Oeuvres, 1: Microcosmus
 9782503585611, 2503585612

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L’œuvre de GODEFROID DE SAINT-VICTOR 1

SOUS LA RÈGLE DE SAINT AUGUSTIN collection dirigée par Patrice Sicard et Dominique Poirel

L’œuvre de GODEFROID DE SAINT-VICTOR 1 Le Microcosme (Microcosmus) Texte latin, introduction, traduction et notes par Françoise Gasparri avec la collaboration de Jean Grosfillier (†) et Patrice Sicard

© 2020 Brepols Publishers n.v., Turnhout, Belgium Printed in the EU on acid-free paper. D/2020/0095/34 ISBN 978-2-503-58561-1 E-ISBN 978-2-503-58562-8 DOI 10.1484/M.SRSA-EB.5.118092 ISSN 2565-9014 E-ISSN 2566-0098

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INTRODUCTION Aborder un auteur tel que Godefroid, chanoine de l’abbaye SaintVictor de Paris dans la seconde moitié du xii e siècle, c’est se plonger dans un univers multiple, de créativité foisonnante, dans un siècle qui fit basculer l’Europe chrétienne dans un monde nouveau, où bien des réalités ont changé de visage, dans tous les domaines du savoir comme de la société. Or, si ces changements furent universels, incontestables, ils furent l’œuvre de personnalités hors du commun, dont les écrits et les ouvrages en sont autant d’étapes irréversibles. Cependant ces hommes, ces pionniers, qui ont forgé ce siècle de mutation et de renouveau, sont tous des enfants du siècle précédent. C’est donc dans les dernières décennies du xi e siècle qu’il faudrait rechercher les germes et les prémices de ces bouleversements que l’on nomme communément «La Renaissance du xii e siècle». Tel n’est pas le propos de la présente introduction. I Au centre d’un réseau Nous sommes désormais dans un cadre urbain, la ville où se concentrent une population de plus en plus dégagée de la terre, artisans, commerçants, des activités de plus en plus importantes, et surtout les plus profonds mouvements d’idées, une circulation intense des hommes, non pas dans le cadre d’une «nation» au sens strict du terme mais dans un réseau européen de centres monastiques, collégiaux et plus encore cathédraux, de plus en plus focalisés sur l’Île de France et sur Paris. Dans ce cadre nous ne rappellerons pas la fondation de l’abbaye de Saint-Victor ni les circonstances historiques qui la firent naître, sinon pour dessiner à grands traits l’univers intellectuel et plus spécifiquement philosophique dans lequel notre auteur va évoluer. Univers qui doit son épanouissement aux circonstances à la fois politiques, sociales, religieuses et disciplinaires, marquées par un mouvement de redressement: de l’Église tout d’abord, avec un retour à la pureté primitive dû à la réforme grégorienne; du pouvoir royal plus maîtrisé, qui s’enracine sur des bases juridiques fermes, installé dans le Palais de l’île de la Cité et désormais fortifié – un état évoluant au cours du siècle vers la souveraineté –

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de la politique internationale enfin, avec la résolution de la Querelle des Investitures, la paix avec le royaume anglais. Cette reprise en mains en tous domaines favorisait de profondes transformations, et la création de réalités, de symboles et d’idées nouvelles: fondation d’ordres, la construction de l’abbaye de Saint Denis, symbole de la couronne royale, naissance des armoiries et d’un nouvel ordre des couleurs, diffusion des patronymes, explosion de l’écrit avec le renouveau du droit romain, modification dans les pratiques diplomatiques et dans l’usage du sceau, émergence de la littérature en langue vulgaire comme corollaire de la puissance grandissante de la société civile. Tous ces facteurs produisirent une phase d’intense fermentation idéologique et culturelle. À l’École Cathédrale de Paris – nouvelle Athènes – s’agitaient des querelles et des rivalités de maîtres, des divergences intellectuelles, «scolastiques», dont la double conséquence fut la fondation de l’abbaye de Saint-Victor et, avec elle, l’éclosion de ce qui deviendra bientôt l’une des plus brillantes écoles de l’Europe. Un urbanisme entièrement rénové, un pouvoir politique centralisé, un univers intellectuel et scolaire regroupé sous le chef de quelques grandes institutions: telle est la situation nouvelle qui se mit en place en trois décennies et qui, à partir du milieu du xii e siècle va donner à la royauté française un visage nouveau, celui d’un véritable État. Ce renouveau, qui s’est accompli en si peu de temps, n’était fondé ni sur un pouvoir central, ni sur un retour aux modèles classiques, comme ce fut le cas pour la Renaissance Carolingienne, ou encore celle des mouvements humanistiques dans l’Italie du Trecento, mais sur l’apparition de nouveaux modes d’expression, assimilant les savoirs acquis ou redécouverts dans une œuvre créatrice originale, s’employant à faire conformare, coæquare l’ancien et le nouveau, comme le fit l’abbé Suger à Saint-Denis 1. Une œuvre marquée par le primat de la logique, et plus généralement de la philosophie sur les lettres; la réception du nouvel Aristote, orientant les études vers des disciplines plus séculières, plus scientifiques; marquée aussi par la résurgence du droit romain, facteur de mutation dans le mode de penser et celui des relations entre les hommes, séparant aussi le droit de la rhétorique et fixant désormais la méthode des gloses: lectures sur les textes, questions et discussions, qui favorisaient en tous domaines la démarche exégétique. Mise par écrit, classement du savoir comme du patrimoine, production de témoignages écrits: autant de pratiques qui 1

Suger, Scriptum consecrationis, dans Suger, Œuvres, éd. Fr. Gasparri, t. 1, Paris, 1996, p. 26-27.

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suscitent et révèlent désormais l’expression de la conscience de soi, le Selbsbewustsein: quête puis affirmation de l’identité, de la personnalité. Au xii e siècle, nombreux sont les prélats et les savants de la France du Nord qui vont à Bologne – Godefroid, notre auteur, fut peut-être de ceux-là – étudier le droit civil et canonique, comme Étienne de Tournai, abbé de Sainte-Geneviève, ami de Godefroid, Thomas Becket, et avant eux les grands maîtres italiens des écoles normandes, tels Lanfranc et Anselme d’Aoste. Vers 1140, Gratien, juriste bolonais, publie le Decretum, suivant la méthode abélardienne du sic et non, prémices de la scolastique. Une constellation: Hugues, Richard, Achard et les autres Le fondateur de l’abbaye de Saint-Victor fut donc Guillaume de Champeaux, «Colonne des docteurs», «le premier dialecticien de son temps», le prélat «le plus zèlé et le plus savant de France» 2. Mais c’est évidemment avec Hugues de Saint-Victor que la practica et la mechanica, l’histoire et la géographie entrèrent officiellement dans le programme d’enseignement: un enseignement qui ne cessa d’influencer l’École victorine tout au long du xii e siècle. Achard, abbé en 1155 (†1171), dialecticien subtil, avec une collection de sermons de grande valeur spirituelle et théologique, symbolise la pratique, dans l’abbaye, de la prédication, une pratique et une discipline de plus en plus présentes à Saint-Victor, dans l’enseignement de la vertu, qui conduira les Victorins à devenir les pénitenciers de l’Université. Richard, le plus grand après Hugues dont il fut le disciple (Prieur en 1163, †1173), qui symbolise la prise de conscience de soi, et chez qui l’usage de l’allégorie comme artifice littéraire et mnémonique, typique lui aussi de l’École victorine, atteint son plus haut degré de développement. Richard, fidèle à la pensée platonicienne, ouvre l’âme à la voie de la vérité par la vertu, l’abstinence des sens: la raison, avide de vérité, est servie par l’imagination dont les images matérielles l’élèvent à la notion de l’invisible, intermédiaire entre matière et esprit. L’union de l’homme avec l’amour du bien le conduit à l’amour du bien infini, qui mène au vrai. Ainsi la raison ne pourra connaître la contemplation de la vérité que si le cœur s’éprend de la vertu: acte de foi 2

Ces affirmations sont respectivement celles de Lisiard, évêque de Soissons, au Concile de Beauvais en 1120, de Pierre Abélard (Historia calamitatum, II, éd. J. Monfrin, Paris, 1978) et de la chronique de Morigny (La chronique de Morigny (1095-1152), éd. L. Misset, Paris, 1912)

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pure qui demande la soumission de la raison car la science divine domine toute science, c’est la raison surnaturelle. La contemplation, passant par six degrés et guidée par l’accueil de la grâce, finit par embrasser la lumière toute entière d’un regard libre et pénétrant. L’âme reçoit des ailes qui la transportent dans les régions inaccessibles au raisonnement, envahie par les visions divines. Richard insiste sur la glorification éternelle, réunion immortelle de l’âme et du corps, réalisant la reconstruction du microcosme du composé humain. C’est là toute la mystique victorine, en même temps que la philosophie scolastique spéculative. L’œuvre spirituelle de Richard, doctrine fondée sur l’anthropologie qui fait donc une très large part à l’amour, eut une influence considérable à Saint-Victor et dans la plupart des écoles au cours de ce xii e siècle et au delà. Nous verrons à quel point Godefroid lui est redevable. À l’exception d’Hugues de Saint-Victor, nous ne savons que très peu de choses sur les origines et la formation de tous ces maîtres. Adam, André, Achard, Richard, Garnier, Gautier, qui illustrèrent l’activité intellectuelle de l’abbaye, sinon qu’ils eurent des attaches plus ou moins profondes avec la Normandie et l’Angleterre. Une étoile de moyenne grandeur: Godefroid Avec Godefroid, nous avons affaire à un auteur tout différent, bien que parfait héritier de ses prédécesseurs, conscient de sa propre identité, de sa personnalité qu’il a voulu, à la manière de son siècle, nous livrer. Il manifeste de façon évidente cette «conscience de soi» qui dès les premières années de sa vie (il dut naître dans les années 1125) commençait à se faire jour, comme nous l’avons vu plus haut, dans tous les domaines. Si nous ignorons le lieu de sa naissance ainsi que sa première formation, nous savons, par ce qu’il nous en dit lui-même, quelles furent ses premières études parisiennes, dans diverses écoles «privées», tenues par des maîtres indépendants qui, depuis le début du siècle, fleurissaient sur la Montagne Sainte-Geneviève et sur le Petit-Pont, et qui se multiplièrent à partir des années quarante, comme en témoignent Jean de Salisbury, son contemporain, dans le Metalogicon, et d’autres auteurs anonymes 3, et dont Guillaume de Tyr nous donne la liste. Un enseignement fondant dialectique et logique, quadrivium et théologie en un ensemble harmonieux englobant science païenne et chrétienne en de 3

Cf. Metamorphosis Goliæ, 1142-1143.

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nouveaux canons philosophiques. Le recrutement de ces maîtres était international: Allemands (Hugues), Italiens (Pierre Lombard) et surtout Anglais ( Jean de Salisbury, Adam du Petit-Pont, Robert de Melun, Robert Pullen, Achard et André de Saint-Victor). Leur enseignement était empirique, non conventionnel, non permanent et, pour cela, certains furent attaqués. Du Petit-Pont à la rive gauche Or, c’est précisément cet enseignement que, dans les années 11451150 Godefroid vint chercher, à l’École du Petit-Pont, après avoir probablement fréquenté d’autres écoles parisiennes et tâté de diverses disciplines. L’École du Petit-Pont fut fondée à Paris vers 1132, face à l’église Notre-Dame, sur le Pont reliant la cathédrale à la rive gauche de la Seine. Elle avait été construite aux frais des étudiants ainsi que les maisons qu’ils habitaient sur ce même pont. Son fondateur, Adam de Balsham, était un anglais de la région de Cambridge: on l’appelait Balsamiensis et Parvipontanus; il fut plus tard chanoine de Notre-Dame et enfin évêque de Saint-Asaph en Pays de Galles. Adam, qualifié de «vir subtilis», fut l’auteur d’un Ars disserendi, commentaire des Analytica priora d’Aristote, œuvre importante pour l’histoire de la logique médiévale, et d’une étude lexicographique. Il enseigna les Arts, mais aussi la théologie, qu’il professa également à l’École Notre-Dame. Mais de cela, Godefroid ne dira rien. Il semble toutefois avoir été formé à l’étude de la sacra Pagina, des Pères et des auteurs sacrés plutôt qu’à la nouvelle méthode des disputes scolastiques. Quoi qu’il en soit, il dut apprécier l’enseignement de ce maître qui fut, à l’évidence, très écouté. Il y apprit les Arts du Trivium et du Quadrivium mais fut peu intéressé par la physique ou les mathématiques, la géométrie ou l’astronomie; il fut, comme nous le verrons, plus attiré par la musique. Nous ne savons pas s’il reçut au Petit-Pont l’enseignement de la théologie mais il s’attarde longuement sur les grands maîtres de l’époque: Gilbert de la Porrée, Albéric, qu’il traite de sot, Robert de Melun dont il critique le réalisme, et Jean de Salisbury. Il semble donc que la théologie l’ait occupé dans ses premières années en tant que clerc séculier, et il n’est pas impossible qu’il l’ait enseignée dès ces années-là – 1150-1155 environ – en même temps que la poésie et la musique, comme il le fera ensuite. En tout cas c’est bien la théologie qui le conduisit enfin, vers 1155 – denique perduxit – à embrasser la voie de la vie spirituelle quand il entra à l’abbaye de Saint-Victor, déjà fort réputée.

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Il est donc désormais chanoine régulier en l’abbaye de Saint-Victor, sous la Règle de saint Augustin: il y reçut une formation intellectuelle qui le mûrit, apprit à se taire, à avoir une âme forte et à observer la stabilité. On ne sait pas s’il occupa alors des fonctions d’officier conventuel dans l’abbaye mais ce qui est certain, c’est son attrait pour les écrits de Maître Hugues, dont le souvenir était toujours très vif et l’influence profonde et durable, comme on pourra le constater dans la pensée, délibérément humaniste, de notre auteur; c’est aussi l’influence de Richard, assurément, car Godefroid nous dit lui-même qu’il se soumit à l’autorité d’un maître, où il est difficile de ne pas reconnaître la figure de Richard. Celui-ci enseignait, en effet, dans l’abbaye dont il fut prieur en 1163 et jusqu’à sa mort en 1173: il lui transmit en tout cas l’enseignement des étapes de l’élévation mystique vers Dieu par l’amour. Ce que notre auteur transcrira, à sa manière originale, dans le Microcosmus. Ce dont nous sommes également assurés, grâce à son propre témoignage, c’est de son activité enseignante dans la communauté, activité consignée dans ses écrits, qui sont autant de signes de sa capacité créatrice que de sa personnalité, et comme un éclairage sur les raisons qui lui firent entreprendre la rédaction de ses ouvrages, importants ou plus modestes, mais surtout d’une grande variété. Godefroid ne cessa, en effet, de prêcher et d’enseigner auprès de ses frères, et, à l’entendre, il le fit jusqu’à épuisement. C’est pourquoi, ce n’est que bien plus tard, à un âge mûr, qu’il se mit à la rédaction de ses principaux ouvrages: véritables sommes de l’expérience et des connaissances acquises et transmises pendant plus de vingt ans; car son premier ouvrage d’importance, le Fons philosophie, fut rédigé en 1176-1178 environ. II «Rithmice, metrice, prosaïce» «Rithmice, metrice»: le poète du «Fons philosophie» et du «Preconium Augustini» Il s’agit d’un long poème divisé en trois parties fort diverses: tout d’abord un long texte très curieux, intitulé Anatomia Corporis Christi, dans lequel l’auteur se livre à une description allégorique et détaillée des parties du corps du Christ, mais en réalité véritable traité sur l’Eucharistie; puis un autre texte intitulé De spirituali Corpore Christi, suivi du

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Fons philosophie proprement dit. Ces trois œuvres volontairement liées entre elles, sont dédiées par Godefroid à Étienne, alors abbé de SainteGeneviève, abbaye toute proche de Saint-Victor, dans une lettre-dédicace qui insiste sur la variété tant littéraire que spirituelle de son texte (calicem mixtum duppliciter uel materie… uel artificii uarietate): «un composé de diverses liqueurs». Le Fons philosophie proprement dit est un long poème composé de 836 vers en 209 strophes de quatre vers de treize pieds, se terminant par une rime. Cette poésie rimée et rythmée livre une description symbolique de la formation d’un religieux victorin, suivant un exposé des grandes divisions du savoir, reflet du Didascalicon d’Hugues et des Excerptiones de Richard de Saint-Victor. Il y expose en effet les enseignements qu’il reçut et firent de lui, successivement un philosophe, puis un théologien, enfin un religieux. Dès lors on commence à entrevoir sa personnalité et sa propension – nouveauté pour l’époque – à parler de lui-même, à la première personne, à se mettre en scène. À l’École de Saint-Victor, inspiré par l’enseignement de Hugues, Godefroid retrace tout d’abord le contenu des disciplines professées dans les écoles parisiennes pour les étudiants qui venaient s’asseoir aux pieds de maîtres. Y sont décrits les grandes divisions du Savoir, les sept Artes liberales, puis la théologie qui englobe tous les savoirs, qui forme un tout avec le Quadrivium – lequel est le reliquium theorice divisé en physica et mathematica – conçue non pas comme une science construite sous forme scolastique mais suivant la forme traditionnelle de l’étude de la Bible et des auteurs sacrés, selon l’explication hugonienne, tropologique (sapida moralitas, v. 483-496). Après un groupe de six strophes consacrées à la mechanica (de ortu mechanice et eius specibus, v. 24-44), discipline malfaisante (adulterina, selon Hugues), l’auteur décrit sous forme allégorique les divers aspects de la philosophie: source jaillie du sommet d’une montagne pure, créée par la nature de toute éternité, la philosophie, suave et savoureuse, resplendit d’or et d’argent, divisée en trois parties qui forment l’éloquence, les Arts du Trivium (Tres in partes scinditur late pandens sinus, quod ad eloquentiam sit accessus trinus, v. 6568). Ce qui frappe, c’est la forme symbolique sous laquelle Godefroid expose les données de sa formation. L’allégorie y est omniprésente, comme elle le sera plus tard dans le Microcosmus: les sciences acquises sont une eau pure dont l’homme se rafraîchit. La Philosophie a les couleurs de l’or et de l’argent; des trois branches de l’éloquence, la grammaire s’étend sur un vaste champ, la dialectique pénètre les lieux escarpés parmi les rochers et les grottes, la rhétorique s’attarde dans des prés fleuris.

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L’auteur déplore ensuite l’abandon, par beaucoup d’étudiants, de l’étude du Trivium pour se tourner vers celle de disciplines plus pratiques, plus lucratives: droit civil et canonique, médecine et sciences naturelles (v. 89-96), offrant des résultats rapides au détriment d’une formation approfondie, disciplines prisées par «ceux qui ne méprisent pas les choses de ce monde». On reconnaît ici les critiques adressées par Jean de Salisbury aux «cornificiens», Godefroid n’accordant, comme lui, aux sciences du Quadrivium qu’une importance relative au regard de la seule science qui marquera pour longtemps les études victorines: science de l’homme, englobant les philosophies antiques, reflets de la morale naturelle (Socrate, Sénèque), ce qui lui sera, plus tard, sévèrement reproché. Les Arts du Quadrivium sont toutefois comparés à des rivières caillouteuses, traversant vallées et montagnes, ou encore se répandant en volutes circulaires. Quant à la musique, de couleur à la fois blanche et rouge, c’est un cours d’eau plus profond que les autres, au murmure délicieux et qui résonne de l’harmonie du monde. Au passage, Godefroid ne manque pas de signaler les déficiences de l’organisation scolaire: beaucoup de jeunes gens, dit-il, viennent de partout, se précipitent dans les écoles parisiennes sans pondération et ne peuvent profiter pleinement de l’enseignement dispensé, les uns avides d’apprendre, les autres sans véritable désir d’étudier: Hinc adolescentuli bibunt, Hinc adulti ruunt preter ordinem inexperti rerum… (v. 97 et ss.). Désordre et confusion dus à l’absence d’institution capable de contrôler efficacement la qualification des maîtres et de promulguer des règlements: prémices à la création, sous l’impulsion du droit romain, de «l’université des maîtres et étudiants». Godefroid passe ensuite en revue les anciens maîtres de grammaire (Donat, Priscien), de dialectique (Aristote, Platon, oculo minus acurato) dont il reprend les théories cosmologiques (Boèce, Macrobe, Martianus Capella), expose sa conception du megacosme et du microcosme (un thème platonicien qui lui est cher), puis les philosophes modernes, «réalistes»: des maîtres parisiens, ses contemporains, tels que Gilbert de la Porrée, Robert de Melun, fauteurs de débats parfois violents dans les écoles parisiennes, et qu’il ne cite que pour la dialectique. Pour la science sacrée, essentiellement biblique, les descriptions sont tout aussi allégoriques. David représente les psaumes, Salomon l’Ecclésiaste, les Proverbes et le Cantique. Puis sont cités les principaux prophètes: Moïse, Josué, David, Salomon, Daniel, Ézéchiel, Jérémie, Job. Les vers 612-664 sont consacrés au Nouveau Testament, aux Pères de l’Église qui ont le mieux commenté l’Écriture ( Jérôme, Ambroise,

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Augustin, Grégoire). Il s’agit de comprendre le texte suivant les quatre sens, surtout selon le sens tropologique, comme dans le De Scripturis d’Hugues (ch. VII et VIII) qui se termine par l’éloge d’Augustin. À la fin du poème, l’auteur rappelle avoir été guidé par l’Esprit Saint quand il entra dans l’abbaye, et il dit s’être «soumis à l’autorité d’un maître» (v. 761-764) qui lui permit d’opérer sa «conversion». Comme nous l’avons dit plus haut, il est plus que probable que ce maître fut Richard. Ipsa rerum facie cogor assistere et magistri pedibus pronus adherere / ore cuius talia mihi sonuere / qui me mihi raperent, imo reddidere. À la fin de ce long poème, on lit l’intention de l’auteur de ne pas pénétrer plus avant dans le mystère de la Trinité mais de consacrer désormais le reste de ses écrits aux problèmes de l’homme et de l’économie du salut, à la christologie (v. 805-820): ad humana potius interim me uerti / ubi posset aliquid apprehendi certi / quamvis et hic sepius errent inexperti / si non sibi caueant studio sollerti, les questions de la grâce et de l’opus restaurationis. C’est l’annonce de tout le programme du Microcosmus qu’il composera quelques années plus tard. Depuis son entrée dans l’abbaye de SaintVictor, Godefroid, nous l’avons vu, s’est rapproché de l’enseignement de Hugues. La plus haute vocation de l’homme réside dans les spéculations plutôt que dans les techniques, la mechanica, dangereuse pour l’homme et dont il se contente de citer les sept principales, renvoyant aux sept branches de la scientia mechanica que Hugues énumère, les déclarant «adulterines». Plus tard, Godefroid portera sur elles un jugement moins sévère dans le Microcosmus qui est une sorte de manifeste de théologie humaniste. En qualité de chanoine victorin, soumis à la Règle de saint Augustin, Godefroid, conscient de son devoir, composa un poème en son honneur, le Preconium Augustini: long poème en vers, de 190 strophes de quatre vers à rime unique, de même structure que le Fons et l’Anatomia Corporis Christi. Dans les deux manuscrits, contemporains de l’auteur, où cette œuvre est conservée, le texte est présenté sous une forme très élégante, le titre en lettres onciales plus ou moins enclavées, ornées de filigranes, fleurons et palmettes descendant dans les marges et de couleurs rouge et bleu: c’est dire l’importance que l’auteur accordait à ce texte 4. Avec le Fons philosophie et les deux traités qui lui sont attachés, nous avons là l’ensemble de l’œuvre poétique de Godefroid, laquelle occupe

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Mss Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 15154 et Paris, Bibliothèque Mazarine 1002.

