Passeurs De Culture: Etudes Sur La Transmission De La Culture Grecque Dans Le Monde Romain Des Ier-ive Siecles Apres J.-c. (Recherches Sur Les Rhetoriques Religieuses, 32) (English and French Edition) 9782503590158, 2503590152

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Passeurs De Culture: Etudes Sur La Transmission De La Culture Grecque Dans Le Monde Romain Des Ier-ive Siecles Apres J.-c. (Recherches Sur Les Rhetoriques Religieuses, 32) (English and French Edition)
 9782503590158, 2503590152

Table of contents :
Table des matières
Préface
Avant-propos
Première partie: Les professeurs, statut social et rôle culturel
Greek grammatici in the Roman Empire
Le grammairien Alexandros de Cotiaeon titulaire d’une chaire d’enseignement ?
À propos du verbe δημοσιεύειν(Aelius Aristide, or. 32, § 12)
Enquête sur le salaire et les ressources des Sophistes d’après les Vies des Sophistes de Philostrate
Chaires municipales, chaires impériales
Ascension sociale et mobilité géographique des titulaires des chaires athéniennes*
Les conditions d’exercice des rhéteurs africains sous le Haut‑Empire romain
Quelques éléments
Rhéteurs et sophistes grecs dans l’Égypte romaine
Des intellectuels sur le déclin ?
Peut-on être sophiste dans le Pont-Euxin ?
Philosophie, rhétorique et périphérie
Trainers as cultural mediators
Deuxième partie: Lieux et pratiques d’enseignement
Mouseia in Roman Asia Minor
Public spaces of culture and institutions of education
Les Grecs ont-ils étudié le latin dans l’Antiquité ?
Quelques témoignages littéraires et épigraphiques datant du Haut-Empire
Perspectives pédagogiques chez Quintilien
Exercere, exercitare et exercitatio dans l’Institution oratoire
Les traités VIII et IX de la Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse
Un cours de littérature grecque sous l’Empire romain
Un passeur de culture musicale
Libanios et les lois de l’école
Enseignement et construction identitaire
Dans les Vies d’Eunape de Sardes*
Troisième partie: Écrivains passeurs de savoirs
Ovide fut-il un passeur de la culture philosophique grecque dans la Rome d’Auguste ?
Sénèque naturaliste
Plutarque, un passeur de la culture équestre grecque
La transmission des savoirs géographiques par les auteurs de la Seconde Sophistique
Arrien et l’Inde
Galien et la paideia
Quatrième partie: Représentations de figures d’enseignants
Les passeurs de culture dans l’épigramme satirique grecque
Aspects et enjeux de la représentation des figures d’enseignants dans les Épigrammes de Martial
Bonimenteurs et marchands de savoirs
Les images du profit et l’enseignement de la philosophie dans la littérature grecque du Haut-Empire
La sagesse des anciens
Sur la transmission orale des savoirs dans le roman grec ancien
Athénée pédagogueou le refus de la vaine érudition
Résumés
English abstracts
Index
Index des noms de personnes et de lieux
Index des principaux passages cités
Index des inscriptions
Index des papyrus

Citation preview

Passeurs de culture

Recherches sur les Rhétoriques Religieuses Volume 32 Collection dirigée par Gérard Freyburger & Laurent Pernot

Passeurs de culture La transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C.

Textes réunis et édités par Anne-Marie Favreau-Linder Sophie Lalanne Jean-Luc Vix

F

© 2022, Brepols Publishers n. v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this publication may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise without the prior permission of the publisher. D/2022/0095/118 ISBN 978-2-503-59015-8 eISBN 978-2-503-59016-5 DOI 10.1484/M.RRR-EB.5.120681 ISSN 0770-0210 eISSN 2566-0004 Printed in the EU on acid-free paper.

Préface

Le présent ouvrage est particulièrement en phase avec des préoccupations de notre époque : à l’ère du numérique et des difficultés croissantes que rencontrent les élèves et les étudiants à assimiler la culture issue du passé, le xxie siècle s’interroge tant sur les personnes qui assurent la transmission culturelle que sur les méthodes utilisées. Ce sont précisément les « passeurs de culture » sous l’Empire romain, selon la jolie formule des éditeurs du livre, A.-M. Favreau-Linder, S. Lalanne et J.-L. Vix, qui sont ici étudiés. Qui sont ces « passeurs » ? Ce sont les écrivains et, plus encore, les enseignants de ce temps-là. Le livre présente donc une série d’enquêtes sur les uns et les autres, qui se fondent le plus souvent sur les données fournies par la partie orientale de l’Empire, encore peu étudiée de ce point de vue, et qui s’attachent spécialement à la transmission de la culture grecque. Des écrivains de l’Antiquité sont ainsi analysés dans leur fonction d’acteurs de la transmission culturelle sur des points précis et instructifs de leur activité. Mais ce sont surtout les enseignants, de tous les niveaux de l’enseignement, qui constituent les sujets de ces études. Celles-ci sont remarquablement ciblées et l’on apprendra en les lisant quantité de choses, souvent peu connues, sur le concret de l’univers scolaire gréco-romain. Citons les salaires des enseignants, leur origine sociale et celle de leurs élèves, l’organisation des chaires publiques et leur mode de rétribution, le parcours professionnel des rhéteurs, l’entraînement sportif que faisaient pratiquer à leurs élèves les professeurs d’éducation physique, le mode d’enseignement de la musique, le fonctionnement des établissements scolaires (mouseia), la place des exercices pratiques dans l’enseignement, la prise de notes pratiquée par les étudiants, les relations maîtres-élèves, etc. On découvre enfin dans ce livre quelle était l’image des enseignants dans la société de leur temps et les nombreuses critiques et caricatures dont ils faisaient l’objet. On le voit, ce livre fourmille d’informations et, au-delà, par les comparaisons qu’il permet entre l’Antiquité et notre époque, est susceptible de nourrir de façon substantielle une réflexion sur le rôle que peuvent ou doivent jouer dans une société les acteurs de la transmission culturelle, au nombre desquels se trouvent, quoi qu’on dise parfois, avant tout les enseignants. Gérard Freyburger & Laurent Pernot

Avant-propos

Il est indéniable que par son Histoire de l’éducation dans l’Antiquité en deux tomes parus en 1948 – le premier consacré à la Grèce, le second à Rome –, Henri-Irénée Marrou a donné un nouveau souffle aux travaux consacrés à l’éducation dans le monde gréco-romain au sortir de la seconde guerre mondiale. Cette somme considérable est, jusqu’à nos jours, régulièrement citée dans les différents ouvrages traitant du sujet. Non sans raison ! Mais depuis cette première édition, quatre autres se sont succédé, des traductions ont été publiées dans toutes les langues savantes européennes1 et un nombre important d’études a paru, approfondissant, infléchissant ou modifiant légèrement la vision du savant français. La célébration du cinquantenaire de la date de parution de l’ouvrage a conduit à l’organisation de manifestations scientifiques et à la publication de plusieurs ouvrages collectifs de première importance, destinés en même temps à rendre hommage à Henri-Irénée Marrou et à mettre en perspective les avancées scientifiques survenues en cinquante ans, en France et dans le monde anglo-saxon2. Les réflexions sur l’éducation telle qu’elle est définie par H.-I. Marrou côtoient, dans ces ouvrages intitulés Education in Greek and Roman Antiquity et Que reste-t-il de l’éducation classique ?, des travaux mettant en lumière les apports de la papyrologie, de l’épigraphie ou de l’iconographie, documentation parfois délaissée par le savant – ou encore inconnue à son époque –, tandis que le questionnement sur l’éducation aux époques hellénistique et romaine est revu en tenant compte des tout derniers travaux. Le nombre important de contributeurs de nationalités diverses indique à lui seul l’intensité des recherches dans ce domaine à l’aube du xxie siècle. Le principal apport de ces deux volumes a été de confirmer les grandes orientations tracées par Henri-Irénée Marrou, en nuançant fortement cependant certaines affirmations, comme l’idée que l’éducation hellénistique et impériale dans le monde grec s’était progressivement réduite à la sphère intellectuelle et savante, alors que l’éducation physique et militaire a bien conservé à travers les siècles un rôle important dans le système éducatif. Quelques années plus tard, un autre ouvrage collectif consacré à l’école dans l’Antiquité (Escuela y Literatura en Grecia antigua) a marqué à son tour le vif intérêt de la communauté scientifique de langue espagnole et italienne pour ce domaine

1 P. Riché, « In Memoriam Professeur Henri-Irénée Marrou », Pedagogica Historica, 17, 1977, p. 491-515. 2 Y. L. Too (éd.), Education in Greek and Roman antiquity, Leiden, Boston, 2001 ; J.-M. Pailler, P. Payen (éd.), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou », Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Toulouse, 2004.

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ava n t-p ro p o s

d’étude3. Cet imposant volume est le résultat d’une collaboration de chercheurs issus de différentes universités. Comme l’indique le titre général de l’ouvrage, les articles explorent cette fois le contenu scolaire de l’éducation antique en se focalisant sur les études littéraires. Une fois encore, les recherches récentes en épigraphie et en papyrologie apportent des données nouvelles sur les exercices préparatoires, les progymnasmata, tandis que d’autres articles se penchent plus spécifiquement sur des auteurs comme Élien, Lucien, Philostrate, Libanios ou Thémistios, afin de mettre en perspective les informations tirées de leur œuvre avec la thématique générale du volume. Cette exploration de l’univers de l’éducation littéraire ne se fait pas dans un cadre chronologique spécifiquement déterminé, puisque, même si une majorité d’études se situent dans le monde gréco-romain des premiers siècles de l’ère chrétienne, certaines d’entre elles s’attachent à des périodes antérieures. Un autre volume collectif a récemment vu le jour, le Blackwell Companion to Ancient Education, édité par W. M. Bloomer en 20154. L’approche est très différente du livre précédent, d’une part dans la mesure où l’ouvrage trace un parcours délibérément chronologique qui va de la période archaïque à l’Antiquité tardive, d’autre part dans la mesure où il cherche à élargir son champ de recherches au-delà de la littérature, en consacrant une dernière partie à l’éducation non littéraire et non élitiste. Le lecteur trouvera donc des thématiques diachroniques aussi diverses que l’éducation des femmes, le fonctionnement des écoles ou l’enseignement des mathématiques, du sport, de la médecine ou de la musique. Dans la constellation des ouvrages collectifs liés à la thématique de l’enseignement et de l’école antiques, il faut aussi noter la parution en 2010 d’un volume consacré plus spécifiquement aux ouvrages scolaires et aux cours prodigués avec une visée diachronique qui va de l’Antiquité à la Renaissance5. Le point de vue, orienté vers la didactique, se distingue des études précédentes par son approche et apporte des éclairages importants sur les pratiques scolaires à travers les siècles. D’innombrables études et monographies complètent le tableau offert par ces quelques indications bibliographiques d’ouvrages collectifs. Un nombre non négligeable d’entre elles se focalise sur les enseignants en fournissant des recensements prosopographiques précieux. Il en est ainsi de l’ouvrage pionnier de A. R Kaster6, Guardians of language, repris et complété par une expertise épigraphique plus récente de S. Agusta-Boularot concernant les grammairiens, publiée dans un article intitulé « Les références épigraphiques aux grammatici et γραμματικοί de l’Empire romain (ier siècle av. J.-C. – ive siècle ap. J.-C.) » ; enfin le Lexicon of Greek Grammarians of Antiquity disponible en ligne a pour ambition de constituer une prosopographie

3 J. A. Fernandez Delgado, F. Pordomingo et A. Stramaglia (éd.), Escuela y Literatura en Grecia antigua, Cassino, 2007. 4 W. M. Bloomer (éd.), A Companion to Ancient Education, Chichester, 2015. 5 L. Del Corso, O. Pecere (éd.), Libri di scuola e pratiche didattiche dall’ Antichità al Rinascimento, Cassino, 2010. 6 R. A. Kaster, Guardians of Language. The Grammarian and Society in Late Antiquity, Berkeley-Los Angeles, Londres, 1988 ; M. G. Bajoni, Les grammairiens lascifs. La grammaire à la fin de l’Empire romain, Paris, 2008.

avant-pro po s

complète de ces intellectuels7. Les inscriptions se sont avérées également une source de documentation féconde pour mieux appréhender le statut social et l’origine des sophistes et rhéteurs. Ainsi le recueil de B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, qui réunit ces inscriptions pour la première fois, est pour les chercheurs un instrument précieux8. À côté de l’épigraphie, la papyrologie est elle aussi de plus en plus souvent sollicitée, et permet d’élargir nos connaissances sur les apprentissages, plus spécifiquement dans l’Égypte gréco-romaine9. Parfois l’approche est volontairement circonscrite, avec la volonté de restreindre géographiquement les études10 ou de les limiter à des classes sociales spécifiques11. Enfin, certains thèmes se sont distingués durant ces dernières décennies, comme l’éphébie12, les rites de passage13, l’éducation des filles et l’instruction des femmes14. Nos connaissances de l’univers scolaire de l’Antiquité gréco-romaine s’affinent donc incontestablement au fil des recherches entreprises par la communauté scientifique, ce qu’illustrent des synthèses recentrées sur tel domaine, tel degré d’enseignement ou telle période15.

7 S. Agusta-Boularot, « Les références épigraphiques aux grammatici et γραμματικοί de l’Empire romain (ier s. av. J.-C. – ive s. apr. J.-C.) », Mélanges de l’École française de Rome, Antiquité, 106, 1994, p. 653-764. F. Montanari, L. Pagani, F. Montana (eds), Lexicon of Greek Grammarians of Antiquity, Brill (2015-), https ://referenceworks.brillonline.com/browse/lexicon-of-greek-grammarians-of-antiquity. 8 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002. Voir également l’étude de cas de H. Bouvier, « Hommes de lettres dans les inscriptions delphiques », ZPE, 58, 1985, p. 119-135, p. 132. 9 A. Wouters, The Grammatical Papyri from Graeco-Roman Egypt/ Contributions to the Study of the “Ars Grammatica” in Antiquity », Bruxelles, 1979 ; J. Debut, « Les documents scolaires », ZPE 63, 1986, p. 251-278 ; R. Cribiore, Writing, Teachers, and Students in Graeco-Roman Egypt (American Studies in Papyrology, 36), Atlanta, 1996 ; A. Wouters, « La grammaire grecque dans l’école antique d’après les papyrus », dans Actes du XXXI e Congrès international de l’APLAES, 5, 6 et 7 juin 1998, Lyon, 1999, p. 51-68 ; B. Legras, Éducation et culture dans le monde grec (viiie siècle av. J.-C.-ive siècle ap. J.-C.), Paris, 2002. 10 L. Maurice, The Teacher in Ancient Rome : the Magister and his World, Plymouth, 2013. 11 J. Christes, Sklaven und Freigelassene als Grammatiker und Philologen im antiken Rom, Wiesbaden, 1979. 12 Citons parmi les textes fondamentaux sur le sujet, P. Vidal-Naquet, Le chasseur noir, Paris, 1981 ; P. Gauthier et M. B. Hatzopoulos, La loi gymnasiarchique de Béroia, Athènes, Paris, 1993 ; P. Gauthier, « Bienfaiteurs du gymnase au Létôon de Xanthos », Revue des Études Grecques, 109, 1996, p. 1-34 ; A. Chankowski, L’éphébie hellénistique. Étude d’une institution civique dans les cités grecques des îles de la Mer Egée et de l’Asie Mineure, Paris, 2010. 13 A. Brelich, Paides e Parthenoi, Rome, 1969 ; C. Calame, Les chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque, Rome, 1977 ; P. Vidal-Naquet, Le chasseur noir, Paris, 1981, et « Retour au chasseur noir », dans La Grèce ancienne, 3. Rites de passage et transgressions, Paris, 1992, à compléter avec l’article de J. Ma, « Black hunter variations », PCPS 40, 1994, p. 49-80. 14 C. Calame, Les chœurs de jeunes filles en Grèce archaïque, Rome, 1977 ; E. A. Hemelrijk, Matrona docta. Educated Women in the Roman élite from Cornelia to Julia Domna, Londres-New York, 1999 ; R. S. Bagnall et R. Cribiore, Women’s Letters from Ancient Egypt 300 BC-AD 800, Ann Arbor, 2006. 15 Pour un exemple de recueil de documents : M. Joyal, I. McDougall et J. C. Yardley, Greek and Roman Education. A source book, Londres-New York, 2009. Des études qui restreignent le champ d’investigation à Rome : C. Wolff, L’éducation dans le monde romain. Du début de la République à la mort de Commode, Paris, 2015 ; K.-W. Weeber, Lernen und leiden : Schule im alten Rom, Darmstadt, 2014. Des recherches portant plus spécifiquement sur certains niveaux d’éducation : M. L. Clarke, Higher Education in the Ancient World, Londres, 1971 ; H. Hugonnard-Roche (éd.), L’enseignement supérieur dans les mondes

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On l’aura compris, l’objectif de ces quelques lignes n’est pas d’offrir ici un état exhaustif de la recherche sur l’éducation dans le monde gréco-romain, ce qui serait illusoire tant les études se sont multipliées depuis la parution de l’ouvrage fondateur de H.-I. Marrou. Les considérations précédentes ont pour seul but de montrer la richesse et l’actualité de ce domaine de recherche pour mieux distinguer le socle sur lequel repose le présent volume. Car c’est à l’aune de cette diversité et de cette abondance que les contributions qui le composent sont proposées au lecteur. L’idée de départ de cet ouvrage était de combler une lacune sur l’Orient romain, sur les enseignants qui y opéraient, sur les realia de leurs conditions de travail, mais aussi sur les représentations, idéalisées ou non, dont ils faisaient l’objet. Il a été signalé dans l’état de la question qui précède que de nombreuses études s’étaient plus spécialement focalisées sur l’éducation pratiquée en Grèce ou à Rome, ou dans l’ensemble de l’Empire gréco-romain. La partie orientale de l’Empire, sans être totalement délaissée, a globalement été moins explorée, mis à part l’Égypte hellénistique et romaine en raison de l’apport considérable de la documentation papyrologique. Les articles qui suivent proposent donc de parcourir cet espace géographique de l’Orient romain sans s’interdire des incursions en Occident lorsque celles-ci peuvent être éclairantes. La période chronologique retenue est prioritairement celle du HautEmpire, où s’épanouit le phénomène culturel que l’on nomme communément la Seconde Sophistique, avec une brève ouverture vers la « Troisième Sophistique »16. La notion de « passeurs de culture » qui fonde le titre de cet ouvrage constitue par ailleurs la pierre angulaire de l’ensemble des contributions. La focalisation sur les acteurs de la transmission des savoirs est en effet un élément essentiel de la construction de ce volume. Les enseignants qui forment les pepaideumenoi, eux-mêmes à leur tour acteurs de la culture grecque, représentent des rouages essentiels des sociétés d’époque hellénistique et impériale en tant que passeurs d’une paideia qui ne se limite pas à une formation intellectuelle mais concerne également le champ de la culture physique et artistique. C’est pourquoi le lecteur trouvera dans les pages suivantes des études concernant la paideia entendue dans l’acception la plus large possible. Les auteurs latins comme grecs nous ont en effet laissé de nombreux témoignages sur la place des « enseignants » dans les sociétés des premiers siècles de notre ère, sur leur travail, ou encore sur leur importance sociale. Mais il convient de considérer que les auteurs ont parfois eux-mêmes été des « passeurs de culture », leurs écrits laissant aussi transparaître cette force et cette passion de la transmission. C’est dans cet esprit d’ouverture et avec une volonté de cohérence géographique, chronologique et thématique que les différentes contributions, issues de trois antiques et médiévaux : aspects institutionnels, juridiques et médiévaux (Textes et traditions, 16), Paris, 2008. Sur certains domaines d’enseignement : I. Hadot, Arts libéraux et philosophie dans la pensée antique. Contribution à l’histoire de l’éducation et de la culture dans l’Antiquité, Paris, 2005. 16 L’expression, proposée par les savants modernes pour qualifier la culture rhétorique et littéraire des iiie-ve siècles, souligne à la fois la continuité et les ruptures culturelles liées à un contexte socio-culturel nouveau. Voir L. Pernot, La rhétorique dans l’Antiquité, Paris, 2000, p. 273 ; E. Amato, « Avant-propos », dans E. Amato (éd.), Approches de la Troisième Sophistique, (Latomus, 296), Bruxelles, 2006, p. v-vii.

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journées d’étude qui se sont tenues en 2015 et 2016, sont présentées dans quatre parties distinctes. Un premier groupe de huit articles s’attache aux enseignants et à leurs conditions d’exercice. Deux contributions s’intéressent d’abord plus particulièrement aux grammairiens. Tandis que Ewen L. Bowie, élargissant la vision que l’on a généralement des grammairiens, montre leur implication prépondérante dans l’univers culturel des premiers siècles de notre ère, Jean-Luc Vix discute un passage du discours 32 d’Aelius Aristide pour discerner si le grammairien Alexandros de Cotiaeon aurait pu occuper une chaire de grammaire ou de rhétorique à Rome au iie siècle ap. J.-C. Les deux articles suivants sont consacrés aux sophistes pour insister sur les realia de leur existence. Anne-Marie Favreau part des biographies contenues dans les Vies des sophistes de Philostrate pour tenter de déterminer quels étaient les revenus de ces professeurs, tandis qu’Éric Perrin-Saminadayar cherche, de son côté, à dessiner le contour de leur itinéraire professionnel au fil des chaires municipales et impériales qu’ils ont occupées, démontrant par là que, dans le milieu des sophistes, mobilité géographique et mobilité sociale ne vont pas de pair. Trois contributions étudient ensuite la place et le statut des sophistes et rhéteurs dans trois espaces géographiques distincts. Alors que Marie Dallies propose d’explorer, grâce au concours de sources épigraphiques et textuelles, le parcours de quelques rhéteurs africains à l’époque du Haut Empire, Bernard Legras interroge, quant à lui, la singularité des sophistes grecs d’Égypte dans le concert des sophistes de l’Empire. L’enquête de Madalina Dana porte, pour sa part, sur certaines figures emblématiques du Pont Euxin, et montre que l’éloignement apparent des centres culturels de l’Empire n’empêche pas certaines personnalités d’émerger au sein de la Seconde Sophistique. Enfin, considérant l’importance de l’éducation physique en Grèce, y compris à l’époque romaine, Onno van Nijf propose une étude de la constellation des entraîneurs préparant aux différents concours sportifs. Un deuxième groupe de contributions explore plus spécifiquement le contenu des cours et des pratiques pédagogiques. En premier lieu, Maria Paz de Hoz, passant en revue les occurrences du terme Mouseion dans les inscriptions d’Asie mineure, interroge l’existence d’institutions ou de lieux dédiés à ces acteurs de la transmission des savoirs. Bruno Rochette se penche quant à lui sur le bilinguisme et les réalités de son enseignement au sein de l’élite grecque du Haut-Empire. Les trois études suivantes s’attachent à des textes dont la nature oscille entre traité exposant les règles de l’art et manuel ou exposé pédagogique. Dans le domaine latin, Sophie Conte revisite l’Institution oratoire de Quintilien, lui-même professeur de rhétorique, pour évaluer la place de l’exercice tant dans sa pratique pédagogique que dans sa conception théorique de l’enseignement rhétorique. Dans le domaine grec, Laurent Pernot examine avec attention deux brefs traités, inclus par la tradition dans la Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse (traités VIII et IX), et propose d’y voir des notes d’étudiants prises lors d’un cours de rhétorique élargi à l’analyse du discours et à la critique littéraire. Sylvain Perrot aborde l’éducation musicale en explorant, quant à lui, le Manuel d’harmonique de Nicomaque de Gérasa, philosophe néo-pythagoricien des ier-iie siècles de notre ère. Ce texte révèle en filigrane le portrait d’un professeur de théorie harmonique itinérant, ainsi que sa pédagogie. Les deux derniers articles

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offrent un regard sur les relations entre le maître et ses étudiants à une époque plus tardive. À travers l’examen de quelques discours de Libanios, Catherine Bry tente de repérer les règlements en usage au sein de l’école du sophiste d’Antioche, tandis que Mathilde Cambron-Goulet étudie la manière dont Eunape de Sardes rend compte du milieu des enseignants dans un univers intellectuel fortement marqué par le primat des relations amicales et familiales. La troisième section regroupe des contributions qui s’intéressent au rôle de « passeurs de culture » joué par certains auteurs et à la transmission des savoirs que l’on peut déceler au sein de leurs œuvres. Les deux premières études sont consacrées à des auteurs latins. Ainsi, Maud Pfaff envisage l’hypothèse que les Métamorphoses et les Fastes puissent être lues à la lumière de l’enseignement d’Empédocle et constitueraient, de ce fait, une transmission indirecte, par Ovide, de la philosophie grecque au sein de l’Empire romain. L’étude de Frédéric Le Blay sur les Questions sur la nature de Sénèque, renouvelle, quant à elle, l’appréciation portée sur le philosophe latin : bien plus qu’un simple vulgarisateur du stoïcisme, il se mesura aux théories naturalistes grecques et contribua à leur diffusion. Les trois contributions suivantes s’attachent à des auteurs grecs dans des domaines spécifiques, art équestre, géographie et médecine. L’œuvre de Plutarque, bon connaisseur de la culture équestre grecque, est analysée par Alexandre Blaineau : dans les Vies parallèles en particulier, il observe que le fait d’être un bon cavalier recouvre généralement une qualité morale et des vertus particulières propres aux grands hommes. Elias Koulakiotis étudie la transmission du savoir géographique à travers l’œuvre d’Arrien, plus spécifiquement sa représentation de l’Inde, en montrant que les impératifs de l’idéologie impériale contemporaine semblent l’emporter sur le souci d’apporter des connaissances nouvelles. Enfin, Anne-France Morand examine plusieurs traités de Galien pour exposer les théories éducatives du médecin de Pergame, partant de sa propre éducation pour définir celle du médecin idéal. La quatrième et dernière section s’intéresse aux représentations de figures d’enseignants, et notamment au portrait satirique qui en est dessiné. Ainsi Lucia Floridi passe en revue, dans l’épigramme satirique grecque des ier-ive siècles ap. J.-C., les reproches récurrents adressés aux grammairiens, aux rhéteurs et aux intellectuels de manière générale. Au-delà de la satire, ces épigrammes dépeignent les difficultés, en particulier financières, liées à ces professions. Martial aime également représenter les enseignants sous un jour négatif et caricatural, ainsi que le montre l’étude menée par Catherine Notter. Du maître d’école au rhéteur, les portraits dressés par le satiriste dessinent les contours de personnages violents et prétentieux et mettent en cause leur légitimité de passeurs de culture. Marine Glénisson examine ensuite la critique adressée par les écrivains moralistes du Haut-Empire (ier-iiie siècles ap. J.-C.) à certains philosophes appâtés par le profit qu’ils peuvent retirer des jeunes gens, pour dénoncer une forme de marchandisation du savoir et définir implicitement ce que doit être une véritable éducation philosophique. Sophie Lalanne propose, quant à elle, une relecture des romans grecs, souvent considérés comme des romans d’apprentissage : à travers une étude des enseignements délivrés, mais aussi des personnages souvent âgés qui les délivrent sans être eux-mêmes des enseignants, elle souligne l’importance toujours considérable de la transmission orale dans une

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culture impériale volontiers présentée comme livresque. Enfin, Athénée fait l’objet d’une enquête de la part de Yannick Scolan qui démontre que la vacuité du savoir des philosophes et la pédanterie des grammairiens présents dans les Deipnosophistes peut paradoxalement représenter une véritable connaissance, bien éloignée de la seule érudition qui semble gouverner leurs propos. Ce livre n’aurait pu voir le jour sans le soutien financier et logistique des trois universités qui ont accueilli les journées d’études préliminaires à cette publication, l’Université de Strasbourg, l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et l’Université Clermont Auvergne, ainsi que les trois laboratoires de recherche le CARRA (UR 3094), « Centre d’Analyse des Rhétoriques Religieuses de l’Antiquité », ANHIMA (UMR 8210), « Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques », et le CELIS (EA 1002), « Centre de Recherches sur les Littératures et la Sociopoétique ». La gratitude des trois éditeurs va tout particulièrement aux professeurs Gérard Freyburger et Laurent Pernot qui ont généreusement accueilli cette publication collective dans la collection des Recherches sur les Rhétoriques Religieuses des éditions Brepols. Nous dédions ce volume à la mémoire de Yannick Scolan décédé le 18 avril 2020. Lors de ces journées « Passeurs de culture » auxquelles il participa, nous avions pu apprécier sa générosité intellectuelle et nous reprenons à Patrick Charvet et Estelle Oudot ces quelques mots qui décrivent si bien son travail d’helléniste : « Ce n’était pas une Grèce immobile mais une Grèce ouverte et vivante que Yannick Scolan explorait, attentif à la langue, au poids des mots et aux cohérences secrètes qui se tissent entre les textes et les discours faisant de ses enseignements de vraies leçons de pensée et de vie. »17

17 Extrait d’un texte d’hommage publié dans l’École des Lettres le 24 avril 2020.

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Première partie

Les professeurs, statut social et rôle culturel

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Greek grammatici in the Roman Empire

If one were to google the phrase ‘Greek grammatici in the Roman Empire’ one might well be asked: ‘Did you mean “Greek sophists in the Roman Empire”?’. And of course these words do allude to the similar title ‘Greek sophists in the Roman Empire’. That indeed is one of the reasons I have become interested in this topic: whereas Glen Bowersock’s influential 1969 book Greek sophists in the Roman Empire identified an important subject on which much evidence could be assembled1, and was a major catalyst for the study of the Greek culture of the Roman imperial period that has now been booming for half a century, nobody has attempted the same sort of study for Greek grammatici of this period. There are obvious explanations. No work devoted to Greek grammatici survives that is like Philostratus’ Lives of the sophists. Indeed so far as we can tell no such work was ever written. The nearest title is perhaps that of Hermippus of Berytus, written late in the second century ad, On slaves who became educational luminaries, Περἰ τῶν ἐν παιδείᾳ διαλαμψάντων2. Of course that title gives away one of the reasons Greek grammatici have attracted less attention than sophists by scholars and historians ancient and modern – their social class. Although many of the activities of grammatici overlapped with those of rhetors and sophists – teaching rhetoric, writing learned books, adding an intellectual cachet to a dinner party – the majority were much lower on the social ladder: some ex-slaves, many born freedmen, several others born and/or dying in poverty. How do we know this? The other work which comes near to Philostratus’ Lives of the sophists, and which has, in a mutilated form, survived, is Suetonius’ De grammaticis et rhetoribus, perhaps written towards the end of Trajan’s reign, i.e. around ad 117. Suetonius is not offering biographies of Greek grammatici in the empire at large, but only of grammatici who taught in Italy (and above all in Rome), only a few of them Greek, and he follows the development of the teaching of Latin and Greek there from its beginnings, in the middle of the second century bc, to the end of the first

1 G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969. 2 See R. A. Kaster, C. Suetonius Tranquillus: De grammaticis et rhetoribus Oxford, 1995, p. xvliii, J. Christes, Sklaven und Freigelassene als Grammatiker und Philologen im antiken Rom, Wiesbaden, 1979, p. 137 ff. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 17-32 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121131

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century ad (i.e. including only men who were already dead at the time he wrote). One must be cautious about supposing that a Greek grammaticus teaching in the great cities of the East – Athens, Ephesus, Smyrna or Alexandria – was the same sort of animal as one teaching in Rome and Italy, but nevertheless Suetonius’ work offers valuable pointers. And when we turn to modern studies, Robert Kaster’s text of Suetonius’ work, with introduction, translation and commentary, is one of the best ways into the study of grammatici, just as his magisterial monograph Guardians of Language is a marvellous analytic account of grammatici, predominantly Latin, in late antiquity, for whom he could draw on a wider and richer range of sources than are available for the Greek world of the high Empire3. Ausonius in the West and Libanius in the East, backed up by a range of other writers, provided Kaster with information about the activities of grammatici that cannot be matched by literary sources for the early Empire, even if these can sometimes be rich and informative. On the other hand, for epigraphic testimony, Kaster often had to go back to material from an earlier period; and if for that earlier period one brings together the literary and epigraphic evidence, supplemented with what can be concluded from documentary papyri, one can give some sort of an answer for the high Empire to many of the questions Kaster was asking. Of course the Greek educational framework in which grammatici worked has not gone unstudied. Marrou laid the foundations4, and important work has been done more recently by Teresa Morgan and Raffaella Cribiore5. There is also a useful chapter by Charles McNelis in the Companion to Roman Rhetoric6. But though these works do say much about grammatici, these men are not their focus, which is, rather, the educational systems; and as Kaster himself observed, the study of the early imperial grammatici is a rich subject waiting attention. There is much useful discussion of slave and freedmen grammatici by Christes7, and his restriction to slaves and freedmen is not a serious limitation on his treatment of grammatici in republican and early imperial Rome, since most of those grammatici we know did fall into this social category. But Christes is not interested in what happens in cities of the empire, where it seems to me that things were rather different. For example, a common pattern in Rome was for a slave to be trained by a grammaticus who might also himself once have been a slave, as, for example, C. Iulius Hyginus was trained by Alexander Polyhistor8, or at the expense of a rich owner; then to serve as a grammaticus for the children of that owner; eventually to be freed and to set up a



3 R. A. Kaster, C. Suetonius Tranquillus…; R. A. Kaster, Guardians of Language, Berkeley-Los Angeles-London, 1988. 4 H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, [1948], 7th edition, Paris, 1975. 5 T. Morgan, Literate education in the Hellenistic and Roman worlds, Cambridge, 1998; R. Cribiore, Writing, teachers and students in Graeco-Roman Egypt, Atlanta, 1996; R. Cribiore, Gymnastics of the mind. Greek education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton, 2001. 6 C. McNelis, ‘Grammarians and rhetoricians’, in W. Dominik and J. Hall (ed.), A Companion to Roman Rhetoric 2007, Malden MA and Oxford, p. 285-296. 7 Christes, Sklaven und Freigelassene… 8 Suetonius, De grammaticis et rhetoribus, 20; Kaster, C. Suetonius Tranquillus …, p. 205-214.

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school, and to write monographs or commentaries some of which related to poets being taught, some perhaps aimed rather to establish the writer’s doctrina in a way that might increase his marketability (modern analogies are not lacking). Dependence on a rich patronus was probably much less common in the cities of the Greek East: some at least of these paid grammatici a public salary, and in many by the middle of the second century ad a fixed number of grammatici enjoyed immunity from taxation and liturgies, as documented in a passage from the Digest to which I shall return9. Some of these grammatici are documented by inscriptions, usefully collected and discussed by Sandrine Agusta-Boularot10, though she misses at least one interesting case and makes some mistakes. Most recently Brill has launched an online Lexicon of Greek Grammarians of Antiquity, with Franco Montanari as its general editor and Lara Pagani and Fausto Montana associate editors11. In this lexicon, each entry has an introduction offering biographical information on each grammarian, with a discussion of his work and preserved fragments, the Greek text of these fragments, and relevant bibliography. When complete (currently projected for 2023) it will include more than 570 grammatici. Had this massive project been already on line when I became interested in this subject I would never have attempted to write this paper. What I shall do is little more than to skate over the surface of a very large topic.

Some Basic Questions What do we mean by γραμματικός? The term is found in the sense ‘teacher’ as early as Hippocrates’ Epidemiae12. An early case of its use to mean “a scholar who worked on earlier texts” is found in Philicus’ Demeter, written perhaps in the 260s bc, where it surely describes his fellow scholars in the Alexandrian Museum13. Throughout antiquity, i.e. down to the compilation of the Suda in tenth-century Byzantium, this continues to be one of its core meanings, e.g when used by the Suda of Nicander14. But its other core meaning is ‘secondary school teacher’, and it is in this sense that the word, or its Latin translation grammaticus, most often appears in literary texts (e.g. Suetonius), in Roman legal texts, and in inscriptions.

9 Digest 27, 1, 6, 1-2, cited below p. 29-30. 10 S. Agusta-Boularot, ‘Les références épigraphiques aux Grammatici et Γραμματικοί de l’Empire romain (ier s. av. J.-C., IV s. ap. J.-C.)’, MEFRA 106, 1994, p. 653-746. 11 F. Montanari, L. Pagani, F. Montana (eds), Lexicon of Greek Grammarians of Antiquity, Brill (2015-), https://referenceworks.brillonline.com/browse/lexicon-of-greek-grammarians-of-antiquity. 12 [Hippocrates], Epidemiae 4, 1, 37: ἐν Κρανῶνι, Λυκίνῳ γραμματικῷ ἐκ πυρετοῦ χολώδεος, ἐπισπλήνῳ, καρηβαρίη […] (“At Crannon, Lycinus the grammaticus, after a bilious fever, with an infected spleen, experienced a headache […]”). 13 Philicus, Supplementum Hellenisticum, fr. 677 (from the grammaticus Hephaestion): καινογράφου συνθέσεως τῆς Φιλίκου, γραμματικοί, δῶρα φέρω πρὸς ὑμᾶς (“I bring gifts to you, grammatici, of Philicus’ innovatively written composition”). 14 Suda ν 374, s.v. Νίκανδρος: Νίκανδρος, Ξενοφάνους, Κολοφώνιος, κατὰ δέ τινας Αἰτωλός· ἅμα γραμματικός τε καὶ ποιητὴς καὶ ἰατρός […] (“Nicander, son of Xenophanes, of Colophon, but according to some of Aetolia: at the same time a grammaticus and poet and doctor […]”).

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These are not two haphazardly different uses of the same word, like sneaker and sneaker, or – to move to the thought-world of the schoolboy and the sadistic teacher Orbilius – caned and caned. The teaching grammaticus devoted much of his time and effort to exposition of canonical poetry, which is closely related to the editing and commenting activities of γραμματικοί in the Museum; indeed some γραμματικοί working in Rome are documented by Suetonius as having produced editions of texts. Just what did grammatici / γραμματικοί teach? This is a topic very fully discussed by Cribiore and Morgan, and I can be brief. According to Damascius’ Life of Isidore, they taught ‘the exegesis of the poets and the correction of the Greek language’15. Dionysius Thrax defined the expertise of the grammarian as accurate reading, explanation of literary devices, provision of notes on phraseology and subject matter, etymology, analogical regularities, and the critical study of literature16. The focus was above all on Homer, with the Iliad more read than any other text, albeit rarely in its entirety. But some pupils, at least, also read other poetry: the Odyssey, Hesiod, Menander, Euripides, and other authors in the canon, usually in excerpts17. The young were taught to dissect these texts with attention to small details and little concern for the big picture, identifying ‘realia of persons and historical, geographical, and mythological components [and also] glosses, figures, and tropes’18. A line of descent can be traced from these teachers to the practices of nineteenth-century German seminars and thence to those of Eduard Fraenkel in twentieth-century Freiburg and Oxford. So much for what was taught. Some further questions are these: Who were the pupils of γραμματικοί? From what levels in society did γραμματικοί and their pupils come? Was the profession of γραμματικός one which could substantially increase a man’s wealth or advance his social status? How geographically mobile were γραμματικοί? In what cultural activities did they engage other than their central role of teaching? The first two questions have relatively straightforward answers. Their pupils were almost all drawn from the elite. Male children from elite families would first be taught basic reading and writing by a grammatistes / γραμματιστής, then go on to a γραμματικός before, in some cases, proceeding further to tertiary education, more often with a rhetor / ῥήτωρ than with a philosopher, though occasionally with both. There were of course exceptions, among them slaves or freedmen of γραμματικοί who learned their skills from their master (patronus) and then went on to be teachers themselves.

15 V. Isid. epitome Phot. 60 = frg. 111 Zintzen: ἡ ἐπὶ ποιητῶν ἐξηγήσει καὶ διορθώσει τῆς Ἑλληνικῆς λέξεως καθημένη τέχνη, quoted by Kaster, Guardians, p. 11. 16 A paraphrase of Dionysius Thrax quoted by Cribiore, Gymnastics, p. 185. Much detail can be found in G. O. Hutchinson, Greek to Latin. Frameworks and contexts for intertextuality, Oxford, 2013, p. 56-58. 17 Cf. Cribiore, Gymnastics…, p. 194-197. 18 Cf. Cribiore, Gymnastics…, p. 206.

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Case Studies Some illustration of these basic teaching activities, and the beginnings of answers to some of the other questions, can be offered by looking at two figures, neither of whom, of course, may be typical, Asclepiades of Myrlea in the first century bc and Alexander of Cotiaeum in the second century ad, two men who stand at either end of the chronological span I have chosen. Others in-between could have been added, like the father of the poet Statius. Asclepiades of Myrlea in Bithynia has been chosen because we know much about him from the Suda and a little more from Strabo. He was ultimately from Nicaea, but seems to have had his own education in Myrlea. The Suda entry allows some reconstruction of his career:19 Ἀσκληπιάδης, Διοτίμου, Μυρλεανός […] τὸ δὲ ἄνωθεν γένος ἦν Νικαεύς· γραμματικός, μαθητὴς Ἀπολλωνίου. γέγονε δὲ ἐπὶ τοῦ Ἀττάλου καὶ Εὐμενοῦς τῶν ἐν Περγάμῳ βασιλέων. ἔγραψε φιλοσόφων βιβλίων διορθωτικά· ἐπαίδευσε δὲ καὶ εἰς Ῥώμην ἐπὶ Πομπηΐου τοῦ μεγάλου καὶ ἐν Ἀλεξανδρείᾳ ἐπὶ τοῦ δωδεκάτου Πτολεμαίου νέος διέτριψεν. ἔγραψε πολλά. τετάρτου codd. δωδεκάτου Bowie Asclepiades, son of Diotimus, of Myrlea […] but by his original descent, of Nicaea. A grammaticus, pupil of Apollonius. He lived in the time of Attalus and Eumenes, the kings of Pergamum. He wrote on the textual criticism of philosophical books. He also taught in Rome in the time of Pompey the Great, and as a young man spent time in Alexandria under the twelfth Ptolemy. He wrote many works. Asclepiades, then, spent time in Alexandria under a Ptolemy, perhaps Ptolemy XII Auletes (the Suda’s IV must be wrong), then taught in Rome in the time of Pompey the Great. The works in which he corrected philosophical texts could belong to his Alexandrian period, and it may be that only when he came to Rome did he start teaching. The career-pattern repeatedly found in Suetonius’ De grammaticis et rhetoribus, of becoming private tutor to a Roman senatorial family, offered status and security that must have been attractive, and perhaps this is what Asclepiades succeeded in doing. The Suda’s chronological link to Pompey the Great may go back to some attachment to Pompey’s household, in which case it is tempting to think that, when we learn from Strabo that Asclepiades taught as a grammaticus in Turditania in Spain and wrote a periegesis of the area, he went there in the wake of Pompey’s sons in the civil wars around 46 or 45 bc. We know from other sources that Asclepiades’ output also included historical work on Bithynia and an Atticist work Περὶ ὀρθογραφίας (On orthography), as well as some mythological writing that was used by his fellow Bithynian Parthenius of Nicaea. Whatever the chronology and causation, Asclepiades’ geographical and intellectual range is manifest: Bithynia, Alexandria, Rome, Spain; teaching as well as scholarship; local history of Bithynia and Spain as well as editing philosophical texts. 19 Suda α 4173, s.v. Ἀσκληπιάδης.

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Some other figures known only from the Suda look similar, e.g. Habron20 and Seleucus21. Other Greeks teaching in Rome are epigraphically documented, though fewer than one might expect22, and it is rare to find one registered both by the Suda and documented by epigraphy. One such rara avis may be M. Mettius Epaphroditus: Ἐπαφρόδιτος, Χαιρωνεύς, γραμματικός, Ἀρχίου τοῦ Ἀλεξανδρέως γραμματικοῦ θρεπτός, παρ’ ᾧ παιδευθεὶς ὠνήθη ὑπὸ Μοδέστου, ἐπάρχου Αἰγύπτου, καὶ παιδεύσας τὸν υἱὸν αὐτοῦ Πετηλῖνον ἐν Ῥώμῃ διέπρεψεν ἐπὶ Νέρωνος καὶ μέχρι Νέρβα, καθ’ ὃν χρόνον καὶ Πτολεμαῖος ὁ Ἡφαιστίωνος ἦν καὶ ἄλλοι συχνοὶ τῶν ὀνομαστῶν ἐν παιδείᾳ. ὠνούμενος δὲ ἀεὶ βιβλία ἐκτήσατο μυριάδας τρεῖς, καὶ τούτων σπουδαίων καὶ ἀνακεχωρηκότων. τὸ δὲ σῶμα ἦν μέγας τε καὶ μέλας, ὡς ἐλεφαντώδης. ᾤκει τε ἐν τοῖς καλουμένοις Φαινιανοκορίοις δύο οἰκίας αὐτόθι κτησάμενος. ὁ δὲ καὶ πέμπτον ἔτος ἄγων ἐτελεύτησεν ὑδέρῳ περιπεσών. συγγράμματα δὲ κατέλιπεν ἱκανά. Epaphroditus. Of Chaeronea, a grammaticus. He was a slave brought up in the house of the grammarian Archias of Alexandria, who educated him; he was then bought by Modestus, governor of Egypt, and taught his son Petelinus. He spent time in Rome under Nero and until Nerva; this was the time when Ptolemy son of Hephaestion was alive, and numerous other distinguished figures in education. By constantly buying books he acquired 30 000 volumes, all of them serious and recondite. Physically he was large and dark, like an elephant. He lived in the so-called Phainianokoria where he bought two houses. He died at the age of 75, having fallen ill with dropsy. He left behind a considerable body of writings23. (transl. M. Heath, Suda on line, modified)24. It is tempting to think that the Suda’s Epaphroditus is the same as the M. Mettius Epaphroditus of a portrait sculpture in Rome beneath which is inscribed M. Mettius | Epaphroditus | grammaticus Graecus | M. Mettius Germanus l(ibertus) f(ecit)25. But

20 Suda α 97 s.v. Ἅβρων: Ἅβρων· Φρὺξ ἢ Ῥόδιος, γραμματικός, μαθητὴς Τρύφωνος, σοφιστεύσας ἐν Ῥώμῃ, γεγονὼς δὲ ἐκ δούλων, ὥς φησιν Ἕρμιππος (“Habron from Phrygia or Rhodes, a grammaticus, pupil of Trypho, taught in Rome, born a slave, as Hermippus says”). 21 Suda σ 200 s.v. Σέλευκος: Σέλευκος· Ἀλεξανδρεύς, γραμματικός, ὃς ἐπεκλήθη Ὁμηρικός· ἐσοφίστευσε δὲ ἐν Ῥώμῃ. ἔγραψεν ἐξηγητικὰ εἰς πάντα ὡς εἰπεῖν ποιητήν· περὶ τῆς ἐν συνωνύμοις διαφορᾶς, περὶ τῶν ψευδῶς πεπιστευμένων, περὶ τῶν παρ’ Ἀλεξανδρεῦσι παροιμιῶν, περὶ θεῶν βιβλία ρʹ, καὶ ἄλλα σύμμικτα (“Seleucus, from Alexandria, a grammaticus, nicknamed ‘Homeric’. He taught in Rome. He wrote exegetic works on virtually every poet; About the difference between synonyms; About things falsely believed; About proverbs in Alexandria; On the gods, 100 books, and other sundry works”). He is probably Augustan, cf. E. Dickey, Ancient Greek scholarship. A guide to finding, reading, and understanding scholia, commentaries, lexica, and grammatical treatises, from their beginnings to the Byzantine period, Oxford, 2007, p. 7 n. 17; M. L. West, Studies in the text and transmission of the Iliad, Munich, 2001, esp. p. 47-48 with n. 7. 22 Agusta-Boularot, ‘Les références épigraphiques’, no 1-16. 23 For Epaphroditus’ writings, see L. Luezner, Epaphroditi grammatici quae supersunt, Bonn, 1866; B. K. Braswell and M. Billerbeck, M. (ed.), The Grammarian Epaphroditus: testimonia and fragments, Bern-New York, 2007. They are: (a) a grammatical Commentary on Homer (with an interest in etymology of place names, especially Boeotian); (b) a commentary on Callimachus’ Aitia; (c) a commentary on the Hesiodic Shield of Heracles; (d) two linguistic works: Λέξεις (Words); Περὶ στοιχείων (First principles). 24 Suda ε 2004 s.v. Ἐπαφρόδιτος, cf. PIR2 M 563 and M 566 (M. Mettius Modestus). 25 ILS 7769 = CIL vi 9454, cf. Agusta-Boularot, ‘Les références épigraphiques’, p. 674 no 15 with n. 89.

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the sculpture, now in the Palazzo Altieri, was carved in the late second or early third century ad26. So, either the statue has been recarved, or the libertus (freedman) of a third-century Mettius put up a statue of his patronus’ first-century ancestor, or there are two different Mettii who were both grammatici – perhaps the Chaeronean known from the Suda established a dynasty of grammatici in Rome? We may also wonder how Archias encountered and adopted a Chaeronean baby – was he in Athens for his own education and passed through Chaeronea on his way to visit Delphi? This Archias of Alexandria who was Epaphroditus’ teacher was also a grammaticus, much less well documented27. We shall shortly encounter some more grammatici documented by epigraphy. But I turn first to my exhibit best known from literary texts, Alexander of Cotiaeum in north-west Anatolia (now Kutahiya). Our knowledge of Alexander is drawn chiefly from Aristides’ Oration 32: this is a letter of consolation sent by Aelius Aristides, who had been Alexander’s pupil, to his city Cotiaeum when his master died, still relatively young, around ad 15028. Aristides never uses the term γραμματικός of Alexander – indeed only once in the corpus of Aristides’ writings do we find the term, when he refers to his composition of a paean during his visit to Rome in ad 144. Here Aristides distances himself from the technical terminology of metricians, whom we may note he categorises among γραμματικοί29. Very probably it was from Alexander that Aristides learned such technical terminology as ἐπῳδός. Aristides presents Alexander as a brilliant and devoted teacher, who, in cultural matters at least, confined himself to his teaching and what he needed to know in order to teach well. Teaching well required the capacity to form literary judgements (κρίσις / krisis), to speak good Greek (φωνή / phone) and to command an encyclopaedic

26 P. Zanker, The Mask of Socrates, Berkeley–Los Angeles, 1995, p. 232 with fig. 26 (commenting ‘The fact that Germanus had his patronus shown in this meditative pose suggests that he wanted to commemorate him not just as a teacher, but as a man who cultivated a philosophical way of life’). For a Severan date, see G. M. A. Richter, The Portraits of the Greeks, London, 1965 [1972], vol. III p. 285, fig. 2033, and S. Settis, La Colonna Traiana, Torino, 1988, p. 65. For the possibility that Mettius is the Epaphroditus eulogised by Josephus in the Antiquities and the dedicatee of his Life and Against Apion see P. R. C. Weaver, « Epaphroditus, Josephus, and Epictetus», CQ, 44, 1994, p. 474-475. For the persuasive suggestion that the Suda’s Φαινιανοκορίοις is a corruption of the Latin toponym Faeniana Horrea see K. J. Rigsby, « GRAECOLATINA 5. A Roman Address », ZPE, 119, 1997, p, 249-250 and (also casting doubt on Modestus’ post as praefectus of Egypt) F. Cairns, « Epaphroditus, Φαινιανοκορίοις and ‘Modestus’ (Suda E 2004) », ZPE, 124, 1999, p. 218-222. 27 According to F. Montanari in Brills New Pauly, s.v. Archias (7), only very few references have been observed, in writings on Homer (Apollonius Sophistes, 156.26) and in lexica (Hesychius, etc). 28 On this work see E. Berardi, Elio Aristide. Epicedio per Eteoneo, Epitafio per Alessandro, Alessandria, 2006; J.-L. Vix, ‘L’enseignement de la rhétorique au IIème siècle ap. J.-C. à travers les discours 30-34 d’Aelius Aristide : Ἐν λόγοις καὶ μαθήμασιν καὶ ἐπαίνοις τραφείς’, Turnhout, Brepols, Recherches sur les rhétoriques religieuses 13, 2010, p. 37-44. 29 ὅμως δ’ ἐνεχείρησα καὶ τῆς ἀρχῆς οἷον ἐπιβάθρας ἐχόμενος ἐπέρανα τὸ ᾆσμα ἐν δυοῖν στροφαῖν, καὶ τρίτην, οἶμαι, τινὰ ἐπήγαγον, ἣν καλοῦσιν οἱ γραμματικοί μοι δοκεῖν ἐπῳδόν. (“But nonetheless I made an attempt, and clinging to the beginning as if to a boarding plank, I completed the song in two strophes, and I added a third, I think, which I fancy γραμματικοί call an “epode”), Or. 50, 31 = Sacred Tale 4, 31.

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knowledge of detail30. He goes on to praise Alexander for not composing histories and suchlike, though he did write about Homer and Aesop31. Historiography and the like (συγγραφάς τε καὶ τοιοῦτον σχῆμα) is in fact a genre in which γραμματικοί sometimes engaged. One palmary case is that of Asclepiades of Myrlea, who has already been mentioned. But more evidence comes from an inscription found at Labraunda in Caria, recording honours voted by Athens at some date after ad 127 to the grammaticus Ti(berius) C[l(audius)] Anteros (clearly himself from Labraunda) both for his teaching and for his raising the profile of his patris by writing local history:32 [… . c. 12 … … .δ]ῆμος κ[αὶ]

…]people a[nd]

[ἡ ἐξ Ἀρείου πάγ]ου βουλὴ κ[αὶ]

the Council of the Areopagus

[ἡ βουλὴ τ]ῶν φʹ καὶ ὁ δῆμ[ος]

the Council of the 500 and the People

[ὁ τῶ]ν Ἀθηναίων Τι(βέριον) Κ[λ(αύδιον)]

of Athens (honoured) Tiberius Claudius

Ἀν̣τέρωτα γραμματικὸν

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Anteros the grammaticus

ἀρετῆς ἕνεκα καὶ παι-

for his excellence and edu-

δεύσεως νέων, ἐπὶ

cation of the young, since towards

ποικίλας ἐπιστήμας

a wide variety of knowledge

εἰς μέγα τῶν πολλῶ[ν]

great advances were made by the many

ὑπ’ αὐτοῦ προαχθέ[ν]-

10 who were led on by him

των πολιτῶν [τε]

both citizens and

καὶ τῶν ὰπὸ τῆς

those from foreign parts

ξένης πολλα[χό]-

who from many places

[θ]εν αὐτῶι σχο-

had come to study

λασάντων, ὡς

15

with him, as

καὶ τὰ παρ’ ἕκαστ̣[α]

indeed the several

ψηφίσματα κατὰ̣ τὴν ἀξίαν αὐτῶ[ι]

decrees relating to his standing

μεμαρτύρηκεν,

have testified,

καὶ ὅτι τὰ τῆς πα-

20 and because he

τρίδος καλὰ εἰς μ[έ]-

brought out his

σους τοὺς Ἕλληνα̣[ς]

own city’s merits into the

προήγαγεν διὰ τῶν̣

public space of the Greeks through

ἐπιχωρίων ἱστοριῶ[ν]

his local histories

ἐνδοξότερα εναι

25 so that they became more famous.

30 Or. 32, 9. 31 Or. 32, 26-27. 32 ILabraunda 66 cf. L. Robert, Bulletin épigraphique, 1973.414.

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In investigating local history Claudius Anteros is behaving like a sophist slightly junior to him, P. Anteius Antiochus of Aegeae in Cilicia, who was honoured at Argos for his researches into mythical connections between Aegeae and Argos33. A related ancillary activity that a grammaticus might undertake was to compose an epic poem about a city’s history. Thus late in the second century bc, which falls before my chosen period but well illustrates what must have been a not uncommon phenomenon, the Cretan city of Cnossus honoured the grammaticus Dioscorides of Tarsus, who had composed an epic poem about Cnossus, and sent a copy of the honorific decree both to the Athenians on Delos and to Tarsus itself34. Writing a local history in prose or verse, then, was a temptation which Alexander of Cotiaeum resisted. But a rather different, ancillary activity that he did not resist is the correction of texts, something that ties him into the scholarly traditions of the Hellenistic and Roman periods. Aristides points out to his recipients that texts worked on by Alexander were identified as corrected by ‘Alexander of Cotiaeum’35. That Aristides goes on to commend Alexander for securing introductions and positions for pupils who needed them points to the socio-economic range of these pupils:36 some could make their way among the Greek elite with no more than their own contacts and the high-quality education that Alexander offered, but others might rely on him for an introduction, whether to a sophist (for moving further up the educational ladder), or to families or cities which wanted to employ a γραμματικός marked out by Alexander’s seal of approval. We do not know Alexander’s own origins and economic status. Whether on the basis of his income from teaching, or of inherited wealth, or both, Alexander was capable of euergetic activities in Cotiaeum which Aristides praises extravagantly in general terms but does not specify, so we cannot judge how costly they were37. But some grammatici were clearly among, or had joined, the very wealthy. C. Iulius Cheirisophus, the son of a grammaticus C. Iulius Musonius, was honoured, probably at Smyrna, for acting as agonothetes by the hiera synodos of Breisei[s]38. Even more impressive is the grammaticus Lucius Iulius Pilius Euarestus from Oenoanda, who established an agon there c. ad 230-240 – though of course his

33 On Antiochus see B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002, p. 68-74, no 10. 34 IDelos 1512. 35 Or. 32, 21. For the surviving fragments of Alexander’s work see J.-L. Vix, Alexandros de Cotiaeon, Fragments, introduits, traduits et commentés par J.-L. Vix, Paris, 2018. 36 Or. 32, 10. See also the paper of J.-L. Vix, in this book, ‘Le grammairien Alexandros de Cotiaeon, titulaire d’une chaire d’enseignement? À propos du verbe δημοσιεύειν (Aelius Aristide, Or. 32, § 12)’. 37 Or. 32, 17: κἀγὼ παρ’ ὑμῶν τινῶν ταῦτα πυνθάνομαι, ὡς ὑμῖν μικροῦ πᾶσαν τὴν πόλιν ἐκ καινῆς ἀνώρθωσεν (“from some of you I hear how he restored nearly the whole city from anew”). 38 ISmyrn. 652, probably but not certainly from Smyrna: ἀγαθῆι τύχη[ι] | ἡ ἱερὰ σύνοδο̣[ς] | τῶν Βρεισέω̣[ν]| ἐτείμησεν | 5 Γ(άϊον) Ἰούλ(ιον) |Χειρίσοφο[ν] | Γ. Ἰουλ. Μουσω[νίου] | γραμματικ[οῦ] | υἱόν, | 10 ἀγωνοθετή[σαντα | φιλοτείμως (“With good fortune. The sacred club of the Breiseis honoured C. Iulius Cheirisophus, son of C. Iulius Musonius the grammaticus, since he presided munificently over the agon”).

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wealth may have come not from his teaching but from a good marriage or a lucky inheritance:39 [Λ. Πειλ]ίου Εὐαρέ[στου] [Ἰού]λιον Λούκιον Πείλιον Εὐ[άρε]στον, γραμματικὸν ἀλει-

1

[τ]ούργητον, ἐπὶ ἤθει καὶ κοσ[μ]ιότητι βίου ἐπαινετόν, φιλό[πα]τριν, ἐξ ἰδίας δωρεᾶς καὶ φι-

(A statue of) [L. Pil]ius Euarestus [Iu]lius Lucius Pilius Euarestus, a grammaticus exempt from liturgies, praiseworthy for

5

his character and controlled lifestyle, lover of his city, who from his own gift

[λ]οτειμίας πρῶτον τῶν ἐν

and munificence was the first of those in

τῇ πατρίδι συνστησάμενον

his city to establish a prize agon for the whole of Lycia

ἀγῶνα κοινὸν Λυκίων θέμιδος πενταετηρικῆς ἔκ τε ἀνδριάντων καὶ θεμάτων, ποιη-

10 to be held every four years with statues and money-prizes, and who

σάμενον δὲ καὶ ἐπιδόσεις

also made contributions

χρημάτων εἴς τε νομὰς καὶ

of money for distributions and

τέρψεις πανηγυριακὰς ἡ πα-

festival entertainments - his city [honours

τρὶς βουλῆς καὶ δήμου κρίσει. ὣς σὺ μὲν οὐδὲ θανὼν ἀπολεῖς

15

him] by decision of Council and People: ‘So shall you not, even when dead, lose

{ΣΕΙΣ} κλέος, ἀλλὰ μέγ’ οἴσεις, | ἄ-

your renown, but shall carry it high,

φθιτον ἀνθρώποις αἰὲν ἔχων

ever having among men an imperishable

ὄνομα.

name’.

Whoever thought of putting the elegiac couplet, Theognis 245-246, at the end of this honorific text knew either the sixth-century bc elegiac poet Theognis or at least an anthology in which Theognis’ best poem, lines 237-254, appeared. Several couplets from elsewhere in the collection transmitted to us under the name Theognis are quoted in the imperial period, e.g. by Plutarch and Clement of Alexandria, and papyri published in recent decades have shown that the collection was already being read in the form we have it in Roman Egypt in the second and third centuries ad. But so far this inscription is our only evidence of this particular poem being read. Did Euarestus perhaps use Theognis in his teaching? If so it was unusual. Before leaving Euarestus, we may note that in lines 3-4 he is described as ἀλειτούργητος (exempt from liturgies)40, i.e. within the small number of grammatici – perhaps in Oenoanda a number as small as one! – who could claim exemption from leitourgiai (civic obligations). He must have been relatively wealthy to make such an exemption 39 R. Heberdey and E. Kalinka, Bericht über zwei Reisen im südwestlichen Kleinasien ausgeführt von R. Heberdey und E. Kalinka, Vienna, 1897, p. 49 no. 65, cf. SEG 38.1463. 40 Cf. Digest 27, 1, 6, 1-2 discussed below p. 29-30.

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pointful. Whether his founding of the agon was an entirely free choice or a response to peer-pressure from fellow citizens of Oenoanda who were compelled to perform leitourgiai we cannot tell. That Alexander of Cotiaeum’s wealth may not have been on the same level as that of Euarestus might be inferred from the fact that he saw no shame in taking fees from his pupils, though like some sophists he waived fees in deserving cases41. In one respect, however, Alexander was in a very special position that must have had an impact on his wealth and social status. He was chosen to be the teacher of the young man who later become the emperor Marcus Aurelius42. Aristides commends his behaviour as a royal tutor and talks as if Alexander had charge of both Marcus and Verus43. But the Historia Augusta gives Verus different grammatici as his Greek tutors44. Lucius, born in ad 130, was nine years younger than Marcus. He might be expected to have started studying with a grammaticus around ad 142 or 143, when Alexander was still in Rome, able to give Aelius Aristides help in coping with his illness and arranging his return to Asia Minor. Why Alexander was not also chosen to tutor Verus we cannot tell, but it will have been relevant that at the time the choices were made Verus was already the chosen successor to an emperor (Pius) whereas in the 130s Marcus was not. But those who were chosen further illustrate the wide range of interests that might be found in a grammaticus. One of these, Telephus, wrote about the antiquities of his own city Pergamum, about the Attalids, and a long list of philological works, e.g. on Homer, five books on Attic syntax, ten books assembling adjectives for use by writers and orators, and a lexicon of common terms arranged alphabetically45. The second grammaticus mentioned is Hephaestion, who wrote a 48-book work on metre that has only survived in an abridged one-book version. The third is Valerius Harpocration of Alexandria, who compiled an anthology (Συλλογὴ ἀνθηρῶν, Collection of purple passages) which is lost and a Lexicon of the ten orators which survives in two different versions and displays a wide range of reading – Hecataeus, Hellanicus, Theopompus, the Aristotelian Constitution of Athens, Ister, and among scholars Aristophanes of Byzantium, Aristarchus and Didymus. Note the prominence of historians among the prose writers that are cited. That these grammatici were drawn or called to Rome from Greek cities in the East to teach the already eminent Marcus and the adoptive son of the emperor Pius, Lucius, is a special case of geographical mobility, just as their securing such a post must have contributed in a special way to upward social mobility. Epigraphy occasionally fills out our appreciation of the geographical mobility of grammatici. Several are among the ninety-three men of letters honoured in the Hellenistic and Roman periods at Delphi, where they went to teach or to give

41 Or. 32, 16. 42 Cf. M. Antoninus Med. 1, 10, SHA Vita Marci 2, 2-4. 43 Or. 32, 12-14. 44 SHA Vita Veri 2, 5. 45 The full Suda entry τ 495 s.v. Τήλεφος lists much more.

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epideixeis (performances). Thus between ad 75 and 100 Lucius Licinius Eucleides, whose native city is unknown, though he had also acquired Athenian citizenship, was honoured by Delphi for his conscientious teaching of the young46. Some decades later, around ad 119, a Macedonian grammaticus whose name is not preserved was honoured at Delphi for giving epideixeis47 and rather earlier, perhaps in the first century bc, an Acarnanian Menander son of Daedalus had been honoured for offering free lessons:48 Δελφοὶ ἔδωκαν Μενάνδρωι Δαιδάλου Ἀκαρνᾶνι ἀπὸ Θυρρείου, κατὰ δὲ χρηματισμὸν Κασσωπαίωι, τῶι γραμματικῶι, αὐτῶι καὶ ἐγγόνοις προξενίαν, προμαντείαν, προδικίαν, ἀσυλίαν, ἀτέλειαν, προεδρίαν ἐν πάντοις {τοις} τοῖς ἀγώνοις οἷς ἁ πόλις τίθητι καὶ τἄλλα τίμια πάντα ὅσα καὶ τοῖς ἄλλοις προξένοις καὶ εὐεργέταις τᾶς πόλιος ὑπάρχει· ἐπεὶ παραγενόμενος ἐν Δελφοὺς ἀπαρχὰν ἐποήσατο ἀπὸ τοῦ μαθήματος τῶι θεοῖ καὶ τᾶι πόλει, ἀποκαθήμενος ἐν τῶι γυμνασίωι καὶ διατιθέμενος σχολὰς ἐν αἷς καὶ εὐδοκίμησε, διδομένου τε αὐτῶι καὶ ἐράνου ὑπὸ τᾶς πόλιος οὐκ ἐδέξατο, φάμενος ἐπιδεδαμήκειν ἐν Δελφοὺς τᾶς τε τοῦ θεοῦ τιμᾶς ἕνεκα καὶ τᾶς Δελφῶν καταλογᾶς, ὃν καὶ ἐπὶ πάντοις τούτοις ἔδοξε καὶ ἐπὶ τὰν κοινὰν ἑστίαν καλέσαι· ἐδόθη τε αὐτῷ τὰ προγεγραμμένα τίμια. ἄρχοντος Αἰακίδα τοῦ Βαβύλου, βουλευόντων Ὀρθαίου, Θεοξένου, Ἀντιγένεος, Φιλάγρου. The Delphians gave the grammaticus Menander son of Daedalus, an Acarnanian from Thyrion, but by designation Cassopaean, both himself and his descendants, proxeny, priority in consultation and in litigation, sacrosanctity, freedom from taxes, front row seating in all the agones organised by the city and all the other privileges afforded to the city’s other proxenoi and benefactors: since when he came to Delphi he offered the first fruits of his learning to the god and the city, sitting apart in the gymnasium and providing lessons in which indeed he distinguished himself, and when a contribution was also offered him by the city he did not accept it, saying that he had visited Delphi to honour the god and show respect for the Delphians: for all these reasons it was decided also to invite him to the common hearth; and he was given the aforementioned privileges. In the archonship of Aeacidas son of Babylus, when Orthaeus, Theoxenus, Antigenes and Philagrus were Councillors. Later, after ad 192, a grammaticus and poet from Anazarbus in Cilicia, Naevianus, commemorated his acquisition of Delphic citizenship by inscribing a four-line elegiac poem:49 [πο]ιητὴν καὶ γραμματικὸν πολυ[γράμματον ὄντα]| Ναιουιανὸν Δελφοὶ Δελφὸν ἔθεντο [νόμῳ],| πατρίδα Ἀναζαρβὸν δὶς νηοκόρον με ἔχοντα | σύμμαχον Αὐσονίων, μητρόπολιν Κιλίκων.

46 47 48 49

Fouilles de Delphes (FD) III 4.61. FD III 1.465. FD III 3.338 = SIG3 739, Agusta-Boularot, ‘Les références épigraphiques…’, p. 690-691, no 31. FD III 1.206.

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The Delphians by their law made me, Naevianus, a poet and grammaticus with many [writings?], a Delphian – me who has as his native city Anazarbus, twice imperial temple-warden, ally of the Ausonians, metropolis of the Cilicians. Such mobility much have been much more common than our patchy epigraphic record suggests. Even in that record some relocations are remarkable – e.g. a grammaticus from Tarsus, P. Tattius Rufus, who dies in Zeleia in Pontus50. Some travelled to such places as Egypt for historia (enquiry), as had Aelius Aristides51, and of these several left evidence of their coming to admire the Syringes: Πανίσκος | γραμματικὸς | ἱστόρησεν Paniscus the grammaticus researched (ISyringes 426) Διοκ[λῆς] | γραμματικὸς | ἐθαύμασα I, Diocles the grammaticus, wondered (ISyringes 1187). εἶδον Ἀσκληπιόδοτος | Νικομηδεὺς, γραμμα|τικὸς, καὶ ἐθαύμασα I, Asclepiodotus, a grammaticus from Nicomedia, saw and wondered (ISyringes 1739)

Conclusion So some sort of a sketch of the place of Greek grammatici in the Roman empire is possible, and some general points may be made. The grammaticus was not very different from a sophist, than whom the Diocletianic price edict of ad 301 expected him to be paid only a little less – 200 drachmae per pupil per month as opposed to 250 drachmae52. Philostratus’ Lives of the sophists depicts a world in which his sophistic heroes are the flagships of Hellenic culture, towering above all others. There were no professorial chairs for grammatici, but like sophists grammatici, as we have seen, received salaries from cities and could seek immunity from liturgies: 1. Γραμματικοί, σοφισταί [ῥήτορες], ἰατροὶ οἱ περιοδευταὶ καλούμενοι ὥσπερ τῶν λοιπῶν λειτουργιῶν οὑτωσὶ δ ὲ καὶ ἀπὸ ἐπιτροπῆς καὶ κουρατορίας ἀνάπαυσιν ἔχουσιν. 2. Ἔστιν δὲ καὶ ὁ ἀριθμὸς ῥητὸς τῶν ἐν ἑκάστῃ πόλει τὴν ἀλειτουργησίαν ἐχόντων καὶ αἱρέσεις τινες προσκείμεναι τῷ νόμῳ, ὅπερ δηλοῦται ἐξ ἐπιστολῆς Ἀντωνίνου τοῦ Εὐσεβοῦς γραφείσης μὲν τῷ κοινῷ τῆς Ἀσίας, παντὶ δὲ τῷ κοσμῷ διαφερούσης, ἧς ἐστὶν τὸ κεφάλαιον τοῦτο ὑποτεταγμένον· ‘Αἱ μὲν ἐλάττους πόλεις δύνανται πέντε ἰατροὺς ἀτελεῖς ἔχειν καὶ τρεῖς 50 Studia Pontica III 276. 51 Cf. Aristides, Or. 36. 52 IG VII 22, col. B 16-19: γραμματικῷ Ἑλληνικῷ ἤτοι Ῥωμαϊκῷ ἢ γεωμέτρῃ ὑπὲρ ἑκά|στου παιδὸς μη(νιαῖα) *σʹ ῥήτορι ἤτοι σοφι|στῇ ὑπὲρ ἑκάστου παιδὸς μην(ιαῖα) *σνʹ γραμματικῷ Ἑλληνικῷ ἤτοι Ῥωμαϊκῷ ἢ γεωμέτρῃ ὑπὲρ ἑκά|στου παιδὸς μη(νιαῖα) *σʹ ῥήτορι ἤτοι σοφι|στῇ ὑπὲρ ἑκάστου παιδὸς μην(ιαῖα) *σνʹ (“To a Greek or Latin grammaticus or geometer for each child a monthly fee of 200 drachmae; to a rhetor or sophist for each child a monthly fee of 250 drachmae”), cf. S. Lauffer, Diokletians Preisedikt, Berlin, 1971.

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σοφιστὰς καὶ γραμματικοὺς τοὺς ἴσους· Αἱ δὲ μείζους πόλεις ἑπτὰ τοὺς θεραπεύοντας, τέσσαρας τοὺς παιδεύοντας ἑκατέραν παιδείαν· Αἱ δὲ μέγισται πόλεις δέκα ἰατροὺς καὶ ῥήτορας πέντε καὶ γραμματικοὺς τοὺς ἴσους’. 1. Grammatici, sophists [rhetors], and physicians in active practice, are entitled to exemption from guardianship and curatorship, just as they are from other public employments. 2. Again, in every city there is a fixed number of rhetors, as well as certain philosophical sects mentioned in the laws, who are excused from the exercise of public duties, which is stated in a letter of Antoninus Pius written to the koinon of Asia, but which is also applicable to the entire world, and whose rubric is as follows: ‘Small cities are entitled to five physicians, three sophists, and the same number of grammatici, who shall be exempt; larger ones shall be entitled to seven who practice the healing art, and four of each of those who give instruction in both branches of learning. The largest cities shall be entitled to ten physicians, five rhetors, and the same number of grammatici’53. Note how the education provided by sophists and grammatici is taken together as constituting ἑκατέραν παιδείαν (each of the two branches of education). Crucially, however, many more pepaideumenoi (educated men) will have acquired their secondary paideia (education) from a grammaticus than went on to study with a rhetor or philosopher. And of course, without grammatici, sophists would have had no pupils ripe for their instruction. How grammatici were perceived by sophists and philosophers is a different story – one that can be built up from Plutarch Quaestiones convivales (Sympotic questions) and Athenaeus – but not a story for this paper. What clearly emerges is that the hundreds of grammatici spread across the cities of the empire were of crucial importance for the maintenance of Greek paideia – a Greek paideia that was fundamental to the high culture of both east and west, to the training of its elites and its administrators, and, as it turned out, to the preservation of a huge number of Greek texts both canonical and non-canonical. If there had been no sophists we would have had a very different Greek literature from the Roman imperial period. If there had been no grammatici, we might now have no Greek literature at all from the Roman imperial period and very little, if any, from earlier periods. Grammatici played a vital part in the passing on of Greek language and literature, just as both university and school teachers do in our own time. Most university teachers in the 21st century are much more like grammatici than like sophists, and the sharp distinction visible in some countries between those teaching in schools and those teaching in Universities in no way corresponds to the ancient distinction between grammatici and sophists. Our teachers of Greek in the schools are vital to the maintenance of a public awareness of the ancient Greek world and to the transmission of linguistic and critical skills, just as were Greek grammatici in the Roman empire. Ewen Bowie Corpus Christi College, Oxford 53 Digest 27, 1, 6, 1-2 (citing Modestinus on excusationes, Book 2), transl. S. P. Scott, Cincinnati, 1932, modified).

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J.-L. Vix, L’enseignement de la rhétorique au IIème siècle ap. J-C. à travers les discours 30-34 d’Aelius Aristide, Ἐν λόγοις καὶ μαθήμασιν καὶ ἐπαίνοις τραφείς, Turnhout, Recherches sur les rhétoriques religieuses 13, 2010, p. 37-44. J.-L. Vix, Alexandros de Cotiaeon. Fragments, introduits, traduits et commentés par J.-L. Vix, Paris, 2018. P. R. C. Weaver, « Epaphroditus, Josephus, and Epictetus», CQ, 44, 1994, p. 468-479. M. L. West, Studies in the text and transmission of the Iliad, Munich, 2001. P. Zanker, The Mask of Socrates, Berkeley–Los Angeles, 1995.

Le grammairien Alexandros de Cotiaeon titulaire d’une chaire d’enseignement ? À propos du verbe δημοσιεύειν (Aelius Aristide, or. 32, § 12)

On considère souvent qu’Aelius Aristide n’a pas assuré d’enseignement contrairement à la plupart des sophistes de cette époque, ou, du moins, de façon très secondaire1. Certes, Philostrate évoque Damianos d’Éphèse, élève d’Aristide, certes, ce dernier a rédigé une oraison funèbre en l’honneur d’un de ses élèves, Étéonée2, certes, nous lui devons aussi un discours d’anniversaire en l’honneur d’Apellas3, qui fut peut-être l’un de ses élèves. Cependant en dehors de ces quelques cas, peu de mentions d’un enseignement, en tout cas régulier, assuré par le rhéteur. Nous sommes évidemment bien loin d’un Libanios dont le corpus regorge pour nous d’informations précieuses dans ce domaine. Pourtant, que notre rhéteur ait enseigné ou pas, un peu ou pas du tout, n’enlève rien à l’importance des informations sur l’école antique distillées ici ou là dans son œuvre, car son environnement est celui de l’univers des sophistes, et par conséquent celui de la transmission d’un savoir à des disciples. Un discours en particulier – le discours 32, Ἐπὶ Ἀλεξάνδρῳ ἐπιτάφιος, Éloge funèbre en l’honneur d’Alexandros – nous offre de multiples aperçus de l’univers scolaire à son époque. Alexandros de Cotiaeon, le personnage loué dans cette oraison funèbre, fut un grammairien célèbre en son temps, qui fut le maître d’Aristide dans ses jeunes années et devint, à la fin de sa carrière, le précepteur du jeune Marc Aurèle à Rome. C’est dans la capitale de l’Empire qu’il mourut, loin de sa Phrygie natale. Or, un passage de l’éloge aristidien pourrait laisser entendre que le grammairien a pu occuper une chaire d’enseignement à Rome, lors de son séjour dans la cité, mais le texte garde

1 Sur la charge d’enseignement assurée par Aristide et les doutes sur ce point, voir F. Robert, Les œuvres perdues d’Aelius Aristide : fragments et témoignages, Paris, 2012, p. 615-624. Voir également J.-L. Vix, L’enseignement de la rhétorique au iie s. ap. J.-C. à travers les discours 30-34 d’Aelius Aristide, Turnhout, 2010, plus particulièrement p. 277-397. 2 Or. 31, Εἰς Ἐτεωνέα ἐπικήδειος, Discours pour les funérailles d’Étéonée. La numérotation des discours aristidiens suit celle adoptée par B. Keil, Aelii Aristidis Smyrnaei quae supersunt omnia, vol. II, or. XVII-LIII, Berlin, 1898. 3 Or. 30, Ἀπελλᾶ γενεθλιακός, Discours d’anniversaire pour Apellas.

Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 33-50 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121132

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malheureusement une part d’obscurité, que cet article voudrait tenter de résorber, au moins partiellement.

L’enseignement du grammairien Alexandros de Cotiaeon : charge publique ou privée ? Le discours 324 se présente sous la forme d’une lettre envoyée par Aristide à la boulè de la cité natale du défunt, la cité phrygienne de Cotiaeon. Dans ce texte, Aristide déroule la vie et la carrière de celui qui fut son maître. L’évolution professionnelle du savant est longuement décrite, et louée : ainsi, nous dit-il, après avoir parcouru toutes les étapes et après avoir acquis une notoriété certaine, il occupa le poste de précepteur des princes, les futurs empereurs Marc Aurèle et Lucius Verus5. Dans le cours de cette énumération, une mention doit retenir tout particulièrement l’attention, mention qui se situe au § 12, au milieu de son parcours de grammairien - enseignant (parcours recouvrant les § 7-16). Avant d’évoquer son rôle à la cour impériale, Aristide mentionne la relation privilégiée du grammairien avec les puissants de ce monde de la manière suivante : « Lorsqu’il n’exerçait pas [son métier] publiquement, il était soit chez les puissants, soit dans la demeure même de l’empereur » (ὁπότε μὴ δημοσιεύοι, ἢ παρὰ τοῖς δυνάσταις ἂν ἦν, ἢ ἐν αὐτῷ τῷ βασιλέως οἴκῳ). Au sein de ce passage, l’interprétation de δημοσιεύοι est délicate. Le verbe δημοσιεύειν, si l’on se réfère au dictionnaire Liddell-Scott-Jones, a trois acceptions principales : « rendre quelque chose public » (construction transitive), « assurer un emploi public rétribué » (emploi intransitif), ou « être un homme public », en opposition au verbe ἰδιωτεύειν, « être un homme privé ». Une différence de construction syntaxique semble donc s’imposer en ce qui concerne les deux premiers sens. Dans notre passage, étant donné le contexte, il est plus que probable que ce verbe est à mettre en lien avec l’activité d’enseignant du grammairien. Cependant, même si la formation de ce verbe et son étymologie renvoient à l’idée de « public », sa compréhension n’est pas limpide dans la phrase, ce qui a donné lieu à des interprétations variées au cours des siècles. Au xviiie siècle le passage a semblé suffisamment confus à l’illustre helléniste que fut Reiske6 pour qu’il proposât d’amender le texte en remplaçant le verbe δημοσιεύειν par ἐνδημεῖν ou ἐπιδημεῖν, dans le

4 Ce discours, ainsi que les discours 30 et 31 mentionnés dans les notes précédentes ont été traduits et commentés par J.-L. Vix, L’enseignement de la rhétorique au iie s. ap. J.-C. …. Les traductions proposées dans cet article en sont tirées. 5 Aristide utilise le pluriel τῶν βασιλέων semblant indiquer de la sorte que le rhéteur était le précepteur des deux futurs empereurs. E. Bowie (voir la contribution dans ce volume) pense qu’il est impossible qu’Aristide ait été précepteur de Lucius Verus, pour des raisons de différences d’âges entre les deux princes, et parce que l’Histoire Auguste donne d’autres noms de grammatici pour Lucius Verus. Les arguments sont à prendre en compte et il se pourrait qu’Aelius Aristide ait été mal renseigné, ou ait volontairement procédé à une amplification rhétorique dans un but encomiastique. Il reste cependant dans ce halo d’incertitudes, une troisième possibilité, qu’Alexandros ait effectivement été nommé précepteur des deux princes, mais n’ait été, par la suite, en relation quasi exclusive qu’avec le futur Marc Aurèle. 6 J. J. Reiske, Animadversiones ad Graecos auctores, Volumen tertium quo Thucydides, Herodoteus et Aristidis pertractantur, Leipzig, 1761, p. 225.

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sens de « se trouver dans sa patrie », ce qui reviendrait à dire que « chaque fois qu’il ne se trouvait pas dans sa patrie, il se trouvait chez les puissants ou même dans la demeure de l’empereur », interprétation qui ferait d’Alexandros un voyageur infatigable qui allait incessamment de sa Phrygie natale à Rome. La conjecture du savant peut difficilement être retenue, car elle va à l’encontre des indications montrant qu’Alexandros est resté à Rome et que de tels aller-retours sont improbables. À la fin du xixe siècle, B. Keil dans l’apparat critique de son édition, semble se rapprocher de cette conjecture de J. Reiske dans la mesure où il suggère qu’Alexandros exerçait une charge publique dans sa patrie et non pas à Rome : in patria artem publice profitebatur. Cette interprétation impliquerait que la cité de Cotiaeon ait pu bénéficier, dès le iie siècle ap. J.-C. d’une chaire municipale de grammaire. Cela n’a rien d’impossible, mais l’hypothèse laisse cependant entière la question des voyages répétés entre la Phrygie et Rome. Comme autre solution J. Reiske suggéra de supprimer la négation et de conférer au verbe δημοσιεύειν le sens d’« assurer une charge ou un emploi public », ce qui donne comme traduction possible : « chaque fois qu’il assurait une charge publique, il était soit chez les puissants, soit dans la demeure même de l’empereur. » Cette conjecture n’apparaît pas plus satisfaisante, car cela signifierait que sa charge publique d’enseignant était exclusivement tournée vers les puissants de ce monde, et que de surcroît sa mission de précepteur des jeunes princes était rémunérée par les biens de l’État ; aucune autre attestation dans l’univers de l’enseignement antique ne permet de considérer cela comme une possibilité. Comme troisième hypothèse le savant estime que, si l’on accepte de garder la leçon des manuscrits, il faut adjoindre τὴν τέχνην comme complément au verbe et comprendre : « quand Alexandros n’exerçait pas publiquement son art »7, mais s’il considère cette troisième conjecture comme la moins convaincante, il prend cependant le soin de relier l’art du grammairien, τὴν τέχνην, à son enseignement. C’est cette dernière interprétation – du reste, déjà implicitement présente dans la traduction latine de W. Canter dès 1566 (si quando a munere suo vacabat) – qui a, par la suite, connu la plus grande faveur. Ainsi, plusieurs traductions modernes évoquent la pratique de son art : C. A. Behr propose « when he was not engaged in the public display of his art » ; E. Berardi, quant à elle, traduit « ogni volta che non esercitasse pubblicamente la sua arte »8. L’adjonction du complément τὴν τέχνην constitue le point commun de ces différentes interprétations ; le mot lui-même, – ainsi que sa transcription par « art » –, n’est pas totalement satisfaisant, car il laisse planer une certaine ambiguïté9. À ce stade de l’enquête deux étapes s’avèrent nécessaires : comparer l’emploi et la signification du verbe δημοσιεύειν chez Aristide et dans d’autres textes des premiers siècles de notre ère, puis revenir au § 12 de notre discours 32 pour tenter d’en tirer quelques conclusions.

7 « Δημοσιεύειν τὴν τέχνην significat artem suam vulgare h. e. exercere. », J. Reiske, Animadversiones…, p. 225. 8 C. A. Behr, P. Aelius Aristides, The Complete Works. Translated into english, Vol. 2, Leyde, 1981-1986 ; E. Berardi, Elio Aristide. Epicedeo per Eteoneo. Epitafio per Alessandro, Alessandria (Italie), 2006. 9 Le terme τέχνη peut renvoyer non pas uniquement à l’univers de l’enseignement, mais plus globalement à la γραμματικὴ τέχνη, c’est-à-dire aux recherches scientifiques d’Alexandros dont, au vu des fragments qui nous restent, on sait qu’elles occupèrent une partie importante de sa vie, cf. J.-L. Vix, Alexandros de Cotiaeon. Fragments, Paris, 2018.

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Les emplois du verbe δημοσιεύειν dans le corpus aristidien Aristide emploie peu le verbe δημοσιεύειν, puisqu’on ne le trouve qu’à quatre reprises dans l’ensemble du corpus conservé de son œuvre, hormis le discours 32. Il l’utilise une fois dans le discours contre Platon (Or. 2, § 433) vraisemblablement dans le sens d’exercice public de l’activité de médecin : « Tu appelles médecin celui qui possède le savoir médical, même s’il ne pratique pas son art publiquement », σὺ μὴν καὶ τὸν ἔχοντα τὴν ἰατρικὴν ἐπιστήμην ἰατρὸν καλεῖς, κἂν μὴ δημοσιεύῃ τὴν τέχνην10. Le verbe est assez largement attesté pour l’exercice public de la médecine, comme en témoignent de nombreuses sources épigraphiques11. Une inscription honorifique de la cité de Cos (iiie siècle av. J.-C.) est particulièrement intéressante. Elle loue le médecin Xénotimos pour les soins prodigués avec dévouement, « conformément à son art médical » (κατὰ τὰν τέ[χ]ναν τὰν ἰατρικάν), surtout lorsque les médecins publics, eux-mêmes tombés malades, ne purent plus s’occuper de la population (τῶν ἰατρῶν τῶν [δαμ]οσ[ιευόντων] ἐν τᾶι πόλει ἀρρωτησάντων)12. Si la reconstitution [δαμ]οσ[ιευόντων] est exacte, on a par conséquent d’un côté des médecins publics et d’un autre côté un médecin qui ne l’est pas, mais qui a soigné « conformément à son art médical ». Une autre inscription du dème d’Halasarna (iie siècle av. J.-C.) oppose tout aussi clairement une pratique publique (ἐδαμοσίευε, l. 5) au cabinet privé du médecin Onasandros loué par le décret (ἰδιωτεύειν, l. 24)13. Mais dans aucune des inscriptions comportant le verbe δημοσιεύειν ce dernier n’est accompagné du complément τέχνη. Le verbe utilisé intransitivement indique que ces médecins occupaient un emploi public. Dans le passage aristidien du discours platonicien, au contraire, on a une des rares attestations du groupe δημοσιεύειν τὴν τέχνην, construction transitive qui laisse planer un doute sur le sens précis de cette expression. S’agit-il, dans l’esprit d’Aristide, d’un statut officiel et d’une charge publique ou, au contraire, de la mention d’une pratique ? En effet, il n’est pas impossible de conjecturer qu’Aristide cherche à souligner, ici, l’opposition entre la science, ἐπιστήμη, et la pratique, τέχνη : le nom de médecin est attribué à tout savant dans l’art médical, même s’il ne pratique pas – spéculation abstraite, certes, qui n’a qu’un but démonstratif –, alors que l’expression transitive κἂν μὴ δημοσιεύῃ τὴν τέχνην pourrait, dans le même cadre théorique, renvoyer au médecin qui officialise sa science par sa pratique. Le passage serait, dans ce cas, proche du sens relevé plus haut du verbe δημοσιεύειν employé transitivement, « rendre quelque chose public »14. 10 « You call him a doctor who possesses the art of medecine, even if he does not publicly practice his art » (trad. Behr). 11 Voir É. Samama, Les médecins dans le monde grec. Sources épigraphiques sur la naissance d’un corps médical, Genève, 2003, en particulier les entrées 7, 11, 98, 118, 123, 137, 141, 163, 166, 168. 12 Samama, Les médecins dans le monde grec…, no 123, p. 225-226. 13 Samama, Les médecins dans le monde grec…, no 137, p. 249-253. 14 Or, précisément, dans l’oraison funèbre le verbe est utilisé intransitivement, ce qui, étant donné l’acribie linguistique d’Aristide, pourrait être le signe d’un sens différent du verbe δημοσιεύειν dans l’un et l’autre passage.

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Les trois autres attestations du corpus aristidien, qui se trouvent toutes dans le discours Pour les Quatre (Or. 3, § 489, 519, 659) présentent a priori peu d’intérêt pour notre enquête, relevant de l’opposition, homme public, homme privé à travers les verbes δημοσιεύειν / ἰδιωτεύειν. Mais, avant de revenir à l’interprétation du verbe dans le discours 32, il convient d’examiner son utilisation dans les premiers siècles ap. J.-C. chez différents auteurs pour tenter de déterminer si un sens particulier se détache ou non.

Les emplois intransitifs du verbe δημοσιεύειν dans les premiers siècles de notre ère Si le verbe δημοσιεύειν est déjà attesté chez Platon, il devient d’un emploi plus courant à partir du début de l’ère chrétienne15, et chez quelques auteurs l’acception « assurer un emploi public » constitue un parallèle intéressant avec la mention aristidienne. Les passages qui suivent sont présentés, non pas dans un ordre chronologique, peu légitime en l’occurrence, mais dans un ordre décroissant de pertinence et de certitude. Ainsi sera discuté en dernier le passage de Longin, qui est le plus difficile à interpréter et au sens le moins assuré. Libanios

Dans le cadre d’une interprétation directement reliée à l’univers de l’enseignement, on trouve un passage apparemment dénué de toute ambiguïté, deux siècles après Aristide, chez Libanios. Dans son Autobiographie (or. 1, § 101) le sophiste relate son enseignement à Antioche en 354 dans ces termes : « […] Je faisais chez moi la classe à quinze élèves que j’avais pour la plupart amenés avec moi, et je n’occupais pas encore de chaire publique », ἐγὼ δὲ οἴκοι μὲν πεντεκαίδεκα νέοις συνῆν, ὧν ἧκον τὸ πλέον ἄγων, οὔπω δὲ ἦν ἐν τῷ τοῦ δημοσιεύοντος σχήματι16. L’opposition entre des cours privés à son domicile, οἴκοι, et la chaire publique qu’il occupera plus tard (οὔπω) conduit à adopter la traduction proposée dans la CUF17. Le participe δημοσιεύοντος

15 On trouve chez Platon, Politique, 259 a, 1, l’emploi de ce verbe à propos de médecins publics : τις τῶν δημοσιευόντων ἰατρῶν. Sur plus de 700 attestations lexicales repérées dans le TLG seule une partie infime remonte aux ve s (Aristophane, Acharniens, 1030) et au ive s. av. J.-C. (essentiellement Platon). Si le verbe est fréquemment utilisé à partir du ier s. ap. J.-C., et tardivement jusqu’à l’époque byzantine, c’est surtout dans le sens de rendre public, donc « montrer » ou « rendre visible » quelque chose. Le sens « exercer un emploi public », bien que notablement attesté apparaît arithmétiquement comme relativement marginal. 16 Trad. P. Petit, Libanios Discours I, J. Martin (éd.), Paris, 1978. 17 A. F. Norman, Libanius’ autobiography, Cambridge (Massachusetts), Londres (The Loeb Classical Library), 1965, retient une interprétation similaire : « I stayed at home attending to my class of fifteen, most of whom I had brought with me. I did not as yet hold the post of publicly appointed professor. »

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ne peut ici que renvoyer à la chaire qu’occupera le rhéteur quelques années après18. Et l’opposition entre des cours privés et une chaire publique peut faire écho au § 12 de l’Oraison funèbre rédigée par Aristide. Dion Cassius

Dion Cassius (52, 26) offre un passage a priori tout aussi éloquent que la mention de Libanios, comportant le verbe δημοσιεύειν dans le contexte de cours rétribués par la manne publique. Agrippa, au début de ce livre, fait des recommandations à César et, au chapitre 26, commente l’éducation des futurs sénateurs et chevaliers : περὶ μὲν οὖν τῶν βουλευτῶν τῶν τε ἱππέων ταῦτά σοι συμβουλεύειν ἔχω, […] καὶ ἐπειδὰν ἐς μειράκια ἐκβάλωσιν, ἐπί τε τοὺς ἵππους καὶ ἐπὶ τὰ ὅπλα τρέπωνται, διδασκάλους ἑκατέρων δημοσιεύοντας ἐμμίσθους ἔχοντες. Voilà ce que j’ai à te conseiller pour les sénateurs et les chevaliers […] et quand ils arrivent à l’adolescence qu’ils se tournent vers les chevaux et les armes avec des maîtres publics rémunérés spécialistes de l’une et l’autre de ces disciplines19. Le substantif διδασκάλους sujet du participe δημοσιεύοντας ne laisse, ici, guère de doute sur le sens du verbe, mais c’est surtout la précision ἐμμίσθους qui donne toute sa valeur à ce témoignage : il s’agit de maîtres appointés publiquement. N’oublions pas le contexte : Agrippa décrit une situation à venir, idéalisée, dans laquelle l’État subviendrait à l’éducation des futurs sénateurs et chevaliers. Mais la rédaction du texte, un peu postérieure à l’époque d’Aristide, souligne que le verbe δημοσιεύειν s’appliquait dans l’esprit de Dion Cassius à un enseignement de professeurs appointés par des subsides publics, et qu’il avait en tête une réalité de son temps.

18 Au sujet de ce passage voir C. Bry, « Acacios, l’autre sophiste d’Antioche » Revue des études tardo-antiques, 2014-2015, supp. 3, p. 129-151, p. 150 : « Le participe présent du verbe δημοσιεύειν, « exercer un emploi public », équivalent de l’adjectif δημόσιος « public », « qui relève de l’État » peut être interprété comme l’antonyme de πολιτικός dont le premier sens est « qui relève de la cité » Par ce terme, Libanios fait allusion à un engagement et à un salaire de source impériale plutôt que municipale. » Cependant la distinction entre ces deux termes demanderait une enquête plus approfondie. Il en est de même avec la distinction entre chaire municipale et chaire impériale, mise en doute par S. Toulouse, « Les chaires impériales à Athènes aux iie et iiie s. », dans L’enseignement supérieur dans les mondes antiques et médiévaux : aspects institutionnels juridiques et médiévaux (Textes et traditions, 16), H. Hugonnard-Roche (éd.), Paris, 2008, p. 127-174. Concernant les premières chaires impériales antérieures créées à Rome sous Vespasien, S. Toulouse pense qu’il s’agit plutôt d’un « évergétisme impérial […] qui n’a que faire de notre distinction public / privé » (p. 129). Mais sa démonstration vaut également pour les chaires postérieures, voir à partir de la p. 143 l’analyse selon laquelle « toutes les chaires dites impériales sont des chaires municipales », affirmation fondée sur la certitude de l’auteur que « la distinction exclusive entre chaires impériales et chaires municipales est un artefact de l’érudition moderne » (ibid.). 19 La traduction est nôtre.

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Lucien

À ces deux exemples illustrant des emplois aux significations apparemment limpides du verbe δημοσιεύειν il convient peut-être d’ajouter le § 15 de l’Apologie de Lucien, dans lequel l’auteur emploie non pas le verbe mais l’expression ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ, qui pourrait être interprétée comme l’évocation d’une chaire publique d’enseignement qu’il aurait occupée en Gaule. θαυμάσαιμ’ ἂν ἐπιτιμῶντός μου τῷ νυνὶ βίῳ, εἴ γε ἐπιτιμῴης, ὃν πρὸ πολλοῦ ᾔδεις ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ μεγίστας μισθοφορὰς ἐνεγκάμενον, ὁπότε κατὰ θέαν τοῦ ἑσπερίου Ὠκεανοῦ καὶ τὴν Κελτικὴν ἅμα ἐπιὼν ἐνέτυχες ἡμῖν τοῖς μεγαλομίσθοις τῶν σοφιστῶν ἐναριθμουμένοις. Quant à toi, je m’étonnerais que tu blâmes ma vie actuelle, si du moins telle est ton intention. Tu me connais depuis longtemps : je gagnais beaucoup d’argent à pratiquer la rhétorique en public, quand tu m’as rencontré, alors que tu allais voir l’Océan occidental et le pays des Celtes : je comptais parmi les sophistes les mieux rémunérés20. Rappelons que dans ce discours Lucien tente de se justifier d’avoir accepté durant les années 171-175 ap. J.-C. le poste d’huissier en chef auprès du préfet d’Égypte, semblant ainsi contredire sa critique des intellectuels qui se mettent au service des grands (Sur les salariés des grands). Le discours s’adresse à son ami Sabinos et les lignes du § 15 représentent quasiment la fin du discours. Or, si l’on suit la pensée de Lucien, on comprend qu’il serait bien étonné que son ami soit tenté de lui reprocher sa position actuelle au sein de l’administration (σοῦ μέντοι καὶ θαυμάσαιμ’ ἂν ἐπιτιμῶντός μου τῷ νυνὶ βίῳ), puisqu’il l’a connu à une époque où il était appointé publiquement pour assurer des cours de rhétorique (ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ μεγίστας μισθοφορὰς) en Gaule. Il serait par conséquent possible que l’auteur fasse ici référence à une chaire publique de rhétorique. Un élément peut renforcer cette interprétation. Au § 11 du même opuscule, Lucien, de façon on ne peut plus explicite, met en opposition l’individu qui accepte de vivre dans la maison d’un riche pour assurer sa subsistance, attitude condamnable, et l’homme qui reçoit un salaire de l’empereur au titre d’une tâche publique, attitude qui fut la sienne et qu’il tente de défendre21. Au sein de ces passages, deux composés de -μισθος viennent qualifier la rétribution versée : l’adjectif ὑπόμισθον souligne dans le premier cas qu’on vit sous la dépendance financière d’un riche, tandis que le verbe μισθοφορεῖν, dans le second, décrit l’appointement impérial (παρὰ βασιλέως). Or, la personne occupant un poste public est, au § 11 comme au

20 Traduction, légèrement modifiée, de A.-M. Ozanam, Lucien. Œuvres complètes, Paris, 2018. 21 « S’introduire, en se faisant payer, dans la maison d’un riche, pour y devenir esclave et subir tout ce que raconte mon livre, n’a rien à voir avec le fait d’exercer officiellement des affaires publiques, de les administrer aussi bien que possible et de recevoir pour cela un salaire de l’empereur. » (πάμπολυ διαφέρει ἐς οἰκίαν τινὸς πλουσίου ὑπόμισθον παρελθόντα δουλεύειν καὶ ἀνέχεσθαι ὅσα μοί φησιν τὸ βιβλίον, ἢ δημοσίᾳ πράττοντά τι τῶν κοινῶν καὶ ἐς δύναμιν πολιτευόμενον ἐπὶ τούτῳ παρὰ βασιλέως μισθοφορεῖν.) (trad. A.-M. Ozanam).

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§ 15, désignée par une expression comportant la formule adverbiale δημοσίᾳ (δημοσίᾳ πράττοντά τι τῶν κοινῶν § 11 / ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ § 15). Dans ces deux paragraphes Lucien parle explicitement de lui et tente de justifier des charges publiques (δημοσίᾳ) bien rémunérées, et il n’apparaît pas hors de propos d’entendre qu’il a occupé une chaire de rhétorique derrière l’expression ἐπὶ ῥητορικῇ δημοσίᾳ22, c’est-à-dire un poste officiel. S’il ne s’agissait que de prestations publiques de sophiste, qui bien souvent étaient payantes et fort bien rémunérées, le parallèle avec sa situation présente d’huissier auprès du préfet d’Égypte, axe de son apologie, ne fonctionnait pas, car il aurait mis en parallèle deux situations différentes : d’un côté une pratique privée de la rhétorique, de l’autre un poste officiel. Le seul point commun entre ces deux réalités aurait été une rétribution élevée, élément d’argumentation qui ne lui aurait pas permis d’assurer une défense convaincante23. Strabon

Un passage de Strabon pourrait conforter l’hypothèse de cette chaire de rhétorique en Gaule peut-être évoquée par Lucien. En effet, dans sa description de Marseille, le géographe loue la réputation des écoles de rhétorique et de philosophie installées dans la cité phocéenne, et fréquentées par les Romains au détriment des établissements athéniens. Dans une envolée finale, Strabon explique que cette soif de connaissances a gagné l’ensemble des Gaulois, qui « accueillent des sophistes, qui sont rétribués les uns par des particuliers, les autres par le trésor public, de même que les médecins. », σοφιστὰς γοῦν ὑποδέχονται τοὺς μὲν ἰδίᾳ, τοὺς δὲ πόλεις κοινῇ μισθούμεναι, καθάπερ καὶ ἰατρούς (IV, 1, 5)24. Ici ce n’est pas la formule adverbiale qui est employée mais une expression qui échappe à toute ambiguïté, τοὺς δὲ πόλεις κοινῇ μισθούμεναι, qui indique que plusieurs cités de Gaule payaient des sophistes avec de l’argent public. Ce qui était vrai à l’époque de Strabon le fut bien plus encore du temps de Lucien et cela peut, par conséquent, valider l’idée que ce dernier ait pu occuper une chaire publique d’enseignement dans une cité gauloise. Le Pap. Ox. 47.3366

Ces différents exemples attestent la réalité d’un enseignement public volontiers traduit par la famille lexicale δημόσιος / δημοσιεύειν. Cette interprétation est confirmée

22 De même, l’expression διδάσκειν δημοσίᾳ utilisée par Galien (T. II, p. 218 Kühn) à propos d’Alexandre de Damas est interprétée généralement comme « une allusion au salaire que percevait Alexandre comme titulaire de la chaire impériale de philosophie péripatéticienne d’Athènes. », cf. M.-O. Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », dans L. Brisson, J.-L. Cherlonneix, M.-O. Goulet-Cazé et al. (éd.), Porphyre. La vie de Plotin, vol. I, Paris, 1982, p. 231-327, ici p. 244, n. 4. 23 Comme me l’a suggéré A.-M. Favreau, que je remercie, un passage (§ 27) de La double accusation pourrait corroborer l’interprétation d’une chaire de rhétorique occupée par Lucien en Gaule : l’auteur donne la parole à Rhétorique qui explique comment elle a l’accompagné jusqu’en Gaule et comment elle a contribué à sa fortune. 24 Trad. F. Lasserre (éd.), Strabon, Géographie tome II (livres III et IV) (CUF), Paris, 1966.

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par un papyrus d’Oxyrynchus, le Pap. Ox. 47.3366 (253-260 ap. J.-C. sous le règne de Valérien), qui comporte deux pétitions adressées par le grammairien Lollianos aux empereurs Valérien et Gallien, sans doute des brouillons jamais envoyés, et une lettre destinée à son frère, la seule lettre qui ait peut-être été écrite de la main de Lollianos lui-même25. Dans ce document assez long, le plaignant déplore l’insuffisance de son salaire qui ne lui permet pas de vivre décemment26. Après quelques préambules et formules d’usage, la pétition débute ainsi (A recto, col. 1) : πα[ρ]ὰ Λολ[λ]ιανοῦ τοῦ κ[α]ὶ Ὁμοί[ο]υ δημοσίου [γρ]αμματικοῦ τῆς Όξυρυγχειτῶν πόλεως […] οἱ θεοὶ πρόγονοι ὑμῶν ὤρισαν κατὰ μέγεθος τῶν πόλεων καὶ ποσότητα δημοσίων γραμματικ[ῶ]ν προστάξαντες καὶ συντάξεις αύτοῖς δίδοσθαι ὅπως εἴη […] ἀνεμπόδιστος ἡ περὶ τοὺς παῖδας ἐπιμέλεια, (l. 5 ; 29) De la part de Lollianus, aussi appelé Homoeus, γραμματικός public de la cité des Oxyrynchites […] vos divins ancêtres ont fixé, en proportion de la taille des cités, un nombre de grammatikoi publics, en donnant l’ordre à la fois que salaire leur soit aussi à eux donné et que leur soin à l’égard de leurs enfants ne dût pas être gêné. Dans la lettre adressée à son frère, il commence sa plainte de la manière suivante (B recto, col. 2) : ψηφισθεὶς γ(ὰρ) ἐνταῦθα ὑπὸ τ(ῆς) βουλ[(ῆς)…] δημόσιος γραμματικὸς τὴν σύνταξιν τ(ὴν) εἰωθυῖαν οὐ πάνυ λαμβάνω En effet, bien que j’aie été choisi ici comme γραμματικός public par le conseil de la cité, ce n’est pas sans difficulté que je reçois le salaire qui est d’usage27. Ces courts extraits nous offrent trois occurrences de l’expression δημόσιος γραμματικός qui ne peut être comprise que comme l’occupation d’une chaire publique. L’évocation des ancêtres des empereurs à l’origine de ces créations (Vespasien, Antonin), et la situation même décrite par Lollianos à son frère ne laissent pas de place au doute : notre grammairien fut recruté par la βουλή locale (l. 28), et était rémunéré par la cité. Le participe ψηφισθεὶς évoque d’ailleurs clairement un décret pris par la cité pour la création de cette chaire. De plus, le plaignant souligne que le salaire qui lui est dû ne lui a pas été versé régulièrement ou lui est « payé en vin aigre et en grains mangés par les vers », comme il l’écrit à son frère28, et ce salaire est de façon presque certaine

25 Le texte est édité et commenté par P. J. Parsons, « Petition and a letter : the Grammarian’s Complaint », dans A. E. Hanson (éd.), Collectanea Papyrologica, Texts Published in Honor of H. C. Youtie, Bonn, 1976, p. 409-446, ici p. 412. 26 R. A. Kaster, Guardians of Language : the Grammarian and Society in Late Antiquity, Berkeley, 1988, p. 115 ; S. Agusta-Boularot, « Les références épigraphiques aux grammatici », Mélanges de l’École Française de Rome, Antiquité (Mefra, 106), Rome, 1994, p. 653-746, ici p. 706-709 ; R. Cribiore, Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton - Oxford, 2001, p. 55. 27 Trad. Agusta-Boularot, « Les références épigraphiques… », p. 706 et 707. 28 Il était courant que la rémunération versée par la cité le soit en nature, cf. B. Schouler, « Un métier : la grammaire », dans B. Pérez, M. Griffe (éd.), Grammairiens et philosophes dans l’Antiquité gréco-romaine, Montpellier, 2008, p. 15-51, p. 36.

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celui que la cité devait lui donner, et non pas la rétribution individuelle d’élèves, qui ne justifierait pas une pétition à l’empereur29. Eusèbe de Césarée

Si on quitte le domaine spécifique de l’enseignement, on constate que le couple δημοσιεύειν / δημοσίᾳ peut aussi renvoyer à une charge publique rétribuée par la communauté, comme nous l’avons déjà constaté à propos des médecins. On peut invoquer à ce sujet un passage du livre VI, 41, 11 de l’Histoire ecclésiastique, dans lequel Eusèbe relate les persécutions contre les chrétiens qui eurent lieu à Alexandrie juste avant, puis après, l’édit de Dèce (250 ap. J.-C.). En réalité, comme il l’explique au début du chapitre, Eusèbe reproduit une lettre de Denys, évêque d’Alexandrie, à Fabien, évêque d’Antioche, dans laquelle ces événements furent rapportés. Au § 11, on comprend que l’édit eut comme conséquences de nombreuses apostasies, car « les uns étaient mus par la crainte, d’autres, qui étaient fonctionnaires, étaient conduits par leurs fonctions », οἳ μὲν ἀπήντων δεδιότες, οἳ δὲ δημοσιεύοντες ὑπὸ τῶν πράξεων ἤγοντο30. L’opposition exprimée par la construction οἳ μὲν - οἳ δὲ sépare sans ambigüité les chrétiens qui abjurent leur foi par crainte, et ceux qui l’abjurent par obligation (ἤγοντο) en tant que fonctionnaires. Une partie de la population chrétienne d’Alexandrie privilégie son emploi public (οἳ δὲ δημοσιεύοντες) à sa foi. Longin

Le passage le plus délicat à interpréter dans le cadre de cette enquête se trouve dans la préface du livre Sur la fin (à dater aux alentours de 26531) rédigé par le philosophe Longin. Dans ce texte qui nous est connu grâce à Porphyre (Vie de Plotin, 20, 17-103), Longin énumère un certain nombre de philosophes de son temps pour démontrer que parmi eux, seuls Plotin et son disciple Amélius étaient dignes de réfutation. Dans une première liste de philosophes, ceux qui « entreprirent d’exposer par écrit leurs opinions », figurent ces deux personnages dont il est précisé qu’ils « dispensent à Rome un enseignement public32 », ἐν τῇ Ῥώμῃ δημοσιεύοντες (20, 32). M.-O. Goulet-Cazé, dans son analyse du sens du participe δημοσιεύοντες, se pose la 29 Au sujet d’une différence de sens entre la σύνταξις et le μισθός, voir dans ce volume la contribution de C. Bry qui considère que la σύνταξις évoque en principe le versement d’un salaire municipal, alors que le μισθός relève plutôt de la contribution des parents. La frontière entre les deux mots n’est cependant pas aussi nette, comme on le voit par ex. chez Dion Cassius, 72, 31, où le μισθός représente sans ambiguïté le salaire annuel octroyé par l’empereur Marc Aurèle aux professeurs. Sur la paie des professeurs voir également l’article de A.-M. Favreau dans ce volume. 30 Trad. G. Bardy, Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, livres V-VII, Paris, 1955. 31 L. Brisson, « Plotin : une biographie », dans L. Brisson, J.-L. Cherlonneix, M.-O. Goulet-Cazé et al. (éd.), Porphyre. La vie de Plotin, vol. II, Paris, 1992, p. 1-29, p. 9. 32 Trad. dans « Porphyre. La vie de Plotin », 1992, p. 132-185. É. Bréhier traduit pour sa part : « Plotin et Amélius Gentilianus, son disciple, qui encore maintenant professent à Rome, cf. É. Bréhier, S. Morlet, Porphyre, Vie de Plotin, Paris, 2013, p. 55.

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question de savoir s’il peut ou non qualifier une chaire municipale ou impériale de philosophie platonicienne à Rome33. Après avoir souligné que le verbe δημοσιεύειν « employé intransitivement peut signifier exercer un emploi public rémunéré par l’État34 », l’auteure opte, en définitive, pour un sens en quelque sorte minimaliste qui renverrait uniquement à des cours ouverts et publics assurés par Plotin et Amélius, en excluant toute idée d’une chaire officielle. L’argument le plus fort pour valider une telle interprétation serait la difficulté d’admettre que Plotin et Amélius aient pu tous deux bénéficier d’une chaire impériale, alors qu’Amélius « apparaît toujours comme le second de Plotin, jamais comme son égal35 ». L. Brisson adopte également cette explication : « δημοσιεύοντες doit être interprété dans un sens minimal, celui d’“enseignement public”. Plotin et Amélius n’étaient pas titulaires d’une chaire impériale ou municipale et ils ne dirigeaient pas une institution privée. Ils dispensaient un enseignement ouvert à tous, mais à titre privé très probablement, sans caractère institutionnel36 … ». Nous serions donc avec cette mention dans une situation en quelque sorte intermédiaire entre, d’une part, un enseignement privé, non pas réservé à quelques disciples – comme c’est généralement le cas pour l’enseignement de la philosophie –, mais au contraire ouvert à tous, donc public, et, d’autre part, un enseignement public, c’est-à-dire ouvert à tous, mais de caractère privé, dans la mesure où le financement en est assuré exclusivement par les élèves-étudiants. On retrouverait ainsi le cas de figure fréquent dans le domaine de la rhétorique, celui de cours que l’on peut qualifier de publics car largement ouverts, mais au financement privé. On doit cependant relever qu’il est question, ici, de cours de philosophie et non de rhétorique ou de grammaire et que la situation n’est pas identique. En effet, la plupart du temps l’enseignement de la philosophie se transmettait au sein d’un cercle clos de disciples, et la mention figurant dans le texte de Longin pourrait donc tout simplement signifier que Plotin avait accepté d’ouvrir son école, ce qui pouvait marquer une exception. Cependant, malgré les avis d’éminents spécialistes de l’univers philosophique de l’Antiquité, il ne convient peut-être pas de rejeter catégoriquement la possibilité que Plotin ait pu occuper une chaire publique, si l’on accepte l’idée que Longin, dans l’expression qu’il utilise, ait pu faire une sorte de raccourci, et que le participe δημοσιεύοντες, bien qu’au pluriel, fasse allusion, d’une part, à cette chaire occupée par Plotin, de l’autre, à l’accompagnement dans ce travail de son disciple le plus proche, son γνώριμος, qui, lui, ne détenait pas de poste officiel. Par ailleurs, M.-O. Goulet-Cazé

33 Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », p. 242-246. 34 Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », p. 244 et n. 3. Cela nous renvoie au questionnement concernant le passage aristidien du discours 2 § 433, évoqué ci-dessus, qui mentionne également l’activité publique du médecin. 35 Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », p. 245. Amélius est plutôt présenté comme un disciple de Plotin par Porphyre dès le chapitre 3, puis, dans la préface de Longin, il est qualifié par l’expression ὁ τούτου γνώριμος (Vie de Plotin, 20, 33). Or, les γνώριμοι peuvent être des élèves, des amis ou des connaissances, mais le terme qualifie aussi volontiers des disciples dans le cadre d’un enseignement et de relations privilégiées qu’un professeur pouvait entretenir avec un groupe d’étudiants. 36 Brisson, « Plotin : une biographie », 1992, p. 10.

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elle-même reconnaît que l’hypothèse que les deux philosophes aient pu occuper une chaire conjointement n’est pas totalement impossible37.

Exemple d’un emploi transitif du verbe δημοσιεύειν Himérios

Tous les cas étudiés jusque-là donnent des exemples du verbe δημοσιεύειν employé intransitivement. Si l’on excepte le passage de Longin, qui est plus discutable, dans cette construction intransitive le verbe a le sens, semble-t-il courant, d’« occuper un emploi public » à l’époque impériale. Avec Himérios, nous disposons d’une sorte de contre-exemple avec un emploi transitif, intéressant à observer. Dans le discours 38, une courte lalia adressée au proconsul Cervonius, le sophiste Himérios emploie à deux reprises (§ 3 et 7) l’expression transitive δημοσιεύειν τοὺς λόγους, d’abord à son propre sujet, ensuite au sujet de Socrate. Cette construction, dans les deux cas, offre le même sens, – puisque le but de l’orateur est de mettre sa situation en parallèle avec celle de Socrate –, celui de rendre l’éloquence publique, idée que rendent les traducteurs allemand et anglais38. Dans ce discours il n’est nulle question d’enseignement, ni d’aucun emploi publiquement rétribué. Au paragraphe 3 l’idée est de louer la libération de l’éloquence d’Himérios, bridée et maintenue dans les ténèbres avant l’arrivée du proconsul Cervonius (τὴν πρόσθεν σιγὴν … τὰς ἐν σκότει τῶν λόγων καθείρξεις), qui, par son injonction (κελεύει μὲν ἡμᾶς), lui a permis de retrouver la lumière. De même, au paragraphe 7, la connaissance par l’ensemble des Grecs de l’avis de la Pythie (ἦλθε μὲν εἰς πάντας τὸ ἔπος Ἕλληνας) au sujet de la grande sagesse de Socrate permit à ce dernier de retrouver une voix publique face

37 Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », p. 245. 38 Himérios Or. 38, § 3 : ὅδε […] κελεύει μὲν ἡμᾶς τὴν πρόσθεν σιγὴν ἀτιμάσαντας καὶ τὰς ἐν σκότει τῶν λόγων καθείρξεις, δημοσιεύειν τε αὐτοὺς καὶ παράγειν εἰς μέσον [Ἕλλησι] : Celui-ci [Cervonius] nous ordonne de mépriser le silence précédent [à savoir de ne pas prendre la parole publiquement] et l’enfermement de nos discours dans l’obscurité, de les rendre public et de les introduire au milieu des Grecs », trad. personnelle ; trad. allemande dans H. Völker, Himerios. Reden und Fragmente, Einführung, Übersetzung und Kommentar, Wiesbaden, 2003, p. 256 « Er [Cervonius] befiehlt uns, das Vergangene Schweigen und das Einsperren der Worte in der Dunkelheit gering zu schätzen, unsere wôrte an die Öffentlichkeit zu bringen und mitten unter die Griechen » ; trad. anglaise dans R. Penella, Man and the Word. The Orations of Himerius, translated, annotated and introduced, Berkeley–Los Angeles–Londres, 2007, p. 245 ; « This man commands me to pay no regard to the silence or to the confinement of eloquence in darkness, conditions that obtained before his arrival. He orders me to make eloquence public, to bring it out onto center stage for the Greeks . » Himérios Or. 38, § 7 : ἦλθε μὲν εἰς πάντας τὸ ἔπος Ἕλληνας, ἀνεθάρσησε δὲ ὁ Σωκράτης, καὶ δημοσιεύειν τοὺς λόγους ἤρχετο : « Tandis que l’oracle vint à être connu de tous les Grecs, Socrate reprit courage et commença à rendre publics ses discours », trad. personnelle ; « Das Wort des Gottes kam zu allen Griechen, Sokrates aber wurde wieder ermutigt und begann seine Redekunst öffentlich auszuüben », Völker, Himerios. Reden und Fragmente, p. 257 ; « His pronouncement reached the ears of all Greeks, and Socrates was encouraged and began to make his eloquence public », Penella, Man and the Word, p. 246.

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à ses détracteurs. Le parallèle établi entre les deux situations distantes de près d’un millénaire dans le temps, ne peut laisser aucune ambiguïté sur la signification de l’expression δημοσιεύειν τοὺς λόγους qui recouvre exactement le sens proposé par le dictionnaire Liddell-Scott-Jones dans sa construction transitive, comme signalé plus haut : « rendre quelque chose public ». Il est en effet impossible d’envisager que la mention de Socrate puisse renvoyer à une rémunération publique de quelque ordre que ce soit.

Le statut d’Alexandros de Cotiaeon Au terme de ce parcours il nous faut revenir au passage de l’Oraison funèbre d’Alexandros le grammairien. La majorité des occurrences de δημοσιεύειν / δημοσίᾳ / δημόσιος rencontrées dans les textes ci-dessus confirme que l’emploi de cette famille lexicale renvoyait volontiers, entre le ier et le ive siècle ap. J.-C., et dans des contextes précis, à des enseignements publics rétribués par des cités ou par l’empereur. En outre, dans tous les cas où se détache cette acception le verbe est construit intransitivement. Qu’en est-il pour notre grammairien Alexandros ? Deux aspects doivent être considérés, la construction du verbe et le contexte dans lequel Aristide l’emploie. On se souvient que Reiske, après diverses conjectures, avait proposé d’adjoindre au verbe le complément τὴν τέχνην, absent des manuscrits. Pourtant, que ce soit chez Libanios, Cassius Dion, Eusèbe ou encore Longin, le verbe δημοσιεύειν est construit intransitivement, et chez les trois premiers il a de façon assurée le sens que lui donnent les dictionnaires avec cette construction, celui de « remplir une charge publique ». D’ailleurs, l’ajout de τέχνην dans l’Oraison funèbre rédigée par Aristide semble, à la réflexion, non seulement superflu, mais de surcroît, possible source de confusion, pour les raisons évoquées plus haut, la γραμματικὴ τέχνη pouvant renvoyer à l’activité scientifique du grammairien et non à son enseignement. Étant donné l’ambivalence de ce mot τέχνη dans le discours lui-même, il semble par conséquent imprudent de vouloir l’accoler comme complément à δημοσιεύοι. Sans doute est-il préférable dans le cas présent de faire confiance aux manuscrits et de considérer que l’on a affaire à une construction intransitive, bien attestée à l’époque impériale. Mais faut-il pour autant penser que le verbe dans cette phrase fait référence à l’enseignement d’Alexandros ? Pour tenter d’y voir plus clair, il convient d’examiner le texte aristidien de façon plus fine. Dans les lignes qui précèdent (§ 10), Aristide fait allusion, sans aucune ambiguïté, à la mission d’enseignement exercée par Alexandros, avec l’évocation de ses nombreux disciples qui devinrent en quelque sorte des ambassadeurs de sa science au sein de l’univers hellénophone39. La suite est plus délicate à saisir et il convient de citer l’ensemble du § 11 :

39 Aelius Aristide Or. 32, 10 : « De plus son attitude qui a précisément consisté, malgré une telle éloquence, à ne pas se retirer dans la composition d’œuvres et dans semblable attitude, mais à choisir de servir les anciens Grecs, comment ne pas la rapprocher de son attitude généreuse et pleine de libéralité à l’égard

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μόνος δὲ καὶ τὸν Ἡσίοδον ἤλεγξεν ἔργῳ ψευδόμενον ποιήσαντα ὅτι καὶ ἀοιδὸς ἀοιδῷ φθονέει. ἦν γὰρ τῶν ὁμοτέχνων οἷον πατὴρ κοινὸς, καὶ πάντες ἐπ’ ἐκείνῳ πλείους ἐλπίδας εἶχον ἢ ἕκαστος ἑαυτῷ. μόνος δ’ ἰδιώτας τε οὐκ ἤλεγχε καὶ παρὰ τοῖς δεξιοῖς εἰς τὰ πρῶτα ἐθαυμάζετο. καὶ μόνος πλήθει τε καὶ ἀκριβείᾳ μαρτύρων ἐνίκα. Seul, par son action, il confondit Hésiode de mensonge pour avoir chanté que même « l’aède est jaloux de l’aède » ; car il était comme un père commun pour ceux qui partageaient son art et tous mettaient plus d’espoirs en lui que chacun en soi-même. Seul, il ne confondait pas les profanes, tandis qu’il était admiré jusqu’au plus haut point auprès des gens habiles, et seul, il l’emportait par le nombre et la précision des témoins. La citation d’Hésiode nous donne la clé d’interprétation du passage. Après avoir mentionné les élèves d’Alexandros, le rhéteur parle maintenant des autres grammairiens : si « l’aède est jaloux de l’aède », les grammairiens, eux, ne l’étaient pas d’Alexandros. La τέχνη, ici, doit donc être entendue comme la γραμματικὴ τέχνη, et le citoyen de Cotiaeon qui était parvenu au sommet de son art apparaissait comme un exemple à suivre pour tous les autres, qu’ils fussent débutants ou expérimentés. Par ailleurs, l’expression « le nombre et la précision des témoins » de la fin du paragraphe conforte la compréhension de l’ensemble du passage : ces témoins représentent l’ensemble des écrivains commentés par les grammairiens, aussi bien dans leurs cours que dans leurs travaux érudits. Alexandros avait donc, à entendre son laudateur, une maîtrise totale et une connaissance approfondie de la littérature grecque du passé. C’est à la suite de ce parcours qui va des étudiants aux collègues qu’intervient le paragraphe dans lequel se trouve la forme verbale δημοσιεύοι· ἦν δὲ καὶ τοῖς περὶ τοὺς λόγους φιλοτιμία ἐκείνῳ συγγεγονέναι καὶ τοῖς ἄλλως ἐνδόξοις τε καὶ λαμπροῖς ἀντ’ ἄλλου τινὸς τῶν εἰς τὸ ὑπερέχειν τὸ ἐκείνῳ χρωμένους φαίνεσθαι. ὥστ’ ἦν ἅπασιν ἀσπαστὸς, καὶ ὁπότε μὴ δημοσιεύοι, ἢ παρὰ τοῖς δυνάσταις ἂν ἦν, ἢ ἐν αὐτῷ τῷ βασιλέως οἴκῳ. Ceux qui étaient intéressés par l’éloquence étaient empressés à le fréquenter, les autres personnages illustres et éclatants considéraient comme équivalent à toute autre forme de supériorité le fait de montrer qu’ils avaient affaire avec lui. Par conséquent, absolument tout le monde l’accueillait avec empressement et lorsqu’il n’exerçait pas [son métier] publiquement, il était soit chez les puissants, soit dans la demeure même de l’empereur.

de ses étudiants, qui lui permettait aussi bien de les rassasier, dès le début, de connaissances, que de faire attribuer, à tous ceux qu’il voyait dans le besoin, des recommandations et des places ? C’est donc une foule de disciples, à la vérité, que cet homme à lui tout seul éduqua et envoya visiblement de tous côtés » (Καὶ μὴν τό γε φωνῆς οὕτως ἔχοντα μὴ εἰς συγγραφάς τε καὶ τοιοῦτον σχῆμα ἀναχωρῆσαι, ἀλλ’ ἑλέσθαι τὴν τοῖς παλαιοῖς Ἕλλησι διακονίαν, πῶς οὐχ ὅμοιον τῷ πρὸς τοὺς φοιτῶντας ἀφθόνῳ καὶ ἀφειδεῖ ; διὸ τῶν τε μαθημάτων εὐθέως ἐνεπίμπλη καὶ ὅσους ἑώρα βίου δεομένους συστάσεις αὐτοῖς καὶ τάξεις ἐπορίζετο· ὥστε πλείστους δὴ εἷς ἀνὴρ οὗτος παιδεύσας τε καὶ διαδοὺς φαίνεται).

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La supériorité du défunt ayant été louée dans les deux domaines, l’enseignement et la maîtrise de la γραμματικὴ τέχνη, il reste au rhéteur à compléter ce parcours remarquable par son acmè, le préceptorat du jeune prince, le futur Marc Aurèle. Deux groupes de personnes distincts apparaissent qu’il n’est pas aisé de circonscrire, d’un côté ceux qui cherchent à le fréquenter (συγγεγονέναι), de l’autre côté un groupe de personnes définies comme « illustres » qui tiennent à se montrer avec lui. Le verbe συγγεγονέναι est couramment employé, dès l’époque classique, pour évoquer la fréquentation d’un maître par des disciples. On pourrait donc entendre ici que des étudiants, mais aussi des auditeurs n’ayant plus le statut d’étudiants, férus de discours, donc de rhétorique (περὶ τοὺς λόγους)40, fréquentaient assidument le maître pour suivre ses cours. L’expression τὸ ἐκείνῳ χρωμένους φαίνεσθαι est moins évidente à décrypter, le verbe χράομαι ayant un spectre sémantique si large en grec que sa traduction dépend du contexte et relève souvent de l’interprétation. On peut néanmoins comprendre que le grammairien était devenu à Rome un personnage en vue qu’il était de bon ton de côtoyer et d’accueillir dans des espaces privés, pour bénéficier de ses connaissances. La dernière partie du paragraphe reprend ces deux activités, l’enseignement public assuré par Alexandros, – le συγγεγονέναι étant précisé par notre verbe δημοσιεύοι –, tandis que les τοῖς δυνάσταις mentionnés établissent un parallèle avec le groupe nominal précédent τοῖς ἄλλως ἐνδόξοις τε καὶ λαμπροῖς. Mais, concernant ce dernier groupe, l’adjonction de ἐν αὐτῷ τῷ βασιλέως οἴκῳ marque une nette progression, puisqu’on passe d’un cercle privilégié de gens illustres à la maison impériale elle-même. D’un côté l’espace public, de l’autre les demeures patriciennes. Cet espace public clairement signalé par le verbe δημοσιεύοι peut-il équivaloir à l’occupation par Alexandros d’une chaire d’enseignement, de rhétorique (cf. l’expression ambiguë περὶ λόγους)41 ou de grammaire grecques, à Rome vers les années 140, c’est-à-dire à la fin de sa vie ? L’ensemble des attestations lexicales des premiers siècles de notre ère, à l’exception du texte de Longin, plaide en faveur de cette hypothèse. Si l’on en croit l’Histoire Auguste42 la création de chaires municipales d’enseignement supérieur au sein de l’empire daterait d’Antonin, mais nos connaissances se limitent essentiellement aux détenteurs de chaires de rhétorique à Athènes, grâce au témoignage de Philostrate43. En ce qui concerne les chaires de philosophie et de grammaire,

40 Behr, P. Aelius Aristides, The Complete Works…, traduit le début du paragraphe par : « For the students of oratory it was a matter of pride to have studied with him. » 41 La possibilité d’une chaire de rhétorique n’est pas à exclure si l’on considère que les grammairiens, contrairement à une idée répandue, ne transmettaient pas uniquement des œuvres poétiques, mais, souvent, étudiaient et enseignaient des textes en prose. En ce qui concerne Alexandros nous savons par exemples qu’il a travaillé sur le corpus hérodotéen, grâce à un fragment conservé (voir Vix, Alexandros de Cotiaeon. Fragments) mais que ses leçons portaient aussi sur Platon, cf. L. Pernot, « Aspects méconnus de l’enseignement de la rhétorique », dans L’enseignement supérieur dans les mondes antiques et médiévaux : aspects institutionnels juridiques et médiévaux (Textes et traditions, 16), H. Hugonnard-Roche (éd.), Paris, 2008, p. 283-306, plus spécialement p. 301-306 (« Les leçons d’Alexandre de Cotiaion et le Platon des rhéteurs »). 42 HA, Antoninus Pius, XI, 3. 43 I. Avotins, « The Holders of the Chairs of Rhetoric at Athens », Harvard Studies in Classical Philology, 79, 1975, p. 313-324.

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notre documentation est quasi inexistante. À Rome, cependant, la situation fut autre, puisqu’il semble que dès l’empereur Vespasien (69-79)44, la cité eut ses chaires impériales de rhétorique latine et grecque, alors que pour Athènes il fallut attendre le règne de Marc Aurèle45. Peut-on, dès lors, poser l’hypothèse qu’Alexandros, avant – ou en même temps ? – d’accéder au poste bien plus prestigieux de précepteur privé des princes, aurait pu, un certain temps, être titulaire d’une chaire officielle d’enseignement à Rome, grâce, sans doute, au soutien impérial dont il bénéficiait46 ? Cette forme de promotion permettant d’occuper le poste le plus prestigieux en fin de carrière, correspond à ce que nous savons de la progression des sophistes aux premiers siècles de notre ère47.

Conclusion Plusieurs conclusions peuvent être tirées au terme de ce parcours. La construction intransitive du verbe δημοσιεύειν dans les premiers siècles de notre ère renvoie sans ambiguïté à un emploi public rétribué, au contraire de la construction transitive que l’on trouve par exemple chez Himérios. Or, le passage du paragraphe 12 du discours 32 d’Aristide se situe à un moment où l’orateur évoque l’enseignement de son maître. Sans doute faut-il, par conséquent, faire confiance, ici, aux manuscrits et conserver la construction intransitive, d’autant plus qu’Aelius Aristide utilise le verbe dans sa construction transitive ailleurs dans son œuvre et qu’il fait donc clairement la différence entre les deux sens du verbe. La leçon des manuscrits conduit à envisager qu’Alexandros de Cotiaeon ait pu occuper une chaire de grammaire ou de rhétorique à Rome avant de devenir le précepteur du futur Marc Aurèle. Le seul contre-exemple serait fourni par le texte de Longin au sujet d’un enseignement public prodigué par Plotin et son disciple sans contrepartie financière. L’exception pourrait cependant s’expliquer par la caractéristique de l’enseignement philosophique, généralement réservé à un petit cercle de disciples, mais qui, dans ce cas précis, aurait été élargi, au point de devenir public. Dans le domaine de la rhétorique, au contraire, cette distinction n’est pas opérante, car l’enseignement était aussi bien réservé aux étudiants que proposé à un cercle élargi, notamment lors de prestations publiques. Il serait donc étrange de supposer qu’Aristide, par l’intermédiaire du verbe δημοσιεύοι, aurait cherché à souligner que son ancien maître proposait des prestations publiques, tant cette situation était courante. À rebours, que l’empereur, avant de confier à Alexandros la charge de précepteur

44 Suétone, Vie de Vespasien, XVIII. 45 Goulet-Cazé, p. 243-245, n. 4. Voir aussi l’article de toulouse, « Les chaires impériales… ». 46 À titre de comparaison on peut penser à Quintilien qui, grâce à la faveur de l’empereur, occupa la première chaire de rhétorique impériale à Rome. 47 Voir l’article de E. Perrin-Saminadayar, « Chaires municipales, chaires impériales : ascension sociale et mobilité géographique des titulaires de chaires athéniennes », dans ce volume : il retrace par exemple la trajectoire d’Hadrien de Tyr qui terminera sa carrière à Rome. Pausanias de Cappadoce aussi, eut accès à la chaire de Rome après plusieurs années passées à Athènes. Cet exemple, cependant, est plus tardif.

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dans la maison royale, ait pu le nommer sur une chaire publique d’enseignement48, méritait d’être signalée comme un fait exceptionnel par l’encomiaste. Et cette faveur de l’empereur ne doit pas surprendre outre mesure49. Par contre l’on pourrait s’étonner que, dans un discours à la tonalité encomiastique aussi appuyée, Aristide n’ait fait qu’une allusion par l’intermédiaire de ce verbe δημοσιεύειν à une réalité aussi prestigieuse. Plusieurs explications peuvent être avancées à ce sujet. Peut-être est-ce tout simplement qu’il a préféré mettre l’accent sur l’accession au préceptorat du (ou des) prince, honneur bien plus insigne que l’obtention d’une chaire d’enseignement. Mais on peut aussi supposer qu’Aristide ait volontairement cherché à minimiser la distinction d’une chaire publique parce que lui-même n’y accéda jamais. Peut-être par dépit, car il cherche dans l’ensemble de son honneur funèbre à se montrer l’égal de son maître, mais peut-être bien davantage parce qu’il n’avait que peu d’estime pour les sophistes qui étaient les détenteurs de ces chaires. Insister de façon laudative sur ce poste prestigieux obtenu par Alexandros serait revenu en quelque sorte à rendre un hommage indirect à ces sophistes qui ne méritaient pas, à ses yeux, un tel honneur50. Jean-Luc Vix Université de Strasbourg, CARRA (UR 3094)

Bibliographie Sources Aelius Aristide, Aelii Aristidis Smyrnaei quae supersunt omnia, vol. II, Or. XVII-LIII, B. Keil (éd.), Berlin, 1898. Aelius Aristide, P. Aelius Aristides, The Complete Works. Translated into English, C. A. Behr (trad.), Vol. 2, Leyde, 1981-1986. Aelius Aristide, Elio Aristides. Discursos IV, J. M. Cortès Copete (trad.), Madrid, 1997. Aelius Aristide, Elio Aristide. Epicedeo per Eteoneo. Epitafio per Alessandro, E. Berardi (trad.), Alessandria, 2006. Eusèbe, Eusèbe de Césarée, Histoire ecclésiastique, livres V-VII, texte grec, traduction et notes par G. Bardy, Paris, 1955. Libanios, Libanius’ autobiography, A. F. Norman (éd.), The Loeb Classical Library, Cambridge (Massachusetts)-Londres, 1965.

48 Qu’il s’agisse d’une chaire impériale ou municipale n’a, en fin de compte, pas une importance majeure tant les frontières entre les deux sont encore mal définies et l’existence même de chaires impériales parfois remises en question, cf. l’article de Toulouse, « Les chaires impériales… ». 49 Cette promotion par des nominations dans des postes en vue est qualifiée d’« évergétisme de haut vol » par Toulouse, « Les chaires impériales… », p. 140. 50 Philostrate, tout en signalant ici ou là les nominations au chaires impériales, indique aussi que la chaire ne correspond pas toujours à la valeur réelle du talent de son titulaire (VS II, 2, 566).

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Enquête sur le salaire et les ressources des Sophistes d’après les Vies des Sophistes de Philostrate

Si la célébrité est le premier attrait d’une carrière de sophiste selon plusieurs œuvres de Lucien qui en font la réclame – sincère ou teintée d’ironie –, la richesse acquise par l’exercice de cette profession figure également en bonne place dans les arguments déployés pour encourager les jeunes gens à suivre cette voie et l’éducation qui y prépare. Devenir sophiste pourrait même être un facteur d’ascension sociale, dont plusieurs personnages de Lucien, et l’auteur lui-même, seraient des exemples1. Les Vies des sophistes de Philostrate semblent conforter cette image séduisante de la prospérité matérielle des sophistes, mais il est difficile d’évaluer la part exacte d’enrichissement permis par leurs activités sophistiques, au vu de la fortune familiale dont jouissent bien des personnalités décrites par le biographe. De manière générale la corrélation entre la prééminence culturelle des sophistes et leur importance sociale et politique a longtemps fait débat2. Cependant, les sources épigraphiques confirment la notoriété du statut de sophiste tandis que les textes littéraires convergent dans la représentation qu’ils donnent de l’activité sophistique et des avantages qu’elle procure, si bien qu’on ne peut révoquer la validité de leur témoignage3. La présente étude ne vient donc pas relancer le débat mais plus modestement tenter de préciser les informations que Philostrate,

1 Lucien, Maître de rhétorique, 1-2 ; Le songe ou la vie, 11-13 et 18 ; La double accusation, 26-28 ; Apologie, 15. 2 Glen Bowersock (Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969) a insisté sur la place particulière occupée par les sophistes tant dans les cités grecques que dans les relations avec le pouvoir romain ; l’étude d’Ewen Bowie à l’inverse aboutit à relativiser leur singularité pour attribuer leur poids politique à leur condition privilégiée, celle des élites sociales (« The Importance of Sophists », Yale Classical Studies, 27, 1982, p. 29-59). 3 Sur le rôle social et politique, voir l’introduction de Bernadette Puech à son précieux recueil, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale (Textes et traditions, 4), Paris, 2002, p. 15-16 et 23-28. Pour les textes, la diversité des auteurs et des genres littéraires permet de dépasser le biais qui peut informer un texte singulier et fausser pour partie la représentation sociale du sophiste, cf. L. Pernot, « L’art du sophiste à l’époque romaine : entre savoir et pouvoir », dans C. Lévy, B. Besnier et A. Gigandet (éd.), Ars et Ratio. Sciences, arts et métiers dans la philosophie hellénistique et romaine (Latomus, 273), Bruxelles, 2003, p. 126-142. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 51-68 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121133

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qui demeure la source principale sur le sujet, nous fournit sur le salaire et les ressources des sophistes du Haut-Empire4. Cette question rejoint également les recherches menées sur la rémunération des enseignants, qui visent à mieux cerner le statut social des différents enseignants (maître d’école, grammairien, rhéteur) et à interroger le bien-fondé des représentations qu’en donnent les Anciens ou que s’en font les modernes5. Plusieurs difficultés viennent se dresser lorsqu’on cherche à évaluer le montant des rémunérations perçues par les enseignants. La première est généralement la rareté des indications chiffrées dans les sources mais aussi leur interprétation au regard de l’échelle des salaires ou des revenus pour une période donnée6. Seule une inscription, à ma connaissance, fait état d’une somme versée à un sophiste pour son enseignement7. Philostrate fournit quelques chiffres à ce sujet, mais le plus souvent, les montants se signalent par leur caractère hors-norme, ce qui paraît les priver de toute valeur représentative. Cependant, en nous indiquant le montant du traitement attaché à la chaire impériale de rhétorique d’Athènes (10 000 drachmes), il nous procure un repère dans l’appréciation des gains d’un sophiste sous le Haut Empire. De fait, les sources du financement varient selon le cadre dans lequel est délivré l’enseignement. Comme d’autres professeurs tels les grammairiens, les sophistes peuvent enseigner dans une école privée, qu’ils ont ouvert de leur propre initiative, ou bien être recrutés par une cité8. Dans le premier cas, le montant des honoraires exigé varie d’un sophiste à l’autre, selon par exemple sa réputation et l’importance de la ville où il enseigne ou parfois en fonction des ressources de l’élève9. Dans le second cas, le montant du traitement est fixé a priori par la cité voire par l’empereur, lorsque la chaire est financée par le

4 Le thème de l’enrichissement par l’activité sophistique est abordé par T. Schmitz, Bildung und Macht. Zur sozialen und politischen Funktion der zweiten Sophistik in der griechischen Welt der Kaiserzeit, Munich, 1993, notamment p. 50-62 : « Bildung als Aufstiegsmöglichkeit ». 5 Voir par exemple l’étude de É. Perrin-Saminadayar, « À chacun son dû : la rémunération des maîtres dans le monde grec classique et hellénistique », dans J-M Pailler et P. Payen (éd.), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou » Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Toulouse, 2004, p. 307-318, qui révèle les préjugés informant la présentation d’H.I Marrou sur ce sujet. 6 Sur l’évaluation de la richesse dans la société romaine du Haut-Empire, voir F. Jacques, Rome et l’intégration de l’Empire 44 av. J.-C.-260 ap. J.-C., p. 309-317. 7 Voir infra, p. 55-56, l’inscription d’Éphèse (I. Ephesos 1548 = Puech, no 243) sur le sophiste Sôtèros. Cf. M.-P. de Hoz, « Testimonios epigráficos sobre la educación griega de época imperial », dans J.-A. Fernández Delgado, F. Pordomingo & A. Stramaglia, Escuela y literatura en Grecia antigua. Actas del simposio internacional, Universidad de Salamanca, 17-19 noviembre de 2004, Cassino, 2007, p. 319. 8 C. Wolff, L’éducation dans le monde romain, Paris, 2015, p. 119-121. 9 Dans le cadre d’un enseignement privé, le paiement des honoraires relevait d’un arrangement entre l’enseignant et ses élèves. Au-delà de la différence du prix des leçons, les gains des maîtres fluctuaient bien évidemment selon le nombre des élèves et la durée de leur apprentissage. Voir R. Kaster, Guardians of language. The grammarian and society in late Antiquity, Berkeley, 1988 p. 120-122. Or, ces différents paramètres ne sont pas toujours précisés par les sources ce qui accroît la difficulté d’évaluer le revenu d’un enseignant, cf. Perrin, « À chacun son dû… », p. 314 et pour Philostrate, infra, p. 57.

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fisc impérial, ce qui n’exclut pas, comme on va le voir, la perception d’honoraires auprès des étudiants.

Traitement lié à une chaire de rhétorique La première chaire impériale de rhétorique fut établie à Rome par Vespasien, avec un traitement de cent mille sesterces10. Marc Aurèle en institua une à Athènes, dont le traitement, également financé sur la cassette impériale, s’élevait à 10 000 drachmes, soit 40 000 sesterces : Θεόδοτος μὲν προὔστη καὶ τοῦ Ἀθηναίων δήμου κατὰ χρόνους, οὓς προσέκρουον Ἡρώδῃ Ἀθηναῖοι (…) προὔστη δὲ καὶ τῆς Ἀθηναίων νεότητος πρῶτος ἐπὶ ταῖς ἐκ βασιλέως μυρίαις. Théodotos fut à la tête du peuple athénien à l’époque où les Athéniens étaient en conflit avec Hérode (…) il fut également à la tête de la jeunesse d’Athènes, le premier pour un appointement de dix mille drachmes versées par l’empereur11. Selon Philostrate, Théodotos avait été choisi et nommé par Marc Aurèle en personne, et peut-être pour des raisons de diplomatie politique12. Le traitement est annuel mais la nomination n’est pas limitée à une année et dure a priori tant que le titulaire le souhaite ou en est écarté par différentes raisons. L’accession à une chaire plus prestigieuse, celle de Rome, peut le conduire à laisser son poste, comme ce fut le cas des sophistes Hadrien de Tyr et Pausanias de Césarée13. À l’inverse, une cabale montée par des rivaux contraint parfois le sophiste à quitter la chaire impériale. Ainsi Héracleidès de Lycie fut chassé de la chaire athénienne par les menées du sophiste Apollonios de Naucratis, soit qu’il eût renoncé à son poste à cause de l’hostilité et de l’impopularité dont il était victime, soit que ses ennemis aient obtenu sa révocation par l’empereur14. Enfin, le sophiste Hippodromos de Thessalie mit volontairement un terme à sa fonction à Athènes pour des raisons d’ordre économique sur lesquelles je reviendrai. 10 Suétone, Vespasien, 18 : primus e fisco Latinis Graecisque rhetoribus annua centena constituit. « Le premier (Vespasien), il établit un traitement de cent mille sesterces par an, payé sur les ressources du fisc, pour les rhéteurs latins et grecs ». 11 Philostrate, Vies des Sophistes (désormais VS), II, 2, 566, sauf mention contraire, les traductions sont nôtres. Dion Cassius, 72, 31 : ἔδωκε δὲ καὶ πᾶσιν ἀνθρώποις διδασκάλους ἐν ταῖς Ἀθήναις ἐπὶ πάσης λόγων παιδείας μισθὸν ἐτήσιον φέροντας : « à Athènes, Marc Aurèle donna également à tous les hommes des professeurs pour la totalité de la culture lettrée, qui recevaient un traitement annuel » ; et aussi Zonaras, Epitome Historiarum, XII, 3 (Dindorf III, p. 85). 12 Théodotos était un rival et un adversaire d’Hérode Atticus ; il prit part indirectement à son procès. Pour le contexte de cette nomination, voir W. Ameling, Herodes Atticus, Hildesheim, 1983, I, p. 155. 13 VS, 589 et VS, 594. 14 VS, 613. Philostrate ne fait pas mention d’une intervention impériale, cf. S. Rothe, Kommentar zur ausgewählten Sophistenviten des Philostratos, Die Lehrstuhlinhaber in Athen und Rom, Heidelberg, 1988, p. 202. Voir également au ive siècle le témoignage d’Eunape (Vies des sophistes et des philosophes, X, 32) et de Libanios (or. 1, 25 : révocation par un gouverneur de trois enseignants à Athènes).

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Il existait à Athènes une chaire de rhétorique avant la création par Marc Aurèle, sans doute vers 174, d’une chaire impériale15. Le premier titulaire en fut Lollianos d’Éphèse, sous Antonin16 : Λολλιανὸς δὲ ὁ Ἐφέσιος προὔστη μὲν τοῦ Ἀθήνησι θρόνου πρῶτος, προὔστη δὲ καὶ τοῦ Ἀθηναίων δήμου στρατηγήσας αὐτοῖς τὴν ἐπὶ τῶν ὅπλων. Lollianos d’Éphèse fut le premier à la tête de la chaire athénienne, il fut également à la tête du peuple athénien car il exerça pour eux la stratégie préposée aux armes17. On notera la volonté de Philostrate de souligner, par le parallélisme d’expression, la prééminence de Lollianos et de Théodotos à Athènes tant sur le plan culturel et professionnel de l’enseignement que sur le plan politique. Toutefois le statut du poste d’enseignant n’est pas le même, et la chaire inaugurée par Lollianos ne peut être qu’une chaire municipale, dont le traitement est normalement pris en charge par les finances publiques de la cité. Le montant de cet appointement n’est pas précisé mais il était vraisemblablement inférieur aux 10 000 drachmes impériales fixées par la suite par Marc Aurèle. Le biographe fait état dans la Vie d’Apollonios d’Athènes, actif sous Septime Sévère, d’un traitement de 6000 drachmes pour la chaire occupée par ce sophiste à Athènes18. La différence de montant et l’expression singulière de πολιτικὸς θρόνος ont conduit Ivars Avotins à considérer qu’il s’agissait de la chaire municipale et non de la chaire impériale, et que les deux chaires avaient coexisté à Athènes19. Cette conclusion toutefois fait débat : jamais Philostrate ne précise explicitement qu’il existait deux chaires distinctes de rhétorique à Athènes et, à l’exception de Lollianos et peut-être d’Apollonios, tous les autres sophistes mentionnés à propos d’une chaire semblent bien titulaires de la chaire impériale. Aussi Stéphane Toulouse en déduit-il que la chaire impériale a pris la suite de la chaire municipale : la primauté chronologique dans le cas de Théodotos soulignerait non qu’il fut le premier à accéder à la chaire athénienne, mais le premier sur deniers impériaux20. Sa démonstration, toutefois, ne rend pas totalement compte du cas d’Apollonios d’Athènes. Celui-ci, selon Philostrate, « enseignait à Athènes à l’époque d’Héracleidès et de son homonyme (Apollonios de Naucratis), en étant à la tête de la chaire de la cité pour un talent » (ἐπαίδευσε δὲ 15 Pour un résumé des problèmes posés par la datation de cette création, voir S. Toulouse, « Les chaires impériales à Athènes aux iie et iiie siècles », dans H. Hugonnard-Roche (éd.), L’enseignement supérieur dans les mondes antiques et médiévaux, Paris, 2008, p. 143-145. 16 I. Avotins, « The Holders of the Chairs of Rhetoric at Athens », HSPh, 79, 1975, p. 313 et Puech, Orateurs et sophistes…, p. 329 : la chaire municipale aurait pu être créée un peu après 141. La question des chaires municipales dans l’Orient grec reste, à ma connaissance, mal renseignée. Le témoignage de Philostrate implique qu’il n’existait pas de chaire municipale de rhétorique à Athènes avant donc le règne d’Antonin. La question se pose pour les autres cités grecques : ont-elles suivi Athènes ou avaient-elles déjà une chaire municipale ? 17 VS, 526 : la magistrature de stratège des hoplites à Athènes n’était plus une fonction militaire mais engageait le magistrat à garantir l’approvisionnement de la cité, responsabilité cruciale et pour laquelle on attendait que ce dernier contribue si nécessaire de ses propres richesses, cf. infra p. 57. 18 VS, 600. 19 Avotins, « The Holders of the Chairs of Rhetoric at Athens », p. 314. 20 Toulouse, « Les chaires impériales à Athènes… », p. 149-152.

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Ἀθήνησι καθ’ Ἡρακλείδην τε καὶ τὸν ὁμώνυμον τοῦ πολιτικοῦ θρόνου προεστὼς ἐπὶ ταλάντῳ)21. Or, Philostrate précise par ailleurs qu’Apollonios de Naucratis enseignait contre Héracleidès, alors titulaire de la chaire impériale d’Athènes, et qu’Héracleidès quitta Athènes quand il fut chassé de cette chaire22. La mise en relation de ces passages invite à penser que les trois sophistes enseignaient à la même période à Athènes et que les deux chaires ont été tenues concomitamment et non successivement, donc qu’il s’agissait de deux chaires distinctes23. De plus, Philostrate distingue le poste d’Apollonios à la fois en précisant le traitement qui y est associé et en employant une expression différente des deux autres communément utilisées pour désigner la chaire impériale. Si, comme le suggère Stéphane Toulouse, le traitement de la chaire impériale a pu varier et baisser, il paraît toutefois étrange que Philostrate prenne la peine de signaler un montant différent sans en préciser la raison. Une chaire officielle (qu’elle soit municipale ou impériale) assure en théorie au détenteur un traitement de base fixe à l’année, indépendant du nombre d’élèves. Le montant de la chaire impériale demeure toutefois relativement modique en comparaison des salaires versés à des fonctionnaires impériaux d’ordre équestre24. Contrairement au traitement de la chaire de Rome, qui correspond à celui d’un centénaire, il ne semble pas pensé pour s’inscrire dans une grille de carrière romaine25. Toutefois, cette chaire athénienne était prestigieuse, puisqu’il n’y avait, en dehors de Rome, pas d’autre chaire impériale de rhétorique. Elle contribuait à renforcer la primauté culturelle reconnue à Athènes et la mesure a dû susciter l’envie des autres « capitales » de la sophistique, telles Éphèse et Smyrne, qui ont pu craindre une fuite tant des sophistes de talent que des étudiants vers Athènes. Une inscription d’Éphèse honorant le sophiste Sôtèros s’inscrit très certainement dans ce contexte : Σώτηρο[ν] τὸν σοφιστ[ὴν] κατὰ ψήφισμα τ[ῆς] βουλῆς κ[αὶ στησάντων] τῶν μαθ[ητῶν] (liste des élèves) Δίς με σοφιστὴν πρῶτον Ἀθήνηθεν καλέσαντο

VS, 600. VS, 599 et 613. Sur Apollonios d’Athènes, voir Puech, Orateurs et sophistes p. 102, p. 116 et 118. Les dix mille drachmes de la chaire impériale d’Athènes ne correspondent pas même au montant du traitement de la première catégorie de procurateurs équestres (soixante mille sesterces), cf. Jacques, Rome et l’intégration de l’Empire…, p. 350-351. La somme n’en demeure pas moins conséquente relativement aux revenus des couches sociales plus modestes, voir Jacques, op. cit., p. 309-310, pour quelques exemples pour les ier et iième siècles. Voir également l’article de E. Perrin Saminadayar, « Chaires municipales, chaires impériales. Ascension sociale et mobilité géographique des titulaires des chaires athéniennes », p. 75-77 dans ce volume. 25 Pour l’inscription du poste de titulaire de la chaire de Rome dans la carrière équestre (à partir de Septime Sévère), voir le cas de Nepotianus commenté par H-G. Pflaum, Les carrières procuratoriennes équestres sous le Haut-Empire, Paris, 1960, T. 2, p. 651-652, no 243 et H.-G Pflaum, Essai sur les procurateurs équestres sous le Haut-Empire romain, Paris, 1950, p. 91. 21 22 23 24

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Σώτηρον βουλῆς δόγμασιν Ἀνδροκλίδαι πρώτῳ δὲ ἀντ ᾽ἀρετῆς τε βίου σοφίης τε λόγοιο ὥρισαν ἐν τιμαῖς μύρι[α] δῶρα τελεῖν (Statue) du sophiste Sôtèros, en vertu du décret du Conseil, (élevée par ?) ses élèves. Par deux fois les Androclides, par décret du Conseil, m’ont donné, à moi, Sôtèros, venu d’Athènes, le titre de premier sophiste ; et je suis le premier pour qui ils aient fixé, au nombre des distinctions, en récompense de l’excellence de ma vie et de ma science du discours, un présent de dix mille drachmes26. L’inscription orne la base de la statue du sophiste que lui élevèrent ses étudiants avec l’accord de la cité. Elle comprend également une épigramme du sophiste qui proclame les honneurs qui lui ont été attribués par la cité : un titre honorifique, prôtos sophistès, et une somme d’argent présentée comme un don. Cependant plutôt qu’une gratification occasionnelle, il s’agit vraisemblablement du traitement d’une chaire municipale dont il serait le premier bénéficiaire avec un tel montant, équivalent à celui de la chaire impériale athénienne. Sôtèros est mentionné par Philostrate (VS, 605) parmi d’autres sophistes qu’il juge trop médiocres pour mériter de sa part un développement plus long, mais les Éphésiens n’hésitèrent pas à lui offrir un poste à la hauteur de celui d’Athènes pour le convaincre d’enseigner chez eux. La réaction d’Éphèse dut en effet, comme le signale Bernadette Puech, suivre la création de la chaire d’Athènes par Marc Aurèle en 174, et Sôtèros y aurait été nommé après 17527. Peut-être même pourrait-on mettre en relation sa nomination avec l’attribution de la chaire impériale d’Athènes à Hadrien de Tyr en 176. Ce sophiste flamboyant avait d’abord enseigné à Éphèse avant d’être nommé par Marc Aurèle à Athènes28. Les Éphésiens, privés de cette célébrité, ont pu chercher le moyen d’attirer et de fixer dans leur cité des sophistes renommés en leur offrant une position aussi avantageuse que celle d’Athènes et en leur décernant un titre flatteur. Il n’est pas non plus exclu que le titre de « premier sophiste » soit la reconnaissance de l’éloquence dont Sôtèros aurait fait la preuve lors d’une epideixis, et qui lui donnait la supériorité sur d’autres rivaux29.

Honoraires versés par les étudiants Le traitement attaché à une chaire constitue un défraiement et non un salaire qui, comme dans notre système d’éducation nationale, offrirait une éducation gratuite aux

26 I.Eph. 1548 = Puech, Orateurs et sophistes … no 243, dont je reprends la traduction p. 456. Le nom des étudiants figure également mais je n’ai pas reproduit la liste. 27 Puech, Orateurs et sophistes…, p. 455-457. 28 Philostrate, Vie de Damien d’Ephèse, 605, et Vie d’Hadrien de Tyr, 588. Puech, Orateurs et sophistes…, p. 286. 29 Libanios, Ep. 408 (πρῶτον αὐτὸν ἐψηφισμένος σοφιστῶν). Eunape (Vies de philosophes et de sophistes, X, 39-52) évoque la suprématie conquise par Prohérésius sur ses rivaux à Athènes suite à une sorte de concours de déclamation organisé par un proconsul sans employer toutefois le titre de « premier sophiste ».

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élèves fréquentant l’enseignant titulaire : les témoignages montrent que le sophiste peut exiger en sus une rétribution auprès des étudiants. Ainsi, Lollianos aurait dispensé ses étudiants de lui verser des honoraires (ἐπανεὶς τὸν μισθὸν τῆς ἀκροάσεως) en contrepartie des contributions financières qu’ils avaient accepté de verser pour financer l’achat d’une cargaison de blé et ainsi soulager la crise frumentaire qui sévissait alors à Athènes30. Ce procédé montre que ses étudiants appartenaient eux-mêmes dans leur majorité à des familles fortunées tandis que le mode de remboursement adopté par Lollianos indique clairement qu’ils lui payaient ses leçons alors même qu’il était professeur public. Il est possible toutefois que dans la situation de crise des finances publiques où se trouvait Athènes à cette période, Lollianos n’ait pas reçu le traitement de sa chaire. Philostrate ne précise pas davantage quel pouvait être le montant habituel des honoraires que Lollianos faisait payer à ses étudiants, mais indique seulement qu’ils étaient conséquents (μισθοὺς γενναίους). Quelques informations sur les tarifs pratiqués par un sophiste sont livrées par le biographe à propos de Proclus de Naucratis, qui fut l’un de ses maîtres. Le sophiste fixait une somme unique de cent drachmes constituant une sorte de forfait, sans limitation dans le temps ni dans la fréquence des séances31. La somme en paraît d’autant plus modique, mais Proclus se distingue par sa nature généreuse et disposait, nous précise Philostrate, d’autres sources de revenus qui lui permettaient peut-être de se montrer désintéressé. On ne connaît malheureusement pas le nombre des élèves de Proclus, ce qui aurait permis d’évaluer plus précisément le salaire que le sophiste retirait de son activité. Ce nombre n’est indiqué que pour un autre sophiste, Chrestos de Byzance, une génération avant Proclus : παιδεύοντι δὲ αὐτῷ κατὰ τοὺς Ἀδριανοῦ τοῦ σοφιστοῦ καιροὺς ἑκατὸν ἔμμισθοι ἀκροαταὶ ἦσαν. Quand il enseignait (à Athènes), au temps du sophiste Hadrien, il avait cent étudiants qui lui payaient des honoraires32. mais cette fois sans précision du montant de ses honoraires. Le chiffre de cent étudiants correspond vraisemblablement au nombre d’étudiants sur une année, même s’il paraît très élevé, car c’est justement parce que ce nombre est important que Philostrate prend la peine de le mentionner33. Philostrate s’intéresse en outre à une période bien précise de l’enseignement de Chrestos à Athènes, celle 30 VS, 526-527, mesure prise par Lollianos alors qu’il est stratège chargé de l’alimentation, cf. Toulouse, « Les chaires impériales… », p. 147. 31 VS, 604. Les honoraires, le plus souvent, étaient versés au mois (Lucien, Hermotime, 80-81 ; Libanios, or. 43, 8) ou à l’année, cf. Wolff, L’éducation dans le monde romain, p. 121-122, R. Cribiore, The School of Libanius in late antique Antioch, Princeton, 2007, p. 183-185. La formule du forfait semble ici suggérer à l’inverse que le paiement du sophiste pouvait habituellement s’effectuer à la séance de déclamation, voir infra. 32 VS, 591. 33 Pour comparaison, Libanios se voit proposer d’enseigner à quarante élèves à Constantinople (or. 1, 32), sans doute dans le cadre d’une chaire, mais refuse ; puis un peu plus tard, dans le cadre d’une école privée, il est fier d’attirer plus de quatre-vingts élèves (or. 1, 37).

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contemporaine de la tenure de la chaire impériale de rhétorique par Hadrien de Tyr, entre 176 et 180, où une certaine rivalité devait nécessairement exister entre les deux sophistes. Cette précision sur les effectifs pléthoriques de l’école de Chrestos participe sans doute de cette polémique. En effet, Philostrate rapporte ensuite comment, lorsque Hadrien de Tyr fut appointé à la chaire impériale de Rome, les Athéniens votèrent une ambassade auprès de l’empereur pour proposer la nomination de Chrestos à la chaire d’Athènes désormais vacante, mais le sophiste refusa par cette fière réplique : « ce ne sont pas dix mille drachmes qui font la valeur d’un homme. » Chrestos dénigrait à mots couverts son rival Hadrien de Tyr et suggérait à l’inverse que son propre talent ne se mesurait pas au traitement versé, mais pouvait peut-être bien s’évaluer au nombre des étudiants qu’il attirait et à leur qualité34. Le désintéressement et l’exigence intellectuelle de Chrestos transparaissent dans une autre remarque de Philostrate sur sa conduite : le sophiste n’hésitait pas à blâmer avec une certaine virulence ses étudiants, même les plus fortunés, alors qu’ils sont pourtant les plus sûrs garants de ses honoraires, puisqu’ils sont solvables35. Remarque incidente qui rappelle que l’enseignant n’était pas toujours assuré d’être payé. Le désintéressement fait partie des qualités morales à l’honneur du sophiste que Philostrate se plait à souligner tout comme la libéralité qui assez souvent l’accompagne. Les références que peut faire Philostrate aux honoraires des sophistes prennent place le plus souvent dans ce cadre : il s’agit dans tous les cas de signaler l’écart, et par là-même la distinction du sophiste au regard de la norme habituelle. Ainsi, Damien d’Éphèse exempte les étudiants étrangers aux revenus modestes du paiement de ses honoraires36. À l’inverse, l’épisode du séjour de Scopélien à Athènes, où le sophiste donna des séances de déclamation au jeune Hérode Atticus dans la maison de son père, le richissime Atticus, illustre les gains exceptionnels que le déclamateur pouvait retirer de son activité. Atticus, ravi de l’effet miraculeux de l’exemple de Scopélien sur l’éloquence de son fils, lui octroya quinze talents, auxquels Hérode, dans sa générosité et son admiration pour le sophiste, ajouta à nouveau quinze talents, soit une somme totale de 180 000 drachmes. Scopélien fut plus sensible au compliment d’Hérode qui lui attribua le titre de « maître » qu’à son argent, réaction qui distingue le sophiste pour qui la reconnaissance par l’élève du rôle joué par son maître dans ses succès

34 Philostrate commence sa biographie par l’énumération des nombreux hommes admirables que Chrestos a formés (VS, 591). Par ailleurs, si Chrestos avait, à l’instar de Proclus plus tard, perçu cent drachmes par étudiant, il aurait aisément gagné dix mille drachmes par an. 35 VS, 591-592 : διεβέβλητο δὲ μάλιστα πρὸς τοὺς ἀλαζόνας τῶν νέων καίτοι χρησιμωτέρους τῶν ἄλλων ὄντας ἐς τὰς ξυμβολὰς τοῦ μισθοῦ. « Il tançait particulièrement ceux des jeunes gens qui étaient vaniteux, bien qu’ils fussent plus avantageux que les autres pour leurs contributions à sa rémunération. » Il faut sans doute comprendre que la richesse est un facteur qui prédispose à la vanité les jeunes gens. 36 VS, 606 ; de même Apollonios de Naucratis, VS, 600. Voir aussi le grammairien Alexandre de Cotaieion selon le témoignage d’Aelius Aristide, or. 32, 16, et J.-L. Vix, L’enseignement de la rhétorique au iie s. ap. J.-C. à travers les discours 30-34 d’Aelius Aristide (Recherches sur les rhétoriques religieuses, 13), Turnhout, 2010, p. 392.

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vaut tous les salaires37. Cette gratification exceptionnelle relève peut-être autant du cadeau, dans un contexte d’hospitalité, que du salaire : elle est autant à l’honneur du mécène que du sophiste dont elle distingue le talent38. De même, mais dans des proportions plus raisonnables, le sophiste Damien, riche citoyen d’Éphèse, consacre à sa formation rhétorique des moyens conséquents : Ἀριστείδου γὰρ δὴ καὶ Ἀδριανοῦ κατειληφότοιν τοῦ μὲν τὴν Σμύρναν, τοῦ δὲ τὴν Ἔφεσον, ἠκροάσατο ἀμφοῖν ἐπὶ μυρίαις εἰπὼν πολλῷ ἥδιον ἐς τοιαῦτα δαπανᾶν παιδικὰ ἢ ἐς καλούς τε καὶ καλάς, ὥσπερ ἔνιοι. Lorsque Aristide et Hadrien dominaient l’un, Smyrne, l’autre, Éphèse, Damien fut l’étudiant des deux pour dix mille drachmes, et il disait qu’il lui était bien plus agréable de dépenser son argent pour de tels favoris, plutôt que pour de beaux jeunes gens et de belles jeunes filles, comme certains39. La somme versée aux deux sophistes vedettes des cités rivales de Smyrne et d’Éphèse ne correspond sans doute pas à un honoraire exigé par les deux enseignants mais est présentée comme une forme de faveur – comme on en fait à un éromène – et illustre la passion fort honorable de Damien pour l’éloquence. Même si ces dix mille drachmes constituent probablement le total des sommes versées par Damien à chacun des deux sophistes au cours des années où il les fréquenta pour sa formation et non un cachet exceptionnel, il n’est sans doute pas fortuit que le montant rappelle là encore le traitement annuel de la chaire de rhétorique d’Athènes, et signale ainsi la libéralité exceptionnelle d’un homme, présenté par ailleurs comme l’évergète de la cité d’Éphèse. Philostrate mentionne encore un autre cadre possible d’enseignement pour un sophiste, celui de professeur particulier d’une famille. Ce statut peut être éminemment prestigieux quand le ou les élèves sont des princes de la famille impériale, ce qui fut le cas pour Hérode Atticus, maître de rhétorique du jeune Marc Aurèle40, ou d’Antipater de Hiérapolis pour Caracalla et Geta41. Il apparaît en revanche comme infamant, quand le sophiste est réduit au statut de « salarié » au service d’une riche famille, qui le place dans un lien de dépendance et de subordination jugé humiliant. Lucien en a tracé un portrait féroce dans son pamphlet et Philostrate écarte la rumeur qui prêterait à Apollonios de Naucratis l’exercice temporaire d’un tel « servage » dans une famille de Macédoine, pas même aisée42. Seule la pauvreté pourrait, selon lui,

37 Cf. Libanios, Ep. 140 et Cribiore, The School of Libanius …, p. 183-184. Scopélien échappe également au reproche possible de cupidité et se distingue d’un « salarié » des grands. Le titre dont le salue Hérode est un hommage rendu à son talent. 38 Pour d’autres exemples de la générosité d’Hérode à l’égard de confrères sophistes, voir VS, 538-539 et VS, 574 commentés infra. 39 VS 605. 40 Histoire Auguste, Marc. 2, 4. 41 Philostrate, VS, 607. 42 Lucien, Hôtes à gages, 4. Philostrate, VS, 599 : καθάπτονται δὲ αὐτοῦ τινες καὶ τὸ σταλῆναι ἐς Μακεδονίαν μισθωτὸν οἰκίας οὐδὲ εὖ πραττούσης. Cf. Aelius Aristide, or. 3, 98-99 et or. 28, 127.

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justifier qu’un lettré se soumette à une activité si vile, or Apollonios était fortuné43. Il y avait donc des rhéteurs ou des sophistes de condition plus modeste qui pouvaient être tentés de louer leurs services à un particulier plus riche.

Honoraires ou droit d’entrée ? Les exemples précédents illustrent une situation d’enseignement régulier, même si le cas de Scopélien est un peu différent. Le sophiste, en effet, n’est pas à proprement parler le professeur attitré d’Hérode mais il lui donne, en quelque sorte, une leçon particulière de déclamation à domicile, lors de son passage à Athènes où il est l’hôte d’Atticus, comme Protagoras pouvait être l’hôte de Callias à l’époque classique. Peut-être Scopélien donna-t-il également des déclamations publiques à cette occasion44, et il est possible que les auditeurs aient dû s’acquitter d’une sorte de droit d’entrée, même si le témoignage de Philostrate est bien souvent ambigu à ce sujet et que la question fait débat45. Ainsi, le même Scopélien est loué par ailleurs par Philostrate pour sa philanthropie et sa générosité dans sa conduite de sophiste. τὰς δὲ μελέτας μισθοῦ μὲν ἐποιεῖτο, ὁ δὲ μισθὸς ἦν ἄλλος ἄλλου καὶ ὡς ἕκαστος οἴκου εἶχεν. Ses séances de déclamation étaient payantes, mais le montant variait selon les personnes et selon la fortune personnelle de chacun46. Si le terme μελέτη ne laisse aucun doute sur la nature de la prestation déclamatoire ainsi rétribuée, le vocabulaire employé par Philostrate pour désigner l’auditoire du sophiste est en revanche particulièrement vague, ce qui peut interroger sur l’identité

43 Pour des exemples de notables qui, après un revers de fortune, deviennent professeurs, voir Pline le Jeune, Ep. IV, 11, 1 et Dion Chrysostome or. XLVI, 3 (son grand-père maternel, ruiné par sa libéralité envers la cité, reconstitue sa fortune notamment grâce à sa paideia, expression ambigüe qui peut suggérer l’enseignement). Pour d’autres références, Wolff, L’éducation dans le monde romain, p. 118. 44 Les prestations oratoires d’un sophiste interviennent dans différents cadres : celui du cours, qui peut se tenir dans un lieu public et auquel se joint occasionnellement un auditeur qui n’est pas un étudiant (voir VS, 618 : Hippodromos de Thessalie qui assiste au cours de Mégistias de Smyrne dans un temple de la cité) ; celui d’une conférence publique devant un large auditoire (ainsi Alexandre de Séleucie déclamant à l’Odéon d’Agrippa à Athènes, VS, 574) ; ou dans un cadre privé, devant un protecteur ou un cercle de connaisseurs comme Scopélien chez Atticus ou Aelius Aristide à Cyzique (or. 51, 48, cf. F. Robert, Les œuvres perdues d’Aelius Aristide. Fragments et témoignages, Paris, 2012, p. 613-614). Voir G. Anderson, « The pepaideumenos in Action : Sophists and their outlook in the early Empire », ANRW, II, 33, 1, 1989, p. 90. 45 M. Korenjak, Publikum und Redner. Ihre Interaktion in der sophistischen Rhetorik der Kaiserzeit (Zêtêmata 104), Munich, 2000, p. 34-35 et note 86, est très dubitatif quant au caractère payant de ces prestations publiques, au vu du peu d’informations certaines dans les sources. Pour la position inverse, voir E. Watts, City and school in Late Antique Athens and Alexandria, Londres, 2006, p. 30 et 32. La pratique se rencontre chez les sophistes d’époque classique, cf. Platon, Hippias majeur, 282 b-c et aussi Diogène Laërce, IX, 50, à propos de Prodicos et de Protagoras, ce que Philostrate a bien à l’esprit (VS, 483 : τοῦ λόγου ἔμμισθον ἐπίδειξιν ἐποιεῖτο Πρόδικος περιφοιτῶν τὰ ἄστη). 46 VS, 519.

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des bénéficiaires de la générosité de Scopélien. Cependant le cadre des déclamations ici évoquées paraît plus large que celui d’une séance donnée lors d’un cours, et renvoie plutôt à une occasion publique. Philostrate, en effet, décrit dans le même passage la conduite de Scopélien à l’assemblée, au tribunal et dans le contexte de la déclamation afin de mettre en avant ses qualités oratoires et humaines. L’évocation successive de ces trois circonstances, représentatives de trois genres d’éloquence (délibérative, judiciaire et sophistique), et qui sont emblématiques des fonctions d’orateur remplies par le sophiste, suggère que le cadre de la séance de déclamation est lui aussi public. Philostrate insiste en outre sur l’aisance de Scopélien quand il s’apprête à déclamer devant son auditoire : « Il s’avançait devant eux, sans afficher ni dédain ni arrogance, ni non plus à la façon de ceux qui éprouvent de la crainte, mais avec l’air qui était naturel pour qui va engager la lutte pour sa propre gloire tout en étant assuré de ne pas tomber »47. Les enjeux indiqués (la renommée du sophiste) et le risque encouru (l’échec et le discrédit) se comprennent mieux dans un contexte d’epideixis devant un auditoire qui n’est pas composé de ses seuls élèves. Ce passage témoigne donc, me semble-t-il, que les déclamations publiques des sophistes étaient soumises à un droit d’entrée mais que le sophiste pouvait décider pour différentes raisons de donner une prestation gratuite (par libéralité, par souci de se distinguer du commun des sophistes, etc.)48. De manière générale, il est souvent difficile de faire la distinction entre les situations et de préciser la circonstance et le statut de l’auditeur. L’enseignement du sophiste est en effet centré sur la pratique de la déclamation devant ses élèves49, et donc l’élève paie d’abord pour entendre le maître déclamer, comme le montrent la formule Τὰ δὲ τῆς μελέτης πάτρια et le verbe ἀκροᾶσθαι à propos de l’école de Proclus de Naucratis, précédemment évoquée : Τὰ δὲ τῆς μελέτης πάτρια τῷ ἀνδρὶ τούτῳ διέκειτο ὧδε· ἑκατὸν δραχμὰς ἅπαξ καταβαλόντι ἐξῆν ἀκροᾶσθαι τὸν ἀεὶ χρόνον. ἦν δὲ αὐτῷ καὶ θήκη βιβλίων ἐπὶ τῆς οἰκίας, ὧν μετῆν τοῖς ξυλλεγομένοις ἐς τὸ πλήρωμα τῆς ἀκροάσεως. Cet homme avait établi les règles concernant la déclamation de la façon suivante : il suffisait de payer une seule fois la somme de 100 drachmes pour être autorisé

47 VS, 519 : παρῄει τε ἐς αὐτοὺς οὔθ’ ὑπερφρονῶν καὶ σεσοβημένος, οὔθ’ ὥσπερ οἱ δεδιότες, ἀλλ’ ὡς εἰκὸς ἦν τὸν ἀγωνιῶντα μὲν ὑπὲρ τῆς ἑαυτοῦ δόξης, θαρροῦντα δὲ τῷ μὴ ἂν σφαλῆναι. On notera encore que la même expression παρῄει ἐς τοὺς δήμους/παρῄει εἰς αὐτοὺς est utilisée dans ce passage pour désigner « l’entrée en scène » de Scopélien à l’assemblée et devant l’auditoire de la déclamation. 48 L’étrange règle introduite par un dénommé Varus pour les auditeurs de ses déclamations confirmerait la pratique d’un droit d’entrée pour ces séances publiques (Philostrate, VS, 540-541). Le jeune et riche Varus était un très mauvais déclamateur ; pour s’assurer un public, il ajoutait aux intérêts déjà payés par ses débiteurs leur participation comme auditeur. L’anecdote prend tout son sel si Varus inverse la règle habituelle : non seulement il ne fait pas payer ses auditeurs, mais le prix d’entrée est défalqué de leur dette. 49 La situation était sans doute très variable d’un rhéteur à un autre, mais il n’en demeure pas moins que la déclamation était le couronnement de cet enseignement, et l’exercice le plus prestigieux puisqu’il pouvait échapper au cadre scolaire pour donner lieu à une performance-spectacle. Voir Vix, L’enseignement de la rhétorique au iie siècle ap. J.-C…, p. 340-341.

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à l’entendre pour toujours. Il avait également une bibliothèque dans sa maison, à laquelle avaient accès les inscrits en complément de la séance50. Le système du forfait mis en place par Proclus laisse entendre que ce n’était pas la règle habituelle, et que l’auditeur désireux d’écouter un sophiste déclamer devait s’acquitter d’un droit d’entrée, peut-être bien à chaque séance51. Le forfait fait donc basculer du statut d’auditeur occasionnel à celui d’étudiant de Proclus. Une difficulté supplémentaire tient à l’ambiguïté de la famille lexicale du verbe ἀκροάομαι, et des substantifs ἀκροατής et ἀκρόασις. Ces termes, très fréquents chez Philostrate, sont employés aussi bien dans leur sens premier que dans leur sens dérivé : un ἀκροατής peut être un simple auditeur ou un élève52 ; de même, le nom ἀκρόασις renvoie dans la majorité des occurrences à la démonstration oratoire d’un sophiste, soit dans le cadre d’un enseignement soit dans le cadre d’une prestation publique ouverte à tous53, et elle consiste le plus souvent chez Philostrate en une déclamation. L’expression μισθὸς τῆς ἀκροάσεως semble donc a priori désigner le droit d’entrée ou l’honoraire perçu par le sophiste auprès de ses élèves ou de ses auditeurs pour l’entendre déclamer ou discourir54.

50 VS, 604 51 Ce paiement à la séance est attesté dès la première sophistique, cf. Platon, Cratyle, 384b. Diogène Laërce, IV, 38. 52 Le sens d’élève est prédominant dans les Vies des sophistes (22 sur 31 occurrences), avec une expression récurrente « un tel, ayant été l’akroatès de tel sophiste », voir aussi VS, 620 : οὗ διδάσκαλον ἢ ἀκροατὴν τί ἂν γράφοιμι, τί δ’ ἂν φράζοιμι, εὖ γιγνώσκων, ὅτι μήτ’ ἂν τοιαῦτα διδάξειέ τις καὶ τοῖς μεμαθηκόσιν ὄνειδος τὸ τοιούτων ἠκροᾶσθαι ; « À quoi bon citer un maître ou un étudiant de cet homme (Varus de Laodicée) ? À quoi bon en parler ? Je sais bien que personne n’aurait pu enseigner un tel modèle oratoire et que l’avoir écouté serait un sujet de honte pour ses élèves. » Philostrate emploie également régulièrement le terme γνωριμός (13 occurrences), dans le sens d’élève. La différence entre les deux termes n’est pas évidente, γνωριμός insiste sur le rapport familier entre le maître et son ou ses élèves, celui d’ἀκροατής est plus général et renvoie davantage à la transmission (ou non) de l’art oratoire par le modèle qu’offre le sophiste quand il prononce un discours. ἀκροατής est donné comme un synonyme de μαθητής par Pollux dans sa notice sur le mot σοφιστής (Onomasticon, IV, 44). 53 Ainsi en VS, 578, Philagros de Cilicie, de passage à Athènes, interdit à Amphiclès de Chalcis, un élève d’Hérode Atticus, de venir assister aux akroaseis qu’il va donner à l’Odéon d’Agrippa. Toujours dans le même cadre grandiose, Alexandre de Séleucie donne son akroasis devant un public mixte, ce sont les « Athéniens » mais aussi les étudiants d’Hérode qui, sur la demande d’Alexandre, viennent l’entendre avec leur maître (VS, 571). 54 Honoraires dont Lollianos et Damien d’Ephèse dispensent leurs étudiants VS, 526 et 606. En VS, 537-538, l’expression désigne la somme prodigieuse versée par Hérode Atticus au sophiste Polémon de Laodicée, en rétribution des déclamations entendues au cours de trois jours d’epideixis. Le terme ἐπίδειξις renvoie le plus souvent à une exhibition oratoire devant un auditoire élargi, cf. VS, 535, 579, 611, 618. Un autre exemple d’auditeur de marque, dont Polémon tire un cachet exceptionnel, est celui d’un roi du Bosphore venu à Smyrne tout exprès pour lui, et qui dut, selon Philostrate, lui offrir d’emblée dix talents pour persuader le sophiste de déclamer (VS, 535 : μισθοῦ δέκα τάλαντα). À la différence d’autres sources, Philostrate n’emploie jamais le terme σύνταξις pour désigner le salaire d’un sophiste.

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Cadeaux et privilèges Les sophistes les plus talentueux pouvaient recevoir en outre des cadeaux magnifiques, témoignant par exemple de l’admiration d’un auditeur fortuné lors d’une séance de déclamation dans un cadre public. Les sommes mirifiques versées par Hérode Atticus à des sophistes sont mentionnées à plusieurs reprises par Philostrate. Leur statut, on l’a vu, peut être ambigu, honoraire versé en contrepartie d’une leçon/epideixis de déclamation, ou gratification rendant hommage au talent du sophiste écouté. Ainsi, dans le cas de Polémon, Hérode lui avait d’abord fait porter 150 000 drachmes à titre de « salaire de la séance » que Polémon refusa ; sur les conseils d’un ami, Hérode y ajouta 100 000 supplémentaires et Polémon accepta la somme totale de 250 000 drachmes. Le refus de Polémon montre à l’évidence qu’il n’avait pas besoin d’être payé pour l’exercice de son activité mais qu’il exigeait une reconnaissance à la fois de son rang social et de son talent et non un « salaire » si généreux puisse-t-il paraître55. Polémon avait peut-être eu connaissance également des sommes données à Scopélien et entendait sans doute ne pas être moins bien traité. Hérode se montra plus généreux encore à l’égard d’Alexandre de Séleucie, suite à la déclamation publique de ce dernier lors de son passage à Athènes, en lui faisant don de vingt talents d’or, auxquels s’ajoutèrent de nombreux cadeaux en nature, tels des chevaux, des vases, mais aussi des esclaves56. L’étendue de la libéralité d’Hérode Atticus est exceptionnelle et égale les bienfaits impériaux, cependant seul l’empereur peut ajouter aux dons (δῶρα) des privilèges (δώρεαι), qui n’étaient pas tous purement honorifiques57. Parmi eux, l’exemption de charges était particulièrement intéressante, parce qu’elle permettait au bénéficiaire d’échapper à des liturgies fort coûteuses58.

55 La somme de 250 000 drachmes revêt en effet aussi un caractère symbolique puisqu’elle correspond au montant du cens sénatorial. Voir l’analyse de T. Schmitz, « Professionals of paideia ? The sophists as performers », dans D. S. Richter et W. A. Johnson (eds), The Oxford Handbook of the Second Sophistic, 2017, p. 173 et également Schmitz, Bildung und Macht…, p. 60. 56 VS, 574. Plus modestement, il était usuel que les élèves apportent des cadeaux au professeur soit en place des honoraires, soit en sus. Cf. Cribiore, The school of Libanius…, p. 188-189. 57 Philostrate fait souvent mention de cadeaux ou de privilèges reçus par un sophiste de la part d’un empereur (générosité usuelle, VS, 520) et expose en VS, 589 la distinction entre les deux termes qu’il illustre par les exemples suivants : pensions (σιτήσεις), places d’honneur (προεδρίαι), exemptions (ἀτέλειαι) et prêtrises (τὸ ἱερᾶσθαι) pour les privilèges ; or, argent, chevaux, esclaves pour les dons. 58 Philostrate, VS, 601 (Héracleidès), 623 (Philiscos de Thessalie et Philostrate de Lemnos) et l’exemple de Rufinus de Smyrne (IK 24.II.1, 602 = Puech no 234 avec commentaire p. 439-442). Ce privilège, qui était octroyé également à d’autres enseignants, tels les grammairiens, pouvait faire l’objet de subtiles négociations avec les cités d’exercice ou d’origine des sophistes ; voir également les efforts répétés d’Aelius Aristide pour obtenir une telle exemption et échapper aux liturgies successives auxquelles il fut nommé (Discours sacrés, IV, 63-108).

