhige Politik si souvent dénoncée par les adversaires du Habsbourg. A la fin de l’année 1495, des plaintes caractérisées parviennent aux oreilles de Maximilien et nous apprennent qui sont au contraire les dignitaires des états bourguignons lui affirmant leur attachement94: Albert de Saxe, en tête, déplore l’esprit régnant à la cour, où on lui fait mauvaise figure, où les ordres impériaux sont contournés, où chacun ne recherche que son propre avantage; partageant son analyse, Philippe de Clèves, rentré en grâce et désigné dans l’ordonnance aulique de 1494 comme un homme de confiance du monarque sans fonction autrement spécifiée95, le bâtard Baudouin de Bourgogne, un autre «réconcilié», et Charles de Croÿ, reconnaissant sans doute pour l’érection passée de son comté de Chimay en principauté (1486). L’hostilité paraît donc loin d’être unanime parmi les grandes figures du sérail bourguignon. Philippe lui-même, dans les mois à venir, gardera leur place à des liens institutionnels attestés. Dans l’ordonnance de cour et de gouvernement par laquelle il adapte celle de son père, en 1495/1496, il décide encore d’informer ce dernier de la désignation du personnel du Grand Conseil de justice. Mais il n’est plus explicitement question d’une approbation requise. Pas plus que d’assujettir, comme dans le texte précédent, les nominations à la chambre, à la cuisine ou à la cave à un avis éventuel autre que celui du conseil privé archiducal96. En somme, on est prié de ne plus confondre communication et cordon ombilical.

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MAYER, Politischen Beziehungen, p. 33. CHMEL, op. cit., p. 541: «... ende sullen hem [Maximilien] dienen in eeneghen saken daer af hij gheen declaracie of verclaringhe hier inne en wilt gemaect hebben». HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 10v., 12v.

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Chapitre V DES RELATIONS DE BON VOISINAGE

1. La France et la paix Maximilien, par sa femme, et Philippe, par hérédité, sont ou se doivent d’être les dépositaires d’une hostilité caractérisée, fruit du conflit entre France des rois et Bourgogne des ducs. Ce conflit n’a pas seulement pris tournure dans les affrontements directs ou indirects, récents et tragiques du principat de Charles le Hardi; il repose aussi sur la mémoire de plusieurs générations marquées, sinon par la guerre, en tout cas par la discorde séparant les Valois du trône et ceux du duché. Voici un document anonyme, sans date, conservé sous forme de minute très raturée, qu’il est toutefois possible de situer durant l’été 1496, peu avant l’assemblée de la Diète à Lindau, où devait se rendre Philippe le Beau en lieu et place de son père1. Issu sans aucun doute de l’entourage impérial, rédigé dans une langue défectueuse, il s’achève par une véritable diatribe contre les «machinations» des Français, «mesmement despuis le grand et abhominable mordre du duc Jan de Bourgongne, quant il fut mordry davant les piés du roy Charl [le dauphin, futur Charles VII], grand pere du roy present de France [Charles VIII], lesquels ne cessant pour aujurdui journelement de penser pour dissiper ceste noble maeson de Bourgongne»2. Près de quatre-vingts ans après s’être produit, le meurtre de Jean sans Peur au pont de Montereau (10 septembre 1419) reste une référence de choix pour jauger l’âpreté du conflit franco-bourguignon. Le traité d’Arras (1482) et même celui de Senlis (1493) n’ont évidemment pas vidé la querelle. Sans être un succès pour Maximilien, chacun doit en convenir, le premier avait néanmoins permis à celui qui n’était encore alors que l’archiduc d’Autriche de préserver l’avenir, face à un Louis XI très malade et aux côtés d’assemblées d’Etats sur le qui-vive à son égard3. Moins de onze ans plus tard, les résultats avaient été plus nets, garantissant mieux survie et cohésion du complexe territorial des Pays-Bas, lui assurant aussi un climat de paix depuis longtemps désiré, sans éteindre la rancune de celui qui était entre-temps devenu le roi des Romains4. Si, en effet, le traité de mai 1493 a restitué au régent, au titre de son fils, certains territoires, dont la Franche-Comté, il ne lui a pas fait recouvrer le berceau ducal bourguignon voisin de cette dernière. Les affronts ne sont pas oubliés, les offenses demeurent flagrantes et porteuses des germes de nouveaux affrontements lorsque le gouvernement est cédé à Philippe le Beau. Sans doute, depuis 1477, a-t-on pu percevoir, dans le duché rattaché par conquête au domaine de la

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Cf. ch. VI/1 infra. HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 40r. J.-M. CAUCHIES, Maximilien d’Autriche et le traité d’Arras de 1482: négociateurs et négociations, dans Arras et la diplomatie européenne XVe-XVIe siècles, Arras, 1999, p. 157. Cf. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 344.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Couronne et a fortiori bien davantage dans la Franche-Comté occupée militairement, des manifestations de sympathie et d’attachement à l’égard de l’époux veuf et du fils orphelin de la duchesse Marie. On songe ici à des seigneurs du cru demeurés fidèles à la «foy de Bourgogne», organisant une forme de résistance au prix d’une accusation de lèse-majesté et de la confiscation de leurs biens par la royauté française5. En 1490 encore, trois bourgeois de Dijon auront l’outrecuidance de se rendre en Brabant pour solliciter du «duc d’Autriche» l’attribution d’offices en terre royale: la justice de Charles VIII entend s’en réserver le jugement et ordonne aux maire et échevins dijonnais de les lui livrer, car c’est bien là «cryme de leze magesté»6. Il faut savoir qu’à l’occasion du mariage de Maximilien et de Blanche Marie Sforza (mars 1494), la diplomatie française, ou mieux le «parti des princes», va proposer - fallacieusement il est vrai - la restitution du duché de Bourgogne pour prix des mains libres en faveur de son roi dans l’expédition de Naples. Elle se heurtera toutefois à un refus officiel du Habsbourg, définissant des priorités et exprimant en l’occurrence, à ce stade, son opposition à toute agression contre Naples, dont il lie étroitement les intérêts à ceux de l’Empire7. Charles VIII mettra lui-même bien vite les choses au point en se faisant passer l’anneau ducal au doigt - marque de possession - et en recevant le serment des échevins, à Dijon, dès le mois de juin suivant8. Philippe et ses conseillers, si souvent taxés de francophilie de principe par le parti impérial mais privilégiant en fait la voie de paix par rapport à la revendication dynastique, vont adopter à l’égard des grands projets belliqueux de l’empereur élu une attitude circonspecte et réservée. En septembre 1494, Charles VIII a franchi les Alpes à la tête d’une forte armée: le «voyage d’Italie» ou «de Naples», selon les expressions de Commynes et d’autres auteurs du temps, a commencé. C’est la grande entreprise d’un jeune monarque guerrier, rêveur et ambitieux. Fier des droits tenus de la maison d’Anjou sur le royaume de Naples, possession des Aragonais depuis 1443, il a atteint cette ville le 22 février suivant; pour éviter de se trouver pris dans un étau, il la quittera fin mai. Car entre-temps s’était constituée contre lui une ligue dite de Venise ou Sainte Ligue, fédératrice (pour une durée de vingt-cinq années au moins!) d’un beau parterre de souverains et d’Etats: le pape, l’empereur élu, les Rois Catholiques, le duc de Milan, la République de Venise (31 mars 1495). Une perspective d’action commune à l’encontre du Valois se dessinait ainsi, notamment, du point de vue de Maximilien, dans le souci des intérêts impériaux les plus légitimes, pro Sacri Romani Imperii iuribus tuendis9. Une bataille rangée au pied des Apennins, à

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J. RICHARD, Claude de Toulongeon, seigneur de la Bastie, et la résistance bourguignonne à Louis XI, dans De Orde van het Gulden Vlies…, p. 175-187, retrace la carrière d’un tel seigneur. H. COOLS, Quelques considérations sur l’attitude des nobles comtois entre 1477 et 1500, dans PCEEB, n° 42, 2002, p. 163-180. Lettres de Charles VIII, III, p. 26-27. KRENDL, König Maximilian I. und Spanien, p. 21. Tout cela fait à vrai dire l’objet d’un «jeu subtil, difficile», dans lequel interfèrent aussi les intérêts milanais: Y. LABANDE-MAILFERT, Autour du traité de Senlis. La Bourgogne en question, dans Cinq-centième anniversaire de la bataille de Nancy (1477)..., Nancy, 1979, p. 261-262. Op. cit., p. 264-265. H. WIESFLECKER, Maximilian I. und die Heilige Liga von Venedig (1495), dans Festschrift W. Sas-Zaloziecky zum 60. Geburtstag, Graz, 1956, p. 178-199.

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Des relations de bon voisinage l’issue favorable aux Français et leur dégageant la route du retour, début juillet, est le moment fort d’un processus duquel, naturellement, l’archiduc Philippe s’est entièrement tenu à l’écart. Les «affaires» italiennes, napolitaines en particulier par le canal de la péninsule ibérique, ne le concernent pas (encore). L’Italie, clef de la grande politique européenne, enjeu des rivalités que l’on sait10, ne s’inscrit pas alors dans les vastes horizons que son mariage et son destin espagnols lui feront découvrir et considérer plus tard. Au cours des années qui font suite au traité de paix de Senlis, les contacts franco-bourguignons demeureront continus pour assurer l’exécution des dispositions qu’il contient et le règlement d’inévitables points de détail litigieux. L’Artois, recouvré en 1493, le ralliement et le serment des vassaux, les arriérés d’aides dans ce pays si disputé, donnent notamment lieu à des instructions de Philippe le Beau et de ses «ministres» les plus influents (Nassau, Berghes, Thomas de Plaine et Busleyden), en date du 22 février 149611. La mort inopinée de Charles VIII, survenue le 7 avril 1498, provoque stupeur et supputations. La Diète de Fribourg est ouverte par Maximilien le 23 juin suivant. Financer une guerre contre la France, voilà le souci qui occupe largement son esprit; des troupes sont rassemblées en Haute-Alsace et le souverain a l’intention d’entrer personnellement en campagne. On évoque alors dans les milieux diplomatiques une solution «pacifique» combinée que d’aucuns auraient envisagé de proposer à Fribourg, sans qu’elle paraisse étouffer de scrupules quelques gouvernants: marier Louis XII, après répudiation de sa femme Jeanne de France, à Marguerite d’Autriche veuve de Juan d’Espagne, briser le lien matrimonial unissant Maximilien et la Sforza, conclure (et cette fois pour de bon!) un hymen entre le souverain germanique et la reine veuve Anne de Bretagne... Maximilien, toutefois, refuse net, en dépit des encouragements reçus entre autres du pape et de son propre fils12. Cette recherche forcenée de la paix avec le nouveau locataire du trône d’Hugues Capet se traduit au cœur de l’été par la signature d’un traité qui sera à coup sûr l’une des grandes sources de fureur paternelle, la source majeure peut-être, envers Philippe. D’autant plus que c’est alors même que la Sainte Ligue, en pleine crise, se délite sous l’effet de plusieurs intempéries politiques. Tandis que l’on se bat entre Champagne et Bourgogne, les négociations entre Philippe le Beau, jouant «cavalier seul» et ignorant son père13, et Louis XII

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Et par ailleurs, on ne le perdra pas de vue, tremplin obligé pour les princes chrétiens qui, tels Maximilien ou Charles VIII, conservent ou déclarent conserver une croisade contre les Turcs en point de mire de leurs entreprises. HHSA, Maximiliana, carton 4, janvier-mai 1495, f. 82r.-83v. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., II, p. 132-133. Quelques jours avant la tenue de la Diète, Maximilien avait fait rédiger une longue lettre dans laquelle il conseillait à Anne de n’épouser en aucun cas le nouveau souverain des lys, offrant plutôt de lui trouver un bon parti parmi les jeunes princes de l’Empire: HHSA, Belgien, DD/B 238 b, f. 279r.-280v. (10 juin 1498). Autant d’ailleurs que ses beaux-parents, ainsi que le souligne le 16 juillet l’ambassadeur espagnol à Fribourg: Correspondencia Fuensalida, p. 72.

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«Enfant terrible» de la politique européenne débouchent le 20 juillet sur la conclusion d’un nouveau traité de paix, dit de Paris, officiellement signé à la date du 2 août 1498. Echec et mat pour Maximilien! Pape - tournant le dos à l’option de la Sainte Ligue - et diplomatie espagnole y trouvent satisfaction. Trois jours plus tard d’ailleurs, les Rois Catholiques, sans considération pour l’empereur élu et l’aide qu’il a sollicitée de leur part, souscrivent aussi à un traité avec le ci-devant duc d’Orléans, confirmé à Saragosse le 30 septembre. Philippe le Beau y est désigné simultanément par les deux parties contractantes comme allié à assister en cas de conflit défensif, ainsi qu’Henri VII, Maximilien ne l’étant évidemment que par les signataires ibériques14. On comprend que, de plus en plus dépourvu de confiance en son fils autant que d’espoir de moyens financiers du côté des princes allemands, l’ardent Maximilien ressente aussi beaucoup de rancœur devant l’attitude de ses propres alliés. Molinet, en des termes assurément plus diplomatiques que candides, va noter que «n’estoit agreable au roy des Romains le traittié de Paris, à cause qu’il n’estoit fait solennelement par les princes du sang de l’empire»15. L’indiciaire, il est vrai, pouvait malaisément traduire avec trop de franchise la fureur et le bellicisme de son bon souverain, ou mettre en évidence les divergences profondes opposant père et fils. Il n’en demeure pas moins vrai que les «trop bons» rapports qu’entretiennent Philippe et Louis ne sont guère du goût de plusieurs princes, électeurs et autres, ainsi que le rapporte un ambassadeur du margrave de Brandebourg à la Diète de Fribourg, actant que l’archiduc se laisse séduire et agit sous l’emprise d’avis trompeurs, deß auch seyner majestat son durch untruwlichen rat verfurt und gethan16. Dans le traité, signé à Paris par ses ambassadeurs et députés le 2 août, ratifié par ses lettres patentes du 16 août, données à Bruxelles, Philippe s’engage à prêter au roi l’hommage pour les comtés de Flandre et d’Artois, tenus de la Couronne. Pour la durée de leurs vies respectives, l’archiduc promet de renoncer à toute voie de justice ou de fait visant au recouvrement du duché de Bourgogne et des terres conjointes, Mâconnais, Auxerrois, Bar-sur-Seine; il pourra par contre demander d’en débattre «par humble requeste et voie amiable»17. Restitution sera consentie par le roi des trois places fortes artésiennes de Béthune, Aire-sur-la-Lys et Hesdin pour autant que Maximilien retire ses troupes des duché et comté de Bourgogne et que Philippe accomplisse ses devoirs d’hommage susdits. Est aussi requise la fourniture de promesses scellées émanant de seigneurs et de villes, de même que des Quatre Membres de Flandre, seuls «partenaires» nommément désignés et dont on apprécie ainsi le poids. Louis renonce à toute revendication touchant la Flandre gallicante, soit les trois châtellenies flamandes de Lille, Douai et Orchies, et le traité de Senlis garde sur tous autres points pleine et entière valeur18.

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SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional de Isabel la Católica, V, p. 69-71. MOLINET, Chroniques, II, p. 447. Cf. J. DEVAUX, Jean Molinet indiciaire bourguignon, Paris, 1996, p. 527-528. Quellen zur Geschichte Maximilians I., p. 95 (26 juin 1498). La même expression, «voie amiable», figurait déjà cinq ans plus tôt dans le texte du traité de Senlis pour garder une porte ouverte sur tous «droits et actions» non tranchés alors (telle la question de la Bourgogne). Texte du traité: DU MONT, Corps universel diplomatique, III/2, p. 396-397. MOLINET, op.

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8. Anvers - Cathédrale Notre-Dame, chapelle Saint-Antoine. Vitrail (1503, restauré XIXe s.): Philippe le Beau et Jeanne agenouillés.

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«Enfant terrible» de la politique européenne L’accord est d’importance. Pour des motifs d’efficience autant que de propagande, le tout en faveur d’une paix que ne peuvent que continuer à goûter les sujets, des mesures de publicité sont arrêtées et appliquées. Le 15 août, jour de solennité religieuse, le traité est juré par Philippe lui-même en la collégiale Sainte-Gudule à Bruxelles19. Le 19 août, par exemple, on en repère la publication orale dans les villes hainuyères de Mons et Soignies, avec sons de cloches, réjouissances et feux de joie20. L’obtention de garanties scellées de villes des Pays-Bas désignées par le roi de France ne semble toutefois pas aller sans mal, pour des raisons techniques autant que politiques. A Mons et Valenciennes, deux des villes choisies, ce qui se conçoit aisément vu leur proximité de la frontière du royaume, les registres de délibérations des conseils communaux montrent qu’on n’a pas fini d’en discuter en mai-juin 149921. Au terme de rappels en série dans lesquels il ne dissimule pas son impatience, le prince pourra enfin, le 15 juin, délivrer aux Montois un accusé de réception du document requis, scellé en bonne et due forme et daté du 22 mai22. Face au tintamarre orchestré par son père, mécontent mais ne s’avouant pas vaincu, Philippe aura dû, entre-temps, plaider encore et toujours la cause de la paix et de l’opportunité du traité, devant les Etats généraux assemblés à Bruxelles (décembre 1498). Maximilien ne désarmera toutefois pas, bataillant diplomatiquement ferme pour convaincre les représentants de ne pas ratifier le fâcheux traité, à tout le moins jusqu’en mars suivant23. En vain... Mais les débats auront été animés, les risques d’une guerre et les coûts en résultant ayant persuadé les plus exigeants de renoncer à toute prétention persistante au sujet de la Bourgogne, le duché perdu. L’année 1499 va voir s’accomplir aussi, comme prévu, une formalité de la plus haute importance, quand l’archiduc d’Autriche, comte de Flandre, effectue le voyage d’Arras pour la cérémonie d’hommage au roi. En usant d’expressions positives, le monarque français, quand il l’avait pu, n’avait pas hésité à rappeler antérieurement au jeune prince flamand ses qualité et dignité au titre du comté des bords de mer. Ainsi Charles VIII, en ordonnant d’ajourner Maximilien devant le Parlement de Paris en 1488, ne manquait-il pas d’identifier à la fois en Philippe, à peine décagénaire, le seigneur «naturel» des Flamands et un pair du royaume de France24. Dispensé de se rendre dans la capitale de ce royaume, le

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cit., p. 447-449, tout en déclarant «enserrer» là ce texte, ne fournit du traité qu’un document préparatoire passé devant notaires, portant la date du 8 juillet 1498; une copie contemporaine dans l’ensemble plus correcte de ce document porte la date, davantage acceptable, du 21 juillet: HHSA, Belgien, PC 7, liasse 3, f. 70r.-71r. AGS, Patronato Real, 52-114: «el qual assiento juro el archiduque en la yglesia mayor el dia de Santa Maria de agosto en la missa mayor...» (dépêche d’ambassadeur, depuis Bruxelles). Du lendemain date donc la ratification écrite et scellée. Mons, Archives de la Ville, registre 1298, f. 317r. Th. LEJEUNE, Mémoire historique sur l’ancienne ville de Soignies, dans Mémoires et publications de la Société des sciences, des arts et des lettres du Hainaut, 3e série, t. IV, 1870, p. 452. Pour Mons: registre cité, f. 329v.-330v. Valenciennes, Bibliothèque municipale, manuscrit 736, f. 10v. L. DEVILLERS, Inventaire analytique des archives de la ville de Mons, t. I, Mons, 1882, p. 266-274. WELLENS, Etats généraux, p. 244-250. GILLIODTS-VAN SEVEREN, Inventaire des archives de la ville de Bruges, VI, p. 313 (22 octobre 1488); cf. aussi ch. II/1 supra.

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Des relations de bon voisinage jeune Habsbourg s’en vient dans celle de son pays d’Artois s’acquitter de son devoir entre les mains du chancelier, Guy de Rochefort25, le 5 juillet 1499. Flandre et Artois, on l’a vu, mais aussi Charolais, non mentionné dans l’acte du 2 août, sont concernés. La cérémonie, ainsi que ses préambules et à-côtés protocolaires, sont relatés en détail par un notaire-secrétaire du roi26. Philippe y est venu en compagnie de conseillers au nombre desquels on voit le prélat Henri de Berghes - il est, rappelons-le, chef du conseil aulique - , le chancelier Thomas de Plaine, le comte Engelbert de Nassau et Jacques de Luxembourg, seigneur de Fiennes. Les formes traditionnelles de l’hommage et de la foi sont au rendezvous, poignée de mains, baiser, paroles consacrées. «Vous devenez homme du roy, vostre souverain seigneur...», dit notamment Rochefort. A des lieues de là, Maximilien a bien dû éprouver quelques tintements d’oreilles! 2. La Gueldre ou le refus aux armes27 La «question» de Gueldre est de celle que des générations successives de gouvernants se sont léguées comme autant d’héritages «explosifs». Les Habsbourg des Pays-Bas en furent directement redevables à Charles le Hardi et à ses volontés d’expansion, ses ambitions de puissance dans l’Empire. Et des flots d’eau couleront dans le Rhin qui le baigne avant que le duché convoité puisse être soumis et annexé définitivement à ses possessions par Charles Quint, en 154328. Sous Philippe le Bon déjà, la Gueldre apparaissait comme un pion majeur dans la politique de «médiatisation»29 de principautés du Bas-Rhin orchestrée par le troisième Valois-Bourgogne. La discorde familiale survenue entre le duc en fonction, Arnould d’Egmond, et son fils et héritier Adolphe, par ailleurs beaufrère de Charles de Bourgogne, fournit à ce dernier, depuis 1465, l’opportunité d’entremises. Voici que le 7 décembre 1472, peu de temps avant sa mort et au mépris de l’opinion des Etats, Arnould engage à Charles duché de Gueldre et comté de Zutphen. La conquête forcée n’en tarde pas (juin-juillet 1473) et à Trèves, le 6 novembre suivant, lors d’une célèbre entrevue, Frédéric III investit le Hardi de ces territoires. L’occupation bourguignonne (Boergoensche overhering) va s’y poursuivre durant un peu plus de trois années, soit jusqu’au drame de Nancy, avant que les Gueldrois ne se libèrent du joug étranger.

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Anciennement au service du duc Charles de Bourgogne, il est de ceux qui ont épousé ensuite la cause royale et furent ainsi investis de hautes fonctions. Ce texte a fait l’objet de plusieurs éditions, dont celles de DU MONT, op. cit., III/2, p. 412-414, et de L. CIMBER et F. DANJOU, Archives curieuses de l’histoire de France depuis Louis XI jusqu’à Louis XVIII..., 1e série, t. II, Paris, 1835, p. 1-11. Cf. aussi l’exposé de HARDOUIN, Mémoires pour servir à l’histoire de la province d’Artois..., Arras, 1763, p. 260-272 (qui utilise déjà en ordre principal la même relation officielle). Une version moins élaborée de ces pages a paru récemment: Principauté d’Empire, allié de la France. Le duché de Gueldre, épine des Valois dans la chair des Habsbourg... Dernier exposé général en date, dans un cadre géographique beaucoup plus large, pour l’époque considérée ici: W. JANSSEN, Die niederrheinischen Territorien im Spätmittelater. Politische Geschichte und Verfassungsentwicklung 1300-1500, dans Rheinische Vierteljahrsblätter, t. LXIV, 2000, p. 115-126. L’ouvrage de référence essentiel demeure celui de STRUICK, Gelre en Habsburg 1492-1528. «Mediatisierungsversuche»: cf. CAUCHIES, Louis XI et Charles le Hardi, p. 72.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Les prétentions affichées ne s’évanouissent pas pour autant. Le fait est patent dès le 19 avril 1478 quand l’empereur, se trouvant à Graz, inféode les pays gueldrois à Maximilien et Marie. Adolphe d’Egmond, reconnu en qualité de duc par ses partisans mais mort entre-temps au combat - au service de la duchesse Marie d’ailleurs... - laisse un fils, Charles, désormais porteur de la légitimité familiale. Alors confié à la «garde» de Louis XI, marque de l’implication déjà acquise des monarques français successifs dans les destinées de la Gueldre, le jeune prince ne peut empêcher l’archiduc d’Autriche, avec l’aide de ses alliés bas-rhénans, les ducs de Clèves-Mark et de Juliers-Berg, de rétablir l’autorité de Bourgogne sur son héritage paternel (1479). C’est après plus de dix-neuf ans d’absence et plus d’une aventure30 que Charles d’Egmond rentrera en Gueldre, en mars 1492. Ce retour posera avec davantage d’acuité encore la question de la succession. Des historiens de langue allemande n’ont pas hésité à recourir aux métaphores et expressions fortes: la Gueldre, ce sera constamment «une plaie suppurante sur le corps politique bourguignon»31; son prince, une «épine fichée dans la chair de la maison de Bourgogne»32, des œuvres de Charles VIII de France... Car le conflit gueldrois va s’inscrire entièrement dans le grand affrontement francohabsbourgeois. Et il n’aura pas bonne presse parmi les populations des Pays-Bas, les Etats, ne s’estimant pas concernés par lui et le tenant pour «ung affaire particulier», refusant d’ailleurs à Maximilien les subsides sollicités pour le soutenir. De retour au pays, Charles d’Egmond s’y fait inaugurer dans les villes et ses partisans pourront puiser là un argument quant à la volonté des sujets. Un seul siège s’impose, celui de Wageningen, à l’ouest d’Arnhem, place tenue par une garnison bourguignonne. Le 19 juin 1492, en toute logique féodale, le duc sollicite de Frédéric III l’investiture, mais le vieil empereur s’empresse... de n’y donner aucune suite. Un temps de trêve avec Maximilien (27 octobre 1492-25 mars 1493) achemine alors les adversaires vers le traité de Senlis (23 mai 1493), dans lequel le «duc de Gueldres» - que le roi des Romains s’obstine pour sa part à n’appeler que Charles d’Egmond, sans duc ni Gueldre - figure au nombre des alliés nommément désignés du roi de France. Mais l’acte n’implique pas directement le prince et ne vise pas à trancher son conflit: d’ailleurs, les articles désignant les conservateurs de la paix énumèrent diverses marches (Bourgogne, Champagne, Rethelois, Picardie, Flandre, Artois, Hainaut, Luxembourg, la mer), soit autant de points de contact entre ressorts de France et des Pays-Bas, mais ne font aucune allusion à d’autres frontières. Trois mois plus tard, Charles VIII notifie par voie d’ambassade et de lettre autographe à Maximilien que le duc de Gueldre s’est bien déclaré son allié, en exécution pure et simple du traité de Senlis33. 30 31 32

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Ainsi sera-t-il fait prisonnier par les Français en combattant pour Maximilien devant Béthune (1487). WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., I, p. 145 («eine immerfort schwärende Wunde am burgundischen Staatskörper»); variante, avec cette fois «blutende Wunde»: op. cit., III, p. 288 - de toute façon, la plaie reste ouverte... P. VODOSEK, König Maximilian I., die Erblande, das Reich und Europa im Jahre 1503, p. 42 («wenn... weder Erzherzog Philipp noch König Maximilian gesonnen waren diesen Stachel im eigenen Fleische stecken zu lassen»). J. GRÖBLACHER, König Maximilian I., ... im Jahre 1498, p. 174 («ihm [Maximilien] und seinem burgundischen Haus... ins Fleisch gestoßenen Stachel»). Lettres de Charles VIII, III, p. 354-355 (16 août 1493).

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Des relations de bon voisinage Coïncidence chronologique: la saison de l’accession personnelle au pouvoir de Philippe le Beau est aussi celle du déclenchement de nouvelles hostilités. Dans des instructions du 25 juillet 1494 destinées à un porte-parole auprès du roi de France, le ton employé par Maximilien est clair: «ledit messire Charles de Geldres sans aucun tittre s’estoit bouté dedens lesdis païs de Gheldres et de Zuytphen et d’iceulx spolié le roy [des Romains] et mon trés redoubté seigneur monseigneur l’archiduc... et seduit les habitans d’iceulx païs a lui faire serment de fidelité, qui paravant l’avoient fait au roy et a mondit seigneur l’archiduc comme a leurs seigneurs naturelz». Les effets du traité de Senlis ayant ainsi été compromis par ces «infracteurs de paix», le Habsbourg s’estime fondé, au titre même de l’Empire, à lever les armes contre les Gueldrois, s’ils persistent dans leur attitude hostile envers lui et son fils, qu’il associe à chaque mention, leurs gouvernants légitimes: n’a-t-il pas «par ledit messire Charles de Geldres esté spolié et debouté hors dudit païs dont il a esté possesseur»? Le texte, riche en réminiscences du passé régional, s’efforce de nier les droits de feus les ducs Arnould et Adolphe, grand-père et père de Charles, et par conséquent ceux de ce dernier, les investitures données par Frédéric III au duc de Bourgogne en 1473 et à ses fille et gendre, pour eux et leurs héritiers mâles, en 1478 étant seules créatrices de tels droits. Des serments en bonne et due forme ayant ensuite été reçus en Gueldre et Zutphen à l’adresse de Maximilien et Philippe, une seule conclusion s’impose: «ledit messire Charles est entré esdis païs et s’est fait recevoir en spoliant d’iceulx le roy et mondit seigneur, comme chascun scet»34... A la même époque, le redoutable et efficace Albert de Saxe est entré en action, en assiégeant notamment Ruremonde, l’une des quatre chefs-villes, la deuxième en importance dans le duché. Une procédure d’arbitrage, relatée dans les instructions du 25 juillet, est proposée: Charles d’Egmond soumettrait ses droits prétendus à l’avis d’un collège composé de six électeurs d’Empire et du duc Albert de Saxe, invités à se prononcer dans un délai déterminé, soit une année. Le traité (18 août 1494) scellant le résultat des négociations ainsi menées à Rave(n)stein et impliquant Philippe, ertzhertoige Philips, sijnre ma(jesteit) soene, en même temps que Maximilien, et Charles sanctionne cette procédure, en l’aménageant - ainsi n’est-il plus fait état du Saxon, jugé sans doute trop affidé par la partie adverse - , et en requérant des deux Habsbourg un engagement écrit de se conformer à la sentence (vytspraickende ordell)35. Au cours de la célèbre Diète tenue à Worms de mars à août 1495, point d’orgue de la politique réformatrice du monarque du Saint-Empire, la question de Gueldre est mise sur le tapis, quoiqu’il ne faille pas lui attribuer une trop grande place dans le vaste brassage de projets, d’initiatives et de décisions que représente ce moment fort du règne de Maximilien. Ce dernier exige alors explicitement la restitution du duché, assortie en outre d’une compensation financière pour les revenus non perçus entre-temps. Les représentants gueldrois soup-

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HHSA, Maximiliana, carton 3, f. 43r.-46v. Gedenkwaardigheden uit de geschiedenis van Gelderland door onuitgegeven oorkonden..., édit. I.A. NIJHOFF, t. VI/1, Arnhem, 1859, p. 74-75. P.J. MEIJ, Geschiedenis van Gelderland 1492-1795, Zutphen, 1975, p. 20-21.

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«Enfant terrible» de la politique européenne çonnent fort le souverain de vouloir écarter l’arbitrage, les électeurs ne s’étant, depuis un an, pas encore prononcés, au profit d’une intervention par sentence du Reichskammergericht à présent érigé36. On voit bien ici s’opposer radicalement deux perspectives: pour ses gens, Charles d’Egmond étant légitimé par le sang et la reconnaissance des pays, l’arbitrage paraît adéquat puisque l’affaire est d’essence féodale; pour le parti impérial, le duc spoliateur n’est pas prince d’Empire. Maximilien a sorti aussi, avec habileté autant que réalisme sans doute, une autre carte du jeu. Dès l’ouverture de la Diète, il a appelé à la vigilance les électeurs et autres princes: l’enjeu du conflit gueldrois, c’est aussi parer au danger d’une influence française en croissance aux portes occidentales de l’Empire37... L’assemblée ne pourra dès lors demeurer insensible à la question et elle ouvre le débat sur les rapports de la Gueldre avec l’Empire et les droits prétendus de ses derniers ducs, en ne faisant pas l’économie de maints rappels historiques touchant notamment les destinées du pays après la mort de Charles le Hardi38. Ajourné devant le Reichskammergericht à Francfort, Charles d’Egmond va lui dénier toute compétence dans une question qu’il s’obstine évidemment à situer sur un plan féodal et qu’il veut donc voir échapper aux magistrats de la chambre impériale au profit des princes laïcs et ecclésiastiques, et il en réfère même au pape. Fin 1496/1497, un état de guerre «de fait» est imparable et nul ne doute que le roi de France va y prêter volontiers la main39. Mais il est temps d’analyser dans quelle mesure l’archiduc Philippe va s’y trouver impliqué. Durant l’automne 1496, des négociations trouvent place en Brabant septentrional, à Bois-le-Duc et Breda, entre «députés» de Philippe et de Charles; ainsi, le 19 septembre, un sauf-conduit est-il acheminé jusqu’à Nimègue et un autre en est-il rapporté aux Pays-Bas bourguignons en vue d’une réunion dans la première de ces villes, tandis que le 7 novembre, le roi d’armes de Hainaut, Gilles de Rebecques, un homme de grande confiance, s’en va inviter le duc de Gueldre à déléguer des négociateurs dans la seconde40. Les hostilités avec les troupes impériales sont franchement ouvertes à la fin de l’été 1497 et Albert de Saxe, en particulier, pointe derechef le bout de l’épée. Les efforts déployés pour attirer les Pays-Bas dans la guerre active ne sont pas couronnés de succès. Pressé dès 1496 de se rendre en Italie, Maximilien, ayant rencontré son fils en Allemagne et sur ses terres tyroliennes, n’avait pu le fléchir en faveur de sa propre politique anti-française et, par le fait même, de ses résolutions anti-gueldroises. Le jeune prince sait que son entourage et ses sujets n’éprouvent aucun attrait pour pareille entreprise et choisit la passivité, en dépit des paroles et des écrits - pour ne pas dire des vitupérations - paternels. Des porte-parole impériaux se plaindront d’ailleurs d’avoir été mal accueillis, à peine

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B. SPAUSTA, König Maximilian I., ... im Jahre 1495, p. 223. Cf. NIJHOFF, op. cit., p. 110-111. K. PLÖBST, König Maximilian I., ... im Jahre 1497, p. 131. ADN, B 2155, f. 129r.-v.; B 2157/70971.

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Des relations de bon voisinage écoutés, et de n’avoir perçu autour d’eux que défiance41. Sans doute Philippe expose-t-il plusieurs fois devant les députés aux Etats généraux les dangers que la politique gueldroise fait peser sur la sécurité des Pays-Bas et sollicite-t-il en conséquence une aide financière, fixée à 50.000 écus - une somme considérable - mais sans forcer outre mesure une décision positive, finalement acquise sous condition: oui pour une levée d’aide à suspendre immédiatement en cas d’accord avec la Gueldre (Breda, décembre 1496, et Bruxelles, août-octobre 1497)42. C’est au plus fort de ce climat susceptible d’engendrer une tension grandissante entre père et fils que Philippe, au terme de négociations à Bruxelles, va conclure le 21 décembre 1497 pareil accord, certes provocant aux yeux de Maximilien: une trêve (bestandt), pour une durée indéterminée (zonder eenigen benoemden uuytganck), avec Charles de Gueldre. Prenant cours dès Noël, elle inclut évidemment tous lieux et personnes dépendant des deux signataires, avec garantie pour tous leurs échanges, mais aussi, en tant qu’alliés de Philippe, les ducs de Saxe, de Juliers et de Clèves, dont on reparlera43. On se garde d’aborder alors la question pendante du titre ducal, qui dans des négociations de 1494 avec Maximilien, préalablement à l’arbitrage projeté, avait été d’entrée de jeu mise en exergue par Charles: «Monseigneur de Gheldres entend... que l’on lui baille le tiltre de messire Charles de Gheldres, comme l’on a fait par ci devant»44, ou encore: De heere van Gelren verstaet... dat men hem intituleert ende noemt van heer Karle van Gheldren, alsoe men hem gedaen heeft hiervoortijts45. Des documents émanés alors du sérail des Habsbourg se contentaient en effet de mentionner «messire Charles de Egmond», heeren Karle van Egmond46. Les intentions non belliqueuses de l’archiduc ne desserrent toutefois pas l’étau qui menace la Gueldre, sinon en lui évitant l’ouverture d’un éventuel nouveau front méridional. Le 19 juin 1498, le traité de Fribourg(-en-Brisgau) scelle l’alliance contre le duché de Maximilien et de deux dynastes voisins, Guillaume IV de Juliers-Berg et Jean II de Clèves-Mark, non dépourvus d’appétits territoriaux aux dépens des Gueldrois47. Renouvelant en réalité des accords déjà négociés à Louvain l’année précédente, il inclut aussi Philippe sans que ce dernier, en raison de la trêve depuis lors en cours, doive participer à des opérations militaires. Pour dire vrai, c’est sans consultation ni concertation que Maximilien, faisant usage sans réserve de sa qualité de suzerain (d’une partie) des états de son

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PLÖBST, op. cit., p. 133-134. I. SZYSZKOWITZ, König Maximilian I. und seine Politik gegen Frankreich, p. 142-143. WELLENS, Etats généraux, p. 239-241. HHSA, Belgien, DD/B 234 V/b, f. 118r.-122v. (copie contemporaine collationnée à l’original de l’acte de Charles, du même jour, approuvant la trêve, dont il inclut le texte, et en ordonnant l’exécution); la version du seul texte de la trêve publiée par NIJHOFF, op. cit., p. 170-173, porte la date, sans doute erronée, du 22 décembre. HHSA, Belgien, DD/B 238 a, f. 157r. HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 80r. Ibid., f. 52r., 84r. HHSA, Niederländische Urkunden, à la date (original: acte scellé des ducs «zo Guylge» et «van Cleve» en ratifiant un autre, de même date, émanant de Maximilien et valant aussi pour Philippe).

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«Enfant terrible» de la politique européenne fils, le fait entrer dans la danse - il faut avouer que Philippe l’avait de même superbement ignoré en signant la trêve de décembre précédent -; il saisit ici une occasion (de plus) d’interférer encore dans la gestion des affaires des Pays-Bas et marque sa détermination à entraîner le rejeton de Bourgogne dans sa politique de Habsbourg. A tout le moins l’archiduc devra-t-il veiller à ce que les Gueldrois ne reçoivent aucune aide militaire extérieure. Quelques jours après le traité de Fribourg, Maximilien pouvait déclarer que la guerre de conquête de la Gueldre aurait bien lieu et que lui-même, ou Albert de Saxe, la conduirait de concert avec les ducs de Juliers et de Clèves48. Pour Philippe le Beau, un grand moment diplomatique du principat approche, celui de la conclusion avec Louis XII d’un traité décisif pour la paix, à Paris, le 2 août 1498. Quelles que soient ses intentions profondes, en admettant sans peine qu’il ait exprimé ou fait exprimer dans les négociations son désir vrai de ne pas en découdre avec Charles d’Egmond, il est cependant erroné de lui attribuer, comme on l’a fait, une renonciation explicite à ses prétentions sur la Gueldre49: on ne peut raisonnablement penser qu’il serait allé ainsi jusqu’à sacrifier ses intérêts familiaux. Le traité de Paris ne fait d’ailleurs aucune mention du duché et de son gouvernant. Et le silence du parti archiducal sur le «principal», comme on disait alors, le fond des choses de la question gueldroise, n’impliquait nullement une résiliation de l’état de trêve. Les relations entre Maximilien et Philippe, en dépit d’entretiens en Brabant à la fin d’octobre, paraissent plus confuses, voire détériorées, que jamais. Tandis que la guerre bat son plein en Gueldre à partir de novembre et que le sort d’Egmond semble compromis, des renforts français obtiennent la liberté de passage à travers les Pays-Bas (décembre) et apportent ainsi à Charles un appui salvateur... avec la bénédiction de Philippe et au nez et à la barbe de Maximilien50. Et si, l’année suivante, l’archiduc semble se raviser51 et notifie en mai à Louis XII que le transit de ses soldats ne sera plus toléré, il ne se met toutefois pas sur pied de guerre pour arrêter ceux que le roi de France envoie encore au secours de son allié et qui gagnent ainsi Ruremonde, dans le sud du duché52.

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Cf. SZYSZKOWITZ, op. cit., p. 144-146; GRÖBLACHER, op. cit., p. 175 (et n. 6). F.W.N. HUGENHOLTZ, Filips de Schone en Maximiliaans tweede regentschap, 1493-1515, dans Algemene geschiedenis der Nederlanden, t. IV, Utrecht et Anvers, 1952, p. 31-32, relayé par STRUICK, Gelre en Habsburg, p. 49. G. KALSBEEK, De betrekkingen tusschen Frankrijk en Gelre tijdens Karel van Egmond, Wageningen, 1932, p. 30-31. Ainsi, le bruit (propagande sans doute) court-il dans les couloirs diplomatiques que Philippe, après une entrevue avec son père à Grave, aux confins du Brabant et de la Gueldre, entre le 23 et le 26 janvier 1499, aurait résilié la trêve de décembre 1497: MAYER, Politischen Beziehungen, p. 67. Op. cit., p. 72. Au vu des maigres traces laissées dans les archives gueldroises par les sommes d’argent et les secours en hommes envoyés par la France, il semble qu’il ne faille pas surévaluer le soutien royal effectif apporté, selon A.H. GROUSTRA-WERDEKKER, Gelre ten tijde van Karel van Egmond, hertog van Gelre, Gulik en graaf van Zutphen 1492-1538, dans Arnhem de Genoeglijkste, t. XVI, 1996, p. 11.

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Des relations de bon voisinage Loin d’être tranchée, la question de Gueldre, sans grands regrets pour Philippe sans doute, va bientôt entrer dans une phase moins turbulente. Après plusieurs mois d’une guerre plus fertile en petits coups de main (Kleinkrieg: guérilla) qu’en grandes entreprises, des efforts de médiation de Louis XII auprès des ducs de Juliers et de Clèves débouchent sur une trêve, acceptée aussi par Maximilien, puis sur un traité de paix, signé à Orléans, au cœur même du domaine royal (29 décembre 1499): il engage directement Gueldre et Juliers, tandis que l’accès en demeure ouvert à Clèves, où des réticences persistent devant la crainte de pertes territoriales. Le monarque du Saint Empire, perdant alors toute initiative au profit de son principal ennemi et le voyant même s’ériger en arbitre d’affaires internes à cet empire, est d’ailleurs contraint d’orienter cette année-là ses meilleures forces vers un autre terrain qui lui donne bien du fil à retordre, celui des Confédérés suisses. Pour lui, comme pour le duché bas-rhénan, comme aussi, par le fait même, pour les Pays-Bas qui n’en ont qu’indirectement et modérément souffert, s’achève une séquence de la guerre de Gueldre au cours de laquelle Maximilien s’est efforcé de faire bon usage d’autres princes concernés, sans en retirer finalement, il est vrai, beaucoup de satisfactions. Les Etats généraux sauront certes gré à son fils de ne pas lui avoir emboîté le pas et l’archiduc ne pourra d’ailleurs que se féliciter de leur position: la guerre de Gueldre n’est pas leur affaire et les Pays-Bas n’y sont pas préparés, les interventions et pressions impériales seront donc jugées inopportunes et repoussées53. Même si elles n’ont pas d’impact immédiat sur les relations de voisinage entre pays de Philippe le Beau et de Charles d’Egmond, les difficultés internes auxquelles ce dernier va se trouver confronté à la fin de l’année 1500 sont susceptibles d’alimenter le climat d’incertitude et méritent donc d’être brièvement relatées. Assemblés à Arnhem le 17 octobre, seigneurs et villes gueldrois expriment leurs griefs envers le duc. Ils déplorent l’insécurité régnant au pays, du fait de l’état de guerre comme en termes de justice; cette même guerre et la fiscalité lourde et «sauvage» font décliner les activités commerciales et engendrent une misère que ne soulagent certes pas les coûts de fonctionnement élevés de la cour et des auxiliaires du prince. Rien que de très classique dans tout cela, ainsi d’ailleurs que dans les remèdes requis: plus de paix, de consultation des sujets, de respect des libertés, limitation des faveurs matérielles, contrôle de l’attribution et de l’affermage de charges... Courroucé, refusant de courber davantage l’échine devant ses sujets que devant l’empereur, Charles réclame des précisions, des noms de fautifs, et s’entend - évidemment - répondre que les Gueldrois sont résolus à veiller au salut de leur prince autant que de leur terre, subordonnant dès lors toute aide financière à des mesures réformatrices. Réuni derechef le 28 novembre, cette fois à Nimègue, le Landschap (les «Etats»), marqué par le grand poids urbain, formule de nouvelles propositions dans les matières évoquées, ainsi que dans d’autres, telle la monnaie. Relevons-y l’obligation de consulter les sujets pour tous dons et affermages de charges publiques et la réservation de celles-ci à des natifs du duché. Exigeant des lettres ducales en bonne et due forme, l’assemblée représentative les obtient, en date du 3 avril

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Réunions à Bruxelles et Anvers, entre janvier et mai 1499: WELLENS, Etats généraux, p. 247251.

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«Enfant terrible» de la politique européenne 1501. On y stipule point par point les demandes agréées, en échange de quoi la levée d’impôts devient possible dans toute la Gueldre54. Charles d’Egmond fait l’expérience du périlleux équilibre gouvernant/gouvernés et trouve à haut prix un terrain d’entente. Dernier écho avant l’affrontement, trois ans plus tard, des tractations avec Philippe le Beau: au temps où le duc Charles (né en 1467) mène ces négociations cruciales, on imagine de le marier à Eléonore, fille aînée de Philippe et Jeanne de Castille, âgée... de deux ans. A la clef, on prévoit la cession à son possesseur de fait - «spoliateur», rappelons-le, du point de vue des Habsbourg - de la Gueldre, en toute «légalité» féodale, au titre de fief du duché de Brabant, donc d’arrière-fief de l’Empire55. Egmond renâcle: il préférerait s’unir à Marguerite, sœur de l’archiduc56, et se voir inféoder directement la Gueldre des œuvres de Maximilien, sans quoi, tout honoré qu’il serait de tenir Philippe pour son seigneur (vur sijnen leenheren hebben ind kennen), il ne jouirait évidemment pas de la qualité de prince d’Empire57. Pour le maître des Pays-Bas, le calcul est adroit et l’intention est profonde, dans ce projet sans suite: il recevrait de son père l’investiture et, investissant à son tour Charles, il entérinerait ainsi les prétentions à la seigneurie gueldroise héritées de son aïeul maternel. En cette année 1501, où les horizons espagnols se sont ouverts à lui, il sait raisonner en dynaste, en Habsbourg. Alors, pourquoi pas, bientôt, une «guerre de Gueldre»? Mais, de toute façon, après le périple de 1501-1503. 3. L’Angleterre: les accords commerciaux Ha le bon roy conquis ce Gerrion? Ouy vrayment. J’en croy tous les humains. Des troys testes qui y sont lescairon La premiere c’est le roy des Romains, Puis l’archiduc, l’aultre ne plus ne mains La douaire; se sont toutes ensemble Les troys testes, et ne sont pas fains De destruyre ce roy, comme il me semble58 Le royaume d’Angleterre s’est traditionnellement taillé une part de choix dans le système de relations développé par les princes bourguignons. Il a souvent pu être une référence, voire un recours, un allié substantiel face à une France inami-

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MEIJ, Geschiedenis van Gelderland, p. 24-27. STRUICK, Gelre en Habsburg, p. 52-53. Veuve de Juan de Castille-Aragon, elle n’épousera le duc de Savoie qu’en septembre 1501. Op. cit., p. 62. Poème anonyme intitulé «Les Douze Triomphes de Henry VII», faisant l’éloge du roi (1497): Memorials of King Henry the Seventh, p. 145 («IXe Geste»). Géryon (mythologie): géant à trois têtes et trois corps tué par Hercule à l’occasion d’un de ses célèbres travaux; selon l’éditeur, «lescairon» doit se lire «l’escrirons»; «ne sont pas fains»: ne manquent pas d’ardeur pour. Maximilien, Philippe et la douairière (de Bourgogne), Marguerite d’York, sont brocardés ici comme ennemis du roi d’Angleterre.

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Des relations de bon voisinage cale ou résolument hostile. L’union matrimoniale de Charles le Hardi et de Marguerite d’York, sœur du roi Edouard IV (1468), un acte purement diplomatique mais une réussite, a conduit le duc de Bourgogne à soutenir derechef les prétentions du monarque insulaire au trône de France, son zèle en l’espèce demeurât-il mitigé... et les manœuvres et calculs de l’Anglais constants59. Elle a surtout admirablement doté les Pays-Bas d’une belle-mère (de la duchesse Marie) puis d’une grand-mère faisant fonction pour les enfants Habsbourg, Philippe et Marguerite, ardemment dévouée aux intérêts dynastiques de sa nouvelle «famille», et tout autant d’ailleurs à ceux de son sang York. Des contentieux existent, pourtant. Le premier prend place dans un très long terme. Il concerne le commerce des laines et des draps, une source jamais tarie de rivalités commerciales et de surenchères dans les mesures protectionnistes, auxquelles se mêlent aussi les éléments d’une politique monétaire complexe60. On n’oublie pas que l’économie des Pays-Bas reste toujours dépendante des échanges internationaux, de la venue des marchands étrangers, des flux de numéraire. Pour remédier aux divergences d’intérêts et prévenir d’inévitables heurts, des accords commerciaux dits d’entrecours sont négociés. Ainsi en va-til de celui qui fut conclu à Lille en 1478, autorisant l’importation de draps anglais dans les états de Marie et Maximilien, sous réserve de tout amendement ultérieur des princes. Onze ans plus tard, un autre traité vient reconnaître le principe d’une liberté de commerce générale et réciproque. Mais le 18 septembre 1493, Henri VII défend à ses sujets de commercer avec ceux de l’archduke of Austriche and duke of Burgoyn et impose à Calais, aux dépens d’Anvers, une étape continentale pour toutes les marchandises en provenance de son royaume. Fustigeant en réplique cette rupture unilatérale de l’entrecours, les Etats généraux obtiennent de Maximilien, le 8 avril 1494, la promulgation d’une ordonnance prohibant toute vente de laines et draps anglais dans l’ensemble des PaysBas. Rien de bien neuf, des textes similaires ayant déjà émaillé le deuxième tiers du XVe siècle, mais cela signifie que Philippe le Beau émancipé «hérite» en l’espèce d’une situation tendue61. Cette tension anglo-bourguignonne, il est vrai, puise alors sa sève dans un second contentieux, plus circonscrit mais non moins préoccupant, de nature politique, plus précisément dynastique. Henri VII Tudor, rejeton de Lancastre, a vaincu Richard III et supplanté ainsi York (1485), tout en s’unissant l’année suivante à Elisabeth, fille d’Edouard IV et nièce de l’usurpateur Richard. Même si des intérêts convergents rapprochent Maximilien et Henri, ainsi d’ailleurs que les monarques espagnols, face à la France - en particulier pour préserver l’indépendance de la Bretagne des visées de Charles VIII - , même si le Tudor a été

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CAUCHIES, Louis XI et Charles le Hardi, p. 103 sq. Cf. J.H. MUNRO, Wool, cloth and gold. The struggle for bullion in Anglo-Burgundian trade 1340-1478, Bruxelles et Toronto, 1973. Calendar of the Patent Rolls preserved in the Public Record Office. Henry VII, t. I (1485-1494), Londres, 1914, p. 475, 477. J.H. MUNRO, Bruges and the abortive staple in English cloth. An incident in the shift of commerce from Bruges to Antwerp in the late fifteenth century, dans Revue belge de philologie et d’histoire, t. XLIV, 1966, p. 1151-1152. CAUCHIES, Législation princière, p. 421.

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«Enfant terrible» de la politique européenne reçu en 1491 au sein de l’ordre de la Toison d’or, un climat de défiance s’est établi. La conclusion, en 1492, du traité d’Etaples, assurant pour les années à venir des relations pacifiques franco-anglaises, n’a pas «enchanté» Maximilien, c’est le moins qu’on puisse dire... Or un esprit de rébellion plane sur Albion, la «rose blanche» d’York reste populaire, notamment en Irlande, plusieurs prétendants au trône surgissent: le Habsbourg, encouragé par Marguerite d’York, qui rêve de contribuer au renversement d’Henri VII, va soutenir l’un d’eux, le plus redoutable sans doute, Perkin Warbeck. Voilà des turbulences qui menacent la quiétude de Philippe et de ses conseillers. A l’âge de cinq ans déjà, durant son séjour gantois, le jeune «duc de Bourgogne» voyait apposer son nom au bas d’une lettre à Richard III, protestant contre des actes de piraterie sanglants commis par des ressortissants d’Angleterre aux dépens de sujets de Flandre et les épinglant comme des atteintes à l’«entrecours de la marchandise» alors en vigueur62. On peut donc penser que les «anges gardiens» flamands de l’enfant ont ici éveillé son attention à un des grands enjeux de la politique de ses états. En décembre 1488, le nouveau monarque des Iles délègue des représentants pour débattre avec Philippe et les Membres de Flandre, comme par ailleurs avec Maximilien, des termes du traité qui sera conclu en avril 1489, of and upon a true, perfect, and perpetuelle amyte, liege, confederacioun, union and intercours of merchandise63. L’année suivante enfin, dans un mandement royal, l’archduke of Astrich est explicitement associé à Henri VII lui-même, à Maximilien, à Ferdinand et Isabelle, au roi de Portugal et à la duchesse de Bretagne au sein de la grande «coalition» anti-française64. Bien présent sur les tablettes royales anglaises durant son jeune âge, Philippe a peut-être voulu éviter de heurter de front le Tudor dans l’«affaire» Warbeck. Comme l’a noté une historienne, il est difficile de se forger une opinion sûre à propos de son sentiment personnel en l’occurrence65. Si Perkin chevauche à ss côtés lors des joyeuses entrées de Louvain et d’Anvers, c’est à l’initiative de Marguerite d’York, dans cette circonstance redoutable agent de propagande et de provocation66. La duchesse douairière de Bourgogne a pris sous son aile ce Tournaisien né en 1474, prétendument Richard, duc d’York, second fils d’Edouard IV, tenu pour mort mais échappé en fait de la Tour de Londres où l’avait incarcéré son mauvais oncle Richard III... Devant une protestation de la cour d’Angleterre, l’archiduc laisse entendre que l’attitude de Marguerite échappe à sa propre volonté67, mais il ne paraît guère davantage désireux d’entrer en conflit avec elle à ce sujet. Il a d’ailleurs vu le mystificateur reçu à bras ouverts, reconnu et honoré par un Maximilien peu dupe certes, mais rancunier envers

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Letters and papers... Richard III. and Henry VII., I, p. 26-30 (30 juillet 1483). Materials for a history of the reign of Henry VII, édit. W. CAMPBELL, t. II, Londres, 1877, p. 377-378, 440-441. Calendar of the Close Rolls preserved in the Public Record Office. Henry VII, t. [I] (1485-1500), Londres, 1955, p. 107. Calendar of the Patent Rolls..., op. cit., p. 352. MAYER, Politischen Beziehungen, p. 30 n. 6. Cf. ch. II/3 supra. Cf. WEIGHTMAN, Margaret of York, p. 174.

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Des relations de bon voisinage Henri (1493). Ce dernier va procéder à de sévères mesures de rétorsion en expulsant de son royaume des marchands des Pays-Bas et en transférant à Calais, on l’a vu, l’étape des draps et autres produits anglais d’importation alors établie à Anvers. Ses sujets boycotteront aussi de manière fâcheuse jusqu’en 1496, entre autres, les actives foires brabançonnes de Bergen op Zoom68. Dans l’entourage de Philippe, on ne doit guère apprécier qu’un escroc mette en péril des intérêts vitaux. Très habilement, sachant où les décisions se prennent, le Tudor écrit en juillet 1495 au conseil aulique («grand conseil») archiducal, où il sait pouvoir compter sans aucun doute sur des appuis, déplorant l’ingratitude manifestée à son adresse en soutenant «le controuvé - c’est-à-dire littéralement: inventé - garson et noz rebelles subgectz estans lez luy»69. Un grand «ministre», l’amiral et chef des finances Philippe de Bourgogne, seigneur de Beveren, va effectuer au temps de l’entrecours de février 1496 - dont il est d’ailleurs le premier négociateur bourguignon cité en tête de l’acte - , une mission de réconciliation qui paraît bien couronnée de succès. Moins d’un an plus tôt pourtant, il se disait encore entre ambassadeurs que Warbeck fourbissait ses armes - il débarquerait le 3 juillet 1495 sur les côtes du Kent - avec les faveurs du prince gouvernant les Pays-Bas70. Des arguments et pressions de la grande diplomatie avaient dû entre-temps orienter autrement le cours des choses: ralliement souhaitable d’Henri VII à la Sainte Ligue chère à Maximilien, encouragements des Rois Catholiques à une bonne entente entre leur gendre bourguignon et leur allié anglais pour la paix en mer du Nord71. «Lâché» par le fils dès 1495, plus tard - avec des réserves - par le père, le faux Richard ne peut vraiment plus compter alors que sur l’inflexible douairière, York authentique celle-là, qui se sera tant dévouée pour fournir à son soi-disant neveu des moyens en hommes, en armes, en argent72. Maximilien a bien pu placer en Perkin Warbeck l’espoir de voir accéder au trône d’Angleterre une créature qu’il aurait manipulée après l’avoir portée au pinacle, Marguerite d’York a bien pu ressasser sa haine insatiable: les sujets bourguignons, pour leur part, devaient opter pour la prospérité. Les premiers temps du gouvernement effectif de Philippe n’exhalent pas un parfum nouveau dans la tolérance. Le 18 janvier 1495, l’ordonnance d’avril 1494 bannissant

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Y.E. KORTLEVER, The Easter and cold fairs of Bergen op Zoom (14th -16th centuries), dans Fiere e mercati nella integrazione delle economie Europee secc. XIII-XVIII, édit. S. CAVACIOCCHI, Prato, 2001, p. 633. HHSA, Maximiliana, carton 4, juin-août 1495, f. 267r. Le roi diffuse en même temps opportunément la nouvelle de l’échec militaire cinglant subi sur le sol anglais, au cours des jours précédents, par les partisans de Warbeck. Calendar of State papers and manuscripts, relating to English affairs, existing in the archives and collections of Venice, and in other libraries of Northern Italy, édit. R. BROWN, t. I (12021509), Londres, 1864, p. 219 (mai 1495), 236 (mars 1496). Le fils du Grand Bâtard Antoine se serait vu octroyer en récompense un «county» anglais (?). SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional de Isabel la Católica, V, p. 25, 173. WEIGHTMAN, op. cit., p. 175-177. Selon une dépêche diplomatique espagnole (7 septembre 1498), Maximilien sollicitera d’Henri une mesure de grâce en faveur de Perkin, «le embia supplicar la quiera perdonar y recibir la en su obediencia»: AGS, Patronato Real, 52 - 145; mais l’aventure du bonhomme s’achèvera bientôt lamentablement sur l’échafaud, en 1499.

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«Enfant terrible» de la politique européenne draps et laines anglais des états bourguignons se trouve renforcée, puisque toutes licences et dérogations particulières accordées depuis lors sont révoquées. Mais cette année 1495, on l’a vu pour Warbeck et les menées politiques, en particulier à la saison d’automne, paraît vraiment être celle de toutes les conciliations, quoique des bruits, démentis par le monarque en personne, aient encore couru au sujet de l’armement d’une flotte de guerre anglaise73. Dès septembre en effet, l’archiduc suspend l’édit de bannissement, une mesure propre à réjouir particulièrement le négoce anversois74. Intercursus magnus, le «grand» entrecours: le qualificatif louangeur appliqué au traité commercial du 24 février 1496 traduit l’impact positif qui devait être le sien aux Pays-Bas, ainsi d’ailleurs que sur l’autre rivage de la mer du Nord75. On notera, marque de cohésion entre les dossiers économiques et politiques anglobourguignons, qu’il exige d’entrée de jeu que l’on renonce à tout soutien à des rebelles. Une liberté quasi totale de commerce est établie entre les pays des deux signataires. Seuls des droits de tonlieu d’application depuis cinquante ans au moins pourront frapper des marchandises à l’importation comme à l’exportation. La protection juridique des marchands et la pêche en mer se voient aussi réglementées76. Comme avant lui le traité de 1478, impliquant Edouard IV et Maximilien, l’intercursus magnus constitue une étape de plus sur un parcours fluctuant, où alternent restrictions et ouvertures. Henri VII va le ratifier fin mars, Philippe le Beau début avril, à Bruxelles, ville où le texte est d’abord publié avant d’être expédié dans le même but, et sans doute par priorité, à Anvers, Bergen op Zoom, Gand, Bruges77. Selon l’usage établi pour les accords de poids, une série de grands seigneurs et de villes vont être requis d’y souscrire par acte scellé78. De Philippe le Beau, l’acte manifeste la pleine autonomie d’action; Maximilien n’y est pas partie prenante. On peut croire l’ère des sanctions commerciales réciproques révolue. Mais des objets de discorde ne vont pas tarder à surgir. Des taxations non conformes au critère des cinquante ans d’usage et d’autres mesures contraignantes sont dénoncées en juin par le roi d’Angleterre lui-même79. Les autorités communales de Middelbourg (Zélande) font mettre l’embargo sur des bateaux pour lesquels on refuse d’acquitter un droit de tonlieu non cinquantenaire dans la partie occidentale de l’estuaire de l’Escaut (Hont)80. Henri VII ordonne dere-

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Letters and papers... Henry VII, II, p. 58-60 (13 octobre 1495). CAUCHIES, Législation princière, p. 422. M.V.C. ALEXANDER, The first of the Tudors. A study of Henry VII and his reign, Londres, 1981, p. 114. DU MONT, Corps universel diplomatique, III/2, p. 318-324 et 336-343 (deux éditions, d’après des recueils imprimés distincts). Analyses sommaires par G. SCHANZ, Englische Handelspolitik gegen Ende des Mittelalters..., t. I, Leipzig, 1881, p. 18-21, et Bronnen tot de geschiedenis van den handel met Engeland, Schotland en Ierland, Tweede deel: 1485-1585, édit. H.J. SMIT, t. I, La Haye, 1942, p. 67-68. ADN, B 2157/70984. ADN, B 2155, f. 124v.-125r. Letters and papers... Henry VII, II, p. 69-72. Cf. MUNRO, Bruges and the abortive staple, op. cit., p. 1153. L.Th. MAES, Twee arresten van de Grote Raad van Mechelen over de tol van Iersekeroord,

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Des relations de bon voisinage chef aux marchands anglais établis à Anvers de transférer leurs établissements à Calais. Des négociations répétées allaient donc être mises sur pied81. Un «ministre» et prélat diligent y tient un rôle en vue: c’est Henri de Berghes, évêque de Cambrai, d’une maison dont les sentiments anglophiles ne sont nullement celés (Bergen op Zoom!) et qui espère bien alors décrocher prochainement un chapeau de cardinal82... Epinglons donc deux moments forts dans ces pourparlers. Le premier est le traité de commerce du 18 mai 1499, négocié à Calais entre commissioners des deux monarques (mars-avril)83, qui s’enracine dans l’esprit «libéral» de l’intercursus de 1496, mais qui vient éclaircir, en offrant des garanties réciproques, quelques points litigieux relatifs à la taxation des laines et des draps importés d’Angleterre aux Pays-Bas84. La paix commerciale paraît bien à présent plus fermement acquise. Le second moment veut attester aux yeux de tous la paix trouvée et l’entente cordiale scellée. En juin 1500, le roi Henri et la reine Elisabeth débarquent à Calais, territoire anglais, en compagnie de toute une cour. Le 9 juin, le couple royal rencontre Philippe à proximité de la ville portuaire; flanque le prince un beau parterre de proches, parmi lesquels Jean de Berghes, Jacques et Jean de Luxembourg, l’amiral Philippe de Bourgogne (le bâtard), Florent d’Egmond et d’autres encore, à la fibre anglophile éveillée sans nul doute, comme on le sait des premiers cités85. Si l’entretien ne donne pas lieu à l’établissement d’un acte et ne produit guère d’effets pratiques86, il n’en revêt pas moins une haute signification. On a dû y deviser des accords commerciaux et d’autres choses encore. Laissons la plume à Jean Molinet: «En la vision de ces II resplendissans princes, qui jamais ne s’estoient entreveus, en la communication faite par iceulx et les gracieux dons qu’il firent l’ung a l’autre, espere chescun que grande amitié se nourrira entre eulx, par quoy le povre peuple en sera mieulx consolé». Habsbourg et Tudor se devaient de vivre en bon voisinage. A l’instar de Habsbourg et Valois d’ailleurs, voire, si possible, de Habsbourg et Egmond de Gueldre. Le choix de Philippe le Beau, ne subissant pas alors la pression d’un futur héritage espagnol encore inconcevable, était clairement celui de la neutralité.

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dans Recht heeft vele significatie. Rechtshistorische opstellen van Prof. Dr. L. Th. Maes, Bruxelles, 1979, p. 151. D. TRENKLER, Maximilian I. und seine Beziehungen zu England in den Jahren 1477-1509, p. 91-92. ALEXANDER, op. cit., p. 175-176. Calendar of State papers... Venice, op. cit., p. 272. Cf. CAUCHIES, «Croit conseil» et ses «ministres»... SCHANZ, op. cit., t. II, Leipzig, 1881, p. 195-201; parmi eux, du côté bourguignon, est mentionné par priorité «my lord of Camerik» (Cambrai). DU MONT, Corps universel diplomatique, III/2, p. 409-412. Letters and papers... Henry VII, II, p. 87-92 (liste détaillée des présents). MOLINET, Chroniques, II, p. 475 (avec la date exacte de l’entrevue). Cf. L. SUÁREZ FERNÁNDEZ, 1500: un giro radical en la política de los Reyes Católicos, dans En la España medieval. V. Estudios en memoria del Profesor D. Claudio Sánchez Albornoz, Madrid, 1986, t. II, p. 1259-1260 (qui situe erronément l’entrevue en mai).

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Chapitre VI UN PRINCE EN EUROPE

1. Un jeune Habsbourg et l’Empire Mon filz, tenez ceste lettre a cueur et soyez tel devers moy que devez, car en ce faisant me trouverez bon pere1 Devenu gouvernant à part entière des Pays-Bas, Philippe le Beau n’a pas tardé à éprouver que son horizon politique en dépassait largement les limites. Il est d’abord le fils du monarque élu du Saint Empire. Maximilien, qui l’a régi et escompte bien s’y faire entendre encore, considère l’héritage de sa défunte première épouse comme une composante du patrimoine des Habsbourg. Les relations entre père et fils sont donc tributaires des réponses que les deux hommes peuvent ou veulent apporter à une question primordiale: quels sont les droits de l’Empire entre Escaut et Rhin - puisque pour la Flandre et l’Artois, terres «françaises», les choses se présentent autrement -? Maximilien n’hésite pas à mettre en lumière l’appartenance de ces contrées au Reich quand il s’agit d’y prôner une intervention militaire contre la France spoliatrice et menaçante, et d’en solliciter en conséquence les moyens. Tel est le langage tenu en 1495, à la Diète de Worms. Mais il se complait moins dans cet exercice lorsqu’une exigence est à imposer à des états bourguignons qu’il sait devoir manier avec prudence... tout ainsi d’ailleurs qu’il doit manier son propre rejeton et ceux qui le conseillent. On le voit bien dans les négociations relatives à la levée du Gemeine Pfennig ou «commun denier». Cette imposition applicable à l’ensemble des territoires constituant le Saint Empire fait l’objet d’une ordonnance promulguée au cours de la Diète de Worms, en date du 7 juin 1495. Conçu à l’origine comme une ressource fiscale permanente, il voit bien vite son terme de perception limité à quatre ans et sa mise en œuvre se heurte à de nombreuses difficultés politiques et pratiques. Elément essentiel d’un vaste plan de réformes de l’Empire, tendant à faire de ce grand corps une forme d’«Etat» moderne pourvu de moyens adéquats, il ne bénéficie pas de la collaboration efficiente des Stände, princes et villes, et se restreint dans les faits à une sorte de don, d’«aumône» libre, évidemment peu productif2. En toute logique, les Reichsfürsten ne se font pas faute d’«encourager» leur souverain à payer par l’exemple et à taxer les possessions habsbourgeoises. Un article d’instructions du 26 octobre 1495 pour Philippe donne forme concrète à la démarche: «Le roy veult aussi que mondit seigneur, avant son partement

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Post-scriptum de la main de Maximilien au bas d’une lettre à Philippe le Beau (Vigevano, 17 septembre 1496): HHSA, Maximiliana, carton 6, septembre-décembre 1496, f. 197v. Cf. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., II, p. 244-245.

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«Enfant terrible» de la politique européenne pour venir a ladicte journee de Francfort, face mectre sus par tous les pays de par dela l’ayde du commun denier qui a esté conclu et accordé estre levé par toutes les Alemaignes, les Ytales et autres pays, terres et seignouries dudit Saint Empire, et moiennant ce, tous ceulx dudit Saint Empire seront tenuz doresenavant d’ayder, assister et deffendre envers et contre tous, a leurs propres coustz et despens, mondit seigneur et tous sesdis pays, s’il avenoit que quelque guerre s’esmeult contre luy, et que mondit seigneur commence a lever ledit denier en Brabant premierement»3. A cela, ne peut-on rétorquer d’emblée que l’archiduc et ses pays n’ont pas besoin d’aléatoires appoints militaires allemands, puisqu’ils vivent en paix avec les voisins et tiennent à garder ce cap? Peu stimulant en-deçà du Rhin, où il fut conçu, le «commun denier» n’allait évidemment guère recevoir d’écho favorable dans les Pays-Bas, où l’on accepte tout au moins de prendre la demande en considération. Mais assez vite, on va lui substituer une taxe «de bonne voille (ou: vueille)», c’est-à-dire une contribution purement volontaire - voilà bien l’«aumône» - , que l’on tentera de persuader les sujets d’acquitter: Philippe a pu amener Maximilien à en accepter le principe, ainsi que l’atteste déjà une lettre du 15 mars 14964. En dépit donc d’une décision acquise «par deliberacion de l’Empire et par edict general» - le texte du 7 juin 1495 - , le roi des Romains va céder et faire valoir en Allemagne, en guise d’excuses, que les pays bourguignons ne sont pas vraiment de l’Empire5... Quant à son fils, il fera rechercher plus tard dans les trésoreries brabançonne, hainuyère et luxembourgeoise, où l’on garde les «chartes», celles qui sont susceptibles de justifier un affranchissement ancien à l’égard de toute imposition de nature impériale, pour en faire usage contre la «bonne veille» ou toute autre exigence similaire6. A une date indéterminée, Melchior de Maßmünster (Masevaux), grand veneur de Flandre, un conseiller (raet) fidèle originaire des Vorlande (Haute-Alsace), reçoit de Maximilien l’ordre de rassembler des gens de guerre des Pays-Bas pour la future descente en Italie, le paiement de leurs solde et gages devant être assuré grâce au produit de deux ressources - remarquer la distinction établie - , le goetwillighe penninck in den Nidderlanden et le gemeyne penninck in duitsschen landen7. En attendant, les dirigeants politiques des PaysBas décident pour leur part d’affecter par priorité le produit de ce nouvel impôt, moyennant l’accord des assemblées d’Etats, aux frais futurs de réception de Jeanne de Castille et au coût du voyage de Marguerite d’Autriche en Espagne. S’il en demeure ensuite quelque chose, les commissaires désignés conjointement par les père et fils pourront toujours en faire leur miel en faveur des caisses du Reich8... Tout l’art de ne pas dire non en esquivant les risques d’un oui!

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HHSA, Maximiliana, carton 5, septembre-décembre 1495, f. 72r. Ibid., janvier-mai 1496, f. 74r.-v.; Maximilien y avait donné son accord de principe à la date du 2 février précédent. CHMEL, Urkunden, p. 98-99. MAYER, Politischen Beziehungen, p. 32. ADN, B 2155, f. 136v., 137v. HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 23r.-v., 26r. CHMEL, op. cit., p. 535-537. Ibid., f. 38r.-v., 42r.

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9. Jahrbuch der kunsthistorischen Sammlungen Wien, t. VI, 1888, p. 198. Gravure tirée du Weißkunig (XVIe s.): rencontre de Maximilien et Philippe le Beau.

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«Enfant terrible» de la politique européenne Après maints atermoiements, manœuvres de retardement dans lesquelles des «ministres» ont leur part, regrets quant au manque - opportun en l’espèce - et aux besoins d’argent, l’archiduc va enfin prendre la route pour l’Allemagne. La certitude en paraît acquise début mars: il sera pour Pâques (3 avril) à Luxembourg et y entreprendra le périple. Sans doute tient-il à montrer, et ses proches avec lui, qu’il n’obéira pas ainsi à un ordre mais agira de sa seule volonté. Une assemblée des Etats généraux, convoquée à Bruxelles, se tient partiellement à Namur dans la seconde semaine d’avril, ou du moins des députés s’y rendent-ils, parce que le prince, avec un léger retard sur la date promise, chemine en effet vers l’est9. Cette absence de plusieurs mois correspond au temps où Philippe le Beau, de toute son existence, se verra le plus impliqué dans la politique de l’Empire. Telle était bien l’intention de Maximilien. Le souverain entend certes rallier son fils à une politique anti-française, gagner une adhésion à la Sainte Ligue dont il se veut l’âme, s’entretenir avec certains conseillers actifs aux Pays-Bas ou convaincre peut-être encore de souscrire au «commun denier». Mais il fallait aussi confronter à la Diète et faire entendre par elle celui que le rejeton de Frédéric III escomptait voir un jour, à son tour, lui succéder sur le trône d’Otton. Soulignons encore que le souci primordial de Maximilien est alors l’organisation d’une expédition en Italie, pour laquelle le Gemeine Pfennig déjà débattu devrait constituer, on l’a vu, une source de financement. Philippe ne gagne toutefois pas Luxembourg mais, depuis Namur, Cologne (4 mai) via Maastricht, puis Worms, Augsbourg, où il rejoint son père, et Ulm (27 mai), où vont avoir lieu pendant plusieurs jours des entretiens privés. A ses côtés, selon l’indiciaire, on voit entre autres Albert de Saxe et le margrave Christophe de Bade, cousins germains de son père, «le comte de Nassau», Philippe de Clèves, Baudouin de Lannoy-Molembaix (?) - un seigneur bénéficiant des faveurs de Maximilien - , et les inévitables Berghes et Busleyden10. L’ordre du jour des négociations, nous demeurât-il inconnu faute de témoins et de rapports, se laisse aisément deviner à la lumière de tout ce que l’on vient de répertorier. Maximilien n’a certainement pas lieu de se réjouir des premiers résultats: il se heurte bien là aux résistances d’un camp «bourguignon» peu désireux d’entendre parler de guerre et d’aide pour la guerre. Il quitte les lieux dès le 4 juin et s’en retourne bientôt au Tyrol, où Philippe va le suivre à bonne distance, après une nouvelle halte prolongée dans l’opulente et accueillante Augsbourg. Les discussions peuvent reprendre à Innsbruck, à partir du 28 juin, mais les contacts ne

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WELLENS, Etats généraux, p. 237-238, 482-483. MOLINET, Chroniques, II, p. 426 (la date du 30 mai pour l’arrivée à Ulm est erronée). La liste fournie laisse partiellement perplexe. Le «comte de Nassau» ne peut être, comme l’ont pensé d’autres historiens, Engelbert, chargé de la lieutenance générale des Pays-Bas pendant l’absence du prince; serait-ce le comte Adolphe, membre du conseil privé de Philippe (CAUCHIES, Les étrangers...), que Maximilien désignera plus tard comme substitut de son fils à la Diète de Lindau (MAYER, op. cit., p. 38 n. 10)? Baudouin de Lannoy, seigneur de Molembaix, semble bien être resté aussi au pays: un document archiducal du temps (quoique sans date) l’y mentionne (il est «par dela») avec le chancelier, Nassau et Beveren (HHSA, Maximiliana, carton 39, I/9, f. 31 r.).

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Un prince en Europe s’améliorent pas, la grogne est de rigueur, le monarque s’en va de la ville le 5 juillet, l’archiduc envisage même de regagner séance tenante ses états et il le fait savoir à un père derechef fondé à flairer là de mauvais conseils de gens des PaysBas. Maximilien réagit promptement, manifeste une volonté de tremper Philippe dans le bain de la grande politique italienne et de justifier aux yeux de son fils ses propres desseins, en lui faisant rencontrer son allié (et oncle de sa femme) Ludovic Sforza, duc de Milan, dans le Tyrol du sud, au-delà de la vallée de l’Inn et des montagnes. Mais Philippe ne verra jamais le More; il n’en a d’ailleurs nulle envie et prétexte... un mal de pieds! Maximilien se rend en effet dans cette contrée du Vinschgau où, à Mals et Glurns, dans la haute vallée de l’Adige, se déroulent des pourparlers relatifs à la Sainte Ligue, en présence du duc Ludovic et de plusieurs ambassadeurs des princes et états concernés, dont le pape, les Rois Catholiques et la République de Venise11. L’archiduc, de sa propre volonté, n’en est donc pas. C’est, il est vrai, à l’ajustement d’une véritable machine de guerre contre la France que l’on procède, et cela ne correspond certes pas à ses options de neutralité. Au retour de son père, prend place une troisième phase d’entretiens à Imst, à une soixantaine de kilomètres à l’est et en amont d’Innsbruck, du 2 au 4 août. Gageons que les sujets de conversation n’y font pas défaut: Italie, France, Gueldre, réformes de l’Empire, sans oublier le double mariage austro-espagnol. Le roi des Romains en sort, paraît-il, dépité, lassé, voire épuisé, et sans résultats probants, sinon l’accord arraché à Philippe pour aller présider la Diète en ses lieu et place. Maximilien est en effet rempli d’impatience. Dès le 5 août, le voici résolument reparti pour son voyage italien, franchissant derechef les Alpes de l’Inn à l’Adige, chevauchant vers Mals, Glurns, Bormio, Tirano..., et maudissant sans doute l’obstiné Philippe de l’avoir contraint à effectuer cet aller-retour dans une région si montagneuse. On verra cependant aussi que le courroux du père pourra valoir bientôt quelque disgrâce passagère auprès du fils à la «tête de Turc» impériale en l’espèce, le prévôt Busleyden. C’est le 1er septembre que Philippe le Beau arrive à Lindau, sur le rivage septentrional du lac de Constance ou Bodensee, où sont assemblés, depuis bon temps déjà, princes et délégués des villes d’Empire. Il ne doit guère y faire impression, tard venu, dénué de véritable intérêt pour la circonstance autant que d’enthousiasme pour la politique italienne dont il y est traité. Dépourvu d’instructions précises, il ne résiste d’ailleurs pas aux pressions de l’archevêque-électeur de Mayence Berthold de Henneberg, qui lui reprend une présidence convoitée. Qui sait même si le jeune Hasbourg ne s’en trouve pas soulagé! Et dire que Maximilien, depuis la péninsule de ses rêves, fait encore savoir le 13 septembre à son ambassadeur en Espagne, à l’intention des Rois Catholiques, qu’il escompte bien que l’archiduc transférera la Diète de Lindau à Metz, le plus à l’ouest possible, et mènera de là ses Fürsten sur pied de guerre à l’assaut de la France! Illusion étonnante, «coup de bluff» ou humour d’homme d’Etat? Quatre jours plus tard, en tout cas, il donne le feu vert au départ de son fils «des Allemagnes»

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Cf. WIESFLECKER, op. cit., II, p. 78.