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la plus grande partie de son œuvre créatrice, jusqu’à la rédaction du Microcosmus, dans les années 1180-1185. «Prosaïce»: le prédicateur Si Godefroid nous dit qu’il reçut à Saint-Victor une formation intellectuelle qui l’a mûri, il acquit aussi une âme forte et stable. Pour lui il n’est pas d’enseignement théologique sans ministère de la parole. Or il nous a laissé une littérature pastorale assez importante, une quarantaine de sermons pour les différentes solennités de l’année liturgique, depuis le premier dimanche de l’Avent jusqu’à la fête de la Nativité de la Vierge (8 septembre), conservés dans des manuscrits transcrits de sa main ou annotés par lui 5. Signe d’une autorité qui lui était reconnue, même audelà des murs de Saint-Victor, Godefroid se vit confier le sermon inaugural de chapitres généraux victorins tenus annuellement entre Pâques et l’Ascension, comme aussi des interventions lors des synodes parisiens. Tous ces sermons durent avoir un succès certain car ils ont été réunis, de son temps, dans un volume auquel il se réfère lui-même dans le Microcosmus: œuvre aujourd’hui fort mal connue car elle n’a été, jusqu’à ce jour, ni éditée, ni étudiée, ni traduite. Autoportraits et épitaphes Ainsi se déroula la carrière de Godefroid: philosophe, théologien, enseignant et prédicateur. Mais les talents de ce chanoine, qui semble avoir été une personne originale, peu conformiste, ne s’arrêtaient pas là. Pour illustrer l’essentiel de ses activités au sein de l’abbaye, il fit placer en tête du Fons philosophie – œuvre pédagogique – son portrait le représentant en docteur, c’est-à-dire en professeur, et en tête de ses sermons – œuvre pastorale – son portrait le représentant en prédicateur: deux portraits autographes, chose tout à fait exceptionnelle pour l’époque (comme sont autographes la plupart des manuscrits de ses œuvres) 6. Sans pouvoir prétendre à une quelconque ressemblance avec le modèle, ils sont tous deux assez expressifs. Godefroid doctor est représenté assis 5

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Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 14881 et 14515, et Paris, Bibliothèque Mazarine 1002. Paris, Bibliothèque Mazarine 1002, f° 144r° et IIv°; copié dans le ms. Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 14515, f° 106v°.

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sur une chaire professorale, le visage jeune, rond, revêtu du rochet de lin blanc et du long surplis des Victorins. Autour de sa tête, une inscription porte son nom: Godefridus; sur le dossier de la chaire, une invitation au lecteur à suivre et mettre en pratique son enseignement: Qui legis hec avidus / age que docet hic Godefridus / ut tibi sit fidus / in eis cum turture nidus. Sur ses genoux, il tient un livre ouvert sur lequel on lit ces quatre mots: prosaïce, rithmice, metrice, melice: «en prose, en vers rythmiques, métriques et en mélismes». Le Fons philosophie, qui fait suite à ce portrait, sorte d’encyclopédie des connaissances, semble ainsi avoir été un recueil des cours qu’il dispensa au long de sa carrière victorine, qui incluait donc l’enseignement de la poésie et de la musique: nous y reviendrons. L’autre portrait, placé en tête des sermons, représente Godefroid, le visage amaigri, marqué par l’âge: debout, revêtu de l’habit de chœur, c’est-à-dire la chape noire sur le rochet de lin et la robe de laine blanche. Il tient en main un long phylactère portant l’inscription: Aspicio cantans, aspiciensque cano. Les pieds sont posés sur une terrasse, sous un portique qui doit être le portique du Temple; et dans le champ on lit: Syon. Au dessus du portique est écrit: Super speculam Domini sum stans jugiter per diem et super custodiam meam sum stans totius noctibus. Et de chaque côté de la tête de Godefroid: Speculator castrorum Dei. Commentaire du répons de l’office: Aspiciens a longe ecce uideo Dei potentiam, prononcé par les vigies du camp de Dieu: Sion étant l’Église militante, tandis que Jérusalem est l’Église triomphante. Syon interpretatur speculatio et significat castra Dei / Jerusalem interpretatur uisio pacis et figurat ciuitatem Dei, templum Dei. Il s’agit là d’une annonce du sermon du début de l’Avent qui ouvre le recueil de Godefroid. Si donc Godefroid a beaucoup œuvré pour les autres, comme il le rappelle dans la préface du Microcosmus, il ne s’est pas non plus oublié lui-même. Un texte personnel, à l’adresse du lecteur de son œuvre, texte conforme, certes, à la mode du temps, mais original dans la rédaction et le commentaire qui court entre les lignes, écrit et annoté de la main de l’auteur. Dans les deux manuscrits où ce texte figure, il prend place en tête de la lettre dédicatoire du Fons philosophie à Étienne, abbé de SainteGeneviève (plus tard évêque de Tournai), sur lequel nous reviendrons. Cette épigramme, composée de dix vers formant en acrostiches le nom Godefridus, est la même dans les deux manuscrits, présentée plus élégamment dans l’un 7, où le texte est mieux calligraphié, plus soigné; le 7

Paris, Bibliothèque Mazarine 1002, f° 144v°.

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commentaire interlinéaire ou en bout de ligne, en écriture plus petite et, semble-t-il, ajouté dans un deuxième temps, diffère légèrement de celui inscrit sur l’autre manuscrit 8 qui semble avoir été le brouillon du premier et comporte en outre une adresse au lecteur, ainsi libellée: Hoc epigramate admonetur lector huius libri / non superficie tenus aut negligenter hunc librum legere, sed adiungere spiritum littere velud anima corpori: «Que par cette épigramme le lecteur de ce livre soit averti de ne pas le lire en superficie seulement, ou négligemment, mais d’ajouter l’esprit à la lettre, comme l’âme au corps»: ainsi le lecteur comme l’auteur, seront glorifiés. Quant à l’épigramme elle-même, elle est identique d’un manuscrit à l’autre, sauf le mot Amen au septième vers qui ne figure que dans le ms 15154, lequel est de toute évidence antérieur à l’autre: texte destiné à perpétuer, certes, la mémoire de l’auteur dans sa personne et dans son œuvre «car le repos du maître sera d’autant plus grand si son enseignement est opérant; car alors le corps est rendu à l’âme quand l’œuvre s’ajoute à la science». Et il termine par ces mots: Nomen Godefridi sicut apparet principiis horum uersuum inest / sicut principiis his Godefridus inest / inseparabiliter ita ut si subtrahas nomen ipsos uersus destruas. C’est pourquoi, il demande que cette épigramme (épitaphe) soit gravée (superscribendum) sur sa pierre tombale, suivant la lettre, mais qu’elle soit placée en tête (prescribendum) de la présente œuvre (le Fons philosophie) suivant l’esprit. Si Godefroid a voulu se présenter lui-même, jusqu’à dessiner son propre portrait, attirer l’attention du lecteur et son assiduité à lire le texte qui va suivre, une encyclopédie de son enseignement, c’est qu’il fut essentiellement, dans l’abbaye, un professeur. Or il précise qu’il enseigne, en prose, en vers rythmiques et métriques, et en mélismes: on apprend donc ici, que Godefroid fut aussi musicien. C’est bien ce qui apparaît dans le portrait de lui-même qu’il plaça en tête de ses sermons, où on le voit contempler en chantant les armées de Dieu: Aspicio cantans, aspiciensque cano… speculator castrorum Dei. Rien d’étonnant donc à ce que nous rencontrions, dans certains manuscrits contenant ses œuvres, diverses pièces musicales.

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Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 15154, f° 1.

Autoportrait de Godefroid de Saint-Victor représenté jeune et enseignant Sur ses genoux se trouve un livre ouvert, sur lequel on lit les mots suivants: Prosaice, rithmice, metrice, melice Sous l’arcade on lit l’inscription suivante: Qui legis hec avidus Age que docet hic Godefridus Ut tibi sit fidus, In eis cum turture nidus. (Paris, Bibliothèque Mazarine 1002, fol. 144r)

Autoportrait de Godefroid de Saint-Victor plus agé et prédicateur Sur le philactère tenu en main, on lit: Aspicio cantans aspiciensque cano Sur l’arcade on lit l’inscription suivante: Super speculam Domini sum stans iugiter per diem Et super custodiam mema sum stans totis noctibus. (Paris, Bibliothèque Mazarine 1002, fol. IIv)

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«Melice»: «Canticum» et «Planctum» Dans le même manuscrit en effet, qui contient le plus grand nombre de ses œuvres et son autoportrait de professeur (et à la confection duquel Godefroid semble avoir présidé) figurent, à la suite du Preconium Augustini (Paris, Bibliothèque Mazarine 1002, fol. 231v-237) sur le dernier feuillet de ce texte et sur un ternion inséré là pour la circonstance, une série de pièces musicales, toutes de la main de notre auteur à l’exception de la dernière dont la fin seulement est autographe. Trois pièces qui offrent, pour la mélodie, un des premiers exemples d’écriture sur portée, à quatre lignes. (1) un Alleluia (fol. 231v), proche de la Séquence victorine; (2) un Magnificat paraphrasé, dont Godefroid nous dit explicitement qu’il en est l’auteur, dans le titre rubriqué: Canticum beate Marie Virginis et Matris studio Godefridi extensum (ff° 232-235) qui se présente comme une Séquence à la suite de l’Alleluia, proche du Mittit ad Virginem, d’Abélard; (3) une complainte sur la Vierge des douleurs, ancêtre du Stabat Mater, intitulée Planctus beate Virginis et Matris in Passione filii (fol. 235-237), en partie transcrite par le «secrétaire» de Godefroid: pièce parfois attribuée à Bernard de Clairvaux parce qu’elle reproduit certains passages d’un Planctus en prose rythmée figurant, peut-être abusivement, parmi les œuvres de cet auteur; (4) dans un autre manuscrit victorin (Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 15045) contenant des textes sans rapport avec notre auteur, figure à la fin, sur des espaces restés blancs à l’origine (fol. 84v-85v) une pièce musicale, dont le titre, le texte et les lignes de portée sont de la main de notre auteur, d’une écriture rapide, négligée, d’une plume mal taillée et ainsi intitulée: Sequentia de Sancto Victore, et commençant par les mots: Ecce dies triumphalis… Il s’agit donc ici d’une séquence en l’honneur de saint Victor. On sait que les séquences victorines jouèrent un rôle de premier plan dans l’évolution de la musique médiévale. Sans nous attarder trop longuement sur l’historique de ce genre, rappelons seulement que la Séquence est une longue vocalise d’environ deux cents notes, un trope modulé sur le dernier ‘a’ du mot Alleluia à la reprise, à la suite du verset psalmique: développement mélodique hors liturgie bien que restant dans le cadre de l’Office. À partir de la fin du xi e siècle, semble-t-il, l’Alleluia initial disparaît définitivement, la rime remplace l’assonance,

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la poésie remplace la prose, et apparaît l’accent tonique qui égalise les strophes – c’est ce que nous avons ici – la mélodie changeant toutes les deux strophes. Cette nouvelle Séquence, dite régulière, poème autonome désormais sans support liturgique, ne prend cependant sa forme définitive, dite «Séquence de la deuxième époque», qu’au xii e siècle et atteint, dit-on, son point culminant avec les musiciens de Saint-Victor. L’originalité de la Séquence victorine, outre l’excellence de son inspiration, est sa forme rythmée, rimée et balancée. C’est une première ouverture sur la composition mélodique, véritablement musicale. Cette nouvelle forme de Séquence, qui offre au reste des ressemblances très grandes avec le lai séquentiel, semble avoir comporté, dans beaucoup de cas, un accompagnement vocal, parfois à deux voix; certains titres de Séquences l’indiquent clairement (organicis, psalle symphonizando). Tel a donc été le rôle de Saint-Victor dans l’évolution de la musique médiévale et dans l’évolution vers la polyphonie. La transformation de la Séquence par l’école victorine est le résultat incontestable d’une transformation de la notion poétique au xi e-xii e siècle, laquelle a, jusqu’ici, intéressé les philologues plutôt que les musicologues: poésie rythmée et rimée, qui est celle des poètes victorins. Or c’est généralement à Adam de Saint-Victor que la tradition attribue cette nouvelle forme de Séquence, dite Séquence victorine. Chanoine à la cathédrale Notre-Dame de Paris, Adam y occupa les fonctions de préchantre, de 1107 à 1134, puis se retira à Saint-Victor où il mourut dans les années 1140: c’est du moins l’hypothèse la plus récente concernant son identité, car il a été longtemps identifié avec un certain Adam le Breton, chanoine à l’abbaye de Saint-Victor dans la seconde moitié du xii e siècle. Adam de Saint-Victor est l’auteur de poèmes liturgiques, proses et Séquences célébrant la Vierge, les saints et les mystères de la foi. La liste de ses œuvres authentiques peut difficilement être établie à cause de leur tradition manuscrite, trop tardive. D’autre part, il a été prouvé que plusieurs pièces ont été attribuées à Adam, qui ne sont pas de lui. Pour authentifier ses œuvres, on a pris le parti de retenir certaines particularités de facture, faute de critères plus solides. Tout n’est donc pas dit, loin s’en faut, sur les créations d’Adam de Saint-Victor, comme sur celles d’autres musiciens parisiens qui furent ses contemporains 9. C’est donc dans cette perspective qu’il nous est permis de considérer ces deux 9

Voir désormais Jean Grosffillier, Les séquences d’Adam de Saint-Victor. Étude littéraire (poétique et rhétorique). Textes et traductions, commentaires, Turnhout, 2008 (Bibliotheca victorina, 20).

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modestes petits folios situés à la fin d’un manuscrit, écrits, texte et musique, de la main de notre auteur, de son écriture spontanée, plutôt négligée, rehaussée ici et là d’une décoration hâtive, à l’encre rouge, que l’on retrouve dans ses autres manuscrits autographes. Tout porte à croire qu’il s’agit là, non pas d’une simple copie mais véritablement d’une composition personnelle, couchée sur le parchemin sous forme de brouillon de second jet, proche de la composition elle-même. C’est la même disposition, la même écriture et la même notation musicale que l’on observe dans les autres pièces musicales de sa main: nous sommes donc en présence de quatre pièces musicales, toutes de même facture, toutes entièrement, ou presque, de la main de Godefroid. Un «armarius»? Sachant que Godefroid de Saint-Victor a enseigné la poésie et la musique, qu’il a donc pratiqué ces deux disciplines, il ne semble pas déraisonnable de penser qu’il ait pu composer en musique, comme il le fit en poésie. Une hypothèse d’autant plus vraisemblable que certains indices relevés dans des manuscrits, contenant ou non ses propres œuvres, nous laissent entrevoir les fonctions qu’il dut occuper dans l’abbaye – outre l’hypothèse avancée par Fourrier Bonnard, qu’il devint sous-prieur en 1173, à la mort de Richard – fonctions pour le moins compatibles avec l’enseignement, la prédication et l’activité musicale: l’office d’armarius, de bibliothécaire. Deux manuscrits victorins portent en effet la marque de l’intervention de Godefroid comme responsable de la copie et de la conservation des livres de la maison: l’un (BnF, lat. 14505) porte un ex-libris de sa main; sur l’autre (BnF, lat. 14508) on le voit copier la fin du Livre I et le début du Livre II du De sacramentis d’Hugues de Saint-Victor, faisant le joint entre deux cahiers. Maigres indices, il est vrai, mais qui, unis à ce que nous savons désormais de lui, nous inclinent à le désigner comme probable armarius de l’abbaye. Nous avons rendu compte ailleurs de ce que dit le Liber Ordinis sur les responsabilités de l’armarius 10 : non seulement responsable du travail des copistes, de la bonne transmission des textes et de la conservation des livres, l’armarius devait veiller à la correction des textes liturgiques: libri communes, id est 10

Fr. Gasparri, «Scriptorium et bureau d’écriture de l’abbaye Saint-Victor de Paris au xii e siècle», dans L’abbaye parisienne de Saint-Victor au moyen âge, éd. J. Longère, Turnhout, 1991 (Bibliotheca victorina, 1), p. 119-139.

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qui cotidie ad manum habendi sunt siue ad cantandum siue ad legendum… quos precipue armarius diligenter emendare debet et punctare, ne fratres in cotidiano officio ecclesie siue in cantando siue in legendo aliquod impedimentum inueniant, et au bon déroulement de l’office chanté qu’il est chargé de diriger: in cantu ecclesie, si quid erratum uel dubitatum fuerit, nemo illi prejudicet, et quod ille prior inceperit nullus aut aliud aut aliter incipiendo perturbet, siue in eleuatione siue in depositione cantus, siue in inchoatione siue in repetitione uniuersi eum sequantur. Il ne serait donc pas étonnant que l’abbaye de Saint-Victor ait choisi un homme de science et un musicien pour occuper une fonction qui résumait en elle l’essentiel de la vie intellectuelle et liturgique de la communauté. Or Godefroid est bien un homme qui a touché à plusieurs domaines de la création intellectuelle: un philosophe, certes, et un théologien dont les idées plus philosophiques que théologiques, sans doute trop originales et audacieuses lui ont – nous le verrons – attiré les foudres de ses supérieurs, mais avant tout un poète, un musicien, et de surcroît un très bon dessinateur. Un juriste? Mais ce n’est pas tout. Rien de plus efficace que de passer au crible les manuscrits contemporains d’un auteur pour découvrir d’autres indices et progresser dans l’enquête le concernant. Un volume de petit format, de facture modeste, datant du dernier quart du xii e siècle, contient une compilation d’ouvrages de droit canon. La décoration sommaire et l’écriture usuelle le désignent comme manuscrit de travail. Au f° iii, après l’ex-libris victorin contemporain, on lit, de la même main, le titre de l’ouvrage qui suit: Summa decretorum a fratre Godefrido compilata. Notons tout d’abord que cette façon quelque peu familière de désigner l’auteur – frère Godefroid – pourrait déjà être un indice que l’œuvre et le manuscrit sortent du même milieu. Notons en outre que notre Victorin se désigne lui-même ainsi dans plusieurs de ses manuscrits. De plus, nous remarquons deux interventions de sa main, en haut de ce même fol. iii et au début du fol. 184v 11. Le premier texte est une glose isolée, en tête du volume, le deuxième est tout simplement un passage de 11

Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 14997, f° iii, huit lignes isolées: incipit: licet exceptionem pariat actionem… explicit: pactum continue precedit vel sequitur contractum. Fol. 184v°, les douzes premières lignes du texte: incipit: sciendum est quod non obest… explicit: adiciendi sicut gradus ut dictum est supra.

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l’œuvre transcrite que Godefroid, interrompant le travail du copiste, a jugé utile d’inscrire de sa propre main. Un certain nombre de notes marginales et interlinéaires, réparties dans le volume, pourraient être aussi de la main du Victorin, ainsi que les signatures des cahiers (de I à XXIII) inscrites sur le premier folio de chaque cahier, comme il le fit dans les manuscrits contenant ses œuvres. Il est dès lors permis de s’interroger sur une éventuelle compétence de Godefroid en matière de droit: il aurait donc participé à la rédaction et à la confection d’un recueil de droit canon. Le texte inscrit au f° iii de ce manuscrit, vers la fin du xii e siècle, par un chanoine victorin, vient appuyer très favorablement cette identification. Or, que contient exactement ce manuscrit? Tout d’abord, la Summa elegantius in jure diuino, dite Summa Coloniensis (parties I et II: fol. 1-83) composée vers 1169, suivie de la troisième partie de la Summa Johannis Fauentini (fol. 187196v), version pratiquement inconnue. Entre les deux œuvres figurent (fol. 184-186v) deux textes sans titres 12. C’est précisément dans cette petite partie insérée entre les deux traités que survient la main de Godefroid. Quant aux deux œuvres principales, si la deuxième Summa, compilation de commentaires du Décret de Gratien, est bien l’œuvre de Johannes Fauentini (composée après 1171), la première, en revanche, la Summa elegantius, est loin d’être définitivement identifiée. Il s’agit là d’un des premiers commentaires du Décret de Gratien issu de l’École française, de nature didactique, élégante, rigoureuse, logique et pratique. Son attribution est très discutée: auteur français ou allemand, de Cologne ou de Bonn, ayant étudié à Paris, car son appartenance à l’École française semble indiscutable. Son auteur, quel qu’il soit, fait preuve d’une grande culture, tant juridique que théologique, faisant un usage aussi heureux des pénitentiels de Burchard de Worms que de la littérature profane. Parmi les manuscrits de cette œuvre, deux seulement sont du xii e siècle, dont le nôtre. Et parmi les auteurs français possibles, on a souvent avancé le nom de Gérard Pucelle, ami de Jean de Salisbury, qui fut maître à Paris, personnage important à la cour de Louis VII, membre de la familia de Thomas Becket qui alla lui-même étudier à Bologne (de même que Jean de Salisbury, dont on sait qu’il séjourna en Italie). Gérard Pucelle figure comme enseignant dans les Lettres du recueil épistolaire 12

Ff° 184-185, incipit: distancie gradum adjungit quemadmodum… explicit: et ex altera parte similiter – fol. 185v-186v, incipit: quinque septena frater in sacra scriptura… explicit: quantum filii dei vocabuntur, avec en marge de la main du texte: hoc de decretis non est. Ms. Vaticano, BAV, Reg. lat. 179.

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concernant le roi Louis VII et le Pape Alexandre III et qui est un manuscrit original composé à l’abbaye de Saint-Victor 13 : nous voici désormais en plein milieu victorin. Pour nous en tenir au nom de l’auteur de la Summa Coloniensis, le nom Godefridus, donné par l’armarius sur le manuscrit, semble tout aussi vraisemblable. Certains érudits ont évoqué puis rejeté cette hypothèse en raison de la critique des canonistes exprimée dans le Fons philosophie (nullus erit nisi sit loquax decretista); mais c’est faire peu de cas de la personnalité de notre auteur, imprévu, original, critique, et donc bien capable, comme il le fit pour les scolastiques, de railler les canonistes tout en étant des leurs. Mgr Philippe Delhaye a bien entrevu la possibilité d’attribuer à Godefroid de Saint-Victor la Summa elegantius in jure diuino, avec toutefois quelques réserves, en relevant les ressemblances sensibles entre un passage de cette Summa traitant de la Sapientia moralis et certains vers du Fons philosophie; il souligne en outre le fait que Godefroid a dédié le Fons à Étienne, abbé de Sainte-Geneviève, abbaye voisine, lui demandant son approbation. Or il se trouve qu’Étienne (plus tard évêque de Tournai) alla étudier le droit à Bologne vers les années 1150, et y composa un poème rythmique, le Figmentum, de même facture que le premier livre du Fons philosophie. Dans ce poème, Étienne décrit les différentes disciplines enseignées dans les écoles, tout comme Godefroid dans le Fons et suivant le même symbolisme, et, tout comme lui, il dit ne pas être favorable à l’étude du droit bien qu’étant lui-même juriste. Godefroid a-t-il eu connaissance du Figmentum d’Étienne? Les procédés d’exposition sont les mêmes dans l’un et l’autre traité, la seule différence étant que le Fons est dépendant du Didascalicon d’Hugues de Saint-Victor. Soulignant cette similitude et les relations amicales qui durent exister entre les deux auteurs, Mgr Delhaye va plus loin. Ces deux textes semblent, en effet, évoquer des souvenirs communs, souvenirs qu’Étienne, pour sa part, rappelle dans sa correspondance. Excipant de cette complicité entre Étienne et Godefroid, Mgr Delhaye imagine que le Victorin ait pu séjourner et étudier le droit à Bologne, ce que firent nombre de maîtres parisiens à cette époque (et Godefroid se reconnaît lui-même girovague); il se réfère surtout à la Summa elegantius, où l’auteur parle de sa formation, de ses études en France et en Italie, à Paris surtout, et semble connaître Étienne, ou du moins ses œuvres. De plus, le début de la Summa, rattachant le droit à la morale, nous renvoie au passage du Fons où Godefroid, citant Socrate et Sénèque (comme il le 13

Vaticano, BAV, Reg. lat. 179.

