Ontologie scalaire et polémique trinitaire. Jahrbuch für Antike und Christentum. Ergänzungsbände. Kleine Reihe 3402109174, 9783402109175

Die Arbeit untersucht die gestufte Trinitätslehre der Apologia Apologiae (AA) des Eunomios und die Bedeutung des Untersc

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Polecaj historie

Ontologie scalaire et polémique trinitaire. Jahrbuch für Antike und Christentum. Ergänzungsbände. Kleine Reihe
 3402109174, 9783402109175

Table of contents :
Title
TABLE DES MATIÈRES
REMERCIEMENTS
NOTE PRÉLIMINAIRE
INTRODUCTION
PRÉCISIONSSUR LA TRADUCTION DE QUELQUES MOTSTECHNIQUES GRECS
PREMIÈRE PARTIE: CIRCONSTANCES DE RÉDACTION
Chapitre I: Contexte historique et théologique de la polémique
1 Rappel historique: Les synodes de Rimini et Séleucie, et lesassemblées de Constantinople
2 Les étapes de la controverse théologique entre Eunome et les Cappadociens
Chapitre II: Sur les traces d’une oeuvre perdue
1 Les citations du premier volume de l’AA
2 Valeur des fragments
3 Conclusion
DEUXIÈME PARTIE: NATURE ET SOURCES DESFRAGMENTS 1 ET 2
Chapitre I: Nature des fragments 1 et 2
1 Le fragment 1: les fondements de la doctrine eunoméenne
2 Le fragment 2: la résolution du problème de la similitude
3 Conclusion
Chapitre II: Les sources d’Eunome
1 Eunome et la gnose hérétique
2 Eunome et ses sources philosophiques
3 La place d’Eunome dans la tradition chrétienne
4 Eunome et l’accusation de judaïsme
5 Conclusion
TROISIÈME PARTIE: PLACE ET RÔLEDE LA DISTINCTION ktistón/áktiston DANS LE EUN. I
Chapitre I: La remise en cause de l’ontologie scalaire d’Eunome
1 Le rejet de la subordination des trois premières substances
2 La remise en cause de la doctrine d’Eunome sur l’activité
3 Conclusion
Chapitre II: ktistón/áktiston: caractéristiques et rôle théologique du système ontologiquede Grégoire de Nysse
1 Place et structure des chapitres XXII–XXIII (Eun. I 270–320)dans le Eun. I
2 Caractéristiques métaphysiques de la distinction ktistòn/áktiston
3 Le rôle de la distinction ktistón/àktiston pourla controverse trinitaire
4 Les fondements scripturaires pour une Triade áktistoc
5 La distinction ktistón/àktiston: quelle originalité de Grégoire ?
CONCLUSION
ANNEXE
BIBLIOGRAPHIE
INDEX

Citation preview

ISBN 978-3-402-10917-5

ASCHENDORFF

BATLLO • ONTOLOGIE SCALAIRE ET POLÉMIQUE TRINITAIRE JbAC • Erg.-Bd. • Kleine Reihe 10

L'ouvrage étudie la doctrine trinitaire subordinatianiste de l'Apologie de l'Apologie d'Eunome (AA) et le rôle de la distinction 6J4FJ`Alexandre–¯ tÏte tƒ >Aet–˙ diatr–bonti sunËsthsen », mais il est difficile de donner une date précise. On sait qu’Aèce fut à Antioche après 344 et partit ensuite à Alexandrie (sans qu’on sache exactement quand) ; de même Eunome suivit des études à Antioche sans doute à partir de 346 et partit lui aussi à Alexandrie pour rencontrer Aèce. La rencontre pourrait donc avoir eu lieu à Alexandrie, comme le laisse entendre R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus and the Nicene Revolution, p. 28, mais une première rencontre peut aussi avoir eu lieu à Antioche, quand Aèce est encore auprès de Léonce d’Antioche, comme le laisse aussi entendre R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus and the Nicene Revolution, p. 14. Cf. la lettre adressée aux délégués occidentaux et conservée par Hilaire, coll. antiar. B VIII 1 : «Dolus autem nunc praeparatur, ut Aetius auctor hujus haeresis ipse potius, quam haec impietatis dicta damnentur. » Aèce semble donc déjà jugé et condamné lorsque les Occidentaux arrivent, cf. J. Gummerus, Die homöusianische Partei, note 5, p. 147. Cf. Sozomène, h.e. IV 23, 3s ; Théodoret, h.e. II 28, 4s. Aèce et Eunome s’étaient rendus à Antioche auprès d’Eudoxe, après que celui-ci eut succédé à Léonce, et ils réussirent vraisemblablement à gagner Eudoxe aux orientations anoméennes, cf. Sozomène, h.e. IV 13, 2 ; Théodoret, h.e. II 28 (27), 9. Sur les relations entre Aèce et Eunome à leur arrivée à Antioche auprès d’Eudoxe, cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 150– 153 ; S. Destephen, «Eunomios 1 », p. 299. Cf. Théodoret, h.e. II 28, 5. De fait, l’ardeur de Basile à pourchasser ses opposants avait provoqué des plaintes auprès de l’empereur, cf. Philostorge, h.e. IV 10 (63, 1–4), et Basile n’avait pas fait approuver par le parti homéousien à Séleucie la Quatrième formule de Sirmium, qu’il avait pourtant, même à contrecœur, signée en

32

Première partie : Circonstances de rédaction

torge peut exagérer le rôle d’Aèce au cours des discussions, il paraît pourtant très vraisemblable que le talent oratoire de celui-ci joint à son art de la dialectique donna du fil à retordre à ses accusateurs et impressionna le jeune Basile, qui, visiblement, quitta peu glorieusement l’assemblée, sans plus participer aux débats 39. Aèce n’en fut pas moins condamné par l’empereur 40, alors qu’il n’est fait aucune mention d’une condamnation d’Eunome, qui pourtant était à ses côtés et de même opinion. Après que les délégués de Rimini furent arrivés, les partisans d’Acace demandèrent aux homéousiens de rejeter le terme oŒs–a, écarté par les Occidentaux, et d’adopter la formule de foi finalement signée à Rimini, la formule dite de Nikê de facture homéenne. Les homéousiens, qui résistèrent toute la nuit du 31 décembre 359 au 1er janvier 360 41, finirent par céder et signèrent cette profession de foi 42. La première assemblée de Constantinople s’acheva donc par la victoire homéenne et l’unité religieuse de l’Empire, tant souhaitée par Constance II, fut une unité d’orientation homéenne, ce qui fit dire à Jérôme : Ingemuit totus orbis, et Arianum se esse miratus est. 43 Une deuxième assemblée en janvier 360 suivit cette première réunion 44. Dominée par les évêques homéens, ceux-ci profitèrent de leur nouvelle position de force et du soutien de Constance II pour déposer les évêques homéousiens particulièrement gênants, présentant pour cela non des motifs doctrinaux (les homéousiens ayant signé la formule de Nikê), mais disciplinaires 45. Les homéens se redistribuèrent ensuite les sièges épiscopaux et c’est au cours de cette assemblée qu’Eunome reçut celui de Cyzique 46. Même si Eunome mit comme condition le rappel d’exil dans un délai de trois mois de son maître Aèce 47, il n’en reste pas moins que maître et disciple connurent au cours de ces assemblées des destins bien différents : Aèce fut banni tandis qu’Eunome devint évêque 48.

présence de l’empereur ; il n’était donc plus le facteur d’unité souhaité par Constance II, cf. H.-Ch. Brennecke, Studien zur Geschichte der Homöer, p. 12–13. 39 Cf. Philostorge, h.e. IV 12 (64, 5–7) : « oŸc älloi te ka» Bas–leioc Èteroc par®n sunasp–zwn, diakÏnwn Íti tàxin

Íqwn, dunàmei m‡n to‹ lËgein poll¿n profËrwn, tƒ d‡ t®c gn∏mhc Çjarseÿ pr‰c toÃc koinoÃc ÕpostellÏmenoc Çg¿nac. » Cette accusation de Philostorge, par-delà son caractère polémique, doit être cependant tenue pour très vraisemblable, puisqu’Eunome mentionne ce fait dans l’AA et Grégoire ne le contredit pas, cf. Eun. I 79. 40 Cf. Théodoret, h.e. II 28, 12 ; Sozomène, h.e. IV 23, 4 ; Philostorge, h.e. IV 12 (65, 17–19) : Aèce fut d’abord

41 42 43 44 45

46 47 48

chassé de la résidence impériale (‚kblhj®nai m‡n kele‘ei t¿n basile–wn t‰n >AËtion) et ce n’est qu’ultérieurement qu’il fut exilé, à Mopsueste en Cilicie d’abord, puis à Amblade en Pisidie orientale, l’évêque Auxence de Mopsueste ayant apparemment trop bien traité Aèce, cf. Philostorge, h.e. V 2 (67, 10–12). Cf. Théodoret, h.e. II 28, 19–20. Cf. Sozomène, h.e. IV 23, 8. Jérôme, c. Lucif. 19 (158, 10–11). Cf. Socrate, h.e. II, XLII ; Sozomène, h.e. IV 24. Cf. Socrate, h.e. II, XLII 2 ; Sozomène, h.e. IV 24, 4. Parmi les évêques déposés figure Macédonios, évêque de Constantinople, remplacé par Eudoxe auparavant titulaire d’Antioche. Les changements ne se limitent donc pas aux simples affaires ecclésiastiques mais prennent aussi une tournure institutionnelle, Constantinople prenant le pied sur Antioche, cf. G. Dagron, Naissance d’une Capitale, p. 443 : «En 338–339, Constantinople était mise par Eusèbe au-dessus de Nicomédie ; elle est mise cette fois au-dessus d’Antioche, à une date où les deux grandes villes de l’Orient romain sont en pleine rivalité. La date de 360 est donc aussi importante pour les institutions ecclésiastiques de la capitale que pour ses institutions politiques. » Cf. Sozomène, h.e. IV 25, 6 ; Théodoret, h.e. II 30, 1. Cf. Philostorge, h.e. V 3 (69, 2–4). Selon S. Destephen, «Eunomios 1 », p. 301, cette situation fut pour Eunome «un déchirement moral ».

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

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2 Les étapes de la controverse théologique entre Eunome et les Cappadociens 2.1 L’Ap d’Eunome et sa réfutation par Basile C’est dans ce contexte mouvementé de décembre 359–janvier 360 qu’Eunome tint très probablement, presque nécessairement, une apologie, défense qui lui valut non seulement d’échapper à une condamnation comme Aèce, mais aussi de recevoir le siège de Cyzique 49. Ce plaidoyer fut vraisemblablement publié ensuite sous forme de petit traité, sans doute plus développé que l’exposé public original : l’Ap 50. L’Ap d’Eunome se compose de vingt huit chapitres, le dernier (ch. 28) étant certainement un appendice au texte, rajouté ultérieurement par Eunome ou par un disciple, et reflétant clairement les positions eunoméennes 51. Le traité commence par un long 49 La date et l’occasion de cette apologie d’Eunome ont fait l’objet de multiples débats. L’opinion premièrement

reçue s’appuyait sur des indications de Philostorge, h.e. VI 1 (70, 25–71, 1) et plaçait l’apologie d’Eunome à la fin de l’année 360, devant Eudoxe de Constantinople, suite à des accusations d’anoméisme ; ainsi F. Diekamp, «Literargeschichtliches zu der Eunomianischen Kontroverse », p. 1–6, qui arrivait à la conclusion que «spricht die größere Wahrscheinlichkeit dafür, daß er diese Rede [l’apologie] Ende 360 vor dem Klerus der Kaiserstadt vorgetragen hat. », opinion reprise par X. Le Bachelet, «Eunomius », col. 1504 ; E. Vandenbussche, «La part de la dialectique dans la théologie d’Eunomius le ‹technologue › », note 1, p. 62 ; E. Cavalcanti, Studi Eunomiani, p. 24 : «Questo discorso al clero di Costantinopoli presumibilmente pronunzisto alle fine del 360, sarebbe in sé l’Apologia » ; plus récemment, cf. encore H.-Ch. Brennecke, Studien zur Geschichte der Homöer, note 81, p. 75 : «Der Ansatz Diekamp überzeugt mich noch immer am ehesten ». La question a cependant été reprise et corrigée de façon convaincante par L.-R. Wickham, «The date of Eunomius’ Apologie : a reconsideration », lequel, en s’appuyant entre autres sur Basile, adv. Eun. I 2 (154, 62s) et Grégoire de Nysse, Eun. I 65. 78–82. 111–118, proposait de placer l’apologie d’Eunome plutôt lors de l’assemblée de Constantinople de janvier 360. Cette position a été généralement suivie, cf. B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 1, p. 23–34 ; A.-M. Ritter, «Eunomius », p. 526 ; R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 5–9. Quelques précisions ont été encore apportées par Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 303–306, qui situe l’apologie lors des débats de décembre 359 et non durant ceux de janvier 360, mais J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 49–56 maintient l’apologie en janvier 360, ainsi que R. Winling in Grégoire de Nysse, Contre Eunome I 1–146 (SC 521), p. 32–33. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 19, propose les années 363–364, sans précisions. L’hypothèse proposée par R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus and the Nicene Revolution, note 216, p. 231–232 est assez plaisante : «The following scenario seems to accout for the data : Eunomius is ordained Bishop at the Council of Constantinople (2 or 3 Jan. 360). Clergy from Cyzicus are present and protest, and this leads to a wider protest by the clergy of Constantinople. Eunomius addresses them and is allowed to go to Cyzicus. His inaugural sermon on 6. Jan. causes an uproar, which is only worsened by later ones. Repeated protests are made to Eudoxius and the emperor, and the latter then orders Eudoxius to expel Eunomius (Mar. or Apr. 360), himself leaving for the East. » ; cette hypothèse se heurte cependant aux dates du synode de janvier 360, qui se termine au plus tôt le 27 janvier et rend difficilement possible un sermon d’Eunome à Cyzique dès l’Épiphanie de cette année, cf. S. Destephen, «Eunomios 1 », p. 310 qui, par ailleurs, ne propose aucune date. Enfin, l’année 367 proposée par M. Spanneut, «Eunomius de Cyzique », col. 1400–1401, ne peut être retenue, car l’auteur s’appuie sur une donnée erronée de Socrate, h.e. IV, VII 1–2 (venue d’Eunome à Cyzique après la révolte de Procope). 50 Le côté austère et aride de l’Ap, peu adapté à une communication publique, laisse supposer un remaniement ultérieur, mais rien ne permet cependant de dater véritablement cette publication, sinon la réfutation de Basile datée des années 364–365, cf. note 60, p. 36, qui constitue ainsi un terminus ante quem. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 8–9 envisage une publication fin 360 ou 361. 51 Cf. la position de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 1, p. 58 : «Ce chapitre est donc l’ajout manifeste d’un appendice au texte écrit. » Sur l’homogénéité avec l’enseignement d’Eunome, cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 16 : «Whether the hand in question was that of Eunomius or of a disciple cannot now be determined. In any case, it clearly reflects Eunomian doctrine and teaching ». Th.-A. Kopecek, A History of NeoArianism, p. 402 semble considérer ce chapitre d’Eunome lui-même.

34

Première partie : Circonstances de rédaction

préambule (ch. 1–6), dans lequel Eunome se dit en bute aux attaques d’adversaires et se voit contraint de présenter sa défense. Pour cela, Eunome en appelle à la tradition des Pères et propose une profession de foi de caractère très archaïque (ch. 5) 52. Cependant, puisque cette foi des Pères semble être mal comprise, Eunome en présente l’interprétation (ch. 7–25). L’ensemble s’achève par une nouvelle profession de foi, plus développée (ch. 26–27). Les chapitres 7–25 constituent donc le cœur de ce traité ; l’anoméen 53 y expose par le biais d’une argumentation aussi austère que technique les éléments principaux de son système théologique. Cette partie centrale peut être abordée selon deux entrées : soit comme un commentaire de la profession de foi précédente, bâti en trois parties consacrées respectivement au Père, au Fils et à l’Esprit, soit comme un exposé organisé selon deux principes de recherche théologique 54, une recherche selon les substances ou une recherche selon les activités. Ces deux entrées ou lectures possibles de l’Ap peuvent être présentées dans le tableau suivant 55 : I. Introduction 1. 1–6, 23 II. Argumentation centrale 7.1–25.26 Première entrée

Deuxième entrée 1. Première voie 7.1–19.23

A. Le Père

7.1–11.14

A. Le Père, analyse de ÇgËnnhtoc

7.1–11.14

B. Le Fils

11.15–24.28

B. Le Fils, analyse de gËnnhma

11.15–19.23

C. L’Esprit

25.1–26

2. Deuxième voie 20.1–25.26 A. Le Fils est le produit du Père

20.1–24.28

B. L’Esprit est le produit du Fils

25.1–26

III. Sommaire 25.27–27.15 IV. Conclusion 27.16–42 V. Appendice 28.1–26 Quelle que soit la manière d’envisager l’Ap d’Eunome, selon la première ou la seconde entrée, la doctrine présentée par l’anoméen y demeure la même et il importe d’en résumer ici les traits principaux ; ceux-ci sont assez facilement repérables du fait de la grande précision de l’auteur, annonçant toujours les points majeurs qu’il va aborder. 52 Cf. les remarques de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 2, note 2, p. 240–243. 53 On gardera au long de cette étude les désignations courantes «anoméen » ou «néo-arien », même si le terme

«hétéroousien » se généralise de plus en plus. 54 Cf. Eunome, Ap 20 (58, 5–6) : « dueÿn

gÄr ômÿn tetmhmËnwn Âd¿n pr‰c tòn t¿n zhtoumËnwn e’resin », cf. partie II, chapitre I, 1.5.2 Comparaison avec Ap 20, p. 119s, pour le commentaire de ce passage. 55 Ces deux tableaux reprennent ceux dressés par R.-P. Vaggione, Aspects of Faith in the Eunomian Controversy, p. 37–38. 39, repris dans Id., Eunomius. The Extant Works, p. 11. 12 (les numéros renvoient aux chapitres et lignes de l’édition de l’Ap par R.-P. Vaggione). Sur ces deux entrées de l’Ap, cf. aussi les remarques de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 2, p. 179–180.

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

35

Ce rappel très succinct va se révéler particulièrement important lorsqu’il s’agira d’examiner les thèmes abordés par Basile dans son Contre Eunome 56. Préambule rhétorique et captatio benevolentiae (Ap 1–6). 1er article : le Dieu unique et inengendré. 1. Première thèse : l’inengendré est la substance de Dieu (Ap 7–8). 2. Deuxième thèse : l’inengendré ne peut engendrer au sens propre d’une génération selon la substance, et il échappe à toute comparaison et à toute communauté avec celui qui est dit engendré (Ap 9–11). 2e article : le Fils, rejeton et créature. 1. Thèse principale : l’appellation scripturaire de rejeton désigne la substance elle-même du Fils, engendré alors qu’il n’était pas (Ap 12–19). 2. Deuxième thèse : aucune des deux voies de la théologie ne conduit à la similitude selon la substance (Ap 20–21). 3. Troisième thèse : il y a entre le Père et le Fils similitude selon l’activité (Ap 22– 24). 3e article : le Saint Esprit, troisième en ordre et en nature (Ap 25). Chapitres finaux (sommaire, conclusion, appendice, Ap 26–28). 57 Il n’est guère aisé de dire dans quelle mesure l’Ap d’Eunome a été diffusée et connue. Le texte demeura vraisemblablement réservé au cercle restreint des fidèles d’Eunome 58 ; peut-être l’allusion d’Eudoxe, rapportée par Philostorge, y fait-elle allusion 59. Basile en eut pourtant connaissance et composa une réfutation, traité motivé par l’enjeu du débat et – pourquoi pas ? – par la volonté de faire oublier sa fuite peu glorieuse lors de l’assemblée de Constantinople en décembre 359. Plusieurs lettres de Basile permettent 56 Ce rappel ne fait que reprendre, presque littéralement, les indications données par B. Sesboüé in Basile, Contre

Eunome, t. 2, p. 181–187. 57 Il est possible de relever en passant les rapprochements entre les positions de l’Ap d’Eunome et celles des

orientations théologiques qui l’ont emporté en 359/360 à Constantinople, lesquelles peuvent être résumées à partir de la profession de foi proclamée par Acace à Séleucie, de la formule de Nikê signée à Constantinople, et des anathèmes de Rimini ; ces rapprochements pourraient permettre aussi de saisir pourquoi Eunome a échappé à une condamnation : Orientations de Constantinople 359–360 – rejet du terme ÇnÏmoioc

Apologie – aucune mention du terme ÇnÏmoioc

– rejet des termes Âmoo‘sioc, Âmoio‘sioc

– rejet de la similitude selon l’essence

– le Fils est semblable au Père selon les Écritures

– similitude fondée sur des textes scripturaires

– le Fils est engendré sans passion

– aucune passion dans l’activité divine

– le Fils est semblable au Père selon le vouloir seulement, non selon la substance

– la substance du Fils engendrée avant toute chose par décision du Père

– si quelqu’un dit que le Fils est une créature comme – le Fils n’est pas une créature comme les autres les autres créatures : a.s. créatures – si quelqu’un dit que le Fils est produit du non-être – la substance du monogène n’a rien de commun et non de Dieu le Père : a.s. avec les êtres tirés du néant 58 Selon Photius, Bibl. 137, Eunome tenait l’Ap, connue de ses admirateurs, soigneusement cachée aux autres : « t‰ biblidàrion ‚pe» toÿc sunairesi∏taic EŒnom–ou diÄ ja‘matoc m‡n ¢geto, kr‘fion d‡ ka» ÇnËkforon toÿc älloic e⁄nai diespo‘dasto », et il en aurait été de même pour l’AA, cf. Id., Bibl. 138. Si ces propos peuvent relever de la simple polémique, Grégoire de Nysse (cf. Ep. 29, 2) laisse cependant entendre les difficultés rencontrées pour se procurer le texte de l’AA. 59 Alors qu’Eunome avait dû se justifier à Constantinople d’accusations contre sa doctrine, Eudoxe se serait écrié : « ô ‚mò Çpolog–a toÿc ‚m‡ Çnakr–nousin a’th ‚st–n. », cf. Philostorge, h.e. VI 1 (70, 25–71, 1).

36

Première partie : Circonstances de rédaction

de fixer chronologiquement la rédaction de cet ouvrage, et la datation retenue actuellement en fixe la publication dans les années 364–366 60. Ce Contre Eunome de Basile se compose de trois livres consacrés respectivement au Père, au Fils et à l’Esprit, au cours desquels le Cappadocien cherche à répondre presque point par point aux multiples affirmations de l’Ap d’Eunome. Pour cela, Basile cite régulièrement le texte de son adversaire et en présente aussitôt après la réfutation ; ces multiples citations de l’Ap faites par Basile permettent de suivre le fil de l’œuvre d’Eunome 61. Il est ainsi possible de mettre en regard les différentes thèses présentées par Eunome dans l’Ap et les lieux du Contre Eunome de Basile où celles-ci sont réfutées 62 : Eunome , Ap . . . Préambule (1–6) 1er article Première thèse (7–8) Deuxième thèse (9–11) e 2 article Thèse principale (12–19) Deuxième thèse (20–21) Troisième thèse (22–24) 3e article (25) Chapitres finaux (26–28)

. . . réfutée par Basile, adv. Eun. I 1–4 I 5–15 I 16–27 II 1–29 II 30–34 – III 1–7 –

Ce tableau amène plusieurs remarques. La première relève d’un simple point de vue quantitatif, puisqu’une comparaison en étendue de l’Ap d’Eunome et de sa réfutation par Basile permet de constater un développement significatif des argumentations, le traité du Cappadocien s’avérant presque cinq fois plus long que celui de son adversaire 63. La seconde remarque concerne la réfutation par Basile du préambule de l’Ap : en remettant en cause le bien-fondé des circonstances de rédaction de l’Ap avancées par l’anoméen, Basile donne ainsi à la polémique une coloration nouvelle, puisque celle-ci quitte le terrain purement théologique pour s’engager sur des questions historiques, et les conséquences en sont nettement visibles dans l’AA et plus encore dans le Eun. I de Grégoire. Enfin, Basile n’effectue pas de réfutation systématique de toute l’Ap, puisque les chapitres 22–24 et 26–28 de cette œuvre ne sont pas directement examinés par le

60 Cf. Basile, ep. 20 adressée à Léonce le Sophiste, où Basile dit lui envoyer ses écrits contre Eunome (tÄ

pr‰c EŒnÏmion). La lettre est datée des années 365–366, cf. R. Pouchet, Basile le Grand et son Univers d’Amis, p. 141,

le traité était donc achevé avant 366. Par ailleurs, Basile, ep. 223, 5 fait allusion à la dictée à des tachygraphes d’un traité contre l’hérésie (OŒq» d‡ pànta t‰n qrÏnon Ìsoi taqugràfoi par®san ‚mo» ÕpagoreuÏnti tÄ pr‰c tòn a—resin ;), juste avant le synode de Lampsaque de l’automne 364, traité qui ne peut être que celui contre Eunome, cf. R. Pouchet, Basile le Grand et son Univers d’Amis, p. 135–136. La réfutation n’était donc pas encore terminée en 364. 61 Si bien que les citations nombreuses de l’Ap par Basile peuvent servir, bien que de manière assez limitée, de témoin indirect de l’œuvre d’Eunome, cf. sur ce point les remarques de L. Doutreleau in Basile, Contre Eunome, t. 2, p. 224–229. 62 Ce tableau s’inspire de B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 20. 63 Un bonne comparaison peut être faite à partir de l’édition de chacun de ces traités en SC 299 et 305, la présentation analogue dans chacun de ces volumes assurant une évaluation homogène : alors que l’Ap n’occupe que 32 pages de grec, le Contre Eunome de Basile en prend 146.

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

37

Cappadocien 64. Sans que cela prouve l’ignorance par Basile des positions théologiques avancées par Eunome dans ces parties 65, il n’en reste pas moins que l’absence de remise en cause directe et approfondie de ces passages a vraisemblablement laissé une certaine marge de manœuvre à l’anoméen : Eunome saura exploiter à son avantage dans l’AA ces thèses laissées «vierges » par Basile 66. 2.2 L’AA d’Eunome Rien ne permet de savoir si Eunome eut rapidement connaissance de la réfutation composée par Basile, mais toujours est-il qu’il n’y répondit pas aussitôt, peut-être parce qu’il ne jugeait pas l’adversaire digne d’une réponse 67, peut-être aussi parce qu’il se trouvait alors dans une situation peu favorable à une telle rédaction. De fait, sans retracer dans tous leurs détails les tribulations d’Eunome dans les années qui suivirent les assemblées de Constantinople de 359/360, il est possible d’en rappeler les faits majeurs, jusqu’à la publication de l’AA 68. Eunome fut confronté, dès son installation sur le siège de Cyzique, à des oppositions issues de cette ville, certains fidèles ayant élevé des plaintes contre son enseignement auprès d’Eudoxe de Constantinople 69. Contraint de se justifier, Eunome décida finalement de quitter Cyzique et de se retirer en Cappadoce 70. La situation des représentants anoméens se trouvait donc passablement mauvaise, puisqu’Aèce était exilé en Pisidie orientale et Eunome relégué en Cappadoce. Leur position devait pourtant évoluer positivement avec la disparition de Constance II (3 novembre 361) et l’arrivée de Julien dit l’Apostat à Constantinople (11 décembre 361) ; effectivement, Aèce avait été en contact avec Gallus, le demi-frère du nouvel empereur, et par son intermédiaire avec Julien lui-même 71. Celui-ci rappela Aèce d’exil, le faisant profiter pour le trajet du cursus pu-

64 De même pour le chapitre 21 appartenant à la deuxième thèse du deuxième article de l’Ap : la réfutation par

65 66 67 68 69

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Basile de cette thèse s’articule principalement autour du chapitre 20 de l’Ap, sans jamais citer le chapitre 21. Quant au chapitre 28, le fait qu’il n’ait pas été examiné par Basile peut s’expliquer par le caractère particulier de ce chapitre, sans doute ajouté ultérieurement à l’Ap. Cf. sur cette question le commentaire de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 1, p. 53–58. Cf. partie II, chapitre I, 3 Conclusion, p. 126. Cf. R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus and the Nicene Revolution, p. 302. Sur cette période de la vie d’Eunome, outre les ouvrages mentionnés précédemment, cf. note 1, p. 27, il convient de mentionner aussi S. Métivier, La Cappadoce (IVe-VIe siècle), p. 206–210. Les faits sont rapportés différemment selon les historiens. D’après Socrate, h.e. IV, VII 10–11 et Sozomène, h.e. VI 26, 6, c’est la dialectique d’Eunome qui aurait provoqué une réaction de rejet des fidèles de Cyzique ; selon Théodoret, h.e. II 30 (29), 2–10, Eunome aurait été invité par ruse à dévoiler sa doctrine, ce qui aurait entraîné des plaintes auprès d’Eudoxe et de l’empereur. Les plaintes pourraient avoir été causées aussi par le sermon pour l’Épiphanie qu’Eunome aurait tenu à Cyzique, cf. Philostorge, h.e. VI 2 (71, 3–14). Les motifs de ce départ varient aussi selon les sources ; pour Sozomène, h.e. VI 26, 6–7, Eunome n’aurait plus voulu rejoindre des gens qui l’avaient soupçonné et surtout n’acceptaient pas l’enseignement d’Aèce ; pour Philostorge, h.e. VI 3 (71, 15–22), ce sont les hésitations et la lenteur d’Eudoxe à rappeler d’exil Aèce qui poussèrent Eunome à partir pour la Cappadoce. Gallus (Flavius Claudius Constantius), né en Étrurie vers 325, était demi-frère de Julien et échappa au massacre des fils de Jules Constance, le demi-frère de Constantin. Gallus fut proclamé César en 351. Sous l’influence de Basile d’Ancyre et d’Eustathe de Sébaste, il aurait d’abord été violemment opposé à Aèce, mais Léonce d’Antioche intervint en faveur de celui-ci, si bien que Gallus et sans doute Julien se prirent d’amitié pour lui, cf. Philostorge, h.e. III 27 (53, 2–9) ; Eun. I 47. Sur les contacts entre Julien l’Apostat et Aèce, cf. A. Lippold, «Iulianus I (Kaiser) », col. 448.

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Première partie : Circonstances de rédaction

blicus 72, et le fit même pourvoir d’une propriété à Lesbos, près de Mitylène 73. Aèce et Eunome profitèrent de ce contexte favorable pour réunir à Constantinople une assemblée anoméenne 74 et finalement, suite à leur rupture avec Eudoxe de Constantinople, pour organiser eux-mêmes leur Église anoméenne, établissant différents évêques pour le soin de leurs fidèles 75. Après la mort d’Aèce à la fin de l’hiver 366 76, et alors que la situation redevenait plutôt mauvaise sous Valens 77, Eunome fut exilé dans l’archipel des Cyclades sur l’île de Naxos, vraisemblablement en 370 78. Seule la mort de Valens le 9 août 378 à Andrinople et les édits de Gratien vont interrompre ce long exil de presque neuf années 79, et permettre à Eunome de quitter Naxos en automne 378, à l’époque même de la mort de Basile 80. Or justement, et ce fut sans doute une bien mauvaise surprise pour l’évêque de Césarée moribond et pour ses proches, Eunome publia précisément à ce moment les deux premiers tomes de son AA 81. La rédaction de cette œuvre fut particulièrement longue, à en croire Grégoire de Nysse 82, et Eunome aurait joui pour cela du loisir nécessaire ; la période de l’exil à Naxos, effectivement longue et contraignant Eunome à un retrait des affaires ecclésiales, semble la période la plus adéquate pour la composition d’un tel traité.

72 Cf. Sozomène, h.e. V 5, 9. 73 Cf. Philostorge, h.e. VI 7 (75, 1–4). 74 Cf. Philostorge, h.e. VII 6 (84, 1–6) ; sur ce synode cf. R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus, p. 276–278. 75 Cf. Socrate, h.e. IV, XIII 1–2 ; Philostorge, h.e. VIII 2 (105, 3–6) ; cf. sur ce point S. Destephen,

«Eunomios 1 », p. 312. 76 Cf. Philostorge, h.e. IX 6 (118, 23–25). Eunome lui-même ferma la bouche et les yeux d’Aèce. 77 Situation rendue difficile principalement à cause de la révolte contre Valens du comte Procope, auquel Eu-

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79 80

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nome fut plus ou moins lié ; Procope, parent de Julien l’Apostat, avait vécu caché sous le successeur de celuici, Jovien, et s’était retiré entre autres dans le domaine qu’Eunome possédait à Chalcédoine, cf. Philostorge, h.e. IX 5 (117, 23–24). Procope avait profité ensuite de l’expédition de Valens en Perse pour prendre le pouvoir à Constantinople (28 septembre 365). Cf. Philostorge, h.e. IX 11 (120, 4–7). La condamnation fut portée par le nouveau préfet du Prétoire Modestus, qui accusa Eunome de troubler les églises, ce même Modestus qui jadis n’avait pu vaincre Basile en Cappadoce, comme le rapporte longuement Grégoire, cf. Eun. I 126–138. Basile sut se tourner à nouveau vers Modestus, cf. Basile, ep. 110–111 et l’analyse de ce ‹renversement › de situation par R. Pouchet, Basile le Grand et son Univers d’Amis, p. 319–325. Selon Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 430–431, ce serait Basile luimême qui aurait demandé à Modestus l’exil d’Eunome, ce qui aurait justement poussé ce dernier à écrire son AA contre Basile ; l’hypothèse est reprise par S. Métivier, La Cappadoce (IVe-VIe siècle), p. 208. Cf. Socrate, h.e. V, II 1 : tous ceux exilés par Valens furent rappelés, mais seuls les Eunomiens, Photiniens et Manichéens se virent refuser l’autorisation de tenir des assemblées. Selon la datation de la mort de Basile reçue actuellement, cf. R. Pouchet, «La date de l’élection épiscopale de saint Basile et celle de sa mort ». Cf. sur ce point P. Maraval, «Retour sur quelques dates concernant Basile de Césarée et Grégoire de Nysse », qui adopte les corrections apportées par R. Pouchet et les défend de façon convaincante contre les attaques de T.-D. Barnes, «The Collapse of the Homoeans in the East ». Cf. les allusions de Grégoire de Nysse, Ep. 29, 4. Selon Photius, Bibl. 138, Eunome aurait attendu la mort de Basile avant de publier son AA, ce qui semble très improbable, car Grégoire de Nysse aurait certainement évoqué cette lâcheté de l’anoméen, cf. F. Diekamp, «Literargeschlichtlisches zu der Eunomianischen Kontroverse », p. 9 ; Eunome pourrait avoir simplement profité du trouble politique qui suivit la défaite d’Andrinople pour publier l’AA, cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 441 ; sur la situation de l’Empire au lendemain d’Andrinople, cf. A. Chauvot, Opinions romaines face aux Barbares, p. 269s. D’après Philostorge, h.e. VIII 12 (114, 2–4), c’est la lecture de l’AA qui aurait tué Basile. Grégoire souligne effectivement le temps dont a joui Eunome pour rédiger son AA, cf. Eun. I 12, et parle de plusieurs olympiades, cf. Eun. I 13 ; Grégoire calcule certainement le temps écoulé depuis la publication du Contre Eunome de Basile jusqu’à la parution de l’AA, ce qui fait environ 12 ans.

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

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D’autres volumes devaient compléter par la suite cette première publication de l’AA, probablement trois tomes supplémentaires 83. Il faut ajouter au compte des œuvres d’Eunome la Profession de foi, datée de 383 84, ainsi qu’un commentaire perdu de l’épître aux romains, en sept volumes 85. 2.3 La première réfutation de l’AA par Grégoire de Nysse : le Eun. I La mort de Basile, à l’époque même de la diffusion des premiers volumes de l’AA, contraignit Grégoire de Nysse à s’engager dans cette polémique théologique 86. Conscient d’assumer l’héritage de son frère 87, le Cappadocien commença donc la longue réfutation du traité d’Eunome, le Eun. I 88. 2.3.1 Époque de rédaction La chronologie de la vie de Grégoire de Nysse est délicate à établir, tant le Cappadocien est évasif dans ses différents écrits 89, mais il est au moins deux faits certains, qui permettent une première estimation de la date de composition du Eun. I. Effectivement, Grégoire a rédigé le traité contre Eunome après la mort de Basile, pour répondre à la place de son frère défunt, ce qui donne comme premier terminus post quem l’automne 378 90. Par ailleurs, le Eun. I et même le Eun. II étaient achevés lors du concile de Constantinople de 381 91, ce qui constitue comme terminus ante quem les mois de maijuillet 381.

83 Cf. Philostorge, h.e. VIII 12 (114, 2–3), dont le témoignage est certainement plus fiable que celui de Photius,

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Bibl. 138, qui ne mentionne que trois tomes, cf. J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 58–59. Le troisième tome de l’AA doit être placé avant 383, dans la mesure où sa réfutation par Grégoire doit être placée avant 383, cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 8 ; peut-être a-t-il été rédigé après les Eun. I et II et en réaction contre eux, comme le propose prudemment J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 61. La date de publication des deux derniers tomes de l’AA est presque impossible à déterminer. M. Albertz, Untersuchungen über die Schriften des Eunomius, p. 35 laisse entendre leur parution lors des dernières années d’Eunome ; si l’auteur s’appuie sur une allusion de Jérôme, vir. ill. 120, cela reste néanmoins une pure conjecture. Sur cette œuvre d’Eunome, cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 129–161. Cf. Socrate, h.e. IV, VII 7–8. Cf. Eun. I 9 : « mhde»c ‚gkale–tw tÏlman ‚mo» Õp‡r to‹ sig¿ntoc stÏmatoc dianastànti pr‰c ämunan (que personne ne m’accuse d’audace, moi qui ne me lève que pour défendre la parole de celui qui se tait) ». Ce n’est pas l’unique fois que Grégoire se propose de poursuivre une œuvre de son frère, cf. Op. hom., Introd. (125C) : « Armen–ac ‚pànodon ka» sunagageÿn tÄ sqidària tÄ pr‰c EŒnÏmion katÄ sumboulòn t®c s®c sunËsewc ÕphgoreumËna; πste moi loip‰n e c lÏgou s‘ntaxin ‚narmosj®nai t‰n pÏnon ka» pukt–on ¢dh gegen®sjai t‰n lÏgon. GËgraptai dË moi oŒ pr‰c ÇmfotËrouc toÃc lÏgouc; oŒd‡ gÄr ‚pËtuqon tosa‘thc sqol®c, to‹ qr†santÏc moi t‰ t®c a…rËsewc bibl–on katÄ pollòn Çpeirokal–an eŒjÃc ÇnakalesamËnou pr‰c ·aut‰n ka» o÷te metagràyasjai o÷te katÄ sqolòn ‚ndiatrÿyai poi†santoc; ‚n ômËraic gÄr ·ptaka–deka mÏnaic sqolàsac, oŒq oŸÏc te ¢mhn ‚n o’twc Êl–g˙ tƒ qrÏn˙ pr‰c ÇmfotËrouc ÇrkËsai toÃc lÏgouc. (. . .) kat+ aŒtòn to‹ Åg–ou Basile–ou tòn ko–mhsin t‰n to‹ EŒnom–ou lÏgon Õpedexàmen ». (trad. P. Maraval). sqidària, cf. sur ce terme la remarque de P. Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres (SC 363), p. 309 : «Le mot sqidàrion (ou sqedàrion) désigne le premier état d’un texte, on pourrait dire le brouillon ». Cf. aussi Épiphane,

exp. fid. 25, 3–4, qui fait allusion à ces deux étapes de composition d’un traité, prise de notes et transcription en quaternion de parchemin. 94 C’est ce qui semble ressortir des justifications de Grégoire, qui apparemment n’a pu écrire contre les deux traités d’Eunome, parce qu’il n’avait eu en main que dix-sept jours les deux premiers volumes de l’AA ; faute de temps, il n’avait vraisemblablement engagé alors que la réfutation du premier traité d’Eunome ; même interprétation de J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 66–67. Ces dix-sept jours constituent donc le temps passé à la rédaction d’une première ébauche du Eun. I et non à sa rédaction complète, comme le laissent entendre A. Meredith, Studies in the Contra Eunomium, p. 82–83 et J.-E. Hennessy, The Background, note 3, p. 18, ni à la rédaction rapide des Eun. I et II comme le dit P. Maraval, «Chronology of Works », p. 153, 167. Mais ces dix-sept jours ne se limitent pas non plus à une simple lecture de l’AA, comme le dit B. Pottier, Dieu et le Christ, note 7, p. 19, lequel déforme par ailleurs les propos d’A. Meredith, qui n’affirme nullement que l’ensemble du Eun. (ie les Eun. I, II et III) fut composé en dix-sept jours. 95 Cf. la remarque de P. Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres (SC 363), note 1, p. 311 : «Effectivement, Grégoire n’a réfuté dans les deux premiers livres du Contre Eunome que la première partie de l’ouvrage de celui-ci, qui se présentait également en deux livres. C’est le livre III qui répondra au deuxième livre d’Eunome ». P. Maraval renvoie à Eun. III/I 1 ainsi qu’aux remarques de W. Jaeger, cf. GNO II, Introduction, «De editione prototypa », p. VI ss.

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

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entendre qu’il réfute alors un traité d’Eunome publié après les Eun. I et II 96, lequel ne peut donc être le deuxième traité mentionné par la lettre 29, antérieur à ces deux réfutations de Grégoire. Les deux traités évoqués par la lettre 29 ne peuvent être que ceux réfutés respectivement par Grégoire dans les Eun. I et II ; puisque Grégoire n’a commencé à répondre qu’à un seul de ces deux traités, comme il le dit expressément et comme le confirme la réponse de son frère Pierre 97, cette première réfutation correspond selon toute logique au Eun. I, d’après les titres donnés par la majorité des manuscrits 98 et d’après la description du livre que donne Grégoire à la fin de sa lettre, laquelle correspond bien au contenu du Eun. I 99. Le Eun. II ne paraîtra que plus tard 100, mais avant le concile de Constantinople de 381, puisque Jérôme fait mention de plusieurs livres contre Eunome 101. Une première ébauche du Eun. I aura ainsi été commencée alors que Grégoire était en possession des premiers volumes de l’AA, travail préliminaire qui aura probablement duré dix-sept jours et qui s’est déroulé à l’époque de la mort de Basile, en automne 378. Ce n’est que plus tard, après un retour d’Arménie, que Grégoire rassembla ses premières notes et acheva la composition du Eun. I. Est-il possible de préciser le moment de ce retour d’Arménie ? D’après P. Maraval, ce séjour en Arménie correspondrait à celui de Sébastée, mentionné dans la Lettre 19 102, lettre qui se révèle particulièrement précieuse, car elle donne comme le compte rendu des activités de Grégoire entre le décès de sa sœur Macrine et ce séjour arménien. Selon cette lettre, Grégoire est auprès de sa sœur (Ep. 19, 6–10) et doit régler ensuite des problèmes provoqués par des Galates dans son diocèse (Ep. 19, 11), puis Grégoire se rend à Ibora pour procéder à une élection épiscopale (Ep. 19, 12–13) et aussitôt après à Sébastée pour une autre élection épiscopale, où il est lui-même élu évêque (Ep. 19, 96 Cf. Eun. III/I 1 : « ‚pe»

ofin d»c ¢dh katablhje»c ‚n toÿc prolabo‹si lÏgoic EŒnÏmioc o÷pw sugqwreÿ t¨ Çlhje–¯ katÄ to‹ ye‘douc Íqein tÄ nikht†ria, all+ ‚k tr–tou pàlin katÄ t®c eŒsebe–ac diÄ t®c logograf–ac kon–zetai ‚n t¨ sun†jei pala–str¯ to‹ ye‘douc e c toÃc Õp‡r t®c Çpàthc Çg¿nac ·aut‰n ‚pirr∏sac (puisque, de fait,

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alors que deux fois déjà Eunome a été jeté à terre dans les discussions précédentes, il ne concède pas encore à la vérité de posséder le prix de la victoire sur le mensonge, mais de nouveau, pour la troisième fois, s’enduit de poussière pour lutter contre la foi droite par ses écrivailleries dans la palestre qui lui est coutumière, celle du mensonge, reprenant force pour les combats en faveur de la tromperie) ». Grégoire dit expressément qu’il n’a pas écrit contre les deux traités (Ep. 29, 2 : « GËgraptai dË moi oŒ pr‰c ÇmfotËrouc toÃc lÏgouc ») et Pierre demande à Grégoire de ne pas laisser la vigueur de l’adversaire à demi intacte (Ep. 30, 4 : « mhd‡ ômitel® poi†s˘c tòn Çriste–an t¿n katÄ t®c dÏxhc to‹ Qristo‹ strateuomËnwn ») et de pousser l’épée de l’Esprit à travers les deux livres hérétiques (id. : « di+ ÇmfotËrwn t¿n a…retik¿n bibl–wn »), ce qui laisse bien entendre que Grégoire n’a alors réfuté que le premier des deux. Cf. GNO I, p. 23 : « Çntirrhtik‰c e c t‰n pr∏ton (ou bien prÏteron) lÏgon. » Cf. Ep. 29, 7–9. Grégoire explique que le traité se compose de deux parties, l’une pour répondre aux accusations d’Eunome, l’autre consacrée à la doctrine, dans laquelle Grégoire réfute les opinions hérétiques et présente la saine doctrine. Cela correspond effectivement à la structure du Eun. I, cf. infra note 116s, p. 44. W. Jaeger montre que Grégoire a publié aussitôt le Eun. I, sans suivre les conseils de son frère, qui lui demandait de frapper d’un seul coup l’adversaire (t¨ miî plhg¨) et donc de publier ensemble la réfutation des deux livres d’Eunome, cf. GNO II, Introduction, «De editione prototypa », p. VIII–IX : «sed non una cum libro I eam [la deuxième réfutation, ie le Eun. II] edidit neque miî plhg¨ utrumque librum Eunomii gladio spirituali perfodit, sicut Petrus voluerat. » W. Jaeger propose les arguments suivants : 1. Grégoire veut répondre à chaque traité d’Eunome par un seul traité. 2. Le Eun. I était déjà un volume lorsque Grégoire l’envoie à son frère Pierre (ka» pukt–on ¢dh gegen®sjai t‰n lÏgon). 3. La structure du Eun. I est complètement différente de celle du Eun. II. 4. Seule la «capitulatio » du Eun. I est de Grégoire, ce qui ne serait pas le cas si les Eun. I et II avaient été publiés ensemble. Cf. supra note 91, p. 39. Cf. P. Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres (SC 363), note 5, p. 309.

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Première partie : Circonstances de rédaction

13–18) ; enfin, Grégoire revient à Nysse. Ces indications peuvent être complétées par la Vita Macrinae, qui donne quelques renseignements sur l’activité de Grégoire entre la mort de Basile et celle de sa sœur : Neuf mois, ou guère plus, après ce deuil, se tint à Antioche un synode d’évêques auquel nous-mêmes prîmes part. Et lorsque nous fûmes libres de retourner chacun chez soi, avant qu’une année se soit écoulée, il me vient le désir, à moi Grégoire, de me rendre auprès d’elle. 103

Tous ces renseignements sont importants, car ils permettent de recomposer partiellement les activités de Grégoire depuis la mort de Basile jusqu’au retour d’Arménie, c’est-à-dire depuis la première ébauche du Eun. I jusqu’à sa mise en forme finale, et ces activités peuvent être résumées ainsi : Mort de Basile. Premières notes du Eun. I (Ep. 29, 1–4) ; synode d’Antioche (Vita Macrinae, 15) ; retour de Grégoire dans son Église (Vita Macrinae, 15) ; dernière rencontre avec Macrine et enterrement de celle-ci (Ep. 19, 6–10) ; règlement d’un conflit provoqué par des Galates dans son diocèse (Ep. 19, 11) ; organisation d’une élection épiscopale à Ibora (Ep. 19, 12–13) ; organisation d’une élection épiscopale à Sébastée, où Grégoire est élu évêque (Ep. 19, 13–18) ; – retour de Grégoire à Nysse et mise en forme finale du Eun. I (Ep. 29, 1).

– – – – – – –

Dans un article qui a fait longtemps autorité 104, F. Diekamp tentait d’établir une chronologie des événements mentionnés ci-dessus. Diekamp prenait comme point de départ la date traditionnelle de la mort de Basile, le 1er janvier 379, pour reconstruire ensuite l’enchaînement des faits. Ses résultats peuvent être résumés dans le tableau suivant : Mort de Basile Synode d’Antioche neuf mois plus tard Voyage vers le Pont et enterrement de Macrine Retour à Nysse et questions à régler dans le diocèse Voyage à Ibora Élection épiscopale d’Ibora puis voyage vers Sébastée Long séjour à Sébastée, retour à Nysse et rédaction finale du Eun. I

1er janvier 379 Septembre /octobre 379 Décembre 379/janvier 380 Quelques semaines Mars 380 Avril 380 Vers le milieu de l’année 380

Cette reconstruction de Diekamp demande cependant à être corrigée sur plusieurs points, d’abord pour ce qui concerne la date de la mort de Basile 105, qui doit être remontée de quelques mois (automne 378), comme celle du synode d’Antioche

103 Macr. 15 (190, 1–6) : « óEnatoc

™n metÄ t‰ pàjoc to‹to mòn £ mikr‰n Õp‡r to‹to ka» s‘nodoc ‚piskÏpwn katÄ tòn >AntiÏqou pÏlin öjro–zeto, ©c ka» ômeÿc metËsqomen. Ka» ‚peidò pàlin pr‰c tòn ·auto‹ Èkastoc Çpel‘jhmen, pr»n t‰n ‚niaut‰n pareljeÿn, ‚nj‘mion ‚mo» tƒ Grhgor–˙ g–netai pr‰c aŒtòn diab®nai. » (trad. P. Maraval).

104 Cf. F. Diekamp, «Die Wahl Gregors von Nyssa zum Metropoliten von Sebaste im Jahre 380 ». 105 Cf. supra note 80, p. 38.

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

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(mai 379) 106 ainsi que celle de la mort de Macrine (19 juillet 379) 107. Par ailleurs, comme la durée du voyage entre la Cappadoce et Annisa, où est décédée Macrine, ne dépasse pas dix jours 108, il est possible d’envisager le retour de Grégoire dans son diocèse au début du mois d’août 379. Mais comment évaluer ensuite la durée des événements mentionnés par Grégoire ? Diekamp propose à chaque fois des estimations 109, lesquelles s’avèrent cependant profondément subjectives 110. Par ailleurs, Grégoire a-til fait le compte rendu exact de toutes ses activités pendant ce laps de temps ? Cela n’est pas sûr 111, si bien que P. Maraval, avec raison, se garde de proposer une chronologie exacte, et J.-A. Röder pourrait être un peu trop optimiste, lorsqu’il suit les estimations de F. Diekamp pour fixer la reprise de la rédaction du Eun. I 112. Compte tenu des multiples activités mentionnées par Grégoire, il semble préférable d’envisager un retour d’Arménie, et donc le début de la mise en forme finale du Eun. I, au plus tôt au début de l’année 380. Il ne semble dès lors pas invraisemblable d’envisager comme terminus post quem pour la publication de l’œuvre le printemps de cette même année. Par ailleurs, il a été vu que Grégoire a publié le Eun. I avant le Eun. II, la rédaction de ses deux œuvres ne se chevauchant pas 113, et le Eun. II était fini pour le concile de Constantinople de mai-juin 381 114. Si l’on tient compte des délais de déplacements de Cappadoce à Constantinople et des questions d’organisation, le mois d’avril précédent l’assemblée ne paraît pas favorable pour la composition d’un traité comme le Eun. II, œuvre presque aussi longue que le Eun. I et tout aussi technique. La dernière semaine 106 Cf. R. Pouchet, «La date de l’élection épiscopale de saint Basile et celle de sa mort », note 47, p. 20 (le synode

a lieu un mois après Pâques, qui tombe cette année le 21 avril) ; cf. les justifications de l’auteur, id., p. 20–22. 107 Pour la date de la mort de Macrine, cf. les recherches de P. Maraval in Grégoire de Nysse, Vie de Sainte

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Macrine (SC 178), p. 57 ss, qui fixent la date au 19 juillet ; pour la détermination de l’année, qui dépend de la date de la mort de Basile, cf. R. Pouchet, «La date de l’élection épiscopale de saint Basile et celle de sa mort », p. 20. D’après le témoignage de Grégoire lui-même, cf. Ep. 19, 10 : « dËka d‡ ™n ômer¿n ô diÄ to‹ mËsou ÂdÏc ». Cf. F. Diekamp, «Die Wahl Gregors von Nyssa zum Metropoliten von Sebaste im Jahre 380 », p. 393. Pour le séjour dans son Église et la résolution du conflit Galate : «Ohne Zweifel sind deshalb mehrere Wochen hierfür anzusetsen » ; pour le séjour à Ibora et l’arrivée à Sébastée : «Da die dortige Angelegenheit allem Anscheine nach schnell erledigt wurde, so wird Gregor wohl noch im April 380 nach Sebaste gekommen » ; pour la durée du séjour à Sébastée : «Die Dauer der «Gefangenschaft » in Sebaste ist mindestens auf zwei bis drei Monate zu berechnen ». Cf. la remarque de P. Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres (SC 363), note 1, p. 28 : «La chronologie proposée par Diekamp, même si elle a été longtemps reçue, est pour une part très subjective ». Alors que Diekamp estime à quelques semaines le séjour de Grégoire dans son Église pour régler les problèmes causés par les Galates et à deux ou trois mois celui à Sébastée, Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres (SC 363), p. 28 et 30 considère qu’il n’est pas impossible que le séjour de Grégoire dans son Église ait duré plusieurs mois et estime les deux ou trois mois proposés par Diekamp pour le séjour à Sébastée comme un minimum. Cf. Ep. 19, 19 : « Ta‹tà soi Çp‰ poll¿n Êl–ga, fe‘gontec tòn Çmetr–an t®c ‚pistol®c, ‚xejËmeja » (Ces événements [les événements survenus entre le décès de Macrine et le retour de Sébastée] – quelques-uns parmi un grand nombre – nous te les avons exposés en évitant que la lettre ait une longueur excessive) (trad. P. Maraval). Mais il ne peut s’agir aussi que d’un simple topos littéraire. Cf. J. A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 71 (sachant que l’auteur envisage la mort de Basile en automne 377, conformément à la première hypothèse faite jadis par P. Maraval) : «Folgen wir nun dem Zeitplan Diekamps und Maravals, so kehrte Gregor frühestens Dezember 378/Januar 379 aus Sebasteia zurück. Nach der in dem Brief an Petros erwähnten Erholungspause könnte Gregor dann im Frühjahr 379 die Arbeit an ‹Contra Eunomium › wiederaufgenommen haben. » Cf. la lettre de Pierre à Grégoire, en réponse à l’Ep. 29 : le Eun. I est achevé et Pierre demande à Grégoire d’entamer la réfutation du second volume de l’AA, cf. supra note 97, p. 41. Cf. supra note 91, p. 39.

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Première partie : Circonstances de rédaction

de mars ayant été occupée par les célébrations pascales (Pâques tombait cette année le 28 mars), la composition du Eun. II ne saurait donc devoir être prolongée au-delà de la mi-mars 381. Étant donné le volume de texte que représente le Eun. II, qui dut nécessiter un long temps de travail, il semble ainsi possible d’envisager pour cette œuvre un début de rédaction au plus tard en janvier 381. Dès lors, puisque le Eun. I précède le début de rédaction du Eun. II, le mois de décembre 380 pourrait être considéré comme un terminus ante quem pour la publication du Eun. I. Sans sortir du domaine des conjectures, les hypothèses de datation pour la rédaction du Eun. I pourraient donc être : – première ébauche en automne 378, – publication entre le printemps et la fin de l’année 380.

2.3.2 Structure du Eun. I Le Eun. I, après une simple lecture, donne l’impression d’un véritable feu d’artifice. De fait, les idées et développements de Grégoire se suivent, sans qu’il soit toujours facile d’en déceler les articulations et la structure fondamentale. De ce point de vue, le Eun. I tranche nettement avec le Eun. II, visiblement plus charpenté et bâti autour de thèmes longuement présentés 115. Cependant, une première distinction claire divise le Eun. I en deux parties, l’une historique consacrée à des questions polémiques autour d’Eunome et Basile, l’autre théologique, dirigée uniquement contre les affirmations doctrinales d’Eunome ; une introduction précède l’ensemble : – Introduction (Eun. I 1–19) – Partie historique (Eun. I 20–146) – Partie théologique (Eun. I 147–691) Ce plan général avait été annoncé par Grégoire dans sa Lettre 29 à son frère Pierre, où le Cappadocien justifiait l’organisation du Eun. I, en particulier la partie si longue de polémique historique, qui pouvait paraître hors du débat 116. Grégoire explique qu’il se devait de répondre non seulement aux erreurs dogmatiques d’Eunome, mais aussi aux calomnies avancées contre son frère Basile 117, et il choisit de regrouper ses réponses sans les disperser un peu partout dans le traité 118, dans un but uniquement pratique,

115 Cf. le jugement de J. A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 75 : «Bei der Lektüre des ersten Buches ‹Contra

Eunomium › mag leicht der Eindruck eines bunten Konglomerates verschiedenartigster Themen entstehen, hinter dem eine klare Abfolge einzelner Argumentationsschritte nur schwer erkennbar wird ». 116 Ep. 29, 7 : « E  d‡ tÄ pr¿ta to‹ lÏgou ‚xag∏nià pwc e⁄nai dokeÿ . . . (Si le début du traité semble être, d’une certaine manière, hors du débat. . .) » (trad. P. Maraval). 117 Ep. 29, 8 : « ‚peidò gÄr e c d‘o skopoÃc ka» Â to‹ ‚nant–ou lÏgoc memËristai, e“c te tÄc kaj+ ôm¿n diabolÄc

ka» e c tòn kathgor–an to‹ Õgia–nontoc dÏgmatoc, Ídei pr‰c ·kàtera ka» t‰n ômËteron Çntitaqj®nai lÏgon. (Puisque le traité de l’adversaire se propose lui aussi deux buts, les calomnies contre nous et la mise en cause de la saine doctrine, il fallait que notre traité s’oppose également à chacun des deux.) » (trad. P. Maraval). 118 Ep. 29, 7 : « O÷te gÄr ÇsunhgÏrhton Ídei parej®nai tòn to‹ megàlou ÕpÏlhyin taÿc to‹ Çntid–kou blasfhm–aic sparassomËnhn, o÷te pànth katamign‘ein tƒ lÏg˙ sporàdhn parene–ronta tòn per» to‘tou màqhn. (Il ne fallait en effet ni laisser sans défense la réputation du grand (Basile), déchirée par les blasphèmes de l’adversaire, ni disperser la polémique à son sujet un peu partout dans le traité, en l’introduisant çà et là.) » (trad. P. Maraval).

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

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afin de favoriser la clarté de l’ouvrage et des discussions 119. Grégoire place cette partie au début de son traité, conformément aux règles rhétoriques classiques 120. L’argumentation théologique, qui suit alors cet ensemble polémique, est structurée en deux approches, comme l’explique Grégoire : une réfutation des thèses hérétiques et une présentation de la saine doctrine 121. Les différents points théologiques réfutés par Grégoire sont assez facilement discernables et s’articulent autour de cinq citations majeures de l’AA 122 ; cependant, les deux approches proposées par le Cappadocien (réfutation et exposé de la saine doctrine) se révèlent étroitement imbriquées l’une dans l’autre et non clairement distinctes, et sans doute faut-il voir ici la raison pour laquelle les opinions sur la structure du Eun. I (et en fait du Eun. en général) divergent assez radicalement. Tandis que E. Mühlenberg renonce à chercher dans cette œuvre une structure systématique 123, B. Pottier établit au contraire un plan particulièrement précis de l’ensemble du Eun. 124, reprochant au passage à l’érudit allemand de réduire le quart de l’œuvre de Grégoire à un simple patchwork 125. Assurément, le terme patchwork serait abusif pour qualifier le Eun. I et le plan suggéré par B. Pottier révèle une connaissance précise de l’œuvre du Cappadocien. Pourtant, la présentation systématique de l’auteur semble, sous certains points, pécher dans l’excès inverse, si bien qu’on hésite à la suivre. Trois points pourraient illustrer ce fait, limités à ce volume I du traité contre Eunome. Le premier point concerne la place des citations de l’AA dans le Eun. I. Comme cela a été souligné, Grégoire articule sa réfutation autour de cinq citations majeures de l’AA (cinq fragments), qui constituent comme la colonne vertébrale de l’œuvre. Or, il s’avère très difficile de repérer ces cinq fragments dans le plan proposé par B. Pottier, ce qui par contrecoup empêche de discerner ce à quoi Grégoire veut exactement répondre. Le second point concerne la précision si minutieuse du plan détaillé de B. Pottier, qui donne à l’œuvre de Grégoire un caractère systématique, tel un traité moderne de théologie. Mais justement, ce traité polémique de Grégoire échappe à tout critère systé119 Ep. 29, 8 : « Safhne–ac

d‡ qàrin ka» to‹ mò diakop®nai t‰n e…rm‰n t¿n katÄ t‰ dÏgma zhtoumËnwn taÿc parenj†kaic t¿n pr‰c tÄc par+ aŒto‹ diabolÄc legomËnwn, Çnagka–wc e c d‘o temÏntec tòn pragmate–an (Pour

120 121

122 123 124 125

favoriser la clarté et ne pas interrompre l’enchaînement des discussions sur la doctrine en intercalant les réponses à ses calomnies, nous avons été contraints de diviser l’ouvrage en deux) ». (trad. P. Maraval). Aristote, Rhet. III 14, 1415a 29–31 : « ÇpologoumËn˙ m‡n gÄr pr¿ton tÄ pr‰c diabol†n, kathgoro‹nti d+ ‚n tƒ ‚pilÏg˙. » Ep. 29, 9 : « óEqei d‡  lÏgoc oŒ mÏnon Çnatropòn t¿n a…retik¿n Õpol†yewn, ÇllÄ ka» didaskal–an ka» Íkjesin t¿n ômetËrwn dogmàtwn. (Le traité contient non seulement une réfutation des opinions hérétiques, mais aussi un enseignement et un exposé de nos doctrines.) » (trad. P. Maraval). Sur ces cinq citations majeures (cinq fragments), cf. partie I, chapitre II, 1.1 Les cinq «fragments » du premier volume de l’AA, p. 52–53. Cf. E. Mühlenberg, Die Unendlichkeit Gottes, p. 100 : «Das Werk ‹Contra Eunomium › entbehrt eines eigenen Zusammenhanges. Eine systematische Abfolge der einzelnen Gedanken suchen wir vergebens. » Cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, Annexe 1 : «Plan détaillé des trois livres du ‹Contre Eunome › et de la ‹Réfutation › », p. 413–447 (p. 413–424 pour le Eun. I). Cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 9 : «On a même émis paresseusement l’hypothèse que le quart de l’œuvre de Grégoire ne serait qu’un patchwork ! » ; id., p. 208 (avec cette fois la référence explicite à E. Mühlenberg, Die Unendlichkeit Gottes, p. 98–100). Il est possible de mentionner aussi le plan, plus schématique, proposé par S.-G. Hall, cf. El ‹Contra Eunomium I ›, p. 27–28, plan repris dans S.-G. Hall, «Eun I and II. Contra Eunomium libri I et II », p. 299–301 ; S.-G. Hall divise la partie théologique en «Eunomius’ statement of faith (147–473) » et «Eunomius’ critique of Basil (474–657) », mais cette présentation a le désavantage de placer nettement à part les fragments 1 et 2 de l’AA, sans permettre de voir que leur réfutation est étroitement liée avec le reste de l’œuvre d’Eunome, spécialement le fragment 3.

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matique et vise moins, dans son ensemble, à bâtir un système qu’à réfuter les positions de son adversaire 126. Sous cet angle, l’approche d’E. Mühlenberg paraît plus fidèle à la démarche même de Grégoire, lequel suit le texte d’Eunome presque mot à mot et, indirectement, se laisse finalement dicter le plan du Eun. I par son adversaire 127. Un exemple pourrait illustrer cet aspect. Une très grande partie du Eun. I (Eun. I 151–438) est consacrée à la réfutation du fragment 1 de l’AA 128 et B. Pottier divise cet ensemble en deux chapitres : I° chapitre : Une vue d’ensemble du système d’Eunome §§ 159–222 II° chapitre : Discussion détaillée du début de l’AA §§ 223–(438) 129 Cette présentation laisserait donc supposer deux étapes dans la démarche du Cappadocien, qui commencerait par un simple survol du système théologique d’Eunome (le premier chapitre selon B. Pottier), avant d’en engager la critique systématique (le second chapitre selon B. Pottier). Or, la partie Eun. I 159–222 consiste en fait en une réfutation serrée de la première phrase du fragment 1, où Eunome présente trois éléments majeurs de son système (les substances, les activités, les noms liés aux substances). La partie suivante, Eun. I 223–438, aborde au contraire la suite du fragment 1, où Eunome décrit la corrélation activité-œuvre, l’analogie avec la création, enfin sa méthodologie théologique. La distinction établie par B. Pottier (vue d’ensemble / discussion détaillée) apparaît ainsi relativement artificielle, dans la mesure où elle laisse croire que Grégoire traite deux fois les mêmes sujets (une première fois de façon générale, une seconde fois de manière plus précise), alors que le Cappadocien ne fait que suivre le fil du fragment 1. Par ailleurs, il est difficile de savoir ce que désigne exactement l’expression «début de l’AA » employée par B. Pottier : il ne peut s’agir du début absolu de l’AA, qui est inconnu (et sans doute l’œuvre débutait plutôt par des questions historiques), ni du début d’une partie théologique de l’AA (impossible à identifier puisque l’œuvre est perdue), ni du début du fragment 1, puisque Grégoire commence cette partie, Eun. I 223– 438, avec la deuxième phrase de ce fragment, la première ayant été réfutée précédemment. Le troisième point, enfin, ne concerne qu’une partie du plan proposé par B. Pottier, celui du chapitre XXII du Eun. I, chapitre clef de l’œuvre, consacré à la distinction ktistÏn/äktiston 130. Ici, B. Pottier n’est pas responsable, puisqu’il ne fait que reprendre pour cette partie, presque mot pour mot, le plan que proposait jadis B. Barmann 131. Or, ce plan paraît très discutable et faire véritablement passer à côté de l’intention de

126 Cf. sur cet aspect du plan de B. Pottier les réserves de M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 24 : «On

127 128 129 130 131

aboutit ainsi à la description d’un système théologique de Grégoire, alors même que ses ouvrages sont tout sauf systématiques et développent une argumentation contre des cibles multiples. En outre, Grégoire se veut moins un théologien qu’un relais de la voix des témoins du Verbe, seul vrai théologien : s’il ne faut pas forcément prendre ces affirmations au pied de la lettre, il peut valoir la peine, cependant, d’étudier la différence de voix entre cet auteur et les conceptions modernes de la théologie, sans appliquer directement à son œuvre une méthode qui lui est radicalement étrangère ». Sur Grégoire comme théologien, cf. A. Ojell, «Service or Mastery ? ‹Theology › in Gregory of Nyssa’s Contra Eunomium II ». Cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 16. Cf. partie I, chapitre II, 1.1 Les cinq «fragments » du premier volume de l’AA, p. 52–53. Pour le plan de cette partie, cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 415–416. Cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 417. Cf. B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 248.

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Grégoire dans toute cette partie du Eun. I, comme il sera possible de le voir ultérieurement 132. Ces multiples remarques inciteraient donc à prendre quelque distance vis-à-vis du plan proposé par B. Pottier, mais faut-il pour autant exclure toute structure dans le Eun. I ? D’après E. Mühlenberg, chaque démonstration de Grégoire se présenterait comme un ensemble complet et bouclé 133, et il est effectivement possible de relever, pour chaque réfutation menée par le Cappadocien, une organisation bien définie. Mais par-delà ces micro-structures, il semble possible de discerner, pour certaines parties du moins, un mouvement plus général. Un plan simplifié de la partie théologique du Eun. I est présenté ci-dessous, suivi d’un commentaire. Partie théologique du Eun. I (Eun. I 147–691) Questions trinitaires et métaphysiques (Eun. I 147–534) Réfutation de la réponse d’Eunome à Basile, adv. Eun. I 4 (164, 38–166, 55) [fragments 1, 2 et 3] A. Réfutation du fragment 1 (Eun. I 147–438) I. Réfutation de la première partie du fragment 1 (Eun. I 155–269) II. Interruption de la réfutation : exposé doctrinal de Grégoire (Eun. I 270–320) III. Réfutation de la seconde partie du fragment 1 (Eun. I 321–406) IV. Réfutation de la troisième partie du fragment 1 (Eun. I 407–438) B. Réfutation du fragment 2 (Eun. I 439–482) C. Réfutation du fragment 3 (Eun. I 483–503) D. Réflexions finales (Eun. I 504–534) I. La doctrine d’Eunome conduit au manichéisme (Eun. I 504–529) II. Présentation de la sainte Triade, selon Grégoire (Eun. I 530–534) Questions épistémologiques (Eun. I 535–691) Réfutation de la réponse d’Eunome à Basile, adv. Eun. I 5 (174, 63–176, 75) [fragment 4] (Eun. I 535–652) Réfutation de la réponse d’Eunome à Basile, adv. Eun. I 5 (176, 82–180, 122) [fragment 5] (Eun. I 653–691) Commentaire. L’ensemble théologique du Eun. I (Eun. I 147–691) peut être divisé en deux parties, la première orientée vers des questions avant tout trinitaires et métaphysiques (Eun. I 147–534), la seconde consacrée à des aspects principalement épistémologiques (Eun. I 535–691) 134. Ces deux thèmes, trinitaires et épistémologiques, dépendent en fait des 132 Cf. partie III, chapitre II, 1.2.1 Structure du chapitre XXII, p. 230–234. 133 E. Mühlenberg, Die Unendlichkeit Gottes, p. 100 : «Jede dieser Widerlegungen ist in sich vollständig und ab-

geschlossen. » 134 Le paragraphe Eun. I 535 apparaît de fait comme une transition : Grégoire annonce qu’il achève ses réflexions

précédentes (>AllÄ ta‹ta m‡n e c toso‹ton) et introduit le thème suivant : « fËre ka» Ìsa per» t®c to‹ Çgenn†tou

fwn®c sukofant¿n t‰n didàskalon ôm¿n ka» e c aŒt‰n ‚keÿnon ka» e c t‰n lÏgon ‚x‘brise, braqËa dielËgqwmen (allons ! réfutons brièvement aussi tout ce qu’à propos du mot inengendré il a déversé contre notre maître et son traité, rempli de mépris pour lui) ».

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affirmations d’Eunome réfutées par Grégoire, affirmations qui s’articulent respectivement autour des notions de substance et d’activité, puis du terme ÇgËnnhtoc. Sous cet aspect, le plan de Grégoire apparaît bien dicté par les déclarations de son adversaire. Cependant, la partie trinitaire (Eun. I 147–534) est composée, selon une vue d’ensemble assez large, d’une réfutation systématique des propositions d’Eunome (réfutation des trois premiers fragments de l’AA, les parties A, B et C), puis de réflexions finales ; celles-ci sont consacrées aux conséquences implicites de la doctrine eunoméenne, qui conduirait inévitablement au manichéisme (Eun. I 504–529), puis s’achèvent par une ultime présentation de la saine doctrine orthodoxe (Eun. I 530– 534). Toute la partie trinitaire du Eun. I pourrait alors être résumée ainsi : Réfutation des positions d’Eunome (Eun. I 155–503) ; Réflexions finales : le système d’Eunome est un système manichéen (Eun. I 504–529) ; présentation de la vraie doctrine trinitaire (Eun. I 530–534). Les réflexions finales de Grégoire (Eun. I 504–534), qui sonnent comme une véritable péroraison, ne réfutent pas à proprement parler des passages précis du traité d’Eunome et, sous cet aspect, permettent au lecteur de ‹souffler un peu ›, avant la reprise de la réfutation. Mais surtout, cette partie trinitaire du Eun. I apparaît plus structurée qu’il ne semble au premier abord et derrière les multiples démonstrations consacrées à d’innombrables points de détail, le traité de Grégoire offre finalement une certaine dynamique propre, indépendante cette fois du texte de l’adversaire ; la réfutation vise à dévoiler finalement le vice véritable et pernicieux de l’hérétique (une position manichéenne), avant de proposer, soulagement ultime, la vraie doctrine de la sainte Triade. Par-delà une structure du Eun. I dictée principalement par la réfutation si minutieuse du texte d’Eunome, il apparaît ainsi que Grégoire n’en perd pas pour autant la main et sait conduire son traité selon ses propres orientations. 2.3.3 Une première évaluation du Eun. I Le Eun. I se compose de deux parties principales, l’une historique, l’autre théologique. Si les réflexions menées dans ce travail sont presque uniquement consacrées à la partie théologique, il ne semble pourtant pas inutile de s’arrêter un instant sur quelques points de la première partie du traité. En effet, Grégoire souhaite s’appuyer sur les résultats de son enquête historique pour juger de l’honnêteté intellectuelle de son adversaire 135 ; pourquoi alors ne pas faire de même et examiner certains arguments de Grégoire dans cette partie historique, ce qui permettrait de présumer déjà quelques aspects de son argumentation théologique. Un élément important de la controverse entre Eunome et les Cappadociens est le titre même de la première œuvre d’Eunome, Apologie. Eunome s’est-il effectivement défendu ? Basile soutient que non ; selon lui, Eunome n’aurait pu se défendre qu’au synode de Séleucie ou au moment des assemblées de Constantinople. Basile rejette la première solution car, dit-il avec raison : 135 Cf. Eun. I 59 : « oŒd‡

gÄr “swc Çp‰ kairo‹ ka» diÄ t¿n Íxw to‹ dÏgmatoc lÏgwn Ìpwc Íqei per» tòn Çl†jeian majÏntac tekmhr–˙ to‘t˙ ka» pr‰c tÄ dÏgmata qr†sasjai. (Il n’est peut-être pas inopportun en effet, en étudiant dans les passages non doctrinaux comment il se comporte vis-à-vis de la vérité, d’utiliser cet indice aussi pour ce qui concerne la doctrine.) »

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Mais ils furent condamnés par leur silence (siwp¿ntec ·àlwsan) ceux du moins qui ne comparurent pas, alors que les membres de l’assemblée les ont appelés à diverses reprises à rendre des comptes sur les points retenus contre eux. 136

Effectivement, le parti d’Acace, auquel Eunome était alors lié, fut condamné à Séleucie, sans venir se défendre devant le groupe homéousien qui tenait séance à part 137. Quant à la seconde solution, les assemblées de Constantinople, Basile estime qu’Eunome n’avait alors plus besoin de se défendre, puisque le parti homéen était triomphant et qu’Eunome lui-même reçut le siège de Cyzique pour récompense de son impiété 138. Eunome répondit bien sûr à ces accusations dans son AA. Bien qu’il soit difficile de reconstruire son argumentation, les citations livrées par Grégoire permettent de deviner ses réponses. Eunome, reprenant les termes mêmes de l’accusation de Basile, justifia d’abord son silence à Séleucie en invoquant la présence de gens malfaisants et perfides : Nous reconnaissons en effet que nous avons été condamnés sans rien dire ( siwp¿ntec ·àlwmen), parce que des gens malfaisants et perfides s’étaient introduits l’enceinte des juges. 139

Ensuite, pour justifier cette fois le fait d’avoir tenu une apologie lors des assemblées de Constantinople, Eunome reprend de nouveau les propos de Basile, à savoir le mot récompense : Car si la récompense, dit-il, est signe et résultat d’une victoire, si la victoire révèle le jugement et si le jugement entraîne obligatoirement avec lui l’accusation, celui qui concède la récompense dira qu’est nécessaire aussi l’apologie. 140

Grégoire se vit donc obligé, dans le Eun. I, de répondre à ces arguments d’Eunome, et les réponses du Cappadocien sont multiples, visant avant tout à mettre l’anoméen en contradiction avec lui-même. Grégoire évoque d’abord les souffrances accablantes alléguées par Eunome, ce qui n’aurait pas été le cas si celui-ci s’était effectivement défendu ; il souligne ensuite l’affirmation répétée d’Eunome d’avoir été condamné sans rien dire, ce qui prouve l’absence d’apologie ; il précise enfin le sens du mot récompense, qu’il faut 136 Basile, adv. Eun. I 2 (152, 56–58) : « >AllÄ

siwp¿ntec ·àlwsan, o— ge, prokaloumËnwn pollàkic t¿n suneljÏntwn e c tÄc Õp‡r t¿n ‚piferomËnwn eŒj‘nac, oŒk Çp†nthsan. » (trad. B. Sesboüé).

137 Cf. supra notes 29–30, p. 30. 138 Cf. Basile, adv. Eun. I 2 (154, 72–73) : « AŒt‰c

d‡ o›toc  ämaqoc ka» dein‰c logogràfoc íjlon t®c Çsebe–ac tòn K‘zikon ÇphnËgkato. (Quant à lui, cet écrivain invincible et redoutable, il emporta Cyzique pour prix de son impiété.) » (trad. B. Sesboüé légèrement modifiée).

139 Eun. I 63 : « ômeÿc

gàr, fhs–n, Ìti siwp¿ntec ·àlwmen, Âmologo‹men, kako‘rgwn ka» ponhr¿n e c tòn t¿n dikazÏntwn q∏ran e sfrhsàntwn » (l’expression «s’étaient introduits l’enceinte des juges » tente de rendre le solécisme « e c tòn t¿n dikazÏntwn q∏ran e sfrhsàntwn » soi-disant commis par Eunome et relevé par Gré-

goire, cf. Eun. I 64). J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 210 estime qu’Eunome fait ici allusion à la condamnation des thèses anoméennes lors de cette assemblée et que l’expression «les gens perfides » pourrait désigner alors Acace et ses partisans, à l’origine de cette condamnation, mais cela ne semble pourtant pas cadrer avec le texte et les circonstances historiques. La condamnation «sans rien dire » (siwp¿ntec) convient mieux avec celle d’Acace et des siens par les homéousiens ; par ailleurs, l’anathème porté contre l’ÇnÏmoioc par Acace ne constitue pas un rejet absolu d’Aèce et d’Eunome, et ceux-ci seront encore présents aux côtés d’Eudoxe et des partisans d’Acace quelques semaines plus tard à Constantinople ; la formule de foi d’Acace à Séleucie, en supprimant le katÄ pànta, se rapproche des thèses anoméennes ; enfin, les défenseurs d’Aèce et d’Eunome (Eudoxe en particulier) continuent à faire bloc avec Acace contre les homéousiens, cf. H.-Ch. Brennecke, Studien zur Geschichte der Homöer, p. 44 : Eudoxe signe la formule de foi d’Acace (cf. Épiphane, haer. 73, 26, 4, où le nom d’Eudoxe figure parmi les signataires). 140 Eun. I 112 : « e  gÄr t‰ íjlon, fhs–, n–khc ‚st» gn∏risma ka» tËloc, mhn‘ei d‡ tòn d–khn ô n–kh, suneisàgei d‡ pàntwc ·aut¨ tòn kathgor–an ô d–kh, Â t‰ íjlon didoÃc Çnagka–an e⁄nai f†sei ka» tòn Çpolog–an. »

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comprendre non comme résultat d’une apologie, mais comme prix d’excellence dans l’impiété 141. Si l’on considère les deux premiers arguments avancés par Grégoire, il apparaît assez clairement que le Cappadocien se plaît à rapprocher indûment plusieurs paroles d’Eunome qui concernent des événements différents. Les souffrances dont parle Eunome font vraisemblablement référence à celles qu’il dut subir lors de son premier exil en 358 142 et dont Eunome fit apparemment le compte rendu dans l’AA 143. Ce fait ne saurait donc prouver qu’Eunome n’a pas tenu d’apologie à Constantinople en 359/360 144. Il en est de même pour le deuxième motif, la condamnation sans rien dire, qui concerne très certainement la condamnation homéousienne lors du synode de Séleucie d’automne 359 et ne saurait donc prouver qu’Eunome ne s’est pas défendu à Constantinople. Enfin, le dernier argument de Grégoire laisse sentir la gêne du Cappadocien, qui pour toute échappatoire joue sur le sens du terme récompense. Assez visiblement donc, Grégoire manipule les faits et les propos d’Eunome, rapprochant et opposant illégitimement diverses circonstances sans rapports immédiats les unes avec les autres. Ce constat, qu’il est possible de faire ici sur ces points précis, pourrait être étendu sans trop de difficultés à d’autres passages de cette partie historique, où Grégoire vise avant tout à déconsidérer son adversaire par tous les moyens et dans presque tous les domaines, que ce soit son style littéraire 145 ou sa vie 146. 141 Cf. Eun. I 62 (Eunome ne peut s’être défendu, puisqu’il a connu de nombreuses souffrances accablantes) ;

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Eun. I 63. 65–66. 73. 83–86. 117 (Eunome ne peut s’être défendu, puisque lui-même affirme avoir été condamné sans rien dire) ; Eun. I 111–118 (Eunome a reçu le siège de Cyzique comme prix d’excellence dans l’impiété). Exil à Midaeion en Phrygie, suite aux intrigues de Basile d’Ancyre, cf. supra note 5, p. 28. Cf. Eun. I 31–33. Cf. de même J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 209–210 : «Beziehen sich doch die Worte des Eunomios, wie CE 1, 33 klar zeigt, auf die Ereignisse des Jahres 358 (vgl. auch den Komm. zu CE 1, 22. 25), im Hinblick auf die Folgen einer möglichen Verurteilung des Neoarianers in Konstantinopel 359/60 (vgl. CE 1, 82 p. 50, 18f.) sind sie irrelevant. » Cf. Eun. I 11–17. 480–482 ; une telle diatribe est courante, cf. aussi Photius, Bibl. 138 ; Grégoire de Nazianze, or. 27, 1–2. Sur cette critique du style d’Eunome effectuée par Grégoire de Nysse, cf. L. Méridier, L’Influence de la seconde Sophistique sur l’œuvre de Grégoire de Nysse, p. 69–78 ; cf. spécialement E. Norden, Die Antike Kunstprosa, t. 2, p. 558–562 : l’auteur, comparant les accusations de Grégoire avec le style de l’Ap, considère les propos de Grégoire comme «echte Produkte fanatischer Orthodoxie » et poursuit, à propos de l’Ap (p. 561) : «zwar tritt auch hier die sophistische Mache überall deutlich hervor, aber man hat das Gefühl, daß man es mit einem Schriftsteller zu tun hat, der gut zu schreiben weiß und das Maß des Anstandes nie verletzt. » Plus récemment, cf. Ch. Klock, Untersuchungen zu Stil und Rhythmus bei Gregor von Nyssa, p. 145–158 ; comme le remarque l’auteur, «Gregors literarkritisches Vokabular spiegelt die Fülle einer Jahrhundertelangen Bemühung um die Ästhetik von Sprache und Stil » (p. 148). Ch. Klock distingue deux aspects dans la critique de Grégoire : 1. Critique du temps consacré à la rédaction (Eun. I 12–13) ; 2. critique du style d’Eunome (Eun. I 14–17), cette critique touchant les points suivants : le choix des mots (Eun. I 14) ; la forme et la syntaxe (Eun. I 15) ; le nombre de syllabes des mots et leurs assonances (Eun. I 16) ; le rythme (Eun. I 17). Selon Ch. Klock, cette critique de Grégoire refléterait sa connaissance des traités de rhétorique, spécialement Hermogène, Per»  de¿n I 1, 125–133 sur les éléments d’un traité (lËxic, sq†mata, k¿la, s‘njesic et ˚ujmÏc), les cinq aspects critiqués justement par Grégoire. Cette critique littéraire du style d’Eunome vise assurément à préparer le lecteur à la partie dogmatique : un auteur qui manifeste de tels défauts dans l’expression ne peut soutenir qu’une doctrine pervertie. Cf. Eun. I 36–54 pour les résumés biographiques sur Aèce et Eunome. Le leitmotiv de toute la partie sur Aèce est de souligner qu’il ne vise que le bien-être de sa vie : Eun. I 38 (nouveauté dogmatique comme moyen de subsistance), Eun. I 42 (art médical pour ne pas manquer de la nourriture nécessaire), Eun. I 43 (désir du bien-être), Eun. I 45 (nourriture plus grasse), Eun. I 48 (Aèce à la table de Georges le Tarbasthénite). Grégoire reprend ici un thème, qui n’est en fait que l’adaptation hérésiologique de la caricature du sophiste attiré par

Chapitre I : Contexte historique et théologique de la polémique

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Assurément, il serait erroné d’en noircir l’image de Grégoire, qui ne fait finalement que suivre les canons rhétoriques de son temps sur l’art de la polémique. De ce point de vue, les remarques de B. Sesboüé se révèlent particulièrement justes : Aucun des adversaires n’essaie de raconter bonnement les faits ; chacun cherche avant tout à marquer des points sur l’autre. Dans les deux camps on monte en épingle les éléments favorables et on occulte les données contraires. Il ne faut donc croire à la lettre ni les uns ni les autres. Cependant toutes les versions contiennent des éléments de vérité et personne ne se livre à un mensonge formel. 147

Cependant, cette démarche polémique de Grégoire, particulièrement visible dans cette partie historique du Eun. I, ne devra pas être oubliée lors de l’étude de la partie doctrinale. Cela exigera une grande prudence devant les jugements du Cappadocien sur le système théologique d’Eunome.

le gain, cf. A. Le Boulluec, La Notion d’Hérésie, p. 145–148. Pour ce qui concerne Eunome, Grégoire souligne d’abord (Eun. I 49) la pauvreté de la famille ainsi que le statut social peu élevé du père d’Eunome, exerçant en hiver le métier humble, voire méprisé, de simple maître d’école, cf. H.-I. Marrou, Histoire de l’Éducation dans l’Antiquité, p. 204–205 ; Grégoire mentionne ensuite (Eun. I 50) la formation de tachygraphe d’Eunome, allusion qui est avant tout dépréciative : Eunome, au lieu d’une belle formation de rhéteur, ne reçoit que celle de tachygraphe ; cf. les plaintes de Libanios sur les jeunes gens qui vont apprendre le droit à Beyrouth, le latin à Rome ou la tachygraphie à Constantinople, cf. A.-J. Festugière, Antioche païenne et chrétienne, p. 92–93. Enfin, la formation rhétorique d’Eunome ne se fait que per accidens : au lieu de suivre lui-même le cursus de formation, Eunome n’aurait appris les rudiments de rhétorique qu’en accompagnant les enfants à l’école (les pédagogues, assis à l’écart, suivaient la leçon), cf. H.-I. Marrou, Histoire de l’Éducation dans l’Antiquité, p. 204. 147 Cf. B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 1, p. 31.

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Première partie : Circonstances de rédaction

Chapitre II Sur les traces d’une œuvre perdue Avec les deux premiers volumes de l’AA d’Eunome, publiés juste après le retour d’exil de Naxos en automne 378, s’ouvre en quelque sorte la seconde manche de la polémique théologique qui oppose Eunome aux Cappadociens. Cependant, contrairement à l’étape précédente, dont tous les textes ont été conservés 1, l’AA d’Eunome est perdue 2 et ne subsiste qu’à travers les citations qu’en fait Grégoire dans sa réfutation. Cette lacune complique véritablement l’étude de la controverse, si bien qu’il paraît indispensable de commencer par préciser au mieux ces citations de l’AA faites par Grégoire, afin de pouvoir discerner la teneur des arguments théologiques qu’Eunome a développés dans cette œuvre. Étant donné l’étendue de l’AA, les réflexions suivantes vont se limiter au cadre de cette étude, c’est-à-dire aux citations du premier volume de l’AA dans le Eun. I de Grégoire. 1 Les citations du premier volume de l’AA 1.1 Les cinq «fragments » du premier volume de l’AA Grégoire a détenu pendant dix-sept jours seulement les deux premiers volumes de l’AA, temps relativement court, mais qui lui a vraisemblablement permis d’en recopier plusieurs passages faute de pouvoir en faire une copie complète. Ce sont ces citations de l’AA que Grégoire réfute dans son Eun. I, suivant en cela la méthode de son frère Basile et d’Eunome lui-même dans son AA 3. Grégoire procédera de même dans les Eun. II et III (citation d’un passage de l’AA puis réfutation). Le repérage de ces citations dans le Eun. I est généralement assez clair, puisque Grégoire les annonce dans la majeure partie des cas 4. Ce repérage a été grandement facilité par l’édition critique du Eun. de W. Jaeger, lequel indique les citations de l’AA par des caractères plus e spacés 5. Il est ainsi possible de relever dans la partie théologique du Eun. I des citations majeures de l’AA, qui s’articulent autour de différentes thématiques 1 Il est de fait remarquable que les deux premiers traités de cette polémique, l’Ap d’Eunome et le Contre Eunome

de Basile, aient été intégralement conservés. 2 Cette perte est due non seulement au temps, mais peut-être surtout à l’empereur Arcadius, lequel, dans un

décret daté du 4 mars 398, ordonna la destruction systématique des œuvres eunomiennes, cf. Codex Théodosien 5, 34 : «Codices sane eorum scelerum omnium doctrinam ac materiam continentes summa sagacitate mox quaeri ac prodi exerta auctoritate mandamus sub aspectibus iudicantum incendio mox cremandos. » Cf. aussi le témoignage de Philostorge, h.e. XI 5 (135, 26–27) : « ÇllÄ ka» tÄc b–blouc aŒto‹ dhmos–oic gràmmasin Çfan–zesjai dietàxato. » 3 Le Contre Eunome de Basile est construit sur le schéma suivant : citation de l’Ap d’Eunome et réfutation. Eunome a sans doute fait de même dans l’AA, cf. Eun. I 536s où Grégoire expose la démarche d’Eunome, qui cite un passage de l’œuvre de Basile pour le réfuter ensuite. 4 Ainsi en Eun. I 150 : « pr¿ton m‡n ‚p» lËxewc aŒto‹ tòn per» to‘twn paraj†somai ˚®sin. », 446 : « lËgei », 461 : « fhs– », 474 : « oÕtws» lËgwn ta‹ta katÄ tòn lËxin ; 475 : toiàde fhs–n », 537 et 551 : « Çko‘swmen », 552 et 577 : « fhsi », 600 : « tàde fhs–n ; 606 : oŸa fjËggetai », 661 : « e f†setai . . . ‚p» lËxewc ». 5 L’édition de 1960 reprend à l’identique la présentation des citations de l’AA faite dans celle de 1921, à l’exception de Eun. II 611, où les mots ‚p» tËlei to‹ lÏgou, indiqués comme citation dans l’édition de 1921, sont imprimés en caractères normaux dans celle de 1960. Un index de ces citations indiquées par l’édition du GNO de 1921 (sans les doublets) est dressé par L. Abramowski, «Eunomios », col. 940–941 ; une mise à jour conforme à l’édition du GNO de 1960 en a été faite par H.-Ch. Brennecke, «Nachträge zum Reallexikon für Antike und Christentum (RAC). Stellenkonkordanz zum Artikel »Eunomios«(RAC 6 [1966] 936/47) ».

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

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et peuvent ainsi être regroupées ; c’est ce que fit Th. Dams pour l’ensemble des Eun. I, II et III, lequel a relevé au total vingt fragments (ou vingt passages de l’AA que Grégoire aura recopiés) 6, le Eun. I étant consacré à la réfutation des cinq premiers, désignés fragments 1 à 5 par Th. Dams 7. Ces cinq fragments représentent les citations de l’AA les plus importantes du Eun. I, celles qui permettent au mieux de cerner la doctrine de l’anoméen ; ils sont situés ainsi dans l’œuvre : Fragment 1 : Eun. I 151–154 ; Fragment 2 : Eun. I 446. 461 ; Fragment 3 : Eun. I 475–477 ; Fragment 4 : Eun. I 537. 551. 552. 577. 600. 606 ; Fragment 5 : Eun. I 653. 660. 661. Mais les citations de l’AA ne se limitent pas à ces quelques paragraphes dans le Eun. I, puisque Grégoire peut reprendre au fil de sa réfutation tel passage d’un fragment cité précédemment ou introduire d’autres thèses d’Eunome, sans rapport littéral avec ce que disent les fragments. Le Eun. I se trouve ainsi continuellement parsemé de citations de l’AA si bien qu’il importe de préciser le vocabulaire qui va être employé. Pour plus de clarté : – le mot fragment sera désormais strictement réservé aux cinq passages mentionnés cidessus ; – le mot doublet désignera toute reprise par Grégoire d’un passage quelconque de ces fragments ; – le mot testimonium désignera tout passage de l’AA susceptible d’avoir été recopié par Grégoire et qui ne correspond à aucun fragment (et donc à aucun doublet) ; – le mot citation aura une signification plus générale et désignera soit un fragment, soit un doublet, soit un testimonium. Ce sont tous ces éléments de l’AA, présents dans le Eun. I, qu’il s’agit de préciser au mieux. 1.2 Précisions sur les citations de l’AA Si W. Jaeger a tenté un repérage exhaustif des citations de l’AA dans le Eun., il n’a cependant pas été le premier à effectuer un tel travail. Pour ce qui concerne le Eun. I, l’édition de Jakob Gretser (Paris 1618) 8 reprise par G. Morell (Paris 1638) puis par la PG 45 (1858) indiquait déjà en italiques les citations de l’AA ; de même W. Moore dans

6 Cf. Th. Dams, La controverse eunoméenne, p. 55–118. Tout ce chapitre second de l’ouvrage de Th. Dams est consa-

cré à la présentation et à l’étude de ce que l’auteur appelle fragments. Le terme «fragment » avait déjà été utilisé pour qualifier les citations en général de l’AA par M. Albertz, Untersuchungen über die Schriften des Eunomius, note 3, p. 23 ; note 1, p. 24. Les positions de Th. Dams sont suivies par B. Barmann, The Cappadocian Triumph, ch. III : The Rebuttal of Eunomius of Cyzicus : The Essential Principles, p. 127–186, ainsi que par B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 21–22, qui relativise cependant la présentation de Th. Dams, cf. p. 22 : «L’appellation ‹fragments 1 à 20 › dépend donc à la fois de Grégoire et de Dams, et plus indirectement d’Eunome lui-même. » 7 Sans tenir compte des citations faites dans la partie historique du Eun. I (Eun. I 1–146). 8 Appendix ad sancti Gregori episcopi Nysseni opera Graece et Latine, non ita pridem evulgata. Editore et partim quoque interprete Iacobo Gretsero S. I. Parisiis, sumptibus Claudii Morelli, via Iacobaea, sub insigni fontis. MDCXVIII. Liber primus contra Eunomium [Eun – lib. I] : p. 20–164.

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Première partie : Circonstances de rédaction

sa traduction anglaise 9 met entre guillemets les citations de l’AA 10. Plus récemment, les traducteurs du Eun. I ont pris soin, eux aussi, d’indiquer les citations de l’AA, ainsi S.-G. Hall 11, J.-A. Röder (pour Eun. I 1–146) 12, Cl. Moreschini 13 et R. Winling 14. De façon moins systématique, Th. Dams propose un relevé des fragments de l’AA 15 et B. Pottier, dans sa traduction française des fragments de l’AA, propose par ce biais lui aussi un relevé des fragments 16 ; enfin, R.-P. Vaggione a dressé un relevé complet des citations de l’AA 17. Parmi ces relevés, ceux de Th. Dams et B. Pottier ne mentionnent donc que les fragments. Th. Dams n’est pas toujours précis dans son relevé, tandis que B. Pottier s’inspire de W. Jaeger, Th. Dams, R.-P. Vaggione et W. Moore 18. Par ailleurs, R. Winling ne fait que reprendre les propositions de W. Jaeger en tenant compte de R.-P. Vaggione, S.-G. Hall et B. Pottier 19. Puisque les études de ces auteurs se recoupent donc en partie, les relevés complets des citations de l’AA pour la partie théologique du Eun. I s’élèvent donc au nombre de six (J. Gretser, W. Moore, W. Jaeger, S.-G. Hall, Cl. Moreschini et R.-P. Vaggione). Tous ces auteurs, qui sont soit éditeurs, soit traducteurs, vont être désignés dans les pages suivantes par l’appellation générique de chercheurs. Un tableau comparatif de leurs relevés est dressé en Annexe ; chaque cas relevé a été numéroté (colonne de droite du tableau). L’examen de ce tableau permet de constater que si les chercheurs sont généralement unanimes pour ce qui concerne les cinq fragments du Eun. I mentionnés précédemment, leurs résultats présentent cependant dans l’ensemble de nombreuses différences. Ainsi, sur un total de 186 citations qu’il m’a été possible de relever entre les chercheurs, il n’en est que 41 où ceux-ci concordent unanimement, ce qui fait donc un ensemble de 145 divergences. Ces différences, qui concernent principalement le repérage des doublets, peuvent toucher parfois des as-

9 Cf. A Select Library of Nicene and Post-Nicene Fathers of the Christian Church (NPNF), p. 35–100. 10 Ce repérage mérite d’être souligné. W. Moore effectue en effet sa traduction non pas sur l’édition de J. Gretser

11 12

13

14 15 16 17 18 19

mais sur celle, plus récente alors, de F. Oehler : S. Gregorii Episcopi Nysseni Opera, ex recensione Francisci Oehler, Tomus I continens libros dogmaticos, Hale 1865, p. 21–160 ; cependant, F. Oehler n’indique pas les citations de l’AA dans le texte du Eun. I ; le repérage de la traduction anglaise des NPNF relève donc uniquement de W. Moore, lequel s’est certainement inspiré de celui effectué dans l’édition précédente de J. Gretser. Ce repérage de W. Moore n’est cependant pas aussi clair que celui de l’édition de J. Gretser ou de celle de W. Jaeger dans le GNO. W. Moore indique en effet les citations soit par des guillemets simples (‹xxx ›), soit par des guillemets doubles («xxx »), et utilise les mêmes signes typographiques pour les citations bibliques ou pour mettre un mot en évidence : seul le contexte permet de discerner si le traducteur veut effectivement indiquer une citation ou simplement souligner un mot. Cf. El ‹Contra Eunomium I ›, p. 35–135. L’auteur indique de façon claire les citations en italiques, sans qu’elles puissent être confondues avec les autres citations (bibliques ou autres) mises entre guillemets. Cf. J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 101–134. Comme S.-G. Hall, l’auteur indique de façon claire les citations en italiques, sans qu’elles puissent être confondues avec les autres citations (bibliques ou autres) mises entre guillemets, mais la traduction se limite à Eun. I 1–146. Cf. Teologia Trinitaria, p. 5–140. Le repérage n’est pas aussi facile que dans les éditions de S.-G. Hall et J.-A. Röder, puisque Cl. Moreschini indique toutes les citations (bibliques, de l’AA ou autres) ou souligne un mot par des guillemets. Comme pour W. Moore, seul le contexte permet de discerner si l’auteur veut effectivement indiquer une citation. Cf. Grégoire de Nysse, Contre Eunome I, R. Winling trad. (SC 521. 524). Cf. Th. Dams, La Controverse eunoméenne, p. 55–118 ; pour le Eun. I, id., p. 59–66. Cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 463–498 ; pour le Eun. I, id., p. 464–473. Cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 99–127 ; pour le Eun. I, id., p. 99–104. C’est ce qu’annonce l’auteur au début de sa traduction, cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 463. Selon la communication écrite qui m’a été faite par l’auteur, que je remercie vivement.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

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pects plus importants comme l’étendue effective de certains fragments 20 ou le repérage de nouveaux testimonia de l’AA, relevés par un chercheur et non par les autres. Cette masse aussi importante de divergences empêche de passer outre et demande de réévaluer une grande partie de ces citations. Assurément, il ne faut pas attendre de cet examen austère des résultats révolutionnaires, puisque les citations majeures de l’AA dans le Eun. I demeurent les fragments 1 à 5, autour desquels les chercheurs sont généralement unanimes, mais quelques apports significatifs pourront, semble-t-il, être apportés. Le texte grec est reproduit dans presque la majeure partie des cas, afin de faciliter la lecture de ces pages. Par souci de lisibilité, les citations de l’AA ne sont pas indiquées par des caractère s plus e spacés (comme le fit W. Jaeger), mais par des caractères gras. 1.2.1 Examen des fragments 2, 4 et 5 Ce sont les seuls fragments où les chercheurs ne concordent pas. Fragment 2 * Cas 110 du tableau récapitulatif Les chercheurs sont unanimes à l’exception de l’édition J. Gretser et de W. Moore. Eun. I 446 (GNO I 156, 5–8).

Édition J. Gretser, W. Moore

>All+ —na mò to‹to nohj¨, ¿c ‚x Çnàgkhc tin‰c biasje»c Çpost®nai m‡n lËgei t¿n t®c prono–ac Írgwn, Çnaqj®nai d‡ ‚p» t‰n t®c genn†sewc trÏpon, diÄ t‰ Çkoloujeÿn, fhs–, tƒ t®c genn†sewc trÏp˙ t‰n trÏpon t®c ÂmoiÏthtoc. Autres chercheurs

>All+ —na mò to‹to nohj¨, ¿c ‚x Çnàgkhc tin‰c biasje»c Çpost®nai m‡n lËgei t¿n t®c prono–ac Írgwn, Çnaqj®nai d‡ ‚p» t‰n t®c genn†sewc trÏpon, diÄ t‰ Çkoloujeÿn, fhs–, tƒ t®c genn†sewc trÏp˙ t‰n trÏpon t®c ÂmoiÏthtoc. L’édition J. Gretser et W. Moore ne soulignent que la fin du passage et ne retiennent pas le début comme citation, où les œuvres de la Providence sont dites ne pas devoir être prises en compte. La lacune en Eun. I 438, laquelle comportait certainement une citation de l’AA 21, empêche de discerner les éléments d’un éventuel doublet. Cependant, certains critères permettent de retenir la proposition des autres chercheurs. Effectivement, Grégoire introduit cette affirmation initiale par un « lËgei », semblant ainsi renvoyer explicitement à l’AA ; mais surtout, les paragraphes précédents de Grégoire (Eun. I 439–445) traitent justement des œuvres de la Providence et soulignent leur rôle dans le débat théologique : ces paragraphes sembleraient donc répondre à une affirmation d’Eunome, que Grégoire reproduirait au début de Eun. I 446, tandis 20 Des divergences concernent de fait les fragments 2, 4 et 5, cf. infra 1.2.1. Examen des fragments 2, 4 et 5, p. 55–

59. 21 Cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, note 29, p. 102.

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Première partie : Circonstances de rédaction

que les paragraphes suivants sont consacrés au deuxième membre de phrase (le mode de similitude suit le mode de génération). La position des autres chercheurs semblent donc devoir être retenue. * Cas 128 du tableau récapitulatif L’édition J. Gretser ne relève ici aucun fragment, contrairement à l’unanimité des chercheurs, qui y voient la suite du fragment 2 (le mode de la génération est indiqué par la dignité naturelle de celui qui a engendré), position qui semble assurée par l’introduction de ce passage (fhs–) ainsi que par sa réfutation par Grégoire dans les paragraphes qui suivent. La position des autres chercheurs semblent donc devoir être retenue contre l’édition J. Gretser. Fragment 4 * Cas 149 du tableau récapitulatif Comme précédemment, l’édition J. Gretser ne relève ici aucun fragment, contrairement à l’unanimité des chercheurs. L’introduction de ce passage (‚Än Çko‘swmen lËgontoc) et sa reprise par Grégoire (cf. cas suivant) font préférer l’unanimité des chercheurs. * Cas 153 du tableau récapitulatif Il y a quatre options différentes : W. Jaeger, R.-P. Vaggione et Cl. Moreschini concordent dans la délimitation du fragment ; W. Moore et S.-G. Hall proposent chacun une délimitation différente ; J. Gretser ne relève aucune citation (c’est pourquoi il n’est pas mentionné dans le tableau ci-dessous). Eun. I 562 (GNO I 189, 3–11).

W. Jaeger, R.-P. Vaggione, Cl. Moreschini

Çll+ e÷kairon “swc tòn semnòn ‚ke–nhn to‹ k∏lou per–odon ka» par+ ôm¿n ‚paqj®nai tƒ legomËn˙; prËpei gÄr toÿc toio‘toic pàntwc toia‹ta, Ìti plËon ãn Ísqe pr‰c t‰ dokeÿn swfroneÿn, e  panteleÿ siwp¨ ta‘thn πrize tòn Çsfàleian. ≈ gÄr ô prosj†kh t¿n lÏgwn e c prosj†khn teleÿ blasfhm–ac, mêllon d‡ t®c ‚sqàthc Çno–ac, to‘t˙ t‰ sigên oŒq ôm–sei mËrei, ÇllÄ tƒ pant» to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron. W. Moore

Çll+ e÷kairon “swc tòn semnòn ‚ke–nhn to‹ k∏lou per–odon ka» par+ ôm¿n ‚paqj®nai tƒ legomËn˙; prËpei gÄr toÿc toio‘toic pàntwc toia‹ta, Ìti plËon ãn Ísqe pr‰c t‰ dokeÿn swfroneÿn, e  panteleÿ siwp¨ ta‘thn πrize tòn Çsfàleian. ≈ gÄr ô prosj†kh t¿n lÏgwn e c prosj†khn teleÿ blasfhm–ac, mêllon d‡ t®c ‚sqàthc Çno–ac, to‘t˙ t‰ sigên oŒq ôm–sei mËrei, ÇllÄ tƒ pant» to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron. S.-G. Hall

Çll+ e÷kairon “swc tòn semnòn ‚ke–nhn to‹ k∏lou per–odon ka» par+ ôm¿n ‚paqj®nai tƒ legomËn˙; prËpei gÄr toÿc toio‘toic pàntwc toia‹ta, Ìti plËon ãn Ísqe pr‰c t‰ dokeÿn swfroneÿn, e  panteleÿ siwp¨ ta‘thn πrize tòn Çsfàleian. ≈ gÄr ô prosj†kh t¿n lÏgwn e c prosj†khn teleÿ

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

57

blasfhm–ac, mêllon d‡ t®c ‚sqàthc Çno–ac, to‘t˙ t‰ sigên oŒq ôm–sei mËrei, ÇllÄ tƒ pant» to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron. Il semble important, pour discerner quelle option est la meilleure, de commencer par étudier la fin du paragraphe, qui constitue un doublet avec la citation de Eun. I 551 (cas n°149 étudié précédemment), où les chercheurs sont unanimes, à l’exception de J. Gretser qui n’y relève aucune citation : Eun. I 551 « to‘t˙ t‰ sigên ôm–sei mËrei to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron. » Eun. I 562 « to‘t˙ t‰ sigên oŒq ôm–sei mËrei, ÇllÄ tƒ pant» to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron. » Plusieurs termes supplémentaires apparaissent en Eun. I 562, absents de Eun. I 551 : « oŒq », « ÇllÄ tƒ pant– ». Ceux-ci n’ont été retenus comme citation ni par W. Moore ni par S.-G. Hall. Effectivement, Grégoire dit explicitement en Eun. I 562 vouloir reprendre la formulation d’Eunome, dont une partie aurait été citée précédemment en Eun. I 551 ; ces termes supplémentaires sembleraient alors des ajouts de la part du Cappadocien, qui jouerait avec la citation en appliquant à Eunome, de façon plus absolue et polémique, les propos que celui-ci adressait lui-même à Basile : Eunome demandait à Basile de se taire à moitié, Grégoire demande à Eunome de se taire complètement 22. Ce point acquis, le début du passage, où le texte demande de limiter son assurance par un silence complet (panteleÿ siwp¨), apparaîtrait plus en harmonie avec l’ajout vraisemblable de Grégoire qu’avec le texte d’Eunome. Toute la première phrase de ce passage de Eun. I 562 semblerait donc devoir être rapportée à Grégoire et non à Eunome, comme le suggère W. Moore : Grégoire expliquerait simplement (cf. le prËpei gàr initial) pourquoi il est opportun de citer les propos d’Eunome. Pour ce passage de Eun. I 562, la proposition de W. Moore paraît donc la meilleure. * Cas 172 du tableau récapitulatif L’édition J. Gretser et W. Moore se distinguent de l’ensemble des chercheurs. Eun. I 608 (GNO I 201, 26–202, 5).

Édition J. Gretser, W. Moore

e  gÄr taŒtÏn ‚stin e peÿn ÇgËnnhtoc £ pat†r, ‚xËstai ômÿn katalipo‹si tòn to‹ patr‰c fwn†n, metalabo‹si d‡ t‰ ÇgËnnhton e peÿn;  ÇgËnnhtoc u…o‹ ‚stin ÇgËnnhtoc; πsper gÄr  ÇgËnnhtoc u…o‹ pat†r, o’twc Ímpalin u…o‹ ÇgËnnhtoc  pat†r. paràpl†sion gÄr to‹to ‚ke–n˙. Autres chercheurs

e  gÄr taŒtÏn ‚stin e peÿn ÇgËnnhtoc £ pat†r, ‚xËstai ômÿn katalipo‹si tòn to‹ patr‰c fwn†n, metalabo‹si d‡ t‰ ÇgËnnhton e peÿn;  ÇgËnnhtoc u…o‹ ‚stin ÇgËnnhtoc; πsper gÄr  ÇgËnnhtoc u…o‹ pat†r, o’twc Ímpalin u…o‹ ÇgËnnhtoc  pat†r. paràpl†sion gÄr to‹to ‚ke–n˙. Grégoire cite ici un passage du fragment 4 qu’il reproduit plusieurs fois, cf. Eun. I 600. 602. 612, mais ici seulement apparaît la mention finale « paràpl†sion gÄr to‹to ‚ke–n˙ ». Cependant, comme ces termes s’avèrent homogènes avec l’ensemble de l’argumentation d’Eunome et seraient inattendus de la part de Grégoire, la proposition des autres chercheurs semble la meilleure. 22 L’attribution de ces deux citations à Eunome serait étrange (on ne voit pas pourquoi Eunome, qui demanderait

à Basile de se taire complètement, lui demanderait aussi de se taire à moitié).

58

Première partie : Circonstances de rédaction

Fragment 5 * Cas 176 du tableau récapitulatif L’édition J. Gretser se distingue du reste des chercheurs pour l’étendue du fragment. Eun. I 653 (GNO I 214, 6–10)

Édition J. Gretser

pàlin gÄr ômeÿc màtaioi, pàlin t¿n Êrj¿n logism¿n Åmartànontec ka» oŒ metÄ t®c Çrko‘shc t¨ qre–¯ paraskeu®c toÿc lÏgoic ‚piqeiro‹ntec ka» t®c to‹ lËgontoc diano–ac ÇpoleipÏmenoi. Autres chercheurs

pàlin gÄr ômeÿc màtaioi, pàlin t¿n Êrj¿n logism¿n Åmartànontec ka» oŒ metÄ t®c Çrko‘shc t¨ qre–¯ paraskeu®c toÿc lÏgoic ‚piqeiro‹ntec ka» t®c to‹ lËgontoc diano–ac ÇpoleipÏmenoi. Ce cas est assez déroutant. Les chercheurs soulignent en effet tout un passage, dont l’édition J. Gretser ne retient qu’une partie (màtaioi), mais ce passage possède un doublet partiel en Eun. I 481 (t‰ mò ‚x Çrko‘shc paraskeu®c ‚p» t‰n lÏgon ‚lhlujËnai, cf. Eun. I 653 : « oŒ metÄ t®c Çrko‘shc t¨ qre–¯ paraskeu®c toÿc lÏgoic ‚piqeiro‹ntec »), passage relevé cette fois par l’édition J. Gretser mais ignoré par les autres chercheurs. Dans le cas présent, la position des autres chercheurs paraît donc la meilleure.

* Cas 179 du tableau récapitulatif L’édition J. Gretser ainsi que W. Moore ne relèvent ici aucun fragment, contrairement aux autres chercheurs. L’introduction du passage comme des paroles mêmes d’Eunome (kaj∞c aŒtÏc fhsin) laisse cependant supposer fortement une citation de l’AA. La position des autres chercheurs semble donc préférable.

* Cas 180 du tableau récapitulatif L’édition J. Gretser et W. Moore se distinguent des autres chercheurs pour l’étendue du fragment. Eun. I 661 (GNO I 216, 16–22).

Édition J. Gretser, W. Moore

e“pomen, fhs–; mêllon d‡ aŒtÏ ‚stin ÇgËnnhton, oŒk e c t‰ e⁄nai sunairo‹ntec t‰ deiqj‡n Çkoloujeÿn, ÇllÄ t‰ m‡n >Akoloujeÿ t¨ proshgor–¯, t‰ d‡ >Est» t¨ oŒs–¯ sunarmÏzontec. ¡n suntejËntwn gËnoito ãn pêc  lÏgoc toio‹toc, Ìti Çkoloujeÿ t‰ ÇgËnnhton Ónoma, ‚pe–per aŒtÏ ‚stin ÇgËnnhtoc. Autres chercheurs

e“pomen, fhs–; mêllon d‡ aŒtÏ ‚stin ÇgËnnhton, oŒk e c t‰ e⁄nai sunairo‹ntec t‰ deiqj‡n Çkoloujeÿn, ÇllÄ t‰ m‡n >Akoloujeÿ t¨ proshgor–¯, t‰ d‡ >Est» t¨ oŒs–¯ sunarmÏzontec. ¡n suntejËntwn gËnoito ãn pêc  lÏgoc toio‹toc, Ìti Çkoloujeÿ t‰ ÇgËnnhton Ónoma, ‚pe–per aŒtÏ ‚stin ÇgËnnhtoc.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

59

L’édition J. Gretser et W. Moore ne retiennent pas la fin du passage, repris en Eun. I 663 et attribué alors à Eunome (fhs–), passage souligné alors par les autres chercheurs (même W. Moore) mais non par l’édition J. Gretser. La proposition des autres chercheurs semble donc la meilleure. 1.2.2 Examen des doublets Les doublets sont les citations les plus fréquentes de l’AA dans le Eun. I, car Grégoire se plaît à répéter fréquemment des passages voire de simples mots des fragments qu’il réfute. Parmi ces doublets, il est un assez grand nombre de cas où la reprise effective d’un fragment est claire. Les chercheurs sont généralement unanimes sur ces passages, si bien qu’il semble suffisant ici de mentionner ces cas (les numéros suivants sont ceux des cas du tableau récapitulatif) : 2, 17, 31, 33, 34, 39, 40, 45, 46, 50, 52, 55, 59, 60, 68, 71, 82, 83, 84, 87, 89, 90, 93, 117, 133, 134, 137, 141, 146, 147, 150, 155, 157, 158, 163, 166, 167, 170, 174, 181, 182. Il est d’autres cas où telle citation, qui se veut une reprise manifeste d’un fragment, n’a été relevée que par un ou plusieurs chercheurs et aura vraisemblablement échappé, partiellement ou en totalité, aux autres. Assez souvent, ces divergences opposent les propositions des publications plus anciennes de J. Gretser et W. Moore à celles de W. Jaeger, S.-G. Hall, Cl. Moreschini et R.-P. Vaggione, études plus récentes, souvent plus précises et habituellement unanimes dans ces cas là. Comme précédemment, il semble suffisant ici de mentionner ces cas : 3, 4, 6, 7, 8, 10, 13, 15, 16, 19, 20, 21, 22, 23, 25, 26, 27, 30, 35, 36, 37, 41, 43, 44, 47, 48, 49, 51, 57, 63, 64, 65, 66, 69, 74, 78, 79, 80, 81, 85, 86, 88, 94, 95, 96, 97, 99, 100, 102, 103, 105, 106, 107, 111, 112, 113, 114, 115, 116, 119, 120, 121, 122, 123, 127, 128, 129, 130, 132, 135, 136, 138, 139, 140, 145, 148, 149, 159, 162, 169, 168, 171, 173, 179, 183, 185. Inversement, il est quelques cas où des mots ou passages, présentés par tel ou tel chercheur comme doublets, ne semblent pas vouloir renvoyer explicitement à un fragment : Grégoire, qui raisonne sur les mêmes sujets que son adversaire, aura utilisé simplement des termes identiques. Ce sont les cas suivants : 11, 24, 61, 72, 92, 104, 118, 142, 143, 144, 154, 178. Il reste cependant un grand nombre de cas où il n’est guère aisé de discerner ce qui relève effectivement d’Eunome ou de Grégoire, car la citation relevée apparaît à la fois proche des fragments mais en même temps substantiellement modifiée. S’agitil alors vraiment d’un doublet ? Ou bien plutôt de la libre reformulation par Grégoire d’un fragment ? Ou alors d’un nouveau testimonium de l’AA dont le contenu serait très proche des fragments ? Il convient de reconnaître que la perte de l’œuvre d’Eunome empêche toute réponse certaine ; cependant, un examen de ces multiples cas pourrait peut-être apporter quelques éléments de réponse. Ces cas douteux, où les chercheurs divergent généralement entre eux, vont être présentés les uns à la suite des autres, puis suivis d’un commentaire. Le numéro du paragraphe dans le Eun. I ainsi que celui du cas correspondant du tableau récapitulatif sont rappelés dans la colonne de gauche. Eun. I 171 n°9

R.-P. Vaggione

ka» diÄ to‹to tòn to‹ patr‰c oŒs–an mÏnhn Çnwtàtw fhs–n; Autres chercheurs

ka» diÄ to‹to tòn to‹ patr‰c oŒs–an mÏnhn Çnwtàtw fhs–n;

60 Eun. I 185 n°12

Première partie : Circonstances de rédaction

S.-G. Hall

t‰ ©tton ka» t‰ äkuron ‚p» t®c oŒs–ac to‹ monogeno‹c te ka» to‹ Åg–ou pme‘matoc . . . Autres chercheurs

t‰ ©tton ka» t‰ äkuron ‚p» t®c oŒs–ac to‹ monogeno‹c te ka» to‹ Åg–ou pme‘matoc . . . Eun. I 188 n°14

Édition J. Gretser

Çll+ Çn∏numon aŒt¿n poieÿtai tòn mn†mhn  dogmat–zwn Çp‰ t¿n prosfu¿n Ênomàtwn ka» ˚hmàtwn deÿn tÄc t¿n ÇkouÏntwn diano–ac prosàgesjai. W. Moore

Çll+ Çn∏numon aŒt¿n poieÿtai tòn mn†mhn  dogmat–zwn Çp‰ t¿n prosfu¿n Ênomàtwn ka» ˚hmàtwn deÿn tÄc t¿n ÇkouÏntwn diano–ac prosàgesjai. Autres chercheurs

Çll+ Çn∏numon aŒt¿n poieÿtai tòn mn†mhn  dogmat–zwn Çp‰ t¿n prosfu¿n Ênomàtwn ka» ˚hmàtwn deÿn tÄc t¿n ÇkouÏntwn diano–ac prosàgesjai. Eun. I 206 n°18

Cl. Moreschini

‚nerge–ac oŒsi¿n Ênomàzei tÄc Çpotelestikàc . . . Édition J. Gretser, W. Moore

‚nerge–ac oŒsi¿n Ênomàzei tÄc Çpotelestikàc . . . Autres chercheurs

‚nerge–ac oŒsi¿n Ênomàzei tÄc Çpotelestikàc . . . Eun. I 224 n°32

Édition J. Gretser, W. Moore

πste tÄc m‡n me–zouc, kaj∞c aŒtÏc fhsi, tÄc d‡ mikrotËrac noeÿsjai ka» katÄ tÄ loipÄ pànta tòn parallagòn Íqein. Autres chercheurs 23

πste tÄc m‡n me–zouc, kaj∞c aŒtÏc fhsi, tÄc d‡ mikrotËrac noeÿsjai ka» katÄ tÄ loipÄ pànta tòn parallagòn Íqein. Eun. I 237 n°38

W. Moore, Cl. Moreschini

ka» t‰ plËon ka» t‰ Ílatton ‚p+ aŒt¿n lËgei, . . . Autres chercheurs

ka» t‰ plËon ka» t‰ Ílatton ‚p+ aŒt¿n lËgei, . . . Eun. I 240 n°42

Cl. Moreschini

πsper gÄr mÏnhn Çnwtàtw ka» mÏnhn kur–an tòn to‹ patr‰c proshgÏreusen oŒs–an, oŒd‡n to‘twn ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc Âmolog†sac, o÷te tòn änw fwnòn o÷te tòn kuriwtàthn, katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac . . .

23 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

61

Édition J. Gretser

πsper gÄr mÏnhn Çnwtàtw ka» mÏnhn kur–an tòn to‹ patr‰c proshgÏreusen oŒs–an, oŒd‡n to‘twn ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc Âmolog†sac, o÷te tòn änw fwnòn o÷te tòn kuriwtàthn, katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac . . . Autres chercheurs 24

πsper gÄr mÏnhn Çnwtàtw ka» mÏnhn kur–an tòn to‹ patr‰c proshgÏreusen oŒs–an, oŒd‡n to‘twn ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc Âmolog†sac, o÷te tòn änw fwnòn o÷te tòn kuriwtàthn, katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac . . . Eun. I 246 n°53

Édition J. Gretser

‚nËrgeiàn tina kajàper Órganon t¨ pr∏t˘ oŒs–¯ parepomËnhn s‘mmetrÏn fhsin ·aut¨ Írgon pepoihkËnai t‰n k‘rion. W. Moore

‚nËrgeiàn tina kajàper Órganon t¨ pr∏t˘ oŒs–¯ parepomËnhn s‘mmetrÏn fhsin ·aut¨ Írgon pepoihkËnai t‰n k‘rion. Autres chercheurs

‚nËrgeiàn tina kajàper Órganon t¨ pr∏t˘ oŒs–¯ parepomËnhn s‘mmetrÏn fhsin ·aut¨ Írgon pepoihkËnai t‰n k‘rion. Eun. I 246 n°54

Édition J. Gretser

to‹tÏn fhsin Írgon Ónta t¨ ‚rgasamËn˘ aŒt‰n ‚nerge–¯ parametreÿsjai. S.-G. Hall

to‹tÏn fhsin Írgon Ónta t¨ ‚rgasamËn˘ aŒt‰n ‚nerge–¯ parametreÿsjai. Autres chercheurs 25

to‹tÏn fhsin Írgon Ónta t¨ ‚rgasamËn˘ aŒt‰n ‚nerge–¯ parametreÿsjai. Eun. I 282 n°56

Édition J. Gretser

Çnàgkh fhs» me–zouc te ka» ‚làttouc tÄc oŒs–ac e⁄nai ‚n t¨ per» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc teqnolog–¯. Autres chercheurs 26

Çnàgkh fhs» me–zouc te ka» ‚làttouc tÄc oŒs–ac e⁄nai ‚n t¨ per» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc teqnolog–¯. Eun. I 317 n°58

Édition J. Gretser

T– to–nun prost–jhsi t¨ Çkolouj–¯ t¿n e rhmËnwn, skop†swmen. metÄ t‰ e peÿn; ‚x Çnàgkhc ‚làttouc te ka» me–zouc tÄc oŒs–ac o“esjai deÿn e⁄nai ka» tÄc m‡n pr∏thn ‚pËqein tàxin katà tina megËjouc ka» Çx–ac diaforÄn ‚n t¨ protim†sei tetagmËnac, tÄc d‡ ‚n deutËroic diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac ÇpewsmËnac, ta‹ta ‚p†gagen; . . . W. Moore, S.-G. Hall

T– to–nun prost–jhsi t¨ Çkolouj–¯ t¿n e rhmËnwn, skop†swmen. metÄ t‰ e peÿn; ‚x Çnàgkhc ‚làttouc te ka» me–zouc tÄc oŒs–ac o“esjai deÿn e⁄nai 24 La traduction de W. Moore est assez loin du texte. 25 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf. 26 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf.

