Paléographie romaine

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SCRIPTURAE MONUMENTA

ET

STUDIA

ΠῚ

JEAN

MALLON

PALEOGRAPHIE ROMAINE

CONSEJO SUPERIOR DE INVESTIGACIONES CIENTIFICAS INSTITUTO ANTONIO DE NEBRIJA DE FILOLOGIA. — MADRID, 1952

PALEOGRAPHIE

ROMAINE

SCRIPTURAE MONUMENTA ET STUDIA

Hl

CONSEJO SUPERIOR DE INSTITUTO ANTONIO

INVESTIGACIONES CIENTIFICAS DE NEBRIJA DE FILOLOGIA

JEAN

MALLON //

PALEOGRAPHIE ROMAINE

;

A Mar. Pascual Galindo. A Luis Ortiz Muñoz.

SOMMAIRE Páginas

Avant-propos ................. ΝΕ

PREMIERE

ἘΞ

ΙΙ

PARTIE

L’ECRITURE ROMAINE JUSQU’AU DEUXIEME SIECLE DE NOTRE ERE Chapitre I.—Les papyrus. L'écriture commune et l'écriture capitale classiques.

17

Chapitre II.—Les inscriptions. Écriture monumentale et écriture commune...

55

DEUXIÈME L’ECRITURE

PARTIE

ROMAINE APRES LE PREMIER SIÈCLE DE NOTRE L’HYPOTHESE AFRICAINE

ERE

Chapitre III.—La :nétamorphose de l'écriture romaine. a)

Le codex de parchemin dit «De Bellis Macedoniciss.............

77

b)

Le rouleau de papyrus dit «Epitome Liviis.....................

80

c)

L'alphabet soncials..........................,...............

93

Chapitre

IV.—La solution de continuité dans l'écriture commune.

a)

Écriture commune classique, écriture commune nouvelle.........

105

b)

Les écritures diplomatiques de l’Empire et des royaumes barbares.

II4

Chapitre V.—La nouvelle écriture romaine. a)

Origine et diffusion de la nouvelle écriture. ..... een

123

b)

Variations de la nouvelle écriture.............................

I4I

c)

Survivances de la capitale: le problémede la «capitale élégantes..

152

Conclusions. Pour une paléographie gréco-latine.........................

159

Explication des planches..............................................

169

Planches I à XXXII.

AVANT-PROPOS C'est en 476 qu'Odoacre renvoya à Constantinople les insignes impériaux d'Occident. On a convenu de considérer cette date comme mettant fin à l'histoire de Rome qui, selon la définition de M. Piganiol, est celle de la création et de la destruction d'un Etat ayant bordé toutes les rives de la Méditerranée. L'extension de cet Etat porta, jusqu'à ses plus extrêmes limites géographiques, dans toutes les directions, l'emploi du latin, et des monuments graphiques latins de natures très diverses nous sont parvenus de régions qui correspondent aujourd'hui aux Balkans, au Proche-Orient, à l'Egypte, à l'Afrique du Nord, à l'Europe Occidentale et à une partie de l'Europe Centrale. Une «paléographie romaines doit avoir pour objet l'étude de ces monuments répandus dans tout un «monde, depuis un temps aussi reculé que possible jusqu'à la fin de l'histoire de Rome. Le renvoi des insignes impériaux à Constantinople et la disparition du titre d'empereur d'Occident à la fin du cinquième siècle, n'ont, comme il va sans dire, aucune signification pour

l'histoire de l'écriture: on a fait allusion, dans cet ouvrage, pour des besoins de démonstration, à des monuments du sixième et du septième siècle, comme par exemple les «diplömes» mérovingiens qui représentent des suites de séries dont le commencement a disparu; les recherches paléographiques qui sont exposées ou proposées dans les pages qui suivent n'en sont pas moins centrées chronologiquement sur l'histoire de Rome. Le nom de «paléographie romaines n'a même pas été, à ma connaissance, encore prononcé. C'est en partie, comme on le verra, en raison de la conception que la plupart des auteurs de traités. de pallographie latine ont eue de leur science, conception trop étroite, à la fois sur le plan chronologique et sur le plan du matériel à exploiter. On définit généralement la paléographie la science des anciennes écritures. J'essaierai de démontrer la nécessité d'une définition à la fois beaucoup plus large et beaucoup plus précise: la paléographie a pour objet l'étude, non seulement des écritures, mais encore de l'ensemble des caractères externes de tous les monuments, sans aucune exception, qui portent des textes, inscriptions de toutes sortes, papyrus,

parchemins,

tablettes de

cire etc. , étude qui ne doit pas laisser d'exploiter accessoirement, et. dans toute la mesure ulile, les données fournies par les caractères internes. La paléographie, en somme, doit s'occuper des monuments graphiques de toute nature, et dans chaque cas, d'une manière totale. Les catégories les plus diverses de monuments graphiques étant représentées parmi ceux de l'époque romaine qui sont venus entre nos mains, surtout depuis quelque quatre-vingts ans, le matériel existe pour une étude, cohérente et sans clotsonnements artificiels, de leurs caractères externes. Il paratt difficile de contester que cette étude conduit aux quelques vues qui suivent: tous les problèmes qui intéressent l'écriture latine au moyen-äge ont leur point de départ à l'époque des Flaviens, des Antonins σὲ des Sévères; par exemple, l'écriture commune qui s'est formée à cette époque constitue le problème fondamental de la paléographie médiévale, ainsi que, par voie de conséquences, la comparaison de celte écriture avec l'ancienne écriture commune qu'elle a remplacée, qui ne nous est connue directement que dans les derniers siècles de son existence, sensiblement à partir de la fin de la RépuMique, mais dont une étude graphique serrde peut nous ouvrir des horizons sur les siècles antérieurs.

Ce ouvrage aura donc que le moment est venu où il beaucoup plus indépendante, Schiaparelli qui a été le plus On ne trouvera dans les graphie romaine, et je n'ai

atteint son premier but si l'on en retire la conviction de ce est possible et nécessaire de créer une paléographie romaine, et d'une conception beaucoup plus large que ne l'a envisagé près d'en apercevoir l'idée. pages qui vont suivre que quelques «éléments» de cette paléomême pas eu la prétention de seulement poser toutes les

questions qu'on y devrait traiter. Plusieurs points de vue qui y sont développés different

des données que l'on voit classiquement répétées dans les premiers chapitres des manuels et traités de paléographie latine générale qui, bar exemple, s'ouvrent tous sur la «capitale élégantes, laquelle se trouve ici rejetée à la fin. Ces points de vue préteront sans doute à

des controverses si l'on veut bien leur apporter quelque attention — une attention où je demande qu'on mêle de l'indulgence en songeant au caractère quelque peu inédit de l'entreprise —: un second but sera atteint par ce travail s'il remet en question de nombreux problèmes

engourdis

dans un conformisme

aujourd'hui insoutenable et s'il en suscite

de nouveaux qui n'ont même pas été soupçonnés. Il ne s'agit donc pas d'un manuel à proprement parler, mais, avant tout, d'un essai de synthèse de quelque quinze ans de recherches

et de réflexions personnelles. On me pardonnera si, pour cette raison, je me refère trop souvent aux études fragmenlaires publiées par moi-même en divers lieux depuis 1935: certaines d'entre elles sont venues s'insérer presque intégralement dans le présent travail. C'est. que, pour la plupart, ces

études fragmentaires

ont été faites en pensant à l'essai de coordination qui paraît

aujourd'hui, et je ne crois devoir apporter de changements à ces morceaux que dans la mesure où celle méme coordination me conduit maintenant à des mises au point et à des résultats que je n'avais pas aperçus au temps de leur publication.

Ces changements sont souvent très marqués. Les quelques personnes qui ont bien voulu prendre connaissance de mes recherches publiées jusqu'à ce jour relèveront peut-être que, si elles ont progressivement modifié les vues que j'ai tenté de dégager, principalement depuis mes «Observations» de 1939, cette évolution s'est towjours opérée dans le méme sens, à savoir en faveur d'un abandon toujours plus radical d'un système traditionnel de critères, de mots et d'idées, établi antérieurement aux découvertes papyrologiques. La paléographie latine serait maintenue dans une impasse par une plus longue valion de ce système.

conser-

Or, l'emprise de ce système sur nous est très forte, car il a créé artificiellement un certain nombre

de termes

et de mots élémentaires

avec lesquels nous

avons

appris

à

Parler sur les bancs de nos écoles. Et le seul emploi de ces mots nous empêche de raisonner librement hors du cadre d'idées reçues qu'ils impliquent fondamentalement. On a tenté de réexaminer,

au cours des pages qui suivent, les notions de libraria, de cursives, de

majuscule, de minuscule, de capitale, de minuscule primitive, de semi-onciale, et autres. St prévenu que j'aie été moi-même, dès l'abord, contre toute cette terminologie et contre tous les préjugés qu'elle entraîne, j'ai mis beaucoup de temps à m'en dégager; je ne suis pas sür d'y être complètement parvenu, et que, dans une certaine mesure, elle n'ait pas encore nwi à la conception de cet ouvrage. Veut-on un exemple très particulier et concret de cette emprise? Je crois que beaucoup

de gens sont maintenant d'accord avec moi en ce qui concerne divers problèmes que pose le fragment dit «De Bellis Macedoniciss de Londres. En 1939, j'en ai fait l'un. des jalons

de mes «Observations. Ayant alors senti qu'il y avait là un monument beaucoup plus important qu'on n'avait pu le soupçonner, je ne l'ai jamais écarté, depuis, du champ de mon attention: géné,il est vrai, par des fautes de lecture que j'avais faites au départ,

jai mis

onze ans

à m'apercevoir

qu'il n'y

avait

aucune

raison

de le descendre

au troisième siècle, que cette datation était fondée uniquement sur les idées reçues des

paléographes avant les découvertes papyrologiques, que les approches de l'an Ioo de notre ère rendaient compte de toutes ses caractéristiques les plus diverses, et que, placé à cette date, il prenait tout son prix pour l'histoire de l'écriture latine.

Autre exemple: je n'ai pas cessé, depuis 1935, de chercher à éclaircir la notion de «caditales. Mais j'ai longtemps admis sans broncher le dogme selon lequel cette écriture, dont je cherchais à préciser l'idée, devait être considérée comme da source des différentes écritures latines». Ce dogme, consacré par de nombreuses générations de paléographes, est à la base du recueil intitulé d'Ecriture latine de la capitale à la minuscules, de mes «Observations» de 1939, et encore de mes «Notes» de 1945. J'ai attendu jusqu'à maintenant

pour m'aviser qu'il y a là, pour le moins,

un principe mal formulé, prétant à des

us graves, qu'il ne mérite pas plus de respect que le reste, et qu 4l. est utile de le

soumettre à une critique sacrilege. Dernier exemple, de méthode celui-là: 41 n'y a pas de critère plus injustifié que celui qui sépare, d'une paléographie «proprement dites, entendue au sens «étroits du mot, la

paléographie des inscriptions; ce critère paralyse et la paléographie «proprement dite», et la paléographie des inscriptions, et, bar conséquent, la paléographie en général; ıl y a là une idée simple, une idee de bon sens qu'il était possible, depuis très longtemps, de renforcer d'une foule de considérations techniques dont les éléments étaient parfaitement

connus de tout le monde, notamment en ce qui concerne les divers processus de la confection des inscriptions. Mais un vieil arrêt de Droit coutumier, aujourd'hui accepté par écrit dans tous les traités de paléographie, avait décidé que les «inscriptionss étaient la chasse gardée des épigraphistes. Les paléographes ne l'ont transgressé que dans des cas très rares, très limités, sans aucun système et comme par hasard. Je l'ai violé en 1945 dans mes «Notes», mais en levant encore très timidement les yeux sur quelques inscriptions gravées d'un genre très particulier. C'est seulement en 1948 que, à l'occasion d'une étude intitulée «Pour une nouvelle critique des chiffres. ..», j'ai commencé à comprendre pour quelles

raisons très simples et très précises s'imposait l'union globale, totale, intime, de la paléographie des inscriptions avec la paléographie prétendue «proprement dites. J'ai tenté 1&1 de systématiser encore plus cette idée qui devrait être très banale. Je suis certainement trés loin d'avoir aperçu toutes ses conséquences dans l'ordre des méthodes, et encore plus loin d’entrevoir tous les résultats qu'il est possible de tirer de l'emploi de ces mêmes méthodes. Aussi bien, on m'excusera si la plupart des exemples épigraphiques sont pris dans la péninsule ibérique: beaucoup d'autres pourraient être recueillis, parallelement, ailleurs dans le monde. Mais, outre que cette péninsule occidentale ne se trouve pas mal placée, à l'opposé de l'Egypte et de la Syrie, pour certaines démonstrations qui

m'ont semblé utiles, j'avais ces exemples à portée de la main dans cette Espagne où, depuis huit ans, j'ai rencontré une aide si affectueuse et d’inestimables amitiés. Madrid, Janvier 1951.

OUVRAGES

FREQUEMMENT

AR = L’Annde épigraphique. Revue des publications archéologique). ARA «= Archivo español de Arqueologíe, Madrid. AUDOLLENT,

CITES

épigraphiques relatives à l'Antiquité romaine,

Paris

(Revus

Defisionum tabella, Paris, 1904.

BATTELLI, Lerioni di Paleografía, 3àme €d., Cité du Vatican, 1939. La 4ème éd., de 1949, m'est parvenue quand le présent ouvrage était déjà sous presse (cf. notice pl. V 2). BOU = /egyptische CAGMAT,

Urkunden

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1- VII,

Berlin, 1895 - 1926.

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CIL, = Corpus inscriptionum latinarum,

Berlin, 18612

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III (Italy,

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Berlin.

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Les Diplômes originaux des Mérovingiens,

Paris,

1908.

LOWER, cf. CLA. MALLON, Observations sur quelques monuments d'écriture latino calligraphids dans les cinq premiers siècles de notre dre, ds Arts et Métiers Graphiques, Paris, janvier 1939, pp. 37 - 40. MALLON, Notes paléographiques à propos de CIL II 5411 de Emerita, XIII, Madrid, 1945, pp. 213(1) - 280[68). Mar = MARICHAL, L'écriture latins du Ier au Inventaire de 320 numéros. MILLARES,

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IV

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PREMIERE

PARTIE

L'ÉCRITURE ROMAINE JUSQU'AU DEUXIEME SIECLE DE, NOTRE, ERE

PREMIERE

PARTIE

L'ÉCRITURE ROMAINE JUSQU'AU DEUXIEME SIÈCLE DE NOTRE ERE CHAPITRE

L'ÉCRITURE

COMMUNE

I.

LES

PAPYRUS

ET

L'ECRITURE

CAPITALE

CLASSIQUES

I. — Pour des raisons que j'ai indiquées dans l'avant-propos et qu'on trouvera exposées plus à plein dans la suite, il m'est apparu que des phénoménes graphiques suffisamment importants trouvaient leur place au deuxiéme siécle avec une certitude assez grande pour que nous fassions de cette époque la frontiére de deux l'écriture romaine.

Bien que la premiére partie de cet à ces phénoménes du deuxiéme siécle, qui va de la fin du premier siécle avant intitulée «l'écriture romaine au premier le sujet: comme

áges de

ouvrage, qui traite de la période antérieure roule essentiellement sur un laps de temps J-C. à la fin du siécle suivant, je ne l'ai pas siècle de notre ère», car ç’aurait été rétrécir

on va le voir, la comparaison des papyrus latins, d'une part entre

eux (écriture commune et capitale), et d'autre part avec les «inscriptions», semble nous donner la promesse de pouvoir arriver un jour à des résultats portant sur les

temps antérieurs à l'apparition des dits papyrus, apparition qui est elle-même trés tardive puisqu'elle correspond au huitiéme siécle de Rome. Par le titre «l'écriture romaine jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére», j'ai voulu donner à entendre qu'il s'agit, dans cette premiére partie, de l'étude d'une longue période, difficile, actuellement, à délimiter par le haut, mais dont on peut espérer savoir plus que ce que nous enseignent directement les papyrus qui apparaissent à sa fin.

Enfin, à l'occasion de l'étude particuliére de l'époque envisagée ici, j'ai cru utile de développer un certain nombre de considérations de méthode et de principe qui valent pour l'ensemble du livre. J'ai voulu éviter une introduction,

qui aurait

eu un caractére abstrait, et cette premiére partie en tiendra lieu. C'est pourquoi on y trouvera des allusions à des monuments qui débordent par le bas la limite chronologique que je lui ai imposée.

18

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

Cette première partie sera ainsi divisée en deux chapitres: 29

19 Les papyrus;

Les «inscriptions». 2. — En

fait de monuments

écrits à l'encre, on n'a connu,

jusqu'à la fin du

dix-neuviéme siécle, que ce qui nous a été transmis par des archives et des bibliothéques d'Occident: rien, par conséquent, qui füt antérieur à quelques manuscrits rarissimes qu'on fait remonter, et encore assez hypothétiquement, à la fin du quatriéme siécle aprés J-C. Les fouilles avaient bien fourni,

à Herculanum,

au dix-huitiéme siécle,

quelques lambeaux de papyrus latins calcinés de l'époque classique, mais de détestables dessins, éxécutés au temps de Napoléon I®, étaient bien faits pour en donner une idée fausse (cfr. pl. IV 2). En Egypte, on avait bien recueilli aussi quelques débris de papyrus

qui furent déchiffrés en 1841

par Massmann,

mais ils ne sont que du

cinquième siècle (pl. XVI X 4). La paléographie latine, née au dix-septiéme siècle des discussions du bénédictin Jean Mabillon avec le jésuite Papenbroeck, n'eut pas à sa disposition, jusqu'à la fin du dix-neuviéme siécle, de monuments écrits à l'encre plus

anciens que quelques manuscrits des quatrième, cinquième et sixième siècles, quelques papyrus de Ravenne du sixiéme siécle, et les diplómes mérovingiens qui com-

mencent avec le septiéme. Constituée sur ce matériel, la paléographie latine fut une science de médiévistes. De Rome, on ne connaissait rien qui eüt été écrit à l'encre avant

les empereurs de la dynastie valentinienne et le pape Damase, au mieux. Il est important de noter et de retenir que c'est d'aprés un matériel limité chronologiquement

à une antiquité aussi basse qu'on a fixé, au dix-neuviéme siècle, le langage de la paléographie et le cadre de classement traditionnel des écritures latines, encore aujourd'hui respecté (capitale élégante, capitale rustique, onciale, semi-onciale, minuscule, cursives, etc., écritures de livres, écritures de documents). Il ne faut jamais

l'oublier, car cette considération nous affranchit de toute superstition à l'égard de ces critères, surtout pour l'étude des périodes antérieures (cfr. expl. pl. XXII X 3). 3. — Depuis la fin du dix-neuviéme siécle, la recherche des papyrus en Egypte

change complétement les données. Parmi une masse énorme de papyrus grecs dont les plus anciens sont du quatriéme siécle avant J-C., les papyrologues ont récolté et continuent de récolter des «papyrus» latins (qui sont parfois des parchemins), débris de livres et de documents de toute nature. Ces monuments, actuellement au nombre de quelques centaines, ne sauraient naturellement étre antérieurs à l'intervention romaine en Egypte, c'est-à dire à la fin du premier siécle avant J-C. Ils

allongent, par le haut, et de quatre siécles, la documentation de la paléographie latine en monuments écrits à l'encre. Le commencement de la série de ces monuments

se trouve aujourd'hui reculé, du Bas-Empire, à l'époque de Cicéron et de César. 4. — Chose curieuse, les tenants de la paléographie latine ne se sont pas précipités sur ce matériel. Dejà, ils n'avaient manifesté que peu de curiosité pour les papyrus d'Herculanum. Ces savants, qui scrutaient avec tant de soin les écritures de la basse latinité mérovingienne ou carolingienne dont ils devaient se contenter depuis tant de générations, n'ont marqué qu'un trés médiocre zéle pour l'étude de débris, qui apparaissaient tout nouvellement en Orient, de livres et de documents contem-

porains des premiers empereurs,

contemporains

des Flaviens,

contemporains

des

Antonins: les paléographes restaient des médiévistes. Ils ne s'aventuraient que trés timidement, et trés superficiellement, dans l'étude du matériel que leur apportaient

les papyrologues: je ne serais pas éloigné de croire qu'à l’origine de ce manque d'enthousiasme, il y ait eu cette idée que, l'Egypte étant une province, et une province

Les papyrus

19

lointaine, les documents qu'elle livrait n'intétessaient pas directement une étude que chaque paléographe enfermait trop volontiers dans les limites de la nation occidentale moderne à laquelle il appartenait. D'autre part, quand les paléographes ont jeté un regard sur les papyrus latins d'Egypte, ils n'ont pas posé nettement la question

de savoir si ces papyrus confirmaient les théories et les classifications qui, avant leur découverte,

avaient été établies sur un matériel beaucoup

plus tardif: ils ont

simplement cherché à faire entrer ces papyrus tant bien que mal, et, comme on le verra, plutót mal que bien, dans ces classifications. Ces diverses tendances ont fait . que, dans des traités, trop «frangais» ou trop sespagnolss comme Prou et Millares par exemple, on n'a consacré, aux siécles antérieurs au cinquiéme de notre ére, que des

chapitres introductifs trés légers, sans se demander si la différenciation des genres d'écriture latine (capitale élégante et rustique, onciale, semi-onciale, minuscule, cursives etc., écritures de livres, écritures de documents etc.) ne posait pas des problémes qui avaient leur noeud dans ces quatre siécles, et si ces critéres eux-mémes demeuraient

valables. Un paléographe italien, Schiaparelli, a centré, en 1921, une étude paléographique sur l'époque romaine: encore cette étude n'est-elle qu'un «avviamento allo studio della scrittura latina nel medio evo». Comme les autres, Schiaparelli a voulu retrouver la source des écritures médiévales dans les papyrus sans se soucier clairement de

savoir

si les distinctions

instituées

entre

ces

écritures

correspondaient

à des

réalités bien définies. Pas plus que les autres, il n'a cherché à savoir si les papyrus ne remettaient pas en question les théories ét la terminologie établies avant leur découverte (cfr. explic. pl. XXII X 3). Paul Collart, à qui l'on doit une trés précieuse liste des papyrus littéraires latins dressée en 1941, a donc tort de penser que les paléographes «ont soigneusement criblé, tels des laveurs d'or», le butin papyrologique, et, quand il ajoute «on n'a guére de chances d'y faire aprés eux des trouvailless, cet acte de confiance du savant papyro-

logue risque de détourner les recherches d'une voie qui est en réalité toute neuve; du point de vue paléographique, tout est à reprendre avec les papyrus latins; pratiquement, l'étude de leur ensemble est actuellement rendue trés difficile du fait de l'absence de tout Corpus: leur publication est éparpillée dans une foule d'ouvrages

parfois volumineux et peu accessibles, et dans des articles de revues. Ce trésor de la paléographie latine, qui ne comprendrait pas actuellement plus de quelques centaines

de numéros, n'a pas encore été, à la date oü nous sommes, regroupé par les paléographes. N'y a-t-il pas, dans ce fait méme (alors que tant de monuments mérovingiens et carolingiens sont l'objet de magnifiques publications, cfr. explic. pl. XXVII 2),

une preuve de ce que la paléographie n'a pas encore senti la valeur absolument primordiale de l'apport papyrologique? En réalité, l'étude directe des papyrus latins continue de se faire dans le cadre d'une science dont les buts et l'esprit ne sont:

pas les mémes que le but et l'esprit de la paléographie: la papyrologie, qui ne voit dans la paléographie qu'un auxiliaire pour la lecture des papyrus.

5. — Tous les paléographes se sont accordés pour attribuer une origine commune aux écritures latines dont la nomenclature forme le cadre de leurs traités et publications diverses, écritures qu'ils appellent, selon leur terminologie d'ailleurs souvent peu constante: onciale, semi-onciale, minuscule primitive, cursive ancienne, nouvelle cursive, écritures nationales (lombardique, mérovingienne, wisigothique, irlandaise, anglo-saxonne). M. Lowe, dans sa publication, actuellement en cours, des Codices latini antiquiores antérieurs au neuviéme siécle, ne pratique pas moins de quelque

cinquante appellations. Cette origine commune, les paléographes la voient tous dans une écriture de l'Antiquité romaine qu'ils nomment la «capitale».

20



Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

Or, malgré le róle primordial et éminent que les doctrines en honneur conférent à cette capitale, «source des différents genres d'écriture latine» (Prou, p. 10), il n'y a peut-être pas de notion paléographique qui soit moins éclaircie. Son caractère d'écriture-mére est nécessairement resté, de ce fait, à l'état de postulat, et on n'a pas

pu démontrer des dérivations graphiques à partir d'une écriture dont on n'avait pas, au préalable, cherché à préciser l'idée. On ne saurait voir la cause de cette insouciance uniquement dans la rareté des monuments écrits en capitale remontant à l'Antiquité, ni uniquement dans le peu de zéle que les paléographes ont montré, d'une maniére

générale, pour l'étude des papyrus: il semble en effet que beaucoup d'auteurs n'ont même pas pris clairement conscience de ce qu'il y avait un probléme de la capitale romaine. 6. — C'est que tout le monde croit la connaitre: ne se lit-elle pas de nos jours dans notre typographie? On pense qu'il suffit de. prononcer son nom, que tout le monde sait de quoi il s'agit, et l'image que son nom fait surgir dans l'esprit de chacun est celle de la capitale d'imprimerie, que nous devons au contraire, quant à nous, expulser de notre pensée: la capitale d'imprimerie n'est pas à proprement parler

une écriture, c'est un systéme de signes dessinés qui n'a qu'une ressemblance trés fallacieuse avec ce que les paléographes auraient dû analyser et décrire.

j

7. — Ils ont si peu fait cette description et cette analyse que D. Henri Leclercq

n'a pu donner, dans son Dictionnaire, en 1937 (DAC, art. Paléographie), que les définitions qu'on va lire. Nous citons son texte, non pas pour l'injuste plaisir de dénigrer une énorme et trés utile compilation, mais pour donner aux débutants un exemple des méthodes et du langage dont il convient de prendre systématiquement le con-

trepied: «A se compose de deux hastes inclinées, distantes à leur base, reliées en leur milieu

par une

traverse,

réunies

au sommet.

B se compose

d'une

haste debout,

verticale, sur laquelle s'appliquent deux panses à droite. C se compose d'une panse dont les extrémités sont rabattues. D se compose d'une haste sur laquelle s'applique pne panse. E, F se composent d'une haste soutenant trois ou deux barres. G se compose

d'une panse à deux crochets, le crochet inférieur étant non effilé mais écaché. H se compose de deux hastes parallèles retenues par une traverse. 7 se compose d'une haste

isolée. K se compose d'une haste à deux branches obliques. L se compose d'une haste plantée perpendiculairement à l'extrémité gauche d'une barre. M, N se composent de

hastes ou jambages paralléles retenues par une traverse brisée et par une traverse oblique. O se compose d'une double panse formant cercle. P se compose d'une haste avec une panse en haut à droite. Q se compose d'une double panse formant cercle et munie d'une queue. R se compose d'une haste avec une panse à droite et une queue par dessous la panse. S se compose de deux panses superposées en sens inverse. T se compose d'une haste surmontée d'une barre posée sur son milieu. U se compose de deux hastes paralléles réunies à leur base par une panse. V se compose de deux hastes

obliques réunies à leur base écartées au sommet. X se compose de deux hastes croisées dans leur milieu. Y se compose d'une haste surmontée de deux branches.

Z se com-

pose de deux barres réunies par une haste inclinée.» Il va sans dire qu'il n'a jamais fallu qu'aucune haste ait soutenu trois ou deux barres pour qu'un E et un F tiennent debout, qu'aucune traverse n'a jamais retenu les deux hastes parallèles d'un H (pour les empêcher de tomber ou de former un A en s'inclinant l'une vers l'autre?). Il va sans dire qu'aucun scribe n'a jamais rabattu les deux extrémités d'une panse pour faire un C, ni planté une haste à l'extrémité gauche d'une barre pour faire un L, ni posé une barre sur son milieu au-dessus d'une haste

Les papyrus

21

pour faire un T. Ce n'est pas ainsi qu'on écrit, et l'écriture n'est pas un jeu de constructions. Nous avons affaire à tout un arsenal de métaphores architecturales, à des maniéres de voir, de parler et de penser qui n'ont rien de commun avec la réalité graphique.

Si Leclercq s'est trouvé réduit à cette description, c'est que les ouvrages les plus récents (méme le livre de Schiaparelli qui est un exposé, publié en 192r, de recherches originales sur «l'écriture latine à l'époque romaine»), sont muets ou presque muets sur les caractéristiques graphiques de l'écriture capitale. 8. — En 1939 encore M. Battelli, rédigeant ses «Leçons», qui constituent le meilleur ouvrage

pour

faire le point

en matiére

de

paléographie

latine,

a pris

conscience

mieux que personne de la lacune qui se trouvait à la base de cette science, et il a explicitement noté qu'il «nanque encore une étude particuliére sur la capitale». Il a souligné qu'il convient d'observer «non pas tellement la forme apparente

extérieure, que les ductus, c'est-à-dire la manière dont les traits sont faits». Malheureusement le tableau que, pour combler la lacune de ses devanciers, il a dà improviser en I939 (cfr. explic. pl. V 2), est loin de réaliser ce dessein: A exécuté en deux

ou en trois traits

^

B C

» »

» deux ou en trois traits » deux traits

3

A

B c

D

»^



E

»

» trois ou quatre traits

deux traits

F G H I K L M. N O P

» » » » » » » » » »

» » » » » » » » » »

Q

»

» deux traits

Q

R S T V X Y Z

» » » » » » »

» » » » » » »

12 5 T

trois traits trois traits trois traits un trait | deux ou en un ou deux deux ou en deux ou en deux traits deux traits

D

E

iE F. c H l

trois traits traits trois traits trois traits

K L M N O D

.

trois traits trois traits deux traits un ou en deux traits deux traits deux traits trois traits

< L M N

V

V Χ Y Z

Il s'agit, on le voit, d'une simple décomposition des lettres en traits (qui, d'ailleurs, demanderait des corrections très importantes en ce qui concerne spécialement deux lettres, le B et le D), et non d’une indication des ductus: on ne nous indique pas da manière dont les traits sont faits», c’est-A dire l'ordre et le sens dans lequel ils

sont exécutés. Nous l'indiquerait-on que le tableau des «Leçons»

de 1939 aurait

encore, dans son principe, le méme défaut que les descriptions du type de celle que

nous offre le Dictionnaire d'archéologie chrétienne: on ne nous spécifie pas à quelle capitale concréte ces descriptions se rapportent. On nous présente une capitale

22

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

abstraite dont on ne nous dit pas oü elle se trouve, et la donnée du probléme manque, dés lors, de consistance et de précision. 9. — Pour connaitre une écriture qui, comme l'a trés bien senti M. Battelli, n'a pas encore été étudiée, il est impossible de partir à priori d'une notion générale improvisée; il faut raisonner sur des cas concrets connus et déterminés. Pour le moment, nous ne savons pas si «la» capitale existe: nous ne connaissons que superficiellement des exemples d'apparences analogues, dont nous ne savons pas exactement sur quoi

se fonde essentiellement leur ressemblance. 10. — D'autre part, les ductus, pour extrémement

importants qu'ils soient, ne

doivent pas faire oublier un grand nombre d'autres éléments. En réalité, pour étudier les écritures de monuments paléographiques déterminés, il faut tenir compte des notions

suivantes:

formes,

angle

d'écriture,

ductus,

module,

«poids»

de l'écriture,

enfin matiére subjective, sans négliger les caractéres internes et notamment la nature du texte.

I9

Lesformes.

C'estl'aspect extérieur des lettres que le scribe a eu à exécuter.

Par exemple ces deux D ont des formes différentes

D^ 20 L’angle d'écriture. C'est la position dans laquelle s'est trouvé placé l'instrument du scribe par rapport à la direction de la ligne. Voici par exemple deux angles d'écriture distincts:

3° Les ductus. C'est l'ordre de succession dans lequel le scribe a éxécuté les traits (auxquels on doit donner des numéros, trait 1, trait 2, 5, 4), et le sens dans lequel il a fait chacun d'eux (de gauche à droite, de haut en bas etc.), sens qu'on indiquera par des fléches.

—Ó

Dans de nombreux cas, comme dans celui de D, on verra que l'angle d'écriture commande le ductus. Des formes trés différentes les tines des autres, comme nous

Les papyrus

23

le verrons, peuvent avoir le méme ductus, commandé par un méme angle d'écriture constant.

49 Le module. Ce sont les dimensions des formes: la largeur (qui, variant beaucoup d'une lettre à l'autre dans le méme alphabet d'une écriture, peut étre comparée entre les mémes lettres d'exemples différents), et surtout la hauteur. Quand les lettres d'un méme exemple n'ont pas une hauteur uniforme, la hauteur se mesure,

non pas selon les traits longs qui peuvent dépasser au-dessus et au-dessous de la ligne, mais selon la dimension moyenne du corps de la ligne. Bien que les modules de divers exemples d'une méme écriture puissent étre extrémement variables, il y a

tout de méme des ordres de grandeur qui peuvent se déterminer et qu'il est trés important de faire entrer en considération.

59 Le spoidss. Il dépend de l'instrument. L'écriture de certains monuments est dite «lourde» par de nombreux auteurs; l'écriture d'autres monuments peut tout aussi bien être dite degères. Ces qualificatifs ne sont pas excellents, parce qu'ils ne sont pas empruntés à un vocabulaire graphique. On peut néanmoins les employer, étant entendu qu'une écriture lourde est celle qui est éxécutée avec un instrument doux faisant fortement contraster les gras et les maigres, et qu'une écriture légére

est celle qui est exécutée avec un différence entre les pleins et les 6° La matière subjective. papyrus ou parchemin), et de sa 7°

Lescaractéres internes.

instrument dur qui ne marque pour ainsi dire aucune déliés. On doit tenir compte de sa nature (par exemple, forme matérielle (par exemple, rouleau ou codex). On

doit

tenir

compte

de

la

nature

du

texte,

littéraire ou non, de la composition de ses diverses parties quand il est d'ordre diplomatique, et faire appel à toutes les données historiques et philologiques qui peuvent S'y rencontrer.

C'est seulement par l'étude combinée de tous ces éléments que le paléographe peut espérer discerner des catégories et établir des filiations valables. II. — Nous choisirons d'abord un exemple de capitale aussi étendu et aussi bien conservé que possible, bien daté, c'est à savoir le papyrus PSI 1183A trouvé à Oxyrhynchus en Egypte, et publié à Florence en 1935 par M. Vitelli (cfr. pl. V 2). Le texte, qui est celui, non pas d'une oeuvre littéraire, mais d'un acte, nous est parvenu incomplet; il s'agit d'une sorte de recensement; on y trouve une liste de propriétés où est incluse une professio civitatis romanae. L'acte est postérieur à lannée 45 aprés J-C. qui y est citée aux lignes 3-6, et antérieur à la mort de

Claude (54 aprés J-C.) qui n'est pas qualifié de divus. Tous les signes de l'alphabet latin se rencontrent dans ce papyrus, sauf K, Q et Z. 12. — L’eeriture est de grand. module, les lettres ne mesurant pas moins de cinq millimétres de hauteur. Si on limite par deux droites horizontales, au haut et au bas, le corps de l'écriture, on constate que toutes les lettres ont leur attaque sensiblement sur la droite supérieure, que quelques 7 et L sont attaqués délibérément au-dessus de cette droite ainsi que le second trait de 4, et qu'aucun trait ne descend délibérément au-dessous de la droite inférieure, méme dans le cas du G. A partir de l'attaque, la grosseur des traits est fortement différenciée: nous sommes en présence d'une écriture «lourde»; et la différenciation des graisses varie constamment selon l'orientation des traits. Les traits les plus gros sont ceux qui descendent obliquement de la gauche vers la droite, et les traits les plus maigres sont ceux qui montent obliquement de la gauche vers la droite ou descendent obliquement de la droite vers la gauche. Moins maigres

24

|

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

que ces derniers sont les traits verticaux qui sont tous tracés de haut en bas, mais ᾿ les traits horizontaux, qui sont tous tracés de la gauche vers la droite,

" sont plus gras que les traits verticaux, tout en étant plus maigres que les traits obliques descendant de la gauche vers la droite.

Le maximum de la gauche ce qui nous qu'ils soient

T

des graisses était donc réalisé selon une direction oblique descendant : vers la droite et plus éloignée de la verticale que de l'horizontale. C'est est encore révélé si nous observons à quel moment les traits courbes, convexes ou concaves, atteignent leur maximum d'épaisseur.

Nous connaissons ainsi la position du bec de l'instrument, par conséquent l'orientation constante de l'instrument lui-même, et l'angle qu'il a fait, pendant l'écriture, avec l’axe de la marche de l'écriture. C'est un angle très aigu.

13. — Les traits obliques, descendant de la droite vers la gauche ou montant de

la gauche vers la droite, et les traits verticaux, étant les plus maigres, sont pourvus 'd'empattements, au moins à leur extrémité inférieure quand un autre trait horizontal ne leur fait pas suite à cette extrémité inférieure. Ces empattements sont faits pour souligner l'existence de ces traits verticaux ou obliques, et pour compenser en quelque sorte, pour l'oeil, leur maigreur. On ne saurait compter ces empattements comme des traits: ce sont des éléments accessoires.

I4. — Les lettres sont faites en un ou plusieurs temps ou sections, chaque temps ou section comportant un ou plusieurs traits. La fin d'un temps est marquée par

Les papyrus

25

ce fait qu'aprés avoir achévé un trait, l'instrument est levé et porté sur un autre point du papyrus pour attaquer un autre trait. Par exemple, le D est fait en deux temps dont le premier est composé de deux traits et le second d'un seul. Le premier temps comporte un trait vertical I tracé de haut en bas, immédiatement suivi à sa

base et à angle droit vers la droite d'un trait horizontal tracé, comme tous les traits

Q--—-—-

horizontaux, de la gauche vers la droite. Pour exécuter le second temps, l'instrument est levé et reporté sensiblement à l'attaque du premier trait de la lettre; à partir de là, il décrit la courbe qui va rejoindre l'extrémité droite du second trait du premier temps, courbe qui constitue à elle seule le second temps.

Les lettres à un temps sont I et L. Les lettres à deux temps sont

4

BC DGO

P R T V X Y et, comme nous le verrons plus tard, Q, qui manque dans notre papyrus.

Les lettres à trois temps sont

EF H NS.

Ii y a une lettre à quatre temps qui est M.

- I5. — Les caractéristiques générales qu'on vient de décrire commandent et déterminent les ductus particuliers que nous allons passer en revue. L'étude des ductus ne consiste pas seulement, comme on l'a vu, à décomposer les lettres en traits, mais à préciser l'ordre dans lequel ces traits sont exécutés, et leur sens (de gauche à droite ou de haut en bas, etc.). Dans la description qu'on va lire, on ne répétera

pas à propos de chaque lettre ce qui vient d'étre dit dans les considérations générales énumérées plus haut ($$ 12-14). Notamment il est entendu, étant donné la position de l'instrument ($ 12), qu'aucun trait horizontal ne peut étre tracé de la droite vers la gauche et qu'aucun trait vertical ne peut étre tracé de bas en haut, qu'aucun trait

oblique incliné vers le bas et la droite ne peut étre tracé en remontant de la droite vers la gauche. En revanche on spécifiera si un trait oblique incliné vers le bas et la gauche a été tracé en descendant de la droite vers la gauche ou en remontant de la gauche vers la droite, les deux façons de faire étant possibles dans la position de l'instrument

indiquée au paragraphe

12. On ne redira rien non plus de l'épaisseur de chaque

trait qui est fonction de sa direction, comme il est dit plus haut, eu égard à la position constante de l'instrument.

I6. — Lettre A. Deux temps. Premier temps: un trait oblique I descendant de la droite vers la gauche,

toujours

pourvu

d'un

empattement

à son extrémité

inférieure. Deuxiéme temps: un trait 2 oblique, attaqué au-dessus de la ligne, descendant

de la gauche vers la droite et faisant un angle assez aigu avec le trait I.

26

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

Dans certains cas (lignes 4 et 7), ce trait 2 montre une tendance à se coucher nettement vers la gauche et à ne pas atteindre à sa fin la limite inférieure du corps de l'écriture. 17. — Lettre B. Deux temps à deux traits chacun. Premier temps: un trait 1 vertical, suivi à son extrémité inférieure d'un trait horizontal 2. Deuxiéme temps: petite courbe convexe

3 suivie d'un trait 4 légérement

incurvé qui descend vers la

droite et va rejoindre l'extrémité dtoite du trait 2.

18. — Lettre C. Deux temps à un trait chacun. Premier temps: un trait 1, courbe concave. Deuxiéme temps: un trait 2 horizontal tracé à partir de l'attaque du trait I.

Le trait horizontal marque parfois une tendance à s'incurver dans le sens concave et à se relever vers le haut et la droite à son extrémité droite. I9. — Lettre D. Deux temps déjà décrits au paragraphe 14. 20. — Lettre E. Trois temps, le premier de deux traits, le second et le troisième d'un trait chacun. Premier temps: un trait 1 vertical suivi à son extrémité inférieure d'un trait 2 horizontal.

Deuxiéme

temps:

un trait 3 horizontal, attaqué à partir de

l'attaque du trait 1. Troisiéme temps: un trait 4 horizontal plus court attaqué vers la mi-hauteur du trait I. Le trait 2 a tendance à obliquer en descendant vers la droite.

Le trait 3 a tendance à obliquer en montant vers la droite.

21. — Lettre F. Trois temps d'un trait chacun. Premier temps: un trait 1i vertical toujours pourvu d'un empattement à son extrémité inférieure. Deuxiéme temps: un trait 2 horizontal attaqué vers le sommet du trait 1. Troisiéme temps: un

Les papyrus

27

trait 3 horizontal. Le trait 2 marque une tendance ἃ obliquer en montant vers la droite.

$ f 2,

{

>

22. — Lettre G. Deux temps, de deux et de un trait. Premier temps: un trait I courbe concave; un trait 2 sinueux à la droite de la terminaison du trait 1. Deuxième temps: un trait 3 horizontal attaqué vers le sommet du trait 1. Ce trait 3 a tendance à obliquer en montant vers la droite.

23. — Lettre H. Trois temps d'un trait chacun. Premier temps: un trait vertical pourvu au haut et au bas d'un empattement. Deuxiéme temps: un trait 2 horizontal coupant le trait 1 sensiblement à sa mi-hauteur. Troisiéme temps: un trait 3 vertical

pourvu au haut et au bas d'un empattement. Le trait 2 a tendance à obliquer en montant vers la droite pour aller rejoindre l'attaque du trait 3. 2.f,

i

pH y

B

24. — Lettre I. Un temps d'un seul trait vertical, attaqué souvent plus haut que la ligne, et toujours pourvu d'un empattement à sa base.

25.

— Lettre K. Manque.

26. — Lettre

L.

Le

Un temps de deux traits: un trait I vertical suivi à sa fin d'un

trait 2 horizontal. Le trait 2 a tendance à obliquer en descendant vers la droite.

-"ς



27. — Lettre M. Quatre temps d'un trait chacun. Premier temps: un trait r oblique descendant vers la .gauche toujours pourvu d'un empattement. Deuxiéme

28

|

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

temps: un trait 2 oblique descendant vers la droite. Troisiéme temps: un trait 3 oblique, parallèle au trait 1, descendant vers la gauche et rejoignant la fin du trait 2. Quatriéme temps: un trait 4 oblique, parallele au trait 2.

28. — Lettre N. Trois temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I vertical pourvu d'un empattement à son extrémité inférieure. Deuxiéme temps: un trait 2 oblique descendant vers la gauche. Troisitme temps: un trait 3 vertical, paralléle

au trait I.

29. — Lettre O. Deux temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I courbe concave. Deuxiéme temps: un trait 2 courbe convexe. La courbe du trait 2 est

beaucoup moins accusée que la courbe du trait 1 et tend vers la forme droite.

30. — Lettre P. Deux temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I vertical pourvu

d'un empattement.

Deuxième

temps:

un

trait

2 courbe

convexe

se

terminant à mi-hauteur du trait ı. Le trait 2 a tendance à ne pas rejoindre le trait I.

31. — Lettre Q. Manque.

32. — Lettre R. Deux temps de un et deux traits. Premier temps: un trait x vertical toujours pourvu d'un empattement. Deuxiéme temps: un trait 2 courbe se terminant à mi-hauteur du trait I; un trait 3 oblique descendant vers la droite.

33. — Lettre S. Trois temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I oblique descendant vers la droite. Deuxiéme temps: un trait 2 horizontal attaqué à

Les papyrus

29

gauche et rejoignant à droite la fin du trait 1. Troisiéme temps:

un trait 3 horizontal

attaqué à la naissance du trait 1. Le trait 3 a tendance à obliquer en montant vers la droite. -

34. — Lettre T. Deux temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I vertical toujours pourvu d'un empattement. Deuxiéme temps: un trait 2 horizontal

attaqué à gauche de l'attaque du trait 1. Le trait 2 a tendance à obliquer en montant vers la droite.

T

2

hau

35. — Lettre

V. Deux temps de chacun un trait. Premier temps: un trait oblique

descendant vers la droite. Deuxiéme temps: un trait vertical pourvu d'un empattement à sa partie supérieure.

36. — Lettre X. Deux temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I oblique descendant vers la droite. Deuxiéme temps: un trait 2 oblique, croisant le trait I, montant empattement.

de la gauche

vers la droite et pourvu

à sa partie inférieure d'un

37. — Lettre Y. Deux temps de chacun un trait. Premier temps: un trait I oblique, puis vertical, pourvu à sa partie inférieure d'un empattement. Deuxième temps: un trait 2 oblique partant de l'angle du trait r et montant vers la droite.

.38. — Lettre Z. Manque. 39. — Pour ne citer que les ductus les plus caractéristiques et les plus symptomatiques de cette écriture «sur papier droit», si l'on ose s'exprimer ainsi, c'est-à-dire

30

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

exécutée selon l'angle du paragraphe I2, nous noterons spécialement les «reprises», de la gauche vers la droite, pour exécuter des traits horizontaux, «reprises» qui ne s'imposeraient pas dans une autre position de l'instrument par rapport à la direction générale de la marche de l'écriture: ces «reprises» sont représentées par le trait 2 de B, le trait 2 de C, le trait 2 de D, le trait 3 de G, les traits 2 et 3 de S.

À CD GS Pour la méme raison, nous soulignerons la répugnance de la main à fermer le P, c'est-à-dire à pousser le trait 2 vers la gauche jusqu'à sa rencontre avec le trait I. Nous remarquerons aussi la facilité avec laquelle la main dirige des traits, normalement horizontaux, selon une orientation oblique montant vers la droite quand ils appartiennent à la zone moyenne ou supérieure du corps de l'écriture, tendance qui se note dans le trait 2 de C, dans le trait 3 de E, dans le trait 2 de F, dans le trait 3 de G etc., et qui, dans le cas du trait 2 de H, conduit ce trait vers l'attaque du trait 3 de la méme lettre.

CEFGH Il est assez étonnant, dés le premier abord, qu'une écriture aussi encombrante,

aussi lourde, aussi lente; ait été utilisée pour expédier un acte, ce qui serait le cas s'il fallait voir, dans notre papyrus, un original au sens diplomatique du mot. Nous aurons à revenir sur ce point (cf. $ 87). 41. — Trois papyrus, fragments de rouleaux littéraires, qui appartiennent sensiblement à la méme époque, ont été trouvés en 1752 en Italie sous la lave du Vésuve. Ils ne peuvent étre facilement étudiés que depuis I938 gráce aux photographies données alors par M. Lowe (CLA 385, 386, 387). Il s'agit des papyrus 817, 1067 et 1475 d'Herculanum.

Ce sont,

encore

aujourd'hui,

les seuls papyrus

d'Herculanum

qui

soient publiés d'une maniére utilisable par la paléographie, sur les trente que Marichal a pu examiner en 1950 au Musée de Naples, et dont il nous promet une publication, réparatrice d'un incompréhensible oubli. On ne saurait assez mettre en garde contre un facsimilé gravé du plus célébre d'entre eux, le numéro 817, dit ‘Carmen de

bello actiaco’, facsimilé exécuté en 1806-09 par John Hayter et publié pour la premiére

fois

à Oxford en

1885. Depuis 1885, et méme

après la publication

du

CLA,

l'image de l'écriture du «Carmen» donnée par Hayter a été reproduite à peu prés dans tous

les

albums,

traités

et

études

de

paléographie latine.

Cette image

est trés

inexacte et trompeuse ainsi qu'on le constatera facilement par les figures 2 et 3 de la planche IV. Elle n'a pas peu contribué à brouiller les idées et à empécher tout éclaircissement de la question de la capitale, étant donné que le monument qu'elle déforme a été longtemps un des seuls exemples connus et cités de capitale écrite remontant à l'Antiquité. Il convient de répudier à jamais de toute étude paléographique le dessin de John Hayter (cfr. explic. pl. IV 2).

Les papgrus — Ces

trois papyrus

d'Herculanum,

31

affreusement

endommagés,

sont

bien

dates par l'éruption du Vésuve, d'une époque antérieure à l'an 79 de notre ére. Le plus ancien d'entre eux, le ‘Carmen’, est postérieur à la bataille d'Actium (31 avant J-C.)

dont il y est fait mention. Ils ne portent pas, comme le recensement d'Oxyrhynchus (pl. V 2), le texte d'un acte, mais des textes littéraires. L'écriture est, dans ces trois papyrus, sensiblement du méme module que dans le papyrus d'Oxyrhynchus. Quelques nuances distinguent le papyrus 817 (pl. IV 3), qui est le plus ancien: l'écriture est un peu moins lourde que dans le papyrus d' Oxyrhynchus et dans le papyrus

1475 d'Herculanum:

les empattements

sont d'un

emploi moins

systématique pour souligner la base des traits maigres; le trait 2 du G est fait, non pas d'un

trait ondulé,

mais d'un trait vertical, par conséquent

assez maigre, sur-

monté d'un empattement; 1’A est fait en trois temps, au lieu de deux, un trait que nous appellerons conventionnellement 1 bis étant attaqué sensiblement vers le milieu du trait

I et obliquant

légérement

en

remontant

vers 16 droite; souvent ce trait

I bis se rattache au premier temps en étant attaqué à l'extrémité inférieure du trait 1. Compte

tenu de ces nuances

de détail, l'analyse qu'on

a faite plus

haut

de

l'écriture d'Oxyrhynchus vaut exactement pour les écritures de ces trois papyrus d'Herculanum qui sont régies par les mémes principes: méme instrument doux faisant contraster les graisses, méme position de cet instrument conforme à l'angle aigu du

paragraphe 12, commandant les mémes ductus et répartissant automatiquement les graisses de manière identique au cours de l'exécution des formes, qui sont les mêmes,

à quelques détails secondaires prés. 43. — La lettre Q, qui manque dans Je recensement d'Oxyrhynchus, se présente dans les papyrus d'Herculanum selon le ductus:

δ»

44. — Voilà donc quatre papyrus écrits en «capitale» qui, suffisamment bien datés, se situent tous dans une période d'environ un siécle compris entre l'an 31 avant J-C. et l'an 79 de notre ére, période par excellence classique de l'histoire romaine. La capitale qu'ils nous montrent est remarquablement homogéne. Répétons et retenons que cette capitale a été employée, dans trois cas, pour les textes de «volumina»

littéraires, et aussi, dans un cas, pour le texte d'un acte, d'un «document.

45. — Des exemples plus nombreux de la méme époque ont été retrouvés qui, eux-aussi, portent indifféremment des textes littéraires et des documents, mais sous

la forme d'une écriture tout autre, en apparence tout au moins, que les paléographes ont désignée sous le nom

de «cursives: un certain nombre

d'entre ces monuments

sont groupés dans 1' Ecriture latine, aux numéros EL 10 à 13, 15 à 17 et 21, et, ici, parmi les monuments reproduits dans les onze premiéres planches (p. e. IV r, V z, VI, etc.). 46. — D'abord, l'écriture de ces papyrus est légère: elle a été tracée avec un ins-

32

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

:

trument trés dur faisant contraster les graisses d'une maniére le plus souvent imperceptible. Le module est généralement beaucoup plus petit que celui de nos quatre papyrus en «capitale», et le corps de la ligne est dominé ou dépassé au haut comme au bas par de nombreuses attaques et de nombreuses fuites. Enfin et surtout, si plusieurs formes sont, en gros, parfois les mémes que dans nos quatre papyrus en «capitale»,

d'autres au contraire, comme B (voir pl. VI, début derniére ligne: barbam), comme R (cf. le méme mot), comme D, semblent n'avoir rien de commun, et se présentent sous un aspect si étrange qu'on serait tenté de croire, au premier abord, qu'elles appartiennent à un autre alphabet, à un autre systéme graphique. 47. — Or ce sont précisément ces dissemblances extérieures qui accusent et revelent le mieux le lien de cette petite écriture légére avec la grande écriture lourde

décrite plus haut, car c'est par une pratique constante des mêmes principes d'écriture que s'expliquent les formes, à premiére vue les plus étranges, de la petite écriture légére. Inversement, ces formes étranges confirment tout ce qui est dit plus haut

sur la facon de faire la grande «capitale» lourde. 48.—Lettre

A.

Un papyrus (pl. VIII 1) del'an 77 de notre ère, qui est un contrat

de vente, nous montre les deux sections de la lettre décrites plus haut ($ 16) déplacées l'une par rapport à l'autre de part et d'autre d'un axe oblique, la premiére section

(trait 1) tendant à étre attaquée assez bas pour ensuite dépasser sous la ligne, tandis que la deuxiéme section (trait 2) se couche de plus en plus selon une direction qui tend à se rapprocher de l'horizontale.

YT 49. — Dans des papyrus plus anciens, comme un fragment de Cicéron

(pl. IV r),

le trait 1 bis de A (cf. $ 42) se trouve représenté (voir aussi pl. III 1 et XIII 2).

>> ne touchant plus le trait I, mais touche par le trait 2, si bien que, par un renversement de ductus dont nous verrons bientöt d'autres exemples, on finit par faire ce trait 1 bis à la suite du trait 2 et à l'envers (pl. III 2, V 1 et VI).

p



50. — Lettre B. Nous insisterons sur cette lettre (cfr. explic. pl. VII 2): elle est extrémement représentative parce que sa structure est plus complexe que la structure

d'aucune autre; elle comporte des éléments qui, par leur nombre et leur diversité, se

Les papyrus

33

sont trouvés modifiés en eux-mémes et dans leurs positions respectives d'une maniére particulièrement symptomatique; enfin, et pour les mêmes raisons, les méprises . auxquelles a donné lieu une lettre si représentative de toute une écriture sont trés révélatrices de l'état peu avancé oà a été portée jusqu'ici notre connaissance de cette méme écriture romaine. Dans la «cursive» qui nous occupe ici, le B est réprésenté par une forme, à premiére vue trés déconcertante. Il est fait d'une petite boucle placée sur la ligne, tendant méme le plus soyvent à pendre au-dessous de la ligne, d'une part, et, d'autre part, d'un trait ondulé attaqué fort haut au-dessus de la ligne et se terminant d'habitude notablement plus haut que la limite inférieure du corps de la ligne.

X42 51. — En définissant cette forme: «B à panse à gauches, on se conforme à une explication qui a été admise par beaucoup d'auteurs et que Steffens (p. IV) a donnée en ces termes: «B n'a plus de panse supérieure, et celle du bas est placée (ce qui est singulier) du cóté gauche.» Prou en 1924 (p. 41), répéte: «Le b a perdu la panse supérieure et la panse inférieure, seule conservée, est placée à gauche de la haste», sans

méme remarquer, comme Steffens, que cela est «singulier». C'est trop singulier, en effet, pour étre admissible, et rejeter d'emblée, car ce sements, aussi radicaux, où la nature ne fait pas

nous avons ici le modéle de ces explications que l'esprit devrait ne sont pas des explications graphiques. De pareils bouleversont inconcevables dans un traitement cursif, et s'il y a un cas de sauts, c'est bien celui-là. L'évolution d'une écriture, tracée

au courant de la plume, est soumise à deux influences contraires: l'influence de la main de l'homme qui écrit, et l'influence de l'oeil de l'homme qui lit. La main a tendance,

par paresse, à transformer l'écriture par simplification. L'oeil a une influence conservatrice et réactionnaire; ses exigences peuvent étre aussi de caractére esthétique; d'une maniére générale, il freine les transformations, car il veut continuer à reconnaitre

les lettres. Si grands que soient les changements qu'à la longue, et par lente transition, il permette à la main, ces changements s'exécutent dans le cadre de règles bien déterminées quant à l'ordre et au sens des traits, c'est-à-dire selon les canons du ductus. Certes il peut arriver qu'un ductus se trouve renversé: c'est, non pas pour donner une nouvelle forme, mais pour produire sensiblement la méme forme, le méme aspect, d'une autre maniére plus simple; on en a eu déjà un exemple avec la lettre A ($ 49); on en aura d'autres exemples avec le D, le M, le N et le O. Il est impossible d'admettre qu'une évolution cursive ait fait passer une panse de l'autre cóté d'une haste et une

haste de l'autre cóté d'une panse. 52. — Schiaparelli en 1921 (Scrittura latina, p. 50) a bien vu que l'explication de Steffens ne peut pas se soutenir. Mais il a cru que le grand trait ondulé représente les «deux panses» liées en un seul trait, et que la petite boucle représente la «haste», laquelle se serait æecourbées, autre complication qui, comme on le verra, est absolument inutile à imaginer. L'explication de Schiaparelli, comme celle de Steffens et de Prou, part du ductus qu'on croyait étre

celui du B capital, «en deux ou trois

traitss, ductus qui est encore reproduit par Battelli en 1939 (cf. $ 8), qui n'était pas

- 34

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

inconnu dans l'Antiquité (cf. 8 75) et qui est encore le nôtre quand nous écrivons aujourd'hui en «capitale»,

mais d’oü il est impossible de tirer la forme que nous étudionsici. Cette forme ne peut provenir que du ductus défini au paragraphe 17.

53. — Il n'y a pas, dans ce B, de «panse inférieure»; ou, plus exactement, cette

panse inférieure n'a pas d'existence propre: c'est un effet, pour l'oeil, de la rencontre du trait 4 avec le trait 2. Il n'est pas permis, davantage, de parler de «haste» dans ce B: c'est isoler indüment le trait 1 du trait 2 avec lequel il forme équerre, et lui donner un nom emprunté à la forme du B dans notre systéme «bas de casse» moderne. La «panse inférieure», n'existant pas, n'a pu, ni changer de cóté, ni se lier avec

la panse supérieure, pas plus que la prétendue «haste» n'a eu à se recourber. La forme du B de nos papyrus en «cursive» sort tout naturellement du ductus à quatre temps:

[Bb 2 la premiere section I + 2 s'est trouvée déportée vers le bas pendant que la deuxiéme section 3 + 4 s'est développée dans la région supérieure, attaquée trés au-dessus de

la ligne vers la gauche, pour se terminer à droite légèrement au-dessus de la ligne.

Les papyrus

35

Les déplacements respectifs des deux sections sont les mémes que dans le A étudié précédemment.

L 54. — Lettre C.

Reste sur la ligne. Son trait 2 tend seulement très nettement

à s'orienter vers le haut et la droite.

C

+

Il arrive aussi que le trait 2 soit sauté, la lettre ne restant plus constituée que

par le trait 1 attaqué très haut au-dessus de la ligne (caussam, pl. VI, 1. r).

72 ran 55. — Lettre D. Plusieurs papyrus (pl. III 2), à partir de la fin du premier siécle avant J-C, nous montrent les deux sections de la lettre qui sont décrites plus haut ($ 14) déplacées, l'une par rapport à l'autre, de part et d'autre d'un axe oblique, la premiére section (traits 1 et 2) tendant à étre attaquée'assez bas, et à se tenir sur la ligne, quand elle ne descend pas au-dessous, tandis que la deuxiéme section (trait 3), attaquée trés haut au-dessus de la ligne, perd sa forme légérement convexe pour aller se terminer au-dessus de la limite inférieure du corps de la ligne, adoptant méme parfois une forme concave.

Il arrive que cette derniére forme ait donné naissance à un ductus en un seul temps sans qu'il soit toujours facile de déterminer si le trait unique a été exécuté dans un sens (pl. VI, 1l. 4 et 20)

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

36 ou dans l'autre

4

^ BIST.

Une ligature rd en 77 (pl. XIV

(pl. VIII ı, 1. 4) et, plus tard, une ligature d/ en 131

r, 1. 3) montrent ces deux maniéres de faire

] 56. — Lettre E. Dans de nombreux cas, nous la trouvons peu modifiée. C'est tout au plus si, dans ces cas, le trait 2 se lie au trait 1 et sile trait 3 prend une direction oblique vers le haut, parfois en un trait de fuite trés prolongé

L

(-

Dans d'autres cas le trait 3 est sauté

έ Dans d’autres cas encore, il ne reste plus aucune trace non seulement du trait 3 mais méme du trait 2

f 57. — Il est trés curieux de constater qu'un méme papyrus, le contrat de vente de l'an 77, auquel il a été déjà fait allusion ($ 48), nous offre toute une gamme de E

t

C ttr c

Les papyras

|

37

qui nous permet de suivre l'évolution graphique qui conduit à une forme (pl. VIII 1)

[^ qui sera courante au deuxiéme siécle, et qui, composée uniquement du trait 1 et du trait 4, nous montre le trait 4 fait immédiatement à la suite du trait 1 et à partir de

sa base. 58. — Lettre F.

Cette lettre s'est trés peu modifiée. Son trait I, attaqué au

haut du corps de la ligne, descend au-dessous de 1a ligne, les traits 2 et 3 se tenant

respectivement, l'un sensiblement à la limite supérieure de la ligne, l'autre sensiblement à la limite inférieure (pl. V r, 1. 8)

ritu 59. — Lettre G. Très peu modifiée également. Le trait 3 accentue encore sa tendance à se relever vers le haut et la droite (pl. VIII x, 1. ı)

7

In

Parfois il est sauté, comme le trait 2 de C. La lettre est alors faite en un seul temps et composée des seuls traits I et 2, le trait 1 étant attaqué, comme dans le cas de C,

au-dessus de la ligne (pl. VI)

60. — Lettre H. Le trait 1 tend à descendre sous la ligne, le trait 2 tend à étre attaqué immédiatement à sa suite et, prenant une direction générale oblique montant vers la droite, à rejoindre l'attaque du trait 3, qui reste trés court, ne descendant pas

au-dessous de la ligne

61. — Lettre I.

Ne souffre, par sa simplicité, aucune modification importante.

62. — Lettre K. Je n'en trouve pas d'exemple qui soit antérieur au deuxième siécle. | |

38

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

63. — Lettre L.

Très peu modifiée, reste généralement dans le corps de la ligne

64. — Lettre M.

Elle se penche vers la gauche, le trait 1 tendant à descendre

L

MA

sous la ligne, et le trait 4 tendant à se terminer légèrement au-dessus de la limite inférieure de la ligne. Au surplus, elle tend à passer, de l'éxécution en quatre temps, l'exécution en trois temps, le trait 3 se faisant à l'envers,

à

AA

puis en deux temps

AS puis-en un seul (pl. VI)

NS 65. — Lettre N. Très peu modifiée, son trait 1 tend aussi à descendre sous la ligne, les autres parties de la lettre se maintenant dans le corps de la ligne

” Il arrive que de trois temps elle passe à deux temps

età un (pl. VI)

66. — Lettre O.

Le second trait tend à se rectifier complétement,

s'incurver dans le sens concave

Sc

voire à

Les papyrus

39

Il arrive que la lettre soit figurée non pas en deux temps, mais soit passée à une exécution en un temps

67. — Lettre P.

Le trait 2 tend de plus en plus à se rectifier (en se rapprochant

d'une direction horizontale) ou méme à s'incurver dans le sens concave, s'éloignant

en un mot de plus en plus de la fermeture par jonction avec le milieu du trait r.

ern 68. — Lettre Q.

Ne peut tirer son origine que du ductus que nous avons analysé

au paragraphe 43. Les deux derniers traits s'unissent en un grand trait oblique droit, voire incurvé en sens convexe, qui descend sous la ligne tandis que le premier trait est resté encagé dans la ligne

^ SEP 69. — Lettre R. Le trait I, attaqué bas, descend sous la ligne, et le trait 2 et 3

sont liés en un seul trait ondulé qui attaqué haut et à gauche se termine un peu audessus de la limite inférieure de la ligne

FT

70. — Lettre S. Le trait 2 tend à disparaître et le trait 3 tend à prendre une direction oblique vers le haut et la droite

-

71. — Lettre T.

Le trait 2 tend à obliquer vers le haut et la droite

T

40

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

72. — Lettre V. Se modifie peu, sauf quand elle passe de deux à un temps, le trait 2 étant fait à l'envers à la suite du trait 1

v 73.

— Lettre X.

