Julius Valere. Roman d'Alexandre (Recherches Sur Les Rhetoriques Religieuses) (French Edition) 9782503529578, 2503529577

Attributed to Pseudo-Callisthenes; translation in Latin by Julius Valerius.

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Julius Valere. Roman d'Alexandre (Recherches Sur Les Rhetoriques Religieuses) (French Edition)
 9782503529578, 2503529577

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12 Julius Valère Roman d'Alexandre

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RECHERCHES SUR LES RHÉTORIQUES RELIGIEUSES

Collection dirigée par Gérard Freyburger et Laurent Pernot Volumes parus 1 Bibliographie analytique de la prière grecque et romaine. Deuxième édition complétée et augmentée (1898-2003), par les membres du C.A.R.R.A., sous la direction de Gérard Freyburger, Laurent Pernot, Frédéric Chapot, Bernard Laurot. 2 Corpus de prières grecques et romaines. Textes réunis, traduits et commentés par Frédéric Chapot et Bernard Laurot. 3 « Anima mea ». Prières privées et textes de dévotion du Moyen âge latin, par JeanFrançois Cottier. 4 Rhétorique, poétique, spiritualité. La technique épique de Corippe dans la « Johannide », par Vincent Zarini. 5 Nommer les dieux. Théonymes, épithètes, épiclèses dans l’Antiquité. Textes réunis et édités par Nicole Belayche, Pierre Brulé, Gérard Freyburger, Yves Lehmann, Laurent Pernot, Francis Prost. 6 Carmen et prophéties à Rome, par Charles Guittard. 7 L’hymne antique et son public. Textes réunis et édités par Yves Lehmann. 8 Rhétorique et littérature en Europe de la fin du Moyen Age au xviie siècle. Textes réunis et édités par Dominique de Courcelles. 9 L’étiologie dans la pensée antique. Textes réunis et édités par Martine Chassignet. 10 Supplicare deis. La supplication expiatoire à Rome, par C. Février. 11 La rhétorique de la prière dans l’Antiquité grecque. Textes réunis et édités par Johann Goeken.

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RECHERCHES SUR LES RHÉTORIQUES RELIGIEUSES Collection dirigée par Gérard Freyburger et Laurent Pernot

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Texte traduit et commenté par Jean-Pierre Callu Membre de l’Institut

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© 2010, Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium. All rights reserved. No part of this book may be reproduced, stored in a retrieval system, or transmitted, in any form or by any means, electronic, mechanical, photocopying, recording, or otherwise, without the prior permission of the publisher.

D/2010/0095/23 ISBN 978-2-503-52957-8 Printed in the EU on acid-free paper

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Préface C’est une joie particulière d’accueillir dans la collection «  RRR  » l’ouvrage de M. Jean-Pierre Callu sur le Roman d’Alexandre. L’essentiel du volume est constitué par l’Histoire d’Alexandre de Macédoine de Julius Valère, en trois livres, datable des années 360-380 après J.-C. Ce texte, qui n’avait jamais été traduit, est donné ici en latin (d’après l’édition Teubner de M. Rosellini) et en français, avec un commentaire. Quatre textes supplémentaires, plus courts, sont offerts en annexe. L’Itinéraire d’Alexandre, récit factuel, centré sur les opérations militaires, est probablement l’œuvre du même Julius Valère et peut avoir été composé antérieurement à l’Histoire, vers 340. L’épitomé de l’histoire d’Alexandre le Grand de Macédoine, rédigé au ive siècle, s’inspire de plusieurs modèles, notamment de Quinte-Curce ; il est suivi par le Livre de la mort et du testament d’Alexandre. La Lettre d’Alexandre de Macédoine à son maître Aristote, quant à elle, est tirée de l’Histoire de Julius Valère. Mis à part la Lettre, ces opuscules sont, eux aussi, traduits ici pour la première fois. Le lecteur dispose ainsi d’un corpus complet et cohérent, illustrant la manière dont la geste d’Alexandre fut reçue et remaniée dans la civilisation romaine au ive siècle de notre ère. La sagacité et l’érudition de J.-P. Callu offrent un guide exceptionnel pour aborder ces textes difficiles, qui, sous de fausses apparences de naïveté, posent de redoutables problèmes de compréhension et d’interprétation. Style serré et travaillé, sources nombreuses et entrecroisées, déconstruction de la chronologie, références géographiques et historiques multipliées, questions militaires, monétaires… : sur tous ces points, et d’autres encore, la traduction et le commentaire offrent des clartés inappréciables. Conduit d’une main sûre, le lecteur peut s’abandonner au plaisir de la lecture, en particulier en découvrant les trois livres de Julius Valère, qui constituent l’ensemble le plus élaboré. Cette Histoire est d’abord un roman, et un bon roman. Reposant sur des informations historiques nourries et sérieuses, elle se développe en récit de formation, de voyage, d’aventure et d’amour. Julius Valère transporte ses lecteurs dans la Grèce du temps jadis et les met en présence de Démosthène et d’Aristote. Il les fait assister à toutes sortes de batailles et décrit ruses de guerre et chevauchées nocturnes, entrecoupées de fondations de cités, de rencontres avec de belles princesses et de descriptions d’œuvres d’art. Nous suivons le Conquérant au bout du monde, de l’égypte à la Perse et à l’Inde, et jusque dans des contrées merveilleuses où les paysages sont féériques, la faune, paradoxale, et où vivent des peuplades humaines prodigieuses. Par-delà le délassement, l’esprit romain réfléchit au modèle de la royauté. Alexandre ayant été de tout temps un exemple, que beaucoup de souverains voulurent imiter, le présent corpus montre comment, au Bas-Empire, on pouvait envisager la tâche politique et militaire du maître du monde, non sans relation avec l’actualité. Alexandre est d’ailleurs loin d’être un modèle en tout. Il illustre aussi des erreurs dont il faut se garder. 1

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préface

Dans une telle fresque, la rhétorique et la religion occupent une place de choix. La vie d’Alexandre commence par des prodiges, une conception surnaturelle et des calculs astrologiques. Tout au long, elle sera ponctuée de sacrifices, d’oracles et de prières, pour culminer par une révélation mystique au bout du monde et un banquet avec les Immortels. Tant il est vrai que le pouvoir suprême a partie liée avec le divin. La rhétorique, quant à elle, forma mentis de l’époque, est omniprésente dans l’inspiration et l’écriture de Julus Valère, ainsi que le souligne J.-P. Callu dans son Introduction. Le récit est émaillé de prises de parole, et souvent la narration passe au second plan derrière les harangues, les conseils d’état-major, les affrontements d’orateurs (notamment le débat d’Athènes, morceau de bravoure au livre II), et encore – autres formes en rapport avec la rhétorique – les lettres, les dialogues, les reparties qui fusent et les finesses langagières de toute sorte. L’Histoire d’Alexandre de Julius Valère offre ainsi, et ce n’est pas le moindre de ses intérêts, un document important et insoupçonné pour l’étude des rhétoriques religieuses de l’Antiquité. Gérard Freyburger & Laurent Pernot

Remerciements La maison d’édition de Gruyter a bien voulu autoriser la reproduction de l’édition Teubner de Julius Valère, afin que ce texte puisse être repris ici, avec des changements et des notes critiques. Nous remercions encore les éditeurs des opuscules dont le texte latin, également révisé, est donné en annexe.

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Avant-propos Les avatars encourus par le présent travail invitent à une explication. Lorsqu’il fut mis en chantier, en 1994 – il y a maintenant quinze ans –, il s’agissait de participer à un projet lancé par la Bibliothèque de la Pléiade. L’idée était de rendre sensible l’extraordinaire résonance dans la littérature mondiale de l’épopée d’Alexandre  : deux volumes, de l’Antiquité aux temps modernes, auraient couvert l’Europe et l’Asie ; dans le premier, à la suite des grands historiens ou biographes gréco-romains déjà traduits dans notre langue, les Diodore, Quinte Curce, Plutarque, Arrien, aurait donc été introduit le Roman d’Alexandre, nécessaire maillon de la chaîne mais généralement méconnu des manuels universitaires français. Parmi les versions les mieux conservées, la plus ancienne de facto sinon de iure était celle des Res gestae Alexandri signées par Julius Valère. Ainsi un latiniste avait-il été choisi. En 2000, la traduction qui, commencée au cours des conférences de l’école Pratique des hautes études, englobait des pièces annexes du corpus alexandrin, était terminée ; comme l’on croyait la publication proche, elle fut même communiquée et contribua quelque peu à l’achèvement d’une thèse parue en 2002. Malheureusement, la grandeur de l’entreprise entraîna l’échec. Après des essais de redimensionnement, en raison de certains abandons, il fallut, en 2006, envisager une orientation nouvelle. Le plus naturel parut de se tourner vers la Collection des Universités de France. Le format changeait : il convenait d’étoffer le commentaire et surtout d’insérer le texte original. Or, après douze années d’enquête, Teubner, dès 1993, avait offert une admirable édition critique. Renoncer à l’utiliser semblait illogique et le principe d’une cosignature aurait dû prévaloir, s’il n’avait pas contrevenu à un usage maintenu sans exception par la direction des Belles Lettres. Alors conduit vers une impasse, j’éprouve une profonde gratitude envers Laurent Pernot et Gérard Freyburger qui m’accueillent aujourd’hui à Strasbourg dans leurs Recherches sur les Rhétoriques Religieuses ; grâce à eux et à leur excellente collaboration avec Brepols Publishers, le livre paraît dans les meilleurs délais et en respectant les droits en cause. Si ces longs délais ont amoindri l’originalité du propos, il s’impose également de reconnaître les améliorations résultant aussi bien d’apports parallèles que d’une maturation du sujet. Au reste, dans cette œuvre complexe que forment les Res gestae, tout, à l’évidence, n’a pas été traité : axé sur l’historicité culturelle du mythe alexandrin, le commentaire qui accompagnera cette traduction princeps n’entend mener ni une étude littéraire, ni a fortiori un réexamen de la tradition manuscrite. Paris, automne 2009.

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Introduction Parce que, relayées par un épitomé copieusement diffusé1, les Res gestae Alexandri Macedonis de Julius Valère2 sont à l’origine d’un large pan de la littérature médiévale d’Occident3, le présent livre en propose la lecture au public de langue française4. C’est donc à partir du texte latin que va se développer notre réflexion, nourrie, il est vrai, d’une érudition d’ensemble déjà très aboutie il y a cent ans5.

Structures Deux préalables déterminent le contexte proprement valérien : d’une part, le manuscrit de tête, l’Ambrosianus P 49 sup. (A), du Xe s., regroupe les Res gestae (cc. 1-54v) et un plus court Itinerarium Alexandri (cc. 54v-72)6 ; de l’autre, le titre long des Res gestae indique que, dans un mouvement général d’emprunt à l’hellénisme, Julius Valère a traduit du grec7. 1   J. Zacher, Julii Valeri epitome zum erstenmal hrsg., Halle, 1867 ; D. J. A. Ross, Studies in Alexander Romance, Londres, 1985, p. 83-88 : soixante-neuf manuscrits. 2  Édition M. Rosellini, Stuttgart-Leipzig, Teubner, 1993, utilisation du travail préparatoire de R. Calderan. 3   G. Hasenohr et M. Zink, Dictionnaire des lettres françaises, Le Moyen âge, Paris, 1972, Roman d’Alexandre, p. 1306-1308 (avec interférence de l’Historia de preliis de l’archiprêtre Léon) ; survol des dérivations orientales in R. Stoneman, Il Romanzo di Alessandro, Fondazione Lorenzo Valla, 2007, p. xviii. 4   La thèse d’I. Brenez, soutenue en 2003, n’a pu être utilisée. 5   Premier classement chronologique des versions grecques ébauché par W. Mueller, Paris, 1846, complété, notamment par l’inclusion de Julius Valère, chez J. Zacher, Ps. Callisthenes. Forschungen zum Kritik und Geschichte der aeltesten Aufzeichnung der Alexandersage, Halle, 1867 ; A. Ausfeld, Der griechische Alexanderroman, Leipzig, 1907. 6  Édition critique commentée et traduction de l’Itinéraire par R. Tabacco, Città del Castello, 2000, tav. II. Le Parisinus lat. 4880 (P), des XII-XIIIe s., formant la paire basique avec A pour les Res gestae, est lui aussi en relation avec cet Itinéraire : cf. op. cit. supra n. 2, p. 24. 7   Ex (a)esopo gr(a)eco, AP, cf. op. cit. supra n. 2, p. 74 et 123 ; sur le palimpseste Taurinensis a II 2 (T) du VIIIe s., brûlé en 1904, p. 123, on lit encore ex eropro greco (esopo ayant aussi été déchiffré, p. 1, par A. Peyron). Dans les années où opère Julius Valère, deux autres œuvres grecques sont adaptées en latin : 1°) en 337, la Mathesis de Firmicus Maternus transcrit un populaire traité astrologique d’Anubion, lequel vivait sous Néron, cf. Pap. Genevensis inv. 168 (P. Schubert, «  Le papyrus de Genève inv. 268 : un nouveau fragment du poème astrologique d’Anubion, précurseur de Firmicus Maternus », à paraître dans les Comptes rendus de l’Académie des Inscriptions et BellesLettres, 6 mars 2009) ; 2°) entre 353 et 358, le Ps. Hégésippe traduit la Guerre juive de Flavius Josèphe, voir mon étude in Historia Augusta - Colloquium Bonn 1984/85, Bonn, 1987, p. 117-142.

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INTRODUCTION

Cela étant, les Res gestae sont à situer par rapport : 1°) à la complémentarité de l’Itinerarium ; 2°) au substrat qu’elles adaptent à l’intention des latinophones. La première question dégage la notion de ce que, ailleurs, nous avons appelé « l’alternative historienne »8. Dans le sillage de l’opposition matricielle d’Hérodote et de Thucydide, il nous a semblé que l’historien avait toujours le choix de doser deux types d’écriture : soit il s’appuyait sur une documentation écrite et orale, soit au réel il joignait le possible, ce qui lui permettait de simplifier par omission ou modification et, plus encore, d’ajouter de l’imaginaire romanesque, de la rhétorique, de l’ethnographie rêvée. À n’en pas douter, l’Itinerarium a préféré un développement des faits remontant, par Arrien, en particulier à Ptolémée9. Au contraire, les Res gestae portent à l’extrême les écarts de la tradition clitarchienne10 : transformation du protagoniste, inversion de la chronologie, suppression d’événements importants au bénéfice de virtualités ou d’excroissances, resserrement du récit contrastant avec la dilatation du discours et de l’échange épistolaire11. Après avoir en 34012 satisfait aux exigences de l’historicum officium13, il apparaît ainsi que dans les décennies suivantes et, de toute façon, bien avant les débuts du Ve s.14, Julius

8   J.-P. Callu et M. Festy, « Alternatives historiennes : de l’Historia Alexandri à l’Historia Augusta », Historiae Augustae Colloquium Genevense tertium, à paraître (à la note 40, une autre explication serait possible pour tamarisci : fondée sur une dérivation de tamar qui, en hébreu, désigne le palmier, elle aurait l’appui de deux occurrences dans le Roman ; au § 17 de la version arménienne, Nectanébo dispose d’un « sceptre en bois de palmier » ; le Spec. hist. de Vincent de Beauvais, 4, 1, XIIIe s., sous la forme indiquée dans l’apparat critique de l’édition Rosellini, p. 2, a la remarque suivante : uirgulam ex ligno hebeni, alias palmae). 9  H. Tonnet, « Le résumé et l’adaptation de l’Anabase d’Arrien dans l’Itinerarium Alexandri », Revue d’histoire des textes, 9, 1979, p. 243-254 ; Ps. Liban., Progymnasmata, Descriptiones, 25, éd. R. Foerster, Leipzig, VIII, 1914, p. 529, 15-16. 10   J.-P. Callu , « Alexandre dans la littérature latine de l’Antiquité Tardive », Alexandre le Grand dans les littératures occidentales et proche-orientales, éd. L. HarfLancner, C. Kappler et F. Suard, Nanterre, 1999, p. 33-50. 11   Ces rubriques seront illustrées plus avant. 12   Op. cit. supra n. 10, p. 44-47 : l’Itinéraire, expressément postérieur à l’assassinat de Constantin II (2, 4), précède les Res gestae, car, dans l’épisode du bain de Tarse, les deux termes de contractus et de labi, pris d’abord au sens fort, sont ensuite utilisés dans une acception plus neutre. 13   Rhetores latini minores, éd. C. Halm, Leipzig, 1863, p. 588 : Historici officii sunt tria : ut ueras res, ut dilucide, ut breuiter exponat ; dilucide est glosé : si ut oportet res pro temporibus, pro locis, pro actibus structura simplici et perfecta explanetur. 14   Deux indices approximatifs n’ouvrent qu’une trop grande marge pour le terminus ante quem : 1°) la phrase des Res gestae, I, 76, iubet omne facessere famulitium est reprise dans les Explanationes in Donatum, Grammatici Latini, IV, 557, 25, traité postérieur à Servius où cette entrée est ajoutée à des auteurs beaucoup plus anciens en même temps qu’une citation de Symmaque, Monumenta Germaniae historica, AA, VI, 1, 1883, p. 340 = Grammatici latini, IV, 488. Ce Fortleben commun implique un statut social voisin, ce qui ne surprend guère, puisque, selon les intitulés de T, p. 74 et 123,

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Valère, auteur vraisemblablement unique des deux œuvres15, ait cédé au plaisir de la mythistoria16, tout comme l’Histoire Auguste17, nous semble-t-il, récrit les Annales de Nicomaque Flavien18. Seconde confrontation, non pas entre deux genres latins, mais, encore plus obvie, dans un même genre entre deux langues : comment la traduction latine s’inscrit-elle dans le déroulé antérieur du texte grec traduit ? La réponse n’est pas simple, parce que, matériellement, nous n’avons pas, au niveau de la recension α, reconnue depuis W. Müller la plus ancienne, le témoin d’un état ayant précédé la rédaction de Julius Valère. En effet, le seul manuscrit subsistant, le Parisinus graecus 1711 (A)19 copie un modèle élaboré après les années 407-42020. Souvent proche, mais néanmoins

Julius Valère est qualifié de vir clarissimus  ; 2°) l’Epitoma Mettensis, qui comble les silences des Res gestae sur les campagnes de Bactriane et Sogdiane, s’attache à propos des Brahmanes, au § 74, éd. P. H. Thomas, Leipzig, Teubner, 1966, p. 24-25, à un idéal de liberté vertueuse commenté aux alentours de 386 par S. Ambroise. 15   Bien que l’auteur de l’Itinéraire, ayant recusé l’elegantiam sermonis (3, 7), écrive un latin plus ardu, R. Tabacco, op. cit. supra n. 6, p. xvii, le considère aussi comme «  l’autore della traduzione del Romanzo greco  ». On ne peut, par ailleurs, à sa suite, ibid. p. xiii-xiv, que refuser le témoignage de G. Gaulmin, De vita et morte Mosis, Paris, 1629, p. 235, repris par C. Du Cange, Glossarium ad scriptores mediae et infimae Graecitatis, Lyon, 1688, s. v. ἐβελλίνος, selon lequel un épitomé des Res gestae, remplaçant, en I, 19, virgulam ex ligno ebeni par tamarisci virgam (cf. supra n. 8), aurait été dédié à Constance II à l’instar de l’Itinéraire. En soi, il y aurait là une présomption d’origine identique, mais la mention d’Aesopus interpres Callisthenis contredit l’affirmation des manuscrits précitée n. 7 : ex Aesopo graeco et ne révèle que de la confusion. 16   Le substantif et son dérivé appartiennent au vocabulaire de l’Histoire Auguste : Opil. Macr., 1, 5 et Quadr. Tyr., 1, 2. D’après l’étymologie, le « mythistorien » mêle des histoires à l’Histoire, la référence canonique étant le De inuentione de Cicéron en I, 27 : ea quae in negotiorum expositione posita est tres habet partes : fabulam, historiam, argumentum. Fabula est in qua nec uerae nec uerisimiles res continentur (…). Historia est gesta res ab aetatis nostra memoria remota (…). Argumentum est ficta res quae tamen fieri potuit. 17   Non seulement des rapprochements textuels ont été signalés, cf. Historiae Augustae Colloquium Perusinum, Bari, 2002, p. 106-107 (I, 34, 1117-1120 et HA, Tyr. Trig., 22, 13  ; II, 15, 1732-1734 et ibid., Verus, 5, 3), mais encore Res gestae et HA évoluent vers davantage de fiction et donc, faute d’invention, vers les répétitions thématiques. 18   L’ouvrage, dédié à Théodose, devait être un abrégé historique. 19  Écrit entre 1013 et 1124, ce manuscrit A (cette même lettre A désigne, par malchance, à la fois le Parisinus graecus 1711 et l’Ambrosianus latin P 49 sup. de Julius Valère, cf. supra n. 6) conserve un texte corrompu, parfois illisible, dont W. Kroll, à Berlin, en 1926 a tiré une Recensio uetusta (traduite en français par A. Tallet-Bonvalot en 1994). R. Stoneman, op. cit. supra n. 3, a depuis, pour le livre I, révisé avec prudence les lectures de Kroll. 20  Entre III, 6 et III, 17, A interpole le Commonitorium Palladii probablement attribuable à l’auteur de l’Historia Lausiaca : cf. L. Cracco Ruggini, « Sulla cristianizzazione della cultura pagana : il mito greco e latino di Alessandro dall’età antonina al Medioevo » , Athenaeum, 43, 1965, p. 3-80, plus spécialement p. 23.

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INTRODUCTION

différente, se reconstruit indirectement une deuxième source grecque, celle d’où procède la dérivation arménienne ; le terminus post quem cependant est là encore au Ve s., puisque l’alphabet employé date de 404 de notre ère21. Il reste donc, pour la recension α, à présupposer, pour autant que l’originalité des Res gestae est à partager, dans des proportions inconnues, entre l’adaptateur et ce qu’il adapte22, l’existence d’un troisième rameau grec distinct de A comme de l’archétype des arméniens. En grande partie, à l’exemple d’Ausfeld et de Stoneman, tout au long de notre commentaire, nous nous efforcerons par conséquent de marquer écarts et rapprochements. En α, le Parisinus A n’affichait aucun nom d’auteur. À la phase suivante β qui, au Ve s., propose « une réécriture aux prétentions historicisantes »23, un autre codex de Paris, écrit en 1468 et numéroté 1685, ouvre son titre par la mention de Callisthène, le philosophe d’abord adulateur d’Alexandre, puis mort sa victime en 325. Les érudits du XVIIe s., qui voyaient bien la contradiction chronologique, parlèrent aussitôt d’un Pseudo-Callisthène24, et l’appellation est restée. Quant à l’ensemble arménien utilisé par A. M. Wolohojian, dont le composant le plus reculé n’anticipe pas le XIVe s., le « Venice ms 424 (P) notes at the end of the first major section that the work was written by Aristotle »25. On se rappelle enfin que, dès le VIIIe s., les Res gestae sont dites traduites d’Ésope26. Callisthène, Aristote, Ésope, voilà des différences significatives. Les deux premières attributions sont tardives et se fondent sur des approximations demisavantes dans l’orbite historique27. La dernière, plus ancienne, surprend et mérite qu’on s’y arrête. 21   Aux traductions de R. Raabe, ΙΣΤΟΡΙА АΛЕΞАΝΔΡΟΥ (en grec), Leipzig, 1896, et de A. M. Wolohojian, The Romance of Alexander the Great by Pseudo-Callisthenes (en anglais), New York - Londres, 1969, nous avons pu ajouter celle du seul représentant de la version courte, XIIIe s., pour I, 10-18, II, 20-22 et III, 25, grâce à la générosité de J.-P. Mahé que nous remercions vivement. En dernier lieu, D. Kouymjian, « L’iconographie de l’Histoire d’Alexandre le Grand dans les manuscrits arméniens » , op. cit. supra n. 10, p. 95-106. 22   On aura l’occasion de noter des traits en accord avec la période constantinienne. 23   C. Jouanno, Naissance et métamorphoses du Roman d’Alexandre, Domaine grec, Paris, 2002, p. 261. 24   I. Casaubon, Ep. 460, du 15 août 1605 : Exstat in Bibliotheca Pseudo Callisthenis Historia rerum Alexandri, avec réponse de J. Scaliger, Ep. 113, du 27 septembre 1605  : Pseudo Callisthenes… J. Zacher, op. cit. supra n. 5, p. 8-9, observe ensuite, p. 16-17, que le Vaticanus graecus 1556, des XVe-XVIe s., dans la même recension β, invoque également la paternité de Callisthène. 25   A. M. Wolohojian, op. cit. supra n. 21, p. 1, 8 et 160 ; le nouveau manuscrit court, traduit en partie par J.-P. Mahé, est mutilé du début. 26   Cf. supra n. 7. 27   Au contraire de son neveu par alliance, Aristote n’a pas accompagné Alexandre en Asie, mais des extrapolations interprétant le raccourcis de Solin, 9, 18 : Peragrauit orbem rectoribus Aristotele et Callisthene usus eurent une longue fortune, voir nos réflexions in Revue des études latines, 53, 1975, p. 285-295 et 305-306.

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Pourquoi Ésope ? Plusieurs éléments concourent à l’explication. Une donnée matérielle pour commencer : dans le Leidensis Vulc. 93 (L), du XVe s., affilié à la recension β, la Vie d’Ésope et ses Fables précèdent le PseudoCallisthène28. Or les catalogues des bibliothèques médiévales livrent des exemples où un seul titre d’œuvre résume, en rubrique, la totalité de ce que contient le manuscrit29. Autre hypothèse moins accidentelle : les Res gestae rencontreraient certaines caractéristiques de la tournure d’esprit d’Ésope. Sur ce point il y aurait, sans doute, des limites à ne pas franchir, car, d’une manière générale, l’œuvre n’étant pas un « Miroir des Rois », elle ne délivre aucun message de sagesse politique par le truchement d’apologues30. En revanche, la nature de la fable engage à réfléchir sur les rapports de la vérité et de la fiction et à ce débat, sous-jacent dans tout l’agencement de la recension α, est attachée, à l’époque impériale, l’écriture ésopienne. À cet égard, on citera deux témoignages. Dans la Vie d’Apollonios de Tyane, Philostrate laisse son héros énoncer un paradoxe : à des fins d’enseignement – mais nous venons de remarquer que le récit alexandrin n’a pas cette valeur primordiale d’exemplarité – Ésope a reçu d’Hermès «  le don de raconter des histoires, tout ce qui restait dans la maison de la sagesse ». Et de fait, « en annonçant une histoire que chacun sait ne pas être vraie, il se trouve dire la vérité, par le fait même qu’il ne racontera pas des événements vrais »31. Dans les propos d’Ésope, le fictif n’est donc pas aux antipodes du vrai, puisque, croyons-nous, il ne veut ni ne peut tromper là-dessus son lecteur. Cette sorte de contrat vaudrait pour le Roman d’Alexandre ; disons tout de suite que ce serait aussi le cas de l’Histoire Auguste32. Moins sinueuse que celle de Philostrate, en ce qu’elle en reste au vocabulaire du De inuentione33, l’opinion de Macrobe dans le commentaire du Songe de Scipion a l’intérêt de considérer que chez Ésope, en sus de la fiction de l’argumentum, per mendacia ipse relationis ordo contexitur34. Si, par mendacia, on entend non une faute 28   Dans la même série, le cod. Parisinus graecus 1685 (B), cf. supra n. 24, a la séquence : Callisthène, Fables d’Ésope. 29   V. g. Bonner Historia-Augusta-Colloquium 1982/1983, Bonn, 1985, p.126. 30   La grande pensée du règne sur la fusion des Macédoniens et des Perses n’est pas évoquée en II, 21, 1051-1083, Alexandre ne songeant qu’à rassurer ses nouveaux sujets par le statu quo. Bref éloge cependant de la munificence pro necessitate regii nominis en I, 16, 484 (où Aristote esquisse à peine un rôle qui l’assimilerait à un Ésope surpassant les Sept Sages dans le conseil des souverains et des assemblées) ; allusion à l’astrologue tombant dans un puits en I, 14, 392-393 ; métaphore des chiens et des loups en II, 2, 166-170. 31   V, 14-15, traduction de P. Grimal, Paris, La Pléiade, 1963, p. 1185-1186. 32   Nous n’avons pas les débuts respectifs des Res gestae et de l’HA, mais leurs contradictions internes, volontaires ou acceptées, mettent en garde contre une crédulité qui n’est pas revendiquée. 33   Cf. supra n. 16. 34   I, 2, 9 : in quibusdam enim et argumentum ex ficto locatur et per mendacia ipse relationis ordo contexitur, ut sunt illae Aesopi fabulae elegantia fictionis illustres. M. Tardieu, « Ésope grec, juif et manichéen » et « Vie et fables d’Ésope, de l’Égypte à l’Asie

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morale, mais les libertés de l’écrivain, la voie s’ouvre aux bizarreries chronologiques que ne comprend pas un historien, émule d’Arrien. Néanmoins, si indicatives que soient les susdites observations, la raison majeure de l’appropriation des Res gestae par le fabuliste est à placer ailleurs et la proposition qui va être émise a tant de poids, semble-t-il, qu’elle commande, en grande partie, l’allure particulière du Roman. Dans la Vie d’Ésope35, associée, on l’a vu, au Pseudo-Callisthène dans le manuscrit de Leyde, surgit, aux §§ 105123, le pharaon Nectanébo en habit blanc et avec un diadème orné de cornes. Alors qu’il croyait renforcer son pouvoir en embarrassant le Phrygien par des problèmes insolubles, le roi doit céder aux ruses de la sagacité. Peu importe l’impact de l’anecdote qui, somme toute, épargne le souverain : l’avantage était que, sous les auspices d’Ésope, revenait sur scène un personnage dont la légende, forgée au travers de l’histoire, avait hanté les imaginations. Or – le fait est indéniable – ce qui, n’ayant été dit ni par Diodore, ni par Plutarque, scelle l’originalité du Roman, constitue ce prologue envahissant où Nectanébo procrée Alexandre, c’est-à-dire l’épisode obscur qui a dérouté le Moyen Âge36 et sur lequel nous continuons à nous interroger  : qui est ce Nectanébo  ? Évidentes à prime abord, deux images brouillent la réalité. Nectanébo ne serait-il qu’un mage usant de l’ars magica ? À huit reprises, ces termes sont prononcés37 et, effectivement, combinant philtres ou réductions en cire, fabriquant un serpent, puis manipulant un faucon, l’homme, par ces moyens, insinue des rêves dans l’esprit d’Olympias et Philippe, réussit même à se rendre invisible38. Pourtant, la reine ne tient pas la profession en haute estime et, plus tard, elle estimera avoir été « trompée par de vains artifices »39. Avec une deuxième esquisse, on passe d’un savoir à une science plus intellectualisée : Nectanébo se présente comme exerçant l’astrologie. Connaisseur du mouvement des étoiles, du zodiaque, des planètes, il calcule les thèmes astraux et en déduit des conclusions pratiques favorables à l’eugénisme ou à ses intérêts ; il peut ainsi prévoir l’avenir40, soit la destinée de chacun. Devient-il alors la victime d’un enfant de douze ans, peut-être agacé par cette suffisance de spécialiste ? Avec plutôt une impulsivité sarcastique, Alexandre applique le dicton de la fable et l’observateur du ciel tombe dans un trou41. Cette mort n’est pas administrée par un vengeur conscient de l’immoralité de Nectanébo, car le

centrale », Annuaire du Collège de France, 102, 2001-2002, p. 603-613 et 103, 2003, p. 581-586, cite Philostrate et Macrobe, mais ne dit mot des Res gestae. 35   Excellente édition par C. Jouanno, Paris, La Roue à livres, 2006 ; aux pages 191-192, utile portrait traditionnel attribué à Aphtonios. 36   C. Gaullier-Bougassas, « Nectanabus et la singularité d’Alexandre dans les Romans d’Alexandre français », op. cit. supra n. 10, p. 303-319. 37   I, 101, 135, 157, 163, 171, 223, 393 et 396. 38   I, 16-22, 103-109, 138-139, 173, 222-223. 39   I, 100-101 : non iam te ut mago utar, enimuero… ; ibid. 410. 40   I, 38, 52-53, 56-59, 63-75, 81-83, 86, 90, 166, 220, 279-295, 374-398. 41   Cf. supra n. 30.

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jeune assassin ignore les conditions de sa naissance. Quand il les apprend, il n’a plus devant lui qu’un cadavre, qu’il soustrait naturellement à la dent des fauves42. Au contraire, l’amant d’Olympias savait qu’il serait tué par son fils. Alexandre a donc été l’instrument d’un fatum enclenché dès que l’astrologue a recherché si sa propre constellatio s’accordait avec la genitura de la reine43. Le parricide était programmé par le viol d’une épouse. Au lieu de voir de la dérision grivoise dans toute cette aventure44, on serait tenté, avec aussi peu de justification, d’insister sur la vilenie, l’aveuglement, l’humiliation perçus comme tragiques à l’orée de l’existence d’un héros. À dire vrai, ces colorations magiques et divinatoires que le Moyen Âge a parfois diabolisées ne sont qu’un faux reflet. Le Roman hésite un moment sur le ton, mais, au fil de la narration, on se rend compte que s’est produite, au lieu d’une mascarade malhonnête, reste d’un folklore mal évacué, une hiérogamie véritable. Nectanébo ne s’est pas déguisé en dieu comme il avait changé de tête pour s’enfuir45 (que son fils aime se travestir46 répond surtout à la fantaisie du narrateur). Il est proprement d’essence divine : déjà, le plus sagace des Aegyptii sapientes, sati genere diuino, il recevait les avertissements des dieux47. Maintenant que, dans sa nouvelle identité, il a dépassé le premier degré des affublements, ceux destinés à une femme non plus plongée dans un sommeil hypnotique mais bien éveillée et un œil ouvert48, il récupère sa véritable nature49 et la dévoile sous la forme d’un majestueux serpent, puis d’un aigle. Devant cette épiphanie amoureuse qu’il constate, Philippe ne s’interroge que sur l’interprétation des signes ; qu’il s’agisse d’un dieu est indubitable, quamuis quis is sit nesciam, quippe uel Iouem credas ex aquila uel Ammonem ex dracone50. Inutile perplexité, car les deux métamorphoses sont indissociables51 et lorsqu’Alexandre sera à l’article

  I, 398-407.   I, 396-397  : olim quippe per hanc scientiam uideram fatale mihi fore a filio interfectum iri, ibid. 82-83. 44   C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 64. 45   I, 35-38. 46   Alexandre joue l’ambassadeur auprès de Darius (II, 13, 666-670) et de la Candace (III, 19, 690-692) ; il avait prévu de le faire chez les Tyriens (I, 35, 1169-1170). 47   I, 1, 1-3 et 34, 1117 et 1122. 48   L’attirail servait de pièce à conviction. 49   À ce niveau, le faucon n’est plus une marionnette mais la représentation divine de Nectanébo II, cf. C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 120, n. 335. 50   I, 10, 250-251. 51   Sur l’interpretatio graeca qui assimile Zeus à Ammon par la médiation du dieu Chnoum figuré tantôt avec une « tête de bélier », tantôt « sous la forme d’un énorme serpent », voir, outre C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 95, n. 55, S. Pfeiffer, « Die Entsprechung ägyptischer Götter im griechischen Pantheon » et O. Kaper, « Synkretistische Götterbilder in hellenistischer und römischer Zeit », Ägypten Griechenland Rom, Abwehr und Berührung, éd. H. Beck, P. C. Bol, M. Bückling, Francfort sur le Main, 2005, p. 285290 et 305-309. Analogie avec le cobra et le vautour, symboles de la Basse et de la Haute Égypte, cf. v. g. le masque funéraire de Toutankhamon (musée du Caire). 42 43

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de la mort, tandis qu’à Babylone branlera la statue de Jupiter, serpent et aigle regagneront le ciel, distincts mais ensemble, l’aigle porteur de l’étoile annonçant l’apothéose du Genus Iouis52. À Memphis où, revêtu des insignes de souverain et de dieu53, il avait été intronisé Pharaon, Alexandre s’était proclamé fils de Nectanébo II54 : déclaration aussi incontestable qu’isolée55. Autrement, il alterne ou juxtapose les filiations de Philippe et d’Ammon ; dans son testament l’un et l’autre ont l’hommage d’une statue, Philippe, il est vrai, le dernier sur la liste56. Aussi longtemps que vécut le roi de Pella, Alexandre trouva normale l’expression de cette paternité et encore dans sa lettre aux Tyriens le père macédonien est mentionné en seconde position57. Dans la dernière occurrence, néanmoins, un changement se manifeste, qui est tout politique. Sans être pleinement convaincu, puisque dans l’oasis de Siwah il use d’une restriction : si quid materni sermonis est uerum, le voici dorénavant fils d’Ammon pour donner confiance à ses troupes, se hisser à la hauteur de Darius, créer une communauté religieuse avec la Candace, peut-être même aussi avec les Amazones58. Au total, l’Alexandre du Roman n’est pas un gibier de psychanalyse, torturé par les aléas de ses origines. En revanche – et le thème s’affirme dès la parabole de l’œuf59 –, si légitimement Alexandre est roi de Macédoine et Pharaon d’Égypte, sa destinée sera de susciter un empire immense et éphémère. Face à une telle opposition de l’espace et du temps, la hantise ne pourra que naître : quelle durée obtiendra son existence personnelle ? Cette interrogation, Alexandre ne cesse de la formuler, il questionne Sérapis, les arbres du Soleil et de la Lune, Sésonchosis dans la

52   III, 31, 1332-1340 (sua porte sur conuexa plutôt que sur aquila) ; I, 32, 966 et, en écho final, III, 35, 1454. 53   I, 34, 1113-1115 : cum Memphin uenisset, inductum eum in aedem templumque Vulcani Aegypti regni ueste dignitati sunt et sella ac sessibulo dei. 54   Ibid. 1126-1127 : parentem salutat eiusque filium se profitetur. 55   Des sacrifices sont offerts à Alexandre en tant que « né d’un serpent » (arménien § 87), dans un contexte très ophidien marqué par l’Agathos Daimôn et les draconespénates, cf. infra n. 109 du Commentaire. 56   III, 33, 1430-1432 et 1435-1436. 57   I, 483, 514, 517, 598-599, 626, 637, 647, 710, 719 (1259 : première réponse à Darius qui, pour sa part, ne connaît pas d’autre filiation pour Alexandre, cf. 1215 et 1299) ; 1172 : filius Ammonis Philippique. 58   I, 808-809 et 813-814 ; II, 662, 1051, 1093 ; III, 628, 634-635 et 644 ; III, 1094 (à expliquer par 1352 : nomine Amazonidos quae dicitur inclita Memphis). L’histoire officielle en Égypte n’éprouve aucune hésitation, car le cartouche hiéroglyphique d’Alexandre le dit sans ambages « fils d’Ammon », cf. E. A. W. Budge, The History of Alexander the Great, Cambridge, 1889, p. li. 59   I, 11, 259-276 (annonce d’une emprise mondiale et d’une mort prématurée).

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grotte des dieux60. En vain, personne ne lui découvre quand viendra la mort inscrite dans sa condition ; tout au plus saura-t-il qu’elle sera prochaine et le résultat d’un crime. Il existe toutefois une puissante consolation, et la première fois que le narrateur la laisse pressentir, c’est derechef à propos de Nectanébo ; le Roman médite, comme en une sorte de clausule, sur la sépulture, et un parallèle chiasmatique cisèle sa pensée  : Cum Nectanebo A e g y p t o oriundus M a c e d o n i a e sit sepultus, tantumdemque spatii de diuerso Alexander ex M a c e d o n i a mortem suam foret A e g y p t o traditurus61. Pour respecter à la lettre le choc verbal de la répétition, Alexandre, se borne à écrire Julius Valère, sera enterré en Égypte, approximation géographique requise pour Nectanébo, alors que le site visant le Conquérant est, bien entendu, Alexandrie. Avec ce toponyme tout s’éclaire : un vivant disparaîtra à trente-trois ans ; à sa fondation, à l’inverse, Sérapis promet l’éternité garantie par la présence du corps, tandis qu’un nouveau « compagnon » aura rejoint les « hôtes du ciel »62. Alexandrie, gage d’une gloire immortelle qui, désirée par le roi, est initiée par l’oracle de l’oasis, mérite donc une longue ecphrasis détaillant les circonstances de sa création, sa topographie, ses différents cultes63. Ce pourrait n’être qu’un excursus. En fait, la fausse digression aimante le récit jusqu’à sa moitié. À cause d’elle, Alexandre passe de Thrace en Italie du sud, puis, par la Sicile et Carthage, parvient en Libye64, et la consultation d’Ammon à Siwah prélude ainsi, contre Arrien et Plutarque, au premier événement du Roman, autrement dit, à l’édification poussée de la ville éponyme65. Ensuite de quoi, il faudra bien récupérer tout ce qui, dans la tradition historique, occupe les années 336 à 332.

  I, 33, 1040-1051 ; III, 17, 575-577 et 592-604 ; 24, 1006-1013 (pour Sérapis et Sésonchosis cf. infra n. 85 et 88). L’immortalité demandée par les Brahmanes n’est pas au pouvoir d’Alexandre, ibid., 6, 281-283. 61   I, 14, 414-416 (notation présente également en arménien). 62   Vrbs uero quam nunc erigis  : I, 33, 1056-1059 (cunctis… saeclis, temporum recursibus, semper) ; 1073-1077 (les catastrophes seront passagères ceu si somnium) ; urbs tellusque quam delegisti : III, 24, 1014-1015 (nunc et in posterum). – Présence du corps : I, 33, 1083 (haec quippe sedes corpori est caelum tui) ; protection d’Alexandre divinisé : ibid. 1078-1082 et III, 24, 1015-1016 (deus denique praesidebis). 63   I, 30, 817 et 820-821 (nomen si pergis aeuo celebrare perenni, urbs tibi condenda est…). 31, 843-919  ; 32, 920-981  ; 33, 982-1106, soit ca 16  % du livre I  ; formule de clausule : enimuero hactenus tibi super ciuitatis illius conditu dictum habebis. 64   L’itinéraire occidental, extrapolé à partir d’ultimes projets du Conquérant, place Rome et Carthage en position d’infériorité ; sur les ambassades de la fin du règne, cf. Arrian., VII, 15, 5. 65   Voir infra n. 83 du Commentaire. – À noter en I, 32, 971  : constructarum domuum. 60

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Dans ce cheminement à reculons qui mènera successivement à Memphis et Tyr (332), à Issos (333)66, à Troie et Abdère (334)67, à Thèbes (335), à Corinthe (336), vient se brancher une orientation supplémentaire due, d’une façon implicite, à l’impact d’Alexandrie. On pensera à une « problématique des villes ». En 1994, A. Tallet-Bonvalot – et l’idée fut reprise en 1996 par C. Jouanno68 – a fortement souligné qu’au terme du livre I le sac de Thèbes faisait « contrepoids » à la fondation de l’épicentre égyptien69. Puisqu’il gomme ou du moins atténue la violence d’Alexandre : le Roman, en effet, garde le silence sur l’élimination de Callisthène et de Clitus dans une cour médisée ; il minore la responsabilité du héros dans la mise hors jeu de Nectanébo, de Nicolas, de Porus70 ; il comprend l’extermination des Tyriens comme une réaction attendue devant la violation du droit des gens71. Puisque, inversement, il valorise l’humanité et l’indulgence du vainqueur, le roi épargnant la famille de Darius, les Athéniens, les Spartiates et dialoguant avec les Brahmanes72. Bref, puisque est idéalisée cette figure si profondément religieuse, tellement sont multiples les sacrifices aux dieux et les 66   En I, 42, 1422-1423, la mention du Taurus ne surprend pas (d’ailleurs, en II, 7, 405, l’action repartira de Cilicie, en négligeant la traversée du plateau anatolien) ; au contraire, celle de l’Achaïe, ibid., 1420, implique – est-ce par association d’idées avec la lettre envoyée en Macédoine, ibid., 1414 ? – une étape anticipée en Grèce continentale : celle-ci se poursuit avec le présage de la statue d’Orphée en Bébrycie, ibid., 1427-1443, qui n’est donc pas non plus à sa place dans cet ordre inversé ; en effet, dans l’Itinéraire, 7, 17, 100, il est annoncé au roi iter in Asiam auspicanti et la scène se passe, après la destruction de Thèbes, soit à Leibèthres de Thessalie, cf. Plut., Al., 14, 8-9, soit, peut-être, à Dion de Macédoine, cf. Diodor., XVII, 16, 3 (éd. P. Goukowsky, Paris, 1976, p. 177-178). 67   Itinerarium, 8, 18, 109  : ipse per Abderam dans la marche réelle vers les Détroits. Ensuite, avant d’en arriver à l’affaire de Thèbes, les Res gestae incluent deux autres mouvements d’Alexandre. Le premier, en I, 44, 1509, conduit ad Maeotim paludem, ce qui correspondrait, dans l’Itinéraire, 7, 16, 98-99, à Dahas… superat, la phrase s’achevant par et Thebas Boeotias diruit tumultuatas, cf. R. Tabacco, éd. cit. supra n. 6, p. 108. Le second dirigé in Locros… Agragantinos, mal traduit à cause de toponymes corrompus, relate, en fait, une visite d’Alexandre à l’oracle de Delphes immédiatement postérieure à la prise de Thèbes, cf. Plut., Al., 14, 6-7. 68  Édition-traduction cit. supra n. 19, p. 25 ; C. Jouanno, « Un épisode embarrassant de l’histoire d’Alexandre  : la prise de Thèbes  », Ktèma, 18, 1993 (= 1996), p. 245-258. 69   Ceci est plus visible dans la version grecque A, le nombre des lignes se réduisant de 233 à 58 chez Julius Valère où, de surcroît, les choliambes ne sont plus présents. 70   Cf. supra n. 41 ; Nicolas était a priori empreint d’infesto consilio (I, 19, 575) ; fausse manœuvre et inattention de Porus (III, 4, 177-178). – À l’inverse, Thémistius, dans le Discours XIII, 16, prononcé à Rome en 376, fait d’Alexandre le « fils d’un démon né de la terre, prompt à jouir du massacre et du sang des hommes ». 71   Ambassadeurs d’Alexandre mis en croix (I, 35, 1181-1184). Add. la punition de Mothone (I, 23, 661-663), de Besas et Ariobarzanès (II, 21, 1102), des guides indiens (III, 17, 478-480). 72   I, 41, 1401-1403 ; II, 5, 366-368 et 6, 402-404 ; III, 6, 243 : les charades ont perdu toute sanction mortifère. Add. II, 21, 1052 : les opérations militaires contre les Perses ont été conduites iure belli.

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entretiens avec eux73, l’acharnement à raser la cité béotienne en devient une exception d’autant plus significative. Alexandrie symbolise l’avenir impérial par une renommée assise sur son travail, sa fécondité, sa richesse, son loyalisme74. Thèbes a refusé de servir une dynastie qui, par Héraclès et Dionysos, lui était liée depuis les origines75. Ce passé est donc mort et il n’y a pas lieu de laisser survivre une ville félonne. Le sort d’Athènes découlait de celui de Thèbes. Quel que fût le prétexte76, Alexandre exploite la catastrophe de Béotie pour intimider les citoyens de l’Attique. Dès lors le Roman s’ouvre aux débats de l’Acropole : pour cet appendice démesuré aux malheurs thébains, cette fois selon une bonne chronologie77, l’auteur garde néanmoins une partie de sa technique personnelle : il s’ingénie à maquiller Démosthène en pro-macédonien78 et, bâtissant en climax son bloc oratoire79, il installe, comme il l’avait déjà fait80 et comme il le fera encore81, le discours en composante importante du récit. Cette étape atteinte, en additionnant le chapitre sur Lacédémone, Julius Valère aura grosso modo82 conduit son lecteur à mi-parcours. C’est dire la part énorme drainée par la date de la fondation d’Alexandrie et ses présupposés que sont la naissance égyptienne d’Alexandre et le personnage de Nectanébo, emprunté à Ésope.

  I, 29, 781-782 ; 30, 804 et 824-825 ; 31, 842 ; 33, 988-989 et 1095-1096 ; 42, 1443-1444 ; 44, 1508-1509 ; II, 17, 905-906 ; 21, 1042-1043 ; III, 24, 971-972 et 10161017 ; 27, 1135-1136 , 1159-1160 et 1178 ; 28, 1205, 1225-1226, 1228-1229 et 1254. – I, 30, 817-823 ; 33, 982 et 1023-1091 ; 35, 1186-1187 ; II, 13, 661-670. 74   II, 4, 270-296 (péroraison de Démosthène). 75   I, 46, 1557, 1587-1590, 1596, 1598-1599, 1601-1602, 1614 ; II, 48. 76   Le Roman met en avant la mésaventure de Stasagoras, alors que le casus belli historique tenait davantage à l’accueil illicite par Athènes d’un grand nombre d’exilés thébains, cf. Diodor., XVII, 14, 3 et 15, 4. 77   Dans l’épisode de Corinthe (I, 47, 1624-1652) avaient été confondus le congrès de 336, point de départ du temps réel pour l’expédition asiatique, et des jeux supposés avant-coureurs d’une reconstruction qui ne se produisit qu’après la mort d’Alexandre. 78   A. Ausfeld, op. cit. supra n. 5, p. 152-153 : « …dass der berühmteste Redner als Alexanders Freund erscheinen soll  » ; C. Jouanno, « Le débat d’Athènes dans la version ancienne du Roman d’Alexandre », Revue de philologie, 79, 2007, p. 95-102. 79   Eschine : II, 2, 75-91 ; Démade : II, 2, 94-170 ; Démosthène : II, 3, 175-239 et 4, 246-299. 80   I, 25, 725-730 et 744-761 ; 34, 1129-1147 ; 37, 1220-1231 (contexte perse) ; 44, 1519-1534. 81   II, 5, 310-368 (aux Athéniens) ; 6, 395-401 (aux Spartiates) ; 9, 508-535 et 16, 789-798 (aux Macédoniens) ; 21, 1050-1083 et 1086-1097 (aux Perses) ; III, 1, 17-44 et 2, 77-89 (aux Macédoniens) ; 4, 186-193 (aux Indiens). Pour les dialogues et les échanges épistolaires, voir infra n. 94 et 96. 82   En ne comptant pas ce qui est parallèle au Liber de morte testamentoque, éd. P. H. Thomas, cf. supra n. 14 (III, 30, 1277-1319 ; 31, 1320-1340 ; 34, 1341-1373 ; 33, 1374-1438 ; 35, 1439-1456, soit près de 180 lignes) et en incluant par contre des passages entiers déjà relatifs aux Perses : I, 23, 664-682 ; 36, 1196-1216 ; 37, 1217-1258 ; 38, 12591292 ; 39, 1293-1328 ; 40, 1329-1351 ; 41, 1352-1409 ; 42, 1410-1420, soit ca 13 %. 73

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On ne s’arrêtera pas là : encore après II, 7, 404, l’Égypte continue à se projeter sur le reste du Roman. Il a été remarqué auparavant qu’Ammon patronne la visite à la Candace et qu’il est invoqué dans la lettre aux Amazones83. Mais le dieu de Siwah tend à être éclipsé84 par celui qui, avant que soit venu Alexandre, était honoré à Rhacotis par le rex Aegypti Sésonchosis85. En implantant sur le site la métropole de l’Empire, le Conquérant élargit donc à l’univers86 la toute-puissance de ce Sarapis qu’au retour de Meroë il retrouvera, toujours flanqué du même Pharaon87. De fait, dans la trame du récit, le lointain prédécesseur de la XIIe dynastie, maître de la Nubie88 et créateur d’un point d’eau sur la Mer Rouge89 a supplanté Nectanébo. À celui-ci, il doit le sang qui légitime ; de Sésonchosis et de Sarapis, de l’histoire très ancienne et du culte rénovateur, il veut s’inspirer et dans sa vie et dans son post mortem. Ainsi iunior Sesonchosis, institue-t-il un sacerdos Alexandri que l’arménien (284) dénomme « prêtre des grands dieux Sarapis et Apis » : à Alexandrie celui-ci officiera, couronné d’or et vêtu de pourpre et, dans la même tenue, il présidera aux fêtes

  Cf. supra n. 58.   S. Schmidt, « Ammon » , op. cit. supra n. 51, p. 187-194: « …wird Ammon zu einer Erscheinung der mythischen Vergangenheit ». Cependant, demeure actif à Alexandrie le culte du serpent, figure d’Ammon-Nectanébo, cf. I, 32, 936-949 et 967-981. 85   I, 33, 1007-1011 : in eo obeliscos quoque duos uidet proceritudinis erectissimae qui adhuc Alexandriae perseuerant in Sarapis templi circumsaepto extrinsecus adsistentes, eius templi quod aetas iunior laborauit (= 1104-1105 : templum etiam nunc Sarapion Parmenionis appellatur)  ; 1016-1019  : lectae denique per interpretem litterae continere sunt proditae huiusmodi gratiam : « rex Aegypti Sesonchosis orbis potens praesuli mundi totius deo Sarapi consecrat ». Par l’arithmologie Sarapis dévoile son nom à Alexandre, cf. ibid., 1085-1090. Localisation précisée sur l’emplacement de la future Alexandrie en III, 24, 997-998 : prorsus qualem apud Rhacotin adoratum a sese summum deum praesidem Sarapim meminisset. Bien que le Sérapeion définitif ait été édifié par Ptolémée III (246-222/221) et que le dieu ne soit cité en grec qu’avant 291 par Ménandre, on peut, avec prudence, postuler déjà au VIe s av. J.-C. l’existence d’un Apis oraculaire, cf. S. Schmidt, « Serapis – ein neuer Gott für die Griechen in Ägypten » , op. cit. supra n. 51, p. 291-304. 86   III, 24, 1001-1003 : « Numnam, inquit, tibi, Alexander, mirum est in tam longinquo dei huius praesentiam uisam esse ? Sed idem ubique totus ac praesens est. » 87   Ibid. 987 ; 990 ; 1000 ; 1008. 88   R. Stoneman, op. cit. supra n. 3, p. 539 : « Sesostris, il terzo dei quali (che regnò dal 1837 al 1818 a.C.) fu celebre per essere stato l’unico faraone che ebbe il dominio delle Nubia. » Sésonchosis est le héros d’un roman connu par des papyri du IIIe s. de notre ère, cf. J. P. Morgan, « On the Fringes of the Canon : Work on the Fragments of Ancient Greek Fiction, 1936-1994 », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, II, 34, 4, Berlin - New York, 1998, p. 3293-3390, plus spécialement p. 3337-3341. 89   III, 17, 421-423 : « Aquationem hanc rex Sesonchosis orbis uniuersi praestiti cunctis Rubrum nauigantibus mare. » 83 84

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des Perses90. Le Roman s’achève enfin sur une ultime touche égyptienne91 : dans la métropole qui, selon la Sarapis sententia, jamais ne changera de nom, l’anniversaire de la mort d’Alexandre sera la journée la plus sacrée. L’Égypte avait été occupée pacifiquement et les résistances de Thèbes et de Tyr s’étaient appuyées sur des populations grecques ou phéniciennes92. Il n’empêche que la grande affaire d’Alexandre fut l’expédition organisée contre les Perses et leurs alliés indiens. À elle, dans l’histoire, s’attachait la gloire du Conquérant et le Roman ne pouvait se dérober devant ces longues et dures années de guerre, entre 334 et 325. L’espace qu’en conséquence le récit s’est réservé là-dessus n’est pas du tout négligeable. Outre les enclaves précitées du livre I, il va de II, 7, 405 à III, 6, 309. En calcul approximatif, certes la moitié de l’ensemble Nectanébo-Alexandrie-Thèbes, il équivaut à ce qui sera la troisième partie93. Mais voyons de plus près comment se structure l’écriture des faits. Sans conteste, l’oratoire écrase l’événementiel, une donnée déjà fondamentale dans la partie « égyptienne », y compris en ses prolégomènes perses. Généralement au style direct, la rhétorique utilise les trois canaux du dialogue94, du discours95 et surtout de l’échange épistolaire96. Par lettres interposées, Darius commence par semoncer un rebelle qui refuse la seconde de ces joutes auxquelles se joignent, plus courts, des messages et contre-messages concernant les subordonnés de chaque camp97. Lorsque la famille impériale tombe aux mains d’Alexandre, le rex regum, dans un troisième envoi, fanfaronne encore, mais un billet de sa mère Rogodune le fait pleurer un instant. Après Issos, Arbèles : Darius craque enfin et tente d’acheter l’ennemi ;

  Réactions de l’Égypte intérieure, de Memphis à Péluse : I, 34, 1112-1113 et III, 34, 1363. – Prêtrise : III, 33, 1416-1422 ; II, 21, 1076-1080, cf. J.-P. Callu, « Julius Valère, le Pseudo -Libanius et le tombeau d’Alexandre », Ktèma, 19, 1994 (= 1997), p. 269-284, plus spécialement p. 280-281. 91   III, 33, 1416 et 35, 1455-1456. 92   Le conflit thébain avait, il est vrai, débuté par la demande d’un contingent pour le comitatus : I, 46, 1556-1558. 93   Cf. supra n. 82. Malgré l’importance de la coupure après III, 7, cf supra n. 20, l’épisode des Brahmanes, on le verra, appartiendrait plutôt déjà à la troisième partie. 94   Ibid. I, 37, 1233-1255 (hors du contexte perse : I, 43, 1495-1506, Abdère ; 46, 1587-1614, Thèbes ; 47, 1640-1645, Corinthe). Au reste, le début du Roman, jusqu’au chapitre 22, n’était, sur un ton assez domestique, qu’une conversation perpétuelle entre Nectanébo, Olympias, Philippe, Alexandre, Aristote, où se mêlent aussi quelques comparses, tels Antiphon, Ptolémée ou Nicolas. Aux livres II et III, les interludes dialogués réapparaîtront. 95   Cf. supra n. 79-81. 96   Le premier et le plus soutenu exemple de correspondance avait été, en I, 16, 448-490, le groupe de sept missives entre Zeuxis, le couple royal, Aristote et Alexandre. Ensuite, lors des res Graeciae, le Macédonien écrira deux fois aux Athéniens, qui ne répondront qu’au premier courrier : II, 1, 41-56 et 2, 57-70. 97   I, 36, 1195-1216 ; 38, 1259-1292 ; 40, 1333-1351. – Darius et les satrapes : I, 39, 1297-1328 ; Alexandre et Scamandre : I, 42, 1415-1419. 90

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la réponse, cinglante, n’est donnée qu’en substance98. Dans le cas de Porus, la correspondance est moins abondante : Darius avait sollicité deux fois l’aide de l’Indien ; le destinataire ayant allégué sa santé, seul est reproduit le contenu de la seconde demande et Porus ne réapparaît que pour ce qui est le dernier affrontement par lettres entre ennemis ; le Barbare interdit son territoire au Macédonien que n’émeut nullement uerborum ista magnificentia99. En somme, plus que le verbe oral100 le verbe écrit est l’outil préféré de Julius Valère et l’expédition asiatique, en Perse et vers l’Indus, se lit moins au travers des proclamations militaires que dans une collection de dépêches dictées aux ambassadeurs. A fortiori l’événement décrit est-il le parent pauvre. La narration saute la bataille du Granique, de même qu’ultérieurement elle ne dira mot des rudes péripéties de Bactriane et Sogdiane. Et s’il est exact que les deux chocs mémorables entre le Taurus et le Tigre, un peu plus développés que les assauts de Tyr et de Thèbes, ont droit à des détails distinctifs101 et qu’ensuite la victoire sur Porus ne manque pas de pittoresque102, les tableaux mineurs qui invitent à la description ne sont pas nombreux : le bain de Tarse et ses conséquences, la rencontre des Grecs mutilés près du tombeau de Cyrus, l’enterrement de Darius103. Par exception, une anecdote, plantée au milieu du livre II, attire sur elle une attention particulière. Hélas ! la visite clandestine d’Alexandre au campement de Darius n’est qu’une invention104 qui ne fait pas pencher la balance en faveur du factuel. Avant la conclusion des chapitres 30-31, 34, 33, 35 du livre III, la troisième partie des Res gestae offre une triple singularité : d’abord, les frontières entre le substrat historique et la fiction ont cédé : que ce soit dans les journaux adressés à Aristote et à Olympias, dans le récit d’un voyage éthiopien qui ne fut qu’une envie ou dans l’échange avec les mythiques Amazones, dans chacun de ces quatre sous-ensembles, le narrateur se plaisant à s’attarder en compagnie de

98   Darius vient de recevoir un appel des satrapes (II, 10, 574-580), ibid. 581603 ; II, 12, 630-642 - II, 17, 855-880 et 887-901. Au lendemain de la punition des assassins de son fils, à Rodogune, à nouveau portée en avant par les Res gestae, Alexandre écrira au sujet de Roxane ; non contente de répondre, la mère préviendra les Grands de l’Empire : II, 22, 1111-1144. 99   II, 11, 627-628 et 12, 629-630 ; 19, 944-975 ; III, 2, 48-75 et 91-111. 100   Dans le conflit perse conseil de guerre de Darius où Oxyathrus intervient : II, 7, 406-460. 101   Issos (I, 41, 1353-1409) : les chars à faux, la pluie, la poursuite nocturne, le pillage, le bilan. Arbèles : la bataille étant précédée de deux étapes dans l’offensive, 1°) II, 9, 538-572 (comportement de deux Perses) ; 2°) 13, 645-660 (le stratagème), l’action déterminante se place en 16, 801-837 (incidence du fleuve Stranga). 102   III, 3, 112-156 et 4, 157-183 : éléphants et statues chauffées, combat singulier. 103   II, 8, 462-493  ; 18, 911-942  ; 21, 1032-1047 (auparavant, une unique fois, Alexandre et Darius s’étaient trouvés face à face, mais l’un était resté muet, écoutant les ultima uerba de l’autre : 20, 1009-1030). 104   II, 14, 671-713 et 15, 714-786.

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la Candace105, règne l’imaginaire avec une forte tendance à l’anormalité : île évanescente, faune monstrueuse, forêt enchantée, fruits gigantesques gardé par des dragons, mécaniques extraordinaires, ethnographie fabuleuse106. La topographie n’est pas moins flottante. La ville pivot est Prasiaca, nommée dix fois107 ; aux deux bouts de la chaîne les indications sont assez homogènes, en admettant une sensible contraction de l’espace : la cité donnerait sur l’Océan, non loin des Oxydraques et près du fleuve Hyphase108  ; les références intermédiaires n’y contrediraient pas trop109. À l’Éthiopie appartiennent le royaume de la Candace et, sans doute l’île du Soleil110. Une des deux mentions de la Mer Rouge, au moins, relève du retour par les déserts de Gédrosie sur lequel Julius Valère fait l’impasse111. Par le Tanaïs et la Caspienne on revient vers la Perside112. Mais où

105   III, 17, 313-612 - 18, 613-659 ; 19, 660-708 ; 20, 709-748 ; 21, 749-796 ; 22, 797-910 et 23, 911-968 (de Memphis, raconte Quinte Curce, IV, 8, 3, Alexandre avait songé à s’enfoncer vers l’Éthiopie) - 25, 1019-1079 ; 26, 1080-1111 et 27, 1190-1201 - 27, 1161-1201 et 28, 1202-1276. Courts intervalles entre le 2e et le 3e et entre le 3e et le 4e sous-ensemble ; chevauchement à cause des ceterae Amazones. 106   Une exception ramenant à la réalité serait la tempête de neige en III, 17, 484504, pour laquelle on a les parallèles de Quinte Curce, VIII, 4, 1-14, de l’Epitoma Mettensis, 24-27 et de l’argumentaire de Diodore (éd. P. Goukowsky, p. 3). Mais l’épisode qui se passa en Sogdiane n’a pas de localisation précise dans le Roman. 107   III, 17, 320, 372 ; 481-482, 504-505 ; 606, 608 ; 1112, 1126, 1129 (bis). 108   III, 4, 218 : ad Oxydracontas ; 17, 320-323 : Praesiacae superuenimus, quae ciuitas regis quaedam Indiae cluit. Situs uero eius loci arduus et ad promuntorii faciem longe porrectior  ; nam et mari imminet subiacenti. – III, 27, 1126-1131  : ubi uero ad Prasiacam aduentabant Hypanimque (= Hyphasis, cf. P. Goukowsky, éd. cit. supra n. 66, p. 249) flumen quod dispescit huiusmodi collimitia transierant, comperit ibidem super magnitudine eius gentis ac regis potentia qui Prasiaca potiretur. Quippe dum ista Prasiaca propter Oceanum sita, quo de reliqua hominum turba semotior, hoc ad multitudinem quoque largius uiuit. À la frontière, Alexandre occupe la ville royale, éloignée du centre du pays hostile vers le Gange, cf. A. Ausfeld, op. cit. supra n. 5, p. 177. 109   La présence d’un Indien comprenant le langage des arbres (III, 17, 565-566), la résolution par A. Mai de Atilaniae regionibus en aliis Indiae r. (ibid., 606-607) confirmeraient la localisation de Prasiaca en zone indienne ; il est moins aisé d’accepter, à cinq jours de cette ville, la tempête de neige citée supra n. 106. 110   III, 18, 609-610 et 647 : de Prasiaca, Alexandre gagne la Nubie en traversant la Perside (parcours sud) ; ibid., 1225 : sacerdos Aethiops. Mais que faire de la Bébrycie, qui ne se confond pas avec celle de la note supra 66 ? 111   Tandis que la grande soif de l’armée (III, 17, 415-417), à en croire le parallèle de l’Epistula Alexandri Magni ad Aristotelem 17, éd. G. Bounoure-B. Serret, Paris, La Roue à livres, 1992, p. 128, se manifeste plutôt, semble-t-il, dans un paysage composite entre la Bactriane et l’Inde, les peuplades monstrueuses (ibid., 1207-1214) doivent se situer près de l’Océan. 112   III, 28, 1235-1238 : is Tanais e septemptrionis partibus in Caspium mare profluens Asiam fertur Europamque discernere. Laeua igitur eius itinere permenso ad Xerxis regna peruenimus (parcours nord). Add. ibid., 17, 379, 385 et 394.

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sont les Amazones ?113 Probablement entre l’Hyrcanie et le Pont, à moins, ce que suggèrerait le contexte, qu’elles ne soient dans ces régions d’Afrique occidentale qu’Alexandre avait dessein d’atteindre. En résumé, dans les deux relations qui, elles, ont maintenu un arrière-fond de vérité, les va-et-vient ne dessinent pas des itinéraires bien concordants. La deuxième caractéristique est que le mode de composer s’infléchit. La parole, ou bien immédiate ou bien rapportée à l’indirect ou bien transcrite sur un message, garde, bien sûr, de l’influence : Alexandre s’entremet entre Ptolémée et Candaule, il a, dans une scène très animée, l’oreille de la Candace, laquelle, aidée par lui, cherche à arbitrer entre ses fils ; l’interrogatoire des Brahmanes se poursuit par un plaidoyer pour l’action114. Ajoutons une lettre de ces Brahmanes, deux introduisant le voyage en Éthiopie, trois centrées sur les Amazones115. Et pourtant le narratif s’étend, souvent répétitif : défilé des bêtes ou hommes, caprices de la nature par la dimension ou l’étrangeté116, aperçus démesurés (ou rarement plus réalistes) de paysages et de climats inquiétants ou absurdes117, ou 113   En plus de l’allusion à l’Amazonidos Memphis, cf. supra n. 58, les Amazones sont évoquées deux fois, en III, 25, 1019-1111 et 27, 1190-1201. Dans la seconde occurrence, elles habitent près du Thermodon, dont l’embouchure dans la Mer Noire n’est pas éloignée de Sinope, cf. Curt., VI, 5, 24, d’après Clitarque critiqué par Strab., XI, 5, 4. Mais Alexandre les approche, au retour d’une randonnée qui, en ca 95 jours, l’avait conduit aux stèles d’Hercule (III, 27, 1168-1170) ; or ces dernières sont, au dire de Serv., ad Aen., XI, 262, et in Ponto et in Hispania et, Quinte Curce, X, 1, 17, l’affirme, le roi envisageait, après la Numidie, de cursum Gadis dirigere, ibi namque columnas Herculis esse fama uulgauerat. Au reste, Candaule se rend ad sacrificium annuum… Amazonum (III, 19, 680-681). 114   III, 19, 698-723 et 735-748 ; 22, 863-910 et 23, 911-961 ; III, 6, 243-282 (indirect) et 283-309 (direct : ministerium meum puto quidquid de hoc labore profecero). Add. encore, en III, 24, 984-1016 la discussion avec Sésonchosis. 115   III, 5, 230-237 ; 18, 625-659 ; 25, 1019-1102. Add., en 27, 1138-1157, la lettre d’Aristote qui a un double intérêt : elle cite un vers de l’Odyssée (I, 3) qui, mal interprété, fera croire, par la suite, que le Stagirite fut en Asie le compagnon du Macédonien, cf. supra n. 27 ; en outre, entourant l’Éthiopie, elle restitue Bactres et les Scythes omis dans la narration. 116   Animaux  : III, 17, 368-371  : praegrandi admodum et inopinabili magnitudine… ebdomarium  ; 409-410  : hippopotami magnitudine nescias an saeuitia immaniores ; 429-430 : scorpii quidem non minus proceritudine cubitali ; 436-437 : leones supra magnitudinem taurorum quos ex nostratibus maximos ducimus  ; 440  : taurelephantes  ; 455-458 : odontotyrannum uocant. Haec bestia facie elephantus quidem est, sed magnitudinem etiam huius animantis longe praeuectus, nec minor etiam saeuitudine omnibus egregie saeuientibus  ; 467-468  : nyctalopecas… non minus longitudinis cubitis decem  ; 471-472 : uespertilio… super columbarum magnitudinem ; 21, 769-770 : simias… magnitudinem ursarum nostratium superuectas. – Humains : III, 17, 440-442 : homines senis manibus portentuosi, himantopodes etiam et cynoperdices multaque formarum humanarum genera inuisitata ; 28, 1210-1212 : his hominibus oculi pectoribus inhaerentes atque os omne cetera in parte corporis situm. En fait, des clichés tératologiques. 117   Bords de fleuve : III, 17, 397-404, arundinibus quae ad triginta cubitorum spatia supercrescerent ; « paradis » tropical : 525-533, arbores caelum ferme proceritudine

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surtout description – car, plus on invente, mieux on décrit – de luxueuses architectures recèlant d’incroyables objets compliqués118. Avec délectation, Julius Valère s’empare de l’énumération119, plus facile à manier que le conspectus sociologique120. La nouveauté la plus intéressante est la dernière, car elle concerne la personnalité d’Alexandre. Alors que son armée, en dépit de sa fatigue, conserve ses réflexes d’accaparement121, le roi ne s’identifie plus à un Conquérant belliqueux : il va pacifiquement vers les Brahmanes qui ne sont plus des adversaires122, vers la Candace dont le pays n’est plus considéré comme un allié des

interuectas ; vergers exceptionnels sous des montagnes de cristal : 21, 751-767, arbores enim procerissimas… prorsus ut singulis acinis uel improbissimis oris hiatibus non occurses…omnia uel pleraque dracones amplexi possident. – Tempête de neige, cf. supra n. 106 ; trombes et uoces incertas : 27, 1114-1125 ; ténèbres et clartés divines : 24, 973-983 (grotte des dieux), quasdam formarum effigies uidet tenui quidem sed corusco sub lumine… quasdam ex oculis deorum discumbentium promicantes et 28, 1229-1234 (temple du Soleil), quasdam effigies numinum cernere fuit cum luminibus lampadarum. 118   Palais de la Candace  : III, 22, 802-844 et 849-862  ; l’impression générale est d’un jeu de lumières dû au métal (de l’or), à l’ivoire, à l’onyx, à l’ébène, au marbre, aux perles, aux couleurs des étoffes. Dans les appartements privés, en particulier dans le triclinium, les murs scintillants laissent imaginer un ciel constellé. Au sommet de ce haut bâtiment, le toit est mobile, comme l’ensemble de la maison. Dans le parc arboré où coule une rivière aurifère, au milieu des sculptures, porphyre ou ébène, reproduisant des chars à faux ou attelés à des éléphants, se devine un temple aux figures effrayantes. – Cité du Soleil : 28, 1217-1222, en or, char, chevaux et aurige. – Temple de Cyrus (différent de son tombeau aux parois transparentes, II, 18, 914-921) : 28, 1237-1276, deux rouets oraculaires, l’un surmonté d’une fausse colombe, l’autre tenant un trône d’or et de pierres précieuses, cratère colossal, lyre chantante, prodigieux haut-relief en or à thématique mi-animale, mi-végétale. À ce topos des merveilles orientales le Roman propose une conclusion quelque peu ironique : multa praeterea illic fuere quae, quoniam neque abundantiae suae neque magnitudinis pretiiue facile offenderint fidem, censeo praetermittenda. 119   En III, 18, 645-657, catalogue de cadeaux si proche des accumulations de largesses chères à l’Histoire Auguste (Claud., 17, 5-6 ; Aurel., 9, 6-7 ; Prob., 4, 5-6). 120   Touche de réalisme, en plus des accidents météorologiques auxquels est confrontée l’armée (cf. supra n. 117) voir, par exemple, en III, 17, 386-395, les marches nocturnes parmi les serpents. Même dans l’imaginaire, des compositions d’ensemble sont réussies : ainsi, la vie des Amazones (III, 25, 1038-1074) ne sonne pas d’un ton trop livresque. 121   III, 17, 335-337 : id auro esse et pretiis refertissimum conditis. Cum hoc naturalem hominum uel diligentiam in nostris uel appetentiam promouisset… ; 506-507 : maiore praeda totius Indiae earumque gentium quacumque transmisimus conuectata. Alexandre, au contraire, rebouche « religieusement » le trou dans la stèle d’Hercule (III, 27, 11811182). 122   III, 4, 219-220 : non illam quidem gentem ut hosticam incursaturus ; 5, 238 : Alexander pacificum iter agere decreuit. Or, les Brahmanes, conseillers du roi Sambos, avaient été victimes d’une très brutale répression durant la descente de l’Indus, cf. Diodor., XVII, 102, 7.

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Perses123, vers les Amazones qu’il salue seulement depuis la rive d’en face124. Désormais, il désire « apprendre »125, mais entendons-nous sur le mot. Dans le Roman l’heure n’est pas encore venue pour le Commonitorium Palladii ou la Collatio Alexandri et Dindimi126, rédigés dans une orbite christianisante, et les questions qu’il pose aux Gymnosophistes, lorsqu’elles ne sont pas des arguties, énoncent quelques principes sans guère les commenter127. S’y remarque évidemment une insistance sur la mort et, dans ses périples ad ulteriora, Alexandre poursuivra ses interrogations sur son propre destin128. Le profil qui se dessine glisse toutefois dans une autre direction : c’est celui, non pas tant de la sagesse ou de l’anxiété que de la curiosité qui explore le monde, moins pour savoir que pour voir et s’émerveiller129. Les versions postérieures le comprendront bien qui entraîneront le héros dans les airs ou au fond des océans. Distribuées entre l’obsession égyptienne, l’établissement d’un empire par le verbe et le geste, l’envie insatiable de pérégriner, les Res gestae trouvent une fin abrupte où, prétendant revenir à des sources historiques, elles choisissent de suivre la plus contestée d’entre elles130, sans crainte d’en accepter parfois les anachronismes ou raccourcis131. À lire toutefois en parallèle le Liber de morte

123   III, 17, 609-610 : properans Samiramidos quoque nunc regnum uisere (but religieux : 18, 630-631, quod editum iubet uno nos deo sacris obsequi). En II, 7, 451, Darius voulait armer Samiramidos regna, d’où la présence de Candaule dans son campement (A éd. W. Kroll, p. 83, 6-7 ; arménien § 179). 124   III, 25, 1027-1029 : accipite nos isto uenientes et, quod est amicitiae munus, diis sacrificate pro nobis. Alexandre demande et obtient un contingent quippe Amazonibus certum esse parere uiro absenti (26, 1109-1110). 125   III, 5, 233-234 : sin uero uenies ut discas. 126   L. Cracco Ruggini, art. cit supra n. 20, p. 33-51 ; J.-P. Callu, art. cit. supra n. 10, p. 36-37. 127   Les énigmes (III, 6, 243-280), primitivement gravissimes pour les interrogés, ont perdu de leur sens : questions 4 et 9 sur la mer et la gauche, contra les 6 et 8 sur le pouvoir et le mensonge. 128   Questions 1-3, voire 7. Voir supra n. 60. 129   III, 17, 513-517  : Sic igitur animo laxato cum nihil iam foret quod non fortuna ex hisce appetentiis expleuisset, omne demum intenderam desiderium ut, si quid esset quod inuisitatum aliis foret atque auditu mirabile haberetur, id sane resciscerem uideremque. Le mot curiositas, employé ibid., 411-412 (nobis curiositate rimantibus) et doublé par l’adverbe curiosius, cf. 21, 751-752 (Alexander uiabundus cuncta curiosius spectans) définit l’esprit de découverte qui a succédé à la volonté d’occuper de force l’espace perso-indien. – En III, 17, 375-378, Alexandre promet d’informer son maître sur et solis lunaeque defectus… et causas hiemis et temporum differentias. 130   Thèse de l’empoisonnement : refusée par Plut., Al., 77, 3, elle était, subsidiairement, évoquée par Diodor., XVII, 117, 6 et 118, 1, ainsi que par Curt., X, 10, 14 ; Justin., XII, 14, 9, suivi par Oros., III, 20, 4, y croit, en accord avec le Liber de morte qui, de 96 à 99, raconte en détail l’événement. À noter que pour Sévère Alexandre (HA, Al. Sev., 62, 3) Alexandre se comptait parmi les uiolenta morte consumptos. 131   V. g. III, 33, 1386 : dans le testament rôle anticipé de Rhodes ; le transfert du corps à Alexandrie intervint paucis post annis, cf. Curt., X, 10, 20.

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testamentoque, on devine des déformations tendancieuses si anciennes132 et, par conséquent, de tels écarts chronologiques dans l’ébauche d’une Quellenforschung, que nous sommes à présent obligé, après avoir présenté la structure de l’œuvre latine, de tenter un tracé complet de la genèse du Roman.

Datations La traduction-adaptation réalisée par Julius Valère date donc, supposons-nous, des années 360-380, au plus tard. L’argumentation déduite d’une comparaison avec l’Itinerarium attesterait ainsi qu’à plus de six siècles de distance133 l’intérêt pour Alexandre et le monde que celui-ci accrocha à l’espace méditerranéen n’a pas faibli : effectivement, que ce soit pour des buts politiques ou religieux, Constance II se sent attiré par la Perse ou l’Éthiopie, qui séduisent concurremment par le souvenir de l’unité et le mystère de l’altérité134. Mais le dernier tiers du siècle, lui aussi, semble bien montrer que la figure du Macédonien continuait à émouvoir l’opinion occidentale. Dans la série des contorniates l’avers d’Alexandre est très fréquent et sur plusieurs revers est rappelée la scène du serpent dans le giron d’Olympias135. On portait volontiers des amulettes du Conquérant et, avant 400, l’Histoire Auguste qui le rapporte parle aussi à son propos d’historiens quasi hagiographes : cela fait penser à Julius Valère dont, par ailleurs, nous avons vu qu’il partageait certains thèmes avec l’auteur des Vitae impériales136. Ce terminus ante quem serait corroboré, si la composition du Mettensis 500 était significative. Ce manuscrit, en effet, contient trois éléments du corpus alexandrin, à savoir l’Epistula Alexandri Magni ad Aristotelem, le Liber de morte testamentoque Alexandri Magni et l’Epitoma rerum gestarum Alexandri Magni, tous élaborés à l’intention du public latin, afin, visiblement,

132   III, 33, 1397-1398, 1413-1414 : l’Égypte à Perdiccas, alors que le Liber, 117 l’attribue à Ptolémée. 133   Un tel phénomène, peut-être plus fort que chez les Modernes, était entretenu par la culture scolaire et le Drang nach Osten. 134   Itinerar., 2, 5 (dédicace à Constance II) : tibique in Persas hereditarium munus est, ut qui Romana tamdiu arma tremuerunt, per te tandem ad nostratium nomen recepti interque prouincias uestras ciuitate Romana donati… ; L. Cracco Ruggini, « Leggenda e realtà degli Etiopi nella cultura tardoimperiale » , Accademia Nazionale dei Lincei, Quaderno 191, Rome, 1974, p. 141-193, plus spécialement p. 186-187, n. 162 avec renvoi à Cod. Theod., XII, 12, 2 du 15 janvier 356 sur les missions diplomatiques ad gentem Axumitarum. 135   A. et E. Alföldi, Die Kontorniat-Medaillons (Antike Münzen und Geschnittene Steine, VI, 2), Berlin - New York, 1990, p. 80-87 : « noch in die späteren Jahre der Regierungszeit Constantius’II… in die Zeit nach 410 ». 136   Cf. supra n. 17 ; HA, Tyr. Trig., 14, 6 : dicuntur iuuari in omni actu suo qui Alexandrum expressum uel auro gestitant uel argento  ; ibid., Alex. Sev., 30, 3  : legit et uitam Alexandri quem praecipue imitatus est, etsi in eo condemnabat ebrietatem et crudelitatem in amicos, quamuis utrum defendatur a bonis scriptoribus quibus saepius credebat.

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ou bien de compléter ou bien de rectifier les Res gestae137. Or ce témoin du Xe s., disparu en 1944, s’ouvrait sur les Relationes de Symmaque, Préfet de la Ville en 384-385138. De l’avis des spécialistes, un regroupement de ce genre n’est pas nécessairement le fruit du hasard : il pourrait aussi bien reproduire une synchronie remontant à un codex antique, auquel cas les textes dérivés, d’une manière ou d’une autre, de la mythistoria de Julius Valère auraient une datation confirmant pour lesdites Res gestae un butoir ca 380. Cette attache désormais fixée pour l’avatar latin, nous allons maintenant remonter le temps à partir des années 340. À l’époque constantinienne, deux traits, susceptibles d’exprimer l’horizon mental de Julius Valère, nous paraissent faire écho : l’un tient en deux mots : instinctu dei, doublet d’instinctu diuinitatis gravé sur l’arc de 315139 ; l’autre se révèle dans l’échange de lettres inconnu de la recension grecque α où, appuyé par Aristote, le jeune Alexandre défend contre ses parents et l’intendant Zeuxis la vertu royale de prodigalité : comment alors ne pas songer à cette munificentia que leur père – et Libanius, en 348, s’en félicite – inculqua aux Constantinides, mais qui étaye considérablement la légende noire du fils d’Hélène ?140 Le IIIe s. fut φιλαλεξανδρότατος. L’engouement des Sévères, illustré par l’Histoire Auguste pour ce qui est de Caracalla et de Sévère Alexandre, est confirmé par Dion Cassius et Hérodien141. En littérature, sans parler d’historiens mal datables, tels Quinte Curce et Justin142, la Seconde Sophistique, à nouveau   Incerti auctoris Epitoma rerum gestarum Alexandri Magni cum Libro de morte testamentoque Alexandri éd. P. H. Thomas, cf. supra n. 14, p. viii. Ajout de l’épisode du Jourdain, de la tentative de suicide, des campagnes de Bactriane et Sogdiane ; Ptolémée au lieu de Perdiccas en Égypte. L’Epistula relève de la littérature d’imagination, tandis que les deux autres œuvres exploitent le filon d’une histoire pittoresque ; la différence n’a pas été un obstacle pour la constitution d’un corpus. 138   Le Mettensis comprenait encore les deux Invectives du Pseudo-Salluste, mais la seconde, une invention de l’Antiquité Tardive, a entraîné la présence de la première, connue de Quintilien. 139   I, 19, 588-589, après la victoire d’Alexandre aux Jeux olympiques ; R. Turcan, Constantin en son temps, Dijon, 2006, p. 161-162, n. 560. L’emprunt n’a rien de négatif. 140   I, 16, 448-490 ; J.-P. Callu, « Un ‘Miroir des Princes’ : le ‘Basilikos’ libanien de 348 » , Geriòn, 5, 1987, 133-152, plus spécialement p. 140-141, cf. Liban., Or. LIX, 37-38, éd. P.-L. Malosse, Paris, 2003, p. 133 ; Iulian., Caes., 36 ; De Rebus bellicis II, 1-2 ; Amm., XVI, 8, 12 ; HA, El., 32, 2 (où derrière la magnanimitas raillée d’Élagabal se cache une attaque contre Constantin) ; Epit de Caes., 41, 16. Sur ce terrain également Julius Valère manifeste son loyalisme politique. 141   HA, Carac., 2, 1-2 : Alexandrum Magnum eiusque gesta in ore semper habuit ; ibid., Alex. Sev., 5, 1-2 ; 13, 1; 30, 3 ; 31, 5 ; 35, 1 et 4 ; 39, 1 ; 50, 4 ; 64, 3 : se Magnum Alexandrum uideri uolebat ; Epit. de Caes., 21, 4. Dio, LXXVI, 13 et LXXVII, 7 et 9 ; Herodian., IV, 8 et 9 : visite du tombeau d’Alexandrie par Septime Sévère et par Caracalla (qui va aussi sur le site d’Ilion). 142   J. E. Atkinson, «  Q. Curtius Rufus’Historiae Alexandri Magni  », Aufstieg und Niedergang der römischen Welt, II, 34, 4, p. 3447-3483, plus spécialement p. 3451137

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si active autour de Julia Domna et de Philostrate, joue avec les dates, les événements, les récits fabuleux143. Et, si, contrairement à ce que propose J. Trumpf, le personnage de Nectanébo est absent de la Chronique de Jules l’Africain, arrêtée en 221, il figure, entre 203 et 209, dans le De anima d’un Tertullien attentif à la romanesque conception biologique d’Alexandre144. Remontons d’un siècle, au second. On distinguera de deux arguments majeurs des indices plus ténus qui tiennent de l’approximation, de la coïncidence, de la référence ponctuelle : C. Jouanno placerait La Vie d’Ésope au temps d’Aulu-Gelle, grand admirateur du fabuliste145 ; la pluie qui, à Issos, précipite la défaite perse est-elle un souvenir d’un épisode célèbre des campagnes de Marc Aurèle146 et les decem oratores exigés d’Athènes ont-ils quelque rapport avec le canon des Dix Orateurs Attiques fixé antérieurement au terme du IIe s.147 ? Enfin, la dernière allusion au Tombeau d’Alexandre avant le Roman se lit chez Achille

3455 : la possibilité d’un terminus ante 227 a été proposée ; R. Syme, « Trogus in the H. A., some consequences » in Institutions, société et vie politique dans l’Empire romain au IVe siècle ap. J.-C. (Collection de l’école française de Rome, 159), Rome, 1992, p. 11-20 : tendance à une chronologie très basse. 143   Philostrate qui dans l’Heroïcus refait la geste d’Achille, en I, 25, 2 de la Vie d’Apollonios de Tyane (ca 217), évoque des motifs représentant « les actions de Xerxès », un toit « à la ressemblance du ciel », ou « des oiseaux d’or » accrochés dans la salle royale, toutes notations à comparer avec les Res gestae, III, 28, 1256-1258 ; 22, 856-860 et 28, 1244-1247. Sur ce dernier passage, voir cependant le Pap. Hal. inv. 31, copié au Ier s. av. J.-C., cf. C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 25 et 47, n. 146. 144   J. Trumpf, « Pap. Berl. 21266 – Ein Beleg für die historische Quelle des griechischen Alexanderromans ? », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 155, 2006, p. 85-90 : le passage sur la fuite par Péluse de Nectanébo, son déguisement, son exercice de l’astrologie en Macédoine, tous faits qui se réfèrent au Roman d’Alexandre, ne proviennent pas de Jules l’Africain et n’ont pas été repris dans la récente édition de M. Wallraff, Iulius Africanus, Chronographiae (Die griechischen christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte, n. F., 15), Berlin, 2007 ; on les trouve par contre dans les Excerpta latina Barbari, Chronica minora, éd. K. Frick, 1892, p. 266-268 (ca 500), chez Malalas, p. 189-190 Bonn et dans le Chronicon paschale, p. 319 Bonn. – Tert., Anim., 46 : Philippus Macedo nondum pater Olympiadis uxoris naturam obsignasse se uiderat anulo. Leo erat signum. Crediderat praeclusam genituram, opinor, quia leo semel pater est ; 57 : Nectabis (graphie validée par Plin., 36, 67) cité comme magicien (documentation discutée avec M. Festy). 145   Op. cit. supra n. 35, p. 14, 16, 199-200 : Gell., Noct. Att., II, 29, 1 ; P. Berol. inv. 11628 (fin IIe-début IIIe s.). Immobilisation de diverses créations plus anciennes. 146   I, 41, 1373-1375 : repentino forte imbri procidente uel aduersari sibi caelitus id Persae interpretati uel ad elementi eius iniuriam molliores fuga facessunt (omission du grec et de l’arménien) ; HA, M. Anton., 24, 4, en 172 ou 174 , cf. Historiae-AugustaeColloquium Bonn 1986/89, Bonn, 1991, p. 117: pluuia impetrata, cum siti laborarent. Add. Tert., Apol., 5-6 ; Dio, LXXI, 8-10. 147   II, 2, 68-69 ; Ps.- Plut., Traité 55 (Vie des Dix Orateurs), éd. M. Cuvigny, Paris, 1981, p. 26-27. Le rapprochement est indiqué par A. Ausfeld, op. cit. supra n. 5, p. 152, n. 3.

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Tatius148. Suggestives, de telles remarques n’ont pas cependant la fiabilité de ce qui offre et un terminus post quem irréfutable et un terminus ante quem presque aussi contraignant. En I, 13, 329-331149, selon une tournure familière à l’Histoire Auguste150, les Res gestae151 invoquent clairement le livre IV de l’Histoire variée de Favorinus, comme la source des développements qui s’enchaînent sur les maîtres d’Alexandre et sa double généalogie. Or, le rhéteur d’Arles doit avoir écrit son œuvre après 138 ; on la lira encore au siècle suivant et, au IVe, Sôpatros d’Apamée la résumera152. En conséquence, la mention de Favorinus, si elle garantit que, dans la première moitié du IIe s., les deux documents référencés étaient déjà écrits, ne date pas le moment où ils ont été inclus dans la trame romanesque. Au contraire, quand le Pap. Berolinensis inv. 21266, attribuable au second siècle153, reproduit les épisodes de la statue d’Orphée et de la visite d’I­lion dans les termes et dans l’ordre de ce qui subsiste de la recension α154, il est évident que dès cette époque le récit a ses propres séquences155. Il est donc normal que la recherche d’une chronologie s’arrête sur ladite étape, d’autant que le Pap. Soc. Ital. 1285, I, 1 - IV, 48 porte à supposer qu’un roman par lettres, il

  III, 34, 1371-1373 : erigitur ergo aedes quam maximo opere ad instar templi quod etiam nunc Alexandri nominatur ; Tat., 5, 1, 2-4, cf. art. cit. supra n. 90, p. 277, n. 61. Mais les Res gestae restent extérieures à l’univers stricto sensu romanesque, parce que leur héros n’est pas mené par un entraînement amoureux. 149   I, 13, 329-331 : si quid inquirere curiosius uoles, sat tibi, lector, habeto quartum Fauorini librum qui Omnigenae historiae superscribitur. 150   HA, Car., 17, 7  : quicumque ostiatim cupit noscere, legat etiam Fuluium Asprianum (add. ibid., Avid. Cass., 9, 5 ; Clod. Alb., 5, 10 ; Maxim., 29, 10 ; Gord., 21, 4 ; Gall., 18, 6 ; Aurel., 24, 8 ; Tac., 11, 7 ; Quadr. Tyr., 6, 2). Reste que Favorinus est un des personnages de la Vita Hadriani, 15, 12-13 et 16, 10. 151   Aux lignes précédentes, 327-328, nous ne corrigeons pas Mileto en Milesio : la personnalité d’Aristote pouvait entraîner des longueurs justifiées ; quant à l’origine des généalogies, elle est assurée par la phrase illic etiam generis Alexandri inueneris seriem ; le grec et l’arménien sont muets là-dessus et même le grec ne cite pas du tout Favorinus. 152   A. Barigazzi, « Favorino di Arelate », Aufstieg und Niedergang der Römischen Welt, II, 34, 1, Berlin - New York, 1993, p. 556-581, plus spécialement p. 568-570 ; Prosopography of Late Roman Empire, I, p. 846-847, cf. Phot., Bibl., 103 b ; en 364, Libanius, Ep., 1177-1178 et 1230 , réclame ses livres. 153   Au plus tard, au IIIe s. : A. Papathomas in Philologus, 144, 2000, p. 217-236. 154   Lacune totale du grec, amputation des lignes 20-26 dans l’arménien – sauf dans le manuscrit du XIIIe s., édité à Erevan en 1989 par H. Simonian, où, apparemment ne manque que la clausule (fin 24, 25 et début de 26) – et dans le latin (I, 42, 14371444 et 1475-1480), lequel, par contre, ajoute (1445-1474) une prière à Achille, en raison des liens de parenté (thème connu ultérieurement par le grec ε et Malalas, cf. J. Trumpf, art. cit. supra n. 144). 155   Géographie très particulière, Alexandre allant de la Thessalie à Ilion en Phrygie (sic). 148

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est vrai, différentes des nôtres, sauf une, voire deux, sur cinq, est alors en voie d’élaboration156. Comme, dans les décennies chevauchant les deux siècles, des productions importantes, sous l’angle de l’histoire ou de la biographie, attestent d’un continuum dans la représentation du Macédonien157, la démarche involutive doit remonter plus avant, en quête de ce filon d’infralittérature où cependant l’invention ne se bornerait pas à diversifier l’épistolaire. D’une manière décisive, ces réquisits sont satisfaits par une découverte qui, réactualisée en 1984, fut signalée et datée dès 1843158. Une coquille malencontreuse l’ayant obscurcie dans le récent ouvrage de R. Stoneman159, il convient de l’exposer en toute lumière. Il s’agit donc d’un objet qui, considéré l’analogue d’une tabula Iliaca160, induit outil pédagogique et large diffusion. Acquis par le J. Paul Getty Museum de Malibu, ce fragment offre l’image d’un cheval attelé, flanqué d’un personnage, semble-t-il, recroquevillé ; au dessous, on déchiffre les lambeaux de quatre lignes  : ]αὶ γὰρ Ξέρξης ὁ τὸ φῶς μοὶ δοὺς ὐπερφ[ / ]δη οὐ κατανόησας καὶ τοῦ

φρονήματος[ / ]ς θησαυροὺς δείξειν τοὺς ἐν τῆι Μινυά[ / ]ύτης δὲ τῆις ἐπιστολῆς ἐλθούσης τ[.161 Au revers, le comput inversé du Chronicon Romanum fait mathématiquement conclure à l’an 16 de notre ère162. Étant donné que le texte colle admirablement avec la Recensio uetusta grecque éditée par W. Kroll, en II, 17, lignes 10, 17 et 21163 et que, par conséquent, sont ainsi transmis non seulement

156   R. Merkelbach, Die Quellen des griechischen Alexanderromans, Munich, 1954, p. 1 et 204-205. Cinq envois : 1°) I, 1 - II, 11, Darius se déclare prêt à de sérieuses concessions territoriales, si Alexandre lui restitue les siens ; 2°) II, 12 - III, 7, Polyeidos, précepteur des enfants royaux, donne à son maître de bonnes nouvelles des captifs ; 3°) III, 8 - IV, 16, Alexandre répond à Darius : il rendra les prisonniers, si le monarque vient en personne le supplier ; 4°) IV, 17-41 (= Iul. Val., II, 10, 582-603), Darius s’emporte contre les prétentions de son adversaire ; 5°) IV, 42-48 (= Iul. Val., II, 10, 604-614 mais en style indirect), Alexandre réagit à ce qu’il juge un vain bavardage. 157   Arrien écrit l’Anabase au début de sa carrière ; chez Plutarque, le De Alexandri Magni fortuna aut uirtute précède une Vie d’Alexandre riche de lettres (39-42) et d’informations sur la conception et la jeunesse du héros. 158   W. Henzen, « Eine neuentdeckte griechische Zeittafel », Philologie, 9, 1854, Francfort, p. 161-178, avec référence à Bull. des arch. Inst., 1843, p. 82. 159   Cf. op. cit. supra n. 3, p. xxiii : l’inscription est dite « traianea » au lieu de « tiberianea ». 160   A. Sadurska, Les Tables Iliaques, Varsovie, 1964, p. 78-83 : assimilation aux vignettes enseignant les épisodes de la guerre de Troie. 161   S. M. Burstein, « A New Tabula Iliaca : The Vasek Polak Chronicle », The J. Paul Getty Museum Journal, 12, 1984, p. 152-162 ; Id., « SEG 33 802 and the Alexander Romance », Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik, 77, 1989, p. 275-276 et pl. IV. La réplique de R. Merkelbach, ibid., p. 277-280, considère le texte comme un extrait d’une source historique ayant déjà incorporé la lettre, cf. infra n. 165 la réponse de Porus dans l’Epitoma. 162   Les datations indiquées deviennent exactes, si chaque fois, on retranche le chiffre 16. Exemple d’Anaximandre : 561 - 16 = 545. 163   Voir arménien § 190-191 et latin II, 17, 863, 874-875 et 881.

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un morceau de la dernière missive de Darius par laquelle, après Arbèles, le souverain découragé promettait de livrer à Alexandre les sites des trésors ancestraux, mais encore une amorce narrative racontant la réception du message, on a le droit d’affirmer qu’au plus tard sous la deuxième année du règne de Tibère, le Roman d’Alexandre était constitué en sa singularité mêlant une collection de lettres à un récit continu. Dès lors, il importe d’évaluer, au possible, la mesure de l’arc chronologique qui s’achève en 16. Le dossier papyrologique est particulièrement fourni. Le Pap. Berolinensis 13044 transmet le dialogue avec les Brahmanes et le Pap. Vindobonensis 31954 quelques lignes du testament ; dans le papyrus 21 de l’Université de Milan, Alexandre prie Sérapis, comme chez Julius Valère en I, 33164. Enfin et surtout le Pap. Hamburgensis 129 (= 605) qui comprend dix lettres, en attribue quatre à la geste du Conquérant. Trois sont écrites par Darius : ou bien le Perse ordonne à ses satrapes de capturer l’insolent agresseur, ou bien il menace Alexandre de la déportation et des travaux forcés, ou bien, dans un billet qui s’intercale entre les précédents, il tente, comme sur les deux premières lignes de la tabula Iliaca, d’apitoyer son vainqueur ; la quatrième lettre, réponse de Porus au Macédonien, quasi identique à l’Epitoma 56-57, n’a pas la grandiloquence érudite que lui prête le Roman165. Malheureusement ces intéressants parallèles ne sont que largement datés : depuis lors contesté, R. Merkelbach avait opté pour le Ier s. avant l’ère chrétienne, le Pap. Soc. Ital. 1285 venant dans ces conditions compléter la première série épistolaire des papyri de Hambourg. Pour affiner ces approximations, nous allons recourir à un faisceau d’indices qui tendraient à limiter plutôt le terminus post quem aux décennies 60-50 ante C. Il est d’abord impératif de prononcer le nom de Diodore de Sicile, dont le livre XVII, entièrement dédié à Alexandre, transmettra à Quinte Curce la tradition de l’histoire pittoresque à la Clitarque166 : que de fois, en effet, pour expliquer ou conforter le Roman les deux écrivains se retrouvent côte à côte dans la très riche étude d’A. Ausfeld167 ! On découvre même un mot de Darius qui passe littéralement de Diodore à Julius Valère168. Or, à en croire Jérôme, le floruit du Sicilien se place en 49 avant J.-C169. Autorité beaucoup plus secondaire

164   R. Merkelbach, op. cit. supra n. 156, p. 104 et 113-114 ; p. 54 (n. 2), 110, 123, 137 (n. 1) et 243-244 ; p. 29. 165   Ibid. p. 1-2, 195 et 199-200 : Pap. Hamb. 129, 1-30 = Iul. Val., I, 39, 12981310 ; Pap. Hamb. 129, 57-78 ; Pap. Hamb. 129, 31-56 = Iul. Val., II, 17, 856-880 ; Pap. Hamb. 129, 79-105, cf. Iul. Val., III, 2, 50-75. Le papyrus fait plus large part à Hannibal ; une datation ca 150 av. J.-C a été proposée, en 1965, sur des critères paléographiques, cf. C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 20 et 43, n. 93. Add. supra n. 143. 166   P. Goukowsky, op. cit. supra n. 56, p. xiii-xvii. 167   Cf. op. cit. supra n. 5, p. 145 et 220-221. 168   Diodor., XVII, 39, 1 : ἀνθρωπίνως φέρειν τὴν εὐτυχίαν ; II, 17, 857-858 : te in hac fortunae beatitudine tamen hominem recognoscas. 169  Hier., Chron., éd. Helm, 1956, p. 155. Diodore qui note la fondation de la colonie de Tauromenium en 36 (XVI, 7, 1) a dû vivre jusque ca 30.

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dans cette hypothétique Quellenforschung, Memnon d’Héraclée, qui vivrait à l’époque d’Auguste170, invite à réfléchir à ce qui, dans le Roman, relate une réponse du Macédonien aux Africains : « Carthage ferait bien ou de l’emporter sur ses ennemis ou de payer ce qui lui était commandé à de plus forts qu’ellemême. » De fait, chez Memnon, le dilemme concerne les Romains : « Tandis qu’Alexandre, rapporte-t-il, était en marche vers l’Asie, il écrivit aux Romains de gouverner, s’ils étaient capables de commander ou bien de céder aux plus forts. Ils lui envoyèrent alors une couronne d’or de cent talents. » Il est probable que les Res gestae et leurs homologues grecs et arméniens de l’Antiquité Tardive ont inversé les protagonistes pour épargner à Rome un langage humiliant. En réalité, si les projets de conquête avaient visé également les deux puissances occidentales, dans l’Orient, en cette extrême saison de la période hellénistique, Hannibal faisait plutôt figure de héros171, alors que l’Égypte, s’accrochant à sa glorification dynastique, développait une «  hostilité croissante contre les Romains… pour culminer sous le règne de Ptolémée XII Aulète (80-51) et aboutir finalement à la révolte de 48-47 »172. Sur cette toile de fond de la Guerre d’Alexandrie s’inscrirait assez la syncrisis d’Alexandre et de César, telle qu’elle se focalise sur la même manie de leurs chevaux173. En somme – et d’autres éléments convergeraient peut-être vers une fourchette identique174 –, le cumul de

170   L. Braccesi, L’ultimo Alessandro (dagli antichi ai moderni), Padoue, 1986, p. 20 ; FGrHist 434 F 10, 18 ; Iul. Val., I, 30, 797-799 ; A I, 30, 1, 4-5 ; arm. § 76. 171   Cf. supra n. 165 ; C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 187, n. 413. 172   J.-L. Ferrary, Philhellénisme et impérialisme, Aspects idéologiques de la conquête romaine du monde hellénistique (Bibliothèque des écoles françaises d’Athènes et de Rome, 271), Rome, 1988, p. 236-237. Les Oracles Sibyllins, III, 350-362 (édition commentée de J. D. Gauger, 1998, p. 440-451), composés par des Juifs d’Alexandrie au temps de Cléopâtre, prédisent pour bientôt la domination sur Rome d’une royauté asiatique. 173   Plin., HN, VIII, 154-155  : Alexandre et César ont en commun que leurs montures n’acceptaient que leurs maîtres comme cavaliers ; cette petite bizarrerie renvoie à un processus plus général d’assimilation engagé par le Romain. 174   C. Jouanno, art. cit. supra n. 68, p. 251, n. 33 : dans la version grecque A I, 46a, 7, vers 4-11 et 14-74, le flûtiste Isménias déroule un catalogue des légendes thébaines, toutes systématiquement évoquées par la Bibliothèque du Ps.-Apoll., II, 61, 72 et 157-160 ; III, 25-32, 36, 42-44 et 48-78. D’après A. Cameron, Greek Mythography in the Roman World, Oxford, 2004, p. 31, le Pseudo-Apollodore se réfère à Castor de Rhodes, actif dans les années 50 av. J.-C. – J.- P. Callu, art. cit. supra n. 90, p. 280, n. 88 : la parure du prêtre d’Alexandre (Iul. Val., II, 21, 1078-1079) est analogue à celle du desservant du temple d’Octavien au prologue du livre III des Géorgiques (16-17 et 21) et le Molorchus du vers 19 paraît proche de Moschylos, le fondateur de l’Alexandrinon (Kroll, II, 21, 19, 2). – C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 154 et 182, n. 333-335 : dans les Res gestae, en II, 5, 325-327 et 331-332, Alexandre reproche notamment aux Athéniens d’avoir abattu les simulacra et imagines de son père, gestes d’hostilité dirigés, en réalité, contre le successeur homonyme de la seconde guerre de Macédoine (200-197) ; mais Tite Live, en XXXI, 44, 2, facilitait le transfert, puisqu’il ajoutait que la mesure visait aussi les ancêtres de Philippe V.

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ces données grosso modo synchrones laisse envisager que la zone temporelle, fermée en 16 de notre ère par la tablette du J. Paul Getty Museum, aurait été ouverte quelque huit décennies plus tôt. En amont de 70 av. J.-C., les sources, pensons-nous, s’interpénètrent moins, bien qu’au décours du temps, les incitations à l’imaginaire s’échelonnent depuis la mort d’Alexandre jusqu’au début du Ier s. précédant notre ère. Les Res gestae savent que le testament d’Alexandre ayant attribué l’Égypte à Perdiccas175, celui-ci en fut dépossédé et mourut à l’été 321, dans une guerre où Ptolémée utilisa contre lui le subterfuge de la poussière, inséré par Julius Valère en II, 13, 655-659176. L’ensemble de la recension α enregistre la thèse de l’empoisonnement diffusée par Olympias six ans après 323177. La prédiction des arbres sur le destin de la famille royale avait été validée par les assassinats qui se succédèrent de 316 à 296178. Dans l’Égypte lagide, le « jour d’Alexandre » est antérieur à 261179, le culte solennel de Sérapis, à 221180. L’athlète Clitomaque remporta sa triple victoire en 216181. La deuxième guerre punique ne se termina qu’en 202182. Si nous descendons au IIe s. av. J.-C., on observera que ca 170 Bactriane et Sogdiane sortent définitivement de l’orbite méditerranéenne183 et que post 166 la puissance rhodienne ne justifie plus le traitement que lui réservaient les dernières volontés du Macédonien184. Au jeune Démétrios II Nicator de Syrie (146-125) le roi parthe Phraatès envoya, par moquerie, des dés en or185. Le nom d’Héron, enfin, doit avoir été emprunté, selon J. Sirinelli186, à un contemporain de Posidonios.

175   Perdiccas en Égypte : Iul. Val., cf. supra n. 132 ; A III, 33, 15, 3 et 19, 1-2 ; arménien, une fois en 274 mais, au début et à la fin de la même référence, Ptolémée remplace Perdiccas, de même qu’en A, ibid. 9, 7. 176   Frontin., IV, 7, 20 : Ptolomaeus aduersus Perdiccam exercitu praeualentem, ipse inualidus, omne pecudum genus, religatis ad tergum quae traherent sarmentis, agendum per paucos curauit equites ; ipse praegressus cum copiis quae habebat effecit, ut puluis quem pecora excitauerant speciem magni sequentis exercitus moueret, cuius exspectatione territum uicit hostem. 177   Plut., Al., 77, 2. 178   C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 24 et 46, n. 135 et 137-139 (Julius Valère, en III, 17, 602-604, ne parle pas des sœurs d’Alexandre). 179   Ibid., p. 117, n. 299 (OGIS 222). 180   Cf. art. cit. supra n. 85, p. 293. 181   Polyb., XXVII, 9, 7 -13 ; Pausan., VI, 15, 3. 182   Iul. Val., I, 30, 795-796  : nous préférons la seconde guerre à cause des ombres d’Hannibal et de Philippe V, cf. supra n. 165 et 174. 183   Peut-être est-ce une des raisons pour lesquelles le Roman passe directement de Darius à Porus. 184   Cf. supra n. 131 ; le grec, outre le séjour d’Olympias, mentionne une lettre aux Rhodiens et met les îles sous leur protection : A, III, 33, 2-5, 4 ; 12 ; 14, 15-16 ; l’arménien, en 272-273, suit le grec, mais incomplétement, car il n’a rien sur les îliens. 185   Iust., XXXVIII, 9, 9 : talis aureis in exprobationem puerilis leuitatis donatur. 186   J. Sirinelli, Les enfants d’Alexandre, Paris, 1993, p. 95.

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Face aux repères historiques ainsi égrenés, la légende de Nectanébo, sous réserve d’antécédents à éclairer187, se réduit pour le moment à un Songe copié dans la première moitié du IIe s. Quoique les dieux y retirent leur appui au Pharaon, le récit glisse vers l’aventure amoureuse d’un architecte royal188, nullement vers la rencontre d’Olympias, point focal d’un Roman égyptien, puisqu’un nouveau monde était décrit depuis l’épicentre d’Alexandrie. Bien entendu, de tous les arguments, de valeur inégale, par lesquels nous avons essayé de donner corps à la datation du complexe épistolaire et narratif attesté, ante 16, grâce à la tablette illustrant la défaite de Darius, aucun ne parle de la bâtardise d’Alexandre. Nous pensons cependant que l’hommage rendu, par le biais égyptien, au propagateur de l’hellénisme, exprimait une sorte de sursaut défensif contre l’expansionnisme de Rome et qu’en cette fin du Ier s. av. J.-C. la gloire des Ptolémées189 primait sur l’actualité de la renaissance d’une puissance perso-parthique190.

La recension α Guidée par R. Stoneman, qui a débrouillé le grec A de la Recensio uetusta systématisée par W. Kroll d’après les sondages d’A. Ausfeld, la recherche peut désormais, pour le seul livre I, se livrer à une comparaison ternaire entre cette copie de ca 410/420, l’arménien postérieur à 404 et la rédaction de Julius Valère ante 380191. On examinera donc successivement : 1°) les singularités de A ; 2°) les accords entre A et l’arménien ; 3°) les singularités de l’arménien ; 4°) les accords entre l’arménien et Julius Valère  ; 5°) les accords entre A et Julius Valère ; 6°) les singularités de Julius Valère. En incorporant, au livre III, après la rencontre des Brahmanes et avant la lettre à Aristote, le Commonitorium Palladii, A montre qu’il entend être le plus substantiel possible. Aussi n’est-il pas étonnant qu’il soit seul à livrer près

187   Ca 1998, Fl. Godron m’avait informé de prophéties de Nectanébo en démotique, mais son travail n’a pas abouti ; C. Jouanno, op. cit. supra n. 23, p. 59-60 et 93, n. 25-31, fait état, en effet, d’une Chronique démotique, peut-être remaniée « sous les premiers Ptolémées », dans laquelle apparaîtrait un mystérieux Nectanébo « jardinier ». 188   U. Wilcken, « Der Traum des Königs Nektanebos  », Mélanges Nicole, Genève, 1905, p. 579-596; B. Lavagnini, Eroticorum Graecorum fragmenta papyracea, Leipzig, 1922, p. 37-42. 189   Dès ses treize ans, au dire du Roman, Alexandre a pour compagnon à la Cour Ptolémée, fils naturel de Philippe II. 190   Les Séleucides faisant écran, Rome n’affronte pas directement les Parthes avant l’équipée de Crassus en 53. 191   Dans le commentaire des livres II et III seront inclus, le cas échéant, les résultats d’une confrontation nécessairement moins validée. À noter qu’en A manquent les deux folios 41, 12 - 44, 1 (ce qui recoupe, en partie, la lacune de l’arménien : moitié de 122, 123 et 124, sauf la ligne finale) et que le début de Julius Valère, 1-3, a été remplacé par l’Epitoma Zacheri.

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d’une trentaine de données192 parmi lesquelles se détachent les éléments magicoastrologiques : le pinax, la séquence des métamorphoses, les signes zodiacaux193 ; il manifeste, en outre, de l’intérêt pour Philippe 194 et précise l’affaire de Thèbes195. Avec une forte évidence s’affirme la convergence de A et de l’arménien : elle est structurelle ou ponctuelle. Ou bien, dans les deux langues, s’allongent mêmes listes de fleuves et mêmes catalogues de fables196, tandis qu’une répétition, justifiée ou non, frappe certains oracles ou des épisodes majeurs, tels le retour d’un jeune Nectanébo ou la fête de la fondation et son anniversaire197. Ou bien guère moins d’une centaine de similitudes, ayant en commun le style direct198, reproduit si bien le détail des faits et des paroles199 que, lorsque le

  Add. aux deux notes suivantes (références d’après l’édition Stoneman) : 4, 6, la beauté de la lune  ; 10-11, «  Es-tu égyptien  ?  »  ; 47, pas de divorce immédiat – 10, 4, livres érudits – 13, 17-18, Polynice de Pella ; 19-20, Aristomène d’Athènes – 14, 41-53, reproches à Nectanébo mort – 22, 6-7, mort justifiée de Lysias – 23, 4-6, tribut de Mothone – 29, 20, couronne annuelle – 31, 26-27, « le lieu des édits » – 32, 40-41, quatre maisons construites – 37, 14, couronne de la victoire. 193   4, 26-31, les trois cercles des décans, du zodiaque, du soleil et de la lune – 6, 12-17 et 7, 2-3, serpent, Ammon, Hercule, Dionysios, Nectanébo – 12, 6-35, six planètes et cinq signes du zodiaque. 194   10, 13-14 et 15-18, amitié du serpent pour Philippe – 24, 15-32, Philippe regrette l’absence d’Alexandre ; 62-63, temple pour Philippe. 195   46, 4-5, 17, 25, 29, 36-38, 43, 44-46 et 48-49, les Thébains ne reçoivent pas d’ambassade, 4000 cavaliers tournent autour de la muraille, les machines sont en fer et en bois, lancers de javelots, brèche par la porte Cadmée, ailleurs, trois mille attaquants, l’armée aux ordres, la joie du Cithéron – 46a, 110-114, derniers mots d’Isménias. 196   31, 20-32 (= § 79 de l’arménien), les douze canaux-avenues d’Alexandrie. – 46a, 36-102 (= § 129), environ trente-cinq personnages de la mythologie ou de la très haute histoire invoqués par l’aulète, A étant illisible vers la fin. 197   Oracle d’Ammon : 30, 22-26 et 33, 5-9 (= § 77 et 88) ; oracle d’Apollon : 47, 4-5 et 38-39 ( = § 133-134). – Statue et inscription de Nectanébo : 3, 18-27 et 34, 9-23 (= § 5 et 96). – Sacrifices aux serpents, animaux de transport couronnés, polenta aux habitants : 32, 41-51 et 51-55 (= § 97). 198   V.g. 16, 4-13 (= § 37) ; 23, 8-12 et 16-19 (= § 64-65) ; 25, 13-15 (= § 71) ; 30, 4-5 et 17-18 (= § 76-77) ; 31, 5-6 (= § 78) ; 32, 5-7 (= § 84) ; 39, 35-41 et 43-45 (= § 111) ; 45, 8-10 (= § 125) ; 47, 19-36 (= § 134). 199   8, 1 (= §16) ; 10, 19-20 (= § 22) ; 13, 13 (= § 28 : les dents d’Alexandre), 16 (= § 29), 23-24 (= § 30), 35 (= § 31) ; 16, 19 (= § 38) ; 17, 10-11 (= § 47), 15 (= § 48) ; 18, 8-9 (= § 49), 37-38 (= § 51) ; 19, 2-4, 8-9 (= § 52), 12-13 (= § 53), 23-24 (= § 54), 25 (= § 55) ; 22, 2-3 (= § 60) ; 23, 3-4 (= § 63) ; 24, 37 (= § 68) ; 26, 10 (= § 74), 18 (= § 75) ; 30, 14-15 (= § 77), 29-30 (= § 78) ; 31, 34-35 (= § 80), 55-56 (= § 81), 62-63 (= § 82 : les égouts d’Alexandrie) ; 32, 20 (= § 86), 30-31, 33 (= § 86), 37-38 (= § 87) ; 33, 1-2, 2-3 (= § 88), 11-12 (= § 89), 34-35 (= § 90), 42-43 (= § 91), 46-48, 54-55 (= § 92), 110 (= § 94) ; 34, 36-37 (= § 97 : sédentaires et nomades), 43-44 (= § 98) ; 35, 5-6, 8-12 (= § 99), 20, 22*-23* (= § 100 : pas de primauté politique des Tyriens*), 44-45 (= § 102) ; 36, 3-4, 12, 29 (= § 103) ; 37, 12 (= § 104), 36-37 (= § 106) ; 38, 2, 18*-19*, 26, 28, 29-30 (= § 107 : la Providence*) ; 39, 12-13 (= § 109) ; 40, 10, 12-13, 25-26 (= § 112) ; 41, 26-29, 33-34 (= § 115) ; 40 (= § 116) ; 192

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texte de A est corrompu, celui de l’arménien n’a pas davantage de lisibilité200. L’indépendance de l’arménien, néanmoins, est peut-être plus grande, car le peu que l’on sait de la tradition ancienne représentée par un seul manuscrit du XIIIe s. laisse présumer des sortes de gloses201. Autrement, à côté d’incompréhensions202, d’une répétition ou d’un oubli203, il y a des leçons qui quelquefois retiennent l’attention, parce qu’en particulier plusieurs d’entre elles annoncent la version β 204. Assez réduites – environ une vingtaine – et certainement par l’intermédiaire d’une source grecque, sauf exceptions, différente de A, les superpositions du latin et de l’arménien frappent le lecteur qui observe le réalisme de plusieurs coïncidences au début du Roman205, mais surtout est sensible à deux grosses interpolations : la référence à Favorinus et la correspondance initiée par Zeuxis, où, sans le moindre doute, Julius Valère206 imprime sa propre marque.

45, 10, 17-18 (= § 125) ; 46, 2-3, 3-4, 11-12 (= § 126), 19-20, 21, 25-26, 30 (= § 127) ; 46a, 25 (= § 129), 165 (= § 132) ; 47, 35 (= § 134). 200   41, 8-9 (= § 113 : la manœuvre d’Alexandre, face aux chars à faux, n’ayant pas été bien transmise, le texte a été restructuré en sens inverse). 201   Traductions de J.-P. Mahé : cf. § 36 et 49, complément sur Delphes et véritable excursus sur Pise. Les autres additions de cette tradition valent d’être citées : cf. § 21 : Olympias tend la main pour écarter le serpent ; cf. § 25 : le soleil est proche de midi ; Nectanébo engage Olympias à imiter sa mère. 202   §§ 21 : le serpent tourne autour de la salle ; 65 : Alexandre veut confisquer la liberté des Grecs ; 87 : la lettre E reste à moitié obscure ; 112 : tribut imposé aux Grecs par Alexandre ; 125 : Apollon répond directement. 203   §§ 95 : double évocation des catastrophes qui passeront ; 79 : quatre villages sont omis. 204   Leçons communes avec β aux §§ 29, 36, 58, 61 (père égyptien), 99 (Gaza). – Autres modifications : §§ 6 (Nectanébo ne s’incline pas), 7, 13 (sceptre en bois de palmier), 36, 54 (cheval de volée et sentence morale), 58, 59, 67, 89, 102, 105, 106, 107, 110, 127 (deux additions dont une sur l’aveuglement des Thébains), 129, 134 (Aristote). 205   Au § 56, « sœur » vient de A, 20, 4 et « fille » de Julius Valère 20, 596 ; de même, au § 70, Amphictyoniens et Lacédémoniens viennent de A, 25, 4 et «  Corinthiens » de Julius Valère 25, 726 – 4, 66-68 (= § 8 : pinax d’or et d’ivoire) ; 5, 104-106 (= § 10 : lit et femme en cire) ; 6, 133 (= § 12 : lumière et coup d’œil) ; 7, 136-138 (= § 13 : déguisement), 155-156 (= § 14 : plaisir conjugal), 162-163 (= ibid. : la clef) ; 10, 222-223 (= § 20 – texte de J.-P. Mahé – : invisibilité magique). Ensuite, 10, 250-251 (= § 22 : Jupiter ou Ammon ?) ; 13, 326 (= § 29 : Anaximène) ; 14, 414-416 (= § 35 : chiasme géographique Nectanébo-Alexandre) ; 21, 617-619 (= § 59 : Lapithes et Ulysse) ; 24, 706-708 (= § 68 : cri d’Olympias) ; ibid., 715-719 (= § 69 : pour Philippe un fils vengeur de ses deux parents) ; 26, 766-770 (= § 73 : 2700, 800, 74600) ; 38, 1260 (= § 107 : Mithra) ; 45, 1545-1546 (=§ 125 : prise du tripode) ; 46, 1561, 1576 (= § 126-127 : 500, 1000). 206   Cf supra n. 149 et 151. 13, 328-331 = § 29  : Julius Valère ajoute à la liste des maîtres la double généalogie. – 16, 448-490 = § 39-46 : l’arménien, de même que le syriaque, ignore l’aspect politique.

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INTRODUCTION

Sans hésitation, les concordances de A et des Res gestae se comptent sur les doigts d’une main207. Dès lors se saisit mieux l’originalité de la rédaction latine. Elle enlève autant qu’elle ajoute. En effet, elle réduit de deux manières : d’abord, autant qu’elle le peut, elle promeut le style indirect et l’oralité, legs d’un lointain passé, s’amenuise dans une narration organisée. Ensuite, non sans se contredire parfois208, elle évacue beaucoup de mythologie, que ce soit la Mathesis du thème astral, au moment de la naissance d’Alexandre, ou la longue litanie des légendes thébaines209. À l’inverse, parce que l’adaptateur est curiosus et qu’il aime faire comprendre, il explique les toponymes210, les monuments, la tactique211. En même temps, il rapproche le récit des réalités psychologiques212 et le teinte d’une coloration romaine, quasi contemporaine, pour ce qui est de l’économique213, du politique214, du religieux215.

207   15, 4 = 15, 421 : traverser Pella  ; 31, 69-72 = 31, 905-911 : dimensions de Babylone, Rome et Alexandrie ; 35, 3 = 35, 1157 : cataphractes ; 39, 30 = 39, 1315 : 5 prisonniers ; 46, 22 = 46, 1573 : jeter le feu. 208   Cf. supra n. 206 l’emprunt des généalogies à Favorinus ; la lignée d’Achille que Julius Valère est seul à développer, en 42, 1449-1474, doit avoir la même origine. 209   Mais l’aide d’Apollon et des Muses dans la construction des murs de Thèbes est un argument supplémentaire d’Isménias : 46, 1596-1597. 210   Critique implicite, en 32, 950-951, des incuriosi uetustatis – 29, 780 : équivalence de Lycaonia et de Lucania (en avançant une diachronie, Julius Valère cherche à surmonter le paradoxe géographique sur lequel reposent largement les Res gestae) ; 31, 840-842, 858-861 : insistance sur l’étymologie de Taposiris et d’Hormoupolis ; en revanche, en 30, 821 l’emploi de l’adverbe qua révèle de l’incertitude sur les positions réciproques de l’île de Protée et d’Alexandrie. 211   30, 812-813 : embellissement du temple d’Ammon ; 33, 1007-1012 : métaphore des obélisques et nouveau Serapeum – 19, 582-586 : manœuvre de l’aurige Alexandre ; 41, 1358-1363, 1373 : riposte aux chars à faux, puis pluie soudaine. 212   Le personnage de Philippe est affiné : il ne se résume pas à une jactance virile s’exerçant sur les femmes (15, 426 et 21, 609) ; Alexandre comprend que son âme est blessée par la fatalité et il le laisse partagé entre « le point d’honneur et les regrets » (22, 626-627, 634-635 et 639) ; Julius Valère devine les sentiments collectifs : 16, 443-444; 41, 1378 ; 42, 1480-1482. 213   Problèmes du ravitaillement urbain, c’est-à-dire de l’entrée et de la sortie des denrées : 31, 868-870 et 32, 932-933 ; extension du périmètre de Rome : 31, 908-910. 214   Les deux fondements du pouvoir sont  : 1°) le refus de la servitude extérieure, de son faste et de son arrogance (23, 673-674 ; 38, 1274-1275 ; 39, 1296-1297 ; 40, 1331-1333), à laquelle s’opposent la paix et la concorde civique (33, 992, 1061, 1067-1068)  ; 2°) la force d’une armée disciplinée dans ses tâches quotidiennes (44, 1516-1518, 1535-1536) et capable, dans ses fermes interventions, de faire respecter l’imperium d’Alexandre (23, 662 ; 35, 1175 ; 38, 1291-1292 ; 39, 1325). 215   En sus d’indications sur les dieux gréco-égyptiens, Apollon, Hercule, Ammon, ou la magie (8, 173 ; 9, 217-218 ; 10, 217-218 ; 45, 1547 et 1548-1549), l’important touche à des éléments influencés par Rome, soit dans les rites : serpents-pénates nourris de polenta, à jours fixes des notables à l’Heroon ; boutiques de couronnes (32, 946 et 973-981, thème entièrement remodelé par l’exclusion des bêtes de somme), soit dans la formule syncrétiste instinctu dei, cf. supra n. 139

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introduction

Toute limitée qu’elle est au livre Ier, l’analyse comparée des trois rameaux de la recension α laisse conclure que, si les Res gestae partagent avec le grec et l’arménien le même caractère «  mythistorique  » d’un passé recomposé par mixage de l’héroïque, du légendaire et de l’exotisme, Julius Valère a, dans la forme et le contenu, su adapter sa traduction au public de son temps : transfert d’autant plus intéressant que, différentes des autres produits de l’imaginaire que sont les romans d’amour et de reconnaissance ou les biographies impériales rubriquées, ces Res gestae doivent au hasard de rester un unicum dans la littérature latine.

La présente édition Ainsi qu’il a été dit dans l’Avant-propos, le texte utilisé est celui établi par Michaela Rosellini pour l’édition Teubner en 1993. Néanmoins, quelques modifications ont été introduites, parce qu’il a paru opportun de valider certaines leçons suggérées ou retranscrites dans son apparat critique par l’éditrice relayant Roberto Calderan216 ; pour notre part, nous avons tenté d’élucider des passages marqués de cruces, de supprimer des lacunes ou des répétitions, voire de reconstituer une syntaxe acceptable : Livre I

- 254 pauens del. ego : p. P cruc. incl. Rosellini paulo post susp. Rosellini. - 290 adtolerantiae susp. Calderan : att de[…..] cruc.incl. Rosellini. - 301-302 curam cum illa partitudinem laborante coni. Calderan2 : naturam cum i. -dine -antem Gargiulo cura cum i. -dine -tem P cruc. incl. Rosellini. - 318 nox suppl. Ausfeld1 : lacunam cruc. incl. pon. Rosellini. - 369 haereo dubit. Rosellini : alio Tm cruc. incl. Rosellini. - 449 transcriberet P def. Rosellini(2000) : cruc. incl. Rosellini. - 741 diu iam coni. Kuebler : de ui iam Rosellini diuinam Tp. - 873 hominum coni. Mariotti : amicum A cruc. incl. Rosellini. - 878 facesserunt ego : -serari A cruc. incl. Rosellini. - 928 resciuit AI : consipiuit A2H cruc. incl. Rosellini. - 938 post eiusque quam lacunam cruc. incl. pon. Rosellini del. ego. - 979 optimatium AH : optimis animantium dub. Heraeus, Rosellini. - 1102 quem signat coni.Geyer : que signa Tk cruc. incl. Rosellini. - 1274 congestu ego : -tum est AP cruc. incl. Rosellini c. confessus es coni. Calderan || te om. ego.

  Cf. supra n. 1 : Conspectus siglorum et Emendatores, p. xlv-xlix. Dans leur édition de 2007, cf. supra n. 3, R. Stoneman et T. Gargiulo, p. 374, 23-24 = 13, 301-302, ont changé le lemme et, p. 384, 22 = 16, 449, ils renvoient à un article de M. Rosellini in Rivista di filologia e d’istruzione classica, 130, 2002, p. 209-220. 216

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INTRODUCTION

- 1379 potius post tamen add. ego : lacunam cruc. incl. pon. Rosellini. - 1572 excidere AP : exscindere Calderan Rosellini. - 1626 isthmia coni. Rosellini : thias A cruc. incl. Rosellini. Livre II

- 76 non ante dedi add. ego. - 118 nostri molitur coni. Calderan : -trum m. Kuebler Rosellini -trum olim P. - 165 ambitiosius coni. Boysen : a militibus P cruc. incl. Rosellini. - 228 ipse ego : inter se codd. Rosellini. - 584 elatus ac coni. Mueller : latus ad P latus cruc. incl. Rosellini. - 808 eius codd. : e. cruc. incl. Rosellini. - 892 neque illi coni. Ausfeld3 : n. ille codd. cruc. incl. Rosellini. - 893 indictum esse ego : i. erat coni. Ausfeld3 indixerat Tk cruc. incl. Rosellini. - 992 tum del. ego : t. add. Calderan. Livre III

- 56 aucta P : aut A cruc. incl. Rosellini. - 292-293 ratione esse ego : alterum ratione post esse add. P ante esse add. Mariotti cruc. incl. Rosellini. - 385-386 coeptus ego : quo eptus A cruc. incl. Rosellini || laboris habuit uices huiuscemodi Kroll: -ras aut uitae eiusmodi A cruc. incl. Rosellini. - 439 corepti utrique A : scorpiurique Kuebler Rosellini. - 511 duximus suppl. Volkmann2 : lacunam cruc. incl. pon. Rosellini. - 532 directior est ego : -tiorem e. A cruc. incl. Rosellini || stirps ego : stirpe A Rosellini. - 618 percussis ego : proc- coni. Mariotti possessis AP cruc. incl. Rosellini. - 650 adde susp. Rosellini : ad P cruc. incl. Rosellini. - 657 hinc ut uolueris Ausfeld1 : haec ut ualebis AP cruc. incl. Rosellini. - 722 callens coni. Berengo : calles AP cruc. usque ad dedisses incl. Rosellini. - 726 saeptis ego : septis somno P sepultis somno Kroll Rosellini. - 728 clare coni. Calderan : claso P cruc. incl. Rosellini. - 791 ultionis ego : -nem AP Rosellini || prouisae beneficium ego : -si –cii AP cruc. incl. Rosellini. - 855-856 haec quae incandentes ego : h. qua ei cadenti A cruc. usque ad sunt incl. Rosellini. - 947 fecerim ego : facile codd. cruc. incl. Rosellini || ductum A : d. cruc. incl. Rosellini. - 971 uerba haberi et ex susp. ego : u.ex codd. lacunam ante et ex ponit Calderani ante ex ponit Rosellini.

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- 1025 nomina coni. Kuebler : -ne Rosellini || post gymnosophistarum quam lacunam pon. Rosellini del ego. - 1211 cetera coni. Mariotti : ceteraque oris codd. Rosellini. - 1300 uitae fruere suppl. Ausfeld3 : lacunam cruc. incl. pon. Rosellini.

Appendices, Index et Bibliographie En complément du texte, de la traduction, du commentaire217 des Res gestae, quatre annexes présentent quatre composantes du corpus alexandrin : la première est vouée à l’Itinerarium Alexandri, cette œuvre initiale de Julius Valère qu’il a donc conçue dans une perspective historique en abrégeant Arrien : fondée sur le travail d’ecdotique mené par Rafaella Tabacco, elle se concentre sur un essai de traduction inédit en français218 ; dans la seconde et la troisième sont transcrits deux opuscules également historiques, aux origines de beaucoup antérieures à la constitution du Roman de langue grecque : l’Epitoma Alexandri et le Liber de Morte Testamentoque requéraient, eux aussi, d’être traduits à l’appui de leur édition critique par Peter Hermann Thomas219 ; enfin, en quatrième lieu, l’énoncé latin de l’Epistula Alexandri ad Aristotelem a mérité d’être reproduit d’après son plus récent éditeur220 : c’est, au contraire des trois précédents textes, un net dérivé tiré de nos Res gestae. Sans séparer, il est vrai, noms de personne et noms géographiques, M. Rosellini et P. H. Thomas ont donné les Indices du texte principal et de deux appendices ; ces classements qui n’étaient pas à refaire invitaient à présenter seulement celui de l’Itinéraire. De même, puisqu’en 1993 M. Rosellini, en 2000 R. Tabacco, en 2002 C. Jouanno, en 2007 R. Stoneman221 ont offert des viviers bibliographiques aussi généreux qu’actualisés, on s’est contenté d’extraire des notes de l’Introduction et du Commentaire une liste succincte des ouvrages qui ont facilité cette lecture de Julius Valère. Par ses informations, ses idées, ses relectures, Michel Festy m’aura été d’un constant secours. Au moment où s’achève la mise à flots de Roman d’Alexandre, j’ai plaisir à me reconnaître, une fois encore, l’obligé de son amicale coopération.