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Autres sources de revenus Si de nombreux sophistes cherchaient à obtenir le privilège de l’exemption au sein de leur cité d’exercice, c’est parce que beaucoup d’entre eux étaient sollicités pour remplir des magistratures ou des liturgies, dont le financement reposait principalement sur leur propre fortune. Ces charges attestent leur appartenance à la classe des notables, membres du conseil de la boulè. Les sophistes, soit par leur fortune familiale soit par celle qu’ils s’étaient acquise grâce à leur activité, jouissaient donc d’une certaine aisance voire même pour quelques-uns d’une richesse remarquable. Philostrate ne mentionne pas systématiquement l’origine sociale des sophistes qu’il dépeint, soit qu’il n’ait pas d’informations à ce sujet soit qu’il ne juge pas utile d’en parler – sans doute parce que leur condition sociale ne se distingue ni par son élévation exceptionnelle ni au contraire par sa bassesse59. En effet, lorsqu’il fait état de cette condition, c’est pour souligner le caractère illustre de la famille ou, beaucoup plus rarement, son obscurité. Ainsi le père de Secundus, qui fut un des maîtres d’Hérode Atticus, était charpentier. Les jeux de mots que suscite son origine, et notamment la réécriture parodique d’un vers fameux d’Hésiode, justifient sans doute la mention qu’en fait Philostrate mais son exemple, tout en attestant les préjugés de classe, témoigne aussi de la possibilité d’une forme d’ascension sociale60. Plusieurs critères, qui peuvent d’ailleurs se conjuguer, marquent à l’inverse la distinction sociale initiale : l’ancienneté aristocratique de la famille (Marc de Byzance61), son intégration dans la notabilité romaine (famille de consulaires, tels Aristoclès de Pergame, Antiochos d’Aigeai ou Rufus de Périnthe), les magistratures provinciales remarquables remplies dans la famille, notamment celle de grand-prêtre du culte impérial (Scopélien, Evodianos de Smyrne, Héracleidès de Lycie) ou de manière plus floue la position de pouvoir exercée dans la cité d’origine (Varus de Pergè62), enfin la richesse qui en est souvent le corollaire et les évergésies qui la manifestent

59 Dans l’épître dédicatoire (479), Philostrate prévient qu’il ne fera mention du père d’un sophiste que lorsqu’il appartient aux gens de renom (πατέρας δ’ οὐ προσέγραψα, μὰ Δία, οὐ πᾶσιν, ἀλλὰ τοῖς ἀπ’ εὐδοκίμων). Bowersock (Greek Sophists, p. 21-22), relève les noms de Secundus, Quirinus de Nicomédie et Apollonios de Naucratis comme exemples de sophistes d’extraction plus basse mentionnés par Philostrate ; Bowie (« The importance of sophists », p. 54) relativise la modestie de condition des deux derniers. Je partage sa prudence d’analyse. 60 VS, 543. Hérode humilie Secundus en réduisant ce dernier à la condition de charpentier qu’il oppose à la noble qualité d’orateur que lui-même revendique pour sa seule personne. On ignore toutefois complètement la réalité sociale exacte que recouvre ce terme dans le cas de Secundus. Le mépris traditionnel pour les activités artisanales par opposition à la richesse foncière d’une part et au lustre de l’activité intellectuelle de l’autre peut amener à exagérer la médiocrité de la condition de celui-ci. De même, Lucien de Samosate insiste volontairement sur la modestie de sa famille quand il se décrit comme destiné à apprendre le métier de sculpteur (Le songe, 1-2 et 9). 61 La famille de Marc de Byzance faisait remonter ses origines au héros fondateur de la cité Byzas (VS, 528), cf. M. Dana, « Peut-on être sophiste dans le Pont-Euxin ? Philosophie, rhétorique et périphérie », dans ce volume, p. 115. 62 VS, 576 : ἀνὴρ ἐν τοῖς δυνατωτάτοις τῶν Περγαίων.

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(Nicétès, Damien d’Éphèse)63. Les inscriptions réunies par B. Puech complètent certaines notices de Philostrate en révélant les charges assurées par un sophiste et parfois déjà par ses ancêtres64. Même si ce sont ces élites sociales et culturelles qui intéressent Philostrate, parce qu’elles parent le titre de sophiste du prestige non seulement de leurs succès oratoires mais aussi du lustre de leur mode de vie, son œuvre laisse deviner la possibilité de carrières plus modestes ou des milieux d’origine moins élevés. Certes, leurs élèves devaient de manière générale eux-mêmes être issus de familles suffisamment riches pour pourvoir à des frais d’étude65, toutefois, la générosité des professeurs à l’égard d’étudiants plus démunis, sur laquelle insiste à plusieurs reprises Philostrate66, montre également que des familles moins favorisées pouvaient pousser leur fils à suivre cet enseignement sans doute dans l’espoir de les faire accéder à un statut social plus élevé, comme celui d’enseignant ou celui d’avocat67. Dans la biographie qu’il consacre à Quirinus de Nicomédie, Philostrate constate d’emblée la médiocrité de sa famille, qui « n’est ni estimable ni non plus méprisable » (γένος δὲ οὔτε εὐδόκιμον οὔτε αὖ κατεγνωσμένον), pour souligner ensuite les qualités intellectuelles naturelles de cet homme qui lui permettent de devenir sophiste mais surtout avocat du fisc, fonction à laquelle il est promu par un empereur, en reconnaissance de ses talents dans l’éloquence judiciaire68.

63 Philostrate, en revanche, ne met guère en valeur les familles d’enseignants, dont on a cependant quelques exemples. Ainsi, le père du sophiste Pollux de Naucratis était un kritikos (VS, 592), c’est-à-dire un grammaticos ; la carrière de Pollux témoigne d’une élévation sociale (le sophiste, de manière générale, est mieux considéré que le grammaticos et mieux payé et Pollux obtint de Commode la chaire de rhétorique d’Athènes). De même, les sophistes Phénix de Thessalie et son frère Phylax eurent pour maître leur propre père, lui aussi sophiste (Puech no 3, p. 44-45). Le biographe note plus souvent l’absence totale de talent chez le fils d’un sophiste et préfère relever les filiations stylistiques entre différents sophistes. 64 Ainsi pour Denys de Milet, dont une inscription de Milet (I. Milet I, 7, no 231) atteste qu’il y fut archonte sans doute avec l’un de ses parents (cf. S. Follet, « Dionysios de Milet », DPhA, no 182, p. 866), tandis que la base de sa statue à Éphèse (I.Ephes. 3047 = Puech no 98, avec commentaire p. 230-231) confirme l’exercice d’une procuratèle (VS, 524). Beaucoup d’inscriptions répertoriées par B. Puech sur des sophistes mentionnent également au moins une charge dont ils se sont acquittés. Voir par exemple le cas de Claudius Aurelius Zelos à Aphrodisias, orateur et sophiste, grand-prêtre, trésorier, néope, fondateur, fils de grand-prêtre. (Orateurs et sophistes…, no 260, p. 471-472). 65 VS, 518, 526, 531, 613. Les statues élevées par des élèves à leur maître attestent également d’un certain niveau social, voir la liste des étudiants de Sôtèros à Éphèse (Puech, Orateurs et sophistes…p. 457), et les statues de Lollianos et Théodotos à Athènes (Puech, p. 327-328, no 149 et p. 462, no 251), ou de Phénix de Thessalie à Delphes (Puech, p. 384, no 204). 66 La récurrence de ces mentions d’étudiants en difficulté démontre que la présence de tels élèves au sein d’un groupe, même si leur proportion demeurait minoritaire, n’en était pas moins habituelle. 67 La documentation sur cette catégorie très modeste est plus abondante pour le ive siècle, grâce au témoignage de la correspondance de Libanios notamment. Voir également l’épigramme dédicatoire que Gaudentios a fait graver sur le tombeau de ses parents, signalant sa fierté d’avoir pu ériger le monument grâce aux gains réalisés dans son activité d’avocat (IGR, III, 2017 = Puech, no 118 ) ; cet homme serait justement à identifier avec l’un des assistants de Libanios à Antioche (Libanios, Ep. 543 et commentaire de l’inscription par B. Puech, p. 261-262). 68 VS, 621. Comme le note B. Puech (Orateurs et sophistes…, p. 28 et p. 272), la fonction d’avocat du fisc marquait souvent le début d’une carrière équestre.

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Les sophistes pouvaient exercer en parallèle de leur enseignement et de leurs conférences l’activité d’avocat69, et retirer de celle-ci un profit pécuniaire complémentaire. Philostrate fait état de cette activité professionnelle pour plusieurs sophistes qui, tout en se distinguant par ailleurs par leur fortune familiale, n’ont pas dédaigné la pratique judiciaire70. Même si on pouvait se spécialiser dans l’un ou l’autre domaine professionnel71, les témoignages montrent qu’il devait être courant qu’un sophiste s’adonne, au moins ponctuellement, à des plaidoiries pour des clients privés et il faut donc ajouter cette source de revenus à ceux qu’il retirait de son enseignement72. Proclus de Naucratis offre un exemple plus singulier d’activité économique parallèle à la carrière d’un sophiste, et qui lui procurait apparemment plus de richesses que les honoraires perçus auprès de ses étudiants. Mettant à profit ses connexions avec l’Égypte, il pratiquait le commerce d’import-export à Athènes où il s’était installé et possédait plusieurs maisons en Attique73. Son cas n’était peut-être pas si isolé qu’il y paraît et le soin que prend Philostrate pour exclure de ses activités celle du prêt à usure, suggère qu’il appartient à la catégorie des hommes d’affaires qui pouvaient s’y adonner74. Le père de Marc de Byzance, dont la famille s’enorgueillissait de sa généalogie héroïque, avait des esclaves pêcheurs dans la cité de Hiéron, sur l’autre rive du Bosphore. Pour que Philostrate en fasse mention (VS, 528), c’est qu’il s’agissait d’une activité économique importante, qui n’excluait sans doute pas la possession plus traditionnelle de domaines fonciers. La fortune d’Hippodromos de Thessalie reposait assurément sur cette assise terrienne. Son choix de renoncer à la chaire de rhétorique d’Athènes pour revenir s’occuper de ses domaines, montre clairement que les 10 000 drachmes annuelles de traitement attaché à ce poste étaient sans commune

69 Ainsi Lollianos, dont Philostrate n’indique pas l’activité d’avocat, s’enorgueillit de son excellence dans les deux domaines sur la base de statue élevée par ses élèves (IG II2 4211 = Puech, no 149, p. 327). 70 Nicétès (VS, 511), Scopélien (519), Polémon qui se fait payer deux talents (12.000 drachmes !) pour une unique plaidoirie (524-525), Théodotos (566), Ptolémée de Naucratis (595), Damien d’Ephèse (606), Philostrate de Lemnos (628). Alexandre de Séleucie était fils d’un avocat, peut-être pratiqua-t-il lui-même cette activité au début de sa carrière même si Philostrate n’en dit rien (VS, 570). Cette pratique doit aussi être partagée par ceux dont Philostrate note l’aisance dans l’éloquence judiciaire en comparaison de leur talent dans l’éloquence « sophistique » : Hadrien de Tyr (588), Apollonios d’Athènes (600 ; confirmé par une inscription d’Éleusis (IG II2 3811 = Puech, no 21, et p. 102), Quirinus de Nicomédie (621). 71 Philostrate distingue les rhetores des sophistai mentionnés parmi les élèves de Chrestos de Byzance, VS, 591 : Nicomèdès de Pergame, Aquila d’Ancyre, Aristainetos de Byzance, tous trois également connus par des inscriptions, notamment Aristainetos pour son plaidoyer de défense d’un publicain contre les accusations de la cité de Goharia (Puech, no 35, p. 131-134). Un sophiste pouvait s’illustrer dans la défense des intérêts de sa cité (par exemple Polémon, VS, 539 ou Héliodore, VS, 625) et recueillir, en récompense, les honneurs décernés par celle-ci (Hermocratès de Phocée, I. Askl., 34 = Puech no 138) ; il s’agit aussi d’une activité judiciaire, mais au service de la cité, relevant d’une fonction publique et sans doute non rétribuée. Le titre de ῥήτωρ est de ce fait ambigu car il peut recouvrer ces deux catégories d’avocat. 72 Lucien présente ses doubles fictifs à la fois comme des orateurs judiciaires et des sophistes déclamateurs (Le pêcheur, 25 ; La double accusation, 32). Dion de Pruse (or. XXII, 1) distingue avec mépris la catégorie des philosophes de celle des orateurs/avocats, mus par le lucre. 73 VS, 603. 74 Philostrate s’attache à souligner son absence de cupidité et d’âpreté au gain.

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mesure avec les rentes fournies par ses biens75. Même si le cas d’Hippodromos est emblématique des riches sophistes présentés par Philostrate, il ne constitue pas nécessairement la norme ni l’étalon d’une catégorie socialement plus hétérogène. Il ne faut pas non plus minimiser l’enrichissement relatif que pouvait offrir l’activité de sophiste, ni surtout la fierté que les sophistes tiraient du prestige et du succès socio-économique que leur valait leur activité. Ainsi – et cet exemple conclura cette étude – Héracleidès de Lycie, dont la fortune globale reposait probablement sur d’autres sources76, était fier d’avoir acquis à Smyrne, sur le gain de ses leçons/ conférences, un domaine d’une valeur de dix talents (60 000 drachmes), qu’il avait de ce fait baptisé du nom de « Rhétorique »77. La rémunération des sophistes est abordée par Philostrate comme un élément qui permet de valoriser le portrait de ces intellectuels. Son entreprise, dans les Vies, est en effet le plus souvent encomiastique. Parler de leurs honoraires lui permet de célébrer des vertus topiques comme la générosité et la philanthropie à l’égard de leurs étudiants. Cependant, si le sophiste ne doit pas passer pour cupide, l’exigence d’une rémunération pour son enseignement est donnée comme légitime et naturelle. Philostrate ne mentionne d’ailleurs aucun sophiste qui se serait refusé, par principe, à faire payer ses étudiants. L’attitude d’un Aelius Aristide, qui répète à plusieurs reprises dans ses discours qu’il s’est toujours refusé à toucher de l’argent pour son éloquence, paraît donc marginale et se veut assurément distinctive78. Les cachets très élevés sont une reconnaissance de la valeur exceptionnelle du sophiste ainsi honoré, mais aussi une façon, pour Philostrate, d’affirmer le prestige dont bénéficient plus largement l’éloquence et les sophistes dans la société contemporaine. Dispenser en largesses culturelles sa fortune, comme le font Hérode Atticus ou Damien d’Éphèse, c’est afficher son identité de pepaideumenos et d’évergète au même titre que la restauration ou l’édification d’un théâtre ou d’un gymnase79. Cette perspective conduit certes Philostrate à privilégier l’exemple des sophistes les plus éminents et à négliger les plus modestes, mais sa description n’en dessine pas moins un tableau aux détails précieux, bien que partiels, sur les modalités de rémunération de leur activité rhétorique et sur la diversité des revenus constitutifs de leur fortune. Anne-Marie Favreau-Linder Université Clermont-Auvergne, Laboratoire du CELIS

75 VS, 618. 76 Héracleidès fut en Lycie grand-prêtre du koinon, liturgie coûteuse ; à Smyrne, il offrit dans le gymnase d’Asclépios une fontaine à huile au toit doré ; à sa mort, le domaine de Rhétorique n’est qu’un des biens légués par le sophiste à sa fille et à ses affranchis. 77 VS, 615 : ἐωνημένον ἐκ τῶν ἀκροάσεων. 78 Aristide se veut orateur plus que sophiste, titre et activité qui, dans son esprit, continuent à prêter le flanc aux critiques que Platon adressait aux sophistes de son temps. 79 Philostrate présente d’ailleurs également comme un évergète le sophiste qui s’établit dans une cité : il contribue au rayonnement culturel et économique de celle-ci (VS 613) et cette aura culturelle est comparable à sa parure architecturale (VS 511).

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Chaires municipales, chaires impériales Ascension sociale et mobilité géographique des titulaires des chaires athéniennes*

Les passeurs de culture de l’Antiquité, qu’ils soient philosophes, professeurs de rhétorique, ou encore médecins ou artistes, sont particulièrement connus pour leur mobilité géographique1. C’est même un lieu commun, déjà maintes fois répété par les auteurs anciens dès l’époque hellénistique, que de rappeler que les grands centres de culture, à commencer par Athènes, Alexandrie ou Rhodes, vivaient essentiellement grâce à la venue de très nombreux maîtres étrangers qui avaient fait le choix de quitter leur patrie pour s’y installer2. La réputation des lieux, l’assurance d’y trouver non seulement un accueil favorable mais aussi un public nombreux et réceptif constituaient sans aucun doute autant de motivations à cette mobilité. Les mêmes textes qui la mettent en avant insistent aussi sur une autre particularité bien





* Ce travail a bénéficié du soutien du LabEx ArcHiMedE, au titre du programme « Investissement d’Avenir » ANR-11-LABX-0032-01. 1 Sur cette mobilité géographique, voir pour les philosophes, É. Perrin-Saminadayar, Éducation, culture et société à Athènes. Les acteurs de la vie culturelle athénienne (229-88) : un tout petit monde, Paris, 2007, p. 104-107, p. 122-130 et p. 551-557 ; pour les médecins : P. Roesch, « Médecins publics dans les cités grecques à l’époque hellénistique », dans Archéologie et médecine. viie rencontres internationales d’archéologie et d’histoire, Antibes 1986, Juan-les-Pins, 1987, p. 57-67 et N. Massar, Soigner et servir. Histoire sociale et culturelle de la médecine grecque à l’époque hellénistique, Paris, 2005, p. 123-170 ; pour les athlètes ou les artistes, voir récemment O. M. Van Nijf, « Global players : Athletes and performers in the Hellenistic and the Roman world », dans I. Nielsen (éd.), Between cult and society. The cosmopolitan centres of the ancient Mediterranean as setting for activities of religious associations and religious communities, Hambourg, 2006, p. 225-236 et Id., « Athlètes et artistes comme médiateurs politiques et culturels », dans A. Gangloff (éd.), Médiateurs culturels et politiques dans l’empire romain, Paris, 2011, p. 71-79 ; pour les sophistes à l’époque impériale, G. Anderson, « The pepaideumenos in action : sophists and their outlook in the Early Empire », ANRW II, 33.1, 1989, p. 79-208 et Id., The Second Sophistic : a cultural phenomenon in the Roman Empire, Londres et New York, 1993, p. 28-30. 2 Voir par exemple Athénée, Deipnosophistes, IV, 184c, qui rapporte comment les artistes, poètes, philosophes et musiciens, chassés d’Égypte par Ptolémée VII « Kakergète », contribuèrent à renforcer d’autres capitales culturelles en Grèce propre et dans les îles, alors que quelques générations plus tôt le succès d’Alexandrie comme centre culturel s’expliquait par la politique en sens exactement inverse des premiers souverains lagides. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 69-81 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121134

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connue de ces passeurs de culture, leur appât du gain, et expliquent cette mobilité par la recherche d’un profit social et/ou financier3. Les deux notions de « carrière professorale » et de « mobilité sociale » constituent des objets d’étude privilégiés de la sociologie contemporaine, tout particulièrement en France, où depuis le xixe siècle, le monde scolaire et universitaire, celui des élèves comme celui des maîtres, est présenté comme le moteur d’un « ascenseur social », fonctionnant aussi bien au profit des seconds que des premiers4. Concernant les élèves, on sait que le discours public sur l’école républicaine, depuis le xixe siècle, a fortement mis en avant cette idée qui en a accompagné la création et l’histoire ; il reste encore très présent, malgré le retentissement du pavé dans la mare qu’a constitué le livre de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron5 en son temps et les débats récents qui dénoncent une société où l’ascenseur social est « en panne ». Pour ce qui est des maîtres, les discours syndicaux contemporains insistent depuis une quinzaine d’années sur une « prolétarisation » ou tout au moins sur un « appauvrissement » des enseignants en parallèle, alors que jusque-là la carrière professorale assurait ascension et prestige sociaux6. Une des questions que l’historien de l’Antiquité est en droit de se poser est de savoir si les notions de « carrière » et de « mobilité sociale » sont opérantes appliquées à une profession, celle d’enseignant, qui n’a pas toujours été regardée comme une profession dans l’Antiquité, et alors que ces notions n’ont pas été théorisées. Est-ce que l’exercice effectif du métier donnait accès à une position

3 Plutarque, Moralia, 605 b (De l’exil), est bien le seul à justifier cette mobilité par la recherche de la tranquillité (ἡσυχία), que l’on ne peut trouver dans sa patrie. Platon, au contraire, dans l’Hippias majeur, 281b-283b, établit un lien direct entre les voyages des sophistes et leur recherche du profit. On se souvient aussi de la comparaison que fait le même Platon (Sophiste, 231d, mais aussi Protagoras, 313d) entre le sophiste et un « marchand en gros de leçons intellectuelles » (ἔμπορός τις περὶ τὰ τῆς ψυχῆς μαθήματα), « un marchand de détail des mêmes marchandises » (περὶ αὐτὰ ταῦτα κάπηλος) ou « un fabriquant-vendeur » (αὐτοπώλης). À l’époque hellénistique, l’Index Academicorum offre plusieurs exemples de la concurrence que se livraient les philosophes à Athènes, dont certains furent contraints à quitter la cité pour fonder de nouvelles écoles et survivre. Sous l’Empire, la vénalité des philosophes est toujours un lieu commun que l’on retrouve chez Lucien, par exemple dans Le Pêcheur ou les Ressuscités, 34 et 47-48, ou dans l’Onirocritique d’Artémidore (cf. D. Kasprzyk, « Sophistes, philosophes, philologues dans les Oneirokritika d’Artémidore », dans C. Chandezon, J. Du Bouchet (éd.), Artémidore de Daldis et l’interprétation des rêves. Quatorze études, Paris, 2014, p. 281-312). 4 Sur le rôle de l’école, cf., entre autres, les synthèses récentes de P. Albertini, L’école en France, xixe-xxe siècle, de la maternelle à l’université, Paris, 1992, F. Mayeur, Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, 3, 1789-1930, Paris, 2004, et A. Prost Histoire générale de l’enseignement et de l’éducation en France, 4, Depuis 1930, Paris, 2004, et sur la mobilité sociale et géographique des professeurs : G. Vincent, « Les professeurs du second degré du début du siècle. Essai sur la mobilité sociale et la mobilité géographique », Le Mouvement social, 55, avril-juin 1966, p. 47-73 et Id., Les professeurs du second degré. Contribution à l’étude du corps enseignant, Paris, 1967. 5 P. Bourdieu, J.-C. Passeron, Les Héritiers. Les étudiants et la culture, Paris, 1964. 6 Ces débats, non sans une certaine nostalgie sur un passé révolu, sont désormais passés dans les travaux scientifiques sur l’histoire de l’enseignement : outre les ouvrages cités supra, voir la belle étude de Y. Verneuil, Les Agrégés, Histoire d’une exception française, Paris, 2005, sur les agrégés, où l’on trouvera toute la bibliographie afférente à ces questions.

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enviable dans la société et permettait de s’élever dans la hiérarchie sociale ? Si oui, y avait-il des étapes obligatoires dans cette ascension et quels étaient les éléments susceptibles de la favoriser ? En d’autres termes : a-t-on le droit de parler de carrière professorale et a fortiori de mobilité sociale à propos des maîtres de l’Antiquité ? La mobilité géographique qui caractérise le monde des maîtres en est-elle la conséquence ? Telles sont précisément les questions que la présente communication souhaiterait aborder. L’installation du pouvoir romain en mer Égée correspond à de profondes modifications dans les structures d’enseignement du monde grec, à la fois en raison de la disparition des écoles telles que l’époque hellénistique les avait vu fleurir autour de quelques pôles géographiques – Athènes, Alexandrie, Rhodes, Cos, etc. –, et à cause de la multiplication des chaires municipales dans tout l’Orient7 ; à cette situation correspondent une grande mobilité géographique des maîtres, comme de leurs élèves, et un certain élargissement du recrutement. Au iie siècle, la création de chaires impériales en Orient, à l’image de celles déjà créées à Rome sous Vespasien, et les interventions des empereurs philhellènes viennent une fois encore modifier le paysage très éclaté des lieux où est dispensé le savoir en se fondant sur une nouvelle hiérarchisation et en entraînant, de la part des maîtres, de nouvelles stratégies8. C’est précisément à partir de l’étude de ces stratégies que je souhaiterais essayer de répondre aux questions posées en commençant. Pour ce faire, il faut en bonne méthode passer bien évidemment par une longue enquête prosopographique, dont on livrera ici les premiers résultats concernant les détenteurs des chaires athéniennes. Le choix d’Athènes s’explique par plusieurs raisons : outre que dans les deux domaines sur lesquels nous sommes renseignés, l’éloquence et la philosophie, la réputation pluriséculaire de la cité en faisait un lieu de passage pour nombre de grands maîtres, c’est précisément à Athènes que Marc-Aurèle choisit de fonder à la fin du troisième quart du iie siècle des chaires impériales, c’est-à-dire dont les titulaires étaient payés sur le fisc impérial9. Cette situation nouvelle, qui plaçait Athènes un peu au-dessus des autres cités, engendra-t-elle de nouvelles formes de mobilités ? Qu’il s’agisse des sophistes ou des philosophes, le dossier documentaire dont on dispose s’appuie bien évidemment en premier lieu sur les informations que l’on peut recueillir chez Philostrate et Eunape10, ainsi que sur les éléments biographiques que l’on peut retrouver ou déduire des œuvres des sophistes eux-mêmes ou des remarques parfois acerbes de Lucien sur le comportement des philosophes. D’autre part, la documentation épigraphique, dont Bernadette Puech a réuni l’essentiel pour les sophistes dans un ouvrage qui a fait date, vient remarquablement compléter toutes

7 Sur ce nouveau contexte, voir H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, 1948, iie partie. 8 G. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969 ; S. Toulouse, « Les chaires impériales à Athènes aux iie et iiie siècles », dans H. Hugonnard-Roche (éd.), L’enseignement supérieur dans les mondes antiques et médiévaux. Aspects institutionnels, juridiques et pédagogiques, Paris, 2008, p. 127-174. 9 Sur la création des chaires impériales à Athènes, voir J. H. Oliver, Marcus Aurelius. Aspects of Civic and Cultural Policy in the East (Hesperia Suppl., 13), Princeton, 1970, p. 80-84, et P. Grimal, Marc-Aurèle, Paris, 1991, p. 160-161 et p. 227-228, et plus récemment, Toulouse, « Les chaires impériales… ». 10 Philostrate, Vies des sophistes (désormais VS) ; Eunape de Sardes, Vies de philosophes et de sophistes.

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ces données11. Mais il faut aussi signaler d’emblée les limites de cette documentation, qu’elle soit littéraire ou épigraphique, et partant de cette étude : comme souvent, celle-ci s’intéresse prioritairement à quelques « vedettes » et rejette dans l’ombre bien d’autres personnages. Mais là est précisément l’intérêt, puisque l’examen du parcours de ces vedettes est précisément ce dont nous avons besoin pour infirmer ou confirmer notre point de départ. Une quinzaine de sophistes ou de philosophes titulaires d’une des chaires athéniennes nous sont connus depuis l’accession de Lollianos à la chaire municipale de rhétorique (ce fut le premier, dit Philostrate12) jusqu’aux Sévères ; Lollianos fut sans doute suivi d’Hérode Atticus, mais c’est avec Théodotos en 174 que l’on tient le premier sophiste à être rémunéré sur le fisc impérial à Athènes : lui succèdent, d’après les travaux d’Ivars Avotins et, plus récemment, de Stéphane Toulouse, Hadrien de Tyr, Pollux, Pausanias, Héracleidès, Apollonios, Hippodromos, Philiscos, Cassianus Antiochos, Nicagoras13. Pour les philosophes, on connaît seulement deux péripatéticiens : Alexandre de Damas (sous Marc-Aurèle14) et Alexandre d’Aphrodisias (titulaire de la chaire municipale sous Septime Sévère15), mais tous les autres sont postérieurs à la période étudiée ici, notamment les philosophes platoniciens mentionnés par Porphyre citant Longin, Théodote et Eubule16. C’est étonnant, dans la mesure où il y avait quatre à huit fois plus de chaires de philosophie que de rhétorique17, mais on n’a pas la chance de disposer de l’équivalent de l’œuvre de Philostrate. Tous les cas ne sont pas également documentés, mais l’ensemble permet de suivre plusieurs pistes intéressantes. Commençons donc par un cas bien connu, celui d’Hadrien de Tyr, qui occupa la toute récente chaire impériale de rhétorique à Athènes au moment où Marc-Aurèle visita la cité et dont on a fait un véritable modèle d’ascension sociale et de carrière rectiligne. Né à Tyr en Phénicie, élève, à partir de l’âge de 18 ans, d’Hérode Atticus dans les années 130-140, il profita des relations de son maître avec Cn. Claudius Severus, consul en 167 et surtout gendre de Marc-Aurèle dont il avait épousé la

11 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002. 12 Philostrate, VS, I, 23 (526). 13 I. Avotins, « The Holders of the Chairs of Rhetoric at Athens », HSPh, 79, 1975, p. 313-324, et Toulouse, « Les chaires impériales… ». Les deux derniers ne figurent pas dans la liste d’Avotins (voir la discussion dans Toulouse, « Les chaires impériales… », p. 152-155). 14 Galien, De anatomicis administrationibus, II, p. 218, 6-7 Kühn, voir S. Follet, « Alexandros de Damas », DPhA, I, no 114, p. 140-142. 15 Titus Aurelius Alexandros, φιλόσοφος τῶν Ἀθήνησιν διαδόχων, honore son père, qui porte le même nom, dans sa patrie Aphrodisias vers 200 : SEG, liv, 1031 et AE, 2004, 1446. Sur ce philosophe, voir R. Goulet et M. Aouad, « Alexandros d’Aphrodisias », DPhA, I, no 112, p. 125-139. 16 Porphyre, Vie de Plotin, 15 et 20. 17 On a longtemps privilégié l’idée que Marc-Aurèle avait créé quatre chaires de philosophie à Athènes (une par école), alors que Lucien, L’Eunuque, 3, semble indiquer qu’il y en avait en fait huit, à raison de deux par école. Voir la démonstration de Toulouse, « Les chaires impériales… », p. 158-168, qui examine tous les éléments du débat et conclut qu’il n’y a pas de raison de mettre en doute le témoignage de Lucien.

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fille aînée18. Assez dilettante de caractère, après être passé, si l’on croit Lucien, par Antioche et Alexandrie, mais aussi Rome, où il suivit des conférences de Galien en compagnie de nombreux notables19, c’est seulement en 163 qu’il prononce à Olympie un discours qui le révèle comme sophiste20 : grâce à son protecteur, il obtient la chaire municipale d’Éphèse en 163 ou 164 où il s’installe21 ; il y dresse une statue (avec une épigramme) de son patron (προστάτης) en 168, le remerciant ouvertement pour sa protection (οὕνεκα προστασίης) à l’occasion du mariage du consulaire avec la fille du Prince22. C’est d’ailleurs à la protection de Severus, gendre de Marc Aurèle, autant qu’à la recommandation de son vieux maître Hérode Atticus, alors réconcilié avec le Prince, qu’Hadrien de Tyr dut son élévation à la chaire impériale athénienne, peu avant l’arrivée de Marc-Aurèle et de Commode à Athènes en 17623. La visite de l’empereur fut pour Hadrien une nouvelle opportunité remarquable dans sa carrière : à cette occasion, le Prince décida, poussé par Severus, une inspection des titulaires des chaires qu’il venait de créer dans la ville. Hadrien se tira fort bien de l’exercice imposé auquel il fut soumis et, rapporte Philostrate : ἀγασθεὶς δὲ αὐτὸν ὁ αὐτοκράτωρ ἐπὶ μέγα ἦρε δωρεαῖς τε καὶ δώροις. καλῶ δὲ δωρεὰς μὲν τάς τε σιτήσεις καὶ τὰς προεδρίας καὶ τὰς ἀτελείας καὶ τὸ ἱερᾶσθαι καὶ ὅσα ἄλλα λαμπρύνει ἄνδρας, δῶρα δὲ χρυσὸν ἄργυρον ἵππους ἀνδράποδα καὶ ὅσα ἑρμηνεύει πλοῦτον, ὧν αὐτόν τε ἐνέπλησε καὶ γένος τὸ ἐκείνου πάντας. L’empereur fut si ravi de l’entendre, qu’il le combla de privilèges et de présents ; j’entends par privilèges le droit à être nourri aux frais de l’État, la proédrie, l’atélie, les prêtrises et tout ce qui valorise les hommes ; par présents, j’entends l’or, l’argent, les chevaux, les esclaves, et tout ce qui montre la richesse. Or tous ces biens lui furent prodigués, ainsi qu’à toute sa famille24.

18 Philostrate, VS, II, 10 (585-586). Sur Cn. Claudius Severus, voir H. G. Pflaum, « Les gendres de Marc Aurèle », JS, 1961, [p. 28-41], p. 29-31 et H. Halfmann, Die Senatoren aus dem östlichen Teil des Imperium Romanum bis zum Ende des 2. Jh. N. Chr., Göttingen, 1979, no 101, p. 180-182. 19 Lucien, Pseudologiste, avec le commentaire de C. P. Jones, « Two Enemies of Lucian », GRBS, 13, 1972, p. 475-487 et Id., Culture and Society in Lucian, Cambridge (Mass.)-Londres, 1986, p. 110-115 ; cf. Puech, Orateurs et sophistes…, p. 287 ; M.-H. Quet, « Le sophiste M. Antonius Polémon de Laodicée, éminente personnalité politique de l’Asie romaine du iie siècle », dans M. Cébeillac-Gervasoni, L. Lamoine (éd.), Les élites et leurs facettes. Les élites locales dans le monde hellénistique et romain, Rome-Clermont-Ferrand, 2003, [p. 401-443], p. 404-405, n. 19. Galien, Sur le pronostic (Kühn, XIV, p. 626-629) montre Hadrien fréquentant à Rome un groupe d’aristocrates romains et de notables provinciaux originaires de la province d’Asie et au service de l’Empire, qui se retrouvent aux conférences que le médecin donna dans la Ville en 162/3. 20 Ces éléments biographiques se déduisent de la violente diatribe du Pseudologiste contre un sophiste « phénicien » dans lequel on a reconnu Hadrien (supra n. 17, et en dernier lieu Puech, Orateurs et sophistes…, p. 287). 21 Philostrate, VS, II, 23 (605) indique qu’Hadrien enseignait à Éphèse alors qu’Ælius Aristide enseignait à Smyrne. Le sophiste a dû y rencontrer Lucius Verus ; cf. Jones 1972, p. 482-484. 22 SEG xiii, 505. Cf. Puech, Orateurs et sophistes…, p. 284-287. La date de l’inscription est donnée par le titre d’ancien consul que porte l’honorandus. 23 Philostrate, VS, II, 10 (588-589). 24 Philostrate, VS, II, 10 (589), trad. É. Perrin-Saminadayar.

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Quelques années plus tard, en 178, le sophiste bénéficia d’une nouvelle promotion à Rome, où il fut appelé à la « chaire supérieure » (ὁ ἄνω θρόνος) : le texte de Philostrate ne dit pas quel empereur fut à l’origine de cette promotion, Marc-Aurèle ou Commode, mais l’un comme l’autre l’avaient écouté à Athènes25. Regrettant d’agir avec retard, Commode lui accorda une dernière marque d’honneur, lorsqu’il le nomma enfin ab epistulis, alors qu’Hadrien était malade et mourant, en 187 ou 18826. Belle carrière donc dont les étapes sont clairement marquées et où la chaire athénienne apparaît à la fois comme une récompense et comme un tremplin. Nombre de commentateurs ont remarqué que ce parcours n’était pas une exception : avant lui, Publius Hordeonius Lollianus avait également commencé à exercer ses talents à Éphèse, où sa famille avait fait souche depuis le ier siècle27. On y a retrouvé la base de la statue de sa fille, Hordeonia Pulchra, prêtresse et ordonnatrice, et l’inscription le mentionne bien comme sophiste28. Appelé à Athènes sur la chaire municipale, il fut intégré dans la tribu Hadrianis dont une liste de prytanes datée de 141/2 le présente comme le prêtre29 et Philostrate indique qu’il fut même stratège des hoplites, fonction politique des plus prestigieuses dans la cité athénienne. Celle-ci l’honora de plusieurs statues dont l’une fut érigée sur l’Agora et une autre sur l’Acropole30. Un autre titulaire de la chaire, Pausanias de Cappadoce, obtint lui aussi à la fin du iie siècle l’accès à la chaire de Rome après quelques années passées à Athènes31. Les rivalités entre sophistes pour obtenir les chaires – avec un certain nombre de coups bas dont se délectent Philostrate et Lucien32 –, l’attention que les empereurs ont toujours portée à la désignation des titulaires, le choix de Marc-Aurèle de confier à une assemblée de sages, la Gérousia sacrée, le soin d’examiner les candidatures, l’acharnement des titulaires à défendre leurs privilèges, tout cela témoigne de l’importance des enjeux dont chacun, autorités civiques, autorités impériales et aussi sophistes, avait parfaitement conscience. De là à en conclure qu’il existait bien une carrière, qui passant par la chaire athénienne conduisait dans la capitale de l’Empire 25 Philostrate, VS, II, 10 (589). Sur la date de cette promotion, voir S. Swain « The Promotion of Hadrian of Tyre and the Death of Herodes Atticus », CPh, 85, 1990, p. 214-216, qui rejette la date de 180 proposée par Avotins, « The Holders… », établissant un lien encore plus fort entre la visite impériale et la promotion du sophiste. 26 Philostrate, VS, II, 10 (590). 27 Voir I. Eph., 20, I, 12. 28 I. Eph., 984 (= CIG, 3003). 29 Athenian Agora, XV, 334, avec les corrections de S. Follet, Athènes au iie et au iiie siècle. Études chronologiques et prosopographiques, Paris, 1976, p. 194. 30 Stratégie des hoplites : Philostrate, VS, I, 23 (526). Statues : ibid., I, 23 (527), qui mentionne deux statues, dont une sur l’Agora et l’autre dans un petit jardin. Une autre statue est connue par l’épigraphie (IG, II2, 4211) : retrouvée près des Propylées, elle avait été érigée par le Conseil et le peuple et était accompagnée d’un disque de marbre sur lequel était gravée la liste de ses élèves avec leur ethnique. 31 Philostrate, VS, II, 13 (594). 32 Voir notamment le rôle d’Apollonios d’Athènes dans l’éviction d’Héracleidès de la chaire athénienne et la réaction de ce dernier chez Philostrate, VS, II, 20 (601), ou encore les rivalités entre Lucien et Hadrien de Tyr qui se disputaient en 163-164 les faveurs de Lucius Verus (Puech, Orateurs et sophistes…, p. 287, n. 4).

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et/ou au plus près de l’empereur, il n’y a qu’un pas, d’autant qu’une autre institution culturelle, le Musée d’Alexandrie, a fourni elle aussi nombre d’a bibliothecis, d’ab epistulis, comme Lucius Julius Vestinus ou Eudaimôn sous Hadrien. Mais Ewen Bowie, réagissant contre le livre de Glenn Bowersock a montré que ces promotions spectaculaires étaient loin d’être systématiques33. Il a aussi opportunément rappelé que l’emploi d’intellectuels grecs à Rome dans les fonctions d’a bibliothecis, a studiis ou ab epistulis se justifiait de par la nature même de leurs activités et que depuis longtemps, parce qu’ils appartenaient déjà au groupe des notables, orateurs et philosophes avaient l’habitude d’exercer des fonctions publiques qui les plaçaient sur le devant de la scène et donc au contact des puissants, rois hellénistiques, gouverneurs romains, puis empereurs. Sur le plan financier, dans une société où la richesse constituait une condition nécessaire à l’élévation sociale, l’accession aux chaires municipales ou impériales ne semble guère avoir permis un véritable enrichissement des titulaires. Certes, les heureux gagnants percevaient une somme annuelle rondelette (10000 drachmes ou 40000 sesterces pour la chaire municipale athénienne, 60000 pour les chaires philosophiques impériales et 100000 pour la chaire romaine34) ; certes, la détention d’une chaire s’accompagnait de très importants privilèges fiscaux, notamment une ateleia ou une immunitas qui s’étendait à l’exercice des liturgies les plus coûteuses. Sous Vespasien et encore sous Hadrien, ces privilèges furent même étendus par plusieurs édits impériaux à la profession dans son ensemble et à plusieurs autres, jusqu’à ce que, assez prudemment, on décidât d’y apporter des restrictions pour préserver des finances civiques déjà exsangues35. L’exemple du sophiste Héracleidès qui perdit, en même temps que la faveur impériale, et sa chaire athénienne et son immunitas suffit à rappeler les enjeux financiers qui se cachaient derrière l’obtention (ici a contrario la perte) de la chaire36. Philostrate souligne aussi le panache de Chrestos de Byzance qui, lorsque les Athéniens se proposèrent d’envoyer une ambassade solliciter pour lui auprès de Commode la succession d’Hadrien de Tyr à Athènes, intervint devant l’assemblée pour les en empêcher avec pour argument que « dix mille drachmes ne faisaient pas un homme »37. Car l’œuvre de Philostrate et, plus encore, les innombrables inscriptions honorifiques en l’honneur des sophistes ou de membres de leurs familles viennent nuancer ce portrait idéalisé du maître que l’on a rencontré à propos d’Hadrien de Tyr cumulant

33 E. Bowie « The Importance of Sophists », YCS, 27, 1982, [p. 29-59], p. 57-59. 34 Il existe des chaires municipales à Athènes, Smyrne, Éphèse, où elles ont été encouragées depuis l’époque d’Antonin le Pieux au moins, mais une seule cité, Athènes, possède des chaires impériales (c’est-à-dire payées sur le fisc impérial). On trouve enfin à Rome une chaire suprême, elle aussi payée depuis Vespasien, semble-t-il, sur les fonds de l’Empereur, d’où une « grille salariale » à trois échelons. C’est l’exception des chaires impériales athéniennes qui a fait penser qu’elles constituaient une étape entre les chaires municipales et la chaire romaine. 35 Digeste, L, 4, 18, 30 ; XXVII, I, 6, 9. Il s’agit en particulier de restrictions qui, sans doute sous Septime Sévère, puis Caracalla, limitaient les exemptions à la cité d’origine des médecins, philosophes, rhéteurs… 36 Philostrate, VS, II, 26 (613-614). 37 Philostrate, VS, II, 11 (591).

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un traitement honorable, des cadeaux et des privilèges fiscaux enviés. Le premier détenteur de la chaire municipale athénienne, Lollianos, et ce malgré les édits d’Hadrien, non seulement ne toucha pas chaque année le traitement dû, mais encore dut, nous dit Philostrate, avoir recours à une collecte auprès de ses élèves pour financer des cargaisons de blé et leur faire la remise de ses propres honoraires pour qu’ils puissent y participer : il cumulait en fait la chaire de rhétorique et la fonction de stratège des hoplites qui faisait de lui l’un des responsables de l’approvisionnement en blé38. Sous Caracalla, c’est le Thessalien Philiscos qui vient plaider sa cause directement auprès du Prince alors que les Éordes, peuple macédonien d’où était issue sa mère, le traînaient en justice pour lui imposer des leitourgiai dont il pensait que sa chaire athénienne le dispensait : « tu m’as accordé l’exemption des charges publiques en m’accordant la chaire athénienne » se défend-il en vain auprès du Prince39. Cet épisode montre certes l’existence du privilège d’immunité associé à une chaire – ce que plusieurs articles du corpus juridique romain confirment également –, mais surtout il met en évidence la fragilité de ces privilèges, menacés à la fois par l’arbitraire impérial et par la pression des cités financièrement fragiles. De fait, combien de détenteurs de chaires retrouve-t-on parmi les magistrats, les prêtres ou les ambassades de la cité, autant de charges dont ils étaient en principes dispensés ? Les inscriptions rassemblées par Bernadette Puech assurent sans le moindre doute que les sophistes des chaires athéniennes partageaient avec leurs collègues qui n’avaient pas atteint cette position le même engagement dans la vie et dans les charges civiques, comme c’était le cas d’ailleurs pour les autres intellectuels, et ce depuis au moins l’époque hellénistique40. En revanche, la contrepartie de cet engagement financier était une position sociale renforcée au sein de leur communauté civique d’origine et/ou d’adoption. Mais aucun de nos professeurs n’était à proprement parler un inconnu avant son accession à la chaire : Philiscos, le dernier de la série sur la chaire de rhétorique sous Caracalla avait été, sous Septime Sévère, stratège de Thessalie et il y aurait exercé une procuratèle ; il aurait aussi joué un rôle à Delphes où il est honoré d’une statue de la part des Amphictyons41. À l’autre bout, le premier détenteur de la chaire impériale de rhétorique, Théodotos, est présenté par Philostrate comme « à la tête du peuple athénien » (προὔστη καὶ τοῦ

38 Philostrate, VS, I, 23 (526). 39 Philostrate, VS, II, 30 (622-623). 40 Sur le milieu social des sophistes en général, voir Bowersock, Greek Sophists, p. 21-23, et Bowie, « The Importance… », p. 54-55. Le comportement des sophistes à l’époque impériale s’inscrit en fait dans la continuité de celui des scholarques hellénistiques : cf. É. Perrin-Saminadayar, « Des élites intellectuelles à Athènes à l’époque hellénistique ? Non, des notables. », dans M. Cébeillac, L. Lamoine (éd.), Les élites et leurs facettes. Les élites locales dans le monde hellénistique et romain, RomeClermont-Ferrand, 2003, p. 383-400. De la même façon, les revenus associés aux chaires semblent correspondre à ceux que percevaient les « stars » des époques classique et hellénistique, les Protagoras, Gorgias, Isocrate ou Chrysippe – dans un cadre privé, il est vrai : cf. É. Perrin-Saminadayar, « À chacun son dû. La rémunération des maîtres dans le monde grec aux époques classique et hellénistique », dans J.-M. Pailler, P. Payen (éd.), Que reste-t-il de l’éducation classique ? Relire « le Marrou », Histoire de l’Éducation dans l’Antiquité, Toulouse, 2004, p. 307-318. 41 Fouilles de Delphes, III, 4, 273.

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Ἀθηναίων δήμου)42, c’est-à-dire stratège des hoplites ou héraut de l’Aréopage et, à ce titre, plus que le détenteur d’un talent oratoire, il était le porte-parole des Athéniens dans le procès qui les opposait à Hérode Atticus devant l’Empereur à Sirmium43. Une base de statue trouvée à Éleusis en l’honneur de sa femme, Aelia Képhisodora, assure qu’il a effectivement été stratège des hoplites, archonte-roi, héraut de l’Aréopage44 : compte tenu du délai de dix ans qui sépare les deux fonctions d’archonte et de héraut, on peut penser que la carrière politique de Théodotos était derrière lui lors de son accession à la chaire ; l’inscription d’Éleusis rappelle aussi qu’il avait fait un beau mariage en épousant une fille, petite-fille et sœur de dadouques, membres du génos prestigieux des Kéryces45. En dehors d’Athènes, on trouve un autre exemple significatif, celui d’Héracleidès « de Lycie », ἀνὴρ ἐλλογιμώτατος d’après Philostrate, qui, descendant d’une famille de notables locaux, fut lui-même grand-prêtre du koinon lycien avant d’accéder à la chaire athénienne, et qui continua à se comporter en notable après son éviction de la chaire, lorsqu’il s’exila à Smyrne46. Un dernier cas mérite un court développement : il s’agit d’Hippodromos de Larissa. Il avait commencé une brillante carrière de notable local et avait notamment été agonothète des concours pythiques en 195, surpassant tous ses prédécesseurs en magnificence grâce à sa fortune personnelle, si l’on en croit Philostrate qui l’avait connu personnellement47. Le même Philostrate affirme qu’il possédait une des plus grandes fortunes de Thessalie, son élevage de chevaux étant des plus réputés et ses domaines particulièrement enviés48. À peine parvenu à la chaire impériale, Hippodromos abandonna sa carrière athénienne assez vite « à cause de sa femme et de (la gestion de) sa fortune » (ὑπὸ τῆς γυναικὸς καὶ τοῦ πλούτου) pour se consacrer à ses domaines et chevaux thessaliens et exercer des liturgies au service de ses compatriotes49. Une inscription d’Aidepsos, en Eubée, montre que son fils (ou plus vraisemblablement son petit-fils), M. Aurelius Olympiodoros, épousa une egregia femina (κρατίστη), Flavia Philina, fille de clarissimi consulares (λαμπρότατοι ὑπατικοί), c’est-à-dire que la famille put s’allier à une famille déjà installée au premier rang de la hiérarchie sociale de l’Empire50 : alors que l’épouse apparaît sur l’inscription avec les titres de ses ancêtres, son mari n’est que le « descendant d’Hippodromos » (ἔκγονος Ἱπποδρόμου). Ascension sociale ? Sans doute, mais la chaire athénienne ne fut évidemment pour rien dans cette apothéose d’une famille de notables comme l’Orient en connut beaucoup. 42 Philostrate, VS, II, 3 (566). 43 Sur ce procès, Philostrate, VS, II, 1 (559-562) ; cf. Bowersock, Greek Sophists, p. 93-100 ; W. Ameling, Herodes Atticus, Hildesheim- Zurich-New York (Subsidia Epigraphica, 11), 1983, p. 137-151. 44 IG, II2, 4084 + 4087 = I. Eleusis, 493. 45 Sur cette famille, voir S. G. Byrne, Roman Citizens of Athens, Louvain, 2003, stemma VIII, avec les renvois. 46 Philostrate, VS, II, 26 (612-613). 47 Philostrate, VS, II, 27 (616). 48 Philostrate, VS, II, 27 (615). 49 Philostrate, VS, II, 27 (618). 50 AE, 1967, 459. Cf. H. Müller, « Marcus Aurelios Olympiodoros, ἔκγονος Ἱπποδρόμου », ZPE, 3, 1968, p. 197-220, C. P. Jones, « A Leading Family of Roman Thespiae », HSCP, 74, 1970, p. 238-240, et Puech, Orateurs et sophistes…, p. 308-312.

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De tous les personnages étudiés, aucun ne semble avoir utilisé la chaire impériale comme un tremplin social : même dans le cas d’Hadrien de Tyr, c’est davantage la faveur impériale ou celle de ses intimes qui conduisit Hadrien jusqu’à la chaire de Rome, plutôt que l’existence d’une « carrière » professorale accompagnée d’une progression sociale. Car ce que l’on observe surtout, c’est une extrême précarité pour des situations qu’on pouvait de prime abord juger enviables : plusieurs des titulaires ont été démis (Héracleidès fut privé de son ateleia et de sa chaire par Septime Sévère, Philiscos nommé par l’empereur fut aussi démis par lui). Mobilité descendante, dira-t-on alors ? Si l’on veut, mais seulement sur le plan professionnel, car sur le plan social, ni Héracleidès, ni Philiscos ne semblent avoir souffert d’un déclassement : on retrouve Héracleidès à Smyrne quelques années plus tard et Philostrate insiste sur son statut de premier plan dans une cité dont il soutient désormais la réputation et qui le lui rend bien51. Et on n’osera pas parler de mobilité descendante pour Hippodromos lorsqu’il renonça à sa chaire pour retourner élever ses chevaux et prendre soin de son patrimoine foncier : son biographe le montre encore jouissant d’une excellente réputation en matière de rhétorique et faisant des conférences très fréquentées chaque fois qu’il se déplaçait52. La remarque vaut enfin pour Apollonios de Pallène, connu par une notice de Philostrate et par un beau dossier épigraphique53. Né vers 160, descendant d’une famille de dadouques et fils d’une hiérophantide54, il avait suivi l’enseignement d’Hadrien de Tyr vers 18055, puis avait épousé Publia Aelia Herennia, descendante de Conon et Callimachos et d’une famille de dadouques d’Éleusis56 : c’est seulement après avoir exercé les plus hautes fonctions civiques (archonte éponyme, archonteroi, stratège des hoplites, gymnasiarque, épimélète et héraut de l’Aréopage) qu’il accéda à la chaire de rhétorique vers 20357. Philostrate rapporte qu’il se distingua alors comme ambassadeur auprès de l’empereur Septime Sévère à Rome58. On sait également qu’il fut prytane, puis cosmète en 216 avant de terminer sa carrière comme 51 Philostrate, VS, II, 26 (613), insiste sur l’importance pour une cité d’avoir des hommes tels qu’Héracleidès pour attirer dans la ville une foule de jeunes gens désireux de se cultiver comme pour adoucir les mœurs politiques. 52 Philostrate, VS, II, 27 (618). 53 Philostrate, VS, II, 20 (600-602). Pour le dossier épigraphique, voir la synthèse de Puech, Orateurs et sophistes…, p. 100-118, et Byrne, Roman Citizens…, p. 15-16, no 61. 54 Son oncle, Publius Aelius Dionysios (Byrne, Roman Citizens…, p. 12-13, no 50) fut dadouque (IG, II2, 3688 = I. Eleusis, 621) : il vit son élection comme dadouque contestée dans un célèbre procès porté devant l’Empereur (SEG xxix, 127), où il fut soutenu par les autres dignitaires éleusiniens (K. Clinton, The Sacred Officers of the Eleusinian Mysteries, TAPhS, 64, 3, Baltimore, 1974, p. 60-64 ; Ameling, Herodes Atticus, II, p. 204 ; É. Perrin-Saminadayar, « Loger, occuper, nourrir le Prince : le rôle des notables », dans A. Hostein et S. Lalanne (éd.), Les voyages des empereurs dans l’Orient romain, époques antonine et sévérienne, Paris, 2012, [p. 181-192], p. 187). 55 Philostrate, VS, II, 20 (601). 56 IG II2, 3688 = I. Eleusis, 621. Pour les membres de la famille, voir Byrne 2003, p. 12-18, et le stemma de Puech, Orateurs et sophistes…, p. 113. 57 Accession à la chaire : Philostrate, VS, II, 20 (600). Exercice des fonctions avant l’accès à la chaire : IG II2, 3688. 58 Philostrate, VS, II, 20 (601).

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hiérophante vers 225, fonction qu’il détint jusqu’en 23559. Mais cette très belle fin de carrière, Apollonios la fit alors qu’il avait renoncé à la chaire vers 209 (à cette date, c’est Hippodromos qui l’occupe) sans renoncer pour autant à l’enseignement. Pour lui donc, l’occupation de la chaire constitua plus une parenthèse dans une carrière de notable de premier plan au service de la cité qu’un tremplin. Il est d’ailleurs très révélateur que dans le beau dossier épigraphique dont on dispose sur le personnage, aucune inscription ne mentionne son titre de sophiste, ni même la chaire occupée60. Il est vrai aussi qu’Apollonios est le seul de nos personnages qui, né à Athènes, y a été formé et y a fait toute sa carrière, sans jamais avoir été tenté d’aller chercher ailleurs une situation plus enviable. Aucune mobilité géographique dans ce dernier cas, si ce n’est pour aller devant l’Empereur à Rome. Que conclure de tout cela ? Il semble clair que l’obtention d’une chaire apparaît davantage comme une reconnaissance de valeur, un brevet de notabilité professionnelle, la récompense de services rendus ou de rencontres opportunes, que comme l’aboutissement d’un projet professionnel calculé ou d’une ambition sociale. Il est d’ailleurs révélateur que le nombre de titulaires morts dans la charge est extrêmement réduit, alors que les scholarques des écoles athéniennes de l’époque hellénistique furent nombreux à terminer leur vie à la tête de l’école. C’est pourquoi la notion de carrière professorale, au sens où on l’entend aujourd’hui, est loin de correspondre à une réalité de l’époque impériale. Le parcours des grands maîtres montre que l’on a affaire avant tout à des notables. Au final, ce que fait plutôt ressortir l’étude du parcours des titulaires des chaires impériales avant et après leur accession à cette position enviée, c’est le triste constat d’un monde où la mobilité était faible – si ce n’est sur le plan géographique –, sauf exception due au hasard ou plus encore aux caprices du Prince. Eric Perrin-Saminadayar Université Paul-Valéry Montpellier 3, EA4424 C. R. I. S. E. S, LabEx ARCHIMEDE

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59 Prytane : Athenian Agora, XV, 447, 14. Cosmète : IG II2, 3764, 5. Hiérophante : IG II2, 3611. Philostrate, VS, II, 20 (602), indique que son tombeau se trouvait sur la route d’Éleusis et que les processions y faisaient une halte. 60 Il se pourrait toutefois que le « sophiste Apollonios » honoré d’une statue par l’Aréopage au début du iiie siècle (IG II2, 3812) soit à identifier avec notre personnage, comme le pense Byrne, Roman Citizens…, p. 15.

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Les conditions d’exercice des rhéteurs africains sous le Haut‑Empire romain Quelques éléments

Si l’idée qu’il existe dès le Haut‑Empire « un réseau assez dense d’institutions scolaires1 », selon l’expression d’H.‑I. Marrou, est aujourd’hui largement reconnue et que le savoir circule, grâce notamment à la figure du sophiste, souvent présenté comme itinérant, la majorité des sources cependant tend à mettre en avant la place prépondérante de Rome et d’Athènes comme centres culturels et éducatifs, reléguant au second plan des cités comme Carthage pour l’Afrique ou Arles et Marseille pour la Gaule. Il est bien évident que l’on ne saurait contester à ces deux cités le rôle de capitales culturelles de l’Empire et de moteurs de la vie intellectuelle : mais elles ne doivent pas masquer la vitalité des autres régions occidentales et orientales du Haut‑Empire, dont les sources tant épigraphiques que littéraires nous donnent un aperçu. À cet égard, l’Afrique constitue un cas assez intéressant (et similaire, bien que décalé chronologiquement, à celui de l’Espagne et de la Gaule) : si la première province en Afrique (Africa) est créée en 146 av. J.-C., le processus d’intégration politique n’aboutit véritablement qu’au iie siècle ap. J.-C., avec l’entrée au sénat et dans l’ordre équestre d’un nombre important d’Africains2 et avec, surtout, l’accession au Principat des Sévères à partir de 193. Ce phénomène va de pair avec une acculturation croissante, qui passe par le développement, dans les couches supérieures de la population, d’une éducation à la romaine, qui les fait fréquenter l’école du rhéteur – ce dont témoigne la vitalité des lettres africaines et de leurs représentants (Apulée, Fronton ou Florus, pour ne citer que les plus célèbres). Or c’est précisément à la figure de ce personnage – entendu, au sens strict, comme professeur de rhétorique – que nous souhaiterions nous intéresser, en concentrant notre attention sur ceux qui exercent en Afrique ou sont originaires de cette région. Si les sources antiques demeurent assez maigres quantitativement, elles offrent néanmoins quelques éclaircissements sur les realia de leur profession dans 1 H.‑I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, tome 2, Le monde romain, Paris, 1948, p. 102. 2 Cf. A. Chastagnol, Le sénat romain à l’époque impériale, Paris, 1992 (2e tir. 2004), p. 162 : « L’ascension de l’Afrique […] commence sous les Flaviens, avec seulement quatre représentants connus, deux en Proconsulaire, deux en Numidie, puis prend un élan magnifique au iie siècle, qui compte au moins 59 sénateurs, 38 en Proconsulaire, 19 en Numidie, deux seulement à Césarée, en Maurétanie. » Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 83-93 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121135

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cette région. Nous nous intéresserons plus particulièrement ici à deux questions – l’une, sociale, touche au statut des rhéteurs, l’autre, géographique, aux lieux où ils enseignent et à leur mobilité.

Statut social et rémunération Une recension des professeurs de rhétorique africains sous le Haut‑Empire nous livre avec certitude six noms : Florus, Arellus (?), Fronton, Nepotianus, Q. Publicius Aemilianus et Terentius Sabinianus. L’on pourrait s’étonner de ne pas trouver parmi ceux‑ci le nom d’Apulée : il a en effet été régulièrement présenté comme un professeur de rhétorique exerçant à Carthage mais rien, dans les textes, ne permet d’accréditer cette affirmation et s’il se met en scène, notamment dans les Florides, comme une sorte de sophiste itinérant présentant des déclamations dans les villes, il insiste systématiquement sur sa condition de philosophus, dénomination que l’on retrouve sur l’inscription honorifique trouvée à Madaure3, où il est qualifié de philosophus Platonicus. Il paraît donc abusif de le considérer comme un rhetor, malgré ses évidentes qualités littéraires. Nous avons également pris le parti d’écarter L. Annaeus Cornutus, plus connu pour être le professeur de philosophie de Perse et de Lucain. Il est en effet régulièrement admis qu’il fut professeur de rhétorique, information qui se fonde sur les titres de quelques traités qui lui sont attribués, dont un De rhetorica et un De enuntiatione uel orthographia4 : mais l’on ne possède aucune information précise sur un possible enseignement rhétorique, au contraire de celui qu’il a fourni en philosophie. Parmi les noms des rhéteurs africains recensés, deux se détachent, ceux de Fronton et de Florus. Le premier, auteur d’une Correspondance fournie, a pour titres de gloire d’être le premier Africain à être élu consul en 142 ou 143 mais aussi d’être le précepteur du futur Marc Aurèle ; quant au second, sa vie nous est connue par la préface de son opuscule sur Virgile, Vergilius orator an poeta ? ; la mention, notamment, de jeux Capitolins auxquels il participa sous le règne de Domitien alors qu’il était encore puer, permet d’envisager, en raison des concordances chronologiques, son identification à l’historien auteur d’un Epitome5 et/ou au poète mentionné dans L’Histoire Auguste et qui se distingue par un échange de vers avec Hadrien, vers

3 ILAlg I, 2115 = ILAlg I, 4010 = AE 1917-1918, 84 = AE 1919, 26 (M’Daourouch / Madaure, iie siècle ap. J.-C.) : [Apuleio ph]ilosopho / [Pl]atonico / [Ma]daurenses / ciues / ornament[o] / suo d(ecreto) d(ecurionum) p(ecunia) [p(ublica)] // D(omino) n(ostro) divi C[ons]/tanti[ni] / Maxim[i fil(io)]. « À Apulée, philosophe platonicien. Les citoyens de Madaure à l’ornement (de leur cité), par décret des décurions sur argent public. // A notre maître, fils du divin Constantin Maxime. » 4 Porphyre de Tyr, In Aristotelis Categorias commentarium 86, 21, 2 ; Cassiodore, De orthographia 1 [H. Keil, Corpus grammaticorum Latinorum 7, 147, 22]. 5 L’hypothèse est notamment défendue par P. Jal. Cf. Florus, Œuvres, texte établi et traduit par P. Jal, Paris, 1967, p. 131-136.

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datables de 1226. Florus, chronologiquement, est le premier rhéteur africain connu : comme on l’a dit précédemment, c’est surtout au iie siècle que cette région prend son essor et, coïncidence ou non, c’est à cette époque que vivent la majeure partie des rhéteurs que l’on connaît. L’examen de leurs noms met en évidence la romanisation à l’œuvre : tous ont des noms latinisés et la moitié d’entre eux possèdent les tria nomina (même si l’on ne connaît pas le praenomen de Terentius Sabinianus), ce qui laisse à penser, en l’absence de toute autre mention, qu’ils sont a minima citoyens romains. Seul Arellus, dont l’évocation sur une inscription est trop fragmentaire7, échappe à toute tentative de définition de son statut social. Parmi les cinq citoyens romains, deux retiennent plus particulièrement notre attention, Fronton et Nepotianus, car leur ascension sociale est assez similaire, comme en témoignent deux inscriptions : M(arco) Cornelio / T(iti) f(ilio) Quir(ina) / Frontoni / IIIuir(o) capital(i) / q(uaestori) prouinc(iae) / Sicil(iae) aedil(i) pl(ebis) / praetori / municipes / Calamensi/um patrono8. Nepotiano e(gregio) u(iro) / proc(uratori) sexagenario / ab actis / proc(uratori) centenario / primae cathedrae / ordo Siccensium / ciui et condecurioni / d(ecreto) d(ecurionum) p(ecunia) p(ublica)9. Tous deux appartiennent à l’élite de leur cité : Fronton est issu d’une des familles importantes de la région, tandis que Nepotianus appartient à la notabilité de Sicca Veneria, puisqu’il en est même un décurion. Or tous deux poursuivent leur carrière à Rome : Fronton, homo nouus, s’élève, comme on l’a dit, jusqu’au consulat, après avoir parcouru toutes les étapes du cursus honorum, depuis même les magistratures préliminaires du vigintivirat (en l’occurrence, celle, peu considérée, du triumvirat capitalis). Nepotianus, lui, appartient à l’ordre équestre, comme le rappellent le titre honorifique de uir egregius10 et la mention de ses deux procuratèles, les plus basses du système11 : il est ainsi chargé de la rédaction des actes officiels de Rome (ab actis) puis d’occuper la chaire de rhétorique latine (prima cathedra, sur laquelle nous reviendrons). Comment expliquer ces parcours parallèles ? Il nous

6 Histoire Auguste, « Vie d’Hadrien » 16, 3-4. Cf. notamment J. Desanges, « Sur un épisode de la vie du poète africain P. Annius Florus », BCTH Afr. 24, 1993-1995, p. 83-88. 7 CIL VIII, 24517 (Carthage, date non déterminée) : Bono euentui A[ug(usti)] / Studiosi Arellia[ni ?]. « Au bon succès de l’Auguste, les étudiants de l’école d’Arellus (?). » K. Vössing émet l’hypothèse (que nous suivons) que le suffixe –ianus sert à désigner les disciples d’un chef d’école. Cf. K. Vössing, Schule und Bildung im Nordafrika der Römischen Kaiserzeit, Bruxelles, 1997, p. 289-290. 8 CIL VIII, 5350 = ILAlg I, 280 = ILS 2928 (Calama / Guelma, vers 140 ap. J.-C.) : « À M. Cornelius Fronto, fils de Titus, de la tribu Quirina, triumvir capital, questeur de la province de Sicile, édile de la plèbe, préteur. Les habitants du municipe de Calama à leur patron. » 9 CIL VIII, 27573 = ILS 9020 (Sicca Veneria / Le Kef, fin du iie siècle ap. J.-C.) : « À Nepotianus, homme remarquable, procurateur sexagénaire ab actis, procurateur centenaire de la première chaire. L’ordre (des décurions) de Sicca Veneria, à leur concitoyen et codécurion, par décret des décurions sur argent public. » 10 Titre qui apparaît sous Hadrien et finit par s’appliquer aux détenteurs des procuratèles les plus basses. 11 Le système est extrêmement hiérarchisé, en fonction du traitement reçu par le titulaire.

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semble que, dans les deux cas, la fonction de rhéteur et le talent oratoire de ces hommes ont favorisé leur ascension sociale. Fronton en effet obtient son consulat en 143, la même année qu’Hérode Atticus, qui était le professeur de rhétorique grecque de Marc Aurèle : la coïncidence paraît trop parfaite pour ne pas y voir une manière, de la part de celui qui est alors associé à l’exercice du pouvoir sous le titre de César, de remercier ses deux professeurs. Nepotianus, quant à lui, a pu bénéficier de la sollicitude de l’empereur Septime Sévère pour un compatriote talentueux – l’on possède ainsi plusieurs exemples de rhéteurs qui s’élèvent socialement grâce à une intervention de l’empereur régnant : Favorinus devient chevalier sous Hadrien, tout comme Iulius Secundus sous Othon ou Aspasius sous Caracalla12. Ces diverses occurrences, mettant en scène des rhéteurs venus de différentes régions de l’Empire, tendent à souligner que les rhéteurs, contrairement aux paedagogi ou aux grammatici, ont un statut social plutôt élevé, et que s’ils peuvent continuer à demeurer impliqués dans le gouvernement de leur patrie natale, beaucoup s’intègrent totalement à Rome – par l’acquisition de la citoyenneté romaine et par l’avancement dans les ordres équestre ou sénatorial, promotion qui, pour les rhéteurs africains que nous connaissons, est le résultat d’une faveur impériale. Il ne paraît donc pas saugrenu d’affirmer que la carrière professorale peut favoriser une mobilité sociale, que l’on ne saurait cependant généraliser en raison de la rareté des cas connus. On peut noter également que le statut de ces professeurs dans la hiérarchie professorale, pour ainsi dire, n’est pas le même pour tous. Si Florus, Q. Publicius Aemilianus, Terentius Sabinianus et le présumé Arellus sont des rhéteurs ordinaires, simples professeurs dans leur cité, la situation de Fronton et de Nepotianus est bien différente. Fronton compte en effet parmi ses élèves deux personnages particuliers, puisqu’il est le précepteur du futur Marc Aurèle et de Lucius Verus. On possède avec la Correspondance de Fronton, malgré son caractère lacunaire, un témoignage unique du contenu d’un enseignement destiné à des Princes, avant et pendant leur règne. En effet, si les premières lettres datent de 139, le ton déjà familier employé dans celles‑ci laissent penser que son enseignement, d’abord exclusivement destiné à Marc, a commencé plus tôt, sans doute vers 136 et sur décision, probablement, d’Hadrien ; or l’échange ne se tarit pas après l’accession au trône de Marc Aurèle et de Lucius Verus et tout laisse à penser qu’il s’est poursuivi jusqu’à la mort de Fronton, en 166, comme en témoignent plusieurs lettres où Marc Aurèle demande des conseils oratoires à son ancien maître13. L’examen de cette correspondance, surtout si on la met en regard avec les quelques lettres que l’on possède où Fronton s’adresse à d’autres disciples, souligne la particularité de cet enseignement, tout tourné vers la fonction impériale 12 Sur Favorinus, cf. Dion Chrysostome, Discours 37, 25 et E. Amato, « Introduction » à Favorinos d’Arles. Œuvres, Paris, 2005, p. 79-89 ; sur Iulius Secundus, cf. Plutarque, Vie d’Othon 9 ; sur Aspasius, cf. Philostrate, Vie des Sophistes II, 33, 627-628. 13 Ces demandes réitérées vont ainsi à l’encontre de l’opinion généralement admise, en raison d’une lecture un peu restreinte de la lettre dite « de la conversion » (Fronto, Ad Marcum Caesarem IV, 13), selon laquelle Marc abandonne en 146 l’étude de la rhétorique au profit de celle de la philosophie. Or le De eloquentia frontonien (IV, 5) rappelle que cet épisode n’est qu’un retrait temporaire (mora temporalis) et en aucun

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que ses élèves auront à assurer : l’instruction rhétorique est ainsi mise au service de la pratique politique et il nous semble que c’est in fine cette fonction discrète de conseiller du Prince que Marc Aurèle a mise en avant dans ses Écrits pour lui‑même, dans l’hommage qu’il rend à son ancien maître14. Quant à Nepotianus, il occupe une place à part en raison de sa fonction de procurator centenarius primae cathedrae. Qu’entendre par ce titre, qui constitue un hapax dans notre connaissance des procuratèles équestres ? La mention du salaire obtenu par Nepotianus, cent mille sesterces, nous incite à rapprocher ce texte de celui de Suétone, qui mentionne la décision de Vespasien de rétribuer les rhéteurs latins et grecs sur le trésor public – mesure dont Quintilien sera le premier bénéficiaire15 : Primus e fisco Latinis Graecisque rhetoribus annua centena constituit16. Ce rapprochement aurait pour avantage de dissiper une obscurité dans le texte suétonien sur la somme allouée aux bénéficiaires de ce salaire impérial, qui sont au moins deux : faut‑il considérer que chacun reçoit cent mille sesterces ou bien que cette somme est divisée entre eux ? Le fait que Quintilien ne fasse jamais mention de ce privilège dans l’Institution oratoire, conjugué à la façon dont Juvénal, dans la satire consacrée aux gens de lettres, met en scène Quintilien comme précepteur privé d’un enfant et recevant difficilement le salaire de son travail17, laisse à penser que la rétribution versée par Vespasien est une sorte de subside prodigué en complément d’un salaire perçu par ailleurs, sans que ses bénéficiaires aient nécessairement à s’acquitter d’un enseignement public. Mais si l’on se rappelle qu’Auguste rémunérait le grammairien Verrius Flaccus cent mille sesterces par an pour prendre exclusivement en charge l’éducation de ses petits‑fils18 et que la somme demeure la même un siècle et demi plus tard pour la procuratèle exercée par Nepotianus, on peut supposer qu’elle représente un appointement symboliquement fixe, pour ainsi dire. La relation établie entre le texte de Suétone et l’inscription de Nepotianus permettrait également de souligner l’évolution de la situation entre l’époque flavienne et l’époque sévérienne concernant les postes d’enseignement public

cas un abandon définitif. Cf. en particulier P. Fleury, Lectures de Fronton. Un rhéteur latin à l’époque de la Seconde Sophistique, Paris, Les Belles Lettres, 2006, et « L’orateur et le consul. Fronton conseiller du Prince », Cahiers des Études Anciennes, 47, 2010, p. 457-474. 14 Marc Aurèle, Écrits pour lui‑même I, 11 : Παρὰ Φρόντωνος τὸ ἐπιστῆσαι οἵα ἡ τυρρανικὴ βασκανία καὶ ποικιλία καὶ ὑπόκρισις, καὶ ὅτι ὡς ἐπίπαν οἱ καλούμενοι οὗτοι παρ’ ἡμῖν εὐπατρίδαι ἀστοργότεροί πώς εἰσιν. « À Fronton, (je dois) de savoir en quoi la tyrannie est méchanceté, dissimulation, hypocrisie et qu’en général ceux qu’on appelle « patriciens » chez nous sont en quelque sorte les plus dépourvus d’affection. » 15 Cf. Jérôme, Chronique 2084 : Quintilianus ex Hispania Calagurritanus primus Romae publicam scholam et salarium e fisco accepit [et] claruit. « Quintilien, de Calagurris en Espagne, qui le premier tint à Rome une école publique et accepta un salaire tiré du trésor public, fut célèbre. » 16 Suétone, Vie de Vespasien 18, 1 : « Le premier, il établit un salaire de cent mille sesterces par an, prélevé sur le trésor public, pour les rhéteurs latins et grecs. » Zonaras, dans le résumé qu’il fait de l’œuvre de Dion Cassius, date cette mesure de l’année 71. Cf. Dion Cassius LXV, 12, 1a = Zonaras, XI, 17. 17 Juvénal, Satires VII, v. 186-187 : Hos inter sumptus sestertia Quintiliano, / Vt multum, duo sufficient. « Parmi toutes ces dépenses, deux mille sesterces, tout au plus, suffiront pour Quintilien. » 18 Cf. Suétone, De grammaticis 17, 3.

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financés par le trésor. Rien ne permet de penser, en effet, que Vespasien crée à Rome ce que l’on appellera ensuite la « chaire de rhétorique latine » – et le silence de Quintilien, à cet égard, nous paraît révélateur. Un siècle plus tard, la situation a changé. Il semble en effet qu’on puisse mettre en relation la mention de la procuratio primae cathedrae avec le texte consacré à Hadrien de Tyr dans les Vies des Sophistes de Philostrate. Ce dernier mentionne en effet qu’il obtient à Rome, sous le règne de Marc Aurèle, « la plus haute chaire de rhétorique19 » (ὁ ἄνω θρόνος) – soit la transcription exacte de cette prima cathedra obtenue par Nepotianus – et que l’annonce de l’un de ses discours pousse tous les Romains, même ceux qui ne comprennent pas le grec, à se rendre à l’Athenaeum pour aller l’écouter. Ce bâtiment, fondé par Hadrien, demeure assez peu connu20 : mais les indications que nous possédons montre qu’il était destiné à l’instruction des jeunes gens et était constitué d’un auditorium où pouvaient déclamer poètes et rhéteurs. Tout laisse à penser que Nepotianus occupe donc à Rome la chaire de rhétorique latine, qui fait pendant à celle de grec qu’occupa avant lui Hadrien de Tyr, et exerce un enseignement public, ouvert à tous, dans un lieu expressément dévolu par l’empereur à la transmission du savoir. Nepotianus fait donc partie de cette élite de professeurs que les empereurs ont, semble‑t‑il, voulu mettre en place, en l’attirant d’abord par un salaire d’État, puis par la fondation d’un lieu d’enseignement où exercer publiquement, élite dont on remarque qu’elle est formée presque exclusivement de rhéteurs provinciaux21 : on ne saurait mieux rendre témoignage de cette romanisation22 à l’œuvre dans les provinces, où l’on va chercher l’élite intellectuelle de la communauté.

Géographie de l’enseignement Les exemples de Fronton et de Nepotianus nous ont amenée à délaisser les provinces d’Afrique au profit de Rome, et ce décentrement met en lumière une caractéristique des rhéteurs africains, qui est leur mobilité. Si l’on jette un œil à un tableau récapitulatif, on se rend en effet compte que pratiquement aucun d’entre eux n’exerce dans la patrie dont il est originaire :

19 Philostrate, VS II, 10, 589. 20 Ce n’est qu’en 2009 que les vestiges présumés de ce bâtiment ont été découverts près de la piazza Venezia. Cf. R. Edigi, S. Orlandi, « Una nuova iscrizione monumentale dagli scavi di piazza Madonna di Loreto », Historika, 1, 2011, p. 305. À propos de ce bâtiment, cf. aussi F. Coarelli, « Athenaeum », dans E. M. Steinby (éd.), Lexicon Topographicum Vrbis Romae, vol. I, Rome, 1993, p. 131-132 ; L. Richardson, A New Topographical Dictionary of Ancient Rome, Baltimore, 1992, p. 40-41. 21 C’est le cas pour la chaire de rhétorique latine, dont les seuls noms conservés, pour le Haut‑Empire, sont ceux de Quintilien et de Nepotianus. Pour la chaire de rhétorique grecque, on connaît Philagros de Cilicie, Hadrien de Tyr, Pausanias de Césarée, Euodianus de Smyrne et Aspasius de Ravenne. Sur l’exercice de ces personnages à Rome, cf. Philstr., VS II, 8, 580 ; 10, 589 ; 13, 594 ; 16, 596 ; 33, 627. 22 À propos de ce terme et des débats qu’il a suscités, nous renvoyons aux conclusions présentées par P. Le Roux, « La romanisation en question », Annales. Histoire, Sciences sociales 59, 2004/2, p. 287-311.

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Nom

Lieu d’origine

Lieu d’enseignement

Florus Arellus (?) Fronton Nepotianus Q. Publicius Aemilianus Terentius Sabinianus

Afrique ? Constantine Sicca Veneria Afrique Dougga (?)

Tarragone (Espagne) Carthage ? Rome Rome Solin (Dalmatie) Hippo Diarrhytus

L’on remarque également que le faible nombre d’attestations ne permet pas de mettre en avant le rôle de capitale régionale que joue Carthage. Celui‑ci pourtant est assuré, ne serait‑ce que par le témoignage lyrique dont nous gratifie Apulée23. L’on peut aussi rappeler que l’inscription honorifique faite par ses étudiants en l’honneur du présumé Arellus a été retrouvée dans l’amphithéâtre de la cité, sur un fragment d’une table de marbre. Plus probantes encore sont les épitaphes de trois étudiants : Heracli / D(is) M(anibus) s(acrum) / L(ucius) Vetidius / Maternus / Vetidianus / eques Rom(anus) / Q(uinti) Vetidi Iuuena|lis quinquen/nalici(i) filius / utraq(ue) lingua / eruditus p(ius) u(ixit) a(nnos) xviii / m(enses) iiii d(ies) xxviii per|missu praesidis a / Karthagine de stu/dio relatis reliquiis / h(ic) s(itus) e(st)24. Iuuen[al]is / D(is) M(anibus) s(acrum) / Q(uintus) Vetidius / Felix Hono/ratianus / eques Roma/nus Q(uinti) Vetidi / Iuuenalis / quinquen/nalici(i) filius / utraq(ue) lingua / eruditus p(ius) u(ixit) / a(nnos) xxi m(enses) vii h(ic) e(st) s(itus)25. D(is) M(anibus) s(acrum) / L(ucius) Baebius Barbarus / studens Kar|thagini de/ functus / u(ixit) a(nnos) xx m(enses) vii[…] / h(ic) s(itus) e(st)26.

23 Apul., Flor. 20, 9-10 : Quae autem maior laus aut certior, quam Carthagini benedicere, ubi tota ciuitas eruditissimi estis, penes quos omnem disciplinam pueri discunt, iuuenes ostentant, senes docent ? Carthago prouinciae nostrae magistra uenerabilis, Carthago Africae Musa caelestis, Carthago Camena togatorum. « Quelle louange plus grande ou plus assurée y aurait‑il que de célébrer Carthage, où la cité tout entière est représentée par des hommes comme vous, très érudits, parmi lesquels les enfants apprennent tous les arts, les jeunes gens les affichent, les vieillards les enseignent ? Carthage, institutrice vénérable de notre province, Carthage, Muse de l’Afrique céleste, Carthage, Camène des hommes en toge ! » (trad. personnelle). 24 AE 1903, 320 = AE 1904, 58 = AE 1904, 81 = ILAlg I, 1363 = ILS 7742a (Thubursicu Namidarum / Khamissa, fin du iie – début du iiie siècle ap. J.-C.) : « Aux Dieux Mânes d’Heraclius (est consacré) ce tombeau. L. Vetidius Maternus Vetidianus, fils du magistrat quinquennal Q. Vetidius Iuuenalis, chevalier romain, instruit dans les deux langues, dévoué, a vécu dix-huit ans, quatre mois et vingt-huit jours ; ses restes, avec la permission du gouverneur, ont été rapportés de Carthage, où il étudiait. Il a été déposé ici. » 25 AE 1903, 321 = AE 1904, 58 = AE 1904, 81 = ILS 7742b (Thubursicu Namidarum / Khamissa, fin du iie – début du iiie siècle ap. J.-C.) : « Aux Dieux Mânes de Iuuenalis (est consacré) ce tombeau. Q. Vetidius Felix Honoratianus, fils du magistrat quinquennal Q. Vetidius Iuuenalis, chevalier romain, instruit dans les deux langues, dévoué, a vécu vingt-et-un ans et sept mois. Il a été déposé ici. » 26 CIL VIII, 12152 = ILTun, 594 (Aggar / Sidi Amarah) : « Aux Dieux Mânes (est consacré) ce tombeau. L. Baebius Barbarus, étudiant décédé à Carthage, a vécu vingt ans, sept mois… Il a été déposé ici. »

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Les deux premiers sont deux frères, fils d’un magistrat local qui a exercé les plus hautes charges dans sa cité et a été récompensé par l’accession à l’ordre équestre, rang qu’il a transmis à ses enfants. La similitude du formulaire de ces épitaphes suggère que les deux frères ont accompli les mêmes études (que l’aîné, Quintus, a probablement achevées27), à Carthage, et le fait qu’ils soient utraque lingua eruditi suggère qu’ils y ont principalement suivi des études de rhétorique grecque et latine. Quant à L. Baebius Barbarus, rien n’est dit du contenu de ses études ; mais son âge et l’emploi du participe studens, qui fait écho, dans l’inscription de L. Vetidius Maternus Vetidianus, à l’expression de studio, laissent penser qu’il suivait lui aussi des cours de rhétorique à Carthage. Si l’on ignore son rang social, le fait qu’il possède les tria nomina et que ses parents ont les moyens de l’envoyer dans la cité punique, relativement loin de sa cité natale (avec les coûts que cela engendre), laisse supposer qu’il est issu d’une famille de notables ayant acquis la citoyenneté romaine. Ces exemples soulignent le rôle prééminent joué par Carthage et l’influence culturelle qu’elle exerce sur la province d’Afrique Proconsulaire, de Madaure à Aggar en passant par Thubursicu Numidarum – il est probable que les parents pensaient ainsi, par le biais d’études poussées, pouvoir favoriser l’ascension sociale de leurs enfants. Mais cette suprématie carthaginoise ne doit pas faire oublier que le modèle éducatif romain semble se répandre dans toute l’Afrique, même si la parcimonie des sources ne nous permet pas de faire une cartographie précise de l’enseignement dans cette région. En effet, outre Carthage, seule la cité d’Hippo Diarrhytus (Bizerte, aujourd’hui) reconnaît explicitement la présence d’un rhéteur en ses murs en la personne de Terentius Sabinianus : Terentius Sabini/anus fons et came/na litteris, Sapi|endo opimus et di/cendo splendidus, / Hoc praeter ceteros / etiam Hippo dicti[tat] / Diarrytos, ubi magis/ter praestans floruit / Vixitque numerum / in se de analogia / Pythagorae prima/rium. P(ius) u(ixit) a(nnos) xxxvi. / H(ic) s(itus) e(st)28. L’épitaphe de ce rhéteur est remarquable en ce qu’elle est composée de six sénaires iambiques29, qui visent, probablement, à transmettre à la postérité ses talents littéraires. Le fait qu’elle ait été trouvée à Thugga laisse supposer que Terentius Sabinianus en était originaire (ou y avait des attaches) et que cette épitaphe est une forme d’hommage rendu à un citoyen estimable, qui exerça essentiellement

27 En l’absence de toute mention de rapatriement du corps, on peut raisonnablement supposer qu’il était à Thubursicu Numidarum au moment de sa mort. 28 AE 1892, 121 = CIL VIII, 26672 = CLE 107 = CLEAfrique 68 = ILS 7772 = ILTun 1447 (Dougga / Thugga) : « Terentius Sabinianus, source et muse des lettres, riche de savoir, brillant orateur. Voilà ce que répète sans cesse, entre autres lieux, Hippo Diarrhytus, où il a brillé comme professeur éminent. Il a vécu le nombre primordial selon la théorie de Pythagore. Il a vécu dignement trente‑six ans. Il a été déposé ici. » (trad. Lassère modifiée). 29 À condition, toutefois, d’exclure Sabinianus au v. 1 et in se de analogia au v. 5 !

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à Bizerte mais sans doute aussi dans d’autres cités, comme le suggère le groupe prépositionnel praeter ceteros. Quant à l’enseignement de rhétorique dans la province de Crète et de Cyrénaïque sous le Haut‑Empire, il n’est connu que par le témoignage des biographes de Septime Sévère, qui s’accordent tous sur le fait qu’il suit les études classiques d’un jeune provincial romanisé, avec cette particularité qu’il maîtrise également la langue punique30. Mais si L’histoire Auguste précise qu’il part à Rome pour ses études, ce n’est qu’après ses dix‑huit ans, et tout laisse penser que c’est dans sa patrie natale de Leptis Magna qu’il reçoit les prémices d’une instruction rhétorique qu’il ne fera que poursuivre dans la capitale de l’Empire. Ces mentions éparses ne permettent pas de tirer de conclusions définitives sur la diffusion de l’enseignement gréco‑romain en Afrique ; elles laissent cependant penser qu’il y a un réseau qui se met en place31, surtout si l’on met cela en regard avec ce qui se produit au même moment en Gaule et en Espagne : ces trois territoires sont relativement romanisés et permettent de supposer assez aisément qu’en plus d’une capitale culturelle régionale (en l’occurrence ici, Carthage), les villes moyennes accueillent des rhéteurs et favorisent la diffusion du modèle éducatif romain, ce que pourrait corroborer la mobilité assez évidente des professeurs que nous connaissons. Rien n’interdit en effet de penser qu’elle est en partie due à la loi de l’offre et de la demande et à la nécessité d’exercer ailleurs quand une cité est suffisamment pourvue en rhéteurs en proportion du nombre d’étudiants qui y sont présents. Il est du reste remarquable de noter que cette mobilité existe à l’échelle locale, à l’intérieur de la province, mais également à celle de l’Empire. Pour Fronton, l’installation à Rome n’est probablement qu’une conséquence de sa venue dans la Ville pour ses études, où il a suivi les leçons du rhéteur Denys le Petit et du philosophe Athénodote32 et où il mène ensuite sa carrière politique. Mais elle résulte plus sûrement pour Nepotianus, on l’a vu, de la reconnaissance de ses talents par l’empereur régnant. Deux cas, enfin, se révèlent tout à fait originaux, ceux de Florus et de Q. Publicius Aemilianus. La vie du premier nous est en partie connue par la préface de son ouvrage Vergilius orator an poeta ? où il rappelle les étapes qui l’ont conduit au professorat. Tout débute lorsqu’il vient à Rome pour ses études. Il fait montre de qualités oratoires remarquables, qui lui permettent de remporter, en 94 ap. J.-C., le concours mis aux Jeux Capitolins. Mais devant le refus de Domitien d’attribuer le prix à un Africain, il quitte la Ville et mène une vie d’errance qui le conduit à Tarragone, où il embrasse la carrière professorale pour subvenir à ses besoins (son père, que ses voyages ont offensé, refusant de continuer à l’entretenir). Rien n’est dit des raisons qui l’entraînent 30 Cf. Eutrope VIII, 19, 1 ; Histoire Auguste, « Vie de Septime Sévère » 1, 4 ; Pseudo‑Aurelius Victor, Epitome 20, 8. 31 Cette idée est renforcée par la connaissance que l’on a, essentiellement grâce à l’épigraphie, de plusieurs philosophes ayant exercé en Afrique – Q. Aelius Aegrilius Euaretus (CIL XIII, 8159 = ILS 7776), Artorius Celer à Sicca Veneria (AE 1937, 34 ; ILTun 1614), Domitius Fronto à Hippone (AE 1957, 90), T. Flauius Maximus à Carthage (CIL XIII, 12924 = ILS 7783) – ou qui en sont originaires, comme Cornutus. 32 Fronton, Ad M. Caes. II, 1, 3 ; IV, 12, 2.

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en Espagne mais ce silence est un argument supplémentaire, nous semble‑t‑il, pour conclure à l’existence d’un réseau éducatif dans les villes secondaires des provinces romanisées, qui permettent d’accueillir des professeurs en quête d’élèves. Quant à Q. Publicius Aemilianus, son cas, connu par son épitaphe, est tout à fait exceptionnel : D(is) M(anibus) s(acrum) / Q(uintus) Publici/us Aemili/anus rhe/tor natio/ne[m] Afer / vixit an(nos) / XLVII menses / VIIII dies VII ho/ras noctis V33. L’inscription funéraire de ce rhéteur, retrouvée à Solin, cité située à 5 km de l’actuelle ville de Split, sur la côte croate, représente en effet le seul témoignage d’un professeur d’origine africaine parti s’installer dans une région orientale, en l’occurrence en Dalmatie (si l’on suppose qu’il vécut là où fut découverte l’inscription). Il effectue donc un voyage d’ouest en est, cas presque unique34 parmi les rhéteurs que l’on connaît. De plus, l’usage du latin dans son épitaphe peut laisser entendre qu’il instruisait ses élèves dans cette langue : on aurait alors l’exemple d’un rhéteur latinophone dans une région où le grec demeure courant. Il est alors probable que son voyage fut motivé par des raisons économiques, dans l’espoir d’une meilleure rétribution et de conditions de vie plus acceptables. Malgré le petit nombre de sources documentant la pratique rhétorique en Afrique sous le Haut‑Empire, il est possible de dresser un portrait un peu plus précis des hommes qui assurent la diffusion de cet enseignement. On note que celui‑ci est avant tout l’affaire des couches supérieures de la société : contrairement aux maîtres de niveaux inférieurs, où prolifèrent les affranchis, le rhéteur est avant tout un citoyen, qui peut même faire partie des ordres supérieurs de la société – quand cette appartenance n’est pas due à ses talents professoraux. Autrement dit, s’intéresser aux hommes permet de nuancer l’image souvent caricaturale, dépréciative, que l’on a des professeurs antiques : le métier n’est pas si méprisable qu’on a pu le dire. Enfin, s’intéresser aux rhéteurs africains permet de mettre l’accent sur un trait caractéristique de cette profession : sa mobilité. Il y a des déplacements, tant des professeurs que des élèves, pour des raisons économiques, souvent, mais aussi de prestige. Se dessine ainsi une nouvelle cartographie de l’enseignement, qui densifie l’image que l’on peut s’en faire et qui souligne les liens qui se créent entre les différentes provinces de l’Empire romain. Marie Dallies Professeure agrégée de Lettres classiques en C. P. G. E, Membre associé d’HISOMA (UMR 5189)

33 CIL III, 2127a (p. 1509) = ILS 7774 (Salona / Solin, date non déterminée) : « Aux Dieux Mânes (est consacré) ce tombeau. Q. Publicius Aemilianus, rhéteur de nationalité africaine, a vécu 47 ans, 9 mois, 7 jours, 5 heures nocturnes. » 34 Il convient de citer ici le nom de Favorinus d’Arles, qui part à Athènes pour enseigner la rhétorique et sera notamment le professeur d’Hérode Atticus. Mais c’est en grec qu’il exerce.

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Rhéteurs et sophistes grecs dans l’Égypte romaine Des intellectuels sur le déclin ?

L’Égypte romaine est souvent présentée comme une période de déclin de la culture grecque par rapport à la période hellénistique1. Ce thème du déclin culturel a été développé en particulier par Eric G. Turner et Peter M. Fraser2. Il affecterait tout particulièrement Alexandrie où il serait « indéniable » selon Paul Schubert3. Les origines de cette situation se trouveraient en fait dans la politique hostile aux intellectuels alexandrins de Ptolémée VIII Physcon inaugurée vers 145 av. J.-C. En dépit d’une brève renaissance culturelle, avec l’arrivée à Alexandrie de lettrés d’Athènes à la suite de la prise de la ville par Sylla en 86 av. J.‑C., puis le nouvel âge d’or qu’aurait été le règne de Cléopâtre VII (51-30 av. J.‑C.), la pente d’un déclin irrésistible aurait repris son cours avec la conquête romaine. Dans ces conditions, Alexandrie aurait perdu et le pouvoir d’attraction et la puissance de rayonnement qu’elle avait connus dans les deux premiers siècles de l’époque ptolémaïque, de la fondation du Musée d’Alexandrie dans les années 290 av. J.‑C. jusqu’au milieu du iie siècle av. J.‑C. Il s’agira ici de s’interroger sur la transmission d’un patrimoine intellectuel commun à la Grèce et à Rome4, l’art oratoire. En effet, la formation dispensée par les grammairiens, les rhéteurs, les sophistes et les philosophes constituait le stade ultime de la paideia grecque. Mais la définition précise de ces quatre groupes de professions a donné lieu à des appréciations divergentes. Ils ne constituent pas en effet des groupes aux contours étanches et un intellectuel pouvait pratiquer plusieurs spécialités. En outre, la définition de ces catégories peut fluctuer selon les sources,



1 Cette thématique peut trouver un écho actuel dans un livre sur le déclin des intellectuels français, Sudhir Hazareesingh, professeur à l’Université d’Oxford, Ce pays qui aime les idées : Histoire d’une passion française, Paris, 2015. 2 E. G. Turner, « Oxyrhynchus and Rome », HSCPh, 79, 1975, p. 1-24 ; P. M. FRASER, Ptolemaic Alexandria I, Oxford, 1972, p. 475. 3 P. Schubert, « Philostrate et les sophistes d’Alexandrie », Mmemosyne, 48, 1995, p. 178-188. 4 C. Wolff, L’éducation dans le monde romain, Paris, 2015, passim, en part. p. 39-43. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 95-108 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121136

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ainsi entre rhéteurs et philosophes5, entre grammairiens et sophistes6 ou entre rhéteurs et sophistes7. Nous étudierons les sources relatives à l’Égypte impériale où sont nommés des rhéteurs et des sophistes8. Le contexte des sources permet le plus souvent de distinguer ces deux professions, en dépit de l’« ambiguïté gênante » du mot « rhéteur » qui « peut désigner le modeste professeur qui initie les adolescents d’une bourgade à la lecture d’Homère comme l’orateur vedette dont les épideixeis attirent les foules et les empereurs »9. Or, si l’on s’en tient aux attestations de professeurs de rhétorique (ῥήτωρ) dans les papyrus, le tableau est indigent10, puisque le seul rhètôr attesté figure sur un fragment de registre fiscal en blé provenant d’Hermoupolis Magna et datant du viie siècle ap. J.‑C. (SB XVIII 13758, l. 11). Le nom du rhéteur est perdu. Les sophistes (σοφιστής) ne sont guère mieux attestés avec deux occurrences provenant également d’Hermoupolis Magna et datant du viie siècle (P. Sorb II 69 ; P. Lond. II 866b). Le premier, Hèliodôros, apparaît comme contributeur fiscal pour lui-même (48 A 7 et 128 B 6) et pour sa femme (38 E 9)11. Le second, Théodosios, est mentionné dans une lettre officielle. Ces trois documents ne permettent donc pas de déterminer la nature exacte ni le cadre de leur enseignement rhétorique. Nous nous intéresserons donc aux rhéteurs et aux sophistes12 pour évaluer s’il est justifié de parler d’un déclin de l’exercice et de l’enseignement de la rhétorique, à Alexandrie mais aussi dans la chôra égyptienne sous le Haut Empire13. Nous présenterons d’abord les rhéteurs et les sophistes d’Alexandrie, puis ceux de la chôra, afin de déterminer leur rôle social et culturel, en cherchant en particulier à évaluer la part respective de l’éloquence d’apparat et de l’éloquence judiciaire dans l’enseignement et dans la pratique.

5 G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969, p. 11-12, en part. p. 11 : « It was, in fact, possible for the professions of philosopher and rhetor to be conflated and confused ». 6 Cf. E. G. Turner, « Oxyrhynchus and Rome », p. 9, qui note qu’Alexandrie était réputée pour ses grammairiens. 7 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale Paris, 2002, p. 10-15. 8 La liste des grammairiens (γραμματικοί) d’Égypte est donnée par R. CRIBIORE, Writing, Teachers, and Students in Graeco-Roman Egypt, Atlanta (Georgia), 1996, p. 167-169 ; une liste des philosophes actifs en Égypte est fournie par A. Calderini, Studi in onore di Ugo Enrico Paoli, Florence, 1955, p. 153-155. 9 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 13. 10 Cf. R. Cribiore, Writing, Teachers, and Students… p. 169-170. 11 Le P. Sorb. II 69 est un volumineux codex fiscal hermopolite édité par Jean Gascou. Sur les livres de comptes hermopolites, en particulier sur SB XVIII 13758, cf. J. Gascou, « Comptabilités fiscales hermopolites du début du viie siècle [SB XVIII 13752-13761] », dans J. Gascou (éd.), Fiscalité et société en Égypte byzantine no XII, Paris, 2008, p. 223-245. 12 Sur la rhétorique d’époque impériale, cf. en général H.-G. Nesselrath, « Die Rhetorik » dans H.-G. nesselrath (éd.), Einleitung in die griechische Philologie, Stuttgart-Leipzig, 1997, p. 271-274. 13 Sur l’Égypte byzantine où Alexandrie est, avec Rome et Constantinople, l’un des trois centres majeurs d’études de la rhétorique cf. G. A. Kennedy, Greek Rhetoric under Christian Emperors, Princeton, 1973, p. 177-179.

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Les rhéteurs et sophistes alexandrins Les sources épigraphiques permettent de situer deux rhéteurs dans leur environnement social et culturel. Deux courtes inscriptions alexandrines font ainsi connaître deux rhéteurs alexandrins de la deuxième moitié du iie siècle, le rhéteur Aelius Dèmètrios et son père Aelius Sérapion. La première conserve l’inscription dédicatoire de la statue d’Aelius Dèmètrios (I. Alex. Imp. 98 = B. Puech, Orateurs et sophistes 86) : « Les philosophes (honorent) Aelius Dèmètrios, rhéteur, leur commensal (σύσσιτος) Flavius Hiérax ayant élevé [la statue de son maître] et père ([τὸν διδάσκαλον] καὶ πατέρα) ». La seconde inscription, trouvée à Akhmin (Panopolis), provenant très probablement d’Alexandrie atteste qu’Aelius Dèmètrios a été choisi par sa cité pour faire une consécration à Héraklès Kallinikos (B. Puech, Orateurs et sophistes 87) : « À Héraklès Kallinikos, la cité, par l’intermédiaire d’Aelius Dèmètrios, fils d’Aelius Sérapion, rhéteur, issu d’une lignée d’hommes de culture (λογείων προγ‹ό›νων) ». Ces documents révèlent donc une famille de λόγιοι, c’est-à-dire de lettrés. Les deux membres cités, Aelius Sérapion et son fils Aelius Dèmètrios, sont tous deux des rhéteurs. L’un et l’autre sont également connus par des sources littéraires. La Souda comporte une notice sur Aelius Sarapion d’Alexandrie14, un rhéteur (ῥήτωρ) alexandrin (᾽Αλεξανδρεύς) qui écrivit des traités théoriques et des discours variés. Il prononça l’un de ces discours sous le règne de l’empereur Hadrien, qui lui conféra la citoyenneté romaine. Galien rapproche Aelius Dèmètrios du rhéteur-philosophe Favorinus, qui était son maître et son ami15. On peut admettre que l’hommage au dieu Héraklès fut rendu à Alexandrie par Aelius Dèmètrios alors qu’il était encore en formation, car l’inscription ne le désigne pas comme un rhéteur. Son départ pour Rome pour suivre l’enseignement de Favorinus se serait fait ensuite. Il accèda plus tard à une grande notoriété, faisant partie sous Marc Aurèle de l’entourage intellectuel des sénateurs lettrés Flavius Boethus ou Claudius Severus16. La dynastie de savants se poursuit avec la mention d’un « fils » d’Aelius Dèmètrios dans la première inscription, Flavius Hiérax, qui est membre du Musée d’Alexandrie. Il n’est pas autrement connu17. L’absence d’une qualification de Hiérax comme rhéteur montre qu’il ne possédait pas cette qualité. Il est impossible de déterminer si Hiérax, qui ne porte pas le gentilice de son « père » a été adopté, ce qui est fréquent dans les relations entre maître et disciple, ou s’il s’agit, comme souvent dans les textes littéraires ou les papyrus, d’une expression qui a valeur symbolique18.

14 Σ 115 Adler. 15 Galien XIV 627 Kühn. 16 P. Moraux, Galien de Pergame. Souvenirs d’un médecin, Paris, 1985, p. 81-84 ; S. Follet, « Alcinoos », dans R. Goulet (éd.), Dictionnaire des philosophes antiques, Paris, 1989, I 114 ; B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 203. 17 L. Robert, Bulletin épigraphique, 1968, no173, a ruiné l’hypothèse de C. P. Jones, CQ, 17, 1967, p. 311-312, qui proposait un rapprochement avec le rhéteur éphésien T. Flavius Lucius Hiérax (PIR2 F. 308). 18 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 201, n. 1.

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Le statut social et culturel de ces trois lettrés est riche d’enseignements. Aelius Sérapion reçoit la civitas Romana sous Hadrien. Selon une règle connue pour la promotion civique d’Harpocras, médecin de Pline le Jeune sous Trajan19, l’accession à la citoyenneté de Rome impose d’appartenir auparavant au corps civique alexandrin20. Aelius Sérapion bénéficie donc de cette double citoyenneté, ce qui le place au sommet des élites de la province et de l’Empire. Nous ne savons rien de ses origines. Le nom de Sérapion/Sarapion est très fréquent, et ne peut nous permettre de déterminer l’origine locale, ethnique ou culturelle de son propriétaire. On ne peut exclure que Sérapion soit comme le médecin de Pline, Harpocras, un pérégrin de la chôra, qui aurait d’abord été agrégé à la cité alexandrine, avant une promotion individuelle à la cité romaine. Son talent et une carrière prestigieuse de rhéteur pouvaient lui assurer un tel destin21. Le choix du fils pour présenter une offrande à Héraklès Kallinikos peut s’expliquer par le prestige de son père, mais aussi par les liens qui unissent ce dieu à la jeunesse masculine fréquentant le gymnase, lieu de la formation athlétique et intellectuelle. Aelius Dèmètrios, qui est « peut-être très jeune encore », comme le propose Bernadette Puech22, se doit de fréquenter le gymnase d’Alexandrie comme éphèbe pour accéder à la politeia alexandrine23. Ceci signifie qu’il a atteint 14 ans, un âge parfaitement compatible avec l’exercice de l’honneur qui lui est conféré. La référence héracléenne pour définir les qualités d’un jeune Alexandrin est bien attestée, ainsi dans l’épigramme d’époque impériale peinte sur la paroi d’une chambre funéraire dans la nécropole orientale de la ville (Sidi-Gaber), : « Le bel Héraclide repose ici, comme Osiris ou Adonis, l’amant de la déesse de Paphos, ou Endymion, l’amant de Sélénè, ou le fils d’Alcmène, Héraklès, vainqueur dans douze travaux, assurément » (I. Métr. 76). L’épigramme fait précisément référence aux victoires de l’Héraklès « Victorieux » (Καλλίνικος). Si le gymnase était bien le lieu de l’éducation sportive pour les adolescents et les jeunes, il accueillait aussi des conférences ponctuelles données par des lettrés locaux ou en visite24. L’architecture de ces vastes monuments comportait des espaces pour les conférences. Si le plan du gymnase d’Alexandrie n’a pu être reconstitué par l’archéologie, nous avons l’exemple du gymnase d’Aphroditopolis en Haute-Égypte qui possédait une « grande exèdre »25. Les gymnases comportaient

19 Pline, Lettres X, 5-7 et 10. 20 D. Delia, Alexandrian Citizenship during the Roman Principate, Atlanta, 1991, p. 7-47. 21 Sur la promotion civique des athlètes et des artistes dans les cités grecques, et singulièrement à Alexandrie, cf. O. van NIJF, « Athletes, Artists and Citizens in The Imperial Greek City », dans A. Heller et A.-V. Pont (éd.), Patrie d’origine et patries électives : les citoyennetés multiples dans le monde grec d’époque romaine, Bordeaux, 2012, p. 175-194. Sur la promotion des vainqueurs aux jeux de Naucratis, cf. R. Coles, « The Naucratites and their Ghost-Names. P. Oxy. 2338 revised », ZPE, 18, 1975, p. 199-204. La carrière militaire est cependant le moyen de promotion sociale et juridique le plus fréquemment attesté pour les habitants de la province romaine d’Égypte, cf. S. Bussi, Le élites locali nella provincia d’Egitto di prima età imperiale, Milan, 2008, p. 69-109. 22 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 203. 23 B. Legras, Néotês. Recherches sur les jeunes Grecs dans l’Égypte ptolémaïque et romaine, Genève-Paris, 1999, p. 253-257. 24 R. Cribiore, Writing, Teachers, and Students…, p. 35. 25 P. Roussel, « Une inscription d’Aphroditopolis », Mélanges Maspero II, Le Caire, 1950, p. 33, l. 24.

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souvent des bibliothèques qui servaient l’éducation intellectuelle des lecteurs de différentes classes d’âge26. Des rhéteurs pouvaient également s’y produire pour prononcer des discours d’apparat. Les liens entre Aelius Dèmètrios et Flavius Hiérax attestent des échanges existant entre les rhéteurs, qui étaient des lettrés indépendants, et les membres du Musée, qui appartenaient à une prestigieuse institution. L’inscription dit que l’érection de la statue en l’honneur du rhéteur fut décidée par « les philosophes », et que Hiérax, leur commensal (σύσσιτος), en finança le coût. L’inscription ne mentionne pas la qualité du rhéteur honoré comme membre du Musée27, mais elle est l’une des sources attestant que le Musée et sa bibliothèque demeurent une institution vivante dans l’Égypte romaine28. En effet, l’association des philosophes du Musée (τῶν ἐν τῶι Μουσείῳ σειτουμένων ἀτελῶν φιλοσόφων) est attestée durant l’époque ptolémaïque et durant l’époque romaine29, avec toutefois une évolution importante. Il comporte désormais des membres qui ne sont pas des savants, mais des personnalités honorées du titre prestigieux de « membre du Musée » et de ses privilèges, l’atélie (l’exemption fiscale) et le syssition (la participation gratuite aux banquets)30. La bibliothèque, qui n’avait pas brûlé en 48-47 av. J.‑C. lorsque César donnait l’ordre d’incendier les soixante navires de Ptolémée XIII qui l’assiègeaient dans le palais royal, incendie qui s’étendit seulement aux entrepôts de marchandises d’exportation du port (dont des rouleaux de papyrus)31, fut à ce moment sans doute privée d’un nombre important de volumes qui partirent vers Rome32. Mais comme l’écrit Luciano Canfora, « à la fin du iie et au début du iiie siècle, Athénée de Naucratis semble encore puiser dans les trésors de la Bibliothèque d’Alexandrie pour une vaste compilation érudite »33. À ces deux rhéteurs, il faut ajouter deux sophistes membres du Musée d’Alexandrie, Dionysios de Milet et Polémon de Smyrne34. Ils sont mentionnés par Philostrate

26 H. Blanck, Das Buch in der Antike, Munich, 1992, p. 149-152. La richesse en livres pourrait être un indice que le gymnase ait pu aussi être parfois le siège de l’enseignement « secondaire » du grammatikos. Cf. B. LEGRAS, Lire en Égypte, d’Alexandre à l’Islam, Paris, 2002, p. 103. 27 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 201, n. 2. La mention de la participation au « syssition » ne semble pas un argument suffisant comme le pensent C. P. Jones, « A Friend of Galen », CQ, 18, 1967, p. 311-312, et Fr. Kayser, I. Alex. Imp., p. 288. Cela peut être un honneur (même temporaire) qui n’implique pas que son récipiendaire devienne un membre de plein droit. 28 Cf. B. Legras, Lire en Égypte…, p. 125. 29 P. M. Fraser, Ptolemaic Alexandria I, Londres, 1972, p. 311 et p. 316-317 ; II, p. 470, n. 84. Un philosophe platonicien membre du Musée, Flavius Maecius Severus Dionysodorus, est mentionné dans une inscription d’Antinooupolis du iie siècle : I. Portes 14. Le Conseil de la cité honore ce « membre du Musée bénéficiant de l’atélie », τῶν [ἐν τῶι] Μουσείῳ σιτουμέ[νων ἀτελῶν] (l. 4). 30 N. Lewis, « The Non-Scholar Members of the Alexandrian Museum », Mnemosyne, 16, 1963, p. 257-261. 31 L. Canfora, La véritable histoire de la bibliothèque d’Alexandrie, trad. fr., Paris, 1988, p. 83-84 et p. 145-158. 32 Cf. E. Bernand, Alexandrie la Grande, nouvelle édition, Paris, 1998, p. 137 et 312, qui estime, en dépit de la démonstration de Luciano Canfora, que César est bien l’auteur involontaire de l’incendie de la bibliothèque mais qu’une partie du fonds reconstitué par la suite prit « le chemin de Rome ». Pour M. BERTI, V. COSTA, La Biblioteca di Alessandria. Storia di un paradiso perduto, Tivoli (Rome), 2010, p. 184, les collections furent reconstituées rapidement après l’incendie. 33 L. Canfora, La Bibliothèque d’Alexandrie et l’histoire des textes, Liège, 1992, p. 53. 34 G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, p. 20.

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dans ses Vies des Sophistes, mais ils tiennent une place à part. Le premier est connu pour sa carrière administrative à Rome où il était secrétaire ab epistulis Graecis sous Néron. Le second, qui appartenait à une illustre famille d’Ionie, dut recevoir ce titre de membre du Musée par la faveur de l’empereur Hadrien dont il était l’un des proches. Leur carrière illustre dans un cas le destin d’un rhéteur devenu un administrateur impérial, dans l’autre la collation d’un honneur, celui de devenir membre du Musée, par le maître de l’Imperium Romanum. L’un et l’autre sophistes cependant n’animèrent que temporairement la vie intellectuelle alexandrine car ils ne se fixèrent pas dans la mégapole. Leur carrière traduit tout de même le prestige du milieu des sophistes alexandrins. Un ensemble de papyrus documentaires atteste la présence d’étudiants de niveau supérieur à Alexandrie. Il en va ainsi pour une lettre du iie siècle d’un père inquiet, Cornelius, à son fils Hiérax étudiant à Alexandrie, qui pourrait être un étudiant avancé en rhétorique, P. Oxy. III 531 = C. Pap. Hengstl 83. Il mène une vie luxueuse comme l’attestent ses vêtements blancs, ses manteaux de pourpre ou de la couleur de la myrrhe (jaune) et ses chaussures de couleur pourpre qui constituent l’ensemble vestimentaire qu’il devait porter lors de représentations théâtrales. Le terme φιλολογεῖν qu’emploie son père pour l’inciter au travail (l. 11) ne permet cependant pas de déterminer son niveau d’études. D’autres documents étudiés ci-dessous renseignent sur la mobilité professionnelle de maîtres qui circulent entre Alexandrie et les villes de la chôra, voire d’autres villes de l’espace impérial romain.

Les rhéteurs et sophistes de la chôra La présence de rhéteurs et de sophistes grecs de la chôra est attestée dans les sources littéraires, épigraphiques et papyrologiques. L’ouvrage de Philostrate, les Vies des Sophistes, achevé entre 228 et 238, cite quatre sophistes originaires de Naucratis, Apollonios, Pollux, Proclos et Ptolémée. Athénée, trop tardif, n’est pas mentionné. Pollux et Athénée sont par ailleurs connus par les œuvres qui nous sont parvenues, l’Onomasticon pour l’un, le Banquet des Sophistes (Deipnosophistes) pour le second. La dimension rhétorique de leur art est incontestable. Proclos, le maître de Philostrate, ouvrit une école de rhétorique à Athènes. Apollonios fut le rival malheureux d’Héraclide de Lycie pour la chaire impériale de rhétorique d’Athènes35. L’absence de toute mention de rhéteurs alexandrins dans l’œuvre de Philostrate a surpris. On a pu y voir la preuve du déclin intellectuel de la ville. Mais Paul Schubert en a proposé une autre explication, plus convaincante, à savoir une omission volontaire de Philostrate qui aurait voulu faire l’éloge de Naucratis, la cité de son maître Proclos, dans un contexte de rivalité entre Alexandrie et Naucratis36. La vie intellectuelle qui s’épanouit à Naucratis sous le Haut Empire ne se fit pas cependant au détriment d’Alexandrie. Elle était en fait révélatrice du dynamisme des Naucratites, fiers du passé d’une polis

35 Philostrate, Vie des Sophistes, 2, 26, 613. 36 P. Schubert, « Philostrate et les sophistes d’Alexandrie », p. 182-183.

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devenue une ville-musée dans deux domaines, celui des sciences historiques, puis celui de la rhétorique37. Le prestige de Naucratis reposait également sur l’existence de deux lieux de conservation et de recherche intellectuelle, un prytanée, attesté au ive siècle av. J.‑C. et qui devait abriter les archives de la cité et, à l’époque impériale, un sanctuaire qui accueillait des pensionnaires, à l’image du Musée d’Alexandrie. L’esprit antiquaire des Naucratites ne leur permettait cependant pas d’atteindre les sommets du prestige dans le domaine de l’art oratoire. Leurs rhéteurs semblent avoir été des rhéteurs mineurs, menant « une carrière sans éclat »38. Lucien de Samosate dresse ainsi un portrait peu flatteur de Pollux, décrit comme un « rhéteur vieillot et démodé »39. Les rhéteurs ou les rhéteurs-sophistes sont présents dans d’autres espaces de la chôra. Une inscription, I. Portes 70, nous fait ainsi connaître un rhéteur (ῥήτωρ) en Haute-Égypte à Coptos en 103. En effet, Didymos fils de Théon dédie une statue de bois d’Isis-au-Foyer et une chapelle (sans doute portative) pour la Fortune de l’empereur Trajan. En outre, un ensemble de lettres sur papyrus d’époque romaine nous renseigne sur l’activité de maîtres du niveau supérieur d’éducation dans la chôra et sur leur mobilité40. La première concerne un kathègètès, un maître de l’enseignement secondaire qui enseigne peut-être les premières bases de la rhétorique41. Le P. Oxy. VI 930 conserve en effet la lettre datée paléographiquement du iie ou du iiie siècle d’une mère à son fils42. Le fils, Ptolémaios, étudie à Oxyrhynchos. La mère se dit « désolée d’apprendre, par sa fille, que notre kathègètès Diogénès, s’est embarqué vers la Basse-Égypte », c’est-à-dire très vraisemblablement vers Alexandrie. Il pourrait donc s’agir d’un maître de rhétorique ambitieux, rhéteur ou sophiste, qui cherche à mieux gagner sa vie dans la mégapole alexandrine43. La mobilité des maîtres apparaît dans le P. Oxy. XVIII 2190 = SB XXII 1570844, datable d’environ 100, qui donne la lettre d’un étudiant vivant à Alexandrie, à son père Théon qui habite dans la chôra. Le fils, qui mène une vie dissipée, demande de nouveaux subsides à son père. Si la lecture de l’adresse (l. 65) est correctement restituée, son père serait archiprêtre du Nil. Cette position sociale élevée expliquerait qu’il soit en mesure de subvenir aux importants besoins d’un fils dispendieux qui appartient à la jeunesse dorée estudiantine. Le fils insiste sur les difficultés qu’il rencontre pour

37 B. Redon, « L’identité grecque de Naucratis. Enquête sur la fabrication de la mémoire d’une cité grecque d’Égypte aux époques hellénistique et romaine », REG, 125, 2012, p. 53-93. Elle parle d’une « spécialisation des Naucratites » dans le champ de l’histoire et de la rhétorique (p. 70). 38 P. Schubert, « Philostrate et les sophistes d’Alexandrie », p. 181. 39 B. Redon, « L’identité grecque de Naucratis… », p. 71. 40 Pour une analyse détaillée, cf. B. Legras, Néotês. Recherches sur les jeunes Grecs dans l’Égypte ptolémaïque et romaine, p. 36-46. Il faut cependant rendre son anonymat à l’étudiant du P. Oxy. XVIII 2190 = SB XXII 15708, la restitution du nom Neilos (l. 1) n’étant pas assurée. 41 B. Legras, Néotês. Recherches sur les jeunes Grecs …, p. 36-43. 42 Cf. P. Oxy. VI 930 = R. S. Bagnall, R. Cribiore, Women’s Letters from Ancient Egypt B 9.2, p. 375-376. 43 P. Schubert, « Philostrate et les sophistes d’Alexandrie », p. 186, le classe parmi « les sophistes des campagnes (qui) tentent leur chance dans la grande cité ». Pour R. S. Bagnall et R. Cribiore, Women’s Letters from Ancient Egypt 300 BC-AD 800, Ann Arbor, 2006, p. 376, il est simplement un « kathegetes, giving secondary instruction on a tutorial basis and therefore often itinerant ». 44 Traduction française dans P. Schubert, Vivre en Égypte gréco-romaine, Vevey, 2000, no 10.

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trouver des maîtres qualifiés. Il a refusé de suivre les cours d’un kathègètès du nom de Didymos car il l’estimait incompétent en dépit de sa volonté d’entrer en compétition avec les autres : « Dans ma quête d’un maître (φιλόλογος), je viens de découvrir à présent que Khairèmôn, le kathègètès, et Didymos, le fils d’Aristoklès, auprès desquels j’espérais réussir, ont quitté la ville. Quant aux autres, ce sont des déchets, chez qui beaucoup n’ont trouvé que la voie la plus directe pour se corrompre […] » (l. 6-11). Ces départs ont pu se faire vers des métropoles de la chôra, mais si ces professeurs sont ambitieux (et brillants) plutôt vers des villes outre mer de l’Empire. L’étudiant fait ensuite mention des conseils de Philoxénos qui recommande Didymos comme maître à des amis : « En effet, eux aussi cherchaient jusqu’à maintenant un kathègètès plus compétent avec son aide, puisque celui dont ils suivaient le cours était mort. Pour ma part, je prie pour ne pas voir ce Didymos, même de loin, si je veux obtenir un kathègètès digne de ce nom. Je m’inquiète de ce que cet homme semble s’être mis en tête de rivaliser avec les autres, alors qu’il est enseignant en province » (l. 23-28). Il affirme dans sa lettre que Philoxénos aurait avoué « que ce n’était qu’à cause du manque de sophistes (τῆν τῶν σοφιστῶν ἀπορ[ία]ν) qu’il avait pitié de la cité » (l. 18-19). Il ne faut pas croire sur parole l’étudiant, qui dresse un tableau partial uniquement destiné à excuser son manque de travail, et pour proposer finalement de se former en autodidacte en assistant aux conférences publiques des rhéteurs (τῶν ἑπιδείκνυμένων ἀκροώμενος) (l. 35)45. Cette proposition prouve en tout cas − s’il en était besoin, tant l’étudiant paraît de mauvaise foi − que l’offre rhétorique existe bien à Alexandrie. La question de la mobilité peut se poser pour une belle lettre du iiie siècle, SB III 6262, très argumentée, où l’étudiant Thônis écrit à son père, pour le convaincre de le rejoindre avant que son maître ne parte pour la Haute-Égypte. Thônis pourrait se trouver à Alexandrie, mais aussi dans une métropole de nome en Basse ou en MoyenneÉgypte. Ces documents, en particulier P. Oxy. VI 930 et P. Oxy. XVIII 2190, semblent donc attester la présence de maîtres de rhétorique dans la chôra, des maîtres qui sont mus par leur ambition et leur intérêt pour pratiquer une mobilité professionnelle vers Alexandrie. Mais cette mobilité s’exerce aussi au départ d’Alexandrie vers d’autres villes de l’Empire où leur carrière peut se poursuivre dans des conditions encore plus favorables, par exemple à Rome.

La fonction sociale et culturelle de la rhétorique en Égypte Il est possible de distinguer cinq domaines où s’exerçait le rôle social du rhéteur : l’école, l’administration, les conférences d’apparat, la vie politique des cités grecques et les tribunaux46. Concernant l’enseignement de la rhétorique, son contenu peut être précisé grâce aux papyrus littéraires et aux œuvres littéraires de maîtres comme Aelius Théon

45 P. Schubert, « Philostrate et les sophistes d’Alexandrie », p. 185. 46 Pour une analyse étendue à l’Empire, B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, « L’orateur dans la société », p. 23-35.

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d’Alexandrie, Hermogénès, Libanios ou Quintilien, depuis les exercices préparatoires (progymnasmata) jusqu’à la déclamation (mélétè)47. La perte des papyrus alexandrins est à ce titre particulièrement regrettable, car Alexandrie possédait des écoles de rhétorique, comme le montrent clairement les inscriptions. L’œuvre du rhéteur Aelius Théon, dont les Progymnasmata, exercices préparatoires de rhétorique, nous sont en grande partie parvenus, illustre bien la qualité de la rhétorique alexandrine48. Par ailleurs, l’intérêt des Grecs d’Egypte pour la rhétorique se révèle dans trois types de documents papyrologiques : les fragments d’orateurs, les exercices scolaires de rhétorique et les exercices scolaires d’entraînement à des concours de rhétorique49. Les orateurs attiques, Démosthène, Hypéride, Isée, Lysias y sont très présents, mais on dénombre également des discours d’anonymes reflétant les différents contextes de pratique de la rhétorique. Des enseignants de rhétorique apparaissent aussi clairement dans les lettres que nous avons étudiées précédemment : le maître Diogénès qui quitte Oxyrhynchos pour chercher fortune à Alexandrie (P. Oxy. VI 930) ou le maître Didymos (P. Oxy. XVIII 2190). Le P. Oxy. III 531, quant à lui, mentionne peut-être un étudiant, Hiérax, de niveau rhétorique. Cet enseignement pouvait souffrir des critiques, mais on considérera que le jugement impitoyable de l’étudiant alexandrin du P. Oxy. XVIII 2190 est à mettre au compte de sa volonté de dénigrer systématiquement les maîtres pour recevoir des subsides sans avoir à payer un nouveau maître : « Maintenant que tu sais qu’il n’y a rien à retirer d’un professeur, sinon dépenser en vain des sommes faramineuses, et que tout dépend de toi, écris-moi vite ce que tu en penses » (l. 30-32). Mais la maîtrise de la rhétorique était appréciée également pour les fonctions administratives de haut niveau. Nous avons rappelé plus haut la brillante carrière des deux rhéteurs Dionysios de Milet et Polémon de Smyrne. Un autre exemple de ce domaine d’activité est le préfet d’Égypte Gaius Avidius Héliodorus, qui aurait obtenu cette fonction « par sa compétence rhétorique » (ἐξ ἐμπειρίας ῥητορικῆς) selon Dion Cassius (Épitomè 72, 22). La connaissance de la rhétorique administrative était en effet un atout dans une carrière. On sait que ce type de rhétorique était pratiqué déjà à l’époque ptolémaïque. La lettre circulaire du dioecète Hérodès conservée par le P. Paris 63 = UPZ I 110, col. I-VII (163 av. J.‑C.) a pu apparaître comme un « monstre de la rhétorique ministérielle » rédigé par « un bureaucrate qui se prend pour un fin prosateur et un sublime moraliste »50.

47 R. Cribiore, Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton-Oxford, 2001, p. 220-244, en part. le chapitre 8, p. 220-244, « Learning to Fly : Rhetoric and Imitation ». 48 Cribiore, Gymnastics of the Mind…, p. 221-225. 49 Le premier groupe constitue un important corpus réuni sous les numéros 2495 à 2559 dans la deuxième édition du catalogue de Roger A. Pack. Raffaella Cribiore rassemble les exercices scolaires de rhétorique dans son catalogue sous les numéros 344 à 347. Cf. R. A. Pack, The Greek and Latin Literary Texts from Greco-Roman Egypt, 2e éd., Ann Arbor, 1967, p. 131-134 ; R. Cribiore, Writing, Teachers, and Students, p. 259-262 ; compléments dans R. Cribiore, Gymnastics of the Mind, p. 228 n. 31. 50 J. Mélèze-Modrzejewski, « Πρόσταγμα περὶ τῆς γεωργίας : droit grec et réalités égyptiennes en matière de bail forcé », dans S. Allam (éd.), Grund und Boden in Altägypten, Tübingen, 1994, p. 199-225, en particulier p. 209.

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L’intérêt des Grecs cultivés d’Alexandrie et de la chôra pour la rhétorique d’apparat est exemplairement illustré par l’inscription de Vérone OGIS II 709 (= B. Puech, Orateurs et sophistes 44). Elle mentionne le séjour en Égypte du célèbre sophiste smyrniote Aelius Aristide et l’extraordinaire succès de ses conférences à travers le pays : « La cité d’Alexandrie, Hermoupolis la Grande, le Conseil des Antinoéens, Nouveaux Grecs, les Hellènes du Delta d’Égypte comme ceux qui habitent le nome thébaïque ont honoré Publius Aelius Aristeidès Théodôros, pour son excellence (ἀνδραγαθία) et son éloquence (λόγοις) ». Jean Bingen et Marie-Henriette Quet s’accordent pour voir dans ce texte un hommage privé et non un décret officiel51. Il révélerait à la fois l’admiration du public cultivé égyptien pour Aelius Aristide et l’attraction qu’exerce le sophiste pour les étudiants venus d’Égypte jusqu’à Smyrne. Les conférences du sophiste en Égypte devaient attirer non seulement des Grecs appréciant en connaisseurs ses prouesses rhétoriques, mais aussi des pépaideumenoi soucieux d’affirmer par leur présence leur culture grecque. Aelius Aristide fit quatre séjours en Égypte. Il ne limitait pas ses visites à Alexandrie, mais découvrait aussi les réalités de la chôra dont il était curieux, ce qui explique la mention dans l’inscription des centres culturels de premier plan pour l’hellénisme égyptien qu’étaient la polis grecque d’Antinooupolis fondée par Hadrien et la métropole d’Hermoupolis la Grande52. Sont également nommés les Grecs de toute la chôra avec la mention du Delta et du « nome thébaïque », une expression qu’il faut comprendre comme « l’ensemble de l’Égypte moins le Delta »53. L’ordre des « gens du gymnase », qui bénéficiaient, hommes et femmes, de la paideia grecque, formait le public naturel de ces conférences54. Ces « gens du gymnase » formaient l’une des composantes du monde des « Hellènes » constitué dans l’Empire, selon le vocabulaire développé par Philostrate, spécialiste du microcosme rhétorique55, par les disciples et les auditeurs des sophistes56. L’inscription traduit aussi la présence d’étudiants et d’auditeurs venus d’Égypte pour écouter Aelius Aristide à Smyrne. Philostrate indique de fait dans ses Vies des Sophistes (I, 55,1 et II 26, 1), à propos de l’enseignement de Scopélien et d’Héraclide de Lycie, que Smyrne, foyer de la renaissance littéraire appelée Seconde Sophistique, séduisait des « Égyptiens ». Ces auditeurs venus apprendre la rhétorique à Smyrne figuraient au nombre des souscripteurs de l’inscription. La vie politique des cités grecques d’Egypte, qui n’avait pas la même intensité que dans les autres provinces orientales de l’Empire, a souvent été décrite comme un frein

51 J. Bingen, « Aelius Aristide, O. G. I. S. II 709 et les ‘Grecs d’Égypte ’ », dans J. Servais, T. Hackens et Br. Servais-Soyez (éd.), Stemmata. Mélanges de philologie, d’histoire et d’archéologie grecques offerts à Jules Labarbe, Liège-Louvain-la-Neuve, 1987, p. 173-185 (= J. BINGEN, Pages d’épigraphie grecque II Égypte (1983-2002), Bruxelles, 2005, no 96) ; M.-H. Quet, « L’inscription de Vérone en l’honneur d’Aelius Aristide et le rayonnement de la Seconde Sophistique chez les ‘Grecs d’Égypte’ », REA, 94, 1992, p. 379-401. 52 Sur la culture grecque à Hermoupolis la Grande, cf. M.-H. Quet, « L’inscription de Vérone… », p. 398-399. 53 J. Bingen, « Aelius Aristide,… », p. 174. 54 Sur l’élite des ἀπὸ γυμνασίου cf. S. Bussi, Le élites locali, p. 17-20. 55 S. Follet, « Divers aspects de l’hellénisme chez Philostrate », dans S. Saïd (éd.), Hellenismos. Quelques jalons pour une histoire de l’identité grecque, Leyde, 1991, p. 205-215. 56 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 143-143.

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au déploiement de la rhétorique politique dans les Assemblées et les Conseils de la province57. Il est vrai que l’Egypte ne comptait que trois cités, Alexandrie, Naucratis, Ptolémaïs, puis quatre avec la fondation d’Antinooupolis par Hadrien. Alexandrie fut privée d’une Boulè jusqu’à la réforme sévérienne de 20058. Mais Naucratis, Ptolémaïs et Antinooupolis possédaient bien une Boulè. Un papyrus Reinach réédité par Ulrich Wilcken, W. Chr. 2759, datant d’après 161, conserve le procès-verbal d’une séance du Conseil antinoïte consacrée à la question du transfert de la législation de Naucratis à Antinooupolis et de l’adaptation du droit du mariage pour autoriser les mariages (épigamia) avec les Grecs de la chôra. Le procès-verbal rassemble les interventions de conseillers qui citent des lois et des édits préfectoraux dans la plus pure tradition de la rhétorique politique des cités grecques, en particulier des orateurs attiques. L’attachement à la cité et à son passé, qui s’intègre dans le mouvement de la Seconde Sophistique, et donc au rayonnement des sophistes, peut être observé pour les autres cités grecques d’Égypte. Bérangère Redon l’a montré récemment pour Naucratis60. Matthieu Vallet en a fait la démonstration dans sa thèse sur Ptolémaïs61. La formation rhétorique des Alexandrins de l’élite était un moyen pour eux de construire leur carrière politique. Ainsi, l’érudition et l’éloquence du notable Apion fils de Posidonios, connu de nous pour être un adversaire des Juifs d’Alexandrie sous Caligula62, étaient notoires63. En effet, un papyrus publié en 2014, le P. Oxy. LXXIX 4202, datant du milieu ou de la seconde moitié du ier siècle, conserve la copie d’une inscription honorifique célébrant ses victoires dans divers concours poétiques. La rhétorique judiciaire, enfin, est de toute évidence celle qui a fait l’objet des études les plus complètes64, en raison de l’abondance des plaidoyers devant les tribunaux qui nous sont parvenus65. Les Acta Alexandrinorum forment un corpus exceptionnel de discours prononcés en grec à Rome devant l’empereur pour la défense d’Alexandrins en lutte contre le pouvoir romain66. Leur analyse est rendue difficile par la discussion sur leur caractère mi-documentaire, mi-littéraire. L’analyse du style rhétorique de ces rhéteurs a suscité de nombreuses controverses. Citons à 57 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs, p. 18 : « le système particulier de l’Égypte privait les Grecs de la province d’un cadre essentiel à l’épanouissement de l’activité rhétorique, les débats du Conseil ». 58 L’absence de Boulè à Alexandrie est une pièce maîtresse du statut augustéen de l’Égypte. Cf. L. Capponi, Augustan Egypt. The Creation of a Roman Province, New York-Londres, 2005, p. 66. 59 Traduction française dans J. mélèze-modrzejewski, Le droit grec après Alexandre, Paris, 2012, no 55. 60 B. Redon, « L’identité grecque de Naucratis… ». 61 M. Vallet, Ptolémaïs en Haute-Égypte. Une cité grecque au coeur de la Thébaïde (ive s. av. J.-C.-ive s. apr. J.-C.), thèse soutenue à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2015, p. 317-325 (à paraître dans la collection Studia hellenistica, Peeters, Louvain). 62 Flavius Josèphe, Contre Apion. Cf. S. Gambetti, The Alexandrian Riots of 38 C.E. and the Persecution of the Jews : A Historical Reconstruction, Leyde-Boston, 2009. 63 Tatianus le Syrien, Oratio ad Graecos, 38 ; Aulu-Gelle 5.14.1, 6.8.4 ; Sextus Julius Africanus, Chronographiae, fr. 34.80 Wallraff. Sénèque, Lettres, 88.40, le qualifie de grammaticus. 64 R. W. Smith, The Art of Rhetoric in Alexandria : Its Theory and Practice in the Ancient World, La Haye, 1974. 65 B. Anagnostou-Cañas, Juge et sentence dans l’Égypte romaine, Paris, 1983. 66 Cf. A. Harker, Loyalty and Dissidence in Roman Egypt : the Case of the Acta Alexandrinorum, New York, 2008 ; J. campos Clímaco, Acta Alexandrinorum : O poder romano contestado pela elite alexandrina, Sarrebruck, 2013.

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titre d’exemple les Acta Appiani, qui traitent d’un procès sous le règne de l’empereur Commode, sans doute vers 190. Le procès de ce gymnasiarque alexandrin est conservé par deux papyrus, le P. Oxy. I 33 et le P. Yale inv. 153667. La discussion porte sur le genre rhétorique utilisé dans les échanges entre Commode et le célèbre sophiste alexandrin Appien. Pour Herbert Musurillo, il s’agirait du genre appelé κακόζηλον68, que Démétrios (le pseudo-Démétrios de Phalère) définit comme « une recherche excessive de l’élégance ou de l’esprit, une sorte de préciosité affectée sombrant dans le ridicule »69. Mais le discours d’Appien peut aussi être rapproché selon Chris Rodriguez du style « simple » (ἰσχνός)70, qui « doit apporter la précision visuelle, l’évidence et la vertu évocatrice du détail concret »71. De fait, ce style « simple » convient parfaitement aux joutes oratoires théâtralisées. La rhétorique exprimée devant le tribunal de l’empereur a donc une composante politique, puisqu’elle devient une arme dans le conflit entre l’élite alexandrine et le pouvoir impérial. À l’inverse, d’autres rhéteurs, tel Didymos fils de Théon (I. Portes 70), cherchent à se concilier les faveurs de l’empereur qui peut favoriser leur carrière, en particulier pour une nomination à une chaire impériale. Au terme de cette étude, trois points peuvent être dégagés. Tout d’abord, on a vu que la province romaine d’Égypte devait sa place dans le monde de l’hellénisme d’époque impériale à la vitalité de la culture grecque à Alexandrie et dans la chôra. Les rhéteurs et les étudiants en rhétorique se déplacent à travers l’Empire, et cette mobilité des intellectuels contribue à façonner une culture mondiale gréco-romaine. En second lieu, la rhétorique fait bien l’objet d’un enseignement et d’une pratique dans la vie politique, judiciaire et culturelle de la province d’Egypte. La rhétorique d’apparat, la rhétorique politique et la rhétorique judiciaire y sont bien attestées. Des écoles de rhétorique offraient en Egypte même aux adolescents et aux jeunes gens de l’élite des Hellènes un apprentissage progressif, documenté par les papyrus scolaires et les traités théoriques. Il est vrai que toute étude sur Alexandrie souffre d’un regrettable manque de sources. C’est vrai pour l’archéologie, en dépit de remarquables découvertes récentes, mais aussi de la documentation papyrologique et des inscriptions égyptiennes par rapport à d’autres poleis de l’Orient romain. Cette relative pauvreté des sources fausse notre regard. Les sources issues de la chôra, plus fournies, montrent à l’inverse que la culture grecque s’est remarquablement épanouie dans la vallée du Nil : les autres cités grecques, Naucratis et Ptolémaïs, puis Antinooupolis, ont bien été des centres rayonnants de l’hellénisme, de même que les métropoles de la chôra, telles Oxyrhynchos, Coptos ou Hermoupolis Magna. Les sources relatives à la chôra conduisent donc à la prudence face à toute tentation d’alexandrino-centrisme. Et, 67 Tous deux sont réunis par Herbert Musurillo dans son corpus sous le numéro XI (= CPJ II 159). 68 H. Musurillo, The Acts of the Pagan Martyrs, p. 215. 69 P. Chiron, Un rhéteur méconnu : Démétrios (Ps.-Démétrios de Phalère), Paris, 2001, p. 355-356. 70 C. Rodriguez, Acta Alexandrinorum, Mémoire dactylographié de l’EPHE, Section des Sciences Historiques et Philologiques, 2010, II, p. 408-409. C. Rodriguez en donne une traduction française, t. II, p. 393-395, no 26. 71 P. Chiron, Un rhéteur méconnu…, p. 137.

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au final, rien ne permet de postuler un déclin de la culture grecque en Égypte, en particulier de la rhétorique, durant le Haut Empire. Bernard Legras Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ANHIMA (UMR 8210)

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Peut-on être sophiste dans le Pont-Euxin ? Philosophie, rhétorique et périphérie

Introduction La Seconde Sophistique, en tant que phénomène culturel, embrasse toutes les régions de l’Empire. Le déplacement du centre, qui fut auparavant l’Égée, vers l’Asie Mineure, crée de nouveaux centres, en laissant toujours certains espaces à la périphérie1. C’est de l’un de ces espaces, en l’occurrence du Pont-Euxin, que je me propose de traiter dans cet article. Dans sa pièce La Samienne, Ménandre décrit la cité de Sinope, et le Pont en général, comme un gouffre enveloppé dans le brouillard, où le soleil n’arrive jamais car de toute façon il n’y aurait rien à contempler2. Sa lumière – devons-nous certainement comprendre la lumière des arts et des lettres – ne sert à rien aux gens rustres qui habitent cette contrée, autant n’en envoyer que le strict nécessaire. À cet écho antique fait pendant une certaine image que les Modernes ont de cet espace. À la question que certains pourraient se poser, à savoir s’il y a des sophistes dans le Pont-Euxin, je me propose de répondre par une étude de cas actualisée, qui poursuit une réflexion antérieure3. Qu’entend-on par « sophiste » ? Si l’on se résume aux professeurs de rhétorique et aux philosophes, exerçant dans une école ou en créant une, il n’y en a pas beaucoup. Si, au contraire, on comprend cette notion dans un sens élargi, moins cloisonné par les contraintes d’encadrement dans un corps de métier – hommes cultivés, amateurs de livres et de philosophie ou, pour parler avec les Grecs, pépaideuménoi – on peut en citer un nombre non négligeable. Et cela, non seulement en Mer Noire, mais aussi dans tous les espaces touchés par l’hellénisme4 et la paideia : c’est de cette dernière en effet que ces personnes sont des représentants, 1 M. Dana, Culture et mobilité dans le Pont-Euxin. Approche régionale de la vie culturelle des cités grecques (Scripta Antiqua, 37), Bordeaux, 2011, p. 395-399. Voir, en général, M. Dana, « Le ‘centre’ et la ‘périphérie’ en question : deux concepts à revoir pour les diasporas », dans L. Martinez-Sève (éd.), Les diasporas grecques du viiie à la fin du iiie siècle av. J.-C. (Actes du colloque de la SOPHAU, Université Charles-de-GaulleLille 3, 11 et 12 mai 2012, Toulouse, 2012), Pallas, 89, 2012, p. 57-76. 2 Ménandre, La Samienne, v. 188-193. 3 Dana, Culture et mobilité…, p. 247-261. 4 Pour l’origine géographique des disciples attirés à Smyrne par la réputation de Scopélianos de Clazomènes ou de son élève, Polémon de Laodicée, voir Philostrate, VS 1.21, 518 ; 1.25, 531 ; 2.26, 613. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 109-125 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121137

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plus que d’une profession. Voilà pourquoi il me semble que la dénomination inspirée que les éditeurs ont choisie, « passeurs de culture », répond particulièrement bien à cette question de principe. Un sophiste est un orateur qui se consacre à la fois à l’enseignement et à l’éloquence d’apparat. Selon Pollux, le sophiste était un professeur, un éducateur, un guide, alors que l’orateur remplissait davantage le rôle d’homme politique et de conseiller, bien que souvent ces responsabilités revinssent autant aux uns qu’aux autres. C’est l’ambiguïté du mot « rhéteur » qui pose en réalité problème : il peut désigner le modeste enseignant qui initie les adolescents à la lecture d’Homère, tout comme l’orateur-vedette dont les conférences attirent les foules. Les plus célèbres sont bien entendu Hérode Atticus, Polémon de Laodicée, Hadrien de Tyr. Néanmoins, d’autres orateurs, de stature moins internationale, dominant la vie politique et sociale de leurs cités5, portent eux aussi le qualificatif de σοφιστής. Plusieurs se disent orateurs et philosophes, ce qui relève de la complémentarité des deux disciplines fondamentales pour la formation des pépaideuménoi6.

Culture et politique, un mariage toujours heureux Loin de concerner exclusivement les sphères littéraire et intellectuelle, la Seconde Sophistique est un phénomène social et politique qui traversa tout l’Orient grec et tout l’ensemble de l’Empire, à une époque où les intellectuels grecs donnaient le ton7. Il faut donc d’abord comprendre le monde représenté par les élites locales éduquées8. Deux exemples retiendront notre attention, le premier en provenance de la cité d’exil d’Ovide, Tomis, le second de la cité d’Olbia, au nord de la mer Noire, que Dion Chrysostome décrit dans son trente-sixième discours, le Borysthénitikos. Le premier sophistès est mentionné par une inscription de Tomis datée sous Marc-Aurèle, sur la base de sa statue, qui n’est pas conservée : « À la Bonne Fortune.



5 Comme le remarque à juste titre M.-H. Quet, si les sophistes appartenaient aux familles les plus connues de leurs cités, ces familles n’avaient pas le même rayonnement. En effet, toutes les cités ne bénéficiaient pas du même statut, car elles n’étaient pas toutes des centres culturels capables d’attirer les jeunes gens désireux de s’instruire venus de tous les coins de l’Empire. Cf. « Le sophiste M. Antonius Polémon de Laodicée, éminente personnalité politique de l’Asie romaine du iie siècle », dans M. Cébeillac-Gervasoni, L. Lamoine (éd.), Les élites et leurs facettes. Les élites locales dans le monde hellénistique et romain (Coll. EFR, 309), Rome – Clermont-Ferrand, 2003, p. 402. 6 Sur ce trait de la Seconde Sophistique, voir C. Moreschini, « Aspetti della cultura filosofica negli ambienti della Seconda Sofistica », ANRW, II.36.7, 1994, p. 5101-5133. 7 G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969 ; G. W. Bowersock (éd.), Approaches to the Second Sophistic, Pennsylvania, 1974 ; G. Anderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres – New York, 1993 ; S. Goldhill (éd.), Being Greek under Rome. Cultural Identity, the Second Sophistic and the Development of Empire, Cambridge, 2001 ; B. E. Borg (éd.), Paideia : The World of the Second Sophistic, Berlin – New York, 2004. 8 Voir l’étude appliquée à l’un des plus illustres représentants de ce courant : C. P. Jones, The Roman World of Dio Chrysostom, Cambridge (Mass.) – Londres, 1978.

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Le Conseil et le peuple (ont élevé la statue) de T(itus) Cominius Claudianus Hermaphilos, sophiste et agonothète (τὸν σοφιστὴν καὶ ἀγονοθέτην), pour son mérite ; (il est aussi) pontarque de l’Hexapole, grand-prêtre et prêtre des deux empereurs »9. Il remplit plusieurs fonctions importantes dans la cité, où sa famille s’est également illustrée à travers les actions de son frère dont le nom est malheureusement perdu : « À la Bonne Fortune. Le Conseil et le peuple de Tomis, métropole du Pont (ont élevé la statue de) […]os, fils d’Eumène, philadelphe, frère du pontarque T(itus) Cominius Claudianus Hermaphilos, qui a été un premier archonte remarquable, un agoranome raisonnable, un panégyriarque de l’association des artistes animé d’un zèle généreux, un trésorier loyal […] »10. La revendication de parenté comme source de prestige fait partie des stratégies privilégiées des élites pour légitimer leur place et leur rôle dans l’espace civique, et ce depuis l’époque hellénistique. Or, les charges assurées montrent sans l’ombre d’un doute que les deux frères appartenaient à l’élite tomitaine. On ne saurait par conséquent suivre l’interprétation de certains savants, selon lesquels Hermaphilos était un sophiste qui avait d’abord accumulé une fortune considérable, ce qui lui aurait permis de remplir la coûteuse fonction d’agonothète11. Cela revient à ignorer le contexte du iie siècle ap. J.-C., où le mariage entre la paideia et les élites citadines est un fait accompli. Hermaphilos avait rempli toutes ces fonctions prestigieuses dans la cité en raison précisément de son appartenance à une famille influente – l’inscription qui honore son frère représente un indice supplémentaire. L’éloge public est désormais accordé au rôle social du sophiste : il n’est plus à prouver que les orateurs sont, à l’époque impériale, hommes de culture et hommes politiques12. Si les deux notables peuvent se vanter d’appartenir à la même élite éduquée, on remarque qu’Hermaphilos possède la citoyenneté romaine alors que son frère ne l’a pas. Le premier doit ce privilège non pas à un parent qui aurait reçu sa citoyenneté dans une cité de Chypre au temps de Claude13, mais plus probablement à l’ancien légat de la legio V Macedonica, campée à Troesmis, M. Cominius Secundus, par la suite gouverneur de la Pannonie Inférieure et consul suffect en 15114. Hermaphilos portait par conséquent le nomen de son protecteur romain, auquel il avait accolé non seulement le cognomen banal de Claudianus mais aussi son ancien nom grec, sous lequel il devait être connu dans sa cité.

9 IGR I 632 ; ISM II 69 ; B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002, no 135 (et trad.). Sauf indication contraire, les traductions sont personnelles. 10 IGR I 633 ; ISM II 70 ; Puech, Orateurs et sophistes…, no 136. 11 I. Stoian, ISM II, p. 97-98 ; R. M. Feraru, Cultura în cetăţile greceşti de pe ţărmul vestic al Mării Negre (La culture dans les cités grecques de la côte ouest de la mer Noire), Timişoara, 2006, p. 101. 12 Cf. Puech, Orateurs et sophistes…, p. 15-16 et 24-26. 13 L. Ruscu, « Families at Histria, Tomis and Callatis : Two Prosopographical Notes », dans Orbis Antiquus. Studia in honorem Ioannis Pisonis, Cluj, 2004, p. 907-911. 14 CIL XVI 99 (diplôme militaire du 1er août 150 ; gouverneur) ; B. Pferdehirt, Römische Militärdiplome und Entlassungsurkunden in der Sammlung des Römisch-Germanischen Zentralmuseums, I, Mayence, 2004, no 32 (diplôme militaire du 24 septembre 151 ; consul suffect).

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Une inscription d’Olbia, de l’époque des Sévères, représente un autre exemple de la manière dont les élites locales d’époque impériale exprimaient leur place prééminente dans la cité. Plus qu’un décret honorifique, il s’agit d’un véritable cursus honorum à la grecque : « […] Attendu que Callisthénès, fils de Callisthénès, issu d’aïeux illustres, connus et estimés des empereurs et qui ont fondé la cité et lui ont fait beaucoup de bien en des circonstances pressantes, eux dont il est difficile de faire l’éloge par des mots, mais qui sont inoubliables dans le temps. Issu de tels aïeux, ayant hérité non seulement de leur fortune mais aussi de leur excellence, il y a ajouté des honneurs. Ne se laissant dompter par aucune contrainte humaine, mais ayant reçu son éducation de la providence divine, il a acquis une philosophie incomparable qui poussait toute seule en lui (ἀλλ᾿ ὑπὸ θεῶν προνοίας παιδευθεὶς αὐτοφυῆ φι(λ)οσοφίαν ἀσύνκριτον ἐκτήσατο). Arrivé à l’âge viril, il s’est dédié aux affaires publiques et a fidèlement rempli la fonction de stratège, faisant preuve en toute circonstance d’une remarquable prévoyance en qualité de défenseur (de la cité), et a été quatre fois archonte éponyme d’une manière imposante et juste. Tenant les meilleurs discours et accomplissant des choses utiles il s’est montré un père pour la cité ; il a été prêtre du dieu le plus important de notre cité, Zeus Olbios […] envers le dieu avec piété, et grâce à un climat favorable il a obtenu quand cela était nécessaire une production abondante. Et il a dépensé toute sa fortune en donnant de l’argent aux indigents, autant qu’il fallait […] »15. Ce n’est pas l’unique texte en provenance d’Olbia mentionnant Callisthénès, qui, à l’instar de la majorité des notables, se fait honorer en diverses qualités. Cinq autres documents illustrent l’excellence publique de ce personnage : ainsi, une dédicace à Achille Pontarque, gravée pour célébrer son statut d’archonte éponyme, élu pour la troisième fois16 ; une inscription d’avant 198, qui marque la consécration de thermes à Septime Sévère et à Caracalla, le désignant comme patèr de la cité17. Son nom apparaît également sur les monnaies : « Callisthénès (étant) archonte pour la quatrième fois »18. La cité lui avait décerné deux autres décrets, dans lesquels on insistait sur sa naissance illustre19. Callisthénès d’Olbia est donc né dans l’une des familles les plus influentes de sa cité20. Cependant, s’il appartenait de droit à l’aristocratie de sa cité, l’éclat de sa naissance était surpassé par ses qualités personnelles. La philosophie aurait germé spontanément en lui, ce qui revient à dire qu’il n’aurait guère eu besoin d’un maître ‒ en réalité, comme le remarque J. Bremmer, le terme autophyès suggère un arrière-fonds

15 IOSPE I² 42. 16 IOlb 86. 17 IOSPE I² 174, l. 9-10. 18 A. N. Zograph, Ancient Coins, Londres, 1977, nos 385-387, p. 221. 19 IOSPE I² 44 et 47. 20 B. Puech, s.v. Callisthène d’Olbia (C 35), DPhA, II, 1994, p. 182-183.

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stoïcien évident21 et nous fait penser à une formation dans l’un des centres réputés d’Asie Mineure, comme il se devait pour un représentant de sa classe sociale. La philosophie n’est pas nécessairement professorale, scolaire et écrite, le philosophe est avant tout un homme ayant un certain style de vie, qu’il a choisi volontairement : il se distingue par sa conduite, sa manière de parler, de se vêtir22 ou de se faire représenter sur les stèles funéraires23. Nous sommes là devant le portrait intellectuel et moral idéalisé de l’orateur, dont l’excellence semble inscrite dans sa nature et viendrait d’une aptitude innée à la grandeur (μεγαλοφυία). Le lien ainsi établi entre le talent et la nature traduit une conception aristocratique, transposée dans les inscriptions par une insistance particulière sur la généalogie : l’aristocratie intellectuelle trouvait ses racines dans l’aristocratie sociale et lui permettait de s’imposer, avec des moyens renouvelés, dans la vie politique, civique et culturelle. La majorité des orateurs est issue de ces élites locales qui dominent depuis des siècles la société grecque24.

Grands notables et grands sophistes Le sophiste était avant tout un porte-parole des valeurs de l’hellénisme de l’époque impériale. Dans une société où la polarisation πεπαιδευμένοι – ἀπαίδευτοι se faisait au niveau social, politique et culturel, la position éminente des sophistes était d’autant plus évidente25. Les patries idéales des sophistes étaient Athènes – non pas la ville contemporaine, mais l’Athènes du ve siècle av. J.-C. – et Smyrne, dont l’orgueil était d’être devenue le centre de la nouvelle élite cultivée26. Des chaires de rhétorique avaient été instituées à Rome, à Athènes et dans d’autres cités importantes de l’Empire27. Les questions culturelles, de plus en plus importantes dans les cités

21 J. N. Bremmer, The Rise and Fall of the Afterlife, Londres – New York, 2002, p. 131. 22 P. Hadot, « Préface » à R. Goulet (éd.), DPhA, I, 1989, p. 12-13. 23 P. Zanker, The Mask of Socrates. The Image of the Intellectual in Antiquity, Berkeley – Los Angeles – Oxford, 1995 ; pour l’époque hellénistique mais avec des conclusions valables également pour la période impériale, voir L. Del Corso, « Libro e lettura nell’arte ellenistica. Note storico-culturali », Segno e testo, 4, 2006, p. 71-106. 24 Voir en général I. Savalli-Lestrade, « Remarques sur les élites dans les poleis hellénistiques », dans Cébeillac-Gervasoni, Lamoine (éd.), Les élites et leurs facettes…, p. 51-64 ; H.-L. Fernoux, Chr. Stein (éd.), Aristocratie antique. Modèles et exemplarité sociale, Dijon, 2007 ; L. Capdetrey, Y. Lafond (éd.), La cité et ses élites. Pratiques et représentation des formes de domination et de contrôle social dans les cités grecques (Actes du colloque de Poitiers, 19-20 octobre 2006), Bordeaux, 2010, en particulier, pour la période impériale, Y. Lafond, « L’idéal d’excellence et l’éthique des cités grecques à l’époque de Trajan », p. 103-117. 25 G. Anderson, « The pepaideumenos in Action : Sophists and their Outlook in the Early Empire », ANRW, II.33.1, 1989, p. 79-208, en particulier p. 105. Contre cette approche, P. A. Brunt, « The Bubble of the Second Sophistic », BICS, 39, 1994, p. 25-52. 26 Philostrate, VS 1.21, 518. Plus loin (VS 2.26, 613), l’auteur présente Smyrne comme étant la « première métropole d’Asie », « qui sacrifiait plus que les autres cités aux Muses des sophistes » (ἐπὶ τὴν Σμύρναν θύουσαν μάλιστα δὴ πόλεων ταῖς τῶν σοφιστῶν Μούσαις). 27 V. A. Sirago, « La seconda sofistica come espressione culturale della classe dirigente del II sec. », ANRW, II.33.1, 1989, p. 36-78.

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d’Asie Mineure, et le rôle croissant des pépaideuménoi, qui dominent la vie politique et sociale de ces cités, en étaient des signes manifestes28. Dans ce monde « pacifié » par les Romains, le développement des réseaux routiers et la présence militaire appuyée aux endroits jugés stratégiques assuraient la sécurité des voies terrestres et maritimes. Grâce à cette ouverture des espaces géographiques, le voyage intellectuel devenait la pratique par excellence pour la formation des fils des notables à longue distance et pour la transformation de la classe dirigeante en élite intellectuelle. La province de Bithynie-Pont, notamment, était traversée d’ouest en est sous les Flaviens par deux grandes routes29. La cité la plus importante de la région du point de vue culturel était Nicomédie, cité d’origine d’Arrien, le « nouveau Xénophon »30. Au carrefour de ces routes, on retrouvait notamment Byzance et la grande cité d’Héraclée du Pont. Byzance était particulièrement riche en sophistes devenus célèbres aussi bien dans leur cité que dans les grands centres de la Seconde Sophistique31. Le plus connu était Marcus, qui prétendait faire remonter sa généalogie jusqu’au fondateur de la cité, Byzas32. Son maître était Isée dit l’Assyrien, qui lui avait transmis le style naturel de l’art oratoire33. L’expression grave du visage de Marcus le désignait comme sophiste (τὸ δὲ τῶν ὀφρύων ἦθος καὶ ἡ τοῦ προσώπου σύννοια σοφιστὴν ἐδήλου τὸν Μάρκον), en revanche sa tenue négligée – notamment quand l’on attendait des sophistes une certaine façon de s’habiller, de se comporter, de parler – pourrait suggérer qu’il ne s’agissait pas d’un homme de culture. C’est par ailleurs l’impression que s’en était fait le célèbre sophiste Polémon de Laodicée quand il l’avait rencontré pour la première fois, sans savoir à qui il avait affaire. Marcus fut reconnu à Smyrne par l’un des étudiants smyrniotes, qui avait séjourné à Byzance et qui dévoila aux autres son identité. À la demande de Polémon qu’on lui proposât un sujet de déclamation, les élèves désignèrent Marcus, ce qui souleva l’indignation du maître : « Pourquoi

28 SHA 16.8 : omnes professores et honoravit et divites fecit ; 16.10 : grammaticos, rhetores, musicos, geometres, pictores et astrologos habuit. 29 H.-L. Fernoux, « Le voyage intellectuel en Orient au iie s. ap. J.-C. », dans H. Duchêne (éd.), Voyageurs et Antiquité classique, Dijon, 2003, p. 61-72. 30 Voir D. Dana, M. Dana, « Arrien avant Arrien : une jeunesse entre Bithynie, Grèce et Rome », dans A. Hostein, S. Lalanne (éd.), Le monde d’Arrien de Nicomédie (Actes de la journée d’études du 7 décembre 2012, Paris), Ktèma, 39, 2014, p. 19-35. 31 M. Dana, « La cité de Byzance aux époques hellénistique et impériale : un centre culturel avant Constantinople », dans G. R. Tsetskhladze et alii (éd.), The Bosporus : Gateway between the Ancient West and East (1st Millennium BC–5th Century AD) (Proceedings of the Fourth International Congress on Black Sea Antiquities. Istanbul, 14th–18th September 2009), BAR International Series, 2517, Oxford, 2013, p. 29-38. 32 Selon Philostrate, VS 2.1, 546-547, Hérode Atticus prétendait descendre des Éacides, de Miltiade et de Cimon. 33 Isée était un sophiste originaire de Syrie du Nord, qui vint à Rome à plus de soixante ans ; vers 97-100 ap. J.-C., Pline le Jeune recommande à son ami Nepos d’aller suivre ses leçons. En plus de Marcus, ses disciples furent Dionysios de Milet, Lollianos d’Éphèse et même l’empereur Hadrien. Voir S. Follet, s.v. Isée l’Assyrien (I 27), DPhA, III, 2000, p. 868-869.

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regardez-vous ce rustique (ἄγροικος) ? Car il ne peut pas nous offrir un thème »34. Or, quand Marcus rétorqua qu’il était prêt à proposer un sujet de déclamation, Polémon le reconnut à son accent dorien (δωριάζοντος διελέχθη)35. Dans l’importance accordée par Polémon à l’apparence physique, on saisit l’une des idées centrales de son enseignement : si l’orateur doit faire preuve d’éloquence et de force pour l’emporter au théâtre et à l’assemblée, son apparence doit quant à elle signaler son urbanité (ἀστεισμός)36. Cet attachement au dialecte, en rapport avec la revendication des origines, semble en contradiction avec l’idéal sophistique d’une langue pure, atticisante. Pourtant, il s’agit de la même démarche, qui consiste à récupérer les racines historiques ou mythiques et à les mettre au service d’un nouveau prestige culturel37. Le sophiste se fait en réalité l’instrument de la réactivation de réseaux de parenté. Marcus avait été désigné comme ambassadeur à Mégare, l’ancienne métropole de sa patrie, pour tenter de la réconcilier avec Athènes au sujet des Pythia Mikra38. Sur le modèle d’autres sophistes, il fut également envoyé par sa cité à Rome auprès de l’empereur Hadrien39, dont il suscita l’admiration. Une dernière caractéristique relie Marcus aux mouvements spécifiques à la Seconde Sophistique. En dépit de ses voyages, la partie la plus importante de sa vie et de sa carrière semble s’être déroulée dans sa cité d’origine. Le profond enracinement local de Marcus et son appartenance à la catégorie de notables citadins sont prouvés non seulement par la revendication d’une filiation avec le fondateur mythique de la cité, le héros Byzas, mais aussi par la présence de son nom sur du monnayage civique du milieu du iie siècle ap. J.-C. En réalité, deux groupes de monnaies de Byzance portent le nom d’un certain Memmius Marcus40. L’un de ces Memmii semble être notre sophiste : élève d’Isée, ayant terminé par conséquent ses études avant 115 ap. J.-C., Marcus avait dû naître, selon B. Puech, au plus tard au début des années 90, car il était à son akmè en même temps que Polémon41. L’autre Memmius, qui apparaît en

34 Voir C. Castelli, « Ritratti di sofisti. Fisiognomica ed ethos nelle Vitae Sophistarum di Filostrato », dans E. Amato, J. Schamp (éd.), Ἠτοποιία. La représentation des caractères entre fiction scolaire et réalité vivante à l’époque impériale et tardive, Salerne, 2005, p. 1-10. 35 Philostrate, VS 1.24, 528-529. 36 A.-M. Favreau-Linder, s.v. Polémon (P 218), DPhA, Vb, 2012, p. 1203. 37 Voir M. Dana, « Le renouveau identitaire des colonies grecques à l’époque impériale : Ioniens et Doriens dans le Pont-Euxin », Cahiers « Mondes anciens » [en ligne], 2, 2011. 38 Ce n’est pas un hasard si le seul acteur du Pont qui prend part à ces concours est le Byzantin Klèmès (Clemens), qui gagna le prix d’acteurs tragiques sous Septime Sévère (vers 193-196 ap. J.-C.). Voir E. Groag, s.v. Clemens (4), dans Real-Encyclopädie, 4, 1, 1900, col. 10 ; J. B. O’Connor, Chapters in the History of Actors and Acting in Ancient Greece, together with a Prosopographia Histrionum Graecorum, Chicago, 1908, no 306 ; PIR2 C 1139 ; I. E. Stephanis, Διονυσιακοί τεχνίται. Σύμβολες στὴν προσωπογραφία τοῦ θεατροῦ καὶ τῆς μουσικῆς τῶν ἀρχαίων Ἑλλήνων, Heraklion, 1988, no 1469. 39 Voir M. T. Boatwright, Hadrian and the Cities of the Roman Empire, Princeton, 2000. 40 Sur la date, voir E. Schönert-Geiss, Die Münzprägung von Byzantion. II. Kaiserzeit, Berlin – Amsterdam, 1972, p. 17. Classification des monnaies : no 1384, 1395-1398 (c. 147-161 ap. J.-C) ; no 1424-1426, 1433-1440, 2046-2048 (c. 175 ap. J.-C.). 41 Puech, Orateurs et sophistes…, p. 344-345.

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tant que hiéromnamôn42 sous Marc-Aurèle et Commode, est probablement le fils homonyme du rhéteur43. Certaines monnaies où figure le nom Memmius Marcus portent au droit le profil du héros Byzas, barbu, avec casque44, auquel la famille de Marcus prétendait remonter. La deuxième figure remarquable de Byzance est à la fois magistrat local et avocat. C. Sallius Aristainétos a dû naître entre 150 et 17545, date établie en fonction de la carrière de son maître, Chrestos, lui aussi originaire de la cité du détroit, placée entre 165 et 190 ap. J.-C. Un personnage du nom de C. Sallius Aristainétos apparaît comme archiéreus sur des monnaies de Byzance qui portent les profils de Septime Sévère, de Caracalla et de Géta. Il a également assuré la fonction d’hiéromnamôn, vers 198 ap. J.-C46. Grâce à ce repère chronologique, on peut l’identifier avec un avocat du nom d’Aristainétos qui avait plaidé devant Caracalla, face à un autre rhéteur célèbre, L. Egnatius Victor Lollianus. Dans le procès intenté par la cité de Goharia, située à env. 40 km de Damas sur la route de Palmyre, et représentée par Lollianus contre le publicain Avidius Hadrianus, Aristainétos était l’avocat de la défense. Les minutes du procès, daté du 27 mai 216, nous ont été transmises par deux inscriptions47. Selon deux autres inscriptions conservées sur des bases de statues à Rome, érigées par la colonie d’Asculum et par la colonie d’Ancône, il semble avoir accompli un cursus sénatorial48. Enfin, le dossier est complété par une inscription fragmentaire, retrouvée à Amastris, toujours sur une base de statue, où l’on voit un C. Sallius Aristainétos de rang consulaire : Γ(άιον) Σάλλιον Ἀ(ρ)ιστ[αίνετον λαμ]|πρότατον ὑπατι[κὸν …]49. On ne peut pas savoir si ce consulaire est le célèbre avocat ou un membre plus jeune de la même famille. Il peut s’agir de son fils ou de son petit-fils, attesté au milieu du iiie siècle comme légat de Thrace50. Une borne milliaire de Tomis érigée sous le

42 Sur cette institution mégarienne, voir A. Robu, Mégare et les établissements mégariens de Sicile, de la Propontide et du Pont-Euxin. Histoire et institutions, Berne, 2014, p. 375-382. 43 Puech, Orateurs et sophistes…, p. 345. Selon J. et L. Robert, BÉ, 1968, 342, la citoyenneté des Memmii de Byzance leur fut accordée le plus vraisemblablement par P. Memmius Regulus, gouverneur des provinces d’Achaïe, de Macédoine et de Mésie (35-44 ap. J.-C.), devenu plus tard, vers 47 ap. J.-C., gouverneur d’Asie et proconsul. 44 Schönert-Geiss, Die Münzprägung von Byzantion…, no 2046-2048 ; légendes : ΒΥΖΑΣ (droit) et ἐπὶ Μεμμί(ου) Μάρκου τὸ βʹ (revers). 45 Puech, Orateurs et sophistes…, no 35-39, p. 131-138 ; PIR2 S 78. 46 En tant qu’hiéromnamôn et prêtre du culte impérial : Schönert-Geiss, Die Münzprägung von Byzantion…, no 1600-1605 (seul) ; Schönert-Geiss, Die Münzprägung von Byzantion…, no 1462-1463, 1510, 1521-1524 (avec sa femme Αἰλία Ἡραΐς, ἀρχιερεῖς). Sur la date : Schönert-Geiss, Die Münzprägung von Byzantion…, p. 17. 47 Puech, Orateurs et sophistes…, no 35. 48 W. Schmid, s.v. Aristainetos (9), dans Real-Encyclopädie, 2, 1, 1895, col. 852 ; A. Nagl, s.v. C. Sallius Aristaenetos (2), dans Real-Encyclopädie, 1.A, 2, 1920, col. 1908-1910. Inscriptions : CIL VI 1511 = ILS 2934 (Asculum) ; CIL VI 1512 = CIL VI 31668 (Ancône) ; cf. H. Dessau, « C. Sallius Aristaenetus, orator maximus », Hermes 25, 1890, p. 158-160. 49 I. Amastris 17 ; Puech, Orateurs et sophistes…, no 38. 50 SEG XXVIII 592 ; AÉ, 1978, 724.

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gouvernement de Sallius Aristainétos51 soulève le même problème d’identification : « Sous l’Empereur César L. Domitius Aurelianus Pius Felix Invictus Augustus, revêtu de la puissance tribunicienne, père de la patrie, par les soins de Sallius Aristaenetus, legatus Augusti pro praetore ». Le nom du premier empereur a été effacé et remplacé plus tard par celui d’Aurélien. Le nom martelé était M. Aurel(io) Antonino : il s’agissait d’Élagabal (218-222). Aristainétos fit donc d’abord une carrière locale, avant de commencer un cursus sénatorial. Au premier quart du iiie s. ap. J.-C., il devait être un avocat connu dans l’Empire. Parvenu au rang consulaire, il reçoit sous Élagabal le gouvernement de la Mésie Inférieure52, province se trouvant dans la proximité immédiate de sa cité. Ses descendants détinrent eux aussi des postes dans la haute administration impériale.

Au cœur des écoles de l’hellénisme, à la périphérie de la patrie idéale Le maître et compatriote d’Aristainétos, Chrestos, fut, quant à lui, un véritable professeur de rhétorique. Connu exclusivement par sa biographie et par d’autres mentions dans les Vies des sophistes de Philostrate, Chrestos se fait réhabiliter par ce dernier, qui attire l’attention sur l’oubli injustifié de cet homme de culture : « La Grèce fait une grande injustice au sophiste Chrestos de Byzance quand elle ne fait pas attention à cet homme qui a reçu d’Hérode [sc. Atticus] la meilleure éducation des Grecs et qui à son tour a eu comme disciples beaucoup d’hommes remarquables »53. Parmi les disciples de Chrestos évoqués par Philostrate (il en énumère une centaine), on peut citer, outre son compatriote Aristainétos, les sophistes Hippodromos et Philiscos, le poète tragique Isagoras, les rhéteurs εὐδόκιμοι Nicomédès de Pergame, Aquila de Galatie Orientale, le philosophe Calaischros d’Athènes, le prêtre des sacrifices Sôspis et « beaucoup d’autres dignes d’être mentionnés » (λόγου ἄξιοι). Après qu’Hadrien de Tyr fut installé à la chaire de rhétorique à Rome, les Athéniens décidèrent d’envoyer une ambassade à l’empereur pour demander pour Chrestos la chaire d’Athènes. Selon Philostrate, il refusa cet honneur devant l’Assemblée – ce qui semble difficile à croire – en affirmant que « dix mille drachmes ne font pas un homme », car c’est à cette somme que s’élevait le salaire de la chaire. À ces qualités d’enseignant font pendant quelques traits de caractère pour le moins discutables. Philostrate note qu’il avait un penchant pour la boisson54 et qu’il était par ailleurs assez insolent. L’un de ses disciples fut impliqué dans une querelle 51 AÉ, 1994, 1532 (5) ; Puech, Orateurs et sophistes…, no 39. 52 Puech, Orateurs et sophistes…, p. 137-138. 53 Philostrate, VS 2.11, 590-592 ; cf. W. Schmid, s.v. Chrestos (5), dans Real-Encyclopädie, 3, 2, 1899, col. 2450. Sur la personnalité du sophiste, vu comme un intellectuel, voir Fr. Mestre, P. Gomez, « Les sophistes de Philostrate », dans N. Loraux, C. Miralles (éd.), Figures de l’intellectuel en Grèce ancienne, Paris, 1998, p. 333-369. 54 Voir aussi les sarcasmes d’Athénée X 442 CD envers l’ivrognerie des Byzantins.

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avec Hadrien de Tyr, qui avait occupé la chaire athénienne après la mort d’Hérode Atticus. L’histoire finit mal pour le disciple de Chrestos, car les élèves d’Hadrien le firent empoisonner55. Bien que recherché à Athènes malgré son caractère peu amène, Chrestos semble avoir, par son comportement et ses manières, fait entendre une note discordante avec les usages des sophistes de son époque. En effet, l’aspect physique, ainsi que la façon de s’habiller et de parler, participaient de la distinction qui devait accompagner la qualité de sophiste. Le plus célèbre exemple est Hadrien de Tyr même, auquel Chrestos s’était opposé par disciples interposés : beau, soigné, emphatique, charismatique56. En refusant la chaire athénienne, Chrestos se serait situé une fois de plus dans une situation marginale, car l’octroi d’une chaire officielle représentait la suprême reconnaissance dont ces intellectuels avaient besoin pour leur enseignement et était par ailleurs très valorisé dans le milieu où ils évoluaient. S’agissait-il de modestie, du plaisir de la contradiction qui semble avoir caractérisé ce personnage hors normes, de la peur de l’humiliation que lui aurait apporté un refus de la part de l’empereur ? Serait-ce un signe de l’influence que la philosophie cynique aurait pu avoir sur Chrestos, quand on sait que le cynisme constituait, avec le stoïcisme, les deux doctrines les plus prisées par les sophistes de l’époque ? Ou s’agit-il tout simplement d’une anecdote élaborée tardivement ? Sa concurrence avec Hadrien de Tyr ne détonne pourtant pas dans l’ambiance très particulière des écoles de rhétorique, au milieu des rivalités des maîtres et des disciples, auxquelles pouvait prendre parti parfois toute une ville. La rivalité entre Polémon et Favorinus d’Arles, représentants des deux centres rivaux, Smyrne et Éphèse, était célèbre : les Éphésiens soutenaient Favorinus, tandis que les Smyrniotes préféraient Polémon57, sans parler de l’antipathie profonde que Polémon de Laodicée nourrissait personnellement envers Favorinus58. La rivalité entre Hadrien de Tyr et Lucien de Samosate est tout aussi bien connue. Ce sont les méthodes extrêmes que Chrestos et son disciple employaient contre Hadrien qui ont été critiquées. Pour approfondir l’image que les Anciens pouvaient se forger des maîtres pontiques, on s’arrêtera sur un différend entre deux rhéteurs qui eurent comme disciple précisément Polémon de Laodicée. Il s’agit de Scopélianos de Clazomènes59, qui attira à Smyrne aussi bien des Grecs d’Asie Mineure que des Athéniens, et de

55 Philostrate, VS 2.10, 588. 56 Philostrate, VS 2.10, 585-590. Sur Hadrien de Tyr et ses rapports avec le pouvoir impérial, voir Quet, « Le sophiste M. Antonius Polémon … », p. 404-408. Hadrien de Tyr occupa successivement les chaires de rhétorique d’Éphèse, d’Athènes et finalement de Rome, la plus prestigieuse. 57 Philostrate, VS 1. 8, 490. 58 Il s’agit de l’opposition entre deux écoles d’éloquence, à laquelle s’ajoute la rivalité pour la faveur de l’empereur Hadrien. Polémon se moquait de la caractéristique physique de Favorinus, qui était eunuque, avait une voix flûtée et des manières affectées qui aux yeux de Polémon n’étaient pas dignes d’un véritable sophiste. Voir A.-M. Favreau-Linder, s.v. Polémon (P 218), DPhA, Vb, 2012, p. 1203. 59 Philostrate, VS 1.21, 514-521. Voir A.-M. Favreau-Linder, s.v. Scopélianos de Clazomènes (S 29), DPhA, VI, 2016, p. 158-161.

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Timocratès d’Héraclée du Pont60. Dans cette dispute qui partagea toute la jeunesse de Smyrne, Polémon se rangea du côté de son maître héracléote61. Timocratès était un personnage complexe. Originaire d’une cité réputée pour ses historiens locaux et ses philosophes62, Timocratès s’intéressa d’abord à la médecine hippocratique, puis à la philosophie stoïcienne sous l’influence du stoïcien Euphratès63. Il est décrit comme étant très irascible : « Il était colérique au-delà de la mesure au point que, lorsqu’il argumentait, sa barbe et ses cheveux se dressaient sur sa tête, comme c’est le cas des lions lorsqu’ils s’élancent ». Néanmoins, « sa langue était forte, vigoureuse et prompte (τῆς δὲ γλώττης εὐφόρως εἴχε καὶ σφοδρῶς καὶ ἑτοίμως). C’est pourquoi il était le meilleur aux yeux de Polémon qui aimait tant l’impétuosité de son discours » (trad. M.-O. Goulet-Cazé). Selon Philostrate, c’est apparemment auprès de ce maître, qu’il avait fréquenté en Ionie pendant quatre ans, que Polémon aurait acquis son caractère bien trempé, ainsi que son arrogance. Loin d’être critique envers cette attitude hautaine et ce luxe affiché, Philostrate admirait Polémon en considérant que cette figure flamboyante apportait du prestige à la cité de Smyrne64. On a affaire dans ce cas à une conception élitiste du rôle de l’intellectuel : le sophiste se doit d’être au-dessus des autres. Il semble donc que Polémon fut marqué davantage par le caractère et les qualités de l’homme que par l’enseignement philosophique de Timocratès. Qui plus est, à l’instar d’un autre maître de Polémon, Dion de Pruse, qui était à la fois orateur et philosophe influencé par le stoïcisme et le cynisme, Timocratès était reconnu pour son talent oratoire et sa philosophie pratique, plutôt que pour ses spéculations théoriques ou sa réflexion philosophique. Un autre trait caractéristique des deux maîtres semble avoir été l’intérêt pour la physiognomonie, car il ne faut pas oublier que Timocratès avait étudié la médecine65. Pourtant, rien n’est conservé de l’œuvre de Timocratès qui nous permettrait de saisir le caractère de ses écrits, à part la mention d’un traité intitulé Dion66.

60 Voir M.-O. Goulet-Cazé, s.v. Timocratès d’Héraclée (T 155), DPhA, IV, 2016, p. 1206-1207 (fin du ier siècle et première moitié du iie siècle). 61 Philostrate, VS 1.25, 536 ; voir Bowersock, Greek Sophists… (op. cit., supra, n. 7), p. 91. 62 Philostrate, VS 1. 25, 536 : « Timocratès était originaire du Pont et sa patrie était Héraclée, dont les habitants sont des admirateurs de la culture grecque ». La cité était notamment connue pour ses historiens locaux : voir Dana, Culture et mobilité…, p. 243-246. Concernant les représentants de ce genre littéraire dans la région, voir en général M. Dana, « Histoire et historiens de Propontide et de Bithynie : mythes, récits et identités », dans M. Dana, F. Prêteux (éd.), Identités civiques, identité régionale autour des Détroits des Dardanelles et du Bosphore (Actes de la journée d’études du centre ANHIMA, Paris, 23 mars 2013), DHA Suppl., 15, Besançon, 2016, p. 171-240. 63 Euphratès était un philosophe célèbre originaire de Tyr, mort à un âge avancé sous Hadrien, en 119 ou 121. Voir P. Robiano, s.v. Euphratès (Mestrius) (E 132), DPhA, III, 2000, p. 337-342 ; R. Koch, Comment peut-on être dieu ? La secte d’Épicure, Paris, 2005, p. 160. 64 Voir Quet, « Le sophiste M. Antonius Polémon … », p. 431-432. 65 Favreau-Linder, « Polémon », p. 1203. 66 FGrHist Cont 1059 (= 563) F 1 et commentaire p. 34-35 = Diogène Laërce 7.2 ; cf. W. Capelle, s.v. Timokrates (14), », dans Real-Encyclopädie, 6.A, 1, 1935, col. 1270-1271. Voir aussi C. P. Jones, Culture and Society in Lucian, Cambridge, 1986, p. 73, 93-94.

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Le respect de Polémon envers son maître semble avoir été considérable : au moment où il dut se défendre devant Timocratès pour ses diatribes acerbes contre Favorinus d’Arles, Polémon eut des réactions d’écolier, se comportant « comme les enfants qui craignent les coups de leurs maîtres quand ils ont désobéi ». Cependant, tous les deux se moquaient de Favorinus âgé : « Lorsque le philosophe Timocrate lui fit remarquer que Favorinus était devenu un moulin à paroles, Polémon dit avec esprit ‘comme toute vieille femme’, se moquant de ce qu’il était eunuque » (trad. M.-O. Goulet-Cazé)67. Dans une autre querelle fameuse, qui avait divisé la jeunesse de Smyrne, Polémon prit le parti de Timocratès qu’il appelait « le père de sa propre éloquence », expression manifeste d’une filiation intellectuelle marquée. Il s’agit du conflit qui opposa l’Héracléote à un autre célèbre rhéteur asianiste, maître d’Hérode Atticus, Scopélianos de Clazomènes68. Cette dispute prolongeait un conflit plus ancien, entre le maître de Timocratès, le philosophe stoïcien Euphratès, et l’ami et maître de Scopélianos, le pythagoricien Apollonios de Tyane. Timocratès railla en effet la pratique de l’épilation, associée à la passivité homosexuelle ‒ Démonax, disciple de Timocratès, reprochait la même chose à un gouverneur romain69. Il s’agissait d’une mise en cause de la moralité du sophiste, car cette pratique efféminait le corps de l’orateur et pouvait compromettre la dignité du rhéteur, traduite dans sa virilité. Comme dans le cas de Polémon et de Favorinus, il ne s’agit pas tant de préférences individuelles que de deux conceptions opposées du bon orateur. Timocratès arborait quant à lui une tête léonine qui lui conférait un aspect farouche et intimidant, à la hauteur des valeurs viriles et de la masculinité que prisaient ses contemporains70. Son style était également emporté et énergique, à l’opposé de l’asianisme, grandiloquent et tragique, pratiqué par Scopélianos. L’influence des maîtres se lit chez Polémon dans sa conception du modèle d’orateur, éloquent mais aussi digne et ayant de bonnes mœurs71. Il ne faut pas oublier que Timocratès fut également le maître de deux autres philosophes et sophistes, largement occultés par la figure singulière de Polémon. Le premier, Démonax, bien que né à Chypre, passa sa vie à Athènes, d’où il voyagea pour parfaire son éducation avec Épictète, Timocratès et les philosophes cyniques Agathoboulos et Démétrios. Le second élève de Timocratès, le plus connu, Lucien de Samosate, consacra à Démonax une biographie. Identifié comme philosophe cynique, ce dernier fit plutôt preuve d’une philosophie éclectique. En raison de sa liberté de langage (signe là-aussi d’une influence de son maître héracléote ?), il eut quelques difficultés à se faire accepter à Athènes, où il devint par la suite une personnalité marquante72. Lucien l’admirait pour le caractère « doux, aimable et

67 Philostrate, VS, 1.25, 541. 68 Voir K. Eshleman, « Defining the Circle of Sophists : Philostratus and the Construction of the Second Sophistic », CPh, 103 (4), 2008, p. 395-413. 69 Lucien, Vie de Démonax, 50. 70 M. W. Gleason, Making Men : Sophists and Self-presentation in Ancient Rome, Princeton, 1995, p. 73-74 ; notamment Favreau-Linder, « Scopélianos », p. 160. 71 Favreau-Linder, « Polémon », p. 1203. 72 M.-O. Goulet-Cazé, s.v. Démonax de Chypre (D 74), DPhA, II, 1994, p. 718-719.

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enjoué » de sa philosophie73. Quant au maître de Démonax, Timocratès, Lucien le décrit de la façon suivante : « savant homme, remarquable pour son éloquence et son intelligence »74. Ce n’est pas par hasard si, au moment où Lucien voulut accuser Alexandre d’Abonotique, il fut soutenu par d’autres plaignants issus de l’école de Timocratès75. L’identité d’un troisième disciple est plus débattue, celle du maître n’étant pas très évidente non plus. Dans son traité De la danse, Lucien mentionne un certain Lesbonax de Mytilène, admirateur des danseurs, dont le maître aurait été Timocratès : « Ainsi Lesbonax de Mytilène, homme de mérite, appelait-il les danseurs des hommes aux mains savantes et il allait les voir, pour revenir du théâtre plus vertueux. Timocratès son maître, ayant une fois par hasard vu un danseur jouer son rôle, s’écria : ‘De quel spectacle le respect de la philosophie m’avait privé !’ »76. Si, pour ce qui est de Timocratès, on peut effectivement penser à l’Héracléote, en dépit de l’absence de l’ethnique77, le disciple ne saurait être le fameux philosophe de Lesbos, bienfaiteur de sa patrie, père du non moins célèbre Potamon. Bien que Lesbonax fût désigné par les monnaies civiques comme Lesbonax le Philosophe78, le fait qu’il apparaisse comme ayant été lui aussi un bienfaiteur dans l’inscription sur la statue érigée en honneur de Potamon par le koinon de Lesbos79, inscription datée du règne d’Auguste, indique une activité au ier siècle av. J.-C. Il ne peut par conséquent pas être identifié au rhéteur mentionné par Lucien80. Il faut donc nous résigner à conclure que si Timocratès avait bien un disciple du nom de Lesbonax ‒ à condition que ce Timocratès soit le philosophe et rhéteur héracléote ‒ ce disciple n’était pas le célèbre philosophe, bienfaiteur de Lesbos. On a donc affaire dans la région du Pont à des professeurs de rhétorique et à des philosophes, attestés uniquement ès qualité comme Chrestos et Timocratès, et à des notables comme Aristainétos ou Marcus. Ils se sont affirmés dans des centres sophistiques réputés à travers l’Empire, tout en jouissant d’une bonne réputation dans leur région d’origine. La réputation des rhéteurs du Pont reste toutefois pour le moins curieuse. Elle n’est pas toujours conforme à l’élégance et à la retenue qui devaient caractériser un sophiste. Chrestos ne pouvait apparemment maîtriser ni son penchant pour la boisson, ni ses emportements. Quant à Timocratès, il s’enflammait à ce point dans son discours que son apparence changeait et pouvait faire peur à l’auditoire. On pourrait donc en conclure qu’ils étaient perçus, du moins certains d’entre eux, comme des excentriques, en marge de la norme qui régissait

73 Lucien, Vie de Démonax, 9 (trad. E. Chambry, révisée par A. Billault et E. Marquis, Lucien de Samosate. Œuvres complètes, Paris, 2015). 74 Lucien, Vie de Démonax, 3. 75 Lucien, Alexandre ou le Faux Prophète, 57. Sur cet événement, voir Dana, Culture et mobilité…, p. 258, 260-261 et 350-351. 76 Lucien, De la danse, 69. 77 K. Aulitzky, s.v. Lesbonax (3), dans Real-Encyclopädie, 12, 2, 1925, col. 2104. 78 BMC Troas, Aeolis and Lesbos, p. 73. 79 G. Labarre, Les cités de Lesbos aux époques hellénistique et impériale, Lyon, 1996, no 22. 80 B. Puech, s.v. Lesbonax de Mytilène (L 50), DPhA, IV, 2005, p. 96-97.

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ce monde policé et raffiné. Au-delà des controverses typiques d’un milieu qui se construisait par la contestation, les sophistes ne pouvaient pas pour autant négliger les règles qui dominaient le débat intellectuel public et les normes de conduite sans se prêter à la critique. Le caractère ombrageux de Timocratès ainsi que sa parole violente et emportée, étaient en contraste avec la maîtrise de soi et le style épuré qui caractérisaient le stoïcisme81. Cette réputation mitigée ne touche point les sophistes affirmés comme hommes politiques, ni Aristainétos, avocat et magistrat, ni Marcus, en dépit des remarques concernant sa tenue négligée et son accent. Ces deux personnages détenaient une haute position dans leur cité et étaient des vecteurs importants dans les relations avec Rome. Cependant, aucun sophiste originaire du Pont ne fut titulaire d’une chaire de rhétorique ou de philosophie. Bien qu’en relation avec des personnages importants, les sophistes pontiques restent toutefois dans une situation de relative marginalité culturelle, qui semble refléter la marginalité géographique de leurs cités d’origine.