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«Enfant terrible» de la politique européenne et convient que les bonnes raisons n’en manquent pas: accueillir l’épouse, célébrer les noces, prendre congé de Marguerite, négocier les aides12. Le retour de Philippe aux Pays-Bas, sans hâte, ne s’effectuera qu’à la mioctobre, à la veille même de son mariage13. Le voyage d’Empire est accompli, il a déçu les attentes de Maximilien, il n’a rien apporté de concret à Philippe sinon sans doute plus de matûrité politique pour ce gouvernant de 18 ans - , il n’a pas infléchi le cours des relations entre Bourgogne et France, Bourgogne et Empire. Sans être un non-événement, il ne représente pas comme il aurait pu le faire un moment crucial du principat de l’archiduc. A tout le moins lui aura-t-il permis de perfectionner sa connaissance encore limitée de l’allemand, si l’on en croit une relation de Jean Bontemps, trésorier du monarque autrichien, qu’entre Imst et Lindau Philippe a chargé de solliciter de son père un don d’habillement et d’équipement pour ses gens14. Après tout, quelque intérêt politique que ce lieu présentât, la ville du Reichstag devait les voir dignement paraître, lui et sa suite. Dans l’ultime document paternel qui concerne le voyage d’Allemagne alors finissant (17 septembre 1496), regrets et espoirs se partagent le terrain15. Le souverain déplore surtout d’être «forcé presentement de nous servir d’estrangiers ou lieu que esperions estre servy de lui qui est nostre seul filz et heritier». Mais il entend cultiver la patience et forme le vœu que Philippe lui demeure attaché et gouverne en valorisant de bons conseillers, énumérés comme suit: Nassau, Beveren, Berghes, Molembaix, Chimay. Maximilien affiche ainsi sa confiance dans la «grande» noblesse bourguignonne qu’il sait tenir les rênes à la cour; Albert de Saxe et Philippe de Clèves sont oubliés, Busleyden disgrâcié est mentionné à l’imparfait («il estoit...») et on devine son ombre derrière l’allusion aux «faulx traictes (sic) et desloyaulx» semeurs de discorde entre père et fils. Il est derechef question du «commun denier et bonne vueille», que le monarque du Saint Empire espère bien voir lever dans les pays de ce ressort, étant convenu que l’archiduc pourra disposer du produit «pour soy en aydier a conduire les choses»... que lui dictera son père, en se gardant d’autres dépenses excessives, notamment pour le train de son épouse et de sa sœur. Selon toute apparence, Maximilien sait son fils prodigue («bon» sang ne peut mentir!) en frais de maison et de faste: plus tard les Castillans le découvriront aussi. L’expédition militaire automnale en Italie, si elle lui permet de «jouer à la guerre» avec les Français et leurs affidés en Ligurie, n’ouvre pas à Maximilien le chemin de Rome et du couronnement impérial. Le pape Alexandre VI (Borgia) ne manifeste guère d’enthousiasme dans ce sens même si, pressé de sollicitations, il promet de ne pas négliger cette perspective. Le Habsbourg formerait en fait le projet de descendre l’année suivante vers la Ville éternelle, à la tête d’un

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Sur le déroulement du voyage de Philippe dans l’Empire et ses développements politiques: MAYER, op. cit., p. 35-40; J. LAMBAUER, König Maximilian I., die Erbländer, das Reich und Europa im Jahre 1496, p. 19-20 (Lindau), 207-213, 269-272 (pour l’itinéraire de Maximilien). Cf. ch. III/3 supra. HHSA, Maximiliana, carton 43, VII/1, f. 13r.-v. (25 août [1496]): «... et desire de bientost savoir bien parler le langaige de par deca et desia commence a parler». Ibid., carton 6, septembre-décembre 1496, f. 196r.-197v.

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Un prince en Europe cortège de princes ecclésiastiques et laïcs allemands préalablement rassemblés en Lombardie. Il pourrait alors envisager de faire élire ensuite Philippe en qualité de roi des Romains, comme il l’avait été lui-même (1486) du vivant de son propre père16. Projet fugace, que ne reportent pas seulement (sine die?) un retour forcé en Germanie, sous la pression de la Diète, mais encore les relations perturbées avec le fils unique. Ce dernier perd la confiance, et la fin de l’année 1496 n’est même pas à cet égard le moment le plus sombre. Moins de deux ans plus tard, à l’heure du «maudit» traité de Paris avec la France, les regards se porteront vers le duc Frédéric de Saxe17, électeur, neveu d’Albert, candidat possible à la main de Marguerite veuve et à la royauté précédemment envisagée pour le fils en radicale disgrâce18. Ce dernier ne sera jamais élu au marchepied de la charge impériale, pas plus que nul autre du vivant de Maximilien. Pour l’un, une occasion manquée? Pour l’autre certes, un grand projet, parmi d’autres évanoui. Dans l’immédiat «après-voyage», Philippe le Beau va montrer à tous qu’il n’est pas en somme le jeune prince client et soumis que, de l’avis de certains, son père eût souhaité modeler. Le 24 août 1496, cheminant vers Lindau et s’étant alors arrêté à Hall, au cœur du Tyrol, il annonçait bien avoir donné congé pour quatre mois au prévôt de Saint-Lambert de Liège, objet d’un ressentiment intense de la part de l’empereur élu; il écrivait le faire à regret, vu son affection pour un collaborateur aussi compétent et diligent, et espérait un revirement dans l’opinion paternelle, inspirée par de «fauls rapors». L’homme avait pour sa part tenu dès le lendemain à protester de ses intentions et à justifier sa conduite, dans une lettre au style alternativement direct et ampoulé, adressée à Maximilien: «De induire mondit seigneur votre filz a non vous obeyr et non accomplir voz bons plaisirs, ja Dieu ne me doint vivre l’heure d’avoir la voulenté de ce faire»19. Mais le monarque devait même requérir contre lui l’appui des plus hauts dignitaires, chancelier, chefs du conseil privé et des finances, ainsi que des chevaliers de la Toison d’or. Il aurait notamment reproché à François de Busleyden, à tort ou à raison, d’avoir dit que les affaires de l’archiduc se porteraient bientôt au plus mal si un autre que l’empereur élu ne s’y employait pas. Le 11 août, Maximilien avait aussi confié à un diplomate vénitien qu’il tenait à écarter de son fils ceux qui exerçaient sur ce dernier une influence pernicieuse, en l’encourageant dans ses mauvais penchants, che intrattenevano in varii giuochi é piaceri disonesti il detto Archiduca..., et Busleyden, au contraire de l’estimable Berghes, était du nombre20. On a l’impression que le monarque se targue de restaurer alors à la cour de Philippe un certain «ordre moral»... L’orage une fois passé, Philippe réintégrera pourtant bien vite l’ancien précepteur - celui-ci l’a-t-il jamais vraiment quitté? - dans le cercle de ses familiers. Il va le promouvoir chef des finances, à la suite du seigneur de Beveren, dès

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Nous avons déjà commenté ce projet au ch. III/3 supra. Frédéric III, dit le Sage, duc de Saxe (1486-1525), fils du duc Ernest, futur protecteur de Martin Luther, alors âgé de 35 ans. WIESFLECKER, op. cit., II, p. 118, 308, 391. CHMEL, op. cit., p. 116-117, 520-523. Dispacci al Senato Veneto di Francesco Foscari e di altri oratori presso l’Imperatore Massimiliano I nel 1496, dans Archivio storico italiano, t. VII/2, 1844, p. 801.

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«Enfant terrible» de la politique européenne 149721. Le 9 janvier de cette année, un ambassadeur de Maximilien en Espagne écrivait à celui-ci que les Rois Catholiques ont su «que le prevost est retourné vers monseigneur l’archiduc et en sa maison, et que c’est contre vostre commandement et voulenté»22. Dans le contexte d’une politique d’entente avec la France, la présence à l’avant-plan de Busleyden, connu pour ses options dans ce sens et objet essentiel pour ce motif de la vindicte impériale, ne détonne guère. D’ailleurs, le chroniqueur aragonais Zurita, bien informé, relatera plus tard qu’à peine écarté du service de l’archiduc, le prévôt avait recouvré, dès Cologne, sur le chemin du retour, ses fonctions dirigeantes23. Les escarmouches vont émailler le cours des années à venir. A peine Philippe est-il rentré aux Pays-Bas (octobre 1496) que Maximilien l’invite formellement («nous avons avisé et ordonné») à convoquer un chapitre de la Toison d’or à Malines, pour le 30 novembre, le dernier en date ayant eu lieu en 1491 dans cette même ville. Le jeune chef et souverain de l’ordre le rabroue (2 novembre), en se référant à l’avis des confrères présents qu’il a pu consulter: «Selon les status de l’ordre, par ung article qui n’est muable, l’en est tenu avertir les chevaliers dudit ordre du jour et sollemnité de la feste trois mois de tempz auparavant ledit jour». En outre, il se dit très occupé - ne vient-il pas de faire célébrer son mariage quelques jours plus tôt? - et formule pour divers motifs une contre-proposition: Bruxelles, mai 149724. Mais aucun chapitre, n’en déplaise au monarque du Reich, n’aura lieu avant 1501. Pour déplaire, cela déplaît: sentant s’éloigner le canal d’influence possible que demeure pour lui la vénérable compagnie, au sein de laquelle plus d’un jouit de sa confiance, Maximilien va même forger en septembre 1497 le projet - avorté - de la dédoubler, soi-disant pour refléter ainsi l’union des deux maisons d’Autriche et de Bourgogne25. Dans la lettre d’octobre 1496, il exprimait implicitement encore son emprise, parlant de «nostre ordre», désignant en qualité de procureur le duc Albert de Saxe, décidant d’informer luimême le roi Ferdinand d’Aragon, confrère, «pour ce que sommes plus prochain de lui que vous»26. La Toison d’or fait donc figure entre père et fils de terrain d’affrontement plus que potentiel et pour le moins non négligeable. Différents témoignages de tensions persistantes éclairent encore le temps qui suit le voyage d’Allemagne. Maximilien prie ainsi Fuensalida, ambassadeur des Rois Catholiques, de ne pas lui parler des négociations de Philippe avec Louis XII, du traité de Paris, et de le laisser porter sa douleur sans la rendre plus pro-

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CAUCHIES, «Croit-conseil» et ses «ministres»... Après avoir quitté Philippe à Imst, début août 1496, Maximilien s’était fait accompagner par Busleyden à son départ décisif pour l’Italie, pendant plusieurs jours semble-t-il, afin de tenter de le convaincre personnellement de changer de cap vis-à-vis de la France: LAMBAUER, op. cit., p. 211. CHMEL, op. cit., p. 167. ZURITA, Historia del rey Don Hernando, I, p. 257-258: «y continuó el gobierno como primero». HHSA, Maximiliana, carton 6, septembre-décembre 1496, f. 13r., 41r. J. PAVIOT, Etude préliminaire, dans Les Chevaliers de l’Ordre de la Toison d’or, p. XXVII; ID., Le recrutement des chevaliers de l’ordre de la Toison d’or (1430-1505), dans L’ordre de la Toison d’or, de Philippe le Bon à Philippe le Beau (1430-1505),: idéal ou reflet d’une société?, Bruxelles et Turnhout, 1996, p. 79. Le Bourguignon (au sens strictement géographique du terme) Claude de Neufchâtel, promptement convoqué, fera en vain le voyage des Pays-Bas: CHMEL, op. cit., p. 523-524.

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Un prince en Europe fonde encore (1498). Il n’évoquerait alors la personne de son fils qu’avec force soupirs, parce que celui-ci contrarie ses propres volontés, tient le roi de France pour un protecteur, ne soutient pas sa guerre de Gueldre27. Il imputera toujours à quelque conseiller la responsabilité de détacher Philippe de l’affection - et de l’obéissance - due à un père. Après le Luxembourgeois Busleyden, ce sont le Hainuyer Jean de Luxembourg et le Castillan Juan Manuel qu’il accusera tout particulièrement de lui causer «la perte de son fils»28. Jusqu’à la fin, il n’exprimera souvent que doutes sur l’attitude et la rectitude de l’entourage politique agissant de l’archiduc, celui des lieux de décision, où la présence autrichienne et allemande paraît en tout cas très ténue29. Le «coup de gueule» le plus retentissant de Maximilien demeure celui de janvier-février 1499, quand il vient en personne à Anvers conjurer les Etats généraux des Pays-Bas de ne pas ratifier le traité de paix signé avec Louis XII par leur seigneur et prince «naturel». Il assortit sa démarche, lui qui reste leur seigneur (aussi) et roi «souverain», d’un vibrant plaidoyer pour toute la politique qu’il a déployée depuis son mariage, voilà vingt ans passés, en faveur des PaysBas30. Que Philippe ait fait verser à son trésorier général une somme plantureuse justifiée par les dépenses occasionnées pour sa venue31 n’a pas dû consoler Maximilien. Sa démarche résolument contraire aux options de son fils n’a pas entamé autour de celui-ci un ardent désir de paix, fût-ce à haut prix. L’année suivante, les perspectives de royauté ouvertes en Castille pour Philippe le Beau32 vont contribuer à amorcer un incontestable tournant. Le cohéritier d’une couronne tendra davantage l’oreille aux échos d’une ligne dynastique, d’une politique familiale, que le tout jeune archiduc peu désireux avec ses proches, six ans plus tôt, de laisser au père émancipateur une part trop réelle de souveraineté effective. Sans doute Philippe est-il mieux disposé à percevoir alors le sens de la politique aux visées «universelles» que son père s’efforce de concevoir, intensément, et de réaliser, modestement: sans renoncer pour autant à sa mission de porteur d’une grande tradition bourguignonne, il sera désormais partie prenante dans pareille politique, pour le meilleur et pour le pire.

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P. KRENDL, Spanische Gesandte berichten über Maximilian I., den Hof und das Reich, dans Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschungen, t. LXXXVII, 1979, p. 111, 114 (nombreuses références aux dépêches de Fuensalida). En 1505, le diplomate écrira toutefois encore du père et du fils qu’ils sont capables de se réconcilier aussi vite qu’ils se brouillent... ZURITA, op. cit., II, p. 332 (en 1501). Cf. CAUCHIES, Les étrangers... GACHARD, Lettres de Maximilien. 2e partie, p. 281-291. Handelingen van de Leden en van de Staten van Vlaanderen (1477-1506), II, p. 824. WELLENS, Etats généraux, p. 248-249. CAUCHIES, Die burgundischen Niederlande, p. 45. HHSA, Familienurkunden (Habsburg-Lothringische Familienarchiv, Urkunden), 860 (25 février 1499, pour 40.000 livres). Par des morts successives, en particulier, en juillet 1500, celle de l’enfant Miguel: cf. ch. VI/3 infra.

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«Enfant terrible» de la politique européenne 2. Le Saint-Siège et la politique bénéficiale Parmi les secteurs «privilégiés» par la législation générale, c’est-à-dire simultanément applicable à l’ensemble des principautés des Pays-Bas, de Maximilien et Philippe le Beau figure en bonne place la réglementation stricte des interventions de la Curie romaine33. La politique de centralisation bénéficiale déployée de longue date par l’institution pontificale suscite réserves et réactions des autorités laïques. Que reprochent en effet celles-ci, dès les débuts de la régence de Maximilien, à la «cour de Rome»? La délivrance trop complaisante de lettres de provision apostoliques, tirant parti d’un droit général de collation reconnu au Saint-Siège et fondant, à travers tout le XVe siècle, une immixtion croissante de la Curie dans la gestion des bénéfices ecclésiastiques. Les empiètements en résultant aux dépens des collateurs ordinaires. Les profits accumulés en extorquant ainsi de grosses sommes d’argent aux bénéficiers pour les favoriser. Les procédures engagées en citant à comparaître devant la juridiction siégeant dans la Ville éternelle des détenteurs antérieurs de bénéfices, trompés dans leur bon droit et résolus à l’affirmer34. S’ils portent dans leur suscription le nom du jeune Philippe aux côtés de celui de son père, des édits de 1484 et 1486 ne sont évidemment pas marqués du sceau de sa politique personnelle. Mais le premier sera le texte de base, situant concrètement les enjeux, que d’autres, pour l’essentiel, viseront à «rafraîchir», à travers des dispositions toujours similaires. Dès 1484, Maximilien avait radicalement interdit la mise en application dans les états bourguignons de tout acte de la Curie relatif à la collation de bénéfices, dans un souci de bien commun. En avril 1493 encore, un troisième texte connu ne disait rien d’autre. La législation du temps de la majorité de Philippe, passée sa «reception a seigneurie», comme le précisent eux-mêmes les textes concernés, consacre bientôt une réserve non négligeable, élément de contrôle rigoureux mais aussi de conciliation s’il en est. Elle réglemente en effet, en 1496/97, l’usage du placet, c’est-à-dire de l’approbation écrite requise de l’archiduc pour accorder dans ses pays force exécutoire aux actes pontificaux. Ce placet35 prendra la forme de lettres patentes: «nos lettres patentes de consentement en forme deue» (20 mai 1497); il sera requis sous peine de voir les provisions apostoliques délivrées en «cour de Rome» tenues pour de nulle valeur et frappées d’illégalité36. Le principe de l’interdiction reste acquis mais le gouvernant laïc, en se référant à son Grand Conseil de justice, puisque cela touche à ses prérogatives de juridiction, pourra faire montre de tolérance, au cas par cas, en se réservant de promulguer ainsi ou non, au civil, des actes de l’autorité ecclésiastique.

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CAUCHIES, Législation princière, p. 570-574. Les lignes qui suivent résument une étude plus détaillée consacrée au sujet: J.-M. CAUCHIES, Eglise et droit public dans les Pays-Bas au seuil des Temps modernes... Mentionné en fait pour la première fois, très discrètement et sans le définir, à la suite de la clause finale dite du plaisir de l’édit de 1486: «Car ainsy nous plaist il estre faict nonobstant quelconques noz lettres de placet...» (CAUCHIES, Eglise et droit public, p. 204). 31 mars 1496: Coutumes et ordonnances du pays et comté de Namur..., Liège, 1732, p. 202203. 20 mai 1497: Placcaet-boecken van Vlaenderen, t. I, Gand, 1639, p. 209-211.

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Un prince en Europe Le même texte de 1497 introduit encore un élément nouveau, projetant un rai de lumière sur une collaboration qui doit prévaloir et balisant l’aube d’un temps nouveau, celui d’un contact resserré entre prince et sujets, caractéristique du gouvernement «personnel» de Philippe le Beau37. Jusque-là, en effet, les protestations à l’encontre des pratiques romaines avaient toujours été formulées par le procureur général de l’archiduc, gardien de ses intérêts au Grand Conseil de justice. Voilà que s’associent à présent à de telles plaintes les assemblées d’Etats. Archiduc et sujets, même combat! Et dans la ligne de tir collective se profile à présent une pratique qui n’est certes pas neuve dans le haut clergé mais qui paraît agacer plus que jamais ses ouailles: la commende, l’attribution de hautes charges épiscopales et abbatiales et de leurs confortables revenus à des non-résidents, usage que fustigeaient déjà les privilèges de Marie de Bourgogne en 147738. L’ordonnance du 20 mai 1497 est d’ailleurs précédée, huit jours plus tôt, d’une audience officielle à la cour, à Bruges, durant laquelle Jean Rousseau, procureur général, élève une protestation solennelle, duement actée devant notaires, contre les pratiques dénoncées, tout en prenant soin de le faire au nom de son prince mais aussi de l’ensemble des membres du clergé des Pays-Bas, spoliés du fait de celles-ci39. Simultanément à l’«ouverture» que constitue la règle du placet, les édits de Philippe durcissent le ton quant aux sanctions prévues. Celui de 1497 menace quiconque prétendrait faire exécuter des décisions romaines sur l’attribution de bénéfices, non seulement de privation présente et future de toute charge du genre et de leurs «fruits» mais aussi de bannissement. Un troisième texte, en date du 19 mars 1500, prescrit la saisie des revenus de titulaires de bénéfices résidant en continu à Rome et leur intime l’ordre de réintégrer dans les quatre mois le lieu où ils sont censés exercer leur ministère et le service divin40. Dans les mois qui suivent, le pape Alexandre VI (1492-1503) en personne exprimera dans un bref adressé à Philippe le Beau ses sentiments d’étonnement, de déception et de courroux devant le ton adopté, les mesures prises, les atteintes portées ainsi à l’ecclesiastica libertas et à l’auctoritas du Saint-Siège (17 octobre 1500)41. Il n’en reste pas moins que les ordonnances archiducales vont définir un régime concordataire avant la lettre. Le placet sera la condition tout à la fois nécessaire et suffisante pour que force exécutoire puisse être reconnue aux décisions sur lesquelles il porte; toute bulle non placetée pourra donc entraîner pour l’impétrant non-résident ou le diffuseur des poursuites devant la justice princière et des sanctions appropriées. Le contentieux bénéficial n’était certes pas neuf. Le Grand Conseil de justice avait eu l’occasion, par le passé, de rétablir dans leurs droits, à propos de prébendes, des particuliers lésés par des provisions délivrées à Rome. Mais, fût-ce au prix de frictions avec un pontife dont il n’est certes pas un ennemi juré, au 37 38 39 40 41

Cf. ch. IV/1/C supra. Cf. CAUCHIES, Eglise et droit public, p. 196-197. HHSA, Niederländische Urkunden, à la date du 12 mai 1497. A. MIRAEUS, Opera diplomatica et historica..., 2e édit. par J.F. FOPPENS, t. II, Bruxelles, 1723, p. 1268-1270. Coutumes de Namur, op. cit., p. 206-207. CAUCHIES, Eglise et droit public, p. 205.

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«Enfant terrible» de la politique européenne contraire42, le souverain temporel que veut être Philippe a tenu à endiguer avec fermeté la pénétration incontrôlée dans ses pays des actes jugés politiques d’une puissance extérieure. Peu de temps après son avènement, le Borgia, connu pour avoir déployé toute son énergie dans la promotion de l’autorité de l’Eglise romaine, avait adressé à ce sujet une admonestation au jeune archiduc, alors encore sous tutelle paternelle. Il s’était bien gardé de le mettre trop personnellement en cause dans les abus constatés aux dépens de la juridiction du Saint-Siège et des immunités ecclésiastiques, particulièrement en Brabant. Peut-être son âge peu avancé encore (tenera aetate) justifiait-il son manque de perspicacité envers des comportements préjudiciables à sa conscience autant qu’à son honneur: per etatem fortasse prospicere non potes quantum ista conscientie honorique tuis obsint. La tactique pontificale avait alors consisté à écrire simultanément, et cette fois sur un ton plus menaçant, à des autorités tant laïques - tels les chanceliers de Bourgogne et de Brabant, ou Albert de Saxe et Jean de Berghes - qu’ecclésiastiques dans les Pays-Bas, toutes personnes proches de la cour, tenues a fortiori d’y redoubler de vigilance. «Bête noire», apparemment, d’Alexandre VI, comme il le deviendra plus tard de Maximilien, François de Busleyden, prévôt du chapitre cathédral de Liège et surtout, en l’occurrence, précepteur de Philippe, se voit rappeler à l’ordre: il est de son devoir de dénoncer les dérives et d’éduquer son élève dans le respect des ministres divins... Alexandre VI attend clairement de Philippe qu’il joue son rôle de protecteur de l’Eglise, rendant sans failles à Dieu ce qui lui revient. Il n’hésite d’ailleurs pas, subsidiairement, à lui conseiller, en raison de ses capacités personnelles, de s’émanciper dans ses décisions à l’égard de son maître à penser: preceptoris vicem te substituere posse facile credimus43. En vertu d’une tradition bien attestée, le pape peut honorer une famille ou un individu régnant en faisant remettre à tel prince soit une rose d’or, objet précieux imitant la fleur naturelle avec feuillage et pierreries, soit un chapeau ou une épée bénits. Alexandre VI a précisément voulu marquer ses sentiments et, par là même, servir ses relations en gratifiant Philippe le Beau de l’épée en 149644,

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Il n’en va guère de même, notons-le, pour Maximilien, dont les rapports avec le pape Borgia se sont sérieusement envenimés pour plusieurs motifs de politique européenne en 1500: H. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I. und die Kirche, dans Kirche und Staat in Idee und Geschichte des Abendlandes. Festschrift zum 70. Geburtstag von Ferdinand Maass SJ, Vienne et Munich, 1973, p. 150. A. CAUCHIE, Mission aux Archives vaticanes. Rapport à M. le Ministre de l’Intérieur et de l’Instruction publique, dans BCRH, 5e série, t. II, 1892, p. 320-325, 410-420 (citations: p. 412413). E. CORNIDES, Rose und Schwert im päpstlichen Zeremoniell von den Anfängen bis zum Pontifikat Gregors XIII., Vienne, 1967, p. 103, 106. L. BÉLY, Des princes européens distingués par le pape: roses d’or, épées et chapeaux bénits, dans Formen internationaler Beziehungen in der frühen Neuzeit. Frankreich und das Alte Reich im europäischen Staatensystem. Festschrift für Klaus Malettke zum 65. Geburtstag, Berlin, 2001, p. 58-59; Jules II, deuxième successeur d’Alexandre, agirait de même fin 1503. En 1490 déjà, il avait été question à Rome d’une épée et d’un chapeau pour le jeune archiduc: Calendar of State papers and manuscripts existing in the archives and collections of Milan, édit. A.B. HINDS, t. I, Londres, 1912, p. 253.

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Un prince en Europe puis de la rosa aurea, deux ans plus tard. Dans un bref en date du 12 mai 1498, il annonce à l’archiduchesse Jeanne cette décision et cet envoi, dont il mentionne la périodicité et l’ancienneté, en l’assurant pour ce qui la concerne de son affection paternelle, bénédiction apostolique à la clef45. Pour le pontife d’extraction espagnole, n’est-ce pas, davantage que le sang de l’entreprenant Maximilien46, la famille royale à laquelle le jeune Habsbourg est associé par les liens du mariage depuis dix-sept mois, qu’il désire ouvertement exalter? La communication de mai 1498, quoique dépourvue de toute allusion explicite, pourrait le donner à penser. Même après la réaction pontificale d’octobre 1500 contre la législation archiducale en matière de juridiction apostolique, formulée en des termes peu amènes, la rose d’or n’eût certainement pas été exclue des échanges entre pontife romain et prince bourguignon mais aussi castillan. C’est en tout cas le 1er juillet 1498 que le représentant (orator) du pape remit solennellement l’objet à l’archiduc, en l’église Saint-Jacques-sur-Coudenberg, à Bruxelles, en présence du chancelier Thomas de Plaine et du chef du conseil aulique Henri de Berghes. Protégé de ce dernier, Erasme s’y trouvait et en a témoigné dans deux lettres47. Notons enfin sans nous y attarder que la réception des lettres de provision apostoliques n’a pas été le seul foyer de discorde entre juridictions d’Eglise et d’Etat autour de 1500. Ne parlons pas des escarmouches continuelles où s’affrontent officiers du Trône et de l’Autel, à propos ici d’une citation devant une cour, là d’une saisie de temporel, ailleurs encore de la fulmination d’un interdit. C’est un lot quotidien, en dépit de mesures concordataires en vigueur, tel un édit de Maximilien publié en 1484 pour le diocèse de Cambrai48. Mais il est un point sur lequel Philippe le Beau va frapper fort. Il touche les conservatories (conservatores apostolici), dont il ne va pas hésiter à décréter la suppression, ce qui ne fera que tailler encore des croupières à la justice du pape, qui nomme pareils juges ecclésiastiques. Ainsi en 1495, voit-on l’archiduc assurer de sa protection par des mesures à prendre ses sujets de Hollande et de Frise occidentale ajournés induement devant des gens d’Eglise, en particulier des tribunaux universitaires49. Ce sont les conservatories apostoliques (conservatorien

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Original: AGS, Patronato Real, 60 - 202. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional, V, p. 224-225. Photographie dans ID. et M. FERNÁNDEZ ÁLVAREZ, La España de los Reyes Católicos (1474-1516), vol. II, Madrid, 1969 (Historia de España, dir. R. MENENDEZ PIDAL, t. XVII/2), entre les p. 654 et 655. Cf. aussi CORNIDES, op. cit., p. 102 (instruction pontificale pour la remise de l’objet, en date du 4 avril 1498). Alexandre VI ne fait rien pour favoriser le Romzug et le couronnement impérial projetés de Maximilien, bien au contraire, depuis 1496: WIESFLECKER, op. cit., p. 149. Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, t. I (1484-1514), édit. P.S. ALLEN, Oxford, 1906, p. 204, 205; La correspondance d’Erasme, t. I (1484-1514), trad. M. DELCOURT, Bruxelles, 1967, p. 176, 177. En en attendant un autre, de Charles Quint (1542): CAUCHIES, Législation princière, p. 521544, passim. Groot placaet-boeck, vervattende de placaten, ordonnantien ende edicten van de Hoogh Mogende Heeren Staten Generael der Vereenighde Nederlanden..., t. IV, La Haye, 1705, p. 5 (article n° XIII) et 6 (article n° X); les universités de Louvain et de Cologne sont nommément mises en cause (14 décembre 1495).

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«Enfant terrible» de la politique européenne van de geestelijkheden) qui se voient ici montrées du doigt. A l’époque même où se place l’intervention de Philippe en Hollande, les compétences juridictionnelles acquises du conservateur des privilèges de l’université de Louvain, ainsi d’ailleurs que celles du recteur de la même institution, viennent d’être rabotées de sérieuse façon, par voie de réduction drastique pour les matières civiles dites réelles50. Qu’à cela ne tienne: à l’instar d’un scénario déjà consenti par Philippe le Bon, un demi-siècle plus tôt, le conservateur louvaniste va échapper au couperet tombé le 22 septembre 1500. A cette date, en effet, un court édit archiducal abolit toutes délégations conservatoires octroyées par décision pontificale dans l’ensemble des Pays-Bas51. Fera toutefois exception52 celle dont dispose l’Alma Mater, pour laquelle intervient encore le 17 décembre suivant une forme de concordat, actant abus et restrictions, promulgué par lettres princières du 21 décembre. Enfin, quatre ans plus tard, un dernier texte de Philippe sur les salaires du conservateur et de son assesseur fixera des modalités durables, tout en sauvegardant pour l’université, et pour elle seule, le principe du tribunal d’exception qu’est sa curia conservatorialis53. Dépourvue au contraire de tout esprit de transaction, l’ordonnance de septembre 1500 a dû fournir, de concert avec l’effort de juguler la manipulation des bénéfices, un des ressorts du bref virulent dans lequel Alexandre VI va pourfendre le mois suivant ces constitutiones et edicta... quibus ecclesiastica libertas non parum offenditur nostraque et huius Sancte Apostolice Sedis auctoritas violatur atque contemnitur54. Quoi qu’il en fût alors, dans le processus de centralisation dont, à la suite de ses aïeux bourguignons et de son père, il se voulait un agent actif, Philippe le Beau se devait pour sa part d’accorder au déploiement des conservatories toute l’attention critique voire répressive nécessaire. Il s’agissait là, tout comme dans les questions bénéficiales, de canaliser avec soin ce que nous appellerions aujourd’hui d’inévitables interférences entre Eglise et Etat. 3. «Au fil d’une éphéméride funèbre»55 Les années qui séparent son mariage de son accession à la qualité de prince héritier au-delà des monts vont être dominées pour Philippe, sous l’angle de ses rapports avec l’Espagne, par trois thèmes majeurs: l’ambiance à la cour des

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C. VANDENGHOER, De rectorale rechtbank van de oude Leuvense universiteit (1425-1797), Bruxelles, 1987, p. 95-96, 205-206 (6 août 1495); le conservateur et le recteur gardent seulement la «cognoissance des matieres personeles, non reeles, et mixtes si avant qu’il touche biens immeubles». Placcaet-boecken van Vlaenderen, I, p. 211-212 (texte français). Placcaeten van Brabandt, I, p. 39 (texte flamand). Bien que l’édit du 22 septembre portât: «... lesdittes conservatories quelles qu’elles soient, sans nulles excepter». Privilegia Academiae sive Studio generali Lovaniensi, ab Apostolica Sede, imperatoribus, regibus, aliisque principibus, concessa, Louvain, 1644, p. 148-153 (3 décembre 1504, incluant le texte du 21 décembre 1500). CAUCHIES, Eglise et droit public, p. 205. L’expression est de B. BENNASSAR et B. VINCENT, Le temps de l’Espagne XVIe-XVIIe siècles. Les Siècles d’or, Paris, 1999, p. 9-10.

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Un prince en Europe Pays-Bas, les relations avec l’Angleterre, le retour de Castille de sa sœur Marguerite. Il ne se passe guère de mois avant que ne résonnent les premiers échos de dissensions dans la mise en place de l’hôtel de Jeanne, à Bruxelles. Dès 1497, les Rois Catholiques y envoient un informateur, tant il y est question de discrimination envers les Espagnols, auxquels on préfère des gens imposés par la volonté de l’époux, naturales de la tierra, donc «étrangers» pour l’archiduchesse. On rapporte aussi que des moyens insuffisants sont alloués pour le bon fonctionnement de sa maison. Il est vrai qu’au début de l’année déjà, Maximilien avait certes promis de faire organiser celle-ci par les soins de Philippe et à ses frais, au prix d’une forte dépense annuelle, quoique ce fût là chose contraire à l’usage dans les Pays-Bas, contra la costumbre de su tierra56. En août 1498, une ambassade composée d’un laïc et d’un homme d’Eglise gagne les Pays-Bas, après un passage par l’Angleterre. La mission en est notamment de veiller aux intérêts tant spirituels que matériels d’une infante qui, aux yeux des siens, paraît déjà faire figure d’exilée. La démarche indispose d’évidence Jeanne, à laquelle le dominicain Tomás de Matienzo, l’un des envoyés, estime utile de préciser qu’il ne vient pas en inquisiteur, ou en «petit rapporteur» de choses qu’elle n’aurait pas dites personnellement57... On observe ensuite que la naissance d’Eléonore, premier enfant du couple, le 16 novembre 1498, vaut à Philippe une grande déception - ce n’est pas un fils! - et à Jeanne, de ce fait, une considération officielle limitée. Selon le témoignage du même Matienzo, qui s’est entretenu avec elle, l’archiduchesse a tout lieu de faire valoir deux griefs persistants, exposés en vain aux conseillers de son mari: ses gens sont mal payés, elle-même est tenue à l’écart de la bonne marche de son propre hôtel58. La naissance du futur Charles Quint, le 24 février 1500, ne desserre pas les freins. Quelques mois plus tard, l’ambassadeur Fuensalida, au terme d’une conversation sans fards avec Jeanne sur sa participation aux affaires, aux décisions politiques, s’estime en mesure de jauger la situation: selon l’archiduchesse, depuis quelques jours héritière en Castille en raison du décès de son neveu Miguel59, il n’y a rien pour elle, mais tout pour les puissants «ministres», Berghes, Busleyden ou Nassau. Du deuxième, elle dit qu’il «possède» la volonté de son mari60. Si les rapports privés des époux produisent du fruit - et cela ne fait que commencer - , la «promotion» publique de Jeanne ne serait donc pas pour demain... Le 19 mai 1499, le mariage per procuram d’Arthur d’Angleterre, prince de Galles, et de l’infante Catherine a marqué d’une pierre blanche les relations et l’alliance anglaises de Ferdinand et Isabelle, plus satisfaits de ce côté que de

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Correspondencia Fuensalida, p. 12-13. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional, V, p. 289. Op. cit., p. 352 (15 janvier 1499). Cf. ci-dessous. Correspondencia Fuensalida, p. 139-140 (6 août 1500).

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«Enfant terrible» de la politique européenne celui des Habsbourg. Maximilien et Philippe ne peuvent demeurer insensibles à l’évolution de ces choses. Henri VII, pour sa part, intègre les Pays-Bas à sa politique de l’alliance espagnole, comme on avait pu le voir deux ans plus tôt, quand il sollicitait l’intervention de Jeanne dont l’époux, influencé par Marguerite d’York, cautionnait l’action subversive du faux prétendant York, l’aventurier Perkin Warbeck. Jeanne, en effet, s’était dite alors contrariée qu’un tel différend pût séparer son époux de celui qui l’appelait dans sa lettre sa hija propia, et qui l’invitait à l’estimar por su padre61. Des contacts entre diplomates de Philippe en particulier l’évêque de Cambrai, Henri de Berghes - et de ses beaux-parents ont lieu à Londres, tandis que d’autres «ponts» entre Espagne et «Flandres» sont projetés par le truchement d’Espagnols à placer dans l’entourage de Catherine62. Albion et Bourgogne ne sont pas trop distantes... Ces tractations interviennent à bon escient pour éviter une détérioration du climat anglo-bourguignon, que les dossiers commerciaux ne rendent en outre jamais commodes à gérer63. La question politiquement la plus délicate qui va alimenter les négociations entre les Rois Catholiques et leur gendre, mais aussi, et plus intensément encore, le père de ce dernier, concerne entre 1497 et 1499 le retour au bercail de Marguerite, qui manqua les trônes espagnols après avoir été écartée de celui de France. Mariée à Jean (Juan), unique fils des conquérants de Grenade, le 3 avril 1497, elle s’était retrouvée jeune veuve le 4 octobre suivant, peu avant de donner le jour à un prématuré mort-né, de sexe masculin, le seul enfant, que l’on sache, qu’il lui ait jamais été donné de porter. Les droits à l’héritage étaient passés à Isabelle, aînée des sœurs de Jean, reconnue par les Cortès, de concert avec son époux Manuel, roi de Portugal. La mort allait frapper une troisième fois en moins d’une année la maison royale: le 23 août 1498, Isabelle trépassait à son tour, à la naissance de Miguel, un nourrisson fragile, nouvel héritier, voué à une éducation castillane et agréé par les mêmes Cortès en janvier 1499. A l’époque où se produit ce nouveau drame familial et politique, Maximilien a déjà commencé à réclamer le renvoi de sa fille. Mais il faudra plus d’un an pour qu’elle soit en mesure de prendre la route. Voilà toutefois un point sur lequel père et fils se sont bien accordés, tandis que les beaux-parents de la princesse souhaitaient la garder auprès d’eux, en prétextant des engagements financiers non satisfaits et quasiment en otage de leur jeu diplomatique, jusqu’à ce qu’elle prenne derechef mari - et il sera vite question, en effet, mais en vain, du roi de Pologne ou du duc de Saxe, avec envoi d’ambassadeurs, voire de Louis XII de France64 -. A la fin de l’année 1498, des chargés de mission de l’archiduc sont fraîchement reçus dans la péninsule et les souverains ibériques semblent bien donner toute la mesure de leur amertume. Fraîcheur, pour ne pas dire davantage, est certainement le terme qui rend alors le mieux compte de l’ambiance des relations austro-espagnoles et hispano-bourguignonnes tout à la fois. 61 62 63 64

SUÁREZ FERNÁNDEZ, op. cit., V, p. 176-178 (8-23 avril 1497). Op. cit., p. 93. Cf. ch. V/3 supra. Op. cit., p. 311-312, 313. Correspondencia Fuensalida, p. 106; pour ce qui concerne le monarque français, l’idée (furtive? simple bruit?) aurait germé dans l’esprit des Rois Catholiques.

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Un prince en Europe Les préparatifs du départ de Marguerite se déroulent depuis l’été suivant dans un climat de défiance. Du côté des Habsbourg père et fils, on commande derechef de hâter les choses; dans l’entourage des Rois Catholiques, on redoute une manœuvre possible d’utilisation de la jeune veuve dans des négociations avec l’Angleterre, au préjudice du mariage de Catherine. Des soupçons, partout... Le 20 décembre 1499 enfin, Marguerite franchit les bornes septentrionales de la Castille et regagne ses pénates au terme d’un voyage de plus de deux mois. Philibert de Veyré, homme de confiance, s’il en est, parmi les auxiliaires archiducaux, a bien organisé et dirigé ce retour, depuis Grenade et à travers la France, avec efficience et fermeté65. De toutes ces turbulences ressort un fait majeur, bientôt déterminant: le trépas de Jean et la grossesse manquée de Marguerite en cet automne de 1497, puis la mort en couches de la jeune reine de Portugal, l’été suivant, ont rapproché singulièrement Jeanne et donc Philippe des trônes, ce que ne visait certainement pas l’hymen de 1496. Il faut pourtant, dans toutes les cours, en prendre acte et s’en contenter. Le principal intéressé n’y reste pas indifférent et le destin va précipiter le cours des choses. Car le cortège funèbre n’est pas clos. Sans qu’il s’agisse là d’un événement surprenant, Miguel, n’ayant même pas atteint son deuxième anniversaire, décède le 20 juillet 1500 et Philippe, s’il adresse le 11 août une lettre de condoléances aux grands-parents endeuillés, ne tarde pas à prévoir l’adaptation en conséquence de sa titulature. Habilité à porter désormais le titre princier de Castille, il entend le faire, dit-il, pour honorer ses beaux-parents. Maximilien lui remontre alors l’ancienneté et la grandeur de la maison pourvue du titre archiducal autrichien et l’invite à garder à ce dernier, sans le «postposer», la préséance dans les actes de l’époux de Jeanne relatifs à des terres dont l’empereur est souverain, quitte à utiliser d’abord celui de prince, à le «préposer», dans d’autres actes66. Ainsi, dans des lettres par lesquelles Philippe et Jeanne baillent commission à leurs procureurs pour négocier le mariage de leur fils Charles et de la princesse Claude de France (27 juin 1501), la mention de service ou de commandement porte-t-elle en effet: «Par monseigneur l’archiduc et madame l’archiduchesse, princes de Castille»67. Il est vrai qu’il s’agit en l’espèce d’un texte et d’une matière de très haute portée dynastique. Quelques mois plus tard, en le chargeant de traiter en son nom avec Louis XII, l’empereur élu fait dénommer son rejeton «monseigneur l’archiduc d’Austriche, prince d’Espaigne», puis seulement «duc de Bourgoingne, de Brabant»68. Un des traités signés à Blois, avec le même Louis XII, le 22 septembre 1504, qualifiera Philippe d’archidux Austriae et Hispaniarum princeps69. Le chroniqueur Zurita racontera au XVIe siècle que

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CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 140. SUÁREZ FERNÁNDEZ, op. cit., V, p. 438-441. HHSA, Belgien, PA 1, f. 62r.-v. (mémoire sans date [1500-1501], erronément daté par une main postérieure de 1505; CHMEL, Urkunden, p. 225-227, le range tout aussi erronément sous l’année 1502). Négociations diplomatiques entre la France et l’Autriche…, I, p. 32. HHSA, Belgien, PA 1, f. 49r. DU MONT, Corps universel diplomatique, IV/1, p. 57.

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«Enfant terrible» de la politique européenne c’est en 1498 déjà que Philippe, averti de l’épisode de l’enfant mort-né de sa sœur, aurait voulu faire usage du titre princier castillan. Pensait-il alors de bonne foi qu’il lui était applicable comme à l’autre gendre, Manuel de Portugal, ou cédait-il à l’ambition et à la flatterie de ses proches, se demande cet auteur peu favorable au Habsbourg? Il fut en tout cas réservé, de l’autorité même des Rois Catholiques, à leur fille et désormais héritière Isabelle et à son époux lusitanien; l’infante et archiduchesse Jeanne ne pouvait en aucun cas le porter, ni a fortiori le communiquer, tant que vivraient sœur et neveu, ce qui n’allait guère durer, on le sait70. Prétentions effectives au trône dès avant 1500, comme certains le pensent, ou souci de marquer un prestige accru par l’usage d’un titre d’une haute valeur diplomatique? Philippe ne devait-il pas convaincre des conseillers mal disposés, pour lesquels le mariage espagnol signifiait allégeance à la politique dynastique, habsbourgeoise de Maximilien, du surcroît de puissance et de gain que pourrait apporter l’alliance des Rois Catholiques? Henri Pirenne, déjà, a suffisamment souligné cette mauvaise humeur71. Elle ne pouvait laisser indifférents des gouvernants intéressés aux affaires de l’Espagne. Moins de deux mois avant la mort de la reine de Portugal, que l’on savait alors enceinte, Maximilien exigeait en tout cas une déclaration des Rois Catholiques: si cette aînée héritière venait à décéder avant ses parents ou ne laissait que des filles, et non un fils, après avoir elle-même hérité, quels seraient les droits de Jeanne et de Philippe? Il se disait mû par le souci d’éviter dans l’avenir une zizanie entre les membres de la famille royale, enfants et beaux-enfants72. Les événements ayant pris le mors aux dents, la réponse allait être bientôt donnée par eux, puisque Miguel, dès sa venue au jour et le trépas de sa mère, recueillerait la première place dans l’ordre de succession en Castille, Aragon et Sicile. Après le 20 juillet 1500, bien sûr, pour Philippe, il n’y aurait plus à tergiverser ou à supputer, mais à se préparer à recueillir, par épouse interposée, un fort bel héritage. Un trono puede esperar73...

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ZURITA, Historia del Rey Don Hernando, II, p. 73. H. PIRENNE, Histoire de Belgique, 3e édit., t. III, Bruxelles, 1923, p. 62-63. Correspondencia Fuensalida, p. 55-56. Quellen zur Geschichte Maximilians I., p. 99. Titre du chapitre VI du livre de PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 129 sq.

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Troisième partie

Promesses et brutalité d’un destin interrompu

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Chapitre VII LE PRINCE HERITIER D’ESPAGNE

1. Beaux-parents, gendre, royaume et intrigues No soy yo tan loco que no tenga esta cosa por tan grande quanto ella es... ni soy tan desleal que tentase yo cosa en que pudiese venir daño o perjuyzio a mi Señor1 Cohéritier à la mort de Miguel, Philippe le Beau, on l’a vu, fait parvenir aux Rois Catholiques une lettre de condoléances, datée de Bruxelles, 11 août 1500. Il s’y intitule sans ambages: Yo el príncipe2. Le gendre, l’allié, mais aussi le prince jugé «francophile» en raison de son désir de paix et de rapprochement avec Louis XII, prend pour ses beaux-parents le visage de l’intrus, du rival, du perturbateur. La face positive des choses, ces derniers en demeurent conscients, doit être d’assurer l’appui habsbourgeois, donc impérial, dans les affaires d’Italie3. Mais simultanément, il faut bien, pour les derniers monarques Trastámara, se résoudre à passer le relais à une autre famille, même si un futur souverain devrait être leur petit-fils et s’ils espèrent programmer pour lui, comme ils l’avaient fait pour Miguel, une éducation espagnole. Aux Pays-Bas, cependant, on veillera à ce qu’il n’en aille pas ainsi! Trois ans et demi plus tôt, le diplomate Gaspar de Lupian, envoyé en mission auprès de Ferdinand et Isabelle, avait pu à bon escient se livrer à l’intention de Maximilien à une laudatio des rapports austroespagnols: «Sire, je vous jure ma foy que vous avez cause d’estre fort content de ce roy et royne, car c’est merveilles l’amour qu’ilz vous ont et de ce qu’ilz veullent faire pour vous et pour mondit seigneur, vostre filz»4. Le temps, toutefois, était venu les patiner et l’enthousiasme avait cédé entre-temps à la seule raison, voire à la raison d’Etat. Pour peu, on parlerait en effet d’une crise potentielle de succession. Les échos relatifs à la manière dont Jeanne est associée - ou plutôt ne l’est pas... - à la gestion des affaires politiques archiducales ne contribuent pas à détendre l’atmosphère entre les cours d’Espagne et de Bourgogne. Ils étaient déjà perceptibles en juin 1497 en Castille, alors même que les royaux parents se

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«Je ne suis pas fou au point de ne pas considérer cette affaire pour aussi importante qu’elle est... ni déloyal au point de tenter quelque chose qui pourrait causer un dommage ou un préjudice à mon seigneur». Réponse du «ministre» Busleyden aux soupçons et reproches d’inertie de l’ambassadeur Fuensalida à propos du départ de Philippe le Beau pour l’Espagne: Correspondencia Fuensalida, p. 164. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 255. PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 76. ZURITA, Historia del rey Don Hernando, II, p. 236. CHMEL, Urkunden, p. 167 (de Burgos, 9 janvier 1497).

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu faisaient tirer l’oreille à propos de la dot convenue5. En juin 1500, tout en évoquant la naissance du futur Charles Quint, ses souverains interrogeaient d’ailleurs l’ambassadeur Fuensalida sur la colocación, c’est-à-dire les conditions de vie, de leur fille et l’attitude adoptée à son égard par les deux Marguerite, la douairière et la veuve de Don Juan: est-il donc vrai qu’on (algunas personas) les pousserait à infliger toutes les contrariétés possibles à l’archiduchesse6? Après une entrevue organisée le 9 juin, près de Calais, entre Henri VII et Philippe, Jeanne n’est aucunement informée de ce qui s’y est traité, alors que les intérêts de sa lignée, de ses parents, de sa sœur Catherine sont tellement en jeu7. Cela n’empêche pas qu’en août suivant, Fuensalida, depuis Bruxelles, puisse vanter sa magnifique beauté: que esta tan hermosa que es maravilla8! Rayonnement physique obligé d’une future reine en Espagne? Mais dans une lettre ultérieure, il rapportera bien qu’elle est politiquement plus que frustrée face aux pesants «ministres belges» de son mari9. Quoi qu’il en soit, Ferdinand et Isabelle jugent de bonne guerre de presser le jeune couple: la péninsule les attend, pour les connaître et les reconnaître en qualité de princes héritiers. Exercer cette pression doit fournir un moyen de freiner des négociations actives en cours avec la France. Plus vite Philippe et Jeanne gagneront l’Espagne, mieux cela vaudra. Mais l’archiduc risque de retarder les choses. Il veut consulter Maximilien, duquel l’inattendu héritage ibérique l’a rapproché, dans une communion aux mêmes intérêts de prestige, de puissance et de famille, et ce en dépit de leurs divergences persistantes à propos de la France. Il projette l’envoi d’une ambassade préalable au-delà des monts, via la cour de France, et ce n’est pas au premier venu que la direction va en être confiée: on parle de François de Busleyden ou de Jean de Berghes, les deux grands rivaux, qui passent l’un et l’autre pour une sorte d’alter ego du prince, ou bien du frère du second, l’influent évêque de Cambrai, Henri10. Ce sera Busleyden, flanqué de Philibert de Veyré, qui prendra effectivement la route en novembre11. Le départ des archiducs, quant à lui, ne semble pas être pour le lendemain, et on met en cause l’attitude dilatoire que trahit l’archevêque de Besançon avant de quitter les Pays-Bas: Fuensalida va jusqu’à le soupçonner de retarder sciemment le voyage de son prince et le met personnellement en garde contre le risque de perdre ainsi tout crédit à la cour d’Espagne. Mais il y a plus grave encore, à court terme, puisque Jeanne avait de prime abord refusé d’apposer signature et sceau au bas de lettres de créance (poder) appropriées; elle aurait contesté la conformité de leur teneur au vouloir de ses parents et dénigré ouvertement la désignation de Busleyden pour en être le porteur. Philippe lui aurait répliqué, sur un air de chantage, que ne pas dépêcher l’archevêque en Espagne signifierait ipso facto

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Op. cit., p. 194 (Lupian à Maximilien). Correspondencia Fuensalida, p. 114. Cf. ch. V/3 supra (n. 86). Correspondencia Fuensalida, p. 138-139. Cf. ch. VI/3 supra (6 août 1500). Op. cit., p. 155 (8 octobre 1500). CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 140-141.

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Le prince héritier d’Espagne qu’il ne s’y rendrait pas non plus12; il aurait ajouté qu’il lui déplaisait fort de voir ainsi son conseiller (favori) soumis à pareille rebuffade, mal contento, ynjuriado13... Au cours des semaines suivantes, Philippe le Beau prend soin d’exprimer sa détermination à partir pour la péninsule mais aussi de justifier la mission préparatoire de Busleyden et Veyré. Il souhaite, de toute évidence, en savoir davantage sur cette contrée de l’Europe, ses gouvernants et ses habitants, en se fondant sur des sources sûres. La troisième grossesse de son épouse, de laquelle naîtra le 15 juillet suivant Isabelle, retarde de toute manière le départ, ce qui ne chagrine guère ses proches, bien au contraire. Et Fuensalida, encore lui, de faire en mars 1501 le point de la situation: Philippe, volens nolens, s’en irait certes bien volontiers accomplir ses obligations de prince héritier et se faire recevoir outrePyrénées, mais sans s’y attarder (mas no para quedar en ella... y tornarse luego), tandis que ses conseillers assimileraient ce voyage à une damnation (no tyenen mas voluntad de yr a España que de yr al ynfierno)14! Il est patent que les Rois Catholiques s’impatientent, tandis que leur gendre doit - ou veut - attendre encore rapports, argent, naissance. En janvier, il avait même déclaré devant les Etats généraux qu’il n’excluait pas la possibilité de se faire inaugurer par procuration sur le sol de son nouvel «héritage». Il avait cependant obtenu de l’assemblée une promesse ferme pour un subside de 100.000 florins, le mois suivant15. Maximilien, pour sa part, l’encourage à prendre la route, tout en souhaitant converser au préalable avec lui16: voilà, nous semble-t-il, les conseils toujours prudents d’un chef de famille qui ne perd pas le fil de ses desseins dynastiques. Le retour d’Espagne, peu avant la mi-juin, de Busleyden et Veyré - chargés de cadeaux, comme il convient17 - est déterminant. Tandis que les deux hommes de confiance repartent rapidement pour la France18, s’ouvrent (enfin) des perspectives d’embarquement en septembre. Mais une hypothèque continue à planer sur les délais de réalisation, dans la mesure où l’on s’attend à la visite annoncée de Maximilien dans les Pays-Bas, avant laquelle il ne conviendrait évidemment pas que les archiducs s’éloignassent. Il en est question le 20 septembre encore, alors même que Louis XII a invité Philippe, avec succès, à voyager en toute sécurité à travers son royaume plutôt que par mer, ainsi qu’on le prévoyait peu de temps

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«Y si el no va, yo no puedo yr alla, ni yre en ninguna manera...», et plus loin, avec insistance: «Y sy el Arçobispo no va, yo no enbiare otro, y asy yo no yre a España». L’heure, entre les époux, n’est pas celle des tendres propos! Correspondencia Fuensalida, p. 163-164, 165-166 (22 novembre 1500). Jeanne ne pouvait surtout tolérer que l’ambassade servît à placer sur le métier un projet de mariage de son fils Charles et de Claude de France, fille de Louis XII. Op. cit., p. 181 (22 mars 1501). CAUCHIES, Filips de Schone en Johanna van Castilië, p. 87. WELLENS, Etats généraux, p. 252-254. CHMEL, Urkunden, p. 227. ANGLERÍA, Epistolario, I, p. 428. Les Rois Catholiques n’ont pas fait obstacle au projet de mariage de Charles et Claude en échange d’une promesse ferme de venue de leurs fille et gendre.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu auparavant en réservant des bateaux à Bruges19. Il est vrai que, davantage contraint par l’attitude des pays bourguignons et espagnols que sincèrement gagné à l’idée d’un compromis, l’empereur élu est sur le point de conclure avec Louis XII le traité de Trente (13 octobre 1501), comportant parmi d’autres clauses de grande politique européenne un accord matrimonial touchant Charles de Habsbourg et Claude de France. Maximilien ne viendra pas au-delà du Rhin. Mais depuis le Tyrol, il communique à son fils un avis relatif aux négociations escomptées en France et lui prodigue des conseils pour le voyage20. Voilà assurément une longue parade diplomatique qu’il faudra gérer. Avant de l’entreprendre, l’archiduc avait encore à mener à bon terme un dossier de poids: le mariage savoyard de sa sœur Marguerite. Le contrat l’unissant au jeune duc Philibert est signé à Bruxelles le 26 septembre, puis la fiancée rendue de Charles VIII de France et veuve de Don Juan d’Espagne s’en va épouser son nouveau promis, heureuse union, heureuse alliance pour les princes. Pour Philippe s’ouvrait enfin le chemin de l’Espagne, écrit en substance Hermann Wiesflecker21. Quand s’était donc ainsi profilé à l’horizon l’inéluctable voyage, il avait fallu songer très vite au choix d’une personne capable de gouverner les Pays-Bas en l’absence de leur possesseur et de prendre soin de ses enfants. Marguerite d’York eût volontiers joué ce rôle, en tirant profit du soutien acquis de plusieurs membres influents du conseil de l’archiduc, le premier chambellan Berghes, ou le «vieux» Molembaix, premier maître d’hôtel. Marguerite d’Autriche eût tout autant fait l’affaire; la sœur de Philippe, rentrée d’Espagne depuis un an, séjournait alors dans sa résidence du Quesnoy (Hainaut), mais on vient de voir qu’elle allait bientôt rejoindre son nouvel époux, le duc de Savoie, ce qui la mettait hors jeu. On avait encore cité le margrave Christophe de Bade, cousin germain de Maximilien - mais il est étranger, «allemand» - , l’archevêque Busleyden mais il ne céderait pour rien au monde sa place à d’autres auprès du maître - , Jean de Berghes en personne - mais ses fonctions de premier chambellan requièrent sa présence auprès de Philippe - 22. C’est le comte Engelbert de Nassau qui l’emporterait (1er novembre 1501)23. Une surprise? Certes non, puisque ce chef du conseil privé (1496) avait déjà cinq ans plus tôt exercé de telles fonctions pendant le périple allemand du fils de l’empereur.

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Correspondencia Fuensalida, p. 192; le diplomate, sans complaisance aucune pour Philippe le Beau, exprime à cette occasion sa stupéfaction de voir un prince témoigner d’aussi peu de zèle pour visiter des pays qu’il sera appelé à gouverner, «que aya onbre en el mundo... que se muestre perezosa (sic, pour: perezoso) para yr a reynar»! CHMEL, Urkunden, p. 215 (29 octobre 1501). WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 259. Correspondencia Fuensalida, p. 171-173 (8 février 1501). En passant en revue les candidats potentiels, Fuensalida le disait pourtant âgé et malade («viejo y doliente») et le jugeait donc (prématurément) inapte à la tâche.

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Le prince héritier d’Espagne 2. Le premier voyage d’Espagne Los perlados, e grandes, e cavalleros, e procuradores de Cortes destos reynos se han juntado aquí... para que... juren a vuestras altesas por príncipes heredores e subçesores destos dichos sus reynos24 Le 4 novembre 1501, le sort en est jeté. Philippe et son épouse, par voie de terre, prennent la route de la lointaine patrie de Jeanne. Ils laissent leurs trois jeunes enfants, Eléonore, Charles et Isabelle, à Malines, ville où leur père luimême avait été abrité durant son enfance troublée, et où séjourne la vieille et fiable duchesse douairière Marguerite d’York. Cette formalité donne d’abord lieu à quelques débats, selon une source postérieure mais souvent bien informée. Philippe aurait projeté de les installer à Gand, sous la garde du marquis Christophe de Bade, cousin de Maximilien, et de la «dame de Rave(n)stein», que la source identifie comme étant Françoise de Luxembourg, épouse d’un autre prince du sang, Philippe de Clèves. Des conseillers expriment leurs craintes quant à la sécurité qu’offrirait la cité flamande, peuplée de gens au comportement mouvant et audacieux, et ils rappellent les faits tragiques de 1477, qui avaient vu exécuter ceux à qui le duc Charles de Bourgogne avait confié sa fille Marie25; il disent craindre que la fâcheuse aventure ne se répète, preuve de la défiance dans laquelle l’entourage archiducal tient encore les Gantois, en y opposant la loyauté des Malinois. En outre, la qualité d’étranger, d’alemán, de Christophe risquerait de le faire mal accepter, tandis que la «dame de Rave(n)stein» est l’épouse d’un homme déclaré parjure. Marguerite d’York s’acquitterait bien de la garde et elle serait même, on l’a vu, une candidate valable au gouvernement des Pays-Bas. Moins avertis des ressorts de la politique bourguignonne, les Espagnols de la suite de Jeanne opteraient quant à eux pour Gand, ville principale (la cabeza de Flandes): les pays de Philippe ne vivent-ils pas en paix26? Mais les bonnes raisons des seigneurs indigènes l’emportent donc. La veille du départ, la garde des enfants est cependant confiée par lettres à Anne de Bourgogne, dame douairière de Rave(n)stein, seconde épouse et veuve d’Adolphe de Clèves, belle-mère de Philippe de Clèves27: il n’a donc certainement jamais été question de Françoise de Luxembourg, notre chroniqueur espagnol ayant ici confondu les deux dames et mis inutilement et indirectement en scène l’encombrant Philippe de Clèves. Le premier voyage en Espagne de Philippe le Beau et de Jeanne, ainsi qu’il est convenu de l’appeler, est bien connu grâce à plusieurs récits. L’indiciaire Jean Molinet y a consacré trois chapitres mais sa narration ne va pas au-delà de

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Acte du serment des Cortès de Castille, Léon et Grenade à Philippe et Jeanne (Tolède, 22 mai 1502): Corpus documental de las Cortes de Castilla, p. 79. Le chancelier Guillaume Hugonet et Guy de Brimeu, seigneur de Humbercourt. ZURITA, Historia del rey Don Hernando, II, p. 283. GACHARD, Collection des voyages (cité: Voyages), I, p. 126 n. 2.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Tolède28. Nous disposons surtout de la précieuse relation - d’ailleurs source abrégée de Molinet - d’un jeune noble, chambellan de la suite de l’archiduc, appelé à de très hautes destinées politiques. Antoine de Lalaing (1480-1540) a rédigé, «memoryéz par escript», un véritable journal d’une grande précision quant aux faits, aux lieux, aux personnes. Il devait par la suite servir le jeune Charles Quint, toujours en qualité de chambellan, mais aussi la gouvernante générale Marguerite d’Autriche, dont il sera le chevalier d’honneur - c’est-àdire, pour une dame, premier chambellan - et l’un des plus proches et fidèles collaborateurs. Il siégera aussi aux conseils des finances et privé du futur empereur et, dès 1531, au Conseil d’Etat nouvellement érigé. Chevalier de la Toison d’or (1516), gouverneur de Hollande, Zélande et Frise occidentale (1522) puis aussi d’Utrecht (1528), il sera fait (premier) comte de Hoogstraten (Brabant) par Charles Quint en 151829. Dans cette lignée de militaires d’origine hainuyère, la proximité du prince n’était pas chose inusitée: Josse, père d’Antoine, n’avait-il pas exercé une charge de précepteur auprès de Philippe le Beau30? Strictement chronologique, le récit détaillé du voyage archiducal, jusqu’au retour de Philippe le Beau dans les Pays-Bas, fin 1503, permet notamment d’établir un itinéraire très précis31. La suite des princes est assurément forte de quelques bonnes centaines de personnes au moins, tous rangs et fonctions confondus32. Parmi les «trente-trois ministres», les conseillers de proue, que nous avons répertoriés ailleurs33, treize au moins sont du voyage, dont trois ecclésiastiques. On note aussi la présence constante dans le cortège - jusqu’au terme de l’année 1502 - d’un prélat du royaume de Castille, Juan Rodríguez de Fonseca, évêque de Cordoue34, faisant office de capellán mayor ou grand aumônier de la cour. On quitte Bruxelles le 4 novembre. On ne se presse guère. On musarde quatre jours à Mons et dans la région avant de gagner Valenciennes et on ne quitte ainsi le Hainaut, donc les Pays-Bas, qu’au dixième jour du voyage. Il est vrai que pour Jeanne, le passage par les deux principales villes du comté hainuyer prend valeur de première entrée, d’inauguration, tandis que Philippe y était déjà venu à l’an neuf 149535. Dans le cheminement vers Paris, Blois puis les Pyrénées, le souverain des Pays-Bas est reçu comme s’il était le roi de France en personne. Au menu des nombreuses étapes, voici les mets courants: fêtes, rues décorées,

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MOLINET, Chroniques, II, p. 498-507 (de Bruxelles à Ségovie) et 513-517 (de Ségovie à Tolède). COOLS, Mannen met macht, p. 63-65, 243-245. Cf. ch. I/1 supra . Voyages, I, p. 123-340. L’itinéraire a été établi et dessiné, en corrigeant quelques erreurs d’identification de Gachard mais en en commettant de nouvelles, par del CERRO BEX, Itinerario... Felipe I, p. 63-77. Ni Lalaing ni Molinet n’indiquent un chiffre. L’ordonnance de l’hôtel pour le voyage, en date du 1er novembre 1501, ne peut donner qu’un reflet très partiel de toute la compagnie: Voyages, I, p. 345-372. CAUCHIES, «Croit-conseil»..., et «Grands» nobles... T. TERESA LEÓN, El obispo D. Juan Rodríguez Fonseca, diplomático, mecenas y ministro de Indias, dans Hispania sacra, t. XIII, 1960, p. 251-304. Cf. supra ch. II/3.

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Le prince héritier d’Espagne tableaux et spectacles, liesse populaire, bals, harangues d’autorités communales, ecclésiastiques voire, à Paris, Orléans ou Poitiers, universitaires. S’il couche ordinairement dans des villes, le prince rend également des visites de courtoisie et de bon aloi à de grands personnages fort honorés de l’abriter pour une nuit dans leur château, tels Jean de Luxembourg et Philippe de Hennin, qui l’accompagnent, à Ville(-Pommerœul) et Boussu, en Hainaut, ou la dame de Vendôme, Marie de Luxembourg, fille de feu Pierre, seigneur d’Enghien et chevalier de la Toison d’or, à Ham, en Vermandois. A Cognac, il séjournera quatre jours entiers, le temps de passer le cap de l’année 1502, chez le jeune François d’Angoulême, duc de Valois, cousin du roi, qui n’est autre que l’héritier présomptif du trône, le futur François Ier 36. Du fatras des mondanités, des cadeaux et des belles paroles se dégagent quelques moments forts. Au Parlement, à Paris, Philippe est reçu comme premier pair de France et s’installe pour une audience tout à proximité du siège royal. A Blois, il rencontre Louis XII et séjourne une semaine, jouant, chassant, dansant, mais surtout, le 13 décembre, confirmant par serment solennel avec son homologue français, en son propre nom et en celui de son père, le traité de Trente, du 13 octobre précédent; il est à ce moment précis flanqué de ses inséparables Jean de Berghes et François de Busleyden37. Passé le Bordelais - dont la grande ville est évitée pour cause d’épidémie - et les Landes, le cortège est accueilli à Dax par le roi Jean de Navarre, l’absence de la reine Catherine étant justifié par l’état des chemins enneigés, les conditions climatiques la retenant ainsi par-delà les monts. Le 26 janvier 1502, on passe à Saint-Jean-de-Luz (Guyenne), «la fin de France», et, de l’autre côté du fleuve, le Río Bidasoa, on parvient à Fuenterrabía, «le comenchement de Vasque (le Pays basque) et d’Espaigne», et à sa forteresse. A partir de là se montrent les Grands d’Espagne, et les Rois Catholiques ont bien veillé à ce qu’il en soit ainsi38. A l’arrivée des princes héritiers à proximité des villes, ils en sortent pour les accueillir, puis ils les reçoivent et les festoient dans leurs demeures, comme leurs homologues du nord, ou poursuivent la route en leur compagnie, à travers l’Espagne: Gutierre de Cárdenas, grand commandeur de l’Ordre de Saint-Jacques, et Francisco de Zúñiga, comte de Miranda, à Fuenterrabía; Bernardino de Velasco, connétable de Castille, et Francisco de la Cueva, duc d’Alburquerque, à Burgos; Fadrique Enríquez, amiral de Castille, Pedro Manrique, duc de Nájera, et Luis Osorio, marquis d’Astorga, à Valladolid. Ce sont bien là les Berghes, Croÿ ou Luxembourg du royaume castillan, et plusieurs d’entre eux pèseront sur le destin de Philippe roi. Une fois franchie les montagnes basques et atteinte la Vieille Castille, vont commencer les séjours prolongés: Burgos, Valladolid, Ségovie, avant Madrid et Tolède, terme méridional du périple. Burgos voit Philippe prêter un premier ser-

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Il était né en 1494 en ce lieu de Cognac et avait perdu son père, Charles d’Angoulême, dès 1496. ZURITA, op. cit., II, p. 348. Op. cit., p. 332.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu ment, requis par la coutume, celui de respecter les privilèges de la ville. Les villes d’Espagne connaissent elles aussi une tradition d’entrées festives, avec rues parées et éclairées, sonneries de trompettes, fastes laïcs et intermèdes religieux, qui ne doivent guère dépayser le prince bourguignon, si ce n’est quand sont organisées corridas de taureaux ou parties de jeu de cannes. Valladolid est pour Lalaing la meilleure ville de Castille, c’est-à-dire, sans doute, la mieux équipée, et ce, ajoute-t-il, bien qu’elle ne soit pas une «cité», le siège d’un évêché. Madrid en serait pour sa part la plus belle, et c’est là que l’on fait halte pendant plus d’un mois, à partir du 25 mars, et que l’on passe les jours de Pâques. Si, en ces divers lieux, «on chassa les taureaux», l’archiduc ne manqua aucune occasion de se livrer à une activité dont il partage le goût avec ses père et beaupère, la (vraie) chasse, non aux bovidés mais au gibier et aux oiseaux39... Entre Valladolid et Madrid, deux capitales en leur temps respectif, les princes héritiers étaient entrés à Ségovie, que Lalaing estime être de la grandeur de Malines, où des instructions royales précises, transmises sans nul doute aussi aux autres villes, étaient parvenues dès janvier: se vêtir élégamment et de couleurs claires en signe d’allégresse, assurer une présence forte et régionale, veiller à l’accueil solennel à l’église collégiale, mettre sur pied des réjouissances publiques intenses, héberger sans frais pour eux les gens de la suite; avec tact, il est recommandé de ne pas organiser des feux d’artifices qui pourraient décevoir ces étrangers, originaires de contrées où l’on excelle dans pareille attraction40. Passé Madrid, un moment important se profile: la première rencontre du gendre et des beaux-parents, conjuguée aux retrouvailles, après bientôt six ans, d’une princesse et des siens. Ferdinand et Isabelle séjournent à Tolède, mais c’est à quelque dix kilomètres de là, au bourg d’Olías, que s’est arrêté Philippe, frappé par la rougeole, selon le diagnostic rapporté par Lalaing, et que le roi vient lui rendre une courte visite, Jeanne jouant les interprètes, la «treussemante» (truchement). L’archiduc, alité, fera galamment prier Isabelle, elle-même souffrante, de ne pas se mettre en peine, peur de la contagion oblige. C’est le 30 avril 1502. Le monarque est accompagné d’un des principaux prélats de Castille, Diego Hurtado de Mendoza, archevêque de Séville et cardinal d’Espagne. Entretemps, Philippe a encore fait la connaissance de deux dignes représentants de la haute noblesse espagnole, Diego López de Mendoza, duc de l’Infantado, neveu du cardinal précité, durant son séjour à Madrid, et Diego López Pacheco, marquis de Villena, à son arrivée à Olías. Pas à pas, le prince cohéritier découvre ainsi les figures de proue des pays de son épouse. Remis sur pied, Philippe entre à Tolède le 7 mai, en compagnie de Jeanne et de quelques Grands d’Espagne, Ferdinand étant venu se joindre au cortège, avec le cardinal Mendoza et les ambassadeurs de France et de Venise, à quelque dis-

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Jusqu’à la fin de ses jours, Philippe demeurera un chasseur dans l’âme. Dans une lettre à son père de juillet 1506, il regrettera, au cours de son second voyage, de n’avoir pu cette fois encore chasser en Espagne, les affaires politiques le privant de son «passe temps» et «loisir» favori; ses regrets seront alors d’autant plus vifs que Maximilien lui avait donné des nouvelles de ses propres exploits cynégétiques: Voyages, I, p. 554. D. de COLMENARES, Historia de la insigne ciudad de Segovia y compendio de las historias de Castilla, nouv. édit., t. II, Ségovie, 1970, p. 142 (auteur ecclésiastique du XVIIe siècle).

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Le prince héritier d’Espagne tance de la cité. Advient donc la première rencontre, très cérémonieuse, entre le prince et la reine. Après quinze jours de célébrations religieuses et d’activités diplomatiques, mais aussi de repos et de détente bien mérités, voilà, le 22 mai, le moment clé du séjour tolédan: la réception et le serment aux Cortès de Castille des príncipes herederos. A l’issue d’une messe solennelle, présidée par Francisco Jiménez de Cisneros, archevêque de Tolède et primat d’Espagne, prend place en la cathédrale le serment en qualité de prince de Castille, avec allégeance (homenaje) des prélats, puis grands laïcs, enfin députés (procuradores) des villes. Les gouvernés se montrent soucieux d’obtenir une garantie particulière, précédemment requise du roi Manuel de Portugal en qualité d’époux de l’héritière Isabelle, Philippe étant lui aussi un cohéritier étranger aux pays de la Couronne: legítimo marido de la future señora e propietaria, il devra gouverner le temps venu conformément à las leyes y costumbres de la patria41. Cet engagement sanctionne de manière péremptoire la portée du titre de prince de Castille reconnu au fils de Maximilien. Initialement, la réunion de réception des Cortès à Tolède avait été prévue pour le 15 avril, comme l’atteste une convocation du 8 mars précédent à dix-huit villes, émanée des Rois Catholiques42. A cette dernière date, les princes séjournaient à Valladolid et sans doute, comme souvent dans ces circonstances, sousestima-t-on le délai d’arrivée dans la cité archiépiscopale; à la mi-avril, on ne serait parvenu qu’à Madrid. Si elle met un terme à la réunion des Cortès, la cérémonie du 22 mai comporte des suites, puisque d’autres serments sont encore prêtés les 29 mai, 18 et 19 juillet, toujours à Tolède, par une série de membres de la noblesse castillane, venus en personne43. Le tout est consigné dans des écrits officiels, en présence de témoins, variant d’une circonstance à l’autre. A côté de seigneurs et d’ecclésiastiques espagnols, on identifie ainsi les Bourguignons les plus influents: une fois Busleyden et Jean de Berghes, les trois fois Veyré - ainsi d’ailleurs que l’omniprésent aumônier de la cour, l’évêque Fonseca -. Le 22 mai, lors des formalités les plus solennelles, les témoins avaient été de la part de Philippe, aux côtés des ambassadeurs français, vénitien et génois ainsi que de Castillans: Frédéric de Bavière, futur comte palatin du Rhin44; Henri de Berghes, évêque de Cambrai; le bâtard Philippe de Bourgogne, amiral, premier maître d’hôtel; Jean de Berghes, premier chambellan. Critères de sang et de fonction convergeaient donc ici, Henri de Berghes étant par ailleurs chef du conseil archiducal. La participation effective aux Cortès de Tolède est exceptionnellement fournie. S’ils n’en sont pas dupes, pas plus que cela n’échappe aux monarques et à la cour, les membres de l’assemblée n’ont toutefois pas émis d’objections directes au sujet de l’instabilité notoire de leur future reine et de ses capacités réelles à gouverner. Mais on perçoit bien le soin qu’apporte le gratin ecclésiastique et laïc

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ZURITA, op. cit., II, p. 363, 393. Corpus documental de las Cortes de Castilla, p. 65. Op. cit., p. 78-82. Eduqué à la cour de Bourgogne, ce prince (né en 1482) était un fils cadet du comte-électeur palatin Philippe, auquel il devait succéder en partage en 1508.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu des pays castillans à nouer d’ores et déjà des liens personnels avec le nouveau venu qui sera son roi, peut-être même dans un avenir pas trop lointain, compte tenu de la santé déclinante d’Isabelle. Philippe le Beau est donc au cœur de l’enjeu d’une succession prévisible à terme. Pour sa part, l’importante composante urbaine des Cortès garde au feu plusieurs fers et son allégeance au Habsbourg ne l’empêche pas, par ses procuradores interposés, d’appuyer une alternative de poids: à savoir qu’en cas de décès de la reine en fonction, le gouvernement et l’administration de ses territoires, échus de droit à sa fille, soient confiés à son époux veuf45. Ces discordances entre Grands et villes au regard de la personne de Ferdinand l’Aragonais laissent augurer des dissensions que la mort d’Isabelle la Catholique, deux ans et demi plus tard, fera surgir en Castille. A chacun sa défiance, à chacun ses soupçons... Le séjour à Tolède serait long et animé. Ce n’est que le 29 août que les archiducs quitteraient la cité, qui les avait donc accueillis, réserve faite de quelques escapades en des lieux proches, durant près de quatre mois. Les dernières semaines allaient se révéler particulièrement mouvementées, en raison des remous politiques survenus à la cour bourguignonne, disgrâces et décès à la clé. On sait déjà combien étaient vive la rivalité personnelle et nombreuses les divergences entre les deux hommes les plus proches du prince, le «francophile» Busleyden et l’«anglophile» Jean de Berghes. Philippe, inspiré - à n’en pas douter - par son ancien précepteur, et Berghes entrent en conflit sur les intentions que manifeste le Habsbourg de «lâcher» l’Angleterre au bénéfice de la France. Coup de tonnerre et témoignages sibyllins des sources, tranchants comme des couteaux: «Monsigneur renvoya le signeur de Berghes au pays, a sa maison», que se fuese á su casa (23 juillet 1502)46. Accompagnent notamment le premier chambellan dans son retour forcé et sans délai son frère Henri, son jeune neveu Maximilien47, le bâtard Philippe de Bourgogne, dont les intérêts sont proches de ceux des Berghes-Glymes: c’est un «clan» qui paraît bien quitter le train et la cour, en dépit d’intercessions d’Isabelle et de Jeanne, laquelle offre toutefois aux trois «ministres», en guise de baume, de bonnes montures. Jean de Luxembourg fait désormais office de premier chambellan - charge toutefois attribuée en titulariat à Engelbert de Nassau absent - et l’inévitable Busleyden recueille la fonction de chef du conseil aulique délaissée par Henri de Berghes. L’archevêque de Besançon ne jouit néanmoins guère de temps d’une promotion politique sans doute activement recherchée. Il avait acquis en Espagne la réputation d’un homme apte à bien redresser les choses et tout dévoué à son jeune maître, qui se déchargeait sur lui par préférence des affaires qu’il ne souhaitait pas traiter en personne48. Deux ans plus tôt, Jeanne elle-même confiait à

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Cf. CARRETERO ZAMORA, Cortes, monarquía, ciudades, p 199-201. Voyages, I, p. 190. PADILLA, Crónica de Felipe I°, p. 88. Cf. CAUCHIES, «Croit-conseil» et ses «ministres»,... Agé de 17 ans, fils d’un autre frère, Corneille, demeuré pour sa part aux Pays-Bas car investi de grandes responsabilités ANGLERÍA, Epistolario, I, p. 425. ZURITA, op. cit., II, p. 259.