  Annotation continue pour l’ensemble des trois livres.   Cf. supra n. 6. 219   Cf. supra n. 14 et 82. 220   Cf. supra n. 111 ; H. van Thiel, Darmstadt, 1983. En revanche, malgré sa présence en A, le Commonitorium Palladii n’a pas été joint, en raison de son appartenance à un monde christianisé. 221   Respectivement p. xlv-xlvii ; p. xlix-liv ; p. 467-484 ; lxxxvii-cix. 217 218

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JULIUS VALÈRE HISTOIRE D’ALEXANDRE DE MACéDOINE

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IVLI VALERI ALEXANDRI (?) POLEMI RES GESTAE ALEXANDRI MACEDONIS Translatae ex Aesopo graeco LIBER PRIMVS QVI EST ORTVS ALEXANDRI

1. Aegyptii sapientes, sati genere diuino, primi feruntur permensique sunt terram ingenii peruicacia et ambitum caeli stellarum numero adsecuti. Quorum omnium Nectanabus prudentissimus (10) fuisse comprobatur, quippe qui, quod alii armis, ille ore potuisse conuincitur. Tantum denique sacricola peritia calluisse fertur ut mundialia quoque ei parerent elementa, adeo ut, si metus bellicus illi immineret, non exercitum, non machinamenta Martia moueret, quin potius ingressus aulae penita regiaeque secreta ibi (15) se solitarium abdebat inuecta secum pelui. Quam dum ex fonte liquidissimo impleret, ex cera imitabatur nauigii similitudinem effigiesque hominum illic collocabat. Quae omnia cum supernare coepissent, mox moueri ac uiuere uisebantur. Adhibebat etiam et uirgulam ex ligno ebeni et praecantamina loquebatur quibus uo(20)caret deos superos inferosque sicque laborabat pelui nauiculam submergi. Ex quo fiebat ut simul cum submersione illius cerae et cereis insessoribus etiam omnes hostes, si qui adesse praenuntiabantur, pelago mergerentur. Itaque multo tempore regno ac securitate potitus est. 2. (25) Quodam igitur tempore nuntiatum est ei multas aduersus eum gentes una conspiratione atque eadem uoluntate consurrexisse, scilicet Indos, Arabes Phoenicesque, Parthos et Assyrios, nec non et Scythas, Alanos, Osydoracontas, Seres atque Caucones, Hiberos, Agriophagos, Eunomitas et quaecumque sunt orientis (30) barbarae gentes. Quibus ille auditis plausum dans manibus magno risu dissolutus est. 3. Igitur ad consuetam artis confugit peritiam et more solito adhibuit sibi peluem atque omnia alia instrumenta, quibus intellexit se uincendum atque ab hostibus capiendum, nisi fugae consuleret. (35) Mox autem raso capite et barba collectisque omnibus quaeque sibi erant pretiosarum opum in peregrina profectus est lustratisque inuisitatioribus terris appulit in Macedoniae locum cui Pella ex ueteri nomen est. Ibi amictus ueste linea, astrologum se professus, uim peritiae suae cum magna admiratione commen(40)dabat. 4. Tamen longe celebratior apud Macedones Nectanabus erat, ut fama eius ne Olympiada quidem reginam consulere peritiam uiri absente tunc con(45)iuge. Nam Philippus bello 40

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JULIUS VALÈRE ALEXANDRE( ?) POLÉMIUS HISTOIRE D’ALEXANDRE DE MACéDOINE Tirée de l’Ésope grec LIVRE PREMIER L’ORIENT D’ALEXANDRE 1. Les sages d’égypte, nés d’une semence divine, sont réputés les premiers : leur intelligence acharnée leur a fait mesurer la terre et, par le dénombrement des étoiles, ils ont atteint le pourtour du ciel1. De tous, Nectanébo2 fut démontré le plus sagace lui qui – c’est prouvé – avait par la parole un pouvoir que les autres tenaient des armes. Bref, finalement ce dévot des rites était, dit-on, d’une compétence si endurcie que même les éléments du monde lui obéissaient  : la menace d’une guerre pesait-elle qu’il ne mettait en branle ni armée, ni attirail martial. Il pénétrait plutôt dans les profondeurs du palais, au cœur de la demeure royale et là, retranché dans la solitude, il emportait avec lui un bassin. Le remplissant à une source très pure, avec de la cire, il imitait un bateau à l’identique et y plaçait des figures humaines. Lorsque tout commençait à flotter, on y voyait bientôt du mouvement et de la vie. Il prenait aussi une baguette en bois d’ébène et, prononçant des formules déprécatoires qui invoquaient dieux d’En Haut et d’En Bas, il travaillait ainsi au naufrage, dans le bassin, du petit bateau. Et voici le résultat : au moment où le modelage, passagers de cire compris, sombrait3, tous les ennemis dont on annonçait la prochaine arrivée s’engloutissaient également dans la mer. En conséquence de quoi il fut longtemps le maître d’un royaume tranquille. 2. Mais un jour on lui annonça que, réunie en coalition et mue de la même volonté, une multitude de peuples s’insurgeait contre lui : les Indiens, les Arabes et les Phéniciens, les Parthes et les Assyriens et puis encore les Scythes, les Alains, les Oxydracontes, les Sères et les Cauchônes, les Ibères, les Agriophages, les Eunomites4 et tout ce qu’il y a de barbare dans les peuplades de l’Orient. à ces mots, se tapant les mains, il éclata d’un grand rire. 3. Il recourut donc aux compétences accoutumées de son art et, à sa manière habituelle, il prit le bassin et le reste de son matériel. Par eux, il comprit qu’il allait être vaincu et capturé par l’ennemi5, s’il ne pensait pas à fuir. Bientôt la tête rasée ainsi que la barbe, ayant rassemblé ce qu’il possédait de précieux, il partit pour l’étranger, parcourut des terres moins visitées et débarqua en un lieu de Macédoine de longue date nommé Pella. Là, vêtu d’une robe de lin, il se déclara astrologue et, au milieu d’une grande admiration, il vantait les vertus de ses compétences. 4. Cependant chez les Macédoniens Nectanébo était devenu beaucoup plus connu. C’est pourquoi sa renommée n’échappa pas non plus à la reine Olympias, qui entreprit de consulter un homme aussi compétent en l’absence de

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RES GESTAE ALEXANDRI MACEDONIS – LIBER PRIMVS

forte tunc aberat. Igitur ingredi iussus et ad primam Olympiadis uisionem miratione formae eius Nectanabus ita motus est ut amori mulieris dederetur, quod eum ferme ex corporis intemperie facile erat his uoluptatibus uinci. Ingressus tamen protenta manu regina (50) auere iubet ; non dominae eam appellatione dignatus est, qui se olim dominum fuisse meminisset. Resalutato igitur ac sedere iusso : « Tune », inquit, «  ille es Nectanabus matheseos sciens  ? Nam quisque te consuluerit uerdicentiae tuae non refragatur. Dic ergo, quanam usus peritia adeo ueri amicus (55) cluis. » Ad id respondit : « Multifida quidem est, o regina, ista haec nostra uaticinandi scientia, neque est in tempore omnium meminisse  : nam et interpretes somniorum et astrici, quibus omnis diuinandi ratio reseratur, et multa sunt praeter haec nomina quibus uti ad praescientiam solemus. » His dic(60)tis cum acrius in uultum reginae intueretur, Olympias refert : « Quid ita defigeris, o propheta, ubi in me intueris ? » At ille : « Recordor enim nunc demum oraculi eius quod apud Aegyptum a diis acceperam, oportere me reginae uera praedicere percunctanti. Quare consule super cupitis. » Et cum uerbis ta(65)bulas promit quas peritiae huiusce docti pinaca[m] nominauerunt, adeo fabre absolutum ut artifex manus certasse putaretur cum bino eloquentiae testimonio  : auro enim et ebore uariatum pretium sui cum operis admiratione contenderat. Tum promit etiam septem quas diceret stellas et horosco(70)pum pariter, quibus singulis sui metalli species erat. Iouem enim uiseres aereo lapide nuncupatum, Solem crystallo, Lunam adamante, Martem dici sub lapide haematite, sed Mercurius ex smaragdo fuit, Venus uero sapphirina, Saturnus in ophite, tum horoscopus lygdinus. Exinde mirans Olympias (75) pinacis illius opulentiam stellarumque mirabilem uarietatem propter sessitans iubet omne facessere famulitium qui aderant sibi ex ministerio regali et ait : « O tu, quaeso, intuere meam et Philippi congruentiam  ; nam multa fama est quod, si adfuerit ex hostico, abiecta me uelit in alteram transiu(80)gari. » Ad haec ille : « Quin ergo deprome uel tuam uel Philippi genituram. » Quod cum illa fecisset, Nectanabus statim suam quoque adhibet constellationem, exploraturus an illa cum Olympiadis genitura conueniret uoluntatisque potiretur. Quod cum fore deprehendisset, hinc orsus est : « Non uana », (85) inquit, « ista ad te fama peruenit, sed enim uera est. Ego tamen ac si prophetes ex Aegypto opitulabor, ut queam, ne quid de diuortio formidaueris. Quod etsi foret, uindex fato non deesset.  » «  Quanam  », inquit Olympias, « id facultate ? » « Quod enim », Nectanabus refert, « fatale tibi est secundum (90) hanc quam uideo genitura misceri deo eque isto grauidam filium nutricaturam ultorem omnium si quae in te Philippus audebit. » Tum illa : « Et cuinam », inquit, « deo ad torum debeor ? » Respondit : « Ammoni Libi. Is autem est fluuius. » Aetate qua uisitur iuuenem esse renuntiat. De facie sciscita(95)tur et cultu. Canum caesarie 42

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son mari ; à cause d’une guerre, en effet, Philippe ne se trouvait pas alors auprès d’elle. Prié d’entrer, Nectanébo fut, dès qu’il vit Olympias, si frappé d’admiration pour sa beauté qu’il s’abandonna à l’amour pour cette femme, car d’ordinaire son tempérament excessif l’assujettissait aisément à de tels plaisirs. S’avançant la main tendue, il souhaite le bonjour à la reine, sans daigner l’appeler Maîtresse, puisqu’il se souvenait d’avoir été le Maître autrefois. Elle lui rendit son salut et l’invita à s’asseoir : « Es-tu, dit-elle, le Nectanébo spécialiste des horoscopes ? Aucun de ceux qui t’ont consulté n’infirme, en effet, la véracité de tes propos. Dis-moi donc les compétences dont l’usage te vaut cette réputation d’ami de la vérité. » à quoi il répondit : « Cette capacité de prédire qui est la nôtre comporte, ô reine, de multiples aspects et ce n’est pas le moment de les mentionner tous : il y a les interprètes des songes, les astrologues auxquels sont dévoilées toutes les méthodes de la divination et nous avons l’habitude d’utiliser bien d’autres noms pour ce qui est de savoir à l’avance. » Cela dit, il regardait avec insistance le visage de la reine. Olympias reprend  : «  Pourquoi, prophète, restes-tu planté à me regarder ? » Mais lui : « Maintenant seulement je me souviens d’un oracle reçu des dieux en égypte, comme quoi je devais prédire la vérité aux interrogations d’une reine. Aussi, consulte-moi sur tes souhaits. » Tout en parlant, il sort des tablettes que les spécialistes de cet art appellent des « pinax » ; la façon en était si achevée que la main de l’artiste, pensait-on, y rivalisait doublement avec les assertions du discours ; de fait, le prix de l’alternance d’or et d’ivoire concurrençait l’admiration pour l’ouvrage ; Nectanébo ensuite sort encore ce qu’il disait être les sept planètes et l’horoscope  ; chaque objet avait la beauté de sa matière particulière  : à l’œil, la pierre d’azur désignait Jupiter, le cristal le Soleil, le diamant la Lune, sous une pierre d’hématite on entendait Mars, quant à Mercure, il était d’émeraude, Vénus de saphir, Saturne en serpentine, l’horoscope, enfin, de marbre blanc6. Alors Olympias, émerveillée par la somptuosité de la « pinax » et le merveilleux contraste entre les planètes, vient s’asseoir à son côté, fait se retirer tous les serviteurs qui l’entouraient à raison de leurs fonctions à la cour et lui dit : « S’il te plaît, examine la conjonction entre Philippe et moi, car, selon bien des rumeurs, s’il revient de chez l’ennemi, il aurait l’intention de me rejeter pour passer à une autre union. » Et lui à cela : « Eh bien, montre-moi ton thème astral et celui de Philippe. » Dès qu’elle l’eut fait, Nectanébo prend sa propre configuration stellaire pour voir si elle s’accordait avec le thème d’Olympias et maîtriserait la volonté de celle-ci7. Ayant saisi qu’il en serait ainsi, il commença en ces termes : « Elle n’était pas vaine, dit-il, la rumeur qui est parvenue jusqu’à toi : c’est la vérité. Mais moi, comme prophète d’égypte, je vais t’aider, à ma mesure, à ne pas redouter le divorce. Si même il se produisait, le méfait ne manquerait pas de vengeur. » « Le moyen d’y arriver ? », demanda Olympias. « C’est, répond Nectanébo, que, d’après le thème que je vois, ta destinée est de t’unir à un dieu et, enceinte de lui, d’aller nourrir un fils qui te venge de toutes les audaces possibles de Philippe. » Et elle : « À la couche de quel dieu suis-je promise ? » Il répondit : « À celle d’Ammon de Libye ; c’est un fleuve »8. D’après l’âge qu’on lui voit, Nectanébo lui apprend qu’Ammon est dans sa maturité. Elle

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dicit et ore praelepidum, temporibus tamen atque fronte arietis cornibus asperatum. «  Quare, inquit, «  paraueris tete uelut feminis mos est et reginae decorum est ad huiuscemodi nuptias. Videbis enim et somnium et in somnio nuptias tibi futuras esse cum deo. » Ad (100) haec illa : « Ego hoc », inquit, « somnium si somniabo, non iam te ut mago utar, enimuero dei honore uenerabor. » 5. Progressus inde Nectanabus neque oppertus in longum herbas ex scientia quaeritat ad somniorum imperia necessarias. Quibus carptis atque in sucum pressis effigiat ex cera (105) corpusculum feminae eique nomen reginae cum adscripsisset, lectulum eidem fabricatur, cui illa effigies supraponitur, iuxtaque lucernis incensis sucum herbarum potentium superfundit carmenque dicit efficax et secretum, quo effectum est ut quidquid ille simulamini cereo loquebatur, id omne (110) fieri sibi regina sit opinata per somnium. Videt enim se in complexibus dei, quos fore sibi cum Ammone dixerat, postque complexus deum sibi loquentem audierat fetam se et utero grauem et edituram uindicem filium. 6. Surgit ergo de lectulo et admirata somnii maiestatem (115) hominem ad sese uocat et « ecce », inquit, « promissum somnium uidi. Nam et deus erat et agebat mecum nuptiale secretum. Igitur curam quaeso suscipias quando id effectum compleatur quandoque me deus iste dignetur, ut ego quoque iugalibus me et sponso iam praeparem ». Ad haec Nectana (120)bus : « Hoc quidem », inquit, « o domina, quod uidisti est somnium  ; aderit tamen ipse etiam ad te deus. Sed censeo mihi secessum istic iuxtim tuum cubiculum dari, uti arte procurem ne quis tibi metus sit sub aduentu huius numinis. » Probat id promissi regina et uicinum cubiculo suo secessum (125) mago tribuit et «  si  », inquit, « harumce nuptiarum cepero experimentum conceptuque sim potita, honor regalis tibi a regina non deerit inque te patri adfectum fore mihi iam spes promittit ». Tum addidit ille : « Praecursor tibi », inquit, « dei mox aderit. Nam sedenti superueniet draco clementius repta(130)bundus. Enim tu eo uiso omnis qui adsint amolire de medio, nec tamen quaecumque aderunt exstinxeris lumina, sed, cum te lectulo collocaris, opertum quidem uultum ad uerecundiam texeris, lumine tamen limis explora uultus illos quos iam somnio praeuidisti, ut si is erit. » 7. (135) Insequenti igitur die et locus mago destinatur et ille quaeuis ex arte opportuna prouidit, uellus scilicet arietis quam mollissimum una cum cornibus sceptrumque et amictum admodum candidum. Quo superiecto efficit scientia draconem sibi ueluti mansuetum et innoxie gradientem uespera(140)que aduentante eum admonet ire praecursorem. Et is intrat ad feminam. Quo uiso illa mox horridula prae metu disicit quosque praesentes, ipsa uero secundum monitum dat sese lectulo et

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l’interroge sur son visage, son apparence. Il dit qu’il a la chevelure argentée, la face vraiment séduisante, avec pourtant le front et les tempes hérissés de cornes de bélier. «  Prépare-toi, dit-il, à ces noces conformément aux habitudes des femmes ainsi qu’à la dignité d’une reine. Tu auras les visions d’un rêve et dans ce rêve tu te verras prête à épouser un dieu. » à quoi elle dit : « Si je rêve ce rêve, je ne te prendrai plus pour un magicien mais te vénérerai avec les honneurs d’un dieu. » 5. Nectanébo s’en va et, sans attendre longtemps, se met en quête, parce qu’il les connaît, des herbes nécessaires à la maîtrise des rêves. Il les cueille, les presse pour en obtenir un suc, puis, avec de la cire, il reproduit en réduction un corps de femme ; il y inscrit le nom de la reine et pour lui encore il fabrique un lit sur lequel il installe la figurine. Tout près il allume des lampes, répand par dessus le suc des herbes puissantes9, prononce un enchantement efficace et secret : le résultat fut que tout ce qu’il disait à ce simulacre de cire parut à la reine au cours de son rêve se réaliser pour elle complètement. Elle se voit, en effet, sous l’étreinte d’un dieu, celle qu’il lui avait prédite avec Ammon et, après l’étreinte, elle avait entendu le dieu lui dire qu’elle avait été fécondée, que son ventre s’alourdirait et qu’elle mettrait au monde un fils qui la vengerait. 6. Elle se lève donc de son lit et, remplie d’admiration pour la grandeur de ce qu’elle a rêvé, elle convoque le personnage et dit : « Voici que j’ai vu le rêve que tu m’avais promis, car c’était un dieu et il célébrait avec moi de secrètes noces. Par conséquent, je t’en prie, prends soin du moment où cette réalité s’accomplira et où le dieu voudra bien de moi, pour que moi également je me prépare à l’union et à l’époux. » à quoi Nectanébo répondit : « Ce que tu as vu, Maîtresse10, est un rêve ; pourtant le dieu lui-même viendra à toi, mais je suis d’avis qu’on me donne ici, près de ta chambre, une pièce isolée où je puisse par mon art conjurer tes craintes éventuelles à l’arrivée de cette divinité.  » La reine approuve la proposition et attribue au magicien une pièce isolée voisine de sa chambre. « Si, dit-elle encore, je fais l’expérience de ces noces et me retrouve en puissance d’enfant, la reine ne manquera pas de t’honorer royalement et déjà l’avenir s’engage à ce qu’envers toi mon affection s’adresse à un père. » Mais il ajouta : « Bientôt tu auras en ta présence l’éclaireur du dieu11 : en se glissant doucement un serpent viendra à l’improviste sur ton siège. À sa vue, débarrasse-toi de toute présence, sans pour autant éteindre l’ensemble des lampes sur place. Quand tu seras installée dans ton lit, voile ton visage et cache-le par pudeur mais du coin de l’œil observe à la lumière12 ces traits que déjà tu as vus en ton rêve, pour savoir si c’est bien lui. » 7. Le jour suivant, un endroit est réservé au magicien et, lui, prévoit ce qui convient à ses artifices, c’est-à-dire, avec ses cornes une toison de bélier la plus moelleuse possible, un sceptre et une cape d’une blancheur absolue qu’il jette sur le corps. Sa science lui fabrique un serpent qui soit apprivoisé et avance sans faire de mal et, lorsque le soir s’approche, il l’avise d’aller en éclaireur. Le serpent entre chez la femme. Bien vite affolée de peur13, celle-ci jette dehors tous les gens sur place ; pour sa part, obéissant à l’avertissement, elle se met au lit,

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obnupta uultu solo oculo ad superuentum opinati dei curiosa est uidetque illum quem somnio ante praecepe(145)rat. At ille sceptro deposito conscensoque lectulo nuptias agit eximque utero eius superiecta manu : « Habes  », inquit, «  o mulier, ex nobis haec inuicta et insubiugabilia foedera. Quippe gaudeto te grauidam eo filio quo uindice et uniuersi orbis domino laetere. » His ita dictis sceptroque recepto conclaui exit. (150) Sed mane iam lucescente mulier alacrior laetitia ut potita dei cubiculum Nectanabi irrumpit. Is e somno excitatus ut nescius rei causam quaerit aduentus. Tum illa  : «  Facta  », inquit, «  sunt omnia quae promiseras.  » Et ille una sese gaudere professus est. Rursus mulier  : « Ergone », inquit, « ultra adesse dig(155)nabitur ? Nam est mihi etiam amor ad nuptias tales. Id enim mihi sensus coniux coniugi dedit. Nunc tamen metuo ut ista celauerim.  » Tum magus gaudens, quod amorem sui mulier testaretur, in haec uerba ait : « Audi, regina : huiusce dei minister ego sum et, cum uoles talis mariti conuen(160)tum, secretum quoque praesta sollemne mihique dicito, ut purgatione sacricola procurem quo ad te rursus adueniat. » Tum ergo illa deuersorium solitum Nectanabo promittit et clauis cubiculi mago dari iubet ; ex quo promptior illis erat in id quod cupiuerant commeatus, sub opinione tamen Am(165) monis dei. Sed iam aluo et lateribus excrescentibus : « Quidnam », inquit ,« o propheta, me fiet quidue nunc facto opus est, si adueniens Philippus cum isto me onere deprehendat  ?  » «  Ne metueris  », ille respondit, « opitulabitur enim Ammon ei uitio quod suasit eumque per somnium super facto docebit, (170) ne quid tibi triste suscenseat, quin sciat deos omnium potentes esse. » In hunc igitur modum Olympias magicis artibus ducebatur. 8. Sed Nectanabus sacrum sibi accipitrem parat eumque secretius monet ire ad Philippum et loqui quae ipse manda(175)rat. Pergitque ire ales, ut iussum est, perque terras et mare Philippumque per noctem adsistens mandatis opinionibus complet. Quippe territus somnio euocatoque rex somniorum interprete sic ait  : «  Vidi  », inquit, «  per quietem deum quendam, facie formosum et canitie capitis caesariatum et genae, (180) arietis tamen cornibus insignitum, superuenisse Olympiadi, coniugi meae, seseque illi nuptiis miscuisse. Quibus patratis haec etiam uerba addiderat : ‘Excepisti’, inquit, ‘o mulier, marem filium, qui adserat te et patris ultor esse laudetur.’ Tum mulieris uirginal biblo contegere consignareque anulo aureo (185) uisebatur, cui inscalptio erat solis effigies et leonis caput hastili subiecto. Quae cum uidissem, accipiter superueniens excitare me pulsu uidebatur alarum. Quid igitur istud est quod portenditur ? » Tum interpres : « O Philippe, uerum istud est nec in aliud interpretandum, ut adsolet, opinabile. Quod enim sig(190)nari

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se couvre le visage et d’un seul œil surveille l’arrivée de ce qu’elle croit un dieu. Elle voit celui qu’antérieurement elle a déjà aperçu en rêve. Et Nectanébo pose le sceptre, monte sur le lit, célèbre les noces puis, la main placée sur le ventre d’Olympias, il dit : « Femme, tu as avec nous cette alliance qu’on ne peut ni vaincre ni subjuguer. Sois heureuse d’être grosse d’un fils qui fera ta joie, en étant ton défenseur et le maître de l’univers entier. » Sur ces mots, il reprit son sceptre14 et sortit de l’appartement. Au matin, alors que déjà il faisait jour, la femme joyeusement excitée à l’idée qu’un dieu l’a possédée, se précipite dans la chambre de Nectanébo. Tiré de son sommeil, celui-ci, comme s’il ne savait rien, demande la cause de sa venue. Alors elle dit : « Tout ce que tu m’avais promis s’est réalisé. » Et lui de déclarer qu’il se réjouissait avec elle. La femme reprit  : «  Voudra‑t-il donc, dit-elle, continuer à venir ? C’est que moi aussi j’aime de telles noces ; j’ai ressenti ce qu’un mari donne à sa femme15. Mais maintenant je crains de ne pouvoir cacher cette situation. » Le magicien, se réjouissant de ce que la femme témoigne de son amour, parle alors en ces termes : « Écoute, reine : je suis le serviteur de ce dieu et quand tu voudras rencontrer un mari comme celui-là, donne-moi aussi, comme d’habitude, la pièce isolée et, par une dévote purification, dis-moi de le conjurer de venir vers toi. » Alors, elle promet donc à Nectanébo le logis habituel et fait remettre au magicien la clef de la chambre. De la sorte il leur était plus facile de se déplacer pour ce qu’ils désiraient, dans l’illusion cependant qu’il s’agissait du dieu Ammon. Déjà pourtant ses flancs, sa taille s’arrondissaient. « Prophète, dit-elle, qu’en sera-t-il de moi, que dois-je faire à présent, si Philippe arrive et me surprend avec ce fardeau ? » « N’aie crainte, répondit-il, Ammon secourra une faute qu’il a prônée et dans un songe il lui apprendra ce qui s’est passé, afin qu’il ne s’enflamme pas méchamment contre toi, mais, sache, au contraire, que les dieux ont puissance sur tous »16. C’est ainsi qu’Olympias se laissa conduire par les artifices du magicien. 8. Cependant Nectanébo se procure un faucon enchanté17 et lui enjoint d’aller en secret à Philippe et de lui parler selon ses commandements. L’oiseau poursuit son vol, selon l’ordre reçu, à travers les terres et la mer ; il se pose de nuit près de Philippe et lui remplit la tête de ce qui lui avait été commandé. Ce songe terrifie le roi qui convoque l’interprète des songes. Voici ses paroles : « J’ai vu, dit-il, durant mon repos un dieu dont le visage était harmonieux et le poil sur le crâne et le long des joues d’une blancheur éclatante, avec toutefois cette particularité qu’il avait des cornes de bélier ; il survenait auprès d’Olympias, ma femme, et en des noces s’unissait à elle. Une fois celles-ci accomplies, il avait encore ajouté les mots suivants : ‘Femme, disait-il, tu as reçu un enfant mâle qui te soutiendra et glorieusement vengera son père’. Puis on le voyait clore le sexe de ma femme avec du papyrus et lui apposer le sceau d’un anneau d’or où étaient gravées l’effigie du Soleil et une tête de lion surmontant un javelot18. Après cette vision, je vis que survint un faucon qui me réveillait en battant des ailes. Qu’est-ce donc que cela présage ? » Alors l’interprète : « Ceci est la vérité et on ne doit pas l’interpréter, comme on le fait d’habitude, dans un autre sens :

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uidisti uirginal feminae, fidem rei uisae testatur – consignatio enim fides est atque ueritas –, ex quo praenosti quod illa conceperit : nemo enim uas uacuum consignauerit. Vt haec biblo, quippe cum biblus uel carta nullibi gentium nisi in nostra tellure gignatur, Aegyptium igitur semen est (195) qui conceptus est, non tamen humile, sed clarum plane uel regium propter aurei anuli uisionem ; hoc enim metallo nihil scimus esse pretiosius in quo etiam deorum effigies ueneramur. Sed quoniam signaculum quod solis forma uisebatur subterque leonis caput hastile quoque adiacens erat, is ipse, (200) quisque nascetur, in orientis usque ueniet praepotentia possessionem omnia audens, quae natura est leonis, idque ui et hasta faciet quam una uidisti. Enimuero quoniam deum capite arietino testaris eundemque canum, est deus Libyae Ammonis nomine. » Hanc interpretationem interpretis tunc (205) non aequo satis animo Philippus accepit, quod homine concepisse mulierem credidisset. 9. Festinata igitur re bellica Macedoniam ad sua repedat. Quo reditu mulier audito trepidatior erat, solaciis tamen eius Nectanabus adsidebat. Tandem igitur adueniens Philip(210)pus, ut ingressus est regi[n]am, cum diffidentius sibi occursare coniugem intueretur, astu dissimulans indignationem in haec uerba solatus est : « Me quidem clam res gesta non est libensque te uenia impertio, quippe culpa tibi non adhaerente, sicuti praesciui de somnio defensante, quod factum est, ab (215) omni culpa qua adlini posses. Regibus quoque sicut in alios uis est, ad deos tamen potentia frixerit. Neque enim te scio popularis alicuius amori seruisse, enimuero dei deorum pulcherrimi. » His dictis animum mulieris instaurauerat. Agit ergo gratias uxor ueniae ei[que] qui sibi spem eius pollicitus (220) uidebatur, prophetae Nectanabo. 10. Igitur agebat interim Philippus cum muliere coniugaliter. Nectanabus uero praesens quidem, sed inuisitatus, una agebat ; neque enim uideri se ex arte magica concesserat. Denique et interfuit aliquando efferuescenti iam Philippo et con(225)iugem increpanti quod ille conceptus non ex deo mulieri foret. Quod cum auribus Nectanabus usurpasset conuiuiumque celebre et regium pararetur ob reuersionem scilicet Philippi uotum ac redditum, omnium erat uisere dapsilem satis diffusamque lasciuiam, nec tamen Philippum frontem in lae(230)titiam explicasse, quod praegnantem Olympiadem admodum suspectaret. Ergo ut iam tempus conuiuandi erat, statim se reficit Nectanabus et reformat in illum draconis quidem, sed auctiorem aliquantulum tractum eoque reptabundus triclinium penetrat, tum spectabili specie, tum maiestate corporis (235) totius, tum etiam acumine sibilorum adeo terribili et diuino ut fundamenta etiam parietesque conclauis quati ac motari uiderentur. Ceteris igitur prosultantibus ac dilabentibus metu una Olympias, quo fidem faceret diuino commercio, manum protendit ad

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que tu aies vu sceller ce sexe féminin atteste l’authenticité de la vision ; le scel, en effet, marque l’authentique et le vrai19. Par conséquent, tu sais d’avance qu’elle est enceinte, car personne ne saurait sceller un réceptacle vide. Quant à l’emploi du papyrus, puisque le papyrus – on peut dire aussi la feuille – ne pousse nulle part au monde sinon dans notre pays, c’est donc que l’enfant est conçu d’une semence égyptienne  ; non pas pourtant de basse extraction mais, au contraire, tout à fait brillante ou royale, à cause de l’anneau d’or20 vu par toi. Nous le savons, en effet, rien n’est plus précieux que ce métal dont sont également les images divines que nous adorons. Mais parce que, dans ta vision, le sceau représentait un soleil et qu’en dessous de la tête de lion un javelot se trouvait ajouté, celui à naître, quel qu’il soit, ira dans sa prépotence jusqu’à posséder l’Orient21, en osant tout, ce qui est dans la nature du lion, et cela il le fera par la force du javelot que tu as vu en complément. Oui vraiment, puisque, tu l’attestes, le dieu avait une tête de bélier et le poil blanc, il s’agit du dieu libyen nommé Ammon. » Philippe ne fut guère d’humeur égale, quand il reçut l’interprétation de l’interprète : il pensait que sa femme était enceinte d’un homme. 9. Il hâta donc ses actions guerrières et fait retour en Macédoine, chez lui. À l’annonce de sa venue, sa femme cédait à l’agitation, bien que Nectanébo fût à ses côtés pour l’encourager. Finalement Philippe arriva. Dès l’entrée dans le palais, en voyant son épouse s’avancer sans trop de confiance, il dissimula par ruse son courroux et la réconforta en ces termes : « Rien ne s’est fait à mon insu et volontiers je t’accorde mon pardon, car la faute ne tient pas à toi, comme à l’avance je l’ai appris d’un songe qui défend ce qui s’est produit de toute culpabilité susceptible de t’entacher. Si les rois sont forts contre les autres, face aux dieux, leur pouvoir néanmoins a tôt fait de tiédir. Et tu n’as pas servi, je le sais bien, des amours plébéiennes mais celles du dieu le plus beau de tous les dieux. » Par ces mots il avait redonné cœur à sa femme et l’épouse rendit grâce de ce pardon à celui qui, semblait-il, lui avait promis l’espérance, je veux parler du prophète Nectanébo. 10. En attendant, Philippe vivait donc conjugalement avec sa femme et Nectanébo partageait leur existence  : il était présent mais nul ne le voyait, puisque, grâce aux artifices de la magie, il ne permettait pas qu’on le vît22. Bref, un jour, il se trouva au milieu d’eux au moment où Philippe s’échauffait contre sa femme, niant dans ses reproches que l’épouse ait été fécondée par un dieu. Les oreilles de Nectanébo se saisirent de ces paroles. Dans une pompe royale se préparait alors le banquet promis et rendu pour le retour de Philippe et tous pouvaient voir se répandre à bonne mesure l’allégresse des festins, mais Philippe ne livrait pas à la joie un front déridé, fort soupçonneux qu’il était sur la grossesse d’Olympias. Donc c’était l’heure de banqueter. En un instant, Nectanébo reprend figure et forme d’un serpent mais qui s’étire sur une longueur plutôt accrue. Rampant jusque-là, il pénètre dans la salle du dîner. Son apparence était spectaculaire, tout son corps majestueux, et aussi ses sifflements aigus si terribles, et divins que les assises et les murs paraissent branler et s’effondrer23. Les autres ont bondi et se sont dispersés, apeurés. Demeurée seule, Olympias, afin

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bestiam. At uero draco, ut lubentiam sui prode(240)ret, et caput in sinum mulieris extendit et omne agmen in spiram mansuetius colligit et genibus sinuque mulieris insidens promptum os porrigit et cum bisulco linguae uibratu osculum uxoris adfectat, ne quid omnino coniugali fidei deesset apud eum [maritum] cui talis uisio proderetur. Hic (245) Philippus una metu unaque admiratione distenditur. Sed ultra Nectanabus inspici ens draconem uertit in aquilam et uolatu facessit e medio. Tunc ex admiratione sobrius Philippus  : «  O coniux  », ait, «  patuit uero argumentum diuini circa te cultus. Vidimus enim deum auxiliantem tibi periclitanti, quamuis quis is sit nesciam, quippe uel Iouem credas ex (250) aquila uel Ammonem ex dracone.  » Ad haec mulier  : «  Ammonem se quidem professus est dum primum mecum conuenire dignatus est, scilicet Libyae dominum uniuersae. » 11. Enimuero [pauens] cum in quadam regiae parte Phi(255)lippus sessitaret in qua aues plurimae circumerrarent isque intentus agendis rebus animum occupauisset, repente gallina supersiliens eius in sinum considensque enixa est ouum. Sed ouum illud euolutum sinu eius humi concrepat, cuiusque testula dissultante dracunculus utpote tantillo conclaui (260) pertenuis egredi uisitur isque saepe circumcursans et ambiens oui testulam uelle se rursus eo unde emerserat condere ; sed priusquam cupitum ageret, morte praeuentus est. Ea uisio non paruum scrupulum Philippo in animum iniecerat. Rex denique Antiphontem, qui coniector id temporis egregius (265) habebatur, arcessiri iubet eique aperit rem uisitatam : gallinam, ouum, dracunculum, circuitum, mortem dracunculi. Sed enim Antipho ad incrementum peritiae suae dei adminiculo inspiratus infit regem docere filium mox ei fore qui omnem mundum obiret omnemque suae dicioni subiugaret  ; (270) hunc post ambitum mundani laboris domum iam se uertentem occasu celeri periturum. « Draco quippe », ait, « regale est animal, ouum uero forma mundialis est.  » Ex quo cum draco erupisse uideatur, post omnem rotunditatis illius ambitum circuisse atque ingredi eo unde ortum habuerat cupiuisse, (275) prius quidem mortuus quam id fieri proueniret, cuncta haec quae praedicta sunt portendisse. Et is quidem in hunc modum interpretamenti sui fidem fecerat apud Philippum. 12. Appetente autem iam partitudinis tempore consederat Olympias oneri partus leuando. Sed adsistens Nectanabus (280) inspectansque caelites cursus, notans etiam mundana secreta, peritia auctore « mane », inquit, « quaeso, mi mulier, et uim partitudinis uince reprimens geniturae necessitatem imminentis  ; quippe si nunc fiat editus partus, seruile quiddam captiuumque portentum natum iri astra minitantur ». At(285) que cum obdurasset mulier offirmatius secundisque aculeis pulsaretur, rursus admonetur : « Nunc etiam, quaeso, duraueris paululum, quippe si editu uicta sis, gallus et semiuir erit qui nascitur. » Talia et blandius 50

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d’accréditer sa liaison avec le dieu, tend la main à la bête24. Et à son tour, pour manifester ses bonnes intentions, le serpent tendit la tête vers le giron de la femme : avec douceur il ramasse en boule tout son train et, se posant sur les genoux et contre le sein d’Olympias, il dresse sa gueule ouverte et, la langue fourchue dardée, il quête le baiser de l’épouse : ainsi, à qui s’offrait une telle scène rien ne manquait de la fidélité conjugale. Philippe, en l’occurrence, se partage entre l’inquiétude et l’émerveillement. Mais Nectanébo ne veut plus du spectacle du serpent, il se change en un aigle qui prestement s’envole loin des gens. Alors, ayant repris ses esprits stupéfaits, Philippe dit : « Ma femme, la preuve est évidente des soins divins qui t’entourent, puisque nous avons vu un dieu te secourir dans l’épreuve ; pourtant je ne puis savoir son identité : tu croirais Jupiter à cause de l’aigle ou bien Ammon à cause du serpent »25. à quoi la femme répondit : « Il s’est déclaré comme Ammon la première fois qu’il a daigné s’unir à moi : c’est le maître de la Libye tout entière. » 11. Un peu plus tard, Philippe était assis dans une partie du palais où tournoyait un grand nombre d’oiseaux26 et, absorbé dans ses affaires, il s’en occupait l’esprit, quand soudain une poule sauta contre sa poitrine, s’y lova et pondit un œuf. Mais l’œuf, roulant du giron à terre éclata et de sa coquille en morceaux on voit sortir, comme d’une chambre minuscule, un petit serpenteau27. Celui-ci tourne et retourne au bord de la coquille d’œuf, il veut se renfermer là d’où il avait émergé mais avant que le souhait s’accomplisse, la mort le devance. La scène avait jeté dans l’esprit de Philippe une inquiétude qui n’était pas légère. Finalement le roi convoque Antiphon qui avait alors la réputation d’être un excellent devin. Il lui explique ce qu’il a vu : la poule, l’œuf, le serpenteau, la course tout autour, la mort du serpenteau. Inspiré, en sus de ses capacités, par un dieu secourable, Antiphon28 entreprend d’instruire le roi : bientôt il aura un fils qui affrontera le monde entier et en totalité le soumettra à sa domination, mais quand, après un laborieux tour du monde, celui-ci se tournera vers sa demeure, il périra d’une chute rapide, car, dit-il, « le serpent est un animal royal et l’œuf la forme du monde. » Dès lors puisqu’on a vu le serpent surgir, puis faire le tour de la circonférence et vouloir rentrer là d’où il avait pris naissance, mais qu’il est mort avant que cela ne vienne à se produire, toutes ces prédictions se trouvent avoir valeur de présages. Et de cette façon il avait rendu crédible à Philippe son interprétation. 12. Cependant, comme déjà approchait le moment d’accoucher, Olympias s’était assise29 pour se libérer du poids de l’enfant. À ses côtés, Nectanébo inspectait les orbites célestes, notant aussi les secrets de l’univers. Sa science le guidait et il dit : « Chère femme, attends, je t’en prie, maîtrise les pulsions de la gésine, repousse la fatalité en suspens de l’horoscope, car si maintenant, l’enfant vient au monde, les astres le menacent de naître un monstre, une sorte d’esclave ou de prisonnier. » La femme tenait bon et redoublait d’opiniâtreté. Pourtant, comme de secondes contractions la secouaient, derechef il l’avertit : « Endure encore un peu maintenant, s’il te plaît, car si tu ne résistes pas à la parturition, le nouveau né sera un eunuque efféminé. » Il disait ces mots d’une manière

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loquebatur et adtrectare secretius mulierem non differebat tactu etiam opitulaturus (290) a pueri. Ac tum demum acrius intuens cursus astrorum motusque elementorum cognoscit iam omnem mundum uim suam in summo culmine conuersionis lene lib[e]rasse solemque ipsum mediam caeli plagam et conuexi celsiora percurrere. Tunc ergo ad mulierem sic ait : « En tem(295)pus est », inquit, « uoce nunc fortiore opus et offirmatiore conatu, quippe quod nunc erit editum mundi totius dominio celebrabitur. » His femina incitata mugitu omni uehementius ingemiscens exegit puerum, qui ubi ad humum lapsus est, motus protinus terrae insequitur et tonitruum crepor (300) uentorumque conflictus, tum etiam fulgurum coruscatio, prorsus uti uiseres omni mundo cura cum illa partitudine laborante[m]. 13. Ergo ait et Philippus post solacia gratulatoria : « Equidem mihi fuisse, o mulier, consilium profitebor non nu(305)triendi quod natum est, propterea quod id de meo semine non prouenerit ; enim cum uideam sobolem esse diuinam editionemque ipsam elementis et diis pariter cordi fuisse, uotis educationis accedo inque memoriam eius filii qui mihi natus occubuit de prioribus nuptiis Alexandri eidem nomen (310) dabo. » Post uero regalius et competentius alebatur. Nam et coronalia obsequia eidem undique conf luebant tum Macedonia, tum Pella, tum Thracia multigenisque aliis gentibus in id certantibus. Atque in his exegit spatia lactandi, uultu formaque omni alienus a Philippo, ne matri quidem ad simi(315)litudinem congruus, ei quoque cuius e semine credebatur facie diuersus, sed suo modo et fil[i]o pulcherrimus, subcrispa paululum et flauente caesarie, ut comae sunt leoninae, oculis egregii decoris – altero admodum nigra quasi pupilla est, laeuo uero glauca atque caeli similis – perfususque omni (320) spiritu et impetu quo leones, ut palam uiseres quid de illo puero natura promitteret. Crescebat ergo ut corporis gratia ita studiorum quoque et prudentiae maiestate et cum his una regiae disciplinae. Eius nutrix Alacrinis erat, paedagogus atque nutritor nomine Leonides, litteraturae Polynicus magis(325)ter, musices Alcippus Lemnius, geometricae Menecles Peloponnesius, oratoriae Anaximenes Aristocli Lampsacenus, philosophiae autem Aristoteles ille Milesius. enim de Mileto loqui hic longa res est et propositum interturbat deque ea si quid inquirere curiosius uoles, sat tibi, lector, habeto (330) quartum Fauorini librum qui Omnigenae historiae superscribitur. Illic etiam generis Alexandri inueneris seriem, cui generi principium praestitisse ferunt Oceanum uel Tethydam exinque fluxisse per Acrisium Danaenque atque Persea multosque alios in Perdiccae genera uel Philipporum. Nam ne (335) Olympiadi quidem secus propago generosa est, cui diligentia pari a mundi principio per Saturnum atque Neptunum, tum etiam

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caressante et, sans attendre, palpait discrètement la femme pour l’aider aussi par son toucher le petit garçon. Enfin, seulement lorsque d’un regard perçant sur le cours des astres et le mouvement des éléments, il eut reconnu que désormais le monde, en son intégralité, équilibrait paisiblement ses forces au sommet extrême de sa rotation et que le soleil, pour sa part, parcourait la zone médiane du ciel et les parties élevées de sa voûte, alors il s’adressa à la femme : « Voici donc l’instant30, dit-il, il faut crier plus fort, il faut pousser plus dur, car ce qui va maintenant venir au monde sera célébré pour sa domination sur l’univers entier.  » Provoquée ainsi, la mère, lançant une plainte plus vigoureuse que tout mugissement, expulsa le garçon qui, glissant à terre, déclencha aussitôt un tremblement de terre, le fracas du tonnerre, le choc des vents et même les flamboiements de la foudre, afin que, sans nul doute, il fût clair que l’univers, en sa totalité, se souciait de partager les douleurs de l’accouchée31. 13. Après des mots de réconfort et de félicitation, Philippe parla ainsi : « Femme, je l’avouerai, j’avais l’intention de ne pas élever le nouveau-né parce qu’il ne provient pas de ma semence, mais je vois que l’engeance est divine et que cette venue au monde est proprement à cœur aux éléments autant qu’aux dieux ; j’accède donc au vœu de le prendre en charge et, en mémoire de ce fils mort qui m’était né de précédentes noces, je lui donnerai le nom d’Alexandre. » Et dès lors il fut élevé en roi, d’une façon tout à fait convenable : de partout affluaient vers lui les hommages d’une couronne32 ; de Macédoine, de Pella, de Thrace et de quantité d’autres peuples en rivalité là-dessus. C’est dans ces conditions qu’il passa le temps de l’allaitement, étranger de traits et dans toute sa conformation à Philippe, sans même se rencontrer pour la ressemblance avec sa mère et, qui plus est, d’un visage différent de celui qui passait pour l’avoir semé. Cependant, dans son genre et ses traits, il était très beau, les cheveux un peu crépus et blondissant comme une crinière de lion33, les yeux d’un lustre particulier : l’un, la pupille noire telle , le gauche, en revanche, pers, de la couleur du ciel34. Il était empreint de toute la vivacité, de tout l’élan des lions, si bien qu’on voyait à l’évidence ce que la nature promettait de ce garçon. Il grandissait donc gracieux de corps mais aussi s’imposant dans ses études et le jugement, à quoi s’ajoutait l’apprentissage de la royauté35. Sa nourrice était Alacrinis36, son précepteur et père nourricier se nommait Léonidès ; il avait Polynice pour lui enseigner les lettres, Alcippe de Lemnos, la musique, Ménéclès le Péloponnésien, la géométrie, Anaximène, fils d’Aristoclès, de Lampsaque, la rhétorique37 ; pour la philosophie il avait Aristote le fameux Milésien38. Il serait long en ce point de parler de Milet et cela bouleverserait mon propos. Si sur ce sujet ta curiosité veut enquêter davantage, il te suffira, lecteur, de prendre le livre IV de l’Histoire variée de Favorinus39. Tu y trouveras aussi la généalogie d’Alexandre : cette lignée doit ses origines, dit-on, à Océanus et à Téthys ; de là, en passant par Acrisius, Danaé, ainsi que par Persée et beaucoup d’autres, sa descendance rejoint les familles de Perdiccas et des Philippes. Quant à Olympias, sa race n’est pas moins noble, car, avec une exactitude similaire, Favorinus lui a

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Telamona seriem generis adtexuit ad tertiumque Neoptolemum docet prosapiam defluxisse, cuius Anasafia mater Olympiadis cluit. Igitur Alexandrum mens recurrat. (340) Erat quidem ille ad omnes litteras iam peritus et sibi quisque ludus in puero imperiale aliquod fuerat meditamentum. Nam sicubi tempus cum labore lectionis absoluerat, et iudicare solitus inter aequaeuos et industriari quatenus inter hos argumenta iurgii nascerentur ; ac tunc alteri iurgantium (345) fauens ubi partem ius ingenio subleuasset, solitus in contrariam resultare rursusque contra eam cui paulo ante profuerat dicere. Itaque cum saepe utrique parti utilis fauisor ac strenuus uictor foret, opinionem non frustra sibi spectabilis ingenii confirmarat. (350) Interea uiri qui Philippi armenta uel equitia curabant equum spectabilis formae pulchritudine absolutum regi deducunt aiuntque illum armenti quidem regalis genus, formatum pedibus ad Pegasi fabulam opinabilem et, si qui fuisse Laomedonti, eiusmodi praedicantur. Nec secus senserat (355) Philippus. Nam et actu corporis et linea pulchritudinis mouebatur. Sed addit equisio : « Haec quidem, o rex, sunt in hoc equo talia ; sed est ei uitium beluile, namque homines edit et in eiuscemodi pabulum saeuit. » Et « Heu », rex ait, « numnam illud in isto prouerbium est quod semper propter rebus bonis (360) deteriora collimitant  ? Enimuero quoniam deductus est semel, claudi eum atque ali curabitis, sub claustris scilicet praeferratis. Quisque enim succubuerit legibus tristioribus, huiuscemodi melius obiectabitur lanienae. » Et haec quidem rex et cum dicto iussa complentur. 14. (365) Sed interea Alexander iam annum duodecimum appellens et comes patri fiebat et usu armorum indui meditabatur simulque cum exercitibus uisi gaudebat et equis insiliens et reliqua omnia iniens ut poterat, adeo ut Philippus haec demirans sic ad illum  : «  O puer, ao quidem et uultu fru(370)ens et moribus tuis eorumque aliud duco ad similitudinem nostri, aliud uero auctius quam ut sit ex nostra natura. Sed nunc mihi ad proximam usque iter est ciuitatem.  » Quod dictum cum Olympias etiam usurpasset profectusque Philippus foret non simili adfectu quo solitus, Nectanabum protinus (375) repetit eumque consulit super clandestino mariti consilio. Qui cum adsidente sibi Alexandro ex arte illa astrica loqueretur, interpellat puer et « heus tu », inquit, «  istaene quas stellas appellas agitant nunc in caelo ibique uisuntur ? » Et Nectanabus ita esse respondit. Pergit igitur Alexander : « Possumus (380) ergo istas uidere atque oculis usurpare ? » Adnuit posse. Tempus exigit. Vesperam pollicetur. « Quae ubi aduenerit, comitare », inquit, « una mecum ad campestrem locum easque tibi in caeli choro lucentes ostendam. » Recipit ita sese facturum uelut cupidus puer. Ergo ubi tempus est, progressus oppido 385) dabat uidere Alexandro quae

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tissé, depuis les commencements du monde, une généalogie qui, elle, passait par Saturne, Neptune et puis Télamon  ; elle descendait, enseigne-t-il, jusqu’au troisième Néoptolème dont la femme Anasafia est réputée mère d’Olympias40. Mais l’attention est à reporter sur Alexandre. Il connaissait déjà tous ses rudiments et pour lui chaque exercice d’enfant avait été comme une préparation à l’Empire, car dès qu’il en avait fini avec le travail de la lecture, il aimait départager les garçons de son âge et s’employer à susciter entre eux des thèmes de plaidoirie. Il intervenait alors pour l’un des deux plaideurs mais aussitôt qu’avec intelligence il avait soutenu un point de vue, il aimait rebondir dans le sens opposé et parler à l’inverse de ce qu’il avait défendu auparavant. Soutenant de la sorte utilement les deux partis et opiniâtre à vaincre, il confirmait, non sans profit pour lui, une réputation de remarquable intelligence41. Il arriva entre-temps que les préposés aux étables et écuries de Philippe amenèrent au roi un cheval que ses proportions admirables rendaient d’une beauté achevée. Ils lui disent que si, bien sûr, il provient des haras royaux, ses pieds sont modelés sur ce que la fable prétend de Pégase et Laomédon avait-il eu des chevaux, leur réputation était de ce genre42. C’était aussi l’avis de Philippe frappé par les mouvements de l’animal et la pureté de sa ligne. Mais le palefrenier ajoute : « Le cheval, ô roi, possède toutes ces qualités, mais il y a en lui le vice de la bête féroce : il mange les hommes et s’acharne à s’en repaître. » « Hélas !, dit le roi, est-il donc passible du proverbe qui veut que toujours le mal avoisine le bien ? Puisque maintenant vous me l’avez amené, vous veillerez à le nourrir enfermé, je veux dire derrière des barreaux à pointe de fer. Quiconque tombera sous une particulière sévérité des lois, ce sera mieux de le lui livrer à dépecer de la sorte. » Voilà ce que dit le roi et les ordres ainsi exprimés sont exécutés sur le champ. 14. Avec le temps Alexandre approchait de sa douzième année et il se mit à accompagner son père. Il s’exerçait à se pénétrer de la pratique des armes, se laissait voir avec plaisir au milieu des soldats, enfourchait les chevaux et entreprenait tout à sa mesure, si bien que Philippe lui disait avec admiration : « Mon garçon, je suis partagé : quand je profite de ton visage et de ta conduite, sous certains aspects, je les ramène à ma ressemblance ; sous d’autres, ils nous dépassent trop pour venir de nous. Mais à présent j’ai à faire route vers un tout proche pays. » Olympias, elle aussi, avait récupéré ces mots et, comme Philippe s’en était allé dans des dispositions inhabituelles, elle demande immédiatement après Nectanébo et le consulte sur les pensées cachées de son mari. Nectanébo se prononçait d’après ses connaissances astrologiques, lorsque l’enfant Alexandre qui s’était assis auprès de lui l’interrompt et lui dit : « Hé toi ! les étoiles que tu invoques sont-elles maintenant dans le ciel et les y voit-on ? » Nectanébo répond que oui. Alors Alexandre poursuit : « Est-il possible de les apercevoir à l’aide de nos yeux ? » Lui en est d’accord. « Quand ? » demande l’autre. On lui promet pour le soir : « Dès qu’il surviendra, dit Nectanébo, accompagne-moi en plaine et je te les montrerai qui brillent dans leur ronde céleste. » En enfant curieux, Alexandre reprend qu’il le fera. à l’heure dite, Nectanébo sortit donc de la ville

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cupiuerat. Enim non una sedulitas discenti puero cum magistro. Namque paulatim Alexander ad praescitum fossae praeceps hominem appellens impulsu improuiso praecipitat  ; ibique letali ictu ceruicis Nectanabus adflictus haec conquestus est  : «  Mi  », inquit, «  fili, (390) Alexander, quodnam huiusce facti tui consilium fuit  ?  » At ille respondit  : « Conquerendum igitur tibi est de arte ista quam noueras, quippe nescius quae te impenderent humi rimare illa quae caeli sunt. » Ad haec magus : « Equidem », inquit, « Alexander, laesum me letaliter sentio ; sed profecto nulli mortalium contra fatum permissa est fuga. » Tum ille : « Cur (395) ista haec ? » inquit. Respondit magus : « Olim quippe per hanc scientiam uideram fatale mihi fore a filio interfectum iri. En igitur praescita non effugi. » Sed Alexander : « Anne ego sum tuus filius ? » Ita esse confitetur et fabulae reliquam subserit (400) seriem, tum Aegypti fugam, tum ingressum ad Olympiadem et tractatum et amorem et quanam arte potitus uxore sit ad similitudinem dei. Et in his dictis animam exaestuat. Hinc Alexander comperto eo quod pater sibi quem interfecerat fuerit, metuit eum in illo defosso insepultum et praedam bes(405)tiis derelinqui. Nam et nox erat et secreta quo uenerant. Naturali ergo monitus adfectu superponit hominem humeris quam ualentissime et reuectat ad regiam. Vt autem reuersus ad matrem est, cuncta enarrat quae sibi supremo adloquio pater dixerat. Hoc demirata est mulier et secus de se quam (410) uoluerat iudicauit, quod uanis scilicet artibus lusa probri rem fecerat. Nihilominus et sepelit quam decore Nectanabum et ut patri filii sepulchrum erigit operosissimum. Fuitque inde praenosse, quid huic genito ad uitae clausulam deberetur : cum Nectanabus Aegypto oriundus Macedoniae sit sepultus, (415) tantumdemque spatii de diuerso Alexander ex Maeedonia mortem suam foret Aegypto traditurus. 15. Enim Philippus Delphos mittit super regni suique sollicitus successore[m] responsumque accepit in hunc modum : « O Philippe, is demum tuis omnique orbe potietur et hasta (420) omnia subiugabit quicumque Bucephalam equum insiliens medium Pellae transierit.  » Vocabatur enim equus quem supra diximus illo nomine non eo modo quod corniculata fronte terribilis foret, sed quod inustio etiam quaedam fortuita eius coxae ueluti taurini capitis imitamen insederat. (425) Sed hac sorte recepta rex opinionem fouebat praedici sibi Herculem iuniorem ex famula sibi natum. 16. At uero Alexander cum Aristotele iam tantum Milesio uteretur, forte praeceptoris istius ad puerorum ingenia colligenda tale periculum exstiterat. Quippe cum plerique essent (430) filii regum et optumatium nobiles, singillatim ab his sententias rimabatur ecquid sibi quisque polliceretur, si modo ad regnum patri succederet. Aliisque opes, aliis gratiam dignitatesque amplissimas uerbis laxioribus pollicentibus, ubi ad Alexandri sententiam uentum est ut ipse quoque, si foret (435) Philippo 56

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et lui donnait à voir l’objet de ses désirs. Pourtant le jeune élève n’avait pas le même empressement que son maître, car Alexandre peu à peu amène l’homme vers le bord d’un fossé qu’il avait reconnu auparavant et, d’une poussée soudaine, il l’y précipite. Touché à la nuque d’un coup mortel, Nectanébo de se plaindre vivement : « Alexandre, mon fils, quelle idée d’agir ainsi ? » Il réplique : « À toi de te plaindre de cet art que tu connaissais puisque, ignorant ce qui te menaçait sur terre, tu fouilles dans le ciel »43. À ces mots, le mage reprit : « Alexandre, je le sens, je suis blessé à mort, mais c’est vrai, aucun humain n’a le droit de fuir son destin. » Alors lui : « Pourquoi donc ? » Nectanébo répondit : « Jadis cette science m’avait laissé voir que fatalement je serais tué par mon fils. Et voici, je n’ai pas échappé à ce que, d’avance, je savais. » Mais Alexandre : « Suis-je donc ton fils ? » Il en fait l’aveu et déroule toute la suite de l’histoire, la fuite hors d’égypte, sa venue auprès d’Olympias, leurs entretiens, son amour et ses manœuvres pour abuser de cette femme en se déguisant en dieu. Sur ces paroles, il exhala un dernier soupir. Sachant désormais que c’était son père qu’il avait tué, Alexandre craignit de l’abandonner dans cette ravine sans sépulture, en proie aux bêtes, car il faisait nuit et l’endroit où ils étaient venus se trouvait à l’écart. Incité par un sentiment naturel, de toutes ses forces il charge le corps sur ses épaules et le transporte au palais. Aussitôt revenu chez sa mère, il lui raconte ce que son père lui avait dit dans ses ultimes propos. La reine, stupéfaite, se jugea autrement qu’elle l’eût voulu, puisque, trompée par de vains artifices, elle avait commis l’opprobre. Néanmoins, elle enterra Nectanébo avec tous les honneurs et lui érigea un tombeau d’un grand travail comme au père de son fils. Par là on put prévoir ce qui serait dû à ce rejeton au terme de son existence : Nectanébo, natif d’égypte, était enseveli en Macédoine ; par une trajectoire identique mais opposée, Alexandre, venu de Macédoine, confierait son cadavre à l’égypte44. 15. Dans l’inquiétude, Philippe envoie à Delphes consulter sur sa succession au trône et il reçoit la réponse suivante : « Philippe, celui-là finalement sera maître de tes possessions et de l’univers entier, celui-là placera tout sous le joug de sa lance qui, enfourchant le cheval Bucéphale, traversera la ville de Pella. » Le cheval dont nous avons parlé portait ce nom à cause d’un front fort cornu qui le rendait terrible, mais aussi parce que le hasard avait au fer imprimé sur sa cuisse une marque à l’image d’un bucrane45. Cependant, au reçu de l’oracle, le roi caressait la pensée qu’on lui prédisait un nouvel Hercule, né d’une de ses servantes46. 16. Alors que maintenant Alexandre ne fréquentait plus que le seul Aristote de Milet, il arriva que le maître imagina l’épreuve que voici pour comprendre le caractère de ses élèves. Les prenant un à un – la plupart étaient fils de roi ou de haute naissance –, il scrutait leurs sentiments  : que lui promettaient-ils, si du moins ils succédaient à leur père sur le trône ? En de grandes phrases, les uns lui promettaient l’opulence, les autres leur faveur et les plus belles charges. Dès qu’on en vint à interroger Alexandre pour qu’il se déclarât sur l’avenir au cas où, de même, il succéderait à Philippe : « À mon avis,

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successor, super futuro profiteretur : « Haud equidem mihi », ait, « ut a sapiente ista haec sententia sederit. De futuris enim instabilibus et incertis fixam dicere sponsionem errantis est benignitatis et flabilis, cum crastini ratum pignus nullum facile possederit. Dabo tibi tunc quod et facultas et (440) tempus hortabitur. » Probat Aristoteles beniuolentiam circumspectam et « aue », inquit, « sane tu rex profecto mundane cum isto prudentiae tuae pignore ». Atque haec ei fuerat sententia de magistro. At uero uulgo ut qui percitus et ui mentis calentior habebatur, quamuis eum Philippus iam sincerius (445) amplecteretur. Videbat enim plenam indolem Martii desiderii[s] regalisque eoque admordebatur solo quod nihil de se uultu et similitudine mutuaretur. Cum igitur pleraque ex his quae in studentem pater largius conferebat ipse quoque liberalitate transcriberet, Zeu(450)xidos quondam celebris illius ad pingendum, sed enim adseculae regalis, tales litterae referuntur : « Zeuxis Philippo et Olympiadi salutem plurimam dicit. E re est scire uos ea quae Alexandro destinatis non illi ad frugi custodiam retineri, enim labi omni cum facilitate donandi. Quare quod sat (455) sit aestimatote mihique mittite dispensandum. » Ad haec reges Aristoteli scribunt : « Nuntiat Zeuxis is qui sumptibus Alexandri est praefectus ea quae in eius usus largimur ab eodem facile dilabi, quod sit inconsideratior dilargitor. Ergo tu missa susceperis atque ex sententia dispensabis. » Ad haec (460) Aristoteles : « Ratum quidem habeo, mi rex, nostris litteris Alexandrum institutum nihil sese nobisque indignius factitare ; idque mox coram indole eius inspecta uestra quoque sententia confirmauerit ; illi scilicet in agendis rebus non aetatis sententia, sed doctrinae, si uobis cordi est experiri, sufficit consilium. » Ad haec reges scribunt rursus ad Zeuxim : « Lit(465)teras tuas Aristoteli quas super Alexandro feceras intimauimus quidue ad haec ille responderit tibi praesto est. Igitur ex utroque colligito quid facto opus arbitrere. » Id tamen scriptum cum susceptasset Aristoteles altius, in hunc modum ad (470) Alexandrum refert  : «  Scripsere mihi Philippus et Olympias, parentes tui, ea quae tibi sumptui mitterent inconsultius deperire. Neque accedo sententiae quidquam te indignum nobis ac parentibus sapere. » Ad haec puer : « Scire te par est, mi magister, ea quidem quae ad nos a parentibus destinantur in(475)digna esse illorum opibus et nomine, sed secus tamen de institutione regali reges pariter et parentes quam decorum fuerat commoueri, si fortunam hanc censeant frugalitate populari. » Sunt etiam litterae utriusque parentis ad filium in hunc modum : « Sumptus tibi qui fortuna nostra digni mittun(480)tur ne prodegeris, fili, nec litterarum Aristoteli de te praeuerteris testimonium, enim frugi te esse parsimonia comprobato. » His respondit Alexander : « Equidem missorum a uobis, mi parentes, modum nomine uestro dignum non confitebor, expensam tamen eorum fieri pro necessitate regii nominis 485) fateor. Neque uero de me magistri litterae claudicabunt : eius praeceptis 58

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dit-il, comment un sage aurait-il une idée arrêtée sur ta question ? Quand il s’agit d’un avenir instable et incertain, formuler de fermes promesses relève d’une bienveillance qui vagabonde au gré des vents, faute d’avoir une garantie sûre du lendemain. Je te donnerai alors ce que suggèreront mes possibilités et les circonstances. » Aristote approuve la prudence de cette bonne volonté : « Salut à toi, sans nul doute roi du monde avec ce gage de ta sagesse.  » Telle était l’opinion de son maître. En général pourtant on le tenait pour un exalté, une forte tête trop échauffée, encore que Philippe le choyât plus franchement, à voir son cœur empli d’ambitions guerrières et royales ; seul le rongeait qu’Alexandre n’eût rien emprunté de ses traits et de son image. De ce que, non sans largesse, le roi lui allouait pour ses études, Alexandre, avec autant de libéralité, en transférait la plus grande part. On remet alors à Philippe une lettre de Zeuxis, non pas le peintre célèbre de jadis, mais un membre de la suite royale : « Zeuxis adresse mille salutations à Philippe et Olympias. Il est de votre intérêt que vous le sachiez : ce que vous dispensez à Alexandre n’est pas gardé en frugale réserve. Tout s’écoule au contraire, tant il donne facilement. À vous donc d’estimer ce qui suffit et de me l’envoyer à gérer. » En réponse, le couple royal écrit à Aristote : « Zeuxis, chargé des finances d’Alexandre, nous apprend que nos largesses à son usage n’ont avec lui pas de peine à s’écouler, parce qu’il les dilapide inconsidérément. Ce sera donc à toi de recevoir nos envois et de les gérer à ton avis. » À quoi Aristote : « Mon roi, je vous assure qu’Alexandre, tel que mes connaissances l’ont élevé, n’a jamais rien commis qui fût indigne de lui et de nous. Votre avis aura tôt fait de le confirmer, quand bientôt il sera en votre présence et que vous passerez au crible son comportement. Si vous avez à cœur d’en faire l’expérience, il a assez d’intelligence pour agir en se réglant, non sur son âge, mais sur mon enseignement. » Alors les rois écrivent de nouveau à Zeuxis : « Nous avons communiqué à Aristote ta lettre à propos d’Alexandre et tu as à ta disposition sa réponse là-dessus. Confronte les deux et juge de ce qu’il y a à faire. » Cependant Aristote qui avait pris de haut ce message en réfère de la sorte à son élève : « Philippe et Olympias, tes parents m’écrivent que sans discernement tu réduisais à néant ce qu’ils t’envoient pour te défrayer, mais je ne me rallie pas à l’idée que ton jugement soit indigne de nous et de tes parents. » L’enfant répondit : « Mon maître, tu dois savoir que les envois de mes parents sont indignes de leurs richesses et de leur nom ; sur l’éducation d’un prince ces rois que sont mes parents ont des réactions contraires à la décence en estimant la fortune à l’aune de la frugalité populaire. » Il y a aussi cette lettre des deux parents à leur fils : « Cher fils, ne prodigue pas ce qu’à la mesure de notre fortune nous t’envoyons pour te défrayer, ne va pas contredire le témoignage sur toi de la lettre d’Aristote, montre-toi économe et donc raisonnable. » Réponse d’Alexandre : « Non, mes chers parents, je ne reconnaîtrai pas que le montant de vos envois est digne de votre nom ; bien plutôt j’avoue que la dépense que j’en fais correspond à ce qu’exige ce nom de roi ; la lettre de mon maître à mon sujet ne sera pas mise en défaut et vous saurez que mon

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non dignum a me nihilum fieri noscetis. Enim uos mallem neque aduersus ista haec aures malis sermonibus reserauisse ueritatemque hanc decentius conuertisse in eos qui facere audent ne nostri curam regiam gerere pro illa populari (490) malitis. » 17. Id iam temporis decimum quartumque annum Alexander appellebat. Qui cum quadam die locum quo clausus equus Bucephala fuerat praeteriret, conuersus ad amicos haec ait : « O uiri, hinnitusne aures meas an uero rugitus ali(495)quis leoninus offendit  ? » Ad haec Ptolomaeus, qui Soter postea nominatus est : « Immo uero hic ille est Bucephala equus uester quem ob uehementiam pariter et saeuitudinem dentium hactenus claudi rex pater iussit. » Et inter haec rursus alius equi eiusdem hinnitus auditur, acutus quidem ille, (500) sed nihil increpans ad formidinem pristinam, enim mite aliquid et mansuetum, prorsus uti diceres adloquia illa ad dominum esse morigera, non equi fremitum saeuientis. Nam et pedes priores extenderat et gesticula mansuetudinis luserat et supplici quodam motu blanditus est. Quod ubi intuitus est (505) Alexander, fuisse illi antehac tam truculentum officium edendi homines demiratur. Denique custodibus euitatis claustrisque dimotis animal educit iubamque eius cum laeua apprehendisset, audacius nescias an felicius, tergum quadrupedis insultat effrenemque eum, sed morigerum tamen, impe(510)riosis motibus aurigabundus hac atque aliter circumducit. Quod cum admirationi uisentibus foret, ex cursu quidam rem periculi huius nuntiat Philippo. Sed ille ad memoriam monitus oraculi occurrit ad puerum et salutat inde uti orbis integri dominum. Quare laetior quidem spe filii pater iam Philip(515)pus tunc agebat. 18. Sed Alexander quintum et decimum ingressus annum, explorato temporis opportuno, cum ueniam a paternis auribus praepignerato osculo impetrasset, precario petit ut sibi Pisas apud Olympia certaturo itiner largiretur. « Ecquod », in(520)quit, « laboris aut artis genus est quod tibi ad certamina praeparatur ? Neque enim reor non regii te nominis memorem hanc gloriam cupiuisse. » Tum ille quidem quae sint parum liberia munera refutat ac negat, pugillatus scilicet atque luctatus quaeue de cestibus siue cursu plebeculam iuuant. «  Enim(525)uero  », inquit, « quadrigis ut certem. » Sedet patri professio adulescentis et « equos », ait, « ad hosce tibi usus iubebo protinus deductum iri de quis tibi ad uotum procliuitas fiat ; neque enim improbo huiusce desiderii gloriam ». Tunc filius : « Gratiam equidem tibi, pater, huiusce muneris facio ; habeo (530) quippe equos quos ex aetatula iam recenti ad haec mihi studiosius praeparaui. » Haec quoque professio Philippum iuuat laudatumque studii filium facile permittit, cum primum sibi deduci ad nauigia currus et arma iussisset. Igitur escensa naui comitatusque Hephaestione amico secunda admodum (535) tempestate Elim appellitur.

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action est toujours digne de ses préceptes. J’eusse préféré qu’à cet égard vous n’ayez pas prêté l’oreille à de méchants propos et qu’avec plus de décence votre franchise se fût retournée contre ceux qui osent vous empêcher, en ce qui me concerne, de préférer une conduite royale à celle du populaire »47. 17. à l’époque, Alexandre abordait déjà sa quatorzième année. Passant un jour devant l’endroit où avait été enfermé le cheval Bucéphale, il se tourna vers ses compagnons et dit : « Est-ce un hennissement ou bien un lion rugissant qui frappe mes oreilles ? » Ptolémée, appelé plus tard Sauveur, lui répondit : « Mais non, c’est votre cheval Bucéphale que jusqu’à maintenant le roi, votre père, a fait enfermer à cause de sa violence et de ses mâchoires carnassières. » à nouveau, cependant, s’entend le hennissement du cheval : bien qu’il fût aigu, ce bruit ne cherchait pas à apeurer comme auparavant mais avait de la douceur d’un animal domestique, si bien qu’on eût dit des paroles dociles à un maître, non le grondement d’un cheval furieux : il avait tendu ses pattes de devant et s’amusait à piaffer comme une bête de la maison, ayant, en quelque manière, un mouvement de supplication caressante48. Ce que voyant Alexandre s’étonne que jusqu’alors il ait eu l’ office si horrible de dévorer des gens. Bref, il écarte les gardiens, enlève les verrous, sort l’animal et lui saisissant la crinière de la main gauche – fut-ce de l’audace ou de la chance ?, on ne sait –, il saute sur le dos du quadrupède. Le guidant sans rênes mais pas moins obéissant, à coups impérieux, il le dirige dans des voltes ici et là49. Les spectateurs s’émerveillent, quelqu’un court prévenir Philippe de sa périlleuse entreprise, mais le roi, averti de se souvenir de l’oracle, va à la rencontre du garçon et dès lors le salue maître de l’univers. Aussi Philippe vivait-il en père heureux des espérances qu’offrait son fils. 18. Entré dans sa quinzième année, Alexandre repéra le bon moment ; il commença par s’acquérir un gage en embrassant son père et, une fois obtenue son oreille indulgente, il le pria avec instance de lui payer le voyage à Pise afin de concourir aux Olympiades. « Quels sont, dit Philippe, le genre d’épreuve et la discipline dans lesquels tu te prépares à combattre ? Car je ne pense pas que tu aspires à cette gloire sans te rappeler ton nom royal. » Alexandre de repousser alors les jeux qui ne sont guère dignes d’un homme libre : il refuse le pugilat, la lutte et ce qui dans la boxe ou la course plaît au petit peuple50. « Au vrai, dit-il, c’est pour le concours de quadrige. » La déclaration de l’adolescent convient à son père : « Sur le champ, je vais à ton usage faire amener des chevaux qui facilitent tes désirs, car je ne désapprouve pas cette envie de gloire. » Et le fils : « Je te remercie, père, de ce cadeau, mais j’ai des chevaux que dès mon plus jeune âge – il est si proche encore – je me suis ardemment préparés à cette fin. » Cette déclaration réjouit aussi Philippe, il loue l’ardeur de son fils et ne met aucune difficulté à le laisser partir après que, sur son ordre, chars et équipements aient été portés au bateau. Alexandre s’embarque en compagnie d’Héphestion51 son ami, et, sous l’effet d’un temps très favorable, il aborde à élis.

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Quo in loco cum equorum curam famulis mandauisset atque ips[i] us uisum loca deambulatumque procederet, obuiat forte Nicolao cuidam adulescenti regulo ex Acarnania. Celsius quidem illo et sublimius se ferente, quippe qui duplici (540) eoque perflabili deorum adminiculo leuaretur, opulentia scilicet uel fortuna, habebat tamen Nicolaus ipse quod sibi de suis uiribus polliceretur. Nihilominus salutando Alexandro praestitit se priorem, nescius etiam tunc itus illius causas et certaminis studium. Fuit tamen non sine contumelia saluta(545)tio : nam et « aue », inquit, « o puer », nec ille non sedulo resalutat. Tunc secundo Nicolaus  : «  Ecquem  », inquit, « arbitrare te tam incuriosius salutasse ? Quippe ego Nicolaus ille sum rex Acarnanum. » Alexander refert : « Istam adrogantiam non probo. Quid enim te iuuabit imperii uana iactatio de secundis (550) crastinis fluctuantem ? Non enim uides ut stare fortuna hominum nesciat utque in his fragilior habeatur quicumque illa dea uictitant nixabundi ? » Ad haec Nicolaus : « Haec quidem », inquit, « non inuenuste ; enimuero uelim scire cur adsis : nam te Philippi filium fama praelocuta est. » Fatetur Alexander et (555) sese ad certamina quadrigarum studio coronae uenisse. Tunc Nicolaus felle de nimia indignatione suffusus despectansque eius aetatulam neque uim animi considerans consputum adulescentulum et maledictis increpitum dereliquit. At uero Alexander, qui omnium disciplinarum continentiam mage (560) ostentare didicisset, abstersit clementer sputamenti iniuriam, quin etiam adridens : « Iuro equidem tibi, Nicolae », ait, « patris mei ac matris pariter maiestatem ut te et in hoc praesenti certamine et Acarnaniae telo superabo. » Hinc soluta est fabulatio. 19. (565) Non multo autem post cum dies certaminis aduenisset aurigandique professi[o] studium citaretur, nouem quidem omnes, sed regii iuuenes competebant, quorum sortito primus Nicolaus adsistit carcere, secutus Xanthias, tertius Cimon, quartus Clitomachus, Balcheus (570) quintus, Aristippus uero sexto in loco, Pierus septimo, Alcan octauo, Alexander post summo [nono]. Hi cum ex more artis atque certaminis curribus institissent lituoque signum sollemniter increpasset, cuncti una prosiliunt. Enimuero Alexander erat quartus a primo, Nicolao propius insequente et (575) spe transitus et infesto consilio ut si praeteruehi queat non absque periculo Alexandri consulturus. Id quidem illum non satis fugerat. Nam et causa odii commonebat, quod bello Nicolai patrem Philippus oppressisset. Igitur astu sese dat Alexander a Nicolao praeteriri. Quippe iam ceteri qui cursu (580) praeuenerant, alius alio casu prolapsi, primam spem potiundae palmae Nicolao dabant. Qui cum finem certaminis iam sperasset, infert sese Alexander uoto praeterlabendi. Ad hunc conatum equis Nicolai conuertentibus titubans dexter e mediis cernuantique persimilis implicatos reliquos secum mo(585)ratur. Enim tunc Alexander subiens praeteracto prolapsoque Nicolao superuectus rem belli sub stadio transegit. 62

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Là les chevaux sont confiés au soin des serviteurs. Lui-même, parti en promenade visiter les lieux, tombe par hasard sur un certain Nicolas, jeune prince d’Acarnanie52. Celui-là se juchait au plus haut parce qu’il se voyait soulevé par les dieux – un appui pourtant évanescent et douteux – en raison de sa richesse et de sa félicité, encore que personnellement il eût de quoi se promettre de ses forces. Toujours est-il qu’il prit les devants en saluant Alexandre : il ignorait alors pourquoi ce dernier était venu et son envie de combattre. Mais le salut ne manqua pas d’être insultant : « Bonjour l’enfant », dit-il. Et comme Alexandre lui rendait distraitement son salut, Nicolas recommença : « Qui donc crois-tu avoir salué avec si peu d’intérêt ? Je suis Nicolas, le roi des Acarnaniens. » Alexandre réplique : « Ton arrogance ne me plaît pas. à quoi te servira ce vain étalage de pouvoir, quand ta réussite pour demain est flottante ? Ne vois-tu pas comme la fortune des humains ignore la stabilité et qu’elle est plus fragile chez ceux qui passent leur temps à s’appuyer sur cette déité ? » à quoi Nicolas : « Voilà qui est assez joli, mais je voudrais savoir le motif de ta présence, car déjà la rumeur m’a appris que tu étais le fils de Philippe. » Alexandre reconnaît que lui aussi est venu au concours de quadriges par envie de la couronne. Baignant dans l’amertume, Nicolas s’indigne alors à l’extrême : il regarde de haut cet âge tendre et, sans prendre garde à la force d’âme d’Alexandre, il quitte ce petit jeune homme en le couvrant de crachats et d’injures malsonnantes. Alexandre, éduqué à montrer son sang-froid en toutes matières, essuya doucement la salive et l’insulte, ajoutant même avec le sourire : « Je prends à témoin la majesté53 et de mon père et de ma mère qu’ici je triompherai de toi au concours et en Acarnanie grâce à ma lance. » La dessus le dialogue s’interrompit. 19. Peu de temps après arriva le jour de l’épreuve  ; ceux qui avaient proclamé leur passion pour l’attelage sont convoqués, en tout, neuf compétiteurs dont quatre jeunes princes. Après tirage au sort, Nicolas se plaça en premier sur la ligne de départ, Xanthias le suivit, Cimon fut le troisième, Clitomaque le quatrième, Balcheus le cinquième ; en sixième position était Aristippe, en septième Piérus, en huitième Alcan, après eux, dans l’ultime, Alexandre. Dès qu’ils se furent installés sur les chars selon les règles de la discipline et de l’épreuve, dès que la trompette eut fait retentir le signal traditionnel, tous ensemble bondissent en avant. Alexandre venait en quatrième derrière le premier. Nicolas le suivait de près  : il espérait le dépasser et ses intentions étaient hostiles, vu qu’il se demandait s’il pourrait, en doublant, le mettre en danger, ce qui n’avait pas échappé à Alexandre : de fait, Philippe avait tué à la guerre le père de Nicolas et cette haine justifiée était pour lui un avertissement. Dès lors Alexandre a l’habileté de laisser passer Nicolas. Déjà tous les autres, devant eux dans la course, étaient tombés dans telle ou telle chute donnant à Nicolas l’espoir d’obtenir la palme du premier54. Déjà Nicolas espérait la fin de la compétition, lorsqu’Alexandre se précipite et veut se glisser sur le côté. Devant la tentative, les chevaux de Nicolas font un écart, celui de droite, au milieu, titube et, tout près de la culbute, retient le reste empêtré avec lui55. Alexandre, en surgissant, déporte Nicolas qui glisse sous le char de celui qui vient d’achever une guerre sur le stade.

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Exin uictor corona redimitus conscenso templo cum Iouem Olympium salutaret, aestimatione rei gestae aut instinctu dei sacerdotem ferunt sic fortunam uictoriae interpre(590)tatum ut, quod primo certamine Nicolaum uicisset, esset sibi coniectare perfacile multos eum populos uinciturum uniuersitatisque dominio potiturum. 20. Hisce ergo omine atque laetitia ouans repatriat Macedoniam. Sed offendit forte ex licentia regia spreto consor(595)tio Olympiadis Philippum tunc in Cleopatrae nuptias demutantem, Apali cuiusdam non ignobilis filiae. Die igitur nuptiarum irruens regis triclinium coronatus « sume », inquit, « hunc primum, o pater, laboris mei fructum ». Et una coronam in caput patris transtulit. Tunc adiecit : « Nam de eo qui(600)dem quod in praesenti laetamini, et ego, cum matrem aliis regalibus nuptiis coniugabo, uos quoque participabo conuiuio. » Et una cum dictis aduersim Philippum decumbit. Sed rex asperatus ad dictum intus in animo saeuiebat. 21. Aderat tunc inter multas regalesque delicias Lysias qui(605)dam risui excitando quam facetissimus, qui, cum in gratia regis admordere adulescentulum uellet, « potiare », inquit, « o rex, Cleopatrae, potiare, e qua tibi spero priuatos filios atque incommunicatos alteri prouenturos eosque qui uultibus tuis et felici respondeant semini ». Haec ubi dicta sunt, irrita(610)tior iuuenis protinus poculum quod sibi prae manu erat in Lysiam iaculatur eumque uulnerat. Sed rex efferuescente iam irae professione prosiliens in Alexandrum labitur crureque laeso et uulnerato procumbit. Tum parum temperans uoci iuuenis  : «  En  », inquit, «  ille qui Asiam Europamque subiecit (615) unius lectuli spatium sine periculo non emensus est  !  » Et cum dicto rapit gladium omnesque qui forte sese ueluti comprehendendum irruerant disicit, prorsus ut nihilum de Centaurorum Lapitharumque conuiuio demutaret aut, quod illi rei sit proximum, procos diceres cum ultore Vlixe decernere. 22. (620) Egressus igitur concedit ad matrem. Enim qui aderant Philippum non absque discrimine uulneratum cubiculo inducebant lectoque deponunt. Sed is cum post complusculos dies iam bonam spem curationi promitteret, ingreditur amica sollicitudine tunc Alexander adsidensque lectulo (625) « quaeso », inquit, o Philippe – adhuc enim te hoc [et] communi nomine adloquar, ut amicus, donicum patris in te animum recognouero – quid tandem hoc rei est quod te auerterit a coniuge ? Aueo enim scire, iudex et ultor futurus in matrem, si culpa meruit quod euenerat. Huc adde, si placet, (630) probesne illam Lysiae in Alexandrum petulantiam probesue etiam patris in filium truculentiam. Quid enim uterque commeruimus a patre et marito ? Abiecta Olympias coniux et Alexander filius incursatus. Quin ergo surge et confirmato corpusculo animum etiam labentem una curaueris adeo sau(635)cium fatalibus forsitan temptamentis. At ego tibi Olympiada tuam in gratiam una atque in 64

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En conséquence, ceint de la couronne, le vainqueur monte au temple saluer Zeus l’Olympien et le prêtre, dit-on, qu’il ait pris en compte l’exploit ou que le dieu l’ait inspiré, interpréta le hasard de cette victoire : puisque, dans un premier combat, Alexandre avait vaincu Nicolas, il lui était fort aisé de prédire qu’il vaincrait de nombreux peuples et s’emparerait de la domination universelle56. 20. Sous ces joyeux auspices le triomphateur regagne la Macédoine, mais l’arbitraire des rois amenant Philippe à dédaigner son union avec Olympias, Alexandre tombe alors sur lui en plein chambardement pour épouser Cléopâtre, la fille d’un dénommé Apalus57 d’assez bonne race. Le jour des noces, il débouche donc couronne en tête dans la salle de festin du palais : « Père, dit-il, reçois ce premier fruit de mon labeur. » Et en même temps, il pose sa couronne sur le chef paternel. Puis il ajoute : « Puisque vous êtes joyeux en cet instant, moi aussi, quand je remarierai ma mère en des noces de reine, je vous ferai participer au banquet. » Sur ces mots, Alexandre s’allongea en face de Philippe. Le roi, piqué par ces paroles, au dedans de lui-même livrait son cœur à la rage. 21. Parmi les nombreux favoris du roi était là un certain Lysias dont l’esprit savait très bien déclencher le rire. Désireux d’égratigner l’adolescent pour plaire à Philippe, il dit : « Prends, mon roi, prends Cléopâtre dont te naîtront, je l’espère, des fils bien à toi ; tu ne les partageras avec personne et ils répondront à tes traits, à ta féconde semence. » À peine ces mots étaient-ils prononcés que, pris de colère, le jeune Alexandre lance sur Lysias la coupe à sa main et le blesse. Mais déjà, avouant une irritation qui s’échauffe, Philippe bondit sur Alexandre ; il glisse et, la cuisse blessée par le choc, s’étale devant lui. Alors le jeune homme, incapable de maîtriser sa langue, de s’écrier : « Regardez-le, il a soumis l’Europe et l’Asie et il ne peut, sans péril, franchir l’intervalle d’un seul lit ! »58. En même temps, il saisit un glaive et disperse tous ceux qui d’aventure se précipitaient pour le retenir : à l’identique, il refaisait le banquet des Centaures et des Lapithes, ou, pour coller aux circonstances, on aurait dit les prétendants aux prises avec la vengeance d’Ulysse59. 22. à sa sortie, Alexandre se rend chez sa mère, tandis que les présents emmenaient dans sa chambre Philippe dont la blessure n’était pas sans risque et le déposent sur son lit. En très peu de jours le roi donnait déjà bon espoir de guérison. Alors Alexandre entre chez lui avec une amicale sollicitude et s’assied au chevet. « Je t’en prie, Philippe, dit-il – car c’est ainsi qu’en ami je t’appellerai du nom qui t’est communément donné, le temps que je retrouve en toi des sentiments de père –, qu’est-ce donc qui t’a détaché de ta femme ? Je veux le savoir, car je serais, à l’encontre de ma mère, un juge et ton vengeur, si par sa faute elle a mérité ce qui est arrivé. Dis-moi encore, s’il te plaît, si tu approuves l’effronterie de Lysias à l’égard d’Alexandre, si tu approuves même la brutalité d’un père à l’égard de son fils. Qu’avons-nous mérité, elle et moi, d’un mari et d’un père  ? Ta femme, Olympias, est rejetée et moi, Alexandre, ton fils, on m’insulte. Allons, lève-toi. Puisque ce pauvre corps est ragaillardi, soigne aussi ton cœur défaillant, tellement il est touché par des tentations peut-être voulues

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cubiculum iam deducam. Geret enim morem profecto Alexandro filio, cuius tu pater, ut uideo, esse fastidis ». His dictis transit ad matrem Philippo iam inter pudorem paenitentiamque distento et ad eam : « Ne », in(640) quit, « quaeso, ne moueare, mi mater, super hisce quae in te egerit rex maritus. Etenim ipsa quamuis clam habeas quid commerueris, age tamen morem conscientiae tuae, cuius meet testem habeas qui hanc tibi concordiam suadeo. Quare remees ad coniugem censeo et redde te marito morige(645)ram. » Cedit auctoritati suadentis filii Olympias et duce tali reuenit ad maritum. Tunc Alexander : « En tibi, pater, Olympias tua ; iam enim te paterno nomine usurpabo, cuius adeo libens fueris auditor. Igitur et precator ad eam fui et remittit tibi meritum tuum abolitione omnis iniuriae. Agite igitur, (650) quaeso, post iram integrationem coniugalis adfectus nec sit pudendum si filius sim parentibus copulator. » His dictis impetrat quod laborat idque ei largiter apud omnes patriae proceres bono admodum testimonio fuit. Placet denique Lysiae nomen coniugalibus ritibus in perpetuum aboleri, quod ap(655)pellatio illa solutionem coepti cum Cleopatra fecisset. 23. At his ferme diebus quibus haec acta uidebantur desciuisse obsequio Mothona ciuitas nuntiabatur. Ad quam animo Philippus incitatus, cum adhuc uiribus corporis deficeretur, optimum ratus ultionem non distulisse, numerum (660) qui forte adesset militum ducere Alexandrum iubet idque adulescens properanter exsequitur diligenterque : subactam enim populatamque ad uindictae ostentationem raptim Mothona reuersus adnuntiat. Sed enim cum illo reditu de Mothona ingressus ad patrem foret, uidet ibi adsistentes ha(665)bitu barbaro uiros percunctansque cognoscit Persae Darii satrapas ; causam tamen aduentus esse quod ex more regi petitum pecunias a Philippo uenissent, pretium scilicet aquae atque terrae : his enim nominibus subiectos obsequi sibi Persae deposcunt. Miratus igitur Alexander et petendi morem et ti(670) tulum : « Haecine », inquit, « elementa Persae mortalibus uenditant quae cunctis deus in commune largitus est  ?  » Dolebat ergo altiusque adulescentuli uim carpebat quod uiri Graeci nominis ac dignitatis uectigales barbaris fierent, quae res esset pendentibus iugiter ad magisterium seruitutis. Tum igitur (675) paululum barbaris indidem separatis ferre a se mandata ad Darium iubet : haec sibi Alexandrum nuntiare uel dicere  : boni consuleret et ab hac petendi consuetudine temperaret ; quippe quem ipse morem petendis pecuniis induxisset, hunc a se protinus exactum iri unaque cum his quae ante depensa (680) sint propria quoque quae sint Persis Alexandrum petiturum. Cum his dictis exigit hommes proficisci ne litterarum quidem regem responsione dignatus. Ad hanc animi eius magnificentiam Philippus erigebatur, quod adeo confidentem et intrepidum eum naturae suae bona adserere

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du destin. Pour moi, je vais ramener Olympias aussi bien dans tes bonnes grâces que dans ta chambre. Sans nul doute, elle obéira à son fils, cet Alexandre dont, je le vois, tu répugnes à être le père. » Ceci dit, il passe chez sa mère, tandis que Philippe se divisait entre le point d’honneur et les regrets. Il s’adresse à elle : « Je te le demande, ma mère, ne t’émeus pas de la conduite envers toi du roi, ton mari. Bien que reste secret ce que tu as de quoi te culpabiliser, obéis à ta connaissance des faits : tu m’en as pour témoin, moi qui te prêche la réconciliation. Aussi, c’est mon avis, reviens à ton époux, rends-lui l’obéissance conjugale. » Olympias cède à l’autorité persuasive de son fils et, à cette initiative, retourne près de son mari. Alors Alexandre : « Voici, père, ton Olympias, car désormais je me servirai de ce nom de père que tu as entendu si volontiers ! J’ai donc été la prier et elle te remet tes mauvaises actions, en effaçant toute injure. Dorénavant, après la colère, ayez, je vous en prie, dans sa plénitude une affection d’époux, sans rougir que votre fils ait réuni ses parents. » Cela dit, il obtient l’objet de ses peines, ce qui de la part des grands du pays lui valut, sans compter, un témoignage d’excellence. On décide enfin, de bannir à jamais le nom de Lysias des cérémonies de mariage, parce que, si celui contracté avec Cléopâtre avait été dissous, la cause en fut que l’individu s’appelait ainsi60. 23. Or, à peu près les jours qui voyaient se produire ces événements, on est informé que la ville de Mothone61 s’était écartée de l’obéissance. Philippe était de cœur à se porter contre elle mais la force physique lui manquait encore. Comme le mieux, jugeait-il, était de ne pas différer la vengeance62, il ordonne à Alexandre de prendre la tête d’un détachement de soldats qui se trouvait là. L’adolescent se hâte d’exécuter l’ordre scrupuleusement. Vite revenu, il annonce que Mothone a été soumise et livrée au pillage pour que la châtiment fût patent63. Mais alors qu’à son retour de Mothone il était entré chez son père, il voit debout près de lui des gens habillés en barbares. Il interroge et apprend que ce sont des satrapes de Darius64, le Perse  : la raison de leur arrivée était que, comme d’habitude, ils venaient demander à Philippe de l’argent pour leur roi, en fait, le prix de l’eau et de la terre : à ce titre, en effet, les Perses réclament l’obéissance de leurs sujets. De cette exigence traditionnelle, de cette imposition Alexandre s’étonne et dit : « Les éléments que vendent les Perses sont ceux dont Dieu a fait cadeau à tous en commun. » Il se lamentait donc et, en profondeur, sa force d’adolescent se rongeait à penser que des hommes, grecs de nom et de qualité, fussent tributaires des barbares, car à payer sans interruption on se mettait ainsi à l’école de la servitude65. C’est pourquoi il prit un peu à l’écart les barbares et leur ordonne de porter ses instructions à Darius. Le message énoncé par Alexandre à son adresse était comme suit : qu’il réfléchisse et s’abstienne de ses habituelles exigences, car la tradition qu’il a instaurée de réclamer de l’argent lui serait immédiatement imposée et, en sus de ce qui déjà a été dépensé, Alexandre lui réclamerait aussi les biens propres des Perses. Ceci dit, il contraint ces gens à partir, sans même juger le roi digne d’une réponse écrite. Devant cette grandeur d’âme Philippe se rengorgeait, à le voir si confiant et si intrépide affirmer ses vertus naturelles. À nouveau une cité voisine avait l’obéissance

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intueretur. Igi(685)tur cum uicina rursus ciuitas de obsequio uacillaret, datur Alexandro expeditio ; pergitque quo iussum est. 24. Enimuero interea Pausanias quidam nomine, tum diuitiis adfluens, tum opibus potens, ex oppido Thessalonice nobilis, in Olympiadis desiderium amoremque animo prolap(690)sus est. Qui cum per internuntios adtemptasset ecquid mulier consentiret deserto Philippo ad sese transnubere neque id ei ex sententia prouenisset, comperiens filium Philippi, cuius adeo formidulosum in omnes accolas erat nomen, peregre profectum certamenque thymelae tunc agi [a] (695) Philippo praesidente, repente satellitio stipatus strictis gladiis theatrum irruit Philippumque uulnere praeuenit. Qui cum altius et letaliter ictus esset, ueluti caedis absolutione securus ad regiam Pausanias properato festinat, raptu scilicet Olympiadis desiderio consulturus. Igitur cum populus adhuc (700) in theatro turbaretur, Pausanias uero, ut diximus, raptum moliretur, forte rebus ex sententia perpetratis Alexander superuenerat offenditque turbas et uim et uulnera Philippi. Quibus, ut res erat, cognitis auctoremque earum rerum Pausaniam haec dissignasse, irruens regiam in ipso raptu matris (705) Pausaniae uiolentiam deprehendit eumque cum iaculo destinaret tenereturque formidine matris uulnerandae, Olympias sic adhortatur : « Iaculare », inquit, « fili, iaculare, ne dubites ; habeo enim praesidem Ammonem et protectorem. » Enimuero Alexander nullo impetu uinci, sed cum spirare (710) etiam tunc patrem Philippum comperisset, eundem aduehi illorsum iubet gladiumque quem gerebat ipse collatum in dexteram patris misit, quo manu eius oppeteret Pausanias, cui poenam quoque pro facto debuerat. Ergo iam moriens Philippus : « Nihil nunc sane est, » inquit, « quod me uitae finis (715) aut huiuscemodi mors contristet : ultus enim auctorem iniuriae libens oppetam. Atque ideo illaec nunc ab Ammone dicta reminiscor quae tunc matri tuae Olympiadi filium fore talem praegnanti praedixerant eumque non eius modo adsertorem sed ut uindicem quoque patris futurum. » Et cum his (720) moritur. Curatur igitur Philippo regia sepultura maerori eiusmodi omni Macedonia et reliqua Graecia conspirante. 25. Vbi igitur iam moti animi hominum illa rerum nouitate quietiores uisi potuerunt, scandit Alexander paternae statuae suggestum et propter illam adsistens in haec uerba (725) contionatur : « O Pellae proles et Macedonum uel Atheniensium Corinthique progenies ceterarumque Graeciae gentium nomina, en tempus est, quisquis Alexandro sese cupiat militare, ut scilicet nunc nomen labori fateatur. In eos quippe militabimus barbaros qui nos iampridem re, nunc uero spo(730)liare pergunt etiam libertate. Igitur eamus ducere in seruitium Persas ; hi quibus turpe erat seruientibus non subuenire, en[im] nunc iam etiam ipsi seruimus. » Et haec quidem dicta praesentibus. Edicit tamen eadem illa sententia et per singula oppida ciuitatesque ut una cum 68

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chancelante ; la campagne fut confiée à Alexandre qui se rendit là où il en avait reçu l’ordre. 24. Sur ces entrefaites, un noble de la cité de Thessalonique dénommé Pausanias qui nageait dans la richesse et tirait de ses moyens son pouvoir tomba amoureux d’Olympias et la désirait du fond de l’âme66. Par des intermédiaires, il avait sondé la femme pour savoir si elle consentirait à l’abandon de Philippe pour l’épouser en secondes noces mais n’avait pas obtenu le résultat escompté. Apprenant alors que le fils de Philippe, dont le nom était si redouté chez tous ses voisins, s’en était allé à l’extérieur et que les jeux du théâtre se déroulaient sous la présidence de Philippe, il déboula tout à coup sur scène, entouré d’une escorte, l’épée nue et, prenant les devants, voici qu’il blesse profondément Philippe, qui est frappé à mort. Comme rassuré d’avoir accompli son crime, Pausanias, sans tarder, se précipite au palais pour veiller à ses désirs en enlevant Olympias. Tandis qu’au théâtre la population était encore toute troublée et que Pausanias – nous l’avons dit – préparait l’enlèvement, il se fit que, les affaires réglées à son gré, Alexandre était survenu, confronté donc aux troubles, à la violence, aux blessures de Philippe. Une fois connue la réalité des faits et qu’ils désignaient Pausanias pour responsable, Alexandre fait irruption au palais en plein rapt de sa mère, prenant sur le vif l’agression du Thessalonicien. Il le visait de son javelot mais la crainte de blesser Olympias le retenait. Elle l’encourage : « Lance-le, mon fils, dit-elle, lance-le sans plus d’hésitation. J’ai Ammon pour me garder sous sa protection »67. Ainsi Alexandre n’était vaincu par aucun assaut ; cependant, lorsqu’il apprit que Philippe, son père, respirait encore, il ordonne de le transporter jusque-là et lui glisse, serré entre les doigts, le glaive que lui-même portait68, afin que Pausanias périsse de la main de celui à qui il devait payer ses méfaits. Déjà moribond, Philippe parla : « Maintenant je n’ai pas à m’attrister de finir ma vie par cette mort ; vengé de l’auteur de mes injures, je m’en irai volontiers et c’est qu’en cet instant je me rappelle les paroles d’Ammon : à ta mère Olympias, alors enceinte, il avait prédit un semblable fils, qui non seulement la défendrait mais aussi serait le vengeur de son père »69. Sur ces mots, il meurt. On prend soin d’ensevelir royalement Philippe et au deuil s’associaient toute la Macédoine et le reste de la Grèce70. 25. Dès que l’émotion suscitée par ces événements extraordinaires put sembler apaisée, Alexandre monta sur le socle de la statue de son père et debout, près d’elle, il prononça cette harangue : « Enfants de Pella, fils des Macédoniens, des Athéniens, de Corinthe71, ressortissants de tous les autres peuples de la Grèce, le moment est arrivé pour ceux, quels qu’ils soient, qui veulent combattre avec Alexandre de s’enrôler, oui, maintenant, dans une dure entreprise : nous combattrons ces barbares qui depuis longtemps continuent à nous priver de nos biens et aujourd’hui encore le font aussi de notre liberté. Marchons réduire les Perses en servitude72, puisque nous qui jugeons honteux de ne pas secourir les asservis, sommes nous-mêmes à ce jour dans l’asservissement. » Ces paroles s’adressaient aux présents, mais également en un sens similaire, dans chaque

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classibus hi qui ar(735)morum desiderio tenerentur ad sese confluerent. Igitur ut si incentiuum aliquod diuina uoce intonuisset quo facilius ad eiusmodi opus studia hominum exardescerent, ita uotum certamenque erat Macedonibus militandi. At Alexander aedibus reseratis quibus condita patris arma militaria uisebantur (740) his quos inermes uiderat dilargitur. Sed enim quisque armiger Philippi aetate prouectior diu i[n]am militiae laborisque pertaesus negabat se idoneum conatibus fore, aetate scilicet sua praesentibus refragante. Ad haec Alexander  : «  Equidem, inquit, ueridicentiae isti testis ac(745)cedo nec labores uestros quos praetenditis non adstipulor. Enimuero militiae uis eiusmodi res est uti magisterio callentium ordinata mox fiducia uirium exsequenda sit. Peritia quippe ueteris usus rudis manus audacia dirigenda est : quorum alterum uos, alterum iuuentus existimatur. Nam ut ille (750) iuuentae feruor ad audaciam promptior ita inconsultior ad cautionem ac sic eorum boni coeptus plerumque malos euentus reperiunt. At uero ista maturitas uestra etiam arduis quibusque felices exitus parit et desideratos euentus, quoniam perito consilio manum duci commodat obsecuturam. (755) Par est igitur », inquit, « uos meo commilitio numerari, non ut ipsi bellorum urguentia subire cogamini, sed ut iunioribus manibus consilium uos fiatis. Alterum quippe alterius egere quis dubitet cum, nisi per prudentiam uestram illorum titubantia sit directa, perfracto praesidio iuuentutis in seniores (760) periculum uadat ? Contra autem si recti per uos uoto fruantur, uos quoque gloriae parte potiore celebremini. » His dictis eos quoque quos senium iam obsederat in sententiam suam ducit. 26. Connumeratis igitur uel ueteri milite uel quos ipse re(765)cens scripserat, congregat Macedonas quinque et decem milia pedites auxiliaque diuersa in octo milibus, equites uero indigenas septingentos et duo milia, leuis quoque armaturae Thracas numero octingentos. Vnde hoc numero cum ueterano milite congregato sexcenti uel quattuor ad septuaginta (770) milia militantium erant. Tunc uiae sumptum e Philippi thesauris collatuque studentium rebus suis auri talenta sexaginta cum quadringentis quattuorque et decem milibus cogit. Classi ergo elaborata in Macedonia tam longis quam onerariis nauibus transit in Thraciam, quae sibi patris Phi(775)lippi uirtute quaesita hereditarium studium deberet atque deferret. 29. Vnde illic etiam rebus ad ordinem redactis, quod sibi ea gens studiosius obsequeretur, lectissimos quosque et argenti talenta quadringenta uiribus suis cum adiecisset, pergit (780) ad Lycaoniam, cui nunc aetas recens nomen Lucaniae dedit. Igitur eius loci magistratibus ad amicitiam communi sacrificio foederatis transmittit protinus ad Siciliam atque ibi, si qua forte ab obsequio refragarentur oppida, recepit ; eximque Italiam transiens legatione pariter et honore potitur Roma(785)norum. Per

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cité et place forte, il édicte qu’avec leur flotte convergent vers lui ceux que possédait l’amour des armes. Comme si avaient retenti les exhortations d’une voix divine pour, à cette fin, plus sûrement enflammer les enthousiasmes, les Macédoniens rivalisaient dans leurs désirs de combattre. Alexandre ouvre les bâtiments où, visiblement, étaient conservés les équipements militaires de son père et sa générosité pourvoit ceux qu’il avait vus désarmés. Mais, avancés en âge, il y avait longtemps que les compagnons d’armes de Philippe étaient plus que dégoûtés des fatigues de la vie militaire. Ils se disaient incapables des efforts à venir, car leurs années s’accordaient mal à la situation présente. Alexandre leur répondit : « Vous dites vrai, j’en porte témoignage ni ne refuse d’admettre les fatigues que vous mettez en avant. Pourtant ce qui renforce une armée est la confiance en ses forces, qui ne tarde pas à s’acquérir, si l’on est encadré par les enseignements d’hommes d’expérience. L’audace du bras novice doit être guidée par l’habileté d’une longue pratique : l’une s’entend de la jeunesse, l’autre de vous-mêmes. Car s’il est vrai que la ferveur des jeunes est plus prompte à oser, elle songe moins à prendre garde, en sorte que leurs bons débuts trouvent souvent de mauvais dénouements. Au contraire, votre maturité, même chaque fois que c’est ardu, engendre des fins heureuses et conclut à souhait, vu qu’à des conseils expérimentés elle prête au chef une troupe obéissante. Par conséquent, poursuit-il, il convient que vous vous comptiez parmi mes compagnons, non pour vous contraindre à subir les pressions de la guerre, mais afin que vous soyez les conseillers de ces jeunes bras. Qui douterait que l’un n’ait besoin de l’autre ? Si votre prévoyance ne dirige pas l’incertitude de leur marche, le rempart de la jeunesse sera percé73 et le péril atteindra les aînés ; en revanche, si maintenus par vous en droite ligne, ils satisfont à leurs vœux, vous aussi, serez célébrés avec une meilleur part dans la gloire. » Par ces mots il amena à penser comme lui même ceux que guettait déjà la vieillesse. 26. Après recensement soit des vieilles troupes, soit des nouvelle recrues, Alexandre rassemble quinze mille fantassins macédoniens, dans les huit mille auxiliaires de toutes sortes, deux mille sept cents cavaliers indigènes, de l’infanterie légère thrace au nombre de huit cents hommes. En y ajoutant les soldats vétérans, cela faisait jusqu’à soixante-quatorze mille six cents combattants74. Les trésors de Philippe et les contributions de ses partisans lui réunirent quatorze mille quatre cent soixante talents d’or75 pour les frais de route. Une flotte ayant donc été construite en Macédoine – aussi bien de longs vaisseaux que de navires de transport –, Alexandre passe en Thrace76. Le courage de son père la lui avait acquise : par héritage, elle lui devait son concours et lui donne. 29. Là aussi il remet les choses en ordre, cette population s’empressant de lui obéir, puis après avoir complété son dispositif grâce à des recrues d’élite et à quatre cents talents d’argent77, il se dirige vers la Lycaonie, à laquelle une époque récente attribua le nom de Lucanie78. Au cours d’un sacrifice en commun, il se lie par un traité d’alliance avec les magistrats du lieu, puis, à la suite d’une traversée directement sur la Sicile79, il récupère celles des cités qui renâclaient à l’obéissance. De là, il débarque en Italie et reçoit tout ensemble une ambassade

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Aemilium quippe tunc consulem corona ei auri pondo centum, insignita etiam margaritis, honoraria datur ad argumentum amicitiae perpetuo post futurae ; idque Alexandro magnae gratiae fuit amicitiamque amplectitur et uerbis liberalibus Aemilium honoratum remittit. Addunt tamen (790) Romani et militum duo milia et argenti talenta quadringenta eoque amplius fore daturos sese respondent, ni sibi bellum aduersus Carthaginienses intentissimum agitaretur. 30. Indidem igitur Tyrrheno transmisse cum Africam quoque appulisset Alexander, eius gentis sibi magistratus obui(795)antes precario quaesunt uti a se uim Romani exercitus amoliretur. Sed haec dicta non modo ad fauorem regis animum non conuertunt, uerum ignauiae eos increpitos tali responso dimittit : quod boni Carthago consuleret si aut melior hostibus foret aut potioribus praecepta dependeret. (800) Hinc igitur pergens paucis admodum comitatus omnem Libyam peragrat. Itaque ad Ammona, qui loco deserto Aegypti celebratur, ipse contendit ; enimuero exercitus multitudinem nauibus superpositam Pharum destinat. Ipse ergo Ammona ueneratus operatusque largioribus ibidem sacrificiis (805) praesidium sibi operis et coeptorum ueluti a deo patre deposcit, quippe eius fabulae tenax quod huiusce dei cum matre per somnium fuerit coniugatio. His denique uerbis deum conuenit : « O pater Ammon », inquit, « si quid materni sermonis est uerum eaque mater conceptus nostri ex te princi(810)pium est sortita, quaeso uti istud adstipulere praesenti meque ut filium praestes. » Igitur doctus euidentibus monitis non absque numen illud esse cura sui, et templum deo operosius et augustius fabricatur et ad prodendam militibus confidentiam patri Ammoni id se fecisse inscriptione testatur. (815) Tunc responsum etiam quaesit a deo ecquid sibi monumentum imperii sui aliquod instaurare fas esset : animo quippe conceperat urbis quam maximae conditum. Ergo per somnium sic eius dei adloquio fruitur : Haec tibi, rex, Phoebus lunatis cornibus edo : (820) nomen si pergis aeuo celebrare perenni, urbs tibi condenda est qua stat Proteia tellus praesidet et numen cui Ditis mundipotenti[u]s uertice quinqueiugo rerum secreta gubernans. Ad haec doctus Alexander tali responso omni diligentia (825) rimabatur quam Proteiam insulam deus uellet quidue illi numinis praesideret. Quae etiam tunc animo uolutans peractis rite sacrificiis indidem proficiscitur. Multo denique itineris exanclato apud uicum Astrata fessum commilitium refecit. 31. (830) Ipse autem rex cum forte in agro, ut adsolet, spatiaretur, ceruam intuitus pastui occupatam unum ex his qui destinandis sagittis 72

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et les hommages des Romains. En effet, Aemilius80, le consul d’alors, le gratifie d’une couronne d’honneur qui pesait cent livres d’or et était ornée de perles, cela en gage d’une amitié dorénavant perpétuelle. Alexandre en eut grand plaisir et il ouvre les bras à cette amitié : Aemilius est renvoyé, tout honoré de généreuses paroles. Néanmoins les Romains donnent aussi 2 000 soldats et 400 talents d’argent81, répondant qu’ils auraient versé davantage, si la guerre contre Carthage n’avait pas été par eux conduite à outrance. 30. De là, il traverse la mer Tyrrhénienne et aborde l’Afrique  ; les magistrats du pays viennent à sa rencontre, lui demandant par leurs prières d’écarter d’eux les violences de l’armée romaine. Non seulement le discours n’incline pas le roi à les favoriser, il s’en prend encore à leur lâcheté et les renvoie avec cette réponse : Carthage ferait bien ou de l’emporter sur ses ennemis ou de payer ce qui lui était commandé à de plus forts qu’elle-même82. Puis, accompagné d’un tout petit nombre, il continue et parcourt toute la Libye. C’est ainsi qu’il se dirige vers Ammon, très vénéré dans le désert d’égypte ; le gros des troupes était embarqué sur des bateaux, à destination de Pharos. Pour sa part, après la cérémonie et des sacrifices fastueusement offerts, il requiert Ammon, comme s’il était son divin père, de le protéger dans l’œuvre qu’il entreprenait ; il s’attachait, en effet, à l’histoire qui voulait que dans un songe sa mère se fût unie à ce dieu83. Il l’interpelle en ces termes : « Ammon, mon père, s’il y a du vrai dans les propos maternels et que ma mère a tiré de toi l’origine première de notre naissance, je t’en prie, garantis-le à présent et montremoi pour ton fils. » Instruit donc par des avis indubitables84 que cette divinité n’était pas sans se soucier de lui, il rehausse par des travaux la majesté du temple du dieu et, afin de manifester sa certitude devant les soldats, une inscription atteste qu’il a fait cet ouvrage en l’honneur de son père Ammon. Ensuite, il demande au dieu un oracle pour savoir s’il lui était permis d’élever de quoi perpétuer son Empire, car, en sa tête, il avait conçu de fonder la plus grande des villes. En songe, il bénéficie du message du dieu : « Voici, roi, ce que moi, Phébus aux cornes en croissant85, je te révèle : Si tu persistes à rendre ton nom à jamais célébré, Tu dois fonder une ville où se tient la terre de Protée86, Là où trône le maître du monde, le divin Pluton87 Qui depuis cinq cimes gouverne le secret des choses. »88 Maintenant que la réponse l’avait instruit là-dessus, de tous ses soins Alexandre recherchait de quelle île de Protée le dieu entendait parler et la divinité qui y trônait. Après avoir accompli les rites sacrificiels tout en roulant encore ces pensées, il quitte les lieux, épuise une bonne partie du trajet et laisse au bourg d’Astrata ses compagnons se refaire de leurs fatigues. 31. Lui-même, à son habitude, avance dans la campagne, lorsque, par hasard, il aperçoit une biche occupée à brouter. à quelqu’un tenu pour

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sollertior habebatur iaculari bestiam iubet. Qui cum rem non ex opinione praeiudicata fecisset leuiusque ictum animal euasisset, exclamasse Alexander fertur, Graeco (835) scilicet uerbo, quod remissior arcus intentio sagittam imbecillius exegisset, παρὰ τόνον istud factum uideri. Ex eoque dictum Paratonium  ; etiam post frequentatae urbi nomen indidem datum. Hinc porro ad locum qui uulgo Taposiris diceretur appulit. (840) Inquirens tamen nominis causam accipit ab indigenis sepulchrum Osiridos illic esse, quod a ueteri compositione corruptum Taposiri[du]s dictus esset. Operatus igitur illicce deo ad id loci transit quem extensum quidem magni et uberis aequoris pulchritudine miratur, frequentem tamen commanen(845) tium conuenticulis. Sedecim quippe ad instar urbium uicis decoriter admodum distinctis atque dispositis consistit, quorum magnitudini pariter et pulchritudini honor et cura deferebatur. His sedecim sessibulis flumina quoque duodecim intererrabant pariter omnia uergentia iuxtim in mare, sicuti (850) nunc etiam ad memoriam ueteris insulcationis datur uisere. Quippe quamuis congestu postea sint ad aequoris uniti faciem exaequata, quisquis tamen ille ductus fluminis fuit, is nunc plateis apud Alexandriam tractus est ; sed duo tantum ingressus fluminum reseruati, ceteri nomina partibus oppidi (855) praestiterunt. Igitur omne spatium eo loco cui Mendidium uetus nomen est usque ad Hermopolim urbis eius ambitu[m] occupatum est. Sed enim nomen hoc longe secus ac se ueritas habet in usu appellationis resedit : Ὅρμου enim πόλις, non Hermopolis, dicta est, quod portuosius illic alueus (860) Nili latiusque in latera descendens fidam [ae] st[im]ationem nauibus per sese labentibus faceret. Hanc igitur urbem nominis sui appellatione dignatus in omnem, quantum uisi datur, magnificentiam laborauit, quamuis Cleomenes de Naucrato et Dinocrates Rhodius in (865) eam sententiam non accederent ut tantam illam urbem quanta nunc est metiri deberet, quod neque repleri aedificiorum spatia metita turbis competentibus opinarentur nec repleta ali facile potuissent. Ex quo fore arbitrabantur bella frequentia uel necessitate quaerendae alimoniae ab ipsis incolentibus ineunda, seu opulentia praeualerent, seu uiribus (870) deficerentur, dum aut peterent aliquid aut peterentur. Quippe moderatum urbium statum et consiliis facilius cedere et ad sustentationem sui promptius occursare, mium siquidem multitudini nec facilis sui apud omnes singulos di(875)noscentia atque etiam difficilis uel conspiratio. Quamquam igitur longe auctius rex metitus locorum amplitudinem foret, tamen ad sententiam persuadentium ire aliquanto contractius siuit ambitus lineam  ; quare facessert magnificentiae animo conceptae ; longitudinem quidem urbi procurat ab (880) eo loco cui Draco nomen est – est autem pars supradicti Taporis – usque ad locum cui Agathudaemonos appellatio manet ; latitudini uero

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particulièrement habile à planter ses flèches, il ordonne de transpercer la bête. Mais comme le résultat n’était pas celui qu’on avait escompté et que l’animal à peine touché s’était échappé, Alexandre, dit-on, s’exclama – bien sûr en grec – que, puisque l’arc trop mollement tendu n’avait pas assez fort poussé la flèche, le coup lui semblait avoir été « sans ressort. » De là le nom de Paratonium qui fut aussi donné pour cette raison à l’agglomération ultérieure. Puis il débarqua en un lieu communément appelé Taposiris89. Il s’informa de l’étymologie et apprit des indigènes qu’il y avait là « le tombeau d’Osiris », ce qui, mis bout à bout, depuis fort longtemps avait donné lieu à l’appellation corrompue de Taposiris. Il y sacrifie au dieu et pénètre dans un site90 qu’il admire pour la belle, vaste et riche plaine où il s’étend mais où s’attroupent des regroupements d’habitats, à savoir seize bourgades très harmonieusement séparées et réparties à la manière de villes ; leur importance, autant que leur beauté, accueillait de diligents hommages91  ; entre ces seize implantations vagabondaient aussi douze rivières qui, toutes pareillement, se jetaient côte à côte dans la mer, ainsi qu’on peut le voir encore aujourd’hui par ce qui subsiste des anciens sillons. En effet, bien que les alluvions les aient ultérieurement ramenés à une surface aplanie d’un seul tenant, les cours d’eau d’autrefois tracent aujourd’hui les avenues d’Alexandrie. Deux débouchés seulement ont été réservés aux fleuves, les autres ont fourni leurs noms aux quartiers de la ville. En conséquence, tout l’espace depuis le lieu depuis longtemps appelé Mendidium jusqu’à Hermopolis est occupé par la superficie urbaine92, mais le toponyme dans la dénomination habituelle s’est fixé autrement qu’il n’est exact : on a dit Hormoupolis au lieu d’Hermopolis, parce qu’en cet endroit le Nil coule vers l’aval, en étalant son lit sur les bords et que cette zone déjà portuaire offre un sûr mouillage aux bateaux qui descendent par leurs propres moyens. Jugeant cette ville digne de porter son nom, Alexandre s’efforçait de lui assurer toute la magnificence donnée à voir, mais Cléomène de Naucratis et Dinocrate de Rhodes93 n’allèrent pas dans son sens, tant et si bien qu’il dut réduire la ville à ses dimensions actuelles. Ils pensaient, en fait, que les espaces prévus pour les constructions ne seraient pas remplis par des foules équivalentes et que, s’ils l’étaient, le ravitaillement n’en saurait être facile ; à leur avis, il en résulterait pour les habitants de fréquent conflits à affronter, dans la nécessité de la recherche de vivres, soit que leur richesse les mît en état de supériorité, soit qu’au contraire ils manquassent de ressources car, ou bien ils seraient demandeurs, ou bien l’objet des demandes. Les cités de taille moyenne s’inclinent plus facilement devant les décisions et sont plus rapides à anticiper leurs subsistances, s’il est vrai que, dans une multitude de gens, il n’est pas aisé de se connaître individuellement et même malaisé d’adopter tous une attitude commune. Aussi quoiqu’il eût calculé une superficie beaucoup plus élevée, sur leurs avis persuasifs, il permit de resserrer un peu le périmètre du tracé et c’en fut fini de ses projets de grandeur : on donne donc à la ville une longueur qui va de l’endroit appelé le Dragon – c’est un quartier du susdit Taposiris – jusqu’à celui qui continue à prendre le nom de Bon Génie94 ; à la largeur on accorde

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indulgent a Canopo usque ad locum qui Eurylochi uel Melanthium dicitur. Iubet igitur omnes quique per ambitum usque ad lapidem tricesimum coluis(885)sent uniuersos eodem commigrare locumque omnem unde ad oppidum conuenissent suae dicioni seruire. Et haec quidem super spatio urbis eius accipimus. Adhibitis tamen rex architectis, quique ex arte nobiles et celebratiores habebantur, ut Cleomene de Naucrato et Olyn(890)thio Erateo, Herone etiam Libi, qui cum fratre Hyponomo erat, accepit omne magnificentiae huiusce monimentum in eo posse tuto consistere si, antea quam fundamenta urbi iacerentur, subductiones aquae purgamentisque deliquias procuraret ; quibus iugiter ablutis deriuatisque atque in mare (895) perpetuo dilabentibus neque aedificiis perniciem aliquam remansuram et ab hisce quae interuenire corrumpendo aeri soleant purgatius oppidum fore. Elaboratis igitur his cloacis quibus haud facile capaciores ulla urbs habeat, omnis post id operum imposita molitio. (900) Quare cum hae urbes quae in omni orbe terreno maximae celebrantur in haec spatia numeratae sint, Syriaeque sit ciuitas uel amplissima Antiochia extenta stadiis octo pedibus septuaginta duobus, Carthago uero, quae principatum Africae tenet, stadiis decem porrecta uideatur stadiique parte (905) quarta, Babylon porro stadiis duodecim longa sit et pedibus ducentis atque uiginti, ipsa quoque domina omnium gentium Roma quattuordecim stadiis et pedibus centum atque uiginti longa primitus fuerit, nondum adiectis his partibus quae multum congeminasse maiestatis eius magnificentiam (910) uisuntur, Alexandriam mensi sunt sedecim quidem stadiis, pedibus uero trecentis atque septuaginta quinque. Occupato igitur omni solo quod praedictis alueis atque uicis olim consitum mox urbs una contex[u]it, uidet insulam eminus perbreuem rex. Cui nomen Pharus esse cum dicere(915)tur, coluisse uero Pharon istam Protea, collapsum etiam ibidem cerneret Proteos sepulchrum, id quidem protinus et reformari ad faciem nouitatis et coli religiosius mandat – exinque ciuitas Pharos est – eiusque mos ad nos usque prolapsus ; sacrum inter nostros Heroos dicitur. 32. (920) Additur tamen ad fabulam metatae primum discretaeque urbis huiusce quod cum lineae ductae ab architectis forent quibus spatium et descriptio metatae urbis notaretur, subiecta sit lineae farina pro puluere. Sed ubi id factum fuerit, mox congreges multi numeri et generis aues eodem aduo(925)lauisse raptimque omnem illam de farina lineam abligurrisse. Id ergo portenti turbulentius Alexandrum formidantem consuluisse protinus peritissimos coniectorum eorumque sententia resciuit ciuitatem hanc non suis modo, uerum peregrinis etiam populis ad alimonias uberrimam fore. Vt (930) enim in illo auium numero non solum indigenae, uerum aduenae etiam atque undique uersus adlapsae iactum pollinem

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depuis Canope jusqu’au lieu dit d’Euryloque ou de Mélanthius. À tous ceux qui habitaient sur le pourtour, jusqu’à la trentième borne, il ordonne le regroupement en ce même endroit et tous les sites à partir desquels ils convergeaient vers le centre étaient assujettis à la souveraineté de la cité95. Voilà ce que nous savons de l’aire urbaine. Le roi convoque les architectes et ceux auxquels leurs compétences conféraient réputation et célébrité, par exemple, Cléomène de Naucratis, Erateus d’Olynthe et aussi Héron le Libyen, présent avec son frère Hyponomus. Il apprit alors que toute cette grandiose construction pourrait s’échafauder en sécurité, si, avant de jeter les fondations de la ville, il se souciait du drainage des eaux et de leur épuration d’immondices : à condition de les nettoyer sans arrêt, de les évacuer et de les déverser continuellement dans la mer, il ne resterait aucune pollution dans les bâtiments et la ville serait purgée de ce qui souvent s’introduit pour corrompre l’atmosphère. En conséquence, furent élaborés des égouts dont il n’est pas de cité qui puisse facilement dépasser la capacité96. Et ensuite par dessus fut installé l’ensemble du chantier de construction. 97. Après qu’a donc été occupé tout le sol qui, jadis parsemé des bourgades et des canaux précités, se trouve bientôt réuni en une seule ville, le roi aperçoit au loin une île très petite. On lui dit qu’elle s’appelle Pharos et que Protée l’a habitée98. Là-bas, il le voyait aussi, le tombeau de Protée s’était effondré : sur le champ il ordonna de le refaire à neuf et de l’entretenir religieusement : de là vient la ville de Pharos. La tradition a duré jusqu’à maintenant où nous parlons d’un Héroôn. 32. Cependant le récit du cadastrage initial et de la distribution première de la ville comporte le complément que voici : comme les architectes traçaient les lignes de l’espace urbain et de ses divisions selon un plan d’arpentage, au lieu de poudre, on jeta de la farine pour les alignements. Mais aussitôt fait, bon nombre d’oiseaux de mille sortes accoururent en bandes serrées et à coups de bec engloutirent la farine sur toute la ligne. Effrayés par ce prodige plutôt troublant, Alexandre s’empresse de consulter les devins les plus habiles. Leur sage sentence lui apprit que cette cité jouirait d’une extrême abondance pour nourrir tant les siens que les peuples étrangers. De même, en effet, qu’en plus des oiseaux du pays ceux d’ailleurs étaient à tire-d’aile venus de partout pour

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auide pastae sint, ita hominibus quoque et incolentibus et appellentibus urbem hanc fructuosissimam fore. Aedificandi tamen Alexandriam constat principium ex (935) meditullio esse factum idque etiam nunc nomen in ea urbe retineri quod Μέσον πεδίον uocetur. Coeptis autem molitionibus surgere uisitur draco quidam terribilis magnitudine ac maiestate, qui plerumque opifices incursabat eiusque nonnihilum impediri opera uidebantur non minus metu ui(940)sentium quam religione. Quod cum in aures Alexandri peruectum foret, iubet insequenti sub die, sicubi forte sacra illa belua uideretur, omnes undique confluentes necem draconi moliri. Idque nauiter factum oppressusque eo loci est draco ubi nunc Stoam uocant. Et sepulchrum tamen draconi con(945) surgit opere admodum laborato et iuxtim Alexander iubet coronarias quoque opificinas adiacere, ut, quod haec bestia famulitium quoddam templis praestare uidebatur – daemon melior appellatus –, ipse quoque diuina quadam religione coleretur. Atque cum multa sint Alexandriae talia uel miranda, (950) mons quoque propter illic uisitur ex congestu quem incuriosi uetustatis naturalem etiam opinantur. Sed ea moles egestis undique terra atque ruderibus quibus fundamenta sint moenibus exhausta uacuataque eoque collatis ac superfusis huiuscemodi erecti et ardui montis magnitudinem (955) sumpsit. Omnem tamen moenium uarietatem distinxit nominibus et secreuit sub appellatione Graecorum elementorum primarumque quinque litterarum, non utique quod hoc regi sit tantummodo libitum, uerum uti ex hisce litteris sui nominis (960) perpetuitas in urbis partibus celebraretur, significante scilicet prima littera nomen Alexandri, secunda uero regis ex Graeco, tertia porro generis, quarta etiam Iouis, quinta sese fecisse. Sic enim si quis hasce quinque orationis partes usurpauerit Graeca lingua, inueniet his nominibus ac uerbis pri(965)mas has litteras fuisse praepositas, quod et Alexander Rex Genus Iouis Fecit. Sepulchro tamen draconis illius iam perfecto cum trabes quaedam qua ad gressum eius columnas impresserat casu repentino corruisset dissiluisse[n]tque, angues complus(970)culi indidem emersisse sunt uisi hique reptabundi, prout cuique ad lubentiam impetus fuit, constructarum domuum penetralia inuasere. Quod cum ipsum quoque terribile admodum uideretur, non cunctanter harioli pronuntiauere hos quoque daemonas et praesules locorum esse domibusque (975) singulis colendos pro diis penatibus tradi oportere ; eiusque mos uiuit et adhuc Alexandriae religiosus est sub penatium deorum honore et [ae]statis diebus suetus coli more religionis eiusmodi : polentam ex tritico, quod sit esui anguibus, iaciunt et coronatis optimatium mos est tem(980)plum Herois scandere cui talia scilicet anguina obsequio famulentur.

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avaler goulûment ces brassées de fine fleur, de même la ville aurait une production égale pour les citadins et les arrivants99. En tout cas, la construction d’Alexandrie commença – c’est un fait établi – par le milieu et ce que l’on appelle la Plaine Médiane en a, dans la ville, conservé le nom encore aujourd’hui100. Le gros œuvre avait débuté, quand on voit surgir un serpent d’une grandeur et d’une majesté terrifiante qui pourchassait à répétition les ouvriers. Visiblement, il ne les empêchait pas peu de travailler, qu’ils prissent peur à le voir, ou qu’ils eussent une crainte religieuse101. La nouvelle fut portée aux oreilles d’Alexandre. Le jour suivant, il ordonne que, s’il arrivait qu’on vît quelque part ce monstre abominable, tous de partout s’y précipitent ensemble pour opérer la destruction du serpent. On s’y employa et le serpent fut écrasé à l’endroit appelé maintenant le Portique102. Néanmoins au serpent fut dressé un tombeau d’une facture très élaborée et à proximité Alexandre fait s’installer des ateliers de fabricants de couronnes103. De la sorte, puisque cette bête semblait d’une certaine manière au service des temples – au reste, on l’appelait le Bon Génie –, elle serait, elle aussi l’objet d’un culte rituel à la façon d’un dieu104. Outre bien des merveilles de ce genre dans Alexandrie, se voit aussi dans les parages une colline faite de remblais. Les gens qui ne sont pas curieux de l’Antiquité la croient naturelle. Mais cette masse a été constituée des multiples apports de terre et de gravats évacués des fondations des murs, quand on les avait dégagées : ainsi entassés et répandus là les uns sur les autres, ils lui avaient fait prendre la hauteur d’une montagne abrupte105. Alexandre cependant distingue par des noms l’ensemble des diverses constructions : il les sépara, en les appelant des cinq première lettres de l’alphabet grec, non, certes, par caprice de roi, mais pour qu’à partir de ces lettres la perpétuité de son nom fût célébrée dans les quartiers de la ville106. En effet, la première lettre laissait entendre le nom d’Alexandre, la seconde, celui, en grec, de roi, la troisième indiquait la race, la quatrième, Jupiter, la cinquième signifiait qu’il était le Fondateur. Effectivement si quelqu’un utilise ces cinq éléments du discours en langue grecque, il trouvera que les lettres sont les initiales de noms et d’un verbe, à savoir : « Alexandre le roi, race de Jupiter, a fondé »107. Le tombeau du serpent était déjà achevé, lorsque l’architrave qui à l’entrée reposait sur des colonnes s’effondra soudain, disloquée dans sa chute : on voit sortir de là une multitude de reptiles qui, pour autant que l’envie les y poussait, envahirent en s’y glissant le cœur des maisons déjà bâties108. L’événement, lui aussi, semblait fort redoutable, mais les interprètes n’hésitèrent pas à proclamer qu’il s’agissait également de génies protecteurs des lieux : il fallait les recevoir dans chaque maison à l’égal de dieux pénates109. Cette coutume reste vivante et aujourd’hui encore dans Alexandrie l’animal est l’objet d’un culte, lors des hommages rendus aux dieux pénates : à jours fixes, il est usuel de le fêter selon ce rite immuable : on jette de la bouillie de froment pour nourrir les serpents et, couronnés, des notables montent solennellement au temple du Héros qu’avec dévotion desservent lesdites espèces rampantes110.