62

Première partie : Circonstances de rédaction

ka» tÄc m‡n pr∏thn ‚pËqein tàxin katà tina megËjouc ka» Çx–ac diaforÄn ‚n t¨ protim†sei tetagmËnac, tÄc d‡ ‚n deutËroic diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac ÇpewsmËnac, ta‹ta ‚p†gagen; . . . Autres chercheurs 27

T– to–nun prost–jhsi t¨ Çkolouj–¯ t¿n e rhmËnwn, skop†swmen. metÄ t‰ e peÿn; ‚x Çnàgkhc ‚làttouc te ka» me–zouc tÄc oŒs–ac o“esjai deÿn e⁄nai ka» tÄc m‡n pr∏thn ‚pËqein tàxin katà tina megËjouc ka» Çx–ac diaforÄn ‚n t¨ protim†sei tetagmËnac, tÄc d‡ ‚n deutËroic diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac ÇpewsmËnac, ta‹ta ‚p†gagen; . . . Eun. I 321 n°62

S.-G. Hall

. . . ka» diagràfein Írga Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera ka» ‚nËrgeian ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai lËgein eŒlÏgwc dianoo‘menon; Édition J. Gretser, W. Moore

. . . ka» diagràfein Írga Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera ka» ‚nËrgeian ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai lËgein eŒlÏgwc dianoo‘menon; Autres chercheurs 28

. . . ka» diagràfein Írga Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera ka» ‚nËrgeian ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai lËgein eŒlÏgwc dianoo‘menon; Eun. I 324 n°67

Édition J. Gretser

t– mêllon diÄ to‘twn kataskeuàzetai t‰ parhllàqjai tÄc ‚nerge–ac katÄ toso‹ton Çll†lwn, Ìsh ka» t¿n Írgwn ‚st»n ô pr‰c ällhla diaforà, tƒ mò . . . Autres chercheurs

t– mêllon diÄ to‘twn kataskeuàzetai t‰ parhllàqjai tÄc ‚nerge–ac katÄ toso‹ton Çll†lwn, Ìsh ka» t¿n Írgwn ‚st»n ô pr‰c ällhla diaforà, tƒ mò . . . Eun. I 332 n°70

Édition J. Gretser, W. Moore, Cl. Moreschini

πste to‹ ÇtimotËrou ka» tòn fwnòn ka» tòn Ínnoian ‚p– tinoc t¿n . . . Autres chercheurs

πste to‹ ÇtimotËrou ka» tòn fwnòn ka» tòn Ínnoian ‚p– tinoc t¿n . . . Eun. I 349 n°73

Édition J. Gretser

™n d‡ o›toc katÄ tòn t¿n ‚nant–wn ÕpÏlhyin t‰ presb‘teron ka» ne∏teron ‚p» t®c . . . W. Jaeger

™n d‡ o›toc katÄ tòn t¿n ‚nant–wn ÕpÏlhyin t‰ presb‘teron ka» ne∏teron ‚p» t®c . . . Autres chercheurs

™n d‡ o›toc katÄ tòn t¿n ‚nant–wn ÕpÏlhyin t‰ presb‘teron ka» ne∏teron ‚p» t®c . . . 27 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf. 28 L’édition J. Gretser et W. Moore ne relèvent rien.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

Eun. I 361 n°75

63

W. Jaeger, R.-P. Vaggione, S.-G. Hall

ô d‡ proai∏nioc f‘sic ‚kpËfeuge tÄc katÄ t‰ presb‘terÏn te ka» ne∏teron diaforÄc Édition J. Gretser, W. Moore, Cl. Moreschini

ô d‡ proai∏nioc f‘sic ‚kpËfeuge tÄc katÄ t‰ presb‘terÏn te ka» ne∏teron diaforÄc Eun. I 375 n°76

Édition J. Gretser

t‰ presb‘teron lËgw ka» t‰ ne∏teron ka» tÄc . . . W. Moore, Cl. Moreschini

t‰ presb‘teron lËgw ka» t‰ ne∏teron ka» tÄc . . . Autres chercheurs

t‰ presb‘teron lËgw ka» t‰ ne∏teron ka» tÄc . . . Eun. I 409 n°91

Édition J. Gretser, W. Moore

Ìti mÏnh kur–a ka» Çnwtàtw to‹ patr‰c ô oŒs–a, äkuroc d‡ katÄ t‰ ÇkÏloujon pàntwc ô ‚fex®c ka» ÇkurotËra ô tr–th ; Autres chercheurs

Ìti mÏnh kur–a ka» Çnwtàtw to‹ patr‰c ô oŒs–a, äkuroc d‡ katÄ t‰ ÇkÏloujon pàntwc ô ‚fex®c ka» ÇkurotËra ô tr–th ; Eun. I 414 n°98

Édition J. Gretser

Nun» d‡ âpac  lÏgoc aŒtƒ pr‰c t‰ ‚nant–on blËpwn äporon e⁄nai kataskeuàzei t®c ‚nta‹ja nohje–shc aŒtƒ tàxewc tòn katanÏhsin. Autres chercheurs

Nun» d‡ âpac  lÏgoc aŒtƒ pr‰c t‰ ‚nant–on blËpwn äporon e⁄nai kataskeuàzei t®c ‚nta‹ja nohje–shc aŒtƒ tàxewc tòn katanÏhsin. Eun. I 434 n°109

W. Jaeger, R.-P. Vaggione

deixàtw p¿c tòn Çmfisb†thsin t¿n to‹ jeo‹ Írgwn dial‘ei diÄ t®c to‹ ‚nerg†santoc f‘sewc. Autres chercheurs

deixàtw p¿c tòn Çmfisb†thsin t¿n to‹ jeo‹ Írgwn dial‘ei diÄ t®c to‹ ‚nerg†santoc f‘sewc. Eun. I 458 n°124

W. Moore, S.-G. Hall

‚n oŸc fhsin ‚k t¿n Írgwn deÿn tÄc oŒs–ac katalambànesjai; Autres chercheurs 29

‚n oŸc fhsin ‚k t¿n Írgwn deÿn tÄc oŒs–ac katalambànesjai; Eun. I 459 n°125

Édition J. Gretser

t®c ofin gennhje–shc oŒs–ac, õn Írgon Ênomàzei t®c ÕperkeimËnhc, mhdËpw . . . Autres chercheurs

t®c ofin gennhje–shc oŒs–ac, õn Írgon Ênomàzei t®c ÕperkeimËnhc, mhdËpw . . . 29 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf.

64

Première partie : Circonstances de rédaction

Eun. I 562 n°152

Les chercheurs unanimement 30

Eun. I 578 n°156

Édition J. Gretser, W. Moore

e  gÄr t‰ ÇgËnnhton, fhs–n, Õp‰ t®c to‹ patr‰c proshgor–ac shma–netai, oŒkËti t‰ gegennhkËnai t‰n u…‰n ô fwnò a’th par–sthsin. Â prÏteroc e⁄qe sullogism‰c to‹to t‰ ätopon; e  Â patòr shma–nei t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai t‰n jeÏn, ‚x Çnàgkhc t‰ gegennhkËnai t‰n u…‰n oŒkËti ‚nde–xetai. Autres chercheurs

 prÏteroc e⁄qe sullogism‰c to‹to t‰ ätopon; e   patòr shma–nei t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai t‰n jeÏn, ‚x Çnàgkhc t‰ gegennhkËnai t‰n u…‰n oŒkËti ‚nde–xetai. Eun. I 582 n°160

Édition J. Gretser

to‹tÏ fhsin Ìti pr»n genn®sai t‰n u…‰n ka» diÄ to‹to klhj®nai pat†r, oŒd‡ ÇgËnnhtoc ™n, e“per ô Çgennhs–a t¨ to‹ patr‰c ‚nno–¯ gnwr–zetai. Autres chercheurs

to‹tÏ fhsin Ìti pr»n genn®sai t‰n u…‰n ka» diÄ to‹to klhj®nai pat†r, oŒd‡ ÇgËnnhtoc ™n, e“per ô Çgennhs–a t¨ to‹ patr‰c ‚nno–¯ gnwr–zetai. Eun. I 585 n°161

Les chercheurs unanimement 31

Eun. I 602 n°164

Éditions J. Gretser

e  diÄ t‰ gegennhkËnai, fhs–n, pat†r ‚stin  jeÏc,  d‡ patòr t‰ ÇgËnnhton shma–nei, pr»n genn®sai oŒk ™n ÇgËnnhtoc. e⁄pen âpax ‚piqleuàzwn, Ìti oŒ t‰ genn®sai shma–nei  pat†r, ÇllÄ t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai. Autres chercheurs

e⁄pen âpax ‚piqleuàzwn, Ìti oŒ t‰ genn®sai shma–nei  pat†r, ÇllÄ t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai. Eun. I 602 n°165

Les chercheurs unanimement 32

e  patòr t‰ ÇgËnnhton shma–nei, pr»n genn®sai oŒk ™n ÇgËnnhtoc.

Commentaire Si une solution unique, qui permettrait de résoudre tous ces cas, semble difficilement envisageable, quelques principes explicatifs et vraisemblables peuvent être néanmoins avancés. Les derniers cas énumérés ci-dessus pourraient être traités ensembles. Les cas n°152, 156 et 164 proposent de trois façons différentes le raisonnement tenu par Eunome dans le premier syllogisme du fragment 4 (cf. Eun. I 552) ; de même, les cas n°160, 161 et 165 proposent de trois façons différentes celui tenu dans le deuxième syllogisme du fragment 4 (Eun. I 577). S’il est toujours possible de supposer que Grégoire cite à chaque fois un passage différent de l’AA, il paraît cependant bien plus vraisemblable, dans ces paragraphes consacrés aux syllogismes d’Eunome, d’envisager des reprises 30 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf. 31 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf. 32 R.-P. Vaggione marque ce cas d’un cf.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

65

par Grégoire, sous des formes différentes, du même raisonnement de son adversaire. Cependant, il est difficile de dire quelle citation est la plus proche du texte de l’AA : sans doute la première (Eun. I 552 pour le premier syllogisme, Eun. I 577 pour le second), mais rien ne permet de le confirmer en l’absence du texte de l’AA. Ainsi, étant donné que ces passages, par-delà leur divergences, reproduisent toujours la teneur même du raisonnement d’Eunome, il semble préférable de les noter tous comme citation (cf. l’édition J. Gretser). Les autres cas semblent légèrement différents. Il convient tout d’abord de remarquer que Grégoire peut annoncer lui-même qu’il va reformuler les propos d’Eunome. C’est d’abord le cas n°18. En Eun. I 205, Grégoire vient de rappeler littéralement un passage du fragment 1, dont il souligne le caractère obscur. Grégoire en propose alors une interprétation possible (Eun. I 206). Le cas n°18 n’est donc que le commentaire libre par Grégoire d’une expression du fragment 1 ; en tant que tel, ce passage relève ainsi presque autant de Grégoire que d’Eunome, si bien qu’il semble préférable de ne pas le noter comme doublet (cf. l’édition J. Gretser et W. Moore). Le même phénomène se reproduit avec le cas n°32. Comme précédemment, Grégoire rappelle littéralement un passage du fragment 1, en souligne le caractère redondant, puis en propose son interprétation (Eun. I 224), qui ne correspond en rien à la lettre du passage de l’AA que Grégoire vient de citer : Eunome parlait de la corrélation activité – œuvre et en concluait le plus ou moins grand entre les activités ainsi que l’ordre qui en résulte entre elles ; Grégoire interprète ce passage en différences de taille, subordinations en dignités ainsi qu’en plus grand et plus petit entre les substances. Comme précédemment, ce cas n°32 apparaît comme le commentaire libre par Grégoire des propos d’Eunome, si bien qu’il semble préférable de ne pas le noter comme doublet (cf. l’édition J. Gretser et W. Moore). Il est alors intéressant d’étudier spécialement le cas n°58. Grégoire semble introduire dans ce paragraphe une citation de l’AA 33, laquelle peut être rapprochée d’un passage du fragment 1 : Eun. I 152 Çnàgkh d†pou pêsa ka» tÄc ·kàst˘ t¿n oŒsi¿n ·pomËnac ‚nerge–ac ‚làttouc

te ka» me–zouc e⁄nai, ka» tÄc m‡n pr∏thn tÄc d‡ deutËran ‚pËqein tàxin. Eun. I 317 ‚x Çnàgkhc ‚làttouc te ka» me–zouc tÄc oŒs–ac o“esjai deÿn e⁄nai ka» tÄc m‡n pr∏thn ‚pËqein tàxin katà tina megËjouc ka» Çx–ac diaforÄn ‚n t¨ protim†sei tetagmËnac, tÄc d‡ ‚n deutËroic diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac ÇpewsmËnac. Le premier passage (Eun. I 152) compare les activités entre elles (‚nËrgeiai) et établit de façon nécessaire (Çnàgkh pêsa) un classement (tàxic) selon le plus ou moins grand (‚làttouc te ka» me–zouc) ; le second (Eun. I 317) compare les substances entre elles (oŒs–ai) et établit par nécessité (‚x Çnàgkhc) un classement (tàxic) d’après la taille et la dignité (katÄ tina megËjouc ka» Çx–ac diaforàn) ou la nature et la dignité (diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac). Si l’orientation générale de ces deux passages est la même et consiste en l’établissement nécessaire d’une subordination selon certaines propriétés, les deux passages offrent pourtant de profondes différences : les éléments comparés ne sont pas les mêmes (activités dans un cas, substances dans l’autre) 33 Cf. le

metÄ t‰ e peÿn initial.

66

Première partie : Circonstances de rédaction

et les critères de subordination varient aussi (selon le plus ou moins grand, ou selon la taille, la dignité ou la nature). À première vue, il pourrait donc s’agir de deux citations différentes de l’AA, tirées peut-être d’un même raisonnement d’Eunome sur les substances et les activités, puisque celles-ci sont étroitement liées (les activités suivent chacune des substances, tÄc ·kàst˘ t¿n oŒsi¿n ·pomËnac ‚nerge–ac). Pourtant, l’examen du texte de Grégoire semble clair : Eun. I 317 veut être la reprise du passage cité une première fois en Eun. I 152 et repris presque intégralement en Eun. I 224 et Eun. I 242. La reformulation si différente de Eun. I 317 peut s’expliquer en fait facilement. D’une part, une longue section du Eun. I, dans laquelle Grégoire expose son échelle des êtres, interrompt la réfutation systématique de l’AA : arrêtée en Eun. I 269, celleci ne reprend qu’ici en Eun. I 317 34. Cette pause assez importante pourrait justifier les différences entre Eun. I 152. 224. 242 et Eun. I 317. Mais surtout, Grégoire propose déjà en Eun. I 224 une interprétation, où il transpose le plus ou moins des activités en plus ou moins des substances (cf. le cas n°32 précédemment étudié) : c’est cette première reformulation que Grégoire, très vraisemblablement, ne fait que reprendre en Eun. I 317, passage qui n’apparaît plus que comme un commentaire très libre par Grégoire de Eun. I 152 ; R.-P. Vaggione note très justement ce passage d’un cf., tandis que W. Moore et S.-G. Hall ne le retiennent même pas, solution qui semble effectivement la meilleure. Les deux cas qui viennent d’être examinés permettent donc de constater la façon dont Grégoire étend librement aux substances ce qu’Eunome ne déclarait ouvertement que pour les activités. Il semble alors possible de faire l’hypothèse suivante : les autres cas, où les citations divergent assez fortement des fragments, ne seraient que des reformulations libres des propos d’Eunome par le Cappadocien. Une telle hypothèse paraît assez vraisemblable : les cas n°18, 32 et 58 en seraient un modèle clair ; on sait par ailleurs que Grégoire n’a possédé que peu de temps l’AA et n’a pu en recopier que quelques passages, ce qui rend douteuse une multiplication de nouveaux testimonia ; enfin, Grégoire articule sa réfutation autour des fragments de l’AA qu’il a cités et il semble normal que ce soit ceux-ci qui reparaissent régulièrement au long de sa réfutation, soit sous forme de doublets, soit sous forme de reformulations libres, où Grégoire prendrait plaisir à interpréter les propos d’Eunome. Cette hypothèse, si elle se révèle exacte, permet alors de tirer des conclusions intéressantes. À côté de deux cas assez simples (n°38 et 56), où il ne s’agit à nouveau que de l’extension aux substances des propos d’Eunome sur les activités 35, il est plusieurs autres cas (n°12, 70, 73, 75, 76, 91) où les termes employés par Eunome semblent volontairement modifiés : l’expression ‚làttouc te ka» me–zouc appliquée aux activités devient ©tton ka» t‰ äkuron pour les substances ; le comparatif timi∏tera appliqué aux œuvres de la création devient ÇtimotËrou pour les substances ; le comparatif presb‘tera appliqué aux œuvres de la création devient presb‘teron ka» ne∏teron pour les substances ;

34 Cf. infra partie III, chapitre II, 1.1.1 Examen du contexte immédiat, p. 227–228. 35 L’édition J. Gretser retient en Eun. I 282 le morceau de phrase final (‚n t¨ per» to‹ u…o‹

ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc teqnolog–¯), mais il semble bien peu vraisemblable qu’Eunome ait qualifié son enseignement de « teqnolog–a »,

désignation polémique et dépréciative, utilisée plutôt par ses adversaires.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

67

l’expression Çnwtàtw ka» kuriwtàthc devient mÏnh kur–a ka» Çnwtàtw pour la première substance et, quelques lignes après, äkuroc, ÇkurotËra pour les deuxième et troisième substances. Dans tous ces cas, Grégoire semble donc vouloir durcir les propos d’Eunome, vouloir faire dire à l’anoméen ce que justement celui-ci cherchait à éviter dans le fragment 1. Alors qu’Eunome préfère souligner la transcendance de la première substance, ne mentionner de plus ou moins que pour les activités, n’appliquer finalement au Fils ou à l’Esprit aucune dénomination directement dépréciative, Grégoire paraît au contraire vouloir dévoiler ce qui lui semble être la «perfidie » de son adversaire : le Fils et l’Esprit selon Eunome sont en fait plus jeunes, sans valeur, sans dignité 36. De ce point de vue, la réfutation menée par Grégoire commence dès sa façon de citer Eunome, puisque la manière de durcir les propos de l’adversaire vise assurément à le déconsidérer aux yeux du lecteur. Dès lors, et plus prosaïquement, tous ces passages, qui portent plus la marque de Grégoire que celle d’Eunome, ne paraissent pas pouvoir être retenus comme doublets. Une telle conclusion pourrait s’appliquer en partie à d’autres cas plus subtils. Pour les cas n°9 et 42, l’apparition de l’adjectif mÏnh ne paraît pas anodine et traduit certainement un léger durcissement par Grégoire des propos d’Eunome (seule la première substance est la plus haute et la plus authentique). Dans le premier cas, la solution de R.-P. Vaggione semble donc la meilleure ; dans le second cas, celle de Moreschini, mais sans le mon†n. Dans le cas n°62, seule la fin de la phrase diverge du fragment 1 : Eunome écrivait dans le fragment 1 « eŒseb¿c dianoo‘menoc », qui devient ici « eŒlÏgwc dianoo‘menoc ». Cette modification très légère pourrait en fait être justement orientée ; la piété, qui selon Eunome guiderait le raisonnement (eŒseb¿c), serait démasquée par Grégoire comme un simple jeu logique (eŒlÏgwc). Ici, la solution de S.-G. Hall paraît donc la meilleure. Enfin, pour le cas n°98, la solution des autres chercheurs contre l’édition J. Gretser est manifestement meilleure : Grégoire ne parle que de l’ordre que s’est forgé Eunome (nohje–shc tàxewc). Les derniers cas restants (n°14, 53, 54, 67, 109, 124 et 125) ne sont visiblement que des reformulations plus neutres de Grégoire, parfois très lointaines (n°14, 67), voire un simple commentaire (n°53 37). Aucun ne semble donc pouvoir être retenu comme doublet. 36 Une attitude légèrement similaire de Grégoire apparaît dans le petit traité Maced. (94, 3–13). Grégoire a pré-

cédemment montré la corrélation entre l’affirmation de la divinité de l’Esprit et l’attribution à l’Esprit des concepts connaturels à la divinité. Grégoire poursuit en soulignant que celui qui refuse d’attribuer à l’Esprit « pêsa d‡ megaloprepòc Ínnoia » se voit placé devant l’obligation absurde de lui appliquer les termes opposés, par exemple : « Â gÄr Índoxon mò didoÃc ädoxon d∏sei » ; Grégoire semble faire de même ici dans le Eun. I : puisqu’Eunome ne qualifie pas la seconde et la troisième substance de kuriwtàth, celles-ci sont alors äkuroc, voire ÇkurotËra. 37 L’édition J. Gretser retient tout un membre de phrase, où l’activité est comparée à un outil (kajàper Órganon), l’ensemble étant introduit comme une citation de l’AA. Mais cette mention suit directement une comparaison par Grégoire de l’activité à un tranchet de cordonnier, qualifié justement d’outil. Rien par ailleurs ne permet d’assurer qu’Eunome ait qualifié l’activité d’outil ; au contraire, Eunome souligne expressément dans sa Profession de foi que le Père n’a besoin d’aucun outil, cf. Eunome, EF 2 (152, 17–19) : « oŒk ‚n tƒ poieÿn ’lhc £ mer¿n £ fusik¿n Êrgànwn prosdeÏmenoc (Ísti gÄr pàntwn Çprosde†c) ». Cette expression de Eun. I 246 paraît donc bien être un commentaire libre de Grégoire.

68

Première partie : Circonstances de rédaction

Conclusion Cet examen des doublets n’a concerné bien sûr que des éléments relativement secondaires, puisque les doublets ne sont que des reprises partielles par Grégoire des fragments. Par-delà quelques précisions sur les délimitations des doublets, l’étude a cependant permis de discerner peut-être les manipulations polémiques du texte d’Eunome effectuées par Grégoire ; le durcissement volontaire de certains passages de l’AA, visant à rendre intolérable l’enseignement eunoméen, facilitait assurément la réfutation de Grégoire, cherchait en tout cas à disqualifier Eunome aux yeux des lecteurs. 1.2.3 Examen de nouveaux testimonia relevés par certains chercheurs Les paragraphes précédents ont été consacrés aux citations majeures de l’AA dans le Eun. I (les fragments) ainsi qu’à leurs reprises par Grégoire au cours de sa réfutation (les doublets). Cependant, il reste un certain nombre de citations relevées par les chercheurs qui n’entrent pas dans ces catégories : elles n’appartiennent pas aux fragments et ne sauraient être considérées comme des doublets, tant elles se distinguent de la formulation des fragments. En tant que telles, ces citations pourraient donc apparaître comme de nouveaux testimonia de l’AA. Ces cas importants, qui pourraient peut-être faire découvrir des aspects peu connus de l’AA, doivent être étudiés un par un. * Cas 5 du tableau récapitulatif Eun. I 161 (GNO I 75, 13–15).

W. Jaeger, R.-P. Vaggione, Cl. Moreschini

Kal¿c d‡ to‹tÏ fhsin, oŒ t¿n kajÏlou t®c ‚kklhs–ac dogmàtwn, ÇllÄ t¿n kaj+ ·autoÃc ‚n to‘toic sumplhro‹sjai t‰n lÏgon. Édition Gretser

Kal¿c d‡ to‹tÏ fhsin, oŒ t¿n kajÏlou t®c ‚kklhs–ac dogmàtwn, ÇllÄ t¿n kaj+ ·autoÃc ‚n to‘toic sumplhro‹sjai t‰n lÏgon. W. Moore, S.-G. Hall

Kal¿c d‡ to‹tÏ fhsin, oŒ t¿n kajÏlou t®c ‚kklhs–ac dogmàtwn, ÇllÄ t¿n kaj+ ·autoÃc ‚n to‘toic sumplhro‹sjai t‰n lÏgon. W. Moore et S.-G. Hall ne retiennent pas les derniers mots, qui reprennent cependant le début du fragment 1. L’édition Gretser retient un morceau de phrase non relevé par W. Jaeger, R.-P. Vaggione et Cl. Moreschini et qui pourrait être un nouveau testimonium : « oŒ t¿n kajÏlou t®c ‚kklhs–ac dogmàtwn, ÇllÄ t¿n kaj+ ·autoÃc ‚n to‘toic ». Cependant, il semble peu vraisemblable qu’Eunome ait jamais affirmé présenter non les doctrines de l’Église mais les siennes propres. Le passage souligné par l’édition J. Gretser paraît donc comme une citation très improbable de l’AA et la proposition de W. Jaeger, R.-P. Vaggione et Cl. Moreschini semble devoir être retenue.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

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* Cas 28 et 29 du tableau récapitulatif Eun. I 216 (GNO I 89, 20)

W. Moore

Èteron ‚x ·tËrou genÏmenon lËgei; ±c d‡ . . . Autres chercheurs

Èteron ‚x ·tËrou genÏmenon lËgei; ±c d‡ . . . Eun. I 216 (GNO I 89, 23–24)

W. Moore

ka» Èteron ‚x ·tËrou genËsjai lËgwn ka» nÏjon . . . Autres chercheurs

ka» Èteron ‚x ·tËrou genËsjai lËgwn ka» nÏjon . . . W. Moore est le seul à retenir dans ce paragraphe deux fois la même expression, introduite effectivement comme une citation de l’AA 38 : « Èteron ‚x ·tËrou genÏmenon (genËsjai) ». Cette expression est absente des fragments, si bien que ces propos ne sauraient être un doublet. Comme ils se révèlent homogènes avec la doctrine du fragment 1, ils pourraient être une citation de l’AA. Mais cette affirmation pourrait être tout aussi bien une interprétation de Grégoire, explicitant la production des substances présentée au début du fragment 1, conformément au contexte de ce passage. Les termes relevés ici ne semblent donc constituer qu’une citation incertaine de l’AA, si bien qu’il paraît préférable de ne pas les retenir. * Cas 101 du tableau récapitulatif Eun. I 419 (GNO I 148, 26)

Édition J. Gretser, W. Moore

>All+ oŒk ‚keÿjen, fhs–n. Autres chercheurs

>All+ oŒk ‚keÿjen, fhs–n. L’édition J. Gretser et W. Moore retiennent une brève réponse d’Eunome à un raisonnement de Grégoire, introduite de fait comme une citation 39 ; mais il peut s’agir d’un artifice rhétorique, Grégoire faisant intervenir fictivement Eunome au cours de ses réflexions. Cette expression paraît donc comme une citation incertaine de l’AA et ne semble pas devoir être retenue. * Cas 108 du tableau récapitulatif Eun. I 433 (GNO I 152, 22–23)

Cl. Moreschini

Án e“te ‚nËrgeian e“te ti t®c ‚nerge–ac ÇpotËlesma lËgei (kËqrhtai gÄr ·katËr˙ t¿n lÏgwn) Autres chercheurs

Án e“te ‚nËrgeian e“te ti t®c ‚nerge–ac ÇpotËlesma lËgei (kËqrhtai gÄr ·katËr˙ t¿n lÏgwn) 38 Grégoire introduit ces propos respectivement par « lËgei, 39 Cf. le « fhs–n ».

lËgwn ».

70

Première partie : Circonstances de rédaction

Cl. Moreschini est le seul à retenir ici deux dénominations du Monogène (‚nËrgeian, ti t®c ‚nerge–ac ÇpotËlesma), aucune n’étant un doublet, car jamais Eunome ne nomme ainsi le Fils dans les fragments. La seconde expression est homogène avec l’enseignement du fragment 1 (la seconde substance est résultat de l’activité de la première), et la première peut en être un équivalent, Grégoire faisant de même 40. Sans doute, ces deux expressions pourraient n’être qu’une simple reformulation par Grégoire ; pourtant, il importe de souligner l’insistance inhabituelle avec laquelle le Cappadocien rapporte ces dénominations à Eunome : « lËgei », « kËqrhtai gÄr ·katËr˙ t¿n lÏgwn ». Dès lors, ces termes semblent pouvoir être retenus comme citation probable de l’AA. * Cas 126 du tableau récapitulatif Eun. I 459 (GNO I 159, 21–22)

W. Moore

p¿c ÕperbÄc tÏ, ±c aŒt‰c lËgei, kat∏teron ka» diÄ to‹to t¨ katal†yei t¿n zhto‘ntwn proseqËsteron, t¨ kuriwtàth ka» Çnwtàt˘ prosf‘etai ; Autres chercheurs

p¿c ÕperbÄc tÏ, ±c aŒt‰c lËgei, kat∏teron ka» diÄ to‹to t¨ katal†yei t¿n zhto‘ntwn proseqËsteron, t¨ kuriwtàth ka» Çnwtàt˘ prosf‘etai ; Seul W. Moore retient ici un membre de phrase, qui n’est pas un doublet. Grégoire introduit toute cette affirmation comme une citation de l’AA 41, mais la formule introductive du Cappadocien paraît concerner tout ce qui suit et non le participe qui précède (Õperbàc), contrairement à ce que laisse entendre W. Moore. La question est donc de savoir si l’expression « t‰ kat∏teron ka» diÄ to‹to t¨ katal†yei t¿n zhto‘ntwn proseqËsteron » peut effectivement bien être d’Eunome. Le premier terme « t‰ kat∏teron » rappelle les durcissements probables des propos d’Eunome par Grégoire ; puisqu’Eunome désigne la première substance « Çnwtàtw », la seconde peut être logiquement dite « kat∏teron » par Grégoire. Ce terme ne serait donc pas forcément d’Eunome. La fin du membre de phrase pose plus de difficultés : quels critères pourraient permettre de juger de l’authenticité de ces propos, qui concernent la connaissance humaine (t¨ katal†yei t¿n zhto‘ntwn) ? Un recours à l’épistémologie d’Eunome, connue par le biais de l’Ap et des fragments de l’AA, paraît nécessaire ; or, il s’avère 42 que la connaissance des réalités par l’homme dépend selon Eunome non pas tant d’un effort intellectuel que des noms révélés par Dieu et donnant une connaissance de la substance des réalités. Dès lors, une compréhension par ceux qui cherchent (t¿n zhto‘ntwn), plus accessible parce que concernant des réalités moins élevées, ne semble pas s’accorder harmonieusement avec l’épistémologie eunoméenne. Au contraire, cette affirmation apparaîtrait comme une première réfutation de Grégoire, qui soulignerait l’incohérence de la démarche d’Eunome (enjamber ce qui est en réalité plus accessible à la compréhension) ; cette première objection serait aussitôt suivie d’une seconde tirée cette fois de l’Écriture 43. Pour toutes ces raisons, le passage souligné par W. Moore apparaît comme une citation incertaine de l’AA et la solution des autres chercheurs paraît préférable. 40 Cf. Eun. I 420, où « ‚nËrgeia » désigne à la fois l’activité et son résultat. 41 Cf. « ±c aŒt‰c lËgei ». 42 Cf. partie II, chapitre I, 1.4.1 Les noms connaturels aux substances, p. 112–114. 43 Cf. la fin du paragraphe Eun. I 459 avec la citation de Mt 11, 27.

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Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

* Cas 131 du tableau récapitulatif Eun. I 470 (GNO I 162, 25–26)

W. Moore

e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ. Autres chercheurs

e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ. Seul W. Moore retient ce passage, où Grégoire fait répondre Eunome à une question selon un artifice rhétorique déjà rencontré précédemment 44 ; ce simple fait rend dès lors assez suspects les termes soulignés par W. Moore. Cependant, le mot « Çgennhs–a » est un terme théologique fondamental pour Eunome, et l’anoméen a très vraisemblablement attendu ce point de son raisonnement pour l’introduire dans son argumentation 45 ; si la mention de l’« Çgennhs–a » au fil du Eun. I ne renvoie pas toujours à un passage précis de l’AA mais se révèle plutôt une simple évocation par Grégoire d’un concept théologique clef d’Eunome, son apparition ici paraît au contraire révélatrice de sa place dans l’AA 46. Le terme Çgennhs–a semble donc devoir être retenu comme citation probable de l’AA. * Cas 151 du tableau récapitulatif Eun. I 559 (GNO I 188, 9–13)

W. Moore

yuqrƒ ka» Çdraneÿ tƒ sof–smati toÃc kaj+ ·aut‰n parakro‘etai, t‰ katà ti koinwno‹n ka» diÄ pàntwn tòn katÄ t‰ shmainÏmenon koinwn–an Íqein kataskeuàzwn ka» to‘t˙ tòn ‚pipÏlaion Çkoòn sunarpàzwn. Autres chercheurs

yuqrƒ ka» Çdraneÿ tƒ sof–smati toÃc kaj+ ·aut‰n parakro‘etai, t‰ katà ti koinwno‹n ka» diÄ pàntwn tòn katÄ t‰ shmainÏmenon koinwn–an Íqein kataskeuàzwn ka» to‘t˙ tòn ‚pipÏlaion Çkoòn sunarpàzwn. Seul W. Moore retient ce passage, qui constituerait un principe sémantique d’Eunome : «ce qui communie sur un point communie aussi en tout selon la signification ». Une telle affirmation de la part d’Eunome ne serait pas invraisemblable et s’accorde pour une part avec son épistémologie, au moins pour ce qui concerne les attributs de l’inengendré 47. En tant que tel, ce passage pourrait donc être extrait de l’AA. Cependant, le contexte immédiat laisse entendre cette affirmation comme une conséquence immédiate tirée par Grégoire du premier des trois syllogismes d’Eunome, qu’il est justement en train de réfuter, ou comme une simple reformulation des propos même d’Eunome 48. Le passage souligné par W. Moore apparaît ainsi comme une citation incertaine de l’AA et semble pour cette raison ne pas devoir être retenu.

44 Cf. supra Eun. I 419. 45 Cf. infra partie I, chapitre II, 2.3 Organisation des fragments, p. 86–88. 46 Le mot Çgennhs–a, qui reparaît quelques lignes plus loin en Eun. I 473, est alors souligné par W. Jaeger,

R.-P. Vaggione et W. Moore. 47 Cf. partie II, chapitre I, 1.4.2 Deux principes correctifs : synonymie, p. 114–115. 48 Cf. Eun. I 552 : « tÄ d‡ tòn aŒtòn Íqonta d‘namin t¿n Ênomàtwn taŒt‰n pàntwc ka»

shma–nein pËfuke ».

72

Première partie : Circonstances de rédaction

* Cas 175 du tableau récapitulatif Eun. I 646 (GNO I 212, 18–19)

Édition J. Gretser

ÇllÄ t‰n m‡n ‚k t®c Çgennhs–ac t‰n d‡ ‚k t®c genn†sewc oŒsi¿sjai lËgwn, oŒk o⁄da . . . Autres chercheurs

ÇllÄ t‰n m‡n ‚k t®c Çgennhs–ac t‰n d‡ ‚k t®c genn†sewc oŒsi¿sjai lËgwn, oŒk o⁄da . . . Seule l’édition J. Gretser retient ici le terme « oŒsi¿sjai », que Grégoire introduit de fait comme une citation 49. Cependant, si Eunome souligne effectivement le lien étroit qui unit un nom et la substance qu’il signifie, il ne dit jamais semble-t-il qu’une réalité «reçoit sa substance » (oŒsi¿sjai) du nom et cette formulation pourrait n’être qu’un durcissement volontaire par Grégoire des propos de l’anoméen, possibilité vraisemblable rencontrée déjà plusieurs fois. Dès lors, il ne semble s’agir ici que d’une citation incertaine, qui comme telle ne peut être retenue. * Cas 177 du tableau récapitulatif Eun. I 656 (GNO I 215, 5–6)

Édition J. Gretser, W. Moore, Cl. Moreschini

na–, fhs–n, Çll+ oŒ sun®ke to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma. Autres chercheurs

na–, fhs–n, Çll+ oŒ sun®ke to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma. L’édition J. Gretser, W. Moore et Cl. Moreschini retiennent ici comme citation une constatation qu’Eunome aurait émise dans l’AA. Laisser ainsi parler Eunome ne pourrait être qu’un procédé rhétorique 50 ; pourtant, l’exclamation soulignée ici s’insère particulièrement bien dans le fil du raisonnement, sans paraître absolument artificielle 51. Le passage semble pouvoir ainsi être retenu comme citation probable de l’AA. * Cas 184 du tableau récapitulatif Eun. I 663 (GNO I 217, 8–9)

Édition J. Gretser

ka» t‰ m‡n Ónoma t®c oŒs–ac ·tËr˙ Çkoloujeÿ, aŒtò d‡ pàlin ô oŒs–a ·tËr˙. t–c d‡ ô s‘njesic to‹ pant‰c lÏgou; Autres chercheurs

ka» t‰ m‡n Ónoma t®c oŒs–ac ·tËr˙ Çkoloujeÿ, aŒtò d‡ pàlin ô oŒs–a ·tËr˙. t–c d‡ ô s‘njesic to‹ pant‰c lÏgou; Seule l’édition J. Gretser retient ici toute une phrase. Celle-ci n’est pas introduite comme une citation de l’AA par Grégoire, qui semble au contraire interpréter et reformuler les déclarations d’Eunome du fragment 5 (Eun. I 661). 49 Cf. « lËgwn ». 50 Cf. supra les cas similaires pour Eun. I 419 et Eun. I 470. 51 En Eun. I 419, Grégoire soulève toute une série d’hypothèses auxquelles il fait ensuite répondre Eunome :

l’artifice rhétorique est patent. Ici au contraire, Eunome répondrait directement aux propos de Basile, qu’il a effectivement lus ; sa réponse n’aurait alors rien d’invraisemblable.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

73

Le passage apparaît donc comme une citation incertaine de l’AA et semble ne pas devoir être retenu. * Cas 186 du tableau récapitulatif Eun. I 664 (GNO I 217, 15–17)

Édition J. Gretser

ka» t–c ômÿn t¿n a nigmàtwn to‘twn dial‘sei t‰n grÿfon, ÇgËnnhton prohgo‘menon ka» ÇgËnnhton ‚fepÏmenon ka» proshgor–an oŒs–ac n‹n m‡n . . . Autres chercheurs

ka» t–c ômÿn t¿n a nigmàtwn to‘twn dial‘sei t‰n grÿfon, ÇgËnnhton prohgo‘menon ka» ÇgËnnhton ‚fepÏmenon ka» proshgor–an oŒs–ac n‹n m‡n . . . Seule l’édition J. Gretser retient ici plusieurs termes. Ceux-ci ne sont pas des doublets et pourraient être compris comme une citation de l’AA, dont Grégoire se plaindrait du caractère abscons. Mais il pourrait s’agir aussi d’une reformulation de Grégoire, qui durcirait et caricaturerait les propos d’Eunome. Rien ne permet donc de dire s’il s’agit d’une citation effective de l’AA, si bien que ces termes soulignés par l’édition J. Gretser ne semblent pas devoir être retenus. 1.2.4 Examen de nouveaux testimonia n’ayant été relevés par aucun chercheur Les paragraphes précédents ont examiné les multiples citations de l’AA relevées par les chercheurs dans le Eun. I (fragments, doublets, testimonia). Cependant, quelques autres citations pourraient encore être signalées, citations qui n’ont été relevées jusqu’à présent par aucun chercheur et n’ont donc pas été examinées précédemment. Ces différentes citations, non mentionnées dans le tableau récapitulatif de l’Annexe, ne sont pas numérotées. Eun. I 180 Le texte se présente ainsi :

>Epe» d‡ ka» sof‰c e⁄nai tÄ toia‹ta bo‘letai ka» diapt‘ei toÃc äneu logik®c ‚ntreqe–ac ‚piqeiro‹ntac tƒ gràfein. Mais puisqu’il veut être aussi sage en de tels domaines et conspue ceux qui sans compétence en logique entreprennent d’écrire. Un tel reproche d’Eunome sur les compétences logiques de ses adversaires reparaît encore plusieurs fois dans le Eun. I 52, Grégoire laissant même entendre que cette accusation d’Eunome fut fréquente dans l’AA 53. Les termes introductifs de ces passages étant assez semblables 54, il paraît dès lors légitime de retenir le passage «ceux qui sans compétence en logique entreprennent d’écrire (toÃc äneu logik®c ‚ntreqe–ac ‚piqeiro‹ntac tƒ gràfein) » comme citation probable de l’AA. Eun. I 183 Le texte se présente ainsi :

e  d‡ ‚no‘sion d‘namin Âmologeÿ t‰n u…‰n Âpwso‹n Õpostànta (o÷pw gÄr per» to‘tou diamaqÏmeja) 52 Cf. Eun. I 481 (relevé uniquement par l’édition J. Gretser, cas n°135) ; Eun. I 653. 53 Cf. le pàlin initial de Eun. I 653. 54 diapt‘ei en Eun. I 180, dias‘rwn et

profËrwn en Eun. I 481.

74

Première partie : Circonstances de rédaction

Mais s’il confesse le Fils comme puissance substantielle, qui subsiste de quelque façon (en effet, nous n’avons pas encore attaqué ce sujet) Grégoire introduit ces propos par Âmologeÿ, comme s’il voulait rapporter les paroles d’Eunome. Dans ce cas, ceux-ci ne peuvent être un doublet, car cette expression n’apparaît qu’ici dans le Eun. I, si bien qu’il pourrait s’agir soit d’un nouveau testimonium de l’AA, soit d’une reformulation par Grégoire d’un passage de l’AA inconnu par ailleurs. Cependant, cette formulation, absente de l’Ap, trouve un équivalent très proche dans la Profession de foi d’Eunome, justement à propos du Fils : « d‘namin Õfest¿san » 55. Par ailleurs, Grégoire évoque sa volonté d’aborder cette dénomination du Fils, comme si elle avait effectivement été employée par Eunome 56. Il ne semble donc en rien invraisemblable de retenir ici les termes «puissance existante (‚no‘sion d‘namin) » et «subsiste (Õpostànta) » comme citations probables de l’AA. Eun. I 208 Le texte se présente ainsi :

ÇllÄ proairetik¿c ka» aŒtexous–wc kinoumËnac tÄc oŒs–ac t‰ doko‹n fhsi kaj+ ·autÄc Çpergàzesjai. Mais il affirme que les substances mues de façon délibérée et souveraine produisent par elles-mêmes ce qui leur semble bon. Grégoire introduit ce passage par fhsi, laissant entendre qu’il veut reproduire des propos d’Eunome. Il s’appuie, peu après, sur la notion de mouvement contenue dans cette déclaration pour bien souligner que l’activité selon Eunome est une réalité intermédiaire entre l’agent et le produit réalisé 57 ; enfin, les caractéristiques de ce mouvement, choix délibéré et souverain, sembleraient homogènes avec les positions d’Eunome sur l’activité des substances 58. Pourtant, un autre aspect de cette déclaration ne paraît pas à première vue s’accorder avec l’enseignement d’Eunome sur les activités. L’anoméen souligne expressément en Ap 22 que l’activité de Dieu ne saurait être ni une division ni un mouvement de sa substance 59, ce qui semblerait alors contredire ce texte de Eun. I 208. Cependant, les deux textes peuvent malgré tout s’harmoniser, dans la mesure où l’affirmation d’Eunome en Ap 22 ne concerne que le mode d’activité divin et donc uniquement celui de l’inengendré (la première substance du fragment 1), tandis que Eun. I 208 a une visée plus générale et concerne les substances (tÄc oŒs–ac) ; l’activité selon Eunome serait alors, en général, un mouvement de la substance, sauf dans le cas de l’activité divine, où cette activité est la volonté, distincte de la substance 60. Ces propos pourraient donc bien rapporter un passage de l’AA ; comme précédemment, ceux-ci ne seraient alors pas un doublet, mais un nouveau testimonium de l’AA, ou bien la reformulation par Grégoire d’un passage de l’AA inconnu par ailleurs. 55 Cf. Eunome, EF. 3 (152, 5–6) : « oŒk

änarqon, sof–an z¿san, Çl†jeian ‚nergo‹san, d‘namin Õfest¿san, zwòn

gennht†n ». 56 Cf. la fin de la phrase « o÷pw gÄr per» to‘tou diamaqÏmeja (en effet, nous n’avons pas encore attaqué ce sujet) ». 57 Cf. Eun. I 211, où Grégoire explique que l’activité pour Eunome est séparée de l’agent, car elle n’est pas une

nature mais «mouvement d’une nature (f‘sewc k–nhsic) », conformément à Eun. I 208 : « kinoumËnac tÄc oŒs–ac ». 58 Cf. Eun. I 416 où, d’après ce que dit Grégoire, les œuvres selon Eunome sont le résultat d’un choix préalable et

non de la nature : « pànta d‡ tÄ Írga proairËsewc, oŒ f‘sewc ÇpotelËsmata ». 59 Cf. Eunome, Ap 22 (62, 9) : « o÷toi merism‰n 60 Cf. Eunome, Ap 24 (64, 1–2) : « OŒko‹n e 

£ k–nhs–n tina t®c oŒs–ac tòn ‚nËrgeian ôgoumËnouc ». tòn m‡n bo‘lhsin ÇpËdeixen  lÏgoc ‚nËrgeian, oŒk oŒs–an d‡ tòn ‚nËrgeian, ÕpËsth d‡ boul†sei to‹ patr‰c  monogen†c ».

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

75

Un dernier critère, littéraire cette fois, inciterait cependant à voir ici une citation réelle de l’AA ; Grégoire introduit de fait cette déclaration de manière abrupte, rompant par anacoluthe la structure de sa phrase et donnant ainsi aux propos qu’il rapporte une valeur particulière : il ne semble pas valoir la peine de poursuivre l’examen des hypothèses commencé au début d’Eun. I 208 61, puisque de toute façon Eunome considère que «les substances mues de façon, etc. » Ces différents motifs incitent donc à voir ici une citation probable de l’AA. Eun. I 474

Le texte se présente ainsi :

ìOti d‡ e c to‹to blËpousin a… kataskeua» pêsai, t‰ ‚piferÏmenon de–knusin, ‚n oŸc ·aut‰n ÇpodËqetai ±c proshkÏntwc t¨ Âdƒ ‚ke–n˘ pr‰c tòn kataskeuòn t®c blasfhm–ac qrhsàmenoc ka» oŒk eŒjÃc Çpogumn∏sac to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma oŒd‡ pr‰ to‹ sunart®sai tòn kataskeuòn t®c Çpàthc Çgumnàstoic Íti taÿc Çkoaÿc prosbal∞n tòn ÇsËbeian oŒd‡ ‚n prooim–oic t¿n lÏgwn tòn Çgennhs–an oŒs–an Çpofhnàmenoc ka» tòn t®c oŒs–ac ·terÏthta diajrul†sac. Que tous ses préparatifs visent à cela, c’est ce que montre la suite, où il se félicite d’avoir utilisé convenablement cette voie pour l’établissement de son blasphème, de ne pas avoir dévoilé aussitôt l’intention de son traité, ni d’avoir proposé son impiété à des oreilles encore inexercées avant d’avoir ficelé l’établissement de sa tromperie, ni d’avoir déclaré dans le prologue de ses raisonnements l’agennésie comme substance, ni d’avoir rabâché l’altérité de la substance. Visiblement, Grégoire veut rapporter indirectement un passage de l’AA. Il a déjà été possible de rencontrer des cas similaires 62, à la seule exception près que ceux-ci se présentaient comme des reformulations d’une citation claire de l’AA dans le Eun. I, contrairement au cas présent ; seuls les derniers mots poussent Grégoire à citer littéralement (katÄ tòn lËxin) le début du fragment 3, où Eunome se défend d’une attaque de Basile 63. Il n’est donc guère aisé, dans ce passage où Grégoire résume, commente et durcit très certainement l’AA, de discerner ce qui pourrait relever d’Eunome 64. Pourtant, le mot «voie (t¨ Âdƒ ‚ke–n˘) » fait référence très certainement aux deux voies de la recherche théologique exposées par Eunome dans l’Ap et reprises à la fin du fragment 1 65 ; ce terme peut donc être considéré comme propre à Eunome et non à Grégoire, et retenu comme une citation de l’AA (un doublet). Quant aux mots «oreilles inexercées » (Çgumnàstoic taÿc Çkoaÿc), ceux-ci reproduisent littéralement un passage de la critique de Basile contre laquelle se défend justement Eunome 66. Ces termes pourraient donc avec grande vraisemblance être extraits de l’AA ; il s’agirait des mots même employés par Eunome, qui aura répondu à l’attaque 61 Grégoire commence par 62 63 64 65

66

pÏteron, mais poursuit avec ÇllÄ et non £, comme le relève justement W. Jaeger, cf. GNO, note ad loc. Cf. supra Eun. I 206 (cas n°18) ; Eun. I 224 (cas n°32) ; Eun. I 317 (cas n°58). Cf. Basile, adv. Eun. I 4 (164, 40–166, 55). Il est du moins certain que les termes blasfhm–ac et Çpàthc sont de Grégoire et non d’Eunome. Cf. Eun. I 154 : « ÅrmodiwtËran ge mòn ka» toÿc pêsin ÇnusimwtËran ôgeÿsjai tòn Çp‰ t¿n pr∏twn ‚p» tÄ de‘tera kàjodon » (je souligne). Pour une étude de ces voies de recherche théologique selon Eunome, cf. partie II, chapitre I, 1.5 La méthodologie théologique proposée par Eunome, p. 117–121. Cf. Basile, adv. Eun. I 4 (166, 48–50) : « tÄ m‡n par+ ·auto‹ siwpî, —na mò Çgumnàstoic taÿc Çkoaÿc prosbàllwn Çp–janon ·aut‰n ka» dusparàdekton katast†s˘ (il passe sous silence ses propres positions, de peur qu’en les jetant à des oreilles inexercées il en arrive à perdre son crédit et à se rendre insupportable) » (trad. B. Sesboüé).

76

Première partie : Circonstances de rédaction

de Basile en reprenant son expression 67 : Basile accusait Eunome de ne pas vouloir employer le mot ÇgËnnhtoc devant des oreilles inexercées, Eunome se félicite maintenant d’avoir apporté tous les fondements nécessaires et de ne pas introduire ce terme devant des oreilles inexercées 68. De ce paragraphe Eun. I 474, les termes «voie (Âdƒ) » et «oreilles inexercées » (Çgumnàstoic taÿc Çkoaÿc) semblent donc des citations probables de l’AA. Il sera possible ultérieurement de juger de l’importance de cette dernière citation pour une juste compréhension de l’organisation de l’AA 69. 1.2.5 Récapitulation Comme il fallait s’y attendre et comme cela avait été annoncé au début de cet examen, les résultats issus de la comparaison des différents relevés des citations de l’AA dans le Eun. I ne sont pas révolutionnaires. Les citations principales et les plus instructives demeurent assurément les cinq fragments autour desquels règnent une quasi unanimité. Cependant, cette étude comparative aura permis d’apporter de multiples précisions, fussent-elles minimes, sur l’étendue du fragment 4, le repérage de nouveaux doublets, la tendance probable de Grégoire à durcir parfois les affirmations d’Eunome, enfin sur le repérage de nouveaux testimonia de l’AA non encore soulignés jusqu’à ce jour. Concrètement, ces résultats entraînent des modifications dans la présentation du texte de l’édition critique de W. Jaeger (GNO I). Ces changements sont récapitulés cidessous. Modification du fragment 4 Eun. I 562 (189, 3–11)

GNO

Çll+ e÷kairon “swc tòn semnòn ‚ke–nhn to‹ k∏lou per–odon ka» par+ ôm¿n ‚paqj®nai tƒ legomËn˙; prËpei gÄr toÿc toio‘toic pàntwc toia‹ta, Ìti plËon ãn Ísqe pr‰c t‰ dokeÿn swfroneÿn, e  panteleÿ siwp¨ ta‘thn πrize tòn Çsfàleian. ≈ gÄr ô prosj†kh t¿n lÏgwn e c prosj†khn teleÿ blasfhm–ac, mêllon d‡ t®c ‚sqàthc Çno–ac, to‘t˙ t‰ sigên oŒq ôm–sei mËrei, ÇllÄ tƒ pant» to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron. Proposition

Çll+ e÷kairon “swc tòn semnòn ‚ke–nhn to‹ k∏lou per–odon ka» par+ ôm¿n ‚paqj®nai tƒ legomËn˙; prËpei gÄr toÿc toio‘toic pàntwc toia‹ta, Ìti plËon ãn Ísqe pr‰c t‰ dokeÿn swfroneÿn, e  panteleÿ siwp¨ ta‘thn πrize tòn Çsfàleian. ≈ gÄr ô prosj†kh t¿n lÏgwn e c prosj†khn teleÿ blasfhm–ac, mêllon d‡ t®c ‚sqàthc Çno–ac, to‘t˙ t‰ sigên oŒq ôm–sei mËrei, ÇllÄ tƒ pant» to‹ laleÿn ‚sti koufÏteron.

67 Il a déjà été possible de constater l’emploi par Eunome des propres termes de son adversaire, cf. supra partie I,

chapitre I, 2.3.3 Une première évaluation du Eun. I, p. 49. 68 Il est donc fort probable que ce soit aussi à ce moment de ses raisonnements qu’Eunome ait mentionné pour

la première fois le terme Çgennhs–a. 69 Cf. infra partie I, chapitre II, 2.3. Organisation des fragments, p. 87.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

77

Suppressions de doublets Eun. I 188 (82, 1–3)

GNO

Çll+ Çn∏numon aŒt¿n poieÿtai tòn mn†mhn  dogmat–zwn Çp‰ t¿n prosfu¿n Ênomàtwn ka» ˚hmàtwn deÿn tÄc t¿n ÇkouÏntwn diano–ac prosàgesjai. Proposition

Çll+ Çn∏numon aŒt¿n poieÿtai tòn mn†mhn  dogmat–zwn Çp‰ t¿n prosfu¿n Ênomàtwn ka» ˚hmàtwn deÿn tÄc t¿n ÇkouÏntwn diano–ac prosàgesjai. Eun. I 206 (86, 22)

GNO

‚nerge–ac oŒsi¿n Ênomàzei tÄc Çpotelestikàc . . . Proposition

‚nerge–ac oŒsi¿n Ênomàzei tÄc Çpotelestikàc . . . Eun. I 224 (92, 8–11)

GNO

πste tÄc m‡n me–zouc, kaj∞c aŒtÏc fhsi,tÄc d‡ mikrotËrac noeÿsjai ka» katÄ tÄ loipÄ pànta tòn parallagòn Íqein. Proposition

πste tÄc m‡n me–zouc, kaj∞c aŒtÏc fhsi, tÄc d‡ mikrotËrac noeÿsjai ka» katÄ tÄ loipÄ pànta tòn parallagòn Íqein. Eun. I 246 (99, 4–5)

GNO

to‹tÏn fhsin Írgon Ónta t¨ ‚rgasamËn˘ aŒt‰n ‚nerge–¯ parametreÿsjai. Proposition

to‹tÏn fhsin Írgon Ónta t¨ ‚rgasamËn˘ aŒt‰n ‚nerge–¯ parametreÿsjai. Eun. I 282 (109, 15–16)

GNO

Çnàgkh fhs» me–zouc te ka» ‚làttouc tÄc oŒs–ac e⁄nai ‚n t¨ per» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc teqnolog–¯. Proposition

Çnàgkh fhs» me–zouc te ka» ‚làttouc tÄc oŒs–ac e⁄nai ‚n t¨ per» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc teqnolog–¯. Eun. I 317 (121, 4–11)

GNO

T– to–nun prost–jhsi t¨ Çkolouj–¯ t¿n e rhmËnwn, skop†swmen. metÄ t‰ e peÿn; ‚x Çnàgkhc ‚làttouc te ka» me–zouc tÄc oŒs–ac o“esjai deÿn e⁄nai ka» tÄc m‡n pr∏thn ‚pËqein tàxin katà tina megËjouc ka» Çx–ac diaforÄn ‚n t¨ protim†sei tetagmËnac, tÄc d‡ ‚n deutËroic diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac ÇpewsmËnac, ta‹ta ‚p†gagen; . . . Proposition

T– to–nun prost–jhsi t¨ Çkolouj–¯ t¿n e rhmËnwn, skop†swmen. metÄ t‰ e peÿn; ‚x Çnàgkhc ‚làttouc te ka» me–zouc tÄc oŒs–ac o“esjai deÿn e⁄nai ka» tÄc m‡n pr∏thn ‚pËqein tàxin katà tina megËjouc ka» Çx–ac diaforÄn ‚n t¨ protim†sei tetagmËnac, tÄc d‡ ‚n deutËroic diÄ t‰ Õpobebhk‰c t®c f‘se∏c te ka» t®c Çx–ac ÇpewsmËnac, ta‹ta ‚p†gagen; . . . Eun. I 320 (122, 9–10)

GNO

per» t–nwn to–nun Írgwn ‚nta‹ja poieÿtai t‰n lÏgon

78

Première partie : Circonstances de rédaction

Proposition

per» t–nwn to–nun Írgwn ‚nta‹ja poieÿtai t‰n lÏgon Eun. I 342 (128, 17–18)

GNO

 gÄr presb‘teron t‰n patËra t®c to‹ monogeno‹c Õpostàsewc ÇpofainÏmenoc Proposition

 gÄr presb‘teron t‰n patËra t®c to‹ monogeno‹c Õpostàsewc ÇpofainÏmenoc Eun. I 349 (130, 11–13)

GNO

™n d‡ o›toc katÄ tòn t¿n ‚nant–wn ÕpÏlhyin t‰ presb‘teron ka» ne∏teron ‚p» t®c . . . Proposition

™n d‡ o›toc katÄ tòn t¿n ‚nant–wn ÕpÏlhyin t‰ presb‘teron ka» ne∏teron ‚p» t®c . . . Eun. I 361 (134, 5–7)

GNO

ô d‡ proai∏nioc f‘sic ‚kpËfeuge tÄc katÄ t‰ presb‘terÏn te ka» ne∏teron diaforÄc Proposition

ô d‡ proai∏nioc f‘sic ‚kpËfeuge tÄc katÄ t‰ presb‘terÏn te ka» ne∏teron diaforÄc Eun. I 375 (137, 15–16)

GNO

t‰ presb‘teron lËgw ka» t‰ ne∏teron ka» tÄc . . . Proposition

t‰ presb‘teron lËgw ka» t‰ ne∏teron ka» tÄc . . . Eun. I 410 (146, 8–9)

GNO

©c ÇpotËlesma ka» Írgon  monogen†c ‚stin u…Ïc. Proposition

©c ÇpotËlesma ka» Írgon  monogen†c ‚stin u…Ïc. Eun. I 423 (149, 27–28)

GNO

t– t‰ Írgon to‹ patrÏc Proposition

t– t‰ Írgon to‹ patrÏc Eun. I 434 (153, 2–4)

GNO

deixàtw p¿c tòn Çmfisb†thsin t¿n to‹ jeo‹ Írgwn dial‘ei diÄ t®c to‹ ‚nerg†santoc f‘sewc. Proposition

deixàtw p¿c tòn Çmfisb†thsin t¿n to‹ jeo‹ Írgwn dial‘ei diÄ t®c to‹ ‚nerg†santoc f‘sewc. Eun. I 453 (158, 3–4)

GNO

oŒ gÄr pr‰c t‰ e⁄doc £ t‰n trÏpon to‹ tÏkou Proposition

oŒ gÄr pr‰c t‰ e⁄doc £ t‰n trÏpon to‹ tÏkou

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

Eun. I 458 (159, 17–19)

79

GNO

‚n oŸc fhsin ‚k t¿n Írgwn deÿn tÄc oŒs–ac katalambànesjai; Proposition

‚n oŸc fhsin ‚k t¿n Írgwn deÿn tÄc oŒs–ac katalambànesjai; Eun. I 510 (173, 23–24)

GNO

sugqwreÿsjai katÄ t‰n lÏgon t¿n Õpenant–wn tòn Çgennhs–an oŒs–an e⁄nai Proposition

sugqwreÿsjai katÄ t‰n lÏgon t¿n Õpenant–wn tòn Çgennhs–an oŒs–an e⁄nai Eun. I 512 (174, 15)

GNO

tòn Çgennhs–an oŒs–an fas» Proposition

tòn Çgennhs–an oŒs–an fas» Eun. I 522 (177, 16)

GNO

par+ o› fasi tòn gËnnhsin ‚rgasjeÿsan oŒs–an Proposition

par+ o› fasi tòn gËnnhsin ‚rgasjeÿsan oŒs–an Eun. I 659 (215, 24)

GNO

õn Çgennhs–an prosagore‘ousin Proposition

õn Çgennhs–an prosagore‘ousin Modifications de doublets Eun. I 240 GNO (96, 28–97, 4) πsper gÄr mÏnhn Çnwtàtw ka» mÏnhn kur–an tòn to‹ patr‰c proshgÏreu-

sen oŒs–an, oŒd‡n to‘twn ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc Âmolog†sac, o÷te tòn änw fwnòn o÷te tòn kuriwtàthn, katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac . . . Proposition

πsper gÄr mÏnhn Çnwtàtw ka» mÏnhn kur–an tòn to‹ patr‰c proshgÏreusen oŒs–an, oŒd‡n to‘twn ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc Âmolog†sac, o÷te tòn änw fwnòn o÷te tòn kuriwtàthn, katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac . . . Eun. I 321 (122, 16–19)

GNO

. . . ka» diagràfein Írga Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera ka» ‚nËrgeian ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai lËgein eŒlÏgwc dianoo‘menon; Proposition

. . . ka» diagràfein Írga Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera ka» ‚nËrgeian ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai lËgein eŒlÏgwc dianoo‘menon ; Eun. I 409 (146, 4–7)

GNO

Ìti mÏnh kur–a ka» Çnwtàtw to‹ patr‰c ô oŒs–a, äkuroc d‡ katÄ t‰ ÇkÏloujon pàntwc ô ‚fex®c ka» ÇkurotËra ô tr–th ;

80

Première partie : Circonstances de rédaction

Proposition

Ìti mÏnh kur–a ka» Çnwtàtw to‹ patr‰c ô oŒs–a, äkuroc d‡ katÄ t‰ ÇkÏloujon pàntwc ô ‚fex®c ka» ÇkurotËra ô tr–th ; Eun. I 604 (200, 10–11)

GNO

oŒk Íxest– soi lËgein u…o‹ ÇgËnnhton t‰n patËra, kãn ô . . . Proposition

oŒk Íxest– soi lËgein u…o‹ ÇgËnnhton t‰n patËra, kãn ô . . . Nouveaux doublets Eun. I 156 (74, 6–10)

GNO . . . Çnt» m‡n to‹ patr‰c Çnwtàtw tinÄ ka» kuriwtàthn oŒs–an lËgei, Çnt»

d‡ to‹ u…o‹ tòn di+ ‚ke–nhn m‡n ofisan, met+ ‚ke–nhn d‡ t¿n ällwn prwte‘ousan, Çnt» d‡ to‹ Åg–ou pne‘matoc tòn mhdemiî to‘twn suntattomËnhn ÇmfotËraic . . . Proposition . . . Çnt» m‡n to‹ patr‰c Çnwtàtw tinÄ ka» kuriwtàthn oŒs–an lËgei, Çnt»

d‡ to‹ u…o‹ tòn di+ ‚ke–nhn m‡n ofisan, met+ ‚ke–nhn d‡ t¿n ällwn prwte‘ousan, Çnt» d‡ to‹ Åg–ou pne‘matoc tòn mhdemiî to‘twn suntattomËnhn ÇmfotËraic . . . Eun. I 171 GNO (77, 28–78, 1) . . . ka» diÄ to‹to tòn to‹ patr‰c oŒs–an mÏnhn Çnwtàtw fhs–n; Proposition . . . ka» diÄ to‹to tòn to‹ patr‰c oŒs–an mÏnhn Çnwtàtw fhs–n; Eun. I 207 (87, 5)

GNO

ällo ti parÄ tÄc oŒs–ac aŸc parËpontai £ mËroc . . . Proposition

ällo ti parÄ tÄc oŒs–ac aŸc parËpontai £ mËroc . . . Eun. I 244 (98, 11–12)

GNO

ÇllÄ dunàmewc ‚nËrgeian, kaj∞c aŒt‰c Ênomàzei, . . . Proposition

ÇllÄ dunàmewc ‚nËrgeian, kaj∞c aŒt‰c Ênomàzei, . . . Eun. I 322 (122, 20–21)

GNO

t–nac lËgei pàlin tÄc t¿n ‚nergei¿n diaforàc, di+ ¡n tÄ Írga . . . Proposition

t–nac lËgei pàlin tÄc t¿n ‚nergei¿n diaforàc, di+ ¡n tÄ Írga . . . Eun. I 419 (148, 28–30)

GNO

Çll+ “swc t‰ ÕfeimËnon t®c oŒs–ac ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc t‰ sumfu‡c Ênomàzei t®c tàxewc. Proposition

Çll+ “swc t‰ ÕfeimËnon t®c oŒs–ac ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc t‰ sumfu‡c Ênomàzei t®c tàxewc. Eun. I 430 (152, 1–3)

GNO

ka» tòn ‚p» taÿc ‚nerge–aic fhs»n Çmfibol–an dial‘ein ‚k t¿n oŒsi¿n.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

81

Proposition

ka» tòn ‚p» taÿc ‚nerge–aic fhs»n Çmfibol–an dial‘ein ‚k t¿n oŒsi¿n. Eun. I 451 (157, 18–19)

GNO

t– gÄr deÿ no®sai genn†sewc trÏpon Çko‘santa . . . Proposition

t– gÄr deÿ no®sai genn†sewc trÏpon Çko‘santa . . . Eun. I 458 (159, 11–13)

GNO

‚k t¿n t®c prono–ac lÏgwn majeÿn ‚p» t‰n t®c genn†sewc ÇnelhlujËnai trÏpon . . . Proposition

‚k t¿n t®c prono–ac lÏgwn majeÿn ‚p» t‰n t®c genn†sewc ÇnelhlujËnai trÏpon . . . Eun. I 481 (165, 21–22)

GNO

 gÄr tòn Çmaj–an ôm¿n dias‘rwn ka» t‰ mò ‚x Çrko‘shc paraskeu®c ‚p» t‰n lÏgon ‚lhlujËnai profËrwn, o’twc Åbr‘nei . . . Proposition

 gÄr tòn Çmaj–an ôm¿n dias‘rwn ka» t‰ mò ‚x Çrko‘shc paraskeu®c ‚p» t‰n lÏgon ‚lhlujËnai profËrwn, o’twc Åbr‘nei . . . Eun. I 485 GNO (166, 28–167, e⁄ta ‚k t¿n d‘o to‘twn Çrq¿n tòn m–an lËgei par+ ôm¿n e c u…o‹ tàxin 2) katàgesjai ka» t‰n Ónta Õp‰ to‹ Óntoc gegen®sjai. Proposition

e⁄ta ‚k t¿n d‘o to‘twn Çrq¿n tòn m–an lËgei par+ ôm¿n e c u…o‹ tàxin katàgesjai ka» t‰n Ónta Õp‰ to‹ Óntoc gegen®sjai. Eun. I 528 (179, 5–7)

GNO

ka» o’tw kat+ aŒt¿n  sq‘sei t‰ ätopon Á katÄ to‹ dÏgmatoc ôm¿n ‚sof–santo t‰ aŒt‰n Õf+ ·auto‹ genËsjai lËgein, . . . Proposition

ka» o’tw kat+ aŒt¿n  sq‘sei t‰ ätopon Á katÄ to‹ dÏgmatoc ôm¿n ‚sof–santo t‰ aŒt‰n Õf+ ·auto‹ genËsjai lËgein, . . . Eun. I 578 (193, 4–7)

GNO

 prÏteroc e⁄qe sullogism‰c to‹to t‰ ätopon; e   patòr shma–nei t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai t‰n jeÏn, ‚x Çnàgkhc t‰ gegennhkËnai t‰n u…‰n oŒkËti ‚nde–xetai. Proposition

 prÏteroc e⁄qe sullogism‰c to‹to t‰ ätopon; e   patòr shma–nei t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai t‰n jeÏn, ‚x Çnàgkhc t‰ gegennhkËnai t‰n u…‰n oŒkËti ‚nde–xetai. Eun. I 582 (194, 10–13)

GNO

to‹tÏ fhsin Ìti pr»n genn®sai t‰n u…‰n ka» diÄ to‹to klhj®nai pat†r, oŒd‡ ÇgËnnhtoc ™n, e“per ô Çgennhs–a t¨ to‹ patr‰c ‚nno–¯ gnwr–zetai. Proposition

to‹tÏ fhsin Ìti pr»n genn®sai t‰n u…‰n ka» diÄ to‹to klhj®nai pat†r, oŒd‡ ÇgËnnhtoc ™n, e“per ô Çgennhs–a t¨ to‹ patr‰c ‚nno–¯ gnwr–zetai.

82 Eun. I 602 (199, 22–23)

Première partie : Circonstances de rédaction

GNO

e⁄pen âpax ‚piqleuàzwn, Ìti oŒ t‰ genn®sai shma–nei  pat†r, ÇllÄ t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai. Proposition

e⁄pen âpax ‚piqleuàzwn, Ìti oŒ t‰ genn®sai shma–nei  pat†r, ÇllÄ t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai. Eun. I 611 (203, 1–3)

GNO

oŒ mòn ‚pànagkec, Ìtan to‹ u…o‹ mnhsj¿men, mò patËra u…o‹ lËgein, Çll+ ÇgËnnhton u…o‹ prosagore‘ein. Proposition

oŒ mòn ‚pànagkec, Ìtan to‹ u…o‹ mnhsj¿men, mò patËra u…o‹ lËgein, Çll+ ÇgËnnhton u…o‹ prosagore‘ein. Nouveaux testimonia Eun. I 180 (79, 28–30)

GNO

>Epe» d‡ ka» sof‰c e⁄nai tÄ toia‹ta bo‘letai ka» diapt‘ei toÃc äneu logik®c ‚ntreqe–ac ‚piqeiro‹ntac tƒ gràfein . . . Proposition

>Epe» d‡ ka» sof‰c e⁄nai tÄ toia‹ta bo‘letai ka» diapt‘ei toÃc äneu logik®c ‚ntreqe–ac ‚piqeiro‹ntac tƒ gràfein . . . Eun. I 183 (80, 21–22)

GNO

e  d‡ ‚no‘sion d‘namin Âmologeÿ t‰n u…‰n Âpwso‹n Õpostànta . . . Proposition

e  d‡ ‚no‘sion d‘namin Âmologeÿ t‰n u…‰n Âpwso‹n Õpostànta . . . Eun. I 208 (87, 17–19)

GNO

ÇllÄ proairetik¿c ka» aŒtexous–wc kinoumËnac tÄc oŒs–ac t‰ doko‹n fhsi kaj+ ·autÄc Çpergàzesjai. Proposition

ÇllÄ proairetik¿c ka» aŒtexous–wc kinoumËnac tÄc oŒs–ac t‰ doko‹n fhsi kaj+ ·autÄc Çpergàzesjai. Eun. I 433 (152, 22–23)

GNO

Án e“te ‚nËrgeian e“te ti t®c ‚nerge–ac ÇpotËlesma lËgei (kËqrhtai gÄr ·katËr˙ t¿n lÏgwn). Proposition

Án e“te ‚nËrgeian e“te ti t®c ‚nerge–ac ÇpotËlesma lËgei (kËqrhtai gÄr ·katËr˙ t¿n lÏgwn). Eun. I 470 (162, 25–26)

GNO

e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ. Proposition

e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

Eun. I 474 (163, 22–29)

83

GNO

ìOti d‡ e c to‹to blËpousin a… kataskeua» pêsai, t‰ ‚piferÏmenon de–knusin, ‚n oŸc ·aut‰n ÇpodËqetai ±c proshkÏntwc t¨ Âdƒ ‚ke–n˘ pr‰c tòn kataskeuòn t®c blasfhm–ac qrhsàmenoc ka» oŒk eŒjÃc Çpogumn∏sac to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma oŒd‡ pr‰ to‹ sunart®sai tòn kataskeuòn t®c Çpàthc Çgumnàstoic Íti taÿc Çkoaÿc prosbal∞n tòn ÇsËbeian oŒd‡ ‚n prooim–oic t¿n lÏgwn tòn Çgennhs–an oŒs–an Çpofhnàmenoc ka» tòn t®c oŒs–ac ·terÏthta diajrul†sac. Proposition

ìOti d‡ e c to‹to blËpousin a… kataskeua» pêsai, t‰ ‚piferÏmenon de–knusin, ‚n oŸc ·aut‰n ÇpodËqetai ±c proshkÏntwc t¨ Âdƒ ‚ke–n˘ pr‰c tòn kataskeuòn t®c blasfhm–ac qrhsàmenoc ka» oŒk eŒjÃc Çpogumn∏sac to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma oŒd‡ pr‰ to‹ sunart®sai tòn kataskeuòn t®c Çpàthc Çgumnàstoic Íti taÿc Çkoaÿc prosbal∞n tòn ÇsËbeian oŒd‡ ‚n prooim–oic t¿n lÏgwn tòn Çgennhs–an oŒs–an Çpofhnàmenoc ka» tòn t®c oŒs–ac ·terÏthta diajrul†sac. Eun. I 656 (215, 5–6)

GNO

na–, fhs–n, Çll+ oŒ sun®ke to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma. Proposition

na–, fhs–n, Çll+ oŒ sun®ke to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma.

2 Valeur des fragments L’examen précédent a tenté de cerner les citations de l’AA dans la partie théologique du Eun. I, mais l’étude de cette œuvre perdue qu’est l’AA peut être encore poursuivie sous un nouvel angle. Les cinq fragments de l’AA constituent en effet les citations principales de cette œuvre dans le Eun. I, celles qui sont les plus longues et les plus précises, qui nous permettent d’approcher au mieux l’AA. Mais ces fragments reflètent-ils de façon suffisamment sûre l’AA ? Grégoire a-t-il cité fidèlement l’AA ? Cette question difficile, du fait de la perte de l’AA, peut être abordée de trois manières différentes : dans quelle mesure peut-on se fier aux fragments transmis par Grégoire, ceux-ci reflètent-ils bien le contenu de l’AA, ceux-ci suivent-ils le fil de l’AA ? 70 2.1 Exactitude des fragments Grégoire annonce, pour trois des cinq fragments du Eun. I, qu’il va reproduire littéralement les propos d’Eunome 71, mais sans doute convient-il de rester prudent devant cette affirmation, et ce qu’écrivait L. Doutreleau à propos des citations de l’Ap d’Eunome par Basile demeure certainement vrai pour Grégoire : 70 Ces questions ont été étudiées par R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 89–94. Je me range ici aux

conclusions de l’auteur et précise quelques uns de ses arguments, principalement à l’aide du Eun. I. lËxewc) ; fragment 3 : Eun. I 474 (katÄ tòn lËxin) ; fragment 5 : Eun. I 661 (‚p» lËxewc). Le début de la réfutation du fragment 2 tombe dans la grande lacune du Eun. I ; Grégoire y avait très certainement cité une première fois le fragment 2, dont on ne possède que les reprises en Eun. I 446. 461, sans que Grégoire précise s’il cite littéralement. Grégoire ne dit jamais pour le fragment 4 qu’il cite littéralement.

71 Fragment 1 : Eun. I 150 (‚p»

84

Première partie : Circonstances de rédaction De Basile, il faut dire d’abord qu’il pratique la littéralité telle qu’on la comprenait à son époque. Les citations sont exactes quant à leur teneur, mais le citateur ne s’astreint pas à garder minutieusement tous les éléments stylistiques de la phrase. 72

Ainsi, Grégoire reprend en Eun. I 406 un passage du fragment 1, qu’il a précédemment cité en Eun. I 154, et chacune de ces deux citations se veut littérale 73 ; les deux extraits concordent, à l’exception d’un terme cependant puisque ÇmfisbhtoumËnwn en Eun. I 154 devient ÇmfiballomËnwn en Eun. I 406. Par ailleurs, les recherches précédentes sur les doublets ont permis de voir avec quelle liberté Grégoire pouvait rapporter les propos d’Eunome. Ainsi, abstraction faite des cas où Grégoire semble visiblement durcir les affirmations de son adversaire, de multiples variantes apparaissent au fil des reprises des fragments par Grégoire, comme il est possible de le constater avec la première phrase du fragment 1. Première phrase du fragment 1 1 Pêc  t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc Ík te t®c Çnwtàtw ka» kuri-

wtàthc oŒs–ac ka» ‚k 2 t®c di+ ‚ke–nhn m‡n o÷shc met+ ‚ke–nhn d‡ pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc ka» tr–thc

ge t®c mhdemiî 3 m‡n to‘twn suntattomËnhc, ÇllÄ t¨ m‡n diÄ tòn a t–an, t¨ d‡ diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+

õn gËgonen 4 ÕpotattomËnhc, sumperilambanomËnwn dhladò pr‰c tòn to‹ pant‰c lÏgou sumpl†rw-

sin ka» t¿n taÿc 5 oŒs–aic parepomËnwn ‚nËrgei¿n ka» t¿n ta‘taic prosfu¿n Ênomàtwn. Modifications du texte, au fil des reprises par Grégoire : 1. Çnwtàtw → Çnwtàthc155, Çn∏tatÏn 161. 163. 417, Çn∏teron 375, Çnwtàt˘ 459 ka» → te ka» 161. 163. 187. 417 kuriwtàthc → kuri∏taton161. 163. 417, kur–an 172. 240. 409, kuriwtàt˘ 459 2. ällwn → Óntwn 189. 3. m‡n om 155 kaj+ °n gËgonen om 155. 4. ÕpotattomËnhc → ÕpotetagmËnon 190 pr‰c tòn to‹ pant‰c lÏgou sumpl†rwsin om 205. 5. parepomËnwn → ·pomËnwn 205, Èpontai 207, parËpontai 207, Èpesjai 209. 211. 243 ta‘taic om 158. 188 Pourtant, même sans en être absolument certain, il est probable que les fragments soient plutôt fidèles à l’AA, plus que les doublets insérés dans la réfutation polémique et pouvant conduire aux durcissements éventuels de Grégoire ; par ailleurs, une falsification dans les fragments du texte d’Eunome aurait été sans nul doute au désavantage de Grégoire 74, contraire en tout cas à son projet de réfutation systématique visant à remettre en cause les propos même de son adversaire. Si une reconstitution du texte 72 Cf. L. Doutreleau in Basile, Contre Eunome, t. 2, p. 224. 73 Pour la citation en Eun. I 154, cf. l’annonce faite pour tout le fragment 1 en Eun. I 150 (‚p»

lËxewc) ; pour Eun. I 406 : « äxion d‡ ka» aŒtòn parajËsjai tòn lËxin Íqousan o’twc ». 74 Eunome semblerait avoir tronqué dans l’AA une citation de Basile pour mieux la réfuter ensuite, comme Grégoire le lui reproche justement, cf. Eun. I 557 : « ka» gÄr ka» ta‘thn proskeimËnhn tƒ lÏg˙ to‹ didaskàlou tòn ˚®sin  deinÏc te ka» ämaqoc o›toc Çgwnistòc t¿n gegrammËnwn ‚xËkleye, t¨ ÇfairËsei t¿n Çsfal¿c e rhmËnwn ‚xeumar–zwn ·autƒ tòn Çnt–rrhsin. (En effet, ce combattant redoutable et invincible [Eunome] a

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

85

original de l’AA à partir des fragments conservés dans le Eun. I reste illusoire, il n’en demeure pas moins que ceux-ci transmettent certainement avec une assez grande certitude sinon le texte du moins la pensée de l’anoméen 75. 2.2 Pertinence des fragments Les fragments retenus par Grégoire amènent d’autres questions : selon quels critères de sélection Grégoire les a-t-il choisis, et ces critères étaient-ils pertinents ? De fait, ces fragments de l’AA ont été transmis par un adversaire d’Eunome, qui avait tout intérêt à choisir les plus faciles à réfuter, mais peut-être pas les plus intéressants. Grégoire répond lui-même à cette question et donne le principe qu’il a adopté en Eun. II 342 : afin de ne pas peser sur le lecteur par des citations trop abondantes, ni de donner prise à la critique en restant trop concis, Grégoire choisit de se consacrer aux éléments fondamentaux et de laisser de côté ceux de moindre importance 76. Le Cappadocien ne cherche donc pas à répondre point par point à Eunome 77, comme l’illustre bien son attitude avec le fragment 3 : après avoir commencé une citation de l’AA, Grégoire en omet un passage qui lui semble sans intérêt et reprend ensuite la citation : [citation de l’AA]. Après s’être longuement étendu sur ce sujet en sarcasmes, injures et insultes (car c’est ainsi que ce sage sait lutter pour ses propres doctrines), il reprend à nouveau son raisonnement et, s’expliquant avec force contre son adversaire et attribuant à celui-ci la cause de ses paroles, il dit ceci [reprise de la citation] 78

soustrait de son écrit aussi cette parole de notre maître, qui se trouve dans son raisonnement, facilitant pour son compte sa réfutation par la mise de côté de ces propos solides) ». Quel intérêt aurait eu alors Grégoire à s’exposer au même reproche ? Cependant, R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 90, souligne que des doutes étaient levés sur les citations de l’AA faites par Grégoire, cf. Eun. III/VII 36 ; III/VIII 34 ; III/IX 61. 75 C’est la conclusion de R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 91 : «While Gregory may not always give us Eunomius’ exact words, we may count on him to give us the thought they represent. Any other policy, indeed, would have undermined his whole purpose in writing a refutation. » R.-P. Vaggione ne donne pas d’édition critique de l’AA mais résume simplement les extraits transmis par Grégoire, en indiquant leurs multiples reprises au fil de la polémique. C’est ce que laissait déjà entendre dans un autre contexte M. Albertz, Untersuchungen über die Schriften des Eunomius, p. 22 : «naturgemäß beschränkt sich seine Auswahl durch den polemischen Gesichtspunkt, mit dem er an die Ausführungen des Eunomius herantritt. Andererseits muß daran erinnert werden, daß es dem neuesten Bearbeiter der Apollinarisfragmente, für die Gregor fast in noch stärkerem Maße als für Eunomius Hauptquelle ist, doch gelungen sein dürfte, auf Grund der Gegenschrift des Nysseners Gedankengang und Inhalt der Schrift des Apollinaris klarzulegen. » 76 Cf. Eun. II 342 : « t–c ofin ô mËjodoc; pàntwn t¿n katÄ t‰ màtaion peponhmËnwn aŒtƒ suntemÏntec ±c oŸÏn te t‰n

polÃn surfet‰n di+ Êl–gwn ‚pidramo‘meja kefalaiwd¿c tÄ no†mata, ±c m†te toÿc Çno†toic ‚mbaj‘nein e k® m†te ti t¿n e rhmËnwn perideÿn ÇnexËtaston. (Quelle sera donc notre méthode ? Abrégeant autant qu’il est possible dans le vaste bourbier de tout ce dont il s’est vainement mis en peine, nous parcourrons sommairement ses réflexions, afin ni de sombrer dans le non sens ni de laisser sans examen quelque parole.) » 77 Cf. Eun. I 21 : « t‰

gÄr pêsin ‚fex®c toÿc gegrammËnoic ‚pexiËnai màtaiÏn te âma pr‰c tòn spoudòn ka» ‚p–ponon ka» oŒd‡ sumbaÿnon kr–nw tƒ ômetËr˙ skopƒ (Je considère que pour notre objectif, parcourir à la suite tout ce qui a été écrit est vain quant à l’effort, pénible et inconciliable) » ; Eun. I 24 : « E  dË tic ‚pizhteÿ katÄ tòn to‹ lÏgou tàxin Çkolo‘jwc Çntitaqj®nai ka» t‰n ômËteron, e pàtw t‰ kËrdoc. (Mais si on veut obtenir que notre traité réponde aussi point par point à l’organisation du sien, qu’on m’en dise alors le profit.) »

78 Eun. I 475 : « per»

¡n pollÄ diÄ mËsou diexelj∞n ‚n sk∏mmasi ka» loidor–aic ka» ’bresin (o’tw gÄr o⁄den  sof‰c Õp‡r t¿n  d–wn dogmàtwn diagwn–zesjai) pàlin ‚panalambànei t‰n lÏgon ka» pr‰c t‰n Çnt–palon d®jen ÇpoteinÏmenoc kÇke–n˙ t¿n legomËnwn tòn a t–an Çnatije»c toiàde fhs–n; »

86

Première partie : Circonstances de rédaction

Grégoire passe ici sous silence les injures portées par Eunome contre Basile, comme il le fait généralement pour la partie théologique du Eun. I 79, mais Grégoire a certainement omis aussi d’autres éléments de l’AA, et qui n’étaient pas seulement polémiques : ceux-ci demeurent sans doute à jamais perdus, si bien que, comme le résume très bien R.-P. Vaggione, le problème consiste non pas tant dans ce que Grégoire nous donne que dans ce qu’il ne nous donne pas 80. Quel volume pouvait avoir l’AA ? Il semblerait que celle-ci ait été une œuvre assez consistante, probablement plus longue que l’Ap 81. 2.3 Organisation des fragments Une dernière question touche l’ordre des fragments retranscrits par Grégoire : reflètent-ils bien l’organisation de l’AA, ou bien ont-ils été transmis en désordre ? La réponse à cette question est fournie par l’examen des fragments eux-mêmes, qui répondent en effet à des accusations précises de Basile dans son Contre Eunome 82 ; il est ainsi possible de rassembler les cinq fragments du Eun. I en trois groupes, dirigés respectivement contre un passage du Contre Eunome de Basile, dirigé lui-même contre une affirmation de l’Ap d’Eunome. Si l’on tient compte de l’organisation propre du Eun. I, articulé en fonction de la réfutation de chacun des fragments de l’AA, il est ainsi possible de suivre le développement de la controverse 83 : Apologie

Contre Eunome de Basile

Apologie de l’Apologie

Eun. I de Grégoire

1 2–3

I2 I3

Citations non intégrées dans la répartition par fragments

22–146

4–6

I4

7 (40, 1–9) 7 (40, 9–11)

I 5 (174–176) I 5 (176–180)

Fragment 1 Fragment 2 Fragment 3 Fragment 4 Fragment 5

147–438 439–473 474–534 535–617 652–665

79 C’est ce qu’annonce Grégoire au début de celle-ci, cf. Eun. I 148 : « o’tw

moi kal¿c Íqein dokeÿ mÏnhn aŒto‹ tòn ÇsËbeian e c Ílegqon Çgageÿn, tÄc d‡ kaj+ ôm¿n loidor–ac qa–rein ‚êsai. (ainsi me semble-t-il bon de porter

uniquement son impiété en accusation, et de laisser courir les injures contre nous.) » 80 Cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 93 : «It seems, then, that the greatest problems in dealing

with the Apologia Apologiae will arise not from what Gregory gives us, but from what he does not. » 81 B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 21 relève que «la masse des extraits réunis [de l’AA] ne dépasse guère le volume

de la première Apologie ». L’auteur compte (note 12, p. 21) «8000 mots français pour la traduction de l’Ap, et 9500 pour celle des extraits de l’AA que nous possédons. » Cf. Eun. I 13, qui fait une lointaine allusion à la longueur de l’AA (plus de matière – plËon ti – que ceux qui se livrent à un tel travail spontanément). Il a été vu que le Contre Eunome de Basile était presque cinq fois plus long que l’Ap, cf. supra note 63, p. 36 ; si Eunome a fait de même, l’AA devait alors être immense. 82 Cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 102–104. L’auteur ne reprend pas la division en vingt fragments proposée par Th. Dams, mais présente plutôt les citations de l’AA comme réponses à des accusations précises de Basile dans son Contre Eunome. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 22, estime que R.-P. Vaggione «embrouille quelque peu » l’hypothèse de Th. Dams, si bien qu’il ne tient pas compte de ses résultats ; cette critique semble peu justifiée et nuit même à la présentation synoptique des œuvres de la controverse proposée par B. Pottier, id. p. 26–27, qui empêche de saisir le rôle des fragments 1 et 2 dans l’AA. 83 Ce tableau s’inspire de celui dressé par B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 26–27, précisé à l’aide des résultats de R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 102–104. Les références de l’Ap sont à la page et ligne de l’édition de R.-P. Vaggione, celles du Contre Eunome de Basile aux pages de l’édition de B. Sesboüé (SC 299). Cette présentation complète la précédente, p. 36.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

87

Comme il est possible de le constater, les trois premiers fragments (fragments 1, 2 et 3), le fragment 4 et le fragment 5 suivent l’ordre du Contre Eunome de Basile, qui lui-même suit le déroulement de l’Ap. Il semble dès lors très vraisemblable que cet ensemble (trois premiers fragments, puis fragments 4 et 5) reflète fidèlement l’organisation de l’AA, qui aura réfuté le Contre Eunome de Basile per ordinem 84. Est-il possible, cependant, de préciser davantage et de mettre au clair l’articulation des trois premiers fragments, orientés tous les trois contre une seule et unique accusation de Basile ? 85 La réponse paraît en fait donnée par Eunome lui-même et permet de saisir en même temps toute l’importance des fragments 1 et 2, du fragment 1 en particulier. Il convient pour cela de se pencher attentivement sur le paragraphe Eun. I 474, un des paragraphes charnières du Eun. I. Grégoire, dans la partie précédente (Eun. I 155–473), a examiné minutieusement les fragments 1 et 2, le fragment 2 apparaissant comme une application directe des principes présentés dans le fragment 1 86. En Eun. I 475, Grégoire cite le fragment 3, dans lequel Eunome se défend explicitement de l’accusation de Basile. Entre ces deux parties (fin de la réfutation des fragments 1–2 et début du fragment 3) se situe Eun. I 474, où il a été possible de discerner de nouvelles citations de l’AA, spécialement la mention des oreilles inexercées (Çgumnàstoic Íti taÿc Çkoaÿc) qui reprennent littéralement la critique de Basile, lequel accusait Eunome de passer sous silence ses positions théologiques pour ne pas se rendre insupportable à des oreilles inexercées (Çgumnàstoic taÿc Çkoaÿc) 87. Cette citation de l’AA en Eun. I 474 permettrait alors de comprendre la démarche d’Eunome : l’anoméen aura vraisemblablement voulu exercer le lecteur et ne pas aborder les éléments fondamentaux de sa doctrine (l’inengendré comme substance et l’altérité de la substance) sans une préparation préalable, sans apporter les fondements doctrinaux suffisants, capables d’étayer ses principales affirmations. Basile reprochait à Eunome de ne pas parler d’«inengendré », afin de ne pas se rendre insupportable à des oreilles inexercées ; Eunome a donc exercé les oreilles de ses lecteurs, afin de pouvoir parler d’«inengendré ». Si cette constatation permet de mieux saisir le rôle des fragments 1 et 2 dans la réponse à l’accusation de Basile, elle permet surtout de comprendre la place de ces deux premiers fragments dans la théologie d’Eunome : les fragments 1 et 2, et le fragment 1 en particulier, apparaissent non plus seulement comme une récapitulation 88, 84 Cette impression peut être confirmée par l’examen des citations de l’AA dans le Eun. III, comparées au Contre

85

86 87

88

Eunome de Basile ainsi qu’au Eun. III, cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 13–15, qui dresse un tableau synoptique dans le style de celui de B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 26–27, limité au Eun. III mais beaucoup plus précis. Malgré quelques fluctuations, les citations de l’AA suivent le fil du Contre Eunome de Basile, comme c’est le cas ici pour le Eun. I. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, note 27, p. 102 indique simplement pour ces trois fragments : «The whole of the following argument is designed to refute Basil’s claim (ad loc.) that if Eunomius had really intended to ‹lay out unveiled the naked truth › (Apol. 3.4–5), he would have begun with a flat assertion of the agenneton and the anomoion. » ; l’organisation de toute cette partie de l’AA ne ressort donc pas clairement. B. Pottier semble ne pas tenir compte du point de vue de R.-P. Vaggione et considère pour sa part les fragments 1 et 2 comme une partie ‹neuve › dans la polémique, qui ne répondrait à aucun reproche précis de Basile, cf. son tableau récapitulatif in B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 26–27. Cf. infra partie II, chapitre I, 2. Le fragment 2 : la résolution du problème de la similitude, p. 121–124. Cf. Basile, adv. Eun. I 4 (166, 48–50) : « tÄ m‡n par+ ·auto‹ siwpî, —na mò Çgumnàstoic taÿc Çkoaÿc prosbàllwn Çp–janon ·aut‰n ka» dusparàdekton katast†s˘ (il passe sous silence ses propres positions, de peur qu’en les jetant à des oreilles inexercées il en arrive à perdre son crédit et à se rendre insupportable) » (trad. B. Sesboüé). Cf. le début du fragment 1 : « Pêc  t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc . . . ».

88

Première partie : Circonstances de rédaction

mais comme un système explicatif par lequel Eunome veut faire comprendre sa doctrine et introduire ses lecteurs à l’essentiel de sa théologie 89. Plus qu’un résumé, les fragments 1 et 2 apparaissent comme un préalable théologique, à partir duquel Eunome peut ensuite argumenter. Ce constat amène deux conclusions. La première concerne la question directement posée, l’articulation des trois premiers fragments : ces fragments restent très certainement fidèles à l’ordre de l’AA. Il est ainsi possible, à travers les cinq fragments transmis par le Eun. I, de suivre l’ordre même de l’œuvre de l’anoméen. La seconde conclusion concerne cette fois l’importance des fragments 1 et 2. Ceuxci transmettent les fondements théologiques d’Eunome, ceux par lesquels il peut exercer les lecteurs et les introduire à sa doctrine : il n’est donc guère étonnant que Grégoire consacre presque la moitié du Eun. I à leur réfutation 90. Mais cela permet surtout de mieux comprendre la réponse de Grégoire. Eunome présente en effet dans le fragment 1 une ontologie scalaire, qui apparaît ainsi comme un fondement théologique sur lequel s’appuie son système ; ceci pousse à voir dans l’échelle des êtres que va présenter Grégoire (sa distinction ktistÏn/äktiston) le cœur de la réponse du Cappadocien à la théologie d’Eunome, celle qui en attaque les fondements et se trouve à même de ruiner les positions de l’adversaire. 3 Conclusion En entamant la réfutation du premier volume de l’AA d’Eunome, Grégoire s’engage à son tour dans une controverse commencée presque vingt ans plus tôt, à l’époque du synode de Séleucie et des assemblées de Constantinople de l’hiver 359/360. Grégoire choisit de répondre à la place de son frère décédé et se présente ainsi, dans cette seconde manche de la confrontation, comme le nouvel adversaire peut-être inattendu d’Eunome. Le Eun. I, dont les circonstances de rédaction sont plutôt bien connues, fut composé en deux temps, une composition finale au cours de l’année 380 ayant mis en forme les premières notes rédigées peu après la mort de Basile, en automne 378. L’AA, que réfute Grégoire et qui était sans doute la plus grande œuvre d’Eunome, est perdue. Pourtant, l’ironie de l’histoire a rendu comme unique témoin de ce traité son plus âpre détracteur, puisque le Cappadocien nous en fournit de nombreux extraits. Ceux-ci ont été commodément regroupés par Th. Dams en vingt fragments, dont les 89 R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, p. 102–103, souligne lui aussi ce rôle des fragments 1 et 2 (même

si R.-P. Vaggione n’emploie pas cette terminologie mais renvoie à la page et à la ligne de l’édition de W. Jaeger de 1960). Selon R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, note 27, p. 102, les fragments 1 et 2 seraient une réponse à Basile, adv. Eun. I 4 (164, 40–43) ; cependant ce reproche pourrait être avant tout celui formulé en adv. Eun. I 4 (166, 48–50) (cf. supra note 66, p. 75) : les fragments 1 et 2 visent avant tout à exercer les auditeurs et non à déclarer d’emblée l’agénésie ou le dissemblable (Çgennhs–a n’apparaît pour la première fois qu’en Eun. I 470, c’est-à-dire tout à la fin du fragment 2, et Eunome semble se féliciter, d’après Eun. I 474, «ni d’avoir déclaré dans le prologue de ses raisonnements l’inengendré comme substance ni d’avoir rabâché l’altérité de la substance »). Par ailleurs, l’importance du fragment 1, le nombre des thèmes qui y sont abordés, la mention des noms liés aux substances en particulier, inviteraient peut-être à y voir finalement une introduction à l’ensemble de l’AA et pas seulement un élément de réponse à une unique accusation de Basile. Eunome présente de fait la synthèse du fragment 1 comme une récapitulation de toute sa doctrine (cf. le début du fragment 1 : « Pêc  t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc »). 90 320 paragraphe sur 691. Si on omet la partie historique (Eun. I 1–146), Grégoire y consacre 320 paragraphes «théologiques » sur 545, soit environ les deux tiers.

Chapitre II : Sur les traces d’une œuvre perdue

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cinq premiers ont été abordés par Grégoire dans le Eun. I. Si ces passages ne sauraient permettre une restitution littérale du texte de l’AA, ils donnent cependant accès à des nœuds sans doute importants de l’ouvrage. Ces citations semblent suivre fidèlement l’ordre de l’AA, dont la partie théologique débutait vraisemblablement par un enseignement préliminaire connu par les fragments 1 et 2 et destiné à préparer les lecteurs aux affirmations doctrinales principales : l’inengendré comme substance, l’altérité de la substance. Cette synthèse introductive d’Eunome, caractérisée avant tout par l’ontologie scalaire du fragment 1, apparaît comme un élément essentiel de son système théologique, et c’est elle qui va conduire le Cappadocien à présenter son propre système, la distinction créé/incréé. Pour bien saisir la réponse de Grégoire, il importe donc de comprendre au mieux la position d’Eunome présentée dans ces deux premiers fragments : cet examen fait l’objet de la partie suivante (Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2), qui commence par une étude méthodique, voire presque linéaire du texte (ch. 1), avant d’en rechercher les sources, dans la mesure où celles-ci peuvent être discernées (ch. 2). La perte du texte complet de l’AA complique assurément le travail, si bien que les affirmations d’Eunome qui ne seraient que simplement esquissées ou insuffisamment explicites seront comparées, illustrées et complétées à l’aide des autres œuvres d’Eunome, qui, elles, ont été transmises intégralement, l’Ap et l’EF. La première jouera le plus grand rôle.

DEUXIÈME PARTIE : NATURE ET SOURCES DES FRAGMENTS 1 ET 2 Chapitre I Nature des fragments 1 et 2 1 Le fragment 1 : les fondements de la doctrine eunoméenne 1.1 Plan et éléments fondamentaux du fragment 1 Le fragment 1 est la citation la plus longue de l’AA dans le Eun. I (Eun. I 151–154) 1 et Grégoire cite très vraisemblablement un passage entier et non une suite de citations éparses 2. Ce fragment peut être divisé en deux parties, facilement identifiables du fait de la formule introductive de la seconde 3 : Eunome présente un système ontologique (Eun. I 151–153) pour en tirer des conséquences pratiques, en l’occurrence une méthodologie théologique (Eun. I 154) 4. La première partie, plus longue, peut à son tour être divisée en trois sous-parties. Eunome énonce d’abord des principes généraux sur trois substances manifestement fondamentales (Eun. I 151), décrit ensuite la corrélation stricte qui existe entre une activité et son œuvre (Eun. I 152), puis justifie en quelque sorte cette corrélation 5, en évoquant des exemples tirés de la création (Eun. I 153). La démarche d’Eunome se révèle ainsi particulièrement soignée, puisque l’anoméen expose des principes concernant les trois premières substances et les éléments de la création, la transition étant assurée par le paragraphe intermédiaire plus général sur le rapport d’une activité avec son œuvre. 1 Ce fragment 1 est même la citation la plus longue de l’AA, à l’exception de Eun. III/III 15–25. 2 Si de nombreuses études ont été consacrées aux sources possibles de ce fragment 1 (cf. infra partie II, chapitre

II, 2.2 Évaluation des rapports d’Eunome avec la philosophie platonicienne, p. 135–149), cette citation de l’AA, si importante pour comprendre la démarche d’Eunome, n’a pourtant été jusqu’à présent que peu étudiée pour elle-même, cette situation paradoxale étant vraisemblablement due au caractère abstrait de tout le passage. À notre connaissance, seul M.-R. Barnes, «The Background and Use of Eunomius’ Causal Language », p. 221, offre un véritable (mais bref) commentaire de la démarche d’Eunome au début de ce fragment ; l’auteur justifie le silence habituel des chercheurs par le caractère concis du texte (p. 218) : «The terseness of Eunomius’ statement of doctrine in the Second Apology has led scholars to use the earlier work to elaborate upon Eunomius’ summary of his belief in the first theological fragment from the Second Apology » (avec renvoi à B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 130–135). 3 Cf. Eun. I 154 : « o’tw d‡ to‘twn ‚qÏntwn (Les choses étant ainsi) ». 4 Sur cette méthodologie théologique, cf. infra partie II, chapitre I, 1.5.1 La résolution des doutes sur les substances et des doutes sur les activités, p. 117–119. 5 Cf. Eun. I 153 : « ‚pe» mhd‡ jemit‰n . . . (car il n’est pas non plus permis. . .) ».

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Le plan du fragment 1 pourrait donc se présenter ainsi : Première partie : Le système ontologique d’Eunome (Eun. I 151–153) : 1. Les trois premières substances (Eun. I 151) ; 2. Rapport entre l’activité et son œuvre (Eun. I 152) ; 3. Justification par la création (Eun. I 153) ; Deuxième partie : Méthodologie théologique (Eun. I 154). Dans cet ensemble, l’exposé initial sur les trois premières substances (Eun. I 151) se révèle d’une très grande densité, construit de façon assez majestueuse, presque solennelle, sans doute parce qu’Eunome désire y donner les éléments fondamentaux de sa doctrine, ceux par lesquels celle-ci est véritablement complète. Cet exposé donne dès lors comme le ton de toute la première partie (Eun. I 151–153), dont l’étude peut se faire principalement à travers l’examen de ces affirmations initiales. Le fragment s’ouvre ainsi : Tout l’exposé de nos doctrines se récapitule à partir de la substance la plus haute et la plus authentique puis à partir de celle qui est par celle-ci, mais qui tient après celle-ci la première place sur toutes les autres, et d’une troisième disons, qui n’est coordonnée à aucune de celles-ci, mais qui est subordonnée à l’une selon la cause, à l’autre selon l’activité par laquelle elle est advenue, étant bien évidemment compris, pour la récapitulation de tout l’exposé, également les activités qui accompagnent les substances et les noms connaturels à celles-ci. 6

Trois thèmes principaux peuvent être relevés dans cette première phrase du fragment 1 : Eunome mentionne trois substances, les activités qui accompagnent ces substances et les noms connaturels aux substances. Ce sont ces trois thèmes qui jouent un rôle majeur dans le fragment 1, tout spécialement les deux premiers, et il importe de les examiner successivement. 1.2 Trois substances (oŒs–ai) 1.2.1 Le terme «substance » Si Eunome, en ce début du fragment 1, met particulièrement en relief trois substances, l’anoméen ne limite pourtant pas sa réflexion uniquement à celles-ci mais évoque en fait l’ensemble des substances, les autres étant mentionnées par le discret « pàntwn » 7. De toutes les substances, Eunome n’en met donc que trois explicitement en valeur, et encore avec quelque réserve. L’évocation d’une troisième substance apparaît en effet comme une sorte de concession (cf. le ge restrictif : tr–thc ge), comme si l’énumération devait en fait s’arrêter avec la deuxième. Effectivement, seules les deux premières substances sont présentées supérieures aux autres 8, tandis que le rapport de la troisième avec les substances restantes (celles désignées par le pàntwn) n’est pas précisé. La triade des substances présentée par Eunome semble ainsi presque accidentelle. 6 Eun. I 151 : « Pêc

7

 t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc Ík te t®c Çnwtàtw ka» kuriwtàthc oŒs–ac ka» ‚k t®c di+ ‚ke–nhn m‡n o÷shc met+ ‚ke–nhn d‡ pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc ka» tr–thc ge t®c mhdemiî m‡n to‘twn suntattomËnhc, ÇllÄ t¨ m‡n diÄ tòn a t–an, t¨ d‡ diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+ õn gËgonen ÕpotattomËnhc, sumperilambanomËnwn dhladò pr‰c tòn to‹ pant‰c lÏgou sumpl†rwsin ka» t¿n taÿc oŒs–aic parepomËnwn ‚nergei¿n ka» t¿n ta‘taic prosfu¿n Ênomàtwn. » La deuxième substance tient la première place sur toutes les autres, « pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc ».

8 La deuxième substance tient après la première la première place sur toutes les autres.

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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Que désignent ces trois substances présentées anonymement par Eunome ? C’est la question que se pose Grégoire, dès le début de sa réfutation, et la réponse lui paraît claire. Derrière ces trois substances se tiennent le Père, le Fils et le Saint Esprit, dont Eunome veut éviter d’employer les noms susceptibles, selon Grégoire, de compromettre sa doctrine 9. Toutes les réflexions d’Eunome dans le fragment 1, qui tournent autour des trois substances, doivent donc être continuellement rapportées au Père, au Fils et à l’Esprit 10. Un tel langage contourné n’est pas propre à Eunome. Aèce lui-même semble avoir évité d’employer explicitement les noms de Père et Fils, leur préférant les dénominations d’engendré et d’inengendré 11, et cette question de vocabulaire fut objet de litige dès le début des controverses anoméennes 12 et même ariennes 13. Si Eunome n’innove donc pas sur ce point, il convient de remarquer néanmoins une certaine originalité de sa part. Effectivement, alors que les débats théologiques antérieurs employaient des expressions bien précises en concurrence avec celles de Père, Fils et Esprit 14, Eunome en ce début de fragment 1 semble faire comme un pas supplémentaire dans l’abstraction du vocabulaire, pour ne laisser place qu’au nom générique et plus abstrait de substance (oŒs–a) appliqué uniformément aux Père, Fils et Esprit, et modulé simplement par les qualificatifs et précisions qu’il introduit. Si cela correspond assurément au but d’Enome, qui vise avant tout à exercer les lecteurs et à ne pas aborder aussitôt la question controversée de l’inengendré, ce fragment 1 n’en prend pas moins, dès son ouverture, une coloration particulière par l’absence des termes majeurs de la polémique trinitaire 15. Cette présentation permet en même temps à Eunome de se positionner, de façon à la 9 De fait, les simples noms de Père et Fils, en évoquant la notion de génération, laisseraient entendre leur identité

de nature, comme dans les générations d’ici-bas, ce que refuserait à tout prix Eunome, cf. Eun. I 156 : « Çnt» m‡n to‹ patr‰c Çnwtàtw tinÄ ka» kuriwtàthn oŒs–an lËgei, Çnt» d‡ to‹ u…o‹ tòn di+ ‚ke–nhn m‡n ofisan, met+ ‚ke–nhn d‡ t¿n ällwn prwte‘ousan, Çnt» d‡ to‹ Åg–ou pne‘matoc tòn mhdemiî to‘twn suntattomËnhn ÇmfotËraic d‡ ÕpotetagmËnhn (il parle à la place du Père d’une substance la plus haute et la plus authentique, à la place du Fils de celle qui est par celle-ci, mais qui tient après celle-ci la première place sur les autres, à la place du Saint Esprit de celle qui n’est coordonnée à aucune de celles-ci mais qui est subordonnée à chacune des deux) » ; Eun. I 160 : « —na ofin mò ta‹ta no®tai per» to‹ Çlhjino‹ patr‰c ka» to‹ monogeno‹c u…o‹, diÄ to‹to ÕpoklËptei t¿n

ÇkouÏntwn tòn diÄ t¿n Ênomàtwn suneisio‹san t®c o keiÏthtoc Ímfasin, ka» katalip∞n tÄ jeÏpneusta ˚†mata diÄ t¿n ‚pinohjËntwn ‚p» l‘m˘ t®c Çlhje–ac poieÿtai tòn to‹ dÏgmatoc Íkjesin.(Donc, c’est pour qu’on ne

10 11 12

13 14 15

conçoive rien de cela [la communauté de nature] au sujet du Père véritable et du Fils monogène qu’il soustrait aux auditeurs la signification de leur intimité introduite par les noms, et après avoir abandonné les paroles divinement inspirées, il expose sa doctrine au moyen de conceptions imaginées au détriment de la vérité.) » Sur cette question des noms employés pour exprimer le rapport entre le Père et le Fils, cf. aussi infra partie II, chapitre II, 3.1.3 Propositions 1 à 11 et l’incompatibilité des substances : les propositions 5 à 11 et la conception de la génération, p. 154–156. Sur le rapport entre la dénomination de Père et la première substance chez Eunome, cf. infra partie II, chapitre I, 1.3.2 Précisions sur le rapport substance-activité : le Père n’est-il qu’une activité ?, p. 107–111. Cf. infra partie II, chapitre II, 3.1.3 Propositions 1 à 11 et l’incompatibilité des substances : les propositions 1 à 4, exposé général, p. 152. Selon le témoignage de la Lettre synodale de 358, cf. Épiphane, haer. 73, 3, 2. Cette variation dans le vocabulaire ne semble cependant pas avoir eu de conséquences liturgiques pour Eunome, spécialement pour ce qui concerne la formule baptismale, malgré ce que dit Épiphane, haer. 76, 54, dont la déclaration concernerait plutôt des groupes anoméens formés autour de Theophronius et d’Eutychus, mais non d’Eunome lui-même, cf. Socrate, h.e. V, XXIV 6 ; sur ce point, cf. R.-P. Vaggione, Aspects of Faith, p. 191–202 ; R. Williams, «Baptism and the Arian Controversy », p. 171–177. Cf. Athanase, Ar. I 34, 4. Comme les termes suivants äsarkoc, sarkwje–c, Çjànatoc, jànatoc, ÇgËnnhtoc, gennhtÏc, d’après Épiphane, haer. 73, 3, 2. Cette caractéristique littéraire pourra être relevée d’autres fois au cours de l’analyse du texte.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

fois habile et claire, par rapport aux multiples courants théologiques de son époque, par rapport aux homéens d’une part par l’utilisation du terme oŒs–a, mais peut-être surtout par rapport au courant dit néo-nicéen et aux orientations théologiques dans la ligne de Mélèce d’Antioche, par la mention explicite de trois oŒs–ai et non de trois Õpostàseic. 1.2.2 Le rapport des substances entre elles Eunome a particulièrement soigné le début du fragment 1 et l’examen du texte grec permet d’en faire ressortir les éléments clefs, comme des points charnières de sa théologie :

Pêc  t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc 1. Ík te t®c Çnwtàtw ka» kuriwtàthc oŒs–ac ka» ‚k 2. t®c di+ ‚ke–nhn m‡n o÷shc met+ ‚ke–nhn d‡ pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc 3. ka» tr–thc ge t®c mhdemiî m‡n to‘twn suntattomËnhc, ÇllÄ t¨ m‡n diÄ tòn a t–an, t¨ d‡ diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+ õn gËgonen ÕpotattomËnhc, sumperilambanomËnwn dhladò pr‰c tòn to‹ pant‰c lÏgou sumpl†rwsin ka» t¿n taÿc oŒs–aic parepomËnwn ‚nergei¿n ka» t¿n ta‘taic prosfu¿n Ênomàtwn. Les trois substances introduites par Eunome se présentent donc en un système scalaire. La première tient un rang tout à fait à part, souligné par un ‚k qui lui est propre, tandis qu’un unique ‚k suffit au contraire à introduire les deux autres. Cette première substance est qualifiée par deux déterminatifs, la plus haute et la plus authentique (Çnwtàtw ka» kuriwtàthc), qui la situent au-dessus des autres. Eunome laisse entendre ce que signifient ces critères de supériorité quand il présente la troisième substance 16. Celleci n’est effectivement coordonnée à aucune des deux premières (mhdemiî m‡n to‘twn suntattomËnhc) mais subordonnée à celles-ci (ÕpotattomËnhc), à l’une selon la cause, à l’autre selon l’activité par laquelle elle est advenue (t¨ m‡n diÄ tòn a t–an, t¨ d‡ diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+ õn gËgonen). Le lien de causalité qui relie cette troisième substance à la première ainsi que sa dépendance de l’activité de la deuxième constituent donc les principes de sa subordination. La première substance, au contraire, apparaît au-delà de toute cause, indépendante d’une quelconque activité qui la conduirait à l’être, étant ce qu’elle est par elle-même et non par un autre : elle est, simplement, et s’avère en ce sens la substance la plus haute et la plus authentique 17. 16 Eunome développe davantage en Ap 26 (68, 6–7) : « ÇllÄ

kaj+ Õperoqòn Çs‘gkriton oŒs–ac ka» dunàmewc ka» ‚xous–ac ». Cette supériorité apparaît sous une autre présentation en EF 2 (150, 8–11), partie consacrée justement au Dieu unique : « oŒ koinwn‰n Íqwn t®c jeÏthtoc, oŒ mer–thn t®c dÏxhc, oŒ s‘gklhron t®c ‚xous–ac, oŒ s‘njronon t®c basile–ac (eŸc gàr ‚sti ka» mÏnoc je‰c  pantokràtwr), je‰c je¿n, basileÃc t¿n basileuÏntwn ka» k‘rioc t¿n kurieuÏntwn ». Le Dieu tout-puissant tient sa supériorité de ses qualités propres et connaturelles (divinité, gloire, puissance, royauté), qu’il ne possède pas par participation ni ne partage totalement.

17 C’est bien cet aspect qu’Eunome met au premier plan dans l’Ap, lorsqu’il commence ses réflexions sur le Dieu

unique et inengendré, cf. Ap 7 (40, 1–3) : « EŸc to–nun katà te fusikòn Ínnoian ka» katÄ tòn t¿n patËrwn didaskal–an ômÿn ±molÏghtai JeÏc, m†te par+ ·auto‹ m†te par+ ·tËrou genÏmenoc.(C’est donc un seul Dieu que nous avons confessé à la fois selon la notion naturelle et l’enseignement des Pères : qui n’a été produit ni par lui-même ni par un autre.) » (trad. B. Sesboüé). Le caractère inengendré de la première substance n’est donc qu’insinué en ce début du fragment 1, conformément à l’intention d’Eunome, qui prépare ses auditeurs à la doctrine de l’inengendré.

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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Alors que la première substance se situe au sommet de cette triade et que la troisième apparaît au niveau inférieur, la deuxième substance occupe une sorte d’état intermédiaire. Elle est proche de la troisième, introduite avec elle par le même ‚k et caractérisée par une dépendance ontologique qui la place après la première (di+ ‚ke–nhn m‡n o÷shc met+ ‚ke–nhn dË) ; mais elle est proche aussi de cette première substance, en tant qu’elle partage avec elle (mais après elle, met+ ‚ke–nhn) la prédominance sur toutes les autres (pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc) 18. Cette particularité peut être expliquée par une nouvelle comparaison avec la troisième substance. Chaque substance, dit Eunome, est accompagnée d’une activité (t¿n taÿc oŒs–aic parepomËnwn ‚nergei¿n) 19, la troisième substance étant le résultat de l’activité de la seconde (diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+ õn gËgonen). Cette seconde substance s’avère alors très certainement le résultat de l’activité de la première ; si Eunome ne le dit pas explicitement ici, il le fait dans l’Ap 20 et c’est bien ainsi que le comprend Grégoire 21. Il en résulte la chaîne de causalité suivante : la première substance produit par une activité la deuxième substance, qui à son tour produit par une activité la troisième substance. Dès lors, la place particulière de la deuxième substance ressort plus clairement. La troisième substance ne provient de la première que par l’intermédiaire de la seconde 22 ; causée par la première, elle ne doit cependant son existence que par le biais de l’activité de la seconde, celle par laquelle elle est advenue (kaj+ õn gËgonen). Cette deuxième substance, au contraire, est produite par l’activité de la première (di+ ‚ke–nhn), ce qui l’établit dès lors dans un rang privilégié. Cette première phrase du fragment 1 présente donc assez clairement les rapports mutuels entre les trois substances ; cependant, rien de précis n’est dit sur les relations avec toutes les autres substances discrètement mentionnées 23.

18 Eunome prend soin d’éviter toute ambiguïté et ne laisse supposer aucune égalité entre la première et la se-

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23

conde substance : la troisième est dite soumise à aucune d’elles (mhdemiî m‡n to‘twn) et non à elles (on aurait alors tautaÿc). Par ailleurs, la mention furtive d’autres substances laisse entendre la place particulière de la deuxième substance non seulement au sein de cette triade mais aussi au sein de l’univers : cf. infra partie II, chapitre I, 1.2.4. Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap : comparaison avec les réflexions sur le Fils, p. 99. Cf. infra partie II, chapitre I, 1.3.2. Précisions sur le rapport substance-activité, p. 105–107, pour une interprétation de cette mention «les activités qui accompagnent les substances ». Cf. Eunome, Ap 22. 24. 26. Cf. Eun. I 206 : « ‚nerge–ac oŒsi¿n Ênomàzei tÄc Çpotelestikàc, ±c o⁄mai, to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc dunàmeic, di+ ¡n ô pr∏th oŒs–a tòn deutËran e rgàsato ka» ô deutËra tòn tr–thn (il nomme activités des substances les puissances réalisatrices, à mon avis, du Fils et du Saint Esprit, par lesquelles la première substance a réalisé la deuxième et la deuxième la troisième) ». Cf. aussi les autres explicitations des propos d’Eunome, Eun. I 212 : « Írgon Ênomàzei t®c oŒs–ac tòn oŒs–an, tòn m‡n deutËran t®c pr∏thc, t®c d‡ deutËrac pàlin tòn tr–thn (Il appelle la substance œuvre de la substance, la deuxième de la première, la troisième à nouveau de la deuxième) » ; Eun. I 243 : « Írga Ênomàzei t‰n u…‰n ka» t‰ pne‹ma, ‚nerge–ac d‡ tÄc ÇpotelestikÄc to‘twn dunàmeic di+ ¡n Çpeirgàsjhsan, âsper mikrƒ prÏsjen Èpesjai fhsi taÿc oŒs–aic. (Il appelle œuvre le Fils et l’Esprit, activités les puissances réalisatrices de ceux-ci, par lesquelles ils ont été produits, celles dont il dit un peu avant qu’elles suivent les substances.) » La troisième substance dépend bien de la première en tant que cause (cause lointaine pourrait-on dire : t¨ m‡n diÄ tòn a t–an), mais elle dépend immédiatement de la seconde en tant que résultat de son activité (cause prochaine : t¨ d‡ diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+ õn gËgonen). Cet aspect est, semble-t-il, insuffisamment souligné par M.-R. Barnes, «The Background and Use of Eunomius’ Causal Language », p. 221. Cf. le pàntwn de cette première phrase (pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc).

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

1.2.3 Les propriétés des substances selon leur rang La suite du fragment 1 apporte d’autres précisions sur les substances : Ensuite, puisque chacune de ces substances se trouve être et conçue absolument simple et entièrement une selon son rang propre. 24

Ces substances, qui sont absolument simples (e likrin¿c Åpl®c) et entièrement unes (pànth miêc) 25, ne le sont pas cependant de la même façon, puisque leur simplicité et unicité dépendent de leur rang (katÄ tòn  d–an Çx–an), ce rang (ou dignité, Çx–a) correspondant aux subordinations mentionnées précédemment, au niveau de dépendance ontologique 26. Une telle modulation, énoncée ici explicitement pour la simplicité et l’unité, semble pouvoir être étendue aux autres propriétés des substances non mentionnées dans ce fragment 1, spécialement à la notion de puissance, comme le laisse entendre d’ailleurs l’enseignement de l’Ap 27. Les caractéristiques des substances présentées en ce début du fragment 1 pourraient alors être résumées ainsi : les trois substances d’Eunome procèdent les unes des autres, la deuxième étant le résultat de l’activité de la première, tandis que la troisième, causée par la première, est le résultat de l’activité de la seconde. Chacune de ces substances serait une puissance parfaitement simple et une, où puissance, simplicité et unité dépendent du rang de subordination. Comme le remarque Grégoire, il est possible de constater une sorte de contraction (Õpostello‘shc) des substances, proportionnelle (katÄ t‰ mËtron) à leur subordination 28. 24 Eun. I 152 : « pàlin

d+ afi ·kàsthc to‘twn oŒs–ac e likrin¿c Åpl®c ka» pànth miêc o÷shc te ka» nooumËnhc katÄ

tòn  d–an Çx–an ». 25 Eunome, visiblement, ne veut parler ici que des trois premières substances soulignées dans la phrase pré-

cédente du fragment 1 ; la troisième substance se verrait ainsi distinguée de toutes les autres (pàntwn) plus clairement que dans la première phrase. 26 Eunome, dans un passage reconnu comme citation probable de l’AA (cf. supra partie I, chapitre II, 1.2.3 Examen de nouveaux testimonia relevés par certains chercheurs, p. 71), établit un lien direct et explicite entre dignité (ou distinction, Çx–wma) et dépendance ontologique, la distinction du Père étant justement de ne dépendre d’aucune cause, d’être inengendré, cf. Eun I 470 : « E c poÿon ofin sumfu‡c Çx–wma to‹ patr‰c blËpwn di+ ‚ke–nou t‰n t®c genn†sewc trÏpon Çnalog–zetai; e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ. (Quelle sorte de distinction connaturelle du Père vise-t-il pour conjecturer par celle-ci du mode de la génération ? Vers l’agennésie, dira-til assurément.) » 27 Cf. Ap 15 (52, 12–13) : la puissance du Fils a été engendrée d’en haut (sunapogennhje–shc änwjen aŒtƒ t®c dhmiourgik®c dunàmewc) ; de même Ap 26 (68, 6–7) : supériorité de la puissance de l’inengendré (kaj+ Õperoqòn Çs‘gkriton oŒs–ac ka» dunàmewc ka» ‚xous–ac). Sur cette hiérarchie des puissances, cf. M.-R. Barnes, «Eunomius of Cyzicus and Gregory of Nyssa : Two Traditions of Transcendent causality », p. 61 : «Eunomius believes that the moral, non-natural unity between God and his creative capacity is dramatized in the Son’s reception of the delegated capacity to create ». Eunome pourrait avoir fait allusion à la puissance du Fils dans l’AA, cf. Eun. I 183 : « ‚no‘sion d‘namin . . .Õpostànta », passage reconnu comme citation probable de l’AA (cf. supra partie I, chapitre II, 1.2.4 Examen de nouveaux testimonia n’ayant été relevés par aucun chercheur, p. 73–74). Il sera possible de voir plus loin une conséquence épistémologique de cette relation entre qualité et rang ontologique, cf. partie II, chapitre I, 1.4.2 Deux principes correctifs : Homonymie, p. 115–116. 28 Cf. Eun. I 240 : « πsper gÄr mÏnhn Çnwtàtw ka» mÏnhn kur–an tòn to‹ patr‰c proshgÏreusen oŒs–an, oŒd‡n

to‘twn ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc Âmolog†sac, o÷te tòn änw fwnòn o÷te tòn kuriwtàthn, katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac katÄ t‰ mËtron t®c ‚pijewroumËnhc ·kàst˘ Çx–ac ka» tòn t®c ÅplÏthtoc Ínnoian ‚farmÏzein o“etai qr®nai, ±c t®c m‡n kuriwtàthc ka» pr∏thc ‚n t¨ äkr¯ ka» tele–¯ jewroumËnhc ÅplÏthti, t®c d‡ deutËrac ÇnalÏgwc katÄ t‰ mËtron t®c t¿n prwte–wn ÕfËsewc ka» t‰n t®c ÅplÏthtoc lÏgon Õpostello‘shc, ka» ‚p» t®c teleuta–ac ±sa‘twc toso‹ton Õpokataba–nei t®c tele–ac ÅplÏthtoc, Ìson ka» ô Çnalog–a to‹ Çxi∏matoc ‚p» t¿n ‚sqàtwn katasmikr‘netai (En effet, de même qu’il a appelé la substance du

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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Cette première partie du fragment 1 constitue donc un ensemble fortement charpenté et très bien structuré, mais dont il faut reconnaître le caractère abstrait, voire abscons, accentué par le silence sur les noms de Père, Fils et Esprit. Aussi semble-til bon, avant d’en poursuivre l’examen, d’arrêter un instant cette étude et d’effectuer quelques rapprochements et comparaisons avec certains passages de l’Ap, où Eunome traite justement des rapports entre le Père, le Fils et l’Esprit. 1.2.4 Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap Comparaison avec la profession de foi de l’Ap L’Ap d’Eunome, qui s’ouvre par un préambule rhétorique, se poursuit par une confession de foi trinitaire 29. Cette confession de foi, articulée principalement autour de 1 Co 8, 6 et 1 Co 12, 7, et qui mentionne explicitement le Père, le Fils et l’Esprit, tranche avec l’exposé métaphysique abstrait sur les trois substances du fragment 1. Il est pourtant possible, par-delà ces présentations différentes, de relever quelques points communs 30 : Ap 5 (38, 1–7)

Piste‘omen e c Èna jeÏn, patËra pantokràtora, ‚x o› tÄ pànta, ka» e c Èna monogen® u…‰n jeo‹, je‰n lÏgon, t‰n k‘rion ôm¿n >Ihso‹n Qrist‰n, di+ o› tÄ pànta, ka» e c Èn pne‹ma âgion, t‰n paràklhton, ‚n ≈ pàshc qàritoc dianomò katÄ tòn summetr–an pr‰c t‰ sumfËron ·kàst˙ d–dotai t¿n Åg–wn.

fragment 1, Eun. I 151

Pêc  t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc Ík te t®c Çnwtàtw ka» kuriwtàthc oŒs–ac ka» ‚k t®c di+ ‚ke–nhn m‡n o÷shc met+ ‚ke–nhn d‡ pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc ka» tr–thc ge t®c mhdemiî m‡n to‘twn suntattomËnhc, ÇllÄ t¨ m‡n diÄ tòn a t–an, t¨ d‡ diÄ tòn ‚nËrgeian kaj+ õn gËgonen ÕpotattomËnhc, sumperilambanomËnwn dhladò pr‰c tòn to‹ pant‰c lÏgou sumpl†rwsin ka» t¿n taÿc oŒs–aic parepomËnwn ‚nergei¿n ka» t¿n ta‘taic prosfu¿n Ênomàtwn.