7

Se penche sur la ligne selon un axe incliné vers la gauche

74. — Des deux analyses, de la «capitale» étudiée plus haut ($$ 11-44) d'une part et de la «cursive» qu'on vient d'examiner (δὲ 45-73) d'autre part, il y a beaucoup de choses à retenir. S'il est évident que les formes, le module et le poids de l'une ne sont pas les mémes que les formes, le module et le poids de l'autre, en revanche, il est aussi évident que l'angle d'écriture et les ductus sont les mémes. Ce que la position des pleins révèle dans la «capitale» (à savoir l'angle de l'écriture et les ductus qui en dépendent), le déplacement des Elements des formes le trahit dans la «cursives. En d'autres termes, c'est à force d'écrire constamment, couramment et pendant longtemps, des formes analogues à celles de la capitale selon cet angle et selon ces ductus, que la ecursives s'est créée. Des lettres comme 4 B D H M N R X dont la forme

«capitale» est assise sur la ligne (à la différence de C G P etc., par exemple), sont de nature à faire ressortir d'une maniére particuliérement voyante cette méthode d'écriture: le quadrillage oblique, qu'on obtient en croisant l'axe des pleins avec l'axe des déliés dans la «capitale», encadre les formes de la «cursive»

N

7

7

Ya

N Les lettres se sont trouvées déboitées vers le haut et la gauche par rapport à la direction

, Les papyrus

41

de la marche de l'écriture. C'est évidemment l'effet d'une méme méthode constante d'écrire selon l'angle indiqué au paragraphe 12

qui commande les ductus les plus caractéristiques énumérés au paragraphe 39 et qui sont constitués par des «reprises» de la gauche vers la droite: traits 2 de B, de C, de D et de S, traits 3 de G et de S. 75. — On pourra nous montrer sur des inscriptions, et notamment sur des tables

de bronze (cfr. explic. pl. V, 3), des «capitales dont les B C D G S ne sont pas faits ainsi: ce n'est pas à ces capitales-là qu'on peut relier la «cursive» que nous montrent les papyrus de la fin du premier siécle avant J-C. et du premier siécle de notre ére.

Seuls les ductus des paragraphes II à 44 peuvent expliquer graphiquement cette «cursive». 76. — Dans les exemples de cette «cursive», les différentes lettres d'un méme papyrus peuvent étre beaucoup moins déformées les unes que les autres; la méme lettre peut étre beaucoup plus déformée dans un exemple plus ancien que dans un autre plus récent; la méme

lettre dans un méme

papyrus peut se montrer sous des

formes trés inégalement avancées au point qu'elles soient d'aspect trés différent (et la gamme des E du contrat de 77 reproduite au paragraphe 57 est très significative

à cet égard): cette anarchie n'est qu'apparente. Un principe domine, qui fait l'unité parmi les exemples de «cursive» entre eux d'une part, et entre ces exemples et nos

quatre exemples de «capitale» d'autre la place des pleins dans la. «capitale» a nécessité les ductus de cette méme rapide, les déformations qu'on observe

part: c'est l'angle d'écriture que nous révéle d'Herculanum et d'Oxyrhynchus, angle qui écriture, et qui a engendré, dans l'exécution dans la «cursive».

77. — Nous croyons donc pouvoir montrer un systäme graphique trés cohérent dans l'écriture romaine au premier siécle. Cette cohésion dont, comme nous le verrons de plus en plus nettement par la suite, il y a tant de conclusions trés importantes à tirer, serait troublée, et, partant, ces mémes conclusions seraient fortement compromises,

si une forme, qu'on a cru pouvoir relever, avait existé. Et il est absolument indispensable, avant d'aller plus avant, d'ouvrir une parenthése pour dissiper un mirage. Au demeurant, nous aurons un bon exemple des problémes auxquels doivent s'atteler les paléographes sans aucun mépris des «détails* ces problèmes, portant sur des matiéres infimes, sur des pattes de mouche, mettent souvent en cause des questions qui sont des plus importantes pour une science qui, elle-méme, intéresse au premier chef l'histoire de la culture. En sorte qu'il est de la plus grande conséquence, et on le sentira de plus en plus dans ce livre, pour l'histoire de la culture, de savoir si une forme de B, composée d'une «haste» haute à gauche et d'une petite panse à droite, opposée au B à prétendue «panse» à gauche ($ 50), a bien existé dans l'écriture romaine du premier siécle (cf. explic. pl. VII 2).

42

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère 78. — On l'a schématisée de la façon suivante (crr, rv, pl. I, col. du B, forme 8)

V Zangemeister,

Hübner, Cagnat, Fita, Van Hoesen,

Garcia Villada,

Schiaparelli

et M. Lowe, pour ne citer que quelques noms, nous montrent tous cette forme, qui sur des tablettes de cire, qui sur des papyrus, qui sur des marbres. Aux yeux d'auteurs imbus de la thèse, que nous examinerons plus loin, de la continuité des «cursivess romaines, il n'y avait pas de question, et il paraissait tout naturel de trouver, sur les murs de Pompei et ailleurs, dés le premier siècle, cet ancêtre de notre B «bas de casses.

Cela leur paraissait d'autant plus naturel que, d'autre part, le B classique, c'est-à-dire le B à prétendue «panse» à gauche, demeurait pour eux un mystère, faute d'une analyse

graphique du systéme classique de l'écriture romaine, telle que nous avons tenté de l'esquisser. Or, c'est maintenant le B à prétendue «panse» à gauche qui nous parait naturel: un B «à panse à droite» contrarierait toutes les régles indiquées plus haut

concernant l'angle et les ductus de l'écriture romaine au premier siécle; nous le trouvons maintenant complétemerit anormal; il nous gêne. Or, comme

on va le voir, ce n'est

que le fruit d'une hallucination collective, à partir d'une illusion de Zangemeister concernant trois graffites de Pompei. 79. — En 1871, Zangemeister crut voir trois B «à panse à droite» dans les relevés qu'il avait faits des graffites de Pompei crr, rv 1679 (et pl. ıv 2), 1747 (et pl. xvi 14), 2288 (et pl. xvir 1), dont nous donnons ici les parties qui nous intéressent:

N, N 3 XN



Zangemeister a transcrit le cas I bib, le cas 2 tib, le cas 3 obigerite. Il y a bien vu,

par conséquent, des B «à panse à droite». Dans les deux premièrs cas, les graffites originaux ont disparu, et il ne nous reste plus que les dessins de Zangemeister, dont Marichal, au cours de son récent voyage à Pompei, a pu constater, d'une maniére générale, la fidélité. Aussi bien, les

lectures sont elles ici assez claires pour attester, sans aucun doute possible, la présence

Les papyrus

A.

43

de deux B. Mais on aura tout de suite reconnu dans chacun de ces deux casla silhouette du grand trait ondulé du B à prétendue «panses à gauche. Si on restitue dans ces deux cas, en pointillé, la prétendue «panse» à gauche on obtient des formes parfaites de B normaux. On n'a que l'embarras du choix entre les hypothéses pour expliquer

1| l'absence de la prétendue «panse» à gauche, ou boucle, sur les relevés du Corpus: premiérement, des négligences de la part des auteurs de graffites qui ont confié leurs

pensées à la paroi, négligences qu'un abus du vin et des plaisirs reflété par leurs textes ne permettrait que trop d'admettre (dans cette hypothése, la prétendue «panse» aurait manqué dans l'original); 2°, une dégradation de la paroi au-dessous de chaque graffite à l'endroit οὐ devait se trouver la boucle, dégradation qui aurait fait disparaitre la dite boucle; 39, une inadvertance de Zangemeister, trop enclin par les idées en cours à retrouver notre B minuscule moderne sur les murs de Pompei. Les deux derniéres de ces hypothéses sont les plus vraisemblables. En ce qui concerne le cas 1, la reconstitution de la «panse» à gauche s'impose d'autant plus — et est d'autant plus facile — que le premier B de bib... nous donne un modèle.

Mais l'identification des deux grands traits ondulés avec la seconde partie de la forme classique nous est encore confirmée par un argument qui léve toute espéce de doute. Les petits traits qui suivent, dans les deux cas, les grands traits ondulés, et oà Zangemeister a vu la seconde partie de deux B «à panse à droite», trouvent un

emploi dans deux lectures qui les font appartenir, non pas au B, mais à une lettre qui suit. Dans le cas numéro I, qui est le dernier mot d'un long texte, Zangemeister, a lu bib[es] qui est commandé par le sens de tout ce qui précéde. Et il a eu raison, quant à la syntaxe. Mais, au lieu de bibfes], il faut transcrire bibe[s], car le petit trait qui termine le graffite représente, non pas le second trait d'un B «à panse à droites, mais le premier trait d'un E constitué par deux traits paralléles, forme courante dans les graffites de Pompei, dans les tablettes de cire, dans les tables de plomb etc. de cette époque.

Ce qui a disparu, ce n'est pas es, se sont les éléments suivants: 19, au-dessous du dessin, la «panse» à gauche du B, lequel, se trouvant incomplet, doit étre marqué d'un .point dans la transcription; 2°, le second trait de E, lettre qui par conséquent doit étre aussi marquée d'un point, et, 3°, la lettre S tout entière qui doit être placée entre crochets carrés. Le cas numéro 2 est très simple: le petit trait qui suit le grand trait ondulé représente, non pas la panse à droite de B, mais tout simplement 11 qui termine ἐΐδί. Ce

qui a disparu, c'est seulement, au-dessous du dessin, la «panse» à gauche du B, et il faut transcrire tibi en pointant le B comme lettre incomplète. Quant au cas numéro 3, dont l'original subsiste, il est trés différent des deux

44

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

premiers, car aucune lecture acceptable n'a pu étre proposée, jusqu'à ce jour, de la ligne oü on nous le montre. Non seulement il n'y a pas de B à «panse à droite», mais encore il n'y a pas de B du tout, et Marichal, qui a bien voulu examiner

pour moi le graffite sur la paroi, identifie le.grand trait ondulé.qui s'y voit comme appartenant à un L analogue à celui de fwteolan dans cr, 1v 2783 (cfr. pl. VII 1 et 2). J'ai examiné une à une toutes les planches de Zangemeister, et ces trois cas,

qui ne valent pas, sont les seuls où il a pu croire lire un B «à panse à droite». C'est donc sur ces trois seuls cas qu'il a fondé le schéma )

\ qu'il a inséré dans son tableau des formes à la planche I, colonne du B, ligne 8, aprés

des B deforme clasique qui se rencontrent en nombre incalculable dans ses relevés.

C Et c'est là le tournant dangereux de l'affaire: rien, dans ce tableau des formes, ne pouvait indiquer que le huitiéme schéma de B n'était fondé que sur trois cas, et qui se révélent insoutenables. Par son insertion dans le tableau de Zangemeister, le B «à

panse à droite» dans la «cursives romaine du premier siècle était promu au rang de forme classée et reconnue. Ce tableau devait étre consulté, et reproduit dans d'autres ouvrages, indépendamment des planches sur lesquelles il est fondé. Le B «à panse à droite» était consacré comme une forme de la cursive romaine au premier siécle et

l'on perdait de vue les relevés d’où il était tiré. 80. — Vint

Hübner

avec

ses

Exempla

scripturae

epigraficae

parus

en 1885. Il nous montre (n° 1188) un calque d'une inscription du Vatican,

MÄANDVS

NLIXENICE TICLAVDIVS POLY CITIVS MAMAMAE SVADENE

à

Berlin

Les papyrus

45

où le B est répété deux fois à la première et à la dernière ligne

4 N“

nva

Br

>

2

2

Ce sont deux cas où, par malchance, une erreur d'interprétation du ductus est facile,

surtout quand on considère, comme ici, un calque où seuls les contours extérieurs des traits sont figurés, sans qu'aucun indice permette de suivre leur tracé: le trait 1 peut donner l'impression de continuer la partie verticale du trait 3 + 4 car ce trait I et

cette partie verticale se trouvent, là, exactement dans le méme axe. Cette erreur (déjà commise dans un relevé d'une tablette de Transylvanie publiée par le CIL ΠῚ, cf. mes Remarques citées expl. pl. VII 2, cas 8) consiste à voir un ductus

| y

I)

là oà l'auteur de l'inscription a tracé

τ

Nv

Hübner a commis cette erreur puisqu'il nous dit que, dans le cas de l'inscription du Vatican, le B «devient semblable à un D avec une haste droite plus longue» (Ex. p. LV).

C'est avouer qu'il comprend ainsi le ductus

C'est alors qu'il fait appel au tableau de Zangemeister. La forme 8

ἰ.

ne lui parait qu'un cas particulier d'une facon de faire générale, cas particulier oü le petit trait de droite ne touche pas la haste. C'est avouer maintenant que tous les B cursifs ou à tendance cursive sont, à ses yeux, constitués d'une haste à gauche

46

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

et d'un trait court à droite. Dans la plupart des cas, selon Hübner, le petit trait de droite toucherait la haste de gauche, et la forme 8 du tableau de Zangemeister ne serait qu'une exception à la régle, exception oü le contact entre le petit trait et la haste n'existe pas. Hübner,

si étonnant que cela puisse paraitre, étant donné la difficulté

d'une pareille erreur dans d'innombrables cas (notamment du crt, IV), a complètement ignoré l'existence du B à «panse» à gauche qui est le seul B cursif romain au premier siécle. Partout oü il le rencontrait, il voyait un B «à panse à droite», annongant la forme minuscule et la forme bas de casse actuelle avec laquelle il n'a rien à voir. Il ne reléve pas moins de vingt-cinq B «à panse à droite» (Ex. p. LV) dans des inscriptions d'Italie et d'Afrique (Not. pal., [17]). 81. — Influences à leur tour par la doctrine des Exempla, les autres éditeurs du Corpus en virent de nombreux autres qu'ils transcrivirent par un B «bas de casse» aprés 1885 (cf. Not. pal., n° 35). Hübner lui-même en trouva encore un sur un marbre de Bétique (CIL Π 5411) où la forme classique avec «panses à gauche était pourtant particuliérement évidente (cfr. pl. IX 3)

« 82. — A sa suite, Fita et Villada voyaient aussi un B «minuscules, l'un, en 1912 (BRAH 62, p. 535, n? 15), dans une inscription d’Avila, l'autre, en 1923, sur une brique d'Italica conservée au Musée archéologique de Madrid ($ 117/r, cfr. pl. VII 2), B qui sont l'un et l'autre du type classique et normal le plus pur. 83. — Les trois méprises de Zangemeister devaient encore faire d'autres dupes, à savoir un groupe d'auteurs d'ouvrages fondamentaux de paléographie qui, sans ignorer, comme Hübner, l'existence du B à «panse» à gauche, n'étaient que trop disposés, par leurs idées sur l'évolution générale de l'écriture latine, à voir poindre dés la plus haute antiquité, à cóté de cette forme pour eux déconcertante, une autre forme avec «panse à droite», annonciatrice de notre B bas de casse. Dans sa Roman cursive writing,

Van Hoesen accueillait en 1915 le B «à panse à droite» de Zangemeister, en recopiait deux cas (le cas que nous avons numéroté I lui ayant échappé), et en recrutait quatre autres hors des graffites de Pompei: deux sur un dessin inexact d'un papyrus de

Vienne (pl. III 2) publié par Wessely en 1898 (l'un est un E et l'autre un B à «panse» à gauche), deux sur des tablettes, l'une de Pompei, l'autre de Transylvanie (Remarques,

cas 7 et 8), oü l'erreur d'interprétation du ductus est la méme que celle que nous avons vu commettre par Hübner sur une inscription du Vatican (8 80). Schiaparelli vint ensuite qui recueillit quatre cas sur les six de Van Hoesen dans sa Scrittura latina de 1921, et disserta, avec embarras, mais sans scepticisme, sur la dualité des formes du B dans la cursive romaine du premier siécle. M. Lowe a encore vu un B «à panse à

droite» dans un papyrus d'Oxford oü sa propre photographie (pl. XVI 2) montre un B à «panse» à gauche. Le tableau dressé par Zangemeister en 1871, séparé des planches qui le suivent et sur lesquelles il s'appuie, continue à étre reproduit dans tous les manuels d'épigraphie et de paléographie les plus récénts: il porte avec lui et accrédite partout ce B à panse à droite qui n'a jamais existé dans la cursive du premier siécle,

Les papyrus

47

et qui ne.peut pas avoir existé parce qu’il est contraire à toutes les tendances fondamentales de cette écriture. A l’origine de ce mythe, consacré et amplifié par Hübner,

Van Hoesen, Schiaparelli et tant d'auteurs, il y a seulement trois mauvaises intérprétations de graffites plus ou moins gribouilles par des mains d’ivrognes sur une paroi sujette à l’effritement, et relevés par un auteur du dix-neuvième siécle qui ne pouvait être alerté par

la singularité

d’une forme impossible.

84. — Cette forme imaginaire étant expulsée du système de l'écriture romaine du premier siècle, rien ne trouble la cohésion fondamentale de cette écriture sous ses formes les plus variées. Le cadre de ce système graphique étant bien fixé, nous allons maintenant, à l'intérieur de ce cadre, pousser plus avant la comparaison de la «capitale»

d'Herculanum-Oxyrhynchus avec la «cursives. Nous avons souligné que, si l'angle de l'instrument et les ductus étaient les mémes

dans ces deux écritures, expliquant les changements de formes par l'intermédiaire du traitement cursif, en revanche le module et le poids étaient trés différents: le module de la «cursive» est beaucoup plus petit que le module de la «capitales», et la

cursive est extrémement légère alors que la capitale est très lourde, la «cursive» étant exécutée avec un instrument trés dur qui fait trés peu contraster les traits gras et

les traits maigres, alors que la capitale est écrite avec un instrument trés doux accusant fortement les pleins. C'est dire que la «cursive» s'est trouvé constituée par des générations de scribes à force d'écrire rapidement des formes analogues à celles de la capitale,

mais dans un module petit et avec un instrument dur. La «cursive» tire donc nécessairement son origine d'une écriture ayant les mémes formes, le méme

angle et les

mémes ductus que la capitale, mais un module beaucoup plus petit et une légéreté beaucoup plus grande. Cette écriture originelle, nous ne la trouvons sur aucun monument écrit à l'encre,

. et les plus anciens papyrus latins retrouvés nous attestent déjà des formes trés avancées à la fin du premier siécle avant J-C. Il faut par conséquent supposer que la dite écriture originelle a été employée comme écriture commune à une époque largement antérieure.à l'ére chrétienne, une lente transition insensible étant nécessaire, pas tellement à la main, mais à l'oeil, pour laisser, par exemple, la deuxiéme lettre

de l'alphabet passer de la forme

à la forme

C et pour la reconnaitre, ainsi que pour reconnaitre la quatriéme lettre de l'alphabet dans la forme

δι

48

Jusqu'au deuxieme siécle de notre ére

85. — D'autre part, les exemples d'Herculanum et d'Oxyrhynchus, qui portent la «capitale» que son module et sa lourdeur rendent déjà inapte à produire la cursive de la fin du premier siécle avant J-C., sont, ou contemporains, ou méme postérieurs

aux papyrus qui portent cette «cursive» déjà avancée. Donc, pas plus chronologiquement que graphiquement, cette «capitale» ne se place à la source de la scursives. Les données chronologiques et les raisons graphiques se rencontrent pour nous interdire de voir, dans la «capitale» de nos quatre papyrus d'Herculanum et d'Oxyrhynchus, l'écriture originelle d’où a pu venir naturellement la «cursiver. Cette «capitale» du premier siécle est une survivance des formes de l'écriture originelle qui ont été agrandies et alourdies pour étre portées aux proportions monumentales d'une calligraphie à usage exceptionnel, tandis que la ecursive» est en réalité cette méme écriture

originelle qui a gardé son petit module et sa légéreté, mais dont les formes ont été transfigurées par une trés longue pratique dans la vie courante selon un angle constant et des ductus permanents.

86. — Le terme de ecursive» n'est pas bon; car, ne se référant qu'à l'une des caractéristiques de l'écriture dont il s'agit, il ne suggére que trop un emploi réservé aux «documents, par opposition à une écriture posée de livres. L'écriture dite ecursive» du premier siécle est une «écriture commune», employée constamment aussi bien pour copier les livres que pour rédiger toutes les sortes de documents et de textes

non littéraires. Nous pourrons l'appeler «écriture commune classique» pour la distinguer d'une tout autre écriture commune qui sera employée plus tard, comme on le verra, à une plus basse époque, dans tout le monde romain (cf. $$ 156 et suivants). En ce qui concerne la calligraphie de nos quatre papyrus d'Herculanum et d'Oxyrhynchus, qui survivra encore pendant de longs siécles à bien des révolutions de l'écriture latine, il semble qu'on puisse lui conserver le nom de «capitale». Quelque danger qu'il y ait, du point de vue graphique, à rapprocher cette capitale classique de notre capitale d'imprimerie ($6), les conditions d'emploi de l'une et de l'autre ne sont pas sans quelque analogie, et, si l'on n'a égard qu'à l'usage qui en est fait, la capitale écrite du premier siécle s'oppose à l'écriture commune de la méme époque sensiblement de la méme maniére que notre capitale typographique s'oppose aujourd'hui à notre bas de casse. Enfin, ses formes ne méritent le nom de capitales que quand,

alourdies et surtout agrandies, elles sont d'une époque oü leur usage est exceptionnel, ainsi qu'on les voit sur les exemples du premier siécle. Petites et légéres, elles ont antérieurement appartenu à une écriture qui était «commune», dont nous n'avons pas d'exemples (au moins écrits à l'encre), qui n'a pas pu ne pas exister, et qui est à la source de l'écriture commune classique du premier siécle, mieux: qui est cette écriture méme dans un état plus ancien, antérieur aux premiers papyrus que le climat d'Egypte et la lave d'Herculanum nous ont conservés: on ne saurait dire qu'une «capitale» est à l'origine de toutes les écritures latines. | 87. — Des lors comment l'emploi de la capitale peut-il s'expliquer dans les quatre exemples cités plus haut? Pour les «voluminas» d’Herculanum, une explication toute simple s'offre à l'esprit: ce sont des livres de luxe à opposer aux livres courants en écriture commune dont les fragments sont conservés (p. e. pl. IV 1, VI, X r, XVI). Quant 4 la capitale d'Oxyrhynchus (pl. V 2), qui a été employée non pas pour un texte littéraire mais pour le texte d'un acte, il est trés curieux de constater qu'un autre papyrus trouvé en méme temps porte le méme texte (pl. V 1), non pas en écriture capitale, mais en écriture commune, et, comme il s'agit d'un acte, la question se pose

de savoir si, dans l'un des deux cas, il ne s'agit pas de l'original, l'autre papyrus étant

Les papyrus

|

49

une copie. M. Vitelli et, à sa suite, les auteurs de l' Ecriture latine ont cru que l'original

était le papyrus en capitale.

Je pense maintenant, pour ma part, le contraire, et que

le papyrus en capitale est une copie destinée à un usage ostentatoire, à l'affichage

par exemple. Nous étudierons plus loin ($ 167) le probléme de l'écriture d'actes d'un caractére spécial, à savoir les actes du pouvoir souverain. Nous verrons que des exemples de rescrits impériaux qui nous sont parvenus et qui sont trés tardifs (ils sont du

cinquiéme siécle), nous montrent les originaux de ces actes encore grossoyés dans une écriture qui n'est autre que la persistance, évoluée dans la chancellerie impériale, de

l'écriture commune classique du premier siécle, écriture qui, au cinquiéme siécle, avait disparu depuis trés longtemps, et partout, de l'usage courant. Nous remarquerons que pour s'étre ainsi invétérée dans la chancellerie impériale, il faut que cette écriture y ait

été pratiquée de tous temps; si, par conséquent, les originaux des actes du pouvoir souverain étaient grossoyés au premier siécle dans l'écriture commune d'alors, à plus

forte raison des originaux d'actes de juridictions beaucoup plus modestes étaient-ils exécutés dans cette méme écriture, et nous avons déjà signalé combien il était invraisemblable qu'une écriture aussi lourde et encombrante que celle de la planche V 2 eüt été employée pour expédier des actes (cf. $ 40). S'il y a un original dans les papyrus I et 2 dela planche V, c'est le papyrus I, en écriture commune; et le papyrus 2 n'est qu'une copie destinée à l'affichage, qu'on aura exécutée à l'encre sur papyrus au lieu de la porter sur le bronze. Ce qu'il y a de sûr, c'est que la capitale du papyrus 2 ne saurait étre nullement considérée comme une «actuaria» (cfr. explic. pl. IV 2). La variante nomo oxyrhynchite, dans ce papyrus en capitale, contre nomo oxyrhyncho dans le papyrus en écriture commune, semble encore confirmer cette vue.

88. — Nous voyons déjà qu'il est insoutenable que, comme on le donne à entendre dans de nombreux traités de paléographie, il y ait eu à l'époque classique romaine

deux écritures dont la destination se serait répartie ainsi:

19 la capitale employée

pour les livres; 29 la «cursive» employée pour les documents. Nous avons des fragments de livres comme d'actes exécutés les uns et les autres en écriture dite cursive qui n'est pas plus une «actuaria» qu'une dibraria», mais une «écriture commune», courante,

sans qu'elle ait été le moins du monde réservée aux documents. Ce qui déterminait le choix de la capitale, c'était, non pas le fait qu'on avait à copier sur un rouleau un texte littéraire, mais l'intention d'employer une calligraphie d'apparat, au lieu de l'écriture courante, soit dans la copie d'un livre, soit dans la copie d'un acte. Dans

la copie d'un acte, c'était une intention de publicité; dans la copie d'un livre, une intention de luxe. La seule règle qui paraisse absolue est qu'en aucun cas, au premier siécle, la capitale ne peut étre considérée comme une «actuariar, c'est-à-dire comme une écriture d'originaux. Cette dénomination d'«actuaria» (cfr. Prou, p. 32) a été employée par les épigraphistes qui l'ont appliquée à la capitale qu'on trouve sur des

inscriptions qui portent des textes d'actes: il ne faut pas oublier qu'il s'agit, non pas d'originaux au sens diplomatique du mot, mais d'affiches. 89. — En résumé, les papyrus nous ont conduits aux vues suivantes sur l'écriture

romaine à la fin du premier siécle avant J-C. et au premier siécle de notre ére: Pour copier les livres, rédiger les lettres, dresser les actes et établir toutes les sortes de documents, on pratiquait ordinairement une écriture assez petite, cursive et légère, dont des exemples sont donnés aux planches I-IV 1, V 1, VI-IX x, X 1, XI.

Des différences graphiques se notent entre les papyrus qui portent cette écriture commune. Mieux: des différences se notent, à l'intérieur d'un méme papyrus, entre diverses lettres de l'alphabet qui devraient se ressembler, et mieux encore, entre les 4

50

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

formes d'une méme lettre dans un méme papyrus.

Ces différences sont purement

superficielles et extérieures. Elles correspondent seulement à des états, plus ou moins avancés selon les papyrus, selon les lettres, selon les formes, de la méme évolution

d'une méme écriture originelle, évolution qui s'est effectuée par la pratique, à la fois, de l'angle constant de cette écriture originelle et des ductus permanents qui lui étaient propres. Il ne nous est parvenu aucun exemple écrit à l'encre de cette écriture originelle.

Les plus anciens papyrus latins sont tardifs: ils correspondent au huitiéme siécle de Rome. Nous connaissons, d'une maniére trés approchée, les formes de cette écriture

originelle par leur survivance dans une calligraphie d'apparat oü on les avait conservées, mais en les grossissant. | Cette calligraphie d’apparat dont les planches IV 3 et V 2 nous donnent des exemples, servait, au premier siécle, de «capitale», comme nous disons aujourd'hui, et on y avait recours dans les cas particuliers oü, soit pour copier un livre, soit pour

reproduire un acte, on ne voulait pas employer, pour un motif quelconque, l'écriture commune. 91. — Certes cette écriture commune classique continuera d'étre employée au deuxiéme siécle et encore au troisiéme siécle pour copier des livres, dresser les actes, rédiger les lettres, établir des comptes etc. Les formes, les ductus, le module et le poids resteront fondamentalement les mémes, mais, en ce qui concerne l'angle, on observera sur cette écriture commune classique les effets d'un phénoméne plus

général extrêmement important dont nous étudierons plus loin (88 129 et suivants) d'autres conséquences. Nous devons le consigner ici parce qu'il justifie la limite chronologique que nous avons donnée à cette premiére partie dont l'objet propre est l'écriture

romaine jusqu'à la fin du premier siécle de notre ére. Au demeurant, l'influence de ce phénoméne est spécialement intéressante à observer sur l'écriture commune classique

en raison du nombre relativement important de documents datés, bien échelonnés dans le temps, qui ont été retrouvés exécutés dans cette écriture: 92. — Sur un grand nombre de papyrus on voit que l'écriture commune classique est penchée vers la droite de telle sorte qu'il est impossible que ces exemples aient été exécutés selon l'angle (cf. pl. XIV-XVI) qui avait été nécessaire (cf. $ 12) pour créer

les formes de la dite écriture telles qu'elles se présentent à nous sur les papyrus dates du premier siécle; or il se trouve que les exemples qui portent cette écriture inclinée vers la droite et pour lesquels on a des dates précises se massent tous, chronologiquement, aprés le premier siécle. Il y a là une rencontre de données graphiques et

chronologiques qui est extrémement significative. 93. — L'inclinaison vers la droite est particulièrement voyante dans les lettres à deux sections. La deuxiéme section du B par exemple, au lieu d'étre attaquée au dessus et à l'aplomb de la premiére section, ou méme à la gauche, comme au premier

siécle avant J-C. et au premier siécle de notre ére

Les papyrus

51

est attaquée au-dessus et à droite

2 2. ce qui- facilitera des ligatures entre la première et la deuxième section, de telle sorte

que la méme lettre B n'est plus faite que d'un trait et se présente ainsi:

Le D qui dans les papyrus datés du premier siécle de notre ére se présentait ainsi:

NY se présente au deuxiéme siécle de la facon suivante

/ dd Le Q qui dans les papyrus du premier siécle se présentait ainsi

PL

va se présenter au deuxiéme siécle de la maniére qui suit

Dans le 7, oü normalement l'attaque de la deuxiéme section (trait 2) doit se faire à gauche de l'attaque de la premiére, il arrivera que, par l'effet du changement

52

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

d'angle, cette attaque de la deuxiéme section soit déportée vers la droite

y

au point que la premiére section entrera elle aussi en ligature avec la deuxiéme

94. — Cette inclinaison de l'écriture vers la droite ne peut s'expliquer que par une inclinaison de la feuille vers la gauche selon une méthode qui nous est familiére aujourd'hui, ou bien encore de cette autre maniére: la feuille restant dans la méme

position, l'instrument aurait été tenu, dans un cas, entre l'index et le majeur, et dans l'autre cas, entre la pouce et l'index. Quoiqu'il en soit de cette question qu'on pourra peut-étre un jour élucider, le résultat est le méme: dans les papyrus qui nous montrent l'écriture commune inclinée vers la droite, on a exécuté cette écriture selon un angle

trés différent de celui qui l'avait nécessairement créée. un

95. — Le groupement chronologique de ces exemples est le suivant: année 131, testament (EL 23, cf. pl XIV r); année 150, une pétition (cf. pl. XIV 2);

année

156,

un rôle publié par Mommsen

des 1895 (EL 24); aprés

l'année

161, des

fragments des Institutiones de Gaius (cf. pl. XVI 1i); année 167, un reçu (EL 26, cf. pl. XIV 3); année 192 à 196, un compte militaire (Berlin P 6866 A — xr 27, publié à nouveau avec P 6866 B en 1945 par Marichal qui a, entre autres corrections,

cf. Mar.

52, mis au point la date). Nous y ajouterons une lettre, trouvée en Syrie,

annongant le passage d'un ambassadeur, des années 202-207, publiée pour la premiére fois par Rostovtzeff en 1933 (EL 28) et une déclaration de 237 (cf. pl. XVI 4).

Tous les papyrus dates postérieurement oü est encore employée l'écriture commune classique nous la montrent penchée vers la droite jusqu'aux exemples les plus tardifs de cette écriture qui sont du cinquiéme siécle (pl. XXVI 4), époque oü elle n'était plus «commune» puisqu'on ne l'employait que dans la chancellerie impériale (cf. $8 167 et suiv.). Parmi cet ensemble, tranche l'écriture employée dans un contrat trouvé en Syrie, qui est de l'année 166 (connu dés 1888: EL 25); une écriture commune classique de gros module y est employée selon l'angle ancien, mais pour grossoyer le

corps méme du texte: les souscriptions en écriture penchée font ressortir le caractére archaique et traditionnel de l'écriture de bureau qui a été utilisée pour le texte proprement dit. 96. — Si nous prenons

deux termes éloignés chronologiquement,

en l'espéce

deux «volumina» littéraires, éxécutés, l'un vers l'ére chrétienne (le Cicéron pl. IV 1), et l'autre, les Institutiones de Gaius, aprés l'année 161 (pl XVI contraste saute aux yeux dés l'abord.

de la 1), le

97. — Cette rencontre de données graphiques et chronologiques ne saurait étre due au hasard des trouvailles. Des faits qui, pour des raisons graphiques, sont nécessairement successifs, se distribuent et se groupent aussi dans le temps, par les papyrus

Les papyrus

53

dates, de part et d’autre d’un moment determine, lequel se situe vers le debut du deuxiéme siécle. En d'autres termes, les formes qui se penchent «sur papier incliné« au deuxiéme siécle n'ont pu étre créées et cristallisées que par une pratique constante,

antérieure, de l'écriture «sur papier droit»: les plus anciens papyrus retrouvés qui nous sont connus par l'Egypte appartiennent donc bien à la fin d'une longue période qui va jusqu'au premier siécle inclusivement, période oü on avait constamment pratiqué

l'écriture commune selon l'angle aigu, indiqué au paragraphe 12, nécessaire à la création des formes que cette écriture commune affecte en ce premier siécle. 98. — Le changement d'angle qui nous est révélé au deuxiéme siécle dans la pratique

de l'écriture commune

est un phénomène

qui, on le verra,

aura,

d'autre

part, des conséquences considérables sur les transformations de l'écriture latine, au point de scindre son histoire en deux áges. Et c'est cette méme scission qui a détérminé

le plan général du présent ouvrage, dont la première partie traite de l'écriture romaine jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére, et dont la deuxiéme partie traite de l'écriture romaine aprés le premier siécle de notre ére.

CHAPITRE

LES

II.

«INSCRIPTIONS»

ÉCRITURE MONUMENTALE ET ÉCRITURE COMMUNE 99. — On ne peut dont nous préciser ce

Il n'y a pas de terme plus propre aux malentendus que le mot dnscriptionss. le définir d'une manière satisfaisante que par un critère purement scolaire, verrons qu'il est lui-même trés conventionnel, mais qui a l'avantage de dont on parle: les «inscriptions», ce sont les monuments qui trouvent

traditionnellement leur place dans le Corpus tel qu'il a été congu au dix-neuviéme siécle, et qui forment ainsi l'objet d'une science mal définie, dont les frontiéres avec d'autres sciences, surtout avec la paléographie, sont trés arbitraires: l'épigraphie.

Or, trouvent leur place dans le Corpus tous les monuments graphiques, sauf ceux qui sont écrits à l'encre sur papyrus et sur parchemin. Il s'agit d'une masse innombrable et hétéroclite de monuments: inscriptions sur pierre, sur cire, sur métaux, sur terre cuite et sur parois, faites au moyen du ciseau, de la pointe séche et du pinceau, qui,

plus ou moins denses selon les régions et les époques, recouvrent pourtant toute l'étendue du monde romain et jalonnent toute la longueur de l'histoire romaine. 100. — Beaucoup de paléographes ont résolu les énormes problémes que pose un si immense matériel en s'en débarrassant: ils ont déclaré que était du ressort de l'épigraphie, science étrangére à la leur. En fait, plusieurs d'entre eux ont plus ou moins fait appel à certains «épigraphiques» comme les tablettes de cire et les graffites de Pompei; et

graphiques ce matériel monuments nous avons

déjà eu l'occasion de discuter des questions oü l'on a vu qu'ils en avaient fait état ($ 83). M. Battelli a bien marqué l'hésitation oà la paléographie se trouve actuellement

dans la définition des limites qui la séparent de l'épigraphie. Aprés avoir noté que les dnscriptions» ne sont pas à comprendre dans le champ de la paléographie au sens étroit du mot, il concéde que, pourtant, celle-ci ne peut pas plus se passer du concours des graffites que de celui des tablettes de cire; mais il ne va pas jusqu'à inclure dans le domaine des recherches paléographiques les inscriptions «sur pierre, sur bronze et sur terre cuite». Il les rejette définitivement dans le ressort de l'épigraphie, remarquant que cette autre discipline a une finalité distincte de celle de la paléographie, ce qui

“est parfaitement vrai, mais, précisément, plaide déjà contre l'exclusion prononcée. 101. — D'une manière générale en effet, les épigraphistes n'étudient pas les inscriptions du point de vue paléograpbique, ou tout au moins la préoccupation paléographique est-elle chez eux tout à fait secondaire; ce n'est qu'un moyen

pour aller

au texte qui est le but final et essentiel de leur étude. Ils n'attachent aux caractéres externes qu'un intérét accessoire et les enjambent souvent trés vite pour entrer dans le commentaire des caractères internes. La notion d’«dnscription» elle-même y a perdu

.

56

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

de la netteté: l'acception «texte» a prédominé, dans son contenu, sur l'acception «piece avec sa complexité materielle et archéologique. Le recueil intitulé par M. Diehl Inscriptiones latine christiane

veteres constitue un

instrument

de travail

d'une valeur inestimable, à condition toutefois qu'on ne perde pas de vue les «piéces» et qu'on ne finisse pas par dépenser une science inutile à discuter sur la seule base de textes abstraits comme l'a fait trop souvent Vives à propos des «inscriptions chrétiennes del'Espagne romaine et wisigothique» (Mons. p. XVI). Qui va étudier les caractéres externes des inscriptions «sur pierre, sur bronze et sur terre cuite», en eux-mémes d'une part, et, aussi, dans leur rapports, si importants,

avec l'écriture à l'encre? Personne, si les épigraphistes envisagent une «autre finalité» pour leurs études, et si les paléographes refusent de s'en occuper. En réalité, épigraphistes et paléographes travaillent non seulement à l'écart les uns des autres, mais encore d'une maniére divergente.

Au sujet d'un probléme particulier qui se situe à une époque postérieure à celle dont nous traitons ici, Chátelain (cité par DAC xir 2105) a fait en 1889 une remarque excellente dont la portée doit étre généralisée à toute la question des rapports de l'épigraphie et de la paléographie: «Pour dater l'onciale, écrit-il alors, les épigraphistes attendent des paléographes les lumiéres que ces derniers réclament aux épigraphistes.»

Si les paléographes

se tiennent sur leurs positions, épigraphistes et paléographes

pourront attendre longtemps. Ils attendront d'autant plus longtemps, pour le probléme auquel fait allusion Chátelain, qu'ils devraient d'abord se mettre d'accord sur le terme

d'«onciale. La séparation entre ces érudits de deux disciplines différentes est telle qu'ils n'entendent pas ce terme de la méme manière: pour les paléographes, l'oncia]e est une écriture trés étroitement déterminée dont l'alphabet présente une combinaison de formes bien établie (cf. $ 150); pour les épigraphistes, et principalement pour ceux du dix-neuviéme siécle, comme, par exemple, Hübner et ses disciples, la notion est beaucoup plus vague; ils attribuent l'appellation d'onciale à des combinaisons graphiques trés variées entre lesquelles il semble difficile de dégager un critére commun;

en gros, on peut dire qu'ils appellent «onciales» toutes les inscriptions qui ne sont pas en capitale. Mais la phrase de Chátelain ne s'applique pas seulement au probléme de l'onciale. On est fondé aujourd'hui à en étendre le sens, et à la transformer de la maniére suivante: pour critiquer les caractéres externes de leurs inscriptions, les

épigraphistes attendent des paléographes les lumiéres que les paléographes demandent aux épigraphistes, de la méme maniére que, pour la paléographie des papyrus latins,

les paléographes comptent sur les papyrologues qui comptent sur les paléographes. 102. — Tout le monde vit encore aujourd'hui, plus ou moins, pour la connaissance de l'écriture épigraphique», sur l'admirable travail publié par Hübner en 1885: ses Exempla scripturae epigraphicae. Mais, en 1885, on ne pouvait étudier l'écriture épigraphique qu'en elle-même et pour elle-même, car on ne connaissait pour ainsi dire pas de papyrus. Aujourd'hui l'étude de l'écriture épigraphique est devenue inséparable de l'étude des exemples papyrologiques dans le cadre d'une discipline générale qui devrait englober tous les monuments graphiques de l'Antiquité romaine, sans aucune exception, qu'ils soient ou gravés sur la pierre ou écrits, aussi bien à l'encre qu'à la pointe sèche. L’embarras de M. Battelli, pour définir les frontières du domaine de la paléographie dans le monde immense et divers des inscriptions, a une explication

toute simple: c'est que ces frontiéres pour deux disciplines qu'on ne peut artificiellement séparées. Au fond, paléographie présente beaucoup de

ne sauraieht exister sans le plus grand dommage plus, depuis l'apparition des papyrus, maintenir le cas de la séparation entre l'épigraphie et la ressemblances avec le cas de la séparation entre

Les inscriptions la paléographie

et la papyrologie.

De

méme

que

|

57

la paléographie

s'est constituée

autrefois avec un matériel essentiellement médiéval qui ne remontait pas au-delà du cinquiéme siécle environ et avant lequel il n'existait que des inscriptions, de méme lépigraphie s'est constituée avec les inscriptions de l'Antiquité à une époque où il n'existait pas de papyrus contemporains de ces inscriptions. Quand les papyrus ont apparu, ils ont fait l'objet d'une troisiéme science, la papyrologie, qui a adopté, à l'égard de leurs caractéres externes, une attitude sensiblement analogue à celle de l'épigraphie à l'égard des caractéres externes des inscriptions; l'épigraphie a continué

à ignorer les papyrus; quant à la paléographie, science par excellence des caractéres externes, elle ne s'est engagée résolument ni dans l'étude des caractéres externes des

papyrus, ni dans l'étude des caractéres externes des inscriptions. C'est aux paléographes qu'il incombe, avec les préoccupations propres à leur science,

d'entreprendre,

comme

l'étude

paléographique

des

papyrus,

l'étude

des

caractères externes des inscriptions. La difficulté n'est plus d'interpréter et d'exploiter au maximum quelques pauvres épaves de livres et de documents exclusivement concentrées, quant à leur origine, dans une zone orientale de l'Empire ou sur un point de la péninsule italique; la difficulté est de dominer tout un matériel immense et hétéroclite, dont les originaux ont été trouvés et sont restés éparpillés dans toute l'étendue de l'ancien monde romain; et ce materiel compte plus de cent cinquante mille inscriptions, exécutées selon les procédés les plus divers, que les épigraphistes ont publiées, dans leur immense

majorité,

d'une maniére

trés mal utilisable par la

paléographie. 103.— Des éclaircissements particuliers sont nécessaires concernant les monuments épigraphiques gravés au ciseau sur la pierre. Ces inscriptions se présentent à nous comme le résultat d'une opération qui a consisté à creuser des sillons dans le granit ou dans le marbre sous l'impulsion d'un marteau. Rien, à premiére vue, qui soit plus différent du procédé du calame sur papyrus ou du stile sur une matiére comme la cire, ou la terre encore molle d'une brique, ou le plomb, ou l'ardoise. En réalité le travail du ciseau, dont nous tenons le résultat, n'est que la dernière étape d'un processus que nous devons analyser. I04. — On a fréquemment insisté (cf. explic. pl. XXXI 1) sur l'expression scripsit -et sculpsit dans de nombreux textes épigraphiques (p. e. AE 1940, 147). Il est évident, et surabondamment démontré, que, si sculfsit a trait à l'opération de la gravure, scripsit a trait, non pas à l'élaboration intellectuelle du texte, mais à la préparation matérielle, sur la pierre, du travail de gravure, préparation qui a consisté à marquer à la craie, ou au charbon, ou à la pointe séche, ou au pinceau, les traits que le ciseau a ultérieurement suivis. 105. — Le plus significatif de tous les textes qu'on a produits sur ce point est sans doute celui d'une enseigne bilingue de Sicile du premier siécle de notre ére (CIL X 7296) qui annonce ainsi les opérations auxquelles on procéde dans un atelier d'inscriptions: στῆλαι ἐνθάδε τυτοῦνται καὶ γαράσσονται... Hindi heic ordinantur εἰ sculpuntur...

De méme qu'on ne gravait pas à l'aventure, on n'établissait pas d'emblée 1e texte sur la pierre au cours de la préparation du travail du graveur; pour définir cette préparation, l'emploi, dans le texte sicilien, du verbe ruxo5v comme du verbe ordinare, montre, sans permettre aucun doute, qu'il s'agit uniquement de composition

matérielle, de mise en page, et implique nécessairement une existence antérieure du

58

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

texte: une rédaction — on le conçoit tout aussi naturellement que l’ordinatio avant la gravure — avait précédé cette même 'ordinatio' à la craie ou au charbon, ou au pinceau, ou à la phique, écriture comme

pointe sèche sur la pierre. Le texte, s'était trouvé établi, soit sur cire, commune et courante. Cela est vrai pour un rescrit impérial à afficher,

avant d’être «ordonné» en écriture épigrasoit sur papyrus, soit sur parchemin, en pour le texte de la plus modeste épitaphe comme pour un poème à immortaliser sur

le marbre. L’enseigne sicilienne montre ainsi que, seules, les phases de l''ordinatio' et de la gravure se déroulaient dans l'atelier; la rédaction qui était mise sous les yeux de l'artisan venait de l'extérieur. C'est aussi cette phase de la rédaction qui a le moins retenu l'attention des critiques: pour les épigraphistes, elle est comme antérieure et

en dehors de l'inscription; quant aux paléographes de la stricte observance, ils n'ont guére songé à ces textes originels (dont la forme graphique est quelquefois, comme on le verra — par exemple $$ 197 et 227 —, possible à reconstituer au moins partiellement), car cette reconstitution ne peut se faire qu'à partir d'inscriptions qu'ils considérent comme étrangéres à leurs études. 106. — Il y a donc à considérer, pour un texte épigraphique donné, gravé sur pierre, trois états matériels successifs qui correspondent chacun à une opératior bien déterminée et dont le dernier seul nous est aujourd'hui concrétement et directement

connu: I9

A la genése, il

y.a un papyrus ou un parchemin ou une tablette de cire

portant le texte écrit en écriture commune et courante. Dans le cas d'un acte officiel

à afficher, ce sera une éxpédition qui servira. Dans le cas d'une épitaphe, ce sera souvent une simple formule d'un de ces recueils ou manuels dont Cagnat (cf. explic. :

pl. XXXI ı) a décelé l'existence par la comparaison de textes épigraphiques provenant des régions les plus diverses. Il arrivera méme qu'on ait omis de remplacer les mots

tanto

(DAC VIT 1337) ou nominandi de la formule, et que ces mots

soient

passés tels quels du manuel sur la pierre: Hic corpus iacet pueri nominandi. O benedicte puer, paucis te terra diebus etc... (AE 1931 n° 112). 29 Un spécialiste en écriture épigraphique que nous conviendrons d'appeler, conformément à la terminologie de l'enseigne sicilienne, l''ordinator'! muni

d'un mor-

ceau de craie ot de charbon ou d'une pointe séche ou d'un pinceau, traduit en lettres monumentales sur la surface de la pierre la rédaction qu'on lui a remise. C'est la phase de la composition épigraphique. On a retrouvé plusieurs épitaphes d'artisans de

la pierre (Not. pal. [2]), où, à cóté de la scie, du marteau, du ciseau, se trouvent figurés de menus objets qui ne peuvent étre autres que les morceaux de craie ou de charbon qui servaient àl''ordinatio'. On peut citer une inscription de Rome (DAC vir, 728) dont

la gravure n'a pas été terminée et dont les derniers mots se voient encore ordonnés à la pointe. Sur une inscription de Mérida (Mons. 57), un E dont le graveur a omis de repasser les traits se voit aussi dans l'état oü il avait été «ordonné» à la pointe

séche. Enfin la seule explication qu'on puisse trouver à l'absence du trait 4 d'un E de la ligne 5 d'une inscription de Bétique CIL r1 5411, est que ce trait 4, marqué au

charbon ou à la craie par l''ordinator', a disparu sans avoir jamais été gravé (pl. IX 3). 39 On repasse les traits de craie, ou de charbon, ou de pinceau, ou de pointe sèche, avec un ciseau. Sous réserve de quelques malfagons généralement faciles à déceler, la gravure suit servilement l''ordinatio'. Le marteau et le ciseau n'ont pour rôle que de fixer les traits de l''ordinatio'.

C'est cette 'ordinatio' qui a, pour la paléographie, un trés grand intérét. 107. — Sauf quelques exceptions qui sont d'ailleurs pour nous de la plus haute

Les inscriptions

59

importance et que nous étudierons plus loin ($ 110), l''ordinatio' s'est faite en écriture monumentale, et les formes de cette écriture monumentale sont. toujours trés diffé-

rentes de celles de l'écriture courante et commune: ce sera toujours, à l'époque qui nous occupe ici, une capitale. Tantót cette capitale sera exécutée à la régle et au compas, les formes étant, non pas écrites, mais proprement dessinées (pl. XII 2). Tantót elle sera exécutée par une main qui conduira, sur la surface de la pierre, un morceau de craie ou de charbon, ou une pointe séche, ou un pinceau, comme elle conduirait un

calame sur le papyrus. Elle le fera selon des ductus qui sont, ou différents de ceux que nous avons rélevés dans la capitale sur papyrus, ou analogues: elle tracera alors les mêmes formes, selon le méme angle, selon les mêmes ductus, et, quand l''ordinatio'

est faite au pinceau, avec la méme module, qui est plus grand, sont d'Oxyrhynchus (cf. pl. XII r), les parchemin d'un folio de Salluste

lourdeur; il y a des inscriptions qui, sauf par le écrites les unes comme la capitale sur le papyrus autres, plus tard, comme une autre capitale sur le conservé au Vatican (cf. pl. XXXI 2 et 3), par

exemple. 108. — L’observance ou la non-observance, dans les 'ordinationes' sur pierre, des régles d'écriture que nous avons dégagées de l'étude de la capitale sur papyrus au chapitre précédent, est certainement l'un des sujets qui, dans l'espace comme dans le temps (avant et à cóté des papyrus d'Egypte), permettraient les remarques les plus fécondes pour la paléographie latine. On sentira tout ce que pourrait apporter l'étude des 'ordinationes' sur pierre antérieures aux plus anciens papyrus.

En outre, plusieurs procédés, indépendants des formes de l'écriture, sont communs à l'écriture monumentale et à l'écriture courante. C'est ainsi que la pratique des points pour séparer les mots, va de front, comme plus tard sa disparition, dans les papyrus (qu'ils soient en capitale ou en écriture commune) et dans les inscriptions. Il y a lieu aussi d'étudier conjointement, dans les inscriptions et dans les papyrus de l'une ou l'autre écriture, la façon de signaler par un trait les lettres qui ont une valeur

de chiffres.

De méme,

on observera

que dans

bien des cas, comme dans les

textes légaux par exemple, la mise en page est identique, que le texte soit exécuté en écriture monumentale

sur papyrus,

sur pierre ou sur bronze,

ou en

écriture com-

mune sur papyrus (pl. VI, XI, XVII 3). Enfin, si l'évolution de l'écriture monumentale est autonome, elle a pu étre affectée, quoique différemment, par certains changements fondamentaux qui ont aussi marqué, d'autre part, l'évolution de l'écriture commune. C'est ainsi que nous verrons dans les chapitres suivants que l'abandon des régles classiques, qui devait si profondément modifier l'écriture commune, a eu des effets paralléles dans l'écriture capitale des inscriptions comme des manuscrits où une infinité d'irrégularités foncières

et de fantaisies (cf. pl. XVII 5, XXVI 2, XXXII 5 et 6) se sont introduites à une basse époque ($8 228 et suiv). L'écriture monumentale, méme si on ne l'envisage qu'en elle-méme et pour elleméme, ne saurait donc échapper à l'étude de la paléographie, pas plus quand elle est portée sur la pierre que quand elle est portée sur une autre matière subjective. 109. — Mais

il y a des

exemples



l''ordinatio

nous

apporte

des

données

précieuses sur la forme graphique du cas particulier d'écriture commune que l'artisan a eu sous les yeux en faisant son travail de composition épigraphique. Il y a d'abord le cas de fautes de lecture: l''ordinator' a tout composé en écriture monumentale, mais il a mal lu certains endroits de la rédaction en écriture commune

qui lui avait été remise; il est trés souvent possible de reconstituer avec beaucoup de

60

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

précision les formes de l'écriture commune qui ont seules pu permettre ces fautes, et de rejoindre par là des éléments importants de l'écriture de la rédaction. Il y a aussi le cas où l''ordinator',

pour des raisons qu'on peut et qu'on doit

chercher à déterminer dans chaque exemple, a truffé sa composition épigraphique d'imitations plus ou moins fidéles de l'écriture du texte qu'il avait sous les yeux. Ces deux ordres d'exemples se rencontrent surtout à une basse époque, et nous reviendrons plus loin sur eux en étudiant en détail un certain nombre de cas (88 197, 227).

On verra que, fréquents à partir du quatriéme siécle, ils permettent de reconstituer des éléments d'écriture commune dans les régions les plus diverses, souvent aussi bien datés que localisés, aidant ainsi à combler les immenses lacunes, dans le temps comme dans l'espace, du matériel écrit à l'encre. 110. — Nous n'avons jusqu'ici envisagé que les cas où l''ordinatio' a été faite

en écriture monumentale. Il nous faut maintenant évoquer les exceptions auxquelles nous avons fait allusion plus haut ($ 107). L’‘ordinatio’ n'a pas été faite par un spécia-

liste de l'écriture monumentale, mais par un simple scribe qui a «composé» sur la pierre en écriture commune, agrandissant simplement le module de son écriture habituelle, avec, parfois, dans quelques détails, des tentatives plus ou moins adroites pour faire «monumental». Ces inscriptions sont extrémement rares. Et il n'est pas besoin de souligner qu'elles sont du plus haut intérét paléographique. On en rencontre

quelques-unes à l'époque classique qui nous occupe ici, telles par exemple trois épitaphes, dont deux de Rome

(Cr. v1 27556, et KLIO XVII, 1920, p. 129, cf. pl. IX 2)

et une d'Espagne (CIL m 5411, cf. pl. IX 3). Cette dernièré sera spécialement étudiée plus loin à titre de spécimen (δ 110). III. — En résumé: le champ immense des inscriptions gravées au ciseau sur la pierre (marbre, granit, etc.) doit étre exploré avec le plus grand soin par la paléographie: 19 Parce que l'étude de l'écriture monumentale en elle-même et pour elle-même doit étre poursuivie au méme titre que l'étude de l'écriture commune;

29 Parce que l'étude comparée de l'écriture monumentale (capitale ou non, écrite à l'encre ou ordonnée sur la pierre) et de l'écriture commune, est, comme on l'a vu au chapitre des papyrus, riche d'enseignements (formes, angle, ductus, etc.); 39 Parce que, quelles que soient les différences entre l'écriture monumentale et l'écriture commune, les 'ordinationes monumentales conservent plusieurs éléments

de la composition des textes en écriture commune (séparation des mots, signes particuliers, accentuation, mise en page, etc.); 49

Parce que, dans de nombreux cas, les 'ordinationes' révélent ou trahissent,

avec beaucoup de précision, des caractéristiques graphiques des formes mémes de l'exemple particulier d'écriture commune que constituait la rédaction originelle du texte soumise à l'artisan (imitations, fautes de lecture);

59

Enfin, parce qu'il convient de dégager les cas trés rares, mais du plus haut

intérêt, où l''ordinatio' a été faite, non pas en écriture monumentale par un artisan

spécialisé, mais en écriture commune par un scribe ordinaire. II2. — Passons maintenant aux inscriptions, non plus gravées au ciseau, mais simplement exécutées à la pointe séche. On soulignera d'abord qu'il ne s'agit pas uniquement des «tablettes de cire» et «graffites de Pompei» que les paléographes veulent bien généralement admettre les unes comme les autres dans leur ressort, et dont l'accés est trés facile parce que ces

Les inscriptions monuments

sont

bien

commodement

publies,

avec

61 des reproductions,

en groupes

compacts, dans le Corpus. Il s’agit aussi d’autres graffites, de Pompei ou bien d’ailleurs, et d'une foule d'autres monuments d'autres catégories, aussi épars dans le vaste monde que leur publication est dipersée dans les énormes tomes du Corpus, dans les

Notizie degli Scavi, dans les collections les plus diverses et dans une poussiére d'articles de revues, comme, par exemple, en Espagne, dans le Boletín de la Real Academia de la Historia. 113. — On a écrit à la pointe séche sur cire, sur terre avant cuisson, sur métaux,

sur parois, sur terre aprés cuisson. Les épigraphistes ont cru pouvoir noyer une grande partie de ces inscriptions à la pointe dans une classe assez artificielle que Cagnat nomme du terme vaste et vague d'anscriptions sur objets divers». Cagnat remarque très justement (p. 335) que le jour oü l'on aura réuni en «petits recueils spéciaux» ceux de ces monuments qui font partie de la méme catégorie, on s'apercevra, par leur comparaison, des ressources qu'ils . offrent. Mais il prévoit une répartition des inscriptions de cette classe, “dejà artificielle, selon les catégories suivantes qui ne sont guère mieux établies: 1° inscriptions sur blocs de marbre ou lingots de métal; 2° sur tuiles et briques; 3° sur conduites d’eau; 4° sur vases, lampes ou objets usuels de terre, verre ou metal; 5° sur armes; 60 sur

poids et mesures; 7° sur bijoux; 8° timbres et cachets; 9° tessères; 100 sortes, exsécrations; I1? mosáiques. On notera que cette répartition écartèle entre diverses catégories des inscriptions faites sur des matiéres subjectives du méme ordre comme les métaux ou la terre cuite, et qu'elle est concue selon des critéres d'ordres trés différents, tantót la nature

de la matiére subjective (par exemple, tuiles et briques), tantót la destination de l'objet (par exemple: vases, lampes, armes, bijoux), tantót le procédé d'exécution (par exemple, cachets et mosaiques), tantót les caractéres internes (exsécrations); que, si de nombreuses inscriptions à la pointe séche sont incluses dans cette classe des «inscriptions sur objets divers» et distribuées entre ces catégories assez mal définies, elles ne s'y placent pas toutes, puisque les tablettes de cire et les graffites sur parois s'en trouvent exclus, alors qu'on y rencontre des inscriptions exécutées selon des procédés tout autres que la pointe séche. En

1943 M. Merlin a montré

comment

la tendance

à refaire les groupements

d’après des critères matériels est aujourd'hui dans l'air (cfr. explic. pl. XVII 5).

II4. — La paléographie doit envisager une grande classe, qui est celle des inscriptions exécutées à la pointe séche, qu'elle étudiera conjointement avec la classe des monuments écrits à l'encre. Il est manifeste qu'il n'y a pas de raison d'ignorer ou

de connaitre des monuments selon que leur auteur a eu dans la main un stile ou un calame et selon qu'il a eu devant lui une tablette de cire ou une table de plomb, ou une brique encore molle, ou une feuille de papyrus, ou une feuille de parchemin. Au fond, si les tablettes de cire et les tables de plomb, par exemple, sont des «inscriptions»,

on ne voit pas pourquoi les papyrus ne seraient pas considérés aussi comme des «inscriptions» faites au calame et à l'encre. On recherchera seulement s'il y a lieu de tenir compte des différences de matiéres subjectives et d'instruments correspondants. On aura le plus grand soin, aussi et surtout, à propos de chaque cas d'espéce, de tenir

compte de l’«dntention» qui dépend de la nature du texte et surtout de la destination qu'on a voulu donner à l'inscription, intention qui n'est pas nécessairement liée à la nature de la matiére subjective: par exemple, on a pu écrire exceptionnellement une lettre sur un morceau de terre à cuire comme sur une feuille de papyrus, et se servir

62

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére w——

d'un morceau de terre à cuire pour exécuter un monument funéraire comme pour écrire une lettre, de la méme maniére qu'on a pu se servir d'une feuille de papyrus pour expédier un acte, ou pour faire une affiche qu'on aurait aussi bien pu exécuter en bronze ou au pinceau, ou graver sur la pierre. Cet élément de l'intention et de la destination influe de maniére déterminante sur les formes comme

sur le module de

l'écriture, et doit intervenir dans la critiquede chaque cas d'espéce. 115. — Dans

cette grande

classe des inscriptions à la pointe séche dont l'ins-

trument fait l'unité, la nature des diverses matiéres subjectives créera les catégories. Si importantes à considérer en effet que soient l'intention de l'auteur et la destination du monument, elles ne sont pas toujours assez claires, pas plus que la nature des textes, pour pouvoir servir de base à un classement. On n'a pas besoin d'insister sur ce qu'il est impossible, d'autre part, de se servir, comme critére, des formes de l'écriture. La seule base qui puisse étre utilisée est la matiére subjective, et les «recueils spéciaux» devraient étre consacrés à la cire, aux métaux, aux terres cuites, etc., avec, à l'intérieur de ces catégories, des subdivisions; par exemple, s'il s'agit de métaux, en

métaux particuliers, et, s'il s'agit de terres cuites, en inscriptions exécutées avant ou aprés cuisson.

116.

En dehors des catégories, que nous avons déjà évoquées, des graffites et

tablettes de cire, la táche qui reste à accomplir dans ce sens est considérable, quand ce ne serait que pour créer les instruments de travail élémentaires indispensables à la paléographie. Prenons cómme exemple l'état de la question en ce qui concerne la subdivision «tables de plomb». Le travail de regroupement s'est trouvé notablement avancé et

préparé sans qu'on l'ait voulu clairement. L'intérêt des savants s'est depuis longtemps porté sur les inscriptions magiques que les archéologues recueillent dans des tombes de l'Empire romain et qu'un menu peuple utilisait pour vouer aux dieux infernaux des personnes ennemies. Ces inscriptions magiques, ou defixiones, ont fait l'objet

de recueils, de listes, de Corpus.

Sans doute il ne s'agit pas d'un regroupement

fondé sur les principes que je viens d'indiquer: ce regroupement s'est fait, non pas

d'aprés la matiére subjective, mais au contraire d'aprés les caractéres

internes.

Quelques 'defixions' ont été trouvées portées soit sur le bronze, soit sur la terre cuite, soit sur l'étain, soit sur la pierre, mais, dans leur immense majorité, elles ont apparu

écrites sur des lames de plomb. Les recueils de 'defixions' ne groupent donc pas seulement des inscriptions sur plomb, pas plus qu'ils ne groupent toutes les inscriptions sur plomb; mais il se trouve qu'ils en rassemblent un trés grand nombre. D'autre part,

on ne saurait méconnaitre l'intérét que présente, du point de vue des caractéres externes,

l'unité des caractéres internes de ces monuments,

et notamment

ce qu'on

pourrait appeler les circonstances sociales communes de leur rédaction qui en font une série extrémement homogéne émanée du menu peuple. En 1904 le Corpus d'Audollent étudiait prés de cent plombs

d'exsécration

latins disséminés

dans

tout l'Occident

et dans l'Europe centrale; et depuis 1904, ce chiffre s'est trouvé notablement augmenté par de nouvelles trouvailles. L'ensemble nous est dit aller du premier siécle avant Jésus-Christ au cinquième siècle de notre ère; selon l'état donné en 1916 par Jean-

neret qui a étudié alors leur langue, il n'y aurait pas moins de neuf tables qui seraient du

premier

siécle

avant

J-C., c'est-à-dire contemporaines des plus anciens papyrus

latins d'Egypte, sinon antérieures (cfr. explic. pl. I 2). Des archéologues ont mis au jour ces tables; des épigraphistes les ont publiées; des historiens et des philologues ont étudié leurs textes qui présentent un gros intérét

Les inscriptions

63

pour la connaissance du «latin vulgaire»; je ne sache pas que leur ensemble ait jamais été envisagé

d'un

point de vue purement

paléographique.