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33. Quod autem oraculum regi somnio datum quinqueuerticem fore urbem [somnio] praenuntiauisset, aduertens diligentius inuenit eius uniuersi loci esse eminentias quinque. (985) Quibus in cetero aequore extuberascentibus decus urbis est maximum constructa ara quam maxima in eo colli qui aduersim Heroos locum erigi uisitur. In ea igitur ara deo summo rerum praesidi opulentioribus sacris et religiosius operabatur cum prece tali : « Quisque tu (990) deum rex es qui praestare diceris huic terrae mundumque ipsum interminem regis, recipias quaeso sacrum hoc litantique mihi auxilio fuas rebus pacis et bellicis. » Et his dictis exta flammis ex more inferebat. Enimuero repente aduolans inuisitatae magnitudinis aquila exta quidem e manibus Alexan(995)dri praeripit, tranans uero uolatu quam tranquillissimo aeris intersitum spatium alteri cuidam arae procul exta quae praeripuerat superponit. Quem depositi locum cum quidam e speculatoribus regi nuntiasset, properato eodem uenit agnitisque extis quae sacra ales aduexerat uidet templum quo(1000)que illic uetus magnitudinis religiosae quodque aeui longinquitas superasset ac diruisset simulacrumque intrinsecus sedens ex ea materia figuratum quam dinoscere homini uirium non est. Sed propter sedentarium deum adstiterat puellaris effigies spectabili magnitudine et pulchritudine uene(1005)randa. Cumque eius religionis numina percunctaretur, sese quidem accolae certim scire renuebant, accepisse tamen traditu ueteri Iouis ac Iunonis templum illud fuisse. In eo obeliscos quoque duos uidet proceritudinis erectissimae qui adhuc Alexandriae perseuerant in Sarapis templi circumsaepto (1010) extrinsecus adsistentes, eius templi quod aetas iunior laborauit ; sed haec saxa, quos diximus obeliscos quod ad ueru ferreum saxi sublimitas quadret, insignita sunt et inscripta Aegyptiis sacris litteris. Eorum causam et originem cum requisisset, Sesonchosin regem eorum auctorem esse dicebant, (1015) qui potitus uniuersitatis ad sui monimentum esse uoluisset quod diis religiosius consecrauerat. Lectae denique per interpretem litterae continere sunt proditae huiusmodi gratiam  : «  Rex Aegypti Sesonchosis orbis potens praesuli mundi totius deo Sarapi consecrat. » (1020) Adit ergo Alexander prece maxima deposcitque uti, si ista rata esset fama quae scripta sit, sese numen illud mundi totius dominum recognosceret et idem euidentius intimaret. Ergo quietis proximo tempore [e]idem deus confessus se regi magnitudine pariter ac maiestate sic ait : «  Nonne, inquit, (1025) memineras, Alexander, sacrificantem te, cum primum exta sacris inueheres, totius mundi orbisue domino eadem te sacrauisse eiusque auxilia petiuisse ? Quae cum dicata mihi merito quoque sint meae arae transuecta, quid dubitationi relictum erat quin eum me

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33. L’oracle reçu en songe par le roi lui avait prédit que la ville aurait cinq cimes : y prêtant une attention soutenue, Alexandre découvrit que, sur la totalité du site, il y avait cinq éminences111 qui se découpaient sur ce qui, autrement, n’était qu’une plaine. Le principal ornement de la ville, toutefois, est le gigantesque autel bâti sur la colline qui se dresse à la vue, en face du site de l’Hérôon. Donc sur cet autel, il sacrifiait scrupuleusement de riches offrandes au dieu suprême, gouverneur de l’univers, tout en prononçant cette prière : « Qui que tu sois, roi des dieux, toi qui passes pour être à la tête de cette terre et régir un monde lui-même sans limites, accepte, s’il te plaît, ce sacrifice et, l’ayant agréé, sois mon soutien dans la paix et la guerre. » Cela dit, il allait jeter selon l’usage, les entrailles dans les flammes. Mais soudain un aigle à l’envergure jamais vue fond sur Alexandre, lui arrachant les entrailles des mains, puis, d’un vol tout paisible, il traverse dans les airs l’espace qui le sépare d’un second autel, plus loin et y dépose les entrailles qu’il venait d’arracher. Un des guetteurs apprend au roi l’endroit du dépôt et celui-ci se hâte d’y arriver. Il reconnaît les entrailles que l’oiseau sacré avait transportées et, en ce lieu, aperçoit aussi un antique temple aux dimensions vénérables mais que le cours des ans avait vaincu et ruiné. à l’intérieur trônait un personnage fait d’une matière112 qu’il n’est pas dans les capacités d’un homme de savoir apprécier. à côté du dieu se dressait la statue d’une jeune femme assise de grandeur spectaculaire et dont la beauté méritait les hommages. Comme Alexandre s’informait des divinités de cette religion, les habitants niaient toute certitude mais disaient avoir reçu d’une vieille tradition qu’il y avait là un temple de Jupiter et de Junon113. Il y voit également deux obélisques d’une hauteur très élevée et qui, de nos jours encore, dans Alexandrie demeurent placés dans l’enceinte extérieure du temple de Sérapis, je parle du temple dû au labeur d’une époque plus récente114. Mais ces pierres que nous appelons des obélisques, parce que leur sommet en pierre cadre avec une broche de métal115, sont décorées d’inscriptions dans l’alphabet sacré des égyptiens. Alexandre voulait connaître leurs cause et origine. On lui dit que le roi Sésonchosis116 en était l’auteur : après s’être emparé de l’univers, ce dernier voulait que perpétuât son souvenir ce qu’il avait religieusement consacré aux dieux ; par un interprète, les lettres furent déchiffrées ; elles révélèrent le contenu d’une action de grâce : « Le roi d’égypte Sésonchosis, puissant sur terre, fait cette consécration au dieu Sérapis, guide du monde entier »117. Donc Alexandre s’approche tout en prières et demande à la divinité, si la réputation que lui donnait l’inscription était vérifiée, de se reconnaître pour maître du monde entier, en s’exprimant plus clairement. En conséquence, au premier moment de repos, le dieu se manifeste au roi avec ensemble grandeur et majesté. Il dit : « Ne te souvient-il pas, Alexandre, que, lors de ton sacrifice, quand, pour la première fois, tu as porté les entrailles en offrandes, tu les offrais au maître du monde et de l’univers entier et que tu demandais ses secours ? Puisqu’à bon droit tu me les dédiais et qu’elles étaient transportées sur mon autel, restait-il à douter que je fusse cru par toi le secours élu par tes gestes

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crederes quem auxiliatorem tibi (1030) religionibus cooptasses ? » Ad haec Alexandro de urbis perpetuitate quaerenti et an nominis sui inhaesura appellatio uideretur uisus est deus manu sese apprehendisse eximque ad editum celsumque admodum montem una duxisse atque ibidem consistenti : « Potesne », ait, « o tu fortissime, molem hanc (1035) montis in diuersa transducere ? » Negitante Alexandro addidisse : « Haec ergo similitudo est eius scilicet difficultatis quam de tui nominis mutatione quaesisti. Vt enim naturae uiribus spes ista deficit quod mons tantus loco mutari queat, ita possibilitate res caret inolitum nomen tuum urbi nunc (1040) conditae olim posse mutari. » Ibi adhuc petente Alexandro ut sibi de fine uitae deus aliquid fateretur, in haec responsum est : Prae cuncta uitae commoda est mortalibus de fine certo lucis esse nescium (1045) quibusque metis fata claudantur sui. Mens quippe homulli non uidet uariantia quod haec reformet perpes aeuiternitas. Nam, si facessat casuum scientia, laeta est timoris omnis ignoratio. (1050) Quare id putato tute commodissimum si spes futuri nullo foedetur metu. Ergo hisce quae fas instruere ut praescias. Tu nam leuatus nostra praepotentia quaecumque gens sit obuia sternes manu (1055)tuncque haec reuises animo, liber artubus. Vrbs uero quam nunc erigis mundi decus nitore surget cunctis exoptabilis saeclis, uirescens temporum recursibus unaque semper fulta beatitudine, (1060) frequens deorum templis atque numine decusque uincens ciuium concordia, optata sedes uitae quale tum capit cunabulisque gratior genitalibus. (1065) Quippe ipse laetis coetibus praesul cluo interminatis saeculorum cursibus, fundata quod sit tellus hisce legibus, ridens sereno uel corusco lumine. Quippe austri solum sontibus iam libera (1070) flabris fouetur blandius spirantibus, ne quid potentum saeuitudo daemonum exim noceret imperioso numine. Est namque fatum motibus nutantibus 82

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religieux ? »118. Alors, tandis qu’Alexandre s’enquérait de la perpétuité de sa ville et si se verrait perdurer l’appellation par son nom, il vit le dieu le prendre par la main et de là le conduire au sommet d’un mont très élevé119. S’arrêtant à cet endroit, celui-ci dit : « Toi qui es si fort, peux-tu déplacer ailleurs la masse de cette montagne ? » Alexandre répondant que non, le dieu d’ajouter : « Ceci est à l’image, bien sûr, du problème que tu t’es posé sur le changement de ton nom. De même, en effet, que les forces de la nature sont privées de l’espoir de réussir à faire bouger de sa place une si grande montagne, de même fait défaut la possibilité que ton nom, enraciné dans cette ville que tu viens de fonder, puisse un jour être remplacé. » Alexandre demandait encore que le dieu lui révélât un peu de la fin de sa vie. La réponse fut alors celle-ci120 : « Pour les mortels l’avantage de la vie, avant tout, Est de ne pas savoir le terme précis de leurs jours Et les bornes qui clôturent leur destin121, Parce que le pauvre esprit humain ne voit pas que ces diversités Retrouvent forme dans une éternité sans rupture. Et de fait, si disparaît la connaissance des malheurs, On se réjouit d’ignorer toute crainte. Aussi, tiens pour très avantageux Que nulle peur n’entache ton attente du lendemain. Cela étant, instruis-toi donc de ce qui t’est permis, afin de prévoir : S’appuyant sur notre toute-puissance, Ta main abattra tous les peuples122 à ta rencontre. Alors, en esprit, tu reviendras ici, libéré de ta chair. Quant à la ville que maintenant tu bâtis, cet ornement du monde Surgira, splendide objet des vœux de toutes Les générations. Reverdissant au retour des siècles, Toujours soutenue d’une même félicité, Pleine des temples et de la majesté des dieux, Surpassant sa beauté par la concorde civique123, Elle sera pour une vie la résidence rêvée.............. .....................124. Et puis, quelle capacité ! Et comme elle plaît plus que le berceau natal ! C’est que moi-même je me glorifie de présider à la joie des unions125 Dans la course infinie du temps, Car, fondée sous de telles lois, cette terre Rit dans une pure et vibrante lumière. Désormais libérée des souffles pernicieux de l’auster, Elle se réchauffe seulement d’une brise caressante, Pour éviter que des Génies aux pouvoirs cruels Ne lui nuisent dans leur volonté tyrannique. Et certes il est du destin de cette terre instable

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telluris huius penita contremiscere (1075) famemque nosse celere perfuncta metu, tractus luales atque bella percita. Enim facessent ista ceu si somnium. Te por reges multigenarum gentium honore diuum, summo cultu exambient (1080) astris receptum caelitumque congregem, quorum frequente cultu sis beatior tuosque praestes numine augustissimo. Haec quippe sedes corpori est caelum tui. Nunc ipse quis sim mente bibula percipe (1085) nomenque nostrum hisce numeris collige : sub Graia primum bis centena littera unum repone numerum et centum dehinc unumque post id, tunc quater uiginti sint decemque iuxtim eaque sit nouissima (1090) quae prima fixa est : idque sit nomen mihi. Hoc igitur oraculo per quietem doctum Alexandrum deus cum somno dereliquit. At ille expergitus recultisque uerbis ac memoriae confirmatis hunc demum esse quem quaereret, scilicet Sarapim mundi totius dominum rectoremque confir(1095)mat. Ara igitur uel maxima maximo opere laborata largioribus sacris tam animantium stratu quam odorum profusione munificus conuiuia etiam exsequitur ibidem quam laetissima. Tum Parmenioni architecto laborandi scilicet simulacri cura mandatur, ut ne illi Homeri uersibus demutaret qui (1100) sic loquuntur : Caerula tunc cilii Saturnius adnuit arce aurea caesaries que signat motibus almis. Et Parmenion quidem iussa complet, ipse quoque non inhonorus hoc labore, quippe templum etiam nunc Sarapion Par(1105)menionis appellatur. Enimuero hactenus tibi super ciuitatis illius conditu dictum habebis. 34. Alexander porro coacto omni exercitu exim ad Aegypti ulteriora contendit classi iussa sese apud Tripolim opperiri. Sed id itiner longe laboriosissimum militi fuit quippe ob lo(1110)corum et itineris difficultatem. Omnes tamen accolae, qua perrexisset Alexander, una cum diis deorumque simulacris religiosisque operationibus obuiam pergere festinabant iuniorem Sesonchosim praedicantes. Quare, cum Memphin uenisset, inductum eum in aedem templumque Vulcani Ae(1115)gypti regni ueste dignitati sunt et sella ac sessibulo dei. Tum ibi Alexander statuam quandam nigro lapide intuetur cum illa super Nectanabo inscriptione, imperatorem scilicet eum qui fuga indidem abfuisset rursus Aegyptum reuenturum, non seniorem, 84

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Qu’en ses tréfonds elle oscille et se mette à trembler, Que vite elle connaisse, épuisée par la peur, la famine, Les pestilences qui se traînent126 et l’agitation des guerres ! Mais tout passera comme dans un songe. Pour ta part, des rois de toutes les nations, à l’avenir, T’entoureront des honneurs divins et du culte suprême, Reçu parmi les astres et compagnon des hôtes du ciel. Leur commerce permanent te rendra plus heureux Et ta volonté très auguste le fera pour les tiens. Pour ce qui est de ton corps, ce séjour vaut le ciel127. Et maintenant à ton esprit assoiffé de saisir qui je suis : Compose notre nom avec les chiffres ci-dessous : D’abord près de la lettre grecque de la double centaine, Pose le chiffre de l’unité et puis celui de cent, Ensuite l’unité suivie de quatre fois vingt, À côté la dizaine et, pour finir, la lettre placée La première128. Qu’ainsi soit mon nom. » Après avoir, par cet oracle, instruit Alexandre pendant son repos, le dieu le laisse endormi. Mais lui, réveillé, se remémore les paroles, affermit sa mémoire et se confirme que c’était bien celui qu’il cherchait, autrement dit Sérapis, le maître et guide de l’univers entier. Au prix d’une très grande peine, un très grand autel est édifié. Distribuant généreusement les offrandes tant d’animaux abattus que de parfums à profusion, il s’y acquitte, en outre, des banquets les plus fastueux. Enfin, à l’architecte Parménion, il confie le soin de réaliser la statue129, sans que rien soit changé aux vers d’Homère, lorsqu’ils disent : « Le Saturnien acquiesça du haut de ses sombres sourcils, Lui que désigne une chevelure d’or aux augustes vibrations. »130 Parménion exécute les ordres et, lui aussi, ne manque pas d’être honoré par ce travail, car aujourd’hui encore le temple s’appelle le Sérapéum de Parménion. Mais, en voilà assez dit sur la fondation de cette ville. 34. Puis Alexandre rassembla l’ensemble de son armée et partit pour l’extrémité de l’égypte, après avoir ordonné à la flotte de l’attendre à Tripoli131. Mais la route fut, et de loin, la plus fatigante faite par la troupe, à cause des difficultés du terrain et de l’itinéraire. Pourtant, là où il arrivait, avec leurs dieux, leurs images divines, leurs pratiques cultuelles, les habitants, sans exception, se hâtaient d’aller à la rencontre d’Alexandre, le célébrant comme un nouveau Sésonchosis. Pour cette raison, lorsqu’il parvint à Memphis, ils le firent pénétrer dans le temple et le sanctuaire de Vulcain132 et le jugèrent digne des vêtements royaux de l’égypte ainsi que de la chaise et du trône du dieu. à ce moment Alexandre aperçoit là une statue en pierre noire avec une inscription concernant Nectanébo : le souverain enfui d’égypte y reviendrait, non pas l’ancien, mais

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enim iuniorem, eumque fore loci illius hos(1120)tium subiugatorem. Statim igitur scripti istius causas diligentius quaerit refertque responsum hunc illum Nectanabum fuisse qui infestantibus Persis, cum deorum monitu praesciuisset fortunae suae lapsum, locum casuum declinasse ; tum sese quaerentibus ciuibus oraculum datur quod (1125) sub illa statua legeretur. Igitur Alexander his auditis inuolat statim statuae complexum ac parentem salutat eiusque filium se profitetur, ut congrueretur de responsione cum spe Alexandrum demirantium. « Vnum tamen mihi de ciuitate uestra miraculo est  », ait, (1130) « ecquid uis barbara aduersus huiuscemodi muros potuerit obtinere quos coram cerno supra humanarum manuum ualentiam pulchritudine pariter ac firmitate congestos, praesertim undique fluminibus conuallantibus, ut murorum quoque ipsorum haec sit firma munitio ; aditus porro tenues angus(1135)tique quique agminibus militaribus inuiabiles atque exim occursui perfaciles habeantur. Cuius quidem rei ipse periculum certius fecerim, quamuis huc manu parua, non congregato exercitu commearem. Enimuero haec est illa deorum aequitas ac prouidentia ut uos qui ex ubertate terrae (1140) praecluatis atque his fluminibus obuallemini eorum uiolentiam sentiatis qui ista non habeant. Quippe ad hanc opulentiam rerum si uis quoque et militare uobis exercitium adfuisset, nulla profecto gens foret quae duabus hisce Fortunae uiribus obuiaret. Est igitur ita natura descriptum ut qui ista (1145) rerum opulentia sint donati idem careant bellicis uiribus, ut, si quid illi qui armis et manibus indulgent de solo genitali indigebunt, ab huiuscemodi adfluentibus petant. » Hisce dictis exigit protinus ab Aegyptiis ut, quidquid illud pensuros sese Dario recepissent, id sibimet inferrent ; quod quidem eo (1150) se petere testatus est non ut opibus suis indidem incrementi aliquid pareretur, enimuero ut exstruendae urbis foret substantia largior. Haud cunctanter in haec Aegyptii obsequuntur datisque pecuniis et honorata deductione per Pelusium properantem uotis pariter et uero amore prosequuntur. 35. (1155) Rursus igitur recepto omni exercitu et in Syrias itinere destinato urbes eas per quas sibi transitus foret nomini suo addit ; unde mille etiam cum cataphractis uiros accipit, quod armaturae genus orientis inuentio est, ac tum Tyrum aduenit. Sed enim Tyrii moenibus obseratis ab ingressu op(1160)pidi arcere Alexandrum offirmauerunt, non contemptu scilicet uiri[um] tanti nominis, sed oraculi cuiusdam memores quo docerentur quod, si rex urbem Tyriam inuectus cum exercitu transiuisset, fortunae tunc lapsum oppido minaretur. Alexander tamen cum admolitus uiolentiam oppidum (1165) cuperet subiugare, ancipiti proelio, multis etiam Macedonum caesis ac uulneratis, pedem refert. Praeter illud igitur prius magnanimitatis suae studium iam etiam indignatione feruentior excidium Tyriis minabatur deque ea re somniat admoneri sese ne legationem sui

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un nouveau, et il subjuguerait tous les ennemis du pays133. Aussitôt avec intérêt il s’informe donc de l’origine du texte. Il apprend en retour qu’il y était question de ce Nectanébo qui, lors d’une attaque des Perses, prévenu par avis des dieux134 du déclin de sa fortune, avait évité cette occurrence du malheur. Et comme ses concitoyens le recherchaient, un oracle leur avait répondu et c’est ce qui se lisait sous la statue. à ces paroles, Alexandre se précipite sur-le-champ embrasser la statue, salue son père et s’en reconnaît le fils, afin de s’accorder sur cette réponse aux espérances des admirateurs d’Alexandre135. « Un fait, dit-il, cependant m’étonne dans votre ville : se peut-il que la force barbare ait obtenu quelque résultat contre ces murailles qui, je le vois face à moi, ont été assemblées aussi belles que solides au delà des capacités d’un bras mortel, et cela d’autant que de partout des fleuves l’entourent d’un retranchement, si bien qu’il y a là également de quoi affermir la protection de ces murs ? ; de plus, les accès étroits et étranglés sont impraticables pour des colonnes d’assaut et, au contraire, très propices à la contre-attaque. J’ai pu, à coup sûr, en faire expérience, bien que je me déplace avec une petite troupe et non la totalité de mon armée. Mais se manifestent ici l’équité et la sagesse des dieux : vous êtes fort connus pour la richesse de votre terre et ces fleuves vous servent de ceinture retranchée ; en revanche, vous avez à souffrir la violence de ceux qui n’ont pas ces avantages, car, si à cette opulence matérielle vous ajoutiez encore la force et la pratique militaire, aucun peuple, j’en suis certain, ne s’opposerait à cette double supériorité due à la Fortune. La nature a donc déterminé qu’aux gens dotés de ladite opulence fissent défaut les vertus guerrières, en sorte que, faute d’être pourvus par leur sol natal, les adeptes de l’action armée s’adressassent aux bénéficiaires de cette abondance. » Cela dit, il obligea immédiatement les égyptiens à lui apporter tout ce qu’ils s’étaient engagés à payer à Darius136. Avec cette demande, leur assurait-il, il ne se procurait pas un surplus de richesse mais accroissait les ressources destinées à la construction de sa ville. Sans attendre, les égyptiens lui obéissent en ce sens, ils versent l’argent et tandis qu’Alexandre se hâte de passer par Péluse, ils le reconduisent avec honneur, l’accompagnant à la fois de leurs vœux et d’un amour sincère. 35. à nouveau Alexandre avait récupéré toute son armée et, sa route pointée sur la Syrie, il ajoutait à sa domination les villes qu’il traversait ; de celles-ci il reçoit mille hommes avec aussi des cuirassiers, ce qui est un type de cavalerie d’invention orientale137. C’est alors qu’il arrive à Tyr, mais les Tyriens en avaient verrouillé les portes, résolus qu’ils étaient à s’opposer à l’entrée d’Alexandre  ; quoiqu’ils n’eussent aucun mépris pour un homme d’un tel renom138, ils se souvenaient, en effet, de ce que leur avait appris un oracle : si un roi se portait dans la ville de Tyr et la traversait avec son armée, il menacerait la cité de la chute de sa fortune. Cependant Alexandre qui désirait placer Tyr sous son joug recourait aux hostilités : le combat fut incertain ; même parmi les Macédoniens il y a beaucoup de tués et de blessés et le roi lâcha le pied. En sus de la passion qui déjà auparavant possédait sa grande âme, son indignation, devenue brûlante, le faisait menacer les Tyriens d’extermination ; sur ce, en rêve

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Tyrum per sese faciat : id (1170) enim animo praedestinabat. Missis igitur internuntiis litteras dat Tyriis perferendas quarum sententia haec est : « Macedonum rex, filius Ammonis Philippique, rex regum maximus Asiae seu Europae uel Libyae, Tyriis haec dicit. Equidem Graecum et imperiale uidebatur cum clementia pariter ac ius(1175)titia inuehi urbem uestram. At enim uos primi omnium exstitistis qui mihi insolentius obuiaretis. Igitur per uos ceteris etiam magisterium procurabitur quid uirium sit in Macedonum dexteris ac fortitudine ; neque enim uos iuuabit oraculi illius iactatio : transgrediar enim oppidum uestrum, sed diru(1180)tum atque disiectum. Valete, si sapitis  ; non enim ualebitis, si perseueratis.  » His litteris lectis Tyrii primates legatos protinus corripi iubent eisque mulcatis pergunt exigere tormentis quisnam eorum ipse Alexander foret. Sed de hoc, ut res erat, negitantes crucibus adfixere. His igitur incentiuis exstimula(1185)tus Alexander irruptionem oppidi acrius agitabat et rursus in somnio Satyrum conspicatur assem sibi τυροῦ[m] porrigentem eumque proiectum sese pedibus protriuisse. Quod interpretibus haud difficile in enodando fuit  : Tyrum enim proteri mox pedibus haberi principis respondere. Ex quo siue admo(1190)nitu siue impetu suo adgressus oppidum uehementius capit pariter et uastat indiscrete satis sexubus et aetatibus interemptis. Tres uero uicos quorum nauo auxilio ad operam bellicam usus erat ad magnitudinem confrequentat urbis Tripolimque appellari iubet. 36. (1195) Tyriis ergo satrapam praeficit atque inde Syriam pergens accipit litteras Darii Persae in hanc sententiam scriptas : « Rex regum et consanguineus deorum consessorque dei Mithrae unaque oriens cum sole Darius ipse Alexandro famulo meo iubeo dicoque haec. Mando tibi reuerti ad paren(1200)tes tuos, famulos scilicet meos, atque illic in gremio matris cubantem doceri uirile officium. Ad quam rem habenam Scythicam tibi et pilam loculosque cum aureis misi, quorum habena admonet te disciplinae uideri indigentem, pila uero, quod eius congruat cum tua aetatula lusitatio, non haec (1205) opera quam latrocinantium ritu cum tuis similibus es adgressus. Neque enim si omne eiusmodi hominum genus ad te pari conspiratione conduxeris, adtemptare quatereue Persarum imperium queas. Tanta quippe mihi multitudo exercituum adest ut quis promptius arenae quam nostri numeros (1210) adsequatur, auri porro argentique ea copia ut humum ipsam, si libitum est, consternere indidem possim. Quare tibi loculos auri refertissimos misi, uti, si indigebis sumptibus ad reuersionem, tibi tuisque habeas quod suffecerit. Quod si hisce monitis ac praeceptis ulterius refragare, mittam protinus qui (1215) te comprehensum huc transferant : non enim ut Philippi filius coercebere. »

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il est averti de ne pas se rendre auprès d’eux, en étant son propre ambassadeur, ce que pourtant il avait commencé par penser faire. En conséquence, il envoie des messagers, porteurs pour les Tyriens d’une lettre de cette teneur139 : « Le roi des Macédoniens, fils d’Ammon et de Philippe, très grand roi des rois en Asie140, Europe et Libye, aux Tyriens. Il me semblait d’un Grec et d’un général141 de me porter en votre ville en toute justice et clémence. Vous, au contraire, vous vous montrez les premiers de tous à me résister avec tant d’insolence. Dès lors, par votre exemple, le restant aussi apprendra à savoir ce qu’il y a de force dans le bras courageux des Macédoniens. Il ne vous servira à rien de brandir ce fameux oracle. Je m’ouvrirai un passage dans votre forteresse mais alors elle sera détruite et démantelée. Portez vous bien, si vous êtes intelligents, car vous vous porterez plutôt mal, si vous vous obstinez »142. La lettre lue, les notables tyriens font sur le champ saisir les ambassadeurs, ils les maltraitent et par la torture s’obstinent à demander qui d’entre eux était Alexandre. La réponse, comme de juste, n’ayant rien donné, ils les mirent en croix143. Stimulé par cette provocation, Alexandre poussait avec plus de mordant l’assaut contre la ville. à nouveau il rêve : il voit un satyre lui tendre un sou de fromage et, lui-même l’ayant saisi, l’écraser sous ses pieds144, ce que les exégètes n’eurent aucune difficulté à élucider : leur réponse fut qu’il était question de Tyr bientôt écrasée sous les pieds d’Alexandre. Que ce fût cet avis ou son propre élan, Alexandre redoubla d’acharnement dans l’attaque de la ville. Il la prend et en même temps la dévaste, massacrant sans la moindre discrimination de sexe ou d’âge. Quant aux trois bourgades dont la collaboration active lui avait servi à mener les opérations de guerre, il les rassemble en une grande agglomération qu’il fait appeler Tripoli. 36. Il place donc un satrape à la tête des Tyriens145 puis, continuant sur la Syrie, il reçoit une lettre du Perse Darius rédigée en ce sens : « Le roi des rois, frère des dieux, moi Darius qui siège avec le dieu Mithra et me lève en même temps que le soleil146, j’ordonne et dis ce qui suit à mon serviteur Alexandre. Je te commande de revenir chez tes parents c’est-à-dire mes serviteurs et là, couché dans le sein de ta mère, d’apprendre tes devoirs d’adulte. Ce pour quoi je t’envoie un fouet de Scythie, une balle et une cassette de pièces d’or. Le fouet indique que tu paraîs avoir besoin de discipline, la balle que cet amusement convient à ton jeune âge et non pas ces opérations entreprises en brigand avec tes semblables, car, dans une même intention, rassemblerais-tu autour de toi tous les gens de cet acabit, tu ne saurais éprouver, ni ébranler l’empire perse. De fait, j’ai à ma disposition une si grande multitude d’armées que plus vite on réussirait à compter les grains de sable qu’à le faire des nôtres et une telle abondance d’or et d’argent que je pourrais, si j’en avais l’envie, en recouvrir le sol. En vertu de quoi, je t’ai envoyé une cassette remplie d’or pour que, si vous avez besoin de dépenser pour votre retour, toi et les tiens, vous en ayez à suffisance ; mais si, à l’avenir, vous regimbez contre ces ordres et avertissements, j’enverrai immédiatement des gens pour se saisir de toi et t’amener ici : on te punira et ce ne sera pas comme fils de Philippe »147.

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37. His lectis ab Alexandro publicatisque metus plurimos quatiebat dictorum magniloquentiam contemplantes. Quod ubi Alexander mente intuitus est, in haec uerba contionatur : (1220) « O Macedones nostri, quid tandem adeo dictis barbaricis perturbamini quae adrogantiae quidem uanitatisque habeant testimonium, confidentiae uero careant probatione ? Nam et canibus imbecillioribus mos est, quanto plus defuerit uirium, tanto cristas acuere sublimius et latratibus irritatioribus in (1225)dulgere. Haec mihi uisa est competentior ad Darii iactantiam comparatio ; quod enim praestare uiribus non potest, uerbis indulget. Ego tamen aueo cuncta perinde a uobis existimari ut uerbis etiam exprimuntur. Malo enim nos praesuspectantes aliquid difficultatis animis fortius praeparatis in rem bel(1230)licam uadere quam fiducia hostium molliorum inopinatas offendere difficultates. » Et ubi haec dicta sunt, corripi internuntios iubet crucibusque suffigi. Cuius supplicii merita cum a sese barbari defensarent ac ius legationis intemeratum sibi uellent, « non », inquit Alexander, « ex sententia uel mori(1235)bus meis est forma praecepti ; enim quoniam ut ad latronem a uobis ista suscepta legatio est, uti latronis etiam uehementiam iniquitatemque sentiatis ». Tum illi nec Darium omnia pro merito eius potentiae cognouisse et se pariter opinione deceptos esse cum dicerent, magnificis uerbis eius exercitum (1240) praedicare uiresque coepere confiteri tantas, quantas si rex quoque sedulo resciuisset, moderaturum profecto uerbis fuisse. Tum Alexander neque sibi uerum interficiendorum hominum consilium fuisse profitetur et maluisse potius ostendere quid iniquitas soleat tyrannorum, quam iustitia (1245) Graeca permittat. Et post haec curari homines liberalius iubet participatque conuiuio dapsili et adfluente. Eius conuiuii tempore cum unus e numero legatorum proditionem quoque sibi regis Darii subsereret, prohibitus ab eodem est ulterius super hac re addere quam promiserat, praesertim cum is qui (1250) ista dixisset mox ad regem rediturus fortunae posset ansam improsperam dare, ne qua ab ipso quoque proditio aut proditionis causa quaereretur. «  Id enim demum ago », inquit, « non tam mei commodi cura quam uestri metuoque ne cuipiam mali semen ac principium uidear praestitisse.  » Ad haec Per(1255)sae uerbis honoratioribus gratias confitentur ; neque ultra detenti donatique omni eo auro quod secum in loculis aduexerant ad regem cum litteris remittuntur quae fuere huiusmodi : 38. « Rex Alexander patris Philippi matrisque Olympiadis (1260) regi regum et consessori dei Mithrae simulque cum sole orienti, maximo Persarum domino Dario salutem dicit. Turpe mihi admodum uideri solet tantum regem Darium et hisce uiribus consitum deorumque, ut praedicat, consessorem, sub dicionem homullorum, ut retur, contemptibilium deuen(1265)turum et inter eos abiecto cuidam ac latroni Alexandro

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37. Alexandre lut la lettre et la publia ; la crainte secouait un bon nombre qui considéraient la grandiloquence du discours. Dès qu’il s’en aperçut, Alexandre les harangue ainsi : « Chers Macédoniens, pourquoi tellement vous troubler de paroles de barbares qui portent témoignage d’arrogance et de vanité mais sont dépourvues de toute raison d’y croire ? Souvent les chiens, quand ils ont moins de nerf, hérissent plus haut le poil148 à proportion de leur manque de vigueur et les aboiements auxquels ils s’abandonnent deviennent plus coléreux. Cette comparaison me paraît particulièrement adaptée à la jactance de Darius, car, là où il ne peut parvenir de vive force, il s’abandonne au verbiage. Pourtant je désire que vous preniez le tout au sens littéral. Je préfère en effet, que, soupçonnant à l’avance quelque chose de difficile, nous allions à la bataille, l’esprit bien fortement préparé, plutôt que de tomber sur des difficultés inattendues, pour avoir cru à trop de mollesse chez l’ennemi. » Et cela dit, il ordonne de saisir les courriers et de les mettre en croix. Comme les barbares se défendaient d’avoir mérité ce supplice et qu’ils réclamaient pour eux l’inviolabilité des droits de l’ambassade, Alexandre leur dit : « Cet ordre n’est conforme ni à mes sentiments ni à ma conduite, mais puisque l’ambassade dont vous êtes en charge s’adresse à un supposé brigand, à vous d’éprouver aussi les violences et l’iniquité du brigandage »149. Ils dirent alors que Darius ne savait pas tout ce que méritait la puissance d’Alexandre et qu’eux mêmes, à son instar, avaient eu les idées faussées ; ils entreprennent dans un discours pompeux l’éloge de son armée et confessent que ses forces étaient d’une importance qui, à condition que Darius, lui aussi, en eût été sérieusement informé, lui aurait fait, sans nul doute, modérer son langage. Aussitôt Alexandre reconnaît qu’il n’avait pas eu vraiment l’intention de les tuer et que sa préférence avait été de montrer l’habituelle iniquité des tyrans plutôt que ce que tolère la justice des Grecs150. Ensuite il fait dispenser à ces gens des soins très généreux et les convie à un banquet d’une abondance fastueuse. Au cours de ce banquet, un des envoyés enchaîne en secret sur la livraison du roi Darius, mais Alexandre lui interdit d’ajouter plus avant à ses promesses, d’autant que l’interlocuteur, sur le point de repartir chez Darius, pourrait donner au sort une fâcheuse occasion. Aussi voulait-il éviter que du côté perse aussi la trahison ou ce qui l’aurait motivée ne fût l’objet d’une enquête151. « En définitive, dit-il, lorsque j’agis de la sorte, je me soucie moins de mes intérêts que des vôtres et redoute de paraître avoir semé et provoqué le malheur de quelqu’un. » En termes louangeurs les Perses, à ces mots, confessent leur reconnaissance ; ils ne sont pas davantage retenus et, après avoir été gratifiés de tout l’or qu’ils avaient apporté dans leurs coffres152, ils sont renvoyés au roi avec la lettre suivante. 38. « Le roi Alexandre, fils de Philippe et de sa mère Olympias153, au roi des rois qui trône de concert avec le dieu Mithra et se lève en même temps que le soleil, à Darius, le maître souverain des Perses, salut. Depuis toujours ce me semble une véritable honte que Darius, un si grand roi, issu de telles puissances et, prétend-il, le commensal des dieux aille tomber au pouvoir d’homuncules jugés par lui méprisables et, parmi eux, soit amené à servir ce vil brigand

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seruiturum. Quippe ista magnificentia nominum ubi semel cuipiam sit persuasa, corpora membratim uel spiritus eriguntur imprudentius. Magno dolori tibi fore ista quae pronuntiantur intellego ac, si superna caelitum uis abusione huiusmodi in (1270) ultionem contumeliae suae facile consurgit, equidem spero priora esse quae spondeo quam quae tu minaris. Quare adero ut mortalis mortalem uiolentiam experturus inclinationisque eius uis ac potestas est penes superos. Nam illud quaeso te : quorsum tantopere congestu[m est] auri et ar(1275)genti opibus aestuare ? An ut his cognitis, si modo eorum amor nobis est, spe praedae obstinatius et audacius dimicaremus ? Atque hinc fiat ut superato te hinc quidem nobis in commune quaestus et emolumentum uictoriae fiat, mihi uero istud, quo tute gloriare, Persidos cunctae orbisque to(1280)tius accedat imperium ? Sin tibi fauerit, nihilum amplius quam oppressum latrocinium gratulare. Adde nunc illud, misisse te mihi habenam unam uel pilam loculosque auri refertos ; de quibus quamuis tu quae uisa fuerint dictitaris, ego tamen mihi ut auspicato cuncta ex te concessa ac (1285) sponsa profitebor. Accepi enim habenae scilicet potestatem, uti habeam qua in subiectos uti scientius possim ; pilae uero simulamen, quoniam ex ambitu sui et rotunditate orbis imago uideatur, haud dubie mihi uniuersitatis ipsius per te imperium repromittit ; quodque hic tertium est, loculos ego (1290) auri ac si opum tuarum factam mihi accepi cessionem subiectumque te uiribus meis annuum istud mihi fore pretium seruituti depensurum. » 39. His igitur litteris palam lectis atque signatis redire internuntios iubet. Ipse tamen omni mox Syria superata ac re(1295)dactis eius gentibus in potestatem ad Asiam ire contendit. Enimuero acceptis Alexandri litteris rex Darius eisque grauius et adrogantius motus ad satrapas suos ultra Taurum regentes talem continentiam scribit : nuntiatum sibi Alexandrum Philippi, insanientem admodum adulescentem, Asiam (1300) incursantem. Igitur sese oportere eum protinus obuiantes compeditum ad sese dirigere ; esse enim regi consilium uti adfectus uerberibus puerilibus amictusque post ueste purpurea cum talis et crepitaculis matri reddatur : sic enim Macedonum pueros lusitare. Tum fore ut, cum illi praefectus ad (1305) obseruantiam disciplinae Persa aliquis comitaretur, uirile officium rectius disceret. Igitur oportere satrapas quidem classem eius una cum nauitis alto submergere, milites uero cunctos ferro uinctos ad Rubri maris ulteriora transduci, ut illic colere iuberentur ; equos ceteraque militum impedi(1310) menta sibi ipsos habere priuos amicisque largiri. Sed hisce litteris nihilum ad impetum satrapae moti regi respondent : « Hystaspes et Spinther deo Dario salutem dicunt. Miramur satis latuisse te, rex, tantae multitudinis impetum superuenire nostratibus, qui quales quantique sint quo facilius no(1315)scitares, quinque quos forte indidem captos haberemus uinctos

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d’Alexandre. En réalité, ces titres magnifiques, une fois qu’ils ont été mis dans la tête de quelqu’un, le gonflent de partout, corps et âme, inconsidérément. à mon avis, ces appellations te causeront une grande douleur et, si aisément de pareils abus font se dresser la puissance suprême des cieux pour se venger de l’offense subie, j’ai bon espoir que mes vœux devanceront tes menaces. Par conséquent, en mortel, je serai prêt à éprouver la violence du mortel, mais la force et le pouvoir qui, en ce cas, font pencher résident chez ceux d’En Haut, car, je te le demande, à quoi bon brasser à ce point des tas d’or et des monceaux d’argent ? Serait-ce que le connaissant – et si du moins nous en avions la passion –, nous aurions au combat plus d’acharnement et d’audace dans l’espoir de ce butin ? En résulterait-il qu’avec ta défaite, nous autres, en commun, obtiendrions les gains et profits de la victoire, et moi, en particulier, cet empire sur la Perse et le monde entier, duquel tu te glorifies ? En revanche, si le sort te favorise, tu n’auras à te féliciter que d’avoir écrasé un brigand. Et maintenant, dis-moi encore : tu m’as envoyé un fouet, une balle et des coffrets remplis d’or. Tu as beau répéter ce qui t’en semble, pour ma part, je l’exprimerai clairement, tout ce que tu m’as concédé et promis a valeur de présage en ce qui me concerne : pour avoir reçu le pouvoir du fouet, j’aurai les moyens d’agir à meilleur escient vis-à-vis de ceux que j’assujettirai154 ; la balle, à cause de la ressemblance, puisque l’arrondi de son pourtour semble en faire une image du monde, sans nul doute me promet en échange, grâce à toi, la souveraineté de l’univers155 ; quant à ce troisième cadeau, j’ai reçu les coffrets d’or, comme si tu me cédais tes richesses et que, soumis à ma puissance, tu devais chaque année me payer ce tribut de ta servitude »156. 39. La lettre lue publiquement et scellée, il ordonne le retour des courriers. Lui-même l’emporte bientôt sur l’ensemble de la Syrie et, après en avoir réduit tous les peuples sous sa domination, il hâte sa marche vers l’Asie. Le roi Darius avait reçu la lettre d’Alexandre et dans sa superbe en fut gravement ému. Il écrit donc en ces termes à ses satrapes en poste au-delà du Taurus157. On lui annonçait qu’Alexandre, fils de Philippe, un jeune homme complément fou, attaquait l’Asie. Il importait, par conséquent, de lui barrer incontinent le passage et de le lui envoyer entravé ; le roi avait, en effet, décidé de le rouer de coups comme un enfant, puis de le revêtir d’un habit de pourpre158 et de le renvoyer à sa mère avec des dés et des crécelles, car c’est de cette manière qu’ont coutume de jouer les petits Macédoniens ; de plus, un préfet perse l’accompagnerait pour surveiller son éducation et, de la sorte, lui apprendre plus correctement ses devoirs d’adulte. Les satrapes doivent donc couler au fond de l’eau sa flotte, marins compris ; les soldats, eux, seront tous mis aux fers et transférés dans les régions au-delà de la mer Rouge pour y recevoir l’ordre de les cultiver159 ; les chevaux et le reste de l’équipement militaire seraient leur propriété personnelle et des cadeaux pour leurs amis. Mais à cette lettre, sans s’ébranler le moins du monde pour l’assaut, les satrapes répondent au roi : « Hystaspes et Spinther saluent le dieu Darius160. Nous sommes assez surpris, ô roi, que t’ait échappé la multitude dont les assauts ont fondu sur les nôtres ; pour que tu saches mieux sa nature et son importance, nous t’envoyons, sous les chaînes, cinq des leurs que par

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transmisimus non ausi eorum ultra aliquid adinquirere quae sint fortassis melius regi praescitui. Boni igitur consules quamprimumque cum exercitu uel potentissimo eidem obuiabis. » (1320) Sed ne sic quidem abiciendam molliendamue Darius adrogantiam putat, enim respondet ducibus memoratis ultra illis spem uitae agendae iam deponendam, si modo creditis sibi finibus abscessissent. Quippe uirtutes hosticas magnifice exsecutos nihilum periculi monstrauisse quo reapse scire (1325) Macedonum fortitudinem potuissent. « Ecquem enim uulneratum », inquit, « uestrum quemue interemptum audiens hoc coniectem ? » Nihil igitur superesse quam uti probro fuisse eiusmodi duces Persarum regno sentiret. 40. Sed inter haec iam Alexandrum iuxtim posuisse castra (1330) noscit propterque uicinum fluuium mansitare. Igitur ad ipsum rursus et nominum adrogantiam et deorum consortium sibi uindicans gentiumque se centum atque uiginti dominum praedicans ita scribit : « Latuitne te solum, Alexander, Darii nomen honosque ille quo nos donat atque participat supera (1335) maiestas ? Eoque ausus es transmisso mari Persas ueluti hostis appellere, non beatissimum ratus si contentus imperio Pellae ac Macedoniae secessu audaciam tuam inter proximos iactitares  ? Enimuero usurpas et regium nomen et congregata tibi ad societatem sceleris parilium conspiratione hos(1340)tem te nostri profiteris, cui quam longe praestantius foret id inter Graeculos iactitare ! Quos Graecos fere ut inutiles nec necessarios Persarum regna non quaerunt. Sat igitur habeo uel hoc tantum imprudentiae signum quod ratus nos uestratibus similes huc contendisti. Quin ergo errata corriges nec (1345) des huiusmodi facinoribus incrementum. Est enim scire nos, quibus deorum pariter et prudentia et dignitas fauet, peccatis istis ut hominum subuenire. Censeo igitur ut adorandum me uenias, ne contra inobsequens poenam pro uenia merearis. Quod ut tibi ratum sit, Iouem iuro et parentes (1350) meos omnem tui iniuriam protinus e meo pectore recessuram. » 41. Et haec quidem scripta regis Alexander legerat. Enim ulterius non uerbis, sed gladio agendam rem ratus per Arabiam exercitum ducit atque in aequore, quod agendae rei op(1355)portunius uidebatur, aciem extendit. Qua inspecta Darius spem primam eamque uel maximam in falcatis curribus ponit, qui, ut facilius aciem hostium incursarent, a latere collocantur. Sed id consilium Persae disici Alexander facilius opinatus incurrentibus curribus per acies phalangasque lo(1360)cum transitui pandi praedicit tumque in transuehentes peditum suorum iacula torqueri ; eoque perfectum est ut breui omnis ille curruum numerus teneretur una equis et aurigantibus fixis. Igitur sedata formidine quam Persae de curribus intentauerant aequatum omne proelium uidebatur. Agebat (1365) porro

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hasard nous avons pris, sans oser les interroger plus avant sur ce dont, semblet-il, il vaut mieux que le roi soit le premier informé. Réfléchis donc et le plus tôt possible, avec la plus puissante de tes armées, tu lui barreras le passage. » Cependant, même dans ces conditions, Darius ne juge pas nécessaire de rejeter sa superbe ou de l’atténuer161, car il répond aux susdits généraux qu’ils doivent désormais renoncer à l’espoir de survivre, pour peu qu’ils se soient éloignés des territoires qui naguère leur avaient été confiés. Bien que leur récit ait magnifié les qualités de l’ennemi, ils n’ont montré aucun péril réellement propre à révéler la force macédonienne. « Un de vous est-il blessé ou mort pour que, vous écoutant, j’en fasse la conjecture ? » Par conséquent, il ne lui reste à lui Darius qu’à ressentir l’opprobre qu’ont jetée de tels généraux sur le royaume de Perse. 40. Mais entre-temps, il apprend que déjà Alexandre a posé son camp à proximité et qu’il s’installe le long du fleuve voisin162. Derechef il revendique donc ses titres arrogants et le compagnonnage divin ; se proclamant le maître de cent vingt nations, il écrit ceci : « Es-tu le seul, Alexandre, auquel soient inconnus la renommée de Darius et l’honneur dont nous gratifie en partage la majesté suprême ? En es-tu venu, après la traversée des mers, à oser aborder la Perse en ennemi, sans t’estimer le plus heureux de tous, si, te contentant du gouvernement de Pella163 et de cette Macédoine isolée, tu te vantais de ton audace au milieu de tes proches ? Mais tu usurpes le nom de roi et maintenant que la conspiration a rassemblé tes semblables dans une association criminelle, tu te proclames notre ennemi, alors qu’il serait de loin préférable de réserver tes vanteries à tes petits Grecs, ces Grecs que le royaume de Perse ne recherche pas, vu qu’ils sont quasiment inutiles et pour lui d’aucune nécessité. À elle seule, cette marque d’inconscience me suffit, que tu aies poussé jusqu’ici, en nous croyant de même nature que les vôtres. Tu vas dès lors corriger tes erreurs et ne pas donner de prolongements à des méfaits de ce genre, car il est à le savoir : favorisé de la sagesse comme de la majesté des dieux, nous remédions à ces fautes en tant qu’elles sont humaines. Je décide donc que tu viennes m’adorer, pour éviter que ta désobéissance, à l’inverse, mérite un châtiment164 au lieu de l’indulgence. En gage d’assurance, je jure par Jupiter et mes parents qu’aussitôt toutes ces injures me quitteront l’esprit. » 41. Alexandre avait lu la lettre du roi, mais désormais, pensait-il, il devait agir par l’épée et non plus avec des mots. Il conduit son armée à travers l’Arabie et, dans une plaine165 qu’il jugeait mieux adaptée à l’action, il aligne son front de bataille. Après observation, Darius met son espoir principal et majeur dans les chars à faux qu’il place de flanc, pour qu’ils fondent plus facilement sur la ligne ennemie. Mais cette tactique du Perse, de l’avis d’Alexandre, n’est pas difficile à déjouer ; il enjoint d’ouvrir à l’élan des chars un espace au travers de la rangée des phalanges, puis de retourner sur eux, quand ils passeront, les traits de l’infanterie166. Il en résulta que vite toute la masse des chars fut contenue, chevaux et auriges étant à la fois transpercés. Dorénavant la crainte que suscitait la menace des chars perses s’était apaisée et le combat, dans son ensemble, semblait retrouver l’équilibre. à l’aile droite, c’est-à-dire face à la gauche des

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Alexander in dextro cornu, quod laeuo scilicet Persico obuiabat. Inscenso igitur equo signum increpari bellicum mandat unaque coeuntium clamor adtollitur ancipiti satis proelio ac diuturno. Cum interea sinistrum cornu Macedonum a Dario, qui in dextris suorum agebat, ui maiore pelli (1370) conspicatur implicatosque ordines uniuersos non tam discriminum necessitate quam multitudinis inconsulto, suppetiari laborantibus properauerat. Exim pari utrimque oborta caede cum spes exitus fluctuaret, repentino forte imbri procidente uel aduersari sibi caelitus id Persae interpretati uel ad ele(1375)menti eius iniuriam molliores fuga facessunt unaque his Amyntas Macedo, Antiochi filius, qui olim transfuga Darii amicitiam captauerat. Quippe fugientibus et tempus horae blandiebatur, quod uesperascens foeditatem fugientium pariter et periculum protexisset. Darius tamen ratus delica(1380)tiore illa fuga et uehiculo regali periculum se deuitare quodque e suggestu regiae turris promptius conspicabilis foret, currum quidem in loca quaedam abdendum mandat et auertendum, ipse autem equo conscenso properantiae consulit. Sed enim Alexander hanc sibi peculiarem gloriam petens, (1385) si rex fugiens comprehenderetur, animosius insecutus currus quidem armaque regalia matremque una et uxorem cum uirginibus filiabus emensis stadiis sexaginta comprehendit ; ipsum uero Darium non minus tenebrosior nox quam cursus uelocitas liberauerat, quippe iam primum in haec et huiusce(1390)modi fortunaria dispositis equis et itinere prouiso. Macedones uero potiti uictoria in castra Persica migrauere unaque Alexander tentoriis regiis superueniens expertus ibi primum est una cum militibus suis Fortunae illius ac Victoriae emolumentum. Neque mage uspiam continentis animi moderamen (1395) Alexander potuit ostentare quam quod in hoc Fortunae fauore ex aequo suae atque aduersae partis iniit rationem, non secus scilicet probatis hostium nauioribus qui pro patria fortiter oppetissent quam si quis suorum strenuus exstitisset. Cunctos igitur quos in bello nobilitauerat militiae experimen(1400)tum et mors inclitos fecerat inquiri prostratos et magnifice sepeliri et sepulchris honorari iubet. Matrem porro Darii una uxore filiabusque cultu regio prosequebatur ac, si qui praeterea in potestatem hostium deuenissent, fortuna pristina donabantur. Enimuero cecidisse tunc Macedonum satis constat (1405) peditum quidem septingentos, equitum porro centum et sexaginta, sed uulneratorum numerum in duobus milibus exstitisse. Contra Persarum desiderata quidem centum et uiginti milia, praedae autem una seruitiis pecuisque uel quam uehebant pecunia fuit talenta quattuor milia. 42. (1410) Sed Darius fuga reuersus longe auctiore numero contracto in Alexandrum moliebatur suisque undique conuenire, in quantum manus armari potuerat, iubet. Id tamen comperiens Alexander ex hisce

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Perses, Alexandre poussait en avant. Monté à cheval, il fait retentir le signal de l’assaut et simultanément s’élèvent les clameurs de ses compagnons pour un combat qui se prolonge plutôt dans l’ambiguïté. Entre-temps, l’aile gauche des Macédoniens était repoussée par les forces supérieures de Darius qui s’activait sur la droite de son armée ; partout les lignes s’enchevêtraient, non tant qu’y obligeât la situation critique qu’à cause de cette multitude désordonnée  : Alexandre le constate et il se hâtait au secours des siens en difficulté. Ainsi, de chaque côté, la tuerie avait commencé et sur l’issue les espoirs restaient incertains, lorsque soudain il arriva que la pluie se mit à tomber. Que les Perses y aient vu une défaveur du ciel ou qu’ils fussent moins résistants aux injures des éléments, les voilà empressés à fuir et, en leur compagnie, le Macédonien Amyntas167, fils d’Antiochus, lequel avait naguère déserté, se gagnant l’amitié de Darius. De fait, le jour, à cet heure, était aussi propice aux fuyards, car, en s’assombrissant, il couvrait la honte desdits fuyards, comme il les protégeait des périls. Néanmoins Darius juge préférable d’éviter ce qu’a de périlleux cette fuite trop à l’aise sur son véhicule de roi, vu également que, du haut de l’estrade royale, il est plus vite repérable  ; il ordonne donc de cacher le char dans des lieux à l’écart et, enfourchant un cheval, ne pense qu’à faire diligence. Mais Alexandre, à la recherche de cette gloire particulière que serait la capture d’un roi en fuite, s’acharnait dans sa poursuite ; au bout de soixante stades, il se saisit des chars, des armes de Darius, de sa mère, de sa femme et de ses filles adolescentes168 ; pour sa part, le roi s’était échappé grâce à la nuit noire et aussi à la rapidité de sa course, car, dans une éventualité telle que celle-là, il avait dès l’abord préparé des chevaux et prévu un itinéraire. Maîtres de la victoire, les Macédoniens se transportèrent dans le camp perse ; Alexandre les rejoignit dans les tentes royales, profitant alors avec ses soldats pour la première fois des avantages de la Fortune Victorieuse. Et, en nulle autre occasion, Alexandre ne put mieux manifester le contrôle et la maîtrise de lui-même, puisqu’au milieu de ces faveurs de la Fortune169, il tint compte avec équité de son parti et du parti adverse. C’est ainsi qu’aux plus valeureux des ennemis, tombés courageusement pour leur patrie, il accorda autant de considération qu’à ceux des siens d’une bravoure manifeste. Tous les combattants ennoblis dans l’épreuve des armes et qu’illustrait leur mort furent recherchés sur le champ de bataille  ; ses ordres leur accordèrent de somptueuses funérailles et les honneurs d’un tombeau. En outre, il entourait la mère de Darius, sa femme et ses filles des égards dus à la royauté et les autres venus au pouvoir de l’ennemi reçurent le bénéfice de leur condition antérieure. Si les pertes macédoniennes s’avérèrent alors de sept cents fantassins et de cent soixante cavaliers, le nombre des blessés s’élevant à deux mille, on déplora chez les Perses la disparition de cent vingt mille hommes ; en esclaves, en bêtes de somme, en numéraire que celles-ci transportaient il y eut globalement un butin de quatre mille talents170. 42. Mais Darius revenait de sa fuite et s’ébranlait contre Alexandre, après avoir réuni des forces bien supérieures en nombre ; de partout il convoque les siens, avec autant de troupes qu’on avait pu en armer. Alexandre l’apprend des

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exploratoribus qui in dicionem Macedonum deuenissent omniaque illa Darii milia iux(1415)tim Euphraten castra posuisse, ipse quoque ad Scamandrum, ducem suarum partium quique curabat tunc Macedoniam sese profecto, scribit omnis phalangas quas armare aut si quid praeterea in auxiliis uirium foret propere admoliretur, neque enim hostis longius adsidere. Quae dum pro (1420) commodo festinantur, ipse una exercitu Achaia peragrata multisque praeterea ciuitatibus receptis aut quaesitis etiam centum et septuaginta milia collegit armatorum Taurumque transducit. Tumque summo in culmine Tauri montis hasta defixa dixisse fertur, quisque illam rex milesue Graecus aut (1425) barbarus humo euellere ausus foret, edictum sibi urbis ac patriae suae sui[s]que excidium meminisset. Ipse tamen ad ciuitatem Pieriam, quae Bebryciae urbs habetur, iter exim facit ; qua in urbe et templum opiparum et simulacrum Orphei erat admodum religiosum. Ibidem Musae (1430) etiam Pierides consecratae uidebantur unaque omnigenum figmenta uiuentium Orphei musicam demirantia. Cum igitur admirationis studio simulacrum illud Alexander intueretur, sudor repente profluere et per omne simulacri illius corpus manare uisus non sine admiratione uidentium fuit. Motus (1435) ergo portenti nouitate coniectatorem uel celebratissimum Melampoda sciscitatur quid tandem ille sudor sibi simulacri minaretur. Tum ille  : « Sudor sane largus laborque, ait, quam prolixus tibi quoque in his rebus praesentibus, o rex, erit  ; quippe et gentium peragratio et operum difficultates tete ma(1440)nent, quod illi quoque Orphei fuit, qui peragrans urbes Graecas ac barbaras ad fauorem sui animos admirantium flexerit. » Hisce auditis Alexander honore quam largo Melampoda muneratur. Eximque in Phrygiam uenit atque illic Hectora Achillenque unaque alios heroas diuum honore participat. (1445) Praecipue tamen Achillen ueneratur ac rogat uti sibi et ipse faueat et dona quae ferret dignanter admittat ; haec enim a sese non ut ab externo ac superstitioso, uerum ut consanguineo ac religioso dedicari : Hinc primus exstat Aeacus Iouis proles (1450) atque inde Peleus Phthiae regna possedit, quo tu subortus inclita cluis proles, Pyrrhusque post id nobile adserit sanguen, quem subsecuta est Pieli fama non dispar, Pielique proles Eubius dehinc regnat (1455) Post Nessus ardens excipit domus nomen Argusque post id qui potens fuit Xanthi ; ex hoc Aretes nobilis genus ducit. Areta natus Priami nomen accepit, Tryinus unde et Eurymachus post illum, 98

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éclaireurs qui étaient passés sous l’autorité macédonienne : tous ces milliers d’hommes de Darius avaient établi leur camp à proximité de l’Euphrate171. Lui aussi écrit alors à Scamandre172, un général de son bord qui, pour l’heure, après son départ, prenait soin de la Macédoine. Il lui demande de mettre rapidement en mouvement toutes les phalanges susceptibles d’être armées, de même que les renforts qu’il trouverait chez les auxiliaires, car les ennemis n’étaient plus stationnés bien loin. Pendant qu’on se hâte au mieux, il parcourt en armes, quant à lui, l’Achaïe173 ; ayant, en outre, soumis ou sollicité de nombreuses cités, il réunit cent soixante-dix mille recrues qu’il conduit au-delà du Taurus. Au sommet de la chaîne taurique, il plante une lance, raconte-t-on, en disant que, quiconque osera l’en arracher, roi ou soldat, grec ou barbare, aura à se souvenir qu’il prononçait la destruction de sa ville natale et la sienne propre. Puis il fait route vers la cité de Piérie, une ville de Bébrycie174 : dans cette ville, il y avait un temple magnifique et la statue fort vénérée d’Orphée. On voyait aussi dans ce sanctuaire les Muses Piérides jointes aux représentations de toutes sortes d’animaux en admiration devant la musique d’Orphée. Tandis qu’intéressé, Alexandre jette donc sur cette statue un regard admiratif, brusquement de la sueur parut couler et se répandre sur tout le corps de la sculpture175. Le spectacle était étonnant. Emu par l’extraordinaire du présage, Alexandre s’enquiert auprès d’un devin, le très célèbre Mélampus : Quelle menace représentait pour lui cette statue qui sue ? L’autre répondit : « Ô roi, pour toi aussi, présentement beaucoup de sueur et un labeur bien long, car t’attendent des marches à travers les pays et de difficiles entreprises, ce qui fut également le cas d’Orphée, qui marchait par les villes de Grèce et de Barbarie, en inclinant en sa faveur les esprits admiratifs. »176 L’ayant écouté, Alexandre récompensa Mélampus par les honneurs les plus généreux, puis il vint en Phrygie et là il associe Hector, Achille et avec eux d’autres héros à des honneurs divins177. Il vénère surtout Achille et lui demande de le favoriser, en acceptant comme il convient les dons qu’il lui apporte ; ce ne sont pas, en effet, les offrandes d’un étranger superstitieux, mais celles d’un dévot lié par le sang : « De là le premier à se présenter est éaque, le fils de Jupiter, Puis Pélée posséda les royaumes de Phthie, De lui, son glorieux fils, tu es réputé être né. Et après quoi Pyrrhus revendique ce sang noble Et lui succède Piélus, d’une gloire non moindre. Fils de Piélus, Eubius règne à son tour ; Après, l’ardent Nessus recueille le nom de la Maison, Après, Argus qui fut puissant à Xanthe. De lui la noble Arété tire son ascendance. Le rejeton d’Arété reçoit le nom de Priam D’où Tryinus et, après lui, Eurymaque,

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(1460) ex quo Lycus fit diues et dehinc Castor. Castore natus est Dromon, qui dat Phocum, atque hinc suborta est Metrias, quae suscepit Neoptolemei nominis uicem dignam, cui substitutus Charopus. Hic Molossorum (1465) regni potitus auctor exstitit stirpis nostrae eritque uiscus inclitum matris, e qua subortus uestro sanguini adnector. Quaesoque nomen adseras tuum nobis (1470) bellisque praestes gloriasque subtexas uelut feracis seminis fructum, quod cuncta late spatia terrae peruadat, unaque metis nostra fac Phaetonteis regna explicari mundus adserat cunctus. (1475) Haec precatus in istum Alexander modum ibidem flumen Scamandrum cum uideret clipeumque Achilli templo Herculis consecratum, nec aluei illius latitudinem demiratus nec magnificentiam clipei pondusue famosum, « o te beatum Achillem », fertur saepe dixisse, « qui Homero praedicatore (1480) celebraris ! » His auditis ab eodem cum multi admodum litterati studio eius erga amicos religioneue tracti iter eius prosequerentur parique sese stilo opera sua prosecuturos esse promitterent, optasse se dixit uel Thersitem apud Homerum mage quam apud scriptores eiusmodi Achillem putari ma(1485)luisse. Huc usque tamen comes eius itineris ac laboris mater Olympias fuit. Sed exim participato conuiuio cum illam ad Macedoniam remisisset, dat una ducere comitatum spectabilis multitudinis optimatium captiuorum ; ipseque deuertens (1490) iter institit ad Darium. 43. Igitur cum sibi per urbem Abderam transitus foret, obseratis urbis suae claustris Abderitae eum ne reciperent offirmauerant. Id contumeliam ratus et conuenire protinus milites et urbem illam igni uastare mandauit. Sed legatione (1495) Abderitae docent sese illud non odio contemptuue Graeci regis eiusque iustissimi factitare, enim metuere impetum barbarorum motusque Darii inconsultiores ; cui si potestatis aliquid in sese relictum foret, non absque poena Abderitum fore quod Alexandrum in amicitiam contra Persae com(1500)moda receptassent ! « Igitur reuerso tibi », aiunt, « et uictori parebimus. » Ad haec rex illum quem conceperint de Dario metum abicere supplices iubet neque ulterius eius uim atque impotentiam formidare. Nunc tamen se uelle respondit urbem quam confidentissime reserent, se in praesenti oppidum (1505) haud ingressurum. « Enim cum reuenero », inquit, « non hospes et amicus uobis ero. » 100

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Duquel procèdent le riche Lycus et, par la suite, Castor. Castor engendre Dromon qui donne Phocus. Il en naît Métrias de laquelle est issu La digne succession du nom de Néoptolème. Son successeur fut Charopus : maître Du royaume de Molosses, il s’est présenté le fondateur De notre lignée.... ...et glorieuses seront les entrailles de ma mère : D’elle je suis né, en me rattachant à votre sang. Je te le demande, attache-nous ton nom Par le don d’une suite de glorieuses campagnes, Comme les fruits d’une semence féconde... Qui partout largement se répandent à la surface de la terre Et fais déclarer à tout l’univers que l’étendue De notre royaume n’a pour bornes que celles du Soleil. » Après cette sorte de prière, Alexandre aperçoit en ce même endroit le fleuve Scamandre ainsi que le bouclier qu’Achille avait consacré dans le temple d’Hercule. Ni sa large courbure, ni sa splendeur, ni son poids fameux ne l’impressionnent178 : « Que tu es heureux, Achille, répéta-t-il, à ce qu’on dit179, d’avoir Homère pour te célébrer dans ses chants ! »180. Ce qu’entendant de sa bouche, beaucoup de bons lettrés qui accompagnaient sa route –  que les entraînât la passion qu’il montrait à ses amis ou que ce fût un sentiment pieux –, promettaient que leurs stylets seraient de façon analogue les compagnons de ses exploits. Mais il répliqua que même le Thersite d’Homère181 lui allait mieux qu’un Achille chez ce genre d’écrivains. Jusqu’à ce moment, sa mère Olympias182 avait partagé sa route et ses peines. À partir de là, après un banquet pris ensemble, il la renvoya en Macédoine, lui donnant à conduire avec elle l’admirable cortège d’une foule de dignitaire captifs. Lui-même changea de chemin, aux trousses de Darius. 43. Il passait donc par Abdère, lorsque les citadins verrouillèrent les portes de leur ville, en s’obstinant à ne pas le recevoir. Alexandre y vit une offense et sur le champ il ordonne aux soldats d’aller en nombre mettre la ville à feu et à sang. Mais une ambassade des Abdéritains lui apprend que la cause de leur geste n’est ni la haine ni le mépris d’un roi grec, de surcroît très juste : ils craignent en fait l’assaut des barbares et les réactions incontrôlées de Darius. Si contre eux on laissait un pouvoir à ce dernier, ce ne serait pas sans dommages qu’à l’encontre des intérêts de Darius Abdère aurait reçu Alexandre en bonne amitié. « Par conséquent, disent-ils, nous t’obéirons, quand tu reviendras en vainqueur. » Sur quoi Alexandre d’inviter les suppliants à rejeter la crainte qu’ils ont conçue de Darius et à ne plus redouter sa violence tyrannique. Pour l’instant, leur répond-il, sa volonté était qu’ils ouvrissent la ville en toute confiance, à présent il n’y pénétrerait pas. « Mais, ajouta-t-il, quand je reviendrai, je ne serai pas pour vous un hôte amical. »183

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44. Hisce dictis iter ad Euxinum tendit omnesque sibi urbes eius litoris uindicat. Equestri denique Neptuno sollemniter operatus ad Maeotim paludem uenit asperam satis et inuia(1510)bilem prae rigore. Quae circa occupatus omnibus hisce deficitur quae ad alimoniam requiruntur. Igitur fame obsessus ita praesentibus consulit, uti equos militum interfici iuberet eisque milites uesci. Enimuero quamquam id consilium ferme ex necessitate sequerentur, tumultus tamen et indig(1515) natio omnium congruebat, ueluti studio factum ut necessitate praesenti spes sibi futura laberetur. Quare cum omnis militaris obseruantia solueretur neque ad custodiam solitam uigiliae ceteraque munia seruarentur, rex motus in haec uerba contionatur : « Neque me fugit, fortissimi milites, rei (1520) militiae necessitatisque bellicae prima subsidia equos haberi oportere, quos ego interfici iusserim et de usu illo ad alimoniam uictumque proficere. Sed cum in ea re duorum nominum periculum uersaretur, ut aut equis aliti uiueremus aut hisce seruatis uel priores uel pariter oppeteremus, secutum (1525) me fateor consilium quod pro deteriore melius uidebatur. Quippe spem foueo diis coepta iuuantibus fore uti, cum primum gentem aliquam et subsidium uberius nacti fuerimus, equos quoque haud deterioris usus parare sit nobis facultas. Quippe si uos, quod omnes superi difflauerint, detestabili illa necessitate ac fame animas poneretis, milites quidem forsi(1530)tan possem, sed Macedonas milites ubinam repperissem ? Quare animos reformate in melius uobisque suadete nullum esse uestrum adeo sui amantem atque sollicitum quem non pro se mea cura praeuertat. » Hisce dictis sedati erant animi (1535) militum reuocatisque uiribus ad officia castrensia sese conuerterant. 45. Quare perculsis plurimis ciuitatibus iter in Locros protinus uertit. Qua in urbe refectis animis omnium Agragantinos tendit ire. Vrbem ingressus nihilum moratus scandit (1540) Apollinis templum sacerdotemque quae ibidem antistabat solitam uaticinari in id ipsum coepit urguere. Enimuero cum uates dei in se spiratione cessante nihil tale se posse fateretur, Alexander motus, ni faceret, interminatur tripoda[m] quoque se ad Herculis fabulam sublaturum. Et cum dicto (1545) aufert scilicet tripoda quem Croesus quidem opulentissimum consecrarat ; sed per eum diuino spiritu commeante uaticinari antistitem fas erat. Tum fertur ex adyto uox ad Alexandrum : « Id quidem quod tu facis Hercules fecit, et ille deus et diuinitati iam destinatus. Quare te par est nihil in nostri (1550) contumeliam niti, si modo uirtutibus tuis ex fauore numinum consulis. » Hisce dictis ex adyto addit et uates : « En uides, rex, quod illa tibi numinis praesagiat diuinatio quae Herculem Alexandrum uocat. Igitur praenuntio tibi fore actus tuos humanorum omnium fortiores nomenque per saecula (1555) porrigendum. »

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44. Sur ces mots, il dirige sa marche vers l’Euxin et s’arroge toutes les villes du littoral. Après un sacrifice solennel à Neptune, le maître des chevaux184, il parvient aux Marais Méotides qui, en raison des gelées, sont passablement rigoureux et impraticables. Il en est préoccupé, car il manque de tout le nécessaire pour se ravitailler. Puisque la faim l’assiège, il veille à l’immédiat et nourrit ses soldats en faisant abattre leurs montures. On avait beau se plier à cette consigne quasiment inévitable, il se forma un tumulte à la mesure de l’indignation générale, comme si, dans la nécessité du moment, la passion causerait, au futur, la ruine de leurs espérances. Aussi bien, parce que se relâchait toute discipline militaire et que n’étaient plus observés les tours de veille habituels ni non plus les autres obligations185, le roi s’en émut et prononce cette harangue : « Vaillants soldats, il ne m’échappe pas que dans les nécessités de la guerre il faut placer les chevaux au premier rang des soutiens de l’armée. Or je les ai fait tuer, pour qu’ils servent utilement à notre alimentation et à notre survie. Mais à deux titres, notre situation comporte des risques : c’est ou bien de manger les chevaux pour vivre, ou bien de les épargner en mourant, soit avant eux, soit en même temps. Dès lors, je l’avoue, j’ai suivi le choix qui, en comparaison du pire, me paraissait le meilleur. Je caresse, en effet, l’espoir que, les dieux aidant notre entreprise, dès que nous aurons rencontré des gens et un peu plus de subsides, nous aurons la possibilité d’acquérir des chevaux d’aussi bonne qualité. De fait, si vous expiriez sous la contrainte de cette détestable famine – mais plaise au ciel de disperser dans les airs une telle éventualité ! –, peut-être aurais-je des soldats, mais où retrouverais-je mes soldats macédoniens ? C’est pourquoi reprenez un meilleur moral et persuadez-vous qu’aucun de vous n’a pour lui-même d’attachement et de sollicitude que mon propre souci à son endroit ne les dépasse. » Ces paroles apaisèrent les esprits dans la troupe qui, rappelant ses forces à elle, retourna vaquer aux devoirs du camp186. 45. Une fois jetées à bas bon nombre des cités, Alexandre se tourne droit sur Locres ; dans cette ville, il ranime le dynamisme de tous, puis poursuit sa route vers Agrigente187. Entré en ville, incontinent il monte au temple d’Apollon. La prêtresse qui officiait en ce lieu rendait régulièrement des prophéties. Il la met en demeure à cet effet. Mais l’interprète du dieu avoue que, faute d’inspiration, il lui est impossible de s’exécuter. Très agité, Alexandre la menace, en cas de refus, d’emporter le trépied, tout comme dans l’histoire d’Hercule. Et le disant, il enlève effectivement ce très riche trépied offert par Crésus ; alors le souffle divin émane de l’objet et il était permis à la prêtresse de prophétiser ; du sanctuaire s’élève vers Alexandre une voix : « Ce que tu fais, Hercule le fit et il était un dieu voué déjà à la condition divine. Aussi ne convient-il pas que tu cherches à nous offenser, si du moins, songeant à tes travaux, tu comptes sur la faveur céleste »188. à ces paroles venues du sanctuaire, la prophétesse ajoute : « Eh bien, roi, tu vois ce que te prédit cet oracle divin qui traite Alexandre d’Hercule. Je te l’annonce donc  : tu agiras comme l’homme le plus fort du monde et ta renommée s’étendra sur les siècles. »

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46. Hinc cum Thebas Alexander transcendisset peteretque Thebanos indidem armatorum mille comitatum, Thebani portas post haec praecepta clausere factique eius temeritatem cum supplicatione non excusassent, arma sumpsere (1560) et ad resistendum uiolentiae Alexandri sese parauere ; adduntque his illud : quingentos armatos e suis muris insistere ac uoce maxima clamare iussere atque Alexandro dicere uti aut ueniret ad proelium aut de moenibus et obsidione discederet. Sed ad haec ridens Alexander : « O uos fortissimos », ait, (1565) « qui, cum ipsi custodiam uestri murorum uallo teneatis, nobis praecepta bellandi praebetis ! » Igitur gerendum his ait morem proeliaturumque se minatur, non ea tamen opinione qua cum fortibus disceptaret ; enim protinus iubet mille quidem equites circumuallare eos qui in muro constiterant, pe(1570)dites uero securibus uectibusque adgredi claustra portarum ac fundamenta subruere murorum. Non enim difficile esse id aedificium armis excidere quod per lyrae cantus et musicam tumultuario conuenisset  ; et statim inici flammas arietesque admoliri iubet, quorum crebro et uehementi ad(1575)modum pulsu non difficile nec diu casus omnium est moratus. Ipse uero cum mille funditoribus totidem obire discursim, adeo ut omni telorum genere fatigatos aut prosternerent Thebanos aut uulnerarent. Atque ita tertio fere die collapsis omnibus quae obstabant inuehitur Alexander Thebas eam(1580)que diripere exscindereque festinat tot scilicet saeculis et Cadmi ceterorumque imperiis nobilem. Ad quam fortunam ceteris praestupescentibus prae ui malorum uni tibicinum forte consilium subit aptare tibias et melos quam posset flebile canere regis pedibus prouolutum. Quod cum Alexan(1585)der uideret acuto et religioso consilio efficax multum atque ad mouendam sui misericordiam esse prouisum, tunc auloedus ille manibus extensis  : « Hancine tu urbem, maxime regum Alexander, properabis exscindere quam tibi dii immortales, prosapiae tuae principes, pepererunt ? Nonne te subit (1590) hinc Liberum ortum, hanc Herculis esse nutricem, hinc illa orgia et praesentissimos deorum cultus diffusos esse per mundum ? Boni igitur consules ac facesses ab hac tam sacrilega uoluntate. Neque enim, si quid impatientius ira belli mandabit, non mox te ad paenitentiam reuersurum.  » Adde(1595)bat etiam : « Hos tibi muros, haec moenia Zethus ille uel Amphion, stirpis tuae pars maxima, Apolline Musisque adminiculantibus fecit, nec uides in rem tuam tuique generis gloriam te saeuire ? Quid quod idem illi dii, praestites et maiores tui, laetitiam suis et ultionem ex hostibus, pacem (1600) denique tm ignotis maiestate sui et uirtutibus peperere ? Hoc Liber ex India, hoc nobis Hercules ex omni terrarum orbe procurat ; quorum te malo imitatorem potius quam inuidentem fuisse. An tibi putas sine sacrilegio rem futuram locum istum ferro et igni populari in quo Semelen suam rex (1605) deum Iuppiter maritauerit, in quo Alcmenam quoque eiusdem Iouis ulnae dignitatae sint ? » Addebat et fabulas quaecumque

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46. De là, il passa à Thèbes, réclamant des Thébains un corps de mille soldats du lieu189. Devant une telle exigence, ceux-ci fermèrent leurs portes et, sans excuser par des supplications la témérité de leur geste, ils prirent les armes et se préparèrent à résister à l’agression d’Alexandre. De surcroît, cinq cents hommes en armes reçurent l’ordre de se poster sur les murs et de crier à haute voix qu’Alexandre devait ou bien en venir au combat ou bien s’éloigner de la muraille et lever le siège. Mais le roi sourit190 : « Ô vous, dit-il, qui êtes si forts, vous nous intimez de batailler, alors que vous restez retranchés à l’abri de vos murs. » Il va donc leur obéir, encore que, dans le combat dont il les menace, il n’ait pas, ajoute-t-il, les sentiments qu’il avait à en découdre avec des hommes valeureux191. Sans attendre, il fait entourer par mille cavaliers ceux qui s’étaient installés sur la muraille ; quant à ses fantassins, il les envoie attaquer à coups de haches et de barres les verrous des portes et saper les fondations des murs. Il n’était pas difficile, jugeait-il, de disjoindre par les armes des pierres assemblées dans la précipitation, sur la cadence et au son de la lyre192. Tout aussitôt, à son commandement, on jette des tisons, on approche les béliers193 dont, sans la moindre difficulté, les frappes violentes et répétées ne retardent pas longtemps l’effondrement complet ; pour sa part, avec mille frondeurs, il courait çà et là en affronter autant, si bien que, harassés par toutes sortes de traits194, les Thébains succombaient ou recevaient des blessures. Et, ainsi, à peu près le troisième jour, tous les obstacles tombés, Alexandre entre dans Thèbes, se hâtant de piller et de détruire une ville rendue célèbre depuis tant de siècles par les règnes de Cadmus et des autres. Dans cette infortune, c’était la stupeur générale, face à la violence du malheur. Seul un joueur de flûte eut l’idée de prendre son instrument et, roulé aux pieds du roi, de chanter des airs aussi émouvants que possible. Imaginée avec intelligence et un sens du sacré, l’idée faisait de l’effet et visait, Alexandre s’en rendait compte, à susciter sa pitié. L’aulète tendit ses mains195 : « Alexandre, le plus grand des rois, seras-tu si pressé d’abattre une ville que les dieux immortels, les premiers de ta race, ont créée pour toi ? Ne te vient-il pas à l’esprit que Liber y est né, qu’elle a nourri Hercule et qu’à partir d’ici se sont répandus de par le monde les Bacchanales et les cultes si efficaces des divinités ? Réfléchis bien et débarrasse-toi d’intentions aussi sacrilèges. Mais si la colère des combats te commande trop d’impatience, tu ne seras pas long à venir le regretter. » Et il ajoutait : « Pour toi, Zéthus et Amphion, ce qu’il y a de plus grand dans ta souche, ont construit ces murs, ces remparts avec l’aide d’Apollon et des Muses. Ne vois-tu donc pas que tu te déchaînes contre ta propriété et la gloire de ta race ? Que dire de la majesté et des vertus grâce auxquelles ces mêmes dieux, tes tutélaires ancêtres, ont engendré l’allégresse des leurs, la vengeance sur l’ennemi et finalement la paix même pour des inconnus ? Voilà ce que nous procurent Liber et Hercule, l’un depuis l’Inde, l’autre depuis l’univers entier. Je préfère que tu les imites plutôt que d’en être jaloux. Crois-tu que sans sacrilège puisse être livré au fer, au feu, au pillage, un lieu où Jupiter, le roi des dieux, a épousé sa chère Sémélé, où ce même Jupiter a bien voulu aussi tenir Alcmène dans ses bras ? » Il ajoutait toutes les fables relatives à Thèbes et

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Thebanae sunt et memorias religiosas quas uetus historia commendat. Sed hic commotior rex : « Quam uellem », inquit, « o tu, qui ciuium tuorum infortunio suffragaris, con(1610)sultor potius fuisses in melius et illic tuam prudentiam exercuisses ubi cautione opus fuerit, non huiusmodi experimento  ! Quare neque tibiis uinci pectus Martium potest nec contumelia militaris tam artificio quam supplicatione sopitur. » Et post haec peragi omne excidium iubet. 47. (1615) Sed Thebani, quicumque fugae contra euersionis suae impetum consuluerant, ubi tempus fuit, congregati sciscitatum Apollinem mittunt ecquid sibi redintegrare urbem Thebanam fata permitterent. Ad haec igitur huiusmodi Apollinis est responsum : (1620) Maiugena, Alcides et Pollux cestibus auctor arte sua Thebis reditum cultumque dedere. Hac sorte data opperiebantur Thebani si quid tale proueniret. Alexander uero cum Corinthum deuenisset eamque occu(1625) pauisset, forte acciderat sollemne certamen gymnicum apud thia[s] agitari, unde Corinthii quoque uti adesset atque illi certamini praesideret magnopere contendunt. Adnuit igitur rex ; cumque plurimos pro merito coronis donisque largissimis muneraretur, Thebanus quidam, cui Clitomachus no(1630)men esset, certamen luctae profitetur idemque de cestibus pugnam atque identidem pugillatum ; denique tria ista certamina idem profitetur et subit. Ergo cum primum luctando aduersario praestitisset coronamque laboris exegisset, iubet Alexander cetera quoque eundem prius exsequi quae promi(1635)sisset, quaeque si pari fortuna obtineret, nihil omnium fore quod sibi petenti rex negaret. Igitur usus fortitudine atque fortuna cum cestibus potior et pugillatu felicior foret, reuertitur ad regem coronandus. Sed ab eo cum quaereret praeco more sollemni quis esset nomine quemue se ciuem profitere(1640)tur, ut illud ex more praedicaretur, Clitomachum quidem se appellari ait, ciuitatem uero habere desisse. Sed id cum coronis redditis iam deesse diceret Alexander gloriae uictoris illius, addit Clitomachus olim se habuisse etiam ciuitatem, sed priusquam Alexander regnum adeptus foret ; eo uero im(1645)perante sibi patriam deperisse. Hinc intellecto quo pergeret intentio deprecaturi, uti suum esset quod ille foret pro patria petiturus, edici per praeconem iubet : condi Thebas esse permissum in honore scilicet trium deorum, Mercurii, qui repertor luctandi cluat, Herculisque, qui pugillatus inuenerit, (1650) Pollucis etiam, qui cestibus sit magister. Eoque effectum est uti oraculum Apollinis congrueret cum Alexandri pronuntiatione.

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les souvenirs pieux qui se recommandaient de l’antique histoire, mais le roi s’échauffa : « Comme je voudrais, dit-il, toi qui t’appuies sur la malchance de tes concitoyens, que tu leur eusses donné de meilleurs conseils et que ta sagesse se fût exercée là où la prudence était nécessaire et non pas dans une épreuve comme celle-ci ! C’est pourquoi un cœur martial ne saurait être vaincu par des flûtes ni l’injure faite au soldat s’apaiser devant des supplications artificieuses. » Après quoi il ordonne que tout soit rasé. 47. Mais tous ceux des Thébains qui avaient su échapper par la fuite aux assauts destructeurs, dès qu’ils en eurent l’occasion, se réunirent et ils envoient consulter Apollon pour connaître si leur destin leur permettrait de restaurer la ville de Thèbes. Apollon leur répondit : « Le fils de Maia, Alcide et Pollux, l’inventeur du ceste, Ont par leur art donné à Thèbes le retour de ses habitants. » Ayant reçu cet oracle les Thébains étaient dans l’attente d’un tel événement. Alexandre était arrivé à Corinthe et l’avait occupée. Il se trouve que, comme de coutume, s’y déroulaient les jeux gymniques de l’Isthme. Pour cette raison, les Corinthiens insistent vivement pour qu’Alexandre lui aussi soit présent et préside les jeux196. Le roi accepte donc. Il récompensait par des couronnes et des dons généreux plus d’un qui le méritait, lorsqu’un Thébain, nommé Clitomaque, s’inscrit à l’épreuve de lutte, également au combat du ceste et encore au pugilat, bref s’inscrit aux trois épreuves et s’y présente. D’abord à la lutte, il a l’avantage sur son adversaire et il demande à être couronné pour sa peine. Mais Alexandre lui ordonne d’honorer auparavant toutes ses promesses. S’il y obtient pareil succès, il n’y aura aucune demande de sa part que le roi refuse. Profitant de sa force et de la chance, il l’emporte au ceste et est heureux au pugilat. Il revient vers le roi pour se faire couronner. à ce moment, selon l’usage habituel, le héraut lui demande son nom et la cité dont il se réclamait pour qu’en vertu du rite, on en fasse proclamation. Il dit qu’il s’appelle Clitomaque mais qu’il a cessé d’avoir une cité. Après la remise des couronnes, comme Alexandre disait que la gloire du vainqueur était ainsi encore incomplète, Clitomaque d’ajouter que jadis il avait eu une cité  ; c’était avant qu’Alexandre ne prît le pouvoir : sous le règne de ce dernier, sa patrie était morte. Le roi comprit par là le but de son instante prière, à savoir obtenir ce qu’il allait demander pour sa patrie. Il fait annoncer par le héraut qu’est autorisée une fondation de Thèbes en l’honneur de ces trois divinités, Mercure qui a découvert la lutte, Hercule l’inventeur du pugilat et aussi Pollux, le maître du ceste197. C’est ainsi que l’oracle d’Apollon s’accorda avec l’ordonnance d’Alexandre198.

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LIBER SECVNDVS QVI EST ACTVS ALEXANDRI

1. Igitur Alexandro iter e Corintho Plataeas erat, urbem quidem illam operis maximi populique, enimuero religioni intentam Proserpinae deae, cuius templum etiam erectum ad (5) magnificentiam uisitur. Sed forte illo in tempore annuo sacro tegmen numini parabatur. Coniectura uaticinandi sacerdoti eiusmodi fuit multum ad gloriam gestarum rerum et gerendarum eidem Alexandro auspicari quod illo in tempore sacri superuenisset ; idque responsum et ad spem et gaudium illi fuit (10) liberaliterque acceptam uatem a se dimittit. Enim et aliud testimonium uati ad ueridicentiam forte tale prouenerat. Stasagorae quippe, magistratui Platensium, postea ingresso templum locumque eum in quo idem tegmen numini texeretur, cum ei perexiguum superesset, aduersa ea uates quae secunda (15) Alexandro praecinerat illi respondit eumque ait magistratu suo protinus deponendum. Quod cum inclementius uir ceteroqui melioris conscientiae accepisset, in iram commotionemque conuersus increpare uatem falsidicentiae coeperat. Verum ad haec sacerdos : « Ne sane », inquit, « moueare his dictis, o uir ; (20) nam cuncta ista quaeque hominibus diuinitus praenoscuntur colligi coniecturis argumentisque praenosci diis sedet. Accipe denique argumentorum uias. Quippe ut illud melioris spei Alexandro diceretur, id temporis superuenerat quo insigniri uestis intextu purpur[e]ae coeperat. Id enim demum ad orna(25)mentum rei praeparatae adhibebatur. Enimuero, ut uides, iam textu ferme completo et labore omnis operis absoluto tumet ingressus es. Igitur quod ista uestis ab opere laboris pausam haberet, idcirco non ab re uisum est tibi quoque terminum magistratus futurum. » Id cum altius animum Stasago(30)rae descendisset simulque metu ponendae potentiae ageretur, quod uates sibimet, non Stasagorae contraria praedixisset, ipsam illam sacerdotio deduci iubet. Quod cum Alexandro nuntiatur aduersum iudicium et gratiam suam Stasagoram nisum, grauiter infestus eundem illum, ut praedica(35)tum fuerat a sacerdote, spoliat magistratu sacerdotemque loco restitui iubet. Quod igitur Stasagorae magistratus ab Atheniensibus datus foret, eo recurrit ibique iniuriam facti deflens opem ab his a quibus dignitatem illam acceperat implorauit. Animo incitatiore Athenienses ne uerbis quidem a (40) regis contumelia temperauere. Quibus acceptis Alexander in hanc sententiam litteras ad Athenienses dedit : « Equidem me scio post susceptum patris mei regnum procuratione Fortunae iam primum occiduo orbe disposito, idque per litteras, paratisque his partibus et ad auxilium mei commilitio copu(45)latis gratiam reliquis eius studii fecisse, contentum his

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Livre Second Les exploits d’Alexandre 1. Sa route menait donc Alexandre de Corinthe à Platées, une ville très bien construite et peuplée, car vouée au culte de la déesse Proserpine dont on visite le temple élevé également avec magnificence. Le hasard voulut qu’à ce moment se préparait le manteau de la divinité pour la célébration annuelle199. La prédiction de la prophétesse consacrée fut que d’être arrivé en ce temps de cérémonie laissait présager à Alexandre beaucoup de gloire pour ses actions passées et futures. Cette réponse provoqua en lui espérance et joie et, après avoir reçu avec générosité la devineresse, il la congédia. Mais un autre témoignage s’était présenté pour accréditer ces paroles prophétiques et c’était celui-ci : peu après, Stasagoras, le magistrat des Platéens, avait pénétré dans le temple, au lieu même où l’on tissait le manteau pour la divinité. Comme il ne restait que fort peu à faire, la prêtresse qui avait rendu au roi un oracle favorable répondit le contraire à Stasagoras, en lui disant que sous peu il serait destitué de sa charge. L’homme qui, au demeurant, avait de lui-même meilleure opinion, le prit sans douceur et, passant à une vive colère, se mit à traiter l’officiante de menteuse. À quoi la prêtresse repartit : « Ne sois pas touché, mon cher, par ces paroles, car tout ce que les hommes connaissent à l’avance grâce à l’inspiration divine est inféré de conjectures et connu par arguments : telle est la volonté des dieux. Apprends donc ma méthode de démonstration. On a dit à Alexandre d’espérer encore mieux, parce qu’il était survenu à l’instant où le manteau avait commencé d’être décoré d’une broderie pourpre, ce qui contribuait précisément à orner l’objet en préparation ; mais toi, tu le constates, tu es entré, quand, pour ainsi dire, le tissage était achevé et que tout le travail de confection se terminait200. Par conséquent, puisque ce travail de confection du vêtement touchait à sa fin, il n’a pas semblé déplacé que ta magistrature, elle aussi, allât sur son terme. » Ces mots s’ancrèrent profondément dans l’esprit de Stasagoras, qu’agitait en même temps la crainte de déposer ses pouvoirs : sous prétexte que la prophétesse avait prédit de l’adversité pour elle-même et non pour Stasagoras, ce dernier la fait se démettre de son sacerdoce. Quand Alexandre apprend que Stasagoras a tenté de s’opposer à ses décisions et bonnes grâces, il s’irrite fort contre lui et, comme l’avait annoncé la prêtresse, il le dépouille de sa magistrature, tandis qu’il rétablit l’officiante dans son rang. Cela étant, puisque la charge avait été donnée à Stasagoras par les Athéniens, c’est chez eux qu’il accourut et là, se plaignant de l’injustice de la mesure, il implora l’appui de ceux qui lui avaient accordé ladite dignité. Tout excités, les Athéniens ne se privèrent pas non plus d’insulter le roi dans leurs propos. Alexandre en fut informé et il expédia aux Athéniens une lettre ainsi conçue : « Je sais bien qu’après avoir reçu, grâce aux soins de la Fortune, le royaume de mon père, lorsque j’ai commencé – et cela par messages – à mettre de l’ordre dans le monde occidental, puis, lorsque j’ai organisé ces régions et les

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modo qui mecum a Macedonia inierant hunc laborem quorumque comitatu Europa nobis omnis accesserat. Sed ex his omnibus Thebanos quidem non leui de causa occidione interemi. De Atheniensibus uero spes mihi erat dextros mihi satis et obse(50)quentes futuros. Enim cum secus dictis uos insolentibus uelitatos audierim, accipite sententiam meam non uerborum scilicet agmine gloriantem, quod decentius fieret a potentiore, uerum uti sciatis boni uos consulturos si praeceptis mandatisque nostris libentem operam commodetis. Aut enim melio(55)res esse oportet aut melioribus obsequentes eaque re mille annua talenta dependi mihi ab Atheniensibus iubeo. » 2. Ad haec illi rescribunt : « Non nos diffitemur et patris tui uita diu offensos et eius morte gauisos esse ; quod idem iam coepimus tui quoque uelle, iuuenis inconsultissime, cum tibi (60) Atheniensibus dependenda mille talenta scripseris, uti scilicet inter nos principium bellandi parares. Quod si tibi tanta est confidentia, paratioribus occursabis. » His rescripsit Alexander in haec uerba  : «  Iam quidem miseram Leonta, qui uos excisos linguis ulcisci uecordiae potuisset uestrosque una (65) oratores ad me perduceret. Enim consultius uisum est ipsum me ad euertendas Athenas protinus militare, quae iussis nostris obiecerit contumaciam. Si igitur declinando huic experimento consulitis, decem oratores uestros ad me deduci patiemini. Hoc enim modo reliquorum urbisque uestrae habebitur (70) ratio. » Hisce Alexandri litteris cum hoc tantum, non se facturos esse, superscripsissent, eandem epistulam referri protinus mandauere. Qua ex causa cum mox curiam contraxissent deliberationi praesentium necessariam, orator Aeschines in haec uerba contionatus est : « Etsi uideo, Athenienses uiri, (75) quantum nos impendeat ex praesenti, propiusque et saluti uestrae communi et uoluntatibus stare dedi nos Alexandri uoluntati, tamen comprehendisse me sentio neque commodis uestris neque, quod ad nos pertinet, saluti propius uideri quam si in hac sententia perseueretis uti condicionibus regiis (80) praeceptisque pareamus. Non enim inani iactantia periculum periclitandi uideor mihi hanc fouere sententiam, sed quod intuear spem cupiti firmiorem, cum et Alexandri institutionem et Philippi uehementiam recordor atque considero. Etenim Philippo adrogantiae mos proprior erat, Alexandro uero (85) adsunt Aristotelis disciplinae. Neque in hoc ducor ut qui illis educationibus laborarit non his reuerentiam deferat a quibus ortae sunt sibi eaedem disciplinae ipsique ars regnandi sit tradita. Quare fiet, profecto fiet ut omnem intentionem animi quam ad nos armasse uidebatur in beniuolen(90) tiam protinus uertat, nisi mauult mage arma hominis experiri. »

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ai associées en vue d’une coalition pour qu’elles me vinssent en aide, j’ai fait remise au reste des autres de tels efforts, me contentant seulement de ceux qui, partis avec moi de Macédoine201, étaient entrés dans l’aventure et dont le compagnonnage nous avait acquis toute l’Europe ; parmi tous ces peuples, j’ai frappé à mort les Thébains pour une raison qui n’était pas légère ; à l’opposé, j’avais l’espoir que les Athéniens me seraient passablement favorables et qu’ils me seconderaient. Comme j’apprends qu’au contraire vous me harcelez à coups de méchants propos, recevez ma sentence : sans doute ne se glorifie-t-elle pas – ce qui conviendrait de la part d’un maître – d’un cortège de belles phrases, mais, sachez-le, vous agirez dans votre intérêt, si de bon gré vous prêtez votre assistance à mes ordres et instructions. Il faut être le meilleur ou obéir aux meilleurs202 et, pour cette raison, j’exige des Athéniens qu’ils me versent mille talents par an. » 2. Eux répondent203 : « Nous n’en disconvenons pas, ton père, durant sa vie, nous avait longuement offensés et nous nous sommes réjouis de sa mort. Nous commençons à avoir les mêmes sentiments à ton égard, jeune homme irréfléchi, quand tu écris que les Athéniens ont à te verser mille talents, probablement pour te préparer à la guerre contre nous. Mais si tu as en toi autant de confiance, tu affronteras des gens encore mieux préparés. » Réponse d’Alexandre  : «  J’avais envoyé Léon pour, vous coupant la langue, punir votre folie – il le pouvait – et me ramener vos orateurs. Mais il me semble plus avisé de ne pas attendre pour batailler en personne et abattre cette Athènes qui oppose son arrogance à nos commandements. Si donc vous décidez d’éviter cette épreuve, souffrez de m’amener vos dix orateurs, car, de cette façon, je vous tiendrai quittes des autres et de votre ville. » Se bornant à écrire sur la lettre d’Alexandre qu’ils ne le feraient pas, les Athéniens font sur-le-champ retourner le billet204. Pour cette raison, quand fut réunie l’assemblée qu’imposaient les délibérations du moment, l’orateur Eschine prononça cette harangue  : « Athéniens, j’ai beau voir ce qui aujourd’hui nous menace et que ne pas nous livrer au bon vouloir d’Alexandre est une position plus conforme à votre sauvegarde générale et à votre volonté, j’ai néanmoins le sentiment d’avoir compris ceci : ce ne semble ni plus avantageux pour vous ni, en ce qui nous concerne, plus salutaire, que de s’en tenir à la décision d’obéir aux conditions et ordres du roi. Mais je ne crois pas choyer cette opinion dans le vain orgueil d’expérimenter le danger ; je le fais parce que j’aperçois un plus ferme espoir de ce que nous désirons, lorsque ma mémoire considère et l’éducation d’Alexandre et la brutalité de Philippe. En fait, l’arrogance était la marque personnelle de Philippe, alors que chez Alexandre sont présentes les leçons d’Aristote. Or je ne suis pas conduit à penser que, qui a travaillé sous un tel maître, ne manifeste pas un respect à ceux d’où lui sont venues ces mêmes leçons, lui transmettant en son particulier l’art de régner. En conséquence, l’agressivité qu’il semblait brandir contre nous va, oui, je le répète, va tout de suite se changer en bienveillance, sauf si vous préférez tâter de ses armes. »

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In hanc fere sententiam cum Aeschines perorasset, Demades e numero oratorum uir[ibus] haud contemnendus, interuenit atque hinc oritur : «  Quousque tandem, Aeschines, (95) meditatis hisce et ad mollitiem effeminatioribus uerbis timiditates nobis et dissolutiones Atheniensibus struis territans nos et auertens a belli studiis, quibus incliti semper atque inopinabiles fuimus ? Aut quae te tam infesta caelestium uis in haec uerba sollicitat, cum qui suaseris et merito olim con(100)stanterque persuaseris arma nos sumere aduersum Persas et in illa tot hostium milia instructos ferme sola animi uirtute militasse, at nunc contra, quasi intentos arcus, sic idem offirmatas sententias nostras remittendas ac relaxandas putes  ? Censesne igitur uitandam declinandamque nobis pueritiam (105) cum tyrannide, duo nomina inconsultissima, freta temeritate sola et audacia patris confidentissimi ? Deinde illi nos horum tela atque aciem perhorrebimus qui Xerxae milia auerterimus, Lacedaemonios uicerimus, Corinthios strauerimus, Megares in fugam uerterimus, Zacynthios exciderimus ? Nosne (110) ergo Alexandro illi quem dixi, ut Aeschines suadet, uitabimus obuiare ? Enimuero ait memorem illum magisterii uestri disciplinarumque quas apud nostros peritos acceperit et pudore flectendum et reuerentia molliendum uultusque ipsos nostros religione praeteritae consuetudinis minime asperna(115)turum. O rem ridiculam et puerilis, medius Fidius, abiectaeque sententiae ! Absentes nos contumeliis lacessiuit et ad supplicium dedi sibi tyrannico spiritu postulat et inter nostr moli ciuitatisque praeludit exitium is a quo praeferri nobis humanitatem istam et amicitias hariolamini. (120) Neque illud mage nunc ante oculos uenit Stasagoram nostrum Platensium magistratu deiectum ? In cuius scilicet contumelia nostra iniuria continetur, quod illud quidquid nostrum uniuersitati moliatur in illo priore signauerit. Is ergo exspectabitur ut praesentia nostra moueatur quem Stasago(125)rae purpura et magistratus fascesque minime mouerunt, cum in illius unius nominis dignitate puero isti uniuersae Atheniensium curiae maiestas obuiaret atque oculis eius sese et uultibus ostentaret, siquid tamen recte sapere didicisset ? Is ergo nostram praesentiam mitius opperietur an mage, cum (130) semel in eius manus potestatemque uenerimus, dedet suppliciis ultionibusque poenalibus ? Et haec quidem sint dicta de moribus. Huc tamen addite aliquid etiam de eius aetate, in qua aestimatu perfacile est quod illa dimicare forsitan confidentius quam consulere cle(135)mentius possit. Enimuero, ait, Tyrios excidit : neque enim poterant illi forsitan restitisse. Thebanos euertit : non illos quidem inertes aut belli artibus alienos, sed enim frequentibus admodum discriminibus fatigatos. Peloponensios, ait, captiuitate subegit, neque hoc addit, non bello, non telis, enim(140)uero lue corruptos et fame. Hic nunc,

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Telle avait été la péroraison d’Eschine. Démade205, qui n’était pas à mépriser parmi les orateurs, intervient en commençant par ceci : « Jusques à quand, Eschine, avec ces paroles calculées pour nous amollir comme des femmes, provoqueras-tu chez nous, les Athéniens, peur et lâcheté, tandis que tu ne cesses de nous effrayer et de nous détourner de la passion de la guerre qui toujours nous a valu une gloire surprenante ? Ou quelle hostile force du ciel te pousse à parler de la sorte, toi dont les conseils, jadis, ont fini à bon droit par nous convaincre de prendre les armes contre les Perses et, contre tant de milliers d’ennemis, de combattre équipés presque seulement de la vertu de notre courage ? Maintenant, au contraire, tu prétendrais qu’il faut relâcher et détendre l’obstination de notre politique raidie comme un arc. Penses-tu donc que, bien à l’écart, nous devions éviter ce gamin doublé d’un tyran206, ces deux noms d’une irréflexion qui ne s’appuie que sur la témérité et l’imprudence d’un père outrecuidant ? Et puis, irons-nous redouter leurs traits et le corps à corps, après avoir repoussé les multitudes de Xerxès, vaincu Lacédémone, abattu Corinthe, jeté dans la fuite les Mégariens et détruit Zacynthe ?207 Est-ce donc – c’est le conseil d’Eschine – qu’on va éviter le choc avec le susdit Alexandre ? Eschine nous dit, en effet, que se souvenant de votre enseignement et des leçons qu’il a reçues de nos savants, il laissera la retenue le fléchir, le respect l’adoucir, sans nous cracher au visage le moins du monde, à cause des liens de nos relations d’autrefois. Mon Dieu ! que c’est ridicule et que voilà une pensée puérile et basse ! En notre absence il nous a attaqués de ses affronts et, son esprit tyrannique réclamant que nous lui soyons livrés à supplicier, il machine notre trépas et prélude à l’effacement de la cité, lui que sottement vous imaginez porteur d’humanité et de sentiments amicaux à notre égard. Ne vous vient-il pas plutôt sous les yeux à présent qu’il a démis de ses fonctions à Platées notre cher Stasagoras ? L’injure faite à ce dernier contient une offense à notre endroit, car toutes ses manœuvres contre notre communauté sont signées déjà dans ce premier cas. Espère-t-on de lui que notre présence l’émeuve, quand, en aucune manière, ne l’ont ému la pourpre de Stasagoras, sa magistrature et ses faisceaux ? Et pourtant dans la dignité qui s’attachait à ce seul nom, c’était tout entière la majesté de la Curie athénienne qui se dressait face à ce gamin, évidente dans ses yeux et sur son visage, si du moins il eût appris à penser sagement208. Tel qu’il est, mettra-t-il plus de douceur dans son attente de notre présence, ou bien plutôt, dès que, venus dans ses mains, nous serons en son pouvoir, ne préférerat-il pas nous mener au supplice de châtiments vengeurs ? « J’ai parlé de sa conduite ; ajoutez-y son âge où – on en juge sans grandpeine – la résolution dans le combat peut probablement l’emporter sur des pensées de clémence. Eschine dit : « Il a anéanti les Tyriens », mais peut-être ne pouvaient-ils pas lui résister ! « Il a abattu les Thébains, des gens, certes, ni inactifs ni étrangers à l’art de la guerre », mais ils étaient usés par des crises à répétition. Eschine dit encore : « Il a réduit en captivité les Péloponnésiens »209, mais sans ajouter qu’ils le ne furent ni par la guerre, ni par les traits, mais parce que la peste et la famine les minaient. Et en ce point, oui, maintenant, s’il vous

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si placet, hic sane proferte in medium nostra Xerxique experimenta, qui mare molibus presserit, qui altum illud nauibus strauerit, qui terram illam omnem exercitu suo texerit, qui aëra ipsum telis iaculisque uelauerit. Deinde illum quidem Persen adeo spi(145)rantem et confidentem abegimus incensis eius nauibus aut etiam superatis et tot illa milia exercitus ab hac ciuitate repulimus Cynaegiro et Antiphonte et Mnesicharmo aliisque non multis illi uiolentiae occursantibus. Nunc autem nos, quorum duces roburque uirium enumerare difficile est, reniti (150) Alexandro declinabimus, puero confidenti, et hisce noxiis satellitibus, qui imprudenti imprudentius obsequentes temeritatem eius praecipitare mage poterunt quam fulcire ? Ad quosque – id per deos deliberate – quid tandem destinandos Aeschines censeat decem pariter oratores  ? Eosne om(155)nes quorum singulis saepe salutis uestrae consilia rexistis ? Neque hoc uidetis Alexandrum uobis subtili quodam et clandestino consilio monstrasse quid illud sit tandem quo ipse quoque intellegat se disparem Atheniensibus fore ? Quippe cum in rebus agendis bellicis pariter atque ciuilibus omne (160) factum fundari stabilirique uideatur utilitate consilii, ut tunc demum rectius atque consultius manuum opera subsequatur, id ipsum uobis auertere ac praeuenire conatur, ut ueluti inermem ratem sollertia gubernantis sic uos urbemque Atheniensium totam desertos consiliariis uestris opprimat et in(165)curset. In quo ne quid ambitiius de oratoribus dixerim : equidem puto uel canes decem solo latratu suo et infestissimis lupis et ceteris bestiis terrori esse, etiamsi in illos dente nil ualeant  ; hisce uero quiescentibus aut facessentibus uel ignauissimam bestiam totis gregibus perniciosam satis atque (170) infestam esse consuesse. » 3. In hanc fere sententiam Demades dixerat. At uero Athenienses Demosthenis tunc consilia flagitabant, quod scilicet eius uiri orationisque maiestas saepe eorum commoda consiliaque rexisset. Tum dicitur is orator consurrexisse manuque (175) de populo tumultuante silentium poscens in haec erupit  : «  O ciues uiri, placet enim in praesenti uos hac communi nostrum appellatione nominare, ut scilicet sub nomine adfectus huiusmodi intellegi promptius sit quidquid omnium dixero id non meo mage quam communi scilicet uestrum (180) commodo profuturum. Agitur enim haec curia, ut uideo, super tractatu utrumne uobis arma aduersum Alexandrum sint sumenda an uero nobis eius condicionibus obsequendum. In quo quidem accedere me laudareque Aeschini sententiam non segniter profitebor. Vsus est enim oratione admodum (185) modesta et temperatissima, ex qua uidetur neque uiribus nostris diffidere, si bellandum foret, neque contemplatione harumce praesentia commoda neglexisse. Enimuero quoniam haec illo dicente a multis audio sic accepta ut senis cuiusdam et alieni de bello sententiam, interim nunc ad oratio(190)nem eam transeam qua Demades usus, robustus sane ille uir ac disertissimus, ita in suadendo

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plaît, jetez dans le débat l’expérience qui fut la nôtre et celle de Xerxès. Xerxès accabla la mer sous les digues, il répandit des navires sur la profondeur des ondes, il recouvrit toute la terre de ses armes, il voila le ciel même sous les traits et les javelots. Eh bien, ce Perse si arrogant et superbe, nous le repoussâmes, nous brûlâmes ses vaisseaux ou prîmes sur eux le dessus et de notre cité furent repoussés tant de milliers de soldats, alors qu’accourait contre cette violence bien peu de monde, en compagnie de Cynégire, d’Antiphon et de Mnésicharme210. Aujourd’hui que nous avons des chefs et des troupes qu’il n’est pas facile de compter, va-t-on, au contraire, esquiver la résistance devant Alexandre, ce gamin si sûr de lui, et ses criminels satellites qui, en obéissant follement à un fou, sauront plutôt précipiter sa témérité que l’appuyer ? « Je m’adresse à chacun : au nom des dieux, demandez vous pourquoi en définitive Eschine est-il d’avis d’envoyer ensemble les dix orateurs. Ne sont-ce pas tous ceux qui, pris un à un, vous ont souvent fait diriger une politique salutaire pour vous ? Ne voyez-vous pas que par sa manœuvre, en quelque sorte, adroite et dissimulée Alexandre vous a montré ce que lui-même, en définitive, il comprend devoir être son infériorité vis-à-vis des Athéniens ? En effet, puisque dans les affaires aussi bien militaires que civiles, tout semble solidement se fonder sur la pertinence de la réflexion, en sorte qu’alors enfin s’ensuive un travail des mains mieux dirigé et agencé, Alexandre s’efforce de vous en priver à l’avance pour, à l’image d’un esquif désarmé faute d’un capitaine ingénieux, écraser sous ses assauts vos propres personnes et toute la ville d’Athènes abandonnées par vos conseillers. Sur ce chapitre des porte-parole, je le dirai sans détours : à mon avis, même dix chiens par leurs seuls aboiements effraient des loups très menaçants et toutes autres bêtes sauvages, encore que contre eux leurs dents ne valent rien, mais s’ils dorment ou se sont éloignés, une bête, soit-elle la moins agressive, devient souvent passablement dangereuse pour la totalité du troupeau et l’attaque »211. 3. Ainsi avait parlé Démade. Mais alors les Athéniens de réclamer les conseils de Démosthène  : maintes fois, en effet, cet homme à l’éloquence majestueuse avait dirigé leur politique avec avantage. L’orateur, dit-on, se leva et, de la main exigeant le silence du peuple en tumulte, fit cette sortie : « Citoyens, il me plaît, à cette heure, de vous interpeller sous ce nom qui nous est commun, pour que, bien sûr, la portée affective d’une telle appellation vous fasse plus vite comprendre que tout ce que je dirai servira moins mes intérêts que les vôtres en général. À ce que je vois, cette assemblée se tient sur la question de savoir s’il faut prendre les armes contre Alexandre ou bien obéir à ses conditions. Làdessus j’avouerai, sans me faire prier, que je rejoins et approuve la position d’Eschine. Il a employé des mots mesurés et bien équilibrés, d’où il ressort que, d’un côté, si la guerre est inévitable, il ne doute pas de nos forces, et que, d’un autre côté, par considération de celles-ci, il n’a pas pour autant négligé nos intérêts présents. Mais, puisque j’entends que beaucoup ont reçu ses paroles comme l’opinion d’un vieillard étranger à la guerre, passons pour l’instant aux propos tenus par Démade, un homme en pleine force et tout à fait disert212. Il a

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perorauit ut nos putaret exemplis olim felicium gloriarum ad praesentia quoque pericula producendos. Ait enim nos Xerxen finibus eiecisse, Cynaegiro scilicet duce et hisce qui una cum ipso militabant. (195) Ad quam partem orationis quaeso, Demade, ut paulisper ea quibus magnopere confidebas mecum conferre tractareue ne dubites. Quid enim tandem mihi diceres, si a te exactum iri uellem uti tales aliquos mihi nunc etiam duces promeres ac tunc demum in Alexandrum hortarere ? Quod si illi non ad(200) sunt aut tales aut tot, utique nobis quoque sunt consilia tutioris commodi uolutanda considerandumque prae omnibus an praesentibus commodis periculorum gloria praeoptanda sit. Non enim si orationis plusculum in curiam detulerimus et compta satis atque ornatiora uerba prompserimus, exim (205) nobis aliquid uirium accessurum est et arma fabricanda noua de uerbis. At dices magnum illum et potentissimum regem Xerxen fuisse, sed eundem nostro apparatu superatum : do manus. Et quamuis haud dubie profitendum sit nos illius uiribus mino(210)res longe fuisse, consilio uero et prudentia potiores, nunc tamen intellego uideoque ne illud quidem Alexandro deesse quo a nobis Xerxes potuerit superari. Tredecim ferme iam numero eius bella pariter et uictoriae enumerantur ciuitatesque illo innumerae, quin immo prouinciae consensere aut quae (215) contumacius sponte cedere detrectauerint subiugatae. Quae quam dant consilii uiam, nisi ut periculo caueamus ? Videlicet Tyrii imbelles, ut ait Demades, fuere et idcirco superati. Illi sunt Tyrii qui aduersum classem innumeram Xerxi confidentissime restiterunt atque eandem deinceps incenderunt. (220) Inermes, inquit, Thebani. Illine qui omne aeuum omnemque aetatem suam non in bellis modo, uerum in uictoriis consumpserunt ? Addit etiam Peloponensios non ab illo uictos, sed fame lueque superatos ; quibus quidem Peloponensiis Alexandrum satis constat frumenta quoque laborantibus di(225)rexisse, adeo ut Antigono, duce Alexandri, resistente, quod hisce uires et alimonias destinaret quicum sibi mox foret bello et proeliis decernendum, Alexandrum respondisse sit palam : ‘Vt’, inquit,’ intrinsecus eos et i

se decertantes bello uincam, nec gloriae meae palmam luis sibi aut famis (230) nomina uindicent.’ Et haec quidem ita sint. Mirari tamen uos inter haec non oportet Stasagoram magistratu esse deiectum, cum indignatio illa uobis utilitatique communi proficiat. Nam tam Atheniensis Stasagoras quam sacerdos illa templi nostratis est quam magistratus ille priua(235)uerat sacerdotio ; nonne praeuenisse indignationem uestram et sententias uidetur Alexander, cum illam iniuriam in auctorem

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terminé en nous persuadant que, d’après lui, nous devions, à l’exemple des heureuses gloires du passé, nous exposer aussi aux épreuves du présent. Nous avons, dit-il, expulsé Xerxès du territoire sous la direction de Cynégire et de ceux qui combattaient avec lui. Sur cette partie de ton discours, Démade, n’hésite pas, je te le demande, à t’arrêter un peu pour examiner et discuter avec moi ce en quoi tu avais une si grande confiance. Bref, que me dirais-tu, si je voulais qu’on exigeât de toi de produire aussi maintenant des généraux de cette trempe et alors seulement d’exhorter contre Alexandre ? Si ces chefs ne sont pas ici ou bien de cette qualité ou bien en ce nombre, dans tous les cas, nous devons réfléchir aussi à ces décisions qui protègent plus sûrement nos intérêts et considérer avant tout si la gloire des périls est à choisir de préférence à ces intérêts présents. Apportons à l’assemblée un peu plus d’éloquence, prononçons des discours séduisants et raffinés, ce n’est pas pour cela que nous acquerrons des forces, et des armes supplémentaires ne se fabriqueront pas à coups de paroles. « Mais, diras-tu, si grand, si puissant roi qu’ait été Xerxès, il fut dominé par notre mobilisation. J’en conviens. Cependant, bien que sans aucun doute on doive reconnaître que nous autres nous lui fûmes inférieurs, et de beaucoup, pour ce qui est des forces, tandis que nous étions supérieurs par la pensée politique, je constate, lorsque j’y réfléchis, que ce par quoi nous avons pu dominer Xerxès ne manque pas non plus à Alexandre. Ses campagnes, presque déjà au nombre de treize, sont autant de victoires à dénombrer, et d’innombrables cités, que dis-je ? des provinces se sont ralliées à lui ou bien ont été soumises, quand leur insolence refusait de céder spontanément. Quelle issue nous est ainsi conseillée, sinon de parer aux périls ? Je le veux bien : les Tyriens, comme le dit Démade, manquaient de ressort, ce qui causa leur défaite. Ce sont pourtant ces Tyriens qui avec grande hardiesse ont résisté aux innombrables vaisseaux de Xerxès pour ensuite les incendier. Les Thébains, ajoute-t-il, étaient désarmés. N’ont-ils pas néanmoins épuisé toute leur existence au cours des âges non seulement à se battre mais encore à triompher ? Il dit en outre qu’Alexandre n’a pas vaincu les Péloponnésiens qu’ont terrassés la famine et la peste. Or tout le monde le sait : le roi envoya du blé à ces Péloponnésiens en difficulté, tant et si bien qu’Antigone, un général d’Alexandre, lui résista, parce que, jugeait-il, on expédiait force ravitaillement à ceux avec lesquels il faudrait bientôt se mesurer dans les combats de la guerre. Mais Alexandre avait répondu qu’il fût bien clair – ce sont ces mots – « que sans concours extérieur, je vaincrai par moi-même des combattants sur le champ de bataille et que la palme de ma gloire ne sera pas revendiquée au titre de la peste et de la famine »213. Tenons-nous-en là sur la question. « Vous n’avez pas, par ailleurs, à vous étonner de ce que Stasagoras ait été expulsé de sa charge, puisque ce qui vous indigne vous sert ainsi que l’utilité publique : aussi bien que l’Athénien Stasagoras, la prêtresse du temple, relevée par ce magistrat de son sacerdoce, est, en effet, notre compatriote. Ne paraît-il donc pas exact qu’Alexandre a devancé la sentence de votre indignation, en

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uertit quam Stasagoras fecerat in sacerdotem omniaque quae illi in contumeliam nostri fecerit perinde ultus sit ut a nobis quoque ulciscenda esse praesumeret ? » 4. (240) In hisce etiamnunc Demosthenis oratio uersabatur et acclamatio protinus nimia Amphictyonum erat et tumultus incongruus. Ac Demadi silentium iubebatur, laudari uero nonnumquam Aeschines ab optumo quoque. Sed enim consensus populi uniuersus ire in sententiam Demosthenis. (245) Cum igitur obortum strepitum is orator aliquantulum compressisset, sic reliqua subnexuit  : «  Patiamini  », inquit, «  quaeso, Athenienses uiri, ut etiamnunc ad illa quae Demades magnopere dixerat respondeam. Ait enim Xerxen maria quidem muro munisse, profundum etiam nauibus constra(250)uisse, exercitu Graeciam compleuisse, aëra ipsum subtexuisse iaculis et sagittis, gentem Persidos denique superduxisse captiuitatibus Graeciae. Laudamusne igitur eius potentiam qui haec fecerit an exsecramur, quod urbes Graeciae spolians suam barbariem frequentauerit ? Quid ergo ad (255) haec exempla Alexandrum prouocamus ? Qui Graecorum quidem quisque sibi restiterit non captiuitati addixerit, sed uictoriae liberalitate correxerit unaque secum coegerit militare, professus palam id esse uotum regno et potentiae suae ut amicos quidem adficeret beneficiis, inimicos uero transduce(260)ret ad amicitias. Quod si id illi uotum et propositum fuit, Athenienses nos, qui amici Alexandro fuerimus, qui magisteria nostra eidem praeierimus, inimici tanto uiro malumus esse quam amici ? Id uero ego dici turpe Atheniensibus puto, fieri posse porro non arbitror. Turpe enim est nos quidem qui (265) illi magistri fuerimus consilio imprudentissimos deprehendi, illum tamen qui a nobis has scientiarum artes acceperit prudentia nos et sapientia praeuenire. Sed haec omittamus. Ad illa nunc animos aduertite. Quis rex tyrannusue quisque Graecorum imperatorum Aegyptum (270) aliquando adgredi aut irruere ausus est  ? Quod ille solus cum deorum auctoritate fecisset, clementiam suam reapse sic et beneficiis commendauit ut tantam illic urbem condiderit ac fundauerit quantam sub omni orbe terrarum nullam fama distulerit, idque in his regionibus factum quae nuper agere (275) sub dicione Persae uidebantur. Enimuero ipsis indigenis id petentibus ac deprecantibus qui cum Alexandro belli fortunam subire deligerent ille Alexander, ille, inquam, quem uos mente captum et percitum nominatis, hic Aegyptios oratione compressit qui diceret idcirco se illis tantam ciuitatem (280) urbemque condidisse ut ipsis exercentibus terram et quieti indulgentibus ac remissis ille pro uniuersis subditis militaret. Perfecit igitur partim experimentis his et ostentatione uirtutis, partim ratione pariter et oratione prudentiae, ut non solum parere ei libentibus sit Aegyptiis, uerum etiam ad ea (285) pendenda quaecumque sint regibus necessaria faciles animos habeant et uoluntatem. Videte denique quae quantaque primus omnium apud Aegyptum imperii sui [e]iecerit fundamenta. Quot enim exercitus milia 118

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retournant contre leur auteur les préjudices infligés par Stasagoras à la prêtresse et en punissant tout ce que celui-ci avait commis à notre encontre, comme lui présumait que nous l’aurions fait ? » 4. Dès ce passage, le discours de Démosthène déclencha les vifs applaudissements des Amphictyons et un brouhaha au-delà des convenances. On faisait taire Démade, les gens distingués multipliaient les éloges d’Eschine214, le peuple, dans son ensemble, s’accordait à suivre l’avis de Démosthène. Par conséquent, lorsque l’orateur eut un peu apaisé le tumulte qui s’était élevé, il poursuivit son développement  : «  Accepteriez-vous, Athéniens, je vous le demande, que je réponde maintenant à ce sur quoi Démade a tant insisté ? Il dit que Xerxès a protégé la mer derrière un mur, disséminé ses vaisseaux en eau profonde, rempli la Grèce de son armée, recouvert le ciel même sous les javelots et les flèches, accru la population de la Perse du fait des prisonniers grecs. Louons-nous donc la puissance du responsable ou bien la maudissons-nous d’avoir pillé les villes de la Grèce pour peupler son monde barbare ? Pourquoi inciter Alexandre à l’imitation de tels exemples ? Il n’a voué à la captivité aucun des Grecs qui lui résistaient mais, vainqueur généreux, les a corrigés en les forçant à combattre à ses côtés : ce en quoi il manifestait sans ambages que le vœu de son règne et de sa puissance était, certes, de combler de bienfaits ses amis, mais aussi de changer en amitiés les inimitiés. Si tels ont été ses vœux, telles ses intentions, nous, les Athéniens qui fûmes les amis d’Alexandre et lui dictâmes nos enseignements, préférons-nous être les ennemis plutôt que les amis d’un si grand homme ? Le dire me semble honteux pour les Athéniens, le faire, à mon sens, encore plus impossible, car pour nous, ses maîtres d’autrefois, c’est une honte de nous révéler dépourvus de sagesse politique, alors que celui qui a reçu de nous la pratique de cette science nous dépasse par l’intelligence de son discernement215. « Mais laissons cela ; à présent, soyez attentifs à ceci. Quel roi, quel tyran ou qui des généraux grecs a jamais osé attaquer l’Égypte ou l’envahir ? Ayant été, à l’initiative des dieux, le seul à le faire, il a, matériellement, par des bienfaits mis en valeur sa clémence au point d’y fonder les assises d’une ville, comme jamais la renommée n’en a porté la nouvelle de par le monde, et cela en des régions que l’on voyait naguère vivre sous la domination des Perses. Malgré les prières et les supplications des autochtones qui choisissaient de subir la fortune de la guerre en compagnie d’Alexandre, lui que, dis-je, vous appelez un écervelé, un agité, alors arrêta par sa parole les Égyptiens. Il leur avait, disait-il, fondé cette cité, cette si grande ville afin qu’ils travaillassent la terre et s’abandonnassent en paix au repos, pendant qu’il combattrait pour l’ensemble de ses sujets. À la fois par de pareils essais où se montrait sa vertu et par la sagesse de ses propos raisonnables216, il réussit à ce que les Égyptiens non seulement lui obéissent de bon gré, mais même se prêtassent volontiers et sans peine à payer tout ce dont les rois éprouvent la nécessité. Voyez enfin les belles fondations qu’en Égypte,

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urbs illa alere possit haud dubium est, neque his modo sufficiens qui moenibus suis at(290)que gremio teneantur, sed procul etiam laborantibus et dimicantibus idonea sustentatrix, una uiris unaque his omnibus quae sint multitudini necessaria opulens et abundans, facilis ad oboedientiam regis, prudentia eius scilicet qui sic instituerit obsequentium mores. Alimoniam petit : protinus pa(295)rent. Auro indiget : sunt uectigalia ditia. Militem quaerit : animis uolentibus praesto sunt. Et hisce nos opponemus periculum nostrum quibus utique per concordiam copulatis auctiores esse instructioresque poterimus, lacessitis uero, ne quid infaustius dicam, semper in armis et proeliis ? » 5. (300) In hanc sententiam Demostheni omnis Atheniensium numerus congruebat. Decernit denique coronam auream Alexandro esse mittendam pondo quinquaginta consultumque ordinis sui quo gratiarum actio teneretur una legatis qui honoratissimi forent eius urbis, dummodo ab illa oratorum (305) transmissione temperaretur. Profecta ergo legatio cum apud Plataeas regem Alexandrum offendisset insinuassetque mandata et Demosthenis una suasionem consensumque Amphictyonum uniuersorum, ad eiusmodi responsum regis beniuolentiam protinus trans(310)fert : « Scriberem uobis, Athenienses, ut rex, sed ab hac me appellatione distulerim, donicum omni barbaria subiugata effectus hic meus nomini Graeco proficiat. Enim, quoniam iampridem scripseram decem oratores uestros ad me destinari, quod eorum culpa inobsequentiae argueremini, scire (315) uos par est non eo me istud consilio fecisse quo potentiam meam in eos quorum disciplinis institutus essem aliquis experiretur. Etenim si id facto opus esset, utique una cum exercitu Martioque terrore ad uestra moenia transcendissem. Sed quoniam haec ostentatio inimica uel hostica est, idcirco (320) prudentissimos uestrum conuenire colloquio meo malui, ut cum his communis commodi disceptator subsiciui metus uos formidine soluerem. Enimuero uos qui conscientia premeremini nihil omnino sanctum erga mea obsequia consultantes, quin etiam explorantes idoneum tempus quo meos Ma(325)cedonas infestaretis, id animi prodidistis quod aduersum nos tunc etiam habuissetis cum patre meo Zacynthios oppugnante auxiliatores diuersae parti fueritis. Contra autem cum uos a Corinthiis oppugnaremini, Macedonum auxiliis et eorum suffragiis potiti Corinthiorum uim a uobis repulsam esse (330) meministis. Rursumque nobis Mineruae simulacrum ritu uestro erigentibus in Macedonia uos simulacra et imagines patris mei e templis ac sacris uestris deponendas esse duxistis. Egregiam igitur uicem pro tot et talibus beneficiis a uobis accepimus. Quae profecto uos etiam ad praesentem discordiam (335)

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premier entre tous, il a jetées de son empire ! Sans conteste, cette ville peut alimenter des milliers de soldats et ne se borne pas à répondre aux besoins de ceux qu’elle contient au sein de ses murailles, elle est même capable de nourrir au loin les travailleurs et les combattants ; plus qu’une autre, riche et abondante en hommes et en tout ce qu’exige le grand nombre, elle est prête à obéir à son roi, à cause de la prévoyance de celui qui, ainsi, a dressé les mœurs à l’obéissance. Il demande des vivres : sans tarder ils obtempèrent ; il manque d’or : les impôts l’enrichissent ; il réclame des recrues : elles sont dociles, à sa disposition217. Allons-nous, pour notre péril, affronter de telles forces ? En définitive, ou bien dans la concorde nous les rejoignons et nous pourrons dès lors avoir davantage d’autorité et un meilleur équipement, ou bien nous les harcelons et, pour ne pas dire un mot de plus mauvais augure, nous serons toujours sous les armes et dans les combats. »218 5. En masse, tous les Athéniens se rangeaient à l’avis de Démosthène : ils finissent par décider l’envoi au roi d’une couronne d’or d’un poids de cinquante livres ainsi qu’un décret du Conseil contenant leurs remerciements. Ils déléguaient également les personnes les plus honorables de la cité, à condition, toutefois, qu’Alexandre renonçât à se faire remettre les orateurs. L’ambassade partit, elle rencontra le roi à Platées, l’informe de sa mission, des effets persuasifs de Démosthène et de l’accord général des Amphictyons. Aussitôt Alexandre passa de la bienveillance à la réponse que voici : « Je vous aurais écrit en roi, Athéniens, mais je renverrai cette titulature au jour où, tous les barbares sous le joug, les résultats par moi obtenus serviront le renom de la Grèce. En fait, puisque naguère je vous ai écrit de m’expédier vos dix orateurs, étant donné que, par leur faute, vous étiez accusés de rébellion, vous devez savoir que mes actions n’ont pas cherché à donner la preuve de mon pouvoir sur ceux dont les leçons m’ont éduqué. Effectivement, s’il m’avait fallu agir ainsi, je me serais abattu sur vos murailles avec mon armée et les épouvantes de Mars. Mais parce qu’une telle manifestation est d’un adversaire, d’un ennemi, j’ai préféré que les plus sages des vôtres se réunissent pour conférer avec moi219, afin que, grâce à leur concours, je juge de notre intérêt commun et vous libère des craintes suscitées par un reste de peur. Vous, à l’opposé, pressés par la mauvaise conscience, vous abstenant en tous points d’une réflexion scrupuleuse sur vos devoirs envers moi et, qui plus est, aux aguets d’une bonne occasion pour assaillir mes Macédoniens, nous avez révélé ces sentiments contraires que vous aviez à notre égard, lorsqu’au siège de Zacynthe par mon père vous êtes allés au secours de la partie adverse. En revanche, lorsque les Corinthiens vous attaquaient, forts de l’aide et du soutien des Macédoniens, vous avez repoussé – vous vous en souvenez – les assauts corinthiens. Second exemple : tandis que, selon vos rites, nous érigions en Macédoine une statue de Minerve, vous, vous avez cru devoir expulser de vos temples et sanctuaires les statues et effigies de mon père : exceptionnelle récompense, n’est-ce pas ?, que nous recevions de votre part pour tant de si beaux bienfaits !220 Le souvenir de votre injustice passée vous conduisait, bien sûr, à la discorde d’aujourd’hui, en tout cas, il ne

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memoria iniquitatis uestrae ducebat non sinens utique animo nostro benignitatique confidere ob id uel maxime, ne quando maiestate hac regia sublimatus ad ultionem praeteritae iniuriae magis quam ad adfectum ciuicum raperer. Verum id neque mihi ad naturam est neque ciuica religio permittit, (340) cum me quoque apud uos studentem et ipsi Atheniensem esse malueritis et ego nomine hoc participato me glorier gloriatusque sim. Enim intellego naturale uobis esse sic sapere, cum praeterita quoque exempla in eos quorum consiliis uteremini hostili uos animo fuisse testentur. Sic Eucliden prae(345)dicatum apud uos sinceritate suadendi clausum carcere necauistis ; sic Demosthenen porro, cuius urbs uestra oratione pariter staret et cura, in exilium proiecistis ; tum Alcibiadem legationes uestras nauiter apud Cyrum et efficaciter prosecutum curiae uestrae consortio abrelegastis ; sapientiae denique (350) totius apud uos Socraten magistrum iniustissima morte multastis. Ingrati Philippo, qui tribus bellis auxilio uobis et suppetiis fuit, quique queramini de Alexandro uelut ob Stasagorae iniuriam, quae omnis uindictae uestrae profecerat  : idem enim Stasagoras sacerdotem Atheniensem sacerdotii uestri (355) dignitate priuauerat. Enimuero, quoniam ista haec nunc omnia ex animo et memoria nostra placuit aboleri, sic uobis ad praesentia[m] responsum habetote : probatas mihi satis laudatasque esse suasiones Aeschini, Demadem quoque non improbari, quod constantiam suam ciuibus curiae probatam (360) uellet, sed enim laudari praecipue Demosthenem, qui unus uerae utilitatis et commodi uestri tenax ea uobis quae essent ad amicitiam nostram suaserit. Sit igitur Atheniensibus dignitas quae cluebat neque ex me quidquam dubium formidauerit, cuius haec est uel maxima summa sententiae ut, (365) cum mihi aduersum barbaros pro libertate communi bellum et inimicitias elegerim, eam praecipue urbem Atheniensium tuear quae theatrum quoddam et communis curia uideatur esse Graeciae uniuersae. » 6. Cum in hanc sententiam Alexander Atheniensibus re(370) spondisset, collecto exercitu Lacedaemona proficiscitur. Id enim sibi uel opportunissimum tempus Lacedaemonii adrogabant quo uirium suarum potentiam demonstrarent in Alexandri inimicitiis, cuius concordiam tunc Atheniensium ciuitas maluisset. Aduentanti igitur ad urbem suam obiectarunt (375) claustra portarum classemque armis et militibus instruxere, quod utrimque terra uel mari formidulosos se fore Alexandro arbitrarentur. His rex compertis primum ad eos per epistulam loquitur qua moneret uti boni consulerent eamque gloriam bellicam quam maiores sibi strenue peperissent nullo turpi (380) periculo amitterent soluerentque. Etenim si quid eorum fortuna in praesentibus uacillaret, cunctae quoque priscarum memoriae gloriarum una sibi periturae uiderentur euenturumque profecto ut, dum Atheniensibus obstinationem suam pergerent ostentare, risui potius inimicis quam peri(385)culo hostibus forent. Igitur oportere eos nauibus derelictis armisque depositis amicitiae suae potius quam armorum capere 122

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vous permettait pas de vous fier à la bonté de notre cœur, car, avant tout, vous redoutiez qu’exalté par cette majesté royale, je ne fusse davantage entraîné à me venger des injures d’hier qu’à me sentir votre concitoyen. Non, une pareille attitude n’est pas dans ma nature et mes obligations civiques ne m’y autorisent pas, s’il est vrai que vous-mêmes auriez préféré que je fisse mes études chez vous et devinsse un Athénien, me glorifiant et glorifié de partager ce nom. Mais, je m’en aperçois, il vous est naturel de penser de la sorte, à preuve les exemples d’autrefois où vous eûtes des dispositions hostiles vis-à-vis de ceux dont vous utilisiez les conseils221. Ainsi avez-vous tué, après l’avoir enfermé en prison, cet Euclide vanté chez les vôtres pour la sincérité de sa parénétique ; ainsi encore l’exil où fut par vous jeté un Démosthène, soutien de votre cité par son éloquente vigilance ; et puis votre Curie s’est retrouvée unanime pour reléguer Alcibiade, alors qu’auprès de Cyrus il poursuivait avec zèle et efficacité la mission confiée par vous ; enfin, Socrate, maître de toute sagesse parmi vous, fut condamné à la plus injuste des morts222. Sans avoir remercié Philippe qui dans trois guerres vous avait aidés et soutenus, vous vous plaignez de l’injustice apparemment d’Alexandre à l’encontre de Stasagoras, bien qu’elle ait tout à fait profité à votre vengeance, ledit Stasagoras ayant privé une prêtresse athénienne de sa dignité sacerdotale, qui relevait de vous. Néanmoins, j’ai décidé de tout abolir de mon esprit, de ma mémoire. Voici donc ma réponse pour le présent : j’ai apprécié avec des éloges les suasoires d’Eschine, je n’ai pas pour autant désapprouvé Démade de vouloir pour sa constance l’approbation de ses concitoyens de la Curie, mais c’est surtout Démosthène que je loue, car, seul à s’en tenir à vos vrais intérêts et besoins, il vous a persuadés d’agir selon notre amitié. Aux Athéniens de posséder les titres de leur grandeur passée, sans avoir à craindre de moi la moindre ambiguïté : parce que j’ai choisi la guerre, la lutte contre les Perses au nom de la liberté commune, la décision qui avant tout prime à mes yeux est de sauvegarder particulièrement cette ville d’Athènes qui, pour ainsi dire, semble la scène et la Curie communes à l’ensemble de la Grèce. »223 6. Après avoir répondu en ce sens aux Athéniens, Alexandre rassemble une armée et part pour Lacédémone. Les Lacédémoniens, en effet, prétendaient avoir l’occasion ou jamais de montrer dans l’hostilité envers Alexandre la puissance de leurs forces, en s’en prenant à celui qu’en ce moment les Athéniens préféraient voir leur ami. À l’approche donc d’Alexandre devant leur cité, ils lui fermèrent les portes et, équipant la flotte en armes et en combattants, ils pensaient se rendre redoutables au roi à la fois sur terre et sur mer224. Alexandre l’apprend et commence par s’exprimer dans une lettre où il les avertissait de bien réfléchir et de ne pas perdre et dissiper dans des aventures sans honneur cette gloire militaire que par leur énergie s’étaient acquise leurs ancêtres. Car si, à présent, leur fortune venait à chanceler, tous les souvenirs des gloires anciennes sembleraient disparaître en même temps et, bien sûr, à continuer l’étalage devant les Athéniens de leur entêtement, il leur arriverait de provoquer le rire des adversaires plus qu’ils ne mettraient l’ennemi en péril. En conséquence, ils devaient, en abandonnant leurs navires et en déposant les armes, faire l’expérience

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experimentum. Ceteroquin quos sententia melior indidem non deduxisset flammis et incendio deponendos. Acceptis igitur hisce mandatis non modo flexi Lacedae(390)monii non sunt, sed ut confidentius in arma concurrunt. Coepto tamen atque exercito per biduum proelio non difficile Alexandro fuit flammis iniectis excidii periculum Lacedaemoniis ostentare. Quare tunc demum supplices submissique, ne illud excidium sibi et captiuitas perseueraret Alexan(395)dro, procedunt. Ad quos rex ait : « Equidem scio me integris etiam tunc rebus haec consulere uoluisse ; at enim uos cum post classis uestrae urbisque incendia supplicetis, non improbo uel serum poenitendi consilium. Sed enim utique uos exempla ducebant perinde arma nostra ut Xerxi Persica (400) posse propelli. Sat igitur sit quod de utroque diuersum Fortunae senseritis. » Et cum his dictis facessere protinus militem suum ab expugnatione urbis Lacedaemonos iubet liberamque eam et ad formam pristinae maiestatis ciuibus haberi permittit. 7. (405) Tunc rebus Graeciae sic compositis ire in barbaros tendit itinere per Ciliciam ordinato. At uero Darius conductis in unum satrapibus uniuersis et ducibus bellandi consilia quaerebat frequenter admodum recolens ut se opinio super Alexandro frustrata foret. Quippe illum incrementis bellicae rei (410) audiebat cotidie sublimari quem saepe latrunculum nominasset  ; neque iam sese nescire anceps sibi et uiribus hostium et imperii maiestate fieri certamen. Quippe etsi sibi auctior numerus militantium obsequeretur, audaciam tamen fortitudinemque se Alexandri demirari. Denique pudorem suum (415) haud dubie fatebatur quod ei uiro pilam habenamque misisset, quae cuiuis magis quam illi ad uirtutium meritum iusta essent. Ergo iubebat omnis in commune consipere quid factu melius repperissent. Neque enim cessatione aut desidia opus esse in hosce prouectus Alexandri uirtutibus procurrentibus (420) cumque in sese paulatim uices utriusque nominis demutarent, quas sic in contrarium resultare non absque diuina Prouidentia arbitrabatur, ut omne illud diadematis Persici decus ferme iam in Macedonica regna transisset. Et haec quidem Darius ad suos. (425) At uero eius frater Oxyathrus, uelut indigna mage a rege quam si uera dicerentur, « heu », inquit, « o frater, o rex, quid hoc tandem rei est quod tantum Alexandro isti laudator testis accedis ? Anne », inquit, « haec tibi iam meditata sententia est ut illi regno tuo cesseris, Macedoniam eius tibimet non (430) uindicaris ? Quin potius imitare industriam hostis tui : quod ille facturus ad nos pergit ac properat, id nos bellum Graecis inferamus. Neque ego hoc in loco ut ignauiae testis Alexandrum deformauero, qui hortor uti exemplis eius utare tu quoque, cum illum uideas nec ducibus nec