Conclusion À la fin du iie siècle, l’intégration du Pont dans l’Empire est actée de longue date. Néanmoins, l’appartenance des Pontiques à la koinè culturelle grecque n’a pas cessé d’être mise en doute, voir raillée dans les sources : ils ont un accent régional, ou bien ils parlent mal le grec au point de le corrompre82. Or, comme je l’ai déjà montré dans mon livre, il convient de distinguer entre les cités des côtes septentrionale et occidentale, et celles de la côte méridionale, ces dernières étant mieux connues et mieux insérées dans les circuits de l’Empire. La seconde dimension à prendre en considération est la spécificité des sources littéraires les plus précieuses pour le sujet, qui mettent en avant les écarts et les singularités. C’est en partie pour cette raison que l’image qui se dégage du Pontique est celle d’un personnage qui ne maîtrise pas les codes ou les ignore de façon consciente. Quoi qu’il en soit, la Seconde Sophistique, dont l’idéal était un passé grec révolu, idéalisé et centré sur l’Égée, était également nourrie par les hellénismes « périphériques ». Les ressortissants du Pont ont bien leur place dans l’histoire de ce phénomène culturel, en tant qu’hommes de lettres, philosophes et rhéteurs, certains même en tant que professeurs reconnus et estimés par leurs disciples. On peut même leur attribuer un rôle de formateurs des esprits auxquels les disciples restaient profondément attachés : l’emportement de Timocratès, qui ne cadrait peut-être pas avec une certaine conception de la figure du sophiste, était en revanche admiré par les adversaires de l’asianisme comme étant le trait de l’idéal viril de l’orateur. Il s’agit d’un style rhétorique caractéristique de la communauté intellectuelle à laquelle il appartenait. Qui plus est, aucune remarque méprisante concernant son origine n’apparaît chez Philostrate, qui appelle pourtant Hadrien le « Phénicien » – en

81 Favreau-Linder, « Polémon », p. 1202. 82 Dana, Culture et mobilité…, p. 351-353.

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précisant, il est vrai, tout de suite après, que c’était pour marquer sa naissance à Tyr, qu’il quitta pour faire ses études à Athènes auprès d’Hérode Atticus. Au contraire, la patrie de Timocratès est vantée comme parangon de la paideia. Enfin, à l’instar d’autres sophistes, ils se font porteurs des valeurs partagées qui caractérisent le monde gréco-romain « globalisé »83, sans pour autant complètement effacer leur différence, ni aux yeux des autres, ni à leurs propres yeux. Madalina Dana Université Jean Moulin Lyon 3, HISOMA

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Trainers as cultural mediators

Introduction Recent studies of elite culture in the Hellenistic and Roman periods have demonstrated that culture and power were closely linked. Paideia – traditional Greek culture – was a major source of social and political capital for the elite, who saw themselves, and were generally considered as pepaideumenoi (intellectuals1). Experts in traditional paideia, and especially sophists, were highly valued members of society. The name of the dominant literary genre of the era, Second Sophistic, is often used as a shorthand for the period as a whole. Yet this attention for literary culture should not close our eyes to the fact that elite culture also had a physical dimension. Thousands of honorific inscriptions testify to the fact that athletic achievement was a crucial element in elite self representation2. Physical excellence however was not simply an attribute that one picked at random: athletic honours had to be deserved, contests had to be entered (and ideally won) and hours of training, or askesis, had to be spent in the wrestling pits or on the running tracks. Athletics was a way of life, and the main setting of that life was the gymnasion.





1 The relationship between culture and power is explicitly discussed by T. Schmitz, Bildung und Macht. Zur sozialen und politischen Funktion der zweiten Sophistik in der griechischen Welt der Kaiserzeit, München, 1997; S. Swain, Hellenism and Empire, Oxford, 1996; T. Whitmarsh, The Second Sophistic, Oxford, 2005. 2 I have discussed this point elsewhere, e.g. O. M. van Nijf, ‘Local heroes: Athletics, festivals and elite self-fashioning in the Roman East’, in S. Goldhill (ed.), Being Greek under Rome, Cambridge, 2001, p. 306-334; O. M. van Nijf, ‘Athletics, andreia and the askesis-Culture in the Roman East’, in I. Sluiter, R. Rosen (eds), Andreia. Studies in manliness and courage in classical antiquity, Leiden, 2002, p. 263-286; O. M. van Nijf, ‘Athletics and paideia: Festivals and physical education in the world of the Second Sophistic’, in B. E. Borg (ed.), Paideia: the world of the Second Sophistic, Berlin-New York, 2003, p. 203-228. An excellent study from a literary perspective: J. P. König, Athletics and literature in the Roman empire, Cambridge, 2005. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 127-143 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121138

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The gymnasion as a place of distinction The gymnasion had been a key institution of Greek polis society from the sixth century bc onwards, but it became particularly important in the Hellenistic and Roman era. The classical Greek gymnasion consisted of ‘playing fields’ around sacred groves, at a distance from the city centre, perhaps surrounded by a low wall, but from the late classical period gymnasia3 acquired palaistrai and xystoi (covered running tracks) and were monumentalised in many ways, often as the object of euergetism. Gymnasia were embellished and enclosed, and became essential meeting places of the cities. They have even been described as a second agora4. The responsibility of running a gymnasion was the job of a gymnasiarch, a function that was firmly enshrined in the political hierarchy as a magistracy or liturgy5. The duties of the gymnasiarchs were administrative, and increasingly financial, as they were expected to contribute themselves to the running costs, which could be high. In the Roman period gymnasia were sometimes provided with facilities for imperial cult, and Roman style warm baths were added, which raised the running costs even further. Civic funds were supplemented by the ob honorem contributions of gymnasiarchs and ‘spontaneous’ gifts by private individuals including women and foreign dignitaries, and even emperors. In fact, the gymnasiarchy could become so costly that only a few individuals were able or willing to bear the costs for an entire year6. Cities distinguished themselves with their gymnasia, but gymnasia also became places of distinction inside the city. The gymnasion was a ‘tout petit monde’ that will have catered mostly for a privileged minority7. The habitués of the gymnasion must have constituted everywhere a selective segment of society. In Hellenistic and Roman Egypt the gymnasial class was a privileged subsection of the population, to which one was only accepted after an elaborate process of epikrisis. A recently published ephebic law from Amphipolis confirms that boys from families with property worth more than 300 mna were obliged to attend on a daily basis8. In some places status as

3 A. Farrington, The Roman baths of Lycia. An architectural study (British Institute at Ankara Monograph, 20), Ankara, London, 1995; F. Yegül, Baths and bathing in classical antiquity, Cambridge (MA)-London, 1992. 4 For the expression ‘second agora’, see L. Robert, ‘Recherches épigraphiques’, REA, 62, (= OMS II, 792-877), 1960, p. 298. Two recent volumes provide a good overview: D. Kah, P. Scholz (eds), Das hellenistische Gymnasion (Wissenskultur und gesellschaftlicher Wande), Berlin, 2004; P. Scholz, D. Wiegand, (eds), Das kaiserzeitliche Gymnasion, Berlin, 2015. I have also learned a lot from Stella Skaltsa’s unpublished Oxford dissertation, which she kindly put at my disposal. Cf. S. Skaltsa, Hellenistic Gymnasia: The built space and social dynamics of a polis institution (unpublished doctoral dissertation, Oxford, 2009). 5 A. H. M. Jones, The Greek City from Alexander to Justinian, Oxford, 1940, p. 221-222; F. Quass, Die Honoratiorenschicht in den Städten des griechischen Ostens. Untersuchungen zur politischen und sozialen Entwicklung in hellenistischer und römischer Zeit, Stuttgart, 1993, p. 270-274; 286-291; p. 317-323. 6 Quass, Die Honoratiorenschicht…, p. 320. 7 The reference is of course to E. Perrin-Saminadayar, Éducation, culture et société à Athènes. Les acteurs de la vie culturelle athénienne (229-88): un tout petit monde, Paris, 2007. 8 K. Lazaridou, ‘Εφηβαρχικός νόμος άπο την Αμφίπολη’, ΑΕ, 154, 2015, p. 1-48.

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a full citizen could even become dependent on having attended the gymnasion as an ephebe, as in the case of Pellene:9 There is an old gymnasium chiefly dedicated to the exercises of the ephebes. And the law is that no one may be registered as a citizen before having been an ephebe. The gymnasion was probably never totally closed to other groups. In the first place we can think of wealthy foreigners, of whom the Athenian ephebic lists give many examples, but the phenomenon is also attested elsewhere10. In social terms, however, membership will normally not have extended much beyond the middling citizens who had the means and ambition to spend considerable time and energy in the gymnasia11. For the poor, including slaves and freedmen, participation will have been dependent on the generosity of individual benefactors12. These were exceptions, however, and in normal cases social prejudice will have restricted participation as we may deduce from the famous gymnasion law from Beroia:13 People not allowed to take part in the gymnasium: any slave, freedmen or their sons, anyone who has not trained in the palaistra, prostitutes, anyone practising a trade in the agora; neither is a drunkard or mentally ill person permitted to strip himself in the gymnasium. The gymnasia catered for different age-groups but the age groups that were predominantly associated with it were the paides, but – above all – the epheboi, the older boys of 16-18 to 20 years old, and the neoi, the young men, who were instructed in a range of military, athletic, artistic and intellectual activities that were deemed essential to the self-image of the educated Greek male citizen.

Physical and literary education Gymnasia had always been associated with physical activities that were also the standard fare at the great Greek contests, such as the traditional running disciplines

9 Pausanias 8.2. 10 IPerge 14 praises a gymnasiarch for his generosity towards strangers, which suggests that he gave them access to the gymnasion. For Athens, see the list in Perrin-Saminadayar, Éducation, culture…, p. 449-478. Romans were i.a. attested in Greek gymnasia in Pergamon, Naxos, Larissa, Delos: R. M. Errington, ‘Aspects of Roman acculturation in the East under the Republic’, in V. Losemann and P. Kneissl (eds), Alte Geschichte und Wissenschaftsgeschichte. Festschrift für K. Christ zum 65. Geburtstag, Darmstadt, 1988, p. 149-150. 11 I have discussed the status of athletes in the Roman East in van Nijf, Local heroes…, and in van Nijf, ‘Athletics, andreia…’. 12 M. Golden, Greek sport and social status, Austin, 2008, p. 40-67; for an example of a trust fund that allowed slaves access to the gymnasion for a period of 6 days per year, IG V.1, 1208 = SEG 13, 258. On this text: K. Harter-Uibopuu, ‘The trust fund of Phaenia Aromation (IG V.1 1208) and imperial Gytheion’, Studia Humanioria Tartuensia, 5, 4, 2004. 13 SEG 43, 381. See Golden, Greek Sport…, p. 40-67, for a longer discussion.

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(stadion, diaulos, dolichos) as well as wrestling, boxing, and pankration14. However, the gymnasion was also widely – though not unanimously – considered to be an excellent training ground for military life15. From the fourth century bc we find evidence for military exercise, including archery, javelin throwing from horseback, and operating the catapults. Although it seems that the military aspect receded to the background in the Roman period, it never disappeared completely. Even in Athens small numbers of hoplomachoi were appointed until well into the imperial age. Other militaristic physical activities also continued; the old view that they sharply declined must be rejected. Several texts suggest that paides and ephebes engaged in traditional athletic disciplines not just to train, but especially to compete. Contests were organised within the gymnasia, but also in the many local festivals (themides) that largely catered to a local audience in all the familiar disciplines. It should be noted that such contests were not an optional addition: education was not completed with a kind of ‘graduation’ or ‘Abitur’ from the gymnasion. The achievements of the gymnasiasts were put on display in annual apodeixeis that were organised as public events, the victors of which were crowned and recorded16. These gymnasion contests were not only a proper introduction to the world of contests and festivals, but they also reflected the endurance of a ‘Greek dream’ in which personal excellence was established in a public agon, and judged by a jury of one’s peers. Least familiar to us were the so-called ‘judgement contests’ that were held in euexia (comportment), eutaxia (discipline), and philoponia (endurance), all competitions that emphasised the physical dimensions of a gymnasion education:17 The gymnasiarch is to hold the Hermaia in the month of Hyperberetaios. He shall make sacrifice to Hermes and offer a weapon and three other (prizes) for euexia, eutaxia and philoponia for those who are under thirty years old. The gymnasiarch will make up a list of seven men from those who are on the spot to judge the fitness contest, choosing three by lot to swear by Hermes to judge fairly about who appears to them to have the best body rather than through favoritism or enmity of any sort. The gymnasion remained a school in civic virtue of which the well-trained body was a major expression. An inscription from Aphrodisias summarises the ideal quite neatly:18 14 I. Weiler, ‘Gymastik und Agonistik im hellenistischen Gymnasion’, in D. Kah and P. Scholz (eds), Das hellenistische Gymnasion, Berlin, 2004, p. 25-46. 15 D. Kah, ‘Militärische ausbildung im hellenistischen Gymnasion’, in D. Kah and P. Scholz (eds), Das hellenistische Gymnasion, Berlin, 2004, p. 47-90; M. B. Hatzopoulos, ‘La formation militaire dans les gymnases hellénistiques’, in D. Kah, P. Scholz (eds), Das hellenistische Gymnasion, Berlin, 2004, p. 91-96. 16 IEphesos 1101 (2 bc) is the record of a gymnasion contest that was presided over by a paidotribes, as well as teachers in music and rhetoric. For more victors in gymnasion contests, see e.g. IIasos 285-396; cf. A. S. Chankowski, L’Éphébie hellénistique: étude d’une institution civique dans les cités grecques des îles de la Mer Égée et de l’Asie mineure, Paris, 2010, p. 289-298. 17 N. B. Crowther, ‘Euexia, euandria, philoponia: three contests of the Greek gymnasion’, Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 85, 1991, p. 301-304; for Beroia, see SEG 43, 381. 18 IAph. 2005, 5.214.

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Aurelius Achilles has undertaken the training of his body, and is also most noble in training, and most dignified in his way of life and his conduct, so that in him all virtue of body and soul is blended. An education in the gymnasion was merely the first step in a life-long process of askesis: physical and intellectual self-improvement that ended only with death19.

Terminology This program of physical education was supported by a range of expert instructors. The precise terminology differs, but the most common titles are: paidotribes, aleiptes and epistates. It is not easy to distinguish exactly between the three; dictionary definitions show that all these expressions could be used for gymnastic or athletic trainers and coaches. Paidotribai

Of these three titles, paidotribes is epigraphically by far the most commonly attested, with most examples coming from Athens20. Athenian paidotribai were public functionaries of some status who were responsible for the physical education of groups of boys or ephebes in the gymnasia21. Most of the attestations are found in inscriptions set up in honour of the ephebes, or by the ephebes in honour of the kosmetai and other officials of the gymnasion. Outside Athens, we find individual paidotribai of variable status in epitaphs and honorific inscriptions that show them sometimes as (minor) public functionaries, but also as professional (and geographically mobile) private athletic trainers or wrestling coaches. Aleiptai

The aleiptai are less common in the epigraphic record (c. 25 attestations in PHI). Their title suggests a role as masseurs. This would be particularly fitting in a gymnasion context, as many inscriptions describe members of the gymnasion as oi aleiphomenoi - and the supply of oil was one of the most important (and most expensive) duties of the gymnasiarch. We find most aleiptai, however, as ‘private’ coaches22.

19 van Nijf, ‘Athletics, andreia…’ 20 A search on the Packard Humanities site for ‘paidotrib’(*) gave 302 attestations in 233 texts. 237 of these attestations refer to Athens. 21 Schmalz calls it a minor office: G. C. R. Schmalz, Augustan and Julio-Claudian Athens: a new epigraphy and prosopography, Leiden - Boston, 2008. 22 On private coaches see below.

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Epistatai

The term epistates, which is very common, is more problematic, because it could be used for anyone in a supervisory position. Yet, as Louis Robert has shown, the term is frequently used in an explicitly athletic context: either as a functionary in a gymnasion, or as the private trainer of a successful athlete23. Gymnastai

A final category is the gymnastes; this is the most problematic term. Modern scholarship has sometimes taken the view that the title gymnastes referred to a ‘more scientific’ type of coach24. We find the term only rarely in a context of (self-) representation, which suggests that the term was not much used in day-to-day language. I found only two examples: an epitaph from Smyrna, and an honorific text from Delphi25. The term mostly appears in literary discourse. I have suggested that it was used mainly to present athletic training as a techne (a useful form of knowledge) of the body fit for academic or sophistic discussion26. A related case is the term progymnastes which we find in Priene, where the office is listed among the recipients of a banquet27. The immediate context suggests that they are somehow responsible for the athletes of a particular city, but they do not seem to have been the trainers, because these are listed as aleiptai28. I proceed on the assumption that all of these terms were rough equivalents and that whatever their professional skills and qualifications, or intellectual ambitions, most trainers would describe themselves as paidotribes or aleiptes, or simply as epistates. Physicians

I need to say something about doctors, or physicians, who were also active in the contexts of gymnasia. Physical training brought with it a high risk of accidents and injuries. Practical knowledge of the body and of basic medical skills would have been required of each trainer. In fact, the earliest athletic trainers, like Herodikos from Selymbria, and Ikkos of Tarentum were either presented as doctors, or at least reported to have dabbled in medicine29. Literary authors suggest that the relations between trainers and physicians could be tense, as they offered competing theories

23 L. Robert, ‘Enterrements et épitaphes’, AC, (= OMS VI, 81-124), 1968, p. 407. 24 For the best discussion see: König, Athletics and literature… 25 ISmyrna 436; Delphi, FD III.1. 26 König, Athletics and literature…, p. 301-344. 27 IPriene 111. 28 See also below, n. 31 on this inscription. The only literary attestation of a prosgymnastes is in Hyperides, Lycophron 6, where the term is apparently used for a wrestler. 29 G. Wöhrle, Studien zur Theorie der antiken Gesundheitslehre, Stuttgart, 1990, p. 49-50.

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and practices of the body. The physician Galen repeatedly turns to the ‘false claims to knowledge’ made by ancient trainers:30 The paidotribike techne seems to have fallen victim to some extraordinary derangement, like a servant who wantonly obstructs the commands of his good master – that is gymnastics. The most wretched and unsuccessful among them have no hesitation in giving themselves the name of gymnastic trainers; at which point they begin to squeal – just like pigs – in a discordant or barbarous votive. Some of them even attempt to write on massage, good condition, health, or exercise, and even take part in arguments in which they attack people of whose works they have no knowledge … At this point our self-taught gymnastic trainer stepped forward, stripped a boy, and demanded that we demonstrate our practice of massage and training on this boy, or else keep silent on these subject. And he was shouting: ‘Where did Hippocrates go to jump, then? Where was his wrestling school? He probably never even knew how to rub oil on himself.’ So this fellow screamed away, and in fact could not even be quite for long enough to follow the discussion. The overriding message was of course that people should entrust the care of their bodies to the real expertise of the physicians. However the two types of specialist must often have been found together on the ground in the palaistra. The differences in standing and outlook, and perhaps even in activity were not all that great. Some individuals seem to have combined the functions, as the iatraleiptes who is attested in Ephesos31. In some cases they were clearly working together: in the inscription from Priene mentioned above, we note that they took their place alongside the theoroi, performers, trainers and progymnastai, which suggests that they formed part of the regular retinue of the ephebes competing in a festival32. In such cases their collaboration may have been tighter than the literary discussions suggest: we find a doctor and a trainer (epistates) as joint commemorators in an epitaph for a young boy from the area of Nisyra33. In some cases this collaboration must have had a more formal basis as well. An epitaph from Thyateira records an archiatros of an athletic association. The terminology suggests that he held a recognised (privileged) position34. Others

In addition to these specialists we find a number of other trainers, instructors, and other staff members. These would have included technical specialists such as instructors of archery, javelin throwing, or horse riding, but we also hear of arms

30 Galen, Thrasyboulos, 46 (894/5); for the debate see König, Athletics and literature, p. 254-300 and van Nijf, ‘Athletics, Andreia…’, p. 276-283. 31 IEphesos 629. 32 IPriene: 111, XVIII 175 invited to a banquet. 33 TAM 5.1, 432. 34 TAM 5.2, 1097, cf. L. Robert, ‘Épitaphe d’un médecin des athlètes à Thyatire’, Hellenica, 9, 1950, p. 25‑27; on archiatroi as a privileged category, see V. Nutton, ‘Archiatri and the medical profession in Antiquity’, Proceedings of the British School at Rome, 45, 1977, p. 191-226.

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and drill sergeants. We can be sure that much of the day-to-day instruction of the boys, ephebes, and other athletes was carried out by these men under the general supervision of the gymnasiarchs, or ephebarchs. Alongside such specialists we find simple assistants (hypopaidotribai, didaskaloi and paideutai) but also administrators (grammateis) and all kind of attendants, such as palaistrophylakes35. The latter category will have had little to do with the training of the athlete – they were more likely to have cared for the premises, and have been responsible for menial cleaning tasks, such as the collection of gloios, the mixture of oil and dirt that athletes scraped off their bodies with their strigils, and which was sought after for medical purposes36. The person who has purchased the revenue for the gloios will provide the service of the palaistrophylax, obeying the orders of the gymnasiarch with respect to everything that is necessary for the gymnasion. The status of such men could vary: many of these men will have been slaves, but in some cases we seem to be dealing with free citizens. At least some were men of some substance, who served as minor liturgists. But whatever the social position of the individuals concerned, all these men would have basked in the status and glory of the gymnasia, but the high level of specialisation and division of labour that these functions presuppose will also have contributed to the prestige of the gymnasia. This shows clearly that physical as much as literary education was a collective enterprise, a social process that involved a cross-section of society.

Background and activities Background

What do we know about the background of these athletic trainers, who were the specialists of traditional Greek physical culture? It stands to reason that many will have had a background in (professional) athletics themselves. Former athletes had a natural advantage, as Pindar had already acknowledged37, as they could reasonably claim that they literally embodied athletic expertise. An example is the case of M. Aurelius Asklepiades, citizen of Alexandria and Athens, who had been a successful athlete before becoming a trainer38.

35 S. Dow, ‘Οἱ περὶ τὸ Διογένειον’, Harvard Studies in Classical Philology, 63, 1958, p. 423-436. The role of slaves and other servants is discussed in Golden, Greek Sport… 36 SEG 43; on the uses of gloios, see N. M. Kennell, ‘Most necessary for the bodies of men: olive oil and its by-products in the later Greek gymnasium’, in M. Joyal (ed.), Altum: Seventy-five years of Classical Studies in Newfoundland, St John’s, NF, 2001, p. 119-133. The palaistrophylakes are discussed by Golden, Greek Sport… 37 Pindar, Olympian Odes, 8.59. 38 IG V.1. 566.

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M. Aurelius Asklepiades citizen of Alexandria and Athens, twice circuit victor, trainer twice victor in the men’s wrestling in the Eurukleia… As today, many successful athletes will have ended their careers by passing on their specialist knowledge to new generations. Experienced trainers must themselves have been the product of an education in the gymnasion, which was frequented mostly by the middle and upper levels of urban society. Some trainers may even have belonged to the urban elite. A paidotribes from Smyrna recorded his membership in the boule on his tomb:39 This is the monument of Publius Aelius Tertius, from Smyrna, Councillor, Trainer. We may conclude that the status of trainers may not have differed much from that of the group of athletes as a whole, who were normally recruited among the ‘gymnasial class’, which would exclude at least the very poor. Their status as hired professionals, however, suggests that the proportion of social climbers among their ranks may have been somewhat higher than among the athletes themselves40. In this respect their situation may have been not altogether different from that of the other teachers in the gymnasion – a job in education has always been one of the most successful avenues of modest social climbing. A well-known inscription from Teos sheds some light on their position41. Every year after the elections, after the selection of the scribes, three schoolmasters are to be appointed who will teach the boys and girls; the person appointed to the first class shall be given 600 drachmas a year. The person appointed to the second class 555 drachmas, and the person appointed to the third class 500. Two physical trainers are also to be appointed and the annual salary of each is to be 500 drachmas. A lute player, one who plucks the strings or who uses a plectrum, is also to be appointed, and the annual salary of the person elected is to be 700 drachmas … The paidonomos shall also hire a drill sergeant and a teacher of archery and javelin throwing, subject to ratification by the demos; they shall teach the children who have been registered to learn music. The teacher of javelin throwing shall be given a salary of 250 drachmas, and the drill sergeant 300 drachmas. The drill sergeant shall teach for not less than two months. The texts, which dates from the second century bc, records the foundation of a school by a certain Polythrous. The city receives 34.000 drachmas. Trainers are to receive a yearly salary of 500 drachmas, which is only slightly lower than the 600 drachmas received by the grammatodidaskaloi. Other specialists receive less: the drill instructor only gets 300 drachmas, and the teacher of archery and javelin throwing 250 drachmas, although these specialists seem to have served only part of the year,

39 IK 24.1, 246. 40 For the relative high status of athletes: van Nijf, ‘Local heroes…’ 41 SIG (3), 577.

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suggesting a high degree of mobility. Their income would increase if they were able to hire out their services elsewhere. Activities

We have only a limited idea of their exact activities. At the basic level their job would have been to provide technical advice. A papyrus text from Oxyrhynchus (first/second century ad) appears to be an extract from a wrestling manual42. You stand up to his side, attack with your foot and fight it out. You throw him. You stand up and turn around. You fight it out. You throw him. You sweep and knock his foot out. Stand to the side of your opponent and with your right arm take a headlock and fight it out. You take a hold around him. You get under his hold. You step through and fight it out. You underhook with your right arm. You wrap your arm around his, where he has taken the underhook, and attack the side with your left foot. You push away with your left hand. You force the hold and fight it out. You turn around. You fight it out with a grip on both sides. You throw your foot forward. You take a hold around his body. You step forward and force his head back. You face him and bend back and throw yourself into him, bracing your foot. The papyrus is written in a nice book-hand, which suggests that it was intended for sale. If so, it is one of the few surviving examples of a genre that appears to have been widespread (judging by the references to such ‘manuals’ in writers such as Galen). Michael Poliakoff, an expert on ancient combat sports, has argued that this papyrus describes a remarkably sophisticated series of moves43. Maybe one has to be a wrestler oneself in order to appreciate the subtleties. It is interesting, however, to note that the language training could be parodied in (high) literature for describing sexual encounters, which indicates that the readers of these texts were familiar with this language as well44. This suggests once more that the spheres of literary and physical culture were closely linked.

Trainers as public officials Trainers who served as public functionaries in the civic gymnasia will have had additional duties. Admittedly, much of the evidence is Hellenistic, but it is not obvious that the situation would have been very different in the Roman period,

42 P.Oxy. 466. 43 M. B. Poliakoff, Combat sports in the Ancient world. Competition, violence, and culture, New Haven London, 1987, p. 51-53. 44 e.g. Lucian, Onos, 5-10.

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seeing that institutional continuity was so common throughout the Roman East. The responsibilities and duties of the paidotribai were everywhere circumscribed and closely monitored by the authorities. These were often spelled out in more or less detailed laws as the one found in Beroia in Macedonia. Here, the gymnasiarch was responsible for the maintenance of discipline among the visitors of the gymnasion and among its personnel45. A similar situation of close monitoring and supervision emerges from the recently published ephebarchic law from Amphipolis that puts a heavy emphasis on the disciplining of the various instructors46. Paidotribai were appointed by the city: after long deliberation and careful scrutiny by the authorities; and sometimes directly by the boule as in Kos47. In other cities (e.g. Miletos) the election and installation of the paidotribai seems to have been a civic event of the first order, involving public registration with the paidonomoi, sacrifices, and oath taken in public office. The entire assembly seems to have served as a selection panel, which shows that their appointment was taken seriously, as a kind of state business48. This relatively elaborate procedure – and the close supervision of their activities – may have something to do with the fact that the paidotribai and other trainers themselves occupied a position of some moral authority that entitled them to whip the young boys in the gymnasion, as well as the athletes in the contests. This was a remarkable violation of the bodily integrity of Greek citizens. Normally only slaves could be punished in this way: to strike a citizen would be considered an act of hubris. In fact, ancient authors pointed this out:49 They [i.e athletes] are easily observed because of their bodies, both in exercise and from the contests they’ve been involved in before. In addition, there are the whips and the mistreatment and the indignities their bodies endure, which are the marks of slaves, not of free men, and censure before the spectators instead of praise, applause and crowns. Sometimes the penalty is to be thrown out of the stadia and games, but the greatest penalty for those who pride themselves on their freedom is to see themselves incurring the punishment of slaves… Yet for trainers it was considered acceptable to flog the athletes in their care. This was already depicted on several red-figured vases50, but trainers were also represented carrying whips as a sign of their authority on mosaics from the Roman age51. A recently discovered letter of the emperor Hadrian confirms that trainers had the

45 SEG 43, 381. 46 Lazaridou, ‘Εφηβαρχικός νόμος…’ 47 M. Segre, Iscrizioni di Cos, ED 145 79. 48 Milet I 3, 145. 49 Pseudo-Dionysius, Art of Rhetoric, 7.6. 50 One of the most striking examples is a red-figured Kylix from the British Museum by the Foundry Painter: BM Vase E78.78. 51 A beautiful example is the Gafsa mosaic: M. Khanoussi, ‘Spectaculum pugilum et gymnasium. Compte rendu d’un spectacle de jeux athlétiques et de pugilat, figuré sur une mosaïque de la région de Gafsa (Tunisie)’, Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 132, 3, 1988, p. 543-561.

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authority to violate the bodily integrity of the athletes in this way52. Scholars have not been able to explain this exceptional situation fully, but it has been suggested that being beaten like a slave was more than punishment alone, as it gave the transgressor an opportunity to recover his status by showing manly endurance53. If so, it was a painful lesson on the cultural importance of Greek athletic rules. The fact that such serious punishments could be meted out by the trainers to the athletes in their charge is an illustration of their importance as ‘passeurs de culture’ at the service of the civic community. Another example of the role of the trainers as the standard bearers of community values is their frequently attested participation in public rituals and ceremonies:54 The paidotribai shall sacrifice to Hermes, at the same time as the hieropoioi, receiving not more than one drachma from each boy and they will prepare portions of raw meat from the animal to be sacrified. The role in public sacrifices, in festive banquets, and in civic processions reflected the central role of the trainers in the civic community. In some cases trainers received public praise, honorific monuments, and even honorific titles, which would have established them as (minor) public figures:55 The polis honoured Claudius Cassius, son of Tychikos, trainer, for his trustworthy care of the athletes in his charge.

Global trainers and athletic mobility So far I have focused on the activities of trainers at a local level. But we should remember that Greek athletic culture was an international (or panhellenic) phenomenon, which is – or should be – remarkable for its wide spread and striking uniformity over an enormous geographical area. I want to conclude with some remarks on the role of trainers in this development. Athletic traditions were centred on the great games of the periodos, but there was an extensive and intricate network of athletic contests and festivals that connected the Greek cities across the oikoumene56. Such networks depend of course on the exchange of ideas and information: before people can compete with each other they must learn about the game itself, its cultural meanings, about the formal and hidden rules of the competitions. People had to learn how to be Greek and that also applied to how to handle their bodies in appropriate –i.e. Greek – ways. Athletes had

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SEG 56, 1359. Golden, Greek Sport…, p. 55-57. SEG 43, 381, 64 ff. IG V.1, 491. See for applications of network theory, O. M. van Nijf and C. G. Williamson, ‘Connecting the Greeks: Festival networks in the Hellenistic World’, in C. Mann, S. Remijsen, S. Scharff (eds), Athletics in the Hellenistic world, Stuttgart, 2016, p. 43-71.

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to develop a shared body language, before panhellenic competition could become a meaningful activity. Athletic trainers must have played an important role in this process as cultural mediators. We know that trainers could accompany athletes to contests outside town. This was the case in famous festivals like Olympia where athletes had to be accompanied by their trainers, who also had to swear an oath and had to attend the games naked57 but this must also have been the case at other, lesser festivals. We saw above that in Priene trainers were invited to public banquets alongside other officials, doctors, and the ephebes present for the contests58. Many athletes mentioned their trainers in their victory inscriptions. In most cases these will have been public trainers, who had been appointed by the city, accompanying athletes in their care. In some cities like Miletos, there were regulations about gymnastic trainers taking athletes abroad:59 The gymnastic trainers who have been elected, if they wish to go abroad and take athletes to one of the crowned contests, may do so provided they obtain leave of absence from the paidonomoi, and leave someone in charge of the boys who is acceptable to the paidonomoi. When we find inscriptions of athletes who mention their trainers, we may therefore assume that these were accompanying their charges. Two athletes from Tralleis, who took part in the Megala Mariana in Ephesos, mentioned the same epistates, who presumably had accompanied them to the contest60. But this may not have been the case everywhere. The recently published ephebarchic inscription from Amphipolis stipulates that ephebes who wanted to take part in foreign contests had to give notice of their absence, but no mention is made of trainers accompanying them61. We can only surmise the reasons, but it is possible that the costs of a (long) stay abroad were considered too high. An Ephesian inscription suggests that cities were not always able – or willing – to fund athletes directly. In this text a certain Therippides, who was described as an epistates, applied to the city council of Ephesos for a subsidy for a young and promising athlete named Athenodoros who could not afford the askesis and ekdemia (the training program and the stay abroad) at a distant festival. It would seem that the city raised the money by selling citizenship. I think that it is likely that Therippides will also have accompanied Athenodoros, but we cannot be certain about this62. Therippides’ efforts may have been the result of patriotism or of his dedication to his pupil, but it is possible that more mundane factors will have played a role as well. As athletics became more professionalised, athletes were also a potential source of 57 58 59 60 61 62

Pausanias, 5. 249, cf. also Philostratus, Gymnasticus, 17. IPriene 111. Milet I 3, 145 = Syll. (3), 577 (52-58). IEphesos 111-112. Lazaridou, ‘Εφηβαρχικός νόμος…’ IEphesos 2005. For a discussion: S. Brunet, ‘Olympic hopefuls from Ephesos’, Journal of Sport History, 30, 2, 2003, p. 219-235.

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money for their trainers. An early example of this may be found in a third bc papyrus text from the Zeno archive:63 Hierokles to Zenon. Greetings! It would be nice if this finds you in good health; we are well. You wrote to me about Pyrrhos – that I am to train him only if I am really certain that he will win, for money is not to be thrown away and he is not to be interrupted from his studies. Of course, only the gods can say for certain, but it seems to Ptolemaios (the trainer) as much as man can know, that he is already better than those currently in training who have been at it for a longer time… and in a very short time there is abundance of this. The boy approaches this level in his training as well as in his other lessons. I speak together with the gods in saying that I have every hope that he will win a crown for you. We do not understand the situation completely, but it is interesting to note that athletic education is described in terms of an investment – money is not to be thrown away –, implying that a (good) trainer might be expensive, and that successful athletes would bring in money for their trainers/sponsors. Against this background it is interesting to note that both Philostratus and Roman legal sources suggest that this kind of entrepreneurial activity may have led to exploitation of the athletes by their trainers64. Trainers could not only be rich, they could also become international celebrities. This phenomenon was of course not entirely new: as we saw above, Pindar had already celebrated trainers, especially in his Aiginetan odes, but in these cases the trainers were often of the same aristocratic stock as the athletes65. High-profile trainers are even commemorated in Olympia, although honorific statues were normally not allowed. Pausanias mentions two such exceptions, both from the fourth century bc: the first concerns the wrestler Kratinos of Aigeira who obtained special permission to set up a statue for his trainer; in the second case Pausanias disapprovingly refers to a statue set up by a trainer, who gives more information about himself than about the victorious athlete66. When over time the agonistic calendar filled up, and athletes spent more and more time abroad, trainers must have been as mobile as the athletes. In several of the ‘hypo inscriptions’ the origin of the epistates or paidotribes was specified, which would have been unnecessary if they were always local officials. And there are also cases where individual athletes appear to have appointed their own trainer to accompany them67. Other inscriptions show that trainers traveled the oikoumene to take up a position in a faraway town – for which they received considerable recognition, including honorific inscriptions and council membership. An inscription from Delphi in the Roman era records a trainer from Smyrna receiving

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P.Zenon 59060. Dig. 4.2.23.2; Dig. 42.1.40 Papinianus 40; CJ 8.16.5; Cf. Philostratus, Gymnasticus, 45. For Pindar’s Odes, cf. A. P. Burnett, Pindar’s songs for young athletes of Aigina, Oxford, 2005. Pausanias, 6.3. For the suggestion that he was a specialist trainer, Golden, Greek Sport…, p. 37; IEphesos 1112.

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citizenship and council membership in Delphi68. A lesser honour was that of proxenia: in Bouthrotos the trainer Chairias from Teos, who had assisted the Olympic victor Antipatros, was appointed proxenos in 136 bce on account of his techne69. Another example comes from Thessaly where we find a trainer from Pergamon receiving the same honour70. Finally, the importance of the trainers in the internationalisation of athletics is also borne out by the fact that they could become (important and prominent) members of the international associations that began to dominate the athletic networks of the imperial period. I have argued elsewhere that these associations served as cultural mediators, both a symptom and an agent of globalisation71. It is a sign of their important role in this process, that the trainers could not only join these associations, but that they could also achieve some status in these groups. We find them as members and magistrates, and in some cases their role was even reflected in the titles of the organisations, although we should admit that we have precious little information about what these activities exactly were72.

Conclusion In this paper I have tried to shed some light on a somewhat obscure category of cultural mediators: trainers and coaches, who under different names and titles were active in the gymnasia and in the many contests and festivals of Greek world. I have tried to show that their expertise was not limited to athletics skills, but that they offered a respectable techne of the body that was crucial to the formation of Greek (elite) citizens at a local level. Their role at festivals contributed to the formation of a Panhellenic, globalising network that was so typical of the Hellenistic and Roman periods. Overall these men were of intermediate status – but the cultural importance of their activities was appreciated. Many inscriptions confirm their role as mediators of a globalising Greek body culture. Their status was perhaps not as high as that of the travelling sophists, or the heads of the philosophical school, but their role was indispensable nonetheless. Onno van Nijf University of Groningen

68 FD III.1, 220. For a discussion of (multiple) citizenship, see: O. M. van Nijf, ‘Athletes, artists and citizens in the imperial Greek city’, in A. Heller, A. V. Pont (eds), Patries d’origine et patries électives: les citoyennetés multiples dans le monde grec d’époque romaine, Bordeaux, 2012, p. 175-194. 69 IBouthrotos 9. For a recent discussion on proxenoi, see W. J. B. G. Mack, Proxeny and polis: institutional networks in the ancient Greek world, 2015. 70 PAAH (1935) 65,1. 71 O. van Nijf, ‘Les athlètes et les artistes comme médiateurs culturels’, in A. Gangloff (ed.), Médiateurs culturels et politiques dans l’empire romain: voyages, conflits, identités, Paris, 2011, p. 71-82. 72 IKition 2047 is a small honorific inscription for a xystarch, by an oikoumenical association of ‘athletes, sacred and crown winners, and their trainers’; cf. IKaunos 139.

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Deuxième partie

Lieux et pratiques d’enseignement

Mouseia in Roman Asia Minor Public spaces of culture and institutions of education

Introduction1 Education in imperial Asia Minor was transmitted by general teachers (mathetai or didaskaloi), grammarians, sophists, philosophers, and doctors in different private and public spaces. The existence of private rhetoric and philosophic schools is well attested through literary sources, but the use of public space is much more problematic to identify. There are no indications of regular education imparted in public spaces. We know ephebes received their sports and intellectual education at the gymnasion, but we know nothing about an officially regulated education system similar to those attested for children in Hellenistic times from some important foundations in Teos or Milet, or from public school demonstrations (epideixeis) in Mylasa, Teos, or Pergamum. In Hellenistic times many itinerant intellectuals were praised because they had imparted classes at gymnasia to paides (children), epheboi (ephebes) and neoi (youngs), and had even given conferences for the whole city. This custom was still alive, and even increased in Roman times. We can also presume theatres were an important space for education and transmission of culture, especially during the intellectual competitions (thymelikoi or mousikoi agones) that were founded in so many cities in Asia Minor especially in the second and third centuries ad, such as the famous Demostheneia in Oinoanda2. Similarly, temples were the area where paides, epheboi and neoi demonstrated their musical training singing in choruses in honour to a god or to the emperor.





1 This research is part of the project FFI2015-63956-P sponsored by the Spanish Ministry of Economy and Competitiveness, and FEDER funds. I would like to thank the editors of the volume for extending me their invitation to participate in the journées d’études organised in Paris, November 2015, and also the members of the audience who took part in the discussion following my talk. I also thank Veronica Walker for the English revision. 2 On the Demostheneia see M. Wörrle, Stadt und Fest im kaiserzeitlichen Kleinasien : Studien zu einer agonistischen Stiftung aus Oinoanda, Munich, 1988. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 147-165 © F H G 10.1484/M.RRR-EB.5.121139

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But apart from the gymnasion, was there a public space or institution directly and mainly allocated to education ? This function could be attributed to some of the Mouseia that were founded in some cities in Asia Minor in the second century ad. I will focus here on this institution and its relation to mediators of culture and to public spaces, mainly gymnasia and sanctuaries. Altars and celebrations to honour the Muses are related to gymnasia already since the fourth century bc, and probably earlier, and are attested throughout the Hellenistic and Roman periods3. Though it has been suggested that Pythagoras founded a Mouseion as centre of research in Crotone, possibly related to the gymnasion of the city, or even inside the gymnasion, the existence of Mouseia as centres of study is a phenomenon known only since the end of classical times4. Plato’s Mouseion was the ideological and architectonic model for the Mouseion of Theophrastus, and, indirectly, for the Mouseia of Alexandria and Antioch on the Orontes5. But, besides these Mouseia, there are no references to specific Mouseia in literary sources, nor in Philostratus’ Lives of the sophists, nor in the works of Aelius Aristides or of Galen, authors who could have been related to the Mouseia of Pergamum, Smyrna or Ephesus. No archaeological building has been identified with certainty with a Mouseion. On the other hand, we have epigraphic sources for Mouseia especially in Ephesus, but also in Pergamum, Smyrna, Magnesia on the Meander, Milet, Mylasa, Stratonicea, Antioch in Pisidia, Perge, Side, Halicarnassus, and Tavium in Galatia. The evidence has been interpreted as references to the Alexandrian Mouseion in all or most of the cases, while the Mouseia that have been considered to be local institutions have been identified as new foundations following the Alexandrian model. In what follows I will analyse the sources in order to reconsider these matters and try to identify what sort of institution were the Mouseia, and if they corresponded to a delimited public space or not.

Epigraphic sources concerning Mouseia in Asia Minor Ephesus

The best known Mouseion in Asia Minor is the one in Ephesus, especially through the formula ἀπὸ τοῦ Μουσείου ἰατροί, « the physicians from the Mouseion », attested



3 On the different types of Mouseia see the comprehensive work of A. Caruso, Mouseia… Tipologie, contesti, significati culturali di un’ istituzione sacra (VII-I sec. a.C.), Roma, 2016, with a thorough discussion of the evidences. 4 On the possibility that Pythagoras’ Mouseion was created inside the gymnasion, and in general for the relation between gymnasion and Mouseion, and for the typology of Mouseia founded inside gymnasia, see Caruso, Mouseia…, p. 24-29, p. 61-63, and p. 211-265. In most cases, nevertheless, these Mouseia are just evidence of the cult of these goddesses that, for obvious reasons, were patrons of research and education, and they do not attest the existence of a specific enclosure dedicated to intellectual activity inside the gymnasion, even though sometimes they can be constituted by a temenos and/or a building for celebrations, and not just an altar. 5 For the idea that Mouseia emerged as independent centres of study when the gymnasia were transferred from the periphery to the centre of the cities, see Caruso, Mouseia…, p. 29.

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in inscriptions found in the area of the Church of Saint Mary, where the ancient Asclepeion was located : 1.1 : IEphesos 4101A (Samama 207) ; ad 117-132 (204 bc-ad 14 following Samama). Apollodotos Bassos appears as a physician ἀπὸ τοῦ Μουσείου in an inscription dated through the priest and archon. There is enough evidence in Ephesus for the existence of a physician’s association with an archon as director, and whose priest was the priest of Asclepius6. In the same area another inscription has been found with the same priest and archon of the physicians7. 1.2 : IEphesos 1162 and Add. p. 24. The physicians ἀπὸ τοῦ Μουσείου are here attested in a list of winners in the competition of physicians. The role of the Mouseion of Ephesus as a medical school and as a centre of diffusion of paideia is suggested by the organization of medical agones with exercises of syntagma, cheirourgia, problema and organon (IEphesos 1161, 1162, 1164, 1165, 1167, 1168 = Samama 2003, no. 210-215). The agones were dated by the priest of Asclepius, the president of the association of physicians and the agonothetes. The fact that archiatroi were often winners of different demonstrations (cf. IEphesos 1162) allows us to suppose that the agones were not for students of medicine but for doctors8. 1.3 : IEphesos 2304 (Samama 218), l. 6 : τῆς σοροῦ κήδονται τὸ συνέδριον, οἱ ἐν Ἐφέσῳ ἀπὸ τοῦ Μουσείου ἰατροί, οἷς καθιερωσάτην εἰς κλῆρον μ(υριάδας) δʹ κ(αὶ) χʹ, « … the synedrion, the physicians from the Mouseion (who are) in Ephesus, whom they (a physician and his wife) have bequeathed forty one thousand denaria, will take care of the tomb ». The synedrion seems to refer to the council of the Mouseion (constituted by the doctors dwelling in the city ?). 1.4 : The term synedrion appears in fact in this honorific inscription dedicated to two priestesses of Artemis whose father was a physician and also a member of the Mouseion’s synedrion : IEphesos 3239 (Samama 201), Boniton katoikia, third century ad, l. 3-5 : ἰατροῦ μετέχοντος καὶ τοῦ περὶ τὸ Μουσεῖον συνεδρίου, « a physician who is also member of the synedrion related to the Mouseion ». It is unlikely that synedrion in this context means « association » since the name commonly used for intellectual and athletic associations in Ephesus and Smyrna is synodos (see infra the synodos of paideutai in Smyrna). Thus, it probably means the council of the association of the Mouseion (cf. supra 1.3). 1.5 : IEphesos 2065, second century ad : οἱ περὶ τὸ Μουσεῖον / παιδευταὶ Π(όπλιον) Οὐήδιον / Ἀντωνεῖνον ἀσιάρχην/ τὸν ἑαυτῶν εὐεργέτην/ καὶ κτίστην τῆς πατρίδος « The teachers related to the Mouseion (dedicate an honorific inscription) to the

6 M.-P. de Hoz, « Associations of Physicians and Teachers in Asia Minor : Between private and public », in V. Gabrielsen, Ch. A. Thomsen (eds), Private Associations and the Public Sphere in the Ancient World, Copenhague, 2016, p. 105-106. 7 IEphesos 719 (= Samama 205) ; ad 102-14. Cf. IEphesos 4101B ; ad 135. 8 On the relation of the agones to a possible association of physicians and their significance in the election of the public doctors of the city, see M.-P. de Hoz, « Lucian, Asklepios and Galen. The popularization of medicine in the second century A.D. », in L. A. Guichard, J. L. García-Alonso, M.-P. de Hoz (eds), Interactions between science, religion and literature. The Alexandrian tradition, Bern, 2014, p. 183-185, with further bibliography for possible identification of the different challenges.

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asiarches P. Ouedios Antoneinos, their benefactor and founder of the fatherland ». The expression περὶ τὸ Μουσεῖον « around/ related to the Mouseion » here appears to refer to the Ephesian teachers. 1.6 : IEphesos 3068, second century ad, l. 6-11 : ἐτ[είμ]ησαν / τὴν/ [λ]αμπαδάρχισσαν / τῆς θεοῦ / οἱ περὶ τὸ Μουσε[ῖον] /παιδευταί. « The teachers related to the Mouseion honoured the leader of the goddess’ torch races ». The teachers (paideutai) of Ephesus appear in close relation to the goddess Artemis. We know that the Harbour gymnasion was a main educative centre in the city. The leaders of the ephebes and those of the youngs (neoi) were listed in a wall, and as eponym figures Artemis in her condition of gymnasiarche. Through epigraphic and numismatic evidence we know that Domitian established a foundation so that the temple of Artemis defrayed the costs of the youth’s training : the αἰώνιος γυμνασιαρχία « perpetual gymnasiarchia »9. The existence of a gymnasion in the Artemision is already attested in an inscription dated between the first and second century ad (IEphesos 938, l. 3-6). Fontani thinks that the foundation of the perpetual gymnasiarchia is related to the construction of this « new gymnasion » inside the Artemision during the first years of the second century10. By ad 104, the famous donation of Vibius Salutaris (IEphesos 27) is dedicated mainly to the goddess, to the main institutions of the city, and to the paides and epheboi with their paidonomoi (inspector of the children), paideutai (teachers), and ephebarchoi (leaders of the ephebes)11. Among the cultural demonstrations in the Artemision are the metric inscription of a neo-Pythagorean (IEphesos 4328) and the celebration of agones thymelikoi. There is, however, no indication that a Mouseion was located in the Artemision or in its new gymnasion. It seems that the Mouseion of Ephesus was an ensemble of teachers and physicians. Nevertheless, physicians are more prominent in the evidence from this Mouseion, which, along with the existence of specific agones asklepiadai with medical demonstrations in relation to this institution, may explain the difference between the expression ἰατροὶ ἀπὸ τοῦ Μουσείου attributed to the physicians and περὶ τὸ Μουσεῖον attributed to the teachers, who perhaps gathered there but certainly taught in the gymnasia and/or private centres12. In Oliver’s view « one should explain the phrase περὶ τὸ Μουσεῖον as indicating not only the professors

9 H. Engelmann, « Texte aus dem Hafengymnasium », ÖJh, 69, 2000, p. 84-5. 10 E. Fontani, « La ginnasiarchia perpetua di Artemide a Efeso”, in H. Friesinger, F. Krinzinger (eds), 100 Jahre Österreichische Forschungen in Ephesos. Akten des Symposions Wien 1995 (Denkschrift der Ost. Akad. Wiss. 260), Vienna, 1999, p. 266. 11 On this inscription see G. McL. Rogers, The sacred identity of Ephesus, London, 1991. 12 J. O. Oliver, « The Μουσεῖον in Late Attic Inscriptions », Hesperia, 3, 1934, p. 191-196. See S. Dow (« oi peri to Diogeneion » HSCP, 63, 1958, p. 423-436) with comments and a bibliography on precedent discussions about the meaning of the expression οἳ περὶ τὸ Διογένειον « those around/in relation to the Diogeneion (a gymnasion) » in some Attic inscriptions going back to the end of the second century bc and until about ad 260. There seems to be no agreement on the interpretation. On a new attestation of someone apo Mouseiou, possibly from the Mouseion in Ephesus, cf. note 47.

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ἀπὸ τοῦ Μουσείου but also those that without holding official appointments had the privilege of teaching there ». But where did the teaching take place ? Where is that Mouseion ? So far it has been impossible to convincingly identify any remains as the Mouseion in Ephesus. A probable site has been proposed between Maria’s Church and the Harbour gymnasion. The Harbour gymnasion was in the city centre, to the north of the avenue that linked the harbour with the theatre. It had therms, a building with auditoria and an imperial hall, and a palaestra that was 200 to 240 m. long. It was in this location that Apollonius from Tyana gave his speech in september of ad 96 in front of the whole city when he announced the murder of Domitian. Sahin deduces from this event that the Mouseion was somehow related to this gymnasion13. In my view, it must have been at the Asclepeion. It is here where most of the inscriptions referring to the Mouseion have been found, not only the ones related to « the physicians from the Mouseion », but also a copy of an ancient edict that was probably erected by the Mouseion14. It was an edict of the triumviri from 42-39 bc stating custom privileges to teachers, sophists and physicians. On the same stone, on the right side and underneath, were written two of the evidences of the iatroi apo Mouseiou mentioned before. The difference between apo Mouseiou iatroi and peri Mouseiou paideutai could be related to this location. The Mouseion was in the meeting (and teaching ?) area of the physicians, the Asclepeion. The paideutai taught their regular lessons in the Harbour gymnasion and probably in the gymnasion of Artemis’ temple as well. It is probable that the Mouseion was the association created by the physicians, for which we have plenty of evidence. In fact, an inscription dated to the first century ad establishing rules for the physicians to obtain a fair salary for their work and to avoid the ambition and desire of enrichment of physicians could be interpreted as a first step in the foundation of a physicians’ association, if not a consequence of the foundation (IEphesos 1386 = Samama 203)15. The next step was probably the expansion of the association to all intellectual professions but maintaining its main site in the Asclepeion. An edict by Vespasian from ad 74/75 found in Pergamum allowed the creation of professional associations in sacred areas, temples and sanctuaries16. The creation of Mouseia at the beginning of the second century could have been a consequence of that edict.

13 Sahin, comment to IPerge p. 218-19. On the relation between Mouseia and gymnasia see Caruso, Mouseia…, p. 24-29, p. 61-63. 14 IEphesos 4101 = Samama 206. See further D. Knibbe, « Quandocumque quis trium virorum rei publicae constituendae… Ein neuer Text aus Ephesus », ZPE, 44, 1981, p. 1-10 ; K. Bringmann, « Edikt der Triumvirn oder Senatsbeschluss Zu einem Neufund aus Ephesus », Epig. Anat., 2, 1982, p. 47-76. 15 That the association of physicians in Ephesus was an important institution in the city is demonstrated by many inscriptions where its members are attested with other important charges or in relation to public events or institutions. The identification of Mouseion with association has a good parallel in the Alexandrian Mouseion, called synodos (Str. 17.1.8). 16 R. Herzog, « Urkunden zur Hochschulpolitik der römischen Kaiser », Sitz. Bericht. der preuss. Akademie, 32, 1935, p. 967-1019 ; J. H. Oliver, Greek constitutions of early roman emperors from inscriptions and papyri, Philadelphia, 1989, no 38.

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Besides, a good parallel from the same period, albeit not a direct antecedent, can be found in the transfer of the activity of the Alexandrian Mouseion to the Serapeion17. Were it not for an overt reference to the Mouseion as a building in Ephesus, I would be inclined to suggest that Mouseion was only the name of the association of physicians and teachers ; however, there is an honorific inscription to a person who dedicated the statues to the gods, the altar, and adorned the Mouseion (IEphesos 690, 117/61, found in a street to the east of the agora). 2. Pergamum

A Mouseion is also attested in another of the main cultural cities in imperial Asia Minor : Pergamum. Though the evidence is extremely scarce, there are many signs that suggest that it was also especially connected to doctors and the famous Asclepeion in the city. An inscription dated to c. ad 175 (I. Pergamon VIII 3, 152) containing a list of names has been found in this temple. Somebody « from the Mouseion (of Pergamum ?) » is mentioned : (l. 2) […ἀποδεδειγμένο]ς βʹ, ἀπὸ Μουσείου Περ[γαμηνῶν(?) …], and also a Bithynian priest of Asclepius (l. 7-8) : … Ἰ]ουβεντιανὸς Ἀλέξανδρος v Νεικομηδεὺς περιθύτης κα[ὶ θεραπευτὴς καὶ(?)] / [νεωκό]ρος καὶ ἰερεὺς κ̣ατὰ Βειθυνίαν τοῦ βασιλέως Ἀσκληπιοῦ […]. The intellectual life of the Asclepeion in Pergamum is well known especially through Aelius Aristides (cf. Hieroi Logoi 1, 55 ; 3, 8 ; 4, 16-18 ; 4, 27 ; 4, 43-44), but also through inscriptions found in the site. From both sources we know there was a group of persons, who probably formed an association, called therapeutai (attendants in the sanctuary)18. The temple had different spaces well suited for cultural events, especially after it was remodeled in Hadrian’s times. It had a theatre where Aristides spoke in front of the multitude of persons dressed in white, i.e. the incubators (2, 30, 31) ; it also had a gymnasion (2, 77), and a stoa was built looking to the theatre during the times of Hadrian19. Aristides dreams that he is told to offer the first fruits of some improved controversies at that stoa (4, 15). The sanctuary has architectonic elements that seem to be especially suited for cultural gatherings and that are common to the Asclepeion from Epidaurus. A certain Sextus Iulius Pythodoros, senator from Nysa and therapeutes of the Pergamum sanctuary is the most important benefactor

17 On the relationship of physicians to the Mouseia of Alexandria, Ephesus, Croton and Antioch, see Caruso, Mouseia…, p. 72-74, though Antioch is not the one on the Orontes, as she states, but the city of Pisidia, and the case of Crotone is a very particular one, very different from the others. 18 Herzog, « Urkunden… », 1007 f. Cf. comment of Chr. Habicht, Altertümer von Pergamon, Bd. VIII-3, Die Inschriften des Asclepieions, Berlin, 1969, p. 79. For the possible intellectual association in the Asclepeion, see. H. Remus, « Voluntary Association and Networks : Aelius Aristides at the Asclepeion in Pergamum », in J. S. Kloppenborg, S. G. Wilson (eds), Voluntary Associations in the Graeco-Roman World, New York, 1996, p. 152, 159-160 (one of the intellectuals, Pryllianus, is called « from the temple »). On Aristides acquaintances in Pergamum, see G. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969, p. 60-62, and also p. 76-88. 19 M. Le Glay, « Hadrien et l’Asklépieion de Pergame », BCH, 100, 1976, p. 347-372.

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in the restructuration of the Epidaurian temple20. This cultural aspect of Asclepius seems to be a new element in the time of the Second Sophistic and it is promoted by important intellectuals. Claudius Charax and L. Cuspius Pactumeius Rufinus are known for their influence in Pergamum’s sanctuary21 ; and Flavia Melitine, honoured by the boule and demos of Pergamum (I. Pergamon VIII 3, 38), offered both a theatre and a library. Metric dedications by physicians in Pergamum’s Asclepeion (Samama 186 ; 187) are further evidences of the cultural life that took place in this sanctuary : a funerary epigram dedicated by a physician to his physician father who was outstanding in medicine as well as in wisdom (Samama 186) ; and a dedication of a physician from Mylasa (SGO 06/02/13 = Samama 186)22. Aristides also dedicates epigrams to commemorate his presentation of choruses in the temple. Further proof of this intellectual aspect can be found in the current reference to sophists in the inscriptions of the place23. Taking into account all of the above, it seems likely that the temple of Asclepius was, as in Ephesus, the most likely place where the Mouseion could have been located. However, there is no tangible evidence to confirm this. 3. Smyrna

Another city where the existence of a Mouseion does not come as a surprise is Smyrna. Nevertheless, the evidence only comes from two inscriptions : 3.1 : IGR IV, 618 (Temenothyrai in Phrygia), l. 7 ff. : ἐπὶ τῆς λαμπροτάτης μητροπόλεως Σμυρναίων πόλεως ἡγησάμενον Μουσείου ἐπὶ τῶν νόμων ἐνπειρίᾳ. The inscription is dedicated to a member of the tribunal of provincial governors, who was also « director of the Mouseion of the brilliant metropolis of the Smyrneans because of his experience in laws »24. 3.2 : ISmyrna 191, l. 15-17 : …τ]αύτης τῆς ιγραφῆς ἀντ[ί]γραφ[ον κεῖται] ἐν τῷ ἐν Ζμύρνῃ ἀρχείῳ τῷ [καλου]μένῳ Μου̣σείῳ « a copy of this document is placed in the archive in Smyrna called Mouseion ». The evidence presented by both inscriptions in conjunction has led to the idea that the Mouseion of Smyrna was the school of laws. The expression « the archive called Mouseion » could nevertheless mean just that the city archive was called Mouseion.

20 Habicht, in IP VIII-3, p. 64-66. 21 M. Galli, « “Creating Religious identities” : Paideia e religion nella seconda sofistica », in B. Borg (ed.) Paideia : The World of the Second Sophistic, Berlin, p. 315-358. 22 Cf. the dedication of a statue of Telephus to the wise keteies (the inhabitants of Pergamum) found in the central hall of the upper gymnasion, but also made by a physician (SGO 06/02/17 = Samama 190, II-III ad). 23 For inscriptions on the intellectual life in the sanctuary, see I.Pergamon VIII 3, 31-35, with Habicht’s comment in p. 15 and 17. He describes the Asclepeion as the « Zentrum des geistigen Lebens » in the city, and indeed in the province of Asia. 24 Cf. L. Robert, Études anatoliennes : Recherches sur les inscriptions grecques de l’Asie mineure, Amsterdam 1970 (= 1937), p. 146-148. Sahin in IPerge (p. 214, n. 25a) dates it to the third century due to the city’s title lamprotate « most brilliant ».

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Such name could have been suggested for an archive through the direct relation between Mouseia and libraries, well known in Athens, Alexandria, Antioch on the Orontes, as well as in Ephesus and Pergamum, if the Mouseia were really within these cities in the sanctuaries of Asclepius, where important libraries are known to have been located25. It seems reasonable to assume that the director of the city archive was expected to be experienced in laws. There is no evidence to suggest that the Mouseion in Smyrna was related to the physicians or teachers as in Ephesus, though an association of teachers appears in a funerary inscription where the deceased is honoured by the council, the young men of Mymnermos’ gymnasion, and the association of teachers (ISmyrna 215) : ὑπὸ γερου/σίας, νέων Μιμνερμείου,/ παιδευτῶν συνόδου. There is no evidence that the lawyers were associated in any sort of corporation either. The Mouseion of Smyrna has not been found, but its identity with the city-archive has led to the supposition that it was probably situated near the agora. Following Louis Robert, the analysis of Pionios’ martyrdom together with the epigraphic sources of the agora demonstrate that the main temple of Smyrna, the one of the two Nemesis, was in the agora, and that on its south edge, on the slope of the Pagos, was the archive-Mouseion26. It seems unlikely that in Smyrna there was a cultural centre called Mouseion besides an archive. There is no evidence of that in the abundant references made by the sophists of the city. Speaking about Heraklides in Smyrna, Philostratus (Vitae Sophistarum, II, 26) says that this city worships the Mousai of the sophists more than any other, and that a city such as this one, that receives foreigners from everywhere, must be very careful in the assemblies at the bouleuterion and the ekklesia, and pay much attention to temples, gymnasia, fountains and stoai in order to satisfy the necessities of such a crowd. In fact, Heraklides donated an oil fountain with a golden roof to the Asclepeion’s gymnasion, but no Mouseion is mentioned. Philostratus says that when Hippodromos of Thessaly arrived in Smyrna he went directly to the agora and seeing there at the entrance of a temple many paidagogoi with bags of books, he deduced that some important person was teaching there. The person was in fact Megistias, who thought Hippodromos was the father or foster father of some of the children and wanted to speak with him about the lessons (Vitae Sophistarum, II, 27). It seems Megistias was imparting regular lessons to the children in a sacred place in the agora. Paides could refer here to children in general, or to the education level previous to the ephebic stage. This laxity in educational and cultural terminology in imperial times is another reason for the difficulties of reconstructing the educational system, and even centres or institutions, as is the case of the Mouseion. Through Aristides Hieroi Logoi we know that the bouleuterion was also used for declamations of sophists (5, 31-34 ; 38-39). But references to any cultural activities in the Mouseion are nowhere to be found.

25 On the relation between Mouseia and libraries, see Caruso, Mouseia…, p. 63-71. 26 L. Robert, « Course 1959-1960. Missions », Opera Minora Selecta IV, Amsterdam, 1974, p. 187.

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4. Magnesia at the Meander

The expression ἀπὸ Μουσείου appears in a honorary inscription from Magnesia at the Meander (IM 189 ; ad 161/180) : l. 1-6 : ἡ πατρὶς /τὸν ἑαυτῆ[ς ε]ὐεργέ/την καὶ κτιστὴν καὶ ἀπὸ Μουσείου Τι(βέριον) Κλ(αύδιον) Εὐ/κλέα Πολυδεύκην Μάρκελλον « the fatherland to Ti. Cl. Eukles Polydeukes Marcellus, his benefactor, founder and from the Mouseion (member of the Mouseion ?) ». This man is known from another inscription (IM 187, ad 161/180), also as a high priest, secretary and asiarchos. His father is also a benefactor, who donated money for the perpetual gymnasiarchia. Magnesia of the Meander is well known for its agones mousikoi already in Hellenistic times (IM 50, 59, 90, 91), which supports, though does not proof, the possibility that the city had a local intellectual institution or association called Mouseion. 5. Milet

The only attestation of a Mouseion in Milet is the mention in the enquiry (and response) of a certain Eutyches to the oracle at Didyma written on a marble altar and dated to the late second century27 : Εὐτύχης ἐρωτᾷ, / εἰ συμφέρει αὐτῷ, δέσ/ποτα, ὅπου ἄν σοι ἱε/ρουργῇ, καὶ ταῖς Μού/σαις ποιεῖν ἢ ἰδίᾳ / βωμὸν αὐταῖς ποι/ήσῃ ἢ εἰς τὸ Μουσεῖ/vac. ον καὶ πῶς · vac. / vac. Θεὸς ἔχρησεν· vac. / Φοίβῳ καὶ Μούσαις / ξυνήονές εἰσι θόω/ vac. κοι vac. « Eutyches asks if it is convenient for him, lord, there where he performs your sacred rites, to erect (an altar) also for the Muses, or if he should erect an altar for them in a private place or at the Mouseion, and how. The god answered : « For Phoibus and the Muses there are common seats ». The mentioned Mouseion could be just a sanctuary of the goddesses, and not an intellectual space. On the other hand, given the intellectual relationship between Apollo and the Muses, and the existence of a Mouseion in many other Carian cities, it is reasonable to expect the presence of a Mouseion as an educative or research enclosure in one of the most important Carian cities, proud of a long cultural tradition. In fact, it has been proposed that this institution was in Milet in the thermal baths of Faustina, where statues of Apollo and the Muses have been found in one of the main halls28. 6. Mylasa

A fragment of a honorary text in Mylasa – probably for a gymnasiarch – says (IMylasa 413, l. 5) : ἀ]λείμματα ἐν τῷ μουσήῳ « ointments in the Mouseion »29. This

27 N. Ehrhardt, W. Günther, « Funde aus Milet. XV. Neue Orakelinschriften », AA (2002) 47-57, no. 1 (SEG 52, 1156). 28 See Sahin (in IPerge, p. 173, n. 6), who compares this layout with the one in Perge (see infra). On a contrary view based in the fact that the statues of the Muses were moved there only later, on the occasion of a renovation of the thermal baths in Antonine times, see Ehrhardt, Günther, « Funde aus Milet… », p. 51-53. The inscription could nevertheless date from the time when the statues were already in the thermal baths. 29 Agones mousikoi and thymelikoi are attested in late Hellenistic Mylasa (IMylasa 101, l. 61).

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is the only certain evidence of a possible relation between a Mouseion and physical training. The inscription also refers to feasts for citizens and foreigners, such as an inscription from Stratonicea (cf. IStratonikeia 203) which seems to be a close parallel to the Mylasian one. It is dedicated to a priest who has been gymnasiarch and also organized feasts for citizens and foreigners. He also has provided ἔλαιον/ [κ]αὶ ἐπαλείμματα ἐν τοῖς γυμνασίοις « oil and other ointments in the gymnasia » (l. 14-15). Thus, the Mouseion could be the name of a gymnasion in Mylasa30. 7. Stratonicea

The term philosophos (apo Mouseiou) has been reconstructed in an inscription from Panamara in the territory of Stratonicea, dated to the beginning of the fourth century (IStratonikeia 310) : l. 50 ff. καὶ δι’ ὅλου τοῦ ἐνιαυτοῦ ἀχωρί/στου γενομένου τῶν μυστη/[ρίων] Μάρ(κου) Αὐρ(ηλίου), Διοφάντου ὑοῦ/space[–]ίο̣ υ τοῦ ἀπὸ Μουσείου/ [φιλοσόφο]υ, ἱερέως τῶν θεῶν. « … Markos Aurelios, son of Diophantos [son of -] ios from the Mouseion, [philosoph]er, priest of the gods, not having withdrawn from the mysteries during the whole year ». The editor considers also the restitution ἀπὸ Μουσείου/ [ἰατρο]ῦ, « physician from the Mouseion », following the Ephesian model. A word in another honorific inscription could be reconstructed as [Μου]-σεῖον, but the whole inscription is so fragmentary that there is no certainty about this (IStratonikeia III, 1523). 8. Halicarnassus

The two epigraphic evidences of a Mouseion in Halicarnassus are very different from each other, and none of them is a definitive proof of the existence of a Mouseion as an education or research centre. The altar of the Muses found near the Mausoleum and dated to the third or second century bc is not necessarily related to the epigraphic attestations, since it is dated to a period that preceded the time when Mouseia started to be founded as intellectual centres in the cities of Asia Minor. Nevertheless, its vicinity to the gymnasion and the archaeological evidences of intellectual activity in the area lead to believe that a former sanctuary of the Muses, as they existed in so many cities since archaic times, became later an intellectual centre in relation to the gymnasion31. 8.1 : MAMA VIII, 418.b, copy of the original in Halicarnassus, erected and found in Aphrodisias, ad 127. The city of Halicarnassus dedicated a honorific inscription to G. Iulios Longianos from Aphrodisias, who had long stayed in the city being a good man and the best poet, and decided to erect twenty bronze statues of him in the most significant places of the city, in the temenos of the Muses and in the gymnasion of the 30 About the name Mouseion given to a gymnasion, cf. similar denominations such as Homereion and Mimnermeion about gymnasia in Smyrna (ISmyrna 214, 215, respectively). On the relation between Mouseia and gymnasia, see supra n. 4. 31 For a detailed discussion of the altar, the conclusion from this monument, and the epigraphic evidences that there was a Mouseion near the Mausoleum from the third century bc until the second century ad, see Caruso, Mouseia…, p. 305-317.

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epheboi, next to the statue of the « ancient Herodotus » (ll. 10-13 : χαλκαῖς, ἃς ἔν τε τοῖς ἄλλοις ἀνασταθῆναι τοῖς ἐπι/σημοτάτοις τῆς πόλεως χωρίοις καὶ ἐν τῷ τῶν Μο[υ]/ σῶν τεμένει καὶ ἐν τῷ γυμνασίῳ τῶν ἐφήβων παρὰ /τὸν παλαιὸν Ἡρόδοτον·). The temenos of the Muses could just be the enclosure of a sanctuary of these goddesses, but the fact that this enclosure was near the gymnasion of the epheboi, the mention of both together and the proximity with the statue of Herodotus, the dedication to Longianos as the « best poet », and the announcement of a public donation of the books written by him to the libraries of the city so that the neoi could be educated with them like with ancient writings (ll. 15-18), make it probable that the Mouseion was a research centre or a centre of higher education (for the neoi ?), founded next to the gymnasion32. 8.2 : Haussoullier, BCH, 4, 1880, 405-406, no. 21 ; second ad : τὸ μνῆμα/ Αἰλίου Διονυσίου / [φι]λοσόφου ἀπὸ Μουσείου / [καὶ τ]ῆς̣ γυναικὸς αὑτοῦ. As Haussoullier supposes, this Dionysios could be the man from Halicarnassus mentioned in the Suda, who lived during the time of Hadrian and was called sophistes and mousikos. He was an important grammarian, also called the Atticist, who wrote many books, especially on music. All this activity could best be accomplished in the Alexandrian Mouseion, and the expression φιλόσοφος ἀπὸ Μουσείου is well known for members of the Alexandrian Mouseion33. On the other hand, if there is a Mouseion in Halicarnassus, as the previous inscription suggests, then we should assume that the man honoured here (whether he is the well-known grammarian or not) is a philosopher of this Mouseion. The existence of a Mouseion in Halicarnassus as an institution following the model of the Athenian or Alexandrian Mouseion is not strange at all if we add to these evidences the cultural importance of the city since the fifth century bc, and the archaeological remains of a Roman villa from the fourth-fifth century ad (but with structures going back to Hellenistic times) in that same area near the Mausoleum. This villa, inhabited by the Neoplatonist Charidemus, was provided with auditoria and interesting mosaics and statues, and the vestibulum contained medallions decorated with personifications of three great intellectual centres (Alexandria, Berytus and Halicarnassus)34. 9. Perge

Of the late Antonine period (180-204 ? ad) in Perge there is an honorific inscription dedicated to a priest of the imperial cult who is also a priest of Artemis – the main

32 On the relation between Mouseion and gymnasion, see supra n. 4. 33 I consider less probable that he could also be a member of any other of the attested Mouseia (Ephesus, Smyrna, Pergamum, Athens or Antioch), as Caruso suggests (Mouseia…, p. 313), since in that case it would have been certainly specified. 34 On the Roman villa in the area, see Caruso, Mouseia…, p. 314-317. As proof of the intellectual activity of the city, Caruso also mentions the inscription SEG 48, 1330, an epigram attributed to a late Hellenistic poet that includes a long list of poets, historians and other intellectuals from Halicarnassus between the fifth and second century bc.

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goddess of the city –, demiourgos, and a benefactor who founded many buildings, especially in the area of the big gymnasion-bath complex, and also a sphaireterion (hall for ball games) in the gymnasion and the double stoa of the market building. He was also priest of those apo Mouseiou (IPerge 192) : …εἱ̣[ερασάμε]/ν̣ον καὶ τοῖς ἀπὸ τοῦ Μουσείου, which could mean that the Mouseion was an association of a special kind of intellectuals, or perhaps of intellectuals in general under the patronage of the Muses. The editor of the inscriptions from Perge, Sahin, thought that the Mouseion must have been a place related to that gymnasion-balaneion complex located to the west of the south door of the city. In the second and third century ad this was the area where the most luxurious and important public buildings were located, including the theatre, the market building and the stadium. The apodyterium and frigidarium of that complex were connected to the main axis of the building. In the apodyterium there are statues of a Muse sitting and Apollo with zyther ; in the frigidarium six statues of Muses and one of Apollo Mousagetes have been found (IPerge 177)35. The cultural ambition of Perge is also demonstrated by important sophists as Varus, from the family of the Planci (Philostratus, Vitae Sophistarum, II, 6)36. 10. Side

Mouseion is also the name of a building complex in Side. The people from Side honours a benefactor (ISide 104) who has founded different constructions, and who is « in charge of the Mouseion » (l. 5 : …]ἐπὶ τῷ Μουσείῳ […), and who has financed the temple of Boulaia (probably Athena, the main goddess of the city), a banquet hall, and houses adjacent to the Mouseion (l. 7-8 : ναὸν Βουλαίας, ἑστ[ιατώριον…] καὶ οἰκίας τὰς πρὸς τῷ Μουσείῳ με[…]). If the sanctuary of the goddess Boulaia, the dining hall and the houses adjacent to the Mouseion are related to this centre, this is an evidence of the existence of a Mouseion in Side similar to the one in Alexandria, which consisted in a building or group of buildings related to a divinity and where intellectuals met and studied. A complex with a large peristyle hall excavated near the agora which has been interpreted in different ways is considered by Nollé as a possible location for this Mouseion. The remains of what seems to be a library have been found in the vicinity of this building. Through different sources we know that many new public buildings and renovations were made in the city of Side between 150 and ad 220, that the city intended to be part of the Panhellenion, and that the second sophistic movement had distinguished members there, such as the poet P. Aelius Pompeianus Paion, called by his fellow citizens « New Homer », and the physician Marcellus, who wrote forty books in epic verse (Anthologia Palatina, VII, 158)37.

35 On the similitude with the layout of a possible Mouseion in the terms of Faustina in Milet, see supra, n. 28. 36 See Bowersock, Greek Sophists…, p. 22, on Varus, who also instituted the Varian games. 37 Nollé, ISide, T Lit 47.

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11. Pisidian Antioch

In Pisidian Antioch and in Sagalassus two honorific inscriptions in Greek and one in Latin were dedicated between 211 and ad 220 to L. Gellius Maximus, the personal physician of Caracalla and a citizen from Sagalassus38. He is called τὸν κράτιστον / ἀρχιίατρον καὶ ἀπὸ /Μουσείου δουκηνά/ριον τοῦ κυρίου ἡ/μῶν… /τὸν εὐεργέτην τῆς/ πατρίδος, « the most powerful archiatros and from the Mouseion, doukenarios of our sovereign…, benefactor of the fatherland » (SEG 50, 1312 = Samama 337bis, l. 3-13 from Sagalassos, cf. SEG 54, 1368 = Samama 332 from Antiocheia). In the Latin inscription (supl. CIL III 1, 6820 from Antiocheia), he is also called priest of Asclepius : ducenario et a Musio, sacerdotu perpetuo dei Aesculapi, patrono…, « ducenarius and from the Mouseion, life priest of the god Asclepius, patron… »39. The relation between physicians and Asclepius is obvious, and in Ephesus it also leads to a relation between the god and the physicians belonging to the Mouseion. In the case of the personal physician of Caracalla, we know that emperors conferred the title apo Mouseiou (of Alexandria) to important personalities who were not necessarily intellectuals established in the Alexandrian institution, but it is not necessary to assume that this was the case40. Bearing in mind that by that time there were several cities in Asia Minor provided with a Mouseion, it is logical to assume that when a Mouseion is mentioned without further specification the term refers to the local institution. Similarly, the location of the Asclepeion where Gellius Maximus was a priest is not specified. Pisidian Antioch was making a great effort at this time, like so many cities of Asia Minor, to be considered as a Greek city offering Greek paideia. Besides, Caracalla was not one of the emperors who supported the Alexandrian Mouseion ; in ad 216, probably the same year when he travelled through Pisidian Antioch on his way to Antioch in Syria, he cancelled the subsidy for such an important institution as the syssitia (common meals) in the Alexandrian Mouseion41. 12. Tavium

The only mention in this Galatian city is in the fragmentary inscription RECAM II, 417 :[– – – φιλο]σόφου ἀπὸ Μουσείου [– – –]. There is no information at all that could help us to identify this Mouseion as the Alexandrian one or as a local one. 38 Cf. M. Christol, T. Drew-Bear, « Caracalla et son médecin à Antioche de Pisidie », in S. Colvin (ed.), The Greco-Roman East. Politics, Culture, Society, Cambridge 2004, p. 85-118. The authors connect these inscriptions in Antioch to a stay of the emperor on his way to Syrian Antioch in ad 216 to prepare the war against the Parthians. 39 Cf. SEG 54, 1369 and 1370 (= Samama 337 and 331), also dated ad 211-217 and from Antioch, as evidences of Gellius Maximus as archiatros and as priest of Asclepius respectively. The inscription SEG 54, 1368 is erroneously located in Antioch on the Orontes by Caruso, Mouseia…, p. 300. 40 Cf. Christol, Drew-Bear, « Caracalla et son médecin… », p. 94-95, 111-116, for the different opinions regarding this question, with a preference for the hypothesis that the Mouseion referred to is the one in Alexandria. 41 Historia Augusta, 6, 2-3 (Caracalla), cited by E. J. Watts, City and School in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley-Los Angeles-London 2006, p. 147.

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13. Certain references to the Alexandrian Mouseion in Asia Minor

The term philosophos was in some cases used as sophos. This could be the meaning in some references to philosophers apo tou Mouseiou. However, philosophers from the Mouseion of Alexandria are well known, and, though there is in most cases no further, or not sure information in the sources from Asia Minor that could help us determine whether the Mouseion to which these philosophers apo tou Mouseiou belonged was a place, an association, a local Mouseion or the one in Alexandria, there are two references that we can certainly attach to the last one. 13.1 : TAM V1, 498 (Gölde, Lydia) : Φρόντων τῶν ἐν τῷ /Μουσείου (sic) σειτου/μένων φιλοσόφων /τῶν Ἀλεξανδρια/[νῶν – – –] « Phronton, one of the philosophers who dine in the Mouseion of the Alexandrians– ». The expression οἱ ἐν τῷ Μουσείῳ σειτουμένοι is specific to the membership of the Mouseion of Alexandria. There is evidence of members of this Mouseion in imperial times in Rome, Macedonia and other localities in Egypt, where they are identified with this terminology. 13.2 : An eclectic philosopher apo tou Mouseiou honoured in Ephesus by the boule and the demos (IEphesos 789) belongs probably to this Mouseion : ἡ βουλὴ [καὶ ὁ δῆμος]/ ἐτίμησαν Π[–] / Ἀλεξανδρέα ἀπὸ [τοῦ Μουσείου,] /[φ]ιλόσοφον ἐγλεκ̣[τικόν], « The council and the people have honored the Alexandrian P[] from [the Mouseion], an eclectic philosopher ». P. Donini seems to identify this philosopher with Potamon of Alexandria, bearing in mind a comment of Tony Long based on the following arguments : first, the philosopher in the Ephesian inscription comes from Alexandria ; second, the expression philosophos eklektikos is very rare, and philosophers from the Mouseion were generally not identified with the names of the schools ; and third, a philosopher known to us, who identified himself in that way, was Potamon of Alexandria (Diogenes Laertius, I, 21). Tony Long also dates the inscription to the early Christian period, when the Ephesian Mouseion was not yet created42.

Conclusions From the evidence discussed above, there is no reason to reject the existence of local Mouseia in Asia Minor. We can be certain of the existence of Mouseia in Ephesus, Pergamon and Smyrna, as well as in Milet, Mylasa, Halicarnassus, Perge and Side. The Mouseion of Alexandria had in fact lost much of its importance and prestige as intellectual centre by the second century ad, and its membership was awarded by emperors to important persons as a prestigious title, but not as an intellectual recognition. By the turn of the era, Strabo (XVII, 1, 8) described the Alexandrian Mouseion as we know it from Alexandrian times, with many different spaces allocated to the different scientific studies, and defined it as a synodos. In the second century

42 P. Donini, « The history of the concept of eclecticism », in J. M. Dillon, A. A. Long (eds), The Question of « Eclecticism ». Studies in Later Greek Philosophy, Berkeley 1988, p. 16, with the notification of T. Long.

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ad, Philostratus (Vitae Sophistarum., I, 22, 524) says that the sophist Dionysius from Milet received great distinctions, and that Hadrian included him in the list of those who used to eat at the Mouseion (hoi en toi Mouseioi sitoumenoi), and it seems that he considers necessary to explain to his readers that the Mouseion was an official table in Egypt which gathered together the most important persons on earth. It seems that Caracalla closed the Mouseion, at least temporarily, in ad 216, and that by that time the intellectual life in Alexandria had long been moved to the Serapeion. This is good evidence of the special relation between the healing gods Asclepius and Serapis and the intellectual life in the second and third centuries ad. The cultural and intellectual role of physicians and the role of healing temples as centres of culture make them good candidates to locate institutions such as the Mouseia, as we have seen in Pergamum and Ephesus. In Ephesus, where the majority of the evidence comes from, it seems that the Mouseion was an association of physicians and teachers, especially related to the Asclepeion, where it probably had its main location43. The association gave private teachers and physicians the opportunity to become famous and respected, and of obtaining privileges. The Pergamum Mouseion was also certainly related to the Asclepeion, where the only evidence has been found so far. The possible connection between the Sagalassian personal physician of Caracalla with a Mouseion in Pisidian Antioch leaves the possibility open, but without any hint to it, that the Mouseion also had some relation to the Asclepeion in that city. In the late Classical and Hellenistic period, Mouseia as intellectual spaces were created inside of, or in direct relation to, gymnasia. The paideutai in Ephesus, who were members of the Mouseion, taught the youth in the Artemis gymnasion, and probably also in the Harbor gymnasion, but a more direct, physical relation between both institutions is attested in Mylasa and Halicarnassus. In Side, Perge and Milet, the Mouseion seems to be related to greater civic complex-buildings (often heirs of earlier gymnasia, or gymnasion-bath centres), where intellectuals came together and educated the youth in special halls dedicated to the Muses and Apollo. The strong relation between Mouseia and libraries could be the reason why the Smyrnians called the archive of the city Mouseion, which perhaps also became the centre of laws, though there is no confirmation of it. We cannot confirm that the title ἀπὸ Μουσείου without further indication refers to a local Mouseion and not to the Alexandrian Mouseion, but there is no substantial evidence to prefer the second hypothesis. This is the case in Magnesia at the Meander and in Pisidian Antioch, where this title is awarded to important citizens who also are euergetai and asiarchoi (and doukenarios in the second case). The same happens with the expression φιλόσοφος ἀπὸ Μουσείου attested in Tavium and perhaps in Stratonicea, an expression that, though known for intellectuals of the Alexandrian Mouseion, is too vague to exclude the possibility that it refers to a local Mouseion.

43 The Mouseion of Ephesus was probably also the centre where new doctors were trained. For the possibility of physicians active in the Hellenistic Mouseion of Alexandria, see N. Massar, Soigner et servir. Histoire sociale et culturelle de la médecine grecque à l’époque hellénistique, Paris, 2005, p. 192. On the relationship between physicians and other intellectuals, see de Hoz, « Lucian, Asklepios… », p. 209-210.

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It is probably not by chance that at the same time that the Mouseia and intellectual associations appeared in Asia Minor, mainly during Hadrian’s reign and the following years, the technitai synodoi underwent a revival. In this time the evidence for agones, and concretely mousikoi and thymelikoi agones, increases notably. By this time the honorary inscriptions to itinerant scholars almost disappear, the term demosios (« public ») for the public doctor is replaced by the term archiatros (« main/high physician »), and the evidence of paidonomoi (« children’s inspectors ») or gymnasiarchoi searching for and paying teachers stops. All these changes together with the appearance of Mouseia in Asia Minor might be related to a change from the itinerant nature of the intellectual professions to an established one44. But what could be the reason behind the scarce physical evidence of Mouseia, and the fact that most of the evidence comes from epigraphy ? In opposition to Hellenistic times, the important topic to write about in Roman times is culture, not the institution of education. Cities became whole cultural spaces where intellectuals could exhibit their ability in a gymnasion, a temple, a library, a nymphaion, a theatre, an agora or even the council. Any of these places or parts of them could probably, at least theoretically, be dedicated to the Muses and be known as Mouseion (in addition, or not, to another identification). The expression used for the Archives of Smyrna is « the so-called Mouseion » (supra 3.2), and, though it is a very late source, in the Chronicon Paschale, 12-14, the same expression is used for the Mouseion of Antioch at the Orontes, from which we know that it was a different institution (bouleuterion, praetorium) at different times. In the fourth century ad, Libanius writes to the citizens of Antioch that, knowing that their city is such an important rhetoric centre, they build sanctuaries for the Muses in order to honour them and to receive the neoi, and use the citizens as teachers and do not envy foreigners (Or. 11.188)45. A metaphorical use of the word mouseion appears in Lucian’s Symposion, when a character says (10): Βαβαί, ὦ Λυκῖνε, μουσεῖόν τι τὸ συμπόσιον διηγῇ σοφῶν ἀνδρῶν τῶν πλείστων, « … you are describing the symposion as a sort of mouseion of the most part of the wise men ». The Mouseion is constituted here by a group of wise men gathering together in a symposion’s house. And that is probably also the sense of the word when Scopelianus (in Philostratus, Vitae Sophistarum I, 21) speaks about Ionia as a Mouseion in which Smyrna stands out. Mouseion was the place where a group of intellectuals joined, but also the name of the group or association of those intellectuals, who had public

44 On these changes and on the common features of intellectual associations and the synodos of Dionysus’ technitai, see de Hoz, « Private associations… », p. 102-04. 45 On the Mouseion of Antioch and the literary sources, see Caruso, Mouseia…, p. 298-305 (excluding the epigraphic evidence, which belongs to Pisidian Antioch). On the relationship of Libanius with the Mouseion, see P. Wolf, Vom Schulwesen der Spätantike : Studien zu Libanius, Baden-Baden, 1952, p. 45. This author comments Libanius, Or., 1.102, who says that the Mouseion is for others, and deduces that Libanius probably had Zenobius, the official sophist, in mind when he uttered these words ; he adds that much later Libanius replaced Zenobius and taught in the bouleuterion (council house) from that moment on until his death. We know that the Mouseion was next to the bouleuterion. It is possible that it was considered as a part of the bouleuterion.

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recognition, as for example in Ephesus. To join an association of intellectuals (called Mouseion) was a special honour directly related to culture, but also a way to get privileges, and in the case of physicians, a way probably to have access to the official post of archiatros and to obtain official recognition46. The problematic identification and the variety of types of the Mouseia in Asia Minor reveal a feature of the cultural life in the time of the second sophistic movement. Every space could be transformed into a cultural space. Sophists could speak and even teach in almost every public building. The cultural façade of cities was one of great ambitions marked by intense urban programs in second century Asia Minor, and all cities competed in this aspect47. María-Paz De Hoz Université de Salamanque

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46 The belonging of sophists to a local Mouseion is not firmly attested. The Ephesian and Pergamenian associations of teachers probably included sophists as well, but in the edict published in Ephesus (see supra p. 151) paideutai and sophistai seem to be different categories. 47 With this paper already in press, I have been informed by Marijana Ricl of the existence, in the Ödemiş museum, of an inscription attesting to a Mouseion (a dedication to someone apo Mouseiou). This could be a new attestation of the Ephesian Mouseion, or even the attestation of a Mouseion, not known until now, in Hypaipa, an ancient city located 4 km away from Ödemiş in the Cayster valley, ca. 68 km away from Ephesus.

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Les Grecs ont-ils étudié le latin dans l’Antiquité ? Quelques témoignages littéraires et épigraphiques datant du Haut-Empire

Introduction On connaît bien la place importante occupée par le grec dans l’enseignement à Rome1. Dès le iie s. av. J.-C., la Ville était remplie de maîtres grecs (Polybe, XXXI, 24). Dans le Pro Archia (5), Cicéron décrit Rome comme envahie par les Graecae artes et disciplinae. De nombreux intellectuels grecs, comme Polybe, Parthénios de Nicée ou Timagène2, étaient arrivés à Rome comme prisonniers de guerre. Un grand nombre d’entre eux gagnaient leur vie comme professeurs particuliers attachés à des familles aristocratiques. Au temps d’Auguste, la capitale de l’Empire prit le pas sur Alexandrie comme centre intellectuel. Cet attrait de Rome restera une réalité durant tout l’Empire romain, jusqu’à l’époque où une nouvelle Rome sera fondée dans la partie hellénophone de l’Empire. Le témoignage le plus explicite sur l’importance du grec dans l’éducation romaine vient de Quintilien (I, 1, 12-14). Le rhéteur recommande que les enfants, spécialement ceux des classes élevées, commencent leurs études par le grec, qu’ils apprennent cum lacte nutricis (I, 1, 4-5 et 8-11)3. Voilà pourquoi, aux yeux de Quintilien, les nourrices

1 H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, 6ème éd., 1965, p. 374-388 ; L. Miraglia, « La didattica del greco e del latino nell’impero romano : aspetti tecnici e culturali », dans S. M. Medaglia (éd.), Miscellanea in ricordo di Angelo Raffaele Sodano, Naples, 2004, p. 208-211. 2 H.-G. Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ? Eine Spurensuche vom 2. Jh. v. Chr. bis zum Ende des 3. Jh.s n. Chr. »,  dans P. Schubert, P. Ducrey, P. Derron (éd.), Les Grecs héritiers des Romains : huit exposés suivis de discussions (Entretiens sur l’Antiquité classique, 59), Vandœuvres-Genève, 2013, p. 285. 3 Le témoignage de Quintilien est confirmé par TACITE, Dialogue des orateurs, 29, 1 et par MARTIAL, XI, 39, 1-2 (qui rappelle son propre pédagogue, Charidème) ainsi que par des textes plus tardifs. Voir M. Dubuisson, « Le grec à Rome à l’époque de Cicéron. Extension et qualité du bilinguisme », Annales ESC, 1992, p. 195-197. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 167-181 © F H G 10.1484/M.RRR-EB.5.121140

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doivent avoir des compétences linguistiques en grec : leur sermo ne devait pas être uitiosus pour ne pas engendrer des erreurs, qu’il serait difficile d’éliminer par la suite4. Les enfants devaient donc étudier d’abord le grec, puis continuer, à courte distance, par l’apprentissage du latin. De cette façon, les deux langues (utraque lingua) étaient assimilées en parallèle avec un soin égal (cum aequali cura, I, 1, 14), sans toutefois qu’il y ait d’interférence entre elles. On veillait à un équilibre entre les deux langues, sans que l’une pût jamais l’emporter sur l’autre. Une telle étude devait développer un bilinguisme, entretenu par la fréquentation de l’enfant avec des pédagogues hellénophones. Dans la suite des études, le grec et le latin continuaient d’être étudiés en parallèle (I, 4, 1). La confrontation des deux langues venait seulement à un stade ultérieur par la pratique de la traduction (Cicéron, De orat., I, 155 ; Quintilien, X, 5, 2-3 ; Pline le Jeune, VII, 9, 2).

La diffusion du latin dans la Pars Orientis La présence de maîtres et d’écoles de langue latine dans la partie hellénophone de l’Empire est moins bien documentée, en tout cas pour le Haut-Empire5. Nous avons plusieurs indices clairs permettant de dire que l’enseignement du latin dans la partie orientale de l’Empire a été une réalité durant le Bas-Empire6. L’enseignement de la langue latine ne sera toutefois institutionnalisé qu’au début du ve siècle par un décret de Théodose II du 27 février 425, qui marque la fondation de l’université de Constantinople7. L’organisation de cette nouvelle institution prévoyait une quasi parité entre les deux langues : quinze professeurs de langue grecque (cinq sofistae et dix grammatici) pour treize enseignants de langue latine (trois oratores et dix grammatici)8. S’y ajoutent un professeur de philosophie (en grec) et deux de droit (en latin). Avant d’en arriver à une telle reconnaissance officielle, l’enseignement du latin s’est développé dans la Pars Orientis de façon progressive et informelle. Je voudrais examiner ici quelques témoignages datant du début de l’époque impériale. Les sources faisant allusion à un enseignement de latin destiné à des hellénophones durant les deux premiers siècles de l’Empire ne sont pas légion. Cette situation peut s’expliquer de plusieurs manières. Il faut d’abord évoquer le statut du latin dans la Pars Orientis, 4 V. Dasen, « Des nourrices grecques à Rome ? », Paedagogica Historica : International Journal of the History of Education, 46, 2010, p. 708-709. 5 Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 292-301. 6 E. Dickey, The Colloquia of the Hermeneumata Pseudodositheana. Volume I. Colloquia Monacensia-Einsidlensia, Leidense-Stephani, and Stephani, Cambridge, 2012, p. 50-51, et « Teaching Latin to Greek speakers in antiquity », dans E. P. Archibald, W. Brockliss, J. Gnoza (éd.), Learning Latin and Greek from Antiquity to the Present (Yale Classical Studies, 37), Cambridge, 2015, p. 30-51. 7 Codex Theodosianus, XIV, 9, 3, 1. Voir P. Lemerle, Le premier humanisme byzantin. Notes et remarques sur enseignement et culture à Byzance des origines au Xe s. (Bibliothèque byzantine. Études, 6), Paris, 1971, p. 63. 8 Th. Hidber, « Vom Umgang der Griechen mit lateinischer Sprache und Literatur », Paideia, 61, 2006, p. 243 ; Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 303.

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qui est loin d’être comparable à celui du grec à Rome. Rome n’a jamais développé de politique linguistique expansionniste9. Les Romains n’ont pas voulu imposer le latin comme langue de communication dans la Pars Orientis. La langue administrative des provinces hellénophones est restée le grec. Les empereurs romains avaient un bureau ab epistulis Graecis pour s’occuper de la correspondance avec les cités du monde grec et les assemblées provinciales10. Seules, les colonies se servaient du latin11. Les magistrats devant occuper des postes dans les provinces orientales étaient en général bilingues et communiquaient en grec avec les populations locales, même si des exceptions ont pu exister. Philostrate mentionne le cas d’un gouverneur qui ignorait le grec et qui n’était pas compris par ses sujets hellénophones12. Apollonios de Tyane conseilla donc au futur Vespasien, qu’il aurait rencontré à Alexandrie en 69, d’envoyer des magistrats connaissant le grec pour gouverner des sujets hellénophones et recommanda le même principe pour la partie latinophone13. Ensuite, on doit souligner le caractère linguistiquement fermé du domaine grec, qui se considère comme auto-suffisant. Beaucoup d’auteurs grecs pensent que la connaissance du latin est superflue. Il n’empêche que les élites grecques de l’Empire sont romanisées14, même si l’intérêt qu’elles portent à la langue latine est essentiellement d’ordre pratique et si elles ne semblent guère intéressées par la littérature latine. La domination romaine a en effet contraint les Grecs impliqués dans l’Imperium Romanum à réfléchir à leur propre identité et à concilier deux aspects, l’héritage grec et la citoyenneté romaine. Quelques personnalités littéraires grecques se signalent par leur maîtrise du latin, à des degrés divers, qu’il est difficile de préciser. Le cas de Plutarque (50-120), citoyen romain de Béotie (Lucius Mestrius Plutarchus), est représentatif15. Il dit qu’il a entrepris tard l’étude du latin et que ses connaissances ne lui permettent pas de donner un avis autorisé sur les qualités littéraires et rhétoriques des discours de Cicéron16. Syrien hellénisé, Lucien (115/125-180) est citoyen romain et, qui plus est, il a exercé des fonctions dans l’administration romaine de l’Égypte, où il a été archistator du préfet de ce pays, une sorte de « huissier en chef ». Il connaît le latin, c’est un fait certain, même si ses écrits ne sont guère propres à révéler cette

9 Hidber, « Vom Umgang… » (op. cit., supra, n. 8), p. 239-240. 10 J. Kaimio, The Romans and the Greek Language, Helsinki, 1979, p. 117, 319. 11 W. Eck, « Latin in cities of the Roman Near East », dans H. M. Cotton, R. G. Hoyland, J. J. Price, D. Wasserstein (éd.), From Hellenism to Islam. Cultural and Linguistic Change in the Roman Near East, Cambridge, 2009, p. 43-72. 12 Vie d’Apollonios de Tyane, V, 36. 13 Vie d’Apollonios de Tyane, ibid. Sur ce passage, Kaimio, The Romans…(op. cit., supra, n. 10), p. 117-118 ; A. Berenger-Badel, « Formation et compétences des gouverneurs de province dans l’Empire romain », Dialogues d’Histoire ancienne, 30/2, 2004, p. 51 et n. 65. 14 M. Dubuisson, « Le latin des historiens grecs », Les Études classiques, 47, 1979, p. 100. 15 Hidber, « Vom Umgang… » (op. cit., supra, n. 8), p. 246-247. 16 Vie de Démosthène, 2, 2. Il savait assez de latin pour paraphraser des Épodes d’Horace (I, 6, 40-46) dans la Vie de Lucullus, pour faire un pastiche, dans la Vie de Marc-Antoine, de passages de la Seconde Philippique de Cicéron et pour utiliser, dans la Vie de Cicéron, non seulement des ouvrages de Cicéron lui-même, mais aussi des passages de la Conjuration de Catilina de Salluste.

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connaissance, sauf peut-être l’opuscule Pro lapsu inter salutandum, mais de façon très elliptique17. La faute de langue qu’il évoque en grec a sans doute eu lieu en latin (confusion entre aue et salue / uale)18. On a aussi supposé que Lucien connaissait et imitait Juvénal19. Il ne fait pas de doute qu’Appien, né à Alexandrie avant 100 ap. J.-C., aduocatus fisci à Rome, procurator Augusti sous Marc Aurèle et Lucius Vérus, connaît le latin, qui a eu une influence sur son grec20. Il fut l’ami de Fronton, grand défenseur du latin21, et il utilise des sources latines22. Arrien (Flavius Arrianus) (85/90-175) aurait rédigé en latin un rapport envoyé à Hadrien vers 130 sur son activité comme gouverneur de Cappadoce. Le témoignage du Périple du Pont-Euxin, qui parle de ‘Ρωμαικὰ γράμματα23, n’est toutefois pas tout à fait explicite à ce sujet. S’il est bien question d’un rapport officiel (mais il pourrait s’agir d’une première version latine du Périple)24, l’utilisation du latin est tout à fait justifiée, car Arrien se conforme à l’usage selon lequel un gouverneur s’adresse à l’empereur en latin, langue officielle. Pour finir, Dion Cassius (L. Claudius Cassius Dio Cocceianus), à la fin du iie et au début du iiie s. (164-après 229), fit une brillante carrière dans l’administration impériale et parvint au consulat en 229 avec l’empereur Sévère Alexandre25. Dans son Histoire romaine, en 80 livres, il se révèle être un fin connaisseur de la littérature latine. On trouve des remarques critiques et des jugements littéraires, mais aussi des citations, en particulier trois vers de l’Énéide de Virgile traduits en grec (LXXVI, 10,

17 Pro Lapsu, 13 ; Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 300. 18 Elle a probablement été commise lors d’une salutatio matinale devant un personnage important (peut-être le préfet d’Égypte) à qui il était normal de s’adresser en latin. M. Dubuisson, « Lucien et Rome », Ancient Society, 15-17, 1984-1986, p. 195 ; I. Gassino, « Lucien entre grec et latin : les ambiguïtés d’un choix culturel et esthétique », dans L. Villard (éd.), Langues dominantes, langues dominées, Rouen, 2008, p. 145-163, et « Lucien et la langue latine », dans A. Bartley (éd.), A Lucian for our Times, Newcastle upon Tyne, 2009, p. 145-156 ; F. Mestre, E. Vintró, « Lucien ne sait pas dire bonjour », dans F. Mestre, P. Gomez (éd.), Lucian of Samosata. Greek Writer and Roman Citizen, Barcelone, 2010, p. 203-215. 19 Dubuisson, « Lucien et Rome » (op. cit., supra, n. 18), p. 196-197 ; E. Courtney, A Commentary on the Satires of Juvenal, Londres, 1980, p. 624-629 ; Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 300, n. 69. M. Geymonat (« Luciano lettore critico del “De re publica” ciceroniano ? », Paideia, 55, 2000, p. 225-228) a cru pouvoir démontrer, mais avec des arguments assez ténus, que l’on pouvait reconnaître, dans les personnages de Scipion Maior et d’Hannibal apparaissant dans les Dialogues des morts (77, 25), des allusions ironiques au De republica de Cicéron. 20 S. Swain, Hellenism and Empire. Language, Classicism, and Power in the Greek World, AD 50-250, Oxford, 1996, p. 253. 21 M. A. Levi, « La pedagogia “di corte” di Frontone e la priorità del latino », dans Filellenismo e tradizionalismo a Roma nei primi due secoli dell’impero (Roma, 27-28 aprile 1995), Rome, 1996, p. 225-232. 22 Emphylia, IV, 11, 45 [édit des triumvirs sur les proscriptions] et V, 45, 191 [après le dialogue entre Lucius Antonius et Octavien]. Voir L. Canfora, « Fonti latine e uso del latino in Appiano », dans Filellenismo e tradizionalismo a Roma nei primi due secoli dell’impero (Roma, 27-28 aprile 1995), Rome, 1996, p. 85-95. 23 Arrien, Périple du Pont Euxin, 6, 2 et 10, 1. 24 En ce sens, Dubuisson, « Le latin des historiens grecs » (op. cit., supra, n. 14), p. 97. 25 M.-L. Freyburger, « Dion Cassius, un gréco-romain du iie s. », Dialogues d’Histoire ancienne, Suppléments 9, 2013, p. 78-79.

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2 = Virgile, Énéide, XI, 371-373)26. Il avait, semble-t-il, une excellente connaissance de Sénèque27. Il est très difficile de dire comment ces auteurs ont appris le latin. Seul, Plutarque s’étend un peu sur ce sujet dans un passage qui n’est du reste pas simple à comprendre. Il dit avoir étudié le latin de façon purement pratique et avoir commencé à lire la littérature latine à un âge avancé. Il ajoute qu’il n’est pas en mesure de percevoir la beauté et la concision de la langue latine28. Certes, il arrive au biographe de Chéronée de faire des erreurs de latin29. Mais n’est-ce pas là une preuve d’une certaine bonne foi ? Les propos de Plutarque doivent donc plutôt être interprétés comme une recusatio pour s’excuser de ne pas écrire sur Démosthène et Cicéron comme figures littéraires. Ils ne doivent pas être pris comme des indications sur sa connaissance du latin et surtout pas comme un aveu d’ignorance de la langue de Rome30. Plus tard, Dion Cassius affirme avoir lu presque tout ce qui a été écrit sur l’histoire des Romains31. Il ne pouvait guère le faire sans une connaissance du latin. Sans doute existait-il des traductions grecques d’ouvrages historiques latins32. Une notice de la Souda33 dit qu’un certain Zénobios (PIR² Z 7), un sophiste qui enseignait à Rome à l’époque d’Hadrien, avait traduit en grec les Histoires de Salluste. Il s’agissait probablement d’un exercice scolaire, même si on peut imaginer que cette traduction ait circulé dans la Pars Orientis, comme pourrait le laisser penser un papyrus de Salluste avec des gloses grecques (PSI I 110 [MP³ 2932])34. Nous connaissons aussi indirectement la version grecque des Géorgiques par Arrien, un poète épique mal connu, mais elle est probablement d’époque tardive (postérieure au ive siècle)35. D’après Sénèque36, Polybe (PIR² P 427), l’affranchi de Claude, traduisit l’Énéide en grec, comme il avait traduit Homère en latin. Nous ignorons tout de ces traductions et, de toute façon, elles restent exceptionnelles.

26 B. Baldwin, « Dio Cassius and John Malalas : two Ancient Readings of Virgil », Emerita, 55, 1987, p. 85-86. 27 Le dialogue entre Auguste et Livie (LV, 14-22) a sans doute pour origine le De clementia. On trouve des allusions à l’Apocolokyntose (LX, 35, 3-4) et à la Consolatio ad Polybium (LXI, 10, 2). Voir Swain, Hellenism and Empire… (op. cit., supra, n. 20), p. 403-404 ; Hidber, « Vom Umgang… » (op. cit., supra, n. 8), p. 248. 28 Vie de Démosthène, 2, 2 ; A. De Rosalia, « Il latino di Plutarco », dans G. D’Ippolito, I. Gallo (éd.), Strutture formali dei « Moralia » di Plutarco. Atti del III Convegno plutarcheo Palermo, 3-5 maggio 1989, Naples, 1991, p. 445-459 ; A. Strobach, Plutarch und die Sprachen, Stuttgart, 1997, p. 33-39 ; Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 298-299. 29 L. Gamberale, « Un probabile errore di latino in Plutarco, Tib. Gracch. 13, 6 », Rivista italiana di Filologia Classica, 124, 1996, p. 433-440. 30 Dubuisson, « Le latin des historiens grecs » (op. cit., supra, n. 14), p. 95-96. 31 Fragment 1 Melber. 32 Sur les traductions en grec d’œuvres latines, V. Reichmann, Römische Literatur in griechischer Übersetzung, diss., Berlin, 1943, p. 1-16. 33 Z 73 Adler.  Voir P. Janiszewski-K. Stebnicka- E. Szabat, Prosopography of Greek Rhetors and Sophists of the Roman Empire, Oxford, 2015, n° 1088. 34 R. Funari, « Glosse greche di PSI I 110 e l’antica traduzione dei “Bella ” di Sallustio », Studi di Egittologia e di Papirologia, 4, 2007, p. 99-103. 35 Α 3867 Adler ; S. Swain, « Arrian the Epic Poet », Journal of Hellenic Studies, 111, 1991, p. 211-240. 36 Cons. ad Pol., 8, 2 ; 11, 5.

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Les influences de la littérature latine sur la littérature grecque sont mal connues. Les vers d’un poète à peu près contemporain de Virgile, Erykios de Cyzique37 (A.P., VI, 96, 1-2 = Gow-Page 2200-2201 : Γλαύκων καὶ Κορύδων… Ἄρκαδες ἀμφότεροι) sont peut-être une imitation de la Septième Églogue de Virgile (v. 3-4 : Corydon et Thyrsis… Arcades ambo), même si les deux poètes peuvent s’être inspirés, indépendamment l’un de l’autre, d’un modèle commun38. Quoi qu’il en soit, le phénomène de la connaissance de la littérature latine par les auteurs grecs n’est guère antérieur aux iiie-ive s39. Quelques témoignages pourraient attester une diffusion du latin à l’échelle de l’Empire, mais leur interprétation n’est pas simple. Dans les Platonicae quaestiones, Plutarque dit que le latin utilise peu de prépositions et pas d’article du tout. Il insère une phrase qui semble présenter le latin comme une langue universelle : (10, 31 1010D : δοκεῖ μοι περὶ Ῥωμαίων λέγειν ὁρῶ μέλλω † νῦν ὁμοῦ τι πάντες ἄνθρωποι χρῶνται40). Le témoignage de Plutarque, même s’il s’agit d’une exagération rhétorique, repose sur une réalité et atteste une diffusion de la langue latine sur tout le territoire de l’Empire romain. Bien entendu, il faut tenir compte du fait que le texte est corrompu et que c’est au prix d’une restitution que nous y voyons un témoignage sur la diffusion du latin à l’échelle de l’oikoumenè. Peut-être Plutarque n’a-t-il en tête que les habitants de la partie occidentale de l’Imperium Romanum41. Même si Cicéron soulignait dans le Pro Archia (10, 23) le peu de diffusion du latin « enfermé dans des frontières bien étroites », alors que « le grec se lit à peu près dans toutes les nations », Pline l’Ancien inscrit dans son éloge de l’Italie du livre III l’extension du latin à travers l’Empire tout entier42. Qu’est-ce à dire ? L’utilisation universelle du latin est le moyen le plus efficace de rapprocher les hommes les uns

37 L. A. Holford-Strevens, « Vtraque lingua doctus. Some Notes on Bilingualism in the Roman Empire », dans H. D. Jocelyn, H. Hurt (éd.), Tria lustra : Essays and Notes Presented to J. Pinsent, Liverpool, 1993, p. 203-2013. 38 R. Reitzenstein, « Erykios », Real-Encyclopädie, 6, 1, 1907, col. 565, l. 51-57. 39 Une influence de Virgile est supposée chez Quintus de Smyrne, U. Gärtner, Quintus Smyrnaeus und die Aeneis : Zur Nachwirkung Vergils in der griechischen Literatur der Kaiserzeit, Munich, 2005. Un lien avec l’Énéide est perceptible aussi chez Triphiodore (iiie/ive s.), auteur de la Prise de Troie, un poème épique de 691 hexamètres qui raconte les événements entre la construction du cheval de bois et le départ des Achéens. On peut encore citer Nonnos de Panopolis (ve s. ap. J.-C.), qui écrivit un grand poème épique, les Dionysiaca, en 48 livres, dans lequel il aurait utilisé les Métamorphoses d’Ovide. L. Miguelez Cavero, Poems in Context. Greek Poetry in the Egyptian Thebaid 200-600 AD, Berlin-New York, 2008, p. 3-105 ; Hidber, « Vom Umgang… » (op. cit., supra, n. 8), p. 239-240. 40 Le passage, qui ne peut guère être traduit sous cette forme, est incontestablement corrompu. Depuis Wyttenbach (voir l’apparat critique dans l’édition Teubner par C. Hubert, Plutarchi Moralia, VI/1, Leipzig, 1954, p. 139), on ajoute ᾧ après μέλλω. Wyttenbach reconstituait le passage de cette façon ὡς δοκεῖ μοι ὁ Ῥωμαίων ἔχειν, ᾧ νῦν ὁμοῦ τι… Le sens devrait être « la langue des Romains dont tous les hommes se servent ensemble aujourd’hui ». Swain, Hellenism and Empire… (op. cit., supra, n. 20), p. 42 et n. 68 ; Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 295. 41 Strobach, Plutarch… (op. cit., supra, n. 28), p. 143, n. 586. 42 Pline l’Ancien, Histoire naturelle, III, 39. Cf. A. Vial-Logeay, « Le latin, langue à vocation universelle selon Pline l’Ancien ? », dans L. Villard (éd.), Langues dominantes, langues dominées, Rouen, 2008, p. 139-140.

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des autres et de leur permettre de se comprendre. Pline le Jeune évoque également la vocation du latin à devenir une langue universelle. Dans la lettre VII, 4, 8-9, l’épistolier parle de son livre en hendécasyllabes, qui est copié et chanté partout et qui aurait obligé les Grecs à apprendre le latin. L’affirmation de Pline rappelle un thème cher à Martial (XI, 3, 5), qui atteste la diffusion de ses vers jusqu’en Bretagne et souligne à maintes reprises l’essor international de ses poèmes43 : toto notus in orbe Martialis. L’affirmation de Martial, qui est un lieu commun, ne peut toutefois être prise au premier degré, celle de Pline le Jeune pas davantage. Dans la pratique, il est difficile d’établir quelle réalité représentait le latin aux yeux des hellénophones durant les deux premiers siècles de l’Empire. L’attitude de l’empereur Claude, rapportée par Suétone44 et par Dion Cassius45, qui déchut du statut de citoyen romain un Grec dont il avait constaté l’ignorance complète du latin pourrait faire croire que la connaissance de la langue de Rome était exigée de tout citoyen romain. Nous ignorons toutefois la portée exacte de l’anecdote prêtée à Claude : est-ce une règle générale, ce qui paraît étonnant, ou un geste d’humeur de l’empereur dans un contexte bien précis que nous ignorons ? L’exemple d’Hérode Atticus (Ti. Claudius Atticus Herodes [PIR² C 655]) pourrait nous éclairer46. Bien qu’il ait été durant plusieurs années le précepteur des princes impériaux Marc Aurèle et Lucius Verus et qu’il fût consul en 143, nous ne pouvons savoir avec certitude s’il connaissait le latin. Dans le premier livre des Nuits Attiques (I, 2, 1), un épisode a pour théâtre la villa athénienne de ce richissime athénien. Un jeune philosophe stoïcien porte un jugement sévère sur les Grecs et les Latins les trouvant tous rudes et agrestes. Hérode Atticus est dit uir et Graeca facundia et consulari honore praeditus. L’expression est très intéressante : pour le versant grec, le personnage est défini d’un point de vue culturel, tandis que, pour le côté latin, il est présenté d’un point de vue politique. Aulu-Gelle signale la dignitas d’Hérode Atticus et son éloquence grecque, même lorsque ses hôtes sont des Latins. En I, 2, 6, Aulu-Gelle dit explicitement qu’Hérode Atticus parle grec (tum Herodes Graeca, uti plurimus ei mos fuit, oratione utens, … inquit « Hérode, en grec selon son habitude la plus courante »47), mais il a le souci, par l’incise uti plurimus ei mos fuit, de laisser place au latin, même si elle est réduite. Il reconnaît ainsi implicitement son bilinguisme.

Aulu-Gelle Un chapitre des Nuits Attiques (VIII, 10), dont il reste seulement le titulus (le livre huit des Noctes Atticae est perdu), relate une controverse qui eut lieu in oppido Eleusino… cum grammatico quodam praestigioso (« dans la ville d’Éleusis… 43 Martial, Èpigrammes, I, 1, 2 ; V, 13, 3 ; VI, 64, 25 ; VIII, 61, 3. 44 Suétone, Claude, 16, 4 ; Kaimio, The Romans… (op. cit., supra, n. 10), p. 134-135, p. 144-145 ; A. Berenger-Badel, « Formation et compétences…  »  (op. cit., supra, n. 13), p. 46 et n. 44. 45 Dion Cassius, Histoire romaine, LX, 17, 4. 46 Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 296. 47 Traduction de R. Marache, CUF, 1967.

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avec un certain grammairien charlatan »). Rien ne permet toutefois d’affirmer que le débat ait concerné des faits touchant la langue latine, sinon un argument e silentio, toujours délicat. Aulu-Gelle n’aborde jamais des questions linguistiques ou grammaticales relatives à la langue grecque. Sa polémique ne concerne que des grammairiens de langue latine. Il devrait en être de même ici. Dans cet épisode, dont le schéma est comparable au chapitre 6 du livre XVI, le grammairien fait montre de son prétendu savoir capiendis imperitorum animis (« pour prendre au piège l’esprit des ignorants »), ce qui exclut une intervention du grammairien en question dans une discussion de type privé. La question qui vient à l’esprit : que peut bien faire un grammairien latin à Éleusis ? On peut répondre, avec prudence toutefois : il enseigne le latin, ce qui supposerait l’existence d’une école latine (publique ou privée ?) à Éleusis48. Les Nuits Attiques d’Aulu-Gelle peuvent à nouveau nous éclairer sur la position respective de la culture latine et de la culture grecque, forte d’une certaine supériorité. Dans le livre XIX, le chapitre 9 met en scène le professeur de rhétorique d’origine espagnole Antonius Julianus (PIR² A 672). Durant un repas organisé aux environs de Rome par un jeune de rang équestre revenant de Grèce, ce personnage doit défendre la poésie élégiaque romaine (Catulle et Calvus) de l’accusation d’être pauvre et de moindre qualité que la poésie grecque correspondante (XIX, 9, 7)49. L’épisode n’a toutefois qu’une portée limitée. Il peut certes nous informer sur le fait que, dans les écoles grecques, où se rendaient les jeunes Romains pour se perfectionner, on faisait une comparaison entre la littérature grecque et la littérature latine, jugée en général inférieure. Rien ne prouve toutefois que l’on étudiait les auteurs latins dans les écoles grecques, comme on le faisait à Rome pour les textes grecs. À l’époque des Antonins, il était habituel dans les écoles romaines de rhétorique que l’on étudie des auteurs grecs. Aulu-Gelle (II, 27) a conservé le souvenir du premier professeur public de rhétorique à Rome, sous le règne d’Hadrien, Titus Castricius (PIR² C 451), qui proposait à ses élèves une comparaison d’un passage du De corona de Démosthène avec un extrait des Histoires de Salluste. Recommandée par Quintilien, l’étude de modèles grecs par les orateurs ou rhéteurs latins n’était pas une nouveauté. Aulu-Gelle raconte encore (XVII, 20) que, lorsqu’il suivait à Athènes les leçons de philosophie de Calvisius (Calvenus) Taurus50, homme important qui se trouvait à la tête de l’Académie vers 145, le maître lui proposa un passage du Banquet de

48 L. Gamberale, « La ‘filosofia’ di Domizio Insano, ovverro Gellio e i confini della grammatica », dans Storia letteratura e arte a Roma nel secondo secolo dopo Cristo. Atti del Convegno Mantova, 8-9-10 ottobre 1992, Florence, 1995, p. 258. 49 M. Hose, « Die römische Liebeselegie und die griechische Literatur », Philologus, 138, 1994, p. 80 ; Hidber, « Vom Umgang… » (op. cit., supra, n. 8), p. 249 ; Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?  » (op. cit., supra, n. 2), p. 300. 50 M.-L. Lakmann, Der Platoniker Tauros in der Darstellung des Aulus Gellius, Leyde-New York-Cologne, 1995, p. 207.

l e s g r ec s o n t- i l s é t u d i é l e lat i n dans l’ant i q u i t é  ?

Platon comme exemple de style supérieur à celui de n’importe quel orateur ou rhéteur latin51.

Témoignages épigraphiques Une inscription en grec, impossible à dater avec précision (fin du iie s.-début du iiie s. ?), qui a constitué le point de départ d’un mémoire d’Émile Egger, De l’étude de la langue latine chez les Grecs dans l’Antiquité (1855), mentionne un certain Athénadès, esclave ou affranchi, qui est γραμματικὸς ‘Ρωμαικός52. IG, XIV, 2434 = IGF 21 = CAG 13/3 no 21 (Marseille) : Ἀθηνάδης Διοσκουρίδου γραμματικὸς Ῥωμαικός « Athénadès fils de Dioscouridès, grammairien latin ». Ce texte témoigne du bilinguisme de certains groupes en Gaule du Sud. Bien que son enseignement ait porté sur le latin, ce grammaticus n’avait pas oublié sa langue d’origine (nom grec, père grec, inscription en grec) et a utilisé le grec pour perpétuer sa mémoire. Une autre inscription, bilingue celle-là, sans date, mais probablement d’époque impériale (CIL III 406), mentionne un Οὐαλέριος γραμματικὸς ‘Ρωμαικός, c’est-àdire un grammaticus Latinus, présent à Thyatire en Lydie53. L’inscription présente un praescriptum grec avec des lacunes, suivi d’un poème épigraphique en latin (Carmina Latina Epigraphica, 432). Les lacunes de la partie grecque ne permettent pas d’établir les rapports qui existent entre les dédicataires54. Le défunt est bien un homme d’origine et de langue grecques qui enseigne le latin, comme c’est le cas d’Athénadès à Marseille mentionné précédemment. On ne connaît toutefois rien du rôle de ce Valérius. Tout au plus peut-on supposer que son enseignement se plaçait dans la sphère privée d’une familia. Valérius aurait été magister litterarum Romanarum, dans une ville hellénophone, pour les enfants d’une famille romanisée et cultivée qui revendique une double identité. L’un des enfants porte un cognomen grec, Xénon, et l’autre un cognomen latin, Primus, et l’inscription est bilingue. Est-ce suffisant pour parler d’un enseignement du latin dans la Pars Orientis ?

51 M.-L. Lakmann, Der Platoniker… (op. cit., supra, n. 50), p. 165-178. 52 S. Agusta-Boularot, « Les références épigraphiques aux grammatici et γραμματικοί de l’Empire romain (Ier s. av. J.-C. – ive s. ap. J.-C.) », Mélanges de l’École française de Rome, Antiquité, 106, 1994, no 30, p. 689 et 701 ; A. Mullen, Southern Gaul and the Mediterranean. Multilingualism and Multiple Identities in the Iron Age and Roman Periods, Cambridge, 2013, p. 267-268. 53 Agusta-Boularot, « Les références épigraphiques… » (op. cit., supra, n. 52), p. 700-701. 54 CIL III 406 (Thyatire) = IGRR IV 1280 : […] Ξένωνι ἐτ(ῶν) [·] καὶ Πρείμῳ ἐτ(ῶν) ε τοῖς τέκνοις καὶ Οὐαλερίῳ Οὐαλερίου γραμματικῷ Ῥωμαϊκῷ ἐτ(ῶν) κ[γ]’.

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Des rhéteurs grecs bilingues ? Il n’est pas aisé de repérer des rhéteurs grecs bilingues durant le Haut-Empire. Nous ne pouvons guère citer que trois cas. La Chronique de saint Jérôme dit qu’un certain Cestius de Smyrne enseigna le latin à Rome (Cestius Smyrnaeus rhetor Latine Romae docuit « le rhéteur Cestius de Smyrne a enseigné en latin à Rome »)55. Sénèque le Père (50 av.-40 apr. J.-C.) mentionne un Lucius Cestius Pius de Smyrne (PIR² C 575)56 (Latinorum uerborum inopia ut hominem Graecum laborasse, « [Cestius], en sa qualité de Grec, souffrait d’une disette de mots latins »)57, qui composa des déclamations contre les discours de Cicéron58. Le sophiste M. Antonius Polémon de Laodicée (88 ou 89-144 ou 145 ? ap. J.-C.) (PIR² A 862)59, auteur d’un traité de physiognomonie et de deux brèves mélétai consacrées à deux guerriers morts à Marathon, fonda une école de rhétorique à Smyrne et entretint des rapports amicaux avec tous les empereurs de Trajan à Marc Aurèle60. Philostrate, qui le compare à Démosthène61, dit qu’il jouissait d’une grande considération de la part de Marc Aurèle62. Dans une lettre à l’empereur63, Fronton porte un jugement sur le style de Polémon, que son élève qualifie, sans doute avec ironie, de « cicéronien » (Tullianus). Est-ce à dire que Polémon a déclamé en latin ? Ce serait certainement aller trop loin. Fronton répond à une lettre de Marc Aurèle (29, 19-30, 13 VdH²) envoyée de Naples durant l’été 143 dans laquelle une déclamation du rhéteur grec est critiquée parce qu’elle ressemble plus à l’usus qu’à la uoluptas (30, 5-6 VdH²). Or, la ville de Naples est restée de langue grecque, même à l’époque impériale, et c’est probablement là – ou plutôt dans une Graeca urbs de Campanie ou de Grande Grèce – que Favorinos d’Arles a prononcé, sans doute après 138, le Περὶ τύχης. Les rhéteurs avaient l’habitude de déclamer en grec, même dans d’autres villes, comme

55 Saint Jérôme, Chronique, 167, 2 Helm. Voir P. Janiszewski-K. Stebnicka- E. Szabat, Prosopography… (op. cit., supra, n. 33), n° 852. 56 Sénèque, Controverses, VII, 1, 27 (cf. Suétone, De grammaticis et rhetoribus, 91* Reifferscheid). 57 Trad. H. Bornecque, 1932. 58 M. Hose, « Die römische Liebeselegie…» (op. cit., supra, n. 49), p. 78 ; Hidber, « Vom Umgang… » (op. cit., supra, n. 8), p. 249. 59 B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002, p. 396-406 et P. Janiszewski-K. Stebnicka- E. Szabat, Prosopography… (op. cit., supra, n. 33), n° 860. 60 M.-H. Quet, « Le sophiste M. Antonius Polémon de Laodicée, éminente personnalité politique de l’Asie romaine du iie siècle », dans M. Cébillac-Gervasoni, L. Lamoine (éd.), Les élites et leurs facettes - Les élites locales dans le monde hellénistique et romain, Rome-Clermont-Ferrand, 2003, p. 424-429. 61 Philostrate, Vies des sophistes, 542. 62 Philostrate, Vies des sophistes, 540. 63 Fronton, Ad M. Caesarem, II, 2, 5 (20, 6-8 VdH²) : Pro Polemone rhetore, quem mihi tu in epistula tua proxime exhibuisti Tullianum, ego in oratione, quam in senatu recitaui, philosophum reddidi, nisi me opinio fallit, peratticum « en ce qui concerne le rhéteur Polémon, que tu m’as tout dernièrement présenté dans ta lettre comme cicéronien, je l’ai replacé, pour ma part, dans le discours que j’ai prononcé devant le Sénat, comme un philosophe, si je ne m’abuse, des plus attiques. » (Trad. P. Fleury, 2003).

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le montre le jugement de Pline le Jeune64, qui a entendu, probablement à Rome, le rhéteur Isée65, sophiste originaire d’Assyrie. Antoni[n]us66 Aquilas (PIR² A 792)67 est l’objet d’une lettre de recommandation adressée par Fronton à C. Aufidius Victorinus (122-186) (PIR² A 1160)68, qui fut l’un des hommes les plus en vue des règnes de Marc Aurèle et de Commode. Antonius Aquilas, dont il est impossible de savoir s’il pratiquait surtout le grec ou le latin, est dit uir doctus et facundus, mais on a bien du mal à identifier ce personnage69. Certains savants le rapprochent du sophiste originaire de Galatie, Ἀκύλας, disciple de Chrestos de Byzance70. Dans la lettre de Fronton (176, 17 VdH²), il est dit ῥητόρων ἄριστος, ce qui pourrait faire penser qu’il est Grec71. Mais nous savons que les épistoliers latins insèrent volontiers dans leurs lettres des mots grecs ou des expressions en grec, dans la tradition cicéronienne72, et que cette pratique, qui est une sorte de snobisme et de code de connivence, ne nous éclaire en rien sur la nationalité du correspondant. En outre, la carrière provinciale d’Aufidius Victorinus est difficile à retracer et conduit uniquement vers les provinces occidentales73. Si on peut dater la lettre de Fronton de 164, ce qui n’est pas certain74, Aufidius Victorinus devrait se trouver en Germanie supérieure, où il a été legatus Augustorum pro praetore entre 162 et 165. Que ferait un rhéteur grec en Germanie ? Antonius Aquilas serait, dans ce cas, un sophiste de langue grecque à la recherche d’une chaire municipale de rhétorique latine en Germanie, mais on peut se demander ce qu’un rhéteur grec d’une telle envergure ferait dans une province occidentale à la recherche d’un poste de peu d’importance75. Il semble plus probable que le sophiste soit la même personne qu’un (T. Flavius Sempronius ?) Aquila, ab epistulis Graecis à Ancyre, connu par trois inscriptions76. 64 Pline le Jeune, Lettres, II, 3. 65 P. Grimal, « Deux figures de la Correspondance de Pline : le philosophe Euphratès et le rhéteur Isée », Latomus, 14, 1955, p. 370-381. 66 Antoninus serait une erreur d’impression dans l’édition de Naber des lettres de Fronton. 67 Puech, Orateurs et sophistes… (op. cit., supra, n. 59), p. 126-130 et P. Janiszewski-K. Stebnicka- E. Szabat, Prosopography… (op. cit., supra, n. 33), n° 134. 68 Fronton, Ad amicos, I, 7 (176, 6-18 VdH²) et le commentaire de M. P. J. Van den Hout, A Commentary on the Letters of M. Cornelius Fronto, Leyde, 1999, p. 411-412. 69 Van den Hout, A Commentary… (op. cit., supra, n. 68), p. 412 : « it is impossible to identify him » avec le status quaestionis. 70 Philostrate, Vies des sophistes, 591. Voir L. Gamberale, « Confronti e incontri di cultura nell’età degli Antonini », dans Filellenismo e tradizionalismo a Roma nei primi due secoli dell’impero (Roma, 27-28 aprile 1995) (Accademia Nazionale dei Lincei. Atti dei convegni lincei, 125), Rome, 1996, p. 74-75. 71 Van den Hout, A Commentary… (op. cit., supra, n. 68), p. 411 « ῥητόρων ἄριστος 176, 17 indicates Antonius was a Greek ». 72 O. Elder-A. Mullen, The Language of Roman Letters. Bilingual Epistolography from Cicero to Fronto, Cambridge, 2019, p. 278-285. 73 H. G. Pflaum, « La carrière de C. Aufidius Victorinus, condisciple de Marc Aurèle », Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 1956, p. 189-201 ; Van den Hout, A Commentary… (op. cit., supra, n. 68), p. 411. 74 Sur la datation de la lettre, Van den Hout, A Commentary… (op. cit., supra, n. 68), p. 411. 75 V. Nutton, « Herodes and Gordian », Latomus, 29, 1970, p. 726-727, n. 4. 76 Puech, Orateurs et sophistes… (op. cit., supra, n. 59), p. 126-130, nos  31, 32, 33 et P. Janiszewski-K. Stebnicka- E. Szabat, Prosopography… (op. cit., supra, n. 33), n° 35.

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Conclusion L’implantation d’écoles latines en Orient et le déplacement d’élèves d’origine orientale vers la partie occidentale de l’Empire sont des questions difficiles. Les Grecs ont bien étudié le latin dans l’Antiquité. Nul n’en doute. Mais les conditions dans lesquelles cet apprentissage s’est déroulé sont difficiles à reconstituer. Durant les deux premiers siècles de l’Empire, les Grecs qui ont une connaissance du latin l’ont acquise à Rome dans le cadre d’un enseignement que l’on peut qualifier d’informel. On ne peut toutefois exclure qu’un enseignement de latin dans la Pars Orientis ait déjà existé à une époque aussi haute, mais nous savons peu de chose à ce sujet77. Ce n’est qu’à partir du début du iiie siècle que l’on assiste à l’émergence d’un enseignement de latin dans des villes grecques. Grégoire le Thaumaturge est le premier personnage d’origine grecque connu dont la connaissance du latin ait été acquise dans une ville grecque78. Dans son Remerciement à Origène, qu’il prononça probablement en 238, au moment de quitter Césarée où il était arrivé en 231, il évoque son départ pour la prestigieuse école de droit de Beyrouth, « cité assez romaine »79. Bruno Rochette Université de Liège – UR « Mondes anciens »

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77 Les témoignages viennent des vestiges papyrologiques (alphabets, déclinaisons et conjugaisons, vocabulaire et lecture des auctores), rassemblés naguère par M. Ch. Scappaticcio, Artes grammaticae in frammenti. I testi grammaticali latini e bilingui greco-latini su papiro. Edizione commentata, Berlin-Boston, 2015. Ces fragments ne sont guère antérieurs aux iiie-ive s., mais on note des exceptions qui sont des témoins précieux de la phase de formation d’un enseignement de langue latine dans les provinces orientales de l’Empire. 78 Nesselrath, « Latein in der griechischen Bildung ?… » (op. cit., supra, n. 2), p. 302 ; J. Geiger, Hellenism in the East. Studies on Greek Intellectuals in Palestine, Stuttgart, 2014, p. 141. 79 L. I. Levine, Caesarea under Roman Rule, Leyde, 1975, p. 122-124.

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Perspectives pédagogiques chez Quintilien Exercere, exercitare et exercitatio dans l’Institution oratoire

La rhétorique, art de bien dire, est le fondement sur lequel repose l’éducation à Rome à l’époque impériale1. Quintilien se préoccupe de l’orateur en devenir dès sa naissance, par les considérations qui occupent les deux premiers livres de son traité, et s’intéresse à sa formation morale de façon constante jusqu’au livre 12, par lequel s’achève l’ouvrage : son idéal est l’« homme de bien habile à parler » (uir bonus dicendi peritus). En intitulant son traité d’éducation Institutio oratoria, il indique que son projet est de former un orateur (instituere oratorem), comme l’entend Montaigne dans son chapitre des Essais, « De l’institution des enfants » (I, 26). Cette expression signifie à la fois « former un enfant pour qu’il devienne un orateur » (instituere [futurum] oratorem) et « former un orateur qui exerce déjà cette activité », ce qui relève, pour employer un terme moderne, de la formation continue. Les deux livres dédiés aux exercices s’adressent respectivement aux jeunes gens (livre 2) et aux orateurs en cours de formation, voire déjà en activité (livre 10)2. S’il n’établit pas lui-même les fondements de l’art oratoire, Quintilien élabore une synthèse personnelle de l’héritage rhétorique (instituere oratoriam) : les livres 3 à 11 constituent un traité de rhétorique à part entière (institutum). Fort de son expérience d’avocat et de professeur, il se propose d’éduquer le futur orateur et de l’instruire. L’Institution oratoire est un traité de pédagogie (psychologie de l’élève et du maître, éducation morale), un traité de rhétorique





1 Voir Y. L. Too, « Education in the Flavian Age », dans A. Zissos (éd.), A Companion to the Flavian Age of Imperial Rome, Chichester-Malden (Mass.), 2016, p. 313-326. Cet article de synthèse, qui prend en compte Rome et la Grèce, ne saurait cependant remplacer l’abondante bibliographie que nous ne pouvons indiquer ici. Parmi les publications récentes, on trouvera de nombreuses références dans l’ouvrage de synthèse de C. Wolff, L’Education dans le monde romain, Paris, 2015. 2 Sur la répartition des exercices entre le livre 2 et le livre 10, voir J. J. Murphy, Quintilian. On the Teaching of Speaking and Writing, Carbondale-Edwardville, 1987 ; L. Calboli Montefusco, « Quintilian and the Function of the Oratorical exercitatio », Latomus 55, 1996, p. 616-625 ; J. J. Murphy, « Quintilian’s Advice on the Continuing Self-education of the Adult Orator : Book X of his Institutio oratoria », dans O. Tellegen-Couperus (éd.), Quintilian and the Law, Louvain, 2003, p. 247-252 ; M. S. Celentano, « Quintiliano e la duplice exercitatio nell’Institutio oratoria », dans L. Brisson, P. Chiron (éd.), Rhetorica philosophans. Mélanges offerts à Michel Patillon, Paris, 2010, p. 155-163. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 183-198 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121141

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(synthèse de l’art oratoire de son temps), et un manuel destiné aux professeurs et aux élèves, distinct toutefois des progymnasmata3. C’est en praticien de l’éducation que Quintilien entreprend d’écrire son traité : « je vais faire exactement comme si on me confiait la charge de former un orateur et entreprendre d’organiser ses études depuis son enfance » (nec aliter quam si mihi tradatur educandus orator studia eius formare ab infantia incipiam, 1.pr.54). Le mot orator a une valeur quasi proleptique, car Quintilien anticipe le résultat de son éducation, ce qu’explicite la traduction de D. A. Russell5. Il apparaît clairement à la lecture que l’expérience pédagogique de Quintilien informe son propos théorique et qu’il ne perd jamais de vue l’élève qu’il entreprend de former. Voici comment il ouvre le chapitre consacré à la déclamation : In his primis operibus, quae non ipsa parua sunt sed maiorum quasi membra atque partes, bene instituto ac satis exercitato iam fere tempus adpetet adgrediendi suasorias iudicialesque materias. (2.10.1) Quand l’élève aura été bien formé et entraîné à ces exercices préliminaires, qui ne sont pas négligeables en eux-mêmes, mais qui sont, pour ainsi dire, les membres et les parties d’un plus grand ensemble, le moment sera presque venu de s’attaquer aux suasoires et aux matières judiciaires. Les participes instituto et exercitato correspondent aux deux composantes complémentaires de l’acte pédagogique, la transmission par le professeur et l’appropriation par l’élève. Si l’un s’accompagne de la qualité (bene), l’autre repose sur la quantité (satis). Nous nous proposons d’étudier comment se manifeste le souci, constant chez Quintilien, de la mise en pratique, en nous attachant à la présence dans le texte du verbe exercere, de son fréquentatif exercitare et du nom exercitatio. Nous avons relevé 104 occurrences de ces mots, réparties de façon inégale6. Si près de la moitié d’entre elles se trouvent dans les livres 2 (28 occurrences) et 10 (22 occurrences),

3 Si Quintilien décrit les principaux exercices des progymnasmata dans les premiers livres de l’Institution oratoire, il ne donne pas d’exemples, à quelques exceptions près. Voir I. H. Henderson, « Quintilian and the Progymnasmata », Antike und Abendland 37, 1991, p. 82-99 ; M. S. Celentano, « Oratorical Exercises from the Rhetoric to Alexander to the Institutio oratoria : Continuity and Change », Rhetorica 29/3, 2011, p. 357-365. 4 Sauf mention contraire, nous citons le texte et la traduction de la Collection des Universités de France : J. Cousin, Quintilien, Institution oratoire, Paris, 1975-1980. Toutes les citations sont empruntées à ce traité. 5 « I shall proceed exactly as if a child were put into my hands to be educated as an orator, and shall plan his studies from his infancy », D. A. Russell, Quintilian, The Orator’s Education, Cambridge (Ma.)-Londres, 2001. 6 Inst. 1.pr.27 ; 1.1.33 ; 1.1.36 ; 1.4.6 ; 1.11.14 ; 1.11.18 ; 1.11.19 ; 2.1.3 ; 2.1.9 ; 2.4.16 ; 2.4.20 ; 2.4.21 ; 2.4.24 ; 2.4.26 ; 2.4.33 ; 2.4.36 ; 2.4.41 ; 2.4.42 ; 2.7.3 ; 2.8.13 ; 2.10.1 ; 2.10.4 ; 2.10.7 ; 2.10.9 ; 2.11.1 ; 2.12.11 ; 2.13.15 ; 2.15.27 ; 2.17.4 ; 2.17.5 ; 2.17.12 ; 2.17.42 ; 2.20.2 (x2) ; 2.21.11 ; 3.2.1 ; 3.5.1 ; 3.6.93 ; 3.8.43 ; 3.8.49 ; 3.8.53 ; 3.8.70 ; 4.2.29 ; 5.7.28 ; 5.10.121 ; 5.10.123 ; 5.10.125 ; 6.3.14 ; 6.3.15 ; 6.3.16 ; 6.4.21 ; 7.1. 40 ; 8.pr.16 ; 8.pr.19 ; 8.pr.28 ; 8.3.10 ; 8.3.23 ; 9.4.114 ; 10.1.4 ; 10.1.23 ; 10.1.131 ; 10.3.13 ; 10.3.15 ; 10.5.3 ; 10.5.4 ; 10.5.8 ; 10.5.11 ; 10.5.14 ; 10.5.15 (x2) ; 10.5.17 ; 10.5.19 ; 10.5.20 ; 10.6.3 ; 10.6.5 ; 10.7.6 ; 10.7.8 ; 10.7.24 ; 10.7.25 ; 10.7.27 ; 11.2.9 ; 11.2.26 ; 11.2.36 ; 11.2.40 ; 11.2.42 (x2) ; 11.2.45 ; 11.3.22 ; 11.3.24 ; 11.3.25 ; 11.3.29 ; 11.3.54 ; 11.3.117 ; 12.2.20 ; 12.2.25 (x2) ; 12.2.27 ; 12.6.5 ; 12.9.20 ; 12.10.41 ; 12.10.44 ; 12.11.6 ; 12.11.16 (x2).



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aucun des livres n’en est cependant exempt7. Nous envisagerons d’abord ces termes en fonction de leurs emplois grammaticaux, ce qui mettra en évidence la variété de leur contenu sémantique. Nous verrons ensuite la spécificité de l’exercice physique, entendu au sens propre mais souvent aussi à l’état de comparaison ou de métaphore. Nous étudierons enfin les emplois de ces termes en réseau.

Emplois grammaticaux des termes exercitatio, exercere, exercitare Dans l’Institution oratoire, le mot exercitatio et les verbes de même racine désignent la plupart du temps le « fait de s’exercer »8, ce qui ouvre sur des réalités multiples en fonction des compléments qui accompagnent ces termes. C’est cette richesse sémantique que nous souhaitons faire apparaître. Emplois transitifs : diversité sémantique des compléments

Les tournures passives renseignent essentiellement, parfois à l’aide du contexte, sur l’identité de ceux qui s’exercent. Ce sont d’abord les jeunes gens : les élèves (exercitato, 2.10.1 ; adulescentes […] exerceri, 3.8.70 ; iuuenis […] exerceatur, 10.5.20) ou, avec un pluriel d’auteur, Quintilien ancien élève (exercitati simus, 2.10.9). À partir du livre 10, ce sont plutôt des orateurs adultes : Cicéron (Cicero […] exerceri solebat, 10.5.11) ; des orateurs plus ou moins expérimentés (exercitatos, 10.5.17 ; modice exercitati, 10.7.6 ; exercitatis actoribus, 11.3.117) ; les orateurs que nous sommes (indocti inexercitati non possimus, 11.2.9) ; l’orateur que tu es (quo exercearis, 11.3.25). Nous pouvons dès lors discuter le texte établi par Jean Cousin dans un passage traitant de la déclamation : exercere y est construit avec le pronom réfléchi (se exerceat, 4.2.29), alors que Quintilien préfère manifestement le passif9. L’élève que l’on instruit est aussi en position de complément d’objet direct : Pansa, Hirtius et Dolabella, élèves de Cicéron (Pansam, Hirtium, Dolabellam in morem praeceptoris exercuit cotidie dicens audiensque, 12.11.6) ; ou de complément de nom, lorsqu’il est question des sujets de déclamation destinés à développer l’humour des jeunes gens (ad iuuenum talem exercitationem, 6.3.15). Des tournures grammaticales du même genre s’appliquent également à l’esprit (ingenium), qu’on exerce lorsqu’on s’entraîne à louer et blâmer (2.4.20). Prise en

7 Nous laissons de côté la mention de l’exercice au sein d’un exemple (5.10.82) et l’adjectif exercitatrix, employé dans le commentaire du Gorgias, avec le sens spécifique de gymnastique (2.15.25). 8 Le sens de « pratique effective » est parfois associé à ces termes. Nous y reviendrons à la fin de cet article. 9 Nam cum sit declamatio forensium actionum meditatio, cur non in utrumque protinus locum se exerceat ? (4.2.29), « Car, la déclamation étant un entraînement aux plaidoiries du forum, pourquoi ne s’exerceraient-ils pas d’emblée à plaider en premier et en second ? » Le sens ne fait pas difficulté, ce sont bien les déclamateurs qui s’exercent. Toutefois, le sujet du verbe exerceat étant declamatio, c’est littéralement la déclamation qui s’exerce, ce qui est un peu étrange. Nous préférons la leçon retenue par D. A. Russell, qui omet le se. On comprend alors, d’après le contexte, que la déclamation forme les orateurs qui s’y adonnent.

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mauvaise part, l’expression exercere ingenia désigne des personnes qui défendent un point de vue théorique sur la rhétorique pour le plaisir d’argumenter plus que par conviction (2.17.4). Ce sont encore des qualités intellectuelles que la rapidité d’esprit (exercitata uelocitas, 5.10.123) ou le jugement (iudicium, 10.1.131), que l’on exerce en lisant Sénèque. Nous envisagerons séparément ce qui relève du corps. Le gérondif au génitif désigne le but ou le contenu de l’exercice. Dès le prologue du livre 1, Quintilien associe les trois exercices de référence que sont l’écriture, la lecture et l’expression orale (scribendi, legendi, dicendi multa et continua exercitatione, 1.pr.27). Cette triade figure aussi au début du livre 10, pour désigner les éléments contribuant à l’aisance (ἕξις) de l’orateur (ad quam scribendo plus an legendo an dicendo conferatur, solere quaeri scio, 10.1.1). La même tournure est utilisée à propos de l’écriture, à laquelle on s’exerce (scribendi exercitatio), afin d’avoir à sa disposition les effets rythmiques adéquats lorsqu’on improvise (9.4.114) ; elle est appliquée aussi à la réflexion préparatoire que l’on appelle méditation (illa exercitatio cogitandi, 10.7.25). La tournure exercitatio dicendi a une valeur générale : attrait et richesse de la thèse10 comme exercice de la parole (ad exercitationem dicendi, 2.4.24) ; les professeurs qui après s’être brièvement exercés à la parole oublient toute mesure (breuem dicendi exercitationem consecuti, 2.12.11) ; C. Carbon qui s’exerçait souvent, même sous la tente (hac […] exercitatione dicendi, 10.7.2711) ; danger de passer trop de temps à s’exercer à la déclamation au détriment du réel (dicendi exercitatio, 12.11.1612). Quintilien use d’une tournure similaire pour désigner, à propos des lois, les sujets sur lesquels les anciens « ont exercé leur talent de parole » (facultatem dicendi exercuerunt, 2.4.41). Le verbe exercere se construit de façon transitive avec pour objet (ou sujet, au passif), une des parties de la rhétorique, qui sont toutes représentées. Dès les premiers temps, il faut exercer l’enfant en vue de l’action oratoire et de la mémoire (ut protinus pronuntiationem uocem memoriam exerceat, 1.11.14). On exercera sa mémoire (exercebitur acrius memoria) en cherchant à retenir les productions d’autrui (2.7.3). Dans ce cas précis, la faculté intellectuelle et la partie de la rhétorique se confondent. Les déclamations exercent l’invention et la disposition (quae inuentionem, dispositionem pariter exercent, 10.5.14), ainsi que l’élocution (in aliqua exercendi stili parte, 10.5.15). D’autres compléments désignent des savoirs plus ou moins précis : la culture générale (exercere altissimam quoque eruditionem ac scientiam, 1.4.6), les « plaidoyers, en vue desquels l’exercice de la déclamation a précisément été inventé » (eas actiones, in quarum exercitationem reperta est, 2.10.4), l’altercation (exercitatio uero huius rei [sc. altercationis], 6.4.21). Deux contre-exemples sont signalés : il n’y a ni exercice ni professeurs pour l’humour (nulla exercitatio est, nulli praeceptores, 6.3.14), et certains exercices peuvent conduire à s’entraîner à mal (malorum exercitatio, 2.4.16). 10 La thèse (thesis) figure parmi les exercices préparatoires (progymnasmata). Elle consiste à traiter une question d’ordre général en présentant et réfutant des objections. Il est plusieurs fois question des thèses dans l’Institution oratoire (2.1.9 ; 10.5.11 ; 12.2.25). 11 Dans ce passage, l’expression exercitatione dicendi reprend l’énumération qui précède, où l’on retrouve les trois exercices canoniques : ad scribendum aut legendum aut dicendum. 12 Deux autres occurrences de dicendi exercitatio désignent la pratique effective (2.17.12 ; 12.2.20).

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Les emplois absolus du nom exercitatio : du principe abstrait à sa réalisation concrète

Le nom exercitatio employé sans complément revêt deux acceptions principales dans l’Institution oratoire : un sens général qui serait « le fait de s’exercer », et le sens précis d’ « exercice ». Le « fait de s’exercer » est un principe efficace pour toute l’éducation oratoire telle que la conçoit Quintilien. Dans ce sens, le nom exercitatio est parfois renforcé par des adjectifs dont on perçoit aisément l’effet : multa, plurima, sola, potentissima. À l’époque des premiers apprentissages, il faut s’entraîner à lire pour prendre confiance (exercitatione, 1.1.33), et pour exercer sa mémoire, il faut apprendre de petits textes ou des aphorismes (ea [sc. memoria] praecipue firmatur atque alitur exercitatione, 1.1.36). Pour acquérir du vocabulaire, il faut lire, apprendre des mots, et entretenir ces connaissances par l’exercice (haec omnia exercitatione plurima roborarit, 8.pr.28). L’assimilation des arguments se fait de façon progressive (sed hoc exercitatione multa consequendum, 5.10.125). Il en va de même pour les exercices que l’on pratique à l’âge adulte, envisagés dans le livre 10 et, dans une moindre mesure, dans le livre 11. À propos de la paraphrase, Quintilien remarque que « dans un exercice, la difficulté même est très utile » (Ipsa denique utilissima est exercitationi difficultas, 10.5.8). La méditation (cogitatio) est affaire de pratique et requiert beaucoup d’exercices (exercitatione multa, 10.6.3). S’il y a des choses qu’on n’oublie pas, comme les connaissances théoriques et l’écriture, « la promptitude et la disponibilité se conservent sous la main exclusivement par l’exercice » (exercitatione sola, 10.7.24). Pour la mémoire, c’est encore le moyen le plus efficace (quae potentissima est exercitatione, 11.2.36), et il faut s’habituer, par l’exercice, à ne rien se pardonner (exercitatione, 11.2.45). La valeur générale apparaît enfin dans la tournure exercitationis gratia, dont deux occurrences se rapportent à l’exemple de Brutus, qui rédigea un Pro Milone « pour s’exercer » (3.6.93 ; 10.1.23)13, et qui est aussi associée aux sujets tirés de la poésie ou de l’histoire (3.8.53), ou à l’origine péripatéticienne de l’exercice consistant à rédiger des thèses (12.2.25). Inversement, le nom exercitatio peut désigner des exercices précis, ce qui correspond à trois emplois grammaticaux : on le trouve dans ce sens au singulier (il est alors accompagné d’un adjectif démonstratif), dans l’expression genus exercitationis, ou au pluriel. Parmi les trois principaux adjectifs démonstratifs, on trouve le plus souvent haec, le démonstratif de proximité : l’activité physique pratiquée dans les écoles en vue de l’action oratoire (ex hac exercitatione puerili, 1.11.19) ; la prosopopée, très difficile mais aussi très utile (utilissima […] haec exercitatio, 3.8.49) ; la mauvaise habitude qu’ont les déclamateurs de rabaisser leur langage, exercice éloigné de la réalité (haec exercitatio procul a ueritate seiuncta, 8.3.23) ; l’exercice consistant à traduire du grec en latin (exercitationis huiusce ratio, 10.5.3) ; une technique de mémorisation à laquelle Quintilien oppose sa propre méthode (usos hac exercitatione, 11.2.26). Il emploie aussi 13 C’est un exemple récurrent. Voir aussi : 10.5.20 ; 10.7.27.

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ista à propos de la déclamation (ista exercitatio, 2.10.7) et illa à propos de la comparaison (illa quoque exercitatio, 2.4.21). À ces usages se rapporte le relatif de liaison, à propos de l’exercice consistant à faire l’éloge des lois ou à les critiquer (quae […] exercitatio, 2.4.33). Quintilien mentionne en outre à plusieurs reprises un « type d’exercice », en employant à chaque fois l’expression genus exercitationis : le fait de développer des thèses (2.1.9) ; l’exercice par lequel il était lui-même préparé par ses professeurs aux causes conjecturales (2.4.26) ; le fait de traiter des sujets fictifs ressemblant aux vrais procès (2.4.42) ; les exercices par lesquels l’athlète se prépare aux combats (10.1.4) ; la paraphrase du latin pratiquée par Sulpicius (10.5.4) ; la préparation à l’improvisation (10.6.5) ; parler tous les jours comme un avocat pour exercer sa voix (11.3.29). Telles sont enfin les occurrences de ce mot au pluriel : il désigne les exercices parmi lesquels les Lacédémoniens rangeaient la saltatio14 (1.11.18) ; les premiers exercices (illas primas exercitationes, 2.4.36) ; les exercices d’école (scholarum exercitationes, 3.8.43) ; les exercices des athlètes (10.5.15) ; les exercices opposés aux conditions réelles de la parole (12.6.5). On peut rapprocher de ces occurrences la proposition relative au neutre pluriel quae exercent (11.2.42) et un singulier collectif (exercitatione quidem utetur omni, 12.2.27).

L’exercice du corps : du sens premier au sens métaphorique Une vingtaine d’occurrences ont un rapport avec l’exercice physique. Au sens propre, Quintilien envisage le corps et la voix de l’orateur ; par comparaison, il évoque l’entraînement de l’athlète ou du musicien ; enfin, le corps exercé, vigoureux et naturel, désigne par métaphore le style sain. L’exercice physique

Quintilien traite de l’entraînement physique de l’orateur dans les deux chapitres dédiés à l’action oratoire (1.11 et 11.3). Il recommande de confier l’enfant à un comédien, pour la posture corporelle et les intonations, de lui faire faire des exercices de prononciation supervisés par le maître et de le conduire à la palestre (palaestricis, 1.11.15). Il mentionne enfin la saltatio, danse préconisée par les Lacédémoniens (1.11.18). Au-delà du cas particulier de la danse, il semble considérer que l’éducation du corps est une chose qui se règle essentiellement dans l’enfance15. Les indications concernant les exercices du corps sont donc rares dans le livre 11 : 14 Quintilien lui-même n’est pas très explicite : Nam Lacedaemonios quidem etiam saltationem quandam tamquam ad bella quoque utilem habuisse inter exercitationes accepimus, « À ce que l’on rapporte, les Lacédémoniens ont même rangé parmi les exercices une certaine sorte de danse, comme étant utile aussi à l’instruction militaire. » (1.11.18). 15 « La pratique de cet enseignement [sc. la danse] s’est poursuivie jusqu’à nous sans rencontrer de critiques. Cependant, je n’y retiendrai pas mon élève au-delà de l’enfance […]. En réalité, je ne désire pas que les gestes d’un orateur soient modelés sur ceux d’un danseur, mais qu’il reste quelque chose

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tout au plus peut-on relever deux exemples relatifs à Démosthène, qui composait son action oratoire devant son miroir (11.3.68), ou parlait avec une épée au-dessus de ses épaules pour corriger sa posture (11.3.130). Quintilien passe en revue les ressources à la disposition de l’adulte, mais sans préciser qu’il faut qu’il s’y exerce. Pour ce qui est de la voix en revanche, il donne tout d’abord à l’orateur adulte des conseils qui relèvent de l’hygiène de vie (11.3.19), comme le ferait un médecin16. Il lui recommande de travailler sa voix, non pas comme un professeur de chant (11.3.22), mais en adaptant l’exercice (exercitatio eius) à l’usage qu’il doit en faire (11.3.24). À cet effet, il est très efficace d’apprendre un texte par cœur (Ediscere autem, quo exercearis, erit optimum, 11.3.25). Une autre excellente manière de préparer sa voix (genus exercitationis optimum) consiste à « parler tous les jours comme au barreau » (dicere cotidie sicut agimus, 11.3.29). Il recommande enfin un travail sur la respiration (exercendus autem est [spiritus] ut sit quam longissimus, 11.3.54). Ces trois conseils sont d’ordre différent : un exercice proprement dit, un entraînement quotidien, une technique de respiration. Comparaisons

Les comparaisons associées à l’exercice impliquent toutes le corps, en général celui de l’athlète, parfois aussi celui du combattant, guerrier ou sportif, ou encore le musicien. Quintilien fait état de la comparaison, empruntée au Gorgias de Platon, entre médecine et rhétorique, qui mentionne l’exercice physique (exercitatio, 2.21.11). La plupart des occurrences reposent sur l’idée que l’orateur doit s’exercer comme le fait un athlète. Si l’élève a des facilités, il doit travailler toutes les qualités oratoires, de même que le professeur qui forme un pancratiaste (exercendi corpora peritus) veille à lui apprendre tous les gestes propres à ce genre de combat (2.8.13). La complémentarité de l’art, de l’exercice et des aptitudes naturelles est envisagée du point de vue de l’athlète (5.10.119-121). Les exercices du livre 10 s’adressent à un jeune homme qui a déjà accompli sa formation : il s’agit de dire « par quel genre d’exercices (quo genere exercitationis) un athlète à qui son entraîneur a déjà enseigné à fond tous les coups doit être préparé aux combats » (10.1.4)17. On peut se délasser en composant des vers, comme les athlètes s’accordent des moments de repos « après avoir à certaines périodes relâché la stricte rigueur de leur régime et de leurs exercices (exercitationum) » (10.5.15)18. Ces derniers sont enfin un modèle pédagogique :

de cet entraînement des années enfantines (ex hac exercitatione puerili), et que nous accompagne discrètement, sans que nous y songions, la grâce (decor), acquise autrefois quand nous étions élèves » (1.11.18-19). 16 L’orateur doit éviter d’avoir une voix d’eunuque, de femme ou de malade : quod ambulatio, unctio, ueneris abstinentia, facilis ciborum digestio, id est frugalitas, praestat, « on atteindra ce résultat grâce à la marche, aux frictions, à la continence, à une digestion facile, c’est-à-dire à la frugalité » (11.3.19). 17 Verum nos non quomodo sit instituendus orator hoc loco dicimus […], sed athleta qui omnis iam perdidicerit a praeceptore numeros quo genere exercitationis ad certamina praeparandus sit. 18 Sicut athletae, remissa quibusdam temporibus ciborum atque exercitationum certa necessitate, otio et iucundioribus epulis reficiuntur.

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« L’exercice (quae exercent) doit être, en effet, plus difficile, afin que l’on trouve plus accessible le but de l’exercice même (ipsum illud in quo exercent) : c’est ainsi que les athlètes s’habituent à tenir dans leurs mains des mils de plomb, quoiqu’ils doivent lutter en fait les mains vides et nues » (11.2.42)19. Les luttes du forum sont assimilées à un combat pour lequel les orateurs s’exercent, tels des gladiateurs (forensibus certaminibus exercitatos, 10.5.17), à la différence du monde artificiel et sans danger des déclamations d’école. Dans le cadre du tirocinium fori, l’orateur débutant doit suivre un orateur expérimenté et devenir « le spectateur assidu du combat auquel il est destiné » (certaminis cui destinatur frequens spectator, 10.5.19). Afin de tirer profit de cette expérience, il est invité à composer lui-même un discours sur le même sujet, pour s’entraîner à partir d’une cause réelle : « comme nous le voyons faire dans les combats de gladiateurs, qu’il s’exerce avec des armes décisives » (decretoriis exerceatur, 10.5.20). Enfin, l’orateur doit s’entraîner comme un musicien fait ses gammes : Sed hoc exercitatione multa consequendum, ut, quem ad modum illorum artificum, etiam si alio spectant, manus tamen ipsa consuetudine ad grauis, acutos, mediosque horum sonos fertur, sic oratoris cogitationem nihil moretur haec uarietas argumentorum et copia, sed quasi offerat se et occurrat, et, ut litterae syllabaeque scribentium cogitationem non exigunt, sic orationem sponte quadam sequantur. (5.10.124-125) Mais il faut un long exercice pour atteindre à l’habileté des grands artistes, dont les mains, même s’ils ne regardent pas l’instrument, se portent par la seule force de l’habitude sur le grave, l’aigu, le medium ; de même, la pensée de l’orateur ne doit pas être retardée par la variété et l’abondance des arguments, qui devront, pour ainsi dire, s’offrir et se présenter à lui, et comme les lettres et les syllabes, lorsque nous écrivons, n’exigent pas de réflexion, les arguments doivent, pour ainsi dire, spontanément, suivre le fil du discours. Ce paragraphe appartient à la conclusion du chapitre consacré aux arguments. La matière traitée est complexe et technique. Le pédagogue assortit donc l’exposé théorique de quelques conseils de mise en œuvre. C’est le processus mémoriel du corps – la mémoire des doigts pour un instrumentiste –, qui permet de comprendre le processus intellectuel d’assimilation des types d’arguments. La mémoire du corps substitue une forme de réflexe à un processus conscient, grâce à l’habitude (ipsa consuetudine) qui procède de la répétition inlassable du même. La pédagogie de Quintilien repose en grande partie sur la mémoire (memoria), conçue à la fois comme un trésor où puiser (thesaurus) et comme un processus cognitif (cogitatio).

19 Difficiliora enim debent esse quae exercent quo sit leuius ipsum illud in quod exercent, ut athletae ponderibus plumbeis adsuefaciunt manus, quibus uacuis et nudis in certamine utendum est. Quintilien vient d’expliquer qu’il faut graduer les exercices, en allant du très facile au plus compliqué, jusqu’à dépasser les exigences de l’activité oratoire : l’entraînement est plus difficile que la réalité.

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Métaphores

Le corps que l’exercice a rendu sain est associé au langage dans un rapport métaphorique qui s’inscrit dans le réseau plus large de la métaphore du corps appliquée au style20. Au livre 8, Quintilien oppose les corps en pleine santé, fortifiés par l’exercice (corpora sana et integri sanguinis et exercitatione firmata, 8.pr.19), image du style mâle et vigoureux qu’il recommande, aux corps épilés et fardés, signes d’un style efféminé. La même image est reprise au chapitre 3, dans un passage qui multiplie les métaphores pour faire l’éloge de l’ornement comme propre à joindre la beauté et l’utilité (8.3.6-11) : sont ainsi vantées la beauté et l’efficacité de l’athlète qui s’est beaucoup exercé (Pulcher aspectu sit athleta cuius lacertos exercitatio expressit, 8.3.10). Quintilien veut légitimer le soin apporté au style, qui n’aboutit pas forcément à de la préciosité. L’orateur doit parler une langue naturelle : « ainsi, les corps des athlètes, même pour être fortifiés par l’exercice (exercitatione) et un régime alimentaire particulier, ont pourtant des proportions qui sont naturelles, et ne s’éloignent pas de l’aspect dévolu aux hommes » (12.10.41)21. Le style de l’orateur, en fait, est un peu différent de la langue courante, mais pour cela, « il emploiera aussi les secours que cette même nature a mis à notre disposition. En effet, raffermir ses muscles par l’exercice (exercitatione) et augmenter ses forces et acquérir un teint coloré est chose naturelle » (12.10.43-44)22. Outre tous ces passages liés à l’exercice, l’acteur, l’athlète, le gladiateur ou le guerrier sont présents dans tout le traité à titre de comparaison ou de métaphore, ce qui rappelle indirectement à chaque fois la nécessité de s’entraîner.

Emploi en réseau L’importance que Quintilien assigne à l’exercice peut enfin être précisée si on prête attention aux emplois de ces termes en réseau, à côté de mots qui en précisent la portée, soit par leur affinité avec eux, soit par différence.

20 Voir I. Mastrorosa, « Similitudini, metafore e lessico militari nella trattatistica retorica latina : Cicerone e Quintiliano », dans S. Sconocchia, L. Toneatto (éd.), Lingue tecniche del greco e del latino III, Bologne, 2000, p. 277-310 ; R. Valenti, « Körpermetaphern in der römischen Rhetorik-Tradition », dans T. Schirren, G. Ueding (éd.), Topik und Rhetorik, Tübingen, 2000, p. 81-89 ; S. Conte, « Physiologie du style : la métaphore du corps dans les traités de rhétorique latins », dans P. Chiron, C. Lévy (éd.), Les noms du style dans l’Antiquité Gréco-Latine, Louvain-Paris-Walpole (Ma.), 2010, p. 279-298. 21 […] sicut athletarum corpora, etiam si ualidiora fiant exercitatione et lege quadam ciborum, non tamen esse naturalia atque ab illa specie, quae sit concessa hominibus, abhorrere. 22 […] utetur his quoque adiutoriis quae sunt ab eadem nobis concessa natura. Nam et lacertos exercitatione constringere et augere uires et colorem trahere naturale est.

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Natura, ars, exercitatio

L’enseignement de l’art oratoire repose depuis les premiers sophistes sur la complémentarité entre natura, ars et exercitatio : disposition naturelle, apprentissage théorique et mise en pratique. Quintilien affirme par exemple, à la fin de son exposé sur l’argumentation, la nécessité de mettre en pratique ce que l’on a appris, sans s’en tenir aux préceptes (5.10.119-121). S’il semble oublier la nature, il la mentionne in extremis dans la comparaison avec l’exercice physique qui clôt son propos23. Lucia Calboli Montefusco considère que, dans l’Institution oratoire, cette triade se résout en une opposition binaire entre la nature et les préceptes qu’on acquiert par l’exercice24. Nous pouvons dire que ces trois éléments constituent un cadre de pensée familier, opératoire même si l’un d’eux n’est pas explicite ou si on en ajoute d’autres25. Quand Quintilien confronte natura et ars, c’est en général afin de légitimer l’art – objet principal du traité de rhétorique – ou d’en circonscrire les limites. C’est le cas dans plusieurs chapitres théoriques du livre 2, dans lesquels exercitatio figure en contrepoint26. En ouverture du chapitre 11 sur la nécessité de connaître la rhétorique, Quintilien oppose à sa propre conception de l’art oratoire (eius modi praecepti) l’opinion de ceux qui se montrent « satisfaits de leurs dons naturels, des méthodes ordinaires et des exercices des écoles » (natura sua et uulgari modo et scholarum exercitatione contenti, 2.11.1). La critique des exercices des écoles est un lieu commun propre à la rhétorique latine. On devine, a contrario, une exigence particulière de sa part dans l’élaboration des exercices. Le chapitre 17 établit que la rhétorique est un art. Quintilien refuse d’emblée l’hypothèse – qu’il attribue entre autres à Antoine dans le De oratore – selon laquelle c’est une qualité naturelle (naturalem esse rhetoricen) renforcée par l’exercice (adiuuari exercitatione, 2.17.5). Il ne conçoit donc pas l’exercice sans un enseignement théorique. C’est le sens de son propos sur l’orateur Démade, sur lequel nous reviendrons (2.17.12). Vers la fin du chapitre, une simple interrogation oratoire définit la rhétorique sur le mode de l’évidence : « Ne consiste-t-elle pas […] en une théorie et une pratique ? » (Quid quod et inspectione et exercitatione […] constat ?, 2.17.42). Le mot inspectio suggère à la fois l’observation et la réflexion qui constituent la partie spéculative de l’apprentissage, relayée par la mise en œuvre27. 23 Sed non magis hoc sat est quam palaestram didicisse nisi corpus exercitatione, continentia, cibis, ante omnia natura iuuatur, sicut contra ne illa quidem satis sine arte profuerint, « Mais cela n’est pas plus suffisant qu’il suffit d’avoir appris la palestre, si ce n’est qu’il faut aussi, pour aider le corps, l’exercice, la continence, un régime alimentaire, et surtout des aptitudes physiques ; inversement, ces conditions mêmes ne seraient pas suffisantes sans le secours de l’art » (5.10.121). 24 Voir Lucia Calboli-Montefusco, « Quintilian and the Function of the Oratorical exercitatio », p. 616. 25 Par exemple : Facultas orandi consummatur natura, arte, exercitatione, cui partem quartam adiciunt quidam imitationis, quam nos arti subicimus. (« L’aisance de parole (facultas orandi) atteint sa perfection grâce à la nature, à l’art, à l’exercice (natura, arte, exercitatione) ; on ajoute parfois un quatrième élément, l’imitation, que, personnellement, je fais entrer dans l’art. », 3.5.1). 26 Les rapports entre l’art et la nature font l’objet des chapitres 12, 13 et 19. 27 De même, à la fin du traité, Quintilien réunit la méthode (dicendi ratio) et l’exercice, en exprimant le souhait que l’apprentissage ne soit pas trop long (12.11.16).

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Il y a cependant des situations dans lesquelles l’art est insuffisant. Quintilien associe natura et exercitatio à propos de la disposition, quand il s’interroge sur les « questions plus enveloppées », c’est-à-dire celles dont l’analyse n’est pas immédiate : At quo modo inueniemus etiam illas occultiores quaestiones ? Scilicet quo modo sententias, uerba, figuras, colores : ingenio, cura, exercitatione. (7.1.40) Mais comment trouverons-nous aussi les questions plus enveloppées ? Apparemment de la même façon que les traits, les mots, les figures, les couleurs : grâce au talent, au soin, à la pratique. La parataxe expressive (sententias, uerba, figuras, colores) indique que la remarque vaut pour plus d’un aspect de l’art oratoire, en particulier l’élocution. Privée de l’art, la triade est reformée avec un nouveau terme, le soin (cura), intermédiaire entre la nature (ingenio) et l’exercice (exercitatione)28. L’insertion de studium dans le réseau

Le mot studium, employé en binôme avec cura à propos de l’improvisation (cum cura et studio, 10.7.29), réunit en lui trois significations convergentes : l’ardeur, le goût, l’étude. Quand Quintilien affirme, dès le premier prologue, que l’art ne vaut rien sans le secours de la nature (nihil praecepta atque artes ualere nisi adiuuante natura, 1.pr.26), il entend par là qu’il faut des aptitudes physiques pour être orateur. Il poursuit : […] sicut haec ipsa sine doctore perito, studio pertinaci, scribendi legendi dicendi multa et continua exercitatione per se nihil prosunt. (1.pr.27) […] inversement, sans un maître expérimenté, une étude persévérante, une pratique prolongée et assidue de l’écriture, de la lecture, de la parole, ces avantages ne servent à rien par eux-mêmes. À ces aptitudes naturelles qui constituent un prérequis, il oppose une nouvelle triade avec studium (studio pertinaci), qui se pose, par sa place dans l’énumération, comme un trait d’union entre l’art (doctore perito) et l’exercice (multa et continua exercitatione). On peut donc envisager que l’étude (studium) consiste à apprendre le contenu théorique, ce qui doit être complété par la mise en pratique, nécessaire pour réinvestir ses connaissances. L’adjectif pertinaci ravive le sens d’« ardeur » également contenu dans studium. Dans le chapitre sur les limites de la technique, Quintilien fait dépendre l’art oratoire des qualités naturelles, de l’exercice et du travail, ce qui signifie que l’art n’est rien s’il n’est pas assimilé. Multo labore, adsiduo studio, uaria exercitatione, plurimis experimentis, altissima prudentia, praestantissimo consilio constat ars dicendi. (2.13.15)

28 Quintilien mentionne cura à côté d’exercitatio en d’autres endroits. Voir par exemple 11.2.40 ; 11.3.22.

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Beaucoup de travail, de la persévérance dans l’étude, un entraînement varié, des exercices répétés, une habileté approfondie, une totale présence d’esprit, voilà qui fait l’art de la parole. (traduction retouchée) Cette définition de la rhétorique repose sur une série de six mots allant de pair, ce qui constitue un rythme ternaire. Chaque couple forme un doublon rhétorique de termes presque synonymes. Dans le premier binôme, studium précise labor : le travail requis consiste à étudier, et labor souligne l’effort que cela demande. Si l’adjectif multo est banal, adsiduus, comme pertinax dans l’exemple précédent, ajoute un facteur d’intensité qui rejaillit de fait sur les deux noms. Dans le couple suivant, exercitatio revêt une valeur générale (« le fait de s’exercer »), développée par experimenta. En principe, experimentum signifie plutôt « expérience », mais il tient ici lieu de pluriel concret d’exercitatio, pour éviter la répétition. Les adjectifs sont complémentaires, uaria exprimant la qualité, tandis que plurimis vise le nombre. Enfin, prudentia et consilium sont des qualités naturelles, intellectuelles cette fois-ci. Dans le prologue du livre 8, Quintilien fait le point sur ce qu’il a exposé jusque-là et donne à l’étude de l’élocution un caractère particulier, car c’est le style, selon lui, qui fait l’orateur. Hoc itaque maxime docetur, hoc nullus nisi arte adsequi potest, hic studium plurimum adhibendum : hoc exercitatio petit, hoc imitatio, hic omnis aetas consumitur […]. (8.pr.16) Voilà donc surtout ce qui s’enseigne, voilà ce que personne ne peut acquérir sans le secours de l’art ; c’est en vue de cela que nous devons surtout étudier, nous exercer, pratiquer l’imitation ; c’est à cela que se dépense toute notre vie […]. (traduction retouchée) Cette phrase répond à une logique d’accumulation mais décrit en même temps un processus, chaque mot appelant le suivant : ce qui distingue les deux premiers segments, portés respectivement par docetur et arte, c’est le point de vue du maître puis de l’élève ; studium implique l’apprentissage, et exercitatio l’appropriation personnelle, caractérisée, puisqu’il est question de style, par l’imitatio, qui dans ce contexte est un exercice ; aetas, sans doute voulu pour le rythme ternaire, procure une ouverture généralisante, dans l’esprit de ce prologue. En pédagogue soucieux de ne pas dégoûter l’élève par un effort hors de sa portée, Quintilien lui conseille de ne pas être trop critique vis-à-vis de lui-même et de parler « selon ses capacités » (pro facultate) : « car, pour faire des progrès, il faut du travail, non du dépit » (ad profectum enim opus est studio, non indignatione, 10.3.15). Employé comme antonyme d’indignatio, qui désigne l’insatisfaction de celui qui est piqué au vif parce qu’il ne se sent pas à la hauteur, studium signifie ici par contraste le goût pour ce que l’on fait29. Quintilien souligne le rôle complémentaire de la théorie (ars ou disciplina), de l’étude (studium) et de l’exercice (exercitatio), à propos de l’improvisation, pour 29 Quintilien fait par ailleurs l’éloge de la difficulté dans les exercices (10.5.8 ; 11.2.42).

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laquelle on se prépare à distance. Au-delà de la théorie, il s’agit d’« acquérir un vocabulaire abondant et excellent » (copiam sermonis optimi) et de pratiquer la composition écrite (multo ac fideli stilo, 10.7.7)30. Le mot studium est riche de ses trois sens potentiels qui résonnent en arrièreplan, même quand l’un d’eux s’impose. Il signifie en effet le plus souvent l’étude, transition entre l’enseignement délivré par le maître et l’appropriation personnelle par les exercices. Mais ces derniers ne suffisent pas non plus à faire un orateur : il faut ajouter la pratique31. De l’exercice à la pratique : exercitatio, usus, consuetudo

La frontière n’est pas toujours nette entre exercice préparatoire et pratique effective. Le vocabulaire même recèle une ambivalence entre le processus d’entraînement et le savoir-faire qui en résulte. Le verbe exercere signifie « exercer » mais aussi « pratiquer ». On peut hésiter quand Quintilien évoque l’élève qui « fait de la rhétorique chez le grammairien » (rhetoricen apud grammaticos exerceat, 2.1.3), vu que cette pratique de l’art oratoire est encore de l’apprentissage. Il en va de même pour la philosophie naturelle, utile « pour l’exercice de la parole » (exercitationem dicendi, 12.2.20). Point d’ambiguïté en revanche pour Socrate qui, dans le Gorgias, juge la rhétorique pratiquée à son époque (quae tum exercebatur rhetoricen, 2.15.27), pour « la façon dont on a pratiqué ou dont on pratique encore l’éloquence » (illud, quod in studiis dicendi plerique exercuerunt et exercent, 2.20.2) ou encore pour Julius Florus qui « exerça l’éloquence » (exercuit, 10.3.13). Dans le même ordre d’idée, on voit que le nom exercitatio désigne aussi la pratique judiciaire du forum (exercitationem forensium causarum, 12.2.25). Sur les six emplois du participe-adjectif exercitatus, deux occurrences, tirées du livre 2, sont clairement du côté du processus (2.10.1 ; 2.10.9). Les quatre autres, aux livres 10 et 11, relèvent du résultat : des hommes « rompus aux luttes du forum » (forensibus certaminibus exercitatos, 10.5.17), des « avocats exercés » (exercitatis, 11.3.117), d’autres, au contraire, « médiocrement exercés » (modice exercitati, 10.7.6) ou « dépourvus d’entraînement » (indocti inexercitati, 11.2.9). La limite est ténue entre formation initiale et formation continue, car l’élève pratique l’art oratoire à l’école, tandis que l’orateur apprend tout au long de sa vie en exerçant son art. Avant d’accéder au tirocinium fori, apprentissage auprès d’un orateur en exercice, le jeune homme « aura acquis aussi une pratique moyenne » (exercitationem quoque modicam fuerit consecutus, 10.5.19). L’emploi du verbe consecutus fuerit suppose

30 Voir aussi 12.9.20. Sur ces questions, outre les articles déjà cités, voir M. S. Celentano, « L’oratore improvizza. A proposito di Quintiliano, Institutio oratoria 10.7 », dans G. Petrone, A. Casamento (éd.), Atti del convegno Studia in umbra educata. Percorsi della retorica latina in età imperiale, Palermo, 2010, p. 141-160 ; M. S. Celentano, « La rhétorique de l’improvisation chez Quintilien (Institutio oratoria, 10, 7) », dans B. Cassin (dir.), La rhétorique au miroir de la philosophie. Définitions philosophiques et définitions rhétoriques de la rhétorique, Paris, 2015, p. 191-212. 31 On trouvera une autre occurrence de studium à côté de la nature (rerum natura) et du couple méthode et exercice (ratio et exercitatio) dans un passage concernant l’origine de la rhétorique (3.2.1).

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qu’exercitatio désigne une compétence, non un exercice. Cette expérience est celle que l’on acquiert dans les écoles par la pratique de la déclamation. L’orateur Démade passe en revanche pour s’être formé tout seul. Quintilien le prend comme exemple de la formation par la « pratique continue de la parole » (continua dicendi exercitatio). S’il conclut sur l’efficacité de cette méthode pédagogique (nam id potentissimum discendi genus est, 2.17.12), il précise toutefois que d’après lui Démade a quand même reçu un enseignement rhétorique, si minime soit-il. Quintilien fait cependant une différence entre l’expérience d’école et le monde réel : même si on s’est bien exercé en pratiquant la déclamation (exercitati simus), on n’en est pas moins novice quand on arrive au forum (2.10.9). Les personnes qui se sont entraînées trop longtemps à l’ombre des préaux sont étourdies quand elles les quittent : « elles regrettent l’absence de conditions totalement semblables à celles de leurs exercices (exercitationibus) » (12.6.5). C’est pourquoi Brutus s’exerce sur des cas réels (10.5.20). Il faut veiller à rester au plus près de la réalité, même dans le cadre scolaire : les jeunes gens sont invités à « ne pas adopter, dans leurs exercices, un style différent de celui qu’ils auront à prendre comme orateurs, et qu’ils ne s’attardent pas dans des habitudes qu’il leur faudra perdre » (ne aliter quam dicturi sunt exerceri uelint et in desuescendis morentur, 3.8.70). Plus tard, « l’expérience leur enseignera (usu docebuntur) ce dont ils ne peuvent peut-être pas créditer les préceptes » (3.8.70). Quintilien complète en effet l’exercice (exercitatio) par l’usage (usus) et l’habitude (consuetudo), qui pallient les insuffisances de la pédagogie, par exemple pour interroger les témoins : Eius rei sine dubio neque disciplina ulla in scholis neque exercitatio traditur, et naturali magis acumine aut usu contingit haec uirtus. (5.7.28) Sur ce sujet, on ne reçoit, il est vrai, dans les écoles, aucun enseignement, ni aucun entraînement, et c’est plutôt par une pénétration naturelle de l’esprit ou par la pratique que l’on acquiert cette habileté. Il oppose ici l’art (disciplina) et la nature (naturali acumine), auxquels correspondent deux formes de mise en pratique, l’exercice scolaire (exercitatio) et l’expérience du terrain (usu). Le rire aussi résiste à la pratique pédagogique (6.3.11-16). La nature et l’occasion jouent un rôle essentiel (plane adfirmo praecipue [risum] positum esse in natura et in occasione, 6.3.1132), et l’enseignement est inefficace : « Ce qui ajoute à la difficulté, c’est qu’en cette matière il n’y a ni exercices ni précepteurs » (Accedit difficultati quod eius rei nulla exercitatio est, nulli praeceptores, 6.3.14). Quintilien opère un glissement vers la pratique quotidienne, qui permet de développer l’esprit propre au banquet ou à la conversation (in hoc usu quotidiano proficimus, 6.3.14) et reconnaît que l’humour, plus rare dans l’art oratoire (oratoria urbanitas rara), provient lui aussi de l’habitude (consuetudine). S’il n’envisage aucunement l’humour comme pratique pédagogique, il imagine des thèmes de controverse permettant aux élèves de s’y essayer (ad iuuenum

32 « […] j’affirme clairement que [le rire] dépend au premier chef du naturel et de l’occasion » (6.3.11).

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talem exercitationem, 6.3.15). Il songe encore – sans ironie aucune – que les plaisanteries qu’on inventait autrefois, dans la liesse des jours de fête, pourraient servir d’exercice, à condition d’y mettre quelque méthode (ratio) et sérieux (serium). Mais les temps ont changé : « Au lieu que, maintenant, c’est seulement un jeu pour les jeunes gens ou pour ceux qui se divertissent » (quae nunc iuuenum uel sibi ludentium exercitatio est, 6.3.16). En quelques lignes, le mot exercitatio a pris un nouveau sens, en changeant de complément et de contexte. La traduction par « jeu » est tirée du complément de nom ludentium, mais le sens littéral d’exercitatio serait, ici encore, « pratique ». Non content de décrire les exercices appropriés à chaque âge, dans des passages dédiés, Quintilien n’a de cesse d’inciter l’orateur – en devenir ou accompli – à s’entraîner, toujours et encore, ce dont les emplois répétés mais variés des mots exercere, exercitare et exercitatio sont un indice parmi d’autres. Il affirme que l’aisance oratoire (facilitas) – qu’il appelle aussi ἕξις (10.1.1) – provient de l’action conjointe de l’habitude et de l’exercice (consuetudo et exercitatio facilitatem maxime parit, 10.7.8). Or le mot ἕξις signifie précisément une « capacité résultant de l’expérience » et même, plus largement, une « habitude ». Quintilien vise à la fois la facilitas et l’habitus, tous deux compris dans ἕξις : « The whole operational theory of the Institutio is that men can be habituated, through exercise, into both skill and virtue »33. L’habitude est à la fois un moyen et un but : il s’agit d’acquérir une capacité à parler qui soit, pourrait-on dire, comme une seconde nature, ce qui requiert des exercices gradués, répétés, sans cesse recommencés. Tel le musicien, l’orateur est un virtuose, un virtuose de la parole. Sophie Conte Université de Reims Champagne-Ardenne, CRIMEL

Bibliographie L. Calboli Montefusco, « Quintilian and the Function of the Oratorical exercitatio », Latomus 55, 1996, p. 616-625. M. S. Celentano, « Quintiliano e la duplice exercitatio nell’Institutio oratoria », dans L. Brisson, P. Chiron (éd.), Rhetorica philosophans. Mélanges offerts à Michel Patillon, Paris, 2010, p. 155-163. M. S. Celentano, « L’oratore improvizza. A proposito di Quintiliano, Institutio oratoria 10.7 », dans G. Petrone, A. Casamento (éd.), Atti del convegno Studia in umbra educata. Percorsi della retorica latina in età imperiale, Palermo, 2010, p. 141-160. M. S. Celentano, « Oratorical Exercises from the Rhetoric to Alexander to the Institutio oratoria : Continuity and Change », Rhetorica 29/3, 2011, p. 357-365.

33 Voir J. J. Murphy, « The Key Role of Habit in Roman Rhetoric and Education, as Described by Quintilian », dans T. Albaladejo, E. del Río, J. A. Caballero (éd.), Quintiliano : Historia y Actualidad de la retórica, Logroño, 1998, p. 141-150. L’analyse de ἕξις, entre facilitas et habitus (ou habilitas, ou consuetudo), se trouve p. 145. Pour l’utilité morale des exercices, voir par exemple le chapitre sur les mœurs (12.2.27).

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M. S. Celentano, « La rhétorique de l’improvisation chez Quintilien (Institutio oratoria, 10, 7) », dans B. Cassin (dir.), La rhétorique au miroir de la philosophie. Définitions philosophiques et définitions rhétoriques de la rhétorique, Paris, 2015, p. 191-212. S. Conte, « Physiologie du style : la métaphore du corps dans les traités de rhétorique latins », dans P. Chiron, C. Lévy (éd.), Les noms du style dans l’Antiquité Gréco-Latine, Louvain-Paris-Walpole (Ma.), 2010, p. 279-298. J. Cousin, Quintilien, Institution oratoire, Paris, 1975-1980. I. H. Henderson, « Quintilian and the Progymnasmata », Antike und Abendland 37, 1991, p. 82-99. I. Mastrorosa, « Similitudini, metafore e lessico militari nella trattatistica retorica latina : Cicerone e Quintiliano », dans S. Sconocchia, L. Toneatto (éd.), Lingue tecniche del greco e del latino III, Atti del III Seminario internazionale sulla letteratura scientifica e tecnica greca e latina, Bologne, 2000, p. 277-310. J. J. Murphy, Quintilian. On the Teaching of Speaking and Writing, Carbondale-Edwardville, 1987. J. J. Murphy, « The Key Role of Habit in Roman Rhetoric and Education, as Described by Quintilian », dans T. Albaladejo, E. del Río, J. A. Caballero (éd.), Quintiliano : Historia y Actualidad de la retórica, Logroño, 1998, p. 141-150. J. J. Murphy, « Quintilian’s advice on the continuing self-education of the adult orator : Book X of his Institutio oratoria », dans O. Tellegen-Couperus (éd.), Quintilian and the law, Louvain, 2003, p. 247-252. D. A. Russell, Quintilian, The Orator’s Education, Cambridge (Mass.)-Londres, 2001. Y. L. Too, « Education in the Flavian Age », dans A. Zissos (éd.), A Companion to the Flavian Age of Imperial Rome, Chichester-Malden (Mass.), 2016, p. 313-326. R. Valenti, « Körpermetaphern in der römischen Rhetorik-Tradition », dans T. Schirren, G. Ueding (éd.), Topik und Rhetorik, Tübingen, 2000, p. 81-89. C. Wolff, L’Éducation dans le monde romain du début de la République à la mort de Commode, Paris, 2015.