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fera dans le Microcosmus), traite de la morale que l’on étudie parmi les Arts libéraux. Mgr Delhaye, qui pourtant ignorait l’écriture personnelle de Godefroid et a fortiori son intervention dans ce ms. lat. 14997, propose de reconnaître un même auteur dans la Summa – «un canoniste qui devient moraliste» – et dans le Fons – «un moraliste qui conserve pour le droit de secrètes faveurs» – une hypothèse que viennent fortement appuyer les observations faites ci-dessus sur ce ms. lat. 14997. Godefroid, auteur probable de la Summa Coloniensis, est une hypothèse au moins aussi acceptable que celles qui ont été avancées jusqu’ici: celle d’un théologien doué de compétences polyvalentes, ayant étudié, enseigné, prêché, écrit, dans le milieu intellectuel français le plus brillant de l’époque, qu’était l’abbaye de Saint-Victor, proche du milieu de la Cour. Quoi qu’il en soit de la paternité de cette Summa, l’intervention personnelle de Godefroid dans la composition de ce manuscrit, dans la réunion des textes qui le composent et, peut-être aussi dans la rédaction des gloses qui les accompagnent, est une réalité. On est devant un corpus de droit canon, revu et complété par lui, à l’usage de Saint-Victor: sa compétence de juriste canoniste ne contredirait en rien ses autres qualités de philosophe, théologien, poète et musicien, à une époque où chaque discipline nécessitait de grandes connaissances dans les autres. Cette nouvelle contribution nous permettrait, en tout cas, de dessiner plus clairement le profil intellectuel de ce sympathique chanoine victorin, qui nous réserve encore bien des surprises. III Le Microcosmus Le prieur Richard meurt en 1173. Si l’on admet que Godefroid est entré dans l’abbaye vers 1155 à l’âge de 25-30 ans, il en a désormais 45 environ. A-t-il été sous-prieur? Rien ne permet de l’affirmer définitivement. Le nouveau prieur s’appelle Gautier, un personnage dont on sait peu de choses, sinon par ses écrits. Godefroid avait pu déjà être victime des troubles créés dans l’abbaye par l’abbé Ernis, prélat mondain, dur pour les chanoines, qu’il punissait et parfois exilait: une affaire clairement exposée par Mgr Delhaye, qui la situe exactement dans la position où se trouvera désormais Godefroid. Eu égard aux dates de composition de notre auteur, une autre hypothèse semble en effet plus plausible. L’affaire Ernis aussitôt terminée par la déposition de l’abbé (1172), surgit ce nouveau prieur, Gautier, personnage ombrageux, intransigeant, aux

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idées singulièrement tranchées. En outre, Godefroid dédia le Fons philosophie à Étienne, abbé de Sainte-Geneviève, charge qu’il n’assuma qu’en 1176, et le Fons ne fait aucune allusion au drame dont il parlera dans l’introduction au Microcosmus: c’est donc bien dans la personnalité de Gautier qu’il faut voir l’origine de cette crise. Gautier entend régler leurs comptes à tous ceux qui, selon lui, «flairent l’hérésie» au sujet – entre autres griefs – de la réalité de l’humanité du Christ. Outre une vingtaine de Sermons, nous connaissons surtout, de Gautier, son ouvrage polémique, le Contra quatuor labyrinthos Francie (écrit en 1177-1178), violent pamphlet dans lequel l’auteur s’en prend, comme on le sait, aux quatre plus grands théologiens de l’époque, «minotaures tapis dans les quatre labyrinthes». Parmi les philosophes incriminés – penseurs aristotéliciens – il est difficile de ne pas reconnaître aussi Godefroid. Dans le Fons philosophie, et déjà dans la lettre de dédicace à Étienne, faisant référence au Ps 75 (74), Godefroid présente son poème comme une coupe mêlée – calicem mixtum – de diverses liqueurs, signifiant par là la science de l’homme et celle de Dieu. Et dans le corps du poème, il accorde une place importante à la dialectique, se référant à la logique aristotélicienne, à l’Isagoge de Porphyre, et plus généralement aux auteurs antiques. À la suite de Hugues, et comme il le fera dans le Microcosmus, il loue la philosophie morale de Socrate et affirme que la Sagesse de Sénèque est à peine inférieure à l’Évangile (vix euangelio postponenda credam). Autant d’idées qui ne pouvaient manquer de provoquer l’irritation d’un Gautier pour qui il est impossible de mêler la science chrétienne et celles des Antiques, infidèles; et il s’en prend à Sénèque, le plus dangereux des philosophes car il fit l’apologie du suicide «qui ruine les droits de Dieu sur l’homme». Ailleurs dans son traité, il lance de violentes attaques contre ses contemporains attachés aux auteurs antiques: Quid faciet cum psalterio Oratius, cum Euangeliis Maro, cum Apostolis Cicero? Simul bibere non debemus calicem Christi cum calice demoniorum, reprenant l’image du calice, chère à Godefroid: une réplique qui sent la polémique. Godefroid composa le Fons en 1175-1176, Gautier, son traité, en 1177-1178. Il dut y avoir conflit frontal, à armes inégales car Gautier est prieur de l’abbaye. Godefroid se dira lui-même «timide et pusillanime»: il était vaincu d’avance. Harcelé, combattu dans son enseignement, probablement poussé à bout, il quitte l’abbaye, sans pour autant renoncer à ses idées mais, au contraire, en les accentuant en faveur de la nature humaine. Retiré dans un prieuré, loin de l’agitation du monde, Godefroid dut garder le silence et réfléchir pendant un certain temps. Mais voilà que

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l’accusent de paresse ceux-là mêmes qui l’ont réduit au silence: une nouvelle blessure qui le poussa à reprendre la plume et répliquer à sa manière en composant le Microcosmus, manifeste de théologie humaniste, d’exaltation de l’homme dans son corps et dans son esprit. «In terra aliena» C’est donc dans la solitude, après de longues années d’un travail incessant, nunc uerbo, nunc scriptis, nunc exemplis, que Godefroid entreprend ce long traité 14. Il n’a pas été payé de sa peine et c’est en homme blessé qu’il rejoint ce lieu de silence et de repos, que d’ailleurs nous ne connaissons pas. Et voilà qu’on vient le lui reprocher. Il n’est que de lire le prologue qu’il a placé en tête de son ouvrage pour prendre la mesure de la souffrance qu’il ressentit devant l’ingratitude de ses frères. Il choisit alors la meilleure réplique qui soit et se remet au travail. Arbitratus sum… expedibile fore si causam huius operis in frontem eiusdem prenotauero: il s’adresse à tous les lecteurs, et non aux siens qu’il appelle cependant quidam amici mei, et il le fait non par témérité mais poussé par une extrême nécessité. Ceux qui furent ses amis ont mal interprété son «envol avec la plume de la colombe, vers le repos et la solitude» et l’accusent d’avoir enfoui en terre le talent à lui prêté par le Seigneur, au lieu de le rendre avec les intérêts; alors qu’il a, ô combien, dépensé tout l’argent du Seigneur en travaillant sans relâche pendant de nombreuses années: cum multa corporis et spiritus mei afflictione hec actitans. Et ces gens-là 14

On aura reconnu en ces termes deux des éléments («verbo et exemplo») qui expriment une part essentielle de l’activité canoniale et à laquelle il était fait droit à SaintVictor: C. W. Bynum, «The Spirituality of Regular Canons», dans Jesus as Mother. Studies in the Spirituality of the High Middle Ages, Berkeley, 1982, p. 22-58, ici, p. 36-46. À l’abbaye parisienne, l’écrit est presque toujours un accompagnement ou une suite de l’enseignement et du verbum, au point qu’il peut paraître naturel de réduire ou substituer l’un à l’autre. La réponse de Godefroid, nouveau Job, à ses amis contradicteurs consiste donc à réaffirmer son identité régulière, jamais démentie dans son passé et à laquelle les conditions de sa retraite présente, faveur d’une année sabbatique ou éloignement politique sur fond de suspicion doctrinale, ne lui interdisent pas de rester fidèle. On peut également voir dans son argumentaire un écho des critiques auxquelles Guillaume de Champeaux se sera heurté dès les premiers temps de sa retraite: il lui faut, l’adjure Hildebert de Lavardin, reprendre son enseignement, sous peine de se voir assimilé à celui qui «cache sa sagesse et enfouit son trésor» (F. Bonnard, Histoire de l’abbaye royale et de l’ordre des chanoines réguliers de Saint-Victor de Paris, t. 1, Paris, p. 10). C’est donc dans une ligne proprement victorine que Godefroid entendait se situer, sinon situer sa défense.

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savaient très bien quels intérêts il avait accepté d’en rapporter au Seigneur: tourments et douleurs dont il a souffert auprès d’eux; à tel point qu’ils ont sucé tout son sang et consumé la moëlle de ses os: ebiberunt sanguinem meum… et medullas arefecerunt. Alors, à sa prière, le Seigneur répond qu’il lui faut «saisir l’arc de la Sainte Écriture pour recevoir les flèches acérées des principes philosophiques et théologiques, afin d’accumuler les braises au dessus de la tête de ses ennemis». Alors, tout joyeux, il saisit l’arc et les flèches, non pour tuer les hommes mais les vices, non pour perdre les âmes mais pour les sauver: et cela non uerbis ad momentum sonantibus sed scriptis, in perpetuum loquentibus. Et c’est ainsi qu’assumant toute cette souffrance, il la domine à sa manière en reprenant et renforçant toutes les idées qui lui furent tant reprochées. Alors que dans le Fons philosophie, par la comparaison entre l’homme et le cosmos il rappelle un devoir de vigilance vis-à-vis des errements de la chair, dans le Microcosmus il veut témoigner de la dignité de l’homme dans son esprit et dans sa chair, de l’existence d’une nature humaine première dans l’œuvre divine, qui s’achève dans l’édification de l’homme par la grâce. Rejetant tout mépris pour le corps, c’est l’homme dans sa totalité que Godefroid confie à la grâce. En cela il se tient dans la parfaite droite ligne de la pensée victorine, à la fois humaniste chez Hugues, plus mystique chez Richard, mais d’une mystique accordant une très large part à la psychologie et à la spéculation, ainsi qu’à l’allégorie dont Godefroid fera un usage surabondant; ajoutant une protestation contre la philosophie pessimiste de l’homme, encore dominante à l’époque, même chez les Victorins. Pour Godefroid, au contraire, l’homme n’est pas que faiblesse et corruption; parler ainsi c’est «confondre l’accessoire et l’essentiel»: l’homme, avec son corps, est sorti des mains de Dieu. Toute la pensée de Godefroid consiste à revaloriser les valeurs terrestres, et en cela on peut dire qu’il est bien de son époque, mais il ne manque pas non plus de donner à son exégèse et à sa théologie un sens moral propre aux Victorins. C’est donc bien dans la lignée de son abbaye qu’il s’inscrit, avec une volonté tenace de valoriser l’homme au nom même des «droits de Dieu» (faut-il voir là une réplique à l’adresse de Gautier?), un refus du pessimisme augustinien, d’une dépréciation de la nature au profit de la grâce, un rejet du Contemptus mundi, rejoignant en cela la pensée de Guillaume de SaintThierry qui voyait dans la nature humaine, non pas la natura lapsa mais Dieu lui-même. C’est pourquoi Godefroid fait l’apologie des disciplines rationnelles et de la culture classique à laquelle, par ailleurs, il définit clairement les limites. Sa pensée, depuis la rédaction du Fons philosophie,

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a donc fortement évolué et l’on se plaît à imaginer que c’était aussi, pour lui, une manière de s’opposer aux prises de position de son prieur, Gautier. Certains auteurs du xii e siècle ont rapproché l’homme de la splendeur du cosmos. Godefroid, lui, va démontrer la dignité de l’homme en rapprochant ses richesses naturelles de celles du cosmos, et de là sa participation, même par son corps, au monde divin. Chaque aspect de la personnalité humaine est rendu par une comparaison cosmique. Le microcosme, c’est certes la personne (microcosmus singularis) mais c’est aussi le genre humain tout entier (microcosmus generalis), toute âme participant au monde de la grâce (microcosmus particularis). La nature de l’homme est un don de Dieu, elle est même la première grâce, la deuxième grâce étant la participation à la vie divine: Adam l’avait perdue, le Christ nous l’a rendue. L’homme est doté de trois dons naturels (microcosmus secundum philosophum) et de trois grâces principales (microcosmus secundum theologum). C’est dans un cadre strictement allégorique que Godefroid va développer sa démonstration, comparant les dons naturels de l’âme – sensualitas, imagination, raison, intelligence – aux quatre éléments dont est fait le cosmos. Reprenant diverses données classiques de la philosophie, il compare la raison et l’intelligence à l’air et au feu (éléments actifs) la sensualitas et l’imagination à l’eau et à la terre (éléments passifs). Voilà donc le contenu psychologique et théologique du traité que Godefroid va développer en trois livres d’inégale longueur. Puisque l’homme est semblable au cosmos, pourquoi ne pas lui appliquer ce que Moïse dit de la Création du monde? L’auteur va donc se lancer dans un commentaire des six jours de la Création: une explication allégorique poussée à l’excès et un sens tropologique, procédé courant à Saint-Victor depuis Hugues et Richard. L’Écriture Sainte a en effet un sens caché: au delà des paroles du texte dont la signification première est évidente, les choses et les faits décrits sont des «sacrements», des signes des réalités spirituelles, des mystères de la foi. L’homme et la création Mgr Delhaye a exposé en détail le contenu et la signification du commentaire de Godefroid sur les six jours de la Genèse: nous n’y reviendrons pas, sinon pour relever les lignes principales et l’évolution de sa pensée, depuis une analyse de la vie psychologique et morale de l’homme, les dons de la grâce, un très long passage totalement

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allégorique consacré à la charité personnifiée, jusqu’à un appel à l’espérance du Salut, l’exaltation de la nature humaine, l’exhortation à l’élévation, afin que l’homme puisse être revêtu de la plénitude de la grâce et, ainsi recréé, devenir membre du Corps de l’Église dont le Christ est la Tête. Les trois premiers jours de la création: harmonies et correspondances Après avoir consacré les vingt premiers chapitres de son traité à démontrer (procédant par questions – réponses) la similitude entre l’homme – microcosme – et le macrocosme, Godefroid donne jour par jour son interprétation allégorique de la création, suivant cette idée-maîtresse très ferme – l’homme est doté de trois dons naturels et de trois grâces principales – ce qui le conduit, à la fin, à exalter l’œuvre de Dieu dans l’homme par la grâce. Au premier jour, Dieu créa la lumière, ce qui signifie, à l’échelle de l’hexameron du microcosme, que l’esprit humain est capable de concevoir les réalités célestes, lorsque cette lumière créée se répand dans ses yeux, faisant pénétrer dans les autres sens «une sorte de lumière plus agréable de connaissance». Au deuxième jour, Dieu, en créant le firmament et séparant les eaux des eaux, régule chez l’homme la surabondance d’images qui jaillissent par les sens. Comme les quatre éléments du macrocosme – dont deux sont actifs, et deux passifs – des quatre qualités élémentaires du microcosme, deux sont relatives au corps (sensualitas, imagination) et deux à l’esprit (raison et intelligence). Ces dernières agissent nécessairement sur les premières, afin que les actions des hommes soient lucides. C’est là le firmament intérieur. Les quatre sources de l’imagination provoqueraient la confusion des eaux s’il n’y avait le firmament, force naturelle de discernement. Et le firmament – raison et intelligence – agit sur les quatre points cardinaux de l’imagination – ingéniosité, mémoire, convoitise, colère – à la manière d’une machine ordonnant et éclairant les mouvements de l’âme et son ascension de la dispersion à l’unité, des réalités corporelles aux réalités spirituelles unifiantes. Au troisième jour, c’est l’apparition du «sec» au milieu des eaux inférieures: c’est là l’opinion du «philosophe naturaliste», que Godefroid confronte à celle des «Pères de la foi catholique». Après une description physique du globe terrestre, des différentes zones climatiques (suivant les philosophes) et des antipodes, s’inspirant de Pline et de Macrobe, Godefroid envisage la question en théologien, selon les yeux de la foi et les paroles de Moïse, rappelant que

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beaucoup de ses contemporains «penchent pour l’opinion physique». Or, sur le plan théologique, les dogmes du péché originel et de la rédemption n’ont de sens que si tous les hommes sont issus du même Père et rachetés par un seul Rédempteur. Écartant donc les «prêcheurs de fables», notre auteur en conclut que «la nature a cédé devant les commandements de Dieu»: qu’une seule région sèche ait apparu au milieu des eaux inférieures rassemblées, est l’œuvre «de Dieu seul, sans le ministère de la nature». Dans le microcosme, Dieu, en rassemblant les eaux «a imposé à l’âme, avant l’attribution de la grâce, une loi de discipline» permettant à la mer des désirs charnels de rester contenue dans des bornes afin de ne pas «envahir la terre et détruire jusqu’à l’âme élue». Telle est l’œuvre du troisième jour, au temps du troisième âge, qui est celui de la jeunesse, pour chaque âme, mais qui s’est produit jadis pour tout le genre humain, microcosme collectif. Loi de discipline certes, mais dont la crainte plutôt que l’amour le fit commencer à servir Dieu. Partant de l’herbe verdoyante et des arbres fruitiers créés par Dieu, Godefroid passe aux «œuvres bonnes», car l’âme élue, même avant le don de la grâce, est irriguée par deux fleuves: les sciences «utiles et honnêtes, nécessaires à la vie humaine»: c’est alors tout le catalogue des sciences du Quadrivium et du Triuium, déjà présenté dans le Fons philosophie, à cette différence près qu’il accorde ici une bien plus grande place à la science mécanique qu’il ne l’avait fait dans le Fons où, écartant avec mépris les techniques, dangereuses pour l’homme, il s’était contenté de connaître les sept branches de la mechanica qu’Hugues lui-même méprisait aussi, la déclarant «adultérine». Pour Godefroid, le Quadriuium est le reliquum theoricæ (vers 329) mais ici il s’attarde à démontrer, usant de l’image des fleuves irrigant des arbres fruitiers, l’utilité de la science mécanique, les trois branches de la science pratique – éthique, économique, politique – précisant que les «anciens docteurs», tels Socrate, Platon et Sénèque, comme des fruits parfumés se sont évaporés. Cette évocation des Antiques ne figurait pas dans le Fons. Revenant aux paroles de Moïse, Godefroid entend analyser ce que signifie, dans le microcosme, que Dieu ait rassemblé les eaux supérieures pour laisser place aux luminaires du ciel: mouvements rationnels et spirituels de l’imagination qui tendent vers la sagesse. Or l’amour de la sagesse, c’est la philosophie, source irrigant les parties supérieures du microcosme, prédisposant à la naissance des fruits spirituels. Les luminaires sont donc les qualités naturelles, et, placées au dessus, les qualités gratuites qu’elles nourrissent et qui les nourrissent. La philosophie coule en deux canaux, l’un d’or, l’autre d’argent qui, mélangés, offrent la

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couleur de l’ambre, mais divisés en plusieurs bras, prennent des couleurs diverses. Contrairement au Fons, ici Godefroid commence par les Arts du Quadrivium. Toujours sous la métaphore de la source philosophique se divisant en rivières, de la mathématique sortent quatre cours d’eau: l’arithmétique, cours d’eau plein de cailloux que l’eau fait retentir en un doux murmure; la musique, dont l’eau, chargée de cailloux, coule en un bruit mélodieux prouvant que l’âme humaine a été créée dans des proportions musicales; la géométrie, dont les eaux parcourent les montagnes et les vallées, embrassant les mesures de tout, tendant vers la lune et le soleil et tournant autour de toutes les autres machines du monde; enfin l’astronomie, dont le fleuve, le plus grand des quatre, s’enroule dans le firmament, autour du soleil et de la lune, et dont les eaux de couleur hyaline brillent dans les cieux. Ainsi, toutes ces choses, telles des eaux qui s’écoulent de la source de sagesse, ont été inventées pour que «les choses invisibles de Dieu soient contemplées par le moyen de l’intelligence des choses qui ont été créées». De même les sciences du Trivium, eaux claires issues de la même source, ajoutent, elles aussi, à la splendeur étincelante des luminaires du ciel; de l’éloquence sont issus deux bras: la grammaire, qui examine les figures de la voix, fin filet d’air frappé, et la rhétorique, qui s’ébat dans la douceur du pré, se couvrant d’une guirlande de fleurs; la dialectique, qui traverse rochers et bois, chemins tortueux et étroits, mais qui, brisant fausseté et plaisanterie, tend vers la vérité cachée. Ainsi le Trivium, pénétrant dans le Quadrivium, donne à tout la forme sinon la matière. De même le microcosme est ainsi disposé et ses qualités naturelles, accomplies au troisième jour, lui confèrent une ressemblance avec le monde. L’œuvre des trois derniers jours et la ressemblance divine Au Livre II, après la Création de la nature humaine, Godefroid, conduisant son ouvrage comme «une sorte de miroir de l’âme», va étudier l’ornement du microcosme, à savoir les qualités gratuites que Dieu ajouta, par la grâce, aux naturelles, qui lui confèrent une ressemblance avec Dieu, laquelle constitue sa dignité dans le monde et sa supériorité sur les anges. C’est l’œuvre des trois derniers jours de la Création qu’il entreprend de résumer afin de pénétrer plus à fond le mystère des luminaires du ciel. Dieu accorde les dons de la grâce qui élève l’homme au dessus des anges pour être uni à Lui et recevoir le triple don de connaître Dieu, de le vouloir et d’exécuter ses commandements. Le premier de ces