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Le prince héritier d’Espagne l’ambassadeur Fuensalida qu’il était bien, davantage que le seigneur de Bergen op Zoom, le conseiller le plus proche de son mari. Elle l’aurait qualifié d’asoluto, le diplomate lui conseillant alors de le gagner à sa cause pour obtenir des faveurs de Philippe. En outre, cet interlocuteur privilégié de l’infante devait écrire que la volonté personnelle de l’archiduc s’aliénait (enagenada) en l’archevêque, mot très fort s’il en est pour qualifier l’emprise d’un familier49. Quoi qu’il en soit, Busleyden, malade, un certain temps alité, finit ses jours le 23 août dans un monastère proche de Tolède, où Philippe prend d’ailleurs soin de lui rendre visite à plusieurs reprises et recueille de lui des confidences, dont nous ignorons évidemment la teneur. Ce collectionneur de prébendes juteuses plus que de devoirs assumés, aux Pays-Bas, en France, en Angleterre, en Castille - l’évêché de Coria - , sans oublier son archevêché de Besançon, n’a même pas le loisir de recevoir matériellement le chapeau de cardinal que Philippe le Beau lui a fait récemment obtenir50. Un autre madré personnage, le bâtard Baudouin de Bourgogne, rompu aux questions espagnoles, devient alors chef du conseil, le troisième en un mois. Passés ces événements, commence le lent retour vers le nord, constellé de séjours, dont deux semaines d’hospitalité de l’archevêque Cisneros, en son palais d’Alcalá de Henares. S’il est vrai que Philippe le Beau éprouve beaucoup de hâte à rentrer au pays, au point, comme l’écrit depuis Tolède, avec de fortes images, un contemporain, que les pieds le démangent, que le sang lui bout, combien il doit trouver le périple interminable51! Mais une étape particulièrement importante figure encore au programme. Entrés en Aragon le 17 octobre, les princes héritiers parviennent à Saragosse. A la suite du serment approprié à la ville capitale du royaume, prend place, le 27 octobre, la cérémonie de réception aux Cortès aragonaises, en la cathédrale et en présence du roi Ferdinand52. Elle vaut tout à la fois pour l’Aragon proprement dit mais aussi pour Valence, le comté de Barcelone, le Roussillon, les Baléares, la Sardaigne et la Sicile, tous territoires de même obédience. Ici, néanmoins, l’accession future de Jeanne et de l’époux à la Couronne est assortie d’une réserve radicale: il ne faut pas que Ferdinand, en cas de veuvage et de remariage, laisse de cette union éventuelle un enfant mâle53. Ce dernier aurait en effet le pas sur sa demi-sœur aînée devant un trône peu enclin, à la différence de celui de Castille, à se voir occuper par une femme. Isabelle, en mauvaise santé, de sa résidence madrilène, semble tout faire pour retenir ses fille - enceinte, il est vrai, de son second enfant mâle, Ferdinand54 et gendre en-deçà des monts. Elle les mande derechef à Madrid, et Philippe n’en

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Correspondencia Fuensalida, p. 140 (6 août 1500). Voyages, I, p. 196-197. ANGLERÍA, op. cit., II, p. 35. Qui avait quitté Tolède pour son propre royaume le 18 juin et repartirait pour Madrid, afin d’y retrouver Isabelle, dès le 28 octobre: A. RUMEU de ARMAS, Itinerario de los Reyes Católicos, 1474-1516, Madrid, 1974, p. 280-285. ZURITA, op. cit., III, p. 24-26. Il verra le jour le 10 mars 1503, à Alcalá de Henares, et recevra donc le prénom de son grandpère maternel.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu reviendra qu’après un mois à Saragosse, cette fois sans l’épouse, demeurée en raison de son état sous l’aile maternelle. Une solution de bon aloi pour chacun sans doute... L’année 1503 vient de commencer quand l’archiduc quitte définitivement Saragosse, en direction de la Catalogne et, au-delà, de la France, cette France dont les Rois Catholiques lui conseillent, comme en un leit-motiv, de se défier, lui remémorant sa propre mère spoliée de la Bourgogne et d’autres terres, son père dupé par Anne de Bretagne, la reine en place, sa sœur Marguerite répudiée55... Mais voilà donc plus d’un an qu’il s’est éloigné des Pays-Bas. Et il a commencé depuis le début d’octobre à informer Louis XII de son arrivée prochaine au royaume des lys et à solliciter les garanties d’usage, sous la forme d’une assignation à résidence aux Pays-Bas d’otages français de haut rang56. Depuis le Roussillon, bientôt, il en écrira à un de ses conseillers les plus proches demeurés au pays, le prince de Chimay, lui confiant, ainsi qu’à d’autres grands seigneurs, le soin de divertir ces mêmes otages, en particulier à la chasse, après avoir, comme il se doit, reçu leur serment de ne pas quitter traîtreusement ses états57. Il est significatif que pour Antoine de Lalaing, dans la construction de son récit en deux «livres», le voyage de retour de son prince, objet du second, ne commence que le 19 décembre, au (second) départ de Madrid, après des adieux réputés «touchants» à l’épouse, en «grandt dueil», et aux beaux-parents, «a grands regrets». Pour l’archiduc, une page est tournée, d’autres affaires requièrent son attention, et il le laisse clairement entendre à tous. Habilement, il fait usage de l’argument du «péril français» cher aux Rois Catholiques: n’est-il pas de son devoir à la fois de tenir sa place de «fils» et prince héritier dans l’état de guerre qui, pour cause de la possession du royaume de Naples, oppose Ferdinand à Louis XII et d’éviter qu’en son absence, les Pays-Bas ne puissent par ailleurs pâtir d’un tel conflit? Comment se rendrait-il utile en Castille? Qu’importe, voilà chose singulière qu’un «fils» courre le risque de s’aventurer dans une contrée dont le chef mène la guerre à ses «parents» et offense ainsi tout un peuple dont il est maintenant le prince58! Mais rien n’y fait. Quelques jours à Saragosse encore, moins d’une semaine à Barcelone, un peu plus de temps à Figueras - Philippe semble notamment y attendre le retour de France d’un important émissaire59 - , et voici les Pyrénées, près d’un mois encore de «tourisme politique» dans le Roussillon, enfin le Languedoc, la France (28 février 1503).

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ANGLERÍA, op. cit., II, p. 40. Mission de Charles de Poupet depuis Guadalajara, où le train s’était arrêté les 8 et 9 octobre: Voyages, I, p. 228-229, 242; le 21 décembre, Poupet repartira en France, son maître étant résolument du retour, pour solliciter le transfert des otages dans les pays de celui-ci: op. cit., p. 246, 260. Op. cit., p. 384. C’est l’opinion de ZURITA, op. cit., III, p. 43-45. Toujours le même Poupet, venu à Figueras vers le 1er février, de toute évidence pour faire rapport sur l’affaire des otages, dont un courrier confirmera le 27 février suivant l’arrivée à Valenciennes, en Hainaut (Voyages, I, p. 265).

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10. Lille - Archives départementales du Nord - moulage: «Demay, Flandre, 84». Sceau équestre de Philippe le Beau (1501).

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Au moment donc où s’ouvre pour le Habsbourg une nouvelle phase diplomatique de son long périple, il laisse en Espagne les marques d’une «francophilie» déjà quasi légendaire. Il se dit, paraît-il, selon ce qu’en relatera Zurita, que la mort de l’archevêque Busleyden n’a pas bouleversé grand-chose, que le plus puissant impact qui s’exerce maintenant sur lui ne vient pas de Ferdinand et d’Isabelle, mais de familiers, dont le seigneur de Veyré, de vrais franceses, des gens qui détournent leur maître de la voie droite, le tiennent sojuzgado et l’asservissent aux intérêts de Louis XII. Près d’un an de pérégrination et de séjour en terre ibérique n’y a rien changé: ce n’est pas demain que Philippe «se fera» Espagnol... 3. Négociations de France et d’Autriche A. A la poursuite d’un mariage introuvable Vous savez aussi les grandes fraternitéz, amistiéz, aliance et intelligence que par mariage ou autrement ont desja esté pieca promises et solempnellement jurees entre ledit seigneur roy trés chrestien (de France) et le roy (de Castille), lequel les a tousjours deuement entretenues non pas de parolles mais par effect60 Charles, duc de Luxembourg, fils aîné de Philippe d’Autriche et de Jeanne de Castille, est né le 24 février 1500. Claude, fille aînée de Louis XII et d’Anne de Bretagne, a vu le jour en octobre 1499. Au printemps 1501, Maximilien négocie un virage dans ses relations avec une France contre laquelle il doit bien convenir ne pouvoir compter sur un secours du Reich. Plus conciliant que jamais, ne le voilà-t-il pas, le 3 avril, consentant à une trêve? Un revirement, un compromis qu’outre ses propres sujets d’Allemagne et le monarque des lys, voire encore les souverains espagnols, son propre fils ne peut qu’enregistrer avec satisfaction. L’heureuse influence de ce dernier n’y est pas pour rien et doit bien renforcer le prestige de l’archiduc. Dès son avènement, trois ans plus tôt, Louis XII s’est proclamé duc de Milan, concurrent des Sforza, en sa qualité de descendant des ducs Visconti par sa grand-mère paternelle Valentine. Joignant l’acte à la parole, il a conquis le Milanais en quelques mois (1499-1500), en envoyant bientôt son rival Ludovic le More croupir dans des geôles françaises. Son ambition présente étant d’obtenir l’investiture du duché, de nature à en rendre la possession moins aléatoire, il ne peut que briguer l’amitié du roi des Romains. Un projet répondant aussi aux vœux de Ferdinand le Catholique, dans la perspective d’un accord sur l’Italie du sud, n’a pas tardé à se dessiner (automne 1500): marier Charles et Claude. A la clef, Milan et, de surcroît, Naples, royaume disputé depuis Charles VIII entre

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Réponse faite au nom de Philippe le Beau à des ambassadeurs français, 23 août 1505: Négociations diplomatiques, I, p. 93.

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Le prince héritier d’Espagne France et Aragon, constitueraient la dot de la mariée. Le dessein fournirait en outre par ailleurs l’occasion de remettre en selle des prétentions au retour de la Bourgogne ex-ducale, par une «voie amiable» telle que prônée par le traité de Paris61, puisque partie intégrante possible de conventions matrimoniales. Dans des instructions diplomatiques, l’archiduc s’exprime très clairement à ce sujet: au-delà du traité de 1498, les questions en suspens à traiter, si l’on veut rallier Maximilien, demeurent bien la destinée du duché de Bourgogne et les «querelles d’Italie». Philippe le Beau, qu’un historien français qualifia bien ici jadis de «courtier pacifique»62, fait lui-même écrire que, «desirant de tout son cuer l’accord et pacificacion des differens», son principal objectif politique touchant son père est alors de «l’induire par tous bons moyens a ladicte pacificacion»63. Rapidement, en août 1501, un traité de fiançailles est conclu à Lyon entre les souverains de France et les ambassadeurs et procureurs de la partie bourguignonne; ces derniers ne sont pas des moindres: Busleyden, Chièvres, Veyré, Ruter e. a. Le secrétaire archiducal Pierre Anchemant, formé par le prévôt Nicolas de Ruter et à son service, autre participant à l’ambassade, a laissé un journal détaillé relatif au déroulement de celle-ci64. Le mariage sera effectif et solennisé dès que les deux promis seront pubères, les dispenses nécessaires compte tenu des liens de parenté seront obtenues, dot et douaire sont spécifiés. Il n’est encore nullement question de la dévolution de territoires65. Dans des instructions que Maximilien adresse à la même époque au duc-électeur Frédéric (III) de Saxe, son lieutenant (stathalter) dans l’Empire, en vue d’une communication à la diète sur la menace française en Italie, il est fait notamment état des négociations tripartites de paix (dhweil man den friden tractirt hat) menées sur socle de projet de mariage franco-bourguignon. Mais il est déjà clair alors pour le monarque germanique que tout cela doit servir d’appât, le véritable objectif du Valois, ne recherchant ici que des garanties pour ses ambitions milanaises et napolitaines, étant en effet d’unir à terme sa fille au dauphin en titre, son petitcousin François d’Angoulême66. Et telle est bien la réalité politique: l’option de Louis XII, depuis plus d’un an, avait fait l’objet d’un engagement secret, propre à servir les intérêts et à sauvegarder la cohésion de l’héritage franco-breton (30 avril 1500)67.

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Cf. ch. V/1 supra. H. LEMONNIER, Les guerres d’Italie. La France sous Charles VIII, Louis XII et François Ier (1492-1547), Paris, 1903 (E. LAVISSE, Histoire de France depuis les origines jusqu’à la Révolution, t. V/1), p. 70. HHSA, Belgien, PA 1/1, f. 93r. (25 juin 1501). Le même souci majeur et déclaré de paix était déjà manifesté dans les instructions archiducales citées, dépourvues de date mais à situer en 1500: Négociations diplomatiques, I, p. 19-23. Baron KERVYN de VOLKAERSBEKE, Les missions diplomatiques de Pierre Anchemant, 1492-1506, Gand, 1873, p. 18-62. Le prince d’Orange Jean de Chalon, négociant pour Louis XII, a fait comprendre le 9 août à François de Busleyden qu’en dépit des paroles d’un secrétaire imprudent (qui «pourroit avoir mal entendu»...), la restitution du duché de Bourgogne n’est pas à sa connaissance à l’ordre du jour: op. cit., p. 55. Quellen zur Geschichte Maximilians I., p. 125-126. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 132.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Dans les discussions et échanges centrés sur les rapports pacifiés - demeurassent-ils équivoques - entre roi des Romains et roi «très chrétien», le prince des Pays-Bas fait toujours figure d’acteur modérateur. Aussi Louis XII engage-t-il sa foi sur un terrain devenu cher, depuis juillet 1500 (mort de l’infant Miguel), à l’héritier - avec sa femme - d’un trône: «Semblablement sera tenu ledit seigneur roy trés chrestien d’assister et ayder mondit seigneur l’archiduc pour parvenir et avoir la succession des roy et royne de Castille, quant le cas y escherra»68. Si les contractants de l’acte signé à Trente le 13 octobre 1501 sont Maximilien et le cardinal Georges d’Amboise, archevêque de Rouen, lieutenant général du roi de France, les Rois Catholiques - qui ont délégué un ambassadeur, Don Juan Manuel - et Philippe le Beau - quoique la cour bourguignonne ne paraisse pas représentée - sont intégrés à la promesse de bonne entente durable et d’alliance renouvelée. Les grandes clauses du traité se rapportent au mariage ainsi ratifié de Charles et de Claude, à un autre projet devant unir les destinées du dauphin présent ou futur69 et d’une fille de Philippe le Beau, à l’investiture prochaine (lors d’une assemblée de la Diète) du Milanais en faveur de Louis XII et au secours à fournir par ce dernier au futurus imperator - ainsi est dénommé Maximilien - dans une vaste croisade contre les Turcs. Le jeune Habsbourg demeure associé à l’attachement et au soutien envers son père auquel s’engage le roi de France, lequel promet donc de s’employer à une bonne dévolution à sa lignée de l’héritage espagnol et de lui verser une somme de 80.000 couronnes ou écus d’or (soit 140.000 francs)70. Le mois suivant, un document signé de la main de Maximilien notifie à Philippe et au cardinal Georges d’Amboise qu’ils auront à communiquer au roi de France quelques objections de sa part, à propos des relations politiques et dynastiques franco-bohémiennes et franco-hongroises, préjudiciables aux ambitions habsbourgeoises, dont on n’a pas à se préoccuper ici plus avant dans la mesure où elles ne concerneraient Philippe que dans un avenir familial encore incertain71. L’intérêt pour qui suit les traces de ce dernier est d’y voir le monarque germanique tirer profit du voyage entrepris le 4 novembre vers l’Espagne, à travers la France, par ses fils et bru72. La conclusion du traité de Blois, ville où ces derniers séjournent en compagnie de Louis XII, en est le premier moment politique fort (13 décembre 1501). Il s’agit là, de l’aveu même du texte, d’une «interpretation, declaration et entendement» du traité de Trente. Les prélats Busleyden et Henri de Berghes, les grands seigneurs Jean de Berghes et Guillaume de Croÿ, l’ecclésiastique et légiste Ruter sont les «ministres» bourguignons participant aux discussions. A côté des questions milanaises, on n’aborde plus le mariage de Charles et de Claude, chose en principe conclue, mais on peaufine les conditions du second hymen stipulé dans le texte tridentin: la fille de Bourgogne - il en est né deux à cette date, Eléonore et Isabelle - à unir

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HHSA, Spanien, Hofkorrespondenz, carton 1, liasse 2, f. 15r. Présent: François d’Angoulême; futur: un fils à naître du roi Louis et de la reine Anne. DU MONT, Corps universel diplomatique, t. IV/1, p. 16-17 (en latin). HHSA, Belgien, PA 1/1, f. 49r.-v. (21 novembre 1501). CHMEL, Urkunden, p. 216-217. Sur la question hongroise à ce moment précis, cf. WIESFLECKER, op. cit., III, p. 96, 309-310. Cf. supra.

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Le prince héritier d’Espagne au dauphin sera désignée dans un délai de six ans, tout autre projet de mariage concocté par Philippe devra être soumis au roi de France et l’enfant sera «réservé» si Louis le souhaite ainsi. Par ailleurs, la somme due par le Valois au Habsbourg pourrait être portée de 140 à 200.000 francs, moyennant un arrangement territorial en Italie73. Rien d’essentiel sans doute, à court terme, mais un processus de tractations et de signatures acquérant une certaine permanence74. C’est au retour de son long périple et séjour espagnol que l’archiduc va rendre derechef visite à la cour de France75. Il a reçu de ses beaux-parents, après bien des hésitations, les pleins pouvoirs pour négocier au mieux en leur nom76. Mais le climat politique n’est pas sain, l’équivoque règne en maître, des intérêts divergents, à travers les gouvernants concernés, se pressent au même portillon. En dépit des bonnes intentions déclarées, une méfiance relative est de mise. Louis XII a offert des garanties, en particulier la remise d’otages («ostaigiers») installés à Valenciennes sous la responsabilité du prince de Chimay. Certes Philippe écrit-il à ce dernier qu’il convient de divertir ces seigneurs français, en particulier à la chasse, «sans garde aucune», vu la totale confiance (!) qu’il a dans leur souverain, et lui fait-il établir plus tard une attestation du soin qu’il en a pris. Mais on les voit quand même «tenir hostaige pour mondit seigneur» dans la vieille résidence comtale hainuyère de la Salle-le-Comte77. Arrivé dans la capitale des Gaules le 22 mars, accueilli entre autres dès l’approche de la cité par le cardinal Georges d’Amboise78, Philippe le Beau ne tarde pas à signer rapidement, le terrain ayant été préparé par des diplomates, un nouveau traité dit de Lyon (2-5 avril 1503)79. Les contractants en sont le roi de France et les Rois Catholiques, en conflit pour l’Italie méridionale, les signataires Louis XII lui-même et Philippe le Beau au nom de l’autre partie. L’objet central en est l’ensemble territorial comportant le royaume de Naples - redevenu français depuis 1500 - , les duchés de Calabre et des Pouilles - possédés avec la Sicile par Ferdinand d’Aragon - . On promet de part et d’autre d’y céder ses droits à Claude et à Charles, les enfants à marier, autorisés dès à présent à s’intituler roi et reine, duc et duchesse. Dans l’immédiat, le gouvernement des terres ainsi dévolues doit être confié à Philippe, désigné du chef de Ferdinand et Isabelle, et à un second administrateur à choisir par Louis; il appartiendra à ces 73 74

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DU MONT, op. cit., p. 17-18 (en français). Près de trois mois plus tard, Maximilien exprimera à Louis XII sa satisfaction quant au principe du mariage projeté: Négociations diplomatiques, I, p. 50 (9 mars 1502). On notera toutefois que quelques coups bas sont portés à la politique de Maximilien dans les dispositions se rapportant à l’Italie, Philippe et ses conseillers, qui n’en ont cure mais songent exclusivement aux affaires des Pays-Bas et d’Espagne, manifestant là une fois de plus leur liberté de tempérament politique. Voyages, I, p. 261 sq. Del CERRO BEX, Itinerario... Felipe I, p. 72-75. ZURITA, Historia del rey Don Hernando, III, p. 47. RODRÍGUEZ VILLA, Juana la Loca, p. 416-419 (12 janvier 1503). Négociations diplomatiques, I, p. 60-61 (lettre archiducale datée du 8 février, de Perpignan, dernière étape avant de pénétrer sur les terres de la Couronne), 64-65. Voyages, I, p. 281. Le roi Louis n’y entrera que le 29 et la reine Anne le 31. Le texte conservé porte la date du 5, mais le récit du voyage archiducal situe le dimanche 2, après la messe, la «divulgation» du traité de paix «par tous les carfours de Lyons»: Voyages, I, p. 283.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu deux responsables de nommer des hommes sûrs aux offices et aux places fortes80. Philippe, encore et toujours courtier de la paix, s’est hâté de conclure. Il s’empresse tout autant, par les soins du comte de Fürstenberg, d’informer son père: Louis XII est mûr pour la paix, que l’empereur élu se mette donc en route pour le rencontrer81! Mais, soucieux de gagner du temps, Ferdinand ne couvre pas son gendre, notifie d’emblée sa désapprobation et ne ratifie évidemment rien82. Son général en Italie, Gonzalve de Cordoue, el Gran Capitán, a d’autres instructions: poursuivant une campagne couronnée de succès, le réputé chef de guerre reprend la ville de Naples le 13 mai 1503, un mois après le traité «de paix» de Lyon, et tout le royaume subit le même sort durant l’été... Louis XII n’y aura décidément pas muselé Ferdinand (et Maximilien) devant ses propres ambitions italiennes. Il ne lui restera plus qu’à se plaindre amèrement «de la grant injure et oultraige» ainsi subi des œuvres des Rois Catholiques, alors que le traité avait été négocié par leur gendre «de leur especial povoir»83. La piste espagnole étant brouillée, la guerre sévissant dans l’autre péninsule, le Valois, on le comprend, se doit de jouer la carte impériale. Philippe quitte Lyon (10 avril). Il rend visite à sa sœur Marguerite, duchesse de Savoie, et à son époux le duc Philibert et séjourne quelque temps à Bourg-en-Bresse et Pontd’Ain. Rentré à Lyon (29 mai), quoique sérieusement malade, parce qu’il a promis de revoir Louis XII après l’intermède bressan, il a le déplaisir de s’y entendre reprocher par des ambassadeurs des Rois Catholiques d’avoir conclu le traité «plus avant qu’il ne avoit de puissance». Ce à quoi il peut répliquer avoir agi dans le cadre de la délégation de pouvoirs scellée reçue, tandis que le maître des lieux congédie les diplomates espagnols en refusant de renégocier avec eux84. Le 17 juin, voilà Philippe reparti pour la Bresse et un nouveau séjour à Pont-d’Ain (20 juin - 3 juillet). Assurément, l’archiduc, Marguerite et Philibert ont dû s’entretenir, pendant les semaines qu’ils ont passées ensemble, de questions politiques de la plus haute importance, dont Antoine de Lalaing ne souffle cependant mot. Il semble patent que Marguerite entrave tout effort de Louis XII pour amener son ducal époux à servir les desseins royaux dans une négociation avec Maximilien85. Fidèle à sa ligne de vie, la fiancée jadis répudiée de feu Charles VIII n’entend toujours rien concéder à la fleur de lys. Après les terres de Savoie, voici pour Philippe la Franche-Comté, un sien pays86. C’est la seule visite qu’il lui rendra, de toute sa courte existence; il la parcourt durant un mois et y fait son entrée dans les principaux villes et bourgs, où la population manifeste

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DU MONT, op. cit., p. 27-29. MAYER, Politischen Beziehungen, p. 116. ZURITA, op. cit., III, p. 96-97. Lettres de Charles VIII et de Louis XII conservées dans les fonds d’archives berruyers, édit. D. RIVAUD, dans Annuaire-bulletin de la Société de l’histoire de France, année 1999, 2001, p. 101 (27 juin [1503]). Voyages, I, p. 291-292. Cf. ZURITA, op. cit., III, p. 111. CAUCHIES, Philippe le Beau, comte de Bourgogne...

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Le prince héritier d’Espagne son attachement à son seigneur et à «Bourgoigne»: «il sambloit qu’ilz tenoient Dieu par les pieds», écrit joliment Lalaing des habitants de Gray87. Maximilien, contrairement à ce que des messages avaient laissé entrevoir, n’a pas pris la route de la Comté. Aux fins d’une nécessaire entrevue, après la «douche froide» espagnole consécutive au traité de Lyon, Philippe s’en va au Tyrol88, plus que jamais revêtu des habits d’un «monsieur bons offices» entre l’«allié» et le père. Rentré aux Pays-Bas début novembre, il fait verser à la fin du même mois des sommes d’argent à ceux qui sont appelés à négocier la paix entre Maximilien et Louis XII, au nombre desquels son ci-devant lieutenant général Nassau, son chancelier Plaine, son chef des finances Chièvres, l’évêque Ruter, le diplomate Veyré ou le premier secrétaire et audiencier Haneton, un homme très versé dans ce qu’il dénomme lui-même Francie materiae89. C’est un autre trio, non moins soigneusement choisi, que l’on trouve à l’œuvre l’année suivante, pour une nouvelle phase de négociations en vue du mariage de Charles et de Claude: le premier chambellan Ville, le prévôt Ranchicourt, le secrétaire du Blioul90. Ils vont mener à bon terme, signatures et signets à l’appui, les traités de Blois du 22 septembre 1504, en présence de Louis XII. L’un est une pax, unio, amicitia, foedus, confoederatio conclue entre le roi de France et les ambassadeurs de Maximilien - dont le prévôt de la cathédrale d’Utrecht, Philibert Naturel, un francophile proche de son fils et maîtrisant la langue du royaume - et de Philippe - les trois précités - . On y souligne avec vigueur la parfaite entente, la communauté d’âmes devant prévaloir «à jamais» (omni aevo et tempore duratura) entre les trois princes, tamquam una anima in tribus corporibus; on y statue à propos de l’investiture du Milanais, des marchandages du royaume de Naples et des perspectives s’y dessinant de part et d’autre pour les enfants à marier91. Les négociateurs bourguignons ont encore eu le souci d’éviter que leur maître ne puisse être amené à devoir aider militairement le roi de France, sous prétexte de leurs «amitiés» et «inimitiés» communes, contre les reges Hispaniarum92. Un autre traité vise l’accomplissement de ce même mariage, depuis si longtemps conçu. On stipule que si Louis XII décède sans hoir mâle, dont il est jusqu’à nouvel ordre dépourvu puisque n’ayant que deux filles, duché de Bourgogne et terres conjointes (les revoilà!) seront restitués à Philippe

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Voyages, I, p. 301. Cf. infra. Négociations diplomatiques, I, p. 66-68. Le dernier cité a laissé des écrits inédits - en forme de chronique, ou «recollectio» - prodigues en détails sur les négociations franco-bourguignonnes, à savoir, en français, un «Recueil fait par maistre Philippe Haneton... des lettres, tiltres, memoires et enseignemens des traitéz...» entre Louis XII et Philippe le Beau, analysé par C. R. von HÖFLER, Das diplomatische Journal des Andrea del Burgo..., p. 471-502 (1498-1506, d’après un document viennois; GACHARD, Collection des voyages, I, p. 341-344, en édite des extraits pour les années 1501-1503, en utilisant un manuscrit parisien), et, en version latine, des «Collecta per magistrum Philipum Haneton... ex litteris, memorialibus et documentis tractatuum...», dans HHSA, Spanien, Varia, carton 1 b, f. 1r.-47r. (limités à octobre 1505). Négociations diplomatiques, I, p. 73-74 (14 août 1504). Von HÖFLER, op. cit., p. 420-423. Les souverains espagnols, qui ne sont pas partie prenante au traité même si cette possibilité leur demeure ouverte pour l’avenir, ne manifestent plus alors l’intention de renoncer à Naples, fûtce au profit de leur petit-fils. Von HÖFLER, op. cit., p. 452-453, 455 n. 1.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu le Beau, ad utilitatem des jeunes époux, si Charles est mineur, ou directement à Charles, s’il a atteint le cap de sa majorité. Il en ira de même si le mariage n’a pas lieu par la faute de la partie française93. Entre-temps, la mort d’Isabelle va faire de Philippe et Jeanne les monarques de Castille. C’est donc, lui aussi, en tant que roi - nunc précisera le texte, tandis qu’il n’était encore à Blois, tunc, qu’archiduc d’Autriche - que Philippe participe le 4 avril 1505 à la signature du traité de Haguenau (Alsace), dans lequel Maximilien ratifie par ses lettres patentes de roi des Romains le traité de paix de Blois94. Il tient à solenniser l’événement et à recevoir ainsi en ce lieu, dans le faste, le cardinal et puissant ministre Georges d’Amboise mais aussi son propre fils, désormais pourvu d’une dignité royale à la face du monde, et différents princes de l’Empire. La rencontre de Haguenau est un moment de prix pour la propagande habsbourgeoise95. Cette belle harmonie ne peut cependant masquer les nuages qui vont s’accumuler dans le ciel des relations franco-bourguignonnes durant la dernière année de la vie de Philippe, sans toutefois déboucher évidemment sur un affrontement guerrier: l’aide française à la Gueldre, la politique envers l’Espagne, la rupture du mariage Habsbourg-Valois, le ressort du Parlement de Paris en Flandre. Louis XII a consenti en 1504/05 à des traités qui avantagent ses partenaires. Mais son intention a-t-elle jamais été de s’y conformer? Les événements de Haguenau ont fait bien plus de bruit qu’ils ne produiront d’effets. La question gueldroise est exposée ailleurs96. Le mariage de Germaine de Foix, nièce du «très chrétien», et du monarque aragonais veuf (octobre 1505), évoqué plus loin97, traduit une résolution de se rapprocher de Ferdinand et, par là même, une intention de mettre en péril l’héritage aragonais de Jeanne et Philippe. On sait déjà qu’en avril 1500, Louis s’était secrètement engagé à ne marier Claude qu’à François d’Angoulême. Ayant en l’espèce beaucoup de suite dans les idées, il a même renouvelé cette déclaration en janvier 1504, alors qu’il négociait officiellement tout autre chose avec les Habsbourg. Il s’est cependant bien gardé d’envoyer Claude pour son éducation à la cour bourguignonne, ce que l’on y eût vu d’un œil favorable. A Haguenau, les enfants, quoique mentionnés dans le traité, n’ont nullement été associés lors des serments solennels prêtés par le roi des Romains, le roi de Castille et le cardinal-ministre. Dans son

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DU MONT, op. cit., p. 55-56 (paix - c’est en fait la ratification en date du 4 avril 1505, à Haguenau - ) et 57-58 (mariage); un troisième traité (secret) de même date (ibid., p. 58-59) concerne une alliance anti-vénitienne qui ne mentionne pas Philippe le Beau. Une étude approfondie des négociations (complexes) et de l’ensemble du «Vertragswerk von Blois» est fournie par WIESFLECKER, op. cit., III, p. 124-135. Sur les intentions réelles et feintes de chacun: H. HEIDENHEIMER, Zu den Verträgen von Blois vom 22. September 1504, dans Forschungen zur deutschen Geschichte, t. XX, 1880, p. 617-623. DU MONT, op. cit., IV, supplément, p. 95-96 (identique au texte édité pour Blois, ibid., IV/1, p. 55-56, mais tiré d’un autre recueil imprimé). Vient alors pour Louis XII, représenté pour la cérémonie par le cardinal Georges d’Amboise, le moment tant espéré de l’investiture milanaise (6 avril). WIESFLECKER, op. cit., III, p. 135-144 («politische Schauspiel»). Cf. ch. VIII/2 infra. Cf. ch. VIII/1 infra.

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Le prince héritier d’Espagne testament en date du 31 mai 1505, déjà, le Valois jette, s’il le fallait, le masque: Claude (6 ans) sera donnée en mariage à François d’Angoulême (11 ans), héritier du trône. Foin de la puissance croissante et enveloppante des Habsbourg, trop présents aux horizons de la France, même au-delà des Alpes et des Pyrénées, pas seulement de la Somme et du Rhin! N’y va-t-il pas pour la patrie d’un enjeu existentiel? La raison d’Etat, une fois de plus, primera sur l’honneur, sur l’engagement personnel juré, souligne Hermann Wiesflecker98. Dernier acte de la (mauvaise) pièce: en septembre suivant, Louis dégagera sa responsabilité personnelle, la rupture de l’accord matrimonial impliquant Charles et Claude résultant, selon ses dires, d’une position hostile du Parlement et des Grands du royaume. Sur un tout autre plan que ceux des combinaisons dynastiques et de la grande politique européenne, les discussions entre France et Pays-Bas vont porter aussi sur un dossier récurrent: les relations de droit entre les comtés de Flandre et d’Artois et la Couronne française à travers l’activité et le ressort judiciaires du Parlement de Paris, l’organe de la justice déléguée royale. L’enjeu est d’importance, il a pour nom souveraineté, et le Parlement est ici «pierre angulaire» (Serge Dauchy) de plus vastes desseins. Si les Habsbourg veulent progresser de manière décisive sur les chemins d’un «Etat bourguignon» à part entière, il leur faut couper enfin, et pour de bon, ce lien avéré. Le retour de la paix, au milieu de la dernière décennie du XVe siècle, avait rétabli aussi le cours des interventions du Parlement en Flandre et Artois, terres de souveraineté française, fût-ce, pour la Flandre, à un rythme modéré d’une moyenne annuelle de dix procès en appel depuis 149799. Centraliser davantage, promouvoir en l’occurrence le Grand Conseil de justice des Pays-Bas, fixé de facto depuis décembre 1501, de iure en janvier 1504 à Malines100, cela requiert de réduire et à terme d’annihiler les compétences et les capacités d’ingérence de la haute cour parisienne. Charles Quint y parviendra en 1521, mais la route sera longue encore. Dégager les deux comtés de l’«emprise» du Parlement: un objectif dicté par une question de principe plus que par la «masse», tout compte fait restreinte, en nombre et en portée, des interventions. Une confrontation juridique mais aussi politique devenait inévitable. Dans des protestations écrites d’août 1505 contre les empiètements de l’archiduc-roi sur ses propres prérogatives, le monarque français exige de son vassal reconnu que seul le Parlement de Paris - et non le Grand Conseil à Malines puisse recevoir des appels interjetés contre des sentences du Conseil de Flandre et des officiers d’Artois et que nulle entrave ne soit mise à l’exécution des arrêts parisiens dans ces pays. L’accusation proférée est nette: il s’agit là d’une usur-

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WIESFLECKER, op. cit., III, p. 272-273. S. DAUCHY, De processen in beroep uit Vlaanderen bij het Parlement van Parijs (1320-1521). Een rechtshistorisch onderzoek naar de wording van staat en soevereiniteit in de Bourgondisch-Habsburgse periode, Bruxelles, 1995, p. 55; ID., Les arrêts et jugés du Parlement de Paris sur appels flamands, t. III: Introduction historique, Bruxelles, 2002, p. 38. 100 Cf. ch. IV/1/B supra.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu pation de souveraineté, passible de sanctions, s’entend dire ou peut lire Philippe dans son palais de Bruxelles. La réplique du Habsbourg, évoquant de façon sibylline différents cas litigieux, se veut apaisante, conciliante. Il dit avoir informé et consulté Maximilien - ne sont-ils pas tous trois «une seule âme»...? - , «comme la raison veult». Le roi des Romains, rentré de Gueldre avec Philippe, se trouve en effet alors à Bruxelles et réagit même sans fards lors d’un entretien diplomatique assez tendu: il n’entend pas que l’on outrage son fils, qui est sa chair et son sang, il le défendra, et que le monarque français mesure ses menaces101! Et Philippe de se justifier: les choses dont se plaint son suzerain, auquel il a prêté l’hommage à Arras, «ne sont pas de son gibier»102... Contrairement à son fils, le futur Charles Quint, quelque quinze ans plus tard, il ne peut encore s’offrir le luxe d’un conflit trop direct avec Louis XII, fût-ce seulement d’une lourde procédure judiciaire, les affaires de Castille requérant tous ses soins et bientôt sa présence, donc un voyage vers le sud. Volet particulier dans la question du Parlement agissant en Flandre, celui de la contrée dite Flandre impériale, soit les pays d’Alost-Termonde et de Waas, étrangère au royaume, mais qu’une argumentation d’essence féodale entend placer sous le ressort du Parlement parce que son prince est personnellement le vassal du roi. Il est à l’agenda des tractations menées à Blois en octobre 1505, inaugurant ce qu’on dénommera pendant les années à venir la pratique des «journées de ressort»103. Au terme de celles-ci, le Habsbourg promet par lettres patentes (21 octobre) de contribuer positivement à l’exécution de plusieurs arrêts de la cour parisienne et à l’abrogation de sentences de son propre Grand Conseil dans les mêmes affaires. Il est toutefois clair que seule la nécessité présente de conciliation, «pour eviter la guerre et la perdicion de noz royaulmes (espagnols)», le pousse sur cette voie et qu’il a l’intention de veiller quant au fond à son droit. Il commande d’ailleurs au chancelier, Thomas de Plaine, de faire duement enregistrer devant notaire et témoins un acte de protestation contre les susdites lettres patentes qu’il lui ordonne pourtant le même jour, à contre-cœur, de sceller104... Quoi qu’il en soit, pour le temps de Philippe le Beau, on en demeurera à des échanges de vues et d’arguments. Les mesures de rupture viendront plus tard. Ici encore, le trépas du jeune roi de Castille laissera une page inachevée.

101 Non sans mépris, le narrateur du second voyage de Philippe en Espagne mentionne ces choses comme de «petites querelles et debas de procureurs et advocas desquelz princes ne se debvroient entremectre»...: Voyages, I, p. 398. 102 Négociations diplomatiques, I, p. 85-97. Cf. DAUCHY, Processen, p. 281-282; ID., Les arrêts et jugés..., p. 179. 103 S. DAUCHY, «Deça l’Escault estoit l’Empire». La compétence du Parlement de Paris en Flandre impériale, dans PCEEB, n° 42, 2002, p. 75-85. 104 Négociations diplomatiques, I, p. 101-110. Cf. DAUCHY, Processen, p. 288-289; ID., Les arrêts et jugés..., p. 183-184.

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Le prince héritier d’Espagne B. Voyage et projet tyroliens Un succès des actions diplomatiques de Philippe le Beau a bien été d’amener Maximilien à renoncer à une hostilité systématique envers la France et à traiter avec elle. Sa politique de paix, favorable à la sécurité et au commerce de ses états patrimoniaux, mûrement choisie, rallie celle de l’empereur élu en 1500-1501. Si ce n’est par conviction, ce doit être par réalisme: le chef de famille Habsbourg sait pertinemment qu’il ne doit pas compter sur grande aide dans le Reich pour vaincre le roi des lys. Celui-ci cultive dans la paix l’espoir d’être investi en toute légitimité du Milanais. Depuis qu’un fils est né au foyer austro-espagnol, on peut envisager aussi une possibilité d’union pacificatrice avec sa propre fille, Claude105. Dans cette conjoncture de paix, chacun trouverait à gagner. Le 8 juin 1501, Maximilien invite Philippe à participer à une réunion de la Diète, prévue fin juillet à Nuremberg. Il lui fait miroiter alors l’attribution d’un vicariat, assorti de responsabilités de suppléance qui le rapprocheraient évidemment du trône. Lui-même exprime son intention sans rupture de «prendre la couronne impériale»106. Ce sont là les seuls échos perceptibles des liens ténus rattachant à l’Empire le fils de son souverain. Quand, le 29 octobre suivant, ce dernier lui écrit encore, c’est pour conseiller Philippe sur son futur voyage d’Espagne, accepter qu’il négocie au passage avec le roi de France en leur nom à tous deux et formuler tout de même quelques réserves sur l’entreprise: «Ce ne feust point nostre advis de vous mettre en telle aventure»107... Mais puisque le fils l’a voulu ainsi, que pourrait encore lui dire le père? Une rencontre préalable au départ aurait même, on le comprend, été souhaitée par Maximilien, en des termes forts semble-t-il; on avait évoqué à cette fin Luxembourg, mais il n’en serait rien108. Des retrouvailles entre les deux Habsbourg ne devaient avoir lieu que bien longtemps après, au terme du périple de l’archiduc d’Autriche à travers la France, l’Espagne, les terres bressanes de Savoie, la Franche-Comté, les Vorlande, la Souabe et la Bavière. Philippe se trouvait encore en Espagne - on rappellera qu’il n’a franchi les Pyrénées que fin janvier 1503 - lorsque Maximilien fit clairement savoir qu’il désirait bientôt lui parler. Rien ne permettait toutefois encore de considérer que Philippe ferait le détour par le Tyrol avant de regagner les Pays-Bas: l’empereur élu pourrait fort bien le rejoindre sur l’itinéraire, au comté de Ferrette par exemple, supputait un diplomate109. D’ailleurs, au cours de ce même mois de janvier, il était arrivé aux Pays-Bas, en quête d’argent, une fois encore, en particulier pour les opérations militaires gueldroises; il devait y demeurer, spécialement à Anvers, comme en 1494, jusqu’à

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Rappelons que les premières tractations ont trouvé place dès 1501. HHSA, Belgien, PA 1, f. 46v. Ibid., f. 48r. Correspondencia Fuensalida, p. 192: on a rapporté de bonne source à l’ambassadeur espagnol «quel rey de Romanos escrivio al Prinçipe que no se partiese para España syn verle, so pena de maldiçion»! 109 MAYER, Politischen Beziehungen, p. 115.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu fin avril110. Alors, n’aurait-il pu y attendre le retour de son fils? On comprend qu’il n’ait pas obtenu satisfaction dans sa nouvelle quête de subsides: des Etats généraux méfiants, un prince en titre absent, aucun désir de statuer sans lui à propos de paix et de guerre, de surcroît des charges ordinaires et un voyage en Espagne dévoreur de finances. Ses arguments répétés de souveraineté et de services insignes rendus aux pays, fussent-ils juridiquement et moralement fondés, ne pouvaient avoir nulle prise. Il était voué à s’en retourner les poches plates et les mains vides. Ayant renoncé à se rapprocher du royaume de France, il fait notifier à Philippe, en séjour pour la seconde fois en Bresse depuis la mi-juin, qu’il souhaite le rencontrer en terre d’Empire, Augsbourg étant envisagé comme lieu de convergence111. Cheminons à présent une dernière fois en compagnie de Philippe le Beau depuis sa sortie de Franche-Comté112. C’est en abordant le comté de Ferrette (21 août 1503), en Sundgau (Alsace du sud), que le cortège archiducal perçoit l’approche de l’Allemagne, vu l’identité de nobles respectables qui, tels le duc Guillaume (IV) de Juliers ou le comte Wolfgang de Fürstenberg, grands clients des Habsbourg, prennent soin de le saluer ou de l’accompagner113. Ces deux hommes, à n’en pas douter, font figure d’agents de liaison (et de surveillance...) impériaux. Passé le Brisgau, des lansquenets au service du second assurent la protection du train, la frontière suisse n’étant pas loin et les Confédérés n’éprouvant guère d’affection, on le sait, envers Maximilien et les siens. Voici bientôt Ulm (1er septembre), puis Augsbourg (5 septembre), villes d’Empire connues de Philippe depuis son voyage de 1496. Dans cette seconde cité, où ne se trouve pas Maximilien comme on aurait pu s’y attendre, Philippe est honoré de la présence (constante) de Juliers et Fürstenberg mais aussi du duc de Wurtemberg, dont les terres ont été traversées. Dans les Allemagnes comme en Espagne, les Grands s’en viennent rendre hommage et parfois tenir quelque temps compagnie au fils du souverain. Après la Bavière, se profile le Tyrol, contrée paternelle. Maximilien s’y avance à la rencontre de son fils, mais c’est à Innsbruck et à Hall (à dix kilomètres en aval de la ville capitale, sur l’Inn) que vont se dérouler les entretiens politiques; Philippe y séjourne du 13 septembre au 5 octobre, au milieu des cérémonies religieuses, divertissements et chasses. Son père lui fait évidemment les honneurs des lieux et des parages en lui montrant d’importants arsenaux; le chef de guerre sommeillant en lui disserte de sa force militaire et l’illustre, en éveillant l’intérêt de Philippe auquel il confie quelques bonnes pièces, dont pourront tâter les Gueldrois... En compagnie des princes, Antoine de Lalaing fait visiter aussi à ses lecteurs la saunerie et l’atelier monétaire de Hall114. Maximilien,

110 Op. cit., p. 104-105. WELLENS, Etats généraux, p. 258-262. 111 MAYER, op. cit., p. 117. 112 Voyages, I, p. 302 sq. Del CERRO BEX, Itinerario... Felipe I, p. 75-77 (qui apporte peu). P. VODOSEK, König Maximilian I., die Erbländer, das Reich und Europa im Jahre 1503, p. 3941 (avec une carte utile pour l’identification de certains lieux). 113 Le très mobile Wolfgang de Fürstenberg avait déjà été envoyé au devant de Philippe, comme délégué de son père, lors de son séjour, au passage, à Montpellier (4-9 mars): Voyages, I, p. 268. 114 Voyages, I, p. 310-311.

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Le prince héritier d’Espagne document à l’appui, instruit encore son fils de la généalogie des ducs d’Autriche et de leurs alliances matrimoniales, visant ainsi de toute évidence à réchauffer en lui la fibre habsbourgeoise. Quant aux questions débattues par les deux hommes, nous demeurerons derechef sur notre faim, réduits à des conjectures, sur la base de quelques bruits ou déductions scabreux, tels ceux colportés par un diplomate vénitien sur un consentement de l’archiduc pour une aide financière secrète à son père contre la France. Douteux... Moins douteuses sont les conversations qui ont dû porter sur le financement du Romzug, du voyage du couronnement impérial, et la participation de l’archiduc, pour laquelle on évoque les chiffres de 100.000 florins et 500 cavaliers équipés115. «Le joedi, chincquisme jour d’octobre, le disner finé, Monsigneur, désirant retirer en ses pays, print congié à la royne et aux dames non sans grands regretz»116, et non sans une ultime chasse à l’ours. Le retour va requérir plus d’un mois encore. Des princes de l’Empire escortent Philippe, Fürstenberg et Juliers, vrais «anges gardiens» - le second depuis la Franche-Comté avec quelques éclipses - , le plus longtemps, jusqu’à Maastricht. Généreusement reçu dans ses terres par le duc de Wurtemberg, le cortège, par Stuttgart, Heidelberg (Palatinat), Worms et Mayence, gagne Cologne, où une compagnie très relevée vient l’accueillir: le lieutenant général aux Pays-Bas, Engelbert de Nassau, Guillaume de Croÿ-Chièvres, Jacques de Luxembourg-Fiennes, Michel de CroÿSempy, le bâtard Philippe de Bourgogne, amiral, Charles de Lalaing, l’évêque d’Arras (depuis 1502) Ruter, le prévôt de Notre-Dame d’Arras Ranchicourt pour ne citer que ceux que nous avons répertoriés ailleurs parmi les «ministres»117 - et d’autres seigneurs. L’archiduc ne foule pas encore aux pieds le sol de ses états patrimoniaux. Le contexte, pourtant, n’est déjà plus celui du voyage. Chacun reprend son rôle. La meilleure preuve en est l’entrée immédiate en fonction du comte de Nassau en qualité de grand chambellan («ce soir aussy coucha monseur de Nassou en la chambre de Monsigneur»): l’homme avait été promu à cette importante dignité lors de la disgrâce et du renvoi de Jean de Berghes, à Tolède en juillet 1502, mais Jean de Luxembourg l’avait suppléé en raison de son absence118. Les pays bourguignons sont proches; par Aix-laChapelle et Maastricht, on gagne Louvain et Malines, où l’on anime la ville en fête, en dépit d’une météo grincheuse, en y entrant «acoustré à la castillane» (9 novembre). De quoi ne pas oublier le royaume promis tout en étant de retour aux pénates. Si Maximilien, au lieu de «monter» vers Augsbourg comme il l’avait précédemment laissé entendre, a proprement contraint son fils à le rejoindre au Tyrol, ce n’est certes pas pour les plaisirs du tourisme. Le comté entre bien dans des plans qu’il échafaude pour lui-même et Philippe. La récente élection d’un nouveau pape à la succession d’Alexandre VI Borgia († 18 août 1503), Pie III

115 MAYER, op. cit., p. 121. Dans la suite de son périple, Philippe, sur instruction paternelle, aurait d’ailleurs sollicité cette Romzugshilfe financière auprès de divers contribuables potentiels. 116 Voyages, I, p. 323. 117 Cf. ch. IV/1/A supra. 118 Voyages, I, p. 331. Cf. ch. VII/2 supra.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Piccolomini, ouvre au monarque de l’Empire, animé d’un espoir ravivé, des perspectives de couronnement. La mort rapide du pontife (18 octobre 1503), dix jours après l’intronisation, va cependant derechef le contraindre à ravaler cet espoir. Mais il avait donc pu songer aussi, comme déjà par le passé, à faire bientôt élever son fils à la dignité de roi des Romains, une démarche toutefois difficile du chef d’électeurs échaudés par ses entreprises. Depuis l’année précédente, à vrai dire, il cultivait aussi, dans la même optique, un projet nouveau: ériger son comté de Tyrol bien-aimé en électorat d’Empire et en confier territoire et dignité à Philippe. En même temps qu’elle conforterait sa propre position au sein du collège électoral et hisserait Habsbourg au rang des lignages électeurs (kurfürstliche Geschlechte), l’opération impliquerait directement le jeune archiduc dans la politique des états patrimoniaux de l’est et, à travers eux, dans les affaires d’Empire et d’Italie. La traversée de l’Allemagne par Philippe le Beau, qui allait en effet lui permettre de rencontrer plusieurs princes électeurs en chevauchant à travers leurs terres, devait fournir plus d’une occasion de discuter du projet. Mais les résistances seraient trop fortes, la tradition séculaire et la Bulle d’or de 1356 offrant aux Kurfürsten un arsenal d’arguments contraires: au début de l’année 1504, Maximilien jeterait le gant, déclarant d’ailleurs ne plus vouloir aborder le sujet. Pourtant, les développements de la guerre de Succession de Bavière, déclenchée en avril suivant, allaient l’amener à remettre l’ouvrage sur le métier. Il envisage alors de dépouiller le vaincu, le comte palatin Philippe, dont il a soutenu les concurrents bavarois, de sa dignité électorale et de la transférer à un autre titulaire. Si les noms de plusieurs princes allemands sont évoqués, pourquoi Maximilien, triomphant dans l’aventure, ne réanimerait-il pas son ancien projet tyrolien en faveur de son propre fils? Ceci donne lieu à un acte impérial, daté du 19 août 1504, attribuant à Philippe le Beau et à ses héritiers possesseurs du Tyrol dignitas electure et prérogatives y afférentes119. Hardiesse puis reculade ou simple moyen de pression de l’empereur élu, qui devait bien savoir que le collège des Kurfürsten ne tolérerait pas davantage l’initiative que quelques mois plus tôt, en dépit des menées belliqueuses du palatin? L’acte, en tout cas, est duement établi mais non promulgué; il ne semble pas avoir quitté la chancellerie du Habsbourg120... Malgré les projets avortés et les divergences persistantes, notamment face à France et à Gueldre, l’atmosphère dans laquelle ont baigné les échanges directs, «entre quatre yeux», de 1503 paraît fort éloignée des tensions antérieures. Plus mûr et plus conscient des intérêts dynastiques, Philippe se montre incomparablement plus ouvert à une collaboration militaire et financière avec son père. Ainsi une lettre de Maximilien en date du 22 octobre 1503 nous apprend-elle déjà que les deux interlocuteurs, au cours de leurs entretiens, ont parlé des

119 HHSA, Niederländische Urkunden, à la date. Traduction allemande: Quellen zur Geschichte Maximilians I., p. 140-144. 120 WIESFLECKER, Maximilians I. Pläne für ein Kurfürstentum Tirol, p. 239-254 (avec édition des lettres patentes du 19 août 1504).

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Le prince héritier d’Espagne emprunts contractés par le monarque auprès de villes des «pays d’embas» qui ne lui en ont pas encore fourni le montant: et de solliciter à cet effet les bons offices du prince «naturel» rentrant au bercail121. Et dans une autre lettre (1er novembre), où il justifie l’«emprunt» momentané de pièces d’artillerie dont il a pourtant promis la livraison à son fils, Maximilien fait écrire ces mots essentiels dans le contexte de leurs relations présentes: «Aussi nous ne sommes point ensemble estrangiers, ains une mesme chose»122. Une autre promotion familiale aurait pu être conçue par le chef de tribu Habsbourg en faveur de son fils unique et précieux. Pourquoi pas un royaume en effet? Peut-être, si Philippe avait vécu, semblable idée eût-elle germé et pris forme en sa faveur. D’ailleurs Maximilien a parlé, à deux reprises au moins, de «faire un royaume» d’une ou de plusieurs portion(s) du patrimoine habsbourgeois (1508, 1510)123. Mais cette formule inédite n’aurait pu concerner que la génération suivante, en la personne du jeune Charles (Quint). Produits d’une «pensée aventureuse autant que chimérique» (Maurice-A. Arnould)? Nous ne serons pas aussi sévère. Pour les pays autrichiens, il y eut des projets (Königreich Österreich), et bien avant les premières années du XVIe siècle124. Maximilien plaçait en Philippe de grands espoirs pour garantir et renforcer la position de sa dynastie dans l’Empire et surtout dans le concert international. L’implantation physique de l’archiduc-roi en Espagne, en 1506, devait en particulier appuyer la politique italienne paternelle, couvrir via le royaume de Naples le Romzug et le couronnement en résultant - l’empereur élu espérait l’envoi d’une flotte, d’une péninsule à l’autre - , après quoi le fils, entre-temps présent au triomphe paternel dans la Ville éternelle, pourrait être «fait» roi des Romains. De l’«aventure» castillane, Maximilien faisait donc dépendre beaucoup de choses. En l’encourageant alors à une attitude suffisamment conciliante envers Ferdinand d’Aragon, il croyait pouvoir hâter une intervention personnelle de Philippe en Italie125. Les choses ne lui paraissaient-elles pas trop simples, sans qu’il pût en outre, concédons-le, imaginer le drame du 25 septembre 1506? Mais n’anticipons pas, les pages qui vont suivre étant entièrement dévolues au destin de Philippe en Castille. N’ayant pu associer étroitement Philippe vivant à son gouvernement, Maximilien le fera placer post mortem à ses côtés dans la composition monumentale dite Ehrenpforte («la Porte d’honneur»), cette gravure sur bois de 3 x 3 mètres (1515) destinée à l’impression sur papier (192 pages), imitation et substitut d’un arc de triomphe à l’antique, grandeur nature, qui eût coûté trop cher. Johannes Stabius, érudit au service du monarque, qui a commenté l’œuvre touf-

121 HHSA, Maximiliana, carton 13, mai-décembre 1503, f. 69r.-v. 122 Ibid., f. 73r. 123 M.-A. ARNOULD, L’empereur Maximilien songea-t-il à ériger les Pays-Bas en royaume?, dans Revue de l’Université de Bruxelles, t. XLI, 1935-1936, p. 263-285, dont la subtile analyse critique sous-estime néanmoins les intentions du monarque. 124 WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 404-405. 125 Cf. ID., König Philipps Tod, p. 89.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu fue de propagande et de mémoire après en avoir conçu le programme littéraire (inscriptions versifiées), situe Philippe le Beau, le fils unique, en évidence sur l’arbre généalogique impérial, s’élevant au-dessus du passage central de la «porte», et en fait rayonner lumière et noblesse; Philippe y côtoie aussi ses enfants, en particulier ses fils, qualifiés comme lui et promesses d’avenir126.

126 Quellen zur Geschichte Maximilians I., p. 236: «under der kaiserlichen maiestat der durleuchtigist, edlest kunig Philips, irer maiestat ainiger sun». A propos de l’Ehrenpforte: WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., V, p. 368-370. L’œuvre est notamment reproduite (avec, en détail, la figuration de Philippe le Beau) et décrite dans Kunst um 1492. Hispania - Austria. Die Katholische Könige, Maximilian I. und die Anfänge der Casa de Austria in Spanien..., Milan, 1992, p. 332-339.

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Chapitre VIII LE ROI DE CASTILLE

1. La reine morte E veyendo como el Prinçipe, mi hijo, por ser de otra naçion e de otra lengua, si no se conformase con las dichas leyes e fueros e usos e costumbres d’estos dichos mis reynos, e él e la Prinçesa, mi hija,... no serian obedesçidos ni servidos como devian1

Entre le retour de Philippe le Beau aux Pays-Bas, le 9 novembre 1503, et l’événement dynastique peu surprenant, certes, mais déterminant pour le rapprocher de façon décisive d’une couronne, près d’une année va s’écouler, quasi jour pour jour. Une année émaillée de quelques échos d’Espagne, mais surtout marquée, s’il le fallait, par la confirmation d’une situation déjà irréversible: l’instabilité mentale de Jeanne, les doutes sérieux en résultant sur son aptitude à succéder et à gouverner. Les négociations de France demeurent intenses, autour du destin de Naples, du mariage projeté de Charles et de Claude, tandis que se profile la future campagne militaire en Gueldre, autre volet de la politique archiducale, dont nous traiterons à part, mais inséparable de la galaxie franco-bourguignonne et entrave possible au libre cours des affaires d’Espagne. Après la naissance de Ferdinand, le 10 mars 1503, à Alcalá de Henares, la princesse de Castille avait manifesté de l’impatience à rentrer aux Pays-Bas et à y rejoindre bientôt son mari tant aimé. Les relations entre mère et fille s’étaient tendues et un avis médical n’avait laissé aucun doute quant aux troubles affectant cette dernière (juin 1503)2. A la cour de Bourgogne, on soupçonnait bien alors, et non à tort, les Rois Catholiques de tout mettre en œuvre pour retarder au maximum le voyage de l’infante et on fit même «écrire» une lettre par le jeune Charles, priant sa génitrice de rentrer au foyer. L’attitude de Jeanne avait de quoi inquiéter, et on a souvent narré l’épisode du château de Medina del Campo, où elle se trouva quasiment séquestrée en novembre pour que lui soit interdite toute possibilité de départ précipité3. La santé déclinante d’Isabelle, qui accélérait la marche de sa fille au trône, en faisait un pion à ne pas déplacer à la légère.

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Testament d’Isabelle de Portugal (12 octobre 1504): De la TORRE y del CERRO, Testamentaría de Isabel la Católica, Valladolid, 1968, p. 460. PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 105-106. Cf. FERNÁNDEZ ALVAREZ, Juana la Loca, p. 95-96, 99-100.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu La première information marquante de l’année 1504 est une promesse de plantureuses sommes d’argent en faveur de quelques «ministres», les influents Nassau, Ville et Veyré, le prix à payer par les souverains ibériques pour ce qu’ils souhaitent maintenant par-dessus tout, la venue de Charles en Espagne4. Exit la fille? Paraisse alors le petit-fils, et le contrôle ne sera pas perdu... De plus, Ferdinand et Isabelle adoptent ici une politique de captation qui ne sera pas vaine et disposera mieux de puissants conseillers à envisager un départ pour une Espagne qu’ils ne tiendront plus, comme jadis, pour un «enfer». L’ambassadeur Fuensalida plaide en même temps longuement, et avec force métaphores, le langage du cœur auprès de l’archiduc, en faveur de l’entretien de bonnes relations avec ses maîtres, de l’oubli des frictions du passé; ni Philippe, ni Jean de Luxembourg-Ville, l’homme le plus en grâce auprès du prince, el que mas vale con el Prinçipe, rapporte-t-il bientôt, n’ont paru rebutés par cette vision des choses, bien au contraire5. Des perspectives napolitaines - c’est d’ailleurs là-bas que sont assignés les charges et les revenus promis à l’entourage - paraissent dynamiser Philippe et les siens, qui se disent prêts à mettre Charles en route. En même temps, le retour de Jeanne, toujours en résidence forcée, se dessine pour le printemps. Elle quitte effectivement Medina del Campo le 1er mars. Le sort du royaume de Naples prend pourtant une autre tournure, selon les termes d’une trêve de trois ans signée le 31 janvier 1504. Tirant profit de récents succès, acquis par les armes, les Rois Catholiques confortent leur emprise sur ce pays et offrent à Maximilien la latitude d’adhérer à l’accord6. Ferdinand et Isabelle n’agissent certes pas ainsi pour accepter de se laisser «évincer» bientôt par Charles et Claude, jeune couple franco-bourguignon: «l’entier royalme de Napples estre mis en leurs mains, par ou peut sembler que n’avez matiere quant audit royalme leur faire dire ou porter aucunes dures et aigres remonstrances», écrira un mois plus tard un agent bourguignon à l’empereur, en précisant que la volonté de ses beaux-parents a été communiquée à Philippe7. Sale temps pour les Habsbourg? Non point. Un compromis intervient et fait état de la prise en charge par l’archiduc-prince héritier des Espagnes du gouvernement du royaume de Naples, parallèlement encore au départ de Charles pour la péninsule maternelle. En outre, tandis que Jeanne sera bientôt de retour aux Pays-Bas, par voie maritime, Philippe, au cours d’un dialogue avec Fuensalida, aborde la question d’un nouveau voyage, le concernant lui-même: Dezi, comendador, plazelles ha al Rey y a la Reyna que yo vaya a España?. Pourrait-il en être autrement, répond l’interlocuteur? N’est-ce pas «sa» terre, n’y sera-t-il pas toujours le bienvenu, chaque fois qu’il lui plaira d’y aller8?

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CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 142-143. Correspondencia Fuensalida, p. 200-203 (19 janvier 1504). L’ambassadeur affirme notamment, avec une emphase comique, que ce ne sont pas seulement les humains mais aussi les animaux, les arbres et les pierres d’Espagne qui ont exprimé leur joie (mostravan alegria) à la première venue de Philippe! WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 121. HHSA, Maximiliana, 43 (alt 37), VII/1, f. 18r. (21 février 1504). Correspondencia Fuensalida, p. 242 (15 mai 1504).

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Le roi de Castille La mauvaise santé d’Isabelle fait redouter une succession prochaine et difficile, le fait, on l’a vu, n’est pas neuf, et chacun doit en convenir. Le comportement de Jeanne - son retour au bercail n’a certes rien arrangé - est connu au-delà des Pyrénées, ses déboires matrimoniaux y paraissent même de notoriété publique, ses troubles mentaux - ne sera-t-elle pas la loca? - , quoique plus discrètement évoqués, ne restent pas ignorés d’un petit cercle royal. Et une alternative possible, fût-elle d’abord démentie par le couple des monarques espagnols, se répercute hors de Castille: Ferdinand veuf ne pourrait-il, le jour fatal venu, prendre en mains le gouvernement du royaume alors orphelin de sa reine? Du 12 octobre 1504 est daté le testament de la souveraine9. Ce texte est pourvu le 23 novembre d’un codicille. Trois jours plus tard, le 26 novembre, à Medina del Campo, Isabelle rend son âme à Dieu. La succession est ouverte, dans une conjoncture politique mais aussi économique - crise céréalière depuis 1503 défavorable. Dès le 26 septembre, une lettre secretísima de Ferdinand à Jeanne et Philippe les avait tenus informés de l’issue prochaine autant qu’inexorable et exhortés à se préparer au voyage. A la vérité, les Rois Catholiques n’avaient guère le choix. Ferdinand est désigné en qualité de gouverneur (devia regir e governar e administrar) en Castille durant l’absence de sa fille, ou pour le cas où elle ne voudrait ou ne pourrait pas prendre les affaires en charge (no quisiere o no pudiere entender en la governaçion), et ce jusqu’à ce que le petit Charles atteigne ses vingt ans accomplis. Mais Philippe renoncerait-il à réclamer et exercer le pouvoir au nom de son épouse inapte? Cela semble peu probable: des voies diplomatiques sûres ont éclairé récemment les Rois Catholiques à propos d’une manœuvre de leur gendre, visant à amener Jeanne à renoncer à tous droits en sa faveur. Quant à espérer le détourner des affaires espagnoles au moyen d’une compensation politique napolitaine, c’est une stratégie dont il ne peut plus guère être question10. Ainsi, voilà la fille d’Isabelle désignée en qualité de reyna verdadera e señora natural propietaria et le conjoint pourvu des honneurs à lui dus como a su marido, roi consort en somme11. Précaution fondamentale, pour éviter tout basculement vers un gouvernement d’étrangers: seuls des gens de Castille, voire d’Aragon, des naturales, pourront se voir conférer charges laïques et ecclésiastiques. Le fait de confier à Ferdinand la direction des territoires est présentée comme l’accomplissement des vœux des Cortès autant que du conseil royal. Aller à l’encontre équivaudrait donc désormais à porter atteinte à une volonté de prix. De quoi pouvoir crier à l’usurpation si Philippe voulait trop en prendre... Isabelle n’a pas encore rendu le dernier soupir que déjà se nouent les intrigues parmi les Grands. En Espagne, il en est plus d’un qui souhaitent voir Ferdinand

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L. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Análisis del Testamento de Isabel la Católica, dans Cuadernos de historia moderna, XIII, 1992, p. 81-89, en particulier 82-84. Elle semble encore avoir été tentée lors de l’envoi aux Pays-Bas, en décembre 1504, d’un habitué du voyage, l’évêque (de Cordoue puis de Palencia) Rodríguez de Fonseca: TERESA LEÓN, El obispo D. Juan Rodríguez Fonseca (cf. ch. VII/2, n. 34), p. 272. De la TORRE y del CERRO, Testamentaría de Isabel la Católica, p. 458-459, 461-462.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu regagner ses terres aragonaises et céder la place, en l’occurrence, au jeune Philippe. La défunte n’a jamais guère dû porter aux nues un gendre à l’éducation «flamande» et aux goûts «français», qui de surcroît rudoie son épouse, fille de reine. Mais la noblesse castillane est malade d’une trop forte autorité souveraine, elle regrette l’autonomie dont elle avait joui sous le règne d’Henri IV et se remémore les concessions qu’elle a dû faire aux Rois Catholiques, forteresses abandonnées, seigneuries perdues, ambiance de rivalités et de rancœurs12. Et nombreux sont ainsi les Grands qui espèrent tirer parti de la nouvelle donne; leurs dents s’aiguisent à l’image de sangliers écumants, note avec force Pietro Martire d’Anghiera13... La crise dynastique mais aussi politique menace. Succession et tout autant soumission y entrent en jeu. Les historiens espagnols sont d’ailleurs unanimes à suggérer un tel état de choses entre 1504 et 1507, à tout le moins14. Ferdinand n’a pas de temps à perdre et, au nom de Doña Juana Reyna, il convoque les Cortès de Castille appelés à faire allégeance à leur souveraine et, par là même, à leur gouverneur et administrateur15. L’assemblée générale se tient à Toro, en janvier suivant, et reçoit communication du testament de la reine morte. Elle prend acte de la enfermedad de la nouvelle reine et convient que l’intérêt commun requiert pour le mieux l’intervention de son père (proveyendo al bien e pro común destos reynos)16. On procède aux formalités des serments et, par ailleurs, à un important travail de codification de leyes, relatives aux matières de droit privé, témoignage de l’entrée de la Castille dans une orbite juridique résolument moderne17. Voici l’Aragonais reconnu sans restriction aucune en qualité de détenteur du pouvoir en Castille. Voilà le Habsbourg, par le fait même, mis sur la touche, sous l’action des villes, au sein de la communauté politique que reflètent par excellence les Cortès. C’est que, si seigneurs et prélats désirent avant tout secouer le joug de l’autoritarisme royal, la composante urbaine, mue par des priorités de nature économique, aspire à une stabilité dans le pouvoir jugée bienfaisante. Le même jour où Ferdinand convoquait les Cortès (26 novembre 1504), des lettres de nomination, sous le nom de la reine Jeanne, confiaient à Miguel Pérez de Almazán, au titre de secrétaire, la charge de contresigner tous actes en Castille émanant d’elle ou de son père, governador e administrador18. Ce fonctionnaire d’origine aragonaise, confident par excellence de son monarque, devait occuper

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J.M. DOUSSINAGUE, Fernando el Católico y Germana de Foix. Un matrimonio por razón de Estado, Madrid, 1944, p. 45-47. ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 88-89 (19 novembre 1504). Cf. e.a. S. de DÍOS, El Consejo Real de Castilla (1385-1522), Madrid, 1982, p. 153 sq., ou M. Á. LADERO QUESADA, La España de los Reyes Católicos, Madrid, 1999, p. 449 sq. Corpus documental, p. 67 (26 novembre 1504). Op. cit., p. 195. G. VILLAPALOS SALAS, Justicia y monarquía. Puntas de vista sobre su evolución en el reinado de los Reyes Católicos, Madrid, 1997, p. 92-103. Le point d’orgue de l’abondante activité législative des Rois catholiques est ce corpus des Leyes de Toro, évidemment préparé du vivant d’Isabelle par les soins d’une commission de juristes et pour répondre à une attente commune. J.A. ESCUDERO, Los secretarios de Estado y del Despacho (1474-1724), t. III, Madrid, 1969, p. 608-609.

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Le roi de Castille une place déterminante dans le mode de prise de décision du maître et la transmission de ses commandements. C’est que le monarque, pour diriger les affaires castillanes, pratique le système dit de Cámara, recourant seulement à la consultation de quelques personnes sans contrôle de type gouvernemental, méthode qui valorise le rôle d’un secrétaire privilégié et dévoué19. Un autre Aragonais de profil similaire et parent d’Almazán, Lope de Conchillos, part alors pour les PaysBas, afin de veiller aux intérêts de Ferdinand en faisant office de secrétaire auprès de Jeanne. La trame est tissée. Conchillos va s’employer à obtenir de la reine une délégation écrite de pouvoir en faveur de son père, qui vaudra bientôt à l’homme de sérieux ennuis judiciaires. La lettre est remise à Philippe à l’initiative du messager désigné pour la porter en Espagne. Arrêté sur l’ordre de l’archiduc irrité par ce qu’il considère comme une inacceptable trahison, Conchillos sera emprisonné et soumis à la torture20. Philippe fait clairement savoir à l’ambassadeur Fuensalida qu’il tient l’individu pour un sujet ordinaire, ayant gravement offensé son prince. Jeanne se verra évidemment sanctionner aussi: défense sera notifiée à tout Ibère de la cour de s’entretenir en privé avec elle21... Et l’on confiera en outre au prince de Chimay, un grand «ministre»22, et à un autre seigneur23 la garde de sa porte! D’ailleurs, arrivé à Bruxelles fin avril, le diplomate vénitien Querini ne pourra la rencontrer; on la lui dit indisposée, gardant la chambre. Il est vrai qu’elle en est à une cinquième grossesse, vraisemblablement pénible: Marie, la future reine de Hongrie, naîtra le 15 septembre 150524. Il s’écoule un peu plus d’un mois, depuis le jour de la mort d’Isabelle, avant que Philippe le Beau ne délègue auprès du roi Ferdinand et des Grands d’Espagne un plénipotentiaire compétent et dévoué: Philibert, seigneur de Veyré, dit «La Mouche», l’homme clé de la politique castillane du Habsbourg avant sa (propre) seconde venue dans le pays. Philibert sera le précurseur, préparant les voies du maître. Parti de Bruxelles le 2 janvier 1505, date de ses lettres de créance, il n’y reviendra en fait qu’en février 150725. Négocier avec le monarque veuf est pour ce diplomate de premier rang la tâche officielle essentielle. Mais il va de soi qu’il lui revient aussi de nouer les fils de précieuses ententes avec les élites nobiliaires de Castille, partiellement lassées de la mainmise d’el Católico. Il est porteur de lettres en série adressées à des prélats, nobles, villes, dont l’objectif est de susciter la confiance: Monseigneur de Veyré, nuestro enbaseador e mayordomo mayor26, vos hablara. Rogamos vos le deys

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Op. cit., t. I, 1969, p. 22-25. Correspondencia Fuensalida, p. 350-352: le diplomate relate le fait à plusieurs reprises dans une dépêche au roi Ferdinand, en date du 2 mai 1505, «a Lope de Conchillos an dado tormento» (bien que Juan Manuel le conteste...). ZURITA, Historia del rey Don Hernando, III, p. 377-378, 419. L’ambassadeur vénitien qualifie bien à cette époque Charles de Croÿ-Chimay d’«uno de li piu nobilli et gran personazi di questa corte et dignissima persona»: Depeschen Quirino, p. 147-148. Pierre de Lannoy, seigneur du Fresnoy, chevalier de la Toison d’or et beau-père de Veyré. Op. cit., p. 87-88 («per la malla gravedanza li convien quasi sempre giacer»), 89 («l’aveva pezor gravedanza che fin qui l’avesse»). CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 144 sq. Il est entre autres premier maître d’hôtel de Philippe le Beau.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu entera fel y creencia a todo lo que de nuestra parte vos diere como a nuestra mesma persona27. Philibert sera la bouche de Philippe. Second grand pion de l’archiduc-roi sur l’échiquier castillan: Juan Manuel. Don Juan Manuel (de la Cerda) a laissé le souvenir d’un homme de petite taille mais d’une grande intelligence, de petite fortune mais d’une grande cupidité, de toute manière un trublion28. On découvre combien des historiens espagnols l’ont perçu comme le gran privado, une sorte de favori, un de ces validos29 qui exerceront plus tard attrait et influence profonde sur les esprits de monarques de la Casa de Austria. Un contemporain, parmi d’autres, lui a imputé sans réserves (el prinçipal instrumento) la bouderie et la discorde (enojo e çisma) qui ont séparé les deux rois, comme père et fils, tout cela par soif de grandeur et de pouvoir30. Diplomate d’abord accrédité par Ferdinand auprès de Maximilien, bientôt gagné à la cause de Philippe, il était «dénoncé» dès 1504 par Fuensalida comme bénéficiant de l’entière confiance des conseillers archiducaux. Le 28 janvier 1505, Philippe manifeste sa volonté de lui voir confier - bien qu’il séjourne aux PaysBas - une des charges de contador mayor et il le qualifie de «leal et aficioné serviteur». La mort d’Isabelle n’a-t-elle pas entraîné ipso facto la vacance de tous les offices et n’est-il pas à présent, lui, le roi31? Toute l’année 1505 se révélera fertile en correspondance vers l’Espagne, à destination de Ferdinand, de Veyré, des puissants du royaume, l’amiral Enríquez, le connétable Velasco, le duc de Nájera (Manrique), le marquis de Villena (Pacheco), le comte de Benavente (Pimentel),... tous répertoriés et bien positionnés comme partisans du Habsbourg32, au trésorier Nuño de Gumiel, un auxiliaire dévoué. L’identité de ces destinataires révèle les canaux d’influence et d’action, la mise en œuvre de décisions, grandes ou petites, touchant aux généralités de la politique ou aux personnes (faveurs, par exemple). Plusieurs Grands envoient à la cour bourguignonne des émissaires, attentifs aux intérêts de leurs mandants et naturellement enclins à tracer de Ferdinand de sombres portraits. On notera spécialement cette missive écrite à Strasbourg (13 avril), où Philippe est de passage après la conclusion du traité de Haguenau, dans laquelle il prescrit aux Cortès de se conformer aux instructions de son représentant Veyré33. Entretemps, les 14 et 15 janvier, il a fait célébrer à Bruxelles, en la collégiale SainteGudule, des obsèques solennelles en mémoire de sa belle-mère34.