Cette étude

est encore

actuellement impossible, car le recueil de planches qui serait d'abord nécessaire n'existe pas: le Corpus d'Audollent ne donne que des transcriptions, sauf pour une table dont il montre une image. Jeanneret n'étudie que la langue d'aprés les transcriptions de ses prédecesseurs. Oü trouver les reproductions? Les éditeurs qui ont publié cà et là Jes tables d'exsécration au fur et à mesure qu'elles apparaissaient n'en ont méme pas

toujours donné, et, quand ils en ont donné, la dispersion bibliographique en rend un bon nombre inaccessibles et paralyse aujourd'hui toute étude comparative. «Les textes

que nous étudions, écrit Jeanneret en 1916 dans son étude sur la langue des tables d'exsécration latine, se répartissent... sur un espace de cinq à six siécles du premier avant notre ére au cinquiéme aprés J-C. La difficulté consiste à déterminer, méme approximativement, la date de chacun d'eux. Rien en effet ne l'indique si ce n'est parfois — et encore n'est-ce là qu'un indice peu certain — un objet daté, médaille ou monnaie, découvert au méme lieu, ou des arguments paléographiques pour lesquels nous devons nous en rapporter aux spécialistes.» Mais comment les spécialistes de la paléographie auraient-ils pu, méme s'ils l'avaient voulu, étudier les tables d'exsécration? Ils semblent n'avoir méme pas congu qu'ils avaient à les étudier. Prou ne cite qu'une table d'exsécration du quatriéme siécle, et tout-à-fait accidentellement. M. Millares cite simplement l'ensemble de ces monuments sans paraitre se douter de

l'intérét qu'il y aurait à les exploiter. Je ne crois pas que ni Schiaparelli, ni Battelli en fassent état. Les philologues, tout comme les épigraphistes et les papyrologues, comptent,

pour l'étude

des caractéres externes

des monuments

graphiques

latins,

sur un travail que les paléographes ne font pas, car ces spécialistes du Moyen Age n'aiment guére s'aventurer dans les ténébres de l'Antiquité. 117. — Autre exemple, qui est celui d'une subdivision où nous n'avons pour ainsi dire pas de travaux d'approche: les briques écrites avant cuisson. Nous sommes réduits aux tátonnements dans le Corpus et ailleurs. J'ai tenté l'ébauche d'une liste que je publie ici en raison de ses défauts mémes, afin qu'on voie bien à quel point nous sommes dans le brouillard. Elle est passablement informe et incohérente, inégalement

renseignée selon les cas, certainement trés incompléte, et n'a pour but que de donner une idée de l'état de la question en la dégrossissant un peu. L'une des difficultés, entre beaucopup d'autres, pour la dresser, est que le mot fegula se réfère aussi bien,

dans le Corpus, aux briques qu'aux tuiles: (1 ) CIL …1 4967 (tegulae) [31; brique trouvée à Italica (Espagne, province de Séville), conservée au Musée Archéologique National de Madrid (n° 16734, 28 cm. X 21 X 4,5). Porte sur l'une de ses grandes surfaces le début de l'Eneide: arma virumque cano troiae qui | Primus ab oris italiam fato profugus | lavinaque..: Alors que les monuments dont il s'agit ici ont été fort peu recherchés et mis en valeur, celui-ci a joui d'une faveur tout-à-fait exceptionnelle: cette brique, publiée pour la premiére fois par Hübner dés 1864, citée encore par le

méme dans La Arqueología de España (Barcelone 1898; in-8°, p. 185), reproduite dans la Enciclopedia Espafiola (article «Paleografia», t. XLI, p. 217), et par Garcia Villada ( Paleografia española, Madrid 1923, p. 82 et facs. n° 15), est encore mentionnée par M. Millares (Tratado de paleografia española, Madrid 1932, p. 27, n. 3) et par M. Thouvenot ( Essai sur la province romaine de Bétique, Paris 1940, p. 674). L'explication risquée par ce dernier auteur («à Italica on a retrouvé gravés sur une plaque de terre cuite les deux premiers vers de l'Eneide, qui servaient probablement de tableau

mural dans une école») montre bien à quelles hypothèses on est réduit pour l'explication de monuments qui n'ont pas fait l'objet de groupements matériels et dont l'inten-

64

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

tion et la destination se laissent mal deviner. On trouvera la brique d'Italica reproduite ici à la planche VII 2. (2-25) CIL m (provinces orientales de l'Empire) vol. 2: Instrumenta

Dacica in tabulis ceratis conscripta aliaque similia: XVII.

scriptae (les numéros II, 12 et 14 seraient, semble-t-il,

Tegulae stilo

à rapprocher du numéro 60

de la présente liste; au numéro 12, où Mommsen a lu XII Kal. Iul. ... ibus, il semble qu'il faille lire: XII Kal. Iw. | Erachde). (26) cm, m 8077/8. (27) Ibid. 8077/9.

(28) 8077/10. (29) 8077/11. (30) 8077/14. (31) (33) 8277/3. (34) 11411. (35) 11451. (36) 11453.

(39) 12000.

(40) 14599.

(41) 14599,

(42-48)

1255-1261.

(49) CIL xv 6123, trouvée à Rome.

(52)

porte

6129,

«en

grandes

lettres

cursivess

8077/15. (32) 8077/17. (37) 11467. (38) 11999.

cr. vm

(50) Ibid.

arma

(Grande Bretagne)

([virumqwe

6124.

(51) 6125.

cano) | trotae [qus

primus a] | b oris... En 1899, cette brique était conservée à Rome au Musée Kircher, _ dispersé

depuis.

(53) 6131.

(54)

Parmi les trois-cent-vingt textes

que

M. Diehl

(Pompeianische Wandinschriften und Verwandtes, Berlin 1930, in-169) apparente aux inscriptions murales de Pompei, cinq sont signalées par lui avec l'étiquette «ziegel». De ces cinq textes, nous devons écarter d'abord le numéro 870, car il s'agit d'une empreinte (cf. Notizie degli Scavi 1922, p. 478). Resteraient à examiner les cas suivants: DIEHL,

op.

cit,

numéro

1083 = CIL XIV 5300 = Ephemeris

epigraphica

1x 483 —

Notizie degh Scavi 1909, p. 85, trouvée à Ostie. (55) DIEHL, op. cit., numéro 1095 trouvée à Gand (Belgique). (56) DIEHL, op. cit., numéro 1142, trouvée a Binchestet Angleterre,

comté

de Durham).

(57)

DIEHL,

op.

cit,

numéro

1143 — Ephemeris

epigraphica IX 1293 = THOMPSON Handbook of Greek and latin palæography, Londres 1894, in-89, p. 211 = REUSENS Eléments de paléographie, Louvain 1899, in-8°, page 21 (facs.) = HAVERFIELD: The romanization of Roman Britain, Oxford 1923, in-8°, page 30, fig. 5, trouvée à Silchester (Angleterre, Hampshire). (58) On reléve outre ce dernier cas dans Haverfield: op. cit. p. 30, fig. 2 = CIL VII 1259, trouvée aussi à Silchester. (59) Ibid., p. 30, fig. 3, trouvée au méme lieu. (60) Ibid., p. 30, fig. 4, trouvée au méme lieu (à comparer sans doute avec les tegulae 11, 12 et 14, citées plus haut dans les numéros 2-25 de la présente liste). (61) COLLINGWOOD Roman Britain, Oxford 1934, fig. 50. (62) WINBOLT Britain under the Romans, 1945, in-169, p. 120, figure 7, trouvée à Wiggonholt, Sussex). (63) MARIA BERSU Germania romana, v, Bamberg 1930, p. 24 et pl. 39, numéro 3, trouvée à Mayence. (64) Boletín de la Real

Academia de la Historia, t. LXXIV, Madrid 1919, p. 375, trouvée à Villaviciosa de Cordoba (Espagne), conservée au Musée Romero de Torres à Cordoue (37 cm. x 23 x 6), porte sur l'une de ses grandes surfaces un texte qu'il faut identifier avec Ps. 95, II, et non avec II Par. 16, 31. (65) CABROL Dictionnaire d’ Archéologie chrétienne (article

«Graffites»), t. VI, 2*2e col, p. 1538, fig. 5389, trouvée à Saint Samson sur Risle (France, département de l'Eure), porte le texte de Ps. 1.1. En 1914, Cagnat p. 299 n. I fait encore état, d’après Descemet,

de «briques

funéraires gallo-romaines

à la

pointe sèches en renvoyant à Le Blant (Inscriptions chrétiennes de la Gaule, Paris 1856, deux volumes in-4°) «pp. 16 à 19». Il s'agit des planches (et non des pages)

16

à 19

(t.

II). Le texte qui correspond

à ces planches se trouve tome I,

pp. 195-224, et les «briques gallo-romaines» dont il s'agit sont celles de la Chapelle Saint-Eloi, produit d'une mystification, classée comme telle au moins depuis 1858 (voir un bon résumé de la question par Dom Henri Leclercq dans DAC l'article «Chapelle Saint-Elois). (66) A la liste trés informe que j'ébauche ici, il convient d'ajouter une brique de Barcelone, encore inédite, découverte en 1944 prés de la Cathédrale, portant un texte qu'il faut identifier avec Ps. 105, 2. (67) Enfin: DIEHL, Inscriptiones latinae christianae veteres, numéro 2794, trouvée à Aceuchal (Espagne,

province de Badajoz). Le texte qui est donné par Diehl: interist famula dei filumene

Les inscriptions

65

asiana calendas setenbres era T, est tiré de la publication qu'un amateur, le marquis de Monsalud, a faite de la brique, en 1901, dans le Boletín de la Real Academia de la Historia, t. XVIII, XX Madrid, pp. 474-479, numéro 6. L’original, conservé au Musée

de Mérida (n° 492), porte en réalité: interea med|um Eneas iam | classe tene|bat | (chrismon), tracé à la pointe séche avant cuisson dans deux écritures qui se rencontrent

d'autre part sur des papyrus d'Egypte et de Syrie du troisiéme siécle, écritures qui, trouvées en Estrémadure, offrent le plus grand intérét, comme nous le verrons en revenant sur ce monument ($ 143 et pl. XVII 5). Cet exemple montre combien

peuvent étre précaires et erronées certaines données d'une liste aussi provisoire que celle qu'on vient d'ébaucher, et à quelles surprises on est exposé quand, en remontant les pistes, en atteint, enfin, les originaux.

Si mauvaise et si peu süre qu'elle soit, cette liste nous met sur la voie possible de soixante-sept exemples d'écriture latine, tous exécutés exactement dans les mémes conditions pratiques, extrémement voisines de celles de l'écriture sur papyrus et sur

parchemin comme sur cire, dont les références sont dispersées et noyées dans les publications épigraphiques et archéologiques les plus volumineuses et hétéroclites, exemples dont il est le plus souvent impossible de se faire une idée, faute de reproductions, et qui, isolés les uns des autres, sont demeurés assez insignifiants et souvent inintelli-

gibles pour les épigraphistes qui les publiaient, surtout autrefois, d'une maniére peu utilisable par la paléographie. La collection paléographique que nous entrevoyons au

terme de ce travail, qui n'est qu'ébauché, s'étendrait à la Grande-Bretagne, à la France, à l'Europe Centrale, à l'Italie, à l'Espagne,et sans doute à l'Afrique, et irait du premier siécle de notre ére au septiéme. 118. — Nous ne pouvons ici, on le congoit, que tracer le plan du travail de regroupement et d'exploitation qui s'impose à la paléographie. Nous avons examiné deux

classes: les inscriptions gravées au ciseau sur la pierre et les inscriptions exécutées à la pointe séche; parmi ces dernières, nous avons donné un aperçu sur deux catégories. Nous ne saurions davantage passer en revue tous les autres procédés d'exécution qui, comme par exemple, la peinture et la mosaique, détermineraient d'autres classes. I] n'est pas une dnscriptions latine, quelle que soit sa classe, c'est-à-dire son procédé d'exécution, quelle que soit sa matiére subjective, quelle que soit la forme de ses signes, qui, ou en elle-méme,

ou par ses rapports techniques

avec d'autres

monuments graphiques, et notamment avec ceux écrits à l'encre, n'intéresse la paléographie. Sans doute beaucoup d'inscriptions, surtout parmi celles qui sont gravées sur la pierre, donneraient-elles lieu à des observations qui se répéteraient et qui vaudraient pour des centaines et des milliers d'exemples. Mais, dans ces cas, les masses mémes qu'on pourrait constituer dans le temps et dans l'espace seraient extrémement

riches d’enseignements.

L'éparpillement des inscriptions dans le monde

entier et

leur échelonnement dans le temps permettront à la paléographie des progrés considérables si elle envisage ce matériel comme formant bloc avec les monuments écrits

à l'encre, et si elle l'étudie dans ses rapports techniques avec ces monuments écrits à l'encre: ceux-ci sont beaucoup moins nombreux, d'origines géographiques générale-

ment moins précises ou trop circonscrites, dans l'Antiquité,

à une méme province;

les dates y sont plus rares, et aucun de ces monuments écrits à l'encre ne nous a été laissé par de longs siécles dans d'immenses régions, comme, par exemple, la Gaule,

oü il faut attendre, pour en rencontrer, l'époque mérovingienne, et l'Espagne, oü il faut attendre la veille de l'invasion arabe du huitiéme siécle. A cet égard, le lieu

de la trouvaille donne souvent une portée considérable à la moindre observation 5

66

Jusqu'au deuxiéme siécle de notre ére

tirée des caractéres externes d'une inscription qui serait, par son texte, la plus insignifiante et la plus banale.

119. — Pour l'époque antérieuré au deuxième siècle qui fait particulièrement l'objet du présent chapitre, nous allons examiner, à titre de spécimens, deux cas concrets: celui d'une inscription gravée au ciseau sur pierre et celui d'une table de lomb. P

Le

Musée

archéologique provincial

de Séville conserve

une

table

de marbre,

mesurant 25 cm. sur 20, trouvée à Morón de la Frontera, et dont les deux faces portent chacune une inscription sépulcrale. Celle qui nous occupera (CII, II 5411) est reproduite à notre planche IX 3. On y

lit: dms flavia bar bara . f . abas cantus wir uxori merenti h.s.e .s.t.t.l.

D'autre part, la John Rylands. Library, de Manchester, conserve une lettre de recommandation sur papyrus, trouvée en Egypte, dont on verra à la planche IX r,

une reproduction d'aprés les Codices de M. Lowe, qui a publié ce «document» par exception (CLA 228). Les écritures du marbre d'Espagne et du papyrus d'Egypte sont

des exemples

d'écriture commune

conforme

au systeme

classique du premier

siécle, que nous avons défini aux paragraphes 45 et suivants. Il y a mieux: les analogies ne sont pas seulement dans de$ caractéristiques fondamentales comme les ductus,

langle

et le poids,

elles

sont aussi dans

l'aspect

extérieur,

au

point

que tout se passe comme si l'inscription d'Espagne et le papyrus d'Egypte avaient été écrits par le méme scribe, et que les deux écritures seraient absolument superposables s'il n'y avait quelques différences dans quelques formes et dans le module, différences dont nous devons rechercher les causes. La différence de module est trés grande: l'écriture du papyrus a un module constant qui est de 4 mm., alors que l'écriture de l'inscription a un module qui,

entre la premiére et la derniére ligne, varie de 27 mm. à 15 mm. Cette différence trouve

son explication

toute

simple

dans

les intentions

distinctes

de chacun

des

deux scribes concernant deux táches de destinations trés diverses. Pour écrire la lettre de recommandation, le scribe du papyrus d'Egypte a pratiqué le module normal

de son écriture commune.

Pour écrire le texte d'une inscription,

le scribe

d'Espagne a grossi la méme écriture commune. Et la méme cause explique les quelques différences de formes: le scribe d'Espagne a essayé de tracer une forme capitale pour la

premiere lettre de l'inscription qui est un D, le seul D de tout le texte, et il l'a fait fort maladroitement, comme quelqu'un qui ne sait pas bien écrire la capitale. Il a essayé aussi de faire un R assez capital quand il a été amené à tracer cette lettre pour la premiere fois à la ligne 2 dans bar, mais, par la suite, il est revenu petit à petit à la forme du papyrus d'Egypte. Tant et si bien que notre inscription nous offre, pour la lettre R, la gamme que nous reproduisons quelques lignes plus loin. Nous avons signalé, dans les papyrus, des cas analogues oü la méme lettre se présente à l'intérieur d'un méme papyrus sous des formes si inégalement avancées qu'elles ont des aspects extrémement différents. Nous avons donné un spécimen de

Les inscriptions

67

ce cas avec la gamme des E dans le contrat de 77 ($ 57), et rien ne montre mieux l'unité profonde, en dépit de toutes les apparences, du systéme classique de l'écriture romaine au premier siécle.

Ici, la gamme des R présente cette particularité qu'elle est progressive entre le commencement et la fin de l'inscription. Le premier R se rapproche du type capital; dans le second, le scribe a déjà moins parfait le trait 2; dans le troisiéme, il a lié ce

trait 2 avec le trait 3 en un seul trait. Dans le quatriéme, il s'est encore plus abandonné à ses habitudes qu'il a encore mieux manifestées dans le cinquiéme, dont l'aspect est conforme à celui des R du papyrus d'Egypte. Notre gamme des: αὶ représente

donc un retour au naturel. Ainsi, les différences qui peuvent exister entre l'exemple d'Espagne et celui d'Egypte, loin de marquer une nuance quelconque entre les pratiques respectives des deux scribes, font encore mieux ressortir (du fait qu'elles sont exclusivement imputables à la destination particuliére du monument d'Espagne) combien l'écriture

qui était naturelle au scribe espagnol était la méme,

exactement

la méme,

que

l'écriture du scribe d'Egypte. Avec l'inscription de Morón de la Frontera nous avons

l'un des cas, que nous avons évoqués au paragraphe 110, oü ce n'est pas un spécialiste en écriture monumentale qui a procédé à l''ordinatio', mais un scribe ordinaire. L'écriture de l'inscription réduite au module de l'écriture des «documents» que le scribe d'Espagne grossoyait, ou des livres qu'il copiait, est en fait superposable à celle du scribe d'Egypte jusque dans des détails infimes: on observera notamment les A (avec le trait 1 bis réduit à un point), les F, les H, les M, les V et les R, ceux

qui sont naturels au scribe espagnol et auxquels il est revenu à la fin de son travail. On notera, par exemple, combien le mot fawore du papyrus d'Egypte ne serait pas dépaysé sur le marbre d'Espagne. Pour

des raisons de critique et de méthode,

et afin de faire toucher du doigt

les difficultés que présente, pour la paléographie, l'utilisation du Corpus, il parait intéressant maintenant de confronter l'original avec la publication qui en a été faite par Hübner

en 1892 sous le numéro FLAVIA

bARA

crr, I 5411.

Voici sa transcription.

bAÀR

- P * AbAS

CANTVS& VIR VXOR!I * MEREM 8.8.8 $-T-:T-*L

Hübner

avait vu lui-méme l'inscription et nela publiait pas d'aprés une com-

munication faite par un érudit local. Il a bien senti que l'inscription, «en cursive», dit-il, avait beaucoup d'intérét; et, n'en donnant pas de facsimilé, il ἃ éprouvé le besoin d'aider le lecteur à s'en faire une idée. Aussi, il lui a consacré une de ces com-

68

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

positions typographiques qui ne sont pas rares dans le Corpus et qui prétendent imiter ou contrefaire les caractères graphiques de l'original.

Nous noterons d'abord que la première ligne est tombée; mais c'est ce qu'il y a de moins grave, car il s'agit d'un simple oubli: les autres défauts de la transcription

procédent de principes, lesquels, assez généralement appliqués dans le Corpus, faussent l'image des inscriptions.

Dans les lignes 2 à 7 de notre exemple, seules transcrites par Hübner, se trouvent représentées seize lettres de l'alphabet latin: 4 BCEFHILMNORSTV X. Sur ces seize lettres, treize sont figurées par des capitales d'imprimerie de type ordinaire: CEFHIMNORSTV X. Puisque trois autres ont eu les honneurs de caractères spéciaux qui révèlent l'esprit d'imitation dans lequel a été conçue la transcription, on pourrait en conclure que ces treize lettres n'offrent rien de remarquable et sont de bonnes lettres monumentales bien courantes. Or il n'en est rien, et ce départ entre les lettres à type spécial et les lettres à type ordinaire défigure

déjà complétement notre inscription qui, dans ses lignes 2 à 7, est tout entiére en écriture commune. Céci n'est dit d'ailleurs que pour signaler une inconséquence qui risque d'étre trompeuse, car, si l'on examine les caractéres typographiques spéciaux utilisés pour les trois lettres A B L, on ne regrette plus rien. Le signe qui représente L n'a qu'un rapport trés vague avec la forme de l'original. A est complétement déformé. Quant

à B, un signe à «panse à droite» a été utilisé pour représenter la forme de l'original qui est trés normalement une forme à prétendue «panse» à gauche (cf. ὃ 81). Enfin, les formes de A BR, telles que Hübner a cru les voir et pour lesquelles son commentaire renvoie aux théories de ses Exempla parus sept ans plus tôt, l'ont conduit à penser

que l'inscription de Morón était en cursive du troisiéme siécle, alors qu'elle appartient, par tous ses caractéres généraux, à l'écriture commune du premier siécle, et qu'elle est absolument analogue, par ses caractéristiques spécifiques, à un exemple déterminé de cette écriture commune exécuté sur papyrus. Quelles que soient les erreurs matérielles commises par Hübner dans sa transcription, il faut tenir compte, pour juger son interprétation, de ce qu'il ne connaissait pas de papyrus. Mais il reste, pour notre gouverne, que l'inscription de Morón se trouve,

dans le Corpus, comme beaucoup d'autres, complétement défigurée. Le systéme employé pour la transcription est mauvais, car on n'imite pas une écriture avec des signes typographiques, méme spéciaux: on donne une reproduction, ou, si l'on n'en donne pas,

on n'utilise dans la transcription que des signes typographiques ordinaires, soit en bas de casse, soit en capitale, et on les emploie uniquement comme équivalences sans jamais se laisser entrainer par le moindre esprit d'imitation. Les particularités graphiques doivent étre signalées dans le commentaire, étant entendu que seul l'original peut en donner une idée juste et précise.

120. — L'inscription que nous allons maintenant examiner n'a encore été signalée que par M. Almagro, qui a utilisé une transcription que je lui avais proposée et qui pourrait sans doute étre poussée plus loin. Il s'agit d'une table de plomb

qu'un

promeneur a rencontrée en 1946 sur la plage d'Ampurias (Espagne, province de Gérone). Elle est aujourd'hui conservée au Musée monographique d'Ampurias (cf. pl. I 2). Ele mesure 150 mm. sur IIO, et parait n'avoir jamais été roulée. Le plomb est fort usé, et, en certains endroits (notamment sur le morceau du haut et à gauche), ne conserve aucune trace de l'écriture. Je donne ici ce que j'y lis actuellement, avec la grande timidité, en matière de «supplémentss, dont il faut, je crois, se faire une règle.

Cette lecture pourra sans doute étre améliorée. A la ligne I, le cognomen termine

Les inscriptions

69

par io, dont nous ne savons qu'une chose, c'est qu'il avait huit lettres environ, paraît impossible à identifier d'une maniére süre. On devrait, par contre, arriver à identifier [...-. 7.10 [...]. Dilius stabilio[nis]

3

6

[.]...nidorus Ὁ philargurus scap[:]

surisca alexae papus | amphio parnaci[s]

9

zodia ara[bi Joniafesques

inimeict sen|.]c[.]a à la ligne 2 le cognomen de dix lettres environ qui se termine par Pilius (la lettre qui précéde le P est peut-étre un 4), et surtout, à la ligne 3, le cognomen de onze lettres environ qui se termine par nidorus (l’N est peut-être précédé de oli ou de oe,

ce groupement n'étant précédé lui-méme que d'une lettre). A la ligne 2, c'est peut-étre gratuitement que, par symétrie avec sca[p1] (ligne 4), alexae (ligne 5) et parnaci[s] (ligne 7), j'ai supposé que l'usure avait fait disparitre nis. A la ligne 9, [δῆ et nia sont douteux; le nom arabionia existe (cf. Forcellini, article «Arabio»), mais il se combine fort mal avec les sept lettres qui complètent la ligne, parmi lesquelles E et qwet sont sürs, mais Fet S sont douteux; à moins qu'il ne s'agisse de l'un de ces termes magiques

informes dont on n'est jamais à l'abri de la part des sorciers qui rédigeaient ces tables; peut-étre le mot oü je suppose arabionia est-il de ceux-là. Assez loin dans la marge à gauche, on observe, en face de papus (ligne 6), un trait oblique auquel je ne crois pas qu'il faille attribuer une valeur, et qui, en tout cas, est hors du texte. En résumé,

si l'on s'en tient à ce qui est noté dans la transcription ci-dessus, seuls les signes suivants font doute: à la ligne 2, [nis];, à la ligne 9, [δὲ] niaf et s. Les autres signes

notés, méme quand ils sont pointés parce qu'incomplets ou peu visibles, ou quand ils sont entre crochets carrés parce qu'ils ont disparu totalement, me paraissent sürs. Le texte se divise en deux parties: d'abord la liste des personnages visés qui sont désignés par leurs «cognomina» suivis, aux lignes 2, 4, 5 et 7, de celui del'un des parents ou du maitre s'il s'agit d'esclaves. Ensuite une formule d'exsécration qui nous est révélée à la ligne 10 par le mot inimeici. Du point de vue des caractères internes, retenons encore que la graphie archaisante δὲ pour i nous oriente déjà vers une époque relativement trés ancienne, comme le premier siècle avant J.-C. On trouvera, à la planche I 2, une photographie de la table; quant à la reproduction par le dessin, il est impossible d'en donner une qui soit compléte; on se verrait obligé de prendre des partis trop discutables, méme pour des lettres dont l'identification n'est pas douteuse, mais qui sont conservées incomplétes ou dont les traits sont tellement effacés qu'on ne saurait qu'arbitrairement leur donner une forme précise. Aussi bien, la photographie détache, en l'espéce, les parties qui sont paléographiquement trés nettes et sur lesquelles il est possible de fonder les observations qu'on lira plus loin. Nous

rapprocherons

la table

d'Ampurias

d'un

papyrus

d'Egypte

conservé

à

Berlin, publié pour la premiére fois en 1928 par M. Schubart (cf. pl. I, 1). C'est une lettre d'esclave de la fin du premier siécle avant J-C., l'un des plus anciens papyrus

70

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

latins qui ait jamais été découvert et qu'on pourra jamais découvrir en Egypte. On

y note les graphies archaisantes ei pour ? qui se rencontrent sur la table d'Ampurias. Nous remarquerons aussi en passant que le papyrus épistolaire d'Egypte émane d'un milieu social analogue à celui d’où sortaient à l'ordinaire les tablettes magiques: phileros ^ s - d - conserueis omnibus 3

[s]ei - «al * recte + scitote t[r]ochilum - ad " huc - sateis

f[ac]ere - de - reliquo : rogo " [a -]conserueis " ut : me:

6 9

apsentem " defendateis de relig - domi - omnia recte -

u ual

La différence essentielle réside, encore ici, dans le module qui est de 7 mm. sur le plomb et de 3 mm. environ sur le papyrus. La comparaison pourra porter sur toutes

les lettres de l'alphabet, sauf sur le Καὶ qui manque dans les deux monuments, sur ΓΕ qui est d'une identification trop douteuse à la ligne 9 du plomb et sur G X Z qui, pas plus que le K, ne sont représentées sur le papyrus. Mentionnons que le B, qui ne se rencontre qu'une fois sur la table d'Ampurias, y est fort incomplétement conservé, mais qu'il est possible de se faire une idée de sa constitution totale. D'abord, l'identi-

fication. est certaine: la quatriéme lettre d'un ‘cognomen’ qui commence par sta et qui se termine par :lio ne peut être qu'un B, le B du ‘cognomen’ stabilio. On voit tout de suite sur la photographie que la place des éléments qui ont subsisté de ce B nous oblige à considérer que la partie supérieure s'est effacée et que ce B avait la forme classique

LD Ceci dit, nous pourrons comparer les dix-sept lettres suivantes: NOPQRSTV. . La plupart

des lettres se présentent

sous

des formes

ABCDEHILM

trés peu

avancées,

par

exemple: H (papyrus, 1. 7; plomb, 1. 7), Q (pap., 1. 4; plomb, 1. 9), R (pap., 1. 4, plomb, 1. 7), D (pap., ll. 1 et 3; plomb, 1. 8), M (pap., 1. 7; plomb, 1. 1o), N (pap., 1. rz; plomb, 1. 7), E (pap., 1. 6; plomb, 1. 5), P (pap., 1. 6; plomb, 1. 6), V (pap., 1. 1; plomb,

1. 3). A côté du D du plomb (1. 8), on notera le D de la ligne 4 du papyrus, lequel fait partie d'une gamme trés intéressante de formes.

Dans leur non-simplification, certaines de ces lettres, par leur position dans le corps de la ligne comme par la place respective de leurs traits, rendent particuliérement sensible, entre le plomb et le papyrus, une sympathie trés subtile, telles, par exemple,

HMN

RL. Au milieu de cet ensemble, apparaissent sur le plomb d'Espagne comme

Les inscriptions

7I

sur le papyrus d'Egypte, outre le B que nous avons signalé plus haut (pap., 1. ı, plomb, 1. 2), un S et un T qui achévent de donner à l'écriture des deux monuments une communauté

de physionomie tout-à-fait caractérisée (scitote, pap., 1. 2; stabilio,

plomb, 1. 2, dessin fait par moi d’après l'original):

irre et on ne restera pas indifférent à la courbure du trait supérieur du T qui se retrouve sur le papyrus comme sur le plomb. Solidaire de deux complexes aussi identiques, ce détail est d'autant plus révélateur qu'il est tout petit. Venons-en aux divergences: elles ne sauraient diminuer en rien la valeur des ressemblances, car elles résident, ou dans le module (et nous savons ce qu'il en faut penser quand il s'agit d'une inscription d'une part et d'un papyrus d'autre part), ou dans les formes de certaines lettres qui sont en méme temps représentées, sur le

plomb comme sur le papyrus, par d'autres formes identiques entre elles. C'est ainsi que dans le papyrus d'Egypte, le H de huc (ligne 3) n'est pas le méme que celui de

phileros (ligne 1), mais le H de phileros sur le papyrus est identique à celui de amphio sur le plomb (ligne 7). De méme, les A du plomb (ligne 4) ne sont pas tous identiques entre eux, mais le premier A de la ligne 9 du plomb est semblable à ceux du papyrus (ligne 6). Les A dissemblables dont le plus net est celui de sca à la ligne 4 du plomb

sont pourvus du trait I bis (cf. $ 42), que les paléographes appellent et il y a là une caractéristique qui se rencontre à la lisiére chronologique remonter les papyrus. Cette anomalie constitue un signe d'antiquité trés haute. Signalons, enfin, que ceux des A du plomb qui portent cette

la «traverse», oà nous font relativement traverse sont

absolument semblables, et comme superposables, à ceux du ‘Carmen’ d'Herculanum (cf. pl. IV 3). On notera, entre autres caractéristiques des A de notre plomb, le recourbement du dernier trait vers sa fin (‘Carmen’, cf. pl. IV 3), qui se retrouve encore dans

les A d'une liste de soldats d'Egypte (cfr. pl. I I), qui est aussi à ranger parmi les plus anciens papyrus latins. Le ‘Carmen’ d'Herculanum, certainement antérieur à l'an 79 de notre ére, est postérieur à l'an 31 avant J-C., mais sans doute de peu; la particu-

larité de plusieurs A de notre table renforce donc l'attribution de celle-ci au premier siècle avant J-C. La disparition de la «traverse» de l’A dans l'écriture latine est un probléme que nous avons déjà eu l'occasion d'évoquer ($ 42). Quant aux E, plusieurs d'entre eux ont, sur le plomb (lignes 9 et 10), une structure toute différente des autres E du méme plomb, lesquels sont conformes, eux, à ceux du papyrus. Les E hétérogénes des lignes 9 et ro du plomb n'ont méme rien à voir avec les autres E du plomb, identiques eux-mémes à ceux du papyrus. Ils n’appartiennent méme pas au méme systéme d'écriture: il s'agit de la forme, constituée par deux traits verticaux, relevée tant de fois dans les graffites de Pompei, dans les tablettes

de cire et dans les inscriptions de toutes provenances (cf. $ 79),

Κι} méme jusqu'à de trés basses époques, comme, par exemple, sur une brique de Gaule qui paraît bien appartenir aux temps mérovingiens (8$ 117/65). On a formulé en passant

72

Jusqu'au deuxième siècle de notre ère

beaucoup d'hypothéses diverses sur ce signe, au hasard des rencontres multiples qu'on

en a faites, et on lui a donné bien des noms différents ressortissant à ces hypothèses. Jaffe notamment a prétendu en 1863 que cette forme étaitla méme que celle de l'E, faite également en deux traits, mais tout différemment, que nous trouvons à la fin de la gamme des E reproduite au paragraphe 57,

Ζ C'est à propos de papyrus impériaux du cinquiéme siécle (cf. ὃ 168) oü cette forme se rencontre

encore

avec tout un ensemble

attardé

d'écriture classique, que Jaffe

a établi un rapprochement dont il est encore fait état en 1911 dans un recueil aussi important que celui de Steffens (facs. 16). Or il est évident que ces deux formes n'ont rien à voir l'une avec l'autre. L’E qui se rencontre aux lignes 9 et 10 du plomb d'Am-

putias est fait de deux traits sensiblement parallèles exécutés l'un et l'autre de bas en haut, alors que l'E qui termine notre gamme du paragraphe 57 éxécuté de haut en bas qui est suivi à angle aigu à partir de sa base de bas en haut: c'est le résidu de l’E selon le ductus à trois temps dont le traitement cursif a fait une forme à un temps et à deux

est fait d'un trait d'un trait éxécuté et à quatre traits, traits.

L'E à deux traits paralléles tracés de haut en bas qui se rencontre aux lignes 9 et ro du plomb d'Ampurias est assorti, dans les graffites de Pompei et sur les tablettes de cire, à des formes de F, M et N qui suivent:

Cu

du

Il est trés remarquable qu'on trouve ces formes hétérogénes sur toutes sortes de mo-

numents du premier siécle dont l'écriture est, par ailleurs, en tous points analogue à celle des papyrus, et qu'on ne les a jamais trouvées, au moins jusqu'à ce jour, sur les papyrus. Il y a là un probléme dont les termes ne paraissent pas avoir été posés. Quoiqu’il en soit de ce probléme qui est à disjoindre, les 7, A et surtout E dissem-

blables n'altérent en rien l'identité entre l'écriture de la table d'Espagne et celle du papyrus d'Egypte, puisque ces mémes lettres se trouvent représentées dans l'un et l'autre monument par d'autres formes analogues entre elles et méme superposables.

Les inscriptions

j

73

121. --- Un plomb d’Ampurias et un papyrus d’Egypte, comme, d’autre part, un marbre de Betique et un autre papyrus d’Egypte, nous montrent donc des analogies de main qui sont tout-à-fait subtiles, et d'autant plus frappantes qu'elles sont subtiles puisqu'il s'agit de monuments trouvés à une si grande distance les uns des autres.

Ces exemples du premier siécle avant J-C. et du premier siécle de notre ére qui, dans leurs caractéristiques profondes, sont unis tous les quatre par l'application des mémes principes fondamentaux du systéme graphique général auquel ils appartiennent, sont

semblables par paires jusque dans leur aspect le plus extérieur et le plus superficiel, de l'Orient à l'Occident. 122. — Dans son bel ouvrage sur l'écriture littéraire grecque du quatriéme siécle avant J-C. au huitiéme siécle de notre ére, Mlle Medea Norsa a excellemment parlé, en 1939, à propos d'un papyrus grec du premier siècle avant J-C., de l'unité de l'écriture grecque, quels que soient les lieux divers oü l'on en a retrouvé des exemples. Mais les auteurs de traités de paléographie latine, trés discrets sur l'Antiquité, ont si peu posé la question paralléle en ce qui concerne l'écriture latine, ils ont, pour une basse époque, tellement usé et abusé de la terminologie «nationale» traditionnelle, méme quand ils n'y croyaient plus ou trés peu, que la savante papyrologue a été amenée

à ajouter: «L'unité de l'écriture grecque en face des divers types nationaux de l'écriture latine est un probléme qui pourra étre réexaminé quand on pourra se fonder sur une plus large documentation.» Cette remarque, faite, encore une fois,

à propos

d'un papyrus grec du premier siécle avant J-C., poserait en effet un probléme aussi important que déconcertant. Mais nous verrons de plus en plus que le recours à une

documentation, sans peine «plus large» que celle que nous offrent, sur l'Antiquité, les traités de paléographie latine, apporte une donnée: l'opposition alléguée, qui serait si étonnante,

entre l'écriture latine et l'écriture grecque,

n'y a pas de probléme.

n'existe pas,

et il

DEUXIEME

PARTIE

L'ÉCRITURE ROMAINE APRFS

LE PREMIER

SIECLE DE NOTRE

L’HYPOTHESE

AFRICAINE

ERE

DEUXIEME

PARTIE

L'ÉCRITURE

ROMAINE

APRES LE PREMIER

SIECLE DE NOTRE

L'HYPOTHESE

AFRICAINE

CHAPITRE LA

MÉTAMORPHOSE

a. — LE CODEX

DE

DE PARCHEMIN

FRE

III. L'ÉCRITURE

ROMAINE

DIT «DE BELLIS MACEDONICIS»

I22. — Les papyrologues ont trouvé en Egypte un fragment que le Musée britanique conserve depuis 1900 sous la cote «pap. 745». Très petit (il mesure 87 millimètres de hauteur sur 52 de largeur), il porte des tronçons des dix premières lignes du recto et du verso d'un folio ayant appartenu à un codex de parchemin contenant un texte historique inconnu par ailleurs. Comme les noms de Philippe et d'Antiochus

se rencontrent sur le fragment, on a pris l'habitude de le désigner sous le sobriquet de fragment ‘de Bellis Macedonicis'. Il a été découvert à Oxyrhynchus et publié pour la premiére fois en 1898, avec une reproduction du recto seul par Grenfell et Hunt (P. Oxy. n? 30), puis par Wessely dans ses Schrifttafeln. Il ne paraît pas avoir retenu spécialement l'attention des paléographes qui ont traité de l'histoire de l'écriture latine, et vient au rang de sa cote londonienne dans le CLA de M. Lowe sous le numéro 207 avec une reproduction du verso et du recto. On trouvera encore une reproduction du recto dans 1᾿ Ecriture latine sous le numéro 54 et ici méme à la planche X 2 (recto).

Le recto se trouve en excellent état de conservation. En revanche, le verso est si endommagé que la transcription donnée par Grenfell et Hunt d'aprés l'original est, sur bien des points, incontrólable à l'aide de la photographie, si excellente soit-elle, donnée par M. Lowe en 1935.

78

Apres le premier siécle de notre ére On lit au recto:

]

tum - imper

]que präefecti

7: satis - pollérent Jus + atque - antioch[

]neris - déspecti - ” Mesque - aliénas -

Jectérent.’

ja philippus ]öne-ant|

Jvalidso[ Grenfell et Hunt ont lu au verso: ler superat 6.

Jo 4 rex - hieme : c[ ]5 .. cave pacti[ Js olli pax ro[malnul - Ycoits - trans ...[ | Jroma[. .] equi

Jéhrac - [+ ]m - at[ ]m - auxilieis[ lerrexit[

]bhrygia( 7.. 123. — Pour établir la date qui, depuis, a été acceptée par tous jusqu'à nous’ les éditeurs de 1898 se sont fondés sur des arguments paléographiques qu'ils nous exposent, ne se contentant pas de décréter sans explication, comme d'autres le font trop

souvent. Or Grenfell et Hunt étaient des papyrologues; ils n'étaient pas des spécialistes de la paléographie latine, et, pour l'écriture des rares monuments latins qu'ils

rencontraient parmi la masse des grecs, ils se référaient tout naturellement aux notions scolaires exposées dans les manuels et traités de paléographie latine en vigueur de leur temps. C'est ainsi qu'ils se sont trouvé amenés à dater du troisiéme siécle le fragment 'de Bellis Macedonicis' pour les raisons que nous allons passer en revue. Ces raisons se divisent en deux groupes, les unes relevant des caractéres qui

apparentent le fragment à des monuments du premier siécle de notre ére et de la premiére moitié du deuxiéme, les autres interdisant pourtant, selon les mémes éditeurs,

de le situer à une époque aussi haute. Parmi les premiéres, Grenfell et Hunt voient une ressemblance générale avec l'écriture du ‘Carmen de Bello Actiaco’ d'Herculanum

(cfr. $8 41-42), compte

tenu

de la dourdeum qu'ils croient caractéristique de l'écriture sur parchemin. Ils notent particulièrement le P ouvert, le V large, les points entre les mots, points qu'ils disent «épigraphiques», et les accents, lesquels se rencontrent surtout au premier et au

deuxiéme siécle, dans le 'Carmen" comme dans les inscriptions.

La métamorphose de l'écriture romaine

79

Les raisons pour lesquelles ils se sont cru obligés de descendre le fragment à une époque plus basse sont les suivantes: les formes, qu'ils disent «onciales, du D et du Q, une tendance prétendue de 1'E à la rondeur, enfin, la forme du livre qui est, non pas le rouleau, mais le codex, et sa matiére, qui est, non pas le papyrus, mais le

parchemin. 124. — Toutes ces considérations portent la marque d'une paléographie qui, en fait de manuscrits latins, ne connaissait, en 1898, sauf le mauvais facsimilé du ‘Carmen’ publié à Oxford en 1885, que des exemples dela fin de quatrième siècle, au

mieux. Par exemple, la dourdeum nous est donnée comme une caractéristique de l'écriture sur parchemin; or, on la rencontre, au moins égale, sinon supérieure à celle

du ‘de Bellis’, sur des papyrus découverts au cours de ces cinquante derniéres années (cf. pl. V, 2), et nous avons vu que c'était une question d'instrument, non de matiére subjective. De méme, les points ne nous sont dits «épigraphiques» que parce que, pendant trés longtemps,

les seuls monuments graphiques connus

du premier siécle ont

été, en dehors du ‘Carmen’, des inscriptions; ces points sont un des éléments qui se recontrent aussi bien dans la composition d'un texte en écriture commune que dans la composition d'un texte en capitale, aussi bien sur un papyrus que dans l''ordinatio'

d'une inscription (cf. $ 111 et pl. I-XII). Ils n'ont rien de spécifiquement «épigraphique». C'était, à l'époque, la maniére de séparer les mots, quelle que soit l'écriture et la matiére subjective.

125.— Les raisons qui, aux yeux des éditeurs de 1898, «contrebalancent» les caractéristiques premier siécle de notre fragment et poussent à le rajeunir, correspondent également à ce méme état de la documentation paléographique d'il y a cinquante ans et ne résistent plus à l'examen aujourd'hui: l'angle et les ductus sont ceux de la capitale comme de l'écriture commune du premier siécle; le module est celui de l'écriture commune, le poids celui de la capitale; quant aux formes, elles sont celles de la capitale pour toutes les lettres sauf pour D H Q quis'apparentent nettement

aux formes de l'écriture commune. Si l'on ajoute à cela les points et les accents (ainsi que l'archaisme auxilieis au verso), l'écriture du ‘de Bellis' apparait comme une combinaison absolument homogéne, par l'appartenance de toutes ses caractéristiques au systéme classique de l'écriture romaine du premier siécle.

126. — Reste la forme matérielle et la matière. L'idée qu'un ‘codex’ de parchemin doit

étre

sa source partir du neuvième siécle, ce

nécessairement

descendu

plus

bas

que

le premier

siécle ne peut

avoir

que dans la dangereuse croyance que les choses ont seulement existé à moment oü des exemples nous en ont été conservés. Si, à la fin du dixsiècle, la paléographie ne connaissait pas de 'codices' antérieurs au quatrième n'est pas parce qu'ils n'avaient pas existé, c'est parce qu'ils avaient tous

Il n'y a pas moins de six épigrammes de Martial qui font allusion aux ‘codices’

de son temps. Martial nous parle d'un Homére (XIV, 184), d'un Virgile (186), d'un Cicéron (188), d'un Tite-Live (190), d'un Ovide (192), et méme de 'codices' contenant ses propres productions (I, 2). Les cinq premiéres de ces épigrammes ont été rédigées pour figurer sur des étiquettes jointes à des 'codices' de parchemin mis en loterie. Le poéte exprime son étonnement devant les dimensions matérielles oà l'on peut, grâce au système du 'codex', réduire des œuvres immenses comme l’Diade plus l'Odyssée, tout Virgile, et les cent-quaránte-deux livres de Tite-Live. Cette forme

matérielle, explique-t-il, présente de grands avantages sur le rouleau. Les 'codices'

80

_

Apres le premier siecle de notre ére

n'encombrent pas les bibliothéques (I, 2; XIV, 190). Les 'codices' conviennent aux voyages (I, 2; XIV, 188), de préference aux rouleaux. Martial fait aussi valoir qu'on peut lire un 'codex' en le tenant d'une seule main (I, 2), alors que, pour lire un rouleau, il faut y mettre les deux mains. De pareils émerveillements ne s'expliqueraient pas

s'il s'agissait d'une marchandise depuis longtemps dans le commerce et dans les moeurs. Une telle réclame concerne un systéme de fabrication qui est nouveau et qui rend le livre plus petit, plus maniable, donc plus portatif. Les ‘codices’ apparaissent donc dans le monde romain au temps des Flaviens. La forme matérielle du manuscrit auquel a appartenu le fragment 'de Bellis

Macedonicis' nous fournit donc bien un 'terminus a quo', mais ce n'est pas celui qu'on pensait. Ce manuscrit, dont toutes les caractéristiques graphiques sont du premier siécle, ne peut avoir été exécuté, étant un 'codex', avant les trente derniéres années de ce siécle. Le fragment ‘de Bellis Macedonicis' est un débris d'un des 'codices' latins

de la premiére époque. Nous étudierons son écriture en détail en la comparant avec celle du papyrus qui suit. b. — LE ROULEAU

DE PAPYRUS

DIT «EPITOME

LIVII»

127. — La Musée britannique conserve sous la cote «pap. 1532» d'importants fragments de huit colonnes d'un rouleau de papyrus portant un 'epitome' des Histoires de Tite-Live (pl. XVII 3). Ces fragments ont été trouvés en 1903 à Oxyrhynchus et publiés pour la première fois en 1904 par Grenfell et Hunt dans les Oxyrhynchus

papyri sous le numéro 668. Contrairement au fragment de parchemin précédent qui a peu retenu l'attention, ce papyrus est devenu trés célébre et a été reproduit depuis I904 un grand nombre de fois, dans presque tous le albums et traités de paléographie, par les éditeurs de la Palaeographical Society, par Steffens, Thompson, Schiaparelli et autres, dont les auteurs del' Ecriture Latine. Il vient au rang de sa cote dans le CLA de

M. Lowe sous le numéro 208. On le désigne couramment sous le nom d''Epitome Livii'. Sa célébrité parait due, jusqu'ici, beaucoup plus encore aux indices chronologiques qu'on posséde à son sujet et qui représentent une grande rareté dans l'ensemble

des monuments littéraires, qu'aux caractéristiques de son écriture qui ne semblent

pas avoir été encore clairement dégagées. 128. — Pour établir sa l'écriture latine qui se lit au transversales: le verso (face début du quatrième siècle

date, on a des éléments étrangers à une appréciation de recto, c'est-à-dire sur la face du papyrus oü les fibres sont du papyrus oü les fibres sont verticales) a été employé au pour écrire un texte grec, l'Efftre aux Hébreux (cf. pl.

XVII 2). Grenfell et Hunt ont consigné dans leur publication de 1904 que 'l'Epitome' avait été trouvé mélé avec des papyrus grecs du quatriéme siécle, du troisiéme, et méme du deuxiéme. Ils ont aussi noté que des morceaux de documents en cursive

grecque qui ont été collés, pour renforcement,

sur le verso avant que celui-ci soit

utilisé, sont du troisiéme siécle. Le fragment de codex ‘de Bellis Macedonicis' étant de la fin du premier siècle ou du début du second, notre volumen de 'l'Epitome" est donc d'une époque relativement assez peu postérieure à ce fragment.

129 — éloignéede tures l'une L'une

En dépit des premiéres apparences, son écriture est aussi assez peu celle du ‘de Bellis,' et l'analyse des différences qui séparent ces deux écride l'autre est extrémement instructive. et l'autre se présentent avec l'aspect d'écritures de livres ordinaires, mo-

La métamorphose de l'écriture romaine

81

destes, courants, aussi exempts que possible de toute espéce de luxe et d'affectation

calligraphique, livres dont l'un, le plus ancien, le 'de Bellis', est un codex de parchemin, et le plus récent, 'l'Epitome', est un rouleau de papyrus. Ici et là, le module est assez petit: le corps de l'écriture n'a pas plus de trois millimètres environ. L’ecartement des lig-

nes est sensiblement le méme. Enfin, l'écriture de 'l'Epitome' a la méme «ourdeur» que celle du ‘de Bellis', c'est-à-dire que le méme instrument a été employé dans l’un et l'autre cas, marquant avec une force égale les graisses, ici sur le papyrus, là sur le parchemin.

Ce qui est différent, dans 'l'Epitome', c'est l'angle d'écriture (cf. pl. XVII 1), la position de cet instrument, identique à celui qui a servi à écrire le ‘de Bellis': c'est par le changement dans les positions respectives de la feuille et de l'instrument que s'expliquent les modifications apportées à l'écriture du ‘de Bellis' sur le papyrus de ‘T’Epito-

me', jusque, pour certaines lettres, dans les formes mémes. Ces modifications sont les unes trés voyantes, les autres presque imperceptibles, mais d'autant plus significatives. 130. — Qu'il y ait changement dans la position de l'instrument, c'est ce que montre, avec une évidence constante, la place des pleins dans l'écriture de l'"Epitome' si on la compare à la place des pleins dans l'écriture du ‘de Bellis'. Prenons des exemples simples de lettres qui ne se sont pas trouvées sensiblement modifiées dans leur morphologie, et oü le déplacement des pleins apparait isolé de tout changement dans la forme. La lettre T est composée de deux éléments simples, un trait r, d'orientation verticale, et un trait 2, d'orientation horizontale: nous voyons que, dans le 'de Bellis', le trait vertical est plus maigre que le trait horizontal, alors que, dans l''Epitome', le trait vertical est extrémement gras et le trait horizontal extrémement maigre. Le

trait vertical unique de 7 passe de la graisse moyenne du ‘de Bellis' à la graisse extrêmement forte de ‘1’Epitome’. La partie verticale de L, plus maigre que la partie horizontale dans le ‘de Bellis', devient extrêmement grasse dans 'l'Epitome' où la

partie horizontale devient extrémement maigre. Le maximum

des graisses se porte

de la même manière, dans l' F et dans l'E de 'l'Epitome', sur les parties verticales alors que les parties horizontales deviennent extrémement maigres.

TILEF TIiLEF Le trait oblique de N, extrêmement gras dans le ‘de Bellis’ (car son orientation

est sensiblement la même

que celle de l'instrument),

devient. assez maigre dans

f M 'l'Epitome', alors que les deux traits verticaux de la méme lettre, dont l'orientation correspond maintenant à celle de l'instrument, sont gras.

82

. Aprés le premier siécle de notre ére

Le méme transfert des graisses s'observe dans toutes les lettres, dans les traits courbes

(voir C G O) comme dans les traits droits.

Coe CG6 o révélant une orientation de l'instrument non plus selon un angle aigu par rapport á

la ligne, mais selon un angle presque droit (cfr. pl. XVII r). 131. — En méme temps, et solidairement, ce changement dans l'angle de l'écriture devait automatiquement inviter la main à des modifications morphologiques des lettres que nous voyons se produire, non sans que d'ailleurs s'exerce sur elles un contróle de l’ceil. C'est ainsi que les traits finaux de T, de E et de F, courts et forts dans

le ‘De Bellis', se signalent, dans 'l'Epitome', par une longueur qui compense ce qu'ils ont perdu en épaisseur. Les traits supérieurs de E, de F, de C et de G, qui, forts dans

le ‘De Bellis‘ et marquant une tendance à s'incurver vers le haut et la droite, sont devenus minces dans 'l'Epitome', vont souvent se signaler par une. tendance à s'épaissir Aleur terminaison au moyen d'un crochet tourné vers le bas. Inversement, la trace d'empattement dont est pourvu, dans le ‘de Bellis‘, le trait vertical assez mince de P, disparaît dans 'l'Epitome' où, ce trait vertical étant devenu extrêmement gras, l'empattement aurait été nécessairement trés maigre et, de plus, aurait perdu toute

raison d’être. De méme, il est naturel que le trait horizontal de l'Z du ‘de Bellis', devenu trés mince

dans

'l'Epitome', n'y soit plus que l'attaque arrondie du dernier

trait, vertical, où la plus forte graisse s'est transférée

hu D'une maniére générale, beaucoup de traits d'orientation oblique, qu'ils soient droits ou courbes, vont tendre à la verticale. Le premier trait de V ne conserve pas dans

T’Epitome’ sa position droite et oblique, mais est attaqué presque verticalement, et s'incurve au bas vers la droite en une terminaison trés mince qu'ira rejoindre le bas du second trait, lequel, restant vertical, sera par conséquent trés gras

NJ

u

Le second trait de P, courbe, non fermé, et d'une orientation générale oblique dans le ‘de Bellis', passe à une orientation verticale dans 'l'Epitome', et la lettre se «ferme».

»

La métamorphose de l'écriture romaine

' 83

L'attaque de l'Y, presque horizontale dans le ‘De Bellis', est beaucoup plus oblique dans 'l'Epitome'

Le second trait de G, oblique dans le ‘de Bellis', passe, dans "l'Epitome', à la verticale, voire à une direction oblique vers la gauche (cf. $ 130). Le second trait de R,

RN

qui est devenu trés mince dans ‘l’Epitome , s'y trouve réduit au rôle d'attaque du dernier trait de la lettre; celui-ci, orienté presque horizontalement et à peine incurvé dans le ‘de Bellis’, passe à la verticale dans l''Epitome' en s'incurvant à sa fin

Enfin, les traits obliques de D et de Q passent aussi à la verticale

e d

ὃ Ἢ

Dans le cas de ces derniéres lettres, on voit se manifester d'une maniére particuliérement voyante un phénoméne général qui est encore une conséquence naturelle, automatique, du changement de l'angle de l'écriture. Quand les lettres ont deux ou trois temps, la main du scribe de 'l'Epitome' se trouve naturellement conduite à déporter, vers la droite, l'attaque du second temps, puis, s'il y a lieu, celle du troisième. Ce phénomène s'observe jusque sur le T où l'attaque du trait horizontal se fait

encore à gauche, mais souvent trés rapprochée de l'attaque du trait vertical

T^

Le méme phénoméne est manifeste dans le cas de N, de P et de R. Dansle cas de M,

dont les obliques du ‘de Bellis' tendent normalement vers la veiticale dans 'l'Epitome’, et qui, dans le ‘de Bellis', est une lettre à trois temps, le méme

phénomène est

particuliérement marqué

M

m

132. — Absolument seul, sur les vingt lettres dont le ‘de Bellis’ nous permet la

comparaison avec les vingt lettres correspondantes dans l'"Epitome', 1’ A du ‘de Bellis'

84

Apres le premier siécle de notre ére

n'explique

pas

complètement,

par le changement

de l'angle

de l'écriture,

l'A

de

'l'Epitome": c'est que 1’A de l’‘Epitome” n'a pas la méme composition et comporte un élément de plus. Sans doute, dans l''Epitome', l'attaque du second temps se trouvet-elle légérement déportée vers la droite; sans doute, le dernier trait est-il caractérisé

dans l’‘Epitome’ par une inclinaison moins forte que dans le ‘de Bellis’ et marque-t-il une tendance à se rapprocher de la verticale: ce que ne permet pas d'expliquer le ‘de Bellis’, c'est, dans l'Epitome', le trait, que nous numéroterons I bis, qui fait

^

A

suite au trait 1 et forme avec lui un angle trés aigu parfois arrondi à sa pointe

Ce trait I bis, qui se voyait encore dans le ‘Carmen’ (cf. ὃ 42), a disparu ensuite de 1'A latin qui se trouve réduit, au premier siécle, aux deux seuls traíts que nous voyons

dans le ‘de Bellis'. De cet A à deux traits, la tendance cursive de l'écriture classique a tiré un ductus

nun?

lequel ne saurait par conséquent en provenir. Au contraire, le trait 1 bis de l'A s'est toujours conservé dans l'écriture grecque,

et les manuscrits grecs contemporains de 'l'Epitome' nous montrent un ‘alpha’ d'une configuration absolument identique à celle de 1'4 de 'l'Epitome' (cf. le verso de T’Epitome’, pl. XVII 2). Si donc 1' A ne paraît pas, dans 'l'Epitome', obéir aux mêmes tendances qui ont modifié les autres lettres, c'est parce que, en realité, il n'est pas formé sur le thème de 1' A du ‘de Bellis’, et que 1’A du ‘de Bellis’ a été remplacé, dans l'é ture de 'l'Epitome', par une lettre empruntée telle quelle à un autre alphabet, qui est l'alphabet grec. Il y a là une influence qui sera pour nous un indice précieux à retenir: l'imitation du grec par les scribes de l'écriture de 'l'Epitome' pour la premiére lettre de l'alphabet.

133. — Le changement dans l'angle de l'écriture nous met en présence d'un systéme oü les traits tendent à abandonner la position oblique (méme le trait 2 de N tend à passer à l'horizontale comme d'autres traits obliques passent à la verticale). Ce systéme est constitué essentiellement de traits maigres tous horizontaux, et de traits gras, les uns courts, les autres longs, tous axés, sensiblement, selon la verticale. Parmi les courts, il en est de courbes et droits. Les longs sont tous droits, ou, comme dans le cas de 5, marquent tous une tendance à le devenir. Comme tous les traits

gras se trouvent ainsi tous tracés selon un axe perpendiculaire au sens de la lecture,

La métamorphose de l'écriture romaine

85

il est naturel que l'oeil tende à loger tous ceux qui sont courts au méme niveau, entre

deux droites idéales jalonnées par les traits horizontaux qui, eux aussi, tendent à se loger au méme niveau, les uns sur la droite idéale supérieure, les autres sur la droite idéale inférieure, ces deux droites limitant au haut et au bas le corps de l'écriture

Chic geb

Il s'ensuit que, selon leur position dans chaque lettre relativement aux traits gras

courts et aux traits horizontaux, les traits longs vont dépasser, soit en haut, soit . en bas, les limites du corps de l'écriture, selon une répartition générale qui se précisera de plus en plus, comme nous le verrons, dans des exemples du méme systéme posté-

rieurs à 'l'Epitome'; et cette répartition préfigure déjà, quoique de loin, l'économie générale de notre «bas de casse» actuel. 134. — Car tout cela ne va pas, dans l'écriture de 'l'Epitome', sans une certaine

hésitation qui révéle encore bien l'antiquité relativement trés grande de ce papyrus. De méme

que beaucoup de D et de Q ont encore leur dernier trait trés légérement

oblique, de méme aussi que beaucoup de M, par le non-parallélisme de leurs traits verticaux, gardent encore le souvenir de la morphologie antérieure, de méme que le trait initial de l'S conserve encore le plus souvent sa sinuosité oblique, de méme

un

grand flottement s'observe encore dans l'alignement des traits courts qui ne se logent pas tous exactement dans le corps de la ligne. ‘L’Epitome’ nous apparait donc bien

comme datant, si l'on ose dire, du lendemain du changement dans la maniére d'écrire les livres latins ordinaires, de méme que le ‘de Bellis' nous apparait bien comme datant de la veille de ce changement. Par sa comparaison avec l'ensemble des vingt lettres

qui se sont conservées sur le fragment ‘de Bellis', l'écriture de ‘1’Epitome’ se révèle à nous comme étant celle du ‘De Bellis' dans les premiers temps de sa transposition sur une matière subjective «inclinée» vers la gauche. En d'autres termes le ‘de Bellis' nous montre un ensemble de vingt lettres de l'alphabet sous les formes nécessaires pour expliquer graphiquement, par le phénoméne que nous appelons conventionnelle-

ment l’anclinaison du papier», l'ensemble correspondant de 'l'Epitome'. 135. — Reste à examiner le cas d'une lettre que ne nous a pas conservé le fragment ‘de Bellis’: le B, qui pose un probléme, parce qu'il affecte, dans l'Epitome', une forme qui est toute nouvelle (cf. $8 77-83). Il y est constitué d'un trait long, vertical, donc trés gras, dépassant vers le haut le corps de la ligne, ou, mieux dit, attaqué au-dessus du corps de la ligne. Ce trait se recourbe à sa base vers la droite. Un seul trait, court et courbe, logé, comme il se doit, dans le corps de la ligne, va le rejoindre

136. — Comme on a pu le remarquer, parmi les vingt lettres du 'de Bellis', seuls le D, le H et le Q ont subi trés fortement les effets du traitement cursif de l'écriture classique romaine, et ce sont précisément de ces trois seules morphologies cursives

que nous avons besoin pour expliquer, par «inclinaison» de la matière subjective,

86

Aprés le premier siécle de notre ére

l'écriture de "l'Epitome'. Parmi les autres lettres, qui ont ressenti trés peu les effets du traitement cursif, qui sont l'immense majorité, et dont la forme non-cursive nous est tout aussi nécessaire pour expliquer 'l'Epitome', il y a1' R dont la structure présente, dans l'écriture classique, de trés grandes analogies avec la structure du B. Lia premiére

section de l’R est composée d'un seul trait vertical et non d'une équerre comme dans B; mais la deuxiéme section de R est composée, comme dans B, de deux éléments,

dont le premier est identique dans les deux lettres; le second élément, dans B, est un trait oblique légérement incurvé dans le sens convexe qui va rejoindre l'extrémité droite du trait horizontal de l'équerre; dans R, c'est un trait également oblique incurvé dans le sens concave et qui finit dans le vide vers la droite.

SR Dans le ‘de Bellis’ tous les éléments de l’R sont en place sans qu'il aient subi trés sensiblement les effets du traitement cursif. Nous devons imaginer les éléments du B également en place, car leur transfiguration cursive aurait été directement

opposée à la création du B de ‘l’Epitome’

ef A quels changements ce B, aussi peu transformé que l' R, va-t-il se trouver soumis conformément aux principes généraux exposés plus haut? Le premier trait est retenu sur la ligne par le trait horizontal qui doit le suivre, et il sera attaqué au-dessus du corps de la ligne, alors que le trait correspondant de R, libre, descend toujours sous la ligne. Le premier élément de la seconde section, analogue dans B et dans R, a pratiquement disparu dans R: il disparaît dans B où sa présence gênerait l'œil au-dessus de la ligne, et où son absence n'empéche pas de reconnaître la lettre; seul subsiste, dans la seconde section de R comme dans la seconde section de B, le deuxiéme

élément, logé dans le corps de la ligne. 137. — En résumé, pour expliquer la formation graphique de 'l'Epitome', nous ‘avons besoin: , a) D'un angle d'écriture presque droit (cf. $ 130 et pl. XVII 1). b) D'appliquer cet angle à une écriture antérieure qui doit obligatoirement réunir les caractéristiques suivantes, quant aux formes, à l'angle, aux ductus, au module

et au poids: les formes doivent étre celles de la capitale du premier siécle pour toutes les lettres, sauf pour D H Q, dont l'état doit étre trés évolué selon la tendance cursive

de l'écriture commune à la méme époque; l'angle et les ductus doivent étre l'angle et les ductus classiques qui appartiennent,

au premier siécle, à l'écriture commune

comme à la capitale; le module doit étre celui de l'écriture commune; le poids, celui de la capitale. | Or: 19 C'est l'alliage précis de ces facteurs divers du premier siécle que nous rencontrons, et uniquement, dans l'écriture du type du fragment ‘de Bellis', avec, en

outre, les points et les accents qui accusent la méme antiquité. D'autre part, la forme matérielle du manuscrit auquel a appartenu ce fragment, à savoir la forme de ‘codex’, ne permet pas de remonter ce manuscrit plus haut que la fin du siécle, de telle sorte

qu'on peut dire qu'il a été exécuté vers l'an 99 de notre ére, à quelque trente ans prés.

La métamorphose de l'écriture romaine

29

87

C’est au début du siècle suivant que, d'autre part, la série des papyrus en

écriture commune bien datés nous révéle un changement général de pratique dans la

position de l'instrument par rapport à la matiére subjective (cf. $ 92-95). Ce changement correspond sensiblement à la différence qui sépare les angles figures à la pl. XVII ı. Et le nouvel angle, ouvert, appliqué à l'écriture du ‘de Bellis’, rend compte, graphiquement, de la métamorphose de cette écriture en écriture de 'l'Epitome". On conviendra de ce qu'il ya là un faisceau d'observations de natures trés diverses, un groupe de données indépendantes les unes des autres, les unes graphiques, les autres

chronologiques, qui concourent à placer vers le début du deuxiéme siécle une métamorphose qui va se révéler, au cours des chapitres qui suivent, d'une importance absolument fondamentale, au point de scinder en deux l'histoire générale de l'écriture latine.

138. — Certains esprits pourront étre tentés par une objection, trés extérieure aux faits matériels enregistrés plus haut: le conte leur paraitra presque trop beau. Je ne crois pas qu'on pourra discuter l'importance d'une écriture dont 'l'Epitome' n'est pas l'unique exemple, bien que, comme on le verra, cette importance ressorte,

dans l'exposé qu'on tente ici, sous un jour tout nouveau. Ce qui étonnera, ce qui paraitra sans doute un miracle suspect, c'est que, parmi les épaves infimes et dérisoires du monde, immense et disparu, des rouleaux, des 'codices' et des «documents» de l'Antiquite romaine, on ait justement retrouvé le seul petit fragment de parchemin de quelques centimétres carrés qui, un peu trop providentiellement, pensera-t-on, porte l'écriture dont on a exactement besoin pour expliquer, de la façon qu'on a vue plus haut, l'écriture de 'l'Epitome'. Certes, on ne contestera pas l'authenticité d'un fragment qui n'a été ni trouvé ni publié par moi, dont la singularité a déconcerté, dépisté tous les éditeurs depuis 1898, et auquel on n'a pas pu jusqu'ici assigner l'importance et le róle que je lui donne aujourd'hui. On se sentira seulement un peu

géné par un hasard trop heureux. Je voudrais souligner que ce hasard n'est pas aussi extraordinaire qu'on pourrait le croire. Notre fragment

appartient aux débuts du 'codex' dans le monde romain.