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dons est la grâce d’illumination, symbolisée par la création des luminaires, illumination à la vérité, que l’homme peut accepter ou refuser. C’est l’œuvre du quatrième jour. La deuxième grâce conférée par Dieu est l’attachement à la vertu, car, comme les astres dirigent les mouvements des cieux, foi et discernement dirigent notre vie morale. C’est l’œuvre du cinquième jour. Au sens tropologique, le soleil et la lune, c’est-à-dire le Christ et l’Église, grands luminaires séparant la nuit du jour du microcosme, figurent la vision de la foi: c’est là la conversion du cœur et l’adhésion à Dieu par un mouvement d’ascèse qui fait écho à la pensée du Benjamin minor de Richard de Saint-Victor. En cette œuvre du cinquième jour, l’auteur traite des affections du cœur humain. Déméritoires, elles troublent les eaux du cœur de l’homme; méritoires, elles ornent ces eaux d’animaux purs; neutres, ce sont les penchants naturels à vouloir ou ne pas vouloir. L’auteur analyse la douleur et la crainte salutaire dans le cœur du pécheur, qui font naître, grâce à l’Esprit Saint, l’espérance salutaire dans le royaume des cieux. Les mouvements de l’âme qui la poussent à haïr le mal et à aimer le bien sont comme des monstres marins, les uns purs, les autres impurs, parcourant la mer de l’imagination à combattre les vices avec la haine inspirée par l’Esprit Saint. Monstre marin de l’amour du bien, mais aussi «grand oiseau aux vastes ailes scrutant et contemplant les réalités célestes»: c’est la charité qui, telle un coureur se hâtant vers son but, traverse l’espace d’un coup d’aile à la rencontre de Dieu. Le voyage de la charité C’est ainsi que Godefroid nous introduit au Livre III de son traité. L’image de l’Aigle-Charité (les ailes de l’âme) est un thème à la fois platonicien et biblique, que le Moyen-âge connaissait depuis toujours à travers Boèce, saint Augustin, saint Grégoire, et chez les contemporains de Godefroid, Alain de Lille, Pierre Lombard, Richard de Saint-Victor, et un peu plus tard avec, par exemple, Raoul de Houdenc. Ce troisième livre consiste donc en un récit totalement allégorique, celui d’un voyage au séjour de Dame Charité où l’auteur (ou son âme), fatigué de la marche, vient chercher refuge et repos. Accueilli et réconforté avec empressement, il entre en un dialogue personnel, mystique, mais fait d’expériences concrètes. Cet échange entre l’homme et la Charité (l’amour) touche son cœur comme une épouse ou une mère, et fait de lui un «homme nouveau». Il apprend ainsi par elle le triple amour ordonné:

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amour de ce qui est au-dessous de soi, de soi-même, de ce qui est au-dessus de soi. Après quoi, revenant sur les six jours de la Création, les six paroles de Dieu: les trois premiers jours Dieu conféra à l’esprit humain mêlé au corps les dons naturels, les quatrième et cinquième jours, il lui offrit les luminaires: «poissons dans les eaux, oiseaux dans le ciel», c’est-à-dire les deux premiers dons gratuits: connaître le bien et le vouloir. Au sixième jour enfin, Dieu donna à la terre le pouvoir de produire bêtes et reptiles, c’est-à-dire qu’il conféra à l’homme la grâce de faire le bien et des œuvres méritoires diverses, comme sont diverses les bêtes de la terre. Ici s’ouvre un chapitre – que Godefroid avait tout d’abord prévu de placer à la fin de son traité, pour ensuite l’insérer en cet endroit – l’ascension de l’âme vers Dieu: Hic incipit agere de spirituali ascensione hominis a terra ad celum, in quo consumatur ornatus microcosmi. C’est la charité qui offre à l’homme toutes ses richesses, tout l’ornement du microcosme, puisque l’amour parfait du Créateur est l’achèvement de l’homme. Alors la Charité va révéler à l’homme les mystères de ses ailes, dont chaque plume est une œuvre de vertu. L’Aigle-Charité possède en effet six ailes. La première paire représente la continence des cinq sens; la deuxième est l’œuvre de vertu dans l’homme intérieur, grâce à laquelle il s’élève; la troisième paire est l’amour de l’homme pour Dieu. Or, de ces trois amours, le premier doit concerner la chair mais aussi l’esprit; le deuxième doit considérer l’amour de l’ami et de l’ennemi; le troisième enfin s’adresse à Dieu et à Dieu-homme. Aussi l’Aigle-Charité possèdet-il six ailes et non pas trois: «le nombre de mes ailes est donc parfait». Puis l’homme, assis sur les ailes de l’Aigle-Charité, écoute ses paroles comme un poussin reçoit sa nourriture. Se couvrant de plumes et transformé en animal céleste, capable de voler, il toucha la tête de l’Aigle et son pouvoir augmenta. Alors la vision de l’Aigle disparut, et l’homme se trouva en extase, in ecclesia, juxta altare Domini. C’est par une envolée sur l’amour de l’homme pour Dieu que se termine le traité de Godefroid: c’est ainsi seulement que, formé à l’image et ressemblance de Dieu, devenu une sorte de monde – microcosme – il devient digne d’être habité par Dieu, éternellement, lié à lui de façon indicible par un lien de dilection qui est l’Esprit Saint, tel l’épouse brûlant du désir de l’époux. C’est pourquoi Dieu a daigné s’unir personnellement à notre nature, esprit et chair, assumant en sa personne l’homme total. Ce lien de dilection entre l’homme et Dieu (la troisième paire d’ailes de l’Aigle) est double: parce qu’il est Dieu et parce qu’il s’est fait homme. C’est par l’amour naturel vers Dieu que l’homme a été créé à

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l’image de Dieu, mais c’est par l’amour gratuit envers Dieu-homme qu’il est re-formé «à la ressemblance de Dieu», image et ressemblance déjà consommées en la personne du Christ. S’adressant à l’esprit humain, Godefroid l’exhorte à s’éveiller à la connaissance de soi, et par là à s’admirer comme microcosme, c’est-à-dire comme habitation éternelle de Dieu, … «en raison de l’habitacle de ton corps puisque c’est en lui que Dieu habitera éternellement avec toi et par toi…». S’adressant à l’homme, Godefroid lui rappelle que par l’esprit et le corps il est supérieur à l’ange par la grâce, exaltant l’homme et la femme par la Vierge Marie, reine du monde, que Dieu se choisit comme vase unique de la grâce. «Donne-toi la peine, dit-il à l’homme, pour que s’accomplisse en ta personne ce qui a été accompli en ta nature. Car le Christ, après ta faute, t’a re-créé en humanité, lui qui t’a créé en divinité. Dans l’homme assumé, Dieu décida de souffrir, de mourir… afin de faire mourir et ressusciter l’homme et l’exalter au dessus de toutes ses créatures. Quoi de plus sublime que cet amour»? Plus qu’un traité d’humanisme chrétien, le Microcosmus est un ouvrage d’exégèse et un manifeste de l’amour, empreint d’une grande beauté expressive. Témoignage de l’amour de Dieu pour l’homme, pris dans l’unité supérieure de sa personne. Quant au caractère psychologique de ce texte, il s’inscrit dans tout un courant spirituel propre au xii e siècle sur l’union de l’âme et du corps, dans l’École même de SaintVictor (avec Hugues et Richard), mais aussi à l’extérieur de l’abbaye, avec Guillaume de Saint-Thierry, Honorius Augustodunensis, Alain de Lille, exact contemporain de Godefroid, dont l’Anticlaudianus est marqué par une imagerie tout aussi foisonnante. Le thème de l’union de l’âme et du corps n’est donc pas nouveau. Le traité de Godefroid se distingue davantage par la genèse de l’amour dans le cœur de l’homme: mouvement affectif, partant du deuxième don gratuit de Dieu, celui de vouloir le bien pour s’accomplir dans le troisième don, celui de le pouvoir et de le pratiquer. Le Microcosmus est avant tout un appel pressant à la conversion du cœur et à l’adhésion à Dieu. C’est donc un véritable testament spirituel qu’a voulu donner Godefroid, au terme d’une vie d’intellectuel et de religieux extrêmement riche, et en tous domaines, mais aussi marquée par de graves déceptions et des souffrances qu’il semble n’avoir pas pu surmonter autrement qu’en composant cet ouvrage original, inattendu, imaginatif, où symbole et vision s’entremêlent pour donner à tout ce texte un élan et une harmonie dont seul était capable un poète et un musicien; reprenant

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toutes les idées qui lui ont valu l’animosité de ses confrères, en les approfondissant, mais où, surpassant toutes ses rancœurs, il fait éclater son optimisme et l’exaltation de la nature humaine restaurée par la grâce. Sans doute est-ce dans cet état d’esprit que Godefroid est peut-être revenu dans son abbaye, à un âge avancé (si toutefois il est permis de l’identifier avec un certain Godefroid attesté dans un document), exerçant alors les fonctions de sacriste, en 1194, au moment où mourait le prieur Gautier. IV La présente édition Nous avons vu que les œuvres de Godefroid de Saint-Victor n’ont pas été diffusées après la mort de l’auteur et qu’elles sont manifestement tombées aussitôt dans l’oubli. Dès lors, il n’est pas étonnant qu’elles n’aient pas intéressé les érudits éditeurs des siècles passés. Ce n’est qu’à partir du milieu du xx e siècle que l’on voit apparaître les premières éditions. Le Fons philosophie a fait l’objet d’une édition, par P. MichaudQuantin, en 1956, puis d’une traduction anglaise par E. A. Synan, en 1972. Le Preconium Augustini fut publié et étudié par P. Damon, en 1960 et par J. B. Schneyer, en 1970. Les Sermons de Godefroid, transmis par deux manuscrits dont un autographe, ont fait l’objet d’une étude de Ph. Delhaye, en 1954, portant sur leur tradition manuscrite, mais demeurent inédits. Le Microcosmus, quant à lui, a connu une édition, par Ph. Delhaye, en 1951, accompagnée d’une étude théologique et exégétique, ainsi que de diverses notices relatives à la vie de l’auteur et à l’histoire de l’abbaye de Saint-Victor 15. Depuis, une découverte, analogue à celle jadis des autographes de Guillaume de Saint-Thierry, et qu’on ne connaît guère en outre pour le xii e siècle que pour Absalon de Saint-Victor, est venue modifier substantiellement les données et permettre quelques avancées déterminantes, relatives tant aux méthodes de composition de Godefroid, qu’à l’établissement du texte critique du Microcosmus 16. 15

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Godefroy de Saint-Victor, Microcosmus, texte établi et présenté par Ph. Delhaye, Lille-Gembloux, 1951; suivi de Ph. Delhaye, Le Microcosmus de Godefroy de Saint-Victor, étude théologique, Lille-Gembloux, 1951. Nous renvoyons ici à Fr. Gasparri, «Textes autographes d’auteurs victorins du xii e siècle», Scriptorium, 35, 1981, p. 277-284; G. Ouy et Fr. Gasparri, «Le dos-

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Un auteur et son collaborateur à l’œuvre En effet, l’identification de l’écriture de Godefroid dans les deux mss subsistants du Microcosmus (Paris, Bibliothèque nationale de France, lat. 14881 et 14515) permet désormais, non seulement de situer ces deux manuscrits l’un par rapport à l’autre, et donc de rétablir l’ordre génétique du texte, mais aussi de déceler la méthode de rédaction et le processus d’élaboration de ce traité. De ces deux manuscrits, l’un (lat. 14881, notre sigle «G»: G 1 et G 2) est une première rédaction entièrement autographe, rédaction proche du brouillon initial; l’autre (lat. 14515, notre sigle «S»), est une première copie exécutée par une seule main (S 3), à l’exception peut-être de quelques feuillets (fol. 67-76v), et où le copiste parfois se corrige lui-même lorsqu’il a achoppé (S 4), transcription révisée, complétée et corrigée par l’auteur (G 3). Cette copie ne semble donc pas avoir représenté le texte définitif, entendons un troisième état que l’auteur, à partir de cette copie revue, aurait fait mettre au net ou mis au net lui-même, lequel n’a probablement jamais existé. La description matérielle que nous avons donnée des deux manuscrits montre à l’évidence, dans le premier, le processus d’élaboration du texte, dans sa première version, par le foisonnement des repentirs (modifications, additions, suppressions, interversions, grattages, appels de note, etc…), ainsi que par l’irrégularité des déplacements de passages (avec indication au copiste, au fol. 86v 17), l’insertion de cahiers, de

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sier paléographique de Godefroid de Saint-Victor», Scriptorium, 36, 1982, p. 2950: G. Ouy, «I, Manuscrits entièrement ou partiellement autographes de Godefroid de Saint-Victor», p. 29-42; Fr. Gasparri, «II, Observations paléographiques sur deux manuscrits partiellement autographes de Godefroid de SaintVictor», p. 42-50. Ainsi, à la fin du chap. 203, on lit en marge inférieure de G 1 au fol. 86r, de la main de Godefroid, ces directives données au copiste: «Finito hoc capitulo, scriptor transi usque ad .V tum. folium ab hoc folio, et in secunda eiusdem .V ti. folii pagina incipe scribere, a capitulo quod sic incipit: «Hac mencione habita» etc., et scribe quicquid in hoc quaterno uel in sequenti quaterno continetur, antequam ad secundam paginam huius folii transeas, et tunc redi ad secundam paginam huius folii et scribe reliqua.»: «Une fois fini ce chapitre, copiste, passe au cinquième feuillet à partir de celui-ci, et dans la seconde page du même cinquième feuillet commence à écrire, depuis le chapitre qui commence ainsi: «Ce rappel étant fait» etc., et copie tout ce qui est contenu dans ce cahier et dans le cahier suivant, avant de passer à la seconde page de ce feuillet, et alors reviens à la seconde page de ce feuillet et copie le reste.»

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feuillets ou de morceaux de parchemin: tout indique donc que le premier manuscrit (lat. 14881, «G») est le prototype du second (lat. 14515, «S») et non l’inverse, et que, contrairement à l’estimation de Ph. Delhaye, tous deux ne sont pas deux transcriptions indépendantes établies à partir d’un exemplar qui leur aurait été commun. Quant au ms. lat. 14515 (S 4, S 4 et G 3), il permet de suivre notre auteur dans sa méthode de mise en ordre de son texte, copié ici d’une seule main (sauf les fol. 67-76v?) par un de ses confrères proches, lequel a également transcrit le Fons philosophie et le Preconium Augustini du manuscrit Paris, Bibliothèque Mazarine 1002. Le texte présenté par le ms. lat. 14515 est une transcription fidèle, très correcte, l’œuvre d’une personne intelligente, comprenant ce qu’elle copiait, sachant, au fil de la copie ou à sa relecture, corriger ses propres fautes et parfois celles de son modèle. Si la qualité du texte est correcte, et l’écriture, une petite gothique, posée et très lisible, celle de son support, un parchemin parsemé de trous et de déchirures dont le copiste a tenu compte, laisse à penser que cette transcription ne s’est pas faite dans des conditions normales. En tout cas, c’est bien cette copie qui nous révèle une nouvelle intervention de l’auteur, comme nous l’avons exposé dans la description de son écriture, et donc l’état amélioré, sinon définitif, de son texte. C’est là la dernière version du Microcosmus dont nous disposions, qui n’a probablement pas fait l’objet d’une version définitive, officielle, l’œuvre ayant été composée dans les dernières années de la vie de Godefroid. Une édition princeps L’édition de Philippe Delhaye de 1951 a pour la première fois rendu accessible le Microcosmus. Malheureusement, les études paléographiques étant, à cette époque, insuffisamment développées et l’écriture personnelle de Godefroid non encore identifiée, l’éditeur a cru voir dans l’exemplaire copié (Paris, BnF, lat. 14515, fol. 1-106, le ms. «A» de Delhaye) non tant le texte original, qu’une copie faite sur un exemplar, et de ce que nous savons maintenant être l’autographe original (Paris, BnF, lat. 14881, fol. 1-102v, le ms. «B» de l’édition Delhaye) il a fait une copie de ce même exemplar, établie indépendamment du témoin lat. 14515. Plus, ce témoin dérivé «A» (le ms. lat. 14515) avait été jugé antérieur à l’autre témoin «B», estimé dérivé lui-aussi (le ms. lat. 14881) et plus proche que lui de l’exemplar supposé. L’ordre de la

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tradition manuscrite s’en trouve ainsi inversé, non sans conséquences sur la méthode d’édition choisie et ses résultats. L’éditeur se trouvait en vertu de ces estimations fautives devant le cas, classique et malaisé en critique textuelle, du stemma bifide et, qui plus est, réduit à un témoin pour chaque rameau:

Sans distinguer entre antériorité temporelle et antériorité critique (un ms. plus récent peut prendre attache très haut dans un stemma et donner un texte moins corrompu qu’un témoin de plus haute date mais séparé de l’origine par plusieurs transcriptions) l’éditeur choisissait alors de fonder son texte sur le ms «A». «Heureuse faute», car si elle affirmait à tort l’antériorité du témoin A, elle a conduit l’éditeur, s’inspirant de la méthode alors encore non rare du ms. de base, à opter pour un témoin qui, par accident, s’il n’était pas l’autographe, en était la copie, revue et améliorée par Godefroid. Pourtant, greffant une méthode stemmatique élémentaire sur cette méthode dite du ms. de base, il devait aboutir à un texte triplement grevé: rectifiant le témoin A, qu’il suivait, par le recours à B, utilisé comme un exemplaire de secours, l’éditeur était amené à négliger des modifications ou corrections de Godefroid lui-même pour revenir à des leçons variantes ou fautives, celles de B, dès lors inutilement modifiées ou corrigées par l’auteur. En second lieu, on établissait ainsi un texte composite, optant tantôt pour les leçons de A et tantôt pour les leçons de B, limitant cependant ces effets négatifs en privilégiant le plus souvent les lectures de A. En troisième lieu, il lui fut impossible de distinguer et d’abord de discerner les strates dans les deux témoins, à savoir dans «B» les modifications que Godefroid avait apportées à son texte autographe, et dans «A» les repentirs du copiste d’abord puis les inter-

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ventions de Godefroid lui-même sur cette copie qu’il avait fait effectuer: la génétique de la pensée du victorin était alors occultée et l’atteinte de son état final compromise. Cette première édition enfin était déparée par deux autres défauts, de nature bien diverse de ceux précédemment mentionnés: les «coquilles» y sont nombreuses, plus qu’à l’accoutumé, et surtout, ce qui est moins étonnant parfois dans le cas d’un texte encore inédit, altéré par maintes mélectures ou résolutions erronées d’abréviations 18. C’est au total en près de deux-cents cinquante lieux que le texte de la présente édition, élaborée selon de tout autres principes, s’écarte du texte de l’édition Delhaye. Principes de la présente édition La situation critique conduisait désormais à assigner un sigle, non seulement à chacun des deux témoins, mais également aux strates rédactionnelles que chacun d’eux comportait en fonction de leur origine (le scribe «S», Godefroid «G») et en leur assignant un chiffre, de 1 à 5, de façon qu’on puisse suivre les variations du texte dans leur ordre chronologique. On aboutit au stemma suivant:

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Les mérites de l’édition Delhaye, et ses limites, voire parfois le trop grand nombre d’erreurs d’impression ont été alors relevées, avec acribie et délicatesse, dans la recension de Jean Châtillon (Revue d'histoire de l'Église de France, 37, 1951, p. 199204).

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Étant donnée cette pluralité de strates rédactionnelles, nous avons choisi de présenter le texte tel qu’il se trouve dans sa rédaction définitive, celle du ms. lat. 14515 (S 3), avec tous les repentirs du copiste (S 4) ou les interventions de Godefroid (G 5). Nous avons respecté la division en trois livres et la répartition en chapitres, telles qu’elles existent dans les deux manuscrits: deux-cent quarante et un chapitres ainsi numérotés: 1-75 (livre I), 76-142 (livre II), 143-241 (livre III). Quant au texte latin lui-même, nous l’avons voulu clair et lisible, sans crochets ni caractères spéciaux, sauf les citations qui sont mises en italique. Dans les très rares cas où s’imposait une emendatio par ajout d’un mot nécessaire à la compréhension de la phrase, il a été inscrit entre crochets pointus. Les très rares cédilles qui remplaçaient la diphtongue ae n’ont pas été retenues. Nous avons adopté la ponctuation moderne, celle des deux manuscrits étant par ailleurs peu différente et fort simple: le point sur la ligne marquant les pauses fortes ou faibles, et parfois, ici ou là, le point-virgule inversé, sans que l’on puisse en distinguer la signification précise. Suivant la même démarche, nous avons appliqué un principe contraire à celui qui prévaut dans les éditions critiques ordinaires: c’est-àdire que nous avons signalé tous les états antérieurs du texte, dans l’ordre chronologique des strates rédactionnelles, de manière à obtenir un apparat génétique: – leçons du manuscrit originel autographe (G 1), – corrections ou modifications apportées par l’auteur sur ce même manuscrit (G 2), – transcription par un copiste de ce texte ainsi revu (S 3), – corrections du copiste sur sa propre copie (S 4) – interventions de Godefroid sur cette même copie (G 5) On est donc devant cinq strates de la traditio textus, que le philologue pourra comparer pour en comprendre la genèse. Dans cet apparat à la fois négatif, génétique et critique, pour qu’apparaisse plus clairement le passage d’un manuscrit à un autre et donc qu’on puisse suivre les variations du texte dans leur ordre chronologique, nous avons séparé par le signe « | » les variantes présentes dans le premier et celles dans le second manuscrit. L’apparat de critique textuelle doit permettre, outre de baliser les étapes de rédaction, de rejoindre le texte «authentique». Il donne ainsi une idée du soin de Godefroid de se relire, de l’application intelligente du copiste, de ses achoppements et des quelques cas où la relecture soigneuse par Godefroid n’aura pas empêché que ne lui échappent des fautes du copiste, qu’il faudra alors se garder de considé-

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rer comme validées par l’auteur. L’apparat renseigne sur ces cas, où il aura fallu faire le départ entre une modification portée par le texte du scribe puis assumée par Godefroid par une simple non intervention de sa part, et une erreur de scribe que Godefroid aurait corrigé s’il s’en était aperçu. Ces cas sont rares. Il s’imposait aussi de signaler les leçons de l’édition de Ph. Delhaye qui fut près de trois quart de siècle le texte vulgate. Le relevé des variantes de l’édition de Philippe Delhaye, outre qu’il était une exigence de l’inscription de ce travail dans une tradition textuelle globale, doit aussi permettre de signaler les cas où les études sur Godefroid, toutes menées sur cette édition, ont besoin d’être vérifiées dans leur argumentation. Au terme de ce volume, nous avons à remercier ceux qui nous ont fourni une aide. Sr Francis-Joseph, Chanoinesse régulière de Windesheim, du Couvent anglais de Bruges, nous fut d’un secours indispensable dans la saisie informatique de l’ouvrage, tant pour le latin que pour la traduction. M. Dominique Poirel fut précieux pour la rédaction de l’apparat des variantes comme pour sa conception, en sorte qu’il puisse être à la fois textuel et paléographique, ainsi que l’exigeait un texte autographe, puis transcrit par un scribe, corrigé par lui, puis revu et modifié par l’auteur. À l’égard de M. Jean Grosfillier notre dette est grande. Ses propres travaux sur Adam et Richard de Saint-Victor, les recherches sur leurs sources, le préparaient au même travail, que nous ne pouvions assumer, sur le Microcosmus. Il s’agissait, vérifiant systématiquement les sources déjà repérées, de les actualiser ou rectifier et, parfois largement, de les compléter. Cette dernière tache fut aussi le fait du P. Patrice Sicard. Nous sommes redevable, pour de précieux compléments bibliographiques, à l’obligeance de M. Antonio Sordillo, de Salerne. Que tous trouvent ici nos bien vifs remerciements.