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AGS, Cámara de Castilla, Libros generales de cédulas, 11, f. 10r. M. DANVILA y COLLADO, Historia crítica de las Comunidades de Castilla, t. I, Madrid, 1897, p. 57-58. Le mot est d’ailleurs utilisé, entre autres, au XVIIe siècle par D. de COLMENARES, Historia de la insigne ciudad de Segovia..., nouv. édit., t. II, Ségovie, 1970, p. 157. A. BERNÁLDEZ, Memorias del reinado de los Reyes Católicos, édit. M. GÓMEZ-MORENO et J. de Mata CARRIAZO, Madrid, 1962, p. 528. Ibid. n. 27, f. 12r. «El bloque de apoyo fundamental de Felipe», écrit à ce sujet PEREZ BUSTAMANTE, op. cit., p. 116. Cartas de Felipe el Hermoso, p. 289-290. Analectes historiques. Seizième série, édit. L.-P. GACHARD, dans BCRH, 3e série, t. XII, 1871, p. 163-168; l’éditeur date erronément l’événement de 1506 (n. st.), erreur déjà corrigée par von HÖFLER, Antoine de Lalaing, p. 467.

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Le roi de Castille Deux mots suffisent à résumer l’état des rapports entre beau-père et gendre au cours de cette même année 1505: tension croissante. Et tout y est prétexte. Au cœur des jeux d’ambitions respectives de Ferdinand, de Philippe, des aristocrates espagnols, prend place l’incontournable figure de la reine enferma. Un moment décisif est atteint avec une célèbre lettre du 3 mai. Il s’agit d’un écrit parvenu à Veyré, dans lequel Jeanne proteste contre les rumeurs relatives à sa déficience mentale - ne la dit-on pas falta de seso? - et à sa prétendue résolution d’entraver l’attribution à Philippe du pouvoir en Castille. Pourrait-elle ôter à son cher seigneur et mari, dit la lettre, le gouvernement du moindre royaume du monde qui lui appartiendrait, ne pas lui reconnaître toutes les prérogatives possibles, compte tenu de son amour pour lui, des qualités qui sont en lui, de la raison tout simplement, sans agir contre son devoir35? Il apparaît en fait que la reine a refusé de signer pareille missive... et que sa signature a été tout bonnement imitée36! L’affaire est grave, car la publicité assurée à la cour espagnole par le zélé et rusé Philibert porte un coup rude à la position de Ferdinand, en mettant en cause le soutien de sa fille, jusqu’alors escompté, à ses propres desseins. Un arma mortífera en manos de los nobles castellanos y de sus otros enemigos..., notent à juste titre, politiquement parlant, des biographes du Habsbourg37. Philippe le Beau, à n’en pas douter, sort plus fort de l’incident et manifeste d’autant plus d’assurance, intensifiant par agents interposés - l’ensemble orchestré, sur place, par Veyré - des contacts tous azimuts dans le royaume castillan, de la Galice à l’Andalousie, en tirant profit, grâce à ces agents bien informés, des réseaux aristocratiques existants38. Jeanne ne refait évidemment pas surface39, et l’ambassadeur vénitien, toutes considérations médicales mises à part, comprend à présent que les conseillers de son époux déploient toute leur énergie, cun tuto el forzo loro, pour l’empêcher de communiquer avec quiconque40. Quant au fond des choses, à savoir les relations entre les deux rois, le même témoin direct résume fort bien la situation, en des termes plus familiers que diplomatiques: Ciascuno voria pur esser el patron (19 mai 1505)41. Ferdinand, pour sa part, sait que le vent ne souffle pas en sa faveur aux PaysBas, que Juan Manuel y fait tout pour empêcher un accord, que les desseins de ce trouble-fête sont appuyés par des représentants de la noblesse de Castille, que

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Cartas de Felipe el Hermoso, p. 291-293. ARAM, Juana «the Mad’s» signature, p. 336-337; avec, p. 333 n. 10, une liste d’éditions attestant l’intérêt porté à cette lettre: cf. en dernier lieu FERNÁNDEZ ALVAREZ, Juana la Loca, p. 113-114. PEREZ BUSTAMANTE, op. cit., p. 151. Op. cit., p. 130-131. Au nombre des «missionnaires» de Philippe figurent en bonne place les frères Diego et Pedro de Guevara: CAUCHIES, Les étrangers dans l’entourage politique de Philippe le Beau. On dit à la cour d’Espagne qu’elle est reléguée, servie sans le cérémonial requis, gardée par des archers, que ceux qui la servent sont maltraités..., ce que l’ambassadeur, craignant de toute évidence des reproches de zèle modéré, s’efforce, sans pouvoir nier, de dédramatiser: Correspondencia Fuensalida, p. 354-355. Depeschen Quirino, p. 91. Op. cit., p. 96.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Philippe veut le voir décamper en Aragon et lui laisser le champ libre, à lui, jeune «Flamand» sans expérience, connaissant mal des contrées que ses beauxparents ont eu tant de peine à redresser, à «arracher à la gueule des loups»42. Le monarque choisit la voie de l’information, faisant valoir aux yeux de son allié Henri VII d’Angleterre, dès le trépas d’Isabelle, la légitimité de ses prérogatives (le testament); il obtient par ailleurs plus tard de son correspondant, par la «valise» diplomatique, des copies de lettres écrites par son gendre43. C’est son ambassadeur à Londres qui, en août 1505, paraît le mieux le tenir au fait des perspectives de voyage de Philippe et Jeanne: accouchement prévu le mois suivant de la Señora Reyna Archiduquessa, projet de réquisition de bateaux mais possibilité de déplacement par terre, via la France, moyennant toutes garanties d’usage44. A la même époque, le Tudor fait remettre à trois chargés de mission en partance pour l’Espagne des instructions détaillées. Certes leur tâche est-elle principalement dictée par l’entretien des relations d’alliance entre les deux souverains. Mais il leur est aussi prescrit, durant leur cheminement et leur présence à la cour, d’interroger avec prudence et discrétion les personnes bien informées qu’ils côtoieront sur les sentiments (qué favor y amor? - what favor and love?) éprouvés au pays de Castille à l’égard de l’Aragonais, ou sur ce qu’il faut attendre de la venue du jeune couple royal. Il en ressort que la population autochtone, toujours très attachée à son prince naturel, aspire à celle de Jeanne, mais non, comme il en est question à titre d’hypothèse, vu la grossesse en cours, à celle de Philippe seul, avec ses «Flamands» et ses «Bourguignons». En accompagnant sa femme, cet étranger devrait toutefois, dit-on, gagner l’affection des sujets, qui exaltent certes les victoires de Ferdinand au service de la Foi mais déplorent les charges fiscales que le monarque impose45. Nouveau règne, nouvel usage? On semble bien l’espérer, et ce n’est pas ici simple opinion de Grands d’Espagne calculateurs. Jeanne et, à travers elle - seulement - , son conjoint sont donc en mesure de bénéficier dans la péninsule d’un réel capital de sympathie. Il n’y a pas que des tiers qui supputent et renseignent au sujet de l’équipée de Castille. L’archiduc-roi lui-même se montre désormais très explicite. Le 4 août, une lettre circulaire, nommément adressée à trente-huit ducs, marquis, comtes, autres laïcs et ecclésiastiques, annonce la fin de la campagne militaire de Gueldre46 et notifie l’intention du couple royal - la Serenissima Reyna, mi muy cara e muy amada muger, e yo - de prendre sans tarder (syn dilacion) le chemin de l’Espagne; dans l’immédiat, le seigneur de Veyré, nuestro enbaxador, communiquera toutes informations. A la date du 14 août, une lettre de nature iden-

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La vision de Ferdinand est bien exposée dans une lettre d’ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 99. Memorials Henry VII, p. 415, 417. AGS, Patronato Real, 54-18 et 54-20. Tratados internacionales de los Reyes Católicos... ordenados y traducidos, édit. J. LÓPEZ de TORO, dans Documentos inéditos para la historia de España..., t. VIII, Madrid, 1952, p. 203, 205-207 (texte espagnol), et Memorials Henry VII, p. 244, 247-250 (texte anglais); ce long et riche document (respectivement p. 200-233 et p. 240-281) brosse en fait un vaste tableau de la conjoncture politique espagnole à l’intention d’un souverain désireux d’apprécier le plus précisément possible l’état d’une puissance avec laquelle il a noué des liens de plusieurs natures, dynastiques inclus (mariage de Catherine d’Aragon et des deux princes de Galles successifs). Cf. infra ch. VIII/2.

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Le roi de Castille tique et de teneur similaire est expédiée à dix-sept villes de Castille47. Il est vrai que le mois précédent, Veyré, à la suite de plusieurs vains écrits, avait même dépêché en Gueldre, alors que les troupes bourguignonnes assiégeaient la ville d’Arnhem, le fidèle trésorier de Castille, Nuño de Gumiel, un émissaire de poids susceptible de convaincre (enfin?) Philippe de hâter son voyage, compte tenu de la détérioration du climat dans les «affaires de Castille»48. La conclusion prochaine du mariage de Ferdinand et de Germaine de Foix, nièce de Louis XII, représente sans doute alors le signal d’alarme au son le plus strident... Quant à Philibert, les témoignages ne manquent pas sur le peu de sympathie qu’éprouve évidemment pour lui le monarque aragonais, pocha gratia, écrit notamment Querini, en épinglant les efforts de ce dernier pour écarter le seigneur bourguignon de certaines négociations49. L’ambassadeur vénitien ne peut qu’associer la figure de «La Mouche» à deux grandes options: la discorde entre beau-père et gendre, une politique francophile50. Une démarche tentée alors par Maximilien est sans nul doute révélatrice du prix qu’attache le chef de famille à la politique habsbourgeoise, dont l’enracinement espagnol est un point fort. Querini expose à l’intention des autorités vénitiennes que l’empereur éprouve encore bien des réticences à venir aux Pays-Bas, car il a «souvenance du temps passé», il n’a pas oublié l’affront infligé par les Brugeois, en 1488, et la rébellion de plus d’une cité. Le voici pourtant, à Bruxelles (24 août 1505), «bien envis»51, au lendemain de la campagne et de la trêve de Gueldre, dans un but précis et personnel: per concilliarla (la rezina) bene cun el re suo marito, réchauffer des relations conjugales minées, écrit encore le diplomate, par la jalousie, et en conséquence rendre les conjoints plus solidaires, una istessa cosa, et semper d’un medeximo voler, dans des rapports directs futurs moins abrupts avec le roi Ferdinand52. Maximilien ne cessera d’ailleurs pas d’exhorter son fils à partir pour l’Espagne. La naissance de la petite Marie, le 15 septembre, lève un autre obstacle de taille, après la trêve de Gueldre, au départ de ses parents. Aussi, durant l’automne, pouvons-nous concentrer le regard sur deux pôles d’activité. On parlera plus loin des préparatifs intenses du voyage et des contraintes financières qu’il impose. Ici même, ce sont les événements d’Espagne qui retiendront l’attention. Le pivot de la politique bourguignonne y demeure évidemment, plus que jamais, Philibert de Veyré. Deux tâches indissociables occupent l’actif «ministre» et ambassadeur: négocier avec Ferdinand les conditions d’une véritable cohabitation future, rallier et souder à Philippe la cohorte des Grands de Castille. Observons d’abord ces derniers.

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AGS, Libros generales de cédulas, 11, f. 27r.-v. (publiées dans Cartas de Felipe el Hermoso, p. 320 et 316-318; la première aussi par RODRÍGUEZ VILLA, Juana la Loca, p. 433). Deux mois plus tôt, Philippe confiait, à l’ambassadeur de Venise sa ferme intention de prendre la route, mais il envisageait encore explicitement de le faire peut-être sans sa femme: Depeschen Quirino, p. 115. CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 146. Depeschen Quirino, p. 111. Op. cit., p. 128. C’est-à-dire contre son gré: Voyages, I, p. 397. Depeschen Quirino, p. 142.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu D’évidence tributaire du son de cloches de confrères espagnols, Querini, à Bruxelles, fait état en septembre de ces gredins (ribaldi) qui refuseraient toute autorité de l’Aragonais et seraient disposés à se soulever contre lui; son (re)mariage prochain avec Germaine de Foix ne sert pas la cause du roi veuf53. De Ségovie, au cœur de la péninsule, Anghiera n’écrit pas alors autre chose: on dit que Philippe bénéficiera de l’appui d’une majorité des nobles, et que le reste de la population suivra, car la foule, raille l’intellectuel, est plus mouvante que l’eau de la mer... En outre, Veyré, assisté d’Andrea da Borgo (del Burgo dans les sources), diplomate italien au service de Maximilien54, suborne et soudoie qui il faut. Exprimant le tumulte des affaires hispano-flamandes, l’épistolier évoque l’image sans appel de Charybde et Scylla et dit espérer, de cœur avec Ferdinand, que le gendre, enfin mû par la raison, en reviendra à des sentiments plus amicaux, plus filiaux, en écoutant moins - critère éprouvé du bon gouvernement des conseillers ambitieux, intéressés et néfastes. Non sans condescendance, et dans son style toujours imagé, il dit savoir que le Habsbourg est par nature prince naïf et pacifique - inoffensif en somme... - , mais qu’il gaspille ses forces dans un champ d’ivraie, de ronces et de folle avoine55! Pourquoi néanmoins Ferdinand ne l’accueillerait-il pas les bras grands ouverts? Ainsi, deux «bons» rois, quoique d’une expérience bien inégale, ne devraient-ils pas s’accorder? On perçoit avec notre témoin la profondeur du fossé qui sépare le réel et l’idéal dans la conjoncture espagnole. Nous ajouterons une métaphore que n’eût pas désavouée Anghiera, quand il mentionne «ceux qui désirent ardemment du neuf», c’est-à-dire les adversaires de Ferdinand, lassés de lui: n’espère-t-on pas toujours balayer mieux avec un nouvel ustensile? Le double jeu que pratique alors le monarque français, en manipulant volontiers ses deux voisins, ne contribue évidemment pas à réduire la confusion ambiante56. Quant à la solidarité des époux, elle demeure plus qu’aléatoire. Pressée dans ce sens par les conseillers de Philippe, la reine Jeanne a refusé d’écrire elle-même aux Grands de Castille pour les exhorter à lui être fidèles, ce qui impliquerait pour elle, dans le contexte présent, de désavouer son père et de contrevenir aux ultimes volontés de sa défunte mère57. On connaissait déjà le peu d’affection que Ferdinand portait à Veyré: une dépêche de Querini, en octobre, parle de summo odio58. Mais quoi qu’il en soit, en attendant Philippe, le roi ibérique doit bien tolérer la personne et traiter avec elle. «La Mouche» s’affirme bientôt comme le grand artisan d’un des actes essentiels de tout le principat (et court règne) du Habsbourg: le traité, dit

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Op. cit., p. 160. Crémonais d’origine, secrétaire de Ludovic Sforza avant de servir Maximilien en cette même qualité puis comme ambassadeur ou chargé de missions, successivement auprès de Ferdinand et de Louis XII, ainsi qu’en Italie: WALTHER, Die Anfänge Karls V., p. 30 n. 2; P. KRENDL, Spanische Gesandte berichten über Maximilian I., den Hof und das Reich, dans Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, t. LXXXVII, 1979, p. 117 n. 95. ANGLERÍA, op. cit., II, p. 109-111. Cf. ch. VII/3. Depeschen Quirino, p. 166. Op. cit., p. 168.

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Le roi de Castille «appointement et capitulation» (una capitulacion y asiento), de Salamanque, signé le 24 novembre 1505 entre Ferdinand, roi d’Aragon, administrateur et gouverneur perpetuo des royaumes de Castille, Léon et Grenade, et Philippe et Jeanne, roi et reine propietarios de ces trois territoires59. La référence prioritaire pour les deux parties y est «l’indisposition et empêchement» affectant Jeanne, Ferdinand fondant ses prétentions sur le testament d’Isabelle et les résolutions des Cortès de Toro, Philippe arguant de sa qualité d’époux légitime. Ferdinand souscrit personnellement au traité, le couple par l’intermédiaire de Philibert de Veyré, dit La Mouche, ambassadeur et procureur désigné, flanqué de l’«œil» de Maximilien, da Borgo. Le principe arrêté est celui d’un gouvernement conjoint, avec partage intégral des prérogatives et compétences. Si la signature de Jeanne demeure facultative, celles des deux hommes sont requises sur tout document pour lequel le droit exige la marque d’authenticité royale. Les serments requis des Cortès dès l’arrivée du couple en Espagne préciseront le statut de chacun: Jeanne reine et dame propriétaire, Philippe roi en sa qualité d’époux, Ferdinand comme administrateur et gouverneur perpétuel; le prince Charles sera reconnu pour sa part comme héritier et successeur légitime, au trépas de sa mère. Le texte règle ensuite, dans l’ordre, partage équitable des revenus publics, désignation conjointe de trésoriers et receveurs, répartition des offices locaux, collation des bénéfices, nominations au conseil royal et à d’autres grandes charges, autonomie des hôtels. Un article entend prévenir tout incident («scandalle») entre autochtones et nouveaux venus à l’arrivée et réception de Philippe et Jeanne; les deux parties s’engagent à adresser des injonctions de paix à leurs sujets respectifs. Quant aux relations extérieures, les alliances et ambassades de la Couronne de Castille seront communes. Dans un secteur de grand poids en Espagne, celui des ordres militaires (Saint-Jacques, Calatrava, Alcántara), Ferdinand, qui en exercera l’administration perpétuelle, cède à Philippe le droit d’en proposer des titulaires de commanderies, selon des modalités précises. En cas d’absence d’un des deux monarques, l’autre assurera seul le gouvernement des territoires: ce cas de figure, dont on perçoit aisément le caractère délicat et scabreux, fait l’objet d’un long développement sur les garde-fou érigés pour parer aux plus gros risques, les empiètements et les rivalités entre conseils respectifs. Un article très politique donne consistance à une forme d’amnistie: on y promet qu’il ne sera nullement tenu mémoire des soutiens apportés précédemment à un monarque plutôt qu’à l’autre, tous, prélats et grands seigneurs en particulier, étant désormais tenus pour loyaux serviteurs d’une seule Couronne et de deux rois. On ne pouvait éluder la question successorale: en l’absence d’héritier mâle légitime, toutes les possessions personnelles de Ferdinand iront à Jeanne et à ses propres enfants, tandis qu’un fils éventuel, héritier, épouserait une des filles de Jeanne - la réserve disponible est alors déjà de quatre - , dans le souci d’union des Couronnes de Castille et d’Aragon, une fille s’unissant pour sa part à l’un des jeunes Charles ou Ferdinand. 59

Texte français: HHSA, Familienurkunden (Habsburg-Lothringische Familienarchiv, Urkunden), 901/2 (copie du temps); édité en annexe (1°) infra. ZURITA, Historia del rey Don Hernando, III, p. 448-451, n’en fournit qu’un texte espagnol très partiel. L’éditeur des Documentos relativos al gobierno de estos reinos..., p. 287-292, publie plusieurs «cédulas» du roi Ferdinand et de Veyré, pour l’exécution du traité, datées du même jour; mais il n’a pas retrouvé le texte de la «capitulación» elle-même (cf. HÄBLER, Der Streit Ferdinand’s..., p. 80 n. 3).

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Les partisans de Philippe le Beau en Castille font la fine bouche, le traité ne les convainc guère60, Ferdinand cède peu de terrain. Qu’en pense l’archiduc luimême? Il ne pouvait certes trop attendre, du premier coup. La conjoncture imposait coûte que coûte un accord avant de quitter les Pays-Bas. Une fois sur place, il pourrait négocier en personne. A tout le moins disposait-il maintenant de ces garanties qu’exigeaient ses conseillers avant de se prononcer favorablement sur le départ pour l’Espagne. Une condition primordiale se trouvait remplie, il aurait part aux décisions en Castille, à défaut bien sûr d’y exercer, jusqu’à nouvel ordre, tout le gouvernement61. Philibert de Veyré, l’âme du traité, peut être crédité d’une bonne note. Le collier de la Toison d’or, décroché alors au chapitre de Middelbourg tenu avant l’embarquement62, donne corps à la reconnaissance du maître. Le jour même du traité, le procureur royal délivre sous ses propres signature et sceau un acte. Il y promet qu’on ne procédera pas, du côté de ses mandants, à des nominations précipitées, de conseillers ou de fonctionnaires, autorisées selon la lettre des accords mais requérant évidemment de démettre des titulaires en place, dans un délai de deux mois à dater de l’arrivée du couple royal en Castille63. Pour convaincre les hésitants, voici, un mois plus tard (26 décembre 1505)64, quelques fruits juteux, sous forme de pensions, octroyées par le Roi Catholique à plusieurs «Flamands» ayant contribué à l’œuvre de concorde: Philibert de Veyré, en tête de colonne, précède l’ecclésiastique et diplomate (à la Curie) Philibert Naturel, Andrea da Borgo, le chancelier Thomas de Plaine, le premier chambellan Jean de Luxembourg, le contador mayor Juan Manuel, le grand bailli de Hainaut Guillaume de Croÿ, le premier sommelier Charles de Poupet, le grand écuyer Claude de Bonard, le secrétaire Gilles vanden Damme - celui-là même qui avait été affecté au service de Veyré et avait apposé sa signature au bas du traité de Salamanque - 65 . L’ensemble est représentatif des «types» de l’entourage archiducal bourguignon: grands laïcs, conseillers actifs et mobiles, «techniciens». De prime face en tout cas, le traité de Salamanque applique un baume sur les blessures des Espagnes, que déplorait quelques mois plus tôt l’humaniste Pietro Martire d’Anghiera, au spectacle d’un désaccord entre beau-père et gendre propre à faire pâlir l’étoile de la péninsule, alors même que brille davantage celle de la France66. Mais ce baume, vu la conjoncture et ses incompatibilités, ne risque-t-il pas d’être, sans plus, une emplâtre sur une jambe de bois?

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Il leur semble mal équilibré (desigual), voire inéquitable: ZURITA, op. cit., III, p. 453. Depeschen Quirino, p. 96 (19 mai 1505). Cf. infra ch. VIII/3. Documentos relativos al gobierno de estos reinos..., p. 291-292 (original scellé et signé «La Mouche de Veyré»: AGS, Patronato Real, 56-19). «Anno a Nativitate Domini millesimo quinquagesimo sexto»: il est fait usage du style de Noël. AGS, Secretaría de Estado, legajo 1° - 2a parte, nos 322-325. Les pensions attribuées sont de 1.000 ducats d’or pour Veyré, Naturel (avec en outre une promesse de trône épiscopal), Plaine, Luxembourg, Manuel, Croÿ et Poupet, de 600 ducats pour Bonard, de 400 pour da Borgo et de 100 pour vanden Damme. ANGLERÍA, op. cit., II, p. 107 (13 août 1505).

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Le roi de Castille 2. La campagne de Gueldre Hoch von Mut, klein an Gut, ein Schwert in der Hand, das ist der Herr von Gelderland67 Philippe le Beau va rentrer de son long voyage au début de novembre 1503. Le brûlot gueldrois est alors loin d’être éteint et il va contribuer désormais luimême à l’attiser. Il est vrai que durant son absence, Charles d’Egmond, qui ne reste aux yeux des partisans des Habsbourg qu’un «prétendant» au duché, ne s’est guère tenu tranquille, organisant des coups de main aux frontières des PaysBas. Maximilien est déjà entré une fois de plus en campagne durant l’année 1503 mais les Etats généraux lui ont refusé la moindre aide en l’absence de Philippe, tout ancrés qu’ils demeurent dans leurs convictions quant aux effets néfastes d’une guerre gueldroise: «Vous n’estes point sur ce le juge, ains estes tenus d’ensuyr le vray juge, assavoir le souverain seigneur dudit pays de Gheldres, lequel nous sommes», leur a-t-il fait dire, en laissant entendre que les députés trahissaient ainsi leur prince naturel et ses droits les plus fondés (février 1503)68. Voilà le manège reparti pour un tour, non encore d’une vraie campagne, mais de raids, fliegende Krieg69. La lassitude des Gueldrois s’exprime, ils ont soif de paix, ils verraient volontiers «leur» Charles renoncer contre finances au gouvernement de la terre convoitée et céder devant les Habsbourg. Durant l’automne, père et fils se sont rencontrés à Innsbruck, dernière grande étape du périple archiducal à travers l’Europe occidentale. Si le premier n’a toujours pu convaincre totalement alors le second de s’engager résolument à ses côtés, l’insécurité avérée à l’approche des Pays-Bas, abordés via Cologne, semble avoir contribué davantage à pousser Philippe à l’action. L’occasion vient ici à la rescousse des causes profondes. Il est certain que sa «mission» de deux ans et l’apprentissage par le jeune prince du contexte politique international ont fait mûrir son analyse: il est temps d’ôter enfin l’épine gueldroise du pied Habsbourg, quoi qu’il en coûte en douleur... Déjà Guillaume de Juliers-Berg s’est recommandé auprès du monarque et de l’archiduc pour obtenir la charge de gouverneur de la Gueldre - bientôt? gagnée. Vend-on la peau de l’ours...? Maximilien conseille en tout cas à Philippe

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«D’un grand courage, peu pourvu en biens (terres), une épée à la main, voilà le seigneur de la Gueldre». Jugement relatif à Charles d’Egmond, rapporté par WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 280. Sur ces pages, cf. CAUCHIES, Principauté d’Empire, allié de la France… Analectes belgiques ou recueil de pièces inédites..., édit. L.-P. GACHARD, t. I, Bruxelles, 1830, p. 262-264. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 282. Les châteaux, leurs aménagements, leurs sièges, vont tenir une place importante durant toute la guerre livrée pour la maîtrise de la Gueldre, jusqu’au milieu du XVIe siècle: H.L. JANSSEN, T.J. HOEKSTRA et B. OLDE MEIERINK, Fortification of castles in the Northern Netherlands during the Gelre-Habsburg conflict (1492-1543), dans Château Gaillard XIX. Etudes de castellologie médiévale. Actes du colloque international de Graz (Autriche), 22-29 août 1998, Caen, 2000, p. 123-148.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu d’éviter d’y promouvoir un trop haut personnage, Guillaume ou un autre: rien ne presse dans ce sens70. La querelle de Gueldre, de toute évidence, doit maintenant rester l’affaire de leur lignée. Le 24 décembre 1503, l’archiduc annonce clairement la couleur en défendant à ses gouvernés, brabançons et autres «de deca», d’entretenir toutes relations avec les «rebelles subgetz» de Gueldre71. C’est le prélude à la prise d’armes: Charles d’Egmond est accusé d’avoir rompu la trêve. L’été 1504 voit préparer la campagne, l’automne la voit se déclencher, après que les traités de Blois (22 septembre) aient offert à Philippe des (toutes?) garanties du côté de la France. Il sait (espère?) maintenant que de Louis XII, engagé à ses côtés dans une (franche?) politique de paix, son adversaire gueldrois n’a (en principe?) plus d’aide substantielle à escompter. Le 29 octobre, il prie instamment Henri VII d’Angleterre de ne «bailler a la cause dicte ne oultre aulcune somme d’argent, quelque petite qu’elle soit», à son «ennemy notoire»; à cette occasion, il dit savoir que Charles d’Egmond est peu pourvu en finances - réalité ou désir pris pour tel? -: «Je me tiens pour asseuré que tout l’espoir principal qu’il ha en son affaire contre moy a present est oudit argent»72. Pendant plus de neuf mois vont se dérouler par phases des péripéties militaires que nous n’avons nulle intention de narrer ici. La guerre est «malvaise beste», notera à ce propos le narrateur du second voyage de Philippe le Beau en Espagne73. Juridiquement et politiquement parlant, l’épisode crucial se déroule le 4 avril 1505 à Haguenau, où se négocient, en particulier autour de la question milanaise, les accords de paix triangulaires entre Maximilien, Louis XII et Philippe. En présence du bras droit royal, le cardinal Georges d’Amboise, l’empereur investit l’archiduc et ses héritiers nés de son sang des duché de Gueldre et comté de Zutphen74, tandis que Charles, résolument isolé, est déclaré déchu de tout titre à cet égard. Ce sont à nouveau les fruits de l’entente franco-habsbourgeoise qui fournissent l’opportunité de forcer une décision capitale. Les opérations guerrières entrent alors dans leur phase essentielle, dès le retour de l’archiduc aux Pays-Bas. Les ducs de Clèves et de Juliers sont derechef de la partie; Maximilien et Philippe les rencontrent d’ailleurs au début de juin dans la ville de Clèves, en un «conseil de guerre» traitant des forces à mettre en œuvre et du plan de conquête à adopter75. La reddition d’Arnhem, la plus forte place, vers laquelle Maximilien fait mouvement en personne depuis l’Allemagne pour encourager les assiégeants puis pénétrer dans la ville avec Philippe, scelle, au début de juillet76, le sort des

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P. VODOSEK, König Maximilian I., ... im Jahre 1503, p. 43. HHSA, Belgien, DD/B 238 a, f. 186v. AGS, Patronato Real, 54-75. Voyages, I, p. 392. L’original de l’acte d’investiture est conservé: HHSA, Niederländische Urkunden, à la date. L’ambassadeur vénitien mentionne le fait dans une lettre au doge, en date du 6 avril: Depeschen Quirino, p. 68. G. WURM, König Maximilian I., ... im Jahre 1505, p. 11-12. La date du 8 juillet est parfois retenue, mais c’est du 6 qu’est daté l’acte de capitulation inclus

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Le roi de Castille armes: Wer Arnheim besaß, war Herr Gelderns. Une complainte anonyme du temps, à lui consacrée, fait déplorer par den hertoch wyt Gelderlandt la perte de son goets lant, de ses villes, et celle qu’il nomme avant tout est Arnhem: Dat wy Arlem hebben verloren, Dat hebben dye Burgoenschen ghedayn77. Si les combats se prolongent encore pendant quelques semaines, notamment pour la soumission du comté de Zutphen, une trêve se dessine78. Elle est conclue à Tiel, sur les bords du Waal, le 27 juillet79. Pressé par les affaires d’Espagne de se rendre à nouveau au-delà des Pyrénées, le roi de Castille n’a pas de temps à perdre et répond favorablement aux offres de paix d’un duc de Gueldre vaincu, mais non écrasé. Jusqu’à ce qu’un traité ferme soit conclu, Charles d’Egmond demeurera en possession des territoires gueldrois non conquis par Philippe. Un délai de deux ans est fixé pour la résolution du conflit, à défaut de quoi on procédera à la désignation d’arbitres, tenus de se prononcer avant le terme de la quatrième année sur le sort de ces mêmes territoires. De surcroît, obligation est imposée à Charles de demeurer entre-temps dans l’entourage du roi de Castille, de «le accompagnier et servir», y compris durant le prochain voyage d’Espagne. A noter encore que le duc de Clèves et, s’il le souhaite, le duc de Juliers sont parmi d’autres inclus dans la trêve. C’est enfin aux portes d’Arnhem, au château de Rozendaal, que prend place l’épisode suivant, si longtemps attendu par le camp bourguignon: le duc Egmond vient solennellement faire soumission et acte d’obédience à l’archiduc-roi Habsbourg. Mais la hâte justifiée du second à partir pour l’Espagne permet alors au premier de sauvegarder une position qui eût pu se révéler sensiblement plus compromise. On comprend d’ailleurs qu’une fois encore, Maximilien allait manifester sa réprobation, voire son indignation, devant la tournure prise par les événements et les concessions: la Gueldre, moyennant un dernier effort de guerre, n’eût-elle pu être intégralement enlevée? Encore un coup maudit du néfaste ascendant français sur son fils, pour sûr!

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dans celui par lequel l’archiduc accepte la soumission et confirme les privilèges d’Arnhem: HHSA, Belgien, DD/B 234 I/a, f. 31r.-v.; Gedenkwaardigheden uit de geschiedenis van Gelderland door onuitgegeven oorkonden.., édit. I.A. NIJHOFF, t. VI/1, Arnhem, 1859, p. 321324. Middelnederlandsche historieliederen, p. 121-123; M. CARASSO-KOK, Repertorium van verhalende historische bronnen uit de Middeleeuwen. Heiligenlevens, annalen, kronieken en andere in Nederland geschreven verhalende bronnen, La Haye, 1981, p. 276, date la pièce des années «peu après 1505»/1517. Les opérations militaires de 1504/1505 sont enregistrées pour l’essentiel par les récits documentés de: WURM, op. cit., p. 13-17; MAYER, Politischen Beziehungen, p. 139-140, 143-147; WIESFLECKER, op. cit., III, p. 283-285. Egmond y aurait encore bénéficié d’une aide (secrète) de Louis XII. Cf. aussi les détails et commentaires fournis, du point de vue bourguignon, par le récit du second voyage d’Espagne: Voyages, I, p. 393-396. Texte français complet dans HHSA, Belgien, DD/B 236 c, f. 10r.-14r. Le texte de l’accord, signé par le duc Charles et Philibert Naturel, chancelier de l’ordre de la Toison d’or, est du 27, l’acte de notification et de promesse d’exécution de Philippe du 29. Dans l’intervalle, le texte établi par Laurent du Blioul, greffier dudit ordre, relate à la suite le même document (f. 15 r.), a été porté au roi Philippe , toujours en campagne près de Zutphen, le 28 juillet - jour parfois indiqué comme celui de la conclusion de la trêve (e.a. par STRUICK, Gelre en Habsburg 14921528, p. 65, ou WIESFLECKER, op. cit., III, p. 285), ce qui paraît donc inexact - . Une autre copie du temps, fort défectueuse il est vrai, consigne pourtant la date du 28: AGS, Patronato Real, 92-11. Mais un document ultérieur (20 mars 1506) ne laisse plus aucun doute en précisant que «ledit traittié de la treuve avoit esté fait au XXVIIe de jullet et aggreé au XXIXe dudit mois»: HHSA, Belgien, DD/B 234 I/a, f. 34v.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Deux mois plus tard, un nouvel accord va répartir les obédiences entre les deux princes rivaux, dans chacun des quatre quartiers que comporte le duché; on notera que trois chefs-villes sur quatre - Arnhem étant l’exception - demeurent aux mains d’un Charles bien «payé»80. Au sens propre aussi d’ailleurs: ne se voit-il pas octroyer par Philippe le Beau une pension annuelle de 12.000 livres (de 40 gros de Flandre) et un complément lui aussi annuel de 5.000 livres en compensation de l’occupation de certains territoires et places (1er octobre)81? Le départ de Philippe pour l’Espagne dès les premiers jours de 1506 et l’absence prolongée du prince ne vont que contribuer à raviver les discussions et à ramener le spectre de la guerre. Charles d’Egmond, après avoir suivi le monarque aux Pays-Bas, s’est bien gardé de s’embarquer avec lui, retournant en Gueldre sans la moindre intention réelle d’en repartir82, prétextant plusieurs motifs et cultivant les griefs susceptibles de rallumer un conflit qu’il n’a finalement pas perdu et qui ne sera bientôt plus l’affaire de l’éphémère roi de Castille. Ainsi, le 20 mars 1506, une entrevue est-elle programmée à Utrecht entre négociateurs des deux camps et conservateurs des trêves. Préalablement, dans l’entourage du lieutenant général, le seigneur de Chièvres, on met en cause «l’inconstance» du duc, «les choses attemptees» par lui contre les accords de paix, à commencer par son abstention au voyage d’Espagne, coup de canif avéré dans le parchemin de la trêve de Tiel. Les Bourguignons seraient bien disposés quant à l’exécution pleine et entière des textes signés «pourveu que, comme la raison le veult, mondit seigneur Charles sans plus de delay et par effect suyve le roy»83. De toute évidence, éloigner Charles de sa patrie et le couper ainsi de ses adhérents fait encore figure d’objectif prioritaire, aisément compréhensible. L’entrevue d’Utrecht donne lieu à la rédaction, en date du 2 avril, d’un document bilingue, sorte de protocole d’accord dénommé «concept», émané des conservateurs des trêves et à ratifier par les princes. La perspective d’un départ de Charles pour rejoindre Philippe y est envisagée dans un certain délai et le même délai servira à débattre et à régler déjà, en application des textes, quelques litiges concernant des personnes et des lieux déterminés, notamment la pomme de discorde que constitue la place de Tiel84. Ce ne sont là que des propositions formulées à l’amiable, qui ne serviront pas. Le 9 mai suivant en effet, par le traité (à l’origine secret) de Mézières, Louis XII s’engage à fournir au duc gueldrois les moyens nécessaires à la guerre85. Ainsi donc, le monarque s’en vient à nouveau «aiguillonner»86 un allié qu’il avait à peine oublié, en dépit des apparences diplomatiques. Pour leur part, plusieurs villes, dont Nimègue, Ruremonde et Zutphen, tenues par Charles, sollicitent en raison de la trêve de Tiel un statut de neutralité, notamment auprès de Guillaume de Croÿ, présent à Bois-le-Duc

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Cf. P.J. MEIJ, Geschiedenis van Gelderland 1492-1795, Zutphen, 1975, p. 29-30. NIJHOFF, op. cit., p. 338-341 (ici encore, la date du 27 juillet est mentionnée pour la trêve de Tiel). STRUICK, Gelre en Habsburg, p. 71-72. HHSA, Belgien, DD/B 236 a, f. 19r.-23r. (instructions du lieutenant général, 15 mars 1506). Ibid., f. 81r.-84r. G. KALSBEEK, De betrekkingen tusschen Frankrijk en Gelre tijdens Karel van Egmond, Wageningen, 1932, p. 52. «Anstacheln», écrit WIESFLECKER, op. cit., III, p. 287: on retrouve la métaphore déjà évoquée (ch. V/2, n. 32) supra.

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Le roi de Castille comme l’avait été son prince, par préoccupation économique: c’est que la Gueldre tout entière dépend des Pays-Bas pour ses approvisionnements. Pour obtenir un engagement du côté bourguignon, avec la bénédiction du roi de Castille depuis ses terres ibériques, une condition impérieuse à la liberté de commerce est fixée: ne pas entretenir de gens d’armes dans le pays. La négociation échoue en juillet, mais le lieutenant général a bien compris que la seule politique adéquate pour amener Charles d’Egmond à l’exécution des accords de paix est de maintenir sur lui la pression de ses propres sujets désireux d’une pacification. Dans sa propagande, le duc - c’est de bonne guerre - met en exergue la violation répétée des mêmes accords (inita concordia) par les rois des Romains et de Castille, notamment auprès du roi d’Ecosse Jacques IV, son parent, dont il sollicite, en termes bien féodaux, consilium et auxilium87. De Valladolid, Philippe le Beau écrit pour sa part le 24 juillet au cardinal d’Amboise, le puissant ministre français, et manifeste son vif mécontentement devant l’assistance accordée de nouveau à son rival, tout en agitant le spectre d’un conflit ouvert franco-bourguignon dont, à son propre corps défendant («malgré moy et contre mon vouloir»), la duplicité de Louis XII fait courir le risque88. Pense-t-on qu’il laissera fouler aux pieds son «bon droit»? Quant à l’ambassadeur Courteville, il reçoit à la cour de France une notification très peu conforme à l’usage de la «langue de bois»: le roi a l’intention de soutenir son allié gueldrois dans ses justes revendications territoriales et de ne pas le laisser «détruire» par la puissance grandissante du prince des Pays-Bas, Charles comptant d’ailleurs en France nombre de parents et amis résolus à le soutenir en actes; dans les conversations tenues à Tours, on rappelle volontiers que le litige pour la Gueldre est pendant depuis trente-huit années89... Lorsque trépasse Philippe le Beau, il n’y a pas de motif pour que l’état de guerre s’estompe. Les Gueldrois bénéficient de l’appoint de nouveaux renforts, français et frisons, et ne sont guère disposés à l’accomodement. La question du titre ducal est demeurée irrésolue et les contestations territoriales - que faut-il encore «rendre» ou ne pas «rendre»? - pendantes. Doit-on le dire, Charles d’Egmond n’a jamais fait mine de vouloir rejoindre le roi de Castille. Et il subsiste des Habsbourg pour continuer les hostilités. Notons seulement qu’au terme d’une nouvelle période d’affrontement, le traité de Cambrai du 10 décembre 1508 entre Maximilien et Louis XII incluera Charles d’Egmond. Il y sera question à nouveau, pour la troisième fois, après Worms en 1495, après Tiel en 1505, d’un projet d’arbitrage au sujet de l’attribution du duché. Derechef, cela ne donnera rien. Comme d’autres pans de sa politique, la soumission de la Gueldre est demeurée dans l’héritage de Philippe le Beau une œuvre inachevée. Aurait-il pu conclure en poursuivant la campagne de l’été 1505? Peut-être bien. Mais il lui

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Letters and papers Henry VII, II, p. 206-210 (8 juillet 1506); il l’avait déjà fait, en vain, l’année précédente: STRUICK, op. cit., p. 63-64. HHSA, Belgien, DD/B 236 a, f. 85r. Ibid., f. 89r.-v.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu fallut précipiter les choses pour répondre aux appels pressants et justifiés qui lui venaient d’Espagne. Hermann Wiesflecker90 relaie l’opinion que dut avoir Maximilien de la situation: lui-même vrai défenseur des Pays-Bas qui l’ont tant rejeté, son fils nonchalant et entouré de conseillers vendus à la France, des Etats généraux frileux et pingres voire égoïstes. Jugement pertinent d’un Habsbourg, sans doute, mais non d’un prince bourguignon. Philippe et les siens ont dû se demander si Arnhem ou Nimègue valait bien une guerre, comme d’autres se demanderont plus tard si Paris vaudrait bien une messe... 3. Le second voyage d’Espagne Les freins n’ont pas manqué au départ pour l’Espagne. Notable retour des choses: autant en 1501 Philippe de Habsbourg avait retardé à plaisir son voyage de cohéritier, autant en 1505 Philippe Ier de Castille paraît agacé devant les obstacles, grossesse de Jeanne, guerre de Gueldre, besoins financiers. Périodiquement, il «rassure» ceux qui l’attendent... ou qui se résignent à le voir surgir. Ainsi, le 30 juillet, trois jours après la conclusion de la trêve de Tiel91, informe-t-il Ferdinand de ce point - d’orgue plutôt que final - atteint, puis, le 4 août, écrit-il aux Grands de Castille sur l’imminence de sa venue: nos disposemos sin dilacion, la Serenísima Reina mi muy cara é muy amada muger é yo, para ir a esos nuestros reinos92. Simultanément, il déplore cette pression qui l’a forcé de «conclure» des choses en n’en tirant pas tout l’avantage qu’il eût pu escompter: il est vrai, souligne-t-il personnellement en devisant avec Querini, que son expérience de la guerre demeurait limitée et l’empêcha de mener l’entreprise ainsi que l’eût fait uno gran capitano93. Quant à la reine, il est encore question alors que son époux la laisse au pays, s’il le faut, comme l’y poussent Veyré et Gumiel. Dans l’autre camp, les perspectives ont changé aussi. Si quatre ans plus tôt les Rois Catholiques pressaient leurs «incontournables» héritiers de les rejoindre, Ferdinand souhaiterait bien à présent freiner le voyage et susciter plutôt encore l’envoi du jeune Charles: dans l’intérêt des royaumes, ne vaudrait-il pas mieux que les parents s’abstiennent d’y paraître, n’en résulterait-il pas confusion, troubles, dommages, tandis que le fils viendrait quant à lui s’initier à la langue, aux us et coutumes, se préparer au gouvernement futur et être gage de paix et de prospérité, ce qui éviterait en même temps que des «étrangers» ne prennent en mains les affaires publiques94? Que Philippe et Jeanne, aux Pays-Bas, se reposent donc (ou se divertissent...: estuviesen holgando alla), tandis qu’en Espagne on se chargera bien (mieux...) d’éduquer (criar) leur fils! L’amélioration sensible de ses rapports avec Louis XII pèse aussi dans les calculs de l’Aragonais, et il a notamment tout intérêt à éviter que son gendre et le roi Valois n’entrent en contact à l’occasion d’un passage de l’archiduc par les terres de France.

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WIESFLECKER, op. cit., III, p. 281. Cf. ci-dessus. Cartas de Felipe el Hermoso, p. 316-317 (lettre déjà citée et commentée supra: cf. n. 47). Depeschen Quirino, p. 138. Correspondencia Fuensalida, p. 396 (27 juillet 1505).

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Le roi de Castille A ce dernier propos, on l’a vu, un choix reste possible: mer ou continent? Les conseillers de Philippe favorables aux accords de paix prêtent une oreille attentive à l’invitation explicite formulée par Louis XII de traverser son royaume (miaoût). Un argument d’une autre nature vient appuyer l’option, à savoir les incommodités et les risques inhérents à une navigation de fin d’automne ou d’hiver. La lenteur avec laquelle les choses se préparent ne permet pas en effet d’envisager le départ avant de longues semaines et on ne peut bientôt plus douter que Jeanne, relevée de couches, plaise ou non à Philippe, sera inévitablement du voyage. Quoi qu’il en soit, le choix de la mer va l’emporter. Avant même d’avoir commencé, cette expédition maritime promet de coûter cher. A la fin de septembre 1505, on apprend que le receveur général des finances a déjà déboursé plus de 11.000 livres, dépenses consignées en détail dans un rouleau, pour défrayer des capitaines de bateaux espagnols, bretons et zélandais. L’amiral Philippe de Bourgogne, sur l’ordre du prince, avait loué leurs services et négocié avec eux des conditions financières, peine perdue jusqu’à nouvel ordre, les affaires qui retardaient le départ ayant fait donner congé à tous95. En mai précédent, l’administration archiducale aux Pays-Bas a d’ailleurs commencé à pratiquer une politique de ventes et engagères domaniales, dont le produit devait être affecté au financement du voyage. Au début, dans les lettres patentes émanant à ces fins de Philippe le Beau en personne, il n’est ordinairement question, sans autre qualification, que de «grans et pesans affaires», de dépenses que les recettes domaniales et les aides ne permettraient pas de couvrir; la campagne de Gueldre apparaît toutefois en toile de fond. A partir d’août, les mêmes actes portent des mentions précises relatives au «voiage que entendons brief faire en Espaigne», ou aux groete costen ende lasten die wij hebben ende doen moeten om onse voiage van Spagnen. Des fonctionnaires «commis» à cet effet s’accordent avec une foule de particuliers, grands et petits seigneurs, officiers locaux, et de communautés religieuses ou urbaines, à propos de seigneuries, d’exploitations agricoles, de rentes, d’offices de prévôté, mairie ou autres. Différentes formes de «transport» (vente perpétuelle ou en viager, engagère, assignation en garantie) sont définies dans les transactions, tantôt sollicitées, tantôt plus ou moins imposées. Les ressorts des trois chambres des comptes sont concernés et les lettres archiducales y sont transcrites dans des registres spéciaux96. Instrument de crédit, l’ensemble, à court terme, va procurer d’énormes

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HHSA, Familienurkunden (Habsburg-Lothringische Familienarchiv, Urkunden), 898-899 (cf. J. RUWET, Les archives et bibliothèques de Vienne et l’histoire de Belgique, Bruxelles, 1956, p. 194). Vue d’ensemble dans le compte du receveur général des finances pour l’année 1505: ADN, B 2191, f. 66v.-112v.; pour la Chambre des comptes de Lille: ADN, B 1825 (registre des «engagemens du domaine»); pour celle de Bruxelles: AGR, Chambres des comptes, registre 445 («van den nuwen vercoopingen ende belastingen vanden demeynen»). F.-X. WÜRTHPAQUET, Table chronologique des chartes et diplômes relatifs à l’histoire de l’ancien pays de Luxembourg, dans Publications de la Section historique de l’Institut royal grand-ducal de Luxembourg, t. XXXVII, 1885, p. 184-187, édite des lettres d’engagère de droits de haute justice dans plusieurs villages de la prévôté d’Arlon à Valérien de Busleyden, receveur général du duché de Luxembourg (26 novembre 1505).

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu liquidités à la recette générale des finances, en vue de besoins immédiats, mais la pratique entraînera par la suite, sous Charles Quint, de très lourdes contraintes de rachats (et de nouvelles aliénations) pour le domaine princier dans les PaysBas. Les opérations s’achèveront pour l’essentiel, sauf exception, durant les tout derniers jours de décembre 1505, très peu de temps avant l’appareillage. Fût-il discret, le constat établi par le narrateur du voyage97 ne dissimule pas le péril: «Or eust le roy une excessive despence en la guerre de Gheldres, tellement qu’il lui a convenu faire pluseurs malvaises finances pour aller en Castille et pour la souldee de ses navieurs et de ses gens de guerre...». Cela venait s’ajouter aux aides traditionnelles obtenues en novembre, au prix de réticences, tout aussi traditionnelles, des Etats généraux98. Philippe sait à quoi s’en tenir quant au jeu politique de ses beau-père et voisin. La diplomatie française l’a bien informé, fin septembre, des accords signés entre les deux monarques et des regrets exprimés par le Valois quant à l’inéluctable rupture du projet matrimonial unissant Charles à Claude, pour cause, a-t-il fait savoir, d’opposition des Grands de son royaume. Cela ne peut certes que conforter de façon définitive, si besoin, le choix du voyage maritime et les ordres déjà communiqués depuis deux mois au bâtard Philippe de Bourgogne, amiral, pour la préparation d’une flotte en Zélande. L’archiduc en personne se met en devoir d’effectuer une tournée de villes importantes des Pays-Bas, pour s’y faire accueillir et y entendre exprimer un appui à sa politique. Son départ prochain n’y suscite à vrai dire guère de satisfactions99: sentiments ou... «factures»? Le temps presse réellement, Ferdinand épouse la nièce de Louis XII (contrat signé le 19 octobre) et se veut plus proche que jamais du roi des lys, tandis que ce dernier endosse les habits d’un «monsieur bons offices» entre l’Aragonais et le Habsbourg, qu’il invite encore à traverser ses terres. Mais simultanément, il place des troupes aux frontières des Etats bourguignons et prépare le contrôle de la Manche: peut-on se montrer plus menaçant? On comprend alors davantage, de concert, dans le chef du prince, la nécessité de voir signer sans trop de délai un accord dans la péninsule - le traité de Salamanque du 24 novembre - , en escomptant éventuellement mieux plus tard, en termes d’«honneur» et de «profit»100, et le souci de lever l’ancre, quoique les conditions météorologiques ne le permettront pas avant Noël.

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Peut-être Antoine de Lalaing, futur grand commis en finances de Charles Quint: cf. ci-dessous. Cette question, sur la base du registre cité de la Chambre des comptes de Lille (98 actes), est étudiée en profondeur par CAUCHIES, Voyage d’Espagne et domaine princier, p. 217-244. Deux cas ont été plus particulièrement cernés, en Hainaut: ID., Entre Luxembourg et Bourgogne: les seigneurs de Baudour de 1479 à 1508, dans Annales du Cercle d’histoire et d’archéologie de Saint-Ghislain et de la région, t. VI, 1993, p. 116-119, 129-135; ID., Seigneurs et seigneurie à Naast (1424/1432 et 1505/1519): histoire locale et «grande politique», dans Hainaut et Tournaisis. Regards sur dix siècles d’histoire. Recueil d’études dédiées à la mémoire de Jacques Nazet (1944-1996), Bruxelles, 2000, p. 231-240. 99 Depeschen Quirino, p. 176 (à Gand). 100 Cf. supra ch. VIII/1. ZURITA, Historia del rey Don Hernando, III, p. 453: «teniendo por cierto que estando en Castilla... estaría en su mano asentar nueva concordia mas honra y ventaja».

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Le roi de Castille Si, faisant contre mauvaise fortune bon cœur sans doute, Philippe demeure encore physiquement au pays, son esprit, d’une certaine manière, a déjà pris le large et gagné la péninsule... De Middelbourg (Zélande), il adresse différentes missives à des prélats, à un seigneur castillan, à Veyré, intervenant à distance dans de grandes et de petites choses, faveurs personnelles incluses101. Il y convoque surtout102 un chapitre de l’Ordre de la Toison d’or et, l’événement fûtil tronqué par l’absence de cérémonies religieuses et autres, on y voit notamment promus des hommes de circonstance: l’éminence grise Juan Manuel, le diplomate dominant du moment - évidemment absent - Veyré, le seigneur d’IJsselstein, Florent d’Egmond, amiral de la flotte en instance de départ - en suppléance de Philippe de Bourgogne, amiral en titre, retenu par les affaires de Gueldre - , ou encore le comte Wolfgang de Fürstenberg, commandant des 1.200 à 2.000 (selon les sources) fantassins allemands de l’escorte103. Vienne Philippe, vienne la paix, surtout s’il est vrai que Ferdinand, comme il semble l’annoncer, se retire sur ses terres patrimoniales d’Aragon après avoir initié Philippe au gouvernement du complexe castillan. Mais n’est-ce pas là rêverie d’homme de concorde104? Veyré, pour sa part, laisse entendre, selon Querini, qu’une arrivée accélérée en Espagne pourrait encore compromettre l’accomplissement du mariage de Ferdinand, lequel, à son avis d’observateur, serait loin d’en être satisfait105. Quoi qu’il en soit, les événements se précipitent et, n’eussent été les vents contraires, la flotte aurait déjà cinglé quand, le 2 janvier, l’archiduc-roi, l’ayant lui-même signé à Bruges le 26 décembre, fait apposer au bas de son testament, devant notaires, les signatures de sept témoins106. Le même jour encore, il notifie aux officiers compétents et ordonne de publier l’importante commission de lieutenant général pour les Pays-Bas et la FrancheComté que, le lendemain de la Noël aussi, il avait fait établir en faveur de Guillaume de Croÿ, seigneur de Chièvres107. On se trouve alors entre Arnemuiden et Flessingue (île de Walcheren), les avant-ports de Middelbourg, lieux d’embarquement, et c’est le 10 janvier que la compagnie à bord de quelque quarante à cinquante bâtiments voit s’éloigner les côtes de Zélande. Philippe Ier de Castille vogue vers sa destinée.

101 Cartas de Felipe el Hermoso, p. 366-369. 102 A la mi-décembre plutôt que le 17 novembre, date ordinairement citée: cf. Depeschen Quirino, p. 184 (dépêche en date du 20 décembre: «Sua majesta domenega passata fece sette cavalier de l’ordine del toxon...» - le dimanche précédent est le 14 - ), et RÖCKELEIN, Graf Wolfgang von Fürstenberg, p. 17 n. 29 (sur la base d’une autre source). C’est cependant à tort que von HÖFLER, Antoine de Lalaing, p. 480, déplace le chapitre de Middelbourg à Bruges (d’où Querini expédie sa dépêche en précisant bien, avant d’évoquer la réunion, que Philippe «e stato im Zilanda continuamente»). 103 MOLINET, Chroniques, II, p. 561-562. Cf. Baron de REIFFENBERG, Histoire de l’Ordre de la Toison d’or..., Bruxelles, 1830, p. 270-272. 104 ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 119 (3 janvier 1506). 105 Depeschen Quirino, p. 184 (10 décembre 1505). 106 Voyages, I, p. 493-496. Cf. annexe 2° infra. 107 Op. cit., p. 491-493 (commission), 497-498 (au gouverneur de Béthune, Artois); Valenciennes, Bibliothèque municipale, ms. 697, f. 206r. (aux prévôt-le-comte, prévôt de la ville et échevins de Valenciennes, Hainaut).

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu La connaissance du second voyage de Philippe le Beau en Espagne repose sur une documentation abondante mais dispersée, de laquelle émerge un récit qui peut servir de trame. Le bon déroulement en est toutefois très vite perturbé par un long séjour en Angleterre, la tempête ayant contraint l’escadre, à peine partie de Zélande, à jeter l’ancre tant bien que mal le long des côtes de la grande île étrangère. On tiendra ce séjour pour une composante à part entière de l’équipée. On y intégrera aussi l’issue fatale qui la clôturera pour le principal acteur. Le texte anonyme édité par Louis-Prosper Gachard sous le titre Deuxième voyage de Philippe le Beau en Espagne, en 1506108 a d’abord été attribué avec «probabilité» - mais sans l’affirmer péremptoirement - par son éditeur, tout comme la relation, bien identifiée celle-là, du voyage de 1501-1503, à Antoine de Lalaing, seigneur de Montigny. Il ne peut qu’être issu d’un membre de la suite royale, qui n’hésite pas à traduire des états d’âme de portée politique autant que personnelle. Mais Gachard s’est ensuite ravisé, sur la foi de quelque détail biographique la participation à une ambassade - inséré par le chroniqueur du voyage. Plus significatif encore: le ton, le style des relations de 1501-1503 et 1505-1506 n’est pas le même, la seconde est, dirons-nous, «politique» autant que la première demeure «touristique». Sans être totalement à exclure, possible distorsion chez un même homme incite à la prudence. Le récit demeurerait donc anonyme109. Il y a un demi-siècle, un traducteur espagnol des deux voyages ne devait rien apporter de plus au dossier, se contentant de résumer l’argumentation de Gachard, tout en répertoriant néanmoins la seconde relation sous une rubrique «Lalaing»110. De nos jours, l’hypothèse Lalaing n’est pas radicalement évacuée. Elle demeure simplement plausible, à la limite quelque peu séduisante. Si rien ne prouve qu’il s’agit de celui-ci et quoique les caractères de fond et de forme des deux relations ne plaident pas en faveur de leur parenté, on sait tout de même, de son aveu propre dans le prologue du récit de 1501-1503, que le seigneur de Montignies-Saint-Christophe a composé sur Philippe le Beau des «livres» de son second voyage et de sa mort111. Hans Cools écrivait récemment et prudemment qu’il «se cache peut-être aussi derrière l’anonymat de l’auteur» pour 1505-1506112. Pour notre part, de brefs passages ont capté notre attention. A plusieurs reprises, comme l’a bien noté Gachard, l’auteur entend de toute évidence régler ses comptes avec «deux chevaliers de basse condition», gens de robe, belli-

108 Voyages, I, p. 387-480. 109 Op. cit., p. XVIII-XXV. L’hypothèse de l’indiciaire Jean Lemaire de Belges, absent du voyage, déjà rejetée par Gachard, doit être définitivement abandonnée; J. LEMAIRE de BELGES, Chronique de 1507, édit. A. SCHOYSMAN, Bruxelles, 2001, p. 25. Pour sa part, WALTHER, Die Anfänge Karls V., p. 55, y voit la main d’un dénommé Louis Maroton, secrétaire de Jean de Berghes. 110 Antonio de Lalaing, señor de Montigny, dans Viajes de extranjeros por España y Portugal desde los tiempos mas remotos hasta fines del siglo XVI, édit. J. GARCÍA MERCADAL, t. [I], Madrid, 1952, p. 432 (le tout: p. 429-599). 111 Voyages, I, p. 124. 112 COOLS, Mannen met macht, p. 342 n. 5; le détail n’est cependant pas intégré par le même auteur dans la notice biographique qu’il consacre au personnage: op. cit., p. 243-245.

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Le roi de Castille queux, avides de profit, prompts à envoyer les autres à la guerre en se gardant bien d’en vivre les risques, agissant volontiers à l’encontre du bien commun113; sans les nommer, il les accable de son mépris, réaction typique d’un conseiller de sang noble face à ces homines novi qui s’efforcent de «posséder», pour le pire, l’esprit du prince. Il y a aussi l’appréciation (d’expert?) que porte notre narrateur sur les aliénations domaniales consenties pour financer l’expédition, «pluseurs malvaises finances»114: Lalaing ne fut-il pas plus tard conseiller et même chef (du conseil) des finances de Charles Quint (1515)? Dans le même récit encore, une appréciation sévère est portée, sans doute en connaissance de cause, sur le manque de compétence et d’expérience, auquel s’ajoute une grande impopularité auprès des autochtones, des «officiers de finances» flanquant Philippe le Beau en Castille, soucieux seulement de leurs intérêts particuliers115. Enfin, en traitant de la période postérieure à la mort de l’archiduc-roi, il lance une diatribe d’une rare violence contre le trésorier général Jérôme Lauwerin, «ministre» tout-puissant qu’il accuse des écarts les plus graves et des intentions les plus noires116. Un aristocrate féru de gestion? Le constat reste ténu peut-être, hasardeux sans doute, mais il méritait un point d’orgue. Relevons en outre que notre homme n’apprécie guère la France: ses habitants sont «anciens ennemys de tous royaulmes et de toutes seignouries», lui-même estimerait «contre [sa] nature» d’y vivre, au sein d’un peuple outrecuidant qui se considère comme le meilleur au monde et dont toutes paroles ne peuvent être que «bourdes»117! Des écrits concernant un autre voyageur méritent aussi une mention particulière. Wolfgang, comte de Fürstenberg, homme d’expérience au service de la maison ducale de Wurtemberg et de Maximilien Ier, pourvu, on l’a dit, d’un important commandement militaire de lansquenets, a expédié des lettres et en a reçues pendant l’équipée118. On peut le considérer comme un grand fidèle placé par l’empereur dans l’entourage de son fils, dont il est chambellan, aux fins de le conseiller sans doute, de le surveiller aussi119. Dès septembre 1505, Maximilien lui avait écrit au sujet de sa participation, des frais qu’il engageait et des gens qu’il mettait sur pied120.

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Cf. Voyages, I, p. 390-392, 402, 421. Cf. ci-dessus (n. 97); l’expression est répétée plus loin: op. cit., p. 421. Op. cit., p. 451. Op. cit., p. 468-470; on peut se demander: 1°) si de telles pages purent être écrites avant la mort de Lauwerin (1510); 2°) si le financier flamand, enfant adultérin, armé chevalier en 1503, n’est pas l’un des «chevaliers de basse condition» que notre narrateur poursuit de sa vindicte. Op. cit., p. 414, 421, 444, 445. Un patient répertoire de sources, brièvement identifiées ou signalées, permet encore d’affiner une chronologie que le récit «Lalaing» n’éclaire pas toujours avec la précision souhaitée: von HÖFLER, Antoine de Lalaing. Briefe des Grafen Wolfgang zu Fürstenberg..., édit. K.H. Freiherr ROTH von SCHRECKENSTEIN. Ces documents, ainsi que d’autres de caractère familial, sont largement exploités par RÖCKELEIN, Graf Wolfgang von Fürstenberg... Cf. CAUCHIES, Les étrangers dans l’entourage politique... Briefe Fürstenberg, p. 132.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu A. Une trop longue «escale» anglaise Et par la foy de mon corps, je n’ay point eu de sy grand joye, depuis que j’ay porté couronne, que j’ay a ceste heure de vostre venue121 Ende was daer jaeghende ende vlieghende, parlamenteerende ende tryonfeerende met de coninc, tot up Sente Joorisdach, den XXIIII april, XVc VI naer paesschen122 L’homme propose et Dieu dispose, rappelle à bon escient le narrateur du voyage maritime. Après quelques jours de paisible mais lente navigation, la grande flotte, encore groupée et déjà bien parée pour aborder le golfe de Gascogne (golfo de Vizcaya), essuie de forts vents du sud-ouest et une tempête fameuse. Celle-ci disperse les bâtiments et les contraint à rebrousser chemin et à accoster vaille que vaille dans le sud de l’Angleterre, en plusieurs lieux distants les uns des autres, notamment à Falmouth (Cornouailles) et Portland ou Weymouth (Dorset)123. On est le 15 janvier, des officiers royaux craignent à ce spectacle un débarquement ennemi! Quelques jours sont nécessaires pour que tous se retrouvent, dans la désorganisation et l’incertitude, plusieurs bateaux ayant coulé. Le comte Wolfgang de Fürstenberg, deux semaines plus tard, écrira soulagé à sa femme que Dieu les a protégés, lui et ses gens, en les «jetant» dans un port où, ainsi qu’un autre bateau, ils sont parvenus sans dommage124. Pour mieux rendre compte du climat de découragement ambiant et du désarroi matériel, le narrateur prête à Philippe le Beau, assis sur le pont de son navire à la dérive, Jeanne à ses pieds, une complainte pathétique: «Helas! que je fis grand folye quand j’emmenay tant de nobles hommes hors de mes païs!»125... L’ambassadeur Querini, qui est du voyage, relatera depuis Falmouth ce que l’on dit de la conduite courageuse du jeune roi, trempé mais gaillard, déséquilibré par une vague si violente qu’on le croit perdu, réconfortant chacun, mais attendant une mort redoutée en compagnie de la reine, faisant preuve elle-même - bien évidemment - d’une grande vaillance, et d’autres proches, sans beaucoup d’espoir d’en réchap-

121 Paroles prêtées à Henri VII accueillant Philippe le Beau à Windsor, le 31 janvier 1506: Voyages, I, p. 422-423. 122 «Et il [Philippe le Beau] fut là, chassant à courre et au vol, palabrant et paradant avec le roi [Henri VII], jusqu’à la Saint Georges, le 24 avril 1506 après Pâques » (d’après un livre mémorial gantois du milieu du XVIe siècle): A.-L. VAN BRUAENE, De Gentse memorieboeken als spiegel van stedelijk historisch bewustzijn (14de tot 16de eeuw), Gand, 1998, p. 230. 123 On cite encore, entre ces lieux, Plymouth ou Dartmouth (Devon). Dans une lettre de Philippe à Ferdinand, en date du 20 janvier, il est question d’«un puerto bien malo de Inglaterra que se llama Porlan: Letters and papers Henry VII, II, p. 363-364. 124 Briefe Fürstenberg, p. 137-138: «Doch hat uns und noch ain schif myt myr Got in ain haffen geworffen, das wir al wn (ohne) schaiden darvon kumen send». 125 Voyages, I, p. 416-417.

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Le roi de Castille per126... La confusion est grande, d’autant plus que le bâtiment du couple royal s’est trouvé quasi isolé, séparé du reste de l’escadre pendant neuf jours, selon des témoins127. On en croyait les passagers noyés, corps et biens. Rude aventure, pour sûr. Informé par un secrétaire de Philippe de l’événement, Henri VII l’invite à prendre le chemin de Londres. Le Habsbourg ne peut certes refuser, mais il est de toute manière exclu pour lui d’envisager un rembarquement immédiat128, rassemblement de la flotte, réparations, approvisionnement et conditions hivernales obligeant. Les gens du monarque insulaire mènent sans hâte l’illustre et inattendu visiteur vers Winchester, où l’accueille Henri, prince de Galles, et Windsor. C’est en ce dernier lieu que se situe la rencontre des deux rois, le 31 janvier129. Les Bourguignons, généreusement reçus au grand château, ignorent encore alors qu’ils passeront trois mois dans le pays. Philippe - était-ce seulement pour être allégé de sa présence? - avait bien vite renvoyé de Windsor à Falmouth, lieu de concentration de la flotte, son épouse, pourtant arrivée après lui à la résidence royale et y ayant brièvement revu sa sœur Catherine, princesse de Galles. Zurita notera d’ailleurs que ce renvoi ne dût guère plaire à Henri VII130: voyait-il dans l’archiduchesse une personne susceptible d’appuyer ses desseins, compte tenu notamment de l’affection réelle unissant les deux filles des Rois Catholiques? Le Tudor, sans l’ombre d’un doute, veut saisir pleinement la chance que constitue la présence de ces hôtes impromptus et les placer sous influence en vue de ses projets. La conjoncture a mis ainsi deux rois en position, avantageuse pour l’Anglais, ou en nécessité de négocier. Les choses ne traînent guère. Ils ont «beaucop de parlemens et de consaulx ensemble»131 et concluent, le 9 février, le traité dit de Windsor132, se jurant amitié perpétuelle contre tous agresseurs, y associant Maximilien et, symbole puissant, s’échangeant leurs insignes d’ordres respectifs, Jarretière pour Philippe, Toison d’or pour le prince de Galles133. Donnant de bons gages à son «bon fils» de Castille, le vieux monarque reçoit et fait traiter avec un minimum d’égards un ambassadeur français, autour duquel court même le bruit d’une démarche de Louis XII tendant à faire retenir Philippe le Beau en

126 Depeschen Quirino, p. 190-191 (30 janvier 1506). Différentes anecdotes tragi-comiques autour des mêmes événements sont enregistrées par PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 176-177. 127 Briefe Fürstenberg, p. 135 et 138. 128 Il l’écrit personnellement dès le 17 janvier à Guillaume de Croÿ-Chièvres, Jacques de Luxembourg et Thomas de Plaine, en leur contant ses mésaventures sur mer et alors qu’il s’applique déjà à faire retrouver et réunir ses gens; mais le 1er février suivant, il exprimera, depuis Windsor, son désir «de sejourner icy le moins que porrons» et de reprendre la mer au plus vite: Voyages, I, p. 498-499, 503-504. 129 A partir de ce jour et pour une durée d’un mois, on dispose d’un récit détaillé, sous l’angle de la vie de cour, du séjour de Philippe le Beau, rédigé sans doute par un héraut peu de temps après les événements: Memorials Henry VII, p. 282-303. 130 ZURITA, op. cit., III, p. 461. 131 Voyages, I, p. 424. 132 DU MONT, Corps universel diplomatique, IV/1, p. 76-77. 133 Henri VII était déjà porteur de la Toison depuis 1491, son fils venait d’être choisi à Middelbourg, moins de deux mois plus tôt.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Angleterre. Il n’empêche que tout en le mettant en garde contre les Français «quy ne ayment personne que eulx», rappelle à cette occasion le narrateur -, les Espagnols, «gens plains de debats, envies et questions», rompus à la tromperie134, en lui recommandant une bonne entente avec Ferdinand, en proposant ses bons offices, ainsi qu’un soutien en bateaux et en hommes, Henri prolonge l’«escale» de son allié. Après les fastes de Windsor, voici les fêtes de Richmond (mi-février), puis Reading (début mars), pour quelques jours de maladie et de repos. Un autre volet des pourparlers est de nature matrimoniale. Henri VII (né en 1457) est depuis février 1503 veuf de son épouse Elisabeth, Marguerite d’Autriche (née en 1480) depuis septembre 1504 veuve de Philibert de Savoie. Un projet d’union prend corps, des négociations étant d’ailleurs en cours depuis un an. Le lendemain de la Noël 1505, compte tenu de l’embarquement imminent de leur prince, les membres d’une ambassade dépêchée à cet effet l’avaient informé que le monarque anglais «desire de tout son cœur la briefve conclusion des matieres et luy desplairoit grandement se vous partiés de voz pays sans en faire une bonne fin»135. Voilà donc l’occasion rêvée pour poser un acte décisif. Un traité de mariage est signé le 20 mars par les représentants de Philippe, avec 300.000 couronnes de dot bourguignonne à la clé pour l’avide Tudor, en surplus de revenus des douaires assignés à Marguerite en Espagne et en Savoie; Maximilien y est pleinement consentant, et on escompte bien - calcul téméraire - que la future épouse et reine d’Angleterre le sera tout autant... Simultanément, on envisage aussi, tout en s’avançant moins loin, un hymen possible entre Charles de Habsbourg et Marie d’ Angleterre, fille du souverain, l’hypothèse de Claude de France suscitant dans le camp bourguignon une perplexité croissante136. Il subsistait entre Bourgogne et Angleterre des points litigieux, que Louis XII lui-même n’avait pas manqué précédemment de rappeler à son homologue des Iles et sur lesquels le vieux monarque allait forcer la décision. L’instauration de taxes sur les marchandises de provenance anglaise importées aux Pays-Bas et vers l’Allemagne en était un, l’hospitalité accordée par Philippe au jeune duc de Suffolk Edmond de la Pole - dit «Rose blanche» - , neveu de feu Edouard IV et de Marguerite d’York, ennemi juré d’Henri VII car prétendant au trône, en était un autre. Philippe le Beau, une sorte de captif, d’otage à tout le moins? Certains le pensent, et non sans fondement. Pour sortir de cette «condition», le Habsbourg va céder. Il fait livrer Suffolk, «hébergé» alors au château de Namur, qui se fiait à sa protection et qui, en dépit de promesses royales de pardon et d’amnistie, se retrouvera emprisonné à la sinistre Tour de Londres. L’homme du sérail, vraisemblablement héraut, dont on a signalé le récit, laisse brièvement entendre que

134 Voyages, I, p. 427. 135 HHSA, Belgien, PA 1/3, f. 5r. 136 R. WELLENS, Un épisode des relations entre l’Angleterre et les Pays-Bas au début du XVIe siècle: le projet de mariage entre Marguerite d’Autriche et Henri VII, dans Revue d’histoire moderne et contemporaine, t. XXIX, 1982, p. 270-274.

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Le roi de Castille la proposition du transfert en Angleterre de celui qu’il dénomme Ed[mund] Rebell aurait émané du roi de Castille en personne137. La négociation est consommée fin mars et le lieutenant général Croÿ en informe Maximilien, alors qu’on croit encore à la parole d’Henri et au salut de Suffolk, en même temps qu’il dit attendre lui-même des nouvelles du départ de Falmouth138. Pour le commerce, Henri parvient à extorquer à Philippe, avant son appareillage, les termes et la signature d’un nouveau traité d’entrecours, daté du 30 avril139, jamais ratifié par le roi de Castille, mais révélateur des dispositions d’esprit de ce dernier et des siens: tout faire pour la réussite de la politique espagnole, lui éviter toutes entraves, s’assurer toutes garanties diplomatiques auprès des tiers. Intercursus malus, dira-t-on de cet acte dans l’opinion publique, par dérision et par contraste avec l’heureux accord commercial, fondé sur la réciprocité, de 1496, l’Intercursus magnus. Les commerçants anglais se voyaient en effet exemptés de plusieurs droits de douane locaux, ou theolonea (tonlieux, tollen), pour le trafic dans les Bouches de l’Escaut, dans les eaux zélandaises et brabançonnes, vers Anvers, Bergen op Zoom, Middelbourg ou Bruges, et ainsi amplement favorisés par rapport aux sujets de Philippe le Beau, tenus pour leur part d’acquitter tous les droits en vigueur, convenus en 1496. Le libre commerce des draps d’Albion dans les Pays-Bas, déjà permis en gros, était élargi au détail, comté de Flandre excepté, puisque la coupe et l’apprêtage en étaient désormais autorisés. Et de surcroît, les habitants des Pays-Bas pourraient en convoyer euxmêmes. Inacceptable en soi pour les états bourguignons? Tel est le seul verdict possible et raisonnable à prononcer quant à ce nouveau traité d’entrecours. On peut légitimement penser que l’archiduc-roi n’avait nullement l’intention de procéder, ni dans le délai fixé (trois mois, soit avant la fin de juillet), ni plus tard, à sa ratification. En août suivant pourtant, Guillaume de Croÿ-Chièvres invitera encore son souverain à lui faire parvenir une confirmation écrite, car les marchands des Pays-Bas souffriraient alors de ce que nous appellerons un «vide juridique», quitte à n’en user et à ne la remettre à la partie anglaise que pour éviter un plus grand mal140! A la même époque, Henri VII déplorera pour sa part auprès de Maximilien que les ratifications attendues, touchant à la fois l’alliance, le mariage et l’entrecours, n’aient pas encore eu lieu et soulignera sa ferme intention de mener le tout à bonne fin141. Ironie du sort, en date du 1er octobre -

137 Memorials Henry VII, p. 302. 138 CHMEL, Urkunden, p. 229-230 (23 mars 1506). Suffolk sera plus tard exécuté sur l’ordre du roi Henri VIII. 139 DU MONT, op. cit., p. 83-88 (avec la ratification par le seul Henri VII, en date du 15 mai suivant); le meilleur commentaire de ce texte latin long et touffu est fourni par G. SCHANZ, Englische Handelspolitik gegen Ende des Mittelalters..., t. I, Leipzig, 1881, p. 29-32, et on en trouvera aussi une analyse précise dans Bronnen tot de geschiedenis van den handel met Engeland, Schotland en Ierland, Tweede deel: 1485-1585, édit. H.J. SMIT, t. I, La Haye, 1942, p. 133-134. 140 SCHANZ, op. cit., p. 34 n. 3. 141 CHMEL, Urkunden, p. 245-249 (19 août 1506); le monarque insulaire fait retracer ici à l’intention de l’empereur un véritable historique des démarches accomplies depuis les négociations menées en Angleterre.

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(1). L’entrevue de Remesal.

(2). Une course de taureaux à Benavente.

11. Ecaussinnes-d’Enghien - Château de la Follie (collection privée - de Lichtervelde). Quatre tableaux peints (XVIe s.) relatifs au séjour de Philippe le Beau en Espagne (1506).

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(3). Une partie de jeu de cannes à Valladolid.

(4). Le convoi funèbre de Burgos.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Philippe sera alors décédé depuis sept jours, mais le Tudor l’ignorait encore - , il regrettera derechef n’avoir toujours pas connaissance de l’acte de confirmation requis pour le traité commercial, le croyant néanmoins - fausse naïveté sans doute - , expédié aux Pays-Bas depuis un mois, et alors même - dixit - qu’il souhaiterait tant personnellement venir en aide à son «cher frère» en Castille, par l’envoi de mille archers142... Paroles (plus que jamais) alors vaines ! Le traité de mariage du 20 mars concernant Marguerite, en effet, ne sera pas davantage ratifié par la partie bourguignonne143. Il est vrai que la duchesse douairière de Savoie y manifestera une opposition résolue, en contestant le fait que son frère dispose ainsi de sa destinée, sans même l’avoir consultée au préalable144. A Calais, où se rendront des ambassadeurs anglais pour les formalités nécessaires, Philippe n’enverra personne145. Rien ne surprend en définitive dans les questions abordées - plus que délibérément résolues - durant les trois mois de l’«escale» anglaise. Le 26 décembre précédent, l’ambassade bourguignonne, présente depuis septembre à Londres, et qui ne pouvait imaginer... voir débarquer bientôt son mandant en chair et en os, souhaitait que soient réglées au mieux et au plus vite trois matières de poids: un mariage, une alliance, un entrecours146. Ne seraient-ce pas là en effet les objets respectifs des traités des 9 février, 20 mars et 30 avril 1506? Le séjour anglais et le traitement des affaires anglo-bourguignonnes n’ont évidemment jamais précipité dans l’oubli les perspectives espagnoles. Philippe reste tenu informé de la situation et produit une abondante correspondance à destination de la péninsule. Ferdinand s’est publiquement réjoui de l’heureuse issue du quasi-naufrage - à vrai dire, pouvait-il s’exprimer autrement? - , encourage son gendre à ne pas baisser les bras devant les coups du sort, promet avec «légèreté» de lui procurer des bateaux en lieu et place de ceux qu’il a perdus dans la tempête147. Mais le 18 mars, il épouse effectivement Germaine de Foix, nièce de Louis XII, récemment arrivée dans la péninsule, union qui, se révélant féconde, priverait Jeanne et Philippe de toute espérance quant aux couronnes d’Aragon et de Naples. A ce moment, Charles de Poupet (La Chaulx, Lassao, Laxiao) a déjà été prestement envoyé aux nouvelles au-delà des Pyrénées, per veder et intender... se l’era seguita novita alcuna im Castiglia148. S’il s’agissait, comme d’aucuns l’ont imaginé, d’empêcher le mariage, le conseiller aurait cependant pu se recycler dans le rôle célèbre d’opéra-comique des «carabiniers d’Offenbach»...