Les traités VIII et IX de la Rhétorique du PseudoDenys d’Halicarnasse Un cours de littérature grecque sous l’Empire romain

La Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse On désigne traditionnellement sous le nom de Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse un ensemble formé de onze courts traités. Les sept premiers contiennent des préceptes relatifs à la composition des discours épidictiques et envisagent successivement le panégyrique, le discours nuptial, le discours d’anniversaire, l’épithalame, l’adresse au gouverneur, l’oraison funèbre et le protreptique aux athlètes. Les traités VIII et IX portent sur les « discours figurés » (ἐσχηματισμένοι λόγοι), dans le sens technique qui est celui de cette notion en rhétorique : elle ne se confond pas avec les figures de style, mais désigne les cas dans lesquels un orateur use de faux-semblants pour déguiser son intention, en tenant un langage détourné afin d’arriver au point où il veut parvenir. Les traités X et XI édictent des règles de méthode Sur les fautes commises dans les déclamations et Sur l’examen des discours. Chacun de ces textes soulevant des problèmes philologiques complexes, les pages qui suivent ont pour but de proposer une vue d’ensemble du recueil, puis d’examiner de plus près les traités VIII et IX, afin de dégager leur intérêt pour l’histoire de la rhétorique et de l’enseignement dans l’Empire romain1. Bien que les textes soient transmis les uns à la suite des autres dans les manuscrits, ils constituent en réalité plusieurs blocs distincts. Les traités I à VII appartiennent à un même projet et sont dus à un seul auteur, comme le prouvent les renvois internes2,



1 Pour le texte de la Rhétorique du Pseudo-Denys, nous suivons l’édition Usener-Radermacher de 1904 (citée infra, n. 17) ; les références renvoient au numéro du traité en chiffres romains, à la page et à la ligne. Les traductions de textes anciens sont nôtres. 2 III.266.19-21 ; III.267.18-19 ; IV.271.5-6 ; VII.289.6-12 ; VII.289.24-290.1. Il est possible que la séquence actuelle des traités ne reflète pas l’ordre originel ; car, en VII.283.22-284.4, l’auteur s’exprime comme si VII suivait immédiatement I. En IV.269.19-21, il signale de lui-même que IV devrait précéder III. – L’hypothèse selon laquelle ces sept traités seraient des extraits d’un ensemble plus vaste, qui aurait subi des pertes (d’où le titre de capita selecta que leur donne Usener), ne nous paraît pas confirmée. Voir M. Korenjak, « Ps.-Dionysius Ars rhetorica I-VII : One Complete Treatise », Harvard Studies in Classical Philology, 105, 2010, p. 239-254. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 199-215 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121142

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de nombreuses ressemblances ponctuelles3, ainsi que la cohérence du vocabulaire technique, l’unité de la méthode mise en œuvre et l’identité de la doctrine relative aux τόποι encomiastiques et au style. Ils se présentent comme l’œuvre d’un professeur, qui envoie ses leçons, à titre de cours par correspondance, à son élève Échécratès4. Les traités VIII et IX, étroitement liés l’un à l’autre, sont séparés des précédents par d’importantes différences de langue et de doctrine et ne sont pas du même auteur que les autres éléments du recueil. Les traités X et XI partagent plusieurs conceptions avec les deux précédents, comme la vénération pour les classiques et la conviction qu’Homère doit servir de modèle aux orateurs, mais paraissent dus, à leur tour, à des auteurs différents. La fin du traité X inscrit celui-ci dans un cadre scolaire, en faisant référence aux « cours » (συνουσίαι) qui suivront5. L’attribution de cet ensemble à Denys d’Halicarnasse fut longtemps admise, avec quelques exceptions toutefois, comme celle de Tanneguy Lefebvre qui, dès le xviie siècle, émit un doute à ce sujet6. Heinrich August Schott, dans son édition commentée de 1804, qui inaugura l’étude philologique de l’ouvrage, acceptait l’authenticité de certaines parties du recueil7, solution qui fut souvent reprise, avec des variantes, au cours du xixe siècle. Une étape importante fut franchie quand Alfred Sadous remarqua que dans le Parisinus Graecus 1741, témoin le plus ancien du recueil (xe-xie siècle), l’auteur n’est nommé que dans un titre dû à une main récente et dans une note8. Cette découverte, cependant, ne reçut pas l’écho qu’elle méritait et il fallut attendre que Hermann Usener décrivît à son tour le Parisinus pour que s’imposent ces deux faits. Le nom de Denys d’Halicarnasse figurant en tête du premier traité n’est pas de la main du copiste, mais d’une main postérieure. Ce nom revient en tête du traité X, dans une note qui précède le titre ; elle est, cette fois, de la main du copiste, et indique : τοῦτο τὸ μονόβιβλον οἶμαι Διονύσιος ὁ Ἁλικαρνασσεὺς συνέταξεν ὁ πρότερoς· μέμνηται γὰρ ἐν αὐτῷ ὡς ἐκδεδομένου αὐτῷ τοῦ Περὶ μιμήσεως (« L’auteur de ce traité, je pense, est Denys d’Halicarnasse l’Ancien : en effet, il y mentionne le Sur l’imitation comme étant une de ses publications »)9. L’attribution à Denys d’Halicarnasse est donc une conjecture, portant sur le seul traité X et fondée sur la mention, dans celui-ci, d’un



3 Par exemple, les mêmes citations reviennent en III.267.1-3 et VII.290.16-17 (ἀρχὴ ἥμισυ παντός) ; III.269.15-16 et VI.283.5 (λιπαρὸν γῆρας). Les mêmes expressions sont employées en I.259.11 et III.269.11 (οὐκ ἀπὸ τρόπου) ; II.262.6 et VI.277.10 (παρελθεῖν εἰς τὸν βίον) ; IV.270.16-17 et VI.277.9 (ἀναγκαῖος ἀνθρώποις γε οὖσι). L’auteur affectionne le verbe μετιέναι dans des expressions signifiant « emprunter la voie de l’éloquence », « pratiquer l’art rhétorique » (I.256.4 et 13 ; I.260.8 ; II.261.16 ; VI.277.8 ; VI.278.14) – se souvenant de Platon, Phèdre, 263b, 270e –, ainsi que la préposition ἐν, avec ou sans le participe γενόμενος, pour dire « parvenus à ce point », « dans ce chapitre » (I.257.22 ; I.258.21 ; II.264.21 ; III.269.11 ; IV.270.19 ; VI.279.19 ; VII.292.16 ; cf. VII.289.13). 4 I.256.6 ; II.260.20-261.20 ; II.266.6 ; V.272.3 ; VII.283.23. 5 X.374.4. 6 Tanaquillus Faber (Tanneguy Lefebvre le Père), cité par J. Toll, Dionysii Longini de sublimitate commentarius, Utrecht, 1694, p. 135, et par J. A. Fabricius, Bibliotheca Graeca, éd. G. C. Harless, IV, Hambourg, 1795, p. 396-397. 7 H. A. Schott, Τέχνη ῥητορική quae vulgo integra Dionysio Halicarnassensi tribuitur, Leipzig, 1804, p. ix-l. 8 A. Sadous, De la Rhétorique attribuée à Denys d’Halicarnasse, Paris, 1847, p. 50-51. 9 H. Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica (cité infra, n. 17), p. v, 3, 107.

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ouvrage De l’imitation composé par l’auteur10. Cette conjecture fut étendue par la suite à l’ensemble du recueil. Or, un tel raisonnement n’a rien de contraignant. L’imitation étant un sujet important dans la critique littéraire antique, Denys d’Halicarnasse ne fut certainement pas le seul à l’aborder. Il est à noter, d’ailleurs, que l’auteur du traité X mentionne son propre ouvrage De l’imitation au futur, comme s’il était encore à l’état de projet. Donald Russell a rappelé le parallèle fourni par le traité Du sublime, qui a parfois été attribué à Denys d’Halicarnasse parce qu’il y est fait mention de deux compositions de l’auteur sur l’« arrangement » des mots (σύνθεσις)11. L’attribution de la Rhétorique à Denys d’Halicarnasse n’est plus retenue aujourd’hui et les chercheurs penchent pour une date nettement postérieure à ce critique. En ce qui concerne les traités I-VII, un argument solide est la mention de Nicostratos, cité en modèle du style simple, qui constitue un terminus post quem12. Il ne peut s’agir que du sophiste Nicostratos de Macédoine, contemporain de Marc Aurèle, qui fut célèbre dans l’Antiquité et qui est cité avec faveur par Hermogène, Philostrate et Ménandros le Rhéteur, pour des raisons stylistiques semblables à celles qu’invoque le Pseudo-Denys13. Cette référence implique que les traités I-VII datent au plus tôt de la fin du iie ou du iiie siècle après J.-C. : ce qui s’accorde avec leur contenu, avec l’avancement de la théorie épidictique et l’état de la société qu’ils reflètent, ainsi qu’avec leur langue et leur platonisme. Pour les traités VIII-XI, une hypothèse a été avancée par Malcom Heath, qui propose d’attribuer ces quatre textes à Aelius Sarapion, rhéteur du iie siècle après J.-C., mentionné par la Souda14. Cette identification repose sur le fait que Sarapion était l’auteur d’un traité Περὶ τῶν ἐν ταῖς μελέταις ἁμαρτανομένων, titre qui ressemble à celui du traité X du Peudo-Denys Περὶ τῶν ἐν μελέταις πλημμελουμένων. Étant donné toutefois que la similitude entre les deux titres n’est pas totale, et en l’absence de renseignements sur le traité de Sarapion, l’hypothèse ne peut être confirmée. Par ailleurs, les traités VIII-XI n’ont livré aucun indice chronologique précis et on ne peut espérer les dater que très approximativement, en les situant dans l’évolution historique de la rhétorique grecque. Leurs idées, leur style, leur manière ne les rapprochent

10 X.364.24 ; X.373.22. 11 D. A. Russell, « Classicizing Rhetoric and Criticism : The Pseudo-Dionysian Exetasis and Mistakes in Declamation », dans H. Flashar (éd.), Le classicisme à Rome aux iers siècles avant et après J.-C., Genève, 1979, p. 127. Cf. Subl. 39.1, et D. A. Russell, ‘Longinus’ On the Sublime, Oxford, 1964, p. xxiv, n. 2. 12 II.266.14. 13 Sur Nicostratos, voir L. Pernot, La rhétorique de l’éloge dans le monde gréco-romain, Paris, 1993, I, p. 341, 344, 349 n. 70, 365-366, 378 n. 237 ; B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002, p. 367-369 ; K. Stebnicka, dans P. Janiszewski, K. Stebnicka, E. Szabat, Prosopography of Greek Rhetors and Sophists of the Roman Empire, Oxford - New York, 2015, p. 261-262. 14 M. Heath, « Pseudo-Dionysius Art of Rhetoric 8-11 : Figured Speech, Declamation, and Criticism », American Journal of Philology, 124, 2003, p. 81-105 ; Idem, Menander. A Rhetor in Context, Oxford, 2004, p. 17, n. 20. Cf. Souda, Σ 115.

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pas de Denys d’Halicarnasse15. Ils paraissent se rattacher à une époque plus tardive, quand l’atticisme était bien installé, l’époque d’Hermogène et du Pseudo-Hermogène, soit le iiie siècle à peu près16. Certaines remarques qui seront présentées plus loin orientent dans la même direction. La dernière édition reposant sur une collation des manuscrits reste celle de Usener, publiée en 1895 et révisée en 1904, travail brillant et novateur, quoique marqué par une propension excessive à la conjecture17. Depuis cette date, plusieurs traductions, complètes ou partielles, ont été données en diverses langues18, mais le travail d’édition n’a pas été repris. Le chantier reste ouvert et il y a certainement de grands progrès à attendre d’une recherche sur la tradition, tant directe qu’indirecte. En l’état actuel des connaissances, il est permis de conclure que nous avons affaire à un recueil composite, résultant d’une décision éditoriale, antique ou médiévale, grâce à laquelle ont été conservés des textes rhétoriques rares et précieux qui remontaient à l’époque impériale. Dans ce recueil, les traités VIII et IX, intitulés respectivement Περὶ ἐσχηματισμένων α’ et Περὶ ἐσχηματισμένων β’ (Sur les discours figurés I et II), offrent la particularité de se présenter comme deux textes parallèles, traitant le même sujet, de la même manière. Ils constituent un curieux cas de double rédaction.

15 Des différences entre ces traités et les œuvres authentiques de Denys d’Halicarnasse ont été marquées par Sadous, De la Rhétorique…, p. 62-82 ; L. Sadée, De Dionysii Halicarnassensis scriptis rhetoricis quaestiones criticae, diss. Strasbourg, 1878, p. 30-32 ; C. Brandstaetter, « De notionum πολιτικός et σοφιστής usu rhetorico », Leipziger Studien zur classischen Philologie, 15, 1894, p. 263-268. 16 K. Fuhr, « Rhetorica », Novae Symbolae Joachimicae. Festschrift des Königlichen Joachimsthalschen Gymnasiums aus Anlass des dreihundertjährigen Jubiläums der Anstalt, Halle, 1907, p. 111-114 ; Radermacher, dans Usener-Radermacher, Dionysii Halicarnasei opuscula, II.2 (cité note suivante), p. xxii-xxiii ; Russell, « Classicizing Rhetoric and Criticism… », p. 116-117 ; P. Chiron, « Quelques observations sur la théorie du discours figuré dans la Τέχνη du Ps.-Denys d’Halicarnasse », dans L. Calboli Montefusco (éd.), Papers on Rhetoric, III, Bologne, 2000, p. 81 ; D. A. Russell, « Figured Speeches : ‘Dionysius’, Art of Rhetoric VIII-IX », dans C. W. Wooten (éd.), The Orator in Action and Theory in Greece and Rome, Leyde, 2001, p. 156. 17 H. Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica, Leipzig, 1895 ; H. Usener, L. Radermacher, Dionysii Halicarnasei opuscula, II (= Dionysii Halicarnasei quae exstant, VI), 1, Leipzig, 1904, p. 253-387. L’édition de 1904 reproduit l’édition de 1895, en conservant la même mise en page, mais avec quelques modifications dans le texte et dans l’apparat. Usener étant mort en 1905, la préface relative à ce texte, rédigée par Radermacher, parut en 1929 dans le volume II.2 des Opuscula, p. xxii-xxvi. L’excès des corrections fut noté dès la publication, en particulier par K. Fuhr, « Zu der sog. Dionysischen Τέχνη ῥητορική », Berliner philologische Wochenschrift, 27, 1907, col. 1084-1087. 18 D. A. Russell, N. G. Wilson, Menander Rhetor, Oxford, 1981, p. 362-381 (I-VII) ; O. Hatzopoulos, Διονύσιος Ἁλικαρνασσεύς, Ἅπαντα, XI : Τέχνη ῥητορική, Athènes, 2003 (I-XI) ; A. Manieri, Pseudo-Dionigi di Alicarnasso, I discorsi per le feste e per i giochi (Ars rhet. i e vii Us.-Rad.), Rome, 2005 (I et VII) ; S. Dentice di Accadia, I discorsi figurati I e II (Ars rhet. VIII e IX Us.-Rad.), Pseudo-Dionigi di Alicarnasso, Pise-Rome, 2010 (VIII-IX). Les traductions en français, partielles et imprécises, sont anciennes : Sadous, De la Rhétorique…, p. 89-99 (X) ; H. Caffiaux, De l’oraison funèbre dans la Grèce païenne, Valenciennes, 1861, p. 262-265 (VI). Je n’ai pu consulter G. A. Kennedy, Later Greek Rhetoric. Introduction and Translation of Selections from Cassius Longinus, Rufus, Pseudo-Dionysius, and Pseudo-Aristeides, Privately printed, Fort Collins, Colorado, 2000, 109 pages (cité dans C. W. Wooten, éd., The Orator in Action and Theory in Greece and Rome. Essays in Honor of George A. Kennedy, Leyde-Boston-Cologne, 2001, p. x).

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Les traités VIII et IX sur les « discours figurés »

Les « discours figurés » étaient un sujet important pour les technographes et les déclamateurs grecs et latins, et nos deux traités constituent l’étude la plus approfondie qui soit conservée sur la question19. Nous proposons une analyse visant à montrer d’abord les éléments de parallélisme entre les deux textes, puis les différences. Le vocabulaire est homogène, les auteurs utilisant l’un comme l’autre, au singulier et au pluriel, les substantifs σχῆμα20 et σχηματισμός21 au sens de « figure », « figuration ». Le verbe correspondant, σχηματίζω, est employé le plus souvent au parfait passif, à l’indicatif ou au participe, pour dire qu’un discours « est figuré »22, et parfois au présent actif, pour parler d’un auteur ou d’un orateur qui « figure » son discours23. Le but affiché au début de chacun des deux traités consiste à démontrer qu’il existe des discours figurés de bout en bout, proposition initiale qui a une dimension polémique : il s’agit de s’opposer à qui soutenait le contraire. Ces contradicteurs sont désignés par τινες et leur identité n’est pas précisée24. Pour balayer leur objection, il ne sera que d’alléguer des cas où la figuration s’exerce à l’échelle d’œuvres entières25. Il est d’abord question des « débats » (ἀγῶνες)26, puis la suite indique que la démonstration s’étend aux trois genres rhétoriques27 ainsi qu’aux dialogues, à la poésie, aux ouvrages en prose et à l’histoire28. Afin de décrire les discours figurés, les deux traités distinguent trois « espèces » (εἴδη), présentées dans l’un et dans l’autre en des termes très voisins : 1) dire ce que l’on veut, mais avec « convenance » (εὐπρέπεια, εὐπρεπῶς) 2) parler dans un certain sens, mais pour obtenir en réalité un résultat différent 3) parler dans un certain sens, mais pour obtenir en réalité un résultat contraire29.

19 Sur l’horizon du « discours figuré », voir L. Pernot, L’art du sous-entendu. Histoire – Théorie – Mode d’emploi, Paris, 2018. Pour une liste de sources antiques et des indications bibliographiques, voir Id., « Les faux-semblants de la rhétorique grecque » dans C. Mouchel, C. Nativel (éd.), République des lettres, république des arts. Mélanges offerts à Marc Fumaroli, de l’Académie française, Genève, 2008, p. 428-429. Sur le Pseudo-Denys en particulier, voir S. Dentice di Accadia, « Nota bibliografica relativa ai trattati Sui discorsi figurati I e II dello Pseudo-Dionigi di Alicarnasso », Aion (filol), 29, 2007, p. 143-155. 20 Passim. 21 VIII.309.12 ; VIII.322.12-13 ; IX.323.18 ; IX.327.21, 27. 22 Passim. 23 VIII.317.3 ; VIII.322.12 ; IX.346.9, 16 ; IX.352.11. N.B. À partir d’ici, pour ne pas alourdir la présentation typographique, nous renonçons aux guillemets quand nous employons les mots « figure », « figuration » et « figurer » en français dans cette acception technique. – On rencontre aussi les mots ἀντισχηματίζειν, ἀντισχηματισμός, pour rendre l’idée de répondre à une figure par une autre figure (IX.329.23 ; IX.351.21-22 ; IX.352.2), et les expressions καθ’ ὑπόνοιαν λέγειν (IX.323.8), δι’ αἰνιγμάτων λέγειν (IX.340.2 ; cf. VIII.309.9 αἰνίττεται). 24 VIII.295.4 ; IX.323.6. 25 VIII.295.5 et IX.324.1. La notion de discours « entier » (ὅλος) est reprise en VIII.303.7, 11 ; VIII.304.21 ; VIII.308.23 ; VIII.322.22-23 ; IX.345.9-10. 26 VIII.295.3, 13 ; IX.324.1. 27 VIII.298.4-5 ; IX.324.1-3 ; IX.336.4-5. 28 IX.336.5 ; IX.350.21-23. 29 VIII.295.16-296.5 ; IX.324.3-6.

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Soulignons l’efficace simplicité de ce classement. Il revient à définir la figuration comme l’écart existant entre ce que l’orateur dit explicitement et le message qu’il veut faire passer sans avoir à le dire ; trois espèces d’écart possibles sont graduées, de la plus légère à la plus prononcée. La première espèce se limite à user de ménagements et d’adoucissements pour éviter de froisser les auditeurs. La seconde, consistant à dire une chose tout en en laissant entendre une autre, introduit un niveau de signification supplémentaire dans l’argumentation. La troisième, qui requiert une grande virtuosité, prend le risque de parler dans le sens contraire de ce qui est souhaité réellement. Cette tripartition n’apparaît pas dans les sources les plus anciennes sur le discours figuré, comme les exposés de Démétrios ou de Quintilien. Elle se retrouve en revanche, sous une forme semblable à celle du Pseudo-Denys, dans le traité Sur l’invention d’Hermogène ou du Pseudo-Hermogène, sans que l’on puisse déterminer si l’un a influencé l’autre30. Il s’agit probablement d’un développement de la doctrine qui s’est effectué au cours de l’époque impériale, quel qu’en ait été le premier inventeur. Pour étudier précisément ces trois stratégies, les deux traités prennent des « exemples » (παραδείγματα) dans la littérature grecque archaïque et classique31. Le traité VIII indique expressément que le recours aux exemples a une valeur démonstrative permettant de répondre à l’objection signalée plus haut : l’existence de discours entièrement figurés dans les ouvrages des Anciens est en elle-même la preuve que de tels discours sont possibles32. Dans le traité IX, cette volonté démonstrative reste implicite. La méthode suivie consiste à analyser, les uns après les autres, des passages des Anciens, classés en fonction de l’espèce qu’ils illustrent. Les passages sélectionnés de part et d’autre sont largement concordants, et lorsque nos deux traités analysent un même texte, ils le font d’une manière très proche l’un et l’autre. Cependant, en dépit de ce canevas commun, chacun des deux traités comporte des singularités. Le traité IX introduit le sujet, en préambule, avec plus de profondeur que ne le fait le traité VIII. Dans celui-ci, le raisonnement prêté aux contradicteurs consiste à dire que si des sous-entendus ponctuels sont possibles, un double sens à l’échelle de tout un discours n’est pas envisageable, parce que l’auditeur risquerait de ne plus rien comprendre aux propos tenus33. Dans le traité IX, l’objection est exprimée de manière plus audacieuse : à suivre les contradicteurs, il n’existe tout simplement pas de discours figuré, et il faut parler clair ou ne point parler34. Il s’agit donc de réfuter non seulement ceux qui disent que la figuration n’existe pas à l’échelle d’un discours entier, mais ceux qui disent que la figuration n’existe pas tout court. Loin d’admettre un tel point de vue, notre auteur pense au contraire que la figuration est partout, et qu’il n’existe pas de discours qui ne soit figuré35. Le traité IX se rattache ainsi à une 30 Inv. IV.13. 31 VIII.298.1-2 ; IX. 324.6-7. 32 VIII.295.8-10, 12-14. 33 VIII.295.3-8. 34 IX.323.6-10. 35 IX.348.22-349.3.

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controverse que nous connaissons par ailleurs : en effet, une position voisine de celle qui est réfutée ici nous est rapportée par Quintilien, qui la tient pour célèbre (illud uulgatum), sans pour autant la reprendre à son propre compte : « À quoi bon la figure, si elle est comprise ? À quoi bon, si elle est n’est pas comprise ? »36. Chacun des deux traités ajoute des espèces subsidiaires, mais ce ne sont pas les mêmes de part et d’autre. Le traité VIII, après la présentation des trois modes « principaux » (κυριώτατοι), prévoit trois cas supplémentaires : sous couleur de dire la même chose qu’un orateur précédent, parler en sens différent ; sous couleur de s’opposer, parler dans le même sens ; remettre à une autre occasion l’expression franche sur un sujet37. Le traité IX indique d’abord une quatrième sorte de figuration, qui consiste à s’étendre longuement sur un sujet pour persuader en réalité l’auditoire d’autre chose38 ; puis une autre, qui est double, et qui tient dans des précautions particulières39 ; enfin, une dernière, qui emploie l’image40. Dans le développement, les deux traités suivent des plans différents l’un de l’autre. Si les listes des exemples auxquels ils recourent se recoupent, on l’a dit, elles ne sont nullement identiques. Le traité IX comporte un appendice, formé uniquement d’exemples homériques, qui n’a pas d’équivalent dans le traité VIII41. L’énigme des versions parallèles

Les comparaisons détaillées qui ont été plusieurs fois effectuées confirment la communauté d’inspiration et la présence de similitudes marquées, mais aussi de différences notables entre les deux exposés42. Chacun contient des idées et des exemples qui ne figurent pas dans l’autre. L’un comme l’autre comportent des faiblesses et des incohérences. Le traité IX est moins maîtrisé que le traité VIII, mais il est également seul à présenter certains passages intéressants. Il n’y a aucune référence de l’un à

36 Inst. V.10.70 : et illud uulgatum : « Quo schema, si intelligitur ? quo, si non intelligitur ? ». Voir aussi Inst. IX.2.69 : Ideoque a quibusdam tota res repudiatur, siue intellegatur, siue non intellegatur. L’expression sous forme de dilemme (être compris / ne pas être compris), qui faisait la célébrité de cet argument selon le passage du livre V de Quintilien, se retrouve précisément chez le Pseudo-Denys, IX.323.8-10 : εἰ γὰρ συνίησιν ὁ ἀκούων, ἐξ ἴσου καθέστηκεν τῷ φανερῶς ἀκούοντι· εἰ μὴ συνίησι, πλέον οὐδὲν τῷ λέγοντι. 37 VIII.297.16-23. 38 IX.331.1-3. 39 IX.336, 7-15. 40 IX.355.10-13. 41 IX.349-358. Il n’y a pas lieu de tenir ce développement pour un troisième traité, comme le voudrait M. Patillon, Corpus rhetoricum, III.1, Paris, 2012, p. cxii, n. 200. 42 Schott, Τέχνη ῥητορική…, p. xxxvi-xlvii ; Sadous, De la Rhétorique…, p. 62-72 ; G. Thiele, compte rendu de Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica, dans Göttingische gelehrte Anzeigen, 159, 1897, p. 237-243 ; T. D. Smith, Studies in the Pseudo-Dionysian Techne Rhetorike, diss. University of Pennsylvania, 1973 (diff. University Microfilms International), p. 57-99 ; K. Schöpsdau, « Untersuchungen zur Anlage und Entstehung der beiden pseudodionysianischen Traktate Περὶ ἐσχηματισμένων », Rheinisches Museum für Philologie, n. F., 118, 1975, p. 83-123 ; Russell, « Figured Speeches… » ; Dentice di Accadia, I discorsi figurati…, p. 14-50.

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l’autre, et l’idée, parfois avancée, que IX présupposerait la connaissance de VIII n’est pas démontrée. Comment expliquer cet étrange parallélisme ? Il ne peut pas s’agir de deux recensions d’un même texte, au sens éditorial du terme « recension », car les divergences sont trop nombreuses et profondes pour s’expliquer par des fautes de copie ou par des remaniements intervenus dans le processus de transmission. On a pensé à deux rédactions successives dues à un même auteur, le traité VIII étant un premier essai et le traité IX une tentative d’amélioration ; cette seconde tentative se serait soldée par un échec et l’auteur aurait renoncé à donner une forme définitive à son texte, en raison du problème de fond auquel il se heurtait, à savoir : la figuration est-elle possible ? Victime d’une aporie, il nous aurait laissé face à ses deux brouillons43. Mais un tel scénario, qui suppose des affres rédactionnelles de la part de l’auteur, est entièrement hypothétique. Il semble par trop romantique, s’agissant d’une étude qui – si grand que soit son intérêt – n’a pas de haute prétention littéraire ou intellectuelle. Pour comprendre ce qui a pu se produire, il faut partir de la destination du texte, qui est clairement pédagogique (ceci rapproche les traités VIII-IX des autres traités du recueil, lequel présente une certaine homogénéité sur ce plan). Le style est sans apprêt ; le ton, d’un professeur donnant une leçon. Il dit : « Tu vois » (ὁρᾷς)44, « Il faut savoir » (εἰδέναι χρή)45, « Il faut se rappeler » (μεμνῆσθαι χρή)46, « Nous prendrons nos exemples » (τὰ παραδείγματα… ληψόμεθα)47. Il anime son exposé par de constantes questions, comme μέθοδος δὲ τούτων τίς ; ou ἀλλὰ τίς ἡ τέχνη48 ;, et multiplie transitions, annonces et récapitulations. Nous sommes en présence d’un cours : et, étant donné l’imprécision de la rédaction, il ne s’agit pas du texte préparé par le professeur, mais de ce qu’en ont retenu les étudiants. D’où l’hypothèse, déjà ancienne49, et généralement acceptée, selon laquelle ces traités sont des notes de cours prises par des étudiants. Pour mieux étayer et préciser une telle hypothèse, il est utile de recourir à des parallèles. Dans un article célèbre, Marcel Richard a réuni des exemples d’ouvrages portant dans leur titre la mention ἀπὸ φωνῆς, au sens de : « d’après l’enseignement oral de », « pris au cours de ». Ces ouvrages appartiennent à la fin de l’Antiquité et à l’époque byzantine et portent sur la philosophie, la médecine, la grammaire et la rhétorique. Par exemple, un traité de Georges Choiroboscos est intitulé Τὸ πόσον τῆς ὀρθογραφίας ἀπὸ φωνῆς Γεωργίου… Un commentaire inédit d’Hermogène porte le titre Σχολία εἰς τὴν διαίρεσιν ἀπὸ φωνῆς τοῦ Γεωργίου τοῦ μόνου σοφιστοῦ Ἀλεξανδρείας, ce qui indique

43 Heath, « Pseudo-Dionysius… ». 44 VIII.299.9 ; VIII.303.20 ; VIII.311.6. 45 VIII.317.2 ; VIII.322.21 ; IX.326.26 ; IX.356.13. 46 VIII.298.6. 47 VIII.298.2. 48 VIII.297.7-8 ; IX.328.18 ; voir aussi VIII.322.7 ; IX.335.1-2. 49 Schott, Τέχνη ῥητορική…, p. xlvii ; Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica, p. vi-vii ; Radermacher, dans Usener-Radermacher, Dionysii Halicarnasei opuscula, II.2, p. xxiii.

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qu’il s’agit d’un « relevé de cours », dont le « reportator » serait un certain Zénon le Scolastique50. Les cas de ce genre furent certainement nombreux, et ils sont susceptibles de correspondre à différentes situations. Les leçons pouvaient être recueillies sous la forme de notes prises de mémoire – car les étudiants antiques étaient remarquablement entraînés en ce domaine51 – ou de sténogrammes, à moins que le maître n’allât jusqu’à confier un texte à ses disciples. La diffusion pouvait se faire avec ou sans l’accord de l’auteur. Différentes vicissitudes sont attestées à ce propos, aussi bien en rhétorique que chez Galien, par exemple52. Un autre exemple de publication en milieu scolaire, sans référence directe à un cours, est une introduction à la rhétorique qui, d’après son titre, remonte à Athanasios, sophiste d’Alexandrie, et dont le texte fut « corrigé », vers le ve siècle ap. J.-C., par un élève de Théon, nommé Zosime : Ἐκ τῶν Ἀθανασίου τοῦ σοφιστοῦ Ἀλεξανδρείας ἃ Ζώσιμος ὁ Θέωνος διωρθώσατο μαθητὴς τὰ χρησιμώτατα53. Ce qui est curieux, dans le cas du Pseudo-Denys, est que nous avons affaire non pas à un, mais à deux jeux de notes : sur ce point, il convient à nouveau d’alléguer des parallèles. La Rhétorique à Herennius et le De inventione de Cicéron offrent l’exemple célèbre de deux traités qui reposent à la base sur un enseignement commun, tout en manifestant une grande liberté par rapport à cet enseignement. Les Entretiens d’Épictète ont peut-être circulé sous plusieurs formes, si les notes que Rusticus procura à Marc Aurèle étaient différentes du texte publié par Arrien54. Un passage de Quintilien, particulièrement explicite, est éclairant55 : …duo iam sub nomine meo libri ferebantur artis rhetoricae neque editi a me neque in hoc comparati. Namque alterum sermonem per biduum habitum pueri quibus id praestabatur exceperant, alterum pluribus sane diebus, quantum notando consequi potuerant, interceptum boni iuuenes, sed nimium amantes mei, temerario editionis honore uulgauerant. Quare in his quoque libris erunt eadem aliqua, multa mutata, plurima adiecta, omnia uero compositiora et quantum nos poterimus elaborata. [ Je publie aujourd’hui l’Institution oratoire parce que] deux livres sur l’art rhétorique circulent déjà sous mon nom sans avoir été publiés par moi ni préparés à cette fin. Le premier exposé, que j’ai tenu pendant deux jours, a été recueilli par les esclaves à qui cette tâche était dévolue. Le second, tenu pendant plusieurs jours, a été pris en note par des jeunes gens, dans la mesure où ils ont pu y parvenir ; animés de bonnes intentions, mais d’une affection excessive à mon égard, ils lui ont fait avec légèreté l’honneur d’une publication et l’ont diffusé. Aussi y aura-t-il cette fois

50 M. Richard, « Ἀπὸ φωνῆς », Byzantion, 20, 1950, p. 191-222 (p. 203 sur Georges Choiroboscos et p. 204 sur le commentaire d’Hermogène). 51 Voir des références sur ce sujet dans H. D. Saffrey, A.-P. Segonds, Marinus, Proclus ou Sur le bonheur, Paris, 2001, p. 91, n. 12. 52 Voir des références dans Pernot, La rhétorique de l’éloge…, I, p. 465-470. 53 H. Rabe, Prolegomenon sylloge, Leipzig, 1931, p. 171. 54 Voir P. Hadot, Marc Aurèle, Écrits pour lui-même, I, Paris, 1998, p. lxxxviii-lxxxix et p. 24, n. 23-24. 55 Inst. I, pr. 7-8.

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dans les livres présents des éléments identiques, de nombreuses modifications et de très nombreuses additions, le tout étant mieux arrangé et perfectionné dans la mesure de notre possible. Ce texte nous apprend que Quintilien professa deux fois un cours, et que chaque fois ce cours fut pris en note et diffusé, malgré les imperfections que comportaient les transcriptions. La genèse de nos traités peut avoir été du même ordre, avec cette différence que, contrairement à Quintilien, le professeur de discours figuré n’a pas réalisé d’édition correcte et définitive ; ou, s’il l’a fait, cette édition ne nous est pas parvenue. Les traités VIII et IX sont donc des notes reflétant l’activité d’un même professeur : non pas des notes prises simultanément sur un même cours, car les divergences sont trop fortes, mais plutôt, peut-on supposer, des notes prises à des moments différents – sur un cours professé plusieurs fois, comme dans le cas de Quintilien –, et portant la trace de tâtonnements. Klaus Schöpsdau a mené une analyse minutieuse en ce sens, pour distinguer plusieurs strates dans les textes que nous possédons : selon lui, il aurait existé une rédaction primitive, qui aurait été recouverte par des vagues de réfection successives et des interventions de plusieurs mains. Il est difficile de suivre dans tous ses détails une démonstration qui pèche peut-être par esprit de système ; en particulier, Schöpsdau a été contraint de supposer que des interpolations parallèles (identiques, quoique indépendantes les unes des autres) ont été introduites dans VIII et dans IX. La possibilité que des remaniements soient intervenus n’en demeure pas moins une suggestion intéressante : les étudiants ne se seraient pas cantonnés dans le rôle de récepteurs passifs et auraient retravaillé leur cours. Si le détail nous échappe, il est raisonnable de reconnaître dans les traités VIII et IX la doctrine d’un même professeur – resté anonyme, malheureusement. Cette origine commune nous autorise à considérer les deux traités de manière unitaire, pour en dégager un témoignage, instructif et peu connu, sur l’enseignement de la rhétorique dans l’Antiquité. L’école et la vie

L’angle sous lequel le professeur a choisi d’aborder le discours figuré est celui de la littérature, en plaçant les œuvres des « Anciens » au centre de sa démonstration. Cette catégorie, désignée par les mots οἱ παλαιοί56, τὰ βυβλία57, forme un concept large. Elle comprend « Démosthène, Thucydide, Xénophon, Platon, Euripide, la comédie, Homère » ainsi que toutes les formes de discours rhétoriques58. La recherche sur le discours figuré se veut ancrée dans le passé littéraire de la Grèce, conçu comme un

56 VIII.295.8-9, 12. 57 VIII.298.2 ; IX.341.2. 58 VIII.298.2-5. Un tableau des références littéraires figurant dans les deux traités est donné par Smith, Studies in the Pseudo-Dionysian Techne Rhetorike, p. 99.

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continuum depuis Homère jusqu’au ive siècle av. J.-C. C’est l’atmosphère de la paideia, de la mimêsis et de l’atticisme, telle que l’a décrite Jacques Bompaire59. Un passage, qui fait l’objet d’analyses parallèles dans les deux traités, illustre cette approche60. Dans le discours Sur la couronne, Démosthène rappelle qu’il proposa de dépêcher une ambassade à Thèbes, après la prise d’Élatée, et suggéra ce qu’il convenait de dire : les ambassadeurs ne devaient pas solliciter l’aide de Thèbes, mais offrir à Thèbes l’aide d’Athènes, pour éviter de se placer en position de quémandeur et pour ne pas encourir d’opprobre si les Thébains refusaient. Notre professeur considère que, par cette intervention, Démosthène a donné une leçon de discours figuré, en montrant comment les ambassadeurs pouvaient envelopper leur propos de manière habile. Bien plus, Démosthène a indiqué le terme technique correspondant ; car il utilise le mot σχῆμα, en disant que ses conseils ont pour but que « nous réalisions ceci tout en faisant une figure digne de notre cité » : ἵν’… μετὰ σχήματος ἀξίου τῆς πόλεως ταῦτα πράξωμεν. Alors que les principaux manuscrits de Démosthène écrivent ici μετὰ προσχήματος, il existe une variante, μετὰ σχήματος, donnée par le manuscrit A (Monacensis Graecus 485, xe siècle)61 : le texte suivi par les traités du Pseudo-Denys portait apparemment cette variante. La leçon μετὰ σχήματος était une aubaine pour le professeur, puisqu’elle lui permettait de retrouver chez Démosthène le mot clé de sa démonstration62. Il suffisait d’un léger glissement pour passer du sens « faire belle figure », qui était celui dans lequel l’orateur avait employé les mots incriminés (quelle que fût d’ailleurs la leçon retenue), au sens rhétorique « user de figure ». C’est ainsi que Démosthène enseigne à la fois l’usage et le nom du discours figuré. Cet exemple sert la thèse générale selon laquelle les Anciens ont connu le σχῆμα, et ceci à l’échelle d’un discours entier. Il illustre aussi, ne le cachons pas, une tendance de l’auteur à surinterpréter les textes pour les plier aux besoins de la démonstration… Dans ses analyses, notre professeur s’appuyait sur des commentaires préexistants. Ceci est particulièrement net dans le cas des explications homériques, qui présentent des points de convergence avec d’autres exégèses antiques et notamment avec les scholies63. L’auteur n’hésite pas à polémiquer contre les commentateurs de l’Iliade, en les taxant de « niaiserie » (φλυαροῦσιν) et d’ « ignorance » (ἀγνοοῦσιν) pour n’avoir pas reconnu les figurations qui sont mises en œuvre dans les passages pris en considération64. Les interprétations qu’il propose sont souvent intéressantes et Lucien écrivain. Imitation et création, Paris, 1958, première partie. VIII.298.11-299.10 ; IX.342.4-20. Cf. Cour. 178. Voir M. R. Dilts, Demosthenis orationes, I, Oxford, 2002, p. 272. Dans le même passage, l’addition de μὲν après ἐκείνων est également une variante que nos traités partagent avec le manuscrit A de Démosthène (VIII.299.4 ; IX.342.13). – Le texte de cette citation de Démosthène contient, dans le traité IX, plusieurs inexactitudes qui sont absentes du passage correspondant du traité VIII. Inversement, dans le traité VIII, la citation est plus courte et elle comporte une omission (les mots ἐὰν κελεύωσιν). Ces divergences confirment la situation qui a été envisagée ci-dessus, à savoir l’hypothèse selon laquelle le rédacteur de VIII et le rédacteur de IX ont travaillé séparément à partir d’un modèle commun. 63 Voir Thiele, compte rendu de Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica, p. 239 ; Dentice di Accadia, I discorsi figurati I e II…, p. 24-50. 64 VIII.312.20-313.7 ; IX.331.13-19 ; IX.355.14. 59 60 61 62

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subtiles, comme à propos des interventions d’Achille et de Calchas, dans lesquelles il décèle force précautions et insinuations calculées65. Les traités VIII-IX de la Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse révèlent ainsi une conception de la culture classique. Les Anciens sont nos maîtres ; ils nous instruisent (le verbe employé à ce propos est διδάσκειν66) ; c’est pourquoi nous devons prendre modèle sur eux. En cela même, ils donnent l’exemple, car ils pratiquaient entre eux l’« imitation » (μιμεῖσθαι, μίμησις) : Platon et Xénophon envers Homère, Démosthène envers Thucydide et Platon67. Le maître suprême est Homère, de qui tous apprennent68, et qui fournit tous les exemples et préceptes nécessaires : Ὅμηρος πάντα παραδίδωσι69. Notre auteur se rencontre avec le Pseudo-Hermogène, qui invoque, lui aussi, un exemple homérique à propos du discours figuré70, mais il pousse beaucoup plus loin le dogme selon lequel Homère est une référence universelle71. Corrélativement, le travail de ce professeur se caractérise par une série de silences assourdissants. Il omet toute littérature récente ou même postclassique, ses exemples s’arrêtant au ive siècle av. J.-C. Il ne fait jamais mention de l’Empire romain ni des relations entre Rome et la Grèce. Il se garde de toute appréciation philosophique ou morale sur la valeur du discours figuré, bien qu’il ne recule pas devant les mots κλέπτειν72, λανθάνειν73, σόφισμα74 pour désigner les ruses mises en œuvre : à ses yeux, il est admis par avance que les Anciens ont toujours raison, en sorte que, s’ils donnent des exemples de tromperie, ce ne peut être que pour la bonne cause. Loin de lui l’idée de critiquer les mensonges des poètes ou les roueries des orateurs. Les mots « vices » (κακίαι) et « vertus » (ἀρεταί) s’appliquent pour lui aux qualités du discours75. Enfin, il n’est question nulle part de prises de parole réelles, hic et nunc, ni d’une application pratique de la technique du discours figuré. Tout au plus le traité IX s’appuie-t-il, à l’occasion, sur les usages de la vie quotidienne76. Mais ce n’est pas l’objet du cours.

65 IX.336.16-339.24, portant sur Il. I, 59-92 : passage signalé à juste titre par Thiele, compte rendu de Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica, p. 238-239. 66 VIII.304.16 ; IX.342.5 ; IX.346.15 ; IX.354.16. 67 Respectivement, IX.335.4 ; VIII.310.12 ; IX.343.18 ; VIII.306.1-2. 68 VIII.311.1. 69 IX.324.7-8. 70 Meth. 22. 71 On a voulu faire du grammairien Télèphe de Pergame la source du Pseudo-Denys sur ce point : voir H. Schrader, « Telephos der Pergamener Περὶ τῆς καθ’ Ὅμηρον ῥητορικῆς », Hermes, 37, 1902, p. 530-581, suivi par Radermacher, dans H. Usener, L. Radermacher, Dionysii Halicarnasei opuscula, II.2, p. xxiii. Mais les preuves manquent, comme l’a souligné à juste titre C. Wendel, « Telephos 2 », Real-Encyclopädie, Zweite Reihe, 5, 1934, col. 370-371. 72 VIII.302.23 ; VIII.304.3 ; VIII.322.10 ; IX.343.9, 17. 73 VIII.298.14 ; VIII.314.16 ; VIII.322.6, 13 ; IX.329.21. 74 VIII.313.9-10. 75 IX.329.4. 76 IX.323. 14-25 ; IX.329.17-19 ; IX.353.5-10.

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Le contraste est saisissant avec les traités I-VII, qui citent un auteur moderne (Nicostratos), qui sont immergés dans la réalité politique et sociale de l’Empire romain et qui prétendent préparer le jeune Échécratès au discours qu’il aura à prononcer lors de son propre mariage. À l’époque impériale, la théorie épidictique était le secteur de la rhétorique le plus ouvert sur le monde contemporain. Tel n’est pas le parti adopté ici. Le professeur des traités VIII-IX se consacre aux Anciens et à eux seuls, et pense qu’il faut laisser les problèmes de la vie à la porte de la classe. L’école est pour lui un monde à part, dans lequel les étudiants acquièrent la culture hellénique et accèdent à la beauté, à l’intelligence et à la maîtrise du langage. L’usage qu’ils feront ensuite de ces aptitudes précieuses n’est plus du ressort du maître. Ce n’est pas le moindre mérite du Pseudo-Denys d’Halicarnasse que de nous inviter à réfléchir à ces problèmes, qui sont toujours d’actualité. Rhétorique et littérature

L’auteur qualifie de διδάσκαλοι les tenants d’une interprétation, relative au chant II de l’Iliade, qu’il n’approuve pas, et il les raille en disant qu’ils prêtent à Agamemnon des motifs dignes d’un maître d’école câlinant ses gamins : ces exégètes projettent sur le texte d’Homère leur propre expérience, parce qu’ils ignorent ce qu’est le discours figuré77. En suggérant une telle comparaison, qui se réfère à l’école élémentaire78, notre homme montre qu’il ne se considère pas lui-même comme un maître de ce niveau, et que son auditoire n’est pas composé de débutants. Cette observation s’accorde avec le fait que, dans les deux traités, le sujet n’est pas considéré comme nouveau pour les auditeurs, puisque le mot ἐσχηματισμένος est lancé d’emblée sans être défini79, et que les démonstrations reposent sur la capacité de comprendre les finesses de la littérature. S’il se distingue des maîtres d’école, l’auteur se distingue aussi des déclamateurs, en écrivant : τοῦτο μὲν οὖν καὶ οἱ μελετῶντες ἴσασιν (« Cela, les déclamateurs aussi le savent »)80. Il fait allusion ici aux déclamations reposant sur la procédure de la προσαγγελία (« auto-dénonciation »), thème que visiblement il connaît, et ses élèves aussi. Mais sa propre tâche est différente ; car il doit concentrer son enseignement sur l’objet présent : δεῖ οὖν ἡμᾶς διδάξαι81. Il prend également ses distances avec ceux qu’il appelle οἱ ῥητορικοί, et qui ont le tort d’utiliser le mot χρῶμα pour désigner la

77 IX.331.13-18 (ὡσπερεὶ παιδαρίων ἐν διδασκαλείῳ ἐπιδεικνυμένων καὶ παραμυθίαν τοῦ διδασκάλου ἀπονέμοντος, ἵνα μὴ κλαίῃ τὰ παιδία). 78 Plutôt qu’à l’école de déclamation (Dentice di Accadia, I discorsi figurati…, p. 161-162, envisage les deux interprétations, sans trancher). 79 VIII.295.3 ; IX.323.6. 80 IX.329.14. Chiron, « Quelques observations sur la théorie du discours figuré… », p. 82-83, parle à juste titre de « distance critique vis-à-vis de la déclamation » à propos de ce passage. 81 IX. 329.19-20.

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première espèce de discours figuré82. D’après le contexte, il s’agit encore une fois des professeurs de déclamation (le mot ἀριστεύς est caractéristique83). Le professeur des traités VIII-IX se révèle ainsi différent de l’auteur du traité X, qui se consacre à la déclamation, et de l’auteur du traité XI, qui fait porter un de ses chapitres sur la composition de tels exercices84. N’étant ni instituteur ni déclamateur, il a été qualifié de « grammairien »85. Cette hypothèse mérite d’être envisagée, à condition de ne pas entendre par là un spécialiste de la langue, ni un enseignant cantonné dans les exercices préparatoires, mais un professeur de lettres et un chercheur, sur le modèle d’un Alexandros de Cotiaion, maître d’Aelius Aristide et de Marc Aurèle, qui communiquait à ses classes l’amour des Anciens et publiait de savants travaux sur Homère86. Le mot de « grammairien », cependant, n’apparaît pas dans les traités. Quel qu’ait été le statut professionnel de l’auteur, c’est à la rhétorique qu’appartiennent les deux textes. Le discours figuré était par lui-même un sujet rhétorique, puisqu’il s’agissait de discours et de persuasion, et il fut envisagé, en grec et en latin, dans le cadre de traités de rhétorique (par Quintilien, Hermogène, Apsinès, etc.). Le mot ἀγών, employé par notre auteur, renvoie au « débat » oratoire ; les trois genres rhétoriques sont supposés connus et articulent l’exposé87. Les exemples analysés sont des discours, qu’il s’agisse de textes oratoires à proprement parler, comme les plaidoyers et les harangues de Démosthène, ou de tirades figurant à l’intérieur d’une œuvre littéraire et prêtées à un personnage intervenant en position d’orateur. Ainsi, les héros d’Ηomère méritent le qualificatif de ῥήτωρ88. Ῥήτωρ encore, celui qui applique les préceptes édictés dans le traité et met en œuvre l’art de parler de manière figurée89. En somme : non aux ῥητορικοί, mais oui aux ῥήτορες, Notre auteur était fier de connaître et d’enseigner, avec le discours figuré, une forme de discours savante et raffinée. Il s’employait à mettre au jour non seulement une « méthode » (μέθοδος)90, mais un « art » (τέχνη), mot qui revient sans cesse91, grâce à une lecture attentive et admirative des grandes œuvres de la littérature grecque. Ce projet de technographe n’est pas sans ressemblance avec celui de l’Hermogène du Περὶ ἰδεῶν, lequel aspirait à procurer un double bénéfice au lecteur : lui permettre de

82 VIII.295.19. En IX.329.3-4, il est souligné que les règles du discours figuré se distinguent de celles des λόγοι ῥητορικοί. 83 Voir D. A. Russell, Greek Declamation, Cambridge, 1983, p. 24 (et aussi ibid., p. 137, pour le mot χρῶμα). 84 XI.381.11-382.7. 85 Thiele, compte rendu de Usener, Dionysii Halicarnasei quae fertur ars rhetorica, p. 238. 86 Sur Alexandros, voir J.-L. Vix, L’enseignement de la rhétorique au iie siècle après J.-C. à travers les discours 30-34 d’Ælius Aristide, Turnhout, 2010, spécialement p. 373-389 ; Id., Alexandros de Cotiaeon, Fragments, Paris, 2018 ; sur les grammairiens en général, R. A. Kaster, Guardians of Language. The Grammarian and Society in Late Antiquity, Berkeley – Los Angeles – Londres, 1988. 87 Supra, n. 26-27. 88 VIII.312.21. 89 VIII.296.25 ; VIII.298.13 ; VIII.311.14 ; IX.349.5. 90 VIII.295.12 ; VIII.296.7, 11, 13, 16, 22 ; VIII.297.7, 12 ; VIII.298.6 ; VIII.302.11 ; VIII.322.13, 15 ; IX.329.2 ; IX.340.5. 91 VIII.296.20, 25 ; 298.11, 21 ; 302.13, 19, etc. ; IX.324.14 ; IX.328.16, 18 ; 329.22, etc.

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juger les œuvres existantes et d’en composer de nouvelles92. Après s’être concentré sur les orateurs, Hermogène, à la fin de son traité, élargit la perspective en prenant en compte tous les genres littéraires en prose et en vers93. Un rapprochement peut être tracé également avec le Περὶ ἑρμηνείας de Démétrios, qui prend ses exemples dans toutes les catégories d’auteurs et surtout chez Homère. À l’instar de tels théoriciens, le professeur des traités VIII-IX ne limitait pas la rhétorique à l’art de composer des discours oratoires : il l’étendait à l’analyse du discours et à la critique littéraire. Laurent Pernot Membre de l’Institut, CARRA (UR 3094) Université de Strasbourg

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92 Id.. I.1 : καὶ γὰρ τὸ τὰ τῶν ἄλλων εἰδέναι κρίνειν, καθ’ ὅ τι τε καλῶς ἂν ἔχοι καὶ ἀκριβῶς καὶ καθ’ ὅ τι μή, εἴτ’ οὖν τῶν ἀρχαίων εἴη τινὸς εἴτε καὶ τῶν νεωτέρων […] εἴτε καὶ αὐτός τις γενέσθαι βούλοιτο λόγων ἐργάτης καλῶν τε καὶ γενναίων καὶ παραπλησίων τοῖς τῶν ἀρχαίων. Il y a cependant une différence entre le projet d’Hermogène et celui des traités VIII-IX en ce qui concerne les auteurs « récents » (νεώτεροι), puisque celui-là les inclut, quoique à titre secondaire, dans les objets de sa critique littéraire, tandis que ceux-ci ne les mentionnent pas. 93 Id.. II.10-12.

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Un passeur de culture musicale Nicomaque de Gérasa

Si l’identité des musiciens, leurs spécialités ou les circonstances dans lesquelles ils se produisent sont assez bien documentées par les sources grecques, leurs rapports avec les artisans fabriquant les instruments de musique ou leur formation sont moins bien connus. Les textes, qu’ils soient issus de la tradition manuscrite, de l’épigraphie ou de la papyrologie, nous éclairent peu sur la manière dont se transmettait le savoir musical, dans lequel il faut distinguer ce qui relève de la pratique et ce qui tient à la théorie pure1. En effet, l’Antiquité paraît marquée par une scission entre deux mondes, celui des professionnels (voix comme instrument) et celui des théoriciens, qui appartiennent à des écoles philosophiques, notamment pythagoriciennes et péripatéticiennes. À l’époque classique, on comprend à lire Aristophane et Platon que les garçons se rendaient chez un maître de musique, le κιθαριστής, pour y apprendre à jouer de la lyre2, mais ils apprenaient aussi l’aulos, comme on le voit sur certains vases3. S’ils souhaitaient faire carrière, ils devaient se former auprès d’un virtuose, comme le citharède Stratonikos ou les aulètes Antigénidas ou Dôrion au ive siècle, dont on sait qu’ils avaient fait école4. Dans son Harmonidès, Lucien s’est plu à mettre en scène le jeune aulète qui donne son nom au dialogue avec Timothée de Thèbes, grand aulète du ive siècle, dialogue dans lequel il rappelle ce qu’il a appris de lui et lui demande d’autres conseils pour acquérir la gloire5. Ce type de relation entre le maître et son apprenti se poursuit à l’époque hellénistique et romaine, avec transmission des techniques de jeu et des répertoires. Dans certains cas, ce rapport était familial : on sait par exemple que tel citharède d’époque impériale avait pour professeur son



1 Voir en dernier lieu St. Hagel, T. Lynch, « Musical Education in Greece and Rome », dans W. M. Bloomer (éd.), A Companion to Ancient Education, Chichester, p. 401-412. 2 Voir notamment Aristophane, Nuées, v. 962-685 et Platon, Protagoras, 325d-326b. 3 L’exemple le plus célèbre est la coupe de Douris (Berlin, Antikensammlung, Inv. F 2285). 4 Sur Stratonikos, voir Athénée, Deipnosophistes, VIII, 348d ; sur Antigénidas et Dôrion, voir Plutarque, Sur la musique, 1138a-b. 5 A. Bélis, « Timothée, l’aulète thébain », Revue belge de Philologie et d’Histoire, 80, 2002, p. 107-123. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 217-234 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121143

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père et un autre son frère6. Depuis l’époque hellénistique, la formation était sans doute également organisée au sein des grandes corporations d’artistes, les technites dionysiaques, où il n’est pas rare de trouver des membres de la même famille. Ce recrutement pouvait s’appuyer sur des fondations scolaires locales, comme celle de Polythrous à Téos7. Quelles qu’en aient été les modalités pratiques au quotidien, cette transmission était orale. Il en va un peu différemment de la théorie musicale. Les rudiments en étaient enseignés aux jeunes gens – ainsi dans la fondation de Polythrous sous le nom de μουσικά –, mais les aspects les plus techniques étaient surtout une affaire de philosophes, lesquels n’étaient pas nécessairement sédentaires : il convient sans doute d’en reconnaître dans les professeurs itinérants attestés par les inscriptions hellénistiques qu’on qualifiait de μουσικοί, ainsi Hègèsimachos d’Athènes qui donna à Tanagra des conférences qualifiées de λογικαί καὶ ὀργανικαί, qui consistaient en discours rationnel, probablement de type mathématique, et démonstrations sur instruments. C’est peut-être une réalité de son époque que Philon d’Alexandrie8 transpose dans sa Vie de Moïse, où il explique que des enseignants sont venus du monde grec exposer les fondements théoriques de la musique aux Égyptiens, dans une inversion du topos des Grecs instruits par la sagesse des Égyptiens : Διδάσκαλοι δ’ εὐθὺς ἀλλαχόθεν ἄλλοι παρῆσαν, οἱ μὲν ἀπὸ τῶν πλησιοχώρων καὶ τῶν κατ’ Αἴγυπτον νομῶν αὐτοκέλευστοι, οἱ δ’ ἀπὸ τῆς Ἑλλάδος ἐπὶ μεγάλαις δωρεαῖς μεταπεμφθέντες· (…) ἀριθμοὺς μὲν οὖν καὶ γεωμετρίαν τήν τε ῥυθμικὴν καὶ ἁρμονικὴν καὶ μετρικὴν θεωρίαν καὶ μουσικὴν τὴν σύμπασαν διά τε χρήσεως ὀργάνων καὶ λόγων τῶν ἐν ταῖς τέχναις καὶ διεξόδοις τοπικωτέραις Αἰγυπτίων οἱ λόγιοι παρεδίδοσαν… Des enseignants venus d’ailleurs ne tardèrent pas à arriver, les uns des régions voisines et des nomes9 d’Égypte de leur propre initiative, les autres attirés de Grèce par de hautes rétributions. (…) Les érudits transmirent aux Égyptiens les nombres, la géométrie, la théorie rythmique, harmonique et métrique, et la musique en général par l’usage d’instruments et de discours rationnels portant sur les arts et les représentations plus locales des Égyptiens10… Si elle est rapportée à Moïse, l’anecdote n’a que peu de vraisemblance, mais le propos de Philon semble bien dépeindre l’état de la vie intellectuelle dans le delta au tournant de notre ère : les érudits, venus de Grèce ou d’ailleurs, viennent à Alexandrie dispenser leur enseignement. À en juger par toute l’œuvre de Philon, qui était versé dans les questions de théorie musicale, c’est sa propre expérience qu’il pourrait évoquer

6 FD III 6, 143 et IG IV 591. 7 S. Perrot, « La place de la musique dans la politique culturelle de Téos dans la première moitié du iie siècle avant notre ère », Ktèma, 44, 2019, p. 5-21. 8 Philon d’Alexandrie, Sur la vie de Moïse, I, 21-23. 9 L’usage de νόμος, qui désigne la division administrative mise en œuvre par les Ptolémées, est un argument dans le sens de la transposition d’une réalité contemporaine de Philon. 10 Toutes les traductions sont de l’auteur.

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indirectement. Le parallèle avec l’inscription d’Hègèsimachos est assez remarquable, au sens où l’on retrouve la double nature de l’enseignement, partagé entre théorie et démonstration sur instruments. L’objectif de cet article est de montrer dans quelle mesure Nicomaque de Gérasa, auteur d’un Manuel d’harmonique qui nous est précieux à plus d’un titre11, s’inscrit dans cet héritage. Tout d’abord, dans l’histoire des textes d’harmonique, c’est le seul qui se situe entre l’œuvre d’Aristoxène de Tarente, à la fin du ive siècle, et la production qui fleurit au iie siècle ap. J-C., avec notamment la somme de Claude Ptolémée, si du moins l’on admet la datation traditionnelle de sa vie. En outre, le texte de Nicomaque se distingue par sa forme : il s’agit en fait d’une lettre à laquelle l’auteur donne le nom de manuel12. C’est une sorte de condensé de la science harmonique, qui se distingue des textes qui nous ont été transmis sous la dénomination d’Introductions harmoniques, alors qu’en apparence elle semble suivre le même objectif. Un certain nombre d’indices dans le texte de Nicomaque laisse entendre que ce manuel, divisé en douze chapitres, est ce qui devait se rapprocher le plus de l’enseignement que délivraient ces professeurs itinérants depuis l’époque hellénistique. Ainsi, nous aurions avec Nicomaque une figure archétypale du passeur de culture musicale théorique, qui ne néglige pas pour autant d’exprimer des considérations sur les instruments, cordophones comme aérophones. On tâchera d’en montrer les principales qualités : esprit de synthèse, adaptation à son auditoire et souci pédagogique. Un enseignement dispensé dans le cadre d’une relation épistolaire

Nicomaque est un auteur très mal connu, quoiqu’il soit devenu célèbre par la suite, comme l’atteste Jamblique13. De sa vie on ne sait presque rien, à commencer par les dates : comme il évoque le philosophe Thrasyllos, mort en 34 ap. J.-C., et qu’un de ses traités a été traduit en latin par Apulée, il a probablement vécu à cheval sur les

11 L’édition de référence est celle de C. von Jan, « Nicomachus », dans Musici scriptores graeci, Leipzig, 1895, p. 235-282. Le texte a fait l’objet de plusieurs traductions commentées, en français (Ch.-É. Ruelle, « Manuel d’harmonique et autres textes relatifs à la musique de Nicomaque de Gérase, traduits en français pour la première fois, avec commentaire perpétuel », Annuaire de l’Association pour l’Encouragement des Études grecques en France (1880), Paris, 1881, p. 162-216), en anglais (F. R. Levin, The Harmonics of Nichomachus and the Pythagorean Tradition, University Park, 1975 ; A. Barker, Greek Musical Writings, vol. 2 : Harmonic and Acoustic Theory, Cambridge, 1989, p. 245-269 ; F. R. Levin, The Manual of Harmonics of Nicomachus the Pythagorean, Newburyport, 1994), en italien (L. Zanoncelli, « Nicomaco di Gerasa », dans La manualistica musicale greca, Milan, 1990, p. 133-243) et tout récemment en espagnol (F. Garrido Domené, « Nicómaco de Gerasa » dans Los Teóricos Menores de la Música Griega : Euclides el Geómetra, Nicómaco de Gerasa y Gaudencio el Filósofo, Barcelone, 2016, p. 85-342). Voir également la présentation de T. J. Mathiesen, Apollo’s Lyre. Greek Music and Music Theory in Antiquity and in the Middle Ages, Lincoln-Londres, 1999, p. 390-411. 12 J’en reproduis l’introduction et la conclusion en annexe, afin d’en montrer la cohérence interne. 13 Jamblique, Vie de Pythagore, 35, 251.

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deux premiers siècles14. Il est né à Gérasa, cité en plein essor, comme en témoignent les impressionnants vestiges archéologiques de cette époque. S’il est peu probable que Nicomaque y soit resté pour faire sa formation – on l’imagine volontiers se rendre à Antioche ou Alexandrie, et même Athènes –, il vaut la peine de remarquer que la Décapole aura donné naissance à deux philosophes de la musique, puisque Philodème de Gadara, l’ami de Cicéron, a lui aussi consacré un traité à la musique, dont l’originalité tient au fait que ce texte interroge la pratique musicale dans une perspective épicurienne. Le traité de Philodème concerne davantage cependant des questions d’éthique et n’expose pas la manière dont le système musical grec était constitué. Le texte de Nicomaque, quant à lui, n’aborde pas non plus la musique dans son ensemble, mais uniquement la question de l’harmonique, c’est-à-dire la science qui traite des tons, des intervalles et des systèmes, comme la définit Aristoxène de Tarente15. Nicomaque s’inscrit donc parfaitement dans cette tradition de la science musicale qui distingue les quatre domaines que sont l’harmonique, la rythmique, la métrique et l’organique. Nicomaque est un philosophe néo-pythagoricien, d’abord connu comme un mathématicien dont on a conservé une Introduction à l’arithmétique. Hugues de SaintVictor (xie siècle) dira de lui : arithmeticam Samius Pythagoras invenit, Nicomachus scripsit. Apud Latinos primum Apuleius, deinde Boethius transtulit, « Pythagore de Samos a inventé l’arithmétique, mais c’est Nicomaque qui l’a écrite. Chez les Latins, le premier à l’avoir traduite est Apulée, puis Boèce. »16. Les développements que Nicomaque consacre à Pythagore, au Timée de Platon et à Philolaos, éminent Pythagoricien, vont dans le même sens. Il adhère à l’idée de Philolaos qu’une octave est composée non de six tons, « comme le pensent les modernes » (ὡς οἱ νεώτεροι νομίζουσιν)17, mais de cinq tons et de deux demi-tons, sachant que les demi-tons calculés par les Pythagoriciens sont un peu plus grands que les demi-tons. Or la division de la quarte en cinq demi-tons égaux, l’ancêtre de notre gamme tempérée, a été postulée par Aristoxène de Tarente. Nicomaque connaissait bien l’oeuvre du Tarentin, dont il reprend la définition physique du son, et surtout le critère de l’oreille, tout en prenant le soin de l’attribuer aux Pythagoriciens, dans la mesure où Aristoxène s’était appuyé sur les travaux d’Archytas de Tarente18. Il estime en effet que seuls comptent les intervalles audibles, ce qui est très précisément ce qu’Aristoxène affirmait lorsqu’il critiquait une secte pythagoricienne qu’il nommait les « Harmoniciens » : ces derniers en effet produisaient des diagrammes harmoniques incluant des intervalles infinitésimaux, purs produits de l’abstraction mathématique. Cette réduction à l’infini n’était pas acceptable pour Aristoxène, et Nicomaque le suit dans cette voie, peut-être à des

14 Il y a eu deux tentatives de déterminer la date de sa mort avec des raisonnements d’ordre numérologique : 196 ap. J.-C. ( J. M. Dillon, « A date for the death of Nicomachus of Gerasa ? », Classical Review, 19, 1969, p. 274-275) ou 142 ap. J.-C. (A. H. Riddle, « The chronology of Nicomachus of Gerasa », Classical Quarterly, 48, 1998, p. 324-327). 15 A. Bélis, « Harmonique », dans J. Brunschwig et G. Lloyd (dir.), Le savoir grec, 1996 [2011²], p. 379-397. 16 Hugues de Saint-Victor, Didascalicon, chap. II. 17 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. XII (cf. annexe à cet article). 18 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. II.

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fins pédagogiques : il ne souhaite pas dans ce Manuel aborder des questions trop complexes, pour épargner sa destinataire. Si les traités d’harmonique supposent un lecteur, il n’est jamais interpelé19. Or dans le Manuel, non seulement Nicomaque emploie la deuxième personne du singulier, mais il qualifie la femme anonyme à qui il destine son traité de « la meilleure et la plus vénérable des femmes » (ἀρίστη καὶ σεμνοτάτη γυναικῶν)20, ce qui semble être la traduction grecque de optima augustaque : il s’agit d’une Romaine de culture grecque. Cette terminologie laisse aussi entendre qu’elle fait partie des cercles les plus hauts de la société. Un peu plus loin, il la présente comme « la plus vénérable des femmes et meilleure amie de la beauté » (σεμνοτάτη γυναικῶν καὶ φιλοκαλωτάτη)21, reprenant ainsi un des deux termes et ajoutant l’amour du beau qui caractérise Athènes dans le fameux discours de Périclès chez Thucydide. Nicomaque n’écrit pas à une inconnue : dans l’introduction, il dit reprendre l’enseignement là où il l’avait commencé lors de leur entrevue et dans la conclusion, il lui rappelle qu’il répond à une demande qu’elle lui a formulée tandis qu’il voyageait. Nicomaque souligne sa mobilité géographique qui semble inhérente à son activité, sans toutefois en préciser les raisons : il est impossible de déterminer si c’est un professeur itinérant qui transmet son savoir de cité en cité ou s’il occupe une fonction officielle dans l’Empire qui le conduit à voyager, par exemple comme ambassadeur. Son interlocutrice ne semble pas non plus avoir de résidence fixe, car il promet de lui envoyer une version plus développée de son texte dès qu’il aura été informé de son lieu de séjour, preuve qu’elle n’est pas établie. Nicomaque emploie d’ailleurs la deuxième personne du pluriel, pensant probablement à son interlocutrice et son époux, voire sa famille. Enfin, il précise à la fin du chapitre III que le temps lui manque pour écrire : τὸ νῦν δὲ ἐπιτροχαστέον διὰ τὴν τοῦ καιροῦ ὀξύτητα περὶ τῶν ἑξῆς, « mais maintenant il faut me hâter, car l’occasion est exiguë, sur les sujets suivants ». On notera le choix particulier du substantif ὀξύτης, qui a une acception musicale dans le reste du traité. Il est malaisé de qualifier la relation qui unit Nicomaque à son élève : il parle du Manuel comme d’un ἐξευμενισμόν22, ce qu’on traduit habituellement comme « présent d’amitié », mais, étymologiquement, il s’agit plutôt d’un don destiné à se concilier autrui. On peut au moins avancer l’idée que la transmission du savoir repose sur un rapport de confiance. Cette situation d’énonciation, inédite pour un traité d’harmonique dans l’Antiquité, témoigne de liens entre le pouvoir politique et le monde savant, mais aussi de l’intérêt de certaines femmes pour les questions musicales les plus théoriques. Il vaut la peine de rappeler à ce propos qu’on a conservé grâce au commentaire de Porphyre aux Harmoniques de Ptolémée un extrait de traité écrit par

19 La situation est différente dans les traités de mathématiques : voir M. Decorps-Foulquier, « L’expression de la personne dans les textes mathématiques grecs », Revue des Études Grecques 132, 2019, p. 89-116. 20 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. I (cf. annexe à cet article). 21 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. III. 22 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. XII (cf. annexe à cet article).

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une Pythagoricienne, Ptolémais de Cyrène, au iie siècle av. J.-C23.. Elle appartenait plus précisément au groupe dit des Canoniciens, qui fondaient leur démonstration sur un instrument appelé « canon », ou « monocorde »24. Cet objet, qui comme son nom l’indique, consistait en une corde fixée sur une caisse de résonance, servait à mesurer mathématiquement des intervalles : un curseur mobile, pouvant se déplacer le long d’une règle graduée, permettait en effet de chiffrer le rapport de longueur, par exemple entre la corde donnant une note et celle qui donne la même note une octave plus haut. C’est ce type de rapports numériques dont Nicomaque explique les rudiments dans son traité. Ce dispositif original se démarque des deux traditions d’enseignement attestées à la fin de l’époque classique, d’une part le dialogue platonicien, et d’autre part le traité pythagoricien. Mais ces deux formes se retrouvent dans les textes musicaux de l’époque impériale. Dans la tradition du dialogue platonicien, on trouve notamment le dialogue sur la musique attribué à Plutarque, ainsi que celui qu’il a consacré à l’Epsilon de Delphes, où dans un long développement il explique la valeur du nombre 5 en harmonique25 ; il faut y ajouter dans le domaine latin saint Augustin qui, dans son traité sur la musique, adopte la forme d’un dialogue entre le maître et son disciple. La tradition du traité d’harmonique (πραγματεία dans le vocabulaire d’Aristoxène) est bien plus importante, avec une dizaine de textes. Nicomaque se situe dans une voie médiane : si l’ensemble a le même contenu qu’un traité, l’introduction et la conclusion de la lettre invitent à restituer la parole du maître s’adressant à son disciple et anticipant ses éventuelles difficultés. L’ensemble de ces procédés rhétoriques laisse penser que ce Manuel tente d’une certaine manière de restituer par l’écrit un échange qui devait se faire majoritairement à l’oral. Les marques d’énonciation dont Nicomaque émaille son texte en sont révélatrices : il accompagne sa lectrice tout en s’assurant de sa bienveillance, comme s’il l’avait en face de lui. Définition, contenu et structure du manuel

Cet ouvrage, dont la finalité didactique est assumée par l’auteur dès l’introduction (διδασκαλίᾳ, διδασκομένων), est selon ses propres termes un manuel (ἐγχειριδίῳ), c’est-à-dire littéralement un ouvrage qu’on tient en main. Cette remarque pourrait paraître banale si elle n’avait pas d’incidence sur l’organisation même du contenu. En effet, Nicomaque est confronté à la difficulté d’enseigner des matières extrêmement complexes – s’il pousse le raisonnement pythagoricien dans toute son étendue – de la manière la plus synthétique et la plus convaincante possible. Il est donc contraint à une forme brève, qui ne nécessite pas le calme de la salle d’étude. C’est un texte qui est 23 Porphyre, Commentaire aux Harmoniques de Ptolémée, p. 22-26 Düring. Voir E. Rocconi, « Un manuale al femminile : l’Introduzione pitagorica alla musica di Tolemaide di Cirene », dans M. S. Celentano (éd.), Ars / Techne. Il manuale tecnico nelle civiltà greca e romana, Alessandria, 2003, p. 99-114 ; G. Moretti, « Tolomeide di Cirene musicologa dell’antichità », Kleos, 9, 2004, p. 123-152. 24 D. Creese, The Monochord in Ancient Greek Science, Cambridge, 2010. 25 Plutarque, Sur l’epsilon de Delphes, 389c-e.

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amené à voyager, à suivre sa propriétaire dans ses déplacements : si le traité suppose la sédentarité, le manuel est nomade, c’est proprement un viatique. Nicomaque promet à sa destinataire un ouvrage plus ample, qu’il qualifie d’« introduction » (εἰσαγωγή) en plusieurs livres, ce qui au demeurant invalide l’hypothèse de C. von Jan selon laquelle le manuel serait le premier livre d’un ouvrage plus important, dont le livre II serait constitué en partie des fragments de Nicomaque qui nous sont également parvenus. L’introduction montre par ailleurs que le philosophe avait recours à des notes pour délivrer son enseignement, une sorte d’aide-mémoire qu’il met ici en forme (ταύτῃ ὑποσημειώσει ὑπομιμνήσκῃ). On peut en déduire que le contenu de ce manuel est ce qui se rapprochait le plus des leçons orales que donnait le maître, une sorte de premier niveau dans la science harmonique. Depuis Aristoxène, les spécialistes de la science harmonique décomposent celle-ci en éléments, ce qui est bien le propos de Nicomaque (τοῖς ἁρμονικοῖς στοιχείοις)26. On a peut-être la trace des notes de Nicomaque dans la table des matières qui accompagne le manuel. Il n’y a aucune certitude à ce qu’elle soit de sa main, car elle a pu avoir été ajoutée dans un second temps, mais force est de constater qu’elle est présente depuis le début de notre tradition manuscrite au xiie siècle. Tel serait le déroulé du cours : 1. Que ce manuel est un aide-mémoire de la science des éléments harmoniques. 2. Des deux aspects de la voix, intervallique et continu, et de leurs espaces respectifs. 3. Que la première musique dans les corps sensibles est considérée dans son rapport aux planètes, et que la musique chez les hommes est considérée par imitation de la première. 4. Que ce qui constitue les sons est mesuré numériquement. 5. Que Pythagore, après avoir ajouté à la lyre heptacorde une huitième corde, a établi l’échelle d’une octave. 6. Comment les rapports numériques des sons ont été trouvés. 7. De la division de l’octave selon le genre diatonique. 8. Explication des propos sur l’harmonie dans le Timée. 9. Témoignages de ce qui a été dit tirés de Philolaos. 10. De l’organisation des sons par des rapports numériques. 11. De la double octave selon le genre diatonique. 12. De la progression et de la division des sons selon les trois genres. À partir de ces indications et du manuel, on peut résumer comme suit l’ensemble du texte. Le chapitre I est davantage une introduction générale où Nicomaque indique les conditions dans lesquelles il compose ce texte et où domine un motif de captatio benevolentiae. Le chapitre II aborde une différence essentielle entre la voix qui parle et la voix qui chante. Celle qui parle adopte un mouvement continu, sans marquer d’arrêt, tandis que celle qui chante prend des points d’appui pour passer d’une note à une autre, c’est-à-dire pour faire des intervalles. C’est pourquoi Nicomaque, dans la droite lignée des travaux d’Aristoxène, sollicite la notion d’espace (τόπος), car

26 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. I (cf. annexe à cet article).

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la voix, qu’elle parle ou chante, parcourt un chemin qui traverse des lieux, qu’elle s’y arrête ou non. Il est intéressant de remarquer que Nicomaque recourt à un néologisme pour décrire une sorte d’intermédiaire entre la parole et le chant, sous le nom μελεάζειν, terme qui ne sera autrement utilisé que par le Byzantin Nicétas Chôniatès pour décrire le chant des rossignols27. Le chapitre suivant traite du rapport entre harmonique et astronomie, selon la théorie pythagoricienne bien connue de l’« harmonie des sphères », dont nous avons ici un des exposés les plus clairs. Le développement s’appuie ici sur le nom des notes, qui pose une réelle difficulté en grec : en effet, si le terme de « mèse » pour désigner la note au centre de l’échelle est transparent, ceux d’« hypate » et de « nète » pour qualifier respectivement la note la plus grave et la plus aiguë sont trompeurs, car étymologiquement « hypate » signifie « le plus élevé » et « nète » « le plus bas ». On l’explique généralement par la position des cordes de la lyre par rapport à l’instrumentiste, mais Nicomaque pour sa part résout la contradiction apparente en affirmant que le fait que les notes aient reçu le nom des sept astres qui parcourent le ciel est une hypothèse crédible. La principale difficulté de ce passage est qu’il n’explique pas les raisons de l’analogie, c’est-à-dire en quoi l’astre le plus proche de la Terre, la Lune, doit être assimilé à la note la plus aiguë. Le chapitre IV affirme l’importance du nombre dans la compréhension des phénomènes acoustiques : Nicomaque y rappelle la définition du son comme un choc sur l’air et explique ce qui selon lui se produit avec les instruments à tension : plus une corde est tendue et plus elle frappe l’air quand elle est pincée, et donc plus elle rend un son aigu. S’agissant des instruments à insufflation28, il affirme que plus l’instrument est long et sa perce large, et plus le souffle met de temps à sortir ; il est donc moins vigoureux et c’est pour cette raison qu’il est grave. Si ce dernier raisonnement est largement contestable dans ses principes, il faut souligner l’effort de Nicomaque pour comprendre le fonctionnement des instruments de musique. Dans tous les cas, puisqu’il est question de longueur ou de fréquence, c’est bien le nombre qui permet d’expliquer les phénomènes acoustiques. Dans le chapitre V, Nicomaque rapporte comment Pythagore a ajouté une note à un système plus ancien constitué de deux tétracordes conjoints, c’est-à-dire deux intervalles de quarte qui ont une note en commun du type ré-sol-do. Or cette combinaison ne permet d’obtenir qu’un intervalle de septième, et non une octave. Pythagore aurait donc eu l’idée de disjoindre les deux tétracordes en intercalant un ton entre les deux, ce qui permet d’obtenir la suite ré-sol-la-ré. Le chapitre VI raconte la célèbre anecdote selon laquelle Pythagore aurait compris que les intervalles peuvent être exprimés en rapports numériques en entendant un bronzier frapper sur des enclumes avec des marteaux de taille différente et produisant des notes différentes. Suit une expérience dont le protocole est soigneusement décrit par Nicomaque : Pythagore tend des cordes de différentes longueurs auxquelles il attache des poids, il les fait sonner et

27 Nicétas Chôniatès, Chroniques, Règne d’Andronic, I, 2, 348, et Règne d’Alexis, III, 2, 504. 28 Sur la classification des instruments employée par Nicomaque, voir S. Perrot, « Towards an Anthropological Approach to Classifications of Ancient Greek Music and Sound Instruments », Studien zur Musikarchäologie X, 2016, p. 25-33.

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compare leurs longueurs respectives : l’octave se situe dans un rapport de 2 à 1, la quinte dans un rapport de 3 à 2, la quarte dans un rapport de 4 à 3 et le ton dans un rapport de 9 à 8. Dans le chapitre VII, Nicomaque explique la structure d’une échelle dans le genre diatonique (où le tétracorde a la structure demi-ton / ton / ton), c’est-à-dire la succession suivante : demi-ton / ton / ton / ton / demi-ton / ton / ton. Dans le chapitre VIII, il propose un commentaire du passage du Timée de Platon où le démiurge crée le monde à partir de rapports numériques : il y revient notamment sur la différence entre les moyennes harmonique, arithmétique et géométrique. Dans le chapitre IX, Nicomaque recourt à un argument d’autorité pour asseoir sa démonstration : il cite et explicite un texte de Philolaos de Crotone, un des plus célèbres Pythagoriciens, dont nous n’avons conservé que des fragments. Le chapitre X est une reprise de la question numérique appliquée à la longueur des cordes, mais la nouveauté est de considérer cette fois les instruments à insufflation, c’est-à-dire la longueur des tuyaux et la position des trous. Le chapitre XI est assez proche du chapitre VII, en ce qu’il donne à nouveau la division de l’échelle, mais cette fois sur une double octave. C’est l’occasion pour Nicomaque de donner et expliquer le nom de chaque degré constitutif de cette échelle. Le dernier chapitre entend donner la structure de l’échelle sur une double octave dans les deux genres qui n’ont pas encore été abordés : le genre chromatique (où le tétracorde a la forme demi-ton / demi-ton / ton et demi) et le genre enharmonique (où le tétracorde a la forme quart-de-ton / quart-de-ton / diton). Toutefois, avant d’y arriver, Nicomaque récapitule un certain nombre de définitions qu’il tire des précédents développements : le son, l’intervalle, le rapport, la différence et le système. Il définit ensuite les trois genres (diatonique, chromatique et enharmonique), en explicitant les degrés de l’échelle qu’ils ont en commun (les « notes fixes ») et les degrés qui changent (les « notes mobiles »). Il propose pour finir un diagramme qui a la particularité de mêler les trois genres pour montrer comment tous ces degrés se situent les uns par rapport aux autres. Le texte se clôt sur quelques lignes qui sont une ultime adresse à la destinataire du manuel29. Nicomaque multiplie les précautions oratoires pour convaincre sa lectrice qu’il n’a pas pris le temps d’argumenter dans les détails, mais à y regarder de près, il a pris le soin de bien construire son texte, selon une progression qui se veut pédagogique. Si l’on examine les jeux d’échos qui parsèment le manuel, on se rend compte qu’il ne s’agit pas d’un catalogue de petites leçons sur l’harmonique mises bout à bout, mais bien d’un ensemble cohérent dont les parties se répondent les unes aux autres autour d’un centre constitué par le chapitre sur la division de l’octave que Nicomaque présente comme une invention pythagoricienne. La figure de Pythagore est évidemment un fil rouge de la démonstration, mais il y a d’autres reprises d’un chapitre à l’autre. L’ensemble du manuel est encadré par le chapitre I, dont on a souligné la fonction introductrice, et les dernières lignes du chapitre XII : on retrouve d’un texte à l’autre l’adresse directe à la lectrice, mais aussi l’allusion aux nombreux voyages de Nicomaque, jusqu’à certaines formules comme « à la première occasion » (διὰ 29 Cf. annexe à cet article.

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τῆς πρωτίστης ἀφορμῆς / μετὰ τῆς πρώτης ἀφορμῆς) et l’invocation aux dieux (θεῶν ἐπιτρεπόντων). Si l’on fait apparaître plus clairement les thèmes récurrents dans le manuel, on obtient l’organisation suivante : I. Introduction II. Définition des deux types de voix III. Nom des notes en lien avec les planètes

IV. Le rôle des nombres dans la science acoustique



V. Invention de l’échelle d’octave par Pythagore



VI. Découverte des rapports numériques par Pythagore et expérience acoustique



VII.

Division de l’octave inventée par Pythagore

VIII.  Création du monde selon des rapports numériques par le démiurge du Timée

IX. Description de l’échelle d’octave par Philolaos, disciple de Pythagore

X. Le rôle des nombres dans la science harmonique

XI. Nom des notes dans la double octave

XIIa. Définition de différents concepts XIIb. Conclusion Cette structure annulaire ne saurait surprendre de la part d’un Pythagoricien, d’autant que Nicomaque explique que Pythagore a inventé l’échelle d’octave (c’est-à-dire la décomposition de l’octave en cinq tons et deux demi-tons) en plaçant un ton central entre deux tétracordes. Ce jeu de construction symétrique s’explique aussi par la dimension orale de l’exposé : les reprises permettent de s’assurer que la lectrice suit bien les explications et met en réseau l’ensemble des connaissances apportées par le professeur. On pourrait objecter que ces échos ne sont pas toujours explicites et ne seraient pas immédiatement accessibles, mais outre que la lectrice pouvait relire la lettre autant qu’elle le souhaitait, Nicomaque indique lui-même un cas où les chapitres se répondent, au début du chapitre X : Πάλιν οὖν ἀνελθόντες ἐπὶ τὸν πρότερον λόγον συνάπτωμεν τὰ ἑξῆς, « Revenons à notre propos précédent et attachons-y ce qui suit ». Or le propos précédent n’est pas le chapitre IX, mais le chapitre IV, car il s’agit des proportions numériques de la tension et de la longueur des cordes. Les chapitres IV et X forment donc un ensemble symétrique qui encadre tout le développement sur les origines de la science harmonique de Pythagore à ses disciples de Grande-Grèce, Timée de Locres – dont Platon est censé rapporter les propos – et Philolaos de Crotone. Pour ces deux autorités, Nicomaque procède un peu différemment : s’il donne le texte verbatim de Philolaos, il donne plutôt une paraphrase du Timée de Platon. En revanche, dans les deux cas, il prend le soin d’expliquer à sa lectrice les

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points complexes et les possibles malentendus. L’ensemble de la structure du texte, à l’échelle du traité ou du chapitre, vise toujours la même fin : transmettre un savoir technique en le rendant accessible. C’est bien ce qu’il écrit au début du chapitre XII : Ἵνα δὲ τὴν κατὰ τὰ τρία γένη προβίβασιν ἀπὸ προσλαμβανομένου μεχρὶ ὑπερβολαίας νήτης εὐτάκτως ἐκτατὴν ἔχῃς, εὔλογον μικρὰ ἔτι ἄνωθεν προςυπομνῆσαι ἀπὸ τῶν ἤδη εἰρημένων ἀρξάμενον ἕνεκα σαφηνείας. Afin que tu aies, en bon ordre et dans toute son extension, la progression de la proslambanomène à la nète des hyperbolées [c’est-à-dire de la note la plus grave à la plus aiguë] selon les trois genres, il est raisonnable de rappeler encore quelques points vus plus haut, en commençant par ce que nous avons déjà dit, pour la clarté du propos.

Le style de Nicomaque Si la structure du manuel obéit bien à une progression pédagogique, Nicomaque recourt à d’autres procédés pour simplifier son propos : narration d’une légende, ressources du langage et lien entre théorie et pratique. L’anecdote que Nicomaque rapporte à propos de Pythagore montre un certain goût pour le récit, d’une façon assez inattendue dans un traité technique, qui obéit à ce scrupule typiquement grec de trouver un πρῶτος εὑρετής, un « premier inventeur »30. Cette saynète, qui sacrifie quelque peu au pittoresque, se présente comme un conte écrit au passé, dont le cadre spatio-temporel est assez vague : on peut parler de μῦθος. La situation initiale en effet montre Pythagore se promenant sans but précis, dans une cité dont le nom n’est pas donné et à une date indéterminée. Nicomaque ajoute qu’il est perdu dans ses pensées, son principal souci étant de trouver un outil qui lui permette de mesurer les sons. L’élément perturbateur est provoqué « par un hasard divin » (ἔκ τινος δαιμονίου συντυχίας), qui a conduit les pas du philosophe auprès de l’atelier d’un bronzier, qui frappe le métal sur ses enclumes, ce qui au demeurant constitue un précieux témoignage sur le paysage sonore des cités grecques. S’ensuivent les péripéties : Pythagore reconnaît les intervalles musicaux, se précipite dans l’atelier et comprend que la différence s’explique par la masse des marteaux. Après les avoir pesés, il rentre chez lui, ce qui constitue le tournant du récit. Il établit ensuite un protocole expérimental qu’il met en œuvre en attachant des poids à des cordes de longueur identique, ce qui lui permet de vérifier les différents rapports numériques dans lesquels peuvent être exprimés les intervalles : en effet, il obtient des notes différentes et retrouve les intervalles de quarte, de quinte et d’octave grâce à des poids de 6, 8, 9 et 12 unités. Ainsi, Pythagore a conçu une solution à son problème et l’élément de résolution du récit est qu’« il a trouvé que la conception par le nombre était

30 A. Meriani, « Un esperimento di Pitagora (Nicom. Harm. Ench. 6, pp. 245-248 Jan) », dans B. Gentili, F. Perusino (éd.), MOUSIKE. Metrica ritmica e musica greca in memoria di G. Comotti (Studi di metrica classica, 11), Pise-Rome, 1995, p. 77-92.

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consonante dans tout et immuable » (σύμφωνον εὕρισκεν ἐν ἅπασι καὶ ἀπαράλλακτον τὴν δι’ ἀριθμοῦ κατάληψιν)31. Par conséquent, quel que soit l’instrument qu’il peut utiliser (pots, auloi, syrinx, monocorde, harpe trigone, etc.), les intervalles pourront toujours être exprimés par les mêmes nombres. Telle est donc la situation finale : Pythagore dispose d’une règle graduée de 0 à 12 où il peut placer chacune des notes fixes de l’octave, de la note la plus grave (l’hypate) à la note la plus aiguë (la nète), sachant que la mèse est une quarte plus haut que l’hypate et la paramèse une quarte plus bas que la nète. Ainsi, l’hypate sera sur le 6, la mèse sur le 8, la paramèse sur le 9 et la nète sur le 12. On retrouve ainsi les rapports numériques des intervalles. Il y a une octave entre l’hypate et la nète, ce qui correspond à un rapport double (12 :6 = 2 :1). Il y a une quinte entre l’hypate et la paramèse, ce qui correspond à un rapport hémiolique (9 :6 = 3 :2), et une quarte entre l’hypate et la mèse, ce qui correspond à un rapport épitrite (8 :6 = 4 :3). Enfin, le ton entre la mèse et la paramèse s’exprime en rapport épogdoïque (9 :8). Comme le reste du traité, l’anecdote est construite en structure annulaire : a. Pythagore cherche un instrument de mesure des sons b.

Pythagore entend les coups de marteau sur l’enclume



c. Pythagore comprend que la différence est due à une différence de masse



d. Pythagore rentre chez lui

c’. Pythagore vérifie son intuition par un protocole expérimental fondé sur des poids

b’. Pythagore applique sa découverte à tous les types d’instruments a’. Pythagore a inventé une règle graduée où il peut disposer son octave Nicomaque propose un récit étiologique dont c’est la première attestation, même si l’intérêt de Pythagore pour les rapports numériques en harmonique était déjà affirmé par Xénocrate de Chalcédoine (fr. 9 Heinze), ce récit visant à rendre compte d’une découverte scientifique majeure, au fondement même de l’harmonique. L’histoire sera reprise par Jamblique, Macrobe et Boèce32. Le récit est pourtant fallacieux : Claude Ptolémée le premier avait émis des doutes33, mais c’est le Danois Christian Huygens qui au xviie siècle met en évidence le caractère erroné de la démonstration : la fréquence des cordes est proportionnelle non à la masse, mais à la racine carrée de la masse34. Pythagore aurait donc dû suspendre non pas les poids 6, 8, 9 et 12 mais 1, 4, 9 et 12. L’expérience ne fonctionne que si l’on change la longueur des cordes en gardant un poids invariant, l’inverse n’étant pas vrai. Nicomaque n’a donc pas procédé 31 Nicomaque de Gérasa, Manuel d’harmonique, chap. VI. 32 Jamblique, Vie de Pythagore, XXVI ; Macrobe, Commentaire au Songe de Scipion, II, 1 ; Boèce, Institution musicale, I, 10-11. Théon de Smyrne rapporte la même découverte à Hippasos avec des vases d’eau (Exposition des connaissances mathématiques utiles pour la lecture de Platon, II, 12bis). 33 Claude Ptolémée, Harmoniques, I, 8. 34 Chr. Huygens, Portefeuille 27 (Musica), f. 56.

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lui-même à l’expérience, mais il se sert de ce récit pour montrer de façon ludique à sa lectrice comment l’harmonique s’est constituée en science. Nous avons donc ici un exemple de μῦθος au service du discours scientifique, que l’on peut rapprocher d’un fragment provenant peut-être du traité plus complet qu’ambitionnait Nicomaque, pour expliquer comment la lyre, invention divine, fut transmise aux mortels par Hermès, et ce par l’intermédiaire de plusieurs héros35 : Τὴν λύραν τὴν ἐκ τῆς χελώνης φασὶ τὸν Ἑρμῆν εὑρηκέναι καὶ κατασκευάσαντα ἑπτάχορδον παραδεδωκέναι τὴν μάθησιν τῷ Ὀρφεῖ. Ὀρφεὺς δὲ ἐδίδαξε Θάμυριν καὶ Λῖνον· Λῖνος Ἡρακλέα, ὑφ’ οὗ καὶ ἀνῃρέθη. ἐδίδαξε δὲ καὶ Ἀμφίωνα τὸν Θηβαῖον, ὃς ἐπὶ τῶν ἑπτὰ χόρδων ἑπταπύλους τὰς Θήβας ᾠκοδόμησεν. ἀναιρεθέντος δὲ τοῦ Ὀρφέως ὑπὸ τῶν Θρᾳκικῶν γυναικῶν τὴν λύραν αὐτοῦ βληθῆναι εἰς τὴν θάλασσαν, ἐκβληθῆναι δὲ εἰς Ἄντισσαν πόλιν τῆς Λέσβου. Eὑρόντας δὲ ἁλιέας ἐνεγκεῖν τὴν λύραν πρὸς Τέρπανδρον, τὸν δὲ κομίσαι εἰς Αἴγυπτον. [εὑρόντα δὲ αὐτὸν] ἐκπονήσαντα ἐπιδεῖξαι τοῖς ἐν Αἰγύπτῳ ἱερεῦσιν, ὡς αὐτὸν πρωθευρετὴν γεγενημένον. Τέρπανδρος μὲν οὕτω λέγεται τὴν λύραν εὑρηκέναι, Ἀχαιοὺς δὲ ὑπὸ Κάδμον τοῦ Ἀγήνορος παραλαβεῖν. Tηνικαῦτά φασιν. On dit que c’est Hermès qui a inventé la lyre à partir d’une carapace de tortue et, qu’après avoir fabriqué l’heptacorde, il en transmit la connaissance à Orphée. Orphée l’enseigna à Thamyris et Linos – et Linos à Héraclès, par qui il fut tué. Il l’enseigna aussi à Amphion le Thébain, qui, en jouant sur ses sept cordes, érigea Thèbes aux sept portes. Lorsqu’Orphée fut tué par les femmes de Thrace, sa lyre fut jetée dans la mer, puis rejetée à Antissa, cité de Lesbos. Des pêcheurs la trouvèrent et la portèrent à Terpandre, qui l’emporta en Égypte. Il s’exerça puis la montra aux prêtres d’Égypte en prétendant qu’il en était lui-même le premier inventeur. Ainsi dit-on que Terpandre a inventé la lyre et que les Achéens l’ont reçue de Cadmos fils d’Agénor. Voilà ce que l’on dit. Ce développement, dont on ignore malheureusement où il prenait place, témoigne de la volonté de comprendre comment le savoir musical a été transmis aux hommes. Si l’on peut sourire de ces nombreuses péripéties, il faut remarquer l’effort de construire un discours cohérent fondé sur des mythes indépendants. On remarquera aussi le renversement de perspective consistant à expliquer que le savoir n’a pas été transmis des Égyptiens aux Grecs, ce qui est un topos de la littérature antique, notamment platonicienne, mais des Grecs aux Égyptiens, comme dans le texte de Philon cité plus haut : l’influence alexandrine est probable. Nicomaque s’inspire donc très clairement des textes platoniciens, avec lesquels, parfois, il prend un peu de distance. Nicomaque emprunte un autre procédé à Platon, l’explication de certains points par l’étymologie fondée sur la paronomase, une démarche plutôt fantaisiste, ainsi dans le chapitre III consacré à l’astronomie. Il affirme qu’un astre se déplace dans l’éther « privé d’arrêt et sans cesse en course » (στάσεως ἐστερημένος καὶ ἀεὶ θέων) et que c’est pour cette raison que les étoiles sont appelées ἀστήρ, c’est-à-dire selon lui

35 Nicomaque de Gérasa, fragment 1.

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« sans repos », considérant que le mot appartiendrait à la famille de στάσις avec un alpha privatif. En outre, chaque planète a reçu le nom d’un dieu (θεός) parce qu’elle est « en course » (θέων) ; l’éther (αἰθήρ) serait également un dérivé de ce verbe. On ne saurait souscrire à de telles assertions et, inversement, on ne peut qu’être surpris du fait que Nicomaque ne présente pas l’étymologie réelle de « planète » à partir de πλανάομαι, « errer », qui aurait pourtant servi son propos. Une des explications que l’on peut avancer tient à son souci de faire intervenir une puissance divine. On a vu dans l’introduction et la conclusion qu’il s’en remettait aux dieux pour écrire un traité plus développé et que Pythagore avait été poussé par un hasard divin. Nicomaque recourt également à des comparaisons ou des métaphores empruntées à d’autres champs sensoriels. Ainsi, dans le chapitre II, il explique la distinction entre la voix qui parle et celle qui chante en disant que le chant est de l’ordre de « l’empilement » (κατὰ σωρείαν) et non du « mélange » (κατὰ ἔγκρασιν) des sons. Plus loin, il ajoute, pour faire comprendre que certains sons échappent à nos oreilles, que « de même, par exemple, sur les balances certains corps n’ont aucun poids apparent – la vapeur, les écorces ou d’autres corps du même genre ; toutefois, lorsqu’avec une accumulation de corps de ce genre un début d’inclinaison devient apparent, alors nous disons que c’est la première étape de la science des poids » (καθ’ ἃ λόγου χάριν κἀν τοῖς ζυγικοῖς ἔστι τινὰ σώματα ἥκιστα βάρους ἐμφαντικά, ἄχναι ἢ πίτυρα ἢ τοιαῦθ’ ἕτερα· ἀλλ’ ὅταν κατ’ ἐπισύνθεσιν τῶν τοιούτων ἤδη ῥοπῆς ἀρχή τις ἐμφαίνηται, τότε τῆς ζυγικῆς ἐπιστήμης φαμὲν τὴν πρώτην ὑποδρομὴν ὑπάρχειν.). La mise en relation des différents sens les uns avec les autres se retrouve dans le chapitre VI, où il définit l’outil que Pythagore voudrait « inventer une aide instrumentale pour l’ouïe qui fût solide et fiable, comme l’œil en possède avec le compas, la règle ou encore la dioptre, et le toucher avec la balance ou l’invention des mesures » (τῇ ἀκοῇ βοήθειάν τινα ὀργανικὴν ἐπινοῆσαι παγίαν καὶ ἀπαραλόγιστον, οἵαν ἡ μὲν ὄψις διὰ τοῦ διαβήτου καὶ διὰ τοῦ κανόνος ἢ καὶ διὰ τῆς διόπτρας ἔχει, ἡ δ’ ἁφὴ διὰ τοῦ ζυγοῦ ἢ διὰ τῆς τῶν μέτρων ἐπινοίας). On retrouve la balance, explicitement associée au sens du toucher, mis ici sur le même plan que la vue. C’est au demeurant une habitude des Grecs d’utiliser le vocabulaire issu d’autres sens pour caractériser les réalités sonores, comme Nicomaque le rappelle lui-même au chapitre XII avec le terme de « couleur » (χρῶμα) pour les demi-tons. Dans le chapitre IV, il écrit également que certaines cordes retrouvent leur position naturelle « doucement et sans agitation, à l’image d’un fil à plomb de charpentier » (αἱ δὲ ἠρέμα καὶ ἀκραδάντως κατ’ εἰκόνα τῆς τεκτονικῆς στάθμης). De toute évidence, Nicomaque vit entouré d’instruments de mesure et d’outils divers qui constituent son quotidien. Dans ce même chapitre, l’auteur exploite une autre métaphore liée à la notion d’espace, qui permet de visualiser les sons : « l’intervalle est une sorte de route » (ὁδὸν ποιάν). Cette métaphore prend une résonance toute particulière dans le Manuel, car elle fait écho à la situation même de Nicomaque qui se présente comme constamment « en route ». Un dernier aspect de la méthode de Nicomaque est la mise en relation de la théorie avec la pratique instrumentale, même s’il s’agit surtout de comprendre le fonctionnement d’un instrument plutôt que d’apprendre véritablement à en jouer. Dès le chapitre IV, il donne une classification des instruments avec d’un côté des instruments à insufflation (αὐλοί, σάλπιγξ, σύριγξ, ὕδραυλος, etc.) et de l’autre des

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instruments à tension (κίθαρα, λύρα, σπάδιξ, etc.). Analysant les propriétés de ces instruments, il postule même l’existence d’une troisième catégorie qui comprendrait les deux types d’instruments (πλαγίαυλος et φώτιγξ d’un côté, monocorde et harpe trigone de l’autre). Son intérêt pour les instruments est si important qu’il précise même que le monocorde a un nom générique, φάνδουρος, et un nom spécifique aux Pythagoriciens, κανών : ce sont des éléments empruntés à la science organique, une des quatre sciences constitutives de la science musicale. Le chapitre X du Manuel, consacré à l’arrangement des sons d’après les rapports arithmétiques, est emblématique à ce titre. Afin que sa lectrice comprenne bien que ces propriétés mathématiques des intervalles sont universelles, il reprend le cas des cordes, sans doute le plus évident, mais développe ensuite celui des auloi et des syrinx. Dans le cas des cordes, l’intervalle obtenu dépend de la longueur de la corde vibrante et par conséquent le rapport chiffré de cet intervalle est en fait un rapport de longueur. Il applique le même principe à des auloi qui toutefois sont théoriques, car il présuppose une perce équidistante des trous, ce qui ne correspond pas à la facture des auloi contemporains, qui doivent jouer un plus grand nombre de notes que celles dont Nicomaque a besoin pour sa démonstration. Il imagine donc un aulos pourvu de trois trous découpant le tuyau en quatre sections de longueur égale, et reporte les remarques faites sur les cordes à la colonne d’air, même s’il n’identifie pas ce phénomène sous ce terme. Il ajoute pour finir le cas des syrinx ou flûtes de Pan, qui permettent de bien voir que les différentes longueurs de tuyaux impliquent des hauteurs de note différentes, et le rapport de l’un à l’autre est équivalent aux cordes de différentes longueurs. Il fait enfin cette remarque pertinente que le diamètre des tuyaux est aux aérophones ce que l’épaisseur de la corde est aux cordophones : pour que l’expérience soit concluante, il faut que ce paramètre reste identique d’une corde à l’autre ou d’un tuyau à l’autre. Cette attention portée à la fois aux rapports mathématiques et à leur réalisation dans le corps même des instruments correspond parfaitement à ce que nous avons vu en introduction pour les μουσικοί. Par conséquent, Nicomaque s’inscrirait bien dans une tradition connue depuis l’époque hellénistique de professeurs itinérants fondant leur enseignement à la fois sur un discours scientifique et sur une certaine pratique instrumentale.

Conclusion Pour conclure, le traité de Nicomaque apporte un éclairage original sur la manière d’enseigner la théorie harmonique dans l’Orient romain aux ier-iie siècle ap. J.-C., même si la transmission de ce type de savoir ne devait se faire que très rarement par voie épistolaire. Toutefois, cette lettre s’appuie sur un aide-mémoire qui devait faire partie du quotidien de ces professeurs appartenant à des écoles philosophiques. La relation maître-disciple apparaît sous un jour nouveau : l’élève est une femme, appartenant à une société romaine versée dans les arts et les lettres grecs, et une relation proche de l’amitié semble s’être nouée entre elle et Nicomaque. Il est intéressant de voir les différents moyens utilisés par Nicomaque pour conserver l’attention de son élève et pour l’aider à bien comprendre les arcanes de la musique. Les procédés rhétoriques mis en œuvre montrent que, sous couvert

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d’écrire rapidement dans son voyage, Nicomaque choisit soigneusement le vocabulaire qu’il emploie, conscient que toutes les ressources de la langue grecque peuvent être mises au service de la transmission du savoir. Le profil d’enseignant qui transparaît dans ce manuel entre en résonance avec ce que nous apprennent les inscriptions hellénistiques sur l’itinérance de ces passeurs de culture musicale, qui mêlaient abstraction mathématique et considérations organologiques. L’harmonique y apparaît également indissociable de la physique et de l’astronomie, une étape préparatoire à ce qui constituera le quadrivium médiéval : arithmétique, géométrie, astronomie et musique. Sylvain Perrot CNRS, UMR 7044 Archimède, Strasbourg

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Annexe Chapitre I

Εἰ καὶ πολύχους καθ’ ἑαυτὸν καὶ δυσπερίληπτος ἑνὶ συμπερανθῆναι ὑπομνήματι ὁ περὶ τῶν ἐν τοῖς ἁρμονικοῖς στοιχείοις διαστημάτων τε καὶ σχέσεων ὑπάρχει λόγος, ἐγώ τε ἄλλως ὑπὸ τῆς ὁδοιπορικῆς ἀκαταστασίας καὶ συνεπείζεως οὐκ ἀκυμάντῳ τοῦ λόγου φροντίδι καὶ διανοίᾳ δυνατός εἰμι τῇ περὶ τούτων ἐπιβαλέσθαι διδασκαλίᾳ μετὰ τῆς προσηκούσης σαφηνείας σχολαίου μάλιστα καὶ ἀπερισπάστου δεομένης καιροῦ τε καὶ συλλογισμοῦ, – πᾶσαν ὅμως ἐπιρρωστέον ἐστί μοι σπουδὴν σοῦ γε κελευούσης, ἀρίστη καὶ σεμνοτάτη γυναικῶν, κἂν αὐτὰ ψιλὰ τὰ κεφάλαια χωρὶς κατασκευῆς καὶ ποικίλης ἀποδείξεως ἐκθέσθαι σοι κατ’ ἐπιδρομήν· ἵνα ὑπὸ μίαν ἔχουσα αὐτὰ σύνοψιν ἐγχειριδίῳ τε ὡσανεὶ χρωμένη τῇ βραχείᾳ ταύτῃ ὑποσημειώσει ὑπομιμνήσκῃ ἐξ αὐτῆς τῶν ἐν ἑκάστῳ κεφαλαίῳ κατὰ πλάτος λεγομένων τε καὶ διδασκομένων. θεῶν δὲ ἐπιτρεπόντων αὐτίκα μάλα σχολῆς λαβόμενος καὶ τῆς ὁδοιπορίας ἀνάπαυσιν σχὼν συντάξω τέ σοι μείζονα καὶ ἀκριβεστέραν εἰσαγωγὴν περὶ αὐτῶν τούτων καὶ πλήρει τὸ λεγόμενον συλλογισμῷ διηρθρωμένην καὶ ἐν πλείοσι βιβλίοις, καὶ διὰ τῆς πρωτίστης ἀφορμῆς ἀποπέμψω, ἔνθα ἂν διάγειν ὑμᾶς πυνθανώμεθα. τὴν δὲ ἀρχὴν ἐκεῖθέν ποθεν ποιήσομαι ῥᾴονος ἕνεκα παρακολουθήσεως, ὅθεν καὶ ἡνίκα ἐξηγούμην σοι περὶ αὐτῶν τούτων τὴν τῆς διδασκαλίας ἐποιησάμην ἀρχήν.

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sylva i n p e r rot

Bien qu’un exposé sur les intervalles et les rapports qui se trouvent dans les éléments harmoniques se trouve être en soi très riche et difficile à embrasser en un unique aide-mémoire et que pour ma part je ne sois d’ailleurs pas en mesure, du fait de l’instabilité et de la grande hâte qui accompagnent mes voyages, de me plonger dans l’enseignement de ces questions dans le calme, le soin et la réflexion et avec la clarté qui convient et qui réclame un moment opportun et un raisonnement laissant tout loisir et surtout sans distraction, il me faut néanmoins éveiller tout mon zèle, car c’est toi qui me le demandes, la meilleure et la plus vénérable des femmes, à t’exposer les chapitres, même si je ne les développe pas, sans préparation ni démonstration élaborée, à toute vitesse, afin que, en embrassant d’un seul regard ces questions et en utilisant comme un manuel ces brèves notes, tu te souviennes grâce à elles de ce qui est dit et enseigné dans les grandes lignes dans chaque chapitre. Avec l’aide des dieux, dès que j’en aurai vraiment le loisir et que j’aurai fait une pause dans mes voyages, je composerai pour toi une introduction à ces matières plus précise, qui aura articulé le propos à un raisonnement complet et en plusieurs livres, et je te l’enverrai à la première occasion là où j’aurai appris que vous vivez. Pour que tu suives plus facilement, je placerai le début de mon enseignement précisément là où je l’avais débuté quand je t’expliquais ces questions. Chapitre XII (fin)

Τῇς δὲ γραφῆς τοιαύτης τῇ ἐπείξει συγγινώσκουσα – σύνοισθα γὰρ, ὅτι ἐν αὐτῇ τῇ ὁδεύσει μοι ἐπέταξας παντοίως μετεώρῳ – κατὰ τὸν ἡμερώτατόν σου τρόπον καὶ κοινῶν νοημονέστατον ἀπόδεξαι μὲν ὡς ἀπαρχήν τινα καὶ ἐξευμενισμόν, προσδέχου δὲ θεῶν ἐπιτρεπόντων πληρεστάτην καὶ παντοίως ἐντελεστάτην τὴν περὶ αὐτῶν τούτων τεχνολογίαν αὐτίκα μάλα σοι ὑπ’ ἐμοῦ πεμφθησομένην μετὰ τῆς πρώτης ἀφορμῆς. Pardonne une telle hâte dans mon écrit – car tu sais bien que tu m’as enjoint de le faire en plein dans mon voyage, sans jamais poser pied à terre – et reçois-le, avec la plus grande indulgence et la plus grande intelligence des choses communes, comme des prémisses et un présent d’amitié, et attends-toi, avec l’aide des dieux, à recevoir de ma part l’ouvrage technique le plus complet et le plus abouti à tout point de vue sur ces matières, à la première occasion.

Libanios et les lois de l’école

Les discours 34 (En réponse aux diffamations du pédagogue), 35 (À ceux qui ne prennent pas la parole) et 36 (Sur les maléfices) de Libanios ont pour point commun de se référer au νόμος comme principe organisateur du cadre scolaire et condition du maintien de l’ordre dans la classe du sophiste. Depuis 354, celui-ci exerçait au sein de l’école municipale d’Antioche en tant que professeur recruté par l’État et payé sur des fonds publics. Si on compte seulement une occurrence du mot dans le discours 35 et deux dans le discours 36, il n’y en a pas moins de neuf dans le discours 34. Cette fréquence lexicale signale l’existence au sein de la classe d’un véritable « règlement intérieur ». Il s’agira dans un premier temps d’établir une typologie des νόμοι propre à justifier les différentes traductions possibles du substantif ; cette approche philologique sera complétée par un relevé des autres moyens lexicaux ou syntaxiques utilisés par Libanios – vocabulaire de substitution et types de phrases – pour évoquer l’ensemble de ces « lois ». Puis, en élargissant notre investigation à d’autres textes, nous reconstituerons le règlement dans ses différents champs d’application. Par ailleurs, l’école municipale d’Antioche ne fut pas toujours réduite à la classe de rhétorique de Libanios, ce qui pose la question de la portée de son règlement : concernait-il seulement les élèves du sophiste ou était-il appliqué, en totalité ou en partie, par d’autres professeurs, dont des professeurs privés enseignant dans la même ville ? Un travail de mise en perspective de ses νόμοι avec le mode de fonctionnement d’autres maîtres ou d’autres écoles peut pallier l’imprécision de nos sources. Enfin, nous nous demanderons pourquoi Libanios n’a recours à l’argument du νόμος qu’en référence à certaines règles et pas à d’autres.

Étude lexicale, typologie et traduction Dans le vocabulaire libanien, quand le terme νόμος ne revêt pas son sens politique et qu’il n’a pas pour complément un nom abstrait (la loi de l’amitié1, la loi de la guerre2,

1 Ep. 845, 1 : τῆς φιλίας ὁ νόμος ; Or. 11, 215 : ὁ φιλίας νόμος. 2 Par exemple Decl. 1, 106 ; Prog. 6, 2 : νόμῳ πολέμου. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 235-250 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121144

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la loi de la fête3…), il peut désigner une ligne ou règle de conduite caractérisant un individu. Les exemples de cet emploi sont nombreux4. Dans le cadre d’une relation à autrui, le mot désigne une manière d’être ensemble5. Dans un contexte scolaire, le substantif s’enrichit de nouvelles connotations car il est employé par Libanios pour désigner des pratiques auxquelles ses élèves devaient se plier. Or, on distingue plusieurs catégories de « lois » dans ce qu’il regroupe sous l’appellation unique de νόμοι, ce qui engage à ne pas proposer une traduction unique pour ce terme générique. Certains νόμοι sont caractérisés pas leur ancienneté. Dans le discours 34, l’adjectif ἀρχαῖος qualifie le substantif à deux reprises : νόμος ἦν ἀρχαῖος6 ; νόμον οὕτως ἀρχαῖον7. L’adverbe πάλαι8 peut prendre le relais ; il signifie alors « depuis longtemps ». Par opposition à ces νομοί qui relèvent d’une longue tradition, Libanios évoque un νόμος qui lui est propre, οὑμὸς νόμος9, même s’il représente lui aussi une vieille habitude :… πάλαι γὰρ ἐθάς εἰμι τοῦ10… Pour mieux les distinguer, on parlera donc d’« usages » ou de « traditions » pour les νόμοι de la première catégorie et de « pratiques » pour ceux de la seconde. Pour les νόμοι qu’aucune précision fournie par Libanios ne permet de classer dans l’une ou l’autre de ces catégories, c’est le contexte qui amène à différencier « règles » et « lois » selon que les νόμοι évoqués sont plutôt considérés dans leur dimension pratique et comme des moyens mis en œuvre pour obtenir un résultat ou comme des impératifs moraux qui ne trouvent de justification qu’en eux-mêmes11. Par exemple, lorsque, dans le discours 35, Libanios reproche à ses anciens élèves d’être incapables de prendre la parole lors des réunions du Conseil d’Antioche, il leur rappelle qu’ils ont reçu la même formation que ceux qui arrivent à s’exprimer : ils ont « tous été formés selon les mêmes règles » (τοῖς αὐτοῖς…νόμοις12). La traduction de νόμοις par « règles » s’impose ici puisque le terme se réfère à un programme et à des méthodes d’enseignement qu’il faut suivre en vue d’acquérir un certain niveau. En revanche, les exigences morales du maître à l’égard de ses élèves relèvent plutôt de « lois » ; lui être fidèle en restant dans sa classe jusqu’à la fin de l’année scolaire est une « loi établie » (νόμον κείμενον13). Certains événements ponctuant l’année scolaire, par exemple le discours prononcé par le maître en fin d’année14, relevaient quant à eux de pratiques dont nous ignorons si elles étaient des traditions de l’école

3 Ep. 1329, 1 : τῷ νόμῳ τῆς ἑορτῆς. 4 Voir Ep. 357, 4 ; Ep. 300, 4. 5 Voir Ep. 310, 5. 6 Or. 34, 4 : « …était un vieil usage ». Toutes les traductions proposées sont de Catherine Bry. 7 Or. 34, 24 : « un usage aussi ancien ». 8 Le même adverbe peut être employé à la fois en référence à une tradition ancienne initiée par les anciens ou à une vieille habitude personnelle. Voir infra n. 10. 9 Or. 36, 9. 10 Or. 3, 9 : « en effet, je suis habitué depuis longtemps à… » 11 Cette typologie est inspirée de la distinction établie par Kant dans Fondements de la Métaphysique des mœurs, 2e section, entre les impératifs hypothétiques et les impératifs catégoriques. 12 Or. 35, 21. 13 Or. 36, 13. 14 Voir infra p. 240.

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ou avaient été instituées par Libanios ; dans ce dernier cas, la traduction de νόμον15 par « habitude16 » peut se justifier, d’autant plus que Libanios lui-même nomme ce discours : τὸν εἰωθότα λόγον17 (« …le discours habituel »). Cette première typologie fondée sur la nature des différents νόμοι constituant le règlement n’est pas la seule envisageable ; une autre peut prendre en compte les différents aspects du fonctionnement de la classe. On en dénombre cinq : l’organisation du temps scolaire, la discipline, le programme et la pédagogie, les sanctions, les revenus du maître. Or, ces deux typologies se recoupent dans certains cas : les contraintes pesant sur le temps scolaire et la progression de l’apprentissage relèvent en effet de νόμοι anciens. Par ailleurs, le substantif νόμος n’est pas systématiquement employé par Libanios. Un lexique de substitution apparaît parfois, soit pour désigner d’un autre tour ce qui a déjà été nommé ainsi : c’est le cas par exemple de la périphrase synonymique : τὰ παρ’ ἡμῶν (« Ce qui est en vigueur chez nous ») qui reprend « un vieil usage » employé juste avant18 ; soit pour conférer le caractère de νόμος à certaines pratiques auxquelles le terme propre n’est jamais appliqué : quand Libanios évoque l’échelle de sanctions qu’il applique à ses élèves, il choisit la tournure verbale ὡς ἔχω : ἐγὼ δὲ ὡς ἔχω περὶ τούτων, ἄκουσον· (« Écoute comment j’agis relativement à ces questions19 »). Les lexiques du droit et de la contrainte viennent aussi compléter le substantif : certains νομοί sont en effet assortis de droits accordés aux élèves et lorsque le νόμος est ancien, le droit l’est aussi : πάλαι νενικηκότος δικαίου20 (« …un droit qui prévaut depuis longtemps ») ; d’autres sont plutôt présentés comme des contraintes par le biais du verbe ἔδει employé à deux reprises : ἔδει δὴ γενέσθαι21… (« …devait être appliqué… »). Ces contraintes ont pour corollaires des interdits : οὐκ ἐνῆν…, ἀλλ’ ἔδει… (« Il n’était pas possible de… mais il fallait22… »). Enfin, le règlement peut être exprimé à l’aide d’énoncés au présent de généralité23.

Reconstitution du règlement de la classe de Libanios Il est possible de reconstituer le règlement intérieur de la classe de Libanios en distinguant ses cinq champs d’application.

15 Or. 3, 2 ; 5. 16 J. Martin, Libanios, Discours II-X, Paris, 1988 traduit par « l’usage établi » (Or. 3, 2 p. 92) puis par « la coutume » (Or. 3, 5 p. 93). 17 Or. 3, 1. 18 Or. 34, 4. Voir supra n. 6. 19 Ep. 1330, 2. A-J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne  : Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959, traduit (p. 112) par : « Écoute donc quelle est ma méthode sur ce point. » 20 Or. 34, 5. 21 Or. 34, 4. 22 Or. 34, 15 : τὰ τελεώτερα δὲ γράφειν εὐθὺς οὐκ ἐνῆν, ἀλλ’ ἔδει πρότερον… 23 Voir Or. 58, 9 ; Or. 34, 28.

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Inscription et constitution de la classe

Nous disposons tout d’abord d’informations sur la constitution de cette classe. Une « loi établie » (νόμος κείμενος24) imposait aux élèves inscrits sur la liste, le κατάλογος25, de ne pas passer, en cours d’année, chez un autre rhéteur. Faisaient « défection » (ἀπόστασις) ceux qui y contrevenaient26. Libanios ne précise pas s’il s’agissait de retenir les élèves en leur faisant prêter serment, procédure normale de conclusion d’un contrat27. Cependant, le fait qu’il désapprouve les pratiques de certains professeurs dont il avait lui-même fait les frais en tant qu’étudiant permet d’émettre des hypothèses sur ses exigences dans ce domaine. Parti en 336 pour Athènes28, il s’était en effet retrouvé séquestré par les acolytes d’un sophiste local et forcé à lui prêter « serment » (ὅρκοι29). Il en avait donc suivi les cours « en qualité d’élève officiel » (ἐν τάξει μαθητοῦ30) tout en assistant par ailleurs aux démonstrations oratoires de deux autres sophistes31. De même, Libanios regrette que l’empereur Julien qui appréciait son art n’ait pas pu être son élève à Nicomédie à cause du sophiste Hécébolios qui l’avait « contraint par de nombreux serments importants32 ». Rien dans ces deux passages ne permet d’affirmer que Libanios s’opposait par principe au fait que des élèves fassent la promesse solennelle de rester fidèles à leur maître si cela relevait de leur libre choix33. En revanche, son hostilité aux serments forcés est clairement exprimée. Elle est confirmée dans un épisode du Bios. En 38634, Libanios dut gérer un groupe « insolent, désireux de nuire et faisant savoir que s’ils voulaient ils feraient pire encore » et contre lequel il employa « une mesure de contrainte (τι τὸ τὴν ἀνάγκην ἔχον), leur interdisant de s’en aller, qu’ils le voulussent ou non35. » Or. 36, 13. Or. 18, 14 ; P. Petit, Les étudiants de Libanius, Paris, 1956, p. 20. Référence au discours 43. A. F. Norman, Antioch as a Centre of Hellenic Culture as Observed by Libanius, Liverpool, 2000, p. 111-112, considère que tous les élèves devaient prêter serment à leur maître et que ce serment constituait la première partie d’un rituel dont la seconde se déroulait sous la forme d’un bizutage dans les bains de la ville. Il présente l’ensemble de ce rituel comme universel. Ce point de vue est contestable, car Norman tire ses conclusions du rapprochement d’auteurs certes variés qui témoignent tous des mêmes pratiques (comprenant aussi du racolage scolaire) mais sans prendre en compte que tous furent étudiants à Athènes et non dans plusieurs villes différentes. 28 Or. 1, 11. 29 Or. 1, 16 : Libanios fut étroitement surveillé jusqu’à la prestation des serments (μέχρι τῶν ὅρκων). 30 Or. 1, 16. 31 Or. 1, 16. 32 Or. 18, 14 : τὸ δὲ αἴτιον τοῦ τοῖς λόγοις χαίρειν, φεύγειν δὲ τὸν ἐκείνων πατέρα, πολλοῖς καὶ μεγάλοις αὐτὸν ὅρκοις ὁ θαυμαστὸς ἐκεῖνος κατειλήφει σοφιστὴς ἦ μὴν ἐμὸν μήτε γενέσθαι μήτε κληθῆναι φοιτητὴν μήτ’ εἰς τὸν κατάλογον ἐγγραφῆναι τῶν ἐμῶν ὁμιλητῶν : « La raison pour laquelle il trouvait du plaisir à mes discours tout en fuyant leur père était que ce merveilleux sophiste l’avait lié par de nombreux serments importants l’empêchant de devenir et de se faire appeler mon élève et d’être inscrit sur la liste de mes étudiants. » 33 Selon R. Cribiore, The school of Libanius in late antique Antioch, Princeton, 2007, p. 192, Libanios ressentait une telle aversion à l’égard des serments à cause de son expérience personnelle qu’il n’en exigeait pas de ses élèves même volontaires pour suivre ses cours. 34 P. Petit, Libanios Tome 1, Autobiographie, Paris, 1979, p. 14. 35 Or. 1, 241. Traduction Petit, Libanios Tome 1, p. 188. 24 25 26 27

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Or, le sophiste refuse de dire quelle fut cette mesure, mais il est probable qu’à court de moyens plus efficaces, il dut, dans ce cas précis, astreindre certains élèves à prêter serment36, non pas comme une condition pour entrer dans son groupe en début d’année, mais comme une sanction exceptionnelle prise en cours d’année – l’épisode se situe pendant l’hiver37 – pour les ramener à leur devoir. Toutefois, avant de faire usage de la coercition, il attendit que « la conscience de leurs torts les ramène à leurs sentiments d’autrefois38. » En vain. Libanios comptait donc avant tout sur le sens moral des jeunes gens, ce qui rend vraisemblable l’hypothèse selon laquelle le serment n’était pas une condition indispensable pour faire partie de sa classe. Le « νόμος » évoqué se réduisait donc à une loi morale exigeant le respect de l’engagement, dépourvu de valeur juridique, pris au moment de l’inscription. Le temps scolaire

D’autres règles organisaient le temps scolaire. Le discours 34 atteste de deux types de circonstances qui amenaient Libanios soit à écourter, soit à supprimer ses cours : les démonstrations oratoires d’élèves et les funérailles de certains Antiochéens. Dans le premier cas, il y avait fermeture de la classe à la suite de la démonstration. Le jeune orateur de quinze ans dépeint dans le discours sort sous les applaudissements et Libanios dit avoir appliqué le règlement – « un vieil usage » – « en n’ajoutant rien à sa démonstration oratoire » et en « ne donn[ant] aucune suite39 » à ses paroles. La fin de la démonstration signalait donc la fin de la classe. Libanios s’abstenait de tout commentaire sur la production de l’élève40. Ses condisciples devaient eux aussi s’interdire de formuler un jugement sur ce qu’ils avaient entendu : « Mais ceux qui, une fois l’assemblée levée, entourent le maître et le font s’asseoir à contre cœur sur sa chaire sans même le laisser souffler, font preuve d’insolence et ont peu de considération pour l’orateur lorsqu’ils crient qu’il les a ennuyés41. » Respecter un jeune orateur était d’autant plus important que l’assemblée comportait un public extérieur à la classe ; en effet, après la démonstration, le sophiste s’attarde dans la salle de conférence42, celle-là même où avaient lieu les leçons comme le montre l’allusion au siège du maître, le θρόνος43, pour converser avec des amis. L’usage consistant à fermer la classe après ce genre d’exercice comportait donc pour les jeunes auditeurs 36 Je rejoins ici l’interprétation de Cribiore, The school…p. 191-192. Norman, Antioch as a Centre… ,p. 113, déclare pleine d’attraits l’interprétation de Petit (Libanios, 1979, p. 269-270, note du chapitre 242), selon lequel Libanios aurait eu recours à des pratiques magiques de défixion pour retenir ses élèves malgré eux. 37 Or. 1, 241 commence par : Ἐκείνῳ μὲν δὴ τῷ χειμῶνι. 38 Or. 1, 242 :…σιωπᾶν δὲ ἠξίουν, ἕως αὑτῶν ἀδικεῖν καταγνόντες ἦσαν ἐν τοῖς προτέροις : « je préférai n’en rien dire jusqu’à ce que la conscience de leurs torts les ramène à leurs sentiments d’autrefois. » 39 Or. 34, 4. 40 Sur ce point précis, voir l’analyse différente de Cribiore, The school…,p. 154, qui affirme, tout en faisant référence au même discours, que ce genre de performance était suivi des « observations et corrections » de Libanios. Notre texte insiste cependant bien sur le silence du maître après la prestation de l’élève. 41 Or. 34, 28. 42 Or. 34, 4. 43 Or. 34, 28 : ἐπὶ τοὺς θρόνους.

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une part d’interdit, mais Libanios le considère aussi sous l’angle d’un droit (δικαίου44) accordé à l’élève qui s’était produit : celui de ne pas avoir de contradicteurs et d’être libéré plus tôt que d’habitude avec ses condisciples. Un autre « usage » consistait à supprimer les cours le jour des funérailles d’amis, de proches ou de gens d’importance, membres des grandes familles de la cité45. Accompagner les morts constituait l’un des versants des fonctions officielles et épidictiques du sophiste. Le temps scolaire au sein de l’école d’Antioche comportait donc une part d’adaptation aux événements municipaux. Ces suppressions occasionnelles de cours s’ajoutaient aux après-midi habituellement libres. Si le terme νόμος n’est pas employé par Libanios pour désigner cette organisation du temps, elle apparaît malgré tout comme immuable d’après cette formulation : « [Le maître] ne sait ce que fait l’élève que jusqu’à midi. Après cela, il ne le voit plus, n’est plus avec lui, ne lui consacre plus son effort46. » Certaines démonstrations oratoires de Libanios lui-même sont explicitement rattachées à un νόμος (τουτονὶ τὸν νόμον47 ; τὸν νόμον48), précisément celles qui clôturaient une année scolaire. Celle-ci se terminait vers la fin juillet comme le montre un passage du Bios ; Libanios y évoque son rival, le sophiste Acacios49, qui « jusqu’au milieu de l’été… poursuivit son chemin […] mais le moment venu de cesser les cours […] partit50… » On imagine que ce discours était chargé d’une certaine intensité dans la mesure où il correspondait pour certains garçons à l’arrêt de leurs études, parfois même à leur départ définitif d’Antioche. Or, sans doute à la fin de l’année 387-38851, Libanios décida d’en priver ses élèves parce qu’ils n’avaient pas manifesté assez d’intérêt pour ses prestations du printemps et de l’hiver52. Ce passage a amené A.-J. Festugière et B. Schouler à penser que seules trois exhibitions avaient lieu par an53. Mais cela paraît peu probable54 : quel obstacle y aurait-il eu à prononcer un discours par exemple en automne ? Cette saison de la rentrée était propice aux discours d’accueil et de bienvenue des nouveaux55 ; le sophiste Himérios pratiquait fréquemment cette forme épidictique56. Le spectre du substantif νόμος employé par Libanios en référence au seul discours « d’été » doit donc vraisemblablement

44 Or. 34, 5. 45 Or. 34, 22. 46 Or. 58, 9 : τοῦ διδασκάλου τοῦ μέχρι μὲν μεσημβρίας εἰδότος τὸν νέον, μετὰ ταῦτα δὲ οὐχ ὁρῶντος οὐδὲ συνόντος οὐδὲ πονοῦντος περὶ αὐτόν. Traduction Festugière, Antioche…p. 469. 47 Or. 3, 2. 48 Or. 3, 5 : πληροῦν τὸν νόμον οὐκ ἐβουλήθην : « Je n’ai pas accepté de satisfaire à l’usage. » 49 Acacios 6. PLRE p. 6. 50 Or. 1, 110 : μέχρι μὲν δὴ μέσου θέρους […] ἐχώρει, τοῦ καιροῦ δὲ τὸ συνεῖναι παύοντος ἐξῄει… Traduction Petit, Libanios Tome 1, p. 143. 51 Le discours 3 est postérieur aux émeutes de 387 (Martin, Discours II-X, p. 83 et p. 283). 52 Or. 3, 10 : καὶ τούτου λαμπρὰν ἐποιήσαντο τὴν ἀπόδειξιν ἦρί τε καὶ χειμῶνος κἀν τοῖς ἐν ἑκατέρῳ λόγοις. : « Ils en ont fait l’éclatante démonstration au printemps et en hiver, et à l’occasion de mes discours de l’une et l’autre saisons. » 53 Festugière, Antioche…p. 446 n. 1 ; B. Schouler, Libanios, Discours moraux, Paris, 1973, p. 110, n. 1. 54 C’est la thèse de Martin, Discours II-X, p. 95, n. 2. 55 Sur l’année scolaire commençant en automne, voir Petit, Les étudiants de Libanius, p. 47. 56 Voir R. J. Penella, Man and the Word : the Orations of Himerius, Berkeley, 2007, p. 108-111.

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être élargi à au moins quatre discours « saisonniers ». L’année scolaire était donc ponctuée de démonstrations professorales dont le discours 3 qui a pour sujet le refus même de ce discours, donne une idée du contenu : ces interventions s’adressaient principalement et explicitement aux neoi et, prononcées en son sein, traitaient souvent de questions en relation avec l’école, comme les discours de réprimande57. Par ailleurs, les visées scolaires de telles compositions n’empêchaient pas qu’un public extérieur vienne assister à leur délivrance ; le discours 3 mentionne la présence dans l’auditoire d’Antiochéens de tout âge et de conditions diverses58. L’enseignement délivré aux élèves obéissait lui aussi à des règles en termes de contenu, de progression et de méthode de travail. Le discours 34 montre un élève contestataire qui, lassé de toujours répéter le même type d’exercice, en l’occurrence des « disputes59 » contre Démosthène et Homère, voudrait brûler les étapes, mais Libanios refuse parce qu’il n’a pas le niveau requis : « Il n’était pas possible (οὐκ ἐνῆν) pour vous d’aborder aussitôt les compositions plus avancées ; il fallait (ἀλλ’ ἔδει…) d’abord en passer par un livre et en passer par là non pas seul mais avec d’autres jeunes gens, neuf ou plus ou pas beaucoup moins60. » L’organisation du travail de classe par groupes d’une dizaine dont certains étaient placés sous l’égide d’un maître-assistant relevait aussi de la même organisation contraignante : le verbe ἔδει cité précédemment introduit à lui seul deux syntagmes infinitifs exprimant successivement ce que l’élève devait travailler et dans quel cadre il devait le faire, ce qui souligne le rapport étroit entre contenu et méthode de même que la récurrence de l’infinitif ἐλθεῖν dans les deux syntagmes. Les adjoints faisaient composer les élèves en accompagnant cet entraînement de lectures spécifiques61. Dans le cas d’élèves à la traîne comme celui du discours 34, ils pouvaient leur offrir une sorte d’aide personnalisée qui leur permettait de combler leurs lacunes avant de rejoindre un groupe de leur niveau. Lectures et compositions écrites étaient toujours associées. Libanios se réservait toutefois la tâche finale consistant à corriger les compositions62. La rémunération de Libanios

Est aussi νόμος (οὑμὸς νόμος63) l’attitude de Libanios relative à son μισθός64, c’est-à-dire au salaire versé par les parents d’élèves. En principe payé en numéraire,

57 Martin, Discours II-X, p. 84-85, établit la liste de ces « sermons » comprenant Or. 3, Or. 34, Or. 35, Or. 36, Or. 53. 58 Or. 3, 19. 59 Le terme ἅμιλλα, métaphorique, pourrait désigner, parmi les exercices préparatoires à la rhétorique, soit la contestation (ἀνασκευή), soit la contradiction (ἀντίρρησις). 60 Or. 34, 15 : τὰ τελεώτερα δὲ γράφειν εὐθὺς οὐκ ἐνῆν, ἀλλ’ ἔδει πρότερον ἐλθεῖν διὰ βιβλίου τινὸς καὶ ἐλθεῖν γε οὐχ ἕνα, ἀλλὰ σὺν ἑτέροις ἐννέα νέοις ἢ οὐ πολύ γε ἐλάττοσιν. 61 Or. 34, 16. 62 Or. 34, 16. 63 Or. 36, 9. 64 Le mot μισθός est assez vague ; il peut désigner un salaire, une paye mais aussi un loyer ou une indemnité (Cribiore, The school…, p. 183-185). On peut donc le traduire par « revenus », « rémunération », « honoraires » ou « salaire » en tenant compte du fait que dans ce contexte, le salaire ne renvoie pas à un revenu fixe.

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il pouvait être suppléé ou complété par des cadeaux en nature65. Libanios ne donne jamais d’indication sur la valeur du μισθός mais il est évident que le montant variait d’une famille à une autre : il remercie pour l’or reçu (χρυσίον) son élève Arsénios, issu d’une riche famille d’Antioche66. Nous savons aussi que le μισθός était mensuel. En effet, le Sur la Convention dénonce les élèves qui opéraient au cours d’une année le tour complet des maîtres de rhétorique en faisant défection précisément au moment de les payer, ce qui n’aurait pas été possible si le salaire avait été annuel67. D’après ses dires, Libanios se distinguait des autres professeurs en n’exigeant pas d’être payé : « Chacun de ceux qui viennent à mes cours est maître de verser un salaire ou pas68. » Mais ce principe doit être nuancé : le sophiste comptait tout de même sur les plus riches pour compenser le manque à gagner résultant d’une gratuité qui s’adressait en priorité aux plus pauvres. Au sujet d’Eustathios, il regrette de n’avoir touché ni statères (στατῆρας), ni argent (ἄργυρον), ni même un cotyle de vin ou d’huile (κοτύλην οὔτ’ οἴνου οὔτ’ἐλαίου69). Par ailleurs, il énonce les conséquences financières, morales et même pédagogiques de sa générosité, les plus aisés étant ainsi conduits à l’avarice et les élèves ne payant pas à la fainéantise car ce qu’on obtient gratuitement semble dépourvu de valeur70. Nous ignorons quelles répercussions l’exceptionnelle libéralité de Libanios, qui jouissait par ailleurs d’annones impériales71, eut sur les revenus de ses assistants : ces derniers, qui percevaient par ailleurs, bien qu’irrégulièrement72, un salaire municipal (σύνταξις), restaient-ils libres d’imposer leurs propres règles dans ce domaine ? On peut penser que oui73 : dans le discours 31, Libanios rappelle à la curie d’Antioche que leur μισθός n’est pas à la hauteur du nombre d’élèves dont ils ont la charge ; mais la cause est alors présentée comme conjoncturelle – beaucoup de familles naguère prestigieuses n’étant plus en mesure selon lui de payer les professeurs de leurs enfants – , et non structurelle74 : il ne fait pas allusion à son νόμος. La discipline et les sanctions

Étaient prévus dans le règlement deux types de sanctions disciplinaires que Libanios présente en ces termes : « Si l’un de mes jeunes gens commet une faute du

65 Voir Cribiore, The school…, p. 188-189, pour un recensement de ces divers cadeaux. 66 Ep. 540, 2. 67 Or. 43, 8. 68 Or. 62, 19 :… τὸ κύριον ἕκαστον εἶναι τῶν προσιόντων δοῦναί τε μισθὸν καὶ μή. 69 Or. 54, 18. Voir aussi Cribiore, The school…, p. 188. 70 Or. 62, 19-20. 71 Voir C. Bry, « Acacios, l’autre sophiste officiel d’Antioche », dans E. Amato (éd.), ΕΝ ΚΑΛΟΙΣ ΚΟΙΝΟΠΡΑΓΙΑ, Hommages à la mémoire de Pierre-Louis Malosse et Jean Bouffartigue, Revue des études tardo-antiques suppl. 3, 2014, p. 149. 72 Or. 31, 19 (de 360/361). Voir aussi Bry, « Acacios… », p. 142-143. 73 Voir infra la référence aux pratiques salariales d’Ulpianos qui montre que les assistants pouvaient être payés indépendamment de leur supérieur. 74 Or. 31, 30 : ὥσπερ γάρ, εἴπερ ἐπλούτουν, ἀπέλαυεν ἄν, οὕτως ἀπορούντων ἀνάγκη προῖκα συνεῖναι. : « … de même que si les familles étaient riches, il (le professeur) en profiterait, de même, maintenant qu’elles sont appauvries, il lui faut travailler sans être payé. »

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genre de celles qu’il n’est pas même décent de nommer, je l’exclus et je ne laisse pas la classe être infectée par sa maladie. Mais à l’encontre des paresseux à l’étude, ce sont les coups. En effet, des uns je redoute et mets à distance les ulcères, les autres je les réveille par le fouet75. » La faute innommable était liée à un comportement sexuel inadapté. Dans l’échelle des transgressions à la règle, c’était la plus grave. Il existait donc un νόμος, implicite ou explicite, qui interdisait aux élèves ce type de débordements. Quant aux fouets, ils s’appliquaient aux élèves qu’il s’agissait de remettre au travail. Pour eux, les mots pouvaient prendre le relais des coups : « j’emploie aussi ce qui est à disposition envers les paresseux, tantôt les coups, tantôt des mots plus cinglants que le fouet76. » Le discours 34 fournit un bon exemple de la gamme d’observations possibles, de la remontrance modérée à l’invective « œil de chien77 » ou « sale bête78 ». Ces mots étaient d’autant plus cinglants qu’ils n’étaient pas proférés dans le cercle fermé de la classe mais entendus par de nombreuses personnes au cours d’une démonstration publique du sophiste. Selon les domaines concernés, on constate donc que ce que Libanios regroupe sous l’appellation unique de νομοί consistait en un ensemble de règles très contraignantes pour son enseignement proprement dit, beaucoup plus lâches pour les questions d’inscription ou de rémunération, sa règle consistant justement à ne pas en avoir et à accorder à ses élèves une certaine liberté, à cette contradiction près qu’il attendait d’eux, dans la gestion de cette liberté, le respect de lois morales sur lesquelles il souhaitait fonder leur relation. Mais quelle était la portée exacte de ce règlement et par qui d’autre que Libanios était-il suivi ?

La portée du règlement Libanios fait état de l’ancienneté de certains usages mais les termes qui la signalent – l’adjectif ἀρχαῖος, parfois précédé de οὕτως, ou l’adverbe πάλαι – sont trop imprécis pour qu’on sache à quelle génération ils remontaient. Une telle précision semble inutile pour ceux qui participaient de la définition même du sophiste, par exemple leurs exhibitions oratoires. La référence au passé qui sert à justifier la progression pédagogique de Libanios est elle aussi vague : τὸν παρελθόντα χρόνον79. Mais dans ce cas, nous savons que l’organisation en séries des exercices préparatoires à la composition d’un discours complet, attestés dès l’époque hellénistique, remonte à l’époque impériale80. La confrontation du recueil de progymnasmata de Libanios et de son élève Aphthonios avec le traité d’Hermogène, de deux siècles antérieur,

75 Ep. 1330, 2 (de 365) : ἢν μέν τις τῶν νέων ἀδικῇ τι τοιοῦτον, ὃ μηδὲ εἰπεῖν καλόν, ἐκβάλλω καὶ οὐκ ἐῶ τὸν χορὸν ἀναπίμπλασθαι τῆς νόσου· κατὰ δὲ τῶν ὑπτίων εἰς λόγους αἱ πληγαί. τῶν μὲν γὰρ τὰ ἕλκη φοβοῦμαι καὶ ἀπελαύνω, τοὺς δὲ ἀφυπνίζω τῷ σκύτει. 76 Or. 62, 6 : πάνθ’ ὅσα πάρεστι καὶ κατὰ τῶν ὑπτίων, τῶν μὲν πληγαί, τῶν δὲ ῥήματα σκύτους πικρότερα… 77 Or. 34, 6 : ὦ κυνὸς ὄμματ ᾿ ἔχων ; Or. 3, 35. 78 Or. 34, 26 : ὦ μιαρὸν θηρίον. 79 Or. 34, 16. 80 L. Pernot, La rhétorique dans l’Antiquité, Paris, 2000, p. 194.

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révèle des similitudes frappantes dans les types d’exercices, dans leur succession et dans les sujets proposés en exemples. Cette progression n’était donc pas propre à l’école d’Antioche mais à l’ensemble des professeurs de rhétorique de l’Empire, ce qui en fait un des νομοί les plus anciens qui soient. Quant à la répartition des tâches entre un professeur et ses assistants, organisation étroitement liée chez Libanios à cette progression, elle était répandue dans les classes de l’Antiquité : la première occurrence du terme ὑποδιδάσκαλοι qui sert à les désigner apparaît dès l’époque classique81 ; pour le travail de groupes, le témoignage de Quintilien montre qu’il n’avait rien de nouveau déjà à son époque82. Pour les autres usages anciens, nous ne disposons pas de ce genre d’information et il est difficile d’en discerner la portée : concernaient-ils seulement les professeurs officiels exerçant au sein de l’école municipale ou valaient-ils pour l’ensemble des rhéteurs de la cité ? L’expression libanienne τὰ παρ’ ἡμῶν83 (« Ce qui est en vigueur chez nous ») est ambivalente du fait de la polysémie du pronom personnel : « chez nous » peut tout aussi bien signifier « dans ma classe » que « dans l’école municipale d’Antioche » ou encore « à Antioche ». Est-il alors envisageable que tous les maîtres de cette cité, quel que soit leur statut, aient pu être soumis ou se soumettre volontairement à des pratiques communes ? Dans certains cas, leurs motivations semblent claires : par exemple, assister à l’enterrement de certaines personnalités constituait pour des Antiochéens connus une obligation morale et civique. Dans d’autres cas, des rapprochements avec des pratiques attestées dans d’autres cités révèlent un esprit de corps transcendant le lieu d’exercice : dans le discours 43, aux professeurs de rhétorique qui craignent qu’une fois réglé le problème des défections, on ne les prenne pour des paresseux n’ayant plus besoin de faire d’efforts pour conserver leurs élèves, Libanios rétorque : « Le fait que nous passions dans le labeur même les journées où il est permis de chômer suffit à renseigner sur notre ardeur au travail. Je parle de celles où les détenteurs de charges rassemblent la foule tantôt au théâtre, tantôt à l’hippodrome, les honorant dans l’idée qu’elles sont propices aux empereurs84. » L’emploi du pronom « nous » indique que tous les rhéteurs, sans exception, se tenaient à l’écart de ces réjouissances auxquelles ils auraient pu participer. Or, Chorikios nous livre à cet égard un éclairage intéressant sur l’école de Gaza au vie siècle en montrant le passage de la tradition à la règle chez ses professeurs dans leur relation à certains divertissements : ceux-ci, en effet, s’abstenaient d’assister aux spectacles de mimes, 81 Platon, Ion, 536a :…καὶ διδασκάλων καὶ ὑποδιδασκάλων… Dans ce dialogue, le terme désigne les sous-maîtres des choreutes de la tragédie ou de la comédie. Même si Petit, Les étudiants…, emploie ce terme pour qualifier les adjoints de Libanios, Libanios lui-même n’en use jamais ; il lui préfère le terme « rhéteurs ». 82 Quintilien, Institution oratoire, 1, 2, 23 : Non inutilem scio servatum esse a praeceptoribus meis morem, qui cum pueros in classis distribuerant, ordinem dicendi secundum uires ingenii dabant… : « Je sais que n’est pas inutile le principe conservé par mes propres maîtres qui, une fois répartis les enfants en groupes, établissaient un tour de paroles en fonction des ressources intellectuelles de chacun. », trad. V. Cousin. 83 Or. 34, 4. 84 Or. 43, 14 : Καὶ πρός γε εἰς διδαχὴν τῆς ἡμετέρας φιλοπονίας ἱκανὸν τὸ καὶ τὰς ἡμέρας ἐν αἷς ἔξεστιν ἀργεῖν, ἐργάζεσθαι. Λέγω δὲ ταύτας ἐν αἷς οἱ τὰς ἀρχὰς ἔχοντες νῦν μὲν εἰς θέατρον, νῦν δ’ εἰς ἱππόδρομον ἀγείρουσι τὸν ὄχλον τιμῶντες αὐτὰς ὥς τι τοῖς βασιλεῦσιν ἐνεγκούσας ἀγαθόν.

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respectant ainsi une « règle » ou un « usage » (νόμον) qui, selon Chorikios lui-même, n’était pas fondé sur la conviction que ces manifestations étaient honteuses par nature mais sur une habitude (συνήθεια) ou une coutume (ἐξ ἔθους85) répandue dans ce corps de métier. Cette restriction était locale (νόμος δέ τις ἡμῖν ἐπιχώριος86), et ne s’appliquait pas partout. L’expression νόμῳ πόλεως87 employée ensuite inclut tous les professeurs exerçant à Gaza, sans considération de statut, qui d’un commun accord se tenaient éloignés des spectacles mimiques. En allait-il de même pour les rhéteurs d’Antioche lors des fêtes en l’honneur des empereurs évoquées dans le discours 43 ? Il est difficile d’admettre que ceux qui, par ailleurs, se montraient aux funérailles de concitoyens restaient à travailler lors de manifestations de ce genre. Le passage, bien qu’obscur, présente en tout cas l’intérêt de témoigner de leur esprit de corps dans de telles circonstances. L’arrêt des cours après une prestation orale d’élève remontait aussi, d’après Libanios, à un lointain passé. Sans pouvoir préciser ce point, on peut affirmer que ce type d’usage n’était pas proprement antiochéen. Là encore, l’école de Gaza au vie siècle88 offre un parallèle intéressant : elle accordait une journée de vacances à un élève qui s’était acquitté d’une composition écrite ainsi qu’aux membres de « la même palestre ». Offrir à une classe du repos pour l’accomplissement par un élève d’un travail exigeant n’était sans doute pas dépourvu d’une fonction incitative et ce type de récompense ne devait donc pas être si rare dans les écoles. Ce que nous dit Libanios des autres règles, non qualifiées d’anciennes, révèle que le fait de travailler au sein de l’école municipale n’imposait pas d’uniformité dans les pratiques des maîtres. Nous sommes en effet à même de comparer sur certains points ses méthodes avec celles d’Acacios, sophiste officiel jusqu’en 361, et celles d’Ulpianos, sophiste de deux générations antérieur89. Ainsi, Libanios qui n’imposait pas de serment aux élèves désireux de s’inscrire dans sa classe, s’était, au début de sa carrière à Antioche, ouvertement moqué de tout ce que son rival

85 Chorikios, Apologie des mimes, 104 : Οὐ τὸ θέαμα φεύγων, ἀλλὰ νόμον φυλάττων, ὃν ἔθηκεν ἡ συνήθεια τοῖς τῇδε παιδεύειν ἐπιχειροῦσιν. Ὅτι γὰρ ἐξ ἔθους ἡμῖν, ἀλλ’ οὐ κατὰ φύσιν αἰσχρὸν εἶναι τὸ πρᾶγμα δοκεῖ, τεκμήριόν σοι γινέσθω περιφανὲς τὸ τοῖς μαθηταῖς ἐνδιδόναι… : « Ce n’est pas en fuyant le spectacle, mais en respectant la règle que l’habitude a établie pour ceux qui entreprennent d’enseigner ici. De ce que cela nous vienne de l’habitude et non que la chose nous paraisse honteuse par nature, considère comme une preuve éclatante le fait de permettre aux étudiants… », trad. personnelle. Voir V. Malineau, « L’apport de l’Apologie des mimes de Chorikios de Gaza à la connaissance du théâtre du vie siècle » dans C. Saliou (éd.), Gaza dans l’antiquité tardive, archéologie, rhétorique et histoire : actes du colloque international de Poitiers, Cardo 2, Salerne, 2000, p. 166. 86 Chor., Apol. 106 : νόμος δέ τις ἡμῖν ἐπιχώριος, οὐ τοῖς πανταχοῦ παιδευταῖς ὡρισμένος. : « une règle de chez nous qui n’a pas été érigée pour les professeurs de partout. » 87 Chor., Apol. 107. 88 Chor., Apol.104 :… εἴτε σύγγραμμα νέου πεπληρωκότος, ἐφ’ ᾧ τὸν παιδευτὴν χρυσοῦν ἕνα λαμβάνειν νενομοθέτηται καὶ μιᾶς ἡμέρας ἀνάπαυλαν αὐτῷ τε διδόναι τῷ νέῳ καὶ τοῖς ἐκ τῆς αὐτῆς ὁρμωμένοις παλαίστρας : « … soit qu’un jeune homme ait réalisé une composition, à la suite de quoi il a été érigé comme règle que le maître reçoive une pièce d’or et qu’il accorde au jeune homme lui-même et à ceux qui sortent de la même palestre une pause d’une journée. » Voir aussi le commentaire de Malineau, « L’apport de l’Apologie des mimes… », p. 166. 89 Or. 36, 10.

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Acacios90 mettait en oeuvre pour retenir ses ouailles : « Serments, contraintes, liens et tout ce qu’il croyait capable de retenir les jeunes gens91 », autant de moyens qui, à l’en croire, avaient prouvé leur totale inefficacité face à sa propre supériorité oratoire. Même au sein d’un établissement commun, les professeurs n’étaient pas protégés des manoeuvres de leurs collègues pour leur soutirer des élèves. Il leur fallait alors établir une convention (συνθῆκαι) qui concernait tous les rhéteurs de la ville. Nous savons qu’il en exista une en 35592 et qu’en 361, Libanios en proposa une seconde à ses collègues. De même, à l’époque de Libanios, certains rhéteurs semblent avoir renoncé aux châtiments corporels. En effet, dans le discours 43, il conseille à ses collègues d’user unanimement du fouet et des verges et de revenir aux pratiques généralisées d’autrefois. La lettre 555, datée de 357, évoque le cas d’un élève qui, ayant reçu les coups qu’il méritait, intégra par ressentiment la classe de son rival Acacios93, ce qui prouve que ce dernier était plus laxiste que lui et que même au sein de l’école municipale, il n’existait pas d’uniformité dans ce domaine. Enfin, quand Libanios fait allusion au préjudice subi par les autres maîtres du fait de son νόμος salarial94, il insiste bien sur le fait qu’il fait figure d’exception à Antioche. Au sein de l’école municipale aussi, les pratiques salariales restaient libres. La confrontation du règlement sévissant dans la classe d’Ulpianos avec celui en vigueur chez Libanios le montre clairement : Ulpianos avait en effet institué une taxe sur les élèves que ses assistants lui versaient, via un esclave à son service, dans une atmosphère lourde de crainte95. Or, Libanios qui lui succéda deux générations plus tard, ne conserva pas le principe de cette taxe96. Quant à Zénobios qui enseigna la rhétorique dans l’école juste avant Libanios, nous ignorons ses pratiques en la matière. D’autres, ailleurs, faisaient cependant preuve de la même libéralité que Libanios à l’égard des élèves démunis. Ainsi adresse-t-il, en 364, à Domninos, professeur de droit à Beyrouth, une lettre de recommandation en faveur d’Apringios, un homme déjà fait qui avait conçu le projet de se lancer dans ces études. Libanios y mentionne la pauvreté de cette nouvelle recrue, pour mieux vanter à mots couverts la générosité de son collègue : « J’aurais jugé bon d’ajouter un mot au sujet du salaire en disant que si l’homme est bon, il est pauvre […], si je n’avais pas été au courant depuis longtemps de cette loi (τοῦτον τὸν νόμον) établie chez toi au bénéfice de tes jeunes gens97. » Il semble aussi que Thémistios, philosophe et sophiste de Constantinople contemporain de Libanios, n’ait jamais réclamé à ses élèves le moindre salaire. C’est du moins ce qu’il affirme

90 Sur Acacios voir supra n. 49. 91 Ep. 405, 12 : ὅρκοι δὲ καὶ ἀνάγκαι πᾶσαι καὶ δεσμοὶ καὶ ὅσα ἐπιστεύετο τηρήσειν τοὺς νέους… 92 Voir Ep. 439 (de 355) et 555 (de 357). 93 Ep. 555, 4. 94 Voir Or. 36, 9. 95 Or. 36, 10. 96 Or. 36, 12. 97 Ep. 1171, 3 : ἠξίουν δ’ ἄν τι καὶ περὶ μισθοῦ λέγειν, ὡς ἁνὴρ ἀγαθὸς μέν, πένης δέ, […] εἰ μὴ πάλαι τοῦτον ᾔδειν παρὰ σοὶ κείμενον ὑπὲρ τῶν νέων τὸν νόμον. Cette lettre a été traduite par S. Bradbury, Selected Letters of Libanius from the Age of Constantius and Julian, Liverpool, 2004, p. 203-204, qui a choisi l’anglais « law » pour rendre le grec νόμον mais l’a placé entre guillemets.

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dans son discours intitulé Le sophiste : « Que moi, je n’ai jamais pourchassé aucun jeune homme riche et que je ne me suis pas fait payer de salaire pour mes cours, je crois que vous le savez tous98. » La mensualisation des revenus, qui semble répandue dans les classes de rhétorique d’Antioche, est confirmée par le « tarif de Dioclétien » ou « édit du maximum » qui impose, à partir de 301, année de sa publication, un salaire mensuel maximal de deux cents deniers pour les grammairiens et de deux cents cinquante deniers pour les rhéteurs99. Parmi les νομοί qui organisaient la vie au sein de la classe de Libanios, il est donc possible de distinguer trois types de « lois » formant comme autant de strates accumulées au fil du temps : certaines s’enracinaient dans une longue tradition et relevaient parfois de l’essence même de la fonction de sophiste au-delà de toute considération d’époque et de lieu ; d’autres, implantées à Antioche par les prédécesseurs de Libanios, s’étaient institutionnalisées au fil du temps et transformées en des règles suivies de génération en génération par les professeurs de l’école, peut-être plus largement par tous ceux d’Antioche ; enfin, d’autres, plus récentes, étaient propres à Libanios. Par ailleurs, le travail au sein de l’école municipale n’imposait pas de pratiques communes alors que la totalité des maîtres, tous status confondus, pouvait montrer dans des circonstances particulières un remarquable esprit de corps.

Le νόμος comme argument rhétorique Les informations relatives au règlement de la classe de Libanios ne sont pas réunies dans un unique discours ; elles se trouvent disséminées dans différents textes qui ont pour point commun d’être soit des apologies personnelles, soit des réprimandes. Le νόμος est donc avant tout un puissant argument rhétorique. Il est de ce point de vue tout à fait significatif que le discours 34, discours de défense contre des accusations de laxisme, y fasse appel à neuf reprises : Libanios y justifie ses pratiques par le respect des « lois » en place. En contrepartie, la gravité d’un comportement est toujours soulignée par son assimilation à une infraction à la règle : les élèves qui ont passé à la couverture un pédagogue en sont d’autant plus blâmables qu’ils ont trahi le respect qui autrefois faisait loi100. En revanche, pour l’élève peu courageux de l’épître 1330 qui a reçu des coups, la référence au νόμος est absente101 : c’est que Libanios s’adresse au père du garçon qui ne conteste en rien la punition assénée et que la faute est minimisée parce que le garçon s’est remis au travail. L’argument du νόμος a encore plus de poids quand il s’agit d’un ἀρχαῖος νόμος. Si, dans le discours 34, Libanios ne mentionne cette caractéristique que pour des règles en rapport avec le temps scolaire, c’est que le pédagogue l’accuse précisément

98 Or. 23, 288d : Ὅτι μὲν δὴ οὐδένα πω ἐγὼ πλούσιον νέον ἐθήρευσά τε καὶ μισθὸν ἐπράξαμεν τῆς ὁμιλίας ἴστε που ἅπαντες. 99 J. Imbert, Histoire des institutions, Paris, 1957, p. 216-220. 100 Or. 58, 6 : αἰδεῖσθαι νόμος ἦν. 101 Lettre déjà citée supra n. 19 et n. 75.

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d’avoir privé ses élèves, pendant l’année scolaire en cours (386-387), de trois mois de classe102. L’ἀρχαῖος νόμος constitue un argument d’autorité qui implique les générations antérieures et décharge le sophiste d’une part de responsabilité. Au pédagogue qui met en cause le bien-fondé de sa participation à certains enterrements, Libanios répond que cet « usage très ancien » (νόμον οὕτως ἀρχαῖον) a été institué par ses devanciers qui rendirent « de tels honneurs jusqu’à leur mort, sans se lasser103… ». Il insiste sur leur implication : « Certains maîtres, dans les convois funèbres, allaient même jusqu’à soulever de leurs bras ceux qu’un sort funeste faisait descendre en terre104. » Quant à ceux qui n’avaient pas cette possibilité, ils suspendaient malgré tout leurs cours en hommage aux disparus105. Libanios montre qu’il perpétue cet usage par adhésion au système de valeurs de ses prédécesseurs : « Pour ma part, j’aurais beaucoup apprécié d’instituer moi-même cet usage, mais… d’autres m’ont devancé106… » Ce qui vient des pères n’a pas à être remis en question puisque c’est « ce qui prévaut » (τοῖς νενικηκόσιν107). Libanios affirme ne pas vouloir « déchoir » (μὴ χείρους εἶναι τῶν ἡγεμόνων108) par rapport à eux. Cela va en effet à l’encontre d’un de ses principes d’action : toujours faire en sorte de dépasser le père109. Le choix du terme polysémique ἡγεμών accorde à ces professeurs du temps passé un statut de devanciers mais aussi de guides et de chefs dépositaires d’une autorité à laquelle leurs successeurs doivent se plier. Même si c’est le seul qu’il exprime avec netteté et insistance, on peut trouver aux règles suivies par Libanios d’autres fondements que le respect des Anciens. Les νομοί ont aussi un fondement pédagogique. L’argument présenté par Libanios en réponse à l’accusation de dilapider le temps scolaire en exhibitions oratoires consiste à affirmer que celles-ci font partie intégrante de l’enseignement dispensé aux élèves. Sont en faute les maîtres qui s’abstiennent de parler en public et n’offrent pas de modèles à leurs élèves110. Pédagogie et simple bon sens vont de pair : la progression des exercices soumis aux élèves et allant du plus simple au plus complet est fondée en raison. L’efficacité aussi constitue un critère de validation applicable aux νομοί qui ont à voir avec l’enseignement en lui-même ; elle est la conséquence de ce bon sens pédagogique. Les règles auxquelles Libanios soumet tous ses élèves, sans exception, ont fait leurs preuves en conduisant certains d’entre eux à l’aisance oratoire ; le silence des autres pendant les réunions de la Boulè ne les remet pas en cause ; c’est la négligence des jeunes gens une fois sortis de l’école qui en est responsable111. Enfin, un grand nombre de νόμοι relèvent de devoirs moraux. Le champ lexical de la vertu ou du vice est ainsi mis à contribution pour en justifier l’existence. L’argument d’autorité consistant à respecter et à conserver tout ce qui vient des Anciens est lui-

102 Or. 34, 6. 103 Or. 34, 22 :… ταῖς τοιαύταις τιμαῖς εἰς τελευτὰς χρωμένους καὶ οὐ κάμνοντας… 104 Or. 34, 23 : οἱ μὲν τῶν διδασκάλων καὶ συνεξέφερον ἀνέχοντες ταῖς χερσὶ τοὺς ὑπὸ τῆς συμφορᾶς καθελκομένους… 105 Or. 34, 22. 106 Or. 34, 22 : ἐγὼ δὲ πολλοῦ μὲν ἂν ἐτιμησάμην αὐτὸς τοῦτον τεθεικέναι τὸν νόμον, ἑτέρων δὲ φθασάντων… 107 Or. 34, 22. 108 Or. 34, 22. 109 Voir B. Schouler, « Dépasser le Père », Revue des études grecques, 93, 1980, p. 1-24. 110 Or. 34, 26. 111 Or. 35, 3.

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même renforcé par la référence au bien dont ils sont les garants : « C’est une bonne chose que de maintenir [cet usage] et de suivre ce qui prévaut » (καλὸν ἡ φυλακὴ καὶ τὸ τοῖς νενικηκόσιν ἀκολουθεῖν112…). L’élève qui fait défection à son maître manifeste sa « déloyauté » (ἄπιστον113 ; ἀπιστίας114) et son défaut du sens de l’amitié (οὐκ οἶδε φιλεῖν)115 ce qui équivaut à dire que la « loi » qui est contournée commande πίστις et φιλία. Quant aux pratiques salariales de Libanios, elles sont l’expression de sa générosité (μεγαλοψυχία116), de sa sollicitude (κηδεμονία) et de son équité (δικαιοσύνη117). L’élève et le pédagogue du discours 34 n’aspirent qu’à introduire de nouvelles règles (κινῆσαι τὸν νόμον118 ; καινὸν δὲ γενέσθαι νόμον119). Or, dénigrer des usages anciens revient à dénigrer les hommes qui les ont mis en place : « Instituer un nouvel usage… aurait discrédité le passé120. » De manière générale, tout manquement aux règles est un indice d’absence de sens moral ou de folie. La défense personnelle de Libanios consiste en partie à marginaliser ceux qui contestent ses pratiques : avant le pédagogue, absolument personne n’avait eu l’effronterie de se plaindre de l’arrêt des cours après une exhibition d’élève121. Quant à l’élève de ce même discours qui ne supporte pas de suivre les étapes successives de l’apprentissage, non seulement il est « dément » (μαινόμενον122) mais en plus, il est le seul à l’être (ἕνα). Les informations fournies par Libanios nous permettent donc de reconstituer dans ses grandes lignes le règlement intérieur de sa classe. Mais sous l’appellation unique de νόμοι se trouvent réunies des réalités bien diverses dont il n’est pas toujours facile de tracer les contours ni la portée exacts. Il ne faut pas minimiser non plus le poids rhétorique du terme νόμος qui permet de justifier la moindre pratique face à des critiques peut-être fondées ; le νόμος, qu’il soit ἀρχαῖος ou non, est à lui seul un argument d’autorité mettant l’accent sur la continuité en tant que fidélité aux Anciens, aux normes morales et sociales, ou à soi-même. Mais au lieu d’éclairer les pratiques ainsi dénommées, il leur fait parfois écran : comme il suffit qu’elles relèvent d’un νόμος pour être inattaquables et que c’est surtout cet aspect des choses qui intéresse Libanios, le sophiste ne trouve guère d’intérêt à les décrire toutes dans le détail ou à toutes les valider sur d’autres critères qui existaient pourtant bel et bien. Catherine Bry Docteur de l’EPHE, Membre associé d’HISOMA (UMR 5189)

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Or. 34, 22. Or. 43, 8. Or. 55, 7. Or. 43, 8. Or. 57, 3 : μεγαλοψυχίαν. Or. 36, 9. Or. 34, 5. Or. 34, 16. Or. 34, 16 : καινὸν δὲ γενέσθαι νόμον […] διέβαλλεν ἂν τὸν παρελθόντα χρόνον. Or. 34, 4. Or. 34, 16 : δι’ ἕνα τινὰ μαινόμενον.

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Bibliographie Sources Chorikios, Apologie des mimes. Op. 32 : Ὁ λόγος ὑπὲρ τῶν ἐν Διονύσου τὸν βίον εἰκονιζόντων, Orat., Encom. R. Foerster and E. Richtsteig, Choricii Gazaei opera. Leipzig (Teubner), 1929. Himérios, Man and the Word : the Orations of Himerius, traduction et commentaire par R. J. Penella, Berkeley, 2007. Libanios, Opera, Vol. 1-12, édition par R. Foerster, Leipzig (Teubner), 1903-1927. Libanios, Discours moraux, édition, traduction et commentaire par B. Schouler, Paris, Les Belles Lettres, 1973. Libanios, Discours I. Autobiographie, édition, traduction et commentaire par P. Petit, Paris, Les Belles Lettres, (C. U. F.), 1979. Libanios, Discours II-X, édition, traduction et commentaire par J. Martin, Paris, Les Belles Lettres, (C. U. F.), 1988. Libanios, Selected Letters of Libanius from the Age of Constantius and Julian, traduction et commentaire par S. Bradbury, Liverpool, 2004. Platon, Ion, Oeuvres complètes, tome V, 1ère partie : Ion-Ménéxène-Euthydème, texte établi et traduit par L. Méridier, Paris, Les Belles Lettres, 1931 [2003]. Quintilien, Institution oratoire, livre I, texte établi et traduit par V. Cousin, Paris, Les Belles Lettres, 1975. Études C. Bry, « Acacios, l’autre sophiste officiel d’Antioche », dans E. Amato (éd.), EN KAΛOIΣ KOINOΠPAΓIA, Hommages à la mémoire de Pierre-Louis Malosse et Jean Bouffartigue, Revue des études tardo-antiques suppl. 3, 2014, p. 129-152. R. Cribiore, The School of Libanius in late antique Antioch, Princeton, 2007. A-J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne  : Libanius, Chrysostome et les moines de Syrie, Paris, 1959. J. Imbert, Histoire des institutions, Paris, 1957. V. Malineau, « L’apport de l’Apologie des mimes de Chorikios de Gaza à la connaissance du théâtre du vie siècle » dans C. Saliou (éd.), Gaza dans l’Antiquité tardive, archéologie, rhétorique et histoire : actes du colloque international de Poitiers, Cardo 2, Salerne, 2000, p. 149-169. A. F. Norman, Antioch as a Centre of Hellenic Culture as Observed by Libanius, Liverpool, 2000. L. Pernot, La rhétorique dans l’Antiquité, Paris, 2000. P. Petit, Les étudiants de Libanius, Paris, 1956. B. Schouler, « Dépasser le Père », Revue des études grecques, 93, 1980, p. 1-24.

Enseignement et construction identitaire dans les Vies d’Eunape de Sardes*

On observe dans les Vies de philosophes et de sophistes d’Eunape de Sardes, recueil de biographies de la fin du ive ou du début du ve siècle ap. J.-C., une grande diversité dans le vocabulaire lié à l’éducation. Les cours sont désignés de multiples manières, et ceux qui y assistent sont tantôt des compagnons (ἑταῖροι), tantôt des auditeurs (ἀκροαταί), tantôt des élèves (μαθηταί). Alors que le vocabulaire scolaire est souvent utilisé dans un sens technique dans l’Antiquité tardive et particulièrement chez les néoplatoniciens, où le titre donné à des leçons et à des élèves permet d’identifier les membres de la communauté des philosophes et d’affirmer une appartenance à une école1, la fluctuation du vocabulaire de l’éducation chez Eunape montre que pour lui enseignement philosophique et enseignement sophistique sont « indissociables et pour une large part indistincts2 ». Non seulement les qualités philosophiques des rhéteurs et les qualités oratoires des philosophes sont régulièrement soulignées3, mais le vocabulaire de l’éducation philosophique ne se distingue pas, ou peu, du vocabulaire de l’éducation sophistique. Or, même si nous savons que le terme « philosophe », par exemple, n’était pas du tout réservé dans l’usage courant à des personnes qui enseignaient la philosophie ou qui en faisaient profession – ainsi dans les sources épigraphiques, où il sert comme



* Je tiens à remercier Sophie Lalanne, Anne-Marie Favreau-Linder et Jean-Luc Vix pour leur accueil ainsi que pour leurs minutieuses relectures et leurs réflexions fécondes, qui m’ont permis d’apporter de nombreuses précisions à ce texte. 1 C’est le cas par exemple dans la Vie de Plotin de Porphyre, où le vocabulaire scolaire est utilisé de manière assez rigide et où certains termes renvoient à certains types de cours ou d’élèves. Par exemple, le terme sunousia décrirait des sortes de séminaires destinés aux élèves plus avancés (H. Tarrant, « Socratic Synousia : A Post-Platonic Myth ? », Journal of the History of Philosophy, 43, 2, 2005, p. 131-155) tandis que les zêlôtai seraient des disciples fervents qui ne se contentent pas d’assister au cours mais adoptent le mode de vie du maître (M.-O. Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », dans L. Brisson et al., Porphyre. La vie de Plotin I. Travaux préliminaires et index grec complet, Paris, 1982, p. 233-234). 2 R. Goulet, « Les intellectuels païens dans l’Empire chrétien selon Eunape de Sardes », texte inédit d’une conférence donnée au colloque Les intellectuels dans la cité, Rouen, 2006, p. 12. 3 R. Goulet, « Figures du rhéteur à Athènes au ive siècle après J.-C. », dans L. Brisson, P. Chiron (éd.), Mélanges offerts à Michel Patillon, Paris, 2010, p. 226-227. Passeurs de culture : La transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 251-272 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121145

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qualificatif pour désigner un idéal autant qu’une profession4, le terme φιλοσόφος avait un sens honorifique et était associé à des vertus sociales et domestiques5 – Eunape distingue clairement dans son discours les catégories de philosophes, de sophistes et de médecins6. Pour autant, l’indistinction qui caractérise l’usage qu’il fait du vocabulaire éducatif chez les uns et les autres contribue à la construction d’un groupe d’intellectuels à l’identité homogène et unifiée : Eunape décrit de la même manière les enseignants de philosophie, de rhétorique et de médecine. L’objet de la présente étude est de mettre en lumière les similitudes qu’établit Eunape entre les écoles de sophistique, les écoles de philosophie et les écoles de médecine, en s’attachant à la manière dont les cours, les enseignants et les élèves sont décrits, afin de préciser les rapports qu’entretiennent entre elles les trois lignées intellectuelles.

Un enchevêtrement de réseaux intellectuels et familiaux Quelques remarques sur les philosophes, les sophistes et les médecins dont il est question dans l’ouvrage d’Eunape doivent être posées d’entrée de jeu7. La plupart de ces personnages sont des intellectuels orientaux, même si Plotin, Porphyre et Jamblique ont enseigné ou étudié à Rome ; toutes les biographies sont celles d’intellectuels païens, sauf, peut-être, Prohérésius dont les convictions religieuses sont l’objet de débats8. Les intellectuels cités par Eunape dans son ouvrage sont généralement des professeurs9, et la plupart d’entre eux ont écrit, ce qui explique sans doute qu’Eunape

4 R. Goulet, « Les philosophes et leurs écoles au Bas-empire », dans P. Vesperini (dir.), Philosophari. Usages romains des savoirs grecs sous la République et sous l’Empire, Paris, 2017, p. 603. 5 M. Haake, 2017. « Dogmata – Praxeis – Doxa. Philosophes et philosophie au miroir des inscriptions impériales : quelques considérations », dans P. Vesperini, éd., Philosophari. Usages romains des savoirs grecs sous la République et sous l’Empire. Paris, 2017, p. 393. 6 Par exemple, XXII, 9 : « Mais il nous faut revenir aux philosophes dont nous nous sommes écartés (Ἐπανιτέον δὲ ἐπὶ τοὺς φιλοσόφους πάλιν ὅθεν ἐχέβημεν) ». C. Addey, « Plato’s Women Readers », dans H. Tarrant, F. Renaud, D. Baltzly, D. A. Layne (eds), Brill’s Companion to the Reception of Plato in Antiquity, Leiden, 2017, p. 415, emploie une définition plus restreinte du philosophos comme une personne qui, mue par l’amour de la sagesse, montre le désir d’étudier les choses humaines et divines. Une telle définition a pour effet de permettre une distinction entre l’activité philosophique d’une personne et l’activité professionnelle exercée au sein d’une école, ce qui semble correspondre à l’usage que fait Eunape du verbe φιλοσοφεῖν et du nom φιλοσοφία à certains endroits du texte où il est question de sophistes et de médecins (e. g. XXI, 13). 7 R. Goulet, Eunape de Sardes. Vies de philosophes et de sophistes, Paris, 2014, t. 1, p. 127-129. 8 Jérôme le considère comme un chrétien ; Eunape, Grégoire de Nazianze et l’empereur Julien, comme un païen. C’est à cette dernière opinion qu’adhère R. Goulet, « Prohérésius le païen », dans Études sur les vies de philosophes de l’Antiquité tardive, Paris, 2001, p. 323-337, et R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 1, p. 131. 9 Exception faite de cinq d’entre eux, dont le statut de professeur est incertain : Sôpatros, Eustathe, Acace – décrit comme professeur par Libanius, lettre CCCXCVIII –, Himérius, Oribase. Voir la prosopographie de R. A. Kaster, Guardians of Language : The Grammarian and Society in Late Antiquity, Berkeley-Los Angeles, 1988, p. 237-379.

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souligne l’absence d’écrits d’Alypius10. En outre, le statut social des intellectuels décrits est homogène et les rapports familiaux et professionnels à l’intérieur des cercles intellectuels sont nombreux. La lettre de Julien à Mélitè, cousine d’Eunape et épouse de Chrysanthe, afin de persuader celui-ci de le rejoindre à Constantinople, est emblématique de l’enchevêtrement de ces réseaux11. Καί οὕτω γε ἐξεκρέματο τῆς τοῦ ἀνδρὸς συνουσίας ὁ θεσπέσιος Ἰουλιανός, ὥστε τοῖς μὲν ὡς φίλοις ἐπέστελλεν, καθάπερ θεοὺς ἱκετεύων ἐλθεῖν καὶ συνεῖναι· τῷ δὲ Χρυσανθίῳ καὶ γυναῖκα εἶναι πυθόμενος, Μελιτὴν ὄνομα ἔχουσαν καὶ ὑπ’ αὐτοῦ θαυμαζομένην διαφερόντως – τοῦ δὲ γράφοντος ἀνεψιάν –, ἰδίᾳ που καθίσας ἑαυτόν, καὶ πρὸς τὴν γυναῖκα ἐπέστελλεν αὐτὸς γράφων, οὐδενὸς εἰδότος, καὶ παντοίας ἀφιεὶς φωνάς, τὸν ἄνδρα πείθειν μηδαμῶς ἀπαγορεῦσαι τὴν ἔχοδον· Et l’admirable Julien était attaché à ce point à la fréquentation de cet homme que d’un côté il écrivit à ces hommes comme à des amis, comme s’il suppliait les dieux de venir et de vivre en [sa] compagnie, et que d’un autre côté, parce qu’il avait appris que Chrysanthe avait une épouse du nom de Mélitè qu’il admirait plus que tout – elle était une cousine de l’auteur du présent ouvrage –, s’étant assis quelque part seul en son particulier, il écrivit aussi une lettre à cette femme de sa propre main, sans que personne ne le sût et en donnant libre cours à toutes sortes de formules, [lui demandant] qu’elle persuadât son époux de ne renoncer pour aucun motif à ce départ12. Dans le contexte de l’Antiquité tardive où l’idéal culturel de l’intellectuel qui se développait tendait à entrer en conflit avec l’importance traditionnellement accordée aux rapports familiaux par les membres de l’élite gréco-romaine13, la coïncidence du réseau intellectuel et du réseau familial pouvait représenter une forme de compromis. Enfin, le texte montre qu’Eunape appartient aux trois différents réseaux de philosophes, de rhéteurs, et de médecins, dont il apparaît comme l’héritier14, et en ce sens les Vies d’Eunape constituent une sorte de manœuvre d’autopromotion de l’auteur15. Les généalogies qu’il établit entre le fondateur de chaque école et lui-même sont 10 Eunape, Vies de philosophes et de sophistes, V, 27. 11 Les intellectuels ne diffèrent pas des autres corps de métier, puisqu’ils se marient au sein de leur cercle social. M. E. Waithe, Ancient Women Philosophers, 600 B.C. - 500 A.D. A History of Women Philosophers. Dordrecht, 1987, p. 11. L’empereur Julien évoque des relations familiales entre Jamblique et Sôpatros ; lettre XCVIII, 64-71. 12 VII, 48. Toutes les traductions sont celles de R. Goulet. Sa traduction reflète bien, ici, l’état du texte grec, qui est souvent ampoulé, voire maladroit. Pour plus de clarté, les noms propres ont toutefois été restitués entre crochets. 13 V. Vuolanto, « Family Relations and the Socialisation of Children in the Autobiographical Narratives of Late Antiquity », dans L. Brubacker, S. Tougher (éd.), Approaches to Byzantine Family, Farnham, 2013, p. 47-48. 14 R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 1, p. 142. E. Watts, « Orality and communal identity in Eunapius’ Lives of the Sophists and Philosophers », Byzantion, 75, 2005, p. 338. 15 Phénomène qui n’est pas isolé : on retrouve les mêmes enjeux de filiation et d’autopromotion dans la Vie de Plotin de Porphyre, par exemple. Voir J. Finamore, « Biography as Self-Promotion : Porphyry’s ‘Vita Plotini’ », Dionysus 23, 2005, p. 49-61.

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toutefois sujettes à caution. Outre la succession Plotin-Porphyre à Rome, qui est sans doute problématique si on l’envisage comme une succession scolaire formelle, mais qui appartient pour Eunape à l’histoire ancienne, et la succession entre Porphyre et Jamblique, qui est mal attestée – comme le remarque R. Goulet16, ils étaient sans doute en relation, mais il est plus probable que Jamblique ait suivi les enseignements d’Amélius –, Eunape doit encore, afin de s’inscrire dans la succession de Plotin, faire la preuve de la légitimité de la succession Jamblique-Aidésius. Or, l’usage que fait Eunape du vocabulaire désignant enseignants et élèves témoigne d’une insistance à l’égard de la relation entre les deux philosophes, qui indique à la fois qu’il a conscience des difficultés que soulève cette filiation, et que l’authenticité de celle-ci constitue pour lui un véritable enjeu. Nous examinerons d’abord les termes liés à l’éducation qu’Eunape emploie, en les classant en fonction des disciplines auxquelles ils sont associés. L’étude de quelques figures d’enseignants et d’élèves permettra ensuite de dégager des réflexions sur les rapports entre la description des pratiques scolaires et la construction de l’identité sociale et professionnelle au sein de ces cercles intellectuels.

Le vocabulaire scolaire d’Eunape de Sardes Les termes qu’Eunape utilise pour désigner les cours, l’enseignement et l’éducation sont variés : ἀκρόασις, διήγημα, μάθημα, μάθησις, ὁμιλία, συνουσία, παιδεία, διδασκαλία, παίδευσις. Dans un premier temps, il s’agit de faire l’inventaire du vocabulaire scolaire et d’identifier les termes qui semblent réservés à l’une ou l’autre des trois disciplines dont se réclame Eunape, ou qui au contraire leur sont communs. Les termes propres aux philosophes

Certains de ces termes se définissent par le contenu de l’enseignement, ce qui peut expliquer qu’Eunape en réserve l’utilisation à une seule discipline, la philosophie. C’est le cas du terme μάθημα qui désigne des connaissances élevées, sinon des sciences occultes telles que la divination, et donc des disciplines hors cursus scolaire17. Τὸν δὲ ταῦτα γράφοντα ἐκπαιδεύσας, νέον ἔτι ὄντα, ἡνίκα ἐπανῆλθεν Ἀθήνηθεν, οὐκ ἔλαττον ἠγάπα, ἀλλὰ καὶ προσετίθει καθ’ ἡμέραν τῷ διαφέροντι τῆς εὐνοίας, εἰς τοῦτο ἐκνικήσας, ὥστε τὰ ἑωθινὰ μὲν ὁ συγγραφεὺς ἐπὶ ῥητορικοῖς λόγοις ἑταίροις συνῆν καὶ τοὺς δεομένους ἐπαίδευεν, μικρὸν δὲ ὑπὲρ μεσημβρίας ἐπαιδεύετο, παρὰ τὸν ἐξ ἀρχῆς ἰὼν διδάσκαλον, τοὺς θειοτέρους καὶ φιλοσόφους τῶν λόγων· ἡνίκα οὔτε ὁ παιδεύων ἔκαμνεν ἐρῶντι συνών, τῷ τε ἐκδεχομένῳ τὰ μαθήματα τὸ ἔργον ἦν πανήγυρις.

16 R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 1, p. 141. 17 R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 2, p. 104, n. 8.

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Alors que [Chrysanthe] avait éduqué l’auteur du présent ouvrage, il ne l’aima pas moins lorsque celui-ci, encore jeune homme, revint d’Athènes, mais il ajoutait chaque jour à l’excès de sa bienveillance, et son influence prévalut au point que l’auteur le matin s’entretenait avec ses compagnons à propos des discours rhétoriques et enseignait à ceux qui le demandaient, mais, peu après midi, courant vers celui qui avait été son maître depuis le début, il était formé dans les doctrines plus divines de la philosophie. Alors l’enseignant ne se lassait pas de la compagnie d’un amoureux , et, pour celui qui recevait ces enseignements, ce travail était une fête. (XXIII, 34-35) Le terme μάθημα semble en outre être réservé aux philosophes contemporains d’Eunape, qui ne l’utilise que pour désigner l’enseignement ou les connaissances provenant d’Aidésius de Cappadoce18 et de Chrysanthe19. Les μαθήματα ne sont en fait acquis que par un seul personnage : Eunape lui-même, qui les reçoit (ἐκδέχεσθαι)20. Quant à Julien, il cherche à les attirer à lui (ἕλκειν)21, et Aidésius l’invite à s’en rassasier (ἐμφορεῖν)22. Les savoirs auxquels se réfèrent les μαθήματα ne sont donc pas décrits comme des savoirs qui s’enseignent (διδάσκειν) ou qui s’apprennent (μανθάνειν), ce qui correspond à la théorie de la connaissance platonicienne et néoplatonicienne dans laquelle le savoir s’acquiert par réminiscence, et non par l’enseignement23, ce qui souligne le néoplatonisme d’Eunape. Par ailleurs, quelques termes sont employés pour indiquer une réalité scolaire, sans égard au type de savoir concerné. C’est le cas de μάθησις qui, employé au datif avec la préposition ἐπί, désigne une séance de cours (par opposition à un cursus étendu dans le temps). Τοῦ δὲ εἰπόντος ὡς οὐκ ἠγνόει τὸ συμφέρον, ὁ μὲν Ἑλλησπόντιος ὡς συσκευασάμενος τὰ βιβλία καὶ παρὰ τὸν Χρυσάνθιον ἥξων ἐπὶ μαθήσει, τῆς πόλεως ἐξῄει. L’auteur ayant dit qu’il n’était pas sans savoir ce qui était opportun, Hellespontius, faisant comme s’il rassemblait ses livres et partait pour un cours chez Chrysanthe, sortit de la ville. (XXIII, 59) L’accent est ainsi mis sur la leçon ponctuelle à laquelle on se rend, sans que la matière abordée ne soit spécifiée. Cependant, μάθησις peut tout aussi bien désigner l’action d’apprendre ou le désir d’apprendre dans son sens le plus général.

18 Eunape, VII, 11 et 13. 19 XXIII, 35. 20 XXIII, 35. 21 VII, 11. Goulet a choisi le verbe absorber, ce qui permet de filer la métaphore de la soif déjà présente dans la phrase. 22 VII, 13. Encore une fois, Eunape a recours au vocabulaire de la nutrition pour parler des connaissances « ingérées » par le disciple. À propos de la métaphore de la digestion, voir E. Valette-Cagnac, « Corps de lecteur », dans P. Moreau (éd.), Corps romains, Grenoble, 2002, p. 300-301. 23 Ces savoirs qui ne s’enseignent pas et ne s’apprennent pas évoquent une conception platonisante de l’acquisition du savoir, dans laquelle les savoirs sont l’objet d’une réminiscence. C’est la conclusion du Ménon (99e-100a) : la vertu, étant une opinion vraie, ne s’enseigne pas.