L’Ap présente le Père et le Fils comme Dieu (jeÏn) mais non l’Esprit, ce qui rappelle la subordination de la troisième substance aux deux premières, relevée dans le fragment 1. Cependant, alors que les termes Çnwtàtw ka» kuriwtàth du fragment 1 expriment clairement la supériorité de la première substance, le Dieu Père de la confession de foi est qualifié simplement de pantokràtwr, à la coloration plus neutre et plus biblique.

Père seule la plus haute et seule authentique, n’ayant reconnu rien de cela à propos du Fils et de l’Esprit, ni le vocable haut ni celui de plus authentique, selon le même raisonnement ayant aussi appelé les substances simples, il pense devoir adapter aussi le concept de simplicité selon la mesure du rang observé pour chacune, de sorte que, puisque la plus authentique et première est considérée au sommet de la parfaite simplicité, et que la deuxième contracte proportionnellement, selon la mesure de la subordination de ses dignités, aussi la notion de simplicité, de la même manière rabaisse-t-il aussi pour la dernière la parfaite simplicité, selon que la proportion en dignité est amoindrie pour les réalités inférieures) ». De même Eun. I 268 : « e⁄ta braq‘thtà tina t¨ oŒs–¯ kat+ ‚làttwsin ‚njewro‹sin (Ils considèrent ensuite dans la substance une sorte de raccourcissement selon une diminution) ». 29 Sur la construction de l’Ap, cf. supra partie I, chapitre I, 2.1 L’Ap d’Eunome et sa réfutation par Basile, p. 33–35. 30 Sur les points communs entre l’Ap et l’AA, cf. Th. Dams, La controverse eunoméenne, p. 64 ; B. Barmann, The cappadocian Triumph, p. 134 (qui reprend en grande partie les propos de Th. Dams, cf. la remarque de B. Pottier, Dieu et le Christ, note 35, p. 118).

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Le Père est celui de qui tout vient (‚x o› tÄ pànta) et apparaît ainsi au-delà de toute cause, semblablement à la première substance du fragment 1. Dans chacun des cas, le terme ÇgËnnhtoc est absent. Le Fils est celui par qui tout existe (di+ o› tÄ pànta), ce qui rappelle son rôle intermédiaire dans la production de la troisième substance du fragment 1. La profession de foi de l’Ap, par la référence à 1 Co 8, 6, offre pourtant une perspective bien plus systématique, puisque ce rôle intermédiaire du Fils est étendu à l’ensemble de la création 31 ; le rapport de la troisième substance du fragment 1 avec les deux premières semble donc pouvoir être appliqué aux «autres substances », qui étaient discrètement mentionnées et dont rien n’avait été explicitement dit 32 : comme la troisième, celles-ci tiennent leur être de la substance la plus haute par l’intermédiaire de la seconde. Enfin, l’Ap décrit le rôle de l’Esprit, dispensateur de grâce, ce que ne fait pas le fragment 1 33. Comparaison avec les réflexions sur l’inengendré La profession de foi de l’Ap est suivie du commentaire d’Eunome, dont les explications se révèlent particulièrement techniques et austères 34. L’anoméen présente d’abord le Dieu inengendré, qui n’a été produit ni par lui-même ni par un autre 35, et développe ensuite cette affirmation par un raisonnement dialectique, en soulignant que tout ce qui fait préexiste à ce qui est fait, tandis que ce qui est fait doit être second (de‘teron) par rapport à ce qui fait. Eunome place donc le Dieu inengendré nettement à part et introduit une notion d’ordre : rien n’est avant l’inengendré, tout est après lui. Ceci rappelle le début du fragment 1. Comparaison avec les réflexions sur le Fils Eunome aborde ensuite, à partir d’Ap 12, la question du Fils, qu’il désigne comme rejeton (gËnnhma) et chose faite (po–hma) 36. Eunome affirme que le Fils a été engendré alors qu’il n’était pas 37, puis apporte des précisions majeures sur la place et le rôle intermédiaire du Fils : Car tout est venu à l’existence par lui, nous le confessons avec le bienheureux Jean, puisque sa puissance démiurgique a été engendrée d’en haut en même temps que lui, de telle sorte qu’il soit le Dieu Monogène de 31 De même pour le rôle du Père de qui tout vient. 32 Cf. supra note 7, p. 92. 33 Grégoire exploitera ce silence d’Eunome sur les ‹activités › de la troisième substance (l’Esprit Saint) pour re-

mettre en cause la voie théologique de connaissance des substances par les œuvres présentée par Eunome à la fin du fragment 1, cf. Eun. I 426–429. 34 Sur cette partie des explications d’Eunome, cf. Th. Dams, La Controverse eunoméenne, p. 16–22 ; B. Barmann,

The Cappadocian Triumph, p. 19–27 ; Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 311–320 ; plus récemment, cf. M.-R. Barnes, The Power of God, p. 174s. 35 Eunome, Ap 7 (40, 2–3) : « m†te par+ ·auto‹ m†te par+ ·tËrou genÏmenoc. » ; id. 17 (54, 10) : « Çgenn†tou ka» Çpoi†tou (à propos du Père) ». 36 Cf. Eunome, Ap 12 (46, 17–48, 1) : « Ìti d‡ ka» eŸc u…Ïc (monogenòc gàr), ‚n®n m‡n tÄc t¿n Åg–wn fwnÄc parajemËnouc di+ ¡n u…‰n ka» gËnnhma ka» po–hma kataggËllousi ». 37 Cf. Eunome, Ap 12 (48, 10–12) : « ta‘thn [la substance du Fils] d‡ gegenn®sjai m‡n oŒk ofisan pr‰ t®c  d–ac sustàsewc (celle-ci a été engendrée alors qu’elle n’était pas avant sa propre constitution) » (trad. B. Sesboüé) ; de même en Ap 15 (52, 7) : « mò Ónta fam‡n gegenn®sjai t‰n u…Ïn (nous disons que le Fils a été engendré alors qu’il n’était pas) » (trad. B. Sesboüé) ; cf. aussi Ap 13 (48, 1–7).

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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tous ceux venus à l’existence après lui et par lui. Car, seul engendré et créé par la puissance de l’inengendré, il est devenu le ministre le plus parfait pour accomplir tout ouvrage et toute décision du Père. 38

Trois enseignements principaux peuvent être retirés de ce texte. Le premier concerne le rôle du Fils dans la création. S’appuyant sur la parole évangélique 39, Eunome souligne bien que tout est advenu par le Fils (pànta gÄr di+ aŒto‹ gegen®sjai) 40, mais il remarque en même temps que la puissance démiurgique (t®c dhmiourgik®c dunàmewc) lui a été donnée par l’inengendré (d’en haut, änwjen) et qu’elle lui est née comme coexistentielle (sunapogennhje–shc aŒtƒ) 41. Le Fils n’apparaît alors que comme le ministre ( ÕpourgÏc) qui accomplit toute décision du Père (gn∏mhn to‹ patrÏc), lequel agit par puissance (ou autorité, ‚xous–¯) 42. La création relève ainsi de deux causes différentes, la première étant l’inengendré, qui commande la création, tandis que la seconde est le Fils, qui effectue la «démiurgie ». L’inengendré ne crée donc pas directement, mais commande l’acte de création au Fils 43, qui apparaît comme intermédiaire entre l’inengendré et les réalités créées. Sans surprise, il est ainsi possible de retrouver, par le biais de ce texte plus technique et qui se veut le commentaire de la profession de foi initiale, le rôle intermédiaire du Fils caractéristique du début du fragment 1, où Eunome aura limité au cas particulier de la production de l’Esprit ce qu’il expliquait ici dans l’Ap à propos de la création de toutes les créatures. Par ailleurs, le même terme puissance (d‘namic) exprime à la fois la puissance de l’inengendré à l’origine du Fils 44 et la puissance démiurgique du Fils 45, lesquelles ne paraissent pas devoir être confondues. Eunome pourrait sans doute dire que Père et Fils ont chacun une puissance, mais en fonction de leur rang respectif, comme il le fait dans le fragment 1 à propos de la simplicité et de l’unité. Enfin, le troisième aspect principal de ce passage concerne la place particulière du Fils, non en tant qu’agent et ministre de la création, mais en tant qu’unique engendré (monogen†c), seul engendré et créé (mÏnoc . . . gennhje»c ka» ktisje–c) par la puissance de l’inengendré (to‹ Çgenn†tou dunàmei), ce qui le distingue clairement des créatures ; de ce 38 Eunome, Ap 15 (52, 11–16) : « pànta

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gÄr di+ aŒto‹ gegen®sjai katÄ t‰n makàrion >Iwànnhn Âmologo‹men, sunapogennhje–shc änwjen aŒtƒ t®c dhmiourgik®c dunàmewc, πst+ e⁄nai je‰n monogen® pàntwn t¿n met+ aŒt‰n ka» t¿n di+ aŒto‹ genomËnwn, mÏnoc gÄr t¨ to‹ Çgenn†tou dunàmei gennhje»c ka» ktisje–c, teleiÏtatoc gËgonen Õpourg‰c pr‰c pêsan dhmiourg–an ka» gn∏mhn to‹ patrÏc. » (trad. B. Sesboüé légèrement modifiée). Cf. Jn 1, 3 : « pànta di+ aŒto‹ ‚gËneto ». De même Eunome, Ap 17 (54, 11–12) : « pên Ìper ‚stin ällo po–hma to‘tou to‹ poi†matÏc ‚sti poi†mata ». Même affirmation d’Eunome dans le volume III de l’AA, cf. Eun. III/IX 48 : « Ìti ‚n t¨ t¿n Óntwn kt–sei parÄ to‹ patr‰c ‚pitËtraptai tòn t¿n Åpàntwn, Ârat¿n te ka» Çoràtwn, dhmiourg–an ka» t¿n genomËnwn tòn prÏnoian, Çrko‘shc aŒtƒ t®c änwjen Çpoklhrwje–shc dunàmewc pr‰c tÄc genËseic t¿n dhmiourghjËntwn (pour la création de ce qui est, lui a été confié par le Père la fabrication de toutes choses, visibles et invisibles, et la providence pour ce qui est advenu, dans la mesure où lui suffit, pour faire advenir ce qui est fabriqué, la puissance qui lui a été accordée d’en haut en héritage. » (trad. M. Cassin). Sur ce rôle de l’inengendré, cause de la création par puissance ou commandement, cf. Eunome, Ap 16 (52, 7– 8) : « tòn d‡ tƒ jeƒ perip–ptousan Ínnoian dias∏zontec ‚pitrËpoien ‚xous–¯ mÏn˘ dhmiourgeÿn » ; id. 17 (54, 10– 12) : « oŒran‰c d‡ ka» äggeloi ka» pên Ìper ‚stin ällo po–hma to‘tou to‹ poi†matÏc ‚sti poi†mata, prostàgmati to‹ patr‰c di+ aŒto‹ genÏmena » ; id. 20 (60, 20–21) : « pàmpolu dien†noqen  dhmiourg¿n ‚xous–¯ to‹ ne‘mati patrikƒ poio‹ntoc ». Cf. M.-R. Barnes, «Two Transcendent Causalities », p. 67 : «God does not create ; He commands creation », et les réflexions sur ‹the Son as Demiurge ›, id., p. 63–67. Cet acte de commandement démiurgique apparaît comme la seconde activité du Père à côté de la génération du Fils, cf. Eun. II 371 où les deux sont mentionnées explicitement. Cf. Eunome, Ap 15 (52, 14–15) : « t¨ to‹ Çgenn†tou dunàmei gennhje»c ka» ktisje–c ». Cf. Eunome, Ap 15 (52, 12–13) : « sunapogennhje–shc änwjen aŒtƒ t®c dhmiourgik®c dunàmewc ».

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

point de vue, le Fils est bien le Dieu Monogène de tous ceux venus à l’existence après lui et par lui 46. Une fois de plus, il est possible de retrouver les conclusions tirées précédemment à propos du début du fragment 1, où il a été possible de relever la place particulière de la seconde substance dans le système d’Eunome. Un dernier trait de l’enseignement d’Eunome sur le Fils dans l’Ap concerne la production elle-même du Fils par l’inengendré. Eunome explique en Ap 24 que le Fils subsiste par la volonté du Père ( boul†sei to‹ patrÏc), laquelle est son activité distincte de sa substance 47. Eunome en conclut donc que la similitude du Fils doit se comprendre par rapport à l’activité de l’inengendré et non par rapport à sa substance 48. Ceci lui permet d’interpréter la parole de l’Apôtre : «Il est l’image du Dieu invisible » (Col 1, 15) et de préciser en quel sens il convient d’envisager une authentique (Çlhj†c) théologie de l’image 49 : celle-ci doit être fondée uniquement sur le rapport étroit entre l’activité du Père et le Fils qui en est issu, le Fils exprimant parfaitement l’activité du Père par ce qu’il est et toutes les créatures qu’il contient virtuellement en lui 50. Ce rapport si étroit entre le Fils et l’activité par laquelle il subsiste n’est pas sans rappeler la corrélation activité-œuvre établie dans le fragment 1, les propos d’Eunome limités au Fils dans l’Ap se voyant cette fois systématisés dans l’AA. Il convient de souligner qu’Eunome ne fonde pas cette théologie de l’image sur la notion de participation, qu’il rejette pour le Père et le Fils 51 ; au contraire, l’anoméen présente le Fils comme engendré, créé ou parle d’une constitution (s‘stasic) du Fils 52 : si le Fils est image, c’est parce qu’il est constitué tel par l’activité du Père. Comparaison avec les réflexions sur l’Esprit Le chapitre 25 de l’Ap est consacré à l’Esprit, advenu selon Eunome par le commandement du Père et l’activité du Fils 53. L’Esprit est honoré à la troisième place après l’inengendré et l’engendré 54, en tant que première œuvre du Fils, plus grande que tout 46 Eunome, Ap 15 (52, 13–14). 47 Affirmation qui ne doit pas être opposée à celle d’Ap 15 (le Fils est engendré par la puissance de l’inengendré),

l’activité étant mue à partir de la puissance, cf. infra partie II, chapitre I, 1.3.2 Précisions sur le rapport substanceactivité : Éléments de réponse extraits du Eun. I, p. 105–106 48 Cf. Eunome, Ap 24 (64, 1–4) : « OŒko‹n e  tòn m‡n bo‘lhsin ÇpËdeixen  lÏgoc ‚nËrgeian, oŒk oŒs–an d‡ tòn

‚nËrgeian, ÕpËsth d‡ boul†sei to‹ patr‰c  monogen†c, oŒ pr‰c tòn oŒs–an, pr‰c d‡ tòn ‚nËrgeian (°tic ‚st» ka» bo‘lhsic) Çpos∏zein tòn ÂmoiÏthta t‰n Õi‰n Çnagkaÿon. » ; id. 24 (64, 10–12). Cf. M.-R. Barnes, «The Back-

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ground and Use of Eunomius’ Causal Language », p. 218 : «This activity is a cause that receives no traits from its associated essence, and transmits or reproduces no essential traits in the product, but instead produces a work that is like the activity in nature, and not like the original essence. » L’affirmation de l’auteur, selon laquelle l’œuvre produite serait semblable à l’activité en nature, semble cependant dépasser les propos d’Eunome, qui n’évoque, semble-t-il, qu’une reproduction parfaite, sans plus : le Fils correspond exactement à ce que veut le Père ; cf. infra partie II, chapitre I, 1.3.1 Précisions sur le rapport activité-œuvre, p. 103–105. Cf. Eunome, Ap 24 (64, 4–5) : « ‚x ¡n prosagomËnouc deÿ t‰n Çlhj® t®c e kÏnoc dias∏zein lÏgon. » Cf. Eunome, Ap 24 (64, 8–10) : « diÄ to‹t+ e k∏n, pànta d‡ tÄ ‚n aŒtƒ ktisjËnta metÄ to‹ prwtotÏkou oŒ tòn ÇgËnnhton oŒs–an qarakthr–zei (oŒ gÄr katÄ ta‹ta ô oŒs–a), tòn d‡ ‚nËrgeian di+ ©c  u…‰c ‚n ≈ tÄ pànta. » Cf. Eunome Ap 16 (52, 3. 9) ; Eun. III/III 1 ; EF 3 (152, 9–14). Cf. Eunome, Ap 12 (48, 11). 21 (60, 17). 23 (64, 19). 24 (64, 12) ; Eun. III/VI 23 (194, 16). Ce terme s‘stasic peut signifier aussi la production de toutes choses par le Père, cf. Eunome Ap 23 (64, 19) ; Eun. III/VII 3 (216, 9), ou la production des créatures par le Fils, cf. Ap 27 (70, 4). Cf. Eunome, Ap 25 (68, 23) : « prostàgmati to‹ patrÏc, ‚nerge–¯ d‡ to‹ u…o‹ genÏmenon » ; id. 28 (74, 15–16) (sur ce chapitre 28 de l’Ap, cf. supra note 51, p. 33). Cf. Eunome, Ap 25 (68, 23–24) : « tr–t˘ q∏r¯ tim∏menon ».

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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et seule de ce genre 55. Privé de la puissance démiurgique et de la divinité, l’Esprit est cependant rempli de la puissance de sanctification et d’enseignement 56. Ces déclarations d’Eunome appellent quelques remarques. La première concerne la production de l’Esprit par le commandement du Père et l’activité du Fils 57, ce qui rappelle les réflexions précédentes sur la production du monde par le commandement du Père et l’activité démiurgique du Fils 58, à la seule exception près que l’Esprit tient une place unique et exceptionnelle parmi les œuvres du Fils (mÏnon toio‹ton). Cette excellence particulière de l’Esprit, qui lui vaut d’occuper la troisième place dans l’ontologie d’Eunome, éclaire le début du fragment 1, où Eunome semble concéder comme une troisième substance ; cette concession n’est due en fait qu’à la place particulière de l’Esprit parmi les œuvres du Fils. La seconde remarque touche l’appellation de chose faite (po–hma) attribuée au Fils, à l’Esprit et à tout ce qui est advenu par le Fils 59. Il a été vu en effet que le Fils est po–hma du Père, engendré et créé par la puissance de l’inengendré et donc unique en tant que tel. L’Esprit, lui, est po–hma du Fils, advenu par l’activité du Fils et le commandement du Père ; il est absolument unique en son genre (mÏnon toio‹ton). Enfin, po–hma peut désigner toutes les créatures produites par le Fils. Dès lors, le terme po–hma, même s’il est appliqué également au Fils, à l’Esprit et aux créatures, recouvre en fait des réalités bien différentes, le Fils apparaissant comme une œuvre sans comparaison avec l’Esprit, qui lui-même se révèle à une place tout à fait à part parmi les autres créatures. Conformément aux déclarations d’Eunome dans le fragment 1, il serait possible, sans difficulté aucune, de qualifier le Fils, l’Esprit et les autres créatures comme des poi†mata selon leur rang. Cette simple constatation, déjà faite à propos du terme puissance (d‘namic), et qui pourrait s’étendre aux autres termes employés par Eunome (p. ex. kt–sma), oblige donc à une grande prudence lorsqu’il s’agit de juger les propos de l’anoméen : Eunome, lorsqu’il qualifie le Fils de po–hma ou kt–sma, ne cherche pas à le mettre sur le même plan que les autres choses créées (anges, ciel, etc.) et ne saurait ainsi être réduit aux termes de la polémique tels que les présente Grégoire 60.

55 Cf. Eunome, Ap 25 (68, 24–25) : « pr¿ton

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60

ka» meÿzon pàntwn ka» mÏnon toio‹ton to‹ monogeno‹c po–hma » ; id. 28 (74, 14–15) : « ka» diÄ to‘tou [le Fils] pr¿ton m‡n pàntwn ka» meÿzon t‰ pne‹ma t‰ âgion ‚po–hsen » (sur ce chapitre 28 de l’Ap, cf. supra note 51, p. 33). Cf. Eunome, Ap 25 (68, 25–26) : « jeÏthtoc m‡n ka» dhmiourgik®c dunàmewc ÇpoleipÏmenon, Ågiastik®c d‡ ka» didaskalik®c peplhrwmËnon. » Ou bien par l’autorité et le commandement du Père (‚xous–¯ m‡n  d–¯ ka» prostàgmati) et la puissance et l’activité du Fils (‚nerge–¯ d‡ ka» dunàmei to‹ Õio‹) selon Eunome, Ap 28 (74, 15–16). De ce point de vue, les réflexions de M.-R. Barnes, «The Background and Use of Eunomius’ Causal Language », p. 224 pourraient paraître ‹compliquantes › : «However, the contrast of dunamis and, more importantly, energeia with exousia and prostagma in the creed of chapter 28 does not repeat exactly the thought expressed in the Apology itself, for in the latter Eunomius uses energeia as a synonym for boulé (and gnomé), whereas the creed contrasts energeia und dunamis with boulé, or its apparent synonyms, exousia and prostagma. » L’auteur semblerait mettre sur le même plan, et donc de manière indue, les déclarations d’Eunome concernant le Père et le Fils, sans tenir compte par ailleurs de Ap 25 (68, 23), où Eunome distingue dans l’Ap elle-même ‚nËrgeia et prÏstagma, comme il le fait dans la ‹confession › (Ap 28). Cf. Eunome, Ap 20 (60, 16–17) : « to‹ m‡n Çgenn†tou t‰n u…‰n eÕr–skwn po–hma, to‹ d‡ monogeno‹c t‰n paràklhton » ; id. 17 (54, 10–12) : « oŒran‰c d‡ ka» äggeloi ka» pên Ìper ‚stin ällo po–hma to‘tou to‹ poi†matÏc ‚sti poi†mata ». Cf. Eun. I 220 : « deÿn £ ktist‰n noeÿn t‰n u…‰n ka» t‰ pne‹ma katÄ t‰n lÏgon t¿n ‚nant–wn £ t®c Çkt–stou f‘sewc, kaj∞c ô ‚kklhs–a pep–steuken. ». Eunome pourrait assurément répondre qu’il croit, comme le croit l’Église, que Fils et Esprit ne sont pas ‹ ktisto– › (sous-entendu : comme les autres créatures).

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

La troisième remarque est étroitement liée à la première. L’Ap présente de fait la séquence suivante : le Père est l’être suprême, qui crée et engendre le Fils, son ministre parfait ; le Fils crée sur ordre du Père l’ensemble des êtres ; enfin, parmi les réalités produites par le Fils, l’Esprit tient une place unique en son genre. Il est ainsi possible de considérer l’ensemble des êtres sous trois angles différents, avec à chaque fois un être suprême au sommet : – Ensemble des êtres : le Père, être suprême ; – Ensemble des êtres non inengendrés : le Fils, être suprême 61 ; – Ensemble des êtres produits par l’intermédiaire du Fils : l’Esprit, être suprême. Ainsi se dessine la Trinité d’Eunome, triade composée de ces trois ‹bornes supérieures ›, assurant à chacune une excellence particulière, mais réservant au Père la transcendance absolue. Conclusion Les quelques passages mentionnés de l’Ap et le début du fragment 1 présentent donc, dans leurs lignes générales, une même chaîne de causalité, coloriée des mêmes nuances : production des substances entre elles ; production de la troisième par l’intermédiaire de la seconde ; subordination claire de la troisième aux deux premières ; hiérarchie des puissances et importance du rang de chacune des substances. Sans doute suffirait-il de remplacer le terme substance du fragment 1 par les réalités qu’il désigne pour que l’enseignement de ce texte recouvre encore davantage celui de l’Ap, mais il n’en demeure pas moins que des différences non négligeables séparent ces deux approches. Eunome, dans le fragment 1, évite justement de mentionner les noms de Père, Fils et Esprit. Par ailleurs, les termes qu’il y emploie se révèlent beaucoup moins explicites que ceux utilisés dans l’Ap. Eunome fait peut-être mention de substance (oŒs–a) et d’activité (‚nËrgeia), mais il n’y a aucune allusion à une chose faite (po–hma), à une génération (gennên), à une création (kt–zein), à une constitution (s‘stasic) ou à un pouvoir ou commandement du Père (‚xous–a, prÏstagma) ; il n’est fait aucune mention de l’Écriture ou de l’économie. Enfin, le fragment 1 restreint aux trois substances ce que l’Ap énonçait clairement pour la triade et l’ensemble de la création 62. Inversement, le fragment 1 développe la corrélation activité-œuvre et présente par ce biais comme une justification philosophique de la théologie de l’image esquissée dans l’Ap. Il serait certainement erroné de considérer ces changements comme des négligences ou un manque de précision de la part d’Eunome. Sans doute faut-il y voir au contraire la volonté d’éviter tout langage trop polémique ou sujet à contestation, comme il a été déjà possible de le constater 63. De ce point de vue, ce début de fragment 1 s’avère singulièrement habile, puisqu’Eunome réussit à présenter les thèses

61 La citation de l’AA vraisemblablement faite par Grégoire en Eun. III/II 73 est particulièrement éclairante,

puisque le Fils est désigné, en tant que substance qui subsiste par l’activité du Père, comme la substance « kuriwtàthn ka» pr∏thn ka» mÏnhn ». 62 Comme il a été vu, une seule allusion, très discrète, est faite aux autres substances quand il est dit que la deuxième substance tient la première place sur toutes les autres (pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc). 63 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.1 Le terme «substance », p. 92–94.

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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principales de sa doctrine, tout en évitant les termes les plus controversés 64. Il sera possible de préciser ultérieurement d’autres motifs de cette présentation 65. 1.3 Les activités (‚nËrgeiai) La première phrase du fragment 1 mentionnait les activités qui découlent des substances (taÿc oŒs–aic parepomËnwn ‚nergei¿n) et la suite du texte développe ce thème, apportant de nombreuses précisions non seulement sur les activités elles-mêmes, mais aussi sur les œuvres : Ensuite, puisque chacune de ces substances se trouve être et conçue absolument simple et entièrement une selon son rang propre, puisque par ailleurs les activités sont délimitées par les œuvres, et les œuvres sont mesurées par les activités de ce qui a agi, il est vraiment de toute nécessité que les activités qui suivent chacune des substances soient plus ou moins grandes, et que les unes tiennent un premier rang, les autres un second, et en somme de dire que leur différence correspond à celle qu’auront leurs œuvres. 66

Ce paragraphe se présente comme une sorte de grand syllogisme 67, visant à montrer que la différence des activités correspond à celle qu’auront leurs œuvres. C’est sur ce rapport activité-œuvre qu’il convient de se pencher en premier. 1.3.1 Précisions sur le rapport activité-œuvre (‚nËrgeia-Írgon) Eunome établit un lien très fort entre les activités et leurs œuvres, puisque les unes sont circonscrites par les œuvres (sumperigrafomËnwn), tandis que les autres sont proportionnées, paramétrées, par les activités (parametroumËnwn). Ce rapport si étroit entre l’activité et son œuvre peut ainsi conduire à deux corollaires. Il semble possible, d’une part, d’envisager comme un certain rapport de proportionnalité entre les différentes activités et leurs œuvres respectives, si bien qu’une différence entre deux activités entraînerait une différence entre leurs œuvres, comme le souligne lui-même Eunome 68. Mais le rapport activité-œuvre peut être aussi envisagé directement pour lui-même, l’activité et l’œuvre correspondante entretenant comme une sorte de relation d’égalité 69. Grégoire revient plusieurs fois sur ce deuxième aspect et semblerait même pré64 Grégoire lui-même est obligé de reconnaître que certaines formulations d’Eunome pourraient être utilisées

de façon orthodoxe, cf. Eun. I 190 : « ‚pe» d‡ mes¿c Íqein dokeÿ tÄ e rhmËna, ±c ka» t‰n mhd‡n Çseb‡c per» to‹ Qristo‹ lËgonta qr†sasjai än pote toÿc ˚†masi to‘toic . . . (Mais puisque ces propos semblent être mesurés, de sorte que même celui qui ne dit rien d’impie sur le Christ pourrait employer quelquefois ces mots. . .) » 65 Cf. partie II, chapitre I, 3 Conclusion, p. 124–126. 66 Eun. I 152 : « pàlin d+ afi ·kàsthc to‘twn oŒs–ac

e likrin¿c Åpl®c ka» pànth miêc o÷shc te ka» nooumËnhc katÄ tòn  d–an Çx–an, sumperigrafomËnwn d‡ toÿc Írgoic t¿n ‚nergei¿n, ka» t¿n Írgwn taÿc t¿n ‚rgasamËnwn ‚nerge–aic parametroumËnwn, Çnàgkh d†pou pêsa ka» tÄc ·kàst˘ t¿n oŒsi¿n ·pomËnac ‚nerge–ac ‚làttouc te ka» me–zouc e⁄nai, ka» tÄc m‡n pr∏thn tÄc d‡ deutËran ‚pËqein tàxin, sunÏlwc te e peÿn pr‰c tosa‘thn ‚xikneÿsjai diaforàn, pr‰c ÂpÏshn ãn ‚xikn®tai tÄ Írga ».

67 Les trois génitifs absolus du début de ce paragraphe constituent les prémisses (le premier formant la première

prémisse, les deux suivants la seconde) ; la conclusion est à un mode personnel (‚sti sous-entendu). 68 Cf. Eun. I 153 : « âte

dò t¿n aŒt¿n ‚nergei¿n tòn taŒtÏthta t¿n Írgwn Çpotelous¿n, ka» t¿n parhllagmËnwn Írgwn parhllagmËnac tÄc ‚nerge–ac ‚mfainÏntwn. (étant entendu que les mêmes activités accomplissent des œuvres identiques, et que les œuvres différentes révèlent des activités différentes.) »

69 Grégoire explicite ce rapport à propos du Fils, œuvre de l’activité du Dieu tout puissant, cf. Eun. I 267 : « e⁄ta

perigràfousi to‹ kur–ou tòn f‘sin, ‚nt‰c Ìrwn tin¿n t®c poihsamËnhc dunàmewc aŒt‰n Çpokle–ontec ka» o…one» mËtr˙ tin» t¨ posÏthti t®c ÕposthsamËnhc aŒt‰n ‚nerge–ac perisqoin–zontec, πsper qit¿n– tini t¨ ‚pinohje–s˘ par+ aŒt¿n ‚nerge–¯ pantaqÏjen perieirgÏmenon. (ensuite ils circonscrivent la nature du Seigneur, l’enfermant à

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

senter un enseignement à peu près identique lorsque, après avoir fait remarquer que l’œuvre est proportionnée à l’activité qui la produit, Grégoire poursuit : le résultat indique non pas ce qu’est l’activité elle-même selon sa nature, mais sa taille uniquement, qui est observée dans l’œuvre. 70

Un rapport quantitatif semble donc relier selon Eunome une activité à son œuvre 71. Eunome envisage-t-il aussi, plus fondamentalement, un rapport qualitatif, dans le sens où un certain type d’activité ne serait lié qu’à un certain type d’œuvre ? S’il est permis d’en douter, rien ne permet de trancher clairement cette question, et Grégoire ne manque pas dans sa réfutation de jouer sur ce point pour remettre en cause l’affirmation d’Eunome 72. Quoi qu’il en soit, cette connexion si étroite entre l’activité et l’œuvre produite entraîne la conclusion proposée par Eunome : la différence des activités correspond à celle qu’auront leurs œuvres. Des œuvres plus ou moins grandes ne sont donc que le résultat d’activités plus ou moins grandes, et une hiérarchie entre les œuvres suppose une hiérarchie entre les activités, l’une surpassant l’autre (ÇnabebhkËnai). Ceci est illustré par Eunome à l’aide d’œuvres de la création, dont les différences en ancienneté et dignité (presb‘tera ka» timi∏tera) manifesteraient les différences entre les activités productrices : Car il n’est pas non plus permis de parler de la même activité par laquelle il fit les anges ou bien les étoiles et le ciel ou bien l’homme, mais autant les œuvres sont plus anciennes et plus dignes que les autres œuvres, autant quelqu’un qui réfléchit religieusement pourrait dire que l’activité aussi surpasse l’autre activité. 73

Eunome ne mentionne ici qu’anges, étoiles, ciel ou homme, mais il ne fait pas de doute qu’il faille mettre en parallèle cette simple énumération avec les trois premières subl’intérieur de certaines limites de la puissance qui l’a fait et le délimitant comme avec un instrument de mesure par la taille de l’énergie qui le fait subsister, cerné de tout côté comme d’une enveloppe par l’activité qu’ils ont conçue.) » 70 Eun. I 424 : « oŒ d‡ aŒtò katÄ tòn f‘sin ô ‚nËrgeia °tic ‚st–n, ÇllÄ t‰ pos‰n aŒt®c mÏnon ‚njewreÿtai tƒ Írg˙. » De même un peu plus loin (toujours en Eun. I 424) : « t‰ mËtron t®c ‚nerge–ac ‚n ·autƒ de–knusin  par+ ‚ke–nhc genÏmenoc. » Grégoire illustre ceci par l’exemple d’un forgeron, qui ne déploie pas toute sa capacité pour réaliser une tarière, mais uniquement selon une mesure adaptée à la réalisation de l’objet ; cf. de même Basile, adv. Eun. II 32 (132, 8s). Grégoire utilise aussi l’exemple de l’outil du cordonnier pour illustrer le rapport établi par Eunome entre le Monogène et l’activité qui l’a produit, cf. Eun. I 245–246 : « To‘twn d‡  no‹c gËnoit+ ãn ômÿn

di+ Õpode–gmatoc gnwrim∏teroc. Õpoj∏meja gÄr per» Êrgànou tin‰c t¿n skutotomik¿n e⁄nai t‰n lÏgon o’tw; t‰ smil–on e c k‘klou sq®ma perihgmËnon ‚Än ‚piblhj¨ tini, ≈ qrò t‰n toio‹ton ‚ggenËsjai t‘pon, sumperigràfetai tƒ sq†mati to‹ sid†rou t‰ di+ aŒto‹ ‚ntemnÏmenon, ka» toso‹toc  ‚n t¨ tom¨ k‘kloc deiqj†setai, Ìsoc  ‚n tƒ Êrgàn˙ ‚st–; ka» pàlin Ìs˙ diast†mati peri®ktai t‰ Órganon, toso‹ton ka» diÄ t®c tom®c perigràyei t‰n k‘klon. toia‘th to‹ jeolÏgou ô Ínnoia per» t®c je–ac to‹ monogeno‹c Õpostàsewc. ‚nËrgeiàn tina kajàper Órganon t¨ pr∏t˘ oŒs–¯ parepomËnhn s‘mmetrÏn fhsin ·aut¨ Írgon pepoihkËnai t‰n k‘rion. (Le sens de cela pourrait nous devenir plus familier par un exemple. Supposons en effet qu’à propos d’un outil de cordonnier le raisonnement soit formulé ainsi : si le tranchet incurvé en forme de cercle est appliqué à quelque chose, à laquelle doit être donné un tel contour, l’objet coupé est délimité par la forme du fer, et le cercle apparaîtra dans la coupe aussi grand qu’il est dans l’outil ; et inversement c’est par le rayon dont est incurvé l’outil que le cercle est délimité par la coupe. Telle est la pensée du théologien au sujet de l’hypostase divine du Monogène. Une activité qui, comme un outil suit la première substance, a fait comme œuvre mesurée à elle-même le Seigneur, dit-il.) » Cf. aussi Eun. I 267, déjà cité note 69, p. 103–104. 71 Même conclusion de B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 134, qui parle «d’équivalence stricte entre l’énergie et son œuvre, qui permet une mesure et une comparaison des énergies et des œuvres entre elles ». 72 Cf. infra partie III, chapitre I, 2.2.1 Réfutation des conceptions d’Eunome sur l’activité en général : remise en cause du rapport activité-œuvre, p. 216. 73 Cf. Eun. I 153 : « ‚pe» mhd‡ jemit‰n tòn aŒtòn ‚nËrgeian e peÿn kaj+ õn toÃc ÇggËlouc ‚po–hsen £ toÃc ÇstËrac

ka» t‰n oŒran‰n £ t‰n änjrwpon, Çll+ Ìs˙ tÄ Írga t¿n Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera, toso‘t˙ ka» tòn ‚nËrgeian t®c ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai fa–h än tic eŒseb¿c dianoo‘menoc ».

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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stances évoquées au début du fragment 1, dont les différences révéleraient alors l’altérité des activités productrices 74. Faut-il considérer ces différences selon des critères d’ancienneté et de dignité, comme pour les œuvres de la création ? Si Eunome laisse planer le doute, ce rapport activité-œuvre permet de toute façon de bien comprendre la conclusion du syllogisme d’Eunome présenté dans ce passage du fragment 1 75 et visant à montrer la hiérarchie entre les activités 76. Il sera possible de voir l’importance de ce point lors de l’étude de la méthodologie théologique exposée par Eunome à la fin du fragment 1, ainsi que lors de l’étude du fragment 2. 1.3.2 Précisions sur le rapport substance-activité (oŒs–a-‚nËrgeia) La conclusion du syllogisme établi par Eunome fait allusion aux activités qui suivent les substances, ce qui invite maintenant à préciser le rapport particulièrement délicat à saisir entre substance et activité. Éléments de réponse extraits du Eun. I Un premier éclaircissement pourrait être apporté par Grégoire lui-même, lorsqu’il commente le terme délimiter (sumperigràfesjai) utilisé par Eunome pour caractériser le rapport activité-œuvre. Grégoire explique : Le mot de délimiter manifeste l’adéquation entre la substance réalisée et la puissance qui la fait subsister, ou plutôt non pas puissance, mais activité de la puissance, comme lui-même l’appelle, afin que le résultat ne soit pas œuvre de toute la puissance de l’agent, mais d’une activité partielle mue à un tel degré à partir de l’ensemble de la puissance, qu’elle vienne à apparaître mesurée à la production de ce qui advient. 77

L’activité serait ainsi étroitement liée à la notion de puissance (d‘namic), mue à partir de celle-ci mais sans en épuiser toutes les potentialités, car ce n’est qu’une activité «partielle » (merik®c ‚nerge–ac). Cette première indication peut être complétée par un 74 C’est ce que fait Eunome explicitement dans Ap 20 (60, 15–19). 75 Cf. note 67, p. 103. 76 Encore une fois, la présentation d’Eunome se révèle particulièrement adroite car, sans le dire explicitement,

il laisse pourtant entendre très clairement que les trois premières substances sont plus ou moins grandes. On peut se demander cependant quelle est la place exacte dans l’argumentation de la simplicité et de l’unité des substances (·kàsthc to‘twn oŒs–ac e–likrin¿c Åpl®c ka» pànth miêc o÷shc te ka» nooumËnhc katÄ tòn  d–an Çx–an), puisqu’à première vue, cette précision ne semble pas indispensable pour montrer que les activités sont plus ou moins grandes. La réponse à cette question pourrait être fournie par Basile, adv. Eun. II 32 (134, 18s) et permettrait d’assurer en fait la réciproque du syllogisme d’Eunome. De fait, si la seconde substance (produit de l’activité de la première) est plus grande que la troisième (produit de l’activité de la seconde), il s’en suit logiquement que l’activité de la première substance est plus grande que l’activité de la seconde, conformément à la corrélation stricte activité-œuvre établie par Eunome. Mais comment montrer, à partir de cette différence d’activités, que la première substance est plus grande que la seconde ? C’est ici, semble-t-il, que la mention de la simplicité et de l’unité joue son rôle. Effectivement, Basile explique que la substance, en raison de sa simplicité, coïnciderait avec sa puissance à l’origine de l’activité ; dès lors, une activité plus grande manifesterait ipso facto non seulement que l’œuvre qui en résulte est plus grande, mais aussi que la substance à l’origine de cette activité est plus grande que la substance à l’origine d’une autre activité moins grande. Ainsi, puisque l’activité qui suit la première substance est plus grande que celle qui suit la seconde substance, il s’en suit obligatoirement que la première substance est plus grande que la seconde. 77 Eun. I 244 : « ô d‡ to‹ sumperigràfesjai lËxic dhloÿ t‰  sostàsion t®c Çpotelesje–shc oŒs–ac pr‰c tòn Õpost†-

sasan d‘namin, mêllon d‡ oŒq» d‘namin, ÇllÄ dunàmewc ‚nËrgeian, kaj¿c aŒt‰c Ênomàzei, —na mò pàshc t®c to‹ ‚nergo‹ntoc dunàmewc Írgon Æ t‰ ÇpotËlesma, Çllà tinoc merik®c ‚nerge–ac toso‹ton ‚k t®c pàshc dunàmewc kinhje–shc, Ìson s‘mmetron Ímelle t¨ Çpergas–¯ to‹ ginomËnou fan†sesjai. »

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

autre passage de la réfutation de Grégoire (cf. Eun. I 208), qui cite très vraisemblablement l’AA 78 : il affirme que les substances mues spontanément et librement produisent par elles-mêmes ce qui leur semble bon. 79

Les substances produisent donc (Çpergàzesjai) selon un mouvement libre et volontaire, sans l’aide d’autrui (kaj+ ·autàc). À partir de ces deux passages, il semblerait donc possible de dire que l’activité, selon Eunome, est un mouvement de la substance, qui actualise librement pour la réalisation d’une œuvre sa capacité d’action, formulation de coloration aristotélicienne 80. Mais un problème demeure cependant : que veut dire exactement Eunome lorsqu’il affirme que les activités suivent les substances ? Doiton considérer l’activité distincte de la substance et selon un statut ontologique propre ? Et quel est celui-ci ? Grégoire reproche justement à Eunome de ne pas s’être exprimé clairement 81 et critique son utilisation du mot «suivre » (parËpontai ou Èpontai selon les citations de Grégoire) pour exprimer le rapport substance-activité, qui, selon Grégoire, ne permet pas de comprendre véritablement le statut ontologique de l’activité 82. La réfutation de Grégoire dans le Eun. I n’apporte pas d’éclaircissements sur ce point 83, si bien qu’une nouvelle comparaison avec l’Ap semble nécessaire pour résoudre cette difficile question. Éléments de l’Ap L’Ap fournit plusieurs précisions sur l’activité, mais uniquement pour ce qui concerne l’inengendré. Son activité, d’après Eunome, n’est ni un partage ni un mouvement de la substance, elle n’est pas identique à la substance et ne saurait être unie à la substance 84, 78 Cf. supra partie I, chapitre II, 1.2.4 Examen de nouveaux testimonia n’ayant été relevés par aucun chercheur,

p. 74–75. 79 Eun. I 208 : « proairetik¿c

ka» aŒtexous–wc kinoumËnac tÄc oŒs–ac t‰ doko‹n fhsi kaj+ ·autÄc Çpergàzesjai. » Cf. de même Eun. I 416 : selon Grégoire, les œuvres seraient pour Eunome le résultat d’un choix préalable et non de la nature : « pànta d‡ tÄ Írga proairËsewc, oŒ f‘sewc ÇpotelËsmata ». 80 Cf. Aristote, Metaph. J 3, 1047a 32 ; J 6, 1048a 31-b 1. 81 Eun. I 208 : « oŒd‡ gÄr Åpl¿c o’twc ‚k t¿n e rhmËnwn Ísti majeÿn (En effet, il n’est pas possible de l’apprendre simplement comme cela de ses propos) ». 82 Cf. Eun. I 207 : « TËwc d‡ n‹n äxiÏn ‚sti log–sasjai, p¿c Èpontai taÿc oŒs–aic a… ‚nËrgeiai, t– ofisai katÄ tòn  d–an f‘sin, ällo ti parÄ tÄc oŒs–ac aŸc parËpontai £ mËroc ‚ke–nwn ka» t®c aŒt®c f‘sewc; ka» e  m‡n ällo, p¿c £ parÄ t–noc genÏmenai, e  d‡ t‰ aŒtÏ, p¿c ÇpotemnÏmenai ka» Çnt» to‹ « sunupàrqein » aŒtaÿc Íxwjen parepÏmenai. (Mais pour l’instant il convient de réfléchir, comment les activités suivent les substances, ce qu’elles sont selon leur nature propre, autre chose que les substances qu’elles accompagnent ou bien une partie de celles-ci et de la même nature ; et si elles sont autre chose, comment et d’où sont-elles venues à l’existence, mais si elles sont la même chose, comment sont-elles séparées et au lieu de «coexister » avec elles accompagnent-elles de l’extérieur.) » 83 Cf. Eun. I 207–211. 242–260. Grégoire, dans ces paragraphes particulièrement difficiles, raisonne uniquement sur des conjectures, aussi paraît-il difficile de tirer des conclusions certaines sur la doctrine d’Eunome à partir de ses affirmations. Quand en Eun. I 247, Grégoire nomme l’activité « d‘nam–c tic oŒsi∏dhc kaj+ ·autòn Õfest¿sa » (une puissance substantielle qui subsiste par elle-même), il ne fait alors que proposer la première alternative d’un dilemme dans lequel il veut enfermer Eunome ; l’autre alternative apparaît en Eun. I 251 : « e  d‡ ta‹ta tÄ ätopa fe‘gwn ÇnupÏstatÏn ti prêgma lËgoi tòn ‚nËrgeian (Mais si fuyant ces absurdités, il dit que l’activité est quelque chose non subsistant) ». Sur ce point, cf. infra partie III, chapitre I, 2.2.2 Réfutation des conceptions d’Eunome sur les activités de la Triade : le rejet de toute activité intra-trinitaire, p. 217–220. 84 Cf. Eunome, Ap 22 (62, 9–11) : « o÷toi merism‰n £ k–nhs–n tina t®c oŒs–ac tòn ‚nËrgeian ôgoumËnouc, âper ‚pinoeÿn Çnagkaÿon toÃc ÕpagomËnouc toÿc All+

 pàntwn khdem∏n, fhs–, dhmiourg–ac nÏm˙ taÿc ômetËraic ‚gkataspeÿrai yuqaÿc

‚dika–wse. » 132 Cf. Eunome, Ap 7 (40, 1–3) : « EŸc

to–nun katà te fusikòn Ínnoian ka» katÄ tòn t¿n patËrwn didaskal–an ômÿn ±molÏghtai jeÏc, m†te par+ ·auto‹ m†te par+ ·tËrou genÏmenoc, ·kàteron gÄr aŒt¿n ‚p–shc Çd‘naton ».

Eunome reproche justement à Basile de négliger cette notion naturelle, Eun. I 606 [Grégoire cite Eunome] : « ka» t–c p∏pote, fhs–, swfron¿n siwpêsjai tòn fusikòn Ínnoian ‚dika–wse, tòn d‡ parànoian ‚t–mhsen ; (Et quelle personne sensée, dit-il, a jugé un temps légitime de taire la notion naturelle pour honorer la folie ?) » Sur la notion de fusikò Ínnoia, cf. la longue note de H.-D. Saffrey et L.-G. Westerink in Proclus , Théologie platonicienne livre 1, note 4, p. 159–161, qui en résume l’histoire et les significations fondamentales. 133 Eun. I 646 : « tòn to‹ gennhto‹ pr‰c t‰ ÇgËnnhton katÄ tòn proforÄn ‚nant–wsin ‚p» tÄ prÏswpa metafËrwn, oŸc ‚f†rmostai tÄ ÊnÏmata (. . .) ÇllÄ t‰n m‡n ‚k t®c Çgennhs–ac t‰n d‡ ‚k t®c genn†sewc oŒsi¿sjai lËgwn, oŒk o⁄da po–ac aŒt‰n sof–ac ‚p» tòn toia‘thn s‘nesin qeiragwgo‘shc. » C’est le point clef de l’Ap d’Eunome, cf. B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 27–29.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

appelé Dieu inengendré simplement parce qu’il n’a pas été engendré, «le mécanisme de l’hérésie en son ensemble se serait effondré sur eux » 134. Une deuxième conséquence, provenant de l’origine des noms, touche directement la réflexion humaine. De fait, puisque Eunome estime que les mots ne sont pas le produit de l’invention humaine, il s’en suit que l’activité rationnelle de l’homme perd sa valeur quand il s’agit de désigner les réalités : les noms ne sont plus le résultat d’une réflexion mais d’une révélation 135. Une troisième conséquence concerne la cohérence, difficile à maintenir ici, entre la métaphysique d’Eunome et son épistémologie. Effectivement, Eunome souligne la transcendance du Dieu inengendré mais défend parallèlement une connaissance de sa substance. Comme le souligne justement B. Pottier : Eunome se voit amené à défendre, de façon contradictoire, une absolue transcendance de l’Inengendré, en même temps qu’une disparition de cette transcendance dans l’ordre de la connaissance. 136

1.4.2 Deux principes correctifs La corrélation naturelle et étroite entre substance et nom, si elle permet à Eunome de justifier l’importance singulière du mot ÇgËnnhtoc, ne manque pourtant pas d’une certaine rigidité. Aussi Eunome propose-t-il deux principes correctifs, qui adoucissent, voire contredisent son postulat de base épistémologique : la synonymie et l’homonymie. Synonymie Selon Eunome, des noms concernant l’inengendré mais différents dans leur articulation (comme incorruptible) peuvent avoir pourtant la même signification. Ce principe, déjà présent dans l’Ap 137, ne trouve pourtant sa pleine justification que dans l’AA, où Eunome fonde cette équivalence sur la simplicité de la substance divine à laquelle les noms se rapportent 138. C’est ce principe de la synonymie qui permet de mieux com134 Cf. Eun. I 644 : « e 

katÄ tòn koinòn t¿n dogmàtwn ÕpÏlhyin diÄ t‰ mò gegenn®sjai ÇgËnnhton lËgesjai t‰n je‰n katedËxato, diËpesen ãn Ìlon aŒtoÿc t‰ mhqànhma t®c a…rËsewc ». Sur cette importance d’ ÇgËnnhtoc dans le système néo-arien, cf. Th. Dams, La Controverse eunoméenne, p. 122–124.

135 Ainsi pour le terme ÇgËnnhtoc, qui ne saurait être dit selon Eunome kat+ ‚p–noian, cf. Eun. II 44. 65. 390. Il n’est

pas facile de savoir si Eunome remet en cause toute ‚p–noia, ou simplement celles qui sont des constructions de l’esprit, cf. Eun. II 179 (géant, pygmée, etc.) ; selon B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 152. 170, la théorie de l’epinoia selon Eunome est entièrement négative, alors que pour K.-H. Uthemann, «Die Sprache der Theologie nach Eunomius von Cyzicus », p. 153, les paroles dites kat+ ‚p–noian ne seraient un flatus vocis que dans certains cas ; cf. sur ce point l’état de la question dressé par L. Karfíková, «Der Ursprung der Sprache », note 22, p. 283–284. 136 Cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 170. 137 Eunome, Ap 17 (54, 1–3) : « tÄ d‡ pollÄ katÄ tòn ‚kf∏nhsin keqwrismËna tòn aŒtòn Íqei shmas–an, ±c t‰ ªn ka» mÏnoc Çlhjin‰c jeÏc. (Mais beaucoup de noms, différents dans leur articulation, ont la même signification, par exemple ‹celui qui est › et un ‹seul vrai Dieu ›.) » (trad. B. Sesboüé). De même Eunome, Ap 19 (56, 9–10) : « pÏteron ällo ti shma–nei t‰ f¿c ‚p+ Çgenn†tou legÏmenon parÄ t‰ ÇgËnnhton, £ taŒt‰n ·kàteron ; (Est-ce que la lumière, dite de l’inengendré, signifie autre chose que l’inengendré, ou l’un et l’autre sont-ils la même chose ?) » (trad. B. Sesboüé). La suite de l’argumentation d’Eunome montre qu’ils sont la même chose (sinon Dieu serait composé). 138 Cf. Eun. II 483 : « oŒk ällh tic, fhs–n, ô zwò parÄ tòn oŒs–an ‚st–n, ±c ãn m† tic s‘njesic per» tòn Åpl®n

nooÿto f‘sin, pr‰c t‰ metËqon ka» meteqÏmenon t®c ‚nno–ac merizomËnhc; Çll+ aŒtÏ, fhs–n, Ìper ‚st»n ô zw†, oŒs–a ‚st–. (la vie, dit-il, n’est pas autre chose à côté de la substance, afin qu’on ne pense une quelconque

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

115

prendre pourquoi Eunome rejette le remplacement du terme ÇgËnnhtoc par celui de Père, comme le suggère Basile 139 ; effectivement, si Père signifie aussi inengendré, la simplicité de la substance divine demande d’exclure toute autre signification du mot Père, en l’occurrence le fait d’engendrer le Fils, car sinon, la substance divine serait composée, étant à la fois inengendrée et Père du Fils 140. Homonymie Eunome introduit avec l’homonymie une seconde nuance, qui à son tour adoucit la corrélation nom-substance : un même nom peut avoir plusieurs significations 141. Ce deuxième correctif se fonde sur des notions ontologiques bien précises. Chaque nom homonyme est en effet adapté au niveau ontologique de la réalité à laquelle il est lié, et Eunome prend comme exemple les noms de lumière, vie et puissance : chacun de ces noms s’applique à l’inengendré et à l’engendré, mais autant il y a de différence entre l’inengendré et l’engendré, autant faut-il qu’il y en ait entre la lumière et la lumière, la vie et la vie, la puissance et la puissance 142.

Eunome peut mentionner aussi quatre types de lumière : le Père qui est la lumière inaccessible, le Fils qui est la lumière véritable, les hommes qui sont la lumière du monde, enfin la lumière créée ; chacune de ces lumières correspond à un degré d’être différent, Dieu, le Fils, les hommes et la matière 143. Il a déjà été possible de rencontrer des exemples analogues avec les noms de simplicité, unité, puissance et chose faite (po–hma) 144, ce qui permet de souligner, sur ce point là, la connexion étroite entre la métaphysique et l’épistémologie d’Eunome. L’anoméen évoque dans le fragment 1 le rang des substances et c’est conformément à ce rang que doivent être compris les noms qui y sont liés.

139 140

141

142 143 144

composition au sujet de la nature simple, l’idée se divisant en participant et participé ; mais la substance, dit-il, est substantiellement la vie) » ; ainsi pour les noms inengendré et incorruptible, cf. Eun. II 380 : « Kat+ aŒt†n, fhs–, tòn oŒs–an äfjartÏc ‚sti ka» ÇgËnnhtoc Çmig® ka» kajarÄn ofisan pàshc ·terÏthtoc ka» diaforêc. » Cf. B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 37 ; B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 154. 174. Cf. Basile, adv. Eun. I 5 (174, 63–176, 71), passage qu’Eunome aurait cité dans l’AA (cf. Eun. I 536) et auquel il répond dans le fragment 4, cf. Eun. I 537s. Eunome présente d’autres conséquences absurdes et multiplie les syllogismes (cf. Eun. I 552. 577. 600) pour montrer les résultats aberrants d’une équivalence Père inengendré (conclusion du syllogisme 1 : Père signifie donc que Dieu n’est issu de rien, non qu’il ait engendré le Fils ; conclusion du syllogisme 2 : Dieu est inengendré du fait d’avoir engendré le Fils, d’où le corollaire : avant d’avoir engendré le Fils, Dieu n’était pas inengendré ; conclusion du syllogisme 3 : il est donc permis de dire «L’inengendré est l’inengendré du Fils » ou bien «Le Père est l’inengendré du Fils »). Cf. Th. Dams, La Controverse eunoméenne, p. 65, qui remarque bien que la réponse d’Eunome est «sophistique sans l’être » et qu’avec la théorie de la synonymie, «les raisonnements d’Eunome se comprennent facilement. » Eunome, Ap 16 (52, 9–12) : « t–c gÄr oŒk ãn Âmolog†seien t¿n eŒfrono‘ntwn, Ìti t¿n Ênomàtwn tÄ m‡n katÄ tòn ‚kf∏nhsin ka» proforÄn tòn koinwn–an Íqei mÏnon, oŒk Íti d‡ katÄ tòn shmas–an ; (Quel homme de bon sens en effet ne confesserait que parmi les noms certains n’ont en commun que l’articulation et l’énonciation, mais non pas la signification ?) » (trad. B. Sesboüé). Eunome, Ap 19 (58, 12–15) : « Ìson par†llaktai t‰ ÇgËnnhton pr‰c t‰ gennhtÏn, toso‹ton parhllàqjai deÿ ka» t‰ f¿c pr‰c t‰ f¿c ka» tòn zwòn pr‰c tòn zwòn ka» tòn d‘namin pr‰c tòn d‘namin ». Cf. Eun. III/X 19 (citation d’Eunome). Sur cette notion de l’homonymie, cf. en particulier B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 152–155. 171–174. Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.4 Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap : comparaison avec les réflexions sur l’Esprit, p. 101.

116

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Cette notion d’homonymie joue un rôle particulièrement sensible en Eun. I 617– 651. Grégoire répond dans ces paragraphes à une question souvent posée par les partisans d’Eunome et les ariens en général : «Celui qui est, comment est-il engendré ? » 145. L’explication de Grégoire souligne l’analogie entre la génération divine et la génération humaine : c’est en purifiant le concept de génération de toute pensée «peu élevée » (t¿n tapein¿n nohmàtwn) 146 que l’on peut atteindre une pensée qui convient à la grandeur de ce qui est cherché 147. Cette réponse de Grégoire met en évidence, par contraste, l’option anoméenne. De fait, Eunome et les néo-ariens accusent Basile et les nicéens de faire porter sur Dieu l’ensemble des significations du terme génération, tandis qu’ils rejettent de leur côté tout rapprochement entre la génération humaine et la génération divine, et placent sous le nom de génération appliqué à l’homme et à Dieu des significations absolument différentes 148, adaptées en fait au rang ontologique de l’homme et de la divinité. Là où Grégoire envisage une analogie, Eunome ne retient que l’homonymie. Conclusion Les noms, divinement révélés à l’homme, expriment la substance de ce qu’ils signifient. Cette affirmation assez rigide, qui dénie visiblement toute valeur à l’‚p–noia dans l’origine du langage, est assouplie par deux principes, la synonymie et l’homonymie. L’épistémologie d’Eunome, difficilement conciliable avec sa métaphysique pour ce qui concerne le nom ÇgËnnhtoc, se révèle cependant cohérente avec celle-ci du point de vue de l’homonymie, puisqu’à chaque réalité est lié un nom adapté, devant être compris selon le rang ontologique de la réalité ainsi désignée. Par ailleurs, l’ontologie d’Eunome se fonde sur trois substances principales produites les unes les autres par le biais d’activités ; à cette dépendance ontologique correspond maintenant, d’une certaine manière, une dépendance épistémologique, puisque la connaissance humaine n’est assurée qu’à travers la révélation par Dieu de noms qui désignent les substances et assurent ainsi la fiabilité du langage humain. Enfin, l’ontologie d’Eunome se caractérise par l’existence d’un être intermédiaire, le Fils, produit par Dieu et à l’origine des créatures ; de même, l’épistémologie de l’anoméen donne au langage humain une sorte de statut intermédiaire, puisque ce langage se compose de mots humains d’origine divine, de mots humains qui peuvent atteindre les sphères les plus hautes, jusqu’à l’inengendré.

145 Eun. I 618 : « Â

ªn p¿c gennêtai ; »

146 Eun. I 627. 147 Donc à la grandeur de Dieu : Grégoire reprend ici le thème bien précis des notions

jeoprepeÿc ; sur cette question, cf. G. May, Gregor von Nyssa und der Abschluss des trinitarischen Dogmas, note 89, p. 214–216. Sur cet emploi de l’analogie par Grégoire, cf. infra partie III, chapitre II, 3.5 Remise en cause de la connaissance de la substance divine : les conséquences épistémologiques de la distinction ktistÏn/äktiston, p. 299. 148 Eunome dans son Ap soulignait déjà l’importance de l’homonymie, affirmant qu’on ne pouvait appliquer à Dieu des considérations sur la génération humaine comme on ne peut appliquer à son activité démiurgique des considérations sur l’activité des hommes, cf. Eunome, Ap 16 (52, 1–12). L’examen du problème de la génération est intéressant, car chaque parti adresse à l’autre le même type de reproches. Eunome, et le texte de l’Ap est clair, accuse ses opposants d’attribuer à Dieu par le terme de génération des considérations charnelles. Grégoire, en Eun. I 619, oppose le même grief à Eunome et estime que l’accusation de l’anoméen est issue d’un mauvais emploi des mots, appliqués dans leur sens humain à la divinité. Si anoméens et orthodoxes concordent donc dans la même manipulation polémique des affirmations de l’adversaire, leur résolution du problème est différente, puisque Eunome opte pour l’homonymie et Grégoire pour l’analogie.

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

117

1.5 La méthodologie théologique proposée par Eunome 1.5.1 La résolution des doutes sur les substances et des doutes sur les activités Les premiers paragraphes du fragment 1, qui viennent d’être étudiés, ont permis à Eunome de présenter les éléments structurants de son système théologique, les substances ainsi que les activités et les noms qui leur sont liés. C’est une fois ce cadre bien défini qu’Eunome aborde aussitôt après, à la fin du fragment 1, différentes méthodes d’investigation théologique : Les choses étant ainsi, conservant par leur relation mutuelle l’enchaînement inviolable, il convient assurément que ceux qui poussent l’examen selon l’ordre connaturel aux choses et ne s’obstinent pas à tout embrouiller ni à tout confondre, si un doute quelconque au sujet des substances venait à être soulevé, accordent foi à ce qui est montré et résolvent ce qui est mis en doute à partir des premières activités contiguës aux substances, résolvent d’autre part le doute sur les activités à partir des substances, considèrent la descente des premières jusqu’aux deuxièmes comme la plus adaptée du moins et la plus efficace pour tout. 149

Une fois de plus, cette dernière partie du fragment 1 est soigneusement composée par Eunome et l’examen détaillé du texte original permet d’en faire ressortir les articulations principales :

o’tw d‡ to‘twn ‚qÏntwn ka» t¨ pr‰c ällhla sqËsei t‰n e…rm‰n Çparàbaton diathro‘ntwn. «Les choses étant ainsi » (o’tw d‡ to‘twn ‚qÏntwn). L’exposé précédent sur les trois premières substances, leurs productions successives, l’adéquation des activités à leurs œuvres constituent donc pour l’anoméen un cadre précis, au sein duquel les relations entre les êtres obéissent à des lois (un «enchaînement » : e…rmÏn) inviolables (Çparàbaton). Ainsi, les premiers éléments du fragment 1 n’apparaissent plus seulement comme un simple résumé des doctrines et opinions d’Eunome, mais comme un exposé philosophique, un enseignement métaphysique sur les principes premiers et nécessaires de l’univers. pros†kei d†pou toÃc (. . . ) tòn ‚xËtasin poioumËnouc : cet ordre du monde présenté par Eunome est contraignant. «Il convient assurément » (pros†kei d†pou). Ceux qui désirent pousser un examen doivent donc suivre une méthodologie bien précise 150. Eunome laisse entendre qu’il y aurait donc deux sortes de chercheurs : « katÄ tòn sumfu® toÿc pràgmasi tàxin », les chercheurs authentiques, ceux qui respectent l’ordre naturel des choses présenté par le fragment 1 ; « ka» mò f‘rein Âmo‹ pànta ka» sugqeÿn biazomËnouc », les chercheurs inexpérimentés, qui ne font qu’embrouiller (f‘rein) et confondre (sugqeÿn). La portée de ces deux défauts n’est pas très claire : que ne faut-il ni embrouiller ni confondre ? Mais Eunome poursuit et présente deux recherches théologiques possibles. 149 Eun. I 154 : « o’tw

150

d‡ to‘twn ‚qÏntwn ka» t¨ pr‰c ällhla sqËsei t‰n e…rm‰n Çparàbaton diathro‘ntwn, pros†kei d†pou toÃc katÄ tòn sumfu® toÿc pràgmasi tàxin tòn ‚xËtasin poioumËnouc ka» mò f‘rein Âmo‹ pànta ka» sugqeÿn biazomËnouc, e  m‡n per» taÿc oŒs–aic kinoÿtÏ tic Çmfisb†thsic, ‚k t¿n pr∏twn ka» proseq¿n taÿc oŒs–aic ‚nergei¿n poieÿsjai t¿n deiknumËnwn tòn p–stin ka» t¿n ÇmfisbhtoumËnwn tòn diàlusin, tòn d‡ ‚p» taÿc ‚nerge–aic Çmfibol–an dial‘ein ‚k t¿n oŒsi¿n, ÅrmodiwtËran ge mòn ka» toÿc pêsin ÇnusimwtËran ôgeÿsjai tòn Çp‰ t¿n pr∏twn ‚p» tÄ de‘tera kàjodon. » pros†kei commande dans le texte les trois infinitifs qui suivent (poieÿsjai, dial‘ein, ôgeÿsjai) : tous les actes

d’une étude théologique selon Eunome, ainsi que son évaluation, découlent de l’ordre fondamental précédemment exposé.

118

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Première recherche, doute sur les substances

e  m‡n per» taÿc oŒs–aic kinoÿtÏ tic Çmfisb†thsic. La première recherche concerne les substances (oŒs–ai) mais son objet semble rester extérieur à celles-ci (per» taÿc oŒs–aic) 151, n’en toucher que la périphérie et non ce qu’elles sont elles-mêmes. Cet aspect paraît conforme à l’épistémologie d’Eunome, selon laquelle la connaissance des substances n’est connue que par révélation et non par spéculation, et ne saurait donc être directement atteinte par une recherche intellectuelle 152. ‚k t¿n pr∏twn ka» proseq¿n taÿc oŒs–aic ‚nergei¿n. La recherche sur les substances s’appuie sur certaines activités. Celles-ci sont en effet hiérarchisées et se surpassent l’une l’autre (ÇnabebhkËnai) selon les qualités de leurs œuvres 153, si bien que les doutes sur les substances devront être abordés à partir des premières activités (‚k t¿n pr∏twn) contiguës aux substances. Cette première recherche théologique donne donc lieu à une première méthode théologique, qui apparaît ascendante à double titre : en tant qu’elle recherche les activités les plus hautes, pour conclure à partir d’elles sur la substance d’origine 154. poieÿsjai t¿n deiknumËnwn tòn p–stin ka» t¿n ÇmfisbhtoumËnwn tòn diàlusin : cette voie d’investigation aboutit à un double résultat. Elle permet d’une part de résoudre des doutes sur les substances (t¿n ÇmfisbhtoumËnwn tòn diàlusin), mais elle demande aussi l’adhésion de foi (t¿n deiknumËnwn tòn p–stin), sans doute parce que la substance (oŒs–a) échappe aux investigations de l’‚p–noia, ou parce que les activités, celles au moins de la première substance, n’entretiennent pas non plus de lien ontologique avec leurs substances d’origine 155, si bien qu’il n’est pas possible, à partir d’elles, de conclure sur la substance elle-même, sur ce qu’elle est : la recherche reste périphérique à la substance (per» taÿc oŒs–aic). Deuxième recherche, doute sur les activités

tòn d‡ ‚p» taÿc ‚nerge–aic Çmfibol–an dial‘ein ‚k t¿n oŒsi¿n. Le deuxième doute concerne les activités (‚p» taÿc ‚nerge–aic) et sa résolution prend cette fois son point de départ à partir des substances (‚k t¿n oŒsi¿n). Cette deuxième recherche théolo151 Le deuxième sujet de recherche présenté par Eunome concerne les activités, présenté cette fois par

‚p» taÿc ‚nerge–aic. La variation des prépositions laisserait supposer deux niveaux de recherche possible, extérieur pour les substances, plus intime pour les activités.

152 K.-H. Uthemann, «Die Sprache der Theologie nach Eunomius von Cyzicus », p. 154–158, propose une autre

explication, fondée plutôt sur le rapport substance-activité dans le système eunoméen. L’auteur désigne en effet par corrélation axiologique (axiologische Korrelation) le rapport chez Eunome entre être et agir (Sein und Wirken), qui remplacerait toute corrélation ontologique, en échec quand il s’agit de la production du Fils (œuvre de la volonté) et de la production du monde (qui ne saurait être éternel comme Dieu), cf. p. 154– 156 ; K.-H. Uthemann conclut alors, p. 158 (à propos de la deuxième méthode théologique, celle qui part des activités) : «Darum aber kann man diese zweite Methode nicht (. . .) mit dem platonisch-aristotelischen «Rückschlußverfahren » über die Werke zu deren Wirkursachen und letztlich zur absoluten Ursache gleichsetzen : Denn dieses kann sie für Eunomius «letztlich » nicht leisten. » Une telle explication pourrait compléter assurément celle fondée sur des motifs épistémologiques, mais l’ ‹axiologische Korrelation › évoquée par l’auteur ne paraît vraiment assurée que dans le cas de l’inengendré, et non pour les autres substances du système d’Eunome, dont la séparation avec l’activité ne semble pas aussi nette. 153 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.3.1 Précisions sur le rapport activité-œuvre, p. 104. 154 Cf. K.-H. Uthemann, «Die Sprache der Theologie nach Eunomius von Cyzicus », p. 157 : «ein entsprechender Aufstieg ». 155 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.3.2 Précisions sur le rapport substance-activité, p. 106–107.

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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gique donne lieu à une deuxième méthode théologique qui, contrairement à la première, s’avère descendante (Çp‰ t¿n pr∏twn ‚p» tÄ de‘tera kàjodon), partant des substances pour conclure sur les activités. C’est ce qui en fait la force, car les substances sont connues en ce qu’elles sont, ce qui permet de résoudre (dial‘ein) à partir d’elles l’incertitude sur les activités. Cette deuxième voie, Eunome le souligne bien, est vraiment la plus adaptée et la plus efficace pour tout (ÅrmodiwtËran ge mòn ka» toÿc pêsin ÇnusimwtËran). Le fragment 1, qui a tant insisté sur les substances et les activités qui les suivent, s’achève ainsi par un exposé méthodologique : comment résoudre deux problèmes théologiques différents. À chaque question correspond une recherche appropriée, qui part des activités pour les substances, des substances pour les activités. Les fondements justificatifs de ces deux approches sont les relations naturelles et inviolables, exposées au début du fragment 1. Cependant, ces deux problèmes théologiques, qui apparaissent ici en parallèle, sont en fait étroitement liés et imbriqués l’un dans l’autre, si bien qu’il est possible d’interpréter cette dernière partie du fragment 1 comme la résolution non de deux questions théologiques mais d’une seule, qui part des substances et s’achève aux substances par le biais des activités. La résolution d’une question sur les substances se déroulerait donc en deux temps : 1. recherche initiale des activités premières et contiguës ; 2. celles-ci trouvées, résolution du problème en les éclairant par la substance. La solution du problème dépend donc ultimement de la substance elle-même, et non de l’activité, qui n’apparaît finalement que comme un moyen terme du raisonnement 156. Assurément, la démarche présentée ainsi demeure assez abstraite, mais le fragment 2 157 va permettre de voir très concrètement comment Eunome met en pratique cette méthodologie pour résoudre une question, la question de la controverse : y a-t-il similitude du Fils avec l’inengendré ? Il convient cependant, avant d’aborder ce fragment 2, de comparer cette fin du fragment 1 avec un texte très proche de l’Ap. 1.5.2 Comparaison avec Ap 20 La présentation de l’Ap a permis de souligner les deux lectures ou entrées possibles de celle-ci 158, l’Ap pouvant être abordée soit comme un commentaire du symbole de foi présenté au chapitre 5, soit comme une investigation théologique menée selon deux voies, voie des substances et voie des activités. Ces deux voies de la théologie sont exposées au chapitre 20 de l’Ap : Avant tout, nous semble-t-il, ceux qui ont osé comparer la substance exempte de toute dépendance, supérieure à toute cause et libre à l’égard de toutes lois, à celle qui est engendrée et sert sous les lois paternelles

156 De fait, l’activité peut-elle apporter la réponse ultime ? Comme il a été vu, l’activité reste extérieure à la sub-

stance, au moins ontologiquement dans le cas de la première substance ; plus généralement et d’un point de vue épistémologique, la substance n’est connue que par révélation /initiation divine et non par les activités. L’inverse n’est pas vrai : la substance parfaitement connue peut permettre de résoudre un doute sur l’activité, aussi cette deuxième approche est-elle à juste titre la plus adaptée et la plus efficace (ÅrmodiwtËran ge mòn ka» toÿc pêsin ÇnusimwtËran). 157 Cf. infra partie II, chapitre I, 2 Le fragment 2 : la résolution du problème de la similitude, p. 121s. 158 Cf. supra partie I, chapitre I, 2.1 L’Ap d’Eunome et sa réfutation par Basile, p. 34.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

n’ont absolument pas pris en considération la nature de l’univers, ou bien ils ne forment pas leurs jugements sur ces questions avec une pensée pure. Car deux voies nous sont tracées pour découvrir ce que nous cherchons : l’une où nous examinons les substances elles-mêmes et où nous jugeons de chacune selon la raison pure qui les vise ; l’autre procède par l’examen des activités et nous en jugeons à partir des œuvres créées et des effets ; il n’est pas possible de découvrir que l’une des deux voies énoncées montre à l’évidence la similitude de la substance. 159

La comparaison de ce texte avec celui de l’AA, rédigé plus de dix années après, ne manque pas d’intérêt, car elle permet de relever de nombreux points communs, mais aussi des différences. Les points communs. Ce texte de l’Ap est centré lui aussi sur l’étude d’un problème théologique et Eunome définit deux méthodes de résolution (dueÿn gÄr ômÿn tetmhmËnwn Âd¿n) 160, une centrée sur les substances, l’autre sur les activités, avec le parallélisme miêc mËn/ jatËrac dË 161. Cette recherche n’aura de valeur que si elle est effectuée conformément à la nature de l’univers (tòn t¿n Ìlwn f‘sin) et avec une pensée pure (kajarî t¨ diano–¯) 162. Les différences. L’AA propose deux cas de recherche théologique, l’un concernant les substances, l’autre les activités, mais sans préciser les objets de la recherche. L’Ap au contraire envisage un cas unique et parfaitement déterminé, celui de la similitude de l’inengendré avec l’engendré. Ce problème peut être résolu, selon l’Ap, par deux méthodes différentes, qui permettent chacune d’aboutir au même résultat. L’AA au contraire ne propose pour chaque question théologique qu’une seule voie, dont les résultats n’ont pas même portée : si les substances permettent de résoudre les doutes sur les activités, celles-ci n’atteignent que la périphérie de la substance. Le parallélisme des voies établi par l’Ap disparaît donc un peu. Par ailleurs, les deux méthodes avancées par l’Ap sont assez spécifiques et nettement distinctes l’une de l’autre, puisque l’une ne vise que la substance (tÄc oŒs–ac aŒtÄc ‚piskopo‘menoi), tandis que l’autre concerne seulement les activités (t®c diÄ t¿n ‚nergei¿n ‚xetàsewc), sans les «interférences » qui caractérisent l’AA (étude de la substance par les activités, étude des activités par les substances). Enfin, l’Ap fait intervenir explicitement les notions d’œuvres et résultats (dhmiourghmàtwn ka» t¿n Çpotelesmàtwn), qui n’apparaissent pas explicitement dans la méthodologie du fragment 1 163. Pourtant, ces divergences entre l’Ap et l’AA ne semblent pas devoir être forcées. Comme il a été vu, les deux questions théologiques exposées par le fragment 1 peuvent 159 Eunome, Ap 20 (58, 1–10) : « >Arqòn

160

d‡ doko‹sin ômÿn o… tòn ÇdËspoton ka» pàshc m‡n a t–ac kre–ttona, pàntwn d‡ nÏmwn ‚leujËran oŒs–an t¨ gennht¨ ka» nÏmoic patrikoÿc douleuo‘s˘ sugkrÿnai tolm†santec mhd+ Ìlwc tòn t¿n Ìlwn ‚peskËfjai f‘sin, £ mò kajarî t¨ diano–¯ tÄc per» to‘twn poieÿsjai kr–seic. dueÿn gÄr ômÿn tetmhmËnwn Âd¿n pr‰c tòn t¿n zhtoumËnwn e’resin, miêc m‡n kaj+ õn tÄc oŒs–ac aŒtÄc ‚piskopo‘menoi, kajarƒ tƒ per» aŒt¿n lÏg˙ tòn ·kàstou poio‘meja kr–sin, jatËrac d‡ t®c diÄ t¿n ‚nergei¿n ‚xetàsewc, õn ‚k t¿n dhmiourghmàtwn ka» t¿n Çpotelesmàtwn diakr–nomen, oŒdetËran t¿n e rhmËnwn eÕreÿn ‚mfainomËnhn tòn t®c oŒs–ac ÂmoiÏthta dunatÏn. » (trad. B. Sesboüé). Cf. de même le fragment 1 : kàjodon.

161 Le fragment 1 propose lui aussi deux voies , l’une à partir des substances, l’autre à partir des activités, avec le

parallélisme e  mËn/tòn dË. 162 Cela rappelle les deux conditions énoncées par le fragment 1 pour une recherche fructueuse : pousser l’exa-

men selon l’ordre naturel des choses (katÄ tòn sumfu® toÿc pràgmasi tàxin) et ne pas s’obstiner à tout embrouiller ou à tout confondre (mò f‘rein Âmo‹ pànta ka» sugqeÿn), c’est-à-dire raisonner avec une pensée pure. 163 De fait, Eun. I 154 ne fait aucune mention explicite d’œuvres ou de produits.

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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en fait se réduire à une seule (une sur les substances) et rejoindre ainsi la problématique de l’Ap. La notion d’œuvre n’est pas non plus complètement absente de la fin du fragment 1, car ce sont elles qui permettent de déterminer le plus ou moins des activités et donc de les juger, comme le propose l’Ap. Réciproquement, l’Ap n’ignore pas une connaissance de l’activité à partir de la substance, s’accordant en cela avec l’AA 164, si bien que les deux voies de l’Ap peuvent ainsi se réduire à une seule, qui part des substances pour aboutir aux substances par le biais des activités, comme dans l’AA 165. Il semblerait donc excessif de majorer les différences. La méthodologie exposée dans le fragment 1 revêt un caractère plus général et universel, simplement parce qu’elle est homogène avec l’ensemble de ce fragment de caractère abstrait, contrairement à l’Ap 20 centrée sur l’unique problème de la similitude. Eunome, qui parle ainsi de façon plus générale, se ferait en même temps moins polémique, comme il a déjà été possible de le remarquer 166. La méthodologie du fragment 1 paraît aussi moins arbitraire que celle présentée en Ap 20, puisqu’elle tient compte plus explicitement des relations naturelles qui caractérisent les êtres : les réflexions du début de ce fragment ont des résultats sensibles. Les motifs de cette nouvelle présentation sont sans doute à chercher dans l’application faite par Eunome de cette méthodologie. Les fragments 1 et 2, on s’en souvient, font partie d’un ensemble, qui ne vise qu’à exercer le lecteur et à le préparer aux questions cruciales, celles sur l’inengendré, l’altérité ou l’identité de la substance. Le fragment 1, en commençant par un exposé extrêmement concis des principes ultimes, a jeté les fondements d’une saine méthodologie. Celle-ci est aussitôt mise en application dans le fragment 2, qui aborde justement les questions cruciales. Les véritables motifs d’Eunome vont donc certainement apparaître à travers l’étude du fragment 2. 2 Le fragment 2 : la résolution du problème de la similitude 2.1 Place dans le Eun. I et teneur du fragment 2 Le texte du Eun. I n’est malheureusement pas complet et une grande lacune fait perdre la fin du chapitre XXIX, le chapitre XXX en son entier et le début du chapitre XXXI de l’œuvre de Grégoire. Le paragraphe Eun. I 438 (au ch. XXIX) s’interrompt de fait brusquement, alors que le Cappadocien achève la réfutation du fragment 1, tandis que le numéro suivant Eun. I 439 traite d’un nouveau thème, absent du fragment 1 et corres164 Ap 20 se poursuit effectivement avec une mise en application concrète, pour résoudre la question de la

similitude avec l’inengendré. Eunome en Ap 20 (58, 10–60, 15) utilise la première voie, celle centrée sur la substance, et remarque alors : « ÇkÏloujon ka» pros†kousan tƒ t®c oŒs–ac Çxi∏mati parËqousa noeÿn ka» tòn ‚nËrgeian. (elle [la substance inengendrée] permet de penser aussi son activité selon ce qui convient à la dignité de cette substance.) » (trad. B. Sesboüé légèrement modifiée). 165 De fait, la précision d’Eunome (cf. note précédente) fait comprendre l’enchaînement logique de son raisonnement : la supériorité du Monogène sur le Paraclet permet à Eunome d’affirmer la supériorité de l’activité de l’inengendré sur celle du Monogène (conformément à la deuxième voie énoncée) ; mais Eunome en déduit alors la différence de substance entre l’inengendré et le Monogène, conclusion qui ne peut se comprendre que par l’incise d’Eunome : l’activité de l’inengendré correspond à sa dignité (cf. Ap 20 (60, 17–19) : « kÇk

t®c to‹ monogeno‹c Õperoq®c tòn t®c ‚nerge–ac diaforÄn pisto‘menoc, Çnamfisb†thton lambànei ka» t®c kat+ oŒs–an parallag®c tòn ÇpÏdeixin »). La deuxième voie d’Eunome se réduit donc finalement à la première, une résolution du problème à partir de la substance : cf. sur ce point les remarques de Th. Dams, La Controverse eunoméenne, p. 41–42, reprises et confirmées par B. Sesboüé, Saint Basile et la Trinité, p. 26–27. 166 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.4 Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap : conclusion, p. 102–103.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

pondant au titre du chapitre XXXI 167. La lacune semble alors pouvoir être reconstruite ainsi : Grégoire a poursuivi et conclu dans les chapitres XXIX et XXX la réfutation du fragment 1 168 et a abordé avec le chapitre XXXI la réfutation d’un nouveau thème de l’AA, le fragment 2 169. Grégoire a suivi très vraisemblablement une méthode analogue à celle adoptée pour le fragment 1 et a sans doute cité le nouveau fragment in extenso (probablement au début du ch. XXXI) pour le reprendre ensuite par parties dans sa réfutation. La lacune fait perdre cette citation initiale, si bien que le fragment 2 ne peut être reconstitué qu’à partir des citations partielles qui jalonnent la réfutation. Celles-ci sont au nombre de deux : Eun. I 446 : il [Eunome] dit, comme contraint par une quelconque nécessité, se détourner des œuvres de la Providence et remonter au mode de la génération, parce que, dit-il, le mode de la similitude suit le mode de la génération. 170 Eun. I 461 : parce que, dit-il, est indiqué par la dignité naturelle de celui qui a engendré le mode de la génération. 171

Si, comme le remarque Grégoire, les expressions d’Eunome ne sont pas directement claires 172, la similitude recherchée ne laisse guère d’ambiguïté : il s’agit de celle du Père avec le Fils 173. 2.2 Interprétation du fragment 2 Le raisonnement conduit par Eunome au long du fragment 2 n’est pas aisé à reconstruire dans le détail, mais les citations de ce fragment permettent de le reconstituer dans ses grandes lignes : 1. la similitude n’est pas indiquée par les œuvres de la Providence, mais par la génération ; 2. le mode de la génération est indiqué par la dignité de celui qui engendre. L’objet du raisonnement d’Eunome, qui concerne la similitude du Père avec le Fils, ne vise donc pas les substances en elles-mêmes. Il ne s’agit pas de dire ce qu’est le Père ou ce qu’est le Fils, mais uniquement de déterminer s’ils sont semblables ou pas. Eunome résout cette question en deux temps, et il est possible, à travers ces deux étapes du raisonnement, de reconnaître les principes méthodologiques exposés à la fin du fragment 1. 167 Cf. la capitulation :

la' ìOti …kan† ‚stin e c gn¿sin t®c katÄ tòn oŒs–an taŒtÏthtoc ô diÄ t®c prono–ac

katanÏhsic. 168 Le titre du ch. XXX laisse entendre que Grégoire achève la réfutation de la fin du fragment 1 et, plus généra-

lement, de tout ce fragment : l' ìOti oŒde»c Ísti lÏgoc jek‰c  tÄ toia‹ta zhteÿn kele‘wn; ‚n ≈ kateskeuàsjh

ka» t‰ màtaion t®c ‚n to‘toic filosof–ac. 169 Cf. R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, note 29, p. 102. 170 Eun. I 446 : « ±c ‚x Çnàgkhc tin‰c biasje»c Çpost®nai m‡n lËgei t¿n 171 172

t®c prono–ac Írgwn, Çnaqj®nai d‡ ‚p» t‰n t®c genn†sewc trÏpon, diÄ t‰ Çkoloujeÿn, fhs–, tƒ t®c genn†sewc trÏp˙ t‰n trÏpon t®c ÂmoiÏthtoc. » Eun. I 461 : « diÄ t‰ t¨ fusik¨, fhs–, to‹ genn†santoc Çx–¯ de–knusjai t‰n t®c genn†sewc trÏpon. » Cf. Eun. I 451 : « t– gÄr deÿ no®sai genn†sewc trÏpon Çko‘santa (Car que faut-il comprendre quand on entend

parler de mode de génération) ». Grégoire propose différentes solutions (aspect du vivant, instinct, développement de l’embryon, etc.), énumération sophistique et témoin des connaissances médicales de son temps. 173 Cf. Eun. I 458 : « t– ofin t‰ zhto‘menon ™n; t‰ deÿn katÄ tòn oŒs–an Âmo–wc £ Çnomo–wc Íqein tƒ patr» t‰n u…‰n Âmologeÿsjai (Quel était donc l’objet de la recherche ? Devoir confesser que le Fils est semblable ou dissemblable au Père selon la substance) ».

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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1. La question sur la similitude apparaît comme une question per» taÿc oŒs–aic, conforme au premier type d’étude théologique 174, et Eunome propose en toute cohérence une approche à partir des activités. Quelles sont alors les premières activités, contiguës aux substances, à partir desquelles il sera possible d’aborder le problème ? Cette première activité est la génération pour Eunome, non la Providence, et cette réponse se comprend bien. De fait, la Providence ne concerne que les créatures produites par le Fils, donc inférieures au Fils, tandis que la génération vise le Fils lui-même 175. Dès lors, puisque d’après le système d’Eunome, le rapport entre les activités doit correspondre au rapport entre les œuvres, la génération ne peut être qu’une activité supérieure et première par rapport à la Providence 176, et c’est donc elle qui va trancher la question de la similitude du Père et du Fils, non les œuvres de la Providence. 2. L’étude se poursuit donc par une recherche du deuxième type, une recherche sur une activité ; conformément à la méthodologie du fragment 1, Eunome effectue sa recherche à partir de la substance. La dignité de la substance qui a engendré indique le mode de génération, et cette dignité est l’agennésie (Çgennhs–a) pour Eunome 177. La question de la similitude se trouve alors résolue de façon presque algébrique : l’inengendré, parce qu’inengendré, ne peut être que dissemblable avec tout ce qui résulte d’une génération ; le mode de génération de l’inengendré ne peut donc déboucher que sur la dissimilitude. Le Père et le Fils sont dissemblables 178. Ce raisonnement du fragment 2 s’accorde ainsi très bien avec les principes développés dans le fragment 1 et permet finalement d’en comprendre pleinement tous les motifs. L’ensemble constitué par les fragments 1 et 2 ne semble appartenir qu’à un unique mouvement de l’AA, une unique ascension vers l’affirmation de la dissemblance. Tout l’exposé de l’ordre du monde et des relations nécessaires entre les êtres permet à Eunome de bâtir une méthodologie théologique, qu’il emploie pour résoudre la question de la similitude, dont le terme clef s’avère le concept d’agennésie. Parallèlement, Eunome peut contrer par avance les objections qui pourraient lui être faites et rejeter toute démonstration de la similitude fondée sur l’identité des activités du Père et du Fils, comme la Providence 179 : le caractère second de ces activités par rapport à la génération leur retire tout rôle dirimant dans la résolution de la question. Oui, Eunome a donc tenu parole et ses préparatifs ont bien atteint leur but : à travers les bribes de l’AA transmises par les fragments 1 et 2, il apparaît qu’Eunome n’a 174 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.5.1 La résolution des doutes sur les substances et des doutes sur les activités :

première recherche, doute sur les substances, p. 118. 175 Pour reprendre l’énumération donnée par Eunome lui-même (cf. Eun. I 153), la Providence ne concerne que

les anges, les étoiles, le ciel ou bien l’homme. 176 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.3.1 Précisions sur le rapport activité-œuvre, p. 103–105, et la conclusion du

syllogisme de Eun. I 152 : la différence des activités correspond à celle qu’auront leurs œuvres. 177 Cf. Eun. I 470 : « E c

poÿon ofin sumfu‡c Çx–wma to‹ patr‰c blËpwn di+ ‚ke–nou t‰n t®c genn†sewc trÏpon Çnalog–zetai; e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ. (Quelle sorte de dignité connaturelle vise-t-il pour conjecturer

par celle-ci du mode de la génération ? Vers l’agennésie, dira-t-il assurément.) » De fait, la première substance se caractérise par le fait de ne dépendre d’absolument aucune cause, cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.2 Le rapport des substances entre elles, p. 94. 178 C’est Grégoire qui offre lui-même la conclusion de tout le raisonnement, cf. Eun. I 473 : « ka» diÄ t– mÏnon

sumfu‡c Çx–wma tòn Çgennhs–an ‚p» to‹ patr‰c dogmat–zousi, tÄ loipÄ parwsàmenoi; —na t¨ pr‰c t‰ gennht‰n Çntidiastol¨ t‰n t®c ÂmoiÏthtoc kakourg†swsi trÏpon (Et à cause de quoi enseignent-ils l’agennésie du Père comme unique dignité connaturelle, en excluant les autres ? Afin de maltraiter par l’opposition avec ‹engendré › le mode de la similitude) ». 179 C’est justement l’objection faite immédiatement par Grégoire, cf. Eun. I 440s.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

pas immédiatement proposé le cœur de sa doctrine à des oreilles inexercées, mais qu’il a d’abord donné les fondements de sa théologie, pour mieux «discuter l’altérité ou l’identité de la substance » 180, pour mieux parler de l’inengendré. 3 Conclusion L’étude des fragments 1 et 2, du fragment 1 spécialement, a permis de passer en revue les thèmes majeurs et structurants de la doctrine eunoméenne. Le système ontologique d’Eunome est fondé sur trois substances, qu’il ne nomme pas mais qu’il est aisé d’identifier avec le Père, le Fils et le Saint Esprit. Ces substances entretiennent entre elles des relations précises. La première substance est caractérisée comme la plus haute et la plus authentique (Çnwtàtw ka» kuriwtàth), puisqu’elle n’est le produit d’aucune substance supérieure. La troisième est le produit de la première par l’intermédiaire de la seconde ; elle est clairement subordonnée à celles-ci (ÕpotattomËnh), sans être coordonnée à aucune d’elles (mhdemiî to‘twn suntattomËnh). La seconde tient un rang particulier qu’il importe de bien souligner. Elle est le produit direct de la première et occupe dès lors une place intermédiaire, en tant qu’elle est après (metà) la première mais avant toutes les autres (pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘sh). Ces substances sont dotées de propriétés (ie puissance, simplicité, unité), qui sont proportionnelles à leur rang. Ces principes, énoncés précisément dans le fragment 1 pour les trois premières substances, peuvent en fait être généralisés à l’ensemble des êtres, conformément aux éclaircissements fournies par l’Ap. En reprenant les termes plus habituels de Père, Fils et Esprit, il est possible de dire que le Fils est le résultat de l’activité du Père tandis que tous les autres êtres sont les résultats des multiples activités créatrices du Fils, qui agit sous le commandement du Père ; parmi ces êtres produit par le Fils, l’Esprit tient une place toute particulière et unique en son genre. Comme il a été vu, le statut ontologique de l’activité n’est pas clairement défini et seule l’Ap a permis de préciser dans le cas de la première substance l’identité entre activité et volonté. Père désigne alors le Dieu tout-puissant en tant qu’il agit, tandis qu’inengendré désigne sa substance. À chaque substance est attaché de manière connaturelle un nom. Ici encore, le fragment 1 est peu explicite et seul le reste de l’œuvre d’Eunome permet d’éclaircir cette notion. Le nom est étroitement lié à la substance, si bien que deux noms différents manifestent deux substances différentes. La simplicité de la substance divine entraîne la synonymie des noms qui s’y rapportent, de même que le rang ontologique varié de chaque substance entraîne l’homonymie de leurs noms (cf. le mot lumière, dit de façon homonyme du Père, du Fils, des hommes, de la création). C’est à partir de ce cadre à la fois métaphysique et épistémologique qu’Eunome propose deux méthodes d’investigation théologique, adaptées soit à la substance, soit à l’activité. Le problème de la similitude du Fils avec le Père permet d’en faire aussitôt l’application dans le fragment 2. Cette question ne peut ainsi être résolue qu’à partir de la génération du Fils par le Père, dont la substance inengendrée exclut alors toute similitude.

180 Eun. I 475 : « tòn

t®c oŒs–ac ·terÏthta jruleÿn £ taŒtÏthta ».

Chapitre I : Nature des fragments 1 et 2

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Les fragments 1 et 2 ont donc effectivement préparé les lecteurs aux affirmations théologiques fondamentales d’Eunome : l’inengendré comme substance, l’altérité de la substance du Père et du Fils. Cependant, par-delà cet aspect préparatoire et général, ces deux premiers fragments de l’AA se révèlent aussi et peut-être surtout comme l’exposé abstrait d’une doctrine trinitaire subordinatianiste. Au sommet de la triade se tient le Père inengendré, qui tient un rang absolument incomparable du fait de l’indépendance ontologique de sa substance : il ne doit son être à aucune activité, ne dépend de rien et se distingue ainsi radicalement des autres êtres, résultats d’une activité. L’Esprit (la troisième substance) occupe la dernière place de la Triade et se trouve clairement subordonné au Père et au Fils, ce qui rapproche ici Eunome des déclarations pneumatomaques. Le Fils enfin (la deuxième substance), apparaît dans un état intermédiaire. Son statut particulier pourrait en fait être caractérisé par deux principes d’Eunome : assurer au Fils la suprématie sur toute créature en ne l’assimilant à aucune d’entre elles ; assurer au Père inengendré la primauté en tout en ne lui donnant aucun égal. Il est pour finir un dernier point à préciser. Si Eunome présente dans les fragments 1 et 2 un enseignement homogène à celui de l’Ap rédigée plus de dix années auparavant, comment interpréter les divergences qu’il a été possible de relever : le silence sur les noms de Père, Fils et Esprit ; le caractère très abstrait du fragment 1, qui tranche avec la profession de foi inaugurale de l’Ap ; la place si importante donnée au rapport œuvreactivité ; les différences méthodologiques avec Ap 20 ? Certains ont pu parler d’hésitations d’Eunome 181, mais il semble plus décisif de tenir compte ici de la réfutation de Basile : c’est à cette réfutation que veut répondre l’AA et Eunome ne pouvait pas ne pas tenir compte des critiques du Cappadocien. Trois points peuvent illustrer ce fait. Le premier a déjà été plusieurs fois évoqué ; Eunome veut répondre dans les fragments 1 et 2 à l’accusation lancée par Basile et exercer ses lecteurs à la doctrine de l’inengendré. Cette approche différente, qui devait nécessairement passer sous silence les termes si contestés comme ÇgËnnhtoc ou Çgennhs–a, ne pouvait qu’avoir des répercussions sur la présentation choisie par Eunome : l’anoméen aura choisi un vocabulaire plus neutre et évité des concepts trop polémiques. Le second point concerne la méthodologie théologique. Eunome en Ap 20 prétendait résoudre la question de la similitude à l’aide des activités, mais Basile, dans sa réfutation, a critiqué toute prétention de connaître ainsi la substance 182, ce qui pourrait expliquer certains correctifs apportés par Eunome dans son AA (les activités n’atteignent que la périphérie de la substance). Par ailleurs, Basile déniait à Eunome la possibilité de connaître la substance de Dieu 183 : Eunome, pour ne pas donner prise à ces critiques, éviterait alors d’énoncer une voie centrée uniquement sur la connaissance de la substance, comme en Ap 20, mais lierait étroitement substances et activités dans ses raisonnements. Enfin, cette nouvelle approche d’Eunome, tout en étant à l’abri des attaques antérieures de Basile, lui permet de souligner ce qui l’oppose à celui-ci. De fait, Basile raisonne avant tout à partir des voies de la Providence tandis que la substance 181 Cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 125, interprétant les remarques de E. Vandenbussche, «La part de la

dialectique », p. 67. Selon B. Pottier, Eunome serait passé du premier pôle du néo-platonisme (celui de l’absolue transcendance de l’Un) au second (celui des trois hypostases qui sont principes). En fait, le rôle des fragments 1 et 2 dans l’AA peut expliquer à lui seul le silence sur la notion d’inengendré et rendre compte de ce que B. Pottier appelle hésitations. 182 Cf. Basile, adv. Eun. II 32. 183 Pour Basile, la substance de la terre elle-même nous est inconnue, cf. Basile, adv. Eun. I 12–14.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

reste pour lui absolument inconnaissable ; Eunome au contraire raisonne à la fois à partir des substances et à partir des activités, et affirme la supériorité des réflexions fondées sur les premières, ce qui est directement contradictoire avec les affirmations de Basile 184. Le troisième et dernier point concerne l’ontologie scalaire exposée au début du fragment 1. Une telle approche s’offrait presque d’elle-même à Eunome. En effet, toutes ses considérations sur les substances et leur production par des activités sont étroitement liées avec celles d’Ap 21–24, chapitres qui n’ont pas été systématiquement réfutés par Basile 185. Ce «blanc » laissé par le Cappadocien laissait donc le champ libre à Eunome pour exposer et développer ses principes 186. L’ensemble constitué par les fragments 1 et 2 ne manque ni d’allure ni d’élégance, il faut le reconnaître, et Eunome a eu vraisemblablement quelque succès. Le style du fragment 1 en impose tout particulièrement par sa solennité et l’ampleur de la présentation ; Eunome expose en quelques phrases très concises une explication métaphysique suprême, un ordre universel des êtres, si bien que le tout semble relever plutôt du style des grands traités philosophiques que des ouvrages trinitaires polémiques. Cette dernière remarque amène inévitablement la question des sources d’Eunome : sous quelles influences a-t-il composé cette doctrine du fragment 1 et des trois premières substances ?

184 Cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-arianism, p. 454. 185 De fait, Basile dans son Contre Eunome ne cite jamais les chapitres 21–24, alors qu’il le fait minutieusement

pour les autres parties de l’œuvre, ce qui a même laissé supposer un moment l’inauthenticité eunomienne de ces chapitres : cf. les explications de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 1, p. 53–55. Cela ne veut pas dire que Basile ait ignoré ces réflexions d’Eunome, cf. Basile, adv. Eun. I 24. 186 M.-R. Barnes, «The Background and Use of Eunomius’ Causal Language », p. 219, souligne aussi, et avec raison, la place plus importante (plus franche, «forthrightly ») de la séquence oŒs–a, ‚nËrgeia, Írga dans l’AA par rapport à l’Ap, sans cependant en donner de justification.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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Chapitre II Les sources d’Eunome Grégoire évoque de nombreuses fois au cours du Eun. les influences ayant pu agir sur Eunome. Selon le Cappadocien, Eunome est disciple d’Aristote et de ses méthodes de syllogisme 1 ; lui et ses partisans sont de nouveaux stoïciens 2 voire de simples athées épicuriens 3 ; Eunome est un Phèdre platonicien 4, un connaisseur du Cratyle 5 qui aime faire résonner les beaux mots de Platon 6, bref c’est un fidèle de l’hellénisme 7. Eunome est présenté aussi comme un adepte du judaïsme 8, qui ne fait que reprendre Philon et le discours juif 9. Par ailleurs, l’anoméen est rapproché des orientations doctrinales de Montan et Marcion 10, il est censé suivre Mani, Nicolas ou Colouthos 11. Eunome, bien sûr, est aussi disciple d’Arius 12 et d’Aèce 13 ; sa doctrine s’apparente enfin à celle de Sabellius 14. Grégoire semble donc vouloir être assez exhaustif et embrasser le plus grand nombre de courants doctrinaux litigieux, si bien qu’Eunome apparaît finalement tributaire de sinistres figures, corrompu par des mouvements tenus la plupart pour néfastes et que l’on pourrait réunir sous quatre groupes : les doctrines gnostiques, la philosophie, la tradition arienne et le judaïsme. Assurément serait-il de mauvaise méthode de prendre ces affirmations de Grégoire littéralement : toutes ses accusations, qui dotent Eunome de filiations peu recommandables, sont inconciliables en un seul homme 15 et relèvent avant tout de la diatribe et des procédés hérésiologiques 16. Athanase s’y livre généreusement à propos d’Arius 17 et, inversement, il est possible de rencontrer des accusations similaires lancées par 1 Cf. Eun. I 46. 55 (Aèce le maître d’Eunome est initié aux syllogismes d’Aristote) ; Eun. II 620 ; Eun. III/V 6 ;

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III/VII 15 (Aristote et les proches d’Eunome mis en parallèle) ; III/X 50. De même Basile, adv. Eun. I 5 (172, 43), I 9 (200, 8s) ; Philostorge, h.e. III 15 (45, 1–3) (le maître d’Aèce s’appelait Paulin) ; Socrate, h.e. II, XXXV 6 ; Sozomène , h.e. III 15, 8 ; Jérôme, in Nah. (574, 676–679). Cf. Eun. III/II 163 (en lien avec Ac 17, 18) ; cf. aussi Basile, adv. Eun. I 5 (172, 43) (Eunome utilise les syllogismes de Chrysippe) et dans le même sens Jérôme, in Nah. (574, 676–679). Cf. Eun. III/II 163 (en lien avec Ac 17, 18) ; III/VI 53. Cf. Eun. III/VII 33 (avec allusion à Platon, Phædr. 245c). Cf. Eun. II 404. Cf. Eun. II 405 ; Eun. III/VII 34. Cf. Eun. II 14–15 ; Eun. III/II 72 ; III/IX 59. Cf. Eun. I 177. 179. 257. 262. 266–267. 269 ; Eun. II 14–15. 199. 241 ; Eun. III/I 33 ; III/ II 72–73 ; III/II 156 ; III/VII 8 ; III/VIII 23 (la doctrine d’Eunome est semblable à celles de Sabellius et Montan, qui judaïsent dans leur enseignement) ; III/ IX 31 ; III/IX 36. Cf. Eun. III/V 24 ; III/VII 8. Cf. Eun. III/VIII 22 (Montan) ; III/IX 10 (Marcion). Cf. Eun. III/IX 55. Cf. Eun. I 45. 46 ; Eun. III/IX 55. Cf. Eun. I 27. 36. 51 ; Eun. III/IX 55. Cf. Eun. II 37–38 ; Eun. III/VIII 22–23 ; III/VIII 64. Cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 241. Sur les rapports avec l’hérésie, cf. l’ouvrage déjà ancien mais fondamental de W. Bauer, Rechtgläubigkeit und Ketzerei im ältesten Christentum, spécialement le ch. VII et les deux exemples d’ouvrages anti-montanistes présentés par l’auteur ; plus récemment, cf. A. Le Boulluec, La Notion d’Hérésie, en particulier le ch. II sur les arguments polémiques développés par Irénée ; enfin, pour la controverse eunoméenne, cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, Polémique et élaboration littéraire, p. 218–300. Selon Athanase, Arius ne fait que reprendre Valentin, Carpocrate et tous les autres hérétiques, cf. Athanase, Ar. I 56, 6 ; Valentin, Marcion et Basilide, Id., Ar. II 21, 4 ; Valentin et Ptolémée, Id., Ar. III 60, 1–2 ; III 64, 3 ;

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Eunome contre ses adversaires, l’anoméen n’hésitant pas à accuser Basile de suivre les doctrines d’Épicure et d’Aristote, de Valentin, Sabellius et Montan, des Grecs ou des barbares 18. Les propos de Grégoire au sujet des influences exercées sur Eunome semblent donc relever avant tout du genre littéraire bien particulier de l’écrit polémique, ce qui relativise fortement leur portée et engage à ne pas les prendre à la lettre. Mais il pourrait cependant subsister le danger de tomber dans l’excès inverse et, du fait du contexte polémique des affirmations de Grégoire, d’estimer qu’il convient de les négliger tout à fait. Or, celles-ci se révèlent malgré tout utiles d’un point de vue pratique, dans le sens où elles permettent de délimiter les quatre groupes mentionnés cidessus, quatre courants susceptibles ou non d’avoir influencé Eunome. Ce sont ces quatre courants qu’il importe donc d’examiner successivement et de comparer à la doctrine eunoméenne, afin d’évaluer les points de contact existant ou non entre ces doctrines et d’étudier ainsi les sources d’Eunome. 1 Eunome et la gnose hérétique 1.1 Les accusations de Grégoire Il apparaît assez significatif que ni Grégoire ni son frère Basile ne rapprochent Eunome de gnostiques à la figure emblématique, comme Basilide ou Valentin. Le seul nom évoqué et avec lequel la doctrine eunoméenne est véritablement comparée est celui de Marcion, auquel il est possible d’ajouter ici celui de Mani, considéré non comme maître gnostique mais comme représentant lui aussi d’une doctrine dualiste 19. En effet, une longue partie du Eun. I est consacrée à Mani 20, développement dont les principes de base sont, par-delà des divergences de détail, semblables à ceux engagés à propos de Marcion : de même que Mani et Marcion opposent deux principes, l’un bon et l’autre mauvais, de même Eunome oppose-t-il le Père et le Fils en une dyade de dieux hétérogènes 21. Une telle mise en parallèle se révèle assurément abusive et uniquement

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III 65, 2–3 ; III 66, 4 ; III 67, 1. Arius était déjà accusé par Alexandre d’Alexandrie de suivre Ebion, Artemas et Paul de Samosate, cf. Alexandre d’Alexandrie, ep. Alex. 35 (25, 8–12). Cf. Eun. II 410–411 (doctrines d’Epicure et d’Aristote) ; Eun. II 445 (Valentin) ; Eun. III/VIII 22 (Sabellius et Montan) ; Eun. II 464 (doctrines des Grecs, des Valentiniens et des barbares) ; Eun. III/IX 54 (Valentin, Cérinthe, Basilide, Montan, Marcion ; M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 2, note 152, p. 501 retient cette liste de noms comme fragment de l’AA, suivant en partie ce que proposait déjà R.-P. Vaggione, Eunomius. The Extant Works, note 53, p. 125). Il serait aussi possible de mentionner un autre maître non gnostique, Montan, dont les positions sont rapprochées par Grégoire de celles d’Eunome, même si ce rapprochement se révèle particulièrement ténu, cf. Eun. III/VIII 22–23 : Eunome et Montan n’ont en commun que le fait de judaïser, parce qu’ils excluent le Fils et l’Esprit de la communion avec la divinité. Le rapprochement avec l’erreur montaniste paraît tout aussi flou chez Basile, cf. Basile, adv. Eun. II 34 (140, 1–9) et le commentaire de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 2, note 1, p. 140. Cf. Eun. I 504–529. La liste donnée par Grégoire en Eun. III/IX 55 (Mani, Nicolas, Colouthos, Aèce et Arius) semble vouloir répondre avant tout à celle qu’aurait avancée Eunome contre ses adversaires au paragraphe précédent (cf. Eun. III/IX 54) ; mis à part les noms de Mani, Aèce et Arius, ceux de Nicolas et Colouthos ne semblent donc pas avoir d’autre rôle que celui, rhétorique, d’accumulation polémique. Nicolas pourrait faire allusion au livre de l’Apocalypse (cf. Ap 2, 6 ; 2, 15), ce qui placerait alors Eunome sous le patronage d’un homme condamné par l’Écriture elle-même. Pour Marcion, cf. Eun. III/IX 10 : « ≈ koin‰n m‡n pr‰c t‰ ÕmËteron frÏnhma t¿n je¿n ô duÄc ka» t‰ parhllàqjai katÄ tòn f‘sin ·kàteron pr‰c t‰n Èteron o“esjai (Car il a en commun avec votre pensée la dyade des dieux et le fait d’estimer que chacun diffère de l’autre par nature) » (trad. M. Cassin) ; pour Mani, cf. Eun. I 504–529,

Chapitre II : Les sources d’Eunome

129

polémique, contraire en tout cas aux principes théologiques d’Eunome présentés précédemment. De fait, si l’anoméen considère le Père et le Fils dissemblables quant à la substance, il ne les distingue jamais comme deux principes opposés, mais considère au contraire le Fils comme image parfaite de l’activité du Père et agent de création, effectuant l’œuvre créatrice sous le commandement du Père 22. Cependant, l’argumentation polémique opérée ici par Grégoire et sa réduction des principes d’Eunome aux doctrines de Mani ou de Marcion ne doit pas surprendre, car elle rejoint en fait une des méthodes polémiques de Grégoire, qu’il a été possible d’observer lors de l’examen des citations de l’AA dans le Eun. I 23. Selon Grégoire, l’attribution par Eunome à la seule première substance des qualificatifs Çnwtàtw ka» kuriwtàth veut donc laisser entendre que les deux autres substances sont considérées par l’anoméen comme äkuroc et ÇkurotËra ; de même, si Eunome oppose la substance du Père bon par nature à celle du Fils, il en découle pour Grégoire que le Fils ne peut qu’être mauvais dans la théologie d’Eunome, le Cappadocien passant sous silence l’hypothèse intermédiaire d’un Fils bon, image d’un Père suprêmement bon par voie d’éminence. Cette première approche des rapports d’Eunome avec la gnose hérétique, par le biais des accusations de Grégoire, conduit ainsi au constat assez simple que le système d’Eunome ne semble pas trouver ses principes chez les maître gnostiques. 1.2 D’autres rapprochements d’Eunome avec la gnose hérétique ? S’il peut donc être fait abstraction des accusations assez caricaturales de Grégoire, estil possible d’envisager d’autres contacts entre la doctrine d’Eunome et les spéculations gnostiques, en particulier celles de Basilide ou Valentin, que Grégoire et Basile ne mentionnent jamais explicitement ? 24 Une première réponse à cette question peut être apportée par Eunome lui-même. En effet, si Grégoire et Basile passent sous silence Valentin ou Basilide, l’anoméen n’hésite pas au contraire à rapprocher ses adversaires des doctrines des maîtres gnostiques, fondant son point de vue de la façon suivante : Il dit en effet, après ces véhéments combats, dans lesquels il mit en avant Valentin, Cérinthe, Basilide, Montan et Marcion pour attaquer notre doctrine, alors qu’il a établi que n’ont pas même de parenté avec l’appellation de chrétiens ceux qui déclarent que la nature divine est inconnaissable et qu’est également inconnaissable le mode de l’engendrement, alors qu’il nous a comptés parmi ceux qu’il a ainsi attaqués, il introduit ainsi son discours, en ces termes : «Quant à nous, persuadés par les hommes saints et bienheureux, nous affirmons que le mystère de la piété n’est confirmé ni par le caractère vénérable des noms ni par la propriété des coutumes et des symboles mystiques, mais par l’exactitude des doctrines. » 25 spécialement Eun. I 507 : « ka» o’tw t‰ t¿n Maniqa–wn dÏgma pareisd‘setai, d‘o tin¿n ‚nant–wn Çll†loic

‚n tƒ lÏg˙ t®c Çrq®c ÇntifanËntwn, tƒ diallàssonti t®c f‘sewc ka» t®c proairËsewc pr‰c t‰ Çntike–menon diatmhjËntwn. (Et ainsi la doctrine des Manichéens se glissera furtivement, puisque deux choses contraires 22 23 24

25

entre elles se font face dans la définition de principe, détachées du fait que l’une diffère de celle opposée en nature et intention.) » Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.4 Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap : comparaison avec les réflexions sur le Fils, p. 98–100. Cf. supra partie I, chapitre II, 1.2.2 Examen des doublets, p. 66–67. Les systèmes gnostiques de Basilide et Valentin, marqués par des théories émanatistes, tranchent au sein de la gnose hérétique, cf. W. Bousset, Hauptprobleme der Gnosis, p. 329, cité par S. Pétrement, Le Dieu séparé, p. 503. Ces deux systèmes offriraient donc le plus de chance d’avoir des rapports avec le système scalaire eunoméen. Eun. III/IX 54 : « fhs» gÄr metÄ toÃc suntÏnouc Ëke–nouc Çg¿nac, ‚n oŸc OŒalent–nouc te ka» Khr–njouc

ka» Basil–dac ka» MontanoÃc ka» Mark–wnac e c diabolòn to‹ kaj+ ômêc proest†sato dÏgmatoc, ka»

130

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Il paraît possible, par-delà ces bribes de l’AA que livre Grégoire, de reconstruire l’argumentation d’Eunome. Alors que l’anoméen était en conflit avec Basile et Grégoire sur les possibilités de la connaissance de Dieu, il lui était alors facile de comparer l’inconnaissance de Dieu, défendue par ses adversaires, avec les mêmes positions gnostiques 26, et de ranger ainsi Basile et Grégoire au nombre de ces maîtres condamnables. Dès lors, les réserves des Cappadociens, évitant de parler des maîtres gnostiques par excellence que sont Basilide ou Valentin, se voient partiellement justifiées, puisque la doctrine d’Eunome se trouve de fait en opposition avec la gnose sur un point théologique majeur. Cela permet de constater, une nouvelle fois, la difficulté de trouver dans la gnose hérétique des sources possibles de l’enseignement d’Eunome, en l’occurrence pour ce qui concerne la connaissance de Dieu. Ne serait-il pas possible, cependant, d’envisager des contacts entre Eunome et les gnoses de Basilide et Valentin selon un autre aspect fondamental de son système, à savoir son ontologie scalaire ? C’est ce que fait Athanase, dans le contexte assez proche de la querelle pneumatomaque 27, et peut-être son jugement pourrait-il être étendu à Eunome, comme Grégoire semblerait l’avoir fait lui-même de façon très discrète. Effectivement, le Cappadocien évoque en Eun. I 50 la Proun–kou sof–a, la sagesse de Prounike, dont Eunome aurait été disciple 28. Cette appellation sibylline, interprétée autrefois comme une dénomination de la tachygraphie 29, désignerait en fait Sophia 30 ; ce lien avec la gnose serait confirmé par Eun. III/VII 25, où le terme est rapproché de Êktàc, qui pourrait faire allusion à l’ogdoade du système de Ptolémée 31.

kataskeuàsac t‰ mhd‡ pr‰c tòn t¿n Qristian¿n proshgor–an o ke–wc Íqein toÃc ägnwston ÇpofainomËnouc tòn je–an f‘sin, ägnwston d‡ ka» t‰n t®c genn†sewc trÏpon, ka» sunarijm†sac toÿc diabeblhmËnoic ômêc, o’twc ‚pàgei t‰n par+ ·auto‹ lÏgon ‚n to‘toic toÿc ˚†masin; ômeÿc d‡ peijÏmenoi toÿc Åg–oic ka» makar–oic Çndràsin o÷te t¨ semnÏthti t¿n Ênomàtwn o÷te ‚j¿n ka» mustik¿n sumbÏlwn  diÏthti kuro‹sja– famen t‰ t®c eŒsebe–ac must†rion, t¨ d‡ t¿n dogmàtwn Çkribe–¯. » (trad. M. Cassin). 26 Sur la thèse gnostique de l’inconnaissance de Dieu, cf. S. Pétrement, Le Dieu séparé, p. 52–54 (où l’auteur

souligne l’évolution de cette position au sein de la gnose, passant d’un Dieu qui n’était pas encore connu à un Dieu inconnaissable). 27 Cf. Athanase, ep. Serap. I 10, 5–6 : « pr¿ton m‡n ofin t®c Çsebe–ac ‚st»n OŒalent–nou to‹to t‰ e’rhma; ka» oŒk

Ílajon o›toi tÄ ‚ke–nou fjeggÏmenoi. ‚keÿnoc gÄr Ífhsen, Ìti pemfjËntoc to‹ parakl†tou sunapestàlhsan aŒtƒ o… ôliki¿tai aŒto‹ äggeloi » ; le rapprochement effectué ici par Athanase entre ceux qui subordonnent l’Esprit et les déclarations de Valentin pourrait être tout aussi bien appliqué à Eunome. m‡n t®c Proun–kou sof–ac g–netai majht†c ». Cf. aussi Eun. II 537 : « t‰n d‡ suggegram-

28 Cf. Eun. I 50 : « pr¿ton

29

mËnon toÿc e rhmËnoic grÿfon ·rmhneuÏntwn o… t¨ Proun–kou sof–¯ ‚ggumnasjËntec; ‚x ‚ke–nhc gÄr dokeÿ moi t®c paraskeu®c tÄ e rhmËna proenhnoqËnai. » Cf. la remarque de W. Jaeger, GNO I, p. 39 : « Proun–kou sof–ac] artem tachygraphicam dicit » ; de même L.

Parmentier, «Eunomios tachygraphe », p. 242 : «il suffit de constater ici, d’après le contexte, que l’expression ô Proun–kou sof–a est une façon méprisante de désigner la science du tachygraphe. » 30 Cf. J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 203–204 et surtout S. Pétrement, Le Dieu séparé, p. 144–146 («3. Quelques remarques à propos de ‹Prounikos › »), ici p. 146 : «Ainsi le mot prounikos quand il est en rapport avec Sophia, pourrait se référer simplement à des épisodes biens connus de ce mythe : l’enfantement du Démiurge, ou la sortie du Plérôme, ou l’élan impétueux qui l’a portée à s’avancer vers Dieu d’une façon imprudente et qui n’était pas permise. » M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 2, note 63, p. 395, propose comme source possible de Grégoire Origène, Cels. VI 35 (264, 16–17) : « Prounik‰n dË tina sof–an o… Çp‰ OŒalent–nou Ênomàzousi katÄ tòn peplanhmËnhn ·aut¿n sof–an ». 31 Cf. Eun. III/VII 25 : « e p∞n gÄr tÄ e rhmËna ka» ‚pagag∞n to‘toic katÄ t‰n paideutòn aŒto‹ Pro‘nikon Çsunart†touc tinÄc ka» ÇnarmÏstouc ’bre∏n te ka» loidorhmàtwn Êktàdac » ; sur l’interprétation de Êktàc dans le sens de l’ogdoade gnostique, cf. J.-A. Röder, Contra Eunomium I 1–146, p. 204, s’inspirant de la remarque de H.-A. Wilson in Select Writings and Letters of Gregory, Bishop of Nyssa (NPNF 5), note 8, p. 214.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

131

Cependant, il apparaît assez rapidement que les spéculations gnostiques et celles d’Eunome ont vraiment peu en commun. Qu’il s’agisse effectivement du Dieu ‹qui n’est pas › de Basilide, produisant la semence d’un monde, dont l’achèvement revient aux archontes 32, ou du mythe valentinien de Sophia, produisant Achamoth et finalement les substances psychiques, pneumatiques ou hyliques 33, il se révèle vraiment difficile de dresser des rapprochements entre ces théories et le système théologique eunoméen 34. Le seul parallèle véritable (une structure scalaire du monde) n’oblige en aucune manière à supposer une dépendance ou influence quelconque, puisque chaque auteur paraît en fait développer son système à partir de ses principes propres, et la hiérarchie ontologique peut très bien n’être que le résultat d’une influence philosophique commune (avant tout platonicienne), source à laquelle chaque système aura puisé indépendamment 35. Ainsi, la théologie d’Eunome ne semble pas pouvoir s’expliquer par des influences gnostiques, qu’il s’agisse des écoles fortement dualistes (Mani 36 ou Marcion), ou bien d’orientations plutôt émanatistes (Basilide et Valentin). Les rapprochements établis par Basile ou Grégoire ne relèvent visiblement que de la polémique hérésiologique 37, et un tel constat permet sans doute d’expliquer pourquoi ils demeurent discrets sur ce point, Grégoire se voyant même obligé de justifier longuement son rapprochement entre Eunome et Mani 38. Comme il vient d’être vu, une simple influence platonicienne commune pourrait expliquer l’organisation scalaire de chaque système, si bien que l’étude

32 Il existe plusieurs comptes rendus assez divergeants de la doctrine de Basilide, dont les plus importants sont

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ceux d’Irénée, haer. I 24, 3–7 et d’Hippolyte, haer. VII 13–27. C’est ce dernier qui rend compte de la formation du monde par la semence primordiale et les deux archontes, et qui pourrait être le plus proche du vrai Basilide, cf. J.-H. Waszink, «Basilides », col. 1220–1221 : «Letzterer kommt zu dem Schluß, daß wir in Hippolyt (der einen metaphysischen oder kosmologischen Traktat vor sich hatte) u. Clemens, bei dem letzterem mehr nach der ethischen Seite, die echte ursprüngliche Lehre des B. besitzen, während Irenäus u. die von ihm abhängigen Häresiologen, unter Fortlassung des dem Basilides Eigentümlichen, nur das allgemein Gnostische mitteilen. » ; de même G. May, Schöpfung aus dem Nichts, p. 68–71 ; pour la préférence donnée au contraire au compte rendu d’Irénée, cf. S. Pétrement, Le Dieu séparé, p. 459–466, qui considère que «le vrai Basilide, ou du moins le plus vrai des deux, est celui d’Irénée », suivant ici les conclusions d’A. Hilgenfeld, Ketzergeschichte, p. 195–230. Sur le système valentinien, spécialement celui de Ptolémée, cf. les comptes rendus (concordants dans leurs lignes fondamentales) d’Irénée, haer. I 1–2 ; Hippolyte, haer. VI 29–36 ainsi que celui du Traité Tripartite ; sur la cosmogonie de Ptolémée, cf. le commentaire de S. Pétrement, Le Dieu séparé, p. 498–517 ; plus en rapport avec la doctrine de la création, cf. G. May, Schöpfung aus dem Nichts, p. 98–110 ainsi que M.-L. BourgueilChaieb, Les Textes eucharistiques d’Irénée de Lyon, p. 129–134. Le terme Êktàc, mentionné par Grégoire en Eun. III/VII 25, est mis uniquement en rapport avec les invectives d’Eunome (’bre∏n te ka» loidorhmàtwn Êktàdac) et non avec le contenu de son système théologique. Quant à l’allusion de Eun. I 50, celle-ci semblerait avant tout polémique, visant à souligner que la formation d’Eunome repose avant tout sur des principes hérétiques, et non sur l’Écriture. La mention en Eun. II 537 reste difficile à interpréter, puisque Grégoire la met en rapport avec des principes épistémologiques d’Eunome, lesquels s’accordent mal avec le Dieu inconnu de la gnose. Pour les influences platoniciennes sur Basilide, cf. J.-H. Waszink, «Basilides », col 1224 ; sur Valentin, cf. G. May, Schöpfung aus dem Nichts, p. 94 à propos des éons, même si l’auteur ne voit dans les spéculations valentiniennes aucune «ernsthafte philosophische Bedeutung » ; cf. aussi S. Pétrement, Le Dieu séparé, p. 498–505, qui relève les traits platoniciens chez le Basilide d’Irénée et Valentin. À propos de l’influence philosophique grecque sur la gnose hérétique, spécialement par le biais d’anthologies, cf. les remarques particulièrement intéressantes de A. Böhlig, «Die griechische Schule und die Bibliothek von Nag Hammadi ». Sur le fait de ranger Mani avec Marcion, cf. supra notes 19 à 21, p. 128–129. Eunome lui-même se sera placé sur ce terrain pour confondre ses adversaires, cf. supra note 25, p. 129–130. Cf. Eun. I 505. 508 (Grégoire évoque les oppositions possibles au rapprochement d’Eunome avec Mani), 511s (Grégoire justifie au contraire son rapprochement).