142 HHSA, Belgien, PA 1/1, f. 120r.; CHMEL, op. cit., p. 253-256. 143 Le roi d’Angleterre, pour sa part, aura ratifié le document matrimonial simultanément à l’entrecours, le 15 mai. 144 WELLENS, op. cit., p. 279-280. 145 Cf. D. TRENKLER, Maximilian I. und seine Beziehungen zu England in den Jahren 14771509, p. 128-129. 146 HHSA, Belgien, PA 1/3, f. 6r. 147 ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 126-127; il en viendra en effet de Biscaye: Depeschen Quirino, p. 196 (17 mars 1506). 148 Op. cit., p. 194, 198, 202.

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Le roi de Castille Quoi qu’il en soit, voici enfin l’archiduc de retour à Falmouth, le 26 mars. On s’affaire à mettre la flotte en état de naviguer. Les jours s’écoulent encore. Fürstenberg l’écrit à sa femme: on espère quotidiennement le beau temps, qui permettra de voguer vers l’Espagne149. Les vents rendent enfin possible l’acte tant attendu: lever l’ancre. C’est le 22 («Lalaing») ou le 23 (Querini) avril - le 22 semble plus probable - , au coucher du soleil. B. Cinq mois sous le ciel de Castille150 Also zuogen sy durch Engelandt Nebent des meres staden Als sy dan warent geladen Vnd zertrent vom vngestiemen winde In Gallicia komment sie geschwinde151 A quoi doit s’attendre Philippe en débarquant dans ses pays de Castille? Il s’est personnellement dispensé, le 10 février, depuis Windsor, par une déclaration écrite, de devoir ratifier l’accord de gouvernement intervenu entre père, fille et gendre, en s’engageant à fournir à ce sujet une lettre signée de Jeanne152. En lui promettant des bateaux de secours, Ferdinand, à la même époque, a fait comprendre au Habsbourg qu’il lui laisserait le champ libre en Castille pour aller gérer ses propres affaires aragonaises et napolitaines. D’ailleurs, au cours de sa récente mission en Espagne, le seigneur de La Chaulx n’a-t-il pas contribué à concevoir une formule de partage d’autorité qui permettrait de concert aux deux monarques de se passer de toute façon de l’encombrante Jeanne? Qu’elle tienne donc son rôle d’épouse et son rang de reine, sans exiger davantage153. Les «ministres» et autres collaborateurs bourguignons avaient en outre tout à y gagner, en honneurs, en pensions, en influence, et ne pouvaient qu’encourager leur seigneur à suivre semblable voie.

149 Briefe Fürstenberg, p. 142 (27 mars 1506). 150 On peut suivre avec précision, en parallèle, les déplacements et les séjours de Ferdinand le Catholique et de Philippe le Beau d’avril à septembre 1506 dans: A. RUMEU de ARMAS, Itinerario de los Reyes Católicos, 1474-1516, Madrid, 1974, p. 321-328. 151 «Ils transitèrent alors par l’Angleterre, tout près du rivage de la mer, puis lorsqu’ils eurent embarqué, secoués par des vents impétueux, ils parvinrent promptement en Galice». «EJn neü gedichte Von dem Jungen Princen», poème anonyme écrit peu après la mort de Philippe le Beau, sur la foi d’un témoignage direct: Briefe Fürstenberg, p. 157 (on a l’impression que sont mêlées ici les conditions de navigation rencontrées durant les deux phases du voyage, avant et après le séjour forcé en Angleterre). 152 Cartas de Felipe el Hermoso, p. 371-372. Le traité de Salamanque du 24 novembre 1505, visé ici, comportait en effet une clause complémentaire exigeant une telle ratification des époux, absents à sa conclusion, dans un délai de deux mois (cf. annexe 1° infra); sans modifier en rien la teneur de l’accord ni en compromettre sa mise en vigueur («para su firmeza»), on fera donc abstraction de la présence de cette clause. 153 On l’a en tout cas rapporté ainsi au diplomate Querini, «che questa rezina habia a viver honoratamente come molgier del re senza altro cargo, et che suo padre et suo marito siano quelli solli che governano el regno de Castiglia»: Depeschen Quirino, p. 198 (4 avril 1506); «per tractar de privar la rezina del governo»: ibid., p. 202 (16 avril 1506).

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Le débarquement n’a pas lieu en Biscaye, à Laredo, comme la chose était prévisible, mais beaucoup plus à l’ouest, au grand port de La Corogne, en Galice, atteint le 26 avril 1506, et le narrateur du voyage se demande pourquoi. Philippe le Beau, il faut le savoir, aurait fait vœu, durant la tempête de janvier, de se rendre, s’il y survivait, en pèlerinage à Saint-Jacques de Compostelle et d’y faire une riche offrande154; or, quelques dizaines de kilomètres seulement séparent ce haut lieu du port d’accostage. De plus, n’est-il pas opportun de se donner quelque délai, de s’accorder quelque recul avant la rencontre inévitablement redoutée avec Ferdinand? Dès le 26 avril d’ailleurs, dans une lettre aux seigneurs de Chièvres et de Fiennes et au chancelier, le roi de Castille manifeste cette résolution de «tirer à Saint-Jacques» avant de gagner le Léon et d’y rejoindre son beau-père155. Mais on notera qu’une hypothèse de voyage maritime jusqu’en Andalousie avait été envisagée: Philippe y aurait rapidement noué des contacts avec les Grands y résidant, en particulier le duc de Medina Sidonia, l’homme fort du pays, et il aurait pu disposer de troupes pour mener, si nécessaire, une campagne militaire. On mesure donc la tension et la défiance ambiantes, même si réalisme et lassitude convainquent finalement la compagnie de poser le pied sur le sol galicien, d’ailleurs lui aussi réputé amical. Bientôt affluent à La Corogne, tour à tour, les grands fidèles déclarés du jeune roi, li mazor signori de Castiligia, ducs, comtes, marquis, qui le dénomment suo dreto et vero re156, sans oublier les bons serviteurs, La Chaulx et da Borgo, bientôt suivis de Veyré, en provenance de Burgos. Ce dernier reçoit alors des mains de son maître le collier de la Toison d’or qui lui était destiné depuis l’assemblée de décembre 1505 à Middelbourg. Le séjour y est long de plus d’un mois. Il est jalonné, outre d’entretiens politiques de premier ordre, souvent très secrets, de réunions de conseils dans lesquelles pèse aussi tout particulièrement le premier chambellan, Jean de Luxembourg-Ville, avec envoi et réception d’une abondante correspondance. Au début de mai, les équipages de l’escadre ont reçu leur congé. Le lien matériel le plus direct avec les Pays-Bas se trouve ainsi résolument rompu. Dans une lettre en date du 7 mai, écrite à Léon, cité vers laquelle s’est mis en route Ferdinand, Pietro Martire d’Anghiera fait état de bruits alarmants: si Philippe se sent plus fort en armes, avec de surcroît l’appui de l’aristocratie du cru, ne préférera-t-il pas la guerre à l’exécution des accords de gouvernement? L’humaniste craint que ne s’allume un véritable brasier... Il est patent que des Grands y poussent et attisent la discorde. Don Juan Manuel, l’ennemi juré de Ferdinand, n’en fait pas moins à la cour et au conseil de Philippe. Il met tout en œuvre pour inquiéter ce dernier au sujet des intentions traîtresses de l’Aragonais et le pousse à exiger toutes garanties avant une quelconque entrevue. L’ambassadeur bourguignon à la cour de France, Courteville, écrit de Tours à

154 Briefe Fürstenberg, p. 138; RÖCKELEIN, Graf Wolfgang von Fürstenberg, p. 9 et 19 n. 46 (lettre du comte allemand à sa femme, en date du 31 janvier 1506). 155 Voyages, I, p. 505. Il fait écrire sans tarder à une série de Grands que «nos irémos á Santiago, y de allí tomarémos el camino de Leon»: Cartas de Felipe el Hermoso, p. 379. 156 Depeschen Quirino, p. 209, 212.

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Le roi de Castille son souverain: «Je suis adverty que par tous moiens on metera paine a vous mestre en dissenssion»157. Au milieu de tout cela, l’attitude de Jeanne ne contribue certainement pas à détendre l’atmosphère. Comme précédemment im Fiandra, rapporte Querini, elle ne veut voir personne, hormis quelques serviteurs, elle n’attend que les retrouvailles paternelles - le débarquement en Galice plutôt qu’en Biscaye l’a irritée - , elle ne tolère même pas toujours la présence de Philippe sinon, note encore le Vénitien, qu’ils partagent la même couche158. On n’oubliera pas qu’il leur naîtra encore une fille,... mais plus tard. Sa grossesse est une infirmité, écrira d’elle Anghiera, ajoutant que son silence persistant donnerait à penser qu’elle a perdu la langue159! Le courrier échangé entre les rois révèle une suggestion de l’Aragonais, invitant Philippe, à trois reprises semble-t-il, à donner congé à ses lansquenets allemands et à confier plutôt sa protection physique à des sujets de la péninsule. Fürstenberg, le chef de cette troupe, le ressent évidemment très mal et, dans une longue missive à Maximilien, il brosse à grands traits noirs le portrait d’un roi d’Aragon méchant (bös), faux (valsch), résolument hostile (widerwertig) au fils de l’empereur, pourvu en outre d’une fille aussi méchante que lui, tous deux les pires ennemis de Philippe... Il ajoute toutefois, non sans fierté, tenir de bonnes sources que Ferdinand ne redoute nuls autres plus que lui et ses hommes: das der kunig von Arragoni sonst ab niemant mer scheuch hat, dann ab mir mit den teutschen knechten160! Le beau-père est bien en route, il pourrait aller jusqu’à Compostelle. Mais il s’arrête à bonne distance, à Villafranca del Bierzo161, de l’autre côté de la Cordillère - actuellement à quelque 200 kilomètres de distance par route - . Et l’on échange déclarations de bonne foi et reproches: il faut appliquer sur toute la ligne le traité de Salamanque, Ferdinand utilise abusivement le titre royal en Castille, Philippe prête l’oreille à des semeurs de discorde plus que de paix (maligni, ribaldi, mal contenti)162. Le roi de Castille et son train quittent la ville portuaire à la fin du mois et atteignent rapidement celle de l’Apôtre, le 30 mai. Si l’on en croit le productif ambassadeur de la Sérénissime dans ses dépêches, les «amis» castillans auraient convaincu Philippe de quitter sans plus attendre La Corogne, lieu peu sûr, d’où la retraite pourrait lui être coupée (esser sta serato). Et puis, il faut qu’il «se montre», qu’on le voie dans le pays, pour susciter ralliements et offres de services163. De surcroît, serait-il de bonne guerre de s’avancer vers l’est, vers ce pays de Léon où Ferdinand a disposé des troupes?

157 Correspondance de Marguerite d’Autriche... sur les affaires des Pays-Bas de 1506-1528..., édit. L.Ph.C. VAN DEN BERGH, t. I, La Haye, 1845, p. 8 (24 mai 1506). 158 Depeschen Quirino, p. 211. 159 ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 133, 134. 160 Briefe Fürstenberg, p. 143-148 (La Corogne, 12 mai 1506). 161 Dit aussi, dans les textes, Villafranca de Valcarcel. 162 Depeschen Quirino, p. 219-221. 163 Op. cit., p. 223-224.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Le séjour à Santiago est court, cinq jours tout au plus164. Voici une lettre de Ferdinand, prônant en des termes conventionnels affection et compréhension mutuelles, discutée en conseil restreint - Philippe, Ville, Veyré, La Chaulx, Manuel - , où l’on décide d’une ambassade très officielle qui exprimera combien le gendre aspire à rencontrer le beau-père165. Voici encore les rapports détaillés d’un homme de confiance de Philippe, Diego de Guevara, maître d’hôtel de la reine166, envoyé de La Corogne à Villafranca le 25 mai, sur ses entretiens avec l’Aragonais et d’autres personnes de poids. Parmi elles, le connétable de Castille, l’ambigu Velasco, en principe favorable au Habsbourg mais époux d’une fille bâtarde de Ferdinand167, a plaidé pour la paix en Espagne, l’entente entre les deux monarques, un accord à court terme, en Galice, offrant ses bons services pour adapter au mieux le texte de novembre 1505168: «Sire, il me dit pluiseurs choses, mais le refrain de la balade est tousjours de venir a cest appointement», écrit joliment le courtisan. Fadrique de Toledo, duc d’Albe169, un des rares Grands de Castille à demeurer totalement loyal envers Ferdinand, ne tient pas un autre langage, mais il souhaite en outre que les différends conjugaux demeurent affaire d’alcôve, sinon pour que le père, le seul habilité, puisse les apaiser. Guevara relate aussi quelques bruits de bottes inquiétants, notamment de fantassins rapatriés du royaume de Naples, ou d’artilleurs apprêtant leur matériel. Il presse surtout son maître de conclure un appointement, sans quoi un conflit armé menacera. Cet Espagnol, par conviction sans doute, s’adresse très librement au monarque: «Sire, ce sont choses de grande importance. Vous ferez bien de les bien peser et au demourant y bien pourveoir myeulx que vous ne faittes aux autres...». Dans tout cela se fait jour un point sur lequel les parties en présence trouveraient bien à s’accorder: ignorer Jeanne, ne pas en faire mention, ne pas chercher à s’en «aider». Car on courrait le risque, en cas de débat persistant entre les deux hommes, de voir les seigneurs du pays s’en remettre à la seule femme, leur reine, et cela servirait davantage la cause du père que celle du mari170. Philippe le Beau s’irrite fort des mises en garde qu’on lui fait adresser et qu’il considère comme des menaces: que les Grands de Castille qui s’érigent en conseilleurs le rejoignent, à l’instar d’autres, et il leur prêtera l’oreille; que l’on cesse de lui dire, comme l’ont fait des représentants de Ferdinand, à lui qui s’est conformé à la «capitulation», c’est-à-dire au traité de Salamanque, que son beaupère «ne changera jamais en icelle capitulation ung a pour ung b, qui est une forte parolle»; que l’on se dispense de lui donner des leçons, sur un ton arrogant, dans son propre royaume; que l’on sache qu’il est venu de Flandre pour faire

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RUMEU de ARMAS, Itinerario, p. 323. Depeschen Quirino, p. 225. Cf. CAUCHIES, Les étrangers... Querini qualifie ce gendre, en qui, dit-il, le Catholique plaçait son espérance, d’«el piu perverso inimico che l’abi»: Depeschen Quirino, p. 230. 168 Et, ajoute entre autres choses Guevara, Ferdinand n’a pour sa part plus parlé des Allemands, c’est-à-dire des lansquenets précédemment jugés indésirables... 169 C’est l’aïeul d’une figure bien connue de l’histoire des anciens Pays-Bas au temps de Philippe II. 170 Voyages, I, p. 510-516 (1er-2 juin 1506).

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Le roi de Castille valoir ses droits justes et que ceux qui «bouteroient le royaume en guerre» ne seraient plus en sécurité chez eux-mêmes... Ce sont là aussi de «fortes paroles». Il est vrai que des bruits courent vite: ne chuchote-t-on pas que la reine est captive, que son époux veut la soustraire au regard de ses sujets, qu’il projette de suspendre l’Inquisition, toutes choses sur lesquelles on pourrait murmurer et grogner dans les villes? A Ferdinand, son gendre fait évidemment reprocher les préparatifs militaires dont on le tient informé, alors - se plaît-il à souligner avec une fausse naïveté - qu’il ne le sait en conflit avec quelque prince et que luimême est assuré de son affection paternelle. Et c’est Philippe qui met en garde: il est résolu à défendre personne et bon droit, en mettant en œuvre tous moyens nécessaires171. Zurita soulignera plus tard, non sans plaisir compte tenu de ses sentiments divergents envers les mémoires de Ferdinand et de Philippe, que l’aristocratie castillane ne tarda pas à éprouver désappointement et découragement devant le peu de crédit que paraissait lui accorder le jeune monarque qu’elle soutenait: nunca tan mal tratados fueron los grandes. Au lieu de leur consentir les audiences souhaitées et d’écouter les conseils qu’on voulait ainsi lui prodiguer, ne préférait-il pas s’en tenir à des réunions privées, restreintes, en compagnie de «Flamands» dont intentions et intérêts divergeaient de ceux des personnages les plus distingués du pays? On imagine, d’après le vivant récit du chroniqueur aragonais, nos ducs, comtes et marquis errant à travers les corridors d’une résidence royale, tâchant de solliciter une entrevue par le truchement de membres de l’hôtel qui, tout comme leur maître, s’arrangent bien pour les fuir172... Les perspectives de rencontre se précisent vers le 10 juin. Philippe se trouve alors dans le sud de la Galice, passant plusieurs jours dans la région d’Orense, tandis que Ferdinand, venu de Villafranca dans le sud du Léon, ne semble pas désireux d’imposer un lieu. A Valladolid, on prétend, paraît-il, que le beau-père fuit devant le gendre, et à la cour du premier - dixit Guevara - tous ont «les visaiges tristres». Est-ce de bon augure? Philippe tient-il le bon bout de la corde? L’ambassade préalable, dont il a été question plus haut, comprendra deux des membres du conseil très restreint qui en a débattu: Jean de Luxembourg-Ville, Juan Manuel173. Pour sa part, l’autre monarque a dépêché, lui aussi, un très grand «format»: l’archevêque de Tolède, Francisco Jiménez de Cisneros, principal artisan du traité futur. Querini identifie le primat comme il mazor signor de Castiglia im spiritual et temporal, souligne son immense crédit et le dit investi de tous pouvoirs dans la solution des litiges174. A l’approche de l’entrevue, paroles et nouvelles se veulent apaisantes: non, Ferdinand n’a point d’intentions belliqueuses, en dépit de quelques mouvements de troupes inusités; non, il ne croit pas que Philippe voudrait désamorcer l’Inquisition et préférer ainsi la loi de Moïse à celle du Christ; oui, il est convaincu que les rumeurs courant sur la reine «captive» s’en iront au vent quand ils se seront vus... Le père veut même laisser

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Op. cit., p. 519-523 (6-7 juin 1506). ZURITA, Historia del rey Don Hernando, III, p. 489-490. Voyages, I, p. 534-535 (9 juin 1506). Depeschen Quirino, p. 226-227.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu au gendre le soin d’arrêter les modalités de l’entretien qu’il aurait avec sa fille175. Ferdinand, à la vérité, paraît résolu à «lâcher» celle-ci, à sanctionner son incapacité et à traiter avec Philippe d’un partage du pouvoir. Au début de juin déjà, il laisse clairement à l’archevêque Cisneros la plus large initiative (mi poder cumplido, libre é lleno) dans les tractations avec Philippe. L’objectif était de prouver à ce dernier qu’il ne devait craindre aucune tromperie, aucun «mauvais coup» de la part de père et fille associés, et même de s’engager à son avantage, fût-ce donc - c’est quasiment explicite - au détriment de Jeanne. Le monarque s’en remettait pour le tout à la haute conscience du prélat176. Le 15 juin, Guevara, qui n’a cessé de suivre Ferdinand, rassure Philippe sur un point crucial: nulle attaque traîtresse n’est à redouter. Et il est bon que son maître sache aussi que les sentiments de l’Aragonais pour l’épouse française ne paraissent guère réchauffés par Cupidon. La formule est plaisante: «J’ay entendu qu’il feist les plus grans souppirs du monde, maldisant l’heure qu’il avoit jasmais pensé en elle... toutes les fois qu’il luy souvient d’elle, qu’il vouldroit que luy et elle feussent au mieulieu - c’est-à-dire au fond - de la mer»177! A ce moment, l’état d’esprit des Grands, toujours présents en force dans l’entourage de «leur» roi de Castille, est empreint d’une ferme résolution: contraindre Ferdinand à promettre une retraite en Aragon, ou à Naples, prix d’un accord avec lui178. Ces hommes fiers supportent mal, pour tout dire, le traité de Salamanque, le trouvent «desraisonnable et incivil», et répètent volontiers qu’ils tiennent Philippe pour seul souverain, «droicturier seigneur», en référence, bien sûr, à la reine Jeanne179. Le subtil Cisneros, pour sa part, a déjà compris que la meilleure défense, pour le monarque auquel il reste attaché, n’est certes pas l’attaque: qu’il lève le camp, qu’il se retire, et la discorde éclatera bien entre courtisans de Castille et des Pays-Bas, altérant ainsi les sentiments, le penchant - la afición que peuvent éprouver et manifester pour l’heure les sujets vis-à-vis de Philippe180... La brève rencontre entre les deux monarques va se dérouler en pleine campagne, sous la surveillance étroite de Don Juan Manuel, pivot de l’entreprise et indispensable «mouche du coche»... Le narrateur du second voyage la situe le 20 juin, au hameau de Remesal181, à une lieue d’un bourg, (La) Puebla de Sanabria, sur les terres d’Alonso Pimentel, comte de Benavente, à quelques encablures du Portugal. Le Habsbourg envisageait-il donc, en cas de péril, de gagner ce royaume ou d’y trouver de l’aide? Le peintre qui, peu de temps après sans doute, a fixé la scène a placé face à face beau-père et gendre, à cheval, le premier accompagné d’une modeste suite, le second flanqué de cavaliers et de fantassins avec piques et bannières, affichant ici une force apparemment sans commune mesure avec

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Voyages, I, p. 539-541. Documentos relativos al gobierno de estos reinos..., p. 307-313. Voyages, I, p. 543. Depeschen Quirino, p. 229-230 (18 juin 1506). Voyages, I, p. 437. Cf. PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 202. ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 140, le qualifie d’«insignifiant».

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Le roi de Castille celle de Ferdinand182: c’est lui, l’intrus, qui paraît menaçant, comme si, écrit Pietro Martire d’Anghiera, l’intention était de capturer l’autre monarque! Zurita le relèvera aussi avec sévérité: le Roi Catholique et les siens - 200 hommes, écritil - viennent au rendez-vous sous des dehors pacifiques, tandis que le gendre est entouré d’«Allemands», «Flamands», Castillans et Galiciens - plus de 2.000 (?) solidement armés (todos a punto de guerra). Toujours est-il qu’on parle - évidemment - de la paix nécessaire au royaume mais que Ferdinand paraît se voir refuser une perspective d’entretien avec sa fille, demeurée au lieu d’étape, et en manifeste quelque regret (réel ou feint?) et exaspération (de principe devant un refus?)183. Les interlocuteurs, s’étant séparés sans tarder, conviennent bientôt de la tenue prochaine d’une négociation entre leurs députés respectifs, du côté de Benavente. Tous demeurent descontentos. Y compris les paysans de la région, qui reçoivent la visite des fourriers du train de Philippe et surtout des lansquenents allemands détestés, emportant de force volaille et autres provisions, inspirant aux femmes irritées, raconte une chronique, cette invective: «Hé! Roi Ferdinand! Tu nous laisses et tu t’en vas! Qu’as-tu fait de ta justice?»184. C’est conjointement à Benavente et plus au sud, à Villafáfila, que va être conclu un nouveau traité entre les deux monarques. Ferdinand se trouve dans le second de ces bourgs dès le 23 juin, tandis que Philippe s’arrête alors à Benavente, où le maître des lieux, Pimentel, est des siens185. A vol d’oiseau, une vingtaine de kilomètres séparent les deux localités. Chacun jurera l’accord là où il s’est établi, le premier le 27, le second le 28. Manuel et Ville représentent le Habsbourg à Villafáfila. Avec Cisneros, ils ont été les chevilles ouvrières. Les dés sont jetés: Jeanne est proprement mise hors jeu, et ses récriminations auprès des Grands d’Espagne, qu’elle accuse de traîtrise186, autant que sa bouderie envers les réjouissances mises, comme il se devait, sur pied n’y changeront rien. Par le traité, ou «capitulation», Ferdinand renonce donc à tout droit de gouvernement sur la Castille au profit de ses fille et gendre. L’Aragonais percevra la moitié des revenus des terres «découvertes» ou «à découvrir» en Amérique et bénéficiera de la maîtrise et de larges profits dans la gestion des trois ordres militaires de la péninsule. Le reste du texte, comme on l’a déjà souligné187, demeu-

182 Il s’agit du premier des quatre tableaux conservés au château de la Follie (Ecaussinnesd’Enghien, Hainaut): cf. SÁNCHEZ CANTÓN, Pasajes del reinado..., p. 496-498, qui confronte soigneusement image et témoignages écrits. 183 ZURITA, op. cit., IV, p. 31-33. Au moment où l’entrevue de Remesal avait été décidée, Ferdinand, pour la rendre possible et mettre un terme à la «fuite» de son gendre («fugiva de atrovarsi con ley»), avait d’ailleurs précisé que c’était avec Philippe et non avec Jeanne qu’il souhaitait s’entretenir («ne de veder ne de parlar cun sua fiola ma solamente cun lui»): Depeschen Quirino, p. 230. 184 P. de ALCOCER, Relación de algunas cosas que pasaron en estos reynos, desde que murió la reina católica doña Isabel..., Séville, 1872, p. 8 (auteur tolédan du XVIe siècle). 185 Durant leur séjour dans cette ville, le roi et la reine de Castille assisteront - une fois de plus, dira-t-on - à une corrida fixée bientôt sur la toile du deuxième des tableaux du château de la Follie: SÁNCHEZ CANTÓN, op. cit., p. 499-500. 186 Elle le dit ouvertement au comte de Benavente et au marquis de Villena: Depeschen Quirino, p. 234. N’est-elle pas en effet «la reine de Castille»? 187 PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 210.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu re pure rhétorique, en parlant de paix, d’amitié, de guerre aux infidèles... Les intrigues réciproques n’en cesseront pas pour autant, compte tenu aussi que la déception semble être grande chez des partisans de Philippe, qui lorgnaient avec envie les fruits juteux des ordres militaires. Certes Ferdinand ne pourra-t-il y promouvoir que des natifs des pays de la Couronne de Castille, mais ce contrôle intégral des offices de Santiago, Calatrava et Alcántara représente pour lui un acquis de grand poids matériel et moral. On notera encore l’association de Maximilien au traité, en raison, est-il écrit, des efforts qu’il a toujours déployés en faveur de l’union et de la concorde entre les deux monarques signataires188. Mais à côté et en complément indispensable du document long et bavard, dont Ferdinand ne peut trop se plaindre, il en est deux autres (27 et 28 juin), plus brefs mais incisifs, un du beau-père et un du gendre, de teneur équivalente: Ferdinand y reconnaît à Philippe les prérogatives d’un gouvernement en solitaire compte tenu de l’incapacité de Jeanne, de «ses maladies, passions et autres ses manieres de faire», sus enfermedades y pasiones, dont, par respect pour elle, spécifient les textes, on ne dira rien de plus! La reine n’est pas ménagée. Ne pas l’écarter du pouvoir, lit-on encore, ce serait faire courir les pays à leur perte. Ses père et époux se déclarent l’un et l’autre bien résolus à ne tolérer aucune entrave à cette décision, que l’initiative éventuelle, la moindre velléité d’une entremise politique de Jeanne vienne d’elle-même ou de tiers189. On peut considérer qu’en cette fin de juin 1506 commence formellement avec l’été le règne tout personnel du jeune Habsbourg en Castille. Dans des termes évidemment bien conventionnels, Guillaume de Croÿ, le 11 juillet déjà, communique à Maximilien des documents reçus d’Espagne, dont le traité de Benavente et Villafáfila, «qui sont Dieu mercy les meilleurs nouvelles que povoient avenir»190. Mais la duplicité de Ferdinand n’a pas fondu alors comme neige au soleil. Le jour même où il signe les accords, il expose en effet dans un véritable mémoire les pressions dont il a fait l’objet, la crainte suscitée chez lui par l’attitude de son protagoniste, «justifiant» ainsi sa signature et la position adoptée à l’égard de sa propre fille, par ailleurs privée de liberté191. Un mois plus tard, l’ambassadeur aragonais à la cour de France aurait dit à son confrère bourguignon, Courteville, en apprenant la teneur du traité: «Laissez dormir le pieux vieillard, car un jour il

188 Documentos..., p. 320-329 (Philippe, 28 juin) et 329-331 (Ferdinand, 27 juin: début et fin, le corps du texte étant identique à celui suscrit au nom de Philippe). Le récit de Voyages, I, p. 438443, fournit un texte français daté du 27 juin, plus que singulier, car s’il reproduit effectivement en partie, mais non littéralement, des dispositions du traité conservé, on y trouve aussi des détails complémentaires, tels un projet d’envoi d’ambassadeurs communs et un coup de griffe, en passant, aux Français et à leurs «moyens faulx et sinistres», un trait épicé dont on ne voit nulle trace dans la version espagnole officielle de la «capitulación». 189 Voyages, I, p. 543-544 (Ferdinand, 27 juin, texte français - fruit d’une erreur de transcription, le locus en est erroné: lire «Villafáfila», et non «Villa Franca» - ). ZURITA, op. cit., IV, p. 4041 (Philippe, 28 juin, texte espagnol). 190 CHMEL, Urkunden, p. 234-235. 191 Documentos..., p. 316-320. ZURITA, op. cit., IV, p. 43-48.

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Le roi de Castille se réveillera»192, proverbe qui fait songer à un autre, plus familier de nos jours, mettant en scène un ovin cédant à un besoin naturel et arrosant un pré... et signifiant en substance: «Patience! Patience!». Pour l’instant, voilà le Roi Catholique s’éloignant, partant pour Tordesillas, à quelque 80 kilomètres au sud-ouest de Benavente, où il rejoint son épouse Germaine avant de mettre le cap sur ses terres valenciennes et, de là, napolitaines. En observateurs avisés, Fuensalida et Querini, bons amis, constatent que la balle est à présent dans le camp de Philippe. Ils se demandent, en prêtant cette interrogation à Ferdinand aussi, comment questo re novo va s’y prendre. Ne tombera-t-il pas sous la coupe de ces Grands, qui n’ont voulu chasser de Castille le «vieux» roi que pour mieux y dominer son successeur et - rengaine connue reconquérir des droits jadis acquis, che altre volte haveano uxurpato, écrit sans ambages et sans fioritures le diplomate vénitien, que l’autorité monarchique en action leur a fait perdre sous la férule de la reine morte? Quant à Jeanne, bafouée, elle montre, au contraire de son époux joyeux, des signes de tristesse et de désappointement, au-delà de toute expression: supra quam dici potest mal contenta. Et le spectacle continue: on fuit le mari, on fait de l’esclandre au château de Benavente, on réclame le père. Philippe, ajoute encore Querini, se dépense beaucoup pour l’apaiser, mais on se demande comment il y parviendra193. Avant de gérer «son» royaume, il doit aussi gérer sa maison... et ce n’est pas le plus commode! Avant que Ferdinand ne quitte le pays, les deux rois conviennent rapidement, par l’intermédiaire du «félipiste» Pedro de Guevara, envoyé à Tordesillas pour relater encore les frasques récentes de Jeanne, d’une seconde entrevue. On pourrait s’en étonner: à quoi bon? tout n’est-il pas dit? Pour l’un comme pour l’autre, en fait, il paraît opportun de converser à présent dans un autre climat, la concorde étant acquise. On verra mieux ainsi que l’Aragonais n’est pas «chassé», qu’il s’éloigne de son plein gré, et que le Habsbourg, soucieux sans doute de prévenir d’inévitables dissensions, n’est pas un persécuteur. La rencontre de Renedo, à proximité de Valladolid, le 5 juillet, baigne en effet dans une atmosphère différente, du moins selon ce que les sources en livrent, du face-à-face tendu de Remesal. Ici encore, le lieu est choisi parce que situé à michemin de ceux où résident les protagonistes. Cette fois, le déploiement de forces armées n’étant plus indiqué, cela se passe dans un village, dans une église, plus précisément même, semble-t-il, dans une sacristie194 - pourrait-il être refuge plus discret? - , Manuel s’en voyant même interdire l’accès par Cisneros, qui n’y entre d’ailleurs pas non plus, sinon après quelque temps, y étant convié. L’entretien dure plusieurs heures et on y parle de politique et de Jeanne195. De là

192 Correspondance de Marguerite d’Autriche (n. 157 supra), I, p. 30 (26 juillet 1506). 193 Depeschen Quirino, p. 235, 237. 194 PADILLA, Crónica, p. 146. Dans une lettre privée datée du jour même, Ferdinand mentionne sans plus que les deux rois furent seuls, puis avec l’archevêque, «dentro de una capilla»: Documentos..., p. 332. 195 Une source tardive, œuvre d’un historien tolédan du XVIe siècle, raconte même que Cisneros,

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu à conclure que les rivaux se sont mis à éprouver l’un pour l’autre une sympathie inédite, il y a un pas que, pour notre part, nous n’oserions franchir. D’aucuns le font. Mais à leur optimisme, nous préférons les réserves d’Anghiera sur un dialogue difficile, voire entre «sourds»196. Même s’il en est absent depuis de longs mois, l’archiduc-roi ne perd pas de vue les affaires des Pays-Bas, dont il traite notamment en vrac, en réponse au courrier reçu, dans une lettre datée du 30 juin, à Benavente; la guerre en Gueldre et les négociations pluriformes avec l’Angleterre s’y inscrivent. Il saisit évidemment l’occasion pour en informer en primeur ses lieutenant général et chancelier du traité de Benavente et Villafáfila, il leur en communique une traduction française et annonce le départ prochain de Ferdinand pour les terres de la Couronne d’Aragon et le sien pour Valladolid197. Valladolid: là va se tenir la réunion des Cortès appelées à «jurer»198. Les députés (procuradores) des villes y ont conscience de la responsabilité reposant sur eux de valider ou non pour les pays les «capitulations» des 27-28 juin. Selon leur vision des choses, deux dangers se profilent dans l’entourage du nouveau roi: la venue d’étrangers, gens d’autres mœurs politiques n’inspirant que défiance, et les velléités, dans le chef de la noblesse indigène, de retrouver par son ascendant sur le monarque la position qui avait jadis été sienne. En ce sens, promouvoir la reine Jeanne, que l’on dit comme séquestrée, paraît être l’option la plus sage, quoique la compagnie demeure divisée sur le sujet. Philippe n’arrive pas à manipuler l’assemblée, à se faire prier par elle de bien vouloir gouverner en raison de la «faiblesse» (flaqueça) de sa femme. Des députés vont voir celle-ci, pour se faire une idée de son état. Le 12 juillet, les Cortès renouvellent leurs serments d’allégeance de Tolède (1502) et de Toro (1505), qui avaient fait suite aux décès du prince héritier Miguel et de la reine Isabelle. Le couple royal n’est pas dissocié, Jeanne est dite reine et son époux consort, sans allusion à la moindre incapacité ou à quelque attribution du gouvernement à Philippe en personne. Rien de tout cela n’est envisagé. La souveraine conserve l’intégralité de ses droits et de la confiance des sujets, tandis que son fils premier-né Charles est formellement inclus dans le serment, en qualité d’héritier et de successeur légitime. Les époux jurent de concert sur la croix et le livre saint tenus par Cisneros, archevêque de Tolède et primat des Espagnes199. De couronnement, cérémonie connue mais sans tradition continue dans l’Espagne médiévale, il n’en est point, pas plus qu’il n’en sera pour les monarques Habsbourg à venir. Une gravure du Weißkunig, l’œuvre autobiographique romancée et allégorique de Maximilien200, représente Philippe, assis sur

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Manuel, da Borgo et Almazán auraient juré devant son père que Jeanne n’était pas saine d’esprit (?): ALCOCER, Relación, p. 16. ANGLERÍA, Epistolario, III, p. 143-144. Voyages, I, p. 443, 551-553. Le même jour, il écrit aussi à Maximilien: ibid., p. 554. CARRETERO ZAMORA, Cortes, monarquía, ciudades, p. 206-208. Corpus documental de las Cortes de Castilla, p. 82-84. Composée à partir de 1502.

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Le roi de Castille un trône, sur le chef duquel deux dignitaires posent une couronne «de Castille»; la scène relève d’une pure fantaisie201. Jeanne a-t-elle marqué des points? A la veille de la réunion et des serments, elle avait clairement exprimé à Philippe sa volonté d’assumer sa fonction, ainsi d’ailleurs qu’il plaisait aux villes, mais bien moins aux grands seigneurs fauteurs de discorde. Qu’à elle d’abord, prima ley, comme jadis à sa mère, soit prêté le serment requis, et che da poi lui [Philippe] fusse zurato re come marito et non altramento202. Ce ne sont pas là propos de femme politique démobilisée au regard d’une autorité qui lui revient. Ferdinand, entre-temps, a bien quitté la Castille, et donc l’horizon de ces pages, au moment où siégeaient les Cortès, pour gagner sans retard sa capitale à part entière, Saragosse203. Le roi de Castille n’a guère le temps de supputer204. Les lendemains des Cortès, tandis qu’il réside en continu à Valladolid205, sont marqués par l’octroi de lettres de naturalité (cartas de naturaleza de estos reynos) à des proches de grand format206. Elles leur procurent la faculté d’exercer des charges, offices civils ou bénéfices ecclésiastiques, et de percevoir des revenus en Castille. Ainsi, le 13 juillet, Philibert de Veyré et son frère Guillaume, chapelain à la cour207, Jean de Luxembourg-Ville et Charles de Poupet-La Chaulx, le 20 juillet Claude Bouton208. Plus tard, on trouvera Gilles vanden Damme209, le secrétaire qui a servi Veyré depuis 1505 et a notamment contresigné le traité de Benavente, ou le théologien Jean de Nivelles, évêque in partibus de Selivri (Turquie)210, confesseur de Philippe (21 août). Le seigneur de Ville est gratifié en outre (merced), à titre viager, d’une fraction de ce que paient les fermiers de diverses recettes ordinaires, dénommées en particulier alcabalas et tercias211, en surplus du prix de leurs fermes (11 juillet).

201 K. VOCELKA et L. HELLER, Die Lebenswelt der Habsburger. Kultur- und Mentalitätsgeschichte einer Familie, Graz, Vienne et Cologne, 1997, p. 202-203; la «cérémonie», qui plus est, se déroule en présence d’un autre roi couronné, censé figurer Ferdinand... 202 Depeschen Quirino, p. 241 (11 juillet). 203 E. SANZ RONQUILLO, Itinerario de Fernando el Católico, rey de Aragón, segun Jerónimo Zurita y otros cronistas, dans Vida y obra de Fernando el Católico, Saragosse, 1955, p. 161. 204 Notons que, respectueux à la lettre des serments du 12 juillet, ce n’est qu’ici que R. PEREZ BUSTAMANTE et J. M. CALDERÓN ORTEGA, Felipe I, p. 223 sq., ouvrent leur chapitre intitulé «Felipe I. Rey de Castilla»; dans le chapitre précédent, le personnage titulaire n’était encore que «Rey en Castilla». 205 Où doit se situer la partie de jeu de cannes représentée par le peintre du troisième tableau du château d’Ecaussinnes-d’Enghien, à laquelle Philippe le Beau, en quête de divertissements, se serait personnellement mêlé: SÁNCHEZ CANTÓN, op. cit., p. 500-501. 206 AGS, Registro general del Sello, juillet-août 1506, aux dates. 207 CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 134, 148. 208 Dans le registre: «Juan de la Ceniber», «Micer Charles» et «Glan de Botoz»! 209 «Maestre Gil de Bandendame». 210 «Fray Juan de Ninbela, obispo de Salobria». 211 Cf. J.M. CARRETERO ZAMORA, La Hacienda Real de Castilla en 1503 y 1505. Algunos datos cuantitativos, dans Cuadernos de historia moderna, t. XIII, 1992, p. 169-197; il s’agit de part et d’autre d’impôts royaux indirects, les premiers frappant les transactions, les seconds constituant la troisième part des dîmes.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Des Castillans fidèles ne sont pas oubliés, tels Juan Manuel, déjà contador mayor de cuentas, soit trésorier général, pourvu des offices de registrador mayor dans les chancelleries de Grenade et de Valladolid (27-28 juillet), ou son fils Diego, bénéficiaire en partage avec Jean de Luxembourg-Ville, et tout comme lui en viager, des droits cités (11 juillet). Pleins d’orgueil, dit-on, considérant avec hauteur le reste de la population, les conseillers du Habsbourg semblent jouir de leur succès comme s’ils se partageaient avidement des dépouilles de vaincus. Ils raflent tout ce qu’ils peuvent. Les forteresses (alcázares), en particulier, leur sont données en proie, le jeune roi y privant les officiers châtelains de leur commandement212. Le seul Juan Manuel reçoit Ségovie, Jaén, Plasencia, Burgos, Atienza (?)213, non parfois sans résistances et menaces royales; La Chaulx se voit attribuer Simancas et Bouton, Ponferrada. Les Grands en cour bénéficient aussi de notables faveurs, haute charge militaire pour le duc de Nájera, franchise de foire pour le comte de Benavente214. Pour un de ses agents dévoués, tenant de l’espion plus que du diplomate, Pedro de Guevara, Philippe obtient de Ferdinand, au moment de l’entrevue de Renedo, l’habit de chevalier de l’Ordre de Saint-Jacques, en même temps qu’il lui confie une forteresse. Il ne laisse pas en rade Diego, frère de Pedro, bientôt bénéficiaire d’un commandement de château, lui aussi, et d’une somme d’argent rondelette215. Enfin, de simples auxiliaires, gens d’un rang social peu élevé, menu fretin mais piétaille efficace, vont simultanément tirer profit de quelque chose, selon leur condition et leur rôle, depuis une charge d’alcalde jusqu’à celle de boucher de l’hôtel216. Cette politique des amis et des cadeaux, menée par un monarque usant de son droit et de sa force, sur fond de luttes de clans (parentelas), ne peut évidemment, par contrecoup, qu’accroître le nombre des mécontents, des frustrés, des déchus. Et on ne vise pas par là que les fidèles de l’Aragonais - donc «traîtres» à leur seigneur en droit - , rudement expulsés de leur place forte ou destitués sans ménagements de leur charge: il y aussi ceux dont les attentes ne sont pas rencontrées, les espoirs insuffisamment comblés. Vrai ou faux, en tout cas chose plausible, Zurita rapportera même plus tard ouvertement ce que disaient alors certains discrètement: s’il prenait envie à Ferdinand de revenir d’Aragon, fût-ce sur une humble mule, il n’y aurait homme en Castille qui ne marcherait à sa rencontre, pour l’accueillir dès qu’il aurait passé la frontière! L’ambassadeur vénitien Querini le sait bien: en Castille, la «mauvaise nature» des Grands et les rancunes tenaces qui les opposent en permanence sont telles qu’il ne peut guère se passer de temps sans affrontements, sans gâchis (senza garbulgio). Implicitement, il souhaite bonne chance à Philippe et à ses conseillers s’ils veulent tout faire pour garder la paix217. A la cour de France, il se dit en juillet, déjà, que Ferdinand - il l’aurait fait savoir à Louis XII - ne renonce pas à «faire en aller le roy de Castille

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ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 146. Cette dernière à Veyré, selon PADILLA, Crónica, p. 148. ZURITA, op. cit., IV, p. 64-65. A. REDONDO, Antonio de Guevara (1480? - 1545) et l’Espagne de son temps. De la carrière officielle aux œuvres politico-morales, Genève, 1976, p. 90. 216 Cf. PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 233-234. 217 Depeschen Quirino, p. 246.

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Le roi de Castille en son pays de Flandres», tout en cueillant les fruits des réticences que manifestent sur place des gens en vue à exécuter les volontés de son gendre218. L’Aragonais doit penser que «son» traité de Villafáfila profitera davantage aux Grands qu’à la Couronne de Castille et que les manigances de ces gens avides ne manqueront pas de susciter bientôt le désordre219. La situation personnelle et politique de Jeanne donne lieu pour sa part dans l’opinion publique à diverses supputations. Pour d’aucuns, la reine est malade, inapte de ce fait à gouverner. Pour d’autres, elle est une victime, écartée du pouvoir, qu’elle exercerait pourtant mieux que ces étrangers, ces «Flamands», ces «Allemands»... Et de maudire son père, qui l’a laissée sans défense, captive, au risque de conflits intestins. La situation et les positions de chacun sont loin d’être limpides. Plus tard, par exemple, un ancien ambassadeur des Rois Catholiques à Rome, le sexagénaire Iñigo López de Mendoza, comte de Tendilla, mesurera tout le poids persistant de cette conjoncture. Il lui faudra se justifier, devant Ferdinand, qui lui battra froid et ne satisfera pas ses requêtes. N’a-t-il pas prêté devant Jeanne et Philippe, le 29 août 1506, le serment de l’important office de capitaine général du royaume de Grenade, puis obtenu de surcroît du jeune monarque un autre commandement? Certes, mais il déclarera ne pas s’être compromis avec les felipistas, au contraire, puisque son attachement au service du Roi Catholique aura détérioré ses rapports avec des proches. Qu’on lui fasse grâce dès lors auprès du souverain de toute atteinte imméritée à sa réputation, qu’on le sache une bonne fois pour toutes: no sea de los que siguieron al rey don Felipe220! L’entourage politique royal castillan, en d’autres termes le Consejo Real, ne sort évidemment pas intact des événements. Il est sujet, dès la seconde quinzaine de juillet 1506, à des mouvements d’entrée et de sortie, pourvu d’un nouveau président. Dans tous les pays de la Couronne, de Léon à Grenade, on voit paraître de nouveaux magistrats. Le centre géographique et la périphérie du pouvoir sont marqués par la conjoncture. La vague d’épuration atteint avec une force particulière les charges de corregidores, les corregimientos, dont quelque 10 % à peine seulement des titulaires vont demeurer en place, au gré des faveurs et des ressentiments politiques mais sans souci fondamental de réformer des structures qui en auraient eu besoin221. Ces offices chers aux Rois Catholiques devaient assurer le contrôle des autorités, donc des oligarchies, municipales, en freiner les abus et prendre soin des intérêts de la Couronne. Un grand format, déjà venu à l’avant-plan, entre autres, lors des négociations du traité de Benavente et Villafáfila, va se tailler une part croissante, sous des habits d’arbitre, dans la politique castillane222. Archevêque de Tolède depuis

218 Correspondance de Marguerite d’Autriche, I, p. 39-40. 219 Cf. HÄBLER, Der Streit Ferdinand’s…, p. 119. 220 Correspondencia del Conde de Tendilla. Biografía, estudio y transcripción, édit. E. MENESES GARCÍA, Madrid, 1973-1974, 2 vol.: t. I, p. 172-173; t. II, p. 140, 144, 575-577 (lettres de 1513). 221 PEREZ BUSTAMANTE, op. cit., p. 238-242. 222 J. GARCÍA ORO, El Cardenal Cisneros. Vida y empresas, t. I, Madrid, 1992, p. 148-154.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu 1495, omniprésent à la cour, Francisco Jiménez de Cisneros avait pris quelques distances durant les derniers mois du règne d’Isabelle, du testament de laquelle il sera néanmoins l’un des exécuteurs. Il n’est pas rallié au «centralisme» des Rois Catholiques et oscille bientôt entre les deux monarques rivaux, position mouvante et opportuniste qui contribue à en faire, dès l’été 1506 et en attendant plus, l’homme fort de la monarchie, un homme à ménager par Philippe même si ce dernier sait bien que, contrairement à d’autres personnalités du cru, le prélat n’est pas son affidé. Si l’archevêque n’aurait pas dénié, au début de 1506, un recours à la force militaire pour l’application du traité de Salamanque, le crédit acquis auprès des Grands par Philippe présent ne tarde pas à lui faire remiser cette perspective. On a vu Cisneros investi des pleins pouvoirs pour (re)négocier en juin. Il veille ensuite à maintenir au mieux, voire à accroître encore, en quelque sorte, sa position arbitrale, ne dénigrant pas l’ancien maître, obtenant du nouveau faveurs et, selon toute probabilité, confiance au moins relative. Il suit la cour durant le bref été royal de Philippe, lui apportant sans aucun doute une forme de légitimation, en dépit de la situation équivoque de la reine Jeanne. On notera qu’il s’y emploie notamment à discréditer le puissant Manuel et qu’il ne semble pas trop mal y réussir. La mort inopinée du monarque le rendra bientôt d’autant plus indispensable, quasi même providentiel. Les ultimes mois de règne (et de vie) du Habsbourg sont riches en entretiens diplomatiques. Opérations militaires en Gueldre et soutien toujours redouté de Louis XII de France à Charles d’Egmond, projet de mariage pour Henri VII d’Angleterre et Marguerite d’Autriche, épousailles de François d’Angoulême et de Claude de France - précédemment promise à Charles d’Autriche - , affaires de Rome et d’Italie, aventures de Maximilien en Hongrie, tout un «film» sur les cours et champs de bataille de l’Europe est ainsi «projeté» à Valladolid, lieu de résidence de Philippe jusqu’à la fin de juillet. Le couple royal s’installe ensuite à quelque dix kilomètres au sud-est de la grande ville, à Tudela de Duero, lieu baigné par le grand fleuve, plus propice à la villégiature estivale. Philippe y est informé de l’embarquement prochain223 de Ferdinand pour Naples, ce qui, aux dires du narrateur du second voyage d’Espagne, lui procure grande joie, soulagement, «pour ce que par ce moyen les parcialitéz estans oudict royaulme se appaisoient plus fort»224. On passe près d’un mois à Tudela, puis on gagne Burgos. Des soucis financiers taraudent les souverains. Fonctionnaires et gens de guerre en Castille n’ont pas reçu leurs gages depuis près de deux ans, soit depuis le trépas de la reine Isabelle, dont l’époux a ensuite fait vendre moult biens afin de pourvoir à l’exécution de son testament. L’argent venu des Pays-Bas a été entièrement utilisé pour les bateaux, les équipages et les lansquenets. Les conseillers, chevaliers de l’Ordre inclus, et les gens de l’hôtel ne sont pas mieux lotis, sauf les chapelains et les archers de la garde, c’est-à-dire, remarquons-le, les garants par excellence de l’assistance spirituelle et de la protection physique du maître.

223 Il aura lieu le 4 septembre: RUMEU de ARMAS, Itinerario, p. 327. 224 Voyages, I, p. 448.

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Le roi de Castille On voit aussi Philippe et Jeanne (contraints de) gérer l’envoi (coûteux) de pièces d’artillerie aux «Indes». Dans l’ensemble, de surcroît, la conjoncture économique et sociale n’est pas bonne et pèse lourdement sur la vie politique du royaume: crise agricole persistante, sécheresse, mauvaises récoltes, difficultés d’acquitter et de percevoir des fermages, pénurie, vagues d’épidémies. 1506 dans la péninsule est une année noire. Et il ne faut pas escompter par ailleurs un apport d’argent frais bourguignon: l’organisation du voyage, on le sait, a englouti de grandes sommes et une guerre de Gueldre qui n’en finit pas de finir dévore le reste... Les ressources, sa femme, les menées françaises dont il est averti, tout cela accumule pour Philippe le Beau un capital de soucis. De quoi, pour sûr, altérer sa santé, le rendre plus fragile, en le privant de «joye au monde» et, écrit le narrateur sans doute trop influencé par la suite immédiate des événements, en lui faisant «désirer la mort»225. La déclaration du roi Henri VII au sujet de son «bon filz», comme il l’appelle encore, dans une lettre à Guillaume de Croÿ (7 juillet 1506), n’est évidemment que prose de convention: «... entendons a nostre trés grant joye et plaisir que ses affaires en Espaigne se portent et prosperent l’un jour plus que aultre a son desir, aussi de ce que tous les subgetz de ses royaulmes de par dela, grans, moyens et petiz, luy font si bon et joyeulx recueil et qu’ilz luy demonstrent si bonne et grande obeissance»226. C. Mort à Burgos ... le XXVe dudit mois [septembre] enssuivant, Dieu l’avoit prins de sa part aprés avoir receu tous les sacremens et fait la plus belle fin que l’on sauroit faire227 Chevaucher vers Burgos, la Cabeza de Castilla, ne devait pas seulement permettre à Philippe de rendre aux Burgaleses une visite de courtoisie, mais aussi de se diriger ensuite vers le Pays basque et de se rapprocher des Pyrénées pour s’informer de mouvements de troupes françaises vers la frontière. Burgos est atteinte le 7 septembre et, pour toute sûreté, son alcázar, imposante forteresse, est placé sous le commandement du fidèle Manuel. C’est neuf jours plus tard, 16 septembre, que le drame se noue. D’après les récits de chroniques, le jeune roi s’adonne ce soir-là au jeu de pelote ou de paume228, avec pour partenaire un capitaine de sa garde excellant dans ce sport. Tout en sueur, ayant ingurgité de l’eau très fraîche, il se sent indisposé mais, sans s’y arrêter, il n’en poursuit pas moins ses activités de cour et de détente, notamment à la chasse, quoique l’indisposition persiste. Il se fatigue encore, frissonne de plus en plus fort, fait (trop) tardivement appel aux médecins. Le 20, selon une source municipale, il est résolument malade et on suspend les fêtes organisées

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Op. cit., p. 451. HHSA, Belgien, PA 1/1, f. 108 r. ADN, B 34, f. 57v. (mémorial de la Chambre des comptes de Lille, 1501-1532). Dont il était, semble-t-il, friand: cf. infra.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu en son honneur. La fièvre grimpe, des douleurs se font sentir, des vomissements surviennent. Bientôt, on prie dans toutes les églises et une procession gagne la résidence du prince. Une lettre à Ferdinand, non datée, postérieure aux faits d’une quinzaine de jours sans doute et du plus grand intérêt, relate avec réalisme tous les symptômes et l’évolution inéluctable du mal, jour après jour; elle émane d’un médecin hautement réputé de l’université de Salamanque, Gonzalo de la Parra; appelé le 23 au chevet du patient, il s’inspire donc pour une large part des rapports de confrères físicos229. L’agonie commence. Les derniers sacrements sont administrés. La mort frappe. Le vendredi 25 septembre 1506, au terme de neuf jours d’indisposition puis de souffrances, le roi de Castille rend son âme à Dieu. Pourquoi retarder cette mort d’un jour et prendre en considération, comme l’ont fait des historiens de notre temps, la date du 26 septembre230? Outre le docteur de la Parra, l’épistolier et humaniste Pedro Mártir d’Anghiera, présent à Burgos au moment des faits, en est un des meilleurs garants231. Le mémorial administratif tenu pour l’époque à la Chambre des comptes de Lille en est un autre: les conseillers de Philippe le Beau demeurés à Malines ont averti le gouverneur de Lille - comme bien d’autres, tel celui de Béthune - , de la réception, le 3 octobre, d’un courrier d’Espagne annonçant le décès de Philippe, le 25 septembre, sans toutefois leur en préciser le lieu232. Il en va de même d’un recueil de notices nécrologiques des «souverains» des Pays-Bas depuis les ducs de Bourgogne, compilation commencée au XVe siècle et régulièrement complétée par la suite233, ou bien encore d’une lettre adressée le 4 octobre par Philibert Naturel à Marguerite, sœur du défunt234. Enigme historique? Le trépas pour le moins brutal de Philippe le Beau en a évidemment surpris, frappé de stupeur, plus d’un. Les causes de l’issue fatale ali-

229 Carta del Doctor Parra, médico..., dans CODOIN, t. VIII (cf. Cartas de Felipe el Hermoso...), p. 394-397. RODRÍGUEZ VILLA, Juana la Loca, p. 441-444. 230 Le Baron de REIFFENBERG, Histoire de l’Ordre de la Toison d’or, disposait de «manuscrits» (un registre d’actes capitulaires sans doute) faisant état du 26. WELLENS, Les Etats généraux et la succession de Philippe le Beau dans les Pays-Bas, p. 125, accorde foi à une lettre des conseillers siégeant à Malines, adressée au gouverneur de Béthune (Voyages, I, p. 555-556: 4 octobre 1506) et opte catégoriquement, sans preuves tangibles acceptables, pour le 26, qui est indiqué (par erreur) dans ce document; il semble avoir été suivi par W. BLOCKMANS et A. DELVA, Margareta van Oostenrijk, dans Nationaal biografisch woordenboek, t. XII, Bruxelles, 1987, col. 479, et W. BLOCKMANS, Keizer Karel V (1500-1558). De utopie van het keizerschap, Louvain, [2000], p. 25; COOLS, Mannen met macht, p. 33 et 197, opte alternativement pour le 25 et le 26. Le compte du massard ou receveur communal d’Ath pour 15061507 situe aussi le décès le 26 septembre, en se référant à une information venue du grand bailli de Hainaut: [E. FOURDIN], Obsèques de Philippe-le-Beau, célébrées en l’église de SaintJulien, à Ath, le 15 et le 16 octobre 1506, dans Analectes pour servir à l’histoire ecclésiastique de la Belgique, t. XIII, 1876, p. 124. C’est au niveau de la communication adressée de Malines aux officiers des régions que la confusion a bien dû se produire. 231 ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 151-152. 232 Cf. n. 227 supra. 233 L.-P. GACHARD, Inventaire des archives des Chambres des comptes, t. I, Bruxelles, 1837, p. 344 (AGR, CC 1324). 234 HHSA, Belgien, PA 1/3, f. 20.

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Le roi de Castille menteront longtemps, comme on l’a justement écrit, «une source intarissable de rumeurs»235. Bien vite, un mot terrible est lâché: envenenamiento, empoisonnement. Parra l’a déjà entendu quand il rédige sa lettre-rapport. Zurita n’y verra qu’une «opinion de Flamands» et plaidera pour une mort des plus naturelles. Mais un commanditaire de choix est tout aussi promptement désigné, fût-ce mezzo voce, pointé du doigt: Ferdinand! Avec la plupart des historiens d’aujourd’hui236, avec le narrateur du second voyage qui écrit déjà ne rien en croire237, on fera volontiers justice de cette accusation. Parti gérer ses affaires d’Italie, le roi d’Aragon, en général fine mouche, n’eût rien gagné à courir de tels risques. Mieux valait certes, de son point de vue, attendre que la situation se dégrade pour son gendre, qu’il perde la confiance des seigneurs, qu’il soit submergé par les difficultés financières. Dans le creuset des intrigues castillanes, une élimination par le poison, résultat d’un complot ourdi, eût pu être raisonnablement révélée. Un livre a été consacré, voici plus d’un demi-siècle, à réfuter l’accusation implacable238. Il convient plutôt de chercher ailleurs. Deux voies sont ouvertes. D’abord le «chaud et froid», le «rhume» mal soigné, la pleurésie, dans un environnement, un climat inaccoutumé, vecteur de fièvres pour des hommes du nord, l’imprudence qui devient drame. Ce n’est écrit nulle part mais l’expérience dicte l’hypothèse. Lorsqu’en septembre 1502, l’archiduc souhaitait ardemment quitter la péninsule, il avait fait valoir comme argument majeur la mort de plusieurs de ses gens et le mal-être d’un plus grand nombre encore, en raison des variations climatiques et du régime alimentaire imposés239. On rappellera que de tels bouleversements avaient aussi perturbé, parfois tragiquement, l’existence quotidienne, la vida diaria, de la suite ibérique de Jeanne venue dans les Pays-Bas en 1496, en particulier pour cause d’intempéries caractéristiques de la climatologie des Pays-Bas. De tels faits n’ont alors rien d’isolé lorsque des ressortissants de cultures aussi distinctes et peu accoutumées à se côtoyer entrent en contact240. Le registre aux mémoires de la Chambre lilloise parle d’une «fevre continue meslee de la double tierche», ainsi d’ailleurs que la lettre adressée, entre autres, au gouverneur de Béthune: l’expression doit avoir été retenue pour tout le courrier officiel expédié depuis Malines241.

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PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 259. Tel, dans une affirmation vigoureuse et fondée, WIESFLECKER, König Philipps I. Tod, p. 92. Voyages, I, p. 463-464. J.M. DOUSSINAGUE, Un proceso por envenenamiento. La muerte de Felipe el Hermoso, Madrid, 1947. 239 ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 35. Antoine de Lalaing répertorie nommément plusieurs victimes, outre bien sûr le plus illustre de tous, l’archevêque Busleyden: Voyages, I, p. 183, 195, 217. 240 Cf. F. EDELMAYER, ¿ Descubrimiento o encuentro? Maximiliano I y los Reyes Católicos, dans El Tratado de Tordesillas y su época. Congreso internacional de historia..., t. I, Madrid, 1995, p. 220-221. Pour les incidents de 1496, notoirement gonflés par la rumeur, cf. ch. III/3 supra. 241 La fièvre paludéenne dite tierce, de type intermittent, est caractérisée par deux accès observés sur trois jours, dans l’intervalle desquels la température doit revenir à la normale, ce qui ne semble pas avoir été le cas ici; le monarque a dû demeurer en permanence sujet à un état fébrile avec observation de «pics».

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Et puis, risque et mal plus redoutables encore, le fléau par excellence, la peste, qui affecte la Castille et le reste de l’Espagne, avec plus ou moins d’intensité et de localisation, depuis plusieurs années et se manifeste alors avec une particulière acuité pour culminer en 1507. Valladolid étant frappée durant le printemps de 1506, l’installation à Tudela de Duero, en milieu plus sain, se justifie davantage encore qu’en temps normal242. Des cas ont été relevés aussi à Burgos, beaucoup y sont morts à la même époque, rappellera Zurita: la maladie rôdait et on sait qu’elle peut frapper à l’aveuglette, sans épargner petits ou grands. Un prince fatigué, surmené, voire épuisé, par les soucis et les activités politiques - ainsi que par les excès de la chair, ajouteront certains - : voilà une proie de choix243. Apprécier à sa juste mesure la mort de Philippe le Beau exige bien que l’on tienne compte de détails antérieurs. L’hypothèse de l’empoisonnement a pu être aisément nourrie par des soupçons à demi fondés. Attitudes d’élémentaire prudence il est vrai, compte tenu du climat politique tendu. A La Corogne, on avait vu Philippe manger en privé chez son commandant des troupes allemandes, Fürstenberg, comme celui-ci estimera devoir l’écrire à Maximilien, en postscriptum, parce que le jeune roi se défiait de tous autres aliments244. Si le mot Gift, poison, n’est pas utilisé, on le devine en filigrane, car on a peine à croire que la gastronomie soit le mobile du choix d’un repas de lansquenet... Quelque temps après, Philibert Naturel, ambassadeur près le Saint-Siège, recommanderait à son seigneur en termes diplomatiques de ne pas trop manger hors de la cour, où d’ailleurs on cuisine bien, et d’éviter «les viandes du roy domp Fernande [qui] ne sont gueres a vostre complexion et adoubees a vostre appetit»245. Il est vrai qu’aux dires de Ferdinand en personne, c’est à propos de Jeanne qu’auraient couru en France des bruits d’empoisonnement, au moyen d’«herbes», lorsqu’en 1505 on croyait voir Philippe préparer l’éviction de sa femme de la succession effective de Castille246. Dans sa lettre narrant la maladie - mais il est vrai qu’il écrit au roi d’Aragon - , le docteur de la Parra, en postscriptum, écarte d’un revers de scalpel la rumeur, qui a couru parmi les «Flamands» et les Castillans, que le dieron yerbas: revoici les «herbes», cause

242 PADILLA, Crónica, p. 147. Les Cortès, on l’a vu, vont toutefois siéger sans désemparer dans la ville. 243 A. BERNÁLDEZ, Memorias del reinado de los Reyes Católicos..., édit. M. GÓMEZ-MORENO et J. de Mata CARRIAZO, Madrid, 1962, p. 509 («e su mal fué pestilençial»). ZURITA, Historia del Rey Don Hernando, IV, p. 74-75 («una fiebre pestilencial»), 135 (sur l’épidémie à Burgos). ANGLERÍA, Epistolario, III, p. 347-348, rapportera longtemps après les faits (janvier 1519), à propos d’un malaise du jeune Charles Quint attribué à des abus vénériens, qu’il avait personnellement connu deux filles de noble famille jetées, ainsi que d’autres, par des entremetteurs dans les bras de Philippe le Beau, à Burgos, pour son plus grand préjudice physique. 244 Briefe Fürstenberg, p. 149: «unnd annderst nichtz essen wil, dann was auf mein teutsch gekocht ist» (12 mai 1506). 245 Voyages, I, p. 523-524. 246 Correspondencia Fuensalida, p. 369 (16 mai 1505). L’Aragonais se prétend averti «en grandysimo secreto», sans trop vouloir y croire («yo no puedo creer cosas de tan gran maldad») d’un plan diabolique, s’il en est: le roi Louis XII, souffrant, devrait mourir sous peu (ce sera dix ans plus tard...), on empoisonnerait Jeanne, enceinte (de Marie), à l’approche de l’accouchement, événement auquel on imputerait le décès, Philippe et Anne de Bretagne convoleraient alors en justes noces; il ajoute néanmoins qu’il souhaiterait voir sa fille prendre quelques précautions à l’approche de la naissance. Sur cette période, cf. ch. VIII/1 supra.

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Le roi de Castille invoquée dont le médecin n’a perçu pour sa part nul indice, pas davantage que ses confrères en sa présence. Fût-il vague, son verdict tombe: transpiration intense et refroidissement, fièvre mal soignée, empirée, faite maligne, la verdad es que la materia fu mucha, y por su callar - c’est-à-dire que l’homme était trempé de sueur - mal socorrida, y de hecho se hizo maliciosa. Tout est-il consommé247? Onze ans après les faits, un ci-devant serviteur de la cour aurait dit ouvertement, Ferdinand étant mort depuis peu, qu’il valait mieux que Charles s’abstînt de venir en Espagne, de peur qu’on ne l’y fasse périr, comme son père, par le poison. Trop bavard, l’homme devait être condamné à la confiscation de ses biens et... à avoir la langue coupée248! Variante du scénario, s’il en est: Maximilien n’avait entre-temps pas hésité à claironner devant la Diète d’Empire qu’il tenait Louis XII pour l’initiateur d’un empoisonnement de son fils249. Philippe le Beau, un jeune prince rayonnant de santé, d’une nature robuste, victime inattendue des trois Parques, mort «en un clin-d’œil», écrit Anghiera? Voire... Certes n’était-il pas à l’abri des accrocs de santé. A Reading, durant son séjour anglais, il avait été bien malade (non pocho male), on ne sait de quoi, mais remis sur pied (la maesta sua era del tuto guarita) après quelques jours250. Le texte d’instructions de Maximilien à un chargé de mission en Savoie, que l’on peut dater de 1496, fait furtivement allusion à un «petit accident de maladie» de son fils, promptement guéri251. Pendant le long périple de 1501/1503, quelques alertes plus sérieuses s’étaient produites. A Olías, près de Tolède, fin avril 1502, la rougeole fera garder la chambre à l’archiduc pour recevoir Ferdinand252. Puis au retour, en Bresse et surtout à Lyon, l’inquiétude aura sa place. Tandis qu’il séjourne à Bourg, auprès de sa sœur Marguerite et de son beaufrère Philibert, duchesse et duc de Savoie, de «trés maulvaises fiebvres» l’assaillent, le lundi de Pâques 1503 (17 avril). Quand, le 19 mai, il s’en retourne à Lyon, il est «fort aggravé de maladie» et son entourage lui déconseille le déplacement, d’autant plus qu’il a été victime, en quelques jours, de plusieurs syncopes. Ce second séjour dans la capitale des Gaules, émaillé d’entretiens avec le roi de France et ses collaborateurs, paraît bien pénible. Le 10 juin, les médecins le croient perdu, sauf s’il plaît à Dieu de le sauver. Des rumeurs d’empoisonnement courent alors en France et dans les pays de l’archiduc, relate Lalaing - on a tout lieu de penser d’ailleurs que Maximilien n’y est pas pour rien - , et les souverains français s’en émeuvent fort. Si l’état du malade s’améliore ensuite, c’est néanmoins en litière qu’il quitte Lyon, le 17 juin253. L’alerte avait été chaude. Et qu’en fut-il des séquelles? Nouveaux signaux en tout cas en terre germanique, après que l’archiduc ait rendu visite à son père. Le 8 octobre 1503, Philippe le

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Carta del Doctor Parra..., p. 397. J.A. VACA de OSMA, Yo, Fernando el Católico, Barcelone, 1995, p. 286. WIESFLECKER, König Philipps I. Tod, p. 92. Depeschen Quirino, p. 193-194. CHMEL, Urkunden, p. 163. Voyages, I, p. 173-174. Op. cit., p. 287, 290-293.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Beau doit s’arrêter durant une journée à Reutte, porte du Tyrol, «car il fu ung petit malade». Mais quatre jours plus tard environ, un diplomate vénitien exprime les craintes de Maximilien devant un accès de fièvre de son fils254. Il s’agit bien de l’incident de Reutte, à propos duquel, dans une missive signée de sa main, le monarque de l’Empire écrit à l’archiduc avec beaucoup de sincérité (12 octobre): «Sur quoy, trés chier et trés amé filz, quant a vostre bonne convalescence sommes fort joyeulx, et est bien vray que en avons esté troublé, doubtant que plus grant inconvenient ne vous en feust advenu, ouquel cas nous estions deliberé d’aller aprés vous pour estre vostre medicin»255. Dans l’ensemble, la réputation et l’image de Philippe le Beau demeurent celles d’un sportif, en bonne condition physique, de ce fier cavalier qu’admirent notamment les Tolédans durant l’été 1502, quand il s’adonne pour la première fois à une partie de jeu de cannes256. On le sait déjà chasseur zélé, à l’exemple paternel, bon sang, en l’occurrence, ne pouvant décidément mentir. Mais il est aussi grand adepte du tir. Le voici en vedette d’un tournoi organisé en mai 1500 par la gilde des arbalétriers de Saint-Georges, de Gand. Dans la même ville, sa résidence attitrée, le Hof ten Walle, dit aussi Prinsenhof, possède un jardin pourvu d’un champ de tir à l’arc, que l’on dote en 1501 d’une palissade en bois pour la protection des spectateurs257. Son dernier divertissement, on l’a vu, sera à Burgos une partie de jeu de paume, un sport qu’il avait déjà pratiqué sous plusieurs formes, notamment en Angleterre, sur le tennis court du château de Windsor, à l’invitation d’Henri VII; il possédait en tout cas plusieurs raquettes, tandis que l’existence d’un court approprié, dit caetsbaen op den hove, est attesté vers 1500 à la résidence du Binnenhof à La Haye258. Nul n’échappe à la Grande Faucheuse et, quant aux causes réelles du drame, concluera le narrateur anonyme du second périple espagnol, seul «Dieu scet comment il en est»259. Le destin inéluctable ayant donc frappé, l’heure est aux condoléances, aux complaintes et aux cérémonies. Maximilien s’était mis en route vers l’Italie lorsqu’aux confins de ses pays de Styrie et de Carinthie, le 23 octobre, il est tenu informé - après bien d’autres, s’il en est ainsi - du malheur advenu, que lui aurait dissimulé son entourage, averti depuis plus de dix jours. A l’exemple du Christ en croix, le grand monarque se serait exclamé: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?», cri d’un père privé de son unique fils, mais aussi d’un

254 Op. cit., p. 324. P. VODOSEK, König Maximilian I., die Erbländer, das Reich und Europa im Jahre 1503, p. 41. 255 HHSA, Maximiliana, carton 13, mai-décembre 1503, f. 64r. 256 Voyages, I, p. 193. 257 D. LIEVOIS, Het Hof ten Walle in Gent ten tijde van Keizer Karel V, dans Handelingen der Maatschappij voor gechiedenis en oudheidkunde te Gent, nouv. série, t. LIV, 2000, p. 138, 141. Cf. P. ARNADE, Realms of ritual. Burgundian ceremony and civic life in late medieval Ghent, Ithaca et Londres, 1996, p. 182-183 (avec illustration: gravure imprimée en 1531). 258 C. DE BONDT, «The Royal Game of Tennis». Kaatsen met een racket, dans Spiegel historiael, t. XXXI, 1996, p. 67. 259 Voyages, I, p. 464.

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Le roi de Castille empereur déjà vieillissant inquiet pour la dévolution de sa couronne260. Si l’on en croit une lettre du même en date du 27 octobre, ce sont naturellement les conseillers de Philippe aux Pays-Bas qui auraient communiqué la terrible nouvelle (7 octobre), ainsi que, de son côté et le premier, l’ambassadeur Andrea da Borgo, présent à la cour castillane au moment du drame: «il est trespassé en la fleur de son eaige,... la chose est irrecuperable et... il a ainsi pleu a Dieu»261. Louis XII, de toute évidence l’un des premiers avertis, connaissait déjà l’événement, ainsi que le prouvent deux missives du 2 octobre: dans la première, il adresse des condoléances de circonstance au seigneur de Chièvres; la seconde est envoyée à quelques proches du défunt présents en Castille, auxquels il propose ses bons offices pour une paix avec son allié gueldrois et sa protection pour leur retour aux Pays-Bas. Lui aussi est redevable de la nouvelle à un diplomate bourguignon, Courteville262. On devine son empressement à peine dissimulé à voir les «ministres» franchir les Pyrénées et quitter le sol ibérique... Dans une longue et bavarde lettre autographe à Maximilien, en date du 18 octobre, Henri VII ponctue des considérations spirituelles et morales, ainsi que le conseil de «faire vostre prompte et hastive descente aux païs d’embas», par un rappel à peine discret des accords anglo-bourguignons demeurés en suspens par défaut de ratification; il savait la nouvelle, écrit-il, depuis trois jours, vraisemblablement aussi de source diplomatique. Le même jour, d’un ton paternel et tutélaire, il invite Guillaume de Croÿ-Chièvres à prendre soin du jeune Charles et de ses sœurs, «en bonne advenue et que surprinses ne soient», et fait inévitablement suivre ses conseils d’un rappel identique, à la bonne attention du «numéro un» dans les états bourguignons263. Pour sa part, le pape Jules II expédie de Forli, le 16 octobre, un bref à la reine Jeanne, dans lequel il exprime des sentiments de circonstance devant ce trépas in flore etatis, en la consolant pour le passage d’une âme de l’éphémère condition terrestre à une existence supérieure, ex hoc fragili corpore ad meliorem vitam, évoquant la mémoire de feue Isabelle, Regina Catholica, et la force agissante des deux chefs de famille, ses père et beau-père, pour le soutien de sa progéniture264. Tant la «grande» littérature que la verve populaire vont contribuer à déplorer le triste sort du roi de Castille. Dans le premier registre, voici l’indiciaire Jean Lemaire de Belges et les Regretz de la Dame Infortunee sur le trespas de son treschier frere unicque, complainte versifiée dont le titre désigne Marguerite d’Autriche, sa protectrice à laquelle l’auteur dédie la pièce, «chant d’anxieuse affliction», «grand adagio de la douleur». Après Juan de Castille et Philibert de Savoie, voici le troisième proche qui descend dans la tombe: «N’estoit ce assez avoir fait dure perte, en grant douleur et desplaisance apperte [manifeste],

260 WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 355. 261 Analectes belgiques ou recueil de pièces inédites..., édit. L.-P. GACHARD, t. I, Bruxelles, 1830, p. 15-17. 262 Négociations diplomatiques, I, p. 192-193. Correspondance de Marguerite d’Autriche, I, p. 7981. 263 HHSA, Belgien, PA 1/1, f. 122 (à Maximilien: original), 123r.-124r. (à Chièvres: copie du temps). 264 AGS, Patronato Real, 60 - 62.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu de deux mariz, beaux, jeunes, puissans princes, se d’abondant la Mort trop aigre et verte n’eust sur mon sang sa grant haÿne ouverte, en le mordant de ses fieres espinces [pinces]?»265 S’il n’est pas du tout établi que ses origines remontent au temps des faits, un chant flamand conservé sous une forme tardive altérée accrédite la version du crime d’empoisonnement, en y mêlant même cruellement une figure féminine paraissant évoquer Jeanne: Als wij tot Spanje binnen kwamen, Jufrouw Tsanne schonk ons den koelen wijn, uit een kroes van goude fijn, uit een kroes van goude; maar op den grond ‘t was al venijn266. A la mort de Philippe le Beau font d’abord suite ses obsèques à Burgos. Dans le décorum requis pour un défunt de condition royale, la dépouille richement parée est transportée par quelques grands fidèles, Ville, Veyré, Manuel, Bouton et da Borgo, selon Zurita267. Lors de l’embaumement, le cœur est séparé du reste et envoyé aux Pays-Bas; il reposera à Bruges, aux côtés de Marie de Bourgogne268. L’office des morts est célébré en la cathédrale de la cité castillane avant que le cercueil soit déposé dans les murs de la chartreuse proche de Miraflores269, dans l’attente du transfert définitif à la Capilla Real de Grenade. Mais c’est en la collégiale Saint-Rombaut à Malines, les 18 (vigiles) et 19 (messe de Requiem) juillet 1507, que va trouver place la grande cérémonie, la Pompe funeralle pour les Pays-Bas, décrite en particulier - mais non exclusivement - avec force détails par Lemaire de Belges270. La future cité archiépiscopale, bientôt résidence de Marguerite d’Autriche, déjà siège du Grand Conseil de justice, affirme ici son rang de capitale de cour avant la lettre. Au nombre des participants, chacun en ses titres et qualités, figurent en bonne place Chièvres, Jacques de Luxembourg-Fiennes, Charles de Croÿ-Chimay, mais aussi Jean de

265 P. JODOGNE, «Les Regretz de la Dame Infortunee» de Jean Lemaire de Belges. Edition critique, dans Hommages à la Wallonie. Mélanges offerts à Maurice A. Arnould et Pierre Ruelle, Bruxelles, 1981, p. 321-334 (citations p. 322, 323, 331). 266 Middelnederlandsche historieliederen, p. 130-133 (4e strophe: «Lorsque nous vînmes en Espagne, demoiselle Tsanne nous versa le vin frais, d’une pinte d’or fin, d’une pinte d’or; mais au fond, ce n’était que poison»). 267 ZURITA, op. cit., IV, p. 75. 268 J.K. STEPPE, Het overbrengen van het hart van Filips de Schone van Burgos naar de Nederlanden in 1506-1507, dans Biekorf, t. LXXXII, 1982, p. 209-218. 269 Le quatrième tableau, clôturant la série quasi contemporaine du château de la Follie, représente le cortège accompagnant la dépouille du jeune roi à la chartreuse, au départ de sa résidence burgalèse (le palais dénommé Casa del Cordón): SÁNCHEZ CANTÓN, Pasajes del reinado..., p. 503-504. 270 J. LEMAIRE de BELGES, Chronique de 1507, édit. A. SCHOYSMAN, Bruxelles, 2001, p. 105-131, 143-148. Autres récits, moins élaborés, publiés par [A.] de la FONS-MELICOCQ, Pompe funèbre de Philippe le Beau roi de Castille (mort le 25 septembre 1506), célébrée à Malines, dans Revue d’histoire et d’archéologie, t. II, 1860, p. 213-219, et Ch. RUELENS, Obsèques de Philippe le Beau célébrées à Malines, ibid., p. 416-433.