BIBLIOGRAPHIE Cette bibliographie relative à Godefroid de Saint-Victor se veut exhaustive dans l’intention. Œuvres de Godefroid Philippe Delhaye (éd., intr.), Godefroy de Saint-Victor, Microcosmus, LilleGembloux, 1951 («Mémoires et travaux publiés par les professeurs des facultés de Lille», 56). Hugh Feiss (intr., tr., n.), Godfrey of St Victor, Microcosm (chapters 203-227), in Hugh Feiss (éd.), On Love. A Selection of Works of Hugh, Adam, Achard, Richard, and Godfrey of St Victor, Turnhout, 2011 («Victorine Texts in Translation. Exegesis, Theology and Spirituality from the Abbey of St Victor», 2), p. 301-341. Pierre Michaud-Quantin (éd., n.), Godefroy de Saint-Victor, Fons philosophiae, Namur, 1956 («Analecta mediaevalia Namurcensia», 8). Edward A. Synan, ‘The Fountain of Philosophy’. A Translation of the TwelfthCentury Fons philosophiae of Godfrey of Saint Victor, Toronto, 1972. Hugh Feiss (intr., tr., n.), Godfrey of St Victor, The Fountain of Philosophy, in Franklin T. Harkins, Frans van Liere (éd.), Interpretation of Scripture: Theory. A Selection of Works of Hugh, Andrew, Richard, and Godfrey of St Victor, and of Robert of Melun, Turnhout, 2012 («Victorine Texts in Translation. Exegesis, Theology and Spirituality from the Abbey of St Victor», 3), p. 371-425. Helmut Riedlinger (éd.), «Sermo in generali capitulo», dans Die Makellosigkeit der Kirche in den lateinischen Hohenliedkommentaren des Mittelalters, Münster, 1958 («Beiträge zur Geschichte der Philosophie und Theologie des Mittelalters», 38/3), p. 188-193. Philippe Delhaye (éd.), Godefroid de Saint-Victor, Sermo in die omnium sanctorum (Vidi turbam magnam), in Philippe Delhaye, Le Microcosmus de Godefroy de Saint-Victor, étude théologique, Lille-Gembloux, 1951 («Mémoires et travaux publiés par les professeurs des facultés catholiques de Lille», 57), p. 233-243. Hugh Feiss (intr., tr., n.), Godfrey of St Victor, Sermon on the Nativity of the Blessed Virgin, in Christopher P. Evans (éd.), Writings on the Spiritual

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Le Microcosme (Microcosmus)

〈1.〉 Prologus Hic incipit prologus sequentis operis Arbitratus sum tam michi quam cunctis huius libelli lectoribus expedibile fore si causam huius operis in fronte eiusdem prenotauero et cur hunc assumpserim laborem diligenter exposuero. Sciant igitur omnes huius libelli lectores me non incircumspecte temeritatis ausu precipiti sed extreme necessitatis inpulsu ancipiti hoc opus aggressum. Postquam enim solitudinis in qua nunc demoror adii locum quidam amici mei, qui fauore potius quam furore pauperem prosequi debuerant, succensere michi ceperunt non recte de me iudicantes, qui iam ueteranus, assumptis michi pennis sicut columbe uolaui ut requiescerem et desiderio quietis elongaui fugiens et mansi in solitudine. Ipsi uero sinistra interpretacione factum meum deprauantes, quia obmutui et humiliatus sum et silui a bonis pigri serui notam michi inpingere moliti sunt, quasi commissum michi a Domino talentum in terram foderim uel mnam Domini mei in sudario recondiderim, quam pocius iuxta preceptum eius ad mensam dare et uenienti cum usura restituere debuerim, ideoque seueram sententiam eius auditurus sim dicentis: Auferte ab eo mnam et date illi qui habet x mnas. Et hec quidem faciunt non attendentes me non ignorare quod idem Dominus qui pecuniam suam ad mensam dari et cum usura sibi restitui iubet, margaritas ante porcos mitti et sanctum canibus dari prohibet, nec reminiscentes quam diligenter aliquam pecuniam Domini mei, si qua apud me erat, eis erogauerim, nunc uerbo, nunc scriptis, nunc exemplis instans et cum multa corporis et spiritus mei afflictione pluribus annis hec actitans. Mentior si non sunt audita sepius apud eos uerba mea, si non sunt lecta apud eos scripta 1, 11-12 michi – requiescerem] cf. Ps. 54, 7 12 elongaui – solitudine] Ps. 54, 8 14 obmutui – bonis] Ps. 38, 3 15-16 talentum – foderim] cf. Matth. 25, 25 16 mnam – recondiderim] cf. Luc. 19, 20 17 mensam – usura] cf. Luc. 19, 23 18-19 auferte – mnas] Luc. 19, 24 21-22 margaritas – dari] cf. Matth. 7, 6 1, 2 Hic] abest in G 1 | in textu S 3 3 cunctis] G 1 |cuncti S 3 ; s add. sup. l. S 4 expedibile] G 1 |expendibile S 3 ; expedibile S 4 6 igitur] ergo G 1 |igitur S 3 1 3 8 aggressum] G |agressum S 10 debuerant] debuerint Delhaye 15-16 in terram foderim] G 1 |foderim in terram S 3 ; in terram foderim S 4 21 dari] dare Delhaye 26 sepius] sepiu G 1 ; s add. sup. l. G 2 | S 3 ; s add. sup. l. S 4

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1. Ici commence le Prologue de l’œuvre présente J’ai pensé qu’il serait utile, tant pour moi que pour tous les lecteurs de cet opuscule, que je note en préambule le motif de cet ouvrage, et que j’explique avec exactitude pourquoi j’ai entrepris ce travail. Sachent donc tous les lecteurs de ce petit traité que je n’ai pas entrepris ce travail sans réfléchir, sur un coup subit d’audace téméraire, mais sous l’impulsion hasardeuse d’une nécessité extrême. Car après mon arrivée dans le lieu de solitude où je demeure à présent, certains de mes amis qui auraient dû entourer de leur faveur plutôt que de leur fureur le pauvre que je suis, se trompant sur mon compte, commencèrent à s’irriter contre moi qui, déjà vieux, «m’étais donné des ailes et volais comme les colombes vers le repos», et dans mon désir de quiétude «m’enfuyais au loin et demeurais dans la solitude». Ces mêmes personnes, tournant en mauvaise part mon entreprise par une mauvaise interprétation, parce que «je me tus, que je fus humilié et gardai le silence devant les bons», tentèrent de m’appliquer la marque de serviteur paresseux, comme si «j’avais enfoui dans la terre le talent» à moi confié par le Seigneur, ou «avais caché dans un mouchoir la mine de mon Seigneur», plutôt que de le placer à la banque, suivant son précepte, et à son retour le restituer avec intérêt; et que donc je devais entendre la sentence sévère de celui qui dit: «Enlevez-lui la mine et donnez-la à celui qui a dix mines». Et ils font cela, sans se rendre compte que je n’ignorais pas que le Seigneur, qui ordonne de placer son argent à la banque et de le lui restituer avec intérêt, interdit de jeter des perles aux porcs et de livrer aux chiens ce qui est saint, ne se rappelant pas combien scrupuleusement je dépensais pour eux l’argent de mon Seigneur, si toutefois j’en disposais, travaillant sans relâche tantôt par la parole, tantôt par les écrits, tantôt par les exemples, et mettant en pratique ces préceptes pendant de nombreuses années au prix d’un grand tourment du corps et de l’esprit. Je mens s’ils n’ont pas entendu très souvent mes paroles, s’ils n’ont pas lu mes écrits, s’ils n’ont pas vu les exemples que je leur ai donnés. Il est en effet de règle que l’argent du Seigneur soit dépensé de ces trois manières. De ces trois manières, la troisième est la plus excellente et la plus efficace, et peut suffire à elle seule en cas de déficience des deux autres, surtout pour celui qui ne porte pas la charge pastorale. Tandis que je m’appliquais sans répit à toutes ces tâches, et pendant

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microcosmvs, prol.

mea, si non sunt uisa apud eos exempla mea: his etenim tribus modis rite pecunia dominica erogatur. Quorum modorum tercius ceteris excellencior et efficatior, etiam deficientibus reliquis duobus sufficere potest, solus ei maxime qui pastoris onus non portat. Cumque his omnibus modis diu multumque institerim, ipsi melius norunt quales exinde usuras Domino meo reportaturus acceperim, tribulationes uidelicet et dolores quibus apud eos multipliciter tribulatus sum, ita ut sanguinem meum ebiberint et medullas arefecerint, in nullo tamen apud eos accusante me conscientia. Testem inuoco Deum. Vnde multociens ad Dominum cum tribularer clamaui et exaudiuit me clamantem et dicentem: Domine libera animam meam a labiis iniquis et a lingua dolosa. Et respondit michi Dominus dicens: Quid detur tibi aut quid apponatur tibi ad linguam dolosam? Cumque dubius hererem nesciens quid illi responsi redderem, subiunxit et ait: Sagitte potentis acute cum carbonibus desolatoriis. Quod est aperte dicere: Quia tibi pigri serui nota inpingitur eo quod secedens ad heremum nunc obmutuisti et humiliatus es et siluisti a bonis, hoc tibi restat ut pecuniam meam quam non potes uerbo, scripto et exemplo eroges his qui longe sunt. Arripe ergo arcum sacre Scripture et dabuntur tibi sagitte potentis acute – id est sentencie philosophice et theologice – transeuntes usque ad corda inimicorum regis cum carbonibus desolatoriis, id est cum exemplis uiuis uiciorum uastatiuis et sagittis quidem confodies corda inimicorum tuorum carbones autem congeres super capita eorum. Et sic non solum pigri serui notam delebis, sed inimicorum preter uiam superabis. His auditis exhylaratus, ad preceptum Domini mei arripui arcum et ex inprouiso michi ministrata est celitus tanta copia utra35 testem – Deum] II Cor. 1, 23 35-36 ad – me] Ps. 119, 1 36-37 Domine – dolosa] Ps. 119, 2 38-39 quid – dolosam] Ps. 119, 3 40 sagitte – desolatoriis] Ps. 119, 4 41 pigri serui] cf. Matth. 25, 26 42 obmutuisti – bonis] cf. Ps. 38, 3 44 arcum – scripture] cf. Augustin, Enarr. in Ps., 7, 14 (CCSL 38, p. 45, l. 2-3); Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XIX, xxx, 54 (CCSL 143A, p. 999, l. 33-35); Pierre Lombard, Comm. in Ps., 7 (PL 191, 117C) 45 sagitte – acute] Ps. 119, 4 46 ad – regis] cf. Ps. 44, 6 cum – desolatoriis] Ps. 119, 4 48-49 carbones – eorum] cf. Rom. 12, 20 27 sunt] abest in G 1 ; sunt add. sup. l. G 2 |sunt S 3 etenim] enim Delhaye 30 ei maxime – non portat] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 34 ebiberint] ebiberunt Delhaye arefecerint] arefecerunt Delhaye 35 Deum] Dominum Delhaye 39 responsi] responsum Delhaye 44 Arripe] Accipe Delhaye 4950 et sic – superabis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 51 michi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |michi S 3

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longtemps, ces gens-là savaient très bien quels intérêts j’avais accepté d’en rapporter à mon Seigneur, à savoir tourments et douleurs dont j’ai souffert auprès d’eux, de toutes les façons, à tel point qu’ils ont sucé tout mon sang, consumé la moelle de mes os, et cependant ma conscience à leur égard ne m’accuse en rien. «Je prends Dieu à témoin». C’est pourquoi, tant de fois «dans le tourment j’ai crié vers le Seigneur et il m’a écouté»: j’ai invoqué et dit: «Seigneur, délivre mon âme des lèvres injustes et de la langue perfide.» Et le Seigneur m’a répondu en ces termes «Que faut-il te donner, que faut-il t’accorder face à la langue perfide?» Et comme dans le doute je restais perplexe, ne sachant que lui répondre, il ajouta: «Les flèches du puissant aiguisées aux braises dévastatrices.» Ce qui, en clair, veut dire: «Puisque l’on t’applique la marque du serviteur paresseux, sous prétexte qu’en te retirant dans la solitude, tu t’es tu, que tu as été humilié et que tu as gardé le silence devant les hommes de bien, il ne te reste plus qu’à dépenser par l’écrit et par l’exemple, pour ceux qui sont au loin, mon argent que tu ne peux plus dépenser par la parole. Saisis donc l’arc de la Sainte Écriture et tu recevras ‘les flèches acérées du Puissant’ – à savoir les principes philosophiques et théologiques qui pénètrent ‘jusqu’au cœur des ennemis du roi, aiguisées aux braises dévastatrices’, c’est-à-dire avec des exemples vivants qui détruisent les vices, et avec ces flèches tu perceras, certes, le cœur de tes ennemis et ‘tu accumuleras les braises au-dessus de leurs têtes’. Ainsi, non seulement tu effaceras la marque du serviteur paresseux mais tu t’élèveras au-dessus de la voie des ennemis.» À ces mots, tout joyeux, je saisis l’arc, sur l’ordre de mon Seigneur, et aussitôt me fut accordée par le ciel une profusion de flèches de l’une et l’autre sorte «avec les braises dévastatrices», si abondante que je n’aurais pu l’espérer, et par les unes et les autres j’ai fait ce que j’ai pu, à la mesure de mes moyens, non pas pour tuer les hommes mais les vices, non pas pour perdre les âmes mais pour les sauver. Ce que je dis est peut-être un peu obscur maintenant, mais deviendra plus clair par une lecture attentive de ce qui suit. Dans un seul et même écrit apparaîtra au lecteur diligent et la valeur du talent que nous lui prêtons et le taux d’intérêt que nous exigeons de lui. C’est pourquoi, qu’il prenne garde, quant à lui, de ne pas rendre l’intérêt; quant à moi je dois veiller à ne pas enfouir dans la terre le talent que je dois lui prêter. Tel est donc l’argent que j’ai reçu de mon Seigneur, que selon mon pouvoir j’ai déposé à la banque, non pas en paroles qui résonnent sur le moment, mais en écrits qui parlent pour l’éternité.

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rumque sagittarum cum carbonibus desolatoriis quantam ego ipse sperare non potuissem, et in utrisque pro modulo meo operatus sum quod potui, non ad occidendos homines sed uicia, non ad perdendas animas sed saluandas. Quod dico nunc forsitan obscurius est, sed ex diligenti lectione sequentium lucidius erit. In una enim et eadem scriptura diligenti lectori et modus talenti quod ei mutuamus et ratio usure quam ab eo exigimus apparebit. Sibi igitur caueat ne non reddat usuram, et michi ne sibi mutuando talentum in terra defodiam. Ecce enim, quantum in me est, qualem accepi pecuniam Domini mei dedi ad mensam, non uerbis ad momentum sonantibus sed scriptis in perpetuum loquentibus.

55 obscurius] obscuriter G 1 ; obscurius G 2 | S 3

59 defodiam] defodia Delhaye

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〈LIBER PRIMVS〉 〈2.〉 Microcosmus Godefridi canonici Sancti Victoris Parisiensis Mundi nomine plerumque hominem appellari tam philosophus quam theologus testatur. Siquidem philosophus in greca lingua mundum cosmum generaliter appellat, quem etiam quasi in duas diuidens species, alterum megacosmum alterum microcosmum nominat, megacosmi nomine hanc uisibilem mundi machinam, microcosmi uero nomine hominem significans. Porro magnus ille theologus qui in aquile figura depingitur, Iohannes uidelicet apostolus et euangelista, aquilino uisu ueram lucem intuitus de eadem luce loquens circa principium euangelii sui ita ait: Erat lux uera que illuminat omnem hominem uenientem in hunc mundum. In mundo erat et mundus per ipsum factus est et mundus eum non cognouit. In hac serie uerborum nomen mundi quater repetitum sub quatuor significationibus nouissime sub hominis significatione ponitur. Sed et ipse Filius Dei ad Patrem loquens in eiusdem Iohannis euangelio sic dicit: Pater iuste mundus te non cognouit. Ego autem agnoui te quia tu me misisti. Mundi nomine hic homines significat. Iohannes quoque Baptista digito Dominum demonstrans ait: Ecce agnus Dei, ecce qui tollit peccata mundi, id est hominum. Multa in hunc modum inueniuntur testimonia sacre Scripture quibus mundi nomine

2, 3-4 mundum cosmum] Hilaire de Poitiers, De Trinit., I, 7 (CCSL 62, p. 8, l. 17); Jérôme, In Ionam, I, 2 (CCSL 76, p. 380, l. 18-19) 5 microcosmum nominat] Pierre le Mangeur, Scolast. historia, I (CCCM 191, p. 6, l. 11-12); Hugues de SaintVictor, Didasc., II, 13 (Buttimer, p. 33, l. 24); De tribus diebus (CCCM 177, p. 31, l. 488-490) 7-9 aquile – intuitus] Raban Maur, In honor. Sanct. Cruc., II, 15 (CCCM 100, p. 257, l. 6-8); Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 862B); Jean Scot, In prol. Ioh. (CCCM 166, p. 3, l. 1); Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, II, 2 (PL 193, 69C-D) 10-12 erat – cognouit] Ioh. 1, 9-10 1516 Pater – misisti] Ioh. 17, 25 17-18 ecce – mundi] Ioh. 1, 29 2, 1 Microcosmus – Parisiensis] 〈Mundi nomen〉 Delhaye 5 megacosmum] macrocosmum Delhaye 7 hominem] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 8 uidelicet] G 1 | †…† S 3 ; erasit et add. in marg. uidelicet S 4 9 uisu] iter. G 1 ; semel del. G 2 |uisu S 3 14 eiusdem] eundem Delhaye 17-18 Iohannes – hominum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 19 inueniuntur] inuenientur Delhaye

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LIVRE PREMIER 2. Microcosmus de Godefroid, chanoine de Saint-Victor de Paris Le philosophe, de même que le théologien, atteste que l’homme est généralement appelé «monde». Le philosophe, désigne habituellement le monde, en langue grecque, du nom de cosmos, qu’il divise de plus, en quelque sorte, en deux espèces: il nomme l’un macrocosme, l’autre microcosme, désignant par le nom de mégacosme cette machine visible du monde, et par le nom de microcosme, l’homme. De plus, ce grand théologien qui est représenté par l’image de l’aigle, à savoir Jean, l’apôtre et évangéliste, portant un regard aquilin sur la vraie lumière, dit de cette lumière, au début de son évangile: «Il était la vraie lumière, qui illumine tout homme venant en ce monde. Il était dans le monde et le monde a été fait par lui, et le monde ne l’a pas reconnu.» Dans cette succession de mots, le nom de monde, répété quatre fois, est pris dans quatre sens, le dernier désignant l’homme. Or le Fils de Dieu lui-même, s’adressant au Père, dans l’Évangile du même Jean, s’exprime ainsi: «Père juste, le monde ne t’a pas connu. Mais moi je t’ai reconnu car c’est toi qui m’as envoyé.» Ici, par le nom de monde, ce sont les hommes qu’Il désigne. Jean Baptiste aussi dit en montrant du doigt le Seigneur: «Voici l’agneau, voici Celui qui enlève les péchés du monde», c’est-àdire des hommes. Dans l’Écriture Sainte on trouve de nombreux témoignages de ce genre, où l’homme est désigné par le nom de monde. Mais nous avons évidemment jugé inutile de multiplier les témoignages et nous nous sommes donné pour objectif d’autres recherches sur notre microcosme. Il y en a en effet de nombreuses, et qui requièrent un lecteur très attentif. Que le lecteur ne juge pas ce qu’il a lu une seule fois avant de l’avoir compris, car ce qu’il n’aura lu qu’une fois, il ne le comprendra peut-être pas encore, mais il l’aimera davantage dès qu’il l’aura compris.

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microcosmvs, I, 2-4

homo significatur, sed nos in re manifesta testimonia multiplicare superuacuum duximus, ad alia que de microcosmo nostro indaganda proposuimus intencione conuersa. Multa etenim sunt et que peruigilem lectorem requirunt. Non iudicet lector semel lecta donec fuerint intellecta, quia forsitan semel lecta nondum intelliget que semel intellecta magis diliget.

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〈3.〉 Docilem reddit lectorem Quia igitur diligentem lectorem proponenda requirunt ne nostra negligentia minus fiat diligens, sicut ex dictis intentum ita ex dicendis docilem reddamus intencionem nostram fundando et materiam circa quam uersabimur exponendo. Est itaque propositum nostrum principale docere lectorem cur mundi nomine latine uel microcosmi nomine grece homo censeatur, ac per hoc quante dignitatis homo sit astruatur. Nemo autem hoc nostrum preiudicio uilipendat propositum, quia forsitan nec indignum esse relatu, nec inutile scitu, ex fine erit perspicuum.

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〈4.〉 Questione fundatur propositum Verum quoniam multis carnalibus quorum maior numerus est non ita uidetur, libet primum ex persona eorum questionem de hoc proponere, eamque suis assercionibus fundare, ut conpetentius propositis ualeamus insistere. Querunt qua ratione uel grece microcosmi uel latine mundi nomine homo censeatur. Quid enim similitudinis aut paritatis habere potest homo cum mundo ut digne uel proprie coequetur mundo, presertim cum iuxta dictum Sapientis uapor sit uita hominis ad modicum parens, ita ut potius uermi comparabilis sit super terram repenti? Terra enim calefacta euaporat uermiculum ad modicum parentem. Vnde Propheta diligentius seipsum intuitus uermiculo se pocius quam mundo

4, 8-9 uapor – parens] Iac. 4, 15

9 uermi] Iob 25, 6; Ps. 21, 7; Eccli. 19, 3

23 requirunt] requirent G 1 ; requirunt G 2 | S 3 3, 4 docilem] docile G 1 |docilem S 3 7 ac per – astruatur] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 8 preiudicio] om. Delhaye 9 esse] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |esse S 3 4, 7 ut – mundo] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 proprie] nomine G 1 |proprie S 3 9 repenti] reptenti Delhaye 11 se] om. Delhaye

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le microcosme, I, 3-4

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3. Il rend le lecteur docile Parce que ce que nous avons à exposer requiert en effet un lecteur diligent, afin que notre négligence ne le rende pas moins diligent, comme nous l’avons rendu attentif par ce que nous avons dit, rendons-le pareillement docile par ce que nous avons à dire, en posant les bases de notre propos et en exposant la matière dont nous allons traiter. Car notre principale intention est d’apprendre au lecteur pourquoi l’homme est désigné du nom de monde, en latin, ou du nom de microcosme, en grec, et par là, de quelle dignité l’homme est revêtu; cependant, que personne, à priori, ne dédaigne notre propos, car à la fin peut-être reconnaîtra-t-on qu’il n’est ni indigne d’être rapporté, ni inutile d’être connu.

4. Le propos est fondé sur une question Cependant, puisque pour beaucoup d’êtres charnels, qui sont la majorité, la chose n’apparaît pas ainsi, nous voulons tout d’abord proposer à ce sujet une question sur leur personne, et la fonder sur leurs affirmations, afin de pouvoir traiter le sujet avec plus d’autorité. Ils se demandent pourquoi l’homme est désigné par le nom de «microcosme», en grec, ou de «monde», en latin. Quelle similitude, en effet, ou quelle parité l’homme peut-il avoir avec le monde pour être digne ou en état de se mesurer avec le monde? Surtout que, suivant la parole du Sage, «la vie de l’homme est une vapeur qui paraît un instant», de sorte qu’il est plutôt comparable à un ver qui rampe sur le sol. Or la terre échauffée réduit en vapeur le petit ver qui paraît un instant. C’est pourquoi le Prophète, méditant profondément sur lui-même, se compara à un ver plutôt qu’au monde quand il dit: «Pour moi, je suis un ver et non un homme». Enfin si le Prophète dit cela de la personne du Seigneur, combien plus put-il le dire de lui-même? Pour quelle raison en effet une chose si vile est-elle désignée du nom d’une si grande chose, elle qui est appelée «Terre» par son Créateur lui-même? «Tu es terre», dit-il, etc.