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

des sources d’Eunome serait bien plus féconde, orientée dans cette direction de la philosophie. 2 Eunome et ses sources philosophiques 2.1 Les connotations platoniciennes de la doctrine d’Eunome Si Grégoire se plaît à rapprocher les affirmations d’Eunome des quatre grands courants philosophiques, platonicien, aristotélicien, stoïcien et épicurien, il insiste pourtant, entre ces différentes écoles, sur l’aristotélisme, dont les méthodes de syllogismes auraient particulièrement influencé Eunome 39. Est-il possible cependant de discerner, entre les trois aspects fondamentaux du système théologique d’Eunome 40, des tendances philosophiques autres que l’aristotélisme, dont celui-ci serait tributaire ? Le premier aspect, la structure hiérarchique des trois premières substances ainsi que le caractère transcendant de la première, qui s’estompe progressivement dans les deux suivantes, fait penser aussitôt à une influence platonicienne 41. Effectivement, il est possible d’écarter les conceptions atomistiques épicuriennes 42 ; de plus, la substance selon Aristote, qui désigne à la fois le sujet individuel (oŒs–a pr∏th), l’essence dans laquelle il est contenu (oŒs–a deutËra) 43, et qui ne connaît pas le plus ou moins 44, cadre mal avec la présentation d’Eunome ; par ailleurs, la conception stoïcienne de l’oŒs–a, laquelle apparaît comme la matière, genre suprême placé en premier 45, à laquelle vont s’ajouter les différences 46 pour donner l’être concret 47, ne s’accorde pas non plus avec les positions d’Eunome. Au contraire, la structure hiérarchique de la métaphysique 39 Cf. supra note 1, p. 127. C’est de fait une des charges principales portées contre Eunome par la plupart de ses

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opposants, cf. R.-P. Vaggione, Aspects of Faith, p. 238–243, où l’auteur souligne justement la remise en cause par les Pères de la teqnolog–a d’Eunome, mise en lien avec le nom d’Aristote ; au contraire, Grégoire se révèle bien plus discret quand il s’agit du platonisme, cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 239–240, ce qui n’empêche pas que cette influence d’Aristote se soit faite par le biais des commentateurs néo-platoniciens du Stagirite ; sur la logique d’Aristote et son rôle dans les courants philosophiques postérieurs, en particulier chez Porphyre, cf. P. Mueller-Jourdan, «Logik », col. 289–292. 302–303. Cf. l’étude du fragment 1 : les trois premières substances, les activités qui suivent les substances, les noms connaturels aux substances. C’est bien la réaction de Grégoire, cf. Eun. III/IX 59–60. Sur les différentes considérations de l’oŒs–a chez Platon, Aristote, la Stoa et l’Antiquité tardive en général, cf. C. Stead, «Homousios (Âmoo‘sioc) », A. II. b. Historischer Überblick, col. 368–373. Sur la physique d’Épicure, cf. K. Praechter, Die Philosophie des Altertums, p. 449–454. Cf. Aristote, Cat. 2a 11–14 : « OŒs–a dË ‚stin ô kuri∏tatà te ka» pr∏twc ka» màlista legomËnh, õ m†te kaj+

ÕpokeimËnou tin‰c lËgetai m†t+ ‚n ÕpokeimËn˙ tin– ‚stin, oŸon  t»c änjrwpoc £  t»c —ppoc. de‘terai d‡ oŒs–ai lËgontai, ‚n oŸc e“desin a… pr∏twc oŒs–ai legÏmenai Õpàrqousi. » 44 Cf. Aristote, Cat. 2b 26–27. 3b 33. 45 Cf. SVF II 315. II 373 : « Õpoke–mena

m‡n gÄr pr¿ta tàxantec ka» tòn ’lhn ‚nta‹ja t¿n ällwn protàxantec ». De même, cf. SVF I 87 : « Z†nwnoc; oŒs–an d‡ e⁄nai tòn t¿n Óntwn pàntwn pr∏thn ’lhn » ; de même SVF II 314 ; cette matière est dirigée et modelée par le logos, agissant de l’intérieur, cf. SVF II 300 : « dokeÿ d+ aŒtoÿc ÇrqÄc

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e⁄nai t¿n Ìlwn d‘o, t‰ poio‹n ka» t‰ pàsqon. t‰ m‡n ofin pàsqon e⁄nai tòn äpoion oŒs–an, tòn ’lhn; t‰ d‡ poio‹n t‰n ‚n aŒt¨ lÏgon, t‰n jeÏn. », de même SVF II 310. Différences qui sont la qualité, la manière d’être et la manière d’être relative, cf. SVF II 369 : « O… dË ge Stwko» e c ‚làttona sustËllein Çxio‹si t‰n t¿n pr∏twn gen¿n ÇrijmÏn. ka» tinÄ ‚n toÿc ‚làttosin ÕphllagmËna paralambànousi. poio‹ntai gÄr tòn tomòn e c tËssara; e c Õpoke–mena ka» poiÄ ka» p¿c Íqonta ka» pr‰c t– pwc Íqonta. » ; de même SVF II 371. Cf. Sextus Empiricus, Pyr. II 26 (qui viserait les péripatéticiens mais aussi les stoïciens) : « älloi Ífaskon änjrwpon e⁄nai zƒon logik‰n jnhtÏn, no‹ ka» ‚pist†mhc dektikÏn ». Sur les catégories stoïciennes, cf. M. Pohlenz, Die Stoa. Geschichte einer geistigen Bewegung, t. 1, p. 69, t. 2, p. 39–40.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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platonicienne, plaçant au sommet le Bien et en deçà les réalités d’ oŒs–a inférieure 48, se révèle une source d’influence possible, homogène avec le système d’Eunome. Assurément, il ne faut pas forcer, pour le IVe siècle, les distinctions qui viennent d’être faites, si réelles soient-elles, puisque les courants «concordistes » caractéristiques de l’époque impériale tendent à harmoniser ces différentes approches 49. Mais il n’en demeure pas moins que les trois oŒs–ai subordonnées d’Eunome apparaissent avant tout de type platonicien. Il semble en être de même, dans une certaine mesure, pour le second aspect du système d’Eunome, les activités qui suivent les substances. Connu dès les pré-socratiques 50, le terme ‚nËrgeia est absent de la terminologie de Platon 51 et c’est en fait grâce à Aristote que la notion d’activité connaît un développement décisif 52, tandis qu’elle tient une place moindre dans le stoïcisme 53. Comme il a été vu, ce sont ces principes aristotéliciens que suivrait la notion générale d’activité pour Eunome 54. Cependant, le terme ‚nËrgeia, s’il est absent chez Platon, apparaît dans la tradition platonicienne postérieure et tout spécialement chez Plotin, lequel définit deux sortes d’activités, la première qui est celle de la substance (l’objet lui-même en acte), la seconde qui résulte de la substance tout en en étant distincte (elle suit – Èpesjai – la substance) 55. Cette notion d’activité, qui suit la substance et en est distincte, rappelle le deuxième point clef d’Eunome, tel qu’il est formulé dans le fragment 1. La notion d’activité selon Eunome pourrait donc trouver ses principes non seulement dans la doctrine d’Aristote mais aussi dans le néoplatonisme. Enfin, le troisième point fort de l’enseignement d’Eunome (les noms connaturels aux substances) semblerait être lui aussi d’orientation platonicienne. Les différentes écoles philosophiques étaient partagées sur l’origine et la valeur du langage 56. Pour Aristote, le nom est un symbole de l’état de l’âme, ce qui s’oppose directement à la doctrine d’Eunome 57. Plus proche d’Eunome en apparence, en tant qu’elle considère une 48 Cf. Platon, Rep. 509b et les développements du platonisme impérial (cf. infra partie II, chapitre II, 2.2.3 Des

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influences platonisantes, p. 143–146, pour la présentation de quelques uns de ces modèles : Plutarque de Chéronée, Alcinoos, Numénius d’Apamée) ; cf. aussi Plotin, Enn. V 1, 8 : doxographie sur Platon où apparaissent les trois degrés de la réalité (Un, Intelligence, Âme du monde). Cf. M. Zambon, Porphyre et le Moyen-platonisme, p. 317s. L’auteur rappelle, p. 324–326, les objections de Plotin face à un tel concordisme et spécialement ses critiques envers Aristote. Cf. le propos de Démocrite rapporté par Aristote, mettant en relation puissance (d‘namic) et activité (‚nËrgeia) : « ka» ±c D. fhsin, ™n Âmo‹ pànta dunàmei, ‚nerge–ai d+ o÷. », cf. Die Fragmente der Vorsokratiker, t. 2, 55 A 57 (27, 2). Le terme est absent de tous les lexiques du vocabulaire platonicien. Cf. Aristote, Metaph. J. Pour plus de détails sur l’enseignement d’Aristote sur l’‚nËrgeia, cf. infra note 127, p. 215. Cf. E. Fascher, «Energeia », col. 13–14. Cf. supra partie II, chapitre I, 1.3.2 Précisions sur le rapport substance-activité : éléments de réponse extraits du Eun. I, p. 105–106. Cf. Plotin, Enn. V 4, 2 (27–30) : « >EnËrgeia ô mËn ‚sti t®c oŒs–ac, ô d+ ‚k t®c oŒs–ac ·kàstou; ka» ô m‡n t®c oŒs–ac aŒtÏ ‚stin ‚nËrgeia Èkaston, ô d‡ Çp+ ‚ke–nhc, õn deÿ pant» Èpesjai ‚x Çnàgkhc ·tËran ofisan aŒto‹ » ; pour un résumé sur la notion d’ ‚nËrgeia chez Plotin, cf. J.-C. Larchet, La Théologie des Énergies divines, p. 42– 49. Sur le langage dans l’antiquité, cf. l’étude un peu ancienne mais toujours de valeur de H. Steinthal, Geschichte der Sprachwissenschaft ; plus récemment W. Spoerri, Späthellenistische Berichte ; I. Opelt, «Etymologie », col. 800– 804 et surtout, en lien avec la querelle eunoméenne, L. Karfíková, «Der Ursprung der Sprache », p. 294–305. Cf. Aristote, Int. 1, 16a 3–4 : « óEsti m‡n ofin tÄ ‚n t¨ fwn¨ t¿n ‚n t¨ yuq¨ pajhmàtwn s‘mbola » ; 2, 16a 19 : « óOnoma m‡n ofin ‚st» fwnò shmantikò katÄ sunj†khn » ; 2, 16a 27–28 : « t‰ d‡ katÄ sunj†khn, Ìti f‘sei t¿n Ênomàtwn oŒdËn ‚stin, Çll+ Ìtan gËnhtai s‘mbolon ».

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

origine des noms non conventionnelle (katÄ jËsin) mais naturelle (katÄ f‘sin), l’école épicurienne propose en fait une explication de leur origine bien différente : les noms ne sont pas nés par convention, mais ne sont qu’une expiration particulière de l’air propre à la nature des hommes ; plus tard seulement eut lieu un travail d’uniformisation pour rendre le langage moins ambigu 58. L’origine katÄ f‘sin des noms résulterait donc simplement de la constitution de l’homme, doté d’un organe adapté 59. L’enseignement du Portique paraît au contraire plus en harmonie avec les positions d’Eunome ; la doctrine stoïcienne considère certes dans l’origine des noms une convention humaine dans la ligne d’Aristote (katÄ jËsin), en tant que le concept exprimé (lÏgoc proforikÏc) manifeste le concept intérieur (lÏgoc ‚ndiàjetoc) 60, mais les noms correspondent aussi à la nature de la chose nommée et possèdent dès lors une origine naturelle (katÄ f‘sin) 61. Or, cette justesse (ÊrjÏthc) de la langue, qui renvoie à la substance (oŒs–a), aurait été reprise à la tradition platonicienne 62, en particulier au Cratyle 63. Le troisième aspect spécifique du système eunoméen, les noms connaturels aux substances, semble donc dépendre lui aussi de courants platoniciens 64. Cette brève étude comparative entre les éléments caractéristiques eunoméens et les différents courants philosophiques inviterait donc à reconnaître dans le système d’Eunome une marque platonicienne, non exclusive mais prédominante. Celle-ci l’emporterait finalement sur une hypothétique influence aristotélicienne, dont la mention répétée par les adversaires d’Eunome, et spécialement par Grégoire, ne serait que procédé polémique 65. Cependant, le principal enjeu consiste à évaluer l’étendue de cette influence platonicienne et à déterminer dans quelle mesure Eunome pourrait éventuellement dépendre d’une école platonisante, voire d’un auteur particulier. 58 Cf. la lettre d’Épicure à Hérodote in Diogène Laërce, vit. phil. X 75 : « ìOjen

ka» tÄ ÊnÏmata ‚x Çrq®c mò jËsei genËsjai, Çll+ aŒtÄc tÄc f‘seic t¿n Çnjr∏pwn kaj+ Èkasta Íjnh “dia pàsqousac pàjh ka» “dia lambano‘sac fantàsmata  d–wc t‰n ÇËra ‚kpËmpein stellÏmenon Õf+ ·kàstwn t¿n paj¿n ka» t¿n fantasmàtwn (. . .) ’steron d‡ koin¿c kaj+ Èkasta Íjnh tÄ “dia tej®nai pr‰c t‰ tÄc dhl∏seic ©tton ÇmfibÏlouc genËsjai ».

59 Cf. W. Spoerri, Späthellenistische Berichte, p. 137 : «Überhaupt scheint die sprachliche Artikulationsfähigkeit des

Menschen für Epikur kein besonderes Problem gewesen zu sein. Zum Menschen gehört nun eben einmal die Sprache, gleichsam als eine organische Verrichtung » ; l’auteur renvoie à l’opinion épicurienne rapportée par Sextus Empiricus, adv. math. I 143 : « £ gÄr Ìti o… pr¿toi Çnafjegxàmenoi tÄ ÊnÏmata fusikòn ‚poi†santo tòn

60

Çnaf∏nhsin aŒt¿n ±c ka» tòn ‚p» tƒ Çlgeÿn kraugòn ka» tòn ‚p» tƒ °desjai £ tƒ jaumàzein ‚kbÏhsin, o’tw lËgousi f‘sei tÄ m‡n toia‹ta e⁄nai t¿n Ênomàtwn tÄ d‡ toiàde ». Cf. Sextus Empiricus, Pyr. I 65 (Sextus Empiricus attribue explicitement la distinction lÏgoc proforikÏc-lÏgoc ‚ndiàjetoc aux stoïciens). Sur la position stoïcienne, cf. H. Steinthal, Geschichte der Sprachwissenschaft, p. 320– 321 ; I. Opelt, «Etymologie » (qui reprend les conclusions de H. Steinthal).

61 Cf. Sextus Empiricus, Pyr. I 59 (réfutation d’une position stoïcienne) : « e 

d‡ tÄ aŒtÄ pràgmata ÇnÏmoia fa–netai parÄ tòn t¿n zºwn ‚xallag†n, Âpoÿon m‡n ômÿn jewreÿtai t‰ Õpoke–menon Èxomen lËgein, Âpoÿon d‡ Ísti pr‰c tòn f‘sin ‚fËxomen. » ; Origène, Cels. I 24 (136, 9–12) : « Â per» f‘sewc Ênomàtwn; pÏteron, ±c o“etai >AristotËlhc, jËsei e s» tÄ ÊnÏmata £, ±c nom–zousin o… Çp‰ t®c Stoêc, f‘sei, mimoumËnwn t¿n pr∏twn fwn¿n tÄ pràgmata » ; cf. surtout Ammonios d’Hermeias, in Int. 2 (35, 15–18) : « o… d+ oŒq o’twc, ÇllÄ t–jestai m‡n tÄ ÊnÏmata Õp‰ mÏnou to‹ ÊnomatojËtou, to‹ton d‡ e⁄nai t‰n ‚pist†mona t®c f‘sewc t¿n pragmàtwn o keÿon t¨ ·kàstou t¿n Óntwn f‘sei ‚pifhm–zonta Ónoma ».

62 Cf. W. Spoerri, Späthellenistische Berichte, p. 137–138. 63 Socrate propose une première définition du nom (cf. Platon, Cra. 423b 4–10) corrigée aussitôt (Id. 423e 7–

9) : le nom est une façon de mimer (mimeÿsjai) une réalité (oŒs–a) par des lettres et des syllabes. Cette définition du nom est rectifiée dans la suite du dialogue : le nom renvoie à la pensée du nomothète sur la substance (Id. 434e 7). 64 Selon que le nom renvoie à la chose nommée, et non en tant qu’expression de la pensée du nomothète. 65 Sur l’accusation d’aristotélisme caractéristique du discours hérésiologique, cf. A. Le Boulluec, La Notion d’Hérésie, p. 140–141.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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2.2 Évaluation des rapports d’Eunome avec la philosophie platonicienne Ce point n’est pas nouveau et a été abordé de nombreuses fois par les chercheurs, aussi semble-t-il opportun de commencer par un état de la question. Or, il apparaît rapidement que deux grandes orientations peuvent être relevées parmi les principales études consacrées à ce sujet, la première insistant sur une dépendance plutôt étroite d’Eunome vis-à-vis des spéculations platoniciennes, la seconde relativisant au contraire celle-ci. Si ces études sont nombreuses, certaines ont cependant fait date et ont marqué l’évolution de la recherche 66, c’est pourquoi les pages suivantes vont se limiter plutôt à ces études fondamentales, parfois anciennes mais presque paradigmatiques en tant qu’elles ont donné les orientations majeures de la recherche ; quelques études plus récentes seront mentionnées pour indiquer leur place au sein des deux grandes orientations évoquées ci-dessus. 2.2.1 Eunomius «Neoplatonizans » 67 ? E. Vandenbussche 68 a apporté la première véritable contribution sur les rapports d’Eunome avec le platonisme. L’auteur, qui désire évaluer l’appellation de «technologue » attribuée à Eunome 69, recherche à juste titre si la théologie de l’anoméen peut être réduite à un tel qualificatif, si ses idées sont uniquement subordonnées à l’expression 70. La conclusion d’E. Vandenbussche est sévère, puisque selon lui, Eunome serait finalement attaché non à la terminologie traditionnelle et scripturaire, mais à sa pensée, telle qu’elle est exposée dans le fragment 1 et qui relèverait «d’une métaphysique émanentiste d’inspiration néoplatonicienne. » 71 Pour l’auteur, Eunome «n’a pas échappé à ce courant de pensée si universellement répandu dans son entourage. » 72 E. Vandenbussche précise cependant que seul un examen de la doctrine d’Eunome permettrait de révéler «à quel point le néo-platonisme a influencé sa théologie » 73. C’est un tel examen qu’a effectué quelques années plus tard Th. Dams 74. Après une présentation du système d’Eunome, Th. Dams conclut que les thèses de l’anoméen «ne dérivent pas de la révélation », mais qu’elles sont «toujours en dépendance de principes philosophiques présupposés » ; «il [Eunome] ne voit une tradition que là où il trouve ses idées » 75. Les principes philosophiques d’Eunome seraient les théories du langage platoniciennes et stoïciennes ainsi que l’abstraction métaphysique de l’Un des 66 Cf. spécialement l’article de Jean Daniélou discuté un peu plus bas, cf. notes 78s, et qui apparaît maintenant

presque comme un passage obligé des recherches sur les influences du platonisme sur Eunome. 67 L’intitulé de ce paragraphe s’inspire du titre du livre de A. Jahn : «Basilius Magnus plotinizans ». 68 E. Vandenbussche, «La part de la dialectique dans la théologie d’Eunomius le ‹technologue › », RHE 40

(1944/1945), p. 47–72. 69 E. Vandenbussche rappelle d’abord le contexte de l’époque et la portée d’une telle expression (influence so-

phistique qui porte à une argumentation dialectique outrancière). 70 Id., p. 56. 71 Le principe directeur d’Eunome serait donc non pas l’Écriture, mais un ordre naturel des choses (cf. id., p. 65. 68,

où l’auteur souligne « ordre nature l de s chose s »), en l’occurrence celui proposé par le néo-platonisme. 72 Id., p. 70. 73 Id., p. 70. 74 Th. Dams, La Controverse eunoméenne, thèse non publiée de l’Institut Catholique de Paris 1951, spécialement

p. 119–141. 75 Id., p. 129–130.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

néo-platoniciens de son temps. Th Dams renvoie alors à l’article d’E. Vandenbussche et développe les affirmations de ce dernier, en présentant les points communs entre les thèses d’Eunome et les positions néo-platoniciennes. Il convient pourtant de noter que Th. Dams relève aussi des différences, qui relativisent les contacts d’Eunome avec le néo-platonisme 76. Th. Dams poursuit dans cette ligne en rappelant quelques thèses linguistiques du Syntagmation d’Aèce, dont le disciple Eunome se serait sans doute inspiré, sans dépendre donc sur ce point directement des doctrines platoniciennes. Th. Dams admet pourtant la possibilité «que maître et disciple se soient inspirés du Cratyle de Platon », les théories présentant entre elles de curieuses coïncidences 77. Les travaux de Th. Dams répondaient donc aux souhaits d’E. Vandenbussche, approfondir la théologie d’Eunome pour mieux en apprécier les rapports avec le néo-platonisme. Th. Dams a précisé les relations entre les systèmes eunoméen et néo-platonicien, tout en relevant des divergences et en rappelant les rapports certainement plus directs d’Eunome avec son maître Aèce pour la théorie du langage. C’est cet aspect de la question, la théorie du langage, qui fut profondément développé par une étude importante de J. Daniélou 78. Après avoir rappelé brièvement les principes linguistiques d’Eunome, J. Daniélou relève dans l’imposition des noms katÄ f‘sin un premier rapprochement entre Eunome et le platonisme 79. Eunome attribue cependant une origine divine au langage, et si cette théorie trouve des antécédents chez Clément et Origène 80, J. Daniélou y voit surtout une influence des Oracles Chaldaïques 81 et du néo-platonisme théurgique de Jamblique ; l’auteur relève en effet des rapprochements entre l’enseignement d’Eunome et la Vie de Pythagore de Jamblique, ou le traité Sur les mystères des Égyptiens de l’école de Jamblique 82. Des contacts identiques avec Proclus laisseraient supposer que les textes d’Eunome et Proclus «relèvent d’un même

76 Id., p. 135–138. Th. Dams retient comme points communs l’Un absolu de Plotin, la contemplation de l’Un,

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82

origine de l’existence du no‹c, et l’Âme du monde source de vie, qu’il rapproche de l’ÇgËnnhtoc d’Eunome, de l’‚nËrgeia productrice du Fils et de l’Esprit Saint source de sanctification chez Eunome. Les différences qu’il relève concernent la connaissance de l’ÇgËnnhtoc pour Eunome (alors que, selon Plotin, l’Un est absolument inconnaissable), l’absence de valeur de l’‚p–noia (alors que pour Plotin, la réflexion sur soi permet d’aboutir à l’Un), l’‚nËrgeia entre la première et la deuxième substance (alors que pour Plotin, il n’y a pas d’intermédiaire entre l’Un et le no‹c). Id., p. 139–140. J. Daniélou, «Eunome l’arien et l’exégèse néo-platonicienne du Cratyle », REG 69 (1956), p. 412–432. Id., p. 414 : «Eunome se rattache à la première thèse [celle des platoniciens], dont il représente la forme la plus radicale » (par opposition à la thèse aristotélicienne de l’imposition katÄ jËsin), et J. Daniélou de mentionner Eun. II 404, où Grégoire de Nysse reproche à Eunome de suivre le Cratyle de Platon, cf. id., p. 416. Id., p. 422–423. J. Daniélou renvoie à Clément d’Alexandrie, str. I, XXI 143, 6 ; Origène, Cels. I 24–25 ; V 45. J. Daniélou, «Eunome l’arien », p. 423–424 : «Nous lisons en effet dans les Oracles Chaldaïques (Knoll [sic !], p. 58) : Ne modifie pas les noms barbares. Car les noms sont donnés par Dieu (jeÏsdotoi) à chaque peuple, ayant une puissance ineffable pour les rites ». J. Daniélou renvoie à l’édition G. Kroll, Breslau 1894 ; il convient de souligner qu’É. des Places, dans son édition des Oracles Chaldaïques, ne retient que le début du passage, cf. Orac. Chald., frg. 150, p. 103 : « ÊnÏmata bàrbara m†pot+ Çllàx˘c. » J. Daniélou, «Eunome l’arien », p. 424–425, qui renvoie à Jamblique, VP 11, 56 : « Íti d‡ t‰n sof∏taton t¿n

Åpàntwn legÏmenon ka» suntàxanta tòn fwnòn t¿n Çnjr∏pwn ka» t‰ s‘nolon eÕretòn katastànta t¿n Ênomàtwn, e“te je‰n e“te da–mona e“te jeÿÏn tina änjrwpon » ; Id., Myst. VII 4 (192, 6–17) : « Çfaireÿn m‡n ofin qrò pàsac ‚pino–ac ka» logikÄc diexÏdouc Çp‰ t¿n je–wn Ênomàtwn, Çfaireÿn d‡ ka» tÄc sumfuomËnac t®c fwn®c pr‰c tÄ ‚n t¨ f‘sei pràgmata fusikÄc Çpeikas–ac. >Osper dË ‚sti noer‰c ka» jeÿoc t®c je–ac ÂmoiÏthtoc sumbolik‰c qarakt†r, to‹ton ÕpojetËon ‚n toÿc ÊnÏmasin. Ka» dò kãn ägnwstoc ômÿn Õpàrq˘, aŒt‰ to‹tÏ ‚stin aŒto‹ t‰ semnÏtaton; kre–ttwn gàr ‚stin £ πste diaireÿsjai e c gn¿sin. >Ef+ ¡n ge mòn pareil†famen tòn ‚pist†mhn t®c Çnal‘sewc, ‚p» to‘twn t®c je–ac oŒs–ac ka» dunàmewc ka» tàxewc Íqomen Ìlhc ‚n tƒ ÊnÏmati tòn e“dhsin. »

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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courant de pensée » 83 : Proclus serait le témoin d’une tradition connue d’Eunome, celle des commentaires néo-platoniciens du Cratyle issus de l’école de Jamblique 84. J. Daniélou poursuit donc en examinant la question délicate des rapports d’Eunome avec ces milieux néo-platoniciens 85 et répond par l’affirmative en avançant deux preuves, la première historique, la seconde doctrinale. Effectivement, Eunome est le disciple d’Aèce, qui était lié à Julien disciple de Jamblique ; l’hypothèse de contacts entre Eunome et les milieux néo-platoniciens n’est donc pas absurde historiquement. Par ailleurs, J. Daniélou juge ainsi le système présenté par Eunome dans le fragment 1 : «Le système d’Eunome est en fait un système néoplatonicien, une explication de la genèse du multiple à partir de l’Un. (. . . ) Sous un revêtement chrétien, il s’agit d’un système platonicien. » 86, et J. Daniélou de renvoyer ici à Th. Dams. J. Daniélou souligne enfin l’usage par Eunome des catégories aristotéliciennes, en mentionnant cette fois E. Vandenbussche. Or, cet aristotélisme, qualifié de mystique par J. Daniélou, serait proche de celui attesté plus tard chez Proclus, héritier des disciples de Jamblique, en particulier du grand Nestorios ; Eunome permettrait ainsi de jeter une lumière sur cette période obscure de la fin du IVe siècle 87. E. Vandenbussche, Th. Dams et J. Daniélou proposent donc des relations fortes entre le système eunoméen et le néo-platonisme. Comme il vient d’être vu, c’est avant tout la doctrine du fragment 1 et de ses substances subordonnées qui amène E. Vandenbussche à proposer cette influence ; Th. Dams la confirme et l’étend aux théories du langage, tout en apportant quelques réserves ; J. Daniélou abonde davantage dans le sens d’une dépendance forte (le système d’Eunome n’aurait qu’un revêtement chrétien) et précise même l’école néo-platonicienne dont Eunome serait un témoin précieux, celle du néo-platonisme théurgique de Jamblique. Tous ces résultats ont eu de grandes influences et traduisent de façon significative l’approche ‹platonisante › toujours actuelle qui est faite des positions d’Eunome ; l’étude du système eunoméen, et spécialement du fragment 1, conduit souvent les chercheurs soit à souligner les rapports

83 J. Daniélou, «Eunome l’arien », p. 427 ; cf. Proclus, in Cra. 51 : « ka»

gÄr da–mos– tinec ka» ÇggËloic prostuqeÿc gegonÏtec ‚didàqjhsan par+ aŒt¿n ÊnÏmata mêllon pros†konta toÿc pràgmasin £ Ìsa änjrwpoi Íjento. »

84 J. Daniélou, «Eunome l’arien », p. 427. 85 Id., p. 428. 86 Id., p. 428. Contrairement à ce que dit J. Daniélou, qui résume le fragment 1, l’Esprit n’est pas une

‚nËrgeia du Fils, qui produirait un Írgon qu’est le kÏsmoc ; B. Pottier, Dieu et le Christ, note 61, p. 129, corrige lui aussi ces propos de J. Daniélou. 87 J. Daniélou, «Eunome l’arien », p. 428–429. Dans une étude postérieure (cf. J. Daniélou, «Grégoire de Nysse et le néo-platonisme de l’école d’Athènes »), J. Daniélou, après avoir relevé des points communs entre Grégoire de Nysse et Hiéroclès d’Athènes, voit dans le Cappadocien un témoin du néo-platonisme de l’école d’Athènes. J. Daniélou en conclut que le conflit entre Eunome et Grégoire reproduirait à l’intérieur du christianisme le conflit des deux écoles platoniciennes, celles représentées par Jamblique et Hiéroclès.

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d’Eunome avec le néo-platonisme 88, soit même à réduire les positions théologiques de l’anoméen au système philosophique néo-platonicien 89. Il convient, avant d’aller plus loin, d’ajouter deux remarques à propos de l’article de J. Daniélou, qui concernent toutes deux les relations d’Eunome avec le néo-platonisme. L’auteur a avancé deux preuves, historique et doctrinale. La première, historique, est fondée sur les relations du maître d’Eunome avec Julien. «Grégoire de Nysse parle longuement des relations d’Aèce et du milieu impérial d’Antioche dans le Contre Eunome (I, 45–51) » écrit J. Daniélou, mais cette référence est malheureuse : Grégoire n’évoque ce sujet qu’en Eun. I 47, mentionnant uniquement les entrées d’Aèce dans le palais royal par la médiation de Théophile Blemmys et sans faire aucune allusion explicite à des contacts avec Julien 90. Quant à la deuxième preuve, plus doctrinale et qui assimile la théologie d’Eunome au système néo-platonicien, J. Daniélou renvoie à Th. Dams, lequel a pourtant relevé des divergences entre les systèmes d’Eunome et de Plotin, voire présenté d’autres influences possibles, comme celle d’Aèce. Contrairement à ce que suggère alors J. Daniélou, l’étude ici ne saurait être «décisive ». 2.2.2 Relativisations des rapports d’Eunome avec le néo-platonisme Si les travaux mentionnés précédemment inciteraient à voir en Eunome davantage un adepte des théories néo-platoniciennes qu’un théologien chrétien, d’autres études sur les rapports d’Eunome avec la philosophie ont cependant abouti à des orientations assez différentes.

88 Cf. L. Abramowski, «Eunomios », col. 936–947, en particulier col. 942–944 (Beurteilung). L’auteur présente

les thèses d’E. Vandenbussche, Th. Dams et J. Daniélou, et estime donc les positions d’Eunome dépendantes du néo-platonisme ; l’article date de 1966 et ne peut donc tenir compte des travaux postérieurs qui nuancent cette hypothèse ; B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 93 : «Grégoire lutte contre les tendances néo-platoniciennes émanatistes d’Eunome », p. 111 : «Eunome reprend l’échelle néo-platonicienne de la chaîne d’or », p. 127 : B. Pottier propose une traduction du fragment 1 et conclut : «Ce texte clef du système eunomien, tout en affirmant les grands principes méthodologiques de sa recherche théologique, développe une triadologie et une ontogénèse à certains égards proches du néo-platonisme », p. 129 : «Eunome est à la recherche d’un moyen terme entre le créationisme de sa foi et l’émanatisme de sa philosophie », p. 354 : «vision plotinienne d’Eunome » ; de même R. Winling in Grégoire de Nysse, Contre Eunome I 1–146, p. 44 (l’auteur commente le fragment 1) : «Il s’agit donc d’une hiérarchie de trois ousies, dont la dignité va en décroissant de façon progressive. Or ce langage va dans le sens du néo-platonisme et se rapproche de celui de Plotin. (. . .) Eunome retient le schéma scalaire néoplatonicien de la subordination des ousies » (R. Winling remarque toutefois, id., note 1, p. 44, que le système de Plotin est émanatiste, ce qu’Eunome aurait tenu à éviter). L’approche de R. Mortley, From Word to Silence, t. 2, p. 128s (VIII : Arian negative theology : Aetius and Eunomius) insiste au contraire sur les rapports entre l’épistémologie anoméenne et la théologie négative néo-platonicienne, spécialement en ce qui concerne la prédication pour Dieu de termes négatifs, en l’occurrence le terme ÇgËnnhtoc. 89 Ainsi dernièrement J.-C. Larchet, La Théologie des Énergies divines, p. 147 : «Comme l’ont remarqué de nombreux commentateurs, le système d’Eunome est en fait un système néo-platonicien. » (je souligne). 90 Ces rapports avec l’empereur Julien, même s’ils sont bien attestés par ailleurs, cf. supra partie I, chapitre I, 2.2 L’AA d’Eunome, p. 37–38, ne semblent cependant pas permettre d’envisager une influence philosophique sur Aèce ou Eunome, cf. M. DelCogliano, Basil of Caesarea’s Anti-Eunomian Theory of Names, p. 70–71, ici p. 71 : «Aetius was sent to Julian to dissuade him from his associations with these philosophers [les philosophes néoplatoniciens Maximus ou Priscus]. This makes it all the more implausible that Aetius developed an interest in Noeplatonism from contact with these philosopher-friend of Julian. As emperor, Julian appears to have esteemed Aetius because of his support of Gallus, for whom Aetius had suffered, not because of any shared interest in Neoplatonist philosophy. »

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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Le titre de la thèse d’A. Schindler laisse pressentir le soin tout spécialement accordé à l’étude des sources d’Eunome et des Cappadociens : «Le fondement de l’enseignement trinitaire dans la controverse eunoméenne. Étude des Apologies d’Eunome, du Traité contre Eunome de Basile le Grand et des Traités trinitaires de Grégoire de Nysse » 91. L’auteur aborde cette question dans sa deuxième partie 92, prend pour point de départ l’article de J. Daniélou 93 et en évalue la conclusion : «Sous un revêtement chrétien, il s’agit d’un système platonicien ». Selon A. Schindler, ce jugement est «complètement faussé » 94, et ce pour deux raisons, par erreur de principe et faute historique. L’erreur de principe consiste, selon l’auteur, à ne pas considérer Eunome comme un théologien chrétien authentique, qui se voudrait le représentant de la vraie foi, mais de le repousser en quelque sorte derrière un arrière-fond néo-platonicien. Un tel jugement, poursuit A. Schindler, pourrait être appliqué à n’importe quel Père de l’Église. Au contraire, Eunome et Grégoire ne sont que deux théologiens, qui se veulent les représentants d’un enseignement chrétien 95. La seconde erreur (la faute historique, selon l’auteur) consiste en une mauvaise appréciation des rapports d’Eunome avec les théories néoplatoniciennes, puisqu’il existe entre les deux systèmes des différences significatives. Ces divergences relevées par A. Schindler sont nombreuses 96, et font ressortir tous les aspects non néo-platoniciens de l’enseignement d’Eunome. L’auteur souligne ensuite les références fréquentes à l’Écriture faites par Eunome ainsi que le rôle du Fils dans son eschatologie 97. Enfin, au fondement de la doctrine d’Eunome se situe la loi de la nature, qui est la loi de la Création 98. A. Schindler, qui considère donc devoir mettre de côté une prépondérance néo-platonicienne chez Eunome, cherche quelles influences 91 A. Schindler, Die Begründung der Trinitätslehre in der eunomianischen Kontroverse. Eine Untersuchung zu den Apo-

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logien des Eunomius, zu Basilius’ des Grossen Schrift gegen Eunomius und zu Gregors von Nyssa trinitarischen Schriften, thèse non publiée de l’université de Zürich 1964. Id., p. 137. Teil II : Motive und Hintergründe der Auseinandersetzung. Cf. supra note 78s, p. 136s. Selon A. Schindler, J. Daniélou est le seul à avoir véritablement réussi à mettre en évidence des rapprochements entre l’enseignement d’Eunome et les néo-platoniciens contemporains (id., p. 137 : «Erst Daniélou ist jedoch gelungen, diese Hintergründe im einzelnen nachzuweisen und zeitgenössische Aeusserungen nachzuweisen, die denjenigen des Eunomius erstaunlich nahe kommen. ») ; l’auteur mentionne E. Vandenbussche, mais ne semble pas connaître Th. Dams (absent du moins de sa bibliographie). Id., p. 142 : «Als Darstellung der wirklichen Lehre des Eunomius ist diese Beurteilung jedoch völlig verkehrt. » Id., p. 142. Ainsi, le concept Èn si important pour Plotin n’apparaît pas chez Eunome ; on ne peut prouver qu’Eunome pense le Èn quand il parle de l’inengendré ; Eunome ne semble pas porter d’intérêt métaphysique particulier au déploiement du monde à partir de l’Un (l’auteur, p. 143, reconnaît que les deux arguments précédents ne sont que des arguments a silentio, mais ils obligent cependant à être très prudent, «äusserst vorsichtig ») ; le Dieu suprême est connaissable, contrairement à ce qu’en disent les néo-platoniciens (de ce point de vue, ce serait plutôt l’oŒs–a divine des Cappadociens qui serait à rapprocher de l’Un néo-platonicien, p. 143) ; le traité Sur les Mystères des Égyptiens parle de la connaissance par les noms de l’essence des dieux, tandis que le dieu suprême et transcendant, au-delà de l’essence (‚pËkeina t®c oŒs–ac), ne semble connaissable qu’à travers les êtres du monde, ce qui s’oppose à la théorie d’Eunome ; Plotin distingue l’Un de toute activité, mais chez Eunome, Père désigne l’inengendré qui engendre et non son essence : la notion de Père n’est donc pas arrachée complètement de l’inengendré (p. 144–145) ; Plotin peut désigner le no‹c comme la première activité, ce qui fait perdre ce rôle d’intermédiaire à l’activité, tel qu’il apparaît chez Eunome (p. 145) ; le système de Proclus, qui parle plutôt d’émanations, semble bien différent de celui d’Eunome, qui parle de création (p. 145) ; pour les néo-platoniciens, le monde est sans commencement, éternel et tout découle de l’Un, tandis que pour Eunome le monde n’est pas éternel et tout est œuvre créée de l’inengendré (p. 146) ; la théorie des noms du traité Sur les Mystères des Égyptiens apparaît empreinte de magie, ce qui ne ressort pas des textes d’Eunome (p. 147). Id., p. 148. Id., p. 149.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

ont pu s’exercer sur l’anoméen et arrive à la conclusion qu’Eunome représente en fait un type propre d’enseignement théologique, celui d’un arianisme tardif 99. Une seconde contribution, allant dans le même sens qu’A. Schindler, est la thèse de B. Barmann 100, en particulier le chapitre IV. 4 : «Eunomianism : Radical Christian Platonism ». L’auteur souligne dès le début les efforts d’Eunome pour affermir métaphysiquement les théories ariennes, dérivées du moyen-platonisme d’Origène 101, puis étudie l’ontologie scalaire et la théorie des noms d’Eunome 102. Sa conclusion sur ce dernier point rejoint d’une certaine manière les orientations d’A. Schindler 103 : B. Barmann préfère en effet attribuer l’origine des thèses épistémologiques néo-ariennes à la tradition chrétienne alexandrine, fortement teintée de platonisme, plutôt qu’aux écoles platoniciennes contemporaines 104. Un examen des positions d’Arius permet à l’auteur de conclure qu’Aèce et Eunome ont introduit dans l’arianisme ces théories platoniciennes, qui étaient déjà dans l’Église, afin de donner à l’enseignement arien un fondement solide presque invincible 105. Cet examen de B. Barmann sur la théorie des noms chez Eunome laisse une impression forte : tout en y reconnaissant une influence platonicienne, l’auteur préfère situer l’origine de celle-ci dans le christianisme alexandrin, en particulier chez Origène. Cette prise de distance vis-à-vis d’une dépendance directe de l’anoméisme au néo-platonisme contemporain se creuse encore avec l’étude 106 du deuxième aspect de la théologie d’Eunome, son ontologie scalaire. Cette fois, l’auteur rejette les rapprochements avancés par E. Vandenbussche, Th. Dams et J. Daniélou ; pour B. Barmann, le système scalaire d’Eunome s’explique par lui-même, à partir de ses propres principes et de sa dialectique, et les ressemblances avec Plotin ne sont dues qu’au désir commun de résoudre un même problème, l’explication du multiple à partir de l’un 107. L’auteur justifie son affirmation en soulignant les différences entre Plotin et Eunome, semblables à celles que Th. Dams avait déjà relevées. 99 Id., p. 153 : «Man wird kaum bestreiten können, dass Eunomius einen eigenen oder eben : einen spätariani-

schen Standpunkt vertritt ». 100 B. Barmann, The Cappadocian Triumph over Arianism, thèse non publiée de l’université de Stanford 1971. 101 Id., p. 221. 102 Ces pages reprennent des éléments maintenant familiers : selon B. Barmann, la théorie eunoméenne des

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noms katÄ f‘sin est d’inspiration platonicienne et trouve ses fondements in nucleo dans le Cratyle de Platon ; elle est attestée chez Clément d’Alexandrie et Origène, p. 224. Comme Th. Dams, l’auteur précise qu’Eunome n’aurait pas accepté les thèses du Cratyle, mais relève quelques points communs entre les deux théories, p. 224–225. B. Barmann ne semble pas le connaître, il est en tout cas absent de sa bibliographie. B. Barmann se penche sur cette tradition platonicienne et les textes mis en avant par J. Daniélou (Les Oracles Chaldaïques, la Vita Pythagorica et le De Mysteriis de Jamblique, ainsi que le Commentaire du Cratyle de Proclus) ; l’auteur en confirme les points communs mais relève surtout les différences, que J. Daniélou n’avait pas mentionnées, et complète ainsi l’examen critique d’A. Schindler (plus étayé cependant que celui de B. Barmann, les remarques sont en tout cas plus nombreuses) : Eunome n’admet qu’un seul nom révélateur de l’essence divine, tandis que les traités platoniciens parlent de plusieurs noms ; ces traités attribuent par ailleurs la compréhension des noms divins à une activité intellectuelle, aspect que n’admet pas Eunome, cf. B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 228. Id., p. 230–235. Beaucoup plus courte que la première, deux pages seulement. Id., p. 237 : «Such studies [les études de Vandenbussche, Dams et Daniélou] fail to recognize that Eunomius’ own principles and dialectic demanded such a notion of the agennêtos and a hierarchy of beings, as we have just seen. Moreover, the similarities between the two systems are not such as to indicate a dependence on Plotinus. The fact that both were struggling to solve the same metaphysical problem, namely, the origin of the multiple from the one, accounts in part for a similar notion of the absolute first being and the subordinate hierarchy of beings. »

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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Une troisième contribution mérite une attention toute particulière. R.-P. Vaggione consacre en effet toute la seconde partie de sa thèse 108 à la question de la «foi » de l’anoméen 109. La méthode employée par R.-P. Vaggione est à peu près toujours la même, puisque l’auteur part d’une accusation portée par les Pères ou des commentateurs modernes d’Eunome, pour la réexaminer systématiquement à partir des textes eunoméens conservés. L’étude menée par R.-P. Vaggione est particulièrement dense, et seules les principales articulations vont être rappelées ici. La première accusation concerne la foi d’Eunome, qui serait sans rapport avec celle des véritables croyants 110 ; l’examen des termes piste‘w et ÂmologËw chez Eunome montre que rien ne justifie ce jugement, et si Eunome joint à la foi la fusikò Ínnoia, l’emploi de cette connaissance naturelle apparaît bien attesté dans la littérature apologétique chrétienne ; ce rapport entre foi et raison, qui ne présente donc rien de remarquable chez Eunome, suscite cependant la seconde accusation portée contre l’anoméen, à savoir la place disproportionnée de la raison dans son système, aux dépens de l’Écriture 111. R.-P. Vaggione, après un examen de l’emploi et de l’interprétation de la Bible par Eunome, aboutit à une conclusion beaucoup plus nuancée : rien ne permet de dire qu’Eunome néglige les textes scripturaires 112, et l’interprétation de certains passages controversés suppose chez lui une démarche rationnelle fondée sur la foi, tout comme chez Basile 113. L’auteur aboutit ainsi à des conclusions assez différentes de celles des chercheurs pour lesquels l’unique principe d’Eunome serait la raison 114. Enfin, la troisième et dernière accusation concerne les contacts entre Eunome et la philosophie. R.-P. Vaggione organise ici son examen selon deux aspects, le contenu et la méthode. L’examen du contenu philosophique de l’enseignement d’Eunome se limite à sa théorie du langage, et les

108 Cf. R.-P. Vaggione, Aspects of Faith in the Eunomian Controversy, thèse non publiée de l’université d’Oxford

1976. 109 Id., part II : The Problem of Faith, p. 121–280. 110 Id., p. 122–135. 111 Id., p. 135–203. 112 R.-P. Vaggione commence par rappeler les accusations de rationalisme portées contre Eunome, citant entre

autres l’article d’E. Vandenbussche, mentionné précédemment, cf. note 68s, p. 135s. L’argumentation de R.-P. Vaggione s’articule alors autour de trois points, extraits de Socrate, h.e. IV, VII : 1. Eunome ne connaîtrait pas bien l’Écriture ; R.-P. Vaggione considère qu’une telle accusation est difficile à prouver (Aspects of Faith, p. 148–149). 2. Eunome ne connaîtrait qu’un nombre limité de passages de l’Écriture ; R.-P. Vaggione dresse alors un tableau des passages scripturaires utilisés par Eunome (id., p. 150–154), ainsi que par Aèce et les eunoméens (id., p. 154–156), et remarque que l’utilisation de l’Écriture par Eunome ne diffère guère de celle de ses contemporains (id., p. 159–162). 3. Eunome interpréterait mal l’Écriture ; R.-P. Vaggione constate en fait que le différend entre Eunome et ses adversaires se réduirait à l’opposition entre exégèses littérale (Eunome) et allégorique (les ‹orthodoxes ›, id., p. 164–175). Pour conclure, l’auteur remet en cause l’affirmation d’E. Vandenbussche, selon laquelle Eunome serait guidé par d’autres principes que l’Écriture ; l’auteur montre qu’il faudrait alors prouver qu’Eunome exclut ou altère volontairement des passages scripturaires, ce qui ne semble pas être le cas, même pour la formule baptismale de Mt 28, 19 (id., p. 187–202). 113 Id., p. 175–186. 114 L’auteur souligne alors deux erreurs d’appréciations, qui pourraient expliquer les prises de position différentes des autres chercheurs. La première est historique et consisterait à vouloir considérer la foi comme toujours claire : seules des influences extérieures pourraient alors expliquer pourquoi certains s’en détournent ; ceci correspond, d’une certaine manière, à l’erreur de principe évoquée par A. Schindler, cf. supra note 95, p. 139. La seconde est psychologique ou épistémologique et tendrait à réduire un système à une unique source, sans prendre en compte toute une part implicite, et l’auteur de renvoyer à Basile, ep. 236, 1 (id., p. 212–216).

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

conclusions de l’auteur rejoignent ici celles d’A. Schindler et B. Barmann 115. Pour ce qui concerne la méthode et la place de l’enquête rationnelle chez Eunome, R.-P. Vaggione souligne que les accusations des adversaires se révèlent peut-être fondées, mais que ces raisonnements logiques visent à interpréter avant tout la foi plutôt qu’à exercer une curiosité malsaine. Cette première étude de R.-P. Vaggione peut être complétée par une seconde bien postérieure 116, qui n’aborde pas en soi la question des relations entre les théories néoariennes et néo-platoniciennes, mais dont l’intérêt réside plutôt en un aspect évoqué par A. Schindler et peu développé par la suite, la mise en valeur de l’identité chrétienne des anoméens 117. Le mérite de R.-P. Vaggione est d’avoir précisé comment les ariens se comprenaient et voulaient s’inscrire dans la tradition apostolique plus qu’en un courant philosophique 118. Une juste compréhension d’Eunome demanderait donc de l’aborder avant tout comme un théologien chrétien et de rechercher plutôt chez les penseurs de l’Église les principes de ses spéculations. Les positions qui ont été présentées dans les pages précédentes, celles d’A. Schindler, B. Barmann et R.-P. Vaggione, ont été corroborées par différentes études, dont la plupart sont consacrées principalement aux aspects épistémologiques de la doctrine eunoméenne ; il est possible de mentionner, entre autres, celles de J.-M. Rist 119 ainsi que celles, plus récentes, de L. Karfíková 120 et M. DelCogliano 121. 115 L’examen de R.-P. Vaggione, s’il est plus succinct, débouche cependant sur les mêmes constatations prin-

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cipales : les positions épistémologiques d’Eunome, si elles sont proches de celles de Jamblique et Proclus, présentent cependant des différences majeures, puisqu’Eunome prétend connaître le Dieu unique, ce que refusent les philosophes ; les positions d’Eunome s’expliquent mieux par des rapprochements avec Clément d’Alexandrie et Origène. R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus and the Nicene Revolution (Oxford Early Christian Studies), Oxford, University Press 2000. Id., ch. 3 et 4 particulièrement. Ce point sera développé infra partie II, chapitre II, p. 181s. Cf. J.-M. Rist, «Basil’s ‹Neoplatonism › : Its Background and Nature », p. 185–188. L’étude est brève, lapidaire et reprend en quelque sorte les conclusions d’A. Schindler et de B. Barmann, avec cependant les précisions suivantes : J.-M. Rist souligne le peu d’intérêt des néo-platoniciens de l’époque de Jamblique pour le Cratyle, ce qui laisse supposer une autre origine pour les sources épistémologiques d’Eunome (Id., p. 186. L’auteur rappelle en passant qu’il n’est pas du tout sûr que Jamblique ait écrit un commentaire du Cratyle) ; par ailleurs, bien que Jamblique ait abondamment commenté Aristote, les marques aristotéliciennes chez Eunome n’obligent pas à voir en lui un témoin de l’aristotélisme mystique de l’école de Jamblique, comme le voudrait J. Daniélou : Eunome lui-même reproche à Basile de suivre les doctrines d’Aristote, et tous deux peuvent très bien avoir lu les Catégories (Id., p. 187) ; enfin, J.-M. Rist, tout en reconnaissant des liens certains avec le Cratyle et certaines thèses stoïciennes, estime que ces éléments ne furent connus des anoméens qu’au travers des livres de grammaire usuels de l’époque (Id., p. 188). À la fin de son étude de l’influence néo-platonicienne sur Basile, J.-M. Rist arrive à une conclusion de même nature, p. 219 : «My enquiry indicates that for most of his life Basil was uninfluenced by Neoplatonic material ; and this is the conclusion predicted by my earlier survey of the fourth century. » Cf. L. Karfíková, «Der Ursprung der Sprache », p. 295–299. L’auteur rappelle les rapprochements effectués par J. Daniélou entre la philosophie du langage d’Eunome et les positions néo-platoniciennes de l’école de Jamblique, mais elle évoque aussi les critiques d’A. Schindler et J.-M. Rist et préfère envisager une influence sur Eunome des réflexions épistémologiques de Clément d’Alexandrie et surtout Origène. Cf. M. DelCogliano, Basil of Caesarea’s Anti-Eunomian Theory of Names. Le chapitre deux de l’ouvrage étudie les rapports avec la philosophie ; l’auteur détermine les caractéristiques de la théorie des noms dans la tradition platonicienne (Id., p. 57–78 : étude du Cratyle, d’Alcinoos et des commentaires néo-platoniciens) et en arrive à la conclusion que les rapprochements avec l’épistémologie d’Eunome restent superficiels (cf. spécialement id., p. 65–78 la longue remise en cause des arguments présentés par J. Daniélou dans son article «Eunome l’arien »). Après avoir étudié et relativisé les possibilités d’une influence platonisante par le biais de

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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2.2.3 Des influences platonisantes ? La juste évaluation des rapports d’Eunome avec la philosophie platonicienne voulait commencer par un état de la question. L’examen qui vient d’être mené a permis de faire ressortir deux orientations majeures. Une première ligne d’interprétation tendrait à voir dans la théologie d’Eunome principalement un système néo-platonicien, rapproché parfois de courants précis comme ceux de l’école de Jamblique. Une autre lecture des théories d’Eunome refuse de ‹déclasser › l’anoméen au rang de simple logicien philosophe, qui aurait corrompu la pureté de la foi par des doctrines étrangères ; au contraire, l’attachement d’Eunome à l’Écriture ainsi que les différences nombreuses relevées entre ses positions et celles des philosophes, engageraient à voir plutôt en lui le représentant authentique d’un courant ecclésial. Sans doute serait-il erroné d’opposer de façon abrupte ces deux approches, pour tomber finalement dans une sorte de dichotomie réductrice, qui opposerait un Eunome uniquement philosophe à un Eunome uniquement chrétien. Cependant, la seconde position évoquée ci-dessus paraît la plus assurée ; tout en reconnaissant les marques platoniciennes du système d’Eunome, elle permet de situer celui-ci dans les courants théologiques ecclésiaux de son époque et donne ainsi de ce penseur chrétien une silhouette sans doute plus authentique et moins polémique. Par ailleurs, cette approche semble pouvoir être encore renforcée. Effectivement, si plusieurs aspects de l’enseignement d’Eunome, teintés de platonisme, pourraient trouver leur source principale chez des auteurs chrétiens antérieurs, les divers rapprochements qui ont été jusqu’à présent effectués en ce sens se sont presque uniquement limités à la théorie du langage de l’anoméen. Pourtant, un tel constat semble pouvoir être étendu aussi à son ontologie scalaire. De fait, alors que les trois substances subordonnées du fragment 1 incitent très souvent les chercheurs à mettre le système d’Eunome en rapport avec le néo-platonisme, les spéculations du moyen-platonisme offrent pourtant des schémas dans une certaine mesure comparables, et qui ont marqué les penseurs chrétiens avant Eunome. Dès lors, il est tout à fait possible de considérer l’ontologie scalaire d’Eunome elle aussi héritière de ces réflexions chrétiennes, comme pour ses positions sur le langage. Qu’il soit permis de mener ici un examen, même bref, de l’ontologie de quelques philosophes représentatifs du moyen-platonisme, ainsi que de leurs influences sur des auteurs chrétiens. Même si ces rappels sont bien connus, ceux-ci s’avèrent cependant indispensables, afin de mettre justement en évidence ces structures scalaires développées dès les deux premiers siècles et ayant pu influencer Eunome. Plutarque de Chéronée développe dans le De Iside et Osiride sa théorie des principes, dont il veut montrer l’accord avec les usages égyptiens 122. Mettant de côté le matérialisme épicurien ainsi que le monisme stoïcien, qui ne sauraient rendre compte du mal 123, Plutarque expose un schéma à trois niveaux représenté par Osiris, Isis et TyPhilon et Eusèbe de Césarée (Id., p. 79–92), l’auteur en arrive à la conclusion qu’une juste compréhension d’Eunome demande de replacer celui-ci dans le contexte théologique chrétien du IVe siècle, ce qui constitue le thème du chapitre suivant («Chapter Three The Heteroousian Theory of Names in its Christian Context »). 122 Et même plus généralement avec les grands esprits de tous les peuples (toÿc ple–stoic ka» sofwtàtoic), cf. Plutarque, Is. 46, 369d s. (mention du mage Zoroastre, des Chaldéens, de la mythologie et des philosophes grecs, en finissant par Platon). Pour un examen plus détaillé de la doctrine des premiers principes selon Plutarque, cf. J. Dillon, The Middle Platonists, p. 199s. 123 Cf. Plutarque, Is. 45, 369a.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

phon 124. Osiris est le dieu transcendant, placé au sommet du système de Plutarque. Il est l’être premier, le seigneur, l’intelligible, le Bien, le premier dieu, père, raison en soi sans mélange et sans passion, qui vit retiré et invisible dans la transcendance 125. Opposé à lui en un dualisme absolu se situe Typhon : dépourvu de tout attribut divin, il représente au contraire le domaine du Mal et s’avère principe de désordre, de perturbation, de changement et de corruption 126. Le monde apparaît alors comme le résultat de ces deux principes, ce qui lui donne son caractère bon et harmonieux mais aussi contingent 127. La formation du monde résulte du troisième principe présenté par Plutarque, Isis, qui se tient entre Osiris et Typhon : elle n’est ni le Bien transcendant ni le Mal, mais se présente comme une femelle de nature, une nourrice, un réceptacle, dotée d’un mouvement autonome 128. Elle tend sans cesse vers le Bien, aspire à être fécondée par lui pour ordonner ainsi la masse informe et désordonnée soumise à Typhon et donner naissance au cosmos 129. Isis apparaît comme le mouvement du monde, salvateur et bienfaisant 130 ; elle peut être ainsi assimilée à la matière, mais surtout à l’âme du monde, voire à un second dieu, subordonné ou intermédiaire, partagé en un double mouvement, tourné vers le Bien divin dont il reçoit les formes, tourné vers le monde chaotique pour ordonner le cosmos 131. L’Enseignement des doctrines de Platon (Didaskalikos) d’Alcinoos compte parmi les plus importants documents médio-platoniciens. L’auteur ne veut présenter qu’une introduction aux doctrines de Platon 132, une sorte de vulgata platonicienne 133, au sein de laquelle se situe sans surprise un exposé des principes premiers : la matière, le modèle des idées, le dieu père et cause de toute chose 134, auquel le chapitre X du Didaskali-

124 Plutarque n’ignore pas non plus, à côté de cette théorie, le schéma classique des trois principes : démiurge, pa-

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radigme et matière, cf. Plutarque, Quaest. conv. VIII 2, 4, 720b ; cf. M. Zambon, Porphyre et le Moyen-Platonisme, p. 112. Cf. Plutarque, Is. 2, 352a [pr∏ton, kur–oc, nohtÏn] ; 53, 372e [pr∏tou ka» kuriwtàtou pàntwn, Á tÇgajƒ taŒtÏn ‚sti] ; 58, 374 f [pr¿toc jeÏc] ; 53, 373b [pat†r, lÏgoc aŒt‰c kaj+ ·aut‰n Çmigòc ka» Çpaj†c] ; 62, 376c [Â to‹ jeo‹ no‹c ka» lÏgoc ‚n tƒ Çoràt˙ ka» Çfaneÿ bebhk∏c]. Id. 53, 372e [to‹ kako‹ moÿra] ; 54, 373a [ätakton ka» taraq¿dec, fjorÄ ka» metabol†] Le monde n’est donc ni abandonné à lui-même ni dirigé comme au gouvernail ou sous la contrainte d’un mors, id. 45, 369c. Id. 53, 372e [t‰ t®c f‘sewc j®lu, tij†nh ka» pandeq†c] ; 62, 376a [aŒtokin†toc forà]. Id. 53, 372f [˚Ëpousa d+ Çe» pr‰c t‰ bËltion ‚x ·aut®c ka» parËqousa gennên ‚ke–n˙ ka» kataspe–rein e c ·autòn Çporro–ac ka» ÂmoiÏthtac]. Id. 62, 376b [ô swt†rioc ka» Çgajò ka» lÏgon Íqousa to‹ kÏsmou k–nhsic]. C’est cet exposé des principes égyptiens que Plutarque veut concilier avec le schéma platonicien. Outre les parallèles possibles avec le Timée de Platon, Osiris et Typhon correspondent aussi selon Plutarque au «Même » et à l’«Autre » présentés dans le Sophiste, cf. Plutarque, Is. 48, 370ef, bien que le «Même » et l’«Autre » ne soient pas un couple de contraires pour Platon mais deux aspects complémentaires du genre suprême, l’Être. M. Zambon, Porphyre et le Moyen-Platonisme, p. 114–115 identifie Isis avec la matière mais aussi avec l’âme du monde, comme le fait H.-J. Krämer, Der Ursprung der Geistmetaphysik, p. 95–96 : «Die zwischen beiden mitteninne stehende Wesenheit (Isis) – nach dem pr¿toc je‰c offensichtlich die zweite Gottheit – trägt zunächst alle Züge der Weltseele. » Alcinoos, didask. I 152 (1, 1–2) : « T¿n kuriwtàtwn Plàtwnoc dogmàtwn toia‘th tic ãn didaskal–a gËnoito. » ; XXXVI 189 (72, 28–29) : « Tosa‹ta Çparkeÿ pr‰c e sagwgòn e c tòn Plàtwnoc dogmatopoiÚan e r®sjai ». Cf. M. Zambon, Porphyre et le Moyen-Platonisme, p. 296. Alcinoos, didask. IX 163 (20, 11–14) : « >Arqik‰n d‡ lÏgon ‚peqo‘shc t®c ’lhc Íti ka» ällac ÇrqÄc paralambànei, t†n te paradeigmatik†n, toutËsti tòn t¿n  de¿n, ka» tòn to‹ patrÏc te ka» a t–ou pàntwn jeo‹. » On retrouve «les trois principes de la métaphysique médioplatonicienne » commente J. Whittaker dans Alcinoos, Enseignement des doctrines de Platon, note 151, p. 98.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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kos est spécialement consacré 135. Alcinoos énumère ses multiples attributs : le premier dieu est le bien suprême (kàllistoc), partout parfait (pantel†c), sans besoin (Çprosde†c), éternel (ÇÚdioc), ineffable (ärrhtoc), il est divinité (jeiÏthc), essence (oŒsiÏthc), vérité (Çl†jeia), proportion (summetr–a), père en tant que cause de tout (patòr dË ‚sti tƒ a“tioc e⁄nai pàntwn) 136. C’est lui le dieu père, qui éveille le deuxième principe, le modèle des idées puis l’âme du monde ; il la tourne vers lui et l’ordonne, afin que celleci puisse à son tour ordonner la matière : l’âme du monde apparaît ainsi caractérisée par une double orientation, tournée vers le premier dieu qui ordonne son intellect, tournée vers le monde pour mettre en ordre la nature de l’univers, ce qui rappelle la double orientation d’Isis présentée par Plutarque 137. Un troisième et dernier témoin mérite d’être mentionné, tant pour ses spéculations métaphysiques que pour l’influence qu’il a pu exercer. Numénius d’Apamée 138 appartient par ses positions doctrinales au courant néo-pythagoricien platonisant 139. Sa théologie s’articule autour de deux dieux, ou de trois selon que le second se décompose en un deuxième et un troisième dieu 140. Le premier dieu de Numénius revêt les caractères déjà rencontrés chez Plutarque et Alcinoos : il est père, étranger à l’œuvre de la création, roi, un, l’être en lui-même, le bien en lui-même, cause ou démiurge de la substance 141. À côté de ce premier dieu se tient le second, démiurge non pas de la substance mais du devenir, du monde organisé 142. Ces deux dieux se distinguent selon que le premier est antérieur et supérieur, immobile et limitant son activité aux substances, tandis que le second est mobile, principe du devenir et de la formation du monde 143. La marque pythagoricienne se fait particulièrement sentir lorsque Numénius définit le premier dieu 135 Cf. sur ce chapitre le commentaire d’A.-J. Festugière, La Révélation d’Hermès Trismégiste, t. 4, p. 95–102 ainsi

que les réflexions de J. Dillon, The Middle Platonists, p. 282–285 (chapitre consacré à Albinus). 136 Alcinoos, didask. X 164. 137 Id. X 165 (23, 1–4) : « tòn yuqòn

to‹ kÏsmou ‚pege–rac ka» e c aÕt‰n ‚pistrËyac, to‹ no‹ aŒt®c a“tioc Õpàrqwn; Ác kosmhje»c Õp‰ to‹ patr‰c diakosmeÿ s‘mpasan f‘sin ‚n tƒde tƒ kÏsm˙. » Sur ce passage, cf. H.-J. Krämer, Der Ursprung der Geistmetaphysik, p. 102–103 : «Im einzelnen wird das Verhältnis zwischen pr¿toc jeÏc = pr¿toc no‹c und Weltseele dahin beschrieben, daß der erste Gott die Weltseele zu sich herwendet und ordnet,

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woraufhin sie selbst die Ordnung des Kosmos übernimmt. (. . .) Das Streben der Weltseele zur transzendenten Gottheit erinnert an Plutarchs Deutung des Isis-Osiris-Mythos. » Numénius était lu dans les cercles plotiniens, cf. Porphyre, Plot. 14 ; Plotin fut même accusé de plagiat, Porphyre, Plot. 17 : « T¿n d+ Çp‰ t®c Are–ou ka» tÄ >Aet–ou frono‹ntac mhd‡n dokeÿn Çmartànein ». 173 Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 226. L’auteur estime que les homéousiens avaient repris la

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deuxième formule d’Antioche, qui contient bien une expression clef semblable à celle combattue par Aèce, « t®c jeÏthtoc oŒs–ac te ka» boul®c ka» dunàmewc ka» dÏxhc to‹ patr‰c Çparàllakton e kÏna », cf. Athanase, syn. 23, 3 (249, 17–18), mais Th.-A. Kopecek est peut-être un peu trop optimiste : comme il a été vu (cf. supra note 23, p. 30), il n’est pas absolument sûr que les homéousiens aient effectivement choisi la deuxième formule d’Antioche lors du concile de Séleucie. Comme Aèce le dit lui-même dans l’introduction du Syntagmation, cf. Épiphane, haer. 76, 11, 2 : « di+ o› [le Syntagmation] pànta änjrwpon ÇntilËgein Õmÿn ‚piqeiro‹nta per» Çgenn†tou jeo‹ ka» gennhto‹ pa‘ein Çnaisqunteÿn suntÏmoic peritropaÿc dun†sesje, pàntwn d‡ mêllon toÃc proeirhmËnouc Qron–tac. » Peut-être y a-t-il une allusion implicite à l’Écriture dans le syllogisme 11, cf. note 211, p. 157. Cf. Épiphane, haer. 76, 11, 2 : « Ìpwc ãn e dËnai Íqoite kat+ Ínnoian t¿n Åg–wn graf¿n e r®sjai ômÿn t‰ log–dion. » Cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-arianism, p. 229. L’expression proposition logique semble plus adéquate que celle de syllogisme, puisque les affirmations d’Aèce n’offrent pas toujours les structures habituelles des syllogismes (prémisses puis conclusion), cf. L.-R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the Anomean », p. 534. Pour une présentation du plan du Syntagmation, cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-arianism, p. 227.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

les homéousiens (n°31–37). Seules les deux premières parties (les dix-huit premières propositions), qui sont plus directement en rapport avec les fondements théologiques présentés par Eunome, vont être ici systématiquement étudiées. Les autres propositions d’Aèce seront citées occasionnellement, pour compléter certaines de ses affirmations. 3.1.3 Propositions 1 à 11 et l’incompatibilité des substances (oŒs–ai) La première partie (propositions 1 à 11) expose la thèse néo-arienne de l’incompatibilité des oŒs–ai et mérite en cela une attention particulière, car elle permet de relever de nombreux rapprochements entre l’enseignement d’Aèce et la doctrine d’Eunome. Cet ensemble de onze propositions commence par un exposé doctrinal (propositions 1 à 4) puis se poursuit par un examen de la notion de génération appliquée à la divinité, vraisemblablement en réponse à différentes hypothèses homéousiennes ou nicéennes (propositions 5 à 11). Les propositions 1 à 4 : exposé général La proposition 1 pourrait tenir lieu de titre pour tout le traité : 1. S’il est possible au Dieu inengendré de faire l’engendré inengendré. 180

Dès le début, Aèce place face à face deux termes bien différenciés, le Dieu inengendré (Â ÇgËnnhtoc jeÏc) et l’engendré (Â gennhtÏc), puis présente une aporie : peut-on faire l’engendré inengendré ? Aèce, placé devant la question de la similitude du Fils avec le Père, réduit donc ce problème à une impossibilité logique, en l’abordant sous la problématique de l’agennésie : la condition d’ ÇgËnnhtoc, présentée implicitement comme propre à la divinité, empêche ipso facto d’envisager le Fils comme Dieu. Il est intéressant de noter le vocabulaire employé par Aèce, qui utilise simplement les termes ‹inengendré › et ‹engendré › et non ceux de ‹Père › ou ‹Fils › 181. Ceux-ci pouvaient, selon lui, impliquer une passion en Dieu, une production incomplète du Fils ou tout ce qui survient dans les générations charnelles, reproches présents dans les propositions 8, 9 et 10 du Syntagmation. L’anoméen évite en conséquence un tel vocabulaire et ne mentionne que le Dieu inengendré et l’engendré. Il a été vu que le début du fragment 1 d’Eunome se situait dans cette ligne et faisait même un pas de plus dans l’abstraction, en ne parlant plus que de substance (oŒs–a) 182. Aèce vient de poser les fondements de sa théologie : inengendré comme attribut propre de Dieu, opposition inengendré/engendré. Cependant, il convient de reconnaître que ces affirmations, spécialement la relation d’opposition inengendré/engendré, demeurent avant tout logiques 183 ; l’auteur du Syntagmation va donc prendre soin, dans les deux propositions suivantes, de leur donner un fondement plus ontologique.

180

a'. e  dunatÏn ‚sti tƒ Çgenn†t˙ jeƒ t‰ gennht‰n ÇgËnnhton poi®sai.

181 Sur cette particularité du vocabulaire, cf. infra partie II, chapitre II, 3.1.4 Propositions 12 à 18 et la révélation

de la substance, p. 158–159. 182 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.1 Le terme «substance », p. 93. 183 Opposition des termes contradictoires ÇgËnnhtoc/gennhtÏc.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

153

2. Si le Dieu inengendré est au-delà de toute cause, il est aussi du fait même au-delà de la génération. S’il est au-delà de toute cause, il est clair qu’il l’est aussi de la génération. En effet, il n’a pas reçu l’être par une autre nature ni ne s’est donné à lui-même l’être. 184

Aèce, dans ce bref raisonnement, suppose la redoutable relation logique suivante : sans cause



inengendré

änarqoc ⇒ ÇgËnnhtoc. Personne ne remettra en doute que Dieu soit sans cause, car Dieu est le principe de toute chose : Dieu est donc inengendré. Aèce démontre ainsi la première affirmation de sa proposition précédente : inengendré est un attribut propre de Dieu. Aèce aborde alors la question du rapport avec l’engendré dans la troisième proposition : 3. S’ il ne s’est pas donné lui-même l’être, non par infirmité de sa nature mais parce qu’il transcende toute cause, comment pourrait-on concéder que la nature qui subsiste n’a aucune différence quant à la substance avec la nature qui fait subsister, une hypostase de ce genre n’admettant pas de génération ? 185

La grande nouveauté de cette proposition consiste dans l’emploi massif des termes f‘sic, oŒs–a, ÕpÏstasic, presque totalement absents des réflexions précédentes 186. L.-R. Wickham fait remarquer que ces termes semblent être interchangeables dans le Syntagmation comme chez Eunome 187, mais il convient pourtant de souligner que f‘sic semble se rattacher ici à un aspect plutôt dynamique (faire subsister) 188, tandis que oŒs–a soulignerait davantage ce qu’est la réalité, et ÕpÏstasic la réalité en tant que telle 189. Quoi qu’il en soit, il est maintenant facile à Aèce, en s’appuyant sur ses conclusions précédentes, de réduire en opposition de nature le constat uniquement logique de la proposition 1 et d’opposer, non plus les concepts inengendré et engendré, mais nature qui subsiste (f‘sic Õpostêsa) et nature qui fait subsister (f‘sic Õpost†sasa), pour tirer sa conclusion contre le t‰ Çparàllakton e c oŒs–an si défendu par les homéousiens : la nature qui subsiste ne peut qu’être différente de la nature qui fait subsister 190. Aèce, dans les deux propositions précédentes, vient donc tout à la fois de justifier et d’expliciter en terme de nature les principes qu’il avait exposés dans la proposition 1 184

185

186 187

b'. E  pàshc a t–ac kre–ttwn Õpàrqei  ÇgËnnhtoc jeÏc, diÄ to‹to ka» genËsewc kre–ttwn ãn e“h. e  d‡ kre–ttwn ‚st» pàshc a t–ac, d®lon Ìti ka» genËsewc. o÷te gÄr par+ ·tËrac f‘sewc e“lhfe t‰ e⁄nai o÷te aŒt‰c ·autƒ t‰ e⁄nai parËsqen. g'. E  d‡ aŒt‰c ·autƒ t‰ e⁄nai mò parËsqen, oŒ diÄ t‰ Çsjen‡c t®c f‘sewc, ÇllÄ diÄ t‰ ÕperbebhkËnai pêsan a t–an, pÏjen än tic tòn Õpostêsan pr‰c tòn Õpost†sasan f‘sin t‰ Çparàllakton e c oŒs–an Íqein sugqwr†seien, oŒ prosiemËnhc t®c toia‘thc Õpostàsewc gËnesin? Une unique mention de f‘sic dans la proposition 2. Cf. L. R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 552 : « f‘sic, oŒs–a, and ÕpÏstasic seem

to be used almost interchangeably both in the Syntagmation and by Eunomius ». f‘sic est ici lié aux notions de subsister, faire subsister, donner l’être, ce qui peut s’expliquer d’un simple aspect étymologique, cf. f‘w. 189 Cf. la proposition 28, où ÕpÏstasic et oŒs–a semblent légèrement distinguées : « kh'. E  pên t‰ gegon‰c Õf+ 188 Le terme

·tËrou gËgonen, ô d‡ ÇgËnnhtoc ÕpÏstasic o÷te Õf+ ·aut®c o÷te Õf+ ·tËrac gËgonen, Çnàgkh oŒs–an dhlo‹n t‰ ÇgËnnhton. » L.-R. Wickham relève aussi ce sens de ÕpÏstasic, cf. «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 565. 190 Ce passage explicite sur une opposition de nature peut sans doute s’expliquer par la volonté de rejeter la

similitude kat+ oŒs–an, que les homéousiens justifiaient par l’analogie avec la génération humaine : un père engendre une substance qui lui est semblable. Aèce répondrait alors que la nature qui fait subsister ne peut être semblable à la nature qui subsiste. Le fait que la conclusion d’Aèce remette directement en cause la deuxième formule de foi du concile des Encénies, et donc peut-être la formule de foi adoptée par les homéousiens à Séleucie, pourrait confirmer ce fait.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

de façon brève et avant tout logique. Mais l’anoméen ne s’arrête pas là et met dans la proposition 4 un point final à toute cette première partie : 4. Si Dieu demeure définitivement dans une nature inengendrée et si l’engendré est définitivement engendré, la perversité de homoousios et homoiousios sera détruite. Un élément incompatible se trouve dans la substance, chacune des natures demeurant sans fin dans le rang propre de sa nature. 191

Aèce reprend les résultats de ses affirmations précédentes, et l’opposition de la proposition 1 entre l’inengendré et l’engendré reparaît, mais enrichie des acquis des propositions 2 et 3 : Aèce place ainsi face à face le Dieu inengendré et l’engendré 192, mais ces termes se rapportent maintenant explicitement à la nature (cf. le ‚n Çgenn†t˙ f‘sei). Aèce introduit cependant une nuance nouvelle par l’adverbe Çteleut†twc (définitivement), excluant ainsi toute possibilité d’évolution ou de changement. Cela permet dès lors de placer entre Dieu et l’engendré un élément absolument incompatible (t‰ ‚n oŒs–¯ Çs‘gkriton), d’exclure la ‹perversité › de homoousios et homoiousios (to‹ Âmoous–ou ka» Âmoioous–ou kakodox–a) 193 et, finalement, de situer Dieu et l’engendré «dans le rang propre de leur nature » (‚n tƒ  d–˙ t®c f‘sewc Çxi∏mati) 194. Au terme de cette proposition 4 se dévoilent donc plus nettement les grands principes de la théologie d’Aèce : l’engendré et le Dieu inengendré qui le fait subsister sont du fait même deux oŒs–ai incompatibles, puisque leurs attributs respectifs ‹engendré › et ‹inengendré › caractérisent leur nature et déterminent leur rang ontologique propre. Les propositions 5 à 11 et la conception de la génération Aèce, après avoir souligné l’incompatibilité des substances, se penche maintenant sur le problème de la génération et la façon de comprendre celle-ci. Par ces propositions, le néo-arien veut affermir à la fois les positions anoméennes, attestées déjà par le Traité de 359 195, et combattre en même temps les positions homéousiennes et nicéennes, comme pouvant être comprises dans le sens d’un partage matériel de la substance. La proposition 5 résume bien le problème tel que le conçoit Aèce et certains éléments se retrouvent, sous une autre forme, dans les propositions suivantes (propositions 6 à 11) : 5. Si Dieu est inengendré quant à la substance, ce qui a été engendré n’a pas été engendré par une partition de la substance, mais parce que sa puissance l’a fait subsister. Car aucun enseignement religieux ne permet que la même substance soit à la fois engendrée et inengendrée. 196 191

d'. E  Çteleut†twc  je‰c diamËnei ‚n Çgenn†t˙ f‘sei ka» Çteleut†twc t‰ gËnnhma gËnnhmà ‚stin, ô to‹ Âmoous–ou ka» Âmoioous–ou kakodox–a parafanisj†setai. —statai d‡ t‰ ‚n oŒs–¯ Çs‘gkriton, ·katËrac f‘sewc Çpa‘stwc diameno‘shc ‚n tƒ  d–˙ t®c f‘sewc Çxi∏mati.

192 Aèce ne nomme pas l’engendré Dieu et laisse peut-être ainsi entendre que l’engendré ne saurait être Dieu

comme l’inengendré ; peut-être Aèce a-t-il voulu dire la même chose dans le syllogisme 1, puisqu’il ne fait pas mention d’un gennht‰c jeÏc, mais la simple grammaire pourrait expliquer ce fait (omission du substantif pour éviter une répétition). 193 Une telle opposition contre le Âmoioo‘sioc se retrouve dans le Traité de 359, qui cite apparemment un texte anoméen, cf. Épiphane, haer. 73, 21, 2 : « gràfousi gÄr aŒtaÿc lËxesin o’twc; (. . .) Ìsoi tòn kat+ oŒs–an

ÂmoiÏthta Çpos∏zein t‰n u…‰n tƒ patr» Õpolambànousin, Íxw t®c Çlhje–ac beb†kasi, diÄ t®c Çgen†tou proshgor–ac kathgoro‹ntec to‹ Âmo–ou kat+ oŒs–an. » 194 Sans mentionner directement un rang de nature, la deuxième citation anoméenne du Traité de 359 pourrait

déclarer le Fils inférieur par la génération à l’inengendré (selon une conjecture de Holl), cf. Épiphane, haer. 73, 21, 3 : « Â d‡ u…‰c ‚làttwn ‹ to‹ Çgen†tou diÄ t®c › genËsewc ka» Ísti ka» ±molÏghtai. » 195 Cf. infra note 218s, p. 158. 196

e'. E  ÇgËnnhtÏc ‚stin  je‰c tòn oŒs–an, oŒk oŒs–ac diastàsei t‰ gennhj‡n ‚genn†jh, Çll+ ‚xous–ac Õposthsàshc aŒtÏ. tòn gÄr aŒtòn oŒs–an ka» gennhtòn e⁄nai ka» ÇgËnnhton oŒde»c lÏgoc eŒsebòc ‚pitrËpei. Je

Chapitre II : Les sources d’Eunome

155

Comment comprendre la génération du Fils par le Père, ou, pour reprendre le vocabulaire d’Aèce, de l’engendré par l’inengendré ? Tout le problème repose sur la manière d’appliquer à Dieu les catégories de la génération d’ici-bas, constituée d’éléments inapplicables à la divinité, comme passions (pàjh) ou écoulement (Çporro–a) 197. Le parti homéousien prit une sorte de voie médiane, comme en témoigne la Lettre synodale de 358, choisissant de considérer la génération du Fils par le Père en partie d’après les catégories de la génération humaine (pour sauvegarder la similitude de la substance), en partie d’après celles du rapport créateur /créature (pour sauvegarder l’absence de passions et la conformité du produit avec la volonté du créateur) 198. Cette position homéousienne s’opposait en fait à l’orientation anoméenne, qui voulait considérer de son côté la génération divine uniquement comme un acte de puissance 199, sans analogie aucune avec la génération humaine, inévitablement liée selon eux à une partition de la substance et donc incompatible avec l’unité divine 200. C’est cet enseignement néoarien que reprend Aèce dans cette proposition 5, fidèle à un point central de doctrine suis la correction du texte proposée par X. Morales, «Identification de l’auteur des citations néo-ariennes dans le Traité de Basile d’Ancyre », p. 496, qui propose de corriger le texte de Holl « Çll+ ‚x oŒs–ac Õposthsàshc aŒtÏ » en « Çll+ ‚xous–ac Õposthsàshc aŒtÏ », ce texte corrigé trouvant un écho mot pour mot dans la cinquième thèse mentionnée dans le Traité de 359. La proposition 7 du Syntagmation soutient une telle correction (‚xous–¯ d‡ ÕpËsthse gËnnhma). L’auteur ne semble pas connaître l’article de L.-R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the anomean », qui propose une correction légèrement différente mais allant dans le même sens (« Çll+ ‚xous–¯ ÕpËsthsen aŒtÏ »). L.-R. Wickham s’appuie sur le fragment de Cyrille d’Alexandrie, thes., Assertio X (133B). La proposition de X. Morales (une seule correction) paraît cependant meilleure que celle de L.-R. Wickham. 197 C’est la difficulté majeure, soulevée par les homéousiens, cf. Épiphane, haer. 73, 3, 5 : «‹ Çll+ oŒd‡ t‰ to‹ u…o‹ Ónoma pantàpasi tËleion ›, ±c Çp‰ swmatik¿n proslambanÏmenon ka» diÄ tÄ pàjh ka» tÄc Çporro–ac t¿n swmatik¿n patËrwn ka» u…¿n » (selon la conjecture de Holl) ; les anoméens mentionnent la même difficulté, cf. Épiphane, haer. 73, 4, 5 : « e  dË ‹ tic › diÄ tòn ÕpÏnoian tòn per» ‹ t¿n katÄ › toÃc swmatikoÃc patËrac te ka»

198

u…oÃc [t¿n] paj¿n, dedi∞c m† ti pàj˘ genn¿n  Çs∏matoc, e  mò Çtel‡c e“h t‰ genn∏menon ka» Ìsa sumba–nei per» t‰n swmatik‰n patËra te ka» u…Ïn ». Pour la similitude de la substance suggérée par les noms de Père et Fils, cf. Épiphane, haer. 73, 3, 3 : « —na ‹ t¿n › Ênomàtwn prosako‘ontec Çp‰ t¿n fusik¿n, ‚n oŸc ‹ patòr Çe» Ìmoion u…‰n gennî, › t‰n patËra a“tion Âmo–ac aŒto‹ oŒs–ac ‚nno¿men, ka» t‰ Ónoma to‹ u…o‹ Çko‘ontec Ìmoion no†swmen t‰n u…‰n to‹ patrÏc, o› ‚stin  u…Ïc. » ; id. 73, 4, 2 : « ‚p» to‹ patr‰c ka» u…o‹, ‚kbeblhmËnwn t¿n swmatik¿n pàntwn, paraleifj†setai mÏnh ô Âmo–ou [ka»] kat+ oŒs–an zºou genesiourg–a, ‚peidò pêc patòr Âmo–ac oŒs–ac aŒto‹ noeÿtai pat†r ». Pour l’absence de passion et la conformité avec la volonté du créateur, cf. Épiphane, haer. 73, 3, 7 : « ÇfairoumËnou gÄr Çp‰ to‹ kt–smatoc to‹ te Íxwjen Õfest¿toc ka» to‹ Õliko‹ ka» t¿n ällwn, Ìsaper swmatiko‹ kt–smatoc t‰ Ónoma periËqei, mÏnh Çp‰ to‹ kt–smatoc mËnei ô Çpaj†c fhmi to‹ kt–zontoc ka» tele–a to‹ ktizomËnou ka» oŸon öbo‘leto  kt–zwn e⁄nai t‰ ktizÏmenon, Ínnoia. » De même id. 73, 4, 2 : « ±c gÄr ‚p» to‹ kt–smatoc pàlin ‚ro‹men, ‹ Ìti › pàntwn ‚kbeblhmËnwn ‹ t¿n swmatik¿n › parele–fjh ô Çpajòc m‡n tou kt–zontoc, tele–a ‹ d‡ › ka» o—an öbo‘leto ka» pag–a ô to‹ kt–smatoc ‹ Ínnoia › ». Sur cette position homéousienne, cf. J. Gummerus, Die homöusianische Partei, p. 69–70.

199 Cf. le dix-huitième anathème de la Lettre synodale de 358, qui condamne la production par puissance, cf.

Épiphane, haer. 73, 11, 9 : « Ka– e“ tic ‚xous–¯ mÏn˘ t‰n patËra ‹ patËra › lËgoi to‹ monogeno‹c u…o‹ ka» mò ‚xous–¯ Âmo‹ ka» oŒs–¯ patËra to‹ monogeno‹c u…o‹, ±c mÏnhn tòn ‚xous–an lambànwn ka» koinopoi¿n aŒt‰n pr‰c tÄ loipÄ poi†mata ka» oŒ lËgwn Çlhj¿n ‚k patr‰c gn†sion u…Ïn, Çnàjema Ístw. » Th.-A. Kopecek, A History of Neo-arianism, p. 235 propose d’interpréter la production de l’engendré selon Aèce comme une création : «Aetius suggested that the concept of essential partition should be abandoned in favor of the concept of creation » ; si cela pourrait correspondre en partie au dix-huitième anathème de la Lettre synodale (koinopoi¿n aŒt‰n pr‰c tÄ loipÄ poi†mata), rien ne permet de tirer une telle conclusion des propos même d’Aèce dans le Syntagmation. Sur l’inengendré qui fait subsister par puissance, cf. aussi la proposition 7. 200 Cf. Épiphane, haer. 73, 6, 1 : « e  o’twc nohje–h pat†r, pàjoc £ merism‰n £ ÇpÏrroian ÕpomËnontoc to‹ patr‰c. » (merismÏc dans la lettre synodale, diastàsic dans le Syntagmation). Ces objections ariennes étaient courantes, cf. Athanase, Ar. I 26–28.

156

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

anoméenne, et cette importance de l’unité divine est évoquée à nouveau dans la proposition 7 201 : 7. Si Dieu n’est pas tout entier inengendré, rien n’empêche qu’il ait engendré substantiellement. Mais s’il est tout entier inengendré, il ne se sépare pas substantiellement en vue de la génération, mais il a fait subsister l’engendré par sa puissance 202.

De même que dans la proposition 5, Aèce relie ici la génération à l’unité divine et place plus explicitement les défenseurs d’une génération substantielle devant un dilemme : une telle génération, si elle établit de fait une similitude entre la nature engendrée et celle inengendrée, implique cependant un partage de la nature inengendrée pour fonder cette similitude 203. Mais si Dieu est tout entier inengendré (Ìloc ‚st»n ÇgËnnhtoc), comme l’ont montré les premières propositions et comme le demande l’unité divine, toute génération substantielle se trouve exclue. La génération ne peut donc être que par puissance, en dehors de toute similitude katÄ tòn oŒs–an. Aèce tire les dernières conséquences de cette unité divine au début de la proposition 8, soulignant les conséquences d’un Dieu tout entier «engendreur » (Ìloc gennhtikÏc) : 8. Si le Dieu inengendré est tout entier engendreur, ce qui a été engendré n’a pas été engendré substantiellement, puisque sa substance tout entière a la capacité d’engendrer, mais non d’être engendrée. 204

L’intérêt principal de cette proposition 8 repose dans sa deuxième partie, où apparaît un concept nouveau qui n’avait pas encore été mentionné auparavant, celui de Fils (Â u…Ïc). La fin de cette proposition envisage en effet plus explicitement que précédemment la génération sous l’aspect des générations charnelles et des relations père /fils au sein des réalités créées : 8. Si la substance de Dieu une fois transformée est dite engendrée, sa substance n’est pas immuable, puisque le changement a produit le modelage du Fils. Mais si la substance de Dieu est immuable et supérieure à la génération, la relation au Fils sera reconnue une pure dénomination. 205

Si l’immutabilité divine sert maintenant de prémisse à Aèce pour rejeter toute génération substantielle en Dieu, comme l’avaient fait l’unité et la simplicité divine dans les propositions précédentes, Aèce introduit surtout une considération épistémologique supplémentaire, qui semble devoir être considérée comme une attaque directe contre les déclarations homéousiennes : la relation au Fils n’est qu’une pure dénomination 201 La proposition 6, plus éloignée de ce thème, peut être laissée de côté ; elle est considérée par L. R. Wickham

comme une pièce rapportée, fondée sur une sagesse proverbiale, cf. «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 553 : «I doubt whether this is more than a sally based on proverbial wisdom » [c'. E  t‰ ÇgËnnhton

‚genn†jh, t– kwl‘ei t‰ gennht‰n ÇgËnnhton gegonËnai; mêllon gÄr Çp‰ to‹ Çnoike–ou ‚p» t‰ aŒt®c o keÿon ‚pe–getai pêsa f‘sic. (Si l’inengendré a été engendré, qu’est-ce qui empêche l’engendré d’être devenu inengendré ? Car toute nature se porte davantage de ce qui ne lui est pas propre à ce qui lui est propre.)] 202

z'. E  mò Ìloc  je‰c ÇgËnnhtÏc ‚stin, oŒd‡n kwl‘ei gegennhkËnai oŒsiwd¿c. e  d‡ Ìloc ‚st»n ÇgËnnhtoc, oŒk oŒsiwd¿c e c gËnesin diËsth, ‚xous–¯ d‡ ÕpËsthse gËnnhma.

203 Si la nature de l’inengendré est semblable à celle de l’engendré, la même nature est donc à la fois inengendrée

et engendrée et ne peut donc être que composée, sans être «tout entière inengendrée ». C’est ce que Aèce laissait déjà entendre à la fin de la proposition 5 : « tòn gÄr aŒtòn oŒs–an ka» gennhtòn e⁄nai ka» ÇgËnnhton oŒde»c lÏgoc eŒsebòc ‚pitrËpei. (aucun enseignement religieux ne permet que la même substance soit à la fois engendrée et inengendrée.) » 204 205

h'. E  Ìloc ‚st» gennhtik‰c  ÇgËnnhtoc jeÏc, oŒk oŒsiwd¿c t‰ gennhj‡n ‚genn†jh, Ìlhc ‚qo‘shc t®c oŒs–ac aŒto‹ t‰ gennên, Çll+ oŒ t‰ gennêsjai. h'. e  d‡ metasqhmatisjeÿsa ô oŒs–a to‹ jeo‹ gËnnhma lËgetai, oŒk Çmetàblhtoc ô oŒs–a aŒto‹, t®c metabol®c ‚rgasamËnhc tòn to‹ u…o‹ e dopo–hsin. e  d‡ e“h ka» Çmetàblhtoc ka» genËsewc kre–ttwn ô oŒs–a to‹ jeo‹, t‰ katÄ t‰n u…‰n Èwc yil®c proshgor–ac Âmologhj†setai.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

157

(yilò proshgor–a) car elle ne trouve aucun fondement ontologique dans la relation inengendré/engendré. L’analogie père /fils ne peut donc servir de point de départ pour appuyer la similitude selon la substance, comme le font les homéousiens 206. Aèce, toujours rigoureux, développe cet aspect dans les deux propositions suivantes 9 et 10. En effet, si l’on applique à l’inengendré et à l’engendré les modalités de la génération charnelle, il s’ensuit que le Fils ne se trouve que de façon séminale dans l’inengendré et ne reçoit sa perfection que de l’extérieur après sa production 207 (proposition 9). Il ne peut donc être produit que de façon imparfaite par l’inengendré, ce qui ne peut être admis. La proposition 10 évoque une autre possibilité, le Fils comme parfaitement achevé dans l’inengendré, mais une telle hypothèse implique deux nouvelles absurdités : d’une part, la nature inengendrée contiendrait en elle-même une nature engendrée, ce qui est un non-sens 208 ; d’autre part, la nature divine serait constituée de deux parties hétérogènes, ce qui est contraire à la simplicité divine, comme il a déjà été vu 209. Il ressort de tous ces raisonnements assez compliqués, il faut bien le reconnaître, que le Fils ne préexiste en aucun cas dans le Père 210 mais qu’il n’apparaît qu’au moment de sa production. Aèce achève cette première partie de son Syntagmation par une attaque explicite contre l’Âmoo‘sioc. Pour la première fois depuis le début de ses réflexions, Aèce s’appuie dans cette proposition, bien que de façon très indirecte, sur un passage des Écritures 211, en faisant mention de la connaissance divine : 11. Si le Dieu tout puissant existant comme nature inengendrée ne se connaît pas lui-même comme nature engendrée, et si le Fils qui existe comme nature engendrée connaît ce qu’il est lui-même, comment le homoousios ne serait-il pas un mensonge, l’un se connaissant comme inengendré, l’autre comme engendré. 212

Aèce reprend donc les principes utilisés dans ses propositions précédentes et oppose les deux natures, incompatibles parce qu’engendrées et inengendrées. Cependant, si les propositions précédentes se fondaient presque exclusivement sur des principes métaphysiques, cette proposition 11 commence à prendre en compte des principes épistémologiques et fait ainsi le lien avec les sept propositions suivantes, qui s’organisent cette fois autour du terme ÇgËnnhtoc et de sa portée sémantique.

206 Cf. supra note 198, p. 155. 207 j'. E  spermatik¿c ™n ‚n 208

tƒ Çgenn†t˙ jeƒ t‰ gËnnhma, metÄ tòn gËnnhsin Íxwjen proslab‰n ±c ãn e“poi tic öndr∏jh. tËleioc ofin ‚stin  u…‰c oŒk ‚x ¡n ‚genn†jh, Çll+ ‚x ¡n prosËlabe. i'. E  tËleion ™n t‰ gËnnhma ‚n tƒ Çgenn†t˙, ‚x ¡n ™n ‚n tƒ Çgenn†t˙ gËnnhmà ‚stin ka» oŒk ‚x ¡n  ÇgËnnhtoc aŒt‰ ‚gËnnhsen. gennhtòn gÄr f‘sin ‚n Çgenn†t˙ oŒs–¯ oŒk ‚ndËqetai e⁄nai. t‰ gÄr aŒt‰ e⁄nai te oŒk Ísti ka» mò e⁄nai.

209 Cf. supra propositions 5 et 7. 210 L. R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 555, voit là le rejet de la théorie du

LÏgoc

‚ndiàjetoc/LÏgoc proforikÏc. 211 De façon tellement indirecte que les avis sont partagés pour savoir lequel. Selon Th.-A. Kopecek, A History

of Neo-arianism, p. 239, Aèce s’appuierait principalement sur Jn 7, 29 («Moi, je le connais, parce que je viens d’auprès de lui et c’est lui qui m’a envoyé ») et Jn 17, 3 («Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi, le seul véritable Dieu, et celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ») ; pour L. R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 557, il s’agirait d’une allusion à Ex 3, 14 («Dieu dit à Moïse : ‹Je suis celui qui est › »). 212

ia'. E  Çgenn†tou f‘sewc Õpàrqwn je‰c  pantokràtwr gennht®c f‘sewc oŒk o⁄den ·autÏn,  d‡ u…‰c gennht®c f‘sewc Õpàrqwn to‹to gin∏skei ·aut‰n Ìper ‚st–, p¿c oŒk ãn e“h t‰ Âmoo‘sion ye‹doc, to‹ m‡n gin∏skontoc ·aut‰n ÇgËnnhton, to‹ d‡ gennhtÏn?

158

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

3.1.4 Propositions 12 à 18 et la révélation de la substance (oŒs–ac dhlwtikÏn) Ces sept propositions, toutes centrées sur la portée sémantique du terme ÇgËnnhtoc, envisagent l’étude de ce terme selon deux aspects différents : le mot ÇgËnnhtoc révèle-t-il la substance (oŒs–a) du Dieu tout-puissant ou n’est-il qu’une simple expression (proforà) ? Ce terme est-il le résultat d’une conception (‚p–noia) humaine ? Avant d’étudier les différentes propositions d’Aèce, il convient de remarquer le rôle toujours plus important que prend dans la théologie néo-arienne le concept d’inengendré (ÇgËnnhtoc), comme il est possible de le constater par une comparaison de la Lettre synodale de 358 avec le Traité de 359. La Lettre synodale homéousienne commençait par rappeler l’importance de la formule baptismale (cf. Mt 28, 19) et des noms de Père et Fils, à préférer aux autres formulations sans doute en usage dans les milieux ariens (Çjànatoc, äsarkoc, ÇgËnnhtoc, äktistoc) 213. Les néo-ariens auraient justifié l’emploi de tels termes par deux motifs différents : d’une part, ces nouvelles dénominations visaient à maintenir l’inengendré dans son absolue transcendance 214 ; d’autre part, les milieux néo-ariens ne pouvaient accepter au sens propre les termes Père et Fils, parce que susceptibles d’évoquer différents aspects de la génération charnelle inapplicables à Dieu (passion, évolution) 215. Les termes Père et Fils devaient au contraire être interprétés uniquement dans le sens d’une similitude selon l’activité et non selon la substance, comme en témoigne l’anathème 11 de la Lettre synodale 216. Le Père ne serait alors Père que par puissance (‚xous–¯) et non aussi par substance (oŒs–¯), selon les anathèmes 18 et 19 217. Si ces positions anoméennes se retrouvent dans le Traité de 359, les six assertions néo-ariennes qui y sont rapportées mettent cependant davantage l’accent sur le terme inengendré, qui exclut toute similitude selon la substance (assertion 1) 218 et semble donc devoir être maintenant plus explicitement référé à la substance 219. Par ailleurs, si la 213 Cf. Épiphane, haer. 73, 3, 2 : « oŒ

gÄr e⁄pe; bapt–zontec aŒtoÃc e c t‰ Ónoma to‹ Çsàrkou ka» sarkwjËntoc £ to‹ Çjanàtou ka» janàtou peÿran labÏntoc £ to‹ Çgenn†tou ka» gennhto‹, Çll+ e c t‰ to‹ patr‰c ka» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc » ; Athanase, Ar. I 34, 4 : « ka» t‰ kefàlaion d‡ t®c p–stewc ôm¿n e c to‹to sunte–nein öjËlhse kele‘sac ômêc bapt–zesjai oŒk e c Ónoma Çgen†tou ka» genhto‹, oŒd‡ e c Ónoma Çkt–stou ka» kt–smatoc, Çll+ e c Ónoma patr‰c ka» u…o‹ ka» Åg–ou pne‘matoc. » ; Id., decr. 31, 3 (27, 22–25).

214 De telles formules permettaient de maintenir le Dieu tout-puissant explicitement en dehors de toute incar-

nation (sarkwjËntoc) et mort (janàtou) caractéristiques du Fils ; cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 159, qui fait le rapprochement avec un passage de l’AA cité en Eun. III/X 29. 215 Épiphane, haer. 73, 4, 5 : « e  dË ‹ tic › diÄ tòn ÕpÏnoian tòn per» ‹ t¿n katÄ › toÃc swmatikoÃc patËrac te ka»

u…oÃc [t¿n] paj¿n, dedi∞c m† ti pàj˘ genn¿n  Çs∏matoc, e  mò Çtel‡c e“h t‰ genn∏menon ka» Ìsa sumba–nei per» t‰n swmatik‰n patËra te ka» u…Ïn. » 216 L’anathème 11 commence par interpréter Jn 5, 26 dans le sens d’une similitude selon la substance et Jn

5, 19 dans le sens d’une similitude selon l’activité, puis condamne la réduction de la similitude à la simple activité, cf. Épiphane, haer. 73, 11, 2 : « mÏnhn tòn kat+ ‚nËrgeian ÂmoiÏthta didoÃc t®c kat+ oŒs–an, ° ‚sti t‰

kefalaiwdËstaton ôm¿n t®c p–stewc, Çpostero–h t‰n u…Ïn, ¿c ·aut‰n Çposter¿n t®c ‚n gn∏sei patr‰c ka» u…o‹ a wn–ou zw®c, Çnàjhma Ístw. » 217 Cf. Épiphane, haer. 73, 11, 9–10. 218 Cf. Épiphane, haer. 73, 21, 2 : « Ìsoi

tòn kat+ oŒs–an ÂmoiÏthta Çpos∏zein t‰n u…‰n tƒ patr» Õpolambànousin, Íxw t®c Çlhje–ac beb†kasi, diÄ t®c ÇgËn‹ n ›htou proshgor–ac kathgoro‹ntec to‹ Âmo–ou kat+ oŒs–an. » (selon le Jenensis mscr. Bose 1, qui porte la leçon ÇgËnnhtou, contre les autres manuscrits : ÇgËnhtou). Cette mise en avant plus pressante par les néo-ariens des termes engendré et inengendré semble avoir été bien perçue par les partisans homéousiens, cf. Épiphane, haer. 73, 14, 4 : « o… t¨ a…rËsei summaqo‹ntec, d‘o pragmate‘sasjai

spe‘dousin, „n m‡n t‰ mhkËti lËgein patËra ka» u…Ïn, ÇllÄ ÇgËnnhton ka» gennhtÏn, [ka»] diÄ to‹to sÏfisma t®c a…rËsewc o Ïmenoi ‚peisàgein t¨ ‚kklhs–¯. » 219 Sur cette évolution néo-arienne entre 358 et 359, cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 269–270.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

159

Lettre synodale n’envisageait de similitude avec le Père que par puissance, le Traité de 359 précise cette affirmation en expliquant que le terme Père ne peut indiquer que la puissance, et non la substance (assertion 5) 220. Les propositions 12 à 18 du Syntagmation confirment cette évolution néo-arienne et l’accentuent, puisque le terme ÇgËnnhtoc renvoie maintenant explicitement à la substance. La proposition 14 s’avère de ce point de vue particulièrement intéressante, puisqu’Aèce relie en quelque sorte les réflexions ontologiques des premières propositions avec les considérations plus épistémologiques de ces propositions 12 à 18 : 14. Si la nature inengendrée ne cède en rien à la génération, elle est ce qu’elle est dite ; mais si elle cède à la génération, les passions de la génération seraient supérieures à la substance de Dieu. 221

Aèce a insisté dans les onze premières propositions sur le fait que la nature divine ne pouvait être en rien soumise à la génération ; cette constatation ontologique doit alors se traduire verbalement par une adéquation du terme inengendré avec la nature de la divinité : to‹t+ Ístin Á lËgetai, elle est ce qu’elle est dite, inengendré exprime la nature de la divinité 222. Cette affirmation ouvre alors la voie à la dissemblance entre le Fils engendré et l’inengendré, ce que fait Aèce dans la proposition 16 : 16. Si inengendré est révélateur de la substance, c’est à bon droit qu’il est contre-distingué de la substance du rejeton ; mais si inengendré ne signifie rien, bien davantage rejeton n’indique rien. Et comment opposeraiton rien à rien ? Mais si l’expression inengendré est contre-distinguée de l’expression engendré, le silence faisant suite à l’expression, il se trouve que l’espérance des chrétiens advient et disparaît, puisqu’elle repose sur des expressions différentes, mais non sur les natures qui se comportent comme le veut la signification des noms. 223

La fin de cette proposition étend à l’engendré ce que la proposition 14 énonçait uniquement pour l’inengendré, et puisque ces natures se comportent selon la signification des noms 224, l’opposition entre les noms inengendré et engendré conduit dès lors à une distinction des substances. Cette proposition met aussi en relief les craintes anoméennes devant une relativisation de la portée sémantique du terme inengendré, craintes qui justifient comme par contrecoup le bien-fondé de leurs affirmations : si les termes inengendré et engendré ne renvoient pas à la substance mais ne sont que de simples expressions, l’opposition entre l’engendré et l’inengendré ne serait alors que 220 Cf. Épiphane, haer. 73, 21, 5 : « di‰

t‰ Ónoma [Â] patòr oŒs–ac oŒk Ísti dhlwtikÏn, Çll+ ‚xous–ac », sinon, du fait de la similitude du Fils avec le Père, le Monogène devrait aussi être appelé Père, cf Épiphane, haer. 73, 21, 6 : «‹ e  › oŒs–ac e⁄nai bo‘lontai t‰ patòr dhlwtikÏn, Çll+ oŒk ‚xous–ac, tƒ patòr ÊnÏmati ka» tòn to‹ monogeno‹c ÕpÏstasin prosagoreuËtwsan. »

221 222

id'. E  mò e“kei ô ÇgËnnhtoc f‘sic genËsei, to‹t+ Ístin Á lËgetai; e  d‡ e“kei genËsei, tÄ t®c genËsewc pàjh t®c Õpostàsewc to‹ jeo‹ e“h Çme–nw. De même et plus clairement encore la proposition 28 : kh'. E  pên t‰ gegon‰c Õf+ ·tËrou gËgonen, ô d‡ ÇgËnnhtoc ÕpÏstasic o÷te Õf+ ·aut®c o÷te Õf+ ·tËrac gËgonen, Çnàgkh oŒs–an dhlo‹n t‰ ÇgËnnhton. (Si tout ce qui est advenu est advenu par un outre, mais que la substance inengendrée n’est advenue ni par elle-même ni par un autre, il est nécessaire qu’inengendré révèle la substance.) » Cette position est «the Anomean themesong » commente L.-R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 559.

223

ic'.E  t‰ ÇgËnnhton oŒs–ac ‚st» dhlwtikÏn, e kÏtwc pr‰c tòn to‹ genn†matoc oŒs–an ÇntidiastËlletai; e  d‡ mhd‡n shma–nei t‰ ÇgËnnhton, pollƒ mêllon oŒd‡n dhloÿ t‰ gËnnhma. mhden» d‡ mhd‡n p¿c ãn Çntidiastale–h; e  d‡ ô ÇgËnnhtoc proforÄ pr‰c tòn gennhtòn proforÄn ÇntidiastËlletai, siwp®c tòn proforÄn diadeqomËnhc, g–nesjai sumba–nei ka» Çpog–nesjai tòn t¿n Qristian¿n ‚lp–da, ‚n diafÏr˙ proforî keimËnhn, Çll+ oŒk ‚n f‘sesin o’twc ‚qo‘saic ±c ô t¿n Ênomàtwn bo‘letai shmas–a.

224 Cf. Basile, Spir. II 4 (260, 10–12), qui rapporte «un sophisme d’Aèce » , où ce principe semble être systématisé :

« tÄ ÇnÏmoia katÄ tòn f‘sin, Çnomo–wc profËresjai; ka» Çnàpalin; tÄ Çnomo–wc proferÏmena, ÇnÏmoia e⁄nai katÄ tòn f‘sin. »

160

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

verbale et non réelle. Aèce, indirectement, insinuerait alors que les opposants à la doctrine anoméenne contribuent en fait à alimenter l’hérésie sabellienne 225. C’est une idée analogue que l’on retrouve au début de la proposition 17, qui oppose une distinction réelle ou purement verbale : 17. Si inengendré comparé à rejeton n’attribue rien de plus pour la transcendance de la substance, le Fils n’est transcendé que d’expression seulement. 226

Derrière cette affirmation se retrouve le souci d’une distinction réelle entre le Fils et l’inengendré, comme dans la proposition 16, avec cependant la nuance supplémentaire de subordination du Fils 227, ce qui permet non seulement d’éviter l’erreur sabellienne, mais de contrer les prétentions homéousiennes de similitude katÄ pànta du Fils avec le Père. Il est enfin un dernier aspect de la longue proposition 16 qui mérite d’être souligné. Pour Aèce, les noms qui ne renverraient pas à la substance n’auraient de portée que dans leur expression, sans se rapporter à une quelconque réalité : l’expression achevée et le silence survenu (siwp®c tòn proforÄn diadeqomËnhc), la distinction inengendré/engendré cesserait et rendrait vaine l’espérance des chrétiens. Cette dernière remarque conduit à examiner l’origine du terme inengendré et son rapport avec la réflexion humaine, question qu’Aèce a abordée dans les propositions 12 et 13. 12. Si inengendré ne montre pas la substance de Dieu, mais si ce nom incomparable est d’une conception humaine, Dieu, à cause du concept d’inengendré, se sait débiteur envers ceux qui ont réfléchi, puisqu’il ne porte pas la transcendance de ce nom dans sa substance. 228

Cette proposition commence par mettre en opposition deux rapports possibles entre le terme ÇgËnnhtoc et la raison humaine. L’un est un rapport raison → ÇgËnnhtoc : la réflexion humaine (‚p–noia Çnjrwp–nh) exprime par ce terme le résultat de sa réflexion, et le contenu conceptuel du mot inengendré est donc dû à l’homme. L’autre est au contraire un rapport ÇgËnnhtoc → raison : le terme ne semble pas venir de l’homme mais lui être procuré comme de l’extérieur, en une sorte de processus inverse (le mot n’est plus le résultat d’une pensée mais son origine) : ÇgËnnhtoc présente la substance de Dieu (tòn ÕpÏstasin to‹ jeo‹ par–sthsin) 229. Aèce justifie cette assertion par une sorte de sarcasme, sans doute adressé à ceux qui rejettent le terme ÇgËnnhtoc comme non scripturaire 230 : si ÇgËnnhtoc n’était que le fruit d’une réflexion humaine, la transcendance de Dieu relèverait alors des hommes et non de sa substance, ce qui rendrait Dieu redevable, voire inférieur aux considérations humaines, comme le précise encore la proposition 13 : 225 Le spectre du sabellianisme et des doctrines perçues comme apparentées (cf. Marcel d’Ancyre) semble avoir

véritablement hanté les spéculations néo-ariennes ; Eunome y fait lui aussi référence, cf. Eunome, Ap 6 (38, 12–15). 226 227

iz'. E  mhd‡n plËon nËmei e c Õperoqòn oŒs–ac t‰ ÇgËnnhton pr‰c t‰ gËnnhma, proforî mÏnon ÕperqÏmenoc  u…‰c. Faut-il voir ici une allusion à Jn 14, 28 ( patòr me–zwn mo‘ ‚stin), comme le suggère Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 275 ?

228

229

ib'. E  mò t‰ ÇgËnnhton tòn ÕpÏstasin to‹ jeo‹ par–sthsin, Çll+ ‚pino–ac ‚st»n Çnjrwp–nhc t‰ Çs‘gkriton Ónoma, qàrin toÿc ‚pino†sasi gin∏skei  je‰c diÄ tòn to‹ Çgenn†tou ‚p–noian, tòn Õperoqòn to‹ ÊnÏmatoc oŒ fËrwn ‚n oŒs–¯. Cf. le sens de par–sthmi : mettre devant l’esprit, cf. LSJ, s.v. II : set before the mind, present.

230 Peut-être faut-il voir ici une réponse aux affirmations homéousiennes du Traité de 359 contre les termes

ÇgËnnhtoc – gennhtÏc, cf. Épiphane, haer. 73, 19–20 et le commentaire de J. Gummerus, Die homöusianische Partei, p. 131–132, qui voit derrière les déclarations homéousiennes une influence d’Athanase, Ar. I 31–34.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

161

13. Si c’est de l’extérieur qu’est observé inengendré pour Dieu, les observateurs sont supérieurs à celui qui est observé, puisqu’ils le pourvoient d’un nom meilleur que sa nature. 231

Le terme inengendré ne serait alors qu’un attribut extérieur, un ornement attribué à Dieu par des observateurs 232. Ces déclarations d’Aèce, si elles confèrent ainsi au mot ÇgËnnhtoc une valeur toute particulière, se limitent cependant uniquement à ce terme ÇgËnnhtoc et laissent plusieurs aspects dans l’ombre : quelle est l’origine exacte de ce terme si ce ne sont pas les réflexions humaines, qu’en est-il des autres concepts, quelle est la valeur exacte de l’‚p–noia humaine ? Aèce n’aborde pas ces questions mais signale seulement, presque en passant, que l’essence inengendrée de Dieu interdit de lui appliquer les considérations des réalités engendrées : c’est la fin de la proposition 18, où il faut voir certainement une réponse supplémentaire aux déclarations homéousiennes 233 : 18. Donc, puisque sa substance elle-même existe comme inengendrée, Dieu ne permet de concevoir par aucun raisonnement une génération à son sujet, puisqu’elle exclut que soit porté à partir des réalités engendrées tout examen et tout raisonnement. 234

Cette proposition 18 conclut la seconde partie du Syntagmation d’Aèce, orientée principalement sur des problèmes épistémologiques, ainsi que l’ensemble formé par les dixhuit premières propositions qui, dans l’ensemble de ce petit traité, sont celles le plus directement en rapport avec les éléments fondamentaux de l’enseignement d’Eunome. 3.1.5 Conclusion Comme il a été vu précédemment, le fragment 1 de l’AA d’Eunome se trouve principalement caractérisé par les substances, les activités qui suivent les substances, les noms connaturels aux substances, trois éléments fondamentaux de la théologie d’Eunome, qui peuvent surprendre au premier abord. S’il s’est avéré que des dépendances de sources philosophiques précises ne semblent pas assurées, les points de contacts entre l’enseignement d’Eunome et celui de son maître Aèce paraissent au contraire beaucoup plus clairs et relativisent dès lors l’originalité d’Eunome. Aèce articule en effet ses propositions logiques autour de l’opposition inengendré/engendré (ÇgËnnhtoc/gennhtÏc) et évite de mentionner les noms traditionnels de Père et Fils, ce que continue de faire Eunome en évoquant simplement trois substances. Le sommet du système théologique d’Aèce est le Dieu inengendré au-delà de la génération et donc en absolue dissemblance avec l’engendré. Il en est de même pour Eunome, dont les fragments 1 et 2 ne visent qu’à rendre compte de la transcendance de l’inengendré et de la dissimilitude des substances. Pour ces deux théologiens anoméens, les natures engendrée et inengendrée s’intègrent dans une échelle scalaire des êtres et se situent toutes deux sur deux 231

ig'. E  Íxwjen ‚pijewreÿtai tƒ jeƒ t‰ ÇgËnnhton, o… ‚pijewr†santec to‹ ‚pijewrhjËntoc e s»n Çme–nouc, kreÿtton Ónoma t®c f‘sewc aŒtƒ porisàmenoi.

232 Cf. L.-R. Wickham, «The Syntagmation of Aetius the anomean », p. 558 : «ingeneracy is merely a beauty in the

eye of the beholder, God is less than the ideal and less than those who can envisage the ideal ». Aèce exprime la même idée à la fin de la proposition 17, iz'.  u…‰c belt–ouc ·auto‹ gn∏setai toÃc prosagore‘santac, oŒ t‰n

prosagoreujËnta je‰n aŒto‹ ka» patËra. 233 Cf. la déclaration de foi de Basile d’Ancyre reproduite dans le Traité de 359, cf. Épiphane, haer. 73, 22, 7 : « ka» 234

kajàpax katÄ pànta t‰n u…‰n Ìmoion tƒ patr–, ±c u…‰n patr–. » ih'. aŒt‰ ofin Õpàrqousa oŒs–a ÇgËnnhtoc  je‰c oŒden» lÏg˙ ‚pitrËpei kaj+ ·aut®c gËnesin ‚pino®sai, ≤jo‹sa fËresjai parÄ t¿n gennht¿n pêsan ‚xËtasin ka» pànta logismÏn.

162

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

rangs différents des réalités. La nature inengendrée, poursuit Aèce, fait alors subsister la nature engendrée, non pas selon une analogie avec les générations humaines mais par puissance (‚xous–¯), ce qui peut rappeler la production de la deuxième substance par la première dans le système eunoméen. Le nom de Père selon Aèce ne manifeste alors que cette puissance, tandis que le nom ÇgËnnhtoc, sans être le résultat d’une réflexion humaine (Çnjrwp–nh ‚p–noia), exprime la substance de Dieu, qui ne peut être alors que contre-distinguée de celle de l’engendré, puisque les natures se comportent selon la signification des noms : Eunome ne dit pas autre chose en déclarant les noms connaturels aux substances et indépendants de toute réflexion humaine. Toutes ces concordances entre Aèce et Eunome, qui confirment une filiation assurée par ailleurs historiquement, ne doivent cependant pas masquer plusieurs différences majeures. La première réside dans les termes employés. Si Eunome évite d’utiliser les noms de Père et Fils, il ne mentionne cependant pas non plus ceux d’inengendré ou d’engendré mais se limite simplement à l’appellation générique de trois substances, faisant en quelque sorte un pas de plus dans l’abstraction verbale. Une deuxième différence consiste dans le nombre des réalités envisagées : Aèce ne parle que de l’inengendré et de l’engendré, sans faire mention d’une troisième substance, ni de l’ensemble des créatures, de leur production par Dieu ou de leurs différences en âge ou dignité, comme c’est pourtant le cas dans le système eunoméen ; de ce point de vue, Eunome offre une synthèse beaucoup plus vaste que son maître. Une troisième différence réside dans le mode de production du Fils. Aèce ne mentionne qu’une production de l’engendré par la puissance de l’inengendré (‚xous–¯), tandis que le schéma eunoméen présente comme un stade d’élaboration plus avancé, qui fait intervenir la notion de d‘namic et celle d’ ‚nËrgeia, l’adéquation activité-œuvre si soigneusement décrite, puis le rôle intermédiaire du Fils dans la production des autres réalités. Enfin, une quatrième différence concerne l’épistémologie des deux auteurs. S’ils s’accordent pour reconnaître la vanité des réflexions humaines dans la conception du terme ÇgËnnhtoc, Eunome étend cependant cet aspect à l’ensemble des mots humains, définit leur origine par révélation divine et précise les notions de synonymie, d’homonymie et ce qui concerne la valeur sémantique si diversifiée d’un même mot, dont le sens varie selon le rang ontologique de la réalité qu’il désigne ; là encore, Eunome offre une systématisation supplémentaire, nouvelle par rapport au Syntagmation d’Aèce. Il est encore un dernier point qui, sans manifester de véritables différences entre Aèce et Eunome, reflète pourtant les résultats des polémiques théologiques. En effet, suite aux reproches de Basile, Eunome prend soin dans l’AA de ne pas aborder aussitôt les questions cruciales (la substance inengendrée, la similitude ou non des substances) mais avance les fondements justificatifs nécessaires, afin de ne pas proposer sa doctrine «à des oreilles inexercées ». Il est alors remarquable de constater que la démarche d’Eunome dans l’AA est finalement l’inverse de celle d’Aèce dans son Syntagmation : Aèce partait du Dieu inengendré pour construire l’ensemble de son système, tandis qu’Eunome part d’un système bien construit pour introduire la notion d’inengendré. Assurément, il serait erroné de durcir ces différences entre les deux auteurs, ne serait-ce qu’en raison du caractère lacunaire des sources sur Aèce. Si les affirmations d’Épiphane s’avèrent exactes, seules 37 des quelque 300 propositions composées par Aèce nous seraient parvenues. Que pourraient nous apprendre les 263 perdues ? Les différences relevées pourraient cependant permettre de déceler une certaine évolution entre Aèce et Eunome, ce dernier reprenant et systématisant les principes ébauchés par son maître. Effectivement, le Syntagmation d’Aèce était une œuvre austère, ingrate

Chapitre II : Les sources d’Eunome

163

et difficile, composée uniquement de courtes propositions alignées les unes à la suite des autres ; comparées à ce traité, les réflexions d’Eunome, spécialement à travers les fragments 1 et 2, se présentent au contraire comme un ensemble ordonné, dans lequel les thèses théologiques d’Aèce se voient reprises, ressaisies et systématisées en une doctrine bien construite et solidement charpentée. Ainsi, avec la publication de l’AA vers l’automne 378, plus de dix ans après la Réfutation de Basile et la mort d’Aèce, et peut-être plus de quinze ans après la publication de l’Ap, resurgirent une nouvelle fois et avec force les vieux démons anoméens. C’est sans doute pourquoi «dans l’esprit de ses contemporains comme pour nous il [Eunome] a supplanté son maître » 235. 3.2 Les rapports avec Arius 3.2.1 Les écrits d’Arius Peu d’écrits ont été conservés de l’ensemble de la production littéraire d’Arius, suite sans doute à l’ordre de destruction systématique édicté par l’empereur Constantin 236. Les rares textes permettant de se faire une certaine idée de son enseignement ont été l’objet de multiples études 237, dont les principaux résultats pourraient se résumer ainsi. Trois documents transmettent avec une assez grande certitude les propos d’Arius, à savoir les lettres à Eusèbe de Nicomédie, à Alexandre d’Alexandrie ainsi que la Profession de foi à l’empereur Constantin, chacun de ces textes devant être replacé dans son contexte particulier 238. À côté de ces trois textes se trouvent de multiples extraits, souvent brefs, de la Thalie d’Arius 239, dont les citations les plus importantes se situent dans la Lettre aux évêques d’Alexandre d’Alexandrie 240 ainsi que dans deux passages du Discours contre les Ariens 241, dans la Lettre aux évêques d’Égypte et de Libye 242, dans le De Decretis 243 et dans deux passages du De Synodis d’Athanase d’Alexandrie, le premier étant le plus long et le plus important 244. Ces multiples citations pourraient provenir 235 Remarque de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 2, p. 191. 236 Cf. Socrate, h.e. I, IX 30–31. 237 Il convient de mentionner, parmi les plus importantes, G. Bardy, Recherches sur saint Lucien d’Antioche et son

238

239 240 241 242 243 244

École, chapitre II : L’héritage littéraire d’Arius, p. 217–278 ; E. Boularand, L’Hérésie d’Arius et la «foi » de Nicée, t. 1, p. 39–65 (avec traduction française) ; C. Stead, «The ‹Thalia › of Arius and the testimony of Athanasius », p. 20–52 ; cf. surtout R. Lorenz, Arius judaizans ?, Tabelle I, p. 38–47, où l’auteur présente en un tableau comparatif les extraits les plus importants d’Arius ; Id., «Die Christusseele im Arianischen Streit » ; K. Metzler, F. Simon, Ariana et Athanasiana, p. 11–45, avec une édition des passages les plus importants rapportés par Athanase ; M. Vinzent, Asterius von Kappadokien : Exkurs zu Ath., c. Ar. I 5f und ep. ad epp. Aeg. Et Lib. 12, p. 284–301. Un résumé de ces différentes recherches sur les fragments d’Arius est présenté dans Athanasius Werke I/1 : Die dogmatischen Schriften, 1. Lieferung : «6. Zur Überlieferung der Arianer-Fragmente », p. 34– 35 ; Athanasius Werke I/1 : Die dogmatischen Schriften, 2. Lieferung : «9. Zur Überlieferung der ArianerFragmente », p. 101–103. Tout spécialement la profession de foi à Constantin, cf. le commentaire de R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 96–97 : «This confession is almost entirely colourless in terms of the debates that had divides eastern Christianity in the century or so leading up to it ». Sur la Thalie d’Arius et son style, cf. G. Bardy, Recherches sur saint Lucien d’Antioche et son École, p. 246–252. Cf. Alexandre d’Alexandrie, ep. encycl. 7–10 (7, 17–8, 10). C. Stead, «Athanasius’ Earliest Written Work », estime cependant qu’Athanase serait l’auteur de cette lettre. Cf. Athanase, Ar. I 5–6 ; I 9, 5–7. Cf. Athanase, ep. Aeg. Lib. 12, 2–11. Cf. Athanase, decr. 6, 1–2. Cf. Athanase, syn. 15, 3 (242, 9–243, 23). 36, 5–6 (263, 20–28). Malgré les doutes levés par C. Kannengiesser sur l’authenticité de syn. 15, 3, le passage semble bien une citation de la Thalie d’Arius, cf. sur ce point R.-P.-C.