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Ὁ δὲ Μάξιμος ὑφηγεῖται αὐτῷ καὶ τὸν θειότατον μετακαλέσαι Χρυσάνθιον, καί, γενόμενον οὕτως, μόλις ἤρκουν ἄμφω τῇ τοῦ παιδὸς ἐς τὰς μαθήσεις εὐρυχωρίᾳ. Quant à Maxime, il conseilla [à Julien] de faire appeler aussi le très divin Chrysanthe. Et lorsque ce fut fait, c’est à peine s’ils suffirent tous les deux à [combler] l’extrême disponibilité de l’élève à l’égard des études. (VII, 27) Quoiqu’il en soit, une μάθησις ne semble pouvoir se définir ni par son contenu, ni par son déroulement, ni par l’identité des personnes impliquées ; en outre, même si deux occurrences ne suffisent pas à tirer des conclusions sur le sens du terme, il convient de noter que les deux occurrences ne semblent pas avoir tout à fait le même sens, ce qui exclut d’emblée un usage technique du terme. Certes, on peut noter qu’Eunape utilise ce terme seulement dans les biographies de philosophes, toutefois la rareté du mot dans les Vies ne permet pas de dire s’il s’agit là d’un terme réservé aux écoles de philosophie et exclu des écoles de rhétorique. Le terme ἀκρόασις est quant à lui utilisé à trois reprises dans des contextes où Eunape aborde le point de vue de l’élève plutôt que celui du professeur, et est associé deux fois au verbe ἐμφορεῖν et une fois au verbe ἐμπιπλάναι, dont le sens est « verser », « remplir » ou « rassasier », comme c’est le cas dans le passage suivant où c’est Aidésius, comme élève, qui est sujet de la phrase. Ὡς δὲ εἶδέν τε τὸν ἄνδρα καὶ ἤκουσε λέγοντος, ἐξεκρέματο τῶν λόγων, καὶ τῆς ἀκροάσεως οὐκ ἐνεπίπλατο· Lorsqu’il vit l’homme [ Jamblique] et l’entendit parler, [Aidésius] fut suspendu à ses propos et ne se rassasia pas de son enseignement. (VI, 4) Les parallèles entre nourriture terrestre et nourriture de l’âme sont des lieux communs du discours philosophique, ce qui peut expliquer que les ἀκροάσεις se retrouvent essentiellement dans les biographies de philosophes, les autres occurrences se trouvant dans les vies de Porphyre (IV, 7) et de Chrysanthe (XXIII, 6). Le nom de même famille ἀκροατής, plus fréquent (7 occurrences) est également le plus souvent employé dans les vies de philosophes, mais il est également utilisé pour désigner les élèves du médecin Zénon. Alors que Porphyre distingue le grand nombre des ἀκροαταί et le petit nombre de ζηλωταί24 – une distinction reprise chez Marinus, pour qui ceux qui viennent pour entendre les ἀκροάσεις s’opposent aux élèves plus sérieux (ζηλωταί, ΧΧΧVIII, 5), mais qui emploie le nom ἀκροατής (XII, 34) et le participe du verbe ἀκροᾶσθαι (IX, 25-26) pour désigner Proclus25 – cette distinction semble exclue chez Eunape, puisque Porphyre, Aidésius et Chrysanthe ne sont justement pas de simples auditeurs, mais bien les élèves les plus sérieux.

24 Vie de Plotin VII, 1. Sur la distinction entre ἀκροαταί et ζηλωταί chez Porphyre, voir M.-O. Goulet-Cazé, « L’arrière-plan scolaire de la Vie de Plotin », dans L. Brisson et al., Porphyre. La vie de Plotin I. Travaux préliminaires et index grec complet, Paris, 1982, p. 233-236, ainsi que E. Watts, City and school in Late Antique Athens and Alexandria, Berkeley, Los Angeles, London, 2006, p. 160, n. 99. 25 Proclus ou sur le bonheur, XXXVIII, 5. Voir M. Cambron-Goulet, « Teaching and learning in Marinus », dans C. D’Amico, J. Finamore et N. Strok, Platonic Inquiries, Londres, 2017, p. 205.

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Les termes communs à la philosophie et à la sophistique

D’autres termes désignant l’enseignement ne sont pas réservés aux philosophes, mais sont communs aux philosophes et aux sophistes. Ainsi et de manière plus surprenante26 le terme διήγημα (récit) est employé une fois par Eunape pour désigner l’enseignement d’un philosophe27 et une fois pour désigner le discours public de Prohérésius28. En l’utilisant pour parler des discours que tient Chrysanthe, Eunape souligne la virtuosité de l’orateur, son éloquence29. Ἀναστὰς δὲ ἀπὸ τῆς ἀσκήσεως, ταῖς τε δημοσίαις προόδοις ἐτέρπετο, καὶ τόν τε ταῦτα γράφοντα παραλαβών, μακροὺς μὲν τοὺς περιπάτους, σχολαίους δὲ ἀπέτεινεν· ἔλαθέ τε ἄν τις περιαλγὴς τοὺς πόδας γενόμενος, οὕτως ὑπὸ τῶν διηγημάτων κατεθέλγετο. En quittant les exercices, [Chrysanthe] aimait à sortir en ville et, prenant avec lui l’auteur du présent ouvrage, il s’adonnait à des promenades longues mais studieuses. Et on oubliait qu’on avait mal aux pieds, tant on était ensorcelé par ses exposés. (XXIII, 31-32) Si Watts note qu’Eunape distingue les μαθηταί des ἑταῖροι, les premiers correspondant à des élèves moins avancés et les seconds à des étudiants plus avancés susceptibles d’enseigner au sein de l’école et considérés à ce titre comme des pairs30, une lecture attentive de l’ouvrage d’Eunape nous permet de constater que cette distinction s’applique tout aussi bien aux écoles philosophiques qu’aux écoles sophistiques. Alors que les personnages des Vies sont souvent qualifiés d’ἑταῖροι, ce qui revient à les qualifier de manière élogieuse31, les μαθηταί peuvent aussi bien être de bons élèves (tels Porphyre, III, 2 ; Chrysanthe, V, 11) que des disciples sots et arrogants (VIII, 6 ; IX, 8). Ὁ δὲ διδάσκαλος ἁρμονίαν τινὰ καὶ ἐπιμέλειαν πρὸς τὸ ἀνθρώπειον ἐμφυτεύων τοῖς μαθηταῖς, ὡς ἀσυφήλους αὐτοὺς ἑώρα, καὶ δι’ ἀγερωχίαν τῶν δογμάτων ὑπέρφρονας, καὶ τὰ πτερὰ μακρότερα καὶ ἁπαλώτερα τοῦ Ἰκαρίου, καταβιβάζων αὐτοὺς οὐκ ἐπὶ τὸν πόντον, ἀλλ’ ἐπὶ τὴν γῆν καὶ τὸ ἀνθρώπινον. Le maître [Aidésius], qui inculquait à ses disciples une certaine harmonie et une certaine sollicitude à l’égard du genre humain, lorsqu’il voyait que ceux-ci

26 Notons que ce terme est absent tant de la Vie de Plotin de Porphyre que de Marinus, Proclus ou sur le bonheur. 27 C’est le cas de Chrysanthe, XXIII, 31-32. 28 X, 79. 29 L’éloquence est une qualité jugée nécessaire chez tous les enseignants, comme le montre le Code Théodosien XIII 3, 5. R. Goulet, « Réflexions sur la loi scolaire de l’empereur Julien », dans H. Hugonnard (éd.), L’enseignement supérieur dans les mondes antiques et médiévaux. Aspects institutionnels, juridiques et pédagogiques, Paris, 2008, p. 185. 30 E. Watts, City and school… op. cit. supra, n. 25, p. 52. 31 Souvent le terme est élogieux puisqu’il désigne les compagnons et donc en quelque sorte les égaux de l’enseignant, mais ceux-ci peuvent par ailleurs avoir des défauts, ainsi le passage V, 14 où Aidésius compte parmi « la majorité et les plus querelleurs de ses compagnons [scil. ceux de Jamblique] ».

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étaient sots, qu’ils étaient méprisants à cause de l’arrogance de leurs doctrines et que leurs ailes étaient plus grandes et plus fragiles que celles d’Icare, il les faisait retomber non pas dans la mer mais sur la terre et au niveau humain. (VIII, 6) Ainsi, contrairement à ἑταῖρος qui a un sens laudatif, le terme μαθητής n’implique pas nécessairement de jugement de valeur. Le terme παίδευσις, utilisé deux fois par Eunape, renvoie dans un premier cas à l’enseignement d’Alypius. Ζηλωτὰς μὲν οὖν εἶχεν πολλοὺς ὁ Ἀλύπιος, ἀλλ’ ἡ παίδευσις ἦν μέχρι συνουσίας μόνης, βιβλίον δὲ προέφερεν οὐδὲ εἷς· ὥστε μάλα ἀσμένως πρὸς τὸν Ἰάμβλιχον ἀπέτρεχον, ὡς ἐκ πηγῆς ὑπερβλυζούσης, οὐ μενούσης καθ’ ἑαυτήν, ἐμφορησόμενοι καὶ πιούμενοι. Alypius donc avait de nombreux disciples assidus, mais [son] enseignement se limitait à des entretiens : nul ne citait de livre [de lui], si bien que de chez lui on accourait volontiers vers Jamblique, pour se remplir et s’abreuver comme à partir d’une source débordante qui ne reste pas en elle-même. (V, 27) Il s’agit alors d’un terme générique, qui englobe à tout le moins le concept de συνουσία, ce qui concorde avec l’utilisation qui en est faite dans le court passage sur le sophiste Anatolius, où la παίδευσις désigne l’éducation de celui-ci de manière assez peu spécifique (X, 59), comme c’est ailleurs le cas du terme παιδεία. Le terme ὁμιλία quant à lui indique une appartenance à un groupe donné, au sein duquel on discute. Il souligne le rattachement des membres du groupe à une vie sociale ponctuée d’événements qui ont un effet concret sur l’individu du simple fait qu’il y est présent. Τὰ δὲ πλεῖστα τοῖς ἑταίροις συνῆν, τὴν μὲν δίαιταν ὤν εὔκολος καὶ ἀρχαῖος, τῇ δὲ παρὰ πότον ὁμιλίᾳ τοὺς παρόντας καθηδύνων καὶ διαπιπλὰς ὥσπερ νέκταρος. Mais la plupart du temps [ Jamblique] restait avec ses compagnons ; il pratiquait un régime de vie sobre, digne des temps anciens, mais, par ses entretiens autour d’un verre, il ravissait les participants et les rassasiait comme d’un nectar. (V, 6) L’ὁμιλία est ici une occasion de boire vin et paroles. Elle implique par conséquent une pratique de la sociabilité qui ne fait pas du tout partie de l’extension du μάθημα ou de la μάθησις. Cette dimension sociale de l’ὁμιλία est encore plus marquée lorsque le terme, assorti de l’adjectif κοινή, est mis en opposition avec un mode de vie érémitique. Ὁ δὲ ἑπόμενος, ὥσπερ ἕπεσθαι χρή, πρὸς τὴν κρείττονα ὁδὸν συνηπείγετο, καὶ χωρίδιόν τέ τι περιεσκόπει καὶ πρὸς αἰπολίου τινὸς βοτῆρος ἑαυτὸν ἐνέτεινε βίον· τοὺς δὲ λόγων δεομένους ἢ παιδείας διὰ τὸ προκατακεχυμένον κλέος οὐκ ἐλάνθανεν, ἀλλ’ ἀνιχνεύοντες αὐτὸν περιεστήκεσαν, ὥσπερ κύνες ὠρυόμενοι περὶ τὰ πρόθυρα, καὶ διασπάσασθαι ἀπειλοῦντες, εἰ τοσαύτην καὶ τηλικαύτην σοφίαν ἐπὶ τὰ ὄρη καὶ τοὺς κρημνοὺς καὶ τὰ δένδρα τρέποι, καθάπερ οὐδὲ ἄνθρωπος γεγονὼς οὐδὲ εἰδὼς τὸ ἀνθρώπινον. τοιούτοις δὲ λόγοις τε καὶ ἔργοις ἐκβιασθεὶς εἰς τὴν κοινὴν ὁμιλίαν, ἐπέδωκεν ἑαυτὸν φέρων τῇ χείρονι τῶν ὁδῶν, καὶ τὴν μὲν Καππαδοκίαν ἐξέλιπεν, Εὐσταθίῳ παραδοὺς ἐπιμελεῖσθαι τῶν ἐκείνῃ (καὶ κατὰ γένος οὐκ ἀφεστήκεσαν).

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[Aidésius], suivant [l’oracle] ainsi qu’il faut le suivre, s’empressa [d’opter] pour la meilleure voie : il gérait un petit domaine et s’adonnait à une vie de berger gardant des chèvres. Il ne restait cependant pas caché à ceux qui avaient besoin de culture ou d’éducation, du fait de la célébrité qui s’était précédemment répandue, mais [ceux-ci], en le cherchant à la trace, se tenaient autour de lui comme des chiens hurlant devant le portail et menaçant de le mettre en pièces s’il tournait une si grande et si belle sagesse en direction des montagnes, des précipices et des arbres, comme s’il n’était pas né homme et ne connaissait pas le genre humain. Contraint par ces arguments et ces actions à retourner à la vie sociale, [Aidésius] se donna avec empressement à la moins bonne des deux voies et il quitta la Cappadoce, confiant à Eustathe le soin de s’occuper du domaine qui s’y trouvait – ils avaient entre eux des liens de parenté. (VI, 36-37) Comme Aidésius, retiré sur sa terre et vivant comme un berger, reste néanmoins accessible à ceux qui ont besoin d’éducation, il faut supposer que la κοινή ὁμιλία à laquelle cette vie d’ermite s’oppose renvoie à une forme de vie sociale et donc d’enseignement public, qui implique un plus grand nombre de personnes, plutôt qu’à des fréquentations d’ordre privé. Le témoignage d’Eunape concernant les membres les plus en vue de l’ὁμιλία d’Aidésius confirme que celle-ci est publique, du moins plus ouverte que d’autres formes d’enseignement. Τῆς δὲ ὁμιλίας αὐτοῦ προεστήκεσαν καὶ ἀνὰ τοὺς πρώτους ἐφέροντο Μάξιμός τε, ὑπὲρ οὗ τάδε γράφεται, καὶ Χρυσάνθιος ὁ ἐκ Σάρδεων, Πρίσκος τε ὁ Θεσπρωτὸς ἢ Μολοσσός, Εὐσέβιός τε ὁ ἐκ Καρίας Μύνδου πόλεως. Καὶ συνουσίας ἀξιωθεὶς τῆς Αἰδεσίου, ὁ καὶ ἐν μειρακίῳ πρεσβύτης Ἰουλιανός, τὴν μὲν ἀκμὴν καὶ τὸ θεοειδὲς τῆς ψυχῆς καταπλαγείς, οὐκ ἐβούλετο χωρίζεσθαι, ἀλλ’, ὥσπερ οἱ κατὰ τὸν μῦθον ὑπὸ τῆς διψάδος δηχθέντες, χανδὸν καὶ ἀμυστὶ τῶν μαθημάτων ἕλκειν ἐβούλετο, καὶ δῶρά γε ἐπὶ τούτοις βασιλικὰ διέπεμπεν· Occupaient le premier rang dans son école et étaient considérés comme ses meilleurs disciples Maxime, dont on écrit ici la vie, Chrysanthe de Sardes, Priscus de Thesprotie ou de Molosse, et Eusèbe de la cité de Cnide [Myndes] en Carie. Jugé digne de la fréquentation d’Aidésius, Julien, qui était un homme âgé tout en étant encore à l’âge de l’adolescence32, frappé par la vigueur et par la divinité de cette âme, ne voulait pas s’en séparer, mais, à la manière de ceux qui, dans le mythe, sont mordus par le serpent de la soif, il désirait absorber les enseignements, bouche béante et grande ouverte, et il faisait envoyer dans ce but des présents royaux. (VII, 10-11) Certes, l’esprit agonistique33 explique l’intérêt d’Eunape pour qui occupe la première place au sein des différentes écoles examinées. Toutefois, pour que quatre personnes

32 L’expression ἐν μειρακίῳ πρεσβύτης correspond au thème du puer senex, un lieu commun de l’éloge qui sert à montrer la valeur et la sagesse ou la dignité d’un jeune homme, qualités qui sont plutôt celles du vieillard. Voir L. Pernot, Rhétorique de l’éloge, Paris, 1993, p. 709. 33 R. Goulet, « Les intellectuels païens… », op. cit. supra, n. 3, p. 17.

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se disputent la première place dans l’école d’Aidésius, encore fallait-il que l’école accueille un nombre assez grand d’élèves. Aussi peut-on estimer que le terme ὁμιλία34 correspond à une école de plusieurs dizaines d’élèves, si l’on se fonde sur les données que nous possédons pour les écoles de Libanius au ive et d’Évagoras au vie siècle35. L’ὁμιλία s’oppose à la συνουσία en ce qu’elle n’exige pas nécessairement que l’on en soit jugé digne – même si c’est le cas lorsqu’Eunape se targue d’avoir été jugé digne et de la conversation et de l’enseignement de Prohérésius. Καὶ νῦν δὲ ἐπελθεῖν καιρὸς εἰς τὸ ἀκριβέστερον εἰδότι τε ἀσφαλῶς καὶ ἀξιωθέντι τῆς ἐκείνου γλώττης καὶ ὁμιλίας· Mais maintenant le moment est venu, pour quelqu’un qui l’a connu sans risque d’erreur et qui a été jugé digne de sa conversation et de son enseignement, de traiter [le sujet] dans le sens d’une plus grande précision. Quant au terme de συνών, qu’on associerait volontiers au médio-platonisme et au néoplatonisme36, il n’est donc pas réservé chez Eunape aux biographies de philosophes, mais désigne également les élèves de Libanius. Ἀλλὰ τό τε ἦθος εὐθὺς οἷός τις ἦν ἔγνωστο, καὶ συνεῖδεν αὐτοῦ τά τε τῆς ψυχῆς ἐπί τε τὸ χεῖρον καὶ τὸ κρεῖττον ῥέποντα, καὶ τοσοῦτος ἦν ἐς τὴν πλάσιν καὶ τὴν εἰς ἑκάτερον ἐξομοίωσιν, ὥστε ὁ μὲν λῆρος ἦν αὐτῷ, τῶν δὲ συνόντων ἕκαστος ἄλλον ὁρᾶν ἑαυτὸν ὑπελάμβανεν. Mais tout de suite [Libanius] connaissait le caractère de chacun et il percevait les tendances de son âme, qu’elles se portent vers le pire ou vers le meilleur. Et il savait si bien modeler son comportement et s’assimiler à deux caractères opposés que était une bagatelle par rapport à lui et que chacun de ceux [avec] qui [il] s’entretenait croyait voir un autre soi-même. (XVI, 10) Quoique la plupart des occurrences du verbe συνεῖναι et de son dérivé συνών en dehors du contexte scolaire montre des hommes vivant en compagnie des dieux, le petit nombre de mentions en contexte éducatif invite à la prudence. Il est cependant tentant d’y voir un vocable laudatif, réservé aux élèves avancés, comme le nom de même famille συνουσία. Les termes communs à la philosophie, à la sophistique et à la médecine

Parmi les quelques termes enfin qui sont employés indifféremment pour la philosophie, la sophistique ou la médecine, la συνουσία désigne en effet un enseignement avancé37, qui n’est pas ouvert à tous ; dans plusieurs cas, Eunape indique

34 Le terme ὁμιλία est également employé par Eunape pour désigner les écoles de Prohérésius (X, 1), de Julien de Cappadoce (IX, 3) et de Diophante (XVI, 3). 35 R. Goulet, « Figures du rhéteur… », op. cit. supra, n. 4, p. 212. 36 H. Tarrant, « Socratic Synousia… », op. cit. supra, n. 2. 37 Ibid.

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qu’il faut être jugé digne d’y accéder38. Ce témoignage laisse entendre qu’il existait un enseignement réservé à des élèves plus avancés, auquel Eunape n’a pu accéder que tardivement et sans doute partiellement, puisque le Code Théodosien prévoit que les étudiants ne peuvent poursuivre leurs études que jusqu’à l’âge de vingt ans39 ; or Eunape « ne fut jugé digne des vérités supérieures » qu’à son retour à Sardes, à l’âge de dix-neuf ans – et donc après son cursus scolaire. Ὁ γοῦν ταῦτα γράφων ἐκ παιδὸς ἀκροατὴς Χρυσανθίου γενόμενος, μόλις εἰς εἰκοστὸν ἔτος ἠξιοῦτο τῶν ἀληθεστέρων […] De fait, c’est à peine si, parvenu à sa vingtième année, l’auteur du présent ouvrage, qui était depuis l’enfance auditeur de Chrysanthe, fut jugé digne des vérités supérieures […] (VI, 6). Le passage sur les συνουσίαι d’Antonin laisse entendre que le terme pourrait s’appliquer à un enseignement platonicien avancé. Συνουσίας δὲ ἀξιωθέντες, οἱ μὲν λογικὸν πρόβλημα προθέμενοι, ἀφθόνως καὶ αὐθωρὸν τῆς Πλατωνικῆς ἐνεφοροῦντο σοφίας, οἱ δὲ τῶν θειοτέρων τι προβάλλοντες, ἀνδριάντι συνετύγχανον· Une fois jugés dignes de son enseignement, ceux qui avaient proposé un problème logique recevaient d’abondance et sur le champ leur compte de sagesse platonicienne, tandis que ceux qui lançaient la discussion sur un sujet religieux rencontraient une statue. (VI, 106) Toutefois, l’utilisation du même terme pour décrire les cours de Diophante qu’abandonne Libanius40, ainsi que pour désigner les cours du médecin Oribase41, tend à contredire l’hypothèse d’un terme technique réservé à une discipline spécifique. Le nom d’ὁμιλητής, par lequel les élèves des trois disciplines sont désignés à de nombreuses reprises dans les Vies, est un autre de ces termes sans ancrage disciplinaire. Il est régulièrement employé avec celui de compagnon (ἑταῖρος). Parfois, la conjonction des deux termes s’explique par le style abondant d’Eunape42, mais dans d’autres occasion ὁμιληταί et ἑταῖροι ne sont pas des synonymes coordonnés par une conjonction et désignent respectivement le grand nombre des élèves et le cercle le plus rapproché du maître. 38 VI, 106, VII, 11, XVI, 9. Chez Libanius, le terme sunousia indique également une certaine intimité. Voir P.-L. Malosse, « Rhétorique, philosophie et prostitution », dans D. Auger et al., Culture classique et christianisme, p. 66 ; N. Belayche, « “Partager la table des dieux” L’empereur Julien et les sacrifices, » Revue de l’histoire des religions 218, 4, 2001, p. 471. 39 Code Théodosien XIV 9, 1 ; R. Goulet, « Mais qui était donc le gendre de la sœur de Priscus ? », Studia graeco-arabica, 2, 2012, p. 55, n. 123. Il s’agit là des étudiants romains ; R. Goulet remarque que des séjours d’étude de dix ans avaient par ailleurs été autorisés par Hadrien (Code Justinien X, 50). Dans tous les cas, la durée des études était suffisamment réglementée pour qu’Eunape, n’accédant à un enseignement supérieur qu’à sa vingtième année, n’ait vraisemblablement pas pu étudier longtemps auprès de Chrysanthe. 40 XVI, 3. 41 XXI, 14. 42 R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 1, p. 434-435.

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Εὐδοκιμῶν δὲ καὶ αὐτὸς ἄγαν καὶ διὰ τῶν ὁμιλητῶν, Ἀθήνησιν ἐτελεύτα, μέγαν ἐπιτάφιον ἀγῶνα τοῖς ἑαυτοῦ παραδεδωκὼς ἑταῖροις. Grandement honoré pour ses qualités et également à cause de ses élèves, [ Julien] mourut à Athènes, laissant à ses compagnons l’occasion d’une grande joute oratoire pour ses funérailles. (IX, 27) Dans la même veine, l’expression ἡ τῶν ὁμιλητῶν πληθύς renvoie à la foule des disciples et est par ailleurs employée à plusieurs occasions43, et le terme ὁμιλητής renvoie parfois à un grand nombre d’élèves44. Ἑταῖρος n’est ainsi pas tout à fait synonyme d’ὁμιλητής, car bien qu’il désigne aussi des élèves, il est plus généralement employé lorsqu’il s’agit de désigner le cercle proche d’un enseignant, comme c’est le cas lorsque Aidésius s’adresse à Julien, en identifiant comme ses « enfants authentiques » ses compagnons (ἑταῖροι) Maxime, Priscus, Eusèbe et Chrysanthe : Σὺ δέ, εἴ τι καὶ δρᾶν βούλει, τέκνον σοφίας ἐπήρατον (τοιαῦτα γάρ σου τὰ τῆς ψυχῆς ἰνδάλματα καταμανθάνω), πρὸς τοὺς ἐμοὺς παῖδας πορευθεὶς ὄντας γνησίους, ἐκεῖθεν ῥύδην ἐμφοροῦ σοφίας ἁπάσης καὶ μαθημάτων· κἂν τύχῃς τῶν μυστηρίων, αἰσχυνθήσῃ πάντως ὅτι ἐγένου καὶ ἐκλήθης ἄνθρωπος. ἐβουλόμην μὲν οὖν παρεῖναι καὶ Μάξιμον, ἀλλ’ ἐπὶ τὴν Ἔφεσον ἔσταλται. καὶ περὶ Πρίσκου τὰ ὅμοια διελέχθην ἄν, ἀλλὰ κἀκεῖνος ἐπὶ τῆς Ἑλλάδος πέπλευκεν· λοιποὶ δὲ τῶν ἐμῶν ἑταίρων Εὐσέβιός τε καὶ Χρυσάνθιος, ὧν ἀκροώμενος ἐλάχιστα τὸ ἐμὸν ἐνοχλήσεις γῆρας.” Mais toi, si tu désires réaliser quelque chose, fils chéri de la sagesse – car je perçois que telles sont les images de ton âme –, te dirigeant vers ceux qui sont mes enfants authentiques, rassasie-toi abondamment, à cette source, de toute la sagesse et de tous les enseignements ; et si tu as la chance d’être initié à [leurs] mystères, tu auras honte absolument d’être né et d’être appelé un homme. Maintenant, je voudrais que Maxime aussi fût présent, mais il a été envoyé à Éphèse. Et je voudrais dire la même chose à propos de Priscus, mais lui aussi a fait voile vers la Grèce. Du nombre de mes compagnons il reste Eusèbe et Chrysanthe : si tu deviens leur auditeur, tu troubleras ma vieillesse le moins possible. (VII, 13-14) Il faut penser que dans l’esprit d’Eunape, le terme « compagnon » (ἑταῖροι) ne s’applique qu’aux quatre philosophes nommés, sans quoi l’identification d’Eusèbe et Chrysanthe comme les seuls compagnons qui restent n’aurait pas beaucoup de sens. Le terme s’applique ainsi seulement à ceux qui sont eux-mêmes des philosophes et des enseignants, et donc des pairs d’Aidésius. De plus, le médecin Zénon a des ὁμιληταί, alors qu’aucun médecin n’a des ἑταῖροι, ce qui laisse entendre qu’une nuance existe entre les deux termes, même si cette distinction n’est pas systématique45. 43 V, 16 ; 22 ; XVI, 2. 44 X, 5. 45 Sur le contraste entre les ἑταῖροι et d’autres catégories d’étudiants chez Eunape, voir E. Watts, City and School… op. cit. supra, n. 25, p. 52, n. 15.

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Le terme παιδεία, enfin, est utilisé dans les trois contextes, et sert le plus souvent à indiquer que les personnages sont des personnes éduquées. Ὁ δὲ ἀναστήσας ἑαυτόν “ἀλλ’ ἐπιλελῆσθαί μοι δοκεῖς,” εἶπεν “ὦ Χρυσάνθιε, τῆς παιδείας ἣν ἐπαιδεύθημεν, ὡς τῶν ἄκρων γέ ἐστιν Ἑλλήνων καὶ ταῦτα πεπαιδευμένων μὴ πάντως εἴκειν τοῖς πρώτως ἀπαντήσασιν, ἀλλ’ ἐκβιάζεσθαι τὴν τοῦ θείου φύσιν ἄχρις ἂν ἐπικλίνῃ πρὸς τὸν θεραπεύοντα.” L’autre [Maxime], se redressant, dit : « Tu me sembles oublier, Chrysanthe, l’éducation que nous avons reçue, à savoir qu’il est du devoir des Hellènes éminents, et en plus s’ils sont cultivés, de ne céder d’aucune façon aux [signes] rencontrés dès l’abord, mais de contraindre la nature divine jusqu’à ce qu’elle se penche vers son serviteur. » (VII, 39) Il n’est donc pas étonnant que le terme soit employé tant pour les philosophes que pour les sophistes ou les médecins, la παιδεία étant la formation qu’ils possèdent en commun. Deux termes enfin, soit ἀκροατής et συμφοιτητής, sont communs aux philosophes et aux médecins, mais non aux sophistes. Quoique l’étude du vocabulaire lié à l’éducation chez Eunape permette surtout de mettre en valeur les rapports entre philosophes et sophistes, les médecins présentent avec ces deux groupes des parallèles intéressants. Par exemple, Magnus et Oribase sont les auditeurs (ἀκροαταί) de Zénon et sont désignés sous le terme condisciples (συμφοιτηταί)46, comme c’était le cas de Porphyre, Origène, Amérius et Aquilinus47. Cela suggère qu’il existe pour Eunape une parenté de nature entre les élèves du philosophe et ceux du médecin. En somme, le vocabulaire d’Eunape, quoique suffisamment précis pour que l’on puisse distinguer le sens qu’il donne à un certain nombre de termes comme συνουσία ou μαθήμα, ne permet pas d’associer des pratiques d’enseignement spécifiques à l’une ou l’autre discipline, philosophie, sophistique ou médecine, ni à des personnages spécifiques. Il a plutôt l’effet inverse, et rapproche différentes disciplines et différents personnages. L’usage du vocabulaire scolaire contribue chez Eunape à la promotion d’un tel idéal savant, qui cumulerait savoirs philosophiques, rhétoriques et médicaux, et auquel il s’identifie48.

Enjeux politiques et enjeux de filiation dans les Vies Ainsi, si l’on examine comment l’enseignement ou l’apprentissage se déroule, on comprend mieux l’organisation du vocabulaire lié à l’éducation et la manière dont l’emploi de termes variés met en valeur les qualités propres aux enseignants et aux élèves dont Eunape rédige les biographies, ainsi que les rapports qu’ils entretiennent 46 XXI, 2. 47 IV, 13. 48 T. Hägg, The Art of Biography in Antiquity, Cambridge, 2012, p. 351.

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entre eux et avec le monde extérieur aux écoles. Le vocabulaire scolaire permet ainsi à Eunape de répondre à des enjeux politiques et à des enjeux de filiation. Le soin avec lequel Eunape rapporte l’existence des élèves des enseignants dont il rédige la biographie varie d’abord en fonction d’enjeux politiques. Les biographies de l’empereur Julien ainsi que des rhéteurs Julien et Prohérésius répondent à de tels impératifs politiques. L’empereur Julien n’a pas en effet consacré sa carrière à l’enseignement, qui reste toutefois l’objet d’une part de sa démarche visant à réformer la religion traditionnelle et à ramener les enseignants païens aux convictions religieuses des auteurs classiques49. Sur le plan politique, montrer Julien comme un bon élève de philosophie a sans doute pour but de rappeler l’effort des néoplatoniciens en vue de la réhabilitation et de la justification philosophique du paganisme50, mais aussi de légitimer la législation scolaire que l’empereur met en place. Les cas de Julien de Cappadoce et de Prohérésius, dont les élèves sont fréquemment décrits à l’aide des termes ἑταῖροι et ὁμιληταί, montrent encore davantage la nécessité d’affirmer son appartenance à un groupe donné en situation de conflit. Eunape consacre en effet un long passage de la biographie du rhéteur Julien au procès qui oppose ses élèves à ceux d’Apsinès. Du point de vue d’Eunape, l’usage des mêmes termes pour désigner les élèves de Julien de Cappadoce et de Prohérésius et pour désigner les élèves de Jamblique a pour effet d’établir un parallèle entre les deux généalogies, celle des philosophes et celle des rhéteurs, et ainsi de mettre l’accent sur ce qui les lie plutôt que sur ce qui les distingue. Or, justement, la loi scolaire porte à la fois sur les mœurs des enseignants, autrement dit sur la validité de leur adhésion aux valeurs religieuses traditionnelles et aux rites, et sur leur éloquence51. Pour Eunape, il est donc avantageux de pouvoir se réclamer autant de la philosophie, qui garantit les premières, que de la rhétorique, qui assure la seconde. En outre, l’usage d’un même vocabulaire lui permet de défendre les qualités de son maître Prohérésius, temporairement suspendu d’enseignement sous Julien52. Les filiations institutionnelles, qui ne sont pas toujours bien attestées, constituent un second enjeu déterminant dans la rédaction des Vies. Eunape se décrit lui-même comme élève à de nombreuses reprises, ce qui a pour effet de l’inscrire parmi les intellectuels dont il rédige les vies et dont il doit garantir la filiation. Il lui faut donc montrer qu’il appartient à une lignée légitime remontant à Plotin, et par conséquent mettre en lumière la légitimité de Chrysanthe, qui est son enseignant, comme

49 R. Goulet, « Prohérésius le païen », dans Études sur les vies de philosophes dans l’Antiquité tardive, Paris, 2001, p. 330, remarque que pour Julien, la loi scolaire vise autant les enseignants chrétiens qui professent leur foi que les enseignants païens qui critiquent la religion traditionnelle telle qu’elle apparaît dans les œuvres des auteurs classiques. 50 C. Van Liefferinge, La théurgie des oracles chaldaïques à Proclus, Liège, 1999, p. 11-21. 51 Code Theod. XIII 3, 5 (= Cod. Iust. X 53, 7) : Magistros studiorum doctoresque excellere oportet moribus primum, deinde facundia. R. Goulet, « Prohérésius… », op. cit. supra, n. 50, p. 327-330 ; R. Goulet, « Réflexions sur la loi scolaire… », op. cit. supra, n. 30, p. 185-186. 52 Sur les raisons politiques, plutôt que religieuses, de cette suspension, liée au refus de Prohérésius de jouer un rôle auprès de Julien, voir R. Goulet, « Prohérésius… », op. cit. supra, n. 50, p. 333-337.

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successeur d’Aidésius ; celle d’Aidésius, comme successeur de Jamblique ; et celle de Jamblique, comme successeur de Porphyre53. Or, le témoignage d’Eunape montre la difficulté à établir clairement la filiation de Plotin à Aidésius en passant par Jamblique, qui est géographiquement douteuse, alors que cette filiation est cruciale pour affirmer la légitimité philosophique de l’école à laquelle il appartient54. En effet, si Eunape affirme que Porphyre s’est attaché à Plotin55 et que Jamblique s’est attaché à Porphyre56, la construction du verbe προστιθέναι avec le datif, employée pour décrire ces filiations, est très faible, en l’absence de tout autre témoignage concernant la succession de Porphyre à la tête de l’école de Plotin, ainsi que celle de Jamblique à la suite de Porphyre. Dans le premier cas, le verbe προστιθέναι se trouve dans une phrase très affirmative : Καὶ τῷ μεγίστῳ Πλωτίνῳ συνῆλθεν εἰς ὁμιλίαν, πάντων ἐπελάθετο τῶν ἄλλων καὶ προσέθετο φέρων ἑαυτὸν ἐκείνῳ. [lorsqu’il] fut entré dans la fréquentation de l’excellent Plotin, il oublia tous les autres [maîtres] et avec empressement s’attacha à lui. (IV, 6) Le verbe συνερχέσθαι et le nom ὁμιλία évoquent explicitement le rattachement de Porphyre à Plotin. Même si le caractère informel de l’enseignement de Plotin chez sa logeuse Gemina exclut l’hypothèse d’une succession scolaire au sens strict du terme, l’héritage philosophique de Plotin est bien visible chez Porphyre57. Ce n’est toutefois pas du tout le cas dans le second passage où, le verbe προστιθέναι étant tout ce qui relie Jamblique à Porphyre, la filiation est d’autant plus problématique qu’elle n’est pas attestée par ailleurs et qu’elle implique un déplacement de l’institution de Rome vers Apamée, même si les ouvrages des deux philosophes montrent qu’ils étaient en contact l’un avec l’autre58. Εἶτα μετ’ Ἀνατόλιον Πορφυρίῳ προσθεὶς ἑαυτόν, οὐκ ἔστιν ὅ τι καὶ Πορφυρίου διήνεγκε, πλὴν ὅσον κατὰ τὴν συνθήκην καὶ δύναμιν τοῦ λόγου.

53 Quant à la filiation entre Plotin et Porphyre, si elle n’est pas problématique, elle est très certainement l’objet d’une importante manœuvre d’autopromotion dans la Vie de Plotin. Voir J. Finamore, « Biography as Self-Promotion… », op. cit. supra, n. 16, et R. Bodéüs, « Plotin a-t-il empêché Porphyre de mourir de mélancolie ? », Hermes, 129, 2001, p. 567-571. 54 En l’absence de diplômes ou d’autres formes de capital culturel institutionnalisé, les filiations garantissent la validité des savoirs qu’un individu détient. N. Massar, « Les maîtres itinérants en Grèce : techniciens, sophistes, philosophes », dans C. Jacob (éd.), Lieux de savoir, Paris, 2007, p. 786-804 ; L. Dean-Jones, « Literacy and the Charlatan in Ancient Greek Medicine », dans H. Yunis (éd.), Written Texts and the Rise of Literate Culture in Ancient Greece, Cambridge, 2003, p. 97-121 ; A. Urbano, The Philosophical Life : Biography and the Crafting of Intellectual Identity in Late Antiquity, Washington, 2013, p. 2-5. 55 IV, 6. 56 V, 3. 57 R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 1, p. 140. 58 En particulier, nous n’avons pas de trace d’un séjour de Jamblique dans l’Occident méditerranéen. Voir R. Goulet, Eunape…, op. cit. supra, n. 8, t. 1, p. 141.

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Lorsque [ Jamblique], après avoir fréquenté Anatolius, se fut attaché à Porphyre, il n’est aucun point sur lequel il se différencia de Porphyre, si ce n’est concernant la composition et la vigueur du discours. (V, 2) La filiation entre Jamblique, souvent montré en compagnie de ses ὁμιληταί et ἑταῖροι, et Aidésius est également problématique, que l’on considère le déplacement géographique de l’école d’Apamée à Pergame ou la possibilité, mieux attestée, que Sôpatros ait succédé à Jamblique59. En outre, Jamblique ne se recommandait guère par la séduction pédagogique de ses paroles, si l’on en croit le jugement critique d’Eunape sur son style, si bien qu’on peine à comprendre son ascendant sur ses disciples : Οὔτε γὰρ εἰς ἀφροδίτην αὐτοῦ καὶ χάριν τὰ λεγόμενα βέβαπται, οὔτε ἔχει λευκότητά τινα καὶ τῷ καθαρῷ καλλωπίζεται· οὐ μὴν οὐδὲ ἀσαφῆ παντελῶς τυγχάνει, οὐδὲ κατὰ τὴν λέξιν ἡμαρτημένα, ἀλλ’ ὥσπερ ἔλεγε περὶ Ξενοκράτους ὁ Πλάτων, ταῖς Ἑρμαϊκαῖς οὐ τέθυται Χάρισιν. Οὔκουν κατέχει τὸν ἀκροατὴν καὶ γοητεύει πρὸς τήν ἀνάγνωσιν, ἀλλ’ ἀποστρέφειν καὶ ἀποκναίειν τὴν ἀκοὴν ἔοικεν. Car ses propos ne sont pas empreints de beauté ni de grâce, il leur manque une certaine limpidité et ils ne sont pas embellis par la pureté [du langage]. Certes, ils ne manquent pas non plus tout à fait de clarté et ne sont pas fautifs dans leur expression, mais, comme le disait Platon à propos de Xénocrate, il n’a pas sacrifié aux Grâces d’Hermès. En vérité, il ne captive pas l’auditeur et ne l’ensorcelle pas pour [l’inciter à] la lecture, mais il semble l’en détourner et lui écorcher les oreilles. (V, 3-4) Comme Eunape critique d’entrée de jeu les discours de Jamblique, la manière dont ces discours sont reçus par Aidésius est tout à fait surprenante : Ὡς δὲ εἶδεν τε τὸν ἄνδρα καὶ ἤκουσε λέγοντος, ἐξεκρέματο τῶν λόγων καὶ τῆς ἀκροάσεως οὐκ ἐνεπίπλατο· Lorsqu’il vit l’homme [ Jamblique] et l’entendit parler, [Aidésius] fut suspendu à ses propos et ne se rassasia pas de son enseignement. (VI, 4) Or, parmi les nombreux enseignants décrits par Eunape, Jamblique se trouve parmi ceux dont on mentionne le plus souvent les élèves – parmi lesquels se trouve Aidésius –, qui sont désignés sous le nom d’ἑταῖροι ou d’ὁμιληταί. Le terme ἑταῖρος est utilisé pas moins de neuf fois pour désigner des compagnons de Jamblique ; quant au terme ὁμιλητής, il est utilisé à cinq reprises. En les employant, Eunape souligne la proximité entre l’enseignant et son élève Aidésius, celui-ci apparaissant comme un pair, appartenant au cercle restreint des proches de Jamblique. Aussi, l’insistance d’Eunape témoigne d’un effort pour mettre en évidence la filiation entre Jamblique et Aidésius, qui autrement serait problématique en raison du déplacement géographique qu’elle implique.

59 R. Goulet, « Mais qui était donc le gendre… », op. cit. supra, n. 40, p. 63-67.

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Enfin, les activités d’Aidésius et de Chrysanthe, qui sont les deux personnages les plus fréquemment cités en train d’enseigner dans le texte d’Eunape, sont décrites à l’aide d’un vocabulaire très varié. L’enseignement d’Aidésius est tantôt décrit en termes d’άκρόασις ou de μάθημα, tantôt en termes d’ὁμιλία, de συνουσία ou de παιδεία. C’est donc en quelque sorte un enseignant complet, qui prend autant en charge l’éducation commune aux membres de l’élite, désignée par le terme παιδεία, que les cours les plus avancés en philosophie (désignés par le terme μάθημα)60. La même remarque est valable pour Chrysanthe, à propos duquel pratiquement tout le champ lexical de l’enseignement est utilisé : διήγημα, μάθημα, μάθησις, συνουσία. Dans un même passage, le verbe παιδεύειν, pourtant peu employé ailleurs dans les Vies, est utilisé pas moins de quatre fois pour désigner Chrysanthe61 qui en outre, enseigne à ses compagnons (τοῖς ἑταίροις συνῆν). Cette diversité du vocabulaire employé, similaire dans les vies d’Aidésius et de Chrysanthe, révèle que ceux-ci constituent les enseignants par excellence dans le texte. Ainsi, en soulignant la qualité d’enseignant de Chrysanthe, maître duquel Eunape se réclame, Eunape oppose également la filiation Aidésius-Chrysanthe-Eunape à la filiation Aidésius-Maxime-Julien en montrant la légitimité de la première62. Ainsi, grâce à l’usage qu’il fait du vocabulaire scolaire, Eunape minimise dans son argumentation des liens faibles entre différentes institutions géographiquement distinctes les unes des autres (école de Plotin à Rome, de Jamblique à Apamée, d’Aidésius à Pergame) et met en lumière une succession intellectuelle dont il se considère le représentant légitime.

Conclusion La manière dont Eunape décrit l’éducation est révélatrice de l’identité professionnelle des intellectuels de l’Antiquité tardive. D’abord, son insistance sur les rapports sociaux associés à la relation pédagogique – hiérarchie au sein de l’école, réciprocité des relations entre ἑταῖροι, fréquentation de leçons destinées à un petit groupe d’élèves avancés – plutôt que sur l’enseignement – discipline enseignée, contenus – dans la désignation des élèves et des enseignants met en valeur le rôle central que joue le milieu social d’origine dans le choix de l’école, au détriment des contenus disciplinaires ou des pratiques scolaires à proprement parler : ce que ces enseignants enseignent, les textes qu’ils lisent, leurs positions doctrinales occupent

60 Pour une période légèrement antérieure, K. Eshlemann (The Social World of Intellectuals in the Roman Empire, New York, 2012, p. 27-29) note que la frontière qui sépare les élèves plus avancés de l’enseignement plus grand public sont assez poreuses. 61 ΧΧΙΙΙ, 34-35. 62 Sur l’opposition entre ces deux filiations, voir M. Steinrück, « L’Âge de fer se termine : la forme catalogique chez Eunape de Sardes », Kernos, 19, 2006.

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une place marginale dans les Vies63. Julien de Cappadoce et Prohérésius, par exemple, sont définis par leurs rapports sociaux plutôt que par leur enseignement : Eunape, en nommant leurs élèves ὁμιληταί et ἑταῖροι, met l’accent sur leur appartenance au cercle restreint des proches du maître, voire de ses pairs. Les raisons pour lesquelles l’appartenance à une institution scolaire donnée est mise en avant sont cependant variées. Prohérésius est un élève de Julien de Cappadoce appelé à plaider lorsqu’une école adverse intente un procès à son maître, de sorte que l’appartenance à l’école suppose l’exercice d’un choix délibéré dans une période de conflit, alors que le néoplatonisme de l’empereur Julien s’inscrit dans une crise identitaire plus large liée à la réforme de la religion traditionnelle64. Ensuite, le vocabulaire d’Eunape s’explique parfois si l’on considère les caractéristiques des doctrines auxquelles les personnages adhèrent. Le vocabulaire employé pour Jamblique, qui fait l’économie de termes impliquant l’apprentissage, semble lié à une conception de l’accès à la connaissance proprement platonicienne. La doctrine de la réminiscence, en effet, instaure une rupture radicale entre le travail de l’enseignant et l’accession de l’élève au savoir65. Cette piste d’un rapport entre la doctrine de la réminiscence et les termes employés pour décrire les enseignants pourrait également expliquer les descriptions d’Aidésius et de ses compagnons, car elle met en lumière son adhésion à un néoplatonisme de bon aloi et contribue donc à légitimer une filiation remontant à Plotin – si celui-ci compte quelques μαθηταί parmi ses compagnons, on ne peut pas dire que le terme soit nécessairement élogieux, comme nous l’avons vu dans le passage VIII, 6 : mieux vaut être un ἑταῖρος, un pair, tel que Chrysanthe. Toutefois, une telle piste n’est pas très féconde pour l’étude des autres philosophes, ni celle des rhéteurs et des médecins, notamment parce que leurs théories de la connaissance ne nous sont pas toujours connues. Enfin, l’étude du vocabulaire d’Eunape permet de mieux comprendre comment il se situe lui-même parmi les philosophes, rhéteurs et médecins dont il rédige les vies. L’utilisation du verbe παιδεύειν pour décrire l’activité de Chrysanthe est ainsi éclairante sur la vie d’Eunape, qui continue à voir en lui celui qui, dès son jeune âge, a pris en charge son éducation. L’usage d’un vocabulaire spécifique désignant les enseignants et leurs élèves lui permet de mettre en valeur certaines filiations. L’insistance d’Eunape à faire le portrait d’Aidésius comme professeur, puis de Chrysanthe à la fois comme élève et comme enseignant, a pour but de justifier la lignée qui va de Plotin à Eunape en passant par Porphyre, Jamblique, Aidésius

63 Les réseaux sociaux auxquels leurs parents, amis et enseignants appartiennent sont ainsi déterminants lors du choix d’une école. Voir K. Eschlemann, The Social World…, op. cit. supra, n. 61, p. 37. Réciproquement, les lettres de recommandation sont utilisées pour sélectionner les élèves. Voir R. Cribiore, The School of Libanius in Late Antique Antioch, Princeton, p. 113-115. 64 Sur le rapport entre néoplatonisme et paganisme chez Julien, voir J. Bouffartigue, « Philosophie et antichristianisme chez l’empereur Julien », dans E. Rebillard, Hellénisme et christianisme, Lille, 2004, p. 111-133. 65 Platon, Ménon 81e-86d, Phédon 72a-77d, Théétète 148e-150e. Cette doctrine est évoquée notamment chez Marinus, Proclus ou sur le bonheur, V, 1-7.

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et Chrysanthe. L’auteur, en dépit d’une courte formation philosophique, affirme ainsi son appartenance à une lignée prestigieuse. Des efforts similaires sont faits pour établir sa filiation au sein de lignées de sophistes et de médecins, quoique celles-ci soient plus courtes et plus concentrées géographiquement, et donc moins problématiques66. Il ne semble pas y avoir de lien nécessaire entre, d’une part, l’utilisation d’un terme qui désigne un cours pour décrire le travail d’un enseignant et, d’autre part, l’utilisation du terme de la même famille pour décrire ses élèves. Ceux dont les enseignements sont appelés συνουσίαι n’ont pas forcément des συνόντες pour élèves, et lorsqu’ils enseignent, on n’emploie pas forcément le verbe συνεῖναι. Seuls les termes ὁμιλητής et ὁμιλία semblent souvent être utilisés relativement aux mêmes enseignants et aux mêmes élèves, mais il s’agit des termes les plus utilisés par Eunape. En raison de la rareté des cas où l’on observe un emploi cohérent du vocabulaire dans une biographie précise, il est difficile de tirer parti de l’utilisation que fait Eunape du vocabulaire lié à l’enseignement pour connaître les pratiques d’enseignement ou les savoirs transmis, puisqu’il parvient à placer dans un même passage les verbes συνεῖναι et παιδεύειν, ainsi que le terme μάθημα : son écriture, sinon sa pensée, restent confuses67. Toutefois, il semble que l’utilisation conjointe des verbes συνεῖναι et παιδεύειν, des ῥητορικοί λόγοι et des μαθήματα, du λόγος et de l’ἔργον, quoique parfois fluctuante, sert chez Eunape un discours sur soi à l’intérieur duquel les distinctions de nature entre différentes pratiques ou différents champs disciplinaires comptent moins que la synthèse qui s’y opère dans l’expérience personnelle ou sociale de l’auteur. Eunape construit son identité – et du même souffle, l’identité des philosophes, rhéteurs et médecins dont il rédige la biographie –, non en fonction d’un choix de carrière ou « d’un choix initial pour un mode de vie ou une vision globale de l’univers », si l’on me permet d’évoquer ici Pierre Hadot68, mais en fonction de relations sociales et de pratiques de sociabilité partagées. Par le biais de ses biographies, Eunape montre les philosophes, rhéteurs et médecins comme autant de réseaux solidaires, dont il refuse de rendre compte comme de groupes fermés les uns aux autres, mais qu’il présente plutôt comme des groupes partageant un ensemble de pratiques éducatives et culturelles communes. Il souligne chez eux un statut socio-économique similaire, puisque nombre d’entre eux proviennent de l’aristocratie sénatoriale, mais aussi l’expérience partagée d’un même système scolaire rigide, et jusqu’à des caractéristiques physiques, comportementales et morales communes69. Il n’y a donc pas, aux yeux d’Eunape, de distinction fondamentale entre un sophiste et un philosophe, que ce soit sur le plan de la formation qu’ils reçoivent, sur le plan économique, comme en témoigne le récit concernant l’unique manteau des élèves

66 R. Goulet, « Les intellectuels païens dans l’empire chrétien », dans Études sur les vies de philosophes de l’Antiquité tardive, Paris, 2001, p. 374-375. 67 R. Goulet, « Les intellectuels païens… », op. cit. supra, n. 3, p. 3. 68 P. Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ?, Paris, 1995, 4e de couverture. 69 R. Goulet, « Les intellectuels païens… », op. cit. supra, n. 3, p. 5-6, 16, 20.

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de rhétorique Prohérésius et Héphaïstion70, ou bien encore sur le plan des rapports entre les enseignants et les élèves71. Tout cela montre qu’Eunape n’est pas l’unique lien entre ces trois généalogies d’intellectuels72, même si la nécessité de se distinguer de l’out-group que constituent les chrétiens et la perte d’influence des élites païennes auprès du pouvoir impérial peuvent expliquer dans une certaine mesure la tendance d’Eunape à atténuer les différences identitaires entre les philosophes, les sophistes et les médecins païens, tout en rendant compte des rivalités existant entre les différentes écoles ou parmi les élèves d’une même école73. Désigner des mêmes noms carabins et apprentis-philosophes, séminaires et entretiens, c’est affirmer de manière forte l’unité d’un monde cultivé dont les représentants, peu nombreux, sont disséminés sur tout le territoire de l’Empire romain. Raconter la jeunesse de ses enseignants comme élèves et décrire leur rapport à leurs maîtres, c’est marquer son appartenance à des groupes, à des communautés. C’est aussi, et surtout, se raconter soi-même. Mathilde Cambron-Goulet Université du Québec à Montréal

70 Nous savons que sophistes et philosophes se distinguaient par la couleur de leur manteau (τρίβων) : les élèves de rhétorique portent un manteau pourpre (ἐρυθμά ou φοινικά), tandis que les élèves de philosophie portent un manteau brun ou gris (φαῖος). R. Goulet, « Figures du rhéteur… », op. cit. supra, n. 4, p. 214, n. 27. Si les pratiques et les titres qu’ils se donnent ne permettent pas de distinguer philosophes et sophistes, il reste ainsi toujours possible d’examiner leur garde-robe, ce qui explique sans doute par ailleurs l’importance attachée aux vêtements dans des courants philosophiques cherchant à se distancer de la sophistique. Sur le τρίβων, ce manteau qui constitue en quelque sorte l’uniforme du philosophe, voir N. Pappas, The Philosopher’s New Clothes : The Theaetetus, the Academy, and Philosophy’s Turn Against Fashion. New York, 2015, p. 211-222. Cela dit, alors que le τρίβων témoigne bien souvent dans les textes de la pauvreté du philosophe et de son détachement des biens matériels, Eunape mentionne que Prohérésius et Héphaistion, qui étaient à la fois les premiers élèves de l’école de Julien de Cappadoce et les plus pauvres, partageaient une seule tunique et un seul manteau, ce qui les forçait à ne sortir qu’en alternance (X, 22-24). La distinction économique entre les philosophes et les sophistes que l’on pouvait appliquer à l’époque classique (C. Pébarthe, « Les sandales de Socrate. Les sophistes, les philosophes et la pauvreté », dans E. Dubois, S. Rougier-Blanc (éd.), La pauvreté en Grèce ancienne. Formes, représentations, enjeux, Bordeaux, 2014, p. 231-232 ; D. Blank, « Socratics versus Sophists on Payment for Teaching », Classical Antiquity, 4, 1, 1985, p. 1-49) ne semble pas être en vigueur au iiie siècle ap. J.-C. : si la couleur de leurs habits permet parfois de les distinguer, philosophes et rhéteurs partagent dans le discours d’Eunape la même économie vestimentaire. 71 Eunape explique ainsi que les élèves étaient souvent logés chez l’enseignant, sauf si leur nombre exigeait qu’ils soient répartis chez les voisins et les parents (X, 5-9), une pratique de vie en commun que l’on peut également observer chez Marinus, Proclus ou sur le bonheur lorsqu’il est question du passage de Proclus chez le sophiste Léônas (VIII, 5) et chez les philosophes Plutarque (XII, 15-18) et Syrianus (XII, 32-36). 72 C’était le postulat de E. Watts, City and school…, op. cit. supra, n. 25, p. 336. 73 R. Goulet, « Figures du rhéteur… », op. cit. supra, n. 4, p. 229.

enseignement et construction identitaire dans les vies d’eunape de sardes*

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Troisième partie

Écrivains passeurs de savoirs

Ovide fut-il un passeur de la culture philosophique grecque dans la Rome d’Auguste ?

Les Métamorphoses et les Fastes sont deux poèmes étiologiques qu’Ovide a composés en parallèle au sommet de sa carrière poétique. Dans le premier, il dresse l’inventaire des métamorphoses survenues dans le monde, des origines à l’époque d’Auguste ; dans le second, il explique les origines des rites du calendrier et des constellations du ciel. Chacun des poèmes s’ouvre sur la description d’une cosmogonie, et fait place, dans son dernier livre, à l’évocation des lois de la nature. Tous deux s’inscrivent ainsi dans une perspective universelle1, et transmettent au lecteur, à des moments-clés, une vision du monde, une description de la nature des choses2. Ovide utilise alors, de façon ostensible, le vocabulaire et les images du De rerum natura de Lucrèce3, consacré à l’exposé de la physique épicurienne, mais ces passages se révèlent aussi tissés de références à un philosophe et poète présocratique, élève de Pythagore : Empédocle,

1 Sur les liens entre les Métamorphoses et l’histoire universelle, voir S. Wheeler, « Ovid’s Metamorphoses and universal history », dans D. Levene, D. Nelis (éd.), Clio and the Poets. Augustan Poetry and the Traditions of Ancient Historiography, Leiden, Boston, Cologne, 2002, p. 163-189, en particulier p. 164 et p. 181-189. Sur l’horizon œcuménique des Fastes, jusqu’aux confins du monde, voir M. Labate, Passato remoto. Eta mitiche a identita augustea in Ovidio, Pise, Rome, 2010, p. 158-159. 2 Voir C. Lévy (éd.), Le concept de nature à Rome : la physique, Paris, 1996, p. 17 : « Tout philosophe romain se sait disciple d’un Graius homo, mais il ne peut ignorer qu’il est, à la fois en tant qu’individu et en tant que représentant d’une puissance à vocation mondiale, la condition nécessaire pour que s’actualise l’universalité potentielle de la philosophie. » Le volume analyse surtout les témoignages de Cicéron, Lucrèce et Sénèque, mais le concept de nature est évoqué aussi par Ovide, comme en témoigne l’article de J. Fabre-Serris, « Nature, mythe et poésie », p. 23-42. Voir K. Myers, Ovid’s Causes. Cosmogony and Aetiology in the Metamorphoses, Ann Arbor, 1994, p. 27 : « The Cosmogony at the opening of the poem and the concluding “philosophical” discourse of Pythagoras in Book 15 establish a sort of “scientific” field of reference in which Ovid suggests we may read his mythical stories. » 3 Myers, Ovid’s Causes, p. 47 : « A number of Ovid’s aetiological metamorphoses acquire a pseudo-scientific coloring through echoes and adumbrations of Lucretius’ natural philosophical speculation in De Rerum Natura. »

Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 275-290 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121146

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auteur du poème Peri Phuseos4. Des travaux récents ont montré l’importance de la présence d’Empédocle chez Lucrèce, et la façon dont les poètes augustéens, notamment Ovide, ont directement recours au poème d’Empédocle pour corriger la lecture orientée qu’en propose Lucrèce5. S’agit-il alors de transmettre au lecteur romain un savoir ou une culture philosophique grecs, comme lorsque Lucrèce rendit l’enseignement de son maître Épicure accessible en latin6 ? Ou bien Empédocle est-il convoqué comme une figure exemplaire, dont l’autorité permettrait à Ovide de fonder son propre statut de poète inspiré (uates), à la fois érudit et empreint de leuitas, à l’image de Callimaque7 ? Le savoir sur la nature des choses est-il un objet théorique, un discours constitué qu’on pourrait faire passer de la Grèce à Rome, ou l’émerveillement éprouvé face aux merveilles du monde résiste-t-il, chez Ovide, à toute tentative d’élucidation rationnelle8 ? Est-ce plutôt cette capacité à s’émerveiller qu’il tente de transmettre à son lecteur ?

Place importante accordée au discours sur la naissance et les lois du monde Une réflexion sur la philosophie de la nature intervient en ouverture et en clôture des deux poèmes de la maturité d’Ovide. Ainsi, les Métamorphoses s’ouvrent sur une cosmogonie aux origines du monde9.

4 Voir A. Martin, O. Primavesi (éd.), L’Empédocle de Strasbourg (P. Strasb. Gr. Inv. 1665-1666). Introduction, Édition et Commentaire, Berlin, 1999, p. 87-97 : le papyrus récemment découvert témoigne de la transmission directe d’un passage du livre I de la Physique d’Empédocle consacré à l’origine de la vie. Le texte traite de la théorie du cycle cosmique, de la zoogonie, de l’amour et de la migration des démons. Sur les relations entre Lucrèce et Empédocle, voir D. Sedley, « The Empedoclean Opening », dans M. Gale (éd.), Oxford Readings in Classical Studies, Lucretius, Oxford, New York, 2011 (1ère éd. 2007), p. 48-87, en particulier p. 60-65. 5 Voir P. Hardie, « The speech of Pythagoras and Ovid’s empedoclean epos », CQ, 45, 1995, p. 204-214, repris et révisé dans Lucretian receptions : History, the Sublime, Knowledge, Cambridge, 2009, p. 136-152. Voir aussi D. Nelis, « Ovid, Metamorphoses 1.416-51 : noua monstra and the foedera naturae », dans P. Hardie (éd.), Paradox and the marvellous in Augustan literature and culture, Oxford, 2009, p. 248-267, et D. Nelis, « Empedoclean epic : how far can you go ? », Dictynna, 11, 2014, non paginé. 6 Voir R. French, Ancient Natural History. Histories of nature, Londres, New York, 1994, p. 151-161 ; K. Volk, The Poetics of Latin Didactic. Lucretius, Vergil, Ovid, Manilius, Oxford, 2002, p. 96-99 et p. 105-112 ; J. Warren, « Lucretius and Greek Philosophy », dans S. Gillespie, P. Hardie (éd.), The Cambridge Companion to Lucretius, Cambridge, 2007, p. 19-22. 7 Voir E. Sistakou, « Poeticizing Natural Phenomena : the Case of Callimachus », dans M. Harder, R. Regtuit, G. Wakker (éd.), Nature and Science in Hellenistic Poetry, Louvain, Paris, 2009, p. 177-199, en particulier p. 196 : « The subjective perspective cancels out the objectivity of scientific observation […] Callimachus was experimenting with the boundaries between prose and poetry. » 8 Voir G. Tissol, The Face of Nature. Wit, Narrative, and Cosmic Origins in Ovid’s Metamorphoses, Princeton, 1997, p. 216 : « When Ovid impresses an image of the nature of things upon his readers, their wonder is both means and end. […] Yet how can one’s mind not assign reductive meanings to every aspect of experience, and instead arrive at a more receptive sens of wonder ? It would take a powerful narrative to do that. » 9 Voir Myers, Ovid’s Causes, p. 41-43.

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Ante mare et terras et, quod tegit omnia, caelum unus erat toto naturae uultus in orbe, quem dixere Chaos, rudis indigestaque moles nec quicquam nisi pondus iners congestaque eodem non bene iunctarum discordia semina rerum10. Avant la mer, les terres, et le ciel qui recouvre tout, la nature avait un seul visage dans l’univers tout entier, qu’on a appelé Chaos : c’était une masse brute et indistincte, rien d’autre qu’un poids inerte, l’amoncellement en un même lieu des principes discordants de choses mal assemblées11. Dans les Fastes, la cosmogonie n’apparaît pas juste après le prologue au livre I, mais elle est différée jusqu’au début du discours de Janus12, premier dieu interrogé dans l’enquête étiologique : il raconte être passé de l’état de masse amorphe à une forme digne d’un dieu, avec des membres distincts. Et comme il était appelé Chaos par les anciens, sa mise en forme prend l’aspect d’une cosmogonie. Tunc ego qui fueram globus et sine imagine moles in faciem redii dignaque membra deo13. Alors moi qui avais été un conglomérat et une masse informe, j’ai acquis une figure et des membres dignes d’un dieu. On retrouve, de façon condensée, la description des Métamorphoses, où un dieu commence par séparer les éléments antagonistes qui s’entrechoquaient au sein du chaos, cette distinction étant le prélude indispensable à la création des formes et à l’apparition d’un cosmos. Sic ubi dispositam, quisquis fuit ille deorum, congeriem secuit sectamque in membra redegit, principio terram, ne non aequalis ab omni parte foret, magni speciem glomerauit in orbis14. Ce dieu, quel qu’il fut, partagea et segmenta l’amoncellement, et après l’avoir segmenté, en façonna les membres, et au commencement, il en fit la terre, et pour l’égaliser de tous les côtés, il l’aggloméra sous la forme d’un grand globe.

10 Mét. I, 5-9. 11 Les poèmes d’Ovide sont cités dans les éditions de la Collection des Universités de France aux Belles Lettres. Pour les Métamorphoses, édition de G. Lafaye, septième tirage revu et corrigé par H. Le Bonniec, Paris, 1991. Pour les Fastes, édition de R. Schilling, Paris, 1992-1993. Les traductions proposées sont personnelles. 12 Voir P. Hardie, « The Janus episode in Ovid’s Fasti », Materiali e discussioni per l’analisi dei testi classici, 26, 1991, p. 47-64, A. Barchiesi, The Poet and the Prince. Ovid and Augustan Discourse, Berkeley/Los Angeles, 1997 (1ère éd. Il poeta e il principe. Ovidio e il discorso augusteo, Rome, 1994), p. 230-235, et Labate, Passato remoto, p. 160-161. 13 F. I, 111-112. 14 Mét. I, 32-35.

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La terre apparaît seulement au v. 34, quand l’amoncellement qui la constituait, congeriem, est enfin divisé en constituants qui pourront, dès lors, s’organiser. Le processus de dissociation, préalable à toute union harmonieuse, est souligné par le polyptote secuit sectamque15, et la terre est étonnamment pourvue de membres distincts, comme Janus, avant d’acquérir sa forme ronde, symbole d’achèvement, de totalité, de perfection. Métamorphoses et Fastes évoquent aussi les lois de la nature dans leur dernier livre, mais le traitement de cette thématique n’occupe pas la même place dans les deux poèmes. Ainsi, le discours de Pythagore16 constitue un morceau de bravoure de plus de 400 vers, qui s’ouvre et se referme sur la dénonciation du sacrifice animal, et révèle que dans notre monde, tout change perpétuellement. Cuncta fluunt omnisque uagans formatur imago. (Mét. XV, 178) Tout est flux, et c’est pour aller et venir17 que toute image se forme. Nec species sua cuique manet rerumque nouatrix ex aliis alias reddit natura figuras. Nec perit in toto quicquam, mihi credite, mundo, sed uariat faciemque nouat. (…)18 Rien ne conserve son apparence et la nature, force de renouvellement, fait passer d’une forme à l’autre. Rien ne périt, croyez-moi, dans le monde entier, mais tout change et renouvelle son apparence. Le Pythagore d’Ovide multiplie les exemples de métamorphoses : la métempsychose et ses réincarnations successives (v. 153-175), la fuite du temps (v. 176-236), les transformations des quatre éléments (v. 237-261), puis les mirabilia, phénomènes contre-nature qui suscitaient l’émerveillement depuis la période alexandrine, où les savants et les érudits avaient commencé à les collectionner19. Pythagore cite des mirabilia liés aux eaux et aux volcans (v. 262-339 et 340-360), des phénomènes de génération spontanée (v. 361-390), le phénix qui renaît de ses cendres et d’autres métamorphoses animales (v. 391-420). Enfin, il dépeint la succession des empires 15 Myers, Ovid’s Causes, p. 42 : « The universe is created when the elements have been separated off from each other into their proper spheres. » 16 Mét. XV, 75-478. Sur ce passage extrêmement célèbre, voir en particulier Hardie, « The speech of Pythagoras » et M. Beagon, « Ordering wonderland : Ovid’s Pythagoras and the Augustan Vision », dans P. Hardie (éd.), Paradox and the marvellous in Augustan Literature and Culture, Oxford, 2009, p. 288-309. Voir aussi D. Little, « The Speech of Pythagoras in Metamorphoses XV and the Structure of the Metamorphoses », Hermes, 80, 1970, p. 340-360, V. Buchheit, « Numa - Pythagoras in der Deutung Ovids », Hermes, 121, 1993, p. 77-99, et K. Galinsky, « The speech of Pythagoras in Ovid’s Metamorphoses », PLLS, 10, 1998, p. 313-336. 17 La traduction de uagans par « pour aller et venir » est empruntée à G. Lafaye. 18 Mét. XV, 252-255. 19 Sur les mirabilia, voir C. Jacob, « De l’art de compiler à la fabrication du merveilleux : sur la paradoxographie grecque », Lalies, 2, 1983, p. 121-140, et G. Schepens et K. Delcroix, « Ancient Paradoxography : origin, evolution, production and reception », dans O. Pecere, A. Stramaglia (éd.), La letteratura di consumo nel mondo greco-latino, actes du colloque international, Cassino, 14-17 settembre 1994, Cassino, 1996, p. 373-460.

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(v. 420-452), avant de revenir à la dénonciation du sacrifice animal (v. 453-478), sur laquelle s’était ouvert son discours (v. 75-142). Face à ce morceau de bravoure qui rassemble, au sein d’une longue liste hétéroclite20, beaucoup de métamorphoses racontées par Ovide aux livres précédents, la place consacrée, au livre VI des Fastes, aux lois de la nature paraît bien plus réduite. Néanmoins, il faut souligner l’importance de la séquence consacrée à Vesta21, son temple et les rites de ses fêtes, en F. VI, 249-472. Rappelons que chaque prière romaine commençait par une invocation à Janus et se terminait par une invocation à Vesta, ce qui marque un lien fonctionnel entre les deux dieux, et conforte la mise en scène ovidienne, qui leur confie respectivement l’ouverture et la clôture des Fastes, et, dans ces deux passages programmatiques, l’évocation des lois du monde. En assimilant Vesta à la Terre, Ovide explique la forme ronde de son temple (originale à Rome), et introduit une description de la terre suspendue dans l’air. Terra pilae similis, nullo fulcimine nixa, aere subiecto tam graue pende tonus : ipsa uolubilitas libratum sustinet orbem22 La terre est semblable à une balle qui ne s’appuie sur aucun support, dans l’air qui la soutient, son poids si lourd est suspendu, et c’est sa rotation qui maintient le globe terrestre en équilibre. Il évoque aussitôt après la sphère d’Archimède23, modèle réduit du vaste monde, qui permet d’en comprendre les mécanismes. Arte Syracosia suspensus in aere clauso stat globus, immensi parua figura poli24 Il y a une sphère, produit de l’art syracusain, qui est suspendue dans un volume d’air clos, modèle réduit de l’immense univers. L’ouverture à une dimension cosmique est donc présente en conclusion des Fastes, même si c’est sous une forme bien plus condensée qu’à la fin des Métamorphoses. En évoquant la sphère d’Archimède au dernier livre d’un poème qui a décrit les phénomènes célestes et raconté tous les mythes de catastérismes (métamorphoses en étoiles) qui y sont attachés, Ovide propose une image en miniature de sa propre

20 Pour une analyse du parcours interprétatif qui se dessine dans les listes d’Ovide, voir M. Pfaff-Reydellet, « Interpréter la liste chez Ovide : du labyrinthe au parcours », dans M. Ledentu et R. Loriol (éd.), Penser en listes dans les mondes grec et romain, Bordeaux, 2020, p. 249-265. 21 Voir Barchiesi, The Poet and the Prince, p. 205-210, et E. Gee, Ovid, Aratus, and Augustus. Astronomy in Ovid’s Fasti, Cambridge/New York/ Melbourne, 2000, p. 92-125, en particulier p. 107 : « Ovid is discussing in the Vestalia non only the universe itself, but the different ways of talking about the universe which form part of his project in the Fasti. » 22 Fastes VI, 269-271. 23 Sur la sphère d’Archimède, voir M. Beretta, La rivoluzione culturale di Lucrezio, Rome, 2017 (1ère éd. 2015), p. 18-20. 24 Fastes VI, 277-278.

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entreprise poétique, immensi parua figura poli, qui élucide les lois du monde et se place au confluent de la science et du mythe25. De même, le Pythagore d’Ovide semble proposer, dans son long discours, un regard rétrospectif sur l’ensemble des Métamorphoses, dans un processus de condensation (sa liste de merveilles renvoie aux récits de métamorphoses des livres précédents). Cependant, il ne s’agit pas pour lui de livrer une clé d’interprétation26 du monde (ou du poème), révélée in fine comme par un deus ex machina. On peut dès lors s’interroger sur le statut du savoir philosophique dans la mise en scène proposée, où les mirabilia semblent mettre en défaut toute tentative systématique d’explication rationnelle des lois du monde. Si l’on admet que Vesta, dans les Fastes, et Pythagore, dans les Métamorphoses, proposent une mise en scène du poème quand il touche à sa fin, comme si l’auteur s’amusait à le condenser en un objet étonnant (la sphère d’Archimède, la liste de mirabilia de Pythagore), on peut souligner que les deux cosmogonies définissent, au début de l’œuvre, les conditions nécessaires à l’apparition du monde, mais aussi du discours poétique. Le vocabulaire employé pour décrire l’apparition des formes aux origines est en effet rhétorique : la dispositio peut être celle des arguments, et les membra, ceux du discours27. Dans un article fondateur, P. Hardie a montré que le discours de Pythagore, au livre XV des Métamorphoses, est tissé de références, certes au De rerum natura de Lucrèce, mais aussi au poète-philosophe grec Empédocle28. Selon lui, le discours de Pythagore ne fournit pas de clé pour interpréter le phénomène de la métamorphose, mais propose plutôt un chemin, très tendancieux et peut-être pas entièrement sérieux, pour fonder la place des Métamorphoses dans l’histoire littéraire de la poésie gréco-latine en hexamètres. P. Hardie souligne qu’il n’existait pas de texte fondateur attribué à Pythagore vers lequel Ovide aurait pu se tourner, et que le poème d’Empédocle Peri phuseos constituait donc une bonne alternative, Empédocle ayant été l’élève de Pythagore29. Le poème empédocléen explique les lois du monde par l’existence de quatre éléments et de cycles cosmiques faisant alterner deux principes, Discorde et Amour, donc des phases de dissolution et de reconstruction. Présentant les doctrines pythagoriciennes de la métempsychose et du végétarisme, Empédocle enseigne aussi que l’univers change constamment, ce qui en fait un modèle attractif pour Ovide. Étant donnée l’alternance d’Amour et de Discorde, Empédocle affirme qu’à un moment du cycle cosmique, la terre a donné naissance à des monstres aux membres unis au hasard, « descendants de bœufs aux visages d’hommes » ou « descendants

25 Gee, Ovid, Aratus, and Augustus, p. 108 : « I would like now to consider whether Ovid’s Temple of Vesta, which is an imago mundi, can also work as in some sense an image of the Fasti. » 26 Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 137. 27 Dispositam apparaît en Mét. I, 32 et membra en F. I, 112. 28 Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 137 (n. 6.) et p. 139 : « A unifying ground may be found in the use of Empedocles to redefine the history of Latin epos, and to establish Ovid’s place at the culmination of that tradition. » 29 Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 140.

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d’hommes à tête de bœuf » (DK 31 B 61). Cette image étonnante d’un grand jeu de lego de la nature correspond au monde imprévisible des métamorphoses ovidiennes30. P. Hardie analyse comment Ovide ménage un jeu de double allusion, en imitant à la fois le philosophe grec Empédocle et l’imitateur romain de celui-ci, Lucrèce31. Ainsi, la description du Chaos de Mét. I, 7-14 imite un passage lucrétien (V, 432-435) qui est lui-même une réécriture d’un passage d’Empédocle (DK 31 B 27)32. Prolongeant cette analyse de Ph. Hardie, D. Nelis33 a montré qu’en opposant non bene iunctarum discordia semina rerum (M. I, 9) à concordi pace ligauit (M. I, 15), Ovide reprend à la fois le vocabulaire lucrétien désignant les atomes (semina rerum) et l’alternance empédocléenne des principes de Discorde et d’Amour (discordia semina / concordi pace). Lorsqu’il décrit l’apparition d’animaux par génération spontanée, dans les limons du Nil chauffés par le soleil, Ovide évoque à nouveau des motifs caractéristiques de la zoogonie d’Empédocle : les quatre éléments, leur discordance, puis leur union34. Quippe ubi temperiem sumpsere umorque calorque, concipiunt et ab his oriuntur cuncta duobus ; cumque sit ignis aquae pugnax, uapor umidus omnes res creat et discors concordia fetibus apta est35. En effet, quand l’humidité et la chaleur ont tempéré leurs effets en se combinant, elles donnent la vie, et de ces deux principes naissent l’ensemble des êtres, et quoique le feu lutte contre l’eau, la vapeur humide crée toutes les choses, et leur concorde discordante est source de fécondité. De même, au livre V du DRN, Lucrèce présente une version empédocléenne de la zoogonie, mais explique ensuite que certaines formes de vie naissent puis disparaissent, étant incapables de survivre. Pour finir, il affirme, dans une posture de défi, en V, 878-882, que les monstres hybrides, comme les Centaures, n’ont jamais existé. Lucrèce corrige ainsi son modèle présocratique sur un point essentiel à son système philosophique, car Épicure se moquait des monstres étonnants d’Empédocle36. Lucrèce affirme l’existence de foedera naturae, lois fixes empêchant les assemblages disparates37. 30 Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 152, rappelle les échos à ce fragment d’Empédocle chez Lucrèce (DRN, V, 839) et chez Ovide (Art d’aimer, II, 24 : semibouemque uirum semiuirumque bouem). Voir aussi M. Garani, « Lucretius and Ovid on Empedoclean Cows and Sheep », dans D. Lehoux, A. Morrison, A. Sharrock (éd.), Lucretius : Poetry, Philosophy, Science, Oxford, 2013, p. 233-259, en particulier p. 244-248. 31 Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 143. 32 Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 144. 33 Nelis, « noua monstra » (op. cit., supra, n. 5), p. 251-252. 34 Nelis, « noua monstra », p. 262-264, en particulier p. 264 : « I would insist on the claim that when Ovid refers to the interaction between fire and water as discors concordia, no reader can fail to think of Empedocles. » 35 Mét. I, 430-433. 36 Nelis, « noua monstra », p. 257-260. 37 G. Campbell, « Zoogony and evolution in Plato’s Timaeus, the Presocratics, Lucretius and Darwin », dans M. Wright (éd.), Reason and Necessity : Essays on Plato’s Timaeus, Londres, 2000, p. 145-180, en particulier p. 149. Voir aussi G. Campbell, Strange Creatures. Anthropology in Antiquity, Londres, 2006, p. 32-35.

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Quant à Ovide, il s’amuse à mettre en scène la naissance de l’immense serpent Python, qui n’est pas un hybride, mais bien un monstre, en conclusion du passage sur la zoogonie par génération spontanée. C’est comme s’il renversait la perspective lucrétienne, et revenait, lui, aux assemblages aléatoires et monstrueux d’Empédocle38. Ergo ubi diluuio tellus lutulenta recenti solibus aetheriis altoque recanduit aestu, edidit innumeras species partimque figuras rettulit antiquas, partim noua monstra creauit. Illa quidem nolet, sed te quoque, maxime Python / tum genuit39… Donc lorsque la terre, couverte de boue par le déluge récent, se réchauffa en recevant du haut du ciel la brûlure des rayons du soleil, elle conçut d’innombrables espèces : d’une part, elle ramena à la vie des formes anciennes, d’autre part, elle créa des monstres nouveaux. C’est alors que, bien malgré elle, elle t’enfanta, immense Python. Ces acquis récents de la recherche révèlent que la poésie d’Ovide est construite par strates successives, et que des éléments antagonistes s’y superposent sans que les dissonances soient résolues. Même s’il mobilise ostensiblement le vocabulaire et les images de Lucrèce, Ovide propose parfois de revenir à la cosmogonie empédocléenne sous-jacente, pour corriger, en quelque sorte, Lucrèce par Empédocle. En fin de compte, le Pythagore qu’il met en scène ne prétend pas élucider la nature des choses en révélant, comme l’Épicure de Lucrèce, les lois fixes de notre monde. Au contraire, il souligne l’importance et la diversité des mirabilia, et propose non la rationalité d’un système philosophique ou d’un savoir scientifique, mais plutôt l’émerveillement face aux mystères du monde.

S’agit-il, dans la poésie étiologique, de transmettre un savoir sur le monde ? Ovide a coutume de mettre en scène, de façon explicite, les effets qu’il veut susciter chez ses lecteurs40. Or dans le discours de Pythagore, on trouve à la fois des termes désignant la transmission d’un savoir, d’une culture philosophique, et des termes évoquant l’émerveillement, la stupéfaction face aux phénomènes surprenants rencontrés dans le monde.

38 Nelis, « noua monstra », p. 263-267, en particulier p. 266 : « Ovid took good care to declare his debt to Empedocles’ epic about Love, Strife, and cosmic change and to invert Lucretius’ certainties concerning the foedera certa naturae and the fixed discrimina they enforce. » 39 Mét. I, 434-439. 40 S. Wheeler, A discourse of wonders : audience and performance in Ovid’s Metamorphoses, Philadelphie, 1999, p. 4 : « Poet and audience are both present and participating in the poem’s discourse. »

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Transmettre un savoir

Susciter l’émerveillement

73-74 : (…) Primus quoque talibus ora docta quidem soluit, sed non et credita, uerbis. « Le premier, il ouvrit la bouche pour prononcer de telles paroles, langage de sagesse, certes, mais auquel on n’accorda pas foi. »

298 : res horrenda relatu « C’est une chose horrible à raconter »

147-151 : (…) iuuat ire per alta astra, iuuat, terris et inerti sede relicta, nube uehi ualidisque umeris insistere Atlantis palantesque homines passim et rationis egentes despectare procul (…) « J’aime cheminer sur la voûte des astres, j’aime, après avoir quitté le siège des terres inertes, être emporté par les nuées, m’installer sur les épaules du vaillant Atlas, et regarder de là-haut les hommes qui errent au hasard, privés de raison … » 238 : animos adhibete, docebo « Conservez-moi votre attention, je vous enseignerai »

317 : quodque magis mirum « et ce qui est plus étonnant encore … » 361 : siqua fides rebus tamen est addenda probatis « si toutefois il faut ajouter foi à des faits avérés » 388 : ni sciret fieri, quis nasci posse putaret ? « si on ne savait pas que cela se produit, qui pourrait croire qu’une telle naissance est possible ? » 408 : si tamen est aliquid mirae nouitatis in istis « si toutefois il y a là matière à s’émerveiller face au jamais vu » 410 : miremur « considérons comme une merveille le fait que »

254 : mihi credite « croyez-moi »

Comme l’analyse M. Beagon41, le discours du Pythagore d’Ovide sur les transformations de la nature refuse la rationalité philosophique, créant une relation complexe entre merveille et réalité. Le discours est en lui-même un paradoxe, car pour Aristote, la merveille est l’impetus qui pousse à lancer l’enquête philosophique, tandis que pour Pythagore, c’est l’enquête philosophique qui le conduit à l’émerveillement, quand il parcourt l’univers et sonde ses secrets. Le Pythagore d’Ovide renverse la posture de l’Épicure de Lucrèce42, en affirmant que la réalité est merveilleuse plutôt que rationnelle. 41 Beagon, « Ordering Wonderland » (op. cit., supra, n. 16), p. 289 : « Pythagoras’ message is that reality is wondrous rather than rational. His examples, particulary in the catalogue of wonders of regeneration, suggest that change is stability, the extraordinary is ordinary, abnormality is the norm. In the final analysis, it is not the wonder-struck Pythagoras but the ostensibly rational and orderly Augustus who is living in Wonderland. » 42 Ce renversement s’opère alors même que le vocabulaire du Pythagore d’Ovide est profondément lucrétien. Ainsi, Mét. XV, 150-151 (palantesque homines passim et rationis egentes / despectare procul) fait écho à DRN II, 9-10 : despicere unde queas alios passimque uidere / errare, atque uiam palantis quaerere uitae.

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De même, selon K. S. Myers43, ce discours de Pythagore ne peut pas être qualifié de discours scientifique rationnel, il s’inscrit plutôt dans la littérature thaumastique, suscitant l’enthousiasme de lecteurs émerveillés, comme la tradition alexandrine des collections de mirabilia44, ou la poésie mythologique des Métamorphoses. Or ce discours n’est pas non plus une simple parodie de philosophie de la nature : « Plutôt que de se moquer des prétentions de la philosophie, Pythagore intègre cette spéculation sur la physique au monde mythique du poème, faisant écho à la pratique d’Ovide lui-même dans les Métamorphoses : juxtaposer, sans nécessairement les opposer, la science et le mythe45. » Le fait qu’Ovide entremêle, au livre XV des Métamorphoses ou au livre VI des Fastes, l’évocation d’un savoir scientifique (la physique, l’astronomie) et un plaisir esthétique intense, poussé jusqu’à l’émerveillement, nous surprend, mais cela est dû à des anachronismes analysés par P. Vesperini46 : « Le savoir pour les Modernes n’a pas de valeur esthétique en tant que savoir. Et la poésie didactique, en tant que catégorie moderne, repose justement sur l’idée qu’il faudrait “l’habiller” poétiquement pour le rendre attractif. Dans l’Antiquité, le savoir en tant que tel est beau, objet d’émerveillement et de plaisir. […] Les mirabilia ne sont pas une partie du savoir. Ils sont le savoir. » P. Vesperini explique que l’enjeu, pour les poètes (romains) qui composent un poème sur une matière relevant d’un savoir (grec), n’est pas de transmettre ce savoir à leurs lecteurs. Selon lui, le poète « ne vise pas à enseigner à partir de la poésie ou grâce à la poésie ; il vise à faire une œuvre d’art à partir d’un champ du savoir, d’être par son art, en tant que poète, à la hauteur de sa matière47 ». Pour cela, il doit savoir allier l’érudition à l’enargeia, la vivacité de la mise en scène, et susciter ainsi l’enthousiasme des lecteurs, pour faire sa place dans l’histoire littéraire. P. Vesperini48 conclut : « La valeur du savoir réside pour les Modernes moins dans sa beauté que dans son utilité. […] C’était l’inverse dans l’Antiquité. Les savoirs encyclopédiques de la paideia sont des savoirs inutiles, au sens où ils fonctionnent dans un espace voué au loisir et à la détente, au jeu et à la beauté. L’idée qu’il faut privilégier l’utilité pratique des savoirs n’était pas absente dans l’Antiquité, mais minoritaire. » Cette analyse méconnaît le fait que Lucrèce propose, dans le De rerum natura, un exposé de la physique épicurienne pour délivrer ses contemporains de leurs vaines peurs et les conduire à la uoluptas49. Le poème écrit durant la guerre civile annonce une bonne nouvelle dont l’urgence est manifeste, dans un contexte de chaos politique, et Lucrèce avait à cœur de transmettre la philosophie d’Épicure pour conduire ses

Myers, Ovid’s Causes, p. 157-158. Myers, Ovid’s Causes, p. 147-152. Myers, Ovid’s Causes, p. 157-158. P. Vesperini, « La poésie didactique dans l’Antiquité : une invention des Modernes », Anabases, 21, 2015, p. 25-38, en particulier p. 35. 47 Vesperini, « La poésie didactique », p. 32. 48 Vesperini, « La poésie didactique », p. 35. 49 J. Warren, « Lucretius and Greek Philosophy », dans S. Gillespie, P. Hardie (éd.), The Cambridge Companion to Lucretius, Cambridge, 2007, p. 19-32, en particulier p. 31. 43 44 45 46

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concitoyens au bonheur50. De même, on ne peut pas séparer l’écriture des Géorgiques du contexte politique des lendemains d’Actium, de l’urgence de refonder Rome, ses valeurs et ses modèles, après le chaos des guerres civiles51. Refuser au poème, comme le fait P. Vesperini52, toute dimension de « projet intellectuel, scientifique, politique » est trop réducteur, même s’il ne s’agit pas d’un manuel d’agronomie transposé en hexamètres : la forme littéraire choisie serait contreproductive, s’il fallait transmettre un savoir technique. En proposant une réflexion générale, P. Vesperini met tous les auteurs latins de poésie prétendument didactique sur le même plan, et surtout, il refuse à leurs œuvres toute portée dans le domaine public, ce qui est contestable. Même si la rédaction d’une œuvre d’art sur un domaine du savoir peut être un loisir qui se développe dans la sphère privée, il est certain que le De Rerum Natura ou les Géorgiques échappent à cette seule dimension de l’otium érudit. Un élément qui me paraît plus important encore, dans l’analyse de P. Vesperini, que celui de l’inutilité pratique, c’est l’encyclopédisme53 des savoirs de la paideia. C’est là un point de convergence entre le De Rerum Natura, les Géorgiques et les Métamorphoses : ces trois poèmes mettent en scène, chacun à sa manière, le monde entier, qu’il soit saisi sous le prisme de la physique épicurienne, de l’agriculture au fil des saisons (comme dans les Travaux et les Jours d’Hésiode), ou des métamorphoses survenues des origines du monde au règne d’Auguste. Et c’est précisément cette dimension universelle qui justifie l’intervention, en des emplacements stratégiques des trois poèmes, de développements philosophiques ou scientifiques sur les lois de la nature, qui ne sont nullement hors sujet. Il ne s’agit donc pas de nier la dimension de construction esthétique, bien mise en lumière par P. Vesperini, mais de remarquer qu’elle n’empêche nullement les poèmes d’avoir une portée dans l’espace public54. L’émerveillement des lecteurs n’exclut pas l’impact politique, et si les Métamorphoses d’Ovide ne se soucient pas de transmettre 50 A. Schiesaro, « The palingenesis of the De Rerum Natura », PCPhS, 40, 1994, p. 81-107, en particulier p. 83 : « The text’s founding intention […] is to convert a sceptical, if not hostile, reader, imbued with all the cultural competence, and related set of traditional ideas, of the Roman upper classes, to the liberating truth of Épicureanism ». Voir aussi S. Gillespie, P. Hardie (éd.), The Cambridge Companion to Lucretius, Cambridge, 2007, p. 5 : « The De Rerum Natura is a gospel of rationalist materialism, a manifesto of modernity in the sonorous voice of an Old Testament prophet. » 51 Voir L. Morgan, Patterns of redemption in Virgil’s Georgics, Cambridge, 1999, p. 14 : « The Georgics, I shall argue, is a text quite as dynamic in its engagement with his readership as Lucretius’ De Rerum Natura, designed in a similar way to convert its audience to its point of view. » 52 Vesperini, « La poésie didactique », p. 36 : « On voit bien ici que le choix de la matière “géorgique” ne correspond pas à une nécessité intérieure ou à un projet intellectuel, scientifique, politique. Il s’agit de trouver une matière qui permette à l’artiste de montrer ce dont il est capable. » 53 Vesperini, « La poésie didactique », p. 35. Sur la notion d’encyclopédisme avant l’encyclopédie, voir A. Zucker (éd), Encyclopédire. Formes de l’ambition encyclopédique dans l’Antiquité et au Moyen Age, Turnhout, 2013, p. 17 : « L’encyclopédisme, pulsion de savoir entretenue et extrémisée, et idéal intellectuel, dépasse largement l’histoire des ouvrages encyclopédiques. » 54 Voir P. Le Doze, Le Parnasse face à l’Olympe. Poésie et culture politique à l’époque d’Octavien/Auguste, Rome, 2014, p. 377 : « Non seulement la poésie n’était plus un lusus, mais elle n’était plus incompatible avec l’engagement dans la vie de la cité. »

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un savoir ou une philosophie, que ce soit celle de Pythagore ou d’Empédocle, elles proposent toutefois une vision du monde dans son ensemble, la construction d’un parcours heuristique55, dans le cadre d’un discours particulier, qui présente la merveille à la fois comme objet d’admiration et d’investigation, point de départ et point d’arrivée56.

Le recours à des figures exemplaires grecques pour fonder l’autorité du uates romain Une dimension importante des développements souvent qualifiés de philosophiques, comme s’ils étaient des corps étrangers, est leur dimension d’universalité. Il ne s’agit pas, dans les Métamorphoses ou les Fastes, d’introduire un habillage philosophique qui resterait superficiel : Ovide montre son poème en train de naître, puis, quand il envisage sa conclusion, propose, dans une démarche de condensation, de remettre en scène - donc de remettre en question - ses grands enjeux. Dans une civilisation où le livre est un rouleau, la circularité de la construction est gage de perfection. Dans ces passages programmatiques, Ovide s’efforce de définir un art poétique qui permette de faire tenir le monde entier dans un poème. C’est une ambition littéraire immense. Pour la mener à bien, les auteurs romains ont recours à des figures exemplaires grecques, des poètes-philosophes permettent de définir ce qu’est un uates, un poète inspiré57. Comme l’analyse S. Hinds58, souvent, dans les récits que Rome raconte sur elle-même, un mentor grec, habituellement un homme de lettres, un philosophe ou un poète, détenteur d’un savoir, entre en contact avec un Romain présenté, lui, comme un homme d’action, détenteur du pouvoir politique. Ce motif d’interaction constitue un véritable topos de la culture romaine, forgé en mêlant faits réels et histoires inventées, si bien qu’il est difficile d’analyser l’historicité et l’importance de telles paires gréco-romaines, comme celle formée par Pythagore et son élève romain, le roi Numa, malgré l’anachronisme évident, déjà dénoncé par Cicéron59. Les Romains se présentent donc comme des passeurs de mythes et de culture grecs, et s’ils n’ont pas de figure exemplaire grecque disponible, ils n’hésiteront pas à l’inventer, à la construire, pour incarner les enjeux de leur réflexion politique, religieuse ou poétique60. Sur quelle figure exemplaire de uates Ovide se fonde-t-il au dernier livre des Métamorphoses, lorsque son poème monumental approche de sa conclusion ? C’est

55 Sur la construction d’un parcours heuristique dans les listes d’Ovide, voir Pfaff-Reydellet, « Interpréter la liste chez Ovide ». 56 Voir Tissol, The Face of Nature (op. cit., supra, n. 8), p. 216. 57 Voir Le Doze, L’Olympe face au Parnasse, p. 469-470 et p. 475-477, où l’historien analyse trois dimensions du terme uates : « Le poète énonce des vérités éternelles, il s’adresse à la communauté tout entière, il est une personnalité singulière relevant du sacré. » 58 S. Hinds, Allusion and Intertext. Dynamics of appropriation in Roman poetry, Cambridge, 1998, p. 80-81. Voir aussi A. Thill, Alter ab illo : Recherche sur l’imitation dans la poésie personnelle à l’époque augustéenne, Paris, 1979, p. 1-36, en particulier p. 2. 59 Cicéron, De Oratore, II, 154 et De Republica, II, 28-29. 60 Hinds, Allusion and Intertext, p. 82-83.

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visiblement Pythagore qui est construit et mis en scène, et l’emploi d’un vocabulaire lucrétien rappelle la manière dont le poète du De Rerum Natura célèbre à maintes reprises61 son maître Épicure, seul détenteur de la uera ratio capable de libérer les hommes de leurs vaines craintes. Toutefois, le rapport qu’entretient Ovide avec le Pythagore auquel il donne la parole pendant plus de 400 vers est bien différent de celui qui unit Lucrèce à Épicure. Pour Ovide, il ne s’agit pas de transmettre la doctrine pythagoricienne, mais plutôt de construire un discours en plusieurs strates. Pythagore s’exprime à la première personne, mais son propos se construit à partir de nombreuses citations lucrétiennes, qui sont comme détournées et corrigées par des allusions à un poète-philosophe qui fut l’élève de Pythagore, Empédocle62. Or Lucrèce a fait, lui aussi, l’éloge d’Empédocle au début du De Rerum Natura63, avant de souligner qu’il s’était toutefois trompé sur plusieurs points. L’effet produit sur le lecteur des Métamorphoses est assez vertigineux : le Pythagore d’Ovide apparaît comme une figure profondément artificielle, dont le discours est à déconstruire, pour mieux en goûter tous les effets de contrepoint. Les différentes strates, citations de Lucrèce et fragments d’Empédocle, s’imbriquent et se contredisent, et ces effets de dissonance sont signalés au lecteur érudit, si bien qu’il devient impossible de voir dans le Pythagore d’Ovide un « maître de vérité64 », comme peut l’être Épicure chez Lucrèce. On est au contraire invité à déceler, derrière ce discours-fleuve, un travail de citation et de réécriture qui ramène au poème d’Empédocle Peri Phuseos, en écartant les critiques de Lucrèce à son égard. Chez Lucrèce, Empédocle était mis en scène comme un précurseur d’Épicure, une étape intermédiaire dans la recherche de la uera ratio. Chez Ovide, il se dévoile peu à peu, comme en filigrane, dans la trame du discours de Pythagore, si bien que le lecteur peut avoir le sentiment de remonter à la source grecque, à travers le réseau de citations lucrétiennes. Pythagore n’ayant laissé aucun écrit, le poème de son disciple Empédocle constitue, pour Lucrèce et Ovide, un précédent grec à leur propre poème sur la nature. Les vers d’Empédocle deviennent pour eux comme un matériau poétique qu’ils citent sans doute de première main, mais nullement pour s’en faire les passeurs. En effet, Lucrèce transmet l’enseignement d’Épicure, et réfute donc Empédocle sur plusieurs points, en le réinterprétant dans une perspective atomiste. Quant à Ovide, s’il accorde une grande place aux citations d’Empédocle, ce n’est pas pour transmettre une philosophie de la nature pythagoricienne. De même que Pythagore apparaît comme une figure très construite, une créature de papier – ou de papyrus – qui permet à Ovide de se livrer à une relecture polémique de Lucrèce, de même, la référence à Empédocle lui permet de construire sa place dans l’histoire littéraire, en montrant avec virtuosité sa maîtrise de la tradition poétique grecque et romaine65.

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Lucrèce fait l’éloge d’Épicure en DRN I, 62-79, III, 1-30, V, 1-54 et VI, 5-41. Voir la première partie de l’article pour l’analyse de ces effets de « correction » de Lucrèce par Empédocle. DRN I, 716-741. L’expression est empruntée à M. Détienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1990. Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 150-151, et Vesperini, « La poésie didactique », p. 33.

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Empédocle n’est jamais nommé dans le discours de Pythagore. S’il peut pourtant être considéré, lui aussi, comme une figure exemplaire, ou un mentor, pour reprendre le terme de S. Hinds66, c’est parce qu’il apporte un matériau poétique grec illustre : Ovide cite ses vers les plus emblématiques, bien connus des lecteurs romains cultivés67. Ce faisant, il ne prétend pas imposer l’enseignement d’Empédocle – ou de son maître Pythagore – contre celui d’Épicure, maître de Lucrèce, mais forger son statut de uates romain et celui des Métamorphoses, composées après le De Rerum Natura de Lucrèce et les Géorgiques de Virgile. En réorientant l’histoire littéraire selon une perspective empédocléenne, Ovide, grâce à sa reconstruction tendancieuse, se présente comme son héritier privilégié, et conquiert donc la meilleure place dans la tradition poétique68. On peut souligner dans ce procédé le paradoxe d’une fiction mythologique qui affirme sa crédibilité en se fondant sur des figures exemplaires69 qu’elle a elle-même reconstruites, pour les ajuster à ses propres enjeux. Le Pythagore d’Ovide donne à voir les rouages de son discours, donc son artificialité profonde. Or cette artificialité n’empêche pas l’admiration émerveillée du lecteur, bien au contraire.

Conclusion Il semble qu’Ovide ne se présente pas en passeur d’une culture philosophique grecque, ni d’un savoir scientifique sur la nature des choses qu’il s’agirait de transmettre à ses lecteurs. Toutefois, il a lu Empédocle de façon directe, ce qui lui permet de réécrire certains passages du De rerum natura en corrigeant Lucrèce par Empédocle. La culture et le savoir du présocratique sont mobilisés par Ovide pour sa propre construction mythologique, donc instrumentalisés au service d’une entreprise poétique. Or les enjeux de cette œuvre sont immenses : il ne s’agit pas d’un simple jeu gratuit procurant un plaisir esthétique, mais d’un poème sur le monde entier, qui a une dimension collective et politique. L’émerveillement des lecteurs conduit à la construction d’un parcours heuristique. Ce n’est pas un système philosophique constitué qui leur est transmis, comme un savoir figé, mais une invitation à s’interroger sur les mystères et les merveilles de la nature, et à construire ainsi leur propre cheminement. Maud Pfaff-Reydellet CARRA (UR 3094), Université de Strasbourg

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Hinds, Allusion and Intertext, p. 80. Nelis, « noua monstra », p. 264 (voir supra, n. 34). Hardie, « The speech of Pythagoras », p. 137. Sur la construction de réseaux de figures exemplaires par les poètes du principat, voir M. Pfaff-Reydellet, « La figure de Numa chez Ovide et ses “déclinaisons” : façons romaines de penser l’exemplarité », dans F. Chapot, J. Goeken, M. Pfaff-Reydellet (éd.), Figures mythiques et discours religieux dans l’empire gréco-romain, Turnhout, 2018, p. 119-137, en particulier p. 136-137.

Ov i de f u t-il u n pas s e u r d e l a cu lt u r e phi los ophi q u e grecq u e

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Sénèque naturaliste

Il serait vain de poser la question du rôle intellectuel qu’un philosophe et polygraphe comme Sénèque joua en son temps. Il n’est pas non plus utile de chercher à démontrer la postérité de son œuvre. Son nom continue, avec quelques autres, à incarner la latinité bien au-delà des seuls cercles de philologues et spécialistes de l’Antiquité. On sait en revanche ce que le temps peut faire subir aux œuvres et à leurs auteurs : la postérité d’une œuvre ne se fait pas sans velléité de sélection, de classification et de définition. Plus grande est la célébrité d’une œuvre, plus ce modelage de la critique et des lectures successives se fait ressentir. La question que nous voulons donc poser est celle de l’image que la tradition a retenue de l’œuvre de Sénèque, dont nous essaierons de montrer qu’elle ne prend pas en compte l’ensemble des facettes de l’auteur ni même la totalité de son projet philosophique et savant. Indépendamment de la considération attachée à l’œuvre du philosophe stoïcien en particulier, il faut commencer par une image tenace dont l’histoire de la philosophie a bien du mal à se déprendre : « Dans l’image caricaturale que l’on a trop souvent de la philosophie romaine, le Romain, lorsque par hasard il se trouve avoir des intérêts philosophiques, ne se soucie que de définir une morale pratique. » Ce jugement de Carlos Lévy définit en termes simples le prisme déformant imposé par une certaine tradition1. Ce prisme a incontestablement influencé la longue tradition d’édition et de commentaire des écrits de L. Annaeus Seneca. Dans un ouvrage de synthèse qu’ils lui consacrèrent, Pierre Aubenque et Jean-Marie André en firent état, désignant ainsi l’un des principaux coupables : « Le stoïcisme devint la philosophie de beaucoup de Romains, mais sans que cette philosophie elle-même y gagnât beaucoup comme science : au contraire, le stoïcisme – par exemple chez Sénèque et les stoïciens postérieurs, un Épictète ou un Marc Aurèle – y perdit tout intérêt proprement spéculatif et prit plutôt une tournure rhétorique et parénétique, qui ne mérite pas plus

1 C. Lévy, « Philosopher à Rome », dans C. Lévy (éd.), Le concept de nature à Rome, La Physique. Actes du séminaire de philosophie romaine de l’Université de Paris XII-Val de Marne (1992-1993), (Études de Littérature ancienne, 6), Paris, 1996, p. 7-19 (p. 13 pour la présente citation). Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 291-303 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121147

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de mention dans l’histoire de la philosophie que les discours de nos prédicateurs2. » Deux questions sont ici posées : d’une part celle de la philosophie de langue latine et de sa relation avec son aînée de langue grecque, qu’il ne nous sera pas possible de traiter ici, même si nous en dirons bien quelques mots ; d’autre part celle de la place de la spéculation théorique dans les écrits des philosophes stoïciens d’époque romaine. On voit bien que la seconde interrogation déplace d’ores et déjà quelque peu le curseur culturel puisqu’elle n’envisage plus la relation entre tradition romaine et tradition grecque mais, plus précisément, l’histoire du Portique romanisé, dont les représentants furent aussi des penseurs de culture et de langue grecque, au premier rang desquels Épictète. Cette lecture semble donc avant tout d’ordre historique et chronologique, bien que l’on puisse se demander si, dans l’esprit de son promoteur, le philosophe allemand Hegel, ce n’est pas la romanisation de la philosophie grecque qui serait la cause profonde d’une telle évolution dégradante, ce qui reviendrait à réintroduire le traditionnel tableau polémique Rome vs. Grèce. Nos deux questions n’en sont donc peut-être qu’une. L’acclimatation de la science et de la pensée grecques à Rome fut aussi une entreprise de vulgarisation. Si l’on adopte la thèse hégélienne, une telle entreprise aurait conduit à un affaiblissement doctrinal conçu sur le mode de l’inflation d’une rhétorique moralisatrice au détriment de la spéculation théorique. C’est de fait une question bien plus vaste qui se trouve ici mise en avant, celle de la place de la science et des connaissances théoriques dans la philosophie. Si l’on envisage la tradition grecque elle-même, on constate volontiers, sans trop forcer le résumé, qu’un infléchissement fondamental s’opère très tôt avec l’enseignement de Socrate. Aux spéculations des penseurs qui le précèdent, que les Grecs eux-mêmes désigneront comme « naturalistes » ou « penseurs de la nature » (physiologoi), Socrate substitue une quête de la sagesse placée sous l’angle de la connaissance de l’Homme, ce que nous pourrions qualifier d’anthropologie. Les questions relevant de la cosmologie ou de la physique, centrales dans l’approche de ceux qui seront plus tard rangés sous l’appellation générique de philosophes présocratiques, sont pour ainsi dire absentes de l’enseignement socratique transmis par Platon, si l’on excepte le cas particulier du Timée. D’autres savoirs théoriques plus abstraits, telles les mathématiques, reçoivent en revanche une attention plus soutenue. Du côté du Portique, la perspective semble également se détacher dès le début des sciences positives. Selon Émile Bréhier, le courant qui, avec Platon, entraînait la philosophie vers les mathématiques et, avec Aristote, vers la biologie et l’histoire est complètement interrompu3. Le tableau doit cependant être nuancé car l’histoire du Portique, loin d’être linéaire, est faite de remaniements doctrinaux : l’enseignement de Panétios de Rhodes et, à sa suite, de Poseidonios d’Apamée laissait la part belle à l’enquête sur la nature. Le second, que d’aucuns qualifient de « second Aristote », exerce une influence considérable



2 W. F. H Hegel., Vorlesungen über der Geschichte der Philosophie, Georg Wilhelm Friedrich Hegels Werke, vol. 14, K. L. Michelet éd., Berlin, 1833, p. 435 : cité et traduit par P. Aubenque & J.-M. André, Sénèque (Philosophes de tous les temps, 8), Paris, 1964, p. 9. 3 « Stoïcisme et science », Revue de Synthèse, 8, 1934, p. 65-72 (= Études de philosophie antique, Paris, 1955, p. 97-104).

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sur la pensée de Sénèque, ce dernier le citant très régulièrement dans son œuvre et plus particulièrement dans ses Naturales Quaestiones, véritable texte testamentaire4. Le tournant syncrétique que connaît alors le stoïcisme, jusqu’à la seconde moitié du ier siècle ap. J.-C., est pour beaucoup dans cette orientation savante. « De Tibère à Néron, le stoïcisme ne se contente pas d’intégrer la richesse ou l’efficacité morale des écoles voisines. Il a tendance à encadrer et à dominer le système des sciences. La recherche d’un syncrétisme théorique avec Aristote et ses épigones, très nette dans les Naturales quaestiones, facilitera un développement de l’Encyclopédie5 qui remonte à Manilius et se continue, par delà les Aratea, dans la Pharsale de Lucain. Le problème est de savoir dans quelle mesure les écrivains scientifiques ou les poètes didactiques peuvent être considérés comme des sectateurs de l’école stoïcienne. Avant les prologues des Questions naturelles, Manilius a développé l’idée aristotélicienne selon laquelle la nature, secondant la curiosité scientifique, appelle l’investigation de ses secrets6. » Le naturalisme de Sénèque n’est pourtant pas la facette que la postérité a retenue de ce grand philosophe stoïcien. Le portrait que la tradition a façonné est davantage celui du moraliste, ce qualificatif étant fréquemment accolé au nom de l’auteur comme au titre de ses œuvres, au premier rang desquelles ses lettres à Lucilius7. Il est incontestable que le volet éthique s’affiche comme la partie de la philosophie que le philosophe romain développa tout au long de sa carrière. En outre, la position de Sénèque à l’égard des savoirs théoriques peut paraître réservée si l’on en juge d’après certaines affirmations. Plusieurs de ses lettres lui donnent l’occasion de marquer sa

4 La comparaison avec Aristote est de P.-M. Schuhl, dans sa préface à l’édition du volume consacré aux Stoïciens dans la Bibliothèque de la Pléiade (Paris, 1962, p. xliii). M. Leeman, s. v. Poseidonios, RE, t. 22, 1953, col. 558-826, établissait le même rapprochement mais constatait que celui qu’on a le plus volontiers rapproché de lui, Cicéron, ne paraissait guère le connaître sous cet angle puisque, dans un passage de la préface du livre V du De finibus (9-10), parlant des penseurs qui se seraient occupé de sciences de la nature, il les recherchait exclusivement du côté du Péripatos, sans souffler mot de l’œuvre de son maître et ami Poseidonios. La synthèse la plus complète en date, M. Laffranque, Poseidonios d’Apamée, Essai de mise au point (Publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Paris, Série « Recherches », t. XIII), Paris, 1964, fait la part belle à l’érudition et au « naturalisme » de ce scholarque marquant du Portique. 5 En l’absence de toute contextualisation, le terme « Encyclopédie » (noter l’emploi de la majuscule) peut sembler pour le moins anachronique. Le mouvement encyclopédique qui caractérise le ier siècle est cependant un phénomène intellectuel et culturel désormais bien établi. Cf. J. König, G. Woolf (éd.), Encyclopedism from Antiquity to the Renaissance, Cambridge (Mas.)-New York, Cambridge, 2013, le chapitre consacré à l’encyclopédisme romain (p. 23-63) ; également F. Le Blay, « Enjeux philosophiques et historiques de l’encyclopédisme antique : une conception positive de la connaissance », dans N. Correard, A. Teulade (éd.), Questions sur l’encyclopédisme. Le cercle des savoirs de l’Antiquité jusqu’aux Lumières, Épistémocritique, 2018, p. 11-21 (https://www.epistemocritique.org/questions-lencyclopedisme). 6 J.-M. André, « Les écoles philosophiques aux deux premiers siècles de l’Empire », ANRW, II, 36.1, Berlin-New York, 1987, p. 5-77. 7 Citons à titre d’exemple : Moral Essays, texte établi et traduit par J. W. Basore, 2 vol., Loeb, London-New York, 1928-1932 ; Ad Lucilium epistularum moralium, texte établi par O. Hense, BsGRT, Leipzig, 1914² (1898) ; Ad Lucilium Epistulae Morales, texte établi et traduit par R. M. Gummere, 3 vol., Loeb, London-New York, 1920-1925-1927 ; Ad Lucilium Epistulae Morales, texte établi par L. D. Reynolds, 2 vol., Oxford Classical Texts, Oxford, 1965 ; Moral Epistles, choix et traduction de A. L. Motto, American Philological Association, (Textbook Series, 8), Chico (Cal.), 1985.

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distance vis-à-vis des arguties de la logique, qui constitua pourtant l’un des domaines où la contribution des théoriciens du Portique fut des plus remarquables8. Il paraît ainsi suivre la voie tracée par Cicéron, qui souhaitait renoncer à l’appareil scientifique de la logique, à ce qu’il appelait les dumeta Stoicorum, les « ronces du stoïcisme »9. Certains passages montrent toutefois qu’il était bien au fait des subtiles distinctions des dialectici10. De même, il dénonce à plusieurs reprises l’histoire et la mythologie comme des matières de pure érudition11, posture de principe qui se heurte aux arguments mêmes énoncés dans certains traités12. L’hésitation du philosophe porte en fait sur la culture libérale traditionnelle et la valeur respective qu’il convient d’accorder aux différents domaines de l’activité spéculative par rapport à la philosophie. La lettre 83 développe ses arguments sur la question : reprenant une distinction empruntée à Posidonius entre arts vulgaires et méprisables (uulgares et sordidae), arts d’agrément (ludicrae), arts éducateurs (pueriles) et arts libéraux (liberales), il réunit en un même ensemble les arts dits libéraux et les arts éducateurs, dont il rappelle que les Grecs les appellent arts « encycliques » (ἐγκυκλίους)13. Paradoxalement, cette référence faite à l’enkuklios paideia oblige à porter sur l’environnement intellectuel dans lequel Sénèque évoluait un regard moins critique. Les cercles cultivés qu’il fréquentait étaient de fait bien plus portés sur les sciences que ce que ses réserves semblent indiquer. Les reproches qu’il formule doivent sans doute être compris sous l’angle d’une intention moralisatrice, propre à l’époque, s’attachant à décrire systématiquement les mœurs du siècle comme dépravées et éloignées des antiques vertus. De même qu’il est de bon ton de se lamenter sur l’état moral des contemporains, il est de bon ton de déplorer le mauvais état des sciences et des études14. Or Sénèque pouvait tout aussi bien invoquer bon nombre d’exemples illustrant l’intérêt de ses contemporains pour tous les domaines de l’activité intellectuelle, à commencer par ses maîtres et co-disciples en stoïcisme. L’école des Sextii, au sein de laquelle il reçut la formation doctrinale qui fit de lui le philosophe que nous connaissons, favorisait la spéculation. Cette secte, fondée par Q. Sextius Niger, compta parmi ses disciples un nombre important de jeunes aristocrates destinés à devenir des savants de premier ordre15.

8 Ad Luc., 108, 23 ; 109, 16-17 ; 111. 9 Ac. Prior., II, 35, 112. 10 Ad Luc., 117, 12-17. Voir également l’intégralité de la lettre 102. 11 De breuitate uitae, V, 13, 1 ; De beneficiis, VII, 1 ; Naturales Quaestiones, I, 17, 1. 12 Ainsi le De otio fait de la curiosité historique un aspect de la contemplation désintéressée tandis que les traités de gouvernement comme le De clementia ou le De ira révèlent une connaissance étendue de l’histoire, conçue comme réserve d’exemples à méditer. Voir en particulier De ira, III, 22, 1. 13 Ad Luc., 83, 21-23. Sur le classement des arts chez Poseidonios, cf. I. G. Kidd, « Philosophie and Science in Posidonius », Antike und Abendland, 24, 1978, p. 7-15. 14 Pline l’Ancien, II, 117-118, constate de la même manière l’étiolement de la science et la stérilité qui l’a progressivement affectée. 15 Sur l’apparition de la secte et son histoire, cf. I. Lana., « Sextiorum noua et Romani roboris secta », Rivista di filologia e instruzione classica, 31, 1953, p. 20-24. Également U. Capitani, « La scuola dei Sestii », dans P. Grimal (éd.), La langue latine, langue de la philosophie, Actes du colloque organisé par l’École Française de Rome avec le concours de l’Université de Rome « La Sapienza », Rome, 17-19 mai 1990, (Coll. de l’E. F. R., 161), Paris-Roma, 1992, p. 109-124.

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Nous savons par un témoignage de Quintilien16 que l’encyclopédiste et auteur du De medicina, Celse, fut l’un d’eux. Les cercles constitués autour des figures de Sextius et de Fabianus Papirius, tous deux teintés de stoïcisme, encouragèrent la production d’une littérature savante de premier ordre portant sur la totalité des domaines ouverts aux sciences. Bien qu’il ne nous reste que peu de témoignages sur ces productions, ceux de Pline l’Ancien et de Sénèque lui-même (qui citera sans hésiter ses maîtres dans les Naturales quaestiones) suffisent à évaluer leur ampleur. De Fabianus Papirius, nous savons qu’il fut l’auteur de Ciuilium libri, ouvrage à contenu historique, de Causarum naturalium libri, traité de physique et sans doute également de météorologie, et d’un traité De animalibus17. L’importance que ces maîtres érudits eurent dans la formation intellectuelle de Sénèque n’est plus à démontrer ; la plupart de ses biographes ont su mettre en avant cet épisode18. C’est dans un tel environnement scientiste que Sénèque rédigea ses premiers écrits, consacrés non à des questions morales mais à des questions de physique et de météorologie. Il attribue ainsi à Attale, l’un de ses grands modèles en matière de stoïcisme19, une étude sur les foudres et les éclairs20. Pour la tradition, la carrière philosophique à venir de Sénèque semble bien éloignée de telles considérations. C’est que la tradition a longtemps négligé, ou plutôt partiellement retenu, le dernier versant de l’œuvre. En effet, en même temps qu’il rédige ses Lettres à Lucilius, Sénèque opère dans les trois dernières années de sa vie, après son retrait des affaires, un retour à ses premières études de jeunesse, à travers la rédaction d’une œuvre ambitieuse faisant la synthèse des connaissances en matière de météorologie. Lorsqu’il entreprend de rédiger ses Naturales quaestiones, dédiées elles aussi à Lucilius, il ne se pose rien moins qu’en héritier et continuateur d’Aristote21. Son exposé ne reprend certes pas le titre donné par le fondateur du Lycée à cette partie de son œuvre mais il puise largement dans ce modèle22. Certains de ses passages sont des emprunts

16 Institution oratoire, X, 1, 124. 17 Les citations par Pline et Sénèque sont reprises par U. Capitani, « I Sesti e la medicina », dans Ph. Mudry, J. Pigeaud (éd.), Les Écoles médicales à Rome, Actes du 2ème Colloque international sur les textes médicaux latins antiques, Lausanne, septembre 1986, Université de Lausanne, (Publications de la Faculté des Lettres, 33), Genève, 1991, p. 96-123. 18 Ainsi P. Grimal, Sénèque ou la conscience de l’Empire, Paris (1991² ; Les Belles Lettres, 1978), « Les années de formation », p. 247-250. 19 Attalus stoicus, comme il le nomme lui-même (Ad Luc., 67, 15). On retrouve la même dénomination chez Sénèque le Père, Suasoriae, II, 12. 20 Naturales quaestiones, II, 48-50. 21 Pour la question de la date de rédaction de ce traité et son rapport avec l’ensemble de l’œuvre, on consultera P. Cubeddu, « Natura e morale in Seneca : il dibattito sulle ‘Naturales Quaestiones’ negli anni 1900-1970 », Sandalion, 1, 1978, Università degli studi di Sassari, Sassari, p. 123-152. 22 C. Codoner, « La physique de Sénèque : ordonnance et structure des Naturales Quaestiones », ANRW, II, 36.3, Berlin-New York, 1989, p. 1779-1822, constate que le titre de Μετεωρολογικά n’a pas systématiquement été repris par les continuateurs de la pensée aristotélicienne. Ainsi Théophraste aurait intitulé son livre portant sur le même sujet Μεταρσιολογικά tandis que pour l’œuvre d’Asclépiodote régulièrement citée par Sénèque, on pense pouvoir reconstituer le titre de Προβλήματα φυσικά ou Αἴτια φυσικά, selon W. Capelle, « Zur Geschichte der meteorologische Litteratur », Hermes, 48, 1913, p. 321-358, ou de ζητημάτων αἴτιαι (S. Sudhaus, Aetna erklärt, B. G. Teubner, Leipzig, 1898), dont le titre retenu par Sénèque serait alors la

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directs aux Μετεωρολογικά comme les exposés sur le tonnerre et les éclairs23 ou sur l’arc-en-ciel24. Ils laissent supposer que Sénèque lisait directement Aristote, sans passer par un intermédiaire doxographique, d’autant plus que lorsqu’il cite certains théoriciens présocratiques, comme Anaxagore et Empédocle, il le fait selon les termes mêmes du compte rendu d’Aristote25. Le texte d’Aristote donne parfois lieu à paraphrase ou à citation partielle mais on le reconnaît bien. Toutefois, parce qu’il opère une synthèse, le philosophe romain y ajoute d’autres sources, sans oublier de proposer ses propres interprétations et explications26. La figure du Sénèque moraliste ayant toutefois la faveur des lecteurs, la question de la relation entre spéculation scientifique et enseignement moral n’a pas manqué de se poser au sujet de cet ultime projet philosophique. Pour C. Codoner27, qui ne manque pas de rendre hommage à l’homme de science s’inscrivant dans la lignée des recherches d’Aristote puis de Poseidonios, dans l’esprit du philosophe stoïcien, la science reste indissociable de la formation morale de l’homme, la question étant de savoir si cette association de la science et de la morale s’inscrit dans un rapport de subordination de l’une à l’autre. La position de Sénèque ne serait pas claire sur ce point et les Naturales quaestiones illustreraient cette hésitation. Cependant C. Codoner montre que philosophia naturalis et philosophia moralis ont chez lui le même objet, la nature humaine et la nature de l’univers étant réunies dans le même ensemble cosmique. Pour Sénèque il n’y aurait pas subordination d’une philosophie à l’autre mais des voies d’accès différentes à un unique objet. Une telle posture est parfaitement orthodoxe en matière de stoïcisme. La science selon Sénèque se veut d’abord connaissance de la psychologie humaine, comme semble le postuler la lettre 65 à Lucilius28. Toutefois, avec les chapitres finaux du livre VII des Naturales quaestiones, la philosophia naturalis est placée au plus haut des activités humaines.

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traduction latine. Le traité attribué à Poseidonios, autre référence incontournable de Sénèque, reprenait en revanche le titre aristotélicien si l’on en croit Diogène Laërce (VII, 138, 144 et 152). Notons que dans ses Partitiones orationae, 64, Cicéron rangeait les Quaestiones naturales parmi les types de sujet dont un auteur peut traiter. NQ II, 12, 4-6 / Meteor. 341b et 369a-b. NQ I, 3, 7-8 / Meteor., 373a-b. Cf. J. J. Hall, « Seneca as a source for earlier thought (especially meteorology) », CQ, n.s. 27, 1977, p. 409-436. Également N. Gross, Senecas Naturales Quaestiones : Komposition, Naturphilosophische Aussagen und ihre Quellen (Palingenesia, 27), Stuttgart, 1989. Cf. F. P. Waiblinger, Senecas Naturales Quaestiones. Griechische Wissenschaft und römische Form (Zetemata, Monographien zur klassischen Altertumswissenschaft), 70, München, 1977. Nous renvoyons également à F. Le Blay, « Nuages et miroirs : à propos des Questions sur la nature de Sénèque », dans J. Pigeaud (dir.), Nues, Nuées, Nuages, xive Entretiens de la Garenne Lemot (Collection « Interférences »), Presses Universitaires de Rennes, 2010, p. 73-83. Codoner, « La physique de Sénèque… ». Sur cette question longtemps débattue, cf. également G. Stahl, « Die Naturales Quaestiones Senecas. Ein Beitrag zum Spiritualisierungsprozeß der römischen Stoa », Hermes, 92, 1964, p. 425-454 ; G. Salanitro, « Scienza e morale nelle Naturales Quaestiones di Seneca », Sileno, 16, 1990, p. 307-312 ; P. Parroni, « Le ‘Naturales Quaestiones’ fra scienza e morale », dans P. Parroni (éd.), Seneca e il suo tempo, Atti del convegno internazionale di Roma-Cassino, 11-14 novembre 1998 (Biblioteca di Filologia e Critica, 6), Roma, 2000, p. 433-444. § 15 : Me prius scrutor, deinde hunc mundum.

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Le chapitre 30 donne ainsi une définition de l’attitude du philosophe devant la nature : ce dernier doit se situer devant sa tâche comme les humains le font devant la divinité, en identifiant expressément la discussion sur la nature des dieux avec la discussion sur les phénomènes naturels (de sideribus, de stellis, de deorum natura). Pour R. Chevallier, ce traité ne devait constituer dans la pensée de Sénèque rien d’autre que l’équivalent stoïcien du De natura rerum de Lucrèce, c’est-à-dire à la fois une somme et une synthèse sur la physique visant à soutenir les dogmes de l’école29. Cette définition, qui nous paraît des plus justes, est pourtant loin d’être acquise si l’on en juge par les éditeurs et commentateurs de ce texte. Ainsi, à la fin de sa notice introductive, Paul Oltramare écrivait-il : « Les Questions Naturelles n’étant point un traité strictement scientifique, il était inutile de chercher à les traduire littéralement. Désireux de donner à son œuvre un caractère littéraire, Sénèque n’a pas, comme un technicien, une terminologie fixe. Il emploie souvent plusieurs noms pour le même objet et donne volontiers plusieurs sens au même mot technique30. Je me suis efforcé de rendre la pensée de l’auteur, rien de plus, rien de moins, et de l’exprimer de telle façon que le lecteur qui se reportera à l’original comprenne pourquoi le texte traduit signifie bien ce qu’on lui fait dire31. » Le constat de départ n’est pas sans fondement : l’usage du vocabulaire par Sénèque témoigne d’une certaine souplesse, peut-être commandée par le souci rhétorique de la uariatio, que l’on n’observerait pas de la même manière dans un traité à caractère technique. De la même manière, le projet de Sénèque, bien qu’il s’inscrive de manière explicite et incontestable dans la lignée du modèle aristotélicien, n’est pas « strictement scientifique ». Plusieurs passages de l’œuvre ne trouveraient pas leur place dans un traité de météorologie stricto sensu. Nous n’en donnerons qu’un exemple des plus significatifs : dans l’exposé qu’il consacre aux arcs-en-ciel, le philosophe en vient à rappeler la théorie des reflets et des miroirs et profite de ce contexte thématique pour dresser un portrait à visée morale, celui du dépravé Hostius Quadra, qui usait abondamment des miroirs comme outil destiné à satisfaire ses fantasmes sexuels32. L’enjeu éthique de la démarche spéculative n’est jamais oublié. La pétition de principe de l’éditeur et traducteur n’en est pas moins problématique. Elle suppose tout d’abord que l’on puisse définir de manière formelle ce qu’est un texte « scientifique ». Or, dans le contexte antique, une telle définition paraît bien difficile à établir, en dehors de quelques textes que l’on peut sans conteste identifier et classifier comme traités à caractère technique. Beaucoup des grands textes de savoir qui nous ont été transmis relèvent soit du genre de la compilation érudite destinée à un lectorat aussi large que possible, soit de la mise en

29 « Le milieu stoïcien à Rome au ier siècle ap. J.-C. ou l’âge héroïque du Stoïcisme romain », Bulletin de l’Association Guillaume Budé, 4, 1960, p. 534-562. 30 Le traducteur donne en note l’exemple suivant : « C’est ainsi que aer, spiritus et anima sont employés comme synonymes ; en revanche, spiritus est aussi bien le courant d’air qui agite les feuilles d’un arbre que l’énergie vitale qui les fait pousser. » 31 Collection des Universités de France, Paris, 1929, notice introductive p. xxxiii. 32 Pour l’analyse de ce passage édifiant, nous renvoyons à F. Le Blay, « Une version pervertie de la connaissance de soi : le cas d’Hostius Quadra », dans R. Courtray (éd.), Regard et représentation dans l’Antiquité, Pallas, 92, 2013, p. 305-313.

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œuvre d’un programme philosophique global accordant à la spéculation théorique et à la connaissance du monde une place primordiale, ce que sont les Météorologiques d’Aristote, le modèle de Sénèque33. Les Naturales quaestiones se situent au point de rencontre entre ces deux projets. Nous ajouterons en outre que la définition de ce qui relève de la « science » reste dans tous les cas une pierre d’achoppement, dans le contexte de l’Antiquité classique en particulier. Surtout, il nous apparaît que ce postulat dédouane le traducteur d’une certaine rigueur dans le rendu du texte et lui autorise une imprécision menant parfois au contresens voir au non-sens, comme nous le montrerons plus bas. La compréhension et la traduction de textes porteurs d’une vision du monde reposant sur des concepts qui ne sont plus les nôtres est toujours un exercice difficile et ce qui peut nous apparaître dans certains cas comme une obscurité ou une imprécision de la part de leur auteur n’est bien souvent que l’effet de notre incapacité à saisir le point ou la notion en jeu dans le système doctrinal de l’auteur. C’est pourquoi il nous paraît essentiel de donner ici un exemple de la méthode de travail de Sénèque et de son usage des sources. Conformément à l’ouvrage qu’il a en ligne de mire, le traité aristotélicien, Sénèque se plie aux règles de la doxographie. Sur chaque nouvel objet constitutif du programme de l’exposé météorologique, Sénèque effectue un passage en revue synthétique des théories déjà connues et des opinions des devanciers. Ainsi, à propos des tremblements de terre, qui sont le sujet du livre VI (Liber sextus de terrae motu), le philosophe se livre à une longue doxographie couvrant quatorze chapitres : les quatre premiers chapitres développent des considérations relatives à la superstition face aux calamités naturelles, que la jouissance devant le spectacle de la puissance de la nature doit supplanter ; puis, du chapitre 5 au chapitre 21, Sénèque résume avec une grande rigueur les travaux de ses devanciers. Les premiers théoriciens de la nature ont attribué le phénomène à l’un des quatre éléments, parfois à une combinaison (ch. 5) ; Thalès invoquait l’élément « eau » (ch. 6) ; quelques auteurs (quidam imputauerunt) parlent également d’eau, mais des eaux contenues dans les réservoirs souterrains (ch. 7-8) ; Anaxagore et quelques autres (quidam, et quidem non , iudicant, in primis Anaxagoras) renvoyaient au feu (ch. 9)34 ; selon Anaximène, porteur d’une conception biologique, c’est le vieillissement de la terre qui est cause de ses tremblements (ch. 10) ; certains penseurs (quidam assignant) parlent de vapeur enfermée sous terre, provoquée par des feux souterrains (ch. 11) ; Archélaos, le disciple d’Anaxagore, parlait d’air enfermé sous terre (ch. 12) ; Aristote et ses disciples (Aristotelem et discipulum eius Theophrastum, non, ut Graecis uisum est, diuini, tamen et dulcis eloquii uirum et nitidi sine labore) invoquent le phénomène d’euaporatio, terme par lequel Sénèque traduit

33 Nous renvoyons à notre synthèse, F. Le Blay, « Enjeux philosophiques et historiques de l’encyclopédisme antique … ». 34 Le compte-rendu de Sénèque diffère ici de celui donné par Aristote. Chez ce dernier, il est question de l’éther, dont la nature est de s’élever. L’explication de Sénèque est plus confuse : le vent contenu sous terre peut provoquer du feu, par chocs, comme dans le ciel. D’autres (alii), dit-il, font intervenir le feu d’une autre manière : un feu brûle en permanence sous terre et consume les parties qu’il touche. Cette théorie n’est pas reprise par Aristote.

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le concept aristotélicien d’ἀναθυμίασις (ch. 13)35 ; d’autres font également intervenir l’air mais selon un processus d’une autre nature (ch. 14 : sunt qui existiment […] sed ex alia causa quam Aristoteli placuit)36 ; d’autres encore représentent la terre percée de pores, lieux d’échanges (ch. 15 : quidam ita existimant)37 ; l’air vital fut invoqué, ralliant à sa cause de nombreux auteurs (ch. 16)38 ; Métrodore de Chios, le disciple de Démocrite, pensait à de l’air résonnant dans les cavités terrestres comme la voix d’un chanteur dans un récipient (ch. 19) ; Démocrite lui-même associait les effets de l’air et de l’eau tandis qu’Épicure considérait que plusieurs causes étaient envisageables, combinant les autre éléments ; il estimait cependant que l’air devait être la cause la plus puissante des tremblements de terre (ch. 20) ; enfin, Sénèque avance son explication et se range à la théorie pneumatique (ch. 21)39. On voit clairement dans ce procédé énumératif l’empreinte aristotélicienne, qui détermina pour longtemps une manière érudite de concevoir la connaissance, y compris en dehors du seul Peripatos40. Mais revenons au résumé relatif à Thalès, qui pourrait bien nous proposer un fragment jusqu’alors inédit – en tant que tel – de ce penseur. Nous citons le passage concerné : In aqua causam esse nec ab uno dictum est nec uno modo. Thales Milesius totam terram subiecto iudicat umore portari et innare, siue illud oceanum uocas, siue magnum mare, siue alterius naturae simplicem adhuc aquam et umidum elementum. Hac, inquit, unda sustinetur orbis uelut aliquod grande nauigium et graue his aquis quas premit. (VI, 6, 141) Qu’en l’eau réside la cause, cela fut dit par plus d’un auteur et de plusieurs manières. Thalès de Milet estime que la terre tout entière a pour support un liquide sur lequel elle flotte. On peut l’appeler océan, ou bien grande mer, ou encore le voir comme une eau homogène d’une autre nature, un élément liquide. C’est par ce courant, dit-il, que le cercle terrestre est soutenu, comme un grand navire pesant sur les eaux qui le portent. Parce qu’il doute de la rigueur du texte, P. Oltramare ne prend pas Sénèque bien au sérieux et, traduisant ce passage, écrit « globe terrestre » pour traduire orbis. On conçoit aisément ce que cette idée du globe terrestre flottant sur l’eau a de cocasse et d’absurde. Thalès n’aurait pu concevoir pareille théorie. C’est donc tout autant le philosophe stoïcien que le Milésien qui se trouvent crédités d’une représentation

35 Sénèque renvoie également ici à Straton de Lampsaque, successeur de Théophraste, et à son développement de la théorie. 36 De l’air serait naturellement présent sous terre, comme dans le corps. Le théoricien auquel Sénèque pense pourrait être ici Poseidonios. Voir Diogène Laërce, VII, 154. 37 La référence est notamment à l’épicurien Diogène d’Apollonie. 38 Etiamnunc dicendum est quod plerisque auctoribus placet et in quod fortasse fiet discessio. 39 Nous suivons l’édition établie par H. M. Hine, Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum Teubneriana, Stuttgart-Leipzig, 1996. 40 Voir en particulier sur cette question, M. Gigante, Kepos e Peripatos. Contributo alla storia dell’aristotelismo antico (Elenchos, XXIX), Napoli, 1999. 41 Éd. H. M. Hine. Traduction personnelle.

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cosmologique pour le moins fantaisiste. Le sens du terme orbis ne fait ici pour autant pas de doute : le terme désigne le cercle ou le disque que forment les terres, dont une ancienne représentation cosmologique veut qu’elles forment un continent unique entouré de l’Océan. L’idée est donc ici celle d’un continent, de forme grosso modo circulaire, posé sur un élément liquide, comme un navire peut l’être sur les ondes. Méfions-nous donc des traducteurs qui, parce qu’ils doutent de la rigueur scientifique de leur auteur, dans lequel ils voient un moraliste dilettante, ne prêtent pas suffisamment attention à la précision du texte. Or le passage retient particulièrement notre attention car il met en avant une hésitation sur la nature même de cet élément liquide. S’agit-il d’eau ou d’une autre matière possédant les qualités de l’eau sans pour autant se réduire à cet élément primordial ? Pour l’historien des sciences la distinction est évidemment fondamentale puisqu’elle semble annoncer ce que nous savons désormais de la structure de notre planète et de la dérive des continents sur une masse constituée de matière en fusion. Mais gardons-nous de l’anachronisme qui voudrait faire de Thalès un précurseur des théories qui ne verront le jour qu’à la fin du xixe siècle. Il n’en reste pas moins que, si l’on en croit Sénèque, Thalès pouvait avoir hésité à assimiler cet élément recouvrant la surface de notre terre à l’élément primordial qu’il nomme par ailleurs « eau ». Or, si l’on se tourne vers les fragments conservant cette partie de l’œuvre de Thalès, on constate que cette possibilité d’une hésitation n’a pas été retenue par les auteurs – rares toutefois – citant la théorie de Thalès. Chez Aristote, comme dans son commentaire par Simplicius, le seul terme invoqué, sans autre explication ni hésitation sur le sens à lui accorder, est simplement ὕδωρ42. Outre ces deux citateurs, seul un autre passage des Naturales quaestiones avait été jusqu’à présent identifié comme fragment renvoyant à Thalès, au chapitre 14 du livre III43, où Sénèque résume en termes analogues la théorie d’un continent flottant sur l’eau. Dans cet autre passage, les deux termes aqua et (h)umor sont certes mis en balance mais semblent alors synonymes – les précautions de P. Oltramare sur l’usage parfois flottant des termes ne sont pas sans quelque pertinence ; ce qui est certain, c’est que Sénèque n’y exprime pas de manière aussi explicite l’idée d’une distinction entre deux éléments proches, mais non assimilables l’un à l’autre. Seul le passage que nous avons mis en exergue établit cette distinction. Il n’avait pas été retenu ou pas identifié par H. Diels et W. Kranz44 et n’avait donc pas attiré l’attention des commentateurs. Or ce résumé nous apparaît comme le plus précis et le plus intéressant des quelques citations connues portant sur ce point de cosmologie. La lecture de Sénèque offre une vision plus élaborée et plus subtile de la pensée de Thalès. Il reste bien sûr à poser la question de l’exactitude de la citation, un problème dont nous savons qu’il caractérise toute l’entreprise doxographique des Anciens et, de manière plus globale, leur conception de la citation des auctores. Ce que nous rapporte le philosophe du

42 Aristote, De caelo, B 13 294a 28 (= frag. 14 DK) ; Simplicius, De caelo, 522, 14 (= frag. 14 DK). 43 Frag. 15 DK. 44 Die Fragmente der Vorsokratiker, Berlin, 1934-1937.

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ier siècle constitue-t-il une citation exacte de Thalès, fondée sur une connaissance directe du texte, ou déjà le début d’une glose de la part du compilateur ? Il n’est pas possible de trancher. Soit Sénèque lisait directement Thalès et reproduit sa théorie avec une plus grande précision qu’Aristote, soit il lisait le même texte qu’Aristote et s’autorise, dans son résumé, à y introduire une interprétation personnelle. Dans les deux cas, nous comprenons que Sénèque a pour référence les Météorologiques mais qu’il n’en est ni le traducteur ni l’adaptateur servile. Il recherche l’exactitude par rapport à ses sources. De ce point de vue, il écrit en véritable savant. Nous tenions ainsi à rendre hommage à un texte que la tradition des études sur Sénèque a longtemps délaissé. Nous avons pourtant tout lieu de penser que Sénèque accordait la plus grande importance à ses travaux relevant de la physique et que le choix de composer, à la fin de sa vie, un vaste traité dans la lignée d’Aristote n’est pas une lubie de vieil homme retiré regardant avec nostalgie les chères études de sa jeunesse mais un véritable testament philosophique. Nous pensons surtout que la relecture de ce texte doit contribuer à enrichir le portrait de ce penseur stoïcien et le faire sortir de l’image assez caricaturale du moraliste à laquelle il est le plus souvent réduit. Il faut de ce fait se réjouir du regain d’intérêt que les Naturales quaestiones connaissent depuis quelques années45. Si Sénèque est un passeur de culture, c’est aussi et peut-être d’abord à travers cette entreprise savante portant sur la compréhension des phénomènes naturels. Frédéric Le Blay Université de Nantes, Département de Lettres anciennes

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45 Sans viser l’exhaustivité, mentionnons ainsi G. Williams, « Cold Science : Seneca on Hail and Snow in Natural Questions 4B », The Cambridge Classical Journal, 54, 2009, p. 209-233 ; Id., The Cosmic Viewpoint : A Study of Seneca’s Natural Questions, Oxford, 2012 ; M. Beretta, F. Citti, L. Pasetti (éd.), Seneca e le scienze naturali (Biblioteca di Nuncius. Studi e testi, 68), Firenze, 2012. On notera que l’éditeur H. M. Hine a donné une nouvelle traduction du texte dans la collection des œuvres complètes de Sénèque éditée par E. Asmis, S. Bartsch, M. C. Nussbaum (The University of Chicago Press, Chicago-London, 2010). Cette traduction contribue incontestablement à la relecture de ce traité ; une entreprise comparable reste à faire pour la langue française…

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Plutarque, un passeur de la culture équestre grecque

La notion de culture équestre a été définie par Daniel Roche comme « la construction sociale diversifiée des usages et des types de chevaux, des besoins et des réponses des hommes qui les maîtrisent et les affectionnent1 ». Aussi bien existet-il des types variés de sociétés équestres que l’anthropologue Jean-Pierre Digard a pu classer en deux catégories : les peuples cavaliers, nomades, qui exploitent le cheval autant que possible (monte, nourriture, etc.), et les sociétés à écuyers où le cheval est l’animal des élites et sert à celles-ci à se distinguer socialement en pratiquant notamment une équitation d’un haut niveau technique. Dans les sociétés à écuyers, il est fréquent que les cavaliers fassent partie de l’aristocratie. En effet, la distinction aristocratique s’associe à la distinction cavalière : le cheval est un sèma de l’aristocratie, comme signe extérieur de richesse mais aussi comme symbole d’une certaine forme d’autorité2. L’une des formes de la culture équestre grecque à l’époque classique nous est bien connue grâce à Xénophon. En effet, dans son œuvre polygraphique, il a souvent évoqué son intérêt pour l’équitation, la cavalerie militaire et les valeurs équestres de l’aristocratie. Il a composé deux traités spécifiquement consacrés à ce thème, l’Art équestre et l’Hipparque, dans lesquels il donne des conseils techniques, logistiques et tactiques qui témoignent de son expertise en la matière. Il a par ailleurs participé à l’expédition des Dix Mille qu’il a relatée dans l’Anabase, récit dans lequel il se met souvent en scène en tant que cavalier. Or il se trouve que certains auteurs des premiers siècles de notre ère ont cité les textes de Xénophon, souvent pour mettre en valeur le savoir technique de l’auteur athénien du ive siècle av. J.-C. Ainsi Arrien a pu dévoiler dans son Art de la Chasse son intérêt pour Xénophon et pour son savoir équestre3. Cette proximité affichée d’Arrien avec Xénophon est évoquée aussi par Photius ou par la Souda, œuvres dans 1 D. Roche, La culture équestre de l’Occident, xvie-xixe siècle. L’ombre du cheval. T1 : Le cheval moteur, Paris, Fayard, 2008, p. 11. 2 Voir à ce propos S. Vilatte, « La femme, l’esclave, le cheval et le chien : les emblèmes du kalos kagathos Ischomaque », DHA, 12, 1986, p. 271-294. 3 Arrien, Art de la chasse, I, 4-5. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 305-316 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121148

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lesquelles Arrien est qualifié précisément de néos Xenophôn, « nouveau Xénophon »4. Anna Busetto, à la suite de Philip Stadter, a par ailleurs récemment montré que dans certains chapitres des Tactica d’Arrien, on pouvait déceler des filiations sémantiques avec l’Hipparque de Xénophon, traité destiné à un commandant de la cavalerie5. De même, Pollux propose dans son Onomastikon un certain nombre de termes, d’expressions, de paragraphes liés au savoir équestre ou hippologique, dont beaucoup sont directement issus de l’enseignement de Simon et surtout de Xénophon6. Il est plus difficile de cerner dans l’œuvre de Plutarque le degré d’influence de l’auteur athénien concernant la culture équestre. S’il lui arrive de s’intéresser à l’art équestre, c’est toujours incidemment, et cela peut s’expliquer par le fait qu’il pourrait être issu d’une famille ayant un rapport avec l’élevage des chevaux. En effet, il écrit dans un chapitre du livre II des Propos de Table, que son père « n’était jamais pris au dépourvu lorsqu’il était question d’élevage de chevaux (hippotrophia), et [qu’il] ne montait jamais que des bêtes excellentes (kratisteuousin hippois)7 ». On ne peut guère en dire plus sur le degré de connaissance réelle de Plutarque à propos des chevaux et de l’équitation, mais on peut supposer tout de même au moins une forme de savoir hérité, issu d’une tradition familiale, dans une région, la Béotie, où se pratiquait l’élevage de chevaux. On voit par ailleurs que, chez Plutarque, l’idéal de la culture classique intègre l’art équestre. Ainsi montre-t-il, dans la Vie de Paul-Émile, que celui-ci donna à ses enfants une éducation romaine et une éducation grecque : les garçons de Paul-Émile étaient en effet entourés de grammairiens, de sophistes et de rhéteurs grecs, mais aussi de sculpteurs, de peintres, de maîtres de vénerie, ainsi que de dresseurs de chiens et de chevaux8. On se proposera dans cet article de relever dans l’œuvre de Plutarque quelques références à la culture équestre classique à partir des informations que nous livre Xénophon à ce sujet. Nous savons en effet que Plutarque a été un lecteur attentif de l’auteur athénien, notamment en ce qui concernait ses idées politiques, philosophiques et morales. Mais il est une difficulté qu’il convient de signaler au préalable. Philip Stadter a montré en effet que Plutarque faisait référence aux idées de Xénophon en les

4 Photius, Bibliothèque, 58, 17b, 11-15 ; Souda, A, 3868. Cf. P. Stadter, « Flavius Arrianus : The New Xenophon », GRBS, 8, 1967, p. 155-161. 5 A. Busetto, « War as Training, War as Spectacle : The Hippika Gymnasia from Xenophon to Arrian », dans G. Lee, H. Whittaker et G. Wrightson (éd.), Ancient Warfare. Introducing Recent Research, I, Cambridge, 2015, p. 147-171, spécialement p. 148-155 ; P. Stadter, « The Ars Tactica of Arrian. Tradition and Originality », CPh, 73, 1978, p. 117-128. 6 Pollux, I, 181-220. Le lexicographe s’appuie sur les textes des deux auteurs athéniens, pour s’en détacher quelque peu toutefois, comme il le fait d’ailleurs assez souvent, afin de mettre en valeur certains termes hippologiques destinés à l’instruction rhétorique du jeune Commode. Sur la « méthode » de Pollux, cf. notamment R. Tosi, « Polluce : struttura onomastica e tradizione lessicografica », dans C. Bearzot, F. Landucci et G. Zecchini (éd.), L’Onomasticon di Giulio Polluce. Tra Lessicografia e antiquiaria, Milan, 2007, p. 3-16. 7 Plutarque, Propos de Table, II, 8. Dans cet article, je m’appuie sur les traductions de la CUF, sauf pour ce qui concerne les Vies parallèles de Plutarque, dont la traduction est celle de de A.-M. Ozanam. Cf. Fr. Hartog (éd.), Plutarque, Vies parallèles, Paris, 2001. 8 Plutarque, Paul-Émile, VI, 8-9.

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mélangeant à des conceptions de l’époque impériale9. Ainsi conviendra-t-il d’analyser avec précaution et de nuancer sa lecture de l’auteur athénien, mais aussi l’utilisation qu’il fait de certains récits de Xénophon (les récits historiques notamment), car il semble que s’y soient glissées certaines erreurs d’interprétation10. Dans un passage des Moralia, Plutarque disserte sur la manière de s’adresser à des jeunes gens : Τούτου δὲ πολιτικώτερον, μὴ μόνον ἐμφανῶς μηδὲ δημοσίᾳ ὀνειδίζων ἄνευ δηγμοῦ σφόδρα κολούοντος καὶ ταπεινοῦντος, ἀλλὰ μᾶλλον ἰδίᾳ τοῖς εὖ πεφυκόσι πρὸς πολιτείαν ὑποτιθέμενος καὶ συνεισηγούμενος εὐμενῶς λόγους τε χρηστοὺς καὶ πολιτεύματα, συνεξορμῶν πρὸς τὰ καλὰ καὶ συνεπιλαμπρύνων τὸ φρόνημα καὶ παρέχων, ὥσπερ οἱ διδάσκοντες ἱππεύειν, ἐν ἀρχῇ χειροήθη καὶ πρᾶον ἐπιβῆναι τὸν δῆμον· Εἰ δέ τι σφαλείη, μὴ περιορῶν ἐξαθυμοῦντα τὸν νέον, ἀλλ’ ἀνιστὰς καὶ παραμυθούμενος, ὡς Ἀριστείδης Κίμωνα καὶ Μνησίφιλος Θεμιστοκλέα, δυσχεραινομένους καὶ κακῶς ἀκούοντας ἐν τῇ πόλει τὸ πρῶτον ὡς ἰταμοὺς καὶ ἀκολάστους, ἐπῆραν καὶ ἀνεθάρρυναν. Mais il est encore plus digne d’un homme d’État de ne pas seulement s’interdire, quand il blâme ouvertement et publiquement, les paroles mordantes qui rabaissent et humilient trop fortement, mais, mieux encore, de conseiller en particulier ceux qui sont doués pour les affaires, de leur suggérer avec bonté des paroles et des mesures avantageuses, de les inciter aux belles actions, de les aider à faire briller leur grandeur d’âme et, à la façon des maîtres de manège, de leur donner à monter dans leurs débuts un peuple doux et maniable (ἐν ἀρχῇ χειροήθη καὶ πρᾶον ἐπιβῆναι τὸν δῆμον). Si le jeune homme fait la culbute (εἰ δέ τι σφαλείη), on ne le laisse pas se démoraliser, mais on le remet sur ses pieds et on ranime son courage, suivant l’exemple d’Aristide et de Mnésiphile qui relevèrent et réconfortèrent, l’un Cimon, l’autre Thémistocle, qui, au début, étaient détestés de leurs concitoyens et décriés comme d’insolents débauchés11. Le passage indiqué en gras paraît se rapporter directement à une phrase de l’Art équestre de Xénophon, grâce à l’association des deux adjectifs praos et kheiroèthès : « Il faut veiller, cependant, à lui (i.e. au dresseur) donner un poulain qui soit doux, maniable et ami de l’homme12 ». À cela il convient d’ajouter un autre exemple, que l’on trouve cette fois-ci dans un passage de la Vie de Lycurgue : Οὐ γὰρ ἀκούειν ὑπομένουσι τῶν προστατεῖν μὴ δυναμένων, ἀλλ’ ἡ πειθαρχία μάθημα μέν ἐστιν τοῦ ἄρχοντος (ἐμποιεῖ γὰρ ὁ καλῶς ἄγων τὸ καλῶς ἕπεσθαι· καὶ καθάπερ

9 Ph. Stadter, « ‘Staying up Late’ : Plutarch’s Reading of Xenophon », dans F. Hobden et Chr. Tuplin (éd.), Xenophon : Ethical Principles and Historical Enquiry, Leyde – Boston, Brill, 2012 [Mnemosyne Suppl.], p. 43-62. 10 A. Bresson, « Un Athénien à Sparte ou Plutarque lecteur de Xénophon », REG, 115, 2002, p. 22-57. 11 Plutarque, Moralia, 795 B-C [Si un vieillard doit prendre part au gouvernement]. 12 Xénophon, Art équestre, II, 3 : Ὅπως μέντοι πρᾷός τε καὶ χειροήθης καὶ φιλάνθρωπος ὁ πῶλος ἐκδιδῶται τῷ πωλοδάμνῃ ἐπιμελητέον.

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ἱππικῆς τέχνης ἀποτέλεσμα πρᾷον ἵππον καὶ πειθήνιον παρασχεῖν, οὕτω βασιλικῆς ἐπιστήμης ἔργον ἀνθρώποις εὐπείθειαν ἐνεργάσασθαι). Les gens, à mon avis, n’acceptent pas longtemps d’obéir à ceux qui ne savent pas les guider ; c’est l’autorité du chef qui enseigne la soumission ; celui qui dirige bien se fait bien suivre, et de même que le but de l’art hippique est de rendre le cheval doux et docile aux rênes (πρᾷον ἵππον καὶ πειθήνιον παρασχεῖν), l’effet de la science royale est de former les hommes à l’obéissance13. Cette image incite à penser que Plutarque a cité Xénophon de manière implicite. L’Art équestre précise en effet la nécessité pour le palefrenier ou le cavalier de diriger le cheval avec douceur. Celui-ci, écrit Xénophon, devra être lui-même choisi « doté de bons pieds, doux (πρᾷος), suffisamment rapide, disposé et apte à supporter les efforts, et tout à fait docile (πείθοιτο δὲ μάλιστα)14 ». D’une part le poulain doit-il être dressé de manière à être docile aux ordres de son cavalier, d’autre part celui-ci doit-il le conduire avec une main légère. En effet, dans l’Art équestre, Xénophon explique que cette main légère est nécessaire en raison de la dureté des mors et de la contrainte exercée par eux15. Les mors étaient de véritables instruments de torture, qui blessaient les chairs et la bouche du cheval pour peu que le cavalier ait eu la main trop brusque, en tendant les rênes de manière inconsidérée. L’Art équestre apparaît donc comme un traité qui insiste sur le maniement juste des rênes, reflet d’une morale du cavalier fondée sur la maîtrise de soi16. Chez Plutarque, le rapprochement entre le cheval qu’il faut dresser ou maîtriser et la technique politique trouve son exemple paradigmatique dans le célèbre passage de la Vie d’Alexandre dans lequel le jeune prince parvient à dresser son cheval Bucéphale17. Ἐπεὶ δὲ Φιλονίκου τοῦ Θεσσαλοῦ τὸν Βουκεφάλαν ἀγαγόντος ὤνιον τῷ Φιλίππῳ τρισκαίδεκα ταλάντων, κατέβησαν εἰς τὸ πεδίον δοκιμάσοντες τὸν ἵππον, ἐδόκει τε χαλεπὸς εἶναι καὶ κομιδῇ δύσχρηστος, οὔτ’ ἀναβάτην προσιέμενος οὔτε φωνὴν ὑπομένων τινὸς τῶν περὶ τὸν Φίλιππον, ἀλλ’ ἁπάντων κατεξανιστάμενος, δυσχεραίνοντος δὲ τοῦ Φιλίππου καὶ κελεύοντος ἀπάγειν ὡς παντάπασιν ἄγριον καὶ ἀκόλαστον, παρὼν ὁ Ἀλέξανδρος εἶπεν· “Οἷον ἵππον ἀπολλύουσι, δι’ ἀπειρίαν καὶ μαλακίαν χρήσασθαι μὴ δυνάμενοι”, τὸ μὲν οὖν πρῶτον ὁ Φίλιππος ἐσιώπησε· πολλάκις δ’ αὐτοῦ παραφθεγγομένου καὶ περιπαθοῦντος, “Ἐπιτιμᾷς σὺ” ἔφη “πρεσβυτέροις ὥς τι πλέον αὐτὸς εἰδὼς ἢ μᾶλλον ἵππῳ χρήσασθαι δυνάμενος ;” τούτῳ γοῦν ἔφη “Χρησαίμην ἂν ἑτέρου βέλτιον.” “Ἂν δὲ μὴ χρήσῃ, τίνα δίκην τῆς προπετείας ὑφέξεις ;” “Ἐγὼ νὴ Δί’”εἶπεν “ἀποτείσω τοῦ ἵππου τὴν τιμήν.” Γενομένου δὲ γέλωτος, εἶθ’ ὁρισμοῦ πρὸς ἀλλήλους εἰς τὸ ἀργύριον, εὐθὺς προσδραμὼν τῷ ἵππῳ καὶ παραλαβὼν τὴν ἡνίαν,

13 Plutarque, Lycurgue, XXX, 4. 14 Xénophon, Art équestre, III, 12. 15 Cf. notamment les chapitres VII à XI du traité. Je me permets de renvoyer à mes commentaires sur ce point : A. Blaineau (éd.), Xénophon, l’intégrale de l’œuvre équestre, Arles, Actes Sud, 2011, p. 197-200 et p. 204-205. 16 Rien ne doit se faire avec colère en équitation : cf. Art équestre, VI, 13. La maîtrise de soi est en effet une exigence morale pour le bon cavalier tel que le décrit Xénophon, par exemple dans la Cyropédie, V, 2, 17. 17 Plutarque, Alexandre, VI.

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ἐπέστρεψε πρὸς τὸν ἥλιον, ὡς ἔοικεν ἐννοήσας ὅτι τὴν σκιὰν προπίπτουσαν καὶ σαλευομένην ὁρῶν πρὸ αὑτοῦ διαταράττοιτο. Μικρὰ δ’ αὐτῷ παρακαλπάσας καὶ καταψήσας, ὡς ἑώρα πληρούμενον θυμοῦ καὶ πνεύματος, ἀπορρίψας ἡσυχῇ τὴν χλαμύδα καὶ μετεωρίσας αὑτόν, ἀσφαλῶς περιέβη. Καὶ μικρὰ μὲν περιλαβὼν ταῖς ἡνίαις τὸν χαλινόν, ἄνευ πληγῆς καὶ σπαραγμοῦ προσανέστειλεν· Ὡς δ’ ἑώρα τὸν ἵππον ἀφεικότα τὴν ἀπειλήν, ὀργῶντα δὲ πρὸς τὸν δρόμον, ἀφεὶς ἐδίωκεν, ἤδη φωνῇ θρασυτέρᾳ καὶ ποδὸς κρούσει χρώμενος. Τῶν δὲ περὶ τὸν Φίλιππον ἦν ἀγωνία καὶ σιγὴ τὸ πρῶτον· Ὡς δὲ κάμψας ὑπέστρεψεν ὀρθῶς σοβαρὸς καὶ γεγηθώς, οἱ μὲν ἄλλοι πάντες ἀνηλάλαξαν, ὁ δὲ πατὴρ καὶ δακρῦσαί τι λέγεται πρὸς τὴν χαράν, καὶ καταβάντος αὐτοῦ τὴν κεφαλὴν φιλήσας “Ὦ παῖ” φάναι, “ζήτει σεαυτῷ βασιλείαν ἴσην· Μακεδονία γάρ σ’ οὐ χωρεῖ.” (1) Le Thessalien Philonicos amena un jour à Philippe Bucéphale, qui était à vendre pour treize talents. Ils descendirent dans la plaine pour essayer ce cheval. L’animal paraissait rebelle et absolument intraitable : il ne se laissa pas monter, ne supportait la voix d’aucun des compagnons de Philippe et se cabrait contre tous. (2) Philippe s’impatienta et ordonna de le remmener, le jugeant tout à fait sauvage et impossible à dompter, mais Alexandre, qui se trouvait là, dit alors : « Quel cheval ils vont perdre, parce que faute d’expérience et d’énergie, ils ne savent pas en tirer parti. » Dans un premier temps, Philippe ne dit rien (3) mais, comme Alexandre, bouleversé, élevait la voix à plusieurs reprises, il lui dit : « Tu critiques des gens qui sont plus âgés que toi, comme si tu étais, toi, plus savant qu’eux et plus habile à monter un cheval ? (4) – Celui-là en tout cas, répliqua Alexandre, je saurais le monter mieux que tout autre. – Et si tu n’y arrives pas, quelle peine subiras-tu pour ton insolence ? – Par Zeus ! Je paierai le prix du cheval. » (5) On rit, puis ils convinrent entre eux de la somme à payer. Aussitôt, Alexandre, courant au cheval et saisissant les rênes, le tourna face au soleil : il avait observé, apparemment, que l’animal était effrayé par son ombre qui tombait et sautait devant lui. (6) Ensuite, il le flatta et le caressa un peu, tant qu’il le vit plein de colère et haletant. Après quoi, sans se troubler, rejetant son manteau, il s’élança et l’enfourcha fermement. (7) Il ramena un peu le mors avec les rênes, et parvint à le contenir, sans le frapper ni lui déchirer la bouche. Lorsqu’il vit que le cheval abandonnait son attitude menaçante et qu’il avait envie de courir, il lui lâcha la bride, en l’excitant désormais d’une voix plus hardie et en le frappant du talon. (8) Philippe et son entourage étaient d’abord restés muets d’angoisse. Mais quand Alexandre fit demi-tour et revint droit vers eux, fier et joyeux, ils poussèrent tous des cris d’enthousiasme, tandis que son père, dit-on, versait quelques larmes de joie. Lorsque son fils eut mis pied à terre, il l’embrassa sur le front et lui dit : « Mon enfant, cherche un royaume à ta mesure. La Macédoine n’est pas assez grande pour toi ». Il s’agit assurément d’une de ces anecdotes exemplaires qui permettent à Plutarque de mettre en valeur certaines vertus d’Alexandre qui associent art de l’équitation et pouvoir ; dans ce passage, le Macédonien doit lui-même maîtriser sa fougue en tentant de contenir un cheval fougueux. Un certain nombre d’actions équestres rapportées par cette anecdote peuvent trouver un parallèle et des explications techniques dans L’Art équestre de Xénophon :

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(5) il avait observé, apparemment, que l’animal était effrayé par son ombre qui tombait et sautait devant lui. (6) Ensuite, il le flatta et le caressa un peu, tant qu’il le vit plein de colère et haletant (ὡς ἑώρα πληρούμενον θυμοῦ καὶ πνεύματος). (6) Après quoi, sans se troubler, rejetant son manteau, il s’élança et l’enfourcha fermement (ἀππορίψας ἡσυχῇ τὴν χλαμύδα καὶ μετεωρίσας αὑτὸν ἀσφαλῶς περιέβη)

II, 5 : Et tout ce dont le jeune cheval aura peur, il faut lui montrer, sans se fâcher, mais en le calmant, qu’il n’y a là rien de terrible.

(7) Il ramena un peu le mors avec les rênes, et parvint à le contenir (Καὶ μικρὰ μὲν περιλαβὼν ταῖς ἡνίαις τὸν χαλινὸν), … sans le frapper ni lui déchirer la bouche (ἄνευ πληγῆς καὶ σπαραγμοῦ προσανέστειλεν).

VII, 5 : Lorsque le cavalier est à cheval, que ce soit à cru ou sur une selle, nous ne recommandons pas qu’il soit placé comme sur un siège, mais comme debout avec les jambes écartées. De la sorte il aura les cuisses mieux au contact, et sa position debout lui donnera plus de force en cas de besoin, pour lancer le javelot et porter des coups du haut de sa monture. [VII, 8 : Une fois en selle, il doit apprendre à son cheval à rester calme jusqu’à ce qu’il ait, le cas échéant, tiré ses affaires sous lui et ajusté les rênes, puis prendre la lance de manière à l’avoir bien en main.] (A propos d’un cheval nerveux) IX, 3 : Tout de suite, lors de la mise en selle, il faut prendre soin, au moment où l’on monte, de ne pas tant soit peu l’agacer ; une fois à cheval, il faut le porter en avant et à l’aide des indications les plus légères, après l’avoir fait rester calme plus longtemps qu’un cheval ordinaire. IX, 9 : Les mors doux sont plus indiqués que les durs ; mais si le cheval est bridé avec un mors dur, il faut, par une main légère, le rendre pareil à un mors doux. X, 1-2 : Si l’on veut un cheval bon pour la guerre qui soit plus magnifique et plus étincelant à monter, il faut s’abstenir de lui tirer sur la bouche avec le mors, de lui donner de l’éperon et de la cravache, pratiques par lesquelles on se figure souvent faire briller sa monture ; on obtient alors le résultat exactement opposé à celui que l’on cherche : en leur tirant sur la bouche la main haute, on aveugle les chevaux au lieu de les laisser voir devant eux ; en les frappant de l’éperon et de la cravache, on les effraie jusqu’à les affoler et les mettre en danger.

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X, 3 : Mais si c’est avec une main légère que l’on apprend au cheval à travailler, redresser l’encolure, fléchir la tête, on provoque chez lui des actions qu’il aime lui-même et qui lui font plaisir. X, 12 : Il faut éviter toute tension des rênes, trop (7) Lorsqu’il vit que le cheval abandonnait son attitude menaçante et sévère au point de lui faire battre à la main, ou qu’il avait envie de courir, il lui lâcha trop douce au point d’être imperceptible ; mais lorsque, sur une tension des rênes, il se place, il la bride (ἀφεὶς ἐδίωκεν) en l’excitant désormais d’une voix plus hardie et en faut aussitôt lui rendre la main (δοτέον εὐθὺς τὸν χαλινόν). le frappant du talon.

Le vocabulaire n’est pas totalement semblable dans les deux textes, car le traité d’art équestre de Xénophon se veut très technique et destiné aux cavaliers athéniens qui souhaitent apprendre, grâce à ses conseils, une équitation efficace, alors que le texte de Plutarque vise à informer le lecteur sur les qualités d’Alexandre, comme d’autres passages avant et après ce chapitre VI. Toutefois, il convient de rapprocher ces deux textes parce qu’avec ce découpage des différentes actions équestres (calmer le cheval, le monter, le diriger doucement, puis le lancer à vive allure), il semble que Plutarque suive les indications techniques données par Xénophon18. Si Plutarque n’emploie pas l’expression de « main légère », c’est-à-dire cette manière de manier les rênes de telle sorte que le cheval ne se sente pas contraint, elle est sous-jacente : Alexandre a bien compris que Bucéphale était un cheval nerveux qu’il fallait maîtriser par la douceur et non par la force. À la fin du texte, Philippe s’exclame, dans une phrase restée célèbre, qu’Alexandre doit chercher un royaume à sa mesure. Cette phrase n’est pas sans rappeler un passage de la Cyropédie de Xénophon, dans lequel le jeune Cyrus fait son apprentissage équestre19. Celui-ci passe par des étapes successives durant lesquelles il montre sa bravoure et sa maîtrise de soi, notamment lors de chasses montées. On assiste alors à la naissance d’un souverain : parce qu’il est devenu un expert en équitation, son oncle Cyaxare affirme qu’il lui semble qu’il est déjà le roi : « Aussi bien est-ce toi maintenant qui as l’air d’être notre roi (σὺ γὰρ νῦν ἡμῶν ἔοικας βασιλεὺς εἶναι)20 ». Ainsi se révèlent les capacités du futur maître de l’Empire Perse. En décrivant la maîtrise progressive de l’équitation par Cyrus, Xénophon semble indiquer qu’un bon prince est d’abord un bon cavalier.

18 Ces indications techniques n’ont pas été inventées par Xénophon. Si son traité d’art équestre est le seul à nous être parvenu complet, Simon d’Athènes (ve siècle av. J.-C.) en avait rédigé un (seuls quelques fragments ont été conservés). 19 Xénophon, Cyropédie, I, 3, 3 – I, 4, 9. Concernant les références à la Cyropédie dans les œuvres de Plutarque, cf. Ph. Stadter, « Plutarch’s Reading of Xenophon… », p. 50-51. 20 Xénophon, Cyropédie, I, 4, 9.

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Plus généralement, dans la Cyropédie, Xénophon tente de montrer que mener son cheval en tyran, c’est gouverner sa monture par la force et la crainte ; le conduire en roi, c’est faire montre de bienveillance et de maîtrise21. C’est bien l’usage de la main sur le mors qui gouverne l’éthique du cavalier. Pour Xénophon, l’équitation est une école de vertu pour qui acquiert la technique nécessaire à la maîtrise du cheval. Le roi exerce son autorité d’une main légère, distribuant gratifications ou punitions, comme le bon cavalier récompense ou blâme sa monture22. Il s’agirait donc de voir dans l’anecdote de la Vie d’Alexandre une homologie entre l’art politique et l’art équestre, tous deux fondés sur la maîtrise de soi, à travers l’émergence de la figure du roi-cavalier. Le texte de Plutarque utilise en effet le même schéma narratif que les passages évoqués de la Cyropédie. Le roi en devenir doit montrer sa capacité à gouverner, notamment grâce à son talent de cavalier. La main légère, tant de fois évoquée dans l’Art équestre, résume par ailleurs tout cet art de gouverner dans la pensée de Xénophon, idée que Plutarque semble avoir reprise à son compte. À cela il convient d’ajouter que Plutarque utilise habilement l’image du mors dans le chapitre qui suit le dressage de Bucéphale23 : Καθορῶν δὲ τὴν φύσιν αὐτοῦ δυσνίκητον μὲν οὖσαν, ἐρίσαντος μὴ βιασθῆναι, ῥᾳδίως δ’ ἀγομένην ὑπὸ λόγου πρὸς τὸ δέον, αὐτός τε πείθειν ἐπειρᾶτο μᾶλλον ἢ προστάττειν, καὶ τοῖς περὶ μουσικὴν καὶ τὰ ἐγκύκλια παιδευταῖς οὐ πάνυ τι πιστεύων τὴν ἐπιστασίαν αὐτοῦ καὶ κατάρτισιν, ὡς μείζονος οὖσαν πραγματείας καὶ κατὰ τὸν Σοφοκλέα ‘πολλῶν χαλινῶν ἔργον οἰάκων θ’ ἅμα’, μετεπέμψατο τῶν φιλοσόφων τὸν ἐνδοξότατον καὶ λογιώτατον Ἀριστοτέλην, καλὰ καὶ πρέποντα διδασκάλια τελέσας αὐτῷ. (1) Voyant que son fils était d’une nature inébranlable et renâclait devant toute contrainte, mais se laissait facilement conduire à son devoir par la raison, Philippe essayait lui-même de le persuader plutôt que de lui donner des ordres. (2) Il n’avait pas vraiment confiance dans les maîtres chargés de lui enseigner la musique et les arts libéraux ; il jugeait qu’il fallait davantage d’efforts, et que la tâche, comme dit Sophocle, « exigeait plusieurs mors et plusieurs gouvernails (πολλῶν χαλινῶν ἔργον οἰάκων θ’ ἅμα) ». Il envoya donc chercher le plus illustre et le plus savant des philosophes, Aristote, auquel il offrit en échange de son enseignement des récompenses splendides que le savant méritait bien. Le fils de Philippe apparaît donc rétif à toute éducation comme Bucéphale refusant de prime abord d’être monté. Se rendant compte qu’il n’existait qu’une manière de l’éduquer, par la raison plus que par les ordres, Philippe lui met un mors « philosophique » en la personne d’Aristote. Bien étudiée par E. Villari, cette métaphore du mors qui dit l’emprise et la domination, que cela soit dans le domaine politique ou dans le registre érotique, est assez ancienne, puisque l’on en trouve déjà plusieurs 21 A. Blaineau, « Le cheval, le cavalier et l’hippocentaure. Technique équestre, éthique et métaphore politique chez Xénophon », CEA, 45, 2008, p. 185-211. 22 Xénophon, Art équestre, VIII, 13-14. 23 Plutarque, Alexandre, VII, 1-2 (trad. A.-M. Ozanam légèrement modifiée).

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témoignages aux époques archaïque et classique24. Plutarque semble davantage s’être intéressé à l’aspect politique de cette métaphore, qui associe le mors à la parole de l’homme politique. Plus généralement, le peuple et la foule des jeunes gens sont autant de chevaux ou de poulains à dresser, à contrôler et à maîtriser25. On retrouve dans les exemples cités l’idée du cheval contenu par le mors et par la main du cavalier, image exacte de la foule subjuguée par la parole ou l’action politique d’un meneur d’hommes. Outre ces métaphores équestres, Plutarque semble avoir développé dans certaines Vies d’illustres Romains cette relation entre les valeurs morales de l’homme politique et l’art équestre. Ainsi est-ce le cas de la Vie de César. Frêle de constitution26, Jules César combat sa faiblesse (malakia) par des exercices physiques. Dans cette perspective, « il avait acquis dès l’enfance une grande pratique du cheval car il s’était habitué à chevaucher à toute allure avec les bras ramenés en arrière et croisés dans le dos. Dans cette guerre des Gaules, il s’exerça en outre à dicter du haut de sa monture et à occuper ainsi deux secrétaires à la fois, ou même davantage, au dire d’Oppius27 ». S’astreindre à une telle discipline est un comportement assez usuel chez les Romains qui trouvent dans l’exercice physique de nombreuses vertus. Mais en évoquant cette maîtrise équestre, Plutarque suggère aussi ses grandes capacités de chef de guerre, donnant des consignes du haut de sa monture et dirigeant son cheval sans l’usage des rênes28. Peut-être peut-on reconnaître là, en filigrane, une interprétation politique de l’anecdote : Plutarque présente César comme n’ayant pas besoin de manier les rênes pour exercer son autorité. Mais les qualités équestres de César exposées par Plutarque sont-elles inspirées de l’œuvre de Xénophon, comme cela semble être le cas pour Alexandre ? L’auteur des Vies a pu lire Suétone, qui écrit que le cheval du dictateur ne pouvait être conduit que par lui, ce qui laissait augurer qu’un jour il dominerait le monde29. Mais l’on sait par le même Suétone que César lisait la Cyropédie30. Le parallèle entre la Vie d’Alexandre et la Vie de César est ici frappant, et il est possible que Plutarque ait voulu implicitement rapprocher les qualités équestres des deux

24 E. Villari, Il morso e il cavaliere. Una metafora della temperanza e del dominio di sé, Genève, 2001, notamment p. 61-70. 25 Plutarque, Lycurgue, XXX, 4 ; Thémistocle, II, 7 ; Périclès, VII, 8 ; Comparaison Périclès/Fabius Maximus, XXVIII, 4 ; Paul-Émile, XXVII, 6. 26 Plutarque, César, XVII, 2. 27 Plutarque, César, XVII, 6-7. 28 Montaigne, au chapitre 48 de ses Essais [Des destriers], l’avait remarqué : « On dit de César, et aussi du grand Pompée, que, parmi leurs autres excellentes qualités, ils étaient fort bons hommes de cheval ; et de César, qu’en sa jeunesse, monté à dos sur un cheval et sans bride, il lui faisait prendre carrière, les mains tournées derrière le dos » (trad. Cl. Pinganaud). Montaigne associe d’ailleurs, dans le paragraphe suivant César et Alexandre, « armés extraordinairement » d’incroyables chevaux : Bucéphale pour le Macédonien, « qu’il ne se souffrait monter à personne que son maître », et le cheval de César, « qui avait les pieds de devant comme un homme, ayant l’ongle coupé en forme de doigts, lequel ne put être monté ni dressé que par César ». Il fallait bien des montures exceptionnelles pour dévoiler les qualités de ces grands hommes. 29 Suétone, César, 61. Cf. Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VIII, 155. 30 Suétone, César, 87.

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hommes, tous deux capables de conquérir le monde après avoir maîtrisé des montures difficiles, suivant l’exemple du Cyrus de Xénophon. Dans d’autres Vies, Plutarque met en valeur les qualités de certains chefs militaires et hommes politiques dont la gloire et le prestige sont renforcés par le fait qu’ils sont cavaliers. Ainsi en est-il de Fabius Maximus, qui, nommé dictateur, demanda au Sénat l’autorisation de monter à cheval lors des campagnes militaires : « Cela lui était interdit en vertu d’une ancienne loi, soit parce que les Romains considéraient l’infanterie comme leur force principale, et pensaient pour cette raison que le général devait rester à côté de la légion et ne pas la précéder, soit parce qu’ils voulaient que le dictateur, dont les pouvoirs étaient si grands, si semblables, à tous égards, à ceux d’un tyran, parût, sur ce point cependant, dépendre du peuple. Mais Fabius voulait déployer aux yeux de tous la grandeur et la majesté de sa charge, pour obtenir des citoyens plus de soumission et d’obéissance31 ». Mais, comme lorsque des chefs militaires montés sur leurs chevaux font preuve de courage au combat32, il n’est pas concevable de vouloir démontrer que ces comportements sont inspirés d’un modèle grec, et plus particulièrement xénophontique : le prestige et l’autorité de ces hommes émanent de leur statut social qui leur a permis d’être cavaliers. Dans la Vie d’Alexandre et dans la Vie de César, la figure du chef politique décrite par Plutarque, maître de lui-même, qui contient son cheval et ses hommes, semble être inspirée de la figure du chef-cavalier qui apparaît dans l’œuvre de Xénophon, comme Cyrus l’Ancien dans la Cyropédie, Cyrus le Jeune dans l’Anabase ou Agésilas dans le livre éponyme. Plutarque transmet ainsi à son lectorat un des aspects de la culture grecque classique : une technique équestre qui est aussi tout un art du comportement politique, fondé sur l’emploi de la main légère qui s’oppose au mode de gouvernement tyrannique33. Plutarque apparaît ainsi comme un passeur de la culture équestre de l’époque classique, tant dans son appréhension technique directement issue du traité équestre de Xénophon que dans l’amplification d’une théorie politique qui place le cavalier au centre de la cité. Il convient d’insister sur un point : il s’agit bien, chez Plutarque, d’une vision idéalisée et littéraire d’un des aspects de l’éducation classique. Il faut en effet nuancer l’idée, notamment diffusée par H.-I. Marrou34, selon laquelle il existait une opposition de style entre la pratique équestre grecque et la pratique romaine, 31 Plutarque, Fabius Maximus, IV, 2-3. Cf. aussi Pompée, XXII, 5-7. 32 Ainsi par exemple L. Aemilius Paulus, dans Plutarque, Vie de Paul-Émile, XVI, 4-9, ou Paul-Émile lui-même, en XIX, 3-4. 33 Ce que nous présente Plutarque se rapprocherait de la représentation d’un prince en majesté, incarnation de la force et du calme, comme c’est le cas pour la statue équestre de Marc-Aurèle. Celle-ci s’oppose à l’iconographie d’Alexandre qui a souvent été représenté sur un cheval impétueux, à demi-cabré ou au galop, ce que l’on peut observer notamment sur la mosaïque d’Alexandre (musée archéologique de Naples). Voir à ce propos Chr. Chandezon, « Bucéphale et Alexandre. Histoire, imaginaire et images de rois et de chevaux », dans A. Gardeisen, E. Furet et N. Boulbes (éd.), Histoire d’équidés. Des textes, des images et des os, Lattes, 2010 [Monographies d’archéologie méditerranéenne, HS no 4], p. 177-196, notamment p. 189-190. 34 H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, Paris, 1948, p. 351-352.

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la première associant aux impératifs de l’équitation militaire une équitation plus brillante exaltant tout à la fois la beauté du cheval et la grande maîtrise technique du cavalier (exposée par Xénophon dans les chapitres X et XI de l’Art équestre), à l’inverse d’une équitation romaine strictement utilitaire. En effet, l’équitation, quelle qu’elle soit, exige un savoir très technique : outre le juste maniement des rênes, il est nécessaire de savoir diriger sa monture dans les combats, et sur ce point, le degré de sophistication des Romains était aussi élevé que celui des Grecs, comme l’attestent les traités militaires romains. On pourrait aussi donner l’exemple d’une stèle retrouvée à Césarée en Maurétanie, qui témoigne du niveau de connaissance équestre dans l’Empire. Sur cette stèle est gravé ce que les cavaliers d’aujourd’hui appellent un « huit », qui permet aux apprentis-cavaliers de parfaire le maniement de leur monture, en faisant des demi-tours au galop. Les manœuvres décrites dans l’Ars Tactica d’Arrien concernant les hippika gymnasia témoignent par ailleurs de la maîtrise tactique des cavaliers de l’armée romaine35. Pour conclure, il est vrai que le fait que le traité équestre de Xénophon soit le seul à nous être intégralement parvenu brouille quelque peu la vision que l’on s’efforce d’avoir de la transmission et de l’idéalisation du savoir équestre de l’époque classique. Pour rester prudent sur ce point, Plutarque pourrait être qualifié de porte-voix d’une certaine conception de la culture équestre classique, une conception idéalisée dont la connaissance technique, ainsi que les valeurs et la pratique du pouvoir qui en découlent, étroitement imbriquées, informent le lectorat grec et romain sur l’un des aspects essentiels de la paideia des hommes illustres tout autant qu’elles transmettent un idéal éducatif. Alexandre Blaineau Docteur de l’Université de Rennes 2

Bibliographie A. Blaineau, « Le cheval, le cavalier et l’hippocentaure. Technique équestre, éthique et métaphore politique chez Xénophon », CEA, 45, 2008, p. 185-211. A. Blaineau (éd.), Xénophon, l’intégrale de l’œuvre équestre, Arles, 2011. A. Bresson, « Un Athénien à Sparte ou Plutarque lecteur de Xénophon », REG, 115, 2002, p. 22-57. A. Busetto, « War as Training, War as Spectacle : The Hippika Gymnasia from Xenophon to Arrian », dans G. Lee, H. Whittaker et G. Wrightson (éd.), Ancient Warfare.

35 M. Speidel, « Roman cavalry training and the riding school of the Mauretanian horse guard », AntAfr, 32, 1, 1996, p. 57-62. Concernant les hippika gymnasia, outre l’article cité de Ph. Stadter, « The Ars Tactica of Arrian… », op. cit., cf. notamment K. R. Dixon et P. Southern, The Roman Cavalry, Londres, 1992, p. 126-134. Pour une approche de la culture équestre dans le monde romain en général, cf. notamment A. Hyland, Equus. The Horse in the Roman World, Yale, 1990.

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Introducing Recent Research, I, Cambridge, Cambridge Scholars Publishing, 2015, p. 147171. Chr. Chandezon, « Bucéphale et Alexandre. Histoire, imaginaire et images de rois et de chevaux », dans A. Gardeisen, E. Furet et N. Boulbes (éd.), Histoire d’équidés. Des textes, des images et des os, Lattes, 2010 [Monographies d’archéologie méditerranéenne, HS no 4], p. 177-196. J.-P. Digard, Une histoire du cheval. Art, techniques, société, Arles, 2004. K. R. Dixon et P. Southern, The Roman Cavalry, Londres, 1992. Fr. Hartog (éd.), Plutarque, Vies parallèles, Paris, 2001. A. Hyland, Equus. The Horse in the Roman World, Yale, 1990. H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 1948. Montaigne, Les Essais, Cl. Pinganaud (éd. et trad.), Paris, 2002. D. Roche, La culture équestre de l’Occident, xvie-xixe siècle. L’ombre du cheval. T1 : Le cheval moteur, Paris, 2008. M. Speidel, « Roman cavalry training and the riding school of the Mauretanian horse guard », AntAfr, 32, 1, 1996, p. 57-62. Ph. Stadter, « Flavius Arrianus : The New Xenophon », GRBS, 8, 1967, p. 155-161. Ph. Stadter, « The Ars Tactica of Arrian. Tradition and Originality », CPh, 73, 1978, p. 117128. Ph. Stadter, « ‘Staying up Late’ : Plutarch’s Reading of Xenophon », dans F. Hobden et Chr. Tuplin (éd.), Xenophon : Ethical Principles and Historical Enquiry, Leyde-Boston, 2012 [Mnemosyne Suppl.], p. 43-62. R. Tosi, « Polluce : struttura onomastica e tradizione lessicografica », dans C. Bearzot, F. Landucci et G. Zecchini (éd.), L’Onomasticon di Giulio Polluce. Tra Lessicografia e antiquiaria, Milan, 2007, p. 3-16. E. Villari, Il morso e il cavaliere. Una metafora della temperanza e del dominio di sé, Genève, 2001. S. Vilatte, « La femme, l’esclave, le cheval et le chien : les emblèmes du kalos kagathos Ischomaque », DHA, 12, 1986, p. 271-294.