Les épigrammes de Martial insistent sur l'avantage principal de cette nouvelle forme du livre: la condensation de trés longues oeuvres. Rien d'étonnant à ce qu'on ait encore cherché à augmenter la densité en combinant des caractéristiques de l'écriture commune avec des caractéristiques de la capitale en une écriture à la fois petite et bien lisible. L'écriture du ‘de Bellis’ nous apparaît ainsi, non pas comme celle d'un 'codex' particulier, mais comme l'écriture adaptée spécialement aux fins essentielles des premiers 'codices'. A son origine, le 'codex' correspond évidemment à une vulgarisation du livre. Dés lors, il est trés naturel que, trés tót, il y ait eu beaucoup de 'codices'

latins, et écrits comme le ‘de Bellis'. Il n'y a donc rien d'extraordinaire à ce qu'on ait retrouvé en Egypte un petit débris de l'un d'eux. Il n'y a rien d'extraordinaire non

plus à ce que cette écriture des premiers 'codices' ait été, ensuite, aprés sa transformation, utilisée pour un rouleau comme ‘l’Epitome’ en un temps où l'usage du rouleau et celui du ‘codex’ étaient encore concomitants. 139. — L'écriture du ‘de Bellis’ qui n'est ni l'écriture commune, ni la capitale, est

une écriture spéciale, et en méme temps trés classique par la combinaison qu'elle présente d'éléments empruntés à la capitale et à l'écriture commune (le module à l'écriture commune, le «poids à la capitale, la majorité des formes à la capitale,

quelques formes à l'écriture commune, les ductus et l'angle étant ceux de la capitale comme de l'écriture commune avant le deuxiéme siécle). Il s'en faut que cette écriture,

88

Apres le premier siècle de notre ère

spéciale et en méme temps parfaitement classique, ait été employée à la fin du premier siécle pour tous les livres contemporains puisque nous avons des livres écrits en écriture commune classique qui lui sont postérieurs (par exemple les Institutiones de Gaius, citées paragraphe 95, postérieur à l'année 16r). 140. — Mais l'écriture qui n'est que la métamorphose directe de celle du 'de Bellis’, à savoir l'écriture de 'l'Epitome', va se révéler à nous comme un stade trés important de l'écriture universelle des livres latins. Si on en trouve un exemple, et aussi un

exemple de l'écriture du ‘de Bellis’, dans la méme ville d'Egypte, il va sans dire qu'on n'a aucune raison de penser que la transformation s'est opérée dans cette ville, ni méme en Egypte. Au contraire, toutes les chances — et c'est encore trop peu dire —

sont pour que le ‘de Bellis' et 'l'Epitome' aient été rencontrés à Oxyrhynchus comme des témoins des deux stades qu'ils réprésentent, un peu de la méme maniére que,

quand

les archéologues

pratiquent une coupe

auprés

d'une muraille grecque,

ils exhument d'abord des céramiques à sujets bruns sur fonds noir puis des céramiques à sujets noirs sur fonds brun. Ainsi on a trouvé à Oxyrhynchus un livre écrit sur «papier incliné» et un livre antérieur écrit de la méme maniére, mais sur «papier droit». Tout porte donc à croire que c'est ailleurs qu'on est passé du stade du ‘de Bellis' sur «papier droit» au stade de 'l'Epitome' sur «papier incliné», dans un centre quelconque du Monde oü il y avait d'autres livres que le ‘de Bellis' écrits comme lui. I41. — L'emploi non exceptionnel de l'écriture du 'de Bellis' ressort donc non seulement des caractéristiques à la fois spéciales et classiques qui paraissent la désigner

comme étant l'écriture d'un grand nombre de 'codices', mais aussi, pour une trés large part, del'importance qu'il convient d'attribuer à l'écriture du type de 'l'Epitome' qui en est la métamorphose directe, et c'est cette importance méme

de l'écriture de

T’Epitome’ que nous devons mesurer. On ne saurait prétendre la mesurer d’après le nombre des exemples qui nous sont parvenus. 'L'Epitome' est d'un temps où aucun manuscrit latin n'a été conservé à l'air libre, ni en Occident ni ailleurs. On ne peut donc espérer lui trouver de similaire que par le hasard de trouvailles papyrologiques, cir-

conscrites à l'Egypte et à la Syrie. Le recours aux monuments épigraphiques, en utilisant les méthodes que nous avons indiquées plus haut (cf. $8 99 et suiv.) est susceptible de de l'empire. 'l'Epitome', latines qui,

nous fournir des témoignages éparpillés dans les régions les plus diverses | Mais ce qui nous permettra surtout de mesurer l'importance du type de ce sera la place qui lui revient dans les origines graphiques des écritures aprés lui, ont apparu dans le monde.

I42. — Citons d'abord quelques trouvailles papyrologiques de manuscrits à grouper, par leur écriture, avec ‘1’Epitome’. Il convient de citer d'abord le fragment

d'un codex sur parchemin conservé à Berlin (P. 6757 — pl. XIX 2), qui portait sur deux colonnes un texte juridique. Il a été publié par Mommsen dés 1879. Le méme alphabet se retrouve sur John Rylands Library de grecque en mot à mot; il occupent la page, le texte

les fragments d'un codex de papyrus (pl. XIX 1) entrés à la Manchester en 1917; ce codex contenait l'Enéide avec version s'agit, selon toute évidence, d'un livre de classe; deux colonnes de Virgile étant dans la colonne de gauche, la version grecque

dans la colonne de droite, et de la méme main. Il est à noter que l'S est plus avancé que celui de 'l'Epitome', le premier trait trouvant pas prolongé vers la gauche par un Un autre fragment de codex également. sur Manchester en 1917 (pl. XX), et qui porte

étant devenu nettement vertical et ne se trait de fuite remplaçant le trait 2 disparu. papyrus entré à la même bibliothèque de un texte liturgique, nous montre la méme

La métamorphose de l'écriture romaine

89

écriture un peu plus petite et un peu plus légère. L'S y a la forme précédemment

indiquée. Il est à noter que le G s'y voit plus avancé que dans les autres exemples antérieurement cités

Dans l'écriture de ce manuscrit, avec 1'N de ‘l’Epitome’, se trouve employée concurremment la forme

Je crois qu'il faut se garder d'enfermer ces manuscrits dans le quatriéme siécle comme on a eu tendance à le faire, et qu'on ne doit jamais perdre de vue que rien ne s'oppose à ce qu'ils aient été exécutés au troisiéme siécle.

|

Il nous apparaîtra de plus en plus que ces petits manuscrits très vulgaires et très courants,

qui sont le plus souvent

des livres scolaires des quatrième,

troisième et

même peut-être deuxième siècles, nous montrent des types d'écriture beaucoup plus importants pour l'histoire de l'écriture latine que les grandes oeuvres calligraphiques dont, pour des raisons de conservations hasardeuses, on a fait traditionnellement le frontispice pompeux de la paléographie latine (cf. 8$ 232-235). 143. — Hors de l'Egypte, il faudra chercher à recueillir dans les inscriptions les faits graphiques qui sont de nature à nous fournir des indices de la diffusion de ce méme systéme. C'est ainsi que, en Tunisie, à Sousse, l'ancienne Hadruméte, une tuile de la catacombe du Bon Pasteur porte les mots donata in ace qui nous offrent

un type parfait de l'écriture de 'l'Epitome' (DAC vi 1998, fig. 5547). L'exemple le plus suggestif,

dans

cet ordre d'idées, nous parait étre

celui d'une inscription sur

brique qui a été rencontrée en Espagne à Aceuchal, publiée pour la premiere fois en 1901 (cf. $ 117/74), et qui est conservée au Musée de Mérida sous le numéro 492 de l'inventaire Macias (cf. pl. XVII 5). Une étude totale de ce monument peut seule faire ressortir la portée de témoins de ce genre, qu'on peut toujours espérer trouver dans n'importe quelle région du monde romain, et qui constituent un complément précieux à ce que nous apportent des trouvailles d'Egypte ou des manuscrits d'origine incertaine. C'est pourquoi on ne saurait dissocier leur étude paléographique de leur étude archéologique et de celle de leurs caractéres internes. Nous devons d'abord chercher à établir l'intention (cf. $ 114) de l'auteur du monument. C'était un scribe entrainé, comme on le verra, à écrire à l'encre sur papyrus ou sur parchemin. I] avait pour táche, exceptionnellement, d'exécuter un petit monument funéraire. Qu'il s'agisse en effet d'un monument, et non d'un griffonnage

quelconque, d'un graffite, c'est ce qui est rendu évident par la prétention de l'écriture que nous allons le voir choisir, aussi bien que par le chrismon qu'il va poser à la fin, embléme qui révéle le caractére chrétien du dit monument et ne semble pas permettre de le remonter plus haut que le quatriéme siécle. La táche va consister à inscrire sur

ce monument funéraire chrétien le premier vers du cinquiéme livre de l'Enéide interea medium

Eneas iam classe tenebat, avec un chrismon.

Ici les difficultés commencent. Ce qui est singulier, ce n'est pas qu'on ait choisi

90

Aprés le premier siècle de notre ère

un vers de Virgile comme texte d'un monument funéraire chrétien: Virgile a été considéré longtemps comme un pseudo-Pére de l'Eglise, et si on trouve sur des épitaphes chrétiennes des emprunts faits à Lucain, à Ovide et à Catulle, à plus forte raison est-il encore beaucoup plus naturel et courant d'en trouver qui soient faits à

Virgile. Ce qui est étonnant, c'est qu'on soit allé chercher dans l'Enéide ce texte-là. Au premier abord on n'y voit qu'Enée, la flotte, la haute mer, et on n'y découvre

aucune de ces allusions à la mort en général pour lesquelles les rédacteurs d'épigrammes funéraires ont si souvent mis à contribution la littérature tant profane que sacrée.

J'ai supposé, pour ma part, que l'allusion à la mort était implicitement contenue dans le mot interea qui enchaîne le début du livre V avec le récit de la mort de Didon qui termine le livre précédent sur les mots ... in ventos vita recessit. En conséquence, il faudrait lire l'inscription d'Aceuchal en restituant mentalement les derniers mots du livre IV ... in ventos vita recessit | snterea medium Eneas etc... Une autre hypothése, encore plus béte, et qui, en raison de sa bétise méme, est assez séduisante, serait la suivante: on aurait remis au scribe, non pas un recueil de sentences, mais un exemplaire de Virgile oà les livres n'étaient pas nettement séparés: on lui aurait désigné le vers qui termine le livre IV; il aurait par erreur copié le vers suivant qui est le

premier du livre V. En tout état de cause, il semble difficile de ne pas voir dans l'inscription d'Aceuchal une allusion à la mort de Didon, le sort d'une jeune femme chrétienne ayant paru, pour une raison quelconque, comparable à celui de la princesse carthaginoise. Ce qui est absolument impossible, c'est d'apparenter aux graffites de Pompéi l'inscription d'Aceuchal comme l’a fait M. Diehl qui a amputé le texte de son chrismon et ne l'a connu qu'à travers la notice imprimée d'une ardoise noire (Mons. 259) sur laquelle, en 1906, un faussaire avait imité l'inscription portée par la brique. L'intention monumentale ne saurait étre mise en doute. Pour faire le monument, on a pris une brique qui appartient à un type bien déterminé que mentionne Vitruve et que les archéologues ont identifié depuis longtemps. Il s'agit de l'une de ces briques carrées dont le cóté mesure 19 à 20 centimétres et qui étaient spécialement employées dans la construction des hypocaustes. Sans quitter la région oà notre exemple a été mis au jour, on peut voir à Mérida, dans les environs du théâtre, des hypocaustes où ont été utilisées des briques de ce modèle particulier, parfaitement identiques à celle d'Aceuchal et mesurant exactement comme elle 20 centimétres de cóté et 5 centimétres d'épaisseur. Quand ces briques étaient mises en oeuvre normalement, elles étaient jointes entre elles par leurs grandes surfaces.

La place de l'inscription sur la brique d'Aceuchal implique que celle-ci a été, dés avant sa cuisson, détournée de sa destination normale pour faire le monument funéraire qui a été retrouvé. Le scribe, muni d'une pointe séche, se met en devoir d'écrire en capitales le vers de

Virgile sur la matiére encore molle. Sa capitale n'est pas la capitale classique (cf. $ 89), mais

une

capitale

artificielle

qu'on

trouve

calligraphiée,

à l’autre

extrémité

du

monde romain, en 224-235, par un scribe des troupes qui tenaient garnison contre les Parthes, à Doura-Europos, pour une sorte de calendrier (pl. XVII 4). Si les ductus de cette capitale sont classiques, l'angle ne l'est pas; comme l'exemple de Doura est écrit à l'encre sur papyrus, on peut, bien que l'instrument employé ait été assez dur, noter des pleins qui, naturellement, ne se manifestent pas dans l'exemple d'Espagne

exécuté à la pointe séche, et révélent un angle d'écriture qui n'est pas l'angle aigu classique, mais l'angle ouvert (cf. pl. XVII r). Au demeurant, l'angle classique se préterait mal aux artifices qui caractérisent la capitale d'Aceuchal et de Doura. Les artifices de cette capitale maniérée consistent principalement à attaquer certaines courbes de la droite vers la gauche par des

La métamorphose de l'écriture romaine

.

9I

&Bf RAD

contrecourbes qui voudraient faire joli

et à contourner les traits des équerres de telle sorte que, loin de tendre à s’unir, ces traits vont vers une dissociation croissante

FFE

qui accentue leur solution de continuité en aiguisant l'angle qu'ils forment

Σ΄

η΄.

σ΄ | ’ςκες

) “

Le scribe, ayant écrit dans cette capitale interea medum (sic) eneas iam class..., au lieu de commencer ainsi 1' E qui suit

L C

perd patience et trace

puis complete sa lettre ainsi

N

puis au lieu d'écrire ten comme il suit

TEN Le

92

Aprés le premier siécle de notre ére

il écrit

(CN se ressaisit à la fin de la ligne pour faire un E capital. Sa main marque un grand énervement au début de la quatriéme ligne dans un B, aussi capital,

Pr mais il succombe à la fin, et au lieu d'écrire A et T en capitale, il les écrit dans le

méme système que eten. L'ensemble que forment les deux groupes eten et at

ETEN

- À représente, à la fin de la brique d’Aceuchal, l'apparition d'une écriture qui est l'écriture normale d'un scribe de l'extrême occident au quatrième siècle. Fatigué par une capitale qui nous est attestée d’autre part en Syrie, notre scribe de Lusitanie finit par

s'abandonner à son écriture familière qui est l'écriture de 'l'Epitome' d'Egypte. La conclusion serait la méme

au cas oü, un exemplaire de l'Enéide ayant été remis au

scribe selon une hypothése envisagée plus haut, il se serait mis à écrire, vers la fin de son inscription, conformément à l'écriture de l'exemplaire. De toute maniére, nous voyons apparaître, sur la brique d'Aceuchal, l'écriture de 'l'Epitome' d'Egypte comme employée couramment dans l'extréme occident du monde romain. Ceci dit, et l'intérét une fois signalé de recueillir tous les indices du genre de ceux que nous fournit la brique d’Aceuchal, ce qui nous permettra d'apprécier le mieux

l'importance de l'écriture dont 'l'Epitome' nous offre un exemple, c'est que cette écriture expliquera graphiquement l'origine de toutes les écritures latines qui ont succédé au systéme classique, sauf, bien entendu, les survivances, à délimiter, de ce méme systéme aux deuxiéme, troisiéme siécles, et au-delà.

La métamorphose de l'écriture romaine

c)

—L,,/ ALPHABET

93

«ONCIAL»

144. — On a beaucoup disserté sur l'onciale en raison du nombre

considérable

de manuscrits qui nous sont parvenus où les paléographes ont identifié cette écriture οἴ qui sont connus depuis aussi longtemps qu'il y a donner une idée de l'ordre de grandeur du contingent sur quelque sept cents exemples d'écritures latines conservés seulement dans la Cité du Vatican, en Italie, niques, la publication de M. Lowe nous en montre

une paléographie latine. Pour oncial, il suffira de péciser que, antérieurs au neuviéme siécle à Paris et dans les Iles Britandéjà prés de la moitié comme

écrits en onciale. Si l'on songe que l'autre moitié a été répartie par M. Lowe entre quelque cinquante appellations d'une terminologie confuse et incertaine, on mesurera combien le bloc des onciales est impressionnant par sa masse comme par son homogéneité, et il reste à dénombrer les onciales conservées dans le reste du monde. Dans la masse de ces manuscrits écrits en onciale, il y en a qui comptent parmi les plus anciens livres parvenus jusqu'à nous par les bibliothéques d'Occident, c'est-à-dire remontant au quatriéme siécle, et des débris de livres en onciale, sur papyrus et sur

parchemin, ont été trouvés en Egypte. 145. — Le mot d'«onciale» appartenant ainsi au langage traditionnel de la paléographie latine dont les appellations sont souvent contestables non seulement parce qu'elles sont impropres, mais encore et surtout parce qu'elles ne correspondent pas toujours à des réalités bien définies en elles-mémes, c'est-à-dire à un ensemble d'exemples bien cohérent du point de vue graphique, nous devons vérifier, avant toute chose, que le terme d'«onciale latine» désigne bien une écriture nettement déterminée. Nous examinerons ensuite dans quelle mesure il y a lieu de conserver à cette écriture l'appel-

lation qu'on lui a donnée. C'est bien une remarquable homogéneité graphique dans une quantité considérable d'exemples

qui a permis trés tót aux paléographes de discerner avec beaucoup

de

précision une catégorie donnée d'écriture latine à laquelle on a affecté le nom d'onciale. Si nous rapprochons deux exemples qui présentent entre eux les différences les plus fortes qui se puissent noter, nous voyons que ces différences résident dans des détails calligraphiques tout-à-fait secondaires.

Abcderchilmmorgkstux ascderchilmnopqrstrux L’alphabet de la premièré ligne a été tiré d’un manuscrit des Lettres de Saint Cyprien (pl. XXX 5), dont trente-trois folios subsistent (vingt-quatre à Turin, huit à

Milan et un au Vatican), et qui se trouvait anciennement conservé à l’abbaye de Bobbio, où il a été examiné par Mabillon en 1686. Les remarques qui suivront ne feront que confirmer que’‘c’est avec raison qu'on l’a consideré comme correspondant à un

type d'onciale relativement trés ancien et qu'on l'a attribué au cinquiéme siécle ou méme au quatriéme. On a des présomptions, sur lesquelles nous reviendrons aussi, pour localiser son exécution en Afrique. |

94

Apres le premier siécle de notre ére L’alphabet de la deuxième ligne a été tiré d'un manuscrit de Saint-Hilaire (CLA 1 b)

conservé à la Bibliothèque Vaticane sous la cote ‘Basilicanus D 182’ (fols. 288-311). C'est un type d'onciale beaucoup plus récent, aujourd'hui représenté par un nombre d'exemples incomparablement plus grand que le type précédent. Dans le cas d'espéce, nous avons affaire à l'un des trés rares manuscrits en onciale (et à l'un des trés rares

manuscrits antérieurs au neuviéme siécle) pour lesquels nous avons une indication chronologique fondée sur une donnée non paléographique: une note nous apprend qu'il est postérieur à l'année 509. Le systéme alphabétique est exactement le méme dans l'une et dans l'autre ligne. On relévera les nuances qui séparent les deux types, nuances que le lecteur peut dés maintenant observer et dont il pourra noter le caractére parfaitement secondaire.

Les quelque trois cent dix exemples que M. Lowe a dejà reconnus comme étant en onciale nous présentent tous le méme alphabet, et les tomes à venir du CLA nous en promettent encore bien d'autres. On ne saurait donc faire de réserves sur l'homo-

géneité du systéme auquel les paléographes ont appliqué un méme nom, qui est celui d'onciale. I46. — On ne saurait, en revanche, suivre sans beaucoup de précautions les paléographes quand ils utilisent le méme mot d'onciale pour désigner, non pas un

alphabet, mais la forme d'une lettre particuliére de ce méme alphabet. Ils nous parlent souvent de l'E oncial, du D oncial, du G oncial, etc., à propos d'exemples étrangers à l'onciale. Or, les mémes auteurs sont tous d'accord pour considérer que l'alphabet

oncial est un alphabet composite constitué avec des formes empruntées à diverses écritures. Parler d'E oncial, de D oncial etc., c'est donner trop à entendre que les formes de E, de D etc., auxquelles on fait allusion, sont propres à l'onciale et se sont créées dans cette écriture. On est si prompt à prononcer le mot d'onciale qu'il

est méme arrivé qu'on attribuàt qu'on voit dans l'onciale qu'une tout-à-fait inexacte. Par exemple, auquel nous avons fait allusion notamment pour l'E. L'écriture

cette qualification à des formes qui n'ont avec celles ressemblance tout-à-fait extérieure et méme parfois on a dit que l'écriture du contrat de 166 (cf. EL 25) plus haut (cf. $ 95) contenait des formes onciales, du texte proprement dit de ce contrat est une calli-

graphie, attardée dans un bureau, de l'écriture commune du premier siécle, et son E, pas plus qu'aucune de ses autres lettres, ne peut étre dit oncial. S'il y avait une ressem-

blance formelle (ce qui est loin d’être exact) entre l’E du contrat de 166 et l'E qu'on rencontre dans l'alphabet oncial, ce ne serait pas1'E du contrat de 166 qui serait oncial, mais l’E de l'alphabet oncial qui serait celui du contrat de 166. De méme, on qualifie

d'oncialle D qui sert à exprimer le chiffre 500 dans les inscriptions de basse époque. Ce D, fait le plus souvent d'un seul trait (alors que le D qu'on trouve dans l'alphabet oncial est fait en deux temps), est celui de l'écriture classique (cf. $ 55) conservé, comme on le verra, à une basse époque, avec tout un systéme de signes de la méme écriture classique disparue, pour représenter les chiffres (cf. ὃ 193 et pl. XXXI r). Certes dans beaucoup de cas, un A, un G, qu'on nous dit onciaux, se rencontrent bien tels quels dans l'alphabet oncial. Mais cet A, ce G, se rencontrent aussi dans d'autres

alphabets, comme, par exemple, dans celui de 'l'Epitome'. De quel droit pouvons-nous à priori décréter qu'ils sont onciaux alors que la plus élémentaire prudence ne permet pas d'éliminer une hypothèse selon laquelle 'l'Epitome' serait plus ancien que les plus anciennes onciales? Seulement, 'l'Epitome' n'est apparu qu'au vingtième siècle, alors que, depuis le seiziéme et le dix-septiéme siécle, une masse imposante de manuscrits

postérieurs en onciales occupe l'esprit des humanistes et des paléographes, créant des habitudes de nommer, de définir et de penser. Ce n'est pas le seul cas où l'ordre d’appa-

La métamorphose de l'écriture romaine

95

rition des exemples d'écriture latine explique des maniéres de classer, de hiérarchiser, et jusqu'à des doctrines, qui ne peuvent plus étre soutenues. Provisoirement, nous devons donc considérer qu'il y a un alphabet oncial, mais qu'il n'y a pas de formes

proprement onciales. Dans l'étude des nuances qui marquent l'histoire de cet alphabet, il sera toujours temps de rechercher si se sont fait jour certaines particularités qui sont propres à l'onciale. 147. — Reste à savoir ce que vaut le mot qui a été choisi. C'est au dix-huitiéme

siécle qu'il a été appliqué à l'ensemble des manuscrits envisagés ici, et par les auteurs du Nouveau Traité de Diplomatique. Dom Tassin et Dom Toustain ne donnent pas leurs raisons.

Il convient d'avertir que le méme mot a été employé avant eux et méme aprés eux dans des acceptions trés différentes. Dés le quatriéme siécle, un texte célébre de Saint Jérome nous parle de ditterae uncialess de telle sorte que rien n'indique qu'il

s'agisse de l'écriture baptisée de ce nom par la paléographie moderne: Habeant qui volunt veteres libros vel in membranis purpureis auro argentoque descriptos vel uncialibus (ut vulgo aiunt) litteris —onera magis exarata quam codices — dummodo mihi meisque permittunt pauperes habere schedulas et non tam pulchros codices quam emendatos. Pas davantage au neuviéme siécle, Loup de Ferriéres n'emploie le mot d'onciale dans le sens moderne: Praeterea — écrit-il à Eginhard — scriptor regius Berctaudus dicilur. antiquarum lillerarum, dumtaxat earum quae maximae sunt et unciales a quibusdam vocari existimantur, habere mensuram descriptam... Et pas davantage un glossaire du Moyen âge qui reproduit des définitions manifestement trés anciennes: Unciales sunt littere que 1nicus librorum Hunt ad ornatum ut in antifonario. Dictae autem. unciales, quod uncia

auri in eas dependatur. Ces trois textes (cf. explic. pl.

X X X 5), sur lesquels nous revien-

drons, paraissent plutót faire allusion à des écritures capitales, dans le cas des deux

premiers, et aux lettrines, dans le cas du troisiéme; quelle que soit l'interprétation qu'il faille en donner, il est certain qu'ils ne désignent spécialement, en aucune ma-

niére, notre onciale. Au dix-septiéme siécle le Pére Papenbroeck qualifiait d’onciales les grandes lettres des premières lignes des diplômes mérovingiens (cfr. Prou 1924 p. 51). Même après l'affectation exclusive par les paléographes du terme d'onciale à l'usage

aujourd'hui consacré, les épigraphistes l'ont employé, au dix-neuviéme siécle, dans des ouvrages qui sont encore maintenant d'usage courant, à propos d'inscriptions latines dont les alphabets sont fort dissemblables les uns des autres. Il suffit, pour s'en convaincre, d'ouvrir les Exempla scripturae epigraphicae de Hübner au chapitre de l'écri-

ture onciale, et d'examiner les spécimens fort hétéroclites qu'il y a rassemblés. Comme nous l'avons déjà indiqué (cf. $ ror), il suffit qu'une inscription ne soit pas en capitale pour que Hübner la déclare onciale. Sa terminologie ayant fait école, il est

encore fréquent de voir qualifiées d'onciales des écritures épigraphiques dont l'alphabet n'a qu'une ressemblance trés partielle ou méme nulle, non seulement avec l'onciale latine des mahuscrits, mais encore avec les autres inscriptions dites onciales, déjà

trés différentes entre elles. En un mot, ce terme d'onciale, dans l'usage des épigraphistes, correspond à une notion peu précise. Encore en 1900, Hübner qualifiait improprement d'onciale l'inscription trouvée au Portugal que nous reproduisons à la planche

XXIII r. Enfin on ne saurait établir aucune symétrie entre l'emploi que la paléographie latine fait du terme d'onciale et l'emploi qui en est fait par la paléographie

grecque. Si certains types d'onciale grecque présentent, comme on le verra (cf. $ 148), quelque ressemblance

d'aspect

avec

l'onciale latine, la notion d'onciale, en paléo-

graphie grecque, est beaucoup plus générale. La paléographie latine peut conserver la terme d'onciale, qui désigne un type

96

Apres le premier siécle de notre ére

d'écriture latine existant bien réellement en soi. Il faut seulement qu'il soit bien entendu que ce terme est purement conventionnel et qu'il ne doit étre utilisé que pour désigner trés étroitement l'écriture dont l'alphabet est rigourensenent celui des lignes 1 et 2 de la figure du paragraphe 145.

148. — L’onciale étant ainsi définie, nous nous trouvons en face de la question de son origine. Tout d'abord, il convient de bien poser en quoi consiste le probléme de l'origine d'une écriture. Ce probléme se divise en deux parties solidaires qui sont

susceptibles de s'éclairer l'une par l’autre, mais qu'il importe de bien distinguer: .lorigine graphique et l'origine historique. Comme aucun texte n'explique jamais l'origine historique d'une écriture, c'est-à-dire oü, quand, comment et pourquoi elle a été créée, il est indispensable d'étudier d'abord la question de l'origine graphique,

c'est-à-dire l'origine possible des éléments graphiques qui la caractérisent essentiellement. Ainsi on déterminera au moins un cadre à des hypothéses éventuelles sur son origine historique. En ce qui concerne l'onciale, on n'a pas été sans mélanger les deux choses, ou plutót on a un peu mis la charrue avant les boeufs. Un exemple nous en est donné par la thése de l'origine grecque. Traube ayant soutenu il y a un demisiécle que l'onciale latine était essentiellement l'écriture des textes chrétiens imitée de l'onciale grecque des mêmes textes, Schiaparelli n'avait pas eu tort en 1921 de

qualifier d'eexagérée» cette affirmation, et c'est le moins qu'on en

puisse dire: non

seulement on ne manque pas d'exemples de textes profanes latins écrits en onciales, mais encore, parmi les plus anciens exemples actuellement connus, les trouvailles papyrologiques font pencher la balance en faveur de la littérature profane aux dépens de la littérature chrétienne. Récemment (cf. expl. pl. XXX 5), Mlle Norsa a isolé un type spécial d'onciale grecque employée, dans la plupart des cas connus, pour copier la Bible, et auquel elle a donné le nom d'onciale biblique; elle voit une grande ressemblance entre cette «onciale biblique» grecque et l'onciale latine. Les rapprochements

que Mlle Medea Norsa établit entre l'onciale biblique grecque et l'écriture latine, rapprochements qui ne sont d'ailleurs pas limités à l'onciale latine, sont trés loin d'étre tous soutenables, et beaucoup d'entre eux ne s'imposaient pas. Elle commet, par exemple, un abus de mots quand elle qualifie de «bella onciale» (méme en ajoutant «quasi una capitale quadrata») l'écriture de l'"Enéide' d'Oxyrhynchus dont nous traiterons plus loin (cf. $ 234), et quand elle cite ce fragment parmi les exemples latins à rapprocher de l'onciale biblique grecque. Par contre, Marichal a eu raison de signaler, parmi les rapprochements suggérés par Mlle Norsa, celui d'un fragment de Gaius que l'on pense étre du cinquiéme siécle (CLA 292) avec un fragment de comédie grecque (P. Ryl. 16), antérieur à l'année 255, que la savante papyrologue range parmi l'«onciale biblique». Si l'on juxtapose ces deux exemples et si on les regarde de loin, sans les lire, on peut y trouver un certain air de famille, mais il n'est méme

pas besoin de pousser l'examen jusqu'à une analyse paléographique: il suffit de s'approcher et de se mettre à lire pour s'apercevoir qu'on ne peut méme pas prétendre, comme

le

concéde

trop généreusement

Marichal,

que la ressemblance

est

«exté-

rieure», puisque les formes mêmes d'un grand nombre de lettres qui devraient normalement étre analogues sont absolument différentes dans le latin et dans le grec. La ressemblance qui avait pu se noter au premier abord, et qui n'est méme pas tellement prononcée, se révéle, si elle existe, comme purement esthétique: elle réside dans le module, dans les dimensions et dans le rapport entre les graisses, de formes qui n'ont rien à voir ici avec ce qu'elles sont là. «Les analogies et les coincidences entre les écritures grecques et latines» de ces siècles méritent certes de retenir l'attention, mais à

condition d'étre rigoureusement analysées et ramenées à leurs proportions réelles.

La métamorphose de l'écriture romaine

97

Elles ne sauraient mettre sur la voie d'une solution en ce qui concerne le fond du problème de l'origine graphique de l'onciale latine. 149. — On risquera toujours d'étre tenté par les fragiles hypothéses que suggérent des apparences aussi superficielles tant que, sans avoir procédé d'abord à une analyse précise des caractéres de l'onciale latine, on n'en aura pas trouvé une explication proprement graphique. Cette explication n'avait pas encore été rencontrée en 1921 quand écrivait Schiaparelli, et cet auteur concluait sagement d'un examen des diverses opinions qui avaient été présentées sur la dérivation de l'onciale, qu'il ne pouvait se ranger à aucune d'elles. Il est évident que si une explication se rencontre qui, à la fois compléte et simple, se déduit dans le cadre méme de l'écriture latine, elle sera de nature à prévaloir sur les autres hypothéses, et notamment sur l'hypothése grecque. Il n'est pas surprenant qu'on ne l'ait pas trouvée tant que l'attention n'avait pas été attirée sur le fragment 'De Bellis' et sur les rapports de son écriture avec celle

de 'lEpitome'. J'ai déjà indiqué dans mes Observations de 1939, puis dans mes Notes de 1945, une solution que me paraît de plus en plus valable, surtout après la correction que je crois pouvoir apporter à la date jusqu'ici consacrée pour le ‘de Bellis’. 150.— Prenons l'alphabet du Saint Cyprien (pl. XXX

5). Sauf pour quatre let-

tres, les formes du Saint Cyprien (voir la deuxiéme ligne de la figure qui suit) sont celles de 'l'Epitome' (premiére ligne), simplement agrandies, écrites avec la méme lourdeur et selon unfangle seulement un peu moins ouvert que celui de 'l'Epitome'.

ACEFGRILMANOFITUX

Acepebilmmopaqtux Les lettres pour lesquelles les formes sont différentes de ‘1’Epitome’ sont le B,

le D, le R et le S. Il est trés remarquable que, pour ces lettres, les quatre formes du Saint Cyprien soient celles qui se rencontrent ensemble dans le ‘de Bellis’, simplement agrandies, et écrites avec la méme lourdeur selon l'angle propre au Saint Cyprien.

eS ROKS On pourrait soutenir que les formes de B, de R et de S ont été tout simplement

empruntées à la capitale classique en général, s'il n'y avait le D: où trouve-t-on cette forme de D

alliée à des formes capitales de B (cf. la restitution du $ 136), de R et de S, sinon dans l'écriture du ‘de Bellis'? Un amalgame de quatre formes de l'écriture du type du ‘de Bellis’ dans le systeme de l'Epitome' suffit ainsi à expliquer totalement l'alphabet du Saint Cyprien qui 7

98

Apres le premier siécle de notre ére

lui-même est conforme à l'alphabet de toutes les onciales latines. En somme, l'onciale est un arrangement, une correction factice de l'écriture dont 'l'Epitome' est un témoin trouvé en Egypte. Cette correction s'est bornée à rendre aux lettres B, D, R et S les

formes qu'elles avaient ensemble dans une écriture classique dont le ‘de Bellis' est le témoin également trouvé en Egypte. Mieux: elle a consisté à rendre au B et ἃ l’R. leurs «panses supérieures» qu'ils avaient perdues, à l'S son trait 2 autonome tracé de gauche à droite, et au D l'obliquité de son dernier trait, sans rien changer au reste du systéme de formes de 'l'Epitome'. Le module a été agrandi en fonction de l'usage luxueux qu'on voulait faire de l'écriture ainsi créée, et l'alphabet ainsi constitué artificiellement a été écrit selon des angles qui ne sont pas constants. Cette solution, qui est latine, du probléme de l'origine graphique de l'onciale latine, est compléte, parce qu'elle ne laisse aucune forme inexpliquée, et elle est simple, parce qu'elle ne fait appel qu'à deux écritures, lesquelles correspondent, non pas à des notions abstraites décrétées par l'érudition moderne, mais à des exemples concrets. C'est la combinaison fixe de formes de ces deux écritures latines, ou plus exactement l'arrangement de l'une de ces deux écritures à l'aide de quelques éléments empruntés à l'autre, qui fait l'unité de l'onciale, laquelle n'a pas d'angle propre, et encore moins de module propre. Le caractére artificiel de cette écriture, reconnu par tous les auteurs, se trouve ainsi confirmé, en méme temps que l'artifice se trouve défini. 151. — L’essence de l'onciale étant ainsi dégagée, les nuances calligraphiques accessoires qui, seules, donneront une histoire à cette écriture de luxe, immobile et factice, se trouvent isolées. C'est l'étude de ces nuances calligraphiques qui permettra de déterminer certains groupes trés intéressants, comme, par exemple, celui que signale M. Lowe (CLA 239), de ces 'codices' du cinquième et du sixième siècle dont un (CLA 293) est sur papyrus et les autres sur parchemin. Ils donnent tous des oeuvres juridiques et on trouvera un nouveau spécimen de leur écriture à la planche XXII X 1.

L'un d'eux est un énorme codex du Digeste de 905 folios (CLA 295) qui était déjà célébre au douziéme siécle à Pise oü il était conservé. Un autre est un palimpseste de Vérone (CLA 488), portant les 'Institutiones' de Gaius. Trois autres nous sont connus par des débris trouvés au vingtième siècle en Egypte: l'un à Oxyrhynchus (CLA 211), qui porte la Code Théodosien; le second à Antinoé (CLA 292), qui porte les 'Institutiones' de Gaius; le troisiéme en un lieu indéterminé (CLA 293), qui porte le Code Justinien. Les nuances calligraphiques communes qui caractérisent ce groupe ne sont sans doute pas tellement imputables au caractére juridique des textes qu'on y voit copiés qu'au fait que ces 'codices' ont été exécutés en un méme lieu qui est probablement Byzance. 152. — L'étude de ces mémes nuances calligraphiques appliquées au probléme de l'origine graphique de l'onciale ne parait pas devoir démentir la solution qu'on a proposée plus haut ($ 150) pour ce probléme. Nous noterons en effet que, depuis longtemps, les paléographes se sont accordés à reconnaître comme constituant les plus anciens exemples d'onciale qui nous aient été conservés une série de manuscrits qu'on a convenu de remonter tous au cinquiéme siécle, ou méme au quatriéme (par exemple CLA 57, 458, 464, 465, 467, 491), pour des raisons qu'on n'a pas toujours tirées seulement de l'écriture, mais aussi du format «carré» du codex, de la disposition du texte ou de la présence d'une lettre plus grosse que les autres au commencement des colonnes, méme quand cette lettre se trouve placée au milieu d'un mot. Or, ce sont précisément ces exemples d'onciale qui, par les nuances calligraphiques de leurs formes, sont les

plus voisines de l'écriture de l'Epitome": on signalera, comme caractéristiques particu-

La métamorphose de l'écriture romaine

99

liérement faciles à reconnaitre, le second trait du P (ou «panse»), trés réduit et qui ne remplit pas plus le corps de la ligne que dans ‘l'Epitome”, ainsi que le premier trait de M qui, s'il est quelquefois trés légérement arrondi, est, le plus souvent, encore droit

comme dans 'l'Epitome'.

m A ce sujet on notera, entre parenthèses, que 1'M arrondi

(Y) n'est nullement, comme

on l'a prétendu, une caractéristique essentielle de l'onciale,

mais y apparait d'une maniére

relativement tardive, précisément comme

une de

ces nuances calligraphiques qui font l'histoire de cette écriture. On notera aussi que, dans les exemples du quatrième et du cinquième siècle que nous venons de citer, 1'R est particuliérement voisin de la forme du 'de Bellis', son premier trait plongeant le plus souvent sous la ligne, et son dernier trait ayant une direction presque horizontale. Dans ces manuscrits en onciale qui sont les plus anciens que nous aient conservés les bibliothéques d'Occident, l'écriture qui nous occupe nous apparait donc comme trés

proche encore de celle de 'l'Epitome' sur la base de laquelle elle a été créée. Nous disons «encore», car, étant donné que la métamorphose qui a produit l'écriture de l’‘Epitome” doit être remontée au deuxième siècle (cf. $ 137), il n'est pas exclu que l'onciale latine ait été créée dés cette époque, plus anciennement donc qu'on ne l'a

imaginé jusqu'ici. Il n'est donc pas exclu non plus que les plus anciennes onciales des bibliothéques d'Occident soient déjà relativement tardives et que, si des débris papyrologiques en onciale sont bien contemporains de ces onciales d'Occident, on trouve aussi en Egypte d'autres fragments pour lesquels une date plus haute soit toujours possible. On voit dés lors que la destination originelle de l'onciale à la litté-

rature chrétienne devient une thése de plus en plus difficile à soutenir, comme, aussi bien, le fait précisément ressortir la proportion croissante des découvertes de papyrus

profanes en onciale. De plus en plus l'idée de Traube sur l'onciale «écriture chrétienne» nous parait comme devant étre reléguée au rang des illusions qu'a pu créer un état aujourd'hui dépassé de la documentation paléographique. | 153.— l'explication graphique de l'onciale ouvre un champ chronologique assez étendu à une explication possible de son origine historique. Méme si les plus anciens exemples d'onciale conservés en Occident devaient étre considérés comme déjà assez tardifs, un indice, qui nous est fourni par l'un d'eux sur la région de son exécution, ne laisse pas d'intéresser le probléme de l'origine historique de l'onciale: l'onciale conservée à la Bibliothéque nationale de Turin sous la cote G VII 15

(CLA 465) nous donne le texte des Evangiles sous la forme oü il a été utilisé par un écrivain africain, Saint Cyprien, dont des oeuvres nous sont présentées dans le méme type d'onciale par CLA 458 et 464 (cf. pl. XXX 5 et $ 145). L’indice est, on le voit, assez fragile, et serait méme insignifiant sil n'attirait notre attention, pour la premiére

fois au cours de cet ouvrage, sur la province d'Áfrique, que plusieurs autres symptómes de natures trés diverses concorderont à nous faire soupçonner comme

ayant été le

berceau de l'écriture latine représentée par le type de 'l'Epitome". 154. — Il semble

que l'état des conservations

ait encore provoqué

une erreur

d'optique quand on a affirmé (Prou 1924, p. 54) que «jusqu'á la fin du septiéme

100

|

Après le premier siècle de notre ère

siécle l’onciale est par excellence l'écriture des livres. Elle est par excellence une écriture de livres, ce qui est très différent: si un très grand nombre de livres en onciale ont été conservés pour une période qui va jusqu'au septième et au huitéme siècle, on ne saurait éliminer d'autorité une opinion qui en verrait la cause dans leur caractére

précieux: les livres courants auraient été tous copiés dans des écritures beaucoup plus vulgaires et beaucoup moins coüteuses, gaspillant beaucoup moins le papyrus ou le parchemin; si les exemples en sont beaucoup moins nombreux, ce serait parce que, pour une période antérieure au quatriéme siécle, ils ne peuvent étre retrouvés qu'à l'état de débris en Egypte, et que, pour une époque postérieure au quatriéme siécle, on ne les a entourés d'aucun soin. I55. — Le probléme de l'onciale est l'un de ceux dont le noeud se situe dans une

période antérieure aux plus anciens manuscrits d'Occident. Ces manuscrits nous montrent l'onciale déjà toute formée dés le quatriéme siécle. Rien ne serait plus arbitraire que de décréter, comme on l’a trop fait, sa naissance à cette époque. La paléographie ne peut étudier les origines de l'onciale qu'à l'aide des ressources de l'épigraphie et de la papyrologie. Les pauvres débris de 'l'Epitome' et le tout petit fragment du *de Bellis' ont une importance considérablement plus grande pour l'étude de l'évolution générale de l'écriture latine que les centaines de magnifiques manuscrits en onciales qui nous ont été conservés. L'onciale, écriture factice, artificielle, fabriquée, est comme

une parenthése dans l'histoire de l'écriture latine, et il semble méme qu'on pourrait expliquer l'évolution de cette écriture si cette parenthése n'existait pas, alors qu'il me parait impossible de le faire sans passer parles exemples que représentent le fragment ‘de Bellis' et les débris de 'l'Epitome'. Toutefois, il convient de noter que l'étude des origines graphiques de l'onciale nous fournit une raison de plus pour attacher une grande importance à ces deux trouvailles d'Oxyrhynchus. Le fait que l'écriture de

'l'Epitome', arrangée avec des éléments de celle du ‘de Bellis', a servi de base pour créer une écriture de luxe qui devait avoir un tel succés, souligne la diffusion et le caractére usuel, courant, fondamental en leur temps, de l'écriture de 'l'Epitome' comme de celle

du 'de Bellis'. |

155 a. — Il convient

d'attirer l'attention,

avant

de terminer

ce chapitre,

sur

certaines dénominations qui font loi dans le recueil, formé par M. Lowe, des «Codices latini antiquioress. La dénomination d'«onciale bd» y est attribuée à l'écriture du fameux ‘Codex Bezae', conservé à l'Université de Cambridge (cLA 140, pl. XX X r): il s'agirait d'une onciale oü, par exception, apparaitraient, pour B et pour D, des formes appartenant,

non pas à l'alphabet oncial, mais à l'écriture du type du Saint Hilaire de Rome (CLA 1 a, pl. XXIX

3) qu'on a voulu appeler ‘minuscule primitive” ou ‘semi-onciale”

(CLA 8, 16, etc., cf. $$ 219 - 221). Cette vue procéde nécessairement d'une vieille idée d'ensemble sur le classement des écritures latines, idée selon laquelle l'onciale serait antérieure à cette 'semionciale', catégorie où l'on a voulu ranger, quand il fut découvert, l''Epitome', et non sans difficulté d'ailleurs, puisqu'on a qualifié son écriture de 'semi-onciale mélée'

(CLA 208). Selon cette méme doctrine d'ensemble, l'onciale était considéréé comme une écriture «majuscule, c'est-à-dire comme une écriture dont les lettres seraient comprises entre deux lignes paralléles

ABFPS

La métamorphose de l'écriture romaine

IOI

conformément à un critére fort superficiel auquel Reusens, en 1899 et, à sa suite, le Manuel de Prou de 1924, ont donné une importance qu'il n'a pas (cf. $ 155 f). Soit dit en passant,

l'onciale obeit trés imparfaitement

à ce critére,

et c'est justement

dans ses plus anciens exemples qu'elle y correspond le moins (cf. pl. XXX

2, 4, 5).

Quoiqu'il en soit, l'onciale était décrétée «majuscule»; à ce titre, elle était classée avec et immédiatement aprés la «capitale», qui se trouvait elle-méme, comme on l’a

vu, si confusément définie dans son éxécution et dans son emploi. De cette place, l'onciale — dont il était bien difficile, alors, d'établir l'origine

(voir les explications embarrassées du Manuel de Prou, pp. 51-52) — précédait les écritures dites «semi-onciale», «quart d'onciale» etc., tout comme

l’«onciale bd» que

M. Lowe voudrait nous montrer dans le 'Codex Bezae'. Or, les formes de B et de D dans le ‘Codex Bezae' appartiennent au méme systéme que toutes les autres lettres du manuscrit, sauf R et S, et ce systéme est celui de 'l'Epitome'. Ce n'est donc point B et D qu'il convient de détacher, mais R et S. Si l'on veut à toute force définir l'écriture du 'Codex Bezae' par rapport à l'onciale, le plus qu'on puisse dire est que l'écriture de ce manuscrit est une onciale imparfaite puisque deux lettres seulement, R et S, y ont été réformées, au lieu de quatre:

B D RS. La méme définition conviendrait aux Epitres de Saint Paul, conservées à Paris (CLA 521), et encore mieux, parce que leur style calligraphique, trés different

de celui du 'Codex Bezae', est absolument le méme que celui de nombreuses onciales. 155 b. — Pourles mémes raisons, on peut qualifier d'onciales imparfaites l'écriture d'un codex d'Oxford contenant les Actes des Apótres qu'on date du sixiéme siécle (CLA 251), ainsi que celle d'un Code théodosien du Vatican et de Turin qu'on date du septiéme (CLA 46): M. Lowe qualifie ces exemples d'«onciale b», ce qui revient à dire

que ce sont des onciales oü apparait un B «semi-onciab; en réalité ce sont des écritures du système de 'l'Epitome' où seuls D, R et S qui sont, sous bien des aspects, trés différentes rentes de celle du 'Codex Bezae'. Si l'on peut y faites, en considérant que, comme dans le cas

ont été réformés. Ces deux écritures l'une de l'autre, sont aussi trés diffévoir, à la rigueur, des onciales impardu 'Codex Bezae', elles se présentent

extérieurement, chacune à part soi, comme calligraphiées dans le méme style que certains groupes d'onciales, elles ne peuvent étre considérées comme constituant. des

exceptions dans la masse uniforme des centaines de manuscrits qui nous montrent la rigidité du système alphabétique oncial. Des imperfections dans l'application d'un systéme

ne sauraient

autoriser à créer une catégorie à part, surtout quand ces im-

perfections se manifestent dans des exemples qui, par leurs autres caractéristiques, sont si différents entre eux. I55 c. — Quant au rouleau de papyrus d'Oxford portant un Tite Live (CLA 247) que M. Lowe qualifie d'«onciale bd», son R et son S n'apparaissent méme pas comme ayant été réformées, et il s'agit purement et simplement de l'écriture de

'l'Epitome', exécutée dans le style calligraphique de certaines petites onciales. I55 d. — Enfin, le Sénéque palimpseste du Vatican (cLA 69), qui se voit attribuer, dans le CLA, la méme qualification d'«onciale bd», ne présente aucune différence

fondamentale avec l'écriture de 'l'Epitome', non seulement dans son R, dans son S et dans aucune autre lettre, mais encore et méme dans son aspect calligraphique, qui est trés voisin de celui de 'l'Epitome' et ne ressemble à celui d'aucune onciale. 155 e. — Comme

l'onciale parfaite elle-méme,

et comme,

ainsi qu'on le verra,

102

Après le premier siècle de notre ère

une infinité d'autres variétés d'écriture latine, tous ces exemples ont pour fonds commun [l'écriture de 'l'Epitome'. Il semble qu'en partant de cette idée on voie s'évanouir d'un coup bien des difficultés dans la classification des écritures latines

à partir du troisiéme siécle. D'une maniére générale, on ne saurait en définir aucune à partir de l'onciale, qui est un cul de sac, et c'est prendre les choses à l'envers que de parler non seulement d'«onciale bd» et d'«onciale b», mais encore de «semi-onciale» (CLA 1 a — pl. XXIX 3 -—, 8, 16, 26, 29, 38, 41 etc), de «quart d'onciale» (CLA 73, 289, 290, 397 a — pl. XXV 4 —, 398 — pl. XXV 2 —, 462 — pl. XXV 3 —, 572),

de «semi-onciale mêlée» (CLA 208 — pl. XVII 3 —), de «semi-onciale cursive» (CLA 210 — pl. XXII —, 288, — pl. XXIV 4 — 478), d'«ancienne semi-onciale» (CLA 224-227 — pl. XVIII 2 et XIX 1—, 246, 248, 291, 367) etc. Aussi bien, n’apergoit-on pas les critéres qui ont permis de répartir les manuscrits ainsi qualifiés entre ces diverses

catégories: il s'agit d'un cadre de classement peu net — et pour cause — et qui regoit fort mal les exemples concrets, si mal qu'on ne saurait continuer à s'en servir. 155 f. — A celle des catégories qui, dans ce classement si induement subordonné à l'onciale, se trouve comprendre le plus grand nombre de manuscrits, c'est à savoir la «semi-onciale» (cf. $8 219 - 221), on tend aujourd'hui à donner le nom de «minuscules, et plus précisément (pour la distinguer de ce qu'on appelle la «minuscule caroline, au neuvième siècle), le nom de «minuscule primitive». J'ai moi-même

beaucoup employé cette dénomination jusqu'à ces derniéres années; je la trouve maintenant de plus en plus incommode. La notion de «minuscule» a été créée, en effet, par opposition à celle de «majuscules, comme on l'a déjà dit plus haut, et on a voulu faire de cette distinction le critére

fondamental de la paléographie latine. Or, si l'on veut dire d'une écriture qu'elle est «minuscule» parce qu'elle est petite, et d'une autre qu'elle est «majuscule» parce qu'elle est grande, on sent tout de suite

qu'il y a des capitales qui vont être minuscules et des «semi-onciales» ou «minuscules primitives», par exemple, qui vont être majuscules. Cela ne va pas, et il est évident que c'est attacher au module une importance critique qu'il ne saurait avoir. On l'a bien senti, et, pour conserver le critére, on en a proposé une autre définition à laquelle nous avons déjà fait allusion: c'est celle donnée par Reusens dans son traité de 1899 et qui est reproduite en ces termes au seuil du Manuel de Prou dans sa réédition de 1924 (p. 29): «Avant de proposer une répartition des monuments de l'écriture

latine en divers groupes, il importe de définir les deux expressions majuscule et minuscule. L'écriture majuscule est celle dont les lettres sont comprises entre deux lignes paralléles

ABFPS L'écriture minuscule est celle dont les lettres, de hauteur inégale, sont comprises entre quatre lignes parallèles, quelques lettres entières et la panse de certaines lettres étant comprises entre les deux lignes médianes, la haste et la queue des lettres s'etendant

jusqu'aux lignes extrêmes:

Th fps»:

A-t-on refléchi qu'à ce compte-là toutes les écritures latines, les plus différentes les unes des autres par leurs formes, leurs ductus, leurs angles d'écriture, leurs module, leurs lourdeurs etc., sont «minuscules, sauf quelques exceptions seulement, comme des

exemples de «capitale» (pas tous) et des exemples d'onciales? L'écriture commune du premier et du deuxième siècle ($$ 45-73 et pl. IV r, V 1, VI p. e.) va être «minuscule»,

La métamorphose de l'écriture romaine

.

103

et, comme elle appartient au méme système que la capitale, nous devrions y voir encore une «capitale minuscule», aussi minuscule que l'écriture commune du quatriéme siécle (pl. XXI à XXVI 1 p. e.), que la «minuscule primitive» et le reste. Inversement, prenons le cas d'un évangéliaire de Lichfield (CLA 159), qu'on date du huitiéme siécle. Si M. Lowe était logique avec lui-méme, il qualifierait son écriture d'«onciale bd insulaire»: s'attachant, cette fois, non plus à la structure des formes, mais à des caractéristiques calligraphiques extérieures, il appelle cette écriture «majuscule insulaire», de la méme maniére que CLA 125, 132, 147, 148, 149, 154, 218, 256 et 454. Admettons un instant, bien que ce ne soit pas tout à fait vrai, que cette «majuscule» de Lichfield soit conforme au critére de Reusens: elle est, par la structure fondamentale de ses lettres, une «minuscule primitive» oü ont été réformées R et S, et nous voilà encore en présence d'une «minuscule majuscule»; l'onciale elle-même serait une «minuscule majuscule» avec réforme de B D R S. Robert Marichal a bien senti la difficulté: il a noté en 1949 que «la distinction elle-même entre capitale et minuscule n'est pas toujours aussi aisée qu'on le croirait», et il a donné comme exemple le 'de Bellis' qui l'a fait hésiter, si, finalement, il l'a classé parmi les capitales, il n'est pas satisfait, car il est exigent. En réalité, il ne faut pas craindre de récuser carrément le critére de Reusens; sa distinction entre majuscules et minuscules ne peut apporter que de la confusion parce qu'elle est fondée, non sur les formes et encore moins sur les ductus et sur les angles d'écriture, mais sur des caractéristiques calligraphiques tout à fait extérieures et accessoires. Contrairement à ce que prétend le Manuel de |Prou, il importe de ne pas poser le critére de Reusens à la base d'«une répartition des monuments de l'écriture latine en divers groupes».

155 g. — L’entreprise américaine des 'Codices latini antiquiores’ en cours de publication sous la direction de M. Lowe, est admirable par l'énormité des moyens qu'elle met en ceuvre dans un domaine scientifique aussi désintéressé que celui de la paléographie. Mais il est trés curieux de constater que la faiblesse des doctrines générales qui président à la rédaction des notices particuliéres est constamment rendue plus manifeste par la réunion méme des reproductions à laquelle procéde le méme M. Lowe. Ainsi, sans paraitre s'en apercevoir, il forge à grands frais une trés utile machine qui doit aider puissamment à détruire les conceptions qu'il prétend défendre et consacrer. M. Lowe a adopté le vieux vocabulaire paléographique, qu'il a voulu perfectionner en le nuangant au contact des exemples qu'il réunissait: il n'est parvenu qn'à compliquer ce vocabulaire et à faire ressortir son impuissance à définir les écritures des livres latins antérieurs au neuviéme siécle, car, déjà, les termes les plus élémentaires de ce vocabulaire ne résistent pas à un examen un peu appuyé: comme on l'a vu, le terme de «capitale» ne peut étre conservé qu'avec beaucoup de précautions et de mises au point; les notions de «cursives» et de «libraria», telles qu'on les oppose traditionnellement l'une à l'autre, ne valent pas; celles de «majuscules»

et de «minuscules» nous entraînent dans des impasses; les dénominations de «semionciale, de «quart-d'onciale» etc., n'ont aucune justification. Le terme d'«onciale» est l'un des rares que l'on puisse garder sans réserve grave, peut-étre justement parce que le mot «onciab ne veut rien dire, ou, du moins, n'a, dans son acception moderne, aucun sens précis, en relation avec l'écriture qu'il désigne, parce qu'il est purement conventionnel et coiffe exactement une catégorie nombreuse de manuscrits bien homogénes par leurs caractéristiques fondamentales, parce qu'il s'agit enfin d'une écriture artificielle, essentiellement calligraphique, qui à trés peu de vie, trés peu d'histoire, peu d'avenir aprés le huitiéme siécle, et une importance presque nulle dans l'évolution générale de l'écriture latine.

104

Aprés le premier siécle de notre ére

Il faut jeter de nouveau tous les exemples en vraque, comme ils nous sont venus: le CLA nous les présente dans l'ordre presque totalement arbitraire de leurs lieux de

conservation actuelle. Jusque là, tout le travail, purement matériel, du CLA, est d'une valeur inappréciable. Ceci dit, on doit remettre en question toutes les idées qui ont inspiré le texte et les commentaires de M. Lowe. Il faut oublier ses critéres et en chercher de nouveaux. Déjà la possibilité d'écarter plusieurs centaines de manuscrits en onciale permet de déblayer le terrain. C'est une première simplification du probléme des transformations de l'écriture latine au cours du premier millénaire de notre ére.

CHAPITRE LA

SOLUTION

DE

CONTINUITE

IV.

DANS

L’ECRITURE

COMMUNE

a. — ECRITURE COMMUNE CLASSIQUE, ÉCRITURE COMMUNE NOUVELLE 156. — On a déjà noté plus haut ($ 86), à propos de la période antérieure au deuxième

siècle, les inconvénients

du terme

de «cursives.

Il rend mal compte

de

l'usage qui était fait de l'écriture qu'on voudrait désigner ainsi (laquelle servait aussi bien pour copier les livres que pour dresser des actes et établir toutes sortes de documents), et la situe mal par rapport à la capitale, dont la nature n'avait pas été elle-méme assez étroitement définie ni la fonction suffisamment circonscrite et limitée. A ce terme de «cursive», nous avons préféré le terme d'«écriture commune» parce qu'il coiffe mieux, senble-t-il, l'ensemble des exemples qu'on a voulu ranger sous la qualification de «cursive» (dont plusieurs sont trés peu cursifs), et parce qu'il l'oppose convenablement

à la capitale, en reléguant cette derniére dans son véritable róle,

assez restreint en dépit des apparences qui nous sont offertes par l'état moderne des conservations

de monuments

graphiques.

Aussi bien, n'est-ce pas nous

qui avons

inventé le terme d'écriture commune qui a l'avantage d'étre emprunté à une terminologie contemporaine des monuments que nous étudions: il est emprunté à un texte impérial du quatrième siècle, que nous analyserons plus loin ($ 172), et qui l'utilise pour désigner ce que les paléographes modernes appellent «cursive» à la méme époque. Pourtant, pour discuter avec eux du probléme dont il va étre question dans le

présent chapitre, nous aurons à employer le mot de «cursive». Il faut qu'il soit bien entendu qu'il s'agit de ce que nous nommons ici écriture commune. 157. — On n'a d'abord vu qu'une seule et

méme écriture continue dans la «cur-

sive» romaine du premier au huitiéme siécle de notre ére. C'est l'opinion qui se dégage des Prolégomènes que Hübner écrivait en 1885 en tête de ses Exempla scripturae epigraphicae. A cette époque, on ne connaissait guère, comme exemples antérieurs au

cinquiéme siécle, que les graffites et les tablettes de Pompéi (avant 79 AD), les tablettes de Transylvanie du deuxiéme siécle et les inscriptions sur poterie du Mont Testaccio, provenant d'Espagne, en majorité également du deuxiéme siécle. A partir du cinquiéme siécle, on connaissait les «cursives de Ravenne, du cinquiéme et du sixiéme siécle, et

les diplómes mérovingiens ,des septiéme et huitiéme. 158. — Les découvertes papyrologiques de la fin du dix-neuviéme siécle et du

vingtiéme ont attiré l'attention sur des différences marquées entre une «ancienne cursive

romaine»

qu'on

appela

aussi

«majuscule

cursive»

ou «capitale

cursive»,

à

laquelle on faisait appartenir les papyrus antérieurs au quatriéme siécle, d'une part, et, d'autre part, une «nouvelle cursives, qu'on appela aussi «minuscule cursive», qu'on

106

Aprés le premier siécle de notre ére

montrait bien formée dans des papyrus du quatriéme siécle, et à laquelle on rattachait les cursives du type de Ravenne, du cinquiéme et du sixiéme siécle, connues depuis longtemps par les paléographes. 159. — Je crois m'étre trompé

en affirmant

dans mes

Observations de 1939

que

l'opinion que je commengai alors à soutenir sur l'existence d'un «fossé», séparant 1l'«ancienne cursive» de la «nouvelle», avait déjà été professée par quelques auteurs: en effet, les paléographes qui ont le plus marqué dans ces cinquante derniéres années ont tous dogmatisé une thése diamétralement opposée et ont vu dans la nouvelle cursive le résultat d'une évolution graduelle de l'ancienne. Le choeur est absolument unanime dans toutes les langues: «Sie (la nouvelle cursive) entwickelte sich ganz allmählich aus der älteren Kursive im Verlauf des III und IV Jahrhunderts», écrit

Steffens en 1909, dans sa Lateinische Paläographie (p. V). Van Hoesen, en 1915, dans sa Roman cursive writing (p. 19) parle de «... development so gradual as to call

no division into periods» Schiaparelli pose en 1921, dans son fondamental traité sur la Scriptura latina nell'età romana (p. 118), que «la maioscola corsiva finisce gradatamente in minuscola corsiva». M. de Boüard, refondant le Manuel de Prou, répète en I924 (pp. 46-49) que la cursive ancienne «se transforme continuellement» et «tourne graduellement à la minuscule». M. Millares, en 1932, dans son Tratado de paleografia española, voit dans la «minuscula cursiva... el resultado de un desarrollo natural de la mayuscula cursiva que puede considerarse terminado en el siglo IV». En 1939.

M. Battelli, dans ses Lezioni di paleografia (p. 40), écrit que «dalla capitale corsiva si forma per un ulteriore processo di corsività, la minuscola corsiva». C'est à cette derniére date que je formulai timidement, contre toutes ces autorités, une opinion contraire, selon laquelle une solution de eontinuité trés nette séparerait ce qu'on

appelle la nouvelle cursive de ce qu'on appelle l'ancienne. Depuis lors, les retouches que j'ai apportées aux vues que j'exprimais alors ont été seulement d'ordre chronologique, tendant à remonter plus haut que le quatrième siècle l'apparition de la nouvelle écriture.

Je ne sache pas que mon opinion de 1939 sur le «fossé» entre l'ancienne et la nouvelle écriture commune, opinion développée encore dans mes Notes de 1945, ait subi jusqu'à ce jour l'épreuve de la contradiction, et je le regrette; la question des

deux écritures romaines domine toute la paléographie latine, toute l'histoire de l'écriture latine, et la these de la discontinuite entre ces deux écritures fait lever une masse de problémes que les paléographes, en vivant sous l'empire de la thése de la continuité, n'ont pu et ne pouvaient méme pas poser; elle remet en jeu, sous un jour tout nouveau, une quantité considérable de monuments et de faits paléographiques, y compris ceux qui sont le plus chargés, depuis le plus de temps, de bibliographie, d'études critiques et de commentaires: entre de trés nombreux exemples, je ne citerai que, comme étant parmi les plus illustres, les papyrus impériaux de Leyde-Paris et les diplómes mérovingiens dont nous traiterons au chapitre suivant.

160. — Steffens, parlant de la prétendue «évolution graduelle» qui, de l'ancienne cursive fait, selon lui, sortir la nouvelle, remarquait il y a quarante ans: «Malheureusement les exemples nous manquent qui nous permettraient de suivre pas à pas cette évolution». Des exemples de cette sorte n'ont pas apparu depuis Steffens, et je ne crois pas que ce soit un effet dela malchance des trouvailles: ils manqueront toujours, et

pour une raison trés simple, c'est que l'évolution dont on nous parle n'a jamais existé, et qu'il est impossible de tirer graphiquement le systéme de la nouvelle «cursive» du systéme de l'ancienne.