164

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

d’un «catalogue de l’hérésie » 245, qui aurait été dressé par le jeune Athanase et complété par des résumés ultérieurs, fruits d’une nouvelle lecture de la Thalie 246. Il n’est guère facile de discerner dans ces extraits ce qui relèverait d’hypothétiques ipsissima verba d’Arius ou de simples reformulations faites par Athanase ; par ailleurs, une des difficultés majeures posées par ces textes réside dans l’authenticité de leur restitution à Arius, puisque un bon nombre de ces assertions théologiques pourraient revenir non à Arius, mais à Astérius le Sophiste, du moins d’après les recherches de M. Vinzent 247. Le savant allemand tente en effet de retrouver l’auteur véritable de ces multiples thèses théologiques et prend comme point de départ de sa recherche les comptes rendus les moins divergents quant à la présentation, ceux du Discours contre les Ariens, livre I, chapitres 5 et 6, et de la Lettre aux évêques d’Égypte et de Libye, chapitre 12. Les résultats de l’auteur peuvent être présentés en deux tableaux 248, dont l’importance apparaîtra plus clairement lorsqu’il s’agira d’élargir l’étude des sources d’Eunome : Pour Athanase, Ar. I 5–6 : PG26 (colonne, ligne)

Athanasius Werke (livre, chapitre, paragraphe)

Thème

Auteur

20, 41–21, 3 21, 5–13 21, 13–17

I 5, 1 I 5, 2–3 I 5, 4

Arius Arius Astérius

21, 17–24 21, 24–34 21, 34–43

I 5, 5–6 I 5, 7 I 5, 8

Introduction de la Thalie Thèses fondamentales Dieu est seul ; Fils fait en vue de notre création Deux sagesses et deux Logos Multiples puissances Le Logos n’est pas immuable

21, 44–24, 8

I 6, 1–2

24, 8–29

I 6, 3–5

245 246 247 248

Le Logos n’est pas vraiment Dieu Le Père connu en partie par le Fils ; Le Fils connu en partie par le Fils

Astérius Astérius Astérius/ Arius Arius Arius

Hanson, The Search for the Christian Doctrine of God, p. 11 et surtout M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, note 69, p. 63–64. Ainsi R. Lorenz, «Die Christusseele im Arianischen Streit », p. 12, qui parle de «Häresienkatalog(s) ». Cf. Athanasius Werke I/1 : Die dogmatischen Schriften, 2. Lieferung : «9. Zur Überlieferung der Arianer-Fragmente », p. 101. Cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien : Exkurs zu Ath., c. Ar. I 5f und ep. ad epp. Aeg. Et Lib. 12, p. 284– 301. M. Vinzent présente le résultat de ses investigations dans deux tableaux, mais les sigles utilisés et les renvois aux passages cités ne sont indiqués que quelques pages auparavant et non dans les tableaux eux-mêmes ; les tableaux présentés ci-dessus tentent d’en simplifier la présentation. Par ailleurs, une colonne supplémentaire a été rajoutée avec les références selon l’édition des Athanasius Werke, mais la colonne présentant les formules d’introduction des citations a été omise.

165

Chapitre II : Les sources d’Eunome

Pour Athanase, ep. Aeg. Lib 12 : PG25 (colonne, ligne)

Athanasius Werke (chapitre, paragraphe)

Thème

Auteur

564, 20–29 564, 29–36

12, 2 12, 3

Thèses fondamentales Le Logos n’est pas immuable

564, 36–39

12, 4

564, 39–565, 5 565, 5–10

12, 5 12, 6

565, 12–23

12, 7–8

565, 23–27 565, 27–37

12, 9 12, 10–11

Le Christ n’est pas vraiment Dieu Deux Sagesses et deux Logos Le Fils étranger à la substance du Père Dieu seul ; Fils fait en vue de notre création Multiples puissances Le Père connu en partie par le Fils ; Le Fils connu en partie par le Fils

Arius Arius/ Astérius Astérius Astérius Astérius Astérius Astérius Arius

Assurément convient-il de souligner que cette répartition ne repose que sur les démonstrations de M. Vinzent, lesquelles ne font pas l’unanimité et n’ont pas été exemptes de critiques 249. Ces résultats invitent cependant à une certaine prudence quant à l’évaluation des positions théologiques d’Arius à partir des fragments conservés, en particulier à partir de Ar. I 5–6 et ep. Aeg. Lib. 12 250. L’examen doctrinal qui suit va donc s’appuyer principalement sur les pièces d’authenticité plus assurée, c’est-à-dire les lettres à Eusèbe de Nicomédie et Alexandre d’Alexandrie, ainsi que sur l’extrait certainement fidèle de la Thalie transmis par syn. 15, 3 251. Le but de ces réflexions n’est pas d’offrir un exposé complet ou exhaustif de la théologie d’Arius, mais d’apporter des éléments capables d’éclairer les positions théologiques d’Eunome. 3.2.2 Traits fondamentaux de la théologie d’Arius Le Dieu unique inengendré. Le principe premier d’Arius semble bien l’unicité absolue de Dieu, unicité radicale exprimée dans la Profession de foi à Alexandre d’Alexandrie par le o“damen Èna jeÏn initial et la multiplication de l’adjectif mÏnoc au cours de l’énumé249 Cf. en particulier la recension plutôt réservée de K.-H. Uthemann , «Recension de : M. Vinzent, Asterius von

Kappadokien », p. 297–301. Comme le remarque l’auteur, «Ansonsten hängt die Frage der Authentizität an der Tragkraft der Argumente des Autors. » K.-H. Uthemann discute en particulier l’attribution à Astérius de la distinction en deux Sagesses et deux Logos, cf. p. 299–300. 250 Cf. les réserves sur Ar. I 5–6 que posait déjà R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 99. 251 Sur la valeur de syn. 15, 3 (242, 9–243, 23), qui peut être considéré comme une citation directe, cf. R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 99. Pour une présentation plus générale de la théologie d’Arius, cf. G. Gentz, «Arianer », col 649 ; E. Boularand, L’Hérésie d’Arius et la «foi » de Nicée, t. 1, p. 67–83 ; R. Lorenz, Arius judaizans ?, p. 53–61 ; R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 95–116. Les recherches sur l’arianisme ont profondément évolué ces dernières décennies, spécialement à partir des années 70, cf. sur ce point le compte rendu de A.-M. Ritter, «Arius redivivus ? Ein Jahrzwölft Arianismusforschung ».

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

ration des attributs de Dieu 252, puis fondée sur le fait que Dieu est cause de tout et donc absolument seul sans principe 253. Cette unicité de Dieu, conçu comme monade indivisible 254, exclut dès lors toute égalité, toute similitude ou toute identité de gloire 255 : Dieu se distingue absolument des êtres du devenir, issus d’un principe ou advenus dans le temps 256. Dieu apparaît ainsi seul inengendré, seul sans principe ni commencement 257, absolument ineffable 258. La place du Fils par rapport au Père. Ce principe fondamental semble dès lors commander pour Arius toute tentative d’explication du rapport du Fils au Père 259. De fait, ses positions sur la place du Monogène sembleraient résulter d’une réaction face à différentes opinions jugées inacceptables et présentant le Fils soit comme une émission (probol†) à la façon de Valentin, soit comme une partie consubstantielle du Père (mËroc Âmoo‘sion to‹ patrÏc) à la façon de Mani 260, soit comme un engendré-inengendré (Çgennhtogen†c) ainsi que l’aurait affirmé Alexandre d’Alexandrie 261. L’intention d’Arius consisterait dès lors à préserver la transcendance de Dieu, monade indivisible qui ne saurait être soumise à la division ou à un quelconque partage. Pour Arius, le Fils existe donc par la volonté du Père 262, et c’est par la volonté du Père que le Fils est ce qu’il est 263, c’est par la volonté du Dieu sage que le Fils est sagesse 264, et ainsi en est-il de tous les autres attributs du Fils. Arius introduit donc de façon discrète comme une théologie de l’image 265, dans la mesure où le Fils reproduit à un degré absolument

252 Cf. Arius, ep. Alex. 2 (12, 4–5) : « o“damen

253 254 255 256 257 258

259

260 261 262

263 264 265

Èna jeÏn, mÏnon ÇgËnnhton, mÏnon ÇÚdion, mÏnon änarqon, mÏnon ÇlhjinÏn, mÏnon Çjanas–an Íqonta, mÏnon sofÏn, mÏnon ÇgajÏn, mÏnon dunàsthn » ; cf. de même la Thalie in Athanase, syn. 15,3 (242, 10) : « oŒq ÂmÏdoxon Íqei mÏnoc o›toc. » Cf. Arius, ep. Alex. 4 (13, 8) : «  m‡n je‰c a“tioc t¿n pàntwn tugqànwn ‚st»n änarqoc mon∏tatoc ». Cf. Arius, ep. Alex. 3 (12, 12–13, 1) : « oŒd+ ±c SabËllioc tòn monàda diair¿n u…opàtora e⁄pen. » Id. 4 (13, 12– 13) : « Çll+ ±c monÄc ka» Çrqò pàntwn, o’twc  je‰c pr‰ pàntwn ‚st–. » Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 10) : « “son oŒd‡ Ìmoion, oŒq ÂmÏdoxon Íqei mÏnoc o›toc. » Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 11–13) : « ÇgËnnhton d‡ aŒtÏn famen diÄ t‰n tòn f‘sin gennhtÏn; to‹ton änarqon Çnumno‹men diÄ t‰n Çrqòn Íqonta, Ç–dion d‡ aŒt‰n sËbomen diÄ t‰n ‚n qrÏnoic gegaÏta. » Arius semblerait s’opposer ici à des affirmations d’Alexandre d’Alexandrie, cf. Arius, ep. Eus. 2 (2, 1–2) : « Çe» je‰c, Çe» u…Ïc, âma patòr âma u…Ïc, sunupàrqei  u…‰c Çgenn†twc tƒ jeƒ, Çeigenn†c, Çgennhtogen†c ». Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 9) : « AŒt‰c go‹n  je‰c kajÏ ‚stin ärrhtoc âpasin Õpàrqei. » Id. 15, 3 (243, 14) : « sunelÏnti e peÿn tƒ u…ƒ  je‰c ärrhtoc Õpàrqei ». Arius fonderait ce caractère absolument ineffable de Dieu dans son absence de principe, qui empêcherait de facto toute connaissance pour les êtres issus d’un principe, id. 15, 3 (243, 22–23) : « d®lon gÄr Ìti t‰ Çrqòn Íqon, t‰n änarqon, ±c Ístin, ‚mperino®sai £ ‚mperidràxasjai oŒq oŸÏn tË ‚stin. » Cf. R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 110–111 : «Assertions like those of Alexander and his supporters reflect a careless and unthinking hermeneutic, unwilling to grapple with the substantive doctrinal problems raised by the scriptural witness as a whole to the relation of God with his Son. Assuming, as Arius did, that the Church’s teaching of God’s unique and immaterial nature is non-negotiable, a necessary corollary of believing in the scriptural God at all, then – just as with statements apparently contradicting or compromising God’s incorporeality – all that is said about the begetting of the Son must be interpreted in the light of this central belief. » Cf. Arius, ep. Alex. 3 (12, 11–12). 5 (13, 18). Cf. Arius, ep. Eus. 2 (2, 2). Cf. Arius, ep. Eus. 4 (3, 1–2) : « jel†mati ka» boul¨ ÕpËsth » ; Id., ep. Alex. 2 (12, 8–9) : « Õpost†santa  d–˙ jel†mati » ; cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 3) : « Õp®rxe d‡ jel†sei patrº¯ » ; id. 15, 3 (243, 19) : « u…‰c gÄr ªn jel†sei patr‰c Õp®rxen Çlhj¿c ». Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 11) : « jeo‹ jel†sei  u…‰c ôl–koc ka» Ìsoc ‚st–n ». Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 5) : « ô sof–a Õp®rxe sofo‹ jeo‹ jel†sei. » Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 7) : « dÏxa jeo‹, Çl†jeià te ka» e k∞n ka» lÏgoc o›toc ».

Chapitre II : Les sources d’Eunome

167

éminent les qualités divines 266. Selon la fiabilité des sources, Arius emploierait alors la notion de participation pour rendre compte de cette e k∏n-théologie 267. La difficulté réside cependant dans une juste interprétation de ces déclarations. S’il est effectivement tentant d’en déduire qu’Arius relègue alors le Fils au rang de simple créature, la plus éminente, mais créature malgré tout 268, cette évaluation a été pourtant revue dans un sens un peu moins tranché, spécialement dans les milieux anglosaxons 269 : Arius multiplie effectivement les expressions pour rendre compte du rapport du Monogène à Dieu et explique qu’il a été engendré (gennhj¨), créé (ktisj¨), déterminé (Ârisj¨) ou fondé (jemeliwj¨) 270, s’appuyant visiblement sur le texte biblique de Pr 8, 22 pour essayer d’approcher le mystère, comme tentait de le faire aussi Eusèbe de Nicomédie et comme le feront quelques années plus tard les chefs de file du parti homéousien 271. C’est ainsi qu’il faut comprendre certainement les nombreuses affirmations paradoxales qui ponctuent les déclarations d’Arius 272, déclarations qui veillent toutes à assurer entre Dieu et le Monogène une distinction et une subordination nettes fondées sur la notion de principe 273, préservant l’unicité divine mais sans rabaisser le Fils au rang de simple créature 274.

266 Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 13) : «  squr‰c

je‰c ªn t‰n kre–ttona ‚k mËrouc Õmneÿ. » Le Fils, dieu fort, chante par ce qu’il est le Dieu suprême (kre–ttona), et personne d’autre ne peut le faire mieux que lui, id. 15, 3 (243, 9–10) : « “son m‡n to‹ u…o‹ gennên dunatÏc ‚stin  kre–ttwn, diafor∏teron d‡ £ kre–ttona £ me–zona oŒq–. » 267 Cf. Athanase, Ar. II 37, 1–2 : « sof–an te ÊnÏmati lËgesjai aŒtÏn fasin, ällhn mËntoi e⁄nai sof–an tòn  d–an ka» Çlhjinòn to‹ patr‰c tòn Çgenn†twc sunupàrqousan aŒtƒ, ‚n ≠ ka» t‰n u…‰n poi†sac ≤nÏmase katÄ metous–an ‚ke–nhc sof–an aŒtÏn. ta‹ta d‡ oŒq Èwc lÏgwn mÏnon aŒtoÿc Ífjasen, ÇllÄ óAreioc m‡n ‚n t¨ aŒto‹ Jal–¯ sunËjhken ». Sur cette théologie de l’image chez Arius et la notion de participation qu’il utiliserait, cf. R. Williams, «The Logic of Arianism », p. 73–77.

268 Cf. E. Boularand, L’Hérésie d’Arius et la «foi » de Nicée, p. 71s ; R. Lorenz, Arius judaizans ?, p. 54–55 (cf. le titre

du paragraphe : 2. Der Sohn als Geschöpf). 269 Il convient de mentionner le célèbre article de M. Wiles, «In Defence of Arius », et les efforts suivants pour

270 271

272

273

274

une meilleure intelligence des affirmations théologiques d’Arius sur le Fils : C. Stead, «The Thalia of Arius and the Testimony of Athanasius » ; R. Williams, «The Logic of Arianism » ; Id., Arius. Heresy and Tradition, en particulier p. 95–116 (A. The Theology of Arius). Cf. Arius, ep. Eus. 5 (3, 3). Cf. Eusèbe de Nicomédie, ep. Paulin 4 (16, 9), qui présente le Monogène comme ktist‰n e⁄nai ka» jemeliwt‰n ka» gennhtÏn, s’appuyant explicitement sur Pr 8, 22, cf. id. 4 (16, 11–12) : «  je‰c ÍktisË me Çrqòn Âd¿n aŒto‹, ka» pr‰ to‹ a ¿noc ‚jemel–wsË me; pr‰ d‡ pàntwn boun¿n gennî me. » Sur ce point, cf. les réflexions intéressantes de M. Wiles, «In Defence of Arius », p. 344–345. Pour les positions homéousiennes, cf. supra partie II, chapitre II, 3.1.3 Propositions 1 à 11 et l’incompatibilité des substances : les propositions 5 à 11 et la conception de la génération, p. 155. Le Fils est dit créature parfaite mais non comme l’une des créatures, engendré mais non comme l’un des engendrés ; il n’est pas avant d’être engendré mais est fait avant les temps et les siècles, cf. Arius, ep. Alex. 2 (12, 9–10) : « kt–sma to‹ jeo‹ tËleion, Çll+ oŒq ±c „n t¿n ktismàtwn, gËnnhma, Çll+ oŒq ±c „n t¿n gegennhmËnwn » ; id. 3 (13, 4–5) : « jel†mati to‹ jeo‹ pr‰ qrÏnwn ka» pr‰ a ∏nwn ktisjËnta » ; sur la transcendance du Fils sur toute autre créature, cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 9–10) : « “son m‡n to‹ u…o‹ gennên dunatÏc ‚stin  kre–ttwn, diafor∏teron d‡ £ kre–ttona £ me–zona oŒq–. » Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 17) : « oŒd‡ gàr ‚stin “soc, Çll+ oŒd‡ Âmoo‘sioc aŒtƒ » et spécialement id. 15, 3 (242, 27), où la différence kat+ oŒs–an du Père et du Fils est fondée explicitement sur l’existence sans principe du Père : « xËnoc to‹ u…o‹ kat+ oŒs–an  pat†r, Ìti änarqoc Õpàrqei. » Plusieurs des considérations d’Arius reprennent des réflexions cosmologiques des philosophes, en particulier ce qui concerne le commencement du monde, mais il est à noter qu’Arius évite dans l’expression ™n pote Ìte oŒk ™n le mot qrÏnoc, certainement dans le souci de rejeter toute conception temporelle pour la génération du Fils et de le distinguer ainsi nettement des autres créatures survenues dans le temps, cf. Arius, ep. Eus. 4 (3, 2) : « ÕpËsth pr‰ qrÏnwn ka» pr‰ a ∏nwn » ; Id., ep. Alex. 3 (13, 4) : « pr‰ qrÏnwn ka» pr‰ a ∏nwn ktisjËnta » ; id. 4 (13, 8–9) : «  d‡ u…‰c ÇqrÏnwc gennhje»c Õp‰ to‹ patr‰c ka» pr‰ a ∏nwn ktisje»c ka» jemeliwje–c ». Sur

168

Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Précisions sur la Triade. C’est un fait que les réflexions d’Arius sur la sainte Triade, si elles laissent percevoir un clair subordinatianisme, restent cependant assez limitées dans les passages conservés. Les membres de la Triade apparaissent différents en gloire, le Père selon un mode absolument transcendant (à l’infini, ‚p+ äpeiron) 275, tandis que l’Esprit est différent à la fois du Fils et du Père 276. Le Fils comme principe des créatures. Il importe en dernier lieu de souligner le rôle du Fils dans la production des créatures. Une fois encore, les déclarations d’Arius conservées sur ce point sont peu nombreuses et brèves. Celui-ci présente clairement le Père comme principe et source de tout 277, mais c’est par le Fils que le Père a fait toute chose 278, et le Père sans principe a établi le Fils principe de tout ce qui est advenu 279. Sans le dire explicitement, Arius donne ainsi au Fils un rôle médiateur clair dans l’acte créateur, dont l’origine ultime remonte au Père seul. 3.2.3 Conclusion Grégoire voyait dans la doctrine anoméenne le fruit de l’arianisme et de fait, la parenté entre Arius et Eunome ne saurait être niée. Arius articule son enseignement principalement sur l’unicité du Dieu inengendré et sans principe, qui n’est décrit qu’en opposition aux réalités du devenir ; le Fils est présenté comme le résultat d’une production ineffable ; il est engendré, créé, déterminé, fondé par la volonté de Dieu, subordonné à lui et principe du reste de la création ; l’Esprit Saint diffère de chacun des deux. Malgré la tentation peut-être dangereuse de vouloir lire à tout prix dans ces thèses d’Arius les principes théologiques d’Eunome, il n’en reste pas moins que tous ces éléments pourraient constituer comme une formule brute de la doctrine eunoméenne. Effectivement, Eunome fonde son enseignement sur le Dieu inengendré, dont la transcendance repose sur le fait de ne dépendre d’aucun principe ; comme Arius, Eunome établit aussi l’origine du Fils dans la volonté du Père et souligne son rôle intermédiaire dans la production des êtres : Dieu qui est la cause ultime établit son Fils comme cause prochaine de tout ce qui est advenu ; enfin, l’Esprit Saint tient dans le système eunoméen une place nettement subordonnée dans la Triade, ce que suggère aussi Arius, même de façon discrète. Tous ces rapprochements sont réels, mais il importe cependant de ne pas perdre de vue les différences, voire les divergences, qui caractérisent aussi chacun de ces deux au-

275 276

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les rapports des positions d’Arius avec les réflexions cosmologiques, cf. R. Lorenz, Arius judaizans ?, p. 55–56, qui renvoie à Alcinoos, didask. XIV 169 (32, 33–34) et Philon, Decal. 58, lesquels mentionnent toujours le temps dans leur déclaration sur le commencement (ou non) du monde : « ±c Óntoc pot‡ qrÏnou ‚n ≈ oŒk ™n kÏsmoc » (Alcinoos) ; « ka» ™n pote qrÏnoc Ìte oŒk ™n » (Philon). Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 24–26) : « ¢goun triàc ‚sti dÏxaic oŒq Âmo–aic, Çnep–miktoi ·autaÿc e sin a… Õpostàseic aŒt¿n, m–a t®c miêc ‚ndoxotËra dÏxaic ‚p+ äpeiron. » Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (243, 4) : « ·katËrwn ÇllÏtrioc o›toc ». Il n’est pas facile de déterminer à quoi se rapporte exactement le o›toc ; R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, note 42, p. 310 estime qu’il s’agit de l’Esprit Saint. Cf. Arius, ep. Alex. 4 (13, 8) : «  m‡n je‰c a“tioc t¿n pàntwn » ; id. 4 (13, 13) : « Çrqò pàntwn ». Cf. Arius, ep. Alex. 4 (12, 7–8) : « di+ o› ka» toÃc a ¿nac ka» tÄ Ìla pepo–hke » ; Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 20) : « toÿc te diÄ u…o‹ ». Cf. Thalie in Athanase, syn. 15, 3 (242, 14) : « Çrqòn t‰n u…‰n Íjhke t¿n genht¿n  änarqoc » ; la traduction de Çrqòn par principe paraît plus satisfaisante que par beginning, comme le propose R. Williams, Arius. Heresy and ¯ .. Tradition, p. 102 : «The one without beginning established the Son at the beginning of all creatures (archen. ¯ genet ¯ on) ¯ ». ton

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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teurs, dans la mesure où les sources très limitées permettent d’en juger. Car c’est un fait, la doctrine d’Eunome ne saurait être toujours réduite à un simple prolongement, même dialectique, des positions d’Arius. Une première différence concerne l’épistémologie d’Eunome, et spécialement la connaissance du Père, ineffable selon Arius, connaissable selon Eunome à travers le terme ÇgËnnhtoc, qui exprime la substance divine. Si ce point est fréquemment souligné par les chercheurs 280, il est cependant d’autres aspects, généralement moins pris en compte, qui méritent d’être mentionnés. L’un concerne l’origine du Fils dans la volonté du Père (jel†sei). Arius et Eunome s’accordent sur ce point, mais les formulations de l’anoméen apparaissent beaucoup plus développées que celles d’Arius, cette production se voyant exprimée par le biais des concepts de d‘namic et d’ ‚nËrgeia, celle-ci correspondant à la volonté évoquée par Arius. Par ailleurs, Eunome semble vouloir distendre davantage le lien entre Dieu et le Fils, distanciation due non à l’introduction du concept de d‘namic, mais au statut ontologique si difficile à cerner dans la théologie eunoméenne de l’activité, considérée plus clairement comme un intermédiaire entre le Père et le Fils. Un autre point, étroitement lié au précédent, qui distinguerait Eunome d’Arius, touche la production du monde par le Fils. Si Arius évoque bien le rôle particulier du Fils, établi par le Père comme principe de tout, il n’apporte cependant aucun détail sur cette délégation. Les explications d’Eunome, qui présente la puissance démiurgique du Fils comme reçue du Père, lequel fait faire la création, apparaissent comme un approfondissement singulier de ce qui n’était qu’une ébauche chez Arius, et soulignent davantage le rôle médiateur et subordonné du Fils. Il est enfin un dernier aspect, où Arius et Eunome offrent deux présentations relativement divergentes, et qui a trait à la notion d’image. Certes, Arius et Eunome qualifient tous deux le Fils d’image (e k∏n), mais Arius ne le fait que d’une façon extrêmement discrète, et par le biais semble-t-il de la notion de participation. Or, celle-ci se révèle absente des considérations d’Eunome, qui fonde au contraire la notion d’image sur la corrélation activité-œuvre et l’adéquation parfaite du Fils avec l’activité dont il tire son origine, thèmes manifestement absents des écrits d’Arius. Alors que l’anoméen semble vouloir donner les principes métaphysiques d’une théologie de l’image, si importante pour son système, ce point est apparemment plus secondaire dans les réflexions d’Arius, et fondé différemment. 3.2.4 Vers d’autres sources ? Plusieurs des divergences qui viennent d’être relevées peuvent s’expliquer sans doute par le développement doctrinal qui s’est élaboré entre Arius et Eunome, et l’influence d’Aèce transparaît sur plus d’un point, spécialement dans la connaissance de la substance de Dieu par le biais du terme ÇgËnnhtoc, dans l’interprétation du vocable Père comme indicateur de l’‚xous–a de Dieu, ou dans la production du Fils par cette ‚xous–a, laquelle a peut-être pu conduire Eunome à introduire la notion de d‘namic et celle corrélative d’ ‚nËrgeia. Cependant, les différences qui apparaissent entre les considérations d’Arius et les positions eunoméennes peuvent résulter d’un autre fait. En effet, l’affirmation de Gré-

280 Cf. L. Abramowski, «Eunomios », col. 946 ; B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 2, p. 189 ; M. Cassin,

L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 242. Cette divergence était déjà relevée par Philostorge, h.e. II 3 (14, 2–3).

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

goire, selon laquelle la doctrine anoméenne proviendrait des semences ariennes 281, s’avère tributaire de la présentation historique d’Athanase, attentif à rattacher à la personne d’Arius les différents courants doctrinaux auxquels il fut confronté 282. Mais en fait, les ariens si souvent évoqués par Athanase, se révèlent avoir des rapports avec Arius beaucoup moins étroits que ne voudrait le faire croire l’évêque d’Alexandrie, et la filiation doctrinale soigneusement présentée fut certainement beaucoup plus lâche 283. D’ailleurs, la portée polémique d’un tel rapprochement avec Arius est particulièrement claire, puisqu’elle vise à refuser pour ses soi-disant successeurs un rattachement quelconque à une tradition chrétienne. Eunome et Aèce n’apparaissent plus que comme les disciples d’un maître manipulé par le diable 284, qui ne méritent même pas le nom de chrétiens 285. Les divergences qui viennent d’être relevées entre Eunome et Arius confirment donc l’arbitraire qu’il y aurait à chercher uniquement chez Arius les sources premières de l’enseignement anoméen, et peut-être Grégoire lui-même en fut-il conscient 286. L’influence d’Aèce ne saurait par ailleurs expliquer toutes les caractéristiques de la doctrine d’Eunome ; comme il a été vu, certains éléments lui paraissent propres et ne trouvent pas d’antécédents clairs chez Aèce 287. Il importe donc de poursuive l’investigation des sources ‹chrétiennes › d’Eunome dans d’autres directions, d’abord au sein des courants théologiques du IVe siècle, ensuite dans une possible tradition chrétienne antérieure. Or, l’examen des écrits d’Arius a permis de constater comment Athanase pouvait introduire dans des paragraphes sur la doctrine d’Arius des citations d’Astérius le So281 Cf. Eun. I 45 : « >Are–ou

d‡ to‹ jeomàqou tÄ ponhrÄ ta‹ta spËrmata t¿n zizan–wn ‚nspe–rantoc, ¡n  karpÏc ‚sti t¿n >Anomo–wn tÄ dÏgmata (Or, après qu’Arius, l’ennemi de Dieu, eut répandu ces semences perfides

d’ivraie, dont les fruits sont les doctrines des anoméens) ». 282 Ainsi, pour ce qui concerne Aèce, Athanase considère que celui-ci a fait naufrage, ballotté par les erreurs

d’Arius, cf. Athanase, syn. 6, 2 (234, 22–25) : « ka» gÄr ka»  jrulo‘menoc >AËtioc  ‚piklhje»c óAjeoc oŒk

 d–an ‚feur∞n man–an jras‘netai, Çll+ e c tòn Çreianòn ·terodox–an qeimazÏmenoc ‚nauàghse ka» aŒt‰c metÄ t¿n ÇpathjËntwn par+ aŒto‹. » 283 Cf. sur ce point les réflexions particulièrement intéressantes de M. Wiles, «Attitudes to Arius in the Arian

Controversy », spécialement p. 36–39, où l’auteur souligne l’évolution d’Athanase, qui emploie dans les Discours contre les Ariens le terme «arien » beaucoup plus souplement qu’auparavant. M. Wiles remarque alors, justement à propos du Discours contre les Ariens : «Important though the figure of Arius is for Athanasius’ argument, he hardly emerges consistently as the creative individual originator of the heresy that bears his name, even though it would greatly have strengthened Athanasius’ case to present him in that light. » (p. 38) ; cf. de même C. Kannengiesser, Athanase d’Alexandrie, p. 119 : «Le rôle essentiel d’Arius dans les CA est donc patronymique, c’est celui d’un prête-nom. » Il est possible de rappeler que les évêques rassemblés au concile des Encénies et opposés à Athanase prirent leur distance vis-à-vis d’Arius, cf. Athanase, syn. 22, 3 (248, 29– 30) : « Are–ou gegÏnamen; p¿c gÄr ‚p–skopoi Óntec Çkoloujo‹men presbutËr˙ ; » 284 Sur Arius manipulé par le diable, cf. Athanase, Ar. I 8, 3 : « o’tw tòn E÷an öpàthsen; o’tw ka» tÄc ällac

a…rËseic ‚plànhsen; o’tw ka» n‹n óAreion Ípeisen e peÿn ka» sqhmat–sasjai d®jen katÄ t¿n a…rËsewn, —na làj˘ tòn  d–an ‚pibàllwn a—resin. » 285 Athanase revendique de fait le nom de chrétien, qui ne saurait être appliqué aux ariens, cf. Athanase, Ar. I

4, 1 : « P¿c to–nun Qristiano» o… mò Qristiano–, ÇllÄ >Areiomanÿtai ; » Id., Ar. III 28, 2 : « Qristiano» ‚smen, ¬ >Areiano–, Qristiano– ‚smen ômeÿc ». Sur cette perte de l’identité chrétienne suite à une quelconque déviance doctrinale, cf. H. Dörrie, «Was ist ‹spätantiker Platonismus › ? », p. 287. 286 De fait, Grégoire n’évoque que rarement Arius dans l’ensemble du Eun. (cf. Eun. I 45. 499 ; Eun. III/IX 55),

et lorsqu’il mentionne les semences d’Arius en Eun. I 45, Grégoire nuance aussitôt après ce propos, cf. Eun. I 46 (au sujet d’Aèce) : « Ênomast‰c ™n t‰n patËra t®c a…rËsewc óAreion t¨ kainÏthti t¿n ‚feurejËntwn ÕperballÏmenoc (il était réputé pour surpasser le père de l’hérésie, Arius, par la nouveauté de ses trouvailles) » ; comme le suggère justement M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 241, «les rapports entre Arius et Eunome n’étaient pas décisifs pour l’évêque de Nysse. » 287 Cf. supra partie II, chapitre II, 3.1.5 Conclusion, p. 162.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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phiste 288 ; aussi paraît-il opportun de commencer par se pencher sur la doctrine de cet auteur, apparemment si proche des orientations dites ‹ariennes ›, et généralement peu étudiée dans ses rapports avec la théologie eunoméenne. 3.3 Les rapports avec Astérius le Sophiste 3.3.1 Vie et œuvre d’Astérius le Sophiste Sans doute n’est-il pas inopportun d’apporter quelques précisions sur la vie et surtout l’œuvre d’Astérius, lequel en effet ne doit être confondu ni avec Astérius d’Amasée 289 ni, semble-t-il, avec l’Astérius ignotus, auteur d’un Commentarium in Psalmos 290. D’après les sources assez réduites 291, Astérius serait originaire de Cappadoce 292. Sophiste de profession (d’où son surnom peu flatteur) 293, il se convertit au christianisme et aurait compté parmi les disciples de Lucien d’Antioche 294. Il était déjà adulte quand il eut la faiblesse de sacrifier aux idoles en 303, sous la persécution de l’aïeul de Constance, Maximien Hercule 295, ce qui situerait sa naissance entre 260 et 280. Exclu dès lors du cursus ecclésiastique 296, Astérius mena une vie de prédicateur itinérant 297. Il mourut sans doute peu de temps après le concile des Encénies, auquel il participa aux côtés d’Eusèbe de Nicomédie 298, soit après 341.

288 Cf. supra partie II, chapitre II, 3.2.1 Les écrits d’Arius, p. 164–165, où sont présentés les deux tableaux dressés

par M. Vinzent sur les citations d’Arius par Athanase. 289 Sur Astérius évêque d’Amasée et mort vers 400, cf. W. Speyer, «Asterios v. Amaseia ». La confusion est faite

par E. Boularand, L’Hérésie d’Arius et la «foi » de Nicée, p. 75. 290 Ce commentaire fut attribué dans un premier temps au Sophiste, cf. M. Richard (éd.), Asterii Sophistae Commen-

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tariorum in Psalmos Quae Supersunt Accedunt Aliquot Homiliae Anonymae, Oslo 1956, ce qui permettait d’accéder à l’unique œuvre d’un arien de la première génération, transmise directement. Cette attribution a été remise en cause par W. Kinzig, Asterius Amasenus, Asterius Sophista oder Asterius Ignotus ? ; Id., «Asterius Amasenus, Asterius Sophista or Asterius Ignotus ? Reflections on the Autorship of the Homilies on the Psalms (ed. Marcel Richard) ». La position de W. Kinzig est critiquée par K.-H. Uthemann, «Recension de : Wolfram Kinzig, In Search of Asterius », et défendue à nouveau par W. Kinzig, «Asterius Sophista oder Asterius Ignotus ? Eine Antwort ». Présentation des sources par M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 20s. Les sources principales sont : Athanase, syn. 18–20 (245, 17–247, 15) ; Épiphane, haer. 76, 3 ; Socrate, h .e . I, XXXVI 1–5 ; Sozomène, h.e. II 33, 4 ; Philostorge, h.e. II 14 (25, 14–18) ; IV 4 (60, 14–15) ; Jérôme, vir. ill. 86. 94. Cf. Athanase, syn. 18, 2 (245, 21) : « >AstËrioc dË tic Çp‰ Kappadok–ac ». Cf. Athanase, syn. 18, 2 (245, 21) : « polukËfaloc sofist†c », renseignements que reprend Socrate, h.e. I, XXXVI 2. Cf. Philostorge, h.e. II 14 (25, 10–18). Cf. Athanase, syn. 18, 2 (245, 22) : « ‚peidò j‘sac ‚n tƒ protËr˙ diwgmƒ tƒ katÄ t‰n pàppon Kwnstant–ou » ; Philostorge, h.e. II 14 (25, 15–16) ; Épiphane, haer. 76, 3, 5. Cela vaudra à Astérius de se voir attribuer par Athanase l’appellation infamante de sacrificateur, cf. Athanase, Ar. II 24, 5 : « Â j‘sac >AstËrioc. » De même Athanase, decr. 8, 1 (7, 20). Cf. Athanase, syn. 18, 2 (245, 22–23) : « oŒk öd‘nato par+ aŒt¿n e c kl®ron proaqj®nai ». Cf. Athanase, syn. 18, 3 (245, 27) : « peri†rqeto tÄc ‚n t¨ Sur–¯ ka» tÄc ällac ‚kklhs–ac ». Cf. Libellus synodicus ad Synod. Antioch. Anno 341 (cf. Mansi, t. 2, col. 1350) : « >AstËrion Íqwn t‰n kappadÏkion filÏsofon ».

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

L’étendue exacte des œuvres d’Astérius n’est pas aisée à déterminer 299. Ses écrits, selon le témoignage de Jérôme, auraient été principalement exégétiques 300, mais Athanase mentionne une autre œuvre d’Astérius, non relevée par Jérôme, et désignée par l’évêque d’Alexandrie comme un petit écrit, suntagmàtion 301. Il importe de mentionner aussi une lettre d’Astérius écrite pour défendre Eusèbe de Nicomédie et citée souvent par Marcel d’Ancyre. Il ne reste de ces ouvrages que quelques fragments, dont l’étude a été facilitée par l’édition critique établie par M. Vinzent 302. L’auteur repère 77 fragments 303 et double ainsi le nombre que proposait auparavant G. Bardy 304. Ces fragments proviennent en partie des citations d’Astérius faites par Marcel d’Ancyre et accessibles grâce au Contre Marcel d’Eusèbe de Césarée ; alors que leur authenticité paraît assurée, il n’en est pas de même pour les 47 fragments restants, transmis cette fois par Athanase, attribués auparavant à Arius, mais restitués justement à Astérius par M. Vinzent 305. Si l’examen doctrinal qui suit reprend donc l’édition critique ainsi que la numérotation des fragments établies par M. Vinzent, il ne va cependant s’appuyer, pour une large part, que sur les fragments les plus assurés d’Astérius, ceux transmis par le Contre Marcel d’Eusèbe de Césarée. Une telle étude semble vraiment importante, car si Astérius a joué un rôle théologique certain lors du concile des Encénies 306, les fragments conservés permettent par ailleurs de voir en lui non seulement une personnalité intellectuelle remarquable, mais le penseur systématique du parti eusébien 307. Enfin, Astérius doit vraisemblable-

299 Sur cette question, cf. G. Bardy, Recherches sur saint Lucien d’Antioche et son École, p. 328–339, positions com-

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plétées et corrigées par W. Kinzig, Asterius Amasenus, Asterius Sophista oder Asterius Ignotus ? et M. Vinzent, Asterius von Kappadokien. Cf. Jérôme, vir. ill. 94 : «Asterius, arianae philosophus factionis, scripsit, regnante Constantino, in epistolam ad Romanos et in Evangelia et in psalmos commentarios, et multa alia quae a suae partis hominibus studiosissime leguntur. » Sur l’interprétation délicate de Jérôme, cf. W. Kinzig, «Asterius Amasenus, Asterius Sophista or Asterius Ignotus ? Reflections on the Autorship of the Homilies on the Psalms (ed. Marcel Richard) », p. 18– 22. Cf. Athanase, syn. 18, 2 (245, 23) : « poieÿ metÄ gn∏mhc t¿n per» EŒsËbion suntagmàtion » ; Id., Ar. I 30, 7 ; I 32, 4. Cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, Teil II : Die theologischen Fragmente. Kritischer Text und Übersetzung, p. 73–143. Pour un examen des positions théologiques d’Astérius, cf. déjà Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 28–34. Ces fragments seront notés frg. Cf. G. Bardy, Recherches sur saint Lucien d’Antioche et son École, p. 341–354, qui propose 36 fragments. Sur les réserves que pourrait susciter cette restitution, cf. supra note 249, p. 165. Sur les parallèles qui peuvent être tirés entre les affirmations théologiques d’Astérius conservées dans les fragments et la seconde formule du synode des Encénies, cf. G. Bardy, Recherches sur saint Lucien d’Antioche et son École, p. 125–127 (tableau comparatif) ; W. Schneemelcher, «Die Kirchweihsynode von Antiochien 341 », p. 319–346, ici p. 344 : «Das alles erinnert an die Ausführungen Eusebs von Caesarea in seinem Brief an seine Gemeinde (325), findet aber auch mancherlei Parallelen bei Asterius. » Cf. aussi M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 171–172. Cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 21–22. L’auteur, conformément à ses positions sur l’étendue des frg. d’Astérius, le considère comme l’adversaire théologique véritable d’Athanase, cf. id., p. 29 : «Die Reden des Athanasius gegen die Arianer sind in ihrer zeitlichen Ansetzung immer noch umstritten ; in ihnen findet sich die aktuelle Auseinandersetzung mit den Eusebianern, vor allem aber die Auseinandersetzung mit Asterius. »

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ment être compté parmi les inspirateurs, voire les prédécesseurs d’Arius 308, et peut-être même d’Eunome 309. 3.3.2 Traits fondamentaux du système théologique d’Astérius Les fragments conservés offrent l’intérêt majeur de pouvoir reconstruire le système théologique d’Astérius, système qui embrasse la totalité des êtres, intégrés dans un ensemble bien construit et caractérisé par trois éléments constitutifs, répartis en deux groupes 310 : 1. l’inengendré ; 2. les êtres du devenir : le Monogène intermédiaire, les créatures.

L’inengendré Au sommet de la hiérarchie des êtres d’Astérius se situe le Dieu unique inengendré (ÇgËn‹ n ›htoc), c’est-à-dire selon la définition du sophiste, l’être éternel (Ç–dion Ón), qui n’est pas une chose faite (t‰ mò poihjËn) 311. Si Dieu est caractérisé par d’autres propriétés (parmi lesquelles mÏnoc, tËleioc, eŸc, pr¿toc, Çe–), celles liées à son caractère inengendré apparaissent cependant constitutives de son être et donc en même temps exclusives : elles décrivent son être inengendré et ne sauraient dès lors être partagées avec aucun être du devenir 312. Dieu se manifeste ainsi, dans son être même, étranger à toute relation et communication, et la production de réalités autres que lui ne peut relever que d’une puissance (d‘namic) non constitutive de son être mais principe de relations : elle est éternelle comme lui, coexistante avec lui sous un mode inengendré (sunupàrqousa aŒtƒ Çgenn†twc), inhérente à lui (Ímfutoc aŒtƒ), principe d’engendrement (gennhtik†) et de «démiurgie » (dhmiourgik†) 313. Cette puissance intra-divine 308 Si du moins le témoignage rapporté uniquement par Athanase s’avère exact, cf. Athanase, decr. 8, 1 (7, 20–

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21) : « ka» to‹to gÄr >AstËrioc  j‘sac Ígrayen,  d‡ óAreioc metagràyac dËdwke toÿc  d–oic » ; id. 20, 2 (17, 3–5) : « toia‹ta gÄr ka» >AstËrioc  legÏmenoc sofistòc par+ aŒt¿n maj∞n Ígraye ka» par+ aŒto‹ d‡ óAreioc maj∏n, πsper e“retai. » Sur les rapports entre Astérius et Arius, cf. X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 269 : «Arius, issu de la même tendance théologique [que celle d’Astérius], n’en serait alors qu’un radicaliste extrêmisant la théologie orientale traditionnelle dans ses ‹petites phrases › et ses ‹bons mots ›, mais en fait vite hors jeu, ne serait-ce que par sa mort en 336. Et ce n’est que son nom qui, dès lors, sert à désigner, comme une marque d’infamie, une théologie plus prudente que la sienne. » Selon l’hypothèse de Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 29 : «That he [Eunome] was influenced by Asterius to espouse Arianism cannot be ruled out. » Pour une vue d’ensemble du système théologique d’Astérius, cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 41– 48, en particulier p. 41–42 (A. Überblick). Je me range aux conclusions de l’auteur, résumées ici dans leurs lignes principales. Cf. Astérius, frg. 2 : « ÇgËnhton e⁄nai t‰ mò poihjËn, Çll+ Ç–dion Ón ». L’orthographe de ÇgËn(n)htoc varie selon les manuscrits, mais il semble qu’Astérius ne faisait pas de différence fondamentale entre les deux verbes gennên et g–gnesjai, cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 40. Sur cet emploi relativement indifférent entre gennên et g–gnesjai, cf. infra partie II, chapitre II, 3.5.1 Le Dieu ÇgËnnhtoc, p. 182. Cf. la terminologie adoptée par M. Vinzent, qui distingue pour l’inengendré entre «ausschließliche wesenhafte Eigenschaften » et «nichtausschließliche wesenhafte Bezeichnungen, Fähigkeiten, Eigenschaften », cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 41. Cf. Astérius, frg. 64 : « oŒk e⁄pen  makàrioc Pa‹loc Qrist‰n khr‘ssein tòn to‹ jeo‹ d‘namin £ tòn to‹ jeo‹ sof–an, ÇllÄ d–qa t®c to‹ ärjrou prosj†khc « d‘namin jeo‹ ka» jeo‹ sof–an »; ällhn m‡n e⁄nai tòn Ç–dion

aŒto‹ to‹ jeo‹ d‘namin tòn Ímfuton aŒtƒ ka» sunupàrqousan aŒtƒ Çgenn†twc khr‘sswn, gennhtikòn m‡n

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

apparaît ainsi comme une caractéristique propre mais non constitutive du Dieu inengendré, ne remettant pas en cause l’unité divine mais assurant tout à la fois la relation avec les autres êtres : le Monogène et les créatures. Le Monogène La puissance du Dieu inengendré est selon Astérius principe de deux actions, la génération (gennên) et la «démiurgie » (dhmiourgeÿn). Le Monogène s’avère le seul et unique résultat de la première 314, engendré par le vouloir et la volonté ( boul†sei ka» jel†sei) du Dieu inengendré 315, le Père qui agit par bienveillance et abondance de sa puissance 316. Le Monogène ne résulte donc ni d’une passion ni d’une émanation de la substance de l’inengendré 317 ; il est selon Astérius d’une autre nature (f‘sic) 318, étranger au Père (xËnoc kat+ oŒs–an) en tant que chose créée (kt–sma) 319. Cependant le Fils est aussi, par-delà ces différences, l’image (e k∏n) du Dieu inengendré 320, autre que lui (älloc) mais reflétant l’ensemble de ses qualités, excepté celles constitutives de son être inengendré (ÇgËn‹ n ›htoc, Ç–dioc, mò poihjËn) qui, comme telles, ne sauraient être copiées. Comme le Père, le Fils est donc unique, parfait, roi, seigneur, Dieu, image sans différence aucune (Çparàllakton e kÏna) de sa substance, de sa volonté, de sa puissance et de sa gloire 321. Mais parce qu’il n’est qu’une image et non le ofisan, dhlonÏti to‹ Qristo‹, dhmiourgikòn d‡ to‹ pant‰c kÏsmou, per» ©c ‚n t¨ pr‰c >Rwma–ouc ‚pistol¨ didàskwn Ílege; « tÄ gÄr ÇÏrata aŒto‹ Çp‰ kt–sewc kÏsmou toÿc poi†masi noo‘mena kajorêtai ° te Ç–dioc aŒto‹ d‘namic ka» jeiÏthc ». » H.-G. Opitz fait remarquer que le raisonnement d’Astérius est unique en son

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genre, cf. Athanasius Werke II/1, p. 246 : «Die Ausführungen des Asterius sind in ihrer entschlossenen Gedankenführung einzigartig ». H.-G. Opitz met cependant l’affirmation d’Astérius en parallèle avec Eusèbe de Nicomédie, ep. Paulin 3 (16, 4–6) : « ÇllÄ gegon‰c [le Fils] Âlosqer¿c Èteron t¨ f‘sei ka» t¨ dunàmei, pr‰c tele–an ÂmoiÏthta diajËse∏c te ka» dunàmewc to‹ pepoihkÏtoc genÏmenon. » De même qu’il n’y a qu’un seul inengendré, de même n’y a-t-il qu’un seul engendré, cf. Astérius, frg. 12 : « eŸc m‡n ÇgËnnhtoc eŸc d‡ gennhtÏc ». Cf. Astérius, frg. 18 : « deÿ lËgein boul†sei ka» jel†sei gegenn®sjai t‰n u…‰n Õp‰ to‹ patrÏc. » Pour l’attribution à Astérius de ce passage, cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, p. 186–190, qui justifie son choix contre la position de L. Abramowski, «Die dritte Arianerrede des Athanasius », p. 389–413. De même Astérius, frg. 16 : «  u…‰c po–hma ªn boul†sei gËgone ka» pepo–htai. » Cf. Astérius, frg. 15 : « eŒergetik¨ filotim–¯ ‚kt–sjh  u…Ïc, ka» perious–¯ dunàmewc ‚po–hsen aŒt‰n  pat†r. » Conformément à ce que dirait Astérius dans sa défense de la Lettre d’Eusèbe de Nicomédie, rejetant les impiétés des hérétiques concevant la génération du Fils comme une passion corporelle ou une émanation, cf. Astérius, frg. 5 : « oÀ swmatik†n tina ka» pajhtikòn kateye‘santo to‹ jeo‹ tòn teknogon–an, tÄc probolÄc dogmat–zontec. » C’est ce que laisserait entendre le frg. 8, qui mentionne la nature du Père et la nature du Fils : « f‘se∏c te patr‰c ka» f‘sewc gennhto‹ ». Dans le frg. 32, Astérius met en parallèle nature (f‘sic) et substance (oŒs–a) : « ka» m–a m‡n ô t®c sof–ac oŒs–a te ka» f‘sic, pollÄ d‡ tÄ sofÄ ka» kalà. » Cf. Astérius, frg. 77 : « aŒt‰c [le Fils] d‡ xËnoc kat+ oŒs–an ±c kt–sma. » C’est un des points majeurs de l’enseignement d’Astérius, qui s’appuie sur Col 1, 15, cf. frg. 11 : « älloc dË ‚stin  ‚x aŒto‹ gennhje–c, « Ìc ‚stin e k∞n to‹ jeo‹ to‹ Çoràtou ». » Cf. Astérius, frg. 10 : « älloc m‡n gÄr ‚st»n  patòr  genn†sac ‚x ·auto‹ t‰n monogen® lÏgon ka» prwtÏtokon

pàshc kt–sewc, mÏnoc mÏnon, tËleioc tËleion, basileÃc basilËa, k‘rioc k‘rion, je‰c jeÏn, oŒs–ac te ka» boul®c ka» dunàmewc ka» dÏxhc Çparàllakton e kÏna. » Ces réflexions d’Astérius eurent très certainement une influence sur la seconde formule du synode des Encénies, cf. la citation du texte du synode par Athanase, syn. 23, 3 (249, 13–18) : « Piste‘omen (. . .) ka» e c Èna k‘rion >Ihso‹n QristÏn, t‰n u…‰n aŒto‹, t‰n monogen® jeÏn,

di+ o› tÄ pànta, t‰n gennhjËnta pr‰ t¿n a ∏nwn ‚k to‹ patrÏc, je‰n ‚k jeo‹, Ìlon ‚x Ìlou, mÏnon ‚k mÏnou, tËleion ‚k tele–o‹, basilËa ‚k basilËwc, k‘rion Çp‰ kur–ou, lÏgon z¿nta, sof–an z¿san, f¿c ÇlhjinÏn, ÂdÏn, Çl†jeian, Çnàstasin, poimËna, j‘ran, ätreptÏn te ka» Çnallo–wton, t®c jeÏthtoc oŒs–ac te ka» boul®c ka» dunàmewc ka» dÏxhc to‹ patr‰c Çparàllakton e kÏna ».

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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modèle, le Fils ne fait que participer (meteqeÿn) 322 de ces qualités et ne les possède pas par nature (f‘sei) : la Sagesse coexiste de façon éternelle en Dieu, tandis que le Fils n’est qu’une sagesse du Dieu de l’univers 323. La création et le reste des êtres du devenir La seconde puissance de Dieu, la «démiurgie », est à l’origine du reste des êtres. Cette œuvre ne s’effectue cependant pas par le Père seul, mais par l’entremise du Fils. Effectivement, Astérius fait remarquer que les êtres créés ne pourraient supporter la main pure de Dieu (Çkràtou qeirÏc) ou une «démiurgie » effectuée directement par lui (t®c par+ aŒto‹ dhmiourg–ac) : c’est pourquoi il fait et crée (poieÿ ka» kt–zei) le Fils, intermédiaire par lequel les autres créatures pourront venir à l’être 324. Le Fils tient dès lors une place singulière dans le système d’Astérius : comme le Sophiste le répète souvent, le Fils est un de la création, il en est le premier né, le prwtÏtokoc 325 ; mais en même temps il est le seul Fils de Dieu, fait directement par lui et participant directement de lui, contrairement aux autres êtres faits à travers le Fils et non directement par le Père, participant de Dieu par lui et non directement du Père 326. Tout en étant un de la création, le Fils l’emporte ainsi (plËon Íqein) sur toutes les créatures, du fait de cette proximité inégalée avec le Père. Une hiérarchie des êtres s’établit ainsi, Dieu transcendant la création, au premier rang de laquelle se tient le Fils puis les autres créatures, venues plus ou moins tard ou participant plus ou moins du Fils, qui lui-même participe directement de Dieu 327. La place de l’Esprit Saint au sein de ce système est plus délicate à préciser, étant données les allusions très réduites qu’en fait Astérius dans les fragments conservés 328, mais il ne semble pas faire de doute qu’il se situe juste après le Fils, au premier rang de toutes les autres créatures.

322 Cf. Astérius, frg. 65, dans la mesure où le passage peut effectivement être attribué à Astérius, comme le

propose M. Vinzent, Asterius von Kappadokien : Exkurs zu Ath., c. Ar. I 5f und ep. ad epp. Aeg. Et Lib. 12, p. 284–301 : « d‘o go‹n sof–ac (fhs–n) e⁄nai, m–an m‡n tòn Ç–dian ka» sunupàrqousan tƒ je¿, t‰n d‡ u…‰n ‚n aŒt¨ t¨ sof–¯ gegen®sjai ka» ta‘thc metËqonta ≤nomàsjai mÏnon sof–an ka» lÏgon. » ; frg. 69 : « sof–an te

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327

ÊnÏmati lËgesjai aŒtÏn (fasin), ällhn mËntoi e⁄nai sof–an tòn  d–an ka» Çlhjinòn to‹ patr‰c tòn Çgenn†twc sunupàrqousan aŒtƒ, ‚n ≠ ka» t‰n u…‰n poi†sac ≤nÏmase katÄ metous–an ‚ke–nhc sof–an aŒtÏn. » Cf. Astérius, frg. 67 : « polla» dunàmeic e s–; ka» ô m‡n m–a to‹ jeo‹ ‚stin  d–a f‘sei ka» Ç–dioc;  d‡ Qrist‰c pàlin oŒk Ístin ô Çlhjinò d‘namic to‹ jeo‹, ÇllÄ m–a t¿n legomËnwn dunàme∏n ‚sti ka» aŒtÏc ». Cf. Astérius, frg. 26 : « jËlwn  t¿n Ìlwn je‰c tòn genhtòn kt–sai f‘sin, ‚peidò ·∏ra mò dunamËnhn aŒtòn metasqeÿn t®c to‹ jeo‹ Çkràtou qeir‰c ka» t®c par+ aŒto‹ dhmiourg–ac, poieÿ ka» kt–zei pr∏twc mÏnoc mÏnon Èna ka» kaleÿ to‹ton u…‰n ka» lÏgon, —na to‘tou mËsou genomËnou o’tw loip‰n ka» tÄ pànta di+ aŒto‹ genËsjai dunhj¨. » Comme pour le Fils, Astérius laisse entendre qu’elles n’étaient pas avant d’être engendrées, cf. frg. 22 : « oŒk ™n pr»n gennhj¨ ». Cf. Astérius, frg. 23 : « pr¿ton gàr ‚sti t¿n genht¿n » ; frg. 66 : « polla» d‡ a… kaj+ Èkaston Õp+ aŒto‹ ktisjeÿsai, ¡n prwtÏtokoc ka» monogenòc  QristÏc ». Le Père a fait lui-même le Fils, cf. Astérius, frg. 28 : « t‰n m‡n u…‰n mÏnon mÏnoc  patòr aŒto‘rghse, tÄ d+ älla pànta diÄ to‹ u…o‹ gËgonen ±c di+ Õpourgo‹. » Seul le Fils provient directement du Père, frg. 29 : « mÏnoc m‡n aŒt‰c Õp‰ mÏnou to‹ jeo‹ gËgone, tÄ d+ älla pànta parÄ to‹ jeo‹ diÄ to‹ u…o‹ ‚kt–sjh » ; seul le Fils participe directement du Père, frg. 31 : « mÏnoc m‡n aŒt‰c metËqei to‹ patrÏc, tÄ d+ älla pànta to‹ u…o‹ metËqei ». Sur cette supériorité du Fils, cf. Astérius, frg. 31 : « ka» oŒ diafËrei pàlin, e  plËon ‚keÿnoc Íqei ka» pr¿ton gËgonen; ômeÿc d‡ e  Ílatton ka» ’steron gegÏnamen, Èwc to‹ aŒto‹ pàntec metËqomen ka» to‹ aŒto‹ patr‰c u…o» legÏmeja. »

328 Cf. Astérius, frg. 59. 60 et 61.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Les dénominations de Dieu, du Fils et des créatures Comme il a été vu au cours des paragraphes précédents, un certain nombre d’attributs sont appliqués au Père, au Fils et au reste des créatures. Si ces différentes qualités semblent pouvoir leur être prédiquées indifféremment, leur signification varie cependant selon le sujet auquel elles se rapportent, ainsi qu’il est possible de le constater avec les termes ‹sagesse › ou ‹puissance ›, précédés de l’article dans le cas de Dieu, sans article dans les autres cas. S’appuyant de fait sur 1 Co 1, 24, Astérius fait remarquer que l’apôtre Paul annonce la sagesse de Dieu ou la puissance de Dieu, mais qu’il ne désigne le Fils que comme puissance et sagesse de Dieu, sans article : autre en effet est la puissance éternelle et coexistante de façon inengendrée avec Dieu, autre celle manifestée à travers le Christ 329. Et de même y a-t-il un grand nombre d’autres puissances, appelées ainsi en raison de celui qui les a créées et qui les utilise 330. Il n’y a donc qu’une seule et véritable sagesse ou puissance, celle de Dieu, tandis que le Fils n’est ainsi nommé que par abus de langage (kataqrhstik¿c) 331, et à plus forte raison les autres créatures. Cette affirmation, claire et bien attestée dans les fragments conservés d’Astérius, au sujet des termes sagesse et puissance, semble pouvoir être élargie aussi à l’ensemble des qualités susceptibles d’être appliquées aux créatures 332. Il en résulte un langage avant tout analogique, voire homonymique, utilisant certes les mêmes termes à propos de Dieu, du Fils et des créatures, mais exprimant à chaque fois un concept différent, adapté à la réalité à laquelle il s’applique. Si le Fils est donc unique, parfait, roi, seigneur, Dieu en tant qu’image de Dieu, il ne sera dit unique, parfait, roi, seigneur, Dieu que selon son rang et non au même degré que le modèle dont il n’est que la copie : méthodiquement, Astérius n’oublie donc pas de joindre à ses réflexions métaphysiques leurs corrélatifs épistémologiques. 3.3.3 Conclusion Cette étude des fragments d’Astérius a permis de mettre en lumière les différents éléments constitutifs de son système théologique, ce qui ne saurait être sans intérêt eu égard à l’importance de ce penseur au cours des premières décennies du IVe siècle et de l’influence qu’il joua certainement lors du synode des Encénies. Mais les acquis principaux se situent sans aucun doute dans les rapprochements susceptibles d’être établis entre les articulations majeures d’Astérius et celles d’Eunome. Effectivement, par-delà les traits généraux communs aux positions dites ariennes (importance du caractère inengendré de Dieu, rejet d’une similitude selon la substance, production du Fils par un acte de la volonté du Père), des points de rencontre plus précis peuvent être soulignés 329 Cf. Astérius, frg. 64 : « ällhn 330

m‡n e⁄nai tòn Ç–dion aŒto‹ to‹ jeo‹ d‘namin tòn Ímfuton aŒtƒ ka» sunupàrqousan aŒtƒ Çgenn†twc (. . .). ällhn d‡ d‘namin ka» sof–an didàskei jeo‹, tòn diÄ to‹ Qristo‹ deiknumËnhn ». Cf. Astérius, frg. 66 : « pêsai dunàmeic aŒto‹ to‹ kt–santoc ka» qrwmËnou kalo‹ntai dika–wc ». Astérius men-

tionne alors la sauterelle, appelée grande puissance par l’Écriture (cf. Jl 2, 25), ou les puissances évoquées par David dans les psaumes (cf. Ps 23, 10 ; Ps 45, 8). 331 Cf. Astérius, frg. 71 : « kataqrhstik¿c d‡ lËgetai lÏgoc ka» sof–a. » 332 Le frg. 72 étend aux notions de filiation et d’être ces dénominations homonymiques (le Seigneur n’est appelé Fils qu’en raison de ceux qui deviennent fils, et il n’aurait l’être qu’en raison de ceux qui existent), mais ce développement pourrait être d’Athanase qui transmet ce passage, cf. M. Vinzent, Asterius von Kappadokien, Kommentar zu frg. 72, p. 315 : «Der äußere und innere Zusammenhang sprechen dafür, daß ein echtes asterianisches Fragment vorliegt, ohne daß klar abzugrenzen ist, was Referat und was Zitat ist. »

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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entre les deux approches théologiques, en particulier pour ce qui concerne le Fils. Astérius met en relief la place si particulière du Fils qui, tout en étant un de la création, jouit cependant d’une proximité non partagée avec le Père, en tant qu’il en est le produit direct et son serviteur dans l’acte démiurgique. Cette spécificité du Fils ne peut que rappeler celle qu’Eunome lui attribue, que ce soit dans l’Ap ou dans le fragment 1, lorsqu’il présente la deuxième substance à la fois comme résultat direct de la première et intermédiaire de toutes les autres. Par ailleurs, Astérius présente le Fils comme image parfaite du Père, qui reflète l’ensemble des propriétés susceptibles d’être copiées ; sans offrir de développement absolument similaire, Eunome fournit cependant dans son principe de corrélation parfaite activité-œuvre comme le soubassement métaphysique de la déclaration d’Astérius : le Fils est l’image parfaite du Père en tant que résultat de son activité productrice. Finalement, si l’on tient compte des rares déclarations d’Astérius sur le Saint Esprit, il résulte de ces deux approches d’Astérius et d’Eunome un schéma scalaire similaire Père-Fils-Esprit-créatures, dont les similitudes peuvent se préciser encore : Astérius mentionne effectivement entre les êtres créés des différences selon le moins ou le postérieur (cf. frg. 31 : Ílatton ka» ’steron), qui ne peuvent que rappeler les subordinations en plus ou moins selon ancienneté ou dignité établies par Eunome dans le fragment 1 à propos des créatures. Mais il est d’autres points communs entre Astérius et Eunome. Le Sophiste prend soin en effet de distinguer en Dieu le caractère inengendré de la puissance démiurgique et génératrice qui, comme telle, assure le lien avec les êtres produits. Cette affirmation d’Astérius paraît beaucoup plus précise que celles d’Aèce dans son Syntagmation, lequel mentionnait certes la production du Fils par puissance (‚xous–¯), mais sans évoquer ce caractère relatif qui apparaît avec la d‘namic d’Astérius. Sur ce point encore, le rapprochement avec Eunome est frappant : comme Astérius, l’anoméen développe la notion de d‘namic et présente explicitement le Fils comme le produit de la puissance de l’inengendré ; comme Astérius, Eunome distingue de cette puissance génératrice une puissance démiurgique, destinée non à la production du Fils mais uniquement à celle des autres êtres 333. Enfin, il importe de souligner les développements épistémologiques d’Astérius, sans précédents véritables chez Arius ou Aèce. Les déclarations du Sophiste sur la valeur particulière d’un nom, lié intimement aux réalités auxquelles il s’applique, semblent préparer la voie aux considérations d’Eunome sur le langage et le caractère homonymique des mots. Cependant, il demeure, parallèlement à ces multiples rapprochements, plusieurs différences entre les deux auteurs. Ainsi, la notion d’activité tout comme l’étroite corrélation activité-œuvre, si importantes pour Eunome, sont absentes du système d’Astérius. D’une certaine manière, l’‚nËrgeia d’Eunome semble prendre la place de la d‘namic du Sophiste, laquelle se voit comme «repoussée » davantage dans le sein de l’inengendré eunoméen ; en effet, Astérius définissait la puissance comme subsistante sous un mode

333 Ce rapprochement entre Astérius et Eunome avait déjà été remarqué par H.-G. Opitz, Athanasius Werke

II/1, p. 246 (remarque sur Athanase, syn. 18, 4 (245, 31–246, 5), où il est fait allusion aux deux puissances, génératrice et démiurgique ; le rapprochement avec Aèce semble plus discutable) : «Die Ausführungen des Asterius sind in ihrer entschlossenen Gedankenführung einzigartig, als Parallele ist nur Urk. 8 (III 16, 1ff.). Allerdings sind derartige Gedankengänge zur Zeit der Abfassung von de synodis durch Eunomius u. Aetius wieder aufgenommen worden, ohne daß sich gerade für die Verwertung des Sätze des A. Belege finden lassen. »

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

inengendré en Dieu, et c’est cette particularité ontologique qu’Eunome applique à l’activité. Eunome introduit ainsi comme un maillon supplémentaire, qui creuse le fossé entre le Dieu inengendré et les œuvres qu’il produit, plus que ne le faisait Astérius par le biais de la seule puissance. Par ailleurs, si Eunome et Astérius offrent chacun une théologie de l’image, ce dernier interprète celle-ci comme une participation, notion rejetée par Eunome, qui envisage plutôt une constitution (s‘stasic) du Fils comme image du Père par le biais de l’activité. Enfin, les réflexions épistémologiques, présentes certes chez Astérius, ne reçoivent pas les développements caractéristiques élaborés par Eunome : Astérius relativise bien sûr le sens des mots et souligne leur portée analogique / homonymique, mais il ne semble pas remettre en cause la réflexion (‚p–noia) humaine, comme le fait Eunome, et n’offre pas non plus de théorie sur l’origine du langage. De ce point de vue, l’épistémologie anoméenne tranche une nouvelle fois par rapport à l’enseignement du Sophiste. Si le système théologique d’Astérius trouve ainsi de nombreuses résonances dans les thèses eunoméennes, ces dernières font cependant comme une avancée supplémentaire dans la systématisation et durcissent dès lors les positions dont elles se présentent héritières. 3.4 Un rapprochement d’Eunome avec Eusèbe et Acace de Césarée Les études comparatives qui viennent d’être effectuées entre Eunome et deux représentants de la première génération du conflit arien, Arius et Astérius, ont permis de constater les contacts comme les approches différentes de ces auteurs. Un trait particulier, celui de la théologie de l’image, pourrait être ici encore approfondi, puisqu’Eunome s’y distingue clairement de chacun de ces deux prédécesseurs. Effectivement, si le Fils apparaît pour chacun d’eux image du Dieu inengendré, Arius et Astérius fondent cette notion d’e k∏n sur la participation du Fils aux qualités divines, alors qu’Eunome n’envisage celle-ci que par le biais de l’activité et de la corrélation stricte activité-œuvre, d’où découle la constitution (s‘stasic) du Fils comme image du Père. Cette position d’Eunome ne peut s’expliquer par les spéculations d’Aèce, particulièrement discret sur ce point, comme il été vu. Dans une contribution récente, M. DelCogliano 334 a désiré présenter les pluralités d’approches de cette théologie de l’image au sein du parti dit arien ou eusébien 335. L’auteur remarque que la manière de comprendre le Fils comme image de Dieu ne constitue pas entre ces théologiens «a monolithic school of thought » 336, et deux principes d’explications théologiques auraient été effectivement avancés. Tandis que le premier principe présenté par l’auteur est celui d’Arius et d’Astérius, articulé autour de la notion de participation 337, c’est surtout le second qui offre dans le cas présent un intérêt par334 Cf. M. DelCogliano, «Eusebian Theologies of the Son as the Image of God before 341 ». Pour les réserves

que pourraient susciter cet article, cf. infra note 346, p. 180. 335 L’auteur reprend la dénomination proposée par L. Ayres, Nicaea and Its Legacy, p. 52 : «I will use the term

‹Eusebian › more broadly and with a primarily theological reference : the theological positions of Eusebius of Nicomedia and Eusebius of Caesarea are distinct and yet close enough for them to be allied in opposition to Alexander. » M. DelCogliano examine ainsi quatre auteurs de la première moitié du IVe siècle de ce parti eusébien, Arius, Astérius le Sophiste, Eusèbe et Acace de Césarée. 336 Cf. M. DelCogliano, «Eusebian Theologies of the Son as the Image of God before 341 », p. 480. 337 L’auteur, dans sa présentation des sources employées pour Astérius (id., note 21, p. 464) choisit d’écarter le frg. 65 (cf. M. Vinzent) et préfère le restituer à Arius ; M. DelCogliano justifie son choix en s’appuyant sur R.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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ticulier. Acace de Césarée expose effectivement une théologie de l’image particulièrement développée, en réponse principalement aux positions de Marcel d’Ancyre 338. Ce dernier, vivement opposé à Astérius, ne voulait pas appliquer au Fils la notion d’image, incompatible selon lui avec la divinité du Fils 339, et c’est à cette position théologique que répond Acace, prenant ici la défense du Sophiste. Acace souligne donc que le Fils est l’image vivante du Dieu vivant, image des qualités divines 340, qu’il est l’exacte ‚kmageÿon (impression) de la substance de Dieu 341. Mais il est intéressant de constater, dans cette défense d’Astérius, l’approche théologique différente de l’évêque de Césarée ; de fait, alors qu’Astérius fonde sa théologie de l’image sur la notion de participation, Acace ne fait pas intervenir celle-ci une seule fois, mais s’appuie au contraire sur l’unique idée d’«impression », ‚kmageÿon, désignée par M. DelCogliano comme «a ‹constitutive › approach to how the Son was the image of God » 342. Cette constatation n’est pas sans intérêt, puisqu’il a été vu que la notion d’image selon Eunome ne faisait pas non plus intervenir la participation, et la position d’Acace de Césarée permet ainsi de voir qu’une telle orientation théologique n’était donc pas sans antécédents. Cependant, l’examen de la théologie de l’image chez le prédécesseur d’Acace sur le siège de Césarée, Eusèbe, se révèle plus instructive encore. La conception du Fils comme image de Dieu joue de fait un rôle important chez Eusèbe ; c’est par le Fils image qu’est connu Dieu le Père 343, et c’est en tant qu’il est image que le Fils peut être dit Dieu, parce qu’il reflète au plus haut point et comme une image vivante les qualités du Père 344. Si Eu-

Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 98–100 ; pourtant, R. Williams y souligne au contraire que «A [Ar. I 5] is difficult to treat as reliable quotation (apart from the opening lines) » et s’appuie ensuite principalement sur Athanase, syn. 15, 3 (242, 9–243, 23) pour présenter les principes théologiques d’Arius. C’est sur ce texte controversé de Athanase, Ar. I 5 que s’appuie DelCogliano pour étudier la participation selon Arius, alors que Athanase, Ar. II 37, 1–2, qui mentionne explicitement Arius comme auteur des propositions énoncées, fournit des fondements plus solides pour la question de la participation. 338 Les positions d’Acace sont transmises par Épiphane, haer. 72, 6–10. Sur les positions théologiques d’Acace de Césarée et sa place dans la controverse, cf. J.-T. Lienhard, «Acacius of Caesarea’s Contra Marcellum : Its Place in Theology and Controversy » ; V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, p. 7– 8. 339 Cf. la citation de Marcel d’Ancyre faite par Acace in Épiphane, haer. 72, 6, 4 : « p¿c gÄr  k‘rioc ka» je‰c

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gennhje–c, ±c aŒt‰c prolab∞n Ífh, d‘natai Íti e k∞n jeo‹ e⁄nai; Èteron gÄr jeo‹ e k∞n ka» Èteron jeÏc. πste e  m‡n e k∏n, oŒ k‘rioc oŒd‡ jeÏc, Çll+ e k∞n kur–ou ka» jeo‹; e  d‡ k‘rioc Óntwc ka» je‰c Óntwc, oŒkËti  k‘rioc ka» je‰c e k∞n kur–ou ka» jeo‹ e⁄nai d‘natai. » Cf. Épiphane, haer. 72, 10, 3 : « e k∞n ofin to‹ patr‰c  u…Ïc, z¿sa z¿ntoc, ‚n kin†sei ka» ‚nerge–¯, dunàmei te ka» boul¨ ka» dÏx˘, oŒk äyuqoc, oŒd‡ Çk–nhtoc, ‚n ·tËr˙ m‡n t‰ e⁄nai Íqousa ka» grafomËnh, aŒtò d‡ ‚n ·aut¨ ka» di+ ·aut®c ‚n kin†sei mò ofisa. ka» e k∏n ‚stin Çparàllaktoc, oŒ t®c Çparallax–ac patËra poio‘shc, Çll+ u…‰n ÇphkribwmËnon. » Cf. Épiphane, haer. 72, 6, 3 : « t‰ Íktupon ka» tran‡c ‚kmageÿon to‹ jeo‹ t®c oŒs–ac » ; cf. aussi Épiphane, haer. 72, 9, 3. Sur les significations philosophiques du terme ‚kmageÿon (ce qui peut recevoir une impression, comme la

cire, ou la matière), cf. LSJ, s.v. II, dont les exemples sont repris par M. DelCogliano, «Eusebian Theologies of the Son as the Image of God before 341 », note 80, p. 478 ; l’auteur souligne cependant qu’Acace pourrait reprendre ce terme à Philon (exemple de l’âme humaine qui reproduit fidèlement le modèle divin). 342 Cf. M. DelCogliano, «Eusebian Theologies of the Son as the Image of God before 341 », p. 460. 480. 343 Cf. Eusèbe de Césarée, e.th. I 20, 73 (93, 15–17) : « e  gÄr « eŸc jeÏc, ka» oŒk Ístin Èteroc plòn aŒto‹ », aŒt‰c ãn e“h  ka» diÄ to‹ u…o‹ ±c di+ e kÏnoc gnwrizÏmenoc. » 344 Cf. Eusèbe de Césarée, e.th. I 20, 74 (93, 17–18) : « di‰ ka»  u…‰c jeÏc, diÄ tòn ‚n aŒtƒ to‹ patr‰c ±c ‚n e kÏni mÏrfwsin. » Id., II 17, 3 (120, 30–33) : « ka» je‰n aŒt‰n t‰n lÏgon äkoue, ±c e kÏna to‹ jeo‹, ka» e kÏna oŒq ±c ‚n Çy‘q˙ ’l˘, Çll+ ±c ‚n u…ƒ z¿nti ka» ÇkribËstata pr‰c tòn ÇrqËtupon jeÏthta to‹ patr‰c ÇfwmoiwmËn˙. » Cf. M. DelCogliano, «Eusebian Theologies of the Son as the Image of God before 341 », p. 471–473.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

sèbe s’appuie avant tout sur l’Écriture pour fonder ses affirmations 345, le vocabulaire qu’il emploie pour présenter le rapport du Fils au Père se révèle cependant très éclairant. Effectivement, alors qu’Eusèbe peut faire intervenir la participation pour justifier cette théologie de l’image 346, il est aussi d’autres expressions employées par l’évêque de Césarée, et sans rapport direct avec la participation. Eusèbe peut ainsi présenter le Fils comme «étant fait Dieu » (jeopoio‘menoc) 347, mais surtout Eusèbe peut parler de la «constitution du Fils » (t®c to‹ u…o‹ sustàsewc), ou de la «constitution du premier Verbe » (t®c to‹ pr∏tou lÏgou sustàsewc) 348, expressions d’autant plus remarquables qu’elles ne se retrouvent après Eusèbe que chez Eunome 349. Comme avec Acace, il est ainsi possible de déceler des antécédents aux orientations théologiques d’Eunome, la similitude s’avérant ici d’autant plus forte qu’elle est verbale et ne se trouve que chez ces deux auteurs, Eusèbe et l’anoméen. Selon la présentation d’Athanase, Arius devait donc être considéré comme la racine de tous les fourvoiements théologiques trinitaires de l’époque, y compris ceux d’Aèce et, par la force des choses, d’Eunome. Les quelques examens qui viennent d’être faits, sans vouloir être exhaustifs, permettent cependant de mieux saisir la complexité des positions théologiques. À travers Arius, Astérius le Sophiste, Acace et Eusèbe de Césarée, il est en effet possible de discerner les orientations multiples qui pouvaient régner, et susceptibles d’avoir exercé une influence sur Eunome. Assurément serait-il inexact de voir en ces auteurs des précurseurs de l’anoméisme, spécialement pour ce qui concerne Acace ou Eusèbe. Si Eunome a été un temps proche d’Acace lors des assemblées de Séleucie et Constantinople, cette proximité fut cependant plus diplomatique que doctrinale, dans la volonté commune de faire front contre le parti de Basile d’Ancyre, et l’union ne dura guère 350. Quant à Eusèbe de Césarée, il reste toujours difficile de lui attribuer le qualificatif d’arien et ses prises de position théologiques doivent, elles aussi,

345 Cf. Col 1, 15 : « Ìc 346

347 348

349 350

‚stin e k∞n to‹ jeo‹ to‹ Çoràtou » ; Ph 2, 6 : « Ìc ‚n morf¨ jeo‹ Õpàrqwn » ; He 1, 3 : « Ác ªn Çpa‘gasma t®c dÏxhc ka» qaraktòr t®c Õpostàsewc aŒto‹ ». Cf. Eusèbe de Césarée, e.th. I 2 (63, 25–26) : « ‚x aŒt®c d‡ t®c patrik®c metous–ac πsper Çp‰ phg®c ‚p+ aŒt‰n proqeomËnhc plhro‘menon. » Id., d.e. IV 15, 15 (175, 25–28) : « t®c jek®c ka» pêsin Çkoinwn†tou patrik®c eŒwd–ac meteilhfÏta, ka» mÏnon ‚x aŒto‹ gennhjËnta je‰n lÏgon, metoq¨ te to‹ genn†santoc Çgenn†tou ka» pr∏tou ka» me–zonoc je‰n ‚k jeo‹ ÇpofanjËnta » ; id. V 4, 9 (225, 8–9) : « Â d‡ de‘teroc [le Fils] metous–¯ to‹ Çlhjo‹c t®c koinwn–ac öx–wtai. » Contrairement à ce que voudrait suggérer M. DelCogliano, et malgré la note justificative (cf. M. DelCogliano, «Eusebian Theologies of the Son as the Image of God before 341 », note 63, p. 475–476, qui ne mentionne pas d.e. IV 15, 15 ; V 4, 9), la notion de participation pour le Fils n’intervient donc pas une seule fois («only once ») chez Eusèbe, mais constitue au contraire un moyen, entre autres, de rendre compte de la théologie de l’image, comme le soulignait déjà R. Williams, «The Logic of Arianism », p. 71. Si les réflexions de l’auteur se révèlent donc particulièrement intéressantes lorsqu’elles soulignent la variété d’orientations théologiques parmi les eusébiens à la veille du synode des Encénies, la répartition entre représentants de la participation (Arius et Astérius) et ceux d’une approche constitutive («a constitutive approach », Eusèbe et Acace de Césarée) ne semble pas aussi déterminante que le voudrait l’auteur. Cf. Eusèbe de Césarée, d.e. V 4, 9 (225, 12–13) : « sun∏n te tƒ patr» ka» ‚x aŒto‹ ka» di+ aŒt‰n jeopoio‘menoc ». Cf. Eusèbe de Césarée, d.e. IV 3, 6 (153, 8–9) : « ka» Â m‡n kaj+ ·aut‰n tËleioc ka» pr¿toc ±c pat†r, ka» t®c to‹ u…o‹ sustàsewc a“tioc » ; id. IV 15, 54 (181, 35–182, 2) : « t‰ « ‚xhre‘xato ô kard–a mou lÏgon ÇgajÏn » per» t®c to‹ pr∏tou lÏgou sustàse∏c te ka» oŒsi∏sewc ãn fa–h tic e rhmËnon ». Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.4 Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap : comparaison avec les réflexions sur le Fils, p. 100. Cf. supra partie I, chapitre I, 2.2 L’AA d’Eunome, p. 38 : formation par Aèce et Eunome de leur propre Église anoméenne.

Chapitre II : Les sources d’Eunome

181

plutôt être considérées comme politiques 351. Mais les réflexions précédentes n’en restent pas moins éclairantes dans la mesure où elles permettent de mieux situer, dans l’arrière-fond des réflexions trinitaires d’alors, les propositions théologiques d’Eunome, qui, comme telles, apparaissent moins originales qu’elles ne pourraient sembler. Pourtant, un dernier approfondissement des sources ‹chrétiennes › peut encore être fait. Effectivement, il a été vu qu’Athanase ne réduisait pas seulement au qualificatif d’ariens ses multiples opposants, mais qu’il leur déniait aussi toute légitimité chrétienne, en tant que représentants d’un enseignement nouveau et sans antécédents chrétiens authentiques. Eunome, cependant, n’en appelle dans ses œuvres ni à Aèce, Astérius ou même à Arius, mais à toute une vénérable tradition qui lui vient des Pères 352, au témoignage des Écritures et à l’enseignement des apôtres, de Pierre, Paul et Jean 353 ; il ne veut voir son enseignement dépendre en tout dernier lieu que de celui de Jésus Christ 354. Le témoignage de Philostorge se révèle sur ce point particulièrement révélateur, puisque la doctrine du ·teroo‘sioc remonterait selon lui à l’apôtre Barthélemy, qui l’aurait prêchée en Inde 355, si bien que la doctrine anoméenne plongerait en définitive ses racines dans l’enseignement apostolique lui-même. Pour achever de cerner les sources du système d’Eunome, il semble donc nécessaire de dépasser la réduction avant tout polémique faite par Athanase, pour tenter de préciser à quelle tradition chrétienne Eunome pouvait légitimement se référer. Assurément, un examen intégral et exhaustif de cette question reviendrait finalement à rechercher les sources de ‹l’arianisme ›, ce qui dépasserait le cadre de cette étude 356. La recherche qui suit va donc se limiter à quelques antécédents cosmologiques possibles de l’enseignement d’Eunome, c’est-à-dire à la fonction du Fils comme intermédiaire entre l’inengendré (ÇgËnnhtoc) et la création. Un tel choix est dicté bien sûr par l’importance de ce point dans la doctrine eunoméenne, mais aussi parce qu’il va permettre de mieux comprendre par la suite l’enjeu des réflexions de Grégoire et le rôle de sa distinction ktistÏn/äktiston dans sa réfutation.

351 Cf. M. Simonetti, La Crisi ariana, p. 31 : «egli [Eusèbe de Césarée] tenne sempre a non identificare la sua

posizione dottrinale con quella dell’arianesimo radicale, ma politicamente fu sempre dalla parte di Ario. » d‡ krato‹san änwjen ‚k t¿n patËrwn eŒseb® paràdosin » ; id. 7 (40, 1– 2) : « katÄ tòn t¿n patËrwn didaskal–an ». Cf. Eunome, Ap 26 (70, 13) [Pierre] ; 19 (56, 7), 24 (64, 5), 27 (70, 13) [Paul] ; 15 (52, 12), 26 (70, 18) [Jean]. Pour une évaluation de l’utilisation des Écritures par Eunome, cf. l’Index scripturaire dressé par R.-P. Vaggione, Eunome, The Extant work, p. 191–193. Cf. Eunome, Ap 2 (36, 6–9), qui assimile son enseignement à celui de Jésus Christ, qu’il faut préférer à tout : « tòn d‡ to‹ swt®roc ôm¿n 'Ihso‹ Qristo‹ didaskal–an . . .protim†santac ». Sur cette volonté d’Eunome d’asseoir ses opinions sur d’authentiques racines chrétiennes, cf. R.-P. Vaggione, Eunomius of Cyzicus and the Nicene Revolution, p. 39–40. Philostorge, h.e. II 6 (18, 15–17) : « √Oti toÃc ‚ndotàtw >Indo‘c, Ìsoi Qrist‰n Ímajon timên ‚k t®c Barjoloma–ou to‹ ÇpostÏlou didaskal–ac, t‰ ·teroo‘sion presbe‘ein  dusseb†c fhsi. » De telles recherches ont été par ailleurs déjà effectuées, parmi lesquelles il suffit de mentionner R. Lorenz, Arius judaizans ?, p. 67s ; R. Williams, Arius. Heresy und Tradition, p. 117–178 ; R.-P.-C. Hanson, The Search of the Doctrine of God, p. 60–98.

352 Cf. Eunome, Ap 4 (36, 6–38, 7) : « tòn 353

354

355 356

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

3.5 Les sources cosmologiques de la doctrine d’Eunome 3.5.1 Le Dieu ÇgËn(n)htoc Si la première mention d’une création ex nihilo, et donc l’opposition claire dans la littérature chrétienne entre le Dieu sans origine et le monde du devenir, ne semble remonter qu’à Tatien et surtout Théophile d’Antioche 357, l’affirmation de Dieu comme ÇgËnnhtoc se rencontre cependant dans la littérature chrétienne antérieure, où les auteurs peuvent encore concevoir l’existence d’une matière informe elle aussi Çgenn†th, à partir de laquelle Dieu crée l’univers 358. L’attribut ÇgËnnhtoc n’est alors pas véritablement distingué de ÇgËnhtoc 359 et les auteurs ne font visiblement qu’assumer l’emploi philosophique de ces termes souvent utilisés l’un pour l’autre 360 : attribut de Dieu chez Thalès 361 et lié à la notion d’impérissable chez Parménide 362, l’adjectif ÇgËnhtoc est employé par Platon pour opposer le monde changeant et corruptible avec les réalités éternelles et «non-advenues » (ÇgËnhta) ; les deux termes ÇgËnhtoc et ÇgËnnhtoc sont alors fréquemment rapprochés et, vraisemblablement, perçus proches pour le sens 363, comme ce serait le cas spécialement pour Aristote : Ce qui a plus d’importance pour l’histoire de ces termes, c’est de constater que, chez Aristote, le verbe genn¿ a souvent une signification affaiblie où l’idée de «génération » est effacée ; ce n’est plus que l’actif ou le causatif de g–gnomai. 364

Dans un texte souvent cité 365, Justin rappelle donc l’opinion platonicienne selon laquelle Dieu, contrairement aux autres réalités soumises aux changements, est seul 357 Sur l’apparition de la doctrine de la création ex nihilo et les étapes de son élaboration, cf. G. May, Schöpfung aus

dem Nichts, spécialement le ch. 5 (Die kirchliche Lehre von der Creatio ex nihilo), p. 151s. Si Tatien ne parle pas en toute rigueur de terme de création ‚x oŒk Óntwn, il apparaît cependant comme le premier penseur chrétien à mentionner la matière produite (émanée, probeblhmËnh) par Dieu, en réponse probablement au dualisme de Marcion, cf. Tatien, orat. 5, 3 (6, 12–15) : « o÷te gÄr änarqoc ô ’lh kajàper ka» Â jeÏc, o÷te diÄ

t‰ änarqon  sod‘namoc tƒ jeƒ, genhtò d‡ ka» oŒq Õp‰ ällou gegonuÿa, mÏnou d‡ Õp‰ to‹ pàntwn dhmiourgo‹ probeblhmËnh ». Mais Théophile d’Antioche demeure le témoin privilégié de l’affirmation claire d’une création ex nihilo, cf. Théophile d’Antioche, Autol. I 4 : « ka» tÄ pànta  je‰c ‚po–hsen ‚x oŒk Óntwn e c t‰ e⁄nai » ; id. II 4. II 10. II 13. 358 Ainsi Justin d’après G. May, Schöpfung aus dem Nichts, p. 126–127 ; de même peut-être Athénagore, cf. G. May,

359 360 361 362 363 364

365

Schöpfung aus dem Nichts, p. 140–141, cf. cependant la position contraire de B. Pouderon, Athénagore d’Athènes, p. 117–118, selon lequel Athénagore laisserait entendre une création de la matière par Dieu en partant du principe de la création ex nihilo. Cf. Lampe, s.v. ÇgËnnhtoc : «sts. used by early writers in same sense as ÇgËnhtoc q.v. with which it is freq. confused in MSS and edd. » Cf. sur les antécédents philosophiques les réflexions anciennes mais toujours intéressantes de J. Lebreton, « AGENNHTOS dans la tradition philosophique et dans la littérature chrétienne du IIe siècle ». Cf. Die Fragmente der Vorsokratiker, t. 1, A I 5 (4, 32–33) : « presb‘taton t¿n Óntwn jeÏc; ÇgËnhton gàr. » Cf. Die Fragmente der Vorsokratiker, t. 1, B 8 (154, 3–155, 4) : « pollÄ màl+, ±c ÇgËnhton ‚‰n ka» Çn∏lejrÏn ‚stin ofilon mounogenËc te ka» Çtrem‡c öd+ ÇtËleston ». Cf. Platon, Tim. 52a (à propos du deuxième genre) : « gennhtÏn, peforhmËnon Çe–, gignÏmenÏn te Ín tini tÏp˙ ». J. Lebreton, « AGENNHTOS dans la tradition philosophique et dans la littérature chrétienne du IIe siècle », p. 436 ; cf. de même P. Stiegele, Der Agennesiebegriff, p. 4 [à propos d’Aristote] . «In jedem Falle repräsentiert gennên zwei Begriffe : Neben dem vollwertigen Zeugungsbegriff den sekundären : entstehen lassen, hervorbringen. Dieser Doppelbedeutung entspricht ein Doppelsinn des Verbaladjektivs gennhtÏc : 1. «gezeugt », 2. «geworden » und des Privativums ÇgËnnhtoc : 1. «ungezeugt », 2. «ungeworden », ferner des Adverbiums Çgenn†twc, endlich des Substantivs Çgennhs–a. » Cf. Justin, dial. 5, 4 : « mÏnoc gÄr ÇgËnnhtoc ka» äfjartoc  je‰c ka» diÄ to‹to jeÏc ‚sti, tÄ d‡ loipÄ pànta metÄ to‹ton gennhtÄ ka» fjartà. »

Chapitre II : Les sources d’Eunome

183

ÇgËnnhtoc ka» äfjartoc. Cet attribut divin ÇgËnnhtoc est souvent énoncé à propos de Dieu par les apologètes, dans le but d’opposer avant tout le Dieu éternel, incorruptible et étranger au changement à l’ensemble des créatures 366. Il est alors intéressant de voir comment, dans un tel contexte, ces auteurs envisagent le rapport du Fils au Père qui, seul, reçoit cet attribut ÇgËnnhtoc. Justin insiste sur la place toute particulière du Fils, premier né du Père unique inengendré 367, celui par qui les fidèles se consacrent au Dieu inengendré 368, si bien que le Fils, en tant que tel, ne peut être rapproché du monde des créatures 369. Par ailleurs, comme le dit aussi Athénagore, il est le lÏgoc du Père, celui par qui tout a été fait 370. Mais seul le Père demeure l’inengendré et chacun de ces auteurs peut avoir à l’occasion des orientations subordinatianistes, où le Fils, logos du Père, tient comme une place intermédiaire entre l’inengendré et le monde des créatures 371. Ainsi paraît-il très vraisemblable de voir dans ces auteurs les didàskaloi anonymes évoqués par Athanase, qui présentaient le Père comme unique ÇgËnnhtoc 372, et c’est à cette tradition chrétienne authentique qu’Eunome pouvait légitimement se référer. 3.5.2 La place du Fils dans l’œuvre de la création Les réflexions précédentes ont permis de saisir l’importance pour les premiers auteurs chrétiens du Dieu unique ÇgËnnhtoc, ainsi que la place particulière du Fils par qui tout a été fait, mais c’est justement ce rôle du Fils dans l’acte créateur qu’il importe de préciser davantage, en rappelant brièvement les positions de quelques auteurs significatifs, et toujours dans le but de situer l’enseignement d’Eunome dans la tradition chrétienne. Les pages suivantes seront donc consacrées à Irénée, premier grand théologien de la création, ainsi qu’à Clément d’Alexandrie et Origène, en tant que représentants par excellence de la théologie alexandrine, si importante pour la compréhension de l’arianisme 373.

366 Cf. Athénagore, leg. IV 1 ; VIII 3 ; X 1 (Dieu est dit

e—c, ÇgËnnhtoc, Ç–dioc, ÇÏratoc, Çpaj†c, Çkatàlhptoc, Çq∏rhtoc), etc. Théophile d’antioche, Autol. I 4 ; II 10. Sur l’occurrence de cet attribut divin chez les auteurs chrétiens, cf. Th.-A. Kopecek, A History of Neo-Arianism, p. 249s.

367 Cf. Justin, dial. 126, 2 : « >Epe» 368 369 370

e  neno†kate tÄ e rhmËna Õp‰ t¿n profht¿n, oŒk ãn ‚xhrneÿsje aŒt‰n e⁄nai jeÏn, to‹ mÏnou ka» Çgenn†tou ka» Çrr†tou jeo‹ u…Ïn. » Id., 1 apol. 53, 2 : « prwtÏtokoc tƒ Çgenn†t˙ jeƒ ». Cf. Justin, 1 apol. 49, 5 : « tƒ Çgenn†t˙ jeƒ diÄ to‹ Qristo‹ ·autoÃc ÇnËjhkan. » Cf. Justin, 2 apol. 5 (6), 3 : « Ignàtion didàskaloi ka» aŒto» gràfousin

‹ „n t‰ ÇgËnhton  patòr ka» eŸc  ‚x aŒto‹ u…‰c gn†sioc, gËnnhma ÇlhjinÏn, lÏgoc ka» sof–a to‹ patrÏc. › » Athanase mentionne auparavant Ignace d’Antioche, Eph. 7, 2, l’unique témoin à évoquer le Fils à la fois genht‰c ka» ÇgËnhtoc, ce qu’Athanase commente ainsi, cf. Athanase, syn. 47, 2 (272, 3–5) : « >Ignàtioc Êrj¿c

Ígraye genht‰n aŒt‰n lËgwn diÄ tòn sàrka (Â gÄr Qrist‰c sÄrx ‚gËneto), ÇgËnhton dË, Ìti mò t¿n poihmàtwn ka» genht¿n ‚stin, Çll+ u…‰c ‚k patrÏc ». 373 Sur le rapport controversé entre la théologie alexandrine, particulièrement l’origénisme, et les développe-

ments ariens, cf. les comptes rendus des différentes orientations présentés par R. Lorenz, Arius judaizans ?, p. 31–36 ; par-delà les divergences entre les théories d’Origène et les développements ultérieurs ariens, ceuxci paraissent cependant relever malgré tout d’un cadre origéniste, cf. W. Löhr, «Arius Reconsidered (Part 2) », p. 150–151.

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Deuxième partie : Nature et sources des fragments 1 et 2

Parmi les multiples aspects de son enseignement théologique, Irénée de Lyon se distingue notamment par ses réflexions sur la création, dont il offre la première synthèse chrétienne vraiment complète, orientée contre le schéma gnostique dualiste. Un texte particulièrement prégnant pourrait résumer la position de l’évêque de Lyon : Il [le Père] a créé et fait toutes choses, visibles et invisibles, sensibles et intelligibles, célestes et terrestres, par le Verbe de sa puissance, et il a ordonné toutes choses par sa Sagesse 374.

Selon Irénée, le Père est directement à l’origine de la création, qu’il réalise par son Verbe et achève par sa Sagesse (l’Esprit Saint), sans qu’un intermédiaire quelconque vienne s’immiscer entre le Père, le Fils, l’Esprit et le monde des créatures 375. Cependant, si l’acte créateur selon Irénée s’avère unique, chacun des membres de la Trinité y est impliqué différemment : le Père crée et fait toutes choses par le Verbe de sa puissance, tandis que la Sagesse ordonne 376. Irénée peut à l’occasion préciser cette activité de chacun des membres de la Triade dans l’unique acte créateur par des verbes différents (Père : facere, plasmare / Fils : confirmare / Esprit : compingere) 377, qui spécifient trois modes d’agir. Si une telle distinction pourrait trouver ses sources dans le Pasteur d’Hermas 378, il semble qu’elle soit avant tout le résultat de la polémique anti-gnostique menée par Irénée 379 : contrairement à la gnose, le rôle actif du Père dans le processus créateur apparaît de façon beaucoup plus nette (facere, plasmare). Cependant, Irénée peut aussi illustrer l’action du Père par l’image fameuse de «ses mains » et dire que le Père fait tout de lui-même «par ses mains » que sont le Verbe et la Sagesse, le Fils et l’Esprit 380, présentation qui insisterait cette fois davantage sur le rôle intermédiaire, presque instrumental, du Fils et de l’Esprit. Ce rapide tableau de la création selon Irénée peut être enfin complété par sa doctrine de l’image. De fait, l’homme a été fait à l’image de Dieu qu’est le Fils 381. Le Fils n’apparaît ainsi plus seulement comme un collaborateur actif de la création, mais comme le modèle et l’exemplaire selon lequel l’homme est façonné. Cette image n’atteint cependant son achèvement qu’avec l’Esprit, par la participation duquel l’homme devient véritablement parfait et n’apparaît plus seulement à l’image, mais à la ressemblance de Dieu 382. 374 Irénée, haer. II 30, 9 (318, 222–320, 225) : «condens et faciens omnia, et uisibilia et inuisibilia et sensibilia

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et insensata et caelestia et terrena, Verbo uirtutis suae, et omnia aptauit et disposuit Sapientia sua ». Sur les principes anti-gnostiques de la doctrine de la création selon Irénée, cf. M.-L. Bourgueil-Chaieb, Les Textes eucharistiques d’Irénée de Lyon, p. 138–142 ; sur la création selon Irénée, cf. M. Steenberg, Irenaeus on Creation. Cf. aussi Irénée, haer. I 22, 1 (avec en particulier les explications en SC 263, p. 276–281) ; id. II 2, 4 (Dieu a créé et fait toute chose par son Verbe). Sur la mise de côté par Irénée des intermédiaires gnostiques dans l’œuvre créatrice, pour les remplacer par le Verbe médiateur, cf. G. Rémy, «Du Logos intermédiaire au Christ médiateur chez les Pères grecs », p. 399–401. Cf. J. Fantino, La Théologie d’Irénée, p. 284 : «Ce passage [Adversus Haereses II 30, 9] montre qu’Irénée introduit une différence entre le Père, le Fils et l’Esprit dans la manière dont ils interviennent dans l’œuvre de la création. (. . .) Irénée dégage donc pour l’œuvre de création un schéma de l’agir divin où les Trois sont impliqués différemment. » Cf. Irénée, haer. III 24, 2 : «qui fecit et plasmauit (. . .), Verbo suo confirmans et Sapientia compingens omnia, hic est qui est solus uerus Deus ». Cf. Hermas, mand. 1, 1 : « Pr¿ton pàntwn p–steuson, Ìti eŸc ‚st»n  jeÏc,  tÄ pànta kt–sac ka» katart–sac ka» poi†sac ‚k to‹ mò Óntoc e c t‰ e⁄nai tÄ pànta ». Cf. J. Fantino, La Théologie d’Irénée, p. 284–285. Cf. Irénée, haer. IV 7, 4 ; IV 20, 1 ; V 6, 1. Cf. Irénée, dem. 22 : «Imago autem Dei Filius est, cuius ad imaginem factus est homo. » Cf. Irénée, haer. V 6, 1 : «perfectus autem homo commixtio et adunitio est animae assumentis Spiritum Patris et admixtae ei carni quae est plasmata secundum imaginem Dei ». Cette action sanctifiante de l’Esprit, qui est

Chapitre II : Les sources d’Eunome

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Les réponses d’Irénée étaient principalement orientées contre les spéculations gnostiques et il en est de même, dans une certaine mesure, pour Clément d’Alexandrie. Afin de répondre à l’opposition d’orientation marcionite entre le Dieu bon du Nouveau Testament et le démiurge cruel de l’Ancien, Clément insiste au contraire sur leur identité : le créateur n’est pas différent du Dieu premier 383, mais Dieu «est le créateur de tous les êtres et aucun n’existe sans qu’il le veuille » 384. Comme Irénée, Clément distingue aussi le rôle spécial de chacune des personnes divines dans la Création, mais selon une approche légèrement différente. Si Irénée attribue à chaque personne une intervention particulière dans une unique action, Clément insiste plutôt sur le Fils comme Logos du Père : engendré sans passion par le Père, créateur (kt–sthc) et principe d’existence (genesiàrqhc) de toute la création, c’est en lui que le Père a fait toute chose 385 ; le Fils apparaît ainsi comme siège des idées de Dieu, rejoignant en ceci le Logos du moyenplatonisme 386, contenant en lui toutes choses non comme des parties, mais comme unmultiple, ±c pànta Èn 387. Il importe enfin de souligner la place particulière de l’homme, qui par son intellect se révèle ‹image de l’image › (e k∞n d+ e kÏnoc), c’est-à-dire image du Logos, lui-même image de Dieu 388. Dès lors, c’est par son Logos que Dieu appelle les hommes à lui 389, et cette action spéciale du Fils, du Logos, s’achève dans la conformation à Dieu de ceux en qui il habite 390. Cette action sanctificatrice ne se limite pas bien présente chez Irénée, se laisse surtout percevoir dans son aspect dynamique, en tant qu’elle introduit l’homme dans la sphère de Dieu, cf. F. Dünzl, Pneuma, p. 258–259. 383 Cf. Clément d’Alexandrie, str. IV, XIII 94, 2 : « Ka» t‰ mhden‰c ‚pijumeÿn oŒq ±c Çllotr–wn t¿n ‚pijumht¿n

Óntwn pÏjon mò Íqein didàskei, kajàper Õpeil†fasin o… t‰n kt–sthn ällon e⁄nai parÄ t‰n pr¿ton je‰n dogmat–zontec, oŒd+ ±c ‚bdelugmËnhc ka» kak®c o÷shc t®c genËsewc, äjeoi gÄr a… dÏxai a›tai ». Cf. les remarques

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de H.-I. Marrou in Clément d’Alexandrie, Le Pédagogue. Livre I, Introduction, p. 33 ; Dieu est bon, c’est pour cela qu’il a voulu être créateur et père, cf. Clément d’Alexandrie, paed. I, IX 88, 2 : « Pr»n gÄr kt–sthn genËsjai je‰c ™n, Çgaj‰c ™n, ka» diÄ to‹to ka» dhmiourg‰c e⁄nai ka» patòr öjËlhsen ». Clément d’Alexandrie, str. VII, XII 69, 5 : « pàntwn gÄr kt–sthc, ka» oŒdËn ‚sti t¿n Õpostàntwn Á mò jËlei » ; Id., str. VI, XVI 146, 2. Cf. Clément d’Alexandrie, exc. Thdot. 19, 4 : « PrwtÏtokon d‡ pàshc kt–sewc, Ìti gennhje»c Çpaj¿c, kt–sthc ka» genesiàrqhc t®c Ìlhc ‚gËneto kt–se∏c te ka» oŒs–ac; « ‚n aŒtƒ » gÄr  Patòr tÄ pànta ‚po–hsen » ; Id., str. VI, XVI 145, 4–5. Cf. Clément d’Alexandrie, str. V, III 16, 3 et le commentaire d’A. Le Boulluec in Clément d’Alexandrie , Stromates V, t. 2, p. 83–84. Clément apparaît par ailleurs très proche de Philon, cf. infra partie II, chapitre II, 4.2.2 L’enseignement de Philon sur les puissances (dunàmeic) de Dieu, p. 190s. Cf. Clément d’Alexandrie, str. IV, XXI 156, 2 : « Ka» dò oŒ g–netai Çteqn¿c „n ±c Èn, oŒd‡ pollÄ ±c mËrh  u…Ïc, Çll+ ±c pànta Èn ». Sur ce rôle cosmologique du Fils chez Clément, cf. R. Williams, Arius. Heresy and Tradition, p. 125–126. Cf. Clément d’Alexandrie, str. V, XIV 94, 5 : « E k∞n m‡n gÄr jeo‹ lÏgoc jeÿoc ka» basilikÏc, änjrwpoc Çpaj†c, e k∞n d+ e kÏnoc Çnjr∏pinoc no‹c ». L’homme doit cependant perfectionner par une vie vertueuse cette image primordiale reçue à la création et atteindre ainsi la ressemblance, comme l’énonçait déjà Irénée, cf. Clément d’Alexandrie, str. II, XXII 131, 6 : « ìH gÄr oŒq o’twc tin‡c t¿n ômetËrwn t‰ m‡n « kat+ e kÏna » eŒjËwc katÄ tòn gËnesin e lhfËnai t‰n änjrwpon, t‰ « kaj+ Âmo–wsin » d‡ ’steron katÄ tòn tele–wsin mËllein Çpolambànein ‚kdËqontai ; » P. Th. Camelot propose de voir parmi les tin‡c t¿n ômetËrwn justement Irénée, cf. Clément d’Alexandrie, Stromates II, note 6, p. 133. Cf. Clément d’Alexandrie, prot., ch. IX (intitulé par les éditeurs Dieu nous appelle à lui par son Logos). Cf. Clément d’Alexandrie, paed. III, I 1, 4 : « Isokràthc periesj–etai ˚†matà te ka» sq†mata pr‰c tòn s‘njesin to‹ prokeimËnou paratillÏmenoc, Ísti d‡ Ìpou ka»  AllÄ gÄr oŒd+ ‚keÿno pros®ken Çgnoeÿn, Ìti t‰ « ‚g∏ e mi je‰c sÏc » lËgetai kataqrhstik¿c,

oŒ kur–wc. T‰ gÄr Ón, ≠ Ón ‚stin, oŒq» t¿n prÏc ti; aŒt‰ gÄr ·auto‹ pl®rec ka» aŒt‰ ·aut˙ …kanÏn, ka» pr‰ t®c to‹ kÏsmou genËsewc ka» metÄ tòn gËnesin to‹ pant‰c ‚n Âmo–˙. » (trad. R. Arnaldez). Philon, Mut. 28 : « Éc Íteinen e c gËnesin ». Cf. Philon, Her. 205 : « Tƒ d‡ ÇrqaggËl˙ ka» presbutàt˙ lÏg˙ dwreÄn Ídwken ‚xa–reton  tÄ Ìla genn†sac pat†r, —na mejÏrioc stÄc t‰ genÏmenon diakr–n˘ to‹ pepoihkÏtoc. Iàkwboc ka» >Iwànnhc ‚n m‡n tƒ lÏgƒ t®c oŒs–ac o… aŒto» ™san Çll†loic (änjrwpoc gÄr to‘twn Èkastoc), ‚n d‡ toÿc  di∏masi t®c ·kàstou aŒt¿n Õpostàsewc Çll†loic oŒ sunefËronto. (En effet, tout ce qui a la même définition de la substance ne s’accordera pas semblablement aussi quant à l’hypostase par l’application de la définition. De fait, Pierre, Jacques et Jean selon la définition de la substance étaient certes identiques entre eux (car chacun d’eux était homme), mais selon les propriétés de l’hypostase de chacun d’eux, ils ne s’accordaient pas entre eux.) » 22 Pour substance dans le sens de nature, cf. Eun. I 222 : le Fils est étranger quant à la nature, dissemblable selon la substance (t‰ ÇllÏtrion t¨ f‘sei ka» katÄ tòn oŒs–an ÇnÏmoion) ; 241 (Grégoire passe progressivement de substance à nature : la substance du Père est simple –tòn m‡n to‹ patr‰c oŒs–an Åpl®n-, la nature de l’Esprit baigne dans le mélange -to‹ d‡ Åg–ou pne‘matoc pleonàzein ‚n tƒ sunjËt˙ tòn f‘sin-) ; 429 (emploi synonyme de substance et nature : Eunome comprend les substances à partir des œuvres, il voit donc la nature des réalités invisibles), 431 (id. : si l’activité est nécessaire pour connaître la substance, comment une nature inconnue peut-elle résoudre l’incertitude sur les activités), 435 (la substance du ciel est une question débattue par ceux qui étudient sa nature), 505 (ce qui est hétérogène par nature s’oppose à ce qui n’est pas identique selon la substance), 507 (différence de nature, discordance de la substance). Cependant, J. Zachhuber, Human Nature, p. 74, envisage une certaine différence entre oŒs–a et f‘sic, dans le sens où, selon l’auteur, oŒs–a désigne la forme particulière, tandis que f‘sic a le sens d’universel collectif ; cette notion d’universel collectif est critiquée par R. Cross, «Gregory of Nyssa on Universals », qui ne voit dans nature que la notion de monade, mais défendue par J. Zachhuber, «Once again : Gregory of Nyssa on Universals » ; sur ce point, cf. dernièrement A. Radde-Gallwitz, Basil of Caesarea, Gregory of Nyssa, and the Transformation of Divine Simplicity, p. 216–217, qui soutient le point de vue de R. Cross. 23 Cf. sur ce thème J. Zachhuber, Human Nature. Cette analogie est le pivot de l’ep. 38, si du moins celle-ci peut être attribuée à Grégoire, question qui reste un problème non véritablement résolu. Attribuée en 1972 à Grégoire par R. Hübner, «Gregor von Nyssa als Verfasser der sog. ep. 38 des Basilius », restituée à Basile en 1996 par V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, p. 297–331, l’ep. 38 fut

Chapitre I : La remise en cause de l’ontologie scalaire d’Eunome

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l’emploie à d’autres reprises dans le Eun. 24, la Refutatio confessionis Eunomii 25, l’Ad Graecos ainsi qu’en l’Ad Ablabium 26. 1.2.3 Remise en cause de la subordination selon les qualités de la substance Grégoire aborde en Eun. I 167–170 une autre possibilité de subordination, celle selon les qualités. Ce nouvel examen, pour être bien compris, ne doit pas être coupé du contexte des investigations de Grégoire, qui recherche selon quel sens Eunome peut effectivement parler d’un plus ou moins de la substance. Après avoir étudié les cas de subordination selon l’être ou la définition de la substance, il envisage maintenant cette question du plus ou moins selon les qualités. La question de Grégoire pourrait donc être interprétée ainsi : si le Père, le Fils et l’Esprit sont de même nature divine, peuventils être subordonnés selon leurs qualités, comme cela pourrait être effectivement le cas entre différents hommes, hiérarchisés entre eux selon que les uns seraient plus élevés en vertu que les autres. Assurément, une telle hypothèse ne correspond pas à la subordination des substances telle que la conçoit Eunome, et Grégoire semble en être bien conscient, comme le montre l’interrogation rhétorique au début de cette partie 27. Ses réflexions ne manquent cependant pas de valeur, tant par l’effet d’accumulation provoqué par ce nouvel examen, que par le raisonnement suivi par le Cappadocien, et qui pourrait être résumé ainsi : 1. 2. 3. 4.

un bien ne peut être limité que par son contraire ; or, la nature divine est immuable et ne peut connaître le mal ; la divinité est donc illimitée dans le bien ; elle est donc infinie, ce qui exclut toute comparaison de plus ou moins.

Cette argumentation de Grégoire aurait pu s’arrêter au point 3, puisque le caractère illimité de la divinité exclut toute comparaison, tout plus ou moins et donc toute subordination. Pourtant, de façon un peu laconique, Grégoire rajoute en Eun. I 169 la remarque suivante (le point 4 du raisonnement) :

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rendue à Grégoire en 2003 par J. Zachhuber, «Nochmals : Der «38. Brief » des Basilius von Caesarea als Werk des Gregor von Nyssa ». Cependant, l’analyse quantitative effectuée par G. Maspero et présentée dernièrement au 12e colloque international sur Grégoire de Nysse (Leuven, 14–17 septembre 2010) inviterait à voir dans l’ep. 38 une œuvre de Basile. Cf. Eun. III/I 73–76 ; III/V 21–26. Cf. Ref. Eun. 59. 130. En Ref. Eun. 59, Grégoire souligne que la nature demeure intacte (Çkera–a) au cours de la succession des générations (diÄ t®c diadoq®c t¿n ‚piginomËnwn, cf. Eun. I 175 avec l’expression semblable diÄ t¿n ‚piginomËnwn) ; en Ref. Eun. 130, Grégoire rappelle que la totalité de la notion de la substance demeure en celui qui engendre et en celui engendré (Ìloc gÄr ‚n ·kàst˙ mËnei t®c oŒs–ac  lÏgoc ‚n tƒ gegennhmËn˙ ka» tƒ genn†santi), sans diminution dans celui qui engendre (o÷te ‚n tƒ genn¿nti me–wsin) ni augmentation dans celui engendré (o’te ‚n tƒ gegennhmËn˙ a÷xhsin). Cf. M. Van Parys, Grégoire de Nysse. Réfutation de la Profession de foi d’Eunome, t. 2, note 216, p. 59. Pour l’étude de tous ces passages (hormis Ref. Eun.), cf. J. Zachhuber, Human Nature, p. 61–122. L’auteur dans sa conclusion est plutôt réservé sur la pertinence d’une telle analogie, cf. p. 122 : «In spite of everything which may be said in its favour, however, it seems to me that the Cappadocian solution to the trinitarian problems, as expressed by their distinctive use of the human analogy, provides perhaps for more new problems than it helps solve ». Cf. Eun. I 167 : « >AllÄ mòn oŒd‡ dunàmewc oŒd‡ ÇgajÏthtoc oŒd‡ ällou tin‰c t¿n toio‘twn Õperoqòn t‰ änw f†sei t®c oŒs–ac ‚nde–knusjai (Mais ce n’est, dira-t-il, ni une supériorité de puissance, de bonté et de quelque chose d’autre de ce genre qu’indique la supériorité de la substance) ».

202

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Si la nature divine et immuable n’admet pas le mal, et ceci est reconnu par nos ennemis eux-mêmes, elle est alors considérée comme absolument sans limite dans le bien, et l’absence de limite est identique à l’infini. 28

C’est en se fondant sur cette notion d’infini (äpeiroc) que Grégoire élimine finalement toute possibilité de subordination ; de fait, concevoir augmentation et diminution de l’infini est la dernière des absurdités (t®c ‚sqàthc Çlog–ac). Grégoire fera plus loin dans le traité, à propos de la subordination selon l’unité de la substance, une remarque semblable et insistera à nouveau sur cette absence de limite, qui conduit à la notion d’infini 29 ; ces deux passages se présentent cependant différemment, car Grégoire fonde ici l’infinité divine sur l’immutabilité (Çnallo–wtoc), tandis qu’il le fera plus loin dans le traité en s’appuyant sur la notion de simplicité (ÅplÏthc). Mais dans les deux cas, Grégoire passe par le même moyen terme et affirme que si la divinité est illimitée dans le bien, elle est alors infinie 30. Par ailleurs, la démonstration suivie ici par Grégoire, articulée autour de l’infinité de la divinité, n’est pas la seule que le Cappadocien peut mettre en œuvre pour rejeter tout plus ou moins selon les qualités en Dieu 31 ; mais le but suivi par Grégoire est de toute façon atteint : encore une fois, il paraît impossible d’envisager une subordination entre le Père, le Fils et l’Esprit. 1.2.4 Remise en cause de la subordination selon l’unité de la substance Les trois possibilités de subordination envisagées précédemment par Grégoire (subordination selon l’être de la substance, la définition de la substance, les qualités de la substance) se situent au début de la réfutation du fragment 1, dans les paragraphes de la partie théologique de l’œuvre consacrés à la première phrase du fragment 1. La nouvelle possibilité de subordination envisagée ici se place un peu plus loin dans le traité. Grégoire cite en effet en Eun. I 223 la suite du fragment 1 et en entame la réfutation systématique, conformément à la méthode qu’il a adoptée. Le Cappadocien se voit alors confronté à l’affirmation d’Eunome : Chacune, dit-il, de ces substances étant absolument simple et entièrement une et, de fait, conçue comme telle selon son rang propre. 32

Cette déclaration d’Eunome doit être comprise comme l’affirmation de la subordination des trois premières substances selon leur unité et, par-delà l’unité, selon toutes leurs qualités, dépendantes en fait de leur perfection ontologique respective 33. Une telle corrélation entre le rang ontologique et l’unité de la substance n’échappe pas à Grégoire 34, mais c’est pourtant autour d’un autre aspect que va s’organiser sa réfutation. Pour le Cappadocien en effet, la notion de simplicité est incompatible avec celle 28 Eun. I 169 : « e 

d‡ Çnep–dektÏc ‚sti to‹ qe–ronoc ô je–a te ka» Çnallo–wtoc f‘sic, ka» to‹to par+ aŒt¿n t¿n ‚qjr¿n ±molÏghtai, ÇÏristoc pàntwc ‚n tƒ Çgajƒ jewreÿtai, t‰ d‡ ÇÏriston tƒ Çpe–r˙ taŒtÏn ‚stin ».

29 Cf. infra partie III, chapitre I, 1.2.4 Remise en cause de la subordination selon l’unité de la substance, p. 203–

204. 30 Cf. Eun. I 169 : « ÇÏristoc pàntwc ‚n tƒ Çgajƒ » ; Eun. I 236 : « Ìroc oŒk ‚pinoeÿtai t®c ÇgajÏthtoc ». 31 Cf. infra partie III, chapitre I, 1.2.4 Remise en cause de la subordination selon l’unité de la substance, p. 203 ;

partie III, chapitre II, 3.1.1 Le plus ou moins entraîne que Fils et Esprit ne peuvent être appelés «Bien », p. 258– 260. 32 Eun. I 225 : « ·kàsthn fhs» to‘twn oŒs–an e likrin¿c Åpl®n ka» pànth m–an e⁄na– te ka» noeÿsjai katÄ tòn  d–an Çx–an. » 33 Cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.3 Les propriétés des substances selon leur rang, p. 96–97. 34 Cf. Eun. I 240 : « katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac katÄ t‰ mËtron t®c ‚pijewroumËnhc ·kàst˘ Çx–ac ka» tòn t®c ÅplÏthtoc Ínnoian ‚farmÏzein o“etai qr®nai (selon le même raisonnement, ayant

Chapitre I : La remise en cause de l’ontologie scalaire d’Eunome

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de plus ou moins, si bien que l’affirmation d’Eunome selon laquelle chaque substance est absolument simple et entièrement une (e likrin¿c Åpl® ka» pànth m–a) ne peut être qu’en contradiction avec son ontologie scalaire 35. L’argumentation de Grégoire s’organise en deux démonstrations, la seconde étant la réciproque de la première. Première démonstration : le plus ou moins exclut le simple (Eun. I 233–234) 36

Parler de plus ou moins des substances nécessite des critères de distinction, qui peuvent se prendre soit selon l’excès ou la diminution (kaj+ Õperbolòn ka» ‚làttwsin), soit selon ce qui est conçu religieusement sur la divinité (ti ällo per» t‰ jeÿon eŒseb¿c noeÿtai) 37. Puisque le premier cas implique la notion de quantité (tòn t®c phlikÏthtoc Ínnoian), incompatible avec la simplicité divine 38, Grégoire s’arrête plutôt sur l’autre possibilité, le plus ou moins selon les qualités divines. La démonstration, conduite en Eun. I 234, est ainsi construite : ce qui est par nature le bien ou une autre qualité ne possède pas cette qualité de façon surajoutée (mò ‚p–kthton) et ne saurait être imparfait en cette qualité (oŒd‡n gÄr ‚llip¿c) ; si les substances divines sont plus ou moins grandes et donc distinguées selon une différence de qualité, elles possèdent cette qualité de façon plus ou moins parfaite, donc non par nature mais comme un élément surajouté ; on doit donc distinguer le sujet, qui est une chose (ällo mËn ti noeÿn e⁄nai t‰ Õpoke–menon), et ce dont il participe, qui est autre chose (Èteron d‡ pàlin t‰ meteqÏmenon), dont la participation établit dans le bien (o› katÄ metous–an ‚n tƒ Çgajƒ g–nesjai t‰ mò toio‹ton Ón) ; la divinité est donc composée d’éléments dissemblables (s‘njeton ‚x Çnomo–wn). Le nœud de la démonstration de Grégoire se situe donc dans la notion de participation, inhérente selon le Cappadocien à toute possession limitée d’une quelconque qualité et opposée à toute possession naturelle. Grégoire reviendra plus en détail au chapitre XXII du Eun. I sur cette question 39. Il est par ailleurs intéressant de remarquer, comme cela a déjà été souligné précédemment 40, que Grégoire développe ici l’hypothèse du plus ou moins bien autrement qu’il ne l’a fait en Eun. I 167–170, où les critères distinctifs entre possession réduite et possession parfaite étaient la limitation par un contraire ou l’infinité dans la qualité. Ces critères, Grégoire ne les a cependant pas oubliés, comme le montre la deuxième démonstration. Deuxième démonstration : le simple exclut le plus ou moins (Eun. I 235–236)

Grégoire prend maintenant le problème dans l’autre sens, en partant de l’autre affirmation d’Eunome : chaque substance divine est simple et absolument une. Son raisonnement est ainsi bâti : si la substance est absolument simple, elle n’admet pas le bien par

35

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appelé aussi simples les substances, il pense devoir adapter aussi le concept de simplicité selon la mesure du rang observé pour chacune) ». Cf. Eun. I 232 : « Ìti d‡ oŒ sumba–nei tƒ par+ aŒt¿n kataskeuazomËn˙ dÏgmati t‰ Åpl®n e⁄nai tòn ÕperkeimËnhn oŒs–an o“esjai, kãn tƒ lÏg˙ qarient–zwntai, faner‰n Ístai tƒ ka» mikr‰n ‚pist†santi. (Mais que ne s’accorde pas avec la doctrine qu’ils établissent le fait de penser que la substance transcendante est simple, même s’ils se complaisent de ce mot, voilà qui sera clair pour celui qui a fixé ne serait-ce qu’un peu son attention.) » Sur cette démonstration de Grégoire, cf. A. Radde-Gallwitz, Basil of Caesarea, Gregory of Nyssa, and the Transformation of Divine Simplicity, p. 214–215. Comme le Bien, la Puissance ou la Sagesse, cf. Eun. I 233 : « katÄ t‰ Çgaj‰n ka» dunat‰n ka» sof‰n ». Grégoire vient de rappeler précédemment que la nature divine est justement séparée de toute quantité, cf. Eun. I 231 : « phlikÏthtÏc . . .keqwrismËnhn ». Cf. infra partie III, chapitre II, 3.1.1 Le plus ou moins entraîne que Fils et Esprit ne peuvent être appelés «Bien », p. 258–260. Cf. supra note 31, p. 202.