La transmission des savoirs géographiques par les auteurs de la Seconde Sophistique Arrien et l’Inde

La géographie entre histoire, mythe et politique Le iie siècle ap. J.-C. a représenté une avancée considérable dans la progression des savoirs géographiques. En effet, l’Εmpire romain a fourni aux géographes comme Claude Ptolémée un cadre exceptionnel pour élaborer un savoir fondé sur sept siècles d’analyse géographique et pour esquisser une carte scientifique du monde entier1. C’est dans ce contexte qu’Arrien entreprend d’écrire une monographie sur l’Inde2. Ce n’est pas le premier ouvrage d’Arrien à revêtir un caractère géographique. Déjà, vers 135 ap. J.-C., il avait écrit pour l’empereur Hadrien le Périple du Pont Euxin, dans lequel il décrivait le littoral de la Mer Noire3. Il faut souligner ici que,





1 Voir Ch. Jacob, Géographie et ethnographie en Grèce ancienne, Paris, 1990 ; M. Rathmann (éd.), Wahrnehmung und Erfassung geographischer Räume in der Antike, Mayence, 2007. Pour P. Pédech, « Géographes grecs et géographes romains », dans R. Chevallier (éd.), Colloque Histoire et Historiographie. Clio, Paris, 1980, p. 23-35, les géographes grecs insistent dans leurs descriptions sur le calcul et la réflexion, tandis que les Romains mettent en avant la conquête des territoires et leur administration ; selon D. Dueck, Geographie in der antiken Welt, Darmstadt, 2013, p. 8-27, il est difficile après Strabon de distinguer une tradition grecque et une tradition romaine au sein de la pensée géographique. Cf. aussi D. Roller, « Geography », dans G. L. Irby (éd.), A Companion to Science, Technology, and Medicine in Ancient Greece and Rome, Londres, 2016, p. 247-261. 2 Elle est très probablement écrite après l’Anabase, et après 145 ap. J.-C. Cf. F. F. Schwarz, « Arrian’s Indike on India : Intention and Reality », East and West, 25, 1975, 181-200, part. p. 193 ; J. Carlsen, « Greek History in a Roman Context : Arrian’s Anabasis of Alexander », dans J. Madsen, R. Rees (éd.), Roman Rule in Greek and Latin Writers : Double Vision », Leyde, 2014, p. 210-223, part. p. 213. Voir aussi P. Chantraine, Arrien, L’Inde, Paris, 1927 ; G. Wirth, O. von Hinüber, Der Alexanderzug. Indische Geschichte, Munich et Zurich, 1985 ; A. Zambrini, « A proposito degli Indikà di Arriano », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa 17, 1987, p. 139-145 ; N. Biffi, L’Indiké di Arriano. Introduzione, testo, traduzione e commento, Bari, 2000 ; C. Dognini, L’Indiké di Arriano. Commento storico, Alessandria, 2000 ; C. Dognini, « L’Indiké di Arriano : Tre Studi a confronto », Aevum, 76, 2002, p. 113-122. Sur Arrien, voir également le dossier « Le monde d’Arrien de Nicomédie », A. Hostein et S. Lalanne (éd.), Ktèma, 39, 2014, p. 3-113. 3 Sur le Périple du Pont Euxin, voir A. Liddle, Arrian : Periplus Ponti Euxini, Londres, 2003 ; A. Belfiore, Il Periplo del ponte Eusino di Arriano e altri testi sul Mar Nero. Spazio geografico, mito e dominio ai confini del impero romano, Venise, 2009 ; E. Olshausen, « News from the East ? Roman-Age Geographers and Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 317-336 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121149

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pour les Anciens, les pratiques géographiques excédaient la simple description de lieux. Il s’agissait plutôt de collecter un ensemble de données concernant la topographie, le paysage, la faune, la flore et le climat, ainsi que l’ethnographie et l’anthropologie ; on devrait y ajouter des approches plus « scientifiques » comme la mesure des distances et des surfaces, mais aussi plus « techniques » comme les représentations visuelles, c’est-à-dire la cartographie4. C’est la raison pour laquelle il n’existe pas de terme qui s’applique uniformément à ces différentes approches : on parle souvent de periodos gès, de periègesis, de chorographia ou de periplous. D’Hécatée de Milet et Hérodote à Denys le Periégète et Claude Ptolémée, du vie siècle av. J.-C. au iie siècle ap. J.-C., nous avons affaire à un genre littéraire qui, à en croire Strabon, est plutôt une géographie historique, une enquête sur le présent, le passé et la mémoire des lieux5. C’est un genre qui évolue et qui semble avoir des objectifs éducatifs et instructifs : tous ces auteurs veulent communiquer à leurs lecteurs leurs connaissances, partager avec eux leur image du monde et finalement rendre cette image moins fragmentée, plus cohérente et plus concrète. C’est dans cet esprit que Polybe, avec son expérience romaine, entame ses diorthoseis ou rectifications des connaissances géographiques6. Au début de cette histoire des découvertes géographiques se trouvent les Grecs qui, après les Phéniciens, participèrent à la colonisation de la Méditerranée et de la Mer Noire pendant les viiie, viie et vie siècles avant J.-C. Cependant, l’exploration systématique des territoires et la présentation structurée d’un récit sur les pays lointains sont surtout liées à l’expansionisme des grands empires de l’Antiquité. La conquête militaire de l’espace physique nécessitait d’abord une conquête cognitive. C’est pourquoi le roi perse Darius Ier, vers la fin du vie siècle av. J.-C., avait envoyé en Orient un Grec de Carie, Skylax de Caryanda, afin d’explorer les pays bordant le fleuve Indus, l’Indikè7.

the Pontus Euxinus », dans S. Bianchetti, M. Cataudella, H.-J. Gehrke (éd.), Brill’s Companion to Ancient Geography, Leyde, 2015, p. 259-273, part. 268-269. 4 K. Brodersen, « Kartographie », dans Dueck, Geographie in der antiken Welt…, p. 115-126. 5 Strabon, 15, 1, 4-5 : πρὸς ἱστορίαν τῶν τόπων (la connaissance des lieux). Sur Strabon voir F. Lassere, « Strabon devant l’Empire romain », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, II, 30, 1982, p. 867896 ; J. Engels, Augusteische Oikumenengeographie und Universalhistorie im Werk Strabons von Amaseia, Stuttgart, 1999. 6 Polybe, 3, 59, 9 : ἵνα διορθωσάμενοι τὴν τῶν προγεγονότων ἄγνοιαν ἐν τούτοις γνώριμα ποιήσωμεν τοῖς Ἕλλησι καὶ ταῦτα τὰ μέρη τῆς οἰκουμένης, « afin de rectifier l’ignorance de mes prédécesseurs et de faire connaître aux Grecs cette partie du monde habité ». Ce passage concerne l’Occident, mais on peut le considérer comme représentatif de la méthode de Polybe. 7 La valée de l’Indus avait été conquise vers 518 av. J.-C., et d’après Hérodote 3, 94 était le 20e nome (ou district tributaire) de l’empire achéménide : cf. P. Briant, Histoire de l’empire perse de Cyrus à Alexandre, Paris, 1996, p. 50 (voir aussi p. 152-153 sur cette expédition du roi perse, datée entre 519 et 515 av. J.-C.). Comme l’a souligné D. Lenfant dans Ctésias de Cnide. La Perse. L’Inde. Autres fragments, Paris, 2004, p. cxxxix, il n’y a pas moyen de savoir quelle était l’étendue exacte que recouvrait le terme Indikè, ni quelles étaient ses frontières vers l’est et vers le nord. En tout cas, il ne faut pas confondre le terme géographique et le terme politique, car la province-nome de l’empire achéménide ne s’identifie pas à la contrée géographique. C’est cette dernière, l’actuel nord-ouest du sous-continent indien, qui est l’objet de la description d’Arrien. Par ailleurs, il faut souligner que la médiation de l’empire perse a été décisive

L a t r an s m i s s i o n d e s savo i rs géo graphi q u e s

Les individus impliqués dans ces explorations étaient d’abord des envoyés des souverains : c’était le cas de Skylax, déjà mentionné, mais aussi de Ctésias, de Néarque et de Mégasthène8. Parfois, cette initiative « officielle » émanait d’une institution comme le Musée d’Alexandrie, lieu de savoir éminent créé et entretenu par une dynastie, celle des Ptolémées, résolue à maîtriser l’espace terrestre et les voies maritimes9. C’est dans ce cadre qu’on rencontre un géographe et cartographe à la fois, Ératosthène, qui applique de façon systématique une méthode scientifique et technique à la représentation de l’espace. Celui-ci semble avoir inspiré une série d’historiens et géographes, comme Polybe, Posidonios, Diodore et Strabon, dont les oeuvres présentent une réflexion sur l’expansion romaine jusqu’à l’époque d’Auguste10. Or on a également des idiotai, des particuliers, à l’origine d’initiatives privées11, par exemple des commerçants et des marins ; étant intéressés à la mise en oeuvre de leurs transactions, ils étaient enclins à repérer les produits, les routes et les étapes



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dans l’élaboration d’une image grecque de l’Inde jusqu’au temps d’Alexandre. Voir aussi A. Dihle, « The conception of India in Hellenistic and Roman Literature », Proceedings of the Cambridge Philological Society, 190, 1964, 15-23 (réimpr. dans V. Pöschl, H. Petersmann (éd.), Antike und Orient. Gesammelte Aufsätze, Heidelberg, 1984, p. 89-97) et A. Dihle, « Indien und die hellenistisch-römische Welt in der neueren Forschung », Geographia Antiqua, 1, 1992, p. 151-159. Ctésias était médecin à la cour du roi Artaxerxès au début du ive s. av. J.-C., Néarque commandant de la flotte d’Alexandre le Grand et Mégasthène envoyé du roi Séleucos Ier à la cour des Maurya. Voir Lenfant, Ctésias de Cnide… ; D. Marcotte, « Néarque d’Arrien à Alexandre », Geographia antiqua 22, 2013, p. 5-14 ; P. Kosmin, « Apologetic Ethnography : Megasthenes’ Indica and the Seleucid Elephant », dans E. Almagor, J. Skinner (éd.), Ancient Ethnography : New Approaches, New York, 2013, p. 97-115. Voir Strabon, 5, 12 ; 17, 1, 13. La navigation vers l’océan Indien semble s’être intensifiée à partir du iie s. av. J.-C. grâce à la conquête gréco-bactrienne du delta de l’Indus et grâce au développement des échanges commerciaux avec l’Égypte ptolémaïque : voir A. Tchernia, « Moussons et monnaies : les voies du commerce entre le monde gréco-romain et l’Inde », Annales HSS 50, 1995, p. 991-1009. Voir aussi F. Prontera, « Timosthenes and Eratosthenes : sea routes and Hellenistic Geography », dans K. Buraselis, M. Stefanou, D. Thompson (eds), The Ptolemies, the Sea and the Nile, Cambridge, 2013, p. 207-217, et Ch. Habicht, « Eudoxus of Cyzicus and Ptolemaic exploration of the sea route to India », dans Buraselis, Stefanou, Thompson (éd.), The Ptolemies…, p. 197-206. Ici, il faudrait peut-être ajouter l’apport de l’école d’Aristote : S. Amigues, Théophraste. Recherches sur les plantes, t. I, Paris, 1988 et t. II, Paris, 1989. Pour la dynastie des Séleucides, voir P. Kosmin, « Rethinking the Hellenistic Gulf : The New Greek Inscription from Bahrain », Journal of Hellenic Studies, 133, 2013, p. 61-79. Voir K. Geus, Eratosthenes von Kyrene. Studien zur hellenistischen Kultur und Wissenschaftsgeschichte, Munich, 2002 ; D. Dueck, « The Augustan Concept of an Empire Without Limits », Göttinger Beiträge zur Asienforschung, 2-3, 2003, p. 211-227. Pour les Romains, l’expansion de leur empire avait acquis un caractère métaphysique et mystique et était liée à leur pietas et à leur respect envers les dieux. C’est la raison pour laquelle leur rapport avec l’espace conquis revêtait une dimension particulière. Ce n’est pas un hasard si les grandes victoires des stratèges romains leur donnaient le droit de s’octroyer une épithète géographique : par ex. Africanus ou Germanicus. Voir aussi H.-J. Gehrke, « Antiche rappresentazioni dello spazio e imperialismo romano », et en général A. Wallace-Hadrill, « Mutatas Formas : The Augustan Transformation of Roman Knowledge », in K. Galinsky (éd.), The Cambridge Companion to the Age of Augustus, Cambridge, 2005, p. 106-129. Strabon, 15, 4.

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les plus adéquats pour des échanges économiques afin de se constituer un réseau commercial. On pense ici à l’auteur anonyme du Périple de la mer Rouge rédigé au ier siècle ap. J.-C., texte qui témoigne du vif intérêt économique de l’Empire romain pour le continent indien12. Parmi ces personnes on peut compter également ceux qui entreprennent d’écrire sans être explicitement liés à un souverain ou une institution, mais dont l’oeuvre possède un caractère nettement géographique, comme Hérodote13. Une dernière catégorie d’individus incités à pousser plus loin les bornes des connaissances géographiques et ethnographiques sont les sages et les philosophes errants, souvent exilés, comme Apollonios de Tyane ou Dion de Pruse14. Même si, à travers le récit de leurs voyages, le paysage acquiert souvent une dimension allégorique et symbolique, ceux qui racontent leurs pérégrinations, tel Philostrate, donnent malgré tout des informations sur des pays et des peuples lointains15. À côté de ces individus historiques, on trouve aussi les grands voyageurs mythiques, les héros et les dieux. Parmi eux, Héraclès et Dionysos sont liés à la conquête de l’Orient, et même de l’extrême Orient antique, c’est-à-dire l’Inde16. À travers les récits mythographiques de leurs errances, réélaborés pendant la période hellénistique et romaine, se profile une sorte d’actualisation des connaissances géographiques17. Dans ce discours, l’extrême fin du monde ne peut renvoyer qu’à l’extrême passé. Les pays les plus exotiques sont lointains, non seulement dans l’espace, mais aussi dans le temps. Par conséquent, ils ne peuvent être conçus qu’en des termes an-historiques, c’est à dire mythiques18. L’Orient est lié à l’action guerrière et civilisatrice des fils

12 Voir Periplus Maris Erythrei, 57 ; Pline, 6, 72 ; 6, 100-106 ; Strabon, 15, 1, 4. Cet intérêt est attesté par le nombre des monnaies trouvées dans la région et qui datent d’une période comprise entre l’époque augustéenne et la fin du iie s. ap. J.-C. : M. G. Raschke, « New Studies in Roman Commerce with the East », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 9, 2, 1978, p. 604-1378, part. p. 630-634. Voir aussi S. E. Sidebotham, Roman Economic Policy in the Erythra Thalassa, 30 BC-217 AD, Leyde, 1986 ; L. Casson, Periplus Maris Erythrei. Text with translation and commentary, Princeton, 1989 ; M.-F. Boussac, J.- F. Salles, J.-B. Yon (éds.). Autour du Périple de la mer Erythrée, Lyon, 2012. 13 Sur l’influence d’Hérodote, voir J. Priestley, Herodotus and Hellenistic Culture : Literary Studies in the Reception of the Histories, Oxford, 2014, p. 1-5. 14 Voir par ex. Dion de Pruse, Or. 35, 20. 15 Voir le témoignage d’Aristote, fr. 35, Rose, au sujet des sages indiens et de l’importance de la philosophie indienne pour la pensée grecque. Ainsi, l’Inde devient le pays de l’enseignement par excellence ; plus tard, pendant l’Antiquité tardive et à cause du christianisme, ce voyage acquiert le statut d’une mission religieuse : voir Dihle, « Indien und die hellenistisch-römische Welt in der neueren Forschung »…, p. 153-155 ; J. Elsner, « Hagiographic geography : Travel and allegory in the Life of Apollonius of Tyana », Journal of Hellenic Studies, 117, 1997, p. 22-37 ; voir aussi E. L. Bowie, J. Elsner (éd.), Philostratus, Cambridge, 2009. 16 Voir Arrien, Ind. 5. 17 P.-O. Leroy, Strabon, Livre XV. L’Inde, l’Ariane et la Perse, Paris, 2016, p. lxxvii. 18 Voir la discussion chez Lenfant, Ctésias de Cnide… p. xxiv, à propos de la narration des Indica de Ctésias.

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de Zeus, Héraclès et Dionysos19, qui, surtout pour le second, deviennent les héros civilisateurs de ces régions20. Nous avons affaire à un genre qui possède ses propres conventions, que l’on pourrait désigner plutôt comme une littérature de voyage et qui oscille entre savoirs techniques et pratiques littéraires ; son but semble être, à part la transmission des connaissances géographiques, de divertir, de stimuler l’imagination des lecteurs, de réfléchir également sur la supériorité culturelle et morale du monde civilisé. À l’époque d’Arrien, ce genre s’adresse principalement au futur citoyen de l’Empire romain, à l’apprenti politique ou au lettré destiné à briller par sa culture21. Or, souvent, le patron ou le dédicataire de ces ouvrages n’est autre que le princeps, le premier citoyen de l’Empire, tel Hadrien qui aspirait à une paideia absolue. Le siècle d’Hadrien, héritier de la période julio-claudienne et flavienne, est le temps d’une mise au point de « l’inventaire du monde » sous un angle délibérement hellénique. Même si les Romains avaient leurs propres façons de percevoir l’espace22, il semble que la tradition géographique grecque ait exercé une influence décisive sur la manière dont ils apprenaient à regarder le monde habité : la notion d’oikoumenè, plus qu’une notion géographique, était un symbole de l’idéologie de la domination universelle, à la fois sur les territoires et sur les populations23. Le iie siècle représente le zénith d’une ambition impériale et oecuménique romaine, mise en avant très souvent par le discours des panégyristes latins ou grecs comme Aelius Aristide24. Examiné sous cet angle, le discours géographique apparaît comme une appropriation et actualisation romaine des idées et catégories de la pensée géographique du monde

19 Arrien, Ind. 5, 7-10. 20 Arrien, Ind., 7, 4-9 : σιτέεσθαι δὲ καὶ τῶν θηρίων ὅσα ἕλοιεν ὠμοφαγέοντας, πρίν γε δὴ Διόνυσον ἐλθεῖν ἐς τὴν χώρην τῶν Ἰνδῶν. Διόνυσον δὲ ἐλθόντα, ὡς καρτερὸς ἐγένετο Ἰνδῶν, πόληάς τε οἰκίσαι καὶ νόμους θέσθαι τῇσι πόλεσιν, οἴνου τε δοτῆρα Ἰνδοῖς γενέσθαι κατάπερ Ἕλλησι, καὶ σπείρειν διδάξαι τὴν γῆν διδόντα αὐτὸν σπέρματα… « [Les Indiens] se nourrissaient aussi des bêtes sauvages qu’ils avaient prises à la chasse et dont ils mangeaient la chair crue, avant la venue de Dionysos en Inde. Mais, après son arrivée, comme il avait soumis les Indiens, fondé des cités, donné des lois à ces cités, fait don du vin aux Indiens comme il l’avait fait pour les Grecs, il leur avait donné des semences et leur avait appris à ensemencer la terre […] » (P. Savinel (trad.), Arrien. Histoire d’Alexandre, Paris, 1984). 21 Jacob, La description de la terre…, p. 12. Voir aussi P.Payen, « Rhétorique et géographie dans les Questions romaines et Questions grecques de Plutarque », dans P. Payen (éd.), Plutarque : Grecs et Romains en Questions, Entretiens d’Archéologie et d’Histoire 4, 1998, p. 39-73, ainsi que I. Xydopoulos, « Alexander’s historians and the Alexander Romance : a comparative study of the representation of India and Indians », dans H. P. Ray, D. T. Potts (éd.), Memory as History : The Legacy of Alexander in Asia, New Dehli, 2007, p. 19-27, part. p. 21. 22 Voir R. Talbert, K. Brodersen (éd.), Space in the Roman World. Its Perception and Presentation, Münster, 2004. 23 Dueck, Geographie in der antiken Welt…, p. 12. 24 K. Buraselis, « Aelius Aristides als Panegyriker und Mahner. Von Theorie und Praxis des politisch-sozialen Gleichgewichts im griechischen Osten der Kaiserzeit », dans W. Schuller (éd.), Politische Theorie und Praxis im Altertum, Darmstadt, 1998, p. 183-203 ; L. Pernot, Éloges grecs de Rome, Paris, 1997.

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hellénophone, ou comme un instrument de la mise sous contrôle de l’orbis terrarum au service de l’Empire25.

Arrien entre tradition et invention Arrien est l’un des passeurs les plus éminents de la paideia de son temps26 : à la fois homme d’action et de pensée, bénéficiant d’une expérience militaire et administrative aux niveaux local et impérial, il est exposé aux courants intellectuels et politiques de son époque. Qui plus est, il ne se contente pas d’être un simple réceptacle de la sagesse de son temps, mais il s’efforce d’intervenir activement dans ses évolutions. Quand Arrien entreprend de composer sa description de l’Inde, il s’inscrit dans la longue série des Indographes qui oscillent entre imagination et autopsie. Ainsi, l’expédition d’Alexandre en Asie représente une césure dans les récits sur l’Inde27 : Arrien, historien d’Alexandre et auteur d’une Anabase, se sent obligé d’entrer dans ce choeur des Indographes, et même de dédier une monographie entière à la présence et au mouvement de l’armée macédonienne, intitulée l’Indikè. Considérant que ce pays mérite d’être examiné à part, il rédige en tant qu’annexe à l’Anabase une description de l’Inde28. Le texte d’Arrien présente un double caractère ; la première partie (§ 1-17) rapporte la description propre du pays, les nomima (usages) de ses populations et les atopa (bizarreries) d’un paysage exotique. La deuxième partie, la plus longue (§ 18-43), est dédiée à la marche de l’armée d’Alexandre, depuis la frontière extrême de l’expansion macédonienne au nord-est (c’est-à dire aux bords du fleuve Hyphase,

25 C. Nicolet, « L’Empire romain : espace, temps et politique », Ktèma 8, 1983, p. 163-172 ; C. R. Whittaker, Rome and its Frontiers : The Dynamics of Empire, Londres, 2004 ; A. Mastino, « Orbis, Kosmos, Oikoumene : aspetti spaziali dell’ idea di Impero universale da Augusto a Teodosio », dans Da Roma alla Terza Roma. III : Popoli e spazio romano tra dirito e profezia, Naples, 1986, p. 63-162 ; H.-J. Gehrke, « Antiche rappresentazioni dello spazio e imperialismo romano », Geographia Antiqua, 16-17, 2007-2008, p. 61-72. 26 Sur certains aspects de la paideia pendant cette période, voir S. Lalanne, Une éducation grecque : rites de passage et construction des genres dans le roman grec ancient, Paris, 2006. 27 Voir A. B. Bosworth, Alexander and the East. The Tragedy of Triumph, Oxford, 1996, ainsi que Karttunen, India and the Hellenistic World…, p. 95-99 ; P. F. Mittag, « Das Indienbild des Ptolemaios », Geographia Antiqua, 19, 2010, p. 25-35, part. 25-27 ; V. Bucciantini, « Geographical Description and Historical Narrative in the Tradition on Alexander’s Expedition », dans Bianchetti, Cataudella, Gehrke (éd.), Brill’s Companion to Ancient Geography…, p. 98-109 ; H.-J. Gehrke, « The revolution of Alexander : Old and New in the World’s View », dans Bianchetti, Cataudella, Gehrke (éd.), Brill’s Companion to Ancient Geography…, p. 78-97. 28 Ainsi l’Indikè d’Arrien devient-elle, peut-être avec la Germania de Tacite, la seule monographie géographique qui ait été entièrement conservée depuis l’Antiquité. Par ailleurs, il est intéressant de signaler que le titre d’Indikè renvoie à une approche géographique, et non pas historique comme l’Anabase, même si dans ce dernier ouvrage l’espace et le mouvement (puisque le terme anabasis signifie la montée) jouent un rôle considérable : Ch. Jacob, « Alexandre et la maîtrise de l’espace. L’art du voyage dans l’Anabase d’Arrien », Quaderni di Storia, 34, 1991, p. 5-40.

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affluent de l’Indus) en direction du sud, à travers la vallée de l’Indus, et jusqu’à l’Océan Indien (la « mer extérieure » des Anciens), puis finalement vers l’ouest, le long de la côte septentrionale de ce que nous appelons aujourd’hui le Golfe Persique, et qui est très souvent appelé Mer Erythrée par les auteurs anciens. Μême si l’empire achéménide avait essayé de contrôler ces régions, à l’époque d’Alexandre, cette dernière partie de l’expédition se faisait pour l’essentiel en terra incognita, tout comme la traversée du continent indien entre l’Indus et le Gange, qui ne fut bien connu qu’après Alexandre. L’expédition militaire du Macédonien avait eu en effet comme résultat une double exploration géographique, terrestre et navale, dont le rapport final, notamment le Périple de l’Inde par Néarque, était largement connu et estimé dans l’antiquité29. Ce qui est remarquable dans le texte d’Arrien, c’est qu’aussi bien dans sa description générale du pays (§ 1-17) que dans la dernière partie dédiée au littoral de l’océan Indien (§ 26-40), il utilise presqu’exclusivement des sources des ive et iiie siècles av. J.-C., c’est-à-dire Néarque, Onésicrite, Mégasthène et Ératosthène. À quelques exceptions près30, il ne fait aucune allusion aux connaissances acquises sur la topographie de cette région depuis les savants de l’Égypte lagide, pas même ses contemporains, Hippale, Eudoxe de Cyzique, Strabon, Pomponius Mela, Pline, Marin de Tyr et Claude Ptolémée31. En d’autres mots, alors que le monde romain est présent dans le reste de l’œuvre d’Arrien32, il n’y a ici aucune reférence explicite aux côtes et aux ports connus depuis l’époque d’Auguste33. C’est encore plus intéressant si on considère le fait que son ouvrage Périple du Pont Euxin, de nature également géographique, est beaucoup plus proche des réalités de l’Empire romain34. On a ainsi

29 Voir D. Marcotte, D’Arrien à William Vincent : le Périple de Néarque et sa postérité, Florence, 2014 ; V. Bucciantini, Studio su Nearco di Creta : Dalla descrizione geografica alla narrazione storica, Alessandria, 2015. 30 Voir Arrien, Ind., 2, 6-8 ; 4, 15-16 ; 8, 9. 31 Par exemple, est passé sous silence le port de Barygaza, mentionné par le Périple du Pont Euxin, 41, 47, par Claude Ptolémée, 7, 1, 62, ainsi que par Pline, Histoire naturelle, 6, 100-106, qui donne une description complète de la route entre l’Égypte et l’Inde, mais aussi des comptoirs romains qui se trouvent dans le sud de l’Inde. Voir aussi Mittag, Das Indienbild des Ptolemaios… p. 25, à propos de l’image de l’Inde chez Claude Ptolémée, et E. Seland, « Ports, Ptolemy, Periplus and Poetry – Romans in Tamil South India and on the Bay of Bengal », in E. Seland (éd.), The Indian Ocean in the Ancient Period. Definite Places, translocal exchange, Oxford, 2007, p. 69-82. 32 Voir G. Parker, The Making of Roman India, Cambridge, 2008, p. 72. Voir aussi J. Carlsen, « Greek History in a Roman Context : Arrian’s Anabasis of Alexander », dans J. Majbom, J. Madsen, R. Rees (éd.), Roman Rule in Greek and Latin Writers : Double Vision, Leyde, 2014, p. 210-223, et T. Howe, « Arrian and Romans’ Military Tactics : Alexander’s Campaigns against the Autonomous Thracians », dans T. Howe, E. Garvin, G. Wrightson (éd.), Greece, Macedon and Persia : Studies in Social, Political and Military History in Honour of Waldemar Heckel, Oxford, 2015, p. 87-93. 33 Voir G. Pollet, G. van Damme, F. Depuydt (éd.), Corpus topographicum Indiae antiquae. III. Indian toponyms in ancient Greek and Latin texts, Louvain, 2014. 34 A. Liddle, Arrian : Periplus Ponti Euxini … p. 24. Voir aussi D. Braund, « Greek geography and Roman empire. The transformation of tradition in Strabo’s Euxine », dans D. Dueck, H. Lindsay, S. Pothecary (éd.), Strabo’s Cultural Geography. The making of a kolossourgia, Cambridge, 2005, p. 216-234.

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l’impression d’avoir à faire à une éclipse de l’orbis Romanus du iie siècle ap. J.-C. en faveur de l’oikouménè grecque des ive-iiie siècle av. J.-C35.. Dans une certaine mesure, cela s’explique, puisque les régions du Périple de l’Inde n’ont jamais fait partie de l’Empire romain. Cependant, de la part d’un étudiant studieux, officier de l’armée romaine et haut fonctionnaire de l’administration de l’Empire comme Arrien, on s’attendrait à une description plus attentive aux progrès effectués sous l’Empire dans le domaine des connaissances géographiques. À mon avis, la question qui se pose est : quelle conception de l’espace Arrien voulait-il développer et pour quelles raisons ? En outre, s’agit-il là d’une démarche personnelle ou doit-on reconnaître une influence du milieu social et culturel auquel il appartenait ? En dernier lieu, à quel public s’adressait-il et quels moyens avait-il à sa dispostion pour transmettre ses idées à une époque où s’étaient systématisées et intensifiées les filières d’enseignement, la mobilité des personnes et les mises en réseaux au sein de l’Empire36 ? Les premières informations que nous ayons sur la composition de l’Indikè se trouvent dans l’Anabase. Dans cet ouvrage, Arrien explique brièvement le caractère de la monographie qu’il a l’intention d’écrire après l’achèvement de l’Anabase37 : Τοῦτον τὸν ποταμὸν τὸν Ἰνδὸν ὑπὸ τὴν ἕω διέβαινε ξὺν τῇ στρατιᾷ Ἀλέξανδρος ἐς τῶν Ἰνδῶν τὴν γῆν· Ὑπὲρ ὧν ἐγὼ οὔτε οἷστισι νόμοις διαχρῶνται ἐν τῇδε τῇ συγγραφῇ ἀνέγραψα, οὔτε ζῷα εἰ δή τινα ἄτοπα ἡ χώρα αὐτοῖς ἐκφέρει, οὔτε ἰχθύας ἢ κήτη ὅσα ἢ οἷα ὁ Ἰνδὸς ἢ ὁ Ὑδάσπης ἢ ὁ Γάγγης ἢ οἱ ἄλλοι Ἰνδῶν ποταμοὶ φέρουσιν, οὐδὲ τοὺς μύρμηκας τοὺς τὸν χρυσόν σφισιν ἐργαζομένους, οὐδὲ τοὺς γρῦπας τοὺς φύλακας, οὐδὲ ὅσα ἄλλα ἐφ’ ἡδονῇ μᾶλλόν τι πεποίηται ἢ ἐς ἀφήγησιν τῶν ὄντων, ὡς τά γε κατ’ Ἰνδοὺς ὅσα ἂν ἄτοπα ψεύσωνται, οὐκ ἐξελεγχθησόμενα πρὸς οὐδαμῶν. Ἀλλὰ Ἀλέξανδρος γὰρ καὶ οἱ ξὺν τούτῳ στρατεύσαντες τὰ πολλὰ ἐξήλεγξαν, ὅσα γε μὴ καὶ αὐτῶν ἔστιν οἳ ἐψεύσαντο. Alexandre franchit à l’aube ce fleuve Indus avec son armée, en direction du territoire des Indiens. Dans le présent ouvrage d’histoire, je n’ai pas mentionné les lois qu’ils observaient, ni les animaux étranges que produit leur pays, ni la taille ou l’espèce des poissons ou des monstres aquatiques que produisent l’Indus, l’Hydaspe, le Gange ou d’autres fleuves indiens, ni les fourmis qui extraient l’or pour ellesmêmes, ni les griffons qui montent la garde, ni quantité d’autres choses qui sont plutôt forgées pour distraire que pour décrire la réalité, vu que, si nombreuses que soient les histoires absurdes forgées de toutes pièces sur les Indiens, elles ne sont pas destinées à trouver quelqu’un qui les vérifie. Cependant, Alexandre et ceux qui firent campagne avec lui en ont vérifié le plus grand nombre, sauf que parmi eux il s’est trouvé des menteurs.

35 Voir E. L. Bowie, « Greeks and their Past in the Second Sophistic », Past and Present, 46, 1970, p. 3-41. 36 Les voyages des empereurs illustrent cette dynamique : A. Hostein, S. Lalanne (éd.), Les voyages des empereurs dans l’Orient Romain. Époques Antonine et Sévérienne, Arles, 2012. 37 Arrien, Anabase, 5, 4, 3-5. Toutes les traductions qui suivent sont celles de P. Savinel (trad.), Arrien. Histoire d’Alexandre, Paris, 1984.

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et, plus loin38 : Ἀλλὰ ὑπὲρ Ἰνδῶν ἰδίᾳ μοι γεγράψεται ὅσα πιστότατα ἐς ἀφήγησιν οἵ τε ξὺν Ἀλεξάνδρῳ στρατεύσαντες καὶ ὁ ἐκπεριπλεύσας τῆς μεγάλης θαλάσσης τὸ κατ’Ἰνδοὺς Νέαρχος, ἐπὶ δὲ ὅσα Μεγασθένης τε καὶ Ἐρατοσθένης, δοκίμω ἄνδρε, ξυνεγραψάτην, καὶ νόμιμα ἅττα Ἰνδοῖς ἐστι καὶ εἰ δή τινα ἄτοπα ζῷα αὐτόθι φύεται καὶ τὸν παράπλουν αὐτὸν τῆς ἔξω θαλάσσης. νῦν δὲ ὅσον ἐς τὰ Ἀλεξάνδρου ἔργα ἀποχρῶν ἐφαίνετο, τοσόνδε μοι ἀναγεγράφθω· D’ailleurs, j’ai l’intention de consacrer aux Indiens un ouvrage particulier, où prendront place les récits les plus dignes de foi des compagnons d’armes d’Alexandre, mais aussi de Néarque, qui a longé avec sa flotte la côte de la Grande Mer dans sa partie indienne, ainsi que ce qu’ont écrit Mégasthène et Ératosthène, tous deux écrivains estimés ; j’étudierai aussi les coutumes des Indiens, les animaux étranges que produit cette contrée et la navigation elle-même le long du littoral de la mer Extérieure ; mais, pour le moment, j’ai jugé qu’il me suffisait de consigner ce qui se rapporte aux « travaux » d’Alexandre. Arrien juge comme les auteurs les plus dignes de foi Néarque, Mégasthène et Ératosthène, conscient du fait que maints de ses prédécesseurs ont manipulé la géographie pour des raisons politiques39, par exemple la situation du Caucase, déplacé vers l’est afin qu’Alexandre y découvre le lieu où Prométhée avait été enchaîné : « En Bactriane, il rejoint le Paropamisos, appelé Caucase par les Macédoniens de l’expédition d’Alexandre, pour grandir, dit-on, les haut faits d’Alexandre, comme si Alexandre avait porté ses armes victorieuses jusqu’à l’extrémité du Caucase40. » C’est la raison pour laquelle Arrien montre la plus grande vigilance quant à la fiabilité de ses sources. Sa référence la plus fréquente pour les questions de géographie est Ératosthène de Cyrène, auteur du iiie siècle av. J.-C., qui était aussi cartographe41. À côté d’Ératosthène, Arrien considère comme des sources fiables Néarque, le compagnon d’Alexandre, ainsi que Mégasthène, l’ambassadeur de Séleucos Ier à la cour du roi indien Sandrokottos42, tandis que l’autre compagnon d’Alexandre, Onésicrite, ainsi que Ctésias, se voient plutôt disqualifiés. Ce qui est remarquable est qu’Arrien ne mentionne pas Strabon, le géographe-philosophe de l’époque augustéenne, auteur d’une géographie mondiale qu’Arrien connaissait sans doute43. La raison en est peut-être que Strabon avait sévèrement critiqué la carte d’Ératosthène.

38 Arrien, Anabase, 5, 5,1-3. 39 Jacob, « L’Inde imaginaire… », p. 71. Sur les sources historiographiques d’Arrien, voir T. Howe, « Alexander in India : Ptolemy as Near Eastern Historiographer », dans T. Howe, J. Reames (éd.), Macedonian Legacies. Studies in Ancient Macedonian History and Culture in Honor of E. N. Borza, Claremont (CA), 2008, p. 215-233. 40 Anabase, 5, 5, 3 (à comparer à 5, 3, 1-3). 41 Indikè, 3, 1-3 : Ἐμοὶ δὲ Ἐρατοσθένης ὁ Κυρηναῖος πιστότερος ἄλλου ἔστω, ὅτι γῆς περιόδου πέρι ἔμελεν Ἐρατοσθένει, « Qu’on me permette de tenir Eratosthène de Cyrène pour un guide particulièrement sûr, car Eratosthène était géographe. » 42 Indikè, 17, 6-7. 43 Il semble que Strabon renvoie au texte de Néarque d’une manière plus fidèle qu’Arrien, qui prend avec lui une certaine liberté : voir P.-O. Leroy, « Le Néarque de Strabon », Geographia antiqua, 22, 2013, p. 43-57, part. p. 57.

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Pourtant, c’est précisément Strabon qui avait posé le problème de la relation entre géographie et pouvoir et qui considérait que la géographie était indispensable pour gouverner et conquérir de nouveaux territoires44. Cela s’inscrivait dans un schéma évolutionniste et positiviste élaboré par Polybe45, qui voulait que l’histoire de l’Empire romain correspondît à un dévoilement général du monde et à un progrès continu de sa connaissance46. Il est vrai que, pendant le ier siècle ap. J.-C., cet univers s’était stabilisé, mais avec Trajan, au début du iie siècle ap. J.-C., l’Empire reprit ses activités militaires et atteint alors sa plus grande expansion. Au iie siècle ap. J.-C., à cause des Parthes, le front oriental de l’Empire s’ouvre de nouveau et la description de l’Orient est plus que jamais actuelle et nécessaire. Entre la mer Noire et la mer Rouge, les intérêts militaires et économiques romains imposent une réévaluation des connaissances du terrain. C’est aussi dans ce but qu’Arrien a rédigé son Périple du Pont Euxin pour l’empereur Hadrien. Par conséquent, la question qui se pose ici est de savoir si l’Inde entrait dans ce schéma élaboré par Polybe et Strabon et adopté jusqu’à un certain point par Arrien47. La description de ce pays se heurtait toujours à l’obstacle de son éloignement par rapport au monde méditerranéen. Les informations accumulées par les écrivains et les voyageurs avaient fini par faire de ce pays un espace littéraire. Arrien en est conscient quand il décide de rédiger son texte en ionien, un dialecte grec employé par les logographes, les historiographes et les philosophes ioniens du ve siècle av. J.-C., dont Hérodote48. Par ailleurs, Arrien qualifie son oeuvre de logos, l’inscrivant ainsi dans cette tradition49. Or ce qui était une question de forme finit par devenir une affaire de contenu et de méthode. Même si Arrien condamne toute information fondée sur un ouï-dire,

44 Voir Strabon 1, 1. 45 Polybe, 3, 59, 1-9 : Ἐν δὲ τοῖς καθ’ ἡμᾶς τῶν μὲν κατὰ τὴν Ἀσίαν διὰ τὴν Ἀλεξάνδρου δυναστείαν τῶν δὲ λοιπῶν τόπων διὰ τὴν Ῥωμαίων ὑπεροχὴν σχεδὸν ἁπάντων πλωτῶν καὶ πορευτῶν γεγονότων. « De nos jours, l’Asie est accessible par les voies terrestres et maritimes grâce aux conquêtes d’Alexandre, tandis que tout le reste du monde l’est par la vertu des Romains. » 46 Cela a déjà été remarqué par Jacob, « L’Inde imaginaire… », p. 75. 47 On peut citer ici les ambassades indiennes auprès des empereurs romains (Tacite, Annales,14, 25), ainsi que la présence d’une communauté indienne à Alexandrie (Dion de Pruse, Or. 32, 40 ; Xénophon d’Ephèse, Ephésiaques 3, 11). 48 Sur la valeur politique de l’usage de l’ionien au iie s. ap. J.-C., voir G. Zecchini, « Modelli e problemi teorici della storiografia nell’età degli Antonini », Critica storica, 20, 1983, p. 3-31 ; voir aussi J. Lightfoot, Lucian, On the Syrian Goddess : Edited with Introduction, Translation, and Commentary, Oxford 2003, p. 93-95, ainsi que Priestley, Herodotus and Hellenistic Culture… 49 Arrien, Ind., 17, 6-7 : Ταῦτά μοι ἀπόχρη δεδηλῶσθαι ὑπὲρ Ἰνδῶν, ὅσα γνωριμώτατα Νέαρχός τε καὶ Μεγασθένης, δοκίμω ἄνδρε, ἀνεγραψάτην, ἐπεὶ οὐδὲ ἡ ὑπόθεσίς μοι τῆσδε τῆς συγγραφῆς τὰ Ἰνδῶν νόμιμα ἀναγράψαι ἦν, ἀλλ’ ὅπως γὰρ παρεκομίσθη Ἀλεξάνδρῳ ἐς Πέρσας ἐξ Ἰνδῶν ὁ στόλος· ταῦτα δὲ ἐκβολή μοι ἔστω τοῦ λόγου. « On me permettra de m’en tenir là dans ma description des Indiens, concernant les aspects les plus importants que Néarque et Mégasthène, deux auteurs éprouvés, ont rapportés ; cependant, puisque le but du présent ouvrage n’était pas de décrire les coutumes indiennes, mais la façon dont la flotte d’Alexandre a gagné la Perse à partir de l’Inde, on doit considérer tout ce qui précède comme une digression de ma narration. »

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une akoè, quand il se pose par exemple la question de la source des fleuves50, même en insistant sur les nomima (usages), il finit par fournir une liste des atopa (bizarreries), des thaumasia (prodiges) et des choses remarquables s’y rapportant. Dans les dix-sept paragraphes de l’Indikè qui étaient censés décrire géographiquement le pays, est proposée une série de fiches de lecture sur les sujets les plus divers : orographie et montagnes (§ 2) ; surfaces et dimensions (§ 3,1-3,8) ; hydrographie et fleuves (§ 3,9-5,2) ; météorologie et climat (§ 6,4-6,8) ; zoologie et animaux remarquables (§ 6,8 ; 6,13-15) ; histoire et mythes du pays, ethnologie et sociologie, physiologie des peuples et coutumes étranges, dont la classification de la société indienne en castes, la place des femmes et l’absence des esclaves (§ 6,9-12 ; 6,16-17)51. Arrien insiste particulièrement sur la description des fleuves indiens, qui deviennent des points de repère pour la marche d’une armée, rendant le paysage plus « réel » et par conséquent plus facile à contrôler. Qui plus est, il s’attarde sur un sujet qui lui est cher, la chasse (§ 13-14), et décrit d’une manière détaillée la chasse aux éléphants, ainsi que la pêche à la perle52, qui est pour lui une sorte de chasse. Sa description de la chasse aux éléphants est la plus détaillée et la plus instructive dont on dispose depuis l’Antiquité, et on a l’impression que cet animal emblématique de l’Inde, si utile sur le champ de bataille, suscite le plus grand intérêt chez Arrien53. Il semble également qu’Arrien ait manqué l’occasion d’actualiser et rationaliser les connaissances disponibles sur l’Inde ; même s’il professe le contraire, il s’est laissé piéger par l’intertextualité de ses sources et par sa connaissance littéraire de l’Inde54. C’est une démarche que l’on peut rapprocher de la façon dont Élien, contemporain d’Arrien et auteur d’une Histoire variée bigarrée ainsi que d’une Histoire des Animaux, présente son matériel. Il s’agit plutôt d’une épitomè des connaissances disponibles sur le sujet, réparties en différentes rubriques, selon une méthode déjà utilisée par Strabon et par Pline l’Ancien55. Or il ne faut pas oublier que la Seconde Sophistique est une période d’imitation et de réactivation des paradigmes du passé56. La notion fondamentale sous-jacente

50 Arrien, Ind., 5, 1-2 : Τὸ δὲ αἴτιον ὅστις ἐθέλει φράζειν τοῦ πλήθεός τε καὶ μεγέθεος τῶν Ἰνδῶν ποταμῶν, φραζέτω· ἐμοὶ δὲ καὶ ταῦτα ὡς ἀκοὴ ἀναγεγράφθω. « Toute personne qui désire expliquer le nombre et la grandeur des fleuves indiens le fasse : dans ce cas, on pourra tenir ce que j’ai rapporté pour de simples on-dit » Cf. Strabon, I, 2 : Δεῖ δ’εὐγνωμόνως ἀκούειν περὶ αὐτῆς [sc. τῆς Ἰνδικῆς] « Il faut écouter avec indulgence ce que l’on entend dire de l’Inde. » 51 Cette catégorisation pourrait remonter à Néarque ; voir Leroy, « Le Néarque de Strabon », p. 14. 52 Arrien, Ind., 8, 8-13. 53 Cf. Strabon, 1, 43. 54 Voir J. André, J. Filliozat, L’Inde vue de Rome. Textes latins de l’Antiquité relatifs à l’Inde, Paris, 1986 ; Parker, The Making of Roman India… ; P. Schneider, L’Éthiopie et l’Inde. Interférences et confusions aux extrémités du monde antique, Paris, 2007. 55 Leroy, Strabon, Livre XV…, p. lxix, n. 176. 56 Bowie, « Greeks and their Past in the Second Sophistic »… ; Whitmarsh, The Second Sophistic, Oxford, 2005, p. 1 ; R. Webb, « Fiction, Mimesis and the Performance of the Greek Past in the Second Sophistic », dans D. Konstan, S. Said (éd.), Greeks on Greekness : Viewing the Greek Past under the Roman Empire, Cambridge, 2006, p. 27-46 ; J. Marincola, Authority and Tradition in Ancient Historiography, Cambridge, 1997, p. 253-254 ; Marcotte, « Néarque d’Arrien à Alexandre »…, p. 8.

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au texte de l’Indikè est celle de στρατηλασίη, d’expédition militaire, une notion qui renvoie au récit d’Hérodote décrivant la marche de l’armée perse57. Arrien relève le fait que l’expédition militaire constitue le moyen le plus sûr de se faire une idée précise concernant un pays58. C’est la raison pour laquelle il insiste sur les préalables et les motivations d’une telle entreprise, qui, pour lui, n’a pas seulement pour but l’extension d’un empire. L’exemple des Perses illustre le fait que ce type d’expédition ne peut se faire qu’à l’aide d’une éducation (paideusis) appropriée59. En fait, la constitution d’un empire est une question d’éducation et d’apprentissage au sens large du terme : à l’origine d’une telle entreprise, Arrien évoque le pothos d’Alexandre, son désir de découvrir le monde, sa volonté d’apprendre et de repousser les frontières60 : Νεάρχῳ δὲ λέλεκται ὑπὲρ τούτων ὅδε ὁ λόγος. πόθον μὲν εἶναι Ἀλεξάνδρῳ ἐκπεριπλῶσαι τὴν θάλασσαν τὴν ἀπὸ Ἰνδῶν ἔστε ἐπὶ τὴν Περσικήν. Voici ce que dit Néarque à propos de cette navigation : Alexandre avait un vif désir de faire traverser à sa flotte la mer qui s’étend de l’Inde au golfe Persique. C’est précisément ce sentiment que, dans le récit de Thucydide, les jeunes Athéniens partageaient à la veille de l’expédition navale en Sicile, expédition entreprise en partie en raison de leur ardent désir de voir (opsis) et de découvrir (théoria) des pays lointains (πόθῳ ὄψεως καὶ θεωρίας)61. Ainsi Arrien donne à l’exploration géographique la dimension d’une poursuite quasi érotique62. Or éducation, érotisme et exotisme sont les axes narratifs des romans grecs contemporains de l’époque d’Arrien, comme Chairéas et Callirhoé, même si l’Inde n’est jamais un pays d’aventures pour les jeunes héros de roman, du 57 Voir par exemple Hérodote, 7, 138, 1 ; à comparer avec Arrien, Anab., 5,4, 5 (voir plus bas). Voir aussi G. Bowersock, « Herodotus, Alexander, and Rome », The American Scholar, 58, 1989, p. 407-414 ; J. Z. Van Rookhuijen, Herodotus and the topography of Xerxes’ Invasion. Place and Memory in Greece and Anatolia, Leyde, 2016. 58 Voir D. Marcotte, « La contribution des campagnes militaires du début de l’époque impériale aux sciences de l’espace », dans L’Homme et la science. Actes du xvie Congrès de l’Association Guillaume Budé (Montpellier, 2008), Paris, 2011, p. 313-324. 59 Arrien, Anab., 5,4, 5 : Τὸ γὰρ Περσῶν τῶν πάλαι, ξὺν οἷς ὁρμηθεὶς Κῦρος ὁ Καμβύσου Μήδους τε τὴν ἀρχὴν τῆς Ἀσίας ἀφείλετο καὶ ἄλλα ἔθνη τὰ μὲν κατεστρέψατο, τὰ δὲ προσχωρήσαντά οἱ ἑκόντα κατέσχεν, οὐκ ἔχω ἀτρεκῶς ὥς γε δὴ πρὸς τὰ Ἰνδῶν ξυμβαλεῖν. Καὶ γὰρ καὶ Πέρσαι τότε πένητές τε ἦσαν καὶ χώρας τραχείας οἰκήτορες, καὶ νόμιμά σφισιν ἦν οἷα ἐγγυτάτω εἶναι τῇ Λακωνικῇ παιδεύσει. « Car je ne peux légitimement faire de comparaison avec les anciens Perses avec lesquels Cyrus, fils de Cambyse, partit à l’attaque des Mèdes et leur ravit l’empire de l’Asie, puis conquit d’autres nations, soumettant les unes par la force, tandis que les autres se donnaient volontairement à lui. C’est qu’aussi bien les Perses de ce temps-là étaient pauvres, habitaient dans une contrée hérissée de rochers, et se rapprochaient beaucoup, par leurs coutumes, de l’éducation spartiate. » À travers cette dernière phrase on mesure l’influence de Xénophon, imité par Arrien. 60 Arrien, Ind., 20, 1. Cf. Arrien, Anab. 6, 24, 2-3. Sur pothos voir H. Tonnet, Recherches sur Arrien, sa personnalité et ses écrits atticistes, Amsterdam, 1987, p. 468-469. 61 Thucydide, 6, 24, 3. 62 À comparer à la technique narrative des romanciers : voir T. Whitmarsh, Narrative and Identity in the Ancient Greek Novel : Returning Romance, Cambridge, 2011, chapitre 4 : « Pothos », p. 139-175.

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moins pour ceux qui nous sont connus. On peut se demander si ce pays n’était pas à ce point identifié à Alexandre qu’aucun romancier n’aurait osé y faire évoluer ses jeunes héros63.

Savoirs géographiques grecs et art romain de l’administration Comme je l’ai déjà mentionné, le ier et le iie siècles ap. J.-C. représentent une période d’imitation et de réactivation des exemples du passé. L’un après l’autre, les grands conquérants de l’Inde essaient de surpasser leurs prédécesseurs, parmi lesquels le couple Dionysos-Alexandre constitue une référence obligée64. Il semble que plus le mythe d’Alexandre évolue, plus il acquiert de traits dionysiaques ; de même, plus on avance vers l’époque hellénistique et romaine, plus Dionysos est lié à la conquête de l’Inde65. Arrien, dans sa description de l’Inde, indique avec insistance les vestiges et les souvenirs (mnèma, hypomnèmata) laissés dans le paysage par la conquête de Dionysos et d’Héraclès66. Il est intéressant ici de faire une comparaison avec Strabon, qui se montre plus exigeant par rapport à l’historicité de la conquête dionysiaque de l’Inde : Strabon n’admet aucun tekmèrion, aucune preuve du passage de Dionysos et d’Héraclès67. Au contraire, Arrien, qui par ailleurs passe sous silence l’œuvre de Strabon, accepte la présence des mnèmata et hypomnèmata, des monuments et des réminiscences d’un passé mythique et héroïque, inscrits dans le paysage68. Il s’agit à la fois d’une 63 Je remercie E. L. Bowie pour cette remarque. 64 Arrien, Ind., 5, 4-6. 65 Voir aussi Arrien, Anab. 7, 20. Sur Alexandre et Dionysos, je me permets de renvoyer à E. Koulakiotis, « Plutarch’s Alexander, Dionysos and the Metaphysics of Power », dans T. Howe, S. Müller, R. Stoneman (éd.), Ancient Historiography on War and Empire, Oxford, 2017, p. 226-249. 66 Arrien, Ind. 5, 7-10 : ἀλλὰ Ἀλέξανδρον γὰρ στρατεῦσαι ἐπ’ Ἰνδοὺς μοῦνον. Καὶ πρὸ Ἀλεξάνδρου Διονύσου μὲν πέρι πολλὸς λόγος κατέχει ὡς καὶ τούτου στρατεύσαντος ἐς Ἰνδοὺς καὶ καταστρεψαμένου Ἰνδούς, Ἡρακλέος δὲ πέρι οὐ πολλός. Διονύσου μέν γε καὶ Νῦσα πόλις μνῆμα οὐ φαῦλον τῆς στρατηλασίης, καὶ ὁ Μηρὸς τὸ ὄρος, καὶ ὁ κισσὸς ὅτι ἐν τῷ ὄρει τούτῳ φύεται, καὶ αὐτοὶ οἱ Ἰνδοὶ ὑπὸ τυμπάνων τε καὶ κυμβάλων στελλόμενοι ἐς τὰς μάχας, καὶ ἐσθὴς αὐτοῖσι κατάστικτος ἐοῦσα, κατάπερ τοῦ Διονύσου τοῖσι βάκχοισιν· Ἡρακλέος δὲ οὐ πολλὰ ὑπομνήματα. « C’est donc uniquement Alexandre, en effet, qui a conduit une expédition contre les Indiens. Et, avant Alexandre, Dionysos, selon une tradition très répandue, aurait lui aussi conduit une expédition en Inde et soumis les Indiens ; au sujet d’Héraclès, nous ne savons pas grand-chose. Assurément, la cité de Nysa est elle-même un souvenir non négligeable de l’expédition de Dionysos, de même que le mont Méros et le lierre qui pousse sur cette montagne ; de même le fait que les Indiens aillent au combat au son des tambourins et des cymbales et le fait que leur tenue soit mouchetée comme celle des bacchants de Dionysos. Mais pour Héraclès, on n’a pas beaucoup de souvenirs. » 67 Strabon, 15, 1, 9 : Μηδὲν ἔχειν τεκμήριον δεικνύναι τῆς ἐκείνων [sc. Ἡρακλέους δὲ καὶ Διονύσου] ὁδοῦ διὰ τῆς σφετέρας γῆς. « Il est impossible de présenter la moindre trace de l’éventuel passage de ces derniers [sc. Héraclès et Dionysos] sur leur territoire. » 68 Sur le témoignage numismatique, voir S. Bhandare, « Not just a Pretty Face : Interpretations of Alexander’s Numismatic Imagery in the Hellenic East », in H. P. Ray, D. T. Potts (éd.), Memory as History : The Legacy of Alexander in Asia, New Dehli, 2007, p. 208-256 ; Sur l’habitude romaine de dresser des « monuments » pour indiquer les mesures et les distances, voir A. Kolb, « The Romans and the

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historicisation et d’une monumentalisation de cette conquête qui se voulait l’acte civilisateur de cette région (voir § 7-9), un acte lui permettant d’intégrer l’oikouménè et, par conséquent, lui permettant de dessiner une région gouvernable. On ne peut pas savoir dans quelle mesure Arrien dépend ici du texte de Néarque, et si cette dimension « historique » que l’Inde acquiert est le fait des prédécesseurs d’Arrien ou d’Arrien lui-même. En revanche, il me semble que ce discours sur les monuments relève d’une approche antiquaire comparable à celle qu’adoptent les périégètes de l’époque d’Arrien, en premier lieu Pausanias, et pour lesquels la présence des monuments garantit la continuité de la mémoire des lieux69. La notion d’archive est essentielle dans cette approche et les monuments y constituent l’archive visible de la mémoire d’un Empire qui se veut précisément œcuménique70. Malgré l’idéologie universaliste de l’Empire71, l’Inde représente pour les Romains la limite imposée à leur puissance comme à la culture des Grecs, puisqu’aucun empereur romain n’a pu y mettre le pied. Or, sous le règne de Trajan, ami proche d’Arrien et imitateur d’Alexandre72, et de même sous le règne d’Hadrien, la frontière semble être de nouveau perméable. Il faut avoir en tête ici que l’empereur Hadrien,

World’s Measure », dans Bianchetti, Cataudella, Gehrke (éd.), Brill’s Companion to Ancient Geography…, p. 223-238 ; K.-H. Hölkeskamp, « In the Web of (Hi-)Stories : Memoria, Monuments, and their Myth-Historical Interconnectedness », dans K. Galinsky (éd.), Memory in Ancient Rome and Early Christianity, Oxford, 2016, p. 169-213. 69 Sur l’Empire en tant que « memoryscape » voir K. Galinsky, K. Lappatin, Cultural Memories in the Roman Empire, Los Angeles, 2016, p. 86-100, part. p. 86. Voir aussi T. Whitmarsh, « The Mnemology of Empire and Resistance : Memory, Oblivion, and periegesis in imperial Greek Culture », dans Galinsky, Lappatin, Cultural Memories in the Roman Empire, p. 49-65, ainsi que le projet ‘Memoria Romana’ dirigé par Karl Galinsky : www.laits.utexas.edu/memoria/, et également S. Benoist, A. Daguet-Gagey, Ch. Hoët-van Cauwenberghe (éd.), Une mémoire en actes : Espaces, figures et discours dans le monde romain, Villeneuve d’Ascq, 2016. 70 Sur l’idée de l’archive, voir J. König, T. Whitmarsh, « Ordering Knowledge », dans J. König, T. Whitmarsh, Ordering Knowledge in the Roman Empire, Cambridge, 2007, p. 3-39, spécialement p. 30, où ils discutent la notion de l’archive selon M. Foucault. 71 Voir Res Gestae Divi Augusti, 31 : Ad me ex India regum legationes saepe missae sunt non visae ante id tempus apud quemquam Romanorum ducem, « Venues de l’Inde, des délégations royales m’ont été envoyées à plusieurs reprises, ce qu’on n’avait jamais vu avant notre époque auprès d’aucun chef militaire romain » ; Properce, 2, 10, 15 : India quin, Auguste, tuo dat colla triumpho, « L’Indien courbe sa tête devant le char triomphal d’Auguste » ; voir aussi à Templum Augusti sur la Tabula Peutingeriana, segm. XII. Sur les ambassades indiennes auprès d’Auguste, voir Strabon, 15, 1, 4 ; Dion Cassius, 54, 9 ; Florus, Epit., 2, 34 ; Sextus Aurelius Victor, Epit. De Caes., 1 ; Orose 6, 21, 19. Sur les aspects idéologiques d’un empire universel et le commerce avec l’Inde, favorisé par Auguste, voir W. Schmitthenner, « Rome and India. Aspects of universal History during the Principate », Journal of Roman Studies, 69, 1979, p. 90-106. Il faut souligner que, outre les Grecs et les Romains, d’autres peuples, comme les Juifs, les Syriens ou les Arabes, ont joué un rôle dans ces échanges : voir par exemple Dion de Pruse, Or. 32, 40. 72 D’après le témoignage de Dion Cassius, 68, 15, Trajan, après sa victoire sur Décébale en 106, reçut à Rome des ambassades παρἁ βαρβάρων ἄλλων τε καἱ Ἰνδῶν, « envoyées par les Indiens et par d’autres peuples barbares ». Sur Alexandre et l’idéologie du Principat, voir L. Pernot, Alexandre le Grand, les risques du pouvoir. Textes philosophiques et rhétoriques, Paris, 2013.

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tout comme Trajan avant lui, se fit représenter en « nouveau Dionysos »73. Il se peut que cette titulature n’ait pas seulement revêtu un caractère local et cultuel restreint, mais qu’elle ait renvoyé à un programme politique plus étendu et à une possible expédition vers l’extrême Orient, peut-être quand les Parthes seraient passés sous le contrôle de Rome74. Pour conclure, il faut rappeler que Didier Marcotte a déjà interprété le récit d’Arrien comme un récit fondé sur l’inspection réalisée par Néarque, comme un état de l’empire sur sa frontière méridionale à l’occasion de l’installation, sur le territoire visité, du nouvel occupant75. De son côté, Pierre Briant a remarqué qu’Arrien insistait sur le degré de civilisation des peuples décrits, sur la présence parmi eux d’indigènes acculturés, sur la mise en valeur des campagnes, aspects qui intéressent tous au premier chef une administration comme l’administration impériale76. En ce sens, il me semble qu’Arrien, stratège et tacticien77 lui-même, amateur de connaissances nouvelles, même s’il n’insiste pas sur les données les plus récentes de la géographie de son temps, cherche à représenter le paysage indien dans des catégories bien connues des Romains78 et de ses contemporains, dans un esprit conforme à l’idéologie de l’Empire et aux courants de la littérature de son temps. Ainsi voulait-il donner à cet espace exotique les traits d’une possible province, mais aussi suggérer que les Romains devaient se montrer les dignes héritiers des Grecs. L’Inde représentait le dernier pas de l’appropriation de cet héritage et un défi que les Romains devraient un jour peut-être relever. Elias Koulakiotis Université de Ioannina

73 Surtout dans le milieu des « technites » de Dionysos : voir par exemple à Ephèse, IEph 275, l. 7-8, où Trajan est présenté en tant que synthronos de Dionysos (σύ[ν]|θρονον τῷ Διονύσῳ ), ainsi que IEph 22, l. 35-37, où Dionysos est lié à Hadrien. Voir S. Aneziri, « World Travellers : The Association of Artists of Dionysus », dans R. Hunter, I. Rutherford (éd.), Wandering Poets in Ancient Greek Culture, Cambridge, 2009, p. 217-236 ; Ph. Harland, Greco-Roman Associations II, Berlin, 2014, p. 276-279 et p. 351-359. 74 Voir Schwarz, « Arrian’s Indike on India… », p. 198, ainsi que Th. Fuhrer, « Inszenierungen von Göttlichkeit. Die politische Rolle von Dionysos/Bacchus in der römischen Literatur », dans R. Schlesier (éd.), A Different God ? Dionysos and Ancient Polytheism, Berlin, 2011, p. 373-389, part. p. 387-388. 75 Marcotte, « Néarque d’Arrien à Alexandre… », p. 13. 76 Briant, Histoire de l’empire perse…, p. 778-779. C’est aussi ce qui aurait motivé la conquête de l’Arabie ; cf. Arrien, Anab. 7, 20 : εἴπερ οὖν καὶ Ἀράβων κρατήσας ἐπιτρέψειεν αὐτοῖς, καθάπερ Ἰνδοῖς, πολιτεύειν κατὰ τὰ σφῶν νόμιμα, « si du moins, après avoir soumis les Arabes, il leur permettait, comme aux Indiens, de se gouverner selon leurs propres coutumes. » 77 Voir S. Lalanne, « Ordre de bataille contre les Alains », traduction française, Annexe à l’article « Arrien philosophe stoïcien », Ktèma 39, 2014, p. 74-85. 78 La description des fleuves indiens par Arrien pourrait renvoyer à l’habitude romaine de présenter dans les triomphes des statues des fleuves qui représentaient les pays conquis ; voir Dueck, « The Augustan Concept of an Empire without Limits… », p. 217.

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Galien et la paideia

La question de la paideia chez Galien est vaste et ne saurait être traitée exhaustivement dans le cadre de cet article*. Nous nous concentrerons donc sur la manière d’interpréter les passages de cet auteur en référence à sa propre formation, pour ensuite aborder ses théories sur l’éducation, l’éducabilité des enfants et discuter enfin l’ambitieux projet pédagogique du médecin pergaménien tel qu’il est livré dans son œuvre elle-même.

Les passages sur sa propre éducation Galien est l’un des auteurs de l’Antiquité les plus loquaces sur leur vie. Au niveau des dates, 129 est la plus couramment retenue pour sa naissance et 216, pour sa mort1. Il est né à Pergame, mais a passé une grande partie de son existence à Rome, où il est peut-être mort. En ce qui concerne ses témoignages « autobiographiques », notamment sur sa propre éducation, nous devons d’abord nous interroger sur la lecture qu’il convient d’en faire. En se penchant sur ces écrits, certains savants se sont livrés à des lectures psychologiques, tandis que d’autres ont isolé les passages de leurs contextes2. A l’heure actuelle, les chercheurs tendent à replacer les extraits dans l’œuvre où ils apparaissent et à rendre compte du contexte social, intellectuel,

* Cet article s’inscrit dans une recherche plus ample, menée dans le cadre de la Chaire “Antiquité critique” (dirigée par J.-M. Narbonne) et dédiée aux questions d’intériorité et d’introspection à l’époque impériale. J’aimerais remercier André-Louis Rey avec lequel certaines idées, développées dans ce texte, ont été élaborées lors de conférences communes. Ma gratitude va également à Jean-Luc Vix, Hervé Genoud, Pascale Torracinta et Martin Voyer pour leurs commentaires, ainsi qu’aux éditeurs du livre. 1 V. Nutton, « The Chronology of Galen’s Early Career », Classical Quarterly, 23, 1973, p. 158-171 ; V. Nutton, « Galen ad multos annos », Dynamis, 15, 1995, p. 25-39 ; V. Nutton, « Galen and Egypt », dans J. Kollesch, D. Nickel (éd.), Galen und das hellenistische Erbe (Sudhoffs Archiv, Beiheft 32), Stuttgart, 1993, p. 11-31 ; V. Boudon-Millot, Galien. Introduction générale, Paris, 2007, t. 1, p. xi-xviii, lxxv-lxxx ; S. P. Mattern, The Prince of Medicine. Galen in the Roman Empire, Oxford, 2013, p. 9-30 et 274-276. 2 Le très utile livre de Paul Moraux en est un exemple.  P. Moraux, Galien de Pergame. Souvenirs d’un médecin, Paris, 1985. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 337-345 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121150

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historique et rhétorique3. Pour ce qui a trait à l’éducation et à l’éducabilité des enfants, Les passions et erreurs de l’âme comprennent des passages autobiographiques sur ces questions. Ἐγὼ τοίνυν, ὅπως μὲν τὴν φύσιν εἶχον, οὐκ ἔχω φάναι (τὸ γὰρ ἑαυτὸν γνῶναι χαλεπόν ἐστι καὶ τοῖς τελείοις ἀνδράσι, μή τί γε δὴ τοῖς παισίν), εὐτύχησα δὲ μεγάλην εὐτυχίαν, ἀοργητότατον μὲν καὶ δικαιότατον καὶ χρηστότατον καὶ φιλανθρωπότατον ἔχων πατέρα, μητέρα δ’ ὀργιλωτάτην, ὡς δάκνειν μὲν ἐνίοτε τὰς θεραπαίνας, ἀεὶ δὲ κεκραγέναι τε καὶ μάχεσθαι τῷ πατρὶ μᾶλλον ἢ Ξανθίππη Σωκράτει. παράλληλά τε ὁρῶντί μοι τὰ καλὰ τῶν τοῦ πατρὸς ἔργων τοῖς αἰσχροῖς πάθεσι τῆς μητρὸς ἐπῄει τὰ μὲν ἀσπάζεσθαί τε καὶ φιλεῖν, τὰ δὲ φεύγειν καὶ μισεῖν. ὥσπερ δ’ ἐν τούτοις ἑώρων παμπόλλην διαφορὰν τῶν γονέων, οὕτω κἀν τῷ τὸν μὲν ἐπὶ μηδεμιᾷ ζημίᾳ λυπούμενον, ἀνιωμένην ἐπὶ σμικροτάτοις τὴν μητέρα. γινώσκεις δὲ δήπου καὶ σὺ τοὺς παῖδας, οἷς μὲν ἂν ἡσθῶσι, ταῦτα μιμουμένους, ἃ δ’ ἂν ἀηδῶς ὁρῶσι φεύγοντας. Quant à moi, je ne puis dire quelle était ma nature. (Il est en effet difficile de se connaître soi-même, même pour les hommes accomplis, à plus forte raison pour les enfants.) J’ai eu le grand bonheur d’avoir un père exempt de toute colère, extrêmement juste, honnête et bienveillant, mais une mère si colérique qu’elle mordait ses servantes, criait toujours et se disputait avec mon père plus que Xanthippe avec Socrate. En comparant les nobles actions de mon père aux honteuses passions de ma mère, je conçus le dessein d’embrasser et d’apprécier les unes, de fuir et de haïr les autres. Je voyais là une très grande différence entre mes parents : de même je voyais mon père ne jamais manifester son chagrin lors d’un désagrément, quel qu’il soit, alors que ma mère était importunée par les moindres peccadilles. Tu sais sans doute toi aussi que les enfants imitent ce qui leur cause du plaisir, et fuient ce qu’ils considèrent comme déplaisant4. Ce texte semble, au premier abord, simplement exposer des éléments sur l’enfance de Galien. Cependant, le fait qu’il ne nomme nulle part son père, puisque le nom de Nicon ne nous est livré que par des sources tardives5, pourrait indiquer que le médecin ne lui accorde pas une grande importance. Mais ce n’est pas le cas, puisque les vertus

3 M. Vegetti, « L’immagine del medico e lo statuto epistemologico della medicina in Galeno », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 37.2, 1994, p. 1686 ; H. Schlange-Schöningen, Die römische Gesellschaft bei Galen. Biographie und Sozialgeschichte, Berlin-New York, 2003 ; V. Boudon-Millot, Galien de Pergame. Un médecin Grec à Rome, Paris, 2012 ; Mattern, The Prince of Medicine…, op. cit. n. 1. 4 Galien, Les passions et les erreurs de l’âme, 8, dans W. de Boer, De propriorum animi cuiuslibet affectuum dignotione et curatione, Leipzig-Berlin, 1937 (CMG V 4,1,1), 8,1-8,2 (cf. Kühn V, 40-41), traduction de V. Barras, T. Birchler et A.-F. Morand dans Galien, L’âme et ses passions, Paris, 1995, p. 30-31. 5 Souda, s.v. « Γαληνός », dans Suidae Lexicon [Adler], vol. 1, p. 506 ; Tzetzès, Chiliades [Kiessling], XII, 397, 8, p. 440. Tzetzès donne le nom de Nicon, mais indique qu’il n’en est pas certain. Sur Nicon, voir  Schlange-Schöningen, Die römische Gesellschaft…, p. 45-60, Mattern; The Prince of Medicine…, p. 35.

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paternelles, la tempérance et l’excellence de l’éducation qu’il a donnée à son fils, sont confirmées par un passage du Ne pas se chagriner6. Au-delà de l’éloge du père, Galien tient ici surtout un propos éducatif : le jeune enfant est soumis au choc du laid, la colère de sa mère, une épreuve comparable à celle de Socrate face à Xanthippe7. Le modèle à ne pas suivre est donc ancré dans un arrière-fond classique et s’insère dans le contexte des épreuves auxquelles est soumis le véritable philosophe8. L’intensité de la laideur comparée à la faculté du père de ne pas se laisser troubler par des futilités et de ne pas se livrer à son chagrin même en cas de problèmes réels permettra à cette jeune âme de choisir le bon chemin de vie. L’inutilité de se faire du souci pour des peccadilles demeurera un thème important jusqu’à la fin de la vie du médecin, comme en témoigne le traité Ne pas se chagriner. Il est d’ailleurs profitable de lire les traités Les passions et erreurs de l’âme et le Ne pas se chagriner en parallèle. Les deux sont des traités éthiques proposant des modèles de comportements9 – dans un cas la modération du père par rapport aux épreuves que lui réserve la vie lors des colères de son épouse et dans l’autre l’absence de chagrin de Galien face à l’immensité des pertes qu’il a encourues lors de l’incendie qui ravagea le mont Palatin en 192. Un élément essentiel à prendre en compte concerne l’objectif des deux écrits : l’un et l’autre sont des réponses à une requête sur un sujet précis et non un exposé général sur une vaste question. Tout comme dans les dialogues de Platon, la demande de la part d’une personne spécifique crée un effet de distance entre l’auteur et l’auditeur, ou le lecteur, et met en relief la chaîne de transmission du texte. Galien affirme de plus que ce genre de traités n’était pas forcément conçu à la base pour une large diffusion10. Pour bien lire et comprendre ces extraits, il est donc important de replacer les développements autobiographiques dans le contexte et la visée du traité où ces passages apparaissent. Les réflexions de Galien sur ses parents servent à illustrer le choc de la laideur et l’exemple de la beauté11. Le recours au « je » comporte en outre un élément d’autorité et cherche à renforcer l’effet de persuasion du fait de l’implication du narrateur. Le texte discuté n’est donc pas, selon toute vraisemblance, à lire dans la perspective d’un désir de raconter des souvenirs d’enfance. Susan Mattern note avec raison que

6 Galien, Ne pas se chagriner, § 57-62, texte établi et traduit par V. Boudon-Millot, J. Jouanna et A. Pietrobelli, Paris, 2010. 7 Sur le « socratisme » de Galien, voir  R. M. Rosen, « Socratism in Galen’s Psychological Works », Antike Medizin im Schnittpunkt von Geistes - und Naturwissenschaften : Internationale Fachtagung aus Anlass des 100 - jährigen Bestehens des Akademienvorhabens « Corpus Medicorum Graecorum/Latinorum », Berlin, 2009, p. 154-171. 8 L’âme et ses passions, p. xxxiv-xxxv, op. cit. n. 4. 9 Galien, Sur ses propres livres, XV, 1 (cf. Kühn XIX, 45), texte établi et traduit par V. Boudon-Millot, Paris, 2007, cite les deux titres à proximité l’un de l’autre. 10 Galien, Sur l’ordre de ses propres livres, I, 2 (cf. Kühn XIX, 49-50), texte établi et traduit par V. Boudon-Millot, Paris, 2007. Sur les questions de destinataires des œuvres et d’auditoire, voir C. Petit, « Galien et le discours de la méthode. Rhétorique(s) médicale(s) à l’époque romaine (Ier-IIe siècle de notre ère) », dans J. Coste, D. Jacquart et J. Pigeaud (éd.), La rhétorique médicale à travers les siècles, Genève, 2013, p. 49-75. 11 Mattern, The Prince of Medicine…, p. 268 et n. 20 pour des références complémentaires, op. cit. n. 1.

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« notre image de Galien est très publique12 ». L’excellence de l’éducation reçue par le médecin de Pergame est aussi relatée ailleurs dans les Passions et erreurs de l’âme : ὑποπληρώσας δὲ τετταρεσκαιδέκατον ἔτος ἤκουον φιλοσόφων πολιτῶν, ἐπὶ πλεῖστον μὲν Στωϊκοῦ, Φιλοπάτορος μαθητοῦ, βραχὺν δέ τινα καὶ Πλατωνικοῦ, μαθητοῦ Γαΐου, διὰ τὸ μὴ σχολάζειν αὐτὸν εἰς πολιτικὰς ἀσχολίας ἑλκόμενον ὑπὸ τῶν πολιτῶν, ὅτι μόνος αὐτοῖς ἐφαίνετο δίκαιός τε καὶ χρημάτων εἶναι κρείττων, εὐπρόσιτός τε καὶ πρᾶος. ἐν τούτῳ δέ τις καὶ ἄλλος ἧκε πολίτης ἡμέτερος ἐξ ἀποδημίας μακρᾶς, Ἀσπασίου τοῦ Περιπατητικοῦ μαθητής, καὶ μετὰ τοῦτον ἀπὸ τῶν Ἀθηνῶν ἄλλος Ἐπικούρειος, ὧν ἁπάντων ὁ πατὴρ δι’ ἐμὲ τοῦ τε βίου καὶ τῶν δογμάτων ἐξέτασιν ἐποιεῖτο σὺν ἐμοὶ πρὸς αὐτοὺς ἀφικνούμενος. Lorsque j’eus accompli ma quatorzième année, je suivis l’enseignement des philosophes de ma cité, surtout d’un stoïcien disciple de Philopator, et aussi d’un platonicien élève de Gaios, mais pendant peu de temps : il avait en effet peu de loisir, ayant été appelé à des tâches politiques par ses concitoyens, à qui seul il paraissait être juste, au-dessus des intérêts pécuniaires, accessible et amène. Là-dessus vint un autre de nos concitoyens, élève d’Aspasios le péripatéticien, après un long voyage à l’étranger, et après lui, d’Athènes un autre épicurien. Mon père examinait pour chacun d’eux leur vie et leurs doctrines, en allant les visiter avec moi13. Ces différents maîtres lui fournissent une éducation de base et lui donnent des perspectives différentes. Le conseil paternel de ne se réclamer d’aucune secte, mais de les étudier toutes, revient d’ailleurs à plusieurs reprises14. Le père de Galien a donc joué un rôle prépondérant dans les choix éducatifs relatifs à son fils, comme dans la détermination de la profession du futur médecin. Cette dernière décision s’est fondée sur des « songes évidents » de son père, comme il le dit dans la Méthode de traitement et dans d’autres traités15. Suivre ainsi les ordres clairs de la divinité s’inscrit bien dans la rationalité antique, même si d’autres motifs peuvent aussi avoir eu une influence. Les récits du médecin de Pergame sur sa propre éducation ont pour fonction de révéler ses théories sur cette question. La formation ne fut cependant pas dispensée à n’importe qui, mais s’appliquait à un personnage particulièrement bien disposé

12 Mattern, The Prince of Medicine…, p. 30 ; « […] and his own life, what he lets us see of it, is defined by his intensely competitive, masculine relationships with friends and rivals and not by domestic attachments. » 13 Galien, Les passions et les erreurs de l’âme, 8 (cf. Kühn V, 41-42). Schlange-Schöningen, Die römische Gesellschaft…, op. cit. n. 3, p. 67 sq. ; Mattern, The Prince of Medicine…, p. 33-34 et p. 36-80. 14 Par exemple, Galien, Les passions et les erreurs de l’âme, 8 (cf. Kühn V, 43). 15 « En effet, ce n’est pas hier ou avant-hier, mais dès l’adolescence que pris de passion pour la philosophie, nous nous sommes d’abord attaché à la vérité. Ensuite, plus tard, poussé par des songes évidents de mon père (τοῦ πατρὸς ὀνείρασιν ἐναργέσι), nous en sommes arrivé à la pratique de la médecine », Galien, Méthode de traitement, IX, 4 (cf. Kühn X, 609. Traduction J. Boulogne, dans Galien, Méthode de traitement, Paris, 2009, p. 502-503). Voir aussi Galien, Sur l’ordre de ses propres livres, IV, 4 (cf. Kühn XIX, 59), Schlange-Schöningen, Die römische Gesellschaft…, p. 65, op. cit. n. 3.

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naturellement, Galien. Ce dernier relève l’excellence de son propre mélange corporel et de ses dispositions de l’âme16. À l’opposé, certains enfants ne sont pas éducables.

Sur l’éducabilité et l’éducation des enfants Tout comme certains mélanges corporels, il existe des êtres qui sont fondamentalement mauvais. L’âme dépendant du mélange ou tempérament du corps, comme le prouvent par exemple les effets de l’absorption de vin sur l’âme ou les signes physiognomoniques17, tous les enfants ne sont pas semblables, ni ne naissent tous bons. Pour ce qui est de la paideia, Galien constate que des petits, pourtant nourris des mêmes nourritures et élevés par les mêmes parents et maîtres, sont très différents les uns des autres18. Les méchants doivent donc être simplement éradiqués : τοὺς γοῦν σκορπίους καὶ τὰ φαλάγγια καὶ τὰς ἐχίδνας ἀναιροῦμεν ὑπὸ τῆς φύσεως γεγονότα τοιαῦτα καὶ οὐχ ὑφ’ ἑαυτῶν. Nous tuons bien les scorpions, les araignées venimeuses et les vipères, qui sont ainsi par nature et non par leur propre fait19. De manière similaire, la faculté concupiscible – la partie inférieure de l’âme – qui n’est pas éducable, est comparée à un animal sauvage, un sanglier violent ou un bouc20 : certains enfants sont comme des animaux spécialement nuisibles. Même s’il existe des mauvais sujets devant être définitivement éliminés, l’éducation a néanmoins une raison d’être. Les démonstrations et les bons maîtres peuvent s’adresser à l’âme logique et corriger les erreurs. Pour les passions, il importe de dominer l’âme concupiscible en la traitant avec dureté, et cela depuis le plus jeune âge. En effet, si elles ne sont pas contrôlées assez tôt, elles deviennent invétérées.

16 Galien, Ne pas se chagriner, § 60 : « Considère donc dès lors que moi-même, étant par nature semblable à mes ancêtres, je suis né tel qu’eux et que, de surcroît, ayant reçu la même éducation qu’eux, j’ai acquis une disposition de l’âme (διάθεσιν τῆς ψυχῆς) semblable à la leur. » Sur le fait que l’homme a le mélange le plus équilibré de tous les animaux et sur la définition de l’homme comme mélange parfait : « Or, est très bien mélangé celui dont le corps est manifestement l’exact milieu entre tous les extrêmes, entre la rareté et la densité, la mollesse et la dureté, le chaud et le froid. […] Quant à son âme aussi, il est l’exact milieu entre témérité et lâcheté, indécision et précipitation, compassion et malveillance. Cet homme sera de bonne humeur, affectionné, charitable, sage ». Galien, Des tempéraments, texte établi par G. Helmreich, Claudius Galenus De temperamentis libri III, Leipzig, 1904, II, 1 (cf. Kühn I, p. 575-576), traduction de V. Barras et T. Birchler dans Galien, Tempéraments, Genève, 2021 (à paraître). 17 Galien, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, dans I. Müller, Scripta Minora II, Leipzig, 1891, p. 32-79 (cf. Kühn IV, 767-822), traduction de V. Barras, T. Birchler et A.-F. Morand dans Galien, L’âme et ses passions, Paris, 1995, p. 75-116 ; pour le vin, III (cf. Kühn IV, 778-779) et pour les signes physiognomoniques, VII (cf. Kühn IV, 795-798). 18 Galien, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, XI (cf. Kühn IV, 816-817). 19 Galien, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, XI (cf. Kühn IV, 815), L’âme et ses passions, p. 111, op. cit. n. 17. 20 Galien, Les passions et les erreurs de l’âme, 6 (cf. Kühn V, 27-28).

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Comme nous l’avons vu, l’éducation se nourrit aussi de bons et de mauvais exemples. Une certaine introspection est en outre nécessaire, selon le « connais-toi toi-même » socratique. Galien souligne cependant que le précepte est difficile à appliquer, car nous sommes complétement aveuglés par nous-mêmes. En plus d’un examen de soi, effectué soir et matin, il est souhaitable de s’en remettre à une personne extérieure21. Dans le cas de Galien, le simple fait de se remémorer son père le rendait meilleur22. L’éducation, hormis quelques cas désespérés, est donc possible à condition de s’atteler à une âme jeune. Mais au-delà de ses vues sur l’éducation des enfants, Galien poursuit une entreprise didactique plus vaste et liée à la postérité, celle d’éduquer ses lecteurs.

L’éducation des lecteurs Toute l’œuvre de Galien tend à conférer au médecin la place qu’il mérite dans la société23. Fortement préoccupé par la fortune de ses traités après sa mort, il a consacré quantité de temps et d’écrits à sa postérité. Ainsi dans les deux ouvrages Sur l’ordre de ses propres livres et Sur ses propres livres, au-delà des buts énoncés au début (distinguer les faux des vrais ouvrages et donner un ordre de lecture24), Galien propose une éducation de ses lecteurs, car il est persuadé « qu’aucun livre, pas même s’il est écrit par les Muses en personne, ne sera davantage tenu en considération que les écrits dus aux plus ignorants » (Ἐγὼ μὲν δὴ [μοι] πεπεικὼς ἐμαυτόν, ὡς οὐδ’ ἂν ὑπὸ τῶν Μουσῶν αὐτῶν γραφῇ τι βιβλίον, ἐντιμότερον ἔσται τοῦτο τῶν τοῖς ἀμαθεστάτοις γεγραμμένων)25. De manière similaire à l’éducation qui convient aux enfants, le lecteur suivra un ordre précis avec profit : il aura bénéfice à lire en premier les traités sur les sectes ou écoles médicales, avant de chercher à acquérir les bases de la démonstration. ὡς ἀποδείξεως ἐπιστήμονα χρὴ γεγονέναι πρότερον, ὅστις ἂν μέλλῃ κριτὴς ὀρθὸς ἔσεσθαι τῶν αἱρέσεων· οὐκ ἀρκεῖ δ’ οὐδὲ τοῦτο μόνον ἀλλὰ καὶ πάθους ἀπηλλάχθαι, καθὸ φιλοῦντες ἢ μισοῦντες τὰς αἱρέσεις οὐχ ὡς οἱ πολλοὶ τυφλώττουσιν ἀμφ’ αὐτάς. [I]l faut qu’ait tout d’abord été instruit de la méthode de démonstration celui qui veut être juge impartial entre les écoles. Et cela seul n’est pas encore suffisant, mais il faut également s’affranchir de la passion de façon à ne pas devenir aveugles envers les écoles comme la plupart, par amour ou par haine à leur égard26.

21 Galien, Les passions et les erreurs de l’âme, 6 (cf. Kühn V, 30). 22 Galien, Ne pas se chagriner, § 58. 23 Vegetti, « L’immagine del medico… », p. 1672-1717, op. cit. n. 3. 24 À la fin de l’Art médical, Galien donne aussi un ordre de classement de ses livres. Galien, Art médical, texte établi et traduit par V. Boudon-Millot, Paris, 2002, XXXVI-fin (cf. Kühn I, 403-412). L’Art médical contient par ailleurs de nombreuses considérations sur l’enseignement de la médecine. 25 Galien, Sur l’ordre de ses propres livres, I, 5 (cf. Kühn XIX, 50-51). 26 Galien, Sur l’ordre de ses propres livres, Ι, 7 (cf. Kühn XIX, 51).

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Ces considérations se rapprochent des préalables à l’éducation des enfants. Galien propose ensuite d’assimiler une série de livres pour les débutants, puis des œuvres anatomiques. Ensuite, il s’agit de lire des traités liés aux mélanges. Τῷ δὲ περὶ τῶν καθ’ Ἱπποκράτην στοιχείων ἕπεται τὰ περὶ κράσεων ὑπομνήματα τρία καὶ τούτοις ἡ περὶ τῆς τῶν ἁπλῶν φαρμάκων δυνάμεως πραγματεία κἀκείνῃ πάλιν ἡ περὶ συνθέσεως φαρμάκων. […] ἐάν τε οὖν μετὰ δύο βουληθῇ τις ἐάν τε μετὰ τρία τό τε περὶ τῆς ἀρίστης κατασκευῆς τοῦ σώματος ἀναγνῶναι καὶ τὸ περὶ τῆς εὐεξίας καὶ τὸ περὶ ἀνωμάλου δυσκρασίας, ἐν τῇ προσηκούσῃ τάξει πράξει τοῦτο. Font suite au Sur les éléments selon Hippocrate les trois livres du Sur les tempéraments et à ceux-ci, l’ouvrage Sur la faculté des médicaments simples, et à celui-là encore, celui Sur la composition des médicaments. […] Et si l’on veut lire, soit après deux livres, soit après trois, le Sur la meilleure constitution du corps, le Sur le bon état et le Sur les irrégularités du tempérament mal tempéré, on agira là selon l’ordre qu’il convient de suivre27. Ce passage suggère divers commentaires. En premier lieu, Galien recommande de lire à la fois de grands ouvrages, mais également des textes plus courts répondant à des questions d’amis. Il convient également de remarquer à quel point le médecin est prescriptif au niveau de l’ordre de lecture. À cet égard, nous pouvons observer dans quelle mesure Galien a été suivi ou ne l’a pas été dans ses injonctions. Deux indices nous permettent de le déterminer. Tout d’abord, des informations sur l’enseignement de la médecine – surtout fondé sur Galien – tel qu’il était pratiqué à Alexandrie sont contenues dans une lettre (Risala) de Hunain ibn Ishaq à Ali ibn Yahya, laquelle fournit des indications sur l’ordre de lecture des livres de Galien28. Pour le passage cité ci-dessus, nous pouvons constater que Galien était bel et bien étudié, mais dans un ordre autre que celui que le grand médecin avait prévu. C’est aussi ce qui ressort des regroupements de traités copiés dans les manuscrits29. Mais si les ordres de lecture n’ont pas toujours été suivis à la lettre, si certaines théories ont été simplifiées par la suite, force est de constater que le médecin pergaménien a largement dominé la médecine jusqu’au xviiie siècle. La quantité d’œuvres galéniques copiées et préservées est un gage du succès de ses efforts. Son projet éducatif des lecteurs a ainsi été une belle réussite.

27 Galien, Sur l’ordre de ses propres livres, IΙ, 10-12 (cf. Kühn XIX, 56). Voir aussi Galien, Sur ses propres livres, VI, 1-5 et l’Art médical, XXXVII, 7-8 (cf. Kühn I, 407-408). 28 Risala de Hunain ibn Ishaq à Ali ibn Yahya. Voir Hunain, Risala, édité et traduit par G. Bergsträsser, dans Hunain ibn Ishaq über die syrischen und arabischen Galen-Übersetzungen, Leipzig, 1925, et par J.-  C. Lamoreaux, Ḥunayn ibn Isḥāq on his Galen translations : a parallel English-Arabic text, Provo (Utah), 2016. 29 Le manuscrit Laurentien 74.5 (du xiie s.), par exemple, qui contient les traités Des éléments selon Hippocrate, Des tempéraments et Les facultés naturelles.

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Conclusion Il est possible de déceler des parallèles entre les récits de Galien sur sa formation, sur l’éducation des enfants et sur celle des lecteurs et étudiants en médecine. Dans tous les cas, les bonnes dispositions de base et la volonté de surmonter les passions sont nécessaires. En ce qui concerne sa propre éducation, le médecin de Pergame donne un certain nombre d’indications qu’il convient cependant de replacer dans l’économie des traités individuels et dans le contexte de ses théories sur l’éducation. Galien adopte une position tranchée sur la question de l’éducabilité des enfants, puisqu’il considère que tous ne le sont pas. Il expose par ailleurs ses théories éducatives au fil de ses écrits. Enfin, le médecin a consacré un temps considérable à la mise en ordre de son œuvre, de manière à préparer sa place dans la paideia des siècles futurs. La présente étude mériterait d’être complétée par une enquête plus approfondie, car, comme le souligne Philip Van der Eijk, au sujet du recours à la première personne du singulier et de certains procédés rhétoriques chez notre auteur : « The works of Galen present a particularly promising area of study, for one can hardly imagine a more self-conscious, rhetorical, argumentative, polemicising and manipulating scientific writer than the doctor from Pergamon30. » Anne-France Morand Université Laval (Québec)

Bibliographie Sources Galien, Art médical, texte établi, traduit et commenté par V. Boudon-Millot, Paris, 2002. Galien, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, texte établi par I. Müller, Scripta Minora II, Leipzig, 1891. Galien, Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps, texte traduit et commenté par V. Barras, T. Birchler et A.-F. Morand, L’âme et ses passions, Paris, 1995. Galien, Méthode de traitement, texte établi et commenté par I. Johnston et G.H.R. Horsley, Cambridge (Mass.), 2011. Galien, Méthode de traitement, texte traduit et commenté par J. Boulogne, Paris, 2009. Galien, Ne pas se chagriner, texte établi, traduit et commenté par V. Boudon-Millot, J. Jouanna et A. Pietrobelli, Paris, 2010. Galien, Les passions et les erreurs de l’âme (De propriorum animi cuiuslibet affectuum dignotione et curatione), texte établi par W. de Boer, Leipzig-Berlin, 1937.

30 Ph. van der Eijk, Medicine and Philosophy in Classical Antiquity. Doctors and Philosophers on Nature, Soul, Health and Disease, Cambridge, 2005, p. 40-41.

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Galien, Les passions et les erreurs de l’âme, texte traduit et commenté par V. Barras, T. Birchler et A.-F. Morand, L’âme et ses passions, Paris, 1995. Galien, Sur l’ordre de ses propres livres, texte établi, traduit et commenté par V. BoudonMillot, Paris, 2007. Galien, Sur ses propres livres, texte établi, traduit et commenté par V. Boudon-Millot, Paris, 2007. Galien, Des tempéraments (De temperamentis libri III), texte édité par G. Helmreich, Leipzig, 1904. Hunain ibn Ishaq, Risala dans G. Bergsträsser, Hunain ibn Ishaq über die syrischen und arabischen Galen-Übersetzungen, Leipzig, 1925. Hunain ibn Ishaq, Risala dans J.-C. Lamoreaux, Ḥunayn ibn Isḥāq on his Galen translations: a parallel English-Arabic text, Provo (Utah), 2016. Études V. Boudon-Millot, Galien. Introduction générale, Paris, 2007, t. 1. V. Boudon-Millot, Galien de Pergame. Un médecin grec à Rome, Paris, 2012. Ph. van der Eijk, Medicine and Philosophy in classical Antiquity. Doctors and Philosophers on Nature, Soul, Health and Disease, Cambridge, 2005, p. 40-41. J. Ilberg, « Wann ist Galenos geboren ? », Sudhoffs Archiv, 23, 1930, p. 289-292. S. P. Mattern, The Prince of Medicine. Galen in the Roman Empire, Oxford, 2013. P. Moraux, Galien de Pergame. Souvenirs d’un médecin, Paris, 1985. V. Nutton, « The Chronology of Galen’s Early Career », Classical Quarterly, 23, 1973, p. 158-171. V. Nutton, « Galen and Egypt », dans J. Kollesch, D. Nickel (éd.), Galen und das hellenistische Erbe (Sudhoffs Archiv, Beiheft 32) Stuttgart, 1993, p. 11-31. V. Nutton, « Galen ad multos annos », Dynamis, 15, 1995, p. 25-39. C. Petit, « Galien et le discours de la méthode. Rhétorique(s) médicale(s) à l’époque romaine (Ier-IIe siècle de notre ère) », dans J. Coste, D. Jacquart et J. Pigeaud (éd.), La rhétorique médicale à travers les siècles, Genève, 2013, p. 49-75. R. M. Rosen, « Socratism in Galen’s Psychological Works », Antike Medizin im Schnittpunkt von Geistes- und Naturwissenschaften : Internationale Fachtagung aus Anlass des 100-jährigen Bestehens des Akademienvorhabens « Corpus Medicorum Graecorum/ Latinorum », Berlin, 2009, p. 154-171. H. Schlange-Schöningen, Die römische Gesellschaft bei Galen. Biographie und Sozialgeschichte, Berlin-New York, 2003. M. Vegetti, « L’immagine del medico e lo statuto epistemologico della medicina in Galeno », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II 37.2, Berlin-New York, 1994, p. 1672-1717.

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Quatrième partie

Représentations de figures d’enseignants

Les passeurs de culture dans l’épigramme satirique grecque

Les « passeurs de culture » – grammairiens, rhéteurs, pédagogues en général – ont toujours été la cible des auteurs satiriques. Le thème est déjà répandu dans la comédie grecque, et plusieurs épigrammes de l’Anthologie Palatine traitent de la position des hommes de lettres dans la société1. Ces textes se trouvent, pour la plupart, dans le livre XI de l’Anthologie, qui contient les épigrammes bachiques et satiriques ; mais les textes préservés dans d’autres livres – en particulier le IX (épigrammes démonstratives et ekphrastiques ) et le XII (épigrammes pédérastiques) – présentent également des traits communs du point de vue thématique avec certaines pièces satiriques. Les passeurs de culture sont principalement perçus, dans l’épigramme spirituelle grecque, comme des types humains dont il faut souligner les défauts professionnels et/ou moraux, la pauvreté, la frustration, l’ignorance. Dans cette contribution, on examinera la représentation des hommes de lettres dans l’épigramme satirique grecque des ier-ive siècles ap. J.-C. On verra comment ces textes montrent tantôt les vices des γραμματικοί, ῥήτορες, etc., tantôt les difficultés liées à ces professions. Ce deuxième aspect est particulièrement intéressant si l’on considère que les auteurs satiriques sont généralement eux-mêmes des « passeurs de



1 Pour les épigrammes sur les grammairiens, avec leurs précédents comiques, voir F. J. Brecht, Motiv- und Typengeschichte des griechischen Spottepigramm, Leipzig, 1930, p. 30-37 ; F. Sbordone, « Frecce polemiche e spunti d’ironia contro grammatici e maestri di scuola nel mondo antico », Atti della Accademia Pontaniana, 11, 1962, p. 345-348 (= Scritti di varia filologia, Naples, 1971, p. 299304) ; G. Mazzoli, « Epigrammatici e grammatici. Cronache di una familiarità poco apprezzata », Sandalion, 20, 1997, p. 99-116 ; J. Blomqvist, « The Development of the Satirical Epigram in the Hellenistic Period », dans M. A. Harder, R. F. Regtuit, G. C. Wakker (éd.), Genre in Hellenistic Poetry, Groningen, 1998, p. 49-50 ; L. Floridi, « Note esegetiche ad alcuni epigrammi di Lucillio su grammatici e retori », Aevum Antiquum, 6, 2006, p. 373-390 ; F. R. Nocchi, « Maestri insipienti e cialtroni : l’arte dell’ improvvisazione e il mestiere del grammaticus negli Epigrammata Bobiensia », Latinitas, n.s. 3, 2015, p. 135-148. Les traductions des épigrammes du livre XI de l’Anthologie Palatine sont tirées de R. Aubreton (éd.), Anthologie grecque. Anthologie Palatine, X (livre XI), Paris, 1972 (avec des modifications occasionnelles) ; les autres traductions sont personnelles. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 349-364 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121151

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lu c i a f lo r id i

culture ». Les textes satiriques, donc, développent d’un côté la critique de quelques exemples négatifs de personnalités engagées dans l’exercice des professions liées à la transmission du savoir, de l’autre nous permettent de vérifier les formes de l’auto-représentation de certains hommes de culture. Au-delà des stéréotypes, de la déformation satirique et de la caricature, ces poèmes sont des témoignages importants des problèmes liés à l’exercice des professions culturelles à l’âge impérial.

Pédanterie, ignorance, sottise Un petit groupe d’épigrammes, écrites pour la plupart par des auteurs de la Couronne de Philippe, accusent les grammairiens de pédanterie. Ils s’occupent de questions futiles telles que : « si le Cyclope avait des chiens » (Philippe, AP 11.321.6 = GPh 3038), « quelles étaient les rues parcourues par le Soleil » (Philippe, AP 11.347.3 = GPh 3043), « qui était le père de Proteus ou qui était Pygmalion » (Philippe AP 11.347.4 = GPh 3046)2. Ils s’amusent, d’une manière stérile, avec les formes grammaticales les plus obsolètes comme les pronoms désuets (Philippe, AP 11.321.5 = GPh 3037)3. Ils s’attachent aux « épines », c’est-à-dire aux difficultés du texte : Antiphanès les définit comme des σῆτες ἀκανθοβάται, des « teignes qui marchent entre les épines [du texte] » (AP 11.322.2 = GPh 772) ; Philippe comme des σῆτες ἀκανθολόγοι, des « teignes qui recueillent les épines » (AP 11.347.2 = GPh 3042) ; Antipater de Thessalonique parle d’un ποιητῶν φῦλον ἀκανθολόγων, une « race de poètes qui recueillent les épines » (AP 11.20.2 = GPh 186). Comme des parasites, ils fouillent dans la poésie des autres jusqu’aux racines : ce sont des ῥιζώρυχα μούσης / ἀλλοτρίης, des « taupes rongeuses de l’inspiration d’autrui » selon Antiphanès (AP 11.322.1-2 = GPh 771-772). Au-delà de leur possible origine à l’intérieur d’une querelle d’« école »4 et de ce qu’ils nous révèlent, plus généralement, des choix esthétiques de leurs auteurs5, ces poèmes témoignent d’une évaluation négative du grammairien, lequel ne comprend pas l’essence des 2 Ce sont des ζητήματα courants dans les écoles : voir A. S. F. Gow, D. L. Page (éd.), The Greek Anthology. The Garland of Philip and Some Contemporary Epigrams, II, Cambridge, 1968, p. 362-363. 3 Le thème est attesté pour la première fois dans Hérodicus, SH 494.4 = FGE 236 ; voir aussi, plus tard, [Virgile], Catalepton 2.4 : tau Gallicum, min et sphin ut male illisit ; Lucillius, AP 11.142.1 et 6 = 51.1 et 6 Floridi. 4 La première épigramme sur ce thème, écrite par Herodicus SH 494 = FGE 233 ss. (iie-Ier siècles av. J.-C.), témoigne des controverses de méthode entre les philologues de l’école d’Alexandrie et ceux de l’école de Pergame (F. De Martino, « La πεῖρα degli Aristarchei. Erodico di Babilonia, fr. 494 SH », Kleos, 2, 1997, p. 366-375 ; D. Manetti, « La Grecia e il greco. La fuga dei filologi (Herodicus SH 494) », Eikasmós, 13, 2002, p. 183-197). Chez les auteurs suivants, les accusations de « mesquinerie » grammaticale ne sont plus liées à une polémique contemporaine (Blomqvist, « The Development… », p. 49-50) ; au plus, elles peuvent témoigner d’une sympathie générique pour les positions « anti-grammaticales » et « anti-callimaquéennes » de la rhétorique asianiste (Brecht, Motif und Typengeschichte…, p. 32 ; Mazzoli, « Epigrammatici e grammatici… », p. 102-103). 5 Philippe, AP 11.321.8 = GPh 3040, demande que ces grammairiens adressent leur « poison » à d’autres cibles polémiques et Lucillius, AP 11.140 = 49 Floridi, souhaite que sa propre poésie ne soit jamais étudiée par ces philologues stériles (voir L. Floridi, Lucillio. Epigrammi, Berlin-Boston, 2014, p. 269-270, p. 273-274). Les poèmes des auteurs satiriques demandent, pour être appréciés, un public différent et des critères d’évaluation d’un autre ordre.

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choses, mais s’arrête à la surface, en se consacrant à la résolution de faux problèmes6. Ces intellectuels stériles, qui ne se contentent pas d’exercer leur activité exégétique sur les textes, mais ont aussi la prétention d’enseigner ces classiques aux enfants, ne peuvent qu’être de mauvais pédagogues puisque leur méthode d’analyse des textes est erronée. Significativement, Antiphanès, dans sa variation sur le thème, les définit comme des « ténèbres pour les enfants qui débutent » (παισὶ σκότος ἀρχομένοισιν, AP 11.322.5 = GPh 775), avec une allusion à l’enseignement du grammairien comme première phase de l’éducation littéraire7. D’autres grammairiens se distinguent par leur ignorance, décrite d’une manière hyperbolique, avec l’exagération typique de la satire : au simple souvenir du grammairien Héliodore, par exemple, la langue se paralyse et fait des solécismes (Lucillius, AP 11.138 = 47 Floridi)8. L’empreinte que le grammairien Héliodore exerce sur les autres est à l’inverse de celle d’un bon professeur, puisque loin de les rendre diserts, sa simple évocation suffit à leur ôter la parole ou à l’embarrasser, comme s’ils étaient les victimes d’un enchantement9.









6 La pédanterie des philologues de l’école de Zénodote et Aristarque est aussi au centre de la satire de Lucien, Histoires Vraies, 2, 20 : dans son voyage fantastique, l’auteur imagine qu’il rencontre Homère et lui pose les questions « homériques » les plus débattues à son époque (quelle était la patrie du poète, s’il avait écrit l’Odyssée après l’Iliade, etc.). Il découvre ainsi l’ignorance des philologues et les faux problèmes qu’ils se posent. 7 Le garçon passait généralement chez le γραμματικός/grammaticus quand il avait appris à lire et écrire (Quintilien, I, 4, 1). Son enseignement, fondamentalement littéraire, portait principalement sur les auteurs « classiques » (Homère, Euripide, Ménandre, Démosthène dans le monde grec ; Virgile, Térence, Cicéron dans le monde latin). Plus tard, l’élève passait chez le rhéteur pour approfondir l’étude de l’éloquence, mais il y avait une continuité d’approches pédagogiques, de méthodes et d’exercices entre les deux phases. C’est pourquoi, dans les épigrammes satiriques, grammairiens et rhéteurs sont traités de la même façon, pratiquement comme une catégorie unique (voir, par exemple, l’accusation de commettre des solécismes : notes suivantes). Sur l’éducation dans l’Antiquité, outre le « classique » H. I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 7e éd., Paris, 1975, voir également R. Cribiore, Gymnastics of the Mind. Greek Education in Hellenistic and Roman Egypt, Princeton-Oxford, 2001 (pour l’enseignement du grammairien, p. 185-219 ; pour celui du rhéteur, p. 220-244) ; L. Maurice, The Teacher in Ancient Rome : the Magister and His World, Plymouth, 2013 (pour l’enseignement du grammairien et du rhéteur, et pour la terminologie utilisée pour indiquer les maîtres aux différents stades de l’éducation, voir en particulier p. 2-22) ; aussi à voir L. Del Corso, « L’insegnamento superiore nel mondo greco-romano alla luce delle testimonianze iconografiche », in H. Hugonnard-Roche (éd.), L’enseignement supérieur dans les mondes antiques et médiévaux. Aspects institutionnels, juridiques et pédagogiques, Actes du Colloque, Paris, 2008, p. 307-331 ; F. R. Nocchi, « Assistant professor: ruoli e pratiche didattiche fra antico e moderno », dans L. Mecella, L. Russo (éd.), Scuole e maestri dall’età antica al Medioevo, Atti della giornata di studi (Roma, 10 dicembre 2015), Roma, 2017, p. 45-57 ; A. Zago, « Alla scuola del grammaticus. Maestri, allievi e testi nella tarda antichità », Rivista di pedagogia, 1.4, 2010, p. 201-218. 8 Ἂν τοῦ γραμματικοῦ μνησθῶ μόνον Ἡλιοδώρου, / εὐθὺ σολοικίζων τὸ στόμα μου δέδεται : « Au simple souvenir d’Héliodore le grammairien, en faisant des solécismes, tout de suite, ma langue se paralyse ». L’exacte nature du solécisme faisait débat, mais l’on s’accorde, généralement, sur le caractère syntaxique de l’erreur : pour la documentation, voir Floridi, Lucillio…, p. 261, p. 290-291. 9 Le thème du solécisme est répandu dans l’épigramme satirique grecque : voir Lucillius, AP 11.143.6 = 52.6 Floridi (encore sur un grammairien), AP 11.148 = 53 F. et Ammien, AP 11.146 (sur des rhéteurs) ; Floridi, Lucillio…, p. 260-261.

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Apollinarios10, AP 11.399, nous conte l’histoire d’un grammairien qui est tombé de la croupe d’un âne et a perdu sa grammaire – c’est-à-dire la tête : Γραμματικός ποτ’ ὄνῳ ἐποχούμενος ἐξεκυλίσθη καὶ τῆς γραμματικῆς, ὡς λόγος, ἐξέπεσεν· Εἶθ’ ἑξῆς ἐβίου κοινὸν βίον ὡς ἰδιώτης, ὧν ἐδίδασκεν ἀεί, μηδὲν ἐπιστάμενος. Ἀλλὰ Γλύκων ἔπαθεν τοὐναντίον· ὢν γὰρ ἄπειρος καὶ κοινῆς γλώττης, οὐχ ὅτι γραμματικῆς, νῦν Λιβυκοὺς κάνθωνας ὀχούμενος, εἶτ’ ἀποπίπτων πολλάκις ἐξαίφνης γραμματικὸς γέγονεν.

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Un jour, un grammairien, monté sur un âne, roula à bas de sa monture et, selon le proverbe, y perdit… sa grammaire. Par la suite donc, il mena l’existence banale de tout un chacun et, de ce qu’il avait sans cesse enseigné, il ne savait plus rien. Mais, à Glycon, c’est tout le contraire qui est arrivé. Lui qui ignorait non seulement la grammaire, mais la langue de tous les jours, maintenant qu’il a enfourché des ânes de Libye, et que souvent il en tombe, le voilà soudain… grammairien ! L’épigramme, aux vers 1-2, évoque probablement l’expression proverbiale ἀπ’ ὄνου καταπεσών, « tombé d’un âne » (Zénobe, 2.57 = CPG 1.47), qui signifie selon la Souda (α 3459 Adler) « radoter » ; elle fait sans doute aussi allusion en filigrane au calembour ἀπ’ ὄνου / ἀπὸ νοῦ attesté chez Aristophane, Nuées, 127311. De fait, ὡς λόγος, au v. 2, renvoie à une histoire que l’on connaît, et peut apparaître comme un signal de la réélaboration du proverbe par l’auteur : τῆς γραμματικῆς… ἐξέπεσεν (v. 2) concrétise, pour ainsi dire, l’expression ἀπ’ ὄνου καταπεσών, en indiquant les conséquences de la chute. Le grammairien, en tombant de l’âne, perd la mémoire et oublie toute la grammaire qu’il avait apprise dans sa vie. Puis le poète nous dit qu’au contraire un certain Glycon, un illettré, qui a enfourché des ânes de Lybie, souvent en tombe, et néanmoins est devenu… grammairien. Ce qui est arrivé à ce Glycon n’est pas clair – il a probablement fait fortune dans le commerce des ânes et amélioré sa condition sociale12, jusqu’à se poser en homme de culture, comme s’il suffisait d’avoir de l’argent pour acquérir savoir et qualités intellectuelles. Glycon serait donc un parvenu, figure très chère – comme on le sait – à la littérature satirique13. Quoi qu’il en soit, la morale de l’histoire est que quiconque, même un rustre dépourvu de culture comme Glycon (vers 5-6 ἄπειρος / καὶ κοινῆς γλώττης, où κοινὴ γλώττη désigne la

10 On ne connait pas l’identité de cet auteur : Aubreton, Anthologie grecque…, p. 214, n. 3, propose de l’identifier avec le futur évêque de Laodicée, ami de Libanius, ou avec son père, Apollinaire d’Alexandrie, qui vécut au début du ive siècle ; en revanche, pour H. Beckby, Anthologia Graeca, I-IV, 2e éd., Munich, 1965-1967, vol. I, p. 105, ce serait un auteur de l’Anthologion de Diogénien (vers 100 ap. J.-C.). 11 G. Guidorizzi (éd.), D. Del Corno (intro. et trad.), Aristofane. Le Nuvole, Milan, 1996, p. 331 ; pour le proverbe, E. Lelli, I proverbi greci. Le raccolte di Zenobio e Diogeniano, Soveria Mannelli, 2006, p. 395-396. 12 Aubreton, Anthologie grecque…, p. 215, n. 1. 13 Le personnage pétronien de Trimalcion est, naturellement, l’exemple le plus célèbre.

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langue commune, ordinaire, utilisée par le peuple), peut devenir grammairien, ou se faire passer pour tel, en un instant (ἐξαίφνης, v. 8). Il est également significatif que les deux actions – être grammairien et perdre la raison – soient présentées, dans le cas de Glycon, comme parfaitement équivalentes. La reprise du motif de l’âne ne peut être fortuite, ni simplement motivée par le jeu de mots : l’âne est un animal caractérisé, dans le monde gréco-latin, par la stupidité, la grossièreté, l’entêtement myope ; il est donc fréquemment utilisé, dans des contextes satiriques ou moralisateurs, pour symboliser la sottise, le manque de goût et de culture, l’imperméabilité aux stimuli intellectuels14. Glycon devient grammairien en tombant d’un âne, l’animal amousikos par excellence – une image burlesque qui indique à l’évidence que le grammairien n’est pas un représentant de la véritable culture. D’autres grammairiens encore profitent de leur rôle d’enseignant pour abuser sexuellement de leurs élèves (c’est un thème fréquent dans la littérature pédérastique : voir Automédon, AP 12.34 = GPh 1575 ss. ; Straton, AP 12.219 = 62 Floridi15), ou des mères de leurs élèves (Lucillius, AP 11.139 = 48 Floridi). Parfois, au contraire, ils sont si absorbés par l’enseignement qu’ils ne se rendent pas compte de leurs propres malheurs familiers. Ainsi, un grammairien, hors de chez lui, enseigne les malheurs de Pâris et de Ménélas, mais il ignore les nombreux Pâris qui, chez lui, fréquentent son Hélène… (voir Lucillius, AP 11.278 = 110 Floridi)16. Les critiques adressées aux grammairiens (et aux rhéteurs, souvent associés aux grammairiens, dans la satire17) – ignorance, sottise, inadéquation à leur rôle – sont les mêmes qu’on trouve appliquées, dans le livre XI de l’Anthologie Palatine, aux hommes de culture en général – philosophes, poètes, etc. Les épigrammes satiriques nous présentent une galerie de professionnels de la culture, ridicules et incompétents. Il y a des philosophes hypocrites, qui n’ont que l’apparence de la pauvreté, de l’austérité et de la rigueur morale prônées par les écoles auxquels ils se vantent d’appartenir18.

14 Plusieurs proverbes attestent cette association entre l’âne, la bêtise et l’ignorance. Voir L. Floridi, L’âne (et son braiement), dans J.-P. Guez, F. Klein, J. Peigney, E. Prioux (éd.), Dictionnaire des images du poétique, à paraître. 15 Parallèles ultérieurs et bibliographie dans L. Floridi, Stratone di Sardi. Epigrammi, Alessandria, 2007, p. 306-309. 16 Que l’homme généralement a une perception claire de ce qui regarde les autres, mais ne voit pas ce qui le concerne directement, est un thème proverbial (voir par exemple Esope, Fables 266 Perry ; Babrius, Fables 66). En particulier, pour l’idée du grammairien qui s’occupe des malheurs des autres (c’est-à-dire des personnages du mythe qui font l’objet de son enseignement), mais ne connaît pas les siens, voir Diogène Laërce, VI, 27 sur Diogène le cynique : τούς τε γραµµατικοὺς ἐθαύµαζε τὰ µὲν τοῦ Ὀδυσσέως κακὰ ἀναζητοῦντας, τὰ δ᾿ ἴδια ἀγνοοῦντας, « il s’étonnait des grammairiens, qui faisaient des recherches sur les malheurs d’Ulysse, mais ignoraient les leurs ». 17 Voir supra, n. 7 et 9. 18 Antipater de Thessalonique, AP 11.158 = GPh 621 ss. ; Lucillius, AP 11.153 = 54 Floridi, AP 11.154 = 55 F., Lucillius ou Ammien, AP 11.155 = º130 F. ; Ammien, AP 11.156. Voir déjà Léonidas de Tarente, AP 6.293 = HE 2301 ss., sur un philosophe cynique qui cède au charme d’un garçon. Dans beaucoup de ces textes on trouve le thème proverbial de la barbe qui ne fait pas le philosophe : Lucillius, AP 11.154.3 = 55.3 F. ; Lucillius ou Ammien, AP 11.155.3 = º130.3 F. ; Ammien, AP 11.156, 11.157.3 ; Antipater de Thessalonique, AP 11.158 = GPh 621 ss. ; voir aussi Lucien, AP 11.430. En général, pour ce thème, voir Floridi, Lucillio…, p. 264-265.

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Il y a des avocats qui cherchent les arguments historiques ou mythologiques les plus éloignés de la réalité pour plaider la cause de leurs clients, selon les enseignements vains des écoles de rhétorique19. L’on trouve des rhéteurs ou des poètes qui ne se taisent jamais, même quand ils descendent dans l’Hadès20, ou qui « submergent » les autres avec leurs (mauvais) vers21, ou bien encore qui font une « guerre » de mots22 ; d’autres qui, au contraire, sont plus muets que leurs portraits, et sont donc décrits comme la négation de l’éloquence dont ils devraient être l’incarnation23. D’autres encore font montre d’une vaine rhétorique atticiste et de mots inattendus, comme si la culture était un simple vernis, une forme et non une substance24. Parmi eux, il y a un professeur atticiste qui porte le nom aux échos platoniciens de Criton (Lucillius, AP 11.142 = 51 Floridi) : « Πολλοῦ δεῖ » καὶ « σφὶν » καὶ τρὶς παρ’ ἕκαστα « δικασταὶ ἄνδρες » καὶ « λέγε δὴ τὸν νόμον ἐνθάδε μοι » καὶ « ταυτὶ » καὶ « μῶν » καὶ « τετταράκοντα » καὶ « ἄττα » σκεψάμενος, καί τοι « νὴ Δία » καὶ « μὰ Δία » ῥήτωρ ἐστὶ Κρίτων καὶ παιδία πολλὰ διδάσκει· προσθήσει δ’ αὐτοῖς « γρῦ, φαθί, καὶ μὶν » ἔτι.

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Il s’en faut de beaucoup », « quant à eux » et, à tout bout de champ « Messieurs les Juges », et encore « Donne-moi ici lecture de la loi » ; et puis « ταυτὶ », « μῶν », « τετταράκοντα » et « ἄττα », c’est après avoir bien médité sur ces formules et sur « oui, par Zeus », « non, par Zeus », que Criton est devenu rhéteur et enseigne toute la jeunesse. Et pour eux il ajoutera encore à son répertoire « dis γρῦ et μίν ». Après avoir énuméré les expressions atticistes et les formules de l’art oratoire de l’époque classique utilisées par le personnage (v. 1-4)25, on nous révèle, dans le distique final de l’épigramme, qu’il est un rhéteur et qu’il travaille à l’école. La révélation est d’une certaine manière paradoxale : l’exhibition d’éloquence atticiste des premiers vers créait l’attente d’un destin plus « grand ». La révélation que Criton est tout 19 Lucillius, AP 11.141 = 50 Floridi ; sur ce point, voir aussi infra. 20 Lucillius, AP 11.133 = 42 Floridi, AP 11.143 = 52 F. ; Lucien, AP 11.274. 21 Lucillius, AP 11.131 = 40 Floridi, AP 11.137 = 46 F. 22 Lucillius, AP 11.136 = 45 Floridi ; pour le poète bavard, voir aussi Lucillius, AP 11.134 = 43 F., AP 11.135 = 44 F. 23 Anonyme, AP 11.145, 11.149, 11.151, avec L. Floridi, « Il realismo dell’arte e il paradosso del retore muto », Prometheus 39, 2013, p. 87-106. 24 Céréalios, AP 11.144 ; Ammien, AP 11.157. 25 Πολλοῦ δεῖ, δικασταὶ ἄνδρες, λέγε δὴ τὸν νόμον ἐνθάδε μοι, νὴ Δία et μὰ Δία sont des expressions idiomatiques récurrentes chez les auteurs de l’époque classique (voir Floridi, Lucillio…, p. 281-282) ; μῶν et τετταράκοντα (= τεσσαράκοντα) sont, à la fois, typiquement attiques (μῶν, en particulier, est souvent utilisé par Platon, l’un des modèles principaux des atticistes) ; σφίν (= αὐτοῖς), ταυτί (= ταῦτα) et ἄττα (= τινά) étaient des formes pronominales sur lesquelles se concentrait l’attention des grammairiens (voir Herodicus, SH 494.3-4 = FGE 235 s. ; Philippe, AP 11.321.5-6 = GPh 3037-3038 ; Gow, Page, The Garland of Philip…, p. 362) ; ἄττα est mentionné ironiquement par Lucien, Le maître de rhétorique 16 et 20 comme un trait atticiste, dont l’utilisation était destinée à faire une grande impression sur l’auditoire.

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simplement un enseignant, et qu’il ne fait que transmettre une rhétorique creuse et vide à ses étudiants, arrive comme une sorte d’ἀπροσδόκητον. Il faut se rappeler que les maîtres d’école ne jouissaient pas d’une grande estime sociale : comme Alan D. Booth l’a montré, l’accusation d’être un maître élémentaire, ou d’être le fils d’un maître élémentaire, était une insulte dans le monde gréco-romain26. Même si le rhéteur était responsable de l’éducation à un niveau plus haut de la pyramide éducative, le ton de l’épigramme de Lucillius semble impliquer une considération toute aussi dépréciative de la profession de Criton27. Le dernier vers porte le coup de grâce. Pour ses élèves, Criton ajoute encore des raretés grammaticales : γρῦ, φαθί, μιν. Mais que signifient ces expressions dont l’énumération vient former la pointe épigrammatique ? Γρῦ est un terme attique utilisé dans des expressions négatives pour signifier une petite quantité28. Il est expliqué, par la tradition lexicographique, comme la saleté qui se glisse sous les ongles29. Alternativement, on suggère une connexion avec le grognement du porc, reproduit d’une manière onomatopéique30, et, dans l’épigramme de Lucillius, il y a certainement une allusion à l’animal, considéré dans le monde antique comme un symbole de stupidité et d’ignorance. Γρῦ en vient donc à signifier « absolument rien », « pas même une saleté sous les ongles » ou « pas même un grognement ». Φαθί est une forme d’impératif fréquent, par exemple, chez Platon31, et dont les grammairiens discutaient l’accentuation32. Μιν, enfin, est une forme pronominale monosyllabique, de celles qui attiraient particulièrement l’attention des savants. Comme je l’ai suggéré ailleurs33, si l’on donne à φαθί son sens d’impératif, « dis », et si on lit les trois mots finals en séquence, l’expression « γρῦ, φαθί, καὶ μίν » peut être lue comme une invitation aux élèves à dire « γρῦ et µίν », où les deux monosyllabes renvoient à des sons inarticulés et produits par des animaux. Bien qu’il affecte la maîtrise d’une langue atticiste et donc raffinée, Criton n’apprend à ses élèves qu’à grogner et à émettre des sons dépourvus de sens34. Dans le même ordre d’idées, il est

26 A. D. Booth, « Some Suspect Schoolmasters », Florilegium, 3, 1981, p. 1-20 ; voir aussi A. Cameron, Callimachus and His Critics, Princeton, 1995, p. 5-7. 27 La position sociale des enseignants dans l’antiquité n’était pas, en général, très haute, et elle était proportionnelle à l’importance de leur salaire (même s’il y avait, naturellement, des exceptions) : voir Marrou, Histoire de l’éducation…, p. 222-224 ; Cribiore, Gymnastics of the Mind…, p. 59-65 ; Maurice, The Teacher in Ancient Rome…, p. 143-178 et, avec une attention spécifique accordée à l’époque tardive, R. A. Kassel, Guardians of Language. The Grammarian and Society in Late Antiquity, Berkeley-Los Angeles-Londres, 1988, p. 99-134. Pour la pauvreté de l’homme de lettres, voir infra. 28 Voir par exemple Aristophane, Ploutos, 17 ; Démosthène, 19, 39. 29 Voir par exemple Photius γ 216, 217 (Theodoridis) ; Hesychius γ 938 (Latte) ; Souda γ 461, τ 730 (Adler). 30 Voir par exemple Souda γ 461 (Adler). 31 Voir par exemple Protagoras 349c ; Gorgias 462d. 32 Elle devait être oxyton (peut-être par analogie avec la tendance du grec attique à accentuer la dernière syllabe de certains impératifs aoristes : voir par exemple Ph. Probert, A New Short Guide to the Accentuation of Ancient Greek, Londres, 2003, p. 42). 33 Floridi, Lucillio…, p. 283-284. 34 Γρῦ est également souvent employé pour dire « pas même un mot », ce qui ajouterait une pointe ironique au propos : Criton apprend à ses élèves à ne rien dire, ou mieux à grogner comme des porcs. Le terme est aussi employé par l’atticiste Lexiphanès chez Lucien (Lexiphanès, 19) : il faisait évidemment partie du répertoire d’atticismes se prêtant à la satire.

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probable que μιν évoquait aussi le cri d’un animal pour un locuteur bilingue (n’oublions pas que Lucillius était un grec actif à Rome, à la cour de Néron), si on le rapproche du verbe latin mintrire, qui évoque le cri des souris35. Le cri des souris, grêle et aigu, était considéré comme un présage défavorable36, et il était parfois associé dans les textes anciens au grognement des porcs, dont il partageait la mauvaise réputation37. Criton, avec sa fausse éloquence, n’apprend donc à ses élèves qu’à grogner et à couiner, comme des porcs et des souris, c’est-à-dire deux des animaux les plus méprisables. Pour la plupart des types d’intellectuels qu’on a vus jusqu’ici, on peut affirmer que l’ignorance est le commun dénominateur38. Comme le dit Ammien dans AP 11.152, pour être professeur, il ne faut surtout pas apprendre ses lettres39. La grammaire est un métier « facile », que tout le monde peut exercer sans efforts particuliers. C’est là le sens de l’hommage à la Grammaire attribué à Lucien (AP 11.400)40 : Ἵλαθι, Γραμματικὴ φυσίζοε, ἵλαθι, μοῦσα41, φάρμακον εὑρομένη « Μῆνιν ἄειδε, θεά ». Νηὸν ἐχρῆν καὶ σοὶ περικαλλέα δωμήσασθαι καὶ βωμὸν θυέων μή ποτε δευόμενον. Καὶ γὰρ σοῦ μεσταὶ μὲν ὁδοί, μεστὴ δὲ θάλασσα καὶ λιμένες, πάντων δέκτρια Γραμματική.

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Sois-moi favorable, ô Grammaire, source de vie ; soi-moi favorable, Muse, toi qui as découvert comme un remède le « Déesse, chante la colère… ». C’est un temple de toute beauté qu’il faudrait te bâtir ; il faudrait te dédier un autel aux offrandes sans cesse renouvelées. Car, tout est rempli de toi, et les routes et les mers et les ports, ô Grammaire, dépotoir universel !

35 Suétone fr. 161 = p. 250 Re ; M. Bettini, Voci. Antropologia sonora del mondo antico, Turin, 2008, p. 63. 36 Valère Maxime I, 1, 5 ; Pline, Histoire naturelle, VIII, 223. 37 Voir A. Stramaglia, Res inauditae, incredulae. Storie di fantasmi nel mondo greco-romano, Bari, 1999, p. 169-170, n. 10. 38 L’accusation d’ignorance est partagée par d’autres catégories professionnelles qui font l’objet de la critique des auteurs satiriques, par exemple les médecins (voir surtout la série AP 11.112-126) ou les devins (voir la série AP 11.159-164). 39 Εἰ βούλει τὸν παῖδα διδάξαι ῥήτορα, Παῦλε, / ὡς οὗτοι πάντες, γράμματα μὴ μαθέτω, « Si tu veux, Paulus, que ton fils apprenne le métier de professeur, alors comme tous ces gens-là, qu’il n’apprenne pas ses lettres… ». 40 Déterminer la fiabilité de l’attribution d’un certain nombre d’épigrammes, dans l’Anthologie Palatine, à Lucien de Samosate est une vexata quaestio : les manuscrits de Lucien ne transmettent pas ces textes, aussi a-t-on souvent douté de leur authenticité. L’échange paléographique entre le nom de Lucien et celui du poète néronien Lucillius pourrait parfois expliquer l’attribution des poèmes à Lucien : l’épigramme AP 11.400, avec celles qui suivent (AP 11.401-405), est l’une de celles que l’on a le plus souvent proposé d’attribuer à Lucillius. Sur la question, voir B. Baldwin, « The Epigrams of Lucian », Phoenix, 29, 1975, p. 311-335 ; Floridi, Lucillio…, p. 80-82 (avec bibliographie ultérieure). 41 Je suis ici la leçon des manuscrits, contre la correction λοιμοῦ proposée par Brunck et acceptée par tous les éditeurs modernes. Comme F. R. Nocchi l’a montré, le texte des manuscrits est d’une certaine manière conforté par les traductions latines de l’épigramme fournies par les Epigrammata Bobiensia. Cf. F. R. Nocchi, « Maestri insipienti… », op. cit., supra, n. 1, p. 141 et Commento agli Epigrammata Bobiensia, Berlin-Boston, 2016, p. 295.

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La Grammaire est une sorte de déesse bienveillante et une nourrice, qui permet aux hommes de gagner leur vie – φυσίζοε, « qui fait pousser le blé, fertile », est une épithète souvent réservée à la terre dans la poésie homérique42. La Grammaire est partout, dit le poète parodiant les Phénomènes d’Aratos (v. 5-6, à confronter avec les v. 2-4 du poème : μεσταὶ δὲ Διὸς πᾶσαι μὲν ἀγυιαί, / πᾶσαι δ’ ἀνθρώπων ἀγοραί, μεστὴ δὲ θάλασσα / καὶ λιμένες, « tous les chemins sont pleins de Zeus, toutes les places où délibèrent les hommes, la mer et les ports en sont remplis »). L’expression finale, πάντων δέκτρια Γραμματική, où l’on peut probablement reconnaître une allusion à la Pasiphile d’Archiloque (fr. 331.2 West, ξείνων δέκτρια Πασιφίλη, « Pasiphile accueillante aux étrangers »), suggère l’équivalence entre la Grammaire et une prostituée. Comme une courtisane accueillante, elle accepte tous les hommes en son sein – c’est à dire que n’importe qui, même un incapable, peut exercer le métier de grammairien43. Mais s’agit-il seulement de stéréotypes ou cette représentation des passeurs de culture en charlatans cupides et ignares reflète-t-elle d’une quelconque manière la réalité ? Pour répondre à cette question, il faut avoir conscience qu’il n’existait pas, dans le monde antique, de procédures de contrôle des professions liées à la culture : il n’y avait pas d’examen qui attestât le niveau de compétence attendu pour un professeur et son aptitude à pratiquer le métier d’enseignant. N’importe qui, a priori, pouvait donc entreprendre cette carrière et son succès professionnel ne dépendait pas nécessairement de sa culture et de sa préparation. Ceux qui proposaient une « route brève » pour apprendre l’art de la rhétorique au lieu d’une formation fondée sur le curriculum traditionnel qui impliquait de longues années d’étude et d’exercice, pouvaient attirer beaucoup d’élèves – tout du moins si l’on en croit Lucien. Dans Le maître de rhétorique, l’auteur fait la satire de ce type de profession44. Au début de l’œuvre, le maître annonce d’une manière programmatique sa méthode pédagogique. Il ne prétend pas conduire son élève par un chemin rude et pénible, qui le fatiguerait au point de le faire retourner sur ses pas, comme les autres professeurs qui mènent leurs élèves par la route « longue, escarpée, laborieuse et le plus souvent désespé-

42 Iliade, III, 243, XXI, 63 ; Odyssée, XI, 301 ; Hymne homérique à Aphrodite, 125. Plus tard, elle est utilisée à propos de l’eau (Nonnos de Panopolis, Paraphrase de l’Évangile selon saint Jean 4.48 ; anonyme, AP 9.383.12), de l’air (Tryphiodore 77), d’une source d’eau (Nonnos de Panopolis, Dionysiaques, 35.69), etc. ; dans la poésie chrétienne, du Christ, βίου φυσίζοε πηγή, « source qui donne la vie » (Claudien, AP 1.19.3). 43 Pour cette interprétation, voir Aubreton, Anthologie grecque…, p. 288, n. 4, 5 et 6. 44 Sur la possible identification avec un personnage historique particulier : Iulius Pollux, selon l’opinion qui prevaut (voir, en particulier, J. Hall, Lucian’s Satires, New York, 1981, p. 273-278 ; Apulée, selon J. Gil, « Lucianea », Habis, 10-11, 1979-1980, p. 87-104 ; Hadrien de Tyr, selon G. Russo, « Per un’identificazione del maestro dei retori in Luciano », Sileno, 33, 1997, p. 211-223. Au-delà de cette identification, le maître décrit par l’auteur est certainement aussi conçu comme « the embodiment of a group » : C. P. Jones, Culture and Society in Lucian, Cambridge (Mass.)-Londres, 1986, p. 101-102 (et pour une discussion sur l’identité du personnage, voir aussi p. 107-109) ; B. Baldwin, Studies in Lucian, Toronto, 1973, p. 34-36 ; G. Anderson, Lucian : Theme and Variation in the Second Sophistic, Leyde, 1976, p. 68-71 ; S. Swain, Hellenism and Empire : Language, Classicism, and Power in the Greek World AD 50-250, Oxford, 1996, p. 47 ; R. Cribiore, « Lucian, Libanius, and the Short Road to Rhetoric », GRBS, 47, 2007, p. 74-75 ; S. Zweimüller, Lukian “Rhetorum praeceptor” : Einleitung, Text, und Kommentar, Göttingen, 2008, p. 170-172, p. 438-440.

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rante » (Rh. Pr. 3 : μακρὰν καὶ ἀνάντη καὶ καματηρὰν καὶ ὡς τὸ πολὺ ἀπεγνωσμένην). Il propose plutôt de suivre la route « la plus agréable et la plus courte, praticable pour les chevaux, en descente, riche de joie et de plaisir » (ὅτι ἡδίστην τε ἅμα καὶ ἐπιτομωτάτην καὶ ἱππήλατον καὶ κατάντη σὺν πολλῇ τῇ θυμηδίᾳ καὶ τρυφῇ). L’élève qui suivra cette méthode aura reçu, « en un instant, des mains de la rhétorique, tous les biens qu’elle peut donner » (ἅπαντα ἐν βραχεῖ ὅσα ἐστὶν ἀγαθὰ παρὰ τῆς ῥητορικῆς). Cette « route brève » est décrite par Lucien d’une manière qui fait écho aux situations et personnages qu’on a rencontrés dans l’épigramme satirique. On y retrouve, par exemple, la même ostentation vaine d’une langue prétendument atticiste : comme le Criton de Lucillius, le maître de rhétorique est convaincu que les expressions attiques sont indispensables pour faire forte impression sur le public. Son élève doit choisir « une quinzaine ou une vingtaine au plus de mots attiques » (Rh. Pr. 16 : πεντεκαίδεκα ἢ οὐ πλείω γε τῶν εἴκοσιν Ἀττικὰ ὀνόματα) ; il doit avoir toujours, sur le bout de la langue, les mots « ἄττα et κᾆτα et μῶν et ἀμηγέπη et λῷστε et d’autres expressions analogues », pour les « saupoudrer » sur tout discours comme un assaisonnement (ἐν ἅπαντι λόγῳ καθάπερ τι ἥδυσμα ἐπίπαττε αὐτῶν)45. Cette méthode pédagogique n’enseigne pas à éviter les solécismes et les barbarismes – qui, comme on l’a vu, étaient un risque pour les grammairiens et les rhéteurs ignorants – mais à se justifier, quand on les commet, par l’évocation d’exemples célèbres (et inexistants) de l’usage erroné46. Le maître de Lucien conseille d’utiliser les exemples les plus éloignés, géographiquement et historiquement, du sujet du discours, pour impressionner les auditeurs – les coutumes de l’Inde, la bataille et les héros de Marathon, etc.47. C’est exactement ce que fait l’avocat de Lucillius (AP 11.141 = 50 Floridi), qui parle d’Othryadès et des héros des Thermopyles, de Xerxès et des Spartiates pour plaider une cause relative au vol d’un petit cochon, d’un bœuf et d’une chèvre. Le maître de Lucien dit également à son élève de remplir son discours d’apostrophes aux juges, pour lui imprimer une sorte de cadence (Rh. Pr. 19 : τοὺς ἄνδρας τοὺς δικαστὰς ὀνομάσας ἐμμελῶς πεπληρωκέναι οἴου τὴν ἁρμονίαν) – ce que fait encore le Criton de Lucillius (AP 11.142.1-2 = 51.1-2 Floridi), qui utilise sans cesse l’expression δικασταὶ / ἄνδρες, comme si elle seule garantissait le succès d’un discours. Cette méthode pédagogique n’amène pas, naturellement, à la vertu – but final de l’enseignement rhétorique, selon la conception classique de l’orateur comme vir bonus dicendi peritus. Le rhéteur qui suit la route brève, au contraire, se livrera d’une manière programmatique à tous les vices48. Comme certains maîtres de l’épigramme satirique, il utilisera la nuit pour se dédier à ses nombreuses amours (Rh. Pr. 23 : καὶ νύκτωρ τι ἄλλο ὑποτελεῖν, « [ta langue peut] avoir la nuit d’autres emplois »)49. C’est grâce à

45 Voir aussi Lucien, Rh. Pr. 18. 46 Lucien, Rh. Pr. 17. 47 Lucien, Rh. Pr. 18. 48 Lucien, Rh. Pr. 23 : πάντα πράγματα ποιεῖν σοι δεδόχθω, κυβεύειν μεθύσκεσθαι λαγνεύειν μοιχεύειν, « fais-toi une loi de te livrer à tous les vices : sois joueur, ivrogne, débauché, adultère ». 49 Voir le pédagogue de Lucillius, AP 11.139 = 48 Floridi, qui la nuit « s’exerce » avec la mère de son élève ; ou la question malicieuse posée par la persona loquens au παιδοτρίβης d’Automédon, AP 12.34.6 = GPh 1580 : Σὺ καὶ νύκτωρ, φίλτατε, παιδοτριβεῖς ;, « mon cher, est-ce que tu fais le maître aussi la nuit ? ».

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la rhétorique, ainsi conçue, que tout le monde peut gagner une certaine distinction sociale : le maître de Lucien déclare que né d’un père inconnu, il a été esclave avant d’acquérir gloire et richesse grâce à son ignorance, à son effronterie et à ses mœurs sexuelles (il a été au service d’un homme, puis il a épousé une riche vieille50). La méthode décrite par Lucien est donc une « anti-pédagogie »51. À l’époque de l’auteur, il y avait apparemment des faux savants, qui rencontraient le succès en dépit de leur ignorance et qui pouvaient faire carrière après une préparation superficielle et dénuée de tout contenu solide. L’épigramme satirique, comme l’œuvre de Lucien, nous offre un témoignage qui, au-delà de l’exagération satirique, doit faire réfléchir à la réalité historique que ces textes permettent effectivement de saisir52. Les pratiques pédagogiques antiques pouvaient, en effet, favoriser cette situation. Comme nous en informe Quintilien (II, 1, 1-3), souvent les rhéteurs préféraient se consacrer aux déclamations plutôt qu’à l’enseignement ; les grammairiens, donc, pouvaient « usurper », pour ainsi dire, leur métier, et délivrer des enseignements qui auraient dû rester en dehors de leur sphère de compétence53. Juvénal, dans sa représentation satirique du graeculus esuriens, qui exerce toutes sortes de métiers pour ne pas mourir de faim, cite, entre autres activités auxquelles il se livre, aussi celles de grammairien et de rhéteur54 : au-delà de la déformation satirique, il semble, comme dans certaines épigrammes, que les professions liées à la transmission de la culture pouvaient être pratiquées, sans trop de difficultés, par tous ceux qui décidaient de s’y livrer. La grammaire, comme le dit AP 11.400, pouvait être une « nourrice » bienveillante, à laquelle presque tout le monde pouvait recourir.

50 Lucien, Rh. Pr. 24. Épouser une vieille femme par opportunisme est aussi un cliché épigrammatique : Parménion, AP 11.65 = GPh 2616 ss. ; Martial, IX, 80 ; voir aussi anonyme, AP 11.202 et AP 11.425. 51 Le professeur de rhétorique de Lucien suggère une méthode qui renverse, sur bien des points, celle recommandée par Quintilien dans son Institutio oratoria : voir F. R. Nocchi, « Scelesti magistri : per un’antipedagogia nel mondo antico », dans D. Bianconi, G. Agosti (éd.), Pratiche didattiche tra centro e periferia nel Mediterraneo tardoantico, Atti del convegno internazionale (Roma, 13-15 maggio 2015), Spoleto, 2019, p. 47-68. Pour une analyse du Maître de rhétorique et de son anti-pédagogie ironique, voir aussi Hall, Lucian’s Satires…, p. 252-278, et, plus récemment, C. A. Gibson, « How (not) to learn rhetoric : Lucian’s Rhetorum Praeceptor as Rebuttal of a School Exercise », GRBS, 52, 2012, p. 89-110, qui propose de lire le dialogue de Lucien comme la réélaboration de la chreia d’Isocrate sur les racines amères et les doux fruits de l’éducation. 52 Selon Cribiore, « Lucian, Libanius… », le dialogue de Lucien montrerait qu’à partir du iie siècle ap. J.-C., et jusqu’à l’époque de Libanios, quelques changements intervinrent dans les modalités de la formation rhétorique. À côté du cursus traditionnel, long, fatigant et dispendieux, en termes de temps et d’argent, la possibilité existait probablement de choisir une « route » plus brève, destinée aux étudiants qui se contentaient d’une carrière d’avocat et ne visaient pas nécessairement à devenir des σοφισταί (sur la distinction terminologique entre σοφιστής et ῥήτωρ, qui semblerait opérative dans Le Maitre de Rhétorique, voir p. 84-85). 53 Cette « invasion » des grammatici dans le domaine des rhéteurs est décrite aussi par Cicéron, De oratore, III, 108. 54 Juvénal, III, 76-78 : grammaticus, rhetor, geometres, pictor, aliptes, / augur, schoenobates, medicus, magus – omnia novit / Graeculus esuriens, « grammairien, rhéteur, géomètre, peintre, volatile, augure, danseur, médecin, magicien : un Grec qui a faim sait tout faire ».

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Les critiques adressées aux « passeurs de culture » qu’on trouve dans la littérature satirique pouvaient donc être motivées par une situation réelle qui voyait fleurir l’improvisation, l’imposture et la superficialité chez ceux qui s’affichaient comme des spécialistes du savoir. Mais il est intéressant de noter que les auteurs qui se moquent des grammairiens et des rhéteurs ignorants étaient eux-mêmes, tout compte fait, des « passeurs de culture » – ainsi Lucien, rhéteur de profession, mais c’était également le cas des épigrammatistes qui écrivaient des textes satiriques. Même si les détails de leurs biographies pour la plupart nous échappent55, leurs poèmes montrent clairement, par leur caractère très souvent sophistiqué, voire érudit et reposant sur une culture « grammaticale »56, qu’ils étaient des hommes de culture – et peut-être même parfois des grammairiens et des rhéteurs, tout comme les cibles de leur satire. Quand ils rient de ces personnages, ils rient donc des défauts de leurs collègues. C’est, naturellement, une stratégie pour s’en distinguer : Lucien, dans la clôture du Maître de rhétorique, dit qu’il va abandonner la profession, puisqu’elle est désormais l’apanage des effrontés qui suivent la route brève, pas des « timides et sans courage » comme lui57. Même si on ne doit pas nécessairement lire cette affirmation comme une déclaration autobiographique, il est clair que l’auteur, avec cet opuscule, veut mettre en lumière les défauts d’une certaine pédagogie existant à son époque. Dans l’épigramme satirique, on ne doit pas nécessairement penser toujours à une prise de distance sérieuse. La critique des fautes professionnelles des collègues peut être aussi une manière d’en rire, en faisant montre de sa propre supériorité. La même ambivalence se rencontre dans le Philogelos, un recueil de plaisanteries probablement mis par écrit entre les ive et ve siècles58 par des grammairiens59 : parmi les personnages dont on se moque le plus souvent, figure le σχολαστικός, l’« intellectuel », décrit comme le prototype de l’idiot. Il est, comme on l’a dit, un « homme qui a trop fréquenté l’école et les livres, et en a un peu perdu le sens des réalités »60. Mais les grammairiens qui ont recueilli ces boutades sont, à leur tour, des σχολαστικοί. En riant du σχολαστικός, ils rient donc, d’une certaine manière, d’eux-mêmes – ou tout au moins, des défauts de leurs collègues, avec lesquels ils

55 On ne sait que peu de choses de la vie d’auteurs comme Lucillius, Nicarque, Ammien. Pour Lucillius, on a proposé (entre autres) une identification avec le grammairien Lucius de Tharres ; même si l’identification est improbable, le poète déploie, dans ses épigrammes, une culture « rhétorique » qui incite à penser qu’il pouvait pratiquer un métier lié aux lettres (pour une discussion du problème, voir Floridi, Lucillio…, p. 5-8, avec bibliographie). 56 Les poèmes d’Ammien, par exemple, révèlent souvent la formation grammaticale/rhétorique de leur auteur : voir L. Floridi, « The Language of Greek Skoptic Epigram of the I-II centuries AD », dans A. Rengakos, E. Sistakou (éd.), Dialect, Diction, and Style in Literary and Epigraphic Epigram, (Trends in Classics, Supplementary Volume 43), Berlin-Boston, 2016, p. 90-95, avec bibliographie. 57 Lucien, Rh. Pr. 26. 58 M. Andreassi, Le facezie del Philogelos. Barzellette antiche e umorismo moderno, Lecce, 2004, p. 33-37. 59 Philagrios, qui est indiqué comme l’auteur du Philogelos avec Hiéroclès par le manuscrit le plus complet ayant transmis l’oeuvre (le Par. Suppl. gr. 690, xie siècle), est qualifié de « grammairien » (ἐκ τῶν ‛Ιεροκλέους καὶ Φιλαγρίου γραμματικοῦ ; Andreassi, Le facezie…, p. 27-29). 60 A. Zucker, Va te marrer chez les Grecs (Philogelos), Paris, 2008, p. 86.

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prennent leurs distances61. D’une façon similaire, en ridiculisant les exemples négatifs dans l’exercice des professions liées à la culture, les épigrammatistes – poètes dont on peut imaginer qu’ils exerçaient les métiers de précepteurs, grammairiens, etc. – se rangent implicitement dans une catégorie différente, dépourvue des défauts qui caractérisent beaucoup de leurs collègues.

La pauvreté de l’homme de lettres : le cas de Palladas Mais si presque tout le monde pouvait s’improviser maître d’éloquence pour échapper à la faim, cela ne signifie pas que la profession était particulièrement bien payée. Au contraire, plusieurs épigrammes décrivent la carrière du pédagogue comme un métier difficile, qui voue à la pauvreté ceux qui s’y dédient62, et ce statut est confirmé par d’autres sources, littéraires mais pas seulement63. Un cas particulier, dans l’épigramme, est celui de Palladas, qui utilise le stéréotype de l’indigence de l’homme de lettres pour se présenter, dans une sorte de σκῶμμα (sarcasme) « autoréflexif », comme un pauvre γραμματικός, toujours aux prises avec les difficultés d’un métier frustrant et humble64. L’enseignement de la grammaire comporte douleur et souffrance : il est une « malédiction … en cinq vers » (πεντάστιχος κατάρα …, AP 9.173.1), puisqu’il commence par l’Iliade, le poème de l’ire d’Achille, dont les premiers hexamètres sont pleins de termes liés aux champs sémantiques de la rage, du deuil, de la mort ; le grammairien, qui rencontre tous ces maux depuis le début de son métier, ne peut que ressentir, à chaque fois, μέγα πένθος, « un grande deuil » (AP 9.173.8)65. Mais ce n’est pas seulement une question d’état d’âme, toujours en proie à la tristesse : il y a aussi un problème économique. Les élèves changent d’école pour ne pas payer au grammairien son salaire (AP 9.174.9-12)66, au point que le pauvre γραμματικός finit par vendre ses livres et abandonner son métier pour entreprendre une carrière différente (AP 9.171)67. 61 Voir M. Bettini, « Prefazione », dans T. Braccini, Come ridevano gli antichi (Philogelos), Genève, 2008, p. 19-22. 62 C’est le thème proverbial litterae non dant panem, « les lettres ne donnent pas de pain » : même si l’expression n’est pas attestée dans les littératures classiques (Tosi, DSLG, n. 1839, p. 1340), la pauvreté est un trait typique de l’(auto)représentation du poète en Grèce et à Rome. 63 Voir la bibliographie citée supra, n. 27. 64 Pour l’analyse détaillée des épigrammes de Palladas sur la pauvreté, voir surtout W. J. Henderson, « The Poor Poet : Palladas on Poverty », Ekklesiastikos Pharos n.s. 20, 91, 2009, p. 218-237. 65 Des jeux sur l’incipit de l’Iliade et sur la µῆνις, qui pour le grammairien est une condition existentielle, se rencontrent aussi dans Palladas, AP 9.168-169, AP 9.174.2. Pour un thème similaire, Lucillius, AP 11.279 = 111 Floridi. 66 Sur cette épigramme, voir A. Cameron, « Roman School Fees », Classical Review n.s. 15, 1965, p. 257 ; une situation similaire est décrite par Augustin, Confessions, V, 12, 22 ; voir Kaster, Guardians of Language…, p. 120. 67 Le thème de la vente des livres est traité aussi dans AP 9.175, mais le ton est différent : dans AP 9.171, la persona loquens est soulagée de quitter le métier de grammairien ; dans AP 9.175, au contraire, elle y est forcée et exprime sa détresse. On a généralement lié ce changement dans la vie de Palladas aux soulèvements anti-païens inspirés par Théophile, évêque d’Alexandrie, en 391 ; la récente proposition d’avancer la vie

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Le thème de la pauvreté du grammairien est souvent mêlé, chez Palladas, avec celui de l’infortune conjugale : dans AP 11.378, le poète se dit également affligé par la grammaire et par sa femme – mais si, récemment, il a quitté la grammaire ἄπορος, « qui apporte la pauvreté », il ne peut pas quitter sa femme, car la loi l’en empêche68 ; d’une manière similaire, dans AP 9.168, il impute ses problèmes à la grammaire ainsi qu’à la femme μαχίμη, « combattive ». Le thème de la pauvreté du grammairien n’est pas seulement un clin d’œil autobiographique : dans AP 11.383, Palladas conte l’histoire d’un âne qui était au service d’un alabarque et qui est maintenant passé chez un grammairien. Par un jeu de mots tiré des habitudes linguistiques des γραμματικοί, le poète invite l’animal à se résigner à la faim. De même qu’ils coupent les mots (notamment, κριθή, « orge », qui devient, selon sa forme poétique, κρῖ), de même les grammairiens diminuent de moitié la ration des bêtes de somme – et ce comportement est certainement à mettre en relation avec les conditions économiques des grammairiens eux-mêmes. Comme toujours quand on examine les déclarations autobiographiques antiques, on ne peut établir exactement le degré de « vérité » des affirmations de Palladas sur lui-même et sur sa position sociale. Il est assez probable, en effet, qu’il ait été grammairien ; que sa condition économique ne fût pas florissante est certainement possible, même s’il y a, probablement, de l’exagération quand il se présente comme un homme « pauvre » (un poème comme AP 10.86, où le poète nous dit qu’il peut maintenir, même si c’est d’une façon modeste – οὐ δαψιλῶς, v. 1 – des fils, une femme, un serviteur, des poulets et un chien, est probablement assez proche de la réalité). Quoi qu’il en soit, il est intéressant qu’il choisisse le cliché de la pauvreté de l’homme de lettres pour son autoportrait, car il semble établir une continuité entre la modestie de sa condition sociale et celle du genre littéraire pratiqué par le poète, l’humble épigramme. Genre « mineur », écrit par des auteurs « mineurs », l’épigramme est, par sa nature, particulièrement apte à véhiculer l’image de la subordination sociale et économique du poète qui s’y consacre. Lucia Floridi Alma Mater Studiorum – Université de Bologne

Bibliographie G. Anderson, Lucian : Theme and Variation in the Second Sophistic, Leyde, 1976. M. Andreassi, Le facezie del Philogelos. Barzellette antiche e umorismo moderno, Lecce, 2004. du poète à l’âge de Constantin, déterminée par la publication du P.CtYBR inv. 4000 (Wilkinson 2012), imposerait de rejeter ce cadre chronologique ; pour une discussion du problème, avec bibliographie relative, voir L. Floridi, « Considerazioni in margine alla datazione di Pallada d’Alessandria », ZPE, 197, 2016, p. 51-69, et L. Benelli, « The Age of Palladas », Mnemosyne, 69, 2016, p. 978-1007. 68 Pour les interprétations proposées pour l’épigramme, voir Floridi, « Considerazioni… », p. 62-65 ; L. Benelli, « The Age… », p. 993-997.

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Aspects et enjeux de la représentation des figures d’enseignants dans les Épigrammes de Martial

Parmi les multiples personnages et types moraux ou sociaux qui peuplent les Épigrammes de Martial, on ne saurait s’étonner de rencontrer un certain nombre de figures d’enseignants. Il s’agit là, en effet, d’un thème qui n’est pas sans antécédents ou parallèles dans la tradition épigrammatique1. Pour autant, cela ne signifie pas que Martial se bornerait à une pure et simple reprise d’un catalogue de figures stéréotypées. Comme on va le voir, il nous apparaît en effet que l’image que Martial s’attache à donner des enseignants a un rôle à jouer dans le projet poétique et la conception du genre épigrammatique que notre auteur met en œuvre. Mais, avant d’en venir là, il convient de dégager les principaux aspects des figures d’enseignants mises en scène par Martial. On commencera cet examen par le premier degré de l’enseignement2 – celui où officie le ludi magister – en citant une épigramme célèbre, dans laquelle Martial brosse un portrait peu flatteur d’un maître d’école (IX, 68)3 : Quid tibi nobiscum est, ludi scelerate magister, inuisum pueris uirginibusque caput ? Nondum cristati rupere silentia galli : murmure iam saeuo uerberibusque tonas.

1 Cf. F. J. Brecht, Motiv- und Typengeschichte des griechischen Spottepigramms (Philologus, Supplementband 22, Heft 2), Leipzig, 1930, p. 27-30 et 32-37 ; G. Mazzoli, « Epigrammatici e grammatici : cronache d’una familiarità poco apprezzata », Sandalion, 20, 1997, p. 99-116. 2 On n’étudiera pas ici dans le détail les références de Martial à des paedagogi, pédagogues de jeunes gens libres ou de jeunes esclaves : cf. III, 58, 30 ; VIII, 44, 2 ; IX, 27, 11 ; X, 62, 10 [texte cité ci-dessous, p. 367] ; XI, 39 ; XII, 49, 1. 3 Nous citons le texte de Martial d’après l’édition d’H. J. Izaac, Martial. Épigrammes. Texte établi et traduit par H. J. Izaac (Collection des Universités de France), 2 t. en 3 vol., Paris, 1930-1933. Nos traductions sont personnelles. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 365-383 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121446

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Tam graue percussis incudibus aera resultant, causidicum medio cum faber aptat equo : mitior in magno clamor furit amphitheatro, uincenti parmae cum sua turba fauet. Vicini somnum – non tota nocte – rogamus : nam uigilare leue est, peruigilare graue est. Discipulos dimitte tuos. Vis, garrule, quantum accipis ut clames, accipere ut taceas ? « Qu’avons-nous à faire avec toi, scélérat de maître d’école, tête haïe des garçons et des jeunes filles ? Les coqs à haute crête n’ont pas encore brisé le silence : déjà tu fais un bruit de tonnerre avec ton grondement cruel et tes coups. Aussi fort retentit le bronze sur les enclumes que l’on frappe, quand un ouvrier fixe un avocat au milieu de son cheval ; plus douce se déchaîne la clameur dans le grand amphithéâtre, quand la foule de ses partisans applaudit un petit bouclier vainqueur. Nous, les voisins, nous demandons le sommeil – pas toute la nuit : car veiller est chose légère, mais veiller sans cesse est pesant. Renvoie tes élèves. Veux-tu, bavard, ce que tu reçois pour crier, le recevoir pour te taire ? » Le ludi magister apparaît ici comme odieux à ses élèves autant qu’à son voisinage. Cette haine générale, il la doit à deux caractéristiques bien connues des enseignants dans les représentations qui s’attachent à ces personnages : ses coups (v. 4 : uerberibus) et sa voix tonitruante (murmure…saeuo…tonas)4 qui se font entendre dès l’aube5. Cette image est traditionnelle6, et dans une certaine mesure intemporelle, mais Martial en donne une version particulièrement piquante, notamment par l’hyperbole qui sert à décrire le vacarme produit par les coups et les cris du maître d’école, comparés





4 La leçon tonas est adoptée par les éditeurs, mais sonas, forme donnée par une famille (β) des manuscrits, est retenu par C. Henriksén, A commentary on Martial, Epigrams Book 9, Oxford, 2012 (réédition actualisée de C. Henriksén, Martial Book IX. A commentary (Acta Universitatis Upsaliensis, Studia Latina Upsaliensia, 24), 2 vol., Uppsala, 1998-1999), p. 286, qui suggère d’y voir une allusion plaisante aux Enfers de l’Énéide (VI, 557-558 : hinc exaudiri gemitus et saeua sonare / uerbera, tum stridor ferri tractaeque catenae, « de là on entend des gémissements, résonner des coups cruels, puis le grincement du fer et les chaînes traînées »). 5 Sur le commencement des cours à l’aube, cf. aussi IX, 29, 7 [passage cité ci-dessous, n. 8] ; XII, 57, 5 ; XIV, 223 ; voir aussi Ovide, Amours, I, 13, 17 ; Juvénal, Satires, VII, 222-223. 6 Bien connu est l’exemple du plagosus…Orbilius (Horace, Épîtres, II, 1, 70-71 : « Orbilius le frappeur »), grammairien dont Horace avait été l’élève et qui était réputé pour sa sévérité (cf. Suétone, Grammairiens et rhéteurs, 9, 3). Sur l’usage des châtiments corporels dans l’enseignement, voir aussi, notamment, Ov. Am. I, 13, 17-18 ; Juv. I, 15 ; voir également les prises de position contre cette pratique chez Sénèque, De la clémence, I, 16, 3 ; Quintilien, Institution oratoire, I, 3, 14 ; [Plutarque], De l’éducation des enfants, 12 [8 F]. Cf. H.-I. Marrou, Histoire de l’éducation dans l’Antiquité, 6e éd., Paris, 1965, p. 397-398 ; S. F. Bonner, Education in ancient Rome. From the Elder Cato to the Younger Pliny, Berkeley – Los Angeles, 1977, p. 143-145 ; C. Wolff, L’éducation dans le monde romain. Du début de la République à la mort de Commode, Paris, 2015, p. 191-195.

A s p ects e t e n j e u x d e l a r e p r é s e n tat i o n d es f i gu re s d’e nse i gnant s

respectivement au fracas du bronze martelé sur une enclume (v. 5-6)7 et aux cris d’une foule de supporters pendant un combat de gladiateurs (v. 7-8). On retrouve, de manière plus ponctuelle, cette image du maître d’école braillard dans l’épigramme V, 84, où, à la fin des Saturnales, un enfant « est rappelé [à l’école] par son maître criard » (v. 2 : clamoso reuocatur a magistro)8 ainsi que dans l’épigramme XII, 57, où les ludi magistri sont cités en premier (v. 5) dans la liste des représentants de professions bruyantes qui empêchent le narrateur de trouver le sommeil à Rome. Quant à la proverbiale sévérité des maîtres, on en relève une illustration dans l’épigramme XIV, 80, où des férules sont qualifiées d’« extrêmement odieuses aux enfants et chères à leurs maîtres » (v. 1 : inuisae nimium pueris grataeque magistris)9, ainsi que dans l’épigramme X, 62, qui consiste, comme l’épigramme IX, 68, en une adresse à un maître d’école10 : Ludi magister, parce simplici turbae : sic te frequentes audiant capillati et delicatae diligat chorus mensae, nec calculator nec notarius uelox maiore quisquam circulo coronetur. Albae leone flammeo calent luces tostamque feruens Iulius coquit messem. Cirrata loris horridis Scythae pellis, qua uapulauit Marsyas Celaenaeus, ferulaeque tristes, sceptra paedagogorum, cessent et Idus dormiant in Octobres : aestate pueri si ualent, satis discunt. 7 L’expression causidicum medio cum faber aptat equo (v. 6) fait référence à la fabrication d’une statue équestre en bronze d’un avocat (voir aussi Juv. VII, 125-128) : sur ce passage, cf. notamment Henriksén, A commentary on Martial…, p. 287. 8 Voir aussi l’épigramme IX, 29, où une femme bavarde est comparée à la « troupe aux cheveux bouclés du maître d’école matinal » (v. 7 : matutini cirrata caterua magistri). Mais, dans ce cas, ce sont les élèves plutôt que le maître qui sont désignés comme bavards et bruyants. 9 Cf. aussi XIV, 19, 2 (à propos de noix utilisées pour jouer : saepe tamen pueris abstulit illa natis, « pourtant, [ce jeu] a souvent coûté aux enfants leurs fesses »), avec le commentaire de T. J. Leary, Martial Book XIV : the Apophoreta. Text with introduction and commentary, 2e éd., Londres, 2002, p. 72 (cependant, certains commentateurs voient dans ce passage une allusion sexuelle plutôt qu’aux châtiments corporels à l’école : cf. L. Friedländer, M. Valerii Martialis Epigrammaton libri. Mit erklärenden Anmerkungen, Leipzig, 1886, vol. 2, p. 305, citant l’interprétation de J. F. Gronov). 10 Sur cette épigramme, cf. A. D. Booth, « The schooling of slaves in first-century Rome », Transactions of the American Philological Association, 109, 1979, p. 11-19, ici p. 11-13 et 19, qui estime que les capillati mentionnés au v. 2 sont de jeunes esclaves scolarisés auprès du maître à qui Martial s’adresse ici (interprétation approuvée par R. Niehl, dans G. Damschen, A. Heil (éd.), Marcus Valerius Martialis. Epigrammaton liber decimus. Das zehnte Epigrammbuch. Text, Übersetzung, Interpretationen (Studien zur klassischen Philologie, 148), Francfort/M., 2004, p. 233-234). Mais une autre explication donnée du terme voit dans capillati (de même que dans la cirrata caterua de l’épigramme IX, 29, 7 [cf. ci-dessus, n. 8] ; voir aussi Perse, Satires, I, 29) une manière de désigner simplement les enfants, présumés de statut libre, qui suivent l’enseignement de ce maître : cf. notamment Friedländer, M. Valerii Martialis Epigrammaton libri…, vol. 2, p. 143 ; Henriksén, A commentary on Martial…, p. 132 (ad IX, 29, 7).

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« Maître d’école, épargne cette naïve foule : puisses-tu en retour avoir pour auditeurs de nombreux jeunes gens aux cheveux longs et que leur chœur qui entoure gracieusement la table t’ait en affection ; que nul professeur d’arithmétique, nul sténographe rapide ne soit entouré d’un cercle plus nombreux. La claire lumière des jours s’échauffe du lion de flammes et le brûlant juillet mûrit la moisson qu’il dessèche. Que le cuir de Scythie découpé en terribles lanières, avec lequel Marsyas de Célènes fut frappé, et les sinistres férules, sceptres des pédagogues, chôment et dorment jusqu’aux ides d’octobre : en été, si les enfants se portent bien, ils apprennent assez. » Martial semble certes faire preuve ici d’un peu plus d’aménité que dans l’épigramme IX, 68, mais il ne manque pas de faire référence à la sévérité redoutable de l’enseignant, en lui demandant d’épargner ses élèves (v. 1 : parce) et de renoncer momentanément à ses instruments que sont les martinets et les férules (v. 8-11), afin de laisser les enfants prendre des vacances : c’est donc en contrepartie de sa clémence que l’épigrammatiste lui souhaite que beaucoup d’élèves fréquentent son école et qu’ils nourrissent de bons sentiments à son égard, à la différence de son confrère de l’épigramme IX, 68. Or ce thème de la capacité d’un enseignant à attirer – ou non – des élèves fournit matière à raillerie dans un texte qui précède de peu cette épigramme dans le même livre (X, 60) : Iura trium petiit a Caesare discipulorum assuetus semper Munna docere duos. « Munna a sollicité de César les droits des trois élèves, lui qui avait toujours été habitué à en avoir deux à instruire. » Martial se livre ici à un jeu de mots par allusion au ius trium liberorum11. Le poète invente ainsi un ius trium discipulorum12, un « droit des trois élèves » dont l’obtention serait convoitée par un enseignant qui jusqu’ici n’en avait que deux, ce qui revient à dire qu’il rencontrait fort peu de succès et manquait de clientèle13. Mais, étant donné le tour très succinct de cette épigramme, il apparaît difficile de dire avec certitude si le personnage est un maître d’école primaire, ou plutôt un grammairien ou un rhéteur.

11 Sur le ius trium liberorum, cf. par exemple M. Kaser, Das römische Privatrecht. Erster Abschnitt. Das altrömische, das vorklassische und klassiche Recht (Handbuch der Altertumswissenschaft, 10, 3, 3, 1), Munich, 1955, p. 273. Celui-ci concernait en principe les parents de trois enfants, mais pouvait aussi être conféré à des gens sans enfants ou non mariés : Martial était lui-même détenteur du ius trium liberorum et en fait état avec fierté à plusieurs reprises (cf. II, 91 et 92 ; III, 95, 5-6 ; IX, 97, 5-6). 12 Sur cette expression, cf. aussi B. Hessen, dans Damschen, Heil (éd.), Marcus Valerius Martialis. Epigrammaton liber decimus…, p. 227-228. 13 Bonner, Education in ancient Rome…, p. 131-132, rapproche cette épigramme d’un trait d’esprit de Diogène le Cynique à l’adresse d’un maître officiant devant un auditoire de peu d’élèves (cf. Diogène Laërce, Vies et doctrines des philosophes illustres, VI, 69 ; voir aussi Athénée, Deipnosophistes, VIII, 41, 348 D).

A s p ects e t e n j e u x d e l a r e p r é s e n tat i o n d es f i gu re s d’e nse i gnant s

Ce qui nous amène à aborder maintenant la question de l’image donnée par Martial des représentants de ces degrés plus élevés14 du cursus d’enseignement15. Dans l’épigramme IX, 73, le poète se présente sous les traits d’un homme ayant lui-même fréquenté les écoles du grammairien et du rhéteur et regrettant d’avoir suivi cette voie (v. 7-10)16 : At me litterulas stulti docuere parentes : quid cum grammaticis rhetoribusque mihi ? Frange leues calamos et scinde, Thalia, libellos, si dare sutori calceus ista potest. « Mais moi, mes idiots de parents m’ont fait apprendre les pauvres lettres : qu’avais-je à faire avec les grammairiens et les rhéteurs ? Brise tes frêles roseaux et déchire, Thalie, tes petits livres, si une chaussure peut donner cela à un cordonnier. » Ces vers doivent être replacés dans leur contexte : le narrateur oppose ici sa situation à celle d’un ex-cordonnier, un ancien esclave manifestement sans culture ni éducation, 14 La hiérarchie des degrés de l’enseignement est citée en ordre descendant dans l’épigramme VII, 64, 7-8 (le narrateur s’y adresse à un affranchi devenu riche, mais amené par la suite à s’exiler) : non rhetor, non grammaticus ludiue magister /…esse potes (« tu ne peux pas être rhéteur, ni grammairien ou maître d’école… »). 15 Des enseignements plus spécialisés ou techniques sont également mentionnés par Martial. Ainsi, on a déjà cité [ci-dessus, p. 367] l’épigramme X, 62, où apparaissent (v. 4) des enseignants d’arithmétique (calculator) et de sténographie (notarius) : cf. Booth, « The schooling of slaves… », p. 11 (n. 4), 13, 14 (n. 13) et 19, qui souligne qu’il s’agit là d’un enseignement pouvant être destiné à des esclaves (cf. aussi S. L. Mohler, « Slave education in the Roman Empire », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 71, 1940, p. 262-280, ici p. 266 ; C. A. Forbes, « The education and training of slaves in Antiquity », Transactions and Proceedings of the American Philological Association, 86, 1955, p. 321-360, ici p. 342) ; sur les calculatores, cf. aussi, plus généralement, A. Bérenger, « Les “calculatores” », dans XI Congresso internazionale di epigrafia greca e latina. Roma, 18-24 settembre 1997. Atti, vol. 1, p. 639-647. Voir également l’épigramme V, 9, où Martial met en scène un médecin venant au chevet du narrateur avec tout un groupe d’élèves. On relèvera aussi la mention de magistri de disciplines artistiques ou sportives : chef d’une troupe de danseuses gaditaines, célèbres pour leurs danses lascives (I, 41, 12 : de Gadibus improbus magister, « un impudique maître de danse de Gadès »), gladiateur exerçant aussi une activité de magister (V, 24, 3 : Hermes et gladiator et magister), entraîneur de boxe (VII, 32, 5 : fracta…aure magister, « un maître à l’oreille broyée ») ou de gymnastique (VII, 67, 8), ou encore dresseurs d’animaux (Livre des spectacles, 10, 1 ; 17, 3 ; 18, 1 ; 22, 1 ; I, 48, 1 ; I, 104, 10 ; II, 75, 1 ; XI, 69, 1). Quant au terme magistra, il est appliqué à une prostituée expérimentée auprès de qui un homme est invité à aller s’initier aux relations sexuelles avec les femmes (XI, 78, 11 : ergo Suburanae tironem trade magistrae, « confie donc ton apprentissage à une maîtresse de Subure »). 16 Nous comprenons en ce sens – indépendamment de toute interprétation autobiographique du passage, qui ne nous paraît pas opportune – le v. 8 de cette épigramme : cf. la traduction d’Izaac, Martial. Epigrammes…, t. 2, p. 62, que nous suivons pour ce vers ; P. Parroni, « Gli stulti parentes di Marziale e il prezzo di una vocazione (nota a mart. 9, 73) », dans Studi di poesia latina in onore di Antonio Traglia (Storia e Letteratura, Raccolta di Studi e Testi, 147), Rome, 1979, vol. 2, p. 833-839, ici p. 836, n. 14. Une autre interprétation (cf. par exemple Henriksén, A commentary on Martial…, p. 303 ; néanmoins, dans la 1ère édition de l’ouvrage [cf. ci-dessus, n. 4], vol. 2, p. 89-90, une interprétation similaire à celle que nous suivons ici était adoptée) voit dans cette expression une distanciation de portée plus générale vis-à-vis de la formation acquise auprès des grammairiens et des rhéteurs. T. Gärtner, « Kritisch-Exegetisches zu den Epigrammen Martials (II. Teil) », Prometheus, 34, 2008, p. 53-64, ici p. 53-54, a proposé au v. 8 de corriger mihi en tibi (l’expression concernerait ainsi l’affranchi à qui s’adresse le narrateur), mais cette correction ne nous paraît pas s’imposer.

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qui est devenu riche et vit maintenant dans un luxe insolent. On a donc affaire à une situation topique, destinée à illustrer le motif de la pauvreté des hommes de lettres17 face à la réussite arrogante des nouveaux riches. S’il convient par conséquent de se garder d’une interprétation littérale et autobiographique de ce passage, la mention des grammairiens et rhéteurs dans ce contexte n’en est pas moins révélatrice, dans la mesure où ceux-ci peuvent apparaître ici comme les représentants d’une instruction et d’une culture dévalorisées et battues en brèche par la montée en puissance des parvenus et la ploutocratie dénoncées par Martial comme par d’autres écrivains du temps18. Une idée semblable est exprimée dans l’épigramme V, 56, où le narrateur apporte une réponse ironique à la demande de conseil d’un interlocuteur : Cui tradas, Lupe, filium magistro quaeris sollicitus diu rogasque. Omnes grammaticosque rhetorasque deuites moneo : nihil sit illi cum libris Ciceronis aut Maronis ; famae Tutilium19 suae relinquat ; si uersus facit, abdices poetam. Artes discere uolt pecuniosas ? Fac discat citharoedus aut choraules ; si duri puer ingeni uidetur, praeconem facias uel architectum. « À quel maître confier ton fils, tu te le demandes depuis longtemps avec inquiétude, Lupus, et tu en poses la question. Je te conseille d’éviter tous les grammairiens et rhéteurs : qu’il n’ait rien à faire avec les livres de Cicéron ou de Virgile ; qu’il laisse Tutilius à sa renommée ; s’il fait des vers, renie le poète. Il veut apprendre des métiers lucratifs ? Fais qu’il apprenne celui de citharède ou de flûtiste accompagnateur ; si l’enfant semble avoir une intelligence épaisse, fais-en un commissaire-priseur ou un architecte. » Ici encore, le propos ne doit évidemment pas être pris au pied de la lettre, et il faut faire la part de l’ironie de ce texte. Mais il n’en reste pas moins que, une fois de

17 Sur le thème de la pauvreté des hommes de lettres et notamment des poètes, voir aussi I, 76 ; III, 4, 6-8 ; III, 38, 7-10 ; V, 16 ; VI, 8 ; VI, 82 ; X, 74 et 76. Pour l’usage du motif dans la littérature latine d’époque impériale, voir aussi Juv. VII ; Pétrone, Satiricon, 83, 7-84, 4. 18 Pour la critique des parvenus chez Martial, voir notamment les épigrammes visant le personnage récurrent de Zoïle, très souvent désigné comme un nouveau riche (cf. en particulier II, 16 ; II, 19 ; II, 58 ; II, 81 ; III, 29 ; III, 82 ; V, 79 ; XI, 12 ; XI, 37 ; XI, 54) ; et voir aussi II, 29 ; III, 16 ; III, 59 ; III, 99 ; V, 8 ; V, 13 ; VI, 17 ; X, 27. Cf. également, dans l’épigramme grecque, Anthologie Palatine, XI, 17 (Nicarque) et, pour l’usage du thème chez les auteurs latins d’époque impériale, voir, outre le célèbre Trimalcion du Satiricon, par exemple Horace, Épodes, 4 ; Juv. I, 26-29 et 102-111 ; III, 34-40 et 153-158 ; IV, 1-33 ; VII, 14-16. 19 Sur Tutilius, cf. Quint. III, 1, 21 ; le personnage est peut-être à identifier avec le Tutilius mentionné par Pline le Jeune, Lettres, VI, 32, 1. Cf. PIR2, VIII, 1, T 433 ; A. Canobbio, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber quintus (Studi Latini, 75), Naples, 2011, p. 464.

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plus, l’éducation acquise, en l’occurrence par les orateurs ou les poètes20, auprès des grammairiens et des rhéteurs est présentée comme bien peu prometteuse sur le plan financier, par contraste avec des professions peu prestigieuses, mais qui offrent la perspective de revenus plus substantiels21. Cette remarque n’implique nullement que les grammairiens et les rhéteurs seraient idéalisés par Martial en tant que représentants de la culture et des lettres. En effet, ces professions ne sont pas toujours épargnées, loin de là, par la verve épigrammatique de notre poète. On croise ainsi, au fil de son œuvre, un dilettante qui, entre de multiples activités, se veut grammaticus (II, 7, 4), un autre qui, déjà vieillissant, hésite encore entre le métier d’avocat et celui de rhéteur (II, 64). Ailleurs, dans l’épigramme X, 70, les grammairiens et les rhéteurs sont mentionnés parmi ceux dont les sollicitations importunes empêchent le poète de se consacrer à son art22. Certaines critiques visent de manière plus fondamentale les compétences – ou l’incompétence – de ceux qui exercent ces professions : ainsi, dans l’épigramme III, 25, Martial raille la froideur de l’éloquence d’un rhéteur qui « réfrigère les thermes de Néron » (v. 4 : Neronianas is refrigerat thermas)23, tandis que deux épigrammes du livre V prennent pour cible un rhéteur à la mémoire défaillante (V, 21 et 54)24. Quant aux grammairiens, on relèvera le commentaire livré dans l’épigramme XIV, 12025, à propos d’une cuiller, en latin ligula ou lingula : Quamuis me ligulam dicant equitesque patresque, dicor ab indoctis lingula grammaticis.

20 À propos du rapprochement entre les poètes et les orateurs dans ce texte et dans l’épigramme IX, 73 citée ci-dessus, cf. aussi C. Notter, « La figure de l’orateur dans les épigrammes satiriques de Martial », dans H. Vial (éd.), Poètes et orateurs dans l’Antiquité. Mises en scène réciproques (Erga, Recherches sur l’Antiquité, 13), Clermont-Ferrand, 2013, p. 305-318, ici p. 315-316. 21 Sur les gains des citharèdes et flûtistes, cf. aussi III, 4, 7-8 ; XIV, 215 ; Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XXXVII, 6-7 ; Juv. VII, 175-177 (et cf. X, 211-212) ; Suétone, Vie de Néron, 30, 5 ; Vie de Vespasien, 19, 2. Sur les praecones, cf. Mart. VI, 8 ; Cicéron, Verrines, II, 2, 122 ; Horace, Satires, II, 2, 46-48 ; Petr. 46, 7-8 ; Quint. I, 12, 17 ; Juv. III, 157 ; VII, 5-6. Sur le métier d’architecte, cf. Cicéron, Des devoirs, I, 42, 151, qui le range aux côtés de la médecine et de l’enseignement parmi les professions honorables (honestae) « pour ceux au rang desquels elles conviennent » (iis quorum ordini conueniunt). 22 X, 70, 11-12 : nec causidico possis inpune negare, / nec si te rhetor grammaticusue rogent (« on ne saurait impunément opposer un refus à un avocat, pas plus que si c’est un rhéteur ou un grammairien qui te sollicitent »). 23 Cf. S. Busch, Versus balnearum. Die antike Dichtung über Bäder und Baden im römischen Reich, Stuttgart – Leipzig, 1999, p. 436-439 ; A. Fusi, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber tertius. Introduzione, edizione critica, traduzione e commento (Spudasmata, 108), Hildesheim – Zurich – New York, 2006, p. 244-246 ; Notter, « La figure de l’orateur… », p. 309. 24 Sur ces deux épigrammes, cf. U. Walter, M. Valerius Martialis. Epigramme ausgewählt, eingeleitet und kommentiert (Uni-Taschenbücher, 1954), Paderborn – Vienne – Munich – Zurich, 1996, p. 168-169 ; Canobbio, M. Valerii Martialis Epigrammaton liber quintus…, p. 265-268 et 453-454. 25 Sur cette épigramme, cf. Walter, M. Valerius Martialis…, p. 268 ; Leary, Martial Book XIV…, p. 184 ; F. Grewing, « Etymologie und etymologische Wortspiele in den Epigrammen Martials », dans F. Grewing (éd.), Toto notus in orbe : Perspektiven der Martial-Interpretation (Palingenesia, 65), Stuttgart, 1998, p. 315-356, ici p. 319-320 ; F. Grewing, « Mundus inuersus : Fiktion und Wirklichkeit in Martials Büchern XIII und XIV », Prometheus, 25, 1999, p. 259-281, ici p. 271-278.

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« Bien que chevaliers et sénateurs m’appellent ligula, je suis appelée lingula par d’ignorants grammairiens. » Ironiquement qualifiés d’indocti, ces grammairiens, obnubilés qu’ils sont par leur purisme, négligent et ignorent l’usage26, même quand celui-ci est autorisé par les membres de l’élite de la société romaine. C’est donc la pédanterie ou le snobisme de certains grammatici qui font l’objet de la critique ici27. Même l’épigramme adressée par Martial à Quintilien est jugée ambiguë par des commentateurs (II, 90)28 : Quintiliane, uagae moderator summe iuuentae, gloria Romanae, Quintiliane, togae, uiuere quod propero pauper nec inutilis annis, da ueniam : properat uiuere nemo satis. Differat hoc patrios optat qui uincere census atriaque inmodicis artat imaginibus : me focus et nigros non indignantia fumos tecta iuuant et fons uiuus et herba rudis. Sit mihi uerna satur, sit non doctissima coniunx, sit nox cum somno, sit sine lite dies. « Quintilien, toi qui es le plus grand de ceux qui gardent dans la mesure la jeunesse volage, gloire, ô Quintilien, de la toge romaine, si je me hâte de vivre alors que je suis pauvre et n’ai pas été rendu inutile par les années, pardonne-moi : personne ne se hâte assez de vivre. Que remette cela à plus tard celui qui souhaite dépasser le cens paternel et encombre son vestibule de portraits sans nombre. Moi, un 26 Pour une défense de l’usage, cf. Quint. I, 6, 3 : consuetudo uero certissima loquendi magistra… (« mais l’usage est le plus sûr maître du parler… ») ; voir aussi I, 6, 45, pour une définition de l’usage comme consensus eruditorum (« accord des gens cultivés »). 27 On relèvera aussi que, dans une épigramme où il évoque en termes critiques les amateurs de virtuosités métriques, Martial mentionne (II, 86, 11 : scribat carmina circulis Palaemon, « que Palaemon écrive des poèmes pour les foules réunies en cercle ») les poèmes d’un Palaemon qui semble bien n’être autre que le célèbre grammairien Q. Remmius Palaemon (cf. Suet. Gram. 23, 3 : nec non etiam poemata faciebat ex tempore ; scripsit uero uariis nec uulgaribus metris, « de surcroît il faisait des poèmes en improvisant ; il écrivit en vérité en des mètres variés et peu communs ») : cf. notamment C. A. Williams, Martial. Epigrams Book two. Edited with introduction, translation and commentary, Oxford, 2004, p. 264 (qui n’exclut cependant pas l’éventualité qu’il puisse s’agir d’un homonyme) ; D. Vallat, Onomastique, culture et société dans les Épigrammes de Martial (Collection Latomus, 313), Bruxelles, 2008, p. 86 ; N. Mindt, Martials ‘epigrammatischer Kanon’ (Zetemata, Monographien zur klassischen Altertumswissenschaft, 146), Munich, 2013, p. 243-244 ; R. Moreno Soldevila, A. Marina Castillo, J. Fernández Valverde, A prosopography to Martial’s Epigrams, Berlin – Boston, 2019, p. 441. 28 Cf. notamment S. Lorenz, « Martial und Quintilian (Epigr. 2, 90) », Gymnasium, 121, 2014, p. 45-68, qui souligne en particulier (p. 55-65) les divergences entre l’épigramme II, 90 et certaines des positions exprimées par Quintilien dans l’Institution oratoire, et relève l’effet discordant et humoristique qui résulte d’une lecture de l’épigramme en relation avec celles qui la précèdent et la suivent immédiatement dans le livre (sur le second point, cf. aussi S. Lorenz, Erotik und Panegyrik. Martials epigrammatische Kaiser (Classica Monacensia, 23), Tübingen, 2002, p. 20-21 ; N. Holzberg, Martial und das antike Epigramm. Eine Einführung, 2e éd., Darmstadt, 2012, p. 82-85).

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âtre et un toit qui ne s’indigne pas de recevoir de noires fumées, une source d’eau vive et une herbe rustique me plaisent. Puissé-je avoir un esclave bien nourri, une épouse pas très savante, des nuits avec du sommeil, des journées sans procès. » Il est vrai que, bien que Quintilien soit apparemment salué en termes fort élogieux dans l’ouverture de l’épigramme en vertu de ses talents de professeur (v. 1 : uagae moderator summe iuuentae) et d’orateur (v. 2 : gloria Romanae…togae), Martial semble prendre ici ses distances vis-à-vis de la carrière ouverte par l’apprentissage de la rhétorique : on peut penser qu’il a plus particulièrement à l’esprit la pratique de l’éloquence judiciaire, comme le suggèrent notamment les derniers mots du texte (v. 10 : sit sine lite dies)29. Mais probablement convient-il de ne pas surestimer la portée critique éventuelle de ce texte à l’égard de la personne de Quintilien30 : il s’agit avant tout d’un propos conventionnel dans lequel la récusation des activités relevant des affaires ou de la vie publique sert à mettre en valeur la formulation d’un idéal de vie simple, de coloration épicurienne31. Au chapitre des mentions de rhéteurs et grammairiens célèbres, on relèvera aussi le nom du grammairien, critique et éditeur M. Valerius Probus32, que Martial cite d’une façon qui suggère la rigueur de son jugement (III, 2, 12 ; le poète s’adresse à son livre, qu’il envoie à son ami Faustinus) : illo uindice nec Probum timeto (« avec lui comme protecteur, tu n’auras à craindre pas même Probus »), manière de dire que même un critique sévère ne trouvera rien à redire au livre de Martial. Une idée comparable se retrouve dans l’épigramme X, 21, où le poète s’adresse à l’auteur d’une œuvre caractérisée par son obscurité33 : Scribere te quae uix intellegat ipse Modestus34

29 Cf. par exemple Williams, Martial. Epigrams Book two…, p. 270 et 274. 30 L’épigramme a été analysée en termes de relations personnelles entre Martial et Quintilien par exemple par A. Kappelmacher, « Martial und Quintilian », Wiener Studien, 43, 1922-1923, p. 216-217. Mais, ici encore, on se gardera d’une interprétation étroitement autobiographique : comme le relève Lorenz, « Martial und Quintilian… », p. 65-66, ce texte et l’attitude qu’y adopte le narrateur s’inscrivent dans la « loi du genre » épigrammatique. 31 Sur la dimension épicurienne de ce texte, cf. notamment W. Heilmann, « ‘Wenn ich frei sein könnte für ein wirkliches Leben…’ Epikureisches bei Martial », Antike und Abendland, 30, 1984, p. 47-61, ici p. 54-56 ; mais, contre une prise au sérieux du propos, voir aussi Holzberg, Martial und das antike Epigramm…, p. 81-85, ainsi que Lorenz, « Martial und Quintilian… », p. 50-55, qui argue que Martial ne fait pas montre d’une adhésion cohérente et affirmée à l’épicurisme (ou à un autre système philosophique) dans l’ensemble de son œuvre (et cf. aussi déjà Lorenz, Erotik und Panegyrik…, p. 19-21). 32 Cf. Suet. Gram. 24. 33 Sur cette épigramme et les critiques qui y sont formulées, voir aussi M. Citroni, « Motivi di polemica letteraria negli epigrammi di Marziale », Dialoghi di archeologia, 2, 1968, p. 259-301, ici p. 284-285 ; A. Heil, dans Damschen, Heil (éd.), Marcus Valerius Martialis. Epigrammaton liber decimus…, p. 106-107 ; S. Mattiacci, dans S. Mattiacci, A. Perruccio, Anti-mitologia ed eredità neoterica in Marziale. Genesi e forme di una poetica (Arti Spazi Scritture, 3), Pise, 2007, p. 177-180. 34 Plutôt qu’à Julius Modestus, qui fut, à l’époque augustéenne, l’affranchi du grammairien Hygin dont il suivit les traces (cf. Quint. I, 6, 36 ; Suet. Gram. 20, 3 ; Aulu-Gelle, Nuits attiques, III, 9, 1 ; Macrobe, Saturnales, I, 4, 7 ; I, 10, 9 ; I, 16, 28), il apparaît plus probable que Martial fasse référence ici à Aufidius Modestus, commentateur de Virgile (cf. [Philargyrius], ad Virgile, Géorgiques, II, 497 et III, 53 dans le

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et uix Claranus35 quid rogo, Sexte, iuuat ? Non lectore tuis opus est, sed Apolline, libris : iudice te maior Cinna36 Marone fuit. Sic tua laudentur sane, mea carmina, Sexte, grammaticis placeant ut sine grammaticis. « Écrire ce que Modestus lui-même et Claranus auraient peine à comprendre, en quoi cela te plaît-il, Sextus, je te le demande ? Ce n’est pas d’un lecteur, mais d’un Apollon, que tes livres ont besoin : d’après ton jugement, Cinna fut plus grand que Virgile. Que dans ces conditions tes vers soient vantés, je veux bien, Sextus, pourvu que les miens plaisent aux grammairiens sans l’aide des grammairiens. » Les qualités de langue et de style des poèmes de Martial doivent donc leur faire recevoir l’approbation des spécialistes de la littérature que sont les grammairiens, mais, pour autant, l’épigrammatiste récuse toute obscurité requérant un fastidieux travail d’exégèse de la part de ces mêmes grammairiens. La pointe de cette épigramme fait d’ailleurs porter l’insistance moins sur le souhait de plaire aux grammairiens que sur celui de se passer de leurs services pour la lecture des vers de Martial. Or cette idée nous paraît rejoindre celles exprimées dans d’autres épigrammes où le poète évoque ses rapports avec son public et le succès rencontré par son œuvre. À de multiples reprises, Martial se vante d’être lu et apprécié par un vaste public37 et de remporter de son vivant un succès dont bien peu d’écrivains jouissent même après leur mort38 ; être cité dans ses épigrammes donne, dit-il, l’assurance de voir son nom transmis à la postérité39, puisque ses livres sont promis à une survie durable et même à l’immortalité40.

manuscrit cod. Vatic. 3317 ; Plutarque, Propos de table, II, 1, 5 [632 A]) : cf. PIR2, I, A 1390 ; IV, 3, I 432 ; V, 1, M 661 ; N. Mathieu, Histoire d’un nom. Les Aufidii dans la vie politique, économique et sociale du monde romain, Rennes, 1999, p. 150-151 (no 37). 35 Sur ce grammairien, cf. Ausone, Lettres, 10, 27 Green ; Porphyrion, ad Hor. Sat. II, 3, 83 ; voir aussi Servius (Scholia Danielis), ad Virg. Aen. XI, 316 (Clanarius) : cf. PIR2, II, C 746. 36 La Zmyrna du poète néotérique Cinna était notoirement obscure : cf. Suet. Gram. 18, 2, qui rapporte que le grammairien Crassicius se rendit célèbre en écrivant un commentaire pour expliquer ce poème ; voir aussi Philargyrius, ad Virgile, Bucoliques, IX, 35 : fuit autem liber obscurus adeo ut et nonnulli eius aetatis grammatici in eum scripserint magnamque ex eius enarratione sint gloriam consecuti (« or [la Zmyrna] fut un livre si obscur que plusieurs grammairiens de cette époque écrivirent à son sujet et retirèrent une grande gloire de son explication »). 37 Cf. notamment I, 1, 1-3 ; III, 95, 7 ; IV, 49, 10 ; V, 13, 3 ; V, 16, 2-3 ; VI, 60 (61), 1-2 ; VI, 64, 6-15 ; VI, 82, 4-6 ; VII, 88 ; VII, 97, 10-13 ; VIII, 3, 3-4 [texte cité ci-dessous, p. 377] ; VIII, 61, 3-5 ; IX, praef. v. 5-8 ; IX, 81, 1 ; IX, 97, 2-4 et 11 ; XI, 24, 5-9 ; XII, 11, 8. 38 Cf. I, 1, 4-6 ; III, 95, 7-8 ; V, 13, 3-4. Pour le motif de la renommée atteinte sans attendre la mort, voir aussi Ovide, Tristes, IV, 10, 121-122 ; Pontiques, IV, 16, 3-4. 39 Cf. V, 15, 3-4 ; V, 25, 5-6 ; V, 60, 1-7 ; VII, 44, 7-10 ; X, 26, 7 ; XII, 3, 1-4. 40 Cf. VII, 44, 7-8 ; VII, 84, 6-8 ; VIII, 3, 5-8 [texte cité ci-dessous, p. 377] ; IX, 76, 9-10 ; X, 2, 7-12 [texte cité ci-dessous, p. 379].