La solution de continuité dans l'écriture commune

I07

161. — Passons au concret. Prenons un exemple déterminé: le papyrus 447 de

Londres (EL 35), publié en 1928 par Seymour de Ricci dans le Journal of Egyptian archaeology (cf. pl. XXIII 3). C'est la minute d'une pétition exécutée manifestement par un scribe professionnel: l'auteur de la pétition a apporté de sa main des corrections entre les lignes dans une écriture qui est la méme que celle du texte de base, mais bien plus négligée et bien plus personnelle, qui fait ressortir le caractére professionnel de la main de ce méme texte de base. La minute en question fait partie d'un lot de

papiers d'un officier de l'armée d'Egypte, Flavius Abinneus, dont la carrière est ainsi suffisamment connue pour qu'on puisse dater le document qui nous occupe, toutes les sécurités possibles, du milieu du quatriéme siécle, de l'année 345.

avec

Tous les tenants de la doctrine formulée par Steffens, par Van Hoesen, par Schiaparelli, par MM. auteurs de traités tion, un exemple cursive» que nous

de Boüard, Millares, Battelli, et, je crois bien, par tous les autres de paléographie, seront d'accord pour reconnaitre, dans cette pétiparfaitement bien formé de leur «nouvelle cursive» ou «minuscule appelons, nous, conformément à la terminologie d'un texte contem-

porain: écriture commune du quatriéme siécle. Aussi bien est-ce cet exemple méme que l'un des auteurs précités, M. Millares (op. cit., pl. 17), a donné en 1932

comme

typede cette méme «minuscule cursive» qui serait sortie par «évolution graduelle» de la «majuscule cursive» ou «ancienne cursive». 162. — Prenons les cas les plus marquants, à savoir ceux de L’A se présente ainsi

A B E P (pl. XIII X

Il est le plus souvent en ligature avec les lettres antérieures qui donne le groupe etat:

le groupe egas

C7:

)

et le groupe alae

Ζ

et postérieures,

3).

ce

108

Après le premier siècle de notre ère

Par quelle evolution naturelles et «graduelle» le ductus de l'eancienne cursives

(cf. $ 48)

qui se trouve matérialisé d'un bout à l'autre par le cas (cf. pl. XV 1, L 7)

m a-t-il pu conduire à la forme d'aspect tout différent de la nouvelle cursive dont le ductus

est diamétralement opposé? Nous avons observé dans la premiére partie de cet ouvrage qu'il s'était produit des renversements de ductus dans le cours méme de l'évolution de l'écriture commune classique ou «ancienne cursive» (cf. $ 48 et 55), mais seulement dans le cas de formes

qui ne s'en trouvaient pas sensiblement changées quant à leur aspect extérieur, et, ici, l'aspect extérieur de 1’A de la nouvelle cursive est tout différent de celui de l'ancienne. Dans notre pétition de 345, le B est ainsi fait

b Ce B de la nouvelle cursive ne peut entrer en ligature ni avec la lettre antérieure ni avec la lettre postérieure, sans que, davantage, ses deux sections puissent entrer en ligature intérieure l'une avec l'autre.

$ 50)

Par quelle évolution graduelle et naturelle le ductus de l'ancienne cursive (cf.

p JE

Α

La solution de continuité dans l'écriture commune

I09

qui, au surplus, peut entrer en ligature antérieure et postérieure (aba, pl. XIII 3, col. 2)

/

AUN ainsi qu'en ligature intérieure (bi EL 28, 1. 5)

peut-il conduire à la forme de la nouvelle cursive radicalement différente ?

J'ai longuement insisté, au cours de la premiére partie de cet ouvrage (88 77-83), sur la critique des prétendus cas de B à «panse à droite» que Zangemeister, Hübner et, à leur suite, Cagnat, Fita, Schiaparelli, et tant d'autres, jusqu'à M. Lowe, avaient

cru pouvoir noter dans des monuments d'écriture classique dont plusieurs sont en ancienne cursive ou écriture commune classique. On apergoit maintenant pleinement

l'intérét qu'il y avait à détruire une à une ces illusions qui seraient trés étonnantes de la part de tant d'auteurs éminents si la reconstitution de l'histoire de cette erreur

n'expliquait facilement par quel concours de circonstances elle a pu se produire et se propager: cette question, en apparence petite, est primordiale dans l'étude d'un probléme qui est lui-même fondamental pour la paléographie latine. Non seulement aucun B à «panse à droites n'est attesté dans des monuments en écriture classique romaine, mais encore aucun n'y est possible, étant donné les ductus, l'angle et le traitement général de cette écriture (cf. $ 84). Le B de notre pétition de 345, dont le

ductus est le méme que. celui de 'l'Epitome', est propre à la nouvelle écriture romaine. Il ne provient pas, et ne peut pas provenir, de l’ancienne cursive». Il en est encore de méme dans le cas de la lettre E. L’E de notre pétition

est hors de saison à la suite de la gamme des E de l'ancienne cursive ou écriture romaine classique que l'on trouvera plus haut au paragraphe 57.

Les deux formes de I’N qui se rencontrent dans notre nouvelle cursive,

N

IIO

Aprés le premier siécle de notre ére

et plus fréquemment.

f) ne sauraient davantage trouver leur place au bout de l'évolution graphique que suit cette lettre dans l'ancienne cursive ou écriture commune classique

MM tru

Méme remarque sur le P dont la forme de l'ancienne cursive

r ne saurait conduire à celle de la nouvelle

P 163. — Nous ne venons d'enumérer que les difficultés les plus grandes pour faire

sortir par «évolution naturelles et «graduelle», de l'ancienne cursive, la nouvelle. Ces difficultés résident dans les formes des lettres A BEN P. Sans doute l'opposition est-elle moins forte, ou méme

assez peu perceptible, si on prend les autres lettres.

C'est que, comme nous le verrons, si l'ancienne cursive et la nouvelle ne sont pas unies par un lien de descendance et de dérivation, elles ont tout de méme

un lien

de parenté que nous allons pouvoir définir: si l'on envisage comme un bloc l'alphabet de notre pétition en y alignant, au milieu des autres, les lettres pour lesquelles la dérivation à partir de l'ancienne cursive présente des difficultés insurmontables, on s'apercoit que l'ensemble, comme un tout ábsolument homogéne, a les mémes ductus que l'écriture de 'l'Epitome' et des manuscrits assimilables comme le fragment liturgique de Manchester ($142); non seulement toute impossibilité, mais encore toute difficulté graphique, disparait si l'on considére la nouvelle cursive comme le traitement cursif

de l'écriture de 'l'Epitome', laquelle se rattache à l'écriture classique à travers l'écriture du ‘de Bellis". Une forme comme celle de G dans notre pétition, en apparence assez éloignée de la forme de 'l'Epitome', ne fait pas plus difficulté, en réalité, que les formes des autres lettres: la premiere forme du dessin qui suit est empruntée à ‘l’Epitome”, la

deuxième au fragment liturgique de Manchester (pl. X), X la troisième à notre pétition

GO

Cette filiation se notera dans de nombreux détails de toutes les formes de toutes les lettres, ainsi que dans l'allure générale de l'écriture, perpendiculaire à la ligne, ce qui l'oppose encore à l'écriture commune classique, qui, dans sa dernière étape, est penchée vers la droite ($$ 91-98). Il y a donc bien un lien de parenté entre l'ancienne

La solution de continuité dans l'écriture commune

.

III

et la nouvelle cursive, mais ce n'est pas un lien de descendance; c'est, si l'on ose dire, un lien de cousinage, et assez éloigné. Comme l'ancienne cursive, la nouvelle se relie

au système classique, mais très indirectement, à travers le type de 'l'Epitome', qui est lui-même la métamorphose du type du ‘de Bellis’, lequel est un type spécial de l'écriture classique. Par ce détour, la nouvelle cursive s'est substituée à l'ancienne comme écriture commune, mais sans venir d'elle. 164. — J'entends bien qu'il existe des exemples antérieurs au quatriéme siécle

oü l'on voudrait nous montrer des cas de transition, encore qu'on reconnaisse ($ 160) qu'on ne peut pas suivre cette transition «pas à pas»; ces exemples ne sont que des cas de mélanges, ce qui est trés différent. Il n'est pas rare de voir apparaitre avant le

quatriéme siécle, et à partir du deuxiéme siécle, dans des monuments en «ancienne cursive» penchée,

des ductus

qui ressemblent

d'une

manière

frappante

à ceux

de

la nouvelle cursive. C'est ainsi que dans l'une des mains du testament d'Arsinoé qui “

est de 131, le D, l'M, le P et le Q apparaissent sous des formes trés proches de la nouvelle cursive. Des phénoménes de ce genre sont peut-étre imputables aux effets automatiques et paralleles, sur l'écriture commune classique, de l'énclinaison du pa-

piere ($8 91-98), sans qu'il soit nécessaire d'imaginer dés cette époque l'influence d'une nouvelle cursive existant déjà. Une semblable explication paraít plus difficile à admettre dans le cas d'une

T

lettre missive de 202-207

(Er 28), en ancienne

cursive

penchée, oü aprés des A conformes aux ductus de l'écriture commune classique

apparait brusquement un A ainsi fait (l. 7)

selon le nouveau

Quand

ductus.

nous aurons un «Corpus» des papyrus latins, tous les faits de ce genre

seront trés utiles à recueillir et à grouper en vue d’un essai d'interprétation qui pourrait fournir des indices sur l'époque à laquelle il convient de faire remonter l'apparition

de la nouvelle écriture, car, s'il est certain, comme on le verra ($ 172), qu'elle était exclusivement employée au quatriéme siécle comme écriture commune, il est également assuré que son origine est plus ancienne et que les papyrus du quatriéme siécle que nous avons dans cette écriture sont déjà des exemples relativement tardifs. S'il est besoin d'une preuve de la coexistence des deux écritures au troisiéme siécle au moins, elle nous est fournie par un papyrus de 247 (Pox. 720, cf. pl. XV I et XVIII). Ce papyrus, oü il y a cinq mains, a été fréquemment cité par les paléographes sans que la doctrine de la continuité des «cursives» romaines ait permis d'apercevoir l'opposition qui existe entre la premiére et la cinquiéme main, seules latines, les autres mains étant grecques. La premiére main est celle d'un scribe professionel qui a rédigé en latin le texte d'une pétition adressée au prefét d'Egypte par une certaine Aurelia Ammonarion. Ce scribe écrit encore en ancienne cursive romaine ou écriture commune classique, absolument pure. La cinquiéme main est celle du fonctionnaire qui, au bas de la feuille, a rédigé la réponse. Le papyrus est à cet endroit

112

Aprés le premier siécle de notre ére

trés abimé, mais un A assorti à un B selon les ductus

de la nouvelle écriture nous

suffit pour savoir que ce fonctionnaire écrivait la nouvelle écriture en 247.

|

La coexistence des deux systémes avant le quatriéme siécle explique l'introduction toujours possible de ductus de nouvelle cursive dans des exemples d'ancienne cursive, sans qu'on soit fondé, pour autant, à nous montrer dans ces exemples les étapes d'une «transition» qui est graphiquement impossible entre deux systémes lointainement apparentés et non issus l'un de l'autre. Rien ne saurait prévaloir contre l'irréductibilité

des cas de A BEN P qui ne sont que les manifestations les plus voyantes d'un contraste qu'on concrétisera, si l'on veut des «pendants», en juxtaposant la pétition d'Aurelia Ammonarion de 247 (pl. XV 1, ll. 1 à 7) et la pétition de Flavius Abinneus (pl. XXIII 3) qui est de cent ans postérieure. 165. — Inversement, au quatriéme siécle et dans les siécles suivants, on rencontre des cas oü des ductus de l'ancienne cursive survivent dans des exemples de nouvelle

cursive. Par exemple, dans la souscription latine d'un papyrus grec conservé à Strasbourg (EL 31), souscription qui a été écrite en 310 en nouvelle cursive, le B est formé selon le ductus de l'ancienne cursive

Une lettre missive sur papyrus, conservée également à Strasbourg (pap. 1 de l'Université, Steffens, facs. 13), écrite en nouvelle cursive probablement avant 362, porte les mots omnibus bonis benignitas ainsi tracés

omnt

moe

orf

où les B ont, comme on le voit, constamment les ductus de l'ancienne cursive. Même

phénoméne dans les gloses marginales d'un codex de Bologne (pl. XXX

2) du cin-

quiéme siècle, gloses où le groupe ἐΐδὲ est ainsi fait

2) et dans une ligne de titre d'un codex trés vulgaire de Naples oü on lit verborum (pl XXV 4) ainsi écrit 7

L'exemple le plus tardif que je connaisse est de la fin du sixième siècle. C'est celui

La solution de continuité dans l'écriture commune

113

d'une date latine d’un rescrit grec, date qui a fait l'objet d'une copie figurée sur le marbre où a été reproduit le rescrit qui est de 585. L'inscription, dont il sera encore question plus loin ($ 173), a été trouvée à Ephése. De méme que pour les cas cités au paragraphe 164, il est évident que ces exemples ne sauraient étre pris pour des cas de «transition», comme Steffens l'a prétendu à propos du papyrus 1 de Strasbourg ($ 165), tout en reconnaissant qu'on n'avait pas les éléments pour suivre «pas à pas» la dite transition. Il n'y a rien d'étonnant à

ce que des ductus d'une écriture se conservent sporadiquement dans l'écriture qui la remplace. Des ductus de l'ancienne écriture ont survécu, et c'est tout: l'opposition n'en est pas moins irréductible entre les deux systémes qui comportent respectivement les formes

L

U et

Une circonstance rend spécialement peu surprenant que des ductus de l'ancienne

cursive aient survécu, au quatrième et aux siècles suivants, dans la pratique de la nouvelle cursive: c'est que l'ancienne cursive a continué d'étre connue au cours de ces siécles; méme quand la nouvelle cursive fut devenue d'un usage absolument général, l'emploi de l'ancienne cursive, parfaitement pure, a été conservé longtemps, comme

dans un dernier réduit, par la chancellerie impériale. Cette survivance a méme fourni l'occasion d'un texte législatif sur l'écriture: les faits graphiques qui ont été relevés au cours du présent chapitre sur les exemples actuellement connus vont nous étre confirmés par ce texte que nous étudierons au cours du chapitre suivant ($ 172). Il fait

notamment état de l'opposition de ductus (apices) qui sépare l'ancienne cursive, représentée à l'époque par l'écriture de la chancellerie impériale, de l'ancienne. Il nous précisera du méme coup que l'adoption générale de la nouvelle cursive comme écriture commune à la place de l'ancienne cursive ou écriture commune classique

était un fait accompli au quatriéme siécle. Nous appellerons désormais cette nouvelle cursive la nouvelle écriture commune. 166. — Que l'origine graphique d'une écriture «commune» comme celle qui nous occupe ne se puisse trouver que dans le système de 'l'Epitome' et des manuscrits assimilés, c'est un nouveau fait qui met en relief l'homogénéité basique de ce systéme et son importance cardinale dans l'histoire de l'écriture latine.

114

Aprés le premier siécle de notre ére

6. — LES ÉCRITURES

DIPLOMATIQUES

ET DES ROYAUMES 167. — Les papyrus latins d'Egypte

DE L’EMPIRE

BARBARES

les plus anciennement

republiés, sont certainement les fragments N 95), qui sont conservés à l'Université de Paris (pl. XXVI 4). Ils ont été découverts en Egypte du Sud demeura longtemps indéchiffrée: on n'avait

connus,

publiés

et

auxquels nous avons déjà fait allusion Leyde et à la Bibliothéque nationale de dés le dix-huitiéme siécle, et leur écriture aucun élément de comparaison; elle ne

ressemblait à rien qui füt alors connu. C'est qu'il s'agissait d'une survivance, au cin-

quiéme siécle, de l'ancienne écriture commune classique des premier et deuxiéme siécles, et aucun exemple de cette écriture n'était encore venu au jour. La gloire de l'avoir déchiffrée revient à Massmann, qui, s'aidant des tablettes de Transylvanie du deuxiéme siécle qu'on venait de découvrir, publia à Leipzig en 184x une lecture des fragments de Leyde, ce qui permit à Natalis de Wailly de transcrire l'ensemble. En 1863, Mommsen publia une dissertation portant sur la critique interne du texte:

il en est resté établi que nous avons affaire à des rescrits impériaux postérieurs à l'année 413 et antérieurs au sixiéme siécle. 168. — La difficulté majeure qu'on rencontre dans la lecture de ces fragments

consiste en ceci que leur écriture pousse à l'extréme les tendances naturelles de l'écriture commune

classique quand elle se penche vers la droite comme elle le fait à partir

du deuxiéme siécle ($$ 91-98). Le traitement cursif de l'écriture classique ($8 45-74)

avait eu pour effet général

d'élever au-dessus de la ligne la terminaison des lettres et d'abaisser leur attaque.

L'inclinaison vers la droite, au deuxiéme siècle, de l'écriture ainsi formée, a eu pour

effet de déporter vers la droite la terminaison haute qui s'est ainsi trouvée en contact avec l'attaque abaissée de la lettre suivante et est entrée en ligature avec elle. Il s'ensuit que dans l'écriture de Leyde-Paris les cas sont extrêmement fréquents où,

les traits d'une méme lettre étant séparés les uns des autres par la division en deux sections (cf. $ 14), la deuxiéme section d'une lettre se trouve soudée à la premiére sec-

tion de la lettre suivante dont la deuxiéme section, séparée de la premiere, se soude à son tour à la premiere section de la lettre qui vient ensuite. Par exemple, le groupement arra sera ainsi écrit dans l'écriture de Leyde-Paris:

NP? Après le premier trait de À, nous avons un corps formé du second trait de À et du premier trait de R, puis un corps formé du second trait de R et du premier trait du

second R, puis un corps formé du second trait du second R et du premier trait de À, puis un corps formé du second trait de À et du premier trait de T, enfin, un corps formé du second trait de T et de I.

La solution

de continuité dans

l'écriture commune

IIS

Dans le groupement fr nous aurons

Le second trait de P montre,

poussée

à son maximum,

la tendance

de

l'écriture

commune classique, non seulement à le rectifier, mais encore à l'incurver dans le sens concave, ce qui porte fort haut sa terminaison qui entre en ligature avec le premier trait de la lettre suivante. Pour le groupement eb3 nous aurons

c'est à savoir: l'E du dernier état de la gamme du paragraphe 57 dont le dernier trait entre en ligature avec l'attaque du B qui suit, dont la premiére section entre à

son tour en ligature avec la seconde section de la méme lettre conformément à ce qui est dit au paragraphe

92, laquelle seconde section, se terminant fort haut au-dessus

de la ligne, entre en ligature avec l'7 qui vient ensuite. Tous ces ductus sont ceux de l'écriture commune classique du deuxiéme siècle ($8 91-98) dont la chancellerie impériale a simplement fait une calligraphie allongèe. Mais on conçoit que cette écriture classique, apparaissant pour la première

fois au dix-huitiéme siécle sous la forme de cette survivance à la fois hiératique et caricaturale du cinquiéme siécle, ait résisté jusqu'en 1841 aux entreprises de nombreux érudits. 169. — Ce qui est plus curieux, c'est qu'on ait continué à étre si déconcerté par elle quand il s'est agi de lui faire une place dans l'histoire de l'écriture latine, et qu'on n'ait pas noté combien elle était fonciérement différente des écritures diplomatiques qu'on rencontre en Europe à partir du septiéme siécle et dont les plus anciens exemples nous sont fournis par les diplómes mérovingiens. Giry qui, il faut le dire, écrivait avant les grandes trouvailles papyrologiques, soutient en 1894 que cette écriture im-

périale «a donné naissance aux écritures diplomatiques de France, d'Italie et d'Espagne», alors que, comme on le verra, ces écritures diplomatiques ne peuvent tirer leur source de l'écriture commune classique, mais appartiennent toutes à la nouvelle

écriture commune. Certes, on a bien noté que l'écriture de Leyde-Paris était «spéciale» et qu'on n'en possédait aucun exemple de la méme époque, mais, faute d'avoir bien

vu que l'opposition qui sépare les deux écritures romaines, classique et nouvelle, était radicale, on a hésité dans la définition de la spécialité de l'écriture de LeydeParis. Les manuels et traités de paléographie continuent de citer l'écriture de Leyde-

116

Apres le premier siécle de notre ére

Paris, en raison de sa date, avec les cursives de Ravenne

au chapitre de ce qu'ils

appellent la «nouvelle cursive» ou «minuscule cursive» (que nous nommons ici la nouvelle écriture commune). On est allé jusqu'à contester que les fragments de LeydeParis aient appartenu à des actes originaux, et jusqu'à prétendre que leur écriture était une écriture d'affiches, thése qui a été formulée par Preisigke en 1917, reprise par M. de Boüard en 1924, et que toutes les affiches romaines connues, qu'elles soient de bronce ou de pierre, démentent. La spécialité de l'écriture de Leyde-Paris est, du point de vue graphique, extrémement superficielle: elle réside seulement en ceci que les lettres sont démesurément allongées et associées en autant de ligatures qu'il est possible, qu'elles sont calligraphiées, de la sorte, sans aucun souci de lisibilite, mais au contraire dans un esprit qui laisse percer des intentions décoratives et esthé-

tiques, tous caractéres qui conviennent fort bien à une écriture fossilisée dans une chancellerie. Ceci dit, par toute sa structure fondamentale, par tous ses ductus, cette

écriture est purement et simplement de l'écriture romaine classique, encore plus évoluée, et dans le méme sens, que celle des derniers exemples que nous en possédons

antérieurement et qui sont du troisiéme siécle (p. e. pl. XV r). 170. — La spécialité de l'écriture de Leyde-Paris, c'est d'étre du cinquiéme siécle.

Son classicisme anachronique et suranné d'une part, et le fait qu'elle est employée pour des originaux de rescrits impériaux d'autre part, sont deux données qui se soutiennent mutuellement et s'expliquent l'une par l'autre. 171. — Il n'y a rien là, au demeurant, qui soit pour étonner paléographes et diplomatistes. Tous insistent sur ce que, beaucoup plus tard, la chancellerie carolingienne a continué à pratiquer pendant assez longtemps l'écriture de la chancellerie mérovingienne sans se laisser influencer par l'écriture dite «caroline» qui apparait au temps de Charlemagne. Exemple dans doute encore meilleur: jusque sous Léon XIII, la chancellerie pontificale a expédié les bulles dans une écriture qui procédait directement et exclusivement de l'écriture des bulles du quinziéme siécle, et cette écriture

était devenue tellement illisible que les bureaux, en délivrant les originaux, y joignaient une copie en écritüre commune du dix-neuviéme siècle. 172. — Mais il y a mieux encore. L’opposition entre l'écriture de la chancellerie impériale aux quatriéme-cinquiéme siécles et l'écriture alors commune est attestée

par un texte contemporain que cette opposition explique et à qui elle donne, eg retour, une portée trés grande pour l'histoire de l'écriture latine. Il s'agit d'un texte du quatriéme siécle recueilli au cinquiéme dans le Code Thédosien. C'est un mandat des empereurs Valentinien II et Valens, daté de Tréves en 367 et adressé au proconsul

d'Afrique. Il est ainsi congu: Impp. Valentinianus et Valens AA. ad Festum proconsuem Africae. Serenitas nostra prospexit inde caelestium litterarum coepisse imilationem, quod his aficibus tuae gravitatis officium. consultationes relationesque complectstur, quibus scrinia nostrae perennitatis uiuntur. Quam ob rem istius sanctiomis auctoritate praecipimus ut posthac magistra falsorum consuetudo tollatur εἰ communibus lstteris

«universa mandeniur, quae vel de provincia [uerint scribenda vel a judice, ut nemo stils huius exemplum aut privatim sumat aut publice. Dat. V. Id. Iun. Treviris Lupicino et Jovino Conss. [AD 367]. C'est une querelle d’apices, c'est-à-dire portant sur les formes fondamentales des lettres: il s'agit bel et bien, non pas de dimensions, non pas

d'arrangement et de présentation calligraphique, mais de ductus. Des dépéches du proconsul d'Afrique étant arrivées à la Cour grossoyées selon les afices de la chancellerie impériale, le mandat interdit l'imitation de l'écriture impériale (serae coelestes)

La solution de continuité dans l'écriture commune

I17

et prescrit à l'administration de se tenir à l'usage des /tfferae communes. L'opposition entre l'écriture des rescrits impériaux de Leyde-Paris et l'écriture commune d'alors (p. e. pl. XXI à XXIII) illustre et explique d'une maniére évidente le mandat de 367. Ce texte nous montre que les contemporains avaient parfaitement conscience d'une chose, aussi évidente d'ailleurs, que cette opposition. On semble seulement avoir perdu alors la notion de ce que l'écriture qu'on ne connait plus que comme impériale (coelestis) avait été, en son temps et sous une forme il est vrai moins évoluée, aussi «commune» que l'était, au quatriéme siécle, la nouvelle écriture romaine. Celle-ci était alors d'un emploi absolument général. Quant aux /s/ferae coelestes, non seulement

leur usage était jalousement réservé à la chancellerie impériale, mais encore cette chancellerie n'expédiait d'originaux que sous cette forme: en effet, puisque l'imitation d'une écriture si jalousement réservée risquait d'étre génératrice de faux

(magistra

falsorum consuetudo), ses apices constituaient, au quatriéme et au cinquiéme siécle, un signe d'authenticité dont étaient revétus tous les originaux sortis des bureaux de

la chancellerie. Tous les actes impériaux ont donc été jusqu'à la promulgation du Code théodosien inclusivement, c'est-à-dire jusqu'au milieu du cinquiéme siécle, au moins,

grossoyés en cette écriture classique dont les fragments

de Leyde-Paris

nous apportent des exemples posterieurs à 413. Par conséquent, si l'on retrouve un exemple de cette écriture, il ne peut s'agir que d'un original de la chancellerie impériale

à moins que, ce qui est extrémement peu probable, on ne tombe un jour par hasard sur une des contrefacons reprochées au proconsul d'Afrique. Inversement, si l'on se trouve en présence d'un texte impérial éxécuté en nouvelle écriture romaine, il s'agit manifestement d'une copie (pl. XXV r).

173. — Et de fait, aucun des arguments qu'on a prétendu invoquer pour soutenir qu'une écriture, autre que celle de Leyde-Paris, avait été dans l'usage de la chancellerie impériale, ne résiste à l'examen. On a invoqué trois copies figurées sur des inscriptions dont l'une est datée de la

fin du sixiéme siécle et dont les deux autres sont sans date, mais appartiennent vraisemblablement au méme siécle. Dans le premier cas, il s'agit d'une inscription publiée en 1907, trouvée à Ephése, et qui porte le texte d'un rescrit de Maurice Tibére du ıı février 585. Le texte pro-

prement dit de l'acte est en grec et l''ordinator' l'a transposé sur la pierre en écriture épigraphique. Ce qui est en latin, c'est, à la fin, les trois lignes de la date dont 1'*or-

dinator' a fait une copie figurée: «Dat. III idws februari. Constantinupol. imp. d. n. [Mauricii] [T]ibers pepe Aug. ann. III et post consul. ejus ann. I.» Sans doute ces trois lignes se présentent-elles à nous sous la forme de l'écriture commune d'alors, sans doute se présentaient-elles ainsi sur le papyrus que l''ordinator' avait sous les yeux en exécutant sa composition épigraphique. Mais il s'agit d'une date, et qui nous dit que cette date a été, en l'espéce,placée par la main d'un scribe grossoyant

habituellement

le texte

proprement

dit des

actes?

Les

diplomatistes

conviendront de ce qu'on a trop d'exemples de l'hétéréogénéité de l'écriture des dates dans de trés nombreux actes pour qu'il soit possible de rien inférer de l'inscription d'Ephése. 174. — C'est pour une raison sensiblement analogue que les arguments tirés de deux fragments épigraphiques de Kairouan ne sont pas plus valables. Peu nous importe ici de savoir si, comme il est probable, ils ont appartenu à une seule et méme inscription. L’‘ordinator’ a transposé le texte, qui est latin, en écriture monumentale. Il a seulement reproduit, en copie figurée, ici une mention sancimus (pl. XVI X 3), là

118

Après le premier siècle de notre ère

une mention [con]firmamus. Ces deux mots sont en écriture commune du cinquièmesixième siècle, et il n'y a nul doute qu'ils se présentaient ainsi sur le papyrus. Les diplomatistes et les paléographes pourront disputer sur le point de savoir si c'était

l'empereur lui-même ou simplement quelque fonctionnaire qui apposait des mentions de ce genre sur les actes: tous savent que ce ne pouvait être en aucun cas le scribe qui grossoyait le texte proprement dit de l'original. On pourrait méme soutenir que, si l''ordinator' a transcrit ces mentions en copie figurée sur la pierre, c'est non seulement en raison de l'importance de la sanction qu'elles matérialisaient, mais aussi parce que

précisément leur écriture tranchait avec celle du texte qu'il transposait en écriture monumentale et qui était exécuté en litterae coelestes. De toute manière, on ne saurait tirer aucun argument des fragments épigraphiques de Kairouan pour prétendre que l'écriture commune des cinquiéme et sixiéme siécles était en usage à la chancellerie impériale pour grossoyer les originaux. 175. — Il serait méme trés intéressant de rechercher si d'autres inscriptions de basse époque ne pourraient pas apporter des preuves, à vrai dire superfétatoires, de

l'usage des litterae coelestes dans les bureaux de la chancellerie impériale. Ce serait non point par des copies figurées, mais par des fautes de transcription qu'on pourrait sans doute recueillir des indices concluants. Citons seulement, à titre d'exemple, dés le

début du quatrième siècle, le fameux édit de Dioclétien De pretiis rerum venalium, qui est de 301. On a retrouvé son texte sur plusieurs fragments d’inscriptions où les ‘ordinatores' l'avaient transposé en une écriture dont il est d'ailleurs intéressant de cons-

tater, entre parenthèses, qu'elle est fortement influencée par le système de 'l'Epitome'". Que le papyrus sur lequel a travaillé l''ordinator' ait été grossoyé en litterae coelestes,

c'est ce que semblent montrer clairement les fautes suivantes recueillies sur le fragment de marbre découvert à Platées en 1889, conservé au Musée national d'Athénes et publié par la Palaeographical Society (II, 127 et 128): epe pour spe (1. 20), pualicum pour publicum (ligne 23), oatumst pour obtumsi (1. 28), indribus pour inbribus (1. 34), adaritiae pour abaritiae (1. 39). Prendre un S pour un E et un B pour un A ou pour un D est im-

possible sur un papyrus en écriture commune du quatriéme siécle et des siécles suivants, mais ce sont fautes faciles à commettre dans la lecture d'un papyrus en écriture classique à une époque oü on n'est plus familiarisé avec elle. 176. — Outre les inscriptions d'Ephése

et de Kairouan

citées plus haut,

on a

voulu invoquer un papyrus qui, n'étant pas écrit en literae coelestes, serait néanmoins

un acte expédié par la chancellerie impériale. Mais un examen détaillé de ce papyrus se retourne contre la thése à laquelle on a voulu le faire servir. Il s'agit du papyrus 523 de la collection de l'archiduc Rainer, conservé à Vienne (pl. XXVII r1), en trois

fragments, que Wessely avait déjà publié en 1898 comme écriture impériale, oü Preisigke a vu une écriture analogue à celle des fragments de Leyde-Paris, mais pour y montrer, comme dans ces fragments, une écriture d'affiches, oà M. de Boüard a reconnu une écriture différente de celle des fragments de Leyde-Paris, mais pour en

faire un exemple de la chancellerie impériale

écrit d'üne

autre

maniére

que

les

fragments de Leyde-Paris. Or tout porte à voir, dans les fragments de Vienne, les débris, non d'un original, mais d'une copie.

Le plus grand des trois fragments porte des trongons de neuf lignes dont la plus large contient vingt lettres. Fr. 1: ...] anus II Fl. Vincentius Fl. [...|...] dem ipsam uilissimam [. . .|. ..] negaretur exact[. . .|. . .]ntentiomibus[. . .|. . . ]tico secundum sa[...|. . .]raeteritorum tem[...|...]haecque continu[...|...]o procurando [...|...] er rationalem |...; d'une seconde main, entre les lignes I et 2 oü le blanc est plus

La solution de continuité dans l'écriture commune

II9

grand qu'aux interlignes suivants: ..]. praesidi provinciae Arcadiae; et au-dessus de cette mention, d'une main qui est probablement encore différente: ..]. KK.— Fr.

2:

...]nianu[...|...]sicut ex ant[. ..]...]mendam ta[...|...[...—

Fr. 3:...]

enuus ciui[...]...]o comilitan [..., et, d'une autre main, qui ne paraît pas être la méme que la seconde ni que ligne I: ex eo [...

la troisième

du fragment

1, on lit, au-dessus de la

L'examen du texte seul, si fragmentaire qu'il soit, conduit à cette conclusion qu'il s'agit de matières juridiques et administratives, en l'espéce de l''exactio' des impôts et des possibles litiges fiscaux devant le 'rationalis'. Il convient alors de fixer notre attention sur la mention hors texte praesidi provinciae Arcadiae ajoutée entre

la premiere et la seconde ligne du fragment ı. L’Arcadie était alors une des six provinces composant le diocèse d’Egypte; la pièce a donc été destinée à un échelon admi-

nistratif immédiatement subordonné à ce diocèse. Les mots praesidi provinciae Arcadiae sont d'une main autre que celle qui a grossoyé le texte dont ils ne font pas partie. Le texte n'était donc pas adressé textuellement au 'praeses' d'Arcadie, mais avait une portée générale et était à diffuser entre les six provinces soumises à l'administration du préfet d'Egypte. Les fragments de Vienne sont les débris de celui des exemplaires, exécutés à Alexandrie, qui était destiné au ‘praeses’ d'Arcadie. Deux seules hypothéses sont à envisager: ou il s'agit d'un texte préfectoral à distribuer aux 'praesides', ou

il s'agit d'une constitution impériale à leur communiquer. Méme si, comme il est trés vraisemblable, le texte est celui d'une constitution impériale, il ne saurait nullement s'agir d'un original, mais d'une expédition établie par la préfecture du diocése et nous avons affaire à l'un de ces 'exempla' qu'un mandat de Dioclétien (Code Justinien, I, 23, 3) adressé, textuellement celui-là, à un ‘praeses’, oppose aux *originalia' pour interdire qu'on notifie les rescrits aux intéressés autrement qu'en original, prohibition qui ne saurait viser un cas comme celui de l''exemplum' de Vienne puisque son texte n'était pas spécifiquement adressé au 'praeses' d'Arcadie. L'écriture du papyrus 523 de l'archiduc Rainer ne saurait donc étre présentée en aucun cas comme exécutée dans les bureaux de la chancellerie impériale, et, en tout état de cause, nous sommes en présence des /i/ferae communes telles qu'on les grossoyait dans les bureaux

de la haute administration provinciale à laquelle il était interdit, on l'a vu, d'imiter les litterae coelestes.

A cet égard, il est trs curieux de noter l'allure exceptionnelle qui oppose ces litterae communes à celles des documents courants contemporains, comme ces actes de 434 (Egypte) et de 552 (conservé en Italie) dont on trouvera des détails à la planche

XXVI (I et EL 37), et à celles qui ont été employées sur le papyrus méme de Vienne pour écrire la mention hors-texte fraesidi provinciae Arcadiae. Tout se passe comme si, ne pouvant imiter les lifterae coelestes, la haute administration provinciale s'était. appliquée à écrire les Äitterae communes d'une manière aussi distinguée que possible. Les apices de ces litierae communes ont été allongés, traités dans un esprit nettement décoratif. On a manifestement voulu créer une calligraphie surclassant en élégance l'écriture commune

des documents courants; on a rivalisé avec la chancellerie impé-

riale elle-méme. On semble n'y avoir pas trop mal réussi puisque un auteur moderne, Preisigke, s'y est trompé, et, se tenant à des caractéristiques superficielles, a cru que l'écriture des fragments de Vienne était la méme que celle des fragments de LeydeParis.

177. — Tous les actes originaux émanés des chancelleries d'Occident (y compris ceux de la chancellerie pontificale) antérieurs à la fin du huitiéme siécle, ont disparu, sauf, en Gaule, quelques actes originaux de rois mérovingiens, aujourd'hui aux Ar-



120

Apres le premier siécle de notre ére

.chives nationales de Paris, que l'abbaye de Saint-Denis avait conservés, et dont les plus anciens sont treize papyrus allant de 584 au plus tót à 673 au plus tard, les

actes postérieurs étant sur parchemin. Ces monuments ont compté pendant trés longtemps, jusqu'au dix-neuviéme siécle, parmi les exemples les plus reculés que la paléographie latine ait connus, et l'on peut méme dire que c'est à propos de leur étude que cette discipline a été créée au dix-septiéme siécle par le bénédictin frangais Jean Mabillon. On peut les étudier aujourd'hui trés facilement gráce aux facsimilés et

transcriptions recueillies par MM.

Lauer et Samaran

(Les Diplômes originaux des

Mérovingiens, Paris, 1908, in-fol, 48 pl.). Le moment parait venu de rechercher comment ils se raccordent à l'ensemble des monuments paléographiques latins antérieurs

qui ont apparu depuis plus d'un demi-siécle.

Jl est trés remarquable que ce soit précisément le papyrus de Vienne 523 qui constitue en quelque sorte le pédoncule par lequel il est possible de les rattacher à cet ensemble antérieur. Les actes originaux des mérovingiens sont grossoyés en litterae communes, qui, certes, ont évolué et se sont compliquées en deux siécles; mais elles

ont gardé la méme allure de calligraphie droite et haute qui oppose l''exemplum' de la préfecture d'Alexandrie aux /ifferae communes des actes courants (cf. pl. XVII X 2). 178. — Ce rapprochement permet de croire que, au cinquiéme siécle, la calligraphie spéciale du papyrus 523 de Vienne n'était pas particuliére à la préfecture d'Alexandrie, mais était aussi employée par l'administration des Gaules. Cette communauté de pratique, au cinquième siècle, entre deux provinces aussi éloignées l'une et l'autre que la Gaule et l'Egypte, nous conduit à penser que les Zitterae communes étaient calligraphiées pour l'expédition des documents de la haute administration, non seulement en Gaule et en Egypte, mais dans toutes les provinces de l'Empire,

de la méme maniére que sur le papyrus 523 de Vienne. 179. — Une

double conclusion

nous est suggérée par cette remarque:

d'abord

l'utilisation, par les princes barbares, des bureaux de l'administration romaine qu'ils avaient trouvés sur place; ensuite, nous sommes en présence, une fois de plus, du cas d'un papyrus latin d'Egypte, le papyrus 523 de Vienne, oà nous devons voir, non

pas un monument exotique et local, mais le témoin d'une catégorie de documents graphiques communs à tout l’Empire. Nous apercevons que les Üitterae communes calligraphiées par la haute administration provinciale ont servi de base commune «aux écritures diplomatiques de Gaule, d'Italie et d'Espagne», et nous voici fort loin, à l'opposé méme, de la thése de Giry qui faisait dériver ces écritures diplomatiques de l'écriture du papyrus de Leyde-Paris, écriture impériale qui est morte sans déchoir. 180. — Si donc nous voulons nous faire une idée de la manière dont se présentaient, par exemple, les actes originaux de la monarchie wisigothique (cinquiéme, sixiéme,

septiéme

siécles),

qui

ont

tous

disparu,

nous

avons

de grandes

chances

d'approcher de la vérité en les imaginant comme procédant du modèle que fournit le papyrus 523 de Vienne, par une évolution paralléle à celle qui a produit en Gaule les diplómes mérovingiens. 181. — Nous apparaissant comme représentatifs d'une série paléographique bien isolée, les rescrits de Leyde-Paris nous permettent d'ouvrir une longue perspective sur un passé antérieur au cinquiéme siécle et qui remonte jusqu'à la période qui fait l'objet de la premiére partie de cet ouvrage, c'est-à-dire jusqu'à la période précédant le deuxième siècle de notre ère. Les litterae coelestes du quatrième et du cin-

La solution de continuité dans

l'écriture commune

12I

quiéme siécle sont, graphiquement, le terme d'une évolution trop mécanique et trop autonome pour que cette évolution ne se soit pas déroulée dans le sein méme de la chancellerie impériale, pour que ce ne soit pas cette évolution elle-méme qui ait implanté cette écriture en l'y créant. En d'autres termes, pour que l'écriture commune classique soit demeurée dans l'usage de la chancellerie impériale quand elle n'était plus écriture commune, il faut qu'elle y ait été utilisée quand elle était commune, et cela nous

permet des aperçus paléographiques sur tout un monde d'originaux disparus: nous avons ainsi une idée de la forme matérielle dans laquelle se présentaient en original

les textes émanés du pouvoir souverain dans l'ancienne Rome, textes dont un grand nombre nous sont connus, mais uniquement par leur affichage ou par leur transcription

dans

est-elle

les grandes

compilations

juridiques.

Aussi

apportée par un rescrit du deuxiéme siécle

et pl. 14. Mar.

bien,

(Pap.

une

Iand.

vérification

IV

numéro

nous

68

39).

182. — Les originaux de ces textes ne se sont jamais présentés en capitale, et cette vue relégue une fois dé plus la capitale dans son róle d'écriture exceptionnelle affectée à des usages ostentatoires, ou d'apparat, ou de luxe. Nous retournant vers un passé trés éloigné de l'époque où nous sommes parvenus, nous prendrons le cas des bronzes

légaux.romains les plus longs qui aient été retrouvés, c'est à savoir, à Osuna, les restes de l'affichage de la lex Coloniae Genetivae ] «liae. Treize colonnes en ont été découvertes entiéres ainsi que de menus fragments ayant appartenu à cinq autres colonnes (pl. V 3). Une étude de ces restes permet d'établir que l'affichage avait eu quarante deux colonnes réparties entre neuf tables de bronze imbriquées les unes à

la suite des autres de telle sorte. que les quarante deux colonnes se succédaient de la gauche vers la droite comme dans un volumen qui aurait été déroulé sur le mur. Le texte se trouvait ainsi disposé sur l'affiche comme sur l'original de papyrus. Mais l'écriture? Sur l'affiche elle est capitale, mais on se tromperait en pensant que l'original de la loi était grossoyé dans cette écriture; il était exécuté en écriture commune classique, et on approche sans doute beaucoup de l'idée qu'il convient de

s'en faire en l'imaginant écrit comme le fragment de Cicéron de la planche IV 1 ou comme le Papyrus Claudius de Berlin (pl. VI). De méme, quand, comme dans le cas du recensement

d'Oxyrhynchus,

un texte nous parvient sous deux formes, en

capitale d'une part (pl. V 2), et en écriture commune d'autre part (pl. V r), c'est l'exemplaire en capitale qui doit être considéré par nous comme une copie (cf. ὃ 87). . 183. — L'écriture des originaux impériaux du cinquième siècle est donc simplement l'écriture romaine anciennement commune, démesurément étirée en hauteur par les calligraphes de la chancellerie. Cette circonstance mérite d'étre rapprochée

du texte de Munich, déjà cité plus haut ($ 147), qui réédite au treiziéme siécle de trés vieilles définitions depuis longtemps périmées, sans signification contemporaine, et ne pouvant s'appliquer qu'à des écritures des cinquiéme-septiéme siécles environ. Aprés avoir énuméré des écritures employées dans les 'codices', ce texte ajoute: Sunt preterea longarie que grece syrmata dicuntur; syrma enim grece, latine dicitur longa

scriptura vel manus quibus cartule et edicta scribuntur et precepta. Le terme de lettres allongées (longarie, syrmata) convient tout aussi bien aux Jifferae communes du papyrus

523

de Vienne

et des diplômes

mérovingiens

qu'aux /Jitterae coelestes des

actes impériaux de Leyde-Paris. I1 semble pourtant que l'assortiment d'un terme grec (syrmata) à la dénomination latine (longarie) doive faire pencher la balance, à l'origine lointaine de la doctrine rabáchée par le glossaire de Munich, en faveur de l'écriture des actes émaués de la chancellerie impériale romaine. De toute maniére,

122

Apres le premier siecle de notre ére

le texte de Munich sur les /ifferae longarie... quibus cartule et edicta scribuntur e precepta ferait définitivement justice, s'il en était besoin, de l'hypothése de Preisigke concernant la «langbeinige Schrift», catégorie où ce dernier auteur a rangé sans discer-

nement à la fois l'écriture du papyrus 523 de Vienne et celle des papyrus de LeydeParis, pour y voir, selon une opinion insoutenable, une écriture d'affiches. Les écritures d'eaffichess, vers le cinquième siécle, ce sont les écritures épigraphiques des

marbres de Kairouan (pl. XVI X 3) et de tel fragment de marbre trouvé dans l'ile de Cos, publié en 1941 par M. Degrassi (pl. XXVI 2), fragment qui porte aussi partie d'un texte impérial,

de méme

quel's’avait été, A l'époque

classique,

l'écriture capitale qu'on

voit sur les bronzes légaux et sur le papyrus PSI 1183 A (cf. ὃ 11 et pl. V 2).

CHAPITRE V.

LA

NOUVELLE

a. — ORIGINE

ECRITURE

ET DIFFUSION

ROMAINE

DE LA NOUVELLE

ÉCRITURE

184. — Le texte impérial de 367, en méme temps qu'il apporte un témoignage contemporain sur l'opposition fonciére, sur l'opposition de ductus qui sépare l'écriture impériale de l'écriture commune, c'est-à-dire, en langage de paléographes, l'ancienne

cursive de la nouvelle, nous atteste aussi que la «nouvelle cursives, devenue écriture commune, avait remplacé partout, sauf dans la chancellerie impériale, l'ancienne cursive et que cette substitution générale était un fait accompli au quatrième siècle. C'est ce qu'illustrent d'assez nombreux monuments des quatriéme et cinquiéme siécles qui nous montrent la nouvelle écriture commune employée dans les régions les plus diverses du monde et pour les usages les plus variés. Elle est utilisée pour écrire des actes et des documents comme, en Italie, les plus anciennes chartes de Ravenne qui sont du cinquiéme siécle, en Egypte, les documents, déjà cités, de Flavius Abinneus qui sont du quatrième siècle (pl. XXI et XXIII 3), et des actes du cinquième comme les papyrus 1879 (pl. XXVI 1) et 1878 (AD 461) d'Oxyrhynchus. On la trouve à Rome au quatriéme siécle employée pour composer la derniére ligne d'une inscription qui porte une date consulaire correspondant à l'année 338 (STEFFENS 2 b, et pl. XXIV 5). Une table de plomb nous la montre sur la cöte

dalmate à Troguir (pl. XXIV 3). Dans un module généralement petit, elle est employée pour copier des livres qui paraissent presque tous scolaires, traités de grammaire et auteurs classiques, les uns conservés par les bibliothéques d'Italie (CLA 397 a, 398, 462 cf. pl. XXV 2-4), les autres trouvés en Egypte (CLA 210, 226, 286, 288; cf. pl. XII X et XXIV 2,4). Nous la trouvons dans un module plus minuscule encore sous la main d'un

lecteur qui a bourré de gloses les marges d'un Térence de luxe en capitale conservé en . Italie et entré à la bibliothéque du Vatican en 1600 (pl. XXIV 1). A l'extréme-ouest elle apparait gräce à deux exemples épigraphiques exhumés dans la péninsule ibérique. En l'espéce, deux scribes se sont contentés d'agrandir démesurément l'écriture commune pour composer des inscriptions. Le premier, à Complutum (Alcalá de Henares, province de Madrid), a écrit sur une tuile encore molle un texte de réclame commerciale (Mons. 129; cf. pl. XXIII 2). Le second, à Ossonoba (Marim, Algarve, Portugal), a ordonné sur le marbre l'épitaphe d'une certaine Rogata (IHC 294; cf. pl.

XXIII 1). Au quatrième et au cinquième siècle, ces deux scribes d'Espagne écrivaient des livres et des documents de la méme maniére que les scribes d'Italie et d'Egypte grossoyaient les documents de Flavius Abinneus ou copiaient les manuels de grammaire

et les textes classiques que l'on vient de citer. 185. — Une autre preuve de la généralité de l'emploi de la nouvelle écriture commune, c'est la place que cette écriture tient dans l'origine graphique de tous les types d'écriture qui, postérieurement, se font jour partout en Occident. En effet,

124

Apres le premier siécle de notre ére

à partir de l'époque oà nous sommes arrivés, pendant de longs siécles, et jusque trés avant dans le moyen-áge, tout, hormis quelques survivances de l'écriture classique faciles à délimiter, s'explique par l'écriture de 'l'Epitome' et par l'écriture commune

qui lui correspond. On verra au cours de ces siécles pulluler des variétés infinies d'écritures et notamment d'écritures de 'codices' qu'on a beaucoup de peine à définir et à répartir en groupes; ce ne sont que variations à l'infini sur le théme du systéme de 'l'Épitome', avec interférences des phénomènes qui se manifestent dans la pratique de la nouvelle écriture commune. Ces variations consisteront à écrire avec des instruments

plus ou moins durs, d'une

maniére plus ou moins

cursive, selon des angles

différents, selon méme des ductus qui divisent les traits et les multiplient dans des sens divers avec adjonction plus ou moins abondante de traits superfétatoires, etc...

KEN Arm Beveratiren dfupytc Nous verrons comment l'étude, le regroupement de ces caractéristiques secondaires qui emmélent leurs nuances depuis les Iles Britanniques jusqu'à l'Italie du Sud et l'Afrique, depuis l'Allemagne jusqu'à l'Espagne, constitue l'un des problémes les plus difficiles de la paléographie latine. Ces caractéristiques infiniment variables ne doivent

point masquer ce qui fait, à l'origine graphique, l'unité de tous ces exemples, c'est à savoir l'influence plus ou moins grande, sur l'écriture du type de 'l'Epitome', de la pratique d'une écriture commune issue de cette méme écriture de 'l'Epitome'. 186. — Ce fait met en valeur, outre l'universalité de la nouvelle écriture commune, son importance majeure dans l'histoire de l'écriture latine. Tout ce qui pourra nous permettre d'éclairer le probléme qu'elle pose et notamment les circonstances de sa naissance et de sa diffusion, a une portée considérable pour la paléographie latine. Il est évident que nous ne pouvons savoir que peu de choses directement par les pauvres exemples concrets qui nous sont parvenus sur papyrus ou sur parchemin et qui consistent en documents sporadiques, en 'codices' vulgaires et, partant, conservés en nombre infime, mal datés et mal localisés (cf. $ 184). Nous devons mettre en oeuvre des méthodes indirectes et policiéres pour essayer d'atteindre des résultats dont l'importance excusera peut-étre un jour la lourdeur et la longueur des digressions qui vont suivre. 187. — Un témoignage trés indirect mais trés sür va encore faire ressortir l'universalité de la pratique de la nouvelle écriture commune, et peut mener à des conclusions trés précises et trés étendues. Ce témoignage nous sera procuré par une étude de la forme des chiffres dans cette écriture (cf. explic. pl. XXIII r). Si nous fixons notre attention sur le chiffre 55 tel qu'il est exprimé dans la nouvelle écriture commune

de l'exemple fourni par l'inscription portuguaise de Marim (pl. XXIII

r),

nous voyons qu'il est fait d'un L et d'un V différents de l’L et du V qui sont employés dans le texte avec leur valeur de lettre

N

Le V qui, dans vixit à la ligne 3, a une valeur de lettre est ainsi fait:

Quant à L, il faut un oeil exercé pour percevoir la différence qui sépare l’L de famola

La nouvelle écriture romaine

I25

de 11, de 55. Mais on verra par les autres exemples avec lesquels nous grouperons

cet L que la différence est aussi importante à noter qu'elle est peu voyante. Le groupe la est écrit dans l'inscription de Marim:

(ς’ Le chiffre 55 y est écrit:

S

Les deux L se distinguent l'un de l'autre par leur mouvement, beaucoup plus

souple dans la lettre que dans le chiffre, et surtout par la direction du trait I qui est plus long et plus prés de la verticale dans la lettre que dans le chiffre oü il est plus court, plus droit et légérement plus incliné. 188. — C'est la méme opposition, mais beaucoup plus accentuée, et qui fera mieux sentir la précédente, que nous relevons sur un manuscrit (CLA 403) écrit dans une région trés différente et beaucoup plus tard, c'est à savoir dans le nord de l'Italie au septiéme ou au huitiéme siécle. Le groupe fol. 58 y est ainsi écrit:

Pr

Si l'on débarrasse la lettre L de son signe oblique d'abréviation par suspension qui coupe le trait horizontal, sa juxtaposition avec le chiffre 50, qui suit inmédiatement, fait ressortir le contraste. Dans un autre manuscrit (CLA 383) exécuté dans la méme région, le texte n«mero 55 est ainsi écrit:

ou márocv alors que le groupe ella est écrit:

ella quelques lignes plus haut. 189. — Pour exprimer le chiffre 6, on emploie trés souvent aux quatriéme, cin-

quiéme et siécles suivants un sigle

On le trouve dans les chartes de Ravenne du cinquiéme siécle comme dans les diplómes mérovingiens (sept fois entre 654 et 716, LAUER et SAMARAN,

numéros 6, 16, 17, 29,

126

Apres le premier siecle de notre ére

31, 32, 37), comme dans la ligne composée en écriture commune de l'inscription romaine de Gaudentia (AD 338, $ 184 pl. XXIV 5). Ce signe a soulevé bien des discussions. Non pas qu'on puisse avoir le moindre doute sur son équivalence qui est démontrée par un grand nombre de cas et par celui de cette note ajoutée à la fin d'un manuscrit du cinquiéme siécle (CLA 117) oü le nombre 36 est exprimé en chiffres puis en toutes lettres

|

kohle Ἀεὶ

ae

& CC xc du

Vn xxx à agnos δέος enc. gne

haec liber habet quaterniones X X X V I triginta et sex | et folia

CCXC ducenta et nonaginta.

190. — Si l'on a beaucoup discuté sur ce sigle, c'est au sujet de son origine. On lui a d'abord attribué une origine grecque. C'était au dix-septiéme siècle l'opinion

de Mabillon, suivi par Maffei, par les auteurs du Nouveau traité de Diplomatique et par Natalis de Wailly. Furnagalli émit pourtant l'hypothése, en 1802, de ce qu'il tirait son origine d'une ligature latine de V et de I, thése qui fut adoptée par Mommsen

en 1843. Les paléographes modernes, bien que penchant généralement: pour l'explication latine, n'ont pas éliminé l'hypothése grecque qui est aujourd'hui encore présentée comme un dogme par le Dictionnaire d'archéologie chrétienne, par le Dr. Vives et par M. Battle Huguet, dogme en quelque sorte abrité et consacré par l'appellation d’sepisemon» qui a été traditionnellement appliquée au sigle dont il s'agit. 191. — Il est évident pourtant que tout précédent latin est de nature à faire apparaître comme inutile et fausse l'hypothèse grecque: or les précédents latins sont

nombreux; ils sont dans l'ancienne écriture classique où 1' V fait d'un seul trait (cf. ὃ 72), s’inscrivant couramment au-dessus de la ligne, entre en ligature avec la lettre qui le suit, comme on le voit (EL 9 à 30) dans ces exemples de «a

de sd

de wm

La nouvelle écriture romaine

127

de us

De la méme maniére la syllabe μὲ donne (EL 25; AD 166, 1. 26)

et (EL 28; AD 202-207, 1. 7)

7 7

Cette ligature sert indifféremment, dans l'ancienne écriture commune classique (cf. $ 45 et suivants), à exprimer le chiffre 6 comme le groupe wi.

Dans un papyrus de 192-196 (EL 27, Berlin, P. 6866 A; cf. $ 95), le chiffre 18 est

écrit (col. 2, 1. 25):

x Y 12 de la méme manière que fulit (méme colonne, 1. 25) est écrit:

EA τ Dans une tablette de Transylvanie de l'année 167 (crr, rr, p. 924) le chiffre 17

x61

et dans un papyrus du deuxiéme.siécle conservé à Berlin (pl. XIII 3) on voit 8 exprimé à la ligne 7 (col. 1)

2l et 6 exprimé à la ligne 11 (méme colonne)

j

128

|

Après le premier siècle de notre ère

de méme que la syllabe un, dans immunes, est écrite à la colonne 2, ligne 4

2d Les exemples du deuxiéme siécle ne manquent pas non plus sur les poteries du Mont Testaccio provenant d'Espagne où on trouve 228 écrit (CIL xv 4407)

con

d

Plus anciennement, au premier siècle, on trouve le nombre 7 ainsi exprimé

dans un relevé de graffite fait à Pompei par Zangemeister (CIL, IV 3043), relevé dont on a douté (DAC IH, 1338), mais qui se trouve absolument à l'abri de toute espèce de

soupgon par les exemples antérieurement cités d'Egypte, des Il est surabondamment prouvé que l'hypothése grecque la dénomination d'eepisemon» dont on a affublé le sigle en ui appartient essentiellement à l'écriture commune classique

Carpathes et d'Espagne. est à écarter ainsi que question. Cette ligature antérieure au quatriéme

siècle, en union avec les ligatures ua, ul, um et us indiquées plus haut, et elle servait

alors également avec la valeur de syllabe et avec la valeur de chiffre. 192. — Or nous constatons que ce sigle sert encore, mais seulement avec la valeur

de chiffre, dans des monuments en nouvelle écriture des cinquiéme, sixiéme et septiéme siècles où ils tranchent avec la syllabe μὲ

|

{41 C'est alors qu'il convient de remarquer que L, chiffre, qui tranche aussi avec L, lettre,

dans cette nouvelle écriture des cinquiéme, sixiéme et septiéme siécles, appartient aussi, tout comme la ligature wi, à l'ancienne écriture commune disparue, et que dans cette ancienne écriture la forme de L, lettre, est aussi la méme

que la forme de L,

chiffre. Dans le papyrus déjà cité de 192-196 (EL 27, 1. 24) le nombre 75 est ainsi exprimé

2 et le chiffre 50 y a la méme forme que la lettre I, dans le goupe lorsctitis

em

ne

La nouvelle écriture romaine

I29

En Espagne, 180 est ainsi écrit en 147 (CIL xv 4157):

et liani (Cir, xv 3719, voir aussi CIL XV 3827),

D

c'est-à-dire un premier trait relativement trés court, descendant parfois obliquement de la droite vers la gauche, et suivi d'un trait 2 trés long soulignant en quelque sorte, et

comme embrassant les signes qui suivent.

193. — Nous voyons déjà se dessiner une thése selon laquelle la nouvelle écriture

commune

qui a tiré de ‘l’Epitome’ les formes de ses lettres aurait conservé, pour

exprimer les chiffres, les anciens signes de l'écriture commune

classique qu'elle avait

remplacée. Nous pouvons déjà noter que cet L et cette ligature μὲ de l'écriture commune classique se voient exprimées, non pas en écriture épigraphique, mais en copie figurée,

dans les nombres portés par des inscriptions de toute l'Europe occidentale au cinquiéme siécle, au sixiéme et au septiéme, en plein régne de la nouvelle écriture com-

mune. Les plus anciens exemples que nous en connaissions par les cas datés du Corpus sont de 442 en Italie (crr, v 6402), de 454 en Gaule (cri xmı 2338). En Espagne, l'emploi d'une ére régionale donne l'occasion au chifre 500 de se montrer constamment dans les inscriptions aprés l'année 461 puisque l'année 462 de l'ére chrétienne correspond à l'année 500 de l'ére d'Espagne. Sous quelle forme nous apparait le chiffre 500 de ces inscriptions? Il nous apparaît en copie figurée, et combiné avec les signes cursifs de 50 et de 6 que nous avons déjà étudiés, également sous une forme qui appartient à l'ancienne écriture commune classique (cf. $ 55):

À Ainsi fait d'un seul trait en commençant par le haut, le D se voit dans le papyrus d'Arsinoé de l'année 131 (XIV 1) où le nombre 550 est exprimé de la façon suivante (ligne 3) dans le groupe 550 aequis

Au

v rn

Le D est lié à l’L dans le nombre 550 de la même manière que Í'X sur les inscriptions

AL

des cinquième et siècles suivants pour exprimer le nombre 40

où l’X est fait conformément

au ductus

que nous

avons décrit au paragraphe 36.

130

Apres le premier siécle de notre ére

Il n'est pas jusqu'au chiffre r exprimé par la lettre 7 qui ne se préte à des remarques analogues: quand un nombre est composé de plusieurs r, comme le nombre 3 ou 4 par exemple, l'usage fréquent de l'ancienne écriture classique était de marquer le premier r par un 7 long et les 1 suivants par des 7 courts, comme, par exemple, dans le papyrus de Berlin (pl. XIII 3), du deuxiéme siécle, oà le nombre 13 est ainsi écrit

_X JU Cette disposition se retrouve sur les inscriptions contemporaines du règne de la nouvelle

écriture où il n'est pas rare de trouver, pour le nombre 4, par exemple,

hui 194. — Nous aboutissons à cette conclusion que les inscriptions d'une époque correspondant au régne de la nouvelle écriture commune portent à foison des copies figurées de chiffres appartenant tous à un méme systéme numéral cohérent qui tire son origine de l'écriture commune antérieure, abolie depuis longtemps, oü les mémes

formes servaient à la fois pour figurer des lettres et pour figurer les chiffres. Et cela nous rend compte d'un phénoméne que le épigraphistes ont tous noté sans pouvoir en fournir aucune explication. Au témoignage de tous les épigraphistes (qui en ont fait la remarque à propos du prétendu «episemon» sur lequel on a tant discuté et dont ils n'ont pas su la relation avec les autres signes de 500, de 50, de 40 et de I), ces copies figurées n'apparaissent jamais, sur les inscriptions gravées en écriture monumentale, à l'époque classique où nous savons maintenant que ces mêmes signes servaient aussi bien pour les lettres que pour les chiffres, alors qu'au contraire ces mémes copies figurées foisonnent à l'époque dont nous savons maintenant qu'elle

est celle du règne de la nouvelle écriture commune, écriture où les lettres correspondantes avaient une forme différente. 195. — La chose est facilement explicable: les ‘ordinatores’ qui avaient sous les

yeux un texte sur papyrus ou sur cire en écriture commune n'avaient aucune raison de consacrer une copie figurée au chiffre 6 quand il se présentait sous la méme forme que la syllabe wi. Pour eux, c'était toujours «i; ils lisaient μὲ et tragaient à la craie sur

la pierre, dans leur écriture monumentale, un V puis un I. Ils avaient au contraire toutes les raisons de faire une copie figurée quand, dans l'écriture commune

de leur

texte, le chiffre 6 s'est trouvé fait d'une manière différente de la syllabe wi: le sigle ne représentait plus une syllabe déterminée, c'était seulement un chiffre, et un chiffre qui ne ressemblait à aucune lettre ni à aucun groupe de lettres qu'on sát transposer en écriture monumentale.

Pareillement, d'Arsinoé (cf. pl. figurée du chiffre forme à ceux de

en 131, un 'ordinator' qui aurait transposé sur pierre le XIV r1), n'aurait eu, davantage, aucune raison de faire 500 puisqu'il était représenté sur le papyrus par un D diodora (l. 4); il n'aurait eu aucune raison non plus de

testament une copie (l. 3) confaire une

copie figurée du chiffre 50 puisqu'il était représenté par un L exactement conforme

à celui de longinia (1. 4), et se combinait dans le groupe dlaequis (l. 3, 550 aeqwis) avec le signe qui le précéde comme avec les signes qui le suivent, exactement de la

La nouvelle écriture romaine

131

méme manière que dans le groupe etlonginia (1. 4). Tous ces signes, étant uniformes, quelle que füt leur valeur — lettres ou chiffres —, se trouvaient tous automatiquement et indifféremment traduits sur la pierre par l''ordinator' en une écriture monumentale

également uniforme. Il allait en être tout autrement quand les lettres changerent, quand le D et le L de l'ancienne écriture commune (le L avec sa combinaison antérieure 40 — analogue à la combinaison 550 du papyrus d'Ársinoé — et avec ses combinaisons postérieures 60, 6r, 62,..., 70, 7I,..., 80, etc.), se trouvèrent, dans la nouvelle écriture commune, étre les figures hétérogénes d'expressions exclusivement

numérales, lesquelles devinrent tout naturellement, en méme temps que le chiffre 6, l'objet de copies figurées de la part des ‘ordinatores.’ Donc, non seulement on ne s'étonnera pas de rencontrer couramment les formes

du systeme numétal de l'ancienne écriture commune dans les inscriptions gravées sur pierre en des siécles comme le cinquiéme, sixiéme et septiéme, oü il est absolument sür, par ailleurs, que l'ancienne écriture commune avait disparu de l'usage depuis longtemps,

non seulement

on ne s'étonnera pas de constater l'absence des mémes

formes dans les inscriptions d'un temps plus ancien oü l'ancienne écriture commune était au contraire en usage, mais encore on ne peut expliquer la pratique de la copie figurée de ces chiffres sur la pierre que quand l'ancienne écriture commune s'est

trouvée remplacée par la nouvelle.

196. — En d'autres termes, si un chiffre de notre systéme se trouve gravé sur une pierre, c'est précisément parce qu'il n'est plus qu'un chiffre, parce qu'il ne correspond plus à une lettre de l'écriture commune, et on peut poser une régle qui n'est paradoxale qu'en apparence: la présence, dans les nombres d'une inscription gravée sur pierre, de formes d'ancienne écriture commune, est le signal de ce que le texte a été, à sa genése, au stade de son établissement sur papyrus ou sur cire en vue de l''ordinatio', rédigé en nouvelle écriture commune, et cette régle peut s'appliquer méme dans les cas, qui sont l'immense majorité, oà tout le reste de l'inscription est exclusivement

exécuté en écriture monumentale sans que, comme dans le cas particulier que nous allons étudier à titre d'exemple, d'autres indices trahissent la rédaction préalable du texte en nouvelle écriture commune. j 197.

— L'inscription (pl. XXXI

1) où nous lisons: (chrismon) nico famulus

3

:

dei qui uixit annos plus menu

6 9

s ΤᾺ Vrequieuit in pa ceera DLVI acelleus famu lus dei qui uix annos XXXII re quiiiia pace era

DXLII parait assez bien illustrer les considérations qui précédent parce qu'elle contient à la fois des copies figurées et des fautes de transcription (cf. $ 109) qui révélent les caractéristiques graphiques du texte en écriture commune que l''ordinator' a eu sous les yeux.