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

ajout supplémentaire, mais elle est cela même qu’est le bien ; seule la présence du mal amoindrit le bien et ce qui par nature est le bien ne saurait porter en soi de mal : il n’y a donc rien qui le limite dans la bonté ; [ce qui est sans limite est infini] ; il est absurde de dire un infini plus ou moins grand qu’un infini ; le simple exclut donc le plus ou moins. Cette démonstration a déjà été faite par Grégoire en Eun. I 167–170, avec comme point de départ la deuxième étape de cette démonstration (les substances sont naturellement bonnes) ; Grégoire rajoute donc ici une étape supplémentaire à son raisonnement, l’équivalence entre la simplicité et la possession parfaite et naturelle des qualités. Ces deux démonstrations de Grégoire visent avant tout à souligner l’incohérence du système d’Eunome, qui selon le Cappadocien énoncerait deux affirmations contradictoires à propos des trois premières substances de son système (plus ou moins et simplicité). Une nouvelle fois, Grégoire met à mal l’échelle scalaire des substances, telle qu’elle est présentée par Eunome. Cependant, ces paragraphes fournissent aussi l’occasion à Grégoire de présenter ses propres positions sur la simplicité de la nature divine : En effet, celle sans forme et sans figure séparée de toute quantité et de grandeur selon la taille, comment pourrait-on la concevoir polymorphe et composée ? 41

Grégoire précise juste après que la divinité est une puissance indivisible et non composée (Çmer® tina ka» Çs‘njeton d‘namin). Si le vocabulaire employé ici par Grégoire n’est pas sans rappeler certaines expressions de Plotin utilisées pour caractériser l’unité de l’Un 42, les termes employés semblent pourtant dépendre davantage du Contre Eunome de Basile 43, puisque les rapprochements de vocabulaire sont plus nombreux et leur reprise judicieuse. En effet, Eunome s’appuyait dans l’Ap sur l’unité divine pour repousser toute comparaison entre l’engendré et l’inengendré, l’absence dans l’inengendré de toute forme (e⁄doc), masse (Ógkoc) et quantité (phlikÏthc) excluant tout point de comparaison avec l’engendré 44. Basile répondait qu’il n’était pas irréligieux au contraire de comparer ceux sans forme, masse ou quantité 45. Le Eun. I semble alors présenter comme une nouvelle étape de la polémique. De fait, Eunome ne nie pas dans l’AA l’unité pour la seconde et la troisième substance, mais, peut-être pour répondre à Basile, l’anoméen développe la notion de rang pour maintenir la différence, sans plus mentionner directement de forme, masse ou quantité. Grégoire, pour répondre à Eunome, aurait repris en partie les termes utilisés par l’anoméen ou son frère pour décrire l’unité, en les appliquant cette fois non pas à telle personne mais à l’ensemble de la di-

41 Eun. I 231 : « tòn 42

gÄr Çeid® te ka» Çsqhmàtiston phlikÏthtÏc te pàshc ka» t®c ‚n tƒ megËjei posÏthtoc keqwrismËnhn p¿c än tic polueid® ka» s‘njeton Õpolàboi ; » Cf. Plotin, Enn. V 5, 11 (4–5) : « OŒd‡ sq®ma to–nun, Ìti mhd‡ mËrh, oŒd‡ morf† », passage qu’A. Meredith, «The divine simplicity », p. 344, rapproche de Eun. I 231 : la divinité pour Grégoire est « Çeid® te ka» Çsqhmàtiston ». Le terme « Çsqhmàtiston » pourrait remonter à la description de la réalité suprême par Platon, Phædr. 247c : « Iouda–wn oŒk Íqomen. (Nous ne pouvons pas accuser les Juifs de cela.) » Eun. I 268. De même Eun. I 269 : «  gÄr ‚latt¿n tòn oŒs–an to‹ monogeno‹c ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc (celui qui diminue la substance du Monogène et du Saint Esprit) ». Le double objectif de Grégoire, répondre à Eunome et exposer sa doctrine, est bien indiqué par le titre du chapitre XXII : « ìOti oŒ qrò t‰ meÿzon ka» t‰ Ílatton ‚p» t®c je–ac oŒs–ac dogmat–zein; ‚n ≈ ka» Íkjesic teqnikò t¿n ‚kklhsiastik¿n dogmàtwn. (Il ne faut pas enseigner le plus ou moins grand à propos de la substance divine ; on trouvera un exposé systématique des doctrines de l’Église.) » Les trois paragraphes suivants (Eun. I 317–320) introduisent la reprise de la réfutation systématique du fragment 1. Eun. I 316 : « πste t‰ änw t®c kt–sewc ka» t®c prwteuo‘shc ka» diÄ pàntwn tele–ac f‘sewc e⁄nai pisteuÏmenon mhden» trÏp˙ t‰n t®c ‚latt∏sewc paradËqesjai lÏgon ». Cf. Eun. I 269 : «  gÄr ‚latt¿n tòn oŒs–an to‹ monogeno‹c ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc ». Grégoire n’emploie pas une seule fois le substantif ‚làttwsic dans la partie intermédiaire. Ce que confirme l’étude de la structure du ch. XXII, cf. infra partie III, chapitre II, 1.2.1 Structure du chapitre XXII, p. 230–234. Il importe de souligner que Grégoire, dans cette partie Eun. I 270–316, ne se limite pas au problème posé en Eun. I 269 (une diminution selon la substance) mais traite de la notion de diminution appliquée au Fils et à l’Esprit en général, ce qui correspond à la doctrine d’Eunome. B. Barmann note simplement que «Gregory of Nyssa interrupts his consideration of Eunomius’ system and sets down his own ‹conception of the truth › (C. E. I, par. 269) », cf. B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 247 ; de même D. Balás, METOUSIA JEOU, p. 55 : «For the sake of instruction and in order to show clearly the error of the heretics he inserts here an exposition of the orthodox doctrine, and this is exactly our

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

229

par Grégoire. Le Cappadocien explique en effet, juste avant la longue citation du fragment 1 faite en Eun. I 151–154, qu’il va en conduire la réfutation comme par morceaux, en examinant les passages du texte séparément (qwr–c) 14. Trois morceaux du fragment 1 sont alors successivement examinés, respectivement en Eun. I 155–204, Eun. I 205– 222 et Eun. I 223–269. La partie doctrinale de Grégoire s’insère ensuite en Eun. I 270– 320, avant que la réfutation systématique ne reprenne en Eun. I 321. Concrètement, Grégoire réfute donc en Eun. I 155–269 les affirmations du fragment 1 reproduites en Eun. I 151–152, puis en Eun. I 321–438 celles reproduites en Eun. I 153–154. Cette division par Grégoire du fragment 1 n’est pas une coupure arbitraire, si l’on se rappelle le plan de ce fragment 15 : Première partie : le système ontologique d’Eunome (Eun. I 151–153) ; 1. les trois premières substances (Eun. I 151) ; 2. rapport entre l’activité et son œuvre (Eun. I 152) ; 3. justification par la création (Eun. I 153). Deuxième partie : méthodologie théologique (Eun. I 154). La coupure faite par Grégoire se place exactement à la transition Eun. I 152 – Eun. I 153, c’est-à-dire après l’exposé par Eunome de ses principes sur les trois premières substances, les activités et les noms, et juste avant leur illustration par des exemples tirés de la création 16, non explicitement mentionnés précédemment 17. Grégoire proposerait donc son système ontologique directement après avoir achevé l’examen de celui proposé par l’anoméen : Eunome a présenté sa conception de l’univers, Grégoire présente la sienne. Par ailleurs, Grégoire développe sa distinction ktistÏn/äktiston à un moment bien particulier, puisqu’elle s’insère juste avant l’étude des éléments de la création introduits par l’anoméen. Ainsi, l’ensemble Eun. I 270–316 apparaît finalement comme un grand passage de transition, s’intégrant logiquement dans la dynamique de la réfutation de Grégoire : d’une part, le Cappadocien achève la réfutation du système métaphysique présenté par le fragment 1 en exposant le sien, et donne finalement à toute la partie Eun. I 155–320 une structure solide 18 ; d’autre part, il précise et clarifie la distinction créé/incréé, ce qui lui fournit des outils précieux juste au moment d’aborder les nouveaux thèmes du fragment 1, qui font intervenir des éléments de la création.

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chapter 22. » A. Mosshammer, «The created and the uncreated », p. 354, explique uniquement que Grégoire «introduces his own understanding of the nature of reality as a positive argument upon which to rest the case against Eunomius. » Enfin, B. Pottier, dans sa présentation du Eun. I, énumère simplement les thèmes abordés par Grégoire, cf. B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 31–35. Cf. Eun. I 150 : « Èkaston aŒt¿n ‚xetàzwn qwr–c. (en examinant chacun d’eux séparément.) » Cf. supra partie II, chapitre I, 1.1 Plan et éléments fondamentaux du fragment 1, p. 91–92. Cf. Eun. I 153 : anges, étoiles, ciel, homme. À part l’allusion discrète par le pàntwn en Eun. I 151 : « pàntwn t¿n ällwn prwteuo‘shc ». Effectivement, Grégoire attaque les hypothèses subordinatianistes d’Eunome en soulignant d’abord leurs inconséquences philosophiques (Eun. I 155–269), puis en les mettant à l’épreuve de son propre système (Eun. I 270–320), qui exclut toute distinction dans la Triade selon le plus ou moins.

230

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

1.2 Structure des chapitres XXII–XXIII 1.2.1 Structure du chapitre XXII 19 Le chapitre XXII (Eun. I 270–294) est très bien structuré, la colonne vertébrale de l’ensemble étant facilement discernable par le biais des particules et des mises en parallèle, si abondantes dans ces paragraphes 20. Les pages qui suivent vont tâcher de mettre en évidence les articulations majeures de ce chapitre XXII ; un tableau récapitulatif rassemble à la fin de cet examen les résultats obtenus. Eun. I 270 s’ouvre par une première distinction intelligible /sensible (t‰ nohtÏn/t‰ a sjhtÏn), que Grégoire rapproche de celle énoncée par Paul en Col 1, 16 (visible et invisible, tÄ ÂratÄ ka» tÄ ÇÏrata). Grégoire introduit en Eun. I 271 une seconde distinction, qui concerne uniquement les réalités intelligibles ( d‡ lÏgoc e c d‘o tËmnei ka» ta‘thc 21 tòn Ínnoian) et qui est fondée sur la distinction créé/incréé (ô m‡n gÄr äktistoc ô d‡ ktist†). Grégoire explicite dans la suite de ce paragraphe les rapports qui relient la nature créée à celle incréée. Cet ensemble Eun. I 270–271 expose donc deux distinctions fondamentales par lesquelles Grégoire établit une première classification des êtres. Les paragraphes suivants vont traiter des types distincts de différences inhérents à chacune des catégories ainsi définies. 1. Les réflexions de Eun. I 272 sont consacrées aux réalités sensibles (‚n m‡n ofin toÿc a sjhtoÿc), pour lesquelles les distinctions selon le plus ou moins se prennent selon les différences des qualités (a… t¿n poiot†twn diafora–). 2. Les paragraphes Eun. I 273–275 étudient le cas des intelligibles créés (>Epi d‡ t®c noht®c f‘sewc, t®c ‚n t¨ kt–sei lËgw), pour lesquels le principe de différence ( t®c diaforêc lÏgoc) ne peut être le même que pour les sensibles ( m‡n toio‹toc, Èteroc dË tic) ; Grégoire explique en Eun. I 274–275 que le degré de participation au Bien est le principe de différence, donnant lieu à des distinctions selon le plus ou moins. 3. Eun. I 276 aborde le cas de la nature incréée (ô d‡ äktistoc f‘sic). Bien qu’elle soit aussi de caractère intelligible, les critères de distinction de la nature incréée diffèrent cependant de ceux valables pour les intelligibles créés (t®c m‡n toia‘thc diaforêc pÏrrwjen äpestin), et Grégoire en fournit le motif (âte) : il ne peut y avoir dans la nature incréée, source pure de tout bien, de degré de participation au Bien. Grégoire présente alors en Eun. I 277 le critère de différence (diaforÄn dË) envisageable pour la nature incréée, différence considérée cette fois non selon le plus ou moins, comme le pense Eunome (oŒ pr‰c t‰ meÿzon ka» Ílatton jewroumËnhn, ±c  EŒnÏmioc o“etai), mais dans la perfection ultime et la transcendance incompréhensible (Çll+ ‚n äkr¯ t¨ teleiÏthti ka» ‚n Çkatal†pt˙ t¨ Õperoq¨ jewroumËnh) : Grégoire énonce alors la distinction communion /propriétés (koinwn–a/ di∏mata), qu’il explicite en Eun. I 278–280 pour les trois personnes de la Triade, le Père (Eun. I 278, oŸon  pat†r), le Fils (Eun. I 279,  d‡ u…Ïc) et l’Esprit (Eun. I 279–280, t‰ d‡ pne‹ma t‰ âgion), soulignant en Eun. I 281 que l’Esprit est bien différent de la création.

19 Seul B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 248, propose un plan de ce chapitre (sans donner de justifica-

tions du plan proposé) ; ce plan est repris, presque au mot près, par B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 417 (sans explications justificatives non plus) ; A. Schindler, Die Begründung der Trinitätslehre, p. 158s, qui souligne si à propos l’importance de l’échelle des êtres de Grégoire, ne donne aucun plan. 20 Celles-ci seront indiquées en gras dans les lignes suivantes. 21 C’est-à-dire t®c d‡ noht®c f‘sewc pàshc mentionnée au début de Eun. I 271.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

231

Eun. I 282 se présente comme un paragraphe de transition, comme le laisse clairement percevoir la formule d’introduction : Maintenant que nous avons ainsi précisé ces points, reste, ce serait le moment, à examiner aussi le discours de nos adversaires. Il est nécessaire que les substances soient plus ou moins grandes, dit-il dans sa technologie au sujet du Fils et du Saint Esprit 22.

Grégoire laisse bien entendre qu’il a terminé l’exposé de son système métaphysique (maintenant que nous avons ainsi précisé ces points) 23, et c’est à partir de ce fondement qu’il se propose d’examiner l’affirmation d’Eunome, le plus ou moins entre le Père, le Fils et l’Esprit (Eun. I 283–294). Grégoire tient donc parole et fait ce qu’il avait annoncé en Eun. I 269, présenter sa propre doctrine en vue de l’élucidation et de la mise au clair du mensonge établi par nos adversaires. Si les réflexions en Eun. I 270–281 présentent le système métaphysique de Grégoire, celles des paragraphes Eun. I 283–294 sont consacrées à sa mise en œuvre contre Eunome 24. Pour examiner si la subordination avancée par Eunome est acceptable, Grégoire va donc voir si elle peut s’intégrer dans le système métaphysique qu’il vient de présenter, c’est-à-dire s’il est effectivement possible d’envisager pour le Père, le Fils et l’Esprit les différents types de plus ou moins qu’il vient d’expliciter, à savoir ceux envisagés pour les réalités sensibles (ou corporelles, pÏteron swmatik®c) et ceux envisagés pour les 22 Eun. I 282 : « To‘twn

d‡ ômÿn o’tw proeirhmËnwn kair‰c ãn e“h loip‰n ka» t‰n t¿n ‚nant–wn katexetàsai lÏgon. Çnàgkh fhs» me–zouc te ka» ‚làttouc tÄc oŒs–ac e⁄nai ‚n t¨ per» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc teqnolog–¯. » Le loipÏn de cette phrase est généralement traduit comme épithète de t‰n . . .lÏgon, ou pas

véritablement traduit, cf. W. Moore : Having stated thus much as a preface we are in a position to discuss the rest of our adversaries’ teaching. S.-G. Hall : After these preliminary remark it is now perhaps time to examine our opponents’ account. Cl. Moreschini : Una volta che noi abbiamo fatto queste considerazione preliminari, sarebbe tempo ormai di esaminare anche il ragionamento dei nostri avversari. R. Winling : Après cette mise au point préalable de notre part, il serait opportun d’examiner maintenant le reste de l’enseignement de nos adversaires. Ce loipÏn semble cependant devoir être compris comme attribut de la proposition « ka» t‰n t¿n ‚nant–wn katexetàsai lÏgon », comme le confirmerait une formulation analogue en Eun. II 67, où il n’y a cette fois pas d’ambiguïté possible : « Kair‰c d+ ãn e“h loip‰n ka» aŒt®c mnhsj®nai t®c e c to‹to kataskeu®c ». 23 Cette formule d’introduction n’est pas sans rappeler celle qu’utilisait Eunome dans le fragment 1, après la présentation de ses principes théologiques, pour introduire la méthodologie qui en découle, cf. Eun. I 154 : « o’tw d‡ to‘twn ‚qÏntwn » : Grégoire, en Eun. I 270–281, semble donc bien vouloir présenter un système qui réponde à celui qu’Eunome exposait au début du fragment 1 (Eun. I 151–152). 24 C’est ici que le plan proposé diverge radicalement de celui établi par B. Barmann, qui se présente ainsi : 1. The division of beings (pars. 270–271) 2. Created world : a hierarchy of beings (pars. 272–275) a. Sensible world : unity and difference (pars. 272) b. Intelligible world : unity and difference (pars. 273–275) 3. Uncreated intelligible world : no hierarchy is possible (pars. 276–294) a. Absolute unity is essential (pars. 276–277) b. Difference without hierarchy is metaphysically necessary (pars. 278–281) c. Difference with hierarchy is impossible (pars. 282–294) i) Metaphysically (pars. 282–291) ii) Physically (pars. 292–294) 4. Conclusion (pars. 295) Ce plan de B. Barmann donne assurément au ch. XXII la clarté d’une structure systématique, mais prend, semble-t-il, insuffisamment en compte le texte lui-même. Le paragraphe charnière Eun. I 282, explicitement présenté comme tel par Grégoire, disparaît de cette structure, «noyé » pour ainsi dire dans le 3. proposé par B. Barmann, ce qui fait perdre aussitôt le balancement caractéristique de ce chapitre : principes théologiques (Eun. I 270–281) puis application à la théologie d’Eunome (Eun. I 282–294). La dynamique d’ensemble devient dès lors peu visible et rend difficile la juste évaluation de l’argumentation de Grégoire.

232

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

réalités intelligibles (£ katÄ t‰ nohtÏn), à moins qu’Eunome n’envisage un plus ou moins selon la substance elle-même (£ katÄ tòn oŒs–an aŒt†n), hypothèse que Grégoire écarte aussitôt comme inacceptable philosophiquement 25. Grégoire commence donc par se pencher sur les différences selon le bien (‚pitàsei d‡ ka» ÕfËsei t®c Çret®c), ce qui entraîne nécessairement (Çnagka–wc) les critères de distinctions exposés précédemment à propos des intelligibles 26. Grégoire juge une telle hypothèse absolument impie (t®c ‚sqàthc Çsebe–ac ‚st–n) et justifie son jugement au moyen d’une argumentation spécialement bien bâtie (Eun. I 283–291). Le Cappadocien progresse par deux raisonnements successifs, le second développant les conclusions du premier ; chacun de ces raisonnements est organisé selon un schéma similaire A-B-A, où A présente les fondements philosophiques et B les conséquences théologiques. Le premier raisonnement (Eun. I 284–286 début) montre que l’hypothèse d’un plus ou moins selon le bien oblige à penser participation, si bien qu’une autre dénomination que celle de «bien » doit être envisagée pour le Fils et l’Esprit. Grégoire présente ses prémisses philosophiques en Eun. I 284–285 début (ällo gàr ti) et Eun. I 286 début (e  gàr), les conséquences théologiques étant exposées en Eun. I 285 fin : s’il en est ainsi (o’twc e ), alors la nature divine n’est plus (oŒkËti) proprement appelée bien, mais il faut concevoir autre chose (Çllà ti Èteron). Le deuxième raisonnement (Eun. I 286 fin–292) développe alors cet état de fait. Comme précédemment, Grégoire présente en Eun. I 286–287 début (‚Än to‹to krat†s˘) et Eun. I 290–291 (Èwc gàr) ses prémisses philosophiques pour développer entre temps, en Eun. I 287–289, les conséquences théologiques (e  . . . skÏphson tòn Çkolouj–an) dont le caractère inacceptable (suppression du Salut) confirme l’impiété des propos d’Eunome. Grégoire, qui vient d’écarter la première possibilité de plus ou moins (celle selon le bien), aborde brièvement en Eun. I 292 la seconde, celle selon des considérations corporelles (e  d‡ katà tina swmatikòn ÕpÏlhyin) dont le caractère absurde (t‰ ätopon) se reconnaît de lui-même. Grégoire juge alors bon de ne pas poursuivre l’examen de l’affirmation d’Eunome (notion de plus ou moins pour le Fils et l’Esprit), l’abondance des absurdités qui en découlent rendant difficile un compte rendu complet. Le Cappadocien préfère justifier par la Sainte Écriture ses affirmations (Eun. I 294) et annonce ainsi le chapitre XXIII. Au terme de cette présentation, il semble bon de résumer les résultats obtenus en un tableau récapitulatif :

25 Cf. Eun. I 283 : « Çll+

‚p» m‡n t®c oŒs–ac ‚de–qjh parÄ t¿n tÄ toia‹ta filosofeÿn e dÏtwn mhdem–an d‘nasjai diaforÄn ‚nno®sai, ‚àn tic aŒtòn yil∏sac ka» Çpogumn∏sac t¿n ‚pijewroumËnwn poiot†twn te ka»  diwmàtwn aŒtòn ‚f+ ·aut®c ‚xetàz˘ katÄ t‰n to‹ e⁄nai lÏgon. (Mais au sujet de la substance, il a été montré par ceux

qui savent philosopher sur de tels sujets l’impossibilité de penser une quelconque différence, si après l’avoir dépouillée et dénudée des qualités et propriétés considérées à son sujet, on l’examinait pour elle-même selon la définition de l’être.) » 26 Distinctions selon le degré de participation au Bien.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

233

chapitre XXII : le système ontologique de Grégoire de Nysse et la réfutation de la subordination des substances  

Eun. I 270–281 échelle des êtres de Grégoire

                    272–281 :    différences dans chaque catégorie

               Eun. I 282–293  réfutation du ± du Fils   et de l’Esprit d’après les    principes de Eun. I   270–281.               

Eun. I 294 annonce d’une justification scripturaire

270–271 : Les deux distinctions de Grégoire

270 : distinction  sensible /intelligible      271 : distinction créé/incréé                       

272 : différences selon le ± pour les sensibles

273–275 : différences selon le ± pour les intelligibles créés  276–281 : différences sans ± pour la nature incréée

276–277 : distinction  koinwn–a/ di∏mata     278–281 :   explicitation pour le Père, le Fils et l’Esprit.

282 : énumération des différentes possibilités

283 : impossibilité d’un ± selon la substance  283–291 : impossibilité d’un ± comme pour les intelligibles créés

292–293 : impossibilité d’un ± corporel

283 : impiété d’une  telle hypothèse        284–291 : démonstration

          

284–286 : le ± empêche le Fils et l’Esprit d’être appelés «Bien ». . . 286–291 : . . .ce qui supprime le Salut

234

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Deux ensembles majeurs et bien distincts peuvent donc être relevés dans ce chapitre XXII particulièrement dense : Eun. I 270–281, où Grégoire présente son système ontologique, puis Eun. I 282–293, où Grégoire met à l’épreuve de ce système le plus ou moins entre le Père, le Fils et l’Esprit affirmé par Eunome. Un tel schéma n’est pas sans rappeler celui adopté par Eunome dans les fragments 1 et 2. Eunome commençait effectivement par l’exposé de son système ontologique, articulé autour des trois éléments fondamentaux substances-activités-noms ; il poursuivait ensuite par sa méthodologie théologique, fondée sur les principes précédemment annoncés, et orientée en fait vers la démonstration de la dissemblance selon la substance de l’inengendré avec le Fils, dont le fragment 2 fournit les étapes principales. Grégoire, dans ce chapitre XXII, paraît vouloir procéder de façon relativement similaire ; le Cappadocien commence en effet par présenter son propre système ontologique (comme Eunome au début du fragment 1), puis aborde la question du plus ou moins entre le Père, le Fils et l’Esprit, ou, pour le dire autrement, de leur dissemblance (comme Eunome le faisait pour le Fils dans le fragment 2). Cette mise en parallèle permet de pressentir une fois de plus l’importance de l’exposé métaphysique de Grégoire, qui veut clairement répondre à celui d’Eunome. 1.2.2 Structure du chapitre XXIII La distinction ktistÏn/äktiston apparaît comme un élément majeur du système ontologique de Grégoire, en tant qu’elle sépare la sainte Triade de la sphère des réalités soumises au plus ou moins. Après avoir rappelé brièvement au début du chapitre XXIII son échelle des êtres 27, Grégoire éprouve le besoin de justifier cette articulation principale et veut prouver scripturairement que Fils et Esprit sont bien incréés : il l’affirme au chapitre XXII 28, il veut maintenant le confirmer par l’Écriture dans ce chapitre XXIII. Les raisonnements de Grégoire s’enchaînent alors de façon très simple, puisqu’ils sont structurés en deux parties principales, la première concernant le Fils, la seconde l’Esprit ; la transition entre ces deux parties se fait imperceptiblement en Eun. I 303–304, où Grégoire relie Jn 1, 3 avec Col 1, 16 et passe ainsi de la démonstration sur le Fils à celle sur l’Esprit 29. Chacune de ces deux parties, celle sur le Fils et celle sur l’Esprit, est construite selon un schéma identique. Effectivement, Grégoire commence dans les paragraphes consacrés au Fils à en appeler au témoignage du Seigneur lui-même 30, puis envisage une objection possible tirée de Pr 8, 22 31, qu’il réfute aussitôt ; le Cappadocien conclut en citant Jn 1, 3 32. Une telle structure se retrouve dans l’argumentation sur l’Esprit. Grégoire commence par une interprétation de Col 1, 16, puis répond à une objection pos27 Cf. Eun. I 295. 28 De fait, ce n’est qu’en Eun. I 277 que Grégoire explique, presque comme en passant, que la nature incréée

consiste en la sainte Triade, tandis qu’il n’a mentionné dans les paragraphes précédents que la f‘sic äktistoc, sans précisions. 29 Cf. Eun. I 303, où Grégoire conclut à partir de Jn 1, 3 : « e 

30 31 32

gÄr ô kt–sic di+ ‚ke–nou, aŒt‰c d‡  k‘rioc oŒ di+ ·auto‹, ällo ti pàntwc ka» oŒq» kt–sic ‚st–. » Le Cappadocien évoque alors Col 1, 16 et en explique la raison en Eun. I 304 : « ka» ±c ãn mhdem–an katal–poi prÏfasin t¨ blasf†m˙ fwn¨ to‹ sunarijmeÿn toÿc gegonÏsi ka» tòn to‹ pne‘matoc f‘sin ». Cf. Eun. I 296 : « kaj∞c aŒt‰c  je‰c lÏgoc aŒtopros∏pwc ‚n tƒ eŒaggel–˙ mart‘retai ». Cf. Eun. I 298, où l’objection est présentée à l’éventuel (kän tinec . . .proqeir–zwntai). Cf. Eun. I 301 : « diÄ t®c to‹ eŒaggelisto‹ megalofwn–ac ». Sur ce qualificatif appliqué ici à Jean (megalofwn–a), cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 310 ; l’auteur remarque justement que ce qualificatif, employé

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

235

sible qui pourrait être faite à son raisonnement 33 ; Grégoire conclut enfin en évoquant le témoignage de Mt 28, 19, qui lui permet de coordonner l’Esprit au Fils et au Père et d’écarter ainsi le soupçon qu’il soit création 34. Le Cappadocien achève alors toute sa démonstration scripturaire par l’affirmation : Ainsi le raisonnement que nous avons conduit à travers la Sainte Écriture pose au-dessus de la création le Monogène et l’Esprit Saint, et selon la déclaration du Sauveur enjoint de les considérer dans la foi au sein de la nature bienheureuse, vivifiante et incréée 35.

L’ensemble de la démonstration scripturaire de Grégoire apparaît ainsi organisée en deux parties parallèles et structurées de façon semblable. Comme pour le chapitre XXII, un tableau récapitulatif peut rassembler ces résultats : chapitre XXIII : la justification scripturaire Nécessité de justifier scripturairement que Fils et Esprit sont bien incréés (Eun. I 295) Première démonstration scripturaire : le Fils n’est pas créé (Eun. I 296–303) Premier témoignage scripturaire : le témoignage du Seigneur lui-même (Eun. I 296–298) Réponse à une objection : Pr 8, 22 (Eun. I 298–301) Second témoignage scripturaire : Jn 1, 3 (Eun. I 301–303)

Seconde démonstration scripturaire : l’Esprit n’est pas créé (Eun. I 304–315) Premier témoignage scripturaire : Col 1, 16 (Eun. I 304–308) Réponse à une objection (Eun. I 309–313) Second témoignage scripturaire : Mt 28, 19 (Eun. I 314)

Conclusion : Fils et Esprit sont bien incréés (Eun. I 315)

1.3 Conclusion Si l’ensemble du Eun. I gravite autour du problème de la similitude selon la substance des personnes divines, les chapitres XXII–XXIII apparaissent tout spécialement orientés vers cette question et tenir une place à part dans l’argumentation de Grégoire, tant par leur situation dans l’œuvre que par leur structure. Ces chapitres se placent en effet dans un contexte entièrement consacré au plus ou moins entre le Père, le Fils et l’Esprit, concluent la réfutation du système ontologique d’Eunome exposé au début du fragment 1 et introduisent la distinction ktistÏn/äktiston, que Grégoire mettra en œuvre dans la suite de son traité. Grégoire présente cette distinction au chapitre XXII et la justifie pour le Fils et l’Esprit au chapitre XXIII. Contrairement aux remises en cause précédentes (Eun. I 155–269), caractérisées par des arguments principalement polémiques et parfois partiellement discutables, Grégoire oppose désormais à l’ontologie scalaire d’Eunome son ordre du monde, sa pour désigner l’évangéliste qui a le plus clairement souligné la divinité du Fils, spécialement dans son Prologue, était particulièrement adapté dans la polémique contre Eunome. 33 Cf. Eun. I 309, où l’objection est présentée cette fois au potentiel (E  dË tic ÇnatrËpoi). 34 Cf. Eun. I 314 : « ka» diÄ to‹ suntàxai tƒ patr» ka» ·autƒ t®c per» tòn kt–sin Õpono–ac t‰ pne‹ma ‚q∏risen ». 35 Eun. I 315 : « o’twc ômÿn  lÏgoc diÄ t®c Åg–ac graf®c Âdhgo‘menoc Õpert–jhsi m‡n t®c kt–sewc tÏn te monogen®

ka» t‰ pne‹ma t‰ âgion, katÄ d‡ tòn to‹ swt®roc ÇpÏfasin ‚n t¨ makar–¯ te ka» zwopoiƒ ka» Çkt–st˙ f‘sei jewreÿn diÄ p–stewc Õpot–jetai ».

236

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

propre hiérarchie des êtres, au sein de laquelle sa distinction ktistÏn/äktiston tient un rôle prépondérant pour son argumentation théologique. Il semble donc particulièrement important d’examiner les caractéristiques métaphysiques de cette distinction ktistÏn/äktiston dans l’ontologie scalaire de Grégoire, avant d’en étudier le rôle pour la controverse trinitaire. 2 Caractéristiques métaphysiques de la distinction ktistÏn/äktiston 2.1 ktistÏn/äktiston dans l’échelle des êtres de Grégoire Grégoire expose son échelle des êtres assez brièvement, puisque sa présentation tient en deux paragraphes (Eun. I 270–271), dont les éléments fondamentaux peuvent être ramenés à ceux-ci : Eun. I 270 : De tous les êtres, la distinction la plus haute est la division entre l’intelligible et le sensible. 36 Eun. I 271 : Mais la raison divise en deux aussi la pensée de celle-ci [la nature intelligible]. De fait, il est logique de percevoir l’une incréée, l’autre créée : est incréée celle productrice de la création, créée celle qui, par la nature incréée, a sa cause et capacité d’être. 37

Grégoire énonce donc deux distinctions fondamentales, dont il convient d’examiner la présentation, le rapport réciproque ainsi que le rôle dans l’échelle des êtres de Grégoire. 2.1.1 La présentation des deux distinctions de Grégoire La première s’étend à tous les êtres (Pàntwn t¿n Óntwn) et distingue entre intelligible (t‰ nohtÏn) et sensible (t‰ a sjhtÏn). Le texte de Grégoire offre la particularité de mettre en parallèle la distinction sensible /intelligible avec la distinction visible /invisible présentée en Col 1, 16. S’il est rare de rencontrer ensemble ces quatre termes chez Grégoire 38, le Cappadocien n’innove cependant pas puisqu’une telle combinaison pourrait se trouver déjà chez Irénée 39. La seconde distinction établie par Grégoire est plus restreinte et se limite à la sphère intelligible, au sein de laquelle Grégoire introduit la distinction supplémentaire entre nature incréée (ô m‡n gÄr äktistoc) et nature créée (ô d‡ ktist†). Ces deux termes ne sauraient être mis sur un même pied d’égalité, car si Grégoire veut désigner l’unique nature divine en mentionnant la nature incréée 40, il ne réduit cependant pas à la participation d’une même nature ce qu’il rassemble sous l’expression nature créée (ktistò f‘sic). Grégoire veut au contraire désigner ici toutes les réalités créées dif-

36 Eun. I 270 : « Pàntwn t¿n Óntwn 37 Eun. I 271 : « Â d‡ lÏgoc e c d‘o

38

ô Çnwtàtw dia–resic e“c te t‰ noht‰n ka» t‰ a sjht‰n tòn tomòn Íqei. » tËmnei ka» ta‘thc [la nature intelligible] tòn Ínnoian. ô m‡n gÄr äktistoc ô d‡ ktistò Õp‰ t®c Çkolouj–ac katalambànetai, äktistoc m‡n ô poihtikò t®c kt–sewc, ktistò d‡ ô diÄ t®c Çkt–stou f‘sewc tòn a t–an ka» tòn d‘namin to‹ e⁄nai Íqousa. » Grégoire effectue les mêmes rapprochements (avec aussi le renvoi à Col 1, 16) en Infant. (78, 2–5) : « diq¨ di˘rhmËnhc t®c kt–sewc pàshc, kaj∏c fhsin  ÇpÏstoloc, e c t‰ ÂratÏn te ka» ÇÏraton (shma–netai d‡ diÄ m‡n to‹ Çoràtou t‰ noht‰n ka» Çs∏maton, diÄ d‡ to‹ Ârato‹ t‰ a sjhtÏn te ka» swmat¿dec) ».

39 Cf. Irénée, haer. I 22, 1 : «omnia per ipsum fecit Pater, siue uisibilia siue inuisibilia, siue sensibilia siue intellegi-

bilia », mais il n’est pas possible de préciser le rapprochement étant donné l’absence de témoins grecs pour ce passage d’Irénée. De toute façon, une reprise directe par Grégoire du texte d’Irénée ne semble pas s’imposer : les deux auteurs auront puisé chacun à la même source scripturaire. 40 Cf. Eun. I 361 : « ô m‡n je–a f‘sic äktistoc e⁄nai pep–steutai (on croit que la nature divine est incréée) ».

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

237

férentes entre elles mais qui dépendent ontologiquement de la nature incréée et qui, en tant que telles, se trouvent sur le même rang en dessous d’elle 41. Cette présentation de Grégoire, qui commence par la distinction sensible /intelligible et se poursuit par la distinction créé/incréé, n’est certainement pas anodine. En effet, le Cappadocien ouvre ce chapitre par le sensible, l’expérience directe et concrète, contrairement à Eunome qui commençait son exposé par la substance la plus haute, et ces points de départ opposés trahissent les positions épistémologiques différentes des deux auteurs, Grégoire fondant sa connaissance à partir des réalités sensibles tandis qu’Eunome construit son système à partir de la substance la plus haute 42. Par ailleurs, Grégoire prend soin de ne pas limiter son vocabulaire à des termes de connotations nettement philosophiques comme nohtÏn et a sjhtÏn, mais en présente des synonymes tirés de l’Écriture (ÂratÏn et ÇÏraton) 43 ; sur ce point encore l’exposé de Grégoire se distingue de celui d’Eunome, puisque le langage du Cappadocien se veut plus scripturaire que celui de l’anoméen, caractérisé principalement par le terme oŒs–a. 2.1.2 Le rapport des deux distinctions entre elles Grégoire qualifie sa première distinction (sensible /intelligible) comme «la plus haute » (Çnwtàtw). Peut-être s’agit-il de la part de Grégoire d’un emprunt délibéré du terme qu’utilisait Eunome au début du fragment 1, dans le souci de répondre jusque par le vocabulaire au système eunoméen 44, mais ceci ne s’impose pas, puisque ce terme est bien connu de Grégoire, qui peut l’employer dans des contextes différents ou en dehors de la polémique théologique avec Eunome 45. De plus, Çnwtàtw n’a pas exactement la même portée chez Eunome et chez Grégoire. Tandis qu’il qualifie pour l’anoméen la première substance et établit une hiérarchie entre les êtres, il qualifie pour Grégoire un principe de distinction, un moyen de classer les êtres : Grégoire, par ce terme, n’établit pas encore d’ordre entre les êtres, mais entre les moyens de distinguer les êtres ; entre les distinctions sensible /intelligible et créé/incréé, c’est la première que Grégoire affirme «la plus haute ». Cette précision de Grégoire pose cependant problème, car s’il qualifie ici la distinction sensible /intelligible comme la plus haute, ce n’est pourtant pas celle-ci qui joue le rôle principal dans sa démonstration : si Grégoire voulait caractériser une distinction comme Çnwtàtw, c’est celle ktistÏn/äktiston qui aurait dû l’être, et non pas l’autre. Ce trait particulier peut être différemment expliqué. Un premier motif pourrait être l’étendue des deux distinctions. Tandis que la première distinction de Grégoire concerne tous les êtres, qu’elle distingue en sensibles et 41 Cf. Or. cat. XXVII (69, 18–21) : « to‹

gÄr Õy–stou ka» Çpros–tou katÄ t‰ ’yoc t®c f‘sewc ô kt–sic pêsa katÄ t‰ “son ‚p» t‰ kàtw ÇfËsthke ka» Âmot–mwc aŒtƒ t‰ pên ÕpobËbhke ».

42 Cf. B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 252. 43 Cf. M. Harl, G. Dorival, O. Munnich, La Bible grecque des Septante, p. 300, qui souligne le soin des Pères grecs

à prendre de préférence les mots scripturaires et cite à ce propos Infant. (78, 2–5). 44 Cf. Eun. I 151 : « Pêc

 t¿n kaj+ ômêc dogmàtwn sumplhro‹tai lÏgoc Ík te t®c Çnwtàtw ka» kuriwtàthc

oŒs–ac ». 45 Cf. Eun. I 135 : « e⁄nai

pêsi Qristianoÿc t‰n Çnwtàtw t®c eŒklhr–ac Ìron t‰ Õp‡r t®c ‚lp–doc ti ta‘thc t¿n ÇnhkËstwn pajeÿn (c’est pour tout chrétien le summum du bonheur que de souffrir pour cette espérance des atrocités) ». Autres emplois de Grégoire : Abl. (42, 13), où Çnwtàtw désigne la nature divine ; Cant. VI (173, 7), où Çnwtàtw est employé comme en Eun. I 270 pour désigner la distinction sensible /intelligible ; Or. cat. XXIII (60, 23), où Çnwtàtw qualifie la sagesse divine ; cf. aussi Bas. (120, 1) ; Fat. (47, 18) ; Hex. (76, 2) ; Theod. (63, 21) ; tous les autres emplois sont des reprises de citations d’Eunome. Sur l’utilisation d’Çnwtàtw par Grégoire, cf.

F. Mann, «Das Vokabular des Eunomios im Kontext Gregors », p. 178–182.

238

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

intelligibles, la seconde se limite au contraire aux seuls intelligibles, qu’elle différencie en créés et incréés. De ce point de vue, la première distinction de Grégoire entre sensible et intelligible se révèle effectivement la plus haute en tant que la plus universelle. Par ailleurs, Grégoire a souligné à de nombreuses reprises dans la première partie de sa réfutation 46 les inconséquences logiques d’Eunome, qui construit ses raisonnements théologiques sur des prémisses infondées et discutables 47. Il importait donc pour Grégoire de construire sa propre démonstration sur des fondements logiques solides, c’est-à-dire sur des bases universellement reconnues. De ce point de vue, la distinction sensible /intelligible s’avère assurément la plus haute, dans le sens où elle s’impose comme un principe parfaitement reçu aussi bien par les philosophes que par les maîtres chrétiens 48 (et Grégoire insiste : par Paul lui-même, c’est-à-dire par l’Écriture 49). Mais il est une dernière explication, peut-être plus concluante. Le terme Çnwtàtw était couramment employé par les philosophes pour introduire justement la distinction si courante sensible /intelligible : le recours par Grégoire à ce schéma classique s’en ressentirait alors jusque dans le choix de son vocabulaire 50. L’emploi par Grégoire de Çnwtàtw ne résulterait donc pas nécessairement d’un désir d’établir une hiérarchie entre les deux distinctions 51.

46 Cf. Eun. I 155–269. 47 Cf. supra notes 143–144, p. 219, où Grégoire souligne le vice logique qui sous-tend les arguments d’Eunome ;

de même Eun. I 230 : « ™ gÄr ãn ‚didàqjh parÄ t¿n sunet¿c ÇkrowmËnwn Ìti pêc lÏgoc, Èwc ãn kat+ ‚xous–an ÇnapÏdeiktoc fËrhtai, t‰ legÏmenon gra¿n ’jloc ‚st»n oŒdem–an  sqÃn Íqwn pr‰c t‰ deÿxai di+ ·auto‹ t‰ zhto‘menon (Car assurément il aurait appris de ceux qui écoutent intelligemment que tout raisonnement, aussi

48

49 50

51

longtemps qu’il est présenté arbitrairement sans preuve, est comme on dit commérage de vieilles femmes, étant dépourvu de force pour prouver par lui-même ce qui est cherché) ». Grégoire formulera le même reproche en Eun. III/II 90. Cf. Platon, Rep. 509d ; Alcinoos, didask. X 164 (22, 9–11). Sur la place de cette distinction chez les auteurs chrétiens, cf. A. Meredith, Studies in the Contra Eunomium, p. 259s. Sur cette exigence logique, cf. A. Mosshammer, «The created and the uncreated », p. 355–356. Cette priorité de la distinction sensible /intelligible en tant que principe premier issu de l’expérience ressort particulièrement en Eun. I 295, où Grégoire reprend une nouvelle fois sa double distinction : « OŒko‹n ta‘tac Ígnwmen ‚n t¨ diairËsei t¿n Óntwn tÄc diaforàc, pr¿ton t‰ ±c pr‰c tòn ômetËran katàlhyin pr¿ton, t‰ a sjht‰n lËgw, metÄ to‹to d‡ . . . (Nous connaissons donc ces différences dans la division des êtres, en premier ce qui pour notre perception est comme premier, le sensible j’entends, ensuite. . .) ». Cette exigence logique ne semble pourtant pas devoir être majorée, Grégoire du moins ne la suivrait pas toujours : en Eun. I 361 ; Eun. III/III 3 ; Eun. III/VI 66, Grégoire présente uniquement la distinction des êtres entre créé/incréé, sans faire intervenir la distinction sensible /intelligible. Cant. VI (173, 7s) reprend la double distinction d’Eun. I 270–271 en qualifiant encore celle sensible /intelligible d’Çnwtàtw, mais les exigences logiques imposées par la réfutation d’Eunome n’ont plus de place ici. Grégoire renvoie à Col 1, 16 : «Car c’est en lui qu’ont été créées toutes choses, dans les cieux et sur la terre, les visibles et les invisibles ». Cf. F. Mann, «Das Vokabular des Eunomios im Kontext Gregors », p. 181 : «Die nach diesen Einleitungsworten an den genannten Stellen folgenden Lehrreferate sind so klassisch für antike Philosophie, daß sich weitere Erklärungen erübrigen. Und sie sind dies bis in die Wortwahl und in das Detail der Diktion, wie gerade diese Einleitungssätze es deutlich machen ». Id., note 19, p. 199–200, où l’auteur donne plusieurs exemples de l’emploi d’Çnwtàtw par des philosophes antiques pour qualifier la distinction sensible /intelligible. De fait, Grégoire peut qualifier aussi la distinction créé/incréé comme «la plus haute », Çnwtàtw, cf. Eun. III/VI 66 : « T¿n gÄr Óntwn pàntwn ô Çnwtàtw dia–resic e c t‰ ktist‰n ka» äktiston tòn tomòn Íqei ».

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

239

2.1.3 Le rôle des deux distinctions dans l’échelle des êtres de Grégoire Les deux distinctions proposées par Grégoire lui permettent dans un premier temps de classer les êtres en trois catégories : sensibles, intelligibles créés, intelligibles incréés. Sans le dire, mais cela semble assez clair, Grégoire établit ainsi une première hiérarchie, qui part d’un monde sensible créé pour s’élever aux intelligibles créés et culminer aux intelligibles incréés. Grégoire poursuit alors son investigation en étudiant les possibilités de différenciation à l’intérieur de chaque catégorie, ce qui l’amène à définir le principe du plus ou moins au sein des réalités sensibles (différenciations selon les qualités sensibles), au sein des intelligibles créés (différenciations selon leur degré de participation au premier bien), tandis qu’il en est différemment pour la nature intelligible incréée ; Grégoire est particulièrement clair : une telle différence selon le plus et le moins est absolument impossible du fait qu’elle n’a pas le bien de façon surajoutée, mais «qu’elle est substantiellement bien par nature » 52. Ce rejet d’un plus ou moins n’exclut cependant pas la possibilité de distinctions à l’intérieur de la nature incréée, qui se prennent cette fois à partir des propriétés 53. L’échelle des êtres qui résulte de ces différentes précisions pourrait alors être schématisée ainsi :

äktiston

distinctions sans ±

ktistÏn

distinctions avec ± selon la participation au premier bien

intelligible

sensible

distinctions avec ± selon les différences des qualités

Cette simple présentation permet de relever peut-être plus clairement encore la portée des deux distinctions énoncées par Grégoire et spécialement la seconde, ktistÏn/äktiston. La distinction sensible /intelligible caractérise en effet non seulement deux types de réalités bien distinctes, mais aussi deux types de différenciations ; comme Grégoire le souligne expressément, la distinction en plus ou moins selon les qualités sensibles n’a pas lieu d’être (q∏ran oŒk Íqei) pour les intelligibles. Il en est de même pour la seconde distinction, celle créé/incréé : comme Grégoire le souligne encore, la nature incréée est très éloignée (pÏrrwjen äpestin) du genre de distinctions valables pour les intelligibles créés. L’échelle des êtres de Grégoire se caractérise ainsi non seulement par une hiérarchie ontologique, mais surtout par la mise en évidence de principes de subordinations, qui sont de plus en plus ténus jusqu’à disparaître complètement pour la nature incréée. Et c’est ici assurément que se situe le point fondamental de la présentation de Grégoire : la distinction ktistÏn/äktiston manifeste le passage ontologique du monde des réalités créées sujettes aux différences subordonnantes à celui de 52 Eun. I 276 : « ô 53

d‡ äktistoc f‘sic t®c m‡n toia‘thc diaforêc pÏrrwjen äpestin, âte oŒk ‚p–kthton Íqousa t‰ Çgaj‰n (. . .), Çll+ aŒt‰ Ìper ‚st» t¨ f‘sei Çgaj‰n ofisa ». Cf. Eun. I 277 : « toÿc ‚nupàrqousin ·kàst˘ t¿n Õpostàsewn  di∏masin Çs‘gquton ka» diakekrimËnhn tòn diaforÄn Íqei (elle possède par les propriétés inhérentes à chacune des hypostases la différence sans confusion et distincte) ». Sur les distinctions trinitaires établies par Grégoire, cf. infra partie III, chapitre II, 3.4.2 Les distinctions au sein de la nature äktistoc, p. 286s.

240

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

la nature incréée, étrangère à toute subordination. C’est là le point clef sur lequel va s’appuyer Grégoire pour réfuter le subordinatianisme trinitaire d’Eunome. 2.2 Les relations ktistÏn/äktiston Grégoire présente dans le chapitre XXII du Eun. I deux relations principales entre la nature incréée et celle créée, la première étant présentée comme principe d’être et de bien de la seconde. De ces deux relations, la première (la nature incréée comme principe d’être) semble jouer un rôle déterminant dans l’argumentation du Cappadocien ; par ailleurs, les études consacrées à ce sujet (Dieu comme principe d’être chez Grégoire) se révèlent peu abondantes 54 ; les réflexions qui suivent vont donc être plus développées sur le premier aspect (la nature incréée comme principe d’être) que sur le second (la nature incréée comme principe de bien). 2.2.1 La nature incréée comme principe d’être Dans sa présentation de la distinction ktistÏn/äktiston (Eun. I 271), Grégoire ne se limite pas à l’énonciation de cette nouvelle division mais précise dans la même phrase une première relation entre ces deux ordres d’êtres. Cette phrase, dont la structure est sur ce point révélatrice, est divisée en deux parties, chacune de ces parties étant ellemême divisée en deux propositions (cf. les particules mËn, dË) 55. La première partie de la phrase présente la nouvelle distinction créé/incréé de Grégoire et les éléments énoncés dans chacune des deux propositions sont nettement séparés l’un de l’autre : il y a d’un côté l’incréé, de l’autre le créé. Dans la deuxième partie de la phrase au contraire, les deux propositions ne présentent pas ce caractère de séparation étanche, mais l’incréé se définit par rapport au créé et le créé par rapport à l’incréé : l’incréé est cause efficiente (poihtik†) de la création 56 tandis que le créé (ktist†) est ce qui possède sa cause et sa capacité d’être (a t–an ka» tòn d‘namin to‹ e⁄nai) par la nature incréée (diÄ t®c Çkt–stou f‘sewc). Grégoire énonce donc ici une première relation (la nature incréée comme principe d’être de la nature créée), mais il convient de reconnaître que le Cappadocien n’est guère explicite, puisqu’il ne donne aucune précision sur les modalités de cette

54 Si les études sur Dieu en tant que source de bien, ou sur le diastêma en tant que caractéristique distinctive des

créatures, se révèlent assez abondantes (cf. infra ad. loc. pour les indications bibliographiques), les réflexions sur Dieu en tant que principe d’être sont presque inexistantes, les développements sur ce sujet ne se trouvant généralement que dans le cadre des considérations sur le diastêma. 55 Cf. Eun. I 271 : « ô m‡n gÄr äktistoc ô d‡ ktistò Õp‰ t®c Çkolouj–ac katalambànetai, äktistoc m‡n ô poihtikò t®c kt–sewc, ktistò d‡ ô diÄ t®c Çkt–stou f‘sewc tòn a t–an ka» tòn d‘namin to‹ e⁄nai Íqousa. » 56 La construction de la phrase révèle ici une petite anomalie ; effectivement, on aurait pu s’attendre à ce que Grégoire définisse l’incréé comme la cause efficiente (poihtikò) de la nature créée (t®c ktist®c f‘sewc) pour maintenir l’équilibre de sa phrase, mais il n’en est rien : la nature incréée est efficiente de la création (ô poihtikò t®c kt–sewc). Inattention de Grégoire ? Il semble surtout que ce trait souligne la portée de tout ce passage. Il est clair que pour Grégoire, non seulement une partie du monde intelligible mais aussi le monde sensible sont créés par Dieu ; cet aspect, qui ressort spontanément ici, n’avait nul besoin d’être spécialement souligné. Si Grégoire explicite plutôt la distinction créé/incréé au sein de la nature intelligible, c’est bien parce que tout le problème réside là : quel critère va permettre de répondre à l’ontologie scalaire d’Eunome ? La distinction par la création, que Grégoire met ici en avant, a vraiment pour but de répondre à la subordination des trois premières substances d’Eunome plutôt que de rappeler ce qui est communément reçu dans la foi chrétienne, la création du monde matériel.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

241

relation ; s’il affirme que l’incréé est agent (poihtik†) 57 et que le créé y trouve sa cause et sa capacité d’être 58, aucune indication supplémentaire n’est donnée ni sur les modalités de l’action créatrice de la nature incréée ni sur l’être de la nature créée. Il faut donc, pour préciser la pensée du Cappadocien, mentionner d’autres textes et faire intervenir d’autres formulations de Grégoire. Ces éléments seront pris dans le Eun. I, puis illustrés ou complétés par d’autres traités du Cappadocien. La création comme don de l’être Une première caractéristique de l’acte créateur est indiquée en Eun. I 381, où Grégoire mentionne celui qui a donné l’être à tous 59. L’acte créateur, selon Grégoire, apparaît ainsi comme un don de l’être à la créature par le Créateur, formulation unique en tant que telle chez Grégoire, et qu’il ne faudrait pas interpréter comme un acte ponctuel, dans le sens où Dieu donnerait l’être puis laisserait la créature à elle-même. Grégoire explique au contraire, dans d’autres traités que le Eun. I, que la créature doit être maintenue dans l’être, qu’elle dépend en permanence de celui qui est vraiment et dont elle participe de l’être 60. La création comme passage à l’être Si Grégoire présente l’acte créateur comme un don de l’être, il en décrit aussi en Eun. I 303 le processus, qui apparaît comme un passage à l’existence de la créature (ô pàrodoc e c t‰ genËsjai), passage qu’il présente ici dans le Eun. I sous un mode actif (la créature passe à l’existence) 61, mais qu’il peut envisager ailleurs sous un mode passif (la créature est conduite à l’existence, paraqjeÿsa e c gËnesin) 62, expressions que Ba-

57 Affirmation, courante chez Grégoire, de Dieu puissance efficiente des êtres, cf. Eun. I 367 : « ô

58 59

d‡ poihtikò t¿n Óntwn d‘namic » ; id. 381 : « t®c pàntwn poihtik®c a t–ac » ; Eun. III/III 44 : « ô poihtikò pàntwn t¿n Óntwn » ; Eun. III/IV 24 : « d‘namin tòn poihtikòn to‹ pantÏc » ; Cant. VI (174, 2) : « poihtikò t¿n Óntwn » ; Or. cat. V (16, 10–11) : « poihtikò d‘namin », id. V (16, 20–21) : « ô ÇÚdioc to‹ jeo‹ d‘namic, ô poihtikò t¿n Óntwn ». Sur la dépendance de la cause efficiente, cf. aussi Eun. III/V 31 : « tÄ pànta m‡n t®c poihtik®c ‚xàptwn a t–ac » ; Or. cat. V (16, 12) : « e  d‡ to‹ kÏsmou pant‰c ô ÕpÏstasic t®c to‹ lÏgou dunàmewc ‚x®ptai ». Eun. I 381 : « t‰n pêsi dedwkÏta t‰ e⁄nai. » Cf. pour une expression légèrement différente Eccl. VII (406, 14– 15) : « d–dwsi t†n te to‹ genËsjai d‘namin ». L’expression comme telle n’apparaît pas avant Grégoire, mais il

est possible de trouver une formulation similaire (donner l’être) au siècle suivant en milieu néo-platonicien, cf. Proclus, in Parm. 1168, 6–7, à propos du no‹c faisant subsister ce qui vient après lui non par une activité qui donnerait l’être, mais simplement par l’être qu’il est : « Ka» no‹c Õf–sthsi tÄ met+ aŒt‰n tƒ e⁄nai Ì ‚stin, oŒk Íqwn ällhn ‚nËrgeian parÄ t‰ e⁄nai tòn dido‹san t‰ e⁄nai o⁄c d–dwsin. » Selon ce passage, le no‹c donnerait donc l’être à ce qui vient après lui. 60 Sur Dieu qui maintient tout ce qui est dans l’être, cf. An. et res. (24C) : « ‚n tƒ e⁄nai sunËqein tÄ Ónta » ; Or. cat. XXXII (79, 14–15) : « oŒ gÄr än ti diamËnoi ‚n tƒ e⁄nai, mò ‚n tƒ Ónti mËnon » ; id. XXXII (80, 6–8) : « ô jeÏthc, mÏnh katÄ pên mËroc toÿc ofisin ‚njewroumËnh ka» ‚n tƒ e⁄nai tÄ pànta sunËqousa. » Sur la participation à l’être de Dieu, cf. Infant. (79, 11–13) : « ô metous–a to‹ Óntwc Óntoc, to‹ Çe» mËnontoc ka» pàntote ±sa‘twc Íqontoc, ‚n tƒ e⁄nai fulàssei t‰n metasqÏnta. » Sur la participation à l’être de Dieu par les créatures, cf. D. Balás, METOUSIA JEOU, p. 115–120. 61 De même Or. cat. V (16, 15–16) : « tÄ pànta tòn e c t‰ genËsjai pàrodon Ísqe. » Op. hom. 14 (184C) : « AŒtò gÄr ô ‚k to‹ mò Óntoc e c t‰ e⁄nai pàrodoc ». 62 Cf. Eun. III/VI 5 : « t®c kt–sewc Õp+ aŒto‹ paraqje–shc e c gËnesin » ; Infant. (77, 14–15) : « pàntwn parÄ to‹ jeo‹ paraqjËntwn e c gËnesin » ; Cant. VI (174, 5) : « ô d‡ diÄ kt–sewc paraqjeÿsa e c gËnesin » ; id. XV (458, 1–2) : « toÿc ‚k to‹ mò Óntoc e c t‰ e⁄nai paragomËnoic » ; An. et res. (121C) : « tÄ di+ ‚ke–nhc paraqjËnta e c gËnesin ».

242

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

sile utilisait déjà dans ses homiliae in Hexaemeron 63 et que son frère reprend peut-être. Grégoire n’apporte pas de précisions supplémentaires sur ce point dans le Eun. I, mais cette formulation de l’acte créateur comme passage (pàrodoc) mérite d’être notée, car ce passage initial vers l’être caractérise fondamentalement la créature, qui apparaît, dans sa constitution même, comme un être ouvert sur le changement 64. Grégoire pourra ainsi parler ailleurs comme d’une création continuelle de la créature et présenter cette mutabilité foncière comme un critère décisif, qui distingue la créature d’avec Dieu 65. C’est cet aspect qui permet à Grégoire, dans le Eun. I, de répondre à une objection, qui insinue une communion entre l’Esprit Saint et la création, du fait que tout subsiste par le Fils. Grégoire souligne alors que l’Esprit est séparé de la création par le fait d’être immuable, inaltérable et de n’avoir besoin d’aucun bien d’autrui. 66

Ainsi, une des premières caractéristiques métaphysiques de la créature réside, selon Grégoire, dans ce passage à l’être, mouvement fondamental dont il sera possible de constater les conséquences jusque dans le déroulement même de l’existence de la créature, marqué par le changement et l’évolution dans le temps 67. Création ex nihilo Selon Grégoire, Dieu est créateur en tant qu’il donne l’être à la créature en la faisant passer à l’être. L’acte de création fait alors subsister ce qui auparavant n’était pas (t‰ mò Ón), comme le souligne Grégoire en Eun. I 400 68 et comme il l’énonçait déjà en un endroit assez inattendu du Eun. I, alors qu’il ironisait sur la vivacité d’esprit d’Aèce uniquement capable de saisir la dissimilitude entre la créature issue du non-être (‚x oŒk Óntwn) et le créateur qui conduit à partir de ce qui n’est pas (tƒ paragagÏnti ‚k to‹ mò Óntoc) 69. Encore une fois, Grégoire n’apporte pas de précisions supplémentaires

63 Cf. Basile, hex. I 2 (96, 4–5) : « t¨

˚op¨ to‹ jel†matoc mÏn˘ e c t‰ e⁄nai par†gage tÄ megËjh t¿n ÂrwmËnwn. » Id. II 2 (148, 4) : « Çgageÿn e c gËnesin tÄ mò Ónta » ; id. II 2 (148, 9–10) : « e c oŒs–an ¢gagen ±c  ·kàstou lÏgoc t¿n ginomËnwn Çp§tei. » 64 Cf. les formulations si explicites de Or. cat. VI (24, 3–6) : « pên d‡ t‰ diÄ kt–sewc ÕpostÄn suggen¿c pr‰c tòn Çllo–wsin Íqei, diÏti ka» aŒtò t®c kt–sewc ô ÕpÏstasic Çp‰ Çlloi∏sewc ¢rxato to‹ mò Óntoc e c t‰ e⁄nai je–¯ dunàmei metatejËntoc » ; id. VIII (35, 19–20) : « eŒjÃc Çp‰ trop®c to‹ e⁄nai Çrxàmena pàntote di+ Çlloi∏sewc prÏeisin » ; id. XXI (55, 9–11) : « oŒ gÄr ‚nedËqeto t‰n ‚x Çlloi∏sewc tòn Çrqòn to‹ e⁄nai sqÏnta mò trept‰n e⁄nai pàntwc » ; cf. H. Von Balthasar, Présence et Pensée, p. 10 ; J. Daniélou, L’Être et le Temps, p. 108 : « . . .le passage

65

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du non-être à l’être, qui est le propre de tout ce qui n’est pas Dieu, reste à jamais constitutif de ce qui n’est pas Dieu, et donc que l’être créé passe toujours du non-être à l’être, soit au sens de l’existence, soit de la croissance dans l’existence. » Pour la création continuelle, cf. Cant. VI (174, 8) : « trÏpon tinÄ pàntote kt–zetai » et le commentaire sur la créature changeante de F. Dünzl, Braut und Bräutigam, p. 248–263, spécialement p. 252–255, où l’auteur renvoie à Cant. V (157, 14 – 158, 12), qui distingue entre la nature changeante (‚p» gÄr t®c trept®c f‘sewc) et la nature immuable (ô d‡ Åpl® ka» kajarÄ ka» monoeidòc ka» ätreproc ka» Çnallo–wtoc f‘sic). Eun. I 280 : « ‚n tƒ ÇtrËpt˙ ka» Çnalloi∏t˙ ka» Çprosdeeÿ t®c ·tËrwjen ÇgajÏthtoc diakr–netai t‰ pne‹ma Çp‰ t®c kt–sewc. » Cf. infra partie III, chapitre II, 2.3.3 Enseignement de Eun. I 362–375, p. 254–255. Cf. Eun. I 400 : « oŒk ‚p» pàntwn Âmo–wc oŒsi∏jh t‰ prÏstagma ka» ¢rkesen ô bo‘lhsic mÏnh t‰ mò Ôn Õpost†sasjai ; » Cf. Eun. I 46.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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sur cet aspect dans le Eun. I, mais ses autres œuvres confirment ses affirmations 70. Convient-il cependant de voir derrière ces déclarations de Grégoire une formulation indirecte de la création ex nihilo (‚x oŒdenÏc) ? Ch. Köckert émet sur ce point des réserves prudentes, soulignant le fait que les termes utilisés par Grégoire se trouvent aussi chez Philon, lequel ne voulait exprimer par ce biais aucune création ex nihilo 71. Pourtant, si Grégoire n’utilise de fait jamais l’expression ‚x oŒdenÏc pour qualifier la création 72, il rejette expressément (à la différence de Philon) l’hypothèse d’une matière co-principe de création 73 et se place dans la lignée des théologiens chrétiens, qui rejettent une matière au sens platonicien de co-principe autonome 74. Si la formulation en tant que telle est absente, Grégoire semble donc bien énoncer une doctrine de la création, où Dieu fait passer la créature à l’être ex nihilo. La création considérée du côté de Dieu L’étude de la création selon Grégoire, telle qu’elle apparaît à travers les allusions éparses qui jalonnent le Eun. I, peut être encore complétée. Effectivement, Grégoire apporte des compléments sur l’acte de création considéré du côté de Dieu lorsque, citant le Psaume 32, 9, il énonce en Eun. I 400 comme en condensé les caractéristiques développées ci-dessus et rattache en même temps l’acte créateur à une unique activité divine, un commandement de la volonté, qui suffit pour faire subsister l’ensemble des êtres : Car il a dit et les choses sont venues à l’existence, il a ordonné et les choses ont été créées. Le commandement n’a-t-il pas été semblable pour tous et sa volonté seule n’a-t-elle pas suffi pour faire subsister ce qui n’était pas ? 75 70 Cf. Eun. II 578 : « ‚p–shc

kaj+ ·kàteron pËrac tƒ mò Ónti perigrafÏmena (pên gÄr t‰ Çrq†n te ka» teleutòn Íqon to‹ e⁄nai ‚k to‹ mò Óntoc ärqetai ka» e c t‰ mò Ôn katal†gei) » ; Op. hom. 14 (184A) : « ÇllÄ t‰ tËleion t®c ÇgajÏthtoc e⁄doc ‚n to‘t˙ ‚st»n, ‚k to‹ ka» paragageÿn t‰n änjrwpon ‚k to‹ mò Óntoc e c gËnesin » ; id. 14 (184C) : « AŒtò gÄr ô ‚k to‹ mò Óntoc e c t‰ e⁄nai pàrodoc » ; id. 23 (212B) : « pànta t¨ je–¯ dunàmei qwrhtÄ pepisteukÏtec; ka» t‰ mò Ôn Õpost†sasjai ».

71 Cf. Ch. Köckert, Christliche Kosmologie, note 109, p. 424 : «Mir ist noch nicht hinreichend klar, ob die Formu-

lierungen Ík te to‹ mò Óntoc Õpost®nai t‰ pên bzw. t‰ mò Ón Õpost†sasjai ([Op. hom.] 212bc ; 213c) die gleiche Bedeutung haben wie z. B. Hippolyt, haer. 10,33,8 (290,8 Wendland) : ‚x oŒdenÏc. » À travers ces expressions, Philon rejette de fait l’éternité du monde, mais admet cependant deux principes, l’un actif (Dieu créateur), l’autre passif (la matière inorganisée), cf. Philon, Op. 8s, cf. sur ce point D. Wyrwa, «Kosmos », col. 653. 72 Grégoire ne parle jamais de création ‚x oŒdenÏc et réserve cette expression au Père, qui ne procède d’aucune cause, cf. Eun. I 536. 552. 557. 576. 578. 602 ; Eun. II 137. 615. 618. 620. 622. 623. 73 Cf. Op. hom. 23 (212B) : « Ka» e“ tic ‚k t®c Çnàgkhc ta‘thc ÇÚdion Õpot–joito tƒ Dhmiourgƒ t¿n Çpàntwn

Õpokeÿsjai tòn ’lhn, Ìshn  Maniqaÿoc eÕr†sei t¿n  d–wn dogmàtwn tòn sunhgor–an, Ác tòn Õlikòn a t–an katÄ t‰ ÇgËnnhton Çntiparexàgei t¨ Çgaj¨ f‘sei ! » Cf. par ailleurs les explications de Grégoire sur la création de la matière par le Dieu immatériel, cf. H. Cherniss, The Platonism of Gregory of Nyssa, p. 25–26, corrigées en partie par M. Alexandre, «L’exégèse de Gn 1, 1–2a dans l’In Hexaemeron de Grégoire de Nysse : deux approches du problème de la matière », p. 165–166 (pas de monde idéal précédant la création matérielle, contrairement à l’affirmation de H. Cherniss). 74 Pour cette tradition chrétienne, cf. J. Pépin, Théologie cosmique et théologie chrétienne, p. 52–58 et surtout G. May, Schöpfung aus dem Nichts. Les formulations de Grégoire sont estimées par D. Wyrwa dans la ligne de la doctrine chrétienne de la création ex nihilo, comme le signale aussi Ch. Köckert, Christliche Kosmologie, note 109, p. 424, cf. D. Wyrwa, «Kosmos », col. 746 : «Scharf weist er deshalb die Theorien der Ewigkeit der Welt u. der Präexistenz der Materie zurück, indem er die nun schon traditionelle Lehre der Schöpfung aus dem Nichts anführt ». 75 Eun. I 400 : « AŒt‰c gÄr e⁄pe ka» ‚gen†jhsan, aŒt‰c ‚nete–lato ka» ‚kt–sjhsan. oŒk ‚p» pàntwn Âmo–wc oŒsi∏jh t‰ prÏstagma ka» ¢rkesen ô bo‘lhsic mÏnh t‰ mò Ôn Õpost†sasjai ; » Cf. de même Eun. II 123 : « pàntwn t¿n

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

L’existence des réalités créées relève donc de la volonté divine toute puissante, qui appelle à l’être tout ce qui n’est pas 76. Mais Grégoire précise encore sa pensée quelques paragraphes auparavant : Il suffit du mouvement seul de la volonté et d’une intention délibérée, qui possède comme compagne et exécutrice pour la subsistence des êtres la puissance qui fait tout subsister. 77

L’acte créateur semble ainsi pouvoir être distingué en plusieurs composantes : le mouvement de la volonté, l’intention délibérée et la puissance divine qui fait tout subsister. Grégoire ne détaille pas dans le Eun. I cette formulation ; cependant, sans expliquer clairement comment ces multiples éléments doivent être envisagés dans la simplicité divine, il laisse entendre l’étroite unité qui les relie 78, ce que confirme son Apologia in Hexaemeron, où Grégoire déclare qu’il ne saurait y avoir de séparation en Dieu dans les «phases » de la création : vouloir, sagesse, puissance et substance des êtres doivent être conçus ensemble 79. Comme Grégoire le dit alors adroitement, la création est comme «le vouloir de Dieu substantifié » (oŒsio‹tai t‰ bo‘leuma) 80. Pourtant, il est d’autres passages du Eun. I où Grégoire, sans contredire formellement ce qu’il énonce en Eun. I 400, attribue cette fois explicitement l’œuvre créatrice au seul Fils, faisant référence à Jn 1, 3 ; ainsi en Eun. I 302–303 : L’Évangéliste ayant donc dit : «Tout fut par lui et sans lui ne fut rien de ce qui est advenu en lui », et ayant par là clairement expliqué que ce qui est venu à l’existence est advenu dans le Fils et n’a pas eu son passage à l’existence par quelqu’un d’autre. . . 81

Le Cappadocien reprend à plusieurs reprises dans d’autres traités cet aspect de l’œuvre créatrice comme œuvre du Fils 82, mais il peut préciser aussi plus en détail le rôle de chacun des membres de la Triade dans cette unique action 83. Dans le Eun. I, Grégoire mÏn˙ jel†mati paraqjËntwn e c gËnesin » ; Eun. III/IV 14 : « toÿc diÄ prostàgmatoc paraqjeÿsin e c gËnesin » ; Or. cat. VIII (35, 13–14) : « tƒ s‘ndromon Íqein t¨ boul†sei tòn d‘namin ». 76 Sur la volonté divine toute puissante, cf. les pages peut-être anciennes mais toujours éclairantes de F. Die-

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kamp, Die Gotteslehre, p. 246–256. Sur le lien entre volonté divine et création, cf. les références rassemblées par D. Balás, METOUSIA JEOU, note 114, p. 116. Eun. I 396 : « Çrkeÿ mÏnh jel†matoc k–nhsic ka» proairËsewc Ârm†, s‘ndromon Íqousa ka» ‚pakoloujo‹san pr‰c tòn t¿n Óntwn ÕpÏstasin tòn Õfist¿san tÄ pànta d‘namin ». La puissance efficiente est comme une compagne (s‘ndromon Íqousa) de la volonté. Cf. Hex. (15, 6–8) : « ±c Âmo‹ tÄ pànta to‹ jeo‹ per» tòn kt–sin noeÿsjai, t‰ jËlhma, tòn sof–an, tòn d‘namin, tòn oŒs–an t¿n Óntwn. » Grégoire reprendrait ici les différents aspects de l’agir humain énumérés par les philosophes antiques et les ferait coïncider en Dieu, cf. Ch. Köckert, Christliche Kosmologie, p. 412 : «Gregor zieht hier antike Handlungstheorie heran, um das Besondere des göttlichen Schöpfungshandelns aufzuzeigen : Die einzelnen Aspekte und Momente, die bei menschlichen Handeln dem Akt und dem Werk vorausgehen und durch viele äußere Faktoren bedingt sind, fallen bei Gott zusammen und sind bei ihm von keiner außerhalb seiner selbst liegenden Größe abhängig. » L’auteur renvoie (id., note 62, p. 412–413) à Aristote, EN. 3, 1–7 ; Alexandre d’Aphrodise, de An. (172, 25–173, 2). Cf. An. et res. (124B). Cf. de même Eun. II 232 : « ÇpragmÏnwc te ka» ÇkÏpwc t‰ jeÿon bo‘lhma f‘sic ‚gËneto. » Eun. I 303 : « to‹ to–nun eŒaggelisto‹ f†santoc, Ìti Pànta di+ aŒto‹ ‚gËneto ka» qwr»c aŒto‹ ‚gËneto oŒd‡ „n

Á gËgonen ‚n aŒtƒ, ka» faner¿c diÄ to‘twn ‚ndeixamËnou, Ìti ka» ‚n tƒ u…ƒ tÄ genÏmena gËgone ka» oŒ di+ ·tËrou tin‰c tòn e c t‰ genËsjai pàrodon Ísqen . . . » ; cf. aussi Eun. I 528–529 pour un autre emploi de Jn 1, 3 ; un même raisonnement se trouve en Eun. III/I 13. Sur le Fils à l’origine de la création, cf. Thaum. (18, 7) : le Fils est « d‘namic t®c Ìlhc kt–sewc poihtik† ». 82 Grégoire présente à plusieurs reprises le Fils comme la main de Dieu opérant l’œuvre de la Création (ce qui

n’est pas sans rappeler les réflexions d’Irénée de Lyon) : cf. Eun. III/III 44 : « ô dexiÄ to‹ jeo‹ ô poihtikò pàntwn t¿n Óntwn, °tic ‚st»n  k‘rioc di+ o› tÄ pànta ‚gËneto ka» o› qwr»c ÕpËsth t¿n Óntwn oŒdËn » ; de même Eun. III/IV 24 ; III/V 30–31. 83 Sur le rôle propre de chacun des membres de la Triade dans une unique action, cf. supra note 169, p. 223.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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évoque plutôt l’action de la nature incréée ou celle du Fils, sans préciser ni déterminer l’articulation de ces deux affirmations. Faut-il voir derrière cette apparente disharmonie une théologie encore insuffisamment élaborée ? Il semble plutôt que Grégoire veuille avant tout éviter dans le Eun. I une formulation de l’acte créateur trop ambiguë, qui rappellerait d’une certaine manière celle d’Eunome. Pour l’anoméen en effet, le Fils n’est qu’instrument de création, agissant comme par délégation sous le commandement de l’inengendré, mais c’est justement cet acte créateur à travers des puissances efficientes subordonnées que rejette Grégoire ; dans son souci d’insister sur l’unicité de la puissance créatrice, Grégoire aura ainsi privilégié la présentation d’une unique nature incréée cause de la création, ou celle de la volonté divine faisant subsister ce qui n’est pas, sans chercher à l’articuler précisément avec l’affirmation de Jn 1, 3. La création considérée du côté de la créature Il est une seconde difficulté, qu’il convient de résoudre. Les développements précédents ont permis en effet de déterminer l’acte créateur comme un passage de la créature du non-être à l’être. Pourtant, un tel passage selon Grégoire n’est pas uniquement l’effet de la volonté divine mais aussi celui de la nature : La nature traverse tout ce en quoi la vie de l’homme a son fondement ; ainsi conduit-elle à la génération ce qui n’est pas, et à cause de cela nous disons qu’advient ce qui n’est pas, parce que ce qui n’est pas à un temps donné commence à être à un autre temps. 84

Encore une fois, comment concilier les deux affirmations de Grégoire : un passage du non-être à l’être dû à la volonté divine et un même passage dû à la nature ? Si le Eun. I ne fournit une fois de plus aucun élément de réponse clair, l’Apologia in Hexaemeron de Grégoire permet, semble-t-il, de lever cette difficulté. Grégoire y distingue en effet deux aspects de la création. Le premier est pris du point de vue de Dieu, pour lequel globalité (sull†bdhn) et simultanéité (t‰ ÇkarËc te ka» Çdiàstaton) caractérisent l’acte créateur : en un instant, Dieu a créé les principes (tÄc Çformàc), les causes (tÄc a t–ac) et les potentialités (tÄc dunàmeic) de tous les êtres (pàntwn t¿n Óntwn), et c’est à ce caractère global et instantané de la création que doit être rapporté l’ensemble des particularités relevées précédemment sur la création (passage du non-être à l’être sous la motion de la volonté divine) 85. Mais Grégoire présente un second aspect de la création, pris cette fois du point de vue du monde créé, qui distingue le long développement et l’actualisation progressive, selon l’ordre nécessaire de la nature (ô Çnagka–a t®c f‘sewc tàxic), de ce qui fut, comme en germe, amené à l’être par Dieu : c’est à ce second point de vue que 84 Eun. I 626 : « diÄ

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pàntwn qwro‹sa ô f‘sic, di+ ¡n ô Çnjrwp–nh zwò tòn kataskeuòn Íqei, o’twc e c gËnnhsin t‰ mò Ôn ägei, ka» diÄ to‹to mò Ôn g–nesjai lËgomen, Ìti t‰ Ín tini qrÏn˙ mò Ôn ‚n äll˙ qrÏn˙ to‹ e⁄nai ärqetai. » De même, en Eun. I 625, à propos de l’homme qui advient par génération : « Çlhj‡c gàr ‚stin e peÿn per– tinoc t¿n gegenhmËnwn Ìti pot‡ mò ªn n‹n Ísti, ka» mËntoi ka– pote pàlin to‹ e⁄nai pa‘setai ». Cf. Hex. (16, 12–18, 11), où Grégoire interprète semblablement Gn 1, 1 à partir des LXX (‚n Çrq¨) et d’Aquila (‚n kefala–˙), rattachant à la première version le caractère instantané et immédiat, à la seconde la globalité de la création, cf. Hex. (17, 15–17) : « ‚n m‡n gÄr tƒ kefala–˙ t‰ sull†bdhn tÄ pànta gegen®sjai par–sthsi, diÄ d‡ t®c Çrq®c dhlo‹tai t‰ ÇkarËc te ka» Çdiàstaton. » Grégoire ramène ainsi l’origine de tous les êtres au premier mouvement de la volonté divine, cf. Hex. (18, 7–11) : « oŒko‹n to‹to noeÿn ô Çrqò t®c kosmogon–ac Õpot–jetai, Ìti pàntwn t¿n Óntwn tÄc ÇformÄc ka» tÄc a t–ac ka» tÄc dunàmeic sull†bdhn  je‰c ‚n Çkareÿ katebàleto, ka» ‚n t¨ pr∏t˘ to‹ jel†matoc Ârm¨ ô ·kàstou t¿n Óntwn oŒs–a sunËdramen, oŒranÏc, a j†r, ÇstËrec, p‹r, džr, jàlassa, g®, zƒa, futà. » Cf. M. Alexandre, «L’exégèse de Gn 1, 1–2a dans l’In Hexaemeron de Grégoire de Nysse : deux approches du problème de la matière », p. 161–164.

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

semble alors devoir être rapportée la mention de la nature en Eun. I 626, amenant à l’être ce qui n’est pas 86. Les deux affirmations de Grégoire (passage à l’être sous l’effet de la volonté divine ou sous l’effet de la nature) ne doivent donc pas être opposées mais au contraire intégrées en une synthèse plus vaste, celle d’une création de tous les êtres, entière et instantanée sous le regard de Dieu, mais qui se déploie en acte selon un enchaînement ordonné (Çkolouj–a) du point de vue des créatures 87. Il semble bon, avant de poursuivre l’examen des relations ktistÏn/äktiston, de récapituler les multiples aspects concernant la création qui ont été relevés jusqu’à présent. Grégoire, dans la présentation de son échelle des êtres (Eun. I 270–271) distingue dans le monde intelligible la nature créée de la nature incréée (ô m‡n gÄr äktistoc ô d‡ ktist†) et présente la nature créée comme ayant sa cause et capacité d’être de la nature incréée (diÄ t®c Çkt–stou f‘sewc tòn a t–an ka» tòn d‘namin to‹ e⁄nai Íqousa). Grégoire n’apporte ici aucune précision supplémentaire, mais il est possible, à travers différentes déclarations de Grégoire dans le Eun. I, d’expliciter sa conception de l’acte créateur : par la seule volonté (diÄ mÏnou jel†matoc), l’intention délibérée (proairËsewc Ârm†) et la puissance qui fait tout subsister (tòn Õfist¿san tÄ pànta d‘namin) de la nature incréée, la nature créée est conduite du non-être à l’existence (‚k to‹ mò Óntoc paraqjeÿsa e c gËnesin). Cette création, globale et instantanée du point de vue de la nature incréée, se déploie au long du temps pour la nature créée, progressant de son commencement jusqu’à son but propre (ÇpÏ tinoc ÂmologoumËnhc pàntwc Çrq®c ‚p» t‰n “dion skopÏn). Chacun de ces aspects a pu être confirmé et précisé par le biais des autres traités de Grégoire, spécialement à partir de l’Apologia in Hexaemeron ainsi que du De hominis opificio, traités contemporains du Eun. I 88. Assurément, le Eun. I de Grégoire n’apparaît pas particulièrement explicite comparé à ces œuvres, mais ceci ne saurait surprendre, car Grégoire ne cherche pas à faire d’exposé cosmologique systématique dans le Eun. I, qui est avant tout une œuvre de polémique trinitaire. Cependant, il serait erroné de considérer les quelques éléments cosmologiques, qui viennent d’être relevés dans le Eun. I, comme hors de propos ; bien au contraire, leur enjeu trinitaire n’a pas échappé au Cappadocien, comme il sera possible de le voir.

86 Cf. Hex. (19, 4–9) : « tÄ

loipÄ t®c katÄ t‰ ‚fex®c Çkolouj–ac oŒk aŒtomàt˙ tin» suntuq–¯ katÄ tinÄ ätakton ka» tuqa–an forÄn o’twc ÇnafainÏmena, Çll+ ±c ô Çnagka–a t®c f‘sewc tàxic ‚pizhteÿ t‰ ‚n toÿc ginomËnoic ÇkÏloujon, o’twc Èkasta gegen®sja– fhsin ‚n dihg†sewc e“dei per» t¿n fusik¿n dogmàtwn filosof†sac ».

L’acte de création instantané et le temps subséquent sont alors comparés par Grégoire comme le point à la ligne ou l’atome au corps, cf. Hex. (17, 18–19) : « ±c t‰ shmeÿon Çrqò t®c gramm®c ka» to‹ Ógkou t‰ ätomon, o’tw ka» t‰ Çkar‡c to‹ qroniko‹ diast†matoc. » Cf. sur ce point Ch. Köckert, Christliche Kosmologie, p. 425 : «Analog dazu [les comparaisons du point et de l’atome] ist Gottes Schöpfungsakt im Anfang augenblicklich und daher zeitlos ; er bildet aber den Ausgangspunkt für Ausdehnung der Schöpfung. » 87 Cf. Hex. (27, 11–14) : « Ìti t¨ m‡n dunàmei tÄ pànta ™n ‚n pr∏t˘ to‹ jeo‹ per» tòn kt–sin Ârm¨, o…one» spermatik®c tinoc dunàmewc pr‰c tòn to‹ pant‰c gËnesin katablhje–shc, ‚nerge–¯ d‡ tÄ kaj+ Èkaston o÷pw ™n. » Cf. le commentaire de J. Zachhuber, «Once again », p. 92 : «Looking at creation, Gregory argues that what from the perspective of God must be one, instantaneous act completely carried out along with its conception, is from the point of view of the world a long and complicated development reaching perfection only in its end. » Grégoire mentionne en Eun. I 365 ce cheminement de la Création, à partir de son commencement jusqu’à son but propre (ÇpÏ tinoc ÂmologoumËnhc pàntwc Çrq®c ‚p» t‰n “dion skopÏn). 88 Cf. infra partie III, chapitre II, 5.1.2 L’émergence de la distinction ktistÏn/äktiston : précisions sur la datation du De hominis opificio, p. 319–321.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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2.2.2 La nature incréée comme principe de bien L’échelle des êtres établie par Grégoire s’organise en deux volets, car c’est après avoir distingué trois catégories d’êtres que Grégoire précise la notion de plus ou moins à l’intérieur de chacune de ces catégories. Ce second moment de la présentation donne l’occasion au Cappadocien de mettre en évidence une nouvelle relation entre ktistÏn et äktiston fondée sur la notion de participation au bien : la nature incréée est présentée comme principe de bien pour les créatures intelligibles (Eun. I 273–275). Ce second aspect (Dieu comme principe de bien) semble, dans la présentation qu’en donne ici Grégoire, particulièrement marqué par la tradition platonicienne. Effectivement, le Bien est pour Platon la réalité suprême, principe d’être et d’intelligibilité pour l’ensemble des êtres 89, et l’importance de ce Bien premier constitue un trait commun au platonisme postérieur, que ce soit le moyen 90 ou le néo-platonisme 91 ; c’est dans cette tradition que s’insère visiblement la présentation que donne ici Grégoire, qui se révèle très proche d’Ennéades VI 9, 9, comme le tableau comparatif suivant peut le suggérer : Eun. I 274

‚peidò gÄr pant‰c Çgajo‹ phgò ka» Çrqò ka» qorhg–a (. . .) pêsa d‡ pr‰c ‚keÿno nËneuken ô kt–sic (. . .) t®c Õyhl®c f‘sewc ‚faptomËnh te ka» metËqousa (. . .) t‰ plËon ka» t‰ ©tton ‚n t¨ kt–sei

Ennéades VI 9 9, 2 : Çgajo‹ a t–an 9, 1.2 : phgòn m‡n zw®c, phgòn d‡ no‹ 9, 2 : Çrqòn Óntoc 9, 1.10 : >En d‡ ta‘t˘ t¨ qore–¯ 9, 11 : Mêllon mËntoi ‚sm‡n ne‘santec pr‰c

aŒt‰ 9, 58 : ≈ mò ‚faptÏmeja jeo‹ 9, 12 : t‰ d‡ pÏrrw e⁄nai mÏnon ka» ©tton

e⁄nai

Une telle mise en parallèle laisse supposer une connaissance du traité de Plotin par Grégoire 92 et le Cappadocien se sera vraisemblablement inspiré ici de la présentation de Plotin sur le retour de l’âme vers le Bien suprême 93 pour exposer le dynamisme de tout être vers Dieu comme source et principe de tout bien. Cependant, cette marque platonicienne, si elle paraît réelle, ne semble pas devoir être majorée outre mesure, puisque Grégoire peut faire intervenir ailleurs dans le Eun. I l’aspect sacramentel (le 89 Cf. Platon, Rep. 509b ; Bien suprême qui, contrairement aux êtres changeants, demeure toujours en lui-même

et ne pourrait jamais souffrir de plus ou de moins, cf. Platon, Symp. 211ab. 90 Cf. Alcinoos, didask. XXVII 180 (53, 1–4) : ce que les hommes regardent comme bon ne reçoit cette déno-

mination que parce qu’il participe de quelque manière à ce bien premier et suprême (tƒ Âpwso‹n metËqein

‚ke–nou to‹ pr∏tou ka» timiwtàtou). 91 L’Un plotinien est le Bien transcendant, autre que le bien qu’il donne aux autres, cf. Plotin, Enn. VI 9, 6 (55–

57) : « OŒ to–nun oŒd‡ Çgaj‰n lektËon to‹to, Á parËqei, ÇllÄ ällwc tÇgaj‰n Õp‡r tÄ älla Çgajà. » Sur le Bien chez Plotin, cf. spécialement Plotin, Enn. VI 7, 15–42. 92 Cette supposition devient presque certitude lorsque l’on sait que Grégoire semble avoir utilisé ce même traité dans son Virg. et que Basile l’a très certainement utilisé lui aussi dans son Liber de Spiritu sancto, spécialement au chapitre IX ; sur ces divers rapprochements, cf. J. Daniélou, «Grégoire de Nysse et Plotin », p. 259–262. J. Daniélou en conclut que le traité de Plotin «devait circuler alors dans la famille ». Il semble peu probable que Grégoire n’ait eu accès au texte de Plotin qu’à travers celui de son frère : la comparaison entre le texte de Eun. I 274 et celui de Basile, Spir. IX 22–23 montre peu de points communs et chaque auteur paraît puiser à sa manière dans le texte plotinien. 93 Sur les rapports et différences entre Grégoire et Plotin à propos de l’attrait vers le Bien, cf. Th. Alexopoulos, «Das unendliche Sichausstrecken (Epektasis) zum Guten bei Gregor von Nyssa und Plotin ».

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

baptême) ainsi que toute l’économie chrétienne pour rendre compte de la diffusion du Bien suprême ; cet aspect, non mentionné ici en Eun. I 273–275, joue un rôle déterminant dans la suite du raisonnement de Grégoire, comme il va être possible de le voir 94. Cette relation ktistÏn/äktiston (la nature incréée comme principe de tout bien) apparaît aussi caractérisée par un autre facteur, qu’il importe de mentionner. Il relève en effet du désir de chacun (t®c ·kàstou Ârm®c) de puiser ou non à la source de tous biens, cette participation au bien s’avérant ainsi proportionnelle (katÄ tòn Çnalog–an) à un choix librement délibéré (katÄ t‰ aŒtexo‘sion t®c proairËsewc). Grégoire, qui évoque ici la notion de libre détermination 95, fait intervenir un premier critère de ressemblance avec le Créateur, comme il le dit explicitement dans d’autres traités que le Eun. I à propos de l’homme 96 ; cependant, cette liberté de choix, qui établit une première similitude avec la divinité, apparaît ici dans le Eun. I comme principe d’un second niveau de ressemblance, celui de la participation au bien divin 97. Les quelques points présentés ici permettent de préciser, dans un premier temps, ce nouvel aspect des relations ktistÏn/äktiston (la nature incréée comme principe de bien). Un autre élément caractéristique de cette relation, la notion de participation, ne sera abordé que plus loin dans cette étude, lors de l’examen de la remise en cause par Grégoire de la subordination défendue par Eunome, puisque ce thème y joue alors un rôle tout particulier. 2.3 Les distinctions ktistÏn/äktiston 2.3.1 Le contexte des explications de Grégoire Les paragraphes précédents ont permis, à travers l’étude des relations entre nature créée et nature incréée, de mettre déjà en relief plusieurs différences fondamentales. Contrairement à la nature incréée qui est l’Être et le Bien en soi, la nature créée possède un être reçu et ne participe au Bien qu’en proportion de son choix volontaire. La polémique avec Eunome va cependant conduire Grégoire à de plus amples explications sur les caractéristiques distinctives des natures créées et incréées, qui débouchent finalement sur la notion de diastêma (diàsthma), présenté comme principe métaphysique caractéristique des éléments créés. Ces développements (Eun. I 362–375), s’ils se situent au chapitre XXVI (Eun. I 359–385) et donc en dehors des chapitres XXII– XXIII et de l’exposé systématique de Grégoire, présupposent cependant l’échelle ontologique du Cappadocien et ne font que la prolonger et l’expliciter. Il importe donc 94 Cf. infra partie III, chapitre II, 3.1.2 Si Fils et Esprit ne sont pas le «Bien », il n’y a plus de Salut, p. 261. 95

t‰ aŒtexo‘sion. Ce terme utilisé par Grégoire revêt dans le langage chrétien une coloration avant tout positive

de libre détermination, contrairement aux orientations stoïciennes, cf. M. Harl, «Problèmes posés par l’histoire du mot t‰ aŒtexo‘sion : liberté stoïcienne et liberté chrétienne ». Sur la rôle de la liberté dans l’échelle des êtres de Grégoire, cf. A. Mosshammer, «The Created and the Uncreated in Gregory of Nyssa » ; sur la liberté selon Grégoire de Nysse, cf. J. Gaïth, La Conception de la liberté chez Grégoire de Nysse ; plus récemment M. Streck, Das schönste Gut, p. 122–182, spécialement p. 174 sur le lien entre aŒtexo‘sion t®c proairËsewc (que l’auteur traduit par die Selbstmächtigkeit der Wahlentscheidung) et le choix du bien divin. 96 Cf. Virg. XII 2 (402, 12–14) ; Or. cat. XXI (55, 7–8). 97 Selon J. Laplace in Grégoire de Nysse, La Création de l’Homme, Introduction, p. 46–47, Grégoire n’adopterait pas la distinction usuelle image /ressemblance exposée par les Pères, même par Basile. Cependant, le choix libre de l’homme, présenté ici par Grégoire comme facteur d’une plus ou moins grande participation au bien divin, demanderait sans doute à nuancer cette opinion.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

249

d’examiner ici ces considérations, afin de compléter le tableau du système ontologique de Grégoire. Ces approfondissements du Cappadocien se situent dans un contexte bien précis. Grégoire a repris depuis la fin du chapitre XXIII l’examen systématique du fragment 1 d’Eunome et se trouve ainsi confronté à l’affirmation de l’anoméen : Autant, dit-il, les œuvres sont plus anciennes et plus dignes que les autres œuvres, autant quelqu’un qui réfléchit religieusement dirait que l’activité aussi surpasse l’autre activité. 98

Après s’être penché sur le cas d’œuvres «plus dignes » (Eun. I 333–340), Grégoire aborde en Eun. I 341 l’affirmation concernant celles «plus anciennes ». Cette déclaration d’Eunome se place dans le fragment 1 après l’exposé de la corrélation activité-œuvre. Eunome poursuit par un argument tiré de la création (cf. le ‚pe– initial) en mentionnant anges, étoiles, ciel et homme, pour finalement tirer la conclusion citée cidessus : leurs différences en dignité et ancienneté laisse présumer des différences entre les activités qui les ont produits. Cette corrélation activité-œuvre, perceptible dans la création, confirmerait alors celle énoncée pour les trois premières substances. Cependant, comment comprendre la portée réelle de l’affirmation d’Eunome : les œuvres sont plus anciennes ? Faut-il limiter cette déclaration aux exemples tirés des réalités créées ou bien l’étendre aux trois premières substances et laisser ainsi entendre une différence d’ancienneté entre, par exemple, le Père et le Fils ? S’il est difficile de trancher cette question 99, Grégoire choisit pourtant la seconde solution, comme il l’a déjà fait auparavant 100 et en conformité du reste avec les interprétations anti-ariennes habituelles : Athanase interprète ainsi les propos ariens 101, qu’il juge par ailleurs peu clairs 102, ainsi que Basile, qui déforme de son côté les expressions d’Eunome en propositions temporelles 103. Mais par-delà cette lecture peut-être abusive, du moins certainement polémique, cette question d’une ancienneté possible entre le Père et le Fils pousse Grégoire à approfondir sa distinction ktistÏn/äktiston d’une façon particulièrement féconde : ce sont les paragraphes Eun. I 362–375 104 mentionnés ci-dessus, développement étonnamment long et dont l’argumentation s’étend bien au-delà des simples considérations 98 Eun. I 329 : « Ìs˙,

fhs–, tÄ Írga t¿n Írgwn presb‘tera ka» timi∏tera, toso‘t˙ ka» tòn ‚nËrgeian t®c ‚nerge–ac ÇnabebhkËnai fa–h än tic eŒseb¿c dianoo‘menoc. » (le passage est cité une première fois en Eun. I 317, dans le

99

100

101 102 103 104

cadre d’une longue citation du fragment 1, lors de l’annonce de la reprise de la réfutation systématique de ce fragment). Même difficulté avec les positions d’Arius, cf. supra note 274, p. 167 ; B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 206 et 216, souligne que la priorité du Père par rapport au Fils, aussi bien chez Arius que chez Eunome, n’est pas temporelle mais uniquement ontologique. Il est intéressant de remarquer une querelle analogue dans le platonisme impérial à propos de la création du monde, cf. E.-P. Meijering, « flHn pote Ìte oŒk ™n  U…Ïc » : l’auteur présente l’opposition, à propos de la création du monde, entre Atticus et Proclus, le premier semblant entendre que le monde commence non seulement avec le temps mais dans le temps, ce qui lui attire les critiques de Proclus ; l’auteur remarque alors, p. 164 : «It is obvious that Atticus manœuvres himself into great logical difficulties in his effort to apply temporal categories to the ‹before cosmos ›. Very similar difficulties occur in Arius’ doctrine of the Logos ». Cf. Eun. I 171–176 (mais la différence temporelle n’est alors qu’une hypothèse). Grégoire reviendra sur cette question d’une antériorité du Père par rapport au Fils en Eun. I 617–641, en réponse à la question anoméenne : «celui qui est, comment est-il engendré ? » Cf. Athanase, Ar. I 11–12. Cf. Athanase, Ar. I 13, 8 : « £ diÄ t– qrÏnouc shma–nontec oŒ lËgete faner¿c; ‹ ™n qrÏnoc Ìte oŒk ™n  lÏgoc › ; » Cf. Basile, adv. Eun. I 5 (174, 45–46) : « ka» o÷te presb‘teroc o÷te ne∏teroc aŒtÏc ‚stin ·auto‹ ; », à comparer avec Eunome, Ap 7 (40, 5–6) : « m†te d+ aŒt‰ ·auto‹ prÏteron £ ’steron e⁄nai d‘nasjai » (je souligne). Ces explications de Grégoire sont d’abord annoncées par le gàr introductif (cf. Eun. I 362 : « ô m‡n gÄr kt–sic pêsa »), puis conclues par le ‚pe– final, qui annonce la mise en œuvre dans le cas du Fils et de l’Esprit des

250

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

temporelles. Ces nombreux paragraphes explicatifs, presque méditatifs, peuvent paraître au premier abord assez tortueux et il n’est effectivement pas facile d’y discerner à la première lecture un ordre clair. Pourtant, cet ensemble Eun. I 362–375 est bien construit, structuré en trois étapes malgré tout bien repérables 105, qui progressent par approfondissements successifs. 2.3.2 Structure de Eun. I 362–375 1. Grégoire commence par la formule introductive Car toute la création (ô m‡n gÄr kt–sic pêsa) et met en évidence ce qui différencie la création de la nature incréée 106, la première (cf. Eun. I 362) étant mesurée (parametreÿtai) par des intervalles de temps (ou de siècles, tƒ t¿n a ∏nwn diast†mati), la seconde (cf. Eun. I 363) échappant à tout enchaînement temporel (pêsan qronikòn Çkolouj–an ‚kpËfeugen). Grégoire mêle à ces considérations des réflexions épistémologiques et évoque dans chacun des cas l’hypothèse d’un chercheur curieux, qui remonterait en pensée les siècles pour atteindre ce qui leur est plus ancien. Cependant, Grégoire éprouve le besoin de souligner que ce qu’il avance n’est qu’une opinion commune universellement reconnue 107, si bien que Eun. I 365–366 reprend comme en négatif ce qu’affirmait Eun. I 362–363 : Grégoire présentait en Eun. I 362 la création mesurée par des intervalles, il explique en Eun. I 365 que rien ne se mesure dans la nature divine (t‰ parametro‘menÏn ‚stin oŒdËn) ; il affirmait en Eun. I 363 que la nature incréée progressait (proo‹sa) sans enchaînement temporel, il souligne en Eun. I 365 que la nature créée chemine (Âde‘ousa) par intervalles temporels (diÄ t¿n qronik¿n diasthmàtwn). Ce sont bien les idées de temps, d’intervalles et d’enchaînements qui caractérisent ces paragraphes de Eun. I 362–366, leur donnant une coloration homogène 108. 2. Ces explications terminées, Grégoire reprend en Eun. I 366 une expression proche de celle de Eun. I 362 : Car tout ce qui est venu à l’existence (tÄ m‡n gÄr gegonÏta pànta). La particule mËn ainsi que la conjonction gàr laissent pressentir que Grégoire commence ici un nouvel examen, ce que confirme la lecture des paragraphes suivants 109. Les notions temporelles, prépondérantes dans les réflexions précédentes, s’élargissent maintenant en considérations plus universelles, puisque Grégoire n’envisage plus seulement le temps, mais toute mesure en général :

105 106 107 108

109

principes exposés (cf. Eun. I 376, où la mise en application des principes précédemment établis est encore soulignée par l’insertion diÄ t¿n e rhmËnwn). Trois critères permettent de déterminer les limites de ces sous-parties : le parallélisme des phrases et des structures et surtout un contenu à chaque fois homogène. Mise en parallèle soulignée par les particules ô mËn (Eun. I 362) et ô dË (Eun. I 363). Cf. Eun. I 365 : « Safòc d‡ Â lÏgoc ka» tƒ metr–wc ‚peskemmËn˙ tòn t¿n Óntwn f‘sin (Mais elle est claire cette parole, même pour celui qui examine mesurément la nature des êtres) ». Ces paragraphes se distinguent par la répétition des mêmes termes (les références renvoient aux pages et lignes du GNO I) : diàsthma (134, 10 ;135, 4. 9), diasthmatikÏc (134, 14), Çkolouj–a (134, 9.12.15 ; 135, 7), qrÏnoc (135, 1. 2), qronikÏc (134, 15 ; 135, 3. 6). W. Jaeger fait commencer le paragraphe 366 à la phrase précédente, mais il semblerait plus clair de faire commencer Eun. I 366 avec la phrase : « tÄ m‡n gÄr gegonÏta pànta », qui introduit une nouvelle réflexion de Grégoire et une nouvelle mise en comparaison de la nature créée avec la nature incréée (cf. Eun. I 367 : « ô d‡ poihtikò t¿n Óntwn d‘namic »).

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

251

Car tout ce qui est venu à l’existence, circonscrit dans ses propres mesures conformément à ce qui a plu à la sagesse du Créateur, est embrassé par la mesure appropriée, telle une frontière, en vue de l’harmonie du tout. 110

La suite de l’argumentation de Grégoire offre alors une structure parallèle à celle de Eun. I 362–366, alternant entre les réflexions sur la nature créée embrassée par ses propres limites fixées par le Créateur, et la nature incréée, la puissance efficiente des êtres (ô d‡ poihtikò t¿n Óntwn d‘namic), qui ne saurait être contenue par rien (t‰ periËqon oŒk Íqei). Grégoire, comme en Eun. I 362–366, mêle à ses réflexions métaphysiques des considérations épistémologiques sur les modalités de connaissance (t¿n Çnjrwp–nwn logism¿n) tant des éléments créés que de la nature incréée. Enfin, comme en Eun. I 362–366, Grégoire éprouve le besoin de montrer le caractère traditionnel de ce qu’il dit et introduit un nouveau développement sur ce thème, amené par une phrase très proche elle aussi de celle de Eun. I 365 111, qui s’achève en Eun. I 372. Ainsi, de même que Eun. I 362–366 était caractérisé par un thème précis (les intervalles de temps), de même Eun. I 366–372 se voit caractérisé par un sujet bien déterminé, les limites /absences de limites des natures créée /incréée 112. 3. Eun. I 373 constitue le sommet de toutes ces réflexions. Après avoir précisé les différences entre nature créée et nature incréée, tant du point de vue temporel que selon l’aspect plus général des limites /absences de limites de leur nature, Grégoire annonce comme un ultime approfondissement : Voici donc la substance (A’th to–nun ô oŒs–a), voici effectivement comment les résultats précédents sur l’absence /présence de temps et limites peuvent être résumés pour la nature incréée. Grégoire se place visiblement à un niveau plus élevé, puisqu’il mentionne la substance (oŒs–a) 113 ; par ailleurs, il mêle comme précédemment des considérations épistémologiques à ses réflexions métaphysiques. 4. Eun. I 374–375 est la conclusion de tout ce développement. Grégoire reprend les résultats précédents en une nouvelle comparaison entre création et nature divine 114. Il peut alors revenir avec une réelle pertinence au cas particulier à l’origine de ce long développement (le t‰ presb‘teron) et même à l’affirmation du début du fragment 1 (le Çnwtàtw ka» kuriwtàth) : la nature divine est étrangère à toute mesure et exclut donc in radice les comparaisons de plus ou moins ancien ou élevé. Un tableau récapitulatif peut rassembler les résultats obtenus 115 :

110 Eun. I 366 : « tÄ 111

m‡n gÄr gegonÏta pànta toÿc  d–oic mËtroic ‚mperigegrammËna katÄ t‰ ÇrËsan t¨ sof–¯ to‹ kt–santoc oŸÏn tini Ìr˙ tƒ pros†konti mËtr˙ ±c pr‰c tòn to‹ pant‰c eŒarmost–an ‚mperie–lhptai. » Cf. Eun. I 370 : « Pant» gÄr o⁄mai to‹to gn∏rimon e⁄nai tƒ ka» metr–wc ‚peskemmËn˙ tÄ Ónta, Ìti », à comparer avec Eun. I 365 : « Safòc d‡ Â lÏgoc ka» tƒ metr–wc ‚peskemmËn˙ tòn t¿n Óntwn f‘sin, Ìti ».

112 Encore une fois, le vocabulaire s’avère particulièrement significatif (comme précédemment, les références

renvoient aux pages et lignes du GNO I) : mËtroc (135, 10. 12.25 ; 136, 2), Ìroc (135, 12.17.26), pËrac (135, 22), ‚ntÏc (135, 16. 27) et surtout les si nombreux verbes construits avec des prépositions indiquant l’embrassement, l’inclusion : ‚mperigegrammËna (135, 10), ‚mperie–lhptai (135, 13), perigràfousa (135, 18), t‰ periËqon (135, 19), peridràxasjai (136, 4), ‚mperiektik† (136, 14) ; t‰ peperat¿sjai (135, 15). 113 Le terme reparaît pour la première fois depuis Eun. I 363. 114 Cf. Eun. I 374 : « ô to–nun kt–sic » et Eun. I 375 : « ô d‡ je–a f‘sic ». 115 Ce plan de Eun. I 362–375 diffère sensiblement de celui de B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 287, qui proposait une autre division : «The created world differs from the uncreated because of the presence and absence of (1) all order and sequence of time, both for sensible (chronos) and intelligible beings (aiôn) (pars. 361–364) ; (2) all measure and limits (pars. 365–369) ; the diastêma (pars. 370–375). This principle is

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Eun. I 362–366 Considérations temporelles Eun. I 362–364 Absence ou présence d’intervalles temporels dans les natures incréée /créée Réflexions métaphysiques et épistémologiques

Eun. I 365–366 Grégoire n’énonce que des opinions communes

Eun. I 366–372 Considérations plus générales sur la notion de limite Eun. I 366–369 Eun. I 370–372 Limites ou absence de limites pour les Grégoire n’énonce que des opinions natures incréée /créée communes Réflexions métaphysiques et épistémologiques Eun. I 373 Considérations plus générales sur la notion de substance Caractéristique de la substance incréée Réflexions métaphysiques et épistémologiques Eun. I 374–375 Conclusion La nature divine est étrangère au presb‘teron et au Çn∏teron mais retient le kuriwtàtw

2.3.3 Enseignement de Eun. I 362–375 La mise au clair de la structure de Eun. I 362–375 permet maintenant d’en étudier plus sûrement l’enseignement. Seuls les aspects métaphysiques vont être présentés ici dans le détail ; les considérations épistémologiques seront développées dans un autre paragraphe 116. Grégoire aborde les différences entre nature créée et nature incréée en trois parties. Parmi celles-ci, la seconde (Eun. I 366–372) apparaît non seulement la plus longue, mais surtout la plus riche et la plus importante. En effet, Grégoire y développe les caractéristiques métaphysiques des éléments créés en général, alors qu’il limite auparavant ses réflexions aux aspects temporels et souligne ensuite uniquement la différence kat+ oŒs–an du créé avec l’incréé. Ces paragraphes de Eun. I 366–372 vont donc servir de fil directeur aux développements suivants, complétés le cas échéant par les réflexions des deux autres parties 117. then employed to explain the lack of created limits in the uncreated triad (pars. 376–379) ». Le plan proposé par B. Barmann, s’il a le mérite de bien mettre en évidence le caractère progressif des réflexions de Grégoire, amène cependant les remarques suivantes : il ne met pas en évidence les parallèles entre les différentes parties de ce raisonnement ; par ailleurs, Eun. I 365–366 est consacré avant tout à des questions temporelles et non à des questions plus générales de mesures et limites ; Eun. I 370–372 répond à Eun. I 366–369 et peut en être difficilement séparé ; enfin, le nom donné à Eun. I 370–375 est malheureux (the diastêma), puisque le terme diàsthma n’y apparaît pas une seule fois. 116 Cf. infra partie III, chapitre II, 3.5 Remise en cause de la connaissance de la substance divine, p. 295s. 117 Sur ces réflexions de Grégoire, cf. B. Barmann, The Cappodician Triumph, p. 282–306 ; pour une étude plus systématique de la distinction créé/incréé, caractérisée en particulier par la présence ou l’absence de diastêma,

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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Selon Grégoire, la caractéristique principale des êtres créés consiste à être déterminés par des mesures propres ( d–oic mËtroic), conformément à ce qui a plu à la sagesse du Créateur (katÄ t‰ ÇrËsan t¨ sof–¯ to‹ kt–santoc), qui détermine pour chacun sa définition propre (“dioc lÏgoc) 118. Dès lors, la nature de ce qui est venu à l’existence (ô t¿n gegonÏtwn f‘sic) apparaît comme embrassée par la puissance divine efficiente (ô poihtikò d‘namic) et cette délimitation est fondamentale pour Grégoire, qui multiplie les termes pour l’exprimer : la nature créée est circonscrite, embrassée, limitée, située à l’intérieur de limites 119. Ces mesures de la créature, que celle-ci soit sensible ou intelligible, consistent concrètement en ses qualités, propriétés, place en un temps donné et, finalement, en ce qu’elle est elle-même, sa forme (e⁄doc) 120. Grégoire illustre cette délimitation, intrinsèque à la créature, par une image qu’il présente connue de tous 121, celle de l’espace récepteur (ou réceptacle, q∏rhma dektikÏn) 122, préalablement jeté comme fondement par Dieu (prokataballÏmenoc) et dans lequel chaque être créé est contenu. Assurément, ce q∏rhma dektikÏn doit être compris non comme une entité préexistante mais concomitante à la création elle-même : tout ce qui advient par création (ti t¿n diÄ kt–sewc gegonÏtwn) se trouve nécessairement dans un lieu ou dans le temps (£ ‚n tÏp˙ £ ‚n qrÏn˙). Même si Grégoire n’emploie pas le terme ici, il semble possible de dire que tout être créé est caractérisé par un diastêma (diàsthma), un intervalle ou espacement mesuré, selon la taille pour les réalités sensibles (chaque corps occupe un volume déterminé), selon le bien pour les réalités intelligibles (chaque intelligible ne possède le bien que de façon limitée), selon la définition de leur nature pour toutes les créatures (e⁄doc déterminé). Le diastêma est une caractéristique métaphysique qui traverse l’être créé et en est inséparable 123. Ce fait appelle une première remarque. Grégoire établit un rapport entre la créature et la puissance créatrice qui n’est pas sans rappeler celui qu’Eunome établissait dans le cf. P. Dandelot, La Doctrine du «Diastêma » chez Saint Grégoire de Nysse ; plus brèves, mais très suggestives, sont les réflexions de H. von Balthasar, Présence et Pensée, p. 1–10 ; pour les rapports avec la philosophie, et en particulier avec les réflexions de Plotin, cf. T.-P. Verghese, « Diàsthma and diàstasic in Gregory of Nyssa » ; plus récemment, sur le lien entre les réflexions métaphysiques de Grégoire et sa mystique, cf. A. Levy, «Aux Confins du Créé et de l’Incréé : les Dimensions de l’Épectase chez Grégoire de Nysse », ainsi que le résumé très condensé de S. Douglass, «Diastêma. Diàsthma ». 118 Cf. Eun. I 374 : les éléments créés reçoivent (‚pidËqesjai) de la nature incréée une définition propre explicative de leur nature (parastatik‰n t®c f‘sewc). 119 Cf. tous les termes exprimant la limite, ou le fait d’être contenu, uniquement en Eun. I 366–367 : ‚mperige-

grammËna, ‚mperie–lhptai, t‰ peperat¿sjai, ‚nt‰c e⁄nai t¿n t®c kt–sewc Ìrwn, ‚n ·aut¨ perigràfousa, t‰ periËqon, ‚nt‰c ·aut®c. En Eun. I 366, Grégoire rejette pour la divinité, et donc applique implicitement à toute créature, un diastêma (donc une mesure) qui traverse (t‰ diametro‹n) la réalité. 120 Cf. Eun. I 369, où Grégoire, qui rejette ces éléments à propos de la nature incréée, les sous-entend donc pour

chaque membre de la création : forme (e⁄doc), lieu (tÏpoc), taille (mËgejoc), mesure du temps (t‰ ‚k to‹ qrÏnou mËtron) ; cf. aussi Eun. 370 (toute réalité créée est dans un lieu ou temps donné). 121 Sur les antécédents philosophiques sous-entendus ici par Grégoire, cf. infra notes 134–141, p. 256. 122 L’expression

q∏rhma dektikÏn est rare chez Grégoire et ne se trouve autrement qu’en An. et res. (68B : les régions souterraines sont pour certains réceptacle des âmes) ; (105A : dans le sens où les âmes sont le réceptacle des biens : q∏rhma dektik‰n Çgaj¿n). Le terme q∏rhma n’apparaît sinon que deux autres fois dans tout le Eun., en Eun. II 121 pour désigner l’étendue du monde (t‰ q∏rhma to‹ kÏsmou) et en Eun. II 578 comme une des caractéristiques des réalités humainement connaissables (qui doivent fournir la notion d’étendue spatiale : topiko‹ qwr†matoc parËqein tòn Ínnoian). 123 Si Grégoire ne le dit pas explicitement ici, il le fait cependant en Eccl. VII (412, 14) : « t‰ d‡ diàsthma oŒd‡n ällo £ kt–sic ‚st–n. » Cf. le commentaire de J. Daniélou, L’Être et le Temps, p. 109 : «C’est en effet la condition de la créature. Ces limites sont ce qu’il [Grégoire] appelle l’espacement, le diàsthma. Dieu seul transcende cet espacement ; mais ‹l’espacement est la création elle-même › ».

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

fragment 1 entre toute œuvre et son activité réalisatrice : toute créature selon Grégoire est mesurée par la nature incréée, de même que toute œuvre était selon Eunome mesurée par son activité productrice 124. Cependant, les conclusions qu’en tirent les deux auteurs divergent foncièrement ; effectivement, alors qu’Eunome en déduisait la corrélation stricte activité-œuvre, Grégoire oppose au contraire toute créature mesurée et limitée à la nature incréée, qui, elle, ne saurait jamais être limitée. Ainsi, le point central de l’argumentation du Cappadocien ne consiste pas en une corrélation créature /puissance créatrice, mais dans le fait que toute réalité mesurée est obligatoirement créature, affirmation dont il sera possible de voir les conséquences ultérieurement 125. Un second aspect caractérise essentiellement les créatures selon Grégoire : l’écoulement du temps (qronikò Çkolouj–a). Effectivement, tout être créé advient non seulement en un temps donné, mais se voit lui-même traversé par l’écoulement du temps ; la première partie de l’argumentation de Grégoire (Eun. I 362–366) s’avère sur ce point la plus explicite. Toute la création (ô kt–sic pêsa) est advenue selon un enchaînement ordonné (katà tina tàxewc Çkolouj–an gegenhmËnh) et se voit donc mesurée par l’intervalle des siècles (tƒ t¿n a ∏nwn diast†mati parametreÿtai). L’espace récepteur évoqué plus haut trouverait ainsi ses limites temporelles, au sein desquelles progresseraient avec ordre les êtres créés 126. Cet enchaînement correspond au second aspect de l’acte créateur examiné plus haut, étudié non pas du point de vue divin, selon son aspect global et instantané, mais du point de vue de la création et de son développement au fil du temps 127. C’est ainsi qu’il est possible de parler pour toute créature non seulement de commencement, milieu et fin, ou d’espoir et de souvenir 128, mais aussi d’évolution vers son achèvement, vers son but propre (‚p» t‰n “dion skopÏn) 129. Grégoire joint ainsi à la conception plutôt statique de la créature, évoquée précédemment par les termes de mesures et limites, une conception plus dynamique, la créature apparaissant traversée par le temps et ouverte au changement 130. Le diastêma, qui caractérise métaphysique-

124 Eunome affirmait dans le fragment 1 que «les activités sont délimitées (sumperigrafomËnwn) par les œuvres,

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et les œuvres sont mesurées (parametroumËnwn) par les activités de ce qui a agi » ; de même pour Grégoire, la puissance efficiente des êtres circonscrit (perigràfousa) la nature de ce qui est venu à l’existence en elle, et toute la création est mesurée (parametreÿtai) par l’intervalle des siècles [les parallélismes entre les mots sont soulignés]. Cf. infra partie III, chapitre II, 3.2.1 L’exclusion d’être intermédiaire entre Dieu et la création, p. 266. Cf. Eun. I 365 : « ô d‡ kt–sic ÇpÏ tinoc ÂmologoumËnhc pàntwc Çrq®c ‚p» t‰n “dion skop‰n diÄ t¿n qronik¿n diasthmàtwn Âde‘ousa fËretai (la création, elle, à partir d’un commencement communément admis, est portée à son propre but en cheminant par des intervalles temporels) ». Cf. supra partie III, chapitre II, 2.2.1 La nature incréée comme principe d’être : la création considérée du côté de la créature, p. 245–246. Sur cette notion cosmologique d’enchaînement (Çkolouj–a), cf. J. Daniélou, L’Être et le Temps, p. 24–30, qui souligne ce sens particulier de l’Çkolouj–a pour Grégoire : «C’est là où l’akolouthia prend chez Grégoire une signification déterminée : elle exprime une finalité progressive et non un simple cycle. » (p. 26) Sur la notion de temps chez les Cappadociens et spécialement chez Grégoire de Nysse, cf. B. Otis, «Gregory of Nyssa and the Cappadocian Conception of Time ». Cf. Eun. I 365, citant Sg 7, 18 : « Çrqòn ka» tËloc ka» mesÏthta » ; Eun. I 372 : « ta‹ta gÄr “dia t¿n ‚n t¨ kt–sei tÄ pàjh, pr‰c ‚lp–da ka» mn†mhn katÄ tòn to‹ qrÏnou dia–resin t®c zw®c sqizomËnhc (Ce sont en effet des états propres à ce qui est dans la création, la vie se partageant en espoir et en souvenir selon la division du temps) ». Cette constatation métaphysique du caractère évolutif inhérent à la créature ouvre sur toute la mystique de Grégoire et sa doctrine du progrès continuel, cf. H. von Balthasar, Présence et Pensée, p. 10–11. Cette mutabilité de la créature s’enracine dans le changement fondamental originel du passage du non-être à l’être, comme il a été vu, cf. supra partie III, chapitre II, 2.2.1 La nature incréée comme principe d’être : la création comme passage à l’être, p. 241–242.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

255

ment la créature, apparaît ainsi non seulement comme sa détermination, mais aussi comme l’espace laissé à son développement. Ces précisions métaphysiques sur la créature permettent alors à Grégoire de mettre en valeur, comme en négatif, tout ce qui distingue la nature incréée de la nature créée. En effet, si le propre des créatures est de se voir embrassées et circonscrites par la puissance efficiente de tous les êtres, la nature incréée au contraire n’a rien qui la contienne (t‰ periËqon oŒk Íqei) et échappe ainsi à toute détermination, à toute limite : pas de forme, ni de lieu, ni de taille, ni de mesure du temps, ni quoi que ce soit de saisissable pour les réalités qui transcendent les siècles 131. De même, la nature incréée apparaît en dehors de tout écoulement temporel, de cette succession des siècles caractéristique des éléments créés et qui ne peut atteindre la nature transcendante : celle-ci en effet n’est pas dans le temps, mais le temps est à partir d’elle (oŒ gÄr ‚ke–nh ‚n qrÏn˙, Çll+ ‚x ‚ke–nhc  qrÏnoc). Grégoire exclut donc tout passé et avenir (t‰ par˙qhk‰c ka» t‰ prosdok∏menon), tout plus ancien et plus jeune (t‰ presb‘teron ka» t‰ ne∏teron) pour la nature incréée, qui surplombe d’une certaine manière l’espacement des siècles, comme Grégoire le résume en une formule bien frappée : pour cette puissance éminente et bienheureuse, tout est toujours dans l’instant également présent. 132

Grégoire souligne principalement les conséquences de cette distinction ontologique radicale ktistÏn/äktiston dans la conclusion de son argumentation (Eun. I 374–375). La créature, parce que créature, est séparée de comparaison et de communauté (sugkr–se∏c te ka» koinwn–ac) avec la nature incréée et toute réalité créée aura une définition de sa nature qui n’a rien de commun avec celui dont elle est venue (oŒd‡n ‚pikoinwno‹nta tƒ ‚x o› gËgonen). L’examen des paragraphes de Eun. I 362–375 permet de mettre en évidence les multiples distinctions entre la nature créée et la nature incréée. Alors que les réalités créées se caractérisent par leurs mesures, leurs limites, leurs définitions propres, qu’elles sont sujettes à l’écoulement du temps et susceptibles de changement, alors que l’univers est lui-même comme étiré dans l’intervalle des siècles et composé harmonieusement de la multiplicité des créatures, la nature incréée apparaît au contraire en dehors de tout espacement, de tout intervalle, de toute mesure, au-delà du temps et de toute évolution, sans composition ni division ou partage, mais parfaitement une dans la simplicité de sa nature. Cette opposition peut être ramassée dans un seul concept, celui de diàsthma, qui exprime la distinction métaphysique ktistÏn/äktiston : la nature créée «diastématique » se distingue fondamentalement de la nature incréée adiastématique (Çdiàstatoc) 133. Un dernier point mérite d’être examiné. Grégoire souligne à plusieurs reprises au cours de ses explications le caractère non original de ses affirmations, à propos spécialement de l’espace récepteur (q∏rhma dektikÏn) : ce qu’il dit est clair (saf†c), connu (gn∏rimon).

131 Cf. Eun. I 369 : « ‚n 132

oŸc gÄr oŒk e⁄doc, oŒ tÏpoc, oŒ mËgejoc, oŒ t‰ ‚k to‹ qrÏnou mËtron oŒd‡ ällo ti t¿n katalhpt¿n ‚pinoeÿtai ». Eun. I 372 : « pànta katÄ t‰ ‚nest‰c Çe» pàrestin ‚p–shc ».

133 Grégoire le répète souvent, cf. Eun. I 176. 360 (Grégoire évoque le contraire en tant qu’hypothèse absurde).

361. 363. 379. 381 etc.