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de son amitié plutôt que celle des armes. Sans quoi ceux qu’une meilleure décision n’aurait pas tirés de là seraient délogés par les flammes des incendies. Au reçu de ces ordres, les Lacédémoniens ne se contentèrent pas de ne pas fléchir, mais courent aux armes avec encore plus de confiance. Le combat s’engagea et se déploya durant deux jours. Sans grand-peine, cependant, Alexandre et ses jets de tisons montrèrent aux Lacédémoniens qu’ils risquaient l’anéantissement. Aussi ces derniers finirent-ils par s’avancer la tête basse, en suppliant qu’Alexandre ne persévérât point à les anéantir ou à les capturer. Le roi leur dit : « Personnellement, je le sais, j’aurais voulu cette solution avant que rien n’eût été entamé, mais puisque après l’incendie de votre flotte et de votre ville vous me suppliez, je ne récuse pas, même tardive, cette décision de vous repentir. C’est que, guidés par les précédents, vous pensiez, en définitive, pouvoir repousser nos armes comme les Perses de Xerxès. Qu’il vous suffise donc de comprendre que dans les deux occurrences la Fortune n’était pas la même. » Ceci dit, ses soldats ont immédiatement à cesser le siège de Lacédémone et permission est donnée aux habitants d’occuper une cité libre, restaurée dans sa majesté antérieure225. 7. Les affaires de Grèce étant donc réglées226, Alexandre se fixe de marcher contre les barbares et son itinéraire prévoit de passer par la Cilicie. Darius, quant à lui, réunissant la totalité des satrapes et chefs militaires, tenait conseil sur conseil227, non sans se souvenir combien ses idées au sujet d’Alexandre avaient été démenties : il entendait chaque jour qu’avec le développement des opérations prenait de la stature celui que maintes fois il avait appelé un petit brigand ; il n’était pas sans savoir qu’entre, d’une part, l’ennemi et ses forces, de l’autre, l’empire et sa majesté, la confrontation devenait pour lui incertaine ; certes un plus grand nombre de combattants lui obéissait, mais l’audace et le courage d’Alexandre provoquaient son admiration. En un mot, il n’hésitait pas à reconnaître sa honte d’avoir envoyé à cet homme une balle et un fouet qui convenaient à tout autre qu’au Macédonien, si l’on s’en tenait au mérite et à la valeur228. Aussi les invitait-il tous à réfléchir en commun à ce qu’ils trouveraient de mieux à faire. Il ne fallait ni chômer ni lambiner face à de telles offensives, quand ce valeureux Alexandre allait de l’avant et qu’entre les deux puissances les rapports peu à peu se modifiaient à l’inverse. Ce rebondissement en sens contraire, pensait-il, n’échappait pas à la Providence divine, en sorte que déjà toute la splendeur de la couronne de Perse passait presque du côté du royaume de Macédoine229. C’était là ce que Darius disait aux siens. Mais Oxyathrus, son frère, comme si ces paroles étaient moins crédibles qu’indignes d’un roi, lui dit : « Hélas, ô roi, mon frère, qu’est-ce, enfin, qui t’amène à témoigner en faveur de cet Alexandre ? Serait-ce, ajoute-t-il, que déjà tu aies songé à lui céder ton trône, sans revendiquer pour toi sa Macédoine ? Imite plutôt le dynamisme de ton ennemi et cette guerre qu’il se hâte de continuer à nous faire, portons-la contre les Grecs. Et, en ce point, je ne vais ni défigurer Alexandre ni attester de son indolence, puisque je t’exhorte à suivre, toi aussi, son exemple, lorsque tu le vois ne se fier ni à ses généraux ni à ses avant-gardes

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praecursoribus confi(435)dentem, sed sibimet laboris omnis officia uindicantem haec agere quae tanta sunt. Quae tu quoque, si recte sapias, per te feceris. Viden ut primus irruat in proelia, prior intonet bellicum, prior periculum subeat, depositis quidem insignibus regiis, dum est miles, recuperatis uero, cum uictor est, nihilum (440) omnium cunctabundus aut differens, enimuero labore praesenti semper consilia subsecutus ? » Ad haec Darius : « Et ubinam », inquit, « haec tibi de Alexandro est comprehensa notitia ? » Tum Oxyathrus eius temporis memoriam refert quo ad Philippum missus petitum pe(445)cunias ab Alexandro adulescentulo etiam tunc minas eiusmodi excepisset quas de praesentibus experiretur. Quare boni consuleret rex Darius et satrapas omnium gentium quaeue indidem cogi possent exercituum milia aduocaret, non Parthis scilicet Elymisue, non Babyloniis aut Mesopota(450)miae data militiae [e]uacatione ; enimuero armanda tum Bactra, Indos etiam et Samiramidos regna censebat omnesque centum et octoginta gentes quas sibi subditas sciret ad commilitium ex[er]citare, ut, si nihilum amplius, certe uel ostentatio multitudinis terrore quodam Graecorum animis obsisteret. (455) Haec sententia placebat quidem admodum regi et adstipulabantur etiam plerique praesentes, nisi quod apud eos unum esse prae ceteris uiribus penes Graecos sat constabat quod plus prudentia mentis quam ualentia corporum possent. Ergo secundum haec Darius iubet omnem undique armatam mul(460)titudinem conuenire. 8. Alexander uero iter per Ciliciam agens, cum multum spatii sub aestiuo sole armis onustus pedibus exegisset, forte Cydnum, haud cuiquam secundum flumen uel magnitudine uel perspicui agminis nimio rigore, cum ponte transiret, de(465)lectatus eius euidentia pariter et magnitudine una cum armis praecipitat e ponte ac natabundus exit. Sed id factum etiamsi ei ad testimonium fortitudinis plurimum contulit, ualitudinem tamen discriminosius [u]icerat, quippe calente etiam tunc et sudante corpore incidens aquae illius (470) uehementiam uel rigorem tantam neruis iniuriam perniciemque tradiderat ut undique protinus doloribus concurrentibus morbi causa contracta uix expiabilis uideretur. Quare cum tempus plurimum laberetur neque mentibus sedulo curatio ulla pareret, Philippus nomine, sciens artis eiusdem et (475) sedulitate acceptissimus regi, conficit poculum quod diceret secundaturum. Id cum die statuto Alexander hausurus foret, forte Parmenion quidam e ducibus regis, enim infestus Philippo medico, huiuscemodi sententiae Alexandro litteras mittit qua Philippum hunc clandestina tractasse cum Dario (480) consilia commoneret uti per poculum saluti Alexandri insidiaretur ; eius rei mercede Philippo fore quod sororem Darii partemque regni cum Dario pepigisset  ; boni igitur consuleret rex et ab illa curationis spe temperaret. Suspectans Alexander proinde ut res erat epistulam quidem intrepidus (485) uultu et animo ad caput lectuli protinus ponit. Accepto autem poculo cum id iam haustui

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mais lui-même s’attribuer intégralement la charge pénible de conduire de si importantes actions. Si ton jugement est sain, à toi de payer autant de ta personne. Regarde comme il se précipite le premier au combat, comme, avant tous, il entonne le chant de guerre, comme, avant tous, il pénètre dans la mêlée. Alors simple soldat, il a déposé les insignes de la royauté mais les reprend à sa victoire. Nulle part de l’hésitation, de l’atermoiement : toujours l’effort immédiat accompagne sa décision. » Darius lui répond : « Où as-tu pris ces informations sur Alexandre ? » Oxyathrus de rappeler à sa mémoire l’époque où, envoyé auprès de Philippe pour réclamer le tribut, il avait dès lors essuyé du tout jeune Alexandre ces menaces dont le présent lui démontrait la réalité230. Dans ces conditions, il appartenait au roi Darius de bien réfléchir, en convoquant les satrapes de toutes les nations et les milliers d’armées qu’on pourrait en tirer. Pas d’exemption de service pour les Parthes, les élyméens, les Babyloniens, la Mésopotamie. Mais il faut encore, jugeait-il, armer Bactres, les Indiens, les royaumes de Sémiramis231 et mettre en branle dans une coalition la totalité des cent quatre-vingts peuples qu’il savait ses sujets pour qu’à tout le moins l’étalage de cette multitude opposât de l’effroi à l’ardeur des Grecs. L’avis plaisait beaucoup au roi et la plupart des présents s’y ralliaient, si ce n’est qu’il leur était évident que la principale force des Grecs résidait davantage dans le pouvoir de leur intelligence d’esprit que dans celui de leur vaillance physique232. En conséquence de quoi, Darius fait rassembler de partout des foules d’hommes en armes. 8. Alexandre, quant à lui, poursuivait sa route à travers la Cilicie ; il avait à pied effectué un long parcours sous le soleil de l’été et chargé de ses armes, lorsqu’il traversa sur un pont le Cydnus, un fleuve qui n’est facile pour personne à cause de sa largeur et d’un courant limpide mais fort glacé. Charmé par la transparence et cette largeur, il se jette, tout armé, du haut du pont et ressort à la nage. Le fait contribua beaucoup à prouver sa robustesse, mais sa santé en fut dangereusement atteinte, car, en plongeant, le corps encore échauffé et en sueur, dans une eau impétueuse et glacée, il avait communiqué à ses articulations un dommage si néfaste que sur le champ des douleurs lui venaient de partout : sitôt contractée, la maladie paraissait d’une cause peu aisée à soigner. C’est pourquoi, lorsque beaucoup de temps se fut écoulé sans qu’aucun remède obéit au zèle des médecins233, un dénommé Philippe qui s’y connaissait dans ces disciplines et que son dévouement rendait très agréable au roi, confectionna une potion qui, disait-il, le soulagerait. Au jour dit, Alexandre se préparait à l’absorber, quand Parménion, un de ses généraux – au reste, mal disposé à l’égard de Philippe –, envoya au roi une lettre dont le contenu l’avertissait : en accord secret avec Darius, Philippe combinait d’attenter par un breuvage à la santé d’Alexandre ; Philippe aurait eu pour salaire l’engagement de Darius à lui donner sa sœur et une partie de son propre royaume. Au roi, par conséquent, de réfléchir et de se garder de ce remède illusoire. Devinant ce qu’il en était en réalité, Alexandre, le visage aussi calme que son cœur, pose tout de suite la lettre au chevet de son lit ; il saisit la coupe et, au moment même où il l’approchait

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admouisset, eodem [per] momento etiam epistulam Philippo legendam dat. Cumque uno in tempore et ille potum quem acceperat transmisisset et hic litteras perlegisset, facile dedit medico intellexisse quid de (490) sedulitate eius opinionis habuisset. Denique cum curatio illa ad pristinum statum Alexandrum deduxisset Philippusque ultionem mendacii flagitaret, ut insidiatus regi Parmenion poenas capite dependit. 9. Igitur recepta ualitudine Alexander per Medos exerci(495)tum ducens iter illud multis admodum diebus per deserta regionis emensus est multamque aquae penuriam tolerauit. Tandem denique ad Euphratem ueniens, fluuium magnitudine haud cuiquam facile secundum, eoque constrato nauibus atque ponte, quo iter suis incunctantius persuaderet, pri(500)mus omnium pontem emensus auctoritatem cunctis audaciae praestitit. Omni igitur iam multitudine impedimentisque transmissis ilico solui pontem compactarumque ob id nauium iubet uincula. Id cum exercitus uniuersus indignantius accepisset, quod enim peruium sibi impedimentum illud (505) intranatabilis fluuii profecisset et utile arbitrarentur secundae meminisse Fortunae, accepto hoc murmure et indignatione militum rex in haec uerba contionatur : « Equidem fateor, milites, duas pariter res in animo esse diuersas, spem scilicet et pauorem, quarum alterum praeroga(510)tiua praeteritae uirtutis ostendit, aliud uero importuni metus opinionibus adumbrat. Quis enim non uidet abolendam prorsus memoriam esse uictoriae praecedentis, si praesenti[s] uestrae indignationi commodet fidem, qua regem uestrum Alexandrum inconsulte fecisse opinamini quod ad fugam (515) uobis infautissimum iter pontis dissolutione sustulerit ? Aut quid prorsus de spe uictoriae residebit, si id uerum est ? Vel quid mage contrarium foret huiusmodi uotis quam si quod animo praecepistis, id uobis tuto pateret ? Praesertim cum in opere militari formidinis incentiuum sit spes tutius (520) euadendi. Sed id quidem deus et uirtutis uestrae gloria procul fecerit. Enim ego, qui tot proeliis, tot uictoriis doctus nihil aliud nisi de incremento uestrae gloriae cogitauerim, profecto fecisse mihi uideor cum sententia fortiorum quod ignauiae intempestiuo reditu amputato soli prorsus uictoriae (525) uiam dextris et gladiis reserandam esse monstrauerim. Neque id dissimulabo quod sentio, adiuuare me uotis Fortunam eiusmodi ut, si ignauiae reditus requireretur, longe sit melius hic occumbere gloriose quam post nomen uictoriae praecedentis dedecorosius euasisse. Quin legem nobis fortitudinis (530) dicimus solis esse militandum qui cursum nouerint ad insequendum hostem potius quam ad periculi fugam. Quam cum perpetuo ignoraueritis, deos ego uobis immortales polliciti ac spei meae uades dixerim nihil omnino posse oboriri impedimenti quin, si solita uobis utamini fortitudine, debi(535)tam uictoriam capessatis. » Ad

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pour la vider, il tend la lettre à lire à Philippe. Simultanément, l’un avalait la potion qu’il venait de recevoir, l’autre parcourait le billet : ainsi le médecin putil comprendre facilement l’idée qu’Alexandre avait de son dévouement. Lorsqu’en définitive le remède eut ramené le roi à son état antérieur et que Philippe réclama la punition du mensonge, Parménion paya de sa tête ce qui fut reconnu comme un complot contre son souverain234. 9. Alexandre avait donc recouvré la santé et il menait son armée au milieu des Mèdes, parcourant sa route bien des jours durant à travers des régions désertiques où il avait à supporter une grande pénurie d’eau. Enfin, il arriva à l’Euphrate235, un fleuve dont l’ampleur l’emporte facilement sur n’importe quel autre. Il le recouvre d’un pont de bateaux que, pour convaincre les siens de ne pas ralentir leur progression, il fut le premier à emprunter236, offrant à tous l’exemple de son audace. Cela étant, quand la masse des troupes et du matériel fut transbordée, immédiatement il fit rompre le pont en ordonnant de couper les câbles qui, à cet effet, retenaient l’ensemble des bateaux. L’armée entière eut alors une réaction indignée : puisque, disait-elle, on ne pouvait passer le fleuve à la nage et que ce matériel avait été utile pour le franchir, il convenait, à son sens, de se rappeler que la Fortune n’est pas uniquement favorable237. Le roi se rendit compte des murmures indignés des hommes et il prononce cette harangue : « Soldats, je le reconnais, deux sentiments opposés se partagent le cœur ; je veux parler de l’espoir et de l’épouvante : le premier affiche les prérogatives du courage passé, la seconde, bien à tort, se reflète en des pensées craintives. Pourtant qui ne voit qu’il faut abolir complètement le souvenir de vos victoires d’hier, si, prêtant foi à votre indignation d’aujourd’hui, vous croyez à la folie de votre roi Alexandre, parce qu’en détruisant un pont, il vous barre la route d’une fuite plus que sinistre ? Si telle est la vérité, que vous restera-t-il, en un mot, de ces vœux de victoire ? Ou plutôt, quoi serait plus contraire à de pareilles espérances que d’avoir bien tranquillement à votre disposition ce à quoi d’ores et déjà vous vous êtes décidés, d’autant que dans l’action militaire l’espoir de s’en sortir en toute sécurité est une incitation à trembler ? Mais la Divinité et la gloire de votre vertu auront tôt fait d’écarter cela loin de vous, car moi que tant de combats, tant de victoires ont instruit, je n’ai pensé qu’à grossir votre gloire et vraiment je crois avoir agi suivant l’avis des gens courageux : en coupant aux lâchetés une retraite mal venue, j’ai montré que c’est vraiment à la seule victoire que, l’épée à la main, un chemin doit s’ouvrir. Et je ne vous dissimulerai pas mon opinion : la Fortune m’aide de ses vœux si bien que, rechercherait-on une lâche retraite, mieux vaudrait – et de beaucoup – succomber sur place dans la gloire que s’échapper ignominieusement, après la renommée de la victoire précédente ! Que dis-je ? Nous nous fixons pour règle de courage que seulement doivent être soldats ceux qui savent courir plutôt à la poursuite de l’ennemi que pour fuir le danger. Dès qu’une fois pour toutes vous aurez ignoré la fuite, je puis vous l’affirmer, les dieux immortels vous seront garants de ma promesse et de mes espoirs : aucun obstacle ne pourra vous empêcher, si vous recourez à votre courage habituel, de saisir une victoire qui vous est due. » Ces paroles d’Alexandre

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haec Alexandri uerba et fauor militum et animus excitatus nihil omnino praeter uictoriae desiderium celeritatemque conceperat. Sed enim cum omnis Darii exercitus propter Tigridis alueum locatus aduentum Macedonum exspectaret nec cuncta(540)bundus Alexander acie instructa sese hostibus obtulisset, coepto conflictu feruentique re bellica unus e Persis armis Macedonicis indutus, euitata hoc astu dinoscentia, ut propter similitudinem scilicet munimenti, a tergo Alexandrum ense infesto adoritur ac ferit. Sed ictus propter galeae fortitu(545)dinem habitus frustra dissiluit et ad comprehendendum protinus uirum satellites properant regique eum offerunt. A quo cum Alexander requisisset causas ausi huius, « primum », inquit, « Alexander, neque te clam sit, non ego ex numero tuo sum, enim uestratibus armis Persa uestitus. Verum cum satra(550)pes sim, dignitatem eiusmodi gloriae apud Darium praemium pactus sum ut, si interfecto te tantae rei compendium procurassem, cum regni parte filiam quoque regis ad coniugium promererer. Quae profecto haud dubie forent, ni tecum fortuna potius quam mecum stetisset. » His auditis (555) Alexander multis suorum praesentibus iterare eum iubet sermonem promissi et audaciae, laudatum denique fidei ac fortitudinis ad suos ire iubet, quod eum exemplo strenui utilisque praecepti apud milites suos [id] esse uellet, si pari fide se quoque sui satellites uterentur. 10. (560) Sed hoc quidem die[i] inclinatione tantum leuiter pro Macedonum partibus ostentata uterque exercitus ad castra discedit. Cumque reficiendo corpori ciboque capiendo essent, rursus alius satrapa Alexandro se offert cum dignitatis quidem illius professione, sed qui diceret se multa magna(565)que rei bellicae opera pro Dario gessisse, enimuero sibi haud parem gratiam repensatam. Si igitur sese susciperet, fore sibi admodum facile ut cum decem milibus reliquos Darii satrapas incursaret et caperet, una etiam ipsum quoque Darium facile comprehensurus. Ad haec Alexander reuerti hominem (570) et, si quid ualeret, auxiliari regi suo mandat, « qua enim  », inquit, «  spe alienos tibi milites tuto commiserim ciues tuos propriosque prodenti ? » Id tamen temporis etiamtum res absente rege Dario per eius satrapas agebantur. Hystaspes denique et Spinther scri(575)bunt regi iam pridem quidem se super Alexandri exercitu ea quae compererant nuntiasse, enimuero nunc longe auctioribus uiribus inuasisse partem Persici regni pluribusque interfectis et captis non sine periculo ac discrimine sese uexare ; oportere igitur se quam p[lu]rimum una cum omni exercitu (580) ad confligendum Alexandro praesto esse. His litteris Darius acceptis ipse quoque ad Alexandrum scribit in hac sententia : « Video tibi laboratum ne quid omnium faceres

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entraînèrent le ralliement des soldats qui, le cœur stimulé, ne pensaient qu’à leurs désirs de vaincre en agissant vite. Mais voici que toute l’armée de Darius s’était établie le long du lit du Tigre, dans l’attente de l’armée du Macédonien, et que, sans hésiter, Alexandre, ayant disposé son front, faisait face aux ennemis. Le combat s’engage alors. Dans la chaleur de l’action guerrière, un Perse, revêtu des armes macédoniennes, évite par cette ruse d’être reconnu, puisque, bien sûr, son équipement était le même ; de dos, il attaque Alexandre l’épée levée et le frappe. Mais le casque est solide : le coup ne porte pas et dérape. Immédiatement la garde se hâte d’arrêter l’homme et le présente au roi. Comme Alexandre lui demandait raison de son audace, il répondit : « Alexandre, avant tout, que cela soit clair pour toi ; je n’appartiens pas à tes troupes mais je suis un Perse sous l’uniforme de votre armée. Le fait est que je suis satrape et que, conformément à cette glorieuse dignité, j’ai avec Darius passé ce marché que, si, en te tuant, je lui procurais un aussi grand avantage, j’obtiendrais pour récompense, en sus d’une partie de son royaume, la main de la fille de mon roi. Et sans nul doute, il en serait ainsi arrivé, si la Fortune n’avait pas été de ton côté au lieu d’être du mien. » À ces mots, Alexandre, en présence de nombre des siens, fait répéter au Perse ce qu’il avait dit des promesses et de son audace, puis après l’avoir loué de sa fidélité et de son courage, il lui ordonne de retourner dans son camp. Il voulait ainsi qu’il fût pour ses soldats un modèle d’énergie et d’efficacité dans l’obéissance, cherchant à savoir si sa garde aurait à son égard une fidélité identique. 10. Mais ce jour là ne se manifesta qu’un faible avantage en faveur du parti macédonien et chacune des deux armées rentra dans ses cantonnements. Comme on était à se remettre en état et à prendre de la nourriture238, se présente à nouveau devant Alexandre un autre satrape qui, mettant en avant sa dignité, lui dit qu’après tant de beaux exploits accomplis au combat pour Darius, il n’avait pas reçu une récompense de poids égal. Si donc Alexandre l’accueillait, il lui serait très facile avec dix mille hommes de pourchasser les autres satrapes, de les capturer, voire même avec eux il n’aurait pas de peine à arrêter Darius en personne. En réponse, Alexandre commande à l’homme de s’en repartir et, s’il en était capable, de secourir son roi, car, dit-il, « à quoi m’attendre, si, sans me faire du souci, je te confie des soldats qui te sont étrangers, alors que tu trahis tes propres concitoyens ? » Encore à cette époque, le roi Darius n’étant pas sur place, les affaires étaient conduites par ses satrapes. Hystapes et Spinther finissent par écrire au roi que depuis longtemps ils l’avaient informé des renseignements reçus sur l’armée d’Alexandre, mais qu’à présent celui-ci envahissait une partie du royaume de Perse avec des forces nettement accrues et qu’ayant multiplié les morts et les captures, il ne cessait de les malmener, non sans que leur position devînt dangereuse et critique ; il fallait donc que lui-même, avec toute l’armée, se disposât, au plus tôt, à rencontrer de front Alexandre239. Quand cette lettre lui fut remise, Darius, lui aussi, écrit au Macédonien comme suit : « Je constate que tu t’efforces de ne rien faire qui puisse te promettre

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quod tibi apud nos ueniam polliceretur. Ita et adrogans litteris et latus audax in hac eadem te(585)meritate exstitisti ut quiduis horum ad animum meum uenerit excitare me potius ad ultionem quam ad misericordiam queat flectere. Non igitur adeo pertaesos deos regni mei et orientis sui sedis existimo ut ad occidua tecum pariter migraturi sint. Quos ego facio iuroque ultioni me[ae] (590) debitae non defuturum. An tu putas seruire te mihi artifici isto obsequio quod matri coniugiue ac liberis meis clemens es ? Equidem puto matrem mihi in deos abisse, filios uero nec susceptos quidem habere, nec coniugem habuisse. Quin magis omnia haec ferro et uindicta prosecuturum. Quippe si saperes ac uelles eorum aliquid quod iracundiae meae mederi potuisset, ipse ad me supplex uenires ac paenitens ; foret enim ut uertente ad ueniam animo his te honoribus prosequeremur quibus te diis aequa[n]tum esse gratularere. Quod si non facias, sane saeuias quantum libuerit in meos. Neque (600) enim mater aut coniux neque liberi habiti clementius ad mansuetudinem me praeuerterint. Habes igitur mandata haec atque suprema  : respondeto quod uoles alterumque optato uel exspectato, id est ueniam mali an poenam. » Haec cum laetior Alexander audisset suisque legisset, ipse (605) quoque respondit non minus sibi pertaesas esse uaniloquentias et iactantias barbari quam sperare illum diis quoque infestis haec dicere, quippe qui timens et metu percitus constantiam uerbis inconsultioribus fingeret, uerum ageret rem timentis. Quod ergo adfectus eius eorum reueren(610) tia spectet, non Dario illud, sed communi humanitati praestari. Se tamen protinus ad ipsum esse uenturum, modo si aduentus ille ceteris Persis placeret, quibus utique praeterita experimenta displiceant  ; qua re a se quoque supremas litteras datas, cetera uero manu esse complenda. 11. (615) Hic uterque exercitus bello paratur. Cui Alexander cum plurimum conscripsisset, satrapis Phrygiae uel Cappadociae Ciliciamque aut Paphlagoniam uel Arabiam obtinentibus uestium militarium protinus competentem ad militantium numerum et armorum quam maximum numerum (620) iubet ; in quo usus tria milia camelorum apud Syriam agi mandauerat, ne quid eorum quod usui foret belli commodo moraretur. Eodem sane tempore Darii duces multas eiusmodi litteras misitauere quibus fatigari sese multosque admodum optima(625)tium interemptos, quosdam etiam ad Alexandrum transisse nuntiarent. Haec omnia in id Darium excitabant ne quid segnius praetermitteret. Igitur ad Porum quoque scribit Darius petitque sibi auxilia plurima. 12. Sed Porus ualitudine corporis excusata atque in tem(630)pus dilatis petitis rescripserat. His compertis Darii mater, quae una cum

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notre pardon. Ta lettre240 est si arrogante et dans cette témérité tu te dresses avec tant d’audacieuse hauteur que tout ce qui me vient à l’esprit est plus capable de m’incliner à la vengeance qu’à la miséricorde. Je ne crois donc pas les dieux si dégoûtés de mon royaume et de leur résidence en Orient qu’ils veuillent émigrer vers l’Occident en ta compagnie. Je les prends et jure par eux que je ne manquerai pas à la vengeance qui m’est due. Crois-tu, parce que tu as de la clémence pour ma mère, ma femme, mes enfants, que cette déférence artificieuse fasse de toi mon serviteur ? Moi, je pense que ma mère s’en est allée chez les dieux, que je n’ai pas d’enfants reconnus, que je n’ai pas eu de femme. Ou plutôt c’est pour tout cela que d’un fer vengeur je vais te poursuivre. Car si tu avais du jugement, si tu voulais, entre autres, un moyen de calmer ma colère, tu viendrais toi-même me supplier avec contrition ; il arriverait que, mon esprit se tournant vers le pardon, nous t’entourerions de ces honneurs qui, tu t’en féliciterais, t’égaleraient aux dieux. Mais si tu n’agis pas de cette façon, tu peux sévir autant que tu le voudras contre les miens. Un peu de clémence au bénéfice de ma mère, de ma femme, de mes enfants ne saurait d’avance me tourner vers la mansuétude. Tu as donc mes derniers commandements. Réponds ce que tu veux à l’avenir. Soit le pardon, soit le châtiment de tes méfaits, à toi de souhaiter l’un ou bien de t’attendre à l’autre. » Avec vive allégresse Alexandre écouta le message et le lut aux siens. Il répondit que, lui, n’avait pas moins de vrai dégoût des paroles creuses et de la jactance du barbare que de confiance en l’hostilité des dieux également à l’encontre de qui tenait de tels propos, car, apeuré et frappé de crainte, dans un discours des plus insensés, on feignait la détermination, mais l’action était celle d’un peureux. En ce qui regarde les personnes chères et le respect qui leur était marqué, l’hommage ne s’appliquait pas à Darius, mais à la commune condition humaine. Il viendrait droit à lui, pourvu que cette venue plût aux autres Perses auxquels, en tout cas, ne plaît pas ce qu’ils ont éprouvé antérieurement241. Pour cette raison ce serait aussi de son côté la dernière lettre envoyée, le reste désormais devant s’accomplir à la force du bras. 11. Chaque armée se prépare alors au combat. Alexandre qui avait beaucoup complété la sienne, commande aux satrapes de Phrygie et de Cappadoce ainsi qu’à ceux en poste en Cilicie, Paphlagonie et Arabie des tenues militaires directement appropriées au nombre des soldats, et pour les armes, le plus grand nombre possible. À cet usage, il avait ordonné le mouvement en Syrie de trois mille chameaux pour que rien de ce qui sert les besoins de la guerre ne fût retardé242. Au même moment, les généraux de Darius multipliaient des lettres pour annoncer leur épuisement, la mort de vraiment beaucoup de notables et même le passage de certains d’entre eux dans les rangs d’Alexandre. Tout, en cela, incitait Darius à ne rien négliger par trop de passivité243. Il écrit donc aussi à Porus et lui demande grande quantité de renforts. 12. Mais Porus, alléguant son mauvais état de santé, avait répondu en laissant attendre pour un temps ce qu’on lui demandait244. L’apprenant, la mère

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Alexandro erat, clam litteras facit easque ad filium destinat scriptas in hanc sententiam : « Rogodune mater Dario filio salutem dicit. Fama est te coacto exercitu ad proelium tendere, profecto nescientem quod orbis quoque (635) uires ad sese uenientes rex Alexander facile contempserit. Nollem igitur, nate mi, incertum futuri a te praeoptari praesentibus, cui fortasse sit promptius de quiete aliquid uel amicitia consultare. Quid enim omnium est quod te excitet ad indignationem, cum ipsae nos quoque, quibus fortuna time(640)batur tristior, honore quo domi nulliusque indigentes agitemus ? Boni igitur consules, si de pactionibus uideris. » His lectis Darius illacrimat : hoc ipso tamen ad indignationem excitamento utebatur quo putaret indici iniuriam uiribus suis, si de pactionibus meditaretur. 13. (645) Alexander nihilominus propius iam Persas aderat adeo ut in conspectu eorum etiam muros haberet. Enimuero aestimationem intellectam aduentus sui in hunc modum ludit  : pecua multigena seu armenta, quae illis in pascuis abundarent, coacta comprehendi, eorum cornibus frondentes et (650) auctiusculos ramos adnecti iubet ; tumque aliis ramulis adnexis ad caudas pecudum singularum agi praeimpedita hactenus mandat utramque speciem pariter imitatus, ut et erectis frondibus quae adnexae cornibus ferebantur siluestrem quandam speciem prae se agerent ex qua oculi insequen(655)tem exercitum foret, et tractis ramulis puluis excitus omnem dinoscentiam ueri eminus confudisset. Et hoc igitur ex puluere nebulaque eius per immensum quae latius agebatur obstupefacti iam primum, tum etiam ultra opinionem magni exercitus territi Persae stupore defixi sunt. Iam per internun(660)tios facultatem belli dari sibi decreuerat Alexander postulare eaque cura depressus in somnum est somniatque sibi deum Ammona[m] adstitisse omnem habitum quo deum Mercurium pingi uisitur sibimet porrigentem cum bis mandatis : « En tibi, fili Alexander, adsum in tempore moneoque ab illo (665) te quem legare institueras ad Darium prodi potuisse. Enimuero forti animo age teteque ipso pro te utere internuntio, uidelicet hoc omni habitu adornatus quem nunc a me tibi offerri consideras. Id enim, etsi parum consultum aliis uidetur regem sui ipsum pro se nuntium fieri, tibi tamen istud auxi(670)lio nostro procliue est. » 14. Paret rex monitis dei protinusque Eumedo comitante equo uectus, praeterea alio subsidiario sibi adscito, mandatum agit. Igitur cum ad Strangam fluuium deuenisset, qui plerumque ex uehementia niuium adeo stringitur et conge(675)lascit ut instar saxi uiabilem sese transeuntibus uiris, carris etiam quam onustissimis praebeat, atque ex hoc ingenio sui tunc gradabilis foret, ibidem accepto habitu quem deus monitor praemonstrauerat ipse quidem uno usus equo coeptum iter agit. Eumedum porro cum equis

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de Darius, qui était près d’Alexandre, rédige en ces termes une lettre secrète et l’expédie à son fils : « Rogodune, sa mère, salue son fils Darius. On raconte qu’ayant rassemblé une armée, tu marches au combat. À coup sûr, tu ignores que les forces de l’univers se mobiliseraient-elles contre lui, Alexandre sans peine les mépriserait. Je ne voudrais donc pas, mon enfant, que tu préfères les incertitudes du futur aux réalités présentes, alors que plutôt il te serait peut-être facile d’avoir des pensées de paix et d’amitié. Qu’est-il au monde pour t’inciter à l’indignation, quand, nous aussi, qui redoutions un sort plus funeste, nous vivons honorées comme chez nous, sans manquer de rien ? Aussi trouve bon de pourvoir à des accords. » À la lecture Darius pleura245, ce qui pourtant servait d’excitant à son indignation, car il pensait que s’il envisageait des accords, cela porterait ouvertement préjudice à ses forces. 13. Néanmoins Alexandre se rapprochait des Perses, si bien que déjà il avait même sous ses yeux leurs murailles. Mais il déjoua comme suit une évaluation correcte de son approche. Des troupeaux et toutes espèces de bétail abondants dans ces parages sont regroupés de force et à leurs cornes il fait attacher des branchages feuillus de bonne grandeur ; puis, lorsqu’on en eut attaché d’autres à la queue de chaque bête, il commande de les pousser empêtrées qu’elles étaient, en veillant seulement à simuler à la fois une double apparence : portant les frondaisons attachées bien droit aux cornes, elles poussaient devant elles une sorte de forêt derrière laquelle cacher les troupes à l’attaque, tandis que les traînées de branches soulevaient une poussière brouillant de loin toute appréciation du réel246. À cause donc de la poussière et du nuage soulevé qui indéfiniment gagnait en largeur, les Perses, d’abord stupéfaits, puis effrayés par ce qu’ils jugeaient supérieur à une grande armée, furent cloués sur place de stupeur. Déjà Alexandre s’était décidé à réclamer par l’entremise d’envoyés qu’on lui donnât la possibilité de combattre. Accablé par cette préoccupation, il tomba en sommeil. Il rêve que s’est présenté auprès de lui le dieu Ammon et que ce dernier lui tendait le costume que reproduisent les peintures du dieu Mercure247. Telles étaient ses recommandations : « Tu vois, mon fils Alexandre, je suis à ton côté au bon moment et t’avertis que celui que tu t’apprêtais à déléguer à Darius aurait pu te trahir. Agis donc avec détermination et prends-toi pour envoyé, je veux dire, équipe-toi complètement du costume que tu me vois t’offrir. Les autres ont beau juger peu prudent qu’un roi se fasse son propre messager, il va de soi qu’ainsi nous t’aiderons. » 14. Le roi obéit aux avis du dieu et, sur-le-champ, avec Eumède pour compagnon, il enfourche un cheval, emmenant aussi un autre en remplacement ; suivant les ordres, il arriva donc au fleuve Stranga. D’ordinaire, l’impétueux enneigement qui gèle l’eau du courant la rend si compacte qu’à l’instar d’une chaussée empierrée, elle s’offre au passage des gens, voire des chariots chargés à plein : elle est alors naturellement praticable à la marche248. Là, il revêt le costume que son divin instructeur lui avait déjà montré et, empruntant un seul cheval, il poursuit son chemin. Quant à Eumède, il lui ordonne de rester sur

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duobus ibidem sub(680)sistere ac sese opperiri iubet. Igitur transmisso flumine, cuius latitudo est haud minus stadii mensura, ad ipsa regis tentoria penetrat. Sed cum habitum uiri Persae demirarentur opinionemque sibi ferme de deo ipso suaderent, nihilominus ecquis foret quaeritant[em] et uolentem conuenire regem proti(685)nus illo deducunt. Enimuero forte Darius tunc uisendi exercitus sui causa processerat hortandisque animis suorum de ignauia Macedonum contionabatur. Iamque aderat Alexander et habitum illum pompamque regiae magnificentiae mirabatur. Denique non absque ea dubitatione egit utrumne (690) adorandus sibi idem rex foret : ita omni cultu tunc capitis tunc uestitus, sceptro etiam et indumentis pedum magnifice adorabatur aderantque ei satellitum milia stupore barbarico regem suum ut deum praesentissimum demirati. Sed uiso habitu eiusmodi rex Darius cum officium quoque quod (695) simulauerat Alexander cognouisset, idem Alexander prior : « En tibi adsum internuntius quidem, enimuero quem nihilo secus ipsi Alexandri praesentia opinere, uerbaque eius et mandata sunt talia : ‘Ego’, inquit, ‘arbitror eum regem qui parum festinanter contendet ad proelium iam ipsum sui igna(700)uiae et diffidentiae testem esse. Quare ne ultra cessaueris, quin protinus respondeto quod tempus nobis agitando proelio dederis.’ » Ad hanc confidentiam dicti cum excitatus animo Darius « numnam quaeso », dixisset, « tu ipse Alexander ades, qui adeo nihilum reuerens nostri confidentissime (705) loqueris ? », responsum accepit sese quidem internuntium esse, enim pro ipso Alexandro uti praesente loqui oportere. Accepit haec Darius dicta clementius et « quoniam », inquit, « morem legationis huius Alexander quidem secus honoratur, ad sacrificium hinc ac deinceps ad conuiuium reuer(710) tamur. » Post haec dicta cum manus rex Alexandro apprehendisset atque in regiam ingressi forent, id quoque sibi auspicato fieri Alexander arbitratus est quod uolente rege in eius regiam deducebatur. 15. Igitur ubi tempus cenandi fuit rexque accubuit ceteri(715)que secundum ordinem dignitatis, ut illis mos erat, discubuere, aduersim tamen Darium cenare sedentarius iussus Alexander honore legati omnium oculos in se facile conuertebat. Quamquam enim breui corpore neque ad Persicam magnitudinem haberetur – plerique ferme auctiusculi sunt –, (720) tamen et fil[i]o oris et reliquo membrorum situ admirabilis uisentibus erat. Igitur conuiuio iam procedente eiusmodi quid facere Alexandrum subit. Poculum enim ut quodque ad bibendum acceperat ubi strinxisset, uas ipsum in sinum sibi condere atque ut proprium coeperat detinere. Quod ubi (725) a[d] ministris regi est indicatum, incertum id damnumne an contumeliam ratus insurgensque Darius « ecquid », inquit, « hoc est quod pocula oblata hoc furatrinae genere auertisti ? » Sed ubi de motu corporis Alexander intellexit quid in Dario mobilitatis animi foret – hac enim ex causa id consilium ex(730)sequebatur – « O rex », ait, « morem ratus hic quoque Alexandri nostri seruari id quod apud nostros didiceram exsecutus sum ; quippe illi 136

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place avec les deux autres chevaux et de l’attendre. Par conséquent, après avoir traversé le fleuve qui ne mesure pas moins d’un stade de largeur, il pénètre proprement dans le camp royal249. Les Perses admirent le costume et sont près de se persuader que c’était un dieu en personne. Cependant ils l’interrogent sur son identité et, comme Alexandre veut rencontrer le roi, ils le conduisent à lui sans tarder. Or il se trouva que Darius, s’étant avancé afin d’inspecter ses troupes et de ranimer leur moral, discourait sur l’apathie des Macédoniens. Maintenant Alexandre était en sa présence, il admirait la tenue de Darius, la pompe de la majesté royale et n’était pas, en définitive, sans se demander s’il devait se prosterner devant le roi, tellement celui-ci se parait de toutes les magnificences, qu’il s’agît du luxe tantôt du couvre-chef, tantôt des vêtements, ou bien encore du sceptre ou de l’enveloppe de ses pieds ; et tout autour il y avait des milliers de gardes qui dans leur stupeur barbare admiraient le souverain comme un dieu incarné. Mais quand Darius aperçut le genre du costume, et eut aussi appris la soi-disant mission d’Alexandre250, le même Alexandre fut le premier à parler : « Me voici envoyé auprès de toi mais tel que, de ton avis, Alexandre, s’il était ici, ne serait en rien différent ; ses paroles, ses commandements sont les suivants : ‘Selon moi – je le cite – un roi qui ne s’empressera guère d’aller au combat prouve déjà sa propre lâcheté et son manque de confiance.’ C’est pourquoi ne tarde pas davantage et, tout net, réponds-moi plutôt sur le moment que tu nous fixes pour livrer bataille. » L’arrogance du propos choqua Darius : « S’il te plaît, dit-il, es-tu toi-même ici Alexandre pour parler de façon aussi arrogante, sans aucun respect pour notre personne ? » Il reçut pour réponse qu’il n’était qu’un envoyé mais devait s’exprimer au nom d’Alexandre, comme si celui-ci eût été présent. Darius mit plus de douceur à recevoir le propos et, ajoute-t-il, « puisque dans cette ambassade Alexandre s’en tient au respect des usages, rentrons sacrifier, puis dîner.  » Sur ces mots, le roi prit la main d’Alexandre et ils pénètrèrent dans le palais, ce qu’Alexandre jugea de bon augure, puisque, de par la volonté du roi, il était emmené en sa royale demeure. 15. Quand fut arrivée l’heure du dîner, le roi s’allongea et, ainsi que le veut la coutume, tous les autres se répartirent les lits dans l’ordre protocolaire251. Alexandre, que, par égard pour le messager, Darius fit asseoir au repas en visà-vis, attirait facilement sur lui tous les regards. Bien qu’il eût la taille courte et ne fût pas de la stature des Perses, qui, en général, sont plutôt assez grands, on l’admirait en voyant le profil de son visage et, par ailleurs, la complexion de son corps252. Déjà donc le banquet suivait son cours, quand Alexandre eut à l’esprit de faire ce que voici : chaque fois qu’il recevait une coupe pour boire, à peine l’avait-il en main qu’il se mettait à cacher l’objet dans sa ceinture, le conservant comme sa propriété. Les serviteurs en informèrent le roi. Se demandant si c’était un préjudice ou une offense, Darius se leva aussitôt et dit : « Est-ce à la façon d’un voleur que tu as dérobé ces coupes qu’on t’offrait ? » Mais, au mouvement du corps, Alexandre avait compris ce qui agitait les pensées de Darius – c’était, d’ailleurs, pour cette raison qu’il suivait un tel plan : « Ô roi, dit-il, j’ai cru qu’ici aussi on observait l’usage de notre Alexandre et j’ai suivi ce que j’ai appris des

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liberalitatis haec forma est uti principibus ac ducibus suis quos tali conuiuio dignanter acceperit priuata pocula fieri sinat quaecumque acceperint haurienda. Quod (735) ego magnanimitate illi te quoque parem ducerem non in contumeliam traxeris. » Hoc blandimento responsionisque eius gratia cum rex ceterique permulsi essent, admirationem sui silentio testabantur. Sed id silentium ferme ad periculum uergit. Vnus quippe ex conuiuantibus cui uocabulum Pasar(740)ges erat olim Philippi hospitio receptus et ibidem Alexandrum etiam puerum continatus, paulatim in memoriam relabens eundem ipsum esse quem opinabatur animo confirmat. Sensim igitur Dario quem comprehenderit Pasarges intimatum uenit. Eoque permotus rex praeque magnitudine (745) prosultans, quid illud esset quod tantopere excitaretur nulli mage quam ipsi Alexandro prodit, id enim quod euenerat iam pridem animo suspectanti, unaque cum poculis quae sinu gestans habebat conclaue procurrit ibique pro foribus offendit unum e Persis equum quo aduectus fuerat detinen(750)tem. Ne quid igitur improperiter in re tali fecisse, custodem quidem equi gladio perfodit, adscenso autem eo fugae consulit. Quod ubi Persis uisum intellectumque est, quam[quam] raptim arma capere, ipsum quoque fugientem insequi properabant. Enim et illis molitio tardior et Alexan(755)dro efficacior fuga erat, nisi quod intempesta iam nocte eaque nullis lunae adminiculis illustri aliquanto cunctantius regi gradienti suppetita est forte etiam lampas ex obuio. Quae cum sibi praelucens facesseret, eo et ipse properantius et nullo tali subsidio Persae tardius agitabant. Sed enim (760) Darius maestior damno elapsi hostis, cum inter spem metumque animo uolutaret, casu eiusmodi ad maiorem formidinem confirmatur. Forte in conclaui eo in quo tunc rex agebat imago quaedam Xerxi sublimius posita, uel ob memoriam maiorum uel de picturae spectabilis gratia Dario (765) acceptissima, erat. Ea repente fatiscente compactu procidit dissilitque. Id Darius ut res erat coniectans animo macerabatur. Enimuero Alexander omne intersitum spatium iam mensus, ubi ad Strangam fluuium accessit, ratus fore uti eum pariter ut uenerat peruiaret, equum quoque quo uehe(770)batur impellit primitias congelationis inuadere. Sed exesa uidelicet uel soluta super omni crassitudine ac gelu cessit aequoris facies ad pondus equitantis. Vterque igitur cernuantes in profundum fluminis ruunt. Sed enim equum agmen uiolenti gurgitis pessum tractum auerterat, rex uero natatu quam (775) ualentissimo emensus periculum alterius ripae iam potiebatur, cum eminus uidet insecutos sese Persas iam litori aduenisse frustra habitos spe transgressus, desperata etiam comprehensione, reditui consultare, quippe cum Persae non modo ad natatus huiusmodi audere non soleant, sed ne naui(780)gabile quidem ob nimiam uehementiam flumen hoc

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nôtres. Sa libéralité prend, en effet, cette forme qu’aux grands et aux généraux dignes d’être reçus à un semblable banquet il laisse en pleine propriété les coupes qu’ils avaient reçues à vider ; puisque je t’estime d’une égale munificence, ne va pas en conclure que je t’ai offensé. » Le roi et tous les autres furent charmés par les gracieuses flatteries de cette réponse253 et ils témoignaient en silence de leur admiration. Mais ce silence faillit tourner à la catastrophe. Un des convives, nommé Pasargès, avait, en effet, autrefois reçu l’hospitalité de Philippe et làmême rencontré Alexandre encore dans l’enfance254 . Peu à peu retombant dans ses souvenirs, il s’assure l’esprit que l’homme était bien le sujet de ses pensées. Discrètement on vient donc dénoncer à Darius l’homme reconnu par Pasargès. Fort troublé par l’importance de la prise, le roi bondit et au Macédonien plus qu’à tout autre il livre la cause de son excitation. De fait, depuis un moment Alexandre se rendait compte des événements. Avec les coupes emportées dans sa ceinture, il traverse la salle et là, devant la porte, se heurte au Perse qui tenait le cheval avec lequel il était arrivé. Pour ne pas perdre de temps à cela, il perce de l’épée le garde de sa monture, grimpe sur elle et veille à s’enfuir. Dès que les Perses s’en aperçoivent et comprennent, ils se hâtent le plus vite possible de prendre les armes et de poursuivre le fuyard. Mais leur mobilisation était plus lente et Alexandre réussissait mieux dans sa fuite, à la réserve que la nuit déjà était profonde et que la lune n’aidait pas à l’éclairer. Sa marche quelque peu hésitante eut néanmoins le secours fortuit d’une torche qui, tournée à sa rencontre, bougeait vite en brillant devant lui, si bien qu’il accélérait sa progression, tandis que, privés d’un tel soutien, les Perses marchaient moins rapidement255. Cependant Darius s’attristait de la funeste échappée de son ennemi et ses sentiments roulaient de la crainte à l’espoir, lorsqu’un accident le confirme dans ses inquiétudes dès lors redoublées : par hasard le roi se trouvait dans une salle où le portrait de Xerxès était fixé tout en haut. Darius l’appréciait beaucoup, soit en souvenir de ses ancêtres, soit que la peinture fût remarquable. Brusquement la charpente se fendit et le portrait tomba en mille morceaux. Interprétant le fait comme l’état de la réalité, Darius se consumait l’âme. Déjà Alexandre avait parcouru tout l’espace qui le séparait du Stranga. Quand il parvint au fleuve, croyant qu’il le passerait comme il l’avait fait à l’aller, il pousse aussi le cheval qu’il montait à se porter sur les premières glaces. Mais, à l’évidence, sur toute son épaisseur, le gel avait fondu, complètement rongé et, sous le poids du cavalier, la couche superficielle céda. Précipités, les deux sombrent dans les profondeurs du fleuve. Mais alors que le courant du violent tourbillon tirait le cheval vers le bas, le roi, grâce à une brasse extrêmement vigoureuse, surmonte le péril et il gagnait désormais l’autre bord. À cet instant même, il voit au loin les poursuivants perses se rapprocher bientôt du rivage, mais faute d’espérer traverser, décider la retraite sans avoir davantage l’espoir de l’attraper. Effectivement, les Perses n’ont pas pour habitude de se risquer à ce genre de natation ; ils considèrent même ce fleuve comme impropre à la navigation à cause de son excessive impétuosité256. Par la suite, à un Darius

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habeant. Igitur stupenti Dario demirantique quae gesta sunt cassum laborem referunt insecutores. Alexander uero menso alueo offendit Eumed[in]um, quem una cum equis duobus ibidem sibi subsidiarium dereli[n]querat. Tum illi et gestae (785) rei seriem explicat et, ubi ad exercitum redit, duces quoque laeto[s] facto participat. 16. Omnem exercitum sibi iam iamque adesse instructum armis iubet. Qui cum omnis in centum et uiginti milibus numeraretur, « ne », inquit, « ne sit uobis aliquid, milites, quod (790) cunctemini : quaecumque fuerant ex hostibus noscitanda ipse per me praesens oculis deprehendi. Neque, si foret periculum de multitudine ignauorum, non prompte uobis fidem rei compertae dixissem. Sunt enim illa inexplicabilia hostium milia, sed enim seges prorsus facilisque materia mani(795)bus ac uirtutibus nostris, nisi cui uestrum arduus quidem et fugiendus hic labor, o Macedones, uideatur, si uobis tanta sit caedendi materia quantam renuat ac recuset uictricis dexterae fatigatio. » Ad haec dicta gratantium uoces et laetitia militum congruebat omni scilicet alacritate bellum sibi desi(800)derantium exspectantiumque. Aciebus igitur ordinatis propter litus fluminis Strangae Darium etiam eodem Macedones aduentare cum omni suo agmine iam intrepidi cernebant, omni scilicet parte terrarum qua uisentium oculi uagarentur phalangis eius atque ordini(805)bus confluentibus. Enim cum illa Strangae mobilitas naturalis rursus ad glaciem conuenisset et stratum aluei tenacissimum fidele iter etiam transeuntibus polliceretur, Darius prior haud dubitans eius ordines suos proinde ut in acie constiterant transgredi flumen intersitum iubet. Emensis igi(810)tur uniuersis quidquid de Stranga metui potuisset idem Darius e curru regio, cuius suggestu altius uectus eminus cunctis uisi consuerat, demutat ad currus quibus proeliaribus utebatur itidemque cuncti satrapes et optimates eiusdem imitatu fecerant, multis iam exercitum intercurrentibus qui (815) uirtutis solitae singulos et necessitatum praesentium commonerent. E diuerso autem cum longe tranquillius doctiusque Alexander Macedonas in cornua protendisset, ipse Bucephalo suo uectus imperatoris officiis fungebatur. Tandem igitur bellicum lituo praecinente pari utrimque (820) procursu partes in sese procurrunt primumque saxis ac missilibus iaculati, mox ensibus etiam strictis comminus proeliantur. Multa denique diei parte consumpta, ubi non dissimili discriminis parilitate protrahi bellum Darius uidit, enimuero quod unum id morae Macedonibus uideretur ut metendis (825) Persicis militibus tantummodo laborarent, quo res periculi tenderet haud dubie interpretatus fugam capessit et curru sese quam properiter possit praesentibus liberat. Strangam denique etiam tunc stratum firmitudine peruiabili transmittit atque exit et ipse quidem iter ad regiam properat. Iam (830) uero turbatis Persicis rebus, cum omnis pariter illae tot phalangae,

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stupéfait et plein d’admiration pour l’exploit, les poursuivants rendent compte de leurs efforts infructueux. Pour sa part, Alexandre, une fois franchie la berge, retrouve Eumède laissé là en appui avec deux chevaux. Il lui explique le déroulement des faits et, à son retour à l’armée, associe également ses généraux à ce beau succès. 16. Aussitôt sur ses ordres, toute l’armée était en sa présence, équipée de son matériel : elle réunissait un total de cent vingt mille hommes : « Soldats, leur dit-il, que rien ne vous fasse hésiter ; ce qu’il fallait savoir de l’ennemi, je l’ai moi-même sur place surpris de mes yeux. Si cette multitude de poltrons était un péril, je n’aurais pas été le dernier à vous dire la vérité sur ce que j’ai appris. Bien sûr, il y a là par milliers un enchevêtrement d’ennemis, mais cette moisson va sans peine donner tout droit matière à vos bras valeureux, à moins qu’à l’un de vous, Macédoniens, la tâche ne paraisse ardue et à redouter, si les masses à abattre sont assez grandes pour que, lassée, votre main victorieuse s’y refuse et renonce. »257 S’y accordant par ses cris et sa liesse, la troupe applaudissait à ses paroles ; dans son ardeur unanime elle désirait le combat et l’attendait. Leur front aligné le long de la rive du fleuve Stranga, les Macédoniens, intrépides, voyaient déjà Darius s’en approcher aussi avec toutes ses colonnes : de partout où pussent errer les regards en observation, ses phalanges en rangées convergeaient. Comme le cours normal du Stranga s’était à nouveau changé en glace et qu’une couche bien dure sur le lit promettait un passage en toute confiance à ceux qui traverseraient, Darius qui ne s’en méfiait pas, prend l’initiative de faire franchir la barrière du fleuve à ses lignes, telles qu’elles étaient disposées en bon ordre. Lorsque l’ensemble eut surmonté ce qu’on pouvait craindre du Stranga, Darius quitte le char royal dont le plateau surélevé lui permettait, en temps ordinaire, d’être véhiculé en se laissant voir de loin par tous. Il l’échange donc pour ces chars utilisés au combat et, à son imitation, tous les satrapes et les grands avaient fait de même ; déjà beaucoup d’entre eux se déplaçaient au milieu de l’armée, en rappelant à chacun son courage ordinaire et les nécessités du présent. En face, après avoir déployé les Macédoniens en arc de cercle, d’une façon bien plus sereine et savante, Alexandre, monté sur son Bucéphale, s’acquittait des devoirs du commandant en chef. Enfin une sonnerie de trompette annonça le combat : des deux côtés les adversaires dans une même course se ruent les uns contre les autres : d’abord lançant des pierres et des javelots, bientôt, l’épée dégainée, ils se livrent au corps à corps. En définitive, une grande partie de la journée s’était épuisée. Alors Darius constate que, si la lutte se poursuivait sans que l’égalité des chances fût rompue, c’était que l’unique obstacle des Macédoniens semblait seulement leur fatigue à moissonner l’armée perse. N’ayant plus désormais dans sa pensée aucun doute sur l’issue de cette situation périlleuse, il prend la fuite et sur son char se dégage le plus vite possible de l’immédiat. Bref, la solidité de la chaussée rendait encore le Stranga franchissable : il le traverse et, à la sortie, hâte sa course en direction du palais. Désormais c’était le désordre du côté perse : tant de phalanges qui pourtant n’avaient pas encore subi l’épreuve du fer ennemi,

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quae tamen ferri hostiumque nondum expertae essent, ad eundem alueum auidius aduenissent, siue ex illa facilitate naturae siue inconsulto agminis pariter irruentis, Stranga suum officium deficit ingressosque submergit om(835)nesque quos alueo acceperat necat. Reliquos porro insecuti Macedones obtruncant nec fere fit aliquid ex illis omnibus reliqui quo semesa curtaque Alexandri uictoria uideretur. Tum ergo Darius omni spe meliore deposita cum ingressus regiam suam humi sese eiulabundus miserabiliter pror(840)sus et ignobilius constrauisset, maerebat quidem et eorum mortes qui sibi adeo infauste militassent, maerebat etiam damnum regni quod ad incitas deduxisset, tunc nomen et gloriam et parta tot saeculis deformataque nunc Persidos regna lugebat recursabantque eum et captae urbes et subiu(845)gatae regiones et aequatio sui ad deorum immortalium uires solisque ortus, quem consessorem sibi dixerat gloriatior ; qui quidem nunc profugus desertusque et inops omnium foret profecto, dicens nulli esse hominum rata uel stabilia fortunari, quae, si paruam inclinationem status sui nacta (850) sint, in contrarium protinus resultarent et quosque de culmine ad profundas tenebras urguere. Indulgens ergo lamentis eiusmodi humi porrectus inopsque solaciorum diu miseriter agitabat. 17. Tandem tamen ubi satias eum praesentium cepit, uel(855)uti sobrius maestitudinis factus conscribit litteras ad Alexandrum in hanc sententiam : « Darius domino Alexandro haec dicit. Ante omnia quidem hoc moneo uti te in hac Fortunae beatitudine tamen hominem recognoscas, siquidem satis idoneum argumentum ad id consilii tibi ego praesto sim, (860) quod profecto docere possim nihil homines quam quaeque praesentia sua praesumere oportere. Neque enim id modo de me primum Fortuna commenta est : iam pridem istud in parente meo dea illa Xerxe monstrauerat. Is quippe pari adrogantia cupitorum cum in uestros militiam delegisset, alioquin (865) auidior rerum quae regum glorias trahunt, pro hisce omnibus quae petebat opes suas totque illa militantium milia adtrita pariter amissaque ad paenitudinem uertit. Hisce igitur usus exemplis doctusque de talibus pro Graeco nomine atque clementia competentius feceris si miseratione hosce impertias (870) quos tibimet Fortuna supplices procurauit. Igitur te per fauisores tui deos nostrique aduersatores quaeso obsecroque uti mecum matris quoque et coniugis, ut te dignum est, filiorum quoque nostrorum meminisse non aspernere. Eius tibi beniuolentiae uicissitudinem spondeo uti thesauros quos ex (875) uetusto nobis reges parentes suffossos humi abditosque latebris reliquerunt ipse quoque coram referam indicemque ; tumque tibi Persarum deos prosperos et imperium secundum Medorum etiam et reliquarum gentium deprecabor digno profecto tali fauore caelestium, si in aliis quoque releuandis (880) tuimet memineris ut mortalis. »

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survinrent toutes ensemble, remplies d’impatience, sur les même bords. Alors, soit que la nature s’y fût prêtée, soit qu’il y eût de l’irréflexion à précipiter simultanément ces colonnes, le Stranga se déroba à sa mission258 ; il submerge les arrivants et les extermine après les avoir accueillis en son lit. Progressant à la poursuite des survivants, les Macédoniens les massacrent et de toute cette masse quasiment rien ne survécut, qui donnât l’impression que la victoire d’Alexandre était incomplète et tronquée. Darius avait renoncé à l’espoir de toute amélioration, quand il pénétra dans le palais. Il s’abattit sur le sol, se lamentant indignement tout comme un pauvre malheureux. Il pleurait sur ces morts qui avaient combattu pour lui avec aussi peu de succès, il pleurait aussi sur les pertes du royaume qui l’acculaient à l’impasse. Il avait des larmes pour cette puissance, cette gloire de l’empire perse, fruit de tant de siècles, et maintenant déshonoré. Lui revenaient à l’esprit les villes prises, les provinces sous le joug, sa propre assimilation à la force des dieux immortels, à l’orient du Soleil dont, par trop de gloriole, il prétendait partager le trône. Dorénavant fugitif, abandonné, sans le moindre appui, il disait259 que pour personne la Fortune n’est assurée ou stable ; car, était-elle atteinte par une légère rupture d’équilibre, elle sautait directement en sens contraire, plongeant tout un chacun des sommets dans de profondes ténèbres. Cédant ainsi aux lamentations, il gisait à terre et sa misère restait privée de consolation. 17. Finalement le dégoût du présent s’empara toutefois de lui et, dessoûlé de sa tristesse260, il écrit en ce sens à Alexandre : « Darius s’adresse comme suit à son seigneur Alexandre. Avant tout, je t’en avise : en cette heureuse Fortune d’aujourd’hui reconnais-toi pourtant un homme, s’il est vrai qu’à suffisance ma personne te prouve le bien-fondé des réflexions dont assurément je puis t’instruire, à savoir la nécessité où sont les hommes de ne rien anticiper au-delà de leur présent. Et, de fait, je ne suis ni le seul ni le premier concerné par les plans de la Fortune. Déjà avec Xerxès, mon ancêtre, la fameuse déesse en avait fait la démonstration : avec autant d’arrogance dans ses désirs, celui-ci avait levé une armée contre les vôtres, mais, au demeurant, trop avide de ces biens qui entraînent la gloire des rois, au lieu de tout ce qu’il recherchait, il en vint, à l’inverse, à se repentir de ses richesses et de tant de ces milliers de soldats pareillement broyés et perdus. Par conséquent, de tels exemples te servant de leçon, tu agiras en meilleure harmonie avec l’hellénisme et ta clémence, si tu accordes ta pitié à ceux que la Fortune t’a offerts en suppliants261. Au nom des dieux qui te favorisent et nous sont contraires, mes prières t’en implorent dès lors : ainsi qu’il te convient, en même temps que de moi, ne dédaigne pas de te souvenir aussi de ma mère, de ma femme ainsi que de nos enfants. En échange de cette bienveillance, je promets, en les signalant personnellement sur les lieux, de t’indiquer les trésors que depuis l’Antiquité les rois, nos pères, ont ensevelis sous terre, dissimulés dans des cachettes262. Et puis, je demanderai pour toi l’appui des dieux perses et le soutien de l’empire des Mèdes et des autres nations car, à coup sûr, tu seras digne de cette faveur céleste, si, en soulageant autrui, tu te souviens de toi-même comme d’un mortel. »

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Hisce litteris sumptis Alexander contionem protinus optimatium ac praesentium cogit et ea quae scripta sunt recitari non differt. Enimuero tunc unus adsistentium Parmenion in eam sententiam uadit uti nec humanitatis officia Alexander (885) supplici denegaret et ea quae sibi promiserat libentius amplexaretur, redditurus scilicet matrem pariter et coniugem una cum filiabus mercedem promissi. Sed enim ad haec Alexander : « Atqui », inquit, « o Parmenion, mihi contra consilium est respondere Dario frustra se illum hisce in nos libe(890)ralitatibus iactitare quod thesauros suos suaque regna pollicetur. Non enim uidet cuncta ista haec quae nobis litteris largitur iure belli nostra esse perfecta neque ill super hisce nobis aliquando bellum indi e. Enim quod ipsi quaecumque Darius possederat et obtinebat nostra esse, id est uir(895)tuti praemia, arbitraremur, idcirco in haec ipsa me militauisse neque mihi in Asiam transeundi aliam quis dixerit esse causam nisi quod cuncta haec mihi ac meae praeiudicaueram possessioni. Sat igitur Dario uideatur id modo unum lucri habere quod in praeteritum his omnibus ueluti alienis(900)simis incubauerit. » Et in hanc sententiam dictatas litteras ferri ad Darium iubet. Ipse uero transit ad huiusmodi diligentiam uti et uulnerati competentius curarentur et desiderati bello sepulchris ad meritum decorarentur. Atque in haec occupatus hiemis spa(905)tia transegit, quidquid interea temporis fuerit diis praestitibus sacrificiis obsecutus. Atque cum interea motu quodam animi repentino iussisset regiam Xerxi, quae opulentissima et pulcherrima uidebatur, iniecto igni concremari, id quoque mox per paenitentiam reformatus exstingui atque ad fa(910)ciem pristinam retineri praecepit. 18. Fuit eidem inter haec curae ut sepulchra Persarum et sepulta olim eorum corpora intueretur, quod in his sepulchris multi crateres aurei multaque magni pretii condita ad templorum magnificentiam dicerentur. Sed egregie ceteris (915) anteibat Cyri aedes, quae scilicet turris ad faciem lapide leui quadrataque in summam altitudinem exstructa processerat. Ipsi uero Cyro conditorium erat e lapide uisendo, cuius siue natura perspicua siue inscalptio adeo tenuis erat ut nihilum prorsus quidquid intererat impediret intuentium diligen(920)tiam, adeo ut praeter saxi illius euidentiam capilli etiam conditi cadaueris uiserentur. Sed propter hoc sepulchrum flebile spectaculum Alexander protinus conti[o]natur. Erant enim Graeci ibidem complures quos cum uariis ex causis diuersisque temporibus (925) captiuitate rex aut regii subegissent, praesectis naribus auribusque et quaecumque hominum uultibus decoriter natura prouidit suppliciali post seruitio deuincti circa haec sepulchra custodes agitabant. Hi igitur omnes ubi iuxtim Alexandrum agere sensere, pari uoce et eiulatu suae gentis (930) Graecisque supplicationibus obsecrantes

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Dès qu’il reçut la lettre, Alexandre convoque l’assemblée des grands et des généraux ; ensuite, sans délai, il fait lire ce qui était écrit. Mais alors un des présents, Parménion263, s’oriente vers la suggestion qu’Alexandre ne refuse pas à un suppliant ce qu’impose l’humanité et qu’il accueille bien volontiers ce qu’il s’était promis, lorsqu’il avait eu l’intention, pour s’acquitter de cette promesse, de rendre mère, femme et pareillement les filles. Sur quoi Alexandre dit : « Eh bien moi, Parménion, j’ai tout au contraire le dessein de répondre à Darius qu’il se vante en vain de ses libéralités, à nous promettre ses trésors et royaumes. Il ne voit pas, en effet, que toutes les largesses de sa lettre sont déjà devenues nôtres par le droit de la guerre ni non plus que c’était pour elles qu’un beau jour nous la lui avons déclarée. Parce que nous pensions que tout ce que possédait et détenait Darius était à nous, autrement dit, la récompense du courage, pour cette raison, peut-on dire, j’ai pris les armes avec une telle visée et n’ai pas eu d’autre motif de passer en Asie que l’idée préconçue que l’ensemble m’appartenait en mienne possession. Que Darius juge suffisant le seul bénéfice d’avoir, pour le passé, couvé tous ces biens, vu qu’ils lui étaient complètement étrangers. »264 Et il fait porter à Darius une lettre dictée en ce sens. Puis il passe aux occupations que voici : soigner convenablement les blessés et par des tombes honorer selon leur mérite les disparus au combat. Ces tâches durèrent tout au long de l’hiver, après que dans l’intervalle il se fut prêté à des sacrifices aux divinités tutélaires. Et comme, entre-temps, sur une impulsion soudaine, il avait ordonné de mettre le feu au palais de Xerxès et de réduire en cendres cette image d’opulente beauté, le regret bientôt lui rendit les esprits et, sur son commandement, l’incendie aussi fut éteint et le palais conservé dans son aspect antérieur265. 18. Cependant il eut le souci d’aller voir les tombeaux perses et les corps qui jadis y avaient été ensevelis, parce que, disait-on, nombre de cratères d’or et beaucoup d’objets de grand prix avaient été cachés dans ces tombes, par imitation de la somptuosité des temples. Mais plus que tous se remarquait le mausolée de Cyrus, une tour à façade en pierres lisses qui, à partir d’une structure carrée, atteignait une extrême hauteur. L’habitacle de Cyrus était, lui, en pierres transparentes, soit qu’on vît à travers de façon naturelle, soit que la taille les eût amincies au point que l’obstacle ne gênait pas du tout le zèle des visiteurs et qu’en dépit de l’évidence de la paroi on apercevait même la chevelure du cadavre embaumé. Cependant auprès du tombeau, Alexandre rencontre immédiatement un spectacle lamentable : il y avait là plusieurs Grecs que dans diverses circonstances des causes variées avaient rendus prisonniers, les soumettant au roi ou aux princes royaux. On leur avait coupé le nez, les oreilles et tout ce que la nature prévoit pour embellir un visage d’homme. Puis, dans les chaînes d’un esclavage humiliant, ils vivotaient autour des tombeaux dont ils étaient les gardiens. Dès qu’ils s’aperçurent de la présence d’Alexandre, tous d’une même voix, criaient dans leur langue, l’implorant par des prières en grec. Au son de mots caractéristiques de son parler266, le Macédonien n’eut pas de peine à s’émouvoir.

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audientem linguae propriae insignia facile permouerunt. Quare productos cum uideret adeo flebiliter mu[l]tilatos atque laniatos fideliterque causas et ritum Persicum cognouisset, misertus eorum dederat quidem uolenti[b]us facultatem uti uiatico sumptuati, si (935) uellent, ad patriam remearent. Enim cum sese ignobiles foedatosque latere melius a conspectu popularium quam ad ludibrium forsitan occursuros ciuibus praesentirent, huius quidem rei gratiam fecere regi, sibi tamen et locum quem colerent et uitam ab indigentia laxiorem protinus impetra(940)uere. Dat igitur his et agros dapsiles et cetera etiam quae ad agrorum exercitia secundarent proque supplicum ciuium consulit uoluntate. 19. Sed inter haec rursus Darius comparando exercitui scribendisque militibus animum confirmarat. Scribit deni(945)que Poro, regi Indiae, talia : « Clam me non est indignationem tuam te ducere quidquid nos ex hostico patiamur : ferinam etenim expertus hostium rabiem uel ipsis etiam orbatus adfectibus ex illa regia beatitudine in extimam ueni Darius ille miserationem, cum mihi non mater amantissima, (950) non uxor conspirantissima, non suauissimi filii propter sint, quin haec cuncta aduersantibus seruiunt. Quare pollicente[m] me non modo thesauros opesue regales, sed regni quoque nostri quam amplissimam portionem, spretis Macedo supplicibus eiusmodi una tantum prouentuum (955) suorum adrogantia delectatur. Ergo, mi Pore, iam opibus fatigatus, animo tamen ad sententiam milito, si modo faueas. Rursus enim proelium meditor et, si quos queam, ad communionem duco sententiae. Quod si tu quoque tam iustae indignationi nostrae accesseris tuamque iniuriam existimaue(960) ris quae in me grassata est, ita praecauebis, ut te dignum erit, et maiorum nostrum et isti conspirationi consulere tuisque commodis non deesse. Igitur ex opinione nostra feceris si gentes quam plurimas congreges quamque primum queas ad portas Caspias tendas. Enim ne sit militia tibi militantium (965) inhonora, dabuntur a me singulis armatorum aurei tres pedestri, equiti uero quinque, ceteroqui [quae] alimoniis abundarint. Praedae quoque bellicae pars ex medio uestra fiat. At enim tibi priuum munus istud habebis quod indidem regalissimum est, Bucephalam equum scilicet una cum regiis (970) phaleris regioque cultu concubinisque omnibus, quas octoginta centumque numerant qui nouerunt  : eas omnis ac talis cum ornatibus propriis consequere. Quare acceptis his litteris ne uersaueris, quaeso, uerterisue tale consilium, quin properato ad nos uenias una cum hisce, ut dixi, gentibus quae (975) circa Indum colunt. » Et haec quidem Darius. Sed Alexandrum ista nequaquam latuere doctum ex transfuga Perse quodam. Quare coacta manu ad regiones Medicas tendit comperiens Darium in Bathanis agere, quod nomen genti est. Omissa denique Asia iter quod institerat festinabat, (980) satis adserentibus internuntiis quod, si Darius fugiens portas Caspias intrasset, inefficacem illam insecutionem

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Il les fit avancer et, quand il les vit si atrocement déchirés et mutilés, quand il sut les causes exactes et la façon d’agir des Perses, il fut pris de commisération. S’il le désiraient, il leur donnait bien volontiers la possibilité de s’en retourner chez eux avec un viatique pour les défrayer. Mais comme ils se doutaient qu’il valait mieux dissimuler aux regards de leurs compatriotes l’ignominie de leur monstruosité que d’aller dans leurs villes à la rencontre peut-être des quolibets, tout en remerciant le roi, ils se hâtent de lui demander un endroit à cultiver et une vie dégagée de l’indigence. Il leur donne donc des terrains fertiles et tout ce qui facilite, par ailleurs, le travail de la terre, veillant ainsi aux vœux et requêtes de ses concitoyens. 19. Sur ces entrefaites, Darius à nouveau raffermissait son âme pour réunir une armée et enrôler les soldats. Il finit par écrire ceci à Porus, le roi de l’Inde : « Il ne m’échappe pas que te mène à t’indigner tout ce que nous subissons de l’ennemi. J’ai éprouvé, en effet, la sauvagerie d’ennemis enragés, je suis de plus privé de mes affections, si bien que, moi, Darius, du bonheur de roi, j’en suis venu maintenant à la pire des misères, puisque je n’ai à mes côtés ni une mère tant aimante, ni une épouse si bien accordée, ni des enfants aussi délicieux. Que dis-je ? au contraire, tout cela est au service de mon adversaire. Voilà pourquoi, tandis que je lui promets non seulement nos trésors, nos richesses de roi, mais encore la plus grande partie qui soit possible de notre royaume, le Macédonien méprise ces supplications et se borne à jouir de l’arrogance de ses gains. Dès lors, cher Porus, si mes ressources s’épuisent, mon courage est armé à souhait, pour peu que tu m’appuies. Je prépare à nouveau le combat et ceux que je peux, je les emmène partager ma détermination. Si, toi aussi, tu te joins à notre si juste indignation et t’estimes concerné par cette inique agression à mon encontre, préventivement, comme il te siéra, tu prendras garde de veiller à ces aspirations mutuelles qui furent aussi celles de nos pères et de ne pas manquer à tes intérêts267. Tu agiras donc à notre gré si, rassemblant le plus grand nombre de nations, tu te diriges au plus tôt que tu le peux vers les Portes Caspiennes. Mais pour que cette armée combattante ne soit pas sans te faire honneur, je donnerai des pièces d’or à chaque soldat, trois au fantassin, cinq au cavalier et, par ailleurs les vivres abonderaient. En outre, que la moitié du butin de guerre soit pour vous. Pour ta part, à titre personnel, tu en tireras le cadeau le plus digne d’un roi, je veux parler du cheval Bucéphale avec ses phalères royales et ses équipements royaux, ainsi que de toutes les concubines (les gens informés en dénombrent cent quatrevingts) : à toi elles toutes et leurs parures individuelles268. C’est pourquoi au reçu de cette lettre, je t’en prie, pas de tergiversation, pas de retournement d’une telle politique. Dépêche-toi plutôt de venir à nous, accompagné, je te l’ai dit, des peuples habitant les alentours de l’Indus. »269 Voilà pour Darius. Rien de tout cela ne resta ignoré d’Alexandre, que renseignait un transfuge perse. Aussi réunit-il une troupe qui se dirige vers les régions de Médie, car il savait Darius chez les Bathanes : tel est le nom de ce peuple. Bref, il laisse de côté l’Asie et précipitait la marche entreprise, les messagers ne cessant pas de lui affirmer que, si Darius dans sa fuite passait les Portes Caspiennes,

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Alexander laboraret. Quae quidem etiam tum ueluti parum fideli sermone acciperet, dubia rex arbitrabatur  ; sed cum Bazanus quidam, eunuchus regius, transfugisset isque certius enarras(985)set Darium protinus fugiturum, addita est Alexandro properatio. 20. Aderant tunc Dario fugam molienti satrapae duo, quorum nomen alteri Besas erat, alius uero dictus Ariobarzanes. Hi, cum iam rumoribus calidioribus adesse Alexander nun(990)tiaretur, rati se plurimum in gratiam profecturos esse uictoris si necem Dario intulissent, regem suum in sua regia solitarium opprimunt et letaliter uulnerant . Ac si iam mortuum derelinquunt cautissimum considerantes si tantisper a conspectu Alexandri recessissent donicum illud faci(995)nus quod perpetrarant ut uictor perpenderet diuulgaretur. Iamque exercitus Macedonum rursus Strangae memorati fluenta transmiserat et Alexander protinus superueniens regiam, in qua obuersari Darium compererat, cursim irrumpit eumque recens uulneratum atque adhuc spirantem miseriter (1000) offendit. Sed id Alexandro ultra opiniones omnium flebile et luctuosum admodum fuit. Videns enim participem illius regii nominis ac maiestatis adeo miserae uiuendi clausulae reluctantem, flens eiulansque iacenti homini circumfunditur eumque amplexabundus et contegens regia chlamyde in (1005) haec uerba solatur : « Erige te, quaeso, Darie, nec deseras ; si quid enim ex animo est quo[d] iuueris, ratum habeto regna te tuamet recepturum futurusque rursus ille qui fueris. » Sed ad haec Darius exsangui iam corpore cum uoce etiam ad primum impetum deficeretur, manus supplices tendens (1010) adtrectansque genua Alexandri adsistentis et circumplexus, ut poterat, tandem talibus loquitur : «  Licet mihi iam, Alexander uictoriosissime, in hac constituto fortuna liberius aliquid quam qui uicturi sunt loqui idque a me amicum tibi, non hosticum putes. Inter haec uerba blanda disceptes. Numquam (1015) igitur te regii nominis decus tollat nec, si quid blandius Fortuna promiserit, idcirco te caeli compotem arbitrare. Enimuero consultius tu futuris atque praesentibus consules. Nihil enim interest quod dispescat regiam nostram aut plebeculae dignitatem. En tibi ille Darius – nosti, quippe qui fuerim do(1020)minus et deus scilicet huiusce mundi existimatus – : at flebilem mortem oppeto. Sed habeo obitus huiusce grande solacium quod in tuis manibus hunc spiritum iam effundam. Quare, quaeso, non inuideas sepulturam, quam mihi una cum Persis tui quoque Macedones exsequantur. Tum Ro(1025)godunen matrem meam commendatam tibi ad honorem dignum nomine nostro habeto atque participem Olympiadi tuae. Colito uxorem etiam meam ; filiam uero Roxanen hac prece tibi in manum do quaesoque eam dignam coniugio tuo censeas. Erit enim illi ad solacium largiter nihil sibi de regia (1030) coniunctione defuisse. » Et in hisce uerbis Darius spiritum transigit.

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Alexandre peinerait en vain à le poursuivre270. Paraissant transmise par des propos trop peu crédibles, la nouvelle alors était jugée douteuse par le roi, mais quand Bazanus, un eunuque royal, fit défection et que son récit eut confirmé que Darius se disposait à fuir sans désemparer, Alexandre accéléra le mouvement. 20. Dans ses préparatifs de fuite Darius avait alors auprès de lui deux satrapes : le nom de l’un était Besas, l’autre s’appelait Ariobarzanès. Comme déjà la rumeur, toute chaude, annonçait l’arrivée d’Alexandre, ils pensèrent qu’ils feraient de grands progrès dans les bonnes grâces du vainqueur, s’ils provoquaient l’assassinat de Darius ; ils surprennent donc leur roi isolé dans son palais et lui portent une blessure fatale271. Le laissant pour mort, ils jugent prudent de s’éloigner de la vue d’Alexandre, le temps d’apprendre la manière dont le vainqueur apprécierait le crime qu’ils avaient commis. Déjà l’armée macédonienne avait retraversé le susdit fleuve Stranga et Alexandre, surgissant directement dans le palais où Darius, lui avait-on appris, se trouvait, déboule à bout de souffle et bute sur ce dernier qui, sous le coup de la blessure, respirait encore misérablement. Au-delà de l’opinion générale, ce fut pour Alexandre une cause de pleurs et d’extrême chagrin, car il voyait le détenteur de cette puissance et majesté royale se rebeller contre une fin de vie aussi misérable. Se répandant en larmes et lamentations, il entoure le gisant, l’embrasse, le recouvre de son manteau de roi. En ces termes, il le consolait : « Redresse-toi, Darius, je t’en prie, ne t’abandonne pas ; si tu as dans le cœur de quoi te réconforter, sois sûr que tu recouvreras tes royaumes et qu’à nouveau tu seras celui que tu fus. »272 Mais, sur ce, le corps de Darius déjà se vidait de son sang et, au premier effort, la voix également lui manqua ; alors levant ses mains suppliantes, il cherchait les genoux d’Alexandre accroupi près de lui, comme il le pouvait, il s’y cramponnait et finit par dire : « Alexandre, toi, le vainqueur suprême, dans ce sort qui désormais m’est fait, je puis te parler plus librement que ceux qui survivront ; prends ce que je te dis comme venant d’un ami, non d’un ennemi, et sois juge si là je te flatte. Par conséquent, que jamais ne t’exalte la gloire de la puissance royale et face aux promesses flatteuses de la Fortune ne te crois pas le maître du ciel ; tu mettras, au contraire, plus de réflexion à décider du futur et du présent, car il n’y a aucune différence qui distingue notre qualité de roi de celle du menu peuple. Tiens, ce Darius, tu le connais, puisque apparemment on m’estimait maître et dieu de ce monde, eh bien ! je vais au devant d’une mort lamentable. En ce trépas, j’ai pourtant la grande consolation d’exhaler mon dernier souffle dans tes bras. C’est pourquoi, je t’en prie, ne m’envie pas une sépulture qu’unis aux Perses puissent aussi m’accorder tes Macédoniens ! En outre, je te recommande ma mère Rogodune : place-la en un rang conforme à notre nom, en la compagnie de ta chère Olympias. Honore également ma femme. Quant à ma fille Roxane, ma prière est pour la remettre entre tes mains, te demandant de la trouver digne de t’épouser, car de ne pas manquer de s’unir à un roi la consolera généreusement. »273 Sur ces mots, Darius rendit l’âme.

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21. Multis igitur lacrimis miserationem rei clam Alexander prosecutus auferri cadauer et ad magnificentiam debitam proque sui dignitate ritu Persarum sepeliri iubet. Denique (1035) corpori regio transuectando cum baiulos quosque nobilissimos suorum atque indigenas esse iussisset, ut illis officium tale non dedignantibus foret, primus ipse onus feretri subiit. Quo uiso cuncti quoque illud ut honoris priui maximum testimonium competebant. Infertur igitur sepulchris maiorum (1040) omnium tum Darius ac paulo post aedes ipsi templumque construitur et lex diei religiosaque sollemnitas datur more praescripto, uti dies ille annuus Persis celebratissimus fieret, non sacris modo et laetitia hominumque congregatu[s], uerum spectaculis etiam atque certamine tum ad mulcedi(1045)nem aurium solitis procurari tum ad delectationem oculorum. Nam et fortitudine decertantibus et uoluptate sua cuique praemia et honores annuos statuit. Postque haec, quod ex incerto regiae incitationis multi uictoris animum formidarent eoque uagis terroribus agitaren(1050)tur, quo cunctorum animos deleniret, edicit in uerba quorum sententia haec fuit : « Rex Alexander, Ammonis et Olympiadis filius, Persis dicit. Ea quidem quae iure belli transacta sunt nullum profecto sapientium puto pro culpae merito putaturum. Etenim diis ista sententia est quam exsequi mortali(1055) bus sit necesse. Quare superis quidem habeo gratias fauisoribus meis. Enim nunc quoniam uos quoque nostra cura esse coepistis, scire uos par est satrapas quidem regionibus constitutos, quibus ex more parebitis haud secus prorsus ac si sub Dario mos erat ; eoque id consultaui ne incerta regentium (1060) obseruatio plus penes uos haberet formidinis quam ueritatis. Vtemini igitur legibus uestris pariter ac moribus. Idem enim uobis conuentus, eaedem sollemnitates et suauia ; nec uagum quemquam a regione uel sedibus suis aberrasse quopiam probaturus sum, quippe quibus patrimonia priua habere permi(1065)serim exceptis auro pariter et argento, quae communis hic usus magis esse regia confitetur ; reliqua uero omnis moneta, quae cuique est, domino permittitur. Armamentaria sane priuata si in usum publicum satrapae necessaria uiderint, his quoque eos uti oportere mandaui. Agmina pariter peregrinari ((1070) inque aliena transire interdixerim, nisi quod tuendi sui gratia usque ad decem uigintiue hominum numerum congreges facient. Cetera multitudo pro rebellione et hostico punietur. Mercaturarum uersurae sint itidem ut sub Dario pateantque commercia uel Graecis in Persas uel Persis etiam ad Graecos. (1075) Quippe prouisum est ut per satrapas etiam dimensa spatia uiae publicae consternantur. Sollemnitates uobis et certamina gymnica erunt, sed hisce omnibus praesides dedi ex Alexandria mea uiros Aegyptios, quibus aureae quoque coronae gestamen

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21. Après avoir compati à l’événement par l’hommage de bien des larmes en privé, Alexandre fait enlever le cadavre, pour qu’il soit enseveli selon le rite perse, en respectant le cérémonial obligé et sa propre dignité. Bref, il désigna les plus nobles des siens et des autochtones pour porter la charge du corps royal et, afin que ladite fonction ne leur répugnât point, il fut le premier à poser sur luimême le poids des brancards. À cette vue, tous les autres aussi recherchaient à l’égal ce qui semblait comme la meilleure preuve d’un honneur privilégié. Darius est donc amené à la nécropole commune de ses ancêtres et peu après on lui construit un sanctuaire et un temple, on lui attribue un jour légal et une solennité religieuse dont les règles prévoient que chaque année les Perses célébreront au mieux cette journée, c’est-à-dire non seulement par des sacrifices et de joyeux rassemblements de la population, mais encore par ces spectacles et concours qui d’ordinaire sont offerts au ravissement des oreilles et à la délectation des yeux. Et de fait, Alexandre établit des récompenses et des honneurs annuels tant pour ceux qui faisaient assaut de forces que pour tout un chacun qui plaisait274. Cela étant, à cause de l’incertitude sur les impulsions du roi, beaucoup redoutaient l’humeur du vainqueur et, en conséquence, des terreurs les agitaient en tous sens. Alexandre, pour apaiser partout les esprits, édicta alors une proclamation dont voici la teneur  : «  Le roi Alexandre, fils d’Ammon et d’Olympias, s’adresse aux Perses. Ce qui s’est passé de par le droit de la guerre, aucune personne avisée, à mon avis, ne le pensera l’équivalent d’une faute. En effet, il y a une décision divine que les mortels se doivent d’exécuter. Aussi bien, je rends grâce de leur faveur à ces puissances célestes275. Mais maintenant, puisque vous aussi devenez notre souci, vous avez à savoir que dans les provinces ont été établis des satrapes auxquels vous obéirez régulièrement, tout comme c’était la règle sous Darius. J’y ai veillé pour qu’un respect douteux des autorités n’entrainât pas chez vous plus de crainte que de sincérité. Usez donc de vos lois et autant de vos coutumes ; ayez les mêmes réunions, les mêmes solennités, les mêmes réjouissances. Mais je n’approuverai pas qu’on vagabonde quelque part en dehors de sa province ou à l’écart de son domicile, étant donné que je vous ai permis de conserver vos patrimoines personnels276, à l’exception de l’or et pareillement de l’argent que l’utilité publique, en ce cas, répute plutôt la propriété du roi277 ; en revanche, toutes les autres monnaies appartenant à chacun sont laissées à leurs possesseurs. Si les satrapes voient les armureries privées nécessaires à l’intérêt général, ils ont, sur mon ordre, obligation de les utiliser aussi278. J’interdirais également les déplacements armés et les passages à l’extérieur, à moins que, pour protéger son bien, on n’assemble un maximum de dix à vingt hommes279. Toute autre troupe sera punie en tant que rebelle et ennemie. Que les opérations du négoce demeurent celles du temps de Darius. Que des places de commerce s’ouvrent aux Grecs vers la Perse et aux Perses, de même, pour la Grèce280. De fait, il a été prévu que les satrapes mesurent et construisent des segments de voie publique281. Vous aurez vos fêtes solennelles et vos concours gymniques, mais à tous j’ai donné des présidents égyptiens de ma chère Alexandrie, avec la permission de porter une couronne d’or et une tunique de

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et amictus purpureus est permissus, praeterque (1080) eos ingressu ceteros sacri templique prohiberi. Iudicia etiam quae uulgo priuatim quisque faciebat nisi per curiam publicam ciuitatum celebrari non licebit. Ac si praeter haec aliquis ausus erit, hostis supplicio punietur. » Et haec quidem Alexander usibus publicis. (1085) Quod uero ad comprehendendos eos qui Darium uulneribus incesserant, dicit haec : « Equidem me gaudeo hostem maximum Darium seruitio subiugasse, eiusque mortem licet ipse exsecutus non sim, habeo tamen hisce qui id fecerint gratiam. Quare quod beniuolentiae suae erga me studium (1090) protestati sunt ii quique sunt auctores huiusce, hortor ac moneo uti se prodant mihique indicent praemia debita recepturi. Neue istud in ambiguum dubiumque quis transferat, iuro deos maiestatemque patris Ammonis et Olympiadis matris meae, quique hi fuerint, eos me sublimes ac notissimos (1095) omnibus effecturum. Neque enim non maximo digni praemio qui eius consilia praeuerterint qui rursus bellum et nouum mihi proelium meditabatur. » Ad hoc edictum multis quidem fletu res digna uidebatur. Sed enim Besas et Ariobarzanes, auctores scilicet caedis (1100) Darii, Alexandro sese obuios ferunt et professi facinus sponsionem praemii repetunt. Tunc uiros protinus comprehendi et quam editissimo in loco cruci suffigi iubet. Quod cum praeter spem hominibus accidisset, patefecit rex dignum se suo nomine existimasse si quid de regia libertate subtraxerit, (1105) dum Dario modo ultio debita procuraretur. Neque tamen hisce ipsis de periurio se reum fore, cum sublimes eos notissimosque omnibus fore edicto promiserit quos quidem facile sit uisere in illo suggestu crucibus adfixos. Tunc omnibus et oratio placuit et regis benignitas comprobata est. 22. (1110) Sed hisce gestis ex uoto Persarum et illic satrapa constituto qui patruus Dario fuisset, eiusmodi litteras Alexander ad Rogodunen, matrem Darii, facit : « Ea quidem cuncta quae mihi aduersum Darium fuere perinde ut diis libuit sunt transacta. Enimuero ego uotis petiui ut eius incolumitatem (1115) nanctus socio ipso uterer atque amico. Sed is quoniam suorum insidiis Besae uel Ariobarzanis sit interfectus, nihil a me reliqui fuit quod ad prosequendum eius funus ultionemque dignum foret. Verum quoniam supremo Darius adloquio filiam suam Roxanen mihi in coniugio esse mandauit, uoto (1120) eius et precibus accessi idque e re est de litteris iam praesciri. » Ad haec Rogodune mater Alexandro sic respondit : « Nobis quoque id uoti maxime fuit ut, quoniam diis inclinare Darii nomen ab illa potentia libuisset, in te nobis et illius dignitas (1125) et spes omnis incolumis seruaretur, quem uirtutum scilicet ac sapientiae merito dignum fortuna sua nullus addubitet. Id ergo ut cunctis, ita nobis praecipue uoluptati est, quas et in illa uersura fortunae nihilum triste experiri contenderis et habitas pro

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pourpre ; sauf à eux, je prohiberais totalement l’entrée du sanctuaire et du temple282. Et encore ceci : les actes de justice qui, en général, relevaient du chacun pour soi, ne seront plus autorisés dans la pratique que par l’intermédiaire officiel des sénats locaux283 ; l’éventuel contrevenant sera puni du supplice réservé à l’ennemi. » Telles étaient les instructions d’Alexandre pour la vie publique. Mais pour se saisir de ceux qui de leurs coups avaient attaqué Darius, il parle ainsi : « Quant à moi, je me réjouis d’avoir soumis à la servitude Darius, le plus grand de mes ennemis et, bien que je ne sois pas, moi-même, l’artisan de sa mort, je rends grâce aux exécutants. Aussi, parce que tous les auteurs de cet acte ont prouvé le zèle de leur bienveillance à mon égard, je les exhorte de mes conseils à se révéler à ma connaissance pour recevoir les récompenses qui leur sont dues. Afin d’éviter une interprétation douteuse ou ambiguë, je jure par les dieux et la majesté d’Ammon, mon père, d’Olympias, ma mère, que tous ceuxlà je les mettrai au pinacle, les faisant les plus hautes notabilités du monde. Ils ne sont pas, pour sûr, indignes des meilleures récompenses, eux qui ont devancé les manœuvres de celui qui contre moi machinait une nouvelle guerre et un combat recommencé. » Réagissant à cet édit, beaucoup ne voyaient dans l’événement qu’une raison de pleurer, mais Besas et Ariobarzanès, j’entends les responsables de l’assassinat de Darius, se présentent eux-mêmes et, reconnaissant leur forfait, réclament la récompense promise. C’est alors qu’incontinent Alexandre les fait arrêter et ordonne de les attacher à des croix dans l’endroit le plus élevé possible. Les gens ne s’attendant pas à ce qui arrivait, le roi d’expliquer qu’il estimait digne de son nom d’amputer quelque peu la libéralité royale, pourvu que fût assurée à Darius la vengeance qu’on lui devait284 ; toutefois il ne serait pas coupable de parjure à l’encontre de ces individus, auxquels il avait promis par édit de les mettre au pinacle, les faisant les plus hautes célébrités du monde, car il était facile de voir qu’ils étaient attachés à des croix dressées sur une plate-forme. Dès lors le discours plut à tous et la bienfaisance du roi reçut l’approbation générale. 22. Ceci accompli selon les vœux des Perses et l’oncle de Darius285 une fois établi comme satrape du lieu, Alexandre écrit cette lettre à Rogodune, la mère de Darius : « Dans son intégralité mon affrontement avec Darius s’est déroulé à la discrétion des dieux, alors que mes propres vœux voulaient que j’obtinsse sa sauvegarde et que je l’eusse pour allié et ami. Mais puisqu’il a été tué par la trahison des siens, Besas et Ariobarzanès, je n’ai rien négligé de ce qui convenait au convoiement funèbre et à sa vengeance. Cependant, dans ses derniers mots, Darius m’ayant demandé d’épouser sa fille Roxane, j’ai accédé aux souhaits de sa prière et il est utile que dès à présent cette lettre l’annonce à l’avance. »286 À quoi la mère, Rogodune, répondit comme suit : « Comme il a plu aux dieux d’abaisser de sa puissance le nom de Darius, nous aussi souhaitions fort que nous fussent conservées intactes sa dignité et toute espérance en ta propre personne que, nul n’en saurait douter, le mérite des vertus et de la sagesse ont rendue digne de sa fortune. De cette situation il résulte que tous, se réjouissent – et nous singulièrement – de ce que, dans cette mutation de fortune, tu entendes

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ueteri ac tui nominis dignitate nunc etiam regno (1130) participes. Igitur nobis quoniam id, Alexander, quod Darius es, in te nobis deos et deorum beneficia numeramus hancque gratiam ut tibi confessae, ita Persarum quoque proceribus palam fecimus, quo ipsorum etiam uotis deorum immortalium numeris et consortio congregere. Quare tecum (1135) una, quod iubes, Roxanen quoque deinceps uenerabimur.  » Et haec quidem mulieres ad regem. Eaedem tamen satrapis et optimatibus talia : « Agamus largiter diis immortalibus gratias quod Dario desinente Darii nobis beneficia non desunt. Nam et Roxanen Alexander suam fecit eamque coniugii honore (1140) dignatur  : qua cuncti de gratia una cum diis ipsis deorumque simulacris obuiare uos regi adeo benignissimo oportebit atque id quod in commune proficiat confiteri, cum eos in quos dominus factus est mutuari gaudium suum maluerit quam exercere. » (1145) Sed ad eiuscemodi legationes Alexander grauabatur. Neque enim se parilibus cum diis honoribus exaequabat, quin immo meminisse semper mortalis suimet oportere admonebat. Nihilominus, ut quisque in haec officia uenisset, laudatos atque donatos honoratius dimittebat. Idque quod de (1150) Roxanes nuptiis consuluisset cum matre participat Olympiade iubetque id quod ex priori praeda mundi regii fuerat Rogodunes atque Roxanes referri ad eas protinus. Enim ut adfluerent regalibus copiis, ita monet uerecundiae quoque disciplinaeque Graecae meminissent, colentes scilicet Olymp(1155)iada ita ut se rege et marito dignum foret ; id enim uxore faciente nihil fore quod magis esset Alexandro placiturum. Atque his ita institutis et factis ordinatoque omni regno Persarum in Porum ducit exercitum.

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les préserver de pénibles épreuves et de ce que, même maintenant, tu les associes à ta royauté, en les traitant comme l’exigent notre ancienne dignité et celle de ton nom. Parce qu’ainsi, Alexandre, tu es pour nous ce que fut Darius, c’est en toi que nous voyons les dieux et leurs bienfaits à notre égard ; et de cette gratitude de même que nous en faisons l’aveu, de même nous la proclamons devant les Grands de la Perse, afin que leurs vœux également t’agrègent, comme compagnon, au nombre des dieux immortels. En conséquence, désormais, suivant tes ordres, nous révérerons Roxane en même temps que toi.  » De la sorte les femmes s’adressaient au Roi. Elles ne le font pas moins aux satrapes et à la noblesse : «  Rendons grâce généreusement aux dieux immortels de ce que, Darius disparaissant, ne nous manquent pas les bienfaits de Darius. En effet, Alexandre a fait sienne Roxane, en daignant l’honorer du mariage. À cause d’une telle faveur, nous devrez avec les dieux et leurs statues venir au devant d’un roi si bon et reconnaître ce qui profite à tous car, plutôt que de satisfaire sa jouissance, il a préféré l’emprunter de ceux dont il était devenu le maître. »287 Mais ces délégations pesaient à Alexandre : il ne s’égalait pas aux dieux par des honneurs identiques288, que dis-je ? il avertissait qu’on devait toujours le mentionner comme un mortel ; néanmoins, chaque fois qu’on venait ainsi lui rendre hommage, il renvoyait les gens avec des éloges et des dons qui honoraient grandement. Il communique à sa mère Olympias ce qu’il avait décidé pour les noces de Roxane et, sans tarder, fait reporter à Rodogune et à Roxane ce qui antérieurement avait été saisi des parures des reines. Mais autant leur affluaient ces richesses royales, autant il les engageait à se souvenir de la pudeur et des leçons de la Grèce – ce qui s’entendait de leur respect envers Olympias –, en sorte que la conduite fût digne de lui, roi et mari : si, en effet, l’épouse agissait de cette façon, rien ne plairait davantage à Alexandre289. Puis, quand ces dispositions furent réalisées et que le royaume perse eut été mis en ordre, il dirige l’armée contre Porus290.

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LIBER TERTIVS QVI EST OBITVS ALEXANDRI

1. Emensus igitur desertas Indiae regiones aquarumque indigentissimas, bestiolarum quoque examinibus infestas quas (5) phalangia uocant, multo labore ipse atque exercitus fatigantur. In eademque iam duces eius se colloquia conferebant quod sibi satis esse deberet usque ad Persas proeliis laborasse ; his quoque subditis et Dario consultum quantum oportuerat Graeciae, si modo uectigales Persas patriae fecissent. Quo uero (10) ille tenderet labor in Indiam properantibus adeo infestis omnibus locis feritate bestiarum ? Quod si in tantum ardore rei bellicae Alexander urgueretur, non sane uideri consultum inconsultae isti cupidini si comes fieret reliqua multitudo. Iret ergo quo uellet duceretque qui uellent ; se tamen missos facere (15) deberet tot iam bellis exercitos ac fatigatos. Enimuero his Alexander cognitis aduocatoque omni tam Persico scilicet quam Macedonico exercitu in haec uerba contionatur : « Vnus mihi idemque est sermo apud utrumque uestrum, o fortissimi milites, quiue mecum Macedones huc uenistis, quiue Persae ex(20)perti imperium post uictoriam nunc mihi commilitium profitemini. Igitur in commune uobis dictum hoc habetote quod, si me solum ire in Indos eorumque bella decrestis, faciam id quidem intrepidus ac libens. Enimuero unum admoneam quod adtestemini nihil esse mirum si ad futura quoque discri(25)mina solus ire compellar, cum prioribus quoque solus animi uirtute suffecerim. Neque mihi est arduum, Macedones mei, eadem consulere nunc quibus uos rectos in hanc solus possessionem uictoriae duxerim, sola ferme cura imperatoria militans in hisce quas confecerim expeditiones, nisi forte istud a (30) me adrogantius ac non uerius dictum esse miremini, cum unum quoduis imperatorium sapiens prudensque consultum praestet manum multorum inconsultius laborantium. Recognoscite igitur pariter et recensete an uos umquam sufficere potuisse tot illis Darii milibus ac fortitudini putaretis, quae ego (35) princeps semper militiae laborisque semper dux in proeliis insuperaui, nisi forte aliis addubitantibus timentibusque egomet ipse legationem mei apud Darium facere dubitaui, nisi uspiam me cunctantem aut residem in proelio denotastis. Si ergo uobis ista sunt amica consilia uti deserto me solitarii ad (40) Macedoniam repedetis, ite sane, libensque uos uotis properantes prosequar, modo si concordi animo id facere possitis neque dissidentes in ulla pericula prolabamini, ex quis facile noscatis omnem exercitus fortunam atque

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LIVRe TROISIÈME LE TRÉPAS d’Alexandre 1. Après d’une avoir parcouru des régions désertiques de l’Inde, complétement dépourvues d’eau et infestées des nuées de ces bêtes qu’on appelle des tarentules, Alexandre et l’armée étaient épuisés par plus d’une fatigue. Déjà ses généraux se réunissaient dans des conciliabules, toujours les mêmes291 : ce devait être assez pour eux d’avoir peiné au combat jusque chez les Perses. Ceuxci également soumis, on s’était occupé de Darius, autant qu’il le fallait pour la Grèce, si du moins ils avaient rendu les Perses tributaires de leur patrie. Mais à quoi tendait cette peine à se hâter vers l’Inde où tout le pays était tellement infesté de bêtes sauvages ? Si une ardeur guerrière pressait Alexandre à ce point, il ne semblait certes pas raisonnable que la masse des autres se fit la compagne de cette passion déraisonnable. Qu’il allât donc où il voulait, en emmenant les volontaires ; eux, en revanche, il devait les licencier, car déjà tant de guerres sans relâche les avaient épuisés292. Mais Alexandre est informé : il convoque la totalité de l’armée, c’est-à-dire les Perses aussi bien que les Macédoniens, et prononce cette harangue : « Soldats si courageux, c’est un même et unique langage que le mien devant et les uns et les autres, que vous soyez des Macédoniens venus ici avec moi ou des Perses qui, à l’épreuve de mon empire après la victoire, vous déclarez maintenant mes frères d’armes. Tenez-le-vous donc pour dit sans aucune distinction : si vous avez décidé que j’allasse seul contre les Indiens et leurs assauts, je le ferai volontiers en n’ayant nulle crainte. Mais – et mon avertissement se bornerait là – vous attestez qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que dans l’avenir aussi je sois contraint à marcher seul vers les dangers, puisque auparavant aussi ma force d’âme a toute seule suffi. Et ce ne m’est pas difficile, chers Macédoniens, de prendre en cet instant des mesures qui, sous ma seule direction, vous ont conduits en possession de la victoire. Dans les expéditions que j’ai menées à terme, j’ai combattu, en ayant presque seulement le souci du commandement, à moins que, dans votre surprise, vous ne pensiez que je parle avec plus d’arrogance que de vérité, alors que pourtant dans le commandement n’importe quelle raison sage et prudente vaut plus que les fatigues d’une foule d’exécutants déraisonnables. Par conséquent, reconnaissez-le pareillement et faites le compte en vous posant la question : auriez-vous jamais pu être suffisants contre tant de soldats, tant de forces de Darius dont, moi, toujours le premier au combat et toujours en tête dans l’épreuve, j’ai triomphé sur le champ de bataille, si, tandis que d’autres marquaient leur hésitation et tremblaient, je n’avais pas hésité à me faire mon propre ambassadeur auprès de Darius et si, à aucun moment de la bataille, vous ne m’aviez taxé de lenteur ou de mollesse ? Par conséquent, si l’idée vous séduit de m’abandonner et de regagner à vous seuls la Macédoine, d’accord, allez-y et mes vœux volontiers accompagneront votre hâte, pourvu que vous puissiez agir dans la concorde et ne pas, faute d’entente, glisser dans des périls d’où vous compreniez bien que la fortune et la

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uirtutem consistere in animo sapientis imperatoris.  » His auditis haud dubie (45) cunctos pariter et paenitentia fatigabat. Confirmatis denique animis quaesunt et sedare iracundiam regem et uti se obsecutoribus ad cupita. 2. Atque ita fines Indiae ingressis obuii fuere legati quos rex Porus ad Alexandrum cum litteris miserat, quarum sen(50)tentia haec erat : « Porus rex Alexandro dicit haec. Incursanti infestantique tibi fines ac ciuitates meas mando, Alexander, dicoque uti, cum te hominem memineris, nihil ad deos inconsultius moliare. Neque enim urguere te debent ad ausa temeraria fortunae hominum imbecilliorum hortarique uti In(55)dos incessas quod tibi fuerit in Persas fortuna procliuior. Non enim te ex eo iuuari aucta sperauerit uirtus tua, cum primum nostri ceperis experimentum. Patet quippe cuiuis nosse ille sim Porus et nulli aduersum nos licuerit ex fortitudine, quippe qui non homines modo, uerum deos etiam ui(60)ribus antestemus. Quibus diis inefficacem audaciam fuisse aduersum nos documenta sunt antiquissima uel uestra, quippe cum illum ipsum Liberum uestrum, qui apud uos deus existimetur, temere in haec irrumpentem irritum superatumque hinc Indi in fugam uerterint. Quare non modo sua(65)deo, uerum iubeo quoque abire te hinc ad tuas Graecias contentum Darii fortuna et paribus gentibus uiribusque ad illam uestri nominis mediocritatem. Neque enim si nobis Graecia uestra opus foret, non olim atque ante Xerxae conatus subacta Indis foret. Enimuero quoniam inutilis nobis est nihil(70)que dignum opibus nostris aut amoenitatibus habet, neque quaesita est neque quaeretur. Is enim demum labor suauis est proeliantibus ex quo sit etiam idonea spes praemiorum. Neque enim est nostrum in magno conatu digno operae pretio caruisse. Quare id tertio iam praedico ac denuntio tibi uti (75) facessas ex his quibus imperare non possis. » His litteris publice recitatis Alexander ait : « Nunc quoque uos moneo, sanctissimi milites, ne quid rursum magnificentia ista barbarica animos uestros inconsultius turbet. Auditis enim litteris Pori reuocate illam quoque litterarum Darii me(80)moriam uideteque num adrogantia dispar, num dissimilia uerba aut sit dissimilis imprudentia. Sicuti enim ferae istae bestiae quae apud ipsos sunt plurimae, pardi uidelicet et leones elephantique, solo illo naturae suae fretae impetu et corporis alacritate facile hominum sapientia subiugantur, iti(85)dem hosce barbaros intellegetis fiducia multitudinis fretos, nulla tamen praeditos imperatoria Graecaue sapientia, perfacile mox in dicionem nostram esse uenturos atque itidem prudentia nostra ad perniciem sui uti posse, ut in feras est facilis hominibus effectus. » (90) In hunc fere modum Alexander cum suos adhortatus esset, ipse quoque Pori litteris responsurus in hanc sententiam scribit : « Terreri nos putans, Pore, litteris tuis magnum admodum meis consiliis incentiuum

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valeur d’une armée résident entièrement dans la sagesse de celui qui commande. » à entendre ces paroles, tous, sans aucun doute, sont accablés de honte et de remords. Finalement, ils affermissent leur courage et demandent que s’apaise l’ire du roi et qu’il se serve de leur obéissance selon ses désirs293. 2. Et ainsi ils pénétraient dans le territoire indien, quand viennent à leur rencontre les ambassadeurs du roi Porus à Alexandre, porteurs d’une lettre ainsi rédigée294 : « Le roi Porus s’adresse à Alexandre. À toi, Alexandre, qui envahis en ennemi mes terres et cités, je mande ce message : te souvenant que tu es un homme, n’entreprends rien d’irréfléchi à l’égard des dieux. La malchance des faibles ne doit pas te pousser à une audace téméraire ni la chance qui penche de ton côté à l’encontre des Perses, t’engager à t’avancer contre les Indiens, car ta valeur ne saurait en espérer pour toi une aide qui l’accroisse, dès que tu auras acquis l’expérience de ce que nous sommes : à l’évidence n’importe qui sait qui je suis, moi Porus, et qu’aucune force n’a de droit sur nous, puisque en vaillance nous passons devant non seulement les hommes, mais aussi les dieux. Il y a des preuves très anciennes, voire chez vous, de l’inefficace témérité de ces dieux, s’il est vrai que même votre Liber que vous jugez un dieu, s’étant jeté ici en aveugle, a échoué et que, vaincu par les Indiens, il fut chassé du pays. Aussi, plus qu’un conseil, c’est un ordre : toi aussi, va-t-en loin de nous dans ta Grèce, en te contentant des malheurs de Darius, de ces peuplades et puissances à la mesure de la médiocrité de votre renommée. En effet, si nous avions besoin de votre Grèce, c’eût été jadis et avant les efforts de Xerxès que les Indiens l’auraient soumise, mais, comme elle nous est inutile et qu’elle n’a rien de comparable à nos richesses et agréments, on ne l’a pas recherchée et on ne la recherchera pas. De fait, pour les combattants la fatigue n’a de douceur que si elle produit l’espoir d’une récompense appropriée et ce n’est pas notre genre que de se livrer à de grands efforts sans obtenir un prix qui en vaille la peine. Par conséquent, pour la troisième fois, je te le dis très haut et très clair, éloigne-toi de ceux auxquels tu ne pourrais commander. » La lettre fut lue en public, puis Alexandre dit  : «  A présent aussi, irréprochables soldats295, je vous invite à ne pas déraisonnablement vous troubler de nouveau l’esprit à cause de cette grandiloquence de barbare. Après avoir entendu la lettre de Porus, rappelez à votre mémoire ce qu’étaient aussi celles de Darius et voyez si l’arrogance en est différente, les mots dissemblables et la sottise en dissemblance. En réalité, de même que ces bêtes sauvages en si grand nombre chez eux, je veux parler des léopards, des lions, des éléphants, se fiant seulement aux impulsions de leur nature et aux élans du corps, sont sans difficulté subjuguées par la sagesse de l’homme, de même vous comprendrez que ces barbares rassurés par leur confiance dans le nombre mais tout à fait dénués de cet art grec du commandement, viendront très facilement sous notre domination et que notre intelligence peut se tourner à leur perte, comme l’homme y parvient aisément sur l’animal. » Ayant à peu près de la sorte exhorté les siens, Alexandre, pour répondre aussi à la lettre de Porus, lui écrit en ce sens : « Croyant, Porus, nous terrifier

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praestitisti, quo nobis in uos dispositum est militare. Dicis enim nihil eiusmodi habere (95) Graecos quod sit dignum ad opulentiam uestram, uos uero hisce esse omnibus adfluentes quae sint ad beatitudinem necessaria. Addis praeterea operae pretium considerari militantibus oportere uti ne frustra laboretur. Quibus omnibus doces quo nos quoque alacrius ad uos tendere debeamus, unde (100) nobis haec cuncta quae adeo uos praedicatis accesserint. Fateor enim nihil esse Graecis eiusmodi quorum uos diuitiis gloriamini atque idcirco indigentes meliorum a uobis petere necessaria. Illud uero ridiculum ut, cum te homunculis praeferas, tum diis quoque potiorem esse pronunties, quod ni (105) adesset litteris tuis, in reliquis fiducia fortitudinis dici posset ; quoniam uero hisce non temperas, temeritas utique est intellegenda. Quare sicuti tibi constantiam fingit ille contemptus, uelut earum fortuna gentium minime moueare quae sunt a nobis bello superatae, ita nos quoque nihilum omnino (110) terrebit uerborum ista magnificentia, quae temeritatis uestrae index potius est quam fortitudinis. » 3. His lectis Porus ad belli studia incitabatur. Cogit ergo exercitum et quam plurimos elephantos ceteraque genera bestiarum quibus Indi commilitant, contraque eos Macedo(115)num et Persarum aderat multitudo. Enimuero cum illos Pori numeros Macedones intuerentur unaque his bestias memoratas, admodum animo turbari coepere haud dubie cunctabundi ob insolentiam eiusmodi proelii quod una esset cum hominibus barbaris et omnigenis bestiis agitandum. Id animi (120) eorum non clam Alexandrum fuit. Nam ipse quoque unacum bestiarum ista nouitate mouebatur. Quaesita ergo belli ratione comminiscitur per astutiam quo demum genere auerti posset impetus bestiarum. Igitur statuas aereas quam plurimas aduehi secum quibusque de proximis locis ad locum (125) proelii iubet. Quod ubi factum est, ibidem igne subiecto quam plurimo calefieri eas et igniri festinat ; erantque eae statuae post primos aciei ordines sitae atque ita ante belli tempus hostibus inuisitatae. Enimuero ubi signa bellica crepuere primique concursus partium sperabantur, Indi barbari (130) feras illas bestias prae se ire dimittunt, ita scilicet doctas ut, cum primum in aduersos inuolauissent circaque eas proeliaturi hostes occuparentur, nihil Indis superuenientibus morae fieret quin libera iaculandi hostis trucidandique facultas pateret. Id ubi factum est, praedocti Macedonum ordines primi (135) paululum de loco quo institerant repedantes ignitas statuas incursantibus bestiis produnt. Quas cum falsa facie uel[uti] etiam candenti colore impetu belli complexu et morsibus adfectarent, mox sauciae debilesque aut protinus cadere aut refugere coepere omnino nullum auxilii ullius emo(140)lumentum dominis

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par ta lettre, tu n’as pas peu, au contraire, donné du stimulant à mon intention arrêtée de combattre contre vous. Tu dis, en effet, que les Grecs n’ont rien de comparable à votre opulence, tandis qu’afflue de votre côté tout ce qui est nécessaire à la béatitude. Tu ajoutes de plus que le combattant doit considérer le prix de ses peines pour ne pas se fatiguer en vain. Ce faisant, afin que nous également mettions plus d’énergie à devoir marcher sur vous, tu nous apprends d’où peut nous parvenir tout ce dont vous vous vantez tant. Je le reconnais : les Grecs n’ont rien de ces richesses qui font votre gloriole et c’est parce qu’ils manquent du meilleur qu’ils vous demandent le nécessaire296. Mais il est ridicule que, te plaçant au-dessus des pauvres humains, tu te déclares de surcroît supérieur aux dieux ; si une telle affirmation ne figurait pas dans ta lettre, on pourrait, pour le reste, parler d’une confiance en sa propre force, mais puisque tu ne te maîtrises pas en ces matières, il faut comprendre qu’il s’agit surtout de témérité. Dès lors, aussi vrai que ton mépris te fabrique cette assurance, comme si tu n’étais pas du tout ému par l’infortune de ces peuples vaincus par nous dans la bataille, nous ne serons pas non plus le moins du monde terrifiés par ces grands airs qui indiquent plus votre témérité que votre force. » 3. Cette lecture piquait Porus à vouloir la bataille. Il réunit donc son armée, le plus grand nombre d’éléphants et toutes les bêtes qui accompagnent les Indiens à la guerre. En face se présentait la masse des Macédoniens et des Perses. Cependant, quand les Macédoniens aperçurent les détachements de Porus et, avec eux, les bêtes susdites, ils commencèrent à se troubler beaucoup l’esprit, dans l’hésitation, sans aucun doute, que provoquait ce combat insolite à mener avec des barbares et toutes sortes d’animaux. Cet état d’esprit n’échappa point à Alexandre. Lui-même, en effet, s’émouvait du caractère extraordinaire de cette faune297. À la recherche d’une tactique de combat, son astuce imagine comment enfin pouvoir se défaire d’une charge de ces animaux. Sur le lieu de l’affrontement, il ordonne d’apporter avec soi, aussi nombreuses que possible, les statues d’airain de tout le voisinage298. Ceci effectué, il se hâte de jeter le plus de feu possible à leurs bases pour les rendre brûlantes sous la flamme. Les statues avaient été placées derrière la première ligne du front et l’ennemi avant l’heure de l’action ne les apercevait pas. Mais dès que le signal du combat eut retenti et qu’on s’attendait aux premières attaques de part et d’autre, les barbares indiens envoient leurs bêtes s’avancer devant eux : elles avaient, bien sûr, reçu un dressage afin qu’aussitôt lâchées sur l’adversaire, elles pussent autour d’elles bloquer les ennemis prêts à en découdre, si bien qu’à l’arrivée des Indiens, aucun retard n’empêcherait la possibilité pour ces derniers de transpercer ou d’égorger l’ennemi en toute liberté. En réaction, les premiers rangs macédoniens, au préalable endoctrinés, s’écartent un peu de leur emplacement et découvrent aux bêtes à l’assaut les statues en feu. Trompées par les visages, voire par les couleurs ardentes, dans la fougue de la charge, celles-ci cherchaient à les étreindre et à les mordre. Mais, bientôt blessées et sans forces, ou bien elles se mirent incontinent à s’effondrer ou bien à battre en retraite, n’apportant plus à leurs maîtres le profit d’une aide quelconque. Pour le second assaut les Indiens furent

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adferentes. Sicque Indis ab illo ferarum auxilio destitutis secunda concursio fuit, ut ipsi priuis inter sese uirtutibus experirentur. Igitur Persae coepere sagittis Indos incessere ceteroqui nudos armorum eminusque configere, neque minus eos equestribus proeliis quam uehemen(145)tissime Macedones fatigare. Cum quibus una cum ipse Alexander periculo non deesset, equus ille Bucephala, quo uehebatur, Pori dextra uulneratur et cadit idque Macedoni supra omnia quae possunt in proeliis incommodare diuidiae fuit. Quare neglecto omni omnino opere bellandi equum exa(150)nimem ipse cauda in partes suas retrahit metuitque ne spolium illud Indi suum uellent, quod esset Alexandro pudibundum. Atque ita receptis suis et proelio dissoluto uiginti ferme dies indutiis dantur, quibus utrimque sepeliendis exurendisque his qui apud alteros proelio desiderati fuerant in(155)stitere. Sed hisce quibus dixi diebus haud pauci Persarum in partes Pori transisse Alexandro nuntiabantur. 4. Quod cum et impune fieri peruideret et consuetudinem haud commode gliscere fidei neglegentibus, iniit consilium uti Porum ad solitarium ipse proelium prouocaret, cetera di(160)cens genera bellandi fortunam exspectare potius quam uirtutem aut gloriam ducum. Enimuero sibi non indidem laudem uideri imperatores captare unde subditis suis periculum fieret. Optimum ergo in utroque iudicatum iri, si suis ipsimet duces manibus experirentur. Quod si Poro sederet, fortunam (165) eiusmodi minime aspernaturum. Id barbarus sibi libenti satis offerri profitetur acquiescitque condicioni quam Alexander fecerat, scilicet aestimatione barbarica de modo corporum mensuram uirium metiens, cum se proceritudine corporis et cetera magnitudinis congruentia longe distare ab exiguitate (170) Alexandri peruideret, ipse quinque ferme cubitis erectior, cum Alexandrum qui uisitauere uix tribus cubitis numerauissent. Hac igitur adrogantiae spe cum dies pariter et locus proelio constitisset fieretque pugna regalis, primitus quidem anceps (175) diu Fortuna bellantibus uidebatur, non minus Alexandro tempus incursandi rimante quam Poro locum uulneris declinante. Sed cum forte apud Indos ex quadam repentina conuersione Pori strepitus et conclamatio exstitisset auertissetque Porus os quo causam illius strepitus cognouisset, inuolat (180) Alexander atque eius inguinem telo eminus transfodit eumque prostrauit. Hac indignatione Indi excitati in arma prosiliunt instaurantque id proelium quod absque uulgi periculo pactum inter reges erat. Enimuero Alexander saepe iam Indicam uim expertus non facilem rei bellicae manu silentium (185) quaerit et ab hoste patientiam petit paulisperque patientibus in hunc modum loquitur : « Non equidem uideo causas, o Indi, tam inconsulti huiusce discriminis uestri, cum nihil egerit aliud nostra [inter nos] proeliatio quam uti uestro

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ainsi dépourvus du secours de leurs fauves ; il en résulta que, réduits à euxmêmes, ils firent l’expérience de leur propre force. Aussi les Perses, les transperçant à distance, en vinrent à harceler à coups de flèches des Indiens, au demeurant, dépouillés de leurs armes et, semblablement, les Macédoniens mettaient énormément de vigueur à les épuiser dans des combats de cavalerie. Avec eux Alexandre partageait le danger, lorsque Bucéphale, le cheval qui le portait, est frappé de la main de Porus et tombe. De ce qui peut embarrasser au combat, ce fut pour le Macédonien le pire des ennuis. C’est pourquoi, sursoyant absolument à toute action guerrière, il le ramène dans ses lignes tiré sans vie par la queue : il craignait que les Indiens ne voulussent s’approprier la dépouille, ce qui eût été une honte pour Alexandre. Ses soldats firent donc retraite, le combat se disloque et vingt jours environ sont accordés à une trêve : les uns et les autres s’occupèrent alors d’enterrer ou de brûler ceux dont, dans les deux camps, on déplorait la perte, mais durant ces jours dits un bon nombre de Perses, annonçat-on à Alexandre, étaient passés au parti de Porus. 4. Alexandre se rendait bien compte de l’impunité avec laquelle le fait se produisait et que non sans inconvénients l’habitude grandissait chez des gens qui ne souciaient pas de loyauté299. Il en arriva donc au projet de provoquer Porus lui-même en combat singulier, disant que les autres formes de guerre espéraient davantage de la chance que de la valeur et de la gloire des chefs. Les princes, lui semblait-il, ne recueillaient pas l’éloge de ce qui était un danger pour leurs sujets. Que de chaque côté les généraux fissent l’épreuve de leurs propres bras serait donc jugé la meilleure solution. Si Porus l’agréait, lui ne répugnerait pas du tout à cette sorte de hasard. Le barbare déclare que l’offre lui convient assez et il acquiesce à la proposition d’Alexandre : de fait, dans son raisonnement de barbare, il prenait la mesure des forces d’après les dimensions physiques, car il constatait qu’avec sa taille élevée et tout le reste proportionné à sa grandeur il distançait de loin la petitesse d’Alexandre. Il avait près de cinq coudées de hauteur, alors que ceux qui étaient venus voir Alexandre lui en comptaient à peine trois : l’arrogance suscitait ses espoirs300. Le jour ainsi que le lieu une fois fixés pour le combat, le duel s’engagea entre les rois. Au début, la Fortune parut un temps hésiter entre les lutteurs : Alexandre observait les occasions d’attaque et, de la même façon, Porus évitait de faire place aux coups. Mais comme d’aventure s’était levée chez les Indiens une bruyante clameur à la suite d’une soudaine conversion de Porus et que celui-ci détournait le visage301 pour connaître la raison du bruit, Alexandre fond sur lui et, d’un trait à distance lui transperçant l’aine, le jeta à terre302. Poussés par l’indignation, les Indiens bondissent sur leurs armes et recommencent un combat qui, selon les clauses, concernait les rois, sans que le commun y fût en danger. Mais Alexandre qui, par expérience, savait que la force de l’Indien se prête peu aux affaires de la guerre, de la main réclame le silence ; à l’ennemi il demande de la patience et, cette patience acquise un instant, il s’exprime par ces mots : « Je ne vois pas pourquoi, Indiens, vous prenez ces risques irréfléchis, étant donné que notre duel n’a produit qu’une décision à votre avantage. Puisque

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commodo consultaret. Igitur cum omnis militantium uis ei osten(190)tationi proficiat, si testi imperatori suo quod singulis sit deuoti animi monstrauerint, quid hoc rei est quod incassum discrimina uestra profunditis Pori iam testimonio facessente ? » Ad haec dicta cum Indi se nolle Graecis fieri captiuos (195) dominumque Alexandrum pati uulgi murmure testarentur, secundo etiam sermone Alexander monet soluerent hunc cordis sui metum exspectationemque curarum eiusmodi abicerent atque secluderent et fidem rati dat iureiurando. Neque enim sibi libidinem talem aut desiderium umquam In(200)dici imperii adstitisse, sed enim omnem illam causam proelii hanc fuisse si experimento ipso fortitudinis suae gentes quoque ceterae didicissent amicitiam suam singulos magis quam uehementiam experiri conuenire. Igitur irent quisque securus in sua nec ultra quicquam de uictorum insolentia (205) trepidarent, cum illa quoque causa ab indignatione uictoris sese utique tueretur quod plerique soleant in ultionem prioris contumeliae insequi superatos. Non enim Indos culpae illius reos apud se fuisse, uerum Porum, qui sat sibi poenarum quas lex belli monuit praestitisset. « Sed ne ipsi quidem ultra (210) iam hostis sum », ait, « quin etiam hortor moneoque uos uti regem, ut fas exigit et uobis moris est, sepulturae inferatis. » Ad haec dicta Alexandri non cunctanter quidem acquieuerat uis Indorum. Sed enim Alexandro non absque utili sapientia haec humanitas sederat, cum et uim Indicam saepe expertus (215) foret et pleraque praedae eorum, quae secum plurima gentis suae more Indi ad proelium uehunt, in suam potestatem sciret esse translapsa. Quare domitis hostibus auectaque praeda ad Oxydracontas, quae gens exim colit, iter suum dirigit non illam quidem (220) gentem ut hosticam incursaturus – neque enim illis studia sunt armorum –, sed quod celebre esset Indos quos Gymnosophistas appellant hisce in partibus uersari. Opum quidem omnium et cuiusque pretii neglegentes, solis uero deuersoriis patientissimi quae humi manu exhauriunt aditibus peran(225)gusta, enimuero subter capaci[b]us spatiata, quod id genus aedium neque pretii scilicet indigens et ad flagrantiam solis aestiui apricius habebatur. 5. Ii igitur cum comperissent Alexandrum ad sese contendere, primates suos, quos scilicet a sapientiae modo censent, (230) obuiare aduentanti iubent cum litteris huiuscemodi : « Gymnosophistae Bragmanes Alexandro homini dicunt. Si tendis ad nos proeliaturus, utique tibi propositum est, quid nobis adferas habes, porro quod auferas, nihil. Sin uero uenies ut discas, quae a nobis scilicet sciri queant, nulla est inuidentia. (235) Etenim non arbitramur inter hasce scientias nostras causam discordiae positam, cum tibi amica res proelium, nobis uero philosophia noscatur. »

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toute la force des soldats sert à manifester si des courages dévoués au chef, leur témoin, lui ont montré ce que chacun a en propre, à quoi bon par conséquent vous répandre en risques inutiles, maintenant que disparaît le témoignage de Porus ? »303 En réponse, les Indiens, par des murmures généralisés, attestent qu’ils ne veulent pas devenir les captifs des Grecs ni souffrir la domination d’Alexandre. Ajoutant un second discours, Alexandre les avise de délivrer leurs cœurs de cette crainte, de rejeter et bannir toute attente de pareils soucis et, par serment, il donne l’assurance de son accord : un tel désir ou l’envie d’un empire sur les Indes ne l’avaient jamais approché, mais le seul motif de l’affrontement avait été de savoir si, par l’expérience de sa force, les autres peuples aussi apprendraient, un par un, qu’ils devaient expérimenter son amitié plutôt que son aggressivité. Que chacun aille donc chez lui, sans s’effrayer davantage d’une insolence des vainqueurs, car, en tout cas, les protégeait aussi de l’indignation du vainqueur le fait que d’habitude on poursuit les vaincus pour venger une injure antérieure304. Or, les Indiens n’ont été coupables d’aucun méfait à son encontre, à la différence de Porus qui, s’était suffisamment acquitté du châtiment prévu par les lois de la guerre. Mais dit-il : « De lui non plus, je ne suis désormais l’ennemi ; bien plus, je vous y exhorte de mes conseils : portez votre roi dans sa sépulture, comme le droit l’exige et que vous en avez la coutume. À ces paroles d’Alexandre, la violence des Indiens s’était certes apaisée sans retard, mais il est vrai qu’une telle humanité n’avait pas été arrêtée sans sagesse pratique, vu qu’Alexandre avait éprouvé souvent cette violence indienne305 et que, par ailleurs, il savait avoir transféré en sa possession la plus grande partie des rapines qu’à la mode de leur pays les Indiens véhiculent en nombre avec eux jusque sur le champ de bataille306. L’ennemi dompté et le butin déménagé, il dirige sa marche sur les Oxydracontes, le peuple habitant au sortir de là, non pas dans l’intention de se précipiter sur ces gens comme sur des ennemis – de fait, ils n’ont pas le goût des armes –, mais parce qu’il était connu que des Indiens307 appelés Gymnosophistes résidaient dans la région. Préoccupés d’aucun bien ni d’aucune valeur, ils ne supportent absolument que des logis qu’ils creusent à la main dans le sol : l’entrée en est très étroite, mais, au-dessous, l’espace est d’une plus grande capacité ; de fait, ce genre de demeure ne nécessite vraiment pas de frais et on y était moins exposé aux brûlures de la chaleur d’été308. 5. Quand ils apprennent qu’Alexandre venait droit sur eux, ils font aller à la rencontre de l’arrivant les premiers d’entre eux, c’est-à-dire ceux qu’ils estiment tels à la mesure de leur sagesse309. Leur lettre disait : « Les Brahmanes Gymnosophistes parlent à l’homme Alexandre. Si tu t’avances pour nous combattre, comme tu te le proposes, tu peux nous apporter quelque chose, mais ne peux rien nous emporter. Si, au contraire, tu viens apprendre ce qu’à l’évidence on peut apprendre de nous, il n’y a là aucun empêchement, car nous ne pensons pas que parmi nos sciences se situe un motif de discorde310, s’il est vrai que la bataille est ton amie mais que, pour notre part, nous cherchons la connaissance philosophique. »

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His lectis Alexander pacificum iter agere decreuit uidetque homines reliqua nudos, sed amictu simplici superiectos, de(240)uersantesque his aedibus seu speluncis quarum relatio supra est. Eorum filii coniugesque pascendis pecudibus occupabantur. 6. Ergo instituit Macedo cum hisce hactenus loqui ac primum an uspiam huius gentis hominibus sint sepulchra. Ad (245) haec responsum est idem sibi domicilium esse quod sepulchrum eoque consuefieri his deuersoriis ut, dum cotidie dormiunt, desinant aliquando uigilare exque eo sibi esse unam domum uiuenti pariter et mortuo. Rursus quaerit ex alio utrumne plures uiui an mortui putarentur. Ad idque re(250)sponsum est uideri quidem plurimos mortuos, sed eos numerari non oportere, quoniam iam esse desiissent ; quippe plures pronuntiari oportere eos quos uideas quam illos scilicet quos neque oculi ulli neque ratio conspicetur. Post quaerit ex alio utrumne uita fortior an uero sit mors. Vitam esse (255) responsum est, quod solis quoque feruentior orientis uigor, marcentior uero uiseretur occiduus, ortumque hominis esse quo uiuitur contraque quo frigeat. Et id addit, utrum mare spatiosius anne terra. Terram esse respondent, cuius mare gremio tenetur. Sciscitatur id quoque, quaenam omnium bes(260)tia callidior et astutior. Hic uero cum risu hominem esse pronuntiant adduntque rationem de exemplo sui, qui solus tot animantium milia illexisset ut ad persequenda ea quae aliis essent praedae cupiditate laborarent. Non his ut ad contumeliam dictis Alexander mouebatur. Enimuero addit quid (265) per imperium sibi uideretur. At illi fraudis potentiam esse respondent adiutam temporis blandimento uel, si ita mauelit, iniusta audacia. Quaerit etiam utrumne dies an uero nox prius constituta putaretur nihilque cunctantes noctem priore ordine posuere, cum omnia quoque concepta ui(270)uendi auspicium in tenebris sortiantur, post uero nata in lucis spatia transmigrarent. Pergit denique sciscitari cuinam mentiri hominem non oporteret. Responsum est deo, quod omniuidens ille sit atque omnium sciens. Quaerit etiam quasnam in homine partes honoratiores esse existimarent. Laeuas (275) esse responsum est, quod sol etiam oriens ex laeuo dextrorsum curriculum exsequatur, tum quod permixtio maribus ac feminis laeuarum mage partium existimetur et lactaturam feminam laeui uberis primum alimenta praestare deosque laeuis humeris religione gestari et reges ipsos indicia dignitatis (280) praeferre laeua. Cumque post haec et quid sibi a rege uellent largitum iri polliceretur, immortalitatem consoni poposcere. Sed id cum rex praeter potestatem suam esse dixisset, « Cur ergo », aiunt, « cum sis mortalis, tot tamen laboribus seruis et tantis appe(285)tentiis uinceris quarum tibi fructus aut nullus aut