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Le roi de Castille Berghes, ainsi que, rentrés d’Espagne, Ville et Veyré, et bien d’autres seigneurs encore, tout le «gratin» des «ministres» du défunt. On notera toutefois que dès l’annonce de la triste nouvelle, de nombreuses cérémonies locales avaient été mises sur pied et des services religieux promptement organisés pour le repos de l’âme du monarque défunt, ainsi à Ath en Hainaut, les 15 et 16 octobre, ou à Béthune en Artois, le 21 octobre271. La disparition brutale de l’archiduc-roi confronte son entourage, aux Pays-Bas comme en Espagne, à de graves décisions. Il faut parer au plus pressé. A Burgos, la reine veuve n’est pas à même de régner, quelles que soient les prérogatives qu’on doit lui reconnaître et que d’aucuns, l’amiral Enríquez le premier, entendent bien défendre. A Malines, le prince naturel, Charles de Luxembourg, n’est âgé que de six ans et la situation dynastique de 1482 est d’une certaine manière revécue. Dès le 24 septembre, lorsqu’on sait le monarque à l’article de la mort, un conseil de gouvernement est instauré pour diriger les affaires de Castille et assurer la régence, «pour aider a governer le pays d’Espaignie», note dans son journal le bourgeois montois Antoine de Lusy, au service de Philibert de Veyré272. La présidence dudit conseil, une véritable junta, est assurée par l’archevêque Francisco Jímenez de Cisneros, assisté des ducs de l’Infantado (Diego López de Mendoza) et de Nájera (Pedro Manrique de Lara), des connétable (Bernardino Fernández de Velasco) et amiral (Fadrique Enríquez de Cabrera) de Castille, soit un prélat et quatre grands seigneurs autochtones, dont aucun ne semblerait devoir porter a priori l’étiquette «ferdinandiste», bien au contraire même pour plusieurs d’entre eux. Ils s’adjoignent encore Andrea da Borgo, le diplomate de l’empereur, et Veyré, seul Bourguignon ainsi «promu». Pas de Jean de Luxembourg, d’Henri de Nassau, de Florent d’Egmond, moins encore, on le devine, de Juan Manuel. L’ambassadeur et le maître d’hôtel, lui aussi depuis longtemps diplomate, ne sont pas trop nombreux pour tenter de défendre les intérêts des Habsbourg, en l’occurrence de Maximilien au titre de garant des droits de l’aîné de ses petits-fils à l’héritage273. Car les Grands du conseil désigné, à l’exception de Nájera, inclinent à présent vers un partido fernandino - le duc d’Albe (Fadrique de Toledo) en est depuis longtemps la figure de proue auquel les ralliements ne font pas défaut: voilà qui illustre à merveille la fragilité et le caractère opportuniste des appuis qu’avait pu ou cru s’assurer le défunt roi flamenco. Il ne faut pas compter en outre sur Cisneros pour adopter, dans sa délicate mais stimulante tâche d’arbitre, une attitude favorable à Maximilien274. Il importe de toute manière en premier lieu d’éviter aux pays de la Couronne de Castille une situation de chaos qui rappellerait des temps révolus de succes-

271 [E. FOURDIN], Obsèques..., op. cit. De la FONS-MELICOCQ, op. cit., p. 214-215. 272 A. de LUSY. Le journal d’un bourgeois de Mons 1505-1536, édit. A. LOUANT, Bruxelles, 1969, p. 7. 273 On peut craindre en effet que d’aucuns, en Castille, s’efforcent d’éliminer Charles au profit de son cadet Ferdinand, séjournant dans le pays depuis sa naissance et éduqué à l’espagnole. 274 CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 149.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu sions difficiles. La gestion courante y est assurée en continu par l’institution attitrée, le Consejo Real, mais celui-ci a subi maintes secousses dans sa composition durant le petit nombre de mois du gouvernement de Philippe et un doute plane même sur l’identité (changeante) de son président au moment de la mort du roi, quand se voit écarté l’évêque de Cordoue Juan Rodriguez Daza, un «félipiste» avéré275. Les Cortès ont bien compris et saisi la situation pour avoir le verbe haut, d’une hauteur inégalée sous le règne relativement étouffant d’Isabelle, et l’assemblée de juillet 1506 à Valladolid a vu s’exprimer sans faiblesse pétitions et revendications de participation et de contrôle, touchant à tous les aspects du gouvernement. La continuité et la stabilité de ce dernier en étaient les idées maîtresses. Dans cette optique d’ailleurs, les Cortès manifestèrent bien alors ce dont elles voulaient faire leur option sans partage: un gouvernement conjoint de Philippe et de Jeanne. Elles s’inquiétèrent aussi de bien d’autres choses et le firent savoir: charges publiques confiées à des étrangers, croissance fulgurante des dépenses publiques - tant il est vrai que le Habsbourg allait être un roi éphémère mais prodigue des deniers castillans... - et, par contrecoup, de la pression fiscale276. Dans les turbulences successorales castillanes, qui devront encore culminer bientôt avec le coup de tonnerre du 25 septembre, les Cortès de Valladolid ont tenu à refuser tout rôle de figuration. Temps maussade, en tout état de cause, annonciateur d’intempéries, en l’occurrence sans doute d’un profond désarroi, pour les gens de la suite et les partisans de Philippe le Beau. On craint pour sa sécurité physique («point bien asseuréz de leurs personnes») autant que pour sa bourse vide277. L’un ou l’autre perd la vie, victime, à l’instar du maître, du climat, de l’épidémie ou d’autre chose encore, sans qu’il faille recourir au poison, tel, le 15 novembre à Burgos, un échanson royal d’origine luxembourgeoise, Bernard d’Orley, bailli du Roman Pays de Brabant, seigneur de la Follie à Ecaussinnes-d’Enghien (Hainaut). On lui doit la présence, aujourd’hui encore, dans une belle et toujours accueillante demeure de ce village, de quatre tableaux (début XVIe siècle) d’un tout grand intérêt historique relatifs au second voyage de Philippe au-delà des Pyrénées278. Commandés ou achetés par Isabeau de Witthem, veuve d’Orley, ils ont d’abord été attribués à un artiste espagnol. Pour Rafael Domínguez Casas, au contraire, ils seraient plutôt, compte tenu de leur carácter fotográfico, l’œuvre d’un témoin

275 P. GAN GÍMENEZ, Los presidentes del Consejo de Castilla (1500-1560), dans Chronica nova (Universidad de Granada), n° 1, 1968, p. 15-16. ID., El Consejo Real de Castilla. Tablas cronológicas (1499-1558), ibid., n° 4-5, 1969, p. 40-45. S. de DIOS, El Consejo Real de Castilla (1385-1522), Madrid, 1982, p.155-156. 276 CARRETERO ZAMORA, Cortes, monarquía, ciudades, p. 208-212. 277 Voyages, I, p. 452-453. 278 SÁNCHEZ CANTÓN, Pasajes del reinado...; Vicomte [Ch.] TERLINDEN, Une découverte iconographique. Les tableaux du Château de la Follie relatifs au second voyage de Philippe le Beau en Espagne en 1506, dans Bulletin de la Société royale d’archéologie de Bruxelles, 1950, p. 21-29. La longue maladie (il «se seschoit journellement») et la mort «suspectes» de Bernard d’Orley semblent avoir joué un rôle important dans la diffusion des rumeurs relatives au prétendu empoisonnement de son maître: Voyages, I, p. 464. Bernard d’Orley («d’Ourbe») avait déjà participé au voyage de 1501-1503 et s’était alors illustré à l’occasion d’une joute organisée à Innsbruck le 4 octobre 1503: ibid., p. 323.

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12. Madrid - Museo de Arte Moderno. Peinture de Pradilla (1877): «Juana la Loca acompaña el féretro de Felipe el Hermoso».

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu visuel, davantage soucieux de la véracité du détail que de la qualité technique: et l’historien de l’art d’émettre ici l’hypothèse d’une attribution à Jacob van Laethem, valet de chambre du roi Philippe, qui aurait exécuté sur place les peintures, avant le retour des Flamencos au pays279. Dès le 4 novembre, Jean de Luxembourg, le premier chambellan, aura quitté l’Espagne, ainsi que beaucoup d’autres, emportant ou embarquant, à défaut d’escarcelles bien garnies, joyaux, vaisselle de prix et tapisseries. Le comte Wolfgang de Fürstenberg, commandant des gens d’armes allemands, paraît s’en être allé pour regagner ses pénates badois à la mi-novembre280. Si Philibert de Veyré y demeure jusqu’aux environs de Noël, c’est en qualité d’ambassadeur de Maximilien, avec da Borgo, par le fait même de délégué aux intérêts du futur Charles Quint, héritier, appelé à corégner avec sa mère. Des instructions venues du conseil de gouvernement dans les Pays-Bas le chargent de négocier avec les Cortès convoquées l’exécution d’une promesse d’aide, sans succès d’ailleurs. Les «félipistes» les plus endurcis, duc de Nájera, marquis de Villena, Don Juan Manuel, l’encouragent bientôt à quitter une Castille où ils se veulent seuls défenseurs d’une autonomie que le retour de Ferdinand, en août 1507, viendra bien autrement compromettre281. Voilà donc en route, munis de sauf-conduits d’usage, tous ces «serviteurs» étrangers, ployant, écrit Pietro Martire, sous le poids d’un sentiment de culpabilité, celui d’avoir cultivé la zizanie entre beau-père et gendre, et non sans solliciter du roi Louis XII une intervention bienveillante auprès de Ferdinand, afin qu’ils ne soient pas privés des charges et revenus que leur avait concédés feu Philippe... Naïveté réelle ou feinte? Le roi de France leur aurait en tout cas fait répondre que son intercession serait à la mesure des services qu’ils lui rendraient eux-mêmes282... Les «Flamands» ne seront pas les seuls à s’en aller humer, par terre ou par mer, un autre air que celui de la péninsule: on retrouvera bientôt Juan Manuel, chevalier de la Toison d’or, attaché à Maximilien et toujours soucieux de discréditer Ferdinand auprès de l’empereur, à Vienne, plus tard aux Pays-Bas, où il poursuivra une carrière politique d’ailleurs mouvementée; le dévoué maître d’hôtel, de souche aragonaise, Diego de Guevara, peu aimé - c’est un euphémisme... - du Roi Catholique, va s’en aller aussi servir sous d’autres cieux le futur Charles Quint283. De longues années après les faits, le «Catholique» étant mort, le louvoyant amiral Enríquez se plaindra d’avoir éprouvé dans son entourage les effets négatifs d’un ressentiment de

279 R. DOMÍNGUEZ CASAS, Arte y etiqueta de los Reyes Católicos, p. 129-130. M.A. ZALAMA et ID., Jacob van Laethem, pintor de Felipe «el Hermoso» y Carlos V: precisiones sobre su obra, dans Boletín del Seminario de estudios de arte y arqueología (Universidad de Valladolid), t. LXI, 1995, p. 348-349. 280 RÖCKELEIN, Graf Wolfgang von Fürstenberg, p. 15. 281 CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 149-150. 282 ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 174 (26 février 1507). L’humaniste italien écrira encore en septembre suivant à son protecteur, l’ambassadeur et comte de Tendilla, que le seigneur de Belmonte aura décidément été le fauteur de discorde entre Ferdinand et Philippe, cette cause de si grands maux: op. cit., p. 213. 283 A.-M. FOBE, Cerda, Juan Manuel III de la, dans Nationaal biografisch woordenboek, t. V, 1972, col. 186. J.-M. CAUCHIES, Les étrangers dans l’entourage politique de Philippe le Beau...

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Le roi de Castille Ferdinand, alors que lui-même n’avait pas été l’un des grands favoris dans le système politique et la clientèle de Philippe284. A un tout autre échelon, voici, le 15 mai 1507, cent archers de corps du défunt roi de Castille; ils se présentent devant Marguerite, en tournée d’inauguration entre Valenciennes et Douai, ils déplorent d’être «comme brebis sans pasteur», et l’indiciaire raconte qu’après les avoir abreuvés de bonnes paroles, la sœur de leur seigneur trépassé les retient en partie à son service285. Tous les membres de la suite de Philippe ne connaîtront visiblement pas cette heureuse fortune; il en est beaucoup qui ne seront pas repris à la cour du nouveau prince ou pourvus de la pension qu’ils espéraient, plaçant leur confiance dans l’usage bourguignon286. Ce petit épisode et ces lamentations nous ont ramenés aux Pays-Bas. Dans son homélie de la messe de funérailles en la collégiale de Malines (19 juillet 1507), le dominicain Jean de Nivelles, ci-devant confesseur de Philippe le Beau, peut bien énoncer et développer le thème: Mortuus est Rex et regnabit filius eius pro eo287. Charles a beau être roi ici, archiduc là-bas, duc ou comte ailleurs encore, son bas âge requiert une régence. Il est notoire que celle-ci ayant été proposée par les Etats généraux à Maximilien et acceptée par lui, l’empereur devait se faire représenter aux Pays-Bas par sa fille unique Marguerite, douairière de Castille et de Savoie. Sans approfondir l’examen des mois cruciaux qui suivent la mort inopinée de Philippe, on notera deux points essentiels. Une fois l’effarante nouvelle connue dans les pays bourguignons, le 3 octobre, les conseillers préposés au gouvernement convoquent sans tarder une assemblée générale «pour aidier a adviser a touttes choses necessaires» - premier point - . La réunion ouverte à Malines le 18 octobre peut être tenue pour un des moments capitaux de la participation politique effective des gouvernés durant le premier demisiècle d’existence des Etats généraux. A sa clôture, le 28 octobre, l’envoi d’une délégation auprès de Maximilien est décidée, même si c’est sans enthousiasme, pour ne pas dire plus, que certaines principautés, en particulier, on le devine, le comté de Flandre, envisagent un retour du souverain germanique. Quoique s’étant fait prier et ayant retardé les entretiens décisifs au Tyrol, par tactique sans doute et en se remémorant sans grands efforts les déboires passés, le grand-père du nouveau prince naturel acquiesce au début de l’année suivante288. Mais contrairement à une opinion longtemps accréditée et encore répandue, la délégation d’une véritable fonction gouvernementale à la duchesse Marguerite ne coulera pas de source - second point - . D’autres formules sembleront prêtes à franchir la barre, en impliquant notamment activement l’un des électeurs, le prince-évêque de Trèves Jacques de Bade, et en conférant ainsi au dossier un tour très «impérial»... Le 28 mars 1507, l’acte souvent cité comme capital en la matière ne fait de Marguerite qu’un «procureur général» de son père. Deux

284 M. DANVILA y COLLADO, Historia crítica y documentada de las Comunidades de Castilla, t. II, Madrid, 1898, p. 336 (octobre 1520). 285 LEMAIRE de BELGES, Chronique de 1507, p. 59. 286 Voyages, I, p. 468, qui cite le chiffre de 500 à 600 personnes, de tous rangs. 287 LEMAIRE de BELGES, op. cit., p. 127. 288 Cf. WELLENS, Les Etats généraux et la succession de Philippe le Beau dans les Pays-Bas, p. 123-159.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu années s’écouleront encore avant que la princesse se voie investie des pleins pouvoirs d’une «régente et gouvernante générale», comme la dénommeront les lettres patentes décisives. L’arrivée de la douairière de Savoie aux affaires dans les Pays-Bas prendra parfois les allures d’un bras de fer entre père et fille, non sans qu’y pèsent les grands seigneurs peu désireux de s’assujettir à cette grande «femme d’Etat»289. Maximilien, dans ses visées dynastiques et «universelles», eût volontiers réclamé et pris en charge l’administration de la Castille en qualité de mambour de Charles, compte tenu des droits de ce dernier et, de surcroît, de l’incapacité de Jeanne. Il s’en ouvre notamment très vite à un interlocuteur privilégié, Henri VII d’Angleterre290. Pareille prétention ne contribuera évidemment pas à briser la glace qui le sépare de Ferdinand, lequel au contraire resserrera ses liens avec Louis XII de France. C’est que l’Aragonais, rentré de Naples durant l’été, va se rétablir efficacement outre-Pyrénées, étendant derechef son ombre sur la Castille291. Même aux yeux d’un Cisneros, le Roi Catholique apparaît, il faut en convenir, comme le plus apte à garantir une stabilité bien nécessaire dans les territoires; le prélat, de surcroît bientôt cardinal (17 mai 1507), va d’ailleurs recevoir de lui les pleins pouvoirs pour la régence. Précipiter l’intronisation du petit Charles, de toute manière absent, ne peut être qu’une idée de felipistas, disons maintenant, ce mot n’étant plus d’actualité, d’ennemis irréductibles de Ferdinand, à l’image du duc de Nájera et du marquis de Villena. Fait de grand poids, dès le mois d’octobre 1506, bien des voix et des plumes concordantes, pas seulement de ses partisans invétérés, ont invité le Roi Catholique à rentrer d’Italie en Espagne, en lui promettant bon accueil partout292. Ultime éclat psychologique, pour que «les siens» ne perdent pas tout courage: le 12 juin 1507, le chef de famille Habsbourg promettra bien encore de venir en Espagne via les Pays-Bas, en s’adjoignant son petit-fils au passage, et on colportera dans la péninsule le bruit d’un débarquement futur de 4.000 lansquenets allemands sous les ordres de Veyré et de Diego de Guevara293! Chimères, chimères... En 1509, l’Aragonais marquera des points décisifs en concluant avec Maximilien un traité désarmant, grande réussite diplomatique, par lequel il mettra fin à toute velléité de concurrence pour la gestion des pays castillans. Isabelle pourra définitivement reposer en paix. Son testament sera bien accompli. Son époux gouvernera au nom de Jeanne et Charles attendra en principe ses vingt ans pour entrer en scène. Des Bourguignons reviendront en Espagne, à la suite de leur nouveau et jeune prince, mais ce sera une autre histoire... De testament, il doit encore être question. Devant les Etats généraux assemblés à Malines en octobre 1506, le chancelier Thomas de Plaine fait ouvrir et lire

289 Cf. J.-M. CAUCHIES, Marguerite d’Autriche, gouvernante et diplomate, à paraître dans la collection des Cahiers lausannois d’histoire médiévale. 290 HHSA, Belgien, PA 1/1, f. 71r.-v. 291 J. GARCÍA ORO, El Cardenal Cisneros. Vida y empresas, t. I, Madrid, 1992, p. 156-159: «De nuevo la sombra del ‘Aragones’ sobre Castilla». 292 ZURITA, op. cit., IV, p. 88-89. 293 PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 290.

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Le roi de Castille en présence du jeune Charles le texte paternel rédigé le 26 décembre 1505, à Bruges, avant l’embarquement pour le voyage fatal. On y trouve diverses clauses relatives aux droits successoraux des deux fils de Philippe le Beau, au douaire de sa femme - simplement en conformité au contrat de mariage294 - , à l’entretien et à la future dot de ses filles, à des legs charitables et pieux, à des fondations de messes... Rien n’y figurait quant à la dévolution du gouvernement des Pays-Bas et à la tutelle des enfants en cas de décès prématuré, ce qui justifiera ipso facto l’embarras des Etats généraux de 1506295. Le monarque fixait par contre avec précision son lieu de sépulture à Grenade s’il venait à décéder en Espagne, en l’église Notre-Dame de Bruges en cas de mort aux Pays-Bas et, salut suprême à une terre ancestrale, en la chartreuse de Dijon dans l’hypothèse d’un retour au giron du duché de Bourgogne296. En citant en premier lieu la ville reconquise en 1492, où reposait déjà sa belle-mère, de glorieuse mémoire de chrétienté, le roi de Castille pouvait raisonnablement envisager qu’il décéderait un jour dans ces terres lointaines quoique tenues pour siennes. Il n’imaginait certes pas que le destin l’y frapperait aussi vite297.

294 «Selon que de pieca luy ay ordonné». 295 WELLENS, Les Etats généraux et la succession de Philippe le Beau, p. 131. 296 Comme plus tard Charles Quint (1522): cf. J.-M. CAUCHIES, L’idée et le mot de Bourgogne dans les anciens Pays-Bas vers 1500 et au-delà, dans Autour de l’Idée bourguignonne. De la Province à la Région et de la France à l’Europe…, Dijon, 1991, p. 20. 297 Le testament de décembre 1505 est édité d’après une copie tardive et défectueuse par GACHARD, Collection des voyages, I, p. 493-496. L’original, signé par le testateur et scellé, a été en outre authentifié devant notaires à Middelbourg (Zélande), le 2 janvier 1506: HHSA, Familienurkunden (Habsburg-Lothringische Familienarchiv, Urkunden), 902. Nous en fournissons ci-après, à l’annexe 2°, une édition sur la base de ce document.

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Chapitre IX PROFILS

1. Le charmeur «Croit conseil» L’archiduc, à qui les graces et la beauté de la figure firent donner le surnom de Philippe-le-Bel, emporta les regrets de ses sujets1 Débattre de la personnalité de Philippe de Habsbourg, et par là-même de sa place dans l’Histoire, revient à s’interroger d’abord sur son aptitude à décider. Les canons de beauté qui ont pu lui valoir son surnom ordinaire et convenu passeront au second plan, davantage pour l’anecdote que pour l’évaluation d’une action politique. L’auteur le plus précieux reste bien ici, encore et toujours, l’homme de cour bourguignon Olivier de La Marche († 1502), qui a servi depuis Philippe le Bon toute la lignée de ceux dont il était et demeura le loyal sujet2. Dans l’introduction de ses Mémoires, dédiés au jeune archiduc d’Autriche, il s’adresse à lui en ces termes, rappelant le long conflit qui a opposé son père, Maximilien, à la ville de Gand: «Et pour vous donner a entendre verité, j’escrips cest acte affin que vous prenez exemple de [ne] jamais donner auctorité sur vous a ceulx qui doivent vivre et regner soubz vostre main. Mais je conseille bien que vous leur devez demander conseil et ayde pour vos grans affaires conduire et soustenir»3. Dissertant plus loin à propos des surnoms opportunément applicables aux princes de la maison de Bourgogne, il dénomme leur héritier et successeur dans les Pays-Bas «Philippe Croit conseil» et il justifie ainsi la formule: parvenu jeune au pouvoir, par la force des choses - l’accident tragique qui a coûté la vie à sa mère Marie en 1482 - , demeuré pour son éducation politique entre les mains des Gantois avant d’en être dégagé par Maximilien, Philippe avait besoin de judicieux avis et d’influences bénéfiques4. Il ne faut certes pas voir là une critique, ou à tout le moins le constat d’une certaine absence d’esprit de décision, de capacité personnelle de décision, dans le chef du jeune prince. Il s’agit plutôt là d’une double mise en garde; explicite, en ce qu’il convient d’effacer l’empreinte néfaste des Gantois rebelles («et avoit bien besoing d’estre bien conseillé»); implicite, en ce que Philippe devra éviter les travers de son aïeul, Charles le Hardi - «le Travaillant», écrit La Marche - , réputé pour son

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P.-F. de NENY, Mémoires historiques et politiques sur les Pays-Bas autrichiens, édition anastatique, t. I, Bruxelles, 1993 (Archives générales du Royaume et Archives de l’Etat dans les Provinces. Studia, 47), p. 21 (travail rédigé vers 1760). En dernier lieu: J. DEVAUX, Le culte du héros chevaleresque dans les «Mémoires» d’Olivier de la Marche, dans PCEEB, n° 41, 2001, p. 53-66. En préparation: actes des Rencontres de Chalon-sur-Saône (26-29 septembre 2002) du CEEB sur le thème «Autour d’Olivier de La Marche», à paraître en septembre 2003 (PCEEB, n° 43). LA MARCHE, Mémoires, I, p. 163. Op. cit., III, p. 315-317.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu entêtement excessif. L’historien britannique Armstrong a souligné à bon escient que le surnom, aux yeux des contemporains, ne devait pas dévaloriser Philippe: le percevoir négativement serait céder aujourd’hui encore à l’attrait d’un modèle contraire, auréolé plus tard seulement d’une haute renommée, le monarque «moderne» autoritaire, décidant seul5. D’autres témoignages de l’époque attestent qu’en haut lieu, il est toujours opportun de «croire conseil». C’est «par croire bon conseil» que le roi Charles V acquit jadis le nom de sage, relate un chanoine député du clergé de Paris dans un discours devant les Etats généraux français de 14846. C’est par ailleurs Maximilien Ier qui écrit en ces termes à Louis XII, le 9 mars 1502, quand il accuse réception des lettres royales confirmant le traité de Trente (13 octobre 1501) et le traité de mariage entre Charles de Habsbourg et Claude de France, dressé à Lyon en août précédent, mais rappelle qu’il faut encore régler la question de l’investiture du duché de Milan: «Pourquoy nous vous requerons oster de vostre part lesdites difficultéz et vouloir croire conseil et gens que desirent l’amytié d’ente (sic) nous deux»7. On remarquera que dans son préambule, La Marche utilisait un vocabulaire très féodal, s’il en est: en se gardant bien de leur abandonner l’autorité mais, au contraire, sans préjudice de ses pouvoirs légitimes, le jeune archiduc doit demander à ses sujets le conseil et l’aide pour ses «affaires». A la fin de son œuvre, le chroniqueur et mémorialiste annonce d’ailleurs - projet interrompu par son propre décès - qu’il va relater les actions de Philippe le Beau et montrer «comment, par croire conseil, il se ressourdit (releva) et porta le temps saigement»8. Cette phrase n’ajoute-t-elle pas au surnom une connotation franchement positive? Mais La Marche assortit tout de même son jugement d’un trait d’humour politique. Il cite le surnom choisi deux fois et il écrit la première fois «Croy conseil», clin d’œil au lecteur averti, allusion au patronyme du seigneur de Chièvres, Guillaume de Croÿ, l’un des «ministres» les plus influents de Philippe le Beau et plus tard, davantage encore, du jeune Charles Quint9...

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C.A.J. ARMSTRONG, The Burgundian Netherlands (1477-1521), dans The New Cambridge Modern History, t. I: The Renaissance (1493-1520), Cambridge, 1957, p. 245. On percevra notamment des interprétations négatives sous les plumes d’A. HENNE, Histoire du règne de Charles-Quint en Belgique, t. I, Bruxelles et Leipzig, 1858, p. 19 et de HÄBLER, Der Streit Ferdinand’s des Katholischen und Philipp’s I., p. 41. HOMMEL, Philippe-le-Beau ou le Prince naturel, p. 1116-1117, estime pour sa part le surnom immérité et souligne que son héros est amené en fait à écouter d’abord des avis divergents puis à choisir entre eux; nous reviendrons sur ce point. J.-F. LASSALMONIE, Un discours à trois voix sur le pouvoir. Le roi et les états généraux de 1484, dans Penser le pouvoir au moyen âge (VIIIe-XVe siècle). Etudes d’histoire et de littérature offertes à Françoise Autrand, Paris, 2000, p. 147. Négociations diplomatiques, I, p. 51. LA MARCHE, op. cit., III, p. 318. Sur tout ceci, cf. J. HUIZINGA, Uit de voorgeschiedenis van ons nationaal besef, dans ID., Verzamelde werken, t. II: Nederland, Haarlem, 1948, p. 136137, et CAUCHIES, Die burgundischen Niederlande, p. 31-32. Cf. ch. IV/1/A supra.

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13. Arras - Bibliothèque municipale, ms. 266, f. 67 («Recueil d’Arras»). Dessin sur papier (XVIe s.): portrait de Philippe le Beau.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Une autre plume contemporaine illustre et dévouée à la cause de la dynastie, l’historiographe officiel ou indiciaire Jean Molinet, livre un commentaire circonstanciel mais non moins significatif. Lors du décès de cet important collaborateur des premiers Habsbourg, survenu le 31 mai 1504, il rappelle qu’Engelbert, comte de Nassau, avait été durant le premier voyage de Philippe le Beau en Espagne (1501-1503) lieutenant général dans les Pays-Bas et qu’il les avait gouvernés «parmi le prudent conseil de monseigneur l’archiduc, dont il avoit l’assistence et advis»: le mot «conseil» désigne ici l’institution, l’organe formé de conseillers de l’archiduc, ainsi perçus comme des gens «prudents», sages10. Molinet tient donc à souligner, au détour de cette évocation, le rôle important que doit jouer un bon entourage dans l’administration des territoires. Pour le reste, le disciple et successeur de George(s) Chastel(l)ain se contente de nous livrer quelques banalités de fond, dont il peut être coutumier, et quelques jeux de langage, qu’il apprécie dans son art de rhétoriqueur. Il dit le prince, dès son jeune âge, favorisé physiquement et moralement par Dieu et la nature, «ung chief d’oeuvre en (sur) terre», puis, quand le temps est venu de gouverner (1494), «fort doct et de grant entendement»11. Notre chroniqueur «se déchaîne» littéralement, autant en l’occurrence que les éléments naturels, lorsqu’il évoque la terrible tempête essuyée au cours du voyage maritime de 1506 vers l’Espagne: «Est il prince regnant sur le descouvert de la terre plus humain, affable, vertueux, pacificque, fidel, prudent et magnificque que le roy de Castille, nostre bon maistre?» Bref, une envolée qui se poursuit au long de plusieurs lignes, sans nous apprendre grand-chose, sinon des talents stylistiques de Molinet... Ou encore, tout à la fin de l’œuvre, le voici glosant sur les vertus de «Proesse, Hardiesse, Justice...» que lui suggèrent les neuf lettres du nom Philippus12. L’humaniste italien Pietro Martire (Pedro Mártir) d’Anghiera se targue dans des lettres d’avoir bien connu Philippe lors de son premier voyage espagnol et d’avoir bénéficié de son écoute bienveillante au cours de leurs entretiens. Il décrit tout à la fois son affabilité, son courage, sa beauté et sa vertu, l’ensemble surpassant ses ambitions de pouvoir; mais il flaire le danger que personnifient de mauvais conseillers, tels Juan Manuel, semeur de discorde, attisant le feu entre Philippe et Ferdinand, le monarque que Pietro admire tant pour sa guerre juste de Grenade. Ô combien ce laudator des Rois Catholiques13 voudrait voir allier l’énergie du gendre et la sagesse du beau-père, les forces vives et l’expérience. Car voilà ce qui fait défaut à Philippe: ni la bonté, ni le talent, ni la grandeur d’âme, mais l’expérience. Cela résume l’ensemble des appréciations formulées par Anghiera, qui livre encore une image intéressante en écrivant du jeune roi de Castille qu’inébranlable comme un roc devant l’Aragonais, il se montre plus dur que le diamant, ou encore - à propos de l’entrevue de Renedo - que la pierre du

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MOLINET, Chroniques, II, p. 534. Op. cit., I, p. 527; II, p. 391. Op. cit., II, p. 566, 586-587. A ce propos, cf. J. DEVAUX, Jean Molinet indiciaire bourguignon, Paris, 1996, p. 176-177, 181, 183, 199, 516 n. 180. Cf. G. SORANZO, Pietro Martire d’Anghiera «laudator» di re Ferdinando d’Aragona e di Isabella di Castiglia nel suo epistolario, dans Vida y obra de Fernando el Católico, Saragosse, 1955, p. 71-96.

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Profils Caucase14... On ne peut que songer ici à ce qu’écrira quelques siècles plus tard de Charles de Bourgogne, aïeul de Philippe le Beau, le poète Rainer Maria Rilke (1910): c’était «un morceau de granit»15! Têtu pour têtu, Philippe lui-même, en contrepartie, ne jugera guère autrement les Ibères, lorsqu’il entretient aux PaysBas l’ambassadeur Fuensalida des négociations touchant l’envoi de l’enfant Charles au-delà des Pyrénées: mas son opiniaticos estos desta tierra, que quando toman una opinion, no ay quien los saque della16. Un ambassadeur vénitien participant à la conférence préalable au traité de Haguenau (début avril 1505) parle de l’homme: de taille moyenne, d’allure plaisante, d’un caractère enjoué, éloquent, pour tout dire un partenaire fréquentable... et surtout bien disposé envers la Sérénissime République17. Ceci n’incite-t-il pas à juger comme cela? D’un plus grand intérêt, même si l’objectivité du témoin n’est pas forcément totale, demeure l’appréciation brève et précise (15 mai 1506) formulée par Vincenzo Querini, autre diplomate de Venise, accrédité auprès du monarque castillan alors frais émoulu depuis fin mars 1505. Philippe y apparaît comme un homme foncièrement bon - cela rejoint la vision d’Anghiera - et surtout à l’écoute des avis qu’on souhaite lui exprimer. Mais ce qui pourrait en soi passer pour qualité et force est susceptible de se révéler défaut et danger. Car le voilà tiraillé entre des opinions contraires, entre les partisans de l’affrontement, à la manière de Juan Manuel, et ceux de l’accomodement, et de citer ici Jean de Luxembourg-Ville et Charles de Poupet-La Chaulx, auxquels devrait se joindre Philibert de Veyré chevauchant vers La Corogne (che se attende qui de hora in hora) au moment où Querini rédige sa dépêche; tandis que les premiers mettent en exergue les appuis dont le Habsbourg peut disposer en Castille, les seconds prônent l’exécution des accords conclus avec Ferdinand. D’où l’embarras de Philippe: el povero re, che e bono e volentiera presta grata audientia a tuti, alcune volte se a trova tanto intrigato chel non sa quello el debi far18... Ailleurs encore, sans fioritures, le même Querini juge le prince poco risoluto à exécuter les décisions prises, s’en remettant donc volontiers à des conseillers auxquels il accorde en toutes choses sa confiance, gran fede, dont il est prompt à suivre les opinions quand il est persuadé de leur attachement à son égard19. E rimettevasi sempre in ogni azione al suo consiglio20: n’y décelons pas forcément la dénonciation par le diplomate d’une faiblesse politique chronique, car on peut tout aussi légitimement comprendre les choses en termes de prudence, de bon aloi. «Croire conseil», redisons-le n’est pas une tare. Le risque d’affaiblissement pour le jeune monarque résulterait plutôt ici de la pluralité et de la diversité «des» conseils prodigués21. 14 15 16 17 18 19 20 21

ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 103-104, 106, 133-134, 135-137, 143, 145 (lettres échelonnées du 13 juillet 1505 au 9 juillet 1506). CAUCHIES, Louis XI et Charles le Hardi, p. 164. Correspondencia Fuensalida, p. 242 (15 mai 1504). WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 136. Depeschen Quirino, p. 216. L’ambassadeur, loc. cit., écrit ainsi du seigneur de Ville qu’il est «el piu amato et piu fidel de sua maesta». Relazione di Borgogna... da Vincenzo Quirini l’anno 1506, dans Relazioni degli ambasciatori Veneti al Senato, édit. E. ALBÈRI, t. I , Florence, 1839, p. 5. Cf. CAUCHIES, «Croit conseil» et ses «ministres»...

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Quoi qu’il en soit, Querini exprime clairement ses vues au sujet des protagonistes de la scène espagnole, le regard de cet «Italien», diplomate vénitien, croisant celui de l’autre déjà consulté, humaniste lombard: avec la bonté (la bona natura) de Philippe et la sagesse (la sapientia) de Ferdinand, qualités insignes, marques de franchise, contrastent la méchanceté et la ruse (la malignita et astucia) des Grands de Castille22. S’il n’a connu personnellement ni Ferdinand ni a fortiori Philippe, le fonctionnaire et chroniqueur officiel aragonais Jerónimo Zurita (1512-1580) a recueilli une manne de témoignages. Certes est-il plutôt porté à exalter le défunt Roi Catholique. Mais il sait aussi nuancer le portrait du gendre. Bon compagnon, plein d’enjouement, grand chasseur23, l’homme n’était pas amigo de negocios et déléguait volontiers ses pouvoirs dans les dossiers politiques24. Il se déchargeait de ceux-ci entre les mains de ses gens de confiance, lesquels s’efforçaient bien, confrontés au-delà des monts à des pratiques nouvelles, de ne pas y perdre leur influence. Quel contraste avec Ferdinand! L’auteur de l’Historia del rey Don Hernando ajoute qu’il n’est guère chez Philippe de convoitise ni d’ambition25. Anghiera s’exprimait autrement sur les perspectives de pouvoir en Castille, en parlant de manière imagée d’un «appétit avide de sceptre»26. Les événements attestent en effet dans les derniers mois des positions résolues du jeune archiducroi face à l’Aragonais. Alors, l’appétit lui serait-il venu en mangeant? L’ambition politique lui aurait-elle été davantage inoculée par l’occasion espagnole que naturelle, préalable à celle-ci? Par les faits ou par les conseillers? On en revient derechef à la même interrogation: jusqu’où Philippe (n’)a-t-il (que) «cru conseil»? L’ambassadeur Fuensalida, au cours d’entretiens préparatoires au voyage de 1506, avait perçu chez son interlocuteur des «symptômes de soumission» envers Ferdinand, qu’il estime toutefois promptement évanouis sous l’influence des «ministres»27. L’interprétation, pour être plausible, ne permet pas d’affirmer de manière péremptoire la position - ou plutôt l’absence de position - personnelle du monarque. Mais il n’est pas que des Espagnols pour «dénoncer», le cas échéant, l’impact potentiellement néfaste des avis de (certains) conseillers. Le narrateur du second voyage d’Espagne, qui, il est vrai, ne paraît guère aimer les gens de robe longue, impute à deux juristes de l’entourage de Philippe, non autrement identifiés, la responsabilité des résolutions belliqueuses de 1504 à l’égard de la Gueldre: voilà, ajoute-t-il, des hommes qui ne courent aucun risque sur le terrain, qui ne recherchent que leur profit en prises de guerre, et en parti-

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Depeschen Quirino, p. 229. Querini et Anghiera ont d’ailleurs été en contact, tous deux résidant au printemps 1506 à la cour. On le sait déjà: cf. ch. VII/2 supra. Zurita évoque ce trait en relatant la mission effectuée par Busleyden et Veyré en prélude au premier voyage espagnol de leur maître: cf. CAUCHIES, Philibert de Veyré, p. 140-141. ZURITA, Historia, II, p. 259, 301. ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 103. Suffit-il que Philippe, au cours d’un entretien, ait manifesté au diplomate son intention d’être un «bon fils» pour l’Aragonais («yo deseo mostrar a todo el mundo la voluntad que tengo de le ser hijo obediente»): Correspondencia Fuensalida, p. 379?

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Profils culier parce que les Hollandais, désireux d’en découdre avec le voisin gueldrois, les auraient peut-être subornés28... Les rivalités ambiantes entre conseillers du prince sont perceptibles à travers tout le récit. Dans un précieux ajout d’une autre main au manuscrit initial - qui ne simplifie pas l’attribution du travail - , le même récit déplore encore l’erreur grave que commit jadis l’archiduc en chassant de sa cour Jean de Berghes29, sous la pression de jeunes collaborateurs et surtout de Busleyden, l’ennemi personnel du grand seigneur brabançon. Le rappel de ces péripéties de l’été 1502 illustre la résolution forcée de «Croit conseil» dans des circonstances politiques difficiles30. Entre ses anciens éducateurs du corps et de l’esprit, il a quand même bien dû trancher et briser une cohabitation devenue préjudiciable à la bonne marche des affaires. Philippe a-t-il besoin de ses conseillers quand, âgé de dix-huit ans, à la veille de son mariage, il manifeste un agacement certain? Il reproche, ni plus ni moins, à Maximilien de le considérer et traiter comme un «gamin» - ein Knirps - au point que son père se voit contraint de s’en défendre, de nier qu’il veuille le brider, le garder en laisse: «Et ne nous sommes deffyé ne deffyons de vous en aucune maniere, ne jamais n’avons eu ne avons intencion de vous tenir par force ne mettre en tutelle». L’empereur élu incrimine bien sûr des proches de son fils, «les faulx traictres et desloyaulx que vous ont mis telle chose en teste pour mettre division entre nous». Il souligne néanmoins l’apport qui peut encore être sien: «Mais nous semble qu’il est plus honneste pour vous que ayons congnoissance de voz affaires aussi avant que voz serviteurs que de nous tenir estrangier et celui que vous vueilt destruire»31. Ce combiné de plaidoyer et de mise en garde traduit au moins une pensée consciente de Maximilien: son fils, fût-ce sous le regard d’autres mentors, peut et veut décider sans lui. C’est alors notamment que Philippe écartera - de quoi plaire aux assemblées d’Etats - les perspectives paternelles d’une cérémonie nuptiale dans l’Empire32. En marge de ces considérations sur les grands enjeux politiques, la question du surnom de Philippe «le Beau» passé à la postérité peut être brièvement évoquée. Une recherche approfondie resterait à faire sur l’éclosion de l’usage. Tardif, il l’est assurément. Des contemporains, on l’a vu, ont mis en évidence la belle allure de l’archiduc-roi. Mais jamais au point d’en faire une dénomination brevetée. C’est probablement à l’époque de son petit-fils Philippe II, soit au plus tôt un demi-siècle après sa mort, que la formule a fait progressivement florès, pour être consacrée ensuite dans la littérature, notamment sinon essentiellement en Espagne33. Mais certains auteurs peu exigeants se sont laissé aller, bien sûr, à des déductions hâtives34... Ne nous attardons pas aux détails accumulés sur la

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Voyages, I, p. 390-392. Le narrateur ne le nomme pas et écrit simplement «celluy». Op. cit., p. 415. Cf. ch. VII/2 supra. HHSA, Maximiliana, carton 6, septembre-décembre 1496, f. 197v. Cf. ch. III/2 supra. ONGHENA, De iconografie van Philips de Schone, p. 48, 49-50. Ch. MOELLER, Eléonore d’Autriche et de Bourgogne, reine de France. Un épisode de l’histoire des cours au XVIe siècle, Paris, 1895, p. 5: «... le beau flamand, Filipo el hermoso (sic), comme l’ont qualifié aussitôt les Espagnols» (c’est nous qui soulignons)...

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu base, peut-être, de l’une ou l’autre figuration, ou de simples réminiscences. Que signifie, en l’espèce, un «beau» prince? Les canons de beauté, on le sait, sont extensibles et évoluent. L’iconographie de l’archiduc livre des portraits censément ressemblants, d’où se dégagent sans conteste féminité et mièvrerie. Le célèbre prognathisme inférieur caractéristique de la famille de Habsbourg a pu y être retouché, voire supprimé, mais il était probablement léger chez Philippe. La pièce en nacre qui orne la couverture de ce livre accentue au contraire l’anomalie de la mâchoire, contribuant ainsi à rapprocher le père de son fils aîné, chez lequel l’existence d’un prognathisme effectif laisse planer moins de doute35. Philippe était-il donc si «beau»? La question, insoluble car repaire de subjectivité, ne présente guère d’intérêt. Philippe avait du charme. Là git l’essentiel. Il sut plaire, charmer, par le verbe, le caractère, autant que l’apparence. C’est «Philippe le Charmeur» qu’il faudrait l’appeler... Dans un style littéraire qui lui était cher, Luc Hommel, biographe virtuel du prince, n’était pas loin de la réalité historique en écrivant de lui: «Il désarme son entourage par ses mines de prince charmant»36. Faisons une brève incursion dans les écrits d’un érudit comtois de la fin du XVIe siècle, Louis Gollut, qui avant de glorifier les vertus du défunt prince de la Franche-Comté, lui attribue une palette de surnoms que nous n’avons rencontrée comme telle sous nulle autre plume: «l’Amour du monde», «l’Aimeconseil», «le Grand» (en Espagne), «les Amours et délices du monde» (en Allemagne); en outre, les «Gaulois», rappelle Gollut, l’ont dit «de Castille» et les «Bourguignons» l’ont nommé «Croid conseil»37. Notre auteur a dû lire La Marche, mais aussi Erasme38, et il connaissait évidemment le destin ibérique de l’homme. Quant au reste de la panoplie...? Nombre d’historiens espagnols du siècle dernier ont émis à propos de Philippe le Beau, Felipe el Hermoso, une opinion défavorable. Plus d’un ont prononcé sur son court règne castillan des sentences acérées et sans appel, telle celle-ci, lui déniant toute portée et le jugeant malencontreux: El gobierno de don Felipe fu efémero, sin trascendencia, y a veces desacertado39. Un spécimen particulièrement éloquent d’appréciation, négative sur toute la ligne, est livré par l’auteur d’un volumineux ouvrage érudit consacré au cardinal Cisneros. Certes, écrit-il

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Cf. O. RUBBRECHT, L’origine du type familial de la Maison de Habsbourg..., Bruxelles, 1910, p. 111-112. HOMMEL, Philippe le Beau, dans Revue générale belge, 1961, p. 37. L. GOLLUT, Les mémoires historiques de la République Séquanoise et des princes de la Franche-Comté de Bourgougne, nouv. édit., Arbois, 1846, col. 1380 et 1402 (ouvrage datant de 1592). Dans le Panegyricus qu’il prononça à Bruxelles, en l’honneur de Philippe, le 6 janvier 1504, et qu’il fit rapidement imprimer, l’humaniste l’avait qualifié pour la circonstance, à l’exemple de l’empereur Titus, d’«orbis amor», mais aussi d’«omnium gentium gaudium, unicae seculi tui deliciae, fatalis Regum amor»; cf. ch. IX/3 infra (édition de Leyde, 1703, citée n. 114, col. 525; édition HERDING, p. 55). T. TERESA LEÓN, El obispo D. Juan Rodríguez Fonseca, diplomático, mecenas y ministro de Indias, dans Hispania sacra, t. XIII, 1960, p. 275.

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Profils en substance, de son port émanaient élégance et grâce, de son caractère une certaine grandeur, mais il était homme frivole, vaniteux, ambitieux, aussi peu capable de se gouverner lui-même que de régir un royaume. Tout est prétexte aux brocards: il s’est autotitularisé prince de Castille à la mort de son beau-frère Don Juan, usurpant ainsi ce titre au grand déplaisir de la reine Isabelle et au mépris des «lois de l’Etat»; il affiche son antipathie à l’égard de la terre castillane en s’empressant de rentrer aux Pays-Bas une fois prêté son serment de cohéritier devant les Cortès; il entretient avec son épouse des relations malaisées compte tenu de sa vie dissolue40... Car voilà bien un grief interférant sans cesse avec le jugement politique. Le rédacteur d’une notice de dictionnaire esquissait ainsi d’emblée le profil: Felipe era de presencia agradable y gallardo, pero de malas costumbres, c’est-à-dire, en somme, que sa morale ne valait point son commerce41! Il est vrai que la réputation de dissipation qui pèse sur Philippe, dont il sera question plus loin lorsqu’on évoquera la figure de Jeanne, lui a valu d’être variablement gourmandé par ses propres porte-drapeau. En le comparant pour partie à Philippe le Bon, Luc Hommel en trace un portrait galant - libertinage, femmes, étuves, débordements et plaisirs de la chair42 - que rachèterait cependant un souci des affaires du pays43. Prétendu souci (pétition de principe?) qui, on l’a vu, est loin de convaincre tout le monde. Ainsi l’héritage castillan a-t-il évidemment confronté Philippe, bon gré mal gré, à des questions nouvelles. Dans quelle optique les a-t-il abordées? Côté divertissements, voici la location d’une propriété à Bruxelles, à proximité de la porte de Coudenberg (ou de Namur), où l’on a parqué les «vaches sauvages», chameaux, autruches et autres animaux inaccoutumés, amenés d’Espagne pour le plaisir du souverain44. Côté politique, Antoine de Lalaing relate deux faits illustrant le contact forcé du Habsbourg et de l’Islam, évidemment érodé par la reconquista accomplie. En mai 1502, Philippe aurait été auprès de la reine Isabelle le moteur de l’expulsion des «blancs maures», en d’autres termes des mudéjares, ou sujets musulmans des Rois Catholiques, qui refuseraient de se convertir; il aurait jugé - ou l’archevêque Busleyden pour lui? - le danger de la présence d’une population infidèle supérieur au bon rapport des taxes spéciales exigées d’elle45. Rien n’est cependant moins sûr: l’alternative expulsion/conversion a effectivement été décidée en 150246, mais les vainqueurs de Grenade

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L. FERNÁNDEZ de RETANA, Cisneros y su siglo. Estudio histórico de la vida y actuación pública del Cardenal D. Fr. Francisco Ximénez de Cisneros, t. I, Madrid, 1929, p. 281, 324. Felipe I el Hermoso, rey de Castilla, dans Diccionario de historia de España, dir. G. BLEIBERG, 2e édit., t. II, Madrid, 1968, p. 15-16. L’auteur (qui signe L.S.) souligne avec un plaisir non déguisé que l’«inexpérience politique totale» de Philippe l’a conduit à signer en Angleterre des accords préjudiciables; il exalte au contraire la «parfaite honnêteté» de Ferdinand dans le jeu successoral postérieur à la mort d’Isabelle. Ce qu’un contemporain dénomme avec tact «pluseurs jeunesses qu’il faisoit journellement», en des lieux offrant à sa femme occasion de courroux et de jalousie: Voyages, I, p. 415. HOMMEL, op. cit., p. 46-47. ADN, B 2202, f. 178v.-179r. (1507). Voyages, I, p. 225. Cf. M. Á. LADERO QUESADA, La España de los Reyes Católicos, Madrid, 1999, p. 340-341.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu avaient-ils pour cela besoin d’un stimulant extérieur? L’autre épisode narré par Lalaing est un fait divers, la mention, sans nulle motivation ou appréciation, de déprédations commises par des pages de la cour dans une mosquée du bourg aragonais d’Ariza, aux confins de la Castille47. Active sous les Rois Catholiques depuis près d’une trentaine d’années, l’Inquisition traquant le judaïsme non éradiqué48 ne pouvait laisser indifférent le monarque venu d’ailleurs. Préalablement à son arrivée et à sa prise de possession de la couronne, il ordonne depuis Bruxelles de surseoir dans cette expectative aux actions judiciaires en cours, tout en protestant de sa volonté d’entretenir et même de favoriser davantage encore l’institution49. Il s’attèle à sanctionner des abus notoires et à mettre sur pied une commission d’enquête. Cela lui vaut bien vite des accusations - non prouvées - de corruption du chef des juifs dits convertis (conversos)50. Il n’est pas sans intérêt de préciser aussi que l’inquisiteur général en fonction, Diego de Deza, archevêque de Séville, que Philippe va suspendre, devait la charge à sa qualité d’homme de confiance de Ferdinand51. Comme les autres sous le ciel de Castille, ce volet de la politique royale, dessiné non sans vigueur, verrait son élan se briser avec la fin brutale de son initiateur52. Au point qu’il s’en trouvera évidemment pour murmurer que les amis de l’Inquisition auraient pu abréger les jours du jeune roi... Quant au Nouveau Monde, aux Indias, autre objet inédit de taille découvert c’est le cas de le dire! - dans la galaxie castillane, Philippe est tenu informé des expéditions, lorsqu’il séjourne encore aux Pays-Bas déjà. Christophe Colomb lui écrira même une lettre, clamant sa déception et réclamant justice - nouveau balai, propreté accrue... - . Ils auraient pu se rencontrer, mais le célèbre amiral meurt à Valladolid alors même que le monarque fraîchement débarqué s’attarde à La Corogne. Bientôt, Philippe correspond avec les responsables sévillans de la flotte équipée à l’initiative de Ferdinand pour une nouvelle expédition sur la route des épices, Amerigo Vespucci et Vicente Yañez Pinzón; il marque son intérêt et celui de ses sujets des Pays-Bas pour les retombées économiques de l’entreprise, il manifeste sa volonté royale de voir lever l’ancre le plus tôt possible. On apprend aussi que c’est à son premier chambellan Jean de Luxembourg (Monsiur de Villa) que Philippe confie la supervision des affaires «indiennes», un choix qui ne laisse planer aucun doute sur l’importance qu’il leur reconnaît. Pour les gens de l’armada, il n’est pas commode de devoir traiter simultanément avec deux rois dont on connaît les rapports difficiles53. Vespucci fait le voyage de Burgos pour en converser avec le Hasbourg, mais celui-ci y est entre-temps 47 48 49 50 51 52 53

Voyages, I, p. 238 (18 octobre 1502). L’expulsion de Castille et d’Aragon des juifs refusant conversion et baptême est l’une des grandes décisions politiques de Ferdinand et Isabelle, imposée en 1492. RODRÍGUEZ VILLA, Juana la Loca, p. 433-434 (30 septembre 1505). PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 249-250. ARAM, Juana «the Mad’s» signature, p. 337. LADERO QUESADA, op. cit., p. 329-330. Mais Ferdinand, revenu aux affaires, prendra toutefois des mesures propres à réparer des torts commis. Selon les termes de leur accord de juin 1506 sur les modalités du gouvernement de la Castille, Ferdinand devait bénéficier de la moitié des revenus des terres d’Amérique: cf. ch. VIII/3/B supra.

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Profils trépassé54. Il était décidément écrit au cœur du destin de Philippe que les grands voyageurs lui demeureraient inconnus. Son destin: ses conseillers réputés si influents en ont-ils attisé sa propre conscience? Le prénom dont il est porteur a traduit dès sa naissance une volonté résolue de continuité, en référence au duc Philippe (le Bon), l’aïeul paternel de sa génitrice. Cette continuité s’imposait alors, tandis que la sauvegarde du «grand héritage» de Marie était en jeu. Elle s’imposait moins près de vingt-deux ans plus tard, à la naissance de Charles. La tante et marraine, l’archiduchesse Marguerite - bien nommée par l’historiographie «d’Autriche» - eût souhaité que l’on baptisât le garçon (7 mars 1500) du prénom de Maximilien, celui de son propre père, le grand-père de l’enfant, et elle paraît s’y être employée. Mais «Charles» l’emporta, par décision paternelle, en souvenir du quatrième duc Valois de Bourgogne. Et Maximilien devait écrire qu’il trouvait la chose «moult agreable»55: n’a-t-il pas toujours, dans ses desseins, valorisé la Bourgogne bien plus que Philippe le Beau ne semble avoir entretenu un appétit d’Autriche voire d’Empire? Dans la complainte que le récit du second voyage d’Espagne prête à son héros au moment de l’effroyable tempête qui eût pu lui coûter la vie, on lit ces mots forts: «Helas! et quel regret auront mes amis quant ilz verront que je pers ma vie... a l’heure que les grans royaulmes et seignouries, comme le tiers de la chrestienté, me doibt appartenir»56! L’exercice de rhétorique chez le narrateur surpasse probablement la réalité des propos tenus. Tout compte fait, les ambitions de l’archiduc-roi ne devaient pas être démesurées: héritage de Bourgogne bien sûr, Castille par la force des choses, mais pour le reste... D’autres, bien plus que lui-même sans doute, l’ont placé à l’épicentre d’un destin européen. Des prophéties du temps ont vu en lui, en raison des lignées dont il était issu, l’homme providentiel, voué à unir (enfin) l’aigle de l’est et le lys de l’ouest, pour la cohésion et le plus grand bien du monde chrétien occidental, de la respublica christiana si chère entre autres à Erasme. Charles Quint, après lui, servirait encore de support à de telles prédictions valorisant politique matrimoniale et sangs mêlés en résultant57. L’éphémérité du gouvernement de Philippe le Beau et sa mémoire écrasée de surcroît par le poids de sa postérité le situeront dans les siècles ultérieurs bien en-deçà des prédictions et des espoirs qu’elles portaient. Que cela d’ailleurs soit le fruit d’une démarche volontaire ou non. En 1795, c’est pour un député du département du Nord effet de partialité plus que d’ignorance, vu les objectifs de sa «démonstration», que d’affirmer le décès sans descendance de Marie de Bourgogne58! Au siècle suivant, un érudit belge juge pour sa part sans appel que

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PEREZ BUSTAMANTE, op. cit., p. 254-256. GACHARD, Lettres inédites de Maximilien. 2e partie, p. 295 n. 1. Voyages, I, p. 416. A.Y. HARAN, Le lys et le globe. Messianisme dynastique et rêve impérial en France à l’aube des temps modernes, Seyssel, 2000, p. 135 et 241. Les possessions de la duchesse, dès lors, auraient dû «retourner naturellement» à la France,

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Philippe le Beau ne fit rien d’utile, en l’occurrence pour le comté de Hainaut, un de ses pays parmi d’autres: «Il n’attacha son nom d’une façon durable à aucune institution, et c’est vainement que l’on y chercherait même les traces de son administration»59... Inexistant là-bas, inefficient ici. Henri Pirenne a fait valoir que Philippe le Beau fut un prince non seulement «naturel» mais aussi «national»: né sur le sol des Pays-Bas - à la différence de ses ancêtres, les ducs bourguignons - , éduqué aux Pays-Bas, entouré voire régi par des conseillers enracinés dans les Pays-Bas60. Il semble bien pourtant qu’il n’y ait pas comblé toutes les attentes, faute de temps sans doute, faute de grandeur peut-être, qu’il y ait donc finalement déçu, sans irriter, en se faisant apprécier au contraire pour la modération introduite dans le gouvernement et pour la paix offerte à une population qui n’en connaissait plus guère le sens. En Espagne, il demeura un étranger, instrument pour les uns, intrus pour les autres. Dans l’Empire, il fut peu considéré, voire connu. Tout cela n’a-t-il pas concouru à le frapper d’oubli? 2. Une épouse embarrassante Die conink sprac: «Joanna, Wel edel vrouwe mijn, Dit is bi uwen schulden, Dat wi in desen noode zijn»61 A la différence de son conjoint, Jeanne de Castille, ou d’Aragon, Juana la Loca, Jeanne la Folle, comme ne peuvent renoncer à la qualifier ses avocats les plus convaincus, a suscité une abondante littérature de tout acabit. Il n’entre nullement dans nos intentions d’en procurer ici une esquisse biographique de plus, fût-elle sommaire62. On se contentera d’épingler l’étude limitée, mais quasi pionnière dans le registre érudit et bien documentée, de Constantin von Höfler, l’ouvrage dense et essentiel d’Antonio Rodríguez Villa et le petit livre récent de Manuel Fernández Alvarez63. Contrairement à Philippe, Jeanne, morte quasi

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laquelle, en annexant la Belgique conquise, ci-devant Pays-Bas, ne ferait donc trois siècles plus tard que recouvrer son dû: Recueil des discours sur la question de la réunion de la Belgique à la France, imprimés par ordre de la Convention nationale, Paris, An V (1797), p. 157; nous devons cette information à l’amicale attention de M. Sébastien Dubois, aspirant au Fonds national belge de la recherche scientifique (Université catholique de Louvain). Ph. DE BRUYNE, Histoire politique, religieuse et militaire du comté de Hainaut..., t. II, Liège, 1878, p. 202. H. PIRENNE, Histoire de Belgique, t. III, 3e édit., Bruxelles, 1923, p. 60. «Le roi parla ainsi: Jeanne, ma si noble épouse, c’est par votre faute que nous nous trouvons dans ce péril». Paroles prêtées à Philippe le Beau au cours de la tempête du second voyage d’Espagne, dans une chanson populaire du XVIe siècle (l’auteur a pu penser que le roi allait rejoindre sa femme en Castille): Middelnederlandsche historieliederen, p. 129. Cf. J.-M. CAUCHIES, Jeanne de Castille, dans Nouvelle biographie nationale, t. III, Bruxelles, 1994, p. 204-205. C. von HÖFLER, Donna Juana, Königin von Leon, Castilien und Granada... 1479-1555, dans Denkschriften der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften. Philosophisch-historische

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Profils octogénaire l’année même de l’abdication de son fils, eut une longue vie, qui se poursuivra au-delà de 1506, la reine de Castille fût-elle alors recluse dans une forteresse, confinée dans un rôle passif, sur toile de fond de vicissitudes politiques et religieuses. Peu de princes de facto souverains des anciens Pays-Bas, sans doute, ont vu leur destinée orientée de manière aussi radicale et imprévisible par un mariage. On rappellera qu’au moment de l’hymen d’octobre 1496, négocié de longue date, rien ne laissait penser qu’un trône allait bientôt s’offrir à Jeanne et à son époux. Pion essentiel d’une politique d’alliance austro-espagnole, l’infante sera la porte par laquelle la Casa de Austria devait pénétrer en Ibérie et s’y implanter pour deux siècles. Une porte dont les gonds allaient grincer souvent, en guise de bruit de fond aux relations difficiles entre beaux-parents et gendre... Jeanne a inspiré plus d’un romancier, tant sa vie tient plus qu’une autre du roman64. Certains épisodes le méritent bien. Mais l’histoire documentée des rapports conjugaux, qui seule nous concerne ici, a souvent été altérée par des considérations volontiers gratuites. La célébration du mariage à Lierre en a fourni un exemple significatif65. Le choix raisonné de la petite ville brabançonne aux dépens de Malines serait devenu ainsi l’effet d’une simple pulsion du promis. On croirait pour peu qu’une cérémonie sacramentaire d’une telle portée, liturgiquement orchestrée par le plus important prélat des Pays-Bas, aurait pu céder à une quasi totale improvisation66. Deux types complémentaires de données se dégagent pour l’observateur de Jeanne et de son comportement dans son nouveau milieu de vie, la cour bourguignonne. Les unes tiennent aux circonstances de son existence, les autres à sa maladie, qu’il faudra bien appeler par son nom. Dès les débuts de sa vie de couple, elle souffre d’un réel isolement au sein de ce monde dont son éducation la sépare, quoiqu’elle parle, semble-t-il, le français et, avec des diplomates, le latin. Un temps trop long de présence n’est pas nécessaire pour que le dominicain Tomás de Matienzo, émissaire des Rois Catholiques (août 1498), constate la solitude de l’archiduchesse, peu entourée67, mais certes aussi, faut-il ajouter, peu encline à briser elle-même la glace. Les relations tant privées que publiques entre Philippe et Jeanne se révèlent malaisées, encore que, quant aux premières, leur postérité soit un gage de moments intensément vécus. Sans conteste amou-

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Classe, t. XXXV, 1885, p. 289-402. A. RODRÍGUEZ VILLA, La reina Doña Juana la Loca. Estudio histórico, Madrid, 1892. M. FERNÁNDEZ ALVAREZ, Juana la Loca (1479-1555), Palencia, 1994 (Colección Corona de España, Serie Reyes de Castilla y León, XV). Un bon spécimen: C. HERMARY-VIEILLE, Un amour fou, Paris, 1991. Cf. ch. III/3 supra. HOMMEL, Philippe le Beau, p. 49-50: «Ils se rencontrent à Lierre. C’est à Malines que devait avoir lieu la solennité du mariage. Mais en voyant cette délicate madone espagnole qui lui est destinée, Philippe se met aussitôt à la convoiter de tout son tempérament sensuel. Il n’entend pas que l’union soit différée. Parmi les assistants se trouve l’évêque Henri de Berghes. L’archiduc lui enjoint de bénir sans plus tarder un mariage, qui a déjà été consacré antérieurement...» L’évêque de Cambrai était peut-être au rendez-vous, pas la rigueur minimale requise de l’historien! SUÁREZ FERNÁNDEZ, Política internacional, V, p. 88.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu reuse de l’archiduc - on y reviendra - , d’un amour passionné, «fou», comme on le dépeint volontiers en faisant le lien avec autre chose, l’infante a dû parfois harceler et lasser un homme jeune et charmeur qui aimait varier ses plaisirs. Les «déceptions» conjugales de Jeanne ne sont un secret pour personne. Plus tard, Pietro Martire d’Anghiera écrira en substance qu’elle souffre de la distance qui la sépare du cœur de son époux, qu’elle est envahie de soupçons vis-à-vis d’autres femmes, qu’elle s’emporte violemment, les yeux pleins de flammes. Il conte alors l’épisode, souvent narré encore par la suite, de la dame de cour qu’elle frappe et fait tondre, la dépouillant ainsi d’une belle chevelure blonde qu’aimait tant Philippe68... Le séjour prolongé en Espagne, loin de l’époux déjà rentré au pays via France, Bresse, Franche-Comté et Empire, n’avait pas apaisé la tigresse. Entrant alors dans une phase aiguë de son trouble, elle y avait montré des signes plus que jamais inquiétants d’exaltation, cris de douleur et de désespoir, tandis que sa mère entravait son départ de la péninsule69. Ce n’est que quelques semaines avant l’incident grave de la cour que l’archiduchesse, débarquant en Flandre, avait pourtant vécu de joyeuses retrouvailles conjugales à Bruges, rentrant au logis «de belle manière» et en bonne santé, Dieu en soit loué70! La jalousie de la princesse n’offrit donc alors rien d’exceptionnel. Elle était maladive et devait se manifester notamment en Angleterre, puis en Castille, à l’égard de toutes les personnes du sexe dit faible côtoyant Philippe. Durant l’intermède insulaire, elle incrimine une dame de compagnie, trop jeune à son goût, qu’elle veut faire renvoyer aux Pays-Bas, puis, devant le refus de son mari, elle boude et s’isole de tous, ainsi qu’elle le fit ou le fera en d’autres occasions encore. Et le témoin, bien informé des remous que provoque sans cesse la question des dames d’honneur, de conclure que si rien ne change, les royaux époux se préparent des jours agités en Espagne: Io non so quanto potrano viver ben concordii71. Il en sera effectivement ainsi: «Et veoit (Philippe) qu’elle (Jeanne) se conduisoit comme femme desesperee et toute pleine de jalouzie, qu’on ne luy pooit estaindre, et luy sembloit que son mary estoit si beau et d’eaige pour fourny au desir des dames, que toutes celles qui le veoient, qu’elles le convoitoient, et aussi que toutes celles qui (qu’il) veoit, qui les convoitoit»72... Pour faire bonne mesure, on notera cependant que la violence de la princesse peut aussi se tourner contre les mâles. Quand, en 1505, on la prive de contacts avec les gens de sa maison, à la suite du terrible incident d’une lettre écrite à Ferdinand73, elle fait appeler Charles de Croÿ, prince de Chimay, son «chevalier d’honneur» (c’est-à-dire premier chambellan), lequel, n’osant se présenter seul -

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ANGLERÍA, Epistolario, II, p. 83-84 (26 juin 1504). Cf. ch. VIII/1 supra (à Medina del Campo). «Ende quamen allebeede fray ende ghesont thuus, Gode lof»: A.-L. VAN BRUAENE, De Gentse memorieboeken als spiegel van stedelijk historisch bewustzijn (14de tot 16de eeuw), Gand, 1998, p. 197 (mémorial du XVIe siècle). Depeschen Quirino, p. 201. Voyages, I, p. 451. Cf. ch. VIII/1 supra.

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Profils il connaît trop bien le tempérament de sa maîtresse... - , se fait accompagner par Pierre de Lannoy, autre seigneur de la cour. Jeanne sort de ses appartements et s’en vient les malmener et frapper le second. Bâton à la main, elle blesse de surcroît un concierge à la tête74. Olé! Femme biographe d’une autre femme, Ursula Tamussino a trouvé les mots justes pour poser le problème de fond et fournir la réponse claire: on a souvent blâmé Philippe pour son attitude envers Jeanne, en particulier dans les rangs de l’historiographie d’inspiration féministe - fort en vogue aujourd’hui - , mais il faudrait aussi s’efforcer de comprendre le point de vue du mari75. Peu l’ont fait. La plume d’Amarie Dennis, auteur d’un livre anodin parmi d’autres de la panoplie, atteint le sommet de l’agressivité post mortem à l’égard du Habsbourg, dont les actes ne sont à ses yeux que machinations, les déplacements et entreprises recherche du jeu et du plaisir: «Après un règne de quelques mois, il laissait derrière lui le désordre et l’anarchie, conséquences de sa légèreté et de son égoïsme. Son nom occupe peu de place dans l’histoire, et par une ironie du sort, c’est à la pauvre démente, qu’il s’était efforcé de rejeter dans l’ombre et qui devait lui survivre près d’un demi-siècle, qu’il doit de n’être pas totalement oublié»76. Un historien d’un autre calibre, biographe réputé du plus illustre rejeton de Philippe et Jeanne, n’a pas non plus mâché ses mots: «Il y avait, au reste, à la Cour une triste coterie qui flattait les mauvais penchants du duc [Philippe], comme s’il fallait qu’à tout prix on pourvût à la naissance d’une nouvelle génération de Bâtards de Bourgogne»77. Soit, le «bel archiduc» ne dédaignait certes pas des plaisirs qui ont valu à Philippe le Bon - un record dans le genre, on le sait - , à Maximilien (veuf) et à Charles Quint quelques enfants naturels bien inventoriés. De Philippe de Habsbourg, on n’en relève, sauf erreur, aucun. Il est trop commode d’imputer en vrac les dérangements mentaux de l’archiduchesse-reine, non continus mais de plus en plus accentués, à ses difficultés conjugales et à l’ambiance de ses jours moroses. Ce serait oublier, notamment, que sa grand-mère maternelle avait sombré dans la folie. Les dernières années terrestres d’Isabelle la Catholique seront teintées d’anxiété pour cette femme, hija de loca, qui se sait maintenant aussi madre de loca78. Il ne gît là pour elle et pour ses proches aucun mystère, hélas. Le séjour de Jeanne en 1502/1504 a suffi à l’en convaincre, de visu, quels que soient les termes utilisés plus tard pour qualifier les symptômes. Les échanges difficiles entre mère et fille forment un nœud complexe tout à la fois d’affection, de perplexité, de défiance79. Au cours

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ZURITA, Historia del rey Don Hernando, III, p. 378. PEREZ BUSTAMANTE, Felipe I, p. 120. U. TAMUSSINO, Margarete von Österreich, Diplomatin der Renaissance, Graz, Vienne et Cologne, 1995, p. 97. Von HÖFLER, Antoine de Lalaing, Vincenzo Quirino und Don Diego de Guevara, p. 501-502, sur la base des témoignages qu’il exploite, estime aussi que l’époux mérite d’être qualifié de «victime» du dérèglement et de la démesure de la malheureuse femme. A. DENNIS, Jeanne la Folle, mère de Charles Quint, trad. I. GIRONDE, Paris, 1956, p. 167168. C. BRANDI, Charles-Quint, 1500-1558, trad. G. de BUDÉ, Paris, 1951, p. 32. Cf. SUÁREZ FERNÁNDEZ, Análisis del Testamento (cf. ch. VIII/1, n. 9, supra), p. 82. Cf. T. de AZCONA, Isabel la Católica. Estudio crítico de su vida y su reinado, Madrid, 1964, p. 717-718.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu de leur seconde entrevue, moins tendue voire plus «amicale» (?) que la première, le 5 juillet 1506 (Renedo), Ferdinand confie à son gendre, en lui prêchant la patience devant les accès de colère, que lui-même eut aussi à souffrir du tempérament de sa défunte femme, experte en jalousie: jeune, elle était pire encore que leur fille, déclare-t-il, mais le temps fit bonne œuvre et ce fut une grande reine80... Espoir! A la mort de leur petit-fils et héritier Miguel (20 juillet 1500), plaçant Jeanne en première ligne, les monarques espagnols ont eu de bonnes raison de s’inquiéter des perspectives successorales. Le comportement instable de l’archiduchesse ne pouvait engendrer dans leur chef que contrariété. Car tout ne se limitait pas à des questions de vie en couple. Les affaires politiques, en effet, ne stimulent guère Jeanne. Ce n’est pas étonnant, disent ses avocats, puisque père et mari l’en ont tenue volontairement écartée et que sa mère eût certes hésité à lui en confier la charge. Pendant le séjour anglais, elle se tient à l’écart des flatteries et mondanités, évite tout commerce, préfère la solitude mais y trouve quand même une alternative de choix: la voix du sang, la présence de sa chère sœur Catherine, alors veuve du prince de Galles Arthur, à laquelle elle aime tant tenir compagnie, comme au temps de leur jeunesse dans le pays natal81. Philippe va cependant la renvoyer trop vite au port d’attache de leur flotte82... De deux témoins, si l’un, très bien disposé, il est vrai, à son égard et soucieux de «rassurer» ses parents, dépeint Jeanne aux Pays-Bas pleine de sagesse (cordura) dans la décision, à la veille du premier voyage d’Espagne, l’autre, trois ans plus tard, écrit dans la péninsule qu’elle ne se fait pas le moindre souci pour les affaires des états qui seront un jour siens et qu’elle n’aspire qu’à retrouver l’étreinte amoureuse de Philippe, vers lequel elle s’apprête alors à naviguer83. Récemment toutefois, une jeune historienne américaine a jugé adéquat de «rectifier le tir»: des actes politiques, fussent-ils refus d’agir, en particulier de signer des lettres, traduiraient chez la reine marques de volonté de «négocier» l’exercice du pouvoir, de se rebiffer face à un retrait imposé, plus que symptômes incontestables de maladie84. Ce n’est pas nous - mais nous y souscrivons - qui avons imaginé de qualifier Jeanne comme le fait le titre de cette section de chapitre: un estorbo político, tanto para su padre como para su marido, une gêne, un obstacle, le verdict est prononcé par Juan Manuel Carretero Zamora, historien des Cortès85. Il n’en va pas seulement ainsi dans les grands moments du principat de Philippe. Au passage par la cour de France, au début de 1502, on frôle peut-être l’incident pro-

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Depeschen Quirino, p. 239. ANGLERÍA, II, p. 129. Cf. ch. VIII/3/A supra. Correspondencia Fuensalida, p. 181-182 (22 mars 1501). ANGLERÍA, II, p. 82-83 (10 avril 1504). ARAM, Juana «the Mad’s» signature... L’épouse de Philippe apparaît ici, à contre-courant résolu de la littérature historique et, bien sûr, romanesque antérieure comme une femme de «souveraineté» plus que de sentiments; pour être novateur («to provide a more authentic picture of the queen»), l’exercice - par ailleurs solidement documenté - n’en demeure pas moins téméraire... CARRETERO ZAMORA, Cortes, monarquía, ciudades, p. 202.

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Profils tocolaire quand l’archiduchesse, au cours d’une messe, refuse d’accepter du roi une offrande en numéraire pour la quête, tenant cela pour une marque de sujétion86. Et dire que son époux déploie alors à l’égard de Louis XII et de ses conseillers des efforts soutenus de conciliation! Maximilien, sous prétexte d’éviter à sa bru les inconvénients de l’hiver, avait précédemment suggéré à son fils de l’envoyer en avant, cheminant à l’aise, et de la suivre et rejoindre ensuite «a plus grandes journees», une fois les grandes questions traitées avec le roi des lys87. Mais n’était-ce pas plutôt pour éviter une présence indésirable sur le terrain des négociations? On devine que Jeanne, par ailleurs, se défiait volontiers des «ministres» bourguignons, Busleyden, auquel tous ses propos lui semblent rapportés, Berghes, qui fait mine de la servir mais paraît être là pour deviner ses sentiments88... Les choses vont empirer. L’année 1505 paraît en cela décisive. Au temps de la signature du traité de Haguenau (4 avril), moment clé de la politique de rapprochement entre Habsbourg et Valois, l’épisode de la lettre par laquelle Jeanne délègue unilatéralement ses pouvoirs en Castille à Ferdinand, relaté ailleurs89, va rendre plus rigoureuses que jamais la défiance et la vigilance de Philippe. Il alimente en même temps des convictions quant au dérèglement mental de la «souveraine». Les incohérences les plus vives, car patentes, aux yeux de tous, surviennent à La Corogne puis à Compostelle, les 27 avril et 30 mai 1506. La reine en titre refuse d’y jurer les engagements requis des monarques envers les privilèges, selon l’usage de Galice, tandis que Philippe se prête volontiers aux formalités et s’efforce de «réconforter» des régnicoles très peu satisfaits (cun gran murmuration et mala contenteza de tuto el populo), démontrant là, sans doute, des capacités innées de convaincre, de ... «charmer». Sa fureur, néanmoins, doit être grande, d’autant plus que les caprices politiques de son épouse semblent dus au mécontentement qu’elle éprouve de n’avoir pas débarqué en Biscaye, plus près de son père90. A l’époque, la enfermedad de la nouvelle reine n’est plus un secret pour personne, depuis que les Cortès réunies à Toro (janvier 1505), quelques semaines après la mort d’Isabelle, se sont accordées sur l’attribution du gouvernement à Ferdinand. A l’appui de la situation, on y a lu, fût-ce à huis clos, en assemblée restreinte, un rapport détaillé, signé par Philippe en personne et tendant à démontrer que Jeanne ne dispose pas de toutes ses facultés, ou plutôt, comme l’écrit Zurita, de son «libre arbitre» (libre albedrio), de sa pleine capacité de vouloir et de décider91. A Naples aussi, ces circonstances sont connues, mais on y dit en outre que le roi de Castille a colloqué la reine et Philippe délivre donc des instructions pour que l’on y mette les choses au point92.