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Or, pour assurer la transmission de son œuvre, l’épigrammatiste ne semble guère compter sur les grammairiens ni sur l’enseignement scolaire. En effet, plus d’une fois, en se livrant à la défense et à l’illustration de ses productions poétiques, Martial exprime explicitement l’idée d’une incompatibilité entre ses épigrammes et les salles de classe, ainsi qu’il sied d’ailleurs à une poésie qui se réclame à plusieurs reprises des Saturnales : il n’est pas insignifiant que le livre V des Épigrammes ainsi que le recueil des Apophoreta (livre XIV) s’achèvent justement par des allusions à la reprise des cours dans les écoles après les vacances de la période des Saturnales41. D’autres textes doivent également être pris en compte. Certes, dans l’épigramme I, 35, c’est au reproche d’un interlocuteur que le poète affecte de répliquer, et ce dernier n’endosse donc pas lui-même directement cette remarque (v. 1-3) : Versus scribere me parum seueros nec quos praelegat in schola magister, Corneli, quereris… « Que j’écrive des vers trop peu sérieux et qu’un maître ne saurait dicter dans son école, voilà ce dont tu te plains, Cornelius… » Le reproche porte ici sur les obscénités contenues dans certaines épigrammes de Martial, qui les rendraient inappropriées à une étude dans un cadre scolaire. La suite de l’épigramme montre du reste que le poète assume pleinement cette dimension de son œuvre42 et ne cherche pas à nier le fait que celle-ci puisse ne pas être destinée aux chastes oreilles d’enfants ou de jeunes adolescents43.

41 V, 84, 1-2 [cf. ci-dessus, p. 367] ; XIV, 223. Cf. M. Citroni, « Marziale e la Letteratura per i Saturnali (poetica dell’intrattenimento e cronologia della pubblicazione dei libri », Illinois Classical Studies, 14, 1989, p. 201-226 (ici p. 210-212, 213-214 et 222) ; Grewing, « Etymologie und etymologische Wortspiele… », p. 319 ; F. Grewing, « Karneval in Rom : Metapoetische Quisquilien in Martials Epigrammen », Wiener Studien, 123, 2010, p. 131-166, ici p. 137-138 et 149 ; A. Canobbio, « Dialogando col lettore. Modalità comunicative nei finali dei libri di Marziale », dans A. Bonadeo, E. Romano (éd.), Dialogando con il passato. Permanenze e innovazioni nella cultura latina di età flavia, Florence, 2007, p. 207-231, ici p. 210 et 213. 42 Cf. I, 35, 3-15. Pour la revendication de la lasciuia comme élément caractéristique de l’épigramme, cf. aussi, notamment, I, praef. 4 ; I, 4 ; III, 68 et 69 ; III, 86 ; X, 64 ; voir aussi la licence revendiquée pour le livre XI (cf. les épigrammes 2, 6, 15, 16, 17 et 20 de ce livre) en rapport avec les Saturnales, ainsi que les termes dans lesquels est évoquée la plus grande retenue observée dans le livre VIII, dédié à l’empereur Domitien (VIII, praef. 4) : ego tamen illis non permisi tam lasciue loqui quam solent (« je n’ai cependant pas permis à [ces épigrammes] de parler avec autant de licence qu’elles en ont coutume »). 43 Cf. aussi III, 69, 5-8, où Martial oppose le lectorat d’un certain Cosconius, auteur d’épigrammes exemptes de toute obscénité, à celui visé par ses propres poèmes : haec igitur nequam iuuenes facilesque puellae, / haec senior, sed quem torquet amica, legat : / at tua, Cosconi, uenerandaque sanctaque uerba / a pueris debent uirginibusque legi (« celles-ci, donc, que les jeunes vauriens et les jeunes filles faciles, que le vieillard, mais celui que tourmente encore une petite amie, les lisent : mais, Cosconius, tes paroles vénérables et pures doivent être lues par les enfants et les jeunes filles »). En revanche, dans une des épigrammes liminaires du livre V, Martial annonce (V, 2, 1-2) : matronae puerique uirginesque, / uobis pagina nostra dedicatur (« matrones, enfants et jeunes filles, c’est à vous que ma page est dédiée »).

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Mais plus nettement affirmé apparaît le rejet formulé dans l’épigramme VIII, 3. Dans ce passage, c’est la Muse qui s’adresse au poète44, qui vient de faire mine – il s’agit évidemment d’une mise en scène conventionnelle – de vouloir renoncer à écrire des épigrammes (v. 13-18) : An iuuat ad tragicos soccum transferre cothurnos aspera uel paribus bella tonare modis, praelegat ut tumidus rauca te uoce magister oderit et grandis uirgo bonusque puer ? Scribant ista graues nimium nimiumque seueri, quos media miseros nocte lucerna uidet… « Te plaît-il, peut-être, de passer du brodequin aux cothurnes tragiques ou de faire tonner des âpres guerres en des mesures égales, pour qu’un maître plein d’enflure te dicte d’une voix enrouée, et que te haïssent la jeune fille déjà grande et le brave enfant ? Qu’écrivent ces vers les gens trop graves et trop austères, que leur lampe voit malheureux au milieu de la nuit… » Le verbe praelegere (v. 15) – employé aussi dans l’épigramme I, 35 (v. 2) – montre que Martial a ici à l’esprit la pratique de la praelectio (lecture expliquée de textes d’auteurs)45, et donc les cours dispensés à l’école du grammairien46. Or l’image donnée ici de ce grammaticus est en définitive très proche de celle du maître d’école de l’épigramme IX, 68, à savoir qu’il apparaît comme un braillard détesté de ses élèves. On retrouve en effet dans ces vers le thème de la haine générale que nourrissent filles et garçons à l’encontre de leur professeur, ainsi que la critique de la voix de ce dernier – ici enflée et grandiloquente, en rapport avec le genre et le style des œuvres, épiques ou tragiques, qui font l’objet de la leçon47, et enrouée sans doute à force de fastidieuses lectures. Bien peu enviable apparaît donc ici le sort réservé aux « classiques » de la littérature qui font l’objet de cette étude scolaire, écorchés qu’ils sont par la voix du maître et pris en grippe par les élèves à qui de telles séances de cours sont infligées. Déterminante apparaît ici la question du genre littéraire, qui figure au centre de ces vers, à travers l’opposition exprimée par la bouche de la Muse entre l’épigramme

Cette différence s’explique par le fait que, le livre V des Épigrammes étant, comme plus tard le livre VIII [cf. la note précédente], adressé à l’empereur Domitien, Martial y revendique une veine plus chaste que de coutume. 44 Sur le dialogue entre le poète et sa Muse dans l’épigramme VIII, 3, voir aussi E. Sergi, « Parodia del poeta ispirato ed autoironia in Marziale (Epigramma VIII 3) », Atti dell’Accademia Peloritana dei Pericolanti, Classe di Lettere, Filosofia e Belle Arti, 63, 1987, p. 375-381 ; Mattiacci, dans Mattiacci, Perruccio, Anti-mitologia ed eredità neoterica…, p. 187-189 ; M. Neger, Martials Dichtergedichte. Das Epigramm als Medium der poetischen Selbstreflexion (Classica Monacensia, 44), Tübingen, 2012, p. 150-156. 45 Cf. Quint. I, 5, 11 ; I, 8, 8 ; II, 5, 4 ; Suet. Gram. 16, 3. 46 Bonner, Education in ancient Rome…, p. 136 ; cf. aussi C. Schöffel, Martial, Buch 8. Einleitung, Text, Übersetzung, Kommentar (Palingenesia, 77), Stuttgart, 2002, p. 112 et 114. 47 Cf. Schöffel, Martial, Buch 8…, p. 113.

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et les grands genres de l’épopée et de la tragédie48. Il n’est d’ailleurs peut-être pas insignifiant de relever que cette vision du statut de « classique » scolaire comme un repoussoir tranche avec la fierté que, à la même époque49, Stace semble trouver à voir son épopée de la Thébaïde étudiée dans les écoles dès son vivant50. En revanche, la position exprimée chez Martial est celle que l’on trouve attestée dans la tradition satirique et notamment chez Horace51. Bien loin du sort, présenté comme peu glorieux, promis aux auteurs étudiés dans les salles de classe, Martial évoque au début de cette même épigramme VIII, 3 – la fiction de la discussion entre le poète et sa Muse lui fournit en effet l’occasion de présenter de façon complémentaire et sous différents aspects sa conception de l’épigramme et de son œuvre – le succès qu’il dit avoir déjà atteint et la survie promise à ses vers (v. 3-8) : — Iam plus nihil addere nobis fama potest : teritur noster ubique liber ; et cum rupta situ Messalae saxa iacebunt altaque cum Licini marmora puluis erunt, me tamen ora legent et secum plurimus hospes ad patrias sedes carmina nostra feret. « Désormais, la renommée ne peut rien me donner de plus : partout mon livre est dans toutes les mains ; et quand, brisées et détériorées, les pierres de Messala seront à terre et que les hauts marbres de Licinus seront poussière, des bouches me liront pourtant et bien des étrangers porteront avec eux mes vers au séjour de leurs pères. » L’idée que les livres de Martial sont lus « partout » est fréquemment exprimée dans son œuvre : le poète s’enorgueillit en effet de ce que ses poèmes connaissent une vaste diffusion non seulement à Rome et en Italie, mais aussi jusque dans les provinces les plus lointaines52, et dans le monde entier, comme il le revendique, entre autres,

48 Pour la polémique de Martial à l’encontre des « grands » genres de la poésie, voir aussi, notamment, les épigrammes IV, 49 ; IX, 50 ; X, 4 ; et cf. en particulier Citroni, « Motivi di polemica letteraria… », p. 273-283 ; Sergi, « Parodia del poeta ispirato… » ; E. Sergi, « Marziale ed i temi mitologici nella poesia epica e tragica dell’età argentea (Ep. 10, 4) », Giornale italiano di filologia, 41, 1989, p. 53-64 ; Perruccio, dans Mattiacci, Perruccio, Anti-mitologia ed eredità neoterica…, p. 76-86. 49 Voir aussi déjà Cicéron, Lettres à son frère Quintus, III, 1, 11. 50 Thébaïde, XII, 815, où le poète s’adresse à son œuvre : Itala iam studio discit memoratque iuuentus (« déjà avec ardeur la jeunesse italienne t’apprend et te récite »). 51 Cf. Hor. Sat. I, 10, 74-75 : an tua demens / uilibus in ludis dictari carmina malis ? (« dément, préférerais-tu par hasard que tes poèmes soient dictés dans les petites écoles ? ») ; Epist. I, 20, 17-18 ; voir aussi Pers. I, 29-30 ; Juv. VII, 226-227 (mais, dans ce dernier passage, vraisemblablement s’agit-il de bustes de poètes plutôt que de leurs textes : cf. par exemple A. Stramaglia, Giovenale, Satire 1, 7, 12, 16. Storia di un poeta, Bologne, 2008, p. 221-222). 52 Cf. VII, 84, 3-4 ; VII, 88, 2-4 ; VIII, 61, 5 ; IX, 84, 5-6 ; X, 9, 3-4 ; XI, 3, 3-5 ; XII, 2 (3), 1. De fait, des textes épigraphiques comportant des citations de Martial attestent de la diffusion de son œuvre dans les provinces : cf. CLE, 2064 (Algérie ; citation de l’épigramme I, 40, également citée sur une mosaïque découverte près de Vinon-sur-Verdon) ; CIL, XIII, 5657 = CLE, 2118 (Germanie Supérieure ; citation

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dans la célèbre première épigramme du livre I, où il se présente comme toto notus in orbe Martialis53. Il s’agit là d’un topos, attesté depuis Alcman et Théognis54 et présent aussi dans la poésie hellénistique et latine55. En ce qui concerne les modalités de la diffusion de son texte, si des études modernes ont insisté à juste titre sur l’importance des rapports de Martial avec ses patrons et sur la circulation informelle de ses épigrammes auprès de ses amis et protecteurs56, il apparaît néanmoins que le poète, loin de vouloir limiter la circulation de son œuvre à un cénacle restreint, envisage aussi un lectorat général plus vaste57, susceptible de se procurer le cas échéant ses épigrammes auprès de libraires58, profession que Martial mentionne à plusieurs reprises dans son œuvre59. Certes, il convient de se garder d’une lecture au premier degré des textes dans lesquels Martial évoque l’étendue de son lectorat, l’accès aux œuvres littéraires ne pouvant concerner à cette époque qu’un public assez restreint60. de l’épigramme I, 114, 6) ; CLE, 1392, 5 (Espagne ; citation de l’épigramme VI, 76, 4) ; W. Heraeus, « Lateinische Gedichte auf Inschriften », Hermes, 48, 1913, p. 450-457, ici p. 450-452 ; H.-I. Marrou, « Deux inscriptions métriques d’Afrique », Revue des études latines, 44, 1966, p. 372-376, ici p. 372-373 ; H.-I. Marrou, « Deux inscriptions chrétiennes », Bulletin d’archéologie algérienne, 3, 1968, p. 343-351, ici p. 348-351 ; P. Howell, A commentary on Book one of the Epigrams of Martial, Londres, 1980, p. 103 (ad I, 1, 2), 191 (ad I, 40) et 344 (ad I, 114, 6). 53 I, 1, 2 ; voir aussi V, 13, 3 ; VI, 64, 25 ; VII, 17, 10 ; VIII, 61, 3. 54 Alcman, frg. 148 Page = 229 Calame ; Théognis, 237-252 : cf. R. G. M. Nisbet, M. Hubbard, A commentary on Horace : Odes. Book II, Oxford, 1978, p. 332-333 (ad Horace, Odes, II, 20). 55 Cf. Nisbet, Hubbard, A commentary on Horace…, p. 344-345 (ad Hor. Od. II, 20, 14). L’idée d’être lu dans le monde entier est notamment présente chez Ovide, à qui Martial emprunte l’expression toto… (in) orbe appliquée à l’étendue de la renommée du poète : cf. Am. I, 3, 25 ; I, 15, 7-8 et 13 ; Art d’aimer, II, 740 ; Héroïdes, XV, 28 ; Remèdes à l’amour, 363 ; Trist. II, 118 ; IV, 10, 128. 56 Cf. notamment P. White, « The presentation and dedication of the Silvae and the Epigrams », Journal of Roman studies, 64, 1974, p. 40-61 ; P. White, « Martial and pre-publication texts », Échos du monde classique / Classical views, 40 (N.S. 15), 1996, p. 397-412. 57 Sur le lectorat de Martial et le public littéraire à son époque, cf. notamment M. Citroni, Poesia e lettori in Roma antica. Forme della comunicazione letteraria, Bari, 1995, p. 19-20 et 475-482. Sur le rapport de Martial avec ses lecteurs, voir aussi A. L. Spisak, « Martial’s special relation with his reader », dans C. Deroux (éd.), Studies in Latin literature and Roman history. VIII (Collection Latomus, 239), Bruxelles, 1997, p. 352-363. 58 Sur le thème du succès en librairie lié à la survie promise à l’œuvre poétique, voir aussi déjà Horace, Art poétique, 345-346 : hic meret aera liber Sosiis, hic et mare transit / et longum noto scriptori prorogat aeuum (« ce livre rapporte de l’argent aux Sosies [célèbres libraires de l’époque augustéenne], ce livre franchit la mer et prolonge pour une longue durée la vie de l’écrivain de renom »). 59 Outre à Tryphon, mentionné en deux occurrences (IV, 72 ; XIII, 3, 4) et qui fut aussi l’éditeur de Quintilien, Martial se réfère en plusieurs passages à des libraires qui vendaient ses œuvres : cf. I, 2, 5-8 (Secundus) ; I, 113 (Q. Valerianus Pollius) ; I, 117, 8-17 (Atrectus) ; cf. aussi I, 3, 1 (Argiletanas…tabernas, référence aux boutiques de libraires du quartier de l’Argilète) ; VII, 97, 12 (tabernae) ; voir aussi les mentions de librarii (copistes) dans les épigrammes II, 1, 5 ; II, 8, 3 ; IV, 89, 8 (il n’est pas certain que Martial se réfère ici à des esclaves lui appartenant, il pourrait aussi s’agir de références à des copistes de librairie : à propos des deux premiers passages, cf. Williams, Martial. Epigrams, Book two…, p. 24 et 51). 60 Contre une lecture littérale des textes de Martial comme une preuve supposée de l’existence d’une littérature « populaire » à cette époque, cf. W. V. Harris, Ancient literacy, Cambridge (Mass.) – Londres, 1989, p. 227. Les librairies semblent avoir connu un certain développement au ier siècle ap. J.-C., mais nos sources permettent difficilement d’évaluer avec précision la portée de cet essor : cf. notamment R. J. Starr, « The circulation of literary texts in the Roman world », Classical quarterly, 37, 1987, p. 213-223, ici p. 222-223.

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Mais, plus encore que la véracité objective du propos, c’est la posture adoptée par Martial qui nous semble ici significative. Frappante apparaît notamment la fréquence avec laquelle l’épigrammatiste s’adresse à un « lecteur » (lector) général61, ce qui est un procédé rare dans la poésie latine62. On citera en particulier l’épigramme X, 2, où l’adresse au lector visant à présenter la seconde édition du livre X est suivie d’une nouvelle affirmation par Martial de sa confiance en l’immortalité de ses poèmes (v. 3-12), affirmation qui est d’ailleurs très proche de celle formulée dans l’épigramme VIII, 3, dans l’idée comme dans l’expression : Nota leges quaedam, sed lima rasa recenti ; pars noua maior erit : lector, utrique faue, lector, opes nostrae ; quem cum mihi Roma dedisset, « Nil tibi quod demus maius habemus » ait ; « pigra per hunc fugies ingratae flumina Lethes et meliore tui parte superstes eris. Marmora Messallae findit caprificus et audax dimidios Crispi mulio ridet equos : at chartis nec furta nocent et saecula prosunt, solaque non norunt haec monumenta mori. » « Tu liras certains poèmes déjà connus, mais polis par une lime récente ; la plus grande part sera nouvelle : lecteur, sois bienveillant pour les uns et les autres, lecteur, toi qui es ma richesse ; car, quand Rome t’a donné à moi : “Je n’ai rien de plus grand à te donner, dit-elle ; par lui tu échapperas aux flots traînants de l’odieux Léthé et tu survivras par la meilleure part de toi-même. Le figuier fend les marbres de Messala et le muletier insolent rit des chevaux à demi mutilés de Crispus : mais, aux écrits, les vols ne font pas de tort et les siècles profitent, et seuls ces monuments ne sauraient mourir”. » On pense évidemment à Horace (Odes, III, 30, 1) : exegi monumentum aere perennius… Martial recourt, ici encore, à un motif traditionnel63 – celui, déjà présent dans l’épigramme VIII, 3, de la comparaison entre les monuments humains, voués à la

61 Cf. I, 1, 4 : lector studiose (« lecteur studieux ») ; I, 113, 4 ; II, 8, 1 ; IV, 55, 27 : delicate lector (« lecteur raffiné ») ; V, 16, 2 : lector amice (« ami lecteur ») ; VII, 12, 11-12 : magni mihi numinis instar, / lector inhumana liber ab inuidia (« toi qui es pour moi l’équivalent d’une grande puissance divine, lecteur libre d’inhumaine envie ») ; IX, praef. v. 6 ; X, 2, 4-5 [texte cité ci-dessus] ; XI, 16, 1 ; XI, 108, 2 et 4 ; voir aussi IV, 29, 2 ; IV, 89, 7 ; VIII, praef. 6 (lecturi) ; IX, 81, 1 ; X, 59, 5 et les nombreuses références à un lectorat. Il est à noter que, si Martial évoque très souvent son lecteur, il ne mentionne que deux fois un auditor (IX, 81, 1 ; XII, praef. 3), ce qui suggère qu’il voyait dans la réception écrite de ses poèmes plus que dans les lectures publiques le moyen de faire connaître ses œuvres : cf. Howell, A commentary on Book one…, p. 104 (ad I, praef. 4) ; Henriksén, A commentary on Martial…, p. 323 (ad IX, 81). 62 Cf. notamment Williams, Martial. Epigrams, Book two…, p. 50. En dehors de l’œuvre de Martial, le procédé est surtout attesté dans la poésie d’exil d’Ovide : cf. Trist. I, 7, 32 ; I, 11, 35 ; III, 1, 2 : lector amice (« ami lecteur ») ; IV, 1, 2 ; IV, 10, 132 : candide lector (« lecteur bienveillant ») ; V, 1, 66. 63 Cf. notamment Pindare, Néméennes, IV, 80-85 ; VIII, 46-47 ; Pythiques, VI, 7-14 ; Ovide, Métamorphoses, XV, 871-872 ; Properce, Élégies, III, 2, 17-26.

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destruction, et la poésie qui, elle, est promise à une survie durable – et se le réapproprie en l’appliquant à sa propre œuvre épigrammatique. Dans de tels textes, c’est manifestement en toute conscience et délibérément que Martial s’attache à reprendre et à reformuler une série de motifs issus de la tradition poétique. Cette réappropriation est peut-être moins banale et anodine qu’il n’y paraît au premier abord ; en tout cas, la ferme confiance exprimée par Martial dans la survie de son œuvre tranche avec la modestie apparente qu’affecte souvent l’épigramme64. Le recours à cet arsenal de motifs poétiques peut donc apparaître comme un des moyens employés par Martial pour affirmer la valeur et la dignité de son œuvre, face notamment aux grands genres poétiques plus prestigieux que le sien. Dans l’épigramme VIII, 3, en particulier, tout se passe comme si Martial voulait présenter le genre épigrammatique comme le véritable dépositaire d’une longue tradition poétique et comme l’objet d’une transmission vivante auprès de la postérité et de générations de lecteurs enthousiastes, alors que les grands genres sont réduits à leur académisme et voués à une survie artificielle, dans le cadre étriqué et clos d’une salle de classe. Compte tenu de l’image volontiers rébarbative65 des maîtres d’école et autres grammairiens et rhéteurs donnée dans les Épigrammes, on comprend que Martial ait voulu ici mettre cette représentation de la profession d’enseignant au service de son propos polémique et revendicatif en faveur du genre épigrammatique. Catherine Notter Université de Strasbourg, CARRA (UR 3094)

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64 Dans la lettre qu’il consacrera à la mort de Martial, Pline le Jeune relèvera d’ailleurs ce contraste et l’ambition de l’épigrammatiste (Ep. III, 21, 6) : at non erunt aeterna quae scripsit ; non erunt fortasse, ille tamen scripsit tamquam essent futura (« mais, dira-t-on, les vers qu’il a écrits ne seront pas éternels ; ils ne le seront peut-être pas, mais lui les a écrits dans la pensée qu’ils le seraient »). 65 Aux figures d’enseignants que nous avons considérées dans cet article, des commentateurs ajoutent le dénommé Amillus, dont Martial évoque les activités homosexuelles dans l’épigramme VII, 62 ; cette interprétation se fonde sur un rapprochement avec un passage de Juvénal (X, 224 : quot discipulos inclinet Hamillus, « combien d’élèves Hamillus fait s’allonger »). Mais, étant donné que l’épigramme VII, 62 ne comporte aucune allusion à une activité d’enseignement, il nous a semblé que Martial n’entendait pas présenter son personnage en qualité de professeur.

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Bonimenteurs et marchands de savoirs Les images du profit et l’enseignement de la philosophie dans la littérature grecque du Haut-Empire

À l’époque impériale, l’identité des élites passe par la paideia, culture héritée du passé1. L’excellence dans ce domaine permet aux professeurs qui la dispensent de gagner de véritables fortunes. Ce qui ne choque pas dans le cas des « sophistes » dont l’activité consiste essentiellement à enseigner la rhétorique et à donner des conférences2, est plus problématique dans le cas des philosophes, dès lors qu’ils endossent le rôle de professeurs et prennent place dans l’arène de la paideia. Ils y occupent en effet une position ambiguë, à la fois semblables aux « sophistes » rémunérés, revendiquant pourtant une liberté vis-à-vis des contraintes sociales et matérielles qui appuie la position de surplomb qu’ils revendiquent3. Cette tension est particulièrement sensible chez les auteurs qui se situent à la confluence de la philosophie et de la rhétorique, et qui se revendiquent de la philosophie. Parmi les stratégies narratives qu’ils mettent en place, les images occupent un rôle important. La métaphore du philosophe médecin des âmes est bien connue4 ; c’est à un autre réseau d’images, dont la tradition remonte elle aussi à Platon, que nous nous intéresserons dans cette étude : celle du philosophe « mercenaire », catégorie qui comprend tant les images de philosophes commerçants et artisans que celles des exhibitionnistes de place publique, voire





1 Voir le livre consacré à cette question par K. Eshleman, The Social World of Intellectuals in the Roman Empire. Sophists, Philosophers, and Christians, Cambridge, 2012. 2 La littérature critique est abondante sur le sens du terme σοφιστής durant la Seconde sophistique. Voir en particulier les études exhaustives de G. W. Bowersock, Greek Sophists in the Roman Empire, Oxford, 1969 ; G. Anderson, The Second Sophistic. A Cultural Phenomenon in the Roman Empire, Londres, 1993 ; sur le sens de σοφιστής vis-à-vis de termes proches, voir P. A. Brunt, « The Bubble of the Second Sophistic », Bulletin of the Institute of Classical Studies, 1994, p. 25-52 ; G. R. Stanton, « Sophists and Philosophers : Problems of Classification », American Journal of Philology, 94 (4), 1973, p. 350-364 ; B. Puech, Orateurs et sophistes grecs dans les inscriptions d’époque impériale, Paris, 2002, p. 10-15. 3 Voir M. Trapp, Philosophy in the Roman Empire. Ethics, Politics, and Society, Londres, 2007, p. 243-256. 4 Voir en particulier J. Pigeaud, La maladie de l’âme. Étude sur la relation de l’âme et du corps dans la tradition médico-philosophique antique, Paris, 1981 ; A. J. Voelke, La philosophie comme thérapie de l’âme, Paris, 1993. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 385-403 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121447

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de ceux dont le corps est la marchandise, à l’instar des esclaves, des soldats ou des prostitués. Les mêmes préoccupations génèrent en effet ces images variées, à savoir une interrogation sur le rôle du philosophe dans la paideia et, au-delà, une réflexion sur les modalités d’une bonne paideia. Nous chercherons donc ce que disent les images sous les mots, en nous intéressant tout d’abord au marché lucratif que représente l’enseignement de la philosophie, avant de nous tourner plus précisément vers la représentation des philosophes en sophistes vendeurs de savoir. Enfin, nous considèrerons la relation maître-disciple et chercherons sous la critique les modalités d’un « bon » enseignement philosophique. Dans les limites de l’étude, nous nous centrerons sur les images convoquées dans un but pédagogique et protreptique par Plutarque, Dion Chrysostome, Sénèque, Musonius Rufus, Épictète et Maxime de Tyr, à qui nous adjoindrons le regard satirique de l’inclassable Lucien, qui est sans doute la manifestation la plus éclatante d’une identité écartelée entre la liberté de parole des philosophes et la rémunération des sophistes.

Un marché lucratif : l’offre et la demande de denrées philosophiques S’adressant à de riches aspirants à la philosophie, plusieurs philosophes du Ier et du IIe siècles déplorent qu’on regarde la philosophie comme une activité ou un objet purement matériel, dont on cherche à tirer un profit concret. Il n’est pas jusqu’à Sénèque qui ne reproche à Lucilius, pourtant plus tout à fait un jeune premier, de faire erreur en voulant, avant de se mettre à philosopher, s’assurer de l’état de sa fortune5. Pour de nombreux jeunes gens fortunés, en outre, l’apprentissage de la philosophie est avant tout un moyen de conforter leur position sociale et de se procurer les moyens de briller dans les réunions mondaines de l’élite. Dès lors, note Plutarque, aussi légers que des oiseaux, ils n’accordent d’importance qu’au clinquant des belles paroles tant qu’ils n’ont pas reconnu la supériorité des avantages moraux sur les avantages matériels : Πάντες γὰρ ὡς εἰπεῖν οἱ φιλοσοφεῖν ἀρχόμενοι τοὺς πρὸς δόξαν διώκουσι μᾶλλον, οἱ μὲν ὥσπερ ὄρνιθες ἐπὶ τὴν λαμπρότητα τῶν φυσικῶν καὶ τὸ ὕψος ὑπὸ κουφότητος καὶ φιλοτιμίας καταίροντες, οἱ δ[ε] […] ἐπὶ τὰς ἔριδας καὶ τὰς ἀπορίας χωροῦσι καὶ τὰ σοφίσματα, οἱ δὲ πλεῖστοι τοῖς διαλεκτκοῖς ἐνδύντες εὐθὺς ἐπισιτίζονται πρὸς σοφιστείαν, ἔνιοι δὲ χρείας καὶ ἱστορίας ἀναλεγόμενοι περιίασιν, ὥσπερ Ἀνάχαρσις ἔλεγε τῷ νομίσματι τοὺς Ἕλληνας πρὸς οὐδὲν ἕτερον ἢ τὸ ἀριθμεῖν χρωμένους ὁρᾶν, οὕτω τοὺς λόγους παραριθμούμενοι καὶ παραμετροῦντες ἄλλο δ᾽οὐδὲν εἰς ὄνησιν αὑτῶν τιθέμενοι. « En effet, pour être bref, disons que tous les débutants en philosophie cherchent à tenir de préférence [les propos] qui font acquérir une réputation : les uns, 5 Sénèque, Lettres à Lucilius, II, 17.

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par légèreté et ambition, vont comme les oiseaux se percher sur les hauteurs brillantes des sciences de la nature ; les autres […] se jettent sur les controverses, les problèmes insolubles, les argumentations sophistiques ; les plus nombreux se plongent dans la dialectique et s’approvisionnent aussitôt en tout ce qu’il faut pour être des sophistes, pendant que quelques-uns recueillent à la ronde des mots célèbres et des anecdotes. Leur comportement ressemble à celui des Grecs dont Anacharsis disait qu’il ne les voyait se servir de leur argent pour rien d’autre que pour le compter : ils recueillent ces propos pour en faire le compte et en mesurer le volume, mais n’amassent rien d’autre en vue d’un profit pour eux-mêmes6. » Comme des oiseaux, ils sont attirés par ce qui brille. Les beaux raisonnements sont autant d’objets précieux et fascinants qui deviennent, par l’insertion d’un bon mot d’Anacharsis sur la manie de thésauriser des Athéniens, de pures monnaies d’échange. Un jeu d’images emboîtées sert donc au moraliste à ravaler le collectionneur de discours prestigieux au rang d’un être avaricieux7. Épictète constate aussi la frivolité de ses auditeurs, qui se méprennent sur la valeur de la philosophie. Il les admoneste vertement et des images frappantes, comme celle du mercantilisme, viennent à l’appui de ses propos : Ἔργῳ γὰρ εἴσῃ, ὅτι ἀληθῆ ἐστι καὶ τούτων τῶν θαυμαζομένων καὶ σπουδαζομένων ὄφελος οὐδὲν τοῖς τυχοῦσι· τοῖς δὲ μηδέπω τετευχόσι φαντασία γίνεται, ὅτι παραγενομένων αὐτῶν ἅπαντα παρέσται αὐτοῖς τὰ ἀγαθά· εἶθ᾽ὅταν παραγένηται, τὸ καῦμα ἴσον, ὁ ῥιπτασμὸς ὁ αὐτός, ἡ ἄση, τῶν οὐ παρόντων ἐπιθυμία. […] Καὶ ἵν᾽ἰδῇς, ὅτι ἀληθῆ ταῦτά ἐστιν, ὡς ἐκείνων ἕνεκα πεπόνηκας, οὕτως καὶ ἐπὶ ταῦτα μετάθες τὸν πόνον· ἀργύπνησον ἕνεκα τοῦ δόγμα περιποιήσασθαι ἐλευθεροποιόν, θεράπευσον ἀντὶ γέροντος πλουσίου φιλόσοφον, περὶ θύρας ὄφθητ[α]ι τὰς τούτου· οὐκ ἀσχημονήσεις ὀφθεις, οὐκ ἀπελεύσῃ κενὸς οὐδ᾽ἀκερδής, ἂν ὡς δεῖ προσέλθῃς. Εἰ δὲ μή, πείρασον γ᾽· οὐκ ἔστιν αἰσχρὰ ἡ πεῖρα. « Car tu apprendras, par l’expérience, que tout cela est vrai et que toutes ces choses que l’on admire et pour lesquelles on s’empresse ne servent de rien à ceux qui les ont obtenues. Ceux, au contraire, qui ne les ont pas encore obtenues s’imaginent que les avoir leur procurera tous les biens. Puis, quand on les a, aussi lourde est la chaleur, aussi grande l’agitation, le dégoût, le désir de ce qu’on n’a pas. […] Et, pour comprendre que ces affirmations sont vraies, toute la peine dépensée à satisfaire ces désirs, retourne-la sur elles : emploie tes veilles à l’acquisition du jugement qui te rendra libre ; au lieu de faire ta cour à un riche vieillard, fais-la à un philosophe ; montre-toi à sa porte : tu ne seras pas déshonoré d’y être vu, et tu ne t’en retourneras pas les mains vides, ni sans

6 Plutarque, Comment s’apercevoir qu’on progresse dans la vertu, 78 d-e, trad. A. Philippon. 7 Voir Plutarque, De l’amour des richesses, 10, où les richesses matérielles sont également opposées aux ressources de l’âme que donne la philosophie, et qui seules sont vraiment profitables.

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profit, si tu t’approches comme il sied. Du moins, essaie toujours : essayer n’est pas déshonorant8. » Ces jeunes gens frivoles sont si préoccupés par leur richesse et leur position sociale qu’ils voient dans la philosophie non pas le chemin vers une vie vertueuse, mais un étal de brillants savoirs qui peuvent apporter le vernis de culture et la respectabilité nécessaires pour assouvir leur ambition personnelle. De fait, ces savoirs deviennent eux-mêmes les richesses qu’ils convoitent. Répondant à la demande de cette clientèle lucrative, les professeurs de vertu, parés du nom de philosophes, rivalisent d’élégance et de virtuosité. Ce nom seul, selon nombre d’écrivains, suffit à attirer des disciples prêts à payer pour leur enseignement, surtout quand ils ont la brillante éloquence des faiseurs de syllogismes9. Les beaux discours qui leur assurent des gains considérables leur valent d’être dédaigneusement appelés « sophistes » par les écrivains qui dénoncent leur conduite, comme en témoigne ce passage de Maxime de Tyr : Εἰ μὲν οὖν τις τοῦτ᾽εἶναι φιλοσοφίαν λέγει, ῥήματα καὶ ὀνόματα, ἢ τέχνας λόγων, ἤ ἐλέγχους καὶ ἔριδας καὶ σοφίσματα, καὶ τὰς ἐν τούτοις διατριβάς, οὐ χαλεπὸν εὑρεῖν τὸν διδάσκαλον· πάντα ὑμῖν μεστὰ τοιούτων σοφιστῶν, εὔπορον τὸ χρῆμα, καὶ ταχὺ ἀναφαινόμενον· θαρρήσαιμι δ᾽ἂν ἔγωγε εἰπεῖν, ὅτι τῆς τοιαύτης φιλοσοφίας πλείους οἱ διδασκαλοι τῶν μαθητῶν. « Si donc on dit que la philosophie, ce sont des phrases, des mots, des discours artificieux, des réfutations, des disputes, des sophismes, et les pertes de temps en ces matières, il n’est pas difficile d’en trouver le professeur ; tout notre quotidien est plein de tels sophistes, la chose est facile à se procurer et se présente rapidement : j’oserais dire, pour ma part, que d’une telle philosophie, les maîtres sont plus nombreux que les élèves10. » Maxime se sert de la figure du sophiste pour désigner les professeurs d’une certaine philosophie d’apparat qui se soucient de petits mots, et non, selon lui, de l’art difficile de vivre chaque jour conformément à la doctrine dont ils se réclament. Le sens péjoratif que Platon a donné à l’époque classique à une catégorie de savants pour les distinguer du philosophe est encore attesté à l’époque impériale lorsqu’il s’agit de stigmatiser une pratique philosophique ou rhétorique dont on se démarque11. Les « sophistes » dans notre passage prolifèrent, dans un renversement ironique de l’offre et de la demande12. Leur art de contrefaçon est

8 Épictète, Entretiens, IV, 1, 174-177, trad. J. Souilhé. 9 Dion de Pruse, dans le discours XXXIII, 44, note que son attitude sobre et son langage rude rebutent les gens. 10 Maxime de Tyr, Dissertations, I, 8, trad. J. J. Combes-Dounous remaniée, édition M. B. Trapp. 11 Voir G. R. Stanton, « Sophists and Philosophers : Problems of Classification » ; P. A. Brunt, « The Bubble of the Second Sophistic ». 12 Le meilleur exemple de ce type de personnages est sans doute Apulée, qui dans les Florides manifeste son goût pour l’éloquence et sa volonté de charmer le peuple de Carthage.

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aisé, c’est une denrée peu coûteuse (εὔπορον χρῆμα), loin des trésors rares et prisés de la vraie philosophie.

Les philosophes-sophistes vendeurs publics de savoirs Le sens péjoratif de σοφιστής ravive l’opposition entre le « sophiste », qui fait payer son enseignement, et le « philosophe », qui le dispense gratuitement13, facilitant le développement des images liées au commerce dans les textes de l’époque impériale. En effet, comme souvent, les écrivains des premiers siècles de l’Empire reprennent des thèmes de l’époque classique, or les essais de définition de ce qu’est un sophiste pour Platon passent souvent par une comparaison avec le monde du commerce14. Dans un passage célèbre du Protagoras, Socrate recourt devant le jeune Hippocrate, incapable de donner une définition claire d’un sophiste, à la métaphore commerciale : − Ἆρ᾽ οὖν, ὦ Ἱππόκρατες, ὁ σοφιστὴς τυγχάνει ὢν ἔμπορός τις ἢ κάπηλος τῶν ἀγωγίμων, ἀφ᾽ ὧν ψυχὴ τρέφεται; φαίνεται γὰρ ἔμοιγε τοιοῦτός τις. – Τρέφεται δέ, ὦ Σώκρατες, ψυχὴ τίνι; − Μαθήμασιν δήπου, ἦν δ᾽ ἐγὼ. Καὶ ὅπως γε μή, ὦ ἑταῖρε, ὁ σοφιστὴς ἐπαινῶν ἃ πωλεῖ ἐξαπατήσῃ ἡμᾶς, ὥσπερ οἱ περὶ τὴν τοῦ σώματος τροφήν, ὁ ἔμπορός τε καὶ κάπηλος. Καὶ γὰρ οὗτοί που ὧν ἄγουσιν ἀγωγίμων οὔτε αὐτοὶ ἴσασιν ὅτι χρηστὸν ἢ πονηρὸν περὶ τὸ σῶμα, ἐπαινοῦσιν δὲ πάντα πωλοῦντες, οὔτε οἱ ὠνούμενοι παρ᾽αὐτῶν, ἐὰν μή τις τύχῃ γυμναστικὸς ἢ ἰατρὸς ὤν. Οὕτω δὲ καὶ οἱ τὰ μαθήματα περιάγοντες κατὰ τὰς πόλεις καὶ πωλοῦντες καὶ καπηλεύοντες· τῷ ἀεὶ ἐπιθυμοῦντι ἐπαινοῦσιν μὲν πάντα ἃ πωλοῦσιν, τάχα δ᾽ἄν τινες, ὦ ἄριστε, καὶ τούτων ἀγνοοῖεν ὧν πωλοῦσιν ὅτι χρηστὸν ἢ πονηρὸν πρὸς τὴν ψυχήν· ὡς δ᾽αὕτως καὶ οἱ ὠνούμενοι παρ᾽ αὐτῶν, ἐὰν μή τις τύχῃ περὶ τὴν ψυχὴν αὖ ἰατρικὸς ὤν. − Un sophiste, Hippocrate, ne serait-il pas un négociant ou un boutiquier qui débite les denrées dont l’âme se nourrit ? Pour moi, du moins, c’est ainsi qu’il m’apparaît. − Mais cette nourriture de l’âme, Socrate, quelle est-elle ? − Les diverses sciences, évidemment, repris-je. Et ne nous laissons pas plus éblouir par les éloges qu’il fait de sa marchandise que par les belles paroles des commerçants, grands ou petits, qui nous vendent la nourriture du corps. Ceux-ci nous apportent leurs denrées sans savoir eux-mêmes si elles sont bonnes ou mauvaises pour la santé, mais ils les font valoir toutes indifféremment, et l’acheteur n’en sait pas davantage, s’il n’est pédotribe ou médecin. De même, ceux qui colportent leur savoir de ville en ville, pour le vendre en gros ou en détail, vantent aux clients tout ce qu’ils leur proposent, sans peut-être savoir toujours eux-mêmes ce qui

13 Accuser un σοφός de recevoir de l’argent pour son enseignement était, depuis l’époque classique, une manière de le discréditer en mettant en avant sa cupidité. Voir H. Tell, « Wisdom for Sale ? The Sophists and Money », Classical Philology, 104 (1), 2009, p. 13-33. 14 L. Gernet, Anthropologie de la Grèce antique, Paris, 1968, p. 412-413. L’auteur fait référence au Sophiste de Platon, 223c-226b.

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est bon ou mauvais pour l’âme ; et le client ne s’y connaît pas mieux qu’eux, à moins d’avoir étudié la médecine de l’âme. […] »15. La critique de Platon, sous le ton léger, est sévère. Un passage du livre XI des Lois traite des métiers du commerce, jugés dégradants car déviés de leur fonction initiale, qui est d’assurer à tous de quoi subvenir à leurs besoins. Au lieu de se contenter du juste prix des marchandises, les commerçants cherchent le profit pour lui-même, car ils manquent d’éducation et de vertu pour se contenter du strict nécessaire. Il leur est alors interdit de falsifier leur marchandise et de la vanter sur la place publique, sous peine d’être punis16. Le mépris de Platon pour les professions mercenaires, qui est celui de bien des aristocrates de son temps et se perpétue encore à l’époque impériale, affleure sous l’image plaisante du sophiste vendant sous le nom de « savoir » ce dont il ignore la qualité17. Outre la moralité douteuse de ces individus, c’est le statut même de salarié qui est mis en cause. Si Lucilius, plus haut, souhaitait s’assurer d’avoir les ressources nécessaires pour philosopher, c’est que cette activité exige une parfaite disponibilité de l’âme et ne peut s’assortir d’un travail destiné à assurer la subsistance quotidienne. Les sophistes donc, comme des commerçants, recherchent l’argent pour lui-même et valorisent le profit plus que la vertu ou la vérité, ce qui trahit le vice de leur caractère ; de plus, l’argent en lui-même n’est pas à rechercher, car il est difficile de philosopher tout en étant astreint à une activité d’artisan ou de commerçant. Ce dernier point surtout hante les réflexions philosophiques, tiraillées entre des doctrines prônant un certain détachement à l’égard des nécessités matérielles et le besoin de gagner sa vie. Si les réflexions sur les modalités d’une bonne paideia philosophique sont si abondantes dans la littérature impériale, c’est en partie parce que, la philosophie devenant de plus en plus une profession dont l’enseignement constitue le fonds de commerce, il est tout aussi important qu’à l’époque de Platon de distinguer le philosophe des autres acteurs de la paideia en recourant à sa contrepartie négative, le sophiste. Avant Platon cependant, les comiques, à l’instar d’Aristophane dans les Nuées,présentent un panorama plus étendu des sophistes18 et les décrivent comme des bonimenteurs faisant leur miel des faux savoirs qui leur rapportent de l’argent, abordant la marchandise philosophique sous un angle que Platon, dans le Sophiste, envisage aussi19 : Στρεψιαδης − Μὰ Δί’ ἀλλ’ὁμίχλην καὶ δρόσον αὐτὰς ἡγούμην καὶ καπνὸν εἶναι. Σωκρατης − Οὐ γὰρ μὰ Δί᾿ οἶσθ᾿ ὁτιὴ πλείστους αὗται βόσκουσι σοφιστάς, Θουριομάντεις ἰατροτέχνας σφραγιδονυχαργοκομήτας, κυκλίων τε χορῶν ᾀσματοκάμπτας ἄνδρας μετεωροφένακας, οὐδὲν δρῶντας βόσκουσ’ ἀργούς, ὅτι ταύτας μουσοποιοῦσιν. Platon, Protagoras, 313 c-e, trad. F. Ildefonse, édition J. Burnet. Plat., Lois, XI, 916 d-918 a. Voir à ce sujet S. Mansouri, La démocratie athénienne, une affaire d’oisifs ?, Bruxelles, 2010, p. 37-61. Sur les sophistes comme cible fréquente de la comédie classique, voir en particulier C. Carey, « Old Comedy and the Sophists », dans D. Harvey, J. Wilkins (éd.), The Rivals of Aristophanes. Studies in Athenian Old Comedy, Swansea, 2000, p. 419-437. 19 223 e-224 b : les sophistes font commerce de ce qui touche aux Muses, marchandises relatives à l’âme. 15 16 17 18

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« Strepsiade – Non, par Zeus ; mais je les prenais pour du brouillard, de la rosée, de la vapeur. » « Socrate – C’est que tu ignores, par Zeus, qu’elles repaissent un tas de sophistes, devins de Thurion, artistes médecins, oisifs chevelus occupés de leurs bagues et de leurs ongles, tourneurs de strophes pour les chœurs cycliques, mystificateurs aériens, oisifs qu’elles nourrissent à ne rien faire, parce qu’ils les chantent dans leurs vers20. » Les « sophistes » cités, si l’on comprend que les vers 332-334 développent σοφιστάς, sont un groupe hétéroclite de bonimenteurs et de prestidigitateurs que n’unit que leur goût pour la tromperie et le commerce de savoirs illusoires, ainsi qu’une attitude et un extérieur propres à subjuguer les foules. Sur ces deux modèles se développent à l’époque impériale des représentations variées de l’enseignement commercial de la philosophie21. Les vendeurs d’illusions d’Aristophane se retrouvent par exemple chez Dion de Pruse. Son discours XXXIII, adressé aux habitants de Tarse, est construit autour d’une opposition entre lui-même, qui ne sait faire que des remontrances, et les bonimenteurs qui, sous couvert d’instruire les foules, ne font que les flatter. Dans un premier temps, il recourt à l’image du prestidigitateur : δοκεῖτέ μοι πολλάκις ἀκηκοέναι θείων ἀνθρώπων, οἳ πάντα εἰδέναι φασὶ καὶ περὶ πάντων ἐρεῖν ᾗ διατέτακται καὶ τίνα ἔχει φύσιν, περί τε ἀνθρώπων καὶ δαιμόνων καὶ θεῶν, ἔτι δὲ γῆς καὶ οὐρανοῦ καὶ θαλάττης, καὶ περὶ ἡλίου καὶ σελήνης καὶ τῶν ἄλλων ἄστρων, καὶ περὶ τοῦ σύμπαντος κόσμου, καὶ περὶ φθορᾶς καὶ γενέσεως καὶ μυρίων ἄλλων. Ἔπειτ᾽οἶμαι προσελθόντες ὑμῶν πυνθάνονται τί βούλεσθε αὐτοὺ εἰπεῖν καὶ περὶ τίνος [...]. « À mon avis vous avez dû maintes fois écouter des hommes divins qui prétendent tout connaître, parler de tout, expliquer la formation et la nature aussi bien des êtres humains que des démons et des dieux, mais aussi de la terre, du ciel et de la mer, du soleil et de la lune et des autres astres, de l’ensemble de l’univers, de sa destruction et de sa naissance, et mille autres choses encore. Ensuite, j’imagine, ils s’avancent vers vous, s’enquièrent de vos désirs : de quels sujets vous entretiendront-ils22 ? » Ces personnages charment la foule pour gagner leur vie, même si le texte de Dion ne le dit pas explicitement. Ces « hommes divins » se présentent comme les détenteurs d’un savoir universel qui captive les ignorants. Peu après, la figure du charlatan revient, sous les traits d’un anatomiste de foire : 20 Aristophane, Les Nuées, v. 330-334, trad. H. Van Daele. 21 Sur la dynamique d’imitation et de création caractéristique de l’écriture littéraire à l’époque impériale, voir G. Anderson, Lucian. Theme and Variation in the Second Sophistic (Mnemosyne Sup. 41), Leyden, 1976 ; J. Bompaire, Lucien écrivain. Imitation et création, Paris, 1958. Plus récemment, en redéfinissant le concept de mimèsis, T. Whitmarsh, Greek Literature and the Roman Empire. The Politics of Imitation, Oxford University Press, Oxford, 2001, p. 41-89. 22 Dion de Pruse, XXXIII, 4, trad. C. Bost-Pouderon légèrement modifiée.

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Ἡ μὲν οὖν τοιάδε ἀκρόασις θεωρία τις οὖσα καὶ πομπὴ παραπλήσιον ἔχει τι ταῖς ἐπιδείξεσι τῶν καλουμένων ἰατρῶν, οἳ προκαθίζοντες ἐν τῷ μέσῳ ξυμβολὰς ἄρθρων καὶ ὀστέων συνθέσεις καὶ παραθέσεις καὶ τοιαῦθ᾽ἕτερα ἐπεξίασι, πόρους καὶ πνεύματα καὶ διηθήσεις. Οἱ δὲ πολλοὶ κεχήνασι καὶ κεκήληνται τῶν παιδίων μᾶλλον. Ὁ δ᾽ἀληθὴς ἰατρὸς οὐκ ἔστι τοιοῦτος οὐδὲ οὕτως διαλέγεται τοῖς ὄντως δεομένοις· πόθεν; ἀλλὰ προσέταξε τί δεῖ ποιεῖν, καὶ φαγεῖν βουλόμενον ἢ πιεῖν ἐκώλυσε, καὶ λαβὼν ἔτεμεν ἀφεστηκός τι τοῦ σώματος. « L’audition de ce genre de discours, tenant du spectacle et de la parade, présente une forte similitude avec les exhibitions de ces soi-disant médecins qui s’installent sur la place publique et passent tout en revue : l’emboîtement des articulations, l’arrangement et la juxtaposition des os et d’autres détails de ce genre, voies d’évacuation, flatuosités, excrétions. Et la foule reste là, bouche bée, plus facilement charmée qu’une bande de gamins. Mais tel n’est pas le véritable médecin : il ne s’adresse pas ainsi à ceux qui ont réellement besoin de lui ; que non ! Au contraire, il prescrit ce qu’il faut faire ; à qui veut manger ou boire, il l’interdit ; s’il rencontre quelque abcès, il l’incise23. » Ce personnage fascinant rappelle les ἰατροτέχναι d’Aristophane ou les charlatans mis en cause dans le traité hippocratique La maladie sacrée24. Le contexte est celui d’une démonstration sur la place publique. Opposant ce charlatan au vrai médecin qui incise la plaie, Dion rappelle que le sophiste ne fait que charmer son public, tandis que le philosophe le blâme pour l’instruire et le faire changer de comportement25. L’association des sophistes aux faiseurs de tours se retrouve dans la Corinthe classique de Dion, où les déclamations des sophistes ont lieu au milieu d’une troupe de jongleurs et de cabaretiers26. Sénèque produit également une variation satirique sur le thème des philosophes qui accordent une importance telle aux distinctions logiques qu’ils ne sont rien d’autre que des bonimenteurs : Ceterum qui interrogatur an cornua habeat non est tam stultus ut frontem suam temptet, nec rursus tam ineptus aut hebes ut nesciat (nisi) tu illi subtilissima collectione persuaseris. Sic ita sine noxa decipiunt quomodo praestigiatorum acetabula et calculi, in quibus me fallacia ipsa delectat. Effice ut quomodo fiat intellegam : perdidi lusum. Idem de istis captionibus dico – quo enim nomine potius sophismata appellem ? – nec ignoranti nocent nec scientem iuuant.

23 Dion de Pruse, XXXIII, 6, trad. C. Bost-Pouderon. 24 Hippocrate, La maladie sacrée, 1. Sur la distinction entre le médecin et le charlatan, voir E. Samama, « Médecin ou charlatan ? Comment reconnaître un bon soignant dans le monde grec ? », dans F. Collard, E. Samama (éd.), Mires, physiciens, barbiers et charlatans. Les marges de la médecine de l’Antiquité au xvie siècle, Reims, 2004, p. 9-32 ; L. M. V. Totelin, « Pharmakopolai : A Re-Evaluation of the Sources », dans W. V. Harris (éd.), Popular Medicine in Graeco-Roman Antiquity : Explorations, Leiden, 2016, p. 65-85. 25 Une image semblable est convoquée par Épictète dans les Entretiens, III, 24, 78-81. 26 Dion de Pruse, VIII, 9. Pour l’origine cynique de cet épisode, voir G. Rombi, D. Deleule, Les cyniques grecs. Lettres de Diogène et Cratès, Paris, 1998, lettre 38.

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« Au surplus, l’homme à qui on demande : « As-tu des cornes ? » n’est pas si sot que de se tâter le front, ni, d’autre part, assez inepte ou obtus pour que ton argumentation très subtile l’oblige à admettre qu’il n’en sait rien. Ces pauvres finesses abusent l’esprit, mais innocemment, comme les gobelets et les dés du prestidigitateur, qui ne m’intéressent que pour l’habileté du tour de main. Dévoilemoi le secret du jeu, adieu l’amusement. Je dis la même chose des « attrapes » (pour désigner les sophismes, je ne saurais trouver de meilleur équivalent). On ne perd rien à les ignorer, on ne gagne rien à les savoir27. » L’image du prestidigitateur de place publique s’insère chez Sénèque dans le contexte d’une querelle interne à la doctrine stoïcienne, qui oppose les tenants d’une morale pratique fournie par les préceptes à ceux qui prônent par-dessus tout l’enseignement des principes28. Elle a un but pédagogique et vise à détourner Lucilius d’artifices séduisants qui ne contribuent en rien à la vie bonne, pour l’inciter à se préoccuper d’une conduite qui lui permettra de progresser dans la vertu. Les images de Dion et Sénèque se rattachent à la figure du γόης, du magicien, du charlatan qui envoûte son auditoire et en tire profit sous couvert de révéler une sagesse merveilleuse29. Si la fascination tient une part importante dans le mode d’action de ces personnages, c’est en revanche une pure transaction commerciale qui a lieu entre les philosophes portraiturés en artisans ou vendeurs de marchandises et leur public. Ce second groupe se décline en une grande variété d’images. Épictète se raille des conceptions erronées de la philosophie par le biais d’images pittoresques, comme celles du marchand de légumes (λαχανοπώλης) ou du cordonnier (σκυτεύς)30, ou celle des droguistes qui vendent des remèdes douteux dans leurs boutiques31. Un siècle plus tard, Lucien de Samosate, dont les mauvais philosophes sont l’une des cibles privilégiées, les ridiculise au moyen d’images satiriques similaires. Le philosophe Nigrinos, figure de pédagogue comme Épictète, dénonce dans l’opuscule éponyme les prétendus philosophes qui tiennent leur école comme une échoppe de commerçant32. Dans le dialogue Hermotime ou sur les sectes, il s’agit cette fois de savoir quelle doctrine philosophique est la meilleure. Le stoïcien Hermotime a comparé le choix d’une philosophie à celui du vin, dont il suffit de boire une gorgée pour juger de la qualité

27 Sénèque, Lettres à Lucilius, V, 45, 8, trad. P. Veyne. 28 Voir en particulier Sénèque, Lettres à Lucilius, 94 et 95, où il se place dans une position conciliatrice, visant à compléter l’efficacité des principes par le recours aux préceptes. Voir J. Dross, « Du traité parénétique à la consolation philosophique : l’usage de l’imaginaire médical chez Sénèque et dans le stoïcisme impérial », dans F. Toulze-Morisset (éd.), Formes de l’écriture, figures de la pensée dans la culture gréco-romaine, Lille, 2009, p. 329-341. 29 La figure d’Alexandre, dans Alexandre le faux prophète de Lucien, est l’exemple le plus frappant de ce type de personnages. Son apparence est non moins étonnante que ses paroles et les mises en scène impressionnantes qui entourent les oracles mensongers qu’il rend à des consultants pleins d’espoir. 30 Épictète, Entretiens, III, 9, 10-11. Voir infra, p. 00 : dans ce cas, c’est l’auditeur qui est dans un rapport de consommation à la philosophie, et le vieux stoïcien l’admoneste vertement par le biais des images. 31 Épictète, Entretiens, III, 21, 18-20 ; III, 24, 78-81. Une image similaire se trouve chez Plutarque, Comment on peut s’apercevoir que l’on progresse en vertu, 8. 32 Lucien, Nigrinos, 25.

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de tout le tonneau33. Son ami Lycinos le réfute sur le mode socratique en employant la même image : ΛΥΚΙΝΟΣ − ὥστε ἔγωγε οὐκ ἔχω εἰπεῖν καθ᾽ὅ τί σοι ὅμοιος φιλοσοφία καὶ οἶνος, εἰ μὴ ἄρα κατὰ τοῦτο μόνον, ὅτι καὶ οἱ φιλόσοφοι ἀποδίδονται τὰ μαθήματα ὥσπερ οἱ κάπηλοι – κερασάμενοί γε οἱ πολλοί καὶ δολώσαντες καὶ κακομετροῦντες. […] Φιλοσοφία καὶ οἱ φιλοσοφοῦντες οἷον ὁ διδάσκαλος ὁ σός, ἆρα ταὐτὰ πρὸς ὑμᾶς λέγει ὁσημέραι καὶ περὶ τῶν αὐτῶν ἢ ἄλλα ἄλλοτε; πολλὰ γάρ ἐστι, πρόδηλον, ὦ ἑταῖρε. Ἢ οὐκ ἂν εἴκοσιν ἔτη παρέμενες αὐτῷ κατὰ τὸν Ὀδυσσέα περινοστῶν καὶ περιπλανώμενος, εἰ τὰ αὐτὰ ἔλεγεν, ἀλλὰ ἀπέχρη ἄν σοι καὶ ἅπαξ ἀκούσαντι. […] Πῶς οὖν οἷόν τέ σοι ἦν ἀπὸ τοῦ πρώτου γεύματος εἰδέναι τὰ πάντα; οὐ γὰρ τὰ αὐτά γε, ἀλλὰ ἀεὶ ἕτερα καινὰ ἐπὶ καινοῖς ἐλέγετο, οὐχ ὥσπερ ὁ οἶνος ὁ αὐτὸς ἦν. « Lycinos – […] Aussi je ne vois pas en quoi la philosophie et le vin se ressemblent, si ce n’est en un seul point, c’est que les philosophes débitent leurs enseignements comme les marchands de vin et que la plupart d’entre eux mélangent, falsifient et trompent sur la mesure. […] La philosophie et les philosophes, ton maître par exemple, vous disent-ils tous les jours les mêmes choses sur les mêmes sujets, ou tantôt une chose, tantôt une autre ? Il est évident que les leçons varient ; autrement tu ne serais pas resté vingt ans à l’école à errer et vagabonder comme Ulysse, si ton maître répétait les mêmes choses ; il t’aurait suffi de l’entendre une fois. […] Comment donc as-tu pu à la première dégustation connaître le tout ? Car ce n’était pas les mêmes matières, mais des matières toujours nouvelles que le maître traitait, tandis que le vin est toujours le même34… » Le rapprochement de la philosophie et du vin est tout d’abord l’occasion pour Lycinos de souligner avec humour la tromperie des philosophes qui falsifient leur marchandise sciemment ; rien d’autre, en effet, ne saurait expliquer la comparaison d’Hermotime. Le vin devient ensuite, dans une interrogation plus sérieuse sous ses apparences ludiques, l’occasion d’une réflexion sur l’un et le multiple. La fluidité du liquide enivrant est paradoxalement le signe d’une stabilité qui se traduit par une qualité toujours égale, au rebours de la parole des philosophes qui sans cesse change et rend confus celui qui l’ingurgite aussi sûrement qu’un tonneau de vin. L’image permet donc de développer une nouvelle fois la satire des philosophes tout en l’infléchissant dans un sens plus philosophique, celui de la recherche du vrai chemin vers la vertu et le bonheur. Toutes ces images, dans leur variété, dénoncent ainsi une pratique commerciale de l’enseignement de la philosophie, ses effets pernicieux et ses dysfonctionnements, mais cherchent aussi, au-delà de la satire, à nourrir une réflexion profonde sur ce qu’il devrait être.

33 Luc., Hermotimos ou les sectes, 58. 34 Luc., Hermotimos ou les sectes, 59-60, trad. E. Chambry, édition Kilburn.

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Les images du profit et la réflexion sur l’enseignement de la philosophie Comparer les philosophes à des bonimenteurs, des marchands et des artisans, en raison du caractère mercenaire de ces professions, permet de refuser à ces « sophistes » toute légitimité à enseigner la philosophie. En effet, le mode de vie d’un mercenaire n’a rien de la vertu du philosophe. Rien d’étonnant, pour Lucien, si de prétendus philosophes conçoivent leur enseignement comme une source de profit, s’ils sont eux-mêmes, à ce que suggère Philosophie, pourchassant des esclaves en fuite dans Les Fugitifs, issus d’un monde soumis à la contrainte de gagner sa vie par un labeur quotidien35 : Φιλοσοφια – […] Μιαρὸν γάρ τι φῦλον ἀνθρώπων καὶ ὡς τὸ πολὺ δουλικὸν καὶ θητικόν, οὐ ξυγγενόμενον ἡμῖν ἐκ παίδων ὑπ᾽ ἀσχολίας· ἐδούλευεν γὰρ ἢ ἐθήτευεν ἤ ἄλλας τινὰς τέχνας οἵας εἰκὸς τοὺς τοιούτους ἐμάνθανεν, σκυτεύειν ἢ τεκταίνειν ἢ περὶ πλυνοὺς ἔχειν ἢ ἔρια ξαίνειν, ὡς εὐεργὰ εἴη ταῖς γυναιξὶν καὶ εὐμήρυτα καὶ κατάγοιτο εὐμαρῶς ὁπότε ἢ κρόκην ἐκεῖναι στρέφοιεν ἢ μίτον κλώθοιεν, τοιαῦτα τοίνυν ἐν παισὶ μελετῶντες οὐδὲ ὄνομα τὸ ἡμέτερον ᾔδεσαν. Ἐπεὶ δὲ εἰς ἄνδρας τελεῖν ἤρξαντο καὶ κατεῖδον τὴν αἰδῶ, ὅση παρὰ τῶν πολλῶν ἐστιν τοῖς ἑταίροις τοῖς ἐμοῖς, καὶ ὡς ἀνέχονται οἱ ἄνθρωποι τὴν παρρησίαν αὐτῶν καὶ χαίρουσιν θεραπευόμενοι καὶ συμβουλεύουσι πείθονται καὶ ἐπιτιμώντων ὑποπτήσσουσι, ταῦτα πάντα τυραννίδα οὐ μικρὰν ἡγοῦντο εἶναι. « Philosophie – […] Il y a en effet une abominable espèce d’hommes, des esclaves et des salariés pour la plupart, qui, faute de loisir, ne nous ont pas fréquentée dès l’enfance. En effet, ils étaient esclaves ou travaillaient pour un salaire ou apprenaient d’autres métiers appropriés aux gens de cette espèce ; ils étaient cordonniers, charpentiers, foulons ou cardeurs de laine afin de la rendre facile à travailler et à enrouler pour les femmes, et aisée à dévider lorsqu’elles ourdissent une trame ou filent un fil de chaîne. Occupés, donc, à de telles tâche dans leur jeune âge, ils ne connaissaient même pas notre nom. Mais, lorsqu’ils entrèrent dans la classe des hommes faits et qu’ils remarquèrent tout le respect que la multitude témoigne à mes compagnons et la manière dont les hommes tolèrent leur franc-parler, se réjouissent de leur assistance, obéissent à leurs conseils et tremblent devant leurs reproches, ils regardèrent tout cela comme un pouvoir considérable36. » L’artisanat sous ses divers aspects, comme le montre l’alternative δουλικόν/θητικόν, est un monde privé de liberté, qu’il s’agisse de celle de son corps ou de l’indépendance financière qu’exige le loisir de la philosophie. Le manque d’éducation des personnages qui ont grandi dans ce milieu (ἐν παισί) explique qu’ils considèrent la philosophie 35 Lucien semble considérer que les cyniques sont de basse extraction sociale, et relayer l’image négative de l’artisanat et du commerce à son époque. Voir E. Marquis, Lucien. Opuscules 55-57, Paris, 2017, n. 39 et n. 40, p. 428. 36 Luc., Les Fugitifs, 12, trad. E. Marquis.

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comme une activité génératrice d’espèces sonnantes et trébuchantes. On peut ainsi lire, dans la plainte de Philosophie, la satire d’une pseudo-philosophie enseignée par des opportunistes qui n’ont jamais vécu selon les principes qu’ils enseignent. La philosophie, pour eux, est un moyen de subsistance, une marchandise dont ils espèrent tirer le meilleur prix. Qui plus est, c’est une marchandise de basse qualité qu’ils fournissent à leurs élèves, jeunes gens faciles à duper et friands de belles apparences chatoyantes. Sénèque insiste fortement sur ce point lorsqu’il tente de détourner Lucilius de sa passion pour les bons mots et les sentences vides de sens et détachées de tout contexte : Non est ergo quod exigas excerpta et repetita : continuum est apud nostros quidquid apud alios excerpitur. Non habemus itaque ista ocliferia nec emptorem decipimus nihil inuenturum cum intrauerit preater illa quae in fronte suspensa sunt : ipsis permittimus unde uelint sumere exemplar. « N’exige donc pas de maximes détachées, de pensées recueillies de-ci de-là : le stoïcisme présente comme un tout continu ce qui ailleurs n’est donné qu’en extraits. Le colifichet tapageur est un article que nous ne tenons pas ; nous n’abusons pas l’acheteur qui, une fois dans le magasin, n’y trouvera rien de plus que les objets accrochés à la montre. Nous laissons chacun libre de choisir ses échantillons37. » Lucilius, à l’instar de bien des débutants en philosophie, cherche un moyen simple de se souvenir des grands principes de la philosophie stoïcienne, lui qui penche plutôt en faveur de l’épicurisme. Sénèque le morigène en comparant cela à des marchandises de peu de valeur. Or c’est précisément ce type de méthode que les écrivains de l’époque impériale reprochent aux mauvais philosophes : ils enseignent des mots et non un mode de vie. Une image semblable est convoquée par Épictète pour tenter de détourner un jeune homme des savoirs creux que sont les syllogismes. Ἐπὶ τοῦτο ἀπεδήμησας; τούτου ἕνεκα ἐζήτησάς τινι συμβαλεῖν, ἵν᾽ ὠφεληθῇς ὑπ᾽αὐτοῦ; ποίαν ὠφελείαν; συλλογισμοὺς ἵν᾽ἀναλύσῃς ἐκτικώτερον ἢ ἐφοδεύσῃς ὑποσετικούς; καὶ διὰ ταύτην τὴν αἰτίαν ἀδελφὸν ἀπέλιπες, πατρίδα, φίλους, οἰκείους, ἵνα ταῦτα μαθὼν ἐπανέλθῃς; ὥστ᾽οὐχ ὑπὲρ εὐσταθείας ἀπεδήμεις, οὐχ ὑπὲρ ἀταραξίας, οὐχ ἵν᾽ἀβλαβὴς γενόμενος μηκέτι μηδένα μέμφῃ, μηδένι ἐγκαλῇς, μηδείς σε ἀδικῇ καὶ οὕτως τὰς σχέσεις ἀποσῴζῃς ἀπαραποδίστως; καλὴν ἐστείλω ταύτην τὴν ἐμπορίαν, συλλογισμοὺς καὶ μεταπίπτοντας καὶ ὑποθετικούς· κἄν σοι φανῇ, ἐν τῇ ἀγορᾷ καθίσας πρόγραψον ὡς οἱ φαρμακοπῶλαι. Οὐκ ἀρνήσῃ καὶ ὅσα ἔμαθες εἰδέναι, ἵνα μὴ διαβάλης τὰ θεωρήματα ὡς ἄχρηστα; τί σοι κακὸν ἐποίησεν φιλοσοφία; τί σε ἠδίκησε Χρύσιππος ἵν᾽ αὐτοῦ τοὺς πόνους ἔργῳ αὐτὸς ἀχρήστους ἐξελέγχῃς; « Est-ce pour cela que tu t’es expatrié ? Est-ce pour cela que tu as cherché à te lier avec un homme qui pût t’aider ? T’aider à quoi ? À acquérir plus d’habitude dans l’analyse des syllogismes ou dans l’examen des arguments hypothétiques ? Et voilà pourquoi tu as quitté frère, patrie, amis, famille, et c’est pour t’en retourner

37 Sénèque, Lettres à Lucilius, IV, 33, 3, trad. P. Veyne.

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ensuite avec ces connaissances ? En sorte que ce n’est pas pour acquérir de la fermeté d’âme que tu t’es expatrié, ce n’est pas pour acquérir l’ataraxie, ce n’est pas pour devenir invulnérable et ainsi n’avoir plus à blâmer personne, à n’accuser personne, à ne subir de tort de personne et pouvoir de la sorte sauvegarder tes relations sociales sans rencontrer d’obstacle ? Elle est belle, la marchandise que tu as ramenée : des syllogismes, des arguments hypothétiques ! Et si cela te fait plaisir, va t’établir à l’agora avec une enseigne, comme les droguistes. Quoi que tu aies appris, cela même ne nieras-tu pas le savoir, pour ne pas décrier tes doctrines philosophiques comme des objets inutiles ? Quel mal t’a fait la philosophie ? Quel tort t’a fait Chrysippe pour venir ainsi prouver par ton exemple l’inutilité de ses efforts38 ? » L’image donne à l’argumentation du maître une force de conviction nouvelle pour rejeter avec dédain les bagatelles auxquelles se consacre le jeune homme. De plus, à travers la comparaison du savoir à une entité quantifiable se dessine, chez Épictète comme chez Sénèque, une opposition entre ces savoirs futiles et ce qui est au cœur de la philosophie et mérite seul d’être recherché si l’on veut atteindre à l’ataraxie. Contrairement aux syllogismes, vains mots qui ne sont en eux-mêmes d’aucun secours pour l’âme, les enseignements utiles à la vie bonne doivent changer l’âme en lui donnant les moyens de vivre en accord avec les dogmes stoïciens. La critique d’Épictète comme celle de Sénèque est interne au stoïcisme, et vise les philosophes qui prônent la prééminence des principes théoriques sur les préceptes qui définissent un ensemble de pratiques concrètes pour atteindre au bonheur. C’est en revanche une attitude plus générale que Lucien met en lumière à travers la mise en scène, dans l’un de ses Dialogues des morts d’inspiration cynique, de Cratès et Diogène commentant la conduite d’un homme qui ne pense qu’à voir son parent mourir pour en hériter : Διογενης – Οὔτε πώποτε ηὐξάμην Ἀντισσθένην ἀποθανεῖν, ὡς κληρονομήσαιμι τῆς βακτηρίας αὐτοῦ − εἶχεν δὲ πάνυ καρτερὰν ἐκ κοτίνου ποιησάμενος –οὔτε οἶμαι σὺ ὁ Κράτης ἐπεθύμεις κληρονομεῖν ἀποθανόντος ἐμοῦ τὰ κτήματα καὶ τὸν πίθον καὶ τὴν πήραν χοίνικας δύο θέρμων ἔχουσαν. Κρατης – Οὐδὲν γάρ μοι τούτων ἔδει, ἀλλ᾽οὐδὲ σοί, ὦ Διογένης· ἃ γὰρ ἐχρῆν, σύ τε Ἀντισθένους ἐκληρονόμησας καὶ ἐγὼ σοῦ; πολλῷ μείζω καὶ σεμνότερα τῆς Περςῶν ἀρχῆς. Διογενης – Τίνα ταῦτα φῄς; Κρατης – Σοφίαν, αὐτάρκειαν, ἀλήθειαν, παρρησίαν, ἐλευθερίαν. Διογενης – Νὴ Δία, μέμνημαι τοῦτον διαδεξάμενος τὸν πλοῦτον παρὰ Ἀντισθένους καὶ σοὶ ἔτι πλείω καταλιπών. Κρατης − Ἀλλ᾽οἱ ἄλλοι ἠμέλουν τῶν τοιαούτων κτημάτων καὶ οὐδεὶς ἐθεράπευεν ἡμᾶς κληρονομήσειν προσδοκῶν, εἰς δὲ τὸ χρυσίον πάντες ἔβλεπον. « Diogène – […] Nous, quand nous étions en vie, nous n’avons jamais conçu de telles pensées les uns à l’égard des autres. Ni moi, je n’ai jamais souhaité la mort

38 Épictète, Entretiens, III, 24, 78-81, trad. J. Souilhé.

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d’Antisthène pour hériter de son bâton (et il en avait un très solide, qu’il avait fait d’olivier sauvage), ni toi, Cratès, j’en suis sûr, tu n’as jamais désiré d’hériter, à ma mort, de mes biens, je veux dire de mon tonneau et de ma besace qui contenait deux chénices de lupins. » « Cratès – En effet, je n’avais pas besoin de cela, ni toi, Diogène. Les biens qui nous étaient nécessaires, nous en avions hérité, toi d’Antisthène, et moi de toi, et c’étaient des biens plus considérables et plus nobles que l’empire de la Perse. » « Diogène – De quels biens veux-tu parler ? » « Cratès – De la sagesse, de la modération, de la vérité, de la franchise, de la liberté. » « Diogène – Par Zeus, je me souviens d’avoir reçu cette fortune-là d’Antisthène et de te l’avoir laissée encore augmentée. » « Cratès – Mais les autres ne se souciaient guère de ces richesses-là, et personne ne nous faisait la cour dans l’attente de notre succession ; c’est sur l’or qu’ils avaient tous les yeux fixés39. » La pauvreté matérielle des cyniques contraste avec les richesses que convoite le commun des mortels. Avec humour, Diogène repousse l’idée qu’il ait pu vouloir hériter du maigre patrimoine d’Antisthène, et l’oppose aux ressources spirituelles qu’il a retirées de sa fréquentation. Nous retrouvons dans ce dialogue l’ opposition entre les biens matériels et les richesses de l’âme que suggérait l’image de la vente chez Épictète, mais elle y prend le sens d’une critique plus universelle, au-delà de tout débat doctrinal précis. Représenter les savoirs comme des possessions matérielles que l’on acquiert par marchandage permet ainsi de disqualifier les vains enseignements et de définir, par contraste, les véritables possessions de l’âme, dont elle profite pleinement pour vivre en philosophe. À travers son assimilation à une transaction commerciale, c’est également sur la relation maître-disciple que porte la réflexion. Le dialogue de Lucien intitulé Les philosophes à l’encan fournit un bon angle d’approche de cette question : des acheteurs se pressent au marché autour d’Hermès et choisissent le philosophe dont ils veulent acquérir la doctrine, comme s’il s’agissait d’un esclave. La relation ainsi décrite est dissymétrique : le philosophe est soumis à l’argent de l’élève, qui décide lui-même de ce que va lui enseigner le maître. On retrouve la même idée dans le cas où les philosophes ne sont pas eux-mêmes des marchandises, mais promeuvent leurs savoirs comme des marchandises40. Dans ce cas, l’élève vient voir le maître pour acheter ce qu’il veut, et ce dernier n’a qu’à accepter le marché s’il veut retirer un profit de sa profession. Ce rapport de force défavorable au maître conduit à une diffusion erronée des savoirs : au lieu que le maître évalue l’état de l’élève avant de lui proposer un enseignement approprié, le contraire se produit, au détriment des

39 Luc., Dialogues des morts, 21 (11), 3-4, trad. E. Chambry. 40 C’est également sous l’angle de la paideia que T. Whitmarsh, Greek Literature in the Roman Empire. The Politics of Imitation, Oxford, 2001, p. 247-294, a étudié l’image du commerce de la philosophie chez Lucien. Il en fait le signe d’une incompatibilité entre les hautes aspirations des pepaideumenoi et celles des philosophes sans scrupules, dans une compétition pour établir son autorité au moyen d’une bonne compréhension de la paideia.

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deux parties. Épictète utilise ainsi l’image de la marchandise pour dénoncer l’état d’esprit d’un de ses auditeurs, qui vient le voir dans l’idée d’obtenir un conseil sur une situation précise, un procès qu’il doit mener à Rome : − Βοήθησόν μοι εἰς τὸ πρᾶγμα. – Οὐκ ἔχω πρὸς τοῦτο θεωρήματα· οὐδὲ σύ, εἰ τούτου ἕνεκα ἐλήλυθας πρὸς ἐμέ, ὡς πρὸς φιλόσοφον ἐλήλυθας, ἀλλ᾽ ὡς πρὸς λαχανοπώλην, ἀλλ᾽ὡς πρὸς σκυτέα. « – Viens à mon secours dans cette affaire. » « – Je n’ai aucune règle à te donner à ce sujet. Et toi-même, si tu es venu à moi dans ce dessein, ce n’est pas comme à un philosophe que tu es venu, mais comme à un marchand de légumes, comme à un cordonnier41. » Le maître renvoie le rhéteur romain insatisfait en lui tenant un discours aux accents de diatribe cynique. Contrairement au marchand de légumes ou au cordonnier qui effectue sans broncher ce que réclame le client, l’enseignement philosophique, sous la direction avisée du professeur, se caractérise par un but, qui est la vie bonne et non la résolution de causes nées des circonstances. En outre, il réclame le libre consentement des deux parties à aller ensemble vers le bien, une sorte de réciprocité et de reconnaissance mutuelle qui rend la relation féconde et profitable. Épictète en témoigne dans un autre passage, où il repousse un jeune homme en qui il ne voit rien d’intéressant : – Ταῦτά σοι μόνα ἔχω εἰπεῖν καὶ οὐδὲ ταῦτα προθύμως. – Διὰ τί; – Ὅτι με οὐκ ἠρέθισας. Εἰς τί γὰρ ἀπιδὼν ἐρεθισῶ ὡς οἱ ἱππικοὶ περὶ τοὺς ἵππους τοὺς εὐφυεῖς; εἰς τὸ σωμάτιον; αἰσχρῶς αὐτὸ πλάσσεις. Εἰς τὴν ἐσθῆτα; καὶ ταύτην τρυφερὰν ἔχεις. Εἰς σχῆμα, εἰς βλέμμα; εἰς οὐδὲν. Ὅταν ἀκοῦσαι θέλῃς φιλοσόφου, μὴ λεγὲ αὐτῷ ὅτι οὐδὲν μοι λέγεις; ἀλλὰ μόνον δείκνυε σαυτὸν † τοῦ ἀκούειν καὶ ὄψει, πῶς κινήσεις τὸν λέγοντα. « – Voilà tout ce que j’ai à te dire, et même cela, je n’ai guère le cœur à te le dire. » « – Pourquoi ? » «– Parce que tu ne m’as pas stimulé. Que puis-je observer en toi qui me stimule, comme le sont les cavaliers par des chevaux de bonne race ? Ton misérable corps ? C’est honteux la façon dont tu le soignes. Tes vêtements ? Eux aussi, ils sont trop luxueux. Ton maintien, ton regard ? Absolument rien. Quand tu voudras entendre un philosophe, ne va pas lui demander : « N’as-tu rien à me dire ? », mais contente-toi de montrer ta propre compétence à l’entendre, et tu verras alors comme tu l’exciteras à parler42. » Peu de textes expriment si clairement la réticence du maître face à l’élève, mais les passages qui envisagent l’attirance de l’élève pour le maître sont fréquents. Le Nigrinos de Lucien reprend le thème platonicien de l’amour pour le maître qui ouvre les yeux de l’élève sur un autre monde, tandis que certaines conversions philosophiques, comme

41 Épictète, Entretiens, III, 9, 10, trad. J. Souilhé. 42 Épictète, Entretiens, II, 24, 27-29, trad. J. Souilhé.

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celle de Polémon au platonisme, reposent sur l’amour salvateur du jeune homme pour le maître43. Plutarque décrit dans des termes similaires l’attirance du jeune homme, qui veut tout d’abord retirer une utilité immédiate de son professeur, avant de se prendre d’amour pour lui et de perfectionner son âme44. Représenter cette relation comme un pur marchandage où le sentiment d’émulation et la réciprocité du regard porté par le maître et l’élève l’un sur l’autre disparaissent permet ainsi de mieux comprendre ce que les moralistes de l’époque impériale plaçaient au fondement de l’éducation philosophique. Musonius donne une description très claire de cette entente réciproque : Ἵνα δὲ ἐπὶ ἀρχὴν ἐπανέλθω τοῦ λόγου, φημὶ δεῖν τὸν διδάσκαλον τὸν φιλόσοφον μὴ λόγων πλῆθος μηδ᾽ἀποδείξεων ζητεῖν διεξιέναι πρὸς τοὺς μανθάνοντας, ἀλλὰ καιρίως περὶ ἑκάστου λέγειν καὶ καθικνεῖσθαι τῆς διανοίας τοῦ ἀκούοντος, καὶ στικὰ εἶναι λέγειν καὶ ἀνατραπῆναι μὴ ῥᾴδια, καὶ μάλιστά γε τῷ παρέχειν αὑτὸν περί τε τῶν χρησιμωτάτων λέγοντα καὶ ὁμολογούμενα οἷς λέγει πράττοντα, τούτῳ μεταχειριζόμενον τοὺς ἀκούοντας· τὸν δὲ μαθητὴν ἐντετάσθαι πρὸς τὰ λεγόμενα καὶ σκοπεῖν μὲν ὅπως μὴ λάθῃ ψεῦδός τι παραδεξάμενος· τῶν δὲ ἀληθῶν μὴ μὰ Δία πολλὰς ζητεῖν ἀποδείξεις ἀκούειν, ἀλλ᾽ἐναργεῖς· καὶ ἅπερ ἂν πεισθῇ τῶν παραινουμένων ἑαυτῷ εἶναι καὶ ἀληθῆ, τούτοις ἐπακολουθεῖν ἐν τῷ βίῳ. Οὕτω γὰρ μόνως ἔσται τις ἐκ φιλοσοφίας ὠφελημένος, ἂν οἷς παραδέδεκται λόγοις οὖσιν ὑγιέσι τὰ ἔργα παρέχηται συνῳδά. « Pour revenir au début de mon discours, je déclare que le maître, du philosophe, ne doit pas chercher à parcourir devant les disciples une multitude d’arguments et de démonstrations, mais sur chaque sujet dire ce qu’il faut en temps opportun, pénétrer l’entendement de l’auditeur, proposer des arguments qu’il sait être persuasifs et qui ne sont pas faciles à renverser ; mais surtout son traitement des auditeurs doit consister en ceci qu’il se présente non seulement comme exposant les choses les plus utiles, mais comme agissant en conformité avec ses enseignements. Quant au disciple, il doit être tendu vers l’enseignement et veiller à ne pas accueillir à son insu une fausseté ; d’autre part, de ce qui est vérités, il ne doit pas, par Zeus, chercher à entendre une multitude de démonstrations, mais des démonstrations évidentes ; et ceux d’entre les conseils dont il est convaincu qu’ils sont vrais aussi pour lui, il doit les suivre dans son genre de vie. C’est ainsi seulement qu’on tirera profit de la philosophie, si l’on présente une conduite conforme aux enseignements qu’on aura reçus, à supposer qu’ils soient corrects45. » L’enseignement du philosophe doit être approprié à chaque élève, sans chercher simplement à le séduire par sa forme plaisante ou sophistiquée. Quant à l’élève, il doit chercher à saisir ce qui lui sera bénéfique sans s’attacher purement à la forme. L’accent est mis, dans chacun des cas, sur la nécessité de mettre en application l’enseignement du maître dans la conduite ordinaire de sa vie. Or, pour persuader l’étudiant d’adopter le mode de vie rigoureux qu’est la philosophie, il est nécessaire que le maître se montre au préalable un modèle de vertu capable d’inspirer l’amour de la vérité à l’élève. Nous 43 Luc., La Double Accusation, 16-17. 44 Plut., De la vertu morale, 8. 45 Musonius, Entretiens, 1, 10-11, trad. A. J. Festugière légèrement modifiée, édition Lutz.

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en revenons à l’enjeu des images de philosophes commerçants : ces professions viles et immorales les démasquent comme des imposteurs incapables de conduire les jeunes gens dans le droit chemin. Le Nigrinos de Lucien développe cette idée : après que Nigrinos a critiqué les professeurs de philosophie qui se conduisent comme des marchands, le narrateur dresse par contraste le tableau de l’enseignement de Nigrinos, qui repose en bonne partie sur l’imitation de sa vie simple et conforme aux principes platoniciens46. La vertu du maître, capable de transfigurer l’âme de l’auditeur, s’oppose au mauvais comportement de ceux qui marchandent la philosophie et nuisent à leurs élèves en les frappant47, au lieu de les élever vers le bien. Les comparaisons et métaphores qui font de la philosophie un commerce lucratif permettent ainsi de réfléchir aux modalités de son enseignement : il s’agit d’une relation de réciprocité entre le maître et l’élève, qui ne doit pas se borner à des principes vendus à vil prix et reçus pour un profit immédiat, mais changer durablement la vie de l’un et de l’autre et se manifester dans la conduite ordinaire de la vie. Puisque l’exemple donné par le maître est crucial, il importe qu’il ne soit pas un être vil comme ceux qui exercent les professions mercenaires, mais un personnage libre à la moralité irréprochable.

Conclusion Par le biais d’images, certains écrivains de l’époque impériale transposent la critique par Platon de l’enseignement sophistique et les railleries d’Aristophane et affirment, contre la figure du sophiste-commerçant, la légitimité de leur pratique de la paideia. Les vaines distinctions et les petits mots, s’ils ne sont pas transmis pour être mis en application au quotidien, ne sont rien d’autre que les boniments et les tours d’esprit d’illusionnistes et de sophistes bonimenteurs. En filigrane se dessine la figure vertueuse du philosophe caractérisé par la gratuité de l’enseignement qu’il apporte aux hommes, qu’il s’agisse des remontrances de Dion ou des satires de Lucien, qu’il s’agisse surtout du bon maître qui parvient, par l’amour qu’il inspire à son disciple et à la relation de réciprocité qui s’établit entre eux, à le conduire sur le chemin de la vertu48. Au-delà de cela, les images font état de questions éthiques liées à la professionnalisation croissante de la philosophie. Comment concilier les contraintes financières avec les exigences d’une pratique qui se revendique d’une liberté absolue vis-à-vis de toutes les formes de pouvoir et de dépendance ? Marine Glénisson Université Paris-Sorbonne (Paris IV) 46 Luc., Nigrinos, 26. 47 Luc., Nigrinos, 27. 48 M. Narcy, « La sophistique : une manière de vivre ? », Philosophie antique, 8, 2008, p. 115-135, montre dans le cas des socratiques, que si la différence entre les sophistes et les philosophes semble bien pour eux avoir résidé dans le fait d’être rémunéré ou non pour son enseignement, c’est surtout parce que le rapport commercial du maître à l’élève excluait toute forme d’élection et de réciprocité entre le maître et l’élève.

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La sagesse des anciens Sur la transmission orale des savoirs dans le roman grec ancien

Le roman grec d’amour et d’aventure, daté des premiers siècles ap. J.-C., est souvent considéré comme une forme ancienne du roman d’apprentissage (Bildungsroman ou Entwicklungsroman), qui place au premier plan de l’action le développement personnel du héros et de l’héroïne1. En cela, il valorise une forme reconnue d’enseignement qui transparaît dans les paroles et les actions des personnages principaux, dont les romanciers nous disent immanquablement (exception faite de Daphnis et Chloé, élevés tous deux à la campagne dans une famille servile) qu’ils jouissent d’une excellente paideia, à la fois formation initiale et attestation d’un certain niveau de culture. Or, dans la société du roman grec, il manque curieusement de figures institutionnelles incarnant la transmission des savoirs. Est-ce à dire qu’il n’existe pas dans ces textes de figures de « passeurs de culture » ? S’il en existe, de quel type de « culture » s’agit-il et quel en est le mode de transmission ? En réalité, en élargissant le spectre de l’analyse à d’autres savoirs que ceux qui sont généralement transmis par la paideia, ainsi qu’à d’autres modes de transmission que livresques, ceux auxquels sont accoutumés les historiens et philologues spécialistes d’histoire culturelle, une particularité attire l’attention : il s’agit de la place dévolue à la transmission orale et interpersonnelle dans ces textes éminemment savants. C’est en effet l’occasion de rappeler l’importance de l’oralité dans les sociétés antiques, même à l’époque impériale, au temps de la Seconde Sophistique. Le but de cet article sera donc d’identifier ces figures de « passeurs de culture »2. Ces maîtres sont-ils, dans le roman grec, pourvus de traits particuliers ? La méthode suivie consistera à partir de la nature du savoir transmis pour étudier les modalités



1 Parmi les publications traitant de ce sujet, relevons en particulier J. R. Morgan, « Erotika mathemata : Greek romance as sentimental education », in Alan H. Sommerstein and Catherine Atherton (eds.), Education in Greek Fiction, Bari, 1996, p. 163-189 (avec la réponse de R. Hunter », p. 191-205) ; S. Lalanne, Une éducation greque, Paris, 2006; A. Tagliabue, « The Ephesiaca as a Bildungsroman », Ancient Narrative, 10, 2012, p. 17-46. 2 Que soient ici infiniment remerciés pour leur lecture attentive, Anne-Marie Favreau, Jean-Luc Vix et Ewen L. Bowie, ainsi que Nadine Bernard pour ses encouragements à travailler sur le sujet du grand âge. Les erreurs, lacunes et insuffisances qui pourraient subsister restent de mon entière responsabilité. Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. 405-429 © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121448

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de cette transmission. Cela nous amènera ce faisant à croiser les critères de l’âge, de la catégorie sociale et du genre avec la notion de savoir. Ce cheminement nous permettra de dresser une typologie des passeurs de culture dans le roman grec, au sommet de laquelle trône en majesté la figure du vieux sage.

Un très faible nombre d’enseignants dans un genre littéraire nourri d’érudition À contre-courant de la vulgate qui a longtemps marqué l’étude des romans grecs, il a été montré le caractère cultivé, et même savant, de ces textes traitant d’histoires d’amour et d’aventures3 et il ne fait plus de doute aujourd’hui qu’ils sont à inscrire dans la liste des œuvres les plus abouties de l’époque de la « Renaissance » des lettres grecques à la faveur de la Pax Romana. Ainsi, les trois romans datés des iie et iiie siècles ap. J.-C., Daphnis et Chloé de Longus, Leucippé et Clitophon d’Achille Tatius et les Éthiopiques d’Héliodore, sont aujourd’hui considérés comme appartenant à part entière au mouvement de la Seconde Sophistique. Ces trois romans en effet se définissent par un usage fréquent du second degré, de l’ekphrasis, de l’allusion littéraire (souvent détournée) et de la citation savante, ainsi que par la complexité des intrigues. Les deux autres romans, Callirhoé de Chariton d’Aphrodisias et les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse, qui sont plus difficiles à dater (fin ier ou début iie siècle ap. J.‑C. ?) sont aussi plus délicats à caractériser, mais des études ont montré que le style de Chariton, tout comme son statut de « secrétaire du rhéteur Athénagoras » et ses nombreuses citations d’auteurs canoniques, attestaient à tout le moins d’un haut niveau d’instruction4. On pourrait invoquer ainsi l’insistance de Chariton sur le haut niveau de paideia de certains de ses personnages5 et l’importance de la communication épistolaire dans le roman6. Xénophon d’Éphèse pour sa part ne fait usage des termes παιδεία et παιδεύειν qu’au sujet d’Habrocomès7. Chez Achille Tatius, Longus et Héliodore, les allusions à la παιδεία sont fréquentes mais elles sont détournées de leur signification initiale pour introduire une distance humoristique, voire comique, par rapport à

3 S. Stephens, « Who Read the Ancient Novels ? », dans J. Tatum (éd.), The Search for the Ancient Novel, Baltimore, 1994, p. 405-418 ; E. L. Bowie, « The Readership of Greek Novels in the Ancient World », Ibid., p. 435-459 ; E. L. Bowie, « The ancient readers of the Greek novels », dans G. Schmeling (éd.), The novel in the ancient world, Leiden-New York-Cologne, 1996, 20032, p. 87-106 ; E. L. Bowie, « Literary milieux », dans T. Whitmarsh (éd.), The Cambridge companion to Greek and Roman novel, Cambridge, 2008, p. 17-38 ; R. Hunter, « Ancient readers », Ibid., p. 261-271. 4 C. Ruiz-Montero, « Aspects of the Vocabulary of Chariton of Aphrodisias », The Classical Quarterly, 41.2, 1991, p. 484-489. 5 Chariton, Callirhoé : I,12,6, II,1,5, II,4,1, II,5,11, III,2,6, IV,7,6, V,5,1, V,9,8, VIII,4,5, VIII,5,10 (Dionysios) ; I,12,9, VI,5,8, VII,6,5, VIII,4,5 (Callirhoé) ; VII,2,6 (Chairéas) ; VIII,3,10 (le vieux Démétrios). 6 P. A. Rosenmeyer, Ancient Epistolary Fictions. The Letter in Greek Literature, Cambridge, 2001, p. 133-190 ; F. Létoublon, « La lettre dans le roman grec ou les liaisons dangereuses », dans S. Panayotakis, M. Zimmerman, W. Keulen (éds.), The Ancient Novel and Beyond, 2003, p. 271-288. 7 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, I,1,2.

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l’attente des lecteurs. Dans Leucippé et Clitophon, le terme de παιδεία sert au prêtre d’Artémis à dénoncer la jeunesse corrompue de Thersandre tandis que ses antonymes, ἀπαίδευτα et ἀπαιδεύτως, sont employés pour brocarder la grossièreté de l’accusation du même individu mais aussi l’inexpérience des baisers des garçons comparés à ceux des femmes8. Quant à Longus, il fait un usage abondant du verbe παιδεύειν. Cependant, en dehors de la mention de l’éducation de Daphnis et Chloé qui évoque leur apprentissage de l’alphabet et de « tous les raffinements qui peuvent exister à la campagne », il s’agit de désigner soit l’initiation à l’amour, en particulier à la sexualité, soit des métaphores de l’amour, comme le dressage des animaux ou bien, dans le cadre d’un parallèle avec l’usage pastoral qui consiste à diriger les troupeaux au son de la flûte, l’apprentissage d’un instrument de musique9. Héliodore, pour terminer, réserve le verbe παιδεύειν et le nom commun παίδευσις à deux occurrences, d’une part la science d’Homère en matière de théologie égyptienne, d’autre part la « belle éducation » (au sens ironique que le lecteur devine) qu’Arsacé a reçue de sa nourrice Cybèle. La paideia est donc un thème apprécié des romanciers, mais souvent détourné desons ses initial. En outre, il est étonnant de remarquer que l’on trouve très peu d’enseignants parmi les cent soixante-dix personnages environ que comptent les romans grecs d’amour et d’aventure, et cela même dans les romans dits « sophistiques ». De pédagogue, il n’est que celui du fils de Dionysios et Callirhoé, qui est, comme son père, interdit d’accès dans les appartements royaux du palais d’Artaxerxès à Babylone, et le vieux serviteur d’Habrocomès qui périt en mer sous les yeux de celui-ci10. Pas de maître (ni διδάσκαλος, ni γραμματιστής), et la seule παιδαγωγία dont il soit question est la leçon érotique de Lycénion à Daphnis11. Les rhéteurs mentionnés (ῥήτορες) sont le patron de Chariton, Athénagoras, les nombreux avocats de Thersandre, dont les orateurs Sopatros et Nicostratos qui vont s’opposer lors du procès d’Éphèse, et les avocats de Démaénété12, donc tous des hommes de loi. Le verbe ῥητορεύειν, quant à lui, qualifie les arguments et la rhétorique de Thyamis que rejette la reine Arsacé13. Enfin, il n’est d’autres sophistes que les gymnosophistes du roman éthiopien d’Héliodore.

8 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, VIII,9,2 ; VIII,9,5 ; II,37,10. 9 Longus, Daphnis et Chloé, I,8,1 (éducation) ; Prologue 1,3 (initiation à l’amour) ; II,8,1, II,9,1, III,14,1, III,18,3, III,18,4, III, 19,1, III,19,2, IV,17,3, IV,40,3 (initiation à la sexualité) ; I,22,2, I, 29, 2, I,31,2, II,16,2 (dressage des animaux) ; I,22,2, I,29,2-3, III, 23,2 (Echo). Cf. S. Lalanne, Une éducation grecque. Rites de passage et construction des genres dans le roman grec ancien, Paris, 2006, « Le berger, la syrinx et la chèvre », p. 192-204. 10 Chariton, Callirhoé, V,10,5 ; Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, I,14,4. 11 Longus, Daphnis et Chloé, III,19,1. 12 Chariton, Callirhoé, I,1,1 ; Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, VII,7,1, VII,8,1, VII,10,1, VIII,8,4, VIII,10,1 ; Héliodore, Les Éthiopiques, II,9,2. 13 Héliodore, Les Éthiopiques, VIII,5,3.

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La fonction de parent éducateur compte quelques représentants. Dans le cas de Chariclée, cette fonction incombe à son père adoptif, Chariclès, prêtre d’Apollon à Delphes, qui s’en ouvre à Calasiris14 : « Malgré mes attentions, mes promesses, les raisonnements que je mobilise, je n’ai pas réussi à la convaincre, et le pire, c’est qu’elle se sert, comme on dit, de mes propres armes contre moi, elle déploie toute son expérience de la dialectique, dont je lui ai enseigné les diverses formes, pour me confirmer qu’elle a choisi le meilleur genre de vie […] Accorde-moi cette faveur, mon bon Calasiris : mobilise contre elle ton savoir et un sortilège égyptien […] Si tu le veux bien, la chose te sera facile, car elle ne refuse pas le contact avec les savants et elle a passé la plus grande partie de son existence de vierge en leur compagnie – elle habite ici, dans le même logement que toi, je veux dire à l’intérieur de l’enceinte, aux abords du temple. » Ce passage très célèbre nous apprend que Chariclès a formé sa propre fille à la rhétorique, puisqu’elle dirige contre lui les traits de son éloquence (τὸ τοῦ λόγου κατ’ ἐμοῦ κέχρηται πτεροῖς) et cherche à le convaincre au moyen de la dialectique dont il lui a transmis les usages (τὴν ἐκ λόγων πολυπειρίαν, ἣν ποικίλην ἐδιδαξάμην). On comprend par ailleurs que cette formation équivalente à des études supérieures s’est déroulée dans l’enceinte du sanctuaire de Delphes, en compagnie d’autres savants qui ont pu lui enseigner leur spécialité, par exemple la dialectique, la philosophie, la morale – on pense évidemment à Plutarque qui fréquenta le sanctuaire pythique deux siècles plus tôt –, ou bien encore l’astronomie et les mathématiques. Ce type d’éducation par le père (qui suit le plus souvent une première formation par la mère avant l’âge de sept ans) semble avoir été très répandu dans le milieu instruit des cités grecques. On le retrouve dans l’éducation que Cnémon a reçue de son père, celui-ci espérant trouver en lui un « bâton de vieillesse »15. Cette éducation suit le même principe que l’éducation populaire dont on trouve une belle illustration dans l’éducation de Chloé qui apprend à « filer la laine et à tourner le fuseau » auprès de sa mère, ou dans l’apprentissage par Daphnis et Chloé de l’alphabet et de « tous les raffinements qui peuvent exister à la campagne » par les soins de leurs pères, Dryas et Lamon16. Un seul précepteur apparaît dans les Éphésiaques de Xénophon d’Éphèse au cours du récit que fait Hippothoos de sa rivalité avec Aristomachos de Byzance pour les faveurs du jeune Hypéranthès. Aristomachos y apparaît comme un séducteur prêt à toutes les bassesses17 :

14 Héliodore, Les Éthiopiques, II,33,5-7. Les traductions des romans grecs qui se trouvent dans cet article sont empruntées à R. Brethes et J.-P. Guez (dir.), Romans grecs et latins, Paris, 2016. 15 Héliodore, Les Éthiopiques, I,13,1. 16 Longus, Daphnis et Chloé, III,4,5 et cf. S. Lalanne, « Le roman grec, une histoire de genre », dans V. Sebillotte Cuchet et N. Ernoult éds., Problèmes du genre en Grèce ancienne, Paris, 2007, p. 189 ; I,8,2. 17 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, III,2,7-8.

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« […] alors il a obtenu le consentement du père, un homme misérable et corruptible. Celui-ci lui a livré Hypéranthès, sous prétexte de prendre des leçons ; car l’homme se prétendait maître d’éloquence. Alors il a reçu l’adolescent chez lui et a commencé par le séquestrer, puis il est parti pour Byzance avec lui. » Le séducteur se fait donc accepter comme précepteur du jeune homme qu’il convoite (ἔλεγε γὰρ εἶναι λόγων τεχνίτης), usurpant le statut d’enseignant ou s’improvisant précepteur (προφάσει διδασκαλίας), comme Eumolpe dans le récit milésien de l’éphèbe de Pergame dans le Satyricon 85-87 ; on relèvera en outre la perversité de l’arrangement financier qui consiste pour le père non pas à rémunérer le prétendu enseignant mais à se faire payer (πονηρὸν ἄνδρα καὶ ἐλάττονα χρημάτων), donc à vendre son enfant. Au final, on voit que très peu d’enseignants apparaissent dans les romans grecs. On notera qu’ils sont moins nombreux que les médecins, les avocats et les prêtres, qui appartiennent au même cercle des hommes savants, se trouvent être parfois les mêmes personnes, et tiennent une position sociale plus élevée.

La transmission par des discours d’un savoir sur l’amour Un savoir en particulier est fondamental dans les romans grecs, étant donné son importance dans les différentes intrigues et dans la distribution des fonctions entre les personnages : il s’agit d’un savoir sur l’amour, un savoir universel qui porte sur la toute-puissance de l’amour et sur les qualités à manifester pour l’acquérir ou le conserver18, consacrant les dialogues platoniciens du Phèdre et du Banquet comme les principales autorités sur le sujet19. Tout d’abord, on relèvera l’accent mis sur le caractère sacré de la pulsion érotique qui affecte les animaux et la nature tout autant que les humains. Il est donc pour cette raison l’objet d’un culte, à travers un certain nombre de rituels associés selon les romans à Aphrodite et Éros, Isis ou Artémis20. Ainsi le roman peut-il être étudié comme un ensemble de variations sur le thème de l’amour, toutes les formes que peut prendre ce sentiment dans le contexte des 18 On retrouvera les grandes inflexions de l’abondante bibliographie sur le sujet dans les publications suivantes : D. Konstan, Sexual symmetry, Love in the Ancient Novel and Related Genres, Princeton, 1994 ; S. Lalanne, Une éducation grecque ; T. Whitmarsh, Narrative and Identity…, chapitre 4 « Pothos », p. 139-176 ; S. Montiglio, Love and providence : recognition in the ancien novel, Oxford-New York, 2012 ; J. F. Makowski, « Greek Love in the Greek Novel », dans E. P. Cueva, S. N. Byrne (éds.), A companion to the Ancient Novel, Malden-Oxford-Chichester, 2014, p. 490-501. 19 I. Repath, « Platonic love and erotic education in Longus’ Daphnis and Chloe » dans K. Doulamis (éd.), Echoing narratives : Studies of intertextuality in Greek and Roman prose fiction, Ancient Narrative Supplement 13, Groningen, 2011, p. 99-122 ; K. Ní Mheallaigh, « Philosophical framing : the Phaedran setting of Leucippe and Clitophon » dans J. R. Morgan, M. Jones (éds.), Philosophical presences in the ancient novel, Ancient Narrative. Supplementum 10, Groningen, 2007, p. 231-244 ; G. S. Corsino, « Plato and the Greek novel », Eisodos. Zeitschrift für Antike Literatur und Theorie [En ligne], 2016.1 ; E. L. Bowie, Longus. Daphnis and Chloe, Cambridge, 2019, p. 5. 20 Il ne s’agit pas ici d’accréditer l’idée que le roman grec proposerait une conception théologique de l’amour ni de ressusciter la thèse ancienne de Reinold Merkelbach. Cf R. Merkelbach, Roman und Mysterium in der Antike, Munich, 1962.

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sociétés antiques faisant l’objet d’un traitement particulier : coup de foudre romantique, attachement conjugal, attirance sexuelle irrépressible, fascination, jalousie, abnégation, abus de pouvoir, harcèlement, relation platonique, vocation religieuse, etc. Car en réalité, tous les personnages, et non pas seulement les héros, sont menés par l’amour. Le prologue de Daphnis et Chloé résume bien la sagesse que portent et transmettent les romans grecs d’amour et d’aventure21 : Πάντως γὰρ οὐδεὶς ἔρωτα ἔφυγεν ἢ φεύξεται, μέχρις ἂν κάλλος ᾖ καὶ ὀφθαλμοὶ βλέπωσιν. « Car personne, absolument personne, n’a échappé ou n’échappera à l’amour, aussi longtemps que la beauté existera et que des yeux se porteront sur elle. » Or il ressort d’une analyse précise de la transmission de ce savoir sur l’amour qu’elle prend essentiellement la forme de discours. Une première figure de « passeur » du roman grec est donc le romancier lui-même. Ainsi Chariton, narrateur omniscient, se fait le porte-parole d’Éros ; il en expose les visées et ponctue son roman de commentaires sur le sens qu’il faut donner aux épreuves de ses jeunes héros et héroïne22. Mais chaque romancier recourt à un choix de procédés qui lui sont propres pour livrer au lecteur des clés d’interprétation et ces procédés illustrent plusieurs formes de transmission orale : un oracle chez Xénophon, qui lance les aventures d’Habrocomès et Anthia et les clôt par son accomplissement23 ; l’ekphrasis d’un tableau chez Achille Tatius et Longus, ekphrasis qui est l’objet d’un discours et qui introduit le récit principal en même temps que son interprétation téléologique. Dans le roman d’Achille Tatius en particulier, l’ekphrasis de l’enlèvement d’Europe débouche sur un dialogue qui fait de Clitophon le narrateur de ses aventures, qualifiées de μῦθοι24 : Σμῆνος ἀνεγείρεις, εἶπε, λόγων· τὰ γὰρ ἐμὰ μύθοις ἔοικε. « Tu es en train de réveiller un essaim de paroles : mon histoire est un vrai roman ». Longus, quant à lui, après avoir livré une description très précise d’un tableau magnifique vu dans un bois consacré aux Nymphes, sans doute sur les murs d’une grotte, et qui lui évoque une « histoire d’amour » (ἱστορίαν ἔρωτος), se met en quête d’un guide local susceptible de lui expliquer les scènes décrites25. Enfin, les Éthiopiques sont formées d’une multitude de récits judicieusement enchâssés dont

21 Longus, Daphnis et Chloé, Prologue, 4. 22 Cf. notamment S. Tilg, Chariton of Aphrodisias and the Invention of the Greek Love Novel, Oxford, 2010, en particulier le chapitre 6 intitulé « Narrative ». 23 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, I,2,1 ; I,5,9-I,7,1 et V,13,1-V,14,4. Cf. T. Whitmarsh, Narrative and Identity…, « Godlike narrators and predictive texting », p. 191-204, en particulier p. 199-201 sur Xénophon. 24 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, I,2,2-3. 25 Longus, Daphnis et Chloé, Prologue, 3. Cf. E. L. Bowie, Longus…, p. 97 : « Guides ready to explain monuments at religious sites (including paintings, [Luc], Am. 8], were as ubiquitous in antiquity as now, might hold a formal and remunerated office, and might be responsible for ensuring the performance of sacrifices ». Le choix du terme hérodotéen ἐξεγητής au lieu de περιηγητής, plus courant à l’époque de Longus, a pour but d’accroître l’ancienneté et la vénérabilité de ce culte local.

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certains, par exemple la narration de ses aventures par Cnémon d’Athènes ou le récit par Calasiris de la rencontre entre Théagène et Chariclée, ont pour but d’illustrer différentes versions de l’amour. Dans chacune de ces occurrences, un discours doit valider la transmission de savoir qu’opère le romancier. Les dieux sont d’autres « passeurs de culture » lorsqu’il s’agit de délivrer un savoir sur l’amour. Ils transmettent leurs instructions, conseils ou menaces non au moyen de signes, mais par le biais de rêves, d’épiphanies, d’oracles26 dont les formulations sont rapportées au style direct par le romancier, et parfois aussi par le biais d’un hiéros logos27. Chez Longus, les Nymphes apparues en rêve en même temps à Dryas et Lamon confient Daphnis et Chloé à un petit cupidon, Éros enfant, qui ordonne qu’ils soient envoyés ensemble faire paître leurs troupeaux28. Plus tard, les Nymphes apparaissent à Daphnis et lui recommandent d’honorer Pan que Chloé et lui ont délaissé jusqu’à présent. Enfin, Dionysophanès reçoit en songe une visite des Nymphes qui intercèdent en faveur de Daphnis et Chloé auprès du dieu Éros pour demander leur union. Mais le plus célèbre des hiéroi logoi est celui de l’épiphanie d’Éros qui apparaît à Philétas, non par l’intermédiaire d’un songe mais de visu, dans le verger auquel le vieil homme consacre tous ses soins depuis qu’il a quitté le métier de berger. Un petit garçon adorable à voir et à entendre s’amuse à lui échapper, puis lui révèle son identité par le biais d’un aimable discours rapporté par Philétas29 : « “Je te connaissais déjà dans ta prime jeunesse, lorsque tu menais paître ton large troupeau de vaches sur cette montagne là-bas ; j’étais à tes côtés lorsque tu jouais de la syrinx près de ces chênes et que tu étais amoureux d’Amaryllis. Mais toi, tu ne me voyais pas, même lorsque je serrais cette jeunette de près. Pourtant c’est moi qui te l’ai donnée, et à présent tu as de beaux enfants qui sont bouviers et fermiers. Aujourd’hui, c’est Daphnis et Chloé dont je suis le berger, et lorsque je les mène tous les matins, je passe par ton jardin où je m’enivre de tes fleurs et de tes arbres, et je prends un bain dans ses sources. […] Au revoir et pars heureux, car tu es bien le seul homme qui, dans sa vieillesse, ait pu contempler cet enfant-là.” Sur ces mots, d’un bond il s’éleva dans les myrtes à la manière d’un jeune rossignol et, tout en passant d’une branche à l’autre, il se fraya à travers les feuilles un chemin jusqu’au sommet. Je vis qu’il avait des ailes qui poussaient de ses épaules, avec entre les ailes de toutes petites flèches, et en un instant tout avait disparu. Mais si mes cheveux n’ont pas blanchi en vain, et si, avec l’âge, mon cerveau ne s’est 26 R. L. Fox, Païens et chrétiens. La religion et la vie religieuse dans l’empire romain de la mort de Commode au Concile de Nicée, trad. fr., Toulouse, 1997 [1986], p. 157-162 sur les rêves ; chapitre IV, p. 109-177, sur les épiphanies (« vision des dieux ») ; chapitre V, p. 179-275, sur les oracles (« langage des dieux »). 27 Le hiéros logos peut être défini comme « révélation divine ou récit de l’apparition d’une divinité sous une forme humaine » selon M. Tasseva, « Le “discours sacré” (hieros logos) : une forme de rhétorique religieuse dans l’Antiquité grecque », dans L. Pernot (éd.), New Chapters in the History of Rhetoric, Leiden, 2009, p. 446. 28 Longus, Daphnis et Chloé, I,7,2, et pour la suite de la démonstration, II,23, part. II,23,5 ; IV, 34,1. 29 Longus, Daphnis et Chloé, II,5,3-6,2.

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pas ramolli, c’est à Éros que vous êtes voués mes enfants, et c’est lui qui veille sur vous. » L’épiphanie du dieu prend ici la forme d’une présence bienveillante et invisible qui accompagne le jeune Philétas, mais c’est un discours qui explicite le sens de la manifestation divine. On ne peut souligner plus clairement l’éloquence des dieux lorsqu’ils délivrent aux humains leurs leçons. De nombreux personnages enfin se distinguent par leur rôle de passeurs d’un savoir sur l’amour qu’ils délivrent par le biais d’un discours, d’un récit ou parfois d’un dialogue : ils ont nom Aigialée, Calasiris, Clinias, Daphnis, Lamon, Philétas, Tyrrhénos… Dans le roman de Xénophon d’Éphèse, un échange de récits, d’abord de la bouche d’Habrocomès, puis de celle du vieux pêcheur Aigialée, devenu veuf récemment, débouchera sur la formulation d’une leçon de vie, d’un bios. Le vieil homme explique à Habrocomès comment, en conservant momifié le corps de son épouse Thelxinoé, il a pu et peut encore continuer à l’aimer30 : « […] Je n’ai pas enseveli son corps : je la garde auprès de moi, je continue de la chérir et d’être avec elle. » Tout en parlant, il conduit Habrocomès vers l’intérieur de la maison, dans une petite pièce, et il lui montre Thelxinoé ; c’était une femme d’un âge avancé, mais aux yeux d’Aigialée, encore une belle jeune fille. Son corps était embaumé à la manière égyptienne, que le vieillard connaissait bien. « Cette femme que tu vois, Habrocomès, mon fils, je continue de lui parler, de me coucher avec elle, de manger avec elle comme si elle était vivante ; s’il m’arrive d’être éreinté en rentrant de la pêche, je la regarde et elle me réconforte. Car je ne la vois pas telle qu’elle t’apparaît aujourd’hui : non, mon fils, dans mon coeur, elle est telle qu’à Lacédémone, telle que le jour où nous avons fui. Dans mon cœur il y a cette fête nocturne, dans mon cœur il y a nos promesses. » Ce témoignage d’amour, en dépit de son caractère macabre, est certainement l’un des plus poignants du roman grec. C’est lui qui insuffle à Habrocomès la certitude que l’amour est éternel, que l’être aimé peut rester beau et jeune comme au premier jour dans le regard de l’amoureux et que l’amour d’un seul être vaut la peine d’être vécu. La leçon d’Aigialée est pour Habrocomès un baume qui apaise sa douleur et le fait patienter en attendant de reprendre la mer à la recherche d’Anthia. De même que le corps de Thelxinoé console Aigialée (μεγάλη παραμυθία), de même les paroles du vieillard consolent Habrocomès (παραμυθουμένου αὐτὸν Ἀιγιαλέως)31, Xénophon employant ici deux mots de la même famille lexicale. Parmi ces récits personnels issus de l’expérience, on peut citer également la longue leçon que Clinias, dans le roman d’Achille Tatius, délivre à son jeune cousin Clitophon. On observe en effet le même type d’échange, le héros racontant son histoire puis recevant une leçon de vie qui commence par une remontrance, se poursuit par un exposé et des conseils, et se développe en un dialogue philosophique

30 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, V,1,3, puis V,1,10-11. 31 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, V,1,11 ; V,1,12 ; V,2,1.

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que vient seule interrompre la mort accidentelle de Chariclès, l’amant de Clinias32. Dans un autre registre, celui du mythe, les récits que Daphnis fait à Chloé au sujet de la palombe Phatta et d’Echo, le récit du mythe de Syrinx par Lamon le soir de la veillée champêtre, sont autant de discours instructifs ou leçons sur la manière dont doit se comporter une jeune fille, en particulier lorsqu’elle est aimée33. L’oralité est donc un trait marquant de ce savoir qui relève tout autant de la science, de la religion et de la philosophie que de la sagesse de l’expérience, et que l’on qualifie parfois, de manière abusive, de « populaire ». Cela doit nous rappeler quelles sortes de sociétés étaient les sociétés antiques, à savoir des sociétés « de face-à-face »34 où l’oralité primait35, notamment dans l’enseignement où prédominaient, en dépit de l’importance déjà acquise par l’écriture et la lecture, la relation de maître à disciple, la lecture à haute voix, la manifestation spectaculaire et publique du talent littéraire et le travail intellectuel collectif36.

La reconnaissance d’une forme d’enseignement Dans le roman grec, on reconnaît la transmission d’un savoir à plusieurs éléments d’identification que l’on peut regrouper en deux catégories, d’une part un vocabulaire évoquant la vérité et l’enseignement, d’autre part une rétribution certifiant la valeur de la transmission. Concernant le vocabulaire utilisé par les romanciers pour qualifier cette passation de savoirs liés à l’amour, il est intéressant de noter qu’il est souvent proche d’un lexique philosophique de la vérité qui pousse à voir dans les figures de passeurs des « maîtres de vérité » pour reprendre l’expression de Marcel Detienne37. Ces personnages

32 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, I,9,1-I,12,1. 33 Longus, Daphnis et Chloé, I,27 (Phatta) ; II,33,3-35,1 (Syrinx) ; III,22-23 (Echo). Sur l’éducation de Chloé, cf. J. J. Winkler, « The education of Chloe : hidden injuries of sex », dans The constraints of desire : The anthropology of sex and gender in ancient Greece, New York-Londres, 1990, p. 101-126 (trad. fr., 2005, « L’éducation de Chloé : blessure secrète du sexe », p. 199-243) ; S. Lalanne, Une éducation grecque…, « Chloé, la “petite bergère” »…, p. 136-145 ; C. Kossaifi, « The legend of Phatta in Longus’ Daphnis and Chloe », American Journal of Philology,133, 2012, p. 573-600. 34 M. Finley, Démocratie antique et démocratie moderne, trad. fr, Paris, 1976 [1973], p. 82, et L’invention de la politique, Paris 1985 [1983], p. 126. 35 La bibliographie sur le sujet est aujourd’hui très importante. Pour une vision d’ensemble, R. Thomas, Oral Tradition and Written Record in Classical Athens, Cambridge, 1989 ; W. V. Harris, Ancient Literacy, Cambridge (Mass.), 1989 ; J. H. Humphrey (éd.), Literacy in the Roman World, Ann Arbor, 1991 ; R. Thomas, Literacy and Orality in Ancient Greece, Cambridge, 1992 ; A. Michel, « Rhétorique, philosophie, oralité : Cicéron et les genres littéraires », dans J. Dangel et C. Moussy (éds.), Les structures de l’oralité en latin, Paris, 1996, p. 201209 ; W. A. Johnson, Readers and reading culture in the high Roman Empire, Oxford, 2010 ; J. Lauwers, « Reading Books, Talking Culture », dans E. Minchin (éd.), Orality, Literacy and Performance in the Ancient World, Leiden-Boston, 2012, p. 227-244 ; R. Scodel (éd.), Between Orality and Literacy. Communication and Adaptation in Antiquity, Leiden-Boston, 2014 ; N. Slater (éd.), Voice and Voices in Antiquity, Leiden, 2017. 36 W. A. Johnson, Readers and reading culture in the high Roman Empire, Oxford, 2010, en particulier le chapitre 10. 37 M. Detienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1967.

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détiennent en effet dans les romans un rôle poétique, religieux ou philosophique qui confère au mythe érotique une valeur performative. Ainsi lorsqu’Habrocomès tire la leçon de l’histoire du vieil Aigialée, il s’écrit en s’adressant à Anthia disparue38 : « Et toi, jeune fille infortunée entre toutes, où retrouverai-je ne serait-ce que ton cadavre ? Chaque jour, le corps de Thelxinoé apporte bien du réconfort à Aigialée, et je sais désormais avec certitude que l’amour véritable n’est pas atteint par l’âge. Moi cependant, j’ai parcouru toutes les mers et tous les pays, sans même trouver des nouvelles de toi. Terrible prophétie ! Ô Apollon, qui nous as donné le plus douloureux des oracles, à présent, aie pitié de nous ! Accorde-nous la fin de la prophétie ! » La formule grecque qui évoque cette découverte fondamentale qui va redonner à Habrocomès le courage nécessaire pour reprendre sa quête, « je sais désormais avec certitude que l’amour véritable n’est pas atteint par l’âge » (καὶ νῦν ἀληθῶς μεμάθηκα ὅτι ἔρως ἀληθινὸς ὅρον ἡλικίας οὐκ ἔχει), comprend à la fois une référence à l’apprentissage (νῦν ἀληθῶς μεμάθηκα) et à la vérité (ὅτι ἔρως ἀληθινὸς), et annonce, comme une conséquence dans la réalité pratique, l’action à mener, à savoir la quête de la bien-aimée, même à l’état de morte (ἀνευρήσω κἂν νεκράν). De même, lorsque Clitophon apprend de son cousin comment séduire une jeune fille, le jeune héros affirme avec force39 : « – Clinias, tu viens de me donner des instructions inestimables : prions pour que ça marche ! ». Les instructions ou viatique (ἐφόδιον) donnés par Clinias doivent permettre à Clitophon de passer à l’action immédiatement. Plus tard, lorsque Clitophon fait étalage de sa science pour amener Leucippé à l’amour, c’est bien une « leçon amoureuse » (τὴν ἀκρόασιν τὴν ἐρωτικήν) qu’il professe40 : il décrit et analyse le plumage que déploie le paon lors de la parade nuptiale, raconte « un mariage de plantes » (γάμος φυτοῦ), puis les fiançailles d’un fleuve et d’une source dans la mer, enfin les baisers du serpent et de la murène. Le discours amoureux, séduisant Leucippé, conforte Clitophon dans son impression d’être aimé de retour et l’incite à poursuivre sa conquête. Il en va de même des mythes qui émaillent le roman de Daphnis et Chloé. Il a été montré en effet que chacun des trois premiers livres était en quelque sorte placé sous le signe de l’une des nymphes qui, poursuivies par un dieu ou en rivalité avec l’un d’entre eux, se trouvaient au cœur des récits de métamorphoses : la palombe Phatta au livre I, Syrinx au livre II et Écho au livre III. Ewen Bowie a montré que Chloé était l’héroïne du livre IV41, et donc d’un μῦθος imaginé par Longus. Par ce biais, Chloé est à la fois l’élève de Daphnis et Philétas, et l’objet de la leçon.

38 Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, V,1,12. 39 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, I,11,1. 40 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon,, I,16,1-I,19,3, en particulier, I,19,1 et I,17,5. 41 E. L. Bowie, « The function of mythology in Longus’ Daphnis and Chloe » dans J.-A. Lopez Ferez (éd.), Mitos en la literature griega helenistica e imperial, Madrid, 2003, p. 361-376 ; E. L Bowie, « Pulling the other : Longus and tragedy », dans C. Kraus, S. Goldhill, H. P. Foley, J. Elsner (éds.), Visualizing the tragic : Festschrift for Froma Zeitlin, New York, 2007, p. 338-352.

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C’est d’ailleurs dans ce roman que le verbe διδάσκειν est le plus fréquent, avec principalement le sens d’« enseigner », et non simplement d’« informer », comme c’est le cas généralement chez Héliodore. Dans Daphnis et Chloé en effet, le terme désigne l’éducation des enfants (Daphnis et Chloé) mais aussi toutes les formes d’instruction complémentaire qui relèvent d’un art de la vie : la brebis qui a allaité Chloé montre à Dryas comment il doit s’occuper du nouveau-né, Dorcon a appris à Daphnis à jouer de la syrinx et celui-ci l’enseigne à Chloé, Lycénion enseigne la sexualité à Daphnis sur la recommandation d’un rêve (sans doute inventé) où les Nymphes lui sont apparues, puis celui-ci veut l’enseigner à son tour au plus vite à Chloé, en une autre occasion enfin, Daphnis enseigne à Chloé la légende de Phatta et le mythe d’Écho42. Les interactions sont nombreuses et font du roman de Longus un tissu de relations pédagogiques entrelacées. Le mot μαθητής qui signifie « élève » se trouve également dans ce roman exclusivement. Il caractérise Daphnis par rapport à Lycénion (« confie-toi à moi comme mon élève, et moi je donnerai satisfaction à ces Nymphes en devenant ton professeur ») et Écho par rapport à Pan (« tout ce qu’il désire alors, c’est connaître l’identité de son élève invisible »)43. La leçon la plus complète et la plus travaillée est sans conteste la leçon de Philétas, praeceptor amoris44 : « Ils s’amusaient ainsi lorsqu’un vieillard s’approcha d’eux, habillé d’une peau de bête, avec à ses pieds des sandalettes et sur le côté une musette, une musette antique comme lui. Il vint s’asseoir tout près, et voici ce qu’il leur dit : “Mes enfants, je suis le vieux Philétas. J’ai autrefois chanté bien des chansons pour ces Nymphes, joué pour Pan bien des airs sur ma syrinx, et j’ai conduit au seul son de ma musique bien des troupeaux de vaches. Je suis venu vous révéler ce que j’ai vu et vous dévoiler ce que j’ai entendu. […]” » La transmission d’une expérience acquise par les facultés sensibles (« ce que j’ai vu », ce que j’ai entendu », Ἥκω δὲ ὑμῖν ὅσα εἶδον μηνύσων, ὅσα ἤκουσα ἀπαγγελῶν) est ici évoquée par les notions de signe et de révélation (μηνύσων, ἀπαγγελῶν) renvoyant à l’épiphanie du dieu Éros. En effet, ce passage est suivi de la description du jardin merveilleux que Philétas a créé et où Éros enfant lui est apparu pour lui annoncer qu’il devait transmettre sa connaissance de l’amour à Daphnis et Chloé. L’accent mis sur le ravissement des sens que procurent la beauté du jardin et l’apparition d’Éros explique à lui seul l’intérêt marqué des peintres pour cette scène de transfert d’un savoir45. À

42 Longus, Daphnis et Chloé, I,6,1 ; I,24,4 et I,29,2-3 ; III,17,2-3 et III,18,1 ; I,27,1 et III,22,4. 43 Longus, Daphnis et Chloé, III,17,3 ; III,23,5. 44 Longus, Daphnis et Chloé, II,3,1-2. Cf E. L. Bowie, « Theocritus’ Seventh Idyll, Philetas and Longus », Classical Quarterly, 35, 1985, p. 67-91. 45 Daphnis et Chloé a inspiré de nombreux tableaux qui représentent le plus souvent les deux adolescents faisant paître leurs moutons. Mais on trouve également un nombre important de représentations de la leçon de Philétas. Cf. les tableaux de Girodet, Delaunay, Amoedo, Chagall. Les éditions illustrées de Daphnis et Chloé ont fait l’objet d’une étude par E. L. Bowie, « Captured Moments : illustrating Longus’ prose », in T. Selliaas Thorsen and S. J. Harrison (éds.) The dynamic of ancient prose, Berlin-New York, 2018, p. 195-222.

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cela s’ajoute l’épaisseur temporelle qu’offre la transmission intergénérationnelle, le vieillard se penchant vers les jeunes gens qui l’écoutent avec la plus grande attention, et le charme licencieux d’une scène de défloration symbolique. La naïveté des adolescents se dit alors dans le retour à la vérité du mythe46 : Πάνυ ἐτέρφθησαν ὥσπερ μῦθον οὐ λόγον ἀκούοντες […] « Daphnis et Chloé furent ravis au plus haut point, comme s’ils venaient d’écouter une fable, et non un récit véritable […] » Il faut alors à Philétas manifester des trésors de poésie pour décrire et exhalter la puissance de l’amour physique auquel humains et animaux sont soumis. La conclusion de la leçon tient alors en deux phrases47 : « Car il n’existe aucun remède à l’amour, aucune boisson, aucun aliment, aucune formule que l’on puisse prononcer. La seule chose à faire est de s’embrasser, de s’étreindre, et de se coucher nus corps contre corps. » La leçon est plus loin validée en tant que telle (Φιλητᾶς μὲν τοσαῦτα παιδεύσας αὐτοὺς)48. Et la révélation de la sexualité, seul remède à l’amour (Ἔρωτος […] φάρμακον), y est délivrée dans toute sa simplicité rustique, annoncée à maintes reprises par les comportements animaux décrits dans le cours du roman et par le mythe poétique du jardin de Philétas49. C’est cette même leçon, approfondie et enseignée sous la forme de travaux pratiques, que Lycénion transmet à Daphnis. La jeune femme, excusée de commettre l’adultère par ses mœurs de citadine et par l’âge avancé de son mari, se prétend incitée par les Nymphes qui l’ont visitée en songe à livrer cet enseignement à l’adolescent50 : « Si tu veux te délivrer de tes malheurs et connaître les ravissements dont tu es à la recherche, confie-toi à moi comme mon élève, et moi je donnerai satisfaction à ces Nymphes en devenant ton professeur. » Daphnis ne se sentit plus de joie. Le paysan et berger qu’il était, amoureux et jeune de surcroît, se jeta aux pieds de Lycénion, et la supplia de lui apprendre dès que possible son art, dont la connaissance lui permettrait de faire ce qu’il voulait à Chloé. […] elle commença l’éducation de Daphnis de la façon suivante. » On retrouve bien ici le vocabulaire de l’enseignement (παραδίδου μοι τερπνὸν σαυτὸν μαθητήν ; ἐκεῖνα διδάξω ; ἱκέτευεν ὅτι τάχιστα διδάξαι τὴν τέχνην ; ἤρχετο παιδεύειν

46 Longus, Daphnis et Chloé, II,7,1. Sur le jeu de mot entre muthos et logos, cf. la référence à Platon, Protagoras, 324 d et Gorgias, 523 a. 47 Longus, Daphnis et Chloé, II,7,7. Cf T. Whitmarsh, « The lexicon of love : Longus and Philetas Grammatikos », Journal of Hellenic Studies 125, 2005, p. 145-148. 48 Longus, Daphnis et Chloé, II,8,1. 49 E. L. Bowie, « Theocritus’ Seventh Idyll… » ; T. E. V. Pearce, « The function of the “locus amoenus” in Theocritus’ seventh poem », Rheinisches Museum Für Philologie, 131, 3/4, 1988, p. 276-304. 50 Longus, Daphnis et Chloé, III.15-19, en particulier III,17,2-18,1.

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τὸν Δάφνιν τοῦτον τὸν τρόπον), qui est également repris plus loin (Καὶ ὥσπερ τι μέγα καὶ θεόπεμπτον ἀληθῶς μέλλων διδάσκεσθαι)51. À cette idée d’une « leçon authentiquement divine » (τι […] θεόπεμπτον ἀληθῶς), la jeune femme ajoute un élément : les Nymphes « m’ont demandé de te sauver, en t’apprenant la pratique de l’amour » (ἐκέλευσάν σε σῶσαι διδαξαμένην τὰ ἔρωτος ἔργα)52. La notion de salut introduit ici une dimension nouvelle en donnant à la leçon le caractère d’une initiation religieuse aux mystères de l’amour. Ce caractère religieux ne contredit pas cependant le discours naturaliste de Philétas puisque lui-même attribue à Éros la cause de toute attirance entre deux êtres et de tout acte de reproduction que l’on peut observer dans la nature. Lycénion crée donc les conditions propices à la délivrance de sa leçon en amenant Daphnis à la rejoindre dans un petit bois et lui offre de mettre son enseignement en pratique (διδάξω, τάχιστα διδάξαι τὴν τέχνην, ἤρχετο παιδεύειν τὸν Δάφνιν), en lui expliquant par la suite comment le transmettre à son tour, avec toutes les précautions qui conviennent à la défloration d’une vierge53.

Un enseignement rémunéré Une rétribution vient souvent certifier chez Longus la valeur de la transaction effectuée lors de la transmission orale d’un savoir sur l’amour. Il s’agit probablement pour le romancier de mettre en valeur le caractère pédagogique de certaines relations interpersonnelles, l’enseignement étant à l’époque impériale rémunéré en tant que profession reconnue. Chez Longus, le terme de μισθός renvoie en plusieurs occurrences au paiement d’une leçon54. On trouve ce type de rétribution en échange d’un récit lorsque le vieux Lamon raconte le mythe de Syrinx à l’ensemble des participants à la fête qui a été improvisée pour célébrer le retour de Chloé enlevée par des pirates. Lamon lui-même ne se fait pas payer pour son récit, qui est en quelque sorte une offrande à Pan, le sauveur de Chloé (et un cadeau aux convives du banquet qui attendent le retour de Tityros avec la grande syrinx de son père), mais il tient son récit d’un chevrier qu’il a rétribué en nature55 : « En attendant, Lamon accepta de leur raconter la légende de la syrinx, qu’un chevrier sicilien lui avait chantée en échange d’un bouc et d’une syrinx. »

51 Longus, Daphnis et Chloé, III,18,2. 52 Longus, Daphnis et Chloé, III,17,2, reprend III,7,15 qui évoque le salut conjoint de Daphnis et Chloé. 53 Longus, Daphnis et Chloé, III,12,2 (reprenant Prologue, 1) ; III,17,3 ; III,18,1 ; III,22,4 ; III,19,1-3. Cette scène a inspiré également un tableau à Marc Chagall dans sa série des lithographies qu’il a consacrées au roman de Longus. 54 Alors que le terme μισθός renvoie chez Héliodore à une récompense en argent ou en nature, il signifie toujours un salaire chez Chariton, Xénophon et Achille Tatius, souvent d’ailleurs le salaire d’un homme de main ou d’un homme de guerre. Cf. Héliodore, Les Éthiopiques, I,16,5 ; II,8,4 ; II,23,3 ; II,23,4 ; II, 23,5 ; II,30,5 ; III,4,9 ; III,4,10 ; V,8,2 ; VII, 23,4 ; Chariton, Callirhoé, VII,3,7 ; VII,4,5 (les mercenaires grecs au service du Pharaon) ; Xénophon d’Éphèse, Les Éphésiaques, II,11,3 (le chevrier payé pour le meurtre d’Anthia) ; Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, IV,4,8 ; IV,6,2 ; IV,16,1 ; IV,16,2 ; IV,17,6 ; V,18,6 ; V,25,5 ; VII,7,5. 55 Longus, Daphnis et Chloé, II,33,3.

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On a dans cette scène de banquet champêtre un exemple d’enseignement oral par le biais des mythes, eux-mêmes transmis au moyen de récits, danses, mimes et chansons, entre membres d’une même profession (ici les chevriers, bergers et bouviers) et d’une génération à l’autre, contre rémunération (ἐπὶ μισθῷ). On voit que celle-ci peut être une rémunération en nature, pastorale en somme, adaptée à la nature de l’enseignement délivré et au caractère rural de la fête en l’honneur de Pan et des Nymphes. On en connaît d’autres exemples dans les idylles de Théocrite56. Citons ensuite l’épisode du récit par Daphnis du mythe d’Écho57 : « Alors Daphnis rit doucement, et lui donna un baiser plus doux encore. Il posa sur sa tête la couronne de violettes, et commença à lui raconter la légende d’Écho non sans lui réclamer, pour prix de son enseignement, dix baisers supplémentaires. […] Pour cette légende qu’il venait de raconter, Daphnis ne reçut pas dix, mais une multitude de baisers de Chloé. Car Écho ne fut pas loin de répéter les mêmes mots, comme pour témoigner qu’il n’avait pas menti. » Dans le cadre d’un jeu amoureux, Daphnis est ici demandeur d’un μισθός pour prix de son récit (αἰτήσας, εἰ διδάξειε, μισθὸν παρ’ αὐτῆς) et Chloé se montre plus généreuse qu’attendu, comme Daphnis l’avait été avec Lycénion. On retrouve ici, derrière la parodie d’une forme d’enseignement traditionnel, à la fois le discours véridique qui caractérise la transmission d’un savoir sur l’amour (καθάπερ μαρτυροῦσα ὅτι μηδὲν ἐψεύσατο)58 et la rémunération qui valide cet enseignement (οὐ δέκα μόνον φιλήματα ἀλλὰ πάνυ πολλὰ κατεφίλησεν ἡ Χλόη), cette rémunération en baisers paraissant dérisoire au regard de ce qui se joue réellement dans l’éducation de Chloé. Philétas est lui aussi récompensé pour son récit poétique et didactique59 : Φιλητᾶς μὲν τοσαῦτα παιδεύσας αὐτοὺς ἀπαλλάττεται, τυρούς τινας παρ’ αὐτῶν καὶ ἔριφον ἤδη κεράςτην λαβών· « Après cette leçon, Philétas prit congé, non sans avoir reçu de Daphnis et Chloé des fromages et un chevreau avec les cornes déjà formées. » Cette récompense en nature vaut salaire dans un monde où les échanges monétaires n’étaient pas aussi courants qu’aujourd’hui et dans un système éducatif où le salaire des enseignants lui-même était peut-être pour partie versé en nature. De même, la leçon de Lycénion est-elle rétribuée par avance, lorsque la jeune femme propose à Daphnis de lui donner sa leçon60 : « Et comme s’il s’apprêtait à recevoir une grande leçon, de nature authentiquement divine, il promit de lui offrir un chevreau élevé à l’étable, des fromages tendres faits du premier lait, ainsi que la chèvre elle-même. Ayant découvert chez lui une 56 Théocrite, Idylles, 1 (une belle coupe ciselée), 3 et 8 (une chèvre blanche, écornée), 17 (une récompense). 57 Longus, Daphnis et Chloé, III,22,4 puis III,23,5 (traduction légèrement modifiée). 58 Sur la valeur pédagogique des mythes dans l’éducation de Chloé, cf. S. Lalanne, Une éducation grecque…, « Chloé, la “petite bergère” », p. 136-145. 59 Longus, Daphnis et Chloé, II,8,1. 60 Longus, Daphnis et Chloé, III,18,2-3.

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générosité pastorale d’une nature inattendue pour elle, Lycénion commença l’éducation de Daphnis de la façon suivante. » En lieu et place du bouc et de la syrinx qui avaient fait l’objet d’une transaction entre chevriers d’âge adulte, Daphnis offre à son initiatrice un chevreau, des fromages frais et la mère du chevreau. C’est évidemment un rappel du cadeau offert à Philétas, et sans doute un clin d’œil humoristique, car l’hyperbate καὶ τὴν αἶγα αὐτήν, « ainsi que la chèvre elle-même », met en valeur la reconnaissance exceptionnelle de Daphnis, reconnue à sa juste valeur par la jeune femme – on notera le caractère genré de l’animal choisi pour Lycénion, alors que Lamon avait donné un bouc en échange d’un récit. Cet humour vise-t-il à mettre en évidence la dimension parodique de l’enseignement ou de l’initiation que représente la défloration de Daphnis61 ?

Typologie des passeurs de culture dans le roman grec Nous terminerons par la caractérisation des « maîtres de vérité » dans le roman grec. Il est raisonnable en effet de penser qu’à l’époque impériale, les sophistes mis en valeur dans les biographies de Philostrate ont pris la succession du devin, de l’aède et du roi de la Grèce archaïque, du philosophe et du sophiste de l’époque classique62, enfin du poeta doctus de l’époque hellénistique. Ce sont les sophistes qui portent alors avec eux un « nouveau régime intellectuel »63. Mais comment identifier les « passeurs de culture » dans un univers imaginaire où les sophistes sont absents ? L’extension de la notion de culture, au sens de la Kultur allemande ou de l’histoire culturelle telle qu’elle se pratique pour l’Antiquité dans la perspective de l’anthropologie historique64, permet de reprendre la question à nouveaux frais. Des passeurs de savoir académique, Chariclès est certainement le meilleur représentant. Père adoptif de Chariclée, il a formé sa fille dans l’enceinte même du temple de Delphes où il exerçait la prêtrise, lui enseignant la dialectique, donc une discipline philosophique, au côté d’autres savants fréquentant également le sanctuaire d’Apollon. Celui-ci apparaît comme un nouveau Musée où évoluent philosophes, prêtres et savants, dans une vision peut-être idéalisée, mais qui peut avoir emprunté son modèle à la réalité de ce temps65. Chariclès semble y tenir les trois rôles à la fois, de même probablement que ses confrères qui ne rechignent pas à enseigner à sa fille.

61 G. Bretzigheimer, « Die Komik in Longos’ Hirtenroman Daphnis und Chloe », Gymnasium 95, 1988, p. 515-555. 62 M. Detienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, Paris, 1967, p. 7. 63 On peut regretter que l’ouvrage de G. Anderson, Saint, sage and sophist, Londres, 1994, ne tienne pas les promesses annoncées par son titre. 64 Cf., récemment, C. Calame, « Civilisation et Kultur : de Friedrich August Wolf à Sigmund Freud », Cahiers « Mondes anciens » [En ligne], 11 | 2018. 65 Héliodore, Les Éthiopiques, II,26,1 ; II,27,2. Cf. J. Pouilloux, « Delphes dans les Éthiopiques d’Héliodore. La réalité dans la fiction », Journal des savants 4, 1983, p. 270, contredit à tort à notre avis par G. Rougemont, « Delphes chez Héliodore », dans M. F. Baslez et al., Le monde du roman grec, 1992, p. 95-96. Cf. plutôt l’article de M. Paz de Hoz dans le présent volume sur les nombreux Mouseia des cités de l’Orient romain.

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Rien n’est dit de la nature ni des modalités de cette formation qui repose pour une bonne part cependant, à entendre les récriminations de Chariclès contre le vœu de chasteté de sa fille, sur l’enseignement de l’éloquence et des obligations rituelles, deux domaines importants de la pédagogie antique. Des passeurs de leçons de vie se distinguent ensuite nettement dans le tableau général. Il s’agit d’Aigialée, vieux pêcheur spartiate exilé à Syracuse pour vivre son amour avec Thelxinoé, qui enseigne à Habrocomès l’immortalité de l’amour conjugal, de Tyrrhénos, autre vieux pêcheur rencontré par Calasiris et Chariclée, qui inspire son entourage par la simplicité de son mode de vie et par son bonheur tranquille en dépit de son récent veuvage, et du vieux berger Philétas qui rapporte, par le biais d’un récit, d’un témoignage et de sentences, son amour de jeunesse pour Amaryllis, suivi d’une longue vie de bonheur amoureux. Philétas est également un passeur de μῦθος, avec Lamon et Daphnis. En tant que bergers, joueurs de syrinx et dévôts de Pan, tous trois enseignent un savoir qui, sous couvert de célébration d’une nature rustique et champêtre, valorise une certaine représentation des rôles sociaux et sexués, dont Chloé est la principale destinataire. Ne sachant pas d’où Daphnis tient sa connaissance des mythes qu’il enseigne à Chloé (celui de la palombe et celui d’Echo), on peut supposer qu’il les a lui-même appris d’un autre berger et qu’il est dans son rôle de berger et de futur mari lorsqu’il lui transmet son savoir. Là encore, on est frappé de l’importance de la relation interpersonnelle pédagogique dans la transmission de ce savoir empruntant à la fois à la religion, à la culture savante et populaire, et à la leçon de vie. Un petit nombre de passeurs seront qualifiés de maîtres parodiques. C’est d’abord la jeune Lycénion qui profite de la naïveté de Daphnis pour satisfaire son propre désir de relation charnelle et qui s’amuse de la reconnaissance d’un élève aussi complaisant. C’est ensuite Clinias, le cousin « initié à l’amour »66, qui fait profiter Clitophon de son expérience en matière de jeunes filles, lui qui marque pourtant une nette préférence pour les garçons. Peu d’effets positifs sortiront de son enseignement : absorbé par le chagrin d’avoir perdu son jeune amant, Chariclès, il abandonne la partie à son esclave, Satyros67, qui précipitera la fuite catastrophique des deux jeunes amants. Satyros est donc un autre « petit maître ». Il raconte ainsi au serviteur Conops, qui lui a raconté sur un ton menaçant la fable de l’éléphant et du moustique, une autre fable, celle du lion et du moustique, qu’il prétend tenir d’un philosophe et qui est en fait inspirée d’Ésope : le récit du mythe se termine par un éclat de rire qui souligne l’espièglerie comique du personnage. Ces trois personnages, Lycénion, Clinias, Satyros, jouent un rôle essentiel dans l’économie des romans de Longus et Achille Tatius, leur enseignement revêtant une dimension performative, à la différence d’autres passeurs du roman grec. Calasiris est l’une des figures les plus intéressantes. Prêtre de Memphis, il apparaît à la fin du livre II du roman d’Héliodore, mais accompagne en réalité les aventures de Théagène et Chariclée depuis leur rencontre jusqu’au sacre de Thyamis à Memphis

66 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, I,7,1. 67 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, II,23,3 ; II,21-22 ; II,21,5.

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où il meurt de vieillesse. En de nombreuses occasions, il est célébré pour sa sagesse et c’est sous l’apparence d’un vieux sage qu’il fait son apparition dans le roman68 : «Déjà [Cnémon] s’approchait du Nil et s’apprêtait à le traverser pour se rendre à Chemmis quand il vit un vieillard qui arpentait la rive, parcourait le bord du fleuve plusieurs fois, dans un sens puis dans l’autre, tel un athlète engagé dans une course de fond, et semblait confier ses soucis au fleuve. Ses cheveux longs, parfaitement blancs, lui donnaient un air de prêtre, il portait une barbe bien fournie, dont l’épaisseur avait quelque chose de vénérable, et sa robe ainsi que ses autres vêtements avaient plutôt l’air d’origine grecque. […] » « Comme Cnémon s’étonnait qu’on puisse s’habiller de façon éblouissante au milieu de ses malheurs et demandait à connaître ceux-ci, le vieillard répondit : « Tu me ramènes à Troie et tu attires sur toi un essaim de misères, avec leur bourdonnement infini. Mais dis-moi, où vas-tu et d’où viens-tu, jeune homme ? Comment se fait-il qu’un homme qui parle grec se retrouve en Égypte ? – Non mais tu plaisantes ! Tu ne m’as rien appris de ton histoire alors que je t’ai interrogé le premier, et tu cherches à connaître mes aventures ? » Le port de cheveux longs et d’une barbe soignée, l’âge vénérable dont atteste sa blanche chevelure mais qui n’entame pas sa vigueur physique, sa longue stolè et son manteau grec, sa maîtrise parfaite de la langue grecque ainsi que son air soucieux et concentré, empruntent au portrait grec du philosophe pensif. Son nom, Calasiris, qu’il tient de son père, est d’ailleurs celui d’une robe ou longue tunique égyptienne faite de lin blanc léger et plissé, une tunique ancienne portée par les femmes et les prêtres. Le fait que Cnémon reconnaisse en lui un prêtre achève de compléter le tableau du sage69. Des échanges de récits vont suivre, rapportés intégralement par le romancier qui met ainsi une fois de plus en valeur la nature orale de l’enseignement philosophique du vieil homme concernant la toute-puissance de la Fortune et l’impossibilité pour les hommes de lui échapper70 : « Je suis originaire de la cité de Memphis, mon père s’appelait lui aussi Calasiris, je mène aujourd’hui une vie errante, mais ce n’était pas le cas avant : j’étais un prophète. Je pris femme selon les lois de ma cité et elle mourut selon les décrets de la nature. Lorsqu’elle quitta cette vie pour une autre destinée, je vécus un certain temps sans connaître le malheur, fier des deux fils qu’elle m’avait donnés. Mais quelques années plus tard, la révolution céleste des étoiles, déterminée par le sort, bouleversa mon existence et l’œil de Cronos s’abattit sur ma maison, provoquant un funeste changement que ma science m’avait prédit, mais sans me permettre 68 Héliodore, Les Éthiopiques, II, 21,2-3 puis 4-7. 69 P. Robiano, Les figures du sage dans la littérature grecque de fiction du milieu du ier siècle au milieu du iiie siècle après J.-C., Thèse de doctorat ès Lettres ( J. Sirinelli dir.), soutenue à l’Université Paris 4, 1990, p. 67-70 et chapitre V, p. 148-163 ; sur le vêtement de Philétas, p. 151-154. Cf. également P. Zanker, The Mask of Socrates. The Image of the Intellectual in Antiquity, trad. angl., Berkeley-Los Angeles, 1995. 70 Héliodore, Les Éthiopiques, II, 24,5-7.

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d’y échapper, car s’il est possible de prévoir les arrêts inflexibles des Moires, s’y soustraire n’est pas à notre portée. La prescience, dans ce genre de circonstances, est un gain appréciable, puisqu’elle adoucit la brûlure du désastre : le caractère inattendu du malheur le rend intolérable, mais sa connaissance préalable le rend plus supportable, car si la crainte devance la pensée et la paralyse, l’accoutumance se nourrit du raisonnement. » Ce ton doctoral contribue à donner de Calasiris une image de sage et de savant que conforte son statut de prêtre, de « prophète » et d’Égyptien, l’Égypte bénéficiant ici d’une image bien établie de patrie de la magie, de la relation avec le divin et des pratiques occultes71. Les allusions à sa sagesse étant innombrables dans le roman, nous n’en citerons que quelques unes. À Delphes, par la bouche de la Pythie, Apollon lui demande d’être son « ami » (νῦν δ’ ἐμὸς ἔσσο φίλος)72, ce qui lui vaut l’admiration de tous et une comparaison avec le vénérable législateur Lycurgue de Sparte73, sans compter la référence à Socrate qui vient immédiatement à l’esprit. Par ailleurs, les citoyens de Delphes se proposent de l’honorer en l’accueillant dans l’enceinte même du sanctuaire et de le nourrir aux frais de la cité74. Calasiris y veille à l’accomplissement des rites, examine les sacrifices offerts au dieu, converse avec les nombreux philosophes qui fréquentent le sanctuaire, qu’il compare au Musée d’Alexandrie. Il est interrogé par eux pour sa connaissance des réalités égyptiennes, qu’elles soient humaines, animales ou divines. Il ne manque pas d’ailleurs à cette occasion de souligner la vaste étendue de son savoir : « Comme je disais ce que je savais et tout ce qui est inscrit dans les livres sacrés à propos du fleuve – des choses que seule la caste des prophètes a le droit de connaître et de consulter - […] »75. Comme lui-même l’indique, il est le plus souvent qualifié de « prophète ». Il n’est pas rétribué pour ses constantes leçons de philosophie dispensées sous la forme d’adages et de sentences souvent empruntées aux auteurs les plus anciens (en premier lieu, Homère), mais délivre des brevets de sagesse. Calasiris est célèbre cependant pour la grande complexité de son caractère et de son action dans le roman d’Héliodore. En effet, le personnage n’hésite jamais à recourir à la ruse et à la tromperie, en dépit de la droiture rigoriste qu’inspirent son attitude et ses discours. Par exemple, il va remercier Chariclès de son généreux accueil au sanctuaire de Delphes en prétendant soigner sa fille par des rituels magiques, mais en préparant son enlèvemement par Théagène. Plusieurs études ont été consacrées à cette figure ambivalente du sage et du charlatan76. De notre point de vue, il apparaît 71 C. Froidefond, Le mirage égyptien dans la littérature grecque d’Homère à Aristote, Aix-en-Provence, 1971 ; P. Vasunia, The Gift of the Nile. Hellenizing Egypt from Aeschylus to Alexander, Berkeley, 2001. 72 Héliodore, Les Éthiopiques, II,26,5. 73 Cf. P. Robiano, Les figures du sage…, p. 67 et n. 2. 74 Héliodore, Les Éthiopiques, II,27,1. 75 Héliodore, Les Éthiopiques, II,28,2. 76 En premier lieu, cf. J. J. Winkler, « The mendacity of Calasiris and the narrative strategy of Heliodoros’ Aithiopika », Yale Classical Studies 27, 1982, p. 93-158 ; A. Billault, « Holy Man or Charlatan ? The Case of Kalasiris in Heliodorus’ Aithiopika », dans S. Panayotakis, G. Schmeling, M. Paschalis (éds.), Holy Men and Charlatans in the Ancient Novel, Ancient Narrative Supplementum 19, p. 121-132

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comme la figure métissée d’une sagesse grecque antique et vénérable et d’une « sagesse barbare » fondée sur des savoirs occultes77. Calasiris peut être rattaché à un groupe de personnages particulièrement intéressant pour notre propos, celui des hommes âgés qui enseignent une sagesse acquise par l’expérience tout autant que par l’instruction78. Car très souvent, c’est un vieil homme (πρεσβύτης) qui se trouve en position de transmettre sa sagesse ou sa science. Il est délicat de définir précisément l’âge à partir duquel une personne était considérée comme âgée dans l’Antiquité, en tenant compte des critères du vieillissement physiologique, de la perte de la fertilité mais aussi du statut social, mais sans doute autour de soixante ans pour un homme, cinquante ans pour une femme, celle-ci pouvant même être considérée comme âgée en même temps que son mari, quel que soit son âge79. Le vieil homme est désigné par son vêtement et certaines caractéristiques physiques, comme Calasiris ou Philétas80 ; son régime alimentaire est souvent végétarien et il se réfère fréquemment au collège de sages dont il fait partie81. C’est un trait fréquent dans l’Antiquité que ce lien entre vieillesse et sagesse, illustré par les figures de Nestor, Priam, Hécube, Homère lui-même, Laërte, Tirésias, Œdipe (le vieil aveugle de Colone), Solon, Nicias… On y trouve également des figures mythologiques comme Pélée, Nérée, le « Vieux de la mer » ou Tithon l’amant d’Aurore82. En effet, dans un certain nombre de textes de la tradition littéraire grecque depuis Homère, le presbutès est le détenteur d’une sagesse acquise par l’expérience, une fois tues les passions de la jeunesse, mais aussi, à compter de l’époque hellénistique, par le temps consacré à l’étude. Certaines qualités en effet semblent être l’apanage des seniors qui doivent les transmettre aux plus jeunes : qualités intellectuelles, prudence, discrétion, maturité du jugement83, etc. Ces personnages ont alors en commun une voix douce, persuasive et « immortelle », souvent comparée à la voix des cigales84,

77 A. Momigliano, Sagesses barbares. Les limites de l’hellénisation, trad. fr., Paris, 1991 [1976] ; G. N. Sandy, « Characterization and Philosophical Decor in Heliodorus’ Aethiopica », Transactions of the American Philological Association, 112, 1982, p. 141-167. 78 Comme Philétas, Calasiris a à ce titre attiré l’attention des peintres. Cf. la série « Les aventures de Théagène et Chariclée » (1608) qu’Ambroise Dubois a peinte sur commande pour orner les murs du Château de Fontainebleau. 79 M. Harlowe, R. Laurence, « Viewing the old : recording and respecting the elderly at Rome and in the Empire », dans C. Krötzl, K. Mustakallio (éds.), On old age : Approaching death in Antiquity and the Middle Ages, Turnhout, 2011, p. 3-23, en particulier p. 3-5. 80 Sur la référence au poète hellénistique Philétas, bien connu de Théocrite, Callimaque et Properce, cf. E. L. Bowie, « Theocritus’ Seventh Idyll, Philetas and Longus », Classical Quarterly, 35, 1985, p. 72. 81 P. Robiano, Les figures du sage…, chapitre V, p. 148-163. 82 B. Wagner-Hasel, « Vieillesse, savoir et genre. Réflexions sur les discours consacrés à la vieillesse dans l’Antiquité », Genre, sexualité & société [En ligne], 6, Automne 2011 ; M. Detienne, Les maîtres de vérité…, chapitre III, « Le Vieux de la Mer », p. 71-95. 83 B. E. Richardson, Old age among the Ancient Greeks, Baltimore, 1933, p. 16 ; sur la sagesse associée à la vieillesse à l’époque impériale, cf. T. Parkin, Old age in the Roman world. A cultural and social history, Baltimore, 2003, chapitre 3, « Old Age and the Romans : Images and Attitudes ». 84 B. Wagner-Hasel, « Vieillesse, savoir et genre… », p. 10, sur la métamorphose de Tithon en cigale après que son amante, la déesse de l’Aurore Eos, a obtenu pour lui l’immortalité, mais en oubliant de demander l’éternelle jeunesse. Cf aussi Homère, Iliade, v. 146-161, sur les vieux Troyens, qui siègent

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une apparence toujours alerte et vigoureuse et une pédagogie faite de sentences et de philosophie pratique85. Ils incarnent l’affection parentale, la connaissance des rituels (plutôt qu’une plus grande piété), notamment la maîtrise de la mantique et des ordalies, et l’exercice de la justice par le pratique de l’arbitrage. En fait, les études sur la vieillesse dans l’Antiquité ont montré qu’il existait diverses conceptions de cet âge et qu’il ne fallait s’en tenir ni à une vision noire, chantée par les poètes nostalgiques du temps passé, ni à une vision rose qui exalterait à outrance le respect des hommes et des femmes de l’Antiquité pour les anciens86. Ainsi, Aristote (suivi par Théophraste), qui résume les qualités et les défauts de la jeunesse et de la vieillesse à partir notamment du savoir médical transmis dans le corpus hippocratique, dépeint les vieux comme instables, cyniques, déloyaux, égoïstes et avares, et l’on pourrait citer de nombreux personnages de la comédie ancienne et nouvelle illustrant ces critiques. Le roman grec illustre bien d’ailleurs l’idée répandue dans le monde grec que rien n’est jamais acquis et que le vieillard doit continuer à apprendre87. Car la sagesse y est clairement réservée à des individus, et non à une classe d’âge entière88. Tous les vieux ne sont pas également sages. La vieille Cybèle dans les Ethiopiques n’a rien de vénérable, ni Aristippe, le père de Cnémon. De même, certains jeunes peuvent impressionner par leur sagesse, notamment après des débuts orageux – on pense à Thémistocle évidemment, cité par Achille Tatius89, mais aussi à Chairéas, Callisthène ou Théagène. Le « sage Sisimithrès », qui préside le conseil des gymnosophistes dans le royaume d’Éthiopie, est lui-même un homme dans la force de l’âge, pas un presbutès90. Mais le roman grec reste le lieu privilégié de la consécration de la sagesse des anciens. Nous avons déjà rencontré Aigialée, Philétas, Lamon, Calasiris, Chariclès. On peut leur adjoindre Dionysophanès dans Daphnis et Chloé, et, dans les Éthiopiques, le vieux pêcheur de Zakynthos Tyrrhénos, le vieux notable de Memphis qui donne un conseil si avisé et les vieillards de Memphis qui escortent Calasiris aux côtés des prêtres (πρεσβυτικόν), le vieux notable de Syène qui se fait applaudir pour avoir su faire entendre la voix de la raison, et les vieillards de Syène qui aident à consolider les murailles de la ville91. Tyrrhénos surtout se fait remarquer pour son habileté et son

en conseil des Anciens, près des portes Scées, et commentent la beauté d’Hélène de leurs voix de cigales. 85 P. Robiano, Les figures du sage…, p. 150-151 et p. 348-353. 86 B. Wagner-Hasel, « Vieillesse, savoir et genre… », p. 4-8, et, de manière plus générale, M. Cambron-Goulet, L. Monteils-Laeng (éds.), La vieillesse dans l’Antiquité, entre déchéance et sagesse, Cahiers des études anciennes LV, 2018. Pour une approche plus sociologique de la vieillesse, cf. M. I. Finley, « Les personnes âgées dans l’Antiquité classique », repris dans N. Benoit-Lapierre dir., Le continent gris. Vieillesse et vieillissement, Communications, 37, 1983, p. 31-45 ; J.-N. Corvisier, « La vieillesse dans le monde antique : aspects démographiques et conséquences sociales », Cahiers des études anciennes, LV, 2018, p. 17-36. 87 Selon le mot de Solon : γηράσκω δ’ ἀεὶ πολλὰ διδασκόμενος (Solon, Fr. 18 West). 88 Cf. Aristote, Rhétorique, II, 1389a-1390b, 15. 89 Achille Tatius, Leucippé et Clitophon, VIII,17,7. 90 Héliodore, Les Éthiopiques, X,18,1 ; X,39,1-40,1. 91 Longus, Daphnis et Chloé, IV,24 ; Héliodore, Les Éthiopiques, V,18,4-9 ; VII,1,4 ; VII,8,3, IX,5,9-10 ; IX,3,8.

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expérience92. Car les qualités d’un vieillard doivent être celles du « Vieux de la mer »93, le presbutaton des enfants de Pontos, le Flot, le plus ancien et le plus vénérable d’entre eux : apseudès (honnête), alèthès (sincère), nèmertès (« qui ne se trompe pas »), themisteôn (« jamais oublieux de la justice »), pourvu de dikaia kai èpia (de « justes et bonnes pensées »), selon les termes retenus par Marcel Detienne. C’est cette droiture qui, dans le roman grec, incite souvent à choisir un vieil homme comme arbitre des conflits. Ainsi en va-t-il de Philétas, qui est choisi comme arbitre lors de la dispute avec les jeunes Méthymniens, du vieux notable de Syène qui prône l’arrêt des hostilités, ou de Dionysophanès qui rassemble l’aristocratie de Mytilène pour retrouver le père de Chloé. Cette sagesse ne fait pas toujours l’objet d’un enseignement, mais elle conforte l’image du vieux sage détenteur d’un savoir issu de son expérience. Arrêtons-nous enfin sur une figure de « maître de vérité » surgie du passé : Ulysse âgé. Son fantôme apparaît à Calasiris alors qu’il passe une dernière nuit chez le vieux Tyrrhénos94 : « Après avoir dîné légèrement, nous allâmes nous coucher et un vieillard m’apparut en songe – presque complètement décharné, même si son manteau relevé laissait transparaître sa cuisse, relique d’une jeunesse vigoureuse –, qui portait un casque sur la tête, regardait autour de lui d’un air pénétrant et rusé, et traînait la jambe comme s’il boitait à cause d’une blessure. Il s’approcha en souriant d’un air sardonique : « Remarquable ami, me dit-il, tu es le seul à n’avoir montré aucune considération pour moi : tous ceux qui sont passés à proximité de Céphallénie ont visité ma demeure et se sont empressés de reconnaître ma gloire ; mais toi tu es si méprisant que tu ne m’as même pas adressé un banal salut, alors que tu habitais dans le voisinage. Voilà pourquoi tu subiras bientôt le châtiment de cette attitude et tu éprouveras les mêmes souffrances que moi, en tombant sur des ennemis à la fois sur terre et sur mer. Mais la jeune fille que tu emmènes, salue-la de la part de mon épouse, qui lui souhaite du bonheur parce qu’elle place la chasteté avant toute chose, et qui lui annonce la bonne nouvelle que le dénouement lui sera favorable. » Cette apparition d’Ulysse en vieillard s’inspire de sa transformation en vieux mendiant par Athéna avant son apparition devant les prétendants95. Dans les Éthiopiques, le vieux roi d’Ithaque adresse à Calasiris le reproche de ne pas l’avoir honoré comme il convenait, lui rappelle le devoir de piété envers les dieux et les héros qui devait être enseigné à tout jeune Grec, et exerce la fonction mantique qui est souvent celle des vieillards en lui annonçant qu’il sera puni pour cette impiété. L’originalité de la scène est de faire apparaître Ulysse en vieux guerrier, reconnaissable à son casque, sa musculature et son ancienne blessure à la cuisse, soucieux à la fois de sa gloire

92 P. Robiano, Les figures du sage…, p. 26. 93 M. Detienne, Les maîtres de vérité…, chapitre III, p. 29, mais aussi B. Wagner-Hasel, « Vieillesse, savoir et genre… », p. 8-12. 94 Héliodore, Les Éthiopiques, V,22,1-3. 95 Homère, Odyssée, XIII, v. 429-438 ; XXI, v. 279-284.

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passée et de celle de la jeunesse. Autre trait d’originalité : Pénélope, âgée donc, salue Chariclée par l’intermédiaire de son mari et prophétise le sort heureux qui attend la jeune fille. Le clin d’œil est trop évident pour ne pas faire l’objet d’un commentaire car il fait signe vers une forme de solidarité féminine assez rare dans le roman grec, sans être absente96. On doit y ajouter l’allusion à la vieille Euryclée, la nourrice d’Ulysse, qui reconnaît celui-ci à sa blessure97. Existe-t-il dans le roman grec des figures féminines illustrant cette fonction de passeurs de culture ? Hors Lycénion qui occupe une place particulière en tant qu’initiatrice de Daphnis au culte d’Éros, aucune femme ne joue un rôle de passeur, pas même une vieille femme (πρεσβῦτις ou γραῦς). La vieille Égyptienne qui, dans les Éthiopiques, se livre à des pratiques magiques relevant de la nécromancie98 ne transmet pas son savoir – peut-être parce que ce type de savoir, considéré comme impie, relève d’une pratique solitaire et secrète –, ni la vieille Cybèle qui œuvre par ses manigances en faveur de sa maîtresse Arsacé. Ce sont pourtant les femmes, en particulier les vieilles femmes, qui dans la réalité sociale du monde grec étaient chargées de l’éducation des plus jeunes, et ce par le biais des histoires racontées, des chansons et des témoignages oraux. Apulée s’est fait le témoin de cette transmission des mythes par les vieilles femmes grecques avec le long récit d’Éros et Psyché qui est inséré dans les Métamorphoses où il occupe deux livres. Il est rapporté à une jeune fille, Charité, par la vieille maîtresse de maison qui héberge les brigands qui l’ont enlevée à ses parents99 : « Mais moi maintenant, je vais te changer les idées avec de jolies histoires et des contes de vieille femme. » Les anulae fabulae désignant explicitement des « contes de vieille femme », on comprend qu’Apulée fait référence à une pratique sociale d’usage courant. On notera cependant qu’il s’agit là d’un auteur de langue latine et que la version grecque qui aurait inspiré le roman d’Apulée, L’âne d’or de Lucius de Patras, de même que le roman Lucius ou l’âne du pseudo-Lucien, ne comportent pas de narratrice, ce qui pourrait faire penser qu’il s’agit là d’un apport spécifiquement latin, mais il faut dire que ces romans grecs ne comportent pas non plus de récit enchâssé. Ce serait un sujet à approfondir que la transmission orale du savoir par les mères et les grands-mères dans le monde grec100 car on devine que ce rôle devait être important101. Il suffit pour 96 S. Lalanne, Une éducation grecque…, « Une solidarité des hommes entre eux », p. 188-192. Plangon, Rhodé et Cybèle sont toutes des servantes, donc des esclaves, au service de leur maîtresse. Mais Lycénion, nous l’avons vu, fait preuve d’une certaine attention à l’intention de la toute jeune Chloé. De même, le couple que forment Callirhoé et Statira mériterait une analyse plus approfondie. 97 Homère, Odyssée, XXIX, v. 391-394. 98 Héliodore, Les Éthiopiques, VI,12,2-3. 99 Apulée, Métamorphoses, IV, 27. 100 Nous reprenons à notre compte le souhait exprimé par B. Wagner, contra T. Parkin, Old age in the Roman world. A cultural and social history, Baltimore, 2003, qui accorde si peu de place aux femmes âgées. 101 Sur le rôle anthropologique de la « façon de parler » des femmes, cf. Y. Verdier, Façons de dire, façons de faire, Paris 1979, p. 11. Pour l’Antiquité, cf. N. Bernard, « Les femmes âgées au sein de la famille et de la cité classique », in B. Bakhouche (éd.), L’ancienneté chez les Anciens, tome I, Montpellier, 2003, p. 43-60 ;

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s’en convaincre de lire Platon : mères, nourrices et vieilles femmes sont celles qui en priorité racontent les mythes aux petits enfants, même si ce savoir est dévalorisé par rapport à la culture académique que transmettent les hommes102. Mais il est très peu visible dans les sources documentaires en langue grecque et le roman ne fait pas en cela exception. La part dévolue à l’érudition livresque dans la culture grecque d’époque impériale ne doit donc pas faire oublier la permanence de l’oralité et de la transmission interpersonnelle dans une société qui reste « une société de face-à-face ». Ainsi, certaines pratiques, considérées aujourd’hui comme relevant par définition de l’écrit, restent tributaires de la forme orale : la logographie, la tragédie ou la poésie, souvent improvisée103, mais aussi l’énonciation du droit, la transmission d’informations, le régime de la preuve104. Dans le domaine de la littérature, la variété des Propos de table qui nous ont été conservés sous la plume d’Athénée, Aulu-Gelle ou Plutarque, attestent de l’ambivalence d’une culture qui nous paraît avoir acquis ses titres de noblesse en prenant forme écrite, mais dont la nature même était d’être produite et transmise oralement105. Il en va de même de nombreux discours, épidictiques, épiniciques, panégyriques, et en règle générale des discours d’apparat et de tous ceux qui pouvaient servir de modèles ou séduire un public averti. On ne saura peut-être jamais si les romans firent l’objet de lectures publiques ou de récitations, comme on en a parfois fait l’hypothèse106, mais il est certain qu’ils valorisent un mode de communication, la parole, dont nous avons parfois tendance à sous-estimer l’importance. Ainsi les « maîtres de vérité » du roman grec sont-ils pourvus de traits particuliers comme N. Ernoult, « Têthê la grand-mère ou l’importance de la filiation par les femmes », dans V. Azoulay, F. Gherchanoc, S. Lalanne (éds.), Le banquet de Pauline Schmitt Pantel. Genre, mœurs et politique dans l’Antiquité grecque et romaine, Paris, 2012, p. 71-85. 102 L. Brisson, Introduction à la philosophie du mythe. 1. Sauver les mythes, Paris, 1996, p. 27-28, en particulier n. 1-4 : Gorgias 527a5-6 et Rép. 1350e2-4 sur les vieilles femmes. La prêtresse Diotime, qui a enseigné au jeune Socrate, est seulement « savante en ces matières et en bien d’autres » (ἣ ταῦτά τε σοφὴ ἦν καὶ ἄλλα πολλά). Cf Platon, Le Banquet, 201d. 103 Je remercie Ewen Bowie de m’avoir signalé à ce propos le cas de Q. Sulpicius Maximus, poète grec de onze ans, probablement fils d’un affranchi grec, étudié par A. Gangloff, « Les poètes dans les inscriptions grecques de Rome : esquisse d’une approche socioculturelle », Cahiers du Centre Gustave Glotz, 18, 2007, p. 359-360. 104 Sur le droit, J.-M. Bertrand, De l’écriture à l’oralité. Lectures des Lois de Platon, Paris, 1999 ; sur les hérauts, C. Goblot-Cahen, Les hérauts grecs et la genèse du politique, Thèse de doctorat ès Lettres (P. Schmitt dir.), soutenue à l’Université Paris 1, 2005 ; sur les témoins judiciaires, N. Siron, Témoigner et convaincre : le dispositif de vérité dans les discours judiciaires de l’ Athènes classique, Paris, 2019. 105 C. Jacob, « La citation comme performance dans les Deipnosophistes d’Athénée », dans C. Darbo-Peschanski (), La citation dans l’Antiquité, Grenoble, 2004, p. 147-174, en particulier p. 160-165 sur la « lecture oralisée et collective dans les cercles lettrés » ; F. Klotz, K. Oikonomopoulou (dir.), The Philosopher’s Banquet. Plutarch’s Table Talk in the Intellectual Culture of the Roman Empire, Oxford, 2011 ; D. Driscoll, Acting the Exegete : Homeric quotation and interpretation in imperial literary Symposia, PhD de l’Université Stanford (R. Martin dir.), soutenu en 2016. 106 Sur le caractère oral de l’écriture d’un Xénophon d’Éphèse, cf. J. N. O’Sullivan, Xenophon of Ephesus. His compositional technique and the birth of the novel, Berlin-New York, 1995 ; C. Ruiz-Montero, « Xenophon of Ephesus and orality in the Roman Empire », Ancient Narrative, 3, 2004.

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l’éloquence, le goût de la transmission de maître à disciple, la prédilection pour des récits issus de l’expérience vécue ou des mythes, mais aussi la vieillesse et l’identité masculine. Quand le narrateur ne transmet pas lui-même la leçon du roman, il la place en effet de préférence dans la bouche d’un vieil homme. Celui-ci apparaît donc comme la figure par excellence du sage mais aussi du savant, du σοφὸς ἀνήρ, selon une pensée qui veut que l’homme accompli soit un homme de culture, même s’il s’agit d’une forme de culture populaire ou d’une expérience de la vie. La sagesse n’est pas pour autant donnée à tout le monde. Elle dépend des qualités individuelles mais, si elle semble presque impossible aux femmes selon les Grecs, elle ne dépend pas du statut socio-économique. Elle se cultive tout au long de la vie et s’accroît avec l’âge, de même que chez d’autres s’accentuent les vices et les défauts. Sophie Lalanne Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, UMR 8210 ANHIMA

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Athénée pédagogue ou le refus de la vaine érudition

Qui n’aura jamais cédé à la tentation de puiser laconiquement dans les vertigineux catalogues des Deipnosophistes certaines des références nécessaires à sa propre érudition, sans se soucier véritablement des ruses polyphoniques d’Athénée, de sa fiction, de l’agencement rhétorique et souvent virtuose de son ouvrage, en un mot de son projet littéraire qui, pourtant, conditionne son traitement des citations et les tord à sa volonté d’auteur ? Car Athénée explicite en plusieurs endroits ses intentions et sa manière1. C’est le cas de ce passage où l’un de ses porte-parole parmi ses personnages, Masurius2, en vient à faire une très sévère critique du Banquet d’Épicure, à qui il reproche, notamment, de ne proposer aucune fiction ordonnatrice ni éclairante. Il regrette alors qu’il faille deviner de quelle façon un personnage en vient, une coupe à la main, à subitement proposer le sujet d’une discussion qui ne convient, en réalité, qu’à une réunion de « commentateurs



1 Il le fait notamment dans son dialogue avec Timocrate – dialogue qui sert de cadre au récit du banquet de Larensis – et au sein des passages où tel de ses personnages, comme c’est ici le cas de Masurius, commente les œuvres qui ont, avant les Deipnosophistes, raconté un banquet. 2 Parmi les personnages d’Athénée, sans doute Masurius, dont le nom rappelle celui du célèbre juris­ consulte Masurius Sabinus, est-il celui qui illustre le plus l’idéal d’ἐγκύκλιος παιδεία que promeuvent les Deipnosophistes. Car son intérêt pour tous les domaines de la connaissance n’a rien de superficiel, si l’on en croit l’abréviateur du premier livre : Masurius est tout autant « un spécialiste du droit » (I, 2, 1c : νόμων ἐξηγητής) qu’un « poète remarquable » (μόνος ποιητής). Il est versé dans la poésie iambique, dans laquelle « il ne le cède en rien aux successeurs d’Archiloque » (οὐδενὸς δεύτερος τῶν μετ᾽ Ἀρχίλοχον ποιητῶν). Et c’est à ce titre qu’il dresse, au livre XIV (18-43, 623e-639a), le catalogue des différents modes, étudie leurs effets sur l’âme, recense toutes les danses et tous les instruments possibles, réfléchit au rôle de la musique dans la vie publique des cités et rappelle les théories de Pythagore en cette matière. Il lui revient naturellement la tâche, au cinquième livre, dont il est l’orateur exclusif, de parler des banquets d’Homère, c’est-à-dire, comme le dit Athénée à l’adresse de Timocrate, pour introduire le discours de son personnage, des banquets « qui sont le plus utiles et qui, loin de peser à l’âme, la servent et la nourrissent comme doit le faire un repas parfait » (V, 1, 185a : τὰ χρησιμώτατα καὶ οὐ βαροῦντα τὴν ψυχήν, ὠφελοῦντα δὲ καὶ τρέφοντα κατὰ πανδαισίαν). Passeurs de culture : la transmission de la culture grecque dans le monde romain des ier-ive siècles après J.-C., éd. par Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne, Jean-Luc Vix, Turnhout, 2022 (Recherches sur les Rhétoriques Religieuses, 32), p. @@-@@ © F H G10.1484/M.RRR-EB.5.121449

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d’atomes » (Deipn., V, 3, 187b : προφήτας ἀτόμων)3. On parle, dans cet ouvrage, comme on le ferait dans le cercle fermé d’une école (Deipn., V, 3, 186e : καθάπερ ἐν διατριϐῇ). Nul débat véritable n’est possible entre tous ces flatteurs4 : Épicure manque à l’ambition pédagogique qui devrait être la sienne5. Masurius lui oppose les banquets d’Homère, et plus particulièrement celui que donne Ménélas à l’occasion du mariage d’Hermione (Od., IV, 3-5). Ses convives n’ont rien à envier aux philosophes : si, comme eux, « ils se proposent les uns aux autres des questionnements comme on en trouverait dans un cénacle » (Deipn., V, 14, 188d : προϐάλλουσιν ἀλλήλοις ὥσπερ ἐν διατριϐῇ ζητήματα), ils savent néanmoins se comporter « avec urbanité » (πολιτικῶς) et « se distraient les uns les autres tout en nous distrayant, nous aussi » (τέρπουσιν άλλήλους καὶ ἡμάς). Telle est également, selon Masurius, l’attitude de Télémaque et de Pisistrate, qui, au cours de ce banquet, trouvent matière à s’instruire en s’étonnant de la beauté de la maison de Ménélas : elle fournit aux deux jeunes gens l’occasion d’une plaisante recherche sur les matériaux qui la composent et sur les qualités sonores qu’ils y décèlent6, recherche si plaisante que Masurius lui-même la prolonge devant les convives de Larensis7. En résumé, un banquet ne peut donner lieu à un ouvrage où l’on exposerait de purs savoirs, mais il doit proposer une recherche partagée, dont le sel garantit la nécessaire ambition pédagogique. Qu’en est-il, alors, de la polymathie d’Athénée ? Revendique-t-il vraiment l’érudition qu’on lui prête ? Athénée ne cesse de mettre ses personnages à l’épreuve de la table et du vin pour démasquer ceux qui ne sont les dépositaires que d’un savoir fallacieux8. Parmi 3 Nous suivons l’édition de G. Kaibel (Athenaei Naucratitae Dipnosophistarum libri XV, 3 vol., Leipzig, Teubner, 1887-1890, réimp., Stuttgart, Teubner, Bibliotheca scriptorum Graecorum et Romanorum, 1985 et 1992) et traduisons nous-même les citations. 4 Deipn., V, 12, 182a : « Dans le Banquet d’Épicure, on trouve un ramassis de flatteurs occupés à se louanger les uns les autres » (Ἐν δὲ τῷ Ἐπικουρείῳ συμποσίῳ κολάκων ἐστὶν ἄγυρις ἀλλήλους ἐπαινούντων). 5 Cette critique du Banquet d’Épicure est reprise de Plutarque, qui, lui aussi, regrette d’y trouver des inconvenances telles que des jeunes gens ne sauraient en tirer un quelconque profit. Voir, notamment, Propos de table, III, 6, 653b-655d. À l’inverse, Masurius note la sagesse de Théophraste, qui, selon lui, fit des dons d’argent « pour que les convives ne se laissent pas aller aux excès, mais pour qu’ils respectent en tout les règles du banquet dans une instructive modération » (Deipn., V, 2, 186a). Il loue encore Aristote, Xénocrate ou encore Antipatros pour leur attachement à cette même vocation pédagogique du συμπόσιον. 6 Deipn., V, 14, 189a : « Ce n’est pas seulement de la beauté du palais qu’ils s’étonnent – comment aurait-il pu y avoir sur les murs de l’électre, de l’or et de l’ivoire ? – mais ils évoquent plutôt les matériaux qui la composent lorsqu’ils disent que les pièces sont sonores (ἀλλὰ τὰ μὲν περὶ τοῦ οἴκου εἰρήκασιν, ὥς ἐστι δώματα ἠχήεντα). Ainsi sont, effectivement, les pièces vastes et hautes de plafond ». Masurius fait ici référence à l’exclamation, pleine d’admiration, de Télémaque dans l’Odyssée (IV, 70-3) : Φράζεο, Νεστορίδη, τῷ ἐμῷ κεχαρισμένε θυμῷ χαλκοῦ τε στεροπὴν κατὰ δώματα ἠχήεντα χρυσοῦ τ’ ἠλέκτρου τε καὶ ἀργυρύρου ἠδ’ ἐλέφανος. 7 Masurius prend le prétexte d’une interpolation d’Aristarque au vers 74 pour condamner le sens qu’il donne au terme αὐλή. Il se livre alors à une réflexion lexicale sur la proximité, notamment, des noms αὐλός, αὐλῶπις et αὐλῶνες (V, 15, 189c-189f). 8 Voir, sur ce point, R. Stoneman, « You Are What You Eat. Diet and Philosophical diaita in Athenaeus’ Deipnosophistae », dans D. Braund, J. Wilkins (éd.), Athenaeus and his World. Reading Greek Culture in the Roman Empire, Exeter, 2000, p. 413-422.

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ceux-là se trouvent les philosophes, exception faite de trois d’entre eux, Philadelphe de Ptolémaïs, Pontien et Démocrite, tous deux originaires de Nicomédie et qui, selon l’abréviateur, « surpassent tout le monde par la diversité de leurs savoirs » (Deipn., I, 2, 1d : πολυμαθείᾳ πάντας ὑπερηκοντικότες). Le nom des autres est passé sous silence. Ils sont représentés par leur chef, Cynulque, qui les individualise dans leur qualité de parasites et de perturbateurs. Un épisode bien troussé le prouve mieux qu’une démonstration, comme c’est le cas au livre VI, où le Cynique, lassé, comme toujours, du « flot diarrhéique9 » des discours, réclame une nouvelle fois qu’on le nourrisse (Deipn., VI, 100, 270e-f) : Καὶ ἅμα ταῦτα λέγων οἷος ἦν ἀπανίστασθαι· ἐπιστραφεὶς δὲ καὶ θεασάμενος πλῆθος ἰχθύων καὶ ἄλλων παντοδαπῶν ὄψων παρασκευὴν εἰσκυκλουμένην τύψας τῇ χειρὶ τὸ προσκεφάλαιον ἀνέκραγεν·

“Τέτλαθι δή, πενίη, καὶ ἀνάσχεο μωρολογούντων ὄψων γὰρ πλῆθός σε δαμᾷ καὶ λιμὸς ἀτερπής”.

« En même temps qu’il prononçait ces mots, il fit mine de se lever pour se retirer ; mais quand il tourna les talons et que ses yeux tombèrent sur une grande quantité de poissons et sur la mise en place de toutes sortes d’autres mets, il frappa avec sa main son coussin et s’écria :

“Supporte donc, ô pauvreté, et endure ces diseurs de fadaises, car l’abondance des mets te dompte ainsi que ta triste faim” ».

Cynulque, quand il se récrie ainsi10, singe Homère, dont il cite deux vers en les modifiant. Ce faisant, il semble consentir à se prêter enfin11 au jeu des deipnosophistes et à faire du bel esprit, si l’on peut dire, tout à sa joie d’une prochaine bombance. Mais ses substitutions sont profondément risibles, parce qu’il reprend à son compte, malgré son habituelle παρρησία, la doucereuse lâcheté dont fait preuve Héphaïstos12 dans



9 C’est, du moins, le terme qu’il utilise au livre IV (49, 159c : λογοδιαρροία) pour qualifier les discussions de ses compagnons de table. 10 Cette scène, qui développe le motif topique de l’hypocrite ascèse des philosophes, n’est pas sans rappeler celle qu’on peut lire, par exemple, dans le Banquet de Lucien (13), où le Cynique Alcidamas, lui aussi, « passait son dîner, comme les Scythes, à migrer vers de plus gras pâturages et à accompagner le mouvement de ceux qui faisaient passer les plats » (ἐδείπνει ὥσπερ οἱ Σκύθαι πρὸς τὴν ἀφθονωτέραν νομὴν μετεξανιστάμενος καὶ τοῖς περιφέρουσι τὰ ὄψα συμπερινοστῶν). 11 Cynulque est, dans les Deipnosophistes, marqué par un fort paradoxe : personnage à la parole prépondérante, il est également celui de la marge. Cette marginalité tient avant tout à son refus des codes symposiaques et des plaisirs du repas, malgré une faim insatiable. Mais il fournit également des occasions de dispute et contrevient sans cesse à l’idéal de concorde qui doit régner parmi les convives. Voir notamment sur ce point, D. Gilula, « Stratonicus, the Witty Harpist », dans D. Braund, J. Wilkins (éd.), Athenaeus and his World. Reading Greek Culture in the Roman Empire, Exeter, 2000, p. 423. 12 Héphaïstos, pour convaincre Héra de ne pas davantage tenir tête à Zeus, rappelait alors à sa mère les conséquences amères qu’il avait subies lui-même en pareille situation : « Supporte ces tourments, chère mère, endure-les ! » (Τέτλαθι, μῆτερ ἐμή καὶ ἀνάσχεο κηδομένη περ). La force comique de ce passage est avec raison soulignée dans une scholie ancienne au vers 589 (Londoniensis Towleianus, H. Erbse) : « De manière risible, il met en avant sa propre infirmité » (Κωμικῶς τὴν ἰδίαν πήρωσιν προτίθησι).