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À la lecture, Alexandre décida d’une marche pacifique et il voit des hommes nus, hormis un voile jeté par dessus, installés dans ces demeures ou plutôt ces grottes dont on a parlé précédemment. Leurs fils et leurs femmes s’occupaient à faire paître les troupeaux311. 6. Le Macédonien commence donc sans plus à s’entretenir avec eux312 et tout d’abord : « Les gens de cette peuplade ont-ils quelque part des tombeaux ? » À quoi il est répondu que le domicile était leur tombeau et qu’ils s’habituaient à y séjourner pour, à force d’y dormir chaque nuit, cesser un jour de se réveiller : de la sorte, vivants comme morts, ils avaient une seule demeure313. Derechef, il demande à un autre si l’on comptait plus de vivants que de morts. On lui répondit que les morts semblaient plus nombreux mais qu’il n’y avait pas à les dénombrer, puisque dorénavant ils avaient cessé d’exister : il fallait, en fait, déclarer les êtres visibles en plus grand nombre que ceux qu’évidemment ni les yeux ni l’intelligence ne perçoivent314. Ensuite il questionne un autre : « La vie est-elle la plus forte ou bien était-ce la mort ? » La vie fut la réponse, parce que, de même, la vigueur du soleil qui se lève était à l’œil plus ardente, alors qu’elle s’affaiblissait au couchant ; pour l’homme, l’orient est l’instant de la vie et son contraire celui du refroidissement315. Alexandre en outre veut savoir si la mer couvre plus d’espace que la terre. « La terre, répondent-ils, qui contient la mer en son sein. »316 Cette question aussi est posée : qui de tous les animaux était le plus malin et astucieux ? Alors, en riant, ils se prononcent pour l’homme et ajoutent comme explication son propre exemple, puisque tout seul il avait attiré tant de milliers de vivants à se fatiguer, par désir du butin, dans la poursuite de ce qui appartenait à autrui. Cette repartie n’émut pas Alexandre, qui ne la considérait pas comme une offense. Mais il continue en exposant sa théorie de l’Empire ; mais, eux, lui rétorquent que la puissance de la mauvaise foi est servie par de complaisantes circonstances, ou, s’il préfère, par une audace contraire à la justice317. Et puis, il demande qui du jour ou de la nuit croient-ils institué en premier. Sans hésiter ils placent la nuit au premier rang, car tout ce qui jamais est conçu a pour destinée de commencer son existence dans les ténèbres pour, après la naissance, passer aux espaces de la lumière318. Il poursuit la série de ses interrogations : à qui l’homme ne devait-il pas mentir ? « À Dieu, répondit-on, puisqu’il voit et sait toute chose. » « Quelle partie chez l’homme, demande-t-il, était jugée la plus honorable ? » C’est la gauche, on lui répond, car le soleil, se levant aussi sur la gauche, exécute son parcours en direction de la droite, ensuite parce que l’union du mâle et de la femelle est jugée préférable dans la position à gauche et que, prête à allaiter, la femelle offre d’abord l’alimentation de son sein gauche, que les dieux sont dans les rites portés sur l’épaule gauche et que les rois eux-mêmes tiennent plutôt à gauche les insignes de leur dignité319. Ensuite de quoi, comme le roi leur promettait les largesses qu’ils voudraient de lui, unanimement ils réclamèrent l’immortalité. Et, lui, ayant dit que c’était hors de son pouvoir : « Pourquoi donc, s’écrient-ils, si tu es mortel, te fais-tu l’esclave de tant de travaux et te laisses-tu assujettir à de si grandes envies dont la jouissance est pour toi nulle ou bien courte, car elle ne tardera

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breuis est, enimuero idem mox ad alios transiturus ? » Tum Alexander : « Non haec sane nobis », inquit, « in manu sunt, enim deorum uiuimus lege, quam homines exsequi sit necesse. Neque enim illi nisi nauigari maria siuissent, uenti quoque nauigantibus (290) prosperarent aut uirecta etiam mouerentur, nisi ob hoc ortis flabris impellentibus cederent. Gigni quis neget cuncta ratione esse qua nata sunt moxque occidere interireque ratione ? Nihil denique omnino frustra reperies quin cunctis actibus sui motus et causa sit. Vt mihi quoque non (295) utique ratio ista bellandi sit suauis, sed quoniam animum meum ardor istiusmodi uoluntatis incesserit, decedo ac ministerium meum puto quidquid de hoc labore profecero. Denique facessant ista de medio, quae iam erunt inter homines discrimina fortunarum ? Quae dispar ratio gloriae ? Quae di(300)uersitas dignitatum ? Quis uoti modus ? Desinet protinus coli terra, transmitti mare, desiderari successio, cum illa promptior sit naturae hominis admiratio non uidere quae metuas, cum meminisse non desinas desideratorum. Etenim quanti qualesque meorum etiam proeliis cecidere ? Quanti uero (305) adepti desiderata ? Non ex illorum incommodo condicionem suam, sed ex ipso prouentu beatitudinem metiuntur. Haec denique una uiuendi lex est, uelle sibi unumquemque quod penes alterum uideat, ut habeat ipse quoque quod mox transmittat ad ceteros. » 17. (310) His talibusque cum sese tunc Alexander oblectauisset, exim iter prorsus exsequitur arduum quidem illud et laboriosissimum inuiis locis asperitate naturae et colentium uastitate. Deque labore hoc Aristoteli scribens magistro ut uel maximum sibi testimonium dicit eiusque litteris sententia talis (315) fuit. «  Operae pretium est, mi magister, eorum omnium quae sint in nostris laboribus maxima eorumque qui mecum una tolerauerint opinatissima te participare per litteras. Igitur Indicas regiones incessimus. Nam cetera tibi ad Bragmanas (320) usque praemiseram. His denique penetratis Prasiacae superuenimus, quae ciuitas regia quaedam Indiae cluit. Situs uero eius loci arduus et ad promuntorii faciem longe porrectior ; nam et mari imminet subiacenti. Enimuero quod istum colunt hominum nescias inuisitatius an inauditius genus, hi(325)que sunt promisce mares atque aliud secus, omnes tamen ad nostratia corpora quibus sunt feminae molliores : nam et uetus sermo eos molles Sabaeos appellat. Sed nihil aliud ferme ad cibum norunt praeter piscium genera, quorum illis multa et facilis abundantia est. (330) Fuit igitur mihi ad eorum fabulas diligentia et interpres inuentus est qui nobis daret cum hisce barbaris fabulari. Cumque multus et uarius

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pas à passer chez d’autres ? » Alors Alexandre : « Oui, cela ne dépend pas de nous mais nous vivons sous la loi des dieux320 et l’homme doit l’exécuter. S’ils ne nous avaient pas permis de naviguer sur les mers, les vents non plus ne favoriseraient pas les navigateurs et les arbres ne bougeraient pas, s’ils ne cédaient à la pulsion de souffles levés à cette fin. Qui nierait que tous les êtres sont produits par raison et que par cette raison d’où a procédé leur naissance ils existent et bientôt meurent et disparaissent ? Bref, on échouera à trouver quoi que ce soit sans cause et moteur de ses propres actions. À supposer que, somme toute, moi non plus, je ne me satisfasse de cette raison de faire la guerre, je m’incline pourtant, parce que l’ardeur de cette sorte de volonté s’est emparée de mon âme et je répute de ma fonction tous les progrès qui résulteront de mes peines. En un mot, que disparaisse du public ce dont vous parlez, quelles seront alors entre les hommes les différences de fortune ? Où sera l’inégalité dans les comptes de la gloire et où la diversité des distinctions ? Où fixera-t-on le degré des aspirations ? Incontinent la terre cessera d’être cultivée, les mers d’être traversées, les postérités d’être désirées, parce que dans la nature humaine l’admiration est davantage portée à ne pas voir les sujets de crainte et que ne cesse pas le souvenir de ce qu’on a perdu. De fait, comme ils étaient nombreux et de qualité ceux des miens qui aussi sont tombés au combat ! En revanche, combien ont obtenu ce qu’ils désiraient ! Ils ne mesurent pas leur condition aux malheurs de ceux-là mais jugent la béatitude à leur propre provende. En résumé, telle est la seule loi de la vie : à chacun de vouloir pour soi ce qu’il voit chez autrui, en sorte d’avoir luimême aussi ce que sous peu il transmettra aux autres. » 17. Après s’être délassé à ces propos et à leurs pareils321, Alexandre s’en va tout droit suivre une route difficile et bien fatigante, à cause du manque de chemins, de l’âpreté naturelle et de la monstruosité des habitants. écrivant sur ces fatigues à son maître Aristote, il se donne en quelque manière le plus haut des témoignages. La teneur de la lettre était la suivante322 . « Il vaut la peine, mon cher maître, de te communiquer par écrit ce qui fut le plus pénible pour nous et pour ceux qui avec moi ont supporté le pire de l’inattendu. Nous avions donc pénétré les régions de l’Inde – jusqu’à l’arrivée chez les Brahmanes je t’avais déjà, en effet, tout envoyé. Bref, tandis que nous nous enfoncions chez eux, nous parvînmes à Prasiaca323, qui se glorifie d’être, pour ainsi dire, la ville royale de l’Inde. Le site de l’endroit est abrupt et s’étend en longueur sous forme d’un promontoire. Il domine, de fait, la mer à ses pieds ; quant aux habitants, ils sont d’un genre… est-ce comme jamais on n’en vit, ou bien comme jamais on n’en a entendu parler ? Les mâles ne sont pas séparés de l’autre sexe, mais, tous, comparés au nôtre, ont un physique plus amolli que celui des femmes et, effectivement, dans la langue d’autrefois on les appelle les mous Sabéens. lls ne connaissent quasiment pas d’autre alimentation que des espèces de poissons qu’il leur est facile d’avoir en extrême abondance. « Je me préoccupais donc de causer avec eux et un interprète fut trouvé qui nous permît la conversation avec ces barbares. Les propos se déroulaient nombreux et variés, lorsque, sur ces entrefaites, ils nous montrèrent la position

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sermo procederet, locum interea quendam insulae monstrauere – nam is etiam eminus uisebatur –, quod esse dicebant ueteris cuiusdam regis indidem (335) monumentum ; id auro esse et pretiis refertissimum conditis. Cum hoc naturalem hominum uel diligentiam in nostris uel appetentiam promouisset certatimque festinaremus, pars uisendae eiusce insulae uel sepulchri, pars uero uel plurimi auri etiam auiditate, et spe potiundi iam animis gestientibus, (340) repente barbari qui loci eius indices fuerant dilabuntur eque in conspectu nostro incertum quanam maiestate euanescunt relictis sane nauiculis admodum paruis duabus ac decem, quibus uectari soliti intellegebantur. Igitur una mecum cum amici ad spectaculum properarent, Philon scilicet et Hephaes(345)tion, Craterus quoque multique alii, obstitit ac periculum illud uisendae nouitatis non primum a rege faciendum, uerum a se modo suisque similibus, suadere persistit. Quippe amplius aliquid in hisce regionibus formidandum in quibus uiderimus hominum formas de conspectu nostro tam (350) facile euanuisse, neu, si quid secus atque ut sperauerant incommodaret, eius periculi fieret de rege principium. Sese igitur iturum esse confirmat ac, si exploratio secundasset, tunc demum nos tuto posse transmittere. Sedet sententia persuadentis atque ita iussimus fieri. Con(355)scensis ergo nauibus protinus ire ad insulam tendunt, quae, quamuis propter obuiare oculis uideretur, ad integrae horae tamen spatium consumpserat nauigantibus. Tandem sunt uisi insulae institisse. Sed ubi gestum est, omne id solum repente una cum uiris et sepulchro, quod uisebatur, submersari (360) mari et in profundo labi conspicamur. Neque enim uana formido ludebat oculos intremiscentium, enimuero illud Philonis mors et exitium eorum qui una Philonem comitati fuerant. Territi igitur detestabili morte sociorum indigenas barbaros rimabam si quid nobis de itinere consultarent. (365) At uero nullus uspiam uisitur locisque desertis et inhospitalibus per octo posthinc im[me]morati dies egimus consilio confirmando. Tum in illo promuntorio cuius supra facta est mentio bestiam quoque uidimus praegrandi admodum et inopinabili magnitudine quam ebdomarion uocant, adeo (370) immensi portenti rem ut illi perfacile insistentes etiam super dorsum elephantos cerneremus. Hac igitur spectaculi foeditate moti iter ad Prasiacan repedamus, per quas ubique uastitates multa ferarum nomina multasque eiusmodi saeuitudinis facies erat uidere, serpentium quoque genera permi(375)randa. Illic et solis lunaeque defectus comminus etiam speculati sumus et causas hiemis et temporum differentias arbitrati. Quo primum reuersi ut inspecta sunt uos quoque participare curabimus. Nunc enim nobis iter per regna Darii Persasque nostros (380) agitatur ; quam cum omnem peragrare regionem cordi habeamus, multo ubique auro multisque crateribus abundamus, non his ex auri modo materia pretiosis,

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d’une île (on l’apercevait même de loin) : il y avait là, disaient-ils, le monument d’un ancien roi du pays ; de l’or et des trésors cachés le remplissaient à plein, ce qui, naturellement, provoquait chez les nôtres de l’attention, voire de l’appétit. À l’envi, nous nous hâtions, les uns par désir de voir l’île et le tombeau, les autres, les plus nombreux, parce qu’aussi ils étaient avides d’or et, le cœur battant, espéraient s’en emparer, mais brusquement les barbares qui nous guidaient dans les lieux s’évanouissent et sous notre regard disparaissent par on ne sait quel pouvoir ; ils nous laissaient une douzaine de bateaux tout petits sur lesquels, comprenait-on, ils avaient l’habitude de se transporter. Avec moi, des amis, je veux dire Philon, Héphestion324, Cratérus et bien d’autres se dépêchaient d’aller voir. Philon, cependant, s’y opposa : le roi, conseillait-il avec instance, ne devait pas le premier prendre le risque d’inspecter cette bizarrerie ; à lui et à ses semblables exclusivement de le faire, car on avait davantage à redouter dans une région où nous avions vu des silhouettes humaines disparaître de nos regards avec tant d’aisance325 et, si, contrairement à leur attente, il se produisait un événement fâcheux, il fallait éviter que le péril ne commençât par le roi. Il déclare qu’il ira donc lui-même et que, si l’exploration réussissait, alors seulement nous pourrions traverser en sécurité. « Cet avis persuasif est agréé et nous donnâmes l’ordre de le suivre. Ils montent sur les bateaux et immédiatement mettent le cap sur l’île qui, bien qu’elle parût à l’œil se présenter à proximité, avait absorbé du temps jusqu’à une pleine heure de navigation. Enfin, on les vit poser pied sur l’île. En revanche, cette opération faite, tout le sol, avec les hommes et le sépulcre perceptible à la vue, soudain sous nos yeux s’enfonça dans la mer et coula dans ses profondeurs. Et une vaine crainte ne se jouait pas des yeux apeurés : il s’agissait de la mort de Philon et du trépas de ceux qui s’étaient joints à Philon. Ainsi épouvantés par la mort horrible de nos compagnons, nous étions en quête des barbares du lieu, si jamais ils avaient une idée pour notre itinéraire. Mais nulle part on n’en voyait et, nous attardant durant huit jours de suite dans ces lieux déserts et inhospitaliers, nous manquions d’avis confirmés. Alors sur le promontoire déjà mentionné nous apparaît aussi un animal d’une taille inimaginable, vraiment d’une grandeur immense  : on l’appelle l’hebdomarion et la chose est si monstrueusement démesurée que nous verrions même sans grand-peine ses défenses plantées sur le dos326. Pris par le dégoût de ce spectacle, nous reprenons donc la route de Prasiaca et, tout au long de ces solitudes, étaient à voir de nombreux types de fauves, de nombreuses formes de semblable sauvagerie et aussi d’extraordinaires sortes de serpents. Là encore nous assistâmes de près à une éclipse du Soleil et de la Lune et pensâmes aux causes du mauvais temps et à l’alternance des saisons. C’est pourquoi, dès notre retour, notre souci sera de vous communiquer à vous également nos observations telles que nous les avons faites327. « Maintenant, en effet, notre chemin328 s’effectuait à travers les royaumes de Darius, chez nos Perses. Pour nous qui avions à cœur de parcourir toute cette région, partout abondaient masses d’or et masses de cratères, non seulement

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uerum longe lapidum luce maioribus. Neque tamen nobis alia quoque ab hoc genere diuitiarum instrumenta sunt minora. Sed hic circuitus (385) de quo dicimus a portis Caspiis fieri ceptus laboris aut uie huiuscemodi. Vbi cenatum exercitui foret, statim signum dari classico et ad uesperam iniri iter oportebat idque horis ferme nocturnis tribus agitari conuenerat, sex uero insequentibus horis somno indulgere ; rursusque exim ad horam (390) diei quartam reliquum spatii transmittebamus. Sed enim uiantibus non simplex habitus neque incuriosa munitio fuerat necessaria. Peronibus quippe crura omnia pedesque muniri et femoralibus uti pellinis oportebat reliquumque corpus ambire loricis, quod illae omnes Persicae regiones multis ad(395)modum et uehementibus infestari serpentibus dicerentur. Idque iter continuatis diebus ferme duodecim exanclauimus atque ita demum ad oppidum aduentamus situm in insula circumflui fluminis ; ibique uisitur castrum consitum undique arundinibus, quae ad triginta cubitorum spatia (400) supercrescerent. Crassitudo uero earum supra eam quanta est hominis crassitudo. Nauigia quoque plurima amni inerant, quae mox curiosius intuentibus partes quaedam fissarum arundinum noscebantur. Enim huius fluminis liquor ad potum hominis aduersus amaritudine nimia est cum salsitate. (405) Quaerentibus igitur, qua poteramus, ex accolis usum elementi memorati aliud castrum eminus demonstratur ab stadiis ferme quattuor indidem situm  ; ad quod cum audacius quidam exploraturi properassent, flumen quidem adfluum uident  ; sed emersi indidem hippotami magnitudine ne(410)scias an saeuitia immaniores nostros qui exploratum abierant incursauere. Ac rursus ad aliam partem eadem nobis curiositate rimantibus agmen earundem bestiarum longe numerosius occursabat. Quare omni genere fugienda loca euitandumque periculum uidens classico signum abitioni (415) praecipio, quamuis tanta uis sitis eiusque desiderii homines incessisset ut plerique etiam a potu urinae ob necessitatis uehementiam non temperarent. Igitur forte fortuna cum exim stagnum quoddam dapsile repperissemus potitique desiderato ac persuaui potu prata uirentia sterneremur, (420) eminus uideo in quadam adiacentis tuinentia titulo gemmeo superscriptum in hanc sententiam  : ‘aquationem hanc rex Sesonchosis orbis uniuersi praestiti cunctis Rubrum nauigantibus mare.’ Igitur iussi propter hoc stagnum castra constitui ignesque quam creberrimos fieri. (425) Et iam noctis ferme hora tertia numerabatur illustrisque admodum luna nihil diurni luminis demutarat, cum subito conspicamur undique ex omni silua quae circumsteterat bestias quasdam ad ripam stagni potus gratia contendentes. Erant eae bestiae scorpii quidem non minus

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ceux que leur or intrinsèque valorise, mais de beaucoup plus grands où brillaient les pierres, sans que nous disposions en moindre grandeur des autres objets de ce genre de somptuosités. Le périple dont nous parlons commença aux Portes Caspiennes et les difficultés de la marche furent de cette nature : aussitôt que l’armée avait dîné, la trompette donnait le signal ; il fallait prendre la route sur le soir et les bonnes heures pour la faire étaient généralement les trois de la nuit ; on consentait au sommeil les six qui suivaient, et à nouveau, jusqu’à la quatrième heure du jour, nous franchissions le reste de la distance. Mais pendant les déplacements la tenue n’était pas simple ni la nécessaire protection démunie d’attention. Tous devaient se protéger les jambes et les pieds en utilisant des bottes et des cuissardes en peau et entourer d’une cuirasse les parties restantes du corps, car toutes ces régions de Perse étaient, disait-on, infestées de serpents en grand nombre et très agressifs329. « En presque douze jours, sans interruption, nous avions éclusé cette route et enfin arrivons à un fort situé dans une île entourée d’eaux courantes. Et là, d’où qu’on vienne, se voit un campement planté de roseaux dont la croissance dépassait les trente coudées de hauteur330 ; leur largeur était supérieure à la largeur d’un homme ; des bateaux étaient aussi en nombre sur le fleuve : quand on les regardait attentivement, ils se révélaient bientôt comme des assemblages de roseaux fendus. Mais dans ce fleuve l’élément liquide était impropre à la consommation humaine, trop amer et salé. Comme, tant bien que mal, nous leur demandions donc à utiliser le susdit élément, les indigènes nous montrent de loin un autre camp installé à environ quatre stades de là. Plus audacieux à se lancer dans l’exploration, quelques-uns découvrent un fleuve au cours important : il en jaillit des hippopotames – le volume ou leur cruauté les rendaient-ils si prodigieux ? on ne sait331 – qui se précipitèrent sur notre détachement d’explorateurs. Et tandis que, derechef, nous étions aux aguets dans une autre direction avec la même curiosité, voici que chargeait à notre rencontre une troupe encore plus nombreuse – et de loin – de bêtes similaires. Constatant, par conséquent, l’obligation, par tous les moyens, de fuir ces lieux et de s’abriter du péril, je prescris à la trompette de sonner la retraite, bien que les hommes fussent saisis d’un besoin si impétueux de boire que beaucoup, à cause de la violence de la nécessité, ne s’empêchèrent même pas d’absorber leur urine. Dès lors, quand, par pure chance, nous trouvâmes ensuite… dirais-je : les munificences d’un lac ? – ce fut pour nous emparer de l’objet de nos désirs, cette boisson tellement délicieuse, et nous étendre sur de verdoyantes prairies. C’est alors que de loin j’aperçois sur la butte d’un tombeau voisin l’inscription suivante, tracée en pierres précieuses. Elle disait  : ‘Moi, Sésonchosis, roi du monde entier, ai offert ce point d’eau à tous les navigateurs en Mer Rouge.’332 J’ordonnai donc de dresser le camp auprès du lac et de faire une multitude de feux. « Et déjà le compte en était quasiment à la troisième heure de la nuit et la lune, très claire, n’avait rien changé à la lumière du jour, lorsque brusquement nous apercevons, venues de toute la forêt environnante, des bêtes qui convergeaient pour boire sur la rive du lac. Il y avait parmi elles des scorpions

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proceritudine (430) cubitali, ammodytae etiam albi colore uel rufi nec non cerastae coloribus ut supra diuersis. Quare uehementi sollicitudine incitati conspicantesque iam nostrorum aliquot interemptos fletibus undique consonantibus periculum opperiebamur. Insequebantur enim praedictas bestias etiam (435) quadrupedes beluae uehementes, potus scilicet consuetudine ac necessitate illo uenientes, quae quidem erant leones supra magnitudinem taurorum quos ex nostratibus maximos ducimus, rhinocerotes etiam uel apri uel pardi, lynces quoque et tigrides corepti utrique una elephantis et buriis ; tunc (440) taurelephantes et cum his homines senis manibus portentuosi, himantopodes etiam et cynoperdices multaque formarum humanarum genera inuisitata. Igitur excitabamur ad prouidentiam periculi imminentis atque ideo arma quidem quam properantissime capimus ; mando uero ignes quam ma(445)ximos et creberrimos fieri siluisque ipsis conflagrare facillimis immitti incendia. Quae res et[ip]si plurimum quantum contra multitudinem bestiarum opitulari trepidantibus poterat, inuita tamen nimietate luminis plurimas illo contendere idque certamen [in] eo usque nouis uitandis periculis (450) fuit donec cum lunae occasu umbrata tellure offusisque tenebris ad consueta siluarum refugia omnes illae bestiae remearent. Non tamen prius memorata saeuities animantium receptui consulit quam id animal superuenisset quod regnum quidem tenere in hasce bestias dicitur ; nomen autem (455) odontotyrannum uocant. Haec bestia facie elephantus quidem est, sed magnitudine etiam huius animantis longe praeuectus, nec minor etiam saeuitudine omnibus egregie saeuientibus. Quare cum nostros incesseret ac ferme uiginti et sex de occursantibus uiros morti dedisset, tandem tamen (460) reliqua multitudine ignibus circumuallatur et sternitur. Adhuc tamen saucius odontotyrannus cum indidem fugiens aquae fluenta irrupisset ibique exanimauisset, uix trecentorum hominum manus nisu extractus de flumine est. Hactenus igitur noctis illius nobis periculi finis fuit. (465) Longe tamen molestius, quo enim caueri difïicilius erat, quod post euenit. Tenebris enim post occasum lunae omnia obumbrantibus nyctalopecas uiseres de arenis profundis emergere non minus longitudinis cubitis decem eaeque, qua poterant, homines inuolant. Tunc ex iisdem arenis corcodrilli (470) etiam exsistentes passim inuadunt quadrupedia militaria. Ad hoc alites quibus apud nos uocabulum uespertilio est, sed quae illic super columbarum magnitudinem, dentibus tamen ad humani rictus ualentiam saeuae sunt, circumuolare coepere et quibusque incautioribus aures aut nares aut digitos (475) praesecare. Tum rhinocoraces insecutae, sed eae sane neque ad homines saeuiebant neque ignes temere aduolabant. Tandem igitur restitutus diei intellegensque in quanta discrimina proderemur ab hisce Indis qui sese salutaris itineris futuros esse nobis polliciti erant, eos ob fraudis

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qui n’atteignaient pas moins d’une coudée, également des vipères des sables blanches ou rouges ainsi que des cérastes de couleurs pareillement variées. C’est pourquoi, pressés d’une forte inquiétude et voyant déjà plusieurs d’entre nous massacrés, d’où que ce fût, nous pleurions à l’unisson dans l’attente du péril. Et de fait, les bêtes susdites étaient encore suivies de furieux fauves à quatre pattes venant apparemment boire là par habitude et nécessité : c’était des lions plus grands que les taureaux jugés chez nous les plus énormes, des rhinocéros, des sangliers333, des léopards et aussi des lynx, des tigres, tous deux serrés de près par des éléphants et des buffles ; et puis, des taureaux-éléphants et, en leur compagnie, des hommes monstrueux qui avaient six mains, ou des jambes flexibles334, ou des queues de chien, et bien d’autres formes humaines jamais entrevues. Nous nous levions donc en prévision du danger imminent et, pour cette raison, avec le plus de hâte possible, nous nous saisissons de nos armes. Je commande de multiplier au mieux des feux denses et de jeter l’incendie dans ces bois d’eux-mêmes si prompts à s’enflammer. Quoique contre cette foule d’animaux la manœuvre pût être d’une aide extrême pour notre appréhension, elle incite, à cause du surplus de clarté, bon nombre de bêtes à se diriger par là, et cette lutte pour éviter les nouveaux dangers dura jusqu’à ce que la lune, se couchant, couvre d’ombre la terre et y répande les ténébres ; tous les animaux se retirèrent alors dans leurs habituels repaires en forêt. Cependant leur cruel naturel – on y a fait allusion – ne songea pas à faire marche arrière avant que survînt la créature qui, dit-on, règne sur cette faune  : on l’appelle du nom d’odontotyrannus. La bête a l’apparence d’un éléphant mais le dépasse de beaucoup en grandeur et sa férocité n’est pas moindre que celle de tous les fauves particulièrement féroces. Aussi se jeta-t-il sur les nôtres et voua-t-il à la mort environ vingt-six de ceux qui l’affrontaient. Finalement ce qui restait de la troupe l’entoure pourtant d’un rempart de feu et il s’abat. Blessé, l’odontotyrannus s’enfuit quand même encore de là, envahit les eaux vives et y expire : avec peine trois cents hommes, en pesant sur les bras, le ressortirent du lit335. Seulement à ce moment de la nuit le péril cessa donc pour nous. « Bien plus pénible pourtant fut ce qui arriva ensuite, car il était plus difficile d’y prendre garde. Lorsqu’après le coucher de la lune tout s’enténébra dans l’obscurité, on pouvait voir émerger du fond des sables des nyctalopes longs de pas moins de dix coudées qui, là où ils le pouvaient, fondent sur les hommes336. À ce moment, des mêmes sables se lèvent aussi çà et là des crocodiles qui attaquent les quadrupèdes de l’armée. En outre, des bestioles ailées, du nom chez nous de chauves-souris, mais qui dans ce pays sont plus grandes que des pigeons, avec une dentition ravageuse atteignant la vigueur d’une mâchoire humaine, entreprennent un survol circulaire et sectionnent des bouts d’oreille, de nez ou de doigt à ceux qui ne sont pas assez sur leurs gardes. À la suite vinrent des corbeaux de nuit ; eux, il est vrai, ne s’acharnaient pas sur les gens ni ne fonçaient à l’aveuglette sur les feux337. Enfin donc rendus au jour et comprenant les énormes dangers où par la trahison nous avaient jetés ces Indiens, malgré leurs promesses d’être pour nous des guides salutaires, j’ai, pour prix de ces

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meritum eis(480)dem aquis praecipites dari necarique praecepi. Atque exim usi itinere rectiore tandem restituimur uiae quae nos ad Prasiacam tuto deduceret. Igitur cum oppidum quoddam opulens sane et abundans omnibus refectioni humanae necessariis aduenissemus, reci(485)piendis uiribus ibidem dies quinque transegimus. Enimuero cum sexta iam reditui consuleremus, talis nobis obicitur admiratio. Primum quidem uenti spiritus uehemens et [procella] adeo supra consuetam magnitudinem rapax ortus est ut non tentoria modo satis firmiter fixa conuelleret, uerum (490) homines quoque stantes gradientesque prosterneret, nisi quod properanter sarcinis strictis ad tutiora oppidi concursamus. Enimuero dum ista molimur, coire nubes et in densitatem nimiae crassitudinis solis lumen omne coepere subtexere indiscretamque nobis noctem diemque confundere. (495) Neque id breue aut transcursorium fuit, enim diebus fere quinque pari facie foedatus aer in id tandem aliquando purgauit ut sexta sub luce, cum interruptis nubibus sol faciem mundo pristinam reddidisset, tantam uim niuium incubuisse uideremus ut supra trium cubitorum altitudinem densa mul(500) tos quidem et nostratium interfecerit quos forte in apertioribus locis nacta sit, plurima tamen obruerit quadrupedia, quorum nihilum non sta[n]taria morte obriguisse uisitares. Eaque niuium uis cum diebus ferme triginta uix tabuisset, aequato tandem solo itinere dierum ferme quinque Prasiaca aduentabamus, multo quidem labore, qui strictim dictus est, exanclato, enimuero maiore praeda totius Indiae earumque gentium quacumque transmisimus conuectata, nullo omnium Indo Persarumue dubitante quin omnia nobis ad subiugandum facilia forent quocumque animum intendisse(510)mus. At cetera nomina pretiorum aurique opulentiam ulterius non requirendam , uixdum grauibus subuectionibus consulentes, cum tanta in his quae subiugata sint loca uel copia uel adfluentia reperiretur. Sic igitur animo laxato cum nihil iam foret quod non Fortuna ex hisce appetentiis (515) expleuisset, omne demum intenderam desiderium ut, si quid esset quod inuisitatum aliis foret atque auditu mirabile haberetur, id sane resciscerem uideremque. Tunc quidam uiri ex oppidis circumsistentibus esse dignum cognitu et scientia contendebant, si modo mirum ho(520)mini uideri posset uirecta noscere et arbusta loquacia ad humanum modum. Id primum ut impossibile alienissimumque natura arbitratus neque credideram nec renuebam. Sed persistentibus adserentibusque adsensi tandem itineri eius terrae quam sol oriens uisitaret. Eo ergo cum uenissemus, (525) ducor in quendam locum arboribus consitum uel amoenis. Hunc illi paradisum uocitauere. Enimuero consaeptum uiseres non maceriae circumiectu, uerum arborum frequentia circumsistentium. Eum locum sacrum Soli Lunaeque esse dicebant : nam et aedes templaque opere naturali hisce diis ibi(530)dem intrinsecus uiseres, 176

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manœuvres frauduleuses, ordonné de les tuer, en les précipitant dans ces eaux338. Et repartis en droite ligne, nous sommes ramenés à la voie nous reconduisant tranquillement à Prasiaca. « Arrivés dans un bourg riche et bien pourvu de tout ce qui est nécessaire à des hommes pour se refaire, nous y passâmes cinq journées à restaurer nos forces. Cependant, dès la sixième, alors que déjà nous pensions au retour, se présente à nous un spectacle étonnant. D’abord se leva un vent d’un souffle violent et d’une capacité d’arrachement supérieure à la moyenne : il aurait non seulement décroché les tentes, malgré des attaches bien solides, mais même abattu des hommes debout et en marche, à moins de se hâter de boucler les bagages, et de courir vers des endroits plus sûrs dans la ville339. Toutefois, tandis que nous sommes affairés, les nuages peu à peu se rassemblent et couvrent toute la lumière du soleil, produisant une épaisseur dense à l’excès où, sans distinction, se confondaient pour nous le jour et la nuit. Et cela ne fut ni bref ni transitoire, mais l’atmosphère, souillée d’une apparence identique durant près de cinq jours, finit, tout de même, à l’approche du sixième, par se nettoyer, c’est-à-dire que, les nuages crevant et le soleil restituant au monde son visage antérieur, nous vîmes tomber une telle masse de neige que, compressés sous une couche de plus de trois coudées, bien des nôtres également, surpris à découvert, périrent. Grand nombre des bêtes de somme en furent recouvertes, mais on pouvait le constater : la mort en avait raidi sur place. « La masse de neige prit à peu près trente jours pour fondre et quand, enfin, le sol fut égalisé, au terme de près de cinq jours de marche nous approchions de Prasiaca. Effleuré dans mon récit, beaucoup de travail avait été éclusé ; c’est un fait que nous avions emporté avec nous la majeure partie des trésors de l’Inde entière et des pays par où nous passions, personne, chez les Indiens ou les Perses, ne doutant que tout ne nous fût facile à soumettre, où que nous ayons eu l’intention de nous rendre. Néanmoins, , on n’avait pas à rechercher plus avant ni d’autres types d’objets précieux, ni les somptuosités de l’or ; il suffisait de réfléchir à la lourdeur des transports, quand dans les régions soumises se trouvaient tant de richesses à flots. La tension s’était donc relâchée, puisque désormais il n’y avait aucun de nos appétits que la Fortune n’eût pas satisfait. En définitive, j’avait tourné mes désirs à connaître et voir ce qui, éventuellement non vu par d’autres, serait par ouï-dire tenu pour quelque chose d’admirable340. « C’est alors que des gens des villes voisines prétendirent qu’il y avait des choses qui méritaient d’être connues et apprises, si du moins un homme pouvait juger étonnant de faire la connaissance de végétaux et d’arbres parlant d’une manière humaine341. D’abord estimant le fait impossible et absolument contraire à la nature, je refusais d’y croire et le niais. Mais, comme ils persistaient dans leurs affirmations, je consentis enfin à me rendre dans ce territoire que visitait le soleil à son lever. Par conséquent, dès mon arrivée, je suis conduit en un lieu parsemé d’arbres et d’agréments, ce que là-bas on a coutume d’appeller un « paradis ». De fait, on pouvait voir que l’enclos n’était pas bordé de maçonneries

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duas uero arbores caelum ferme proceritudine interuectas, simili facie qua cupressus – plerumque etiam diretior[um] est ea stirp, quod genus arbores myrobalanos habent. Sed ex hisce duabus arboribus de quibus supra locuti sumus marem alteram, alteram feminam esse con(535)tendunt. Et maris quidem arboris praesidem Solem, feminae uero Lunam esse ultricem. Harum omnis circa radices conuestitas uiseres tergis ac pellibus sacris ; sed ex his quae ex maribus essent marem arborem, quae uero ex pecudibus femineis ad honorem feminae sitae. Quamuis hominibus gen(540) tis eiusce usus ferri aerisue uel stanni omnifariam ignoraretur, neque esset quicquam quod ad aedificii usum ex luto fingeres. Cum igitur illa terga uel spolia bestiarum, ex quis forent animantibus quaererem, comperio leonum esse siue pardorum et huiuscemodi bestiarum eisque tergis non (545) ad honorem solum numinum uti consuetos, uerum etiam ad operimenta abuti homines incolentes. Id tamen esse in hisce arboribus admirabile : namque oriente sole marem illam arborem itemque cursus sui meditullium possidente uel tertio occiduo loquacem fieri et consultantibus [tercio] respondere, (550) idem uero nocturnis horis atque lunaribus arborem feminam. Doctus igitur ab his uiris qui antistites loci sacerdotesque memorantur uti mundus et ab omni irreligioso contagio impollutus accederem, comites mihi eius aditionis adscisco (555) amicos carissimos fidissimosque, Parmeniona scilicet, sed et Craterum, Isyllum quoque atque Mache[n]ten et Thrasyleonta et Machona una Theodecto Diiphiloque, sed etiam Neocle. Monentibus igitur sacerdotibus religione prohiberi ferrum id loci inuehi, ita ut praedictum est facio moneoque, (560) addita tamen cautela eiuscemodi diligentiae quod octoginta uiros fortitudine pariter exploratissimos adesse circa ea loca ac nemus quo ingrediebamur quam sollicitissime iubeo, exploraturos etiam ecquis esset qui forte uocem de proximo subiectaret quam nos ex illis arboribus ferri arbitraremur. (565) Adhibito igitur uno ex Indis, qui interpres dictorum idoneus foret, cuius illectu illo ueneramus, iuro quam sancte poenam illum capitis non euasurum, si promissum ex arbore responsum diffamatumque tacuisset. Vnde intentis ad audiendum, mox primum solis occasus et abitio fuit, uox audi(570)tur ex arbore, sed lingua barbarica, eiusque interpretamenta haud quisquam nobis edissertare audebat. Id cum obstinatius facerent cupiditateque omni ad signifïcantiam uocis emissae properarem, interminatus interpreti necem ni sedulo mihi praedicta narrasset, perterritus tandem eiusmodi (575) esse responsum arboris refert : quod enim obitu ueloci et occasu iam proximo uitae meae spatia urguerentur eamque mortem non de externis, enimuero de ciuibus et proximis fore. Quae dicta cum ex natura hominis meum quoque animum attitillaret ac sub ortu lunae rursus ex

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mais qu’une foule d’arbres l’entourait. L’endroit, disaient-ils, était consacré au Soleil et à la Lune : à l’intérieur s’y voyaient, outre des sanctuaires et des temples bâtis à ces dieux par la nature, deux arbres de l’apparence du cyprès, dont la hauteur s’élevait presque jusqu’au ciel – en général, les souches sont aussi étirées à l’horizontale et les arbres de ce genre produisent des myrobolans. Des deux arbres précités l’un, à ce qu’on prétend, était mâle, l’autre femelle : le Soleil protégeait l’arbre masculin, la Lune prenait soin de l’arbre féminin ; leurs racines tout autour étaient, le voyait-on, revêtues d’offrandes en cuirs et peaux, mâles pour l’arbre masculin, ceux de bêtes femelles étant déposés en l’honneur de l’arbre féminin . Il est vrai que l’usage du fer, du bronze ou de l’étain était complétement ignoré des gens de cette peuplade et qu’il n’y avait rien à modeler avec de l’argile pour servir à une construction342. «  Ayant donc demandé quelle était la faune d’où provenaient ces dépouilles et carcasses animales, j’appris qu’elle comprenait des lions, des léopards et des fauves de cet acabit et que les gens du pays ne se servaient pas seulement des peaux pour honorer les divinités mais qu’ils les utilisaient aussi en vêtements. Ceci cependant était remarquable chez ces arbres : au lever du soleil, puis quand il tenait le milieu de sa course, une troisième fois, à son coucher, l’arbre mâle se mettait à parler et à répondre aux consultations. Il en était de même pour l’arbre femelle, aux heures de la nuit, sous la lune343. « Averti donc par les personnes mentionnées comme prêtres et officiants du lieu de venir purifié et exempt de tout contact polluant contraire aux rites344, je convoque pour m’accompagner dans ma démarche mes amis les plus sûrs et fidèles : Parménion, bien sûr, mais aussi Cratérus, lsyllus et encore Machétès, Thrasyléon, Machaon avec Théodecte, Diiphilus, sans oublier Néoclès345. Les prêtres m’avisant que le culte interdisait qu’on apportât du fer en ce lieu, je fais ce qu’on me dit et passe la consigne. J’ajoute cependant d’instantes précautions : sur mes ordres très attentifs, quatre-vingts hommes pleinement reconnus d’égale vigueur cernent le terrain boisé où nous entrions, pour reconnaître aussi si par hasard quelqu’un à proximité lançait les sons que nous croyions sortir des arbres. « Recourant à un Indien pour qu’il traduise correctement les paroles – c’est attiré par lui que nous étions venus là –, je jure alors le plus solennellement du monde qu’il n’échapperait pas au châtiment capital, s’il taisait la réponse sur l’avenir divulguée par l’arbre346. Ainsi, tandis que nous tendions l’oreille, dès que le soleil couchant disparaît, s’entend une voix en provenance de l’arbre, mais la langue était barbare et personne n’osait développer une interprétation. De toute mon âme passionnée, pressé de savoir ce que signifiaient les mots prononcés, devant tant d’obstination je menace de mort l’interprète, s’il ne s’appliquait pas à me conter la prédiction. Effrayé, celui-ci finalement rapporte que la réponse de l’arbre était la suivante : un trépas rapide, une disparition toute proche rétréciraient mon laps de vie et cette mort ne viendrait pas de l’extérieur, mais de proches et de concitoyens. C’est la nature humaine : de telles paroles me poignirent le cœur et, à nouveau, au lever de la lune, je priai l’arbre

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arbore femina (580) oraculum mihi sciscitanti reddi deprecarer, quaerens et obsecrans numnam matre et proximis salutatis obitus mei clausulam subiturus sim, non barbara iam, sed Graecae linguae significantia lunaris arbor elocuta est mortem mihi in Babylonia esse fatalem. (585) Id satis triste mirumque admodum amicis adsistentibus uidebatur. Ego tamen coronis atque alio religioso honore locum donare contendens sum prohibitus a sacerdotibus, quod huiuscemodi munera dii indigetes abnuissent. Agebam maestus et exspectatione futuri admodum territus ; Parmenion ta(590)men me Philippusque in somnum ac requiem hortabantur. Sed id quoque cum omnifariam negitassem ac iam ferme dies insequens indilucesceret, ipse ad sacrum ire contendo adtrectatamque arborem quaeso percunctans ecquid, si uitae praedicto abitu urguerer, reuectari tamen ad Macedo(595)niam corpus meum dii permitterent uiderene matrem atque uxorem ultra potuissem. Sed ad haec primum ortu[s] solis lux mundo est reddita, e uertice arboris acuta quaedam uox, sed enim discrebilis et intellegenda sic appulit : ‘Completa sunt’, inquit, ‘tibi uitae spatia quae debebantur nec reuehi sane ad (600) matrem, ut desideras, poteris, cum illa mors in Babylonia sit futura ; sed sedes corporis longe diuersa est. Verum ubi haec tibi finis adfuerit, mox matrem quoque una et coniugem perituras esse uel tristiore morte non ambigas, Indis una uel Persis etiam infestantibus.’ (605) His compertis animoque ad necessaria confirmato, moratus dies ferme quindecim ad Prasiacam festino et Atilaniae regionibus, quarum peragrandis oppidis praesens intentio erat, debitam diligentiam praesto. Ergo Prasiaca percursata reuenio Persidam omni studio properans Samiramidos quo(610)que nunc regnum uisere. Sed quoniam ad huc mihi interim finem res gestae sunt, ea te scientia participare amicum fuit. Quare uale. » 18. Post hasce litteras ad Aristotelen datas pergit ire, ut scripserat, ad Samiramidos regiam, quod illo se et opulentiae (615) fama ducebat et magnifica peruulgatio imperii satis incliti ad laborem. Quippe urbs omnis muro quam ualidissimo est circumsaepta portarum ualuis aere uel ferro ad firmitudinem uel decorem impendio fabre pssis. Omne uero oppidum quadratis saxis, sed hisce non incuriose leuigatis, congestum (620) et cultum uisere non absque admiratione uisentium fuit. Enimuero regina oppido erat et pulchritudine famosissima et commendabilis ex aetate, forte tunc uiro uidua, quamuis mater iam trium liberorum. Sed feminae nomen Candace dicitur ; proneptis erat haec Samiramidos supra dictae.

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femelle de rendre un oracle à mes interrogations ; suppliant, je demandais si je saluerais ma mère et mes proches avant d’aller franchir les portes du trépas. Cette fois, l’arbre de la lune s’exprima avec des vocables qui n’étaient pas barbares mais appartenaient à la langue grecque : ma destinée était de mourir à Babylone. «  Présents à mes côtés, mes amis s’attristaient de l’incident et s’en étonnaient vivement. Quant à moi, j’essayais de gratifier le lieu de couronnes et d’autres honneurs rituels ; néanmoins les prêtres m’en empêchèrent, car, d’après eux, les dieux du pays récusaient de semblables hommages347. Je marchais abattu et fort terrifié par les perspectives du futur. Parménion cependant ainsi que Philippe m’engageaient à dormir et à me reposer. Mais cela aussi, je ne cessais de le refuser absolument et, comme l’aube du lendemain commençait à luire, j’entreprends moi-même d’aller au sanctuaire, je touche l’arbre et, le priant, je cherche à savoir si du moins mon corps, puisque j’étais, selon la prédiction, contraint de quitter la vie, recevrait des dieux la permission d’être rapporté en Macédoine ; et me serait-il possible, plus avant, de voir ma mère et ma femme ? Sur ces entrefaites, toutefois, au lever du soleil, la lumière fut rendue au monde et aussitôt, partie du haut de l’arbre, une voix pointue, mais discernable et compréhensible, nous parvint. Elle disait : ‘Le laps de vie qui t’était dû est rempli et, malgré ton désir, tu ne pourras absolument pas être ramené à ta mère, lorsque cette mort se produira à Babylone. L’endroit où sera déposé ton corps est bien différent348. Mais quand tu auras connu cette fin, n’en doute pas, peu après ta mère ainsi que ta femme également périront d’une mort encore plus affligeante, sous l’hostilité commune des Indiens, voire des Perses.’349 « Après ces informations et lorsque j’eus raffermi mon cœur face à la nécessité, dans un délai d’environ quinze jours, je me dépêche de gagner Prasiaca et accorde les soins qu’elles méritent aux autres régions de l’Inde dont j’avais l’intention résolue de passer en revue les cités350. Par conséquent, une fois traversé rapidement Prasiaca, je retourne en Perside351, me hâtant, de toute mon énergie, de visiter à présent encore le royaume de Sémiramis352. Mon histoire en est arrivée à cette fin provisoire et ce me fut un plaisir de te communiquer ces connaissances. Sur ce, adieu. » 18. Cette lettre adressée à Aristote, Alexandre, comme il l’avait écrit, poursuit sa route en direction de la capitale de Sémiramis, car l’y conduisait une opulence vantée non moins que la grandiose réputation d’un empire assez illustre pour qu’on y exerçât sa peine : toute la ville, de fait, s’entoure d’une muraille forte au possible, avec des battants de porte qu’un art consommé, les martelant dans l’airain ou le fer353, rendait aussi solides que magnifiques ; l’ensemble de la place s’ornait de l’assemblage de moellons carrés, soigneusement polis, et la voir n’était pas sans provoquer l’admiration du spectateur. Mais cette ville avait une reine d’une beauté très réputée et d’un âge recommandable ; se trouvant alors dans le veuvage, elle était déjà la mère de trois enfants ; cette femme, dit-on, se nommait Candace et elle descendait de la susdite Sémiramis.

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Ad eam (625) igitur Alexander scribit talia : « Aegyptum adueniens ex eorum indigenis audiui illis terris et domos uestras et sepulchra esse defunctorum  ; ex quis palam fuit dominatos esse priscos reges uestri Indiamque tenuisse. Nam et relatio addidit Ammona quoque meum militasse una uobiscum et id famae ad(630)stipulatur etiam oraculi maiestas quod editum iubet uno nos deo sacris obsequi. Quare religiosum est facere dei iussa et id moneo suadeoque rectius tibi facturae, si ueneris, enimuero multum peccaturae, si omittas. » Ad haec Candaces scribit : « Vetus nobis oraculum est Am(635)monis dei neque nos in Aegyptum militare neque Indiam nostram hac ex causa debere commoueri, enim si quis huc audeat, hisce utpote hostibus occursare. Quare dei iussis parere decretum est ac uerecundum. Nec nos aestimes ex colore, quippe cui animi liberalis species intuenda est non sa(640)tis corporis forma praeiudicat. Id ne putes arte timoris adlatum, octoginta nobis populos scito esse uel maximos eosque omnis agere in armis non ob iniuriam inferendam, sed inferentibus occursuros. At uero te probo quod ad communionem nos sacri et obsequium uoces Ammonis dei, quem (645) maximum et praesentissimum scimus. Habebis ergo tibi ex nobis amicitiae argumentum centum laterculos auri grandissimos, Aethiopas impubes quingentos, psittacos sex sphingasque sex praeterque haec Ammoni deo nostro coronam smaragdis ac margaritis, etiam toreumatis pretiosiorem. His (650) ad loculos refertissimos cuiusque generis margaritarum atque gemmarum ad decem numerum eburneosque alios loculos octoginta ; una misi usibus et deliciis tuis ferarum genera quae sunt nostratia, elephantos trecentos quinquaginta, pardos sex, rhinocerotas octoginta, pantheras uero quattuor (655) milia, canes etiam in homines efferatissimos nonaginta, tauros trecentos, uirgas ebeni mille atque quingentas ; quae cum primum auferenda iusseris, transmittentur. Hc ut uleis scribasque ad nos uelim ecqui te iam orbis uniuersi dominum esse gratulemur. » 19. (660) Et ad haec quidem transferenda Alexander miserat. Ipse uero paulo post uidendae reginae studio illo profectus est. Quod ubi Candaces comperit, eiusmodi rem ex ingenio comminiscitur  : unum e pictoribus peritissimis ire clam obuiam aduentanti Alexandro iubet eumque quam colliniatis(665)sime efficiat ac depingat atque ad sese properiter picturam quam illeuerit deferat. Id ubi factum est et pictor reuenit, acceptam effigiem abdito quodam et secreto ponit in loco. Sed insecuta est factum hoc eiusmodi fabula. Filius reginae Candaces, cui nomen Candaules erat, una cum equitibus (670) admodum paucis forte occurrit ad quaedam tentoria Alexandri militum. Moti uero custodes exercitus personae nouitate ducemque illum et si qui cum ipso uenerant comprehendunt offeruntque Ptolomaeo, cui cognomentum Soter erat ; eius

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Alexandre lui écrit donc en ces termes : « À ma venue en Égypte, j’ai appris des autochtones qu’il y a sur ces terres des demeures à vous et les tombeaux de vos morts, ce qui prouve à l’évidence qu’en furent maîtres d’anciens rois de chez vous, et qu’ils possédèrent l’Inde ; les rapports ajoutent encore que mon cher Ammon combattit à votre côté et cette rumeur est de surcroît confirmée par un oracle souverain dont la publication ordonne de réserver nos hommages à un seul dieu ; dès lors, la religion étant d’accomplir les commandements divins, je t’y invite de mes conseils, tu agiras correctement en venant, alors que de la négligence de ta part serait une faute grave. »354 À quoi Candace répond : « Jadis le dieu Ammon nous a rendu un oracle selon lequel nous ne devions pas nous mobiliser contre l’Égypte ni, pour cette raison, bouleverser notre Inde, mais que si quelqu’un ose venir ici, il fallait l’affronter comme un ennemi. Aussi avons-nous décidé d’obéir respectueusement aux ordres du dieu355. Et ne va pas nous juger sur la couleur, car qui doit considérer les traits d’une âme libre en préjuge trop peu d’après l’aspect physique. Pour que tu n’imagines pas que ce message résulte d’une conduite peureuse356, sache que nous disposons de quatre-vingts357 peuples d’extrême importance et que tous ils vivent sous les armes, non pour apporter l’injustice, mais pour affronter ceux qui l’apportent. Cependant je t’approuve de nous appeler à des rituels communs autant qu’à l’obéissance au dieu Ammon, que nous savons être le plus grand et le plus efficace. En preuve de notre amitié, tu auras donc de nous cent énormes lingots d’or, cinq cents adolescents éthiopiens, six perroquets, six singes et, en plus pour notre dieu Ammon, une couronne enrichie d’émeraudes et de perles ainsi que de ciselures ; ajoutez-y une dizaine de coffrets remplis à ras bords de perles et de gemmes de toutes sortes et quatre-vingts autres coffrets en ivoire ; j’ai envoyé en même temps pour ton usage et ton plaisir des espèces fauves de notre pays : trois cent cinquante éléphants, six léopards, quatre-vingts rhinocéros, quatre mille panthères, quatre-vingt-dix chiens d’une extrême sauvagerie même contre l’homme, trois cents taureaux, mille cinq cents bâtons d’ébène ; dès que tu donneras l’ordre de l’enlever, ce sera expédié à ta guise. J’aimerais que tu écrives si nous avons à nous féliciter de ce que désormais tu sois le maître de l’univers. »358 19. Alexandre avait dépêché pour les transports, mais lui-même peu après partit là-bas, parce qu’il cherchait à voir la reine. Dès que Candace le sut, son intelligence est de la sorte à l’invention : elle ordonne à l’un des peintres les plus expérimentés d’aller en secret à la rencontre de l’arrivant, de reproduire Alexandre au plus juste, d’y mettre la couleur et rapidement de lui rapporter la peinture vernissée. Ceci fait et le peintre revenu, elle prend le portrait et le dépose, à l’écart, dans une cachette359. Cependant l’événement fut suivi de l’histoire que voici. Le fils de la reine Candace, nommé Candaule, en compagnie d’un tout petit nombre de cavaliers, tomba d’aventure sur le campement des soldats d’Alexandre. Troublées par l’étrangeté du personnage, les sentinelles du poste se saisissent aussi bien du chef que de ceux venus avec lui et le présentent à Ptolémée que l’on surnommait

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enim dignitas ueluti secunda post regis ambitum uidebatur. (675) Quod igitur Alexander id horae somno per diem teneretur, Ptolomaeus quaerit ex homine quis esset quasue haberet causas repentini illius superuentus. Ad haec Candaules, opinatus regem esse Ptolomaeum, ait esse se quidem filium reginae Candaces, sed enim sese una cum coniuge ciuilius et (680) incuriosius ad sacrificium annuum contendentem superuenire Amazonum a quodam Bebryciorum tyranno uxore priuatum, omnes denique militum qui una secum fuerant interfectos. Quare commodum nunc numeris congregatis hanc se moliri militiam, uti ultioni consuleret. (685) His compertis Ptolomaeus ad regem irrumpit eique comperta communicat, quae quidem grata Alexandro et ex uoto accidere uidebantur. Surgit igitur e lectulo et diadema protinus suum in Ptolomaei caput transfert chlamydeque augustiore uel regia circumiectum egredi iubet  ; tum, ubi petitus a (690) Candaule rex fuit, ad sese Antigonum satellitem uocitare. Pro quo Antigono cum ipse Alexander Ptolomaeo se ueluti satellitem obtulisset, « ibi », inquit, « cuncta haec mihi comminus dicito atque a me consilium super re quaeritato ». Ita ut doctus est Ptolomaeus protinus facit. Sed cuncti uiden(695)tes et Ptolomaeum cum insignibus regiis et pro satellite Alexandrum adsistentem, summa exspectatione pendebant ecquid noui consilii regi sedisset. Namque ut egressus est habitu famulantis, protinus Ptolomaeus : « Cerne », inquit, « Antigone, hunc Candaulem : is (700) Candaces reginae est filius, sed enim iniuriam deflet coniugis raptae per insolentiam regis Bebrycis. Facies igitur obsequenter si nos consilio iuues subiciasque ecquid nunc facto opus esse arbitrere. » Ad haec Alexander : « Dignum te sane erit, rex », ait, « si armato exercitu iniuriam supplicis ulci(705)scare eximasque eius adfectus cuius honor matri proficiat. » His compertis Candauli gaudium. Sed Ptolomaeus ad haec respondit : « Ergo », inquit, « Antigone, exsequere istud quod subiecisti consilium atque exercitum para. » 20. «  Faciam sane  », respondit Alexander, «  sed enim com(710) modum est mihi, rex, ad consilium quod subieceram bellum istud inferri Bebrycum regi seu regno non die teste ; neque enim animus barbari improuisa formidine incitatus ab infectione raptae mulieris temperabit. Erit uero frustra opem supplici procurare, si emolumentum uictoriae dilaba(715)tur. Ergo si placet, nox belli tempus et superuentus eiusmodi confirmetur  : ubi enim flammis immissis noctis obscuro turbari ciuitas coeperit, acquiescent condicionibus nostris facillime iam praeuenti raptaque nobis haud difficile repraesentabunt. » Haec cum dixisset et Antigonus consideraretur a (720) supplice, procidens eius ad genua Candaules : « Quam uellem », ait, « tu ille Alexander fores cum hac tua, Antigone, sapientia ! Non enim armigeri parum nobis calles industria dedisses. »

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Sauveur : sa position, en effet, paraissait en quelque manière la seconde après la majesté royale. Donc, comme à cette heure, Alexandre était, dans la journée, pris de sommeil360, Ptolémée interroge l’homme sur son identité et les raisons de cette soudaine arrivée. Candaule lui répond, qui croit Ptolémée le roi : il est le fils de la reine Candace et, entendant avec sa femme de façon tout à fait civile et nullement indiscrète apparaître au sacrifice annuel des Amazones361, il s’était retrouvé dépossédé de sa femme par un despote des Bébryciens et finalement tous les soldats de sa suite avaient été massacrés. C’est pourquoi, après avoir réuni un détachement, il jugeait opportun d’entreprendre cette action armée pour veiller à sa vengeance. Ainsi informé, Ptolémée se précipite chez le roi et lui communique cette information – apparemment la bienvenue et conforme aux souhaits d’Alexandre. Celui-ci se lève donc du lit et, sans attendre davantage, pose son diadème sur la tête de Ptolémée et l’enveloppe d’une chlamyde plus prestigieuse, au vrai, celle du monarque ; il lui ordonne de sortir et, à la première prière faite au roi par Candaule, d’appeler Antigone son aide de camp : comme s’il commandait la garde à la place dudit Antigone, Alexandre se présenterait à Ptolémée pour lui dire : « Ici, en face-à-face, raconte-moi toute cette affaire et demande-moi làdessus un conseil. » Immédiatement, Ptolémée agit selon ses instructions, mais tous les autres qui voyaient Ptolémée avec les insignes royaux, tandis qu’Alexandre se tenait debout à son côté comme un aide de camp, restaient au plus haut point suspendus dans l’expectative de savoir si le roi avait arrêté un nouveau dessein. En effet, Alexandre sorti sous la tenue d’un subordonné, Ptolémée lui dit : « Vois, Antigone, ce Candaule. C’est le fils de la reine Candace, mais il pleure son épouse injustement enlevée par l’insolent roi de Bébrycie. Tu agiras donc en sujet obéissant, si tu nous aides de tes conseils et nous proposes ce que tu crois la conduite à tenir maintenant. » Alexandre répond : « À coup sûr, il sera digne de toi d’armer la troupe, afin de venger un suppliant de l’injustice subie et de délivrer les amours d’une personne dont l’honneur serve sa mère. » Ce qu’apprenant Candaule se réjouit. Ptolémée, quant à lui, repartit : « Antigone, exécute donc le conseil que tu as soumis et prépare l’armée. » 20. « Bien sûr, je le ferai, rétorque Alexandre, mais, Majesté, pour le plan proposé, il est opportun, selon moi, de porter cette guerre contre le roi ou le royaume des Bébryciens sans avoir le jour pour témoin, car, à moins d’y être incitée par une frayeur imprévue, cette âme barbare ne saura se retenir de tuer une femme captive. L’aide procurée aux supplications sera vaine, si se dissipe le gain de la victoire. Par conséquent, s’il te plaît, que le combat se passe de nuit et soyons bien d’accord pour ce type d’attaque : quand, dans l’obscurité de la nuit, nous aurons lancé nos tisons et qu’en ville le désordre s’installera, les gens, déjà dépassés, acquiesceront à nos conditions et ne feront aucune difficulté à rendre sur le champ l’objet du rapt. » Par ces paroles « Antigone » retenait les regards du suppliant, Candaule, qui se jeta à ses pieds et dit : « Avec cette tienne sagesse, comme j’eusse voulu, Antigone, que tu fusses ce fameux Alexandre, car l’écuyer actif et habile que tu es ne nous aurait pas donné trop peu. »

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Ergo, ut consilium fuit, irruunt nocte barbaricam ciuita(725)tem et iam somno deditis superueniunt ; iniectis denique flammis omnia conflagrare cum septis [somno] nuntiarentur causamque superuentus hauddum cognouissent, undique increpari cla iubet Candaulis illum exercitum uxorem esse repetentis. Quare boni consulerent si regi uxor protinus (730) redderetur ; quod ni fecissent, omnis ciuitas direpta hostiliter conflagraret. Id ubi ciuibus palam factum est, irruunt aedes tyranni foribusque praefractis mulierem protinus reddunt. hoc gaudium Candaules cum agendis gratiis occuparetur eiusque facinoris summam penes Antigonum collocaret, (735) complexus eum hisce adloquitur : « Da, quaeso te, mihi, Antigone », ait, «  ad matrem usque comitatum, ut pro consultis tuis a me quoque praemiis munerere. » « Ergo », inquit Alexander, « recte feceris si id ipsum a rege super meo nomine postularis. Nam et mihi haud mediocre studium est et uidendae (740) ciuitatis tuae et reginae pariter salutandae. » Monet igitur Ptolomaeum uti petitis adnueret seseque legatum ac nuntium ad Candacem ire mandaret ; et Ptolomaeus pro iussis ac si petenti adnueret facit ac sic ait : « Et ipse sane loqui per litteras aueo cum Candace et gratiam tibi faciam, ut desideras, (745) eumque nobis quam primum sospitem redhibeto ; hunc enim tibi ut me ipsum Alexandrum tecum missum habebis. » «  Ita sane  », Candaules ait, «  eumque tibi onustum donis regalibus reddam. » 21. Insinuat ergo traditque Candaules Alexandro uel maxi(750)mam exercitus sui partem impedimentaque omnia quibus apparatus regius uehebatur. Sed enim Alexander uiabundus cuncta curiosius spectans animo perlustrabat, montes scilicet arduos et congesta saxorum niuali specie candentium quae pleraque crystalli metalla dicebantur, frigida sane sub (755) caeli plaga et circum omnia nubibus conuestita. Enim frigus hoc fertur non obsistere ubertati : arbores enim procerissimas uirentesque et graues pomis ubique mirabatur. Haec poma erant uel mala grandia ad auri gratiam colorata, sed ad magnitudinem ferme quae apud nos est citri excrescentia ; (760) uuae ponderis et densitatis immensae, prorsus ut singulis acinis uel improbissimis oris hiatibus non occurses. Granatis etiam malis suam dat gratiam magnitudo : nam grana illis quo glandes ambitu, uerum ignicantia, tum sapora, ipsaque mala non minus pepone[s] excrescunt. Enimuero poti[o] ri ho(765)rumce pomorum perdifficilis occasio  : ita omnia uel pleraque dracones amplexi possident haud errabundi, tum genera lacertorum haud minus ich[e]neumonum magnitudine. Multa praeterea animantium genera innoxiaque, sed enim facie peregrina, nostris experimentis aliena, et simias facile uiseres (770) magnitudinem ursarum nostratium superuectas formasque uarias bestiarum quas efferre difficile est nominibus non insignientem.

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Donc, comme prévu, ils investissent de nuit la cité des Bébryciens et surprennent des gens déjà livrés au sommeil ; bref, comme sous les jets de tisons tout, annonçait-on, brûlait dans l’enceinte362, mais que restait encore inconnue la raison de cette irruption par surprise, Alexandre fait crier distinctement que l’armée est celle de Candaule qui réclame sa femme. À eux, par conséquent, de vouloir bien rendre sur le champ la femme du roi. S’ils ne le faisaient pas, toute la ville, réputée ennemie, serait pillée et brûlée. Quand les habitants furent ainsi pleinement informés, ils se précipitent à la demeure du tyran, en brisent les portes et immédiatement restituent l’épouse. Occupé à rendre grâces de cet événement joyeux, Candaule l’attribuait pour l’essentiel à «  Antigone » et, l’embrassant, lui adresse ces mots : « Accorde-moi, je t’en prie, Antigone, de m’accompagner jusqu’auprès de ma mère pour que de moi aussi tes conseils reçoivent leur récompense. » Alexandre répond : « Dans ces conditions, tu feras bien de le demander au roi en mon nom, car, pour ma part également, je ne désire pas peu voir ta capitale et en même temps saluer la reine. » Il avise donc Ptolémée d’accepter la requête et de lui commander d’aller chez Candace en qualité de messager délégué. Ptolémée réagit aux ordres et, feignant de consentir à une demande, s’exprime de cette façon  : «  Moi-même, j’ai vive envie de m’entretenir par lettre avec Candace et tu obtiendras la faveur que tu sollicites, mais veille à nous le renvoyer sain et sauf le plus tôt possible : tu l’auras pour toi comme si moi, Alexandre, j’avais en personne été envoyé en ta compagnie. » Candaule se dit d’accord : « Je te le rendrai accablé sous des cadeaux de roi. » 21. Candaule introduit donc Alexandre et lui remet la majeure part de son armée et aussi l’ensemble du matériel affecté au transport de l’appareil royal363. Mais, au cours du voyage, regardant tout avec beaucoup de curiosité, celui-ci se le repassait en esprit  : il s’agissait de montagnes abruptes où les amoncellements de roches brillaient sous une apparence de neige mais, pour la plupart, étaient, disait-on, des mines de cristal ; en totalité dans le froid sous la voûte céleste, elles s’entourent d’un revêtement continu de nuages. Cette froidure, cependant, n’est pas, à ce qu’on rapporte, un obstacle à l’exubérance. Partout des arbres singulièrement élevés, verdoyants et chargés de fruits l’émerveillaient ; et parmi les arbres fruitiers, par exemple, de grands pommiers à la couleur séduisante de l’or mais dont la croissance atteint presque la hauteur qui est celle du citronnier dans nos pays, des grappes lourdes et compactes sans aucune mesure si bien qu’en dépit des efforts les plus intenses pour ouvrir la bouche on n’est pas d’attaque devant un seul grain ; la grenade, pareillement, est d’une grosseur qui la rend agréable, car ces grains, aux dimensions du gland, sont savoureux, une fois grillés et la grenade elle-même ne se développe pas moins qu’un melon. Mais on arrive fort difficilement à s’emparer de tels fruits, tant un grand nombre, sinon tous, sont la propriété de dragons qui les enserrent sans bouger ou encore d’espèces de lézards aussi longs que des ichneumons. Ajoutons beaucoup d’autres espèces animales inoffensives mais d’un aspect étranger et loin de notre propre expérience : on pouvait voir sans peine des singes dépassant la taille des ours de chez nous et des bêtes de formes diverses qu’il est difficile de faire connaître, faute de les distinguer par des noms364. 187

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Locorum uero plera[s]que saxis quidem aspera, sicuti dictum est, sed quae facile praesumeres haberi et incoli posse (775) numinibus : quippe loca haec domus deorum uocant et plerumque uisuntur in hisce secessibus agere dii res uoluptarias. Addebat quippe Candaules et uocatos hominibus respondere et uultu sese quo sint regibus confiteri. « Quare tu quoque, si uoles, inuitato sacrificiis haec numina ; nec erit difficile expe(780)rimentum quin te quoque sui conspectu dignentur. » Multa igitur eiuscemodi cum per omne iter uidisset audiuissetque Alexander, tandem cum Candaule ad regiam Candacis uenit. Quare iam primum fratres eius, postque et regina mater cum regiae pompae comitatu Candauli obuiantes in (785) complexus eius gratulabundi irruere gestiebant. Sed enim praeuenit iuuenis nec prius sibi adfectus huiusce obsequia deposcit quam Antigono gratias super adiuto sese ac liberata coniuge confessi forent. Hunc enim Antigonum internuntium esse regis Alexandri secumque legatum. Tunc quae(790)rentibus gratiae nouitatem et iniuriam raptae coniugis et ultion prouis benefici refert. Ergo agunt gratias iuuenes et regina laetatur ultione[m] pariter temerati Candaulae et integratae nurus illibata laetitia. Cena denique gratulatoria, ubi id tempus, operosa et regalis apponitur. Et est uidere (795) apud illos lasciuiam barbarum, incubare pretiis, illudere pretiis, sed et uesci de pretiis. 22. Insequenti tamen die cum regina Candace ostentatione regia processisset, superba admodum gemmato syrmate et gemmato diademate, statura auctior, aetate ueneranda, ut (800) Alexandro recordanti ad Olympiadem matrem eius aestimatio conueniret, dedit prorsus sciri sese et opulentiam suam. Domus uero egregio opere elaborata hisque metallis insignita erat ut intuentibus splendor ornatus pariter et celsitudo moliminis undique sudo quodam et ignito lumine coruscaret, (805) nihil in sese dispar aut uilius possidens. Vsquequaque lucebant omnia ueste serica, colore purpurea, intexta auro, gemmis admixta, quae ueste coopta fuerant et perornata. Gemmarum uero regalium utrum magnitudines mirarere an uero coloribus ducere an fulgoribus uincerere iudicium (810) prae stupore non erat. Inter aurum sane purpureaque texta uel gemmas ebur multum, sed in ebore uiseres artis pretia maiora. Onyx pro saxis et columnae de gemmis et earum proceritudo ubique supra nostrates arbores, sed quae sint procerissimae, fuera[n]t, ebeno tamen plurima interpolante ; quod (815) si sit ad caeruli speciem uel colorem leuigatio, tamen plerumque ex ea purpura aliud esse quam si saxum ebenum mentiebatur.

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Comme on l’a dit, des rocs le plus souvent hérissaient ces lieux qu’aisément on présumerait habités et peuplés de divinités ; et, de fait, ils sont appelés les demeures des dieux365, de ces dieux que d’ordinaire on voit là à l’écart mener une vie de volupté. Candaule disait encore qu’invoqués, ils répondent aux humains et révèlent aux rois les traits de leur visage  : « C’est pourquoi à toi aussi, si tu veux, d’inviter ces divinités par des sacrifices, et il ne te sera pas difficile d’avoir la preuve que, de manière analogue, ils te jugent digne d’être regardés par toi. » Après avoir vu, au long du chemin, quantité de ces choses ou en avoir entendu parler, Alexandre finit par arriver avec Candaule au palais de Candace. Pour l’occasion, les frères de Candaule, les premiers, puis la reine, sa mère, accompagnée du cortège royal, venaient à sa rencontre, impatients de se jeter dans ses bras pour le féliciter. Mais le jeune homme prend les devants et les prie de ne pas l’honorer de cette affection avant qu’ils aient proclamé leur gratitude à «  Antigone  » pour l’aide à son profit et la libération de sa femme. Cet « Antigone », en effet, était l’ambassadeur du roi Alexandre et il avait été envoyé avec lui. À ceux qui veulent savoir ce que l’obligeance a d’extraordinaire, il raconte l’injurieux rapt de son épouse et le bienfait de cette vengeance soigneusement préparée. En conséquence, les jeunes gens de remercier et la reine de se réjouir doublement, puisque l’outrage subi par Candaule était vengé et que sa bru lui était rendue dans une joie sans atteintes. Finalement, le moment venu, on s’applique à servir un festin royal de congratulation et chez ces gens on peut voir les excès des barbares : couches de prix, amusements de prix et aussi nourriture de prix366. 22. Cependant, le lendemain, la reine Candace apparut dans sa majesté : vraiment superbe, elle s’avançait avec sa traîne, son diadème, l’une et l’autre de pierreries, sa taille redressée, l’âge imposant le respect  : dans le souvenir d’Alexandre sa cote rejoignait celle de sa mère Olympias367. D’emblée, elle lui donna de la connaître, elle, et son opulence. Façonnée par des travaux d’exception, la demeure368 se singularisait par des plaques de métal telles que la splendeur des embellissements, jointe à l’élévation du bâti, dardait de partout aux regards comme les feux d’une lumière pure : rien en elle ne détonnait, rien ne la dépréciait. Où qu’on allât, tout était recouvert et rehaussé d’une étoffe qui brillait  : soieries de couleur pourpre, entrelacées d’or, brochées de pierres précieuses. Quant aux pierreries de la reine, provoquaient-elles l’admiration par leur grosseur ?, était-on séduit par la teinte ou bien vaincu par l’éclat ?, l’effarement ne permettait pas d’en juger. Au milieu de l’or, des tissus de pourpre, des pierreries, il y avait de l’ivoire en masse, mais dans cet ivoire on pouvait discerner la valeur supérieure de l’art. L’onyx remplaçait la pierre et la hauteur des colonnes gemmées dépassait partout nos arbres, je veux parler des plus hauts, avec cependant beaucoup d’ébène en complément. Si, par polissage, ce dernier tend à l’apparence, voire à la couleur du bleu sombre, en général, pourtant, à cause de ces tons pourpres, l’ébène trompait en se disant autre chose que prise pour de la pierre369.

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Illic et effigies plurimae tum e marmore uario tum e metallo cuiuscumque modi renuebant numeri aestimationem, (820) quae omnis curiosi diligentiam uincerent, adeo multa erant. Quamuis in singulis figmentis fuerit superbior admiratio, currus sane falcatos e porphyrite lapide, sed colliniatissime una cum animantibus et aurigis ad ueri faciem uidere erat plurimos et passim ubique constitisse, quos et cursum agere opi(825)narere et moueri omnia non discrederes. Ita prae corusco fulgore oculorum officio praeuerso labi erat opiniones intuentium. Ast alii currus quadriiuges elephantos iunctos habebant eosque ebeno, cui concolor bestia ueri facilius imaginem retinebat ; sed subter erant impressa pedibus elephan(830)torum captiuorum corpora succumbentium aut innexa proboscidibus suspensaque. Quae inter omnia id sane praecipuum regi operis uidebatur quod una de gemma scalptum templum indidemque columnas cerneret interscalptas, obsessum omne uel frequens horrore sacro de deorum uultibus (835) barbaris, quod plusne formidinis an admirationis dare[n]t haud erat homini discernere. Inter haec et celsa illa atque ad caelum suspicanda palatia interfluere Argyritum flumen et alium Pactolum fluuium mirabatur ; sed utrumque alueum auro diuitem et prae nimietate auri interfluentis aquae quo(840)que auricantem colorem  ; sed eorum litus et margines insertis arboribus conuirescunt quae celsae sint et odorae, cypros denique gentiliter uocant fructu suaui et umbrosis frondibus diuites. Haec igitur cuncta cum Alexander interisset, admiratione quidem debita uincebatur. (845) Agebat in conuiuio Candauli sororibus. Enimuero quaesit quam blandius post matrem Candaules uti Antigonum suum pro merito gratiae regalis muneraretur, quo donatus pro fortuna tantae reginae ad propria protinus remearet. Comprehensum igitur Alexandrum Candace per aulam suam (850) omniaque regiae secreta ac penetralia circumducit, secessus quosdam ei aedium monstrans ex uno lapide, cuius quod fulgor ignitus est – nam lychnitem etiam uocant – intuentibus uisitur opinio quaedam indidem solis orientis. Triclinium quoque ibidem uidet alio de saxi genere, cui cum sint igneae (855) quaedam maculae uel inustiones haud secus, (haec quae icadent lapides sunt flammea uisitabantur), quam si caelitus septem astra discurrere stellasque omni studio et sereno sub tempore caelestem chorum agere mirere. Erat et tectum ad instar integrae domus marmoris pretiosi opere circumfora(860)neo. Namque aedes illa rotarum lapsibus subter aiuta uiginti elephantis ad reginae itinera mouebatur cumque his solita regina quoque militatum pergere praedicatur.

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En ce lieu de multiples statues aussi, tantôt de marbres variés, tantôt en toutes sortes de métal, capables de décourager l’attention de n’importe quel curieux, défiaient l’estimation chiffrée, tant ils étaient nombreux. Quoique l’admiration enflât à chaque sculpture, partout, çà et là, il était possible de voir à l’arrêt bon nombre de chars à faux en porphyre, mais sous l’aspect de l’original selon une extrême précision, avec les chevaux et les conducteurs : on aurait dit qu’ils menaient la course et tout, sans le moindre doute, paraissait bouger. Il en résultait du flou dans les perceptions de l’observateur, parce que le choc de la réverbération allait au-devant du fonctionnement de l’œil. D’autres chars, cependant, étaient attelés en quadriges à des éléphants, ceux-ci en ébène, ce qui aidait à garder là une image du réel, car la bête est de cette même coloration. Des prisonniers, le corps écrasé, succombaient sous les pieds des éléphants ou bien pendaient en l’air, enlacés aux trompes. Dans l’ensemble, l’ouvrage qui paraissait au roi le plus remarquable était un temple qu’il apercevait taillé dans une seule gemme avec, en enfilade, ses colonnes sculptées et qu’en entier assiégeait sans trêve une horreur sacrée produite par des figures de dieux barbares dont un humain ne savait décider si elles provoquaient plus de frayeur que d’admiration370. Entre ces palais qui, de part et d’autre, s’élevaient, croyaiton, jusqu’au ciel, coulait pour son étonnement la rivière Argyrite, c’est-à-dire un autre fleuve Pactole ; dans chaque cas, le lit s’enrichit d’or et cet or y est si concentré que l’eau du courant y prend aussi une teinte dorée371, mais les bords de leurs rives verdoient, plantées qu’elles sont de hautes cimes pleines d’odeurs ; bref, dans la langue du pays, on appelle « cypros » ces arbres riches de fruits savoureux et d’ombreuses frondaisons. à cette vue, Alexandre cédait donc à un émerveillement justifié. Au cours du festin, tandis qu’Alexandre conversait avec les sœurs de Candaule372, celui-ci demanda avec force caresses à sa mère de gratifier de la faveur royale son cher Antigone selon ses mérites, afin que, récompensé à la mesure des richesses d’une si grande reine, il s’en retournât aussitôt auprès des siens. Candace prit donc Alexandre et, traversant le Palais, l’entraîne dans un circuit complet des cabinets secrets au cœur de la Cour. Elle lui montrait des appartements privés faits d’une pierre qui, lumineuse à l’égal du feu – on l’appelle d’ailleurs la lychnide – donne à ceux qui la regardent la quasi-impression de voir en sortir un soleil levant. Au même endroit, il voit encore une salle à manger aux murs d’un autre genre, pour ainsi dire tachetés par le feu d’espèces d’embrasements (les flammes qu’on percevait sont des pierres chauffées à blanc), tout comme tu admirerais le cours des sept planètes dans le ciel ou le chœur céleste des étoiles, conduit à plein zèle dans la sérénité de l’atmosphère373. à l’instar de l’ensemble de la demeure en marbres précieux, le toit, également, avait une structure mobile374, car cette maison, posée sur des roues qui glissaient à l’aide de vingt éléphants, se mouvait pour les déplacements de la reine ; et avec eux aussi, proclame-t-on, la reine a coutume de partir en expédition.

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Sed enim Alexander, ne uictus rudi quadam admiratione uideretur, ampla sane, sed pro condicione opulentiae gentilis (865) atque praesentis uisa sibi omnia confitetur. Quippe admirabilia uideri potuisse tunc mage si apud Graecos haec forent, apud quos esset elaborandis rebus peregrina materia. At cum sibi tanta metallorum huiuscemodi pretia seruirent, segnitiae condemnandos fuisse, si non haberent quibus uti ex facili li(870) cuisset. Et intellegit regina Candace ingenium uiri et probat sane, sed in respondendo sic ait : « Vera mihi dixisti haec, Alexander mi. » Tum audito nomine obstupescens, « apage », inquit, « o regina, hoc a me nomen, quippe ipse Antigonus uocor : enimuero Alexander nobis rex cluit, cuius ego nunc (875) internuntius huc adueni. » Et regina post haec : « Esto sane », inquit, «  Antigonus apud ceteros, mihi tamen nunc Alexander rex eris. Neque nesciens id habeo : haud differam probationem. » Et cum dicto apprehendens in penita perducit olimque prouisam imaginem ostendit. « Agnoscisne », ait, « Alexan(880)dri illius, quem mentiri non potes, faciem ? Sed quidnam intremuisti tam trepide quidue turbaris ex uultu ? Non ille tu Persarum potens es, non Indiae dominus ? Non qui iam orientem omnem trophaeum tuum feceris, Parthis et Medis imperitans ? An uero te pudet sine militia uel expeditione in (885) manus feminae deuenisse ? Quare conice, quaeso, quid te iuuarit tua illa famosa prudentia, cum nunc Candacem tui uideris sollertiorem. Quod igitur huc attinet, adrogantiam nimiae prudentiae iam deponito. » Haec illa dicente nec uultu constare Alexander, quin (890) etiam infrendere dentibus uidebatur. Et regina subridens : « Quid te iuuat », inquit, « haec tui tacita indignatio sic saeuientem uel, si mauelis, insanientem ? » Ad haec ille : « Vna mihi – nam sane profitendum – », ait, « uel maxima indignatio est quod mihi gladius meus huc comes non sit. » « Et cui(895) nam usui », regina respondit, « gladium tibi nunc requisisses ? » At ille : « Quod enim in huiuscemodi tempore atque rebus regale admodum munus foret interfecta te comitem me praemissae morti praestitisse, ne quid sit foedius quod praeteritas nostras glorias obumbrauerit. » « Accipio », inquit (900), « Candace, professionem dignam uiro et animo sane regali, sed metum hunc abicias uelim et magnitudinem gratiae tuae beneficiique considerans dignam uicissitudinem spera. Quod enim filio Candauli meo in Bebryciorum ultione praestitisti, id tibi ego in tua salute praestabo ; atque apud gentiles barbar(905)os meos fidem ueri clam habeo, quippe cum palam sit a caede tui homines natura saeuiores haud facile temperaturos, si qui ad fidem uenerint, praesertim cum tu etiam Pori sis interfector, cuius filiam scito iunioris mei filii coniugio copulatam. Quare esto Antigonus apud illos, cum mihi soli (910) Alexander habeare. »

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Mais Alexandre, pour éviter de paraître vaincu par une admiration sans nuances, avoue que, quelle que fût cette magnificence, elle lui semblait en tout correspondre aux richesses accessibles d’un pays étranger ; elle eût pu être plus admirable chez les Grecs qui avaient à importer cette matière première de leurs travaux ; étant donné que de pareils minerais d’une si grande valeur étaient à leur service, ils eussent dû être taxés de paresse, s’ils n’avaient pas ce dont il leur était permis de disposer facilement. La reine Candace saisit l’intelligence de l’homme et, tout en l’approuvant375, lui répond ainsi : « En cela, tu m’as dit la vérité, cher Alexandre. » Stupéfait d’entendre le nom, il se récrie : « Loin de moi ce nom, ô reine, car je m’appelle Antigone. C’est Alexandre, au contraire, qui glorieusement est notre roi et, pour l’instant, je suis son messager venu ici en cette qualité. » Là-dessus, la reine lui dit : « Je veux bien que pour les autres tu sois Antigone, pour moi tu seras dorénavant le roi Alexandre. Et je sais de quoi je parle et n’attendrai pas pour te le prouver. » Sur ces mots, elle le prend et, l’emmenant dans les profondeurs, elle lui montre le portrait dont depuis longtemps elle s’était pourvue : « Reconnais-tu, lui dit-elle, les traits de cet Alexandre que tu ne peux démentir ? Mais pourquoi trembler, t’agiter, te troubler à cause de cette figure ? N’es-tu pas l’illustre souverain des Perses, le maître de l’Inde, celui qui, commandant aux Parthes et aux Mèdes, a fait de tout l’Orient l’objet de tes triomphes ? As-tu honte d’être tombé aux mains d’une femme, sans armée ni campagne ? Aussi, je t’en prie, imagine l’aide que t’a fournie ton fameux savoir-faire, puisque, maintenant, tu le constates, Candace fut plus habile que toi. À ce propos, à toi, par conséquent, d’en rabattre désormais de l’arrogance d’une exceptionnelle sagacité. »376 Tandis qu’elle parlait, Alexandre semblait changer de visage et même grincer des dents. Alors, en souriant, la reine lui dit : « En quoi cette muette indignation soulage-t-elle ta fureur, ou si tu préfères, ta folie ? » Et lui en réponse : « Je dois l’avouer, ma seule, sinon ma plus forte raison de m’indigner est d’être venu ici sans la compagnie de mon épée. » « Mais pour quoi faire, rétorque la reine, réclamer maintenant ton épée ? » Alors Alexandre : « Parce que dans les circonstances présentes c’eût été un cadeau vraiment royal, après t’avoir tuée, de me laisser te rejoindre dans cette mort où tu m’aurais précédé, afin que rien de déshonorant ne vint ternir notre gloire passée. »377 « J’accepte, dit Candace, cette confession digne de ton courage et d’une âme à coup sûr royale. Je voudrais te voir rejeter cette crainte. Considère l’importance de tes obligeants bienfaits et espère une réciprocité qui en soit digne378. Ce que tu as donné à mon fils Candaule en le vengeant des Bébryciens, je l’accorderai à ta sauvegarde ; auprès de mes peuples barbares, je garderai secrète la vérité des faits, car ce n’est que trop clair : il ne serait guère aisé de retenir de te massacrer des natures sauvages379, si elles venaient à la savoir dans sa réalité, d’autant qu’en outre tu as tué Porus, dont la fille, sache-le, s’est unie en mariage avec le plus jeune de mes fils. Sois donc Antigone pour eux, moi seule te traiterai en Alexandre. »

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23. Et cum hisce dictis egreditur atque ad Candaulem sic ait : « Fili Candaule, tuque Margie nurus suauissima, gaudeo admodum, quod in tempore fuit uestro Alexandri regis auxilium repperisse ; ceteroqui uobis uidua iam et lugubris hic se(915)derem. Dignum igitur fortuna nostra erit internuntium Alexandri donatum muneribus hinc remitti. » Sed ad haec iunior Candaces filius Charagos nomine : « Quam uellem », inquit, « o mater, nostrae quoque iniuriae meminisse ! Neque enim clam te illum quem opitulatum salutariter dicas fratri meo (920) mei quoque soceri interfectorem exstitisse. Erit igitur memoriter ac iuste etiam indignantis si uel in hoc Alexandri internuntio eius ulciscamur iniuriam. » Sed ad haec regina Candace : « Neque », inquit, « o nate mi[hi], ad Alexandrum istud iniuriae facit et perfacile damnum est regibus uno milite ca(925)ruisse. Tunc legationis ius et foedus perpetuum internuntiorum in nobis claudicare non sinam. » Ad haec Candaules etiam excipit : « Neque sane ad ista, quae iusta sunt, a nobis quoque aberit Antigono defensatio ; neque enim ingenuae conscientiae est, a quo tibi salutem datam tuisque fateare, (930) eius iniustum exitium prodidisse. » Sed enim fortior iuuenis : « Numquid ergo mauis, Candaule, super hoc Antigoni praemio bello nos decernere ? Vtrum enim iustius sit uide ultionem suis an uero uicem gratiae praestitisse.  » Ibat adulescentium feruor et uis cum impetu animi regalis et ex pari (935) utriusque gliscens indignatio asperabatur metuebatque mater ne quid aetas illa temere consultaret. Seducto igitur Alexandro  : «  Nunc  », inquit, «  tempus est tuae celebratae prudentiae : reperiendum enim consilii genus quo filiis causa ciuilis proelii dilabatur. » Bono animo esse re(940)ginam Alexander iubet. Quare reuersus ad iuuenes : « Neque me sane », ait, « minae istae mortis magnopere terrebunt nec regi meo damnosa satis uidebitur ista iactura. Quot enim satellitum milia et quantus animantium numerus hoc regi obsequium munusque hoc praestare non poterit ? Enimuero ego (945) cessi Candaces gratiae uesterque iam fuam, si quidem ita nobis ad fidem sederit uti ex praedicatione uestri, praesertim hisce liberalitatis indiciis, fcei Alexandrum ductum huc ad uos sponte peruenire, praesertim adeo immodice habendi cupidum atque opibus inhiantem ; qui cum perexiguo comi(950)tatu uestrae se fidei commiserit, haud magni faciam quid de eius exitio consultetis, modo ut uos gratiae memores remuneratosque in posterum mihi uos sedulo promittatis.  » Sedet sponsio adulescenti et Candace protinus inuenti prudentiam demirabatur. Rursusque secreto : « Vtinam, Ale(955)xander mi, te quoque uelles ad numerum mihi addere filiorum ! Quis enim dubitet tunc demum fore Candacem orbis uniuersi reginam, si talis quoque mater filii putaretur ?

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23. Ayant dit ces paroles, elle sort et vient s’adresser à Candaule  : « Candaule, mon fils, et toi, Margie380, ma très charmante bru, je me réjouis beaucoup de ce qu’au beau moment vous ayez trouvé le secours du roi Alexandre. Autrement, je vous aurais déjà perdus et ma demeure serait dans la désolation381. Il conviendra donc à notre fortune de ne renvoyer le messager d’Alexandre qu’après l’avoir gratifié de cadeaux.  » À quoi le cadet des fils de Candace, dénommé Charagos, réplique : « Ô mère ! comme je voudrais que tu n’aies pas non plus oublié l’injure qui nous a été faite ! Il ne t’échappe pas, en effet, que celui qui, dis-tu, assura le salut de mon frère fut aussi l’assassin de mon beaupère. Ce sera donc d’une indignation qui se souvient, et même à juste titre, de nous venger382, pourquoi pas ? sur la personne de cet envoyé d’Alexandre. » Mais la reine Candace lui rétorque : « Mon enfant, ton acte illégitime n’importe pas à Alexandre et pour des rois le dommage est bien supportable, quand il s’agit de la perte d’un seul soldat. Et puis, je ne permettrai pas que chez nous vacille le droit des ambassades ainsi que les pactes qui à jamais traitent des messagers. »383 À son tour, Candaule la relaie : « En tout cas, pour ce qui est juste, Antigone ne manquera pas d’être défendu par nous également, car il n’est pas d’une noble conscience de proposer le trépas immérité de celui qui, tu le reconnais, a sauvé la vie à toi et aux tiens. » Mais le jeune homme était le plus fort : « Préfères-tu, Candaule, que de ces récompenses d’Antigone nous décidions par combat entre nous ? Vois où il y a plus de justice : est-ce dans la vengeance des siens ou dans la gratitude en retour  ?  » La fièvre des jeunes hommes progressait et avec elle la violence impétueuse d’un cœur de prince ; à l’identique, de chaque côté, l’indignation croissait en s’aiguisant384 et la mère redoutait les pensées téméraires d’un tel âge. Alexandre pris à part, elle lui dit : « Voici maintenant l’occasion pour ta sagesse si vantée ; il faut trouver le genre de décision qui fasse se dissiper la cause d’une guerre civile entre mes enfants. » Alexandre invite la reine à l’optimisme. Revenu vers les jeunes gens, il s’adresse à eux : « Non, ni ces menaces ne me terrifieront beaucoup ni la perte ne paraîtra au roi bien dommageable. Combien de milliers autour de lui, quelle foule de vivants ne trouvera-t-on pas susceptibles de rendre au roi ce service de leur obéissance ! Mais j’ai cédé aux bonnes grâces de Candace et dès maintenant je puis être des vôtres, si avec loyauté nous nous accordons pour qu’à la suite d’une déclaration solennelle de votre part, et plus encore, à la faveur de ces preuves de votre libéralité, je réussisse à conduire ici Alexandre venu à vous de son plein gré, et cela d’autant mieux que sa cupidité est si immodérée à convoiter vos richesses. S’il se confie, avec une minuscule escorte, à votre bonne foi, je ne me préoccuperai pas de la fin que vous déciderez pour lui, pourvu que, sans arrière-pensées, vous me promettiez de ne pas à l’avenir oublier mes soins mais, au contraire, de les récompenser. »385 L’engagement agrée aux jeunes gens et Candace aussitôt d’admirer la finesse de l’invention. À nouveau, elle a un entretien secret : « Ah, si seulement, cher Alexandre, tu voulais t’ajouter au nombre de mes enfants !386 Qui douterait, en effet, que Candace, en définitive, ne devînt la reine de l’univers terrestre, si on la réputait

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Ergo iam credo non te plus ferro uel proeliis quam hac tua tam celebri prudentia gentibus praestitisse. Confirmo igitur tibi rur(960)sus eandem illam fidem sponsionis meae neque te ut res est noscendum cuipiam profitebor. » Ergo post paucos admodum dies digredienti dat secretius munera : coronam auream adamantibus coruscantem prorsus ac si regiam, thoraca uarium ex unionibus beryllisque, chla(965)mydem etiam purpuream intextamque auro aliaque praeterea cum testimonio publico quae ad satellitem facerent, iubetque hominem deduci eo et per satrapas uicissimque profectum repedare quo uenerat. 24. Vbi igitur ad id loci Alexander uenit quas Candaules ei (970) deorum domus esse confessus est, et sperat posse illic sibi cum diis immortalibus uerba ex praesentium copia opipare sacrificatus ibidem conuiuatusque adhibet etiam ex comitibus quam paucissimos. Interea interuenire quasdam formarum effigies uidet tenui quidem, sed corusco sub lumine, (975) ut si conuentu nebuloso uera primum occurrentium confundantur, tum etiam circumsistentia tecta undique consplendescere, et cum his una crescit turba formarum et murmur praesentium usurpatur et fit prorsus unum diis hominibusque conuiuium. (980) Hic animo confusus reuerentia debita Alexander trepidare ; quippe intuenti uidere iam clarius erat flammas quasdam ex oculis deorum discumbentium promicantes prodique effigies quas haud dubie diuinas esse uel brutissimus sentiat. Vnus ergo tandem ex his : « Aue », inquit, « Alexander mi. » (985) Tunc cum rex uenerationem debitam reddidisset quaesissetque quis esset qui se foret hac salutatione dignatus : « Ego », inquit, « Sesonchosis ille sum, sed enim, ut uides, adscitus conuiuio caelitum ago una cum diis, quod profecto te quoque procul dubio iam manebit. » Ad haec Alexander cum ra(990)tum spei istius requisisset, Sesonchosis rursus : « Iure », inquit, « ista tibi sperare conuenit, qui inter cetera laboris et gloriae eius quoque urbis auctor exstiteris quae rebus humanis magnificentia pariter antistet et gloria. Quare abito introrsus, ut summi quoque potentiam numinis coram salutes. » (995) Tum actior rex ingressus sacri loci penita maiestatis effigiem uidet fulgore aetherio renidentem, enimuero sedentarium talemque prorsus qualem apud Rhacotin adoratum a sese summum deum praesidem Sarapim meminisset. Ibi ergo cum augustissimum numen Alexander salutasset agni(1000)tionemque confessus esset olim uisitati dei, rursus Sesonchosis sic exorsus  : «  Numnam  », inquit, «  tibi, Alexander, mirum est in tam longinquo dei huius praesentiam uisam esse ? Sed idem ubique totus ac

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également la mère d’un tel fils ? Déjà, je le crois, ta prééminence sur les peuples te vient donc moins des armes et des batailles que de cette intelligence tant louée387. Je te confirme dès lors à nouveau la fidélité de mes promesses et m’abstiendrai de proclamer devant quiconque qu’on doit te reconnaître comme tu es en réalité. »388 En conséquence, très peu de jours après, au moment du départ, elle lui donne des cadeaux sans qu’on le sache : une couronne d’or proprement royale qui brillait de diamants, une cuirasse rehaussée de grosses perles et d’émeraudes et encore une chlamyde de pourpre aux fils d’or ; elle y joint en public et devant témoins ce qui convenait à un garde du corps389, puis, sur ses ordres, l’homme est reconduit là d’où il était venu, les satrapes intervenant tour à de tour à son arrivée sur le chemin du retour390. 24. Parvenu donc au lieu où, d’après ce que lui a révélé Candaule, résident les dieux391, il espère y avoir la possibilité de conversation avec les Immortels. Et grâce à l’abondance du moment, il accomplit là un somptueux sacrifice et au banquet invite même un très petit nombre de ses compagnons. Cependant, sous la faible lumière qui pourtant scintille, il voit surgir des contours de silhouettes, mais dans ce rassemblement embrumé les réalités rencontrées, au début, se confondent. Puis, de partout alentour les plafonds pareillement se mettent ensemble à briller et, en même temps, l’entremêlement des formes se dégage ; les présents se prennent à murmurer et le banquet devient vraiment commun aux dieux et aux humains392. L’esprit brouillé, Alexandre de trembler en cet instant d’une crainte qui s’imposait. Ses yeux, en effet, pouvaient désormais apercevoir plus distinctement des flammes jaillissant des orbites des dieux allongés et que se livraient des traits qui, même un parfait abruti s’en rendrait compte, étaient sans nul doute ceux de dieux393. Finalement un d’entre eux s’adresse à lui  : «  Bienvenue, cher Alexandre. » En retour, le roi s’acquitta de ses hommages, demandant quel était donc celui qui daignait ainsi le saluer : « Je suis l’illustre Sésonchosis, lui fut-il dit, mais, tu le vois, invité au banquet céleste, je mène la vie des dieux, ce qui, j’en suis fort assuré, t’attend maintenant toi aussi. » Sur ce, Alexandre ayant réclamé la validation d’un tel espoir, Sésonchosis reprend : « Tu conçois des espérances légitimes, elle te conviennent, puisqu’en sus d’autres travaux glorieux, tu t’es en outre montré à l’origine de cette cité qui par sa magnificence autant que par sa gloire s’est placée au premier rang des œuvres de l’humanité394. Pénètre dès lors à l’intérieur afin de saluer également, face à elle, la puissance de la suprême divinité. » Encouragé, le roi entre donc au fond du lieu sacré et voit une icône illuminée des feux de l’éther ; mais dans une posture assise, elle était en tout semblable à Sérapis, le grand dieu protecteur qu’il se souvenait avoir adoré à Rhacôtis. Après avoir salué la très auguste divinité, Alexandre avoue reconnaître le dieu, jadis l’objet de sa visite. Alors, Sésonchosis recommence395 : « T’étonnestu, par hasard, que la présence de ce dieu soit constatée à une si longue distance ? À vrai dire, totalement identique, il est présent partout, car ce qu’en tout lieu

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praesens est », ait. « Quod enim caeli ambitus ubique praestiterit homini, id huius quoque numi(1005)nis uis, numquam frustra ueluti per absentiam requiritur.  » Tum Alexander occasionem ueri audiendi ratus protinus sciscitatur quantum sibi ad uitae spatia polliceretur. Sed Sesonchosis : « Et ante iam dictum fuit [est] », inquit, « tibi, nihil homini commodare praescientiam quam requiris. (1010) Quippe uiuenti de uitae termino ratum dicere nihil aliud est quam longum maerorem ei et perpetem contulisse ; spem uero uiuendi perinde fieri longissimam, si praesentibus perfruare. Quod ergo tuum est ac beatitudini tuae proficit, urbs tellusque quam delegisti erit orbis illustrior eoque tibi nunc (1015) et in posterum una erit omnium ueneratio  ; deus denique praesidebis. His etiam laeteris, si homine demutaueris.  » Post hoc responsum et sacrum Alexander haud difficile ad exercitum uenit Candaces corona et insignibus comptus. 25. Eximque ad Amazonas ire festinat, ad quas praemittit (1020) litteras in hunc modum scriptas : « Victorias nostras et in Darium bella eximque in alios, quocumque militauimus, glorias haud dubito uobis famae ipsius magnificentiam commendasse. Nam et Pori fortunam et iter nostrum in Oxydracontas ac Bragmanas digna taceri non arbitror ; in hoc (1025) nomin Gymnosophistarum etiam per clementiam laudatiora, quippe quos siuerim agere in pace ac suis legibus moribusque donauerim. Quod si uobis haud displicet, accipite nos isto uenientes et, quod est amicitiae munus, diis sacrificate pro nobis ; iam quippe uobis aderimus. At uos uelim (1030) obuiare nobis animo gratante, cum ad amicitiam iter istud, non ad periculum sit futurum. » Ad haec Amazones respondere : « Vel fiduciae munus est uel libertatis omnia tibi, rex, scribere quae penes nos sint, non quod fidem scriptis deroget ulla suspicio, sed ut plenius (1035) noscas ecquid operae pretii sit his quicumque hostili feruore in nos cupiant militare. Commune quippe humanitatis studium esse arbitramur in quaeque dubia ausuros nihil prius quam emolumentum laboris intueri oportere. Scito igitur primum colere nos interamnanum, Amazonico flumine locum (1040) omnem quo consistimus ambiente, eo fluenti circite[r] spatioque ut una sit aditicula, eaque uix accolis nota, qua saep[t]em fluminis uel irrumpi oporteat uel emergi, eiusque aluei tanta est difficultas quanta nos a quibusuis periculis tueatur. Hoc igitur tantillo in loco ducenta milia uirginum co(1045)imus nullo omnino maris sexu interpolatae. Enimuero, sicubi nobis ad naturam est consulendum, annuum sacrum est quod Hippophonia uocitamus. Eius sacri causa ad mares nostros, qui ultra amnem extrinsecus perpalantur, omnes ferme transimus atque illic per dies triginta inter haec quae diis (1050) aguntur, ubi fuerit ad lubentiam, nubimus ; nuptas uero cum maribus derelinquimus

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offrirait à l’homme le pourtour du ciel est aussi cette force divine, jamais vainement recherchée comme si elle était absente. »396 Alexandre croit l’occasion venue d’apprendre la vérité : sans attendre, il veut savoir combien lui est promis pour la durée de sa vie. Mais Sésonchosis réplique : « On t’a déjà dit auparavant que l’homme n’a pas intérêt à savoir à l’avance ce que tu cherches. De fait, parler valablement à un vivant du terme de sa vie revient à lui apporter une longue tristesse sans interruption ; à l’inverse, l’espérance de vie se prolonge énormément, si tu ne cesses de jouir du présent. Ce qui donc t’appartient et sert ton bonheur est qu’avec ses terres la ville que tu as choisie sera la célébrité du monde, d’où pour toi maintenant et à l’avenir une vénération universelle. Bref, ta nature divine la protégera ; réjouis-toi même de quitter la condition mortelle. »397 Cette réponse reçue, Alexandre fait un sacrifice et rejoint aisément son armée : il se parait de la couronne et des emblèmes reçus de Candace398. 25. De là, il se hâte d’aller chez les Amazones399, se faisant précéder d’une lettre rédigée en ce style : « Je n’en doute pas, la renommée, dans sa générosité, vous a elle-même recommandé nos victoires, nos combats contre Darius, ensuite nos titres de gloire contre d’autres, partout où nous avons fait campagne ; en effet, je ne pense pas que soit à taire l’infortune de Porus, ainsi que nos expéditions contre les Oxydracontes et les Brahmanes. À cet égard, la créance accordée aux Gymnosophistes est d’une bonté particulièrement noble, car je leur ai permis de vivre en paix et leur ai laissé leurs lois et coutumes. Si cela ne vous déplaît pas, accueillez-nous à notre venue auprès de vous et, ce qui est l’office des amis, sacrifiez aux dieux pour nous400, car bientôt nous serons à vos côtés. Mais je voudrais que vous ayez plaisir à venir au devant de nous, puisque cette route doit conduire à l’amitié et non pas à des dangers. » À quoi les Amazones de répondre : « Roi, la confiance et la franchise ont l’office de t’écrire tout ce qui est en notre possession, non qu’un soupçon enlève de sa crédibilité à ce qui a été écrit, mais pour que tu saches plus à fond ce qu’il en coûte à tous ceux qui voudraient nous combattre, enfiévrés d’intentions hostiles. À notre avis, en effet, chaque fois que, selon une impulsion commune à l’humanité, ils envisagent de risquer l’incertain, les gens doivent avant tout considérer le salaire de leurs peines401. Sache donc, pour commencer, que nous habitons entre deux bras d’eau, le fleuve amazonien entourant en son entier le lieu où nous sommes établies. Et le flot, tout autour, est si large qu’il n’y a qu’un seul étroit passage, à peine connu des riverains, par où nécessairement forcer la barrière fluviale, faute de quoi on se noie. La difficulté de ce gué est assez grande pour nous protéger de n’importe quel péril402. Dans ce si petit emplacement nous sommes donc deux cent mille vierges à habiter, sans la moindre immixtion du sexe mâle. «  étant donné, cependant, que nous devons quelque part obéir à la nature, nous avons la cérémonie annuelle dénommée les Hippophonies. En raison de cette cérémonie, nous passons presque toutes chez nos mâles dispersés à l’extérieur, au-delà du fleuve et là, durant trente jours, dans l’intervalle des activités cultuelles, quand l’envie nous chante, nous contractons mariage403, mais laissons les mariées aux mâles à la condition expresse que les enfants de

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pactis [et] legibus ut, quaeque exim ad sexum hunc editae fuant, eaedem post septennium in exercitum dimittantur. Sed ubi uenerint, erudiuntur equis et peltis, donec armis idoneae fuerint. Igitur nobis quocumque (1055) militandum et, uiginti milibus nostrum domi et in patria praetendentibus [et] ceteris arma sumuntur, redeuntibusque mos est honorem pro uulneribus numerari. Ea nobis stipendia sunt, haec prouectio ; tantumque quis nostrum honore diues est quantum cicatricibus insignitior. Quippe et corona au(1060) rea redimitae salutamur atque adoramur a ceteris et publicis conuiuiis adhibemur et cuncta quae sint nobis ad obsequium deferuntur. Quod si in bello mortem, quam uoti erit, nobilis uirgo strenue oppetet, et functae diuini honores adhibentur et adfinitati functarum largae pecuniae honoresque nume(1065)rantur. Ceterumque nobis aurum non est neque argentum, nisi si quid sit in insignibus militaribus. Haec illa sunt in quibus impenduntur nostra discrimina et in quae omnia periclitandum est quicumque Amazonas bello deposcent ; cuiusque euentum non satis arbitramur utrique de pari. (1070) Quippe ubi Amazonibus suis auctor generis nostri Mars fauerit, mares a feminis caesi uictique maiore cum dedecore oppetent uel dilabentur. Vbi uero cum maribus steterit belli fortuna, pudenda res est si quid hic sexus superatis feminis glorietur. Haec tibi igitur, rex, responsa de nobis sunt, qua(1075)rum si fiduciam probas, obsequium etiam non aspernabere, siquidem te coronamus corona aurea annua, quae sit ponderis quanti tu iusseris. Superque his quod mauelis scribito ; nos enim, si secus sederit, praeter amnem in acie deprehendes. » 26. (1080) Hisce rex lectis delectatus admodum sic respondit : « Qui terrae ambitum diligentius mensi sunt eiusmodi magnitudinem uniuersi trifariam diuisere easque partis Asiam uel Europam uel etiam Libyam nominauere. In hisce igitur partibus uniuersis trophaea quoque nostra consistunt et est pu(1085)dendum si hi quibus nulla omnium obstiterit difficultas a cognitione uestri ueluti sub metus infamia declinemus. Quare uestrae sit facultatis si quid de bello consultetis. Ceteroqui obsequium atque amicitiam diligentibus uicissitudo nostri non displicebit. Neque uero resistentibus exitium gentis et (1090) patriae neque cedentibus amica humanitas differetur. Progressae igitur, u[l]tra sub lege uultis, praeter amnem ad nos uenite omnemque multitudinem uestram illic in ordines ponite. Quod ubi fuerit ex forma huiusce praecepti, ego uobis Ammona patrem meum atque Iunonem, Mineruam etiam (1095) Victricem iuro nihil amplius a uobis exactum iri quam si quid pro uiribus offeratis. Mittite sane ad commilitium mihi strenuas quasque equites, quantas uultis, [a] quibus singulis remuneratio erit minae auri quinque praeter cetera quae ad hanc magnificentiam congruent. Enimuero istae quas miseri(1100)tis, ubi annuum nobis obsequium emensae sint, in propria remittentur, uti pro hisce uicarias destinetis. Super his igitur ut uobis commodum est consultate. »

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notre sexe qui naîtront de ces unions soient envoyées à l’armée au bout de sept ans. Une fois arrivées, on les dresse à l’équitation et au port du bouclier, jusqu’à ce qu’elles deviennent aptes à combattre. Où que nous ayons à servir, on prend les armes, vingt mille des nôtres au pays, le reste aux frontières du sol natal404. Et quand nous revenons, l’usage est d’aligner les honneurs sur le nombre des blessures. Telles sont nos soldes et tel notre avancement. Plus l’une d’entre nous est marquée de cicatrices, plus elle s’enrichit de distinctions  : ceintes d’une couronne d’or, nous recevons les saluts, les prosternations des autres, les invitations à des banquets publics et tout ce qui chez nous contribue au respect. Une vierge de bonne race trouve-t-elle à la guerre, comme c’est son vœu, une mort héroïque, la défunte obtient les honneurs divins et à ses proches, également honorés405, sont versées des largesses en numéraire. Néanmoins nous n’avons d’or et d’argent que pour décorer nos équipements. Voilà les situations périlleuses où, sans compter, nous nous risquons et auxquelles toutes doit s’exposer quiconque défiera les Amazones406 dans une lutte dont l’issue, croyons-nous, n’est guère égale pour chacun des deux camps : si Mars, l’auteur de notre race, est favorable à ses chères Amazones, les mâles tués ou vaincus par des femmes succomberont ou s’enfuiront avec davantage de déshonneur. Au contraire, à supposer que la fortune des combats soit aux côtés des mâles, il y aurait de la honte pour ce sexe à se glorifier de l’avoir emporté sur des femmes407. Tu as là, ô Roi, notre réponse. En approuves-tu l’assurance que tu ne repousseras pas non plus notre hommage : nous te couronnons d’une couronne d’or qui, chaque année, sera du poids que tu ordonneras ; écris-nous là-dessus tes préférences. En cas de décision contraire, tu nous découvriras en ligne de bataille, le long du fleuve. »408 26. Le roi s’amuse fort à cette lecture et répondit : « Ceux qui attentivement ont mesuré le pourtour de la terre, divisèrent l’étendue de l’univers en trois parties nommées l’Asie, l’Europe et encore la Libye409. Partout s’y dressent également nos trophées et nous que n’a arrêtés absolument aucune difficulté devrions être honteux, si, comme par une crainte indigne, nous évitions de vous connaître. Aussi ayez toute latitude de décider sur la guerre. Au demeurant, chérissez-vous une amitié déférente, y répondre ne nous déplaira pas ; mais votre résistance causera sans délai la fin de votre race et de votre patrie, aussi vrai que, si vous cédez, vous nous aurez aussitôt amicaux et humains. Sous donc, à votre gré, l’une ou l’autre loi, avancez le long du fleuve, venez en notre direction et rangez là en lignes toute votre multitude410. Ceci fait dans la forme que je prescris, je vous jure par Ammon, mon père, par Junon et encore Minerve, la Victorieuse411, qu’alors nos exigences à votre endroit n’iront pas au-delà de ce que vous offrez en fonction de vos ressources. Pour combattre en ma compagnie, envoyez-moi de valeureuses cavalières, autant que vous le voudrez : chacune aura en échange cinq mines d’or, indépendamment de ce qui s’accorde à pareille grandeur412. Et quand elles auront accompli leur service d’un an auprès de nous, celles que vous aurez envoyées seront renvoyées à domicile, en sorte que vous leur désigniez des remplaçantes. Réfléchissez donc à ces conditions, comme bon vous semble. »

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Igitur Amazones motae rescribunt et dare se regi ueniendi quam cupiat facultatem inspiciendique terras suas et coro(1105)nare se eum annuis talentis sex ; quingentas etiam equites destinasse armatas et strenuas, ut poposcerat, quae per annos scilicet permutentur. Quod si quae ex hisce ad sexum suum cesserit, eam se petere ibidem desidere inque eius locum supplementum de gente postulari ; quippe Amazonibus cer(1110)tum esse parere uiro absenti, cui cessisse omnium hominum genera didicissent. 27. His acceptis Alexander iter in Prasiacam inde praeuertit, quae quidem eius militi peregrinatio labori admodum et plurimi periculi fuit. Nam aestatis ferme iam medio (1115) repentini imbres influxere adeo uehementes atque continui uti non solum uis animantium deperiret et quaecumque usui sunt ad militiam putrefierent, uerum ipsis etiam per indigentiam calciamentorum pedum plurima pernicies inferretur, quippe ubi nudo uestigio per loca aspera humidaque perpeti (1120) labore traherentur. Neque uero id sub isdem imbribus adeo molestum quam redeuntibus in naturam temporis solibus fuit, quamuis intemperie illa et tonitruum plurimum et iactus fulminum crebros experti essent. Nam et uoces incertas resonantes audierant et portentuosa plurima eiuscemodi ex(1125)perti erant. Vbi uero iam ad Prasiacam aduentabant Hypanimque flumen, quod dispescit huiusmodi collimitia, transierant, comperit ibidem super magnitudine eius gentis ac regis potentia qui Prasiacae potiretur. Quippe dum ista Prasiaca propter (1130) Oceanum sita, quo de reliqua hominum turba semotior, hoc ad multitudinem quoque largius uiuit. Addebat tamen fama tot elephantorum etiam milia esse regi quot apud alios plerumque super hominibus mentiatur. His igitur compertis Alexander limitem huiuscemodi loci sensim legens ciuitates (1135) eius inuadere ac dicioni suae uindicare non neglegit et sacrificia diis immortalibus facit. Quae cum maxime persequeretur, ab Aristotele epistulam sumit scriptam in hunc modum  : «  Per mihi difficile est eligere uel laudare, Alexander mi, ex hisce omnibus aliquid (1140) quae te in ista militia gessisse cognoui eamque mihi esse sententiam Iouem testem facio Neptunumque. Quare diis primum immortalibus deabusque ago gratias competentes, quod emenso tibi hasce periculi difficultates gratulationem potius quam solacium scribo, quippe quem sciam non bello(1145)rum modo discrimina euasisse, uerum temporum quoque et caeli difficultatibus non cessisse. Ex quibus colligere admodum facile est ambigendum utrumne te prudentiae uiribus an tolerantiae fortitudine magis praedicem. Certe illud tibi iam Homericum adest quod illic sapientissimus gloriatur : (1150) Multigenasque urbes hominum moresque notaui.

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Ébranlées, les Amazones répondent donc au roi  ; elles lui donnent, conformément à son désir, la permission de venir voir leur territoire et lui accordent tous les ans une couronne de six talents413 ; en outre, elles ont désigné cinq cents cavalières bien équipées et d’un bel allant ; ainsi qu’il l’avait réclamé, celles-ci seraient renouvelées d’année en année414. Si l’une d’entre elles cède à son sexe, elles demandent qu’elle reste là et qu’à sa place une surnuméraire soit réclamée à ses congénères. En effet, les Amazones ont décidé de se soumettre, fût-il absent, à un homme auquel elles savaient que toutes les races humaines avaient cédé415. 27. Cette lettre reçue, Alexandre choisit de s’en retourner d’abord en direction de Prasiaca. La route fut très laborieuse pour les soldats et comporta maints dangers, car presque déjà en plein été de soudaines pluies s’abattirent avec tant de violence et de continuité que non seulement les animaux perdaient leur force et pourrissait tout ce dont se servait l’armée, mais encore que, faute de chaussures, la plupart subissait aux pieds de funestes atteintes, à force de se traîner dans une souffrance ininterrompue, la peau à nu sur des sols rocailleux ou spongieux. Mais sous ces trombes ce ne fut pas aussi pénible qu’au retour d’un temps ensoleillé, même si dans cette bourrasque ils avaient fait souvent et en grand nombre l’expérience de coups de tonnerre et des zébrures de la foudre. En effet, ils avaient entendu les échos de voix confuses et beaucoup de ces présages les avaient mis à l’épreuve416. lls approchaient déjà de Prasiaca et avaient franchi le fleuve Hypanis qui délimite ainsi la frontière, lorsque là Alexandre est informé de l’importance de la population et de la puissance du roi, maître de Prasiaca, car, située au bord de l’Océan, Prasiaca, relativement à sa densité, vit quand même au large, dans la mesure où elle est séparée du reste des foules humaines417. Quoi qu’il en soit, la rumeur ajoutait que son roi avait autant de milliers d’éléphants que les autres, en général, prétendent à tort avoir d’habitants. À cette nouvelle, il côtoie peu à peu la bordure du pays, sans négliger d’attaquer les villes et de les soumettre à sa domination418, puis il sacrifie aux dieux immortels419. Ceci se poursuivant au mieux, il reçoit une lettre d’Aristote écrite en ce sens420 : « Dans tous ces exploits de campagne dont j’ai eu connaissance, mon cher Alexandre, il m’est difficile de choisir l’objet de mes louanges et, j’en atteste Jupiter et Neptune, telle est bien mon opinion. Aussi je commence par exprimer les remerciements qui conviennent aux Immortels, dieux et déesses, parce qu’après les conjonctures difficiles et dangereuses que tu as supportées, je t’écris des félicitations plutôt qu’une consolation  : tu as, je le sais, non content d’échapper aux aléas des combats, refusé encore de céder aux difficultés du ciel et des saisons. D’où, sans grand problème, je puis conclure qu’il me faut hésiter si je proclame la puissance de ton discernement ou bien ton courage à l’endurance. En tout cas, d’ores et déjà, s’applique à toi le passage d’Homère où le sage par excellence se glorifie : ‘J’ai chez les humains observé la variété des cités et des coutumes.’

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Quis enim praedicationis finis istud capit triginta ferme uix annos emensum te orientis omnis occidentisque dominari ? Bactra te uidit, Aethiopia salutauit, Scythae tremuerunt, quodque uno ille uersu percucurrit : (1155) Quique nouum cernunt Hyperiona quique cadentem. Neque enim quemquam non aut caesum audiuimus aut supplicantem. » Haec quidem Aristoteles. At uero Alexander collecto exercitu iter ad Babyloniam conuertit, in qua susceptus honoratissime et sacrificia diis (1160) immortalibus repraesentat et certamen gymnasicum concelebrat. Atque inde iam pacificum iter coeptans hisce litteris ad Olympiada[m] matrem suam scribit : «  Super his quidem quas in principiis egerimus ad Asiam usque expeditiones omnia tibi nota sunt, mater mi. Aequum (1165) tamen fuit et de insequentibus te facere certiorem. Profectus quippe ad Babylonem una cum his quos magis strenuos in exercitu habebam, quae quidem collecta sunt centum milia, in ulteriora regionum animum intendi peruenique usque ad Herculis stel[l]as non minus itinere dierum ferme nonaginta (1170) quinque, fama de Hercule sic loquente quod hasce metas peregrinationis suae fixerit deus ille, qui et duas stel[l]as, id est titulos sui quondam ibidem dereliquit, quorum unus ex auro, alter uero argenteus habebatur. Sed enim altitudo eorum est titulorum cubitis ferme quindecim, crassitudo (1175) uero in cubitis duobus. Hanc molem metalli quoniam non facile erat credere solido auro esse, periculum eius rei facere non omisi. Quare moratus ibidem diebus aliquantis reficiendo scilicet militi sacrificatusque deo Herculi titulum illum aureum, qua potui, rimatus sum foramine per omnem (1180) crassitudinem elaborato neque claudicare fidem crassitudinis eius inueni. Sed cum cauernam illam replere religiosum mihi uideretur, ad supplementum eius quingentis auri talentis opus fuit. Hinc ergo per deserta redeuntes multa praerupta eiusmo(1185)di incidimus loca, quae obsessa crassioribus nubibus nebul[os]isue omnem omnino adspectum homini sustulerant ac diei. Septem denique dierum itinere per has tenebras exanclato tandem Thermodonti superuenimus flumini haud cuiquam secundo ex magnitudine, sed enim per plana et opi(1190)para loca magno agmine peruaganti. Propter hunc Thermodonta genus Amazonum colit, mulieres magnitudine corporis pariter ac pulchritudine cetera hominum genera superuectae, amictae uero ut in picturis est uisere unimammas, et omnis hisce ferme amictus est arma uel ferrum. Igitur (1195) cum haud procul his ageremus, ipsarum quidem potiri haud facile erat utrumque nostrum a congressu magnitudine fluminis dispescente. Sed praeterque illius agmen bestiae quoque nonnullae asperitatesque impedimento erant. At enim comperto illae quod ceterae 204

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« Quel panégyrique peut enclore dans ses limites qu’à peine à trente ans révolus tu sois devenu le maître dans leur totalité de l’Orient et de l’Occident ? Bactres t’a vu, l’éthiopie t’a salué, les Scythes ont tremblé et, comme le poète l’a ramassé dans un seul vers : ‘ceux qui aperçoivent Hypérion, qu’il soit neuf ou qu’il se couche.’ Aucun, à ce qu’on m’a dit, n’a manqué d’être tué ou de te supplier. » Ainsi parlait Aristote421. Mais Alexandre, après le rassemblement de l’armée, tourne sa route vers Babylone. Il y est accueilli avec les plus grands honneurs, s’acquitte sur le champ des sacrifices aux dieux immortels et célèbre des jeux gymniques422. Puis, de là, entreprenant désormais une marche pacifique, il écrit cette lettre à sa mère Olympias423 : « Sur mes premières campagnes conduites jusqu’en Asie, tout, ma mère, t’est connu. Mais il convenait de t’informer sur leurs suites. Je suis parti pour Babylone avec les plus énergiques de mes soldats, ce qui représente un total d’une centaine de milliers. Mon but était les régions les plus reculées et je parvins jusqu’aux stèles d’Hercule au bout d’à peu près quatre-vingt-quinze jours de cheminement. La légende raconte d’Hercule que le dieu a planté ces bornes à sa pérégrination, en y laissant jadis deux stèles, c’est-à-dire des inscriptions à son initiative dont l’une, disait-on, était en or et l’autre en argent. La hauteur de ces plaques est presque de quinze coudées, leur épaisseur de douze. Quant à cette masse de métal, comme il n’était pas aisé de croire qu’elle fût entièrement de l’or, je n’ai pas omis de la soumettre à vérification. M’attardant sur le lieu quelques jours pour ranimer la troupe, j’ai, après avoir sacrifié au dieu Hercule, pratiqué, là où je le pouvais, un sondage dans l’or de l’inscription, en ménageant une fente au travers de l’épaisseur. Le résultat fut que cette épaisseur était crédible sans la moindre disparité. Il me parut de mon devoir de boucher le trou et, pour l’obturer complètement, j’eus besoin de cinq cents talents d’or424. À mon retour, au milieu des déserts, nous tombâmes sur beaucoup d’endroits accidentés qui, sous le poids de nuages très épais et du brouillard, avaient ôté du tout au tout la vue des gens et du jour. Nous épuisâmes sept journées à progresser dans les ténèbres pour finir par arriver au Thermodon, un fleuve qui n’a pas son pareil pour les dimensions, mais dont le vaste cours se répand dans de riches plaines425. Le long du Thermodon habite le peuple des Amazones : leur taille et leur beauté dépassent celles des autres races humaines. Elles sont vêtues comme les femmes privées d’un sein qu’on voit sur les peintures, autant dire que ce vêtement se réduit à leurs armes et épées. Nous n’étions donc pas très éloignés d’elles, mais il n’y avait guère de moyen d’en disposer, car la largeur du fleuve qui nous séparait empêchait les rencontres de part et d’autre. Et, en plus du courant, nous étions gênés par des rochers et un certain nombre de bêtes sauvages. Mais constatant que les autres Amazones avaient aussi

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quoque Amazones de nostra (1200) amicitia captassent, ipsae etiam periculi causam donis a nobis et obsequiis redemerunt. 28. Itemque indidem ad Rubrum mare uenimus, quorum locorum dextra quidem par asperis inuiisque montibus recta est, laeua uero mari Rubro latius fusa. Illic tamen (1205) factis Neptuno sacris immolatisque equis ritu praesenti die secuta alio quam ueneramus itinere repedamus ; fuitque operae pretium illas quoque nosse regiones. Multa enim hominum genera et inuisitata sunt nobis cognita, quorum uel maximae nobis admirationi fuit uidentibus homines absque (1210) capitibus corporatos. Namque his hominibus oculi pectoribus inhaerentes atque os omne cetera[que oris] in parte corporis situm plurimum mirabamur. Illic et Trogodytas offendimus, qui subter terram domiciliis scalptis ac fossis ad serpentium instar successus sibi et habitacula laborauere. (1215) Quod ergo exim eminus uisere esset tellurem quandam sitam ueluti in medio mari aestimato longius quam unius diei nauigatione separata, eo nauigatione contendimus. Repperimus in illa insula ciuitatem quae Solis esse diceretur, ambitus spatio non minus sexaginta stadiis circumscriptam. Sed (1220) enim e medio ciuitatis constructo quodam et congesto in loco currus aureus uisebatur una scilicet equis atque insessore aureo laboratus. Is omnis labor de auri materia et smaragdis fuit, mira tamen opificinae maiestas nec ulli in orbe terrarum operi facile contendenda. Enimuero isti re

  • gioni (1225) cum adesset sacerdos Aethiops, eo praeeunte Soli religiosius operatus sum. ac sic reuertentes locorumne an temporis tenebras profundas offendimus. Vnde cum ratio ipsa suasisset ibidem mansitare et reficiendis nostris et rursus sacrificiis persoluendis deo Soli, quod nullum omnino ignem, ex quo (1230) luminis foret copia, inueniremus, abscedere indidem confirmauimus. Tum uero diuinum quoddam auxilium demorantibus praeuiantes nobis quasdam effigies numinum cernere fuit cum luminibus lampadarum, quas e materia argenti eminus aestimabamus, atque ita uiati ductique Tanaim us(1235)que fluuium superuenimus. Is Tanais e septemptrionis partibus in Caspium mare profluens Asiam fertur Europamque discernere. Laeua igitur eius itinere permenso ad Xerxis regna peruenimus, quae post habita Cyri sunt ac nominata, ibique multa opum regiarum ac diuitias offendimus. Nam et (1240) aedem quandam ad speciem Graeci operis illic magnificentissimam uiseres inque ea aede etiam responsa dare memoratum regem sciscitantibus celebrant. Et situm ibidem in templo uiseres uarium opus, tropheum aureum dependens aedificii de culmine, adhaerebatque illi tropheo orbis qui(1245)dam ad modum uertiginis caelitis superque orbem simulacrum columbae sessitabat quod, ubi responsa rex diceret, humanis uocibus sciscitanti loqui ferretur. Id tropheum cum auferre indidem mihi cupiditas foret, uti ad uos et ad nostram Graeciam mitteretur, idem qui aderant contenderunt (1250) rem sacram esse neque contemnendo periculo

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    cherché à gagner notre amitié, elles-mêmes nous rachetèrent par des cadeaux et leurs hommages les dangers en cause426. 28. « Ce n’est pas tout. Partant de là, nous arrivâmes à la Mer Rouge : sur la droite, se dressent d’infranchissables montagnes escarpées ; sur la gauche, de vastes étendues prolongent la Mer Rouge427, Nous n’en fîmes pas moins un sacrifice à Neptune en lui immolant des chevaux selon un rite efficace et, le lendemain, nous nous en retournons par un chemin autre qu’à aller. Il valut la peine de connaître également ces régions, car nous y connûmes beaucoup d’espèces humaines encore jamais vues428. Parmi elles, un extrême étonnement fut pour nous de voir des hommes au corps sans tête, étonnement majeur parce que ces gens-là ont les yeux fixés sur la poitrine, la totalité du visage se répartissant sur le reste du corps429. Au même endroit nous surprîmes des Troglodytes, qui, se creusant et se taillant sous terre leurs domiciles, s’y constituent des retraites où loger, tels des serpents. Comme de ce lieu on pouvait distinguer au loin une terre, pour ainsi dire, plantée en pleine mer, à l’estime séparée par plus d’une journée de navigation, nous y dirigeâmes nos navires. Dans l’île, la découverte fut celle de la cité dite du Soleil : son pourtour décrit une circonférence de pas moins de soixante stades ; du centre de la cité se voyait sur une sorte de tertre artificiel un char exécuté en or, avec, bien sûr, chevaux et aurige d’or. Tout le travail s’effectuait à partir d’or et d’émeraudes, mais la qualité de l’atelier étonnait et rien au monde n’eût pu aisément rivaliser avec cette œuvre. Un prêtre éthiopien participait à l’office : sous sa direction, j’ai rendu au Soleil un culte dans les règles430. Au retour, nous tombons dans de profondes ténèbres tenant aux lieux ou à la saison. La raison engageait à ne pas bouger, pour refaire nos forces et sacrifier de nouveau au dieu Soleil. Mais nous ne trouvions pas le moindre feu, capable de nous procurer de la lumière ; alors, nous nous obstinâmes au départ. Tandis que nous attendions un secours des dieux, apparurent, marchant devant nous, des figures divines avec des lampes allumées qui, de loin, nous semblèrent faites en argent431. Devenues les guides de notre route, elles nous amenèrent jusqu’au fleuve Tanaïs. Ce Tanaïs qui coule de la zone septentrionale en direction de la Mer Caspienne passe pour séparer l’Asie de l’Europe432. « En suivant jusqu’au bout sur la gauche son cours, nous gagnons les royaumes de Xerxès, considérés ultérieurement ceux de Cyrus433 et dénommés comme tels. Là se présentent les multiples ressources de l’opulence royale. En effet, on pouvait voir un temple tout à fait magnifique, bâti apparemment à la grecque, dans lequel temple la rumeur veut que le roi précité rende aussi des oracles à ceux qui l’interrogent. Et placé dans le sanctuaire s’apercevait un ouvrage complexe  : un trophée en or pendait du sommet de l’édifice  ; à ce trophée était fixé un cercle figurant la rotation du ciel et, perchée sur le cercle434, il y avait une colombe en simulacre qui, à chaque oracle donné par le roi, s’adressait, prétendait-on, d’une voix humaine à l’impétrant. J’avais le désir d’emporter ce trophée pour l’envoyer à vous et à notre Grèce, mais les personnes présentes affirmèrent que l’objet était sacré et que personne ne saurait mépriser

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    inuolari a quopiam posse. Multa igitur alia quoque quae miraremur offendimus, inter quae cratera etiam argenteum capacitatis ad amphoras usque trecentas et sexaginta. Eius capacitatis est mensuratio comperta nobis hoc modo : die sacri [cum] conui(1255)uium etiam celebre exhibebat, ad quod conuiuium tot amphoris repletum esse uas constat. Enimuero uas istud inscalptum erat atque caelatum naualibus proeliis quae Xerxes apud Peloponensum militauerat. Erat inter illa caelamina et sella regalis scalpta insertaque operi ex auro, stellata lapidi(1260)bus et ex pretio insignis. Impendebat autem etiam sellam istam uertigo quaedam ad modum mundi figurata, quam ipsam quoque responsa sub praesentia regii spiritus dare omnes pariter adserebant. Propter uero eam est sita lyrae facies ex arte eiusmodi ut nihil demutet ab ea lyra quae sit canora ; (1265) sic ista etiam ad canendum uti solet : nam et sponte plerumque spiritu tactam canere hanc lyram nouerant. Et iuxtim uiseres ueluti thecam poculorum sedecim cubitis erectam supraque eam thecam congestam effigiem altitudinis per cubita octoginta una cum gradibus octoginta. Ibi demum (1270) et fons fictus est et aquila aurea supersistebat adeo effigiata daedale ut pansis alis omnem illius operis ambitum tegeret. Namque et arbores scalptae et myrti quaedam ramosae ibidem notabantur, omnis istae de auro. Multa praeterea illic fuere quae, quoniam neque abundantiae suae neque magni(1275)tudinis pretiiue facile offenderint fidem, censeo praetermittenda. Nunc uale. » 30. His scriptis cum a Babylonia iret Alexander, mirum portentum atque euidens ad exitium fuit. Nuntiata quippe est mulier fetum eiusmodi peperisse cuius prior[is] corporis pars (1280) pube tenus ad hominem congruebat, enimuero quae insecuta corporis erant omnia beluina prorsusque qualem Scyllam homines fabulantur, nisi hoc uno diuerterat : non enim caninis rictibus lupinisue, enim leoninis atque pardorum, suum etiam uel ursorum omnem inguinis ambitum texerat, spiran(1285)tibus etiam bestiis, sed pars superna humanaque emortua iam et colore atro cum desitu spiritus uisebatur. Id monstri ubi mulier quae feta fuerat enixa est, statim ipsa intectum ad regem detulit Alexandroque habere mirum, quod ostenderet, praeindicauit. Igitur ingressus qui regi miraculum nuntiaret, (1290) offendit eum in cubiculo meridiano somno tunc deditum. Sed ad strepitum irrumpentis cum expergitus foret audissetque causam, mulierem induci iubet. Ingressa igitur statim facessere uniuersos e praesenti mulier edicit, ipsa uero reuelat nudatque quod uexerat profiteturque sese peperisse. Ergo ad (1295) miraculum uisionis eiusmodi iubet statim Alexander prodigiorum interpretes conuenire ac profiteri ecquid eiusmodi nouitas minaretur interminaturque quam sancte, nisi ex fide dixerint. Vnus igitur e praesentibus

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    le danger qu’il y aurait à le voler. Bien d’autres chefs-d’œuvre s’offraient donc encore à nous, parmi lesquels un cratère d’argent d’une capacité atteignant trois cent soixante amphores. Voici comment nous avons réussi à mesurer cette capacité. Un jour de sacrifice, il y eut foule au banquet qui était donné ; or pour ledit banquet ce furent autant d’amphores qui, à l’évidence, remplirent le vase. Cependant le sculpteur y avait ciselé les combats navals de la campagne de Xerxès dans le Péloponnèse435. Sculpté au milieu des ciselures, il y avait aussi un trône royal, serti d’une armature d’or et constellé de pierres précieuses, qui se distinguait par sa valeur ; mais, en outre, ce trône, suspendu à un système rotatif, en quelque manière, à l’image du monde, donnait lui aussi, de l’avis unanime, des oracles sous l’action du souffle royal436. À côté se trouvait représentée une lyre d’une si bonne facture que rien ne la différenciait d’une lyre chantante ; telle qu’elle était, on avait l’habitude de s’en servir pour le chant, car, d’elle-même, en général, cette lyre, on le savait, chantait au contact du souffle437. À proximité, tu pouvais voir une sorte de dressoir pour les coupes, haut de seize coudées et, au-dessus de celui-ci, s’élevant sur quatre-vingts coudées, un conglomérat figuré comportant quatre-vingts gradins438. Enfin, au sommet, outre la sculpture de la Source439, un aigle d’or avait été modelé avec tant d’art que ses ailes ouvertes couvraient entièrement les contours de l’ouvrage. Le fait est qu’on remarquait là et des arbres sculptés et comme des branches de myrte, le tout en or. Et beaucoup d’autres choses encore, mais parce que leur abondance, leur taille, leur prix ne rencontrent pas facilement créance, je suis d’avis de les passer sous silence440. Et maintenant, adieu. » 30. Cette lettre écrite, Alexandre quittait Babylone441, quand se produisit un présage étonnant, clairement relatif à sa perte442 : une femme, annonçait-on, avait mis au monde une progéniture dont la partie supérieure, jusqu’à l’aine, correspondait à un corps d’homme, mais tout ce qui suivait était d’une bête, ressemblant parfaitement à la Scylla de la fable, à une différence près : partout, autour du bas-ventre, des gueules béantes la recouvraient ; il s’agissait non pas de chiens ou de loups, mais de lions, de léopards, ou même de porcs ou d’ours. Ces fauves respiraient même, alors qu’en haut la forme humaine était déjà bien morte et que visiblement l’arrêt de la respiration la colorait de sombre443. Dès que cette femme enceinte avait accouché, d’elle-même elle avait aussitôt sous une couverture apporté la monstruosité au roi, en prévenant Alexandre qu’elle avait une chose extraordinaire à lui montrer. Le messager chargé d’annoncer le prodige, à son entrée dans la chambre, trouva le roi livré pour l’heure au sommeil de la sieste. Mais le bruit de l’arrivée précipitée le réveilla. En ayant appris la cause, il fait introduire la femme. Celle-ci entre et immédiatement commande à tout le monde de s’en aller à présent ; restée seule, elle découvre à nu ce qu’elle transportait, reconnaissant en avoir accouché. Sur le champ, en conséquence, Alexandre convoque une réunion des experts en prodiges  : ils devaient se prononcer sur le caractère menaçant de cet événement extraordinaire. Au cas où ils ne parleraient pas avec sincérité, lui, de brandir les menaces les plus sacrées. Un des présents prit donc à part le roi et lui dit avec de grands

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    magno cum gemitu regi separato : « Eheu », inquit, « malorum omnium, eheu, mi rex ! (1300) Non enim iam bonis neque inter uiuos homines ultra nominabere. » Sed cur ista sentiret interpres cum rex diligentius quaereret, haec addit : « O quid enim », inquit, « o uir summe, quidquid ex homine fetus hic habet ad te pertinet, quod uero est subter atque beluile quicumque tibi subditi (1305) sunt et subiecti. Si igitur ea pars quae superna est uiueret et motaretur, sicuti haec quae infra sunt faciunt, tu sane obtineres ac dominarere cunctorum. Sed quoniam secus est, in contrarium intellegendum, nisi quod hi quoque ipsi dissidebunt neque congruent ; uides enim dispares formas neque in(1310)ter se amicas ac prorsus beluile saeuientes. Atque hi quidem inter se omnes te oppetente dissentient dimicabuntque. » His dictis interpres exierat auersurus scilicet, si qua posset, et exusturus religiosius portenti illius minas. Alexander uero animo consternatus cum gemitu sic ait : « Pro bone Iuppiter, (1315) quam bona res est ignoratio metuendorum ! » Sed hactenus illa animi commotio fuit. Ceteroqui uiriliter et decore omnem exspectatae mortis impetum o

    periebatur, quippe qui praeter cetera eo quoque se solatur quod diuinis honoribus haud procul foret. 31. (1320) Ergo occasio illi moriendi talis fuit. Mater eius ad eum scripserat super Antipatri et Diuinopatris simultatibus petebatque uti ob id ipsum ad Epirum ire contenderet. Sed enim Alexander cum id uirorum iurgium diduci uellet, statuit Antipatrum ad sese uenire ex Macedonia alio in locum eius (1325) substituto. Quod ubi factum est, uenenum Antipater elaborat curiosum admodum efficaxque idque per ministrum regi dari in conuiuio exegit poto. Igitur rex mox lectulo datur ac diebus complusculis cum illa pernicie colluctatus tandem causam eiusdem periculi esse ab Antipatro cognouit. Id inse(1330)cuta est quaedam ueluti indignationis caelitis ostentatio. Nebula quippe admodum crassa foedaque interfusa omni aeri sudo die cuncta in tenebras uerterat. Tum repente e nubibus draconis effigies ignitissima caelitus labitur mare usque unaque cum illo prestere aquilae species uolabat. Quod ubi fac(1335)tum est, Iouis quoque Babylonii simulacrum motari coepit. Et hisce factis rursus draco una cum aquila sua ad caeli conuexa remeauit, aquila sane uehens stellae cuiusdam fulgidum globum. Quod ubi homines uisitauere, ueluti praenuntiante diuinitate quod gerebatur, Alexander quoque spiritu protinus (1340) uacuatur ac moritur. 34. Persis tamen multa contentio erat cupientibus regem in regno Persico sepelire proque deo Mithra re

  • gionibus consecrare. Enimuero Macedones ad Macedoniam corpus indidem ferri et solo patrio sepulchrisque maiorum inferen(1345)dum putant. Tum Ptolomaeus, quod enim sciret apud Babylona Iouis oraculum esse ueridicum, in eius dei sententiam differt perinde ut iusserit consulturus ; deusque interrogatus sic ait :

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    gémissements : « Hélas ! mon roi, hélas ! c’est le signe de tous les malheurs. Tu ne pourras plus des bonheurs et désormais tu ne seras plus mentionné parmi les vivants.  » Le roi s’empressant de questionner l’interprète sur ce qui fondait ce sentiment, l’autre ajoute : « Oh ! pourquoi, Ta Sublimité ? Mais, tout ce que ce fœtus a d’humain te concerne ! Le bas, en revanche, ce qui est bestial, c’est l’ensemble des sujets sous ta dépendance. Si donc la partie d’en haut vivait et bougeait, comme le font les éléments inférieurs, bien sûr, tu les tiendrais solidement et serais leur maître à tous. Puisqu’il en est autrement, on doit comprendre en sens inverse, à moins qu’eux-mêmes ne se divisent et ne rompent leur accord, car tu vois des conformations dissemblables qui, privées d’amitié réciproque, enragent vraiment comme des bêtes. À ta mort, tous, entre eux d’un avis opposé, se feront la guerre. » Sur ces mots, l’interprète était sorti pour écarter, s’il y avait un moyen, les menaces du monstre et le détruire par une incinération dans les règles. L’âme abattue, Alexandre gémissait : « Ah ! bienveillant Jupiter ! quelle bonne chose que d’ignorer ce qu’on doit craindre ! »444 Cependant, le bouleversement de son esprit s’arrêta là. Dorénavant avec courage et dignité il attendait tous les assauts d’une mort escomptée : outre le reste, il avait la consolation de s’approcher des honneurs divins. 31. Les circonstances de sa mort furent donc les suivantes. Sa mère lui avait relaté la mésentente entre Antipater et celle qu’il maltraitait445 ; pour cette raison, elle demandait à partir rapidement pour l’épire. Mais désireux de rompre ces querelles de personnes, Alexandre décide de faire venir Antipater depuis la Macédoine, tandis qu’un autre lui serait substitué dans la place. Sur ce, Antipater fabrique un poison très élaboré et puissant en exigeant que, par l’intermédiaire d’un serviteur, il soit donné au roi au cours d’un festin, quand celui-ci serait ivre. Bientôt donc le roi s’agite et, au bout de quelques jours de lutte avec ce qui le mine ainsi, il finit par comprendre qu’Antipater était la cause de cette situation critique. Il s’ensuivit comme une manifestation du courroux céleste446, car un brouillard fort épais et repoussant se répandit dans la totalité de l’atmosphère, tournant partout en ténèbres la sérénité du jour. Soudain, hors des nuages se glissa du ciel jusqu’à la mer la figure embrasée d’un serpent, et cette colonne de feu s’accompagnait de ce qui ressemblait au vol d’un aigle. Aussitôt à Babylone, la statue de Jupiter à son tour commença à trembler et, cela fait, le serpent et l’aigle regagnèrent leurs voûtes célestes. L’aigle, à n’en pas douter, transportait le globe flamboyant d’une étoile447. Dès que les gens l’aperçurent, comme si la divinité annonçait l’événement, simultanément, Alexandre rend son dernier souffle et meurt. 34.448 Un conflit prenait de l’importance : les Perses désiraient ensevelir le roi dans le royaume de Perse et le sacraliser rituellement en qualité de dieu Mithra449  ; au contraire, les Macédoniens pensent transférer le corps en Macédoine et qu’il doit sur le sol de sa patrie être porté dans le sépulcre de ses ancêtres. Alors Ptolémée, parce qu’il savait qu’à Babylone l’oracle de Jupiter disait la vérité450, atermoie jusqu’à l’avis de la divinité, avec l’intention de décider selon ses ordres. Interrogé, le dieu répond : 211

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    « Accipe quae regis sedes cultusque dicetur : (1350) urbs colitur Nili propter umbrosa fluenta, aequoris in gremio, cereali diues anona, nomine Amazonidos quae dicitur inclita Memphis. Hic sibi templa dari sacrata sede recepto iussit cornigeri genitus sub honore Lyaei. » (1355) Dato igitur hoc responso nullus omnium refragatus est quin ita fieret ut deus iusserat. Igitur in Aegyptum corpus Alexandri ferebatur feretro quidem regaliter exornato, tumultuario uero conditorio e plumbi materia, quoque esset unguinibus atque pigmentis quae seruandis corporibus sunt (1360) tutius permanere. Vectus igitur pompa uehiculoque regali ad Pelusium aduehi nuntiatus est, omnes eiusce regionis proceres ac sacerdotes una cum diis ac re
  • gionibus suis obuiam processere iuniorem Sesonchosim uenerat. Vulcani quoque eum appellatione salutabant, quod hunc (1365) prae ceteros deum illa pars arbitraretur orientis. Enimuero exim ex sententia numinum prophetes docet non apud Memphim sacrum corpus, uerum Alexandriam peruehi oportere, quod illi loco et auctor conditus fuerit et tutela uel maxima perpetuo futura nosceretur. Perinde enim (1370) inexpugnabilem locum illum praesagiis nosci ut ipse quoque indefessae uirtutis est habitus. Erigitur ergo aedes quam maximo opere ad instar templi, quod etiam nunc Alexandri nominatur. 33. Quo ubi primum consecratas reliquias intulere, uisum (1375) Ptolomaeo est testamentum quoque, quod scripserat moriens, publice recitari idque lectum est ferme ad hanc sententiam scriptum : «  Alexander, rex Macedonum, dicit. Primum mando iubeoque Aristaeum, Philippi filium, interim regni mei fieri suc(1380)cessorem. Sed enim si fuerit mini filius e Roxane, huic nomen et regnum nostrum pariter concedendum. Quod si e Roxane puella edetur, sit Macedonum optio quemnam sibi regem ipsi substituant. Optatus porro constitutusque rex Argiadum ueterem principatum seruare debebit. Hisce Macedo(1385)nes consueta dependent. Olympiadi autem, matri meae, si ita uolet, licebit Rhodi degere uel in eo quem malebit loco, accipienti cuncta haec quae me superstite consequebatur. Praefectum autem Macedoniae Craterum fieri mando eique Philippi filiam coniugari. Philotam etiam iubeo satrapiae (1390) praeesse Hellesponticae uniuersae uxoremque ei fieri Olci sororem. Cappadociam quoque uel Paphlagoniam Eumeni regendam permitti placet. Eos uero qui in insulis sunt liberos suique iuris esse praecipio. Antigonus Cariae praesit Casanderque Boeotiae eisque omnibus praeesse Antipatrum (1395) oportebit. Yton Syriae rector esto, Babyloniae uero et

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    « Apprends ce qui sera dit la demeure du roi et de son culte. Près des rives ombragées du Nil est habitée une ville Au sein de la plaine, riche chaque année de son blé ; Du nom d’une Amazone, elle s’appelle l’illustre Memphis. D’y recevoir des temples, accueilli en cette demeure consacrée, Il a donné l’ordre, lui qui naquit sous les auspices de Lyaeus, le cornu. »451 L’oracle rendu, absolument personne ne fit obstacle à l’exécution des ordres divins. Et donc le corps d’Alexandre était transporté en égypte sur une civière royalement parée, mais dans un cercueil provisoire en plomb et, afin d’assurer la durée, avec les onguents et les fards utilisés pour la conservation des corps452. À l’annonce que, processionnellement véhiculée sur le char royal, la dépouille arrivait à Péluse, unanimes, notables locaux et prêtres avec dieux et objets de culte s’avancèrent à sa rencontre, remplis de respect pour le nouveau Sésonchosis. lls le saluaient aussi du nom de Vulcain, parce que cette partie de l’Orient répute ce dieu supérieur à tous les autres453. Néanmoins, par la suite, sous une inspiration divine, un prophète enseigne que le corps saint doit être porté non à Memphis, mais jusqu’à Alexandrie, parce que cet endroit avait eu Alexandre à l’origine de sa fondation et que, on le savait, il serait à jamais et au plus haut point sous sa protection ; car, autant lui-même avait été considéré d’une inlassable énergie, autant les présages faisaient savoir que le lieu serait inexpugnable454. Se dresse donc un édifice qui par l’extrême ampleur des travaux s’apparente à un temple : encore aujourd’hui il s’appelle le temple d’Alexandre455. 33. Après qu’y eurent été amenés les restes sacralisés, Ptolémée décida aussi la proclamation en public du testament qu’Alexandre avait rédigé au moment de mourir. Fut donc lu un texte sensiblement de cette teneur : « Alexandre, roi des Macédoniens, parle. Pour commencer, je commande et ordonne qu’Aristée, fils de Philippe, soit pour le moment établi le successeur dans mon royaume. Mais, si j’ai un fils de Roxane, il faudra, d’une façon identique, lui concéder ce titre et notre royaume. Que si Roxane met au monde une fille, ce sera aux Macédoniens de se choisir un roi en substitution. Mais celui qu’ils auront élu et constitué roi devra respecter l’antique dynastie des Argéades et à ceux-ci les Macédoniens paieront ce qui est d’usage456. Olympias, ma mère, aura, si elle le désire, le droit de vivre à Rhodes ou bien ailleurs à sa préférence, en recevant tout ce qu’elle obtenait de mon vivant. Je commande que Cratérus devienne le préfet de la Macédoine et que la fille de Philippe l’épouse457. J’ordonne de même que Philotas soit placé à la tête de la satrapie de l’Hellespont tout entière et qu’il prenne pour femme la sœur d’Olcias458. Il me plaît aussi de concéder à Eumène le gouvernement de la Cappadoce et de la Paphlagonie. Je prescris la liberté et l’autonomie pour les insulaires459. Il conviendra qu’Antigone soit en tête de la Carie, Cassandre de la Béotie, Antipater d’eux tous460. Qu’Yton dirige la Syrie461. Je prépose Séleucus à la Babylonie et aux territoires voisins462.