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microcosmvs, I, 4-5

comparauit ita inquiens: Ego autem sum uermis et non homo. Denique si ex persona Domini propheta hoc dixit, quanto magis hoc dicere potuit ex sua? Que ergo ratio est ut tam uilis res tante rei nomine censeatur, que ab ipso creatore suo terra dicitur? Terra inquit es etc.

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〈5.〉 Aggrauatio questionis Aggrauant etiam hanc questionem quedam sacre Scripture loca, ubi ex persona carnalium contendentium, propter uilitatem hominis Deum humana non curare, quedam dicta his patrocinari uidentur. Quale est illud psalmiste: Dixerunt quomodo scit Deus, «humana» subaudias, et si est scientia in excelso. Ecce ipsi peccatores et habundantes in seculo obtinuerunt diuicias etc. Quasi ergo Deus humana uilipendit, qui cui hec bona temporalia proueniant non attendit, qui tamen mundum inmobili gubernatione disponit. Item Ecclesiastes ex persona carnalium: hoc est pessimum inter omnia que sub sole fiunt quia eadem cunctis eueniunt: Moritur doctus ut indoctus; Mortui nichil nouerunt amplius nec ultra habent mercedem quia obliuioni data est memoria eorum, et multa alia huiusmodi in eodem libro. Iob quoque uilitatem et breuitatem hominis notans dicit: Contra folium quod uento rapitur ostendis potenciam tuam et stipulam siccam persequeris. Et paulo post: Qui quasi putredo consumendus sum et quasi uestimentum quod comeditur a tinea. Ysaias etiam iussus clamare ait: Omnis caro fenum etc. Quid est ergo homo uilis et breuis uite ut mundo perpetuo comparari digne possit?

12 ego – homo] Ps. 21, 7

15 terra – es] cf. Gen. 3, 19

5, 5-7 dixerunt – diuicias] Ps. 72, 11-12 11 moritur – indoctus] Eccl. 2, 16 mortui – amplius] Eccl. 9, 5 12 obliuioni – eorum] cf. Eccl. 9, 5 14-15 contra – persequeris] Iob 13, 25 15-16 qui – tinea] Iob 13, 28 17 omnis – fenum] Is. 40, 6 12 autem] om. Delhaye 5, 5 scit] G 1 |sit S 3 7-8 qui – attendit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 8 proueniant] perueniant Delhaye 16-17 ysaias – etc.] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

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le microcosme, I, 5

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5. Approfondissement de la question Certains passages de l’Écriture Sainte approfondissent encore cette question, où certaines paroles semblent confirmer l’opinion, exprimée par la voix d’êtres de chair, prétendant qu’en raison de la bassesse de l’homme Dieu ne se préoccupe pas des affaires humaines. Tel ce mot du Psalmiste: «Ils disent: Comment Dieu a-t-il connaissance» (sous-entendu: des affaires humaines) «et y a-t-il connaissance dans les cieux?» «Voyez, ce sont des pécheurs et prospérant dans le monde, ils ont obtenu des richesses etc.» Ainsi Dieu semble mépriser les affaires humaines, lui qui ne regarde pas à qui profitent ces biens temporels, et qui cependant organise le monde dans une ordonnance immuable. De même l’Ecclésiaste, par la voix d’êtres de chair: Voici le pire des maux qui se produisent sous le soleil: que les mêmes choses arrivent à tous, «le sage meurt comme l’ignorant»; «les morts ne savent rien de plus, et il n’y a plus pour eux de récompense car leur souvenir est tombé dans l’oubli», et beaucoup d’autres passages semblables dans le même livre. De même Job qui, notant la bassesse et la précarité de l’homme, dit: «Veux-tu montrer ta puissance contre une feuille emportée par le vent et poursuivre une paille sèche?» Et un peu plus loin «moi qui devrai être détruit comme de la pourriture et comme un vêtement mangé par les mites». Isaïe, lui aussi, qui reçut l’ordre de crier, déclare: «Toute chair est du foin, etc.» Qu’est-ce que l’homme, en effet, vil et de vie éphémère, pour pouvoir dignement être comparé au monde éternel?

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microcosmvs, I, 6

〈6.〉 Responsio ad propositam questionem Sed sic sentiant qui sic uident. Sic inquam sentiant de se qui id solum uident in se, quod sibi foris apparet de se, qui in his que prima sensibus occurunt subsistunt, et ultra mentis aciem non intendunt, qui tunicam suam uident, sed se sub tunica non uident. Et utinam uel tunicam suam sicut uidenda est uiderent! Fecit enim Deus homini tunicam sed peccatori pelliceam. Vident tunicam et uident pelliceam, et que simul uident simul facta putant. Sed fecit tunicam homini pelliceam peccatori; tunicam ut opifex, pelliceam ut iudex; tunicam ut in ea hominem saluaret, pelliceam ut in ea peccatorem dampnaret; tunicam naturalem, pelliceam accidentalem. Quod isti non uidentes ponunt tenebras lucem et lucem tenebras, ponunt quod accidentale est substanciale et quod substanciale est accidentale, et ideo secundum prophetam ue illis. Fecit enim Deus primo homini corpus uitale ut in eo sibi seruiret; peccauit homo et mox fecit peccatori mortale quod erat uitale ut in eo peccatorem puniret, misericorditer tamen quia misericors Deus maluit interim peccatorem punire in corpore temporaliter quam in spiritu eternaliter.

6, 6-7 fecit – pelliceam] cf. Gen. 3, 21; Augustin, De Genesi contra Manich., II, xxi, 32 (CSEL 91, p. 154-155, l. 3-4); Bède, In epist. VII catholicas, In Iud. (CCSL 121, p. 342, l. 269); Bernard de Clairvaux, Sermo de convers. ad clericos, 3 (Bern. opera, IV, p. 75, l. 19-19); Guillaume de Saint-Thierry, De nat. et dignit. amoris, 13 (CCCM 88, p. 207, l. 1029-1031); Pseudo-Bernard de Clairvaux, Meditat. piiss. de cognit. human. condit., 3 (PL 184, 490A); Ad beatam Virginem deiparam, sermo paneg., 6 (PL 184, 1013D) 11-13 ponunt tenebras – illis] cf. Is. 5, 20 6, 2 sentiant] G 1 |sentinant S 3 ; sentiant S 4 7 et 1] abest in G 1 |et S 3 8 fecit] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |fecit S 3 11-12 ponunt – accidentale] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 12 est] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 13 secundum prophetam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |secundum prophetam S 3 15 homo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |homo S 3 16 misericors] G 1 |misericor S 3 ; s add. sup. l. S 4

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le microcosme, I, 6

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6. Réponse à la question soulevée Mais qu’ils l’entendent ainsi, ceux qui voient les choses de cette façon; qu’ils se perçoivent ainsi, dis-je, ceux qui voient seulement en euxmêmes ce qui apparaît d’eux au-dehors, ceux qui s’en tiennent aux choses qui se présentent tout d’abord aux sens et ne portent pas au-delà le regard de leur esprit, qui voient leur tunique mais ne se voient pas sous la tunique. Et si au moins ils voyaient leur tunique comme elle doit être vue! «Car Dieu fit une tunique à l’homme», mais au pécheur un vêtement de peau. Ils voient la tunique et ils voient la pelisse, et comme ils les voient en même temps, ils pensent qu’elles ont été faites en même temps. Or Il fit une tunique à l’homme, une pelisse au pécheur; la tunique en tant qu’artisan, la pelisse en tant que juge; la tunique pour qu’en elle il sauve l’homme, la pelisse pour qu’en elle il condamne le pécheur; la tunique étant naturelle, la pelisse, accidentelle. Mais ces gens, qui ne voient pas cela, «prennent les ténèbres pour la lumière, et la lumière pour les ténèbres,» avancent que ce qui est accidentel est essentiel et que ce qui est essentiel est accidentel. C’est pourquoi, selon le Prophète, «Malheur à eux». Car Dieu fit, tout d’abord, à l’homme un corps de vie pour qu’il en fasse usage; mais l’homme commit le péché et aussitôt Dieu rendit mortel, pour le pécheur, ce qui était fait pour vivre, afin de punir en lui le pécheur, mais avec miséricorde, car Dieu miséricordieux préféra cependant punir le pécheur temporairement dans son corps plutôt que pour l’éternité dans son âme.

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microcosmvs, I, 7-8

〈7.〉 Tria esse opera Dei etiam circa corpus hominis Tria namque sunt opera Dei etiam circa corpus hominis, ut adhuc de spiritu hominis taceam, diligenter consideranda: opus nature, opus ire, opus gratie. Opus nature fecit bonitas Dei, opus ire fecit iusticia Dei, opus gratie faciet misericordia Dei. Opus nature corpus uitale, opus ire corpus mortale, opus gratie corpus inmortale. Opus nature, id est corpus uitale, fuit ante ortum peccati; opus ire, id est corpus mortale, nunc est in penam peccati; opus gratie, id est corpus inmortale, nouissime erit post penam peccati. Vident ergo peccatores tunicam suam qualis nunc est in pena peccati, non uident qualis fuit olim ante ortum peccati, nec uident qualis erit in fine peccati quia, ut dictum est, in his que prima sensibus occurrunt subsistunt, nec ultra mentis oculos intendunt.

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〈8.〉 Quod non sit uera diffinitio hominis: animal rationale mortale Ex horum numero erat ille qui diffiniens hominem ita ait: «Homo est animal rationale mortale». Viderat iste homines mortales, non uiderat homines uitales, non uiderat homines immortales. Videbat presentem statum hominis, non uidebat preteritum, non uidebat futurum. Videbat etiam ex quibus constaret homo, scilicet ex anima et corpore et ipso mortali. Volens ergo diffinire hominem ab utroque, quasi constitutiua hominis sumens ait: «Homo est animal rationale mortale». Et recte quidem ab anima rationale constitutiuam differenciam hominis posuit. Ipsa enim uere animalis diuisiua hominis constitutiua differencia est. Porro a corpore non recte mortale constitutiuam hominis diffe8, 2-3 homo – mortale] Boèce, Phil. consol., I, pr. 6 (CCSL 94, p. 156, l. 31-32); In Porphyrium, III, 4 (CSEL 48, p. 208, l. 21-22); Ambroise, De Noe, IV, 10 (CSEL 32, p. 420, l. 4-5); Augustin, De quant. animae, XXV, 47 (CSEL 89, p. 190, l. 11-12) 7, 8 id – inmortale] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 inmortale] G 1 |mortale S 3 ; in add. sup. l. S 4 10 non] G 1 |nec S 3 ; non S 4 8, 2 erat] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |erat S 3

9 hominis] om. Delhaye

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7. Il y a encore trois œuvres de Dieu, se rapportant au corps de l’homme Il y a, en effet, trois autres œuvres de Dieu se rapportant au corps de l’homme – sans parler, pour le moment, de l’esprit de l’homme – qu’il faut considérer avec attention: l’œuvre de la nature, l’œuvre de la colère, l’œuvre de la grâce. L’œuvre de la nature, c’est la bonté de Dieu qui l’a faite; l’œuvre de la colère, c’est la justice de Dieu qui l’a faite; l’œuvre de la grâce, c’est la miséricorde de Dieu qui la fera. L’œuvre de la nature, c’est le corps de vie; l’œuvre de la colère, c’est le corps de mort; l’œuvre de la grâce, c’est le corps immortel. L’œuvre de la nature, c’est-à-dire le corps de vie, exista avant l’apparition du péché. L’œuvre de la colère, c’est-à-dire le corps mortel, est celui qui existe maintenant en punition du péché. L’œuvre de la grâce, c’est-à-dire le corps immortel, est celui qui existera à la fin, après l’expiation du péché. Or les pécheurs voient leur tunique telle qu’elle est à présent, dans le châtiment du péché, ils ne la voient pas telle qu’elle fut jadis, avant l’apparition du péché, ni ne la voient telle qu’elle sera après le péché car, comme cela a été dit, ils s’en tiennent à ce qui frappe leurs sens au premier abord et ne portent pas au-delà le regard de leur esprit. 8. Que la définition de l’homme comme animal raisonnable, mortel, n’est pas exacte Parmi eux, il y avait celui qui définit l’homme ainsi: «L’homme est un animal raisonnable et mortel». Cet homme avait vu les hommes mortels, il n’avait pas vu les hommes de vie, il n’avait pas vu les hommes immortels. Il voyait l’état présent de l’homme, il n’en voyait pas l’état passé, il n’en voyait pas l’état à venir. Il voyait en outre en quoi consistait l’homme, à savoir en une âme et un corps, lequel est mortel. Voulant donc définir l’homme à partir de ces deux principes, comme étant constitutifs de l’homme, il dit: «L’homme est un animal raisonnable et mortel.» Et c’est, certes, avec justesse qu’il établit un caractère constitutif de l’homme dans l’âme raisonnable. Car il est vrai que c’est là la spécificité constitutive de l’homme, qui le sépare de l’animal, mais ce n’est pas avec justesse qu’il assigna au corps mortel un caractère distinctif de l’homme. Ce caractère en effet ne le distingue pas de l’animal, car sur la terre des mortels il n’existe pas d’animal mortel d’une part et immortel de l’autre. Ce caractère n’est pas non plus constitutif de l’homme car, comme cela a été dit, la bonté de Dieu créa tout d’abord l’homme de vie, c’est-à-dire capable de ne pas mourir s’il était demeuré dans sa condition première. Mais parce qu’il ne le voulut pas, la justice de Dieu détournant

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renciam assignauit. Ipsa enim nec animalis diuisiua est, quia non inuenitur in terra morientium animal aliud mortale aliud immortale, nec hominis constitutiua est, quia, ut iam dictum est, bonitas Dei primum constituit hominem uitalem, id est potentem non mori si in constitutione sua perstitisset. Sed quia in ea persistere noluit, iusticia Dei auertens faciem suam ab eo, destituit peccatorem et fecit eum mortalem, id est non potentem non mori. Vnde psalmista: Auertisti faciem tuam a me et factus sum conturbatus. Vere conturbatus quia necessario moriens. Quis enim de necessitate mortis non conturbatur? Igitur mortale non constitutiuum hominis sed peccatoris est, ut peccator recte diffiniatur sic: peccator est animal rationale mortale; homo uero secundum primum statum sic: homo est animal rationale uitale; secundum ultimum sic: homo est animal rationale inmortale. Siquidem iusticia Dei que nunc auertit faciem suam a peccatore, conuersa in misericordiam consumpto peccato et pena peccati, aliquando restituet hominem non solum in primum, uerum etiam in longe meliorem statum, faciens eum inmortalem, id est non potentem mori in corpore, scilicet inpassibilem tam in corpore quam in anima, que erit gloria in terra uiuentium electorum Dei. De reprobis autem nulla nobis hic mentio est: ipsi enim ad hunc nostrum microcosmum non pertinent.

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〈9.〉 Autoritate dicta confirmat Ne uero ea que de tribus operibus Dei circa corpus hominis diximus, de nostro dixisse uideamur, testimonio psalmiste dicta conprobemus. Ipse enim in psalmo xxix hec opera Dei circa corpus humanum pulchra figura distinguens, primum decorem, secundum saccum, tercium leticiam uocat, ita dicens: Domine in uoluntate tua prestitisti decori meo uirtutem, ac si aperte dixisset: «Domine in bona uoluntate siue in bonitate tua corpus decor et uitale michi fecisti, sed peccante me iuste auertisti faciem tuam a me et factus sum conturbatus». Et ne de alia quam de mortis conturbatione dixisse uideretur mox subiungit: Ad te Domine cla-

18-19 auertisti – conturbatus] Ps. 29, 8 9, 6 Domine – uirtutem] Ps. 29, 8 8-9 auertisti – conturbatus] Ps. 29, 8 12 ad – corruptionem] Ps. 29, 9-10 28 inpassibilem] et praem. G 1 |impassibilem S 3 9, 8 decor] G 1 |decor S 3

30 hic] G 1 |hec S 3 ; hic S 4

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de lui sa face fit déchoir le pécheur et le rendit mortel, c’est-à-dire incapable de ne pas mourir. D’où le psalmiste: «Tu as détourné de moi ta face, et je suis devenu anxieux.» Vraiment anxieux parce que devant nécessairement mourir. Qui, en effet, n’est pas angoissé par la nécessité de la mort? C’est pourquoi le fait d’être mortel n’est pas constitutif de l’homme mais du pécheur. De sorte que le pécheur doit correctement être ainsi défini: «Le pécheur est un animal raisonnable mortel»; mais l’homme, dans sa première condition doit être ainsi défini: «L’homme est un animal raisonnable et fait pour vivre»; et dans sa condition dernière: «L’homme est un animal raisonnable immortel.» Puisque la justice de Dieu qui maintenant détourne sa face du pécheur, transformée en miséricorde après expiation du péché par la pénitence, rétablira un jour l’homme non seulement dans sa condition première mais dans une condition grandement meilleure en le rendant immortel, c’est-à-dire ne pouvant pas mourir dans son corps, à savoir dénué de toute souffrance tant dans son corps que dans son âme, qui sera la gloire «sur la terre des vivants», qui sont les élus de Dieu. Des réprouvés, on n’en fait ici nulle mention car ils n’appartiennent pas à notre microcosme.

9. Il confirme ses dires en se fondant sur l’autorité Afin de ne pas sembler avoir affirmé de nous-même ce que nous avons dit des trois œuvres de Dieu à l’égard du corps humain, confirmons nos dires par le témoignage du Psalmiste. Dans le psaume xxix, en effet, pour qualifier ces œuvres de Dieu à l’égard du corps humain par un beau symbole, il appelle la première «la beauté», la seconde, «la haire», la troisième «la joie», en disant: «Seigneur, dans ta volonté tu as donné la force à ma beauté», comme s’il avait dit clairement: «Seigneur, dans ta bonne volonté, ou plutôt dans ta bonté, tu m’as fait un corps beau et conçu pour vivre; mais à cause de mon péché, très justement tu as détourné de moi ta face et je suis devenu anxieux.» Et pour ne pas sembler avoir parlé d’autre chose que de l’inquiétude de la mort, il ajoute aussitôt: «Vers toi, Seigneur, je crierai et j’implorerai mon Dieu: qu’est-il besoin de mon sang, tandis que je descends dans la tombe», n’invoquant aucune autre cause à son anxiété que sa mort et son anéantissement, et, pour cette raison, proclamant dans les larmes qu’il crie vers le Seigneur et qu’il implore son Dieu pour la mort qui descend doucement. Et pour ne pas sembler avoir crié pour rien il ajouta

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mabo et ad Deum meum deprecabor; que utilitas in sanguine meo dum descendo in corruptionem, non aliam conturbationis sue causam quam mortem et corruptionem suam esse contestans et ob hoc ad Dominum se clamare et pro morte defluenti Deum suum se deprecari lacrimose pronuntians. Et ne inaniter clamasse uideretur, paulo post exultans adiecit: Audiuit Dominus et misertus est mei: Dominus factus est adiutor meus. Et mox ipsius adiutorii modum exprimens, quomodo de secundo statu mortalitatis in tercium statum inmortalitatis eum sublimauerit, rursum conuerso ad ipsum sermone cum exultacione narrat dicens: Conscidisti saccum meum et circumdedisti me leticia, sacci nomine mortalitatis sue corpus quod nos supra tunicam pelliceam uocauimus indubitanter significans, leticie uero nomine statum inmortalitatis et inpassibilitatis pulchra figura effectum pro causa ponens leticiam, scilicet pro indumento leticie. Quod est autem indumentum leticie, nisi inmortalitas et inpassibilitas tam corporis quam anime, duplex uidelicet stola utriusque?

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〈10.〉 Quod mortalitas et passibilitas electis nunc uestis penitentialis sunt Sciendum namque est duo esse principalia nunc nostre miserie accidentia, que communiter quidem omnibus hominibus tunica pellicea sunt, quia de morte peccati sumpta sunt, solis autem electis saccus et uestis penitentialis sunt. Sicut enim saccus aspera uestis est et apta ad laborem, sic corpus hoc mortale et passibile graue est anime ad portandum et aptum ad in eo laborandum. Vel certe ideo quia, sicut saccus de stuppa est – stuppa uero purgamentum lini est adeo tamen lino concretum ut de substantia lini esse uideatur – sic mortale et passibile adeo humane nature concreta sunt ut de substantia eius esse uideantur. Propter quod, ut dictum est, carnales homines ea sibi substancialia esse arbitrati 16-17 audiuit – meus] Ps. 29, 11

20 conscidisti – leticia] Ps. 29, 12

10, 1 mortalitas – penitentialis] cf. Pierre Lombard, Sententiae, II, dist. 31, 6 (Grottaferrata, p. 508, l. 10-12) 6 saccus – laborem] Cassiodore, Expos. psalmorum, 29, 12 (CCSL 97, p. 259, l. 188); Jérôme, Epist., 44, 2 (CSEL 54, p. 322, l. 7); In Ionam, III, 5 (CCSL 76, p. 406, l. 83-86); cf. Pierre Lombard, Comm. in Ps., 29 (PL 191, 297C) 15 inaniter] G 1 |inater S 3 |inaniter S 4

19 dicens] G 1 |diecens S 3 ; dicens S 4

10, 8 et aptum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |et aptum S 3

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peu après en exultant: «Le Seigneur m’a entendu et il a eu pitié de moi; le Seigneur s’est fait mon soutien.» Et bientôt, pour décrire la nature de ce soutien, comment il l’éleva du deuxième état de mortalité au troisième état d’immortalité, il s’adresse de nouveau à lui en exultant par ces mots: «Tu as arraché ma haire et m’as revêtu de joie», désignant certainement par le mot «haire» le corps de sa mortalité, que nous avons appelé plus haut la tunique de peau, mais par le nom de joie l’état d’immortalité et d’impassibilité, prenant, par un beau symbole, l’effet pour la cause, c’est-à-dire la joie pour le vêtement de joie. Car qu’est-ce que le vêtement de joie sinon l’immortalité et l’impassibilité tant du corps que de l’âme, c’est-à-dire la double tunique de l’un et de l’autre?