Elle a été trouvée en Estrémadure et est conservée au Musée archéologique

132

Apres le premier siecle de notre ére

provincial de Badajoz. Deux textes d'épitaphes y ont été copiés d'une seule venue en 518, date qui est celle du texte le plus récent, à savoir le premier (ére d'Es-

pagne 556), le second texte étant de 504 (ére 542). Le texte a été transposé en écriture épigraphique par l''ordinator', à l'exception

de quelques signes que nous allons passer en revue. I9 Chiffres. — L'*ordinator' a transcrit en écriture monumentale le chiffre 5 dans le nombre 65 à la ligne 5; les trois ro et les deux r du nombre 32 à la ligne 9,

et les deux 7 qui terminent le nombre 542 à la ligne II. C'est que le chiffre I, figure par un [, le chiffre 5, figuré par un V, et le chiffre ro, figuré par un X, sont de ceux qui, dans leurs formes de l'ancienne écriture commune,

se prétent le plus facilement

à la transcription dans l'écriture monumentale qu'employait l'*ordinator'. Il a transcrit en copie figurée le groupe 60 dans 65 à la ligne 5, le nombre 556 entier à la ligne 6 et le groupe 540 dans le nombre 542 à la ligne 11. Il n'est pas besoin de souligner combien ces signes et groupes de signes s'opposent aux D, aux L, aux X et aux syllabes μὲ de l'écriture monumentale de l'inscription,

tant par leur formes que par leurs positions respectives

D Lx VI Le caractère cursif de 500, de 50, de l’un des 10 et de 6

δ.Ὁ 9 ainsi que de leurs combinaisons 60, 56 et 40

saute aux yeux. Que ces formes proviennent de l'ancienne écriture commune

qui

donnait au deuxiéme siécle, aussi bien pour les lettres que pour les chiffres, les formes

(cf. $ 195)

&

9

À

c'est également ce qui saute aux yeux dans notre inscription du début du sixième siécle, et point n'est besoin d'insister sur la briéveté du premier trait de L par exemple, qui, dans le chiffre 40 de Badajoz (l. 11), est devenu tellement court qu'il est presque imperceptible. Ces seuls signes, conformément à la régle posée plus haut suffiraient à nous révéler

que le texte de l'inscription de Badajoz a été, avant d'étre composé sur la pierre, rédigé en écriture commune du sixiéme siécle oü les chiffres tranchaient, par leurs

"

La nouvelle écriture romaine

I33

formes, avec les formes des signes qui exprimaient les lettres correspondantes. Mais ce point va nous étre directement confirmé par d'autres indices. 29 Lettres. — Tous les signes ayant valeur de lettres ont été transposés en écriture monumentale

du type de D, L, X etc., reproduits à la premiere figure de ce

paragraphe, sauf le Q, toutes les fois qu'il se rencontre, et le V, chaque fois qu'il vient à la suite d'un Q dans le groupe q« (ll. 3, 5, 8 et xo). On peut se demander pourquoi l’‘ordinator’ a si réguliérement évité de transcrire

en écriture monumentale la lettre Q. Il semble qu'il faille expliquer ce fait par une difficulté de lecture qu'il aurait rencontrée dans cette lettre, difficulté qui aurait existé pour plusieurs autres 'ordinatores', car les copies figurées de Q paraissent assez

:

c

fréquentes dans les inscriptions de ces époques. Cette difficulté viendrait de ce que

l'écriture commune

employée

dans les cas des textes de ces inscriptions aurait

comporté un G non conforme au type

que nous avons déjà rencontré (cf. $ 185), mais conforme au type

J dont l'aspect est trés voisin de l'aspect du Q. Ce type de Q se rencontre dans quelques exemples d'écriture commune à l'encre (CLA 304), mais bien plus rares, moins bien datés, et moins bien localisés que ceux qu'on pourrait rejoindre par les inscriptions. L''ordinator' de notre inscription de Badajoz était fort peu lettré: les énormes fautes de lecture qu'il a commises à la ligne Io et que nous analyserons plus loin suffisent à le prouver. Il est par conséquent possible que, hésitant entre G et Q, il ait en quelque

sorte refusé l'obstacle et pris le parti peu compromettant, pour étre sür de ne pas se tromper, de faire une copie figurée. Sur une inscription de Barcelone, apparemment du cinquième siècle (ICERV 214), où, entre parenthèses, se rencontre, dans l'indication des mois, le sigle 6, l''ordinator' a été moins prudent et a opté pour G, transposant sur le pierre reguiescat au lieu de requiescat. Il serait intéressant de grouper les inscriptions

contenant soit des copies figurées de Q, soit des fautes sur cette lettre. On pourrait sans doute recueillir ainsi des faits probants sur l'une des caractéristiques importantes de l'écriture commune au lieu et à la date de chacune de ces inscriptions.

Quoiqu'il en soit des raisons qui aient poussé l''ordinator' de Badajoz à ne pas transposer la lettre Q, les copies figurées, qui se rencontrent quatre fois, du groupe gu

suffiraient à nous confirmer directement l'emploi d'un systéme d'écriture commune comportant d'autre part l'usage, pour les chiffres, des anciens signes que nous avons

identifiés plus haut comme appartenant à l'écriture classique abolie. Mais il y a mieux. Il y a, vers la fin de l'inscription de Badajoz, une de ces anomalies comme il n'est pas rare d'en trouver à la fin des textes épigraphiques de basse

époque et qui s'expliquent par la lassitude de l''ordinator'. Ces anomalies, ce seront tantót, comme dans le cas de la brique d'Aceuchal étudiée plus haut ($ 143), des retours

à une écriture plus familiére que celle à laquelle l'exécutant avait voulu se contraindre pour faire «inscription», tantót d'énormes fautes de lecture. C'est ce dernier effet de

|

134

Apres le premier siécle de notre ére

la fatigue que nous observons dans l'inscription de Badajoz comme dans le cas d'autres monuments épigraphiques que nous aurons l'occasion de citer ($ 227). Dans le premier des textes qu'il avait eu à transporter sur la pierre, l’‘ordinator’ de Badajoz avait évité les bourdes gráce aux précautions que nous avons signalées:

Nico famulus Dei qui vixit annos plus menus LXV requievit in face era DLVI. Le second texte était à peu prés identique, et il le composa, toujours avec les mémes précautions quant au Q, jusqu'au début de la ligne 10 inclusivement: Acelleus famulus Dei qui vix(it) annos XX XII re...,et, au début de la ligne ro, il fit encore une copie figurée pour qw. Mais il ne sut pas lire ce qui suivait, et, oubliant sa prudence, il composa bravement en écriture monumentale

quatre 7 de suite, puis un A, ce qui

fait requii1ia. On s'étonnera peut-être qu'il ait buté à cet endroit aprés avoir composé “correctement requievit dans la formule, sensiblement analogue, du texte précédent: c'est qu'il n'y avait pas requievit dans la rédaction, qu'il avait sous les yeux, du second texte, mais requivit. Seule, cette forme, qui se rencontre dans d'autres textes de cette

époque, explique la faute, ou plutôt les fautes requisiia. Déconcerté par une forme différente de celle qu'il venait de lire dans l'autre texte, et prenant le V de iwi pour deux 1 (ce qui est toujours facile dans l'écriture commune

contemporaine,

et nous

verrons au paragraphe 227 l'exemple inverse de deux 7 pris pour un V), il lut quatre I au lieu de ἐμέ, puis, dérouté par cette première faute qui rendait le mot méconnaissable, illut A au lieu d'un T. Cette dernière confusion est aussi trés facile dans l'écriture commune de cette époque à condition qu'elle corresponde à un état trés généralement répandu en ce temps où le T a la forme

CC qui le fait ressembler à 1’A d'exemples contemporains comme le célèbre manuscrit de Saint Hilaire de Rome (pl. XXIX 3), bien daté des premiéres années du sixiéme siécle. Cette méme faute a été commise par l''ordinator' d'une inscription contempo. raine trouvée en Tunisie à El Djem (MERLIN, Inscriptions latines de la Tunise, n° 124) qui à la fin de son texte a lu indicatone quinta au lieu de indictione quinta, ainsi que par l'ordinator' d'une autre inscription d'Espagne trouvée à Alcalá de Guadaira que nous étudierons plus loin ($ 227). | Ayant lu regwiiiia au lieu de requiuit, l''ordinator' sauta ἐπ (il n'en était plus à cela prés), et composa requiiiiapace au lieu de requiustinpace. Ses copies figurées, jointes à ses fautes, nous permettent de reconstituer la structure de l'écriture qu'il

avait à lire

e

utem

écriture commune du sixiéme siéecle qui comportait pour les chiffres les signes

δὶς

Q* DA

du systéme numéral que nous retrouvons dans les exemples sur papyrus et sur par-

chemin d'écriture commune des sixiéme et septiéme siécles cités plus haut, dans les 'codices' d'Italie, dans les chartes de Ravenne et dans l'épitaphe de Rogata (8 184).

La nouvelle écriture romaine

I35

Si une preuve était encore nécessaire de la conservation de ces formes pour les chiffres dans la nouvelle écriture romaine, l'inscription de Badajoz l'apporterait. 198. — Si des cas analogues à celui de l'inscription de Badajoz ne sont pas extrémement rares, beaucoup d' inscriptions des cinquiéme, sixiéme et septiéme siécles

ne comportent ni copies figurées ni fautes qui permettent de reconstituer concrétement la structure des formes ayant valeur de lettres, lesquelles ont été toutes transposées en écriture monumentale. En revanche, quand les textes comportent des chiffres, ceux-ci

ont presque toujours fait l'objet de copies figurées en raison de l'hétérogénéité méme de leurs formes dans l'écriture commune oü elles étaient employées, et nous avons ainsi une masse énorme, répandue dans tout l'Occident, d'attestations de l'emploi de cette écriture commune oü ces signes étaient hétérogénes. Cette écriture commune

a pu passer par des états différents selon les dates et les lieux, états que les inscriptions oü il y a des fautes et des copies figurées de lettres peuvent nous aider à connaitre:

l'universalité des chiffres nous atteste la diffusion universelle du système des /s/ferae

communes auxquelles fait allusion le texte impérial de 367 (cf. $ 172). 199. — De telle sorte qu'on pourrait remplir des pages et des pages avec les reférences des inscriptions de toutes provenances qui, gráce à leurs chiffres, attestent l'emploi, partout oü s'écrivait le latin, de la nouvelle écriture commune, et dans des régions d’où on ne peut garantir qu'il nous soit parvenu aucun monument écrit à

l'encre. Les reproductions, qui seules pourraient permettre une étude convenable des caractéres externes de ces inscriptions en fonction de la régle énoncée plus haut,

sont relativement rares. Cette indigence est en partie palliée par une précaution qu'ont prise les épigraphistes. S'ils connaissaient le sens textuel de nos chiffres, ils en ignoraient la cohérence et l'origine commune, ainsi que, à plus forte raison, la signification proprement paléographique; et, quand ils les ont rencontrés, ils les ont notés, un peu comme des curiosités, par des caractéres typographiques spéciaux. En d'autres

termes, ils ont un peu agi comme les ‘ordinatores’: ils ont tenté de faire, avec des caractéres typographiques spéciaux dans leurs transcriptions en capitale d'imprimerie, des copies figurées de chiffres que les ‘ordinatores’ avaient déjà reproduits eux-mémes en copies figurées. 200. — Si, d'un point de vue scientifique trés strict (cf. $ 119), le procédé est un peu contestable, il n'en rend pas moins de trés grands services: les copies figurées des ‘ordinatores’ constituant en quelque sorte des trous dans les compositions épigraphiques, les copies figurées faites par les épigraphistes de ces copies figurées des ‘ordinatores'

constituent

à leur tour des trous dans les transcriptions modernes.

Ces

trous d'une transcription en capitales, dans le Corpus par exemple, coincidant avec les trous d'une composition épigraphique, nous permettent d’apercevoir, à travers le double masque de la transcription et de l''ordinatio', la rédaction originale du texte en nouvelle écriture commune

sur papyrus, ou sur parchemin,

ou sur cire, dans les

régions les plus diverses de l'Empire et à des époques différentes. Nous signalerons seulement

des exemples

trés dispersés,

comme

les inscriptions

trouvées

dans

des

territoires qui correspondent aujourd'hui à l'Autriche et à la Yougoslavie (CIL rrr 5128, 5256, 5426, 5616, 5626, 6485 a, 9534), en Gaule (cr, XI 1108, 1485, 1503, 1530, 1535, 5251, 8404 etc.; CIL XII 1498, 1724, 1791, 2185, 2326); en Italie (cri v 3896, 5405 etc.; VI 9150, 9163, 9380 etc., 31968 etc.; IX 1380, 1382, 1392 etc.; X 4505, 4630

etc., 7752 etc.; XI 1704 etc...); en Espagne (ICERV 60, 127, 130, 156 etc.); en Afrique (crr, vin 460, 466, 879, 880 etc.).

136

Apres le premier siécle de notre ére

201. — Des cas spécialement intéressants pour nous sont ceux oü des 'ordinatores' du sixiéme siécle ont transposé sur la pierre la ligature μὲ ayant valeur de 6 soit par un C seul, soit par un C suivi d'un 1, soit par un S. On rencontre ces cas en Italie (CIL V 5592, 5416; VI 9461; x 4502, 6421; x1 3516); en Gaule (crr, xir 3021, 9534) et en Espagne (rHC 56, 157 et NAVASCUES des Scripturae I), où, en outre, trois cas se pre-

sentaient jusqu'ici sous la forme d'une énigme que M. Navascués a su résoudre le

premier (IHC 310, 340; ICERV 31 a). Cette énigme consistait en ce que, dans ces trois inscriptions, le groupe as, en écriture monumentale, termine le texte, suivant immé-

diatement, sur la pierre, la copie figurée de chiffres appartenant à l'indication de l'ère. Exemple (IHC 340):

ERA D La AG Après le mot era en écriture monumentale, on lit, en copie figurée, le chiffre 500, puis le chiffre 50, puis le chiffre 40 exprimé par la ligature déjà mentionnée ($ 193), ce qui fait 590, et, enfin, en écriture monumentale, les deux lettres A et S. Ce groupe

as était demeuré un mystère pour Hübner comme pour tous ses successeurs jusqu'à . M. Navascués qui a eu le premier l'idée de le dissocier. Il a fort brillamment démontré que 1’A est la désinence de l'ordinal: avant l'S, il faut lire DLXL*? et comprendre era quingentesima (ou quingenti ou quingentum) nonagesima. L/'S, 8e trouvant ainsi libéré, représente.la ligature ui avec valeur de 6 et il faut lire DLX L"VI sans s'étonner de rencontrer, pour les centaines et les dizaines, l’ordinal, et, pour les unités, le cardinal, puisque nous observons le même fait dans des inscriptions où les nombres sont écrits en toutes lettres, comme IHC 143, où on lit era nonagesima nobem. Les trois inscriptions IHC 310, 340,.et ICERV 31 4, sont donc à joindre aux autres cas d'Espagne, à ceux de Gaule et d'Italie, cités plus haut, où des 'ordinatores' ont transposé en C, en ct, ou en S d'écriture monumentale; le prétendu «episemon». Le probléme de l'interprétation de ces C, seuls ou suivis d'un 1, et de ces S,

étant résolu, un autre probléme surgit immédiatement: les ‘ordinatores’ qui mettaient des C, des S, ou des C suivis de 1, avaient-ils conscience de ce qu'ils exprimaient ainsi ‘le chiffre 6, ou bien, n'ayant pas identifié le prétendu «episemor», se trompaient-ils en croyant réellement lire un S, un C ou un C suivi d'un I? Personnellement je pencherais fortement pour la seconde hypothése, bien que la faute soit ici d'un type différent de celui des fautes que nous avons déjà signalées: dans l'inscription de Badajoz p. e. (8 197), les fautes se sont faites en quelque sorte à l'intérieur de l'écriture commune, c'est-à-dire que l''ordinator' a confondu entre elles des formes de différentes lettres, formes qui appartiennent les unes et les autres à l'écriture commune. Dans

les cas de transposition en S que nous venons d'évoquer, la confusion s'est faite entre

le chiffre de l'écriture commune et une forme de S qui n'appartient pas à l'écriture commune, mais à l'écriture monumentale. La faute est, on le voit, encore plus grossiére que les autres.Le probléme a son importance, car dans l'hypothése de la méprise, il y aurait un indice de ce que les ‘ordinatores’ étaient peu experts dans la lecture

des chiffres de l'écriture commune

— dont les copies figurées font aussi parfois

hésiter, au demeurant, les épigraphistes modernes —, et l'habitude de faire ces copies

La nouvelle écriture romaine

I37

figurées ne tiendrait pas seulement à l'hétérogénéité des signes numéraux, mais aussi

aux difficultés qu'ils présentaient pour des lecteurs peu exercés. Il faudrait donc y voir, comme dans le cas de la copie figurée du Q ($ 197), l'effet d'une prudence dont se seraient malencontreusement départis les ‘ordinatores’ des inscriptions qui font l'objet du présent paragraphe, et cette prudence serait une explication de surcroit à la pratique quasi-constante des copies figurées des chiffres dans les inscriptions de

«basse» époque. 202. — Dès l'instant que l'apparition de ces formes numérales en copie figurée sur les inscriptions se révéle comme l'attestation de'ce que le texte de la rédaction soumis à l''ordinator' a été exécuté en nouvelle écriture commune, on sent l'intérét qu'il y a à déterminer avec précison la limite la plus haute de la «basse» époque où, en termes vagues, l'expérience des épigraphistes est unanime à localiser les dites copies figurées. Il s'agit de savoir, à la fois comme recoupement de la thése exposée ici, et comme indice historique sur la naissance et la diffusion de la nouvelle écriture, quand et oà on commence à rencontrer ces copies figurées. Ces chiffres, en effet, ne doivent pas étre considérés, dans l'espéce, comme des survivances sur place, là oü on les trouve, de l'ancienne écriture périmée qui avait été, elle aussi, commune, mais

comme partie intégrante de la nouvelle écriture qui, ne sortant pas de l'ancienne, n'a pas pu se former partout à la fois et a dû nécessairement faire peu à peu tache d'huile dans le monde à partir d'un centre oü elle s'est constituée par la pratique

cursive des formes de 'l'Epitome'. 203. — Sur le plan chronologique, nous avons déjà vu que le 'volumen' méme qui

porte 'l'Epitome' était, selon les circonstances de sa trouvaille, plutôt du troisième siécle que du quatriéme ($ 128). Nous avons vu que l'écriture de 'l'Epitome' était l'écriture normale, familiére du scribe de la brique d'Aceuchal, et que, si cette brique elle-méme ne pouvait étre remontée plus haut que le quatriéme siécle en raison de son chrismon, cette écriture familiére se trouvait associée, dans les réflexes de la main du scribe, à une capitale trés particuliére qui se retrouve employée en Syrie dans la premiére moitié du troisiéme siécle ($ 143). Enfin nous avons vu que le papyrus 720 d'Oxyrhynchus suffit à montrer qu'au milieu du troisiéme siécle les deux systémes graphiques de l'ancienne et de la nouvelle écriture commune coéxistaient, puisqu'un

fonctionnaire a répondu en nouvelle écriture à une pétition de l'an 247 qu'un écrivain public avait grossoyée en ancienne écriture (pl. XV r). 204. — J'ai amorcé la recherche des plus anciennes copies figurées des signes numéraux qui nous occupent, avec des moyens trés imparfaits. Je me suis limité, sauf exception, aux transcriptions du Corpus qui, contenant pour les chiffres les caractéres spéciaux indiqués plus haut, portent en méme temps, en marge, la date précise qu'indique explicitement leur texte. Cela restreint considérablement le champ de la récolte. Se trouvent inutilisés non seulement des exemples qui ont apparu aprés la publication, par les éditeurs du Corpus, du tome où ils auraient dû être insérés, mais encore les exemples du Corpus méme qu'on pourrait situer dans-le temps d'une maniére souvent süre à une époque donnée, soit par leurs caractéres internes (et nous en citerons plus loin un exemple, $ 210), soit par les caractéres externes que ne permet

pas de connaitre leur présentation dans la monumentale publication de Berlin. 205. — En Europe, une pareille méthode, sans doute trés peu exhaustive, ne m'a pas permis de relever de cas antérieurs au milieu du cinquiéme siécle: à l'année 454

138

Aprés le premier siécle de notre ére

en Gaule (crr, xım 2338), à l'année 465 en Espagne (IHC 306, et Navascués AEA I947, page 272, n? 2), à l'année 442 en Italie (cir, v 6402), où ce n'est pas une copie figurée de chiffres, mais une ligne composée tout entiére en nouvelle écriture commune, qui nous

a montré cette écriture employée, dans la péninsule, déjà plus d'un siécle auparavant, (cf. $ 184). Toutes ces données du cinquiéme siécle qui nous sont fournies sont manifestement trés tardives et sans grand intérét pour nous, du point de vue chronologique qui nous occupe en ce moment, puisque le texte impérial de 367 implique que la nouvelle écri-

ture commune était alors déjà employée partout depuis trés longtemps. 206. — En Afrique proconsulaire, méme résultat: le Corpus ne donne pas, à ma connaissance, d'exemples antérieurs à 484 (cm, VIT 2013), et les Inscriptions latines de plus haut caractére imputable courantes,

Tunisie publiées en 1944 par M. Merlin ne nous permettent pas de remonter que l'année 438 (n.° 1126). Etant donné la méthode que nous utilisons, le tardif de ces données d'Europe et d'Afrique proconsulaire est évidemment à ce que l'usage d'un systéme précis de datation des inscriptions les plus comme les inscriptions sépulcrales, ne se note pas en Europe, ni en Afrique

proconsulaire, avant le cinquiéme siécle. 207. — Par contre, en Maurétanie,

l'emploi beaucoup

plus ancien d'une ére

provinciale, de trente-neuf ans en retard sur l'ére chrétienne, pour dater les inscriptions courantes, permet de remonter trés haut avant l'année 367, date à laquelle

le mandat impérial adressé au proconsul d'Afrique nous indique que l'ancienne écriture commune était abolie depuis longtemps et que la nouvelle écriture commune l'avait remplacée partout. Gráce à ce systéme local de datation, nous obtenons, en remontant le cours du temps, une longue et abondante suite de cas jalonnée par une inscription de 349 (cIL vir 20301), de 348 (ibid. 21602 a), de 333 (ibid. 21772), de 327 (ibid. 8815), de 324 (ibid. 20302), de 323 (ibid. 9855), de 321 (ibid. 8608), de 320 (ibid. 9020), de 320 (ibid. 9069), de 318 (ibid. 20780), de 318 encore (ibid. 21479), de 310 (ibidem 21734), de 305 (ibid. 8986), de 302 (ibid. 9862), de 300 (ibid. 2597), de 267 (ibidem 9074) de 257 (ibid. 21724), de 255 (ibid. 9090), de 250 (ibid. 9115), de 246 (ibidem 9111), de 238 au plus tard (ibid. 8449) encore de 238 au plus tard (ibid. 9133), de 236 (ibid. 9085), encore de 236 (ibid. 9086), de 233 (ibid. 9109), de 230 (ibid. 9062), de 227 (ibid. 9162), de 226 (ibid. 8501), et, enfin, de 224 (ibid. 20613). Avant 224, je n'ai pu relever qu'un cas douteux de 203 (ibid. 8524). Cette suite nous conduit

d'une maniére impressionnante au rendez-vous du début du troisiéme siécle oü nous avons déjà été conduits par les détours les plus divers (cf. $ 203), et qui nous apparait,

une fois de plus, comme un «terminus ante quem» de l'emploi, dans le monde romain, de la nouvelle écriture commune et, partant, de l'écriture du type de l''Epitome'. Il est à noter enfin que cette méme suite nous fait remonter à une époque oü l'ancienne écriture commune n'était pas abolie partout de l'usage courant puisque l'Egypte nous en a livré encore des exemples du troisiéme siécle.

208. — Si, sur le plan chronologique, cette suite d'inscriptions nous conduit à une donnée trés intéressante et trés süre, on doit se garder de l'exploiter abusivement sur le plan géographique. Elle nous montre la nouvelle écriture commune employée constamment en Maurétanie, plus particuliérement dans la région de Sétif, à partir du début du troisième siècle, c'est-à-dire dés une époque où nous savons que cette nouvelle écriture n'avait pas encore supplanté partout l'ancienne. Il serait absurde d'en conclure que la nouvelle écriture commune est née en Maurétanie, plus

La nouvelle écriture romaine

139

particulièrement dans la région de Sétif. Le renseignement est dû, avant toute chose, à l'emploi, dans cette région du monde, d'une ére provinciale qui nous permet de dater facilement une quantité considérable d'inscriptions sépulcrales, facilité qui nous est

refusée ailleurs à la méme époque. 209. — Plusieurs considérations nous conseillent une grande prudence: répétons que si, ailleurs, il faut attendre le cinquiéme siécle pour trouver une inscription datée

portant des copies figurées de chiffres, ce n'est pas parce que la nouvelle écriture commune n'est apparue, dans ces pays oü nous les trouvons, qu'au cinquiéme siécle — et le texte de 367 nous enseigne le contraire —, c'est parce que les inscriptions sépulcrales datées n'y apparaissent d'une maniére courante qu'au cinquiéme siécle.

En Afrique notamment,

dans la Proconsulaire, voisine de la Maurétanie, il faut

attendre 438 pour trouver une inscription qui, étant bien datée par son texte, porte une

copie figurée. A qui fera-t-on croire que la limite administrative entre les deux provinces ait marqué une différence dans les écritures puisque, aussi bien, c'est justement

au proconsul d'Afrique que l'autorité impériale reproche dés 367 d'avoir dérogé à l'usage de la nouvelle écriture commune

en imitant

l'ancienne écriture

qui

n'était

plus qu'impériale? 210. — Trois exemples souligneront le caractère incomplet d'une recherche encore

trop superficielle: d'abord deux inscriptions romaines qui ne sont pas au Corpus et qui, selon leurs transcriptions, portent, l'une et l'autre, le prétendu «episemons: l'une est de 296 (ILCv 2807), l'autre de 295 (πον 2786); ensuite, et encore mieux, une

inscription, également de Rome, qui porte aussi un soi-disant «episemon», qui est au Corpus (CIL vi 3403), mais sans date explicite, et qu'on peut situer dans le temps par ses caractéres internes: le soldat dont elle est l'épitaphe appartenait à la «Legio II Parthica» établie aux Monts Albains par Septime Sévére; elle est par conséquent de

la premiére moitié du troisiéme siécle, et contemporaine des plus anciennes inscriptions de Sétif citées plus haut. Ces seuls exemples enlévent toute exclusivité à la Maurétanie, et méme à l'Afrique en général, dans l'emploi de la nouvelle écriture commune au troisiéme siécle. 211. — Au surplus, les résultats auxquels nous sommes arrivés ne constituent pas un acte de naissance: la nouvelle écriture était pratiquée avant le début du troisiéme

siécle, et c'est tout ce que l'on peut dire, la donnée étant trés précise, recoupant le papyrus 720 d'Oxyrhynchus ainsi que la date, trés flottante, qu'on peut attribuer au ‘volumen’ portant 'l'Epitome Livii'. Il ne s'agit que d'un «terminus ante quem». 212. — Mais il semble que ce dans notre marche rétrograde, assez écriture commune par la pratique effet, on aura remarqué que c'est

«terminus ante quem» nous permet d'approcher, prés de l'époque oü a pu se constituer la nouvelle cursive de l'écriture du type de ‘l’Epitome’. En dans les papyrus du deuxiéme siécle que nous

trouvons les signes de l'ancienne écriture commune sous la forme oü ils sont passés, comme chiffres, dans la nouvelle (cf. $ 191 et sqq.). 213. — D'autre part, il n'est pas indifférent que l'Afrique soit parmi les régions où nous ayions pu surprendre la nouvelle écriture commune comme le plus anciennement employée. C'est ici le lieu de parler de quelques inscriptions auxquelles nous

avons déjà fait allusion ($ 147) et que les épigraphistes ont trés improprement qualifiées d'onciales,

simplement

parce

qu'elles

n'étaient

pas

en

capitales.

L’ecriture

dans

140

. Aprés le premier siécle de notre ére e

laquelle on les voit composées ne correspond pas exactement à l'onciale, qui a un alphabet strictement défini (cf. $ 147). Elle ne coincide, davantage, avec aucune écriture

de livres. Il est certain pourtant qu'on y sent un exercice calligraphique oü les formes de 'l'Epitome' ont marqué une influence notable. Ces inscriptions ont été trouvées en Numidie, à Timgad; et Cagnat, comme Bücheler, a pu établir par leurs caractéres internes, gráce à la relation de leurs textes avec le grammairien Pomponianus,

qu'elles étaient du début du troisiéme siécle. Voilà donc un indice de plus qui nous montre la nouvelle écriture romaine en Afrique à ce méme début du troisiéme siécle,

époque relativement haute, et sans doute assez peu postérieure à la naissance de la nouvelle écriture. 214. — Mais il y a beaucoup mieux. Nous avons déjà cité ($8 147 et 183) un texte que nous ne connaissons que par des leçons trés tardives dont la plus récente

est la plus compléte, la mieux ordonnée, et incontestablement la meilleure. Elle a été recueillie par M. Bischoff en 1934 dans un glossaire dont un manuscrit du treiziéme siécle est conservé à Munich. Ce glossaire donne de trés vieilles définitions qui n'ont de sens que si elles se rapportent aux écritures qui étaient en pratique au sixiéme et au septième siècle environ: «Unciales sunt litere que iniciis librorum fiunt ad ornatum ut in antifonario; dictae autem unciales, quod uncia auri in eas dependatus. Sunt. et ale litere que Virgiliane dicuntur quibus inicia. versorum in metro scribuntur. Sunt et Affricane que tunse appellantur; in usw frequenti habemus. Sunt preterea longarie que grece syrmala dicuntur; syrma enim grece, latine dicitur longa scriptura vel manus, quibus cartule et edicta scribuntur et recepta.» Ce texte se divise en deux parties: la premiere, jusqu'à in usu frequenti habemus, traite des écritures de 'codices'; la seconde, à partir de sunt preterea, traite de l'écriture allongée de chancellerie employée pour expédier les actes. Nous avons déjà posé la question de savoir s'il s'agit des lettres allongées de la chancellerie impériale romaine du type des rescrits du cinquiéme siécle conservés à Leyde et à Paris, ou de l'écriture du type des 'diplómes' des royaumes barbares (cf. $ 183). Nous avons penché pour Ja premiére hypothése en raison de l'assortiment d'un terme grec à la dénomination latine. Reste à donner ici une interprétation de la premiére partie qui concerne les

écritures employées dans les 'codices'. Le texte de Munich distingue trois sortes de «lettres» en fonction de la mise en page. Les lignes de titre des livres sont occupées par des lettres ornementales qui peuvent étre des capitales ou des grosses lettres de toute autre calligraphie comme on en voit dans les titres de l'époque; notre texte appelle «onciales» ces lettres, dans une acception qui, par conséquent, ne coincide nullement avec le sens restreint que la paléographie moderne réserve à l'onciale latine (cf. ὃ 147). Des lettrines plus petites, d'un dessin également trés variable, servent d'initiales aux versets, et c'est ce qu'on voit dans de nombreux manuscrits du haut Moyen-Âge, principalement originaires d'Irlande. Quant à la troisième catégorie, il s'agit évidemment de l'écriture du corps du texte. On pense que les définitions de notre glossaire ont été rédigées en Irlande; mais, quelle que soit la variété paléographique qu'elles désignent spécialement pour le corps du texte, cette variété ne peut étre, comme nous l'avons vu ($ 185), qu'une combinaison appartenant au systéme

de l'écriture de l’Epitome et de la nouvelle écriture commune. Ces //terae tunsae qui servent pour le corps du texte nous sont dites «africaines». Il semble qu'on ne puisse

expliquer cette étiquette que si elle conserve le souvenir de la trés lointaine origine de la nouvelle écriture romaine.

215. — Autre remarque: on a noté les ressemblances qui existent entre l'écriture

La nouvelle écriture romaine

, I4I

latine et l'écriture grecque au troisiéme siécle et aux siécles suivants; et nous avons fait état, au chapitre de l'onciale (8 148), de l'étude que Mie Medea Norsa leur avait consacrée. Ces ressemblances et analogies n'ont pas été analysées d'assez prés, comme nous l'avons vu. Mais elles existent incontestablement. Or, l'Afrique du Nord est par excellence une terre de culture «bilingue» au deuxiéme siécle oü elle connut une prospérité matérielle et culturelle extraordinaire. Et nulle part ailleurs une influence mutuelle

des deux écritures, latine et grecque, ne trouverait mieux son explication. 216. — En résumé, le nouveau systéme d'écriture latine s'oppose graphiquement à l'ancien, au systéme classique, par des caractéristiques qui obligent à voir une solution de continuité entre les deux systèmes. Dès lors que le nouveau système n'est pas sorti de l'ancien par évolution graduelle comme on l’a cru, il est nécessaire que ce nouveau système, représenté par l'écriture de 'l'Epitome' et par la nouvelle écriture commune qui en est issue, soit né en un centre donné, à un moment donné, d’oü il s'est répandu progressivement dans le monde entier. Cette diffusion générale était un fait acquis au quatriéme siécle. 217. — Des indices, de forces trés diverses, mais aussi trés disparates, indépendants les uns des autres et se recoupant tous par leurs voies propres, convergent pour orienter vers l'Afrique, au deuxième siècle, la recherche des origines du nouveau systéme d'écriture romaine. C'est dans les régions qui correspondent aujourd'hui à la partie orientale de l'Afrique du Nord frangaise qu'on a, semble-t-il, le plus de chances de rencontrer, au deuxiéme siécle, des circonstances et des faits rendant compte de l'éclosion d'un systéme graphique qui commande tous les développements

de l'écriture latine jusqu'à nos jours, puisque la «minuscule» dite «carolingienne» elle-méme, qui est la base de notre alphabet «bas de casse» actuel, n'est autre chose que l'une des variétés de ce systéme, particuliérement heureuse, du point de vue,

absolu, de la lisibilité.

b. — VARIATIONS

DE LA NOUVELLE

ECRITURE

218. — Les considérations qui suivent débordent quelque peu le cadre chronologique du présent ouvrage, mais elles intéressent des problémes qui doivent étre vus depuis l'époque romaine; aussi bien nous contenterons-nous de donner ici quelques indications de méthode et un cas d'application. Sans craindre d'accumuler les précautions de langage pour signaler des conventions encombrantes, nous allons prendre deux exemples, le probléme de l'écriture dite semi-onciale que nous avons déjà traité au paragraphe 1558, et le probléme dit des écritures «dites» nationales. 219. — Parmi les manuscrits

qui se sont trouvé le plus anciennement proposés

à l'attention des paléographes, on compte un ‘codex’ de parchemin (CLA I a) conservé à Rome («Basilicanus» D 182, ff. 13-27, 34-288), qui porte le texte De Trinitate, de Saint Hilaire, et qui a le rare avantage d'étre bien daté du début du sixiéme siécle,

étant exactement antérieur à l'année 510. Le De Re Diplomatica de Mabillon donne déjà un facsimilé de son écriture que les auteurs de manuels, de traités et de recueils,

n'ont pas cessé de reproduire depuis le dix-huitiéme siécle. C'est un exemple autour duquel il est possible de grouper un assez grand nombre de manuscrits (CLA 16, 29, 49, IIO etc...).

142

Aprés le premier siécle de notre ére

220. — Au dix-huitiéme siécle, les auteurs du Nouveau Traité de Diplomatique ont baptisé 'semi-onciale' l'écriture du type du Saint Hilaire de Rome. Cette denomination lui est encore appliquée aujourd'hui par M. Battelli (Lezioni, p. 80) comme par M. Lowe. Le sens de l'expression est obscur. Les Bénédictins pensaient la justifier par une relation avec l'onciale dans l'ordre de la hauteur des lettres; mais on a vu qu'il y a des onciales de modules trés divers; le module des semi-onciales est également trés variable; et il y a des semi-onciales qui sont plus hautes que certaines onciales. Malgré tout, une notion de semi-onciale s'est installée dans l'esprit et dans le langage des paléographes comme correspondant à une catégorie d'écriture bien délimitée, alors qu'en réalité les hésitations ne sont pas rares pour y intégrer tel ou tel exemple. Quand, au vingtième siècle, ‘l’Epitome Livii', qui est antérieur de quelque trois siècles au Saint Hilaire de Rome, est apparu, on a défini son écriture par rapport à celle du Saint Hilaire; c'est encore la façon de raisonner de M. Lowe qui voit dans ‘1’Epitome’ une «semi-onciale mélée» où A, E et G seraient «onciau» et B, D, R et M nettement «tsemi-onciaux». C'est toujours le méme processus, que nous verrons bientôt employé au sujet des 'codices' en capitale, et qui consiste à appliquer d'autorité, à des exemples anciens, mais récemment connus, des définitions qu'on avait cru pouvoir fonder

antérieurement sur des exemples plus récents, mais plus

anciennement

sans poser méme la question de savoir si les exemples les plus les derniers, ne conduisent pas à une révision de ces définitions.

connus, et

anciens,

apparus

221. — Si l'on examine l'écriture du Saint Hilaire, on voit que l'angle est le méme que celui de 'l'Epitome' et que les formes s'expliquent toutes ou par l'alphabet de 'l'Epitome', ou par une influence, sur cet alphabet, de la nouvelle écriture commune issue elle-même de l'écriture du type de '"l'Epitome'. Ainsi l' A, le G, l'S et le T:

“τς L’E, dont le trait supérieur se recourbe au point d'étre rejoint ensuite par la terminaison du trait médian, n'est que le résultat d'une tendance naturelle de l'écriture de 'l'Epitome', résultat qui se retrouve d'ailleurs, d'autre part, dans de nombreuses

onciales. L'écriture de l' Efitome n'est pas une écriture «mélée». C'est l'écriture du Saint Hilaire qui, formée sur la base de l'écriture de 'l'Epitome', est «mêlée» d'influences de l'écriture commune. 222. — Si nous examinons maintenant le probléme des écritures dites ‘nationales’, nous voyons qu'ici le travail est grand pour dégager le char des orniéres, qui sont

profondes, où il se'trouve embourbé. Le paragraphe par lequel M. de Boüard a introduit son chapitre des «écritures dites nationales» montre bien dans quel embarras se trouvent les paléographes qui ne veulent pas se libérer des entraves d'une termi-

nologie qui ne cadre pas avec des réalités préalablement bien définies, et nous avons souligné, dans la citation qui suit, les transitions trop habiles qui trahissent le mieux l'impression, que ressent l'auteur, d'étre sur un terrain peu solide: «On désigne sous

le nom d''écritures nationales’ — écrit M. de Boüard (Prou p. 65) — diverses sortes d'écritures minuscules employées en Italie, en France, en Espagne, en Angleterre et en Irlande du septiéme au douziéme siécle. Ce nom leur a été donné parce qu'on les considérait jadis comme des inventions des peuples barbares qui se sont établis dans les limites de l'Empire romain. Il est aujourd'hui reconnu que les écritures dites 'lombardique',

'mérovingienne',

'wisigothique',

‘irlandaise’,

‘anglo-saxonne’,

ont

La nouvelle écriture romaine

143

toutes pour origine commune l'écriture latine: les trois premières continuent sans interruption la minuscule cursive ancienne; l'irlandaise' et l'anglosaxonne' procédent de la minuscule posée. Au reste ces diverses écritures ne sont pas essentiellement différentes les unes

des autres.

On

deut,

avec Wattenbach,

conserver ces noms de

'lombardique', *mérovingienne' etc..., car ils servent à répartir en divers groupes les minuscules usitées pendant le haut moyen-áge dans les pays qu'occupérent les Lombards, les Francs, les Wisigoths, les Anglo-Saxons, mais il faut prendre garde

que ces apellations n'ont, comme l'a remarqué le professeur Paoli, qu'une signification géographique, et n'impliquent pas du tout que les peuples dont elles rappellent les noms ont eu part à leur formation. De plus, si ces écritures tirent leur noms des des peuples sur les territoires desquels elles ont été le plus usitées, l'emploi n'en a pas

été exclusivement réservé à une région déterminée.» Pourquoi rester ainsi désespérément accroché à une terminologie et à des classifications dont on reconnaît, à coups de réserves, d'atténuations, et méme de contra-

dictions, qu'elles ne correspondent pas à des réalités? Le moins qu'on puisse dire est que les difficultés paraissent assez grandes pour qu'on pratique un doute systématique, pour qu'on fasse table rase, pour qu'on reconsidére le probléme sur les bases concrétes, graphiques, des exemples qui nous sont parvenus, c'est-à-dire sur les monuments eux-mémes, débarrassés de toutes ces étiquettes dont on sent déjà qu'elles

sont si contestables; on pourra toujours rétablir ensuite les parties du systéme qui paraitront solides. Ce systéme, aprés tout, n'a jamais été qu'inventé aux dix-septiéme et dix-huitiéme siécles par des érudits, qui n'avaient à leur disposition, pour l'étude de la paléographie latine, qu'un matériel tardif encore mal exploré. Ce n'est nullement manquer à l'admiration et au respect qui leur sont dus que de prétendre tout remettre

systématiquement en question au vingtiéme siécle aprés l'immense effort d'exploration et de découvertes de monuments nouveaux qui a été fait depuis Mabillon et les Bénédictins. Notamment, la possibilité d'établir de nos jours une paléographie romaine crée une base toute nouvelle pour reconsidérer le probléme dit des écritures dites nationales, et c'est pour cette raison que les considérations trés générales qui vont

suivre, considérations de méthode, ont leur place dans le présent ouvrage. 223. — Prenons comme exemple le cas de l'écriture dite wisigothique. Les érudits groupent sous cette rubrique paléographique des manuscrits et des documents espagnols dont les plus anciens sont du huitiéme siécle, postérieurs, par conséquent, à l'époque wisigothique, et qui vont jusqu'au douziéme siécle. M. Battelli a trés justement remarqué en 1939 (Lezioni, p. 133, note I) que malgré d'importantes tenta-

tives d'analyse et malgré de trés utiles groupements de facsimilés, il manquait encore une oeuvre d'ensemble sur l'écriture dite wisigothique, et cette oeuvre n'est pas apparue depuis 1939. Mais il importe de noter qu'on ne peut pas commencer par étudier l'écriture dite wisigothique seule: il faut d'abord définir et juger, non seulement l'étiquette, mais encore et surtout la notion méme. Il faut aller jusqu'à mettre en

doute l'existence, en tant que catégorie, de cette écriture à laquelle on a appliqué le nom de wisigothique. 224. — En d'autres termes, prendre une à une les écritures dites nationales telles

qu'elles ont été discriminées il y a trois cents ans, c'est s'engager dans des voies qui risquent d'étre des impasses. Il faut étudier en bloc tout le systéme issu de l'écriture de l'Epitome et de la nouvelle écriture commune dans le monde entier à travers quelque huit à dix siécles, dégager le fonds commun pour faire ensuite ressortir les différences

qui peuvent exister, voir quels groupes ces différences permettent d'établir, et, enfin,

144

Aprés

le premier siécle de notre ére

si, pour l'un de ces groupes, le nom de «wisigothique, qui apparait dés maintenant si contestable, peut étre accepté, au moins à titre conventionnel. 225. — M. Millares a cherché à analyser l'écriture «connue sous la dénomination de wisigothique» (Tratado de Paleografía española, Madrid, 1932, pp. 80-104). I l'a fait en opposant cette écriture, implicitement, à l'écriture «caroline» ou «frangaise» qui

devait lui succéder en Espagne. Il aboutit fatalement ainsi à signaler comme propres à l'écriture dite wisigothique une masse de caractéres.qui sont communs à tout le systéme de la nouvelle écriture romaine. Le résultat d'une semblable méthode, c'est qu'une méme forme sera dite «wisigothique», ou «mérovingienne», ou «lombardique», selon qu'elle aura été relevée en Espagne, en France ou en Italie. On a dit par exemple (ICERV 106) que, dans l'inscription de Marim (pl. XXIII T), les À avaient la forme de l'écriture wisigothique. Or, l'inscription peut étre wisigothique, si l'on veut, par sa date et par le lieu de sa trouvaille: elle n'a rien, dans son écriture, qui soit wisigothique, niles A, nile reste; elle est composée dans l'écriture romaine la plus commune du cinquiéme siécle, et l'on voit dans quel dédale de malentendus on se trouve perdu. 226. — L'histoire des variations du systéme de la nouvelle écriture romaine ne peut s'étudier qu'en bloc à partir de l'époque romaine, et jusqu'à l'écriture «carolingienne» inclusivement, jusque, méme, dans tous ses prolongements qui nous font

atteindre en certaines régions la veille de la découverte de l'imprimerie. Le probléme est, au moins actuellement, indivisible, aussi bien sur le plan chronologique que sur le plan géographique. Pour l'étudier, on doit avoir recours à toutes les données imaginables. Celles qui peuvent étre fournies par les manuscrits eux-mémes comme par les documents.ne sauraient suffire: les monuments écrits à l'encre sont ou trop tardifs, ou en nombre insuffisant, ou trop mal datés, ou trop peu sürement localisés pour qu'on néglige de rechercher tout ce qu'il est possible de tirer des inscriptions oü des données chronologiques et géographiques abondent. Nous avons déjà touché ce point précédemment, et nous avons eu l'occasion de voir, en étudiant une inscription de Badajoz ($ 197), qu'il était possible d'en tirer des faits trés minces, mais trés précis, sur l'état de l'écriture commune en Estrémadure au début du sixième siècle. Il n'est pas exclu qu'une enquéte générale en Occident, tendant à recueillir des indices de ce genre, permette de les accumuler et de les grouper en faisceaux trés instructifs sur les variations de l'écriture commune, spécialement pour une période antérieure au huitiéme siécle. On doit procéder, en ce cas, pour chaque inscription, à une étude totale, c'est-à-dire que le paléographe doit s'attacher à observer tous les caractéres externes, mais aussi à utiliser toutes les données qu'il est possible de tirer des caractéres internes. Autrement dit, il doit procéder comme s'il s'agissait de faire une monographie

compléte du monument.

Là est la condition essentielle pour que la paléographie

tire de ce monument le parti maximum. A titre d'exercice pratique, un exemple de ces monographies nécessaires va nous étre fourni par une étude attentive d'une ins-

cription espagnole trés célébre, dont le texte était resté, jusqu'à ce jour, et depuis le dix-septiéme siécle, incomplétement expliqué. 227. — La Musée

archéologique provincial de Séville conserve une inscription de

la fin du sixième siècle trouvée dés 1669 à Alcalá de Guadaira (cf. explic. pl. XXXI 1). Cette inscription est trés connue parce qu'elle est de celles qui comportent une «date historique»,

et

que

cette date

historique

recoupe

des

sources

narratives

comme

Juan de Biclara (Espana Sagrada, IV, pp. 388-390) et Grégoire de Tours (Histoire des Francs, éd. Poupardin; Paris, 1913; V [38], VI (18, 40, 43]), faisant allusion à la

La nouvelle écriture romaine

145

lutte menée par le roi Léovigilde contre son fils Herménégilde. Le texte, dont la fin était C'est d'une part,

restée jusqu'ici impénétrable, a donné lieu aux hypothèses les plus variées. un bon exemple, d'une part, des secours que peut apporter, à l'interprétation inscription, la connaissance de l'écriture commune contemporaine, et, d'autre des données qu'en retour la paléographie peut attendre de ces cas pour recueillir

des données géographiques et chronologiques précises. Les dimensions de la pierre (1,80 de largeur sur 0,24 de hauteur et 0,15 d'épaisseur), ainsi que les trous pratiqués sur ses faces supérieure et inférieure indiquent qu'elle a servi de linteau à la porte d'un édifice. Tous les auteurs ont été d'accord pour lire: (chrismon) in nomine domini anno feliciter secundo regni domni nostri erminigildi regis quem persequitur. genetor sus dom

liuuigildus rex in cibitate ispa... Arrivés là, ils ont tous, naturellement, résolu δᾶ en isfa(lensi) ou isha(li). Ils ont donc tous été d'accord pour isoler, de is$ä, le groupe

de signes qui vient ensuite, et c'est ici que tous ces mémes auteurs s'embarrassent, depuis trois siécles. Ils divergent pour la lecture de ce groupe, et encore plus pour son explication.

La plupart lisent duchiaione, d'autres dufsaione, pensant que la courbe qui se voit à la gauche du T appartient à cette méme lettre. Certains proposent aussi ductialone. Tous coupent le groupe en deux. Mais ils ne le font pas tous de la méme maniére: on

a.coupé en ducti atone ou ducti alone mais aussi en ductia ione; la leçon ducti Aione ou Alone voudrait dire qu'Herménégilde

aurait été conduit au lieu dit «Aione» ou

«Alone» (que de vieux commentateurs ont supposé devoir être identifié avec Alicante). Selon d'autres, ducti devant étre interprété «duce», les lettres qui suivent nous donneraient, non pas un nom de lieu, mais le nom d'une personne qui serait le duc Aion,

lequel aurait été envoyé par Léovigilde à la téte des troupes chargées de réprimer le soulévement catholique de Séville. Enfin, il s'est trouvé un auteur pour penser qu'il

s'agissait d'une dame appelée Ductia Ione qui aurait fait établir l'inscription. Au dix-huitiéme siécle, Florez, extrémement prudent, avait repoussé toutes les

explications émises avant lui, celle du duc, comme celle du lieu, et s'était méme abstenu de rien transcrire, se bornant à mettre aprés :spä des points de suspension qui ont le mérite de laisser le probléme entier. Un siécle plus tard, Hübner transcrivait ducti Aione et penchait fortement pour l'hypothèse de la conduite d'Herménégilde en un lieu dit «Aione» ou «Alone (IHC 76): «... vix puto aliam locum habere inter-

pretationem praeter hanc, Ermenegildum a Liuuigildo — sus genetor est suus genitor — Hispali regnante tum ductum esse in locum aliquem aut Aionem aut Alonem». De notre temps,

Diehl

(ILCV 50) a retenu, sans paraître y voir de question, l'inter-

prétation «duc Aion», personnage qu'il identifie avec un lombard cité par les chroniques. En 1942, le Dr. Vives transcrivait duch aione, citait l'hypothése d'un duc Aion, passait sous silence celle du nom de lieu soutenue par Hübner, mentionnait, enfin, une troisiéme hypothése, avec un point d'interrogation, qu'il donnait comme

risquée par Perez Bayer, selon laquelle il faudrait comprendre indictione, et ne prenait pas parti. Il concluait dans son index que ducti aione était encore indéchiffré. Tout récemment, Mile Concepcion F. Chicarro, transcrivant aussi duch Aione, a proposé une trop ingénieuse explication de ducti comme signifiant «conduit en prison», l'auteur de la détention d'Herménégilde à Séville étant un certain Aion, que Mile Chicarro refuse d'ailleurs d'identifier avec le duc lombard de M. Diehl. Entre temps, en 1940, la

Historia de Espana dirigée par M. Menéndez Pidal (III, p. 105) a consacré sans ambages

la vieille explication «duce Aiones, repoussée par Florez et par Hübner: «Ya dijimos que Hermenegildo se había aliado con los bizantinos, segün nos cuenta el turonense; y

no sólo por este acto complicó su actitud en forma política, sino que hasta se consideró 10

146

Apres

le premier siécle de notre ére

y proclamé rey. Asi nos lo dice alguna inscripción — que al propio tiempo nos da noticia

de que ya la campaiia estaba iniciada contra él, mandando las fuerzas de Leovigildo el duque Aion.» Pourtant, de toutes les explications proposées, celle qui m'a toujours paru avoir le plus de chances détre juste, en dépit d'apparences trés audacieuses, est l'explication indictione, mentionnée pour mémoire par le Dr. Vives, qui considère le probléme comme demeurant sans solution. Voici les raisons de cette préférence, indépendantes de toute recherche proprement paléographique: 19 Nous avons vu qu'il n'est pas rare de rencontrer des fautes vers la fin des

textes épigraphiques de la méme époque, engendrées par la lassitude de l''ordinator'. Le groupe ductiaione, comme requiiiia vers la fin de l'inscription de Badajoz que nous avons étudiée au paragraphe 197, n'est méme pas un barbarisme, et l'explication par une erreur de l''ordinator' doit toujours, en ces cas, bénéficier d'un préjugé favorable. On doit s'y entéter avant de rechercher des explications philologiques et historiques qui conduisent le plus souvent à des mythes. 29 Le groupe ductiaione se termine par sone qui est aussi la fin de indictione.

39

Indictione devrait être suivi d'un ordinal: indictione (tanta). Or, le blanc

qui se voit sur la pierre aprés ductiaione a toutes les apparences, non pas de faire suite à un texte achevé, mais de correspondre à une lacune finale: les lettres de la

dernière ligne ont été en effet serrées comme si l''ordinator' avait prévu qu'il aurait à y faire tenir un texte plus long que celui qu'en fin de compte il y a placé. Ayant

serré ses lettres pour réserver le champ nécessaire au texte complet qu'on lui avait remis, il se serait, dans notre hypothèse de la faute, arrêté aprés ductiaione, prenant conscience de ce qu'il n'écrivait plus que des bétises, et ne trouvant aucun sens à l'ordinal qui venait ensuite, ordinal qu'il se serait abstenu de transcrire sur le marbre. On peut méme faire cette remarque que le blanc qui avait été ménagé par l''ordinator'

est trés important, et qu'il s'accommode d'un nombre aussi long que possible écrit en toutes lettres, que dans une période indictionnelle il n'y a pas de nombre plus long que éertia decima ou quarta decima, ou quinta decima, que ces indictions correspondent aux années 580, 581 et 582, et qu'enfin ces trois années font précisément partie d'une

période qui va de 579 à 584 sur laquelle, selon Juan de Biclara et Grégoire de Tours, s'étend la rébellion d'Herménégilde. . 49

L'ensemble du texte, par ses caractères internes, se prête très naturellement

à une fin qui comporterait la mention de l'indiction. En effet, du point de vue diplomatique, ce texte se compose de deux parties essentielles: A) une double invocation, monogrammatique et verbale, (chrismon) in nomine domini; B) une date, où l'an du régne serait trés classiquement, dans notre hypothése, accompagné de l'indiction, anno feliciter secundo regni domni nostri Ermenegildi regis quem etc... ., indictione tertia decima (ou quarta decima, ou quinta decima) à la mode romaine d'alors . . .imperatore domino Justino anno VII post consulatum eiusdem anno V , indictione quinta (Capoue 572, ILCV 1021) ...anno VIII Aug(usti Maurici), indictione, VIII (Carthagène, 589/590, ILCV 792, ICERV 362), mode romaine imitee dans plusieurs royaumes barbares...annum quartum renum domini nostri Teodorici riges, indictione dudecema

(ILCV 2910, a. 515/533) (rcv

...anno XII regni domni Childerici regis, indicione quinta

1689, a. 586). Notre date anno feliciter secundo regni dommi nostr Ermenegilds

regis..., indictione (Lanta) serait exactement sur le méme modèle.

Dans le cadre de ces présomptions déjà trés fortes, aucun doute ne subsistera plus s'il est possible de démonter avec précision le mécanisme d'une erreur de lecture, ou

plutôt d'un chapelet d'erreurs de lecture, qui ont pu étre.commises par l''ordinator' sur un texte portant indiciione: des formes graphiques trés étroitement déterminées

La nouvelle écriture romaine &

147

À

sont à rechercher dans l'écriture commune du sixième siècle; formes qui auraient favorisé, de la part de l'ordinator', la lecture erronée ductiaione, laquelle aurait. provoqué l'interruption du travail avant la fin. Mais là est le point: comment tirer, par erreur de lecture, ductiaione de indictione?

Si nous posons: INDICTIONE DVCTIAIONE nous voyons que le nombre de lettres est égal, et que, si nous commençons par le commencement, c'est-à-dire par la gauche, il nous faut expliquer D par une erreur sur I,

expliquer V par une erreur sur N, expliquer C par une erreur sur D, expliquer T par une erreur sur 1, expliquer 1 par une erreur sur C. Or, c'est impossible: aucune com-

binaison de l'écriture commune au sixiéme siécle ne permet de favoriser, à partir de indic, une erreur ducti. Au contraire, si nous prenons le probléme par l'autre bout, c'est-à-dire par la fin, nous voyons qu'avant le groupe tone qui, commun aux deux textes, ne pose pas de question, nous avons, sur la pierre, à la place du T de l'hypothése indictione, un A.

Cela, c'est parfaitement explicable: c'est urie erreur facile dans la lecture de l'écriture commune du sixième siècle. Nous avons vu que l''ordinator' de l'inscription de Badajoz, du début du sixième siècle ($ 197), a pris pour un A le T final de requivit.

Exemple bien meilleur encore pour nous: l'ordinator' d'une inscription sépulcrale trouvée en Tunisie, à El Djem (cf. ibid.), et sensiblement contemporaine, a termine son inscription par indicaione qwinta. Il est évident que l''ordinator' africain a lu aione pour tione, et cette erreur s'explique de la façon la plus simple par un T pourvu à sa gauche d'une boucle d'une hauteur égale à celle de la lettre, comme on en rencontre couramment dans l'écriture du sixiéme siécle, boucle qui fait ressembler cette lettre T à un A également courant à la méme époque

ΠT

c A

donnant une forme qui, remarquons-le entre parenthèses, n'est pas plus «wisigothique» qu'elle n'est lombarde ou mérovingienne, méme si l'on confrére à ces mots un sens géographique conventionnel, puisqu'on trouve la dite forme aussi bien en Afrique

que dans toutes les parties de l'Europe occidentale. Notre 'ordinator' d'Alcalá de Guadaira a commis la méme faute sur le méme signe de l'écriture commune du sixiéme siécle employée, comme dans le cas du texte

africain, par le rédacteur du texte d'Espagne. L’explication de aione par tione nous fournit un nouvel argument en faveur de l'hypothése indictione. Mais alors, l'impossibilité d'expliquer ducti par une erreur sur indic n'en apparait que plus déconcertante et plus irritante.

C'est à ce moment qu'on doit s'aviser de ce que le aione (= tione) d'Espagne n'est pas précédé d'un C comme le aione d'Afrique, mais directement d'un 7. Le groupe icaione d'Afrique s'explique par $c/tone dans la forme normale indictione; le groupe £a£one d'Espagne suppose que le texte du rédacteur portait la forme inditione.

Cette forme inditione, sans C, serait parfaitement admissible méme si elle n'était pas attestée, mais elle est attestée par deux inscriptions d'Italie du Sud, l'une du quatriéme siècle (ILCV 3119), l'autre du sixième (πον 4302), ainsi que par une inscription de Carthage (ILCv 2652), également du sixième siècle.

148

Apres le premier siecle de notre ere Voici donc un nouveau pas franchi: c’est ἃ partir d’un texte portant, non pas

indictione, mais inditione, que nous devons chercher notre explication dans l'écriture commune du sixiéme siécle. Nous

poserons

données du probléme:

alors

la concordance

suivante

qui

change

complétement

les

INDITIONE DVCTIAIONE L'égalité dans le nombre des lettres, qui était due à un hasard fallacieux, est détruite; les correspondances entre les lettres sont changées, et un vide s'est créé avant inditione: non seulement nous avons un blanc au-dessus du D de ductiaione, mais encore l’Z

initial de inditione. est insuffisant pour expliquer l'V de ductiaione. Cet V s'explique parfaitement par deux 7 courts. L’‘ordinator’ a pris le groupe # pour un V, ce qui est très facile dans l'écriture commune contemporaine. Nous avons vu que cette méme faute a été commise par l''ordinator' de l'inscription de Badajoz citée plus haut (cf. $ 197), mais en sens inverse: l''ordinator' de Badajoz a pris un V pour ii. Comme l'écriture du sixième siècle ne séparait pas les mots, il y avait un I court immédiatement avant inditione, et cet I court terminait le mot qui, dans le texte du rédacteur, précédait inditione. Nous avons alors la concordance suivante:

IINDITIONE DVCTIAIONE Reste, pour combler le vide, à expliquer le D. On ne peut pas lui trouver d'explication si on le maintient isolé de la lettre qui le précéde. Mais il s'explique parfai-

tement si, tenant compte de ce qu'un A le précéde sur la pierre (et cet A est bien lu puisque il appartient à 154), on associe cet A à la lettre L dans une ligature: la ligature

al est la seule qui, dans l'écriture du sixiéme siécle, puisse étre prise pourd aZ, et la confusion est trés facile

AI,

AD

La différence de tracé est imperceptible entre les ligatures ad et al, quand le D est droit, et non oblique, dans l'écriture commune du sixiéme siécle. Cette différence imperceptible consiste en ce que le dernier trait du D tombe verticalement sur la

ligne alors que le trait de L se recourbe légérement vers la droite, détail qui passe trés facilement inaperçu. Pour le reste, il n'y a absolument aucune différence de tracé: dans le groupe al, la seconde courbe de 1' 4 n'assume pas d'autre fonction que la sienne propre; dans la ligature ad au contraire, cette deuxiéme courbe assume, outre sa propre

fonction, celle de courbe initiale de D, mais l'aspect des deux groupes al et ad est le méme. Dans un texte d'Isidore de Séville (Et. xv, 16, 2), la méme confusion au cours de la copie des manuscrits justifie paléographiquement la correction mille alium pour mille adium, correction proposée par M. Vallejo contre celle de Lindsay (mille ad eum). On verra dans EL, n.° 65, un texte en écriture commune du sixième siècle où on lit,

La nouvelle écriture romaine

149

à la ligne 5 adsurgit, et, deux lignes plus haut, saluti: si salut: n'était pas un mot si

courant, il serait facile de se tromper et de lire saduts. Dans le texte en écriture commune soumis à ‘l'ordinator’ de notre inscription d'Alcalá de Guadaira, avant 1] qui terminait le mot précédant inditione, il y avait

les lettres a], et l''ordinator' les a prises pour ad: le mot qui précédait inditione se terminait

par

ak;

comme,

avant,

il y a, sur la pierre,

:sd, il faut nécessairement

admettre que le rédacteur avait écrit ispali en toutes lettres, et comme l'4 porte sur la pierre un tilde abréviatif, il faut tout aussi nécessairement admettre que ce tilde est de trop, et n'est qu'une faute de plus à mettre au compte de l''ordinator', trompé par sa propre lecture qui lui a masqué aussi bien // que inditione. Nous tenons là toute la clef du probléme. De même qu'il a été arbitraire de couper ductiaione en deux, en fonction du sens qu'on voulait à toute force lui attribuer, de même il a été arbitraire d'isoler ductiaione des signes antérieurs. L'écriture commune du sixième siècle ne séparant pas les mots, les fautes peuvent chevaucher d'un mot à l'autre. Ce que nous avons à expliquer,

ce n'est pas ductiaione, c'est ispäductiaione: nous l'expliquerons en suivant maintenant le sens de la lecture de la gauche vers la droite, à partir d'un texte en écriture commune du sixième siècle portant tout d'un bloc: :spaltinditione. Nous composerons les mots ispali inditione avec les formes suivantes qui toutes sont absolument

courantes dans l'écriture commune

pela

ποι

du sixiéme siécle:

τέ

L’‘ordinator’ est arrivé, sans faire de fautes, jusqu'à incibitateisp... mais là, il fait une faute trés facile, prenant la ligature αἱ qui suit 152 pour une ligature ad, et il perd pied. Tous les paléographes connaissent le désarroi que peut entrainer une seule faute: on n'est plus guidé par le sens, mais par le souci d'assembler des lettres en des syllabes

vaguement vraisemblables. Les deux I courts, qui suivent αἱ pris pour ad, paraissent trés facilement un V, et cela fait du. En latin, du appelle facilement C: il suffira que

I'N qui suit ne soit pas bien formé, et que la courbe ne retombe pas exactement sur la ligne, pour que notre ‘ordinator’ lise duc. A son tour, duc appelle facilement T: rien comme le D oblique, courant au sixiéme siécle, ne ressemble à un T dont le trait

supérieur serait fortement incliné vers le bas et la droite ainsi qu'il arrive souvent dans l'écriture de la méme époque

m et notre 'ordinator' lit duct. Il ne peut pas ne pas lire correctement 1] qui suit. Puis il lit aione au lieu de fione comme l''ordinator' d'El Djem, ce qui fait spaductiatone. En résumé, l''ordinator' a eu sous les yeuxle texte ...ispali inditione... ainsi écrit

Y pela soon et il a épelé: ISPADVCTIAIONE Un déraillement facile sur la ligature αἱ l'a précipité dans une succession de lec-

150

|

|

Après le premier siècle de notre ère

tures fautives dont le résultat ductiaione, étant inintelligible, enlevait toute signifi-

cation au numéro de l'indiction qui suivait, et notre homme renonga à l'écrire, laissant un blanc sur la pierre à la fin de sa copie en écriture monumentale. Mais ce déraillement devait engendrer encore une autre malfaçon: l''ordinator' voulut amender son texte; il l'empira. Dans le groupe ispaductiaione, seul ispa pouvait avoir un sens, méme . sans À, qui était masqué, en méme temps que indichione, par ductiaione. Notre ‘ordinator', trompé par sa propre lecture et accusant le rédacteur, ce qui est trés humain, crut que /í manquait, et, pour compléter 1spa en ispal:, il pensa faire une heureuse correction en ajoutant un tilde abréviatif au-dessus de 1' A de spa. Cette nouvelle faute allait encore compliquer la táche des infortunés érudits qui se méleraient un jour d'interpréter l'inscription d'Alcalá de Guadaira. Quand ils s'y employérent, à partir du dix-septiéme siécle, ils résolurent, comme il était naturel, l'abréviation ispa en 1spa(li) ou ispa(lensi), ce qui les laissa, à leur tour, devant un groupe ductiatone, inexplicable et insoluble seul, qu'ils voulurent à toute force interpréter, mais en lui prétant un sens. L'épigraphie moderne en tira, comme un prestidigitateur d'un chapeau, un duc, un lieu, une femme. C'est le duc qui a eu la plus grande fortune: la Historia de España du vingtième siécle nous montre, comme on l'a vu, le duc Aion pourvu du commandement des troupes chargées par Léovigilde de réprimer le soulévement catholique de Séville. Aucun doute ne me parait pouvoir subsister: déjà, avant toute espéce de recherche sur des fautes possibles de copie, les caractères externes et internes se conciliaient : pour commander ou pour autoriser, à la fin du texte, la mention d'une indiction complétant la date de l'édifice dont l'inscription surmontait autrefois la porte. Et

voici que des méprises de l''ordinator' sur un texte portant l'indiction se revélent non seulement possibles, mais faciles, aussi faciles à commettre que leur imbroglio est difficile à démonter aujourd'hui: une seule faute sur la ligature al de ısbali a suffi à en déclencher cinq autres aprés elle, et, en outre, à provoquer l'inachévement de l''ordinatio'. Au surplus, cette explication est unique: si quelques autres hypothéses d'erreurs de copie peuvent étre proposées pour telle ou telle faute particuliére de l''ordinator', elles rendent impossible l'explication des erreurs voisines. Seul le texte

..ispali inditione..., permettant d'établir un système dont toutes les parties se sou-

tiennent, rend compte pleinement de l'ensemble. Notre recherche nous a conduit aux résultats suivants:

19

I/inscription d'Alcalá de Guadaira

doit être interprétée comme

il suit:

(chrismon) in nomine Domini. Anno feliciter secundo regni domini nostri Ermenegildi regis quem persequitur genetor sus dominus Liuuigildus rex in cibilate Ispali, inditione (tanta). Des recherches ultérieures, sur la chronologie des événements auxquels fait allusion ce texte, préciseront peut-être si l'on peut remplacer fanta par tertia decima ou par quarta decima ou par quinta decima qui auraient correspondu à la longueur du blanc ménagé a la fin de la dernière ligne, et dateraient l'inscription de 580, de 581 ou de 582, ce qui coincide également avec les données fournies par Juan de Biclara et par Grégoire de Tours sur 1a rébellion d'Herménégilde. 29 La transcription des signes gravés sur la pierre à la fin de l'inscription doit

se faire de la manière suivante: ...in cibitate ispaductiaione [............ ]. La transcription 1spa duci: aione en trois mots, généralement admise par les épigraphistes, est à exclure, tout aussi bien que les transcriptions duit atone, ducti alone et ductia ione. 3° Herménégilde n'a pas été conduit à un lieu dit «Aione» ou «Alone» qui n'existe pas, ni mis en prison à Séville, au moins à la date de l'inscription. Léovigilde n'avait pas davantage placé à la téte de ses troupes un duc Aion qui est à rayer de l'histoire

d'Espagne.