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    adiacentium regionum praeficio Seleucum. Phoenicen ac Syriam Coelen Meleagro regendam permitti decreui, Aegyptum Perdiccae, Libyam Ptolomaeo, cui etiam Cleopatram coniugari oportebit, sororem meam. Regionum porro quae supra Baby(1400)loniam sunt curam Phanocrati permitti praecepi eique uxorem Roxanen Bactranam dari. His igitur omnibus mando repositorium corpori meo fieri auri magno talentorum sex. Quisque autem Macedonum Thessalorumue prouectior sit aetate atque ad solum genitale uoluerit ire, his fieri facul(1405)tatem, quibus singulis tria milia drachmarum adnumerari conueniet. Argos autem mitti arma quibus ipse usus sum et auri signati drachmas quinquaginta eaque Herculi consecrari uolo. Delphos quoque mitti praecepi eboris quod in aula mea fuit draconumque terga et pateras aureas tredecim, (1410) primitias scilicet operum nostrorum. Milesiis etiam ad reformationem oppidi sui dari praecipio auri signati drachmas centum et quinquaginta tantumdemque auri materiae. Volo autem Perdiccam, quem Aegypto imperatorem atque Alexandriae esse iussi, sic uti imperio mandato ne nomen meum (1415) ex oppido transferatur, quae quidem etiam maximi deorum Sarapis est sententia. Fieri porro annuum oppidi sacerdotem qui sacerdos Alexandri nominetur eique insignia dari placet coronam auream et purpureum amictum. Is ubi functus fuerit sacerdotio, omni reliquo munere uel inquietudine sit so(1420)lutus. Sed quisque id sacerdotium nanciscitur sit et genere nobilis et existimatione, uti sibi dignitas una cum posteris et ista proficiat. Indicae regionis eiusque tractus qui ad Hydapim fluuium pergit T[r]axiaden mando esse praefectum. Adiacentium uero regionum Apoctronum, Roxanes patruum, (1425) uxoris meae, rectorem constitui placet. racusiam uero regionem et Bactrianam et Su[i]siam Philippo remitto, Hyrcaniam Artaphernae, Persida Peucestae. Illyriae uero praeficio Olciam, cui quidem ex Asia dari oportebit quingentos equos et auri drachmarum tria milia e quibus tem(1430)plum constituat eique templo simulacrum Herculis et Ammonis consecretur, Mineruae etiam et Olympiadis, matris meae, nec non etiam Philippi. Omnes etiam curatores imperii imagines consecrent et signa constituant, aurea quidem apud Delphos, ceteris uero in locis materiae diuersae. Consti(1435)tui autem effigies oportebit Perdiccae Alexandri, Ammonis, Mineruae, Olympiadis, Herculis, Philippi, quae omnes diuinis honoribus consecrabuntur.  » Et haec quidem summa uoluntatis Alexandri est accepta. 35. Vixit autem annos triginta et tres, sed imperium iniit (1440) annum agens octauum decimum. Omnes etiam difficultates eius usque ad annos uiginti et quinque fuere, reliqua in pace transegit. Gentes barbaras dicioni suae subiecit numero uiginti et duas, Graecas uero sedecim. [Victor totiens, quot bellator, nullo proelio inuulneratus] Sed ciuitates condidit duo(1445) decim, omnes nomine suo scilicet nuncupatas, quae sunt hae : Alexandria quae condita est nomine Bucephali equi, Alexandria montuosa, Alexandria apud Porum, Alexandria in Scythia, Alexandria Babylonis, Alexandria apud 214

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    J’ai décidé de laisser Méléagre gouverner la Phénicie et la Syrie Creuse, Perdiccas l’Égypte, Ptolémée la Libye463, ce dernier ayant également à épouser Cléopâtre, ma sœur. Quant aux régions au-delà de Babylone, j’ai prescrit d’en remettre le soin à Phanocratès et de lui donner comme femme Roxane, la Bactrienne464. À tous donc je commande de faire à mon corps un tombeau de six grands talents d’or465. À ceux de Macédoine ou de Thessalie qui, avancés en âge, voudront s’en retourner sur le sol natal, faculté en sera faite et il sera convenable de compter à chacun trois mille drachmes. Ma volonté est qu’avec cinquante drachmes frappées en or mes armes soient envoyées en Argos et consacrées à Hercule466. J’ai prescrit pareillement l’envoi à Delphes de l’ivoire qui était dans mon palais, des peaux de serpent et de treize patères d’or, les prémices, à coup sûr, de nos chefs-d’œuvre467. Ajoutez les Milésiens auxquels je prescris de donner pour la restauration de leur cité cent cinquante drachmes frappées en or et autant en or brut. Perdiccas, que mes ordres ont institué prince d’égypte et d’Alexandrie, doit, je le veux, user du principat qui lui est ainsi confié pour que mon nom ne soit pas transféré hors de la cité, puisque c’est de même la décision de Sérapis, le plus grand des dieux. De plus, que chaque année soit créé un prêtre de la cité, appelé prêtre d’Alexandre, et il me plaît qu’on lui attribue pour insignes une couronne d’or et la robe de pourpre ; qu’au terme de ses fonctions sacerdotales, il soit exonéré de toute autre charge ou préoccupation. Mais aux détenteurs de cette prêtrise il importe d’être nobles de naissance et de réputation, en sorte qu’à son tour cette dignité les serve, eux et leur descendance468. Les terres indiennes et les étendues qui atteignent le fleuve Hydaspe formeront – tel est mon commandement – la préfecture de Taxiadès469. Mon bon plaisir constitue Apoctronus, l’oncle de ma femme Roxane, gouverneur des régions adjacentes. Je remets les pays d’Arachosie, de Bactriane et de Susiane470 à Philippe, celui d’Hyrcanie à Artaphernès, celui de Perside à Peuceste. Je place Olcias à la tête de l’Illyrie ; à ce dernier il faudra accorder, pris sur l’Asie, cinq cents chevaux et trois mille drachmes d’or ; avec celles-ci, il édifiera un temple et pour ce temple consacrera des statues d’Hercule et d’Ammon, sans oublier Minerve, ma mère Olympias, ni non plus Philippe. Que tous les responsables de l’Empire, les ayant consacrés, mettent également en place ces représentations et portraits, en or à Delphes, ailleurs en différents matériaux. Perdiccas, pour sa part, aura à placer les effigies d’Alexandre, Ammon, Minerve, Olympias, Hercule, Philippe qui, toutes seront consacrées par les honneurs qu’on rend aux dieux. »471 Voilà, pour l’essentiel, ce qui fut connu des volontés d’Alexandre472. 35. Il vécut trente-trois ans, en ayant accédé au commandement dans sa dix-huitième année. Il eut toutes ses difficultés jusqu’à vingt-cinq ans et passa en paix le reste de sa vie. Il soumit à sa domination un total de vingt-deux peuples barbares et de seize parmi les Grecs. En revanche, il fonda douze cités473, toutes dénommées, bien sûr, de son nom, à savoir  : l’Alexandrie fondée en l’honneur du cheval Bucéphale, l’Alexandrie-ès-Montagnes, l’Alexandrie de Porus, l’Alexandrie des Scythes, l’Alexandrie de Babylone, l’Alexandrie des

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    Massagetas, Alexandria apud Aegyptum, Alexandria apud Origala, (1450) Alexandria apud Granicum, Alexandria apud Tigridem fluuium, Alexandria apud Troadam, Alexandria apud Xanthum, cui quinque primorum, ut dictum est, elementorum idcirco sunt data nomina ut in hisce elementorum nominibus legeretur : Alexander Imperator Genus Iouis Condidit. (1455) Obitus tamen eius diem etiam nunc Alexandriae sacratissimum habent.

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    Massagètes, l’Alexandrie d’Origal, l’Alexandrie du Granique, l’Alexandrie-surle-Tigre, l’Alexandrie de Troade, l’Alexandrie du Xanthe, l’Alexandrie d’Égypte474 à laquelle, on l’a dit, furent affectés les noms des cinq premières lettres, si bien que sous ces noms correspondant aux lettres se lisait : « Fondée par le roi Alexandre, le fils de Jupiter. » Encore aujourd’hui, à Alexandrie, on tient le jour de sa mort pour le plus sacré de tous475.

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    Commentaire Livre I N. B. Très redevable aux travaux de A. Ausfeld, R. Merkelbach, G. Bounoure et B. Serret, C. Jouanno, R. Stoneman (cf. supra n. 3, 5, 23, 111 et 156 de l’Introduction), l’annotation sera centrée sur le texte de Julius Valère et ses différences avec le grec et l’arménien. La numérotation des chapitres date de l’édition princeps de C. Müller, Paris, 1846, et celle-ci n’hésite pas à mélanger les recensions. 1) Amm. XXII, 16, 20 : « Les Égyptiens, bien avant les autres, ont découvert, dit-on, le berceau des diverses religions » ; Expositio totius mundi et gentium, Sources chrétiennes 124, Paris, 1966, éd. J. Rougé (datable de 355-359), XXXIV, p. 169 : « Plus que le reste du monde l’Égypte possède en abondance des sages » ; Histoire Auguste, Quadr. Tyr. VII, 4 : « Les Égyptiens sont astrologues, haruspices, médecins. » – Les trois premiers paragraphes, en caractères italiques, sont empruntés à l’epitoma Zacheriana (Z), car ils n’ont pu être lus sur le manuscrit de Turin ; les lignes 11-12 et 36-38 (ainsi qu’ultérieurement 251-253) ont été récupérées grâce à un abrégé d’Oxford ayant eu accès au texte initial. Pour cette partie, une comparaison avec le grec et l’arménien est donc sans objet, bien que, d’une façon à remarquer, le mot latin exploratorum ait été translittéré et traduit (2, 1, 3 = § 2). 2) B. E. Perry, « The Egyptian Legend of Nectanebo », Trans. of the Amer. Philol. Assoc . 97, 1966, p. 327-333. Dernier Pharaon de la XXXe dynastie (360-343), Nectanébo avait résisté à une première attaque d’Artaxerxès Ochus en 350. Ici accoutré en prêtre, il s’était, dans la réalité historique, enfui en Nubie, treize ans avant la naissance d’Alexandre. 3) F. Cunen, La lécanomancie grecque, ses origines et son développement, Liège, 1957. Sans l’action magique, les figurines de cire auraient dû surnager. 4) La mention des Alains doit être prise avec prudence, parce que le texte ne provient qu’indirectement de Julius Valère. En soi, l’information ne contredirait pas la datation que nous suggérons pour les Res gestae, cf. A. Lippold, Kommentar zur Historia Augusta, I, Maximini duo, Bonn, 1991, p. 48, 338-339 et 678-680, les Alains réapparaissant, en compagnie des Indiens, des Arabes, des Hibères et des Perses, dans la biographie d’Aurélien, en 33, 4. – Pour les Cauchônes, cf. Rhein. Mus. 66, 1911, p. 459 (F. Pfister) qui cite Strab. XII, 3, 5 : peuple du Pont, entre Héraclée et Amastris – Les Agriophages et les Eunomites appartiennent à la zone éthiopienne, cf. Plin. VI, 35, 184 et 195. 5) Cf. supra n. 188 de l’Introduction. 6) Sur la table du zodiaque où est également signalé l’horoscope, au sens d’ascendant, Nectanébo place des jetons personnalisés par des minéraux analogiques (liste de pierres planétaires dans un traité d’astrologie qui, prétendument adressé par Salomon à son fils Roboam, remonte au Ier s. de notre ère, cf. Les Lapidaires grecs, éd. R. Halleux et J. Schamp, Paris, 1985, p. xxix, n. 3).Voir aussi M. Papathanassiou, « Historia Alexandri Magni : Astronomy, astrology and tradition », Dial. d’Hist. Anc. 25, 1999, p. 113-126. 7) Dès sa rencontre avec Olympias, Nectanébo est un vrai personnage ésopique, à la fois sensé et licencieux  : d’un côté, par l’hérédité biologique, il assure le droit d’Alexandre à régner sur l’Égypte, ce qui essentiel dans la perspective alexandrine de l’ouvrage, de l’autre, il voisine avec l’Anubis moechus, ce mime qui exploite la célèbre aventure de Pauline abusée par Mundus sous les traits du dieu égyptien, cf. Jos. AJ XVIII, 65 et Tert. Apolog. XV, 171-174.

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    8) Julius Valère a confondu ποταμός et ποταπός, doublet de l’adjectif interrogatif de qualité. L’erreur a pu être facilitée à cause des cornes qui dans l’iconographie romaine sont les attributs des dieux fleuves 9) Sur un modèle réduit de substitution le suc versé à la lueur des lampes provoque le rêve et la transmission de pensée. 10) Nectanébo a renoncé, par habileté, à sa fierté d’ancien souverain ; Olympias, elle, se dit prête à traiter en roi cet inconnu qui, par son intercession, aura mérité de recevoir l’affection due au père. 11) Le serpent précède le dieu ; il n’en est pas la forme première. 12) Détail propre aux Res gestae (chez Plutarque, Al. 3, 2, c’est Philippe le voyeur et il aurait perdu un œil). 13) Observation identique (selon une interprétation rationalisante rapportée par le même Plutarque, ibid. 2, 5, Olympias était, au contraire, habituée, dans les thiases orphiques, à attirer sur elle des serpents apprivoisés). 14) Identité du sceptre et de la baguette magique, cf. supra n. 8 de l’Intro­ duction. 15) Le texte des Res gestae, soulignant le plaisir de la femme, est d’une rare modernité. 16) Cette réflexion de Nectanébo, propre à Julius Valère, est reprise, bon gré mal gré, par Philippe infra 9, 215-216. 17) J. Yoyotte, « Nectanébo II comme faucon divin » Kémi 15, 1959, p. 70-74 ; une photographie hors texte de l’édition Stoneman reproduit une statue du Metropolitan Museum représentant le Nectanébo historique debout entre les pattes d’un gigantesque faucon protecteur. Le latin sacrum traduit le grec ἅγιον au lieu de πελάγιον. 18) On connaît dans la numismatique de Caracalla le lion radié portant un foudre dans sa gueule, cf. RIC, IV, 1, 273d, en 215 (sur le chaton, ici, les protome sont affrontées). Plutarque, Al. 2, 4 et Tertullien, Anim. 46, n’indiquent qu’un lion sur l’anneau qui est celui de Philippe. 19) Explication avec emploi du mot technique. 20) Sur l’or, métal royal, cf. infra II, 21, 1065-1066. 21) La légende Oriens Aug. date de l’ouverture de l’atelier d’Antioche sous Gordien III, mais Hadrien, au début de son règne, avait signé du mot Oriens le buste du Soleil. Entre-temps, Caracalla et Élagabal proposèrent des types solaires, sans y joindre une devise explicite, cf. J.-P. Callu, « À la frange de l’histoire : cinq textes ou paratextes de l’Antiquité Tardive », Num. e Ant. Class., Quad. Ticinesi 26, 1997, p. 379-384 et St. Berrens, « Sonnenkult und Kaisertum von den Severern bis zu Constantin I. (193-337 n. Chr.) », Historia Einzelschriften 165, Stuttgart, 2004, p. 49. 22) Nectanébo ne se cachait pas dans le Palais. 23) Le serpent de précurseur est devenu protagoniste. 24) Le geste correspond parfaitement au revers de Béroé (Olympias sur trône) et à celui des contorniates (Olympias sur lit), cf. L. Cracco Ruggini, art. cit supra n. 20 de l’Introduction, p. 14, n. 25 et A. et E. Alföldi, ibid., n. 135, 1, 1976, pl. 1, n°1-2, 4-11 et 2, 1990, p. 109-111, pl. 245, 4. 25) La métamorphose de Nectanébo en aigle fait ici de Philippe un exégète de l’interprétation syncrétiste. 26) Duplication erronée de qua aues en pauens. 27) Vu la nature ophidienne de Nectanébo-Ammon, il est attendu qu’Alexandre soit le serpenteau sortant de l’œuf à la rotondité symbolique ( avec le jeu de mots supplémentaire ὠόν/ὑιόν). 28) Sur Antiphon, cf. Xen. Mem. 1, 6 et Diog. Laert. II, 46.

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    29) Chaise de parturiente, cf. Soranos, Traité des maladies des femmes, Paris, 1990, éd. P. Burguière, D. Gourevitch et Y. Mainas, II, 1 : époque de Trajan-Hadrien. 30) Á la différence du grec, où, des données zodiacales, M. Papathanassiou (cf. supra n. 6) croit pouvoir déduire le thème astral d’un individu né dans la nuit du 2 au 3 novembre 149 de notre ère, le latin écarte l’analyse technique. La caractérisation sociale est dans l’esprit de la Mathesis écrite par Firmicus Maternus en 337, cf. R. Mac Mullen, « Social History in Astrology », Anc. Soc. 2, 1971, p. 105-116. 31) Orchestration de la sympathie de l’univers, provoquée par le contact du corps avec la terre. Chez Plutarque, Al. 2, 3, la nuit précédant la conception, Olympias rêve que « la foudre lui était tombée dans le ventre et que du coup il s’était allumé un grand feu, lequel vint à se dissoudre en plusieurs flammes qui se répandirent partout » (trad. Amyot). 32) Hommages attestés sous Ptolémée V Épiphane (210-184), cf. U. Wilcken, Ostraka I, Leipzig-Berlin, 1899, p. 295 ; mais l’or coronaire est aussi une réalité du IVe s., cf. R. Delmaire, Largesses sacrées et Res privata, Rome, 1989, p. 387-400. 33) Bien que la comparaison répétée avec un lion établisse un rapport avec Philippe, cf. supra n. 18, Alexandre ne ressemble ni au roi ni au dieu Ammon mais à Nectanébo à qui il doit sa chevelure subcrispa 34) Cette asymétrie, ignorée de Plutarque et de l’Itinéraire, mêlerait dans une tradition égyptienne les idées de jeunesse et de préservation éternelle : « le vert teinte parfois le noir Osiris », cf. Dictionnaire des symboles, éd. J. Chevalier et A. Gheerbrant, Paris,1993, p. 296. 35) Regiae disciplinae (323) ne double pas regalius (310) : en sus de sa reconnaissance comme héritier légitime, Alexandre reçoit un apprentissage du métier de roi, cf. infra 16, 489 : nostri curam regiam. 36) La parenté de sa nourrice avec Clitus le Noir est passée sous silence par Julius Valère. 37) En A, Aristomène d’Athènes est substitué à Anaximène de Lampsaque, homonyme d’un célèbre philosophe de Milet, d’où la bévue, commune à la recension α, qui ricoche sur Aristote le Stagirite. 38) Une lettre de Philippe confiant à Aristote l’éducation de son nouveau-né est rapportée par Aulu Gelle, NA IX, 3, 4-6. 39) Cf. supra n. 149-152 de l’Introduction ; A n’a pas enregistré la liste de Favorinus et ne le cite donc pas. 40) Julius Valère est inconséquent en insérant, même à grands traits, l’ascendance de Philippe, qui n’est que le père putatif d’Alexandre. À l’inverse, la filiation maternelle est justifiée et, à propos d’Achille, sera précisée infra en I, 1449-1474. L’interpolation de Favorinus s’achève par la phrase : igitur Alexandrum mens recurrat. 41) Julius Valère tire le combat vers la déclamation pro et contra, toujours si vivante au IVe s., ce qui annonce la joute oratoire du début du Livre II. 42) Allusion homérique, Il. XXIII, 348 ; chez Diodore XVII, 76, 6, le cheval est corinthien, chez Pline, VIII, 64, 154 et Plutarque, Al. 6, 1, thessalien, en A, cappadocien. – beluile, cf. CGL II, 29, 6. – collimitant : même pensée et même métaphore ἀγχίθυροι chez Greg. Naz., Or. 43, 64. 43) Topique de l’astrologue qui tombe dans un puits, cf. Platon, Theet. 174a (à propos de Thalès) et fable 40 d’Ésope. 44) Cette antithèse, partagée avec l’arménien (Arm), justifie l’inclusion du conte de Nectanébo (meurtre y compris) et renforce la nécessité du destin égyptien d’Alexandre. 45) Plutarque, Al. 3, 1, situe la consultation de l’oracle de Delphes avant la naissance d’Alexandre. La première explication du nom Bucéphale est reçue par Aulu-Gelle,

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    NA V, 2, 1, la seconde correspond au tatouage des chevaux bien attesté, en particulier, par l’iconographie de l’Antiquité Tardive. 46) La référence à Hercule, ancêtre de la dynastie macédonienne, vient aussi de ce que le demi-dieu avait dompté les cavales de Diomède, mangeuses d’hommes, cf. Diodor. IV, 15, 3-4. 47) Dans l’Éthique à Nicomaque IV, 2, Aristote avait défini la vertu royale de munificence que pratiquera la dynastie constantinienne. Sur le versant opposé, Cicéron, De officiis II, 15, 53, tirait déjà d’une lettre de Philippe à Alexandre la condamnation des largesses qui corrompent. 48) Chez Plutarque, Al. 6, 6, qui n’introduit pas Ptolémée, le fils naturel de Philippe (surnom de Sôtêr sur les monnaies de Ptolémée II à partir de 263-262, en désaccord avec III, 19, 673, cf. infra n. 360)), le cheval avait peur de son ombre, tandis qu’ici il se transforme en une sorte de chien jappant, sous l’effet de la proximité et de la voix d’Alexandre. 49) Ce dressage annonce logiquement les prouesses de l’aurige (hac atque aliter circumducit cf. HA, Maxim. 3, 3 : equum admisit multis circumitionibus). 50) Contradiction avec Plutarque, Al. 4, 10 : « Comme quelques-uns lui demandassent un jour s’il se voudrait point présenter à la fête des Jeux olympiques, pour essayer d’y gagner le prix de la course, parce qu’il était dispos et léger du pied à merveilles : Oui bien, répondit-il, si c’étaient rois qui y courussent » (trad. Amyot). Le Roman ne garde que la fin de la répartie ; il invente une compétition à Pise avec un fils de roi, mais écarte dédaigneusement le sport où Alexandre réussissait le mieux. 51) Première des deux mentions du grand ami d’Alexandre. Le Roman ne dit mot de la bisexualité du héros. 52) Élis, par le Pinarios, accédait à la mer ; plus au sud, la vallée parallèle de l’Alphée menait à Pise et les deux villes s’étaient disputé la haute main sur les Jeux. Si Alexandre avait dû contourner le Péloponnèse, Nicolas venait presqu’en voisin depuis l’Acarnanie, qui, en réalité, était une confédération. 53) Le mot de maiestas est fort, cf. supra 10, 234 et 13, 322. 54) Julius Valère n’indique pas les origines des concurrents, ce qui entraîne variantes et décalages ; il ne s’intéresse pas non plus aux quatre premiers tours. 55) En doublant, Alexandre oblige les chevaux de Nicolas à redresser leur trajectoire, mais le troisième, encadré, répercute mal la manœuvre instinctive du quatrième. 56) Cf. supra n. 139 de l’Introduction ; prédiction fondée sur l’étymologie du nom Nicolas (« vainqueur des peuples »). 57) Lire Attale, oncle de Cléopâtre, cf. Plut. Al. 9, 3 (les rois de Macédoine étaient polygames, comme le sera Alexandre, cf. E. D. Carney, « Olympias », Anc. Soc. 18, 1987, p. 35-62). 58) Plutarque, ibid. attribue la provocation à Attale ; Julius Valère exagère l’apostrophe d’Alexandre, lequel, selon son biographe, se serait seulement écrié : « toi qui te prépares à passer d’Europe en Asie » . 59) Julius Valère et Arm ennoblissent l’épisode par des comparaisons épiques devenues proverbiales, cf. Apul. Met. IV, 8. 60) Dans les faits, cf. Plut. Al. 9, 11, Olympias, accompagnée d’Alexandre, s’exile en Épire et la famille fut réconciliée par Démarate de Corinthe. Toute la négociation du fils est une invention du Roman et le jeu de mots sur Lysias est inopérant, car Cléopâtre resta au Palais jusqu’à la mort de Philippe. 61) Cette ville de Thessalie orientale avait été prise en 355-354 par Philippe, cf. Diodor. XVI, 34, 5. Le roi y avait perdu un œil (contra cf. supra n. 12). Selon Plutarque, Al. 9, 1, en son absence, son fils âgé de seize ans aurait conduit une expédition contre les Maides de Thrace.

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    62) Julius Valère justifie ainsi l’intervention personnelle d’Alexandre, mais, dans l’hypothèse de la note précédente, Philippe aurait été alors en guerre avec Byzance. 63) Position dure du vainqueur retenue par Julius Valère. 64) Comme l’a démontré R. Merkelbach, Die Quellen des griechischen Alexanderromans, Munich, 1954, p. 15-16, le Roman contamine deux données historiques : à l’époque de Darius Ier, le roi de Macédoine Amyntas s’était soumis aux Perses en acceptant le tribut « de la terre et de l’eau », mais son fils Alexandre avait massacré les émissaires étrangers, lorsqu’au banquet ils s’étaient approchés des femmes du pays, cf. Hérodot. V, 17-20 ; à l’inverse, Plutarque, Al. 5, 1, raconte comment, Philippe étant à l’extérieur, le futur Conquérant avait courtoisement reçu les ambassadeurs du Grand Roi, leur posant des questions de politique et d’ethnographie – Darius III parvint au pouvoir en mai 336. 65) Cette remarque des Res gestae touchait au vif la sensibilité romaine du IVe s., où l’on était conscient que payer les Barbares conduisait à un esprit de démission. 66) Que l’assassin ait agi par amour pour Olympias déforme les encouragements qu’à en croire Plutarque, Al. 10, 6, la mère et peut-être même le fils prodiguèrent à Pausanias outragé par Attale et Cléopâtre. L’anachronisme de Thessalonique, une fondation du diadoque Cassandre, s’ajoute à une erreur sur Pausanias, un Macédonien de l’Orestide, cf. Diodor. XVI, 93, 3. 67) Même informée du stratagème de Nectanébo, Olympias continuait à se croire l’objet des sollicitudes d’Ammon : le mécanisme d’autosuggestion fonctionnait. 68) En A, Philippe demande ξίφει αὐτὸν δοθῆναι (T. Gargiulo note le latinisme de la construction à l’accusatif ; cf. supra n. 1). 69) Philippe, défendu par Alexandre, meurt, pacifié, en invoquant de bienfaisantes prédictions d’Ammon dont on n’a trace antérieurement. 70) La monumentale nécropole royale de Verghina, découverte en 1977, cf. A. Rouveret in Encycloped. Univers., 1980, p. 689-690, contiendrait, selon les plus récentes analyses macrophotographiques, le crâne de Philippe III Arrhidée, non celui de son père. 71) Un sort particulier est fait à Corinthe, parce que le congrès qui s’y était tenu après Chéronée avait désigné Philippe comme commandant en chef. Alexandre hérite de la charge dans l’hiver 336. L’assassinat avait eu lieu à Égées, cf. Diodor. XVI, 92, 1 72) Le Roman saute brusquement de 336 à 334, mettant en place l’involution chronologique qui le caractérise (les chapitres 27-28, empruntés par C. Müller aux recensions ultérieures, tentent maladroitement d’y remédier). 73) Dans la bataille d’Halicarnasse, omise par le Roman à cause des modifications géographiques du récit, les vétérans sauvèrent la situation compromise par « la lâcheté des jeunes gens », cf. Diodor. XVII, 27, 1-2. On trouvait dans l’armée macédonienne des soldats de soixante à soixante-dix ans, cf. Plut. Eum. 16,7. 74) Le total commun au latin et à l’arménien est de 74 600 hommes, le grec ayant 77 000 : ces chiffres sont grosso modo le double de celui de Diodore XVII, 17, 3-4, repris par Orose III, 16, 3. 75) Étant donné que Plutarque, Al. 15, 2 tient d’Aristobule un poids de 70 talents, il convient peut-être dans le texte latin de dissocier les auri talenta sexaginta de ce qui leur est attaché par la préposition cum, à savoir 14 400, un multiple de 72 solidi, cf. infra n. 80. 76) L’insertion de la Thrace serait-elle un reliquat de l’ordre chronologique normal ? En effet, après la destruction de Thèbes (transférée par Julius Valère à la fin du livre I), Orose III, 16, 2, note : Illyrios et Thracas translato mox abhinc bello domuit. 77) Si 1 talent d’or = 10 talents d’argent, le tribut s’élèverait à la contrepartie de 40 talents d’or.

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    78) Cette fois, la mutation géographique est patente, puisque la Lycaonie, voisine de la Cilicie, est assimilée, sans fondement étymologique, à la Lucanie, située au sud de la Campanie. La confusion vient de la guerre de l’oncle, Alexandre d’Épire, en cette même Lucanie, cf. Liv. VIII, 17, 24 et IX, 17-19 : au dire de Plutarque, De fortuna Romanorum 326a-b, l’aventure du Molosse aurait incité son homonyme macédonien à concevoir une expédition en Italie. Au contraire de Tite Live, certain de la victoire de Rome, Julien, Ep. 111, 433c déclare aux Alexandrins qu’Alexandre, « s’il avait eu à se mesurer avec les Romains, leur aurait bien tenu tête ». 79) Deuxième traversée imaginaire dans l’île tyrrhénienne, cf. infra en 45, 15371539. 80) A. Ausfeld, Der griechische Alexanderroman, Leizig, 1907, p. 14-135, pense que, par un retournement sophistique, Julius Valère a choisi le nom d’Aemilius par référence à M. Aemilius Lépidus, tutor de Ptolémée V qui, en 191 av. J.-C., envoya à Rome 1000 livres d’or et 20 000 d’argent (la deuxième guerre punique était antérieure de quelques années). 81) Il est difficile d’établir une relation entre auri pondo centum et argenti talenta quadraginta : H. Chantraine, « Der metrologische Traktat des Sextus Iulius Africanus », Hermes 105, 1977, p. 426, déduit une équivalence du talent d’or à 125 solidi, d’où, pour le tribut, (400 :10) x 125 = 5000 solidi et, pour la couronne, 100 (un centenarium !) x 72 = 7200 solidi. Dans un système monétaire postérieur à 324 de notre ère, serait ainsi obtenue une cohérence convenable. Le diadème perlé est une création constantinienne. 82) Sur la signification politique de la réponse d’Alexandre et du changement des destinataires, cf. supra n. 170 de l’Introduction. Les Carthaginois envoyèrent une ambassade la dernière année du roi, cf. Diodor. XVII, 113, 2. 83) En accord avec la tradition clitarchienne, le Roman place le pèlerinage à Siwah, une oasis à 600 km de Cyrène avant la fondation d’Alexandrie, mais il invente interlocuteur, questions et réponses ; au reste, Alexandre savait à quoi s’en tenir sur sa filiation. 84) Le dieu devait répondre par les basculements de la barque. À Siwah, à proximité du temple oraculaire, fut édifié, au plus tard, sous Nectanébo II un sanctuaire au dieu cornu, cf. K. P. Kuhlmann, Das Ammoneion, 1988, p. 123-125, pl. 29, 31a. 85) Identifié comme divinité solaire par osmose avec Râ, Ammon prophétise comme Phébus. 86) Pour Plutarque, Al. 26, 5 qui rapporte des dires d’Alexandrins, « un personnage ayant les cheveux tout blancs de vieillesse, avec une face et une présence vénérable » (trad. Amyot) apparut en songe au roi et lui récita deux vers de l’Odyssée, IV, 354-355 qui désignaient, au large de l’Égypte, l’îlot de Pharos. 87) Promu plus tard par les Lagides, Sérapis sera un avatar d’Osiris, le dieu de la mort, cf. Plut., De Iside et Osiride 362a. 88) Le cinquième vers, dont la rédaction latine est partiellement différente, désigne les cinq collines du site : Bruchium, Paneum, Rhacotis et deux anonymes. 89) A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 45, propose de lire Astrata d’après le grec τά στρατεύματα. Du même auteur on peut lire ensuite : « Zur Topographie von Alexandreia und Pseudokallisthenes », Rhein. Mus. 55, 1900, p. 348-384. Il y est suggéré que Paratonium, à l’étymologie anecdotique, plutôt que d’être Mersah Matruh, serait Albaradam à ca 100 km d’Alexandrie, cf. Bellum Alexandrinum 8, 2. Pour Taposiris, à une journée de marche, d’après Procope, De aedif. VI, 1, 12, voir la carte apud R. Stoneman, p. cxv. 90) En I, 31, 2, 12, on a en A le libellé suivant : παραγενόμενος δὲ ἐπὶ τούτου τοῦ ἐδάφους, lequel se retrouve en I, 32, 1, 1 : παραγενόμενος οὖν ὁ Ἀλέξανδρος εἰς τοῦτο τό ἔδαφος ; il en résulte que la topographie et les différentes dimensions développées dans

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    l’entre-deux forment un ajout et qu’initialement la localisation du site de la future ville ne commençait qu’une fois l’île de Pharos aperçue et identifiée. 91) Julius Valère, qui résume fortement, ne citera Rhacotis qu’en III, 24, 997. A. Ausfeld, art. cit. supra n. 80, p. 359, ne croit pas à l’importance de l’occupation antérieure du site, opinion ratifiée par J.-Y, Empereur, Alexandria Rediscovered, Londres, 1998, p. 37. 92) Les deux canaux encadrant la ville sont très visibles sur la carte d’Alexandrie de l’Enciclopedia dell’Arte Antica, I, p. 205. On hésite davantage sur les repères de largeur : Mendidium est-il le temple de Bendis près du rivage ou bien, beaucoup plus à l’est, l’embouchure mendésienne du Nil ? De même, Hermoupolis Parua, à 50 km en amont du débouché de la branche héracléotique, paraît trop éloignée à R. Stoneman. Le traducteur latin dont on ne sait pas les attaches avec Alexandrie (cf. infra n. 98) ne se soucie pas d’indiquer la longueur initialement envisagée. Même réduites, les dimensions furent suffisantes pour fixer l’urbanisation d’Alexandrie, cf. Amm. XXII, 16, 15. 93) Cf. Justin. XIII, 4, 11 ; Vitruv. II praef. 4 ; Plin. V, 10, 62 ; Amm. XXII, 16, 7. 94) Le quartier du Dragon est à la limite de la nécropole occidentale ; le canal du Bon Génie faisait un coude à l’est, en direction de Canope, à douze milliaires sur la mer. 95) Euryloque et Mélanthius étaient les chefs des deux bourgades incorporées ; les autres agglomérations, à l’extérieur, cessent d’exister et forment la chôra d’Alexandrie. Le Pseudo-Aristote, Oeconom. 2, 33c, rappelle le déplacement du marché de Canope par Cléomène, cf. Athenaeum 44-45, 1966-1967, p. 69-70. 96) Le mathématicien du IIe s. ap. J.-C. est à l’origine du Libyen Héron. Le nom de l’égout, en grec, est passé de l’inventeur, Hipponomus, à l’invention ; pour la qualité de l’air, cf. Amm. XXII, 16, 8 : inibi aurae salubriter spirant. 97) Cf. MEFRA 109, 1997, p. 129-134, semble une sur-interpolation pour trois raisons : 1°) ce texte a connu une tradition manuscrite indépendante ; 2°) à moins d’une grécisation hâtive des données numériques, l’emploi du stade avec la valeur du mille est byzantin ; 3°) les excroissances de Rome s’expliqueraient par la configuration éclatée constatable au VIe s. Le périmètre de 23 770 m est relativement proche de celui noté par Pline V, 10, 62 : 22 185 m. 98) A. Ausfeld, art. cit. supra n. 80, p. 374-375 : au Ve s., d’après Moïse de Khorène, Histoire de l’Arménie, éd. V. Langlois, III, 62, « on n’interroge plus les oracles de Protée, le chef des enfers ». Le recours à la première personne du pluriel (nos, nostros), justifié par le discours direct, a peut-être été conservé automatiquement. 99) De l’épisode étudié par Ch. Le Roy, « Les oiseaux d’Alexandrie », BCH 105, 1981, p. 393-406, deux « signes » sont constitutifs : la farine et les oiseaux. Sur le premier, les auteurs antiques divergent. Une minorité en vient directement à l’emploi de la farine ; à ce point de vue se rallient le grec et l’arménien dans le Roman et Quinte Curce IV, 8, 6, qui y voit même une coutume macédonienne. Mais la plupart de nos sources expliquent que ce produit comestible, tiré du sac des soldats et présage des récoltes futures, remplaça la matière minérale habituellement utilisée. Sauf Ammien XXII, 16, 7, qui parle de chaux, Grecs et Latins pensent à la craie notée, d’une façon moins précise, par puluere chez Julius Valère, ici en accord avec l’Itinéraire 49, puluerem. Les oiseaux manquent dans les récits de Strabon XVII, 1, 6, d’Arrien III, 2, 1 et d’Ammien. Quand, ailleurs, leur origine est donnée, ils viennent, chez Valère Maxime I, 4, ext. 1, du lac Maréotide, chez Plutarque, Al. 26, 9, du fleuve et du lac, chez Julius Valère de partout et non pas seulement du pays. Julius Valère insiste donc sur la variété géographique, ce qui lui permet, et à lui seul, de distinguer la population locale des étrangers ; l’Itinéraire, à nouveau, s’en approche, avec toutefois une division peu claire entre « nomades des alentours et peuplades voisines » ; à tort, A et Arm inversent le mouvement : au lieu de

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    prédire le monde abordant dans le port d’Alexandrie, ils montrent dans le monde l’omniprésence des Alexandrins. 100) L’appellation est confirmée par Achille Tatius, Leucippé et Clitophon V, 1, 2. 101) L’observation de Julius Valère avertit de la nature double du serpent. Effrayant, ce monstre doit être tué, mais, en même temps, il incarne une divinité chtonienne dont il convient, par un culte rendu à l’Hérôon, de s’assurer la puissance tutélaire. 102) Édifice quadrangulaire, cf. Arch. f. Papyrusforschung, 5, 1950, p. 37. 103) J’ai évoqué ces officines in Num. e Ant. Class., Quad. Ticinesi 26, 1997, p. 365-369, où est signalée la bibliographie sur les offrandes de couronnes. 104) Ces adjonctions de Julius Valère annoncent le passage de l’un au multiple. Le Bon Génie, serviteur, malgré sa mort, des temples de la ville, va susciter un grand nombre de formats réduits qui cumulent les fonctions domestiques et publiques. La hiérarchisation des serpents démons n’avait rien pour surprendre un lecteur habitué à ce qu’à tous les degrés le monde visible soit doublé par l’échelle des Génies. Add HA, Hel. 28, 3 : Aegyptios dracunculos Romae habuit, quos illi agathodaemonas uocant ; LIMC I, 1981, p. 278-280, pl. 278-280 105) Cette colline artificielle se nomme Kopria, au sens littéral, «  le tas de fumier ». 106) A : Ἀλέξανδρος, B : βασιλεύς, Γ : γένος, Δ : Διός, E : ἔκτισε. Le quartier A couvrait Rhacotis, le B serait vers le temple de Bendis, Δ, à l’est, concentration juive sur le port, Γ et E, au sud de la via Canopica, à l’est de A. 107) En A (I, 32, 9, 37-38) comme en Arm, après l’énumération des quartiers, se lit cette phrase isolée : « Des bêtes de trait et des mulets étaient employés aux travaux » ; d’où deux paragraphes plus loin (11,46-48) : « Les bêtes de somme sont couronnées et on leur accorde du repos à cause de l’aide qu’elles ont procurée en transportant des charges pour l’édification de la Ville. » Puis, le texte, corrigé pour quelques mots* sur Arm, se poursuit (12-13,49-53) : « Alexandre fit distribuer du blé aux gardiens des maisons. Quand ceux-ci l’eurent reçu, ils le moulurent et préparèrent une bouillie donnée aux habitants *comme en réjouissance agréable*. Aujourd’hui encore, les Alexandrins observent cette coutume. Le jour du 25 Tybi on couronne les bêtes de somme. » À l’évidence, dans ce dernier passage, les gardiens des maisons sont des hommes et ils mangent la bouillie. Cette conviction est confirmée par les lignes 10, 41-11, 45, datées du même jour : « C’est un 25 du mois de Tybi qu’Alexandre, encore présent, fonda la et cet Hérôon, et de là vient la vénération des portiers pour lesdits serpents, bons génies entrant dans les maisons : de fait, ils ne sont pas venimeux et éloignent ceux qui, paraît-il, le sont. » Or qu’est-ce qu’un portier sinon un gardien de maison ? Tout, par conséquent, serait cohérent, si le § 13, 53-55 ne s’achevait pas sur cette conclusion : « On accomplit des sacrifices en l’honneur des bons génies qui veillent sur les maisons et l’on distribue de la bouillie. » Un doute se lève : si garder la maison est un acte conjoint des hommes et des serpents, pourquoi l’absorption de la bouillie serait-elle réservée aux humains ? Mais, tandis que A et Arm prêtent donc à la confusion, Julius Valère veut une relative clarification : il élimine les bêtes de somme, les serpents reçoivent la bouillie et les couronnes sont portées par certains notables montant, tel le pontife d’Horace, O. III, 30, 8-9, au temple du Héros (voir infra n. 111). Cf. infra n. 184. 108) La dislocation résulte de la poussée irrésistible de la masse des serpents enfermés dans le temple-tombeau de l’Agathos Daimôn. 109) L’intervention des interprètes et l’assimilation des serpents aux dieux Pénates caractérisent l’énoncé latin. Les frontières, à Rome, n’étaient pas étanches entre les Pénates, gardiens des réserves en victuailles, les Lares, protecteurs de la maisonnée, et le Génie, dieu de la puissance génétique de la famille : cette osmose rend compte des laraires de

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    Pompéi où le Génie est représenté par un serpent apotropaïque. D’ordinaire, on offre à ces reptiles des dattes, des figues et surtout des œufs et des pommes de pin, symboles d’immortalité, cf. ANRW II, 16, 2, Berlin-New York, 1978, p. 1579-1580. Ici, l’offrande est de la polenta ex tritico – et non pas à base d’orge – qui correspond à l’athera d’Égypte, cf. Plin. XXII, 57, 121. Add. deux remarques textuelles : 1°) statis diebus, au moins deux fois dans l’année, soit le 20 janvier, date de la fondation, et le 13 juin, anniversaire de la mort d’Alexandre, ὡς ὀφιογενεĩ (cf. Luc., D. mort. 13, 2 où Diogène dit au roi : « Il y a des gens pour t’associer aux douze dieux, pour te bâtir des temple, pour t’offrir des sacrifices » ; 2°) coronatis, datif dépendant de mos est, optimatium étant un génitif partitif. Julius Valère mène ainsi son lecteur dans l’Alexandrie qui avait célébré en Néron un nouveau Bon Génie zoomorphique, cf. L. Ross Taylor, « The cult of Alexander », CQ 22, 1927, p. 162-169, et « Alexander and the serpent of Alexandria », CPh 25, 1930, p. 375-378 ; S. Skowroneck, On the Problems of the Alexandrian Mint, Varsovie, 1967, p. 40-43. 110) Le temple du Héros est desservi par les serpents qui ne se contentent donc pas d’œuvrer chacun dans une maison particulière. En quoi ils s’alignent sur l’Agathos Daimôn : comparer 946-947, haec bestia famulitium quoddam templis praestare uidebatur avec 980-981, templum Herois scandere cui talia scilicet anguina obsequio famulentur. 111) Julius Valère continue à brouiller la chronologie : on est à la fois avec Alexandre vérifiant l’oracle et dressant un autel sur une des cinq hauteurs et – beaucoup plus tard – avec un visiteur d’Alexandrie qui repère deux monuments de la ville : le grand autel désormais architecturé et, en face, l’Hérôon d’Alexandre, alias le temple du Héros. Ce deuxième édifice fut bâti après la mort du roi ad instar templi quod etiam nunc Alexandri nominatur (III, 34, 1372-1373) et Achille Tatius, loc. cit. supra n. 100, le désigne sous la périphrase « le lieu qui porte le nom d’Alexandre ». Au terme d’une étude parue dans Ktema 19, 1994, p. 269-284, nous avons accepté la solution traditionnelle qui situerait le temple-tombeau d’Alexandre, Séma/Sôma, à la jonction de la Néapolis et de Rhacotis, dans le voisinage du Musée, du Tychaion ptolémaïque et du templum Genii, celui-là recouvrant probablement le sepulchrum draconis. 112) Alexandre ignore encore le nom du Dieu, bien qu’en employant les mots mundumque ipsum interminem, il se réfère au vers 5 – dans la variante de A et de Arm, cf. supra n. 88 – de l’oracle d’Ammon où Dis/Pluton est mentionné. Plus avant, en latin, materia est l’antécédent auquel s’accroche la relative : une nature composite serait probable, cf. Rufin. HE, II, 23 : quod monstrum ex omnibus generibus metallorum lignorumque compositum ferebatur. 113) Cette assimilation incite à nuancer ce qui a pu être écrit d’Isis, cf. M. Malaise, « La diffusion des cultes égyptiens dans les provinces européennes de l’Empire romain », ANRW II, 17, 3, Berlin-New York, 1984, p. 1615-1691, plus spécialement p. 1636, n. 44 : « Les Romains ne semblent pas avoir imposé à la déesse égyptienne une interpretatio romana.  » M. Malaise précisait ensuite que l’épithète Regina, «  relative peut-être à Junon », traduisait une réalité préexistant à la romanisation. 114) Textes antérieurs ou postérieurs à la destruction, en 391, du Serapeion de Rhacotis (III, 24, 997), rebâti après l’incendie de 181 (plan in ANRW II, 17, 4, BerlinNew York, 1984, p. 1755-1758), tirés d’Aphtonios, Progymn. 12 ; de l’Expositio totius mundi XXXIV –XXXVII, cf. supra n. 1, p. 166-177 et 257-269 ; d’Aviénus, Descriptio orbis terrae 375-379 ; d’Ammien, XXII, 16, 12-13 ; d’Eunape, Vit. phil. 6, 10, 8 et même encore de la Chronica Gallica CDLII, MGH, AA, 9, Berlin, 1892, p. 650. En 33, 11031105, Julius Valère postulera la reconstruction par Alexandre du sanctuaire ruiné, mais voir supra n. 85 de l’Introduction. 115) L’excursus d’Ammien XVII, 4, 1-23, témoigne de l’intérêt du IVe s. pour les obélisques et leurs inscriptions ; le dernier hiéroglyphe recensé date du 24 août 394, cf. Bull. de l’Inst. Fr. d’Arch. Orient. 83, 1983, p. 204, n. 2.

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    116) Cf. supra n. 88-89 de l’Introduction. Variantes Sésostris et Sésoosis chez Hérodote II, 103-110, Diodore I, 55-58 et dans la scholie à Apollonios de Rhodes IV, 272 (FHG I, p. 286) qui se réfère à Théopompe. 117) Ce Sérapis, enfin révélé au Macédonien, aura à Rome, sur le Quirinal, à l’intérieur du pomoerium, un temple gigantesque construit par Caracalla Philosérapis, cf. J.-P. Martin, Pouvoir et religions de l’avènement de Septime Sévère au concile de Nicée, 193-325 apr. J.-C., Paris, 1998, p. 83. 118) R. Merkelbach, « Alexander im Serapeum », Arch. f. Papyrusforschung 17, 1962, p. 108-109 : prière du roi à Sérapis pour sa fondation contenue dans le Pap. Mil. Vogl. I, 21 ; R. Stoneman, op. cit. supra n. 3 de l’Introduction, invoque aussi Damascius, Historia Philosophica 9c : « Les songes à Alexandrie sont des oracles. » 119) Á titre de curiosité, on rapprochera de cette « leçon de choses » onirique, complaisamment développée, le songe de Septime Sévère ex altissimi montis uertice, HA, Sev. 3, 5. 120) Trimètres iambiques oraculaires ; le texte a souffert, cf. infra n. 124. 121) Redondance de Julius Valère pour exprimer une continuité d’allure pythagoricienne. Sur le besoin réitéré d’Alexandre de connaître la durée de sa vie, voir supra n. 59-60 de l’Introduction. 122) Gens au sens fort de « peuple barbare ». 123) Assertion contredite par Ammien XXII, 16, 15 : internisque seditionibus. 124) Deux hémistiches n’ont pu être reconstitués sur le Taurinensis ; omission dans l’Ambrosianus ; toute la fondation d’Alexandrie manque dans le Parisinus ; A et Arm ont un vers sur la beauté, la grandeur et la forte population de la Ville. 125) Allusion, peut-être, à des mariages avec des étrangers. 126) Le latin ne parle ni de raz-de-marée, ni d’incendie, mais il redoute les Puissances souterraines ; pour tractus luales on a accepté la traduction de T. Gargiulo, bien que l’adjectif manque dans les dictionnaires usuels. 127) Catastérisme conçu sur le mode de l’apothéose impériale, l’adjectif augustissimo étant significatif. Au reste, le corps d’Alexandre est au ciel, puisque la ville où il repose présente par ses agréments un séjour céleste. A et Arm paraîssent admettre « comme » une divinisation du roi dès son vivant et ils ont la formule rhétorique : « Toujours tu habiteras cette cité, mort sans être mort, car tu auras pour tombeau la cité que tu fondes. » 128) La devinette arithmologique se résout en Sarapis. 129) Alexandre procède à une restauration embellie de l’autel et du temple, une nouvelle statue de Jupiter-Sérapis – rien n’est dit pour Junon-Isis – serait l’œuvre de Parménion. En fait, un culte aurait d’abord été institué à Memphis et Canope par Ptolémée Ier Sôtêr, cf. Tac., Hist. IV, 83-84 et, si la tradition attribue à l’Athénien Bryaxis la création d’une effigie barbue aux traits graves, les historiens de l’art s’étonnent de n’avoir pas, sur trois siècles, retrouvé un modèle cultuel offert à l’imitation. 130) Les trois vers de l’Iliade I, 528-530, ramenés à deux en latin par l’omission du dernier hémistiche, avaient été cités par le véritable Callisthène, lors de la description du temple d’Ammon, cf. Strab. XVII, 1, 43 et, toujours d’après Strabon, en VIII, 3, 30, ils auraient inspiré Phidias, lorsqu’il sculptait le Zeus d’Olympie. 131) Á ce moment, cf. supra n. 105 de l’Introduction, se place de la part d’Alexandre l’intention – non satisfaite – de connaître l’Éthiopie : de là, dans le Roman, le conte nubien de la Candace. – Tripoli avait été fondée par trois villes, Tyr, Sidon et Aradus : il n’y a pas d’anachronisme onomastique, car le synécisme ultérieurement énoncé, en 35, 1193-1194, est inventé . 132) À Memphis, capitale de la Basse Égypte (qui, selon Jerôme, Comm. In Ezechiel 9, : usque hodie metropolis est superstitionis Aegyptiae), outre l’Apis, était honoré

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    un dieu créateur, Ptah, assimilé par les Gréco-Romains à Héphaïstos-Vulcain. Triomphant sans combats de la garnison perse – une donnée ici ignorée –, Alexandre, nouveau Sésonchosis, reçoit les attributs royaux et divins d’un Pharaon. Le Roman concentre en une seule visite les deux passages du Macédonien, à l’automne 332, puis au printemps 331, cf. supra n. 83. 133) Á la différence de Julius Valère, A et Arm avaient, en I, 3, joint à la fuite de Nectanébo les réactions des Memphites : « En Égypte cependant, après la disparition de Nectanébo, les Égyptiens demandèrent à Héphaïstos, l’ancêtre des dieux, ce qui était arrivé au roi d’Égypte ; celui-ci leur adressa en réponse de consulter la puissance invisible du dieu de Sinope (nom d’une colline de Memphis), lequel leur donna cet oracle : ‘Le roi âgé qui fort et vif fuit l’Égypte, dans un temps, viendra régner sur la terre d’Égypte, jeune et rejetant des traits de son visage la vieillesse ; il aura parcouru le monde, nous donnant de soumettre nos ennemis.’ Ne sachant résoudre l’oracle qui leur était donné, ils gravent ces paroles sur la base de la statue de Nectanébo, afin de s’en souvenir, le jour où l’oracle se réalisera. » Pour une déformation de cette prédiction au profit des Romains, cf. HA, Tyr. trig. 22, 13 (Aemilianus : coïncidence ? cf. supra n. 80). 134) Deorum monitu amène à supposer que le texte latin initial, en I, 3, différait du grec et de l’arménien où, par son pouvoir magique, Nectanébo voit les dieux égyptiens prendre la tête des envahisseurs. 135) Alexandre reconnaît en public, pour la seule et unique fois, sa filiation biologique, dans la mesure où l’oracle promettait à la réincarnation de Nectanébo la victoire sur les Perses, ennemis de l’Égypte. 136) La Providence équilibre les atouts des Memphites : ressources naturelles et position stratégique, cf. Arrian. III, 5, 7, par leur incapacité à être de bons soldats. Pour cette raison, Alexandre prélève de l’argent mais ne recrute pas. 137) Cette glose donne du poids aux rapprochements de L. Cracco Ruggini « Legenda e realtà degli Etiopi nella cultura tardo-imperiale », Accad. naz. dei Lincei, Quad. 191, Rome, 1974, p. 141-193, plus spécialement p. 180-185, n. 150 -152 : les Éthiopiques d’Héliodore, en IX, 15 et Zosime I, 50, 3-4 (à propos de la lutte entre Aurélien et Zénobie) dépeignent les mêmes cavaleries lourdes, perses ou palmyréniennes. Le Panégyrique de Nazarius 10, 22, Ammien XVI, 10, 8, l’HA, Alex. Sev. 56, 5 s’accordent sur la synonymie des cataphractes et des clibanarii. Add. Ead. « Fatto storico e coloritura letteraria (da passi della Historia Augusta) », Historia-Augusta-Colloquium Bonn 1972/74, Bonn, 1976, p. 113-130, où est suggéré que l’emploi sur large échelle de ces cuirassiers dans l’armée romaine est postérieur à 350. 138) Sans mépriser Alexandre, Tyr, comme l’observe Quinte Curce IV, 2, 2, se savait la première ville de Syrie-Phénicie et préférait l’entente à la soumission. Dans la lettre, le roi interprète à sa façon cette primauté, en constatant que pour la première fois il se heurtait à une opposition armée ; s’appuyant sur les innovations géographiques du Roman, A et Arm renchérissent : le hasard, non une décision politico-religieuse, est à l’origine de l’événement. 139) Cf. supra n. 46 de l’Introduction. – Le Roman revient au style épistolaire essayé supra au chapitre 16. 140) Cf. supra n. 57 de l’Introduction. – Dans le schéma du Roman, Alexandre vient à peine de pénétrer en Asie, ce que précise l’arménien. 141) Addition de Julius Valère au sens étymologique : Alexandre a été nommé généralissime des Grecs par le congrès de Corinthe, cf. supra n. 71. 142) Le Roman résume beaucoup : il n’est question ni d’un premier rêve d’Alexandre où Hercule Melkart lui tend la main, ni des deux jetées, ni du rôle de la flotte, ni encore des liens entre Tyr et Carthage.

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    143) Les Tyriens avaient appris le dessein d’Alexandre de se glisser parmi les ambassadeurs. Le Roman insiste sur la crucifixion de ceux-ci, pourtant protégés par le caducée ; il se taira sur le même supplice infligé à deux mille survivants après le siège. 144) Le Roman perfectionne Plutarque, Al. 24, 9 : Alexandre finit par prendre un satyre qui se jouait de lui ; les devins décomposent le mot et rassurent : Tyr sera sienne (σά Τύρος) ; mais avec l’accent sur la deuxième syllabe, le terme désignait un fromage. 145) L’incorporation dans une satrapie implique la fin de l’autonomie antérieure. Après avoir été oubliée depuis le chapitre 25, la campagne contre les Perses va enfin commencer, à la suite du premier échange de lettres entre Darius et Alexandre. 146) Comparer avec la titulature de Sapor II dans sa lettre à Constance II, cf. Amm. XVII, 5, 3 : Rex Regum Sapor, particeps siderum, frater Solis et Lunae. Le Mithra perse est un dieu de la lumière, du feu et de la gloire royale, cf. F. Cumont, Textes et monuments figurés relatifs aux mystères de Mithra, I, Bruxelles, 1899, p. 200 : Mithra « à la fois est et n’est pas le soleil ». 147) En A et Arm, menace explicite de crucifixion ; Darius méprise la jeunesse d’Alexandre, cf. Diodor. XVII, 7, 1 et, dans la séquence historique, cf. Curt. III, 5, 12, il profite de la maladie du Macédonien, après le bain de Tarse : Dareus ergo, cum tam superbas litteras scriberet, fortunam meam in consilio habuit. 148) Julius Valère renforce la métaphore en introduisant le mot cristas qui, au figuré, prend valeur proverbiale, cf. Juv. IV, 70. Chez Quinte Curce VII, 4, 13, le propos est attribué aux Bactriens. 149) Pour un lecteur du IVe s., cette violation du droit des gens où Alexandre feint de s’aligner sur les Tyriens exaspérés est d’autant moins admissible que, réservé aux esclaves, ce supplice a été supprimé par Constantin sous l’influence des Chrétiens. Sur les brigands au Bas Empire, voir, en dernier lieu, V. Neri, I marginali nell’Occidente Tardoantico, Bari, 1998, p. 367-417. 150) En A, les envoyés implorent Alexandre en tant que fils du roi Philippe, Arm ajoutant la référence à Ammon, cf. supra n. 140. 151) Alexandre qui, dans A et surtout Arm, refuse la proposition dans la crainte que ses propos ne parviennent à Darius, met en avant, chez Julius Valère, son souci de la sauvegarde de l’interlocuteur. 152) A et Arm déplacent cette contre-manœuvre après le texte de la réponse dont, contrairement à Julius Valère, lecture fut faite aux soldats en cachette des envoyés. 153) Double filiation paternelle dans Arm ; la référence assumée au couple Philippe/Olympias est unique dans le Roman, mais Olympias était censée accompagner son fils. La lettre pratique systématiquement l’antithèse. 154) A et Arm : « pour écorcher les Barbares ». 155) Cf. supra n. 27. 156) Cf. supra n. 64-65. 157) Du point de vue de Darius, il s’agirait de l’Anatolie, tandis qu’Alexandre, remontant de la Syrie, aurait atteint le versant oriental du Taurus. Le texte est largement transmis par le Pap. Hamb. 129. 158) Cf. supra n. 185 de l’Introduction. En A et Arm où, de surcroît, le pédagogue est armé d’un fouet, Darius entend enlever à Alexandre son vêtement de pourpre. Sans obliger à penser à la Passion du Christ, le choix difficilior inverse de Julius Valère s’accorde bien avec la volonté de dérision manifestée par le souverain perse qui, déjà auparavant, avait envoyé une balle à un jeune homme de vingt-deux ans. 159) Détail curieusement omis par A et Arm et mal compris par les manuscrits latins, voir cependant immédiatement après, chez Julius Valère et Arm (I, 39, 1307-1308 = § 109) les chaînes de fer des soldats, puis, dans les trois langues (Kroll II, 18,22 = Rosellini 927-928 =Wolohojan § 192), les Grecs entravés affectés à la garde du tombeau de Cyrus.

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    Quant aux déportations, si au IVe s., on se souvenait de celles qui avaient suivi la capture de l’empereur Valérien, elles n’étaient pas particulières aux Perses et à leurs successeurs sassanides : bien avant que Constance II ne transfère en Thrace des prisonniers d’Adiabène, cf. Liban, Or. LIX, 83, Alexandre, d’après l’Itinéraire 105, envoie des captifs indiens en Macédoine et même, dans un texte connu de Thémistius, Aristote lui propose des déplacements massifs de populations, cf. J. Bielawski et M. Plezia, Lettre d’Aristote à Alexandre sur la politique envers les cités, Wroclaw-Varsovie-Cracovie, 1970, p. 14. 160) La leçon metum ne peut effectivement être conservée, Darius n’ayant, dans ce premier courrier, proféré ancune menace contre ses généraux. Hystaspe pourrait être un proche du souverain, cf. Curt. VI, 2, 7 ; le satrape d’Ionie s’appelait Spithrobatès, cf. Diodor. XVII, 19, 4 (bataille du Granique, mai 334). Praescitui : mot rare. 161) A et Arm se montrent plus imagés et diserts : « N’espérez rien de moi, si… les prisonniers perdus… Quel fauve, bondissant sur vous, vous a donc troublés ? ; vous qui savez éteindre le feu de l’éclair, vous n’avez pas supporté les grondements d’un homme de rien ! » Troisième interrogation en A : « Qui a été fait prisonnier en venant à l’aide ? » 162) Les approximations de A et Arm restituent le nom du fleuve Pinaros, un cours d’eau cilicien, ce qui laisse présumer un récit de la bataille d’Issos (novembre 333). 163) Omis par A et Arm qui, eux, ajoutent : « Tu t’es attaqué à des cités grecques qui n’étaient pas prêtes pour la guerre…les places que tu as prises, tu n’auras pas la gloire de les garder. » Dans cette lettre qui, sur le fond, accepterait une suzeraineté nominale, Darius reconnaît que non seulement la Macédoine, mais aussi les villes de la côte ionienne échappent à son contrôle direct. 164) A et Arm : « Pire encore sera le sort que subiront tes compagnons pour ne pas t’avoir conseillé la modération. » 165) L’Arabie désigne ici, comme chez Quinte Curce, la vaste zone qui s’étend de l’arrière-pays syro-phénicien aux limites occidentales de la Mésopotamie. Il suffit de se reporter à l’Itinéraire 33 pour constater que le champ de bataille ne correspond en rien à l’étroite ligne de front dont à Issos le Macédonien tira parti. 166) En A et Arm, les Perses, après avoir occupé les côtés du terrain, disposent de face leurs chars. La différence avec le texte latin ne provient pas d’une lecture hâtive par Julius Valère, car celui-ci prend la peine d’énoncer la riposte imaginée par Alexandre ; en fait, la manœuvre fut exécutée plus tard à Arbèles, cf. Curt. IV, 13, 33, et la véritable bataille fut acharnée : sur la droite, Alexandre avait Darius et sa garde en face de lui et, à gauche, Parménion combattait au corps à corps. Le basculement qui, dans les Res gestae, se produit à cause de la pluie (cf. supra n. 146 de l’Introduction) est dû, en A et Arm, à l’obscurité de la mêlée traitée avec grandiloquence 167) Bien identifié par les Res gestae, Amyntas, après Issos, tenta en vain de gouverner l’Égypte au nom de Darius, cf. Diodor. XVII, 48, 3-5 et Curt. IV, 1, 27-33. 168) La famille de Darius – elle comportait aussi un petit garçon, cf. Diodor. XVII, 36, 2 et Curt. III, 12, 26 – fut prise dans la tente royale et non, comme, dans le Roman, lors de la poursuite. Après l’équivalent de Stoneman 41, 11, 48, A constate le manque de φύλλλα β’, le grec ne recommençant qu’à Stoneman 44, 2, 1. Arm n’a pas toute cette lacune, mais la prolonge de quelques lignes, cf. infra n. 180. 169) Là où Julius Valère parle de la Fortune, Arm invoque la Providence céleste. – Les Res gestae insistent sur l’égalité de traitement réservée, pour chaque camp, aux morts les plus braves. Avant 490, l’égyptien Antidamas, auteur d’une Historia Alexandri Macedonis, livre ce témoignage du vainqueur traquant les détrousseurs de cadavres : plus quam trecentos cadauerum uispiliones repperiens crucibus fixit, cf. G. Zecchini, Ricerche di storiografia latina tardoantica. Rome, 1993, p. 223, n. 36, qui se réfère à Fulgence, Expositio sermonum antiquorum II (cf. infra n. 298).

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    170) Relative concordance avec Diodor. XVII, 36, 6 et Curt. III, 11, 27 pour deux chiffres de pertes : estimation globale des Perses tués : 120 000, au lieu de plus de 110 000 ; cavaliers macédoniens 160 au lieu de ca 150. Selon l’équation posée supra n. 81, (4000 talents x 125 solidi) : 72 = un peu moins de 70 centenaria. 171) Puisque le récit a déjà raconté les campagnes d’Égypte et de Phénicie, il est normal que le théâtre des opérations se transporte vers la Mésopotamie, mais le fil se rompt brusquement. 172) Confusion onomastique avec le fleuve de Troade cité un peu plus loin ; Angelo Mai corrigerait Scamandrum en Cassandrum mais, historiquement, le général chargé d’amener les renforts de Macédoine était Amyntas, fils d’Andromène, cf. Diodor. XVII, 49, 1 et Curt. IV, 6, 30. 173) En contradiction avec la fin de la phrase précédente, commune au latin et à Arm, s’ébauche une nouvelle campagne qui, partant de l’Achaïe, aboutit, en moins de quatre lignes, au sommet du Taurus. Bien qu’il ne soit pas inimaginable que, dans la pensée du rédacteur, Alexandre ait, après coup, préféré venir lui-même chercher les renforts, on ne comprend pas pourquoi l’expédition ne pousse pas plus avant en direction des Perses. A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 146-147, suppose une interpolation qu’il prolonge jusqu’en II, 404. Il lance, en même temps, une hypothèse qui semble hasardeuse : « Alexander landete nach der Fahrt über den Hellespont im ‘Hafen der Achaier’ in Troas : daraus die Unterwerfung von Achaia » ; toutefois, quand sont confrontés Itinerarium 8, 18, 111-112 : diis heroibusque apud Ilium litant ubique hasta humi fixa omen sibi facit Asiae bello quaerendae et Res gestae I, 42,1423-1426 : summo in culmine Tauri montis hasta defixa dixisse fertur, quisque illam rex milesue Graecus aut barbarus humo euellere ausus foret, edictum sibi urbis ac patriae suae suique excidium meminisset, il devient licite d’envisager que ce bizarre épisode ait transposé en Achaie-Cilicie ce qui se passa en Troade. De toute façon, la rupture maladroite du récit s’explique parce qu’ayant laissé de côté les affaires grecques de 335-334, pour se fixer en priorité sur la fondation d’Alexandrie, le Roman a voulu combler la lacune par une sorte de rétrogradation. Les errances géographiques vont néanmoins se multiplier et cela en cinq étapes. 174) Cf. supra n. 66 de l’Introduction : le présage d’Orphée se passe en Thessalie ou Macédoine avant le passage en Asie : du Taurus, Alexandre est donc ramené à une étape antérieure. On doit compter plusieurs Bébrycies, car, en sus de celle associée au nom de Piérie – sur la confusion d’une ville et d’une région, voir notre étude in La fin de la cité antique et le début de la cité médiévale, éd. Cl. Lepelley, Bari, 1996, p. 15-23 –, il y a, dans le Roman, en III, 19-20, une Bébrycie accessible aux Éthiopiens et, chez Ammien XXII, 8, 14, une troisième, bithynienne, à l’est du Bosphore. 175) Fils d’un dieu fleuve thrace et de la muse Calliope (remplacée parfois par Polymnie), Orphée, jouant d’un instrument à cordes ; lyre, phorminx ou cithare, subjugue les arbres, les bêtes sauvages, les monstres. Le poète disait de lui : « Je ne suis pas maladroit pour rendre des oracles », cf. ANRW, II, 36, 4, Berlin-New York, 1990, p. 28692874, mais, ici, le présage est transmis selon le mode romain de la statue qui sue. On notera que plusieurs éléments du Roman : l’œuf vu par Philippe, les jouets (balle et osselets), les serpents (à Pella ou Alexandrie) sont autant de données de la littérature orphique et qu’Olympias, nous dit Plutarque, Al. 2, 7, était de ces femmes « ordinairement éprises de l’esprit d’Orphée » (trad. Amyot). 176) Le Pap. Berl. 21266, cf. supra n. 144 de l’Introduction, valide la substitution d’interprète, Mélampus, le mythique devin, neveu de Jason, remplaçant Aristandre : Plut. Al. 14, 9, où est livrée une interprétation différente : « Qu’Alexandre fera des conquêtes et des prouesses d’armes dignes d’être chantées et renommées par tout le monde, lesquelles feront venir la sueur au front des poètes et des musiciens pour la peine qu’ils auront à les décrire et les chanter » (trad. Amyot).

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    177) À propos de la visite à Troie, phrygienne par la littérature, Julius Valère reproduit un poème généalogique inconnu de l’arménien, lacunaire entre Rosellini 1444 et 1474, mais pour lequel on peut se référer à Pausanias, I, 11, 3 et à Malalas 8, 1. Le schéma, qui n’est pas intégralement masculin, rattache Alexandre à Achille par sa mère, Olympias, la sœur d’Alexandre le Molosse. Ces choliambes où manquent deux noms propres, deux autres étant estropiés, s’achèvent par le souhait d’un empire universel. 178) Le Scamandre (appelé aussi Xanthus, cf. Verg., Aen. I, 473 et, pour sa reconstitution en Épire, III, 350 – add. supra Rosellini 1456) « n’avait pas cinq coudées de large » : Arm § 122. Quant au bouclier « plutôt petit », Arm, ibid. le dit d’Ajax, les Res gestae 1476, d’Achille, chaque fois avec la caution d’Homère, Il. VII, 222 ou XVIII, 478. Le latin insère un temple d’Hercule en hommage au fondateur de la dynastie macédonienne. 179) L’anecdote, apparue d’abord chez Cicéron, Pro Arch. 24, transcrite en grec par Plutarque, Al. 15, 8 et Arrien I, 12, 1, revient dans trois textes latins du IVe s. : Symm. Ep. IX, 72 et surtout, en des termes quasi identiques, dans le prologue de la Vie d’Hilarion 1, 1, par Jérôme et in HA, Prob. 1, 2, ce qui a ouvert un problème de Quellenforschung 180) Arm (Wolohogian : tradition longue) s’arrête après Rosellini 1480 : celebraris ; Arm (Simonian = Uluhogian : tradition courte, cf. J. Trumpf, art. cit. supra n. 144 de l’Introduction, p. 87) ajoute « voi che nei fatti della sua narrazione siete grandi, ma come visione per gli occhi non degni dei suoi scritti » ; le Pap. Berl. 21266 a une phrase supplémentaire : καὶ ποιητής τις πρoσῆλθεν αὐτῷ καὶ λέγει. Arm ne reprend qu’en Stoneman 44, 5, 16, soit seize lignes après la fin de la lacune de A. 181) Thersite sert aussi de repoussoir in HA, Aurel.1, 5. 182) A. M. Wolohogian p. 172, d’après the Armenian epitomes : « And having dined with the mother of Darius, he went to Macedon with the slaves he had tacken from Darius. And he traveled to Abder » Dans cette réfection aventureuse, le texte a néanmoins l’intéressante intuition que Rogodune (cf. infra n. 245) est relativement interchangeable avec Olympias ; en outre, par ce retour en Macédoine, il explique la prochaine étape à Abdère, laquelle, autrement, implique que de Troie Alexandre avait effectué un retour sur la côte thrace. 183) Les Res gestae ne savent trop que faire de cet épisode où Alexandre se contente de menacer des gens plus malins que leur réputation. 184) Tite Live I, 9, 6, lors de l’enlèvement des Sabines, nomme Neptunus Equester comme le destinataire des Consualia, ces fêtes où les chevaux et autres équidés de labeur étaient couronnés, cf. Plut. Quaest. Rom. 48, 276c. Lors du Colloque Spectacles sportifs et scéniques dans le monde étrusco-italique, CEFR 172, 1993, p. 151-155, G. Capdeville, après avoir tenté d’éclairer l’assimilation de Consus à Ποσειδῶν �Iππιος, analyse l’évolution des jeux du 15 décembre considérés comme rituels de fondation. Par cette allusion très indirecte, les Res gestae réintroduisent la célébration des bêtes de somme qu’elles avaient évacuée à propos d’Alexandrie, cf. supra n. 107. L’épiclèse du dieu marin, honoré non loin de la mer d’Azov, forme, en tout cas, un ironique contraste avec la suite des événements. L’expédient, plus à sa place dans une phase bien ultérieure (la traversée de la Gédrosie, cf. Curt. IX, 10, 12), est imaginé dans une Scythie sacrificatrice des chevaux, cf. Herodot. IV, 61, dans laquelle Alexandre n’est jamais allé, n’ayant pas dépassé, avec sa flotte, l’estuaire du Danube, cf. Arrian. I, 3, 3. Add. infra n. 428. 185) Le latin suppose un raisonnement : puisque, sans réfléchir, on a bouché l’avenir, à quoi bon observer le règlement ? Le grec A semble plus concret : les troupes sont désarmées, faute d’une cavalerie pour les protéger de l’extérieur. 186) Avant de conclure dans la perspective disciplinaire qui avait motivé son intervention, Alexandre avait moins souligné une opposition philosophico-tactique entre hommes et chevaux que fait vibrer la corde sensible surévaluant le soldat macédonien.

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    187) Quatrième randonnée, imaginaire, en Italie du sud et en Sicile. Arm confirme les toponymes et Alexandre le Molosse vint à Locres, mais l’épisode remanie la consultation de l’oracle de Delphes, après le sac de Thèbes et avant le présage d’Orphée (supra n. 174), cf. Plut. Al. 14, 6-7. Le Macédonien, arrivé un jour où la prêtresse ne répondait pas, la tira de force au temple ; d’où cette repartie : « Tu es invincible, à ce que je vois, mon fils » (trad. Amyot). Le Roman complète par un parallèle emprunté au précédent d’Hercule (Pausan. X, 13, 8), un modèle cher à Alexandre. Sans ambiguïté chez Julius Valère, le Macédonien s’empare du trépied et ce geste déclenche la vaticination. 188) A et Arm : « Car ce que tu fais parvient à leurs oreilles. » La version syriaque ira dans le sens de Julius Valère. 189) L’épisode thébain, volontairement déplacé, clôt le livre I. Même s’il est raccourci à l’extrême par Julius Valère, il traduit, parce qu’au début du livre II il se prolonge dans les débats d’Athènes, une appropriation maîtrisée de l’hellénisme. En somme, le Roman joue avec le poids culturel de quatre mondes : l’Égypte, la Grèce, la Perse, l’Inde. Á la question de la grécité, le fils de Nectanébo et d’Olympias a répondu par la fondation d’Alexandrie. – A et Arm : quatre mille recrues. 190) Ridens correspond au grec μειδιάσας et ce sourire moqueur a valeur de ricanement. 191) En A et Arm le développement se poursuit, taxant la défensive thébaine de lâcheté digne de femmes. Le lecteur ne peut savoir qu’une garnison macédonienne occupait la citadelle de la Cadmée. 192) A : 4000 cavaliers ; A et Arm : jets de flèches sur les murailles, les sapeurs (2000 in A, 1000 in Arm) ont cognées et crochets ; A et Arm : les pierres avaient été ajustées au son de la lyre d’Amphion et de Zéthos (ces fils jumeaux de Zeus et d’Antiope, rendus célèbres aussi par le châtiment de Dircé, seront cités dans l’imploration de l’aulète). 193) A et Arm se complètent pour définir ces machines. Dans la description de Diodore XVII, 11, 2, les Thébains livrent, au contraire, une bataille rangée devant la ville. 194) A et Arm énumèrent les projectiles, mais ensuite Arm, comme Julius Valère, omet le récit de la rupture et du massacre généralisé, amplifié par l’image du Cithéron, jubilant devant le malheur des ennemis de Platées. 195) Isménias, le proverbial flûtiste, est infiniment plus éloquent en A et Arm : il commence par rendre hommage à la force divine d’Alexandre, puis, après une brève allusion aux récits des origines : naissance de Dionysos et d’Hercule, fondation de Thèbes, il interpelle Alexandre : « Ignores-tu que tu es de Thèbes et non de Pella ? » Débute alors un long poème en choliambes où passent tour à tour, entre autres personnages liés au sol thébain, Amphion et Zéthos, Harmonie, la femme de Cadmos, Œdipe, Amphitryon, Sémélé mère de Dionysos, Mégara épouse d’Hercule, Philoctète, Tirésias, le fol Athamas, Mélicerte, Penthée, Dircé, Actéon, Polynice et « les sept troupes de guerriers ». Julius Valère se limite à citer Amphion et Zéthos – pour expliquer la construction de la muraille – et à prononcer les noms d’Alcmène et de Sémélé. Il est aussi peu patient qu’Alexandre lui-même devant cette topographie où murs et portes, demeures, sanctuaires, sources, bois et hauteurs ne sont montrés que pour leur passé mythique compilé par la Bibliothèque du Ps.-Apollodore. Pour l’ascendance dionysienne, cf. Plut. De Al. fort.1, 10. 196) Les jeux furent organisés à Égées, cf. Arrian. I, 11, 1, mais le roi vint à Corinthe, cf. Plut. Al. 14, 1. 197) Julius Valère glose pour mieux faire comprendre l’oracle, d’ailleurs répété en A et Arm. Thèbes fut reconstruite après la disparition d’Alexandre, sans doute post 316. Dans le Liber de morte 109 et 120, le Macédonien accorde par testament trois mille talents pour la restauration de la cité des Thébains et en avertit ceux-ci par un messager

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    nommé Isménias (voir aussi Plut. Al.13, 3). Historiquement, Clitomaque remporta sa triple victoire un siècle plus tard, en 216 av. J.-C., cf. Pausan. VI, 15, 3. 198) Arm : « La naissance et les hauts faits d’Alexandre de Macédoine, écrits par le sage Aristote, sont finis. »

    Livre II 199) Platées de Béotie, alors détruite et promise à la reconstruction, avait, sur la route de Thèbes, un temple dédié à Déméter d’Éleusis, cf. Pausan. IX, 4, 3, et c’est à Thèbes que, peu avant la chute, l’oracle métaphorisa sur une toile d’araignée de la dimension d’un manteau, aperçue dans le sanctuaire de Déméter, cf. Diodor. XVII, 10, 3. Que l’incident ici relaté mène à un développement si important pour la forme et le fond vient de ce qu’ensuite Athènes avait accueilli des réfugiés thébains, cf. ibid. 14, 3 et 15, 4. Par ailleurs, dans les dernières décennies du IVe s. de notre ère, les déesses intéressaient le cercle de Symmaque, cf. CRAI 1996, p. 745-767, et, entre 395 et 397, Claudien écrivait le De raptu Proserpinae où, aux vers 246-268, la jeune fille tissait pour sa mère une couverture illustrant la genèse du cosmos. 200) A et Arm : « et l’on abaissait le métier » ; cet ajout technique fonctionne comme métaphore parlante. L’oracle d’Apollon Isménios que cite Diodore in loco avait dit : « La toile tissée est un mal pour l’un, un bien pour l’autre. » 201) Julius Valère qui, conjointement, cette fois, avec Arm, honore la Fortune, cf. supra n. 169, renvoie au discours de Pella et à ses annexes (I, 25, 725-735) : Alexandre s’adressait aux Athéniens et Corinthiens, puis per singula oppida ciuitatesque il édicte la mobilisation volontaire des flottes ; rapidement, par la suite, il avait recruté en Thrace (I, 29, 778), le tableau des effectifs (I, 28, 764-770) reflétant des amalgames mais non une coalition. A et Arm tiennent le même langage : « Je les ai engagés à rester chez eux », mais l’expression marque moins la libéralité. En Europe, mille hommes seront en vain réclamés aux seuls Thébains (I, 46, 1557) et les renforts viendront de Macédoine (I, 42, 1416-1419 et 44, 1531). 202) Hostile aux grandes phrases, Alexandre reprend la formule avancée contre les Carthaginois cf. supra n. 82. Phocion ne parle pas autrement, cf. Plut. Phoc. 21, 1 : « Il faut être ou bien le plus fort au combat ou bien l’ami du plus fort. » 203) En A et Arm,la réponse est envoyée au nom de « la cité d’Athènes et ses dix meilleurs orateurs » ; l’omission par Julius Valère nuit à la clarté de l’échange épistolaire. Plutarque, Dem. 23, 4 donne les noms de huit d’entre eux, que Démosthène compare à des chiens de berger, cf. infra n. 211. 204) Ce geste de désinvolture manque à A. Sur le débat qui, en A et Arm, ne commence pas immédiatement, voir l’article de C. Jouanno cité supra n.78 de l’Introduction. Au lieu de Phocion qui, chez Diodore, XVII, 15, 2, prêchait l’abnégation, le Roman introduit Eschine qui, s’appuyant sur l’opposition habituelle entre le père et le fils (Contra A. Molinier, « Philippe le bon roi de Cicéron à Sénèque », REL 73, 1995, p. 60-79), valorise l’éducation reçue d’Aristote. Dans les deux cas, mais le texte des Res gestae n’est pas sûr, on faisait front au bellicisme de l’auditoire. 205) Dans la réalité, cf. Diodor. XVII, 15, 3-4, Démosthène, parlant en second, avait prôné la résistance, alors que le troisième discours – celui de Démade – proposait une solution transactionnelle. Le Roman intervertit l’ordre et les contenus, parce que, pense A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p . 153, le plus célèbre « Redner » doit apparaître comme l’ami d’Alexandre. 206) Tout de suite, Démade, « un homme en pleine force » – il avait neuf ans de moins qu’Eschine – qui, apparemment, sera plus long que ce dernier, avant d’être dépassé

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    par Démosthène, joue de la rhétorique : après un évident plagiat de l’incipit des Catilinaires, le contraste olim... at nunc, jugé imaginaire par R. Merkelbach, op . cit. supra n. 64, p. 89, mais destiné à présenter le prédécesseur en vieillard ex-va-t-en-guerre, est souligné par la forte métaphore de l’arc. La suite du discours, plus soutenue chez Julius Valère, s’articule sur des mots-clefs pueritiam/puero/aetate, tyrannide/tyrannico, supplicium/suppliciis ponctuant cinq mouvements où alternent les événements militaires et la pensée politique. 207) Victoires passées des Athéniens remportées contre les Perses, Sparte, les cités du nord du Péloponnèse, A ajoutant les Phocidiens. L’exemple de Zacinthe est amphibologique, car, d’abord ennemie d’Athènes, l’île sera ensuite citée par Alexandre (5, 326-327) comme secourue par les Athéniens contre Philippe, imité plus tard par son successeur, Philippe V, cf. Polyb. V, 102, 10. 208) L’éviction de Stasagoras – A et Arm nomment même son remplaçant, Hippothoon chez le second – symbolise, au milieu d’interrogatives oratoires propres à Julius Valère, l’affrontement d’un « gamin » et de l’uniuersae Atheniensium curiae maiestas. Voir infra n. 221. 209) La péroraison d’Eschine seule rapportée, fait défaut le passage sur les plus récentes défaites infligées par Alexandre à Tyr, Thèbes et aux Péloponnésiens. Add., en 330, le roi étant alors en Bactriane, son admiratif Contre Ctésiphon 165. 210) Renfermant sa construction chiasmatique, Démade en revient aux guerres Médiques (A ajoute les déportations en Perse – elles seront rétablies par le latin en II, 4, 251-252 – et Arm, la sauvegarde du Pirée) . 211) Avec le mot consilium, de même que, supra n. 208, avec celui de maiestas, on touche à des notions qui importent à l’époque de Julius Valère. Á ce terme, répété trois fois, nous avons donné des traductions différentes : « politique, manœuvre, réflexion », mais, en fait, on tourne autour d’une idée centrale dans l’Histoire Auguste, particulièrement dans la Vie d’Alexandre Sévère 66, 1 : le bon prince est le consiliis usus, il a besoin de conseillers, et voilà pourquoi Démade, à l’instar de Darius, cf. supra n. 164 (A et Arm), s’en prend à l’entourage du Macédonien. Les Athéniens, eux aussi, recourent au comité de pilotage des dix orateurs, d’où l’image de l’esquif, doublée de celle des vaillants chiens de berger, empruntée à Démosthène, cf. supra n. 203. 212) Le changement de vocatif, un procédé bien connu des hommes politiques, donne le ton. Les compliments décernés n’empêchent pas de constater que les grandes phrases ne débloqueront pas la situation . Avec cependant autant de copia, la suasoire de Démade est alors systématiquement démolie : 1°) on n’a pas aujourd’hui les généraux de l’époque de Xerxès ; 2°) le consilium existe aussi chez Alexandre ; 3°) Tyr, Thèbes, les Péloponnésiens n’étaient pas des adversaires négligeables ; 4°) Stasagoras a insulté la prêtresse, une compatriote des Athéniens (plus verbeux encore, A et Arm reproduisent les dialogues de l’incident – voire l’argumentation majeure de Démade – selon les habitudes du récit romanesque). 213) Parallèle de Constantin qui, « ayant honte de laisser à son fils des ennemis désarmés », cf. Liban., Or. LIX, 67, livra aux Perses le fer qu’ils demandaient. 214) Comme, à la pause, interviennent Lysias, Platon (A et Arm), Timocrate (Arm), A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 153, pensait que le Roman s’était inspiré d’une traduction analogue à celle des Excerpta latina Barbari alexandrins : Filosofi autem in Athinas sub Alexandro conditore Dimosthenus ritor, et Aristotelis, et Eschinus, et Dimas et Plato et Lysias et Dimocritus cognoscebantur. Chronica minora, éd. K. Frick, 1892, I, p. 270 . En réalité, à l’égal de la fuite de Nectanébo, cf. supra n. 144 de l’Introduction, l’emprunt s’est effectué dans le sens inverse. – La mention des Amphictyons implique une ratification au niveau fédéral, cf. infra II, 5, 308.

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    215) Démosthène approfondit sa plaidoirie sur deux des arguments de Démade, en refusant l’assimilation à Xerxès d’un Alexandre ami de ses ennemis et l’élève des Athéniens en matière de consilium. Pour unaque secum coegerit militare (II, 4, 257), voir supra n. 201. 216) La démonstration démosthénienne passe à une vitesse supérieure : elle se dégage de Démade et avance une proposition qui, d’apparence personnelle, rejoint les propos d’Alexandre tenus à Memphis (I, 34, 1139-1153) : non seulement le Macédonien a fondé une métropole dont la construction, précisent A et Arm, sera vite achevée, mais encore il a laissé les autochtones s’adonner à l’agriculture, en surveillant (A et Arm) les crues du Nil. Alexandrie et la politique menée envers les Égyptiens prouvent l’intelligence (consilium) du roi et cautionnent son droit à devenir le princeps d’un empire bâti contre les Perses à partir de l’Égypte. Au temps de Julius Valère, l’adération, adoptée par Constance II en lieu et place du recrutement de tirones, relève d’un choix analogue à celui du Conquérant. 217) Emporté par la uis oratoria, Démosthène ajoute : Militem quaerit : animis uolentibus praesto sunt (II, 4, 295-296), ce qui contredit la note précédente. 218) En A et Arm, boutade finale de Démosthène à propos de la solution militaire : « Si cela vous fait plaisir et si vous en avez envie, allez-y. Mais ce n’est vraiment pas le moment. » Le discours de Démosthène couvre 117 lignes dans l’édition latine de Rosellini et 61 dans celle, grecque, de Kroll ; même approximative, cette différence témoigne du choix de Julius Valère 219) Les Romains avaient été deux fois plus généreux, cf. supra n. 81. Selon A et Arm, l’ambassade fait état du plaidoyer d’Eschine, selon Arm, également de celui de Démade. En réponse, le roi déclare croire aux vertus d’une réunion colloquiale ; A et Arm disent simplement que celui-ci préfère des orateurs aux soldats. 220) Précision de Julius Valère qui latinise le nom de la déesse ; les Athéniens, en retirant les imagines de Philippe, élevées en 338, après la bataille de Chéronée, le jugeaient un tyran. A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 153, remarque qu’une interférence avec Philippe V était facilitée parce qu’au dire de Tite Live, XXXI, 44, 2, en 199, furent, de plus, abattues les statues des ancêtres de ce monarque. 221) Chez Julius Valère, Alexandre, plutôt que d’incriminer, comme A et Arm, la lâcheté de ses adversaires, récuse la notion de maiestas (cf. supra n. 208) au profit de la ciuica religio et des consilia bafoués par les Athéniens. 222) Exil d’Alcibiade en 412, archontat d’Euclide en 401, mort de Socrate en 399 ; l’anachronisme concerne Démosthène qui, corrompu par Harpale, sera condamné en 324. 223) Il était normal qu’Alexandre conclût par l’affaire de Stasagoras qui était à l’origine de la crise. Le pardon du fils de Philippe est d’autant plus éclatant qu’empruntant à Démade l’allusion à l’uniuersae Atheniensium curiae maiestas (cf. supra n. 208), il l’amplifie en communis curia…Graeciae uniuersae. Voir Diodor. XVII, 15, 5, avec la note 1, p. 27 de l’édition Goukowsky. 224) A et Arm observent que les Spartiates étaient meilleurs marins que fantassins, ce qui, au dire d’A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 153, s’appliquerait mieux à l’époque où, ca 195, Rome pourchassait Nabis, le tyran pirate de Lacédémone, cf. Liv. XXXIV, 31-32. Après la défaite sur mer d’Agésilas, son frère Agis qui, en 330, profitait de l’éloignement du Conquérant, fut vaincu par Antipater, le régent de Macédoine, cf. Diodor. XVII, 62, 6-63, 4. La Souda, s.v. Alexandros, mentionne une victoire navale d’Alexandre, mais par mélecture d’Athénée I, 3d. 225) A et Arm distinguent les fantassins combattant devant les remparts ; la décision d’Alexandre, correspondant à II, 6, 395-404, manque en Arm ; à noter la formule

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    clôturant le chapitre : ad formam pristinae maiestatis ciuibus haberi permittit, cf. supra n. 208 et 223. 226) Une charnière appuyée ferme la parenthèse qui, ouverte en I, 42, 1415, après la bataille d’Issos (novembre 333), celle du Granique étant complétement omise, contient les cinq campagnes rétroactivement évoquées : l’étrange raid de l’Achaïe au Taurus par traversée implicite de l’Asie Mineure ; la poussée depuis la Macédoine jusqu’à la Troade ; un redémarrage partant d’Abdère en direction des bouches du Danube ; un doublet suspect du premier transfert occidental, de l’Italie du sud à la Sicile ; la concentration dans la Grèce de Béotie et du Péloponnèse à Thèbes, Corinthe, Platées, Lacédémone. Le récit toutefois cède à une dernière aberration chrono-géographique, puisque le lecteur qui, franchissant le Taurus, a atteint le golfe d’Issos, est ramené, en avant de la chaîne montagneuse, à Tarse de Cilicie (été 333). 227) Le conseil de guerre n’est pas celui tenu antérieurement par Darius après la perte d’Halicarnasse et la mort de l’Amiral Memnon (cf. Diod. XVII, 30, 1-2) : déjà à Issos le souverain perse avait combattu en personne. 228) Récente réinterprétation de G. Eckard, « ‘Habenam et pilam loculosque cum aureis’. Les présents envoyés par Darius dans le Roman d’Alexandre », Mélanges André Schneider, Neuchâtel-Genève, 1997, p. 247-257. – Mise en cause de la imperii maiestas ( II, 7, 412). 229) Dans ce passage corrompu, A et probablement Arm conjuguent la Fortune à la diuina Prouidentia (cf. supra n. 169). La thèse de J.-P. Martin, Providentia Deorum, Aspects religieux du pouvoir romain, CEFR 61, 1982, montre à suffisance le caractère officiel et de plus en plus militaire de cette notion au début du IVe s. En A et Arm, après avoir constaté que l’élève se dresse contre son maître, Darius termine en préconisant l’abandon définitif de la Grèce. 230) Oxyathrus (ou Oxathrès ou Oxyartès), vaillant combattant à Issos, cf. Diodor. XVII, 34, 2, voit la supériorité d’Alexandre dans son humilité et sa capacité d’entraînement, alors que la cohésion de la phalange est mise en avant par le Grec Charidème, cf. Curt. III, 2, 13-14. En A et Arm, le rappel de la visite à la cour de Philippe (I, 23, 664-682) concerne un autre intervenant, peut-être Pasargès (cf. infra II, 15,739-741), lequel compare le Conquérant à un lion. 231) A et Arm placent en tête les Perses, différenciés des Parthes (le Haut Empire les confondait, cf. Plin. VI, 15, 41 : Persarum regna quae nunc Parthorum intellegimus, mais, de Carin à Constance II, les titulatures impériales n’admettent plus que l’épiclèse Persicus). A complète par les Illyriens, Arm qui omet Bactres, par les Libyens : donc deux additions occidentales, les Élyméens vivant en Susiane (Contra Curt. III, 2, 9 : Nam Bactrianos et Sogdianos et Indos ceterosque Rubri Maris accolas, ignota etiam ipsi gentium nomina, festinatio prohibebat acciri). – Première inclusion des terres de la Candace, par Sémiramis interposée. 232) En A et Arm un dernier conseiller prend la parole. On lui doit, à propos de l’intelligence grecque, une métaphore animalière sur le chien de Laconie qui peut, tout seul, chasser un troupeau de moutons. Cette comparaison, analogue à la péroraison de Démade, cf. supra n. 211, amène R. Merkelbach, op. cit. supra n. 64, p. 91, à supposer un emprunt au discours du Grec Charidème, cf. Diodor. XVII, 30, 3. 233) Voir notre étude signalée n. 10 de l’Introduction. A et Arm nomment le fleuve Oceanus et surtout ils indiquent qu’Alexandre se deshabille avant le bain : l’Itinéraire, puis les Res gestae ont, au contraire, en commun l’exploit du héros se jetant tout équipé du haut du pont. A et Arm relatent, en outre, la crainte que Darius ne profite de la maladie du Macédonien pour attaquer le camp. 234) Julius Valère, en accord avec Arm, élimine Parménion – distinct de l’homonyme cité en II, 17, 883 et 888, puis en III, 555 et 589 –, A mentionnant, sans plus de

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    précision, un châtiment. A et Arm nomment la sœur de Darius, Dadipharte, tandis que Plutarque, Al. 19, 3, désigne une fille comme la promise (autre effet de cette politique des mariages, cf. infra II, 9, 552-553) ; selon Arm, probablement A et Plutarque, ibid., Alexandre pose la lettre sous son oreiller ; enfin, au moment des explications, A et Arm sont moins courts : ils mettent dans la bouche du roi une jolie phrase : « Je savais qu’un Philippe ne pouvait faire du mal à Alexandre. » 235) Après des compléments géographiques sur la Grande Arménie, des subdivisions difficiles à identifier, l’hydrographie, voire pour l’arménien, sur le Mont Ararat, A et Arm insèrent un bref excursus touchant l’Euphrate et le Tigre censés communiquer avec le Nil et subir les conséquences de ses crues, cf. Pausan. II, 5, 2 et Philostr. Apoll. Tyan.. I, 20, 2. 236) Á l’emplacement futur de Zeugma, cf. Plin. XXXIV, 43, 150, Alexandre, d’après A et Arm, fait tester son pont par « les mulets, les moutons et les chariots de vivres ». Le Tigre sera franchi par un gué, cf. Curt. IV, 9, 18. 237) Sur le thème de la Fortune propre à Julius Valère, cf. supra n. 169. Dans sa longue réponse, axée sur l’antithèse spes/pauor, Alexandre reprend le même thème : la Fortune ne quittera pas l’armée macédonienne, car celle-ci se préoccupe moins de survie que de gloire. La manœuvre tactique du Conquérant, déjà utilisée au Granique, cf. Diodor, XVII, 23,2, rentre dans une série établie par Polyen, IV, 3, 13. Du côté perse, Darius se réjouit du blocage des arrières macédoniens, cf. Curt. IV, 14, 15 : Nam ne illis quidem ad fugam locus est : hinc Euphrates, illinc Tigris prohibet inclusos. 238) Bataille de Gaugamèles, près d’Arbèles, le 1er octobre 331. Dans les attaques d’avant-garde, les cinq satrapes indiqués par A et Arm peuvent être Bessus, Ariobarzanès, Orontobatès, Orsinès et Phradatès mentionnés par Quinte Curce IV, 12, 6-9, bien qu’au Granique également cinq noms perses aient été prononcés : Memnon, Arsaménès, Arsitès, Spithrobatès et Rhéomithrès, cf. Diodor. XVII, 19, 4. Fusion des frères Spithrobatès et Rhosakès, aux prises avec Alexandre lors de ces affrontements du Granique (ibid., 20, 1-7), en un Perse anonyme qui, à Gaugamèles, s’en distingue par deux traits : il a revêtu l’uniforme macédonien et il attaque de dos. Alexandre ne l’en félicite pas moins : pour des combattants tout est affaire de Fortune, mais, apparemment mise à mal, la morale résiste ensuite, dès que la fidélité est en cause. Contrairement à Julius Valère qui ne s’intéresse pas aux Hautes-Satrapies, cet épisode ultérieur est, à contretemps, déplacé par A et Arm en Bactriane, base fortifiée des Perses, à la recherche de vivres. 239) Cf. supra n. 227 : une nouvelle fois, Julius Valère, oubliant Issos, se reporte aux luttes antérieures sur la côte ionienne et, en conséquence, publie le message d’Hystape et Spinther, connus depuis I, 39, 1297-1319 comme responsables ultra Taurum (cf. supra n. 157). C’est seulement en II, 16, 787 que le lecteur sera ramené à Gaugamèles pour la véritable bataille, après un copieux intermezzo épistolaire et anecdotique. 240) Deuxième lettre de Darius, écrite après Issos et la capture de sa famille. Le souverain récuse l’idée d’une euocatio des dieux perses dans le camp d’Alexandre ; il conserve son compagnonnage céleste mais se dit prêt à y admettre un suppliant sincère. Bon ou mauvais à l’extrême, le traitement des siens est tout un : caution du Pap. Soc. Ital. 1285, IV, 17-41. 241) Julius Valère renchérit sur l’humanité d’Alexandre, cf. Curt. IV, 11, 16 : Nuntiate Dareo me, quae fecerim clementer et liberaliter, non amicitiae eius tribuisse sed naturae meae .En A et Arm, le texte n’est pas sûr, mais il s’en dégage l’impression qu’Alexandre privilégie les proches de Darius parce que « du ciel ils sont tombés sur la terre ». In fine, A ajoute : « Il me serait plus pénible de me rapprocher de toi que de te faire la guerre. » Julius Valère joue plus nettement sur le verbe uenire : Alexandre viendra, non pour supplier mais pour se battre, et cette démarche, hostile à Darius, se transformera en aduentus, c’est-à-dire en un accueil favorable de la population. Dès ce moment,

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    le Macédonien tente de dissocier le monarque de ses sujets. Ici, le Pap. Soc. Ital. coupe court en IV, 46. 242) On pense aux réquisitions de la uestis militaris au IVe s. de notre ère. Julius Valère qui, différemment de A et Arm, ne commet pas l’anachronisme de citer Antioche, ne dit mot non plus des cnémides et des chaussures ; autres divergences : la Phrygie au lieu de la Syrie indiquée par A, Arm double le nombre des chameaux, A est trop mutilé pour qu’on sache si, lui aussi, répartissait le travail dans la noria des transports. Chez les historiens (Diodor. XVII, 71, 12, Curt. V, 6, 9), chez Plutarque, Al. 37, 2, ces grands chargements s’effectuèrent plus tard pour l’évacuation des trésors monétaires de Persépolis. 243) Texte extrêmement condensé. A et Arm : « ‘Hoimétadès salue le dieu Darius. J’ai hésité à t’écrire mais les faits m’y contraignent. Je suis moi-même blessé, deux administrateurs de haut rang sont morts, Komarxès, blessé, est retourné chez lui (Arm : les ennemis ont emporté tout ce qui leur était utile). Nanias et les administrateurs qui étaient sous ses ordres sont passés à Alexandre, en emportant les fonds qu’ils avaient collectés. Ils ont livré (Arm : brûlé) les terres royales avec les courtisanes qui s’y trouvaient, ils ont tué Olympias, la sœur de Mithridate et ils ont incendié les champs.’ Quand Darius apprit cela, il écrivit au satrape le plus proche, Pengalos, de se tenir prêt et de mettre ses troupes sur le pied de guerre ; il écrivit aussi aux rois des pays voisins : ‘Nous nous préparons à un rude combat pour repousser un certain peuple macédonien et vous aussi, devez entrer en lutte, car je ne pense pas que ses actes d’audace aient lieu de vous réjouir.’ Il ordonna également aux troupes de Kobarzès de se mettre en route et d’avancer le plus vite possible » (trad. A. Tallet-Bonvalot). Les noms propres sont incertains. 244) Bref résumé. A et Arm sont plus loquaces : après avoir exprimé son chagrin et encouragé Darius, ceci dans une phrase malaisée à reconstituer, Porus finissait ainsi : « Écris-nous ce que tu comptes faire. Toutes mes armées seront à ta disposition et les nations lointaines répondront à ton appel. » 245) Diodore, XVII, 37, 6, et Quinte Curce, III, 2, 23, nomment Sisygamb(r)is cette mère qui, insiste le Roman, fait pleurer Darius (cf. supra n. 182). Entre Issos et Gaugamèles, à deux reprises pourtant, cf. Diodor. ibid. 54, 2 avec la note de P. Goukowsky, p. 208-210, le souverain perse lui-même propose un mariage et un partage territorial. 246) Cf. supra n. 176 de l’Introduction pour l’impact démobilisateur de la poussière (selon Arm, la nuée monte jusqu’à l’Olympe), qui sera remarqué aussi par Ammien, XXIV, 8, 5-7 ; les murailles sont celles de la πόλις d’Arbèles, cf. Arrian. III, 8, 7, quoique A et Arm situent déjà le stratagème en Perside ; ces deux parallèles, se limitant aux branchages fixés à la queue des animaux, ignorent, en outre, la forêt en marche rendue célèbre plus tard par Macbeth. 247) Dans cette vision antithétique à I, 35, 1169, Ammon, sous l’apparence circonstancielle de Mercure, tient le caducée, disent A et Arm (lequel ajoute un bâton), et porte le pétase. Il se trouve qu’Ammon et Hermès sont des dieux dont le Macédonien, toujours prêt, comme ici, à se déguiser, aime en société revêtir les affublements, cf. Athen. XII 537e-f. Chez Plutarque, Al. 18, 4 et Quinte Curce III, 3, 2, le rêveur est, au contraire, Darius, qui voit Alexandre, habillé en messager perse, disparaître à cheval. 248) Du parcours de Mani, raconté par Épiphane, Adv. Haereticos 66, il ressort que le Stranga (appelé Lycus par Quinte Curce IV, 16, 8), appartient au bassin mésopotamien, sans doute aux confins de l’Arménie. Insertion de A et Arm : « Des jours après, il dégèle brusquement et se met alors à rouler des flots impétueux. » 249) En conduisant Alexandre « aux portes de la Perside », A et Arm déportent sensiblement les opérations vers le sud et Persépolis. 250) En A et Arm, la description, plus impressionnante mais sans détail caractéristique (contra Curt. III, 3, 16-19), situe sur une colline ce qui semble au Macédonien

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    l’épiphanie d’un Darius, tel Mithra (A), dans la force de l’âge, surchargé de pierreries, de soie, de pourpre et d’or. Alexandre n’a pas le costume qui, validant le rêve du Perse, permettrait son identification. 251) Logique de la représentation diplomatique, rehaussée par un acte religieux. – Liste de noms propres en A et Arm, parmi lesquels Adoulitès, le gouverneur de Suse et Candaule « à la peau noire comme la nuit, qui était prince d’Éthiopie ». 252) Arm : les Perses ne savaient pas quel beau composé de Fortune et de divin était contenu dans ce petit flacon. Plus tard, raconte Quinte Curce VII, 8, 9, aux Scythes évaluant le mérite à la taille, Alexandre a pu paraître manquer de prestance pour sa réputation. 253) Ébloui par la richesse et la stature de Darius, le Conquérant se devait de renchérir : bien qu’Athénée IV, 129f atteste de l’usage à la cour de Macédoine, le Roman préfère imaginer une provocation mettant en pratique l’adage admirablement formulé par A et Arm : « Une histoire inventée, si elle est vraisemblable, fait toujours de l’effet sur un auditoire. » À vrai dire, on comprend mal qu’Alexandre puisse s’enfuir avec toutes ces coupes. Un rapprochement pourrait être tenté avec l’Histoire Auguste, Verus 5, 3 : donatos etiam calices singulis per singulas potiones, myrrinos et crystallinos Alexandrinos. 254) Cf. supra n. 64. Julius Valère ne dit pas que ce Pasargès (Parasangès, « le messager », en Arm) avait été à Pella réclamer le tribut ; il estompe plutôt les circonstances de l’entrevue. 255) Puisque, en A (Arm est plus confus), Alexandre s’est saisi de la torche du garde, la protection divine n’a rien que de rationnel : sa route est éclairée comme par une étoile, tandis que les poursuivants à l’aveuglette tombent dans des ravins. Chez Julius Valère, faute d’explication antérieure, l’aventure prend la tournure quasi miraculeuse d’une « marche à l’étoile ». 256) Julius Valère majore l’affaire du tableau. Une chute identique dans l’Histoire Auguste, Al. Sev.13, 2 reçoit, au contraire, une interprétation positive : le portrait de Trajan se décroche du mur, au-dessus du lit conjugal, lors de la naissance d’Alexandre Sévère. R. Merkelbach, op. cit supra n. 64, p. 93, signale aussi la méditation d’Alexandre à Persépolis devant une statue abattue de Xerxès, cf. Plut. Al. 37, 5. – Après l’insertion, en synchronie, de l’incident éprouvant Darius, la narration se refocalise sur Alexandre : elle est alors plus courte et moins épique en A et Arm où la glace cède, quand déjà le cheval posait les jambes de devant sur la terre ferme. Le fleuve n’est pas navigable et n’offre aucun gué, d’où, en A, l’inquiétude d’Eumède. J.-L. Desnier, La légitimité du Prince, Paris, 1997, a judicieusement insisté sur cette sorte d’ordalie. 257) Ce chiffre est produit à une étape ultérieure des campagnes, soit quatre ans après Gaugamèles, cf. Curt. VIII, 5, 4 ; Plut. Al. 66, 5 ; Arrian. Ind. 19,5 ; A : dans cette revue où Alexandre, tel Zeus inspectant les divinités célestes (esquisse seulement en Arm), compte ses soldats, il calcule en fonction de sa connaissance personnelle des énormes effectifs perses – mais, cf. Curt. IV, 14, 5, illinc plures stare, hinc plures dimicaturos. Julius Valère reporte ledit élément d’appréciation dans le discours ; cette adlocutio, identique pour le sens général dans les trois langues, varie ses comparaisons : A et Arm recourent à la métaphore des mouches et des guêpes, les Res gestae à celle, paradoxale, du paysan effrayé par l’ampleur de la moisson. Cette deuxième image sera utilisée par A et Arm à la fin de la bataille qui s’annonce ; on la jugera alors particulièrement appropriée, car elle s’appliquera aux chars à faux perses retournés contre leurs propres lignes, cf. Diodor. XVII, 58, 4 ; pour sa part, Julius Valère la répète pour le camp macédonien en train de gagner (II, 16, 824-825). 258) Julius Valère, II, 16, 811-813, observe que Darius quitte son char de cérémonie, alors qu’à Issos, I, 41, 1380-1381, il ne l’avait pas échangé contre un char de

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    combat. De leur côté, A et Arm, après des notations sur les hérauts ou le cheval Bucéphale, brossent un tableau pathétique du champ de bataille ; l’engloutissement dans le Stranga est ensuite expédié d’une façon sèche, tandis que, dans le texte latin, on est d’emblée dans une cohue prise au piège. 259) Là où le Darius des Res gestae reconnaît sa responsabilité morale, celui décrit par A accuse l’action inévitable d’une mauvaise étoile et, comme Arm, il invoque les caprices de la Fortune, tels que sa mère les lui a enseignés. 260) Nouvel exemple de l’intérêt de Julius Valère pour la psychologie des protagonistes. La voie avait été ouverte par Diodore, XVII, 39,1, qui, dès après la défaite d’Issos, insérait l’adverbe ἀνθρωπίνως dans le vocabulaire de Darius. 261) Là où, avec des variantes, A et Arm énumèrent les espoirs de butin et les pertes patrimoniales subies, en définitive par Xerxès, les Res gestae réaffirment le pouvoir de la Fortune, en y joignant les valeurs du nomen graecum exprimées par la clémence mais dont les autres connotations sont la justice, l’honneur, la sagesse, le tout à l’opposé des Barbares, cf. supra I, 35, 1174 et 37, 1245 ; infra II, 22, 1154 et III, 2, 86. Le Pap. Hamb. 129 conserve ce début de lettre. 262) A et Arm localisent chez de mystérieux Minyes, à Suse et à Bactres, les trésors qui serviraient de rançon. Le latin achève la lettre ainsi qu’il l’a commencée, mais sans engagement territorial déterminé 263) Il est très douteux que le traitement de praesentium en un substantif coordonné à optimatium autorise un rapprochement avec les officiers praesentales du Bas Empire. – Le second Parménion réapparaîtra en III, 17, 589, lors de la consultation des arbres du Soleil et de la Lune. 264) La fameuse conditionnelle : « moi aussi, si j’étais Parménion », absente du Roman, dérive d’Arrien II, 25, 3. Le ius belli a confirmé une possession qui, de iure, aurait dû échapper aux Perses avant même la guerre. 265) L’incendie de Persépolis, qui date de janvier 330, moins de quatre mois après Gaugamèles, fut provoqué par Thaïs, l’amie de Ptolémée, cf. Diodor. XVII, 72, 1-5 ; Plut. Al. 38, 4-8 ; Curt. V, 7, 3-11. 266) La visite, à Parsagadès, au nord-est de Persépolis, de la tombe de Cyrus est relatée par Strabon XV, 3, 7 : sarcophage en or, au dixième étage d’une tour (détails enregistrés par A et Arm) ; Julius Valère de la hauteur du monument transfère l’attention vers les parois translucides de la châsse, une rareté pour un Occidental. Le Roman groupe les captifs mutilés auprès du sépulcre, alors que la rencontre eut lieu dans les parages de Persépolis, avant que la ville ne fût prise, cf. Diodor. XVII, 69, 2-8 ; Curt. V, 5, 5-24, mais A et Arm, plus attentifs que les Res gestae à préciser les bienfaits du roi, modifient les données des deux historiens. L’abrasion du nez et des oreilles est, dans le supplément de Arm signalé infra n. 290, p. 75, considérée une coutume s’appliquant aux gardiens des tombeaux. 267) Forte expression en A : « l’ennemi qui m’assaille a le cœur d’un fauve et l’âme de la mer ». – Une première lettre de Darius, attestée par l’Itinéraire 39, avait offert pour les captifs royaux. une rançon de dix mille talents d’or ; la seconde missive, ibid. 43, complétait le numéraire par le don des régions situées en-deçà de l’Euphrate : elles auraient constitué la dot de la fille du Perse, devenue l’épouse du Macédonien. Une proposition intermédiaire, fixant la frontière sur l’Halys, est rapportée par les historiens : Diodor.XVII, 39, 1 ; Curt. IV, 5, 1. – En II, 19, 960, nous ponctuons après dignum erit pour traduire cette phrase contournée qui enveloppe dans les grands sentiments l’appel au réalisme. 268) Compte tenu des différences pondérales, des soldes de 3 et 5 aurei ne pouvaient surprendre un lecteur du Roman, puisqu’en février 401, cf. Cod. Theod. XI, 17, 2, l’adération allouait 7 solidi au cavalier. – Regioque cultu (II, 19, 970) est compris par A

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    et Arm : « avec des terres royales ». – Le nombre des concubines correspond à la moitié du harem royal où une femme différente était prévue pour chaque jour de l’année. 269) Cette fois, Porus est identifié comme le roi de l’Inde où coule l’Indus. Voir supra n. 231. 270) Incohérence géographique. Selon Diodore XVII, 73, 2 et Quinte Curce V, 8, 1 et 13, 1, Alexandre, après la prise de Persépolis, poursuit Darius qui s’enfuit en direction de la Bactriane. Dès lors, l’armée macédonienne ne peut être restée sur le Stranga, ni le souverain perse avoir été assassiné, en juillet 330, à une relative proximité de celui-ci. – Bathanis (II, 19, 978), toponyme, sans doute déformé, d’Ecbatane sur la route des Portes Caspienne, est mal compris de Julius Valère qui le glose d’un mot ; Arm (§194) a  : «  près du pays de Thalis, dans la région de Gilanos  », deux indications indéchiffrables. 271) A et Arm reproduisent l’algarade de Darius aux meurtriers et notamment l’apophtegme : « Un roi ne peut voir un autre roi traîteusement assassiné », et ils expliquent que la mort ne fut pas immédiate parce que les coups de poignard avaient été déviés (contra Diodor. XVII, 73, 3-4, avec la note de P. Goukowsky). Récit très circonstancié et différent de Quinte Curce V, 9, 2-13, 25 (le second conjuré se nomme Nabarzanès et non pas Arbarzanès/Ariobarzanès). 272) A (sous forme métrique) et Arm prolongent l’apostrophe d’Alexandre : « Je te jure, Darius, (Arm : par la Providence céleste et) par tous les dieux, que je parle en vérité et non par ruse : à toi seul je cède le diadème et le sceptre (Arm : césarien), car j’ai moi-même partagé un repas avec toi, à ta table, à ton foyer, quand je suis venu te trouver comme messager d’Alexandre » (trad. A. Tallet-Bonvalot). Les noms des assassins sont alors vainement demandés. 273) Expressionisme, chez Julius Valère, dans la description des posture et gestuelle. – Arm pousse à l’extrême la désillusion politique de Darius, puisque le mourant demande à être enseveli, non par des Perses, mais par les Macédoniens qui pourraient bien, à leur tour, trahir Alexandre. Les Res gestae, au contraire, plaident pour une union des deux peuples (cf. Itinéraire 5 : souhait de la ciuitas Romana pour les Perses ; quelques lignes plus haut, en 4, dans un contexte dynastique, la phrase si quis functis est sensus prend du relief, comparé à A, Kroll, II, 20, 11, 3 : εἴ τι καὶ ἐν φθιτοῖσι λείπεται γνώμης, où, comme en Arm, Darius s’imagine en consocer du roi Philippe). Dans le testament familial, le latin fonde donc le réconfort de Roxane (cf. infra n. 286) sur sa fierté d’être reine, ainsi qu’il place Rogodune au rang d’Olympias, l’arménien n’oubliant pas, quant à lui, la sœur, le frère et les autres enfants de Darius. 274) En accord avec Justin XI, 15, 15, le Roman fait participer Alexandre aux funérailles, mais, en A et Arm, l’angle de vue est différent : les Perses éprouvent surtout de la sympathie pour Alexandre, à le voir porter la dépouille de Darius. Ensuite, quand les deux parallèles sont brefs ; « Il fit sacrifier des bœufs et organisa des jeux funéraires », Julius Valère élargit le programme avec des aspects culturels de tradition hellénique  : dédicace d’un temple, fête anniversaire, spectacles, concours musicaux. Voir aussi Strab. XV, 3, 18 : jeux athlétiques. 275) Julius Valère institue ainsi un dialogue avec l’opinion publique  ; aucun cadrage en ce sens pour A ; Arm installe même Alexandre en majesté sur un trône. Les historiens ignorent ce discours programmatique usibus publicis. – Dans le texte latin, le Macédonien commence, en invoquant le ius belli, par se déclarer non coupable, puis remercie les dieux ; dans l’arménien (A est lacunaire), il déplore tant de morts et sa gratitude s’adresse, dans un mélange qui ne veut rien omettre, « à la Providence et à tous les dieux et déesses ». 276) L’esprit de la charte est dans ce trait propre à Julius Valère : pour conserver la stabilité, il faut, comme sous Darius, des autorités, mais le nouveau maître les a choi-

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    sies en sorte qu’elles ne s’imposent pas seulement par la peur. S’interdisant les déportations, le Conquérant entend fixer les populations dans leurs ressorts et modes de vie originels ; il assure leur autarcie mais peut ainsi, par l’interdiction des migrations, exercer un contrôle policier et fiscal. À cet égard, les Res gestae se taisent sur les redevances agricoles maintenues (A) ou réduites d’un tiers (Arm). 277) Arm : les métaux précieux doivent être remis aux administrations rurales et urbaines, afin qu’il y ait remonétarisation au nom d’Alexandre (la réalité de ces frappes reste une question ouverte chez les numismates). 278) A et Arm sont plus catégoriques : les armes privées obligatoirement récupérés par les arsenaux seront réparties par le roi entre les satrapes (A), en sus de leurs forces propres (Arm) ; lesdits satrapes auront aussi à autoriser les compétitions intercommunautaires. Comparer avec les armureries royales de l’Inde, cf. Strab. XV, 1, 52 (d’après Mégasthène). 279) A et Arm appliquent aux rassemblements commerciaux le chiffre de vingt personnes qui, chez Julius Valère, concerne les milices privées chargées de la protection des biens. 280) Sur les commercia, places réservées aux transactions autorisées avec l’extérieur, voir R. Delmaire, op. cit. supra n. 32, p. 283-297, attestation en 371, cf. CIL III, 3653, ce qui est un terminus intéressant pour les Res gestae 281) A et Arm ont moins de concision : la route partira de l’Euphrate, point de jonction avec l’arrière-pays hellénisé ; les satrapes la construiront par tronçon équivalent à un demi-schène (5 km) et, à chaque schène, ils planteront des bornes indiquant la ou les directions, s’il y a carrefour, ainsi que, semble-t-il, l’état du terrain. Comparer avec le réseau routier de l’Inde, cf. Strab. XV, 1, 50 (d’après Mégasthène). La taxe de péage sera versée principalement au culte de Zeus Sérapis : une transition s’amorce donc avec la suite. 282) Julius Valère condense : A et Arm intercalent le règlement de jeux organisés en Perse pour l’anniversaire d’Alexandre, parallèlement à ceux voués à Cyrus. Outre les festins, les manifestations ouvertes aux Perses comporteront deux volets, l’un religieux, l’autre agonistique. Au premier appartient le couronnement d’une vierge alexandrine, prêtresse du temple d’Ammon (les sommes qu’elle recevra varieront selon la durée de son engagement). Le second, facilité par la construction d’un gymnase (A : « comme à Pella » ; Arm : « comme dans une cité grecque »), comprendra course de chars et course à cheval, dotées chacune de divers prix : coupes d’or et d’argent, vêtement perse (cf . Plut. Al. 45, 2), droit de dîner à vie dans le temple érigé pour Alexandre ; une troisième distribution où une ceinture d’or complète d’analogues récompenses observera « la coutume perse » avec tirage au sort. Enfin, en mixant l’arménien et le grec, on comprend qu’un banquet de la Victoire réunira les satrapes dans l’Alexandrinon. La parenthèse achevée, on retrouve les deux données de Julius Valère : 1°) les agonothètes – mais aussi les prêtres de l’Alexandrinon dont Moschyle, son fondateur – seront alexandrins et revêtiront une parure sacerdotale ; 2°) l’accès de cet Alexandrinon sera interdit à toute autre personne (en A et Arm, l’éloignement spécifique des Mèdes est peut-être une séquelle des projets discriminatoires, un moment envisagés sous l’influence d’Aristote : au contraire, l’édit s’oriente vers un protectorat tolérant, sous l’emprise toutefois d’Alexandrie). 283) Sous Septime Sévère, Alexandrie récupère sa βουλή supprimée par les Lagides. L’arbitrage privé est ici interdit pour renforcer son pouvoir. 284) Ne sachant pas jouer sur les mots et donc proposer une explication évidente, A et Arm compliquent le message par d’inutiles distinctions entre Macédoniens et Perses ; ils soulignent, par contre, les intentions d’Alexandre : non seulement le vainqueur venge Darius, sur la tombe duquel les satrapes sont crucifiés, mais aussi il protège sa personne, car, dit-il : « s’ils ont tué leur propre maître, à plus forte raison risquent-ils de me tuer ».