256

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Cette image de l’espace récepteur oriente aussitôt l’attention vers le Timée de Platon et la définition du troisième genre comme espace (t‰ t®c q∏rac) qui fournit un emplacement à tout ce qui naît 134 ; cette image du réceptacle, toujours reprise dans le platonisme impérial 135, n’est pas non plus sans parallèles avec certaines formulations stoïciennes 136. Cependant, les affirmations de Grégoire ne se limitent pas à cet aspect «local », mais s’élargissent sur le temps, présenté comme caractéristique ontologique des créatures. Ces réflexions du Cappadocien semblent relever cette fois plus directement des spéculations néo-platoniciennes 137 et Grégoire substituerait ici aux définitions du temps d’Aristote (le temps comme mesure du mouvement) 138 et des stoïciens (le temps comme intervalle du mouvement du monde) 139 les positions de Plotin sur le temps comme réalité ontologique renfermant le monde sensible 140. Mais si Grégoire semble donc faire allusion à un donné philosophique connu et en utilise même les termes (q∏rhma, diàsthma), il assume et transforme tout à la fois ce présupposé philosophique pour l’adapter au milieu chrétien : la matière indéterminée du moyen platonisme et du stoïcisme disparaît en faveur des notions de q∏rhma/diàsthma non préexistantes mais coexistantes aux réalités, sauvegardant ainsi la notion de création ex nihilo chrétienne ; par ailleurs, le temps ontologique plotinien se voit épuré de toutes les considérations sur l’âme du monde, pour se limiter à une caractéristique métaphysique intrinsèque des créatures 141. Cette dernière remarque conclut les longs développements précédents sur les caractéristiques métaphysiques de la distinction ktistÏn/äktiston énoncée par Grégoire dans son échelle des êtres (Eun. I 270–271). Ces précisions sur la place de cette distinction dans l’échelle des êtres de Grégoire, sur les relations ainsi que les distinctions entre nature créée et nature incréée, semblent particulièrement importantes, dans la mesure où elles permettent de mieux saisir tout ce que Grégoire présuppose lorsqu’il évoque le monde des créatures et celui de la nature incréée. Ce sont les conséquences de ces 134 Cf. Platon, Tim. 52a : «

tr–ton d‡ afi gËnoc Ôn t‰ t®c q∏rac Çe–, fjorÄn oŒ prosdeqÏmenon, Èndran d‡ parËqon

Ìsa Íqei gËnesin pêsin ». 135 Cf. Alcinoos, didask. VIII 162 (19, 31) et surtout Plutarque, qui définit la matière primordiale uniquement

136

137

138 139 140 141

comme grandeur et diastêma : Plutarque, an. procr. 1014e 4–6 : « ka» gÄr t‰ pandeq‡c ka» Õlik‰n ‚keÿno mËgejoc m‡n ‚kËkthto ka» diàsthma ka» q∏ran, kàllouc d‡ ka» morf®c ka» sqhmàtwn metriÏthtoc ‚nde¿c e⁄qen » ; cf. aussi Syrianus, in Metaph. comm. (29, 2–11), qui définit pour les réalités matérielles la qualité commune (t‰ koin¿c poiÏn) comme espace (q∏ra) et soubassement (Õpodoq†) des qualités particulières (t‰  d–wc poiÏn). Cf. Chrysippe, SVF II 505 : « q∏ran d‡ fasin e⁄nai diàsthma katÄ mËn ti kateqÏmenon Õp‰ s∏matoc katÄ d‡ ti Çkajekto‘menon. » Cf. aussi SVF II 311. II 320. II 326. Sur la notion de réceptacle dans le stoïcisme, cf. M. Pohlenz, Die Stoa, p. 65, et sur les parallèles avec le platonisme moyen, en particulier Plutarque, cf. Ch. Köckert, Christliche Kosmologie, p. 22–23. Selon B. Barmann, The Cappadocian Triumph, p. 368–369, la notion de q∏rhma dektikÏn serait un témoin de l’influence stocienne sur Grégoire, le diastêma devant être compris comme un substrat qui précéderait la création de toute créature et auquel s’ajouteraient les propriétés pour donner l’être concret. Les réflexions précédentes sur le diastêma, présenté par Grégoire comme mesure de toute réalité créée, invitent à nuancer ces conclusions. Sur cet aspect temporel du diastêma, cf. la longue remarque de H. von Balthasar, Présence et Pensée, note 1, p. 6, qui distingue les conceptions aristotéliciennes, stoïciennes et finalement néo-platoniciennes du temps, et relève dans ces dernières les rapprochements et différences avec les affirmations de Grégoire. Cf. Aristote, Phys. IV 11, 219b 2 : « Çrijm‰c kin†sewc katÄ t‰ prÏteron ka» ’steron. » Selon Chrysippe du moins, cf. SVF II 510 : « diàsthma t®c to‹ kÏsmou kin†sewc ». Cf. Plotin, Enn. III 7, 11 sur l’âme du monde qui renferme dans le temps tout le développement du monde : « tÄc to‘tou diexÏdouc Åpàsac ‚n aŒtƒ perilabo‹sa ». Sur ces différences avec Plotin, cf. T.-P. Verghese, « Diàsthma and diàstasic in Gregory of Nyssa », p. 246– 248.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

257

fondements métaphysiques pour la querelle trinitaire qu’il importe maintenant de préciser. 3 Le rôle de la distinction ktistÏn/äktiston pour la controverse trinitaire 3.1 La mise en œuvre immédiate : le rejet de la subordination du Fils et de l’Esprit Il a été vu précédemment que l’échelle des êtres de Grégoire se situe dans un contexte précis du Eun. I, à savoir la remise en cause de la notion de diminution appliquée au Fils et à l’Esprit par Eunome 142. L’échelle ontologique que dresse Grégoire lui fournit alors le cadre nécessaire pour mettre à l’épreuve la déclaration de son adversaire, car si la notion de plus ou moins entre le Père, le Fils et l’Esprit énoncée par Eunome est vraie, cette affirmation doit s’intégrer dans le système ontologique proposé, c’est-à-dire répondre au moins à l’un des deux critères de distinctions subordonnantes énoncés par le Cappadocien, celui valable pour les sensibles (selon leurs propriétés corporelles) et celui valable pour les intelligibles créés (selon leur participation au premier bien) ; Grégoire écarte rapidement un plus ou moins selon la substance elle-même comme inacceptable philosophiquement. La démonstration suivie ici par le Cappadocien (Eun. I 283–293) constitue ainsi la première mise en œuvre directe de son ontologie scalaire pour remettre en cause celle proposée par son adversaire 143. Le plan de l’argumentation a déjà été précisé plus haut 144 et peut être rappelé ici : Eun. I 283–291 : première hypothèse : plus ou moins selon les intelligibles créés ; Eun. I 284–286 : cela entraîne que Fils et Esprit ne peuvent être appelés «Bien » . . . Eun. I 286–291 : . . . ce qui supprime le Salut ; Eun. I 292–293 : deuxième hypothèse : plus ou moins selon les sensibles. Grégoire ne s’attarde pas sur la seconde hypothèse (plus ou moins selon les sensibles) et ne présente que deux conséquences de cette considération absurde 145 ; traiter cette hypothèse corporelle en dernier lieu dépend sans doute de son caractère aberrant et donc facile à réfuter, mais relève peut-être aussi d’une intention polémique, qui vise à terminer toute la démonstration par ce que la position d’Eunome peut entraîner de plus absurde. 142 Cf. supra partie III, chapitre II, 1.1.1 Examen du contexte immédiat, p. 227–228. 143 On se rappelle le plan de ce ch. XXII, qui peut être divisé en deux parties principales : présentation de l’échelle

des êtres (Eun. I 270–281) et mise en œuvre des principes énoncés (Eun. I 282–293). 144 Cf. supra partie III, chapitre II, 1.2.1 Structure du chapitre XXII, p. 232. 145 L’hypothèse est traitée en Eun I 292 et Grégoire souligne justement que «le côté absurde du raisonnement

se reconnaît de lui-même (aŒtÏjen Âmologeÿtai to‹ lÏgou t‰ ätopon) ». Comme Grégoire l’explique aussitôt après, une conception corporelle oblige d’envisager à propos de la nature divine tout ce par quoi la notion de corps est complète, c’est-à-dire dimension, poids, forme, et la notion de corps implique la notion de composé et donc de dissolution, ce qui n’a pas de sens pour la nature divine, cf. Eun. I 292 : « Çnàgkh gÄr pêsa

poiÏthtàc tinac ka» diastàseic Ógkouc te ka» sq†mata ka» pànta di+ ¡n sumplhro‹tai  to‹ s∏matoc lÏgoc, taÿc Õpono–aic ta‘taic ka» ‚p» t®c je–ac f‘sewc suneisàgesjai. Ìpou d‡ t‰ s‘njeton lËgetai, pàntwc ‚keÿ sunomologeÿtai ka» ô to‹ sunjËtou diàlusic. (Car de toute nécessité, certaines qualités et dimensions, poids, formes et tout ce par quoi la notion de corps est complète, sont introduits avec ces suppositions aussi à propos de la nature divine. Et là où on parle de composé, obligatoirement reconnaît-on là aussi la dissolution du composé.) »

258

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

En fait, le nœud de la démonstration de Grégoire réside dans la première hypothèse, celle d’un plus ou moins selon les intelligibles créés ; la démonstration du Cappadocien est particulièrement soignée et doit être suivie de près. 3.1.1 Le plus ou moins entraîne que Fils et Esprit ne peuvent être appelés «Bien » Selon Grégoire, la notion de plus ou moins selon le bien (ou en vertu : ‚pitàsei d‡ ka» ÕfËsei t®c Çret®c) implique que la réalité se situe à la «frontière du bien et de son contraire » 146 et une telle affirmation au sujet du Fils ou de l’Esprit est pour Grégoire la dernière des impiétés (t®c ‚sqàthc Çsebe–ac ‚st–n). Grégoire en avait déjà donné une raison en Eun I 169, rappelant que «la nature divine et immuable ne peut admettre le mal » (Çnep–dektÏc ‚sti to‹ qe–ronoc ô je–a te ka» Çnallo–wtoc f‘sic). Pourtant, il engage ici une démonstration beaucoup plus développée, structurée selon un schéma A-B-A, où A présente les fondements philosophiques (Eun. I 284. 286) et B les conséquences théologiques (Eun. I 285) 147. Ainsi (A), celui qui affirme le plus ou moins en vertu doit distinguer entre ce qu’est la réalité selon sa notion propre et ce qu’elle devient par participation du bien et du mal 148. Pour illustrer sa pensée, le Cappadocien prend l’exemple du fer passé au feu : C’est ce qui arrive par exemple au fer : passé un certain temps au feu, il revêt la qualité de la chaleur, tout en continuant d’être du fer, mais s’il vient à se trouver dans de la neige ou de la glace, il change la qualité pour ce qui l’emporte, ayant reçu le froid de la neige en ses propres parties. 149

Cet exemple du feu, fréquent dans l’enseignement stoïcien 150, est employé aussi par Basile dans un contexte assez analogue à celui étudié ici 151 ; cependant, Grégoire développe plus que son frère la distinction qu’il faut établir entre la réalité qui participe et celle participée, et en tire finalement la conclusion (B) que l’appellation de «Bien » ne convient plus au Fils et à l’Esprit, puisque cette qualité leur reste extérieure et non essentielle : Ainsi, si on concédait, selon le raisonnement des impies à propos de la puissance vivificatrice, que le bien n’existe pas en elle substantiellement, mais survient par participation, on ne la nommerait plus proprement 146 Eun. I 283 : « ‚n

mejor–˙ kalo‹ te ka» to‹ ‚nant–ou » ; sur la notion de frontière, cf. J. Daniélou, L’Être et le Temps, ch. VI : Frontière, p. 116–132. 147 Cf. supra partie III, chapitre II, 1.2.1 Structure du chapitre XXII, p. 232. 148 Cf. Eun. I 284 : « ällo gàr ti e⁄nai aŒtòn katÄ t‰n “dion lÏgon ka» ällo ti g–nesjai t¨ metous–¯ to‹ kalo‹ ka» to‹ qe–ronoc  ta‹ta lËgwn kataskeuàsei.(Car celui qui dit cela [le plus ou moins en vertu] établira qu’elle est une chose selon sa notion propre et qu’elle devient autre chose par participation du bien et du mal.) » Ce thème de la participation était déjà combattu par Athanase, Ar. I 5 ;I 9 ; I 16 ; I 28. En Ar. I 16, 1, Athanase présente la génération du Fils, paradoxalement, comme une participation totale (t‰ gÄr Ìlwc metËqesjai t‰n je‰n “son ‚st» lËgein Ìti ka» gennî), dans le sens d’une communication totale de la divinité ; une telle approche disparaît complètement chez Grégoire. 149 Eun. I 284 : « oŸon ‚p» to‹ sid†rou sumba–nei, Ác ‚p» plËon m‡n to‹ pur‰c kajomil†sac tòn poiÏthta to‹ jermo‹ Õpod‘etai, mËnwn ‚n tƒ s–dhroc e⁄nai, e  d‡ ‚n qiÏni gËnoito £ krustàll˙, metabàllei pr‰c t‰ ‚pikrato‹n tòn poiÏthta, t‰ yuqr‰n t®c qiÏnoc toÿc  d–oic mor–oic Çnadexàmenoc. »

150 Cf. les références indiquées par W. Jaeger in GNO I ad loc. («celeberrimum exemplum »), avec renvoi à SVF

II 153. II 155. II 156. 151 Cf. Basile, adv. Eun. III 2 (152, 34–154, 41). Basile introduit cet exemple du fer juste après la distinction qu’il

vient de faire entre la divinité et la création et pour prouver que l’Esprit est saint par nature. Basile utilise le même exemple du feu en Spir. XXVI 63, mais dans un contexte un peu différent (l’existence du Saint Esprit est étroitement liée au Père et au Fils, comme la chaleur est liée au feu).

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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de la dénomination de bien, mais une telle conception imposerait de penser quelque chose d’autre, de sorte que le bien ne soit considéré ni continuellement en elle ni que soit perçu ce qui est dans la nature du bien, mais que tantôt le bien n’est pas en elle, tantôt il ne le sera plus. 152

Comme il est possible de le constater, cette première partie de l’argumentation de Grégoire repose sur la notion de participation, et le jeu d’opposition entre participant et participé permet à Grégoire d’arriver à sa conclusion. Les termes metous–a, metoq†, metËqein, metalambànein reviennent très fréquemment dans tout ce chapitre XXII et particulièrement dans cette partie justificative de Eun I 284–291 153. Par ailleurs, Grégoire relève plusieurs fois au long de ces paragraphes l’opposition ällo ti . . . ällo ti 154 pour bien souligner la différence entre le participant et le participé, qui ne peuvent être confondus : si la réalité participée possède la qualité essentiellement, celle qui participe ne la possède au contraire que de façon contingente 155. Enfin, le choix des verbes employés par Grégoire se révèle particulièrement révélateur, puisque ceux-ci mettent bien en évidence le caractère extérieur de la qualité participée : celle-ci n’existe pas dans le participant selon la substance (mò kat+ oŒs–an ‚nupàrqein) 156, mais elle lui est simplement adjointe (prosg–nesjai), il en est verni (‚peqr∏sjh) 157 comme le fer revêt (Õpod‘etai) 158 la qualité de la chaleur. Cette qualité n’est donc pas considérée dans le sujet (‚njewreÿsjai) mais autour du sujet (‚pijewroumËnhc). Cette insistance sur la notion de participation complète ainsi les réflexions que Grégoire présentait en Eun. I 273–275 sur la nature incréée source de tout bien ; de même qu’il a été alors possible de discerner l’influence platonicienne sur la présentation de Grégoire, de même ses positions sur la participation se révèlent-elles toujours dépendantes des conceptions de l’Académie. La notion de participation était effectivement solidement ancrée dans l’enseignement de Platon 159, au centre duquel se trouvent les 152 Eun. I 285 : « o’twc

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e  doje–h katÄ t‰n t¿n Çseb¿n lÏgon ‚p» t®c zwopoio‹ dunàmewc mò kat+ oŒs–an ‚nupàrqein aŒt¨ t‰ ÇgajÏn, Çll+ ‚k metous–ac prosg–nesjai, oŒkËti ‚k t®c to‹ Çgajo‹ proshgor–ac kur–wc Ênomasj†setai, Çllà ti Èteron ‚nnoeÿn ô toia‘th ÕpÏlhyic Çnagkàsei, ±c m†te Çd–wc aŒt¨ t‰ Çgaj‰n ‚njewreÿsjai m†te aŒt‰ Ìper ‚st»n ‚n t¨ to‹ Çgajo‹ f‘sei katalambànesjai, Çll+ ±c ka» pot‡ mò Ôn ‚n aŒt¨ t‰ Çgaj‰n ka» pot‡ mò ‚sÏmenon. » metous–a revient sept fois : Eun. I 274. 284. 285. 286. 287. 291 (deux fois) ; metoq† : Eun. I 276 ; metËqein : Eun. I 274. 286. 291 ; metalambànein : Eun. I 274 ; sur metoq† comme nom abstrait formé sur metËqein, cf. H. Hanse,

«Gott Haben » in der Antike und im frühen Christentum, note 2, p. 67. Il est possible de rajouter à cette liste parous–a, Eun I 286, qui exprime lui aussi l’idée de participation. Sur ce rôle de la participation dans cette partie du Eun. I, cf. D. Balás, METOUSIA JEOU, p. 54–63. Cf. Eun. I 284 et 286 et, dans un sens identique, Eun. I 285 : « ti Èteron ». Dans un même sens, Grégoire souligne que le participant a sa notion propre, cf. Eun. I 284 : « t‰n “dion lÏgon ». Cf. Eun. I 285 : « pot‡ mò Ôn ‚n aŒt¨ t‰ Çgaj‰n ka» pot‡ mò ‚sÏmenon. (tantôt le bien n’est pas en elle, tantôt il ne le sera plus.) » ‚nupàrqw : il est intéressant de remarquer que ce même verbe est utilisé par Basile, Spir. XXVI 63 (472, 10– 474, 11) dans un sens opposé à celui de Grégoire, puisqu’il désigne pour Basile la qualité présente dans le sujet qui participe, contrairement au verbe sunupàrqw qui désigne la qualité présente essentiellement : « Tòn gÄr jermÏthta tƒ m‡n puraktwjËnti sid†r˙ ‚nupàrqein famËn; aŒtƒ d‡ tƒ pur» sunupàrqein. » ; de même Basile, adv. Eun. III 3 (156, 19), III 5 (164, 25). ‚piqr∏nnumi. Grégoire n’emploie pas ailleurs ce verbe, ni dans le Eun. ni dans ses autres œuvres, selon un sens philosophique comme ici pour illustrer la participation ; dans un sens non philosophique, cf. Cant. VI (28, 11) ; Diem lum. (238, 17) ; Eccl. III (322, 5) ; Theod. (63, 5). Õpod‘w. Le terme apparaît deux autres fois en Eun. I 108 (Judas revêt un air amical et familier : « f–lon ka» pros†goron sq®ma ÕpoduÏmenoc ») ; Eun. I 248 (le Fils selon Eunome ne ferait que revêtir l’intimité avec le Père : « tòn o keiÏthta to‹ patr‰c Õpod‘esjai »). Même si le terme metous–a est absent chez lui, cf. F. Astius, Lexicon platonicum, p. 327 (metous–a est absent) ; pour la notion de participation chez Platon et plus généralement dans la philosophie antique, cf. C. Fabro,

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Idées avec lesquelles étaient justement en relation les réalités singulières, idées qui participaient aussi entre elles ou d’une idée supérieure 160. Cette notion de participation se développe particulièrement dans le moyen et le néo-platonisme, dont les conceptions de plus en plus hiérarchisées de l’ordre du monde exigeaient l’explicitation des relations entre les niveaux plus ou moins élevés de la réalité 161. La participation, qui exprime le fait d’avoir quelque chose en commun (met-Íqein), laissait aussi entendre la distinction entre le participant et le participé, comme l’explique le développement de la seconde hypothèse du Parménide à propos de l’Un qui est : Autre est nécessairement son être, autre son propre soi, puisque l’Un n’est point être mais seulement Un, qui, comme tel, a été dit participer à l’être. 162

Ainsi, l’argumentation de Grégoire se révèle fidèle à toute une tradition philosophique et c’est sans grande surprise que le Cappadocien arrive à sa première conclusion : affirmer le plus ou moins bien à propos du Fils et de l’Esprit conduit à les considérer comme des réalités composées, qui ne possèdent pas le bien essentiellement. Cependant, il importe de souligner une légère différence entre la position de Grégoire et celle du platonisme. Effectivement, la participation au bien suppose pour Grégoire la distinction fondamentale entre le créé et l’incréé plutôt que la suggËneia ; contrairement à la tradition platonicienne, pour laquelle l’âme est essentiellement apparentée au divin, sort de lui 163, confine au divin 164, doit remonter vers lui et retourner vers une sorte d’état originel qu’elle a obscurci en se tournant vers les réalités matérielles 165, Grégoire insiste avant tout sur le «revêtement », le vernis d’une qualité divine reçue par la créature 166.

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La Nozione metafisica di Partecipazione, p. 39–122 (cf. spécialement p. 46–54 pour l’étude de Platon) ; H. Hanse, «Gott Haben » in der Antike und im frühen Christentum ; H. Merki, Epe» ofin t‰ « potË » oŒ pros–etai  pr‰ t¿n a ∏nwn katÄ t‰n äfraston lÏgon tƒ patr» sun∏n, gennht‰c m‡n ‚st–n, oŒ m†n pote to‹ e⁄nai ärqetai (Donc, puisque celui qui est uni au Père avant les siècles selon un mode ineffable n’admet pas le «un moment », il est engendré, mais ne commence pas d’être à un moment) ». 244 Cf. Arius, ep. Alex. 4 (13, 11–12) : « oŒd‡ âma tƒ patr» t‰ e⁄nai Íqei, πc tinec lËgousi tÄ prÏc ti ».

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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3.4 Absence de dissemblances et distinctions au sein de la nature incréée Les explications précédentes sur le rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans la controverse trinitaire ont été tirées principalement des paragraphes de réfutation des affirmations d’Eunome. Cette fois cependant, les principes sur l’unité et la distinction au sein de la nature incréée sont présentés sous leurs traits fondamentaux dans l’exposé doctrinal du chapitre XXII de Grégoire (Eun. I 276–281), hors des parties directement polémiques. Il importe donc de revenir une nouvelle fois sur ce chapitre XXII du Eun. I, pour préciser les orientations trinitaires du Cappadocien. Comme il a été vu 245, l’exposé doctrinal de Grégoire s’articule autour de deux thèmes majeurs : la mise en évidence de différentes catégories d’êtres (avec la distinction majeure ktistÏn/äktiston), puis l’examen d’un éventuel plus ou moins au sein de chacune des catégories déterminées. Grégoire souligne alors avec force que la nature incréée ne saurait admettre une quelconque distinction selon le plus ou moins, mais n’en exclut pas pour autant des distinctions possibles, qui ne remettent pas en cause sa simplicité 246 et demeurent sans plus ou moins (Eun. I 276–277). Grégoire insiste sur la transcendance incompréhensible (‚n Çkatal†pt˙ t¨ Õperoq¨) et la perfection ultime (‚n äkr¯ t¨ teleiÏthti) de la nature incréée, pour bien mettre en évidence le caractère singulier des différences qu’il va proposer : Considérée dans la perfection ultime et la transcendance incompréhensible, elle [la nature incréée] possède par les propriétés inhérentes à chacune des hypostases la différence sans confusion et distincte, possédant l’absence de dissemblances dans la communion selon l’incréé, et l’incommunicable dans les particularités des propriétés de chacun. 247

Grégoire poursuit alors en explicitant justement les propriétés de chacune des hypostases (Eun. I 278–281), mais il importe, avant d’aller plus loin, de s’arrêter sur ce texte, qui présente dans la nature incréée à la fois l’absence de dissemblances et la présence de distinctions incommunicables, le premier terme bannissant tout subordinatianisme et le second tout modalisme. 3.4.1 äktiston comme principe d’absence de dissemblances (Çparàllakton) La déclaration de Grégoire sur ce point est très concise : ‚n m‡n t¨ katÄ t‰ äktiston koinwn–¯ t‰ Çparàllakton Íqousa. Le sujet du participe Íqousa n’est pas directement évident et deux possibilités se présentent. La première serait de rapporter Íqousa au premier féminin rencontré en remontant le texte, à savoir la sainte Triade mentionnée en Eun. I 277 248, qui serait alors sujet des deux participes et du verbe au mode personnel qui suivent (jewroumËnh, Íqousa, Íqei). Cette solution demanderait alors de comprendre l’affirmation de Grégoire ainsi : la sainte Triade possède l’absence de dissemblances dans la communion selon l’incréé, et l’incommunicable dans les particularités des propriétés de chacun, ce qui apparaît au 245 Cf. supra partie III, chapitre II, 1.2.1. Structure du chapitre XXII, p. 230–234. 246 Cf. Eun. I 276 : « Çgajo‹ phgò Åpl® te ka» monoeidòc ka» Çs‘njetoc ka» Õp‰ t¿n

maqomËnwn ômÿn marturoumËnh.

(confessée source simple, uniforme et non composée du bien même par ceux qui nous combattent.) » 247 Eun. I 277 : « ‚n äkr¯ t¨ teleiÏthti ka» ‚n Çkatal†pt˙ t¨ Õperoq¨ jewroumËnh, toÿc ‚nupàrqousin ·kàst˘ t¿n

248

Õpostàsewn  di∏masin Çs‘gquton ka» diakekrimËnhn tòn diaforÄn Íqei, ‚n m‡n t¨ katÄ t‰ äktiston koinwn–¯ t‰ Çparàllakton Íqousa, ‚n d‡ toÿc ‚xairËtoic t¿n  diwmàtwn ·kàstou t‰ Çkoin∏nhton. » Cf. l’expression Ín tini t¿n ‚n t¨ Åg–¯ triàdi pepisteumËnwn (je souligne).

280

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

point de vue du sens très acceptable. La seconde possibilité serait de remonter beaucoup plus haut dans le texte et de considérer ô d‡ äktistoc f‘sic, au tout début du Eun. I 276, comme sujet de Íqousa. Une objection syntaxique pourrait s’opposer à une telle hypothèse, le sujet étant très loin du participe 249. Pourtant, l’examen des paragraphes de Eun. I 276–277 ne laisse guère de doutes et le participe Íqousa semble bien devoir être rapporté à la nature incréée. En effet, ô d‡ äktistoc f‘sic, au début de Eun. I 276, est sujet de tous les participes de ce paragraphe 250 et elle est encore sujet du premier verbe personnel de Eun. I 277 : Íqei. Or, la structure de Eun. I 277 est très claire : Grégoire explique que la nature incréée possède la différence non (oŒ) selon le plus ou moins comme le pense Eunome (suit une courte réflexion sur l’impiété de celui-ci), mais (Çll+) considérée dans la perfection ultime, et Grégoire de donner alors le principe de distinction. JewroumËnh, et donc aussi Íqousa, ont bien pour sujet ô d‡ äktistoc f‘sic. Dès lors, la formulation de Grégoire pourrait surprendre au premier abord, car on s’attendrait davantage à une explication centrée sur les hypostases : celles-ci posséderaient l’absence de dissemblances par leur communion dans l’incréé et l’incommunicable par leurs propriétés. Cependant, la mise au premier plan par Grégoire de la f‘sic äktistoc se comprend bien d’après le contexte, consacré à la question du plus ou moins dans chaque catégorie d’êtres ; après avoir étudié les sensibles et la nature intelligible créée 251, Grégoire se penche maintenant sur la nature intelligible incréée, laquelle occupe donc sans surprise la première place de ses déclarations. De toute façon, la notion de communion (koinwn–a), affirmée ici de la nature incréée, est reprise dans la suite du texte à propos des membres de la Triade 252 ou selon des formulations légèrement différentes, Grégoire évoquant la conjonction selon l’incréé (sunàfeia et les termes apparentés) 253, ou bien l’intimité (o keiÏthc) des membres de la Triade 254. Il en résulte que trois termes majeurs (koinwn–a, sunàfeia, o keiÏthc) fondent l’absence de dissemblances (Çparàllakton) dans la nature incréée au cours de ces réflexions trinitaires de Eun. I 276–281. Ces différents termes (koinwn–a, sunàfeia, o keiÏthc et Çparàllakton) demandent à être analysés séparément pour bien comprendre leur portée.

Koinwn–a. Le terme signifie fondamentalement communion, association 255. Il revient 17 fois dans le Eun. I 256 et peut être employé par Grégoire hors du contexte ktistÏn/äktiston 257. Dans le cadre de cette distinction, le sens qui retient avant tout l’attention du Cappadocien est celui de communauté naturelle, ou bien de communauté par partici249 17 lignes selon le GNO. 250

ô d‡ äktistoc f‘sic est sujet de Íqousa, deqomËnh, ofisa, nooumËnh, marturoumËnh.

251 Cf. Eun. I 273 : « >Ep» d‡ t®c noht®c f‘sewc, t®c ‚n t¨ kt–sei lËgw ». 252 Cf. Eun. I 279 : « ‚n tƒ Çkt–st˙ t®c f‘sewc tòn koinwn–an Íqon » ; Grégoire utilise aussi le terme apparenté

koinÏn, cf. Eun. I 278 : « to‹to ofin t‰ äktiston koin‰n aŒtƒ pr‰n t‰n u…Ïn ‚sti ka» t‰ pne‹ma t‰ Égion. » d‡ u…‰c katÄ t‰ äktiston tƒ patr» ka» tƒ pne‘mati sunaptÏmenoc » ; Eun. I 280 : « tƒ gÄr patr» katÄ t‰ äktiston sunaptÏmenon » ; id. : « t®c d‡ pr‰c t‰n u…‰n katÄ t‰ äktiston sunafe–ac ». Cf. Eun. I 281 : « di+ ¡n d‡ t®c kt–sewc Çf–statai, diÄ t¿n aŒt¿n to‘twn pr‰c t‰n patËra te ka» u…‰n Íqei tòn o keiÏthta. »

253 Cf. Eun. I 279 : « Â 254

255 Cf. LSJ, s.v. : communion, association, partnership. 256 Cf. Eun. I 80. 237. 274. 277. 279. 298. 306. 326. 328. 332. 374. 392. 445. 502. 511. 554. 559. 257 Koinwn–a peut signifier la mise en commun des labeurs lors des assemblées synodales de décembre 359 à

Constantinople, cf. Eun. I 80. Le même terme peut désigner la communion que des résultats pourraient avoir entre eux, cf. la réfutation de l’affirmation d’Eunome : «la même activité accomplit des œuvres identiques » ; Grégoire propose alors de comparer les résultats de l’unique activité manuelle et de voir «ce qu’il y a de commun entre les résultats (t–c ô koinwn–a t¿n Çpotelesmàtwn) », cf. Eun. I 392. Enfin, koinwn–a peut désigner la

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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pation : Grégoire peut ainsi souligner une certaine communauté entre les intelligibles créés et la divinité – communauté fondée sur un point commun naturel (le fait d’être invisible) 258, sur la participation dans le premier bien 259, ou sur l’incarnation du Fils pour ce qui concerne l’humanité 260 – mais Grégoire insiste surtout sur l’absence de communion entre la création et la nature incréée, du fait de leur différence de nature 261. En fait, Grégoire exprime avant tout par koinwn–a la communion entre les membres de la sainte Triade : communion du Fils avec le Père selon la nature et l’intention, qui permet d’affirmer leur unité 262 ; communion de l’Esprit avec le Père et le Fils dans le caractère incréé de sa nature 263, communion des trois selon la substance 264.

Sunàfeia. Le terme revient six fois dans le Eun. I 265 et son étude peut être complétée et précisée par celle des participes apparentés, sunaptÏmenoc et sunhmmËnoc (surtout

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communion que des noms entretiennent entre eux du fait de certaines de leurs significations équivalentes, cf. Eun. I 554. 559, où Grégoire s’oppose à l’affirmation d’Eunome : deux noms qui communient sur un point communient aussi en tout quant à leur signification (cf. Eun. I 559 : « t‰ katà ti koinwno‹n ka» diÄ pàntwn tòn katÄ t‰ shmainÏmenon koinwn–an Íqein »). Cf. Eun. I 306 : à cause de la communion dans l’invisible (diÄ tòn katÄ t‰ ÇÏraton koinwn–an) de l’Esprit et des intelligibles en général, certains pourraient placer l’Esprit parmi les réalités créées. Cf. Eun. I 274 : « pêsa d‡ pr‰c ‚keÿno nËneuken ô kt–sic, diÄ t®c koinwn–ac to‹ pr∏tou Çgajo‹ t®c Õyhl®c f‘sewc ‚faptomËnh te ka» metËqousa (toute la création tend vers celui-ci, reliée et participant de la nature supérieure par la communion dans le premier bien) ». Une telle communion par participation ne s’avère cependant pas spécialement forte, comme le révèle le vocabulaire même de Grégoire : le lien de la création avec le premier bien auquel elle participe et avec lequel elle communie est exprimé par Grégoire simplement par le verbe ‚fàptein, et non par sunàptein, qui souligne, lui, une connexion beaucoup plus étroite, cf. les explications sur sunàfeia. Le Verbe s’appelait fils de l’homme, du fait de sa communion selon la chair avec l’homme (tòn katÄ sàrka pr‰c t‰ Çnjr∏pinon koinwn–an), montrant la parenté naturelle de sa chair (tòn katÄ f‘sin . . .suggËneian) avec celle de laquelle il a été conçu : cf. Eun. I 298, qui est un des très rares passages du Eun. I où Grégoire fait mention de l’Incarnation du Verbe. Grégoire poursuit en soulignant que le Christ, en s’appelant fils de Dieu, montrait de même son intimité naturelle (t‰ katÄ tòn f‘sin o keÿon) avec le Père : le parallèle éclaire ainsi par contrecoup koinwn–a, pouvant exprimer pour Grégoire «l’intimité naturelle ». Grégoire, dans ses développements sur le diàsthma, insiste particulièrement sur les différences entre création et Créateur ; il peut ainsi affirmer en Eun. I 374 : « ô to–nun kt–sic diÄ t‰ mò t‰n aŒt‰n tƒ Çkt–st˙ lÏgon

Íqein aŒtƒ to‘t˙ t®c pr‰c t‰n pepoihkÏta sugkr–se∏c te ka» koinwn–ac qwr–zetai, t¨ katÄ tòn oŒs–an lËgw diaforî ka» tƒ “dion ‚f+ ·aut¨ t‰n parastatik‰n t®c f‘sewc ‚pidËqesjai lÏgon oŒd‡n ‚pikoinwno‹nta tƒ ‚x o› gËgonen. (La création donc, du fait de ne pas avoir la même définition que la nature incréée, est séparée

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par cela même de comparaison et de communion avec son artisan, du fait de sa différence selon la substance je veux dire, et parce qu’elle reçoit propre à elle-même une définition explicative de sa nature qui n’a rien de commun avec celui dont elle est venue.) » Cette absence de communion apparaît aussi, d’un point de vue logique cette fois, en Eun. I 326 et 328 : si Eunome élabore des réflexions sur les réalités créées (ciel, étoile, ange, homme), Grégoire se demande ce qu’il y a de commun avec l’argumentation d’Eunome sur les trois premières substances. Cf. Eun. I 502 : « t®c katÄ tòn f‘sin ka» tòn proa–resin koinwn–ac e c t‰ „n sundramo‘shc. » De même Eun. I 445 : « ô katÄ tòn f‘sin ÂmoiÏthc ka» koinwn–a to‹ monogeno‹c pr‰c t‰n patËra ». Cf. Eun. I 279 : « ‚n tƒ Çkt–st˙ t®c f‘sewc tòn koinwn–an Íqon pr‰c u…‰n ka» patËra ». Cf. Eun. I 413, où Grégoire n’emploie cependant pas le substantif mais le verbe koinwneÿn : « koinwneÿn katÄ tòn oŒs–an ». Cette koinwn–a des membres de la Triade, par ailleurs clairement distincts entre eux, n’est pas sans rappeler de façon plus ou moins lointaine le Sophiste de Platon, dont le thème majeur est la koinwn–a possible entre les éléments divers de la réalité, concrètement entre les cinq genres suprêmes de l’être (être, repos, mouvement, même et autre), cf. Platon, Soph. 254b : « ìOt+ ofin dò tÄ m‡n ômÿn t¿n gen¿n ±molÏghtai koinwneÿn ‚jËlein Çll†loic » et la suite de la démonstration portant sur les cinq genres suprêmes. Cf. Eun. I 203. 204. 224. 280. 380. 502. Il apparaît encore quatorze fois dans le reste du Eun., cf. Eun. II 214 ; Eun. III/I 92 ; III/II 71 ; III/II 101 ; III/II 118 ; III/II 119 ; III/III 66 ; III/IV 13 ; III/VI 16 (3 fois) ; III/VI 18 (2 fois) ; III/VII 42.

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

l’adverbe sunhmmËnwc) 266 ; il y signifie fondamentalement combinaison, connexion, union, jonction 267, sens désignant occasionnellement la combinaison de noms entre eux au moyen de particules de liaison 268, mais surtout le lien étroit entre deux réalités du fait d’une intimité naturelle. Ainsi, lorsque Grégoire se demande en Eun. I 499–502 si celui qui s’est rendu semblable à la volonté divine (tƒ je–˙ boul†mati ·aut‰n Âmoi∏sac) peut se dire un avec Dieu, comme le Fils disait «moi et le Père nous sommes un » (Jn 10, 30), Grégoire rejette cette affirmation (oŒk Ísti ta‹ta) et précise qu’un homme ne peut être dit un avec un homme que lorsque la conjonction naturelle s’ajoute à l’unité d’intention (t®c fusik®c sunafe–ac tòn katÄ proa–resin ·nÏthta proslabo‘shc), laissant donc bien entendre que le Fils ne peut se dire un avec le Père qu’en raison de leur conjonction naturelle 269. De même, c’est une conjonction, une connexion intime et naturelle (katÄ f‘sin) qui unit l’Esprit Saint avec le Père et le Fils 270. Cette sunàfeia exprime alors une immédiateté, qui ne peut accepter aucune séparation, aucun intervalle 271 : sous cet aspect, sunàfeia apparaît comme le pendant positif d’Çdiastàtwc et c’est justement cette conjonction que veut supprimer Eunome, qui désire établir qu’il n’y a aucune connexion entre le Père et le Fils ou bien encore entre le Fils et l’Esprit, mais que les substances sont détachées les unes des autres, séparées en natures étrangères et différenciations incompatibles. 272

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sunaptÏmenoc revient sous cette forme ou d’autres six fois dans le Eun. I (Eun. I 211. 237. 279. 280. 501. 691) ; il est absent du Eun. II et n’apparaît qu’une fois en Eun. III (Eun. III/I 123) ; sunhmmËnoc (ou surtout l’adverbe sunhmmËnwc) revient six fois en Eun. I (Eun. I 118. 378. 557. 559. 636. 690), une fois en Eun. II (Eun. II 214) et cinq fois en Eun. III (Eun. III/II 12 ; III/II 107 ; III/VI 51 ; III/VI 52 ; III/VI 70). 267 Cf. LSJ, s.v. 1 : combination, connexion, union, junction. 268 Cf. Eun. I 203 : « Â d‡ lÏgoc ‚peidò miî fwn¨ toÃc treÿc katÄ taŒt‰n ™n Çd‘naton ‚nde–xasjai, mËmnhtai m‡n di˘rhmËnwc ·kàstou katÄ tòn ÇrËsasan tàxin, sunàptei d‡ tÄ ÊnÏmata diÄ t¿n diÄ mËsou sundËsmwn, ±c ãn o⁄mai tòn t¿n tri¿n pr‰c t‰ „n s‘mpnoian diÄ t®c t¿n Ênomàtwn sunafe–ac ‚nde–xhtai. (la parole, puisqu’il était

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impossible d’indiquer en un unique vocable les trois en même temps [Paul, Sylvain et Timothée], mentionne séparément chacun selon le rang adéquat, mais lie les noms par des conjonctions entre eux, de sorte qu’elle puisse indiquer, je pense, l’accord des trois dans l’unité par la combinaison des noms.) » De même Eun. III/II 100–101, où Eunome énumère successivement les dénominations po–hma, kt–sma, gËnnhma, mais Grégoire refuse de confondre les signifiés du fait de la combinaison des noms : « diÏper oŒd‡n diÄ t®c sunafe–ac t¿n Çkoinwn†twn Ênomàtwn e c tòn t¿n shmainomËnwn s‘gqusin ÕpagÏmeja ». En Eun. II 214, Grégoire présente la sunàfeia pour la nature intelligible comme une union et fusion des volontés (« diÄ t®c taŒtÏthtoc t¿n jelhmàtwn Ènws–n te ka» Çnàkrasin. ») LSJ, s.v. 2 mentionne un sens du terme en prosodie : the continuous repetition of the same foot an indefinite number of times in an anapaestic or Ionic system. Grégoire exprime cette conjonction du Fils avec le Père plus explicitement en Eun. III/I 92 : « to‹ jeo‹ pàntwc u…‰c noeÿtai diÄ tòn t®c oŒs–ac aŒto‹ pr‰c tòn ‚x ©c ÕpËsth sunàfeian. » Cf. Eun. I 204 : Eunome a justement «séparé celui qui est coordonné par le Seigneur lui-même au Père et au Fils du rang et de la conjonction qui lui sont intimes et naturels (t‰ suntetagmËnon Õp+ aŒto‹ to‹ kur–ou patr» ka» u…ƒ t®c o ke–ac aŒtƒ ka» katÄ f‘sin tàxewc ka» sunafe–ac Çposqoin–sac) ». Cf. Eun. II 214 : « Ìpou d‡ diàstasic oŒk ‚pinoeÿtai, t‰ sunhmmËnon pàntwc Âmologeÿtai (là où on ne conçoit pas d’intervalle, on reconnaît absolument le caractère conjoint) ». Dès lors, rien ne peut s’intercaler entre les personnes de la sainte Triade : il n’y a pas quelque terme médian (cf. Eun. III/II 119 : « mËs˙ tin» ») comme le temps (cf. Eun. I 636 : «  diÄ mËsou qrÏnoc »), la volonté (cf. Eun. III/VI 16 : « ô bo‘lhsic diÚsthsi to‹ patr‰c t‰n u…‰n πc ti diàsthma metaxà paremp–ptousa ») ou l’activité envisagée par Eunome, qui s’intercalerait entre les substances (cf. Eun. I 211 : « mesite‘ousa ») et ne serait pas conjointe au résultat (cf. Eun. I 211 : « o÷te pr‰c tòn deutËran sunaptomËnh »), mais le contact est immédiat, ämesoc, cf. Eun. III/II 119 ; III/VI 18. Cf. Eun. I 224 : « t‰ kataskeuàsai mhdem–an sunàfeian e⁄nai tƒ patr» pr‰c t‰n u…‰n £ pr‰c t‰n u…‰n pàlin tƒ

pne‘mati, Çll+ Çpesq–sjai tÄc oŒs–ac Çp+ Çll†lwn e c ÇpexenwmËnhn tinÄ f‘sin ka» Çs‘mfulon ÇllotriÏthta diaspwmËnac ».

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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C’est bien là toute la différence entre Grégoire et Eunome, le premier soulignant que les trois sont justement conjoints ensemble par la nature (sunàfeia), tandis qu’Eunome les sépare et les détache (Çposq–zw).

O keiÏthc. Substantif formé à partir de l’adjectif o keÿoc, o keiÏthc signifie en premier lieu parenté, intimité, puis, comme signification dérivée possible, le sens propre d’un mot, par opposition au sens figuré 273. Ces deux acceptions du terme o keiÏthc sont présentes dans le Eun. I, mais la première s’avère de loin la plus fréquente 274, utilisée par Grégoire pour signifier l’intimité naturelle entre deux réalités, contrairement à ce qui est différent par nature (ÇllÏtrion t¨ f‘sei) ou dissemblable selon la substance (ÇnÏmoion katÄ tòn oŒs–an) 275. Cette identité de nature se réalise principalement par la génération 276, et Grégoire emploie le substantif o keiÏthc pour souligner l’intimité naturelle qui existe entre un père et son fils 277 ; la transposition théologique est alors facile, les dénominations de Père et Fils manifestant, selon lui de façon automatique (aŒtomàtwc), leur parenté de nature 278. Grégoire étend cette o keiÏthc à l’Esprit 279, les membres de la sainte Triade se voyant ainsi réunis dans une intimité, une unité de nature 280 qui les sépare du monde des réalités créées 281 : sans le dire explicitement, mais c’est clair, Grégoire présente ainsi la nature incréée comme le principe de l’o keiÏthc des personnes divines.

>Aparàllakton. Un bref rappel historique sur le terme Çparàllakton semble tout d’abord nécessaire, afin de mieux comprendre l’affirmation de Grégoire. De fait, il a déjà été possible de rencontrer l’adjectif Çparàllaktoc lors de l’étude sur Astérius, lequel employait ce terme pour souligner l’absence de différences entre le Père et son image, le Fils 282. Cette position d’Astérius fut défendue par Acace de Césarée contre 273 Cf. LSJ, s.v. I. 1. a : kindred, relationship, intimacy, friendship ; II. : proper sense. Sur ce terme, cf. Lexicon Gregorianum

VI, p. 682–683. 274 Pour o keiÏthc pris comme sens propre, cf. Eun. I 157. 489. 275 Cf. Eun. I 222, où Grégoire explicite l’enseignement d’Eunome : le Fils est sans participation à l’intimité natu-

relle, c’est-à-dire différent de nature, dissemblable selon la substance. 276 Cf. Eun. I 216 : selon Grégoire, Eunome combat les lois de la nature elle-même, pour que « m†pote

e c o keiÏthtoc Ínnoian ‚k to‹ toio‘tou trÏpou t®c Õpàrxewc Íljoien o… tòn ‚x Çll†lwn gËnesin memajhkÏtec

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(pour que jamais n’aboutissent à l’idée d’intimité à partir d’un tel mode d’existence ceux qui ont étudié la génération des uns à partir des autres) ». Grégoire propose l’exemple d’Eunome lui-même et de son père, cf. Eun. I 566, ou bien, comme contreexemple, celui d’un bâtard, cf. Eun. I 248 (contre-exemple pas très heureux, même si l’on voit ce que veut dire Grégoire, puisqu’un bâtard conserve l’intimité naturelle avec son père putatif). Cf. Eun. I 159–160. Selon Grégoire, Eunome évite d’employer les vocables de Père et Fils, afin de ne pas manifester leur intimité, parce que « pàntec änjrwpoi patr‰c ka» u…o‹ proshgor–an Çko‘santec eŒjÃc tòn o ke–an aŒt¿n ka» fusikòn pr‰c ällhla sqËsin Õp+ aŒt¿n t¿n Ênomàtwn ‚pigin∏skousi. (tout homme qui a entendu une dénomination de père et de fils reconnaît aussitôt leur relation intime et naturelle entre eux par les noms eux-mêmes.) » De même Eun. I 567. 605 (le nom de «Père » manifeste l’intimité avec le Fils). Cette analogie avec la génération humaine constitue pourtant un des points majeurs de la polémique : la Lettre synodale homéousienne de 358 évoque les difficultés d’une telle analogie, cf. Épiphane, haer. 73, 3, 5 ; cf. aussi haer. 73, 6, 1 (objections anoméennes contre une analogie avec la génération humaine). Cf. Eun. I 416. Cette unité de nature est évoquée au moins deux fois, énoncée par Grégoire pour le Père et le Fils (cf. Eun. I 498), ou rejetée par Eunome pour l’Esprit (cf. Eun. I 416). C’est la formule très ramassée de Eun. I 281, à propos de l’Esprit : « di+ ¡n d‡ t®c kt–sewc Çf–statai, diÄ t¿n aŒt¿n to‘twn pr‰c t‰n patËra te ka» u…‰n Íqei tòn o keiÏthta. (Mais c’est par cela même qui le sépare de la création qu’il possède son intimité avec le Père et le Fils.) » Cf. supra partie II, chapitre II, 3.3.2 Traits fondamentaux du système théologique d’Astérius, p. 174.

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

les attaques de Marcel d’Ancyre 283, qui rejetait toute notion d’image 284 ; pour Acace au contraire, le Fils, en tant qu’ Çparàllaktoc e k∏n, est empreinte distincte et nette de la substance et des attributs de Dieu 285. C’est cependant chez Basile le Grand qu’ Çparàllaktoc semble jouer un rôle théologique majeur, puisque la précision Çparallàktwc, ajoutée à la formule d’inspiration homéousienne Ìmoioc kat+ oŒs–an, offrait pour Basile un équivalent bien moins ambigu que le Âmoo‘sioc si contesté 286. Bien que Basile ait admis de façon toujours plus résolue le Âmoo‘sioc 287, l’adjectif Çparàllaktoc reste un terme important de son vocabulaire théologique et souligne l’absence de différence selon l’oŒs–a des membres de la sainte Triade 288. Cet arrière-fond permet de mieux apprécier l’utilisation par Grégoire de cet adjectif en Eun. I 277 ; le terme est en effet très rare dans le Eun. I et ne s’y trouve qu’une autre fois en Eun. I 503 289. L’étude de Eun. I 503 doit être faite avec les paragraphes précédents, Eun. I 500–502, qui offrent la justification philosophique de cette partie de l’argumentation du Cappadocien. Grégoire y précise comment l’unité se fonde sur la conjonction (sunàfeia) et la communion (koinwn–a) des personnes dans la même nature 290. Le Cappadocien cite alors en Eun. I 503 le verset Jn 10, 30 : «le Père et moi

283 Cf. Épiphane, haer. 72, 6–10. 284 Cf. Épiphane, haer. 72, 6, 4 (citation de Marcel d’Ancyre) : « p¿c

285

gÄr  k‘rioc ka» je‰c gennhje–c, ±c aŒt‰c prolab∞n Ífh, d‘natai Íti e k∞n jeo‹ e⁄nai; Èteron gÄr jeo‹ e k∞n ka» Èteron jeÏc. » De même haer. 72, 6, 5, où Marcel souligne que si le Fils est image, il n’est alors plus aŒtoous–a, aŒtoboul† d‘namic, dÏxa. Cf. Épiphane, haer. 72, 6, 3 : « je»c ofin ta‹ta [Acace vient de rappeler une citation d’Astérius faite par Marcel] ka» dusqera–nwn pr‰c tòn e kÏna tòn Çparàllakton, toutËsti t‰ Íktupon ka» tran‡c ‚kmageÿon to‹ jeo‹ t®c oŒs–ac ka» t¿n ·x®c ». Sur cette position d’Acace, cf. supra partie II, chapitre II, 3.4 Un rapprochement d’Eunome avec Eusèbe et Acace de Césarée, p. 179. Âmoo‘sioc peut être remplacé par l’expression t‰ Ìmoion kat+ oŒs–an mais uniquement avec l’ajout de Çparallàktwc. Cf. Id., ep. 52, 3 (136, 4–6), où Basile souligne que le terme Âmoo‘sioc permet d’affirmer à la fois la propriété des hypostases et l’absence de différence de la nature, t®c f‘sewc t‰ Çparàllakton. Basile serait passé de réticences marquées pour le Âmoo‘sioc à une adhésion plus franche, cf. sur ce point V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, p. 41 : «Ep. 9 stellt gegenüber ep. 361 eine Entwicklung dar, weswegen sie nach ep. 361 anzusetzen ist : Im Gegensatz zu ep. 361 geht Basilius nun eindeutig von Nizänum aus und vertritt selbst das Âmoo‘sioc während er in ep. 361 sich noch um das richtige Verständnis desselben bemüht hatte. » De fait, cf. Basile, ep. 361 (221, 29–31) : « Pr‰c d‡ tòn toia‘thn Ínnoian dokeÿ moi ô to‹ Çparallàktwc Âmo–ou fwnò mêllon ¢per ô to‹ Âmoous–ou ÅrmÏttein. » Le Âmoo‘sioc présentait pour Basile le danger de laisser supposer un genre commun superposé (gËnoc koin‰n Õperke–menon), ou une matière sous-jacente préexistante (Õlik‰n Õpoke–menon proÙpàrqon), qui pourrait conduire à une partition de Dieu (Çpomerism‰c to‹ protËrou e c t‰ de‘teron), cf. id. (221, 19–22). L’argumentation de V.-H. Drecoll repose sur l’authenticité basilienne de l’ep. 361 (cf. V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, note 2, p. 21), mais l’auteur ne mentionne pas B. Pouchet parmi ceux «gegen die Echtheit » qui ne sont pas «aus der Zeit vor Prestige und Riedmatten » ; de fait, B. Pouchet, Basile le Grand et son Univers d’Amis, p. 112–117, n’accepte pas les lettres 361–364 dans le corpus basilien. Une évolution de Basile à propos du Âmoo‘sioc reste cependant attestée, même sans faire intervenir l’ep. 361, cf. B. Sesboüé, Saint Basile et la Trinité, p. 188–195, où l’auteur souligne (ici p. 189) que l’argumentation «tiendrait sans ce dossier. » Cf. Basile, adv. Eun. I 27 (268, 18–22), où Basile fonde le t‰ t®c f‘sewc Çparàllakton sur Jn 10, 30 ; Id., hom. XV 2 (465C), où le Fils est présenté comme ô e k∞n ô Çparàllaktoc to‹ Çoràtou jeo‹ ; Id., Spir. V 11 (282, 19) ; VIII 19 (316, 59), où l’absence de différence quant à la substance est le présupposé pour affirmer l’absence de différences quant à la puissance et aux activités. Le terme n’apparaît que trois autres fois dans le Eun. et uniquement dans le Eun. III : Eun. III/V 33 ; III/VI 11 ; III/VIII 25. Il revient aussi dans la capitulation de Eun. III/IV (ch. 8), mais celle-ci n’est pas de Grégoire. Cf. Eun. I 502 : « diÄ to‹to änjrwpoc pr‰c änjrwpon „n g–netai, Ìtan diÄ proairËsewc, kaj∞c e⁄pen  k‘rioc,

286 Cf. Basile, ep. 9, 3 (39, 1–14), où le

287

288

289 290

teleiwj¿sin e c t‰ Èn, t®c fusik®c sunafe–ac tòn katÄ proa–resin ·nÏthta proslabo‘shc. ka» Â patòr ka» Â u…‰c Èn e si, t®c katÄ tòn f‘sin ka» tòn proa–resin koinwn–ac e c t‰ „n sundramo‘shc. (À cause de cela, un

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

285

nous sommes un » et confirme à partir de ces principes l’interprétation qu’il donnait déjà en Eun. I 498–499 de la parole évangélique : Ayant donc entendu que «Moi et le Père nous sommes un », nous avons été instruits par cette parole de ce que le Seigneur est issu d’une cause et de l’absence de dissemblances selon la nature du Fils et du Père. 291

Compte tenu des justifications précédentes de Grégoire, l’absence de dissemblances selon la nature (t‰ katÄ tòn f‘sin Çparàllakton) repose donc sur la communion et la conjonction selon la nature du Fils avec le Père : on retrouve ainsi presque exactement ce que Grégoire disait déjà en Eun. I 277 : la nature incréée possède l’absence de dissemblances (Çparàllakton) dans la communion (koinwn–a) selon l’incréé. Ces précisions de vocabulaire permettent d’interpréter plus sûrement, semble-t-il, l’affirmation de Grégoire en Eun. I 277. La nature incréée possède l’absence de dissemblances dans la communion selon l’incréé, en tant que les membres de la Triade sont tous semblablement incréés, conjoints selon l’incréé. Cependant, cette conjonction (sunàfeia), communion (koinwn–a) ou intimité (o keiÏthc) selon l’incréé (katÄ t‰ äktiston) n’exprime pas simplement le fait pour le Père, le Fils et l’Esprit de n’être pas créés, mais apparaît aussi comme l’expression d’une intimité selon la substance (katÄ tòn oŒs–an), qui assure l’absence de dissemblance (Çparàllakton), à comprendre dans la ligne de Basile sans doute comme un synonyme du Âmoo‘sioc, si rare par ailleurs dans le Eun. I 292. Affirmer pour le Père, le Fils ou l’Esprit l’égal caractère incréé revient donc à affirmer indirectement leur consubstantialité 293. Ainsi, il apparaît de façon particulièrement claire que Grégoire assume ici en partie pour l’attribut äktistoc ce qu’il rejetait pour l’ÇgËnnhtoc d’Eunome, car s’il limitait le sens du terme ÇgËnnhtoc au simple fait de ne pas être engendré 294, Grégoire étend au contraire celui de l’attribut äktistoc pour en faire une caractéristique essentielle de la divinité. L’incréé, qui permettait à Grégoire de distinguer clairement les créatures de la divinité et de supprimer tout être intermédiaire, lui permet maintenant d’unifier en une commune nature le Père, le Fils

homme devient un avec un homme lorsque par l’intention, comme l’a dit le Seigneur, ils sont parfaits dans l’unité, puisque la conjonction naturelle s’ajoute à l’unité d’intention. Et le Père et le Fils sont un, puisque la communion selon la nature et l’intention concourent à l’unité.) » 291 Eun. I 503 : « >Ako‘santec to–nun Ìti >Eg∞ ka» Â patòr Èn ‚smen, tÏ te ‚x a t–ou t‰n k‘rion ka» t‰ katÄ tòn f‘sin Çparàllakton to‹ u…o‹ ka» to‹ patr‰c ‚k t®c fwn®c ‚paide‘jhmen ». Peut-être faut-il voir une influence de Basile, adv. Eun. I 27 (268, 18–22) pour cette interprétation de Jn 10, 30, cf. supra note 288. 292 Une unique occurrence en Eun. I 136 dans la bouche du gouverneur de Cappadoce, qui transmet à Basile la volonté de l’empereur : la suppression de Âmoo‘sioc. 293 Un passage de l’Adversus Macedonianos de Grégoire vient confirmer ce fait. Grégoire, au tout début du traité, affirme que l’Esprit est coordonné au Père et au Fils (suntetàqjai tƒ patr» ka» tƒ u…ƒ t‰ pne‹ma t‰ âgion), puis poursuit en soulignant ce qu’il y a de commun et de propre au sein de la Triade, selon une expression assez proche de Eun. I 277, cf. Maced. (89, 22–25) : « Âmologo‘ntwn ±c mhdem–an e⁄nai parallagòn ‚n mhden» t¿n

eŒseb¿c per» tòn je–an f‘sin nooumËnwn te ka» ÊnomazomËnwn ‚kt‰c to‹ kaj+ ÕpÏstasin  diazÏntwc jewreÿsjai t‰ pne‹ma t‰ âgion ». L’absence de dissemblances, affirmée ici pour tout ce qui est conçu et désigné au sujet de la nature divine, est fondée dans le Eun. I sur la communion selon l’incréé : l’égal caractère incréé apparaît donc bien comme la garantie de la similitude selon la nature divine. 294 Cf. Eun. I 644 : « e 

katÄ tòn koinòn t¿n dogmàtwn ÕpÏlhyin diÄ t‰ mò gegenn®sjai ÇgËnnhton lËgesjai t‰n je‰n katedËxato, diËpesen ãn Ìlon aŒtoÿc t‰ mhqàmhna t®c a…rËsewc, ÕpospasjËntoc to‹ katÄ tòn Çgennhs–an sof–smatoc. (si conformément à l’interprétation commune des doctrines il avait accepté d’appeler Dieu inengendré parce qu’il n’a pas été engendré, le mécanisme de l’hérésie en son ensemble se serait effondré sur eux, le sophisme selon l’agennésie ayant été mis de côté.) » Cf. déjà Basile, adv. Eun. I 9 (200, 26–202, 40).

286

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

et l’Esprit ; l’incréé mis en avant par Grégoire comme élément discriminant entre les êtres, devient ici le descriptif fondamental et unifiant de la sainte Triade. 3.4.2 Les distinctions au sein de la nature äktistoc Le second point présenté par Grégoire en Eun. I 277 concerne les distinctions au sein de la nature incréée : la nature incréée possède par les propriétés inhérentes à chacune des hypostases la différence sans confusion et distincte, ce que Grégoire répète aussitôt après : la nature incréée possède l’incommunicable dans les particularités des propriétés de chacun 295. Cet énoncé général et relativement abstrait est explicité par Grégoire dans les paragraphes suivants (Eun. I 278–281), où il distingue à chaque fois le caractère commun (koinÏn) des éléments propres à chaque personne (“dion). Ces développements, si précieux pour l’intelligence de la doctrine trinitaire du Cappadocien, peuvent être complétés par Eun. I 378 et Eun. I 531–534. Ces trois passages (Eun. I 278–281, Eun. I 378 et Eun. I 531–534) vont être présentés successivement, les propriétés qui auront été relevées seront commentées ensuite dans l’étude des sources de Grégoire 296. Eun. I 278–281. Grégoire examine tour à tour les propriétés qui distinguent clairement et nettement (tran¿c ka» kajar¿c) le Père (Eun. I 278 : oŸon  pat†r), le Fils (Eun. I 279 :  d‡ u…Ïc) et l’Esprit (Eun. I 279s : t‰ d‡ pne‹ma t‰ âgion). Ces caractéristiques distinctives sont les suivantes : le Père est inengendré (ÇgËnnhtoc), Père (pat†r) ; le Fils est Monogène (monogen†c), Fils (u…Ïc) ; l’Esprit n’est rien de ce qui est observé de façon propre dans le Père et le Fils (t‰ mhd‡n ‚ke–nwn e⁄nai, âper  d–wc tƒ patr» ka» tƒ u…ƒ  lÏgoc ‚neje∏rhse), il n’est pas sous un mode inengendré (m†te Çgenn†twc e⁄nai), il n’est pas sous un mode monogène (m†te monogen¿c), il est absolument (e⁄nai d‡ Ìlwc), il se distingue du Père par le fait de ne pas être Père comme celui-ci (tƒ mò patòr e⁄nai kajàper ‚keÿnoc) mais il possède pour cause de son existence le Dieu de l’univers (tòn a t–an t®c Õpàrxewc ‚k to‹ jeo‹ t¿n Álwn Íqein) 297, il ne subsiste pas comme Mono-

295 Cf. Eun. I 277 : « toÿc 296

‚nupàrqousin ·kàst˘ t¿n Õpostàsewn  di∏masin Çs‘gquton ka» diakekrimËnhn tòn diaforÄn Íqei (. . .), ‚n d‡ toÿc ‚xairËtoic t¿n  diwmàtwn ·kàstou t‰ Çkoin∏nhton. » Le problème délicat de l’interprétation du diÄ to‹ u…o‹ dans le sens d’une causalité ou non du Fils dans la

procession de l’Esprit, problème étroitement lié à la question du filioque, ne sera pas abordé ; sur ce point de polémique entre Orient et Occident, cf. Istina 17 (1972), p. 290s. 297 Cf Eun. I 280 ; de même Basile, ep. 38, 4 (85, 25–26) : « t®c d‡ to‹ Patr‰c a t–ac ‚xhmmËnon Íqei t‰ e⁄nai ». Le texte comporte ici un membre de phrase (ka» ‚n tƒ tòn a t–an t®c Õpàrxewc ‚k to‹ jeo‹ t¿n Ìlwn Íqein) considéré par W. Jaeger comme un ajout d’un scribe byzantin : «videntur a Byzantino lectore hoc loco inculcata esse ». S.-G. Hall ne le traduit pas ; R. Winling, suivant ici Cl. Moreschini, ne voit aucune interpolation et tous deux l’insèrent dans leur traduction. Il est intéressant, pour essayer de clarifier ce point, de reprendre la phrase dans son ensemble sans l’éventuelle interpolation et d’examiner sa construction. Elle se compose de deux membres de phrase, un sur le rapport de l’Esprit Saint avec le Père, l’autre sur celui avec le Fils : 1) Chacun de ces membres commence par ce qui est commun, en l’exprimant de façon presque semblable (les éléments identiques sont mis en gras, les éléments apparentés en italiques) : tƒ gÄr patr» katÄ t‰ äktiston sunaptÏmenon (pour le Père), t®c d‡ pr‰c t‰n u…‰n katÄ t‰ äktiston sunafe–ac (pour le Fils). 2) La phrase continue à chaque fois par la propriété, cause de la distinction : pàlin Çp+ aŒto‹ tƒ mò patòr . . . (pour le Père), Çf–statai pàlin tƒ  diàzonti . . . (pour le Fils). L’ensemble présente donc un tout bien construit : ce qui est commun (avec à la fin le mot pour exprimer ce caractère commun : sunaptÏmenon/sunafe–ac), puis ce qui est propre. Le membre de phrase discuté, lorsqu’il est inséré dans le texte, vient alors rompre cette construction et briser le parallèle entre les deux éléments de la phrase. Par ailleurs, ce membre de phrase établit comme rapprochement entre le Fils et l’Esprit le fait d’avoir tous deux le Dieu de l’univers comme cause de leur existence ; or cela constitue justement un point

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

287

gène à partir du Père (‚n tƒ m†te monogen¿c ‚k to‹ patr‰c Õpost®nai), il est apparu (pefhnËnai) à travers le Fils lui-même (di+ aŒto‹ to‹ u…o‹). Eun. I 378. La remise en cause de l’utilisation par Eunome, selon Grégoire, de l’adjectif presb‘teroc à propos des personnes divines constitue le contexte de ce deuxième exposé trinitaire. Après avoir rappelé la distinction fondamentale ktistÏn/äktiston et les deux types différents de causalités qui caractérisent la nature créée et la nature incréée (cf. Eun. I 361), Grégoire a présenté ses développements métaphysiques sur le diàsthma (cf. Eun. I 362–375) et achève ses réflexions par la mise en œuvre concrète de ses raisonnements précédents : Grégoire expose les relations Çdiastàtwc entre les personnes trinitaires, nouvelle présentation particulièrement courte, qui reprend certaines des propriétés évoquées précédemment en Eun. I 278–281, mais en apporte aussi de nouvelles. Les propriétés déjà évoquées en Eun. I 278–281, sont les suivantes : le Père est inengendré (ÇgËnnhtoc) ; le Fils est Monogène (Â monogenòc u…Ïc) ; l’Esprit est saisi par le Fils (di+ aŒto‹ (. . . ) katalambànetai), il possède lui aussi comme cause de son être le Dieu de l’univers (‚k m‡n to‹ jeo‹ t¿n Ìlwn ka» aŒt‰ tòn a t–an Íqon to‹ e⁄nai). Les propriétés nouvelles, non explicitement évoquées en Eun. I 278–281, sont les suivantes : le Père est toujours Père (Çe» pat†r), sans origine (änarqoc) ; le Fils est à partir du Père (‚x aŒto‹) 298 ; l’Esprit est saisi avec le Fils (met+ aŒto‹ (. . . ) katalambànetai) 299. Eun. I 531–534. Ce troisième exposé se distingue des deux précédents car Grégoire y mêle les voies de la connaissance de Dieu aux relations entre les membres de la Triade, passant subrepticement d’un aspect à l’autre au fil de sa présentation 300. Un examen de ces paragraphes du Eun. I 531–534 permet de mettre clairement en évidence ce passage de l’économie à la théologie. Effectivement, deux parties peuvent être discernées dans cet ensemble Eun. I 531–534. La première consiste en une sorte de «chemin aller-retour » dans la connaissance de Dieu 301. Le «chemin aller » commence par la contemplation du Seigneur Jésus, qui ne

298 299 300

301

de controverse grave avec le courant pneumatomaque (cf. infra note 319, p. 291) et une telle formulation de Grégoire serait des plus inhabile ; de surcroît, c’est justement la différence sur ce point qu’utilise Grégoire pour distinguer l’Esprit du Fils : l’Esprit ne subsiste pas à partir du Père à la façon du Monogène (m†te monogen¿c ‚k to‹ patr‰c Õpost®nai) ; enfin, ce membre de phrase fait intervenir la notion de cause (a t–a) absente de tout ce passage. Ces différentes remarques pourraient donc laisser penser qu’il s’agit effectivement d’un ajout, conformément à l’interprétation de W. Jaeger. Pourtant, l’ensemble de la tradition manuscrite directe présente unanimement ce passage (cf. ad loc l’apparat critique dressé par W. Jaeger) ; de même la tradition manuscrite indirecte, d’après le témoignage des théologiens byzantins ; cf. au XIIIe siècle, au moment du concile de Lyon 2 (1274), Jean Veccos, Proces. XII 13 (261B) ; Id., Camat. CXI (556D) ; Id., Epig. I (625A) ; Id., Refut. Georg. I 13 (888A) ; de même au XVe siècle, à l’époque du concile de Florence (1439), Gennade Scholarios, 1 Proces. III 11 (131, 18–19) ; Id., 2 Proces. II 22 (370, 23–24) ; Marc d’Éphèse, Test. 42 (349, 14–15). Ce passage, s’il a donc vraiment été rajouté, devrait alors être considéré comme une interpolation antérieure à tous les témoins connus. Dès lors, et malgré les problèmes évoqués précédemment, il semble préférable de conserver le texte tel qu’il se présente, sans supposer d’interpolation. Grégoire répète sous une autre forme cette dépendance du Fils par rapport au Père : « Ìjen ka» t‰ monogenËc ‚sti f¿c ». De même Basile, ep. 38, 4 (85, 28) : « t‰ metÄ t‰n U…‰n ka» sÃn aŒtƒ gnwr–zesjai ». Le deuxième exposé trinitaire invoquait certes la part intellective de la connaissance de Dieu (cf. les verbes noeÿtai, sunepinoeÿtai, katalambànetai, nohj®nai), mais sans développer, comme ici en Eun. I 531–534, un processus de connaissance passant d’un membre à l’autre au sein de la Triade. Sur cet exposé trinitaire de Grégoire, cf. les réflexions de G. Maspero, Trinity and Man, p. 165–170, qui relève le lien étroit entre économie et théologie. Cette contemplation du mystère divin est annoncée par Grégoire au début de l’exposé, cf. Eun. I 531 : « ‚n t¨ t¿n Âmo–wn sumfwn–¯ t®c jeÏthtoc jewroumËnhc ».

288

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

peut se faire que dans (‚n) l’Esprit : le Fils se fait connaître 302 par l’Esprit qui illumine 303 ; mais la contemplation se développe en une seconde étape, la connaissance du principe au-delà de tout principe, laquelle ne peut se faire que par (dià) le Seigneur 304. Ainsi, de même que le Fils ne peut être connu que par l’illumination de l’Esprit, de même le Dieu de l’univers ne peut être connu que s’il paraît dans (‚n) l’image de l’invisible (c’est-à-dire le Seigneur) 305. Ces deux étapes (révélation du Fils par l’Esprit, du Père par le Fils) constituent comme le «chemin aller » de la connaissance de Dieu ; Grégoire poursuit alors par un «chemin retour » 306, qu’il décrit plus brièvement et qui découle du «chemin aller » : de même que l’esprit humain progresse par l’Esprit puis par le Fils jusqu’au Père, ainsi est-il possible, une fois au sommet de la connaissance de Dieu, de courir en pensée (t¨ diano–¯ trËqontec) à travers les réalités contiguës et intimes 307 et de revenir du Père (‚k to‹ patrÏc) par le Fils (diÄ to‹ u…o‹) à l’Esprit (pr‰c t‰ pne‹ma). Grégoire achève ici cette première partie consacrée à la connaissance de Dieu. Le rôle intermédiaire de l’Esprit et du Fils dans ce processus de connaissance doit être souligné : ce n’est que dans et par l’Esprit qu’il est possible de connaître le Fils, de même que ce n’est que dans et par le Fils qu’il est possible de connaître le Père ou d’accéder à l’Esprit. La présentation du second aspect de la connaissance de Dieu (du Père par le Fils à l’Esprit), si elle conclut cette première partie économique, sert aussi de transition et introduit la deuxième partie des paragraphes du Eun. I 531–534. Effectivement, Grégoire éprouve le besoin d’expliciter ce chemin de connaissance «retour », partant du Père et aboutissant à l’Esprit en passant par le Fils 308. À l’exposé économique succède ainsi, imperceptiblement, une présentation théologique articulée autour de deux images, celle du soleil et de son rayon 309, puis celle des trois soleils 310. Grégoire y explicite une nouvelle fois les relations entre les membres de la Triade, qui peuvent être résumées dans le tableau suivant :

302 Il brille (‚llampo‘shc). 303 Grégoire explique que le Seigneur brille dans les âmes par (dià) le Saint Esprit, cf. Eun. I 531 : « t®c

pàntwn m‡n Çrq®c, °tic ‚st»n  k‘rioc, diÄ to‹ Åg–ou pne‘matoc taÿc yuqaÿc ‚llampo‘shc » ; Grégoire en appelle alors au témoignage de Paul, cf. 1 Co 12, 3.

304 Cf. Eun. I 531 : « diÄ d‡ to‹ kur–ou, Ìc ‚stin ô pàntwn Çrq†, t®c ‚pËkeina pàshc Çrq®c ômÿn eÕriskomËnhc ». 305 Cf. Eun. I 531 : « oŒd‡ gÄr dunatÏn ‚stin ällwc t‰ ÇrqËtupon Çgaj‰n ‚pignwsj®nai, mò ‚n t¨ e kÏni to‹ Çoràtou

fainÏmenon », fainÏmenon à prendre ici comme un moyen (se montrer, paraître). dË tina d–aulon Çnakàmptontec », avec l’image si expressive de la course à double sens (d–auloc). Cf. Eun. I 532 : « diÄ t¿n proseq¿n te ka» o ke–wn t¨ diano–¯ trËqontec ». Cf. le gàr introductif de ces développements théologiques, cf. Eun. I 532 : « ‚n perino–¯ gÄr . . . ».

306 Grégoire explique en effet, au tout début de Eun. I 532 : « πsper 307 308

309 Sur cette image d’une lumière qui procède d’une autre lumière, cf. Basile, ep. 38, 7 (90, 17–91, 23) ; Id., adv.

Eun. II 27 (114, 36–37) ; en adv. Eun. I 19 (240, 32–38) ; II 28 (120, 38–42), Basile s’appuie sur cette notion de lumière pour souligner la similitude katÄ tòn oŒs–an du Père et du Fils. Sans employer le terme ici, Grégoire veut comparer le Fils à l’Çpa‘gasma (ou au rayon, cf. infra Eun. I 533), comme il le fait en Eun. I 358. 636– 637, et souligner la simultanéité du rayon avec le soleil ; cf. de même Simpl. (64, 2–3) avec l’image de la lampe et de la lumière. 310 Grégoire propose l’image des trois soleils (que rejetait Athanase parce que d’orientation manichéenne ou marcionite – trois principes égaux –, cf. Athanase, Ar. III 15, 2) pour suppléer au défaut de l’image du soleil et de son rayon (défaut explicité par Grégoire en Eun. III/VI 47 : le rayon est différent katÄ tòn oŒs–an du soleil ; contrairement à ce qu’il fait ici, Grégoire corrige alors l’imperfection de l’image en citant Jn 1, 1).

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

Image du soleil et de son rayon Père Fils Esprit

289

Image des trois soleils

°lioc °lioc t‰ ‚x aŒto‹ f¿c, ‚k to‹ ôl–ou, ‚x ‚x Çgenn†tou ôl–ou aŒto‹, ‚x ôl–ou di+ aŒto‹ [= to‹ gennhto‹ fwtÏc] m‡n ‚klàmpon tòn d‡ t®c Õpostàsewc a t–an Íqon ‚k to‹ prwtot‘pou fwtÏc

Trois relations ressortent donc de ces images avancées par Grégoire : une pour le Fils, qui est ‚k to‹ patrÏc ; deux pour l’Esprit, qui est ‚k to‹ patrÏc mais qui brille aussi diÄ to‹ u…o‹. Grégoire achève alors cet exposé trinitaire par la mention rapide du rôle de l’Esprit dans la vie spirituelle, lequel donne la grâce d’accéder à la connaissance de la lumière conçue dans le Père et le Fils 311 : cette mention de l’action de l’Esprit, tout à la fin des paragraphes du Eun. I 531–534, répond à celle faite au début de ces réflexions, où Grégoire évoquait justement l’Esprit illuminateur, conduisant à la contemplation du Fils 312. 3.4.3 Les sources de Grégoire Dans son souci de rendre compte de distinctions au sein de la nature incréée, qui n’introduisent aucune subordination, aucun plus ou moins contrairement à ce que veut Eunome, Grégoire s’est donc appuyé sur le principe koinÏn/“dion 313. Les membres de la Triade communient selon l’incréé, ce qui assure l’absence de dissemblances, mais se différencient par leurs propriétés respectives et incommunicables, ce qui assure leur distinction. Grégoire, de ce point de vue, paraît peu novateur et ne fait que reprendre les principes fondamentaux de la doctrine trinitaire élaborée par son frère Basile 314. Il s’expose cependant aux critiques que formulait déjà au XIXe siècle Th. Zahn contre

311 Cf. Eun. I 534 : « di+ 312 313

·auto‹ tòn prosagwgòn pr‰c t‰ ‚pinoo‘menon f¿c t‰ ‚n patr» ka» u…ƒ pêsi toÿc metasqeÿn dunamËnoic qar–zetai. » Inclusion entre Çgo‘shc (Eun. I 531) et tòn prosagwg†n (Eun. I 534). Grégoire reprend fréquemment cette opposition koinÏn/“dion et multiplie les termes pour désigner les propriétés des membres de la Triade : ‚xa–retoc,  d–wma,  diÏthc,  diàzon ; cf. Eun. I 413 : « πste ka» koinwneÿn katÄ tòn oŒs–an ka» di˘r®sjai katÄ t‰n t®c Õpostàsewc lÏgon o“esjai (on pense à la fois qu’elles [les hypostases] communient dans la substance et sont séparées selon la notion d’hypostase) » ; Eun. I 484 : « m–a f‘sic Âmologeÿtai par+ ôm¿n ‚n diafÏroic taÿc Õpostàsesi (nous confessons une unique nature dans des hypostases

différentes) » ; Eun. I 499 : le passage évangélique «le Père et moi nous sommes un » (Jn 10, 30) permet de déjouer à la fois des déclarations de Sabellius, qui confond les propriétés des hypostases (m†te to‹ Sabell–ou q∏ran Íqontoc e c s‘gqusin tòn t¿n Õpostàsewn  diÏthta), ainsi que celles d’Arius, qui veut rendre étrangères les natures (m†te to‹ >Are–ou t‰ xËnon t®c f‘sewc kataskeuàzein  sq‘ontoc). 314 Pour les premiers fondements de cet enseignement théologique de Basile, cf. Basile, adv. Eun. II 28 (118, 27– 120, 42). C’est cette doctrine théologique que l’évêque de Césarée défendra et précisera jusqu’à la fin de sa vie, cf. Id., ep. 236 et le commentaire de R. Pouchet, Basile le Grand et son Univers d’Amis, p. 348–353. Sur cet enseignement de Basile, cf. B. Sesboüé, L’Apologie d’Eunome de Cyzique et le Contre Eunome (L. I–III) de Basile de Césarée, p. 77–84, repris dans Id., Saint Basile et la Trinité, p. 122–130. Plus généralement sur l’ensemble de la doctrine trinitaire de Basile, cf. V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, spécialement le chapitre 6 : «Die ontologische Fixierung ab 373 : m–a oŒs–a – treÿc Õpostàseic », p. 270s.

290

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

la doctrine dite néonicéenne en général 315 et, plus spécialement, à celles que R. Hübner faisait en 1972 316 : l’identité numérique entre les membres de la Triade ne serait plus selon Grégoire qu’une unité générique ; de même que Pierre, Jacques et Jean sont absolument identiques quant à leur nature mais ne sauraient correspondre par leurs propriétés, de même Père, Fils et Esprit communient dans l’unique nature incréée mais se distinguent par leurs propriétés. Sans reprendre dans le détail cette question difficile, il semble cependant important de rappeler ici le contexte des réflexions du Cappadocien ; Grégoire tente en effet de rendre compte des distinctions dans la nature incréée, nature dont il rappelle instamment la transcendance 317, limitant par là même l’application indue des catégories d’ici-bas aux réalités divines 318. La nature incréée est audelà de tout ce qui peut être observé dans la création et les rapports entre les membres de la sainte Triade s’avèrent Çdiastàtwc, conformément à leur sunàfeia réciproque, à la conjonction des personnes divines sans équivalent possible dans le monde créé. Si la distinction nature commune /propriétés n’apparaît donc pas, prise comme telle, absolument impeccable du point de vue des conséquences susceptibles d’en être tirées, il importe de la replacer dans le cadre de son utilisation pour cerner ce que veut dire Grégoire, qui n’est en fait qu’une approche (cf. Eun. I 277 : Çkatal†pt˙) du mystère de la sainte Triade, parfaitement une et parfaitement trois. Il est un aspect plus déterminant des réflexions de Grégoire, qui touche les précisions concernant les propriétés des membres de la Triade. Les propriétés des personnes divines envisagées par Grégoire ont été présentées dans le paragraphe précédent et il est possible de les rappeler ici : Père

inengendré (ÇgËnnhtoc), Père (pat†r), toujours Père (Çe» pat†r), sans principe (änarqoc)

Fils

Monogène (monogen†c), Fils (u…Ïc), à partir du Père (‚x aŒto‹)

Esprit il n’est rien de ce qui est observé de façon propre dans le Père et le Fils (t‰ mhd‡n ‚ke–nwn e⁄nai, âper  d–wc tƒ patr» ka» tƒ u…ƒ Â lÏgoc ‚neje∏rhse) il n’est pas sous un mode inengendré (m†te Çgenn†twc e⁄nai) il n’est pas sous un mode monogène (m†te monogen¿c [sous entendu e⁄nai]) il est absolument (e⁄nai d‡ Ìlwc) 315 Cf. T. Zahn, Marcellus von Ancyra. Ein Beitrag zur Geschichte der Theologie, dont les conclusions furent fréquem-

ment reprises par les théologiens indépendants, cf. A. Von Harnack, Lehrbuch der Dogmengeschichte, t. 2, p. 264. 267 ; sur ce point, cf. M. Gomes de Castro, Die Trinitätslehre des hl. Gregor von Nyssa, p. 97–99 ainsi que J. Lebon, «Le sort du ‹consubstantiel › nicéen », p. 485–495. 316 Cf. R. Hübner, «Gregor von Nyssa als Verfasser der sog. ep. 38 des Basilius », p. 486 : «Gregor überträgt also die aristotelischen Bestimmungen der zweiten Substanz, des «Wesens », und des einzelnen auf das Verhältnis der göttlichen oŒs–a und ihrer Hypostasen, offenbar ohne sich über die Konsequenzen Rechenschaft abzulegen ». 317 Grégoire explique, justement en Eun. I 277, que la notion de différence envisagée doit convenir à la majesté de la nature incréée (tƒ megale–˙ t®c f‘sewc prËpousan), que la nature est considérée dans la perfection ultime et la transcendance incompréhensible (‚n äkr¯ t¨ teleiÏthti ka» ‚n Çkatal†pt˙ t¨ Õperoq¨ jewroumËnh). 318 Sur cette analogie, qui écarte toute pensée charnelle inadaptée aux réalités divines, cf. Eun. I 627 : « oŒden»

t¿n tapein¿n nohmàtwn sunempeseÿtai  mò sarkikaÿc diano–aic t¿n je–wn musthr–wn ‚pibate‘wn, ÇllÄ zhteÿ tina diànoian tƒ megale–˙ to‹ shmainomËnou prËpousan (celui qui n’ aborde pas avec des pensées charnelles les mystères divins ne s’accordera avec aucun concept bas, mais il cherche une pensée qui convienne à la grandeur de ce qui est signifié) ». Cf. sur ce point B. Pottier, Dieu et le Christ, p. 95–96 ainsi que T. Ziegler, Les petits Traités trinitaires, p. 238s, qui soulignent justement, à propos de l’analogie oŒs–a/ÕpÏstasic, comment Grégoire, en insistant sur la transcendance divine, écarte indirectement toute accusation de trithéisme.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

291

il se distingue du Père par le fait de ne pas être Père comme celui-ci (tƒ mò patòr e⁄nai kajàper ‚keÿnoc) il ne subsiste pas comme Monogène à partir du Père (‚n tƒ m†te monogen¿c ‚k

to‹ patr‰c Õpost®nai) il tient la cause de son existence/être à partir du Dieu de l’univers (tòn a t–an t®c Õpàrxewc ‚k to‹ jeo‹ t¿n Álwn Íqein ; ‚k m‡n to‹ jeo‹ t¿n Ìlwn ka» aŒt‰ tòn a t–an Íqon to‹ e⁄nai ; tòn d‡ t®c Õpostàsewc a t–an Íqon ‚k to‹ prwtot‘pou fwtÏc) il est apparu (pefhnËnai) à travers le Fils lui-même (di+ aŒto‹ to‹ u…o‹) il est saisi par et avec le Fils (di+ aŒto‹ d‡ ka» met+ aŒto‹ katalambànetai) il brille à travers /par la lumière engendrée [c’est-à-dire le Fils] (di+ aŒto‹ [= to‹ gennhto‹ fwtÏc] ‚klàmpon) L’importance donnée aux propriétés de l’Esprit est patente et reflète les difficultés théologiques du moment. Effectivement, l’explicitation de l’origine de l’Esprit au sein de la Triade, capable de le distinguer clairement du Fils, restait une difficulté. Une telle précision s’avérait pourtant nécessaire, afin de répondre aux accusations pneumatomaques, qui affirmaient que si l’Esprit n’était ni chose créée ni ange mais procédait du Père, il y aurait alors deux fils, tandis que s’il procédait du Fils, le Père serait alors «grandpère » 319. Grégoire paraît visiblement gêné pour résoudre cette difficulté, multiplie du moins les précisions sur l’Esprit et donne l’impression d’avoir un élément de réponse sans pouvoir encore l’exprimer convenablement 320. Grégoire veut, d’une part, souligner expressément que le Père ne saurait avoir deux fils 321, mais ses précisions les plus importantes sont les mentions « diÄ to‹ u…o‹ » à propos de l’Esprit : l’Esprit est apparu par le Fils lui-même (Eun. I 280 : di+ aŒto‹ to‹ u…o‹ pefhnËnai), il est saisi par le Fils (Eun. I 378 : di+ aŒto‹ katalambànetai), il brille par la lumière qu’est le Fils (Eun. I 533 : di+ a‹to‹ m‡n ‚klàmpon). Certes, il serait possible de donner à ces multiples assertions un sens purement économique 322, mais ces affirmations de Grégoire veulent dire visiblement quelque chose de plus à propos des relations du Fils et de l’Esprit : c’est le cas pour Eun. I 280, où Grégoire précise justement les  di∏mata de chaque membre de la Triade et présente l’expression « di+ aŒto‹ to‹ u…o‹ pefhnËnai » comme le caractère propre par lequel l’Esprit se distingue du Fils 323 ; c’est le cas aussi en Eun. I 378, pa319 Sur ces accusations, cf. Athanase, ep. Serap. I 15, 1 : « e 

mò kt–sma ‚st» mhd‡ t¿n ÇggËlwn eŸc ‚stin Çll+ ‚k to‹ patr‰c ‚kpore‘etai, oŒko‹n uiÏc ‚sti ka» aŒt‰ ka» d‘o Çdelfo» e sin aŒtÏ te ka»  lÏgoc. » ; Id., ep. Serap. III 1, 3 : « e  oŒk Ísti kt–sma t‰ âgion pne‹ma, oŒko‹n, fas–n, u…Ïc ‚sti, ka» Çdelfo» d‘o  lÏgoc ka» aŒtÏ. e⁄ta ‚pilËgousin, ±c gràfeic; e  « ‚k to‹ u…o‹ l†yetai t‰ pne‹ma », ka» par+ aŒto‹ d–dotai (o’twc gÄr gËgraptai), eŒjÃc ‚pàgousin; oŒko‹n pàppoc  pat†r, ka» ÍkgonÏn ‚stin aŒto‹ t‰ pne‹ma. » De même Grégoire de Nazianze, or. 31, 7.

320 Cf. sur ce point la présentation de S. Gonzáles, La Fórmula

MIA >OUSIA TREIS Ihso‹n e peÿn mò ‚n pne‘mati Åg–˙. » Cf. Basile, Spir. XVIII 47 (412, 1–23) : on retrouve les mêmes termes ÇrqËtupon, jeognws–a et dÏgma t®c monarq–ac, la même utilisation de 1 Co 12, 3 et Col 1, 15 (e k∏n to‹ Çoràtou), et il y a le même mouvement

ascendant et descendant. Cette présentation du Fils comme image de la bonté archétype proviendrait, selon Cl. Moreschini, Teologia Trinitaria, note 303, p. 167, à la fois de la Bible (cf. 2 Co 4, 4 ; Col 1, 15 ; He 1, 3) et d’une influence platonicienne. Selon X. Morales, La Théologie trinitaire d’Athanase d’Alexandrie, p. 149, Grégoire serait plutôt influencé par Athanase, ep. Serap. I 20, 4 ; cependant, les deux passages n’ont littéralement que le verbe ‚klàmpein en commun et Athanase ne présente pas le double mouvement épistémologique caractéristique (mouvement ascendant et descendant) que l’on trouve chez Basile et Grégoire. 340 Basile, Spir. XVIII 47 (412, 17–23) : « Azar–ac, Misa†l, ‚lËgqousi tòn >Areianòn ÇsËbeian; e pÏntec; « eŒlogeÿte, pànta tÄ Írga kur–ou, t‰n k‘rion ». tÄ m‡n ‚n oŒranƒ ka» ‚p» g®c ka» pêsan tòn kt–sin ±c Írga katËlexan, t‰n d‡ u…‰n oŒk ≤nÏmasan » ; de même Épiphane, anc. 23–24. Cf. aussi une démonstration analogue, fondée sur Col 1, 16, par Eusèbe de Césarée, e.th. I 9, 1–4. 440 C’est à une telle exégèse que semble faire allusion Grégoire de Nazianze, or. 31, 2 (298, 19–21) : « Ka» mòn oŒd‡ ‚keÿno fobhj†somai « t‰ pànta diÄ to‹ U…o‹ gegonËnai » lËgesjai, ±c ·n‰c t¿n pàntwn Óntoc ka» to‹ Åg–ou Pne‘matoc. » De même Basile, adv. Eun. III 7 (172, 32–33) avec référence explicite à Jn 1, 3. 441 Cf. Sozomène, h.e. IV 29, 3 : « PunjanomËnwn d‡ aŒt¿n t¿n ·pomËnwn toÿc ‚n Nika–¯ dÏxasin, Ìpwc je‰n ‚k jeo‹

442

t‰n u…‰n sunomologo‹ntec ÇnÏmoiÏn te ka» ‚x oŒk Óntwn ka» parÄ tòn sf¿n aŒt¿n Íkjesin Ênomàzein jarro‹sin, Ìti ka» Pa‹loc  ÇpÏstoloc, Ífasan, e⁄pe; « tÄ d‡ pànta ‚k to‹ jeo‹ », pàntwn d‡ e⁄nai ka» t‰n u…Ïn. » Eunome, Ap 28 (74, 14–19) : « ka» diÄ to‘tou pr¿ton m‡n pàntwn ka» meÿzon t‰ pne‹ma t‰ âgion ‚po–hsen, ‚xous–¯ m‡n  d–¯ ka» prostàgmati, ‚nerge–¯ d‡ ka» dunàmei to‹ u…o‹, metÄ d‡ to‹to tÄ loipÄ pànta tÄ ‚n oŒranƒ ka» ‚p» g®c, Âratà te ka» ÇÏrata, ka» s∏matà te ka» Çs∏mata diÄ to‹ u…o‹ ‚po–hsen. EŸc gÄr je‰c ‚x o› tÄ pànta, katÄ t‰n ÇpÏstolon, ka» eŸc k‘rioc >Ihso‹c QristÏc, di+ o› tÄ pànta. » Sur ce chapitre de

l’Ap, appendice rajouté sans doute après coup mais de facture clairement anoméenne, cf. les remarques de B. Sesboüé in Basile, Contre Eunome, t. 1, p. 58. 443 Sur ce point, cf. supra partie II, chapitre I, 1.2.4 Comparaison du début du fragment 1 avec l’Ap : comparaison avec les réflexions sur l’Esprit, p. 101. 444 C’est aussi ce que semble confirmer le second argument scripturaire (Mt 28, 19) avancé par Grégoire.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

311

d’une armée : de même qu’il serait fâcheux de compter parmi les officiers subalternes le général en chef, de même Paul n’a pas compté l’Esprit parmi les créatures. Il serait assurément erroné de ne voir là qu’un prolongement littéraire et purement esthétique de ce qui précède ; bien au contraire, cette grande comparaison de Grégoire 445 vise à donner une interprétation authentique des paroles de Paul. Le décompte des autorités militaires distingue en effet entre le cercle des officiers subalternes, et donc subordonnés, et le général en chef, c’est-à-dire celui qui n’est subordonné à personne. Le texte de Col 1, 16 ne saurait donc être compris comme l’énumération d’un certain type de produits du Fils, laissant ouverte la possibilité d’une subordination de l’Esprit ; au contraire, l’Esprit non mentionné en Col 1, 16 ne peut être situé qu’au niveau de la nature transcendante étrangère à toute subordination : l’Esprit est donc bien de nature incréée. Cette comparaison donne aussi l’occasion à Grégoire de rappeler l’expérience mystique de Paul, initié au Paradis aux réalités inénarrables (‚n parade–s˙ muhje»c tÄ ÇpÏrrhta), établi témoin des merveilles supracélestes (t¿n Õperouran–wn jaumàtwn jeatòc katastàc) 446. Grégoire achève ainsi cette première démonstration par un argument supplémentaire qui, s’il n’apporte pas de nouvelle preuve du caractère incréé de l’Esprit, affermit cependant la force persuasive du témoignage scripturaire évoqué : le témoin mentionné est un spectateur direct de la distinction créé/incréé 447. 4.2.2 Réponse à une objection L’objection est simple et remet en cause l’extension du catalogue de Col 1, 16 : des créatures invisibles comme Chérubins et Séraphins ne sont pas mentionnées, si bien que d’après le raisonnement précédent de Grégoire, il en résulterait «ou bien que ceux-ci aussi sont au-dessus de la création ou bien que l’Esprit ne l’est pas » 448. Il est difficile de savoir s’il s’agit d’une objection réelle à laquelle Grégoire doit répondre ou s’il ne se la pose pas lui-même, comme une sorte d’hypothèse absurde 449. Dans ce dernier cas, le développement que propose Grégoire pourrait être compris non seulement comme une consolidation de l’argument précédent mais peut-être aussi comme un passage ostentatoire, une sorte de «gesticulation » scripturaire, par le biais de laquelle le Cappadocien montrerait quelques instants sa connaissance approfondie des Écritures et donc la solidité de sa doctrine, parfaitement fondée sur les livres sacrés. Grégoire répond successivement aux deux propositions de l’objection et montre d’abord que Chérubins et Séraphins sont bien mentionnés dans le catalogue de Paul (Eun. I 310–312), puis que l’Esprit Saint ne saurait en faire partie (Eun. 313).

445 La phrase ne fait pas moins de 21 lignes, articulée autour de la division 446

447 448 449

πsper/o’tw : comparaison /application à Col 1, 16. Sur cette allusion à l’expérience mystique de Paul, cf. aussi Eun. I 314 ; Eun. III/I 16 ; Eun. III/V 13 ; Cant. III (85, 20–21). Même allusion chez Basile, adv. Eun. I 12 (212, 18–214, 22). Comme le remarque M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 310, le témoignage de Paul, témoin direct des mystères divins, gagne ainsi en autorité. De ce point de vue, la démonstration de Grégoire, qui s’appuie sur le témoignage de Paul, se révèle plus persuasive que celles d’Athanase, Ar. II 71, 5 et d’Épiphane, anc. 23–24, fondées sur Dn 3, 57. Eun. I 309 : « £ ka» ta‹ta Õp‡r tòn kt–sin £ mhd‡ t‰ pne‹ma deÿn o“esjai ». La question est posée au potentiel et rien ne permet de dire si Eunome l’a formulée dans l’AA ; il en était de même avec l’objection dans la partie consacrée au Fils. Par ailleurs, Grégoire s’oppose assez souvent des objections possibles, qu’il forge lui-même, cf. Eun. I 508 ; Eun. III/I 21 ; III/I 113 ; III/II 42 ; voir pour ce dernier passage le commentaire de M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 353–354.

312

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Première réponse : Chérubins et Séraphins sont effectivement mentionnés. Grégoire explique que les créatures mentionnées ont simplement reçu d’autres noms dans le catalogue de Paul. L’apôtre a remplacé le mot hébreu Chérubin, obscur pour des non sémites, par Trônes, s’appuyant pour cela sur le témoignage d’Isaïe 450. L’explication de Grégoire pour les Séraphins est plus élaborée et semble originale 451 : les Séraphins ont été appelés Puissances par Paul, puisque la louange des Séraphins décrite par Isaïe 452 est attribuée par David aux Puissances 453. Par ailleurs, David appelle les Puissances «liturges » 454 et cette activité liturgique correspond selon Grégoire à celle d’un des Séraphins dans le Temple, qui purifia Isaïe de ses péchés 455. Deuxième réponse : l’Esprit ne peut faire partie du catalogue des créatures. Grégoire distingue cette fois le mode d’énonciation des créatures mentionnées au pluriel (plhjuntik¿c) de celui de la sainte Triade, dont le propre est d’être proclamée selon l’unicité (monaq¿c) 456. On ne parle en effet que d’un Père, d’un Fils et d’un Esprit, tandis que Paul énumère en masse (‚n pl†jei) les créatures dans son catalogue : l’Esprit ne peut donc être compté parmi les réalités créées. Grégoire semble ici moins original que précédemment et reprend un argument bien connu de la polémique anti-arienne attesté chez son frère 457 comme chez Athanase 458, dont les réflexions ont vraisemblablement influencé plus directement Grégoire.

450 Cf. Is 37, 16. L’association des Chérubins avec le trône de Yahvé est fréquente dans la Bible, cf. 1 R 4, 4 ; 2 R

451 452 453 454 455 456

457 458

6, 2 ; 4 R 19, 15 ; Ps 80, 2 ; 99, 1 ; cf. E. Lohse, « Qeroub–n », J. Michl, «Engel II », p. 63, qui met en relation l’appellation des Chérubins comme Trônes avec leur fonction dans le Temple. Une explication assez proche de celle de Grégoire est donnée par Théodoret, Rom.-Philm. (600B) : « JrÏnouc ôgo‹mai tÄ Qeroub»m aŒt‰n lËgein; to‘toic gÄr e⁄de t‰n jeÿon ‚pike–menon jrÏnon  prof†thc >Iezeki†l ». Théodoret renvoie cependant explicitement au prophète Ezéchiel (Ez 10, 1), ce que ne fait pas Grégoire. Contrairement à Grégoire, les Séraphins sont assimilés aux Trônes par Didyme l’Aveugle, Trin. II 18 (545A). Cf. Is 6, 3. Cf. Ps 102, 21. Cf. Ps 102, 21 : « eŒlogeÿte t‰n k‘rion, pêsai a… dunàmeic aŒto‹, leitourgo» aŒto‹ poio‹ntec t‰ jËlhma aŒto‹ ». Cf. Eun. I 311 : « a’th gàr ‚stin ô leitourg–a t¿n pneumàtwn to‘twn, ‚p» swthr–¯ t¿n s˙zomËnwn ‚kpËmpesjai. » Cf. Eun. I 313 : « to‹to gÄr “dion t®c Åg–ac triàdoc ‚st–, t‰ monaq¿c ‚xaggËllesjai » ; Grégoire mentionne donc ici une propriété propre (“dion) de la Triade, dans le sens où cette propriété n’est pas commune (koinÏn) avec les créatures ; ce caractère propre ne doit bien évidemment pas être confondu avec les distinctions propres à chaque membre de la Triade, que Grégoire a précisées plus haut (cf. Eun. I 278–281). Sur le fait d’être mentionné selon l’unicité, cf. aussi Eust. (6, 8–11), où Grégoire est accusé de mentionner monadik¿c et non plhjuntik¿c les noms divins (bonté, puissance, divinité) ; id. (6, 23) : l’enseignement de l’Écriture mentionne toujours la divinité monaq¿c. Cf. Basile, adv. Eun. III 7 (172, 32–36) qui oppose la nature divine «singulière » (t®c monadik®c f‘sewc) aux créatures. Cf. Athanase, ep. Serap. I 27, 3 : « ka» pàlin; Èn ‚sti t‰ pne‹ma t‰ âgion, tÄ d‡ kt–smata pollà. äggeloi m‡n gÄr « q–liai qiliàdec » ka» « m‘riai muriàdec », fwst®rec d‡ pollo» ka» « jrÏnoi » ka» « kuriÏthtec » ka» oŒrano»

ka» qeroub»m ka» seraf»m ka» Çrqàggeloi pollo–. ka» Åpl¿c oŒk Ísti tÄ kt–smata Èn, ÇllÄ pànta pollÄ ka» diàfora. » De même Id., ep. Serap. II 12, 6, où Athanase démontre la divinité du Fils en soulignant son unité, opposée à la multiplicité des créatures angéliques, puis étend ce raisonnement à l’Esprit : « e  dË, Ìti oŒk Ísti t¿n poll¿n  u…‰c, Çll+ eŸc ‚stin, ±c patòr eŸc ‚sti, ka» oŒk Ísti kt–sma, pàntwc ka» t‰ pne‹ma (qrò gÄr Çp‰ to‹ u…o‹ lambànein ka» tòn per» to‹ pne‘matoc gn¿sin) oŒk ãn e“h kt–sma. oŒ gÄr t¿n poll¿n ‚stin, Çll+ Èn ‚sti ka» aŒtÏ. »

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

313

4.2.3 Mt 28, 19 comme dernier argument scripturaire Il a été souligné précédemment comment l’argument tiré du catalogue de Col 1, 16 pouvait être contourné par les anoméens : l’Esprit n’est effectivement pas mentionné avec les réalités visibles et invisibles évoquées par Paul parce qu’il est un produit éminent du Fils. Peut-être est-ce à cette position que Grégoire fait discrètement allusion au début de cette nouvelle démonstration 459 ; quoi qu’il en soit, ce dernier argument confirme avec force celui de la «comparaison militaire » puisque Grégoire, pour montrer que l’Esprit ne saurait être inférieur au Père et au Fils, achève ses réflexions scripturaires par le témoignage du Seigneur lui-même 460 : Le Dieu Verbe lui-même, livrant aux disciples le mystère de la connaissance de Dieu, a dit que c’est au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit que la vie est portée à son accomplissement et parachevée chez ceux qui sont régénérés, et du fait de le coordonner au Père et à lui-même, il a écarté de l’Esprit le soupçon d’être création 461.

Cet argument fondé sur Mt 28, 19 est assez dense. Grégoire souligne d’une part que l’Esprit, coordonné au Père et au Fils, n’est donc pas coordonné avec les créatures et ne saurait donc être compté parmi la création ; sans le dire explicitement, Grégoire sousentend une énumération homogène des catégories créées et incréées, ce qui lui permet de tirer profit de Mt 28, 19 et, une fois encore, de Col 1, 16 : Paul n’a pas mentionné l’Esprit dans l’énumération de la création (l’Esprit n’est donc pas créé), tandis que le Seigneur l’ajuste au Père et au Fils dans la mention de la puissance vivifiante (l’Esprit est donc incréé) 462. Par ailleurs, Grégoire s’appuie implicitement sur l’action sanctificatrice du baptême accomplie au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit : si l’Esprit concourt ainsi avec le Père et le Fils à la régénération des croyants, c’est donc qu’il est lui aussi la même puissance vivifiante (t®c zwopoio‹ dunàmewc). Ces explications de Grégoire ne sont pas neuves et le Cappadocien ne fait que proposer une nouvelle fois certains principes scripturaires majeurs de la controverse 463. Effectivement, ce passage de Mt 28, 19, qui fut utilisé au début des querelles trinitaires dans un but vraisemblablement anti-sabellien 464, joua sur plus d’un point un rôle important dans la querelle arienne. La formule baptismale de Mt 28, 19 permettait de défendre, d’une part, l’utilisation des noms de Père, Fils et Esprit contre d’autres dé459 Cf. Eun. I 314 : « o…

d‡ t®c Çlhje–ac polËmioi ka» t¿n Çrr†twn katatolm¿si, t‰ megaleÿon to‹ pne‘matoc tƒ tapeinƒ t®c kt–sewc kajubr–zontec (Mais les ennemis de la vérité s’enhardissent même contre les réalités inexprimables, dégradant la grandeur de l’Esprit au niveau de la création) ».

460 Ce dernier argument fait ainsi comme inclusion avec le premier de toute cette partie fondé sur Jn 8, 42,

puisque chacun des deux se présente comme une affirmation du Seigneur, de la Vérité elle-même. 461 Eun. I 314 : « aŒt‰c

462

 je‰c lÏgoc paradidoÃc toÿc majhtaÿc t‰ t®c jeognws–ac must†rion ‚n ÊnÏmati patr‰c ka» u…o‹ ka» Åg–ou pne‘matoc toÿc ÇnagennwmËnoic e⁄pe tòn zwòn ka» sumplhro‹sjai ka» parag–nesjai, ka» diÄ to‹ suntàxai tƒ patr» ka» ·autƒ t®c per» tòn kt–sin Õpono–ac t‰ pne‹ma ‚q∏risen ». Cf. Eun. I 315 : « Pa‘lou m‡n ‚n t¨ mn†m˘ t®c kt–sewc tòn to‹ pne‘matoc f‘sin Çposig†santoc, to‹ d‡ kur–ou ‚n t¨ mn†m˘ t®c zwopoio‹ dunàmewc t‰ pne‹ma t‰ âgion tƒ patr» ka» ·autƒ sunarmÏsantoc. »

463 Sur les emplois de Mt 28, 19 dans la querelle arienne avant Grégoire, cf. la présentation détaillée de M. Van

Parys, «Exégèse et théologie dans les livres Contre Eunome de Grégoire de Nysse », p. 186–189. 464 Cf. Eusèbe de Césarée, Marcell. I 1, 9 ; Id., ep. Caes. 5 (43, 15–19) : « to‘twn

Èkaston e⁄nai ka» Õpàrqein piste‘ontec patËra Çlhj¿c patËra ka» u…‰n Çlhj¿c u…‰n ka» pne‹ma âgion Çlhj¿c âgion pne‹ma, kaj∞c ka» Â k‘rioc ôm¿n ÇpostËllwn e c t‰ k†rugma toÃc ·auto‹ majhtÄc e⁄pen; « poreujËntec majhte‘sate pànta tÄ Íjnh bapt–zontec aŒtoÃc e c t‰ Ónoma to‹ patr‰c ka» to‹ u…o‹ ka» to‹ Åg–ou pne‘matoc ». » Cf. de même la seconde formule de foi du synode des Encénies, citant Mt 28, 19 dans un sens anti-sabellien, cf. Athanase, syn. 23, 5–6 (249, 26–33).

314

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

nominations concurrentes 465. Par ailleurs, et c’est le cas le plus fréquent, la mention ensemble du Père, du Fils et de l’Esprit dans la formule baptismale de Mt 28, 19 était un argument puissant pour rejeter toute subordination ou abaissement au rang de créature de l’un de ceux énumérés 466 ; le raisonnement de Grégoire apparaît ici particulièrement proche d’une réflexion d’Épiphane, lequel s’appuie sur Mt 28, 19 pour montrer justement que l’Esprit, compté avec le Père et le Fils, est bien äktiston 467. Enfin, l’efficacité baptismale elle-même apparaissait comme une preuve évidente de la divinité de l’Esprit, point souligné tout spécialement par Athanase 468. Le raisonnement assez bref suivi par Grégoire en Eun. I 314–315 s’inscrit donc assez naturellement dans ces lectures trinitaires du texte évangélique, le Cappadocien mêlant à l’énumération côte à côte des noms de Père, Fils et Esprit le rôle de la puissance vivifiante pour la régénération baptismale. Cependant, la juste appréciation de ces réflexions de Grégoire, qui achèvent cette longue partie scripturaire consacrée à la démonstration de la nature incréée du Fils et de l’Esprit, ne saurait se limiter à une simple mise en parallèle avec d’autres auteurs ; en effet, la place dans ce vaste chapitre XXIII du Eun. I de cette interprétation de Mt 28, 19 ne semble pas arbitraire ; Grégoire prend soin d’achever sa démonstration scripturaire sur le Fils et l’Esprit en faisant appel à l’efficacité baptismale et donc à l’argument sotériologique, principe démonstratif particulièrement fort. Cet argument jouait déjà un rôle majeur à la fin du chapitre précédent, dans la mesure où le subordinatianisme d’Eunome conduisait ipso facto, selon Grégoire, à la négation de l’économie du Salut 469 ; cette fois-ci, le principe sotériologique permet à Grégoire de montrer que l’Esprit aussi doit être considéré avec le Père et le Fils au sein de la nature bienheureuse, vivifiante et incréée (‚n t¨ makar–¯ te ka» zwopoiƒ ka» Çkt–st˙ f‘sei). Dans les deux cas, Grégoire laisse donc le lecteur sur des conclusions marquantes : alors que la théologie d’Eunome supprime implicitement le Salut, l’œuvre salvatrice fonde au contraire l’identité de nature incréée des membres de la Triade.

465 Ainsi le synode homéousien de 358, cf. Épiphane, haer. 73, 3, 2, qui s’appuie sur Mt 28, 19 pour rejeter les

466

467

468 469

dénominations « Çsàrkou ka» sarkwjËntoc £ to‹ Çjanàtou ka» janàtou peÿran labÏntoc £ to‹ Çgenn†tou ka» gennhto‹ » ; de même Athanase, Ar. II 42, 3 ou Basile, adv. Eun. I 5 (176, 71–75) : le nom de Père doit être préféré à celui d’inengendré (avec référence à Mt 28, 19). C’est ce que fait Grégoire au début de la partie théologique du Eun. I (cf. Eun. I 156) pour rejeter les dénominations du début du fragment 1. Cf. Athanase, ep. Serap. I 9, 1–2 ; id. I 17, 1 (Athanase souligne dans ces deux cas, sans citer Mt 28, 19, qu’on ne peut nommer ensemble des réalités hétérogènes) ; Id., ep. Serap. I 11, 6–7 et Id., ep. Serap. II 15, 4 (Athanase cite Mt 28, 19 et conclut : l’Esprit Saint est coordonné au Père et au Fils et on ne peut nommer ensemble des réalités dissemblables, « —na mò Æ ÇnÏmoioc ·aut¨ ô TriÄc, xËnou tin‰c ka» Çllotr–ou suntassomËnou aŒt¨. ») Épiphane, haer. 76, 9, 3–4 (l’Esprit n’est pas compté parmi ce qui est créé par le Fils, mais mentionné avec le Père et le Fils, et citation de Mt 28, 19) ; Basile, ep. 226, 3 (27, 30–34) ; Id., adv. Eun. III 5 (164, 28–39) ; Id., Spir. X 24 (332, 4–11) ; XVII 43 (398, 10–20) ; XXIX 75 (516, 24–26) ; Grégoire de Nazianze, or. 31, 29 (334, 24). Cf. Épiphane, haer. 69, 56, 10 : « e  gÄr ™n t¿n gegonÏtwn, oŒk ãn tƒ Çkt–st˙ patr» ka» u…ƒ Çkt–st˙ sunhrijmeÿto, Çll+ Ìti äktistÏn ‚stin sunarijmeÿtai; e⁄pe gÄr « ÇpeljÏntec bapt–sate e c Ónoma patr‰c ka» u…o‹ ka» Åg–ou pne‘matoc ». » Cf. Athanase, ep. Serap. I 11, 6 et surtout id. I 28, 1–30, 7. Athanase peut suivre le même raisonnement à propos du Fils, cf. Id., Ar. II 41, 2–3 ; cf. aussi Grégoire de Nazianze, or. 31, 28 (332, 9–10). Cf. supra partie III, chapitre II, 3.1.2 Si Fils et Esprit ne sont pas le «Bien », il n’y a plus de Salut, p. 261.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

315

5 La distinction ktistÏn/äktiston : quelle originalité de Grégoire ? Les pages précédentes ont cherché à mettre en évidence la place et le rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I. Cela a permis de voir comment Grégoire s’appuie de multiples façons sur cette distinction pour construire à son tour une échelle des êtres et répondre ainsi au subordinatianisme d’Eunome. Arrivés à la fin de cette étude, sans doute serait-il opportun d’élargir maintenant la perspective en cherchant à situer la place de la distinction ktistÏn/äktiston d’abord dans l’œuvre de Grégoire de Nysse puis, plus généralement, dans la tradition. Ces deux thèmes plutôt massifs pourraient constituer sans difficulté des sujets d’étude à part entière, car le chercheur se trouve maintenant placé non plus devant des fragments épars, comme c’était le cas pour l’étude d’Eunome avec Aèce, Arius ou Astérius, mais devant des corpus de texte immenses ; les examiner ici de façon exhaustive dépasserait assurément le cadre de ce travail. Les réflexions suivantes n’ont donc pas la prétention d’épuiser ces questions ou d’apporter des réponses décisives, mais veulent seulement proposer quelques approches pouvant susciter peut-être des approfondissements ultérieurs. 5.1 La place de la distinction ktistÏn/äktiston dans l’œuvre de Grégoire 5.1.1 Le rôle principal de la distinction ktistÏn/äktiston Le Eun. I n’est pas le seul témoin de l’emploi par Grégoire de la distinction créé/incréé ; celle-ci reparaît dans plusieurs autres œuvres et dans des contextes parfois très différents, sans rapport avec les querelles trinitaires. Dans les traités De anima et resurrectione et De hominis opificio, Grégoire s’appuie sur la distinction entre ktistÏn et äktiston pour mettre en évidence ce qui distingue l’âme ou l’homme de Dieu 470 ; dans l’Oratio catechetica magna, il souligne dans un contexte baptismal l’opposition entre la nature créée soumise au changement et la nature incréée immuable 471 ; dans la sixième homélie du traité In Canticum canticorum, Grégoire s’appuie sur cette distinction pour

470 Cf. An. et res. (41C) sur la distinction entre l’âme et Dieu : « OŒkËti

gÄr ãn e“h e k∞n, e  ‚ke–n˙ di+ Åpàntwn e“h taŒt‰n, Çll+ ‚n oŸc ‚n t¨ Çkt–st˙ f‘sei kajorêtai ‚keÿno, ‚n toÿc aŒtoÿc ô ktistò f‘sic de–knusi to‹to (l’âme ne serait plus image si elle lui était semblable en tout, mais là où elle lui est semblable, ce qui est observé dans la nature incréée est manifesté par la nature créée) » ; de même Op. hom. 16 (184C) sur la distinction entre l’homme et Dieu : « >En pêsi to–nun t®c e kÏnoc to‹ prwtot‘pou kàllouc t‰n qarakt®ra fero‘shc, e  mò katÄ

t» tòn diaforÄn Íq˘, oŒkËti ãn e“h pàntwc Âmo–wma, ÇllÄ taŒt‰n ‚keÿno diÄ pàntwn Çnadeiqj†setai, t‰ ‚n pant» Çparàllakton. T–na to–nun aŒto‹ te to‹ je–ou, ka» to‹ pr‰c t‰n jeÿon ±moiwmËnou tòn diaforÄn kajor¿men ; >En tƒ, t‰ m‡n e⁄nai, t‰ d‡ diÄ kt–sewc Õpost®nai. (L’image porte en tout l’impression de la beauté prototype ; mais si elle n’avait aucune différence avec elle, elle ne serait plus du tout un objet à la ressemblance d’un autre, mais exactement semblable au modèle dont rien absolument ne la séparerait. Quelle différence y a-t-il donc entre la Divinité et celui qui est à sa ressemblance ? Ceci exactement : l’une est sans création, l’autre reçoit l’existence par une création.) » (trad. J. Laplace). 471 Cf. Or. cat. XXXIX (99, 5–9) : « diq¨ to–nun t¿n Óntwn memerismËnwn e c t‰ ktist‰n ka» t‰ äktiston ka» t®c m‡n

Çkt–stou f‘sewc t‰ ätreptÏn te ka» Çmetàjeton ‚n ·aut¨ kekthmËnhc, t®c d‡ kt–sewc pr‰c tropòn ÇlloioumËnhc (Mais comme les êtres sont divisés en deux catégories, celle des êtres créés et celle des être incréés et que la nature incréée possède en elle-même la stabilité et l’immutabilité, alors que la création est sujette au changement et à la mutation) » (trad. R. Winling).

316

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

rendre compte du progrès spirituel de l’homme 472. La distinction créé/incréé apparaît donc familière à Grégoire, qui sait en varier l’utilisation selon ses besoins. De ce point de vue, les réflexions de Grégoire dans le Eun. I ne sont donc qu’un exemple entre d’autres de la mise en œuvre par le Cappadocien d’un outil métaphysique visiblement apprécié. Une étude des occurrences du terme äktiston dans les écrits de Grégoire permet cependant d’apporter des précisions supplémentaires, étude facilitée par les moyens informatiques, qui permettent un relevé de ce terme dans les œuvres du Cappadocien 473. Même s’il importe de souligner les limites d’une telle approche uniquement quantitative, les résultats paraissent cependant assez révélateurs. Ainsi, d’après le Thesaurus Linguæ Graecæ (TLG), 95 occurrences du terme äktiston (y compris sous la forme adverbiale ) apparaissent dans 13 œuvres de Grégoire au total. Ces résultats peuvent être présentés dans un tableau, où les œuvres du Cappadocien sont classées par ordre alphabétique ; les colonnes suivantes indiquent pour chaque œuvre le nombre de colonnes dans la PG 474, le nombre d’occurrences du terme äktiston et la fréquence par colonne de ce terme.

œuvres de Grégoire An. et res. (De anima et resurrectione) Antirrh. (Antirrheticus adversus Apolinarium) Cant. (In Canticum canticorum)  avec la partie historique  (Eun. I 1–691) Eun. I  (Contra Eunomium I)  sans la partie historique (Eun. I 147–691) Eun. II (Contra Eunomium II) Eun. III (Contra Eunomium III) Infant. (De infantibus praemature abreptis) Maced. (Adversus Macedonianos) Op. hom. (De hominis opificio) Or. cat. (Oratio catechetica magna) Ref. Eun. (Refutatio confessionis Eunomii) Simpl. (Ad Simplicium) Vit. Moys. (De Vita Moysis)

nombre de nombre fréquence colonnes d’occurrences du terme dans la du terme äktiston PG äktiston par colonne 75 74 183 109

1 1 5 27

0,0133 0,0135 0,0273 0,2477

84

27

0,3214

107 169 16 17 67 49 54 6 67

3 28 1 6 3 8 9 2 1

0,0280 0,1656 0,0625 0,3529 0,0447 0,1632 0,1666 0,3333 0,0149

472 Cf. Cant. VI (174, 1–6) : « pàlin

d‡ ka» t®c noht®c f‘sewc diq¨ di˘rhmËnhc ô m‡n äktistÏc ‚sti ka» poihtikò t¿n Óntwn, Çe» ofisa Ìper ‚st» ka» pàntote ±sa‘twc Íqousa, kre–ttwn te prosj†khc Åpàshc ka» t®c ‚latt∏sewc t¿n Çgaj¿n Çnep–dektoc, ô d‡ diÄ kt–sewc paraqjeÿsa e c gËnesin pr‰c t‰ pr¿ton a“tion Çe» blËpei t¿n Óntwn

(Mais de nouveau la nature intelligible est divisée en deux, l’une est incréée et efficiente des êtres, demeurant toujours ce qu’elle est et continuellement semblable, étrangère à tout progrès en mieux ou à une diminution de ses biens, l’autre est amenée à l’être par création et contemple toujours la cause première des êtres) ». 473 L’épître 38 du corpus basilien, dont l’attribution à Grégoire est discutée (cf. supra note 23, p. 200–201), est laissée volontairement de côté. 474 En raison de l’absence d’édition critique de plusieurs œuvres dans le GNO et afin d’assurer une comparaison homogène, le volume de chaque œuvre est donc mesuré selon le nombre de colonnes dans la PG.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

317

Un classement de ces œuvres d’après la fréquence du terme äktiston (de la fréquence la plus haute jusqu’à la plus basse) aboutit au résultat suivant : Maced. 0,3529

Simp. 0,3333

Eun. I 0,2477 0,3214

Ref. Eun. 0,1666

Eun. III 0,1656

Op. hom. 0,0447

Eun. II 0,0280

Cant. 0,0273

Vit. Moys. Antirrh. 0,0149 0,0135

Or. cat. 0,1632

Infant. 0,0625

An. et res. 0,0133

Il est assez remarquable de constater que les cinq premières œuvres dont l’utilisation du terme äktiston est la plus fréquente sont toutes consacrées à des questions trinitaires, où Grégoire joue à chaque fois sur l’opposition ktistÏn/äktiston pour défendre la divinité du Fils et de l’Esprit. La présence du Eun. II en neuvième position peut s’expliquer par la problématique particulière de ce traité, consacré essentiellement au problème du langage. De même, l’absence totale du terme äktiston dans d’autres œuvres trinitaires de Grégoire (Ad Eustathium, Ad Graecos, Ad Ablabium) peut s’expliquer facilement. Grégoire, en Ad Graecos et Ad Ablabium, explique entre autres le sens du mot jeÏc, traite du problème lié à ce mot prédiqué du Père, du Fils et de l’Esprit sans qu’il soit pour autant possible de parler de trois jeo–, souligne le rôle de chaque membre de la Triade dans l’unique action divine, présente ce qui distingue une substance d’une autre substance ou une hypostase d’une autre hypostase ; cependant Grégoire n’a pas à répondre directement à des objections sur la divinité du Fils et de l’Esprit. Dans le traité Ad Eustathium, où Grégoire doit au contraire justifier la divinité de l’Esprit, le Cappadocien choisit de prendre plutôt l’Écriture comme arbitre 475, ce qui lui permet de mettre en évidence l’identité d’action et donc de nature des membres de la Triade. Il ressort ainsi de ces quelques remarques que Grégoire semblerait employer préférentiellement la distinction ktistÏn/äktiston dans des problématiques trinitaires, lorsqu’il s’agit de fonder de façon spéculative la divinité du Fils ou de l’Esprit. La mise en œuvre de cette distinction dans le Eun. I ne présenterait donc pas d’originalité particulière, mais se révélerait plutôt conforme au mode d’utilisation majoritaire par le Cappadocien de cet outil théologique. 5.1.2 L’émergence de la distinction ktistÏn/äktiston La place de la distinction créé/incréé chez Grégoire peut être encore abordée sous un autre angle, non plus thématique mais chronologique. Le problème se complique cependant, étant donné l’incertitude qui règne sur la datation non seulement absolue mais même relative de plusieurs œuvres du Cappadocien 476. Néanmoins, en suivant les résultats actuels de la recherche, il demeure possible de proposer une hypothèse de 475 Cf. Eust. (6, 3–4) : « oŒko‹n

ô jeÏpneustoc ômÿn diaithsàtw graf† ».