La nouvelle écriture romaine

j

151

49 Nous nous trouvons en possesion d'un nouveau texte épigraphique d'Espagne daté par l'indiction, ce qui est rare. En l'espéce, le cas se présente dans des conditions trés particuléres qui méritent d'étre notées. Normalement, nous devrions trouver,

à la fin d'une inscription d'Alcalá de Guadaira du sixiéme siécle, non pas la mention de l'indiction, mais celle de l'ére, comme dans les autres inscriptions espagnoles oü des dates analogues sont constituées comme il suit: anno secundo pontificatus Pimeni,

era DCLXVIII (Medina Sidonia 630, ICERV 304); .. .anno sexto decimo domni Pimeni episcopi, aera DCOLXX XIII (Vejer de la Frontera 644, ICERV 305); ...anno XX XIII

domni Pimeni pontificis, era DCC (Alcalá de los Gazules 662, ICERV 309); ...anno tertio decimo et tertio regno domnorum Egicani et Witizani regum, era DCCXXX VII (Madrid 700, ICERV 370); ...anno VIII gloriosissimi domini Reccaredi regis, era DCXXXII (Grenade 594, ICERV 303); ...anno... domini nostri gloriosissimi Withirics

regis, era DCXV (Grenade 607, ICERV ibid.). Une seule date d'Espagne est constituée comme celle d'Alcalá de Guadaira, et elle appartient à une inscription de Carthagéne de 589/590: c'est une date impériale,

anno VIII Aug(usti Maurici), indictione VIII (πον 792, ICERV 362). En dehors de ce cas, quelques inscriptions sépulcrales portent l'indiction, l'une, de Mérida, l'autre, de la région de Cadix; elles sont rédigées en grec; deux autres sont des Baléares, alors .-au pouvoir des Byzantins. Deux autres enfin, l'une conservée à Tolède, mais de provenance inconnue, l'autre de Cabra, portent à la fois l'ére et l'indiction, formant une sorte de frontiére entre les deux systémes. L'inscription d'Alcalá de Guadaira nous conduit, étant donné les circonstances politiques dans lesquelles elle a été rédigée, à une vue encore plus nette qui attribue à une influence byzantine l'emploi de l'indiction au lieu de l'ére. L'*ordinator' loca] n'était pas familiarisé avec l'indiction utilisée dans le texte qu'il avait regu, ce qui explique peut-être, non pas ses fautes, puisqu'il a déraillé avant inditione, mais son incapacité à corriger isbaductiaione et à terminer sa tâche. Quant au rédacteur du texte, il était étranger à la région; comme, d'une part, il avait daté à la maniére romaine, et que, d'autre part, Herménégilde avait conclu une alliance avec les Byzan-

tins de Carthagéne, l'inscription du Musée de Séville nous apparait comme fournissant, de cette alliance, une trace trés indirecte mais d'autant plus précieuse, jusqu'ici insoupçonnée et inespérée. Elle recoupe, sur un point de plus, ce que Grégoire de Tours nous apprend concernant la rébellion du fils de Léovigilde en insistant, chaque fois qu'il en parle, sur l'alliance byzantine. 5° Du point de vue paléographique qui nous occupe spécialement ici, mais qu'il était impossible d'isoler, la reconstitution qu'on a faite plus haut nous livre la structure d'un élément d'écriture commune qui doit être limité à aliindit, partie de ispaliinditione où l'ordinator' a commis des fautes, et où, de ce fait méme, la reconstitution graphique acquiert une précision suffisante.

upoıw C'est un élément d'écriture commune du sixiéme siécle qui, par exception, et pour les raisons qu'on a données plus haut, ne peut être localisé à la région où a été trouvée l'inscription puisqu'il apparait que le texte a été rédigé par un étranger. Mais ce qu'il faut retenir, c'est que l'*ordinator' local a fait ses confusions à l'intérieur, en quelque sorte, de cette méme écriture à laquelle il était habitué.

152

Apres le premier siécle de notre ére

Les ductiaione, les requisita, les reguiescat et toutes les bourdes analogues portées par les inscriptions sont à rechercher, à collectionner, à classer et à étudier pour la

connaissance de l'écriture commune en Occident. Elles peuvent nous renseigner avec une précision géographique et chronologique que ne possédent presque jamais les rares monuments écrits à l'encre qui ont survécu à une époque antérieure au huitiéme siécle.

c. — LES SURVIVANCES DE LA CAPITALE ET LE PROBLEME DE IA «CAPITALE ELEGANTE» 228. — Les bibliothèques de l'Europe ont conservé un certain nombre de 'codices’ de parchemin que la paléographie a connus dés sa naissance au dix-septiéme siécle, dont les plus anciens remontent au quatriéme siécle, et qui sont écrits dans une capitale que tous les érudits qualifient encore de nos jours de «rustique». On peut prendre comme type de ces manuscrits le Virgile 'Vaticanus' (CLA II). On groupera autour de lui des exemples des quatriéme et cinquiéme siécles comme le Virgile

*Romanus' (CLA 19), le Lucain de Naples (CLA 392, cf. pl. XXXII

2), le Terence

*Bembinus' (CLA 12), un Cicéron du Vatican (CLA 115), etc. 229. — Les trouvailles papyrologiques ont fourni, à l'époque moderne, des exemples plus anciens de la méme écriture, mais sur papyrus, comme le Salluste de

la John Rylands Library de Manchester (P. Ryl. 473), le *Palaemon de Grammatica’ de Londres (EL 39), le recensement de Florence (pl. V 2), qui est du premier siécle ($ 11). Enfin, les papyrus

bien

reproduits

latins d'Herculanum eux-mémes,

(pl. IV 3), s'avérent

eux

aussi

comme

depuis qu'ils sont

éxécutés dans la méme

écriture. On a reporté sur tous ces exemples, les plus récemment connus, mais les plus anciens, le qualificatif de «rustique» qui avait été forgé pour des exemples du quatrième et du cinquième siècle, comme le 'Vaticanus', le *Romanus' etc., plus récents, mais plus anciennement connus. 230. — Les uns comme les autres sont écrits suivant les mémes principes qui sont ceux de la capitale classique que nous avons identifiée au premier siécle, et, notamment, suivant le méme angle ($ 12). Le ‘Palaemon’ de Londres, le Salluste de Manchester, comme le Virgile ‘Vaticanus’, le Virgile ‘Romanus’, le Lucain de Naples, le Terence ‘Bembinus’, le Cicéron du Vatican représentent simplement la survivance, au-delà du premier siécle, et à travers les deuxiéme, troisiéme, quatriéme et cinquiéme siécles, de la capitale classique, écriture déjà exceptionnelle au premier siécle et qui continuera d'étre employée comme telle, aux siécles suivants, pour copier, soit des textes entiers qu'on voulait présenter avec luxe, soit des parties de textes auxquelles

on voulait donner. un relief particulier. Mais pourquoi attribuer à cette écriture, comme tout le monde le fait encore, qu'il s'agisse des papyrus d’Herculanum, qui sont du premier siècle, ou du Virgile *Romanus', qui est du cinquième, le qualificatif, qui nous parait maintenant si bizarre, de «rustique»?

231. — C'est que ce qualificatif a été créé pour la capitale du ‘Romanus’, du 'Vaticanus' etc., à une époque où ces 'codices' du quatrième siècle et du cinquième siécle étaient les plus anciens exemples connus de cette écriture exécutée à l'encre.

Ce qualificatif a été alors attribué à ces exemples par opposition à d'autres capitales également du quatriéme et du cinquiéme siécle que l'on connaissait aussi, mais que

La nouvelle écriture romaine

153

l’on trouvait plus belles, plus parfaites, plus soignées, plus proches de l'écriture monumentale des «nscriptionss, et qui, pour ces raisons, reçurent le nom d'«élégantess,

La paléographie distingua dés lors deux capitales, une capitale «élégante», appelée aussi quelquefois «carrée», qu'on cite toujours la premiére, et une capitale «rustique». Cette division et cet ordre de succession ont persisté jusqu'à nos jours dans tous

les manuels et traités de paléographie. La méme division subsiste dans le CLA de M. Lowe. C'est l'héritage d'une paléographie qui ne connaissait aucun écrit à l'encre antérieurement au quatriéme siécle.

monument

232. — Le plus anciennement connu des manuscrits dits en «capitale élégante» a exercé une fascination extraordinaire sur les paléographes. Il s'agit d'un manuscrit de Virgile (pl. XXII X 3). Sa conservation nous est attestée au quinzième siècle à

l'abbaye de Saint Denis en France. Au seiziéme siécle, plusieurs de ses feuillets on été maniés comme des joyaux par les humanistes. Fulvio Orsini en regut deux de Dupuy en 1574, puis deux autres l'année suivante. Ces quatre feuillets (des Géorgiques) ont fini par échouer à la Bibliothéque Vaticane. Un autre feuillet (de l'Enéide), aujourd'hui perdu, a appartenu à Pierre Pithou, mort en 1596, et se trouvait au dix-septiéme siécle dans la collection Rosanbo oà Mabillon le vit. Trois autres (des Géorgiques) apparurent en 1862 dans la vente Van Limborch à La Haye, et furent achetés pour la Bibliothéque de Berlin. Pertz prétendit alors que ce manuscrit avait été l'exemplaire destiné à l'empereur Auguste, et, de cette opinion, lui est resté le sobriquet d''Augusteus', sous lequel il est aujourd'hui universellement connu.

On en a bien rabattu depuis, et en 1872, Walter de Gray Birch datait l''Augusteus' du sixième siècle. Il n'est pas sûr qu'il n'ait pas eu raison contre les éditeurs plus récents qui le datent du quatriéme en s'accordant unanimement à ne jamais le remonter,

cependant,

plus haut

que cette époque.

Malgré

cette attribution

à une

date basse, un préjugé d'antiquité est resté si fortement attaché à l'écriture de ce . manuscrit qu'on n'a pas cessé, pour autant, de penser que, si l'exemple était tardif,

l'écriture représentait un type bien antérieur au quatriéme siécle, qu'il fallait voir dans cette capitale élégante l'un des deux types d'une ancienne «ibraria», le plus ancien méme, et le plus fondamental des deux, cité toujours avant l'autre type auquel on garde le nom de «rustique» qu'on lui avait donné par opposition avec la dite élégante. Schiaparelli a fixé en 1921 une doctrine qui est encore admise par tous: «On n'a pas

publié jusqu'à présent de papyrus ni de parchemin antérieur au quatriéme siécle qui soit en écriture capitale élégante: cependant nous pouvons retenir que ce genre d'écriture a été employé longtemps auparavant.» Et plus loin: «La capitale des plus anciens *codices' de parchemin (quatriéme, cinquiéme siécles) est la continuation de l'usage de la capitale libraria de la période précédente sous ses formes élégante et rustique.» Nous avons vu ce qu'il faut penser de l'idée d'une dibrarias capitale (δὲ 88-89). Voyons maintenant ce qu'on peut penser de la prétendue catégorie «capitale élégante» ou «carrée», et de son opposition avec la capitale prétendue «rustique».

L''Augusteus' nous montre cette prétendue capitale élégante dans un manuscrit de grand luxe oü le parchemin n'a pas été épargné, des folios de 425 millimétres de hauteur sur 325, ne contenant qu'une vingtaine de vers. L’ecriture sont plus séparés par des points, est d'un module uniforme de 9. seuls les L et les F dépassent légérement en haut; la largeur des lettres elle atteint, dans l'O, 8 millimètres. Cette écriture est trés lourde.

où les mots ne millimètres, où est trés grande; Les traits hori-

zontaux sont extrémement maigres (voir par exemple H T L); mais si les traits verticaux sont généralement gras, il s'en faut que ce soit d'une maniére constante: c'est ainsi que le trait 1 de R et les traits 1 et 3 de

M sont trés maigres. Quant aux traits

154

Apres le premier siécle de notre ére

courbes, obliques et sinueux, il s'en faut que leurs graisses soient en rapport constant

avec leur orientation: le trait 1 de A est trés maigre alors que le trait oblique de Z, orienté de la méme maniére, est trés gras; le trait I, sinueux, de S, est trés gras quand il passe trés prés de l'horizontale; le trait 2 de N est baucoup plus gros que ne le comporte son orientation.

Tout se passe donc comme si la capitale de l''Augusteus' était écrite «sur papier

incliné» c'est-à-dire selon un angle ouvert (cf. $ 10), mais comme si, pour tracer certains traits de certaines lettres, on avait eu soin de modifier artificiellement les effets naturels et automatiques de la position de l'instrument par rapport à la matiére subjective. Cette écriture est tellement artificielle qu'on en arrive à se demander méme si c'est bien une écriture: il semble que les lettres de l'alphabet aient été comme dessinées chacune à part soi sans autre régle que des préoccupations esthétiques, et comme si chacune d'elles avait été transportée l'une aprés l'autre sur le parchemin pour composer le texte de Virgile. Quant aux ductus, on notera que les lettres se décomposent sensiblement de la méme maniére que dans la capitale classique, mais que l'extréme minceur des traits horizontaux est allée jusqu'à la disparition presque totale en ce qui concerne notamment le B et le D, oü, les traits 2 étant dans certains cas presque imperceptibles,

les ductus de ces lettres se sont rapprochés de ceux indiqués par les paléographes

jusques à et y compris Battelli en 1939 ($ 8); en tout cas, les formes de la capitale de l''Augusteus' se prêtent trés facilement à l'erreur d'interprétation que nous avons vu commettre au sujet des ductus du B et du D. Ce serait une erreur de plus à mettre au compte de l'importance qu'a gardée, envers et contre tout, l'écriture de l''Augusteus' dans l'oeil et dans la mémoire des paléographes, qui le donnent couramment aux premiéres planches de leurs recueils ou de leurs manuels. Il s'agit donc d'une calligraphie fondamentalement étrangére au systéme classique

du premier siècle que nous avons étudié aux paragraphes 11 à 89, dans la capitale et dans l'écriture commune. Non seulement elle ne se conforme pas aux régles de.ce systeme classique et, notamment, à la pratique de l'angle d'écriture aigu (cf. $ 12), mais encore elle ne se conforme à aucune régle autre que celle de plaire aux yeux. Le

texte de Virgile n'est pas écrit par un scribe, il est comme exécuté d'un bout à l'autre par un dessinateur de lettres. 233. — Les paléographes s'accordent également, en le datant du quatriéme siécle, à remonter jusqu'aux limites du possible un autre Virgile qu'ils ont associé à l''Augusteus' dans la prétendue catégorie de la capitale élégante; il est conservé à Saint Gall et a appartenu à l'abbaye célébre de ce lieu (Er, 44). Dans le 'Sangallensis' comme dans l'Augusteus', pas de points pour séparer les mots; un module aussi uniforme,

sauf dépassement en haut, de F et de L; rien que des différences de détail entre les formes, la plus importante de ces différences étant la présence de la traverse de 1'A dans le 'Sangallensis' et son absence dans l''Augusteus'; le contraste entre les graisses qui, pas plus dans le 'Sangallensis' que dans l'Augusteus', ne se fait selon l'angle aigu classique, est un peu plus constant, mais pas absolument, selon un angle ouvert. Ceci dit, l'effet, à l'oeil, est trés différent; c'est que nous nous trouvons encore en présence d'une composition qui est comme dessinée, et le dessin de son alphabet est

très différent de celui de l''Augusteus'.

234. — Quand Schiaparelli écrivit son traité en 1921, Traube avait cru pouvoir, dans ses leçons, parues en 1909, donner plus de consistance à la capitale élégante

et doubler le nombre des exemples en joignant à l''Augusteus' et au 'Sangallensis'

:

La nouvelle écriture romaine

155

deux manuscrits palimpsestes dont un Virgile écrit probablement en Gaule au cinquiéme siécle, conservé à Vérone (pl. XXX 3), et un Lucain de Naples que les paléo-

graphes croient avoir été écrit en Italie au quatriéme siécle (pl.

X X XII 2). Schiaparelli

révisa la liste de Traube et rejeta dans la capitale dite rustique le Lucain de Naples, mais ajouta, en revanche, un fragment de parchemin, débris trouvé en Egypte d'un

manuscrit de Virgile publié pour la premiére fois en 1910 (P. Ox. 1098). On y voit quelques trongons de vers écrits en capitale, non pas selon l'angle aigu classique, mais selon un angle ouvert. Son livre imprimé, Schiaparelli eut un repentir, qu'il nota dans ses «additions et corrections, concernant le Virgile de Vérone: cet exemple lui paraissait, maintenant, plutôt en capitale rustique, et il l'expulsa, comme le Lucain, de la «capitale élégante», reduisant ainsi à néant les additions de Traube. L''Augusteus', le 'Sangallensis' et le fragment d'Oxyrhynchus restent seuls, aux yeux de Schiaparelli, les trois exemples que le quatriéme siécle aurait laissés d'une écriture bien antérieure, la «capitale élégante», qui aurait été utilisée dés l'époque classique, concurremment avec la «capitale rustique», pour copier des livres. Dans son texte, Schiaparelli constate aprés tous ses prédecesseurs, qu'aucun exemple de «capitale élégante» ne nous est parvenu qui soit antérieur au quatriéme siécle. Mais sa conviction, concernant l'antiquité reculée de cette écriture, est si forte qu'elle le pousse ' pourtant à prétendre, à la note 1 de sa page 107, qu'il en existe parmi les papyrus

d'Herculanum, qui, comme on l’a vu, étaient, encore en 1921, fort mal publiés. Il ne donne pas de référence, et pour cause: tout le monde peut constater maintenant, par les photographies qu'a publiées M. Lowe en 1938 (cLA 385-387) que les papyrus d'Herculanum sont en cette capitale que les paléographes qualifient de rustique et

que nous appelons ici classique.

.235. —- Les adjonctions de Traube et les hésitations de Schiaparelli dans le choix des manuscrits en capitale élégante s'expliquent trés bien par ce fait que ni l'un ni l'autre de ces auteurs n'avait congu clairement un critére permettant de distinguer leur capitale élégante ou carrée de la capitale qu'ils nomment rustique. Il suffit de

jeter un coup d'oeil sur le Lucain de Naples (CLA 392) pour voir ce qui a pu guider

l'opinion de Traube; les lettres, de trés grand module, sont trés larges, et leurs proportions sont sensiblement carrées, ce qui est aussi le cas dans l''Augusteus'. Ceci dit, ce Lucain est écrit selon l'angle aigu classique, et Schiaparelli a eu parfaitement raison de le rejeter hors des capitales élégantes, obeissant inconscienmment à un critére qu'il n'avait pas dégagé. En ce qui concerne le Virgile de Vérone (CLA 498), l'opinion de Traube, qui, pour le Lucain, avait été guidée par les proportions, a trés bien pu, cette fois, étre déjà influencée, tout aussi inconsciemment que dans le cas de Schiaparelli pour le Lucain, par ce méme critére de l'angle: bien que les traits obliques y soient trés gras, bien que les traits verticaux soient le plus souvent assez maigres, la place des graisses n'est pas constante, et il y a des traits verticaux qui sont d'une épaisseur inaccoutumée (par exemple dans 1' E et le T). On comprend comment Schiaparelli a pu

d'abord adopter l'opinion de Traube. En revenant plus loin sur ce cas, nous étudierons si son changement d'avis a été justifié. On pourrait donner d'autres exemples de cette incertitude et de ce flottement dans la répartition des manuscrits en capitale entre les deux catégories traditionnellement admises par la paléographie: on nous dit par exemple que le moyen de reconnaitre un manuscrit en «capitale élégante» d'un manuscrit en «capitale rustique» est de relever si l'À a une «traverse» ou s'il n'en a pas; l'A

de la capitale élégante aurait une traverse, et 1’A de la capitale rustique n'en aurait

pas. Or, c'est vrai pour le 'Sangallensis' qu'on range avec l''Augusteus' dans la «capitale élégante», mais c'est faux pour l''Augusteus', et nous avons vu (8$ 42) que les A du

156

Apres le premier siécle de notre ére

*Carmen de Bello Actiaco’, qui est dans une capitale que tout le monde voudrait s'accorder à reconnaitre maintenant comme «rustique», ont cette traverse. C'est méme peut-étre à ce cas que Schiaparelli pensait quand il avangait, comme nous l'avons vu, dans une note, qu'il y avait des exemples de capitale élégante parmi les papyrus d'Herculanum. M. Lowe, a propos d'un manuscrit de trés basse époque (pl. XXII X 5) dont nous reparlerons, ne sait pas s'il doit le placer dans l'une ou l'autre catégorie;

il le qualifie simplement, pour une fois, de «capitale», sans adjectif: il explique dans son commentaire que cette capitale «carrée» (c'est le terme qu'il choisit d'autre part pour l’‘Augusteus”) ne se conforme pas strictement à sa classe, et comporte quelques lettres qui sont «rustiques». M. Lowe, d'ordinaire si précis, ne nous dit pas de quelles lettres il s'agit, et on voit bien se traduire encore par là son embarras.

236. — Encore qu'il soit assez étonnant qu'on en trouve mention pour la premiére fois dans des livres de seconde main, le critére de l'angle semble avoir fait son apparition dans deux ouvrages allemands de cette sorte parus en 1928, dus l'un à Hurm,

l'autre à Delitsch (cf. explic. pl.

X X XII 2). Je ne crois pas que la remarque ait trouvé

un écho dans les traités de paléographie qui ont été composés ensuite. M. Battelli, qui ne semble pas s'inspirer de Hurm ni de Delitsch, parait cependant avoir quelque peu soupconné le critére de l'angle si l'on prend garde à son schéma de la page 51 de

ses «Lecons» de 1939. Moi-méme j'ignorais les livres de Hurm et de Delitsch quand je formulais le critére de l'angle dans Delitsch mentionnent-ils le critére en capitale et comme un simple moyen aucune autre conséquence tendant à Or, comme on va le voir bientót, les

la remarque dans le cadre

mes Observations de 1939. Aussi bien Hurm et passant, ne l'appliquant strictement qu'à la pédagogique de classification, sans en tirer ébranler le systéme de division traditionnel. conséquences sont importantes si l'on replace

des observations qu'on a lues au cours des précédents

chapitres sur l'évolution d'ensemble des écritures latines. 237. — Il convient d'abord de noter que le critére de l'angle ne saurait diviser les capitales de la maniére suivante: d'un cóté, des capitales qu'on dit «elegantes» écrites régulièrement «sur papier incliné» selon un angle ouvert; de l'autre, des capitales qu'on dit «rustiques» écrites réguliérement selon un angle aigu. Ce qui existe, ce sont, d'abord, des capitales écrites reguliérement selon un angle aigu, qui constituent le groupe homogene de la capitale classique si malencontreusement qualifié de rustique, et, ensuite, des capitales irréguliéres et trés anarchiques. Si en effet, on considére les trois exemples retenus par Schiaparelli trés justement comme n'appartenant pas à la capitale classique qu'il appelle, comme tout le monde, «rustique», trois exemples dont, en revanche, il veut constituer, également comme tout

le monde, une catégorie qu'il appelle capitale élégante, c'est à savoir les Virgiles cités

qui sont celui d'Oxyrhynchus (vraisemblablement le plus ancien), celui qui est dit 'Augusteus', et le 'Sangallensis', on s’apergoit que ces exemples sont extrémement différents les uns des autres et qu'il n'y a aucune homogénéité entre eux. Ils sont unis par un caractére négatif, qui est de déroger aux régles de la capitale classique, et ils y dérogent trés différemment les uns et les autres, d'une maniére qui n'est méme

pas constante, comme on l'a vu à propos de l''Augusteus', à l'intérieur d'un méme exemple. Ce sont des capitales hétérodoxes et variées. 238. — Dés l'instant que ce critére apparait nettement, beaucoup d'exemples, autres que les trois cas cités par Schiaparelli, méritent d'étre signalés: il suffit qu'une capitale ne soit pas écrite dans toutes ses lettres et dans tous ses traits, à un degré

La nouvelle écriture romaine

157

quelconque, selon l'angle constant et immuable de la capitale classique, pour qu'elle doive étre considerée comme hétérodoxe. On citera par exemple un Juvénal du Vatican (CLA 30), que M. Lowe date du début du sixiéme siécle et qualifie de rustique, un évangéliaire de Paris (EL 45) qu'on date du huitiéme siécle, les parties capitales d'un Sedulius de Turin (CLA 447) qu'on date du septiéme siécle, ainsi que ce psautier du huitième siècle (pl. XXII X 5) auquel nous avons fait allusion plus haut ($ 235), que M. Lowe hésite à ranger dans l'une ou l'autre catégorie, rustique ou élégante, et qui, de ce fait méme, dait étre rejeté hors de la capitale classique, comme suffit d'ailleurs à le conseiller, dés le premier aspect, sa calligraphie recherchée, alambiquée et décorative. Il n'est pas jusqu'au Virgile de Vérone (pl. XXX 3) qui ne soit à signaler: on s'explique maintenant trés bien pourquoi Traube avait senti qu'il avait quelque chose de différent de la prétendue «rustique», quelques uns de ses traits verticaux étant trés gras et lui donnant une couleur trés particuliére. Tous ces exemples sont à citer au méme titre que l''Augusteus', le 'Sangallensis' et l'Oxyrhynchus, non pas pour en constituer une catégorie de capitale, mais pour y montrer une série de variétés de fantaisie. Sont à y joindre les capitales de tout calibre et de tout dessin qui occupent les lignes de titre dans les manuscrits du Moyen Age. Le plus ancien exemple daté de ces capitales est probablement le ‘Feriale’ de Doura-Europos qui est de la première moitié du troisiéme siécle (cf. $ 143 et pl. XVII 4). 239. — Les régles auxquelles dérogent ces capitales sont celles-là méme qui, jusqu'au premier siécle inclusivement, au moins, étaient pratiquées avec une telle constance et une telle immuabilité qu'elles expliquent les formes mémes de l'écriture commune telles qu'on les voit au premier siécle, et qu'elles les expliquent à partir d'un type plus ancien d'écriture commune dont la capitale classique n'est que l'agrandissement, toujours selon le méme angle d'écriture. Il est donc naturel de penser

qu'on a écrit à l'encre des capitales non-classiques seulement quand ces régles ont été abandonnées, c'est-à-dire au plus tót à partir du deuxiéme siécle, époque oü la position du calame par rapport à la matiére subjective a changé. 240. — Il n'y a pas deux capitales, une élégante et une rustique. Il y a une capitale régulière, classique (catégorie où rentrent la plupart des exemples que les paléographes ont qualifiés de rustiques), et, d'autre part, à partir du deuxiéme siécle au plus tót, des dérogations aux régles de cette capitale classique, dérogations qui peuvent varier à l'infini entre elles, selon les caprices et le goüt des calligraphes comme des 'ordinatores' d'inscriptions, de méme qu elles varieront plus tard selon les préoccupations esthétiques des créateurs et dessinateurs de caractéres d'imprimerie.

CONCLUSIONS Pour une paléographie greco-latine La paléographie latine a été dominée jusqu'ici par un grand principe, si souvent proclamé et si universellement reconnu qu'on ne prend méme plus toujours la peine de l'énoncer explicitement, tant c'est une «chose sue». Ce principe fondamental veut que les «différentes écritures latines» aient toutes leur «source» dans la «capitale». Il y a là un slogan: on nous l'a tant répété que nous l'avons tous répété à notre tour, '

sans garder la force de refléchir ni à la signification de ses deux termes ni au lien qu'on prétendait établir entre eux. On oubliait que ce principe nous a été légué par une époque oü la paléographie ne connaissait, en fait de «différentes écritures latines,

que celles du cinquiéme siécle de notre ére et des siécles suivants, et on continuait à faire défiler devant nous ces prétendus dérivés de Ja capitale dans un ordre à peu prés fixe: immédiatement après la capitale, écriture mère, venait l'onciale; aprés l'onciale, passait la «semi-onciale» qu'un peu inquiets nous appelámes un jour aninuscule primitive», puis les «cursives»s; puis se bousculait tout le menu peuple des écritures «dites. nationales, horde assez confuse où l'on voulait discerner des groupes dont plusieurs avaient conservé des noms barbares auxquels on ne croyait plus. La capitale était représentée, en téte du défilé, par ses exemples de la méme basse époque parmi lesquels se détachait une capitale élégante ou carrée qui ouvrait majestueusement la marche, suivie de la capitale «rustique», puis de l'onciale, puis de la semionciale, puis des cursives etc... Le défilé étant ainsi réglé, on ne pouvait saisir concrétement aucun enchainement graphique entre les divers pelotons: on se contentait de les décrire scolairement les uns aprés les autres, tant bien que mal, et, dans beaucoup de cas, plutót mal que bien, car la constitution méme de plusieurs d'entre ces pelotons avait été faite sur des critéres peu clairs. Toutes ces difficultés ont paru évidentes depuis un certain

nombre d'années à plusieurs paléographes qui sont méme -tombés d'accord sur ce

point qu'il fallait ôter, de la tête du défilé, la capitale élégante: le premier rang revenait alors à l'autre capitale, dont le nom de rustique perdait du méme coup toute espéce de sens; cette capitale, classique, devenait la source des différentes écritures latines. Le slogan, par cette mise au point, semblait garder sa force. Méme avant tout examen des faits, ne voit-on pas que ce slogan contient, au moins dans ses termes, quelque chose d'absurde? Si une écriture est capitale, c'est-à-dire utilisée à titre spécial, exceptionnel, ne sent-on pas que, immobile et comme figée dans son emploi accidentel et solennel, elle ne saurait donner naissance à d'autres écritures? Si, par conséquent, la qualification d'écriture capitale a été

justement appliquée aux exemples latins οἱ on nous la montre, ces exemples ne sauraient en aucun cas être placés à l'origine et en tête des «différentes écritures latiness. Or, si on examine ces exemples oü, à partir du premier siécle, on peut maintenant reconnaítre, depuis les découvertes papyrologiques, la capitale, on voit que la

qualification se trouve parfaitement pertinente: l'écriture dont on veut parler est bel et bien capitale, en ce sens qu'elle sert pour des vedettes, pour des titres, et que, quand elle est utilisée pour le corps du texte, c'est qu'il s'agit, ou de livres de luxe, ou d'affiches, ou d'inscriptions, qui sont des copies parmi lesquelles les humbles

160

Conclusions

épitaphes, innombrables, gardent encore un caractére de solennité. La capitale est la fixation calligraphique, à un moment donné, d'une écriture vulgaire déterminée qui a continué sa carrière en dehors d'elle. L’histoire de la capitale n'est faite que de recherches calligraphiques, stériles par nature, et incapables de donner naissance à aucune autre écriture: il est donc en premier lieu impossible de tirer graphiquement, de la capitale, l'alphabet de l'onciale qu'on avait placée immédiatement aprés la capitale dans le défilé traditionnel; l'écriture onciale est elle-méme, tout comme la capitale, la fixation et l'arrangement calligraphique d'une écriture vulgaire; comme

la capitale, elle sert à des usages exceptionnels, accidentels, et n'évolue que sur un plan, trés superficiel, de changements calligraphiques purement extérieurs; pas plus que la capitale, elle ne donnera naissance, à son tour, à aucune autre écriture: il est. impossible d'en tirer graphiquement l'écriture des exemples qu'on a rangés sous la dénomination de semi-onciale ou minuscule primitive. Ce n'est pas à l'étage des calligraphies solennelles que se fait l'histoire graphique du latin. Ces calligraphies sont des témoins infiniment précieux, qu'il faut interroger, certes, avec le plus grand

soin, mais ne sont que des témoins. L'évolution de l'écriture latine ne se fait pas «de la capitale à la minuscule»; autrement dit, la capitale et la minuscule ne sont pas les deux termes de cette évolution qui ne peut se

faire qu'à partir d'une

écriture

vulgaire qui a été elle-méme à la source de la capitale. Il faut disperser un défilé traditionnel mal commencé, mal ordonné. Il faut méme rompre les rangs des pelotons qui le composent, et travailler sur une place vide, sur une table rase. S'il est évident que les transformations graphiques fondamentales du latin ne se sont pas faites à l'étage des calligraphies solennelles et apprétées, ce serait tomber dans une idée également fausse que de prétendre qu'elles se sont faites «dans les cursivesv. Car le terme de cursive ne saurait, on l'a vu, délimiter une ou plusieurs catégories d'écritures: il désigne une qualité graphique plus ou moins prononcée, possédée à des degrés variant à l'infini selon les divers exemples d'écritures essentiellement distinctes les unes des autres. Ayant fait table rase de catégories traditionnelles le plus souvent factices, mal formées et toujours mal enchainées entre elles, la paléographie doit chercher à déterminer des rapports graphiques précis, non plus entre des catégories abstraites fondées à priori, mais entre des exemples concrets, individuellement désignés, auxquels on ne s'empressera pas de donner des noms paléographiques peu utiles et qui risqueraient toujours de conduire à de nouvelles impasses. Nous devons déterminer tel rapport graphique entre le papyrus fant de telle collection et le papyrus tant de telle autre collection, entre l'inscription tant de tel musée ou de tel recueil, et le manuscrit (an? de telle bibliothèque, sans nous soucier de savoir comment leurs écritures ont été jusqu'ici classées et qualifiées, sans nous soucier non plus de les

baptiser de nouveau, autrement que «l'écriture du manuscrit /ani», ou «du papyrus tant», ou «de l'inscription fante. Dans cette recherche, la paléographie doit embrasser dans son ensemble la masse hétéroclite des monuments graphiques, sans jamais laisser fragmenter sa vision par des critéres tirés soit des caractéres externes, soit des caractéres internes. Des critéres

de ce genre ne sont pas nécessairement faux, mais le moins qu'on puisse dire de

ceux qui ont eu cours jusqu'ici est que leur n'ont pas été heureux pour l'avancement de Si nous considérons d'abord les critéres indique qu'ils ne sauraient correspondre que

importance a été trés exagérée et qu'ils la paléographie. empruntés aux caractéres internes, tout tout au plus à des spécialités calligra-

phiques et non, à proprement parler, à des catégories d'écritures. Le cas le plus important d'une division de cette sorte est sans doute celui qui nous est offert par

. Conclusions la grande

distinction qu'on

|

161

a voulu instaurer à priori entre les divress ou «textes

littéraires? d'une part, et les «documents» d'autre part. Cette distinction est trés boiteuse, car, si certaines écritures de livres paraissent n'avoir jamais été employées pour écrire des actes et des documents (sauf toutefois pour faire des copies à usage trés spécialement déterminé), le contraire n'est pas vrai, et de trés nombreux livres (selon toute vraisemblance l'immense majorité des exemplaires disparus et perdus

qui, en regard de ce qui a été conservé et retrouvé, constituait un monde énorme), ont été copiés dans les mémes écritures qui servaient aussi pour les actes et pour les documents de toutes sortes, sans qu'il soit possible de discerner d'autres différences

que des nuances calligraphiques trés secondaires et trés méme pas toujours: et c'est sans doute pour s'étre peu ments que M. Lowe s'est perdu dans le domaine des s’est pas contenté de publier, mais qu'il a voulu classer

extérieures. qui n'existent familiarise avec les «docuécritures de livres; qu'il ne et qualifier.

Si nous prenons des groupes plus particuliers et plus restreints fondés sur des critéres internes, comme par exemple les actes expédiés par la chancellerie impériale, et.si nous plagons dans le cadre de leur temps, qui correspond au cinquiéme siécle, les seuls exemples qui nous sont parvenus de ces actes, nous constatons qu'ils appartiennent à une catégorie d'écriture bien déterminée et qu'ils sont fondamentalement séparés du reste des écritures contemporaines; mais si nous les replagons

dans le cadre de la catégorie à laquelle ils appartiennent, nous nous apercevons que leur nature interne ne détermine plus qu'une simple spécialité calligraphique, caractérisée principalement par l'allongement démesuré des lettres. Il n'est pas impossible, bien que ce ne soit pas absolument démontré, que, comme le veut M. Lowe, la nature juridique des textes copiés explique la ressemblance qui existe entre le ‘Codex Pisanus', le papyrus 1182 de Florence, le papyrus 479 de Manchester, etc.,

mais cette nature juridique ne détermine jamais qu'une spécialité calligraphique tout-à-fait secondaire à l'intérieur de l'onciale, qui elle-méme est trés loin d'avoir

l'importance qu'on a voulu lui attribuer dans l'évolution de l'écriture latine; et, à propos d'onciale, on a vu ce qui restait de la thése du caractére chrétien des textes

pour lesquels elle aurait été créée et réservée. Si nous

considérons

maintenant

les critéres qu'on

a cru pouvoir

emprunter.

aux divers caractéres externes, nous voyons qu'ils ne déterminent pas davantage des catégories paléographiques

majeures.

Par

exemple,

on a voulu

attribuer

aux

matiéres subjectives une influence pour le moins exagérée dans l'évolution et dans la classification des écritures latines. C'est ainsi qu'on a opposé les conséquences de l'emploi du papyrus aux conséquences de l'emploi de la cire: «La substitution des formes rondes aux formes anguleuses, lit-on dans Prou en 1924 p. 5r, n'a pu apparaitre ou au moins se développer que lorsque le calame a remplacé le stile, et le papyrus les tablettes de cire.» Entre parenthéses, bien malin qui nous dira quand le papyrus a «remplacé» (?) les tablettes de cire; mais la prétendue opposition entre la rondeur de l'écriture sur papyrus et l'angulosité de l'écriture sur cire ne

parait pas évidente, et, s'il y a des différences entre les exemples que nous avons d'écritures sur cire et les exemples que nous avons d'écritures sur papyrus, il reste à démontrer non seulement que la matiére subjective en soit la cause, mais méme que la rondeur ici et l'angulosité là constituent essentiellement ces différences. Des textes se voient écrits sur cire (ou sur terre avant cuisson) avec la méme aisance et la méme souplesse que sur papyrus; l'écriture de la brique d'Aceuchal n'est pas plus raide que celle du 'Feriale' de Doura-Europos; l'écriture du plomb d'Ampurias est au moins aussi aisée que celle de la lettre missive de Phileros et que celle du Carmen d'Herculanum;

des pointes séches ont été conduites

avec la méme

liberté sur des

162

Conclusions

matiéres aussi dures que le marbre, l'ardoise (voir par exemple les ardoises trouvées

dans la région d'Avila dont M. Gomez Moreno prépare la publication), ou des parois quelconques, et Marichal m'écrivait de Pompei que, si un reproche pouvait étre fait aux dessins que Zangemeister avait publiés des graffites, c'était celui d'avoir, dans beaucoup de cas, mal rendu la liberté avec laquelle on les voyait tracés sur les murs.

Enfin le ciseau des graveurs a fidélement marqué sur de nombreuses pierres des traces d'une spontaneité qui, si elle se trouvait bridée chez les ‘ordinatores’ d'écritures monumentales, ne l'était nullement par la matiére subjective sur laquelle

ils maniaient leur pointe, ou leur craie, ou leur pinceau.

On trouvera aussi, trainant encore cà et là, cette idée que l'apparition d'écritures lourdes, c'est-à-dire d'écritures oü les pleins sont trés accusés, est due à l'adoption

du parchemin, et on a vu Grenfell et Hunt faire état de ce critére pour comparer l'écriture du fragment de parchemin 'De Bellis Macedonicis' à celle du papyrus d'Herculanum portant le 'Carmen De Bello Actiaco'. Là encore, il s'agit d'une opposition

absolument imaginaire. Si Grenfell et Hunt ont cru que l'écriture du Carmen sur papyrus était légére, c'est parce qu'ils ne l'ont connue que par le détestable dessin de John Hayter qui avait supprimé les pleins, qui sont encore plus marqués dans

d'autres papyrus; on voit les écritures les plus variées indifféremment portées sur le parchemin comme sur le papyrus sans que la matiére utilisée ait le moins du monde influé sur leur plus ou moins grande lourdeur, qui dépend de l'instrument, auquel on n'a certainement pas, d'une maniére générale, assez pensé.

Enfin, je dois ici mettre en garde contre un autre critère du méme genre qui a été tiré, non pas de la nature de la matiére subjective, mais de la forme donnée à cette matiére subjective dans la confection des livres. Ce critére est tout nouveau, puisqu'il prétend expliquer le phénomène que j'ai provisoirement appelé l’anclinaison du papiers, phénomène que j'ai étudié pour la première fois dans mes 'Obser-

vations' de 1939: l’anclinaisons aurait pour cause, selon cette thèse, l'adoption, pour les livres, de la forme du codex, qui, partant, se trouverait à l'origine des transfor-

mations graphiques extrémement importantes que cette méme «nclinaison» a entrainées. Comme cette explication de l’anclinaisons par l'avénement du codex est en train de prospérer, comme d'autre part elle intéresse les plus importants problèmes de la paléographie et de l'histoire des textes, et qu'elle risque de les embourber à nouveau, je crois utile de faire ici les plus extrémes réserves à son sujet. On verra ainsi comment une hypothése séduisante se transforme trop vite et insensiblement en vérité reconnue. Comme, enfin, en l'espéce, j'ai quelque responsabilité à l'origine de ce mythe, on m'excusera d'étre contraint d apporter mon témoignage en faisant appel à des souvenirs personnels. Tout d'abord, je dois signaler que c'est une circonstance tout-à-fait fortuite qui m'a fait apercevoir le phénoméne que j'ai appelé en 1939, pour lui donner un nom, l'anclinaison du papiers. Conformément à l'habitude que j'ai prise de m'exercer à imiter des écritures pour essayer de me rendre compte de la manière dont elles étaient tracées, je m'appliquais un jour, à Paris, en 1938, à contrefaire l'écriture du 'De

Bellis' avec une bonne grosse plume de fer. Tout-à-fait inconsciemment, j'avais, pour produire les pleins là oü il fallait, placé ma feuille droit devant moi; j'en étais au premier P de Philippus quand la sonnerie du téléphone interrompit ma tâche. Après avoir parlé, je continuai mon travail à la plume sans que mon esprit füt complétement libéré de la conversation que je venais d'avoir. Ce fut trés mécaniquement, et distrait de mon modèle, que je formai H puis Z puis L puis 7. A ce moment, un fait s'imposa à mon attention et la ramena définitivement à mon exercice: le groupe hili que je

venais de tracer n'était plus conforme à l'écriture du ‘De Bellis’. Il avait un aspect

Conclusions

163

tout autre et que j'avais vu ailleurs: exactement dans l'"Epitome.' Je pris alors conscience de ce que, le téléphone raccroché, un réflexe avait, à la reprise de mon travail, ramené ma feuille dans la position inclinée vers la gauche oü nous la mettons natu-

rellement aujourd'hui pour écrire. Les pleins de Asli n'étaient pas à la méme place que sur le modèle; la forme méme

de H s'était modifiée; quand, gardant la feuille

dans la méme position inclinée, je voulus écrire le P qui venait aprés hili, je m’aperçus

que l'empattement avait perdu toute raison d'étre, que le dernier trait reprenait sa forme ronde etc., et il fut facile d'étendre les mémes constatations à tout l'alphabet. Un rapport graphique précis se trouvait ainsi établi entre deux monuments déter-

minés dont il ne s'agissait plus de savoir comment on les avait classés et baptisés

dans la paléographie traditionnelle, ni comment on les appellerait maintenant: il n'y avait aucune presse à donner à ces écritures d'autres noms que ceux d'«écriture de l'Epitome» et d'écriture du De Bellis. En outre, ce n'était pas, à proprement parler, moi qui avais réalisé l’anclinaison du papier» entre ces deux exemples, c'était ma main, abandonnée à elle-méme dans un moment de distraction sur une feuille qui avait changé, par mégarde, de position. Il ne s'agissait pas d'une vue de mon esprit, et je trouvais dans cette circonstance une garantie que des recherches ultérieures ne paraissent pas avoir dévalorisée. L'incident que je viens de rapporter est à l'origine de mes 'Observations sur quelques monuments d'écriture latine calligraphiés dans les cinq premiers siécles de notre ére', parues en janvier 1939 dans la Revue ‘Arts et Métiers Graphiques'. Me conformant au slogan de la capitale «source de toutes les écritures latines», je plagai une capitale «rustique» du premier siécle, inutilement et indüment, à l'origine du

‘De Bellis' que je croyais encore, au surplus, du troisiéme siécle, ce qui, allié à quelques

fautes de lecture, me fit voir des difficultés imaginaires et écrire quelques bourdes pour les résoudre. Et j'essayai d'étudier les effets et les conséquences d'un phénomène qui me paraissait déjà constituer un pont entre deux âges de l'écriture latine. Je ne connaissais encore ce phénoméne que «par l'extérieur»; je spécifiai (par. 17) que je savais seulement qu'il s'agissait «d'une modification, selon un angle déterminé,

dans les positions respectives de l'instrument à écrire et de la matiére subjective». Restait

à établir comment

ce changement

d'angle

s'était opéré,

non

sur ma

table, mais dans l'Antiquité. Il avait pu résulter d'un changement dans la taille et dans la tenue de l'instrument comme d'un changement dans la position de la matiére subjective, ou encore d'un changement combiné des positions de l'instrument et de la matiére: j'ébauchai (par. 23) un programme de nouvelles recherches qui «consistera à définir les conditions matérielles, techniques, et le moment de cette innovations. Si j'appelai cette innovation «inclinaison du papier», je ne le faisais que provisoirement, toujours entre guillemets, par pure convention de langage, uniquement parce que c'était l'inclinaison involontaire de mon papier qui avait provoqué le changement d'angle dans le cas moderne de ma petite expérience. personnelle. Ce fut la méme circonstance qui me suggéra une conjecture à étudier plus tard: «Une premiére hypothése s'offre à l'esprit et qu'il faudra examiner: interdite par l'emploi du rouleau, l'inclinaison' aurait été rendue possible par la pratique du codex.» Sans plus, et mon article

de 1939 se terminait sur cette simple phrase en l'air. En 1947, au cours d'un travail général qu'il a intitulé, conformément à la longue tradition, «De la capitale romaine à la minuscules, Robert Marichal a repris le thème de mes ‘Observations’ de 1939 en y ajoutant de très utiles considérations personnelles, notamment quant à la tenue de l'instrument. Au passage, il a recueilli la suggestion que j'avais aventurée sur le codex, cause de l’anclinaisons. Certes, il ne l'a d'abord présentée que comme une hypothése, mais il s'est ensuite laissé trop séduire en

164

Conclusions

concluant, page ΟἹ: «C'est donc dans la première moitié du troisième siècle, et grâce à l'emploi du codex, que, par suite de l'inclinaison du 'papier' vers la gauche et du passage de la tenue du calame du type ‘solidaire’ au type ‘combiné’, se forme peu à peu la minuscule primitive telle que nous la rencontrons dans les écritures (du

type de l'Epitome].» Déjà les guillemets n'enserrent plus que le mot ‘papier’, et sont tombés autour du mot 'inclinaison'. ^. 1à-dessus, M. Dain a composé, dans la collection d'études anciennes publiée sous le patronage de l'Association Guillaume Bude, son excellent petit livre intitulé 'Les Manuscrits’ qui a paru en 1949. M. Dain est principalement philologue et helléniste. Je dis principalement, car il n'est pas de ces philologues qui dédaignent de s'abaisser aux petitesses de la paléographie, et il ne manque pas une occasion de mon-

trer leur importance majeure pour l'histoire des textes et la technique d'édition en accumulant

de trés brillants exemples.

Naturellement,

il a recueilli les conclusions

formulées en 1947 par son nouveau collégue des Hautes Etudes, latiniste et paléographe. Pensant avec lui que, «du point de vue de la philologie et de la paléographies, le véritable probléme, dans le monde latin, est le passage «de la capitale rustique à la

minuscule» M. Dain n'a pas manqué de faire intervenir la substitution du codex au

volumen. «Quand, dit-il page 65, au lieu d'écrire sur un rouleau déployé, on put avoir sous la main une feuille mobile de parchemin, on trouva commode de la pencher,

exactement comme de nos jours nous inclinons la feuille de papier sur laquelle nous

écrivons... De cette inclinaison du papier et des principaux changements qu'elle entraihait, résultent les caractéres essentiels de cette nouvelle écriture [la minuscule].» Et M. Dain de conclure qu'on rejoint ainsi de probléme capital du passage du volu-

men au codex» Après une telle consécration, voilà ma simple suggestion de 1939

partie, aprés dix ans, pour devenir, bien malgré moi, un nouveau dogme, trés convaincant et de la plus haute importance: la grande métamorphose de l'écriture latine

a été provoquée par un changement dans la forme du livre; l'écriture de l''Epitome', impossible à écrire sur un rouleau oü l'on écrivait obligatoirement selon l'angle du ‘De Bellis', s'est formée par la pratique des cahiers, et est uniquement une écriture de 'codices'. Toute la thèse repose en somme sur une prétendue impossibilité à écrire l''Epitome’ sur un rouleau. Il semble qu'un seul exemple de rouleau portant une écriture

du type de 1’'Epitome’ suffise pour ruiner cette thèse. Or, un exemple au moins existe; et le plus beau, c'est que cet exemple est l''Epitome' lui-même, qui est un rouleau.

Voilà une objection qui, pour le moins, mérite d'étre signalée et dont on ne saurait faire bon marché. Quant au ‘De Bellis', c'est un codex: en sorte que, comme 1” Epitome', ce livre a exactement la forme opposée à celle que fait attendre la thése qui nous occupe. Sans doute le cas du ‘De Bellis' ne donne pas à cette thèse un démenti aussi formel

que le cas de l'"Epitome' puisque la méme thèse ne nie pas qu'il soit possible d'écrire sur un cahier selon un angle trés aigu; tant qu'on croyait que le ‘De Bellis' était du troisiéme siécle, il pouvait passer pour une survivance

d'une ancienne maniére

de

faire (il y en a d'autres et c'est ainsi que j'ai traité à tort le ‘De Bellis’ dans mes: ‘Observations’

de 1939); et, si, contrairement

à ce que prétend la thèse qui nous

occupe, la pratique du volumen n'empéche pas d'écrire selon tm angle trés ouvert, il est aussi sür qu'il est toujours possible — comme

on en a de nombreux exemples —

d'écrire, quand on le veut, un codex selon un angle trés aigu. Mais voici que le 'De Bellis'

s'avère comme

antérieur

au troisième

siècle, qu'il est maintenant,

si j'ose

dire, du début du deuxiéme siécle, et peut-étre méme de la fin du premier, contempo-

rain des épigrammes composées par Martial sur le théme du codex. On remarque alors

Conclusions

165

que son écriture est aussi singulière que classique: classique, parce que toutes ses caractéristiques se retrouvent, ailleurs, séparées entre divers exemples du système classique du premier siècle; singulière, parce que ces mêmes caractéristiques ne se rencontrent nulle part ensemble amalgamées dans un même exemple comme on les voit dans le ‘De Bellis'. Comme d'autre part, ce fragment est le seul reste des 'codices'

latins de la premiére époque qui ait encore été retrouvé, et qu'en outre l'amalgame exceptionnel

et unique

de ses caractéristiques graphiques

parait répondre

exacte-

ment aux fins pratiques du codex, comment ne pas se demander s'il n'y a pas un lien entre la singularité exclusive de la trouvaille et la singularité exclusive de l'écriture,

et si l'écriture du ‘De Bellis’ n'est pas par excellence l'écriture de ces premiers "codices! latins dont il est aujourd'hui l'unique vestige? Nous voilà bien loin de l'hypothése que ruine déjà le cas de l'Epitome', hypothèse dont je proposais simplement l'examen en 1930, mais qui connaît aujourd'hui une fortune qu'elle ne mérite pas: on en a fait une thése d'apparence trés solide alors qu'elle tire uniquement son origine, à tout prendre, de la maniére dont le changement d'angle s'est produit en 1938 sur ma table au cours d'un exercice d'écriture interrompu par le téléphone. Il est fort probable qu'on pourra arriver à déterminer, dans plusieurs cas, des rapports qui rattachent les écritures aux autres caractéres externes ou aux caractéres internes. Ces rapports ne sont pas ceux qu'on a imaginés jusqu'ici.

Les critéres externes auttes que l'écriture ne sont à utiliser que pour des listes de monuments. Dans ce cas, ces critéres non seulement peuvent, mais encore doivent

servir: les matiéres subjectives constituent la seule base sur laquelle on puisse grouper les monuments graphiques parce que, sauf dans des cas de monuments perdus qu'il . convient toujours de signaler, cette base est la seule qui soit indiscutable, et que,

précisément, elle ne comporte aucun préjugé quant à des systémes et à des critéres qui sont la fin des recherches. A l'intérieur de chaque liste correspondant à une matière subjective, un ordre également indiscutable doit étre recherché pour énumérer les monuments. À coup

sûr, ce ne sera pas un classement par origines, c'est-à-dire par les lieux où les monuments ont été exécutés: pour les monuments portatifs, comme les livres, il est vement rare qu'on puisse localiser avec assurance l'origine, ni méme avancer, sujet, une hypothése ayant quelque consistance. Ce ne sera pas non plus chronologique: trop de dates ne sont, à un siécle prés dans les deux sens.(ou

relatià son. l'ordre méme

souvent à deux siécles prés), que des attributions fondées sur des considérations paléographiques dont il convient précisement de ne pas préjuger. Le classement par lieux de conservation aurait l'avantage d'étre neutre, mais les lieux de conservation ne sont pas toujours faciles à connaitre sans recherches spéciales, et ils sont sujets à changements. En revanche, les dates de premiére publication des monuments sont des données incontestables, qui sont acquises une fois pour toutes, et que l'on peut toujours prétendre atteindre; un ordre fondé sur ces dates rendrait compte en outre de la progression selon laquelle s'est formé le matériel que la paléographie a eu à sa disposition; on verrait comment, pour certaines matiéres subjectives, les listes ne commencent que fort tard, et souvent tout-à-fait en dehors de la bibliographie traditionnellement utilisée par les paléographes. Un pareil classement serait riche d'enseignements: d'abord il expliquerait l'évolution, des doctrines paléographiques en général, ensuite il faciliterait la critique des commentaires dont a été l'objet un monument déterminé en relation avec l'état de la science au moment de sa publication, commentaires qui ont le plus souvent comporté l'attribution d'une date, laquelle est généralement restée, depuis, accolée au monument. Enfin ce classement

laisserait

les différentes listes ouvertes, et permettrait

ainsi de les mettre per-

166

Conclusions

pétuellement à jour sans refonte, au fur et à mesure de la publication de nouvelles ièces. P Prenons comme exemple le cas du 'De Bellis' qui, décidément, est d'or. Tout ce qu'on peut dire sur son écriture, sur sa date et sur son origine, ne sera jamais que le

fruit des cogitations des commentateurs: s'agissant d'un livre, son origine est trés incertaine, et rien ne dit qu'il a été copié dans la région oü on l'a trouvé; quant à la date, celle du troisiéme siécle qui lui a été attribuée en 1898 par ses premiers éditeurs, et lui est restée accolée chez tous leurs successeurs et pendant longtemps chez moi-même, a été l'objet d'une rectification par laquelle j'ai essayé de faire valoir les raisons qui obligeaient maintenant à remonter le fragment aux alentours de l'an 99 de notre ére, à trente ans prés en avant ou en arriére; mais, si forte que soit ma conviction sur ce point, je n'irai jamais jusqu'à lui donner la brutalité d'un numéro d'ordre dans une liste chronologique où je placerais d'autorité le fragment de Lon-

dres aprés ou avant tels autres monuments au sujet desquels, au surplus, mon opinion serait trés souvent bien moins ferme et bien moins arrétée quant à leur situation

dans le temps; enfin, pour ce qui est de l'impossibilité de classer le ‘De Bellis’ par son écriture, il n'y a plus besoin d'insister: ce n'est ni une «capitale rustique» ni une «capitales tout court, ni une «cursive», ni une «minuscule, ni une «onciale», ni un «nélange» de tout cela, puisque la trouvaille est de celles au contact desquelles cette

vieille terminologie se pulvérise, et puisque nous devons considérer que l'écriture du ‘De Bellis' est l'eécriture du De Bellis», sans plus.

Par contre, plusieurs données sont inattaquables concernant ce fragment:

il

a été trouvé à Oxyrhynchus; c'est un débris de codex; il est de parchemin; il porte

un texte littéraire; il a été publié pour la premiére fois en 1898 par Grenfell et Hunt;

il est aujourd'hui conservé au Musée britannique. Parmi ces données d'ordre trés divers, il en est qui ne sont pas toujours aussi claires, il s'en faut, pour tous les monuments que nous aurions à enregistrer, et elles ne pourraient par conséquent

servir toutes de base à un classement. L'histoire de la conservation ou de la trouvaille n'est pas toujours aussi simple et aussi bien connue. Quant aux lieux actuels de conservation, ils sont loin de présenter tous les garanties de fixité du Musée britannique; la nature du texte, littéraire ou non, n'est pas toujours aussi évidente, la

forme matérielle non plus, surtout quand il s'agit de monuments autres que des 'codices'. Seules, la nature de la sont les données qu'on peut qui nous intéressent. Dans romains, le “De Bellis’ sera

fragmentaires

| matiére subjective et la date de la premiere publication prétendre posséder sürement pour tous les monuments un répertoire raisonné des monuments paléographiques rangé dans la liste des parchemins au numéro que lui

assigne sa premiére publication en 1898. Toutes les autres données et conjectures

pourront étre accumulées dans la notice selon que la liste sera plus ou moins renseignée. La valeur de plusieurs d'entre ces données et conjectures sera grandement éclairée par la place qui aura été ainsi assignée à la notice, sans que jamais cette place puisse étre discutée par personne, et l'on aura coupé court à toutes ces hésitations doctrinales qui vous laissent dans les mains un exemple qu'on ne sait oü loger. En tête de la méme liste des parchemins, la place de l''Augusteus' (dont un facsimilé a été donné dés 1709 dans la seconde édition du ‘De Re Diplomatica’) rendra compte, pour une bonne part, de l'importance tout-à-fait abusive qui a été attribuée à ce manuscrit par la paléographie traditionnelle. Enfin, il est inutile de souligner qu'une liste de papyrus par ordre d'apparition serait aussi riche d'enseignements que

commode. La personnalité des auteurs de listes ainsi conçues pourrait se manifester à loisir dans la conception de tables par origines, écritures, dates, etc.

Conclusions

Un

167

répertoire général de matiéres subjectives rangées par leur chronologie

bibliographique présenterait des difficultés trés inégales selon les matiéres. Une liste des marbres et granits par exemple dépasserait les forces humaines: des catégories de ce genre doivent étre toujours mentionnées, au moins pour mémoire, à leur rang parmi les listes plus faisables et correspondant à des réalisations partielles, toujours trés utiles, du programme général. En effet, de pareilles listes doivent étre

dressées non pour dissocier, mais pour rassembler un immense matériel en y introduisant un ordre, et le seul ordre qui paraisse véritablement scientifique, étant, d'une

certaine

maniére,

masse

des monuments

le plus béte,

ou, plus exactement,

totalement

indifférent

aux idées précongues. Ces listes auront ainsi pour effet de faciliter cette vue de la graphiques

qui nous sont parvenus

du monde

romain,

vue

qu'il est indispensable de rendre toujours plus compléte et plus générale. L'effort qui a été fait dans ce sens au cours de cet ouvrage n'est qu'un tátonnement parmi un matériel considérable, encore trés imparfaitement groupé et disposé pour des recherches de paléographie romaine.

L'une des plus grandes insuffisances de cette expérience de paléographie romaine aura été certainement

de respecter encore le critére de la langue:

c'est que l'état

actuel de la science permet difficilement à la paléographie latine et à la paléographie grecque La qu'elles de leur

de se confondre, à un point de vue paléographique gréco-latin de se dégager. paléographie látine et la paléographie grecque sont restées séparées, depuis ont été fondées à part l'une de l'autre. Là encore, l'état du matériel à l'époque création explique cette disjonction, car comment pouvait-on concevoir qu'une

science qu'on commengait avec l'étude de monuments mérovingiens devait se situer sur un terrain gréco-latin? Les deux paléographies ont ainsi forgé, depuis trois siécles, presque sans aucune correspondance et comme à l'insu l'une de l'autre, leurs doctrines traditionnelles, leurs critères, et leur langages techniques qui en sont l'expression. Sans doute Thompson en 1911 publiait bien en un seul livre son 'Introduction to Greek and Latin Palaeography', mais il ne traitait en commun que de ce qui regardait les matiéres subjectives, les instruments, la forme du livre, ayant soin de disjoindre, et d'étudier l'une aprés l'autre, les écritures grecque et latine selon

les critéres qu'avaient établis séparément la paléographie grecque et la paléographie latine. S'il est vrai, comme j'en suis persuadé et comme je l'entends dire par des voix beaucoup plus autorisées que la mienne, celles de M. Bataille et de M. Dain par exemple, que la terminologie traditionnelle ainsi créée pour la paléographie grecque est à détruire, cette terminologie traditionnelle ne vaut pas plus cher que celle qu'on a créée d'un autre cóté dans le méme temps pour la paléographie latine et dont j'ai tenté ici de faire justice. Si donc, comme il semble, on doit faire table rase de l'une comme de l'autre de ces terminologies, il ne faudra pas reconstruire séparément sur la table latine et sur la table grecque. Il faudra joindre les deux tables, les mettre bout à bout, et, sur l'espace vide ainsi créé, chercher à édifier une paléographie gréco-latine.