10. Que la mortalité et la «passibilité» sont maintenant le vêtement pénitentiel des élus Il faut savoir en effet qu’il y a deux contingences principales, aujourd’hui, à notre misère, qui sont une tunique de peau commune à tous les hommes, parce qu’elles proviennent de la mort du péché, mais qui sont, pour les élus seulement, la haire et le vêtement de pénitence. Car, de même que la haire est un vêtement rugueux et propre au travail, de même ce corps, mortel et passible, est pour l’âme lourd à porter et apte à ce qu’on le fasse travailler. Mais c’est parce que, comme la haire est faite d’étoupe, laquelle est le résidu du lin mais tellement agrégé au lin qu’elle semble faite de la substance du lin, ainsi l’état de mortalité et de passibilité sont tellement agrégés à la nature humaine qu’ils semblent faits de sa substance. C’est pourquoi, comme cela a été dit, les hommes charnels ont estimé qu’ils leur étaient consubstantiels, mais non les élus qui ont compris qu’ils étaient plutôt une haire, c’est-à-dire leur vêtement de pénitence. Ils accomplissent donc en elle leur pénitence, docilement, jusqu’au moment où, la haire déchirée et détruite, ils seront revêtus de joie, c’est-à-dire d’immortalité et d’impassibilité. Ils seront revêtus, disje, tant dans leur corps que dans leur âme, ou plutôt dans tous les membres du corps du Christ, c’est-à-dire, dans tous les élus. Car bien que le Prophète semble n’avoir dit cela que pour la seule personne du Christ, il voulut cependant qu’on le comprenne pour tous les élus, et

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sunt, electi uero non sic sed potius saccum id est penitencialem uestem suam esse intellexerunt. Vnde et pacienter in ea penitenciam suam agunt donec conscisso et consumpto sacco circumdentur leticia, id est inmortalitate et inpassibilitate. Circumdentur inquam tam in corpore quam in anima, uel potius in omnibus membris corporis Christi, id est in omnibus electis. Nam quamuis hoc propheta in sola persona Christi dixisse uisus sit, de omnibus tamen et solis electis eius nichilominus id intelligi uoluit, qui soli utique his duobus circundabuntur, quando mors penitus absorbebitur a uita quia alterum horum ad perfectam leticiam non sufficeret. Siquidem alterum horum, id est inmortale, et reprobi commune cum electis habebunt, non utique ad leticiam uel ad commodum suum, immo ad magnum incommodum suum, ut scilicet uiuant et durent in pena nec mori possit eorum miseria. Reliquum uero, id est impassibile, electorum erit proprium indumentum undique circumdans tam corpus quam spiritum, tam caput quam quodlibet capitis membrum.

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〈11.〉 Quod sponsa in Canticis hoc parietem suum uocat Horum trium sui corporis statuum non ignara sponsa, medium in quo nunc est sue mortalitatis statum, non tunicam pelliceam, non saccum penitentialem, sed alio quodam uocabulo sue cause competentiore designasse reperitur in Cantico amoris. Vbi, cum desiderio uidendi sponsi tota flagraret, sed considerata lutee domus sue habitatione minime se id adhuc adipisci posse speraret, repente eum uidit post parietem eiusdem domus assistere, seque per fenestras et cancellos prospicere et pre gaudio exclamauit dicens: En ipse stat post parietem nostrum respiciens per fenestras prospiciens per cancellos. Quod nimirum tunc sponsus misericorditer fecit quando se usque ad nostre mortalitatis statum humiliauit ut nos usque ad sue inmortalitatis celsitudinem subleuaret. Sciens enim sponsam suam, id est electorum Ecclesiam siue quamlibet 11, 9-10 en – cancellos] Cant. 2, 9 15 circumdentur] G 1 |circumdedentur S 3 ; circumdentur S 4 19 uisus sit] G 1 |uissit S 3 ; uisus sit S 4 20 penitus] G 1 |om. S 3 ; add. s. lin. S 4 21 a uita] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |a uita S 3 27 membrum] commembrum G 1 | S 3 ; membrum S 4 11, 1 sponsa] G 1 |sponsam S 3 ; sponsa S 4 1 hoc] corpus add. Delhaye 5 designasse] G 1 |designas S 3 ; designasse S 4 7 adhuc] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |adhuc S 3 eum uidit] uidit eum G 1 |eum uidit S 3

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seulement pour les élus; lesquels, seuls, seront totalement revêtus de ces deux états – immortalité et impassibilité – quand la mort sera complètement absorbée par la vie car l’un de ces deux états ne suffirait pas à la joie parfaite, puisque l’un des deux, à savoir l’état d’immortalité, les réprouvés l’auront aussi, tout comme les élus, non pas du tout pour leur joie ou leur profit mais à leur grand détriment, c’est-à-dire pour vivre éternellement dans la peine, et pour que leur malheur ne puisse pas mourir. Quant à l’autre état, à savoir l’impassibilité, il sera le vêtement réservé aux élus, enveloppant complètement tant le corps que l’esprit, tant la tête que n’importe quel membre de la tête.

11. Que l’épouse, dans les Cantiques, appelle cela son mur Dans le Cantique d’amour, on voit que l’épouse, n’ignorant pas les trois états de son corps, désigna l’état intermédiaire, celui de sa mortalité dans lequel elle est actuellement, non pas par l’expression de «tunique de peau», non plus de «haire de pénitence», mais par une autre expression plus adaptée à sa situation. Quand, brûlant ardemment du désir de voir son époux mais considérant l’état misérable de sa maison, elle n’espérait plus y parvenir, elle le vit soudain derrière le mur de la maison, qui l’observait à travers fenêtres et treillis, et elle s’exclama de joie en disant: «Le voici, il se tient derrière notre mur, il guette par les fenêtres, il épie à travers les treillis.» Ce que fit assurément l’époux, avec miséricorde, quand il s’humilia jusqu’à notre état de mortalité, afin de nous élever jusqu’à l’état sublime de son immortalité. Sachant cependant que son épouse, c’est-à-dire l’Église des élus, ou toute âme parfaite, brûlait du désir de le voir mais ne pouvait encore y parvenir à cause du mur de la pauvre maison, qu’il avait placé jadis entre lui et le pécheur, il daigna venir lui-même jusqu’au mur mais se tint derrière le mur car il participa seulement à notre peine, non à notre faute. Mais il fit dans ce mur des fenêtres et des treillis, à travers lesquels il répandit pour nous quelques rayons de sa lumière, parce que dans sa vie humaine, il dissipa dans une certaine mesure, tantôt par des sortes de fenêtres merveilleuses, tantôt par des sortes de pauvres treillis, les ténèbres de notre maison quand, en faisant des miracles, il nous montra sa divinité; en souffrant

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perfectam animam, sue uisionis desiderio flagrare, sed propter lutee domus parietem quem olim inter se et peccatorem posuerat ad id nondum posse pertingere, ipse ad parietem uenire dignatus est, sed post parietem stetit, quia soli pene nostre non etiam culpe se miscuit. In quo pariete etiam fenestras et cancellos fecit unde nobis aliquatenus lucis sue radios infudit, quia in humana uita sua, hinc mirabilibus quasi fenestris, hinc humilibus quasi cancellis, domus nostre tenebras aliquatenus discussit, dum mirabilia faciens suam nobis diuinitatem ostendit, humilia patiens suam nobis caritatem inpendit. Per hoc quasi per cancellos nos prospiciens tantum non etiam prospiciendum se prebens, per illa quasi per fenestras et respiciens nos et respiciendum se prebens.

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〈12.〉 Secundum aliquid ad uilitatem hominis pertinere quod mundus dicitur Ex his tribus humani corporis statibus si quis diligenter intenderit his que dicta sunt, nimirum uidere poterit non absurde hominem etiam secundum corpus mundum appellari. Nam cum in supradicta auctoritate Iohannis quatuor modis mundi nomen accipiatur, et secundum primum modum ubi dicitur: Erat lux uera que illuminat omnem hominem uenientem in hunc mundum, mundus pro hac inferiori parte mundi accipiatur, hoc modo mundo dignior homo iuxta primum corporis sui statum inuenitur, similis autem iuxta secundum. Factus est enim homo a Deo etiam secundum corpus stabilis, id est ad standum habilis, potens non cadere, potens non mori. Igitur omnibus caducis rebus huius labentis naturaliter mundi factus est superior: transeunt enim omnia, scilicet huius sublunaris mundi, nec permanent. Omne quod uenit uadit, nec stare potest quod fluit cum tempore. Homo autem sic creatus est ut non flueret cum rebus fluentibus si stare uoluisset. Noluit et cepit fluere cum fluentibus, ruere cum ruentibus, et sic factus est a se ipso similis huic mundo ruenti, ruens et ipse. Nec pertinet ad dignitatem eius sed magis ad uilitatem, quod huius mundi nomen sortitur. 12, 7-8 erat – mundum] Ioh. 1, 9 14 lutee] G 1 |lucee S 3 ; lutee S 4

24 nos] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |nos S 3

12, 3 statibus] G 1 |stantibus S 3 ; statibus S 4 10 similis – secundum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3 13 scilicet] seculi G 1 ; †…†| S 3 ; eras. et scilicet add. S 4 vel G 5 14 sublunaris] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |sublumaris S 3 ; sublunaris S 4 mundi] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. G 5

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les humiliations, il nous dispensa son amour, se montrant par-là, comme à travers des treillis, seulement pour nous guetter, non pour être vu, mais se manifestant par ces miracles comme à travers des fenêtres, et pour se tourner vers nous, et pour que nous nous tournions vers lui.

12. C’est suivant une chose qui relève de sa bassesse que l’homme est appelé ‘monde’ Si l’on prêtait attention à ce qui a été dit, on pourrait voir certainement que, suivant ces trois états du corps humain, il n’est pas absurde d’appeler l’homme «monde» même selon son corps. Comme, suivant l’autorité de Jean citée plus haut, le nom de monde est interprété dans quatre sens, et que suivant le premier sens, là où il est dit: «Il était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde», «monde» est compris comme étant cette partie inférieure du monde, dans ce sens l’homme est plus digne que le monde, suivant le premier état de son corps; mais il lui est semblable, suivant le second état. Car l’homme a été créé par Dieu stable même dans son corps, c’est-à-dire capable de se tenir debout, de ne pas tomber, de ne pas mourir. C’est pourquoi il a été créé supérieur à toutes les choses périssables de ce monde naturellement transitoire. Car, dans ce monde sublunaire, tout passe et rien ne dure. Tout ce qui vient s’en va et ce qui s’écoule avec le temps ne peut demeurer. Or l’homme a été créé de telle sorte que, s’il avait voulu se maintenir, il ne s’écoulerait pas avec les choses qui s’écoulent. Mais il ne le voulut pas et commença à s’écouler avec ce qui s’écoule, à s’écrouler avec ce qui s’écroule, et ainsi il s’est fait lui-même semblable à ce monde qui s’écroule, en s’écroulant lui-même. Et qu’il reçoive le nom de ce monde ne relève pas de sa dignité mais bien plus de sa bassesse.

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microcosmvs, I, 13

〈13.〉 Quomodo hic mundus fluat Videamus autem quomodo cum hoc mundo fluat et ruat, ut magis appareat ad uilitatem eius pertinere uocabulum quod cum hoc mundo commune habet. Mundus iste ex quo fluere cepit, per sex etates fluere non desinit: ab Adam usque ad Noe per infanciam, a Noe usque Abraham per puericiam, ab Abraham usque ad Moysen per adolescentiam, ab Moyse usque ad Dauid per iuuentutem, a Dauid usque ad Christum per senectutem – unde et ipse Dauid de sue etatis senectute ait: Iunior fui etenim senui – a Christo usque ad finem, per decrepitam etatem: unde et Ysaac mundum decrepitum significans, oculis caligasse dicitur, ita ut iuniorem filium suum Christum uel christianum populum presentem non uideret, quem tamen retroactis temporibus diu preuidisset. Sed et in singulis etatibus suis, diuersis molestiis quasi quibusdam uentis fluxum eius ad finem inpellentibus agitatur. Nam in prima infancie sue etate diluuio obrutus, iam tunc peccatis suis exigentibus pene consumptus est, et nisi Dominus ei semen reliquisset, quasi Sodoma et Gomorra factus fuisset. In secunda uero puericie etate, semen hoc iussum a Deo multiplicari creatorem suum nesciens et ut puer seipsum negligens, puerili uanitati deditum est, seruiens potius creature quam creatori, totum se ydolatrie ludis et sordibus polluens. Vnde et puerili facta conspiratione contra Deum turrim edificantes, confusione linguarum se ipsos non intelligentes ut pueri dispersi sunt. Porro in tercia etate adolescentie, quasi ad annos discretionis exiens, mundus qui hactenus uniformiter ydolatrie ludis intenderat, ad biuium pitagorice littere deuenit, et discernens inter creatorem suum et creaturam, cepit diuidere uias suas, aliis ambulantibus post creatorem suum, aliis ambulantibus post creaturam ut prius. Huius biuii primus autor

13, 4 sex etates] Augustin, De Genesi contra Manich., I, 23 (CSEL 91, p. 104, l. 2-4); Isidore, Etymologiae, V, 38 (PL 82, 223C); Bède, De temporibus liber, 16 (CCSL 123C, p. 600, l. 2); Pierre Abélard, Expos. in Hexaemeron (PL 178, 771D772A); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, iv, 1 (Châtillon, p. 129, l. 4) 8-9 iunior – senui] Ps. 36, 25 24-25 biuium – littere] Lactance, Divinae institut., VI, 3 (CSEL 19, p. 486, l. 17- 18); cf. Hugues de Saint-Victor, Didasc., III, 2 (Buttimer, p. 49, l. 9-10) 13, 7 iuuentutem] inuentutem Delhaye a] G 1 |ad S 3 15 obrutus] obruitur Delhaye 19 seruiens] seuiens Delhaye 23 etate adolescentie] adolescentie etate G 1 |etate adolescentie S 3

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13. Comment ce monde s’écoule Voyons donc comment il s’écoule et s’écroule avec ce monde, afin que l’on voie mieux que le nom qu’il a en commun avec ce monde relève de sa bassesse. Ce monde, d’où il commença à s’écouler, ne cesse de s’écouler en passant par sept âges: depuis Adam jusqu’à Noé, par la petite enfance; depuis Noé jusqu’à Abraham, par l’enfance; d’Abraham jusqu’à Moïse, par l’adolescence; depuis Moïse jusqu’à David, par la jeunesse; de David jusqu’au Christ, par la vieillesse. Et David lui-même dit à propos de son âge avancé: «J’ai été jeune, puis j’ai vieilli»; depuis le Christ jusqu’à la fin, par l’âge décrépit. Ainsi d’Isaac, qui signifie ce monde décrépit, il est dit que sa vue s’était obscurcie en sorte de ne pas voir son fils cadet, le Christ, ou le monde chrétien présent, que pourtant il avait depuis longtemps vu venir, dans des temps anciens. Mais dans chaque âge de sa vie il fut tourmenté par diverses épreuves, comme par des coups de vent poussant le cours de son existence vers la fin. Dans le premier âge, celui de sa petite enfance, il fut en effet emporté par le déluge, déjà en raison de ses péchés, et fut presque anéanti; et si le Seigneur ne lui avait pas laissé une descendance il aurait fini comme Sodome et Gomorrhe. Mais dans le second âge, celui de son enfance, cette descendance, qui avait reçu l’ordre de Dieu de se multiplier, ignorant son Créateur et dans l’insouciance de l’enfance, s’adonna aux futilités puériles, au service de la créature plutôt que du Créateur, s’avilissant totalement dans les jeux et les ignominies de l’idolâtrie. Aussi, édifiant une tour, dans une conspiration irréfléchie contre Dieu, et ne se comprenant plus les uns les autres dans la confusion des langues, furent-ils dispersés comme des enfants. Plus tard, dans le troisième âge, celui de l’adolescence, le monde, parvenant presque aux années du discernement alors que jusque-là il ne s’était intéressé qu’aux jeux de l’idolâtrie, parvint au croisement de la lettre pythagoricienne et discernant son Créateur de la créature, commença à différencier ses chemins, les uns marchant derrière leur Créateur, les autres marchant, comme auparavant, derrière la créature. Abraham, le premier auteur de ce croisement, subissant avec sa famille les épreuves du voyage, préféra quitter sa patrie pour Dieu, plutôt que de suivre l’ancienne idolâtrie, le jugement divin divisant en deux, depuis lors, la totalité du genre humain, élisant les uns en les unissant à son sort, réprouvant les autres, séparant dès lors les élus des réprouvés, même corporellement et par un signe propre. C’est pourquoi nous aussi nous écartons d’emblée ces réprouvés de notre écrit puisque nous allons traiter

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Abraham cum familia sua molestias peregrinationis subiens propter Deum, maluit relinquere patriam quam ueterem sequi ydolatriam, diuino iuditio ex tunc uniuersam generis humani massam in duo diuidente, et alios in suam sortem eligente, alios reprobante, et electos iam tunc a reprobis etiam corporaliter et proprio signo secernente. Vnde et nos deinceps eosdem reprobos ab hac nostra scriptura separamus, nichil de eis nisi forte ex incidenti, sed de solis electis principaliter acturi.

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〈14.〉 Hic relictis reprobis ad electos se conuertit Igitur electos suos Dominus per reprobos quorum maior erat multitudo exercere uolens, ut experimento discerent se non habere hic manentem ciuitatem, famis molestia fatigatos, sepius peregrinationem mutare fecit et tandem inedia coactos in Egyptum transtulit et aliene seruituti multo tempore subiecit, mira iam tunc eis arte insinuans hominem in terra exulem ueri panis edulio priuatum. Quod longe post, rex Dauid, licet temporalis panis saturitate habundans, primus intellexit et inter regales epulas planxit dicens: Percussus sum ut fenum et aruit cor meum quia oblitus sum comedere panem meum. De cuius queso panis non solum inopia sed etiam obliuione propter longam inopiam rex diues inter conuiuia planxit, nisi eius quam in fame patrum suorum ob eam peregrinantium plenius intellexit? Preuidens autem Deus quantam saturitatis ueri panis dulcedinem in patria absconderet suis, peregrinantes interim molestia temporalis famis et ob hoc seruitute luti et lateris in Egypto exerceri uoluit, ut exilii sui miserias attenderent et ad patriam uere sacietatis omnibus modis intenderent. Quarta itaque iuuentutis etate, mundo hoc iam uirile robur accipiente, misit Deus electis suis iam multiplicatis et roboratis ducem Moysen, scilicet qui eos de seruitute luti et lateris eriperet et ad patriam sacietatis deduceret. Et ecce nouis molestiis huic tamen etati conuenientibus electi Dei fatigantur reprobis aduersus eos insurgentibus et bello14, 3-4 non – ciuitatem] cf. Hebr. 13, 14 9-10 percussus – meum] Ps. 101, 5 15 seruitute – lateris] cf. Ex. 5, 7; Adam de Saint-Victor, séq. Zima uetus, str. 2 (Bibl. Vict. 20, p. 320) 20 de – lateris] cf. Ex. 1, 14; 13, 14 28-29 propter Deum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 ‫׀‬ minum Delhaye 32 etiam] abest in G 1 |etiam S 3

29 Deum] Do-

14, 2 erat] G 1 |erit S 3 ; erat S 4 8 licet] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |licet S 3 11 propter – inopiam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3

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principalement non pas de ceux-là, sauf peut-être incidemment, mais des seuls élus.

14. Laissant là les réprouvés, il se tourne vers les élus Le Seigneur, voulant donc éprouver ses élus par le truchement des réprouvés, dont la multitude est plus grande, afin qu’ils apprissent par l’expérience à «ne pas avoir ici-bas de cité permanente», fatigués par l’épreuve de la faim, les fit changer souvent de route et enfin, contraints par la famine, il les transporta en Égypte et les soumit pendant longtemps à la servitude étrangère, leur faisant comprendre dès lors, par un artifice étonnant, que l’homme exilé sur la terre est privé de la nourriture du vrai pain. Ce que, longtemps après, le roi David, bien que disposant en abondance de pain terrestre, fut le premier à comprendre, lui qui, au milieu des festins royaux, pleura en disant: «Je suis battu comme le foin et mon cœur s’est desséché parce que j’ai oublié de manger mon pain». De la privation, mais aussi de l’oubli de quel pain, je vous le demande, à cause d’une longue privation, le riche roi pleura au milieu des festins, sinon de cette privation qu’il comprit plus pleinement dans la faim de ses pères qui erraient à cause d’elle? Mais Dieu, prévoyant la grande douceur de la satiété du pain véritable, qu’il dissimulait aux siens dans la patrie, voulut tout d’abord, en les faisant cheminer dans les peines de la faim corporelle, les soumettre pour cela à l’épreuve de la servitude en Égypte, par le travail de la terre et la fatigue du corps, afin qu’ils prennent conscience des misères de leur exil et cherchent par tous les moyens à regagner la patrie de la vraie satiété. C’est pourquoi, au quatrième âge, celui de la jeunesse où le monde atteint la force virile, Dieu envoya comme chef à ses élus, qui avaient dès lors augmenté en nombre et en puissance, Moïse, celui qui devait les délivrer de la servitude du travail de la terre et des fatigues du corps, et les conduire vers la patrie de la satiété. Et voici que les élus de Dieu sont harcelés par de nouvelles agressions, propres à cet âge; car les réprouvés se dressent contre eux et les provoquent en des attaques guerrières. Ils élèvent des fortifications ici et là; Dieu combat pour les élus mais ne repousse pas les réprouvés, voulant mettre les élus à l’épreuve. Conduits

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rum pressuris eos lacessentibus. Instruuntur hinc inde castra, pugnat Deus pro electis, nec tamen expugnat reprobos, exerceri uolens electos. Inductis enim in terram promissionis post exercitium quadraginta annorum in deserto, nec adhuc defuerunt bella usque ad tempora Dauid regis, qui primus eis aduersus finitimas nationes multa bellorum instantia pacem comparauit. A quo incipiente quinta senectutis etate, bella quidem forinseca, pacatis finitimis nationibus, sub Salomone filio eius modico tempore cessauerunt, sed mox sub Roboam filio Salomonis molestia scismatis et intestini belli tanto deterius quanto fedius uexati sunt usque adeo ut, scisso uno regno in duo, alteri decem alteri due tantum tribus cederent. Huius scismatis occasione, dum utraque pars aduersus alteram finitimas nationes sibi conciliare parant, non solum se in se sed hostes suos in se armant. Vnde tandem factum est, ut per finitimas nationes omnes fines eorum incursantes, nunc in Assirios, nunc in Caldeos, nunc in Persas, nunc in Medos, nunc in Babylonem, nunc in Egyptum ita dispersionis molestia sedes suas mutauerint, ut ex tunc usque ad Christum sibi ex integro restitui non potuerunt. Quo adueniente et sexta mundi etate incipiente, non solum molestia finalis dispersionis, uerum etiam reprobationis uexati sunt propter incredulitatem suam qui eatenus uidebantur electi, et electi sunt propter fidem suam qui eatenus uidebantur reprobi, precisa oliua Iudeorum et inserto ei contra naturam oleastro gentium, ita ut miro quodam iuditio dextera Dei in sinistram et sinistra commutari uideretur in dexteram. Sed et ipsos nouissimos electos Dei tanta in hac nouissima etate molestiarum moles prosecuta est ut, si fieri posset, uerorum electorum genus iam funditus interiisset, hinc Iudeis, hinc paganis, hinc hereticis, hinc falsis christianis in ueros christianos irruentibus et nunc manifeste nunc occulte eos infestantibus. Que nimirum molestiarum moles aduersus electos Dei tanta adhuc in hoc mundo excrescet temporibus antichristi, ut omnes preteritorum temporum molestias excedat, ebulliens et seuiens in Ecclesiam Dei, donec Filius hominis ueniat et eam cum decrepito mundo finiat.