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ce passage de l’Iliade (I, 586) où il cherchait à calmer la dispute qui opposait Héra à Zeus et à restaurer ainsi l’agrément de leur banquet. Voilà bien en quoi échoue le philosophe à la table de Larensis, comme le suggère la réécriture du vers suivant (Il., I, 61). Achille y envisageait un prochain retour des héros en Grèce, « puisque guerre et peste conjuguées domptent les Achéens » (εἰ δὴ ὁμοῦ πόλεμός τε δαμᾷ καὶ λοιμὸς Ἀχαιούς). En remplaçant la « guerre » (πόλεμος) par « l’abondance des mets » (ὄψων πλῆθος) et la « peste » (λοιμός) par sa propre « faim » (λιμός), Cynulque trahit sa véritable nature de gourmand et de rustaud belliqueux. Surtout, il se révèle incapable des mêmes jeux d’esprit que la plupart des convives qui partagent la table de Larensis et parmi lesquels figurent les meilleurs spécialistes d’Homère. Beau parleur, Cynulque ne l’est pas. Frustre jusque dans les termes qu’il emploie, il introduit dans le banquet de Larensis un désordre qui symbolise le rejet permanent des philosophes dans leur ensemble, des hommes qui n’ont de savants que le nom. Il est un homme, parmi les convives de Larensis, qui, à l’inverse, fait montre d’une érudition hors du commun, lexicologue virtuose, dont l’acribie semble sans égale. Il s’agit d’Ulpien13. Cette érudition est précisément l’objet de bien des attaques de la part des philosophes, et de Cynulque en particulier, qui lui reproche, comme ici (Deipn., III, 52, 97c), la vaine affectation de ses questionnements : Καὶ ὁ Κύνουλκος ὀργισθεὶς “Γάστρων”, ἔφη, “καὶ κοιλιόδαιμον ἄνθρωπε”, οὐδὲν ἄλλο σὺ οἶσθα, οὐ λόγους διεξοδικοὺς εἰπεῖν, οὐχ ἱστορίας μνησθῆναι, οὐ τῆς ἐν λόγοις χάριτος ἀπάρξασθαί ποτε, ἀλλὰ τὸν χρόνον ἅπαντα περὶ ταῦτα κατετρίϐης ζητῶν,‘κεῖται οὐ κεῖται ’,‘εἴρηται οὐκ εἴρηται ;’, ἐξονυχίζεις τε πάντα τὰ προσπίπτοντα τοῖς συνδιαλεγομένοις τὰς ἀκάνθας συνάγων. « Et Cynulque, sous le coup de la colère : “Ah ! Ventre !”, s’écria-t-il, “Idolâtrogastre ! Tu ne sais rien d’autre que cela, incapable que tu es d’avancer un argument bien digéré, de rapporter un récit, de jamais proposer le moindre prémice d’une argumentation élégante ; tu as gaspillé tout ton temps à tourner autour des questions ‘Ce mot s’y touve-t-il ?‘, ‘Ne s’y trouve-t-il pas ?’, ‘Le dit-on ?’, ‘Ne le dit-on pas ?’, et tu ne fais que pinailler sur tous les sujets qui entrent dans la conversation en confectionnant une ronceraie de questions”. Les invectives, parfois scatologiques, de cette diatribe ridiculisent Cynulque en montrant l’outrance de sa παρρησία, qui offre un contraste saisissant avec les stériles subtilités du grammairien. De fait, les disputes qui mettent aux prises Ulpien et les philosophes14 scandent l’ensemble des Deipnosophistes comme autant de saynètes récréatives dont le rôle essentiel est d’invalider deux types de savoirs et de discours qui, pour opposés qu’ils soient, restent pareillement vains. Ulpien n’éparge pas davantage les plus savants de ses compagnons de table. Il en est même jusqu’à l’excellent Masurius qui, malgré la virtuosité de son discours précédent sur les banquets d’Homère, ne parvient pas à échapper à ses reproches (Deipn., V, 64, 221a-b) : 13 Sur ce personnage, voir en particulier, P. Zepos, « Κειτούκειτος και Τιπούκειτος », EHHD (Ἐπετηρὶς τοῦ Κέντρου Ἐρεύνης τῆς ῾Ιστορίας τοῦ Ἑλληνικοῦ Δικαίου), 1976, XXIII, p. 157-174. 14 E. g. : Deipn., II, 32, 69a-b ; IV, 53, 16e ; VI, 99, 270c-d ; XIII, 27, 571a.

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Τοσαῦτα τοῦ Μασουρίου εἰπόντος καὶ ὑπὸ πάντων θαυμασθέντος διὰ σοφίαν ὁ Οὐλπιανὸς σιωπῆς γενομένης ἔφη· « Δοκεῖτέ μοι, ἄνδρες δαιτυμόνες, σφοδροῖς κατηντλῆσθαι λόγοις παρὰ προσδοκίαν βεϐαπτίσθαι τε τῷ ἀκράτῳ· “Ἀνὴρ γὰρ ἕλκων οἶνον ὡς ὕδωρ ἵππος σκυθιστὶ φωνεῖ, οὐδὲ κόππα γινώσκων κεῖται δ᾽ ἄναυδος ἐν πίθῳ κολυμϐήσας, κάθυπνος ὡς μήκωνα φάρμακον πίνων”, φησὶν ὁ Βυζάντιος Παρμένων, ἢ ἀπολελίθωσθε ὑπὸ τῶν προειρημένων Γοργόνων ; » « À la fin du discours de Masurius et malgré l’admiration qu’il suscitait en nous tous pour son savoir, Ulpien, au beau milieu de notre silence, déclara : “Mes chers commensaux, à mon avis, vous voilà tout détrempés par ce flot d’arguments décevants et plongés au fond d’un bain de vin pur. ‘Car l’homme, à force de lamper du vin comme un cheval de l’eau, se met à parler en Scythe sans plus même connaître le coppa et il reste, mutique, à barboter au fond de son tonneau, aussi engourdi que s’il avait bu une décoction de pavot’, comme le dit Parménon de Byzance ; ou bien alors êtes-vous pétrifiés à cause des Gorgones qui viennent d’être évoquées ? ” » Si Masurius impose un silence admiratif à l’assemblée des convives, c’est qu’il a su rivaliser avec Homère, dont il s’est montré le digne héritier. N’a-t-il pas, lui aussi, produit un admirable catalogue de vaisseaux (Deipn., V, 36-45, 203b-210c)15 et tiré tout son développement de la réception offerte par Ménélas, dans l’Odyssée ? C’est elle qui l’a guidé, notamment dans sa précédente condamnation des Banquet de Platon et de Xénophon16, et dans le parallèle rhétorique qu’il a établi entre les rois Antiochos IV Épiphane et Ptolémée VI Philométor au gré de citations qui, mises bout à bout, ont souligné sa polymathie virtuose (Deipn., V, 21-35, 193c-203b). Sans doute Ulpien est-il poussé par une rivalité jalouse. Car la citation qu’il propose de Parménon lui permet de ramener les convives à la situation, dénoncée plus tôt par Masurius, des invités d’Agathon qui, chez Platon, se sont, eux aussi, plongés dans le vin au point de ne

15 Pour souligner l’extraordinaire richesse que le Nil avait donnée à Ptolémée VI Philométor, cet autre Ménélas, Masurius cède au plaisir de sa qualité d’aède, comme il l’avoue lui-même : « Voilà donc tout ce que nous avions à dire sur ce catalogue de vaisseaux, sans commencer par ceux des Béotiens mais par ceux qui servirent à des pompes solennelles » (V, 45, 209e-f : τοσαῦτ᾽ οὖν καὶ περὶ τοῦ τῶν νεῶν καταλόγου οὐκ ἀπὸ Βοιωτῶν ἀρξάμενοι κατελέξαμεν, ἀλλ᾽ ἀπὸ πανηγυρικῶν πομπῶν). Homère, quant à lui, avait bien commencé son catalogue par les vaisseaux des Béotiens. 16 Deipn., V, 8, 180a-b : « Chez Platon, il n’est rien qui suive les convenances (οὐδὲν ἔμμετρον), mais on y boit tant qu’on ne peut pas rester stable sur ses propres pieds. Vois donc comme ce débauché d’Alcibiade manque aux bienséances (ὅρα γὰρ τὸν ἐπίκωμον Ἀλκιϐιάδην ὡς ἀσχημονεῖ) ! Et voilà tous les autres qui se mettent à boire dans un vase de huit cotyles en prétextant que c’est Alcibiade qui les y a poussés. Cela n’a rien à voir avec les personnages d’Homère (Il., IX, 177) : eux, “cependant, firent ensuite des libations et burent autant que leur cœur le désirait” ». Et, s’il convient que le Banquet de Xénophon mérite des éloges (V, 12, 187f), Masurius regrette néanmoins qu’il y présente, de façon bien peu convenable, le bel Autolycos en proie aux regards avides de l’assemblée alors même que son père est assis à ses côtés.

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plus pouvoir parler17 et qui ont été pareillement pétrifiés d’admiration en écoutant le discours d’Agathon18. Une référence en cache une autre et trahit la rancœur acerbe d’Ulpien : le discours de Masurius ne vaut pas mieux que l’attitude inconvenante des personnages qu’il vient de dénoncer chez Platon. Ce que fait sans cesse Ulpien, en réalité, c’est « ramasser les épines des discours qui viennent d’être tenus » (Deipn., VI, 13, 228c : ἐκ τούτων πάλιν τῶν λεχθέντων τὰς ἀκάνθας ἀναλεξάμενος). Il ne propose que des questions de pure érudition qui ne permettent pas de discussion véritable. Ainsi personne ne trouve d’intérêt à savoir si les Anciens se sont servis de vaisselle d’argent, si le terme πίναξ est d’origine grecque (Deipn., VI, 13, 228c), si tel instrument hydraulique, qu’on vient d’entendre, appartient à la famille des instruments à corde ou à celle des instruments à vent (Deipn., IV, 75, 174a-b), ou encore (Deipn., III, 99, 125b) si l’on peut comprendre pareillement les néologismes « salsophile » (φιλοτάριχος) et « salsosaur » (ζωμοτάριχος)19. Les questions épineuses d’Ulpien fatiguent bien souvent les convives et perturbent l’ordonnancement même du banquet. Propose-t-il (Deipn., III, 82, 115b), par exemple, de réfléchir à la différence possible entre les synonymes ἀπελεύθερος et ἐξελεύθερος, aussitôt tous réclament poliment que la question soit remise à plus tard. Ainsi encore, quand il demande (Deipn., VI, 81, 262b) ce que peut bien être une « goulotte Saurias » (Σαυρίας βομϐυλιός), et « qu’il s’apprête à se lancer dans un interminable flot de remarques » (ἀπεραντολογίας πολλάς) ; on fait alors entrer la foule des serviteurs pour ne pas lui en laisser le loisir mais profiter sereinement du repas20. L’essentiel, semble-t-il, est de le réduire au silence. Sage précaution, si l’on en croit le philosophe Démocrite, qui souligne à quel point Ulpien ne peut être un vrai convive, car il ne touche à aucun des plats qui sont servis « avant de savoir si l’usage de leur nom remonte ou pas à la plus haute antiquité » (Deipn., IX, 64, 401e : πρὶν μαθεῖν εἰ ἡ χρῆσις μὴ εἴη τῶν ὀνομάτων παλαιά). Les questionnements captieux de ces « disciples d’Aristarque » (Deipn., V, 65, 221f : Ἀριστάρχειοι21) ne valent pas mieux que les savoirs fallacieux des philosophes. L’érudition n’est pas le but du vrai savant, si elle ne vise qu’elle-même et ne permet pas une recherche plaisamment partagée.

17 Dans le Banquet (176b), Aristophane avoue faire partie de « ceux qui, hier, se sont bien immergés » (τῶν χθὲς βεϐαπτισμένων) dans le vin. 18 Ulpien reprend perfidement le bon mot de Socrate (Banquet, 198c) : « J’ai craint qu’à la fin de son discours Agathon ne lançât sur le mien la tête de Gorgias, ce monstre d’éloquence, et qu’il ne me pétrifiât en me privant de parole » (Ἐφοϐούμην μή μοι τελευτῶν ὁ Ἀγάθων Γοργίου κεφαλὴν δεινοῦ λέγειν ἐν τῷ λόγῳ ἐπὶ τὸν ἐμὸν λόγον πέμψας αὐτόν με λίθον τῇ ἀφωνίᾳ ποιήσειε). 19 Agacé, Myrtilos reproche alors à Ulpien de négliger toute recherche au profit d’une stérile pédanterie qu’il retourne aimablement contre lui en l’affublant du surnom, tout aussi fantaisiste, de « lèche-rôti » (κνισολοιχός). 20 Une scène identique s’est déjà produite quand Ulpien, après avoir interrompu le développement d’un convive sur les foies au prétexte qu’il ne lui convenait pas, est lui-même réduit au silence par l’arrivée des serviteurs qui apportent des plats de langoustes (Deipn., III, 64, 104c-d). Il arrive également qu’on anticipe les questions qu’il ne manquera pas de poser, pour y répondre sans tarder, comme le fait Masurius au sujet de « l’armoire qu’on trouve chez Callixène » (Deipn., V, 45, 209f : ἡ παρὰ τῷ Καλλιξείνῳ ἐγγυθήκη). 21 L’expression est empruntée par Larensis au grammairien Hérodicos de Babylone.

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C’est ce que souligne très fortement le moment stratégique où le δεῖπνον prend fin et que commence le συμπόσιον. Quand les tables sont enlevées, Ulpien réclame à un serviteur de lui servir du vin en citant plaisamment un passage du Philèbe (61b-c), un vin dont le mélange avec l’eau sera parfait (Deipn., X, 21, 423b). Ulpien indique cependant qu’il veut un vin ζωρότερος en s’amusant de l’obscurité du terme. Il se lance alors dans une réflexion grammaticale sur le sens véritable de cet adjectif (Deipn., X, 22, 423e-f) : Τινὲς δὲ καὶ τὸ παρ᾽ Ὁμήρῳ “ζωρότερον δὲ κέραιρε” οὐκ ἄκρατον σημαίνειν φασίν, ἀλλὰ θερμόν, ἀπὸ τοῦ ζωτικοῦ καὶ τῆς ζέσεως· ἑταίρων γὰρ παρόντων νέον ἐξ ὑπαρχῆς κεράννυσθαι κρατῆρα ἄτοπον. Ἄλλοι δὲ τὸ εὔκρατον, ὥσπερ τὸ δεξιτερὸν ἀντὶ τοῦ δεξιοῦ. Τινὲς δέ, ἐπεὶ οἱ ἐνιαυτοὶ ὧροι λέγονται καὶ τὸ ζα ὅτι μέγεθος ἢ πλῆθος σημαίνει, ζωρὸν τὸν πολυέτη λέγεσθαι. Δίφιλος δ᾽ ἐν Παιδερασταῖς φησιν·

“Ἔγχεον σὺ δὴ πιεῖν.

Β. Eὐζωρότερόν γε νὴ Δί᾽, ὦ παῖ, δός· τὸ γὰρ ὑδαρὲς ἅπαν τοῦτ᾽ ἐστι τῇ ψυχῇ κακόν”. Θεόφραστος δ᾽ ἐν τῷ Περὶ μέθης ζωρότερόν φησιν εἶναι τὸ κεκραμένον, παρατιθέμενος Ἐμπεδοκλέους τάδε· “Αἶψα δὲ θνητὰ φύοντο, τὰ πρὶν μάθον ἀθάνατ᾽ εἶναι, ζωρά τε τὰ πρὶν ἄκρητα, διαλλάσσοντα κελεύθους”. « Certains prétendent également que l’expression homérique “verse un vin ζωρότερος” désigne non pas un vin “sans mélange” (ἄκρατος), mais un vin “ardent” (θερμός), sur la base de ζωτικός (vivifiant) et de ζέσις (ébullition) ; en effet, en présence d’amis, il n’est pas incongru de renouveler le cratère avec un autre mélange tempéré. Pour d’autres, il dit ζωρότερος au sens d’εὔκρατος (bien mélangé), comme δεξιτερός à la place de δεξιός. Et d’autres encore, puisque les années se disent aussi ὧροι et que ζα est un élément qui désigne l’étendue ou la quantité, affirment que ζωρός équivaut à “vieilli pendant plusieurs années” (πολυέτης). Mais Diphilos affirme dans ses Pédérastes : “Eh toi, verse à boire ; donne-nous donc, mon petit, un meilleur mélange (εὐζωρότερόν), par Zeus ; car l’excès d’eau en toute chose, voilà qui est nuisible à l’âme.” Et Théophraste, dans son traité Sur l’ivresse, dit que ζωρότερος est synonyme de κεκραμένος (mélangé), parce qu’il se fonde sur ces vers d’Empédocle : “Rapidement devint mortel ce qui auparavant avait su n’être qu’immortel et ζωρός (trouble) ce qui auparavant avait été ἄκρητος (sans mélange), parce que leurs chemins avaient bifurqué”. »

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En réalité, Athénée place dans la bouche de son personnage une citation qu’il tire, mais sans le dire, des Propos de table22 de Plutarque (V, 4, 677c-e) : Γελοῖος ἐδόκει τισὶ τῶν συνδειπνούντων ὁ Ἀχιλλεὺς ἀκρατότερον ἐγχεῖν τὸν Πάτροκλον κελεύων, εἶτ᾿ αἰτίαν τοιαύτην ἐπιλέγων “οἱ γὰρ φίλτατοι ἄνδρες ἐμῷ ὑπέασι μελάθρῳ”. Νικήρατος μὲν οὖν ὁ ἑταῖρος ἡμῶν ὁ Μακεδὼν ἄντικρυς ἀπισχυρίζετο μὴ ἄκρατον ἀλλὰ θερμὸν εἰρῆσθαι τὸ “ζωρὸν” ἀπὸ τοῦ ζωτικοῦ καὶ τῆς ζέσεως, ὃ δὴ καὶ λόγον ἔχειν, ἀνδρῶν ἑταίρων παρόντων νέον ἐξ ὑπαρχῆς κεράννυσθαι κρατῆρα· καὶ γὰρ ἡμᾶς, ὅταν τοῖς θεοῖς ἀποσπένδειν μέλλωμεν, νεοκρᾶτα ποιεῖν. Σωσικλῆς δ᾿ ὁ ποιητὴς τοῦ Ἐμπεδοκλέους ἐπιμνησθεὶς εἰρηκότος ἐν τῇ καθόλου μεταϐολῇ γίνεσθαι “ζωρά τε τὰ πρὶν ἄκρητα” μᾶλλον ἔφη τὸ εὔκρατον ἢ τὸ ἄκρατον ὑπὸ τοῦ ἀνδρὸς ζωρὸν λέγεσθαι καὶ μηδέν γε κωλύειν ἐπικελεύεσθαι τῷ Πατρόκλῳ τὸν Ἀχιλλέα παρασκευάζειν εὔκρατον εἰς πόσιν τὸν οἶνον· εἰ δ᾿ ἀντὶ τοῦ ζωροῦ “ζωρότερον” εἶπεν, ὥσπερ “δεξιτερὸν” ἀντὶ τοῦ δεξιοῦ καί “θηλύτερον” ἀντὶ τοῦ θήλεος, οὐκ ἄτοπον εἶναι· χρῆσθαι γὰρ ἐπιεικῶς ἀντὶ τῶν ἁπλῶν τοῖς συγκριτικοῖς. Ἀντίπατρος δ᾿ ὁ ἑταῖρος ἔφη τοὺς μὲν ἐνιαυτοὺς ἀρχαϊκῶς “ὥρους” λέγεσθαι, τὸ ζα μέγαθος εἰωθέναι σημαίνειν· ὅθεν τὸν πολυετῆ καὶ παλαιὸν οἶνον ὑπὸ τοῦ Ἀχιλλέως ζωρὸν ὠνομάσθαι. Ἐγὼ δ᾽ ἀνεμίμνησκον αὐτούς, ὅτι τῷ “ζωρότερον” τὸ θερμὸν ἔνιοι σημαίνεσθαι λέγουσι τῷ δὲ θερμοτέρῳ τὸ τάχιον· ὥσπερ ἡμεῖς ἐγκελευόμεθα πολλάκις τοῖς διακονοῦσι θερμότερον ἅπτεσθαι τῆς διακονίας. « Achille paraissait ridicule à certains convives pour avoir ordonné à Patrocle de verser un vin plus pur et pour en avoir ajouté une justification de cet ordre : “Ce sont de très chers amis qui se trouvent sous mon toit”. Il se trouvait que notre ami Nicératos de Macédoine soutenait à l’inverse que le terme ne désignait pas un vin “sans mélange” (ἄκρατος), mais un vin “ardent” (θερμός), sur la base de ζωτικός (vivifiant) et de ζέσις (ébullition), qu’il était assurément logique de renouveler le cratère, en présence d’amis, avec un autre mélange tempéré ; de fait, chaque fois que nous voulons offrir des libations aux dieux, que nous-mêmes faisions un nouveau mélange. Le poète Sosiclès rappela qu’Empédocle avait dit qu’au cours de la transformation universelle, ce qui avait été auparavant “sans mélange” (ἄκρητος) était devenu “trouble” (ζωρός) ; ce que le philosophe avait voulu dire par ζωρός, c’était “harmonieusement mélangé” (εὔκρατος) plutôt que “sans mélange” (ἄκρατος) ; alors rien n’interdisait qu’Achille enjoignît à Patrocle de préparer un vin “harmonieusement mélangé” pour qu’on puisse le boire ; et si Homère avait employé, à la place de ζωρός, ζωρότερος comme il emploie δεξιτερός à la place de δεξιός et θηλύτερος à la place de θῆλυς, ce n’était pas incongru, car il utilisait couramment le comparatif à la place du positif. Mon

22 Nous suivons le texte de F. Fuhrmann, Plutarque. Œuvres morales, Traité 46. Propos de table. Livres IV-VI, t. IX, 2, Paris, 1978. Sur certains des emprunts effectués par Athénée à l’œuvre de Plutarque, voir A. Berra, « Le Plutarque d’Athénée : masque, modèle et tradition », Pallas, 2005, LXVII, p. 139-152.

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ami Antipatros affirma que les années se disaient autrefois ὧροι et que l’élément ζα désignait habituellement une étendue. En conséquence, c’était un vin “vieilli pendant plusieurs années” (πολυέτης) qu’Achille avait qualifié de ζωρός. Quant à moi, je leur rappelais que certains prétendaient qu’avec ζωρότερος, on désignait quelque chose “d’ardent” (θερμός), mais que par “plus ardent” (θερμότερος), on voulait dire “plus rapide” (τάχιον), comme nous-mêmes nous invitons fréquemment nos serviteurs à s’attacher “plus ardemment” (θερμότερον) à leur service. » Plutarque revendiquait la nature aporétique de la question qui occupait ses convives et les propositions lexicales des uns et des autres relevaient d’un pur exercice de l’esprit où l’opinion et la vraisemblance l’emportaient sur toute revendication d’un savoir véritable. D’ailleurs, Plutarque n’invalidait aucune des hypothèses, pourtant fantaisistes, qui avaient été émises avant qu’il ne prît lui-même la parole : si l’adjectif ζωρότερος pouvait signifier « plus ardent », vouloir prouver cependant qu’il renvoyât à l’absence de mélange relevait, disait-il, d’une « bien puérile ambition » (Propos de table, V, 4, 677e : μειρακιώδη τήν φιλοτιμίαν) et le développement qu’il proposait par la suite, tout entier fondé sur les mœurs des héros d’Homère, le conduisait à une conclusion qui s’appuyait seulement sur une déduction23. C’est ce jeu de l’esprit, sans prétention savante, que refuse Ulpien chez Athénée. Les réflexions, purement récréatives, qu’on trouvait dans la bouche des personnages de Plutarque subissent, une fois reprises par le grammairien, l’addendum érudit des citations de Diphilos, de Théophraste et d’Empédocle. En recomposant le débat originel, Ulpien aboutit, quant à lui, à une vérité lexicale dont il revendique l’autorité et qu’il oppose aux réflexions, originellement facétieuses mais considérées désormais comme sérieuses, des personnages de Plutarque. Ulpien, dans son érudition, manque à sa qualité de convive et de véritable savant. De fait, à l’heure où l’on apporte les coupes, plus encore qu’à n’importe quel autre moment, l’esprit des convives de Larensis est bien loin d’être prêt à supporter de pareils développements et à endurer un débat de pure érudition. Et l’on profite qu’à court de souffle, Ulpien s’interrompe au milieu d’une nouvelle citation et boive une large rasade de vin, pour l’inviter plaisamment à se taire et à se verser encore et encore de nouvelles coupes24. Vient alors le véritable sujet de la discussion : comme les uns réclament une boisson où le vin sera peu coupé et que d’autres préfèrent qu’on y mette moitié d’eau,

23 Propos de table, V, 4, 678b : Διὰ ταῦτα δὴ πάντα λόγον εἶχεν αὐτὸν ἐννῆσαι… Les προϐλήματα de Plutarque tirent précisément leur intérêt de leur caractère aporétique, car ces questions insolubles permettent à l’esprit de s’exercer à la recherche des causes et au raisonnement, loin de tout exposé doctrinal, au sein d’une discussion qui conduit chacun à révéler ses dispositions pour la philosophie à partir de sujets de plus grande proximité. 24 Un convive complète avec malice une citation de Cléarque, qu’Ulpien n’a pas eu le temps d’achever (Deipn., X, 22, 425f-426a) : « Sur ces paroles, Ulpien vida sa coupe et déclara : “Eh bien moi, cette coupe, je ne lui accolerai pas plus d’une fois le qualificatif de pleine et je m’en vais la boire à la santé de mes proches, en témoignage de mon amitié”. Comme il buvait encore, l’un des convives présents continua les vers à sa place : “Quand j’aurai bu, je dirai le reste, car je suffoque. – Eh bien, reprends-en donc une rasade” ».

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on décide de tourner le dos aux trop sérieuses considérations d’Ulpien, car « tous furent d’avis de parler du mélange qu’on pratiquait au temps des Anciens » (Deipn., X, 27, 426b : ἔδοξε πᾶσι λέγειν περὶ τῶν κράσεων τῶν παρὰ τοῖς ἀρχαίοις). C’est le philosophe Démocrite qui se lance le premier. Et il est peu de dire que son discours tourne totalement le dos à la sèche érudition du grammairien25, tant est virtuose le jeu rhétorique auquel il s’adonne (X, 28, 426c-34, 429f). Dans un premier temps, Démocrite évoque les différentes proportions possibles entre le vin et l’eau. Il organise le catalogue de ses citations de manière à réduire progressivement la part de l’eau, jusqu’à parvenir au cas du vin pur. Il complète sa citation initiale d’Hésiode (Travaux, 596), qui préférait trois quarts d’eau pour un seul quart de vin, par deux références tirées de poètes comiques, Anaxilas et Alexis, qui évoquent une proportion similaire, mais pour la faire refuser par certains de leurs personnages. Cette modération d’Hésiode, conforme au proverbe « boire cinq ou trois mais non pas quatre » (ἢ πέντε πίνειν ἢ τρί᾽ ἢ μὴ τέτταρα), était celle de Palamède, si l’on en croit un vers d’Ion, ou encore celle de Dionysos, tel qu’on le voit, par exemple, chez Ameipsas et chez Eupolis réclamer cinq mesures d’eau pour deux de vin. Démocrite mentionne enfin Anacréon, qui se contente de deux mesures d’eau pour une de vin et fait ailleurs usage de vin pur. C’est bien ainsi que buvaient les Scythes, dit alors Démocrite en s’appuyant sur des citations d’Hérodote, du philosophe Chaméléon d’Héraclée et du poète tragique Achaios. La réduction progressive des proportions d’eau et de vin ne suffit pas à Démocrite pour conduire de manière parfaitement plaisante cette première partie de son discours. Car à chaque citation tirée des premiers temps, il ajoute une série de références qu’il trouve chez des auteurs du Ve et du IVe siècle en esquissant, dans l’ordonnancement de ses sources, un parallèle systématique entre les anciens Grecs et ceux qui viendront par la suite. Ce parallèle est le fondement même de son argumentation dont il fait, en réalité, tout le sel. Ainsi, quand il en vient, par la suite, à évoquer les circonstances dans lesquelles les Anciens consommaient du vin pur, Démocrite procède de façon symétriquement inverse : désormais une référence à Théophraste lui permet de mentionner que « le fait de porter des toasts avec une boisson non mélangée » (Deipn., X, 30, 427c-d : αἱ τῶν ἀκρατοποτῶν ἐπιχύσεις) était une pratique récente au IVe siècle et qu’on préférait originellement restreindre l’usage du vin pur aux libations qu’on offrait aux dieux. Puis on commença à en user au moment de jouer au cottabe, ce que montrent deux nouvelles citations d’Anacréon et de Pindare. Et, pour souligner que « les Anciens ne cherchaient pas l’ivresse » (Deipn., X, 31, 427f : οὐκ ἐμέθυον δ᾽ οἱ πάλαι), Démocrite se remémore le conseil de modération que le sage Périandre donnait à Pittacos, pour espérer, dans le vin, être vu tel qu’il

25 Cette opposition entre les deux discours d’Ulpien et de Démocrite est mise en relief dans le récit d’Athénée par la répétition d’une même situation : comme son prédécesseur, Démocrite s’interrompt pour boire un verre de vin, mais personne ne vient s’interposer, alors même qu’il invite qui le voudrait à lui porter la contradiction : « Quiconque peut infirmer ces arguments est le bienvenu » (Deipn., X, 35, 429f : Τούτοις εἴ τις ἀντιλέγειν ἔχει, παρίτω).

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le désirait et non tel qu’il était vraiment. Ce conseil est redoublé par une citation d’Eschyle et par un nouveau proverbe « le vin n’a guère de gouvernail » (τὸν οἶνον οὐκ ἔχειν πηδάλια), puis par une série de sentences, trouvées chez Xénophon, Sophocle, Sthénélos et Phocylide, qui toutes disent les méfaits de l’ivresse en jouant d’antithèses plaisantes « le vin pousse le vieillard, même contre sa volonté, à danser » (οἶνος ἄνωγε γέροντα καὶ οὐκ ἐθέλοντα χορεύειν) ; « le vin conduit même les plus sages à perdre leur sagesse » (οἶνος καὶ φρονέοντας ἐς ἀφροσύνας ἀναϐάλλει). La dernière citation, celle de Phocylide, indique qu’il faut, « quand vient la ronde des coupes » (κυλίκων περινισομενάων), rester « assis » (καθήμενον) pour boire « tout en bavardant plaisamment » (ἡδέα κωτίλλοντα). Cette remarque du poète élégiaque conduit Démocrite à opposer la modération originelle des Grecs et leur prochain amollissement (Deipn., X, 31, 428b) : Ἔτι δὲ καὶ νῦν τοῦτο παραμένει παρ᾽ ἐνίοις τῶν Ἑλλήνων. Ἐπεὶ δὲ τρυφᾶν ἤρξαντο καὶ χλιδῶσι, κατερρύησαν ἀπὸ τῶν δίφρων ἐπὶ τὰς κλίνας καὶ λαϐόντες σύμμαχον τὴν ἀνάπαυσιν καὶ ῥᾳστώνην ἀνειμένως ἤδη καὶ ἀτάκτως ἐχρῶντο τῇ μέθῃ, ὁδηγούσης οἶμαι τῆς παρασκευῆς εἰς τὰς ἡδονάς. « Cet usage [de dîner assis] se maintient encore de nos jours chez quelques Grecs bien rares ; mais puisqu’ils se sont mis à jouer les délicats et qu’ils se comportent en mollassonnes, ils ont abandonné leurs chaises pour se lover sur leurs banquettes et, avec la trêve et la douceur de vivre pour alliées, ils se sont mis, sans frein désormais ni discipline, à s’abandonner à l’ivresse parce que leurs apprêts, à mon avis, leur ont ouvert le chemin du plaisir. » Ce dérèglement des mœurs n’est plus celui que trouve Démocrite lors du banquet de Larensis, car on sait y bavarder, depuis sa chaise et avec la modération qu’ont autrefois louée Hésiode, Théognis et Anacharsis. C’est en effet avec ces trois Anciens qu’il prolonge sa réflexion, puisant chez eux l’idée que l’excès de vin s’oppose à la raison et que rien ne vaut la mesure. Démocrite revient alors à son point de départ, mais avec un bel effet de variation : désormais Anacharsis se réjouit que la vigne n’ait pas atteint les territoires des Scythes, qui sont donc préservés des excès dont ils avaient été affublés dans la première partie du parallèle. Quant à Hésiode, il permet de réintroduire l’image d’un Dionysos qui, contrairement aux premières citations, n’est plus synonyme de mesure, mais apporte aux hommes « querelles et fardeaux » (χάρμα καὶ ἄχθος). En résumé, Démocrite s’amuse, en empruntant la voix des autres, à passer de l’évocation de la mesure à celle de l’excès, puis à revenir de l’excès vers la mesure, et à pimenter la circularité de son propos avec des références qui, pour défendre une position identique, au début et à la fin de son développement, s’infirment néanmoins elles-mêmes. Chaque moment de son exposé est construit selon le principe rhétorique du parallèle, qui permet d’opposer les anciennes mœurs des Grecs à ce qu’elles sont devenues par la suite, sans lourdeur argumentative mais grâce au seul agencement des références littéraires. Les citations en elles-mêmes n’ont pas d’intérêt véritable si on les considère isolément les unes des autres. Leur choix par Démocrite est tributaire de la brillantine rhétorique qu’il veut donner à son discours, aux parallèles qu’il veut

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créer, aux antithèses, aux paradoxes, aux échos dont il entend jouer. Démocrite est un érudit, mais un érudit qui, contrairement à Ulpien, abandonne le sérieux qui pourrait être le sien dans un cénacle de savants, pour se livrer au plaisir d’un exposé dont les facéties virtuoses savent égayer ses compagnons de banquet, comme le notait Masurius à propos des convives de Ménélas26. Cet art de la dispositio27 ne concerne pas le seul discours de Démocrite. Comme Athénée a imaginé, pour l’un de ses orateurs dans la première partie du livre, un catalogue de gloutons (Deipn., X, 1-10, 411a-417b)28, il fait de Démocrite, dans la seconde partie, l’auteur d’une liste de buveurs immodérés (Deipn., X, 42-60, 433b-443c). Et après avoir dénoncé les excès de la table (Deipn., X, 18, 421a-422d), il place dans la bouche de Pontien une même dénonciation de l’ivrognerie (Deipn., X, 61-63, 443c-445b)29. En réalité, l’ordonnancement de tous les discours correspond précisément au programme qu’Athénée définit pour Timocrate, dans l’introduction du Xe livre, en empruntant lui-même la voix du poète tragique Astydamas (Deipn., X, 1, 411a) : Ἀλλ᾽ ὥσπερ δείπνου γλαφυροῦ ποικίλην εὐωχίαν τὸν ποιητὴν δεῖ παρέχειν τοῖς θεαταῖς τὸν σοφόν, ἵν᾽ ἀπίῃ τις τοῦτο φαγὼν καὶ πιών, ὅπερ λαϐὼν χαίρει , καὶ σκευασία μὴ μί᾽ ᾖ τῆς μουσικῆς. « Eh bien, il faut que ce soit un régal varié, comme celui d’un banquet délicat, que le poète, s’il est habile, présente aux spectateurs, afin que chacun ne s’en reparte qu’après avoir mangé et bu ce dont il aime être servi et que la recette de sa poésie ne reste pas sans nuances. » Ce n’est donc ni le nombre ni la précision des citations qui fait la spécificité des Deipnosophistes, mais leur agencement en des développements qui répondent au principe de cette ποικίλη εὐωχία. La mise en tension permanente de types de discours

26 Voir, notamment, D. Bouvier, « Usage et autorité de l’épopée homérique chez Athénée », dans D. Lenfant (éd.), Athénée et les fragments d’historiens. Actes du colloque de Strasbourg (16-18 juin 2005), Paris, 2007, p. 305-320. 27 Voir, sur ce point, L. Bruit, P. Schmitt Pantel, « Citer, classer, penser. À propos des repas des Grecs et des repas des autres dans le livre IV des Deipnosophistes d’Athénée », AION (archéol.), 1986, VIII, p. 203-221 ; D. Hansen, « Μέγα βιϐλίον - μέγα κακόν : wie bändigt Athenaios sein Material ? », dans R. Piccione, M. Perkams (éd.), « Selecta colligere ». 2 : Beiträge zur Technik des Sammelns und Kompilierens griechischer Texte von Antike bis zum Humanismus, Alexandrie, 2006, p. 79-96 ; Ch. Jacob, « La citation comme performance dans les Deipnosophistes d’Athénée », dans C. Darbo-Peschanski (éd.), La citation dans l’Antiquité. Actes du colloque du PARSA Lyon, ENS LSH, 6-8 novembre 2002, Grenoble, 2004, p. 147-174 ; Y. Scolan, « Les jeux du dialogue dans les Deipnosophistes, ou la littérature recomposée », dans S. Dubel, S. Gotteland (éd.), Formes et genres du dialogue antique, Bordeaux, 2015, p. 165-178. 28 Cette première partie du parallèle est elle-même redoublée par l’opposition que ménage l’orateur du moment entre celles des cités grecques qui se laissèrent aller à la gloutonnerie (Deipn., X, 11-12, 417b-418e) et les Égyptiens, à l’exception des habitants d’Alexandrie, qui font preuve de frugalité (Deipn., X, 13-17, 418e-421a). 29 Le parallèle fait lui-même l’objet d’une variation rhétorique, car le discours de Démocrite commence par là où finissait le précédent orateur.

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opposés, comme c’est le cas de ceux de Cynulque, d’Ulpien et de Démocrite, permet de percevoir dans les Deipnosophistes la volonté de promouvoir un idéal pédagogique qui est fondé sur la recherche, l’art de la disposition et les jeux de l’esprit, plutôt que sur l’exposé de savoirs érudits. Tout en revendiquant pour modèles les banquets d’Homère, Athénée est, en ce sens, l’héritier et le continuateur du Plutarque des Propos de table. Yannick Scolan C. P. G. E. littéraires Paul Valéry (Paris), Membre associé d’EDITTA (EA 1491)

Bibliographie A. Berra, « Le Plutarque d’Athénée : masque, modèle et tradition », Pallas, LXVII, 2005, p. 139-152. D. Bouvier, « Usage et autorité de l’épopée homérique chez Athénée », dans D. Lenfant (éd.), Athénée et les fragments d’historiens. Actes du colloque de Strasbourg (16-18 juin 2005), Paris, 2007, p. 305-320. L. Bruit, P. Schmitt Pantel, « Citer, classer, penser. À propos des repas des Grecs et des repas des autres dans le livre IV des Deipnosophistes d’Athénée », AION (archéol.), 1986, VIII, p. 203-221. H. Erbse, Scholia Graeca in Homeri Iliadem. Scholia vetera, Berlin, 1969, vol. 1. F. Fuhrmann, Plutarque. Œuvres morales, Traité 46. Propos de table. Livres IV-VI, t. IX, 2, Paris, 1978. D. Gilula, « Stratonicus, the Witty Harpist », dans D. Braund, J. Wilkins (éd.), Athenaeus and his World. Reading Greek Culture in the Roman Empire, Exeter, 2000, p. 423-433. D. Hansen, « Mέγα βιϐλίον - μέγα κακόν : wie bändigt Athenaios sein Material ? », dans R. Piccione, M. Perkams (éd.), « Selecta colligere ». 2 : Beiträge zur Technik des Sammelns und Kompilierens griechischer Texte von Antike bis zum Humanismus, Alexandrie, 2006, p. 79-96. Ch. Jacob, « La citation comme performance dans les Deipnosophistes d’Athénée », dans C. Darbo-Peschanski (éd.), La citation dans l’Antiquité. Actes du colloque du PARSA Lyon, ENS LSH, 6-8 novembre 2002, Grenoble, 2004, p. 147-174. G. Kaibel, Athenaei Naucratitae Dipnosophistarum libri XV, 3 vol., Leipzig, 1887-1890, réimp., Stuttgart, 1985 et 1992. Y. Scolan, « Les jeux du dialogue dans les Deipnosophistes, ou la littérature recomposée », dans S. Dubel, S. Gotteland (éd.), Formes et genres du dialogue antique, Bordeaux, 2015, p. 165-178. R. Stoneman, « You Are What You Eat. Diet and philosophical diaita in Athenaeus’ Deipnosophistae », dans D. Braund, J. Wilkins (éd.), Athenaeus and his World. Reading Greek Culture in the Roman Empire, Exeter, 2000, p. 413-422. P. Zepos, « Kειτούκειτος και Tιπούκειτος », EHHD (Ἐπετηρὶς τοῦ Kέντρου Ἐρεύνης τῆς ῾Iστορίας τοῦ Ἑλληνικοῦ Δικαίου), 1976, XXIII, p. 157-174.

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Résumés

Première partie : les professeurs, statut social et rôle culturel Ewen L. Bowie, Les grammairiens grecs dans l’Empire romain Cet article propose un aperçu de la place des grammatici grecs dans l’Empire romain. À partir du constat qu’il n’existe pas pour les grammairiens grecs d’œuvre équivalente à celle de Suétone sur les grammatici latins ou de Philostrate sur les sophistes grecs, l’étude rassemble des documents épigraphiques et littéraires (par exemple, des textes de Strabon, Suétone, Aelius Aristide sur Alexandros de Cotiaeon ou des extraits de la Souda) pour esquisser les contours de leur enseignement, de leurs origines sociales et de leur statut professionnel, mais aussi des origines de leurs élèves et de leurs relations avec ceux-ci, des activités liées à leur expertise dans le domaine de la littérature comme les epideixeis (attestées à Delphes par exemple), l’histoire et la poésie écrite. En dernier lieu, il apparaît que les grammatikoi jouaient un rôle capital dans la préservation de la culture grecque dans les cités de l’Empire. Mots-clés : grammatici, grammatikoi, empereur, epideixis, élève, rhetôr, esclave, fortune Jean-Luc Vix, Le grammairien Alexandros de Cotiaeon titulaire d’une chaire d’enseignement ? À propos du verbe δημοσιεύειν (Aelius Aristide, Or. 32, 12) Le célèbre rhéteur Aelius Aristide suivit dans sa jeunesse l’enseignement du grammairien Alexandros de Cotiaeon. Ce dernier, par la suite, termina sa carrière à la cour impériale, devenant le précepteur du futur empereur Marc Aurèle. Au moment du décès d’Alexandros, Aristide lui rendit un dernier hommage dans une lettre sous forme d’oraison funèbre qu’il envoya au sénat de la cité de Cotiaeon (Or. 32 K). Au §  12 de son discours, le verbe δημοσιεύειν pourrait laisser entendre qu’Alexandros a occupé une chaire d’enseignement à Rome dans les dernières années de sa vie, élément qui n’est mentionné dans aucune autre source de l’Antiquité. Une enquête sur ce passage nous incite à mettre en parallèle le texte d’Aristide avec plusieurs œuvres datant des i-ive s. ap. J.-C. pour tenter de circonscrire le sens du verbe δημοσιεύειν dans des contextes plus ou moins similaires. Or, même si aucune certitude ne peut être dégagée, il en ressort que ce mot, la plupart du temps, évoque l’occupation d’un emploi public, rétribué soit par une municipalité, soit par des subsides impériaux. Peut-être est-ce une pièce supplémentaire à verser dans le dossier des titulaires de chaires publiques d’enseignement aux premiers siècles de notre ère. Mots-clés  : Aelius Aristide, grammairien, grammatikos, chaires d’enseignement, rhétorique, oraison funèbre

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Anne-Marie Favreau-Linder, Enquête sur le salaire et les ressources des sophistes d’après les Vies des Sophistes de Philostrate Les Vies des sophistes de Philostrate sont un témoignage majeur sur les sophistes grecs du Haut-Empire, et notamment sur la question particulière du salaire qu’ils pouvaient retirer de leur activité rhétorique. Pour autant les informations données sont parcellaires et souvent évasives, aussi n’est-il pas toujours facile de les interpréter. Le présent article s’efforce de réunir ces informations et, à la lumière d’autres témoignages, de résoudre certaines questions portant sur les modalités de leur rémunération et la part de ces gains dans la fortune globale de ces intellectuels. Par ailleurs, les sophistes eux-mêmes et leur biographe, Philostrate, font du salaire un élément qui contribue à la construction de leur image publique et à l’affichage d’un certain statut culturel et social. Mots-clés : Seconde sophistique, Philostrate, sophiste, enseignant, salaire, revenus Eric Perrin-Saminadayar, Chaires municipales, chaires impériales : ascension sociale et mobilité géographique des titulaires des chaires athéniennes La création à Athènes de chaires de philosophie et de rhétorique généreusement financées par le fisc impérial n’a pas profondément modifié le recrutement ou la carrière des bénéficiaires : la mobilité géographique qui caractérise le milieu des passeurs de culture sous l’Empire ne s’accompagne pas d’une mobilité sociale et ne permet guère de mettre en évidence une « carrière » professorale, le recrutement se faisant déjà dans le monde très fermé des notables déjà bien installés et restant très lié à la faveur impériale. Mots-clés : Athènes impériale, philosophie, rhétorique, mobilité, notables, carrière professorale Marie Dallies, Les conditions d’exercice des rhéteurs africains sous le Haut-Empire romain  : quelques éléments Grâce aux sources épigraphiques et textuelles, nous avons conservé le nom d’une petite dizaine de rhéteurs africains, qui soit sont originaires de cette région, soit y exercent. L’étude de leur carrière nous permet de tirer quelques enseignements sur le statut social de ces personnages, sur leur rémunération ainsi que sur leur mobilité. Mots-clés  : Afrique, Haut-Empire, rhéteur, statut social, géographie Bernard Legras, Les rhéteurs grecs dans l’Égypte romaine  : des intellectuels sur le déclin  ? Il s’agit de discuter l’éventuel déclin de l’art de la rhétorique et de son enseignement à Alexandrie et dans la chôra égyptienne sous le Haut Empire. L’étude s’intéresse aux rhéteurs d’Alexandrie, puis à ceux de la chôra, afin de déterminer leur rôle social et culturel. Les sources littéraires (en particulier les Vies des Sophistes de Philostrate), les documents épigraphiques et papyrologiques, montrent que la pratique de l’éloquence

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d’apparat et de l’éloquence judiciaire est bien attestée. La rhétorique grecque joue un rôle dans la vie politique lors des débats des Conseils des cités grecques de la chôra et dans l’opposition des élites alexandrines à la domination romaine. Mots-clés  : gymnase, bibliothèque, Musée d’Alexandrie, grammairien, rhéteur, philosophe, sophiste Madalina Dana, Peut-on être sophiste dans le Pont-Euxin ? Philosophie, rhétorique et périphérie La diffusion de la culture grecque dans tous les espaces de l’Empire a fait que des régions considérées comme étant en marge de l’œcoumène ont été touchées et ont participé au phénomène culturel qui caractérisait cette période, la Seconde Sophistique. Bien que les représentants du Pont-Euxin n’aient pas fait partie du cercle restreint des détenteurs des chaires philosophiques et rhétoriques, certains d’entre eux sont néanmoins des figures marquantes du courant sophistique. Ils l’ont façonné à leur image, une image qui n’était pas dépourvue de certaines excentricités rappelant leur origine. Mots-clés : Pont-Euxin, sophiste, philosophe, périphérie, Empire, élites, Seconde Sophistique Onno M. van Nijf, Les entraîneurs sportifs comme passeurs de culture Quand on parle de la culture grecque, il est d’usage de ne considérer que les produits de la culture intellectuelle comme l’art, la littérature et la philosophie, qui ont été les sujets d’étude favoris des savants. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la paideia grecque a toujours comporté une dimension physique et sportive, centrée sur l’agôn (le concours), la chasse et surtout sur le gymnase. Dans ce haut lieu de la vie civique, des experts dans différentes activités préparaient les jeunes hommes à leur rôle de citoyens, suivant un programme exigeant de formation physique. Dans cet article nous étudierons les entraîneurs et autres spécialistes du corps, ainsi que leurs activités. Qui étaient les entraîneurs ? Comment étaient-ils désignés ? Que faisaient-il ? Que pouvons-nous connaître de leur statut social ? Il ressort d’une telle analyse que les entraîneurs étaient importants, voire même indispensables, comme passeurs de la culture (physique) grecque. Mots-clés  : sport, paideia, gymnase, agôn, corps, concours, entraîneur

Deuxième partie : Lieux et pratiques d’enseignement Maria Paz De Hoz, Les Mouseia en Asie Mineure : espaces publics de culture et institutions éducatives Le but de cet article est d’analyser les sources disponibles concernant les Mouseia d’Asie Mineure. Ceux-ci ne sont pas attestés par les sources littéraires mais apparaissent

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dans les inscriptions d’Ephèse, Pergame, Smyrne, Magnésie-du-Méandre, Mylasa, Stratonicée, Antioche-de-Pisidie, Pergè, Sidè, Halicarnasse et Tavium en Galatie. La documentation est analysée de manière à déterminer quels Mouseia parmi ceux qui sont cités renvoient au Musée d’Alexandrie, quels autres évoquent un Mouseion local ; et dans ce dernier cas, si le Mouseion désigne une institution, un espace public, une association ou quoi que ce soit d’autre. Cette documentation est adossée au contexte intellectuel des cités grecques à l’époque du règne de l’empereur philhellène Hadrien et du mouvement culturel de la Seconde Sophistique. Mots-clés : Mouseion, Musée d’Alexandrie, institutions locales, éducation, intellectuels, Asie Mineure, Seconde Sophistique Bruno Rochette, Les Grecs ont-ils étudié le latin dans l’Antiquité  ? Quelques témoignages littéraires et épigraphiques datant du Haut-Empire Alors que l’on connaît bien la place occupée par le grec dans la société romaine et le système éducatif de Rome, le statut du latin dans le monde grec et son enseignement comme langue étrangère pour les hellénophones sont moins bien documentés. La majorité des témoins que nous possédons à ce sujet date du Bas-Empire et de la période byzantine. Pour le Haut-Empire, les témoignages relatifs à un éventuel enseignement de latin en terre grecque sont rares et difficiles à interpréter. Dans cet article, je rassemble les textes littéraires (principalement Aulu-Gelle), les données épigraphiques et les mentions éparses de rhéteurs grecs bilingues (?) pour étayer l’hypothèse que les Grecs ont manifesté un intérêt pour le latin dès le début de l’époque impériale et qu’un enseignement de latin a pu exister dans le monde grec assez tôt, même si le rôle de Rome comme centre intellectuel reste capital jusqu’à la fondation de Constantinople. Mots-clés : enseignement du latin, Haut-Empire, Imperium Romanum, Aulu-Gelle, inscriptions, rhéteur, grammairien Sophie Conte, Perspectives pédagogiques chez Quintilien : exercere, erxercitare et exercitatio dans l’Institution oratoire Quintilien incite continuellement le futur orateur à s’exercer pour s’approprier ses conseils, en usant notamment des mots exercere, exercitare et exercitatio. Afin de mieux apprécier la richesse pédagogique de sa démarche, qui met l’exercice au cœur de la formation, tout au long de la vie, nous précisons d’abord la signification de ces termes, qui varie en fonction des emplois grammaticaux. Nous envisageons à part l’exercice du corps et les comparaisons et métaphores qui s’y rattachent. Enfin, nous considérons le sens de ces mots en réseau, quand ils côtoient natura et ars, studium ou encore usus et consuetudo. Mots-clés  : Quintilien, Institution oratoire, pédagogie, exercice

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Laurent Pernot, Les traités VIII et IX de la Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse  : un cours de littérature grecque sous l’Empire romain La présente contribution propose une vue d’ensemble du recueil composite connu comme la Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse, puis se concentre sur les traités VIII et IX (Sur les discours figurés I et II). Par «  discours figuré  », les rhétoriciens antiques entendaient les cas dans lesquels un orateur use de faux-semblants pour déguiser son intention, en tenant un langage détourné afin d’arriver au point où il veut parvenir. Ces deux traités constituent l’étude la plus approfondie qui soit conservée sur cet important sujet. L’analyse fait apparaître des éléments de parallélisme entre les deux textes, mais aussi des différences. L’hypothèse la plus probable est qu’il s’agit de notes prises par des étudiants sur un même cours. Différents témoignages grecs et latins permettent d’étayer et de préciser cette hypothèse. L’angle sous lequel le professeur anonyme a choisi d’aborder le «  discours figuré  » est celui de la littérature, en étudiant les œuvres des Anciens. Sa conception de l’enseignement était fondée sur la paideia et la mimêsis. La réalité contemporaine et les applications pratiques de la technique du discours figuré n’entraient pas dans ses préoccupations. À ses yeux, l’école était un monde séparé des problèmes de la vie et dédié à la culture hellénique et à l’intelligence. À l’instar de Démétrios dans le traité Peri hermeneias et de l’Hermogène du Peri ideôn, l’auteur ne limitait pas la rhétorique à l’art de composer des discours oratoires, et il l’étendait à l’analyse du discours et à la critique littéraire. Mots-clés  : classicisme, critique littéraire, discours figuré, enseignement, grec, rhétorique Sylvain Perrot, Un passeur de culture musicale : Nicomaque de Gérasa Cet article étudie un exemple de transmission du savoir musical dans l’Orient romain à travers le Manuel d’harmonique de Nicomaque de Gérasa, philosophe néo-pythagoricien des ier-iie siècles de notre ère. Ce texte, une lettre adressée à une femme anonyme de culture grecque appartenant à la haute société romaine, est un exposé de théorie musicale méthodique fondé sur un aide-mémoire qui se veut pédagogique, malgré la difficulté des matières enseignées. On devine en filigrane un professeur de théorie harmonique itinérant, présentant aussi bien des rapports mathématiques que des réflexions sur la facture des instruments de musique. Mots-clés : Nicomaque de Gérasa, musique, harmonique, philosophie, pythagorisme, instrument, science grecque Catherine Bry, Libanios et les lois de l’école La récurrence du terme νόμος dans les discours scolaires de Libanios révèle l’existence, au sein de sa classe, d’un véritable «  règlement intérieur  ». Nous établirons deux typologies distinctes de ces «  lois  », selon leur nature ou, de façon à offrir une reconstitution du règlement, selon leur champ d’application. Nous nous interrogerons

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ensuite sur la portée exacte de ce règlement de manière à déterminer si d’autres que Libanios étaient susceptibles de l’appliquer. Enfin, nous examinerons la dimension rhétorique de l’argument du νόμος, surtout présent dans certains types de textes. Mots-clés  : Libanios, classe, école, règlement, lois Mathilde Cambron-Goulet, Enseignement et construction identitaire dans les Vies d’Eunape de Sardes Les Vies de philosophes et de sophistes d’Eunape de Sardes constituent un témoignage important relativement au fonctionnement des écoles philosophiques, sophistiques et médicales de l’Antiquité tardive. Toutefois, le vocabulaire utilisé pour décrire les cours, les enseignants et les élèves, plutôt que de mettre en relief les particularités propres à chaque école ou à chaque discipline, indique plutôt que ces enseignements sont indistincts. Ainsi, Eunape construit une image unifiée de l’élite intellectuelle de son temps, et revendique son appartenance à un réseau marqué par des relations professionnelles, amicales et familiales. Mots-clés  : Eunape de Sardes, enseignants, élèves, écoles, identité, histoire intellectuelle

Troisième partie : Écrivains passeurs de savoirs Maud Pfaff-Reydellet, Ovide fut-il un passeur de la culture philosophique grecque dans la Rome d’Auguste ? Dans les Métamorphoses et les Fastes, Ovide accorde une place importante à la cosmogonie et aux lois de la nature. Il transforme ainsi l’héritage lucrétien, en le relisant à la lumière de l’enseignement d’Empédocle. L’évocation d’un savoir est liée, chez Ovide, à un plaisir esthétique intense. Ce n’est pas un système philosophique constitué qui est transmis aux lecteurs, comme un savoir figé, mais plutôt une invitation à s’interroger sur les mystères et les merveilles du monde, et à construire ainsi leur propre cheminement. Il ne s’agit pas d’un jeu frivole, d’une fantaisie singulière, mais bien d’une construction mythologique qui a une dimension politique et collective. Mots-clés : cosmogonie, physique, Empédocle, Pythagore, uates, figure exemplaire, merveilles (mirabilia), savoir Frédéric Le Blay, Sénèque naturaliste De même que la philosophie romaine fut longtemps considérée comme une pâle copie de son inspiratrice grecque, la figure de Sénèque fut souvent réduite à celle du moraliste, vulgarisateur talentueux du versant éthique du stoïcisme. Son œuvre embrasse cependant une ambition plus large et la figure du savant naturaliste doit

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aussi être mise en avant si l’on veut rendre au philosophe le juste hommage qu’il mérite. Ses Questions sur la nature, souvent négligées, témoignent de l’importance qu’il accordait à la spéculation théorique et à la transmission des connaissances les plus pointues. Mots-clés : doxographie, Sénèque, météorologie, morale, science, stoïcisme Alexandre Blaineau, Plutarque, un passeur de la culture équestre grecque Plutarque est reconnu pour être l’un des plus importants passeurs de la culture grecque. Parmi ses multiples centres d’intérêt, l’art équestre mérite une analyse particulière. En effet, Plutarque semble avoir lu l’œuvre de Xénophon consacrée à ce sujet et en avoir tiré une réflexion morale et politique. Il utilise ainsi certains aspects de la formation équestre grecque comme la fermeté, la douceur, et la maîtrise de soi, afin de mettre en valeur les qualités de grands hommes comme Alexandre et Jules César, qui durent une grande part de leur autorité au fait qu’ils étaient d’excellents cavaliers. Mots-clés : Plutarque, Xénophon, culture équestre, Alexandre, Bucéphale, Jules César Elias Koulakiotis, La transmission des savoirs géographiques par les auteurs de la seconde sophistique : Arrien et l’Inde Dans sa description de l’Inde, Arrien ne semble pas prendre en compte les dernières connaissances acquises par la géographie de son temps concernant le sous-continent indien. Toutefois, plutôt qu’une lacune, il s’agit d’un choix délibéré de sa part. Sa description présente le paysage indien selon des catégories géographiques et ethnographiques familières aux Romains et à ses contemporains, dans un esprit conforme aux courants littéraires de son temps et à l’idéologie de l’Empire. Mot-clés : géographie, Inde, Empire romain, Seconde Sophistique, mémoire Anne-France Morand, Galien et la paideia Cet article aborde la question de la paideia chez Galien sous trois angles. Tout d’abord, sont discutés les passages relatant l’excellente éducation et formation que lui-même a reçues. Ces textes sont essentiels pour la construction de la persona du médecin idéal, et révèlent également les théories éducatives de Galien. Une seconde section, tirée en partie des mêmes extraits que la première, est dédiée aux théories de Galien sur la nature, sur l’éducabilité et l’éducation des enfants. À ses yeux, il est fondamental de modeler les âmes des jeunes de manière à ce que les passions ne s’y installent pas de manière permanente. Une troisième partie concerne les traités du médecin dédiés à ses propres livres. Dans son œuvre auto-bibliographique, il présente un ordre de lecture de ses propres traités qui peuvent être lus comme une paideia des lecteurs et des futurs médecins. Cette éducation fait partie des buts que

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Galien s’assigne, celui de conférer à la médecine sa juste place dans la cité, dans la culture et dans l’éducation. Mots-clés : Galien, passions, âme, éducation, médecin, persona, lecteur, narration à la première personne

Quatrième partie : Représentations de figures d’enseignants Lucia Floridi, Les passeurs de culture dans l’épigramme satirique grecque Cette contribution explore la représentation des passeurs de culture dans l’épigramme satirique grecque des ier-ive siècles ap. J.-C. Les auteurs satiriques décrivent tantôt les vices des grammairiens, rhéteurs, etc. (principalement l’ignorance, la pédanterie, la sottise), tantôt les difficultés, surtout économiques, liées à ces professions. Étant donné que les épigrammatistes sont généralement eux-mêmes des passeurs de culture, ces textes nous permettent de vérifier les formes de l’autoreprésentation de certains hommes de lettres. Au-delà des stéréotypes, de la déformation satirique et de la caricature, ils représentent donc des témoignages importants face aux problèmes liés à l’exercice des professions culturelles à l’âge impérial. Mots-clés : épigramme satirique grecque ; grammairiens ; rhéteurs ; ignorance ; pauvreté ; autoreprésentation Catherine Notter, Aspects et enjeux de la représentation des figures d’enseignants dans les Épigrammes de Martial Les enseignants sont présentés sous un jour volontiers critique dans l’œuvre de Martial. Dans ses épigrammes sur les maîtres d’école, le poète insiste notamment sur la sévérité et la propension aux coups de ces derniers. Quant aux grammairiens et aux rhéteurs, dont l’enseignement est présenté comme peu profitable à ceux qui suivent ces études face à la montée en puissance des nouveaux riches, plusieurs épigrammes mettent en lumière leurs travers ou leur incompétence. Plutôt que sur un enseignement scolaire qui apparaît dans les Épigrammes comme rébarbatif et purement académique, Martial, fort de son succès auprès du public, semble compter sur ses lecteurs pour assurer la transmission et la survie durable de son œuvre. Mots-clefs : Martial ; épigramme latine ; maître d’école ; ludi magister ; grammairien ; grammaticus ; rhéteur Marine Glenisson, Bonimenteurs et marchands de savoirs : les images du profit et l’enseignement de la philosophie dans la littérature grecque du Haut-Empire Durant la Seconde Sophistique, la paideia (comme éducation et culture) devient un enjeu pour l’élite cultivée de l’Empire romain, et les jeunes gens fortunés accourent

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non seulement chez les sophistes et rhéteurs pour parfaire leur éducation, mais aussi chez les philosophes, pour qui l’enseignement des doctrines de leurs sectes devient alors un métier lucratif. Cet article vise à étudier la critique adressée par les écrivains moralistes du Haut-Empire (ier-iiie siècles ap. J.-C.) à certains philosophes appâtés par le profit qu’ils peuvent retirer des jeunes gens, telle qu’elle s’exprime à travers les images qui présentent l’enseignement philosophique comme une vente de savoirs, assimilés à des marchandises. Ce motif remonte à l’époque classique et a été appliqué par Platon et Aristophane aux sophistes. Les variations sur ce thème permettent aux auteurs de l’époque impériale de faire eux aussi des philosophes qui enseignent de vains mots de simples « sophistes » ; ils profitent du goût pour l’argent et de la soif d’ambition des jeunes gens de l’élite, pour qui la philosophie n’est qu’un moyen parmi d’autres de s’élever. Les variations sur ce motif sont nombreuses et s’expriment, sur le mode satirique, à travers des textes tant philosophiques que comiques ou moraux. La profusion et la variété des images permettent finalement de dénoncer un enseignement dysfonctionnel et traître à l’idéal de vie bonne qui anime la philosophie impériale, ainsi que l’a bien montré P. Hadot. Outre cette critique, cependant, se lisent en creux les modalités et le but d’une bonne éducation philosophique, qui exige une réciprocité et un accord entre le maître et le disciple à aller tous deux vers la vertu, et une mise en application au quotidien de l’enseignement reçu. Ainsi la critique permise par l’image donne-t-elle une force nouvelle aux réflexions des philosophes et moralistes sur le but et la définition même de ce que signifie pour eux philosopher. Mots-clés : philosophe, sophiste, représentation, marchand, enseignement, profit Sophie Lalanne, La sagesse des anciens. Sur la transmission orale des savoirs dans le roman grec ancien Le caractère savant, voire érudit, des cinq romans grecs d’amour et d’aventure qui nous ont été conservés dans leur intégralité, ainsi que l’importance dans ces romans du thème de la paideia en général et de l’éducation des héros et des héroïnes en particulier, pourraient laisser penser que les figures d’enseignants y figurent en bonne place. En réalité, leur absence du monde social dépeint dans les romans est un fait remarquable dont il faut essayer de rendre compte. On étudiera pour cela le contenu des savoirs transmis et les modalités de cette transmission. Or, le plus souvent, le savoir qui se transmet dans les romans grecs est un savoir sur la puissance de l’amour et d’Eros, et sa transmission revêt la forme de l’oralité. Ainsi les « passeurs » de cette culture tantôt savante, tantôt populaire sont-ils dotés des traits moraux et physiques qui caractérisent le plus souvent les représentants de la sagesse chez les Grecs, en premier lieu la vieillesse et une identité masculine, indépendamment du milieu social auquel ils appartiennent : ce sont des hommes âgés et sages, qui nous rappellent notamment à quel point était importante encore à l’époque impériale la part de l’oralité dans la transmission des savoirs et des connaissances. Mots-clés : roman grec, oralité, Eros, amour, sagesse, vieillesse

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Yannick Scolan, Athénée pédagogue, ou le refus de la vaine érudition Athénée met ses personnages à l’épreuve des usages symposiaques tout en démasquant dans la bonne humeur les faux savants. Les convives de Larensis se moquent souvent des philosophes et de leur hypocrite ascétisme, qui fait ressortir la vacuité de leurs savoirs, et ils réduisent au silence le grammairien Ulpien, lassés qu’ils sont du pédantisme de ses discours. En réalité, chacun, s’il est un savant véritable, est capable de proposer des développements personnels qui mettent en avant son acribie et son esprit d’à-propos sur des sujets qui ménagent les conditions d’un débat plaisant. La véritable connaissance est donc étrangère à l’érudition seule. Mots-clés : Athénée, Cynulque, Ulpien, érudition, philosophes, grammairiens

English abstracts Cultural mediators. Essays on the transmission of Greek culture in the Roman world during the first-fourth centuries ad

First part : Professors, social status and cultural functions Ewen L. Bowie, Greek grammatici in the Roman Empire This chapter offers an overview of the place of Greek grammatici in the Roman empire. Noting that we lack works like Suetonius on Latin grammatici and Philostratus on Greek sophists, it assembles epigraphic and literary evidence (e.g. from Strabo, Suetonius, Aelius Aristides on Alexander of Cotiaeum, and the Suda) to sketch their teaching, their social origins and professional status, their pupils’ origins and relations with them, and their activities related to their literary expertise such as epideixeis (attested e.g. at Delphi), historiography and writing poetry. Finally it notes that grammatikoi were of fundamental importance for maintaining Greek culture in the cities of the Empire. Keywords : grammatici, grammatikoi, emperor, epideixis, pupil, rhetor, slave, wealth Jean-Luc Vix, Did the grammarian Alexander of Cotiaeon hold a chair of rhetoric ? About the verb δημοσιεύειν (Aelius Aristides, Or. 32, 12) As a young man, the famous rhetor Aelius Aristides was taught by the grammarian Alexander of Cotiaeum. Later, the grammarian ended his career at the emperor’s court, as the private tutor of the future emperor Marcus Aurelius. When Alexander died, Aristides paid a last homage to his tutor in a letter that he wrote in the form of a funeral oration and sent to the council of the city of Cotiaeum (Or. 32 K). In § 12 of this oration, the verb δημοσιεύειν might suggest that Alexander held a chair of rhetoric in Rome during the last years of his life, which is mentioned in no other ancient source. An investigation of this passage leads us to draw parallels between Aristides’ text and several other literary texts from the first to the fourth century ad in order to circumscribe the meaning of the verb δημοσιεύειν in more or less similar contexts. Even though there can’t be any certainty, this word evokes most of the time a public position, remunerated either by a local council or by imperial subsidies. This text could be a new evidence deserving to be placed in the record of the holders of public chairs in the first centuries ad. Keywords : Aelius Aristides, grammarian, public chair, rhetoric, funeral oration

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Anne-Marie Favreau-Linder, About the income and ressources of sophists in Philostratus’ Lives of the sophists Philostratus’ Lives of the sophists remains an essential source of information about Greek sophists during the first centuries of the Roman Empire, particularly concerning the income which a sophist earned from his rhetorical activities. Nevertheless it is not always easy to construct a clear picture from the information given by Philostratus, given its fragmentary and allusive nature. This chapter, however, tries to resolve some of the questions concerning sophists’ income from rhetoric and the contribution it made to their wealth. Furthermore, the sophists themselves – as well as their biographer Philostratus – used their salary to enhance their public image and to support claims to a cultural and not only a social status. Keywords : Second sophistic, Philostratus, sophist, teacher, income, wealth Eric Perrin-Saminadayar, Municipal and imperial chairs : social and geographical mobility of the occupants of these chairs in Athens The establishment in Athens of philosophical and rhetorical chairs generously endowed by the imperial fiscus did not profoundly modify either the recruitment or the career of their occupants : the geographical mobility which characterizes the environment of the cultural mediators within the Empire doesn’t imply social mobility and it is not an adequate basis for thinking in terms of a « professorial career ». In fact, recruitment takes place in the small world of the well set up elite and remains dependent on the imperial favour. Keywords : Roman Athens, philosophy, rhetoric, mobility, elite, professorial career Marie Dallies, Some notes about the teaching practice of African rhetores in the early Roman Empire Thanks to the epigraphic and literary documentation, we know the names of almost ten African rhetores, who either are from this region or work there. Studying their careers allows us to improve our knowledge about their social status, their salaries and their geographic mobility. Keywords : Africa, Early Roman Empire, rhetor, social status, geography Bernard Legras, Greek rhetores in Roman Egypt : intellectuals in decline ? This chapter explores the possible decline of the rhetorical art and of its teaching in Alexandria, then those of the Egyptian chora under the Early Empire. It focuses on the rhetores of Alexandria and then of the chora to determine their social and cultural role. Literary sources, particularly the Lives of the Sophists by Philostratus, as well as epigraphic and papyrological documents reveal that the practice of ceremonial and

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judicial oratory was well-established. Greek rhetoric plays a role in political life, on one hand in the debates of the Councils of Greek cities of the chora, on the other hand in the opposition of Alexandrian elites to Roman rule. Keywords : gymnasion, library, Alexandrian Museum, grammarian, rhetor, philosopher, sophist Madalina Dana, How to be a sophist in the Pontus Euxinus ? Philosophy, rhetoric and periphery The diffusion of Greek culture throughout the Empire implied that the regions considered to be on the periphery of the oikoumene were concerned and were involved in the cultural phenomenon which characterized this period, the Second Sophistic. Although the sophists of the Pontus Euxinus were not part of the narrow circle of the holders of the philosophical and rhetorical chairs, nevertheless some of them were prominent figures in this world. They have shaped it according to their own image, which was not devoid of certain eccentricities which reflected their origin. Keywords : Pontus Euxinus, sophist, philosopher, periphery, Empire, elites, Second Sophistic Onno M. van Nijf, Trainers as cultural mediators When we talk about Greek culture, we usually  think of the products of high culture : the art, literature and philosophy that are so dear to scholars. However we should not forget that Greek culture also had a distinct physical side, the main locus of which were the agōnes (the contests), and above the gymnasion. Here many specialists prepared young men for their role as citizens by a tough programme of physical training. In this chapter I discuss trainers and other experts of physical development and their activities.  Who were the trainers ? How were they designated ? What did they do ? What can we tell about their social status ? I argue that trainers were important, even indispensable, as the mediators of Greek (physical) culture. Keywords : sport, paideia, gymnasium, body, agōn, contest, trainer

Second Part : Teaching Places and Practices Maria Paz De Hoz, Mouseia in Roman Asia Minor. Public spaces of culture and institutions of education The aim of this chapter is to analyze all the evidence from Asia Minor which refers to Mouseia. Mouseia in Asia Minor are not attested in the literary sources, but they appear in inscriptions from Ephesus, Pergamum, Smyrna, Magnesia on the Meander, Mylasa, Stratonicea, Antioch in Pisidia, Perge, Side, Halicarnassus, and Tavium in Galatia. The evidence is analyzed to determine which attestations of Mouseia refer to the Alexandrine Mouseion and which of them to local Mouseia ; and if the local Mouseia are institutions, public spaces, associations or something else.

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The evidence will be set in the intellectual context of Greek cities in the reign of the philhellenic emperor Hadrian and during the Second Sophistic. Keywords : Mouseion, Musaeum at Alexandria, local institutions, education, intellectuals, Asia Minor, Second Sophistic Bruno Rochette, Did the Greeks study Latin in Antiquity ? Some literary and epigraphical evidence from the Roman Empire While we have a good knowledge of the place of the Greek language in Roman society and in the educational system of Rome, the position of Latin in the Greek World and its teaching as a foreign language to Greek speakers are less well documented. The main part of the evidence we have about this topic dates back to the Late Empire and the Byzantine period. For the Early Principate the testimonies relating to the possible teaching of Latin in the Greek world are few and difficult to interpret. In this chapter I collect the literary texts (essentially Aulus Gellius), the epigraphical data and the scattered mentions of bilingual (?) Greek rhetors in order to support the hypothesis that Greeks were interested in the Latin language from the beginning of the Empire and that a teaching of Latin language existed quite early in the Greek world, even if the role of Rome as intellectual centre remained fundamental until the foundation of Constantinople. Keywords : teaching of Latin, early Principate, Imperium Romanum, Aulus Gellius, inscriptions, rhetor, grammarian Sophie Conte, Educational perspectives in Quintilian’s Institutio oratoria : exercere, exercitare and exercitatio Quintilian constantly urges the orator to exercise in order to implement his recommendations and he does so by using the words exercere, exercitare and exercitatio. In order to appreciate his pedagogical methods and the importance of lifelong learning and training, this article clarifies the different meanings of these words according to their grammatical function. It studies separately physical training, and athletic comparisons and metaphors. Its concluding section analyzes their close relation to other terms such as natura, ars, studium, or even usus and consuetudo. Keywords : Quintilian, Institutio oratoria, pedagogy, training Laurent Pernot, Pseudo-Dionysius Art of rhetoric 8-9 : a course of Greek literature in the Roman Empire This article aims to give an extensive overview of the composite collection known as the Art of Rhetoric falsely attributed to Dionysius of Halicarnassus, with particular reference to the treatises VIII and IX (On Figured Speeches I and II). By « figured speech », ancient rhetores meant the cases in which an orator resorted to deceipt

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to disguise his intentions and used a circuitous speech to reach his goal. These two treatises offer the most thorough examination that we know of this important subject. An analysis brings to light some parallels between the two texts, but also some differences. What is most likely is that these treatises were notes taken by various students during the same course. Greek and Latin testimonies support and refine this assumption. The anonymous professor chose to address with « figured speech » from a literary point of view, by studying the works of former authors. His conception of teaching is based on « classical education » or « humanities » (paideia) and on « imitation » (mimēsis). Current issues and practical applications of the technique of « figured speech » were of no interest to him. According to his view, school was a world separated from life and was devoted to Hellenic culture and intelligence. Like Demetrius, the author of the Peri hermeneias, and like Hermogenes in the Peri ideōn, the professor did not confine rhetoric to the art of composing speeches ; he extended it to discourse-analysis and to literary criticism. Keywords : classicism, literary criticism, figured speech, teaching, Greek, rhetoric Sylvain Perrot, A mediator of music culture : Nicomachus of Gerasa This chapter focuses on the Manual of Harmonics written by Nicomachus of Gerasa, a Neo-Pythagorean philosopher who lived in the first-second centuries ad. This example of transmission shows how musical knowledge could disseminate in the Roman East. This text is a letter sent to an anonymous woman belonging to the highest Roman society and enjoying Greek culture. Nicomachus wrote this methodical treatise based on an aide-memoire, and used some learning tools to help the reader understand difficult issues. He himself seems to be a roving scholar, specialized in the science of harmonics and teaching mathematical ratios as well as considerations on musical instrument making. Keywords : Nicomachus of Gerasa, music, harmonics, philosophy, pythagorism, musical instrument, Greek science Catherine Bry, Libanios and school rules policy The recurrence of the word νόμος in the school orations of Libanius reveals the application in his class of real « internal rules ». We will establish two separate typologies of these « laws » according to their nature or, in order to provide a full reconstitution of this regulation, to their field of application. Then we’ll examine the exact scope of this regulation in order to determine if other teachers than Libanius were likely to apply it. Finally, we will consider the rhetorical dimension of the argument of νόμος, that we find especially in certain types of texts. Keywords : Libanius, class, school, rules, laws

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Mathilde Cambron-Goulet, Teaching and construction of identities in Eunapius’s Lives Eunapius’ Lives of Philosophers and Sophists provide important evidence about philosophy, rhetoric and medicine schools in Late Antiquity. However, the vocabulary that he uses to describe classes, teachers and students does not bring out the pecularities of each school or each discipline, but rather emphasizes the similarities between them. Eunapius builds in this way a unified picture of the intellectual elite of his time, and claims his membership to a network defined through professional, friendly and family relationships. Keywords : Eunapius, teachers, students, schools, identity, intellectual history

Third Part : Writers as Knowledge Mediators Maud Pfaff-Reydellet, Did Ovid transmit Greek philosophical culture in Augustan Rome ? In the Metamorphoses and the Fasti, Ovid gives an important place to cosmogony and to the laws of nature. By doing so, he transforms Lucretius’ heritage through the teaching of Empedocles. Providing knowledge involves in Ovid an intense aesthetic pleasure. He doesn’t convey a comprehensive philosophical system to his readers, which could appear as a frozen knowledge, but rather invites them to wonder about the mysteries and mirabilia of the world, and thus to construct their own path. It is not about a frivolous game, a singular fantasy, but about a mythological construction taking on a political and collective dimension. Keywords : cosmogony, physics, Empedocles, Pythagoras, uates, inspiring figure, wonders (mirabilia), knowledge Frédéric Le Blay, Seneca the naturalist Just as Roman philosophy has traditionally been regarded as a pale imitation of its Greek model, Seneca has often been reduced to a mere moralist who was talented enough to offer a popular version of Stoic ethics. His works show nonetheless a broader ambition and his role as a scientist and a naturalist has to be recognized in order to pay an adequate tribute to his philosophical program. His Natural Questions, which scholars have often neglected, are a testimony to his strong interest in theoretical speculations and in disseminating extensive knowledge. Keywords : doxography, Seneca, meteorology, morals, science, stoicism

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Alexandre Blaineau, How Plutarch conveyed Greek art of horsemanship Plutarch is well known as a major player in the transmission of Greek culture. Among many other interests, the art of horsemanship deserves a specific analysis. For it seems that Plutarch read the works of Xenophon on horsemanship and on their basis developed moral and political ideas. Thus, he makes use of particular aspects of Greek equestrian practice like firmness, gentleness, and self-control to highlight the qualities of great men like Alexander or Julius Caesar, whose authority dwelt in large part on the fact that they were excellent riders. Keywords : Plutarch, Xenophon, equestrian culture, Alexander, Bucephalus, Julius Caesar Elias Koulakiotis, About the transmission of geographical knowledge by Second Sophistic authors : Arrian and India In his description of India, Arrian seems not to take into account newly acquired knowledge of geographical data regarding the Indian subcontinent. However, this was a conscious choice. His representation of India is based on contemporary categories of geographical and ethnographical thought, reflecting literary trends of his time, as well as Roman imperial ideology. Keywords : geography, India, Roman Empire, Second Sophistic, memory Anne-France Morand, Galen and paideia This article discusses three aspects of paideia in Galen. It first analyzes passages describing the physician’s own excellent upbringing and education. This set of texts is fundamental in the construction of the persona of the accomplished doctor, whilst also revealing his own theories on paideia. Secondly, and often in the same passages, he examines the educability of children and theories about education. He regards it as particularly important to mould the souls of young children in order to prevent passions from settling permanently in the soul. A third section is dedicated to the works regarding his own books. In his auto-bibliographic treatise, Galen aims at providing an order in which his writings need to be read, thus creating a paideia for the future reader and student in medicine. This is part of a more general plan, that is to give medicine the position that it deserves, in the city, in culture, and in education. Keywords : Galen, passions, soul, education, physician, persona, reader, first-person narration Fourth Part : Representations of Teachers Lucia Floridi, Transmitting culture in Greek satirical epigrams This chapter explores the representation of those who transmit culture in a peculiar source, the Greek satirical epigrams of the first-fourth centuries ad. On one hand,

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the skoptic authors describe the vices of grammarians, rhetores, etc. (especially, their ignorance, pedantry, and silliness) ; on the other hand, they display the difficulties (especially the economic ones) of these professions. Skoptic authors were themselves for the most part transmitters of culture ; these poems, therefore, allow us to examine various forms of the self-representation of men of letters. As well as stereotypes, satirical bias, and caricatures, they offer important evidence relating to the problems encountered by men of letters in the Roman Empire. Keywords : Greek satirical epigram ; skoptic epigram ; grammarian ; rhetor ; ignorance ; poverty ; self-representation Catherine Notter, The representation of teachers in Martial’s Epigrams : aspects and issues Teachers are presented in a markedly critical light in Martial’s work. In his epigrams on schoolmasters, the poet especially insists on their severity and on their strong inclination to beat their pupils. As for grammarians and rhetores, whose teaching is presented as being of little profit for students by comparison with the power acquired by the nouveaux riches, several epigrams underline their failings or incompetence. While school teaching appears in the Epigrams as unpleasant and strictly academic, Martial, fortified by his public success, seems to rely on his readers to ensure the transmission and the long-term survival of his literary work. Keywords : Martial, epigram, schoolmaster, ludi magister, grammarian, grammaticus, rhetor Marine Glenisson, Smooth talkers and knowledge traders : the relation between images of profit and philosophy teaching in Greek literature of the early Roman Empire The Second Sophistic saw a growing interest in paideia (i.e. education and culture), which acquired great importance for the cultivated elite of the Roman Empire. Rich young men attended the lectures of sophists and orators, but also of philosophers, for whom teaching became a lucrative profession. This article aims to focus, through images representing philosophical education as a marketing of knowledge on a purely commercial basis, on the critics that some authors of the imperial period directed against philosophers lured by the money they could extract from pupils. We can trace this theme back to the classical period, when Plato and Aristophanes used it to criticize the sophists. Variations on this theme in turn allowed authors of the Roman Empire to call philosophers who merely peddled words « sophists ». These philosophers profited from the love of money and the ambition of elite young men, to whom philosophy was nothing more than another way to make a name for themselves in society. Variations on this theme are numerous, and this profusion ultimately allows writers to denounce a dysfunctional education which betrays the ideal of the « good life » which informs imperial philosophy, as P. Hadot has clearly shown. The other side of this criticism’s coin, however, is what it shows of a good

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philosophical education, which requires a reciprocal match between the master and his pupil in the pursuit of virtue and an everyday application to their life of what is being taught. The images offered by critics, then, reinforce our understanding of the reflections of philosophers and moralists on the goal of philosophy and on what it is to be a philosopher. Keywords : philosopher, sophist, representation, trader, education, profit Sophie Lalanne, The wisdom of old age : oral transmission of knowledge in the ancient Greek novel The ancient Greek novels which have survived as complete texts are characterized by their high level of learning and even erudition. The importance in the novels of the themes of paideia in general and their heroes’ education in particular might lead one to think that teachers had a significant role. But it is a remarkable fact that they are almost absent from the social world depicted in the novels, and an explanation must be provided for this. With this in mind, the chapter examines the content of knowledge transmitted and the media of its transmission. Most often, this knowledge bears on the power of love, the god Eros, and orality is its principal medium. Those who transmit this body of cultural knowledge, whether learned or popular, are recognisable as embodying wisdom in the eyes of the Greeks, chiefly on the basis of their old age and male gender, whatever their social status might be : they are wise old men, who remind us of the continuing importance in the imperial period of orality in the transmission of learning and knowledge. Keywords : Greek novel, orality, Eros, love, wisdom, old age Yannick Scolan, Athenaeus the teacher, or about the rejection of vacuus scholarship Athenaeus puts his characters to the test of sympotic manners in order to entertainly unmask fake scholars. Larensis’ guests often laugh at philosophers’ feigned asceticism which emphasizes their vacuus scholarship, and they silence the grammarian Ulpian who bores them with his pedantry. Every true scholar must be able to express his personal views with accuracy and vivacity on subjects which can give rise to a pleasing debate. True knowledge therefore means more than mere scholarship. Keywords : Atheneaus, Cynulcus, Ulpian, scholarship, philosopher, grammarian

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Index

Index des noms de personnes et de lieux

Académie : 174 Acarnanie : 28 Acacios (sophiste) : 38 n. 18 ; 50 ; 240 ; 242 n. 71 et 72 ; 245 ; 246 ; 250 ; 252 Achaios : 440 Achille : 210 ; 361 ; 434 ; 438 ; 439 Achille Tatius : 406 ; 407 n. 8 ; 410 et n. 24 ; 412 ; 413 n. 32 ; 414 n. 39 ; 417 n. 54 ; 420 et n. 66, 67 ; 424 et n. 89 Adonis : 98 Aelia Herennia (Publia) : 78 Aelia Kephisodora : 77 Aelius Dèmètrios : 97 ; 98 ; 99 Aelius Sérapion : 97 ; 98 Agamemnon : 211 Agathon : 435 ; 436 et n. 18 Aidepsos (Eubée) : 77 Aidésius : 254 ; 255 ; 256 ; 257 et n. 31 ; 259 Aigeai : 64 Aigialée : 412 ; 414 ; 420 ; 424 Akhmin (Panopolis) : 97 Alcidamas (philosophe cynique) : 433 n. 10 Alexandre d’Abonotique : 121, n. 175 ; 393 n. 29 Alexandre d’Aphrodisias : 72 et n. 23 ; 324 et n. 37 Alexandre de Damas : 40 n. 22 ; 72 Alexandre de Séleucie : 60 n. 44 ; 62 n. 53 ; 63 ; 66 n. 70 Alexandre le Grand : 99 n. 27 ; 105 n. 59 ; 308 et n. 17 ; 309 ; 310 ; 311 ; 312 ; 313 et n. 28 ; 314 et n. 33 ; 316 ; 318 n. 7 ; 319 n. 7-8 ; 321 n. 20 ; 322 et n. 8 ; 323 ; 325 ; 326 n. 45 et 49 ; 327 n. 56 ; 328 ; 329 et

n. 65 ; 330 et n. 72 ; 331 n. 74 ; 332 ; 333 ; 333 ; 334 ; 335 ; 336 ; 393 et n. 29 ; 451 Alexandre Polyhistor : 18 Alexandrie : 18 ; 19 ; 21 ; 22 et n. 21 ; 23 ; 26 ; 27 ; 42 ; 60 n. 45 ; 68 ; 69 ; 71 ; 73 ; 75 ; 95 et n. 2 ; 96 et n. 6, 13 ; 97 ; 98 et n. 20-21 ; 99 et n. 29-33 ; 100 et n. 36 ; 101 et n. 38, 43 ; 102 et n. 45 ; 103 ; 104 ; 105 et n. 58, 62, 64, 66 ; 106 et n. 70 ; 107 ; 108 ; 134 ; 135 ; 148 ; 149 n. 8 ; 151 n. 15 ; 152 et n. 17 ; 154 ; 157 ; 158 ; 159 et n. 40, 41 ; 160 ; 161 et n. 43 ; 164 ; 165 ; 167 ; 169 ; 170 ; 207 ; 218 et n. 8 ; 220 ; 229 ; 233 ; 256 ; 272 ; 278 ; 284 ; 319 ; 326 n. 47 ; 333 ; 343 ; 350 n. 4 ; 352 n. 10 ; 361 n. 67 ; 422 ; 442 n. 27, 28 ; 443 ; 446 ; 447 ; 448 ; 456 ; 457 ; 458 Alexandros de Cotiaeon : 11 ; 25 n. 35 ; 32 ; 33 ; 35 et n. 9 ; 45 ; 46 ; 47 et n. 41 ; 48 ; 49 ; 58 n. 36 ; 212 ; 215  Alexandros d’Aphrodisias : 72 n. 15 Alexandros de Damas : 72 n. 14 Alexis (poète comique) : 440 Amastris : 116 et n. 42 ; 123 Ameipsas : 440 Amélius : 42 et n. 32 ; 43 et n. 35 ; 254 Amérius : 263 Amphion : 229 Amphipolis : 128 ; 139 Anacharsis : 387 ; 441 Anacréon : 440 Anatolie : 153 n. 24 ; 165 Anaxagore : 296 ; 298 Anaxilas (poète comique) : 440 Anaximène : 298 Ancyre : 66 n. 71 ; 177

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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s e t d e l i e u x

Annaeus Cornutus (L.) : 84 Anteius Antiochus (P.) : 25 et n. 33 Antigenes : 28 Antigénidas : 217 et n. 4 Antioche de Pisidie : 148 ; 152 et n. 17 ; 159 et n. 38 ; 161 ; 162 et n. 45 ; 164 ; 448 ; 457 Antioche sur l’Oronte : 12 ; 37 ; 38 ; 42 ; 50 ; 57 n. 31 ; 65 n. 67 ; 68 ; 73 ; 148 ; 152 et n. 17 ; 154 ; 157 ; 159 et n. 38, 39 ; 162 et n. 45 ; 220 ; 235 ; 236 ; 238 n. 27, 32 ; 239 et n. 36 ; 240 et n. 46, 53 ; 241 ; 242 et n. 71 ; 244 ; 245 ; 246 ; 250 ; 268 n. 63 ; 271 Antiochos d’Aigeai : 64 Antiochos IV Épiphane : 435 Antipatros : 432 n. 5 ; 439 Antipatros vainqueur olympique : 141 Antoine (Marc) : 169 n. 16, 170 ; 192 Antoni[n]us Aquilas : 177 et n. 171 Antonin (Antonius Pius) : 30 ; 41 ; 47 et n. 42 ; 54 et n. 16 ; 75 n. 34 ; 261 Antonins : 78 n. 54 ; 81 ; 155 n. 28 ; 157 ; 174 ; 177 n. 70 ; 179 ; 324 n. 36 ; 326 n. 48 ; 334 ; 336 Antoninus (M.) : 27 et n. 42 Antonius Julianus : 174 Apellas : 33 et n. 3 Aphrodisias : 65 n. 64 ; 72 et n. 15 ; 80 ; 130 ; 156 ; 164 ; 406 et n. 4 ; 410 n. 22 ; 429 Aphroditopolis : 98 et n. 25 Aphthonios : 243 Apollon : 374 ; 408 ; 414 ; 419 ; 422 Apollonie : 299 n. 37 Apollonios d’Athènes : 54 ; 55 et n. 23 ; 66 n. 70 ; 72 ; 74 n. 32 ; 79 et n. 60 Apollonios de Pallène : 78 Apollonios de Naucratis : 53 ; 54 ; 55 ; 58 n. 36 ; 59 ; 60 ; 64 n. 59 ; 100 Apollonios de Tyane : 120 ; 151 ; 169 et n. 12, 13 ; 320 et n. 15 ; 332 ; 333 Apollonius (grammairien) : 21 ; 23 n. 27 Appien : 106 ; 170 et n. 22 ; 178 Apsinès : 212 ; 264

Apulée : 83 ; 84 et n. 3 ; 89 ; 219 ; 220 ; 357 n. 44 ; 388 n. 12 ; 426 et n. 99 Aquilinus : 263 Archélaos : 298 Archias : 22 ; 23 et n. 27 Archimède : 279 et n. 23 ; 280 Archytas : 220 Arellus : 84 ; 85 et n. 7 ; 86 ; 89 Argos : 25 et n. 1 Aristarque (Aristarchus) : 27 ; 350 n. 3 ; 351 n. 6 ; 363 ; 432 ; 436 Aristide (Ælius) : 11 ; 23 et n. 28 ; 25 et n. 36 ; 27 ; 29 et n. 51 ; 31 ; 32 ; 33 et n. 1 ; 34 et n 5 ; 35 et n. 8 ; 36 et n. 14 ; 45 et n. 39 ; 47 n. 40 ; 48 ; 49 ; 50 ; 58 n. 36 ; 59 et n. 42 ; 60 n. 44 ; 63 n. 58 ; 67 et n. 78 ; 68 ; 73 n. 21 ; 104 et n. 51 ; 104 n. 53 ; 107 ; 108 ; 148 ; 152 et n. 18 ; 153 ; 154 ; 165 ; 212 et n. 86 ; 215 ; 307 ; 321 et n. 24 ; 332 ; 445 ; 455 Aristophane : 37 n. 15 ; 217 et n. 2 ; 352 ; 355 n. 28 ; 390 et n. 18 ; 391 et n. 20 ; 392 ; 401 ; 402 ; 436 n. 17 ; 453 ; 462 Aristophane de Byzance : 27 Aristote : 27 ; 84 n. 4 ; 283 ; 292 ; 293 et n. 4 ; 295 et n. 22 ; 296 et n. 22 ; 297 ; 298 et n. 34 ; 299 et n. 40 ; 300 et n. 42 ; 301 ; 302 ; 312 ; 319 n. 9 ; 320 n. 15 ; 422 n. 71 ; 424 et n. 88 ; 432 n. 5 Aristoxène de Tarente : 219 ; 220 ; 222 ; 223 Arrien : 12 ; 114 et n. 30 ; 124 ; 170 et n. 23 ; 171 ; 207 ; 305 et n. 3 ; 306 et n. 4, 5 ; 315 et n. 35 ; 316 ; 317 et n. 2, 3 ; 318 n. 7 ; 319 n. 8 ; 320 n. 16 ; 321 et n. 19, 20 ; 322 et n. 28 ; 323 et n. 29, 30, 32, 34 ; 324 et n. 37 ; 325 et n. 38, 39, 43 ; 326 et n. 49 ; 327 et n. 50, 56 ; 328 et n. 57, 59, 60 ; 329 et n. 64, 65, 66 ; 330 ; 331 et n. 74, 75, 76, 77, 78 ; 332 ; 333 ; 334 ; 335 ; 336 ; 402 ; 451 ; 461 Arrien (poète épique) : 170 n. 35 ; 181 Artémidore de Daldis : 70 n. 3 ; 80 Artémis : 149 ; 150 ; 151 ; 157 ; 161 ; 407 ; 409

i n d e x d e s n o m s d e pe rso nne s e t d e li e u x

Asclépiodote : 295 n. 22 Asclépiodote de Nicomédie : 29 Asclépios : 67 n. 76 ; 149 ; 151 ; 152 et n. 18 ; 153 et n. 23 ; 154 ; 159 et n. 39 ; 161 ; 163 ; 164 ; 165 Aspasios de Ravenne : 86 et n. 12 ; 88 n. 21  Aspasios le Péripatéticien : 340 Assyrie : 114 et n. 33 ; 124 ; 177 Athanasios : 207 Athéna : 158 ; 425 Athénadès : 175 Athénaeum : 88 et n. 20 Athénagoras : 406 ; 407 Athénée/Athenaeus : 30 ; 432 n. 3 et 8 ; 433 n. 11 ; 442 n. 27 ; 443 ; 463 Athènes : 9 n. 12 ; 38 n. 18 ; 40 n. 22 ; 47 ; 48 et n. 47 ; 50 ; 52 ; 53 et n. 11, 14 ; 54 et n. 15, 16, 17, 18, 19, 20 ; 55 et n. 23, 24 ; 56 et n. 29 ; 57 ; 58 ; 59 ; 60 et n. 44 ; 62 n. 53 ; 63 ; 65 n. 63, 65 ; 66 et n. 70 ; 68 ; 69 et n. 1 ; 70 n. 3 ; 71 et n. 8, 9 ; 72 et n. 17 ; 73 ; 74 et n. 29, 32 ; 75 et n. 34 ; 76 n. 40 ; 77 ; 79 ; 80 ; 81 ; 83 ; 92 n. 34 ; 95 ; 100 ; 113 ; 115 ; 117 ; 118 et n. 56 ; 120 ; 123 ; 128 n. 7 ; 142 ; 174 ; 202 n. 118 ; 209 ; 213 ; 218 ; 220 ; 221 ; 238 et n. 27 ; 251 n. 3 ; 255 ; 262 ; 271 ; 272 ; 311 n. 18 ; 340 ; 411 ; 427 n. 104 ; 446 Athénodote : 91 ; 139 Attale Ier : 21 Attale le Stoïcien : 295 et n. 19 Attalides : 27 Aufidius Victorinus (C.) : 177 et n. 73 ; 181 Auguste : 87 ; 105 n. 58 ; 121 ; 167 ; 171 n. 27 ; 275 et n. 1 ; 276 ; 277 n. 12 ; 285 et n. 54 ; 286 n. 58 ; 289 ; 290 ; 318 n. 5 ; 319 ; 320 n. 12 ; 330 n. 71 ; 333 ; 373 n. 34 ; 378 n. 58 ; 450 Augustin : 222 ; 361 n. 66 Aulu-Gelle : 105 n. 63 ; 173 ; 174 et n. 50 ; 180 ; 373 n. 34 ; 427 ; 448 ; 458 Aurelius Alexandros (T.) : 72 n. 15

Aurelius Asklepiades (M.) : 134 ; 135 Aurelius Olympiodoros (M.) : 77 Ausone/Ausonius : 18 ; 374 n.35 Babylone : 407 ; 436 n. 21 Babylus : 28 Bactriane : 325 Baebius Barbarus (L.) : 89 et n. 26 ; 90 Béotie : 169 ; 306 ; 435 n. 15 Beroia : 9 ; 129 ; 130 n. 7 ; 137 Beyrouth : 178 ; 246 Bithynie : 114 et n. 30 ; 119 n. 62 ; 124 Boèce : 220 ; 228 et n. 32 Bouthrotos : 141 et n. 69 Breiseis : 25 Bretagne : 173 Brutus : 187 ; 196 Byzance : 57 ; 64 et n. 61 ; 66 et n. 71 ; 75 ; 114 et n. 31 ; 115 ; 116 et n. 43 ; 117 ; 124 ; 168 n. 7 ; 177 ; 180 ; 408 ; 409 ; 435 Byzas : 64 n. 61 ; 114 ; 115 ; 116 Calasiris : 408 ; 411 ; 412 ; 420 ; 421 ; 422 et n. 76 ; 423 et n. 78 ; 424 ; 425 ; 429 Calchas : 210 Callimaque/Callimachus : 22 n. 23 ; 276 et n. 7 ; 290 ; 350 n. 4 ; 355 n. 26 ; 363 ; 423 n. 80 Callisthène : 424 Callisthénès d’Olbia : 112 et n. 20 ; 125 Calvisius (Calvenus) Taurus : 174 Calvus : 174 Campanie : 176 Caracalla : 59 ; 75 n. 35 ; 76 ; 86 ; 112 ; 116 ; 159 et n. 38 ; 159 n. 40, 41 ; 161 ; 164 Carie : 259 ; 318 Carthage : 83 ; 84 ; 85 n. 7 ; 89 et n. 23, 24, 26 ; 90 ; 91 et n. 31 ; 388 Cassianus : 72 Cassopé : 28 Catulle : 174 Caucase : 325 Celse : 295

469

47 0

in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s e t d e l i e u x

Cervonius : 44 et n. 38 ; 477 Césarée : 42 et n. 30 ; 49 ; 53 ; 83 n. 2 ; 88 n. 21 ; 178 ; 315 Cestius de Smyrne : 176 Chairias de Teos : 141 Chaméléon d’Héraclée : 440 Chariclès : 408 ; 413 ; 419 ; 420 ; 422 ; 424 Charidème : 167 n. 3 Chariton : 406 et n. 4, 5 ; 407 et n. 10, 12 ; 410 et n. 22 ; 417 n. 54 ; 429 Chéronée : 171 Chorikios : 244 ; 245 et n. 245 ; 250 Chrestos de Byzance : 57 ; 58 et n. 34 ; 66 n. 71 ; 75 ; 116 ; 117 et n. 53 ; 118 ; 121 ; 125 ; 177 Chrysanthe : 253 ; 255 ; 256 ; 257 et n. 27 ; 259 ; 261 et n. 39 ; 262 ; 263 ; 264 ; 267 ; 268 ; 269 Chrysippe : 76 n. 40 ; 397 Cicéron : 167 et n. 3 ; 168 ; 169 et n. 16 ; 170 n. 19 ; 171 ; 172 ; 176 et n. 63 ; 177 ; 179 ; 180 ; 185 ; 191 n. 20 ; 198 ; 207 ; 220 ; 275 n. 2 ; 286 et n. 59 ; 293 n. 4 ; 294 ; 296 n. 22 ; 351 n. 7 ; 359 n. 53 ; 370 ; 371 n. 21 ; 377 n. 49 ; 403 ; 413 n. 35 Cilicie : 62 n. 53 ; 88 n. 21 Claude : 111 ; 171 ; 173 et n. 44 Claudius Anteros (Ti.) : 25 Claudius Cassius : 138 ; 170 Claudius Severus (Cn.) : 72 ; 73 n. 18 ; 97 Clément d’Alexandrie : 26 Cléopâtre VII : 95 Cominius Claudianus Hermaphilos : 111 Cominius Secundus (M.) : 111 Commode : 9 n. 15 ; 65 n. 63 ; 73 ; 74 ; 75 ; 106 ; 116 ; 177 ; 198 ; 306 n. 6 ; 366 n. 6 ; 383 ; 411 n. 26 ; 428 Constantinople : 57 n. 33 ; 96 n. 13 ; 114 n. 31 ; 124 ; 168 ; 246 ; 253 ; 448 ; 458 Conon : 78 Cornelius : 100 Cornelius Palma Frontonianus (Aelius) : 375

Cos/Kos : 36 ; 71 ; 137 et n. 47 Cosconius : 375 n. 43 Cotiaeum (Kutahiya) : 21 ; 23 ; 25 ; 27 ; 455 Crannon : 19 n. 12 Ctésias : 318 n. 7 ; 319 et n. 8 ; 320 n. 18 ; 325 ; 334 Cynulque : 433 et n. 11 ; 434 ; 443 ; 454 Cyrénaïque : 91 Damien/Damianos d’Éphèse : 33 ; 56 n. 28 ; 58 ; 59 ; 62 n. 54 ; 65 ; 66 n. 70 ; 67 Dèce : 42 Dédale : 28 Délos : 25 et n. 34 ; 129 et n. 10 Delphes : 28 n. 46 ; 65 n. 65 ; 76 et n. 41 ; 222 et n. 25 ; 408 ; 419 et n. 65 ; 422 ; 429 ; 445 Démade : 192 ; 196 Démétrios : 406 Démétrios (Aelius) : 97 ; 98 ; 99 ; 204 Démétrios (Pseudo-) de Phalère : 106 et n. 69 ; 107 ; 213 Démétrios (le philosophe) : 120 Démocrite : 299 ; 433 ; 436 ; 440 et n. 25 ; 441 ; 442 et n. 29 ; 443 Démonax de Chypre : 120 et n. 69, 72 ; 121 et n. 73, 74 ; 124 Démosthène : 103 ; 147 et n. 2 ; 169 n. 16 ; 171 et n. 28 ; 174 ; 176 ; 189 ; 208 ; 209 et n. 62 ; 210 ; 212 ; 241 ; 351 n. 7 ; 355 n. 28 Denys (évêque d’Alexandrie) : 42 Denys de Milet : 65 n. 64 Denys d’Halicarnasse : 200 et n. 8 ; 201 ; 202 et n. 15 Denys d’Halicarnasse (Pseudo-) : 11 ; 199 et n. 1 ; 201 ; 202 n. 16 ; 203 n. 19 ; 204 ; 205 n. 36 ; 207 ; 209 ; 210 et n. 71 Denys le Petit : 91 Denys le Périégète : p. 318 Didymus : 27 Dioclès : 29 Dioclétien : 29 ; 247 Diogénès : 101 ; 103

i n d e x d e s n o m s d e pe rso nne s e t d e li e u x

Diogène d’Apollonie : 299 n. 37 Diogène de Sinope le Cynique : 368 n. 13 ; 392 n. 26 ; 397 ; 398 Diogène Laërce : 60 ; 62 n. 51 ; 119 n. 66 ; 160 ; 296 n. 22 ; 299 n. 36 et 37 ; 353 n. 16 Dion Cassius : 38 ; 42 n. 29 ; 45 ; 53 n. 11 ; 87 n. 16 ; 103 ; 170 et n. 25 ; 171 ; 173 et n. 45 ; 179 ; 330 n. 71 et 72 Dion de Pruse : 66 n. 72 ; 119 ; 320 et n. 14 ; 326 n. 47 ; 330 n. 71 ; 388 n. 9 ; 391 et n. 22 ; 392 n. 23 et 26 ; 402 Dionysios/Denys de Milet : 65 n. 64 ; 68 ; 99 ; 103 ; 114 n. 33 Dionysos : 320 ; 321 et n. 21 ; 329 et n. 65, 66, 67 ; 331 et n. 73, 74 ; 333 ; 334 ; 440 ; 441 Diophante : 260 n. 34 ; 261 Dioscorides : 25 Diphilos : 437 ; 439 Domitien : 84 ; 91 ; 150 ; 151 ; 375 n. 42 ; 376 n. 43 Domninos : 246 Dôrion : 217 et n. 4 Éacidas : 28 Échécratès : 200 ; 211 Égypte : 9 ; 10 ; 11 ; 39 ; 40 ; 66 ; 69 ; 95 ; 96 et n. 8, 11, 13 ; 98 et n. 21, 23 ; 99 et n. 26, 28 ; 101 et n. 37, 40, 44 ; 102 ; 103 ; 104 et n. 51 ; 105 et n. 57, 58, 61, 65 ; 106 ; 107 ; 108 ; 169 ; 170 n. 18 ; 218 ; 229 ; 319 n. 9 ; 323 et n. 31 ; 421 ; 422 ; 446 Éleusis : 66 n. 70 ; 77 et n. 43 ; 78 et n. 54, 56 ; 79 n. 59 ; 173 ; 174 Élien : 8 ; 327 Empédocle : 12 ; 275 ; 276 et n. 4, 5 ; 280 et n. 28 ; 281 et n. 30, 34 ; 282 et n. 38 ; 286 ; 287 et n ; 62 ; 288 ; 289 ; 290 ; 296 ; 437 ; 438 ; 439 ; 450 ; 460 Endymion : 98 Éordes : 76 Éphèse : 18 ; 33 ; 52 n. 7 ; 54 ; 55 ; 56 et n. 28 ; 58 ; 59 et n. 54 ; 65 et n. 64,

65 ; 66 n. 70 ; 67 ; 73 et n. 21 ; 74 ; 75 n. 34 ; 114 n. 33 ; 118 et n. 56 ; 133 ; 139 ; 148 ;149 ; 150 ; 151 ; 152 ; 153 ; 154 ; 157 n. 33 ; 159 ; 160 ; 161 ; 163 ; 262 ; 326 n. 47 ; 331 n. 73 ; 406 et n. 7 ; 407 et n. 10 ; 408 et n. 17 ; 410 n. 23 ; 412 et n. 30, 31 ; 414 n. 38 ; 417 n. 54 ; 427 n. 106 ; 448 Épictète : 120 ; 207 ; 291 ; 292 ; 386 ; 387 ; 388 n. 8 ; 392 n. 25 ; 393 et n. 30, 31 ; 396 ; 397 et n. 38 ; 398 ; 399 et n. 41, 42 ; 402 Épicure : 119 n. 63 ; 125 ; 276 ; 281 ; 282 ; 283 ; 284 ; 285 n. 50 ; 287 et n. 61 ; 288 ; 299 ; 431 ; 432 et n. 4, 5 Ératosthène : 319 et n. 9, 10 ; 323 ; 325 n. 41 ; 333 ; 335 Éros : 409 ; 410 ; 411 ; 412 ; 415 ; 417 ; 426 ; 453 ; 463 Érykios de Cyzique : 172 et n. 38 ; 181 Eschyle : 441 Ésope : 353 n. 16 ; 420 Étéonée : 23 ; 31 ; 33 et n. 2 Eubée : 77 Eubule : 72 Eumène : 21 ; 111 Eunape : 12 ; 53 n. 14 ; 56 n. 29 ; 71 et n. 10 ; 72 ; 251 et n. 2 ; 252 et n. 6, 7, 8 ; 253 et n. 10, 14 ; 254 et n. 16, 17 ; 255 et n. 18, 22 ; 256 ; 257 ; 258 ; 260 et n. 34 ; 261 et n. 39, 42 ; 262 et n. 45 ; 263 ; 264 ; 265 et n. 57, 58 ; 266 ; 267 et n. 62 ; 268 ; 269 ; 270 et n. 70, 71 ; 271 ; 272 ; 450 Eupolis : 440 Euripide : 20 ; 208 ; 351 n. 7 Eusèbe : 42 et n. 30 ; 45 ; 49 ; 259 ; 262 Fabianus Papirius : 295 Fabien (évêque d’Antioche) : 42 Faustina : 155 ; 158 n. 35 Favorinos d’Arles : 86 et n. 12 ; 92 n. 34 ; 93 ; 97 ; 118 et n. 58 ; 120 ; 176 Flavia Philina : 77 Flavius Boethus : 97

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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s e t d e l i e u x

Flavius Hiérax : 97 ; 99 Flavius Maecius Severus Dionysodorus : 99 n. 29 Florus : 83 ; 84 et n. 5 ; 85 et n. 6 ; 86 ; 89 ; 91 ; 93 ; 195 ; 330 n. 71 Fronton : 83 ; 84 ; 85 ; 86 et n. 13 ; 87 n. 13, 14 ; 88 ; 89 ; 91 et n. 32 ; 93 ; 170 et n. 21 ; 176 et n. 63 ; 177 et n. 66, 68 ; 180 Gaios : 340 Galatie : 117 ; 177 ; 448 Galien : 12 ; 40 n. 22 ; 72 n. 40 ; 73 et n. 19 ; 97 et n. 15, 16 ; 108 ; 207 ; 337 et n. 1, 2 ; 338 et n. 3, 4 ; 339 et n. 6, 7, 9, 10 ; 340 et n. 13, 14, 15 ; 341 et n. 16, 17, 18, 19, 20 ; 342 et n. 21, 22, 24, 25, 26 ; 343 et n. 27 ; 344 ; 345 ; 451 ; 452 Galien (mère de) : 339 Galien (père de, voir Nicon) : 338 ; 339 ; 340 et n. 15 Gallien (empereur) : 41 Gaza : 244 ; 245 et n. 85 ; 250 Gellius Maximus (L.) : 159 et n. 39 Georges Choiroboscos : 206 ; 207 n. 50 Germanie supérieure : 177 ; 377 n. 52 Gorgias : 76 n. 40 ; 185 n. 7 ; 189 ; 195 ; 355 n. 31 ; 416 n. 46 ; 427 n. 102 ; 436 n. 18 ; Grégoire de Nazianze : 252 n. 8 Grégoire le Thaumaturge : 178 Habron : 22 et n. 20 Hadrien (empereur) : 75 ; 76 ; 84 ; 85 n. 6, 10 ; 86 ; 88 ; 97 ; 98 ; 100 ; 104 ; 105 ; 114 n. 33 ; 115 ; 118 n. 58 ; 119 n. 63 ; 137 ; 152 et n. 19 ; 157 ; 161 ; 162 ; 165 ; 170 ; 171 ; 174 ; 261 n. 39 ; 317 ; 321 ; 326 ; 330 ; 331 n. 73 ; 448 Hadrien de Tyr : 48 n. 47 ; 53 ; 56 et n. 28 ; 57 ; 58 ; 59 ; 66 n. 70 ; 72 ; 73 et n. 19, 20, 21 ; 74 et n. 32 ; 75 ; 78 ; 88 et n. 21 ; 110 ; 117 ; 118 et n. 56 ; 122 ; 357 n. 44 Halasarna : 36 

Halicarnasse : 11 ; 156 ; 157 ; 160 ; 161 ; 199 ; 200 et n. 7, 8 ; 201 ; 202 et n. 15, 16 ; 210 ; 211 ; 213 ; 214 ; 448 ; 449 Hannibal : 170 n. 19 Harpocras : 98 Hecataeus : 27 Hécatée de Milet : 318 Hécébolios : 238 Hègèsimachos : 218 ; 219 Héliodore (grammairien) : 66 n. 71 ; 351 et n. 8 Héliodore (romancier) : 406 ; 407 et n. 12, 13 ; 408 n. 14, 15 ; 415 ; 417 n. 54 ; 419 n. 65 ; 420 ; 421 n. 68, 70 ; 422 et n. 72, 74, 75 ; 424 n. 90, 91 ; 425 n. 94 ; 426 n. 98 ; 429 Hellanicus : 27 Hellespontius (élève) : 255 Héphaïstion (grammairien) : 19 n. 13 ; 22 ; 27 ; 270 et n. 70 Héphaïstos : 433 et n. 12 Héra : 433 n. 12 ; 434 Héraclée du Pont : 114 ; 119 et n. 60, 62 ; 120 ; 121 ; 124 ; 440 Héracleidès de Lycie : 53 ; 54 ; 55 ; 63 n. 58 ; 64 ; 67 et n. 76 ; 72 ; 74 n. 32 ; 75 ; 77 ; 78 et n. 51 ; 100 ; 104 ; 154 Héraklès : 22 n. 23 ; 89 ; 97 ; 98 ; 229 ; 320 ; 321 ; 329 et n. 66, 67 Héraklès Kallinikos : 97 ; 98 Héraclius : 89 n. 24 Hermione : 432 Hermippos de Beyrouth : 17 ; 22 n. 20 Hermogène : 103 ; 201 ; 202 ; 204 ; 206 ; 207 n. 50 ; 210 ; 212 ; 213 et n. 92 ; 243 ; 449 ; 459 Hermoupolis Magna : 96 ; 104 et n. 52 ; 106 Hérode Atticus : 53 n. 12 ; 58 ; 59 ; 62 n. 53, 54 ; 63 ; 64 ; 67 ; 68 ; 72 ; 73 ; 74 n. 25 ; 77 et n. 43 ; 78 n. 54 ; 79 ; 81 ; 86 ; 92 n. 34 ; 110 ; 114 n. 32 ; 118 ; 120 ; 123 ; 173 ; 177 n. 75 ; 180 Hérodès (diœcète) : 103 Hérodicos de Babylone : 436 n. 21

i n d e x d e s n o m s d e pe rso nne s e t d e li e u x

Hérodicos : 132 Hérodote : 34 n. 6 ; 47 n. 41 ; 50 ; 318 et n. 7 ; 320 et n. 13 ; 326 ; 328 et n. 57 ; 410 n. 25 ; 440 Hésiode : 46 ; 64 ; 285 ; 440 ; 441 Hésychius : 23 n. 27 ; 355 n. 29 Hiérax (Flavius) : 97 et n. 17 ; 99 Hiérax (étudiant) : 100 ; 103 Hiéroclès : 360 n. 59 Himérios : 44 et n. 38 ; 48 ; 240 Hippo Diarrhytus (Bizerte) : 89 ; 90 et n. 28 Hippocrate : 19 et n. 12 ; 133 ; 343 et n. 29 ; 389 ; 392 n. 24 Hippodromos de Thessalie : 53 ; 60 n. 44 ; 66 Horace : 169 n. 16 ; 366 n. 6 ; 370 n. 18 ; 371 n. 21 ; 377 ; 378 n. 54, 55, 58 ; 379 ; 382 Hordeonia Pulchra : 74 Hordeonius Lollianus (P.) : 74 Homère : 96 ; 110 ; 156 n. 30 ; 171 ; 200 ; 208 ; 209 ; 210 ; 211 ; 212 ; 213 ; 241 ; 351 n. 6, 7 ; 407 ; 422 et n. 71 ; 423 et n. 84 ; 425 n. 95 ; 426 n. 97 ; 431 n. 2 ; 432 ; 433 ; 434 ; 435 et n. 15, 16 ; 438 ; 439 ; 443 Hygin (C. Iulius Hyginus) : 18 ; 373 n. 34 Hypéride : 103 ; 132 n. 28 Iccos de Tarente : 132 Isée : 103 Isée l’Assyrien : 114 n. 33 ; 124 ; 177 et n. 65 ; 180 Isocrate : 76 n. 40 ; 359 n. 51 Ister : 27 Iulius Cheirisophus (C.) : 25 et n. 38 Iulius Musonius (C.) : 25 et n. 38 Iulius Pollux : 357 n. 44 Iulius Secundus : 86 et n. 12 Jamblique : 219 et n. 13 ; 228 et n. 32 ; 252 ; 253 et n. 11 ; 254 ; 256 ; 257 n. 31 ; 258 ; 264 ; 265 et n. 58 ; 266 ; 267 ; 268 Jérôme (saint) : 87 n. 15 ; 176 et n. 55 ; 252 n. 8

Josèphe (Flavius) : 105 n. 62 Julien (empereur) : 238 ; 252 n. 8 ; 253 et n. 11 ; 255 ; 256 ; 257 n. 29 ; 261 n. 38 ; 264 ; 268 n. 64 ; 271 Julien de Cappadoce : 259 ; 260 n. 34 ; 262 ; 264 et n. 49, 52 ; 267 ; 268 ; 270 n. 70 Julius Florus : 195 Juvénal : 87 et n. 17 ; 170 et n. 19 ; 178 ; 359 n. 54 ; 366 n. 5 ; 380 n. 65 Kratinos d’Égeira : 140 Labraunda : 24 et n. 32 Lamon : 408 ; 411 ; 412 ; 413 ; 417 ; 419 ; 420 ; 424 Laodicée : 62 n. 52, 54 ; 73 n. 19 ; 81 ; 109 n. 4 ; 110 et n. 5 ; 114 ; 118 ; 125 ; 176 et n. 60 ; 181 ; 352 n. 10 Larensis : 431 n. 1 ; 432 ; 434 ; 436 n. 21 ; 439 ; 454 ; 463 Leptis Magna : 91 Lesbonax de Mytilène : 121 et n. 77, 80 ; 123 ; 125 Libanios : 8 ; 12 ; 33 ; 37 et n. 16 ; 38 et n. 18 ; 45 ; 49 ; 50 ; 53 n. 14 ; 56 n. 29 ; 57 n. 31, 33 ; 59 n. 37 ; 65 n. 67 ; 103 ; 235 ; 236 ; 237 et n. 16 ; 238 et n. 29, 33, 34, 35 ; 239 n. 36, 40 ; 240 et n. 50, 53 ; 241 ; 242 ; 243 ; 244 et n. 81 ; 245 ; 246 ; 247 ; 248 ; 249 ; 250 ; 359 n. 52 ; 449 ; 450 ; 459 Licinius Eucleides (L.) : 28 Livie : 171 n. 27 Lollianos d’Éphèse : 41 ; 51 ; 57 et n. 30 ; 62 n. 54 ; 65 n. 65 ; 66 n. 69 ; 72 ; 114 n. 33 Lollianos (L. Egnatius Victor Lollianus) : 116 Longin : 37 ; 42-48 ; 72 ; 200 n. 6 ; 201 n. 11 ; 202 n. 18 ; 214 ; 215 Longus : 406-418 ; 420 ; 423 n. 80 ; 424 n. 91 ; 428 Lucain : 84 ; 293 Lucien de Samosate : 8 ; 39 ; 40 et n. 23 ; 50 ; 51 et n. 1 ; 57 n. 31 ; 59 et n. 42 ; 64

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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s e t d e l i e u x

n. 60 ; 66 n. 72 ; 70-74 ; 101 ; 118 ; 120121 ; 169-170 ; 179-180 ; 209 n. 59 ; 213 ; 217 ; 351 n. 6 ; 353-360 ; 386 ; 391 n. 21 ; 393 et n. 29, 32 ; 395 et n. 35 ; 397-401 ; 402 ; 433 n. 10 Lucien (pseudo) : 426 Lucilius : 293 ; 295-296 ; 386 et n. 5 ; 390 ; 393 et n. 27, 28 ; 396 et n. 37 ; 402 Lucius Antonius : 170 n. 22 ; Lucius de Tharres : 360 n. 55 Lucius Iulius Pilius Euarestus : 25 Lucius Verus (empereur) : 34 et n. 5 ; 73 ; 74 n. 32 ; 86 ; 170 ; 173 Lucrèce : 275-276 ; 280-284 ; 287-288 ; 297 Lycénion : 407 ; 415-420 ; 426 et n. 96 Lycie : 53 ; 64 ; 67 et n. 76 ; 77 ; 100 ; 104 Lycinus : 19 n. 12 Lydie : 160 ; 175

Mélitè : 253 Ménandre : 20 ; 109 ; 351 n. 7 Ménandros le Rhéteur : 201 Ménélas : 353 ; 432 ; 435 ; 442 Mettius Epaphroditus (M.) : 22 ; 23 Mettius Germanus (M.) : 22 ; 23 Métrodore de Chios : 299 Milet : 65 n. 64 ; 137 ; 139 ; 147 ; 148 ; 155, 158 n. 35 ; 160 ; 161 ; 164 Modestinus : 30 n. 53 Modestus : 22 ; 23 n. 26 ; 31 ; 373 ; 374 Montaigne : 183 ; 313 n. 28 ; 316 Muses : 113 n. 26 ; 148 ; 155 ;156 ; 157 ; 158 ; 161 ; 162 ; 342 ; 390 n. 19 Musonius Rufus : 386 ; 400 ; 403 Mylasa : 147 ; 148 ; 153 ; 155 ; 156 ; 160 ; 161 ; 448 Myrlea : 21 ; 24 Myrtilos : 436 n. 19

Macrobe : 228 et n. 32 ; 373 n. 34 Madaure : 84 et n. 3 ; 90 Magnésie du Méandre : 148 ; 155 ; 161 ; 163 ; 448 ; 457 Magnus : 263 Manilius : 276 n. 6 ; 290 ; 293 Marathon : 176 ; 358 Marc Aurèle (Marcus Aurelius) : 27 ; 33 ; 34 ; 42 n. 29 ; 47 ; 48 ; 53 ; 54 ; 56 ; 59 ; 71 ; 72 ; 73 ; 74 ; 80 ; 84 ; 86 ; 87 ; 88 ; 97 ; 110 ; 116 ; 170 ; 173 ; 176 ; 177 ; 181 ; 201 ; 207 ; 212 ; 213 ; 291 ; 314 n. 33 ; 445 Marcus de Byzance (Memmius Marcus) : 64 ; 66 ; 114 ; 115 ; 116 Marinus : 207 n. 51 ; 214 ; 256 ; 257 n. 26 ; 268 n. 65 ; 270 n. 71 ; 271 Marseille : 40 ; 83 ; 175 Martial : 12 ; 167 n. 3 ; 173 et n. 43 ; 359 n. 50 ; 365-383 ; 452 ; 462 Masurius : 431 ; 432 ; 434 ; 435 ; 436 ; 442 Maxime : 256 ; 259 ; 262 ; 263 ; 267 Maxime de Tyr : 386 ; 388 ; 402 Mégasthène : 319 ; 323 ; 325 ; 326 n. 49 ; 334

Naples : 176 Néarque : 319 ; 323 ; 325 ; 326 n. 49 ; 327 n. 51 ; 328 ; 330 ; 331 ; 334 Nepotianus : 55, n. 25 ; 84-89 ; 91 Néron : 22 ; 100 ; 293 ; 356 ; 371 Nerva : 22 Nicagoras : 72 Nicée : 21 ; 167 Nicératos de Macédoine : 438 Nicomaque : 217- 234 Nicomédie : 29 ; 65 ; 114 ; 238 ; 317 n. 2 ; 433 Nicon (père de Galien) : 338-339 ; 340 et n. 15 Nicostratos : 201 ; 211 Nisyra : 133 Nonnos de Panopolis : 172 n. 39 ; 357 n. 42 Numa : 278 n. 16 ; 286 ; 288 n. 69 ; 289 ; 290 Octavien : 170 n. 22 ; 285 n. 54 ; 289 Oenoanda : 25 ; 26 ; 27 Olbia du Pont : 110 ; 112 ; 123 ; 125 Olympie : 73 ; 139 ; 140 ; 141

i n d e x d e s n o m s d e pe rso nne s e t d e li e u x

Onasandros : 36 Onésicrite : 323 ; 325 Oribase :252 n. 9 ; 261 ; 263 Origène : 178 ; 263 ; Orphée : 229 Orthaeus : 28 Osiris : 98 Othon (empereur) : 86 Ovide : 12 ; 110 ; 172 n. 39 ; 275-290 ; 366 n. 5 ; 374 n. 38 ; 378 n. 55 ; 379 n. 62 et 63 ; 450 Oxyrhynchus : 95 n. 2 ; 96 n. 6 ; 101 ; 103 ; 106 ; 108 ; 136 ; Palamède : 440 Palatin : 339 Panétios de Rhodes : 292 Paniscus : 29 Papinianus : 140 n. 64 Parménon : 435 Parthénios de Nicée : 167 Patrocle : 438 Pausanias : 129 n. 9 ; 139 n. 57 ; 140 ; 330 Pausanias de Césarée (Cappadoce) : 48 n. 47 ; 53 ; 72 ; 74 ; 88 n. 21 Pellène : 129 Pergame : 12 ; 21 ; 27 ; 64 ; 66 n. 71 ; 97 ; 108 ; 117 ; 129 n. 10 ; 141 ; 147 ; 148 ; 151 ; 152-153 ; 154 ; 157 n. 33 ; 160 ; 161 ; 266 ; 267 ; 337 ; 340 ; 344 ; 350 n. 4 ; 409 ; 448 ; 457 Pergè : 64 ; 148 ; 155 n. 28 ; 157-158 ; 160 ; 161 ; 163 ; 448 Périandre : 440 Petelinus : 22 Phainianokoria : 22 Phénicie : 72 Philadelphe de Ptolémaïs : 433 Philagrios : 360 n. 59 Philagros de Cilicie : 62 n. 53 ; 88 n. 21 Philagrus : 28 Philétas : 411-425 Philiscos de Thessalie : 63 n. 58 ; 72 ; 76 ; 78 ; 117 Philodème de Gadara : 220

Philolaos : 220 ; 223 ; 225 ; 226 Philopator : 340 Philostrate : 8 ; 11 ; 17 ; 20 ; 33 ; 47 ; 49 n. 50 ; 51-68 ; 71-81 ; 86 n. 12 ; 88 ; 99 ; 100 ; 104 ; 109 n. 4 ; 113 n. 26 ; 114 n. 32 ; 115 n. 35 ; 117 ; 118 n. 55 ; 119 ; 120 n. 67 ; 122 ; 139 n. 57 ; 140 ; 148 ; 154 ; 158 ; 161 ; 162 ; 169 ; 170 ; 177 n. 70 ; 201 ; 220 ; 419; 445 ; 446 ; Phocylide : 441 Phrygie : 22 n. 20 ; 33 ; 35 ; 153 ; Pindare : 134 ; 140 ; 379 n. 63 ; 440 Pisistrate : 432 Pittacos : 440 Platon : 36 ; 37 ; 47 n. 41 ; 60 n. 45 ; 62 n. 51 ; 67 n. 78 ; 70 n. 3 ; 148 ;175 ; 189 ; 200 n. 3 ; 208 ; 210 ; 217 ; 220 ; 225 ; 226 ; 229 ; 244 n. 81 ; 250 ; 266 ; 292 ; 339 ; 355 ; 385 ; 388 ; 389 ; 390 ; 416 n. 56 ; 427 ; 435 ; 436 ; 453 Pline l’Ancien : 172 ; 294 n. 14 ; 295 ; 320 n. 12 ; 323 ; 327 ; 356 n. 36 ; 371 n. 21  Pline le Jeune : 60 n. 43 ; 98 ; 114 n. 33 ; 168 ; 173 ; 177 ; 370 n. 19 ; 380 n. 64 Plotin : 42 ; 43 ; 48 ; 251 n. 1 ; 252 ; 253 n. 15 ; 254 ; 256 n.  24 ; 257 n. 26 ; 264 ; 265 ; 267 ; 268 Plutarque : 12 ; 26 ; 30 ; 70 n. 3 ; 86 n. 12 ; 169 ; 171 ; 172 ; 217 n. 4 ; 222 ; 270 n. 71 ; 305-316 ; 329 n. 65 ; 386 ; 387 n. 6 et 7 ; 393 n. 31 ; 400 ; 408 ; 427 ; 432 n. 5 ; 438 ; 439 ; 443 ; 451 Polémon de Laodicée (Marcus Antonius) : 62 n. 54 ; 63 ; 66 n. 70 ; 99 ; 103 ; 109 n. 4 ; 110 ; 114 ; 115 ; 118 ; 119 ;120 ; 176 Pollux (Iulius) de Naucratis : 62 n. 52 ; 65 n. 63 ; 72 ; 100 ; 101 ; 110 ; 306 ; 357 n. 44 Polybe (affranchi de Claude) : 171 Polybe (historien) : 21 ; 167 ; 318 ; 319 ; 326  Polythrous : 135 ; 218 Pompée : 313 n. 28 ; 314 n. 31 Pontien : 433 ; 442

475

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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s e t d e l i e u x

Porphyre : 42 ; 43 n. 35 ; 72 ; 84 n. 4 ; 221 ; 222 n. 23 ; 251 n. 1 ; 252 ; 253 n. 15 ; 254 ; 256 ; 257 ; 263 ; 265 ; 266 ; 268 Poseidonios d’Apamée : 292 ; 293 n. 4 ; 294 n. 13 ; 296 ; 299 n. 36 Potamon : 121 ; 160 Priène : 132 ; 133 ; 139 Primus (cognomen) : 175 Priscus : 259 ; 262 ; 271 Proclus de Naucratis : 57 ; 58 n. 34 ; 61 ; 62 ; 66 ; 100 Proclus de Constantinople : 256 ; 257 n. 26 ; 268 n. 65 ; 270 n. 71 Prohérésius : 56 n. 29 ; 252 et n. 8 ; 257 ; 260 et n. 34 ; 264 et n. 49, 51, 52 ; 268 ; 270 et n. 70 Protagoras : 60 et n. 45 ; 70 n. 3 ; 76 n. 40 ; 217 n. 2 ; 365 n. 31 ; 389 ; 390 n. 15 ; 416 n. 46 Pseudo-Denys d’Halicarnasse : 11 ; 137 n. 49 ; 199 et n. 1 ; 201 et n. 14 ; 202 n. 18 ; 203 n. 19 ; 204 ; 205 n. 36 ; 206 n. 43 ; 207 ; 209 ; 210 et n. 71 ; 211 ; 213 ; 214 ; 449 Ptolémais : 105 et n. 61 ; 106 ; 108 ; 222 ; 433 Ptolémée (Claude) : 219 ; 221 ; 222 n. 23 ; 228 et n. 33 ; 317 ; 318 ; 323 et n. 31 Ptolémée de Naucratis : 66 n. 70 ; 100 Les Ptolémées : 218 n. 9 ; 319 Ptolémée VI Philométor : 435 et n. 15 Ptolémée VII Kakergète : 69 n. 2 Ptolémée VIII Physcon : 95 Ptolemée fils d’Hephaestion : 22 Ptolemée XIII : 99 Publicius Aemilianus (Q.) : 84 ; 86 ; 89 ; 91 ; 92 et n. 33 Pythagore : 90 n. 28 ; 150 ; 219 n. 11, 13 ; 220 ; 223 ; 224 ; 225 ; 226 ; 227 ; 228 et n. 32 ; 230 ; 232 ; 275 ; 278 ; 280 ; 282 ; 283 et n. 42 ; 284 ; 286 ; 287 ; 288 ; 431 n. 2 ; 450 ; 459 Quintilien : 11 ; 48 n. 46 ; 87 et n. 15, 17 ; 88 et n. 21 ; 103 ; 167 et n. 3 ; 168 ; 174 ;

183-198 ; 204 ; 205 et n. 36 ; 207 ; 208 ; 212 ; 244 et n. 82 ; 250 ; 295 ; 351 n. 7 ; 359 et n. 51 ; 366 n. 6 ; 372 et n. 28 ; 373 n. 30 ; 378 n. 59 ; 448 Quintus (étudiant) : 90 Quintus (frère de Cicéron) : 377 n. 49 Quintus de Smyrne : 172 n. 39 ; 179 Quirinus de Nicomédie : 64 n. 59 ; 65 ; 66 n. 70 Rhodes : 22 n. 20 ; 69 ; 71 ; 292 Rome : 7 ; 9 n. 7, 10, 14, 15 ; 10 ; 11 ; 17 ; 18 ; 20 ; 21 ; 22 et n. 20, 21 ; 23 ; 27 ; 33 ; 35 ; 38 n. 18 ; 41 n. 26 ; 42 n. 32 ; 43 ; 47 ; 48 et n. 46, 47 ; 50 ; 52 n. 6 ; 53 ; 55 et n. 24, 25 ; 58 ; 59 ; 68 ; 71 ; 73 et n. 19 ; 75 n. 34 ; 78 ; 79 ; 83 ; 85 ; 86 ; 87 n. 15 ; 88 et n. 21 ; 89 ; 91 ; 95100 ; 102 ; 105 ; 113-118 ; 122 ; 124 ; 125 ; 160 ; 167-181 ; 183 ; 210 ; 252 ; 254 ; 265 ; 267 ; 275 ; 276 ; 279 ; 285 ; 286 ; 289 ; 291 n. 1 ; 292 ; 295 n. 17 ; 297 n. 29 ; 302 ; 317 n. 1 ; 321 n. 24 ; 322 n. 25 ; 327 n. 54 ; 328 n. 57 ; 330-338 ; 345 ; 351 n. 7 ; 356 ; 361 n. 62 ; 367 et n. 10 ; 377 ; 379 ; 399 ; 423 n. 79 ; 427 n. 103 ; 428 ; 445 ; 448 ; 450 ; 455 ; 458 ; 460 Rusticus : 207 Sabinos : 39 Sagalassos : 159 Sallius Aristainétos C. : 116 ; 117 Salluste : 169 n. 16 ; 170 ; 171 ; 174 Sarapion (Ælius) d’Alexandrie : 97 ; 98 ; 201 Scipion Maior : 170 n. 19 ; 228 n. 32 Scopélianos/Scopélien de Clazomène : 58 ; 58 n. 37 ; 60 ; 61 ; 63 ; 64 ; 66 n. 70 ; 104 ; 109 n. 4 ; 118 et n. 59 ; 120 et n. 70 ; 124 Secundus : 64 et n. 59, 60 ; 86 et n. 12 ; 378 n. 59 Seleucus : 22 et n. 21 Sempronius Aquila : 177

i n d e x d e s n o m s d e pe rso nne s e t d e li e u x

Sénèque : 12 ; 105 n. 63 ; 171 ; 176 n. 56 ; 186 ; 275 n. 2 ; 291 ; 292 n. 2 ; 293 ; 294 ; 295 et n. 17, 18, 19, 22 ; 296 et n. 22, 26, 27 ; 297 ; 298 et n. 34 ; 299 et n. 35, 36 ; 300 ; 301 et n. 45 ; 302 ; 366 n. 6 ; 386 et n. 5 ; 392 ; 393 et n. 27, 28 ; 396 et n. 37 ; 397 ; 402 ; 403 ; 450 Sénèque le Père : 176 Septime Sévère (empereur) : 54 ; 55 n. 25 ; 72 ; 75 n. 35 ; 76 ; 78 ; 86 ; 91 et n. 30 ; 112 ; 115 n. 38 ; 116 Sérapis : 161 ; Sévère Alexandre (empereur) : 170 Sextius Niger (Q.) : 294 Sicca Veneria : 85 et n. 9 ; 89 ; 91 n. 31 Sidè : 148 ; 158 et n. 37 ; 160 ; 161 ; 163 ; 165 ; 448 ; 457 Simplicius : 300 et n. 42 Sirmium : 77 Skylax : 318 ; 319 Smyrne : 18 ; 25 et n. 38 ; 33 n. 2 ; 49 ; 55 ; 59 ; 60 n. 44 ; 63 n. 54 ; 63 n. 58 ; 64 ; 67 et n. 76 ; 73 n. 21 ; 75 n. 34 ; 77 ; 78 ; 88 n. 21 ; 99 ; 103 ; 104 ; 109 n. 4 ; 113 et n. 26 ; 114 ; 118 ; 119 ; 120 ; 132 et n. 25 ; 135 ; 140 ; 148 ; 149 ; 153 ; 154 ; 156 et n. 30 ; 157 n. 33 ; 160 ; 161 ; 162 ; 163 ; 172 n. 39 ; 176 ; 179 ; 228 n. 32 ; 448 ; 457 Socrate : 23 n. 26 ; 32 ; 44 et n. 38 ; 45 ; 76 n. 40 ; 113 n. 23 ; 125 ; 195 ; 270 n. 70 ; 272 ; 292 ; 338 ; 339 ; 389 ; 391 ; 421 n. 69 ; 422 ; 427 n. 102 ; 429 ; 436 n. 18 Solin (Dalmatie) : 89 ; 92 et n. 33 Sophocle : 312 ; 441 Sosiclès : 438 Sôtèros (sophiste) : 52 n. 7 ; 55 ; 56 ; 65 n. 65 Stace/Statius : 21 ; 377 Sthénélos : 441 Strabon : 21 ; 40 et n. 24 ; 50 ; 160 ; 317 n. 1 ; 318 et n. 5 ; 319 et n. 9, 11 ; 320 n. 12, 17 ; 323 et n. 34 ; 325 et n. 43 ; 326 et n. 44 ; 327 et n. 50, 51, 53, 55 ; 329 et

n. 67 ; 330 n. 71 ; 332 ; 333 ; 334 ; 445 ; 455 Straton de Lampsaque : 299 n. 35  Straton de Sardes : 353 et n. 15 ; 363 Stratonicée : 148 ; 156 ; 161 ; 163 ; 448 ; 457 Stratonikos : 217 et n. 4 ; 433 n. 11 ; 443 Suda : 19 et n. 14 ; 21 et n. 19 ; 22 et n. 20, 21, 24 ; 23 et n. 26 ; 27 n. 45 ; 31 ; 97 et n. 14 ; 157 ; 171 et n. 33 ; 201 et n. 4 ; 305 ; 306 n. 4 ; 338 n. 5 ; 352 ; 355 n 30 ; 445 ; 455 Suétone : 48 n. 44 ; 53 n. 10 ; 87 et n. 16 ; 173 ; 313 n. 29, 30 ; 356 n. 35 Sulpicius : 88 ; 427 Sylla : 95 Tacite : 167 n. 3 ; 322 n. 28 ; 326 n. 47 Tarragone : 89 ; 91 Tarse / Tarsus : 25 ; 29 ; 391 ; 402 Tattius Rufus (P.) : 29 Tavium : 148 ; 159 ; 161 ; 448 ; 457 Télémaque : 432 et n. 6 Telephus/Télèphe de Pergame : 27 ; 153 n. 22 ; 210 n. 71 ; 214 ; 215 Téos : 135 ; 141 ; 147 ; 218 et n. 7 ; 233 Terentius Sabinianus : 84 ; 85 ; 86 ; 89 ; 90 et n. 28 Terpandre : 229 Thalès : 298 ; 299 ; 300 ; 301 Thémistios : 8 ; 246 Théodose (empereur) : 168 Théodosios (sophiste) : 96 Théodotos : 53 et n. 12 ; 54 ; 65 n. 65 ; 66 n. 70 ; 72 ; 76 ; 77 Théognis : 26 ; 378 et n. 54 ; 441 Théon : 101 ; 102 ; 103 ; 106 ; 207 ; 228 n. 32 Théophile, évêque d’Alexandrie : 361 n. 67 Théophraste : 295 n. 22 ; 299 n. 35 ; 319 n. 9 ; 332 ; 424 ; 432 n. 5 ; 437 ; 439 ; 440 Théopompe / Theopompus : 27 Theoxenus : 28 Therippides : 139

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in d e x de s n o m s d e p e r s o n n e s e t d e l i e u x

Thessalie : 53 ; 60 n. 44 ; 63 n. 58 ; 65 n. 63, 65 ; 66 ; 67 ; 77 ; 309 Thucydide : 34 n. 6 ; 50 ; 208 ; 210 ; 221 ; 328 et n. 61 Thyatire (Lydie) : 133 n. 34 ; 143 ; 175 et n. 54 Timagène : 167 Timée : 220 ; 223 ; 225 ; 226 ; 292 Timocratès d’Héraclée du Pont : 119 et n. 60, 62 ; 120 ; 121 ; 122 ; 123 ; 124 Timothée : 217 et n. 5 ; 232 Titus Castricius : 174 Tomis : 110 ; 111 et n. 13 ; 116 ; 123 ; 125 Trajan (empereur) : 17 ; 98 ; 101 ; 113 n. 24 ; 125 ; 176 ; 326 ; 330 et n. 72 ; 331 et n. 73 Tralleis/Tralles : 139 Triphiodore : 172 n. 39 Turditania : 21 Tyrrhénos : 412 ; 420 ; 424 ; 425 Ulpianos : 242 n. 73 ; 245 ; 246 Ulpien : 434 : 435 ; 436 et n. 18, 19, 20 ; 437 ; 439 et n. 24 ; 440 et n. 25 ; 442 ; 443 ; 454 ; 463 Ulysse : 353 n. 16 ; 394 ; 425 ; 426 Valérien (empereur) : 41 Valérius (grammairien) : 175 Valerius Harpocration : 27 Valerius Probus : 373 Varus de Laodicée : 61 n. 48 ; 62 n. 52 Varus de Pergè : 64 ; 158 et n. 36 Verrius Flaccus : 87 Vespasien (empereur) : 38 n. 18 ; 41 ; 48 et n. 44 ; 53 et n. 10 ; 71 ; 75 et n. 34 ; 87 et n. 16 ; 88 ; 169 ; 371 n. 21

Vetidius Felix Honoratianus (Q.) : 89 n. 25 Vetidius Maternus Vetidianus (L.) : 89 n. 24 ; 90 Virgile : 84 ; 170 ; 171 ; 172 et n. 39 ; 288 ; 350 n. 3 ; 351 n. 7 ; 370 ; 373 n. 34 ; 374 et n. 36 Xanthippe : 338 ; 339 Xénon (cognomen) : 175 Xénophon : 142 ; 208 ; 210 ; 305 ; 306 et n. 5 ; 307 et n. 9, 10, 12 ; 308 et n. 14, 15, 16 ; 309 ; 310 ; 311 et n. 18, 19, 20 ; 312 et n. 21, 22 ; 313 ; 314 ; 315 ; 316 ; 328 ; 435 et n. 16 ; 441 ; 451 ; 461 Xénophon (nouveau), Arrien : 114 ; 306 n. 4 ; 316 Xénophon d’Éphèse : 326 n. 47 ; 406 et n. 7 ; 407 n. 10 ; 408 et n. 17 ; 410 et n. 23 ; 412 et n. 30, 31 ; 414 n. 38 ; 417 n. 54 ; 427 n. 106 ; 429 Xénotimos : 36 Zeleia : 29 Zénobios (sophiste) : 171 Zénobios (sophiste à Rome, auteur des proverbes) : 162 n. 45 ; 352 et n. 11 ; 364 Zénobios d’Elusa : 246 Zénodote : 351 n. 6 Zénon (médecin) : 256 ; 262 ; 263 Zénon (papyrus) : 140 et n. 63 Zénon le Scolastique : 207 Zeus : 112 ; 309 ; 321 ; 354 ; 357 ; 391 ; 398 ; 400 ; 433 n. 12 ; 434 ; 437 Zosime : 207

Index des principaux passages cités

Antoninus (M.) Med. 1, 10 : 27 n. 42 Anthologie Palatine IX, 168 : 362 IX, 169 : 361 n. 65 IX,171 : 361 IX, 173 : 361 IX, 174 : 361 IX, 175 : 361 n. 67 X, 86 : 362 XI, 142 : 350 n. 3 XI, 378 : 362 XI, 383 : 362 XI, 399 : 352 XI, 400 : 356 Apollonius Sophiste Lexicon Homericum, 156, 26 : 24 n. 27 Apulée Florides, 20, 9-10 : 89 n. 23 Métamorphoses, IV, 27 : 426 Aristide (Aelius) Or. 2 (Contre Platon. Sur la rhétorique) 433 : 36 Or. 3 (Contre Platon. Pour la défense des quatre) 489 : 37 519 : 37 659 : 37 Or. 32 (Éloge funèbre en l’honneur d’Alexandre de Cotiaieon) 9 : 24 n. 30 10 : 25 n. 36 ; 45 12 : 25 n. 36 ; 33-49 12-14 : 27 n. 43 16 : 27 n. 41 17 : 25 n. 37 21 : 25 n. 35

26-27 : 24 n. 30 Or. 47, (Discours sacrés = Hieroi logoi, 1) 55 : 152 Or. 48, (Discours sacrés = Hieroi logoi, 2) 30 : 152 31 : 152 77 : 152 Or. 49, (Discours sacrés = Hieroi logoi, 3) 8 : 152 Or. 50 (Discours sacrés = Hieroi logoi 4) 15 : 152 16-18 : 152 27 : 152 31 : 23 n. 29 43-44 : 152 Or. 51 (Discours sacrés = Hieroi logoi 5) 31-34 : 154 38-39 : 154 Aristophane Acharniens 1030 : 37 n. 15 Nuées 330-334 : 390-391 962-685 : 218 n. 2 Arrien Anabase 5, 4, 3-5 : 324 5, 4, 5 : 328 n. 57 et 59 5, 5,1-3 : 325 5, 5, 3 : 325 n. 40 6, 24, 2-3 : 328 n. 60 7, 20 : 329 n. 65 ; 331 n. 76

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in d e x de s p r i n c i pau x pas s ag e s c i t é s

Inde 2, 6-8 : 323 n. 30 3, 1-3 : 325 n. 41 4, 15-16 : 323 n. 30 5 : 320 n. 16 5, 1-2 : 327 n. 50 5, 4-6 : 329 n. 64 5, 7-10 : 321 n. 19 ; 329 n. 66 7, 4-9 : 321 n. 20 8, 8-13 : 327 n. 52 8, 9 : 323 n. 30 17, 6-7 : 325 n. 42 ; 326 n. 49 20, 1 : 328 n. 60 Périple du Pont Euxin 6, 2 : 170 10, 1 : 170 41 : 323 n. 31 47 : 323 n. 31 Athénée Deipnosophistes I, 2, 1c : 431 n. 2 I, 2, 1d : 433 III, 52, 97c : 434 III, 82, 115b : 436 III, 99, 125b : 436 IV, 49, 159c : 433 n. 9 IV, 82, 184c : 69 n. 2 V, 1, 185a : 431 n. 2 V, 2, 186a : 432 n. 5 V, 3, 186e : 432 V, 3, 187b : 432 V, 8, 180a-b : 435 n. 16 V, 12, 182a : 432 n. 4 V, 12, 187f : 435 n. 16 V, 14, 188d : 432 V, 14, 189a : 432 n. 6 V, 15, 189c-189f : 432 n. 7 V, 45, 209e-f : 435 n. 15 ; 436 n. 20 V, 64, 221a-b : 434-435 V, 65, 221f : 436 VI, 13, 228c : 436 VI, 81, 262b : 436 VI, 100, 270e-f : 433 VIII, 348d : 217 n. 4 IX, 64, 401e : 436

X, 1, 411a : 442 X, 21, 423b : 437 X, 21, 423e-f : 437 X, 22, 425f-426a : 439 n. 24 X, 27, 426b : 440 X, 30, 427c-d : 440 X, 31, 427f : 440 X, 31, 428b : 441 X, 35, 429f : 440 n. 25 X, 59, 442cd : 117 n. 54 XIV, 18-43, 623e-639a : 431 n. 2 Aulu Gelle Nuits Attiques (Noctes atticae) I, 2, 6 :173 VIII, 10 : 173 XIX, 9 : 174 Cassiodore De Orthographia, 1 : 84 Chorikios de Gaza Apologie des mimes, 104, 106, 107 : 245 Cicéron De officiis, I, 42, 151 : 371 n. 21 De Oratore, I, 155 : 168 Pro Archia, 5 : 167 Démosthène Sur la Couronne, 178 : 209 et n. 60 Digeste Dig. IV, 2, 23, 2 : 140 n. 64 Dig. XXVII, 1, 6, 1-2 : 19 n. 9; 26 n. 40 ; 30 n. 53 Dig. XXVII, I, 6, 9 : 75 n. 35 Dig. XLII, 1, 40 : 140 n. 64 Dig., L, 4, 18, 30 ; 75 n. 35 Diogène Laerce Vies et doctrines des philosophes illustres, I, 21 : 160 Dion Cassius Histoire romaine 52, 26 : 38 54, 9 : 330 n. 71 60, 17, 4 : 173 n. 45 68, 15 : 330 n. 72 Épitomè 72, 31 : 53 n. 11

i n d e x d e s pri nci pau x passage s ci t é s

Dion de Pruse Or. 32 (Aux Alexandrins), 40 : 326 n. 47 ; 330 n. 71 Or. 33 (Premier discours à Tarse) 4 : 391 6 : 392 Or. 35, 20  (Discours à Célènes de Phrygie) : 329 n. 14 Épictète Entretiens (Diatribai) II, 24, 27-29 : 399 III, 9, 9-10 : 399 III, 24, 78-81 : 396-397 IV, 1, 174-177 : 387-388 Eunape Vies de philosophes et de sophistes III, 2 : 257 IV, 13 : 263 n. 47 IV, 6 : 265 IV, 7 : 256 V, 2 : 265-266 V, 3 : 265 n. 3 V, 3-4 : 266 V, 6 : 258 V, 11 : 257 V, 16 : 263 n. 43 V, 22 : 263 n. 43 V, 27 : 253 n. 10 ; 258 VI, 4 : 256 ; 266 VI, 6 : 261 VI, 36-37 : 258-259 VI, 106 : 261 VII, 10-11 : 259 VII, 11 : 255 n. 18 et 21 ; 261 n. 38 VII, 13 : 255 n. 22 VII, 13-14 : 262 VII, 27 ; 256 VII, 39 : 263 VII, 48 : 253 n. 12 VIII, 6 : 257-258 IX, 8 : 257 IX, 27 : 262 X, 5 : 262 n. 44 X, 59 : 258 X, 79 : 257 n. 28

XII, 34 : 256 XVI, 2 : 263 n. 43 XVI, 3 : 261 n. 40 XVI, 9 : 261 n. 38 XVI, 10 : 260 XXI, 2 : 263 n. 46 XXI, 14 : 261 n. 41 XXII, 9 : 252 n. 6 XXIII, 6 : 256 XXIII, 31-32 : 257 XXIII, 34-35 : 254-255 ; 267 n. 61 XXIII, 35 : 255 n. 19 et 20 XXIII, 59 : 255 Eusèbe Histoire ecclésiastique, VI, 41, 11 : 42 Florus Vergilius orator an poeta ? : 84 Epitome, 2, 34 : 330 n. 71 Fronton Ad M. Caesarem II, 2, 5 :176 n. 63 IV, 13 : 86 n. 13 Ad amicos, I, 7 : 177 n. 68 Galien Art médical [Boudon-Millot], XXXVI-fin : 342 n. 24 XXXVII, 7-8 : 343 n. 27 Des tempéraments [Helmreich], II, 1 : 341 n. 16 Les facultés de l’âme suivent les tempéraments du corps [Müller], II, III, VI, XI : 341 n. 17, 18, 19 Les passions et erreurs de l’âme [de Boer] 6 : 341 n. 20 8 : 338 ; 340 Méthode de traitement [Kühn], IX, 4 : 340 n. 15 Sur le pronostic [Kühn], XIV, 626-629 : 73 n. 19 ; 97 n. 16 Ne pas se chagriner [Boudon-Millot, J. Jouanna et A. Pietrobelli] 57-62 : 339 n. 6 58 : 342 n. 22 60 : 341 n. 16

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in d e x de s p r i n c i pau x pas s ag e s c i t é s

De anatomicis administrationibus, II, p. 218, 6-7 : 72 n. 14 Sur l’ordre de ses propres livres [Boudon-Millot] I, 5 : 342 n. 25 I, 7 : 342 IΙ, 10-12 : 343 XV, 1 : 339 n. 10 Thasyboulos, 46 (894/895) : 133 Héliodore Les Éthiopiques II, 21, 2-3 : 421 II, 21, 4-7 : 421 II, 24, 5-7 : 421-422 II, 28, 2 : 422 II, 33, 5-7 : 408 II, 35, 5-7 : 408 V, 22, 1-3 : 426 Hermogène Sur les catégories stylistiques (De ideis) I, 1 : 213 et n. 92 II, 10-12 : 213 et n. 93 Méthode de l’habileté (De methodo sollertiae) 22 : 210 et n 70 Hérodote VII, 138, 1 : 328 n. 57 Himérios Or. 38 (Discours en l’honneur du proconsul Cervonius) 3 : 44-45 7 : 44-45 Hippocrate Épidémies, 4, 1, 37 : 19 n. 12 Homère Iliade I, 59-92 : 210 n. 65 I, 61 : 434 IX, 177 : 435 n. 16 Odyssée, IV, 70-73 : 432 n. 6 Horace Art poétique, 345-346 : 378 n. 58 Épîtres, II, 1, 70-71 : 366 n. 6 Épodes, I, 6, 40-46 : 169 n. 16 Odes, III, 30, 1 : 379

Satires, I, 10, 74-75 : 377 n. 51 Hunain ibn Ishaq Risala : 343 n. 28 Isidore Epitome Photii, 60 = frg. 111 Zintzen : 20 n. 15 Jamblique Vie de Pythagore, 35, 251 : 229 n. 32 Jérôme (Saint) Chroniques, 167, 2 : 176 n. 55 Julien Lettres, XCVIII, 64-71 : 253 n. 11 Juvénal Satires VII, 186-187 : 87 n. 17 X, 224 : 380 n. 65 Libanios Déclamations, 1, 106 : 235 n. 2 Lettres (Epistulae) 300, 4 : 236 n. 4 310, 5 : 236 n. 5 357, 4 : 236 n. 4 398 : 252 n. 9 405, 12 : 246 n. 91 439 : 246 n. 92 540, 2 : 242 n. 66 555, 4 : 246 n. 93 845, 1 : 235 n. 1 1171, 3 : 246 n. 97 1329, 1 : 236 n. 3 1330, 2 : 237 n. 19 ; 243 n. 75 Or. 1 (Autobiographie) 11 : 238 n. 28 16 : 238 n. 30 et 31 32 : 57 n. 33 37 : 57 n. 33 101 : 37 102 : 162 n. 45 110 : 240 n. 50 241 : 238 n. 35 ; 239 n. 37 242 : 239 n. 38 Or. 3 (À ses élèves. Sur le discours) 1 : 237 n. 17 2 : 237 n. 15 ; 240 n. 47 5 : 237 n. 15 ; 240 n. 48

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9 : 236 n. 10 10 : 240 n. 52 19 : 241 n. 58 35 : 243 n. 77 Or. 11 (Antiochicos), 188 : 162 215 : 235 n. 1 Or. 18 (Éloge funèbre de Julien), 14 : 238 n. 25 et 32 Or. 31 (Aux habitants d’Antioche en faveur des maîtres) 19 : 242 n. 72 30 : 242 n. 74 Or. 34 (En réponse aux diffamations du pédagogue), 4 : 236 n. 6 ; 237 n. 121 ; 244 n. 83 5 : 237 n. 18 ; 240 n. 44 ; 249 n. 118 6 : 243 n. 77 ; 248 n. 102 15 : 237 n. 22 ; 241 n. 60 16 : 241 n. 61 et 62 ; 243 n. 79 ; 249 n. 119 et 120 22 : 239 n. 45 ; 248 n. 103, 105, 106, 107 ; 249 n. 112 23 : 248 n. 104 24 : 236 n. 7 26 : 243 n. 78 ; 248 n. 110 28 : 237 n. 23 ; 239 n. 43 Or. 35 (À ceux qui ne prennent pas la parole) 3 : 248 n. 111 21 : 236 n. 12 Or. 36 (Sur les maléfices) 9 : 57 n. 31 ; 236 n. 9 ; 241 n. 63 ; 246 n. 94 ; 249 n. 117 10 : 245 n. 89 ; 246 n. 95 12 : 246 n. 96 13 : 236 n. 13 ; 238 n. 24 Or. 43 (Sur la convention) 8 : 242 n. 67 ; 249 n. 113 14 : 244n. 84 Or. 54 (À Eustathios sur les honneurs), 18 : 242 n. 69 Or. 55 (À Anaxentios), 7 : 249 n. 114 Or. 57 (Contre Severos), 3 : 249 n. 116

Or. 58 (Aux jeunes gens sur la couverture) 6 : 247 n. 100 9 : 237 n. 23 ; 240 n. 46 Or. 62 (Contre les détracteurs de son enseignement) 6 : 243 n. 76 19 : 242 n. 68 19-20 : 242 n. 70 Progymnasmata, 6, 2 : 235 n. 2 Longus Daphnis et Chloé Prologue, 4 : 410 II, 3, 1-2 : 415 II, 5, 3-6, 2 : 411-412 II, 7, 7 : 416 II, 8, 1 : 416 II, 33, 3 : 417-418 III, 17, 2 : 417 III, 17, 2-18,1 : 416 III, 17, 3 : 415 III, 18, 2-3 : 416-417 III, 22, 4 : 418 III, 23, 5 : 418 Lucien Or. 9 (Vie de Démonax) 3 : 121 n. 74 9 : 121 n. 73 50 :120 n. 69 Or. 17 (Banquet) 10 : 162 Or. 28 (Le Pêcheur ou les Ressuscités), 34 et 47-4 : 70 n. 3 Or. 39 (L’âne ou Loukios), 5-10 : 136 n. 44 Or. 41 (Le maître de rhétorique) 3 : 358 16 : 354 n. 25 ; 358 17 : 358 n. 46 18 : 358 n. 47 19 : 358 20 : 354 n. 25 23 : 358 24 : 359 26 : 360

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Or. 42 (Alexandre ou le Faux Prophète), 57 : 121 n. 75 Or. 45 (Sur la danse), 69 : 121 n. 76 Or. 47 (L’Eunuque), 3 : 72 n. 17 Or. 51 (Pseudologiste) :73 n. 19 Or. 56 (Les Fugitifs), 12 : 395 Or. 64 (Pour défendre un lapsus commis en saluant), 13 : 170 n. 17 Or. 65 (Apologie), 15 : 39-40 Or. 66 (Harmonidès) : 217 Or. 70 (Hermotime) 59-60 : 394 80-81 : 57 n. 31 Or. 77 (Dialogues des morts), 21, 3-4 : 397-398 Lycophron Alexandra, 6 : 132 n. 28 Marc Aurèle Écrits pour luimême I, 11 : 87 n. 14 Marinus Proclus ou sur le bonheur V, 1-7 : 268 n. 65 VIII, 5 : 270 n. 71 XII, 15-18 : 270 n. 71 XII, 32-36 : 270 n. 71 XXXVIII, 5 : 256 n. 25 Martial I, 1, 2 : 173 n. 43 ; 378 I, 1, 4 : 379 n. 61 I, 3, 1 : 378 n. 59 I, 35, 1-3 : 375 I, 41, 12 : 369 n. 15 II, 86, 11 : 372 n. 27 II, 90 : 372-373 III, 2, 12 : 373 III, 25, 4 : 371-372 III, 69, 5-8 : 375 n. 43 IV, 55, 27 : 379 n. 61 V, 2, 1-2 : 375 n. 43 V, 16, 2 : 379 n. 61 V, 24, 3 : 369 n. 15 V, 56 : 370 V, 84, 2 : 367 VII, 12, 11-12 : 379 n. 61

VII, 32, 5 : 369 n. 15 VII, 64, 7-8 : 369 n. 14 VII, 97, 12 : 378 n. 59 VIII, praef. 4 : 375 n. 42 VIII, praef. 6 : 379 n. 61 VIII, 3 : 376-377 IX, 29, 7 : 367 n. 8 IX, 68 : 365-366 IX, 73, 7-10 : 369 X, 2, 3-12 : 379 X, 21 : 373-374 X, 60 : 368 X, 62 : 367 X, 70, 11-12 : 371 n. 22 XI, 3, 5 : 173 XI, 78, 11 : 369 n. 15 XII, 57, 5 : 367 XIV, 19, 2 : 367 n. 9 XIV, 80, 1 : 367-368 XIV, 120 : 371-372 Maxime de Tyr Dissertations (Dialexeis), I, 8 : 388 Ménandre La Samienne, v. 188-193 : 109 n. 2 Musonius Rufus Entretiens, I, 10-11 : 400 Nicomaque Manuel d’harmonique : 217-234 Orose Historiae adversum paganos libri, VI, 21, 19 : 330 n. 71 Ovide Fastes I, 111-112 : 277 VI, 269-271 : 279 VI, 277-278 : 279 Métamorphoses I, 5-9 : 277 I, 32-35 : 277 I, 430-433 : 281 I, 434-439 : 282 XV, 178 : 278 XV, 252-255 : 278 Tristes III, 1, 2 : 379 n. 62

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IV, 10, 132 : 379 n. 62 Pausanias Periegesis V, 249 : 140 n. 57 VI, 3 : 140 n. 66 Periplus Maris Erythrei 57 : 320 n. 12 Philargyrius ad Virgile, Bucoliques, IX, 35 : 373 n. 34 ad Virgile, Géorgiques, II, 497 et III, 53 : 374 n. 36 Philicus Demeter, Supplementum Hellenisticum fr. 677 : 19 n. 13 Philogelos : 360 Philon d’Alexandrie Sur la vie de Moïse, I, 21-23 : 218 et n. 8 ; 229 Philostrate Vie d’Apollonios de Tyane,V, 36 : 169 n. 12 Vies des Sophistes Préface, 479 : 64 n. 59 I, 8, 490 : 118 n. 57 I, 21, 514-521 : 118 n. 59 ; 162 I, 21, 518 : 109 n. 4 ; 113 n. 26 I, 21, 519 : 60 I, 22, 524 : 161 I, 23, 526 : 54 ; 72 ; 74 n. 30 ; 76 n. 38 I, 23, 526-527 : 57 n. 30 I, 24, 528-529 : 115 n. 35 I, 25, 531 : 109 n. 4 I, 25, 536 : 119 n. 61 et 62 I, 25, 541 : 120 n. 67 II, 1, 546-547 : 114 n. 32 II, 1, 559-562 : 77 n. 43 II, 3, 566 : 53 ; 77 n. 42 II, 6 : 158 II, 6, 613 : 67 n. 79 II, 8, 580 : 88 n. 21 II, 10, 585-586 : 73 n. 18 II, 10, 585-590 : 118 n. 56 II, 10, 588 : 118 n. 55 II, 10, 588-589 : 73 n. 23 et 24 ; 74 n. 25 ; 88 n. 21

II, 11, 590-592 : 117 n. 53 II, 11, 591 : 57 ; 75 n. 37 II, 11, 591-592 : 58 n. 35 II, 13, 594 : 74 n. 31 ; 88 n. 21 II, 16, 596 : 88 n. 21 II, 19, 599 : 59 n. 42 II, 19, 600 : 54-55 II, 20, 600-602 : 78 n. 53 et 57 II, 20, 601 : 74 n. 32 ; 78 n. 55 et 55 II, 20, 602 : 79 n. 59 II, 21, 604 : 61-62 II, 23, 605 : 59 ; 73 n. 21 II, 26, 613 : 77 n. 46 ; 78 n. 51 ; 100 n. 35 ; 109 n. 4 ; 113 n. 26 II, 26, 613-614 : 75 n. 36 : 154 II, 27, 615-616 : 77 n. 47 et 48 ; 154 II, 27, 618 : 60 n. 44 II, 28, 620 : 62 n. 52 II, 30, 622-623 : 76 n. 39 II, 33, 627 : 88 n. 21 De la gymnastique 17 : 139 n. 57 45 : 140 n. 64 Pindare Olympiques, 8, 59 : 134 n. 37 Platon Banquet, 176b : 436 n. 17 Hippias majeur, 281b-283b : 70 n. 3 Ion, 536a : 244 n. 81 Ménon 81e-86d : 268 n. 65 99e-100a, 5 : 255 n. 23 Phédon, 72a-77d : 268 n. 65 Phèdre, 263b, 270e : 200 n. 3 Politique, 259 a :37 n. 15 Protagoras 313 c-e : 389-390 313d : 70 n. 3 325d-326b : 217 n. 2 Sophiste, 231d : 70 n. 3 Théétète, 148e-150e : 268 n. 65 Timée : 226 Pline l’Ancien Histoire naturelle III, 39 : 173 n. 42

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VI, 72 : 320 n. 12 VI, 100-106 : 320 n. 12 ; 323 n. 31 Pline le Jeune Lettres II, 3 : 177 n. 64 III, 21, 6 : 380 n. 64 VII, 4, 8-9 : 173 VII, 9, 2 : 168 X, 5-7 : 98 n. 19 X, 10 : 98 n. 19 Plutarque Alexandre 6 : 308-309 7 : 312 Démosthène, 2, 2 : 169 n. 16 Lycurgue, XXX, 4 : 307-308 Moralia 78d-e : 386-387 605 b : 70 n. 3 795 B-C : 307 Questions Platoniciennes, 10, 31, 1010d : 172 Propos de table III, 6, 653b-655d : 432 n. 5 V, 4, 677c-e : 438 V, 4, 677e : 439 V, 4, 678b : 439 n. 23 Sur la musique, 1138a-b : 217 n. 4 Polybe 3, 59, 1-9 : 326 n. 45 3, 59, 9 : 318 n. 6 31, 24 : 167 Porphyre In Aristotelis Categorias Commentarium 86, 21, 2 : 84 n. 4 Vie de Plotin 15 : 72 n. 16 20, 17-103 : 42-44 ; 72 n. 16 Properce II, 10, 15 : 330 n. 71 Pseudo Denys d’Halicarnasse Art rhétorique VII, 6 : 137 n. 49 VIII-IX : 199-213

Ptolémée Claude Géographie VII, 1, 62 : 323 n. 31 Quintilien Inst. or. I, pr. 5 : 184 I, pr. 7-8 : 207 n. 55 I, pr. 26 : 193 I, pr. 27 : 186 ; 193 I, 1, 4-5 : 167 I, 1, 12-14 :167 I, 1, 14 : 168 I, 1, 33 : 187 I, 1, 36 : 187 I, 2, 23 : 244 n. 82 I, 4, 1 : 168 I, 4, 6 : 186 I, 6, 3 : 372 n. 26 I, 6, 45 : 372 n. 26 I, 11, 14 : 186 I, 11, 15 : 188 I, 11, 18 : 188 et n. 14  I, 11, 19 : 187 ; 189 n. 15 II, 1, 3 : 195 II, 1, 9 : 186 n. 10 ; 188 II, 4, 16 : 186 II, 4, 20 : 185 II, 4, 21 : 188 II, 4, 24 : 186 II, 4, 26 : 188 II, 4, 33 : 188 II, 4, 36 : 188 II, 4, 41 : 186 II, 4, 42 : 188 II, 7, 3 : 186 II, 8, 13 : 189 II, 10, 1 : 184 ; 185 ; 195 II, 10, 4 : 186 II, 10, 7 : 188 II, 10, 9 : 185 ; 196 II, 11, 1 : 192 II, 12, 11 : 186 II, 13, 15 : 193 II, 15, 27 : 195 II, 17, 4 : 186

i n d e x d e s pri nci pau x passage s ci t é s

II, 17, 5 : 192 II, 17, 12 : 186 n. 12 ; 192 ; 196 II, 17, 42 : 192 II, 20, 2 : 195 II, 21, 11 : 189 III, 2, 1 : 195 n. 31 III, 5, 1 : 192 n. 25 III, 6, 93 : 187 III, 8, 43 : 188 III, 8, 49 : 187 III, 8, 53 : 187 III, 8, 70 : 185 ; 196 IV, 2, 29 : 185 et n. 7 V, 7, 28 : 196 V, 10, 70 : 205 n. 36 V, 10, 119-121 : 189 ; 192 V, 10, 121 : 192 n. 23 V, 10, 123 : 186 V, 10, 124-125 : 190 V, 10, 125 : 187 VI, 3, 11 : 196 et n. 32 VI, 3, 11-16 : 196 VI, 3, 14 : 186 ; 196 VI, 3, 15 : 185 ; 197 VI, 3, 16 : 197 VI, 4, 21 : 186 VII, 1, 40 : 193 VIII, pr, 16 : 194 VIII, pr, 19 :191 VIII, pr, 28 : 187 VIII, 3, 6-11 : 191 VIII, 3, 10 : 191 VIII, 3, 23 : 187 IX, 2, 69 : 205 n. 36 IX, 4, 114 : 186 X, 1, 1 : 186 ; 197 X, 1, 4 : 188 ; 189 X, 1, 23 : 187 X, 1, 131 : 186 X, 3, 13 : 195 X, 3, 15 : 194 X, 5, 2-3 : 168 X, 5, 3 : 187 X, 5, 4 : 188 X, 5, 8 : 187 ; 194 n. 29

X, 5, 11 : 185 ; 186 n. 10 X, 5, 14 : 186 X, 5, 15 : 186 ; 188 X, 5, 17 : 185 ; 190 ; 195 X, 5, 19 : 190 ; 195 X, 5, 20 : 185 ; 187 n. 13 ; 190 ; 196 X, 6, 3 : 187 X, 6, 5 : 188 X, 7, 6 : 185 ; 195 X, 7, 7 : 195 X, 7, 8 : 197 X, 7, 24 : 187 X, 7, 25 : 186 X, 7, 27 : 186 ; 187 n. 13 X, 7, 29 : 193 XI, 2, 9 : 185 ; 195 XI, 2, 26 : 187 XI, 2, 36 : 187 XI, 2, 40 : 193 n. 28 XI, 2, 42 : 188 ; 190 ; 194 n. 29 XI, 2, 45 : 187 XI, 3, 19 : 189 et n. 16 XI, 3, 22 : 189 ; 193 n. 28 XI, 3, 24 : 189 XI, 3, 25 : 185 ; 189 XI, 3, 29 : 188 ; 189 XI, 3, 54 : 189 XI, 3, 68 : 189 XI, 3, 117 : 185 ;195 XI, 3, 130 : 189 XII, 2, 20 : 186 n. 12 ; 195 XII, 2, 25 : 186 n. 10 ; 187 ; 195 XII, 2, 27 : 188 XII, 6, 5 : 188 ; 196 XII, 9, 20 : 195 n. 30 XII, 10, 41 : 191 XII, 10, 43-44 : 191 XII, 11, 6 : 185 XII, 11, 16 : 186 ; 192 n. 27 Res Gestae Divi Augusti, 31 : 330 n. 71 Scriptores Historiae Augustae Vita Marci, 2, 2-4 : 27 n. 44 Vita Hadriani 16, 3-4 : 85 n. 6 16, 8 : 114 n. 28

487

48 8

in d e x de s p r i n c i pau x pas s ag e s c i t é s

16, 10 : 114 n. 28 Vita Septimii Severi, 1, 4 : 91 n. 30 Vita Veri, 2, 5 : 27 n. 44 Sénèque Ad Luc. IV, 33, 3 : 396 V, 45, 8 : 393 LXXXIII, 21-23 : 294 Cons. ad Pol., 8, 2 : 171 n. 36 Cons. ad Pol., 11, 5 : 171 n. 36 Naturales quaestiones I, 17, 1 : 294 n. 11 II, 48-50 : 295 n. 20 VI, 1-21 : 298 VI, 6, 1 : 299 VII, 30 : 297 Sextus Aurelius Victor Epit. De Caes., 1 : 330 n. 71 Souda α 97 s.v. Ἅβρων : 22 n. 20 α 4173 s.v. Ἀσκληπιάδης : 21 n. 19 γ 506 s.v. Γαληνός : 338 n. 5 ε 2004 s.v. Ἐπαφρόδιτος : 22 ν 374 s.v. Νίκανδρος : 19 n. 14 σ 115 s.v. Σαραπίων : 97 σ 200 s.v. Σέλευκος : 22 n. 21 τ 495 s.v. Τήλεφος : 25 n. 45 Stace Thébaïde, XII, 815 : 377 n. 50 Strabon Geographica I, 1 : 326 n. 44 I, 43 : 327 n. 53 IV, 1, 5 : 40 V, 12 : 319 n. 9 XV, 1, 4 : 320 n. 12 ; 330 n. 71 XV, 1, 4-5 : 318 n. 5 XV, 1, 9 : 329 n. 67 XVII, 1, 8 : 160 XVII, 1, 13 : 318 n. 5

Suétone De grammaticis et rhetoribus 17, 3 : 87 n. 18 20 : 18 n. 8 23, 3 : 372 n. 27 Vie de Vespasien, 18, 1 : 53 n. 10 ; 87 n. 16 Vie de Claude, 16, 14 : 173 n. 44 Tacite Annales, 14, 25 : 326 n. 47 Tatius (Achille) Leucippé et Clitophon I, 2, 2-3 : 410 I, 11, 1 : 414 I, 16, 1-I, 19, 3 : 414 Themistios Or. 23 (Le Sophiste), 288d : 247 n. 98 Theognis 245-246 : 26 237-254 : 26 Thucydide VI, 24, 3 : 328 n. 61 Tzetzès Chiliades [Kiessling], XII, 397, 8, p. 440 : 338 n. 5 Virgile Énéide, VI, 557-558 : 366 n. 4 Xénophon Art équestre, VIII, 13-14 : 312 Cyropédie I, 3, 3-I, 4, 9 : 311 n. 19 I, 4, 9 : 311 n. 20 Xénophon d’Ephèse Ephésiaques III, 2, 7-8 : 408-409 III, 11 : 326 n. 47 V, 1, 3 : 412 V, 1, 10-11 : 412 V, 1, 12 : 414

Index des inscriptions

Les entrées de cet index renvoient parfois aux mêmes inscriptions, lorsque différentes éditions ont été indiquées par les auteurs. AE 1892, 121 : 90 et n. 28 1903, 227 : 97 1903, 320 = 1904, 58 = 1904 : 89 et n. 24 1903, 321 = 1904, 58 = 1904, 81 : 89 et n. 25 1917‐1918, 84 = 1919, 26 : 84 n. 3 1967, 459 : 77 et n. 50 1978, 724 : 116 n. 50 1994, 1532 (5) : 117 2004, 1446 : 72 n. 15 Agora XV 334 : 74 n. 29 447 : 79 n. 59 CIG 3003 : 74 n. 28 CIL III 1 (supl.), 6820 : 159 406 : 175 2127a (p. 1509) : 92 et n. 33 CIL VI 1511 : 116 et n. 48 1512 = VI, 31668 : 116 n. 48 9454 : 22 et n. 15 CIL VIII 12152 : 89 et n. 26 24517 : 85 n. 7 26672 : 90 et n. 28 27573 : 85 et n. 9 5350 : 85 et n. 8 CIL XVI 99 : 111 n. 14 CLE 107 : 90 et n. 28

432 : 175 CLEAfrique 68 : 90 et n. 28 FD III, 1: 132 n. 25 III, 1, 206 : 28 III, 1, 220 : 140-141 et n. 68 III, 1, 465 : 28 n. 47 III, 3, 338 : 28 III, 4, 61 : 28 n. 46 III, 4, 273 : 76 n. 41 III, 6, 143: 218 n. 6 Haussoulier 1880 405-406, n°21 : 157 Heberdey & Kalinka 1897 49 n°65 : 26 IAlexImp 98 : 97 IAmastris 17 : 116 IAph 2005 5, 214 : 130 n. 18 et 131 IBouthrotos 9 : 141 ICos (Segre) ED 145 79 : 137 n. 47 IDelos 1512 : 25 n. 34 IEleusis 493 : 77 et n. 44 621 : 78 et n.s 54, 56, 57 IG II2 3611 : 79 n. 59 3688 : 78 et n.s 54, 56, 57

49 0

in d e x de s i n s c r i p t i o n s

3764 : 79 n. 59 3811 : 66 n. 70 3812 : 79 n. 60 4084 : 77 et n. 44 4087 : 77 et n. 44 4211 : 66, n. 69 ; 74 n. 30 IG IV 591: 218 n. 6 IG V, 1 491 : 138 566 : 134-135 1208 : 129, n. 12 IG VII, 22, col. B 16-19 : 29 n. 52 IG XIV 2434 : 175 IGF 21: 175 IGR I 632 : 110-111 633 : 111 IGR IV 618 : 153 IGRR IV 1280: 175 n. 54 IK, 11 - Ephesos 20 : 74 n. 27 22 : 331 n. 73 27 : 150 IK, 12 - Ephesos 111-112 : 139 275 : 331 n. 73 IK, 13 - Ephesos 629 : 133 n. 31 690 : 152 719 : 149 n. 7 789 : 160 938 : 150 984 : 74 n. 28 IK, 14 - Ephesos 1101 : 130 n. 16 1112 : 140 n. 67 1161 : 149 1162 : 149 1164 : 149

1165 : 149 1167 : 149 1168: 149 1386: 151 IK, 15 - Ephesos 1548 : 56 IK, 16 - Ephesos 2005 : 139 2065 : 149 2304 : 149 IK, 17.1 - Ephesos 3047 : 65 n. 64 3068 : 150 3239 : 149 IK, 17.2 - Ephesos 4101 : 151 n. 14 4101A : 149 4101B: 149 n. 7 4328 : 150 IK, 21 - Stratonikeia 203 : 156 310 : 156 IK, 23 - Smyrna 191 : 153 214 : 156 n. 30 215 : 154, 156 n. 30 246 : 135 436 : 132 n. 25 IK, 24.1 - Smyrna 602 : 63 n. 58 652 : 25 n. 38 IK, 34 - Mylasa 101 : 155 n. 29 413 : 155 IK, 44 - Side 104 : 158 IK, 54 - Perge 14 : 129 n. 10 177 : 158 192 : 158 ILAlg  I, 280 : 85 et n. 8 I, 1363 : 89 et n. 24 I, 2115 = I, 4010 : 84 n. 3

i nd e x d e s i nscri pt i o ns

ILS 2928 : 85 et n. 8 2934 : 116 et n. 48 7742a : 89 et n. 24 7742b : 89 et n. 25 7769 : 22 et n. 15 7772 : 90 et n. 28 7774 : 92 et n. 33 9020 : 85 et n. 9 ILTun 594 : 89 et n. 26 1447 : 90 et n. 28 IKaunos 139 : 141 n. 72 IKition 2047 : 141 n. 72 ILabraunda 66 : 24 ILS 2928 : 85 et n. 8 2934 : 116 et n. 48 7769 : 22 IMagnesia (IM) 50 : 155 59 : 155 90 : 155 91 : 155 187 : 155 189 : 155 IMétriques 76 : 98 IOlbia 86 : 112 IOSPE, I² 42 : 112 44 : 112 47 : 112 174 : 112 IPergamon, VIII 3 31-35 : 153 n. 23 34 : 66 n. 71 38 : 153 152 : 152 IPortes 14 : 99 n. 29

70 : 101 ; 106 IPriene 111 : 132 n. 27 ; 133 ; 139 ISM (Inscriptiones Scythiae Minoris) II 69: 110-111 II 70 : 111 IStratonikeia III 1523 : 156 ISyringes  426 : 29 1187 : 29 1739 : 29 MAMA, VIII 418b : 156 Milet, I, 3 145 : 137 n. 48 ; 139 OGIS, II, 709 :104 PAAH, 1935 65,1 : 141 n. 70 Puech 3 : 65 n. 63 10 : 25 n. 33 21 : 66 n. 70 35 : 66 n. 71 39 : 117 n. 51 44 : 104 86 : 97 87 : 97 98 : 65 n. 64 118 : 65 n. 67 138 : 66 n. 71 149 : 65 n. 65 ; 66 n. 69 204 : 65 n. 65 234 : 63 n. 58 243 : 52 n. 7 ; 55-56 251 : 65 n. 65 RECAM, II 417 : 159 Samama 123 : 36 137 : 36 186 :153 187 : 153 190 : 153 n. 22

491

49 2

in d e x de s i n s c r i p t i o n s

201 : 149 203 : 151 205 : 149 n. 7 206 : 151 n. 14 207 : 149 210-215 : 149 218 : 149 331 : 159 n. 39 332: 159 ; 159 n. 39 337 bis : 159 SEG XIII, 258: 129 n. 12 XIII, 505 : 73 et n. 22 XXVIII, 592 : 116 n. 50 XXIX, 127 : 78 n. 54 XXXVIII, 1463 : 26 n. 39 XLIII, 381: 129 n. 13 ; 134 ; 137 n. 45 ; 138 XLVIII, 1330 : 157 n. 34

L, 1312 : 159 LII, 1156 : 155 LIV, 1031 : 72 n. 15 LIV, 1368 : 159 et n. 39 LIV, 1369 : 159 n. 39 LIV, 1370 : 159 n. 39 LVI, 1359 : 138 n. 52 SGO 06/02/17 : 153 et n. 22 Studia Pontica III, 276 : 29 n. 50 Syll.3 (=SIG3) 577 : 135 ; 139 739 : 28 TAM V, 1, 432 : 133 V, 1, 498 : 160 V, 2, 1097 : 133 n. 34

Index des papyrus

Index Academicorum : 70 n. 3 MP3 2932 : 171 P. Cair. Zen. I 59060 : 140 P. Lond. II 866b : 96 P. Oxy. 466: 136 I, 33 : 106 III, 531 = C. Pap. Hengstl 83 : 100; 103 VI 930 : 101; 102; 103 XVIII 2190 = SB XXII 15708 : 101; 102; 103 XLVII 3366 = HGV P. Coll. Youtie 2, 66 : 40-41 LXXIX 4202 : 105

P. Paris 63 :103 P. Sorb. II, 69 : 96 et n. 11 PSI I 110 : 171 P. Yale inv. 1536 : 106 SB III 6262 : 102 XVIII 13758 : 96 et n. 11 UPZ I 110  : 103 W. Chr. 27 : 105

Table des matières

Préface Gérard Freyburger & Laurent Pernot5 Avant-propos Anne-Marie Favreau-Linder, Sophie Lalanne & Jean-Luc Vix7 Première partie Les professeurs, statut social et rôle culturel Greek grammatici in the Roman Empire Ewen Bowie

17

Le grammairien Alexandros de Cotiaeon titulaire d’une chaire d’enseignement ? À propos du verbe δημοσιεύειν (Aelius Aristide, or. 32, § 12) Jean-Luc Vix

33

Enquête sur le salaire et les ressources des Sophistes d’après les Vies des Sophistes de Philostrate Anne-Marie Favreau-Linder

51

Chaires municipales, chaires impériales Ascension sociale et mobilité géographique des titulaires des chaires athéniennes Eric Perrin-Saminadayar

69

Les conditions d’exercice des rhéteurs africains sous le Haut‑Empire romain Quelques éléments Marie Dallies83 Rhéteurs et sophistes grecs dans l’Égypte romaine Des intellectuels sur le déclin ? Bernard Legras95

49 6

ta bl e d e s m at i è r e s

Peut-on être sophiste dans le Pont-Euxin ? Philosophie, rhétorique et périphérie Madalina Dana

109

Trainers as cultural mediators Onno Van Nijf127 Deuxième partie Lieux et pratiques d’enseignement Mouseia in Roman Asia Minor Public spaces of culture and institutions of education María-Paz De Hoz

147

Les Grecs ont-ils étudié le latin dans l’Antiquité ? Quelques témoignages littéraires et épigraphiques datant du Haut-Empire Bruno Rochette

167

Perspectives pédagogiques chez Quintilien Exercere, exercitare et exercitatio dans l’Institution oratoire Sophie Conte

183

Les traités VIII et IX de la Rhétorique du Pseudo-Denys d’Halicarnasse Un cours de littérature grecque sous l’Empire romain Laurent Pernot

199

Un passeur de culture musicale Nicomaque de Gérasa Sylvain Perrot

217

Libanios et les lois de l’école Catherine Bry

235

Enseignement et construction identitaire dans les Vies d’Eunape de Sardes Mathilde Cambron-Goulet251

tab le d e s mat i è re s

Troisième partie Écrivains passeurs de savoirs Ovide fut-il un passeur de la culture philosophique grecque dans la Rome d’Auguste ? Maud Pfaff-Reydellet275 Sénèque naturaliste Frédéric Le Blay291 Plutarque, un passeur de la culture équestre grecque Alexandre Blaineau305 La transmission des savoirs géographiques par les auteurs de la Seconde Sophistique Arrien et l’Inde Elias Koulakiotis317 Galien et la paideia Anne-France Morand337 Quatrième partie Représentations de figures d’enseignants Les passeurs de culture dans l’épigramme satirique grecque Lucia Floridi349 Aspects et enjeux de la représentation des figures d’enseignants dans les Épigrammes de Martial Catherine Notter365 Bonimenteurs et marchands de savoirs Les images du profit et l’enseignement de la philosophie dans la littérature grecque du Haut-Empire Marine Glénisson385 La sagesse des anciens Sur la transmission orale des savoirs dans le roman grec ancien Sophie Lalanne405 Athénée pédagogue ou le refus de la vaine érudition Yannick Scolan †

431

497

49 8

ta bl e d e s m at i è r e s

Résumés en français

445

Résumés en anglais

455

Index Index des noms de personnes et de lieux Index des principaux passages cités Index des inscriptions Index des papyrus

467 474 484 487