Là encore, l'apparition des papyrus, en nous enfonçant dans la direction de l'Antiquité, nous fait toucher du doigt la nécessité d'une fusion entre les deux disci-

plines, conçues, pour le grec comme pour le latin, dans le méme cadre matériel très . large que nous avons essayé de définir au cours des pages qui précédent: dans un méme monde, nous rencontrons les mémes procédés, les mémes problémes techniques, les mémes matiéres, les mémes instruments, si souvent les mémes scribes, les mémes 'ordinatores', et aussi les mémes lecteurs, le méme public. D'une piéce qu'il a en son pouvoir, le paléographe doit remonter a l'instrument qu'il n'a déjà plus, et de l'instrument à la main, et de la main à la position du corps de l'homme qui a écrit, et de la position du corps de l'homme qui a écrit à son intention, à son esprit oü résident

168

Conclusions

sans doute les véritables critéres. Pour les trouver à ce niveau, si difficile à atteindre pour nous, il nous faut des recoupements partant des points les plus éloignés les uns des autres, et des groupes les plus divers du matériel graphique méditerranéen. On

n'élargira jamais assez la base qui, étant presque exclusivement latine dans le présent ouvrage, est parfaitement insuffisante. Dans le programme que j'ébauchais en 1939

à propos de la fameuse dnclinaisons, je signalais qu'on devait inclure les écritures grecques; mais il n'est peut-étre pas un seul probléme de paléographie romaine que l'on doive étudier en dehors d'un point de vue paléographique gréco-latin, jusques à et y compris le probléme (par oà l'on ne saurait commencer) des origines de l'alphabet latin, puisque, comme l'a excellemment rappelé Marichal dans un saisissant

raccourci, l'alphabet latin est un alphabet grec. Or, actuellement, quand un paléographe, penché sur les écritures latines, louche vers les écritures grecques, il n’apergoit qu'un matériel énorme,

encore plus mal disposé que le matériel latin pour l'usage

quil voudrait en faire. Mlle Medea Norsa ayant fait en 1946 une excursion les écritures latines, Marichal a rendu la visite en 1950 et a fait, à son tour, les écritures grecques, une excursion dont il est revenu assez déçu. Comme Mlle il a été frappé par des analogies de «style», qu'on sent plus qu'on ne les saisit,

parmi parmi Norsa, et qui

sont tout-à-fait dignes d'étre considérées, encore que cette notion de «style» paraisse rester assez nébuleuse et qu'elle gagnerait sans doute à étre concrétisée par une

étude ayant égard notamment à l'instrument. Mais si Mlle Norsa est papyrologue et helléniste, Marichal est paléographe et latinjste. Ce qu'il nous faut, ce sont des paléographes gréco-latins, étudiant de front les monuments grecs et latins sans se soucier, au départ, de dégager des influences mutuelles qui ressortiront ensuite d'elles-mémes. Je n'ai pas su, moi non plus, étre l'un de ces paléographes gréco-latins qui sont à former, ou du moins qui devront se former eux-mémes, faute de tradition. Ainsi, ce livre, que d'aucuns trouveront certainement trop révolutionnaire et trop demolisseur, me parait, au contraire, pécher par un excés de conformisme: l'un de ses principaux défauts est de tenir compte encore d'un critére traditionnel: celui de la langue. En terminant, je dois confesser que si j'ai respecté ce critére, ce n'est pas parce que je suis convaincu de sa validité, c'est. parce que je n'ai eu ni la force ni les moyens d'aller assez loin dans ma réaction contre une formation reque.

PLANCHES

Explication

des planches

Il ne s'agit nullement ici d'un album de paléographie romaine, mais simplement d'un choix subordonné à l'illustration du présent volume. Des quatre-vingt deux exemples reproduits, cinq seulement sont nécessairement postérieurs, la plupart de

peu, à la fin du cinquième siècle et à la disparition de l'Empire d'Occident (XXVII 2, XXIX 4, XXXI 1, XXXII 1,5-6): ils représentent des prolongements qu'il a semblé utile de montrer ici, jusqu'au plus récent d'entre eux qui paraît être le diplôme mérovingien du septiéme siécle (pl. XXVII 2) oà nous voyons une continuation de la pratique des bureaux romains. Les autres monuments utilisés pour la composition de ces planches appartiennent tous à l'«histoire de Rome» (pour XXII X 3 et 4, cf. la notice XXII X 4), ou, plus exactement, à ses six derniers siècles, car l'étude de nombreux problémes intéressant ces six derniers siécles est encore trop peu avancée pour qu'il soit possible de reprendre et méme de seulement aborder les questions touchant la période antérieure, en remontant peu à peu, comme il faudra le faire, vers les siécles obscurs de Rome. Une personne du vingtiéme siécle, entre les mains de qui ce livre tombera et qui, complétement étrangére à la pratique comme aux théories de la paléographie, se gardera de le lire, jettera peut-étre un coup d'oeil sur les planches. Elle éprouvera

alors une impression presque simplement esthétique, donc difficile à définir, mais qui n'en sera pas moins trés marquée: à partir de la planche XVII, une ére commence oü ce lecteur moderne se sentira beaucoup moins dépaysé qu'en feuilletant les seize premières planches. C'est que, entre notre typographie moderne et l'Epitome' écrit il y a quelque dix-huit siécles (XVII 3), les différences d'aspect sont bien

moindres qu'entre le méme 'Epitome' et le traité de Gaius qui lui est sensiblement contemporain

(XVI 1).

Ce que notre lecteur moderne percevra ainsi à sa maniére, et bien mieux que ne l'ont fgit beaucoup de paléographes, c'est la grande brisure qu'a connue le monde

avec la crise du troisiéme siécle, crise aprés laquelle tout s'est trouvé, au début du quatriéme,

changé,

y compris

les institutions,

la religion, et aussi l'écriture.

Non

pas que la nouvelle écriture ne tire ses origines de l'époque antérieure à ce bouleversement, mais la généralisation de son emploi et sa substitution, dans l'usage .du monde entier, à l'ancienne écriture romaine, coincide avec le début de la période

que les historiens ont détachée de la précédente, et à laquelle ils ont donné le nom de Bas-Empire. La paléographie apporte ainsi un symbole de plus (d'autant plus frappant que l'écriture est un élément fortement incorporé à la vie courante) pour

marquer une révolution qui, si l'on recherche des coupures, constitue l'une des plus nettes de l'histoire de notre monde;

dans les annales de l'écriture latine, on n'en

rencontrera aucune, depuis le troisiéme siécle jusqu'à nos jours, qui ait la méme profondeur: auparavant, les seize premiéres planches offrent l’image d'un monde qui nous est complétement étranger, véritablement 'antique', auquel n'ont survécu que des apparences extérieures d'un alphabet capital (IV 3, V 2 et 5, XII 2); devant les planches VI, XIII et XIV, notre lecteur moderne ira jusqu'à demander «c'est

du latin, cà?», non pas tellement parce qu'il ne pourra pas lire (il ne saura pas lire davantage plusieurs numéros postérieurs à la planche XVII), mais parce que l'aspect

172

Explication des planches

physique et esthétique des textes lui semblera appartenir à une de ces civilisations disparues dont les vestiges graphiques n'ont pas toujours été déchiffrés. Aussi bien est-ce ainsi que, sous sa forme de survivance diplomatique (XXVI 4), l'ancienne écriture romaine apparut, en 1840, à Champollion-Figeac: impénétrable. Dans les notices qui suivent, on s'est attaché à donner des renseignements élémentaires sur les monuments reproduits. On n'a mentionné la matiére subjective que quand elle était autre que le papyrus ou quand il s'agissait d'un codex de papyrus.

On s'est abstenu dans les vedettes de toute qualification paléographique des écritures. Les dates qui ne sont établies que sur des données paléographiques ont été placées entre crochets carrés; elles doivent étre, dans la plupart des cas, considérées comme

approximatives, et nous n'avons plus à insister sur l'utilité d'y voir des données .

toujours sujettes à révision. D'une maniére générale, on notera ici une tendance à vieillir beaucoup de monuments et à leur attribuer une date plus haute que celle qui leur a été donnée traditionnellement. La région de la trouvaille suit la date avec,

entre parenthéses, toutes les fois oü cela a.été possible, le lieu de conservation actuelle. Du point de vue bibliographique, on s'est attaché à indiquer la plus ancienne publication avec facsimilé et une référence à l'ouvrage le plus récent contenant la bibliographie la plus complète, comme par exemple les Codices de M. Lowe et la liste de

Marichal parue dans la chronique de Scriptorium en 1949. Comme il ne s'agit pas d'un album mais d'un choix de spécimens isolés, le plus souvent sous forme de détails, on n'a aussi donné que quelques spécimens de lectures concernant presque toujours les premiéres lignes du texte reproduit, lequel se trouve découpé, soit par les injures du temps, soit par les nécessités de la justification de nos pages. On a cru bon d'insérer dans plusieurs notices des commentaires qui ont paru utiles pour l'annotation de l'ouvrage. En terminant je dois adresser mes remerciements à D. José Dominguez Ramos,

chef de l'atelier photographique du Musée Archéologique National de Madrid, et à D. José Vallcorba, directeur des ateliers ‘Fotomecänica 'Maroval', qui ont apporté tous leurs soins à l'exécution technique de ces planches, ainsi qu'à mon ami D. Ju-

liàn Palacios, de ‘Gräficas Reunidas, S. A.’, qui, pour l'ensemble de l'ouvrage, a déployé à mon profit ses talents de grand imprimeur, enfin à la Section de publications du "Consejo Superior de Investigaciones Cientificas’ et à son chef, D. Rafael de Balbin,

qui n'a rien ménagé pour que ce livre soit réalisé dans les meilleures gonditions matérielles. PLANCHE

I

N.? r. — Lettre missive [I*s. av. 1. C.] — Egypte (Berlin). SCHUBART, Berlin. Museum Berichte 49 (1928) p. 43, sq. et pl.; EL 19; Mar 2. Transcription et commentaires $$ 120 - 121.

N.O 2. — Exsécration sur plomb

[I*s. av. J. C.].

— Espagne

(Ampurias). Ar.-

MAGRO, Plomos con inscripción del Museo de Ampurias, ds Memorias de los Museos Arqueolögicos provinciales, VIII (1947), p. 123. Cette table d'exsécration est reproduite ici pour la premiere fois. Je donne, page 69, sans y rien changer, la lecture

. que j'ai faite en 1946 sur l'original que je n'ai pas actuellement sous la main pour le confronter avec la présente reproduction où il me semble qu'on a su faire apparaître le plus de choses possible. Transcription et commentaires

$$ 120 - 121. Pour

les tables d'exsécration en général, cf. AUDOLLENT, Defixionum tabellae Paris 1904; JEANNERET La langue des tables d'exsécration latines ds Revue de Philologie, 2** série,

Explication des planches

173

XL (1916 pp. 225 - 258; XLI (1917) pp. 5 - 99 et 126 - 153; BESNIER Récents travaux sur les 'Defixionum tabellae! latines ds Revue de Philologie, 2°” série, XLIV 1920 pP. 5-30; PREISENDANZ Die griechischen und lateinischen Zaubertafeln ds Archiv für Papyrusforschung IX, 1930, p. 11 sq. et XI, 1933, p. 153 sq.; ajouter pour l'Espagne

NAVASCUÉS Plomos romanos con inscripción mágica hallados en Córdoba ds AEA 28 (1934) pp. 51 - 60 et ALMAGRO op. cit. PLANCHE

II

N.° 1. — Liste de soldats [I* s.]. — Egypte (Berlin) BGU. IV 1083 et EL(1939)21; Mar 21.

N.9 2.

— Compte

[I"s.

av.

JJ. c. — I" s]

— Egypte

(Cleveland).

P.

Oxy.

IV (1904)737 et pl. VIII. Mar ı.

N.° 1. — Souscription,

AD

PLANCHE

Ill

23.

(Londres)

— Egypte

P.

Oxy.

II

(1899)244,

sans pl.; EL(1939)12; Mar 5. ceri[ |... ]... miae : drusi - ser | efid[ . Jdoca - anno - VIIII [-...] | caesaris aug " mechir : die oct A la fin de la ligne 2, T1b se lisait encore au temps des éditeurs des P. Oxy. N.0 2. — Copies de lettres missives [I* . av. J. C.]. — Egypte (Vienne). WESSELY Schrift. (1898) 1, avec pl.; Mar 3. bo » me : ex naufagio - effuisse | nuc - si at wos :. peruenero : | uale : mihi wacedo * et * me | mor - nostri - esto " et " filio * | meo * beneuolentiam : eam :| praesta - quem : ego " ibi - prae | ... PLANCHE

IV

N.9 1r. — Volumen (Cicéron) [I* s. av. J. C. — I*s.].— Egypte. sPREY ds P. Iand. V (1931)90 et pl. 16; Mar 18; ajouter MALLON Not. Pal. où, à la planche 4, ce volumen est juxtaposé à celui qui, postérieur a 161, porte les Institutiones de Gaius (reproduit ici à la planche XVI r), afin de faire ressortir entre deux termes chronologiquement

éloignés l'inclinaisom opposée de l'écriture de ces deux livres. .. ]m

tur

urbes - signis [- ] monumentisque | [... ] puli - r * maxime arbitraba-

|...

D'une maniére générale, ce Cicéron est à rapprocher d'autres exemples de livres

comme les ‘Orationes’ de Claude (VI), le texte sur 'Servius Tullius’ (X 1) les Insiitutiones

de

Gaius

déjà citées

(XVI x), le traité

d'Ulpien

(XVI 2)

et le glossaire

latin-grec (XVI 3). Si les paléographes peuvent méler de tels exemples de livres à des papyrus documentaires (Mar 1-23 ) dans une méme grande catégorie où ils rangent aussi les tablettes de cire et de bois comme «de conjuration» (Mar 239 - 284 ter),

174

Explication des planches

il parait beaucoup plus contestable de donner à cet ensemble le titre de scursivess (lequel désigne, non pas un genre d'écriture,mais une qualité graphique trés inégalement possédée par tous ces exemples); il est surtout impossible d'opposer cet

ensemble dit «cursives» (Mar I = 1 à 283 ter) à un autre ensemble qu'on lui donne comme

pendant et qu'on baptise dibrarias (Mar II = 285 - 320), en y rangeant la

«capitale» (subdivision oà des ‘documents’ se trouvent aussi mélés aux livres), suivie de l'«onciale» et de la «minuscule». Si les mots ont un sens, le Cicéron des Papyri Iandanae ici reproduit, les 'Orationes' de Claude (VI), le 'Servius Tullius' (X 1), les Institutiones de Gaius, le traité d'Ulpien et le Glossaire latin-grec de la planche XVI, sont des livres au méme titre que le 'Carmen De Bello Actiaco' (IV 3).et les 'Orationes'

d'Herculanum (CLA 386-7), par exemple; il n'y a donc aucune raison pour ne pas considérer également comme «libraria» les écritures de l'un et de l'autre groupe; et si ces deux groupes s'opposent par leurs écritures, cela montre simplement une

chose, c'est que la notion de dibraria» ne correspond pas à un critére paléographique. Il est méme plus que probable que l'immense majorité des livres de l'époque classique étaient écrits comme le Cicéron des Papyri Iandanae, les 'Orationes' de Claude, le

'Servius Tullius' etc., c'est à dire dans une «cursive» qui est une «libraria», et que la capitale n'était employée que dans des circonstances exceptionnelles et particuliéres (cf. $8 85 sq.), et aussi bien pour des textesde 'documents' que pour des livres.

N.? 2. — Dessin du ‘Carmen’, par John Hayter. — On trouvera ici un passage correspondant à la photographie qui suit sous le numéro 3. Exécuté en 1806 - 09, .le dessin de Hayter n'a été publié qu'en 1885 par scorT

(Fragmenta herculanensia

pl. Α - H), à Oxford. Depuis cette date, il a été tellement reproduit dans les ouvrages les plus classiques de paléogra hie (par exemple THOMPSON Iníroduction 1912 facs. 83, STEFFENS facs. 3, SCHIAPARELLI, 1921, pl. III) qu'il a acquis un crédit qui se révèle difficile à ruiner. Dès 1902, Kenyon (The Palaeography of the Herculanum Papyr:. ds Festschrift Theodor Gomperz, Vienne, pp. 373-380) et Ferrara en 1907 (Sul papiro ercolanese latino 817 ds Rivista di Filología XXXV, p. 466 - 471) avaient jeté l'alarme et signalé l'infidélité que permit de constater en 1938 la photographie CLA 385 de M. Lowe (cf. notre n.? 3 qui suit), infidélité que je soulignai en 1939 dans

Bibliothèque de l'Ecole des Chartes, C, p. 159 sq., en 1945, dans mes Notes Paléogra-

phiques

(note 108), et sur laquelle Marichal a encore insisté récemment

(Mar 287).

Pourtant, en 1946, une reproduction du dessin de Hayter était encore donnée par Mlle

Medea

norsa

(Analogie...

ds

Miscellanea Giovannı

Mercati,

pp.

104 - 121

et pl. VI). En 1949, M. Canellas, qui qualifie de «capital actuaria» l'écriture du volumen où a été calligraphié le poème sur la bataille d'Actium, n'ignore pas ce qu'il appelle lui-même l'ámperfection» du dessin de Hayter, mais il le reproduit néanmoins dans ses Exempla Scripturarum publiés à Saragosse (n.° 2): «Desfigura en parte el trazado — écrit l'auteur de ce recueil _paléographique —, pero facilita la comprensión». L'œuvre de Hayter, qui peut servir d'adjuvant pour la lecture du papyrus très endommagé depuis 1806, doit étre expulsée de tout recueil paléographique, et je n'en ai extrait un détail ici, à cóté d'une photographie, que pour essayer, si possible, de lui donner le coup de gráce. La mauvaise contrefacon de Hayter a eu des effets d'autant plus funestes que ce dessin, inlassablement reproduit, a pratiquement représenté seul, dans les ouvrages de paléographie, les «capitales d'Herculanum» qui elles-mémes sont restées longtemps les seuls exemples connus de capitales bien datées

de l'époque classique. ἢ ΝΟ 3. — Volumen (‘Carmen de Bello Actiaco’). 31 a. av. J. C. - AD 79. — Italie (Naples). CLA (1938)385. Détail de la photographie du ‘Carmen’ d’Herculanum donnée par M. Lowe en 1938 (CLA), avec lequel on comparera le passage corres-

Explication des planches

175

pondant du dessin de Hayter (n.° 2 qui précéde). Les traces de spontaneité qu'on reléve dans cette capitale (voir notamment le B et le Q) s'expliquent beaucoup mieux par l'habitude, chez le scribe, de l'écriture commune, acheminement de la capitale «vers la cursive». PLANCHE

que par un prétendu

V

N.° 1. — Recensement, AD 47/48. — Egypte (Florence). — PSI XI(1935)1183 b,

avec pl; Mar 9; ajouter MALLON Salamanque,

L'écriture de la Chancellerie impériale romaine,

1948, p. 31, n. 66. Le premier éditeur a vu dans ce papyrus une copie

de celui qui suit sous le numéro 2. On soutient ici le contraire (cf. $ 87).

1.7: ... + aegypto - nomo - oxyryncho (sestertium)CCCC

... ropoli -

communem - sibi + cum " hapione sarapione * syri + filis * et + syro " pro parte 1111 inter - adfines * ischyran * theonis * et hamyn : seleuci - lib : N.9 2. — Copie du méme recensement (cf. n.° 1). — Egypte (Florence). PSI XI(1935)1183 a, avec pl.; Mar 285. Il n'y a pas actuellement, à ma connaissance, d'exemple de capitale écrite à l'encre au premier siécle qui soit mieux conservé,

aussi étendu et mieux daté. C'est à ce méme monument que j'avais emprunté lalphabet capital placé indûment dans mes ‘Observations’ de 1939 à la «source» de toutes les écritures latines. Par la suite, M. Battelli, dont les Lezioni ont le rare mérite de donner, plus qu'un exposé doctrinal, un état des problémes, a supprimé de son édition de 1949, qui m'est parvenue quand ce livre était déjà sous presse, le tableau de la capitale qui figurait dans son édition de 1939 et que je reproduis au paragraphe 8. I1 l'a remplacé (p. 57) par un alphabet emprunté aussi à un exemple concret, mais plus récent que notre recensement, et dont les ductus sont plus exac-

tement relevés que dans le tableau abstrait de 1939.

N.9 3. — Copie sur bronze d'une loi [I* s. av. J. C.]. — Espagne (Madrid). On donne ici une partie du numéro Io des fragments découverts à El Rubio en 1925, signalés par J. DE MATA CARRIAZO {Investigaciôn y Progreso, 1.* janvier 1931, p. 19),

et publiés pour la premiere fois par A. d’Ors (Los bronces de El Rubio ds Emerita IX, 1941, pp. 138 - 154 avec pl.). Il s'agit de restes des premiéres lignes de la trente-

septième colonne de l'affichage de la ‘lex Coloniae Genetivae Juliae' (cf. MALLON Les fragments de El Rubio et leur appartenance a la ‘lex Coloniae Genetivae Juliae’ ds Emerita XII, 1944, pp. 1930 - 230), dont les premiers vestiges apparus ont été publiés en 1873 par R. de Berlanga (Los bronces de Osuna, Màlaga). Contrairement au système imaginé par Hübner (EE 1877 pp. 86 - 112, CIL II 5439, suivi par CIL I, ed. alt., Berlin, 1918, 594), l'affichage de la loi se présentait sous la forme d'un bandeau de o ‚59 de haut sur 13 ,10 de long où se succédaient, de la gauche vers la droite comme sur un volumen, quarante deux colonnes de 32 a 40 lignes chacune, chaque ligne contenant une moyenne de 42 lettres (cf. MALLON Los bronces de Osuna dans AEA 56, 1944, pp. 213 - 137; ajouter LE GALL La date de la ‘lex Coloniae Genetsvae Julsae...’ ds Revue de Philologie XX, 1946, pp. 139 - 143). On notera dans les quelques signes que porte notre figure des traces de spontaneité qui s’expliquent mal si,

comme on le pense généralement, ces textes légaux ont été gravés directement sur le bronze. Je crois que la question de la fabrication de ces tables de bronze mériterait

d’être rééxam|née, et on peut se demander si les textes n'étaient pas écrits sur des tables de cire ensuite coulées en bronze. Dés lors, l'étude de ces monuments d'origines

176

Explication des planches

géographiques trés diverses prendrait un intérét tout nouveau pour la paléographie, notamment du point de vue de l'observance ou de la non-observance des ductus décrits aux paragraphes

16-38. Du point de vue de la non-observance, plusieurs de

ces monuments pourraient sans doute étre apparentés à cette table d'hospitalité trouvée à Mérida en 1936, conservée au Musée de cette ville sous le numéro 147, et publiée pour la première fois par Alvaro d'Ors en 1948

(Una nueva tabla emeri-

tense de hospitium publicum ds Emerita XVI, pp. 46-44, avec pl.). Cette table porte la date qui n'a saurait consuls

de l'an 6 de notre ére: j'ai pu examiner l'original, et le léger connu qu'une photographie, laisse planer sur cette date subsister; les restes de la ligne I ne peuvent s'accommoder de l'an 6 et excluent complétement les noms des consuls de

PLANCHE N.° 1. — Volumen

('Orationes'

de

doute que d'Ors, qu'il propose, ne que des noms des l'an 22 av. J. C.

VI

Claude)

[I* s.]. — Egypte

(Berlin.

BGU

II(1898)611, et STEFFENS (1909) pl. 4; Mar 6. On n'a pu donner ici que la partie gauche de la colonne la mieux conservée. La planche de Steffens donne la méme colonne entiére avec la partie droite de la colonne précédente et la partie gauche de la colonne suivante. tenuisse - caussam - petitéri - expedi[at] | hae - ne - procedant - artes - male a[ gentibus - si] | uobis - videtur - b : c - decernamus : ut [etiam] | pröldtis " rebus - 115. 14dicibus - ne [...

PLANCHE

VII

N.? r. — Graffite sur paroi, avant AD 79. — Italie. Frottis d'une partie de CIL, IV 2783, exécuté par Marichal sur la paroi de Pompei en 1950 et aimablement communiqué par lui. Puteolan [. ..] | omnibus n [...] | felicia [... (cf. $7 9).

N.? 2. — Texte l’Eneide.

littéraire sur brique

CIL II 4967/31,

et Garcia

[I* s.]. — Espagne

VILLADA

(Madrid). Debut

Paleografia española, Madrid,

de

1923,

facs. 15. Pour la bibliographie, cf. MALLON Filumene: Asiana ds AEA 71, 1948, p. 123 et n. 30; ajouter: Ip. La brique de Villaviciosa de Córdoba

(Ps. 95, 11), à paraître

dans Miscellanea Manaresi. Brique trouvée à Itàlica et conservée au Musée archéologique de Madrid. arma mirumque lauinaque..

cano

troiae

qui | primus

ab

oris

staliam

fato

profugus -

On y notera, au dernier mot, un L analogue à celui du graffite reproduit ci-dessus (numéro I). forme oü on avait vu, dans CIL IV 2288, un «B à panse à droite». Villada a vu un autre B «minuscule dans ab de la brique d’Itälica alors qu'il s'agit d'un B

du systéme classique absolument normal (cf. $ 82). Sur la question du B voir MALLON, La lettre B ds Arts et Métiers Graphiques 61, Paris, 1938, p. 19, avec une planche hors texte en couleurs; Remarques sur les differentes formes de la lettre B dans l'écriture

latine ds Bibl. de l'Ecole des Chartes XCIX,

1938, pp. 229-242; Not. Pal. (1945)

pages [7] et suiv.; cf. plus haut $$ 17, 50-53 et 77-83.

Explication des planches

5

201

1g2:

PLANCHE VII Mar

N.° 1. — Contrat, AD 77. — Egypte (Florence); PSI VI (1917) 729, avec planche; 11. On n'a donné ici qu'un détail. On trouvera la pièce complète reproduite,

en dehors du PSI, dans EI, 15. ...] quom

aria emit. equom - cappadocem nigrum m esse bibere ita uts bestsam " ueterinam ad [...].

N.° 2. — Compte

[I* s.]. — Egypte

(Manchester).

P.

dr

Ryl.

aug

II

m

|...]|[..:)

(1915)

223

et

planche 23; Mar 65. Jusqu'ici on a daté ce papyrus du second siécle, mais l'inclinaison de l'écriture parait conduire à le remonter au premier. PLANCHE

IX

N.? 1. — Lettre missive [fin I* s.]. — Egypte (Manchester). CLA II (1935) 228; Mar 67; cf. plus haut $ 119. M. Lowe a daté ce papyrus du 2*** siècle.

N.? 2. — Epitaphe

sur marbre

[το s.]. — Italie. SCHISSEL VON FLESCHENBERG

et LEHMANN-HAUPT Eine lateinische Grabinschrift in Kapitalkursive ds Klio XVII (1920) p. 129; aussi SCHEEL Zu der lateinischen Grabschrift in Kapitalkurswe, ibidem pages 260-262. Les premiers éditeurs de cette inscription la placent beaucoup trop bas en la datant du temps des Sévéres. De cette inscription et de celle qui suit (n? 3), rapprocher CIL, VI 37556 (inscription de Pupus Torquatianus, DIEHL Inscriptiones latinae, Bonn, 1912, pl. 29 c.). N.9 3. — Epitaphe sur marbre [fin I* s.]. — Espagne (Séville). CIL II 5411, et MALLON Not. Pal. 1945, pl. r. C'est par suite d'un accident matériel de la photographie que 1'R de la ligne 2 (3° lettre) n'apparait pas complet. On en trouvera un dessin plus haut au paragraphe 119 oü l'écriture de cette inscription est comparée à celle du papyrus reproduit sous le numéro 1 de la présente planche. Hübner datait cette épitaphe du troisiéme siécle; elle est évidemment plus ancienne. Les mémes particularités calligraphiques que dans notre inscription et dans le papyrus de Manchester se recontrent dans un exercice d'écriture de la collection Petrie conservé à Londres (University College; Mar. 19), qui n'a jamais été reproduit et dont M. Turner a bien voulu m'envoyer des photographies en vue de sa publication. PLANCHE

X

N.9 1. — Volumen (texte sur Servius Tullius) [I* s.]. — Egypte. XVII (1927) 2088 et pl. III; Mar. 64; cf., plus haut, explication de la pl. IV 1.

P.

Oxy.

[...]:$neo... [...] ID [- - .] δὲ δὲ qwis- sent [. ]| [...] to - in sua : centu [. ..7{{-..] tnmen - ferre - posset n [...]][{[...]... hae - et: ceterae - cent [...] I [. ..] tunc - sunt - omnes - serus - tuli - |...) [...] mus - omnino -

centurias - fecit - [...] | [. ..] - ceres " ser - tullius - rex - belli - stip [...]-

N.9 2. — Codex de parchemin (‘De Bellis Macedonicis' [fin I* s.). — Egypte (Londres). P. Oxy. I (1898) 30 avec pl.; Mar. 302. Ajouter MALLON Quel est le plus ancien exemple connu d'un manuscrit latin en forme de codex? ds Emerita XVII (1949)

178

Explication des planches

pages 1-8, où j'ai tenté de montrer que la date du troisième siècle, toujours attribuée à ce monument, n'était qu'un compromis absolument injustifié, adopté en 1898,

entre de mauvaises raisons, qui plaidaient alors pour le quatriéme siécle, et de bonnes raisons, qui plaidaient déjà pour le premier, mais se révélent aujourd'hui beaucoup plus impératives qu'on ne pensait. Transcription et commentaire et suivants. PLANCHE

encore $$ 122

XI

N.° 1. — Document militaire [I* s.]. — Egypte (Florence). PSI XIII ı (1949) I307 et pl. VII. Rapprocher son écriture de celle de la constitution de dot EI, 16. PLANCHE

XII

N.9 1. — Epitaphe sur marbre [I* s.]. — Espagne (Madrid). Musée archéologique national.

Ν. 2. — Cippe AD 109. — Rome. CIL, VI 1260; EL 2. PLANCHE

XIII

N.? 1. — Copie d'une lettre du préfet d'Egypte, AD 103. — P. Oxy. VII (1910) 1022 et pl. I; Mar 25 suggére, avec un point d'interrogation, qu'il faut voir dans ce papyrus une copie; je crois qu'il n'y a pas de doute; car je pense pouvoir lire les deux lettres de la première ligne: ex(emplum). ex|[.] minicius 1talu[s c]elssano suo | salutem | tirones sexs probatos a me in | coh cus praces in nume | vos referri tube ex XI | kalendas martias nomi | na eorum et icon[1]smos | huic epistulae subieci | uale frater karisssm(e) | ...

N.9 2. — Certificat de prise de Toga pura, AD

rro.

— Egypte

(Ann Arbor).

P. Mich. VII (1947) 433 et pl. VII b; Mar. 27. On notera, dans ce papyrus daté, la présence, qu'on peut juger tardive, du trait 1 bis de A; (cf. ὃ 49).

N.? 3.

— Compte

(II s.].

— Egypte

(Berlin, P 6765), seulement utilisé par

VAN HOESEN Roman cursive writing, Princeton, 1915, reproduit, à ma connaissance; Mar. 70; cf. $ 191.

numéro

35. N'a jamais été

131. — Egypte (Berlin). SEYMOUR

DE Rıccı Comptes-

PLANCHE N.0

r. — Testament, AD

XIV

rendus de l' Académie des Inscriptions et Belles- Lettres, 1914, pp: 524-533; EL (1939) 23; Mar. 31. La présente planche (n.** 1 à 4) a été composée pour faire ressortir l'inclinaison de l'écriture commune vers la droite à partir de la première moitié du deuxième siécle. Elle ne comprend que des ‘documents’, mais on observera le méme phénoméne

dans l'écriture de livres comme ceux qui sont représentés à la planche XVI. Naturellement, beaucoup d'autres monuments auraient pu figurer dans la présente planche, procurant le méme effet, entre autres le Pridianum (El 27) de Berlin complété et republié en 1945 par MARICHAL (L'occupation romaine de la Basse-Egypte,

Explication des planches

179

Paris, in 8.9), oü les rubriques sont exécutées en capitales avec le méme instrument qui a servi pour écrire le corps du texte en écriture commune penchée. 1. 3: ...] abus meis quatuor - DL aequis parti | [...] diodora quae sunt | [...]clam et sarcinas et uestem et quae habe | .. . N.0 2. — Petition, AD Mar. 37.

et longirnia

150. — Palestine (Florence. PSI IX (1929) 1026 et pl. I;

1.3: omnia nobis uti bonis militibus constiterit nunc. q[. ..] | sacramento absoluti sumus et in patriam. alexandriam [...]| rogamus digneris nobis adfirmare [...] | nos ex eadem legsone missos... Ν. 3. — Reçu, AD 167. — Egypte (Londres). GRENFELL ments..., Oxford, 1899, numéro 108 et pl. V; Mar. 46.

New

classical frag-

1.2: {as meas salbas sanas recepisse scripsi no [...] | octobrium ad puluinos ad statione libu [...] - interueniente minucium plotianum iri [...] | et apuleium nepotem scriba. actum bul |...) nonis octobris imp - vero : ter - et umidio q|...] | N.9 4. — Déclaration de succession, VIII (1911) 1114 et pl. VII; Mar. 103.

AD

237.

— Egypte

(Londres).

P.

Oxy.

l: tonice q e sosipatrae et apolloniae [...]h [...] editatem seu bonorum posses | sionem aureliae ap{o loniae filiae marci aurel[3] apolloni demetr: ge psammi|... PLANCHE

XV

N.9 r. — Pétition, AD 247. — Egypte (Oxford). P. Oxy. IV (1904) 720 et planche VII; Mar. 110. Il y a sur ce papyrus six mains. Seules la premiere et les deux derniéres sont latines; la premiére est celle du scribe qui a grossoyé la pétition en écriture commune classique; la cinquiéme est celle du fonctionnaire qui a rédigé la réponse en nouvelle écriture romaine. La derniére main n'a posé que deux lettres latines dont l'interprétation est discutée. [c]l valerio firm[... ] | ab aurehae ammo [...] | rogo domine des mi|...]| auctorem. aurel p[...]|e lege iulia titia et ... [...]| dat dd nn phihppo aug II e[.] philibpo caesaris c[...]

5** main:

quo ne ab[ ... ] | abeat $l[ ...] | e leg iulet [...]

N.9 2. — Acte écrit sur bois (coin du revers d'une tablette de cire), AD

Egypte (Ann Arbor). P. Mich. VII (1947) 451 et pl. XIIc; Mar. 272. N.0 3. — Laissez-paser pour sortir d'Egypte, AD 246 (2*9* main). (Oxford).

P. Oxy. X (1914) 1271 et pl. V; Mar.

206. —

— Egypte

107. La premiére main est grecque.

valerius firmus | asclepiade..l.. si | dimitti..sd..[...? [...]| datum XVII καὶ [...]| present af...

| co..us

d..

180 -

mu

|

Explication des planches PLANCHE

N.0 r. — Volumen

(Gaius)

après

AD

XVI

161

[(III**s.] — Egypte.

P.

Oxy.

XVII (1927) 2103; Mar. 130. Pour la juxtaposition de l'écriture de ce livre à celle du Cicéron des Pafyr: Iandanae, voir la notice de la planche IV r. 1.9: ut quidq[ ... ]mercibus erst quod inde receptum | erit ita p[ ... Jominusve inter s[ . ] si quid debebitur et | ceteros c[ . . Jditöres pro rata portione distribuunt | et si...

N.° 2. — Volumen (Ulpien), aprés AD 193—avant milieu III®* s.—Egypte (Oxford). GRENFELL, HUNT et HOGARTH Fayum towns and their Papyri, Londres (1900), page 99, numéro 10 et pl. V; Mar 53. Cf. plus haut explication de la planche IV 1.

N.9 3. — Volumen CLA

(Glossaire

latin-grec)

[II*"*-III*"*

s.]. — Egypte

(Paris).

(1950) 698; Mar. 112. Cf. plus haut explication de la planche IV 1.

PLANCHE

XVII

N.0 r. — Huit lignes du ‘De Bellis' [fin I* s.] (cf. pl. X 2) et de l''Epitome' * (III s] (cf. le riuméro 3 de cette méme planche). On a placé au-dessous de ces deux détails un schéma rendant compte des deux positions nécessaires de l'instrument qui expliquent le passage de l'écriture du ‘De Bellis' (à gauche) à l'écriture de l'"Epitome' (à droite). N.0 2. — Volumen qui suit (n.? 3); verso utilisé pour écrire l''Epitre aux Hébreux’.

P. Oxy. IV (1904) 657, sans planche. Tout ce qui peut concourir à dater l''Epitome', ‘écrit auparavant au recto, est de la plus extrême importance, et j'ai jugé utile de soumettre ici au lecteur un détail du texte grec du verso (cf. la notice qui suit).

N.? 3.— Volumen

(Epitome

de

Tite-Live)

[II®*-III®* s.]. — Egypte

(Lon-

dres). P. Oxy. IV (1904) 668 et pl. VI. CLA 208. Aux restes trés étendus de ce volumen conservés au Musée britannique s'ajoute maintenant le fragment récemment retrouvé

PSI XII 2 (1951) 1291. Les circinstances de la trouvaille sont ainsi rapportées par Grenfell et Hunt en 1904 (The Ox. Pap. IV p. 91): «The papyrus was found with cursive documents varying from the second to the fourth century (chiefly third) and the text of the Epistle to the Hebrews is certainly not later than the fourth century (cf. introd. to (P. Oxy.] 657). The Livy Epitome must therefore have been written not later than the beginning of the fourth century and it more probably belongs to the third.» D'autre part, à la lumiére des progrés qui ont pu étre faits depuis 1904

dans la connaissance des écritures grecques, il conviendra de reconsidérer la valeur des remar ues des mémes

auteurs

(ibid. p. 37) sur la date du texte grec du verso

(cf. le n.? 2 qui précède), qui fournit un ‘terminus ante quem’: «The hand is a sloping uncial of the oval type, but somewhat coarse and irregular, and apparently in the transitional stage between the Roman and Byzantine variety. It is very similar

in appearance to the hand of (P. Oxy.] 404, a fragment of the Shepherd of Hermas, of which a facsimile is given in P. Oxy. III Plate IV; and we should attribute it to the first half of the fourth century while it may well go back to the first quarter. As stated in the introd. to [P. Oxy.] 668, the papyri with which this was found were predominantly of the third century and it is not likely to have been separated from them by any wide interval. The fact that the strips of cursive documents which were

Explication des planches

181

used to patch and strengthen the papyrus before the verso was used are of the third and not the fourth century points to the same conclusion». (Commentaires $$ 127 sq.) N.9 4. — Calendrier de fêtes, AD 224-235. — Syrie. Fink, HoEy et SNYDER The ‘Feriale Duranum’ ds Yale classical Studies VII (1940) pp. 1-122 et facsimile; Mar 296. Les caractéristiques calligraphiques de ce calendrier, qui se retrouvent sur la brique d'Espagne qui suit (n.° 5, cf. MALLON οὐ. ctt. ibid.), ont été encore relevés sur une inscription de 238 à Cordoue par NavascuÉs (Córdoba y Doura Europos, étude en préparation).

N.9 5. — Texte littéraire sur brique

(Virgile En.

V 1) [IV*** s.].

— Espagne

(Mérida). MALLON Filumene Asiana (Diehl ILCV 2794) ds AEA 71 (1948) pages 110-143. Ajouter: ID. La brique de Villaviciosa de Córdoba (Ps. 95, II), à paraitre ds Miscellanea Manaresi. Sur le classement de ces sortes de monuments, cf. MERLIN Vingt années d'études sur l'épigraphie latine ds Memorial des Etudes latines... offert à J. Marouzeau, Paris 1943, p. 497. (Transcription et commentaires ὃ 143.) PLANCHE N.° ici, pour qu'il est papyrus

XVIII

1. — Réponse à une pétition, AD 247 (cf. pl. XV 1). — Egypte. On a isolé le répéter, un détail du papyrus déjà reproduit à la planche XV r, parce bien daté et qu'il y a lieu de rapprocher son écriture de celle du codex de qui suit.

N.0 2. — Codex de papyrus (Cicéron et traduction grecque) [III***-TV*** siècle], P. Ryl. I (1911) 61; CLA 224. M. Lowe le date du cinquième siècle. On en a rapproché sur cette planche le fragment de l'écriture de 247 pour montrer qu'il n'est pas exclu qu'il faille remonter le Cicéron beaucoup plus haut (voir à ce sujet la remarque générale, contenue dans la notice XI X 1, concernant les papiers de Flavius Abinneus). Outre le systéme général d'écriture, on notera en effet des nuances calligraphiques trés précises qui sont communes à l'écriture de 247 et au Cicéron, notamment dans les B et dans les L. La vérité est qu'il paraît souvent très difficile de dater, uniquement par les écritures, de nombreux exemples à un siécle prés entre les troisiéme, quatriéme et cinquiéme siécles. On voit par ce cas combien il est arbitraire de donner le tranchant d'un ordre chronologique à des listes de ces sortes de monuments. PLANCHE

XIX

N.0 1. — Codex de papyrus (trad. Virgile) [III*7*-TV*7* s.]. — Egypte (Manchester). CLA II (1935) 227. P. Rl. 478. N.? 2. — Codex de parchemin (traité juridique dit ‘De judiciis [III*IV** s.). — Egypte (Berlin). MoMMSEN Sitzungsberichtie..., Berlin 1879, et

EL (1939) 47. PLANCHE

XX

N.9 1. — Codex de papyrus (texte liturgique) [III*"*-IV*m* s.]. — Egypte (Manchester). P. Ryl. III (1938) 472 et pl. 3. On comparera à ce codex la lettre de Maximus écrite sur tuile en Espagne et trouvée à Villafranca de los Barros (Mons. 138 et pl. XV). La dualité de la forme de N, dont ce manuscrit offre un exemple, et qui est signalée

182

Explication des planches

au paragraphe 124, est une question qu'il y aurait lieu de creuser. D'une maniére générale, une étude de l'histoire de la lettre N me paraitrait devoir fournir des indices spécialement importants sur l'histoire de l'ensemble de l'alphabet latin. PLANCHE

XXI

N.? r. — Lettre missive, AD 344. — Egypte (Genéve). EL (1939) 34; Mar. 146. La lettre reléve de son commandement Flavius Abinneus, préfet d'une aile de l'armée d'Egypte. A voir comment les paléographes datent communément certains exemples de la méme écriture dépourvus de données autres que paléographiques, il semble que les papiers de Flavius Abinneus, s'ils ne nous étaient pas parvenus avec des données chronologiques précises, se seraient vu attribuer la date du cinquiéme siécle. Or ils sont de la premiére moitié du quatriéme, et cela donne à refléchir sur plusieurs datations purement paléographiques du cinquiéme siécle. D'une maniére générale, il semble que les monuments de basse époque, qui, pendant longtemps, ont été seuls connus, ont exercé une sorte d'attraction vers le bas dans la datation de nombreux exemples plus anciens qui ont apparu ensuite. PLANCHE

N.? 1.— Codex

de

papyrus

(Cicéron)

XXII

(III&€*-V*9*s,]. — Egypte

(Londres).

P. Oxy. VIII (1911) 1097 et pl. VI; X (1914) 1251; CLA 210. M. Lowe date ce codex du cinquième siècle. Sur ces datations, voir les remarques contenues dans les notices des planches XVIII 2 et XXI 1.

PLANCHE

XXIII

N.0 ı. — Epitaphe sur marbre [IV*»-V*» s.]. — Espagne (Lisbonne). IHC (1900) 294 avec planche, et MALLON L'épitaphe de Rogata ds Emerita XV (1947) pages 87-122. Trouvé à Marim (Portugal). On reproduit ici le calque donné por Hübner en 1900, l'original conservé au Musée ethnologique de Lisbonne ayant été à nouveau brisé et ayant perdu un de ses fragments. C'est l'une des inscriptions auxquelles Hübner a appliqué inopportunément le nom d'onciale, conformément aux critéres de ses Exempla de 1885 («Monumenta litteris uncialibus scripta», 1146 à 1152). Pour les inscriptions d'Afrique ($ 213), auxquelles les épigraphistes ont de la méme maniére appliqué la qualification d'onciale et qui sont de la premiére moitié du troisiéme siécle, cf. BÜCHELER Rheinisches Museum für Philologie XLII (1887) p. 473, et CaGNAT Nouvelle inscription latine en lettres onciales ds Revue de Philologie, 2*9^ serie, XIX (1895) pp. 214-217. Un travail de Charles Perrat sur ces inscriptions est en préparation. Pour la question des chiffres, étudiée aux paragraphes 187-196, cf. MALLON Pour une nouvelle critique des chiffres... ds Emerita XVI (1948) pp. 14-45.

N.? 2. — Texte sur tuile (IV*"* s..] — Espagne

(Madrid),

Mons.

(1899)

129.

MALLON Recherches sur les inscriptions à la pointe sèche publiées par le marquis de Monsalud ds Emerita XVIII (1950) pp. 104-137.

N.° 3. — Pétition de Flavius Abinneus, AD 345. — Egypte (Londres). SEYMOUR

DE Rıccı Journal of Egyptian Mar. 148.

Archaeology

XIV

(1928) p.

320-323

avec '

planche;

Explication des planches

183

Jtriginta ei tres directus a senecione antehac | |... Juestia pietatis uestrae tinopolimm|/...]atque obtulitis eis clementiae uestrae| |... Jiussit prasceptusque ttaque producere memorato[s] | |... Jerum comitatum uestrum tirones ex prouincia | [... ] were me clementia praefectum. alae dionusa| da ]| [...]co comiti officium respondit allegasse | ... PLANCHE

N.° ri. — Codex

de parchemin

(Terence)

XXIV

avec gloses

[IV*** s.]. — (Vatican).

MABILLON De re diplomatica 2 (1709) p. 352 et pl. VI 3; CLA 12; MALLON L'éfstaphe de Rogata ds Emerita XV (1947) pp. 87-122.

N.? 2. — Codex de papyrus (Cicéron) [(IVèæ-Vie s,]. — Egypte (Florence). PSI I (1912) pp. 43-47 et facs.; CLA 28 N.9 3. — Exsécration sur plomb ἥν -ν s.]. — Dalmatie. CIL III 2 (1873) page 6r BARADA Tabella plumbea traguriensis ds Vjesnik, Hrvatskoga Arheoloskoga, nouvelle serie, XVI (1935) pp. 11-18. Trouvee en 1869 ἃ Troguir. (Cf. explication planche I2.)

CLA

N.0 4. — Codex (1938) 288.

de

papyrus

(Salluste)

νον

s.]. — Egypte

(Florence).

N.? 5. — Epitaphe sur marbre, AD 338. — Rome. Publiée dés le dix-neuviéme siècle par De Rossi (Steffens 11 b). Cette inscription porte une dernière ligne composée en écriture commune Mercurius Pater filiae d. VI idus nouemb Urso et Polemio

coss. Cette ligne a été longtemps le seul exemple bien daté d'une époque aussi ancienne portant une écriture latine de son espéce. PLANCHE N.9

1.

— Copie

d'un

EL (1939) 32 et 33; Mar.

rescrit

impérial,

XXV vers

AD

344. — Egypte

(Leipzig).

147.

im]bb diocletianus et maximianus au[gg et constantius] | et. maximianus nobb caess | ad synodum xysticorum et thymelic[orum et iuidem famslia ] | re nobis praerogatiuas integras inlibatas se|... N.? 2. — Codex de parchemin (traité de grammaire) [IV** s.]. — Italie (Naples). EICHENFELD Analecta grammatica, Vienne 1837, facs. I; CLA 398.

N.0 3. — Codex

de parchemin

(traité de grammaire)

[IV*9*-V*w* s,]. — Italie

(détruit à Turin par l'incendie de 1904). CiPorrA Atti della R. Accademia delle scienze di Torino XIX (1884) p. 141 avec planche; CLA 462.

N.° 4. — Codex de parchemin (traité de grammaire) (IV*T9-V*** s.). — Italie (Naples). CHRousr Monumenta palacographica, 1*% série, II, XI, pl. 2a, b. Munich 1904; CLA 397 a. PLANCHE XVI

XXVI

N.° 1. — Procès-verbal d'audience d'un 'praeses', AD (1924) 1879 et pl. II; Mar. 171. . .I ]sidorus Theofilus v c praeses p[ ...] -

434.

— Egypte.

P. Oxy.

184

Explication des planches

Les lignes suivantes sont grecques. N.? 2.— Copie sur marbre d'un acte impérial [V*?*s.]. — Asie Mineure. DEGRAssI Jscriziont latine inedite di Coo ds Clara Rhodos X (1941) p. 213 et fig. 5.

N.9 3. — Copie

sur

marbre

d'un

acte

impérial [V*"** s.]. — Tunisie

(Tunis).

MERLIN Catal. Musée Alaoui, Sup. Paris 1910, p. 97 et pl. LIV 2. Trouv. à Kairouan. L'inscription grecque d'Ephése avec date latine, à laquelle il est fait allusion aux paragraphes 165 et 173, a été publiée en 1907 avec une planche par HEBERDEY ds Jahreshefte des Osterreischischen Archaeologischen Institutes in Wien X, Beiblatt, col. 61-78 et fig. 10. Rapprocher aussi une inscription de Mylasa publ. par Louis ROBERT ds Rev. archéol. 1935, II, p. 157.

N.9 4. — Original d'un rescrit impérial [V*"*s.] — Egypte (Leyde, Paris). CHAMPOLLION-FIGEAC Chartes et Manuscrits sur papyrus de la Bibliothèque royale, Paris 1840, pl. XIV (sans lecture); MASSMANN Libellus aurarius, Leipzig 1841, planche B (avec lecture du fragment de Leyde); WAILLY, Mémoires de l'Institut royal de France XV 2 (1842) pp. 399-423 et pl. I à III (avec lecture des fragments de Leyde et de Paris); GIRY Manuel de diplomatique, Paris 1894, p. 514; REUSENS Eléments de Daléographie, Louvain 1899, p. 24; PREISIGKE Die Inschrift von Skaptoparene dans Schriften der Wissenschaftlichen Gesellschaft in Strassburg XXX (1917) p. 68; PROU (1924) p. 63; MALLON L'écriture de la Chancellerie impériale romaine (Acta Salmanticensia, Filosofia y Letras, IV 2), Salamanque 1948; Mar. 182. portionem ipsi debitam. resarcire | nec ullum precatorem [emptionali ] | pro memorata narratione per uim conf... PLANCHE

ex instrumento

XXVII

N.0 1. — Acte expédié par une préfecture [V*** s.]. — Egypte (Vienne). WESSELY Schrift. (1898) 25; Mar. 168. (Cf. $ 176.) N.0 2. — Acte expédié par une chancellerie royale en Gaule (parchemin), AD 679. — Ce diplóme fait partie de la série des originaux mérovingiens dont on peut dire qu'elle a, au dix-septiéme siécle, servi de premier fondement à la paléographie latine. Le diplóme reproduit ici ne figure pas parmi les dix qui, dés 1681, ont été totalement ou partiellement donnés en facsimilé par MABILLON, qui le mentionne (De Re Diplomatica, p. 470, n.? 11). Il a été reproduit pour la preméere fois par

LETRONNE

(Diplomata

et Chartae

Merovingicae

aetatis...,

serie

I, Paris

1844,

planche XVIII) et en dernier lieu par LAUER et SAMARAN (Les diplômes originaux des Merovingiens, Paris 1908, pl. 16). Ce dernier ouvrage est un exemple de ces publications exhaustives dont il est question au paragraphe 4 du présent ouvrage et qui

ont été consacrées aux monuments graphiques de la basse latinité trés anciennement connus des paléographes. On citera, dans le méme ordre d'idées, la publication en cours des Diplomata Karolinorum par MM. Lot et Lauer. Les efforts qui ont été apportés à la réalisation de ces admirables travaux contrastent avec le peu de souci que la paléographie a eu, jusqu'à ces derniéres années, de faciliter l'étude des papyrus d'Herculanum et d'Orient qui jalonnent les sept siécles antérieurs aux diplómes mérovingiens. De nombreux projets de Corpus des papyrus latins se sont fait jour, émanant

des milieux de la papyrologie (CALDERINI Papiri latini, Milan 1945), peut-être moins directement intéressés que ceux de la paléographie pure. Marichal, aprés l'échec de ces tentatives, nous laisse espérer qu'il arrivera à mettre sur pied une entreprise aussi indispensable. D'ores et déjà, il a donné une trés précieuse liste, qui nous

Explication des planches

185

dispense de nous referer aux travaux analogues parus anterieurement, et qu’on trouvera dans la «chronique» de la revue Scriptorium (IV 1, pp. 119-131). Pour des raisons que j'ai développées dans les conclusions du présent ouvrage, j'aurais personnellement congu ce travail selon un autre plan. Tel qu'il est, il mériterait d'étre abondamment tiré à part et devrait servir de'vademecum' à tous les paléographes. PLANCHE

XXVIII

N.0 r. — Alphabet latin (IV***-V*** siécle.]. — Egypte. MILNE Greek shorthand manuals, Londres 1934, p. 70 et pl. IX; Mar. 307. Les trois fragments reproduits occupent la place qui leur correspond dans le verso d'un méme papyrus (Antinoe Pap. I, fr. 1) telle que permet de la fixer le texte grec du recto (MILNE, ibid., pl. VIII). Le fragment du haut porte un alphabet d'écriture commune 4 BCDEFGHIK | LMNOPQRSTV [...] où chaque lettre est surmontée d'un nom grec: a, f», x7, 95,

t, (eee, in, δασια,

du bas porte

t xa,

l'alphabet

(Ae,

quie,

tvve,

o, x1, κου,

capital correspondant

Ἰρρε,

tace, tn, ov. Le fragment

à l'écriture commune

du haut: 43BCDEFGHIKL[.]|NOPQRSTV X Y Z

du fragment

suivi d'une ligne

portant, dans ces mêmes capitales, les groupes ἐλ ch chis ae: e [ . ]. Dans la lacune du milieu qui n'est occupée que par un petit fragment oü semble apparaitre un V d'écriture commune, il est difficile de faire une conjecture sur ce qui a pu exister: peut-étre une ligne de groupes de lettres d'écriture commune, analogues aux groupes qui suivent l'alphabet capital sur le fragment inférieur. De toute maniére, ces deux alphabets écrits à l'encre sont du plus haut intérét, d'abord en eux-mémes, et ensuite par leur association dans un méme abécédaire. Dans l'alphabet d'écriture commune, on notera les ressemblances calligraphiques trés frappantes avec l'écriture de l'expédition d'un document par la préfecture d'Egypte (pl. XXVIII) et, entre autres détails, dans le départ du second trait de N, de plus, ce n'est peut-être pas trop raffiner dans les commentaires que de remarquer que l'exécution de ces lettres latines

est assez peu aisée, que tout semble indiquer que l'auteur était grec, et qu'enfin la seule lettre écrite avez élégance est 1’A, qui était commun aux écritures latine et grecque de cette époque (cf. $ 132). Quant à la capitale associée à cette écriture commune, elle est de celles, contournées et alambiquées, qui avaient cours alors, dans le genre de la capitale du calendrier de Doura (pl. XVII 4) et de la brique d’Aceuchal (pl. XVII 5). On notera l'intérét qu'il y aurait à la comparer avec les écritures monumentales contemporaines d'Occident, portées, par exemple, en Espagne, par des inscriptions gravées sur marbre à l'époque wisigothique. PLANCHE

N.? 1. — Codex

de

parchemin

(traité

XXIX

‘de

Manichaeis)

[V*** s.]. — Algérie

(Paris). OMONT Comptes-rendus de l’Académie des Inscrptions et Belles-Lettres, Paris 1018), p. 241 (pl.). CLA 680. N:9 2. — Codex de parchemin (Didascalia apostolorum), avant AD 486. — Italie (?) (Vérone). MArrEr Istoria teologica..., Trente 1742, p. 88 et pl. III; CLA 508.

N.0 3. — Codex

de parchemin

(Saint-Hilaire), avant AD 510. — Sardaigne (9)

(Vatican). MABILLON De re diplomatica 2, Paris 1709, pl.

N.0 4. — Codex

de parchemin

(Sulpice Severe),

VI 6; CLA r

AD

a.

517. — Italie

MAFFEI Istoria teologica..., Trente 1742, p. 60 et planche; CLA 494.

(Vérone).

186

Explication des planches PLANCHE

N.0 1. — Codex

de parchemin

XXX

(Evangiles),

avec

renvoi.

[IV*9* s.]. — (Cam-

bridge). SCRIVENER Bezae Codex Cantabrigiensis, Cambridge 1864; CLA

N.o 2.

— Codex

de parchemin

(Lactance)

avec gloses

140.

[V*?* s.]. — Italie

(9)

(Bologne). MoNTFAUCON Paleographia Graeca, Paris 1708, pp. 222-223; CLA 280. N.9 3. — Codex de parchemin (Virgile) [Vème s.]. — Gaule (?) (Vérone). RIBBECK

Prolegomena critica...,

Leipzig 1866, p. 226 et pl. IV 2; CLA 498.

N.9 4. — Codex de parchemin avec gloses (Saint-Augustin), aprés AD 420 [Ve s.) — Italie (?) (Vérone). CHATELAIN Uncialis scriptura, Paris 1901-1902, page 42 et pl. XXI; CLA 491.

N.? 5.

— Codex

de parchemin

(Saint Cyprien)

[IV®* s.]. — Afrique

(Turin,

Milan, Vatican). CHATELAIN Uncialis scriptura, Paris 1901-1902, p. 68 et pl. XIII; CLA 458. Pour les trois textes cités au paragraphe 147 qui contiennent le mot onciale dans une acception évidemment différente de son acception moderne, cf. MIGNE Patrologie latine XXVIII 142 (texte de Saint Jérôme), ID. of. cit, CXIX 448 (texte de Loup de Ferriéres), et BISCHOFF Die alten Namen der lateinischen Schriftarten dans Philologus 89 (1934) pp. 461-465 (texte du glossaire). Pout les recherches auxquelles il est fait allusion au paragraphe 148 sur les les relations entre les écritures grecques et latines, cf. NORSA Analogie e coincidenze tra scritture greche e latine nei papiri ds Miscellanea Mercati (Studi e Testi 126), 1946, pages 105-121; MARICHAL De la cafitale romaine à la minuscule ds AUDIN Somme typographique I, Paris 1948, pp. 63.111; MARICHAL L'écriture latine et l'écriture grecque du 1* au V I siècle ds L' Antiquité classique XIX, Bruxelles 1950, pp. 113-140. PLANCHE

XXXI

N.9 1. — Epitaphes sur marbre, AD 518. — Espagne (Badajoz). R. MoNINo Observaciones. .., Centro de Estudios Extremeños, Badajoz 1941, pp. 16-18; et avec planche; NAVASCUÉS De epigrafia cristiana extremeña ds AEA 69 (1947) p. 277, numéro 3; MALLON Pour une nouvelle critique des chiffres dans les inscriptions latines gravées sur Pierre ds Emerita XVI (1948) pp. 14-15. (Transcription et commentaire $ 197.) Pour l'expression scripsit et sculpsit et autres questions se référant à l'établissement des inscriptions, cf. CAGNAT Sur les manuels professionnels de graveurs d'inscriptions romaines ds Revue de Philologie XIII (1889) pp. 51-65, et MALLON, of. cit. On trouvera plus loin ($ 227) une étude analogue à celle qui est faite au para-

graphe 197 de l'inscription de Badajoz. Elle porte sur les fautes d'une inscription du Musée de Séville qui est toute en écriture monumentale (cf. MALLON L’inscription d' Herménégilde ds Memorias de los Museos arqueológicos provinciales (1948-1949) pages 320-328 et pl. C).

N.0 2. — Codex de parchemin (Salluste) [IV**-V*me s,]. — Italie (9) (Vatican). Mar Classicorum auctorum e Vatic. codd. edit. I, Rome 1828, p. 414 avec facsimilé; CLA, Vatic. regin, lat. 1283 B; EL 43. Cf. le A qui suit.

N.0 3. — Epitaphe sur marbre [IV***-V*** s.]).

— Espagne

(Mérida). FrrA Bo-

letín de la Real Academia de la Historia 64, Madrid 1913, p. 236 avec photographie; ICERV r7. On remarquera que l''ordinator' de cette inscription, trouvée à Mérida

Explication des planches

187

et conservée au Musée de cette ville, avait le style calligraphique du scribe du Salluste du Vatican (numéro précédent). Il travaillait seulement avec plus de négligence, ce qui, entre autres effets (par exemple l'irrégularité des lignes), a eu celui de faire apparaître, aux lignes 3 et 4, des L appartenant au système de l''Epitome'. Il avait aussi tendance, conformément au méme systéme, à allonger exagérément le dernier trait de E. PLANCHE

XXXII

N.? r. — Codex de papyrus (Digeste) [VI®* s.]. — Egypte (Manchester). P. Ryl. DI (1938) 479 et pl. 4. Il s'agit d'un nouvel exemple du groupe de codices signalé par M. Lowe (cf. $ 151).

N.9 2. — Codex de parchemin (Lucain) [TV s.]. — Italie (Naples). CHATELAIN Paléographie des classiques latins, Paris 1884-1900, II, p. 17 et pl. CLIII; CLA 392. Le critére de la position de l'instrument apparait (mais seulement comme moyen de distinguer la capitale soi-disant «rustique» de ce manuscrit d'une part, de la . capitale soi-disant «élégante» du numéro 3 qui suit d'autre part) dans: Hurm Schrift-

form und Schreibwerkzeug, Vienne 1928, et DELITSCH Geschichte der abendländischen Schrift, Leipzig 1928. Je n’ai connu les livres de Hurm et de Delitsch qu’en 1942 en Allemagne, et comme ils ne sont plus ἃ ma disposition, je ne puis donner de reference plus précises. J'ignorais ces deux ouvrages au temps de mes 'Observations' de 1939 où je donnais à ce que j'appelais provisoirement '"l'nclinaison du papier’ une portée tout autre et bien plus grande.

N.0 3. — Codex

MABILLON

de parchemin

(Virgile

dit ' Augusteus")

[IVe vie

ς 1. —

De re diplomatica 2 (1709) p. 637 et planche; CLA 13.

On se fera une idée des plus anciens types d'écriture latine sur lesquels pouvait seulement raisonner la paléographie avant la fin du dix-neuviéme siécle, en groupant, à titre de spécimens, autour du présent numéro, les numéros IV 2, V 3, VII 1,

XII 1 et 2, XIV X ı et 5, XXV 2 et 5, XXVI4, XXVII 2, XXIX 2 à 4, XXX 1 à 5, XXXI2 et XXXII 2 et 4. On pourra juger par là combien l'ensemble ainsi obtenu se prétait mal à une détermination de rapports entre des écritures si hétéroclites, à une étude de ce qui était encore une préhistoire de l'écriture latine, préhistoire qui se prolongeait alors pratiquement jusqu'au quatriéme siécle de notre ére. Une publication aussi récente que le beau recueil, purement mediéval, de M. Förster ( Mittelalterliche Buch -und Urkundenschriften auf 50 Tafeln, Berne 1946, in 4.9) nous laisse encore aux prises avec les mêmes difficultés: il s'ouvre sur trois manuscrits attribués au cinquiéme et au sixiéme siécle qui ont regu les dénominations, le premier, de «capitale rustique», le second, d'onciale, le troisième, de «semi-oncialex J'ai insisté ($ 4) sur ce fait que les paléographes ont mis très longtemps à s’apergevoir que, parmi les monuments publiés depuis quelque soixante-dix ans par les papyrologues, il y avait des livres et des documents latins antérieurs au quatriéme siécle. Le cas-limite de l'éloignement que trop de paléographes ressentent pour les papyrus d'Egypte est celui de l'auteur d'une étude sur un probléme très rebattu (HATCH The origin and meaning of the term ‘uncial’ ds Classical Philology 1935, p. 252): «... no latin manuscripts — écrit-il — are extant which can be plausibly ascribed to a date earlier than the fourth century.» Qu'on prenne bien garde à la date oü cette assertion a été produite: 1935. Au cours des années précédentes, les papyrologues avaient publié un nombre déjà respectable de fragments de livres comme de documents allant du premier siécle avant J. C. jusqu'au quatriéme siécle (cf., par exemple,

planches IV ı, VI,

X 1 et 2, XVI ı et 2, XVII 3). Je ne crois pas qu'on puisse citer

188

Explication

des planches

d'autres paléographes contemporains qui aient fait à une époque si récente une déclaration si surprenante; mais un trop grand nombre d'entre eux se comportent encore implicitement comme si elle correspondait à la réalité.

N.? 4. — Codex

de

parchemin

(Evangiles) [VI***-VIII*" s.].

— DELISLE

Le

Cabinet des manuscrits de la Bibliothèque nationale III (1881) p. 214 et pl. X; CLA 526. On comparera ces Evangiles, qu'on date habituellement du huitiéme siécle, avec

le Virgile 'Augusteus' qui précéde, qu'on date habituellement du quatriéme. Compte

tenu de ce que le Virgile est en capitale et les Evangiles en onciale, le style calligraphique est le méme: le module est presque identique; les lettres qui, dans l'un et l’autre alphabet, ont la méme structure, sont calligraphiées de telle sorte qu'elles sont presque exactement superposables: les BCILNOS, les V (avec valeur de lettres dans le Virgile et avec valeur de chiffres dans les Evangiles), les Y, les Z. Il est trés possible qu'on ait vieilli exagérément l'Augusteus', qu'on ait rajeuni exagérément l’Evangéliaire, que l'un n'ait pas été écrit si loin de l'autre qu'on le croit, ou tout au moins que l'un et l'autre aient été exécutés en des lieux éloignés par des scribes ayant appartenu à une méme école, mais il est fort possible aussi que M. Lowe ait raison de dater du quatriéme siécle le Virgile, et de la fin du huitiéme les Evangiles, de croire le Virgile écrit en Italie et les Evangiles écrits en Angleterre. Si l'on n'a rien de sérieux à opposer à des écarts aussi énormes, dans le temps comme dans l'espace, entre des calligraphies présentant de telles ressemblances, c'est qu'il s'agit d'écritures absolument factices et décoratives, exécutées comme au pochoir, d’après des modèles, et en dehors de l'évolution et de la vie de l'écriture latine. Le probléme de ces écarts n'a que l'importance de ces mémes exemples, importance qui, du point de vue de l'histoire de l'écriture latine, est faible.

N.9 5. — Codex de parchemin (Psautier) [VIII®® s.]. — CLA 101. N.0 6.

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EN MADRID, EN LOS TALLERES DE GRÁFICAS REUNIDAS, S. A., SE TERMINA SU IMPRESIÓN EL DÍA 9 DE AGOSTO DE 1952.