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ZURITA, Historia, II, p. 348-349. CHMEL, Urkunden, p. 215 (29 octobre 1501). Correspondencia Fuensalida, p. 139-140 (6 août 1500); Nassau, qu’elle estime moins avide que les autres, lui inspire donc moins de réserves (mais il ne sera pas du voyage d’Espagne). Cf. ch. VIII/1 supra. Voyages, I, p. 432-433. Depeschen Quirino, p. 206-207, 224. ZURITA, Historia, III, p. 355. Cf. CARRETERO ZAMORA, op. cit., p. 203. Négociations diplomatiques, I, p. 201-202.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu Le narrateur du second voyage d’Espagne nous livre enfin une page d’un très grand intérêt, en forme de digression, entre le récit de la mort de Philippe et celui de l’arrivée aux Pays-Bas de Marguerite d’Autriche-Savoie, future gouvernante. «Je ne vous ay jamais parlé de la royne de Castille, ou bien peu, pour ce que je ne desire point dire chose qui desplaise aux dames...»: mais il va rattraper le temps perdu. Résumons son propos93. Jeanne est bonne et belle dame, mère prolifique, s’étant ainsi acquittée de manière exemplaire des «œuvres de nature». Toutefois, sa jalousie n’a fait que croître, en «rage d’amours», et lui a perturbé le sens. Non sans bonnes raisons d’ailleurs, car son jeune et bel époux sollicitait aussi, avec ses amis, les «œuvres de nature» auprès de belles filles et en des lieux de débauche, ce que l’on rapportait à la reine. De là ses regrets, voire son désespoir, sa vie de quasi-recluse. Et pourtant, son plus cher désir n’était-il pas de posséder un mari qui eût été sans cesse à ses côtés, seul avec elle, ce qui explique en Castille le renvoi de la plupart de ses suivantes, situation peu raisonnable, source pour Philippe d’un souci qui ne serait pas la moindre cause de son propre trépas! «Jalouzie et folye» furent donc les lots de la reine, sur socle d’amour ardent. Présent au chevet du jeune roi, le docteur Gonzalo de la Parra ne peut cacher ensuite à Ferdinand son étonnement devant l’attitude de l’épouse, s’activant, parlant au mourant, lui faisant bonne mine (el mejor semblante)94, lui adressant des marques d’une affection intense qui justifiera d’ailleurs d’autant mieux l’abattement et l’excitation alternés des jours à venir. Le narrateur du second voyage, encore lui, le confirme: pas de signes de deuil - ce qu’il attribue à l’état de trouble d’un esprit et d’un cœur - , mais beaucoup de dévouement, une présence constante au pied du lit, nuit et jour, en assistant le malade à manger et à boire, bien que l’épouse aimante fût enceinte95 et inspirât ainsi des craintes aux tiers pour son état et pour l’enfant porté. Bref, «c’est une femme a souffrir et a veoir toutes les choses du monde, bonnes ou malvaises, sans mutacion de son cueur ne son couraige»96. L’appréciation est nette, louangeuse et méritée. Estce là attitude de femme «hors de son sens», folle, loca? Folle d’amour en l’espèce, sans aucun doute et sans retenue, comme on le verra encore après le trépas, lorsque Jeanne visitera à la chartreuse de Miraflores (Burgos) puis entraînera avec elle en divers lieux de Castille et fera ouvrir plusieurs fois le cercueil de l’époux, s’opposant à son inhumation, afin de pouvoir, enfin, le posséder, seule... Tout compte fait, la reine de Castille n’avait rien en soi d’une simple d’esprit, d’une «innocente». Elle devait «gérer» un héritage génétique lourd à porter, qui la prédisposait à la mélancolie comme à de graves dépressions, à l’apathie comme au déchaînement. Pendant les dix années où elle fut l’épouse d’un prince à la destinée incomparable, elle a subi en sens divers de constantes pressions, ballottée entre des cours, des cultures, des mondes radicalement distincts, 93 94 95 96

Voyages, I, p. 458-459. Carta del Doctor Parra, médico..., dans CODOIN, VIII, p. 397. Catherine, fille posthume de Philippe, conçue en Angleterre au printemps précédent, naîtra le 14 janvier suivant. Voyages, I, p. 461-462.

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Profils confrontée à des deuils familiaux qui n’ont pu la laisser indifférente, en proie à des sentiments souvent excessifs, dans le soupçon comme dans l’affection, et adoptant des comportements qui ne pouvaient que l’être tout autant. La voilà dès lors rompant toujours plus le contact avec les réalités ambiantes, parcourant, au fil des épisodes, le chemin qui la mènera, selon des spécialistes de cette pathologie, à une démence de type schizophrénique, avec son cortège de délires et d’hallucinations97. En dépit de sa falta de seso, il lui en demeurait suffisamment, de ce bon sens, pour percevoir en outre combien son père et son mari ne rechignaient pas à l’utiliser dans leurs jeux de pouvoir, tout en la dépouillant d’une autorité légitime qu’elle n’eût de toute façon pas été en mesure d’exercer. La quadrature du cercle, en quelque sorte. François de Busleyden, le clerc, avait bien compris de quoi étaient faits les ressorts de Jeanne. En mission préparatoire par-delà les Pyrénées, il avait dit à Pietro Martire, l’humaniste, que le doute n’était pas de mise: si elle ne suivait pas Philippe en Espagne pour des raisons politiques dont elle n’avait cure, elle le ferait bien par amour. Un amour éperdu, écrirait le Lombard98. 3. L’empreinte d’une culture L’histoire culturelle du principat de Philippe le Beau reste à écrire. L’étude de ses goûts et de ses actions éventuelles en la matière reste à mener. Nous sommes conscient des reproches que nous allons encourir ici: c’est en écrire trop, et trop schématiquement, ou trop peu. Mais aussi succinct et risqué qu’il soit, un bref exercice s’impose. Une spécialiste a cru bon d’épingler que l’archiduc bénéficia «sans aucun doute» d’une «certaine formation humaniste»99. Mais qu’est-ce à dire? Parce qu’il eut pour éducateur François de Busleyden, homme instruit certes mais, à la différence de son frère Jérôme, plus renommé pour les tribulations politiques que pour les œuvres de l’esprit? Parce qu’il avait une bonne connaissance du latin, qu’il le parlait et l’écrivait «beau», notamment sur la foi du témoignage de Molinet, que l’on imagine malaisément affirmer le contraire...? C’est peu. Aime-t-il les livres? Le 7 juillet 1501, le voici faisant cadeau à sa sœur Marguerite, dont nul n’ignore la présence culturelle et le mécénat intense, de trois manuscrits du fonds de la bibliothèque ducale de Bourgogne100. Furent-ils ainsi transférés entre des mains plus expertes et plus aimantes? L’archiduc stimule-t-il la production picturale? Son champ d’influence personnel paraît se restreindre à la cour, à Bruxelles, à l’observation bienveillante

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Cf. N. SANZ y RUIZ de la PEÑA, Doña Juana I de Castilla. La reina que enloquecío de amor, 2e édit., Madrid, 1942, p. 249-262 (analyse des faits et des comportements par un médecin psychiatre interrogé par l’auteur). 98 ANGLERÍA, Epistolario, I, p. 428 (30 juin 1501). 99 ONGHENA, De iconografie van Philips de Schone, p. 44. 100 M. DEBAE, La bibliothèque de Marguerite d’Autriche. Essai de reconstitution d’après l’inventaire de 1523-1524, Louvain et Paris, 1995, p. 72-73, 253, 462.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu de tendances nouvelles, d’écoles locales101. Son action de mécénat, attestée en particulier par ses portraits exécutés alors, ne peut être négligée, fût-elle éclipsée ici encore par celle de sa sœur102. On a souligné récemment la sobriété du mécénat de Marie de Bourgogne, ce qui ne compromit d’ailleurs pas pour autant les productions extérieures à la cour, en particulier grâce aux bourgeoisies Anvers, avec les retables, l’imprimerie, ne s’impose-t-elle pas comme «haut lieu culturel» des Pays-Bas, à l’époque de Philippe le Beau précisément - 103? A cet égard, la timidité probable de l’héritage artistique «de» Philippe renvoie à sa mère plutôt qu’à son père. On sait combien Maximilien, lui-même écrivain non dénué de talents, ami autant que praticien des arts104, allait s’entourer de lettrés, d’artistes, d’érudits en tout genre, caractéristique des abords d’un vrai souverain de la Renaissance, de surcroît avide d’Italie. Mais son fils, ne l’oublions pas, ne lui a guère rendu visite et demeura peu enclin à se conformer à ses voies, donc à le prendre pour modèle. La musique est peut-être l’art auquel le jeune prince a porté le plus d’attention. La réputation des musiciens dits «flamands» était déjà chose acquise, notamment en Espagne bien avant que le cohéritier puis roi de Castille n’y arrive105. Ce dernier, dans tous ses déplacements, est accompagné de sa chapelle, bien étoffée de «grands noms» du temps106. Charles Quint devait d’ailleurs se montrer en cela digne héritier de son père. A Innsbruck (1503) et Haguenau (1505), lorsque Maximilien et Philippe se rencontrent à la tête de leurs cours respectives, les chœurs des deux chapelles rivalisent d’ardeur musicale pour de si heureuses circonstances107. Le milieu actif des chambres de rhétorique des Pays-Bas n’est pas demeuré étranger à son prince. Non encore émancipé, il assume en 1493 la responsabilité d’une stratégie de centralisation des chambres, par la création d’une chambre dite souveraine compétente pour la délivrance des octrois nécessaires aux compagnies nouvellement établies et l’exercice d’une forme de tutelle générale; elle est installée à Gand, sous le nom de Jesus metter balsem bloem («Jésus à la fleur de balsamine»), et placée sous la direction d’un chapelain au service de l’archi-

101 Ainsi, vers 1504, sur la recommandation probable de Philippe de Bourgogne, amiral et premier maître d’hôtel, l’importante commande d’un triptyque, au nom de l’archiduc, parvient-elle à Jérôme Bosch, un peintre bien différent d’autres artistes travaillant ordinairement pour la cour: J. STERK, Philips van Bourgondië (1465-1524), bisschop van Utrecht, als protagonist van de Renaissance. Zijn leven en maecenaat, Zutphen, 1980, p. 99. 102 J. RIVIERE, Réévaluation du mécénat de Philippe le Beau et de Marguerite d’Autriche en matière de peinture, dans PCEEB, n° 25, 1985, p. 103-117. 103 M. MADOU, Marie et l’héritage de Bourgogne, dans Bruges à Beaune. Marie, l’héritage de Bourgogne, Beaune et Paris, 2000, p. 100, 103-104. 104 «Maximilian, der Kunstfreund und Künstler»: cf. WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., V, p. 306 sq. 105 N. BRIDGMAN, Les échanges musicaux entre l’Espagne et les Pays-Bas au temps de Philippe le Beau et de Charles-Quint, dans La Renaissance dans les provinces du Nord (Picardie-ArtoisFlandres-Brabant-Hainaut), Paris, 1956, p. 52-53. 106 G. VAN DOORSLAER, La chapelle musicale de Philippe le Beau, dans Revue belge d’archéologie et d’histoire de l’art, t. IV, 1934, p. 21-57 et 139-165. 107 WIESFLECKER, op. cit., III, p. 137, et V, p. 398.

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14. Diericx, Mémoires sur la ville de Gand, t. I, p. 651. Signature (1495) de Philippe le Beau en fac-similé.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu duc108. Le choix du siège s’explique par une volonté politique: au temps de la paix de Cadzand (juillet 1492) et du retour des Gantois dans l’obéissance au pouvoir central, les actes propices à renouer des liens se trouvent être les bienvenus. Le succès de l’initiative demeurera mitigé. Il faut y voir, autant sinon davantage qu’une marque d’intérêt culturel, un trait de plus du gouvernement de Philippe le Beau en termes de contrôle des organisations locales, ici de confréries littéraires dont l’impact dans le public n’était pas négligeable109. La production théâtrale de tradition liturgique peut avoir aussi, en matière de spectacle, les faveurs de Philippe. Du 5 au 12 juillet 1501, on doit jouer à Mons le «Mystère de la Passion», une représentation de grande envergure. Souhaitant y assister avec Jeanne, son épouse - de qui émanait probablement l’intérêt initial - , l’archiduc demande deux jours avant les trois coups de retarder le spectacle de plusieurs semaines, dans l’attente de leur venue. Les autorités de la ville hainuyère expriment de vives réticences car, tous les engagements nécessaires étant pris et les préparatifs menés à bonne fin, elles font valoir «la grant perte qui s’en ensieweroit, veu le tour ad ce pourmuny»; elles obtiennent satisfaction et proposent de mettre le «Mystère» une seconde fois sur pied à l’intention des princes, projet demeuré sans suite110. Philippe et Jeanne, en route pour la France et l’Espagne, ne passeront d’ailleurs par Mons que le 6 novembre 1501111. Pensaient-ils encore alors au spectacle manqué? Au retour de son périple, l’archiduc devait entendre un autre langage que celui du théâtre médiéval et rencontrer un témoin privilégié d’une nouvelle forme de culture savante. C’est en 1493 qu’Erasme, ordonné prêtre l’année précédente puis renonçant à l’expérience monastique, s’attache aux pas d’Henri de Berghes, évêque de Cambrai, chancelier frais émoulu de l’ordre de la Toison d’or, futur chef du conseil aulique de Philippe le Beau, l’ecclésiastique le plus en vue de la cour bourguignonne. Les séjours d’études qu’il va faire au cours des années à venir, en France, en Angleterre, ne briseront certainement pas les liens qui uniront désormais le grand lettré à cette cour. Outre des appuis du prélat cité et de son frère Antoine, abbé de Saint-Bertin (Artois), il bénéficiera aussi plus tard de la protection d’un influent «ancien», autre clerc quoique de naissance bien moins illustre, le haut fonctionnaire Nicolas de Ruter (Ruistre), alors évêque d’Arras. Dans ces sillages, il assistera à la «joyeuse entrée» archiducale de septembre 1494 à Louvain, puis il sera présent à la remise solennelle de la rose d’or pontificale à Bruxelles, le 1er juillet 1498, cérémonie durant laquelle officiera Henri de Berghes112. Il n’est donc pas étonnant, compte tenu de pareilles attaches et de

108 Blijde Inkomst. Vier Vlaams-Bourgondische gedichten, édit. G. DEGROOTE, Anvers, 1950, p. VII-X. 109 P. ARNADE, Realms of ritual. Burgundian ceremony and civic life in late medieval Ghent, Ithaca et Londres, 1996, p. 185-187. 110 Een theatergeschiedenis der Nederlanden. Tien eeuwen drama en theater in Nederland en Vlaanderen, édit. R.L. ERENSTEIN, Amsterdam, 1996, p. 70. Cf. G. COHEN, Le livre de conduite du régisseur et le compte des dépenses pour le Mystère de la Passion joué à Mons en 1501, Paris, 1925, p. 539, 563, 591-592. 111 Voyages, I, p. 129. 112 Cf. ch. VI/2 supra.

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Profils sa propre réputation intellectuelle, qu’une commande lui ait été passée en 1503: préparer une harangue à l’occasion du retour prochain au bercail de Philippe le Beau, absent depuis près de deux ans pour cause de périple en Espagne et ailleurs. Ruter paraît tenir ici un rôle actif et c’est d’ailleurs ce «ministre» qu’Erasme sollicitera en février suivant pour assurer la diffusion du texte publié113. Le panégyrique de Philippe le Beau, imprimé peu de temps après, dans une version revue, sur les presses de Thierry Martens114, a été prononcé le 6 janvier 1504 au palais de Bruxelles. Les Etats de Brabant115 organisent ce jour-là une cérémonie de bienvenue en l’honneur de l’archiduc, rentré toutefois depuis deux mois déjà. L’assistance est de qualité. On peut y voir notamment le chancelier, Thomas de Plaine, qui répondra au nom de son prince, le comte de Nassau, cidevant lieutenant général dans les Pays-Bas, et l’évêque Ruter. Erasme y recueille une gratification rondelette, une bourse destinée à financer la suite de ses études universitaires à Louvain et une proposition - qu’il déclinera - d’entrer dans la maison archiducale. Discours d’apparat, «morceau d’éloquence latine»116, le long éloge de Philippe et, sous l’éclairage de sa personne et de ses actes, de la paix, conjugue deux genres distincts, le panégyrique classique et le miroir du prince cher à la littérature politique et morale médiévale117. Erasme moraliste, Erasme pédagogue, davantage qu’Erasme politologue, y brille, par le langage plus que par les idées sans doute. Si on lui reprochera bientôt d’avoir versé dans la flatterie, il répliquera que son but primordial était de servir la morale et la piété118. Il voulait, selon ce qu’il précisera très vite dans sa lettre à Ruter, avertir le prince, lui proposer un modèle (boni principis exemplar), bien plus que le couvrir d’éloges. En outre, comment aurait-il pu, sous peine de poser un acte sacrilège, dire et écrire à propos de Philippe des choses autres que solidement attestées (nam de principe et parum confessa scripsisse sacrilegii genus est)119? On sait combien

113 Lettre-préface à Ruter, accompagnant les éditions successives du Panegyricus: Opus epistolarum Des. Erasmi Roterodami, t. I (1484-1514), édit. P.S. ALLEN, Oxford, 1906, p. 395-397; La correspondance d’Erasme, t. I (1484-1514), trad. M. DELCOURT, Bruxelles, 1967, p. 370372. Erasme rappelle à juste titre que son correspondant a servi quatre générations de ducs, «de Philippe à Philippe». 114 Panegyricus ad illustrissimum principem Philippum, archiducem Austriae..., Anvers, 1504. A consulter: Desiderii Erasmi Roterodami opera omnia, t. IV, Leyde, 1703 (réimp.: Hildesheim, 1962); Panegyricus ad Philippum Austriae ducem, édit. O. HERDING, dans Opera omnia Desiderii Erasmi Roterodami, t. IV/1, Amsterdam, 1974, p. 1-93 (avec une substantielle introduction). 115 Dont les délégués paraissent avoir joué un rôle positif décisif au cours de la session des Etats généraux tenue en novembre 1503 pour l’octroi d’une aide substantielle destinée à contribuer aux frais du voyage achevé depuis quelques jours: WELLENS, Etats généraux, p. 263. 116 M. BATAILLON, Erasme et l’Espagne. Recherches sur l’histoire spirituelle du XVIe siècle, Paris, 1937, p. 85. 117 Cf. Panegyricus, édit. HERDING, p. 9-14. 118 C’est ce qu’il écrira encore indéfectiblement en 1523: La correspondance d’Erasme, op. cit., p. 18. 119 Opus epistolarum, op. cit., p. 397. Cf. J.D. TRACY, The politics of Erasmus. A pacifist intellectual and his political milieu, Toronto, 1978, p. 17-21.

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Promesses et brutalité d’un destin interrompu la paix, paix entre les hommes, entre les nations, entre l’humanité et Dieu, est un thème récurrent, une préoccupation majeure dans l’œuvre vaste d’Erasme. Ici comme ailleurs, l’humaniste délivre son message antibelliciste, inséparable de ses convictions chrétiennes120. Mais le tout, fût-il d’une érudition admirable autant qu’écrasante, demeure à vrai dire relativement banal. La guerre est grand mal. La puissance légitime d’un prince ne peut le dispenser de la modération. Ce n’est pas à la lumière de ses vertus guerrières mais à l’aune de sa générosité, et de l’attachement des sujets que celle-ci lui fait mériter, qu’on doit le louer. Prince de paix sera prince de bonheur et de gloire. Mieux vaut le célébrer aux accents d’une lyre (amabilis lyra) qu’au son d’un clairon (horribilis turba)! En un mot comme en cent, à grands renforts de réminiscences historiques et littéraires, la démonstration se veut péremptoire: «Le souverain bien d’un Etat est la paix, et non la victoire»121. A prince intrépide et victorieux, on préférera prince heureux et pacifique. Le discours n’est pas éthéré, déconnecté de la réalité politique internationale ambiante122. Mais tout y est bon pourvu que ce soit paix123: l’Espagne et ses souverains, la France et l’Angleterre, la lignée glorieuse dont est issu Philippe, le souci qui doit être sien - en dépit de modèles qu’il verrait ailleurs - de cultiver un système de gouvernement assurant une place à la «participation» des sujets124. On pourrait dire, en quelque sorte, que notre auteur ne se contente pas de prôner la paix en général, comme objectif prioritaire de gouvernement, mais que hic et nunc, dans ces Pays-Bas des toutes premières années du XVIe siècle, il se range aux côtés de ceux que l’on pourrait appeler «du parti de la paix», en d’autres termes des hommes influents qui, à l’instar entre autres de Ruter, tiennent et persévèrent pour une politique «nationale» du prince « naturel», à bonne distance des entreprises de Maximilien. Erasme se fait d’ailleurs, fût-ce évidemment à mots couverts, sans références géographiques explicites, l’écho d’une crainte: que Maximilien ait pu persuader Philippe, lors de leurs rencontres en Allemagne et au Tyrol, de changer de politique envers la France, dans l’espoir de recouvrer le duché de Bourgogne, ainsi qu’envers la Gueldre, afin de s’assurer un autre gain territorial. Voici en tout état de cause un discours suffisamment explicite pour plaire à bien des «ministres» et à des assemblées d’Etats. A présent qu’ont été brossées à grands traits les circonstances et la teneur du Panegyricus de janvier 1504, le temps est venu de s’interroger sur l’impact du texte, dans l’esprit de l’archiduc et de ses proches. Erasme peut bien écrire ensuite à Ruter - pour parer à des reproches? - qu’il a travaillé dans l’improvisation: en septembre 1503, quand, de toute évidence, la harangue lui avait été demandée, il confiait déjà à un correspondant qu’il œuvrait jour et nuit à préparer

120 Cf. J.-C. MARGOLIN (édit.), Guerre et paix dans la pensée d’Erasme, Paris, 1973, p. 9-10. 121 Ibid., p. 43. 122 «Erasmus’ thought in the Panegyricus is never wholly divorced from a political context», écrit à ce propos TRACY, op. cit., p. 20. 123 Cf. Panegyricus, édit. HERDING, p. 56 (où Louis XII est qualifié d’«illustrissimus Galliarum rex», Ferdinand de «sapientissimus et invictissimus rex Hispaniarum»,...). 124 N’oublions pas que l’orateur s’exprime devant les Etats de Brabant, gardiens d’une tradition bien ancrée de pouvoir «constitutionnel», avant la lettre s’entend.

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Profils «quelque chose» pour l’arrivée du prince125... Il convient encore avec son prélat tutélaire que Philippe a reçu le (long) message avec satisfaction, comme l’ont prouvé à satiété l’expression du visage et les largesses concédées ou proposées. Demeurons réalistes - Erasme l’était sans doute tout autant -: dans quelle mesure le jeune Habsbourg a-t-il compris séance tenante le discours (interminable) prononcé en latin (le latin savant d’Erasme!)? L’orateur fit ici œuvre de l’homme de cour dans la peau duquel il aspirait peut-être à entrer, même s’il n’acceptera pas l’invitation du maître, du moins aux conditions établies et compte tenu sans doute aussi, au vu de son tempérament et de sa carrière, qu’il n’était pas fait pour être de façon durable un «vrai» courtisan. Les grands auditeurs, à commencer par le premier en rang, ont pu aisément entrer en connivence. Philippe ne tarderait pas à prendre les armes, pour la première et ultime fois, contre la Gueldre126. De toute évidence, voilà un fruit des propos de Maximilien plus que de ceux d’Erasme... Devenu un fidèle de la dynastie, par un lien qui éclora pleinement sous Charles Quint, le «prince des humanistes», militant de la paix, sera certes sous le fils tout autant écouté mais aussi peu suivi qu’il l’avait été sous le père. Le panégyrique de Philippe le Beau s’inscrit en effet dans une filière on l’on trouvera surtout en bonne place l’Institutio Principis christiani (1516)127. D’une veine sans conteste supérieure, expression d’une bien plus grande liberté de jugement128, ce dernier ouvrage, on le sait, sera destiné au jeune roi Charles. La volonté de l’auteur et de ses éditeurs du temps se fera jour: «souder» l’enseignement structuré communiqué à Charles aux conseils (moins élaborés) dispensés antérieurement à son défunt géniteur129. De part et d’autre, une leçon prédomine: prince, garde-toi des ambitions mal placées. Le texte de janvier 1504 était susceptible d’éclairer Philippe. Mais bien plus sans doute sur des idéaux de chevalerie chers aux milieux de la cour et de l’aristocratie bourguignonnes (burgundische Ritterskultur) que sur les principes politiques de ce qu’on dénomme «l’humanisme». Le Panegyricus, tout chant de paix qu’il veut être, demeure une œuvre du passé. S’il eût pu imprégner le prince «naturel» des Pays-Bas, c’eût été de tradition plus que de modernité. Tout compte fait, la curiosité et les goûts intellectuels autant qu’esthétiques de Philippe le Beau ne restèrent-ils pas des plus traditionnels?

125 Opus epistolarum, op. cit., p. 389: «quaedam in Principis adventum»; La correspondance d’Erasme, op. cit., p. 364. 126 Cf. ch. VIII/2 supra. 127 Dans diverses éditions de laquelle le Panegyricus sera d’ailleurs inséré, dès l’origine. 128 Le contraste entre les deux œuvres est mis en valeur par W. RIBHEGGE, Erasmus von Rotterdam und der burgundische Hof. Die «Institutio principis christiani» (1516), dans Les princes et l’histoire du XIVe au XVIIIe siècle..., dir. Ch. GRELL, W. PARAVICINI et J. VOSS, Bonn, 1998, p. 380. 129 P. MESNARD, L’expérience politique de Charles Quint et les enseignements d’Erasme, dans J. JACQUOT (édit.), Les fêtes de la Renaissance, t. II: Fêtes et cérémonies au temps de Charles Quint, Paris, 1960, p. 48.

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CONCLUSION On a plus d’une fois demandé à son auteur si le présent livre avait pour objectif de réhabiliter le personnage titulaire, de lui rendre justice, tant son «règne» est demeuré éclipsé - verdunkelt, écrivait l’érudit von Höfler1 - par ceux de ses père et fils. Une réponse positive apportée volontiers à cette question ne signifie cependant pas qu’il s’agissait de voir en Philippe le Beau, ou de faire de lui, le souverain novateur, le «grand» homme qu’il n’a pas été, eût-il pu s’affirmer comme tel s’il avait vécu et gouverné plus longtemps. Philippe n’affiche pas le relief, la stature de Maximilien, tout imaginatif voire brouillon - mais aussi créatif - que ce dernier ait pu être jugé. Quoique né, comme l’a écrit Erasme dans ses Adages, pour accomplir les plus hauts destins2, il n’a pu prétendre à l’envergure d’un Charles Quint, lui aussi d’ailleurs assailli de contraintes et enfermé dans des limites. Le fils de Marie de Bourgogne a bénéficié durant sa courte existence d’un capital de sympathie, de ce que d’aucuns baptiseront du terme vague de «popularité», renforçant en tout cas le sentiment de sa légitimité. Il incarnait sans nul doute, le chroniqueur et poète Molinet l’a bien compris, la promesse de jours meilleurs. Il donnait chair, os et vie au modèle du «prince de paix et de concorde», susceptible d’écarter de façon durable (voire permanente?) le spectre de la guerre3. «Et, se mondit prince n’a gaires regnet, il a toutefois mery (mérité), par ses oevres vertueuses, soubz don divin, estre appellé prince et roy pacifique, pour les paix et submissions et traictiés qu’il procura entre pluseurs roys et princes, comme on voidt en croniques modernes», précise une autre plume dévouée à sa cause4. Son éducation, ses manières, sa cour étaient essentiellement bourguignonnes, c’est-à-dire organisées et vécues dans l’optique des seuls Pays-Bas, héritiers de ce nom de Bourgogne entretenant le souvenir du berceau dynastique perdu5. Il ne pouvait être question, à Gand, à Malines ou ailleurs encore entre mer du Nord et Rhin, de se référer pour l’enfant puis adolescent à l’Empire, aux Allemagnes, ou encore au patrimoine lointain, autrichien (les Erbländer), de la souche paternelle. Par ailleurs, on ne pouvait déjà imaginer, au temps de cette jeunesse, qu’il faudrait un jour prendre en compte les Espagnes. Ayant, à sa majorité, accédé personnellement au pouvoir, Philippe de Habsbourg, encouragé par d’influents conseillers mais capable aussi de borner

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Kritische Untersuchungen über den Quellen der Geschichte Philipps des Schönen, p. 169. ERASME, Eloge de la Folie. Adages. Colloques..., édit. C. BLUM e.a., Paris, 1992 (Bouquins), p. 149. J. DEVAUX, Jean Molinet indiciaire bourguignon, Paris, 1996, p. 353, 515-516. Prologue du récit du voyage de Philippe le Beau en Espagne et ailleurs (1501/1503) par Antoine de Lalaing: Voyages, I, p. 123-124. Cf. J.-M. CAUCHIES, L’idée et le mot de Bourgogne dans les anciens Pays-Bas vers 1500 et au-delà, dans Autour de l’Idée bourguignonne. De la Province à la Région et de la France à l’Europe..., Dijon, 1991, p. 17-23.

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Conclusion lui-même son champ, bat en brèche une autorité et une emprise paternelles persistantes. Si Maximilien, à la veille du mariage castillan, mande son fils dans l’Empire, c’est pour mieux contrôler les pensées et les actes, pour remédier selon ses vues à la gestion des affaires tant privées que publiques de Philippe, pour éviter autant que possible que des collaborateurs malavisés contrecarrent ses propres plans: dans l’esprit de l’empereur élu sans doute, cela durera le temps qu’il faudra. Mais Philippe manifeste d’entrée de jeu, par une détermination à conserver à ses côtés ceux qui lui plaisent, par une piètre prestation devant la Diète (Reichstag), son manque d’égards pour les désirs paternels et d’intérêt pour les affaires d’outre-Rhin. Une fois l’héritage castillan en point de mire, quatre ans plus tard, les deux Habsbourg vivront en bien meilleure entente, mais c’est en pairs davantage qu’en père et fils qu’ils négocieront ou deviseront désormais. Cela ne signifie pas pour autant que l’un pourra rallier l’autre à sa politique universalkaiserlich et que ne persisteront pas, à propos de l’Italie, de l’Angleterre, de la Gueldre ou de la France des divergences de vues et d’analyses. La force du gouvernement de Philippe le Beau, quelle que soit la part personnelle qu’il y a prise - et le temps passant n’a pu que l’accroître - , c’est d’avoir concilié autant que faire se pouvait adaptation et continuité. On a souvent opposé une politique «nationale» ou «bourguignonne» d’avant 1500 à une politique «dynastique» ou «habsbourgeoise» d’après 1500. Cela ne manque pas de pertinence mais tend de façon excessive à ériger le dernier été du XVe siècle, quand se clôture le chapelet des morts à la cour d’Espagne, en moment de rupture. Philippe n’est pas du jour au lendemain frappé par la lumière ibérique. Franchir les Pyrénées pour son inauguration de prince héritier ne le tente pas d’emblée, au contraire; il devra «se faire» à l’idée de la succession promise en Castille. N’est-ce pas fin 1504, avec le décès d’Isabelle, la fonction de roi désormais offerte qui va lui aiguiser l’appétit et modifier ainsi les principaux ressorts de son action, bourguignons jadis, espagnols et ipso facto «européens»6 désormais? Mais le plan de paix avec la France, le besoin d’en découdre avec l’«épine» gueldroise, l’entretien des relations commerciales avec l’Angleterre, au prix de mises au point pas toujours bénéfiques pour les Pays-Bas mais rendues indispensables dans une politique orchestrée à l’échelon de l’Occident, viennent réviser plutôt que contredire radicalement des choix antérieurs. Aux yeux de plus d’un, son père le premier, l’archiduc a sans doute mérité cette qualification d’«enfant terrible» de la galaxie politique européenne que lui a décernée un historien espagnol7. Nous avions publié voilà déjà trois lustres une contribution, encore balbutiante sur plus d’un point, qui se voulait Vorarbeit du livre qu’on lit ici8. Pour sous-

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Pour ne pas dire «mondiaux», en tenant compte des perspectives et promesses américaines (une «große weltpolitische Linie» lui est ainsi proposée, écrit WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., III, p. 303). SUÁREZ FERNANDEZ, Política internacional de Isabel la Católica, V, p. 7-8. CAUCHIES, Die burgundischen Niederlande unter Erzherzog Philipp dem Schönen (14941506): ein doppelter Integrationsprozess. Le colloque «Europe 1500», tenu en Bavière, qui suscita ce travail avait été organisé à l’initiative de médiévistes de la Ruhr-Universität Bochum.

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Conclusion crire au thème international d’un colloque qui l’était tout autant, le principat de Philippe le Beau dans les Pays-Bas y fut placé sous le signe de l’intégration. C’est bien là un concept clé en la circonstance. Philippe le Beau a réservé une place visible à ses possessions dans l’Europe du XVIe siècle naissant. Le quasimonarque des Pays-Bas n’a pas voulu être simplement le fils de Maximilien, le gendre de Ferdinand, l’«allié» de Louis XII ou d’Henri VII. Il a tenu à exercer sur l’échiquier un rôle à part entière, que ses sujets bourguignons n’ont pas décrié. Bruxelles ou Malines valaient tout autant d’être regardées et considérées dans la diplomatie européenne que Vienne, Paris, Londres ou les villes d’outreAlpes et d’outre-Pyrénées. L’intégration, n’était-ce pas en l’espèce la voie de la paix? Et cette insertion des pays bourguignons dans l’Europe du moyen âge finissant ou de l’ère moderne naissante, comme il plaira, ne fournit-elle pas au court «règne» souvent oublié sa marque de qualité? Les mêmes sujets ont accepté encore, tout compte fait, de se plier à une autre intégration, interne aux Pays-Bas celle-là, à un système de gouvernement, roc sur lequel devait se bâtir une incontestable entente entre le prince et eux, entente tout imprégnée d’une conscience partagée d’intérêts collectifs. Ici, intégrer a signifié aussi stabiliser. La voie de la stabilité était en l’occurrence celle de la centralisation, dans un esprit non exempt de réminiscences du feu duc Charles le Hardi, comme dans les restrictions apportées aux concessions maternelles de 1477, mais avec des méthodes plus «affinées» et une collaboration maintenant assurée des Etats généraux et provinciaux. Dans l’entourage archiducal, voici la noblesse, la «grande» noblesse en tout cas, celle du service «gouvernemental», membres d’un corps réconciliés avec la tête après les tensions du temps de la régence9. Elle bénéficie alors d’un souffle nouveau de promotion politique. L’ordre de la Toison d’or coïncide de plus en plus avec un parterre de «ministres». Y être admis, c’est se voir reconnaître un prestige hors du commun10, familial autant que personnel, dans la hiérarchie nobiliaire11. Les vrais «grands» ne sont pas forcément de vieille souche ni «du sang»12, au contraire même, sauf exceptions: ils sont ceux qu’honore la faveur du «souverain». Forts ainsi de leur impact et de leurs ressources, sous couleur de défendre des intérêts collectifs, de préserver leur contrée d’ingérences étrangères, les seigneurs des Pays-Bas adoptent, individuellement ou en factions, des attitudes dictées par leur souci de garantir une puissance acquise et encore en croissance.

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C’est le trait majeur que soulignait pour l’époque de Philippe un observateur germanique: H. RÖSSLER, Habsburgs burgundisches Erbe, dans Ostdeutsche Wissenschaft. Jahrbuch des ostdeutschen Kulturrates, t. V, 1958, p. 146. Nous préférons ce mot à «statut»; c’est une question d’influence plus que de droit: CAUCHIES, «Grands» nobles, «petits» nobles, non-nobles dans les conseils..., p. 57. Cf. COOLS, Mannen met macht, p. 144-145. Les événements de la régence de Maximilien avaient appris aux premiers Habsbourg à se défier spécialement des «seigneurs du sang», des «heren van den bloede», décidément trop attachés, ainsi que d’autres nobles, à des traditions de «résistance»: M. BOONE, Elites urbaines, noblesse d’Etat: bourgeois et nobles dans la société des Pays-Bas bourguignons (principalement en Flandre et en Brabant), dans Liber amicorum Raphaël de Smedt, t. III, Louvain, 2001, p. 82.

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Conclusion Dans des villes aussi - et même surtout - , sous l’action des élites, on avait résisté. Mais les conflits ravageurs des vingt dernières années sont réellement apaisés, le compromis est partout de bon ton, l’heure est à la détente. Les traités conclus, parfois imposés, tel celui de Cadzand en 1492, n’en sont pas les seuls gages: plus révélateurs encore paraissent les succès glanés par le pouvoir central dans le contrôle des pouvoirs locaux et le fonctionnement dépourvu de heurts ou de soubresauts des assemblées représentatives. Les inaugurations et voyages qui émaillent le principat de Philippe vont offrir de multiples occasions de contact à l’appui de bons rapports. Lorsqu’ils parlent haut et fort, même à l’adresse de l’autorité suprême dans l’Eglise abusant de moyens de droit, l’archiduc et ses «ministres», soucieux de prérogatives et de légitimité, savent qu’ils ont l’oreille de leurs administrés. L’aventure castillane, loin de résulter de la recherche précipitée d’une alliance, s’est inscrite dans une tradition de relations politiques entre Espagnes royales et Bourgogne ducale. Quels qu’en aient pu être les promesses et les lendemains, elle n’a pas fait jaillir pour le conjoint de l’infante puis reine Jeanne des sources de grands bonheurs. On ne saurait toutefois lui reprocher d’y avoir foncé tête baissée. Tour à tour retenu et poussé par des proches, sceptiques puis gagnés à des ambitions nouvelles, il s’est vu confronté là-bas, outre à un beau-père rival - un vrai «combat des chefs»! - et à une épouse plus que jamais ingérable, aux jeux de clans d’une noblesse indigène «faiseuse de roi», prête à tout pour l’utiliser au profit de ses propres desseins. Il n’a jamais été aimé des Espagnols, ni de son temps - si bref... - , ni d’après. Simple monarque de transition, étranger dans une histoire pleinement nationale, dépensier, conseillé par des hommes méconnaissant et méprisant les intérêts légitimes du pays: somme toute, le fils s’est trouvé imbriqué en Castille dans une situation mutatis mutandis comparable à celle du père, vingt ans plus tôt, sous le ciel de Brabant et de Flandre, arguments similaires à l’appui. A la différence que Maximilien d’Autriche a eu le loisir de connaître en «Bourgogne» les suites meilleures de ses déboires, tandis que Philippe de Bourgogne ne devait pas savoir ce qu’il adviendrait après lui de la Castille. Le lecteur d’aujourd’hui, pour sa part, le sait. Les Habsbourg, la Casa de Austria, s’enracineraient dans la péninsule ibérique jusqu’à l’épuisement de leur tronc. A court terme, le jeune Charles (Ier) dit Charles Quint succéderait en titre à son père, seul aux Pays-Bas sous la houlette de son aïeul Maximilien et de sa tante Marguerite, conjointement à sa mère démente et incapable sous l’emprise de Ferdinand, l’autre aïeul, en Castille; plus tard lui échoiraient l’Aragon, puis le trône impérial, que le destin avait refusé par avance à son géniteur. L’environnement culturel du jeune prince né à Gand et éduqué aux Pays-Bas allait demeurer longtemps celui d’un Bourguignon, au sens géographique (large) mais aussi familial du terme. La figure littéraire du chevalier ou la persistance de l’idée de croisade sont au nombre des références qui exerceront encore sur lui une force d’attraction non supplantée de sitôt. L’empereur demeurera attaché au souvenir du patrimoine issu d’une grand-mère qu’il n’a jamais connue, la duchesse Marie. Lors de son abdication en 1555, il déclarera avoir aspiré à la couronne d’Otton pour mieux assurer la protection de ses états, en particulier des Pays-Bas, de ces provinciae patrimoniales belgicae aut Burgundiae que men-

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15. Grenade - Capilla Real. Gisants en marbre (1519/20) de Philippe le Beau et de Jeanne de Castille.

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Conclusion tionnait la Transaction d’Augsbourg de 1548, dans le contexte européen, en parant surtout aux ambitions françaises. On notera d’ailleurs que ses relations belliqueuses avec la royauté des lys caractériseront un héritage grand-paternel plutôt que paternel et désormais, à cause de l’enjeu italien, plus impérial que proprement bourguignon. Sous l’influence de Maximilien († 1519), par le canal de Marguerite d’Autriche et du dernier chancelier «de Bourgogne», le Piémontais Mercurino Arborio de Gattinara, bras droit de la gouvernante et dévoué à la cause du vieil empereur13, les options et la politique de Charles Quint n’en ont pas moins été dictées par les exigences d’une monarchie à caractère universel, davantage que par celles d’un «Etat bourguignon» composite. L’enfant de Flandre a bien vite vogué vers d’autres horizons, stimulé par la perspective de redonner vie au vieux rêve des Hohenstaufen. Nous écririons volontiers de lui qu’il demeura sans doute un Bourguignon de cœur mais qu’il n’apparaît plus, en tout état de cause, comme un Bourguignon d’action. Son père Philippe aura bien été «le dernier duc de Bourgogne». Sur la couverture du livre figure la reproduction d’un camée en nacre du milieu du XVIe siècle, dont l’auteur demeure inconnu mais dont la signification est grande pour l’iconographie du pouvoir14. Un père, un fils. Deux figures, deux modèles, dans une composition d’une originalité accentuée. Le collier de l’ordre de la Toison d’or, dont ils ont été successivement les quatrième et cinquième chefs et souverains, les rapproche. Mais Charles a les traits d’un empereur romain, à la façon du médailleur italien Leone Leoni. Philippe montre l’effigie et porte le chapeau d’un seigneur d’un autre âge. Pas si lointain, mais quand même différent: quand nos Pays-Bas étaient encore pleinement bourguignons...

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WIESFLECKER, Kaiser Maximilian I., IV, p. 458-459. Cf. L’ordre de la Toison d’or, de Philippe le Bon à Philippe le Beau (1430-1505): idéal ou reflet d’une société?, dir. P. COCKSHAW et Ch. VAN DEN BERGEN-PANTENS, Bruxelles et Turnhout, 1996, p. 174.

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ANNEXES 1° Traité de Salamanque (Salamanque, 24 novembre 1505) Le texte intégral du traité (cf. ch. VIII/1, n. 59) n’a fait l’objet à ce jour d’aucune édition. Il représente pourtant un moment clé dans la politique et le destin castillans de Philippe le Beau. On en trouvera ici la version française, pourvue d’analyses brèves des articles successifs, établies par nos soins. Vienne, Haus-, Hof- und Staatsarchiv, Familienurkunden (HabsburgLothringische Familienarchiv, Urkunden), 901/2 - copie du temps sur cahier de parchemin (feuillets numérotés de 2 à 9) intitulée: «Copie de certain traictié, translatee de castillan en francois, fait entre Don Fernande, roy d’Arragon, et Don Phelippe, roy de Castille, archiduc d’Austrice, etc.» (2r.) Don Fernando, par la grace de Dieu roy d’Arragon, des Deux Cecilles, de Jherusalem, de Valence, de Maillorques, de Serdeynne et de Corcega, seigneur des Ysles de la Mer Occeane, conte de Barcelonne, duc de Athenes et de Neopatria, conte de Roussillon et de Cerdannya, marquis de Oristant et de Gocianno, administrateur et gouverneur perpetuel des royaulmes de Castille, de Leon et de Grenade, etc. Selon et en la maniere que cy dessoubz est contenu et declaré, faisons savoir a tous ceulx qui ces presentes lettres verront que a la louenge de Dieu, Nostre Createur, paix et bien universel desdis royaulmes et seignouries et plus grant conservacion et acroissement d’iceulx, et afin qu’il soit a tous plus manifeste le grant amour et union qui est et sera tousiours, au plaisir de Dieu, entre les serenissimes roy Don Phelippe et royne Donna Johanna, roy et royne de Castille, de Leon et de Grenade, etc., noz trés chiers et trés améz filz et fille, et nous, a esté accordee, fermee et juree entre nous, lesdis roys, une escripture, capitulacion et accord de la teneur que s’ensuyt. Assavoir que, a la louenge de Dieu, Nostre Seigneur et de sa benoite Mere, a esté fait et accordé entre les trés haulx et trés puissans princes le roy Don Ferrando, roy d’Arragon, des Deux Ceciles, de Jherusalem, etc., et le seigneur roy Don Phelippe, roy de Castille, de Leon et de Grenade, etc., qui sont et appartiennent a trés haulte et trés puissante dame la royna Dona Johanna, a cause que ledit seigneur roi Don Ferrando pretend lui appartenir le gouvernement et administracion desdis royaulmes, tant par le testament de feue trés haulte et trés puissante dame Dona Ysabel, royne d’Espaigne, que Dieu absoille, comme par dation et provision a lui faicte par les procureurs des provinces que l’on dit en Espaigne cortes, qui ont esté tenuz a Thore1 en ce present an XVc et cinq, et aussi par les loix desdis royaulmes et droit commun, a cause de l’indisposicion et empeschement de laditte seignora royna Dona Johanna, sa fille, ou en autre quelconque maniere, que audit seigneur roy Don Ferrando appartient ou peut

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Toro.

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Annexes appartenir ledit gouvernement, et semblablement ledit seigneur roy Don Phelippe, a cause qu’il est legitime mary de laditte seignoura royna Dona Johanna, dit et pretent ledit gouvernement luy appartenir a cause de laditte indisposicion de laditte royne et non audit seigneur roy Don Fernande. Et ainsi soit pour les causes dessusdittes ou autres quelzconques que lesdis seigneurs roys pevent ou pourroient pretendre audit gouvernement, laditte royne Donna Johanna estant en quelque disposicion pour povoir ou non vueillant gouverner ou pour quelque voulenté ou indisposicion qu’elle ait, de quelque qualité que ce soit, ou pour habilité ou inhabilité qu’elle aye, lesdis seigneurs roys ou (2v.) laditte seignora royna ou quelc’un d’eulx le veullant revocquer ou non, par quoy lesdis differens et discort qui a cause dessusditte se pourroyent accroistre, dont a Dieu pourroit desplaire et lesdis royaulmes trés grandement estre adommaigéz, car selon les grans estaz de leurs maisons et parens grant dommage pourroit advenir a la chrestienneté, eu regart au grant amour paternel que une chascune partie doit avoir a l’autre et la grant obeissance que ledit seigneur roy Don Phelippe doit avoir audit seigneur roy Don Ferrando comme a son pere, lequel avec le mesme amour qu’il porte ausdis seigneurs roy Don Phelippe et royna Dona Johanna comme a ses bons enfans, leurs enfans et neveux, entend de cy en avant procurer et regarder a grant soing et amour pour lesdis royaulmes et les conserver comme jusques ores les a gardé et augmentéz et mieulx se faire le peut, pour ce que comme personne qui de si long temps les a gouvernéz et administréz sera bien instruit, experimenté et informé de ce que pour meilleure conservacion et augmentacion se doit faire et dit est dessus que entre pere et les enfans tous deux d’une voulenté et d’un mesme accord, pour quelque droit que ung chascun d’eulx pretend a luy appartenir, pour les choses dessusdittes sont accordéz lesdis seigneurs roy Don Fernando, en sa personne, et lesdis seigneurs roys Don Phelippe et Dona Johanna, par le moyen du seigneur Phillibert, seigneur de Veyré, dit La Mouche, leur ambassadeur et procureur quant a ce specialement deputé par vertu du povoir cy dessoubz de mot a mot inseré, ledit povoir signé de leurs royaulx noms, seellé de leur seel armoyé de leurs armes et attesté par leur secretaire, dont la teneur s’ensuyt. L’appointement et accord est tel que s’ensuyt. 1. Gouvernement conjoint - formulaire Premierement, qu’ilz tiennent pour bien que tous trois conjoinctement gouvernent et administrent et en leurs noms se gouvernent et administrent lesdis royaulmes et toutes leurs seignouries, toutes les choses et cas qui entreviendront au gouvernement et administracion desdis royaulmes de Castille, de Leon et de Grenade, avec leurs deppendences et toutes autres seignouries qui leur appartiennent, tant és choses de justice comme de grace ou d’autres choses quelzconques, de quelque qualité que ce soit. Et que les lettres et provisions qui se despescheront soyent signees de leurs royaulx noms ou despeschees par ceulx de leur conseil, ou par les auditeurs de leurs chancelleries, ou par leurs grans financiers ou autres officiers nomméz alcaldes, et tout ce qui se devra despescher et pourveoir és choses qui se souloient pourveoir par lesdis seigneur roy Don Fernando et feue Dona Ysabel soyent a ceste heure despeschees et pourveues par ledit (sic) Don Fernando, (3r.) Don Phelippe et Dona Johanna, par la grace de Dieu roys et princes de Castille, de Leon et d’Arragon, des Deux Cecilles, de

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Annexes Jherusalem et de Grenade, etc.; et que les secretaires, en signant lesdittes lettres et provisions, dient: «Je, ung tel, secretaire de Leurs Altesses, l’ai escript ou fait escripre par son commandement»; et tous les notaires de chambre et de previleges et autres qui ont acoustumé de signer et attester lesdittes provisions dient: «Je, ung tel, notaire de Leurs Altesses, l’ay fait escripre par l’ordonnance de leurs consaulx ou de leurs auditeurs, alcaldes ou consertadores», selon et pour qui seront despeschees lesdittes lettres et provisions; et que és provisions qui ne seront despeschees par lettres patentes fort seulement par cedules soit escript en hault en la lettre qui sera signee de tous trois: «Les Roys et la Royna»; et en la lettre qui sera signee desdis seigneurs roys seulement soit escript au dessus: «Les Roys», et les secretaires escripront dessoubz: «Par le mandement de Leurs Altesses, je, ung tel, etc.», lequel tiltre s’entend sans preiudice du droit et preeminence de la couronne de Castille et d’Arragon. 2. Signature des actes Item, a esté accordé que leurs previleges, provisions et cedules qui selon la coustume et ordonnance desdis royaulmes se doivent signer de leurs noms, qu’ilz les signeront tous trois, premiers ledit seigneur roy Don Fernande pour ce qu’il est pere, aprés ledit seigneur roy Don Phelippe, et aprés seignora royna Dona Johanna en tant qu’elle veulle ou peut signer. Mais afin que les expedicions des affaires ne soient trop longs, si laditte seignora royna Dona Johanna ne veult ou ne peut signer, que en ce cas soient de valeur les signés desdis seigneurs roys Don Fernando et Don Phelippe par l’ordre dessusdit, et que de tous deux soient signéz et non de l’un sans l’autre, ou autrement seront de nulle valeur et ne seront obey ne gardé. Et s’il advenoit, que Dieu ne veulle, que l’un ou l’autre desdis seigneurs roys fust malade tellement qu’il ne pourroit signer, en ce cas souffira que les provisions et cedules de justice soient signees de celuy qui sera en sancté, en telle sorte que les tiltres des provisions, lettres patentes et previleges seront ou nom de tous trois ainsi que dessus est dit. Et se autrement lesdittes provisions sont despeschees, l’on ne les pourra passer ne seeller. 3. Publication de décisions judiciaires Que les cryees de justice qui se feront en la court et dehors se feront en telle maniere: «C’est la justice que Leurs Altesses ont commandé faire a cest homme pour tel mesuz qu’il a commis». 4. Serments d’allégeance Item, que lesdis roys Don Phelippe et Dona Johanna arrivéz en ces royaulmes, ilz seront incontinent juréz par les procureurs des cortes, villes et citéz (3v.) d’iceulx royaulmes qui ont voix a ce, laditte seignora royna Dona Johanna pour royne et dame proprietaire desdis royaulmes et ledit seigneur roy Don Phelippe pour roy desdis royaulmes comme son legitime mary. Et que en ce mesme instant soit juré par lesdis procureurs pour administrateur et gouverneur perpetuel desdis royaulmes pour la part et de la maniere que en ceste capitulacion se contient ledit seigneur roy Don Fernando. Et que incontinent lesdis procureurs des cours, ou nom de ceulx qui a ce les auront constituéz, jurent et facent serement solempnel de tenir, garder et faire tenir et garder audit seigneur roy Don Fernande et ausdis seigneurs roys Don Phelippe et Dona Johanna tout ce que sera contenu en ceste presente capitulacion et les asseurent par les seremens,

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Annexes escriptures et solemnitéz que par lesdittes parties et par chascune d’icelles leur sera demandé. Et semblables seremens et escriptures que lesdis procureurs auront fait et juré facent et jurent aussi les appartenans a la couronne. Et que toutes les choses dessusdittes jureront pareillement les prelatz et grans maistres de cesdis royaulmes selon la forme et maniere dessusditte, a peine d’encourir indignacion. Et mesmement que esdis estatz et par lesdis procureurs, prelatz et grans maistres soyent juréz pour princes et legitimes successeurs et heritiers des royaulmes de Castille, de Leon et de Grenade et de toutes leurs seignouries, aprés le trespas de laditte seignora royna Dona Johanna, le illustrissime seigneur le prince Don Charles, premier filz legitime desdis seigneurs roy Don Phelippe et Dona Johanna, en la forme et maniere que l’on a acoustumé jurer les princes de Castille. 5. Acquittement des dépenses et partage des recettes publiques Item, que toutes les rentes de cesdis royaulmes de Castille, de Leon et de Grenade et de toutes leurs seignouries, appendences et appartenances, tant des Ysles de Canaria comme des Ysles de Terre Ferme2, des Yndes, de la Mer Occeane, tant de l’Isle Espaignole3 comme des autres trouvees et qui se pourront trouver cy aprés, tant de ordinaire que d’extraordinaire, confiscations et paynes de la chambre, le tout reduit a une somme, se payent les choses acoustumees estre payees, tant des gensdarmes de pied et de cheval, artilleries et capitaineries de chasteaulx et des gentilz hommes de la maison, et despenses de conseil, de chancellerie et de secretaires, alcaldes et autres justiciers et officiers que desdittes rentes l’on a acoustumé payer et qui sont escriptz és livres et papiers, ensemble de tous autres despens appartenans a l’estat et couronne de ces royaulmes et les charges dessus furnyes et payees. Et de la reste qui demourera prendra la moitié, ledit seigneur roy Don Fernando pour sa despense et faire ce que bon luy semblera, et l’autre moitié prendra ledit seigneur roy Don (4r.) Phelippe pour la despense de sa maison et de laditte seignora royna Dona Johanna et pour en faire ce que bon leur semblera. 6. Partage et perception des revenus Item, se cesdis royaulmes faisoient aucuns services ausdis seigneurs roys pour les ayder és necessitéz qu’ilz auront ou pourront avoir, ce ne se pourra prendre ne recevoir sans le congié desdis deux seigneurs roys Don Fernando et Don Phelippe. Et que ce que l’on en recevra se partira par moitié entre lesdis seigneurs roys, et en disposeront a leur voulenté, et que tant pour la somme que ung chascun desdis seigneurs roys aura a sa part des aydes dessusdittes la moitié comme des rentes qui resteront de l’ordinaire et extraordinaire desdis royaulmes, ensemble des confiscacions et paynes de chambre et de tout le remanant, sera observé cest appointement et capitulacion. Et pourra ung chascun dedis seigneurs roys deputer ung tel tresorier ou tresoriers qu’il luy plaira pour la part de ses deniers.

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Côte d’Amérique du Sud, de l’embouchure de l’Orénoque à l’Isthme de Panama. Saint-Domingue.

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Annexes 7. Recette et affectation de taxes pour la croisade Et pour ce que souvent il advient en cesdis royaulmes aucuns extraordinaires de grant somme ordonnéz pour aucunes choses et dont seroit grant charge de conscience a les despendre et employer en autres choses, ainsi comme ce que se pourroit lever d’aucunes bulles, cruciade, jubilee ou decime donnee et concedee par Nostre Saint Pere le pape pour faire la guerre aux Morres ou pour aucuns services que cesdis royaulmes feroient a leursdis seigneurs pour laditte guerre, est accordé que ce qui s’en levra sera employé en la despense et autres necessitéz de laditte guerre et non ailleurs, et quant ores une chascune desdittes parties seroient d’accord, ne se pourront despendre en aucune autre chose. Et afin que ce se puist mieulx faire et acomplir, lesdis seigneurs roys Don Fernando et Don Phelippe nommeront par ensemble une ou deux personnes qui seront tresoriers et receveurs desdis deniers, afin que par deliberacion de Leurs Maiestéz lesdittes deux personnes et non l’un sans l’autre ayent a despendre lesdis deniers en laditte cause ou necessité pour laquelle le pape les aura concedé lever. 8. Nominations aux offices publics Item, pour eviter les inconveniens et differens qui se pourroient sourdre a cause de la provision des offices et pour garder plus grant equité entre lesdittes parties, sera observé l’ordre et la provision d’iceulx tel qu’il s’ensuyt. Que en quelque ville ou cité ou la provision desdis offices soit appartenant a la couronne royal, que ledit seigneur roy Don Fernande pourvoye et face grace d’un office et ledit seigneur roy Don Phelippe d’autre en ceste maniere; és offices nomméz alcaldias et algasiladgos et prevostéz et regimentes et veyntequatrerias (4v.) et escripvans de concejo, que ung chascun desdis seigneurs roys pourvoye a l’un et l’autre comme dit est, sanz faire difference que ung office soit meilleur que l’autre; que és offices nomméz jura deycias de chascune cité ou laditte provision appartiendra a Leurs Maiestéz, ung pourverra de l’un et l’autre de l’autre; et és offices nomméz escripvanias, soit qu’ilz soient du nombre ou de aucunes judicatures, que l’un pourverra de l’une et l’autre de l’autre. Et que par le mesme ordre que l’on aura pourveu esdis offices en une cité l’on pourverra en toutes les autres citéz et lieux desdis royaulmes ainsi que dit est, se la provision d’iceulx ou election de ceulx qui seront esleuz appartienne a la couronne royal, mais que lesdittes provisions seront despeschees soubz ledit tiltre signees de tous les deux roys; et que mesmement és offices nomméz scripvanas de rentes, que l’un pourvoye a l’un et l’autre a l’autre ainsi qu’ilz vacqueront, sans avoir regart que l’un soit meilleur que l’autre. Et afin que l’on observe equité en la provision des offices nomméz corregimentos et gouvernateurs ou d’autres offices de justice, que lesdis seigneurs roys Don Fernando, ou la personne qu’il y commectra, fera faire ung memorial des offices nomméz corregimentos et gouvernateurs pour les partir plus egalement que faire se pourra, et que l’une partie d’iceulx eslira ledit seigneur roy Don Phelippe pour en pourveoir a son plaisir, et de l’autre moitié pourverra ledit seigneur roy Don Fernando a qui qu’il luy plaira, par tel si que en la provision desdis offices, soit qu’ilz soient pourveuz par l’un ou par l’autre desdis seigneurs roys, que les provisions soient signees de tous deux et non de l’un sans l’autre. Lesquelles dessusdittes provisions et cedules de graces ou d’offices et de justice ou de biens confisquéz ou d’autre quelconque don ne les pourront signer sans estre signees d’aucuns de leur conseil conforme a la loy desdis royaulmes, les graces de justice par ceulx du conseil, les dons d’office ou de

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Annexes quelque autre chose de la personne ou personnes de leur conseil qui par Leurs Maiestéz seront a ce commis, et les dons des biens par les contadores maiors ou leurs lieuxtenans, et de tous les autres par ceulx qui par Leursdittes Maiestéz en chascun office seront commis, ainsi que souloit estre du temps dudit seigneur roy Don Fernando et de laditte feue seignora royna Dona Ysabel, que Dieu absoille. Toutesfois, se pour eviter les inconveniens et doubtes qui pourroient advenir es choses dessusdittes, ledit seigneur roy Don Phelippe estoit content et fust son plaisir que en certaine partie desdis royaulmes, en la provision de grace, d’office et de justice, que l’un pourvoye et face grace de ce que y vaquera en l’une partie et ledit roy Don Fernando pourvoye en l’autre partie desdis royaulmes, que ledit seigneur roy Don Fernando soit tenu de ce faire et que en tel cas l’un soit tenu de signer ce que (5r.) l’autre signera, pour ce que les provisions doivent estre signees de tous troiz ou des deux, ainsi que dit est, a condicion que cecy se devra faire en certain temps d’un an ou de six mois, comme a Leurs Maiestéz semblera bon. Et ledit terme passé, l’un prengne la part que l’autre laissera pour ledit temps, de sorte toutesfoiz que equité sera observee entre eulx et que en ce cas ledit seigneur roy Don Fernando face ou face faire le partage et ledit seigneur roy Don Phelippe choisisse. Et par ceste maniere semble qu’ilz pourront pourveoir sans different desdis droiz d’offices, de grace et de justice. 9. Collation des charges archiépiscopales et épiscopales Item, que en la presentacion des eveschéz et archeveschéz soit observé l’ordre qui s’ensuyt. Que a la suplicacion du seigneur roy Don Fernando se pourvoye a l’une et a la suplicacion du seigneur roy Don Phelippe se pourvoye a l’autre ainsi qu’elles vaqueront, sans faire difference que l’un soit archevesché et l’autre eveschié ou l’une de plus grande revenue que l’autre. Toutesfoiz que lesdittes suplicacions et presentacion a Nostre Saint Pere pour la despesche desdis eveschéz et archeveschez seront escriptes avec le tiltre et nom de tous trois et signees de tous deux lesdis seigneurs roys et non autrement. Et que l’un soit tenu de signer la suplicacion que l’autre signera selon l’ordre dessusdit, sans en faire aucune difficulté ou y baillier empeschement. 10. Collation des autres bénéfices ecclésiastiques Item, que és autres benefices comme d’abbayes, chappellenies maiors et minors, prioréz, patronatz et autres benefices qui seront a la collacion et provision de Leurs Maiestéz y soit observé l’ordre dessusdit des eveschéz et archeveschéz, par maniere que par provision et presentacion de l’un desdis roix soit pourveu a l’une et de l’autre a l’autre, et qu’elles soient signees de tous deux comme dit est. 11. Entretien des gardes royales Item, que les gens des gardes et autres nomméz acostamientos, tant a piet que a cheval, serviront bien et loyaulment ausdis seigneurs roys sans faire difference de l’un ou de l’autre. Et se lesdis seigneurs roys veullent accroistre ou dimynuer lesdis gens des gardes et autres nomméz acostamyentos, qu’il soit fait du consentement desdis seigneurs roys par ensemble, et seront payéz desdittes rentes. Et que pour payer lesdis gens des gardes, ung chascun desdis seigneurs roys commette ung ou pluseurs qui les devra payer, ausquelz sera delivré la moitié de la somme que montera le payement desdis gens.

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Annexes 12. Nominations au conseil royal Item, quant aux personnes qui resident pour le present au conseil, tant presidens que autres, sera a la voulenté du seigneur roy Don Phelippe pourveoir de la moitié desdittes personnes, en laissant ceulx qui y sont a present, s’ilz luy sont agreables, pour en y mettre autant; et s’il en veult oster la moitié, le pourra aussi faire en y mettant des autres; et que l’autre moitié sera a la voulenté dudit seigneur roy Don Fernando (5v.) pour en faire ainsi qu’il advisera; et que le mesme ordre soit observé au temps avenir en maniere qu’ilz y pourvoyent chascun par moitié. Et quant au president du conseil, lesdis seigneurs roys y pourront commectre ung par ensemble s’ilz en sont d’accord, et s’ilz ne s’accordent, que l’un desdis seigneurs roys pourverra l’une annee d’un president et l’autre roy l’annee aprés d’un autre president, pourveu que la provision de l’un et de l’autre soit avec le tiltre de tous trois et signee desdis seigneurs roys, ainsi que és autres offices. Et que és consultacions et despesches des affaires soient tous ensemble, lesquelles consultacions se tiendront aux jours a ce assignéz avec Leurs Maiestéz, et non l’une sans l’autre, saulf toutesfoiz que s’il venoit aucune provision pour la despesche de laquelle longuement retardee pourroit avenir dommaige ou inconvenient, que en tel cas lesdittes provisions et affaires soient consultéz avec lesdis seigneurs roys par ensemble ou separeement avec les personnes que au conseil pour ce faire seront par eulx commis et ordonnéz. 13. Nominations à des offices de cour Item, que en la provision des offices nomméz alcaldes de court et fiscalles et argosilles et escripvanos de cambre et de la carcel soit observé l’ordre dessus escript en l’article precedent. 14. Nominations aux (deux) audiences royales Item, que en ce que touche les presidens, auditeurs, fiscales et escripvanos de cambra, receveurs et advocas de povres, et des autres officiers qui se doivent pourveoir par Leurs Maiestéz, tant en l’audience qui reside en la ville de Vailledoli comme celle qui reside en la cité de Grenade, sera observé l’ordre dessudit de ceulx du conseil. Et que ou cas qu’il vaque aucuns desdis offices ou que l’on y veulle adiouster autres officiers de nouveau, que en tel cas ledit seigneur roy Don Fernando pourverra a l’un et ledit seigneur roy Don Phelippe a l’autre, tout ainsi que est contenu ou chapitre de ceulx du conseil. 15. Nomination à l’office de premier maître d’hôtel Item, en tant qu’il touche a l’office de domo maior dudit seigneur roy Don Phelippe et de laditte seignora royna Dona Johanna pour les offices de Castille, pourveu qu’il n’en ait que ung la provision sera a la disposicion dudit seigneur roy Don Phelippe. 16. Nomination aux offices de trésoriers généraux Item, quant aux contadors maiors qui sont a ceste heure, ilz demourront en leurs offices et leur en sera donné nouvelle provision. Toutesfoiz se ledit seigneur roy Don Phelippe veult avoir encore ung aultre contador maior et qu’ilz soient trois contadors maiors, en ce cas ledit seigneur roy Don Phelippe peut nommer a sa voulenté la personne qu’il vouldra, lequel aura ledit office de contador maior a telles pension et sallaires que ont les autres contadors maiors

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Annexes a cause de leursdis offices; mais le premier vacant desdis trois contadors, l’on n’en y pourra point pourveoir d’un autre (6r.) et de la en avant n’en y aura que deux ainsi qu’il est de coustume, pour ce que ce seroit au grant detriment et diminucion des rentes desdis royaulmes et empeschement aux poursuyvans qui ont affaire ausdis contadors. Et seront despeschees lesdittes provisions tant de cely que ledit seigneur roy Don Phelippe nommera que des autres qui sont de present et signees avec le tiltre dessusdit comme és autres offices. Et de la en avant, quant vaquera l’un desdis offices, l’un pourverra a l’un et l’autre a l’autre. 17. Nominations à d’autres offices de trésorerie Item, quant aux autres contadors maiors des comptes et leurs officiers et le seel et au registre et autres semblables offices qui ont le tiltre de la feue royna Dona Isabel, iceulx offices resteront a la volenté et determinacion desdis seigneurs roys de les laisser ou les oster; et quant ilz vaqueront, l’un pourverra a l’un et l’autre a l’autre par l’ordre et maniere dessusdit. 18. Personnel de la chapelle royale Item, quant a prendre le premier chappellain et autres chappellains, sacristans, chantres et serviteurs de chappelle desdis seigneurs roys, en pourra prendre autant qu’il luy plaira, et que chascun payera les siens de sa part des rentes dessusdittes. Mais quant il fauldra supplier au pape pour aucun indult et Sa Sanctité l’aura accordé pour lesdis chappellains, que l’on partira les benefices egalement chascun a ses chappellains. 19. Autre personnel de l’hôtel royal Item, quant aux autres offices de la maison desdis seigneurs roys, comme conteurs de despense, contreroleurs, mulatiers, escuiers, fruitiers, huissiers, portiers et hommes de chambre, massiers, menestriers et autres semblables offices de laditte maison royal, ung chascun desdis seigneurs roys en pourra prendre autant qu’il luy plaira et les payera de sa portion des deniers des rentes desdis royaulmes. 20. Privilège du guet auprès des rois En oultre, pour ce que les previleges de ceulx de Spinosa4 sont fort antiques et sont esté entretenuz et observéz par les roys pour faire le guet de nuyt de la personne des roys et royne aprés qu’ilz sont couchéz, que lesdis previleges seront encores de present observéz et la moitié d’iceulx serviront audit seigneur roy Don Fernando et l’autre moitié audit seigneur roy Don Phelippe et royna Dona Johanna en laditte garde, en la facon qu’ilz servoyent et estoient du temps de la feue royne Donna Ysabel. 21. Fourriers et logements Item, que les fourriers que l’on ordonnera, tant des nouveaulx que de ceulx qui sont de present, chascun desdis seigneurs roys en mettra autant qu’il luy plaira pour ce qu’ilz seront payéz de leurs deniers. Et quant ilz yront prendre les logiz

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Espinosa de los Caballeros (au sud de Valladolid et de Medina del Campo)?

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Annexes en villes ou citéz ou en allant par pays et lesdis seigneurs roys iront ensemble, il en yra ung de la part dudit seigneur roy Don Fernando et de la part dudit seigneur roy Don Phelippe (6v.) ung autre, et sera le rolle des logis accordé et signé desdis seigneurs roys pour ceulx qui seront logiéz en chemin et aussi pour ceulx qui seront continuellement avec iceulx seigneurs roiz. Et afin que lesdis fourriers puissent mieulx faire lesdis logis, ne se donneront point de cedules pour logier personne ny en certains logis par lesdis seigneurs roys ne par aucuns d’eulx. 22. Mesures préventives de tranquillité publique Item, pour ce que quant il plaira a Dieu que lesdis seigneurs roy Don Phelippe et royna Dona Johanna viendront, ledit seigneur roy Don Ferrando leur pere et iceulx des royaulmes les viendront recevoir, et pour ce que en les recevant y occurra et aura grant multitude de gens tellement qu’il pourroit venir quelque scandalle entre les ungs et les autres, pour eviter iceluy et faire que laditte reception se face a plus grant triumphe, comme est de raison, est accordé que lesdis seigneurs roys et chascun d’eulx pourvoyent et commandent que tant les gens des royaulmes qui viendront a les recevoir comme ceulx qui viendront de dehors dudit royaulme voisent et viennent en paix. Et encores aprés que lesdis seigneurs roy et royna seront ensemble, se observe dés lors en avant ce que dessus. 23. Alliances et ambassades communes Item, est accordé que l’obeyssance que ou nom desdis royaulmes se doit faire au pape se donne ou nom desdis seigneurs roys et royne, c’est assavoir pour lesdis seigneurs roy Don Phelippe et royna Dona Johanna comme roys de Castille, de Leon et de Grenade, et par le seigneur roy Don Fernande pour la part qui luy appartient du gouvernement et administracion desdis royaulmes, par la personne ou personnes qui seront deputéz par lesdis roys Don Fernande et Don Phelippe. Et que mesmement toutes les confederacions, amitiéz et alyances et tous autres contractz qui au nom de la couronne royal de ces royaulmes de Castille se feront avec quelzconques roys, princes ou communaultéz, elles se devront accorder et signer par lesdis seigneurs roys Don Fernando et Don Phelippe, et ne les pourra faire ne octroyer l’un sans l’autre. Et mesmement que les ambassadeurs qui pour ceste cause et autres quelzconques choses touchans a ces royaulmes envoyera dehors desdis royaulmes, quelque part que ce soit, qu’ilz soient commis et nomméz par les deux parties et voisent avec leurs lettres, povoirs et instructions selon la qualité de leurs negoces pour lesquelz ilz seront envoyéz, lesquelz ambassadeurs seront payéz par lesdis seigneurs roys par ensemble. 24. Nominations aux commanderies des ordres militaires Item, pour ce que en cest traictié et accord, duquel Dieu est tant servy, appert la grant amour et affection qu’est entre lesdis seigneurs roys, plaist audit seigneur roy Don Fernando et a bien agreable pour mieulx monstrer en toutes choses l’amour qu’il leur porte, afin que ledit seigneur roy Don Phelippe puisse faire de plus grans dons et biens a ses serviteurs, que de toutes les commanderies qui vaqueront par trespas ou delictz en tous les trois magestratz de Saint Jaques, Calatrava et Alcantra, desquelz l’administracion perpetuel appartient (7r.) audit roy Don Fernando par auctorité apostolique, ledit seigneur roy Don Phelippe puisse pourveoir de la moitié d’iceulx és personnes qu’il luy plaira,

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Annexes pourveu que lesdittes personnes soient de l’ordre et conforme a leurs statuz en la forme suyvant: que aprés que ledit seigneur roy Don Fernando aura pourveu de la premiere commande qui vaquera oudit ordre de Saint Jaques, incontinent la premiere vacant oudit ordre de Saint Jaques ledit seigneur roy Don Fernando en pourra pourveoir a la voulenté, advis et plaisir dudit seigneur roy Don Phelippe a la personne qu’il nommera estant de la qualité dessusditte, et par la mesme maniere alternative pourverra aux autres commandes qui de la en aprés vaqueront oudit ordre de Saint Jaques; et semblablement pourverra des autres commanderies qui vaqueront esdis ordres de Calatrava et Alcantra, en observant que aprés que ledit seigneur roy Don Fernando aura pourveu de la premiere commande qui vaquera en l’un desdis ordres, de la premiere qui vaquera en quelque desdis ordres se pourvoye a la voulenté dudit seigneur roy Don Phelippe ainsi que dit est, et dés la en avant l’on pourverra de la mesme sorte a la voulenté desdis seigneurs roys, l’une a la voulenté de l’un et l’autre a la voulenté de l’autre. Et promet ledit seigneur roy Don Fernando et s’oblige de donner supplicacion et consentement a Nostre Saint Pere, afin que Sa Sanctité consente que aprés son trespas lesdis magestratz soient en perpetuelle administracion et disposicion desdis seigneurs roys Don Phelippe et royne Dona Johanna et soient observé durant la vie du dernier vivant d’eulx, ainsi que a esté concedé audit seigneur roy Don Fernando et royne Dona Ysabel, que Dieu absoille. 25. Modalités de gouvernement en cas d’absence d’un des deux rois Item, que en cas que aucuns desdis seigneurs roys se absente desdis royaulmes, le gouvernement et administracion sera entierement a celuy qui demourera oudit royaulme. Mais quant aux presentacions et supplications des eveschéz, archeveschéz et autres benefices ecclesiastiques, aussi en commandes, abbayes, capitainneries, la moitié sera a pourveoir de celuy qui sera absent selon l’ordre de ce traictié. Et que en ce qui touche les autres provisions d’offices, graces et toutes autres choses qui par cedit traictié restent a la provision desdis seigneurs roys avant que l’un ou l’autre parte desdis royaulmes, se accorderont et donneront ordre comment l’on pourverra esdis offices et graces pour la part que appartient a cely qui se absentera, consideré la qualité des offices et que en ce qui touche la rente de ce qui demeurera de la part de celuy qui s’absentera, tant ordinaire, extraordinaire, confiscacions et paynes de chambre desdis royaulmes, qu’il se delivre a la personne ou personnes que le roy qui se absentera ordonnera, ainsi que s’il estoit present en iceulx royaulmes. Et se l’absence desdis roys est dedens lesdis royaulmes comme de dix lieues ou plus et par temps de trente jours ou plus, que en tel cas celuy qui se absentera veult que avec luy s’en allent et resident les (7v.) personnes du conseil et autres nomméz alcaldes et porteros de court, et argosilles, scripvanos de cambre et autrez qui par chascun d’eulx auront esté nomméz, qu’il se face comme il luy plaira et avec l’autre restent s’il veult les autres du conseil et les alcaldes, argosilles et escripvanos qui par luy seront deputéz, et que en tel cas les dons d’offices, de presentacions, de benefices et des autres choses dessus declarees qui se devront partir selon que dit est, qu’est que l’un pourvoye de l’un et l’autre de l’autre, en mectant toutesfoiz le tiltre de tous trois et le signet desdis deux seigneurs roys; mais és cas et choses de justice qui se devront a pourveoir en la cité ou lieu que la court de chascun d’eulx residera a cinq lieues alentour, que en icelles pourverra le roy et son conseil qui la se tiendra sans que l’autre ne son conseil en puisse

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Annexes pourveoir és autres choses de justice qui occurront en tous les royaulmes, toutesfoiz ung chascun desdis seigneurs roys les pourra despescher avec son conseil, mais que toutes provisions qui se despescheront en une facon ou autre soient intitulees comme dit est. Et és provisions qui se devront signer de leurs noms royaulx en cas qu’ilz soyent absens, pour excuser et non fatiguer de labeur ceulx qui auront a besongnier, souffira qu’ilz soyent signéz du nom de l’un desdis seigneurs roys et de la seignora royna Dona Johanna, en cas que Sa Maiesté le vouldra ou pourra. Et se a la requeste desdittes parties a qui il touche des offices sont donnees contraires provisions par lesdis seigneurs roys ou ceulx de leur conseil, que en tel cas sera gardé le droit de cely a qui premier il sera donné, et que és choses commencees par devant l’un desdis seigneurs roys ou son conseil, l’autre roy ne son conseil ne s’en empesche point ne n’y peusse par dessus l’autre donner aucune provision, surseance ne inhibition ne autre chose de quelque qualité que ce soit. Et que nul desdis seigneurs roys puisse donner provisions ne cedules par lesdis auditeurs pour mettre aucun empeschement és choses et cas de justice, ne audit temps d’absence se pourra congnoistre par aucun desdis seigneurs roys ne par son conseil d’aucun procés qui soit d’aucunes villes ou chasteaulx ou autres semblables choses qu’on demandera de la couronne, et se differera jusques au temps que lesdis seigneurs roys et leur conseil seront ensemble, et ce que autrement sera expedié sera de nul effect et valeur. Quant aux negoces et procés pendans par devant le conseil resident la ou seront Leurs Maiestéz au temps qu’ilz se separeront l’un d’avec l’autre comme dit est, que les personnes qui resteront en ung conseil et les personnes qui resteront en l’autre seront a la deliberacion de Leurs Maiestéz en considerant la qualité des choses et affaires du lieu la ou ilz sont et la ou ilz yront, et le determinent comme ilz verront convenable pour leur service et le bien des parties (8r.). 26. Une même loyauté envers une seule Couronne et deux rois Item, pour ce que les prelatz et grans maistres et autres personnes desdis royaulmes, comme enclins au bien d’iceulx royaulmes et de Leurs Maiestéz ayent procuré la paix et concorde de Leurs Reales Maiestéz, veulent et declarent lesdis seigneurs roys que pour se avoir monstré aux negoces plus affectionnéz a l’une partie que a l’autre ou pour quelconque autre chose que soit entretenue de la part desdis prelatz, grans maistres et autres personnes, que tous soient tenuz pour bons serviteurs de Leurs Maiestéz et de la couronne royalle desdis royaulmes. Et se lesdis seigneurs roys leur promectent et asseurent par leur foy et en motz de roys que eulx, leurs estatz et maisons, honneurs et biens n’auront aucun preiudice ou dommaige directement ou indirectement pour les choses dessusdittes, ains seront par lesdittes deux parties et par chascune d’icelles bien traictees et auront regart a leurs affaires comme de leurs vrayz serviteurs. 27. Dispositions successorales et matrimoniales Item, en cas que ledit seigneur roy Don Fernando n’ait aucun filz male descendant de legitime mariaige, est tout notoire que la succession de tous ses royaulmes et seignories appartient a laditte seignora Dona Johanna sa fille et a ses enfans descendans d’elle. Toutesfoiz se ledit seigneur roy Don Fernando a ung filz male procreé de legitime mariaige, afin que les couronnes de Castille et d’Arragon soient plus unyes, est accordé entre lesdis seigneurs roys que le premier filz legitime que ledit seigneur roy Don Fernando aura prendra a mariage

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Annexes une des filles du dit seigneur roy Don Phelippe et de laditte seignora royna Dona Johanna, et se ledit seigneur roy Don Fernando n’a aucun filz male procreé de legitime mariaige et aura seulement une fille procreé en legitime mariage, estant aisnee qu’elle doit prendre a mariaige l’un des filz dudit seigneur roy Don Phelippe. Et jurent et promectent lesdis seigneurs roys que quant leurs filz seront d’eage pour eulx marier, ilz se donront payne que leurs filz se maryent par paroles de present, ainsi que Nostre Mere Sainte Eglise se commande. Et tant que touche les dotz que ung chascun desdis seigneurs roys donra a ses filles pour ledit mariaige, ilz accorderont ce que sera juste et raisonnable. 28. Déclaration de paix et de soutien mutuel Item, combien que l’amitié d’entre le pere et le filz soit la plus grande qu’elle peut et entre telles personnes en ce cas d’amitié ne se doit faire ne adiouster chose que naturellement ne se doive faire, toutesfois pour plus grant manifestacion de l’amour qu’est entre eulx et doit estre tousiours, au plaisir de Nostre Seigneur, lesdis seigneurs roys font et accordent entre eulx paix, amitié et confederacion perpetuelle, amis d’amys et ennemis des ennemis sans exception d’aucune personne, pour la conservacion et deffension de leurs estaz, et pour ce se aideront l’un l’autre avec toute leur puissance, tout ainsi que se l’affaire de l’un estoit le propre affaire de l’autre, (8v.) sans aucune difference. Et pour seurté que lesdittes parties observeront et acompliront tout ce qu’est contenu en ce present traictié et capitulacion, ensemble laditte paix, amitié et confederacion, nomment pour conservateurs et asseurances de toutes les choses dessudittes Nostre Saint Pere le pape, les serenissimes roys des Romains, d’Angleterre et de Portugal, et veullent et consentent lesdittes parties que ou cas que aucunes d’icelles rompe le contenu de ce present traictié ou partie d’icellui, que en ce cas lesdis seigneurs nomméz pour conservateurs se puissent joindre ensemble pour ayder a celluy qui observera cedit traictié alencontre de celuy qui le rompra, non obstant quelconque autre capitulacion ou accord que une chascune desdittes parties aura fait ou pourra faire avec lesdis dessus nomméz, desquelz capitulations, accordz et traictiéz en cedit cas l’on les tient pour deschargiéz. Et pour plus grant confirmacion et observacion des choses dessusdittes, lesdittes deux parties ensemble envoyeront supplier Nostre Saint Pere pour approuver cesteditte capitulacion et accord, et qu’il mande par grandes censures qu’ilz entretiennent et observent a jamais tout le contenu en cedit traictié et capitulacion et une chascune partie d’icelle. 29. Autres dispositions éventuelles à négocier Item, que tout le contenu en ce present traictié, capitulacion et accord s’entend saynement sans cautelle ne autre entendement de parolles ne argumens sinon conformes au vray et plain sens qui se monstre par la lettre. Et pour ce que audit gouvernement pourront advenir d’autres cas dont és dessusdis articles n’est faicte aucune mencion, pour ce que pour la grandeur de ces royaulmes et seignouries viennent aucun cas que l’on ne peut exprimer et lesquelz ne sont point pour ceste heure en mesure, est entendu que tous lesdis cas qui surviendront oudit gouvernement se determineront et pourverront comme dessus est dit és choses declarees en ceste capitulacion.