476 L’étude de la chronologie des œuvres de Grégoire de Nysse a été abordée de nombreuses fois et les contri-

butions principales demeurent les suivantes : J. Daniélou, «La chronologie des sermons de Grégoire de Nysse » ; Id., «La chronologie des œuvres de Grégoire de Nysse » ; G. May, «Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregors von Nyssa ». Il convient d’ajouter à ces contributions d’ensemble toutes les études particulières, spécialement celles consacrées à des œuvres précises de Grégoire et qui abordent généralement les questions de datation ; on en trouvera un résumé d’ensemble par P. Maraval, «Chronology of Works », qui offre pour chaque œuvre de Grégoire le compte rendu des recherches actuelles (cf. spécialement la bibliographie p. 167–169, à laquelle il est possible de rajouter pour les petits traités trinitaires : T. Ziegler, Les petits

318

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

datation pour les œuvres mentionnées précédemment et caractérisées par l’emploi du terme äktiston 477. An. et res. (De anima et resurrectione). Cette œuvre ayant été rédigée après la mort de Macrine, le terminus post quem du traité est donc juillet 379. J. Terrieux propose 381– 383. Antirrh. (Antirrheticus adversus Apolinarium). Selon G. May, le traité ne peut avoir été rédigé avant 387, Grégoire de Nazianze ne connaissant qu’à cette date le traité d’Apolinaire réfuté par Grégoire de Nysse. Cant. (In Canticum canticorum). Considérée généralement comme une œuvre des dernières années, F. Dünzl la date après 391, peut-être même après 394. Eun. I (Contra Eunomium I). Il a été vu précédemment que le traité avait été commencé en automne 378 et achevé au cours de l’année 380. Eun. II (Contra Eunomium II). Composé après le Eun. I et terminé pour le concile de Constantinople de mai 381, le traité fut certainement composé en 380–381. Eun. III (Contra Eunomium III). M. Cassin propose une rédaction entre 382 et 383. Infant. (De infantibus praemature abreptis). J. Daniélou propose une composition après 386. Maced. (Adversus Macedonianos). Le traité fut composé vraisemblablement après le Eun. II et daterait de la période du concile de Constantinople 478 ; G. May ainsi que T. Ziegler considèrent qu’il fut rédigé peu après 479. Op. hom. (De hominis opificio). Le traité fut composé par Grégoire après la mort de Basile et offert à son frère Pierre pour Pâques 379. Or. cat. (Oratio catechetica magna). La datation est plus discutée. Placée par plusieurs chercheurs au moins après 381, R. Winling propose au contraire une rédaction avant le traité Contra Eunomium, pour l’essentiel à l’époque du De hominis opificio. Ref. Eun. (Refutatio confessionis Eunomii). Le traité fut composé après le synode de Constantinople de 383 pour répondre à la profession de foi d’Eunome ; sans doute Grégoire a-t-il répondu «alors que le sujet était encore brûlant » 480, soit vers 383– 384. Simpl. (Ad Simplicium). G. May propose comme date de rédaction les années avant 381 (P. Maraval suggère les mois qui précèdent le concile), tandis que T. Ziegler place le traité juste après le concile de 381. Vit. Moys. (De Vita Moysis). Œuvre des dernières années de Grégoire, qui date sans doute au plus tôt du milieu des années 380.

477 478 479

480

Traités trinitaires de Grégoire de Nysse, cf. en particulier p. 117–124 et p. 360 (tableau récapitulatif de la chronologie relative) ; pour le Eun. III : M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 8–9 ; enfin, pour des compléments de datation pour diverses œuvres, G. May, «Gregor von Nyssa in der Kirchenpolitik seiner Zeit »). Les indications suivantes résument celles proposées par P. Maraval, «Chronology of Works », en tenant compte de T. Ziegler, Les petits Traités trinitaires de Grégoire de Nysse et de M. Cassin, L’Écriture de la Polémique. Cf. G. May, «Gregor von Nyssa in der Kirchenpolitik seiner Zeit », p. 126 : Grégoire reprend et abrège dans ce traité deux passages du Eun. II (cf. id., note 125, p. 126). J. Daniélou, «La chronologie des œuvres de Grégoire de Nysse », p. 163, estime que le traité fut rédigé avant le concile de 381, car «Grégoire reprendra le thème dans un discours au concile ». Le discours en question est le In suam ordinationem, dont la datation est cependant discutée (381 ou 394) ; J. Daniélou s’appuie sur M. Gomes de Castro, Die Trinitätslehre des hl. Gregor von Nyssa, p. 13, qui est cependant beaucoup plus nuancé : «Die Zeit der Publikation [le traité Adversus Macedonianos] steht dahin. Wir finden nur manchen Berührungspunkte mit der Rede «In suam ordinationem » ». Cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 8.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

319

Il faut le souligner encore, la plupart des dates proposées demeurent des hypothèses, mais si l’on tient compte de ces conjectures, il serait possible de dresser l’échelle chronologique suivante, où cette fois les œuvres ne sont pas classées alphabétiquement, mais selon la fréquence d’emploi du terme äktiston (de la fréquence la plus haute à la plus basse) : 378

379

380

381

382

383

384

385

386

387

388

389

390 I

Maced. Simpl. Eun. I Ref. Eun. Eun. III Or. cat. Infant. Op. hom. Eun. II Cant. Vit. Moys Antirrh. An. et res. Deux remarques peuvent être faites à partir de ce tableau. Il est tout d’abord possible de remarquer que Grégoire utilise d’avantage le concept äktiston dans ses premières œuvres et moins vers la fin de sa vie : les traités d’utilisation importante se situent principalement avant 383 (Adversus Macedonianos, Ad Simplicium, Eun. I) tandis que la plupart de ceux plus discrets sur ce point apparaissent environ après 385 (In Canticum canticorum, De Vita Moysis, Antirrheticus adversus Apolinarium). Un tel constat ne saurait surprendre, car il a été vu que Grégoire utilise préférentiellement la notion d’ äktiston dans le cadre des querelles trinitaires, et celles-ci s’apaisent notablement après 383. La seconde remarque touche directement le Eun. I, qui compterait parmi les premières œuvres, avec le De hominis opificio et l’Oratio catechetica magna, où le Cappadocien emploie la notion d’incréé. De ce point de vue, le Eun. I ferait donc partie des œuvres pionnières de Grégoire, mais une étude plus précise des rapports chronologiques entre le Eun. I et les deux autres œuvres, De hominis opificio et l’Oratio catechetica magna, pourrait permettre de préciser davantage ce point. Précisions sur la datation du De hominis opificio Grégoire, dès le début de l’œuvre, présente le De hominis opificio comme un cadeau de Pâques pour son frère Pierre 481, destiné à compléter l’Hexaemeron de Basile. Basile est donc certainement mort et les chercheurs placent la rédaction de cette œuvre juste après la disparition de celui-ci, comme cadeau pour la fête de Pâques 379. Pour quelle 481 Cf. Op. hom., Introd. (125A) : « >Apaiteÿ

d‡ t‰ âgion Pàsqa tòn sun†jh t®c Çgàphc dwrofor–an ».

320

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

raison ? J. Laplace dit simplement, comme un fait acquis, que l’œuvre a été rédigée en 379, l’année de la mort de Basile 482. J. Daniélou semble justifier ce fait en soulignant que Pierre n’est pas encore évêque de Sébaste 483, mais la date d’ordination de celui-ci est difficile à préciser : Pierre ne semble pas encore évêque lorsque Grégoire lui écrit après son retour d’Arménie en 380 et peut-être même n’a-t-il été ordonné qu’après le concile de Constantinople de 381 484. Grégoire pourrait donc très bien lui avoir offert le De hominis opificio pour Pâques 380 ou 381, voire après. G. May, sous une formulation plus prudente, suit la même démarche que J. Daniélou 485, mais il fournit cependant une autre référence, en renvoyant à la Geschichte der altkirchlichen Literatur de O. Bardenhewer 486, lequel explique pourquoi il place la rédaction du De hominis opificio peu après (sehr bald) la mort de Basile : O. Bardenhewer s’appuie sur l’épigramme placé en tête de l’édition de la Patrologie Migne, attribué à Nicetas de Hiéraclée 487, qui place l’œuvre «aussitôt après la mort douloureuse » (AŒt–ka gÄr metÏpisje tanhlegËoc janàtoio) 488, et c’est sur ce témoignage que s’appuyait déjà S. Lenain de Tillemont 489. Finalement, il semble donc que la datation du De hominis opificio aussitôt après la mort de Basile pour Pâques 379 ne repose en fait que sur un unique témoignage extérieur et isolé datant du XIe siècle, quelque sept cents ans après les faits. Cet argument assez mince peut cependant être étayé par une indication supplémentaire et plus sûre, à ma connaissance jamais évoquée, de Grégoire de Nysse lui-même. 482 Cf. Grégoire de Nysse, La Création de l’Homme, Introduction, p. 5. 483 J. Daniélou, «La chronologie des œuvres de Grégoire de Nysse », p. 162 : «Au début de 379, La création de

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487 488 489

l’homme, offert par Grégoire comme cadeau de Pâques à son frère Pierre, qui n’est pas encore évêque de Sébaste ». Contrairement à l’opinion généralement reçue, cf. par exemple J. Gribomont, «Pierre de Sébaste » ; sur ce point, cf. les remarques de F. Diekamp, «Literargeschichtliches zu der eunomianischen Kontroverse », note 2, p. 11, remarques reprises en partie par P. Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres, Introduction, p. 31 et note 4, p. 309 : le titre employé par Grégoire dans la Lettre 29 pour s’adresser à Pierre («ton Intelligence », t®c s®c sunËsewc) ne serait pas habituel pour un évêque, différent du moins de ceux employés par Pierre dans sa réponse à Grégoire ; par ailleurs, Pierre ne semble pas encore évêque lors du concile de Constantinople de 381 : mentionné certes par Théodoret, h.e. V 8, 4, il n’apparaît cependant pas dans la liste des évêques présents au concile, cf. Canones concilii constantinopolitani (Mansi, t. 3, col. 568–572 : liste par provinces, qui fournit 147 noms sur les 150) ; Socrate, h.e. V, VIII et Sozomène, h.e. VII 7 ne le mentionnent pas. Selon P. Maraval in Grégoire de Nysse, Lettres, Introduction, p. 31, il n’est pas impossible qu’un évêque pneumatomaque ait été installé sur le siège de Sébaste après le départ de Grégoire de cette ville, et que Pierre ne l’ait remplacé qu’après 381. G. May, «Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregors von Nyssa », p. 57 : «Im Laufe des Jahres 379 dürfte Gregor die beiden Werke de opificio hominis und in Hexaemeron geschrieben haben : Basilios ist tot, und der jüngste Bruder Petros, dem beide Schriften gewidmet sind, scheint noch nicht Bischof von Sebasteia zu sein ». O. Bardenhewer, Geschichte der Altkirchlichen Literatur, p. 194 : «Sie war laut den Eingangsworten ein Ostergeschenk Gregors an seinen jüngeren Bruder Petrus und dürfte sehr bald nach des Basilius Tod (1. Januar 379) verfaßt sein. » Cf. O. Bardenhewer, Geschichte der Altkirchlichen Literatur, note 1, p. 194 : «Vgl. das in den Ausgaben, Migne 44, 123–126, vorausgeschickte Epigramm des Nicetas von Heraklea ». PG 44, 124. Cf. S. Lenain de Tillemont, Mémoires pour servir à l’histoire ecclésiastique des six premiers siècles, t. 9, p. 576 : «Saint Gregoire adressa à Saint Pierre son frere le livre de la formation de l’homme à la feste de Pasque, aussitôt aprés la mort de Saint Basile, selon l’epigramme de Nicetas qu’on lit à la teste » ; l’auteur propose alors prudemment comme datation «à Pasque apparemment en l’an 379 » (id., p. 743, je souligne). Nicetas, métropolite de Hiéraclée, vécut entre 1030 et 1100, cf. H.-G. Beck, Kirche und theologische Literatur im byzantinischen Reich, p. 651 ; il est surtout connu pour sa chaîne sur l’évangile de Luc, cf. J. Sickenberger, «Aus römischen Handschriften über die Lukaskatene des Niketas ».

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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Le Cappadocien renvoie en effet dans le Eun. II aux œuvres sur la Genèse qu’il a composées, faisant sans aucun doute allusion au De hominis opificio ainsi qu’à l’Apologia in Hexaemeron 490. Le De hominis opificio était donc achevé avant le Eun. II, c’est-à-dire très certainement avant les premiers mois de 381. Si Grégoire a donc offert cette œuvre à son frère Pierre pour une fête de Pâques après la mort de Basile, ce ne put être alors que pour Pâques 379 ou 380. Cependant, les mois qui suivirent Pâques 379 furent certainement peu propices pour la rédaction de ce traité, étant donné les activités assez intenses de Grégoire 491, si bien qu’il paraît plus probable de situer la rédaction du De hominis opificio effectivement pour Pâques 379. Grégoire aurait alors composé cette œuvre tandis qu’il jetait les premières ébauches du Eun. I. Précisions sur la datation de l’Oratio catechetica magna La question de la datation de l’Oratio catechetica magna est plus délicate. En effet, le traité était auparavant daté par J. Daniélou durant l’hiver 386–387 492, ou plus simplement après 381 par G. May 493, qui s’appuyait sur l’allusion du chapitre 38 de l’Oratio catechetica magna, où Grégoire renvoie à des œuvres antérieures très probablement trinitaires (œuvres désignées comme polémiques et comme réponses à des questions posées) 494 ; G. May voyait dans ces œuvres mentionnées par Grégoire les traités contre Eunome (les œuvres polémiques) et tel petit traité trinitaire (les réponses aux questions posées). Cependant, R. Winling a proposé assez récemment un réexamen de la question, suggérant finalement comme hypothèse de datation de l’Oratio catechetica magna l’époque de rédaction des traités De hominis opificio et De anima et resurrectione, l’auteur considérant par ailleurs que l’Oratio catechetica magna pourrait être pour l’essentiel antérieure aux traités contre Eunome, les deux derniers chapitres de l’œuvre (ch. 39 et 40) ayant pu être ajoutés ultérieurement 495.

490 Cf. Eun. II 226 : « Íxesti

d‡ tƒ boulomËn˙ toÿc e c tòn GËnesin peponhmËnoic ômÿn ‚nt‘qonti dokimàsai t¿n te ômetËrwn ka» t¿n Õpenant–wn t‰n ÇkoloujÏteron lÏgon. » W. Jaeger (note ad loc.) indique : «cf Gregorii Apo-

491

492 493 494

logiam in Hexaëmeron et De opificio hominis de ordine creationis », de même S.-G. Hall dans sa traduction du Eun. II, cf. Gregory of Nyssa : Contra Eunomium II, note 75, p. 109. Concile d’Antioche, voyage à Annisa et enterrement de Macrine, règlement de troubles à Nysse, voyages à Ibora puis à Sébaste avec incarcération dans cette ville, enfin retour probable à Nysse au plus tôt dans les premiers mois de 380 ; sur cette période, cf. supra partie I, chapitre I, 2.3.1 Époque de rédaction, p. 39–44. Cf. J. Daniélou, «La chronologie des sermons de Grégoire de Nysse », p. 365. Cf. G. May, «Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregors von Nyssa », p. 61 : «Die Große Katechese ist jedenfalls nicht vor 381, wahrscheinlich erst einige Jahre später entstanden ». Cf. Or. cat. XXXVIII (98, 11–16) : Grégoire explique qu’il ne va faire qu’un bref développement sur la foi (à comprendre comme la confession de foi trinitaire, comme le montre la suite du texte), mais souligne aussitôt « ¢dh proexejËmeja ‚n ·tËroic pÏnoic diÄ t®c dunat®c ômÿn spoud®c ‚n Çkribe–¯ t‰n lÏgon Åpl∏santec, ‚n oŸc

prÏc te toÃc ‚nant–ouc Çgwnistik¿c suneplàkhmen ka» kaj+ ·autoÃc per» t¿n prosferomËnwn ômÿn zhthmàtwn ‚peskeyàmeja. (nous avons déjà fait auparavant un exposé dans d’autres œuvres, développant notre propos avec précision selon tout le soin dont nous sommes capables, œuvres où nous nous sommes attaqués de façon polémique à nos adversaires et où nous avons examiné selon notre point de vue les questions qui nous étaient posées.) » 495 Cf. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, VI. Datation du Discours catéchétique, p. 125–130 ; conclusions des recherches de l’auteur, p. 130 : «Du point de vue de l’atmosphère générale, le Discours catéchétique est assez proche du De anima et resurrectione et du De hominis opificio. Il est loisible d’admettre qu’il a été rédigé à peu près à la même époque. (. . .) Si on retient une date antérieure à 381, on en arrive à suggérer l’idée que la rédaction du Discours catéchétique pourrait se situer avant celle du Contre Eunome, du moins pour l’essentiel, les deux derniers chapitres ayant pu être ajoutés ultérieurement. »

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Pourtant, une telle hypothèse semble en partie contradictoire pour le Eun. I 496, et on ne peut manquer d’être plutôt réservé devant les arguments avancés par l’auteur. Effectivement, le point de départ des développements de R. Winling est une donnée du sermon De tridui spatio, auquel l’Oratio catechetica magna serait antérieure 497 ; cependant, ce fait ne peut appuyer qu’une chronologie relative et non absolue de l’Oratio catechetica magna, la datation du sermon De tridui spatio étant justement controversée 498. Par ailleurs, nombre d’arguments avancés par l’auteur en faveur d’une antériorité de l’Oratio catechetica magna sur le Eun. paraissent discutables. R. Winling souligne l’absence dans l’Oratio catechetica magna de thèmes théologiques majeurs mis au clair dans le Eun. par Grégoire. Cependant, l’auteur écrase la perspective en ne parlant toujours que du traité «Contre Eunome », sans en distinguer les différents volumes, publiés à des époques différentes et dont la rédaction s’étend sur plus de quatre années 499. De plus, l’étude fréquente dans le Eun. de la notion d’ÇgËnnhtoc ainsi que du thème de l’inconnaissance de la substance divine, aspects mentionnés également par R. Winling, s’expliquent par la problématique propre au Eun., qui est de réfuter l’anoméen pour lequel ces thèmes théologiques jouent un rôle majeur ; il en est tout autrement dans le vade-mecum pour catéchistes qu’est l’Oratio catechetica magna, où Grégoire n’était pas obligé d’aborder ces thèmes. R. Winling souligne aussi l’«ardeur juvénile à expliquer et à démontrer », qui caractériserait l’Oratio catechetica magna et refléterait une œuvre de jeunesse 500 ; pourtant, une comparaison avec les différents volumes du Eun. relativisent cette affirmation, même

496 Il a été vu que c’est à l’époque du De hominis opificio que les premières ébauches du Eun. I ont été rédigées,

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si bien que le Eun. I serait plutôt contemporain et non antérieur à l’Oratio catechetica magna. Par ailleurs, et contrairement à ce que dit l’auteur, on ne peut affirmer qu’il «existe un large accord pour la thèse de l’antériorité de ces traités [De hominis opificio et De anima et resurrectione] par rapport aux traités contre Eunome » (cf. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, p. 130) : il est simplement admis pour le traité De anima et resurrectione l’année 379 comme terminus post quem, et J. Terrieux propose la datation dans les années 381–383, ce qui rend ce traité postérieur au Eun. I et peut-être aussi au Eun. II. Le Cappadocien présente en effet dans le sermon De tridui spatio (in Christi resurrectionem I ) le thème de la présence du Logos auprès du corps et de l’âme du Christ séparés au moment de la mort comme une découverte récente, thème peu développé dans l’Oratio catechetica magna qui serait donc antérieure, cf. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, p. 61. 90–91. H.-R. Drobner propose de dater ce sermon pour une vigile pascale entre 386 et 394, cf. H.-R. Drobner, Die drei Tage zwischen Tod und Auferstehung unseres Herrn Jesus Christus, p. 171, et non Pâques 382 comme le proposait J. Daniélou. L’allusion à J. Daniélou par R. Winling («Cette donnée amène J. Daniélou à proposer 381, et non plus 385, pour le Discours catéchétique », cf. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, p. 127) pose d’ailleurs problème, car R. Winling ne donne à cet endroit aucune référence ; celles indiquées auparavant (cf. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, note 77, p. 125) ne correspondent pas à ce que R. Winling fait dire ici à J. Daniélou : dans la première (J. Daniélou, «La chronologie des sermons de Grégoire de Nysse »), J. Daniélou propose comme datation l’hiver 386–387 ; dans la seconde (J. Daniélou, «La chronologie des œuvres de Grégoire de Nysse »), J. Daniélou ne propose qu’une datation relative, estimant le De mortuis de Grégoire antérieur à l’Oratio catechetica magna. Ainsi, les termes prwtÏtokoc et u…‰c jeo‹, mentionnés par l’auteur et effectivement fréquents dans le Eun. III, cf. le long développement en Eun. III/II 43–57, sont rares, voire absents, des Eun. I et Eun. II : le terme prwtÏtokoc n’apparaît qu’une fois dans le Eun. I (Eun. I 573) et jamais dans le Eun. II ; le terme u…‰c jeo‹ n’apparaît que trois fois dans le Eun. I (Eun. I 246. 266. 297) et trois fois dans le Eun. II (Eun. II 120. 248. 455). Ceci rend difficile toute conclusion d’antériorité de l’Oratio catechetica magna sur ces deux traités. R. Winling évoque ici les expressions comme «nécessairement », «de toute nécessité », qui abonderaient dans l’Oratio catechetica magna.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

323

si ces traités sont plus longs que l’Oratio catechetica magna 501. Par ailleurs, il a été possible de voir les subtilités dialectiques employées par Grégoire dans le Eun. I pour remettre en cause l’ontologie scalaire de l’anoméen 502 ; à cet égard, il semble difficile de conclure avec R. Winling : «alors qu’Eunome est présenté comme un virtuose de la dialectique, Grégoire adopte un profil bas et ne cesse de rappeler les limites de la raison humaine » 503. Un autre motif, d’ordre historique cette fois, pousse R. Winling à proposer une date plus ancienne, l’auteur en appelant au réalisme et soulignant la difficulté pour Grégoire de rédiger entre 381 et 385 toutes les œuvres qu’on lui attribue pour cette période. Malheureusement, cette affirmation repose sur plusieurs confusions historiques, qui infirment plutôt la thèse défendue par l’auteur 504 : le réalisme inviterait au contraire à placer l’Oratio catechetica magna après 381 et non avant 505. Enfin, R. Winling doit résoudre le problème soulevé par l’allusion du chapitre 38 de l’Oratio catechetica magna, où Grégoire renvoie à des œuvres antérieures très probablement trinitaires 506. R. Winling fait appel à «tel petit traité sur la Trinité » du Cappadocien, mais le même problème se pose ici comme avec le De tridui spatio, puisque la datation des petits traités trinitaires de Grégoire reste controversée ; le problème est même plus délicat, car l’Oratio catechetica magna doit suivre au moins deux petits traités trinitaires de Grégoire 507, or ceux-ci, malgré les incertitudes, sont généralement situés à l’époque du concile de Constantinople, voire bien plus tard (peut-être entre 386 et 394 pour le traité Ad Ablabium) 508 ; si l’Oratio catechetica magna leur est postérieure, comme le suggère l’auteur, elle devrait donc être datée après 381 et non avant. Au bout du compte, on ne peut donc que rester très réservé devant la proposition chronologique de R. Winling, aucun des arguments avancés pour une datation plus élevée ne paraissant véritablement décisif. Le genre particulier de l’Oratio catechetica magna, qui offre un exposé systématique de la foi chrétienne, ainsi que l’allusion du chapitre 38, incitent à voir dans cette œuvre une composition plus tardive. Sur ce point, l’hypothèse faite jadis par G. May, qui proposait de dater l’Oratio catechetica magna

501 Voici le nombre d’occurrences pour quelques expressions caractéristiques.

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Çnagka–wc : Or. cat. (5 fois), Eun. I (7 fois), Eun. II (3 fois), Eun. III (10 fois) ; Çnàgkh pêsa : Or. cat. (6 fois), Eun. I (5 fois), Eun. II (11 fois), Eun. III (16 fois) ; kat+ Çnàgkhn : Or. cat. (7 fois), Eun. I (1 fois), Eun. II (6 fois), Eun. III (9 fois). Cf. spécialement supra partie III, chapitre I, La remise en cause de l’ontologie scalaire d’Eunome, p. 196s. Cf. Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, p. 128. R. Winling évoque par méprise comme activités entre 381 et 385 la rédaction des traités contre Eunome (le Eun. I est certainement fini avant 381), ainsi que les déplacements à Antioche et auprès de sa sœur Macrine (le synode d’Antioche a lieu en mai 379 et le déplacement auprès de Macrine en juillet de la même année). Par ailleurs, pour soutenir une rédaction de l’Oratio catechetica magna avant 381, R. Winling mentionne le temps suffisant entre la mort de Basile et 381, mais en s’appuyant toujours sur l’hypothèse de P. Maraval d’un décès de Basile en août 377 (Grégoire de Nysse, Discours catéchétique, Introduction, note 1, p. 129), sans mentionner les correctifs apportés par R. Pouchet (et adoptés par P. Maraval lui-même), qui en fixe la date en automne 378. La période entre la mort de Basile et le concile de Constantinople paraît effectivement très chargée : rédaction des longs traités Op. hom., Hex., Eun. I, Eun. II et vraisemblablement aussi Eccl. ; participation au synode d’Antioche, voyage à Annisa et enterrement de Macrine, voyage à Ibora, voyage à Sébaste, incarcération à Sébaste, retour à Nysse. Cf. supra note 494. Grégoire parle de plusieurs œuvres (‚n ·tËroic pÏnoic). Cf. P. Maraval, «Chronology of works », p. 153–154.

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

après 381, semble toujours la plus sûre 509. Pour le propos suivi ici (préciser le rapport chronologique entre le Eun. I et l’Oratio catechetica magna), il semble possible de considérer le Eun. I antérieur à l’Oratio catechetica magna. Si l’on préfère cependant suivre les conclusions chronologiques de R. Winling, il faudrait alors considérer la rédaction de l’Oratio catechetica magna pour l’essentiel contemporaine et non antérieure à celle du Eun. I, tandis que les chapitres 39 et 40 auront été ajoutés plus tard, sans doute après 381. Conclusion Le tableau chronologique dressé précédemment a permis de voir que le Eun. I compte parmi les premières œuvres où Grégoire exploite la distinction ktistÏn/äktiston, parallèlement sans doute à ses réflexions sur la création de l’homme et, peut-être, avec celles de l’Oratio catechetica magna, celles du moins qui seraient contemporaines au Eun. I. Grégoire s’appuie dans le De hominis opificio sur l’opposition créé/incréé afin de distinguer clairement Dieu de l’homme qui est son image, puisque l’absence de tout élément distinctif entraînerait l’identité des deux 510 ; pour le Cappadocien, le caractère incréé de la divinité et les propriétés qui en découlent (immutabilité – ätrepton –, être identique à soi-même – Çe» ±sa‘twc Íqein – ) la distinguent de la nature créée sujette au changement (Çd‘naton äneu Çlloi∏sewc). C’est cette même différence ontologique entre la nature immuable incréée et la nature créée changeante qui permet à Grégoire de donner une explication à l’origine du mal dans l’Oratio catechetica magna 511. Le Eun. I se distingue de ces présentations par trois aspects. Grégoire propose d’abord la distinction ktistÏn/äktiston selon une approche plus systématique ; il développe une échelle ontologique qui embrasse l’ensemble des êtres, classés clairement en différentes catégories et selon deux distinctions complémentaires, où s’intègre la distinction créé/incréé. Le contexte des explications de Grégoire est par ailleurs différent, puisque celles-ci sont orientées vers une problématique trinitaire, contrairement aux cas précédents. Enfin, la distinction ktistÏn/äktiston permet à Grégoire, dans ses traités De hominis opificio et dans l’Oratio catechetica magna, d’opposer principalement la nature créée à la nature incréée ; il en est un peu autrement dans le Eun. I, car si l’opposition créé/incréé y demeure prépondérante, celle-ci vise cependant à assurer aussi l’absence de dissemblances entre le membres de la Triade : alors qu’elle était un prin509 Cf. G. May, «Die Chronologie des Lebens und der Werke des Gregors von Nyssa », p. 60–61. En suivant la sug-

gestion faite par G. May, il serait peut-être possible de voir dans les œuvres mentionnées en Or. cat. XXXVIII (98, 11–16) le Eun. I (qui correspondrait au traité polémique), ainsi qu’un petit traité trinitaire comme Abl., Graec. ou bien Simpl. (qui correspondrait à la réponse aux questions posées). 510 Cf. Op. hom. 16 (184C) sur la distinction entre l’homme et Dieu : « >En pêsi to–nun t®c e kÏnoc to‹ prwtot‘pou

kàllouc t‰n qarakt®ra fero‘shc, e  mò katÄ t» tòn diaforÄn Íq˘, oŒkËti ãn e“h pàntwc Âmo–wma, ÇllÄ taŒt‰n ‚keÿno diÄ pàntwn Çnadeiqj†setai, t‰ ‚n pant» Çparàllakton. T–na to–nun aŒto‹ te to‹ je–ou, ka» to‹ pr‰c t‰n jeÿon ±moiwmËnou tòn diaforÄn kajor¿men ; >En tƒ, t‰ m‡n e⁄nai, t‰ d‡ diÄ kt–sewc Õpost®nai. (L’image porte en tout l’impression de la beauté prototype ; mais si elle n’avait aucune différence avec elle, elle ne serait plus du tout un objet à la ressemblance d’un autre, mais exactement semblable au modèle dont rien absolument ne la séparerait. Quelle différence y a-t-il donc entre la Divinité et celui qui est à sa ressemblance ? Ceci exactement : l’une est sans création, l’autre reçoit l’existence par une création.) » (trad. J. Laplace). 511 Cf. Or. cat. VI (24, 1–4) ; VIII (35, 16–20) ; la troisième mention de la distinction ktistÏn/äktiston sert à fonder le caractère insondable de l’Incarnation, mystère inexplicable comme la création de l’univers, cf. Or. cat. XI (39, 25–40, 6). Les autres emplois de la distinction créé/incréé sont dans les chapitres XXXIX–XL, certainement postérieurs au Eun. I.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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cipe distinctif, l’opposition ktistÏn/äktiston devient encore dans le Eun. I un principe unitif. Aussi semble-t-il possible de tirer la conclusion suivante qui, sans être certaine, paraît assez probable. Grégoire, après la mort de Basile, a décidé de compléter l’Hexaemeron de son frère et a entamé de surcroît la rédaction du De hominis opificio. Au cours de cette étude cosmologique, Grégoire s’est vu obligé de préciser la distinction entre Dieu et l’homme, ce qui l’a conduit à développer, sans doute pour la première fois dans son œuvre, la distinction ktistÏn/äktiston. Les développements relevés dans l’Oratio catechetica magna pourraient être les témoins d’approfondissements du même genre. Mais à la même époque, Grégoire devait aussi répondre à la place de son frère défunt au premier volume de l’AA d’Eunome, spécialement à l’ontologie scalaire présentée par l’anoméen. Le Cappadocien aura alors repris et développé, dans un contexte trinitaire cette fois, la distinction créé/incréé utilisée à la même époque dans ses réflexions cosmologiques. Si le Eun. I n’est sans doute pas la première œuvre où Grégoire emploie la distinction ktistÏn/äktiston, il semble bien que ce soit la première où cette distinction apparaît aussi clairement, intégrée en une synthèse ordonnée et surtout utilisée dans un cadre trinitaire, le Cappadocien assumant dans ce nouveau contexte ses réflexions cosmologiques contemporaines. Grégoire inaugure ainsi un emploi de la distinction créé/incréé qui sera le plus fréquent par la suite, comme il a été possible de le constater. L’étude de la place des réflexions de Grégoire dans la Tradition permettront de voir que les réflexions trinitaires des théologiens antérieurs préparaient Grégoire à une telle application. 5.1.3 Une évolution de Grégoire ? 512 Une dernière approche de la distinction ktistÏn/äktiston chez Grégoire pourrait être faite par le biais d’un passage du Eun. III/VI 66, où Grégoire utilise à nouveau cette distinction. Une comparaison de cette présentation avec celle faite par le Cappadocien en Eun. I 270–271 peut se révéler effectivement éclairante, car ces deux exposés apparaissent comme aux deux bouts de cette longue œuvre qu’est le Eun., c’est-à-dire au sein de la même controverse, contre le même adversaire et dans l’intervalle d’une à trois années qui sépare les Eun. I et Eun. III 513. La mise en évidence de différences dans l’exposé pourrait refléter une évolution de Grégoire. Les deux passages se présentent ainsi (les termes identiques étant soulignés) : Eun. I 270–271

Pàntwn t¿n Óntwn ô Çnwtàtw dia–resic e“c te t‰ noht‰n ka» t‰ a sjht‰n tòn tomòn Íqei. (. . . ) Â d‡ lÏgoc e c d‘o tËmnei ka» ta‘thc [la nature intelligible] tòn Ínnoian. ô m‡n gÄr äktistoc ô d‡ ktistò Õp‰ t®c Çkolou-

512 Ce paragraphe résume une communication qu’il m’a été permis de donner lors du 12e colloque international

sur Grégoire de Nysse (Leuven, 14–17 septembre 2010) et dont le texte doit paraître prochainement dans les actes du colloque sous le titre : X. Batllo, «Une Évolution de Grégoire ? La distinction ktistÏn/äktiston du Eun. I au Eun. III ». 513 Il a été vu que le Eun. I fut achevé durant l’année 380 tandis que le Eun. III fut rédigé pour sa part entre 381 et 383, plutôt vers 383 selon M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 1, p. 8–9. L’écart chronologique entre les deux œuvres varie donc d’une à trois années.

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Eun. III/VI 66

Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

j–ac katalambànetai, äktistoc m‡n ô poihtikò t®c kt–sewc, ktistò d‡ ô diÄ t®c Çkt–stou f‘sewc tòn a t–an ka» tòn d‘namin to‹ e⁄nai Íqousa. 514 T¿n gÄr Óntwn pàntwn ô Çnwtàtw dia–resic e c t‰ ktist‰n ka» äktiston tòn tomòn Íqei, t‰ m‡n ±c a“tion to‹ gegonÏtoc, t‰ d‡ ±c ‚keÿjen genÏmenon. 515

Ces deux présentations commencent, presque au mot près, par la même formule introductive, laquelle embrasse l’ensemble des êtres dans une distinction qui se veut la plus haute (Çnwtàtw). Cependant, alors qu’en Eun. I 270–271 la division sensible /intelligible tient cette place privilégiée, le passage du Eun. III/VI 66 définit au contraire la distinction créé/incréé comme la plus haute, l’étend à l’ensemble des êtres et passe sous silence la division entre sensible et intelligible. S’il a été possible de voir précédemment que le terme Çnwtàtw en Eun. I 270–271 n’impliquait pas nécessairement l’établissement par Grégoire d’une hiérarchie entre les deux distinctions sensible /intelligible et créé/incréé 516, il reste cependant à expliquer pourquoi la première distinction sensible /intelligible disparaît complètement dans la présentation de Eun. III/VI 66. Par le biais d’un examen chronologique de plusieurs œuvres de Grégoire de Nysse, A. Meredith soulignait le contraste entre, d’une part, le De Virginitate et le De Anima et Resurrectione, marqués par le platonisme et l’opposition sensible /intelligible, et, d’autre part, le Eun., caractérisé par la distinction créé/incréé 517. Selon A. Meredith, la présence ici et là dans le Eun. de la distinction sensible /intelligible pourrait alors être interprétée comme un vestige de la division philosophique traditionnelle nohtÏn/a sjhtÏn, et l’exposé de Eun. III/VI 66, où elle disparaît complètement, serait le fruit des réflexions théologiques du Cappadocien 518. Dans la ligne de cette hypothèse, il serait alors possible de comprendre la présentation de Eun. I 270–271 comme due à un Grégoire encore marqué de philosophie, tandis que celle de Eun. III/VI 66 serait le témoin de son évolution, la conception chrétienne de la création l’emportant toujours plus sur la division philosophique bipartite sensible /intelligible. Pour le dire autrement, ces deux passages Eun. I 270–271 et Eun. III/VI 66 pourraient être interprétés dans le sens d’une vision du monde qui se christianiserait toujours plus. Cependant, il semble possible d’envisager une autre explication, non plus chronologique mais d’après le contexte immédiat de chacun des deux exposés. Effectivement, 514 Eun. I 270–271 : «De tous les êtres, la distinction la plus haute est la division entre l’intelligible et le sen-

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sible.(. . .) Mais la raison divise en deux aussi la pensée de celle-ci [la nature intelligible]. De fait, l’une est perçue incréée, l’autre créée par enchaînement logique, incréée celle productrice de la création, créée celle qui, par la nature incréée, a sa cause et capacité d’être. » Eun. III/VI 66 : «De tous les êtres, en effet, la distinction la plus haute est la division entre le créé et l’incréé, l’un comme cause de ce qui est advenu, l’autre comme advenu à partir de là. » Cf. supra partie III, chapitre II, 2.1.2 Le rapport des deux distinctions entre elles, p. 237–238. Cf. A. Meredith, Studies in the Contra Eunomium, p. 267–279, qui étudie successivement les traités Virg., An. et res, Eun. I, Eun. II et Eun. III. L’ordre chronologique proposé par A. Meredith peut être retenu, toutes réserves faites pour le traité An. et res, dont la composition pourrait dater de plusieurs années après la mort de Macrine (juillet 379), cf. supra note 496. Cf. A. Meredith, Studies in the Contra Eunomium, p. 278 : «The presence of the more traditional way of talking about God alongside the newer distinction is what we would have expected. The time gap that separates the semi-platonic De Anima from the Contra Eunomium – probably barely six months – is too small to admit of such a fundamental and coherent rethinking of traditional language that no vestiges of it remains. » Id., p. 279 (à propos de Eun. III/VI 66) : «The similarity and difference at the same time in the use of the formula may well be due to theological reflection. »

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

327

il a été vu que l’échelle des êtres présentée en Eun. I 270–271 se place juste au début du chapitre XXII, consacré à la réfutation d’une diminution, d’un plus ou moins affirmé par Eunome à propos du Fils et de l’Esprit 519. Pour ce faire, Grégoire a classé les êtres en différentes catégories (c’est dans ce cadre bien particulier qu’intervient l’exposé du Eun. I 270–271), puis a examiné la notion de plus ou moins pour chacune de ces catégories. Ces présupposés établis, Grégoire pouvait rejeter alors l’affirmation d’Eunome, puisqu’il ne peut y avoir de plus ou moins pour le Fils et l’Esprit selon la substance incréée elle-même (car il n’y a pas de plus ou moins de la substance en général), ni selon les intelligibles créés (car Fils et Esprit ne participent pas au Bien mais sont le Bien), ni enfin selon les sensibles (car Fils et Esprit sont incorporels). L’enjeu pour Grégoire, dans cette longue démonstration du Eun. I, consiste donc à cerner le plus précisément possible tous les cas de plus ou moins envisageables, pour montrer finalement qu’aucun d’eux n’est applicable à la Triade et rendre ainsi sa démonstration véritablement concluante. L’utilisation des deux modes de distinctions sensible / intelligible et créé/incréé lui offre, dans ce cadre, les critères adéquats. L’exposé ontologique de Eun. III/VI 66 se place dans un tout autre contexte. Il ne s’agit plus pour Grégoire de remettre directement en cause un quelconque plus ou moins entre les membres de la Triade, mais de répondre à la question générale de tout ce tome : «L’existence du Fils a-t-elle commencé dans le temps ? » 520 Ce tome VI du Eun. III débute alors par un exposé sur la marque (gn∏risma) propre et caractéristique de la divinité 521, marque fondée sur Ex 3, 14 et qui peut se résumer ainsi : est divin «ce qui est saisi selon l’éternel et le sans limite dans l’être » 522. Ce présupposé établi, Grégoire entame la réfutation des déclarations d’Eunome. Celui-ci affirmait que, si l’artisan commence au moment de son ouvrage, il faut que le producteur des temps commence à être à partir d’un commencement du même genre 523. Grégoire répond en soulignant d’abord l’absence de points communs entre les caractéristiques propres (gnwr–smata) du Fils et celles de ses œuvres, divergence qui révèle selon Grégoire l’absence de parenté entre le Dieu monogène et la création 524. Ainsi, puisque les caractéristiques du Fils sont autres que celles des créatures, il s’ensuit que le Fils ne saurait connaître de commencement comme celles-ci, mais possède l’être éternel et sans limite, conformé519 Cf. supra partie III, chapitre II, 1.1.1 Examen du contexte immédiat, p. 227–228. 520 Cf. le titre général donné à ce tome par M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 2, p. 331. Grégoire rappelle la

sentence de ses opposants, cf. Eun. III/VI 2 : « e  ™n, oŒ gegËnnhtai, ka» e  gegËnnhtai, oŒk ™n (s’il était, il n’a pas été engendré, et s’il a été engendré, il n’était pas) ». 521 Cf. Eun. III/VI 3–22. 522 Cf. Eun. III/VI 3 : « Á katÄ t‰ ÇÚdiÏn te ka» ÇÏriston ‚n tƒ e⁄nai katalambànetai ». 523 Cf. Eun. III/VI 61–62 : « e   dhmiourgÏc, fhs–n, Çp‰ qrÏnou t®c dhmiourg–ac ärqetai; oŒ gÄr äll˙ tin»

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tòn t¿n gegonÏtwn Çrqòn Ísti shmei∏sasjai, mò ‚n tƒ  d–˙ diast†mati to‹ qrÏnou tÄc ÇrqÄc ka» tÄ tËlh toÿc ginomËnoic Âr–zontoc. diÄ to‹tÏ fhsi deÿn ka» t‰n poihtòn t¿n qrÏnwn Çp‰ t®c Âmo–ac Çrq®c to‹ e⁄nai ärxasjai. » Pour la délimitation de ce fragment, cf. M. Cassin, L’Écriture de la Polémique, t. 2, note 157, p. 367. Cf. Eun. III/VI 63–64 : « e  m‡n ofin ‚n ·tËroic tis»n e⁄qË tina koinwn–an  u…‰c pr‰c tòn kt–sin, Ídei pàntwc mhd‡ katÄ t‰n t®c Õpàrxewc trÏpon parhllàqjai lËgein; e  d‡ ämoiroc ô kt–sic t¿n toio‘twn ‚st» t¿n Ìsa per» t‰n u…‰n memaj†kamen, Çnagkaÿon pàntwc mhd‡ katÄ to‹to lËgein tòn koinwn–an Íqein.(Donc, si le Fils possédait en d’autres domaines une certaine communauté avec la création, il faudrait dire qu’il ne diffère absolument pas non plus selon le mode de subsistence ; mais si la création n’a pas part aux genres de choses que nous avons apprises au sujet du Fils, il est nécessaire de dire qu’il ne possède absolument pas non plus de communauté en cela.) » (trad. M. Cassin). Ce principe était déjà énoncé par Grégoire en Eun. I 443 : « ka» gÄr Ìpwc ãn Íq˘ pr‰c ällhla tÄ ‚pifainÏmena ·kàst˙ gnwr–smata, o’twc ‚x Çnàgkhc ka» tÄ Õpoke–mena Èxei. (En effet, le rapport entre les caractéristiques manifestées par chacun se retrouve nécessairement entre les réalités sousjacentes.) »

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

ment à la caractéristique propre à la divinité énoncée précédemment. La démonstration de Grégoire pourrait donc s’achever ici, mais le Cappadocien éprouve le besoin d’apporter une nouvelle justification et insère alors son exposé sur les êtres, évoqué plus haut (Eun. III/VI 66) ; il introduit la division la plus haute de tous les êtres, qu’il définit comme la distinction créé/incréé, et souligne que celle-ci exclut tout mélange des caractéristiques propres 525. Dès lors, puisque la particularité de la création est d’être marquée par «commencement, fin et milieu des temps » 526, la vie du Fils créateur doit échapper à toute limite, c’est-à-dire à tout commencement. Comme il est possible de le constater, l’exposé ontologique de Grégoire s’inscrit ici dans un contexte bien défini, orienté uniquement vers l’opposition Créateur /créatures et celle de leurs caractéristiques propres. La division créé/incréé proposée par Grégoire suffit pour sa démonstration, et contrairement à Eun. I 270–271, Grégoire n’a nul besoin d’évoquer la distinction sensible / intelligible, qui n’apporterait rien de substantiel à sa démonstration. Cette présentation rapide du cadre immédiat des deux exposés ontologiques des Eun. I 270–271 et Eun. III/VI 66 manifeste l’importance des questions auxquelles est confronté Grégoire, puisqu’elles déterminent à chaque fois l’échelle des êtres adoptée par le Cappadocien pour sa réfutation. Un troisième exemple permettra de s’en convaincre. Grégoire, en Eun. I 361s, consacre de longues pages à une objection qui lui est faite : il est universellement reconnu que la création a commencé dans le temps, sans pour autant fixer de commencement au créateur ; ainsi est-il tout à fait possible d’envisager un commencement du Fils, qui n’impliquerait pas de commencement au Père 527. Derrière cette objection se tient en fait un rapprochement du Fils avec la création et, finalement, le même problème de fond qu’en Eun. III/VI : le Fils est-il soumis à des intervalles temporels (qronikÄ diast†mata) ? Il est alors révélateur que Grégoire, confronté au même problème, réponde de façon identique et introduise une division des êtres semblable à celle de Eun. III/VI 66, fondée uniquement sur la distinction ktistÏn/äktiston 528. Dès lors, si Grégoire évoquait initialement en Eun. I 270–271 les deux distinctions sensible /intelligible et créé/incréé, pour ne retenir ensuite en Eun. III/VI 66 que la seconde, un tel fait pourrait peut-être dépendre non pas tant d’une évolution de la distinction ktistÏn/äktiston chez Grégoire que d’une adaptation du Cappadocien aux problèmes à résoudre 529. 525 Cf. Eun. III/VI 66 : « di˘rhmËnhc

to–nun t®c te ktist®c f‘sewc ka» t®c je–ac oŒs–ac ka» oŒdem–an ‚pimix–an ‚qo‘shc katÄ tÄc gnwristikÄc  diÏthtac ».

526 Cf. Eun. III/VI 67, citant Sg 7, 18. 527 L’objection faite à Grégoire est posée sous forme de dilemme : ou bien un commencement d’œuvre implique

un commencement de l’agent, et alors la création doit être coéternelle au créateur, ou bien un commencement d’œuvre n’implique pas de commencement de l’agent, et alors le Fils peut très bien avoir un commencement d’existence, cf. Eun. I 359 : « ±c ÇkÏloujon e⁄nai diÄ to‘tou £ ka» tòn kt–sin sunaÚdion tƒ jeƒ £ ka» t‰n u…‰n metagenËsteron ÇfÏbwc lËgein. » Cf. supra notes 228–229, p. 274. 528 Cf. Eun. I 361 : « pàntwn t¿n Óntwn t‰ m‡n diÄ t®c kt–se∏c ‚sti, t‰ d‡ pr‰ t®c kt–sewc (entre tous les êtres, les uns sont par création et les autres avant la création) ». 529 Il est révélateur que la double distinction présentée en Eun. I 270–271 intervienne à nouveau en Cant. VI (173, 7s), œuvre généralement datée des dernières années de Grégoire. S’il fallait parler d’évolution chez le Cappadocien, ce passage du Cant. témoignerait alors d’une singulière régression. Au contraire, la mise en évidence de l’adaptation de Grégoire aux sujets qu’il traite pourrait rejoindre, d’une certaine manière, ce que J. Reynard écrivait dans Grégoire de Nysse, Sur les Titres des Psaumes, p. 14 : «Il faut garder à l’esprit que l’œuvre conservée semble s’étendre sur un nombre relativement limité d’années, un vingtaine tout au plus, entre 370 et 390 – voire une dizaine, si l’on tient compte de sa période la plus productive qui débute vers 378 –,

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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5.2 ktistÏn/äktiston : la place de Grégoire dans la Tradition D’après les réflexions précédentes, le Eun. I pourrait donc être la première œuvre où Grégoire expose de façon claire et développée une échelle embrassant tous les êtres, échelle bâtie autour de deux distinctions fondamentales, dont celle articulée autour des concepts ktistÏn et äktiston se révèle la plus importante dans sa réfutation. Si Grégoire étend vraisemblablement dans un contexte de polémique trinitaire ses investigations cosmologiques du De hominis opificio, un tel élargissement lui était sans doute facilité par ses prédécesseurs ou contemporains, dont les travaux théologiques contre l’arianisme pouvaient présenter des développements relativement proches. Ces rapports entre Grégoire de Nysse et ces autres théologiens pourraient être abordés selon deux angles différents. La distinction entre le créé et l’incréé peut être, d’une part, étudiée pour ellemême et l’examen se limitera ici à différents aspects des enseignements des deux autres Cappadociens, Basile et Grégoire de Nazianze, ainsi qu’à ceux d’Athanase. La distinction ktistÏn/äktiston peut cependant être étudiée aussi plus spécialement sous l’angle du vocabulaire, c’est-à-dire selon l’utilisation du terme äktiston chez les contemporains de Grégoire ; ceci permettra de préciser si l’emploi fréquent de ce terme théologique dans les réflexions de l’évêque de Nysse est une originalité ou non de sa part. 5.2.1 Les rapports avec Basile, Grégoire de Nazianze et Athanase Comme Grégoire, Basile propose plusieurs fois dans ses œuvres une mise en opposition entre la divinité et le monde des créatures. Il peut ainsi énumérer un ensemble d’attributs divins pour mettre ensuite ceux-ci en opposition avec la création 530. Cette opposition peut se traduire aussi en une distinction entre l’Esprit qui divinise et les créatures qui sont divinisées 531, ou entre l’Esprit qui vit dans l’intimité de la divinité et la multiplicité des créatures 532. Mais il convient de relever surtout deux passages particulièrement significatifs, dans lesquels Basile distingue clairement les caractéristiques de la sainte Triade de celles du monde des créatures, opposition qui lui permet d’affirmer la divinité du Fils ou du Saint Esprit. Le premier passage se trouve dans son Contre Eunome et commence ainsi : Il y a, en effet, deux réalités, la création et la divinité : la création est rangée du côté du service et de l’obéissance, et la divinité commande et exerce la souveraineté. 533 écrite par un homme d’une cinquantaine d’années (on pense qu’il est né vers 330), en pleine possession de ses moyens. Il est donc délicat de parler d’évolution et de progrès, d’autant que les différences qu’on repère entre les ouvrages peuvent être largement dues à celles des genres auxquels ils appartiennent. » 530 Ainsi la lettre 105, où Basile défend la divinité du Saint Esprit, cf. Basile, ep. 105 : « sunhmmËnon Patr» ka»

U…ƒ katÄ pànta, ‚n dÏx˘ ka» ‚n ÇdiÏthti, ‚n dunàmei ka» basile–¯, ‚n despote–¯ ka» jeÏthti, ±c ka» ô to‹ swthr–ou bapt–smatoc paràdosic martureÿ. O… d‡ kt–sma lËgontec £ t‰n U…‰n £ t‰ Pne‹ma £ Ìlwc aŒt‰ e c tòn leitourgkikòn ka» doulikòn katàgontec tàxin makràn e si t®c Çlhje–ac (uni [le Saint Esprit] au Père et au Fils en toutes choses, en gloire et en éternité, en puissance et en royauté, en souveraineté et en divinité, comme d’ailleurs l’atteste la tradition du baptême du Salut. Ceux qui appellent créature soit le Fils soit l’Esprit, ou qui rabaissent complètement l’Esprit au rang de ministre et de serviteur, sont loin de la vérité) » (trad. Y. Courtonne). 531 Cf. Basile, Spir. XIII 29 (348, 13–350, 18) ; XVI 38 (378, 17–18) ; Id., adv. Eun. III 5 (164, 22) : « p¿c t‰ ·tËrouc jeopoio‹n, aŒt‰ t®c jeÏthtoc Çpole–petai ; » 532 Cf. Basile, Spir. XVIII 45 (408, 24–34). 533 Basile, adv. Eun. II 31 (128, 20–23) : « D‘o gÄr Óntwn pragmàtwn, kt–se∏c te ka» jeÏthtoc, ka» t®c m‡n kt–sewc ‚n doule–¯ ka» Õpako¨ tetagmËnhc, Çrqik®c d‡ o÷shc ka» despotik®c t®c jeÏthtoc » (trad. B. Sesboüé).

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

Cette mise en opposition permet à Basile d’affirmer la divinité du Fils, car celui qui lui enlève souveraineté et domination le réduit à l’état de créature. Le deuxième passage ressemble fortement au précédent, mais concerne cette fois le Saint Esprit : On dit en effet qu’il y a deux réalités, la divinité et la création, la souveraineté et le service, la puissance sanctifiante et celle qui est sanctifiée, celle qui tient la vertu de sa nature et celle qui l’affermit par libre choix : de quel côté rangerons-nous l’Esprit ? 534

Basile sépare donc nettement la divinité souveraine et sanctifiante par nature de la création qui sert et est sanctifiée par libre choix. Cette opposition recouvre non seulement une distinction selon les propriétés, mais surtout une différence selon la nature : l’Esprit souverain qui sanctifie ne peut être que de nature divine et non au rang des simples créatures. Comme Basile, Grégoire de Nazianze souligne lui aussi la distinction entre le créé et la divinité et trois passages assez représentatifs pourraient être ici rappelés. Dans le premier, Grégoire de Nazianze oppose nettement les créatures et la divinité, sans que les premières puissent atteindre le niveau de la seconde 535 ; dans le second, Grégoire de Nazianze, placé devant l’opposition anoméenne entre engendré et inengendré et l’altérité de nature qui en découle d’après ses adversaires, souligne que cette conséquence ne serait vraie que dans le cas de ce qui n’est pas créé et de ce qui est créé (t‰ mò ‚ktismËnon ka» ‚ktismËnon), puisque l’être sans principe et l’être créé n’ont pas la même nature 536 ; dans le dernier passage, Grégoire explique que les substances ne peuvent être que créatures ou Dieu, sans qu’un intermédiaire quelconque entre les deux puisse être imaginé 537. Si Grégoire de Nazianze ainsi que Basile savent utiliser la distinction entre Créateur et créature dans le contexte trinitaire, les réflexions d’Athanase se révèlent cependant bien plus nombreuses et développées que celles de ces deux Cappadociens. En effet, parmi les multiples arguments avancés par Athanase dans ses Discours contre les Ariens pour défendre la divinité du Fils, l’opposition radicale entre le Fils et le monde des créatures revient fréquemment. Les créatures proviennent toutes de lui 538, tandis qu’il est lui-même le Verbe et la propre Sagesse du Père 539, étranger à tout changement 540, do-

534 Basile, adv. Eun. III 2 (152, 18–22) : « D‘o

gÄr legomËnwn pragmàtwn, jeÏthtÏc te ka» kt–sewc, ka» despote–ac ka» doule–ac, ka» Ågiastik®c dunàmewc ka» t®c ÅgiazomËnhc, t®c te ‚k f‘sewc ‚qo‘shc tòn Çretòn ka» t®c ‚k proairËsewc katorjo‘shc, ‚n po–¯ mer–di t‰ Pne‹ma tàxomen ; » (trad. B. Sesboüé). Cf. aussi Id., Spir. XXIV

535 536 537 538

539 540

56 (452, 1–19) où Basile oppose l’Esprit bon par nature, qui scrute les profondeurs de Dieu, qui vivifie, aux créatures bonnes par choix du bien, qui connaissent les mystères par révélation de l’Esprit, qui sont vivifiées par l’Esprit ; cf. aussi id. XX 51 (430, 48–50) : la créature est esclave, mais l’Esprit au-dessus de la création est associé à la royauté ; Id., ep. 125 et le commentaire de V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, p. 274–275. Cf. Grégoire de Nazianze, or. 23, 11 (302, 20–304, 22) : « oŒ gÄr ‚fikneÿta– ti t¿n ktist¿n ka» do‘lwn ka» meteqÏntwn ka» perigrapt¿n t®c Çkt–stou ka» despotik®c ka» metalhpt®c ka» Çpe–rou f‘sewc ». Cf. Grégoire de Nazianze, or. 29, 10 (196, 9–10) : « E  m‡n t‰ mò ‚ktismËnon ka» ‚ktismËnon, kÇg∞ dËqomai; oŒ gÄr taŒt‰n t¨ f‘sei t‰ änarqon ka» t‰ ktizÏmenon. » Cf. Grégoire de Nazianze, or. 31, 6 (286, 13–17) : « E  d‡ oŒs–a tic, oŒ t¿n per» tòn oŒs–an, ¢toi kt–sma Õpolhfj†setai, £ jeÏc ». Cf. Athanase, Ar. I 9, 10 : « kt–sma e⁄nai £ di+ aŒto‹ tÄ kt–smata gegen®sjai » ; I 19 ; I 33 (tout est fait par le Fils) ; II 19 ; II 20 ; II 24 ; II 31 ; II 44s (examen de Pr 8, 22 : «il m’a créé » se rapporte à l’Incarnation, non à la génération éternelle) ; II 62 ; II 77 (Dieu a tout créé dans sa Sagesse qui est le Fils). Cf. Athanase, Ar. I 14 ;I 20 ; I 25 ; II 5 ;II 71 ; III 6, 35. Cf. Athanase, Ar. I 36, 3–4.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

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nateur de toutes grâces 541 ; contrairement aux créatures, le Fils est de toute éternité et il n’y a pas d’intervalle en lequel le Fils n’eut pas existé 542. Très clairement donc, Athanase établit une nette coupure ontologique entre le monde des créatures et le Fils et, plus généralement, entre les créatures et la Triade : les caractéristiques propres à chacun de ces deux états (divinité/être créé) sont bien distinctes et ne peuvent être confondues ; il n’y a entre la Triade créatrice et démiurge et les créatures issues du néant, entre les êtres du devenir et celui qui les a faits, aucune similitude selon la substance (oŒd‡n Ómoion kat+ oŒs–an) 543. Cependant, l’intérêt des réflexions d’Athanase réside surtout dans la façon dont il introduit cette antinomie. Effectivement, la distinction si marquée entre le Fils et les créatures découle avant tout de l’origine du Fils, la génération, qui l’oppose fondamentalement aux êtres du devenir, produits de l’acte créateur 544. Le Fils engendré par le Père est le propre de la substance de celui-ci (“dioc t®c oŒs–ac aŒto‹), tandis que les créatures résultats de l’acte créateur volontaire appartiennent au monde du changement et de la contingence. Cette opposition claire établie par Athanase entre Dieu et les créatures apparaît de façon encore plus nette dans ses Lettres à Sérapion, orientées contre les opposants à la divinité de l’Esprit 545. Effectivement, Athanase distingue souvent entre l’agent et le résultat, entre l’auteur de l’action et celui qui en bénéficie : tout a été recréé par l’Esprit comme tout a été créé par le Fils 546 ; l’Esprit est celui qui sanctifie, renouvelle, qui est participé, il est l’onction et le sceau, alors que les créatures sont sanctifiées, renouvelées, ointes, marquées du sceau et participent de la sainteté 547. Athanase distingue par ailleurs l’Esprit, qui vient de Dieu (pne‹ma ‚k to‹ jeo‹), des créatures tirées du néant 541 Cf. Athanase, Ar. I 40 ;I 45 ; II 41 (baptême au nom du Père et du Fils et du St Esprit) ; II 68s ; III 1 (celui qui

est la vie vivifie toutes choses), III 32 (le Fils est vraiment Seigneur et Dieu : le culte n’est donc pas rendu à un autre mais vraiment à Dieu). 542 Cf. Athanase, Ar. I 12 ; II 14 ; II 51. 543 Cf. Athanase, Ar. I 20, 1 ; cf. aussi Ar. I 18, 2 : « kt–zousà ‚sti ka» dhmiourg‰c ô triàc, ka» oŒ fobeÿsje katafËrontec aŒtòn e c tÄ ‚x oŒk Óntwn ; » ; I 20 ; II 27 (servir appartient aux êtres du devenir, produire et créer à Dieu seul) ; III 9, 2 (le Fils n’est pas une créature, mais il est de la nature du Père -t®c f‘sewc to‹ patrÏc-), III 14 (Dieu créateur est d’une nature, les créatures en sont d’une autre, et les deux sont séparés – keqwrismËnoi –, distants – diesthkÏtec – ). Athanase n’ignore pas par ailleurs le rôle propre des membres de la Triade dans la création : le Père crée toute chose par le Fils dans l’Esprit, cf. Athanase, ep. Serap. I 24, 6 ; ep. Serap. II 14, 1 ; le Verbe est comme la main de Dieu par qui tout est fait, cf. Ar. II 31, 3 ; Dieu crée par le Verbe et l’ensemble de l’univers est conduit et gouverné par le Logos, cf. gent. 38. 46 ; sur ce point, cf. J.-B. Berchen, «Le rôle du Verbe dans l’œuvre de la création et de la sanctification d’après saint Athanase » ; plus généralement sur l’opposition entre Dieu et le monde des créatures, cf. P. Christou, «Uncreated and Created, Unbegotten and Begotten in the Theology of Athanasius of Alexandria » (sur les réserves que peut susciter l’emploi du mot «uncreated » comme terme théologique d’Athanase, cf. infra partie III, chapitre II, 5.2.2 L’emploi du terme äktiston chez les contemporains de Grégoire, p. 333). 544 Cf. Athanase, Ar. I 9, 2 : « oŒk Ísti kt–sma oŒd‡ po–hma, Çll+ “dion t®c to‹ patr‰c oŒs–ac gËnnhma » ; I 29, 1– 2 : « p¿c d‡ tosa‘thc diaforêc ‚n toÿc Ímprosjen deiqje–shc genn†matoc ka» poi†matoc ‚mmËnousi t¨ Çmaj–¯ ;

pàlin ofin t‰ aŒt‰ lektËon; t‰ po–hma Íxwjen to‹ poio‹ntÏc ‚stin, πsper e“rhtai, Â d‡ u…‰c “dion t®c oŒs–ac gËnnhmà ‚sti » ; de même I 36, 3 ; II 56, 6 ; III 9, 4. 545 Mis à part le caractère particulier de la seconde lettre à Sérapion, entièrement consacrée à la divinité du Fils. 546 Cf. Athanase, ep. Serap. I 9, 6 : « ka» t‰ m‡n pne‹ma t‰ ôm¿n ÇnakainizÏmenon ‚sti; t‰ d‡ pne‹ma t‰ âgion oŒq

Åpl¿c pne‹ma, Çll+ ·auto‹ fhsin aŒt‰ e⁄nai  jeÏc, ‚n ≈ ka» tÄ ôm¿n Çnakain–zetai » ; cf. aussi id. I 9, 7 : « ka» e“per, diÄ t‰ pànta genËsjai diÄ to‹ lÏgou, froneÿte kal¿c mò e⁄nai kt–sma t‰n u…‰n; p¿c oŒ blàsfhmÏn ‚sti lËgein Õmêc kt–sma t‰ pne‹ma, ‚n ≈ tÄ pànta  patòr diÄ to‹ lÏgou teleioÿ ka» Çnakain–zei ; » 547 Cf. Athanase, ep. Serap. I 10, 6 : si les anges étaient avec le Père et le Fils, ils seraient alors sanctificateurs et

non sanctifiés, « oŒd‡ ÅgiazÏmenoi, Çll+ aŒto» mêllon Ågiàzontec ällouc ãn e⁄en. » Id. I 22, 4–23, 6 : l’Esprit sanctifie et les créatures sont sanctifiées, l’Esprit est le participé, l’Esprit est l’onction et le sceau ; id. I 24, 4 : la communion avec Dieu se fait par la participation à l’Esprit, qui ne peut donc être « t®c ktist®c f‘sewc » ; cf.

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Troisième partie : Place et rôle de la distinction ktistÏn/äktiston dans le Eun. I

(kt–smata ‚x oŒk Óntwn) 548 ; il distingue l’Esprit immuable des créatures sujettes au changement, l’Esprit qui remplit l’univers des créatures limitées à un lieu, l’Esprit «un » des créatures multiples 549. Dès lors, Athanase peut opposer la Triade au monde des créatures, qui ne sauraient connaître entre eux aucun mélange, aucune similitude ni communauté 550 ; l’Esprit coordonné avec le Père et le Fils ne peut être une créature, puisque la Triade est indivisible et semblable à elle-même 551. Ces quelques rappels permettent donc de constater que Grégoire de Nysse n’innove pas en fondant ses réflexions théologiques trinitaires sur la distinction créé/incréé et sur les relations d’opposition qui peuvent en découler, mais qu’il s’inscrit au contraire dans une ligne théologique bien affirmée. Il importe cependant de souligner, conformément aux résultats des présentations précédentes, que Grégoire semble plus proche d’Athanase que de Basile ou Grégoire de Nazianze ; des trois Cappadociens, Grégoire est visiblement celui qu’auront le plus marqué les oppositions entre la divinité et les créatures que soulignait jadis Athanase 552. De ce point de vue, il convient de reconnaître une certaine autonomie de Grégoire vis-à-vis de son frère. Cependant, ces premiers résultats peuvent être encore précisés par une étude du vocabulaire : l’emploi du terme äktiston chez les contemporains de Grégoire. 5.2.2 L’emploi du terme äktiston chez les contemporains de Grégoire Assurément, et comme cela a été précédemment souligné, une telle étude peut paraître assez démesurée 553. Pourtant, les moyens informatiques modernes, malgré leurs limites, permettent cependant d’obtenir des résultats révélateurs. Les pages suivantes vont donc essayer de dépouiller ce que peut apporter une recherche par le Thesaurus Linguæ Graecæ (TLG) pour ce qui concerne l’utilisation au IVe siècle du terme äktiston 554. La recherche donne 384 occurrences au total, chiffre qui peut être notablement réduit, puisqu’il inclut des auteurs comme Cyrille d’Alexandrie (33 occurrences) et Théodoret de Cyr (20 occurrences), qui appartiennent plutôt au Ve siècle. Parmi ces résultats,

548 549

550

551

aussi id. I 25, 5 : « t‰ d‡ sunàpton tƒ lÏg˙ tòn kt–sin oŒk ãn e“h aŒt‰ t¿n ktismàtwn » ; id.. I 27, 2 ; Id., ep. Serap. II 12, 2. De même Id., ep. Serap. II 4, 2 à propos du Fils, où Athanase établit la même opposition entre agent et produit pour en souligner la divinité : « ±c oŒ poio‘menÏc ‚stin, ÇllÄ poi¿n; ka» oŒ ktizÏmenoc, ÇllÄ kt–zwn ka» poi¿n tÄ Írga to‹ patrÏc. » Cf. aussi Id., ep. Serap. II 13, 4. Cf. Athanase, ep. Serap. I 22, 1. Cf. Athanase, ep. Serap. I 26, 1–2 pour l’Esprit immuable ; id. I 26, 7 pour l’Esprit qui remplit l’univers, de même Id., ep. Serap. II 13, 2–3 ; Id., ep. Serap. I 27, 3–4 pour l’Esprit un et les créatures multiples, de même Id., ep. Serap. II 12, 5–6. Cf. Athanase, ep. Serap. I 9, 2 : « po–a gÄr koinwn–a, £ po–a ÂmoiÏthc tƒ kt–smati pr‰c t‰n kt–sthn ; » ; id. I 24, 6 : « po–a ÂmoiÏthc £ suggËneia tƒ kt–zonti pr‰c tÄ kt–smata ; £ Ìlwc p¿c ãn e“h, ‚n ≈ kt–zetai tÄ pànta, kt–sma ; » Cf. aussi Id., ep. Serap. II 3, 1–3, où Athanase souligne qu’il n’y a rien de commun entre le Fils et les créatures, id. II 4, 3 où Athanase élargit son affirmation : « t¿n ktismàtwn oŒdËn ‚sti t¨ f‘sei jeÏc. » Cf. Athanase, ep. Serap. I 17, 1 : « e  gÄr kt–sma ™n, oŒ sunetàsseto t¨ triàdi. Ìlh gÄr eŸc jeÏc ‚sti. ka» Çrkeÿ

gin∏skein, Ìti mò kt–sma ‚st» t‰ pne‹ma mhd‡ toÿc poi†masi sunarijmeÿtai; oŒ gÄr ÇllÏtrion ‚pim–gnutai t¨ triàdi, Çll+ Çdia–retÏc ‚sti ka» Âmo–a ·aut¨. » De même Id., ep. Serap. II 15, 4 avec citation de Mt 28, 19. 552 Cette importance d’Athanase pour le dualisme créé/incréé avait déjà été soulignée par A. Schindler, Die

Begründung der Trinitätslehre, p. 164s. 553 Cf. supra p. 315. 554 Cf. l’étude similaire faite par A. Levy, «Aux confins du créé et de l’incréé : les dimensions de l’épectase chez

Grégoire de Nysse », p. 253–254 ; l’auteur limite cependant l’exposé de ses résultats à quelques auteurs (Basile, Grégoire de Nazianze, Athanase et Didyme l’Aveugle), sans mentionner d’autres témoins majeurs.

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

333

Grégoire de Nysse se place nettement en tête avec 100 occurrences 555. Sans négliger la marge d’inexactitude de cette recherche 556, il reste néanmoins significatif que plus du quart des occurrences du terme äktiston revienne au Cappadocien. Par ailleurs, il apparaît qu’Athanase n’emploie presque jamais le terme äktiston, même s’il distingue comme Grégoire créateur et créatures. Complètement absent du Discours contre les Ariens et des Épîtres à Sérapion, le terme n’apparaîtrait que deux fois dans l’œuvre de l’évêque d’Alexandrie 557. La première occurrence se trouve dans le De decretis 558, où Athanase met en parallèle les deux terminologies ÇgËnhtoc/genhtÏc et äktistoc/kt–sma, qu’il oppose aux noms de Père, Fils et Saint Esprit de la formule baptismale de Mt 28, 19 ; la deuxième occurrence provient du De synodis, où Athanase présente cette fois deux manières de comprendre le terme ÇgËnnhtoc, qui peut signifier ne pas avoir de cause ou bien être äktistoc, si bien que le terme ÇgËnnhtoc peut être prédiqué ou non du Fils selon la manière de le comprendre 559. Le terme äktiston, rare chez Athanase, l’est aussi chez Basile. Absent de son Contre Eunome 560 ainsi que du Traité sur le Saint Esprit, il n’apparaît dans les autres œuvres vraisemblablement basiliennes que dans la Lettre 125 sous la forme adverbiale 561, dans l’homélie De Fide 562, ainsi que dans le Sermo de ascetica disciplina 563. Enfin, si la Lettre 38 présente plusieurs occurrences du terme äktiston (quatre occurrences), l’authenticité douteuse de cette lettre 564 rend toujours difficile des conclusions certaines. Les emplois par Grégoire de Nazianze du terme äktiston ne sont guère plus nombreux et demeurent toujours isolés, sans donner lieu à des approfondissements spéculatifs comparables à ceux de l’évêque de Nysse ; le terme apparaît dans l’Oraison funèbre de Basile 565 ou peut être mentionné par Grégoire de Nazianze dans des énumérations d’attributs de la divinité en général 566, ou à propos du Fils 567 ou de l’Esprit 568. 555 En fait 95, puisque 5 d’entre elles sont extraites de l’EF d’Eunome. 556 Sont comprises dans ce résultat les occurrences extraites d’œuvres apocryphes et pouvant être postérieures. 557 Outre les références mentionnées ci-après, les autres emplois du terme äktiston ne concernent que des apo-

cryphes athanasiens, p.ex. le symbole Quicumque ou bien le De incarnatione contra Apollinarium. 558 Cf. Athanase, decr. 31, 3 (27, 23–25) : « ‚kËleuse 559

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gÄr ômêc bapt–zesjai oŒk e c Ónoma Çgen†tou ka» genhto‹ oŒd‡ e c Ónoma Çkt–stou ka» kt–smatoc, Çll+ e c Ónoma patr‰c ka» u…o‹ ka» Åg–ou pne‘matoc. » Cf. Athanase, syn. 46, 2–3 (271, 18–23) : « ka» o… m‡n t‰ Ôn mËn, m†te d‡ gennhj‡n m†te Ìlwc Íqon t‰n a“tion lËgousin ÇgËnnhton, o… d‡ t‰ äktiston. πsper ofin to‘twn o’tw shmainomËnwn, e  mËn tic ÇpoblËpwn e c t‰ prÏteron shmainÏmenon t‰ « mò Íqon t‰n a“tion » Ílege « mò e⁄nai ÇgËnnhton t‰n u…Ïn », oŒk ãn kathgÏrei blËpwn Èteron blËponta e c t‰ mò e⁄nai po–hma mhd‡ kt–sma, Çll+ Ç–dion gËnnhma ka» lËgonta ÇgËnnhton t‰n u…Ïn ». Le mot äktistoc n’apparaît que dans les livres IV et V du Contre Eunome, attribués généralement soit à Didyme

l’Aveugle, soit peut-être à Apolinaire de Laodicée, cf. CPG 2571. 2837 et dernièrement F.-X. Risch, PseudoBasilius, Adversus Eunomium IV–V, p. 3–12. Cf. Basile, ep. 125 (34, 33–34) : « ‚k to‹ Jeo‹ e⁄nai Âmologo‹men Çkt–stwc ». Cf. Basile, hom. XV 2 (465C) : « >Ekeÿ Patòr ka» U…‰c ka» âgion Pne‹ma, ô äktistoc f‘sic, t‰ despotik‰n Çx–wma, ô fusikò ÇgajÏthc » ; sur l’authenticité basilienne probable de cette homélie, cf. V.-H. Drecoll, Die Entwicklung der Trinitätslehre des Basilius von Cäsarea, p. 160–161. Cf. Basile , ascet. disc. 1 (649B) : « per» Patr‰c ka» U…o‹ ka» Åg–ou Pne‘matoc mò suzhteÿn, ÇllÄ äktiston ka» Âmoo‘sion Triàda metÄ pa¸˚hs–ac lËgein ka» froneÿn » ; sur l’authenticité basilienne probable de cette homélie, cf. J. Gribomont, Histoire du texte des ascétiques de S. Basile, p. 312–313. Cf. supra note 23, p. 200–201. Cf. Grégoire de Nazianze, or. 43, 30 (194, 25–26) : « metÄ t®c kt–sewc tije»c tòn äktiston f‘sin ka» ÕpËrqronon ». Cf. Grégoire de Nazianze, or. 6, 22 (176, 21) ; or. 23, 11 (302, 10 ; 304, 21) ; carm. I 1, 3 (411A). Cf. Grégoire de Nazianze, or. 38, 13 (134, 28–29) à propos de l’Incarnation : « AgËnnhtoc peut effectivement être assumé comme facteur de transcendance, mais uniquement en tant qu’il signifie äktistoc. Si une telle démarche a peut-être éventuellement animé Épiphane, ce fut certainement le cas de Grégoire qui, sans en faire d’exposé explicite, tient cependant une approche analogue à propos du terme änarqoc 586. À travers ces quelques remarques sur Épiphane et Grégoire, il semble dès lors possible d’écarter une influence du premier sur le second ; mais si Grégoire se distingue parmi les auteurs de la controverse arienne par son utilisation fréquente du terme äktiston, les écrits d’Épiphane permettent de montrer qu’il n’était pas le seul et ne saurait apparaître comme un auteur absolument isolé au milieu de ses contemporains. 5.2.3 Conclusion Ces réflexions assez brèves, qui ont essayé d’élargir la perspective et de replacer Grégoire parmi certains auteurs majeurs de la controverse arienne, conduisent donc à deux résultats. Grégoire, en fondant une grande partie de ses réflexions théologiques du Eun. I sur la distinction métaphysique fondamentale ktistÏn/äktiston, s’inscrit dans une tradition théologique déjà bien affermie ; par ailleurs, son emploi fréquent du terme

585 Cf. Athanase, syn. 46, 2–3 (271, 15–26). 586 Cf. supra partie III, chapitre II, 3.3.1 Causalité non-subordonnante, p. 268–272 ; cf. sur ce point les remarques

assez proches de A. Levy, «Aux confins du créé et de l’incréé : les dimensions de l’épectase chez Grégoire de Nysse », p. 250–253 ; l’auteur souligne le flou qui existait entre ÇgËnhtoc et ÇgËnnhtoc (avec deux n), le premier exprimant l’absence de devenir en Dieu, le second l’absence de génération ; cette différence graphique subtile aurait conduit, entre autres, aux méprises ariennes et anoméennes sur Dieu, considéré ÇgËnnhtoc au lieu d’ ÇgËnhtoc. A. Levy remarque alors (p. 253) : «Assurément, la terminologie que fixe Grégoire donne une dimension métaphysique nouvelle au dogme de Nicée. En substituant de manière systématique kt–ston à ce qui aurait dû ne jamais s’écrire autrement que genhtÏn – avec un seul n –, en tranchant partout le nœud langagier et implicite qui reliait le gËnnhma divin aux processus de la gËnesic, Grégoire érige en principe premier de compréhension du réel, la division entre la sphère divine incréée et la sphère altérable (treptÏc) du créé. »

Chapitre II : ktistÏn/äktiston : le système ontologique de Grégoire de Nysse

337

äktiston ne saurait en faire un auteur isolé, puisqu’Épiphane, à la même époque et dans le même contexte théologique, fondait lui aussi ses réflexions sur l’opposition ktistÏn/äktiston. Pourtant, Grégoire reste malgré tout original. Alors qu’Athanase ou les deux autres Cappadociens n’exploitent l’opposition entre le Créateur et les créatures qu’au sein de multiples raisonnements pouvant s’articuler autour d’autres principes, Grégoire introduit au contraire avec une certaine solennité sa distinction créé/incréé. Interrompant la réfutation systématique du fragment 1 d’Eunome, il annonce qu’il va exposer ses propres positions et présente une hiérarchie des êtres qui se veut universelle, sans rapport direct et immédiat avec le détail de la polémique trinitaire, et qu’il peut approfondir pendant de longs paragraphes presque méditatifs 587. Grégoire prend donc de la hauteur, s’écarte un instant du feu de la polémique et se plaît à souligner des principes généraux, qui apparaissent comme structurants de sa pensée, et sur lesquels il va ensuite s’appuyer pour résoudre des problèmes plus particuliers. Cette systématisation de la distinction ktistÏn/äktiston et la place véritablement centrale qu’elle prend dans la théologie de Grégoire, sans comparaison véritable avec les réflexions d’Athanase, des autres Cappadociens et encore moins d’Épiphane, constitue assurément l’originalité de Grégoire et confirme sa réputation de penseur, soucieux de fonder spéculativement ses positions 588. Cependant, s’il convient de voir ici la marque propre et véritablement personnelle du tempérament de Grégoire, il semblerait que, assez paradoxalement, ce soit aussi Eunome lui-même qui ait incité Grégoire à un tel approfondissement. Effectivement, il a été possible de constater que l’organisation scalaire du Cappadocien vise à répondre à celle dressée par l’anoméen ; l’effort de synthèse assez remarquable effectué par Eunome dans le fragment 1 aura vraisemblablement poussé Grégoire à faire de même. Ironie de la polémique, Eunome qui cherchait à défendre de façon si minutieuse ses propres positions, aura préparé involontairement le mûrissement d’une réfutation particulièrement puissante.

587 Cf. Eun. I 362–375. 588 Cf. la réflexion de W. Völker, Gregor von Nyssa als Mystiker, p. 293 : «Es entspricht seiner Eigenart, möglichst

alle Aussagen spekulativ zu unterbauen. »

CONCLUSION Sans doute Eunome supporta-t-il difficilement son exil de plusieurs années sur l’île de Naxos, mais cette mise à l’écart forcée des affaires ecclésiastiques lui fournit l’occasion propice de régler un litige vieux déjà de plusieurs années. Car Eunome n’avait certainement pas oublié la réfutation par Basile de son Ap, et l’action probable de l’évêque de Césarée à l’origine de son exil le décida vraisemblablement à rédiger cette vaste justification en cinq volumes qu’est l’AA, dont seul Grégoire nous a conservé des citations. Les deux premiers volumes de cette œuvre massive parurent sans doute en automne 378. La catastrophe d’Andrinople et la levée des sentences d’exil par Gratien avaient créé un climat favorable qu’Eunome sut mettre judicieusement à profit. L’AA devait être particulièrement vive, voire violente, si bien que Philostorge y vit même la cause de la mort de Basile. Eunome ne fit pourtant que se défendre des accusations polémiques de son adversaire, qui touchaient aussi bien le titre de son œuvre que sa patrie d’origine et, bien sûr, sa théologie. Le premier volume de l’AA était donc vraisemblablement organisé de manière analogue, articulé dans une partie initiale autour des questions historiques, centré ensuite sur les problèmes théologiques : cinq passages majeurs de cette partie théologique ont été cités par Grégoire. Cette publication d’Eunome, dirigée directement contre Basile, fut certainement une surprise bien amère pour Grégoire de Nysse. Cet homme sensible ne put rester sans répondre et s’engagea courageusement dans une réfutation difficile ; il rédigea dès l’automne 378 les premiers éléments du Eun. I, qu’il n’acheva que plus tard, sans doute au cours de l’année 380. Ce volume, consacré au premier tome de l’AA, répondait aux justifications historiques d’Eunome (Eun. I 1–146), mais surtout à un long passage de l’AA, le fragment 1, auquel Grégoire a consacré presque la moitié du Eun. I. Le fragment 1 est un texte de belle envolée, destiné à répondre à une attaque de Basile, qui accusait Eunome de ne pas avoir évoqué dès le début de l’Ap la doctrine de l’inengendré (ÇgËnnhtoc). Selon Basile, le silence d’Eunome aurait été volontaire, afin de ne pas choquer des lecteurs peu préparés à sa doctrine. En réponse à cette accusation, Eunome veille donc dans le fragment 1 à préparer les lecteurs, à les exercer, avant d’introduire la notion d’inengendré. Par le biais d’une présentation de grande densité, l’anoméen résume les éléments fondamentaux de sa doctrine, dont le fragment 2 apparaît comme l’application immédiate : Eunome peut alors mentionner le Dieu inengendré, différent selon la substance du Fils engendré. Les fragments 1 et 2, le fragment 1 spécialement, revêtent donc une importance toute particulière, puisqu’Eunome veut introduire le lecteur à sa théologie. L’anoméen mentionne ainsi trois substances, nettement subordonnées entre elles en raison de leurs dépendances ontologiques mutuelles. Eunome précise ces affirmations en mentionnant les activités qui suivent les substances, les noms connaturels à chaque substance, la corrélation étroite qui existe entre une activité et l’œuvre qui en résulte ; enfin,

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Conclusion

Eunome présente sa méthodologie théologique, qui consiste à résoudre les doutes sur les activités par les substances, et celles sur les substances par les premières activités. Cette présentation, assez déconcertante au premier abord, ne reprend en fait que les principes énoncés jadis dans l’Ap : la première substance n’est que le Dieu tout-puissant et étranger à toute cause, qui engendre et crée le Fils (la seconde substance), son instrument et ministre parfait pour l’œuvre créatrice (cf. Ap 15) ; l’Esprit (la troisième substance) est la première des créatures, absolument unique en son genre, produite par le Père par l’intermédiaire du Fils (cf. Ap 25). La doctrine des activités s’enracine quant à elle en Ap 22–24 et celle sur la méthodologie théologique en Ap 20. Enfin, les noms connaturels aux substances ne font que rappeler l’épistémologie développée en Ap 12 ou Ap 16 : le nom fait connaître la substance qu’il signifie (en premier lieu le nom ÇgËnnhtoc), mais peut avoir des significations homonymiques, dépendantes du niveau ontologique des réalités qu’il désigne. Par-delà ces points de contact certains, la doctrine du fragment 1 se distingue cependant de l’Ap par son caractère plus abstrait, ainsi que par des formulations qui semblent vouloir éviter de nombreux termes liés à la polémique : il n’est plus fait mention de Père, de Fils ou d’Esprit, il n’y a aucune mention de chose faite ou créée (po–hma, kt–sma), de génération (gennên), de création (kt–zein), de constitution (s‘stasic) ou d’un pouvoir ou commandement du Père (‚xous–a, prÏstagma) ; il n’est fait aucune allusion à l’Écriture ou à l’économie. Inversement, Eunome insiste de façon étonnamment précise sur la corrélation activité-œuvre, absente de ses réflexions de l’Ap. Cette évolution, s’il y en a une, s’explique avant tout par le Contre Eunome de Basile qui sépare les deux œuvres ; Eunome aura tâché d’éviter les points qu’avait directement remis en cause son adversaire, pour développer au contraire les parties moins examinées par celui-ci, spécialement la doctrine des activités. Si le fragment 1 plante ainsi comme un arrière-fond doctrinal, dont l’expression abstraite avait peut-être pour but d’en souligner le caractère universel et nécessaire, le résultat paraît pourtant, au premier abord, assez loin des formulations chrétiennes traditionnelles. Alors qu’une influence gnostique semble peu vraisemblable, les doctrines philosophiques antiques, spécialement platoniciennes, pourraient avoir influencé Eunome. C’est un fait, les trois substances subordonnées de l’anoméen, ainsi que sa théorie du langage, pourraient être mises en parallèle avec les systèmes ontologiques ou épistémologiques platoniciens, et les chercheurs n’ont pas manqué pour déceler des rapports précis entre Eunome et certaines écoles néo-platoniciennes, comme celle de Jamblique. Un examen attentif, mené par d’autres chercheurs, permet pourtant de relever, à côté de certains points communs réels, des divergences fondamentales. Dès lors, sans nier la marque platonicienne de la doctrine d’Eunome, celle-ci pourrait s’expliquer tout aussi bien par un platonisme chrétien, et l’auteur anoméen aura pu être imprégné d’éléments platoniciens par le simple biais d’une tradition chrétienne teintée elle-même de platonisme. Effectivement, il serait regrettable d’oublier qu’Eunome fut avant tout un théologien chrétien, attaché à défendre une tradition, et il a été possible de découvrir toute une chaîne de théologiens, auxquels Eunome pouvait se rattacher, à commencer par Aèce si souvent présenté comme son maître. Avant Aèce et les propositions logiques austères du Syntagmation se tiennent bien sûr Arius, mais surtout Astérius le Sophiste, dont il a été possible d’apprécier le caractère systématique de l’enseignement, si proche à bien des égards de celui d’Eunome. Enfin, les réflexions théologiques d’Acace ou

Conclusion

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d’Eusèbe de Césarée, celles pré-ariennes de l’école d’Alexandrie (Clément et Origène), des premiers apologètes (Justin ou Athénagore) jusqu’au juif Philon, témoignent de toute une tradition théologique attentive à préciser la place et le rôle du Logos entre Dieu et le monde. C’est donc assez honnêtement qu’Eunome pouvait s’estimer dans la ligne d’une authentique tradition chrétienne, dont les options théologiques sur le Fils ne visent finalement qu’à rendre compte de textes scripturaires comme Pr 8, 22, Jn 1, 3 ou Col 1, 15–17. Eunome n’apparaît que comme un ultime témoin d’une vision plus ou moins «instrumentalisante » du Fils dans l’acte créateur, aboutissant finalement à un subordinatianisme strict et toujours plus précis dans sa formulation. Les notions d’inengendré, de corrélation activité-œuvre ou de noms connaturels tentent simplement de rendre compte, entre autres, du caractère absolument unique du Dieu ÇgËnnhtoc, du Fils image parfaite mais inférieure au Père, des modalités de la connaissance humaine. Il serait donc inopportun de diaboliser Eunome. Ce théologien rigoureux a uniquement voulu défendre, en la deuxième moitié du IVe siècle, une doctrine qu’il tenait pour authentiquement chrétienne et a proposé pour cela une réponse théologique bien argumentée. À ce titre, Eunome mérite une juste estime. Cependant, et probablement sans s’y attendre, ce penseur systématique qu’était Eunome trouva en la personne de Grégoire un autre penseur tout aussi systématique, et qui ne ménagea pas sa peine pour réfuter son adversaire. Si l’AA fut sans doute violente, le Eun. I ne l’est pas moins et Grégoire s’est appliqué à mettre en œuvre les outils polémiques classiques pour déconsidérer son adversaire : toute la première partie historique (Eun. I 1–146) en est un exemple particulièrement clair, où Aèce, Eunome luimême et les multiples sujets de litiges (titre de l’Ap, origine galate d’Eunome ou accusations contre Basile) sont passés au crible de l’argumentation polémique. Assurément, il a été possible de constater la fragilité de certaines justifications historiques proposées par Grégoire, entre autres celles liées aux synodes de Séleucie et de Constantinople, mais de tels détails importaient sans doute peu en comparaison du but suivi dans ces paragraphes d’ouverture : jeter le discrédit sur Eunome et, du fait même, rendre douteuses ses affirmations théologiques, spécialement celles du fragment 1. Effectivement, l’effort théologique principal de Grégoire se porte sur ce résumé doctrinal, contre lequel le Cappadocien consacre presque la moitié de son œuvre. Là encore, Grégoire sait jouer de la manipulation polémique, comme l’étude des citations d’Eunome dans le Eun. I a permis de le voir : le durcissement probable par Grégoire de nombreuses formulations de l’AA vise avant tout à rendre la doctrine d’Eunome choquante, voire inadmissible. De même, le début de la réfutation théologique du fragment 1 (Eun. I 155–269) ne quitte pas, sous plusieurs aspects, le niveau de l’argumentation polémique. Par-delà le dynamisme certain de ces pages, où Grégoire jongle presque avec la multiplicité des concepts (absence de plus ou moins de la substance, infinité divine, impossibilité d’une unité en lien avec le plus ou moins), voire avec le flou de certains principes théologiques d’Eunome (quel statut ontologique de l’activité ?), il n’en reste pas moins que ces réflexions n’atteignent pas directement le cœur de la polémique théologique : comment rendre compte du rapport du Fils et de l’Esprit avec le Père, comment les distinguer des créatures. C’est alors que prend toute sa valeur la distinction ktistÏn/äktiston proposée par Grégoire. Cette fois, le Cappadocien ne se limite plus à une simple réfutation de la lettre du fragment 1, mais expose son propre système, sa propre échelle des êtres, arti-

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Conclusion

culée principalement autour de l’opposition créé/incréé et visant à contrer l’opposition engendré/inengendré d’Eunome. Grégoire précise ainsi les multiples modalités de plus ou moins qui existent entre les êtres, évoque certains traits de l’acte créateur, en lien certainement avec ses traités contemporains De hominis opificio et Apologia in Hexaemeron, prend soin enfin de préciser avec la notion de diàsthma la distinction métaphysique fondamentale qui oppose le monde créé à la nature incréée. C’est à l’aide de ces principes que Grégoire peut développer sa doctrine trinitaire, qui veut prendre le contre-pied constant de celle d’Eunome. Grégoire rejette ainsi le plus ou moins de la divinité affirmé par Eunome et fondé sur l’opposition engendré/inengendré, pour présenter au contraire la distinction créé/incréé comme le passage ontologique entre le monde des réalités sujettes aux différences subordonnantes et celui de la nature incréée étrangère à toute subordination ; Grégoire souligne en lien avec ces réflexions l’impossibilité d’un plus ou moins du Fils ou de l’Esprit, qui mettrait en cause la doctrine du Salut. Par ailleurs, les affirmations d’Eunome sur la place intermédiaire du Fils, ainsi que son action instrumentale dans l’acte créateur, sont remplacées par l’opposition claire et sans intermédiaire créé/incréé de Grégoire. Il ne saurait y avoir aucun agent entre la nature divine incréée et le monde des créatures ; l’acte créateur connaturel à la divinité manifeste au contraire l’identité de nature entre le Père, le Fils et l’Esprit. Grégoire détermine aussi par la notion d’ äktiston la nature au sein de laquelle il ne saurait y avoir de causalité subordonnante, le critère de subordination n’étant plus lié au niveau de dépendance ontologique, comme le proposait Eunome, mais à la distinction ktistÏn/äktiston et donc à l’acte créateur ; l’opposition ktistÏn/äktiston permet par ailleurs à Grégoire de définir clairement le monde au-delà de tout diàsthma, là où rien ne saurait jamais s’intercaler entre le Père, le Fils ou l’Esprit. Selon Grégoire, le caractère äktiston assure l’absence de dissemblances entre les membres de la Triade tout en garantissant leurs distinctions mutuelles : le Fils procède du Père (‚k to‹ patrÏc) et l’Esprit du Père (‚k to‹ patrÏc) tout en ayant une relation particulière au Fils (diÄ to‹ u…o‹). Enfin, c’est en s’appuyant toujours sur l’opposition ktistÏn/äktiston que Grégoire peut rejeter l’épistémologie d’Eunome et sa prétention d’exprimer la substance divine par le concept ÇgËnnhtoc ; l’intelligence humaine mesurée par le créé ne saurait jamais saisir, même par révélation, la nature au-delà de tout concept et de toute définition. Le caractère incréé du Fils et de l’Esprit, à l’égal du Père, se révèle ainsi d’un enjeu fondamental dans la réfutation d’Eunome, ce qui pousse Grégoire à en donner une justification scripturaire. Si ces pages d’exégèse biblique restent assez limitées dans le Eun. I et sans comparaison avec certains développements ultérieurs, comme dans le Eun. III, il a cependant été possible de voir que celles-ci ne doivent pas être négligées ; Grégoire s’applique, aussi bien pour le Fils que pour l’Esprit, à avancer les textes qu’il juge les plus probants et à réfuter les objections possibles. Il ressort donc assez clairement que la distinction ktistÏn/äktiston joue un rôle prépondérant pour Grégoire dans cette première réfutation d’Eunome qu’est le Eun. I. La vision du monde dichotomique fondée sur la notion de création fournit à Grégoire les principes métaphysiques fondamentaux permettant de s’opposer à la théologie trinitaire subordinatianiste d’Eunome. Cependant, de même que l’enseignement de l’anoméen s’inscrit et prolonge une certaine tradition chrétienne, de même celui de Grégoire se situe dans la ligne d’autres théologiens, des premiers théologiens chrétiens bien sûr, ceux qui ont développé la notion de création ex nihilo, mais surtout de son

Conclusion

343

maître Basile, de Grégoire de Nazianze, d’Athanase avant tout pour l’opposition entre les créatures et le Dieu créateur ; quant à la terminologie ktistÏn/äktiston, l’exemple d’Épiphane de Salamine permet de relativiser l’originalité du vocabulaire employé par Grégoire. Pourtant, si le Cappadocien reprend plusieurs principes théologiques développés par ses devanciers, son enseignement n’en demeure pas moins original tant par la profondeur de ses développements philosophiques que par la systématisation de la distinction créé/incréé, intégrée dans une présentation universelle des êtres. Là se situe assurément le génie propre de Grégoire, qui a réussi à dresser face au système d’Eunome un contre-système, une autre ontologie, qu’il n’a certes pas inventée, mais dont il a su hériter. Sous cet angle, le disciple a véritablement dépassé ses maîtres. Ces multiples éléments, relevés au cours de l’étude du Eun. I, pourraient dès lors inviter à approfondir différents sujets. Le premier concerne le mode de citation par un auteur d’un texte d’autrui. L’examen des citations de l’AA par Grégoire dans le Eun. I a permis de relever les manipulations auxquelles celles-ci pouvaient se prêter, et un tel travail de réécriture ne se limite sûrement pas au Eun. I. Une étude plus systématique de ces procédés de citation permettrait certainement d’éclairer de nombreuses œuvres perdues par ailleurs et susceptibles de mauvaises interprétations ; que l’on songe, entre autres, au traité Contre Astérius de Marcel d’Ancyre, à celui d’Apollinaire réfuté par Grégoire dans son Antirrheticus, ou à des œuvres comme le Discours véritable de Celse. L’étude attentive des différents courants théologiques de la première moitié du IVe siècle constituerait sûrement un autre domaine de recherche. Il a été possible de souligner, au cours de l’examen des sources d’Eunome, les différentes orientations doctrinales ayant pu l’influencer. Des investigations approfondies sur les positions d’auteurs comme Acace et surtout sur les œuvres théologiques d’Eusèbe de Césarée jetteraient des lumières sur cette période charnière, où le lien se fait entre les principes théologiques d’Origène et les multiples développements qui ont suivi, spécialement les courants homéens et homéousiens. Un tel travail permettrait de rendre compte de l’évolution de certains termes théologiques, ainsi que des influences multiples susceptibles d’éclairer les positions d’un auteur postérieur. Enfin, un dernier champ d’étude particulièrement fécond serait le discernement de l’influence de la distinction ktistÏn/äktiston de Grégoire. En effet, la présentation ontologique du Cappadocien présentée dans la querelle contre Eunome rompt avec une vision chrétienne de l’univers marquée surtout par le platonisme. Dans quelle mesure ce système de Grégoire était-il utilisable hors de la controverse eunoméenne ? S’il a été constaté que Grégoire pouvait effectivement employer l’opposition créé/incréé dans des domaines autres que ceux de la polémique trinitaire, qu’en est-il concrètement des théologiens postérieurs ? L’examen sous cet angle d’auteurs comme Jean Chrysostome ou Cyrille d’Alexandrie permettrait de juger si la vision dichotomique du monde systématisée par Grégoire a pu s’imposer, ou si elle a nécessité des remaniements dus aux questions étudiées. D’autres thèmes pourraient être creusés assurément, suggérés par cette œuvre riche qu’est le Eun. I de Grégoire, mais ceux qui viennent d’être mentionnés paraissent d’une importance particulière. Face au mystère de la sainte Triade, Eunome et Grégoire ont proposé chacun de leur côté une solution doctrinale, l’une fondée sur la notion d’inengendré (ÇgËnnhtoc),

344

Conclusion

l’autre sur celle d’incréé (äktistoc) ; chacune ne se voulait que l’interprétation de la foi de l’Église. Si de ces deux systèmes, l’un fut condamné et l’autre approuvé, sans doute serait-il erroné de ne voir dans ce dénouement que la simple victoire d’un parti théologique sur l’autre. Par-delà les côtés si techniques de l’argumentation de ces auteurs, l’Église s’est reconnue dans la proposition que défendait Grégoire et y a vu une expression légitime de sa foi trinitaire. Le Eun. I permet de prendre connaissance de ce débat passionnant et d’en saisir plus précisément les différents enjeux. Sans doute cette œuvre ne compte-t-elle pas parmi les plus réputées de Grégoire de Nysse, mais elle contient incontestablement certaines de ses plus belles pages.

ANNEXE

Tableau comparatif des relevés des citations de l’AA dans le Eun. I Ce tableau indique les relevés, établis par les différents chercheurs mentionnés, des citations de l’AA faites par Grégoire dans la partie théologique du Eun. I (Eun. I 147– 691). La colonne de «référence » est celle consacrée à W. Jaeger, puisque l’édition du GNO I (1960) offre le plus grand nombre de relevés de citations de l’AA. R.-P. Vaggione, qui en donne presque l’ensemble des références, occupe en conséquence la seconde place. Les autres colonnes suivent l’ordre chronologique d’édition. Le tableau suit per ordinem la partie théologique du Eun. I. Par souci d’uniformité et parce que les différentes éditions ne le permettent pas toujours, les références de ce tableau renvoient systématiquement aux pages et lignes du GNO I (1960). Ainsi, la première référence de la colonne consacrée à l’édition J. Gretser (74, 7. 8–10) indique la page et les lignes que la citation de l’AA relevée ici par l’édition Gretser aurait dans le GNO I, et non dans la PG. Il en est de même pour W. Moore, S.-G. Hall et Cl. Moreschini. Les citations de l’Ap d’Eunome faites en Eun. I 655. 658, soulignées de manière analogue à celles de l’AA par W. Jaeger, ne sont pas rapportées dans ce tableau. Voici enfin la signification des différents sigles utilisés : = * ≈ !!

indique l’accord des chercheurs pour le relevé d’une citation de l’AA ; indique qu’aucune citation n’a été relevée ; indique une citation marquée d’un «cf. » par R.-P. Vaggione ; indique une traduction de W. Moore trop loin du texte original grec pour permettre d’y relever clairement une citation ; la traduction anglaise est alors indiquée en note de bas de page ; = Jaeger / = Gretser indique que la citation relevée concorde avec celle relevée par W. Jaeger / l’édition J. Gretser ; 6 = Jaeger / 6 = Gretser / 6 = Moore indique que la citation relevée ne concorde pas avec celle relevée par W. Jaeger / l’édition J. Gretser /W. Moore.

Un numéro a été assigné à chaque cas relevé ; ce numéro est indiqué dans la colonne de droite. Les citations relevées par les autres chercheurs mais non par W. Jaeger sont indiquées en note de bas de page.

346

Annexe W. Jaeger (GNO I, 1960)

Paragraphe

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



=

=

=

=

1

page, lignes

151–154

71, 28–73, 15

=

155

73, 20–26

=

=

=

=

=

2

*

*

74, 7. 8–10 1

= Gretser

*

*

3

* 158

74, 24–25

=

*

*

=

=

4

161

75, 14–15

= Jaeger

6 = Jaeger

*

*

= Jaeger

5

161

75, 18

=2

*

*

=

=

6

163

76, 6–7

=

*

*

=

=

7

166

76, 23

=

*

*

=

*

8

*

78, 1 3

*

*

*

*

9

*

78, 7

=

*

*

=

=

10

*

*

*

*

*

80, 20 4

*

11

*

*

*

*

*

81, 7 5

*

12

172

187

81, 23–24

=

*

*

=

=

13

188

82, 2

= Jaeger

6 = Jaeger

*

= Jaeger

= Jaeger

14

189

82, 6–8

=

*

=

=

=

15

190

82, 17

=

*

*

=

*

16

205

86, 17–19

=

=

=

=

=

17

206

86, 22

= Jaeger

*

*

= Jaeger

6 = Jaeger

18

206

86, 25–26

=

*

*

=

=

19

207

87, 3

=

*

=

=

*

20

*

*

*

87, 5 6

*

*

21

207

87, 8

=

*

=

=

=

22

209

87, 20–21

=

*

*

=

=

23

*

*

*

*

*

87, 25 7

24

88, 11

=

*

=

=

=

25

*

* 211

1 Eun. I 156 : « Çnt»

m‡n to‹ patr‰c Çnwtàtw tinÄ ka» kuriwtàthn oŒs–an lËgei, Çnt» d‡ to‹ u…o‹ tòn di+ ‚ke–nhn m‡n ofisan, met+ ‚ke–nhn d‡ t¿n ällwn prwte‘ousan, Çnt» d‡ to‹ Åg–ou pne‘matoc tòn mhdemiî to‘twn suntattomËnhn ÇmfotËraic . . . »

2 Coquille de Vaggione : 75, 18–19 pour 75, 18. 3 Eun. I 171 : « ka» diÄ to‹to tòn to‹ patr‰c oŒs–an

mÏnhn Çnwtàtw fhs–n? »

4 Eun. I 183 : « Â mò didoÃc aŒtƒ t‰ kur–wc e⁄nai ». 5 Eun. I 185 : « t‰ ©tton ka» t‰ äkuron ‚p» t®c oŒs–ac ». 6 Eun. I 207 : « ällo ti parÄ tÄc oŒs–ac aŸc parËpontai 7 Eun. I 209 : « Çll+

 tòn ‚nËrgeian e p∞n tÏ ».

£ mËroc ».

347

Tableau comparatif des relevés des citations de l’AA dans le Eun. I W. Jaeger (GNO I, 1960)

Paragraphe

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



*

=

=

26

page, lignes

212

88, 18

=

*

214

89, 8

=

*

*

=

*

27

*

*

*

*

89, 20 8

*

*

28

*

*

*

*

89, 23–24 9

*

*

29

220

90, 26

=

*

*

=

=

30

223

91, 20-92-1

=

=

=

=

=

31

224

92, 9–10



*

*

=

=

32

225

92, 18–20

=

=

=

=

=

33

225

92, 23–24

= 10

=

=

=

=

34

231

94, 15–17

=

=

*

=

=

35

235

95, 20

=

*

*

=

=

36

237

96, 4

=

*

=

=

*

37

*

*

*

*

=

38

= 12

=

=

=

=

39

=

=

=

=

=

40

*

= Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

41

= Jaeger

6 = Jaeger

42

=

=

43

*

=

44

* 238

96, 14–16

238

96, 16

239

96, 24–26

6 = Jaeger 13

96, 9–10 11

240

96, 29

= Jaeger

*

! ! 14

240

97, 2–3

=

*

*

*

*

*

242

97, 24–98, 1

=

=

=

=

=

45

243

98, 5–6

=

=

=

=

=

46

243

98, 6

*

=

=

=

=

47

243

98, 7

*

=

=

=

=

48

243

98, 8. 9

*

*

=

=

=

49

*

8 Eun. I 216 : « Èteron

97, 3 15

‚x ·tËrou genÏmenon lËgei; ±c dË ».

9 Eun. I 216 : « ka» Èteron ‚x ·tËrou genËsjai lËgwn ka» nÏjon ». 10 Coquille de Vaggione : 92, 3–4 pour 92, 23–24. 11 Eun. I 237 : « ka» t‰ plËon ka» t‰ Ílatton ‚p+ aŒt¿n lËgei ». 12 Coquille de Vaggione : 96, 14–15 pour 96, 14–16. 13 Et coquille de Vaggione : 96, 25 pour 96, 25–26. 14 La traduction de W. Moore, parfois assez loin du texte, demande à être reproduite : Eun. I 240 : «Having

affirmed that the being of the Father alone is ›Supreme‹ and ›Proper‹, and having refused both these titles to that of the Son and of the Spirit, in accordance with this, when he comes to speak of them all as ›simple,‹ . . . » 15 Eun. I 240 : « katÄ t‰n aŒt‰n lÏgon ka» Åplêc proseip∞n tÄc oŒs–ac ».

348

Annexe W. Jaeger (GNO I, 1960)

Paragraphe

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



=

=

=

=

=

50

page, lignes

244

98, 9

*

*

*

*

=

*

51

98, 16–18

=

=

=

=

=

52

*

*

98, 28–99, 1 17

6 = Gretser

*

*

53

246

99, 4–5

≈ Jaeger

6 = Jaeger

= Jaeger

*

= Jaeger

54

255

101, 12–14

=

=

=

=

=

55

282

109, 15–16

≈ Jaeger

6 = Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

56

292

112, 23–24

=

*

*

=

*

57

317

121, 5–10

≈ Jaeger

6 = Jaeger

*

*

= Jaeger

58

318

121, 11–21

=

=

=

=

=

59

319

122, 2–3

=

=

=

=

=

60

320

122, 10

*

*

=

*

*

61

244 *

Jaeger 18

98,

11 16

321

122, 16–19

*

*

6 = Jaeger

= Jaeger

62

322

122, 20

*

*

=

=

=

63

*

*

*

*

*

64

*

=

122, 21 19

323

122, 23

*

6 = Jaeger

= Jaeger

=

= Jaeger

65

324

123, 2–4

=

*

=

=

=

66

*

*

*

*

*

67

329

124, 19–22

=

=

=

=

=

68

331

125, 3–4

=

*

=

=

=

69

*

*

=

*

=

70

341

128, 8

=

=

=

=

=

71

342

128, 17

=

*

=

*

*

72

349

130, 12

*

6 = Jaeger

*

*

*

73

358

133, 3–4

=

*

*

=

=

74

*

*

16 Eun. I 244 : « ÇllÄ dunàmewc 17 Eun. I 246 : « ‚nËrgeiàn tina

123, 7–8 20

125, 11 21

‚nËrgeian, kaj∞c aŒt‰c Ênomàzei ». kajàper Órganon t¨ pr∏t˘ oŒs–¯ parepomËnhn s‘mmetrÏn fhsin ·aut¨ Írgon

pepoihkËnai t‰n k‘rion. » 18 Coquille de Vaggione : 122, 15–19 pour 122, 16–19. 19 Eun. I 322 : « t–nac lËgei pàlin tÄc t¿n ‚nergei¿n diaforàc,

di+ ¡n tÄ Írga ». mêllon diÄ to‘twn kataskeuàzetai t‰ parhllàqjai tÄc ‚nerge–ac katÄ toso‹ton Çll†lwn, Ìsh ka» t¿n Írgwn ‚st»n ô pr‰c ällhla diaforà, tƒ mò ». Eun. I 332 : « πste to‹ ÇtimotËrou ka» tòn fwnòn ka» tòn Ínnoian ‚p– tinoc t¿n ».

20 Eun. I 324 : « t– 21

349

Tableau comparatif des relevés des citations de l’AA dans le Eun. I W. Jaeger (GNO I, 1960)

Paragraphe

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



page, lignes

361

134, 6

=

*

*

=

*

75

375

137, 15–16

= Jaeger

*

6 = Jaeger

= Jaeger

= Moore

76

375

137, 17

=

*

=

=

=

77

375

137, 19

=

*

*

=

=

78

385

139, 26

=

*

=

=

=

79

385

139, 27

=

*

=

=

=

80

385

140, 1

*

*

*

=

=

81

386

140, 3–7

=

=

=

=

=

82

386

140, 8–9

=

=

=

=

=

83

388

140, 25–26

=

=

=

=

=

84

394

141, 29–142, 1

=

*

=

=

=

85

397

143, 2–3

*

=

=

=

=

86

399

143, 9–11

=

=

=

=

=

87

404

144, 16–17

=

*

*

*

=

88

406

145, 10–20

=

=

=

=

=

89 90

409

146, 3

=

=

=

=

=

409

146, 4–5

= Jaeger

6 = Jaeger

= Gretser

= Jaeger

= Jaeger

91

410

146, 9

*

*

*

*

=

92

411

146, 21–23

=

=

=

=

=

93

412

146, 28–30

=

*

*

=

=

94

412

147, 2–3

=

*

*

*

=

95

412

147, 3–4

=

*

=

=

=

96

413

147, 8

=

*

=

=

=

97

*

*

*

*

*

98

*

147, 14–15 22

415

147, 24

*

*

*

=

=

99

417

148, 16–17

=

=

*

=

=

100

*

*

! ! 24

*

*

101

*

148, 26 23

22 Eun. I 414 : « Nun» 23

d‡ âpac  lÏgoc aŒtƒ pr‰c t‰ ‚nant–on blËpwn äporon e⁄nai kataskeuàzei t®c ‚nta‹ja nohje–shc aŒtƒ tàxewc tòn katanÏhsin. » Eun. I 419 : « >All+ oŒk ‚keÿjen, fhs–n. »

24 La traduction de W. Moore, parfois assez loin du texte, demande à être reproduite : Eun. I 419 : «‹But I did not

mean that ›order‹ to come from Him, › he rejoins. »

350

Annexe W. Jaeger (GNO I, 1960)

Paragraphe

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



148, 29–30 25

= Gretser

*

= Gretser

103

page, lignes

*

*

*

419

148, 27–28

*

*

6 = Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

102

423

149, 27

=

*

*

*

=

104

423

150, 3–4

=

*

*

=

=

105

428

151, 21

=

*

*

=

=

106

*

*

*

= Gretser

*

*

107

*

*

*

*

*

*

= 28

*

*

*

*

109

434

153, 2–3

Jaeger 29

152, 1–3 26

152, 22–23 27

108

446

156, 5–8

6 = Jaeger

= Gretser

= Jaeger

= Jaeger

110

446

156, 11–12

=

*

*

=

=

111

447

156, 17–18

=

*

*

*

=

112

449

157, 7–8

=

*

=

*

=

113

451

157, 15–16

=

*

=

=

=

114

*

*

*

=

*

115

452

157, 25

=

=

=

*

=

116

452

157, 28–158, 1

=

=

=

=

=

117 118

*

=

157, 18 30

453

158, 4

=

*

*

*

*

454

158, 9–11

=

*

=

*

=

119

455

158, 16–18

=

*

=

=

=

120

456

158, 27–28

=

*

=

*

=

121

*

*

*

*

*

122

*

159, 12–13 31

458

159, 14–15

=

*

=

=

=

123

458

159, 18–19



=

*

*

=

124

*

*

*

*

*

125

*

159, 19–20 32

25 Eun. I 419 : « Çll+ “swc to ÕfeimËnon t®c oŒs–ac ‚p» to‹ u…o‹ ka» to‹ pne‘matoc t‰ sumfu‡c 26 Eun. I 430 : « ka» tòn ‚p» taÿc ‚nerge–aic fhs»n Çmfibol–an dial‘ein ‚k t¿n oŒsi¿n. » 27 Eun. I 433 : « Án

Ênomàzei t®c tàxewc. »

e“te ‚nËrgeian e“te ti t®c ‚nerge–ac ÇpotËlesma lËgei (kËqrhtai gÄr ·katËr˙ t¿n lÏgwn) ».

28 Coquille de Vaggione : 153, 3–4 au lieu de 153, 2–3, et mauvais renvoi : doublet de 73, 12–13 et non 73, 11–12. 29 Coquille de Vaggione : 156, 4–8 au lieu de 156, 5–8. 30 Eun. I 451 : « t– gÄr deÿ no®sai genn†sewc trÏpon Çko‘santa ». 31 Eun. I 458 : « ‚k

t¿n t®c prono–ac lÏgwn majeÿn ‚p» t‰n t®c genn†sewc ÇnelhlujËnai trÏpon ». ofin gennhje–shc oŒs–ac, õn Írgon Ênomàzei t®c ÕperkeimËnhc, mhdËpw ».

32 Eun. I 459 : « t®c

351

Tableau comparatif des relevés des citations de l’AA dans le Eun. I W. Jaeger (GNO I, 1960)

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

*

*

*

459

159, 23

=

*

461

160, 11–13

=

*

463

161, 7–8

= Jaeger

*

466

161, 21

*

=

*

*

*

473

163, 16–17

=

*

=

475

164, 1–5

=

=

=

164, 10–27

=

=

=

*

*

*

481

165, 24–25

=

*

481

166, 2–6

=

=

483

166, 13–17

*

=

*

*

491

168, 18–20

=

492

168, 24–28

510

173, 24

512 522

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



*

*

126

*

=

=

127

=

=

=

128

6 = Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

129

*

=

=

130

*

*

131

*

*

132

=

=

133

=

=

134

*

*

135

*

=

=

136

=

=

=

137

=

=

=

138

=

*

*

139

*

6 = Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

140

=

=

=

=

=

141

=

*

*

*

*

142

174, 15

=

*

*

*

*

143

177, 16

*

*

=

*

*

144

*

*

*

*

*

145

182, 2–6

=

=

=

=

=

146

538

182, 9–12

=

=

=

=

=

147

543

183, 16–17

=

*

=

=

=

148

Paragraphe

page, lignes

*

*

476–477 *

*

* 537

33 Eun. I 459 : « p¿c 34 35 36 37

165, 21–22 35

166, 28–167, 1 36

179, 7 37

159, 21–22 33

162, 25–26 34

ÕperbÄc tÏ, ±c aŒt‰c lËgei, kat∏teron ka» diÄ to‹to t¨ katal†yei t¿n zhto‘ntwn proseqËsteron, t¨ kuriwtàt˘ ka» Çnwtàt˘ prosf‘etai? » Eun. I 470 : « e c tòn Çgennhs–an pàntwc ‚reÿ. » Eun. I 481 : « Â gÄr tòn Çmaj–an ôm¿n dias‘rwn ka» t‰ mò ‚x Çrko‘shc paraskeu®c ‚p» t‰n lÏgon ‚lhlujËnai profËrwn, o’twc Åbr‘nei ». Eun. I 485 : « e⁄ta ‚k t¿n d‘o to‘twn Çrq¿n tòn m–an lËgei par+ ôm¿n e c u…o‹ tàxin katàgesjai. » Eun. I 528 : « ka» o’tw kat+ aŒt¿n  sq‘sei t‰ ätopon Á katÄ to‹ dÏgmatoc ôm¿n ‚sof–santo t‰ aŒt‰n Õf+ ·auto‹ genËsjai lËgein ».

352

Annexe W. Jaeger (GNO I, 1960)

Paragraphe

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



=

=

=

149

=

=

=

150

*

*

151

page, lignes

551

185, 26–28

=

*

552

186, 3–10

=

=

*

*

*

562

188, 27–189, 3



=

=

=

=

152

562

189, 4–11

= Jaeger

*

6 = Jaeger

6 = Jaeger, 6 = Moore

= Jaeger

153

*

*

*

*

154

*

*

*

≈ 189, 22–23 39

188, 10–12 38

192, 20–193, 1

=

= 40

=

=

=

155

*

*

193, 5–7 41

=

*

*

156

578

193, 10–11

=

=

=

=

=

157

580

193, 20–22

= 42

=

=

=

=

158

581

193, 30–194, 1

=

*

=

=

=

159

*

*

*

*

*

160

585

195, 7–10



=

=

=

=

161

599

198, 27

=

=

*

=

=

162

600

199, 4–10

=

=

=

=

=

163

*

*

*

*

*

164

199, 24–25



=

=

=

=

165

=

= 45

=

=

166

577 *

*

* 602 602

199, 26–28

=

194, 11–13 43

199, 22–23 44

38 Eun. I 559 : « yuqrƒ 39

ka» Çdraneÿ tƒ sof–smati toÃc kaj+ ·aut‰n parakro‘etai, t‰ katà ti koinwno‹n ka» diÄ pàntwn tòn katÄ t‰ shmainÏmenon koinwn–an Íqein kataskeuàzwn ka» to‘t˙ tòn ‚pipÏlaion Çkoòn sunarpàzwn. » Eun. I 564 : « e⁄ta so» m‡n oŒk Íxesti mò katÄ t‰ o keÿon t®c shmas–ac profËresjai tÄ t¿n o ke–wn ÊnÏmata, Çllà ».

40 Le texte de Gretser est lacunaire, il manque Jaeger 192, 24–193, 1. 41 Eun. I 578 : « Â prÏteroc e⁄qe sullogism‰c to‹to t‰ ätopon; e  Â patòr

shma–nei t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai t‰n jeÏn, ‚x

Çnàgkhc t‰ gegennhkËnai t‰n u…‰n oŒkËti ‚nde–xetai. » 42 Coquille de Vaggione : 193, 20–23 pour 193, 20–22. 43 Eun. I 582 : « to‹tÏ fhsin Ìti pr»n genn®sai t‰n u…‰n ka» 44

diÄ to‹to klhj®nai pat†r, oŒd‡ ÇgËnnhtoc ™n, e“per ô Çgennhs–a t¨ to‹ patr‰c ‚nno–¯ gnwr–zetai. » Eun. I 602 : « e⁄pen âpax ‚piqleuàzwn, Ìti oŒ t‰ genn®sai shma–nei  pat†r, ÇllÄ t‰ ‚x oŒden‰c e⁄nai. »

45 La traduction de W. Moore ne reproduit pas GNO 199, 27–28.

353

Tableau comparatif des relevés des citations de l’AA dans le Eun. I W. Jaeger (GNO I, 1960)

R.-P. Vaggione, Eunomius, the Extant Works, p. 102–104

Édition J. Gretser (PG 45, 297–464)

W. Moore (NPNF, p. 50–100)

S.-G. Hall, El «Contra Eunomium I » p. 57–135

C. Moreschini, Teologia Trinitaria, p. 34–140



200, 1–2

=

=

=

=

=

167

604

200, 10

6 = Jaeger

*

*

*

= Jaeger

168

605

200, 30

=

*

=

=

*

169

606

201, 3–5

=

=

=

=

=

170

607

201, 11–13

= Jaeger

6 = Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

= Jaeger

171

608

201, 26–202, 5

= Jaeger

6 = Jaeger

= Gretser

= Jaeger

= Jaeger

172

*

*

6 = Gretser

173

203, 10–15

=

*

*

214, 6–10

= Jaeger

*

*

215, 24

*

Paragraphe

page, lignes

602

* 612 * 653 * 659

203, 2 46 = 212, 19 48

6 = Jaeger 215, 5–6 49 *

*

*

=

= 47

=

174

*

*

*

175

= Jaeger

176

= Jaeger

= Jaeger

= 50

*

=

177

*

*

=

178

660

216, 12–13

=

*

*

=

=

179

661

216, 16–22

= Jaeger

6 = Jaeger

= Gretser

= Jaeger

= Jaeger

180

661

216, 23–24

=

=

=

=

=

181

662

216, 25

=

=

=

=

=

182

663

217, 6

=

*

*

*

=

183

*

*

217, 10–12

=

*

*

* 663 *

46 Eun. I 611 : « oŒ

217, 8–9 51 * 217, 16–17 52

*

*

*

184

=

=

=

185

*

*

*

186

mòn ‚pànagkec, Ìtan to‹ u…o‹ mnhsj¿men, mò patËra u…o‹ lËgein, Çll+ ÇgËnnhton u…o‹

prosagore‘ein. » 47 Erreur typographique : «Unbegotten » à la fin n’est pas mis en italiques. 48 Eun. I 646 : « ÇllÄ t‰n m‡n ‚k t®c Çgennhs–ac t‰n d‡ ‚k t®c genn†sewc 49 Eun. I 656 : « na–, fhs–n, Çll+ oŒ sun®ke to‹ lÏgou t‰ bo‘lhma. » 50 Il manque dans l’édition le guillemet final de la citation. 51 Eun. I 663 : « 52

oŒsi¿sjai lËgwn, oŒk o⁄da ».

ka» t‰ m‡n Ónoma t®c oŒs–ac ·tËr˙ Çkoloujeÿ, aŒtò d‡ pàlin ô oŒs–¯ ·tËr˙. t–c d‡ ô s‘njesic to‹ pant‰c lÏgou? » Eun. I 664 : « ka» t–c ômÿn t¿n a nigmàtwn to‘twn dial‘sei t‰n grÿfon, ÇgËnnhton prohgo‘menon ka» ÇgËnnhton ‚fepÏmenon ka» proshgor–an oŒs–ac n‹n mËn ».

BIBLIOGRAPHIE

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Bible de Jérusalem. S.-M. Schwertner, Internationales Abkürzungsverzeichnis für Theologie und Grenzgebiete (Theologische Realenzyklopädie), Berlin, Walter de Gruyter 19942. G.-W.-H. Lampe, A Patristic Greek Lexicon, Oxford, Clarendon Press 1961. H.-G. Liddell, R. Scott, H.-S. Jones, A Greek-English Lexicon, Oxford, Clarendon Press 19689. Thesaurus Linguæ Latinæ, editus iussu et auctoritate consilii ab academiis societatibusque diversarum nationum electi, Leipzig, Teubner 19902.

Pour les livres bibliques, les abréviations reprennent celles de la BJ . Pour les auteurs anciens, les abréviations s’inspirent : du LSJ pour les auteurs grecs classiques ; du Lampe pour les auteurs grecs patristiques ; du ThesLL pour les auteurs latins. Pour les collections, revues ainsi que pour les œuvres de Philon d’Alexandrie : les abréviations reprennent celles du IATG. Enfin, pour les œuvres de Grégoire de Nysse, les abréviations reprennent celles de : Altenburger M., Mann F., Bibliographie zu Gregor von Nyssa. Editionen – Übersetzungen – Literatur, Leiden, Brill 1988, p. XV.

Instruments de travail Bible et Index biblique Septuaginta, A. Rahlfs éd., Stuttgart, Privilegierte Württembergische Bibelanstalt 19493. Biblia Patristica. Index des citations et allusions bibliques dans la littérature patristique, t. 5, Paris, Éditions du Centre National de la Recherche Scientifique 1991. Site internet Biblindex (en ligne le 13 août 2011) : http ://www.biblindex.mom.fr/index.php ?option= com_content&view =article&id =6&Itemid=8

Études prosopographiques Destephen S., Prosopographie du Diocèse d’Asie (325–641) (Prosopographie Chrétienne du Bas-Empire 3), Paris, Association des amis du Centre d’histoire et civilisation de Byzance 2008. Jones A., Martindale J., Morris J., The Prosopography of the Later Roman Empire, t. 1, Cambridge, University Press 1991.

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Sur Grégoire de Nysse Altenburger M., Mann F., Bibliographie zu Gregor von Nyssa. Editionen – Übersetzungen – Literatur, Leiden, Brill 1988, p. XV. Mann F., Lexicon Gregorianum, Wörterbuch zu den Schriften Gregors von Nyssa, 8 vol., Leiden, Brill 1999–2010. Site internet Bibliographie Grégoire de Nysse (en ligne le 23 février 2012) : http ://matthieu.cassin.org/ bibliographie.html The Brill Dictionary of Gregory of Nyssa (SVigChr 99), L.-F. Mateo-Seco, G. Maspero éd., Leiden, Brill 2010.

Autres Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln der alten Kirche, A. Hahn, L. Hahn éd., Hildesheim, Georg Olms Verlagsbuchhandlung 19623. Fedalto G., Hierarchia Ecclesiastica Orientalis. Series episcoporum ecclesiarum christianarum orientalium, 2 vol., Padova, Edizioni messaggero 1988. Geerard M., Clavis Patrum Græcorum II : Ab Athanasio ad Chrysostomum, Tunrhout, Brepols 1974.

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