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    En réalité, entre la mort de Darius et l’exécution de Bessus – à Ecbatane et non par crucifixion –, il s’écoula une vingtaine de mois occupés par les opérations de Bactriane, systématiquement omises dans le Roman. 285) A et Arm permettent la restitution du nom : Adoulitès, l’oncle paternel de Darius et l’un de ses commensaux, cf. supra n. 251, conserve la satrapie de Susiane (Curt. V, 2, 17), celle de Perside allant à Phrasaortès (Arrian. III, 18, 11). 286) A et Arm qui, à tort, associent à Rogodune Stateira déjà décédée (Diodor. XVII, 54, 7), dans le rappel circonstancié des faits, s’élargissent à trois autres considérations : 1°) les intéressées pourront procéder à leurs chants de deuil ; 2°) elles seront rétablies sur les peuples qu’elles auront choisis ; 3°) pour l’instant, elles ne doivent pas bouger, car « quelques fous encore ne se sont pas rendus ». – Roxane, déjà évoquée supra n. 273, n’est pas le nom de la fille de Darius, épousée à l’été 330 (Él. V. H. VIII, 7), laquelle s’appelle Stateira comme sa mère (Curt. IV, 5, 1), mais celui de la Bactrienne, fille d’Oxyartès, épousée au printemps 327 (ibid. VIII, 4, 23-29). Au contraire de Arm, Julius Valère et A connaissent deux Roxanes, la femme perse du roi et, fugitivement (III, 33, 1400-1401 = Kroll III, 33, 15, 6), une Roxanen Bactranam mariée à Phanocratès par le testament d’Alexandre. 287) Tandis que, dans la lettre de Rogodune, Julius Valère pose l’accent sur la continuité de la dignité royale et l’action légitime de la Fortune, dans A et Arm, à leurs propres prières requérant pour le Macédonien d’innombrables années de royauté sur le monde, les reines ajoutent, à l’intention du destinataire, qu’elles ont écrit au peuple perse (« aux survivants » précise Arm) pour que « il demande à ses dieux de te faire partager le trône de Zeus ». En fait, d’ores et déjà, Alexandre conduit la nouvelle Héra au mariage et la gloire des Perses, estimée abattue au début de la première missive, est, au terme de la seconde, relevée par cette juste union, accueillie, outre les Grands et la noblesse, par l’ensemble de la nation avec ses statues divines ( rapprocher III, 22, 1140-1141 : una cum diis ipsis deorumque simulacris obuiare de I, 34, 1111-1112 : una cum diis deorumque simulacris…obuiare). 288) A et Arm : « Cette pratique est dangereuse pour l’âme. » C’est, chez Arrien IV, 11, 5, le point de vue défendu par Callisthène. 289) Selon Quinte Curce V, 2, 18, après la prise de Suse, la reine Sisygambis bénéficie de précieux vêtements envoyés de Macédoine. A et Arm imaginent une contrepartie en numéraire pour Olympias ; plutôt que de faire appel à la disciplina graeca, ils préfèrent mettre en avant les divinités : « Inclinez-vous avec crainte devant Némésis qui voit tout et devant Diké ; rejetez loin de vous toute rancœur, si vive et puissante soitelle. » 290) Arm (§ 209) : Olympias expédie depuis la Macédoine le vêtement de cérémonie. Le mariage est célébré et commence alors, conjointement adressé à la mère d’Alexandre et à Aristote, un assez bref rapport reprenant le récit à partir d’Issos mais s’engageant très vite, une fois Darius mort, dans une description de pays merveilleux qui ne fait pas complétement double emploi avec la lettre ultérieure sur l’Inde – ce pays n’est, au reste, jamais mentionné –, car la monstruosité y est systématique et affecte davantage les humains que les règnes animal et végétal (ce texte adventice – à ne pas confondre avec celui, plus important, introduit infra n. 297 – est traduit par G. Bounoure et B. Serret, Pseudo-Callisthène, Le Roman d’Alexandre, Paris, 1992, p. 75-80, 82 et 85, parce que le Leidensis Vulc. 93 (L) qu’ils éditent relève de la famille β, laquelle est parfois significativement en interaction avec Arm, cf. n. 204 de l’Introduction et A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 168-172 ; il s’achève sur les sacrifices aux dieux locaux signalés par A, Kroll II, 22, 17, 17). – En ce qui concerne les Res gestae, le copiste du Parisinus lat. 4880 interpole des fragments des §§ 104-106 de l’Itinéraire.

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    Livre III 291) Le Roman, qui ignore donc les campagnes d’Asie Centrale entre 329 et 326, reprend avec le récit d’une mutinerie en laquelle se confondent trois épisodes postérieurs, le premier une reprise en mains à Hécatompyles au printemps 330, les autres beaucoup plus sérieux, l’un après la victoire sur Porus à l’automne 326, le second à Opis durant l’été 324, cf. Curt.VI, 2, 18-4, 1, IX, 2, 12-34 (surtout 29 et 33) et X, 2, 20-29 (surtout 29) : le discours synthétique emprunte ainsi aux deux occurrences majeures. On notera, par ailleurs, la répétition (cura) imperatoria, imperatorium (sapiens prudensque consultum), III, 1, 28 et 31 qui, face aux soldats, valorise l’intelligence du commandement, une vertu aussi valable à l’encontre de Porus : imperatoria (Graecaue sapientia), ibid. 2, 86. Libanius, Or. LIX, 166, fait, de même, en 348, l’éloge de la σύνεσις de Constance II. 292) A et Arm rappellent le tribut antérieurement exigé des Grecs par Darius ; en A, les soldats montrent le mauvais état de leurs armes et de leurs vêtements : pour eux la guerre dure depuis douze ans (= 324), cf. Diodor. XVII, 94, 2 ; Curt. IX, 3, 10 (en 326) ; Itinéraire 113. 293) A et Arm : « Il mit à part le contingent perse », cf. Polyen. IV, 3, 7 ; en A, Alexandre renvoie en Macédoine les plus âgés et demande un contingent de jeunes pour les remplacer, cf. Arrian. VII, 12, 4. 294) Parallèles latin de l’Epitoma 56-57 et grec du Pap. Hamb. 129, 79-105. Ces deux textes en interface diffèrent du Roman sur deux points : 1°) Porus répond au Macédonien, n’ayant pas pris l’inititiative de l’échange ; 2°) l’Indien n’a pas la prétention de s’élever au-dessus des dieux et ne parle pas de Liber/Dionysos. 295) à l’èpithète moralisante sanctissimi A et Arm préfèrent l’équivalent du commilitones césarien. 296) Ad beatitudinem necessaria : addition significative par Julius Valère de cette notion de tranquillitas méritée après une vie active. – Idcirco indigentes meliorum a uobis petere necessaria : antithèse d’une vérité faussement paradoxale. – En fin de lettre, A et Arm réaffirment la suprématie divine : « Qu’un dieu prenne une seule arme, l’éclat de la foudre ou le grondement du tonnerre, la terre entière ne peut le supporter. » 297) Arm insère une reconnaissance du camp d’un Porus sûr de lui par Alexandre déguisé, cette fois, en soldat ravitailleur ; l’histoire – c’est un indice chronologique – figure dans l’édition indépendante de la Lettre à Aristote 33-34 traduite par G. Bounoure et B. Serret, op. cit. supra n. 290, p. 123-146. 298) Dans cette même Lettre à Aristote 38-39, Alexandre apprend de Porus, devenu son ami, une autre manière de combattre les éléphants : il suffit que les cavaliers prennent avec eux des porcs dont les pachydermes redoutent les grognements, cf. mon étude dans les Mélanges offerts à Jacques Heurgon, CEFR 27, 1976, p. 89-100. – Fulgence, De aetatibus 10, cite la ruse des statues et, cf. infra n. 341, les arbres oraculaires. 299) En A et Arm sont décomptés les jours, non de la trêve, mais de la bataille : respectivement vingt-cinq et sept ; Alexandre, en mauvaise posture, doit redouter moins les désertions que des redditions pures et simples. – Mort de Bucéphale : Diodor. XVII, 95, 5 ; Curt. VIII, 14, 34 ; Epitoma 62. 300) Soit les chiffres de 2, 20 et 1, 32 m (sic). Cette disproportion en défaveur d’Alexandre l’oblige à saisir toutes les occasions. Le stade d’observation est ignoré de A et de Arm chez lesquels les deux armées surveillent la lutte. – Dans H. conscrib. 12, Lucien rappelle le mécontement d’Alexandre devant le récit, trop flatteur, du duel par Aristobule. 301) Res gestae : par hasard, un brusque détournement de Porus provoque l’agitation et les cris des Indiens ; A : un bruit se produit dans le camp de Porus qui s’effraie et se retourne ; Arm : l’armée indienne s’agite de façon désordonnée et Porus, sursautant, se retourne pour en savoir la cause. Le latin se distingue par l’inversion du processus.

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    302) A : Alexandre plie les jambes, bondit sur Porus et, enfonçant son épée dans l’aine, le tue aussitôt ; Arm : Alexandre se précipite, il bondit sur Porus et lui enfonce l’épée dans les entrailles… Il rejette du cheval cette masse de chairs (ce serait un combat à cheval). Jamais Alexandre ne frappe Porus dans le dos. 303) Arm : Perses et Macédoniens célèbrent cette fière victoire de leur roi. Le Roman renonce ainsi délibérément au récit historique – maintenu dans l’Itinéraire et l’Epitoma – illustrant la générosité du Conquérant envers un ennemi certes gravement blessé, mais ensuite soigné avec sollicitude et bientôt même associé aux grands desseins de son vainqueur. 304) Le latin gonfle les propos conciliateurs du Macédonien en position d’infériorité numérique. Un premier discours, d’esprit démagogique, démontre que les Indiens, ne combattant que par fidélité à leur chef, n’ont plus à le faire, puisque celui-ci a disparu. Le second admet que d’ores et déjà l’empire d’Alexandre a atteint ses limites naturelles ; la seule ambition du Conquérant est désormais de gagner l’amitié des autres peuples et le contentieux avec Porus n’était que d’ordre personnel. 305) Les Indiens sont libres, mais il faut satisfaire l’armée par un butin constitué, selon Arm, d’or, d’argent et de joyaux. 306) Se séparant des Res gestae et de Arm, A intercale deux épisodes qui ont leurs correspondants dans l’Itinéraire, aux §§ 112 et 115 : l’escalade du rocher dit l’Aornis, parce qu’il ne peut être survolé par des oiseaux, cf. Arrian. IV, 28-30 ; la blessure reçue par Alexandre, lorsqu’il se jeta tout seul du haut du mur à l’intérieur de la capitale des athlétiques Malliens, cf. ibid. VI, 9, 3-11. 307) Les Oxydraques, au contraire, dans la même zone délimitée, au-delà de l’Indus, par les fleuves Hydaspe et Hydraotès, sont de petite taille mais d’une combativité semblable, si bien que, chez Quinte Curce IX, 4, 26, c’est lors du siège de leur capitale qu’Alexandre fut grièvement atteint. La transformation des Oxydraques en pacifiques interlocuteurs du Macédonien résulte d’un glissement à multiples facettes : d’abord, il y eut, au début de 325, heurt violent et répression, l’affrontement étant l’affaire d’une population plus méridionale, les Brahmanes qui habitaient le royaume de Sambos, en aval du confluent de l’Indus et de l’Hyphase, cf. Diodor. XVII, 102, 7 ; ensuite, comme l’atteste, dans les années 100 av. J.-C., le Pap. Berl. 13044 (traduit par G. Bounoure et B. Serret, op. cit. supra n. 290, p. 147-148), le jugement des meneurs prit la forme d’une charade a priori mortifère, selon la loi du genre (cf. Apoll. Tyr. 3) ; enfin, après cette étape enregistrée principalement, en grec, par Plutarque, Al. 64, en latin, par l’Epitoma 78, le Roman qui annonce la Collatio Alexandri et Dindimi – probablement postérieure à 376, cf. Coll. 5 = Symm. Ep. I, 37 – relate donc une amicale joute académique, sans le moindre précédent militaire. À noter la position intermédiaire de Philostrate, Apoll. Tyan. II, 33, 1 : les Oxydraques, peuple bien équipé pour la guerre, se sont entretenus avec Alexandre mais n’ont aucune véritable connaissance philosophique. 308) Explication propre aux Res gestae 309) Manque en A et dans l’Epitoma où les Brahmanes se contentent d’écrire. 310) Parallèles grecs de Philon, Quod omnis probus liber sit 96 et, plus bref, Clément d’Alexandrie, Strom. IV, 7, 50, 1 ; latins d’Ambroise, Ep. 37, 11, 34/35 et de l’Epitoma 71-74, mais ce dernier texte, pas plus que les Res gestae, n’individualise Calanus comme l’auteur de la lettre. Chez Julius Valère le ton a changé : la fierté dynamique ainsi que la définition de la liberta beata ont disparu et n’est pas écartée l’hypothèse qu’Alexandre ne vienne en quête de leçons ; la version arménienne du Roman fait la même supposition et invoque l’action de la Providence céleste. 311) Également en Arm. 312) Nombre des questions : huit chez Julius Valère ; six en A lacunaire ; treize en Arm (add. cinq sur la royauté, la mort, la colère de Dieu, l’amour, la haine) ; neuf

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    dans l’Epitoma (circonstancielle sur le roi Sambo, comme dans le Pap Berl. et chez Plutarque). L’Antiquité tardive, dans la tradition d’Ésope, aimait ces jeux d’interrogations et de réponses ; deux mettent en scène Hadrien et des philosophes : L. W. Daly, The Altercatio Hadriani Augusti et Epitecti philosophi and the Question and Answer Dialogue, Illinois Studies in Language and Literature 24, Urbana, 1939 ; B. E. Perry, Secundus the Silent Philosopher. The Greek Life of Secundus, Ithaca, 1964. 313) Sens obvie en latin et en arménien : vivant sous terre, les Brahmanes y dorment et y dormiront après leur mort ; sens allégorique, cf. Arrian. VII, 2, 4 : le corps est leur tombeau. 314) Plutarque tranche brièvement en faveur des vivants parce que les morts n’existent plus. 315) Le latin ortus, précisément le titre du livre I des Res gestae, génère le raisonnement ; logique imparable de l’Epitoma 81 : ideo quod uita ex nullis ut sint facit, mors autem ex his qui sunt ut nulli sint efficit. 316) Question déjà posée chez Philostrate, Apol. Tyan. III, 37 : Iarchas, après avoir donné la préférence à la terre, montre que « la terre est plus petite car c’est l’eau qui la porte ». 317) La réponse tourne à la condamnation d’une conquête, au demeurant, inutile, cf. Arrian. VII, 1, 6 : panurgisme et cupidité des soldats, tromperie et audace du chef ; Arm récidive, car à la demande supplémentaire : « Qu’est-ce qu’un roi ? », un portrait est tracé qui a la rouerie d’un Ulysse. Alexandre ne se fâche pas pourtant et laisse présentir l’apologie qui concluera l’entretien. 318) Le Roman substitue la clarté d’une explication physiologique à une réponse paradoxale qui, ne satisfaisant pas l’interlocuteur, était pourtant traditionnelle de Plutarque, Al. 64 à Diogène Laërce I, 36. 319) La question sur Dieu et la vérité se hausse au dessus des devinettes ; Arm, sensible aux émotions, cf. supra n. 312, l’étoffe en invoquant la colère divine contre les riches. Pour finir, sont abordées, communes au latin et à l’arménien, des réflexions plus matérielles sur la sexualité, le transport des statues divines et la position du sceptre qui ne sont pas intégrées par F. Guillaumont, « ‘Laeua prospera’ : remarques sur la droite et la gauche dans la divination romaine » in R. Bloch, D’Heraclès à Poséidon, Mythologie et protohistoire, Paris, 1985, p. 159-177 ; est cependant cité Varron, De lingua latina 7, 7, pour l’orient à gauche du ciel, l’auspiciant alors pivotant vers le midi selon le regard des dieux. 320) Deorum lege ou Providence céleste (A et Arm), la répétition de l’instrumental ratione montre que la causalité l’emporte sur la finalité. Mais la théorisation d’Alexandre se poursuit : il admet l’action de la volonté individuelle, animée par l’adversité ainsi que par l’attrait ou le regret de la possession. Cette vision dynamique du bonheur est celle qui, au terme de la Collatio, assure la victoire de la civilisation, maîtresse de ses choix sur une tempérance imposée par la nécessité : sélection des capacités, émulation pour le progrès, exploitation du monde optimiste et continue pourraient être les thèmes de cette ébauche de dissertation. 321) Immédiatement à la suite s’infiltre, en A, le Commonitorium Palladii (= chap. 7-16). Au reste, en ce même point de rupture, s’arrête le dernier maillon de la narration historique : désormais la matière est remodelée par la lettre à Aristote, les épisodes imaginaires de la Candace et des Amazones, la réponse d’Aristote, la lettre à Olympias. Hormis la parenthèse de III, 27, 1112-1136, le récit ne reprendra qu’en ibid, 30 à l’approche de la mort du Conquérant. 322) La bizarrerie des humains, de la faune, voire de la flore sera majorée dans le doublet de la lettre à Aristote, cf. supra n. 297-298 : cet écrit indépendant qui restitue à Porus son destin véritable et n’ignore ni la Bactriane ni le passage à Nysa, est un dérivé

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    postérieur au Roman par ses ajouts géographiques : vallée du Jourdain, pays des Sères, mention prudente du Gange. 323) L’épisode initial de la lettre n’est pas repris dans le texte secondaire, bien qu’y soit mentionnée l’énigmatique ville de Prasiaca, cf. supra n. 107-108 de l’Introduction et infra n. 328 : une localisation à l’est de l’Indus paraît généralement probable (cf. infra n. 340), mais ici, dans ce cas particulier, elle semble plutôt contredite par l’allusion aux Sabéens de l’Arabie heureuse et pourrait donc s’effacer devant la proposition d’ A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 178, où un rapprochement est institué avec le cap Prason, sur la côte tanzanienne (carte : cf. J. Desanges, Sur les routes antiques de l’Azanie et de l’Inde, Mém. AIBL n.s. 13, Paris, 1993, pl. IV). Même démentie, circulait dans la flotte de Néarque la rumeur selon laquelle des hommes disparaissaient aux abords d’une île de l’Océan Indien, non loin des plages des Ichthyophages de Carmanie (cf. Arrian. Ind. 31, 6 ; Philostr. Apoll. Tyan. III, 56). Autre île contenant le monument d’un roi et des trésors attirant des trafiquants jamais de retour : un mythe de la Mer Rouge en l’honneur du roi Érythrus (cf. Curt. X, 1, 13-15), peut-être né autour de Socotora, cf. CRAI 2002, p. 409-445. 324) Arm : les indigènes résistent avant de s’enfuir ; une centaine de Macédoniens embarquent. 325) Cet argument, révélateur d’anxiété mais aussi de crédulité, manque en A et Arm. 326) Au contraire des Res gestae, A et Arm établissent un lien direct entre la submersion et le monstrueux cétacé au nom inexpliqué : l’« hebdomarion », vu comme un éléphant de mer, serait ainsi le précurseur de la baleine de S. Brendan. Pour une représentation d’Alexandre porteur d’un ketos, voir V. Galliazo, « Il mito di Alessandro Magno in età Augustea e un singolare bronzetto rinvenuto ad Altino », Omaggio a Piero Treves, Padoue, 1983, p. 133-149. 327) Dans le texte indépendant, les phénomènes atmosphériques avaient fait l’objet d’une lettre précédente à Aristote ; lacunaire ailleurs, la liste de ceux-ci, chez Julius Valère, ne coïncide qu’imparfaitement (cf. infra n. 339). 328) Avant de s’engager dans le corps de la lettre, tel que le déploie le Roman, un regard sur l’organisation de la matière par l’opuscule postérieur est éclairant, parce qu’une structuration minimale y est apportée par le personnage de Porus ressuscité : § 8, à Prasiaca Alexandre vainc le roi indien, puis prend sa riche capitale ; §§ 11-12, depuis les Portes Caspiennes, il le poursuit en direction de la Bactriane ; § 32, après les épreuves de la soif, de l’eau amère, des serpents et surtout après une nuit épouvantable sous les assauts répétés d’animaux monstrueusement dangereux, l’armée se repose en Bactriane ; §§ 33-35, Porus, visité par le Macédonien déguisé, perd la bataille mais récupère son royaume ; §§ 35a-36, il conduit son vainqueur à sa frontière orientale, aux trophées d’or d’Hercule et de Liber, ensuite il accepte que soit explorée la partie gauche de l’Inde sous sa dépendance ; §§ 38-39, Porus enseigne à Alexandre comment lutter contre les éléphants avec des cochons ; §§ 41-46, la tempête, la neige, les ténèbres empêchent un retour à Prasiaca ; §§ 47-68, y ayant renvoyé Porus et le gros de l’armée, Alexandre part interroger les arbres du Soleil et de la Lune ; §§ 76-78, puisqu’un trajet sur mer n’est pas explicitement évoqué, la lettre indépendante s’achève, hormis des excroissances reconnues fabuleuses, par une pérégrination qui, à l’inverse, regagne Prasiaca et Porus par les Portes Caspiennes. Cinq colonnes d’or avaient été édifiées aux confins de l’Inde. 329) Contrairement au texte remanié de la note précédente, les Portes Caspiennes, au lieu d’être déportées en Inde, constituent, dans le nord de la Perse, le passage naturel entre la Médie et l’Hyrcanie ; selon Pline VI, 15, 45, ce col de Sirdarra fut le cardo des itinéraires d’Alexandre. Bessus déjà exécuté et Porus tué, la campagne n’a pas d’objectif militaire ; la collecte des richesses naturelles est sous-entendue. – Pour l’abondance des serpents en mer Caspienne, cf. Diodor. XVII, 75, 3 et Curt. VI, 4, 18.

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    330) A et Arm : marches nocturnes de cinq heures ; roseaux de la ville sur pilotis : A étant lacunaire sur la largeur, les 30 coudées, indiquées pour la hauteur par le latin (cf. Plin. XVI, 36, 162), passent à la circonférence dans Arm. 331) Incise rhétorique de Julius Valère. L’hippopotame appartient au bestiaire d’Onésicrite, cf. Strabo XV, 1, 45. 332) Le lac d’eau douce n’est pas un site connu des indigènes mais, affirme le Roman d’après Strabon, une réserve artificielle, bienfait du roi Sésonchosis. On est donc ramené sur des bords végétalisés (prairie, verger ou forêt) de la Mer Rouge, cf. supra n. 323. 333) A et Arm : omission des cérastes, mention pour les sangliers de défenses d’une coudée. 334) La lettre indépendante ne mêle pas à la faune des hommes monstrueux ; les Himantopodes, flexibles sur des sortes de lanières, sont déjà recensés par Pline V, 8, 46, parmi les peuples intérieurs de l’Afrique. 335) Tandis que Arm note que les serpents se jettent dans le feu, A qui a déjà traité de l’odontotyrannus à cause de l’interpolation du Commonitorium Palladii (cf. supra n. 321) passe l’épisode sous silence : l’animal à la très puissante mâchoire – et muni d’une corne en Arm – ne saurait, dans ce passage du Roman, être, en toute logique, un rhinocéros, puisque ce dernier est précédemment cité parmi les fauves (mais cette argumentation ne vaut pas pour la réécriture augmentée de la Lettre à Aristote 28 où, le nom de rhinocéros n’ayant pas été prononcé, la bête à la tête noire comme un cheval porte trois cornes, cf. Plin. VIII, 76 et Él. H.A. XVI, 20). En Arm, sa mise à mort nécessite mille trois cents hommes sous les ordres et encouragements d’Alexandre. 336) Arm : des crabes qui dévorent aussi les tentes. La Lettre à Aristote 29 définit les nyctalopes « des souris indiennes semblables à des renards ». 337) A et Arm : aucune précision sur les blessures infligées par les chauves-souris ; les corbeaux fournirent une abondante nourriture à l’armée. 338) Lacune sur les guides en A ; Arm les chiffre à 50, en s’abstenant de considérations moralisatrices. – L’ecphrasis, chez Julius Valère et en Arm, se partage ainsi en deux sections, selon que règne le clair de lune amplifié par les feux de défense ou que s’étend une obscurité totale ; dans la première phase, plusieurs sortes de rampants sont suivis, outre les groupes d’humains déformés, par une dizaine d’espèces de fauves dont le pire est le symbolique odontotyrannus ; dans la seconde, hommes et quadrupèdes résistent mal à de plus insidieuses attaques. Il y a donc contraste et progression. 339) Lacunes en A ; appréciation négative par Arm de l’oppidum jugé très petit. – Comparer ad tutiora oppidi concursamus (491-492) avec l’Epitoma 25-26 : ad quos quisque uicos ac uillas passim profugit. La tempête de neige se produit au printemps selon Quinte Curce VIII, 4, 1, à l’équinoxe d’automne en A et dans la Lettre à Aristote 41, plus curieusement en été d’après Arm, peut-être par confusion de calendriers. 340) A et Arm sont amphibologiques : malgré leur récit antérieur de la mort de Porus (cf. supra n. 302), ils laissent ouverte, comme dans la Lettre à Aristote 8 et 35, la possibilité qu’ayant survécu, celui-ci subisse une défaite décisive lors de la prise de Prasiaca, tenue alors, sans ambages, pour une métropole indienne. L’ambiguïté repose sur le lemme συμπόρωι corrigé par Müller en σὺν Πώρῳ (cf. Kroll III, 17, 24, p. 111, 5) où la préposition accepte la double acception : « Il s’empara de la ville ainsi que de Porus » ou bien « en compagnie de Porus ». Julius Valère qui ne peut admettre ni la survie de l’Indien ni cette chronologie retardée, se tire d’affaire en insistant sur l’immense et lourd butin, conséquence évidente d’une victoire pourtant passée sous silence. En même temps, l’accumulation de telles richesses rend définitivement sans objet la poursuite d’hostilités et oriente encore davantage les pérégrinations d’Alexandre vers une quête du savoir. 341) La lettre dans le Roman se termine en climax par la visite aux arbusta loquacia (520), un phénomène qui, ne transgressant pas seulement, comme auparavant, les

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    lois naturelles, se concentre aussi sur le destin personnel d’Alexandre. En Arm, bien que le Macédonien soit demandeur de nouvelles merveilles, il fait fouetter ses informateurs, parce qu’il doute de leur véracité. Et de fait, si Ctésias – et, en partie, Clitarque – parle, en Inde, d’un sanctuaire isolé du Soleil et de la Lune et de grands arbres qui exsudent des essences parfumées, A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 185, n. 2-4, ajoute à ces références que la consultation oraculaire, quant à elle, doit être une invention du rédacteur ; dans l’entre-deux, il y a le langage du végétal pour lequel G . Bounoure et B. Serret, op. cit. supra n. 290, p. 264, n. 29, renvoient à l’Histoire véritable, I, 8, où Lucien, arguant des métamorphoses de la fable, présente des vignes à moitié femmes qui s’expriment en lydien, indien ou grec. 342) Arm : Alexandre parvient aux limites sud-est de l’oikoumène, car « au-delà, il n’y avait plus rien, si ce n’est un désert peuplé de bêtes sauvages » (d’où les peaux qui protègent les racines des arbres et les corps des autochtones). Normalement un « paradis » est un parc de chasse (cf. Zosim. III, 25, 2, pour l’année 363), mais, comme dans celui-ci il est interdit d’user de métal et de tuer un animal, le mot désigne un jardin surplombé de verdure avec des édifices en bois (précision du syriaque) . 343) L’arménien conserve, probablement déformés, les noms des deux arbres vénérés comme des dieux (cf. Plin. VIII, 9, 34) : Mouthouam et Avousa. Que l’arbre de la Lune parle doit étonner un lecteur latin habitué à la iunctura « luna silens », cf. S. Lunais, Recherches sur la Lune, I, Leiden, 1974, p. 331. Les astres sont loquaces à trois reprises par jour et Alexandre se livre à trois consultations : il interroge au soleil couchant et la réponse requiert d’être traduite ; il recommence au lever de la lune et l’information est donnée en grec ; la dernière fois, le lendemain au lever du soleil, il comprend tout de suite le message ; une certaine gradation est observée : mort prochaine venue de l’intérieur, mort à Babylone, mort de sa mère, de sa femme (Arm : de ses sœurs). 344) Interdits d’ordre sexuel ; Arm note également qu’aucun enterrement n’est licite en ce lieu. 345) Même liste, avec approximations, de dix noms dans les trois versions α du Roman (Arm : la troisième fois, Alexandre laisse en chemin ses compagnons par précaution vis-à-vis de l’armée ; dans cette rédaction et la Lettre à Aristote 53, les effectifs de surveillance montent à trois cents hommes). 346) Lacune de A ; en Arm, complètement à l’opposé de Julius Valère qui réitère ses menaces, Alexandre atteste, par Zeus Olympien, Ammon, Athéna et tous les dieux de la victoire qu’il ne tuera pas les interprètes. Le latin du Roman dramatise la scène et réduit le dialogue à un seul interlocuteur indien ; la brièveté est remplacée par une élocution de style élevé. Alexandre est seul à réagir et, comme l’indique nettement l’arménien, il cache l’oracle à ses compagnons ; ceux-ci comprendront, quand l’arbre de la Lune s’exprimera en grec. Variante de la Lettre à Aristote 60 : les amis entendent, pleurent et promettent de garder le secret. 347) Cf. supra n. 103. – En Arm, le prêtre laisse Alexandre libre d’agir, car « la loi est non-écrite pour le roi », ce qui restitue la définition du monarque comme loi vivante, un concept de morale politique, lequel de Diotogène, Sur la royauté 263, 14 à Thémistius, Or. V, 2 (en 364) fonde le « despotisme éclairé ». 348) Julius Valère confirme ainsi la prophétie de Sérapis (cf. supra n. 127) sur le tombeau d’Alexandrie ; Arm justifie le destin du Conquérant en rappelant tous ceux qui, à cause de lui, furent privés de leurs mères et il interpole une citation de l’Épître aux Galates 6, 7 : « Ce qu’un homme aura semé, il le moissonnera aussi. » 349) Indis una uel Persis : les Res gestae ont la même lecture que A, alors que Arm corrige Ἰνδῶν en ἰδίων et Περσῶν en περὶ σέ. Olympias est tuée en 316, Roxane en 310, Cléopâtre en 308, Thessalonice en 296.

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    350) En Arm et plus encore dans la Lettre à Aristote 72-74 additif sur les Ichthyophages et les merveilles des mers du Sud, inspirées du retour depuis l’estuaire de l’Indus : peaux et dents de poisson, coquillages aux dimensions énormes. 351) Sur les continuités entre India Maior et India Minor voir, en dernier lieu, P. Schneider, L’Éthiopie et l’Inde. Interférences et confusions aux extrémités du monde antique, CEFR 336, Rome, 2004. Dans le Roman, la contiguïté des deux pays est symbolisée par l’union du fils de la Candace avec la fille de Porus. L’Itinéraire présente une définition, tantôt assez stricte : gentes subiugat plurimas, tum Drancas, tum Arachotas…uicinas Indiis Mari Rubro imminentes (33, 74), tantôt très élargie : India omnis orsa e septentrione amplexaque omne quicquid est Persicum, Aegyptum usque Aethiopasque continuat. Ipsa uero extrinsecus ubique Oceano munitur, interfluo Mari Hippalio, cuius sinus Persas includit (49, 110). 352) Cf. supra n. 131, 231 et 251 : signes avant-coureurs de ce voyage éthiopien, projeté mais qui ne se réalise que dans le Roman, à une époque où les deux rives, au débouché de la Mer Rouge, s’ouvrent aux missions et à un trafic dynamique, cf. J. Desanges, Recherches sur l’activité des Méditerranéens aux confins de l’Afrique, Lille, 1982, p. 353-360 ; L. Cracco Ruggini, « Gli ‘Etiopi’ in conoscenze e utopia : i popoli dell’Africa e dell’Oriente », Storia di Roma 3 : L’Età tardoantica, I : Crisi e trasformazioni, Turin, 1993, p. 449-469. – Sémiramis, c’est-à-dire Shammi-Ramat, exerça de 823 à 810 av. J.-C. la régence du royaume assyrien pour son fils Adad-Nirari III : son passé romanesque (le roi Ninus l’avait enlevée à l’un de ses officiers), ses constructions à Babylone, son mépris des conventions, cf. Oros. I, 4, 7-8, l’étendue de sa domination en font un modèle dans l’imaginaire du Bas Empire. À en croire l’Histoire Auguste, Tyr. Trig. 27, 1, la reine Zénobie de Palmyre, un temps maîtresse d’Antioche et d’Alexandrie, la revendiquait parmi ses ancêtres. Le même processus a joué pour la souveraine de Méroé, traditionnellement dénommée la Candace (cf. Plin. VI, 186) et qui disposait d’une sorte de matriarcat institutionalisé, cf. J. Desanges, «Un point de repère dans la chronologie du royaume de Méroé à la fin de l’époque tétrarchique », Mélanges W. Seston, Paris, 1974, p. 161-165 ; A. M. Ali Hakem, « La civilisation de Napata et de Méroé », Histoire générale de l’Afrique II, Paris, 1980, p. 315-346 ; P. O. Scholz, Frühchristliche Spuren im Lande des « anêr aithiops ». Historisch-archäologische Behandlungen zur Apostelgeschichte 8, 26, 40, Diss. Bonn, 1988, p. 223-234. 353) A lacunaire ; Arm : cent vingt portes, périmètre carré de trois stades de côté, soit un total proche de celui de Babylone, au chapitre I, 31 des Res gestae. Abondance locale du fer. Au temps de Julius Valère, Méroé n’est plus qu’un souvenir. 354) Dans les trois langues, le début de la lettre à la Candace est identique : en Égypte, subsistent des traces de l’authentique occupation éthiopienne sous la XXVe dynastie, cf. Herodot. II, 29 ; Alexandre en a été informé lors de son séjour et il sait que les deux peuples avaient en commun le culte d’Ammon. Ensuite les énoncés divergent : alors que, chez A et Arm, puisqu’un oracle du dieu a entraîné l’évacuation, le Macédonien, très accommodant, souhaite une cérémonie religieuse à la frontière avec, selon l’usage, transport de la statue sacrée dans un reposoir mobile, sinon (une négation paraît, en effet, nécessaire in Arm) une rencontre à Méroé, les Res gestae mettent en avant Ammon pour exiger impérieusement la venue de la Candace. – Vestri (628) : génitif singulier du neutre. À la même ligne, Indiam désigne l’Égypte orientale, mais en 635, l’ Éthiopie (nostram). 355) A et Arm : « Un oracle d’Ammon nous a jadis ordonné de faire campagne en Égypte ; aujourd’hui Ammon interdit qu’on le (Arm : que je me) déplace » : nouvelle différence, selon la même logique, avec Julius Valère. Cette fois, la Candace instrumentalise le dieu pour déclarer sa liberté d’action.

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    356) A et Arm : « Nos âmes sont plus blanches et plus lumineuses que celles des plus blancs d’entre vous », cf. Diodor. III, 2, 2, sur la piété des Éthiopiens, et L. Cracco Ruggini, « Il negro buono e il negro malvagio nel mondo classico » in Conoscenze etniche e rapporti di convivenza nell’Antichità, Università Cattolica, Milan, 1979, p. 108-135. 357) A sans chiffre, Arm avec celui de 80 introduisent le mot de massue ; le latin clarifie ce contexte obscur. 358) En matière de chiffres, la transmission est toujours fragile et, par exemple, le latin a lu le à tort le sigle de 6 (ς) au lieu de celui de 200 (σ). Autrement, il préfère ne pas préciser l’état des perles et émeraudes sur lequel, d’ailleurs, A et Arm se contredisent et il mélange colliers et coffrets ; à propos des fauves et assimilés, il fait une allusion aux jeux de l’amphithéâtre mais néglige les cages des chiens sauvages et n’insiste pas sur la tauromachie (cf. Strabo XVII, 1) ; enfin ne sont mentionnées ni les 90 défenses d’éléphant ni les 300 peaux de léopard. Ce catalogue est à l’aune des uenationes ou des listes de cadeaux dans l’Histoire Auguste v.g. Gordian. 33, 1 ou Claud. 17, 5-6 ; cependant, il doit beaucoup d’abord aux présents envoyés d’Éthiopie à la procession de Ptolémée Philadelphe, cf. Athen. 5, 32, 201a-c. 359) A et Arm : « Alexandre chargea Cléomène, son lieutenant en Égypte, d’aller chercher ces présents » ; selon Quinte Curce IV, 8, 5, ledit personnage avait à faire rentrer les impôts de l’Afrique et de l’Égypte. Ipse (661) est une erreur de Julius Valère, car le déplacement concerne Cléomène. – Pour ce qui est de l’initiative de la reine, A et Arm l’expliquent, « quand elle entendit parler d’Alexandre, de sa façon d’attaquer les villes et de ses succès face à des rois très puissants ». Les Res gestae insistent sur la compétence du peintre mais sans dire sa nationalité, ce qui n’a pas dû lui sembler nécessaire, lorsqu’on songe à la qualité des portraits du Fayoum ; au contraire, A et Arm indiquent que l’artiste est un Grec vivant à Méroé : la Candace le choisit parce qu’il pourra plus facilement se glisser dans les entours d’Alexandre. 360) Sur Candaule cf. supra n. 251 (selon A et Arm, il craindra d’abord d’être mis à mort) ; sur Ptolémée, n. 48 (cf. Curt. IX, 5, 21 : Ptolémée ne « sauva » pas Alexandre des Malliens). – Sieste coutumière d’Alexandre, cf. Plut. Al. 23, 5 et Liber de morte 90. 361) Cf. supra n. 174 ; le sacrificium annuum des Amazones (III, 19, 680) porte le nom d’Hippophonia (ibid. 25, 1047), cf. Strab. XI, 5 qui localise les intéressées dans le Caucase, très loin de l’Éthiopie. Cette anomalie géographique n’arrête pas le rédacteur du Roman, préoccupé de rattacher à la trame du récit l’épisode de la Candace, lequel est ignoré dans la lettre d’Alexandre aux Amazones (ibid. 1025-1027). 362) Dans la campagne contre Porus, les historiens (Curt. VIII, 13, 21 et Epitoma 58) relatent qu’Attale avait reçu l’ordre de revêtir la uestem regiam. Alexandre tenait compte également de sa propre petite taille (cf. Diodor. XVII, 37, 5 : confusion avec Héphestion). Dans cette comédie des masques où le Macédonien est aussi rusé que la Candace, Ptolémée, le futur maître de l’Égypte, reçoit le beau rôle. On remarquera avec quel luxe de dialogues le stratagème est aménagé. – En 745, la leçon saeptis est assurée par l’évocation des faubourgs dans A et Arm. 363) Le latin se singularise par le souhait d’Alexandre de saluer la reine . – Puisque Candaule n’était arrivé qu’avec un petit nombre de cavaliers, il apparaît que Julius Valère s’est mépris sur le sens originel. A et Arm ont en effet : « Alexandre se mit donc en route, emmenant avec lui une escorte assez importante, des bêtes de somme et des chariots pour le voyage. » 364) Comme le jugeait déjà Philostrate, Apoll. Tyan. II, 18, 2, la neige n’est que d’apparence en Éthiopie malgré le froid. Au-delà de ces constatations acceptables, le fabuleux intervient sans la moindre dissimulation, car la présence des dragons avertit le lecteur de la crédibilité à accorder aux dimensions des fruits. On quitte la réalité pour entrer dans un ailleurs où la démesure n’est plus redoutable mais attirante.

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    365) Annonce du chapitre 24. Depuis Homère, Il. I, 423, il arrivait aux dieux, pensait-on, de venir en Éthiopie. 366) Cette remarque de Julius Valère, dans l’esprit de la conclusion de la Collatio, situe Alexandre et sa gestion modérée des richesses à mi-chemin de l’abstinence des Gymnosophistes et des profusions d’un pays de cocagne expréssément qualifié de barbare, comme l’avait été le royaume perse en II, 4, 254 et 5, 311. 367) La Candace est une mère potentielle d’Alexandre : les sentiments sont réciproques, même si à celui-ci elle exprime davantage une affection que jamais Olympias ne manifeste aussi ouvertement. C’est la réussite du Roman que d’avoir encadré le sujet entre deux contes sur une parentalité supplémentaire : un Pharaon et une descendante de Sémiramis. 368) Éthiopienne, la Candace ne pouvait qu’être couverte de pierreries. Avant de la suivre dans sa demeure, on s’en rend encore mieux compte en revenant, un instant, sur le palais de Porus, tel qu’il apparaît dans la postérieure Lettre à Aristote 9 ; trois parties s’y dessinent : 1°) la vue d’ensemble de l’architecture intérieure avec quatre cents colonnes d’or, des murs plaqués d’or, des vignes d’or et d’argent aux grappes de cristal, 2°) le détail de l’habitation avec lits à perles, portes d’ivoire, caissons du plafond en ébène, 3°) l’environnement avec statues d’or, platanes dorés, oiseaux emperlés. Beaucoup plus étendue, l’ecphrasis de la lumineuse regia de Méroé pourrait, néanmoins, recevoir, elle aussi, chez Julius Valère, une division tripartite accusant plus de diversité dans le luxe : 1°) les matières premières de la décoration, soit les soieries de pourpre, les perles, l’ébène, l’ivoire, l’onyx, les colonnades gemmées ; 2°) les objets et merveilles, ensembles monumentaux en métal, porphyre, pierre précieuse, rivière aurifère ; 3°) la structure : dédale de cabinets aux murs translucides étincelants, haut toit mobile. 369) A (partiellement lacunaire) et Arm ajoutent l’ambre, le marbre jaune de Numidie, le bois des Indes ; ils s’attachent au mobilier : lits de repos aux pieds de grosses perles et d’aigues-marines, chaises longues aux charnières de cuir, tables cloutées d’ivoire. 370) La sculpture triomphale emprunte aux arsenaux perse et indien : chars à faux, quadriges d’éléphants, mais Julius Valère raffine ; il remplace le porphyre par de l’ébène pour traiter, de façon plus réaliste, la peau des pachydermes. – Un second groupe était constitué par des [un, en latin] temple[s] taillé[s], avec les colonnes, dans un précieux matériau monolithe complété par de terrifiques effigies barbares, probablement en rubis (à en croire A et Arm, « les statues semblaient couvertes de sang »). 371) À la particule et qui relie Argyritum (sic) flumen à alium Pactolum fluuium on doit donner une valeur explicative. Puisque A et Arm remarquent des vergers, le mot local de cyprus est étranger au cyprès et pourrait être, exempli causa, un cédratier (citrus). 372) L’interlude d’un second banquet avec le[s] frère[s] (A et Arm : « fraternal dinner » traduit A. M. Wolohojian p. 137, § 238) ou sœurs (Res gestae) de Candaule – le terme grec, en effet, ne différencie pas toujours les sexes et, au surplus, le matriarcat à Méroé a pu induire Julius Valère à l’erreur – coupe l’ecphrasis et la relance. 373) A et Arm évoquent la nature translucide d’une pierre vaporeuse, comme, semble-t-il, de l’albâtre aux reflets orangés. La décoration fait penser au plafond de la salle d’audience où était peinte la constellation sous laquelle Septime Sévère disait être né, cf. Dio LXXVII, 11, 1. Plus prosaïquement, A et Arm observent que le triclinium « était d’un bois incorruptible que ni la pourriture ni le feu ne pouvaient attaquer ». 374) Précisions en A et Arm : « sa base était fixée non pas sur le sol mais sur d’énormes pièces de bois carrées » ; un parallèle iconographique pertinent serait à trouver dans un char funèbre représenté sur volet d’ivoire, peut-être datable des alentours de 389 ; le défunt dans une aedicula sur roues est tiré par quatre éléphants, cf. L. Cracco

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    Ruggini, « Apoteosi e politica senatoria nel IV S. d. C. : il dittico dei Symmachi al British Museum », Riv. Stor. Ital. 89, 1977, p. 425-489, pl. II. 375) A : « même les montagnes sont ainsi bariolées. » Alexandre oppose à cette opulence minéralogique la valeur ajoutée par l’industrieuse Grèce. Au contraire du latin, en A et Arm, la reine se fâche alors et, parce qu’elle se fâche, elle démasque Alexandre qui détourne la tête. 376) Railleries appuyées tant sur le sexisme que sur la prudentia du grand vainqueur ; la supériorité de la Candace est réaffirmée par le contraste des attitudes dans les Res gestae : l’un s’agite, se trouble, gronde, l’autre sourit. 377) A lacunaire ; Arm est sobre : « Plutôt que t’obéir, je t’aurais tuée pour qu’on ne te retrouve plus, puis, moi-même, je me serais livré à la mort. » 378) Selon l’habitude latine, les données de la situation sont d’abord posées en termes abstraits. 379) Comme Zénobie, la Candace est une fausse Barbare qui se distingue de sa famille et, plus encore, de son peuple. 380) Cf. supra n. 351. – A : Matersa ; Arm : Marpesga (le tyran bébrycien, rappellent A et Arm, avant d’être tué lors de l’attaque de nuit, l’avait mise dans son lit). 381) A et Arm : « toi, Candaule, tu n’aurais pas retrouvé ta femme » (touche romanesque). 382) En Arm, ces propos, plus brutalement exprimés : « ma femme souffre… elle veut donc le faire souffrir à son tour » sont tenus par un troisième frère, Charagos, le second fils de la Candace, approuvant les propositions de sa mère (même développement avec des lacunes en A). 383) Chez Julius Valère, la Candace raisonne et parle en souveraine à la fois réaliste et responsable ; l’aspect juridique manque en A et Arm. 384) Rien en A et Arm sur l’impétuosité d’un animus regalis. 385) Ajout des Res gestae. Alexandre a retrouvé sa subtilité ulysséenne (cf. infra n. 420) : jouant sur l’ambiguïté de iam uni au potentiel (uesterque iam fuam), il définit une éventualité en fait déjà réalisée, puisque, sous son déguisement, il remplit toutes les conditions posées par ses interlocuteurs ; il réclame même des libéralités en allégant indirectement la cupidité du Macédonien. A et Arm, employant le futur, sont moins fins et le schéma imaginé par le pseudo-Antigone y semble moins crédible. 386) Non seulement la Candace trompe ses enfants mais, quasiment, elle leur préfèrerait celui qui, au plan politique, la hisserait vraiment au rang d’impératrice-mère, à l’instar de Sémiramis, Julia Domna et Zénobie. 387) Cf. supra n. 291 ; add. Gerión 5, 1987, p. 149-150 et n. 77 pour les occurrences de prudentia dans l’Histoire Auguste. Voir en dernier lieu C. Jouanno, «  De la Vie d’Alexandre (Plutarque) au Roman d’Alexandre (Anonyme) : réflexions sur la personne du héros », Bull. Assoc. Guillaume Budé 2009, p. 98-119. 388) En Arm, la Candace, en outre, engage Alexandre à renoncer au rôle de messager : ce serait un suicide. 389) Avec l’adverbe secretius, puis l’addition : aliaque praeterea cum testimonio publico quae ad satellitem facerent, Julius Valère traduit le double jeu de la Candace et sa connivence aves Alexandre. 390) A et Arm : « avec les propres soldats de la reine ». La phrase latine oblige à rétablir l’ordre des mots suivant : iubetque hominem deduci eo quo uenerat et profectum repedare per satrapas uicissimque, cf. infra n. 398. 391) Dans la tradition homérique, cf. supra n. 365 et Il. XXIII, 206, le banquet des dieux se tient en Éthiopie. 392) La motivation d’Alexandre n’est exprimée que dans le latin, qui, pareillement, grossit la libation pour la transformer en un diis hominibusque conuiuium.

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    393) Arm note la stupeur d’Alexandre mais n’a pas d’équivalent à l’incise un peu triviale de Julius Valère ; A ne s’embarrasse d’aucun de ces détails. 394) En A et Arm l’interrogation vient de Sésonchosis (cf. supra n. 116 et 332), commensal des dieux. Se désignant comme « roi maître du monde », il déclare pourtant n’être pas, à cause de la fondation d’Alexandrie, aussi fortuné que le Conquérant « dont le nom sera immortel même après la mort ». L’arménien ajoute quatre noms qui ne sont pas nécessairement (lettre de J.-P. Mahé du 3 juillet 1999) des toponymes : Souttloys, Ialan, Draul, Loudal. 395) Cf . supra n. 117 et 128 ; le nom de Rhacotis n’avait pas été prononcé ; pour augustissimum, cf. supra n. 127 . En Arm, Alexandre questionne : « Qu’est-ce donc, principe de l’univers ? Je t’ai vu siéger sur un trône en Libye et aujourd’hui je te retrouve ici ! » Le latin confirme l’importance de Sésonchosis comme médiateur auprès de Sérapis, car celui-ci se tait. 396) Julius Valère théorise sur l’antithèse de la présence et de l’absence, Arm se limitant à une comparaison avec le ciel localisable dans le firmament mais vu de partout. 397) La réponse donnée au Macédonien acharné à connaître son destin n’est pas la macabre prophétie du paradis indien (III, 17, 580-604) ; elle reprend, quasi uerbatim en A et Arm, les thèmes du songe égyptien (I, 33, 1043-1090) : bienheureuse ignorance du jour fatal et même nécessaité de mourir, perpétuité d’Alexandrie et de son tombeau vénéré par les rois, accès à la condition divine. Cette sorte de retour en arrière contribue au renforcement de l’unité du Roman. 398) A et Arm : « Les satrapes vinrent à sa rencontre, le couronnèrent de son diadème et lui remirent son manteau royal. » 399) Les Amazones sont réputées vivre dans deux régions différentes : 1°) en Libye, dans la région des Syrtes, cf. Diodor. III, 8, 5 et 53, dans une grande île où le service armé est réservé au sexe féminin ; 2°) dans une vaste zone caucasienne s’élargissant vers le Phase, le Thermodon pontique, l’Hyrcanie ou la Médie, cf. Strabo XI, 5, 5, qui critique des regroupements dus à l’adulation. Par ailleurs, on a déjà remarqué, cf. supra n. 174 et 361, l’impossibilité géographique que des Éthiopiens, en route vers une fête des Amazones, soient enlevés par des Bébryciens, car si ces derniers, dans le Pont, sont à une relative proximité des Amazones et s’il existe des femmes-soldats à proximité de l’Égypte (cf. infra III, 34, 1352), le Roman est la seule source validant une Bébrycie africaine. – Les historiens, cf. Diodor. XVII, 77, 1 et Curt. VI, 5, 24, notent que Thalestris, la reine des Amazones, prit l’initiative de venir rencontrer Alexandre en Hyrcanie pour avoir de lui un enfant. Le récit inverse le processus ( cf. infra n. 426 la référence à Arrien), mais l’échange n’est qu’épistolaire, sans la moindre idée de procréation. 400) A et Arm : pas d’allusion à Porus ou aux Oxydracontes (sic), les Gymnosophistes concentrant sur eux un développement qui chez Julius Valère est partagé par les Amazones : « Nous leur avons imposé un tribut et parce qu’à ces gens (A : qui nous invitaient) nous permettions de rester chez eux et que nous pacifions leur région, ils nous ont accueillis avec plaisir et ont offert un sacrifice. » Le voyage intermédiaire auprès de la Candace est ignoré. 401) Ton moins sentencieux in A et Arm : « Nous, les très valeureuses Amazones (add. Arm : chefs de leur armée), saluons le roi Alexandre. Par cette lettre nous t’avertissons avant que tu ne poses le pied sur notre sol, afin de t’éviter une humiliante défaite. Elle va t’éclairer sur notre pays et notre généreuse énergie. » La deuxième missive aura un intitulé identique. 402) Précision du latin ; pour leur part, le grec et l’arménien remarquent que le périmètre de l’île, sur ce fleuve sans origine (tel un lac ?) est d’une année de marche.

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    403) Dans le Commonitorium Palladii, ce transfert est l’œuvre des Brahmanes qui repassent le Gange pour retrouver leurs femmes durant quarante jours, cf. L. Cracco Ruggini, art. cit. supra n. 20 de l’Introduction, p. 77-78 ; les Hippophonies sont en A et Arm dédiées à Zeus, Poséidon et Héphaïstos, cf. supra n. 184. 404) L’apprentissage des armes fait défaut en A et Arm. En cas d’attaque, le texte latin distingue des 20 000 mobilisables domi les autres placés en couverture aux frontières (une sorte d’analogie avec les comitatenses et les limitanei du IVe s.) ; le grec et l’arménien, outre des chiffres majorés : 200 000 et 120 000, offrent un caractère un peu différent : la réserve gardant l’île, la cavalerie va jusqu’aux frontières affronter l’ennemi et les hommes marchent derrière en appui. Quoique cette dernière indication implique une mixité qui étonne cf. infra n. 410, demeure un trait commun : quelles que soient les troupes aux frontières, lesdites frontières (praeter amnem en III, 25, 1078 et 26, 1091) ne sont pas franchies par les Amazones. 405) L’expression est plus abstraite en latin et Julius Valère grandit la perspective, cf. Arm (A étant lacunaire) : « La blessée est nourrie à la table sacrée de Zeus, l’hommage des autres dure deux jours, la couronnne fait à jamais la gloire de la famille. Et si à la bataille l’une tombe pour la défense de la patrie, ses proches reçoivent une compensation qui n’est pas insignifiante. » 406) En A et Arm, le discours continue sur sa lancée : « Quant à celle qui ramène la dépouille d’un ennemi, elle est récompensée par une quantité d’or et d’argent et est nourrie pendant toute sa vie. Nous rivalisons donc entre nous pour notre propre ( gloire : A, pays : Arm). » Les Res gestae entendent requalifier l’usage des métaux précieux, dépourvus alors de valeur vénale. 407) C. Wachsmuth, Der Wiener Apophthegmensammlung, Festschr. der Heidelb. Univers. zur Phil. Vers. 1882, p. 7, n° 5 (cité par A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 193, n. 1) : « Engagé à combattre les Amazones, Alexandre dit que vaincre des femmes est honteux, mais qu’être vaincu par elles l’est encore davantage. » Traces in HA, Aurel. 26, 3. 408) Cf. supra n. 32 et 404. 409) Affectation savante du texte latin. En Arm, Alexandre sourit et s’intitule César de tous les rois (même appellation infra en tête de la lettre à Olympias). 410) En Arm (et probablement en A), les hypothèses sont en ordre inverse et, seulement dans celle de la paix, le Macédonien invite les Amazones à franchir le fleuve, les hommes s’alignant dans la plaine. 411) Julius Valère évite d’invoquer Mars, « l’auteur de la race des Amazones » (1070), comme le font A et Arm : il s’en tient à la triade classique personnalisée. Pour Minerve, cf. supra n. 220 et infra n. 471 = Liber de morte 122-123. 412) Le latin et l’arménien laissent entendre qu’en sus d’une solde mensuelle équivalant à 125 solidi par an, cf. supra n. 81, il sera pourvu à l’entretien du cheval. – A et Arm disent sans ambages qu’Alexandre n’entrera pas dans le pays des Amazones (cf. Res gestae infra III, 26, 1110 : uiro absenti). 413) À nouveau, cf. supra n. 358, Julius Valère écrit fautivement le chiffre 6 (à la place de 200 ?), A et Arm ayant 100 (cf. Arrian. VII, 13, 2), un nombre de talents – voire le double – en rapport avec les soldes de la note précédente. Les « cavaliers » de A et Arm ont été heureusement corrigés par C. Müller en « chevaux ». 414) A et Arm :« Si l’une est prise par un étranger, elle sera en dehors des lois du pays. Écris-nous celles qui veulent rester avec toi, renvoie le reste, tu en recevras d’autres. » 415) Péroraison in Arm (plus clair que A) : « Face à cet univers que tu as parcouru, que sommes-nous pour te contrecarrer ? Nous avons décidé de vivre chez nous en t’obéissant. » Le texte grec s’interrompt en ce point jusqu’à la lettre à Olympias.

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    416) Bref retour en arrière vers les réalités de l’automne 326 – c’est-à-dire avant même les conflits le long de la descente de l’Indus (cf. supra n. 306-307) –, quand Alexandre, ayant appris la puissance du royaume du Gange (en particulier de ses éléphants, cf. Diodor.XVII, 93, 2, Plut. Al. 62, 3, Epitoma 68), renonce à progresser davantage vers l’est. Jouait également le refus de son armée délabrée (Diodor. ibid. 94, 1-3 et 5, Curt. IX, 3, 1-2 et 10) et qu’éprouvaient de surcroît de mauvaises conditions climatiques (Diodor. ibid. 94, 3) : trombes durant 70 jours (40 in Arm qui note la désagrégation des courroies de bouclier et des mors des chevaux), foudres et tonnerre auxquels Julius Valère ajoute des uoces incertas (1123) traitées sur le mode ominal, cf. Verg. G. 1476-1477. 417) Comme l’Hypanis de la Mer Noire est confondu (cf. Strabo XV, 1) avec l’Hyphase qui se jette dans l’Hydaspe, avant de rejoindre le cours inférieur de l’Indus, Prasiaca (cf. supra n. 323) est finalement localisée sur les bords d’un Océan Indien qui remonterait vers le nord par le cours du Gange. Mais à propos de cette cité, tantôt plateforme de pérégrinations plus imaginaires qu’effectives, tantôt capitale des Prasiens séparés du reste de l’univers, Julius Valère – mais non Arm § 255, qui préfère, de façon absurde, introduire un dérivé de la « parasange », une mesure d’itinéraire en Perse – n’hésite pas, quant à lui, à se contredire : car, après s’y être rendu à deux reprises (III, 17, 320 et 608, cf. supra n. 340), cette fois, Alexandre ne se risque pas à y pénétrer. Données romanesques et historiques sont simplement juxtaposées. 418) Pour le nombre de fantassins, de cavaliers et de chars chez les Prasiens accord entre Diodor. XVII, 93, 2, Curt. IX, 2, 3-4 et Epitoma 68. Le latin et l’arménien ont des chiffres ou des approximations. Pillages : cf. Diodor. ibid. 94, 2. 419) Cette mention sommaire de sacrifices gomme l’édification des grands autels aux Douze dieux, bornes d’un empire protégé par un camp aux dimensions surhumaines : Diodor. XVII, 95, 1-2, Curt. IX, 3, 19, Epitoma 69. 420) Réponse formelle du philosophe au long chapitre 17 de ce livre III, en particulier à l’épisode de la tempête neigeuse, cf. supra n. 339. Arm ajoute : « Deux fois et plus encore tu t’es exposé aux hivers en restant sain et sauf. Quiconque se serait livré à pareilles expéditions aurait acquis la renommée d’exploits manifestes, célébrés et merveilleux, car le noble guerrier est facile à reconnaître : il a l’intelligence de Nestor, la bravoure au combat d’Ulysse. » Dès lors, était plus clairement désigné le héros du vers homérique, Od. I, 3. Une telle assimilation d’Alexandre au roi d’Ithaque résume bien l’image que le Roman a voulu donner du Macédonien : comme Ulysse, il est un voyageur courageux, avisé et curieux.. Dans l’étude « Les ‘Constitutions’ d’Aristote et leur fortune au Bas Empire», REL 53, 1975, p. 268-315, plus spécialement p. 305-306, j’ai montré que le latin mores (1150) traduit le grec νόμον, et non pas νόον, qui est le choix de l’arménien (Cassiodore, Var. I, 39, 2, tourne la difficulté). 421) En latin Aristote totalise le vrai et le faux : il parle de la Bactriane (oubliée in Arm) et de la Scythie quasi passées sous silence antérieurement et prend acte de l’invention éthiopienne ; pour ce faire, il enrichit sa lettre d’une seconde citation de l’Odyssée, I, 24. 422) Le Roman évacue le retour depuis l’Indus ; Alexandre s’installe au printemps 323 à Babylone où il reçoit des ambassades d’Éthiopie et de Scythie, cf. Arrian. VII, 15, 4. 423) Cette seconde lettre d’imagination qui souffre d’hétérogénéité temporelle, puisqu’elle mélange du neuf avec des répétitions, promène le lecteur par des étapes incohérentes : l’Inde prégangique, le Thermodon du Pont, la Mer Rouge et une île sans doute éthiopienne, le Tanaïs sarmatique et enfin la Susiane. 424) En III, 27, 1166, M. Rosellini adopte la lectio difficilior : ad Babylonem parce que les événements narrés par la lettre à Olympias sont des compléments antérieurs au retour à Babylone. Cette position en forme d’appendice explique que l’épisode des stèles

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    d’Hercule et le début du suivant aient été ajoutés à la fin de l’Itinéraire 119-120 avec des variantes : voyage de 90 jours, hauteur de 12 coudées (même chiffre in Arm, 13 in A), bouchage avec 1500 pièces d’or (= A et Arm ; on aurait alors une équivalence du χρυσòς avec le talent, cf. Épiphane, en 392, Metrologicorum Scriptorum Reliquiae, éd. F. Hultsch, Leipzig, 1864, I, p. 276 : τò τάλαντον νόμισμα ά). Ces stèles d’Hercule ne sont ni celles du Pont, cf. Serv. ad Aen. XI, 262, ni même celles d’Espagne atteignables par l’Afrique, cf. Curt. X, 1, 17, Liber de morte 107 mais, consacrées aussi à Dionysios, elles auraient été en Inde où les Macédoniens crurent les identifier, cf. Strabo III, 5, 6. Pour sa part, la Lettre à Aristote 35a et 78 confirme la réalité des trophées des deux demi-dieux et, en deçà des douze autels (cf. supra n. 419), les place très à l’est, dans les confins du royaume de Porus. 425) Ténèbres identiques supra III, 17, 492-496. Pour le Thermodon qui, précise Arm, « se jette dans le Pont », cf. supra n. 399 (Diodor. XVII, 77, 1). 426) Conscient de la réapparition incongrue des Amazones – facilitée peut-être par un on-dit rapporté par Arrien VII, 13, 2 selon lequel, le satrape de Médie ayant présenté au roi comme Amazones cent femmes de Scythie (contra Itinéraire 42, 96 : Scythicis Unimammis), Alexandre aurait alors voulu visiter leur reine et lui faire un enfant –, Julius Valère les distingue des premières (1199 : ceterae quoque) ; il complète leur image et leurs armes (A et Arm signalent tuniques brodées et haches en argent, faute de fer et de bronze) ; il majore la difficulté à franchir le fleuve (au contraire de A et Arm : « elles traversèrent et se sont rangées en face de nous »). 427) À cause du relief de l’Éthiopie, cf. supra III, 21, 752-753 : montes scilicet arduos, le rédacteur, qui fait traverser au Macédonien Cappadoce et Syrie, regarde la Mer Rouge du nord au sud ; Alexandre retrouve des rivages déjà fréquentés supra en III, 17, 421-423. 428) Pour le sacrifice à Neptunus Equester (10 chevaux in Arm), cf. supra n. 184. Selon l’arménien, Alexandre se dirige alors vers le fleuve Atlas, « dans les contrées occidentales de la Libye » (Diodor. III, 53, 4), ce que rend possible l’Epitoma 63 et 84 qui, dans la tradition du voyage océanique d’Ulysse, lie Atlanticum et Rubrum mare. Dans le latin, le retour s’effectue par un périple assimilable à celui de Néarque : les peuples rencontrés sont des Troglodytes qui, vivant sous terre comme les Gymnosophistes, se situent super Aethiopiam (Plin. VII, 2, 31), et, beaucoup plus étranges, des hommes sans tête, les Acéphales libyens d’Hérodote IV, 191, à ranger dans la catégorie monstrueuse des individus à six mains, des himantopodes et des cynoperdices déjà entrevus en III, 17, 440441. A et Arm, ainsi qu’en marge le manuscrit P (XIIe-XIIIe s.) des Res gestae, ajoutent les Cynocéphales habitants des forêts, cf. Lettre à Aristote 40. 429) Mariotti est suivi, car, autrement, on devrait juxtaposer deux acceptions du même mot os : « bouche » et « visage ». 430) La uariatio sur des thèmes traités antérieurement continue : après la fausse île de l’ebdomarion ( III, 17, 332-372, cf. supra n. 323), voici la vraie île avec un vrai sanctuaire du Soleil (sculpture monumentale du char solaire) déservi par un prêtre éthiopien ; A et Arm : périmètre de 120 stades – ici, contrairement à l’excursus interpolé du livre I, cf. supra n. 97, le stade a sa longueur normale équivalant à 185 m ; 14 tours et escalier de 7 (A) ou 60 (Arm) marches. 431) Reprise de l’épisode de la lampe mystérieuse, cf. supra n. 255 ; le texte rationaliste vient de Arm : « des Perses nous guidaient qui portaient devant nous des flambeaux d’argent et éclairaient notre route ». 432) Chez Quinte Curce, deux fleuves, dénommés Tanaïs, sont dits séparer l’Europe de l’Asie (VI, 2, 13-14 et VII, 7, 2) : l’un, le Don, se jette dans la mer d’Azov, le palus Maeotis, l’autre, le Syr-Daria, appartient aux Hautes Satrapies, mais la confusion est possible, parce que de la Thrace à la Bactriane l’espace est considéré continu (VII, 8, 30)

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    et que le Don est tenu pour une résurgence du Syr-Daria (Itinéraire 35, 79). Julius Valère, en remarquant à tort lui aussi que le Tanaïs coule vers la Caspienne, opte – comme l’Itinéraire et l’Epitoma – pour la plus orientale des deux voies d’eau : par un nouvel écart géographique prolongé en un vaste circuit au nord-est de l’Inde, Alexandre rentre donc en Perside, au cœur de l’ex-empire de Darius. 433) Rappel de la visite au tombeau de Cyrus en II, 18, 914-921, cf. supra n. 266. En latin, le prestige de Cyrus l’emporte, malgré une chronologie respectée, en revanche, par A et Arm, sur celui de Xerxès, parce qu’il fut le fondateur de l’empire perse et que la Cyropédie de Xénophon connut, au temps des Res gestae, un regain de diffusion, cf. Gerión 5, 1987, p. 140, n. 36. 434) Après des maisons remplies d’objets précieux dont des coupes, A et Arm décrivent un grand bâtiment où le roi a coutume de rendre ses réponses (A), de recevoir les oracles des dieux (Arm). Au lieu de τροφεῖον, la volière d’élevage, le latin a lu trop(h) eum. L’oiseau, très âgé, réagissait, note l’arménien, « aux sons qui lui parvenaient et répondait alors aux rois ». On rapprochera de cette colombe les quatre volatiles d’or surnommés « langues des dieux », au dire d’Apollonius de Tyane, cf. Philostrat. I, 25, 2. 435) A et Arm placent le cratère d’argent dans le palais de Suse et la mesure fut peut-être effectuée lors des noces collectives de février 324 ; Julius Valère s’accorde avec l’arménien pour le dire décoré par la représentation d’une bataille navale de Xerxès ; les Res gestae citent quatorze fois le nom du souverain perse : outre le présent passage, en II, 15, 763 et 17, 907, ainsi qu’en III, 28, 1237, cf. supra n. 433, la connotation positive traduit la puissance des Achéménides. 436) Malencontreux doublet oraculaire (ou variante incorporée, cf. supra n. 434), souligné par le retour du mot uertigo. En arménien, le trône est surmonté d’un baldaquin et le roi y siège pour répondre, sous l’inspiration divine, à toute ambassade (des Grecs : A). 437) A et Arm : lyre automatique, « digne de Glaucos », une référence proverbiale, cf. Tat. II, 2. 438) Cf. supra n. 434 ; A et Arm : « autour du trône… un dressoir de 16 coudées ayant 20 étagères ». Le grec poursuit : « un second, de l’autre côté, mesurait 17 coudées ». La structure et les chiffres avancés par Julius Valère pour une partie supérieure – mais est-ce le sens de supra ? – sont aberrants. Cette monumentalité veut-elle rivaliser avec celle du palais de la Candace ? 439) Manque en A et Arm, cf. A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 199. 440) A et Arm : « un plan de vigne à sept rameaux tout en or, un peuplier blanc, un platane (A), un cyprès (Arm) », cf. Herodot. VII, 27 et Athen. XII, 9. Sur un trait d’humour, la lettre à Olympias s’achève, l’auteur ayant conscience qu’il se pastiche luimême. S’expliquant par un épuisement de l’imagination, cette duplication caractérise également l’Histoire Auguste. Le chapitre 29 sur l’enfermement des peuples impurs ne figure pas dans la recension α. 441) En A et Arm, le prodige a lieu à Babylone, alors que Julius Valère laisse supposer de nouvelles aventures. Le récit, redevenu chronologique, est à comparer au Liber de morte 90-95, 87, 115-123, une œuvre qui, dans sa rédaction latine, est postérieure au Roman et incorporée dans un corpus où elle prend la suite de l’Epitoma, cf. infra Annexes II et III. 442) La source du Liber de morte offre des strates très anciennes, antérieures, la première, à la mort de Perdiccas en 321, la seconde, au déclin de la puissance rhodienne vers le milieu du IIe s. av. J.-C., cf. L. Ruggini, « L’Epitoma Rerum Gestarum Alexandri Magni e il Liber de Morte Testamentoque eius », Athenaeum 39, 1961, p. 285-357. L’élément romanesque qui justifie l’utilisation du document dans le Roman vient essentiellement de ce que s’y trouve exposée la thèse de l’empoisonnement, au contraire de la

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    vulgate historique s’appuyant sur le procès-verbal des Éphémérides, cf. Arrian VII, 25, 1-26, 3 et Plut., Al. 76, 4 et 77, 1 (parallèle caractéristique : l’Histoire Auguste, Alex. Sev. 62, 3, croit à la mort violente du Conquérant, une assertion mise en circulation dès 317 av. J.-C.). Il reste à se demander pourquoi Julius Valère, encore plus bref que Diodore et Quinte Curce, a renoncé à des développements qui auraient pu être aussi dramatiques. Le plus probable est qu’il n’a pas voulu entacher une image déjà presque divine (III, 30, 1318-1319 : quod diuinis honoribus haud procul foret). – À l’inverse du Liber 90-95, le prodige, dans le Roman, précède la machination d’Antipater. 443) Animaux sauvages, A : lions, léopards, loups ; Arm et Liber (au singulier) : les mêmes et cochons sauvages et chiens ; visage humain, Arm et Liber : « livide » (lacune en A). 444) à partir de la venue des Chaldéens, le latin se distingue du grec et de l’arménien : il écarte la première interprétation favorable due à l’absence du meilleur devin, explique le rite d’expiation et, dans l’exclamation d’Alexandre, revient sur le message de Sérapis (cf. supra en I, 33, 1049), en ignorant les références directes à Bacchus et Hercule, ses deux prédécesseurs demi-dieux (ibid. 46, 1598-1602). En revanche, A et Arm (Raabe plutôt que Wolohojian) concordent avec la substance du Liber. 445) Diuinopatris transmis par le latin paraît une mélecture d’un participe grec signifiant « ayant terriblement souffert », mais Diodore XVII, 118, 1 remarque qu’Alexandre voulait faire plaisir à sa mère διὰ τò πρòς τò θεῖον εὐσεβὲς. Le parallèle avec le Liber 87 confirme qu’Olympias veut se retirer dans son pays d’origine, mais ensuite, le récit des Res gestae s’accélère sans aucun détail sur l’assassinat et les deux jours suivants, contra Liber 88-89 et 96-106. Ces susdits paragraphes, quant à eux, accueillis dans leur teneur in A et Arm, précèdent immédiatement le Testament (lettre aux Rhodiens comprise), soit les §§ 107-109 et 114-123, lesquels entourent ainsi, dans le Liber, les §§ 110-113 où est donnée, d’une manière assez émouvante, une première relation des derniers moments du Macédonien. Somme toute, le chapitre 31 de Julius Valère a peu de détails en commun avec le Liber – sans parler du chapitre 32 (notamment sur la tentative de suicide) qui fait complètement défaut –, alors que Arm, aux §§ 279 et 281, juxtapose les deux versions de la mort, d’abord celle du Liber, ensuite celle que vont retenir les Res gestae, cf. infra n. 446. 446) Cette notation de l’indignationis caelitis, propre à Julius Valère, se place là où Arm, ayant fait demander au roi le nom de son successeur, Alexandre, en contradiction avec l’ordre de succession du Testament (§ 273), répond : « à celui qui sera assez fort pour vouloir sauver et achever mon œuvre ». On constate ainsi que Arm – et A en fait autant dans l’édition Kroll – transcrit le Testament avant de narrer la mort du Macédonien, tandis que M. Rosellini choisit d’inverser la suite des chapitres 33 et 34, cf. infra n. 447. 447) À l’apothéose romaine, Julius Valère – ni A ni Arm ne mentionnent le serpent – joint le rappel des métamorphoses du père égyptien, cf. I, 10, 246. Syncrétisme JupiterSérapis cf. infra n. 449. 448) Sauf pour un éventuel séjour d’Olympias dans l’île (III, 33, 1386, indiqué également par A, Arm et le Liber), Rhodes et la lettre aux Rhodiens ont disparu des Res gestae. En A (III, 32, 9, Kroll 137,6) et en Arm (§ 269), au deuxième matin, Alexandre commence son testament et se le fait lire par Holcias après le défilé des Macédoniens (ibid. 33, 1, Kroll 138, 14 et § 271) ; dans le fil de la narration, le texte en est donné aussitôt : il commence par la missive énumérant d’abord les avantages concédés à Rhodes – mais aussi à l’Égypte et à Thèbes reconstruite (cf. infra n. 465) –puis, sans discontinuité, suit la copie du testament proprement dit, confié au même Holkias. En arménien (§ 275), celui-ci fait alors prévenir les Thébains. Le Liber, pour sa part, isole la lettre qui est portée à Rhodes (107-109) et le testament n’est lu qu’après la mort et l’exposition du corps

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    (115-123). Cette disposition a pu influencer M. Rosellini, d’autant que le chapitre 33 débute par une circonstancielle de transition : Quo ubi primum consecratas reliquias intulere. 449) Darius était consessor dei Mithrae : I, 36, 1197-1198 et 38, 1260, cf. supra n. 146 ; Perdiccas proposa un ensevelissement familial à Égées, cf. Pausan. I, 6, 3. 450) Cf. supra n. 446 : selon Plutarque, Al. 76, 9, on alla consulter Sérapis (sic) dans son temple de Babylone pour éventuellement y transporter le mourant. L’oracle est donc fabriqué pour servir les intérêts de Ptolémée et de l’Égypte. 451) Hexamètres. A et Arm : « Je rends un oracle avantageux pour vous tous. Il y a une ville sur le Nil, près des flots de l’Océan ; très riche, elle possède cinq terres royales et, proche du pays des Amazones, s’appelle Memphis. Conduisez-le là ; que s’y repose le fils des Immortels et que (dans la joie : Arm) soit honoré le roi porteur de cornes. » En latin, la référence à Bacchus se superpose à celle d’Ammon, dans un mélange volontaire du macédonien et de l’égyptien. 452) A et Arm : « Le sarcophage fut empli de miel des îles, d’aloès (pour le foie et le corps embaumé : Arm) placé sur un char tiré par [64] mules » – Tumultuario : lectio difficilior. – Diodore, en XVIII, 26, 3 et 28, 3, permet des rectifications : le métal était de l’or (mais voir infra n. 465) et Ptolémée enleva de force le convoi en Syrie. 453) Reprise, en partie uerbatim, de I, 34, 1110-1114, cf. supra n. 132 ; A et Arm ajoutent les joueurs de flûte. 454) En I, 34, 1130-1141, Memphis avait pourtant été décrite comme une place forte bien dotée par la nature. La motivation en A et Arm est complètement différente : « Emmenez-le dans la ville qu’il a fondée lui-même près de Rhacotis, car le lieu où reposera son corps sera troublé par des guerres et des luttes. » Au IIIe s., Alexandrie avait particulièrement souffert sous Aurélien et Dioclétien. 455) Le transfert à Alexandrie ne fut pas immédiat : il prit quelques années (Curt. X, 10, 20), voire ne s’effectua que sous Ptolémée II (Pausan. I, 7, 1). Voir supra n. 111. 456) Le testament, apocryphe (cf. Curt. X, 10, 5) mais transcrit avec peu de ratures du texte latin, commence par la question dynastique  : Arrhidée, fils débile de Philippe II et d’une concubine, proclamé sous le nom de Philippe III, sera assassiné en 316 à l’instigation d’Olympias ; l’enfant posthume, Alexandre IV, disparaîtra avec sa mère Roxane en 310 sur l’ordre de Cassandre ; tous deux appartenaient à la famille des Argéades, détentrice du trône de Macédoine ; les liens d’Olympias avec Rhodes (cf. supra n. 448) sont également rapportés par le Pap. Vindobonensis 31954 (Ier s. av. J.-C.). 457) Dans l’organigramme de Diodore XVIII, 2-3, en 323 (notre référence de base), Cratérus, absent, ne figure pas et, dès 321, il meurt au combat. A et Arm le désignent comme « l’administrateur de tout le royaume de Macédoine », autrement dit comme le tuteur des deux rois ; pour l’Asie, le Liber 121 complète cette prééminence, en écrivant : Medis imperator sit, ce qui, du moins chez Julius Valère, II, 17, 877-878, a le sens général d’un imperium Medorum. Dans les Res gestae, le titre de praefectus Macedoniae ne pouvant être, au contraire, que provincial, rappelle qu’antérieurement Alexandre, à la fin de son règne, avait voulu, en Macédoine, remplacer par Cratérus le « stratège d’Europe » Antipater. A. Ausfeld, d’ailleurs, in Rhein. Mus. 56, 1901, p. 517-542, remarque que la tendance hostile à Antipater se voit à propos des épouses princières affectées à certains (deux filles de Philippe II à Cratérus et Lysimaque, une sœur d’Alexandre à Ptolémée), alors qu’Antipater souhaitait mettre ces généraux de son côté par des noces avec sa propre progéniture. Pour ce qui est de Lysimaque, puisque Arm ouvre une lacune après la mention de Cratérus, seul dans le Roman, A lui fait un sort en lui réservant la Thrace, à l’instar de Diodore loc. cit., de Quinte Curce X, 10, 4 et, hors de la partie testamentaire, du Liber 111 (cf. l’ordre intimé par le roi : Alexander Lysimachum ad se uocauit eique « proficiscere », inquit, « tu Thraciam »).

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    458) Le chiliarque Philotas, chez Diodore loc. cit. et Quinte Curce X, 10, 2, reçoit la Cilicie donnée à Nicanor par le Liber 117 ; ici, il bénéficie de l’Hellespont que Quinte Curce ibid. et le Liber 116 attribuent à Léonnatus. – L’officieux Holcias, cf. supra n. 448, qui obtient l’Illyrie (1427-1428), était lui-même un Illyrien. 459) Accord de Diodore loc. cit., de Quinte Curce X, 10, 3, du Roman et du Liber ibid. sur les satrapies d’Eumène. – A et les Excerpta latina Barbari laissent les îles sous la tutelle des Rhodiens (voir aussi la leçon du Mettensis in Liber 108 : inter insulas), ceux-ci, pour plusieurs décennies, agissant, à leur tour, sous la protection égyptienne. 460) À Antigone revient non la Carie, mais, en A, la Cilicie (contra supra n. 458), chez Diodore loc. cit., Quinte Curce X, 10, 2 et dans le Liber 117, la Pamphylie, la Lycie et la Grande Phrygie. – Accidentellement ou pas, Cassandre et sa Béotie sont absents ailleurs. – Le cas d’Antipater est plus compliqué : certes, Diodore loc. cit. lui maintient-il la fondamentale Macédoine, cependant l’idée d’un contrôle élargi au -delà des Détroits, suggérée par Julius Valère : eisque omnibus praeesse Antipatrum oportebit, pourrait avoir le renfort du Liber 117 : Ager qui est contra fluuium qui Halys uocatur, in eum agrum Antipatrum imperatorem do. En effet, l’Anatolie jusqu’à l’Halys était une partie de l’Asie que Darius, cf. Curt. IV, 5, 1, aurait éventuellement cédée à Alexandre devenu son gendre. Le ressort du « stratège d’Europe » aurait donc fortement mordu sur l’ancien empire perse. 461) Pour la Syrie, on lit chez Julius Valère : Yton, très proche du Pithon de Liber 117 ; Diodore loc. cit. et Quinte Curce X, 10, 2 transmettent le nom de Laomédon. 462) Chez Diodore loc. cit., Séleucus obtient le commandement de la cavalerie des Hétaires. – Sur la position de Méléagre Julius Valère et le Liber 117 se rejoignent. 463) Ratifiée par A, la séquence valérienne Aegyptum Perdiccae, Libyam Ptolomeo sème la contradiction en Arm où l’on a successivement les trois énoncés suivants : 1°) « que l’Égypte aille à Ptolémée » ; 2°) « je laisse Perdiccas roi d’Égypte avec la métropole d’Alexandrie, ma fondation » ; 3°) « qu’en Égypte Ptolémée (contra Perdiccas : Res gestae et A) élève des statues… ». De même que Diodore loc. cit. et Quinte Curce X, 10, 1, le Liber 117 et 119 n’hésitait absolument pas : Ptolémée a la responsabilité du ressort égyptien et d’abord de l’ensevelissement du corps là-bas. La chronologie des événements dégage, en fait, une très courte période durant laquelle Perdiccas, détenteur de l’anneau d’Alexandre, époux de Roxane, exerça le commandement de l’armée royale et la supervision des satrapies : il était à Memphis, quand il tombe, victime d’un complot dès 321. Les faits démontraient donc que Ptolémée n’avait pas immédiatement été le maître de la vallée du Nil. Mais pourquoi le Roman, sans ambages en grec et en latin, a-t-il tenu à rétablir l’état originel ? Précision érudite, plaisir de la différence, intention politique ? on ne sait, d’autant que Ptolémée est fort bien traité par Julius Valère. 464) Les deux femmes d’Alexandre se nomment Roxane ; au contraire de Liber 118, Julius Valère et A savent distinguer la Bactrienne de la fille de Darius et leur remariage respectif, même si Phanocratès est non identifié. 465) Entre le Moyen Orient et l’espace perso-indien s’insèrent des dispositions financières touchant l’enterrement, les retraites militaires et quatre communautés : Argos, Delphes, Milet et Alexandrie (Arm et le Liber 120 ajoutent Athènes qui reçoit pour Athéna un peplum et un trône d’or, le Liber ibid. inclut encore Thèbes et finit sa liste par Cnide). – On a déjà rencontré pour le talent d’or deux équivalences : soit 125 solidi (cf. supra n. 81), soit 1 solidus (cf. supra n. 424). Pour le sarcophage définitif en or (cf. supra n. 452), Julius Valère indique 6 « grands » talents, mais la qualificatif manque en A et, par ailleurs, Arm et le Liber 119 proposent les sommes très différentes de 20 000 et de 200 talents. Vu les confusions des Res gestae entre 6 et 200 (cf. supra n. 358) et la multiplication de 200 par 100 en Arm, il ne serait pas impossible que le bon chiffre soit 200. 466) La pension des vétérans, en comptabilité traditionnelle, se monterait à un demi-talent. – Dans le cas d’Argos et de Milet, Julius Valère introduit des auri signati

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    drachmas qui réapparaissent au bénéfice d’Holkias en Illyrie (infra 1429). En soi, l’expression ne serait pas aberrante, car l’Égypte ptolémaïque frappe parfois l’or selon le système de la drachme pondéralement égale à un hémi-statère. Cependant, les parallèles textuels sont décevants : le Liber ne connaît que des talents d’argent, une fois sur trois le chiffre changeant ; Arm n’existe que pour Argos et alors il juxtapose (traduction Raabe) nomismata et talenta, une équation possible (cf. supra n. 465) mais qui demande à être vérifiée. Quant aux motifs des largesses, ils ne sont pas illogiques : après la destruction de leurs défenses, Alexandre avait traité les Milésiens avec humanité, cf. Diodor. XVII, 22, 5 ; Hercule – le Liber 120 le remplace par Junon –, héros d’une dynastie militaire, avait accompli deux de ses travaux en Argolide. 467) Respectée à cause du rôle politique de l’Amphictyonie (cf. supra II, 241 et 308), Delphes, outre l’ivoire et les peaux de serpent, reçoit des patères d’or : 13 (Julius Valère et A), 100 (Liber 120 et Arm qui ajoute 100 anneaux). Pour la statuaire d’or (Julius Valère) ou dorée (A et Liber ibid.), édifiée sur le site du Parnasse, voir infra n. 471. 468) Cf. supra n. 282. En la complétant par des mesures financières, Julius Valère réitère l’institution d’un prêtre annuel doté de la corona aurea et du purpureus amictus : chargé d’administrer Alexandrie (A), il officie en Perse lors des fêtes anniversaires du Macédonien, de Cyrus et de Darius. 469) Dans le Liber 121, Taxiadès, dénommé Taxilès, partage le territoire avec Porus, puisque, dans cette version, ce dernier a survécu. Étrangement, A cite aussi Porus, l’arménien lisant Pithon. 470) Le Liber ibid. honore le père de la bactrienne Roxane et non son oncle, comme Julius Valère et Arm, lequel permet de reconstituer le nom des Paropanisades ; il détache les Arachosiens d’une bizarre satrapie de Bactriane-Susiane que l’arménien étend à la Parthyène ; il cite, comme A, la Carmanie concédée à Tlépolémon. 471) Cité en dernier pour un ressort géographique à l’opposé des autres, Holkias, l’homme de confiance du Macédonien, cf. supra n. 448, fournit le modèle sur lequel on se réglera partout dans l’Empire (de préférence, à Olympie, prétendent Arm et le Liber 122) : la liste des statues consacrées dans le temple, terminée par la mention des humains, parents du Conquérant, place Alexandre en tête dans Arm et le Liber ibid. avant de se poursuivre par la réunion de la Macédoine : Hercule, de l’Égypte : Ammon et de la Grèce : Minerve. À l’exception de cette dernière, Perdiccas (Ptolémée : Arm et Liber ibid.) doit, dans la fondation égyptienne, élever les mêmes effigies. Sauf à Delphes, voire à Athènes (Liber ibid.), le métal sera le bronze (materia diuersa : 1434). 472) En A, Alexandre prend à témoin Zeus et Hercule ; dans la lacune qui suit, le Liber 123 ajoute Minerve, Mars, Ammon le Soleil et la Fortune du roi Alexandre. 473) 10 : A ; 12 : Julius Valère et Arm (sept convergences entre le latin et le grec, dix entre le latin et l’arménien ; le grec, le latin et l’arménien ont chacun deux particularités ; la somme n’épuise pas la totalité des occurrences). 474) En réunissant les propositions d’A. Ausfeld, op. cit. supra n. 80, p. 212-213, l’apparat de l’édition Kroll p. 146 et, en dernier lieu, la traduction par C. Jouanno de la recension γ, Paris, 2009, p. 253, seraient localisables les Alexandries Bucéphala, Nicée, de Babylone, d’Égypte et de Troade (en fait, fondation ultérieure d’Antigone)  ; les Alexandries du Tigre et d’Origala pourraient être Charax et Merw ; le reste, comportant d’éventuels doublons, suscite l’interrogation : A montuosa = A. du Caucase ; A. de Scythie = A. ad Tanaim ; A. des Massagètes confondue avec A. du Xanthe= A. Eschaté ; A. du Granique = A. d’Arie ? Aux spécialistes de géographie historique d’examiner davantage ces hypothèses discutées. 475) Cf. supra n. 106. A et Arm terminent en datant les jours de la mort et de la naissance du Conquérant, l’arménien joignant un bref éloge où domine la Providence céleste.

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    ITINERARIVM ALEXANDRI

    [1] 1. Dextrum admodum sciens et omine tibi et magisterio futurorum, domine Constanti, bonis melior imperator, si orso feliciter iam accinctoque Persicam expeditionem itinerarium principum eodem opere gloriosorum, Alexandri scilicet Magni Traianique, componerem, libens sane et laboris cum amore succubui, quod quidem meum uelle enim id et exigit sui pensique est, quodque regentium prospera in partem subditos uocant. 2. Ac si quid ex eo iuuerim uel praeierim uicem sciam in me etiam redundaturam, quoniam quisque mortalium iure naturae in eo se plus diligit, a quo ipse defenditur. Sed enim quamuis factorum egregiorum inops lingua testis ignobilis, ego tamen audacter innumeris subeo, non meis fretus, uerum externi ingenii uiribus, nec de loquacium numero uilibus usus auctoribus, sed quos fidei amicissimos uetus censura pronuntiat, quosque istic qua potui tibi circumcisa satis curiositate collegi, adhibito sane uerborum cultu restrictius, quoniam uoti communis utilitas non priuatae iactantiae gloria petebatur. [2] 3. Itinerarium denique pro breuiario superscripsi castigans operis eius etiam nomine facultatem, scilicet ut icent uirtutibus tuis, cum animo, quippe sitienti laudis, irritamento est, in causa olim pari scire obsecutam Rationi Fortunam, praesertim cum illinc tu res martias auspicere, ubi quisque fidentior emerita imperia sublimarint, triumphorumque tu exim stipendiis imbuare, ubi quisque felicior praegestis apicem posiuere ; scilicet ut, dum iuuentae conatus paternis maturitatibus admoliris, inclitorum quam maxime principum merita superuadas, quorumque protinus tete in omni hac parilitate nec consilii paeniteat nec pudeat uero fortunae. 4. Quamquam scio maiora longe felicioraque, quae profecto sint uobis exempla de maximis Constantinis patre uel fratre, certe quae priora sunt tempore, etiamsi meritis secunda tu feceris, ipsos illis, si quis functis est sensus, uoto accessuros existimo. 5. Tibique in Persas hereditarium munus est : ut qui Romana tamdiu arma tremuerunt, per te tandem ad nostratium nomen recepti interque prouincias uestras ciuitate Romana donati, discant esse beneficio iubentium liberi, qui omnes illic fastibus regiis milites bello, serui pace censentur.

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    L’ITINÉRAIRE D’ALEXANDRE 1. Sachant que pour toi, Seigneur Constance, ce serait, en même temps qu’un enseignement, un signe vraiment favorable pour l’avenir, si, tandis qu’après déjà d’heureux commencements tu boucles le ceinturon de la campagne contre les Perses, je composais l’Itinéraire de princes rendus glorieux par la même entreprise, j’entends Alexandre le Grand et Trajan, je me suis laissé allé, c’est vrai, avec plaisir et affection à la tâche, non seulement parce que ce qui est de son devoir réclame ma volonté, mais encore parce que les prospérités des dirigeants appellent leurs sujets à y participer. 2. Et si, par cet ouvrage, j’aide ou guide de quelque manière, je saurai que la pareille se reversera sur moi aussi en abondance, puisque chaque mortel, de par les lois de la nature, se chérit davantage en la personne de qui le défend. Toujours est‑il que malgré la pauvreté d’un verbe témoin sans renom d’actions exceptionnelles, j’ai cependant l’audace de prendre la place de tant de gens, appuyé non sur mes forces mais sur celles d’un talent qui m’est étranger, recourant non à de médiocres auteurs du nombre des bavards mais à ceux que la critique des Anciens proclame les plus amis de la vérité et que moi‑même, avec mes moyens, j’ai, en cette occurrence, réunis pour toi, en coupant court passablement à la curiosité ou, du moins, en restreignant les élégances de style, dans la mesure où je poursuivais un vœu d’intérêt général et non la gloire de discourir à des fins particulières. 3. En dernière analyse, corrigeant même par l’appellation la portée de l’ouvrage, j’ai, au lieu d’Abrégé, pris le titre d’Itinéraire, comme un aiguillon de tes vertus. Pour un courage assoiffé d’éloges, il est, en effet, excitant de savoir que jadis, dans un cas similaire, la Fortune a cédé aux ordres de la Raison, d’autant que, pour ta part, tu inaugures tes activités martiales au niveau où les plus confiants ont fait culminer l’aboutissement de leurs pouvoirs et que tu étrennes l’exercice des triomphes depuis un degré où les plus heureux posèrent le couronnement de leurs exploits antérieurs : entendons qu’au moment où les élans de la jeunesse viennent s’ajouter aux effets de la maturité paternelle, tu surpasses les mérites des princes les plus illustres du monde, sans que, dans cette complète ressemblance avec chacun d’entre eux, tu aies pour autant à regretter ton intelligence ou à rougir de ta fortune. 4. Bien que je sache plus grands et heureux, et cela de beaucoup, les exemples qui pour votre profit émanent des Constantins, ton père et ton frère, tous deux affectés de la Grandeur, je pense qu’eux‑mêmes, s’il est vrai que les défunts ont quelque sensibilité, s’attacheront en leur cœur à ceux qui, certes premiers dans le temps, auront été placés en second par tes propres mérites. 5. Tu as par héritage une mission à l’encontre des Perses : que ceux qui si longtemps ont redouté les armes de Rome, enfin reçus, grâce à toi, dans la communauté de notre nom et gratifiés de la citoyenneté romaine au sein de vos provinces, apprennent à être libres par le bienfait des vainqueurs, eux tous que là‑bas la morgue des rois recense comme soldats pour la guerre, comme esclaves en temps de paix. 267

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    [3] 6. Igitur si Terentius Varro Gnaeo Pompeio olim per Hispanias militaturo librum illum Ephemeridos sub nomine laborauit, ut inhabiles res eidem gressuro scire esset ex facili inclinationem oceani, utque omnes reliquos motus aerios praescientiae fide peteret uel declinaret, cur ego tibi, rem nostrae salutis adgresso, non ut ex bona flamma uirtutum hanc facem praeferam ? Quoniam quantum ingenio minor, tantum hoc uoto Varrone sum potior, uti uel inde quamquam corporis liber, animi tamen uobis militem uiribus. 7. Modo indicio sim quam illi uiam fortitudini strauerint, quae tibi nunc pro omnium salute carpenda est. Neque enim ego hic elegantiam sermonis affecto, cui de commodo usus ipsius laboratur, cum sit felicitas maior tali in opere uersanti praeisse quod prosit quam composuisse quod placeat ; ut quo segnitior fuerit dicti simplicitas, hoc et fidei plus et luminis habeat enarratio  ; quippe quoniam in talibus ueritas palmam rapuerit eloquentiae, quae ubi arte protegitur scriptor pro auctore laudatur. [4] 8. Sed mihi hic et materiae parilitas blanda est et germanitas spei de te scripturo potiora tum Alexandri gloriis tum Traiani, quibuscum tibi sane commune est fatalem hanc belli lineam tangere, quoniam aetas quoque alterius nunc penes te est alterius uero consilium quo uincis aetatem. 9. Quippe Alexandro illi interim sic sequabere : magnus ille cognomine, tu uero maximi filius, eadem fere natus terrae sub parte eodem atque indidem ducis exercitum, numero militum par, sed melior examine, eandem ulturus iniuriam es, sed disparis contumeliae. 10. Ex quo iure sane sit praesumendum quod aequali omine militans pari potiare fortuna, hactenus socius exemplo, ceterum pro merito felicior, siquidem quoniam deo praesidi acceptiora sunt uota quae fas et modestia concepit quam quae efferis moribus inconsulta arrogantia rapit. 11. Ille, sibi soli uicisse gloriatus factusque in amicos saeuior quo felicior, fructu uictoriae caruit, obitu multatus ; saluti uero Romanae tu militans ei mox imperio contendes aetate cuius te gloriae inmortalitas comitabitur. Etenim ne tibi tantis ac talibus occupato ultra obloquar hinc exordium faciam. [5] 12. Alexander natus Olympiade generis Aeacidarum patre ambiguus fuit, Ioue Hammone tali de sobole aut Heraclide Philippo conpetente. Sed ubi Philippo successit eumque ultus est Pausania caeso cum

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    6. Par conséquent, si pour Cn. Pompée, prêt à combattre à travers les Espagnes, Térentius Varron a jadis élaboré le fameux livre intitulé Les éphémérides, afin qu’aux abords de réalités peu maniables, celui‑là pût facilement connaître le climat océanique et que, se fiant à une connaissance préalable, il recherchât ou évitât tous les autres mouvements de l’atmosphère, pourquoi, moi‑même, quand tu te trouves aborder une réalité qui touche à notre salut, ne porterais‑je pas devant toi cette torche, pour ainsi dire produite par le beau feu de la valeur ? De fait, autant je lui suis inférieur par le talent, autant que je l’emporte sur Varron par le vœu que, tout désengagé que je sois physiquement de ce combat, je forme de le mener pour vous avec les forces de l’esprit. 7. Qu’il me suffise d’indiquer la route autrefois frayée à leur vaillance et que maintenant tu dois emprunter pour le salut de tous, car ici je ne cherche pas à apurer une langue qu’on ne travaille qu’en fonction de son usage, puisque celui qui se mêle à pareille entreprise a davantage de bonheur à guider pour être efficient qu’à composer pour plaire. Tant et si bien que plus est détendue la simplicité des mots, plus le développement a de crédibilité comme de clarté, parce que dans de semblables occasions la vérité ravit la palme à l’éloquence : là, au contraire, où l’art la recouvre, on loue un auteur au lieu d’une autorité. 8. En revanche, la similitude de la matière me séduit aussi bien que l’affinité des espérances, en cet instant où, à ton sujet, je m’apprête à décrire des actions supérieures aux titres de gloire et d’Alexandre et de Trajan car, ayant, bien sûr, en commun avec eux d’atteindre le but que le Destin fixe à cette guerre, tu jouis aussi maintenant et de l’âge du premier et de cette intelligence du second qui te fait vaincre ton âge. 9. Oui, déjà pour les raisons que voici tu égaleras cet Alexandre : il a le surnom de « Grand », mais tu es le fils du « Très Grand » ; né presque dans la même section du globe, tu conduis ton armée dans la même direction et depuis le même point ; tu as la parité pour le nombre des soldats mais la qualification est meilleure ; tu vas de même venger la violation du droit, mais l’affront fut sans parallèle. 10. C’est pourquoi, bien qu’il faille à bon droit présumer que, combattant sous d’identiques auspices, tu obtiennes pareille fortune, associé jusque-là à ce modèle, tes propres mérites au reste te vaudront plus de bonheur, tant il est vrai que sont mieux reçus de la Divinité qui nous protège les vœux formulés dans la justice et la mesure que ceux, à l’arraché, de l’arrogance irréfléchie d’un caractère sauvage. 11. Lui se glorifie d’avoir uniquement vaincu pour soi et, d’autant plus cruel contre ses amis qu’il était plus heureux, il s’est endurci à posséder sa victoire : il mourut donc dans le trouble. Toi, à l’inverse, tu combats pour le salut de Rome et bientôt ton âge rivalisera avec ce règne dont la gloire immortelle t’accompagnera. Cependant, pour ne pas te gêner plus avant par mes paroles dans tes si grandes, si belles occupations, à partir d’ici je prendrai mon commencement. 12. Alexandre, né d’Olympias de la famille des éacides, fut d’un père incertain, Jupiter Ammon et Philippe, de la postérité d’Hercule, se disputant cette descendance. Mais dès qu’il succéda à Philippe et se fut vengé de Pausanias abattu

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    tribus filiis, quod hi praesidentem Aegensi theatro Philippum interemissent, fundato protinus imperio Macedoniae omnique in ius suum artibus regiis Peloponenso quaesita, consensu cunctorum in Persas ducere exercitum meruit, solis id modo Lacedaemoniis rennuentibus, non merito indigni , uerum pudore posthabiti sui nominis, quoniam imperium sola res est, cuius pretium periculis aestimatur. 13. Quibusque Alexander deditus aetatis anno uicesimo, ut se tanto apparatui idoneum faceret, legit militem uoluntarium ac sibi uoto competentem, non numero uberi, uerum uiribus alacritatisque usibus animatissimum. Etenim quoniam id esset commodius, sese in exemplo ponebat. [6] Quippe ipse uisu arguto naribusque subaquilinis fuit, fronte omni nuda plerumque quamuis pinguius fimbriata de exercitio ob uehementiam equitandi, cuius id arbitrio dabat : ex quo relicinam comam iacere sibi in contrarium fecerat, idque aiebat decorius militi quam si deflueret. 14. Statura iuuenis mediocris, membris exsuccior, sed quae nullas feruenti remoras adferrent, quod plus usui quam contemptui lenocinaretur. Crebrioribus quippe musculis tuberascens miris neruorum coetibus intendebatur, pernix cursu quo uellet, uehemens impetu quo rimaretur, nimius tormento iaculandi, continari quem destinasset peritus, feruens irruere quo audendum, constans excipere qui confideret, eminus certus, comminus uiolentus, eques improuidus turbidusque, pedes interritus peruicaxque. 15. Multus ad imperia difficultatum, onerosior tamen exempli proprii irritamentis, quoniam bono opere praeueniri pudibile ducebat, iuuentae munus e corpore alacriter petens ipse barba caute durior et cetera candidus, et quae sibi sane quisque rectius consulat, aut ipsi certe imperatori uel militi uelit. Quippe ego tibi Alexandrum dixerim  : tute uideto ; nam nec blandiri proposui et nolo uideri auribus gratiosus, ubi oculis iudicare de te tuis omnibus licet. [7] 16. Is igitur Magnus sibi Peloponensis uires uiritim oppidatimque multa beniuolentia pigneratus est. Thracas quoque animo uariantes impigre subegit ab Orbelo monte, qui imminet Philippis, urbi Philippeae, Haemo continuus, ad Istri ostia, eximque cum mari dextro perque Euxinum militans Maeoti transmissa iam remeans Gothos irruisset, eos quoque superat bello, die eadem regressus ad suos. Tum Dahas Moesosque et Illyrios Dalmatasque omnes iustis proeliis superat componitque, et Thebas Boeotias diruit tumultuatas.

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    avec ses trois fils, pour avoir tué Philippe, tandis que celui‑ci présidait à des représentations à Égées, sans attendre, il consolida son pouvoir en Macédoine, employa ses qualité de roi à réduire sous son autorité tout le Péloponnèse et obtint d’un avis unanime de conduire l’armée contre les Perses, seuls les Lacédémoniens s’y opposèrent, non par considération de son indignité, mais parce qu’ils étaient blessés de voir leur nom en retrait : en effet, le commandement est la seule chose dont le prix s’estime à l’épreuve. 13. Ainsi occupé, à l’âge de dix‑neuf ans, afin de se rendre capable de si grands préparatifs, Alexandre enrôla des soldats volontaires et en conformité avec ses desseins : ils n’abondaient pas par le nombre, mais leur vigueur et la pratique de l’entraînement les déterminaient à l’extrême. Et comme cela aidait ses intérêts, il se donnait lui-même en exemple. Il avait le regard acéré et le nez un peu aquilin ; en général, tout son front était découvert, avec pourtant une frange bien fournie : quand il s’exerçait, à cause de sa passion toute-puissante pour le cheval, à laquelle il cédait ainsi, il laissait ses cheveux s’aplatir en arrière, ce qui, disait‑il, pour un soldat convient mieux que s’ils retombaient. 14. De taille moyenne, le jeune homme avait la membrure plutôt sèche, mais sans que son ardeur en fût ralentie, car elle servait ses besoins plus qu’elle n’en engageait à le mépriser : les muscles durs saillant, ses fibres se tendaient étonnamment ramassées. Vif pour courir où il voulait, impétueux à bondir à l’endroit repéré, extraordinaire au lancer de projectiles, habile pour joindre l’objet de ses plans, brûlant d’attaquer, s’il fallait oser, ferme face aux assauts téméraires, sûr de loin, farouche de près, il était un cavalier inattendu et tumultueux, un fantassin sans peur et obstiné. 15. Se dépensant pour dominer les difficultés, il pesait davantage par l’aiguillon de son exemple personnel, puisqu’il jugeait honteux d’être devancé par une belle conduite. Plus dur qu’un rocher de Barbarie, il réclamait avec feu à son corps les dons de la jeunesse ; autrement, il était sans détours, qu’il s’agisse de ce que chacun penserait plus justement dans son cas personnel ou, du moins, de ce qu’il voudrait pour le commandement ou la troupe. Je pourrais dire qu’Alexandre te ressemblait, mais à toi de te regarder, car je ne me suis pas proposé de flatter et ne veux pas donner l’impression de complaire aux oreilles, là où tous les tiens peuvent juger à ton égard avec leurs yeux. 16. Ce grand homme s’assura donc par nombre de bienfaits les forces du Péloponnèse, homme par homme, ville par ville. De même, il soumit sans tarder les Thraces au caractère mobile et cela depuis le Mont Orbèle qui, continuant l’Hémus, domine Philippes, la fondation de Philippe, jusqu’aux bouches du Danube ; ensuite, bataillant avec la mer à droite et le long de l’Euxin, il traversa le Palus‑Méotide ; il s’en revenait déjà, lorsque, lancé contre les Goths, il les terrasse eux aussi au combat et le même jour regagne les siens. Puis Dahes, Mésiens, Illyriens et Dalmates sont tous terrassés en batailles réglées ; il les pacifie et détruit Thèbes de Béotie qui s’était révoltée.

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    17. Itaque iter in Asiam auspicanti nuntiatur Orpheos musici statuam plurimum sudauisse, idque laboris fore ingentis melicis litteratisque laudes eius cantantibus dictum. Quo magis ortu ueris Hellespontum proficiscitur, mandata imperii Macedonici tum Peloponensi Antipatro procuratione sub sui nomine, nec plus suorum quam peditum decem equitumque comitatus quinque milibus proficiscitur. 18. Agmen uero ceterum et auxilia circa gentium classi uehebantur belli usibus diuite, quae Amphipoli in Strymone bicorni erat. Eo usque a matre deductus acuitur ad gloriam : ita nobilitas et in feminis periculis est amica. [8] Igitur ipse per Abderam Maroniamque tum Hebrum et Melanam amnes, classis uero circuitu omni uicesima die Seston uterque adpulere, Abydumque transmittunt, et diis heroibusque apud Ilium litant, ubique hasta humi fixa omen sibi facit Asiae bello quaerendae, quam Persa miles ea tempestate possidebat. 19. Exim praemittit Parmeniona et Attalum duces, qui satrapas septem omnem Asiam praetendentes irritamentis a sese diducerent spargerentque, quoniam primo conflictu de summa belli decernere, prius suos in haec erudisset, Alexander declinabat. Sed enim satrapae notam ignauiae declinantes, quam in se scirent a rege supplicio punitum iri, ubi de Alexandri aduentu comperere, apud flumen Granicum congreges locant castra, quod is Granicus, Idaeis conriuatus, repens praecipitio montano descendens ruensque, impetu plus quam agmen ualebat, quo sperato segnius uenerat eminus Macedo. 20. Res uero erat barbaris ceu secura, Graecis ardua : amnem tantae latitudinis et torrentis profundi abruptis utrimque ripis aduersum aciem euadere, quae multiplici numero gregatim sparsis obsisteret. Nihilominus ubi suos quoque Alexander uelut ex pari obuiaturos sub luce composuit, paulisper moratus, itidem ut digesta acies erat, aequali fronte uadum euincere incitat. [9] 21. Ita res belli audaciane an uero fortuna plus sua haud pronunties exemplo praesentium. Vbi ordo quippe tot aluei milibus obtentus armatis, incertus subdoli uadi, diuina fortuna uix tamen profundo sese uultu modo liberi dexterisque emersissent mutuo adminiculabundi, mox eis erat scutum leuare, tela imminentium fundere, praerupta littoris conplanare, trudere infestantes. Tum quisque euaserat prior uim cauere, sequentes educere, ordines struere laborabat.

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    17. Il commençait à marcher contre l’Asie, lorsque lui est annoncé que la statue d’Orphée, le poète, avait sué abondamment : l’entreprise, disait‑on, coûterait d’énormes fatigues aux musiciens et aux lettrés qui chanteraient ses louanges. C’est pourquoi, à l’orée du printemps, il part pour l’Hellespont, après avoir confié à Antipater le soin de gouverner en son nom la Macédoine comme le Péloponnèse. Au départ ne l’accompagnaient des siens que dix mille fantassins et cinq mille cavaliers. 18. Le reste de l’expédition et les auxiliaires des peuples avoisinants furent transportés par une flotte qui, richement équipée pour les opérations, se trouvait à Amphipolis, à l’enfourchure du Strymon. Jusque-là sa mère lui fit cortège, stimulant son appétit de gloire : tant la noblesse, même chez les femmes, est amie des périls. Ainsi, lui-même, par Abdère et Maronée puis la traversée des fleuves, l’Hébre et le Mélas, la flotte, en faisant tout le détour, ils abordèrent, l’un et l’autre, le vingtième jour à Sestus ; ils passent à Abydus, sacrifient près d’Ilion aux dieux et héros : là, une lance fichée dans le sol lui présage la conquête par les armes de cette Asie qu’occupaient alors les soldat perses. 19. De ce point il envoie en avant les généraux Parménion et Attale pour harceler les sept satrapes qui alignaient l’ensemble de l’Asie et, de la sorte, les éloigner de lui et les disperser, car Alexandre se refusait à décider de toute la guerre dès le premier affrontement, avant qu’il eût dégrossi les siens à cet effet. Mais les satrapes, refusant d’être taxés d’une lâcheté que le Roi, ils le savaient, punirait par des supplices à leur encontre, à peine apprennent‑ils la venue d’Alexandre qu’ils établissent leur camp, en se concentrant sur le fleuve Granique : ce Granique, rejoint par les eaux de l’Ida, se précipite brusquement de la montagne en une descente impétueuse, et la force du courant doublait son allure. Parti de loin, le Macédonien y était parvenu moins vite que prévu. 20. La situation pour les Barbares était quasi assurée, mais pour les Grecs, difficile, puisqu’ils avaient à franchir un fleuve si large, creusé par le débit entre deux rives abruptes, en se heurtant à une ligne dont les multiples éléments regroupés barreraient leur éparpillement. Néanmoins, au point du jour, Alexandre disposa aussi les siens comme s’ils allaient avancer à condition égales, puis, après un court suspens, il les engage à triompher du gué, sur un front à l’égal de la ligne préétablie. 21. Aussi, en matière de guerre, fut-ce son audace ou sa fortune qui l’emportèrent, on ne saurait se prononcer d’après le présent exemple. Quand, dans la rivière, sur tant de milles cette rangée s’opposa à des hommes en armes et que les traîtrises du gué la déséquilibraient, quand cependant, par une fortune divine, ils émergeaient à grand mal des profondeurs, seuls les visages et les mains libres, et que mutuellement on se soutenait, il leur fallait tout de suite soulever le bouclier, éviter les traits qui tombaient sur eux, aplanir les aspérités du rivage, repousser les assaillants. Alors les premiers à s’en être sortis peinaient à se garder des coups, à faire sortir les suivants, à reconstituer les rangs.

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    22. Satis tamen constat, hic quoque laudis palmam penes regem fuisse. Dirigens quippe Alexander ante omnis cornu dextrum scandensque littoris obuiam, cum in sese duces hostium exciuisset, feruentius bello usus damno militiae periclitabatur. Namque ubi ei hasta praefracta est, dum circumspectat suos dumque sibi porgi aliam petit, irruenti Mithridati, qui gener Dario regi erat, telum quod accepit intorsit. Quo protinus strato etiamtunc et in haec intento a tergo superuolat Spithridates libraueratque iam acinacen post galeam caesam brachium bellantis Alexandri petiturus, ni uiso Clitus id faceret quod minabatur. 23. Eisque caesis aditus bellantibus datus et uirtutis exemplum reliquis insequentibus. Haec denique fuit mora transitui quae proelio : ita non multo post debellatum internicione hostibus caesis, nisi pauci qui studio fugae arma pro onere abiecerant, captisue aliis, quorum plerique Athenienses Persis pretio militabant, quos quidem ferro uinctos Macedoniae rura iubet. Vtrimque caesos humant. Praedae pleraque iactans gloriae matri transmittit. [10] 24. Igitur hac belli fortuna in confidentiam consequentium eruditus, Lydiae Sardis et reliquas recepit Asiae ciuitates aditu indemni, Persis nauale bellum frustra temptantibus, quoniam terrestribus undique saeptibus aut praesidiis arcebantur. Fuit tamen Alexandro etiam Halicarnassi anceps bellum, quamque obsidione uix cepit et diruit. Propitiatus hinc post reginae, cui mox reddidit regnum urbis eius, ab eaque se filium dici dignantissime pactus est. 25. Exim Lyciam ac Phrygiam suas facit. Cumque ageret Phaselide, Alexandrum audit Aeropi filium nouare aduersum se res uelle, hortatu Darii, Asisine internuntio, ut si is Magnum Alexandrum oppressisset regno eius uteretur, additis sibi auri talentis mille et amicitia Persarum ; quod is Alexander Aeropi, interfectoribus Philippi conscius, heredis eius clementiam callidam suspectaret : et est creditu facile quod conscientia opinatur ad sui meritum. Ea ergo re probata ex consilio hominem amolitur. Pergenque Pamphyliae protinus transit. [11] 26. Hinc Aspendiis condicione imperata cum Siden tenderet neque Aspendios obsequentes iussis audisset, regressus eos captiuauit transitorie. Tum, itinere mutato, Pisidiam una cum exercitu repedans, reniti ausam inuitamque obsequi Sagalassum expugnat urbem monte munitam, perque Sagarim Phrygiae amnem Euxinum uenit. Eoque de Macedonia sibi eques pedes miles adhaerescit uiribus quam numero magis. Quo auctus,

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    22. Il est clair toutefois que là aussi la palme de la gloire fut entre les mains du roi : Alexandre, en effet, qui, à sa tête, conduisait l’aile droite, en escaladant la rive de face attirait sur lui les généraux ennemis, sa trop vive ardeur à combattre le mettant en péril, au détriment de sa troupe. Au moment où, sa lance tronquée, il jette un regard circulaire sur les siens et demande qu’on lui en tende une autre, Mithridate, le gendre du roi Darius, se précipite, mais Alexandre retourna contre lui le javelot qu’il vient de recevoir et l’abat incontinent. Il en était encore tout occupé, lorsque par-derrière vole Spithridate qui déjà brandissait son cimeterre et, après avoir brisé le casque, aurait atteint le bras du combattant, si Clitus, l’apercevant, ne lui avait pas fait subir le sort dont il menaçait Alexandre. 23. Eux tués, un accès s’offrit aux combattants ainsi qu’un exemple de courage aux autres qui suivaient. Ainsi, l’affrontement ne dura que le temps du passage ; peu après, la lutte cessa avec l’extermination des ennemis, tués sauf un petit nombre qui, pressés de fuir, s’étaient débarrassés du poids de leurs armes, cependant que d’autres tombaient prisonniers, pour la plupart des mercenaires athéniens au service de la Perse. Mis aux fers, ces derniers sont, sur ordre d’Alexandre, déportés dans les campagnes de Macédoine. On enterre les morts des deux camps et lui, fier de ses exploits, envoie à sa mère presque la totalité du butin. 24. Instruit donc par ce succès militaire à se montrer confiant pour la suite, Alexandre récupère Sardes de Lydie et les autres cités d’Asie en pénétrant sans dommage, tandis que les Perses tentaient en vain la guerre navale, écartés qu’ils étaient de partout sur terre par des retranchements ou des points d’appui. Pourtant à Halicarnasse le combat fut même indécis pour lui : il finit au bout d’un siège par la prendre et la détruisit, puis, s’y laissant fléchir par la reine, il ne tarda pas à lui rendre sa souveraineté sur la ville et convint avec beaucoup de courtoisie d’être appelé son fils. 25. Au sortir de là, il s’approprie la Lycie et la Phrygie. Sur place, à Phasélis, il apprend qu’Alexandre, fils d’Aéropus, veut lever la révolte contre lui, à l’instigation de Darius agissant par l’intermédiaire d’Asisinès, son envoyé : aurait‑il écrasé le grand Alexandre que la jouissance de son royaume lui serait assurée avec, de surcroît, mille talents d’or et l’amitié des Perses ; la raison en était que cet Alexandre, fils d’Aéropus, avait été le complice des assassins de Philippe et qu’il soupçonnait de ruse la clémence de son héritier : on croit facilement ce que pense la conscience sur sa propre conduite. L’affaire ayant été confirmée, Alexandre, sur l’avis du Conseil, écarte l’individu et dépasse Pergé de Pamphylie dans sa marche en avant. 26. De là, il se dirigeait sur Sidé, après avoir dicté ses condition aux gens d’Aspendus, lorsqu’il apprend que ceux-ci n’obéissaient pas à ses ordres. Il rebrousse chemin et les capture sur son passage. Ensuite, il change sa route et avec l’armée revient en Pisidie : Sagalassus osait résister et refusait l’obéissance : il s’empare de la cité malgré la protection de la montagne et, par le fleuve phrygien du Sangare, il parvient à l’Euxin. En provenance de la Macédoine des troupes de cavalerie et de l’infanterie l’y rejoignent : plus revigoré que doté d’un complément,

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    protinus per Bithyniam et Galatiam tum Cappadociam superato Tauro Tarsum Ciliciae uenit labore continuo, urbem si paene fatalem ex hac periculi facultate. [12] 27. Arsames satrapa magna cum manu bello in se etiam tunc paratus ferebatur, adhuc Ciliciae potens. Eoque Alexander, ut ei mos erat, armis grauis peditem suum pedes ipse in acie comitabatur. Sed enim hi fugerant qui armabantur Arsame. 28. Ipse ubi Tarson inuehitur sudore et puluere miles decens labore et honore regali, Cydnum amnem uidet urbis eius media peruadere coetu ciuium coronatum, mundum facie, acutum frigore, nimium agmine, festinum meatu, ripis uirentem ; delectatusque tali elemento seu fluenti uictus aestu ac desiderans frigoris, an ut fortitudinem sui intuentium ciuium theatro iactaret, saltu pontem fluminis scandit una clipeo loricaque uel telo tum casside inque amnem sese trans latus alacri saltu praecipitat eiusque omnem retentans arma latitudinem natat. Ita inter artes est regias fortitudinis formam ex se militi dare, qui sese iactauerint. 29. Sed minores animo corporis ei uires fuere sustinendae iniuriae. Calens quippe omnis ac uaporatus, hausto fluminis frigore penetrabilius utique quo ratior, tantos febrium sibi contractu neruorum uapores exciuit, ipsis uitalibus ui frigoris ebriatis, ut spe bona medici laberentur, ni amore in eum diligentiores fuissent. 30. Tum quidem fertur illud specimen extititisse Alexandri uirtutum ad amicitiam memorabile. Philippus medicus aluo eius incitandae potum parabat. Id Parmenion aemulus Philippo uenenum noxium dicens litteris regem uti letale prohibebat, quas ubi Alexander hausturus excucurrit, cartam medico legendam dans ilico ipse poculum stringit unaque uitium morbi et calumniae diluit, docuitque amicitias probatas secundam non recipere deliberationem. [13] 31. Postque id magnae curae Alexandro fuit Ciliciam quoque omni hostium interpellatu purgare. Iamque Mallon urbem appulerat Ciliciae non ignobilem, cum Darius ei adnuntiatur omni cum belli apparatu abesse bidui uia. Quae res Macedonas itinere praeuersos tantum in belli ardorem spe praesumptae uictoriae leuat, ut ipso biduo grauarentur morae taedio. 32. Issum denique uterque concurrunt aciemque angustis loci faucibus struunt. Atque hic sane operae pretium foret, modo suscepta opera pateretur, referre in milites utrimque regalia incitamenta : ut hinc Graecis ultionis necessitas dicta sit et sui dignitas et praeiudicia Fortunae, at contra Persis adrogantia uentilata, cum summa utrubi fuerit uitam illic

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    il avance par la Bithynie, la Galatie suivie de la Cappadoce, il franchit le Taurus et arrive, au prix d’une peine incessante, à Tarse de Cilicie, une cité qui faillit lui être fatale, car elle fut l’occasion du danger que voici. 27. Jusqu’alors maître de la Cilicie, le satrape Arsamès avec de grandes forces, disait-on, était encore prêt à l’affrontement. A sa rencontre, Alexandre, chargé, comme à l’habitude, de ses armes, accompagnait à pied, dans le rang, son infanterie. Mais l’armée d’Arsamès avait fui. 28. Lorsque sous la poussière et en sueur il entre dans Tarse, en soldat ennobli par son courage et la dignité royale, il voit le fleuve du Cydnus qui, bordé d’une foule de civils, traverse cette ville par le milieu, un fleuve sans impuretés à la surface, d’une fraîcheur piquante, à l’allure imposante, au débit dépourvu de paresse, avec des rives verdoyantes. Cet élément liquide le charme : fut-il vaincu par la chaleur diffuse et l’envie de se rafraîchir, fit‑il parade de sa vaillance devant ce public de spectateurs ? Sautant, il escalade le pont sur le fleuve avec bouclier, cuirasse, le javelot ou encore le casque et, d’un saut vif, hors de la rambarde, il se jette dans la rivière et, conservant son équipement, nage sur toute la largeur : c’est ainsi un des arts de la royauté que de donner un exemple personnel de sa vaillance aux soldats, afin qu’eux-mêmes fassent parade de la leur. 29. Mais le corps eut moins d’endurance que son âme pour supporter l’agression : tout échauffé et moite, absorbant le froid du fleuve, bien sûr de façon plus pénétrante à mesure qu’il s’enfonçait, il provoqua par ses muscles qui se contractaient une transpiration si fiévreuse que, les parties vitales paralysées par l’intensité du froid, les médecins se seraient laissés aller au désespoir si, par amour pour lui, ils n’avaient redoublé de zèle. 30. Alexandre alors montra, dit‑on, cet exemple mémorable des vertus de l’amitié : Philippe, son médecin, lui préparait une potion pour activer ses intestins. Une lettre de Parménion, l’ennemi de Philippe, parlant de poison dangereux, détournait le roi de ce qu’il jugeait mortel. Prêt à boire, Alexandre la parcourut : aussitôt, donnant la feuille à lire au médecin, il se saisit de la coupe : ensemble se dissipèrent et le virus de la maladie et la calomnie, cependant qu’il enseignait que des amitiés reconnues n’acceptent pas qu’on y réfléchisse à deux fois. 31. Ensuite le grand souci d’Alexandre fut de purger aussi la Cilicie de toute intrusion ennemie. Déjà il avait touché Mallus, une ville cilicienne qui ne manquait pas de passé, lorsqu’on lui annonce que Darius se trouvait à une distance de deux jours de route avec tout son matériel de guerre. Devancés dans leur marche, les Macédoniens sont alors soulevés d’une telle ardeur belliqueuse – ils croyaient, en effet, la victoire d’avance acquise – que, dégoûtés d’attendre, ils supportaient mal ces deux jours. 32. Finalement les deux partis se rencontrent à Issus et bâtissent un front dans l’étroit défilé du lieu. Et, en ce point, il vaudrait la peine, si du moins l’œuvre entreprise le souffrait, de rapporter les exhortations de part et d’autre des rois aux combattants : comment ici on parla aux Grecs de la nécessité de se venger, ainsi que de leur propre dignité et des jugements antérieurs de la Fortune ; comment, en face, chez les Perses on attisa l’arrogance, tandis que des deux côtés on conclut qu’il faudrait abandonner la vie là d’où la

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    relinquendam, unde non uictoria sequeretur  ; 33. quamuis Alexander Hammonis numine, ut paterna sui procuratione, in spem uteretur militis creduli, quoniam res securis dei altero tanto iustius antistat et eruditio fit audaciae confidentia praeiudicii, accente ad commodum sui, quod hosti illic de loci lege ad emolumentum peribat, cuius sexcenta milia bellatorum in parte uicesima numerabantur ; uerum conditio situs uires aequauerat, in faucibus loci aequis frontibus concurrentibus. [14] 34. Hic ego facinus auditu dignum non praetermittam in loco ponere. Quippe Alexandrum ferunt, ubi pernox aciem suam uoto composuit stipauitque securior laterum, adeo post id pingui somno soporatum, ut adulto iam die hosteque propinquante uix ducibus excitaretur ; quaesitumque ab eo, ecquid causae esset, quod sub illo discriminis tempore, curae plenus, adeo solito diutius ac profundius cubitauisset, eumque dixisse laetiorem : sane non frustra, quod insperata sit copia sibi hostium data, securum factum acie disposita pro sententia. 35. Postque id ipsum dextrum cornu duxisse in confertissimos Persas, et Thessalos equites mox insecutos ac minaces maxime hostium globos ilico discidisse, acrique impetu agmen ad amnem Pinarum trusum in terga uertisse, plus multitudine sui hostibus quam metu fugaue turbantibus. Ipse denique mox Darius curru relicto et in curru insignibus regiis aegre illi fortunae eximitur, affectibus quoque in tentoriis regiis hosti relictis dolori dedecorique (spolia tam foeda quam bello non necessaria), matre uel coniuge comitantibus filiabusque duabus et filio. Opum tamen eius minus opinione illic inuentum, quoniam pleraque festinans Damasci commendauerat. Alexander tamen uictor ad Darii epulam et tentorium subit, isque finis bello fuit. [15] 36. Insequenti tamen Alexander die etsi graui femoris saucius uulnere obiit tamen cunctos et quisque desideratus uti sepeliretur et Persa ex pari iubet, quisque uulneratus ut curaretur, donatis his regie, quorum in bello ipse commilitio fortititudinis testis erat aut socius difficultatis. 37. Audito tamen captarum Darii mulierum ululatu quibus uisa arma Darii uel currus opinionem caesi regis adferebant, et iisse ad eas fertur et honorifice uidisse, regieque obseruari iussisse. Vbi additur Hephaestiona una cum uidissent indiscretius cultum, de auctu corporis melius opinatas, ipsum pro Alexandro salutasse. Sed enim errorem hunc matre Darii erubescente, dixisse regem nihil eam erroris eius paenitere debere, in utroque enim se Alexandrum salutatum. [16] 38. Darius tamen collectis ex fuga ferme ad quattuor milibus equitum Euphraten petit insequentibus interponendum. At enim Alexander

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    victoire ne s’ensuivrait pas. 33. Certes pour donner l’espoir à la crédulité des soldats, Alexandre pouvait-il utiliser la puissance d’Ammon, comme si ce père gérait pour lui ses intérêts : en effet, chez celui que rassure la Divinité, la situation a pour autant de meilleurs titres à l’emporter sur autrui et la confiance née de ce préalable apprend l’audace ; toutefois, il avait comme avantage supplémentaire ce qui en cet endroit, par la loi du terrain, cessait d’exister pour les ennemis : leurs six cent mille combattants se comptaient au vingtième : à la vérité, la configuration du site équilibrait les forces, puisque sur place, en ce défilé, les lignes s’opposaient sur une égale étendue. 34. Ici, je n’omettrai pas d’insérer un épisode qui mérite d’être rapporté : Alexandre, raconte-t-on, après avoir, la nuit durant, combiné le front à sa guise et l’avoir étoffé, en s’assurant des flancs, s’assoupit ensuite dans un sommeil si lourd que le jour paraissait déjà et l’ennemi approchait, lorsque ses généraux réussirent à le réveiller. On lui demanda pourquoi, en cet instant critique, au milieu des soucis, il dormait à ce point plus longtemps et profondément qu’à l’accoutumée. Il répondit avec gaieté que ce n’était pas pour rien qu’il ne se souciait pas : de façon inespérée, l’ennemi lui était donné en masse et sa propre ligne était agencée comme il l’entendait. 35. Ensuite, raconte-t-on, il emmena son aile droite au plus fort des Perses, les cavaliers thessaliens suivirent bientôt après et leur vives menaces disloquèrent sur le champ les pelotons ennemis : sous le choc de l’assaut, les colonnes tournèrent le dos, repoussées jusqu’au fleuve Pinarus, et la masse des ennemis provoquait plus de trouble parmi eux que la peur ou la fuite. Pour finir, Darius, en personne, ne tarde pas à laisser son char et dans ce char les insignes de la royauté. Avec peine, il se soustrait à cette infortune, mais dans les tentes royales, à la merci de l’adversaire, sont aussi abandonnés à la douleur et au déshonneur les objets de son affection, sa mère et son épouse qui l’accompagnaient, ses deux filles et son fils : un butin aussi lamentable qu’inutile au combat. Cependant on trouva là moins de richesses qu’escompté, Darius s’étant empressé d’envoyer l’essentiel à Damas. Néanmoins Alexandre était le vainqueur : il pénétra sous la tente de Darius et lui prit son dîner. Ce fut la fin de la bataille. 36. Le lendemain, malgré la grave blessure dont il souffrait à la cuisse, Alexandre alla voir tout le monde ; il ordonne d’enterrer chaque mort, Perses y compris, de soigner chaque blessé ; à ceux desquels il attestait la bravoure et dont il avait partagé les difficultés, pour avoir été leur compagnon au combat, il fit des dons royaux. 37. Comme il entendait hurler les prisonnières qui, femmes de Darius voyant ses armes et son char, en déduisaient que ce prince avait été tué, Alexandre, à ce qui se rapporte, alla vers elles, les visita avec courtoisie et commanda de les traiter en reines. On ajoute qu’à la vue d’Héphestion qui était vêtu sans marque particulière, elles eurent meilleure opinion de sa prestance et le saluèrent au lieu d’Alexandre. A la mère de Darius, rouge de s’être trompée, le roi dit de ne pas se repentir de cette erreur : dans les deux personnes elle avait salué Alexandre. 38. Parmi les fuyards Darius rassemble pourtant près de quatre mille cavaliers et il gagne l’Euphrate pour le mettre entre lui et ses poursuivants. Mais

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    praecoque properans, Coele composita eiusque urbibus confirmatis Phoenicesque, Syriae res inuisit et Stratona Gerostrati filium, qui Persis naualibus praeerat, supplicem recipit libenti cum uenia suum factum ; ab eo aurea corona coronatus Aradum multasque sibi alias adhibet ciuitates. 39. Ibi Darii sumit supplices litteras se culpa purgantis, neque belli causas ab se ortas, uerum lacessitum obuiasse. Quae utcumque res fuerit, sese nunc quaesere matrem sibi affectionesque restituat ; quarum pretium facere auri talenta decem milia. 40. Verum Alexander refert, si praecedentium memor sit, belli fortunam Persarum merito inclinasse ; frustraque nunc offerri sibi, ceu si sint dubia, quae iure Martis iam sua sint una ipso qui largiatur. Darius uero si uelit reabse fortunae parere uictorisque nosse clementiam, quid quaeso interesse ut manu ita et moribus sponte se dedat ? Neque paeniteat sui, ni bellum mauelit. [17] 41. Hisce responsis Damascum capit obnisu leui opum conditorium Persicarum. Tum legatos intercipit Thebanorum et Spartanorum Dario blandientes, sibi iniquos. Neque in eos inmitius consulit, gentium iure, sed dans modestiam tempori. 42. Tyrum tamen ueniens sacrificare Herculi uoluit ; quod secus incolae aestimantes internuntiis caesis causas belli sibi et excidii peperere. Arceri quippe rex aditum dolens urbem obsidere instituit. Ea Tyros insula etiam tunc erat haud procul continente, adeo ut facile sibi Alexander uindicaret, quod adgestu iacto eam urbem terrae continuaret. Inque id protinus e Sidone naues acciuntur unaque his Gerostratus rex Aradi uenit, relicto satrapa Autophradate et Medica amicitia. Phoenices quoque uel Rhodii Soliiue uecti classibus suis et una Mallonii Cypriique utiles bello nauali uel Lycii adfuere, adgregatis etiam ex Macedonia nauibus ac militibus. Iusto iam denique apparatu opus coepit : triduo facile laboratur. Hic machinamentis admotis disiectisque muris et internicione incolis caesis, optimates tamen pauci in Herculis templo reperti honore numinis sospitantur. [18] 43. Haec dum Tyri geruntur, Darii legatio reuenit ceu si in auctione regni pausam malis praesentibus petens, pretii delinimento lucrique additamentis liuens gloriae conpetitioni, quo pars maior mortalium uincitur ; nam uirtus in paucis est. Quippe ad decem milia talentum auri pro matre et filiis uxoreque sponsa iam pridem addebat quicquid utrique regno

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    Alexandre accélère le mouvement : il pacifie la Syrie Creuse et y affermit la fidélité des cités, il va voir également la situation en Syrie‑Phénicie et, le ralliant avec une indulgence spontanée, il reçoit les supplications de l’amiral perse, Straton, fils de Gérostrate : couronné par Straton d’une couronne d’or, il s’arroge Aradus et nombre d’autres cités. 39. Il prend alors connaissance des prières de Darius ; dans la lettre, celui‑ci se disculpait  : sans avoir été à l’origine du conflit, il n’avait que fait front à l’invasion ; mais quoiqu’il en fût, il réclamait maintenant la restitution de sa mère et des objets de son affection : leur rançon était par lui fixée à dix mille talents d’or. 40. Mais Alexandre répond que, s’il se souvient bien des événements antérieurs, les Perses sont responsables du déclin de leur fortune militaire. En vain, on lui offre donc à présent, comme s’il y avait encore un doute là‑dessus, ce qui déjà, de par les lois de la guerre, lui appartenait, sans compter l’auteur de ces largesses. Mais si Darius veut réellement se soumettre au destin et connaître la clémence du vainqueur, qu’importe, n’est‑ce pas ? Qu’autant que sous l’effet des armes, il se rende par un désir volontaire : il n’aurait pas à se repentir de lui-même, à moins de préférer la guerre. 41. Ceci répondu, sans gros efforts il s’empare de Damas, le coffre‑fort des richesses de la Perse. C’est alors qu’il intercepte une ambassade de Thébains et de Spartiates, complaisants pour Darius et donc défavorables à sa cause. Il ne sévit pas à leur encontre, par souci du droit des gens, mais sa modération fut due à l’opportunité. 42. Parvenu enfin à Tyr, il voulut sacrifier à Hercule : les habitants furent d’un avis différent et, par le meurtre des ambassadeurs, se causèrent un motif de guerre et d’anéantissement, car le roi, chagrin d’être interdit d’accès, entreprit d’assiéger la ville. à l’époque aussi, l’île de Tyr n’était guère éloignée du continent, si bien qu’Alexandre revendiqua aisément de rattacher la ville à la terre ferme par une jetée artificielle. Pour cela, immédiatement, il fait venir des bateaux depuis Sidon et avec eux arriva Gérostrate, le roi d’Aradus qui avait abandonné le satrape Autophradatès et l’amitié des Mèdes. également les Phéniciens, les Rhodiens et les gens de Soles se transportèrent sur leurs flottes et, en leur compagnie, les gens de Mallus, ceux de Chypre expérimentés dans la guerre navale ainsi que les Lyciens se présentèrent, agrégeant de surcroît des navires et de la troupe envoyés de Macédoine. Les préparatifs requis désormais achevés, le travail commença : en trois jours il fut surmonté sans grand-peine. Les machines s’étaient approchées des murs et les avaient jetés à bas, les habitants furent massacrés jusqu’au dernier, à l’exception de quelques notables qui, découverts dans le temple d’Hercule, eurent la vie sauve en l’honneur de la Divinité. 43. Durant ces événements de Tyr, s’en revient une ambassade de Darius, comme s’il cherchait une pause au malheur présent dans la mise à l’encan de son royaume et rabaissait la compétition pour la gloire par l’attraction du prix et de gains supplémentaires auxquels succombent la plupart des mortels, la vertu n’appartenant qu’à une minorité. Et de fait, aux dix mille talents d’or promis depuis longtemps pour sa mère, ses enfants et sa femme, il ajoutait son intention de donner tout ce dont la frontière fortifiée de l’Euphrate délimiterait la possession

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    possidendum limes Euphratae dispesceret ac muniret a se datum iri, cum filiarum una, quam sibi uictor nuptiis delegisset ad fidei religionem. 44. Haec adeo ampla uidebantur, ut Parmeniona sit relatum se sane dixisse, si ipsus Alexander foret, oblata petiturum, responsumque a rege, se quoque, si Parmenion foret, oblaturum. Renuntiari denique Dario iubet inscientiae uisum iri de re, quae omnis est sua, partem malle quam uniuersitatem. Nam de eius filia ni temperare sit pulcrius copiam non morari, sibique ipse si consulat, sensurum coram, nosse uictoriae modum quisque nouerit uincere. Hic Darius pace desponsa parando rursus bello incubuit cunctis suis uiribus. [19] 45. At uero Alexander Palaestina sibi integrata ire Aegyptum destinat. Sed enim Gazan Batis eunuchus aduorsum transiturum armauerat, quod ea urbs, suggestu ardua, harenis circa perpinguibus uel umectis satis subsidiis uallaretur, ualida muris, difficilis accessu, ambitu ma. Quare, quoniam ad gloriam arduis res amica, quo difficilior spes hoc ardescere rex inpensius rimarique laudem de moliminis difficultate. 46. Igitur et accessus aggestu solidatur, et bellum iam sacrificio commendabat, cum ales quaepiam arae lapidem supermittit. Quae uates et quisquis haec coniectare in artibus habent, et excidium urbi portendere et ruinam et regi periculum praemonent, ni caueret. Neque res ultra differtur, eruptio quippe irruens indigestum etiam tunc militem turbat. 47. Quem ubi Alexander uiritim accitum obuium confirmatumque oratione quantocius ipse praeuius ducit nil praedictum memor, aut magis imperii quam sui, catapulta humerum uulneratur grauiter quidem ; sed enim animo uim corporis sarciens capiendae urbis spem uaticinii fide de suo periculo ratam sentit, et posthabito uulnere ui perdurat admotisque obsidialibus machinamentis tum cuniculis insertis, idque assidue ac profundius, quarta demum die irruit Gazam ac diripit, colique in posterum sinit usus eius studio et opportunitatis, ut qui haec talia sibi uinceret. [20] 48. Hinc septima die Pelusium et opima Aegypti uenit iam classe praemissa, nihil sibi Mazace satrape eius loci audente subsistere. Quare inde naues Memphim per Nilum suburgueri iubet, ipse per Heliopolim pedes eodem occursurus ibique diis Aegypti facit et sacros agonas exsequitur. Ac simul Memphi defluente exercitu Canopum descendit. Quam circa loci facie delectatus condendae urbis desiderio occupatur, diuum aeuo rem proximam mortalibus insciens in opere pulchro perpetuari nomen auctoris.