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Annexes 30. Clause dérogative Item, est accordé que lesdittes parties concedent et accordent les dessusdis articles non obstant quelzconques loix, statuz, usaiges ou coustumes escriptes et non escriptes, tant de droit commun comme de ces royaulmes, et sans empeschement d’aucuns previleges, protestacions ou reclamations et promesses qui au contraire par aucunes desdittes parties sont faictes ou se pourroient faire, tout ainsi que se de mot en mot ilz fussent expressement declaréz en ces presentes, encores qu’elles soient en faveur desdittes parties ou aucunes d’elles ou en faveur de royaulme ou aucuns mediateurs, lesquelles quant a ce ilz veullent estre nulles et de nul effect et valeur. Lequel traictié cy inseré et conclu veu de mot a mot et entendu par nous, ledit roy Don Fernando, le approuvons, louons, ratiffions et confirmons, promectons (9r.) et jurons a Dieu Nostre Seigneur et a sa sainte Mere et aux quatre saintz Evangilles de noz mains corporellement touchiés, present ledit seigneur de Veyré, ambassadeur et procureur desdis serenissimes roy et royne, noz enfans, et messire Andrieu de Burgo, ambassadeur du serenissime roy des Romains, nostre trés chier et trés amé frere, que acomplirons, maintiendrons et garderons cedit traictié et capitulacion et toutes les choses y contenues, c’est assavoir les choses que nous, par vertu de cedit accord, sommes tenu et obligié de acomplir, faire et garder et une chascune d’icelle, en bonne foy et sans mal engin, fraude ou aucune cautelle, soubz les clauses, pactz, lyens, promesses, obligacions et condicions contenues en cestedicte capitulacion. Pour lesquelz tenir, acomplir et garder obligeons noz biens fiscalz et patrimonialz et de la couronne de noz royaulmes, et pour certaineté et corroboracion et validacion de toutes les choses dessusdittes avons mandé despescher les presentes signees de nostre main et seellees de nostre sel. Donné en la cité de Salamanca, le XXIIIIe jour du mois de novembre l’an mil cinq cens et cinq. Yo, el Rey. Les tesmoings qui ont esté presens és choses dessusdittes: Monsseur Jehan Cabrero, camarero dudit seigneur roy Don Fernando, et les licenciéz Loys Chapata et Hernand Teillo, tous conseilliers de Ses Maiestés. Et je, Michiel Perez de Almazan, secretaire dudit trés hault et trés puissant seigneur roy Don Fernando, mon seigneur, notaire publique par auctorité apostolique et real, ay esté present avec lesdis tesmoings au temps que ledit seigneur roy, en son propre nom, et ledit monseigneur de Veyré, ou nom et comme procureur desdis trés haulx et trés puissans seigneurs le roy Don Phelippe et royna Donna Johanna, mes seigneurs, consentirent, jurerent et firmerent cedit traictié, lequel est escript en unze feuilletz de papier avec cestuy cy ou mon signet est mis, et par commandement de Sa Maiesté, a la requeste dudit ambassadeur, l’ay fait escripre et l’ay signé de mon signet en tesmoing de verité. Michiel Perez de Almazan. Et je, Phillibert de Veyré, dit La Mouche, seigneur de Veyré, ambassadeur et procureur desdis trés haulx et trés puissans seigneurs le roy Don Phelippe et la royna Donna Johanna, mes seigneurs, par vertu dudit povoir cy dessus inseré

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Annexes que j’ay quant a ce, veu et entendu cedit traictié dessus inseré de mot a mot, consens et accorde tous les chapitres et toutes choses en chascun d’eulx contenuz, et prometz et asseure et me oblige oudit nom que lesdis seigneurs me constituans feront et acompliront realement et en effect, toutes frauldes et cautelles cessans, tout le contenu en cedit traictié, c’est assavoir (9v.) ce qu’il leur appartient et touche de faire, acomplir et garder selon et en la forme et maniere contenue és dessusdis articles, et que ilz ne yront ne viendront alencontre d’iceulx ne d’aucune partie en aucun temps ne par aucune maniere, et que mesmement dedens soixante jours prochains suyans a compter du jour de la date de ces presentes lesdis seigneurs roys me constituans approuveront, signeront, firmeront et ratiffieront cesteditte capitulacion et tout ce qu’est en icelle contenu et promectront, asseureront et jureront de le garder et acomplir en ce que a eulx touche de faire et acomplir, et qu’il fera donner et delivrer audit seigneur roy Don Fernando cedit traictié signé et approuvé en la maniere que dit est des noms royaulx dudit seigneur roy Don Phelippe et royna Donna Johanna, mes seigneurs, pour lesquelz je oblige les biens desdis seigneurs me constituans, patrimonialz et fiscalz et de la couronne de leurs royaulmes, et pour plus grande corroboration de toutes les choses dessusdittes, jure Dieu Nostre Seigneur et sa sainte Croix et aux quatre saintz Evangilles de mes mains corporellement touchéz, ou nom et és ames desdis seigneurs me constituans par vertu dudit povoir que j’ay d’eulx, que eulx et chascun d’eulx tiendront et garderont et feront tenir et garder inviolablement ce dessusdit chapitre a bonne foy et sans mal engin, sans art et sans cautelle aucune. Et pour plus grande seurté des choses dessusdittes et chascune partie d’icelles, avons fait et signé deux traictéz et capitulacions d’une mesme teneur, afin que chascune desdittes deux parties en ait une. Fait, passé et octroyé en laditte cité de Salamanca, le XXIIIIe jour du mois de novembre, l’an mil cinq cens et cinq. La Mouche de Veyré. Les tesmoings presens a toutes les choses dessusdittes: Mosseu Jehan Cabrero, camarero dudit seigneur roy Don Fernando, et les licenciéz Loys Chappata et Hernand Teille, tous du conseil de Leurs Maiestéz. Et je, maistre Gilles vanden Damme, secretaire dudit trés hault et trés puissant roy Don Phelippe, mon seigneur, ensemble avec lesdis tesmoings ay esté present au temps que ledit seigneur roy Don Fernando, en son propre nom, et mondit seigneur de Veyré, ou nom et comme procureur desdis trés haulx et trés puissans seigneurs le roy Don Phelippe et la royne Donna Johanna, mes seigneurs, ont passé, signé et juré cedit present traictié, lequel est escript en XI foelletz et cestuy cy ouquel est mon signet, et par commandement de Sa Maiesté, a requeste dudit seigneur ambassadeur, l’ay fait escripre et l’ay signé de mon signet. G. vanden Damme.

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Annexes 2° Testament de Philippe le Beau (Bruges, 26 décembre 1505) Le texte de ce testament (cf. ch. VIII/3, n. 297) a été édité par L.-P. GACHARD, Collection des voyages des souverains des Pays-Bas, t. I, Bruxelles, 1876, p. 493-496, d’après une copie du XVIIe siècle conservée dans un fonds privé. Vienne, Haus-, Hof- und Staatsarchiv, Familienurkunden (HabsburgLothringische Familienarchiv, Urkunden), 902/1-2 - original sur cahier de parchemin, signé et scellé. Y est attachée une attestation originale d’authenticité signée par deux notaires et un témoin (Middelbourg, 2 janvier 1506, n. st.). Ou nom de la Sainte et Indivisee Trinité, le Pere, le Filz et le Saint Esperit. Je Phelippe, par la grace de Dieu roy de Castille, de Leon, de Grenade, etc., archiduc d’Autrice, prince d’Arragon, duc de Bourgoingne et de Brabant, conte de Flandres, etc., fay savoir a tous qui ces presentes lettres verront ou orront que, saichant et congnoissant qu’il n’est riens si certain que la mort ne incertain que le temps et l’eure d’icelle, considerant aussi le long et perilleux voyage que, pour garder mon honneur et le bien de moy et de ma posterité, j’ay presentement emprins, non vueillant deceder intestat ne sans faire mon testament et ordonnance de ma derreniere voulenté, saing d’entendement et de corps, ay fait et ordonné par ces presentes mondit testament et ordonnance de derreniere voulenté en la forme et maniere que s’ensuyt. Premierement, je recommande mon ame a Dieu, mon Createur, et luy supplie en toute humilité et de tout mon cueur que par son infinie bonté et par le merite de sa sainte Croix et Passion qu’il a volu souffrir pour moy, sa miserable creature, et tout l’umaing lignaige, son plaisir soit avoir pitié de ma povre ame, quant elle partira de mon corps, et icelle recevoir et colloquer en son reaulme de paradiz. Prye aussi de tout mon cueur la glorieuse Vierge Marye, advocate de tous povres et desoléz pecheurs, aussi les benoits sains saint Pierre, saint Pol, saint Philippe, saint George et madame sainte Anne, la glorieuse Magdelaine, le bon Larron et tous les saints et saintes de paradis, que a la fin dessusditte vueillent estre mes intercesseurs. Item, ou cas que je voyse de vye a trespas és pays d’Espaigne, je vueil estre inhumé et ensevely en Grenade avec la feue royne d’Espaigne, ma belle mere. Et se je decede és pays de par deca, je choisiz le lieu de sepulture en l’eglise de Nostre Dame a Bruges, prés madame ma mere. Et si la duchié de Bourgoingne estoit lors entre noz mains, je veulz estre ensepulturé aux Chartreux de Dijon avec les ducs de Bourgoingne, mes predecesseurs. Et se Dieu me prent sur mer en allant ou retournant, je desire estre porté et inhumé comme se je moroye de par deca.

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Annexes Item, je vueil et ordonne que mes obseques soient faictes le plus devotement et a la moindre pompe que faire se pourra, a la discrecion de mes executeurs cy dessoubz nomméz. Et que pour le salut de mon ame soient dittes soixante mille messes tant a note que basses, assavoir de Nostre Dame, de la Croix et de Requiem, avec de saint Phelippe, de saint George et de sainte Anne, en divers lieux et monnasteres. Item, je vueil et ordonne que au lieu de ma sepulture et que je seray inhumé selon que dessus est dit, soit fondé une messe chascun jour a note de Requiem pour le salut de mon ame, et une autre messe basse pour moy et mes predecesseurs, et que icelle fondacion soit bien et deuement faicte et fondee de mes biens tant meubles que immeubles, a la discrecion que dessus. Item, je vueil et ordonne cent povres pucelles estre maryees, et pour l’avancement de leur mariage donne en aulmosne a chascune d’icelles la somme de cent livres de quarante gros monnoye de Flandres la livre pour une foiz. Item, vueil aussi et ordonne que tous mes serviteurs soient entierement payéz et contentéz de tout ce que leur sera deu jusques au temps de mon trespas, ensemble toutes mes debtes deues depuis le trespas de ma dame et mere, que Dieu absoille. Et quant a celles deues aupardevant par mes predecesseurs desquelz suys heritier, je vueil que celles qui seront trouvees raisonnables soient aterminees et payees a la plus grande commodité des crediteurs eu regard aux affaires de ceste maison, a la discrecion de mesdis executeurs. Item, je vueil la somme de dix mil livres dudit pris de quarante gros monnoie de Flandres la livre estre employee pour refaire ma chappelle de ma maison a Brouxelles. Je legue aussi et vueil estre donné et distribué aux povres et autres piteux legas, a la discrecion que dessus, la somme de trente mil phelippus d’or, a cause que je puis avoir iniustement de l’autruy se aucune chose y a. Item, je donne et legue par droit d’institucion a chascune de mes filles, pour leur dot et mariage, la somme de deux cens mil escuz d’or, que je vueil estre payee endedens trois ans aprés la solemnisacion de leurs mariages, par egale porcion. Et pendant le temps qu’elles demourront a maryer, je vueil qu’elles et chascune d’elles soient bien et honorablement entretenues selon leur estat aux despens et charge de mon filz aisné. En oultre, en tous et quelzconques autres mes biens meubles et aussi mes royaulmes, duchéz, contéz, pays, seigneuries et biens immeubles, je nomme et institue mes heritiers universsaulx mes enfans masles. Et vueil que en iceulx heritent et succedent chascun en telle part et portion et a telle charge que selon les coustumes et usances des lieux ou mesdis biens sont et seront situéz et assis heriter et succeder y devront. Item, je vueil et ordonne que ma compaigne aura son douaire selon que de pieca luy ay ordonné.

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Annexes Et pour l’execucion de toutes les choses dessusdictes et chascune d’icelles, je nomme executeurs le seigneur de Maigny, chancelier de Bourgoingne, le seigneur de Ville, le seigneur de Chierves, le seigneur de La Chaux et l’evesque de Salubrye, mon confesseur, et mestre Phelippe Haneton, mon audiencier5. Et pour le furnissement d’icelle execucion, submetz et oblesge tous et quelzconques mes biens presens et avenir, tant meubles que immeubles, et vueil que mesdis meubles qui seront trouvéz au temps de mon trespas soient par mes heritiers ou leurs mambours, dont charge leurs consciences, mis realment et de fait en leurs mains pour autant qu’il fauldra pour laditte execucion, saulf et excepté les ornemens et joyaulx servans a nostre chappelle et les anciens precieulx joyaulx de la maison, en laquelle je vuelz qu’ilz demeurent. Et s’ilz n’y pevent suffire, je vuelz estre mis en leurs mains par mesdis heritiers autant de revenues de mes biens immeubles qu’il restera pour le parfurnissement de ladicte execucion, et que a toute extreme diligence lesdis piteulx legatz et autres choses soient executees. Et donne a chascun de mesdis executeurs pour aucunement les recompenser la somme de mille livres d’icelui pris de quarante gros la livre. Item, vueil que ceste presente ordonnance soit vaillable par forme de testament non cupatis6, et s’elle n’est vaillable par forme de testament qu’elle le soit par maniere de codicile, donnacion a cause de mort, ou autrement comme par l’equité du droit canon valoir pourra en quelque maniere que ce soit. En tesmoing desquelles choses j’ay ces presentes signees de mon nom et seing manuel et seellees de mon seel en ma ville de Bruges, le XXVIme jour de decembre l’an de grace mil cincq cens et cincq. Item, je vueil et ordonne estre ditte une messe perpetuelle et fondee en l’eglixe (sic) des Chartereulx de Digon pour le bien des ames de mes predecesseurs et de moy, la quelle messe se dira cescun jour a note et de Requiem a l’eure plus convenable pour ceulx du dudit convent des Chartreulx dessusdis, et au cas que je fusse inhumé audit Digon, j’entens que laditte messe soit ditte a Nostre Dame de Brughez7. (Signature:) Phelippus.

5 6 7

«Et mestre... audiencier»: ajout, d’une autre main. Ou nuncupatif, c’est-à-dire solennellement déclaré devant témoins. Tout le paragraphe est un ajout, d’une autre main.

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CHRONOLOGIE 1478 22 juin 1480 10 janvier

naissance de Philippe à Bruges naissance de Marguerite, sœur de Philippe

1481 2 septembre 26 décembre

naissance et mort de François, frère de Philippe

1482 27 mars 23 décembre

mort de Marie de Bourgogne traité d'Arras (Louis XI et Maximilien)

1483 5 juin 1485 28 juin 1486 9 avril 1488 5 février 16 mai 1489 30 octobre 1492 29 juillet 1493 23 mai 19 août

installation du (premier) conseil de régence en Flandre dissolution du conseil de régence couronnement de Maximilien roi des Romains à Aix-la-Chapelle incarcération de Maximilien à Bruges libération de Maximilien - (second) conseil de régence en Flandre traité de Montils-lez-Tours (Maximilien et les Membres de Flandre) paix de Cadzand traité de Senlis (Maximilien et Charles VIII) mort de Frédéric III

1494 9 septembre

joyeuse entrée de Philippe à Louvain

1495 31 mars 5 novembre

Sainte Ligue double mariage austro-espagnol per procuram à Malines

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Chronologie 1496 24 février 11 avril17 octobre 20 octobre

traité d'entrecours entre Bourgogne et Angleterre (intercursus magnus) voyage de Philippe en Allemagne cérémonie du mariage de Philippe et Jeanne à Lierre

1497 3 avril 4 octobre 21 décembre

cérémonie du mariage de Juan et Marguerite à Burgos mort de Juan trêve entre Philippe et Charles d'Egmond (Gueldre)

1498 7 avril 2 août 23 août 16 novembre

mort de Charles VIII traité de Paris (Louis XII et Philippe) mort d'Isabelle, reine de Portugal naissance d'Eléonore, première fille de Philippe

1499 18 mai 5 juillet 1500 24 février 20 juillet 1501 15 juillet 26 septembre 13 octobre 4 novembre 13 décembre 1502 25 mars 7 mai 22 mai 27 octobre 1503 10 mars 2/5 avril 13 septembre5 octobre 9 novembre

traité de commerce entre Bourgogne et Angleterre hommage de Philippe à Louis XII pour la Flandre et l'Artois, à Arras naissance de Charles, premier fils de Philippe (Charles Quint) mort de Miguel, infant de Portugal naissance d'Isabelle, deuxième fille de Philippe contrat de mariage de Philibert de Savoie et Marguerite, à Bruxelles traité de Trente (Maximilien et Louis XII) départ de Philippe pour l'Espagne confirmation à Blois du traité de Trente (Louis XII et Philippe) arrivée de Philippe à Madrid arrivée de Philippe à Tolède réception et serment aux Cortès de Castille à Tolède réception et serment aux Cortès d'Aragon à Saragosse naissance de Ferdinand, second fils de Philippe traité de Lyon (Louis XII et Philippe au nom des Rois Catholiques) séjour de Philippe au Tyrol (Innsbruck et Hall) retour de Philippe aux Pays-Bas

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Chronologie 1504 6 janvier 22 septembre 26 novembre 1505 4 avril 6 juillet 27 juillet 15 septembre 19 octobre 24 novembre 1506 10 janvier 9 février 18 mars 26 avril 30 avril 20 juin 27/28 juin 5 juillet 12 juillet 7 septembre 25 septembre

panégyrique prononcé par Erasme à Bruxelles traités de Blois (Maximilien, Louis XII et Philippe) mort d'Isabelle, reine de Castille traité de Haguenau (ratification des traités de Blois) capitulation d'Arnhem (Gueldre) trêve de Tiel (Philippe et Charles d'Egmond) naissance de Marie, troisième fille de Philippe contrat de mariage de Ferdinand d'Aragon et Germaine de Foix traité de Salamanque (Ferdinand d'Aragon et Philippe et Jeanne de Castille) départ de la flotte de Zélande pour l'Espagne traité de Windsor (Henri VII et Philippe) mariage de Ferdinand d'Aragon et Germaine de Foix débarquement de Philippe à La Corogne (Galice) traité d'entrecours entre Bourgogne et Angleterre (intercursus malus), négocié en mars (première) entrevue de Ferdinand et Philippe à Remesal traité de Benavente et Villafáfila (les mêmes) (seconde) entrevue des mêmes à Renedo serment aux Cortès de Castille à Valladolid arrivée de Philippe à Burgos` mort de Philippe à Burgos

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CARTES

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FRANCE 21 22 27 20

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Les possessions de Philippe le Beau (en sombre) et les pays voisins 1) Frise occidentale, 2) Hollande, 3) Utrecht, 4) Gueldre, 5) Zélande, 6) Brabant, 7) Malines, 8) Flandre, 9) Calais, 10) Artois, 11) Tournai, 12) Picardie, 13) Cambrai, 14) Hainaut, 15) Namur, 16) Rethel, 17) Liège, 18) Limbourg, 19) Luxembourg, 20) Bourgogne (duché), 21) Lorraine, 22) Haute-Alsace, 23) Franche-Comté, 24) Mâconnais, 25) Charolais, 26) Nevers, 27) Auxerrois

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Cartes

FRANCE NAVARRE

La Corogne Saint-Jacques de Compostelle

LÉON

GALICE

BURGOS

Remesal

BARCELONE SARAGOSSE

Renedo

PORTUGAL

ARAGON

Benavente Villafáfila Toro

VALLADOLID

CASTILLE Ségovie SALAMANQUE

MADRID TOLÈDE

Philippe le Beau en Espagne (1502/03 et 1506)

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INDEX DES NOMS DE PERSONNES A ADOLPHE D'EGMOND, duc de Gueldre, 97, 98, 99. ALBE, duc d', cf TOLEDO. ALBERT, duc de Saxe, 16, 17, 19, 20, 29, 60, 84, 86, 89, 99, 100, 101-102, 114, 116, 117, 118, 122. ALBIÓN, Juan (de), diplomate, 46. ALEXANDRE VI (Borgia), pape, 43, 54, 92, 94, 116, 121-124, 155. ALMAZÁN, Miguel Pérez de, secrétaire royal, 162, 198. AMBOISE, Georges d', archevêque de Rouen, cardinal, 146, 147, 150, 172, 175. ANCHEMANT, Pierre, secrétaire archiducal, 145. ANGHIERA, Pietro Martire (Pedro Mártir) d', épistolier, 162, 168, 170, 190, 191, 195, 198, 204, 207, 214, 222, 223, 224, 232, 237. ANJOU, maison ducale, 92. ANNE, duchesse de Bretagne, reine de France, 15, 20, 21, 44, 93, 106, 142, 144, 146, 147, 206. ANNE DE BEAUJEU, régente de France, 21. ANNE, fille d'Edouard IV, roi d'Angleterre, 6, 7. ARAGON, maison royale, 92. ARNOULD D'EGMOND, duc de Gueldre, 97, 99. ARTHUR, prince de Galles, 45, 125, 166, 234. AUTRICHE, maison ducale, cf. index des noms de lieux.

B BADE, Jacques de, archevêque-électeur de Trèves, 72, 215. BELMONTE, seigneur de, cf. MANUEL. BERGHES (ou Glymes), famille, 52, 59, 63, 137, 140. BERGHES, Antoine de, abbé de Saint-Bertin, 240. BERGHES, Corneille de, seigneur de Zevenbergen, 63, 65, 140. BERGHES, Henri de, évêque de Cambrai, 49, 52, 61, 67, 68, 72, 86, 97, 109, 123, 126, 132, 139, 140, 146, 231, 240. BERGHES, Jean (II) de (ou de Glymes), seigneur de Bergen op Zoom, 62, 85. BERGHES, Jean (III) de (ou de Glymes), seigneur de Walhain puis de Bergen op Zoom, 16, 26, 61-62, 63, 64, 65, 67, 68, 72, 85, 86, 93, 109, 114, 116, 117, 122, 125, 132, 134, 137, 139, 140-141, 146, 155, 180, 210-211, 225, 235. BERGHES, Maximilien de, 140. BEVEREN, seigneur de, cf. BOURGOGNE, Philippe de. BIANCA MARIA (Blanche Marie) SFORZA, seconde épouse de Maximilien Ier, 23, 44, 85, 92, 93. BLIOUL, Laurent du, audiencier archiducal, 149, 173. BONARD, Claude de, grand écuyer, 170. BONTEMPS, Jean, trésorier, 116. BORGIA, cf. ALEXANDRE VI. BORGO, Andrea da, diplomate, 168, 169, 170, 190, 198, 209, 210, 211, 214. BORSELEN, Wolfart de, seigneur de Veere, 11, 19. BOSCH, Jérôme, peintre, 238. BOURBON(S), maison ducale/royale, 21, 46.

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Index BOURBON, Louis de, prince-évêque de Liège, 9. BOURGOGNE, maison ducale, cf. index des noms de lieux. BOURGOGNE, Anne de, dame de Rave(n)stein, 135. BOURGOGNE, Antoine, bâtard de (le Grand Bâtard), 60, 107. BOURGOGNE, Baudouin, bâtard de, seigneur de Fallais, 44, 49, 60-61, 89, 141. BOURGOGNE, David de, prince-évêque d'Utrecht, 10. BOURGOGNE, Philippe, bâtard de, seigneur de Blaton, amiral, 61, 65, 109, 139, 140, 155, 177, 178, 179, 238. BOURGOGNE, Philippe de, seigneur de Beveren(-Waas), 11, 14, 60, 61, 62, 64, 68, 71, 72, 86, 107, 114, 116, 117. BOUTON, Claude, 199, 200, 210. BOUZANTON, Gilles de, 4. BRANDEBOURG, margrave, 94. BREDERODE, François de, dit Jonker Frans, 14. BRUGES, Louis de, seigneur de Gruuthuse, 11, 14, 19. BUSLEYDEN, François de, prévôt de Saint-Lambert de Liège et de Saint-Donatien de Bruges, puis archevêque de Besançon, 6, 61, 62, 68, 71, 72, 88, 93, 114, 115, 116, 117-118, 119, 122, 125, 131, 132-133, 134, 137, 140-141, 144, 145, 146, 177, 205, 224, 225, 227, 235, 237. BUSLEYDEN, Jérôme de, écrivain, 237. BUSLEYDEN, Valérien de, receveur général de Luxembourg, 177.

C CÁRDENAS, Gutierre de, 137. CARONDELET, Jean, chancelier de Bourgogne, 72, 87, 122. CATHERINE, reine de Navarre, 137. CATHERINE (d'Aragon), princesse de Galles, 45, 125-126, 127, 132, 166, 183, 234. CATHERINE, quatrième fille (posthume) de Philippe le Beau, 236. CHALON, Jean de, prince d'Orange, 145. CHARLES V, roi de France, 220. CHARLES VII, roi de France, 91. CHARLES VIII, roi de France, 13, 15, 17, 19, 20, 21, 22, 26, 28, 29, 42, 43, 44, 45, 46, 53, 54, 87, 91-93, 96, 98, 99, 100, 105, 134, 144, 148 ; dauphin, 6, 8, 9, 20. CHARLES LE HARDI («le Téméraire»), duc de Bourgogne, VII, 3, 4, 22, 28, 38, 39, 41-42, 52, 58, 59, 65, 66, 68, 70, 74, 79, 91, 97, 99, 100, 105, 135, 219-220, 223, 229, 247. CHARLES (QUINT), archiduc d'Autriche, puis roi de Castille, empereur, VII, VIII, 38, 39, 58, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 70, 72, 78, 97, 123, 125, 127, 132, 133, 134, 135, 136, 144, 146, 147, 149, 150-151, 152, 157, 159-161, 169, 176, 178, 181, 184, 198, 202, 206, 207, 209, 211, 214, 215, 216, 217, 220, 223, 229, 233, 238, 243, 245, 248, 250. CHARLES D'EGMOND, duc de Gueldre, 65, 98-104, 171-175, 202. CHARLES (comte) D'ANGOULÊME, 137. CHARLOTTE DE BOURGOGNE, fille de Jean, comte de Nevers, 15. CHARYBDE, «monstre» mythologique (tourbillon marin), 168. CHASTEL(L)AIN, George(s), chroniqueur, 222. CHRISTOPHE (Ier), margrave de Bade, 14, 60, 66, 77, 114, 134, 135. CISNEROS, Francisco Jiménez de, archevêque de Tolède, 53, 139, 141, 193, 194, 195, 197, 198, 201-202, 211, 216, 226.

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Index des noms de personnes CLAUDE, fille de Louis XII, roi de France, 127, 133, 134, 144, 145, 146, 147, 149, 150-151, 153, 159, 160, 178, 184, 202. CLÈVES, Adolphe de, seigneur de Rave(n)stein, 4, 7, 11, 19, 135. CLÈVES, Philippe de, seigneur de Rave(n)stein, 13, 14, 18, 19, 20, 26, 29, 60, 89, 114, 116, 135. COLOMB, Christophe, navigateur, 228. COMINES, Jeanne de, cf. HALEWIJN. COMMYNES, Philippe de, mémorialiste, 10, 15, 92. CONCHILLOS, Lope de, secrétaire royal, 163. CORDOUE, Gonzalve de, dit el Gran Capitán, général, 148. COURTEVILLE, Jean de, diplomate, 175, 190-191, 196, 209. CRÈVECŒUR, Philippe de, seigneur d'Esquerdes, maréchal de France, 22. CROŸ, famille, 59, 63, 137. CROŸ, Charles de, prince de Chimay, 36, 39, 62-63, 64, 89, 116, 142, 147, 163, 210, 232-233. CROŸ, Ferry de, seigneur du Rœulx, 63. CROŸ, Guillaume de, seigneur de Chièvres, 58, 61, 62, 63, 64, 69, 71, 77, 86, 145, 146, 149, 155, 170, 174, 179, 183, 185, 190, 196, 198, 203, 209, 210, 220. CROŸ, Marguerite de, comtesse de Hornes, 64. CROŸ, Michel de, seigneur de Sempy, 63, 155. CROŸ, Philippe de, fils de Charles, prince de Chimay, 36. CUEVA, Francisco de la, duc d'Alburquerque, 137.

D DAMME, Gilles vanden, secrétaire archiducal, 170, 199. DAZA, Juan Rodríguez, évêque de Cordoue, 212. DEZA, Diego de, archevêque de Séville, 228.

E ÉDOUARD IV, roi d'Angleterre, 3, 6, 40, 105, 106, 108, 184. EGMOND, Florent d', seigneur d'IJsselstein, 65, 109, 179, 211. ÉLÉONORE, fille aînée de Philippe le Beau, 104, 125, 135, 146. ÉLISABETH D'YORK, reine d'Angleterre, 105, 109, 184. ÉLISABETH, fille de Georges, duc de Bavière-Landshut, 16, 18. ENRÍQUEZ (de Cabrera), Fadrique, amiral de Castille, 137, 164, 211, 214. ÉRASME, écrivain, 123, 226, 229, 240-243, 245. ERNEST, duc de Saxe, 117.

F FERDINAND (le Catholique), roi d'Aragon, 21, 41-46, 53, 54, 66, 106, 118, 144, 147148, 150, 157, 176, 178, 179, 182, 184, 188, 189-216, 222, 223, 224, 227, 228, 232, 234, 235, 236, 242, 247, 248 ; cf. aussi ROIS CATHOLIQUES. FERDINAND, second fils de Philippe le Beau, 141, 159, 169, 211. FERRAND, roi de Naples, 41. FONSECA, Antonio de, diplomate, 46. FONSECA, Juan Rodríguez de, évêque de Cordoue puis de Palencia, 43-44, 136, 139, 161. FRANÇOIS Ier, roi de France, cf. FRANÇOIS D'ANGOULÊME.

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Index FRANÇOIS D'ANGOULÊME, duc de Valois, puis roi de France (François Ier), 137, 145, 146, 150, 202. FRANÇOIS II, duc de Bretagne, 7, 15, 42, 44. FRANÇOIS, frère cadet de Philippe le Beau, 7, 15, 28. FRÉDÉRIC III, empereur, 3, 12, 14, 15, 20, 21, 29, 30, 42, 43, 84, 97, 98, 99, 114. FRÉDÉRIC III, duc de Saxe, 117, 145. FRÉDÉRIC (de Bavière), futur comte palatin du Rhin (Frédéric II), 139. FUENSALIDA, Gutierre Gómez de, diplomate, 118, 119, 125, 131, 132, 133, 135, 141, 160, 163, 164, 192, 223, 224. FÜRSTENBERG, Wolfgang, comte de, 148, 154, 155, 179, 181, 182, 189, 190, 191, 206, 214.

G GATTINARA, Mercurino Arborio de, chancelier de Bourgogne, 250. GEORGES, dit le Riche, duc de Bavière-Landshut, 16. GERMAINE DE FOIX, seconde épouse de Ferdinand le Catholique, 150, 167, 168, 178, 188, 194, 197. GÉRYON, géant mythologique, 104. GOLLUT, Louis, écrivain, 226. GOMMAIRE, saint, 52. GONDEBAULT, Jacques de, secrétaire archiducal, 87. GRÜNPECK, Josef, chroniqueur, 13. GRUUTHUSE, seigneur de, cf. BRUGES. GUEVARA, Diego de, 165, 192, 193, 194, 200, 214, 216. GUEVARA, Ladrón de, 45, 46. GUEVARA, Pedro de, 165, 197, 200. GUILLAUME IV, duc de Juliers et Berg, 98, 101-102, 103, 154, 155, 171, 172, 173. GUMIEL, Nuño de, trésorier, 164, 167, 176.

H HABSBOURG, maison royale (impériale), passim. HALEWIJN, Jean de, 6. HALEWIJN, Jeanne de Comines (de La Clyte), dame de, 6. HANETON, Philippe, audiencier archiducal, 149. HENNEBERG, Berthold de, prince-archevêque de Mayence, 115. HENNIN, Philippe de, seigneur de Boussu, 137. HENRI IV, roi de Castille, 162. HENRI VII, roi d'Angleterre, 21, 36, 40, 94, 105-109, 126, 132, 166, 172, 182-188, 202, 203, 208, 209, 216, 247. HENRI VIII, roi d'Angleterre, 185 ; prince de Galles, 166, 183. HERCULE, héros mythologique, 104. HÖFLER, Carl Adolf Constantin (von), historien, VIII, X, 230, 245. HOHENSTAUFEN, maison royale (impériale), 250. HOMMEL, Luc, écrivain, VIII, 226, 227. HORNES, Jacques (III) de, comte de, 64. HUGONET, Guillaume, chancelier de Bourgogne, 135. HUGUES CAPET, roi de France, 93. HUMBERCOURT, Guy de Brimeu, seigneur de, 135.

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Index des noms de personnes I ISABELLE (la Catholique), reine de Castille, 35, 41-47, 50, 54, 106, 150, 197, 198, 199, 202, 209, 212, 216, 217, 227, 228, 233, 235, 246 ; cf. aussi ROIS CATHOLIQUES. ISABELLE, infante de Castille, reine de Portugal, 44, 54, 126-128, 139. ISABELLE, deuxième fille de Philippe le Beau, 133, 135, 146 ISABELLE, fille de François II, duc de Bretagne, 15.

J JACQUES IV, roi d'Écosse, 175. JEAN II, roi d'Aragon, 41. JEAN D'ALBRET, roi de Navarre, 137. JEAN SANS PEUR, duc de Bourgogne, 91. JEAN II, duc de Clèves et Mark, 98, 101-102, 103, 172, 173. JEAN DE BOURGOGNE, comte d'Étampes puis de Nevers, 15. JEANNE, infante puis reine de Castille, VII, VIII, 6, 32, 35, 38, 43, 44, 48-54, 61, 64, 67, 76, 104, 112, 123, 125-128, 131-133, 135-142, 144, 150, 159-170, 176, 177,182183, 188, 189, 191, 192, 195, 196, 197, 198, 199, 201, 202-203, 205, 206, 209, 210, 211, 212, 216, 230-237, 240, 248. JEANNE DE FRANCE, première épouse de Louis XII, 93. JUAN (Jean), infant de Castille, 43, 44, 47, 53, 54, 63, 93, 104, 126, 127, 132, 134, 209, 227. JULES II, pape, 122, 209.

L LAETHEM, Jacob van, peintre, 214. LALAING, famille, 59, 64. LALAING, Antoine de, seigneur de Montigny (Montignies-Saint-Christophe), 136, 138, 142, 148, 154, 178, 180-181, 189, 205, 207, 227-228. LALAING, Charles, seigneur de, 64, 155. LALAING, Josse de, 6, 136. LA MARCHE, Olivier de, mémorialiste, 6, 13, 57-58, 86, 219-220, 226. LANCASTRE, maison royale, 105. LANNOY, famille, 64. LANNOY, Baudouin (II) de, seigneur de Molembaix, 64, 82, 114, 116, 134. LANNOY, Pierre de, seigneur du Fresnoy, 163, 233. LAURENT DE MÉDICIS, 15. LAUWERIN, Jérôme, seigneur de Watervliet, trésorier général, 67, 71, 181. (LE) JOSNE, Jeanne, 4. LEMAIRE DE BELGES, Jean, chroniqueur, 14, 180, 209, 210. LEONI, Leone, médailleur, 250. LE SAUVAGE, Jean, chancelier de Brabant puis de Bourgogne, 67, 122. LOUIS XI, roi de France, 3, 7, 8, 9, 10, 15, 21, 22, 28, 41, 42, 43, 60, 91, 98. LOUIS XII, roi de France, 54, 76, 93-97, 102, 103, 118, 119, 126, 131, 133-134, 137, 142, 144-152, 153, 167, 168, 172, 173, 174, 175, 176-177, 178, 183, 184, 188, 200, 202, 206, 207, 209, 214, 216, 220, 235, 242, 247. LOUIS DE MALE, comte de Flandre, 15. LUDOVIC SFORZA, dit le More, duc de Milan, 92, 115, 144, 168. LUSY, Antoine de, 211.

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Index LUPIAN, Gaspar de, diplomate, 131. LUTHER, Martin, réformateur, 117. LUXEMBOURG, famille, 63, 64, 137. LUXEMBOURG, Françoise de, dame de Rave(n)stein, 135. LUXEMBOURG, Jacques (II), seigneur de Fiennes, 63, 97, 109, 155, 183, 190, 210. LUXEMBOURG, Jean de, seigneur de Ville, 62, 63, 109, 119, 137, 140, 149, 155, 160, 170, 190, 192, 193, 195 199, 200, 210, 211, 214, 223, 228. LUXEMBOURG, Marie de, dame de Vendôme, 137. LUXEMBOURG, Pierre de, comte de Saint-Pol, seigneur d'Enghien, 4, 137.

M MANRIQUE (de Lara), Pedro, duc de Nájera, 137, 164, 200, 211, 214, 216. MANUEL, roi de Portugal, 44, 106, 126, 128, 139. MANUEL, Diego, 200. MANUEL, Juan, seigneur de Belmonte, 62, 119, 146, 163, 164, 165, 170, 179, 190, 192, 193, 194, 195, 197, 198, 200, 202, 203, 210, 211, 214, 222, 223. MANUEL, Marine, 49. MARGUERITE D'AUTRICHE, princesse de Castille, puis duchesse de Savoie, VIII, 6, 7, 8, 9, 14, 20, 22, 25, 29, 32, 43, 44-45, 47, 49, 53, 62, 63, 66, 67, 72, 76, 84, 87, 93, 104, 112, 116, 117, 125, 126-127, 132, 134, 136, 142, 148, 184, 188, 202, 204, 207, 209, 210, 215-216, 229, 236, 237, 248, 250. MARGUERITE D'YORK, duchesse douairière de Bourgogne, VIII, 4, 6, 7, 12, 17, 22, 26, 28, 40, 49, 52, 104-107, 126, 132, 134, 135, 184. MARIE, duchesse de Bourgogne, VII, VIII, 3-8, 10, 15, 20, 22, 25, 26, 28, 32, 38, 39, 42, 47, 52, 58, 65, 70, 77, 91, 92, 98, 99, 105, 111, 121, 135, 210, 219, 229, 238, 245, 248. MARIE, troisième fille de Philippe le Beau, 163, 167, 206. MARIE, fille d'Henri VII, roi d'Angleterre, 184. MAROTON, Louis, 180. MARTENS, Thierry, imprimeur, 241. MARTÍNEZ DE IBARRA, Juan, 50. MAßMÜNSTER (Masevaux), Melchior de, grand veneur de Flandre, 112. MATIENZO, Tomás de, dominicain, 125, 231. MAXIMILIEN DE HABSBOURG, archiduc d'Autriche, roi des Romains puis (Maximilien Ier) empereur élu, passim. MEDINA SIDONIA, duc de, 190. MELUN, Hugues de, vicomte de Gand, 64. MENDOZA, Diego Hurtado de, archevêque de Séville, 138. MENDOZA, Diego López de, duc de l'Infantado, 138, 211. MENDOZA, Iñigo López de, comte de Tendilla, 201, 214. MIGUEL, infant de Portugal, 54, 119, 125-128, 131, 146, 198, 234. MOLINET, Jean, chroniqueur, 29, 36, 40, 58, 94, 109, 135-136, 222, 237, 245.

N NASSAU, famille, 63, 65. NASSAU, Adolphe, comte de, 114. NASSAU, Engelbert (II), comte de, 48, 58, 59-60, 61, 62, 63, 64, 65, 66, 71, 74, 77, 87-88, 93, 97, 114, 116, 125, 134, 140, 149, 155, 160, 222, 235, 241. NASSAU, Henri (III), comte de, 63-64, 66, 211.

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Index des noms de personnes NATUREL, Philibert, prévôt des chapitres cathédraux d'Utrecht et de Cambrai, 68, 149, 170, 173, 204, 206. NEUFCHÂTEL, Claude de, seigneur du Fay, 65, 118. NIVELLES, Jean de, évêque de Selivri, 199, 215.

O ORLÉANS, maison ducale, 21, 94. ORLEY, Bernard d', bailli du Roman Pays de Brabant, 212. OSORIO, Luis, marquis d'Astorga, 137. OTTON (Ier), empereur, 12, 114.

P PACHECO, Diego López, marquis de Villena, 138, 164, 195, 214, 216. PARRA, Gonzalo de la, médecin, 204, 205, 206-207, 236. PHILIBERT LE BEAU, duc de Savoie, 104, 134, 148, 184, 207, 209. PHILIPPE LE BON, duc de Bourgogne, VII, 15, 19, 28, 30, 38, 39, 44, 60, 66, 227, 229, 233, 241. PHILIPPE LE HARDI, duc de Bourgogne, 15. PHILIPPE II, roi d'Espagne, 192, 225. PHILIPPE, comte palatin du Rhin, 139, 156. PIE III, pape, 155-156. PIMENTEL, Alonso, comte de Benavente, 164, 194, 195, 200. PINZÓN, Vicente Yañez, navigateur, 228. PLAINE, Gérard de, seigneur de La Roche, 67. PLAINE, Humbert de, 66. PLAINE, Thomas de, seigneur de Maigny (Magny-sur-Tille), chancelier de Bourgogne, 66-67, 82, 86, 87, 93, 97, 114, 123, 149, 152, 170, 183, 190, 198, 216, 241. POITIERS, Éléonore de, dame de Stavele, 36. POLHEIM, Wolfgang de, 20. POUPET, Charles de, seigneur de La Chau(l)x, 66, 142, 170, 188, 189, 190, 192, 199, 200, 223.

Q QUERINI, Vincenzo, diplomate, 59, 163, 165, 167, 168, 172, 176, 179, 182, 189, 191, 193, 197, 200, 223-224.

R RANCHICOURT, Charles de, prévôt du chapitre cathédral d'Arras, 69, 149, 155. REBECQUES, Gilles de, roi d'armes, 100. RICHARD III, roi d'Angleterre, 42, 105, 106. RICHARD, duc d'York, 40, 106-107. RILKE, Rainer Maria, poète, 223. ROCHEFORT, Guy de, chancelier de France, 36, 97. ROIS CATHOLIQUES, VIII, 42-47, 49, 54, 92, 94, 107, 115, 118, 125-128, 131-133, 137, 138-144, 146, 147, 148, 149, 159-170, 176, 183, 201, 202, 222, 227, 228, 231 ; cf. aussi FERDINAND (le Catholique), ISABELLE (la Catholique). ROJAS, Francisco de, diplomate, 44, 45-46, 47, 52. ROUSSEAU (Roussel), Jean, procureur général archiducal, 82, 121.

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Index RUTER, Nicolas de, prévôt de Saint-Pierre de Louvain, puis évêque d'Arras, 68, 145, 146, 149, 155, 240-241, 242.

S SALAZAR, Juan de, 44. SARTO, Conrard de, prévôt de Saint-Rombaut de Malines, 69. SAVOIE, Jacques de, comte de Romont, 11, 19. SCYLLA, «monstre» mythologique (récif marin), 168. SFORZA, maison ducale, 144 ; cf. aussi BIANCA MARIA, LUDOVIC. SIGISMOND DE HABSBOURG(-Tyrol), archiduc, 16, 28. STABIUS, Johannes, écrivain, 157. SUFFOLK, Edmond de la Pole, duc de, 184-185. SUZANNE, fille d'Anne de Beaujeu, 21.

T TITUS, empereur romain, 226. TOLEDO, Fadrique de, duc d'Albe, 192, 211. TRASTÁMARA, maison royale, 131. TUDOR, maison royale, 45, 109.

V VALENTINE VISCONTI, duchesse d'Orléans, 144. VALOIS, maison royale, VII, 46, 54, 109 ; duc, cf. FRANÇOIS D'ANGOULÊME. VELASCO, Bernardino Fernández de, connétable de Castille, 137, 164, 192, 211. VESPUCCI, Amerigo, navigateur, 228. VEYRÉ, Guillaume de, 199. VEYRÉ, Philibert, seigneur de, dit La Mouche, 62, 65-66, 127, 132, 133, 139, 144, 145, 149, 160, 163, 164, 165, 166, 167, 168-170, 176, 179, 190, 192, 199, 200, 210, 211, 214, 216, 223, 224. VEYSE, Ysabeau, 6. VILAIN, Adrien, seigneur de Ressegem, 11, 13, 14. VISCONTI, maison ducale, 144.

W WALDAUF DE WALDENSTEIN, Florian, protonotaire, 46. WARBECK, Perkin, 40, 106-108, 126. WIELANT, Philippe (Filips), magistrat, 9, 82. WITTHEM, Henri (III) de, seigneur de Beersel, 65, 72. WITTHEM, Isabeau de, 212. WURTEMBERG, maison ducale, 181 ; duc, 154, 155.

Y YORK, maison royale, 105, 106.

Z ZÚÑIGA, Francisco de, comte de Miranda, 137. ZURITA, Jerónimo, chroniqueur, 118, 127, 144, 183, 193, 195, 200, 205, 206, 210, 224, 235.

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INDEX DES NOMS DE LIEUX A AARDENBURG, NL, 36. ADIGE, rivière, 115. AIRE-SUR-LA-LYS, F, 22, 94. AIX-LA-CHAPELLE, D, 13, 155. ALCALÁ DE HENARES, E, 141, 159. ALCÁNTARA, ordre militaire, 169, 195-196. ALLEMAGNE(S), 68, 85, 112, 144, 172, 184, 195, 226, 245 ; voyage de Philippe le Beau, 1496, 34, 48, 49, 59, 64, 65, 68, 75, 100, 114-116, 118 ; voyage de Philippe le Beau, 1503, 36, 153-156, 242 ; cf. aussi EMPIRE. ALOST, B, 9, 152. ALPES, 92, 115, 151, 247. ALSACE, Haute-, landgraviat, 93, 112. AMÉRIQUE, 47, 195, 228 ; cf. aussi INDES. AMSTERDAM, NL, 35, 79. ANDALOUSIE, 165, 190. ANGLETERRE, royaume, X, 6, 15, 21, 23, 40, 43, 45, 53, 62, 63, 67, 69, 78, 104-109, 125, 127, 140, 141, 180, 182-189, 198, 208, 227, 232, 234, 236, 240, 242, 246 ; reine, cf. ÉLISABETH D'YORK ; rois, cf. ÉDOUARD IV, HENRI VII, HENRI VIII, RICHARD III. ANVERS, B, 18, 33, 34, 35, 40, 49, 50, 52, 53, 84, 85, 103, 105, 106, 107, 108, 109, 119, 153, 185, 238 ; marquisat du Saint Empire, 34. APENNINS, 92. ARAGON, royaume, 6, 21, 23, 41, 43, 45, 128, 141-142, 145, 150, 161, 166, 169, 179, 188, 189, 194, 196, 198, 200, 228, 248 ; Cortès, 141 ; rois, cf. FERDINAND (le Catholique), JEAN II. ARIZA, E, 228. ARLON, B, prévôté, 177. ARNEMUIDEN, NL, 48, 50, 179. ARNHEM, NL, 98, 103, 167, 172-173, 174. ARRAS, F, 22, 36, 96, 152 ; cathédrale Notre-Dame, chapitre, cf. RANCHICOURT ; évêque, cf. RUTER ; traité, 1435, 30 ; traité, 1482, 9, 10, 23, 26, 32, 91. ARTOIS, comté, 3, 6, 7, 9, 22, 29, 36, 75, 77, 93, 94, 97, 98, 111, 151, 240 ; gouverneur, cf. LUXEMBOURG, Jacques de. ATH, B, 80, 83-84, 211. ATIENZA, E, 200. AUDENARDE, B, 35. AUGSBOURG, D, 49, 114, 154, 155 ; Transaction, 248, 250. AUTRICHE, maison et possessions, 28, 29, 157, 164, 229, 231 ; duché, 68, 79, 84 ; ducs, 155. AUXERRE, F, comté (Auxerrois), 22, 94.

B BADE, margrave, cf. CHRISTOPHE. BALÉARES, îles, 141. BAR-SUR-SEINE, F, comté, 22, 94.

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303

Index BARCELONE, E, 142 ; comté, 141 ; traité, 42, 45. BASQUE, Pays, 137, 203. BAVIÈRE, duché, 153 ; guerre de Succession, 156. BENAVENTE, E, 197 ; comte, cf. PIMENTEL ; traité, 195, 196, 198, 199, 201. BERGEN OP ZOOM, NL, 18, 34, 49, 53, 62, 107, 108, 109, 185 ; seigneur, cf. BERGHES, Jean (II) et (III) de. BERGUES(-Saint-Winoc), F, 36, 80, 81. BESANÇON, F, 22 ; archevêque, cf. BUSLEYDEN, François de. BÉTHUNE, F, 22, 36, 94, 98, 211 ; gouverneur, 179, 204, 205. BIDASOA, Río, fleuve, 137. BISCAYE, 44, 188, 190, 191, 235. BLOIS, F, 136, 137, 172 ; traités, 127, 137, 146, 149, 150, 152. BOHÊME, royaume, 146. BOIS-LE-DUC, NL, 6, 7, 18, 34, 53, 80, 82-83, 100, 174. BORDELAIS, 137. BORMIO, I, 115. BOURG-EN-BRESSE, F, 148, 207. BOURGOGNE, maison et possessions (méridionales), 9, 26, 28, 29, 41, 45, 65, 66, 91, 116, 119, 204, 219, 229, 233, 245, 248 ; bibliothèque ducale de, 237 ; chancelier, cf. CARONDELET, GATTINARA, HUGONET, LE SAUVAGE, PLAINE, Thomas de ; comté, cf. FRANCHE-COMTÉ ; duché, 3, 7, 9, 22-23, 68, 91-92, 93, 94, 96, 98, 142, 145, 149, 217, 242, 248 ; ducs, cf. CHARLES LE HARDI, JEAN SANS PEUR, MARIE, PHILIPPE LE BON, PHILIPPE LE HARDI. BOUSSU, B, 137. BRABANT, duché, 8, 13, 17, 33, 34, 35, 50, 52, 59, 63, 74, 75, 80, 84, 85, 87, 92, 100, 102, 104, 112, 122, 172, 185, 248 ; chancelier, cf. LE SAUVAGE ; Conseil, 65 ; États, 74, 241, 242 ; Roman Pays, bailli, cf. ORLEY. BREDA, NL, 17, 34, 35, 53, 100, 101 ; seigneurs, cf. NASSAU, Engelbert et Henri de. BRESSE, comté, 148, 153, 154, 207, 232. BRETAGNE, duché, 6, 20, 21, 22, 23, 29, 42, 105, 145, 177 ; ducs, cf. ANNE, FRANÇOIS II. BRISGAU, 154 ; cf. aussi FRIBOURG. BRUGES, B, 3, 4, 8, 12, 13, 14, 17, 19, 26, 32, 33, 35, 42, 48-49, 77, 79, 80, 108, 121, 134, 167, 179, 185, 210, 217, 232, 241 ; collégiale Saint-Donatien, 4, chapitre, cf. BUSLEYDEN ; église Notre-Dame, 217 ; Franc, 77, 80 ; quartier, 10 ; testament de Philippe le Beau, 265-267. BRUXELLES, B, 7, 12, 14, 17, 34, 35, 48, 52, 53, 65, 75, 76, 77, 82, 94, 96, 101, 103, 108, 114, 118, 125, 132, 136, 152, 163, 168, 226, 227, 228, 237, 240, 247 ; Chambre des comptes, 74, 177 ; collégiale Sainte-Gudule, 96, 164 ; église Saint-Jacques-surCoudenberg, 123. BURGOS, E, 53, 131, 137, 190, 200, 202, 203-206, 208, 210, 211, 212, 228.

C CADZAND, NL, traité, 19, 20, 29, 81, 84, 240, 248. CALABRE, duché, 147. CALAIS, F, 36, 105, 107, 109, 132, 188. CALATRAVA, ordre militaire, 169, 195-196. CAMBRAI, F, 22 ; cathédrale, chapitre, cf. NATUREL ; diocèse, 123 ; évêque, cf. BERGHES, Henri de ; traité, 175.

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304

Index des noms de lieux CANTABRIE, 48. CARINTHIE, duché, 79, 208. CARNIOLE, duché, 79. CASSEL, F, 36. CASTILLE, royaume, X, 41, 42, 44, 45, 48, 50, 53, 64, 77, 116, 119, 125, 128, 131, 136-141, 146, 150, 152, 157, 161-170, 176, 178, 179, 181, 189-217, 223, 224, 227, 228, 229, 230, 232, 235, 236, 246, 248 ; amiral, cf. ENRÍQUEZ ; connétable, cf. VELASCO ; Cortès, 126, 135, 139-140, 161, 162, 164, 169, 198-199, 206, 212, 214, 227, 234, 235 ; reine, cf. ISABELLE (la Catholique) ; roi, cf. HENRI IV. CATALOGNE, 142 ; cf. BARCELONE, comté. CAUCASE, 223. CERDAGNE, 42. CHAMPAGNE, 93, 98. CHAROLAIS, comté, 22, 28, 97. CHIÈVRES, B, seigneur, cf. CROŸ, Guillaume de. CHIMAY, B, 36 ; prince, cf. CROŸ, Charles de ; principauté, 89. CLÈVES, D, 172 ; duché, 103 ; duc, cf. JEAN II. COGNAC, F, 137. COLOGNE, D, 13, 114, 118, 155, 171 ; université, 123. COMPOSTELLE, SAINT-JACQUES DE, E, 190, 191, 192, 235. CONSTANCE, lac de (Bodensee), 115. CORDILLÈRE (cantabrique), 191. CORDOUE, évêque, cf. DAZA, FONSECA. CORIA, E, 141. CORNOUAILES, comté (GB), 182. CORTÈS, cf. ARAGON, CASTILLE, LÉON, GRENADE. COURTRAI, B, 30, 35.

D DAMME, B, 33. DARTMOUTH, GB, 182. DAX, F, 137. DELFT, NL, 35. DEVON, comté (GB), 182. DIEST, B, seigneurs, cf. NASSAU, Engelbert et Henri de. DIÈTE, cf. EMPIRE. DIJON, F, 92 ; chartreuse, 217. DOLE, F, Parlement, 38. DORDRECHT, NL, 35, 39. DORSET, comté (GB), 182. DOUAI, F, 14, 25, 36, 215 ; châtellenie, 64, 75, 94. DUNKERQUE, F, 36.

E ÉCAUSSINNES-D'ENGHIEN, B, château de la Follie, 195, 199 210, 212. ÉCOSSE, roi, cf. JACQUES IV. EEKLOO, B, 30.

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305

Index EMPIRE (Reich), Saint Empire, X, 3, 12, 18, 23, 36, 41, 43, 45, 46, 47, 53, 65, 74, 78, 84, 85, 92, 93, 97, 99-100, 103, 104, 111-119, 144, 145, 153, 154, 156, 157, 225, 229, 230, 232, 245, 246, 248 ; Diète, 49, 87, 88, 91, 93, 94, 99-100, 111, 114, 115, 117, 146, 153, 207, 246 ; empereurs, cf. CHARLES (QUINT), FRÉDÉRIC III, MAXIMILIEN Ier, OTTON (Ier) ; marquisat, cf. ANVERS. ESCAUT, fleuve, 3, 14, 30, 36, 40, 111, 185 ; cf. aussi HONT. ESPAGNE(S), 45, 53, 54, 61, 63, 66, 68, 69, 88, 109, 112, 115, 118, 124-128, 131-134, 152, 157, 159-170, 173, 174, 225, 226, 227, 230, 231, 232, 237, 238, 242, 245, 246, 248 ; rois, cf. CHARLES (QUINT), PHILIPPE II ; voyage de Philippe le Beau, 1502/03, 36, 58, 59, 62, 64, 65, 66, 67, 68, 76, 83, 135-144, 153, 154, 222, 224, 234, 240, 245 ; voyage de Philippe le Beau, 1506, 61, 62, 63, 66, 75, 76, 152, 172, 173, 176-217, 222, 224, 229, 230, 235, 236 ; cf. aussi ARAGON, CASTILLE. ÉTAPLES, F, traité, 106. ÉTATS GÉNÉRAUX (des Pays-Bas), 7-10, 12-14, 17, 18, 20, 21, 30, 38, 48, 52, 65, 75-78, 84, 91, 96, 98, 103, 105, 112, 114, 119, 133, 153, 171, 178, 215, 216, 225, 241, 242, 247.

F FALMOUTH, GB, 182, 183, 185. FERRETTE, comté, 153, 154. FIENNES, F, seigneur de, cf. LUXEMBOURG, Jacques de. FIGUERAS, E, 142. FLANDRE, comté, 8-14, 16-19, 21, 22, 25, 26, 29, 33, 34, 35 36, 42, 48, 52, 66, 67, 74, 75, 77, 80, 94, 96-97, 98, 101, 106, 111, 151-152, 185, 192, 195, 232, 248, 250 ; comte, cf. LOUIS DE MALE ; Conseil, 11, 12, 14, 67, 151 ; États, 12, 13, 74, 77-78 ; gallicante, 64 ; gouverneur, cf. LUXEMBOURG, Jacques de ; grand veneur, cf. MAßMÜNSTER ; impériale, 152 ; maritime, 36 ; Membres, Quatre, 77-78, Trois, 914, 25, 33, 106. FLESSINGUE, NL, 179. FOLLIE, château de la, cf. ÉCAUSSINNES-D'ENGHIEN. FORLI, I, 209. FRANCE, royaume, X, 4, 6, 7, 9, 10, 20, 21, 23, 26, 32, 43, 44, 46, 53, 61, 62, 66, 67, 68, 69, 76, 78, 89, 91-97, 100, 104-105, 106, 111, 115, 116, 117, 118, 126, 127, 132, 133, 134, 136-137, 140, 141, 142, 144-152, 153, 155, 156, 159, 166, 170, 172, 175, 176, 181, 184, 190, 196, 200, 206, 207, 220, 229, 232, 234-235, 240, 242, 246 ; ambassadeurs, 138, 139 ; chancelier, cf. ROCHEFORT ; reine, cf. ANNE ; rois, cf. CHARLES V, CHARLES VII, CHARLES VIII, FRANÇOIS Ier, HUGUES CAPET, LOUIS XI, LOUIS XII. FRANCFORT, D, 12, 88, 100, 112 ; traité, 17. FRANCHE-COMTÉ (de Bourgogne), 7 9, 22, 29, 38, 65, 66, 67, 91, 92, 94, 148-149, 153, 154, 155, 179, 226, 232. FRIBOURG(-en-Brisgau), D, 93, 94 ; traité, 101-102. FRISE (occidentale), seigneurie, 6, 19, 29, 34, 76, 82, 123, 136 ; États, 39, 77. FUENTERRABÍA, E, 137. FURNES, B, 36, 82.

G GALICE, 165, 189, 190, 191, 192, 193, 195, 235.

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306

Index des noms de lieux GAND, B, 3, 8, 9, 10, 12, 13, 14, 19, 25, 29, 33, 34, 35, 57, 58, 60, 75, 77, 80, 81, 108, 135, 178, 182, 208, 219, 238, 240, 245, 248 ; arbalétriers, 208 ; quartier, 29 ; vicomte, cf. MELUN. GASCOGNE, golfe, 182. GEERTRUIDENBERG, NL, 34, 39, 77. GÊNES, république, ambassadeur, 139. GLURNS (Glorenza), I, 115. GOES, NL, 36. GOUDA, NL, 35. GRAVE, NL, 102. GRAY, F, 149. GRAZ, A, 98. GRENADE, E, 210, 217 ; (ancien) royaume, 35, 126, 127, 169, 200, 201, 222, 227 ; Cortès, 135. GUADALAJARA, E, 142. GUELDRE, duché, XI, 3, 61, 63, 64, 65, 75, 76, 78, 80, 87, 97-104, 109, 115, 119, 150, 152, 153, 154, 156, 159, 166, 167, 171-176, 177, 178, 179, 198, 202, 203, 209, 224, 242, 243, 246 ; ducs, cf. ADOLPHE, ARNOULD, CHARLES D'EGMOND. GUINEGATTE (act. Enguinegatte), F, bataille, 6. GUYENNE, 137.

H HAARLEM, NL, 29, 35, 81, 82, 83. HAGUENAU, F, traité, 150, 164, 172, 223, 235, 238. HAINAUT, comté, 3, 8, 14, 30, 34, 36, 39, 64, 75, 98, 100, 112, 136-137, 178, 230 ; capitaine général, cf. CROŸ, Charles de ; États, 84 ; grand bailli, 84, 204, cf. aussi CROŸ, Guillaume de HALL(-i.-Tirol), A, 117, 154. HAM, F, 137. HEIDELBERG, D, 155. HESDIN, F, 22, 94. HEUSDEN, NL, 18. HOLLANDE, comté, 3, 6, 8, 13, 14, 17, 19, 29, 33, 34, 35, 38, 39, 52, 63, 65, 74, 75, 80, 82, 123-124, 136, 225 ; États, 18, 34, 39, 74, 77. HONDSCHOOTE, F, 30. HONGRIE, royaume, 146, 202. HONT (partie de l'estuaire de l'Escaut), 108. HOOGSTRATEN, B, 136.

I IMST, A, 115, 116, 118. INDES, 203, 228 ; cf. aussi AMÉRIQUE. INN, rivière, 115, 154. INNSBRUCK, A, 84, 114-115, 154, 171, 212, 238. ITALIE, X, 21, 92, 93, 100, 112, 114, 115, 116, 118, 131, 144-145, 147-148, 157, 168, 202, 204, 208, 216, 238, 246.

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Index J JAÉN, E, 200. JULIERS, duché, 103 ; duc, cf. GUILLAUME IV.

K KENT, comté (GB), 107.

L LA CHAU(L)X, F, seigneur de, cf. POUPET. LA COROGNE, E, 190, 191, 192, 206, 235. LA HAYE, NL, 10, 35, 77, 208 ; Chambre des comptes, 74. LANDES, 137. LANGUEDOC, 142. LAREDO, E, 48, 190. L'ÉCLUSE, NL, 12, 19, 29, 33. LÉON, E, 190, 191 ; (ancien) royaume, 169, 190, 192, 201 ; Cortès, 135. LE QUESNOY, F, 134. LEYDE, NL, 35, 38, 39, 81, 83. LIÈGE, B, 50 ; cathédrale Saint-Lambert, chapitre, 69, cf. aussi BUSLEYDEN, François de ; principauté, 17, 69 ; prince-évêque, 49, 84, cf. aussi BOURBON, Louis de. LIERRE, B, 34, 41, 49-52, 54, 67, 231 ; collégiale Saint-Gommaire, 52. LIGURIE, 116. LILLE, F, 35, 50, 67, 105 ; Chambre des comptes, 74, 177, 178, 203, 204, 205 ; châtellenie, 64, 75, 94 ; gouverneur, 204. LIMBOURG, duché, 76. LINDAU, D, 49, 91, 115, 116, 117. LOMBARDIE, 117. LONDRES, GB, 6, 7, 126, 165, 183, 188, 247 ; Tour, 40, 106, 184. LOOZ, (ancien) comté, 85. LORRAINE, duché, 6, 65. LOUVAIN, B, 10, 17, 33, 34, 38, 40, 52, 82, 101, 106, 155, 240 ; collégiale SaintPierre, chapitre, cf. RUTER ; université, 68, 123-124, 241. LUXEMBOURG, L, 14, 114, 153 ; duché, 14, 36, 65, 68, 76, 98, 112 ; gouverneur, cf. CHRISTOPHE (Ier) et NEUFCHÂTEL ; receveur général, cf. BUSLEYDEN, Valérien de. LYON, F, 145, 148, 207, 220 ; traité, 147-148, 149.

M MAASTRICHT, NL, 84, 85, 114, 155. MÂCON, comté (Mâconnais), 22, 94. MADRID, E, 137, 138, 139, 141, 142. MAGNY-SUR-TILLE, F, seigneur, cf. PLAINE, Thomas de. MALINES, B, 12, 13, 14, 17, 18, 19, 20, 21, 34, 47, 52, 65, 66, 75, 84, 85, 88, 118, 135, 138, 155, 204, 205, 210, 215, 216, 231, 245, 247 ; Chambre des comptes, 74 ; collégiale Saint-Rombaut, 210, 215, chapitre, 68, cf. aussi SARTO ; église SaintPierre, 47 ; Grand Conseil, 70, 72, 151-152, 210 ; Parlement, 52, 66, 70. MALS (Malles Venosta), I, 115. MANCHE, 178.

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Index des noms de lieux MAURES (en Espagne), 47, 227. MAYENCE, D, 48, 155 ; archevêque, 47, cf. aussi HENNEBERG. MEDINA DEL CAMPO, E, 159, 160, 161. METZ, F, 115. MÉZIÈRES (act. Charleville-Mézières), F, traité, 174. MIDDELBOURG, NL, 10, 34, 39, 49, 53, 64, 108, 170, 179, 185, 190, 217. MILAN, duché (Milanais), 43, 144, 146, 149, 153, 172 ; duc, cf. LUDOVIC SFORZA. MIRAFLORES, chartreuse (près de Burgos), 210, 236. MOLEMBAIX, B, seigneur, cf. LANNOY, Baudouin de. MONS, B, 10, 25, 32, 34, 39, 96, 136, 240 ; collégiale (Sainte-Waudru), 68. MONTEREAU, F, 91. MONTILS-LEZ-TOURS (act. Tours), F, traité, 17, 19. MONTPELLIER, F, 154.

N NÁJERA, E, duc, cf. MANRIQUE. NAMUR, B, 8, 18, 34, 114, 184 ; comté, 34, 75 ; gouverneur, cf. CROŸ, Guillaume de. NANCY, F, 3, 20, 97. NAPLES, I, 148 ; royaume, 21, 43, 45, 92, 142, 144, 147, 149, 157, 159, 160, 161, 188, 189, 192, 194, 197, 202, 216, 235 ; roi, cf. FERRAND. NAVARRE, reine, cf. CATHERINE ; roi, cf. JEAN D'ALBRET. NEVERS, F, comté, 15 ; comte, cf. JEAN DE BOURGOGNE. NIEUPORT, B, 36. NIMÈGUE, NL, 100, 103, 174. NORD, département (F), 229 ; mer, 98, 107, 108, 245. NOYERS, F, seigneurie, 22. NUREMBERG, D, 153.

O OLÍAS, E, 138, 207. ORCHIES, F, châtellenie, 64, 75, 94. ORENSE, E, 192. ORLÉANS, F, traité, 103 ; université, 137. OSTENDE, B, 36. OUDENBURG, B, 80.

P PALATINAT, 155 ; comtes, cf. FRÉDÉRIC, PHILIPPE. PARIS, F, 136, 220, 247 ; traité, 76, 94, 102, 117, 118, 119, 145 ; Parlement, 9, 26, 96, 137, 151-152 ; université, 15, 137. PERPIGNAN, F, 147. PICARDIE, 98. PLASENCIA, E, 200. PLYMOUTH, GB, 182. POITIERS, université, 137. POLOGNE, royaume, 126. PONFERRADA, E, 200. PONT-D'AIN, F, 148. PORTLAND, GB, 182.

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Index PORTUGAL, royaume, 43, 45, 194 ; infant, cf. MIGUEL ; reine, cf. ISABELLE ; roi, cf. MANUEL. POUILLES, duché, 147. PUEBLA DE SANABRIA, (LA), E, 194. PYRÉNÉES, 41, 42, 45, 47, 50, 54, 63, 133, 136, 142, 151, 153, 161, 173, 188, 203, 209, 212, 216, 223, 237, 246, 247.

R RAVE(N)STEIN, NL, 99 ; dames, cf. BOURGOGNE, Anne de, LUXEMBOURG, Françoise de ; seigneurs, cf. ADOLPHE, PHILIPPE DE CLÈVES. READING, GB, 184, 207. REIMERSWAAL (ville engloutie au XVIe s.), NL, 34, 36, 38. REMESAL, E, 194, 197. RENEDO, E, 197, 200. RENNES, F, 20. RESSEGEM, B, seigneur de, cf. VILAIN. RETHEL, F, comté (Rethelois), 15, 98. REUTTE, A, 208. RHIN, fleuve, 12, 84, 97, 111, 112, 134, 151, 245. RICHMOND, GB, 184. ROME, I, 116, 157, 201, 202 ; Curie pontificale, 42, 68, 170, cf. aussi SAINT-SIÈGE. ROTTERDAM, NL, 35. ROUSSILLON, 41, 42, 141, 142. ROZENDAAL, NL, 173. RUREMONDE, NL, 99, 102, 174.

S SAINT-BERTIN, abbaye (à Saint-Omer), abbé, cf. BERGHES, Antoine de. SAINT-JACQUES, ordre militaire, 137, 169, 195-196, 200. SAINT-JEAN-DE-LUZ, F, 137. SAINT-NICOLAS (Waas), B, 35. SAINT-OMER, F, 36 ; cf. aussi SAINT-BERTIN. SAINT-SIÈGE, X, 120-124, 206. SAINTE LIGUE, 43, 53, 92, 93, 94, 107, 114, 115. SALAMANQUE, E, traité, 168-170, 178, 189, 191, 192, 194, 202, 251-264 ; université, 204. SANTANDER, E, 53. SANTIAGO, cf. COMPOSTELLE, SAINT-JACQUES DE. SARAGOSSE, E, 94, 141, 142, 199. SARDAIGNE, 141. SAVOIE, duché, 6, 65, 67, 148, 153, 184, 207 ; duc, cf. PHILIBERT LE BEAU. SAXE, duché, 126 ; ducs, cf. ALBERT, ERNEST, FRÉDÉRIC III. SCHIEDAM, NL, 33. SÉGOVIE, E, 136, 137, 138 168, 200. SENLIS, F, traité, 21, 22, 23, 28, 29, 84, 89, 91, 93, 94, 98, 99. SÉVILLE, E, 228 ; archevêque, cf. DEZA. SICILE, 42, 43, 128, 141, 147. SIEGEN, D, 64. SIMANCAS, E, 200.

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Index des noms de lieux SOIGNIES, B, 96. SOMME, fleuve, 151. SOUABE, 153. STRASBOURG, F, 164. STUTTGART, D, 155. STYRIE, duché, 79, 208. SUISSE (Confédération), 103, 154. SUNDGAU, 154.

T TENDILLA, E, comte de, cf. MENDOZA, Iñigo López de. TERMONDE, B, 12, 35, 152. TIEL, NL, 174 ; trêve, 173, 174, 175, 176. TIRANO, I, 115. TOLÈDE, E, 68, 135, 136, 137, 138, 139-141, 155, 198, 207, 208 ; archevêque, cf. CISNEROS. TORDESILLAS, E, 197. TORO, E, Cortès, 162, 169, 198, 235. TOURNAI, B, 22, 40, 80, 106. TOURS, F, 190. TRENTE, I, traité, 134, 137, 146, 220. TRÈVES, D, 97 ; archevêque, cf. BADE. TUDELA DE DUERO, E, 202, 206. TURCS, (projets de) croisade contre les, X, 93, 146. TURQUIE, 199. TYROL, comté, VIII, 49, 79, 84, 100, 114, 117, 134, 149, 153-156, 208, 215, 242 ; comte, cf. SIGISMOND DE HABSBOURG ; du Sud (Haut-Adige), 115.

U ULM, D, 49, 114, 154. UTRECHT, NL, 6, 174 ; cathédrale, chapitre, cf. NATUREL ; principauté (Sticht), 10, 17, 61, 80, 136 ; prince-évêque, cf. BOURGOGNE, David de.

V VALENCE, (ancien) royaume, 141, 197. VALENCIENNES, F, 10, 30, 34, 79, 80, 81, 82, 83, 96, 136, 142, 147, 179, 215 ; Sallele-Comte (ancien palais comtal), 147. VALLADOLID, E, 42, 137, 138, 139, 175, 193, 197, 198, 199, 200, 202, 206, 212, 228. VENISE, république, 14, 43, 92, 115, 150, 167, 223 ; ambassadeurs, 117, 138, 139, 155, 208, cf. aussi QUERINI. VERMANDOIS, 137. VIENNE, A, 13, 16, 22, 84, 214, 247. VIGEVANO, I, 111. VILLAFÁFILA, E, traité, 195, 196, 198, 201. VILLAFRANCA DEL BIERZO (ou de Valcarcel), E, 191, 192, 193. VILLE-POMMERŒUL, B, 137 ; seigneur («de Ville»), cf. LUXEMBOURG, Jean de. VILLENA, E, marquis, cf. PACHECO. VINSCHGAU, 115.

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Index VILVORDE, B, 18. VORLANDE (possessions des Habsbourg dans la vallée du Rhin, XVe-XVIe s.), 153 ; cf. aussi ALSACE, BRISGAU, SUNDGAU.

W WAAL, rivière, 173. WAAS, Pays de, 35, 38, 152. WAGENINGEN, NL, 98. WALCHEREN, île (Zélande), 49, 179. WEYMOUTH, GB, 182. WINCHESTER, GB, 183. WINDSOR, GB, 182, 183, 184, 189, 208 ; traité, 183. WORMS, D, 47, 48, 87, 88, 99, 111, 114, 155, 175.

Y YPRES, B, 33, 35, 77.

Z ZÉLANDE, comté, 3, 6, 11, 14, 17, 34, 39, 48, 50, 53, 75, 136, 177, 178, 179, 180, 185. ZIERIKZEE, NL, 11, 36, 39. ZUID-BEVELAND, île (Zélande), 34. ZUIDHOLLAND (circonscription domaniale), 35, 38. ZUTPHEN, NL, 173, 174 ; comté, 3, 97, 99, 172, 173.

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