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    entre les deux royaumes, avec, de plus, celle de ses filles que le vainqueur se choisirait pour épouse, et tout cela en engagement solennel de sa bonne foi. 44. Cette offre semblait si magnifique que Parménion, rapporte-t-on, déclara que, pour sa part, s’il était Alexandre, il aurait cherché à l’obtenir ; le roi lui répondit que, eût‑il été Parménion, il aurait agi ainsi ; bref, il fait savoir à Darius qu’il lui paraîtrait de l’inconscience de préférer la partie au tout, lorsqu’il s’agit de ce qui, dans son intégralité, lui appartient. Pour ce qui est de sa fille, à moins que la continence ne soit plus belle, il ne s’oppose pas à cette possibilité ; quant à lui, s’il est sage, il éprouvera en personne que qui sait vaincre connaît les limites de sa victoire. Alors Darius, renonçant à la paix, s’attacha à nouveau à préparer la guerre de toutes ses forces. 45. Ayant annexé la Palestine, Alexandre décide de gagner l’égypte, mais l’eunuque Batis avait contre son passage mobilisé Gaza : cette ville, dressée sur une hauteur, se protégeait passablement derrière une ceinture d’envasements très gras et marécageux ; les murs étaient un gage de robustesse, l’accès difficile, la circonférence fort ample. Cela étant, parce que l’action pour la gloire aime les obstacles, plus l’espoir était contrarié, plus le roi s’enflammait et recherchait les louanges dans les difficultés de l’entreprise. 46. Donc, par une levée, il renforce son approche, et déjà il sacrifiait pour recommander son combat, lorsqu’un oiseau laissa tomber une pierre sur l’autel. Les devins et experts en conjectures y lurent le présage de la chute et destruction de la ville mais avertissent le roi d’un péril possible, s’il n’y prêtait garde. L’événement se produit sans délai : une sortie précipitée bouscule les soldats qui n’étaient pas encore en ordre. 47. Un par un, Alexandre appelle à lui les arrivants, il les réconforte de son verbe et, prenant leur tête, il les entraîne, oublieux de la prédiction, ou bien pensait-il à l’Empire plutôt qu’à lui‑même ? Un projectile le blesse gravement à l’épaule, mais le moral répare ses forces, car, il s’en rend compte, la véracité de la prédiction sur son propre danger confirme son espoir de prendre la ville. Négligeant sa blessure, il s’acharne avec force : des machines de guerre sont amenées, on creuse des sapes et cela sans arrêt et plus profondément. Enfin, au quatrième jour, il fait irruption dans Gaza et la pille. Par la suite, il laisse la réoccuper : il appréciait la position et ses avantages, en homme qui triomphait pour son profit de ce genre de choses. 48. Six jours après, il parvient à Péluse et aux richesses de l’égypte ; la flotte l’avait précédé. Mazacès, le satrape local, n’osa aucune résistance contre lui. Aussi Alexandre fait-il pousser les bateaux par le Nil jusqu’à Memphis ; quant à lui, c’est à pied qu’il se dispose à y accourir au-devant d’elle, en passant par Héliopolis. En cet endroit il offre un sacrifice aux dieux de l’égypte et s’acquitte des concours rituels. De Memphis l’armée redescend en sa compagnie à Canope. Enchanté par l’apparence des lieux tout autour, il est saisi du désir de fonder une ville : il sait, en effet, que pour un mortel rien n’est plus proche de l’éternité divine que de perpétuer le nom du créateur dans une œuvre de beauté.

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    49. Igitur ubi solum describi conueniret, eius scientiae opificibus quos architectonas uocant limitandae humo ferunt puluerem defuisse, eoque milites iussos, quisque secum alfita esui potuiue gestitaret, ea cuncti conferrent, eximque illos solo pingendo paruisse. Sed enim mox in cetera prouidentia rege distento adlapsas alites depastasque edulem asperginem liniamenti. Quod portenti coniectatores cum secus ducerent, Alexandrum sermo est pronuntiauisse, eam urbem multis circa palantibus uicinisue gentibus altricem futuram. Haec molienti omnes quisque fauerant Persis relictis satrapis Alexandro accessere, coramque pro merito aut uoluntate laudantur. [21] 50. Ipse Hammonis sacrum longe in desertis situm, ut illa sibi opinio patris staret, itinere incerto et inlimitatis locis magno dierum plurium labore contendit, quoniam harenis aequalibus diu indinoscibile est. Denique duos coruos draconesue praeuios iuisse aiunt inimici fabularum, donicum locum sacri appulit, mire sane secretum deo et ad mira quaeque credendum. 51. Quippe post inmensum illud pelagus harenarum loci facies offertur consita, arborum uirens, nemoribus umbrosa, inhospita solibus, fontis affluens, tam deo quam copiis diues : hic pratis mollis, hic floribus picta, glauca hic oleis, hic ebria Libero, hic palmis arboribus grandifera et caesariata, interscatentibus lymphis et interloquentibus riuulis. 52. Nec tamen illi ex ingenio nostratium fontium sunt. Quippe praecalidi noctis e medio sensim in meridiem frigent ad niuem gelidi, eximque tepentes in noctis medium concalescunt. Salem quoque offendunt nitore quo purior crystallus et sapore gratissimo, ceu si arte condiatur, forma terete qua ouum est, paulo maius quam ouum ex ansere longius, crassitudine tota peruium lumine. Denique exim mola sacrificanti pro ture est odoribus efficacior. [22] 53. Hinc patris dei oraculis confirmatus Memphim redit, quo sibi legationes Graecae conuenerant, et hae referunt cupita. Nihilo minus, uoto laetiores, Athenienses quoque captos Granici suos impetrant. 54. Enim uero ipse cognominis sibi urbis iam conditu adolescente, surgentibus moenibus, tum belli rebus ciuibusque formatis, Tyrum redit classe praemissa. imminentemque receptus urbem mox duobus pontibus amnem eum transit, quamuis Mazaeus missu Darii interturbaret. Eximque laeua habito Euphrata montibusue Armeniae, pro utensilium commodo itinere quaesito, Babyloniam tendebat. 55. Ibi speculatore forte intercepto Alexander, quem in hos usus sibi Darius armauerat, noscit eum iam Tigreta amnem appulisse, obstiturum scilicet transmissuris ibi longe

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    49. Une fois décidée la délimitation du terrain, les hommes de l’art qu’on nomme les urbanistes manquèrent, dit‑on, de poudre pour marquer l’espace : les soldats alors reçurent l’ordre de réunir ce que chacun portait de farine pour le boire et le manger, puis de le mettre au service du dessin au sol. Bientôt, cependant, tandis que le roi était retenu par d’autres préoccupations, des oiseaux s’abattirent sur le tracé, dévorant la nourriture qui y avait été jetée. Devant l’interprétation défavorable du présage, Alexandre, à ce qui se raconte, affirma que la ville alimenterait en nombre les nomades des alentours et les peuplades voisines. Ces travaux firent venir à lui tous les partisans des Perses qui abandonnèrent leurs satrapes : en public, ils sont félicités au titre de leur mérite et de leur bonne volonté. 50. Lui-même, pour fonder dans son intérêt les conjectures sur son père, gagne le sanctuaire d’Ammon, situé loin dans le désert : durant plusieurs jours il peina beaucoup, cheminant dans l’inconnu et sans repères, parce que longtemps la surface plate des sables l’empêcha de s’y reconnaître. Finalement, au dire des des gens qui n’aiment pas l’affabulation, deux corbeaux ou bien deux serpents l’aidèrent, en le guidant jusqu’à ce qu’il atteignît le sanctuaire ; vraiment isolé, l’endroit convenait merveilleusement au dieu et était propre à faire croire toute merveille. 51. De fait, après cette vaste mer de sables, le lieu offre l’aspect d’une plantation où verdoient les arbres, où l’ombre des bois n’accueille pas le soleil, où coulent des sources. La richesse y vient du dieu autant que des ressources : ici la douceur des prairies, les parures des fleurs, les olivaies tirant sur le gris, l’ivresse de Bacchus, les féconds palmiers empanachés, au milieu des cascades d’eau limpide et du bavardage des ruisselets. 52. Mais les sources n’ont pas le caractère des nôtres, car, très chaudes, progressivement de minuit à midi elles se refroidissent pour arriver à la glace de la neige ; en suite de quoi elle s’attiédissent, se réchauffant jusqu’à la mi-temps de la nuit. On rencontre aussi du sel à l’éclat le plus pur du cristal, très agréable au goût comme si un artifice le relevait, avec la forme arrondie d’un œuf mais un peu plus gros qu’un œuf d’oie et plus allongé, de bout en bout perméable à la lumière. Pour tout dire, saupoudré dans les sacrifices, il remplace l’encens et a davantage d’effet que les arômes. 53. Rassuré par les oracles du dieu son père, Alexandre repart pour Memphis où s’étaient réunis pour le voir les ambassadeurs de la Grèce : ils en remportent ce qu’ils désiraient. De même, plus heureux qu’ils ne l’espéraient, les Athéniens eurent en outre la joie de récupérer les concitoyens pris au Granique. 54. Dans la cité de son nom la fondation se développait et les murs s’élevaient. Cependant, après avoir réglé les affaires militaires et civiles, Alexandre revient à Tyr où l’avait précédé la flotte. Bientôt reçu dans une ville dominant le fleuve, il passe ce dernier sur deux ponts, en dépit de l’opposition de Mazéus, envoyé par Darius. Ensuite, par la rive gauche de l’Euphrate et les monts d’Arménie, ayant cherché une route commode pour ses bagages, il se dirigeait vers Babylone. 55. Comme, par hasard, il avait capturé un éclaireur équipé par Darius dans ce but intéressé, il apprend alors que celui‑ci a déjà atteint le Tigre, sans nul

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    auctiore exercitu animo numeroque. Verum cum is consilio mutato pedem de amni retulisset, a tergo hosti uenturus Alexander protinus eum alueum transit praeruptis difficile superabilem. 56. Ibi suorum uiribus fotis et ad futura praedoctis agmen iam acie composita ducebat. Quarta denique die eminus e celsioribus speculis, equitibus palabundis, ut sese uidere, concursu protinus habito pars aut caeduntur aut fugantur. [23] Sed eius agminis pondus, Dario ipso duce, omnisque belli apparatus haud procul indidem habebatur una omnibus gentibus barbaris, quae, nominis alienae nostratium, sibi mutuo peramicae sunt. Erantque eis numerus in quadraginta equitum milibus munitissimis, pedes uero his tricies tantum, falcati currus ducenti et elephanti turriti, quae illis est pompa iactantiae. 57. Hisque cum copiis castra tunc locant iuxtim Bumelum amnem Arbelo urbe non procul, uel quod alii mauolunt in Causamelis : id loci nomen est. Illic fertur orso Dario suos in bellum adhortari uisum eunuchum, qui una affectibus captus refugerat, commodum dixisse, quo castitatis honore utque regie sui haberentur nullius absque eius gratiae , et eum petisse diuinitus pro contione, sibi iam fato non liceat, Persis Alexandrum imperare. [24] Tum locum deligit tendendo hosti suis abundum. Erat id aequor inoffensius equitabile et Issico bello condicio diuersa, ut quod illic animi uirtute prouisum est magna hic corporis rursus fortitudine peteretur. 58. Igitur omni quatriduo uiribus suorum refectis exploratoque belli loco, ne qua Persarum insidiae, sarcinis Alexander relegatis oratione incitat suos  ; itaque prouehit aciem silentio imperato, ut repens fragor fieret terribilior. At enim ea omni die uterque trepidi et circumspectantes itidem ut constiterant in acie quieuere. Vtendumque noctis adiutu Parmenioni consilium erat, quod Alexander dissicit specie uictoriae indecentis, reabse quoniam noctis fortunae confidere ubi nihil cautioni licet et imprudentiae est et inscitiae, quoniam consilia bellica longe tutius oculi metantur, quamuis ipsi haud amplius equitum septem milibus, id uero peditum quod Persis equitum. [25] 59. Quare in hunc modum nocte superata ubi cum die equites Scythas dextrum suum cornu irruere uelle et circumplecti Alexander uidet, obuius tendit. Diuque ancipiti fortuna tandem tamen trusos hostes multo

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    doute pour empêcher son franchissement en cet endroit, grâce à une armée de beaucoup supérieure par le nombre et l’allant. Mais comme Darius changeait de tactique et qu’il reculait en arrière du fleuve, Alexandre en traverse tout droit le lit pour arriver dans le dos de l’ennemi, et cela bien que les abrupts ne facilitent pas le passage. 56. Maintenant que les siens avaient refait leurs forces et étaient avertis de l’avenir, il conduisit la troupe déjà en ordre de bataille. Le quatrième jour enfin, dès que des cavaliers allant à l’aventure se furent de loin aperçus depuis des observatoires en hauteur, ils coururent droit s’entrechoquer : les uns sont tués, les autres mis en fuite. Toutefois, à peu de distance de là, sous le commandement personnel de Darius, se tenaient le gros de cette armée ainsi que l’ensemble du matériel de guerre et la totalité des peuples barbares, aussi étrangers à notre identité que fort attachés par des sentiments réciproques. Leurs effectifs étaient dans les quarante mille cavaliers parfaitement équipés ; quant à l’infanterie, elle se montait à trente fois autant, il y avait deux cents chars à faux et – c’est chez eux une pompe ostentatoire – des éléphants porteurs de tours. 57. Avec ces troupes, ils dressèrent alors le camp près du fleuve Bumèle, non loin de la ville d’Arbèles, ou plutôt selon d’autres, à Gaugamèles (c’est le nom de l’endroit). Alors, raconte‑t‑on, Darius commençait à exhorter ses hommes au combat, lorsque apparut un eunuque qui, prisonnier avec ses êtres chers, avait pu s’échapper. Fort à propos, celui‑ci de lui dire le traitement royal réservé aux siens et les hommages rendus à leur vertu : aucun agrément ne leur , sinon celui de sa personne. Et Darius, sous l’inspiration divine, demanda devant les troupes que, si le destin ne le lui permettait plus, ce fût à Alexandre de commander aux Perses. Puis, pour étendre le front de l’ennemi en faveur de son armée, il choisit un large espace : il s’agissait d’une plaine où, à la différence de la situation lors de la bataille d’Issus, la cavalerie pourrait se déployer à son avantage, en sorte que l’objectif fixé hier à des cœurs courageux fût en revanche, aujourd’hui, recherché grâce à la force physique de la masse. 58. Après quatre jours pleins pour remettre en forme ses soldats et une exploration du champ de bataille afin d’éviter les embuscades perses, Alexandre, ayant éloigné les bagages, stimule les siens par une harangue : sur ses ordres, la ligne progresse dans le silence : ainsi, s’élevant soudain, les cris deviendraient plus terribles. Mais tout ce jour‑là, de part et d’autre, il n’y eut au front qu’une agitation précautionneuse et l’on dormit sur les positions. L’idée de Parménion était de profiter du secours de la nuit ; Alexandre la rejette, au prétexte que la victoire manquerait d’allure, en réalité parce que se fier aux hasards nocturnes où il n’est pas permis d’être sur ses gardes relève de l’imprévoyance, de l’inconscience ; sans doute n’ont‑ils pas plus de sept mille cavaliers et leurs fantassins sont-ils aussi nombreux que les cavaliers perses, mais dans l’évaluation des plans de bataille l’œil est plus sûr et de loin. 59. C’est pourquoi, la nuit passée de cette façon, dès qu’avec le jour Alexandre voit les cavaliers scythes prêts à se précipiter sur son aile droite et à l’envelopper, il marche à leur rencontre. Le sort longtemps hésita ; enfin, pourtant,

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    obdurantium damno in terga conuertit. Vltra iam Macedonum peruicacia audebat, enim Bactris Paeonas frontis in medio numero claudentibus conuertit Alexandrum nuntius suppetiatum suis, posthabitis fugientibus quis imminebat. Ac sic Scythae quoque leuati insecutore, ubi a tergo uacant, integrant uires reuersi Bactrisque congregantur, spe audaciam nutrientes. 60. Fitque pugna acerrima iactantium crebritate. Quippe Paeonibus alacritas est amica more gentis suae uel ob nitendum expeditius proeliantibus, quod praeter scuti usum loricae ut oneris neglegunt, cum contra hosti quamuis grauis impenetrabilis tamen ac satis firma corpus omne munitio clauderet et tueretur. Verum sic quoque nauiter eos Paeonibus nunc impete retrudentibus aut continentibus diuque aestu Martio fatigantibus inmitti currus iubentur. 61. Eaque res et fraudi Persis et respiramento. Quippe currilium falcium, discedentibus his qui imminebant Scythis, praedocti Paeones, ubi inruere currus intuentur, sensim in latera denseti aditum quidem transituris dabant, utrimque tamen equos, bigas aurigantesque facile confixerant. Idque adhuc Persis equestre tantum proelium uidebatur ac uelitatio leuius armatorum. [26] 62. Quare Darius mouet phalanga in Alexandri dextrum cornu, quod eius praesentia praeponderabat, sensim tendens suos, ut pauciores circumueniret. Sed feruentius obuians re prouisa plerosque Alexander dissicit nec obsequi consilio sinit adeo torrenti turbine et alacritate, uti Darius ipse exemplo hostis et pudore ignitior etiam tunc agminis sui in medio nauiter bellans, ubi incondite suos turbare uidet, studio salutis neglegens existimationis in fugam uerteret idque curru quod nobilius ducebat. Neque difficile ceteri, pedibus in sententiam secuti regis, extemplo paria consultant, quamuis iam pars multitudinis Persicae, rupta Macedonum acie, in sarcinis praedarentur. Qui tamen mox, suorum comperta fortuna, qua uia tutior fugientibus competunt domum itionem. 63. Sed haec in Alexandri sane dextris agebantur. Laeuum uero quod Darii cornu dextro obuiabat, aegre satis cura Parmenionis tuebatur  ; repensarentque Persae damna praedicta, ni Darium Alexander insequens per internuntium nosceret Parmenionis res uergere damno haud leui, eoque comperto et ancipiti satis bello eminus uiso regressus eidem subpetiaretur.

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    avec beaucoup de pertes chez ceux qui obstinément tenaient bon, l’ennemi, repoussé, tourne le dos. Déjà, dans leur acharnement, les Macédoniens osaient l’offensive  ; au centre du dispositif, cependant, les Bactriens cernent sous le nombre les Péoniens et, à cette nouvelle, Alexandre, qui, déjà sur les traces des fuyards, les juge maintenant secondaires, se rabat au secours des siens ; ensuite de quoi les Scythes, débarrassés de leurs poursuivants et libres sur l’arrière, raniment aussitôt leurs forces ; ils font volte‑face et se joignent aux Bactriens : l’espoir nourrissait leur audace. 60. La lutte devient très âcre et les traits se multiplient : par tradition nationale, les Péoniens, amis des gestes vifs, même sur la défensive, combattent, en effet, à la légère ; ils ne se servent que du bouclier et négligent, à cause de sa lourdeur, la cuirasse, alors qu’en face, chez l’ennemi, une protection, certes pesante mais impénétrable et bien résistante, défend le corps qu’elle enferme en entier. Malgré leur énergie à, même ainsi, tantôt repousser les Perses en contre‑attaquant, tantôt les contenir durablement, les Péoniens néanmoins souffraient sous l’ardeur de Mars, et voici qu’on ordonne de lancer contre eux les chars. 61. Pour les Perses l’opération fut une duperie, pour les Péoniens, une relâche : les Scythes ayant décroché de leur pression, ces derniers furent à l’avance avertis sur ces chars à faux. Donc, dès qu’ils voient charger les chars, ils se massèrent peu à peu sur les côtés, en laissant un accès au passage ; ils n’eurent toutefois aucune peine à transpercer latéralement chevaux, biges et conducteurs. Jusqu’à ce moment cela semblait aux Perses seulement un combat de cavalerie et des harcèlements d’infanterie légère. 62. Aussi Darius ébranle-t-il la phalange contre l’aile droite d’Alexandre, où la présence de celui‑ci faisait pencher la balance : insensiblement, il déployait ses hommes pour encercler un nombre inférieur. Alexandre s’en rendit compte et, redoublant d’ardeur, sa marche en avant culbute la plupart des leurs et, sans permettre au Perse de suivre son plan, il tourbillonne avec tant d’impétuosité et d’entrain que Darius – à l’exemple de son ennemi et tout enflammé par l’honneur, il bataillait encore énergiquement au milieu de ses troupes –, constatant le désordre et la confusion dans les rangs, et, dès lors, soucieux d’avoir la vie sauve, néglige son prestige et tourne bride, cela sur son char, ce qu’il jugeait plus noble. Les autres n’ont pas de difficulté à se rallier à l’avis royal et prennent immédiatement une décision identique. Il n’empêche qu’après la rupture des lignes macédoniennes, une partie de la multitude des Perses se livrait déjà au pillage des bagages : à la nouvelle de l’infortune des leurs, ils ne tardèrent pas à chercher, avec les fugitifs, le chemin du retour par un itinéraire bien assuré. 63. Voilà certes ce qui était en cours sur la droite d’Alexandre ; à gauche, en face de l’aile droite de Darius, Parménion se donnait beaucoup de mal pour tenir vaille que vaille et les Perses auraient compensé les pertes précédemment évoquées, si Alexandre, à la poursuite de Darius, n’avait pas appris par un messager que les affaires de Parménion penchaient vers des ennuis passablement lourds : ainsi informé et voyant de loin que la bataille était assez douteuse, il revient sur ses pas et lui porte secours. Survenant à l’arrière de l’ennemi, il ne laisse pas traîner

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    Neque enim mora bello fuit a tergo hostium uenienti, quin uiso tali auxiliatore cuncti protinus laberentur, ut spes fugae blandior cuique. [27] 64. Quare ipse Alexander Darium insequi statuit : agmen uero transmisso Lyco flumine qui ultrorsum est, castra uallo munire ibique quam queant ocius refectioni consulere iubet secundis intentos. Igitur Parmenion spoliis hostium et opibus coactis opperiri Alexandrum statuit etiam ultra progressum ; qui ubi Arbelum uenit, quae prior ciuitas stadiis belli de loco ferme sexcentis sit, Darium quidem nullum uidet, ita uolucer praeteruolarat, opes tamen eius et arma, tum cidar, apicem regium, curru una et insignibus retrahit uniuersis. Eo bello Macedonum desirati sunt uiri centum, equi mille, quorum pars maior in sequendo Dario fecerat. Persis uero trecenta haud minus milia, totidem captis, spoliatis uniuersis. [28] 65. Darius tamen paucis una Mediam petit, Babylone Susisque uitatis, quod eas urbes inlectu nobiles secure auideque petiturum protinus sibi gloriae opinaretur, et id tum expectare perfacile erat. Denique Alexander contendens cura et facie bellatoris terribilis in acie agens militem astu minatus Babylona accessit, minax motu quantum uisi eminus queat. Omnes protinus incolae cultu nil tristi, enim laetitiae simulamento obuiam una muneribus effunduntur eoque genere uniuersi ad meritum recepti metum obsequio mutauere gratantes sibi nec uictore secus ad modestiam redito. 66. Illic igitur primum Persarum omni regno disposito suis legibus et eius administratoribus datis, Susas quoque maiore longe sui tum specie proficiscitur. Eximque Tigri transmisso Vxios pergit, efferum hominum genus, quorum quisque campestres dicto audientes fuere ; montium uero incolae de soli ingenio ferociores obstituros sese obnuntiabant, ni mo Darii mercedem sibi transitus dependisset. Enimuero tunc Vxiis superuenit inprouisus stratisque obuiis celsiora montium scandit. Mutata denique adrogantiae uice Vxii uectigales sese eidem profitentur. [29] 67. Exim relictis qui grauius armabantur Pylas petit fauces montium Persicorum ibique offendit Ariobarzanen in se armatum Darii nomine studioque quadraginta milibus peditum et equitum septingentis obuiasse. Vbi tamen sibi ingenium loci quam munus hostium plus obsistit, docent captiui circuitu posse consuli difficultati ; quibus auscultans, fide dicti praeuisa, emensis nocte stadiis sexaginta superuenit Persis interritis

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    le combat ; que dis‑je ? à la vue d’un renfort comme celui‑là, tous les Perses s’égaillèrent incontinent, pour autant que chacun caressait l’espoir de fuir. 64. C’est pourquoi Alexandre, quant à lui, se détermine à poursuivre Darius : après franchissement du fleuve Lycus qui se continue au‑delà, il fait établir un camp retranché et ordonne de veiller à reconstituer ses forces le plus vite possible, dans l’attente de l’occasion favorable. Parménion, qui avait rassemblé le butin sur l’ennemi et le matériel de celui-ci, décide donc d’attendre Alexandre parti en avant. Mais arrivé à Arbèles – cette première ville est éloignée du champ de bataille d’environ six cents stades –, Alexandre ne voit pas Darius ; si véloce ce dernier était passé au vol : il récupère pourtant les trésors, les armes et encore la tiare dont se couronnent les rois, ainsi que le char et l’ensemble des insignes. Dans la bataille disparurent cent soldats macédoniens, mille chevaux dont la majorité creva durant la poursuite de Darius ; du côté perse, il n’y eut pas moins de trois cent mille morts, autant de prisonniers : tous, sans exception, avaient été dépouillés. 65. Cependant en compagnie de quelques‑uns, Darius gagne la Médie en évitant Babylone et Suse, parce que dans son avidité, pensait‑il, le vainqueur, pour sa gloire, gagnerait directement ces villes connues par leur séduction et il était bien facile alors de le conjecturer. Bref, Alexandre qui avançait préoccupé et avec l’aspect d’un guerrier terrible, en menant ses soldats en ordre de bataille, s’approcha de la ville forte de Babylone, et sa démarche, à l’apercevoir de loin, paraissait menaçante. Aussitôt tous les habitants, au lieu de revêtir le deuil, simulèrent l’allégresse et se répandirent à sa rencontre, portant des cadeaux. Et, de cette manière, chacun sans exception reçu selon son mérite troqua la crainte contre la déférence et l’on se félicitait de ce que pareillement le vainqueur fût ramené à la mesure. 66. Quand donc tout le royaume perse est réorganisé selon ses propres lois et qu’il a reçu les administrateurs d’Alexandre, celui‑ci, ayant alors bien davantage les traits qui sont les siens, poursuit sa route vers Suse, puis, traversant le Tigre, atteint les Uxiens, un peuple sauvage où les gens de la plaine obéirent unanimement à ses ordres ; en revanche, les habitants des montagnes que la nature du sol rendait plus féroces annonçaient qu’ils feraient barrage, si Alexandre, à la façon habituelle de Darius, ne leur payait pas le prix du passage. Mais tombé sur eux à l’improviste, le roi, après avoir écrasé ceux qui lui faisaient face, escalade la cime des monts. Finalement la phase d’arrogance est changée et les Uxiens se reconnaissent tributaires d’Alexandre. 67. Ensuite, laissant les unités lourdement équipées, il se dirigea vers les Portes qui s’ouvrent dans le relief de la Perse. Là, il trouve qu’Ariobarzanè, armé contre lui au nom de Darius et par zèle pour celui-ci, le bloquait avec quarante mille fantassins et sept cents cavaliers. En réalité, l’obstacle venait moins du fait des ennemis que de l’état du site et les prisonniers lui apprennent qu’on peut résoudre la difficulté, en effectuant un détour. Alexandre les écoute, parce qu’il pressent la véracité de leurs dires. Dans la nuit soixante stades sont parcourus et il surprend les Perses qui, se pensant inaccessibles, n’avaient ni inquiétude ni souci

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    aditu suique securis. Caesis denique obstinatioribus fugatisue, ultra inoffensius tendit Pasargadas diuitiis inuitantibus. Cyri denique atque Xersi illic, ceu si tutius, sitis, thesauris potitur et amoenitatibus aulicis, quamuis regia igni abolita odio Xersi iniuriae, tum regis uoluptatibus, abolendis, etsi iam suis, scilicet ut uicem damni ac labis meritum, quam ille inuexerat Graecis, repensaret. [30] 68. Hinc Mediam dirigit studio Darii capiendi, qui si ulterius urgueretur insectantium peruicacia transire decreuerat ad Hyrcaniam. Quippe Darius Bactra populatus tum omnibus adpetendis corruptis aut amendatis damno regionis contra insequentes cauebat. Ac siquid sibi regium aut de affectu regio supererat, id omne iam Pylas Caspias relegarat, unaque comitantibus et utilitate deuotis, ut opinabatur, quos Ecbatana coegerat morabatur. 69. Qua re conperta duodecima demum die Mediam Alexander aduolat, quod exim ultra abiturus Darius ferebatur. Sed iam digressum una thesauris insequitur unius diei reliquo interuallo, rescitque a transfuga, pertaesos comites fugae eius, ceu si in gratiam potioris, Darium habere sub uinculis, Besum uero satellitem regis eius insignia recepisse. Igitur uoto pennatior et spe uoti ignitior et uiae usus asperiore conpendio elaboratae ad pretium morae abscindendae, inopinus superuenit Beso, confligentemque damno non leui dispergit et dissicit per uim clam fugae remedio dilapsum. Ibique reperiunt inarium a suis, qui Beso una fugissent. Quare corpus quidem honore regali maiorum eius sepulcris inferri iubet. [31] 70. Ipse uero, Hyrcaniae quis uisum ad ingenium loci ac temporis reuersionisque commodum superpositis, Besum inquitur, sic animo firmatus, ut quadrifariam fugiens uallaretur. Denique ubi campos ingressus est, uictori se dedunt Abraxares una Phratapherne satrape. Besus elabitur. Qua cura deposita seu dilata suos quidem per loca belli siquos reliquerat congregari iubet, refectisque his quatridui mora Xazacerta ire decernit, urbem illic nihil optimae posthabendam, quam praemissi in hoc ab Alexandro moderabantur. Sed concurrunt prius etiam impedimenta agminis uersi loco belli relicta accitaque post id  ; sic enim regia iussa praescripserant. Ac siqui ab se distracti fortunam belli meritumue uictoris

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    sur leur sort. Les plus opiniâtres finalement massacrés ou enfuis, il continua sans la moindre attaque sa progression vers Pasargada, dont les richesses étaient une invite au pillage. Il s’y empare des trésors de Cyrus et de Xerxès, que l’on jugeait avoir mis à l’abri ; même chose pour les agréments de la cour, encore que le palais eût disparu dans les flammes par ressentiment d’Alexandre contre les crimes de Xerxès, et puis, pour faire disparaître ces plaisirs du Grand Roi, bien qu’ils fussent désormais les siens, à l’évidence, dans l’intention de compenser, par réciprocité et à juste titre, les dommages et souillures autrefois infligés aux Grecs. 68. Partant de là, il pointe sur la Médie, acharné à prendre Darius, lequel avait décidé de passer en Hyrcanie, si l’obstination de ses poursuivants le pressait plus en avant. Darius en fait, après avoir ravagé Bactres, détruisait ou évacuait tout ce qui était à convoiter, pour se prémunir, au détriment de la région, contre ceux à ses trousses. Tout ce que le roi possédait encore ou lui restait de ses affections royales était déjà expédié aux Portes Caspiennes et, avec sa suite et les partisans, du moins le croyait-il, de ses intérêts, il s’attardait à Ecbatane où il les avait rassemblés. 69. Alexandre en est informé et, juste onze jours après, il pose son vol en Médie, car Darius, disait‑on, voulait encore partir plus loin. Déjà Darius s’en était allé avec ses trésors, mais Alexandre qui le suit ne lui laisse qu’un seul jour d’intervalle et voici ce que lui apprend un transfuge ; plus que las de cette fuite, ses compagnons tenaient Darius dans les fers, comme pour obtenir les bonnes grâces du plus fort et Bessus, le garde du corps du roi, en avait pris les insignes. Alors, plus prompt que le désir, plus enflammé que l’attente de l’objet désiré, empruntant la voie plus rude d’un raccourci aménagé pour y gagner de couper dans les délais, il surgit inattendu devant Bessus, l’affronte, non sans lui causer de grosses pertes, le disperse, le disloque par la force jusqu’à ce que Bessus se glisse subrepticement, en trouvant un remède dans la fuite. C’est là qu’on découvre le roi, tué par ses compatriotes fuyant avec Bessus. Sur l’ordre d’Alexandre, les honneurs royaux sont rendus à la dépouille qui est transportée dans la sépulture des ancêtres de Darius. 70. Quant à lui, lorsqu’il eut placé à la tête de l’Hyrcanie des gens, à son avis, adaptés à la nature du lieu et de l’heure, ainsi qu’aux facilités du retour, il poursuit Bessus avec la ferme intention de cerner le fugitif des quatre côtés. Dès qu’il pénètre dans la plaine, Abraxarès, accompagné du satrape Phrataphernès, se livre au vainqueur, tandis que Bessus s’échappe. Alexandre renonce à cette préoccupation ou plutôt il l’écarte pour un temps : sur son commandement, les soldats qu’il avait laissés sur les lieux des opérations se regroupent et durant une pause de quatre jours se refont une santé. Il décide alors de gagner Xazacerta, une ville dont la richesse ne le cédait à nulle autre dans la région : envoyés à cette fin par Alexandre, des éléments précurseurs s’en étaient rendus maîtres. Mais d’abord y convergent aussi les bagages de l’ensemble de l’expédition : laissés sur le champ de bataille, on les avait fait suivre conformément aux ordres du roi. Tous ceux qui, après s’être séparés d’Alexandre, ont choisi la fortune des combats et le service du vainqueur, ou bien ceux qui pensent devoir encourir son jugement, sans exemption

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    elegerunt, uel qui adeundum iudicium putant, tum uenia donati omnes, Graeci quoque mille quingenti qui Dario mercede militabant, eosque suos facit. 71. Interim tamen Mardos excurrit et captos bello redigit in obsequium nihil omnium rennuentes (sed enim Mardis praeter arma uiresque nulla sua res est) opum cura posthabita perdurans quae ceteros hominum exercitos habet. Exim reuertenti Spartani se offerunt, qui Darii amicitiam petierant ; sed custodiri mandantur suspecti simplicis confidentiae. [32] 72. Tum moratus Xazacertae in Hyrcania dies quindecim Parthos Ariosque proficiscitur et Susiam ciuitatem, quod Besum illic bello studere comperisset non regni modo, uerum nominis etiam Artaxersi ueluti ad reuerentiam sibi uanitate quaesita, quoniam multi refugae Bactriani in eius satellicium confluxissent inlecti mente iactantiae. 73. Inque id festinanti Satibarzanes Ariorum satrapa nuntiatur, interfectis Macedonum urbis eius ad custodiam quos acceperat, Arios pro Beso armare. Illo igitur praeuertens sexcentis biduo stadiis urbem Artacoana Ariorum regiam uenit. Quo uiso Satibarzanes una paucis, conscius meriti, fugit  ; ceteri puniuntur mali consilii uel obsequii mercede. Quis gestis Xazacertam Alexandro reuertenti offertur unus Darii interfectorum afficiturque seruiliter uerberibus ac morte. Edoctusque ab eo super consciis in Besum ducit exercitum. [33] 74. Eo uero itinere gentes subiugat plurimas, tum Drancas tum Arachotas, barbaras barbarorum uicinas Indiis mari rubro imminentes, Arios quoque qui nuper obsequio defecerant, idque hieme multa iniquum militibus inpeditis. Enim uero in hos ducibus inmissis ipse Causasum tendit amore uincendae difficultatis et illi quoque Alexandriam sibi ad fidem laboris instituit ac nominis diuturnitatem. 75. Quam molienti nuntiatur Besum ultra transgressum Oxum flumen nauibus superauisse, quas omnes incenderit, ne par sequentis sit libido. Igitur nihil moratus ipse quoque audet in Caucasum, longitudine sui Tauro continuum, saxis incondite arduum neque gradibilem, ut uidebatur, intersitumque parcis arboribus ceteraque terebintho. Bonum quidem illic aiunt silphium gigni : quo facile adplicari oues, flore eius et usu frugis et radicium delectatas. Eoque et hominibus gaudet carne sola contentis, Martiis prorsus et belli usibus amicissimis. 76. Quippe hinc Besus non modo gentem optauerat, uerum quicquid suppetile insequentibus foret, id omne corruperat amolitusque incendio geminauerat difficultatem paria temptantibus. [34] Sed enim frustra id

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    aucune, obtiennent leur pardon, y compris les mille cinq cents Grecs, mercenaires de Darius, qu’il incorpore dans sa troupe. 71. Entre-temps, toutefois, il se précipite contre les Mardes et, les ayant capturés de vive force, les réduit à l’obéissance, sans qu’ils opposent le moindre refus ; il est vrai qu’hormis leurs armes et leur vigueur les Mardes n’ont rien, mais Alexandre s’endurcissait, n’ayant cure des richesses, ce qui tourmente le reste du monde. Au retour se présentent à lui les Spartiates qui avaient recherché l’amitié de Darius : suspects pour leur assurance naturelle, sur ses ordres, ils sont envoyés en prison. 72. Pendant quinze jours, il séjourne à Xazacerta en Hyrcanie . il passe ensuite chez les Parthes et, chez les Ariens, vers la ville de Susia, car il avait appris que là‑bas Bessus aspirait à combattre, dans la vaine recherche non seulement d’un royaume mais, comme pour s’acquérir du respect, du nom même d’Artaxerxès : beaucoup de réfugiés en Bactriane affluaient dans sa mouvance, séduits qu’ils étaient par ces dispositions vantardes. 73. Alexandre se hâtait dans cette direction, quand on lui annonce que Satibarzanès, le satrape d’Arie, après avoir massacré les Macédoniens reçus en garnison de sa ville, armait les Ariens pour soutenir Bessus. Se tournant donc vers là d’abord, après six cents stades en deux jours, il parvient à Artacoana, la capitale arienne. à cette vue, Satibarzanès, conscient de ses forfaits, s’enfuit avec quelques‑uns  ; tous les autres sont punis et paient pour leur engagement du mauvais côté ou pour avoir suivi. Ceci fait, tandis qu’il s’en retourne à Xazacerta, on lui présente un des assassins de Darius, qui, fouetté à mort comme un esclave, le renseigne sur les conjurés. Alexandre conduit alors l’armée contre Bessus. 74. En chemin, il soumet nombre de peuples, en Drangiane, en Arachosie, où, barbares entre les barbares, ces voisins des Indiens surplombent la Mer Rouge ; action identique à l’encontre des Ariens qui venaient de faire défection : la tâche fut rude pour l’armée empêtrée au cœur de l’hiver. Mais, une fois ses généraux envoyés contre eux, lui se dirige sur le Caucase par désir de vaincre la difficulté. Là aussi il fonde en son honneur une Alexandrie pour attester de ses peines et perpétuer son nom. 75. Au milieu de ces travaux, lui arrive la nouvelle que Bessus, qui avait progressé au-delà, a traversé l’Oxus sur des bateaux qu’il a tous brûlés, pour empêcher les poursuivants d’avoir la même envie. En conséquence, sans surseoir, Alexandre s’aventure dans le Caucase qui, en longueur, touche au Taurus et dont les abrupts paraissaient impénétrables à cause d’amas de roches séparés par de rares arbres et, autrement, par du térébinthe. Y pousse il est vrai, dit-on, du silphium de bonne qualité : les brebis s’en approchent volontiers, attirées par sa fleur et le profit qu’elles tirent du fruit comme des racines. Pour cette raison, le pays se plaît à des hommes qui, très portés sur Mars et la pratique de la guerre, se contentent uniquement de viandes. 76. Bessus ne s’était pas borné à équiper la population, il avait encore gâté ce qui serait à la portée de ses poursuivants ; ou bien, faisant place nette par l’incendie, redoublé les problèmes pour qui tentait la pareille. Mais ce fut en vain

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    quidem. Ita omnibus superatis, quod se suosque Alexander doctus fama Aorni primum, tum penes Bactra uiaticasset, ipse quoque Oxum iam superauerat. 77. Vbi cum facultas transitui nulla esset, probat nihil ita mortalibus arduum, cui non uiam perfacile sapientia strauerit. Quod enim alias praesenti usui suppetiari aduerterat, promere suos pelles quibus subtendebant iubet eis gignentium friuola aridaque constringi quam maxime uinculis crebrioribus docet. His quippe peractis, substratu leuium densarumque itidem et superiectu trabicularum, calcatui tabularum, conexa utrimquesecus pellium fragmenta usum ratium integrauerant sibique pecorique. In hunc modum sarcinis transportatis, non superstantibus tantum fida militibus, sed annantibus quoque animantibus, si statio horruisset, opinione facilior transmissio fuit, cum sex stadiis latitudinis alueus Oxi amnis pateret. 78. Nec tamen quisquam ausus obsistere est ; quin etiam nuntiatur iam planiora peruiantibus Besum ibi uinctum a suis communis pretium culpae seruari, pro his quibuscum fugerat reum. Quare exim iter solito patientius facit. Ptolomaeum uero Lagi praeire susceptum Besum ad seque perducere antemittit. Nec mora uinctus offertur, una ceu flammeae irae eius extinctui. Ita increpitum perfidiae seruilis proque eo nomine uerberatum ad poenae conperendinationem custodiri in tempus amendat ; in ceteros uenia liberalis. [35] 79. Hisque in hunc modum gestis exim sibi equorum numerum integrat, qui admodum plurimi omni genere difficultatum uarie defecerant. Ipse ire Maracunda contendit, quae Sogdianis est regia. Tanaimque exim, qui subortus e Caucaso ingressurusque Hyrcanum mare Asiam Europamque dispertit. Eius pars fertur Tanaidos, humo hausta, paludibus Maeotis emergere denuo causasque Euxino dare, ut cursu quo uoluitur urgeatur. 80. Eo itinere tunc praemissos Macedonum castra metatum inprouiso offusi paucis indigenae opprimunt obtruncantque, qui in triginta haud minus milibus Alexandro uenienti obuersari decreuerant. Enim mox Alexandro ingruente ad montium celsiora conrepunt. Sed ubi eis primo conflictu Fortuna blandita est, Alexandro crus sagitta transiecto, ulterius ausi eo usque caeduntur, ut uix octo de triginta milibus laberentur. [36] 81. Quibus gestis Abii Scythae Homero iustitiae laudati legatione se dedunt moremque gesturos uictori profitentur quantum solis corporibus queant, quoniam quisque pauperior liberior infestatore. Eorum denique

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    et tout est surmonté : Alexandre, averti par la rumeur, avait approvisionné lui et ses hommes d’abord à Aornis, ensuite en possession de Bactres. Dans un instant il aura aussi traversé l’Oxus. 77. Faute de moyens de passage, il prouve que rien n’est si ardu pour des mortels que l’intelligence ne puisse bien facilement s’y frayer la voie. De fait, en d’autres circonstances, il avait remarqué comment remédier aux besoins qui se présentaient maintenant : ayant ordonné aux siens d’apporter les peaux des tentes, il leur apprend à mettre à l’intérieur des ramilles sèches liées très fortement par des nœuds rapprochés. L’opération se continue par la pose, en dessous, de travées légères et serrées et des mêmes, au dessus, pour le plancher d’une chaussée ; attachés aux deux extrémités, les morceaux de peaux reçoivent l’usage de radeaux pour lui et les bêtes. Après le transport des bagages de cette façon, la traversée fut non seulement sûre pour les soldats qui se tenaient dessus, mais aussi plus aisée qu’on ne le croyait pour les animaux qui accompagnaient à la nage, si la station debout les effrayait. Pourtant le lit du fleuve Oxus s’étendait sur une largeur de six stades. 78. Cependant personne n’osait résister, que dis‑je  ? on annonce à l’expédition déjà dans la plaine que Bessus, enchaîné par les siens, y était gardé en paiement de la faute commune : ainsi l’inculpait-on à la place de ceux avec lesquels il avait fui. Si désormais Alexandre montre moins d’impatience à continuer sa route, il dépêche en avant Ptolémée le Lagide pour prendre Bessus et le lui amener. Sans délai, celui‑ci est présent, chargé de chaînes, comme pour du même coup éteindre l’ire enflammée du roi : Bessus, en effet, se voit reprocher sa déloyauté digne d’un esclave ; à ce titre, on le fouette, puis Alexandre commande qu’en instance du supplice il soit maintenu en prison ; aux autres il accorde un pardon généreux. 79. L’affaire réglée de cette manière, il complète le nombre de ses chevaux : un très grand nombre, vu les difficultés de tous ordres, avait, d’une manière ou d’une autre, été perdu. Pour sa part, il entreprend de marcher sur Samarcande, la capitale de Sogdiens, et ensuite, vers le Tanaïs qui, sorti du Caucase, va se jeter en mer d’Hyrcanie, en séparant l’Europe de l’Asie ; une partie de ce fleuve, absorbée sous terre, réapparaît dans les marais de Méotide et les tourbillons du courant provoquent une poussée dans le Pont-Euxin. 80. Lors de ce parcours, des Macédoniens sont envoyés en avant‑garde établir un camp ; se répandant à l’improviste sur la petite troupe, des indigènes l’écrasent et la massacrent, eux qui n’étaient pas moins de trente mille à s’être décidés à barrer la route à Alexandre. Mais bientôt le roi lance l’assaut et ils se glissent sur les hauteurs des montagnes. Au début de l’affrontement la Fortune leur sourit et Alexandre a la cuisse traversée d’une flèche. En revanche, leur audace plus avant est brisée au point qu’à peine huit mille des trente mille en réchappèrent. 81. Après ces événements, les Scythes Abies dont Homère loue la justice font par ambassadeurs acte de reddition et promettent obéissance au vainqueur, pour ce qui est seulement des moyens physiques, car plus on est pauvre, mieux on

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    moribus delectatus remissis adiungit studio uera discendi qui quid colerent aut uiuerent renuntiarent. Ipse progressus ad Tanaim illic quoque urbem sibi instituit haud disparem magnitudinis cognominibus Alexandriis. Idque usui cauens siquando post id in eadem militaretur. 82. Sed inconciliantibus Besi sociis iugumque gentium nominantibus metu poenae septem urbes consulto pari Graecos custodes interimunt. Quarum quae Cyri ciuitas dicta Craterus multa cum militum manu mittitur obsessurus, ne quid ultra liberius queant. Ipse Gazam primo congressu aliasque quattuor biduo capit. [37] 83. Tum Cyri adgreditur situ murisque firmissimam, quam quindecim scilicet armatorum milia tuerentur nullis uictualibus indigentia. Iamque machinis in id admotis repente amnem, ut prius animo praesumpserat, qui eam urbem agmine turbido interfluit, transit Alexander nihilque opinantes obtruncat. Tunc secure urbis eius potitum se ratus animo deferbuerat. Neque inpune id aut modestiae merito ; acriter enim incolae congregati inter primos qui inruperant Alexandrum quoque saxo caput grauiter uulnerant. Sed non eo setius inritatis protinus Graecis capitur ciuitas uastaturque, nihilo minus rege in opere feruente. Quae uero septima ciuitas exempli metu ad modestiam ducta est. [38] 84. Verum sic quoque Maracundam contendit, ubi sui obsideri nuntiantur et praetera Scythae trans Tanaim obturbabant. Quare suis legat propere suppetias. Ipse uicesima die urbem quam praecepit absoluit, poena captiuorum usus ad operis festinationem tali in tempore necessarii, datis incolis quos aetas aut uulnera deprecabantur, id est militiam nolentibus aut etiam nequeuntibus et in id idoneis peritia necessariorum. 85. Verum imminentibus Scythis, superuehi saepe conatum cum sacrificia prohiberent idque creberrime, uincit imperatoria indignatio, ne uinceret ratio, quae fato obuiabat. Ac nocte Tanai transmisso tam facile quam audacter hostes primo incursu fugat caeditque palantes. Eosque uero intemperantius persequens siti aestiuae succumbit. Neque aqua utibilis reperta ; quicquid de fluuiis aut riuis ab aestiuo in lacunis erat, eo proni ac lingua lambentes hausto ceu necessario, latente eius peste corrupti sunt. Quippe ea qualitas aluo laxandae efficacissima. Ita omnes uiribus uacuati egestu intestini caloris, ut minus nonnulli hostibus uitio

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    se libère de l’agresseur. Charmé par leurs mœurs et désireux d’apprendre là‑dessus la vérité, il les renvoie en leur adjoignant des gens capables de le renseigner sur leur séjour et mode de vie. Avançant lui-même jusqu’au Tanaïs, il fonde là aussi en son honneur une ville qui par ses dimensions n’était pas inégale à celles dénommées Alexandrie. Ce faisant, il pensait aussi à l’utilité, si jamais plus tard on avait à combattre en ce même lieu.. 82. Mais les alliés de Bessus les attirant à eux par des propos sur les populations sous le joug, sept villes qui craignaient d’être châtiées éliminent, d’un avis commun, leurs garnisons grecques. Avec un fort détachement Cratérus est expédié mettre le siège devant celle qui s’appelait Cyropolis, pour empêcher dorénavant toute possibilité d’une plus grande liberté. Lui prend Gaza à la première attaque et quatre autres en deux jours. 83. Alors il se tourne contre Cyropolis, bien fortifiée par son site et ses murailles et que protégeaient, cela allait de soi, quinze mille hommes en armes, en aucune façon privés de ravitaillement. Les machines s’approchaient dans ce but : soudain Alexandre, comme il en avait eu la pensée auparavant, passe le fleuve qui traverse la ville en un flot agité et taille en pièces l’ennemi surpris. Persuadé dès lors d’être en toute quiétude le maître de la ville, il avait repris son sang‑froid. Ce ne fut ni sans dommage ni au crédit de la sagesse, car les habitants s’acharnent, ils se rassemblent et, parmi les premiers assaillants, ils blessent grièvement Alexandre d’une pierre à la tête. Les Grecs n’en sont pas moins stimulés pour autant : incontinent la ville est prise, pillée et chez le roi l’ardeur à l’ouvrage n’est en rien amoindrie. Par la crainte de l’exemple, la septième cité est ramenée à la sagesse. 84. Toujours est-il qu’Alexandre se porte vers Samarcande où les siens, lui apprend‑on, sont assiégés, sans parler, sur l’autre rive du Tanaïs, d’attroupements hostiles des Scythes. C’est pourquoi, des secours ayant été rapidement dépêchés à ses Macédoniens, il achève en vingt jours la ville qu’il a décidé de bâtir : pour hâter cet ouvrage si nécessaire, vu les circonstances, il employait des condamnés à la prison et lui donnait comme habitants ceux qui avaient l’excuse de l’âge ou des blessures, autant dire ceux qui ne voulaient plus ou même ne pouvaient plus servir dans l’armée, tout en étant qualifiés par leur expérience du nécessaire. 85. Malgré la proximité menaçante des Scythes, les sacrifices – et cela à maintes reprises – entravaient de multiples tentatives de traversée  ; toutefois l’irritation du chef fut victorieuse, empêchant ainsi la victoire de raisonnements qui faisaient obstacle au destin. Avec autant de facilité que d’audace le Tanaïs est franchi de nuit et, au premier assaut les ennemis sont mis en fuite et tués dans la débandade. Mais en les poursuivant avec trop de fougue, Alexandre succombe à la chaleur qui l’assoiffe et on ne trouvait pas d’eau potable : sous l’effet de cette chaleur, ce qui restait des fleuves et des rivières était dans des trous. Penchés dessus, les soldats lapaient de la langue, mais ces goulées, à cause de leur poison caché, les intoxiquèrent quasi forcément ; leur nature, en effet, n’était que trop propre au relâchement du ventre. à rejeter la chaleur animale, tous se vidaient de leurs forces, si bien que pour quelques-uns l’ennemi fut un mal moins prompt. Tout de

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    praeuenirentur. Insecuti nihilominus eorum legati ueniam erratis pro uictoriam retulerunt. 86. Hi porro Macedones qui in arce Maracundae obsidebantur, ante aduentum auxilii eruptione facta disiecerant hostes ac fugarant. Longius tamen eos in Sogdianos insecuti, ubi de reditu consulunt amnemque Polytimetum adfuere, sensim prosequentibus Scythis inexploratam adorti aluei partem limo profundius retentantur. Idque ubi hostis gnarus locorum uidet, praeuenit adortique rerum imperitos ac male cedentes comminus figunt omnes, nisi quis praeuenisset pedum aut uisuum potens. Neque amplius equitibus semiermibus quadraginta, peditum trecentis fugere. [39] 87. Quibus Alexander nuntiatis Maracunda contendit auctoremque eius sceleris Spitamenem fugientem secutus omni cum socio interfecit. Suos sepelit uastatque regiones, quas Polytimetus amnis ambit aut rigat, quique progressus ulterius harenis bibitur et receptatur, facitque inuia cuncta subsidiis accolentium nullis, quoniam illi et alii famosi amnes hauriantur, Epardus qui Mardos, Ariusque qui Arios interfluit et Etumandrus ueniens per Euergetas ; hi omnes illic sepulti uanescunt. 88. Hieme igitur apud Arimaspos declinata dat sese legationibus obsequentium aut paciscentium, quod usus aut quies uellet ; Besumque accitum et rursus increpitum et uerberibus punit et gladio, mutilatis tamen prius et naribus auribusque  ; idque supplicii genus durius uisum quam seueritas Graeca est. [40] 89. Nam et cetera eius cultus et affluentiae more Medorum, suorum plerique iam sedulo auersabantur, cum luxu mores adrogantiaque mutasset, tum mensae modo, tum uestium pretio, tum apicis uanitate, ac si, qui utroque de latere Heraclidas sibi Aeacidasue censeret, Arsacidum tamen aemulationi concesserit, uicti rem passus in his, quorum moribus obsecundabat ; idque ei omnes animi glorias obumbrabat. 90. Praesertim ubi amicissimum sibi Clitum illum Granici propugnatorem ex causa conuiuii incitus interfecerit (die sacro quod Libero Castoribus fecerat), qui epulo accubabat una blanditoribus regis. Tum supra ipsos fortitudinis deos laudari ab adsentatoribus coeptus patri quoque se Philippo anteferri delectabatur. 91. Enimuero Clitus uti Alexandrum amicum restitueret in uiam neque concederet ei malam morum adrogantiam coalescere, cui modestia et uerecundia plus laudis adferret, amico liber, religiosus in Philippum : eum

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    suite après, cependant, les ambassadeurs des Scythes rapportèrent, au lieu de la victoire, le pardon de leurs errements. 86. Par ailleurs, les Macédoniens assiégés dans la citadelle de Samarcande avaient, avant l’arrivée de renforts, fait une sortie, bousculé l’ennemi et provoqué sa fuite. Mais la poursuite s’était prolongée jusque chez les Sogdiens. Quand il décident de s’en retourner et qu’ils furent arrivés au fleuve Polytimétus, graduellement pourchassés par les Scythes il s’engagent dans une partie du lit qu’ils n’avaient pas sondée et, à plus grande profondeur, sont retenus par la vase. Dès que l’ennemi qui, lui, avait repéré l’endroit, s’en aperçoit, il prend les devants et, attaquant ces hommes qui dans l’inconnu ont du mal à progresser, il les abat tous de près, à l’exception de ceux qui le devancent grâce à leur pieds et leurs yeux. Au plus en réchappèrent quarante cavaliers à moitié désarmés et trois cents fantassins. 87. Alexandre est informé  : il fonce sur Samarcande, aux trousses de Spitaménès, l’auteur de l’attentat  ; de même que tous ces complices, il tue le fuyard, enterre les siens, ravage les pays qu’arrosent les méandres de Polytimétus, ce fleuve dont le cours ultérieur, absorbé par les sables, s’y enfonce, rendant tout impraticable et ne laissant aucun moyen de subsister aux habitants. Effectivement d’autres fleuves fameux disparaissaient là-bas  : l’épardus qui coule chez les Mardes, l’Arius qui le fait chez les Ariens et l’étymandre à travers la région des évergètes, tous, là-bas, s’évanouissent sous terre. 88. L’hiver chez les Arimaspes était sur son déclin, lorsque Alexandre se donne aux délégations de ses sujets ou des alliés, comme le voulait soit l’usage, soit la paix. Bessus est amené et à nouveau entend les reproches : on le châtie par le fouet et le glaive, non sans qu’auparavant le nez et les oreilles lui aient été tranchés. Ce genre de supplice parut plus dur qu’une sévérité à la grecque. 89. à la vérité, désormais, la plupart des siens évitaient avec soin tout ce qui, autrement, relevait d’un train de vie et d’un luxe à la façon des Mèdes : Alexandre, en effet, avait troqué son comportement contre le faste et l’arrogance, outre le style de sa table, le prix de sa garde-robe, la vanité de sa coiffure, comme si lui qui, d’un côté, se croyait descendre d’Hercule, de l’autre, d’éaque avait cédé à l’imitation des Arsacides, en souffrant la situation d’être le vaincu chez ceux dont il suivait la conduite. Et cela jetait de l’ombre sur toutes les gloires de son âme. 90. En particulier, depuis que, sous l’excitation du festin offert aux Dioscures, le jour voué à Liber, Alexandre avait tué, couché près de lui au banquet, en compagnie des courtisans du roi, ce si grand ami, ce sauveur à la bataille du Granique, qu’était Clitus, dès lors, s’habituant aux louanges de la flatterie qui le plaçaient au-dessus même des dieux de la force, il se réjouissait d’être préféré aussi à son père Philippe. 91. En effet, pour remettre son ami Alexandre sur le chemin et ne pas accepter que se développât un comportement de méchante arrogance chez un homme auquel la mesure et la réserve apporteraient plus de gloire, Clitus fut libre dans l’amitié et pieux à l’égard de Philippe : il préférait – c’était sa réponse – qui

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    uero se anteferre respondit, qui hos fecerit suos animi uiribus corporisque, cum quibus uicerit nunc is qui talibus gaudeat. Quae ubi ultra nec pudet regem uino calentem, Cliti uerbis gladio respondetur. Sed enim mox in id recidit paenitudinis, ut eum uitae pigeret adeo impigre intemperantis, ni amici magis offensae id dei Liberi quam eius moribus darent, qui sic posthabitum sollemne suum ultus furore putaretur aut inuidentia laudationum earum aemuli. [41] 92. Quare tum quidem curam corporis recipit, uitium tamen gliscit. Quippe iam adoratu se uolens salutari, morem mortalium neglegebat. Verum sapiens Callisthenes comes, ei amice, arcere hominem et deducere palpo temptabat, eo quoque addito, quod quam iustum sit infestari eum, si quis insignia regni quae sua sunt usurpare eat, tam a diis posse puniri abiurationis qui sibi ad eos faueant honore iactantiae. Sed neque proficit Callisthenes, et mox inter proditores relatus ex causa tali morte punitus est. 93. Mos erat regibus optimatium liberos ministrare ad custodiam scilicet regiam et obsequia liberalia. E quis Hermolaus quoque Sopolidis erat bonis moribus roboreque, quorum utrobique studens, regi de corpore, animo tamen ac disciplinis militans Callistheni, ubi eum quaereres sat placebat. Is uenatu Alexandro in aprum exspectabilis formae inte prior bestiam sternit et strata gloriatur utque inmodestae fortitudinis ab rege uerberatur. 94. Quod cum acrius merito sed ingenue doluisset Hermolaus, coniurat in regem cum Sostrato Amyntae et Antipatro Asclepiodori, tum Epimene et Anticle et Philota, his amicis in sua iniuria feruescentibus. Pactumque fit, nocte Antipatri conclaui regis irruerent. Neque id quitum, ita pernox rex conuiuio perdurarat, sunt qui aiant prohibitu Syrae uatis : ne quidquam esset in aula, erat multis praemonitis uerita. Itaque Ptolomaeum rem sibi proditam detulisse Callisthenisque sententiam in discipuli facinore suspectatam de prioris inefficacia libertatis, cum Hermolaus tamen acri in opere tormentorum praeter sui uerbera nihil questus sit aut confessus. [42] 95. Sed reuenerat iam legatio Scythica de Abiis dictoque audientes fore se muneribus attestabantur, quae munera erant filia regalis pulcra ingenio uel cultu naturae eius, si suis uellet pignore fidei. Namque ad reliqua uictualia sat diuites sunt Abii libertatis pariter et paupertatis. Adstare uero uel regem ut coram iussis auscultet. Nam et missis in hoc referre uolentibus erat mores Abios et munditias paupertatis, utque sit eorum

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    avait fait siens, par la vigueur de l’esprit et du corps, les compagnons de victoire dont lui ainsi jouit maintenant. Cela dépassant la mesure sans causer la honte du roi échauffé par le vin, aux paroles de Clitus il est répondu par l’épée. Mais bientôt Alexandre tomba dans un tel repentir qu’il se serait dégoûté d’une vie si inlassablement intempérante, si les Amis n’avaient attribué l’événement, plutôt qu’à sa conduite, au ressentiment du dieu Liber qui, pensait‑on, s’était vengé par fureur de cette négligence à le célébrer, ou par jalousie d’un envieux de ces louanges. 92. Aussi reprit-il soin de son corps, mais le mal grandit : il voulait être salué par un geste d’adoration, n’ayant cure des coutumes des mortels. Par amitié pour lui, son compagnon, le philosophe Callisthène, essayait de le retenir, de le détourner des flatteries, non sans ajouter qu’autant il s’en prendrait justement à l’éventuel usurpateur des insignes de la royauté qui sont les siennes, autant les dieux peuvent punir pour sacrilège ceux qui, en comparaison avec eux, se prévalent d’hommages ostentatoires. Callisthène n’obtient rien ; au contraire, rangé bientôt parmi les traîtres, il fut pour ce motif puni de mort. 93. C’était la coutume des rois que les fils des Grands fussent aux ordres, bien sûr, pour la garde royale et le service d’honneur. Dans le nombre, Hermolaus, fils de Sopolis, possédait moralité et vigueur, deux qualités dans lesquelles le corps se dévouant au roi, l’esprit à l’enseignement de Callisthène, il plaisait passablement là où on le demandait. Lors d’une chasse, alors qu’Alexandre traquait un sanglier aux dimensions remarquables, il est le premier à abattre l’animal et se vante de l’avoir abattu. Pour avoir eu la force immodeste, il subit le fouet du roi. 94. Plus vivement qu’il ne convenait mais avec franchise, Hermolaus souffrit du procédé et avec Sostrate, fils d’Amyntas, Antipater, fils d’Asclépiodore, puis avec épiménès, Anticlès et Philotas, il forme une conjuration contre le roi, entre amis bouillonnants sous l’injure qui les atteignait : il est convenu de faire irruption dans la chambre royale au tour de veille d’Antipater. Ce fut impossible, aussi vrai que durant toute la nuit le roi continua à banqueter, retenu, selon certains, par une prophétesse syrienne : plusieurs avertissements avaient laissé craindre que quelque chose ne se passât au Palais. C’est pourquoi, dit-on, Ptolémée aurait fait rapport sur la dénonciation et derrière les agissements de son disciple on aurait suspecté l’inspiration de Callisthène, puisqu’auparavant sa liberté de parole était demeurée infructueuse. Pourtant, quand la torture fut mise en œuvre sans ménagement, Hermolaus, hormis les coups de fouet sur sa personne, ne se plaignit de rien et ne révéla rien. 95. Cependant l’ambassade scythique envoyée par les Abies était déjà revenue et des cadeaux attestaient qu’ils seraient à l’écoute des ordres. Ces cadeaux comportaient, belle de ses qualités propres et des parures données par la nature, la fille du roi, si Alexandre la voulait pour gage de la fidélité des leurs. En effet, pour le reste, si l’on s’en tient à l’essentiel, les Abies ont une richesse suffisante, qui est celle de leur liberté égale à leur pauvreté. Et même leur roi, disaient-ils, se tenait à proximité pour obéir en personne à ses commandements. Des envoyés à cet effet étaient également disposés à relater les mœurs des Abies, la pureté de leur

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    inuidia potioribus de plus nihil habendo. Enim arcus Abiis seu sagitta (quod eis totum est) et uitae quaestus et hereditas sola, sagitta uenantibus, carne altis abunda uel lacte et munitis pellibus ad tolerantiam ; et cetera pro opibus hospitales et loqui blandi cum omnibus. 96. Sed Pharasmenes quoque Chorasmiorum rex equites adduxerat Alexandro militatum, uicinus Scythicis Vnimammis, in quas sibi hostes praeiret si iuberetur, supra uiros ut sciat Martias. Alexander uero his Indos praeoptare tumque se ait redire in Graecias, ut exim reliqua eius belli agat. Oxum igitur et Sogdianos retractat turbare. [43] 97. Nuntiati ibi Alexandro duo fontes futuri praesagio suborti horrori fuere prae admiratione ; quorum qui olei erat, laboris atque sudoris index aestimabatur, quis mederi ualet oliui unguento ; qui uero uini, lasciuiae et laetitiae de dei munere. Haec quippe in id demonstrata de post gestis adsertio est. 98. Dimissis ergo qui praesentia tuerentur Maracunda ipse festinat. Spitamenes quippe qui inde desciuerat Massagetis congregatus iusti belli facie iam agere nuntiabatur Sed inuaso castello potitum praeda per Sogdianos, Pithon et Aristobolus citharoedus, qui una aulico ministerio illic agebant, egressi cum equitibus octoginta nauiter satis et inpigre incursarant quae educebantur. Mox tamen excepti insidiis a Spitamene plerique eorum et una Aristobolus oppetiuere. Spitamenes uero post id fugiens conscientia sceleris in desertis caeditur Cratero insecuto. Ipse quoque a suis captus ut auctor culpae arguitur tumque Alexandro ad supplicium datur iure plectendus. [44] 99. Sed enim hac cura deposita in Indos nihil sibi noxios intentus animo petram adgreditur re et nomine arduam. Id uero castellum est praeruptis admodum inpositum inaccessisque rupibus montium, quo plebs multa conuenerat Sogdianorum, nullo indigentiae metu, copiis ante congestis. Vbi ergo, oblata sibi uenia, non cessere, magnum praemium publicat ausuris eius saxi inscensionem : auri talentum primo, tunc pretium secuturis. 100. Reperti omnes quadringenti uiri, qui patrauere rem in hunc modum : paxillos ferreos, quibus pelles intendunt, praetenta fune ea parte praerupti, qua fieri posset aut gelu cederet, mutuo innixi figebant, eisque subuecti paulatim omni sub nocte tandem euadunt armis una, cumque luce inopini inruunt securos et inermes barbaros ac semisomnes, inpeditosque mulierculis et infantibus praecipites agunt nihil eorum paucitatis scientes,

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    pauvreté et comment les plus puissants seraient enviés d’avoir plus que rien. Chez les Abies, l’arc et la flèche – c’est tout pour eux – est le moyen de gagner sa vie et leur seul héritage : avec la flèche ils chassent, la viande en abondance et le lait les nourrissent, les peaux les protègent en vue de l’endurance ; autrement, hospitaliers à proportion de leurs ressources, ils ont des propos aimables avec tous. 96. également le roi de Chorasmiens, Pharasmanès, avait amené des cavaliers à l’armée d’Alexandre. Il était voisin des Amazones scythes, ses ennemies, contre lesquelles il le guiderait, s’il en recevait l’ordre, pour qu’Alexandre sût qu’elles étaient davantage martiales que des hommes. Mais Alexandre dit qu’il leur préférait plutôt les Indiens et qu’alors il s’en retournerait vers les territoires grecs, pour de là en terminer avec cette guerre. à nouveau, il s’emploie donc à jeter le trouble sur l’Oxus et chez les Sogdiens. 97. à ce moment, Alexandre apprend que deux sources, annonciatrices du futur, ont jailli, terrîfiant les gens étonnés : l’une, huileuse, indiquait, pensait‑on, la fatigue et la sueur auxquelles peut remédier un massage à l’huile, l’autre, vineuse, l’allégresse désordonnée provenant d’un don divin  : la suite des événements confirma que tel était le sens de ces apparitions. 98. Laissant un détachement surveiller la situation existante, Alexandre se hâte à Samarcande. Spitaménès, qui s’en était éloigné pour rejoindre les Massagètes, conduisait dorénavant, d’après les nouvelles, une apparence de guerre réglée ; néanmoins, avec l’aide des Sogdiens, il fonce sur une forteresse s’emparer du butin. Pithon et le citharède Aristobule qui s’y trouvaient conjointement à des serviteurs du Palais firent une sortie à quatre-vingts cavaliers. Avec assez d’énergie et de vigueur ils se précipitèrent sur ce qui était emmené, mais bientôt, tombés dans une embuscade de Spitaménès, ils périrent avec la plupart des leurs ainsi qu’Aristonicus. Après quoi, Spitaménès, en fuite, conscient qu’il est de son crime, se voit dans le désert poursuivi par Cratérus qui le taille en pièces : ses compagnons se saisissent de lui, l’accusent d’être responsable du forfait, puis le donnent à punir à Alexandre, pour qu’il subisse un châtiment mérité. 99. Alexandre s’était débarrassé de cette préoccupation. Contre les Indiens qui ne lui avaient causé aucun tort, il entend alors marcher et il attaque un pic qu’on appelait l’Abrupt et qui l’était en réalité. à cette citadelle bien posée sur les escarpements il était impossible d’accéder par les parois du roc : en masse, la population sogdienne s’y était réunie, sans crainte de manquer, vu les vivres entassés auparavant. Comme, malgré l’offre du pardon, cette dernière ne cédait donc pas, Alexandre fait proclamer de fortes récompenses pour ceux qui oseront l’ascension du rocher : un talent d’or pour le premier, des prix pour les suivants. 100. En tout, il s’en trouva quatre cents pour de cette manière accomplir l’exploit : là où dans la falaise ils le pouvaient et quand la glace le permettait, s’appuyant l’un sur l’autre, ils plantaient les pitons de fer servant à dresser les tentes et y tendaient un cordage. Ainsi soutenus, ils progressèrent toute la nuit et finissent par aboutir avec leurs armes. à l’aube, il se précipitent soudain sur les Barbares qui, désarmés et à demi endormis, n’étaient pas sur leurs gardes ; sont poussés à l’abîme des gens encombrés de pauvres femmes et d’enfants, qui ne se

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    donicum reliqui sese dederent et aditu reserato, quem inserabiliter obstruxerant, Alexander receptaretur uel copiae, nec tamen amplius uiris uiginti desideratis, quos ascensionem molientes, ubi loci conditio fefellisset, deiectos in praeceps ne sepulturae quidem nisi niuum profunditate seruarat casus aut fatum. 101. Igitur his uictor copiis fotus auctusque quom Oxyartae Bactrianorum regis affectus opesque illic repperisset, eius uirginem filiam Roxanen nomine magno formae merito et nobilitatis sibi coniugat, is ille scilicet, quem Darii uxor, ueneriae sane pulcritudinis femina, non euicerit. Denique Oxyarten debito sibi soceri honore dignatur. [45] 102. Hinc ducit in aliam petram celsam stadiis uiginti, sed sexaginta ad ambiendam faciem sunt, aduiabilem calli, superne aequoream uirentemque, soli ubere et mollitudine diuitem. Chorienis id castellum uocabant, regis nomine qui illi confugerat : Chorienes. Verum quod eius saxi calcem naturali uallo munitam intueretur, id primum explet caesu frondium et adgestu humi saxorumue opere peruicaci. Iam denique labore perfecto scalisque admotis, Chorienes internuntio Oxyarta pretium ueniae uictori se suosque transscribit. Eodem merito procurationem sibi accepit quod regnum habebat, quoniam uictorem exercitum, non labore militiae modo adeo conperendinatae uerum hiemis quoque ui et indigentia fatigatum, apparatus sui largis opibus refouisset, nec decima quidem parte totius affluentiae dispensata. 103. Ad haec si qui rebellium reliqui omnibus perditis subiugatisue repedat Bactra tempore, quo Callisthenes una cum insidiatoribus regis suspectatus est. [46] Hac sub fine Alexandro Persarum imperium integratum est, quo tuendo Amyntae dato Bactris ipse profectus retransmittit protinus Caucasum, quem ire in Taurum diximus, nomine modo de continuatione mutato. 104. Vndecima die, quam nuper molitus est illic Alexandriam uenit. Transmissis inde regionibus Parapamisadum perque Nicaeam oppidum et Cophena flumen, Indum petere contendit, Taxile sibi munifico, qui partes quibus uiandum primas Indiae tunc tenebat, eumque praemittit una suis paratum Indi transmissionem. Conatum denique Astem, hostium ducem, uiantibus intercedere capiunt, itaque peruiant multis aliis gentibus caesis et oppidis captis. 105. Nec minus Alexander agens si quis obturbet, insequentis sagitta etiam humerum superscribitur. Choeque amni transmisso quisquis obuius sternitur et Arigaeum urbem, incensam desperatamque a ciuibus, instaurari

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    doutent pas du petit nombre des attaquants, jusqu’au moment où le reste se rendit et, les abords ayant été dégagés des obstacles qui les verrouillaient, Alexandre et ses troupes purent pénétrer. Cela étant, il n’y eut pas plus de vingt disparus qui, trahis dans leur tentative de montée par l’état des lieux, s’étaient écrasés à la verticale : le hasard ou le destin les avaient réservés à n’être ensevelis que dans la profondeur des neiges. 101. Vainqueur donc avec ces troupes, Alexandre est choyé et renforcé, lorsqu’il découvre en cet endroit, outre les richesses d’Oxyartès, le roi des Bactriens, les objets que celui-ci chérit : sa fille nubile, nommée Roxane, a le grand mérite de ses formes et de sa naissance. Il se marie avec elle, lui que pourtant l’épouse de Darius, d’une belle et voluptueuse féminité, n’a su vaincre. Pour tout dire, il juge Oxyartès digne des honneurs qu’il doit à un beau-père. 102. De là, Alexandre entraîne ses hommes à un autre pic, d’une hauteur de vingt stades et qui, en surface, formait un pourtour de soixante : desservi par un sentier, plat et verdoyant au sommet, il faisait sa richesse de son sol gras et mou. Cette citadelle de Chorienès s’appelait du nom du roi, lequel Chorienès s’y était réfugié. Mais Alexandre s’aperçut qu’à sa base le rocher était protégé par un fossé naturel. Il commence donc par le combler avec du feuillage qu’il coupe, de la terre et des pierres qu’il apporte dans un labeur obstiné. Déjà le travail était achevé et les échelles avait été approchées, lorsque, par le truchement d’Oxyartès, Chorienès, pour prix du pardon, se consigne lui et les siens en la possession du vainqueur ; en vertu de quoi, il reçoit la gérance du royaume qu’il détenait. De fait, les généreuses ressources de son intendance avait revivifié l’armée victorieuse, qu’éprouvaient non seulement des activités militaires à ce point prorogées, mais aussi la dureté de l’hiver et le manque de ravitaillement. Cependant, même pas le dixième de toute cette surabondance fut distribué. 103. Là‑dessus, une fois qu’a péri tout le reste des rebelles ou qu’Alexandre les eut placés sous son joug, il regagne Bactres : c’était le moment où fut soupçonné Callisthène en même temps que ceux qui conspiraient contre le roi. à ce terme, l’empire perse avait été reconstitué dans son intégralité par Alexandre, qui en confia la sauvegarde à Amyntas ; lui‑même quitte Bactres et repasse directement le Caucase que nous avons dit rejoindre le Taurus, le nom seul changeant de cette chaîne continue. 104. Après dix jours le Macédonien arrive à cette Alexandrie qu’il avait naguère bâtie, puis, passant par la région des Parapamisades, la ville de Nicée, le fleuve Cophen, il s’efforce d’atteindre l’Indus, grâce à la munificence à son égard de Taxilès qui tenait alors les avant-postes de la route des Indes. Il envoie ce dernier en avant avec les siens pour préparer la traversée de l’Indus. Astis, le chef ennemi qui tentait d’intervenir contre le convoi, ayant, en fin de compte, été capturé, la marche se poursuit, tandis qu’ailleurs nombre de peuplades étaient abattues et de forteresses prises. 105. Tout autant, Alexandre réagit à toute éventuelle résistance et la flèche d’un adversaire acharné le marque même à l’épaule. Après la traversée du fleuve Choès, les adversaires sans exception sont terrassés. La ville d’Arigéon avait été

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    procurat merito opportunitatis. Tum reperta hostium multitudine trifariam superat iustis omnibus proeliis. Ducenta denique triginta boum milia illic capta formae merito destinat una captiuis Macedoniam cultum agros suorum et suosc. [47] 106. Tum compertoque gentes Saccas quadraginta milia armauisse per amnem Guraeum in eos ire festinat. Eique in oppida discessere in id longe ante munita. Sed enim castra eminus molientes irruunt Graecos. Hinc ei astu cedere simulant ; conuerso denique agmine sternitur , pars muro clauduntur omni praesidio munitissimo. Sed enim res haud in facili erat duplici saeptu munitos accedere, et ibi denique Alexander crus sagitta uulneratur. Sed die quarta belli in opere prae muro interfecto rege se dedunt. Idque Alexandro uolenti admodum fuit, ut commilitio accederent ; sed ubi producti fidem mutant, uallati caeduntur. [48] 107. Hic Coenona ducem mittit Baziphara obsidere Attalumque Hora urbem, ratus casu Saccarum eos ad obsequium ductum iri. Sed his loco magis quam exemplo fidentibus ipse utramque urbem quamuis impigre obluctatas, Baziphara siue Hora, nullo negotio transiens capit, quamquam Bazipharae uiri contemptu paucorum aduenas irruissent. Vbi tamen plerique cecidere, quisque euaserat petram munitissimam confluunt. 108. Is locus petrae ducentis stadiis circumitur, erigitur decem, aditu tenui, mollis in culmine et fontium scatens patiensque industriam mille hominum ruricolarum. Igitur eo ueniens capit plurimas ciuitates. Tum petram adgresso obsidionemque molienti transfugae duces coepti moliminis uiam praeeunt ei inscensus. Itaque capti deductique praedae uictori fuere qui bello restiterant. 109. At enim nuntiato rursum Saccas muros Indos armis oppressisse studio fidentiore et elephantes suos per siluestria amendasse, ubi eo uenit, muros desertos incensamque urbem uidet et dilapsos omnes qua tutius lateant. Quare aliis persecutione legata quaesitisque eorum elephantis et captis, Indum cum exercitu uenit et his quae longius sunt necessaria copiis repertaque transitui substantia non sero transmittit. [49] 110. India omnis orsa e septentrione amplexaque omne quicquid est Persicum, Aegyptum usque Aethiopasque continuat. Ipsa uero extrinsecus ubique oceano munitur, interfluo mari Hippalio, cuius sinus Persas includit.

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    incendiée et abandonnée par ses habitants : il prend soin de la reconstruire en raison de sa position. On rencontre alors d’innombrables ennemis. Opérant en trois corps, le roi partout en triomphe lors de combats en règle. Enfin, il capture deux cent trente mille bœufs et, à cause de leur allure, les expédie en Macédoine avec les prisonniers pour développer la culture dans les champs de ses compatriotes et les siens. 106. Apprenant alors que les tribus saces armaient quarante mille hommes, Alexandre franchit le fleuve Guréus et se hâte de les affronter ; eux s’étaient retirés sur des positions depuis longtemps fortifiées à cette fin, mais comme les Grecs sont en train d’installer leur camp à distance, voici qu’ils se précipitent dans leur direction. Par ruse, les autres feignent de lâcher pied, puis tournent casaque et une partie est abattue. L’autre partie s’enferme derrière la muraille que fortifient parfaitement toutes sortes de défenses. De fait, ce n’était pas une mince affaire que d’arriver au contact avec des gens protégés par une double enceinte et Alexandre finit là par être blessé d’une flèche dans la cuisse. Pourtant, le quatrième jour, en pleine bataille, leur roi est tué devant le mur et ils se rendent. Alexandre voulait bien les incorporer à ses côtés mais, aussitôt sortis, ils reviennent sur leurs promesses : ils sont encerclés et massacrés. 107. Alexandre lance alors ses généraux Coenus et Attale assiéger, l’un, la ville de Bazira, l’autre, celle de Hora, pensant que la catastrophe des Saces les mènerait à l’obéissance. Mais ceux-ci, se fiant plus à la topographie qu’à l’exemple, résistaient avec opiniâtreté. Alexandre, qu’il s’agisse de Bazira ou de Hora, s’empare, en passant, sans aucun problème des deux villes, quoique les habitants de Bazira soient sortis attaquer les étrangers par mépris de leur petit nombre. Quand tous à peu près ont succombé, ceux qui en avaient réchappé, se réfugient sur un piton particulièrement fortifié. 108. Au sol, le périmètre du pic est de deux cents stades et son élévation de dix. Un accès étroit conduit au sommet, où la terre molle et regorgeant de sources se prête au travail d’un millier d’agriculteurs. Arrivant donc en ce point, Alexandre prend quantité de cités, puis, le rocher atteint, en entreprend le siège. Des transfuges qui le guidaient dans son entreprise lui suggèrent la voie par ascension. De la sorte, les combattants qui résistaient furent capturés et ramenés en butin au vainqueur. 109. Cependant une nouvelle fois, apprend‑il, les Saces, mobilisés par plus de confiance en eux, ont abattu sous les armes des fortifications indiennes et dispersé leurs éléphants dans la forêt. Alexandre arrive, constate que la muraille est vide, la ville incendiée et que tout le monde a disparu dans des cachettes plus sûres. C’est pourquoi, confiant à d’autres la poursuite, il cherche et récupère les éléphants et parvient à l’Indus avec l’armée et ce qui est nécessaire à des troupes pour assez longtemps. Quand il a trouvé un support pour passer, il ne tarde pas à effectuer le transbordement. 110. Dans son ensemble l’Inde commence au Septentrion, et, embrassant tout ce qui relève de la Perse, va jusqu’à l’égypte et l’Éthiopie ; à l’extérieur, partout la protège l’Océan, d’où s’infiltre la mer d’Hippale dont un repli cerne les Perses. Cependant, ce que, répandu sur un large territoire, on appelle l’Inde

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    Sed enim nomen hoc Indiae late dispersum multarum admodum gentium est ferax, praecipue beluarum inter odora gignentium, quae sunt elephanti draconesque iugerales ; nam pardi leonesue uel tigres iuxtim haec cicures fuant. 111. Ea uero tempestate quam loquor potens Indiae Porus erat, stupendus satis supra hominum magnitudines, neque uero ingenio inferior quam artubus. Is ubi scit Alexandrum ad sese moliri ire, absit obnuntiat, sed incitat mage acrique bello superatur et capitur. Receptus tamen ad amicos Alexandri merito uirtutium, procurare quod erat rex recepit. Ita pars est uirtutis his, quibus praefueris ut potior, aeque sane nunc mox cessisse potiori  ; quoniam quisque mediocritatis est agnitor, satis fecerit sese noscendo. [50] 112. Exim magnas Pecanum et Musicanum regiones exsequitur ac sibi congregat. Petram quoque, quae Aornis uocatur, affectat, cuius proceritudo sunt stadii quadringenti, supra cultoribus diues haud minus locupletibus quam securis ; et est ei nomen ex celsitudine, quam nec alites superuolitent. Sed enim hanc quoque optinet fixu uectium, uia scansili ac solida petitam. 113. am magnitudin cum primatibus, quod ultra gentes bello idoneas comperisset, experire quae aduersum eas animo arderet. Milites uero ad haec ultra laborem uel pericula deprecabantur, annos duodecim, uulnera et suorum desideria numerantes. Data igitur fessis quiete, uolentibus utitur. Succenturiari tamen dimissis alios e patria iubet. Itaque uictoriae auaritia usus oceanum uenit. [51] 114. Ibi quoque inmodicus cupiditatis, quoniam in nauibus textis periculum uellet facere naturae, et quid sibi uel quisque id uellet ultra liceret. Iam denique composito apparatu Neptuno sacros tauros in mare donariaque ex auro deiecerat, pretium uoti faciens, si redimi haec a diis liceret, uerum repente cum flatu uiolento rediens haustus oceani solito uehementior omnes hoc paratos inter naues confligit et mergit. Neque agnitu difficile id erat, deos uoto refragari, quibus quamuis ipse obniti , ne quid impium audeat temptare, mittit tamen promptos audaciae nihilue regi auidentes negare Onomarchum et Neona – congestis naui quae cuique sic uolenti in longum usui necessaria – uti circum putato oceano comperta nuntiarent. [52] 115. Quippe Alexandrum animo fuisse ad appetentias rigido et indomito, hic quoque considerandum reliquit. Erat ciuitas Indiae quam multi confugerant magnitudine nimia et firmitudine inexpugnabili. Quam

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    produit, au milieu d’une végétation odorante, de fort nombreuses espèces surtout animales : des éléphants et des serpents de cent pieds, à côté desquels les léopards, les lions ou les tigres seraient des bêtes apprivoisées. 111. A l’époque dont je parle, Porus était le maître de l’Inde ; il étonnait assez parce qu’il dépassait la taille humaine et que son intelligence n’était pas moindre que sa membrure. Dès qu’il sait qu’Alexandre s’ébranle contre lui, il lui envoie dire de s’éloigner mais ne fait que l’exciter davantage. Dans une âpre bataille, il est vaincu et fait prisonnier. Reçu pourtant parmi les Amis d’Alexandre à cause de ses vertus, il reçoit à gérer ce dont il était le roi. Ainsi c’est une forme de vertu qu’ayant été à la tête de ses sujets, parce qu’il leur était supérieur, il s’en soit, à l’évidence, tout de suite tenu à l’équité, en les cédant à qui désormais détenait la supériorité  ; quiconque, en effet, reconnaît son infériorité, a fait suffisamment, quand il apprend à se connaître. 112. De là, la route d’Alexandre se poursuit par les vastes pays des Pecani et des Musicani qu’il annexe. Il vise aussi un pic appelé l’Aornis qui, élevé de quatorze stades, bénéficie au sommet de cultivateurs aussi fortunés que sans soucis. Le nom lui vient de sa hauteur que même les oiseaux ne peuvent survoler. Mais Alexandre l’occupe lui aussi, après l’avoir atteint grâce à la fixation de barres et donc à une voie d’escalade semblable à une échelle. 113. Déjà, il avait appris qu’il y avait au‑delà des peuplades douées pour la bataille, et faire l’expérience à leur encontre de son courage et de sa flamme créait une vive tension avec les chefs de corps. Les soldats, quant à eux, refusaient d’ajouter plus avant fatigues et périls  : ils énuméraient les douze années, les blessures, l’absence de leur famille. La retraite ayant donc été accordée aux épuisés, Alexandre recourt aux volontaires. Néanmoins il ordonne que d’autres, venus de la mère patrie, remplacent les partants. C’est ainsi que dans son avidité de la victoire il arrive à l’Océan. 114. Là encore il manqua de mesure dans ses désirs, car, sur des bateaux qu’il avait fait fabriquer, il voulait mettre la nature à l’épreuve et voir ce qui à lui – ou à quiconque le voudrait – serait permis au-delà. Bref, après avoir combiné ses préparatifs, il avait jeté en mer des taureaux sacrifiés à Neptune ainsi que des offrandes en or, les constituant en paiement de son vœu, si les dieux permettaient ce rachat. Mais soudain, tandis qu’il revenait accompagné d’un vent fort, le flux de la marée, plus violent qu’à l’ordinaire, bouscule tous les hommes prêts entre les navires à l’opération et les engloutit. Il n’était pas difficile de reconnaître que les dieux refusaient son vœu. Bien que lui‑même, pour éviter toute hardiesse impie, ne cherchât pas à s’obstiner contre eux, néanmoins, quand il eut, selon les souhaits de chacun, entassé à bord des produits de nécessité pour longtemps, il envoie Onomarque et Néon qui, prompts à l’audace, souhaitaient ne rien refuser au roi, reconnaître les contours de l’Océan et donner des nouvelles de leurs découvertes. 115. Qu’Alexandre eut l’âme indomptable, ne pliant jamais quand il s’était fixé un but, il le laisse à observer aussi par ce trait. Il était une ville indienne où beaucoup s’étaient réfugiés, parce qu’elle était vraiment étendue et que sa solidité

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    ubi Alexander obsidione adoritur, iubet fieri scalas pro muro praecelsas, easque admotas cum uegrandibus saxis desuper frangerent repugnantes sola perdurauit qua rex una duobus satellitibus euicerat, ipsum quoque multis desuper ut qua quisque poterat retrudentibus. Et quamuis scalas omnis suorum comminui uidisset neque ullo sese auxilio idoneo periclitaturum, irruit tamen unus omnia hostium milia una praedictis, Peuceste scilicet et Ptolomaeo, qui cunctantem multitudinem protinus urbis eius in sese conuertit. 116. Perdius igitur diu secum satellitibus conspirantibus rem pleni exercitus agitabat, ni uergente iam die et latere summo uulneraretur et recepto altius ferro decipi uiribus occoepisset. Id Macedones coniectati qui foris rem agebant, metu ne quid ulterius, occupatis in regem intramuranis uniuersis nec desuper prohibentibus si quis irrueret, ui claustra effringunt suppetiatique in tempore iam regem sui recipiunt diffidentem. Facti denique mox ex indignatione saeuiores, indiscretius dextris in aetates et sexus usi, rem optinent internicione omnibus caesis. [53] 117. Exim constanter suadere milites regi conspirant, ne sese ulterius periculi uilitate damno tamen in proeliis abuteretur tanti prodigus sanguinis, obtinentque ne ultra, uerum Babylona ut redeat. Babyloniique multo cum honore suscipiunt. Per septem denique dies Alexander eo regressus diis sacrificio operatur, quo Fortunae gratiam repensaret. 118. Post id conuiuiis et uoluptatibus comioribus causam morti hinc dedit. Morem sibi proceres exercitus fecerant, uti mutuo sese conuiuiis acciperent. Enim cum forte apud Medium conuiuarent, comesatione se illis conuiuam Alexander facit. Statim deinde Herculis Medius scyphum offert ad uina, neque is honorem dei nomine aspernatus poculum complet stringitque continuum ; eaque tantarum uirtutum uiro causa ad mortem fuit, ut, quem tot bellis aduersa uulnera non uicerant, sub fati inuidia iuuenilis confidentia solueret. [54] 119. Cuius ne casus prius quam laudium memor sim, ea quoque ponam hic, quae per diligentiam laborauit. Quippe quamuis bellorum ultra pertaesus consulenti per se exercitui concederet, bono tamen labori nihilum pepercit. Electo denique sibi ad eiusmodi patientiam comitatu ad Herculis stelas famae iactantia persecutus est, diebus nonaginta continuis emensa uia. 120. Dignam quidem illam rem pretio tanti laboris, si quis aurem ad fidem dicentis inclinet. Hi quippe tituli alter auro pingui, alter argento proceritudinis erant duodecim cubitorum, crassi uero per quadrum cubitis binis, adeo inmenso pondere, ut eius periculum ipse rex fecerit terebrata

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    la rendait inexpugnable. Dès qu’Alexandre commence à l’investir, il fait assembler de hautes échelles proportionnées à la muraille ; on les approche, mais, d’en haut, la riposte des combattants les brise sous d’énormes pierres ; seule subsiste celle par où le roi avec deux compagnons avait atteint son but. Au-dessus de lui, comme chacun en avait le moyen, les ennemis étaient également nombreux à le repousser. Alexandre voyait bien que de son côté toutes les échelles étaient en pièces et qu’il se risquerait sans le moindre appui suffisant. Néanmoins sur tous ces milliers d’adversaires il se laisse tomber et n’ayant seulement, comme je l’ai dit, que Peuceste et Ptolémée, il attire immédiatement contre lui la population encore hésitante de la ville. 116. Longuement durant la journée, il aurait, en s’accordant avec ses compagnons, assumé la mission d’une armée entière, si, au déclin désormais du jour, il n’eût été blessé au sommet d’un flanc et, le fer ayant, cette fois, pénétré en profondeur, il n’eût commencé à être trahi par ses forces. Les Macédoniens, à l’action au dehors, s’en doutèrent : dans la crainte de la suite, puisqu’à l’intérieur des murs les ennemis, à l’unisson, s’en prenaient au roi, en n’empêchant pas d’en haut toute irruption, ils font de force sauter les verrous et, le secourant à temps, récupèrent le roi qui déjà n’avait plus confiance en lui. L’indignation aussitôt accroît la cruauté : bref, frappant sans distinction d’âge ou de sexe, ils en terminent, massacrant jusqu’au dernier dans une tuerie générale. 117. Par la suite, les soldats complotent pour persuader fermement le roi de ne plus, prodigue de tant de sang, abuser de lui-même au mépris du danger et dans de coûteux combats. Ils obtiennent de ne pas aller plus en avant et son retour à Babylone où les Babyloniens l’accueillent avec de multiples honneurs. Revenu enfin là, Alexandre, revenu sur place, offre des sacrifices aux dieux pour s’acquitter des faveurs de la Fortune. 118. Après quoi, par des banquets et de trop généreuses voluptés, il donna à la mort son occasion : les généraux de l’armée s’étaient fait une habitude de s’inviter à table mutuellement. Un jour qu’il leur arriva de dîner chez Médius, Alexandre se fait inviter à leur fête. Aussitôt pour les vins Médius présente le scyphos d’Hercule et, lui, eu égard au dieu, ne décline pas l’honneur ; il remplit le récipient et le vide séance tenante. Ce fut pour un si grand héros une cause de mort, si bien que celui que dans tant de batailles n’avaient pas vaincu les traits de l’ennemi, fut, sous la haine du destin, détruit par une bravade de jeune homme. 119. Afin de ne pas faire mémoire de sa gloire après le rappel de son trépas, j’ajouterai ici l’effort qu’il s’imposa. En effet, il eut beau être tout à fait dégoûté de poursuivre davantage les combats et céder à une armée soucieuse de ses propres intérêts, il n’épargna rien pour une belle entreprise : se choisissant une escorte apte à pareille endurance, il continua, pour défier leur réputation, jusqu’aux colonnes d’Hercule, en route durant quatre-vingt-dix jours sans interruption. 120. L’affaire valait le prix d’un tel effort, si l’on prête l’oreille au récit du narrateur : les stèles, en effet, l’une, en or massif, l’autre, d’argent, étaient hautes de douze coudées, larges de deux sur chaque face du carré et d’un poids si énorme que le roi en fit l’expérience : ayant foré l’épaisseur de l’or, il s’empressa de reboucher le dommage

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    crassitudine auri eius, cuius damnum mille quingentis mox aureis inferciuerit. Verum exim reuertens praerupta per loca caelo inlucido iuxtim se uiantes uix mutuo noscerentur, tandem Thermodonta amnem.... Reliqua desiderantur

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    avec mille cinq cents pièces d’or. Repartant le long de précipices sous un ciel noirci au point que, se côtoyant, les voyageurs se reconnaissaient à peine entre eux, il arriva enfin au fleuve Thermodon... Le reste manque

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    Annexe II ÉpitomÉ de l’histoire D’ALEXANDRE

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    introduction Quinte Curce, qui écrivit sur Alexandre au Ier s. de notre ère, soit sous les Julio-Claudiens, soit sous les Flaviens, une date sévérienne n’étant pas totalement exclue, fut grosso modo abrégé par l’Épitomé, une œuvre elle aussi historique et latine. À l’instar de Quinte Curce, l’Épitomé, qui récuse les récits fabuleux, s’attache à décrire les nombreuses péripéties de la conquête des Hautes Satrapies (Bactriane et Sogdiane), puis celles qui accompagnèrent la descente de l’Indus. De la sorte, cette œuvre comble les béances laissées volontairement par le Roman. Sur deux points cependant, elle s’accorde avec ce dernier : d’une part, elle évacue complètement les négativités de la politique interne : meurtres, complots, mutineries ; de l’autre, quand l’épisode manque chez Quinte Curce, elle l’ajoute à partir de sources traduites d’originaux grecs, datables de la fin de la période hellénistique : c’est le cas de la lettre de Porus, de celle des Gymnosophistes ainsi que de leur interrogatoire. L’état de la langue, du style, du cursus incline à abaisser au IVe s. la rédaction de l’Épitomé, ses prolongements compris. Le montage dont témoigne le Mettensis 500 (Xe s.) – ce manuscrit, brûlé en 1944, a été restitué grâce aux copies de D. Volkmann (1886) et O. Wagner (1900) –, si on le compare au corpus réunissant l’Origo, le De uiris illustribus et les Caesares d’Aurélius Victor, devrait être intervenu dans les décennies suivantes, encore dans l’orbe de l’Antiquité tardive. En éliminant les accidents paléographiques, nous utilisons l’édition de P. H. Thomas, Teubner, Leipzig, 1966. Quelques lemmes ont été changés : v. g. 4 Tarmanta ; 16 actos ; 19 Xenippam ; 21 pocula ; 27 torpore ; 32 Bactrinum, Bactra, Oxum, Drapsaca ; 34 Cophen ; 42 Aminaim ; 46 Baziram ; 48 ibi ; 49 aliquem ; 73 superati ; 79 quicquid ; 85 remigem ; 86 redientes. À la traduction inédite en français des éclaircissements, notamment géographiques, mériteraient d’être joints, même après l’étude de fond de L. Ruggini «  L’Epitoma rerum gestarum Alexandri Magni e il Liber de morte testamentoque eius  », Athenaeum 39, 1961, p.  285-357. Add. Handbuch de lateinische Literatur der Antike V, Munich, 1989, p. 215-216, § 541. 1 (P. L. Schmidt).

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    1. Magnus Alexander rex Macedoniae postquam omne imperium Asiae ad se redegisse credidit † neque id quod Dario uiuo ostendere ausus esset †, postea patefecit uoluntatem. 2. Deinde corporis sui custodes multos instituit, itemque Darii fratrem Oxyathrem instituit   ; deditque sibi diadema et tunicam mesoleucum et caduceum zonam Persicam ceteraque ornamenta regia omnia, quae Darius habuerat ; itemque equites stipatores, quos habebat, Persico ornatu [et] sequi iussit. 3. Deinde Alexander audiuit Bessum uestem regiam sumpsisse. Agrianos et hypaspistas armari iussit eiusque confidentiam admiratus exercitum per montes, qua proximum putauit, ad eum ducere intendit. Deuenit ad Arios, ubi erat Ariobazanes, qui cum Besso Darium interfecerat. aduentum Alexandri pertimuit atque in Indiam profugit. 4. Deinde Alexander exercitum ad Euergetas, qui antea Arimaspi uocabantur, duxit. Ibi oppidum, qua in Indiam iter est, constituit et nomen Alexandriam imposuit. Deinde peruenit ad oppidum Tarmanta , quod est positum in †flumine Medorum †. 5. Spitamenes, qui proximus erat Besso, postquam audiuit Alexandrum adesse, Dataphernen et Catanen ceterosque Darei propinquos conuenit demonstrans tempus aduenisse Darii ulciscendi et Alexandri amicitiam insinuandi, Bessumque cohortabatur conprehensum ut Alexandro quam primum traderent. Quibus id facile et cito persuasit, nam cotidie magis[que] Darium desiderantes Besso iniquiores fiebant. 6. Itaque Spitamenes, quod familiarissimus Besso erat, facile custodes ab tabernaculo ablegauit. Deinde ipsi uniuersi introierunt et Bessum constrinxerunt ornamentaque regia ademerunt itaque ad Alexandrum profecti sunt. Hosque ubi repente aduenientes Alexander Bessumque uinctum adduci conspexit, [et] ex ea re summa laetitia adfectus eos, qui adduxerunt, collaudatos donatosque dimisit. 7. Deinde iter Tanaim flumen facere coepit et quartum post diem ad Maracanda deuenit, quod abest a flumine Tanai dierum uia. Id oppidum pulcherrimum ac munitissimum est propter multitudinem fluminis eius, quod oppidum circumfluit ; quod circuitu murus stadia LXX continuus continebat. 8. Ibi praesidio relicto ad Tanaim, quo contenderat, perrexit, castraque secundum flumen collocauit. Interim Scytharum imperator fratrem suum Carthasim cum copia magna misit, qui Alexandrum flumen transire prohiberet. 9. Deinde Alexandro nuntiatur Spitamenen et Catanen ab amicitia discessisse et Graiorum copiam, quam in arce regia cum praesidiis reliquerat, fugasse multosque occidisse ; reliquos in quendam locum munitum cuneatim 320

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    ÉpitomÉ de l’histoire d’Alexandre le Grand de MacÉdoine 1. Après avoir, croyait-il, ramené à lui tout l’empire de Perse, Alexandre le Grand, roi de Macédoine, dévoila ensuite ses volontés, ce qu’il n’aurait pas osé manifester du vivant de Darius. 2. Il nomma dans sa garde personnelle beaucoup de monde et aussi Oxyathrès, le frère de Darius, s’attribua le diadème, la tunique de pierreries, le caducée, la ceinture perse et toutes les autres parures royales possédées par Darius ; de même, il ordonna aux cavaliers de son escorte de le suivre en uniforme perse. 3. Puis Alexandre entendit dire que Bessus avait revêtu l’habit de roi. Il ordonna aux Agriens et aux écuyers de s’armer et, s’étonnant de l’assurance de Bessus, entreprit de mener l’armée à sa rencontre, en franchissant les monts, là où il le croyait à proximité. Il arriva chez les Ariens, où était Ariobazanès qui, avec Bessus, avait tué Darius. Ce dernier, redoutant la venue d’Alexandre, s’enfuit en Inde. 4. Alexandre mena ensuite l’armée chez les évergètes, antérieurement dénommés Arimaspes. Là, sur la route de l’Inde, il fonda une ville et lui donna son nom. En continuant, il atteignit la cité de Tarmata, établie sur le fleuve des Mèdes. 5. Spitaménès, très lié à Bessus, apprenant l’arrivée d’Alexandre, rejoignit Dataphernès, Catanès et tous les proches de Darius : le temps était venu, leur démontrait-il, de venger Darius et de se glisser dans les bonnes grâces d’Alexandre ; il les engageait à se saisir de Bessus pour le livrer au plus tôt à Alexandre. Il n’eut pas de peine à les persuader rapidement, car chaque jour davantage ils regrettaient Darius et supportaient plus mal Bessus. 6. Aussi, comme Spitaménès était un intime de Bessus, il écarta sans difficulté les gardes de sa tente. Tous ensuite entrèrent, enchaînèrent Bessus et, l’ayant dépouillé des insignes de la royauté, partirent ainsi trouver Alexandre. Quand il les aperçut arrivant soudain avec Bessus sous les chaînes, Alexandre en éprouva une joie extrême et ceux qui avait amené Bessus furent renvoyés comblés d’éloges et de cadeaux. 7. Alexandre, ensuite, se mit à faire route vers le fleuve Tanaïs, et trois jours après parvint à Samarcande, à jours de marche du Tanaïs. Cette place très belle est bien protégée à cause de l’importance du fleuve qui entoure la ville ; la muraille qui la contenait sans interruption avait un pourtour de soixante-dix stades. 8. Laissant là une garnison, Alexandre continua vers le Tanaïs, le but qu’il avait recherché. Le long du fleuve, il établit son camp. Entre-temps, le chef scythe avait envoyé, avec une forte troupe, son frère, Carthasis, pour empêcher Alexandre de traverser le fleuve. 9. Puis on annonce à Alexandre que Spitaménès et Catanès ont rompu avec l’amitié, qu’ils ont mis en fuite la troupe des Grecs laissée en garnison dans la citadelle royale et en ont tué bon nombre ; les survivants, en formation serrée,

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    confugisse in praefectura Bactrina eosque Spitamenen oppugnare. Haec ubi Alexander audiuit, praeter consuetudinem indignissime tulit noctemque circa offensas peruigilauit in cogitando. 10. Itaque ante utilissimum uisum est [et] quo coepisset perseuerare, atque postridie rates in flumine iubet apparari. Quod Macedones studiose regi parentes breui tempore fecerunt ; nam duo milia ratium secundum fluminis ripam destinatam appulerunt. Postea exercitum in ratis ascendere iussit signoque dato omnes uniuersas soluere iussit. 11. Itaque in altum prouecti ratium multitudine ut agmine quadrato per campum ac non per flumen ire uidebantur, barbari autem, mentibus destinati non pati eos in terram descensionem facere, [sed] in ripa telis contentis praestolabantur. Postquam medium iter fluminis praestiterunt, signo dato Macedones clamorem sustulerunt ; simul strepitu remorum ac signorum sonu remigumque cohortatione animi militum exacuebantur. 12. Barbari autem clamore facto Macedones sagittis ceterisque telis figere coeperunt  ; multos sauciarunt conpluresque occiderunt ideo, quod tela euitare propter angustias nullo modo poterant. Deinde, simul rates ad ripam accesserunt, Alexander turmas impressionem facere phalangesque consequi iussit, breuique tempore, postquam primi animo constanti impressionem fecerunt, omnes barbari se in fugam dederunt. Eos Macedones per noctem sequentes usque ad Liberi Patris columnam peruenisse dicuntur. Inde ad flumen Tanaim et castra reuersionem fecerunt. 13. Dein triduo post ad Maracanda uersus iter festinans facere intendit, ut Spitamenen inprudentem opprimeret. Quem ubi Spitamenes reuerti audiuit, Graios oppugnare destitit. Ille autem ad Maracanda profectus quarto die deuenit. [Vbi magnae] Graiorum caedes erant factae. Mortuos sepeliri Menedemoque praefecto sepulchrum fieri iussit. 14. Deinde per agrum Sogdianum agmen duxit. Ex eo porro in Bactriam peruenit et Bessum adduci iussit eumque suspensum more Persarum fundis necauit. Deinde post diem undecimum ad flumen Ochum peruenit. Id transit, inde ad Oxum flumen deuenit. 15. Ex eis regionibus quaedam hominum multitudo timore inpulsa in quendam montem praeruptum atque excelsum confugerant, cuius altitudo horribilem aspectum in se habebat ; nam ab imo ad summum non minus XX stadiis . Eo aditus uno loco per speluncam patebat, reliquae partes inpendentibus saxis erant praeruptae. 16. Hunc ubi Alexander expugnari non posse uidit, de cuncto exercitu homines CCC, quos fortissumos esse putauit, elegit hosque grandi praemio pulsos post montem adduxit demonstrauitque, ut in saxis clauos ferreos angulis actos figerent et lineas transducerent atque ita minutatim scandentium adleuando in summum montis uerticem reperent  ; id in nocte adgrederentur et, cum diluxisset, linteis candidis sibi significarent. 322

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    s’étaient réfugiés dans un lieu fortifié de la préfecture de Bactriane, où Spitaménès les assiégeait. Contrairement à son habitude, Alexandre éprouva une vive irritation à entendre ces nouvelles et veilla toute la nuit à réfléchir sur l’offense. 10. Cela étant, le plus utile lui parut de persévérer dans la direction antérieure et, le lendemain, il fait préparer des embarcations sur le fleuve, ce qu’accomplirent en peu de temps les Macédoniens empressés d’obéir au roi : deux mille embarcations s’alignèrent le long du fleuve, au point désigné de la rive ; au commandement, l’armée monta à bord et, le signal donné, tous ensemble larguèrent les amarres. 11. Ainsi entraînée vers le large sur la multitude des embarcations, l’armée semblait s’avancer, non pas sur le fleuve, mais comme une colonne en carré sur la plaine. Eux, les barbares, qui avaient l’idée fixe de ne pas lui permettre de descendre à terre, attendaient sur le rivage, l’arme tendue. Quand ils eurent assuré la moitié du trajet, les Macédoniens, sur un signal, poussèrent une clameur. à la fois le bruit des rames, les mots d’ordre sonores, les encouragements des rameurs donnaient du mordant aux soldats. 12. En riposte, les barbares lancèrent leur cri, puis commencèrent à percer les Macédoniens de flèches et de n’importe quel autre projectile : beaucoup étaient atteints et plus d’un tués, parce que, serrés comme ils étaient, ils ne pouvaient en aucune façon éviter les traits. Puis, les bateaux arrivèrent au rivage et, aussitôt, Alexandre ordonne aux escadrons de faire une charge et aux phalanges de les suivre. En un instant, après une première charge soutenue, tous les barbares se livrèrent à la fuite. à leur poursuite durant la nuit, les Macédoniens, dit-on, parvinrent à la colonne de Liber Pater. De là, ils s’en retournèrent au Tanaïs et à leur camp. 13. Trois jours après, Alexandre dirige un mouvement rapide en direction de Samarcande, pour tomber à l’improviste sur Spitaménès. Celui-ci, à peine apprend-il que le roi revient, cesse d’assiéger les Grecs. Alexandre, au quatrième jour de son départ pour Samarcande, y arriva. Il y avait eu des massacres parmi les Grecs. Alexandre fait ensevelir les morts et construire un tombeau au préfet Ménédème. 14. Continuant, il mena l’armée à travers le territoire sogdien. De là, il passa directement en Bactriane, se fit amener Bessus et, selon l’usage des Perses, l’exécuta, crucifié, à coups de fronde. En dix jours, il rejoint l’Ochus, le traverse et redescend vers l’Oxus. 15. Poussée par la peur, une grande masse des habitants de ces régions avait fui sur une haute montagne abrupte, dont la hauteur, en elle-même, faisait peur à voir : pas moins de 20 stades du pied au sommet. En un seul endroit, par une grotte, elle ouvrait accès, car autrement des rochers surplombaient le précipice. 16. Quand il constata l’impossibilité de l’assaut, Alexandre choisit dans l’armée les trois cents hommes qu’il pensait les plus robustes et les ayant déterminés par de grandes récompenses, les amena derrière la montagne. Il leur montra alors comment planter dans le rocher des clous de fer à l’équerre, tendre des cordes transversales et ainsi, escaladant par degré avec chacun l’appui de l’autre, se hisser jusqu’en haut du sommet ; ils devaient entreprendre l’ascension dans la nuit et, au lever du jour, lui envoyer un signal grâce à des toiles blanches.

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    17. Id illi citius Alexandri opinione fecerunt. Cum plures praecipitantes perissent, reliqui perfecerunt. Alexander cum primo mane mittit quendam ex suis Daren ad Ariomazen hostium ducem, qui ei persuaderet, uti se dederet ; si id impetrare non potuisset, iubet Daren, uti eos, qui in summo essent, significaret. 18. Id ubi Ariomazes conspexit, admiratus est, quasi Alexander in exercitu homines uolaticos haberet. Cum de ea re timidus consultaret, quid ageret, multitudo hominum, quae ibi erat, Ariomazen interfecerunt. Deinde ipsi se dediderunt. Alexander autem eo interfecto reliquis ignouit. 19. Deinde diebus post paucis partem exercitus in Bactros Nautacen in hiberna praemisit  ; ipse cum reliquis Xenippam eiusdem rei causa concessit. Ibi cum Sisimithre, qui more barbaro e matre sua duos filios et tres filias produxerat, foedus fecit. 20. Deinde hieme exacta exercitum Dahas .†quo Spitamenes ex eo loco † ob hanc causam non profugerat, quod uxorem quandam Bactrinam forma praecellenti, quam magnificabat, ibi habebat. Hanc in omnibus itineribus et laboribus secum ducebat. Ea cum Alexandri aduentum audisset, negat se ex oppido exituram ; deinde post uirum multis precibus orare coepit, ut Alexandri fidei se traderet ; at ille noluit. 21. Id ubi impetrare non potuit, in conuiuio eum coegit, ut pocula biberet, eumque defessum somno dedit. At ubi silentium esse sensit, de lecto surrexit et puluinar uiro a capite subduxit. Ita gurgulione extenso caput a corpore gladio abscidit et ita cum uno seruulo porta progressa ad Alexandrum in castra deuenit. 22. Eam custodes ad regem deduxerunt decoram ornatu ac formae dignitate, cruenta erat. At ubi Alexander repente conspicatus est multimodisque admiratus, quae esset uel quid uenisset, tum illa caput uiri extulit. 23. Tum rex exclamauit : « O piissime Spitamene, tandem poenas pro sceleribus pependisti ! » Deinde mulieris manum adprehendit gratiasque egit. Neque quicquam honoris habuit, ne existimaretur ob eius formae cupiditatem fecisse. Quod ubi factum Dahae [Spitamenen occisum] audierunt, Catanen et Dataphernen conprehensos ad Alexandrum adduxerunt. Ideo Alexander exercitum in oppidum ducere noluit. 24. Deinde Alexander ex eo loco profectus est. Cum iam tertium diem iter faceret, repente nocte caelo obducta niuis multitudo terram contexit ; deinde undique uis uentorum cum turbinibus maximo cum caeli strepitu creberrimisque cum fulgoribus exorta est, ut omnia euerti ac perturbari uiderentur. 25. Cum frigore omnis humor terrae coiret ac glaciesceret, ut tabernacula ac uestimenta militum rigida obdurescerent, eum laborem aliquandiu Macedones perpessi sunt. At ubi frigus augescit ac uis tempestatum non intermittit, , ad quos quisque potuit uicos ac uillas passim profugit. 26. Partim se ad arbores adplicabant, nonnulli sub rupes atque inpendentia saxa confugiebant. Alii cum ex equo descendere 324

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    17. Ils agirent plus vite que ne le croyait Alexandre : plusieurs s’écrasèrent et périrent, le reste réussit. Alexandre, au petit matin, envoie Darès, un des siens, au chef des ennemis, Ariomazès, pour le persuader de se rendre ; s’il ne pouvait l’obtenir, Darès a l’ordre de lancer un signal, comme ceux du sommet. 18. Ariomazès qui s’en aperçut fut saisi de stupeur, comme si Alexandre avait dans son armée des hommes volants. Effrayé, il réfléchissait à ce qu’il pouvait faire, lorsque la foule des gens sur place le tua avant leur propre reddition. Ariomazès une fois tué, Alexandre pardonna aux autres. 19. Quelques jours passèrent et il détacha une avant-garde hiverner à Nautaque chez les Bactriens, tandis qu’avec le reste de l’armée il allait dans le même but à Xénippa. Là il passa traité avec Sisimithrès qui, selon la coutume des barbares, avait de sa propre mère procréé deux fils et trois filles. 20. Quand l’hiver fut terminé, l’armée guidée par lui partit chez les Dahes : Spitaménès n’avait pas fui l’endroit, parce qu’il y retenait son épouse, une Bactrienne à l’exceptionnelle beauté dont il faisait grand cas. Il l’emmenait avec lui dans toutes ses fatigantes pérégrinations. Mais elle, ayant appris l’arrivée d’Alexandre, refuse de sortir de la place, puis en multipliant les prières, entreprit de conjurer son mari de s’en remettre à la bonne foi d’Alexandre. 21. Il ne voulut pas. Restée sans résultat, elle le pousse à festoyer pour qu’il boive à pleines coupes et, lorsqu’il n’en peut plus, elle le livra au sommeil. Ce fut le silence : elle s’en rendit compte, se leva du lit, retira le coussin de la tête de son mari. La gorge était à plat, à l’épée elle sépare la tête du tronc et ainsi, suivie d’un seul petit esclave, elle franchit la porte et arrive au camp d’Alexandre. 22. Devant l’élégance de sa parure et la décence de sa beauté, tout ensanglantée qu’elle était, les gardes la conduisirent au roi. Dès qu’il la vit surgir, celui-ci, à bien des égards étonné, de lui demander son nom et pourquoi elle venait ; elle sortit alors la tête de son mari. 23. Le roi s’exclame : « Impie Spitaménès, tu as enfin payé le prix de tes crimes ! » Ensuite, prenant la main de la femme, il la remercie, mais elle n’en tira aucune considération, pour qu’on ne crût pas que l’attrait de sa beauté l’avait fait agir. L’événement connu des Dahes, ils s’emparèrent de Catanès et de Dataphernès et les amenèrent à Alexandre, qui alors renonça à lancer son armée contre cette cité. 24. Alexandre quitta donc les lieux. Il était au troisième jour de marche, quand soudain la nuit cacha le ciel et de la neige en masse couvrit la terre, puis de partout des vents violents s’élevèrent en tourbillons, accompagnés d’un énorme vacarme dans le ciel et d’éclairs sans cesse répétés, tant et si bien que tout paraissait arraché et bouleversé. 25. à terre, avec le froid, tout liquide coagulait en glaçons, en sorte que les tentes et les vêtements des soldats devenaient durs et raides. Les Macédoniens supportèrent un temps cette souffrance. Mais lorsque le froid augmente et que la violence de la tempête ne s’interrompt pas au point qu’on ne peut même pas tenir les armes en main, tellement le vent les emporte, chacun, comme il le put, se réfugia n’importe où dans les villages et les fermes. 26. Certains se plaquaient aux arbres, quelquesuns s’enfuyaient à l’abri des grottes ou sous les rochers en surplomb. D’autres

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    conarentur, ob torporem nequibant ac uestigio se mouere non poterant. Tum si quis cubuerat, cum exsurgere conaretur, ueste concreta ad terram haerebat, [ut neque in manibus arma habere possent, ita ut uento differrentur,] ut neque quisquam se neque alterum adiuuare posset. 27. Huius ui tempestatis miserrima morte ad hominum XXX milia, iumentorum IV milia perierunt consumpti ; praeterea multi, qui aut corporis torpore aut aliqua parte membrorum debilitati essent, in castra reuertebantur. 28. Deinde iter coeptum ad Gazabes perseuerare intendit. Hoc in itinere satrapes quidam Chorienes obuiam uenit. Cum eo amicitiam fecit. Isque cum Alexandrum hospitio apud se accepisset, in conuiuium filias suas uirgines ceteris amicorum filiis uirginibus saltatum introduxit. 29. In his fuit Oxyartis filia Rhoxane omnibus formosissima, cuius aspectu captus Alexander in cupiditatem adductus est. Tum quaesiuit, quis ea aut cuius filia esset. Oxyartis eius, qui ibidem cenabat, esse. Tum poculum prehendit deosque conprecatus haec dicere coepit : multa multis sperantibus obtingere solere ; multos reges ex captiuis procreatos filias suas ad exteras gentes nuptum misisse et ita communicatione facta amicitias firmasse. « Quare, inquit, neque Macedones uobis genere antestare neque uos, si uicti in amicitiam uenissetis, adfinitate indignos ducerem. Hoc cum ego , idem quoque ut ceteri faciant Macedones curabo. » 31. His uerbis amicos cohortabatur, et sibi quisque in conuiuio uirginem matrimonio iunctam abduxit. Quod factum Oxyartes ceterique barbari magno opere gauisi sunt. 32. His rebus gestis Alexander in agrum Bactrinum profectus est. Bactra praeterit et Oxum flumen transit. Deinde stadia XXX per loca sola exercitum transduxit, ut Indiam uersus iter faceret. Peruenit Drapsaca. Huc rex † Arines † cum liberis maximoque commeatu obuiam uenit, quem exercitui diuisit, ipsique Alexandro plurimam uestem barbaricam et equorum tria milia et argenti talenta L milia adportauit. 33. Cum ab eo quaereret Alexander, quid uellet, Indus respondit : « Tuam, inquit, magne rex, amicitiam. » Alexander dixit : « Pater, inquit, uester moriens hanc pecuniam tradidit eamque ego [uobis] condono. Equis in bello utar. Vos nostri memineritis ; officium hoc erit uestrum. » 34. Hinc progressus per Cophen, quod abest ab Indo dierum IX uia. Tum [et] hi, qui trans flumen habitabant, ubi uident Alexandrum aduenisse, gauisi sunt. Primum Iouis filium, [Liberum Patrem], alterum Herculem, tertium Alexandrum uenisse commemorabant. Id rex gauisus fluuium transit et ducibus sumptis ad flumen Indum peruenit. 35. Ibi naues aedificare iussit exercitumque transportauit. Ipse cum equitatu et leui armatura secundum flumen antecessit ; Cratero cum reliqua

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    qui tentaient de descendre de cheval en étaient incapables à cause de l’engourdissement et ne pouvaient bouger de leurs traces. Si un homme était couché et qu’il voulut se relever, il se trouvait attaché au sol par ses vêtements solidifiés. Ainsi personne n’était en mesure d’aider soit lui-même, soit autrui. 27. Environ trente mille hommes et quatre mille bêtes périrent sous les coups de cette tempête, achevés par la plus misérable des morts ; en outre, beaucoup s’en revenaient au camp, affaiblis par la paralysie du corps ou en quelque partie de leurs membres. 28. Alexandre avait pris la route de Gazabès et il entend la continuer. En chemin Choriénès, un satrape, vient à sa rencontre : il se lie d’amitié avec celui– ci, qui offre chez lui l’hospitalité à Alexandre. Outre les siennes, il introduit pour danser au banquet les filles nubiles de ses amis : 29. parmi ces dernières il y avait, la plus belle de toutes, Roxane, fille d’Oxyartès. Saisi par son allure, Alexandre tomba amoureux. Qui est-elle et quel est son père, demande-t-il alors. Elle était, découvrait-il, la fille de cet Oxyartès qui dînait là aussi. Sur ce, Alexandre prit la coupe et, après avoir invoqué les dieux, se met à parler : « Bien des choses souvent arrivent à bien des gens contre leur attente ; beaucoup de rois de leurs captives ont engendré des fils, 30. beaucoup ont envoyé leurs filles se marier dans des nations étrangères et ainsi grâce à ces alliances consolidé leurs amitiés ; c’est pourquoi, ajoute-t-il, je ne penserais ni qu’aux Macédoniens la naissance donne de passer avant vous ni que vous – si, vaincus, vous êtes entrés dans notre amitié – vous ne méritez pas d’être nos parents. Une fois que j’aurai agi ainsi, je veillerai à ce que tous les autres Macédoniens fassent de même. » 31. Par ces mots, ils encourageait ses amis et chacun, dans le banquet, d’entraîner une jeune fille à laquelle il s’unit en mariage. Oxyartès et le reste des barbares se réjouirent à l’extrême de cet événement. 32. Ceci fait, Alexandre part pour les terres bactriennes. Il laisse de côté Bactres et traverse l’Oxus. Après quoi, sous sa conduite, l’armée marche trente stades par des lieux solitaires, afin de faire route vers l’Inde. Il parvient à Drapsaka. Y arrive au devant de lui le roi Arinès avec ses enfants et quantité de ravitaillement qu’il distribua à l’armée. Pour Alexandre, il avait apporté force étoffes barbares, trois mille chevaux et cinquante mille talents d’argent. 33. Alexandre lui ayant demandé ce qu’il voulait, l’Indien répondit en ces termes : « Ton amitié, grand roi. » Alexandre lui dit : « En mourant, votre père vous a légué ce trésor et moi je vous le rends ; je me servirai volontiers des chevaux au combat ; à vous de vous souvenir de nous : ce sera votre devoir. » 34. Quittant l’endroit, le roi atteignit le Cophen, éloigné de l’Indus par neuf jours de route. à la vue d’Alexandre qui arrive, les habitants de l’autre côté du fleuve se réjouirent : ils rappelaient que le premier à venir avait été le fils de Jupiter, le second Hercule, Alexandre était le troisième. Le roi en fut joyeux, il passe la rivière, prend des guides et parvient au fleuve Indus. 35. Là il fait construire des navires et transborde son armée. Pour sa part, avec la cavalerie et l’infanterie légère, il va de l’avant, en suivant le fleuve. Cratérus, selon les ordres, devait suivre avec le reste des troupes. Puis on approcha

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    copia ut sequeretur imperauit. Deinde ad oppidum primum Indiae Silicem cum accederet, ex oppido armati exierunt. Hos effugatos intra portam redegit. Postea exercitum eorum consecutus est. Oppidum expugnauit puberesque omnes, ut metum iniceret, occidit. Inde progressus ad oppidum praecinctum uenit. Ibi obsidibus acceptis praesidium collocauit. 36. Ex eo protinus CCXXX stadia per agrum Nysaeum peruenit ad oppidum Nysam inprudentibus Nysaeis. Oppidani ubi id senserunt, legatos ad eum maiores natu pacificatum miserunt ; hisque placuit in deprecando regi demonstrare, quem ad modum Liber Pater, cum perambulasset, oppidum Nysam et ciuitatem Nysaeorum, hominum L milia, constituisset, montemque procul ostenderunt, quem ille ex progenie sua Meron appellasset, quantaque amoenitate esset demonstrauerunt. 37. Deinde simul omnes flentes, ne Liberi Patris monimenta ac beneficia tolleret, obsecrare coeperunt, hisque Alexander oppidi libertatem suaque omnia reddidit Acuphinque imperio praefecit. Eumque Alexander petit, ut uiros bonos centum electos secum mitteret. 38. Acuphis respondit nullam ciuitatem stare posse, ex qua optimi C abducti essent. « Si nos, inquit, uis saluos, potius inprobissimos abduc ducentos. » Id Alexandro ridiculum et uerum uisum est. – Deinde et Meron ascendit. Totus ager aqua abundabat et omnium generum arborum feracissimarum [et] ubertate erat repletus. 39. Inde profectus Cordiaeos montes transit. Ad satrapeam Assacanam deuenit ; deinde ad oppidum Mazaga accessit, in quo regnauit Assacenus, cuius post mortem mater Cleophis cum eius filio patrium imperium obtinebat. In quo regis frater Amminais mercennariorum IX milia, introduxerat in ciuitatem, cohortatus contra Alexandrum armauerat. [Pugna Indorum et Alexandri. Alexander et rex Indorum Aminais] 40. Id oppidum in circuitu XXXV [milia] murus ex saxo cingebat fossaque erat uasta munitum. Hoc Alexander militum corona circumdata oppugnare intendit. Hic dum ipse circum moenia adequitans suos hortatur, repente a muro missa sagitta crure sinistro percussus est. Id telum postquam euolsum est, uis magna sanguinis secuta est. Neque [eo magis male adfectus] proelio discessit  : despecto uulnere eoque magis magisque milites hortatur, † testudinesque † ac turris ut ad murum appellant. 41. Tum Macedones eo cupidius rege saucio scalis appositis oppido potiri nituntur. Alii e turribus tela tormentis concitata in defensores mittunt, alii machinationes ad murum applicant. Id ubi Cleophis animaduertit, turris tanta multitudine ad oppidum accurrere uimque tantam[que] telorum tormentis missorum, re inuisitata pertimuit. Credit ea saxa neruis missa scorpionis catapultae arcu expressa uolare. 42. Cum tantis uiribus hostes esse putaret, Aminaim ceterosque amicos conuocat ; cohortatur, ut oppidum Alexandro dedant. Mercennarii contra reclamantes 328

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    de Silicès, la première ville de l’Inde, et des hommes en armes sortirent de la place. Alexandre les mit en fuite et les ramena à l’intérieur de la porte. Ensuite, il poursuivit leurs forces, prit d’assaut la place et, pour inspirer la crainte, massacra tous les adultes. à partir de là, il continua pour arriver à une place forte. Il y reçut des otages et installa une garnison. 36. Ensuite, parcourant droit devant lui deux cent trente stades à travers le territoire nyséen, le voici arrivé à Nysa, alors que les gens de Nysa ne s’y attendaient pas. Quand ils s’en rendirent compte, ils envoient à Alexandre une ambassade des Anciens négocier la paix et ceux–ci décidèrent dans leur défense d’expliquer comment Liber Pater, au cours de son équipée, avait fondé la place de Nysa, une cité de cinquante mille Nyséens ; il lui montrèrent aussi au loin la montagne que le dieu, à cause de sa naissance, avait appelée Méros, lui indiquant combien elle avait d’agrément. 37. Puis tous ensemble de pleurer : ils le suppliaient de ne pas supprimer le souvenir et les bienfaits de Liber Pater. Et Alexandre leur rendit leur statut de ville libre, ainsi que tous leurs biens, et nomma Acuphis à la tête du commandement. à cet Acuphis Alexandre demande de lui envoyer cent hommes bien choisis. 38. L’autre répondit qu’aucune cité ne pourrait rester debout, si on lui enlevait les cent meilleurs. « Voulez-vous, dit-il, notre salut, alors prenez plutôt les cent plus malhonnêtes. » Le mot parut drôle et vrai à Alexandre. Ensuite, il gravit le Méros : partout la terre regorgeait d’eau généreusement recouverte de toutes sortes d’arbres très productifs. 39. En route, il traverse les monts de Gouraios et aboutit à la satrapie assacénienne, avant d’arriver devant la place de Massaga : Assacénus y avait régné et à sa mort, sa mère Cléophis, avec le fils de ce dernier, occupait le trône du père. S’y trouvaient, introduits dans la cité par Aminaïs, le frère du roi, neuf mille mercenaires qu’il avait armés et entraînés contre Alexandre. 40. Un mur de trente-cinq stades de circonférence entourait la ville que défendait un large fossé. L’ayant ceinte d’un cordon de troupes, Alexandre en entreprit le siège. Tandis qu’à cheval il faisait le tour de la muraille en encourageant les siens, une flèche, venue du mur, soudain le frappa à la jambe gauche. L’extraction du trait fut suivie d’une violente hémorragie ; il ne quitte pas le combat, mais, méprisant sa blessure et du coup de plus en plus en mauvais état, il engage ses soldats à rapprocher du mur les , les tortues et les tours. 41. Alors, les Macédoniens, avivés par la blessure du roi, appuient les échelles et tentent de s’emparer de la place ; d’autres, depuis les tours, expédient contre les défenseurs des projectiles lancés par torsion, d’autres installent des engins contre la muraille. Quand Cléophis voit se précipiter sur la ville des tours si nombreuses et une telle force de traits projetés sous la détente, elle s’effraya de ce qu’elle n’avait jamais vu : elle croit que volent les pierres balancées par les cordes du scorpion ou qui jaillissent de l’arc de la catapulte. 42. Réputant les ennemis d’un aussi grand pouvoir, elle convoque Aminaïs et les autres Amis et les engage à livrer la place à Alexandre. Les mercenaires se récrient et, faisant de l’obstruction, entament

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    impedire ac seditionem facere coeperunt. Postero die Cleophis clam legatos ad Alexandrum deditione mittit oratum, uti ignosceret ipsis ; 43. ui conductorum adactos, quae fecerint, se fecisse. Id mercennarii suspicati de suo numero ad Alexandrum legatos miserunt oratum, uti ex oppido exire suaque exportare liceret. His utrisque quod postulauerunt concessit. Illi cum uxoribus liberisque et cum impedimentis porta foras exierunt et ab oppido haud longe consederunt. Postero die Alexander copias expeditas ad eos ducere coepit pronuntiauitque, ut omnes interficerentur. 44. Illi ubi quid ageretur senserunt, inpedimentis in medium collectis ipsi armati circumsteterunt parati aut iniuriam refutare aut pro uxoribus ac liberis mortem fortiter obire. Simul clamare coeperunt Alexandrum in fide non manere. Alexander dixit se ex oppido exeundi, non abeundi potestatem fecisse. 45. Itaque impressione facta multi paucos diuque resistentes acerrimo certamine aegre superatos omnes interfecerunt. Deinde ad oppidum reuersionem fecerunt. Eis obuiam uenit Cleophis cum populi principibus ac nepote paruo, prae se uelatas uerbenas ac fruges supplicii signa portantes. Tum Alexandro facies mulieris pulchra uisa est. Erat enim statu ac dignitate ea, uti nobili loco orta atque imperio digna uideretur. Deinde Alexander cum paucis in oppidum introiit ibique complures dies commoratus est. 46. Hinc profectus Baziram oppidum deuenit, quod dicebatur Hercules expugnare non potuisse. Hunc ubi barbari conspexerunt, in montem Aornum confugerunt, cuius circuitus stadia