23 eos] eo G 1 ; s add. sup. l. G 2 |eos S 3 36 Assirios] G 1‫ ׀‬uacuum praem. S 4 38 mutauerint] mutauerunt Delhaye 52 excedat] G 1 |excedeat S 3 ; excedat S 4

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alors dans la terre de promission, après un séjour de quarante ans dans le désert, ils ne furent toujours pas épargnés par les guerres, jusqu’aux temps du roi David qui, le premier, leur acheta la paix au prix de guerres incessantes contre les nations voisines. À partir du cinquième âge, celui de la vieillesse, les nations voisines s’étant apaisées, les guerres extérieures cessèrent pour quelques temps, sous le règne de son fils Salomon. Mais bientôt, sous le règne de Roboam, fils de Salomon, ils furent gravement et honteusement secoués par les troubles de la scission et de la guerre intestine, au point que, le royaume ayant été divisé en deux parties, ils affectèrent dix tribus à une partie, et à l’autre deux seulement. À l’occasion de cette scission, tandis que chaque partie tente de se concilier les nations voisines contre l’autre partie, non seulement ils s’arment contre eux-mêmes mais ils arment leurs ennemis contre eux-mêmes. D’où il arriva qu’en traversant les nations voisines et en attaquant, dans leurs pays, tantôt les Assyriens, tantôt les Chaldéens, tantôt les Perses, tantôt les Mèdes, tantôt Babylone, tantôt l’Égypte, ils déplacèrent à tel point, par les troubles de la dispersion, les limites de leur terre que, depuis lors et jusqu’au temps du Christ, ils ne purent les récupérer intégralement. Au cours de ces événements et tandis que le sixième âge commençait, ceux qui jusque-là semblaient élus furent accablés non seulement par la calamité de la dispersion finale mais aussi par celle de la réprobation à cause de leur incrédulité, et ceux qui jusque-là semblaient réprouvés furent élus à cause de leur foi, l’olivier des juifs ayant été coupé, sur lequel fut greffé l’olivier contre nature des Gentils, de sorte que par un jugement surprenant, la droite de Dieu semblait être devenue la gauche et la gauche la droite. Mais, dans ce dernier âge, un tel poids de tribulations accabla les nouveaux élus de Dieu eux-mêmes que, s’il eût été possible, le peuple des vrais élus aurait alors disparu complètement par l’attaque et le ravage, tantôt manifeste, tantôt caché, des vrais chrétiens, soit par les juifs, soit par les païens, soit par les hérétiques ou encore par les faux chrétiens. Et cette masse de souffrances infligées aux élus de Dieu s’accroîtra certainement encore dans ce monde au temps de l’Antéchrist, au point de dépasser toutes les souffrances des temps passés, prenant feu et se déchaînant contre l’Église de Dieu «jusqu’à ce que le Fils de l’Homme vienne» et la fasse disparaître avec le monde décrépit.

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〈15.〉 Quomodo homo fluat Vidisti quomodo mundus iste et uniuersum genus humanum cum ipso per etates defluit et suis quibusdam inpulsibus ad finem tendit. Vide nunc etiam quomodo singuli quique homines per suas etates defluant et suis inpulsibus ad finem tendant. Hunc fluxum uniuscuiusque hominis cum causa sua nobis beatus Iob insinuat dicens: Homo natus de muliere breui uiuens tempore repletur multis miseriis, qui quasi flos egreditur et conteritur et fugit uelud umbra et numquam in eodem statu permanet. Et paulo post fluxus huius causam notat dicens: Quis potest facere mundum de immundo conceptum semine nisi tu qui solus es? Ac si diceret: ideo per inmunditias fluit quia de inmunditia conceptus est. Quem fluxum solus tu sistere potes qui solus mundus conceptus es. Ab inmunda ergo conceptione homo fluere incipit primo per infanciam, quam cum pertransierit ita tota quasi diluuio obliuione deletur in ipso ut, transgressis infantie metis, nec uixisse umquam se meminerit mortalis corporis mole sic hebetante omnes uires anime eius. Progressus ad pueritiam iam quidem meminit se uiuere, sed sui negligens cui aut quare uiuat nescit, que nimirum est huius etatis molestia non parua et nisi per gratiam mitigetur ualde periculosa. Progredienti in adolescentiam discretio naturalis tunc primum eius oculos aperit et biuium ei uirtutis et uicii ostendit, sed leuitate motus neutrum perfecte graditur et nunc huc, nunc illuc in preceps rapitur, que est huius etatis molestia non solum periculosa sed et perniciosa. Vbi autem uentum est ad robur iuuentutis, aut iter uicii eligit aut uirtutis. Si uirtutis, occursantes ei hostes bella indicunt. Si uicii, hostes eum mox captiuum ducunt. In utroque enim hostes ei occurrunt et, aut ad uitia declinantem statim captiuum tandem configunt, aut ad uirtutis ardua nitentem multis conflictibus affligunt, nec ante senectutis grauitatem eum quiescere sinunt. Quo ubi 15, 6-8 homo – permanet] Iob 14, 1-2

9-10 quis – es] Iob 14, 4

15, 3 suis quibusdam] G 1 |quibusdam suis S 3 ; suis quibusdam S 4 4 defluant] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |defluant S 3 10 nisi – es] abest in G 1 ; nonne tu qui solus es add. in marg. G 2 |sine tu qui solus es S 3 ; nisi tu qui solus es S 4 13 primo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |primo S 3 14 tota] G 1 |nota S 3 |tota S 4 quasi diluuio] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quasi diluuio S 3 16 hebetante] G 1 |ebetante S 3 ; hebetante S 4 18-19 que – periculosa] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 20-21 uirtutis et uicii] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uirtutis et uicii S 3 2223 que – perniciosa] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 26 statim] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |statim S 3

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15. Comment l’homme s’écoule Tu as vu comment ce monde s’écoule à travers les âges, et avec lui tout le genre humain, et par toutes sortes de bouleversements tend vers la fin. Maintenant, vois aussi comment tous les hommes s’écoulent à travers leurs âges, et à travers leurs épreuves tendent vers la fin. Le bienheureux Job nous explique en ces termes la nature éphémère de chaque homme ainsi que sa cause: «L’homme né de la femme connaît dans sa courte vie une multitude de malheurs; il éclot comme une fleur et il est écrasé; il s’enfuit comme une ombre et ne demeure jamais dans le même état». Et un peu plus loin, il relève la cause de cette précarité en disant: «Qui peut créer un monde pur conçu de semence immonde si non toi, l’Unique?» Comme pour dire: ainsi il coule parmi les impuretés parce qu’il a été conçu de l’impureté. Toi seul peux arrêter ce flux, toi qui, seul, as été conçu pur. Car c’est par une conception impure que l’homme commence à s’écouler. Tout d’abord au cours de la petite enfance qui, une fois passée, disparaît de sa mémoire comme emportée par un déluge, de sorte qu’après avoir dépassé les limites de la petite enfance, il ne se souvient pas de l’avoir jamais vécue, le poids de son corps mortel obscurcissant toutes les forces de son âme. Arrivé à l’enfance, il se souvient désormais qu’il vit, mais en se négligeant il ne sait pas pour qui ni pourquoi il vit, ce qui est, certes, un inconvénient non négligeable propre à cet âge, et très dangereux s’il n’est pas apaisé par la grâce. Avançant dans l’adolescence, le discernement naturel commence à lui ouvrir les yeux et lui montre la double voie de la vertu et du vice, mais poussé par la légèreté il ne s’engage totalement ni dans l’une ni dans l’autre et se laisse emporter inconsidérément de côté et d’autre, un inconvénient propre à cet âge, non seulement dangereux mais aussi pernicieux. Mais quand il en arrive à la force de la jeunesse, il choisit soit la voie du vice, soit celle de la vertu. Si c’est la voie de la vertu, les ennemis l’attaquent et lui déclarent la guerre; si c’est celle du vice, les ennemis ne tardent pas à le réduire en esclavage. Cependant dans les deux cas les ennemis fondent sur lui et, s’il penche pour le vice, ils finissent bientôt par le clouer captif; s’il tend vers les difficultés de la vertu, ils l’accablent de nombreux tourments et ne le laissent pas en repos jusqu’aux rigueurs de la vieillesse. Arrivé à cet âge une double pesanteur afflige le vieillard, l’une du corps, l’autre de l’esprit. La lourdeur physique est certes pénible pour le corps mais elle renforce l’esprit et lui confère une gravité salubre contre les ennemis, de sorte que l’ennemi le trouve impassible et, privé de tout espoir de victoire,

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uentum est duplex seni grauitas accedit, altera corporis altera spiritus. Et corporis quidem grauitas corpori molesta est, spiritum autem roborat et salubrem ei grauitatem contra hostes comparat, ita ut hostis eum inmobilem inueniat et frustratus omni spe uictorie ab eo recedat, si tamen electus est. Nam si reprobus est, res in contrarium cedit et homo in interitum uadit. Denique ueniente nouissima decrepita etate, electus quidem homo nimia corporis molestia fractus secundum corpus in mortem deficit, secundum spiritum in Deum proficit. Reprobus autem in utroque defluens secundum corpus in terram, secundum spiritum uadit in gehennam. Ecce uides fluxum uniuscuiusque hominis secundum medium statum corporis sui, cum hoc mundo fluentis per etates et molestias unicuique etati proprias. Vnde apparet ad uilitatem eius pertinere quod huic mundo uocabulo communicat. Porro quod uniuersali mundo uocabulo communicat omnino ad eius dignitatem pertinet. Quod deinceps adiuuante Domino conabimur ostendere.

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〈16.〉 Epilogat predicta transiens ad alia Iam sufficienter ut arbitror demonstrata est dignitas hominis etiam secundum corpus, ubi minor esse uideretur, aduersus opinionem quorundam carnalium hominum quasdam scripturas de uilitate humani corporis legentium nec intelligentium. Quia dum hominem uermem, folium, fenum, stipulam siccam uel umbram nominari legunt et secundum quid talia dicta sint non intelligunt, dignitati eius detrahunt nec rem reputabilem penitus astruunt. Nos uero, quante dignitatis etiam secundum corpus sit, interim docuimus dum tres humani corporis status distinximus, et ex his solum medium ad uilitatem eius pertinere probauimus, quamuis tamen secundum eundem ipsum Deum usque ad corpus humanum humiliatum et hominem usque ad Deum exaltatum demonstrauimus.

16, 5 uermem] Iob 25, 6; Ps. 21, 7; Eccli. 19, 3 6 folium] Iob 13, 25; Eccli. 14, 18 fenum] Ps. 101, 5 et passim; Eccli. 14, 18; Is. 14, 6; 51, 12; I Petr. 1, 24 stipulam siccam] Iob 13, 25 umbram] Iob 14, 2; Ps. 143, 4 36 Deum] Dominum Delhaye 16, 7 non] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |non S 3 add. in marg. G 2 | in textu S 3

9-11 dum – eundem] abest in G 1 ;

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s’éloigne de lui, si toutefois c’est un élu. Mais si c’est un réprouvé, la chose tourne à l’inverse et l’homme s’en va vers la mort. Enfin, à l’âge extrême de la décrépitude, l’élu, brisé par de trop grandes épreuves physiques, décline vers la mort selon le corps, mais, selon l’esprit, s’approche de Dieu; le réprouvé, au contraire, déclinant en l’un et l’autre, finit en terre selon le corps et dans la géhenne selon l’esprit. Tu vois donc le flux de chaque homme suivant la position médiane de son corps, s’écoulant avec ce monde à travers les âges et les épreuves propres à chaque âge. D’où il est manifeste que ce qu’il a en commun, par le nom, avec ce monde, participe de sa bassesse. En revanche, ce qu’il a en commun, par le nom, avec le monde universel, participe entièrement de sa dignité. C’est ce que nous allons maintenant, avec l’aide du Seigneur, tenter de démontrer.

16. Il conclut ce qui précède et passe à autre chose Maintenant je pense avoir suffisamment démontré la dignité de l’homme, même relativement au corps, où il pourrait sembler inférieur, et ce contre l’opinion de certains hommes charnels qui lisent des textes sur la bassesse du corps humain mais ne les comprennent pas. Car en lisant que l’homme est appelé ver, feuille, foin, paille sèche ou ombre, ils ne comprennent pas par rapport à quoi ces choses-là sont dites, ils lui refusent sa dignité et n’apportent absolument rien de significatif. Quant à nous, nous avons cependant expliqué quelle est la dignité de l’homme, aussi selon son corps, en distinguant trois états du corps humain et en démontrant que seul, parmi eux, l’état intermédiaire appartient à sa bassesse, bien que, suivant ce même état, nous ayons démontré que Dieu lui-même s’est humilié jusqu’à prendre le corps de l’homme, et que l’homme a été élevé jusqu’à Dieu.

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microcosmvs, I, 17-19

〈17.〉 Soluta questione proposito insistit Nunc itaque proposito insistentes quam digne uel grece microcosmi uel latine mundi nomine censeatur ostendemus, ac per hoc quante dignitatis homo sit secundum spiritum luce clarius astruemus et, quia a principio huius rei testes tam philosophum quam theologum produximus, eorum uestigiis diligenter insistentes, propositum prosequemur.

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〈18.〉 Non secundum corpus sed secundum spiritum hominem mundum appellari Sciendum igitur quod neque philosophus neque theologus hominem forinsecus inspexerunt, dum eum uel mundi uel microcosmi nomine appellauerunt, mentis potius oculos ad spiritum qui intus erat defixerunt et eum qualis esset diligenti indagine considerantes inuenerunt, et miro quodam modo diuersa in uno intuentes, non diuersa senserunt dum uno nomine eum, in quo diuersa intuiti sunt, non diuersa sententia nominari censuerunt. Siquidem aliud philosophus aliud theologus in humano spiritu inspexit. Nam cum alia sint humani spiritus naturalia a Deo creatore sibi data, alia gratuita a Deo recreatore sibi superaddita, philosophus naturalia theologus gratuita inspexit, dum hominem uel microcosmum uel mundum appellauit.

〈19.〉 Quid philosophus inspexerit in humani spiritus naturalibus dum hominem microcosmum appellauit Quia igitur naturalia priora sunt gratuitis, quid Philosophus inspexerit in spiritus naturalibus humani primum uideamus. Inspexit si17, 3-4 ac – astruemus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 4 et] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 18, 1 mundum] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 add. in marg. inf. G 2 | in textu S 3

7-8 intuentes – eum] G 1 (?); scripsit

19, 1-2 Quid – appellauit] De naturalibus humani spiritus secundum philosophum primo agit G 1 | om. S 3 ; add. G 5 4 spiritus naturalibus humani] spiritu humano G 1 ; spiritus naturalibus humani G 2

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17. La question étant résolue, il s’attache au sujet Donc, nous attachant maintenant au sujet, nous montrerons combien il est juste qu’il porte le nom de microcosme, en grec, de monde, en latin, et par là nous exposerons plus clairement à quel point l’homme est digne selon l’esprit; et parce que, depuis le début de cet exposé, nous avons produit des témoins, tant philosophes que théologiens, nous poursuivrons notre propos en nous appuyant solidement sur leurs témoignages. 18. Ce n’est pas selon le corps mais selon l’esprit que l’homme est appelé monde Ainsi il faut savoir que ni le philosophe ni le théologien n’ont considéré l’homme de l’extérieur quand ils lui ont donné le nom de monde ou de microcosme; ils ont plutôt fixé le regard de leur réflexion sur l’esprit qui est à l’intérieur, et l’observant par un examen attentif ils le découvrirent tel qu’il était, et relevant de façon remarquable dans son unité diverses qualités, ils ne perçurent pas en lui la diversité puisque lui, en qui ils observèrent diverses qualités, ils jugèrent bon de l’appeler d’un seul nom et non de dénominations variées. Or, dans l’esprit humain, le philosophe vit une chose, le théologien une autre; et parce que les qualités naturelles de l’esprit humain à lui conférées par Dieu Créateur sont une chose, les qualités gratuites à lui offertes en plus par Dieu re-créateur en sont une autre, c’est pour le philosophe, en examinant les qualités naturelles, pour le théologien, en examinant les gratuites, que l’un comme l’autre appelèrent l’homme soit microcosme, soit monde. 19. Qu’a examiné le Philosophe dans les qualités naturelles de l’esprit humain quand il a appelé l’homme «monde» Parce qu’en effet les qualités naturelles précèdent les gratuites, voyons tout d’abord ce que le Philosophe a examiné dans les qualités naturelles de l’esprit humain. Il a examiné la ressemblance qu’il présente avec le monde dans les qualités naturelles, soit suivant la matière, soit suivant la forme. Par exemple, suivant la matière, le monde consiste en quatre éléments et l’esprit humain, en quelque sorte suivant la matière, consiste en quatre propriétés élémentaires, à savoir les sens, l’imagination, la raison et l’intelligence. Pour cela nous les avons appelées justement propriétés élémentaires parce que tout ce qui est naturellement bon dans l’esprit humain procède de ces sortes d’éléments. La première

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militudinem quam habet in naturalibus cum mundo, siue secundum materiam, siue secundum formam. Verbi gracia, secundum materiam mundus constat ex quatuor elementis, et spiritus humanus ex quasi materia constat ex quatuor qualitatibus elementaribus, uidelicet sensualitate, imaginacione, ratione et intelligentia, quas ob hoc recte dixerimus elementares qualitates, quia quicquid boni naturalis in humano spiritu est ex his quasi elementis procedit. Quarum prima, id est sensualitas, quasi terra corpulenta obtusa et inmobilis in imo iacet, corpulenta dico quia non nisi corpora uel corporalia comprehendit, obtusa quia in his que comprehendere se putat nonnumquam errat, inmobilis quia se ultra se uel supra se non eleuat. Porro secunda, ymaginatio, quasi aqua corpulenta, obtusa sed mobilis a sensualitate quidem uelud a terra usque ad ymagines absentium corporum se eleuat, sed ultra nichil preualens, more aque circa corpora fluitat. Tercia uero, id est ratio, quasi aer subtilis, obtusa et mobilis, duabus predictis subtilitate et mobilitate sua se circumfundit causas et naturas eorum inuestigando, sed quia obtusa est plerumque ad interiora ueritatis non peruenit, unde et uerisimilibus contenta in his se exercere non desinit. Denique quarta, id est intelligentia, quasi ignis subtilis, acuta et mobilis, subtilitate, mobilitate et accumine suo, summa, ima, media omnia circumdat et penetrat, uisibilia et inuisibilia in momento perlustrat et ad ipsam Dei ueritatem aliquando peruenit. Ecce quatuor elementa microcosmi breuiter tibi proposita. Que ut plenius sub usitato et leui exemplo proferamus: quatuor hec que in unius hominis spiritu posuimus diuidantur per quatuor personas, ita ut prima persona ex his habeat primam tantum ex his quatuor uiribus anime, id est sensualitatem; secunda habeat duas, hanc scilicet et ymaginationem; tercia habeat tres, sensualitatem ymaginationem et rationem; quarta habeat omnes has quatuor, id est usus earum, sensualitatem, ymaginationem, rationem et intelligentiam. Proponatur his quatuor personis liber unus apertus et dicatur eis ut legant. Primus uidet figurarum 19, 8-9 sensualitate – intelligentia] Boèce, Phil. consol., V, pr. 4 (CCSL 94, p. 97, l. 72-73) 12 terra] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |terra S 3 15 secunda] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |secunda S 3 18 fluitat] fluctuat Delhaye 28 plenius] intelligantur add. Delhaye 30 persona] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |persona S 3 33 id – earum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 35 figurarum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |figurarum S 3

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d’entre elles, à savoir les sens, telle une terre grasse, gît au fond, stupide et immobile. Je dis bien «grasse» car elle ne comprend que les corps et ce qui est corporel. Stupide, parce que dans ce qu’elle pense embrasser elle se trompe bien des fois. Immobile, parce qu’elle ne s’élève pas audelà ni au-dessus d’elle-même. Ensuite la deuxième, l’imagination, comme de l’eau épaisse, stupide mais mobile, s’élève, certes, depuis les sens, comme depuis la terre, jusqu’aux images de corps absents, mais, ne possédant rien de plus que la propriété de l’eau, elle ondoie autour des corps. Cependant la troisième, c’est-à-dire la raison, comme de l’air subtil, obtuse et mobile, se répand autour des deux premières grâce à sa subtilité et à sa mobilité, recherchant leurs causes et leurs natures. Mais parce qu’elle est obtuse, elle ne parvient pas totalement au cœur de la vérité; c’est pourquoi, se limitant au vraisemblable, elle ne cesse de s’y exercer. Enfin la quatrième, à savoir l’intelligence, comme du feu subtil, aiguë et mobile, grâce à sa subtilité, sa mobilité et sa pénétration, entoure et pénètre tout, en haut, en bas, au centre; elle explore en un instant les choses visibles et invisibles et parvient quelquefois à la vérité de Dieu elle-même. Tels sont les quatre éléments du microcosme que je t’ai exposés en quelques mots. Afin de les présenter plus précisément par un exemple courant et simple, admettons que ces quatre propriétés que nous avons placées dans l’esprit d’un seul homme soient réparties entre quatre personnes, de telle sorte que la première d’entre elles possède seulement la première de ces propriétés de l’âme, à savoir les sens, que la deuxième en possède deux, cette dernière et l’imagination, que la troisième en possède trois, les sens, l’imagination et la raison, et que la quatrième les possède toutes les quatre, c’est-à-dire leur usage: les sens, l’imagination, la raison et l’intelligence. Que l’on présente à ces quatre personnes un livre ouvert le même à chacune, et qu’on leur demande de lire: la première voit seulement le corps des figures et ne sait pas que ce sont des lettres, et donc elle ne sait pas lire. La seconde voit les corps et les images et elle sait que ce sont des lettres, mais elle ne sait pas lire parce qu’elle est illettrée. La troisième voit les corps et les images et sait que ce sont des lettres, et elle sait lire, mais elle ne comprend pas. La quatrième fait comme les précédentes, mais en plus elle comprend. Pour quelle raison, je vous prie, toutes ces personnes voient presque de la même façon une seule et même chose et cependant elles la voient différemment, sinon parce qu’elles possèdent un usage inégal de ces facultés de l’âme?

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corpora tantum, nec scit litteras esse et ideo nescit legere. Secundus uidet corpora et ymagines et scit litteras esse, sed nescit legere quia illiteratus est. Tercius uidet corpora et ymagines et scit litteras esse et scit legere, sed non intelligit. Quartus cum predictis etiam intelligit. Quid queso cause est, ut hii omnes unam rem quasi pariter uideant et tamen dispariter, nisi quia disparem harum uirium anime usum habent?

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〈20.〉 De exameron microcosmi Vides nunc ut arbitror quandam similitudinem microcosmi ad megacosmum secundum materiam pariter et formam. Insistamus et alias secundum eadem assignare similitudines. Quod ut melius fiat, conferamus nostrum microcosmum megacosmo iuxta narrationem Moysi in exameron. In principio nascentis temporis, ait Moyses, creauit Deus celum et terram. Et in principio nascentis hominis, capacem celestium et terrestrium creauit Deus humanum spiritum, predictarum quatuor uirium aptitudinem ei communicando. Terra autem erat inanis et uacua quia, etsi mox ut creatur humanus spiritus aptitudine hec habeat, tamen ut terra inmobilis iacet inanis ab actu et uacua a fructu harum uirium suarum. Tantummodo spiritus Dei superfertur ei uelud aque adhuc confuse, fouens et uiuificans et spiraculum prestans, tenebris adhuc existentibus super faciem abyssi, id est mole carnis, uelud quibusdam densis tenebris inuoluentibus faciem eius, ita ut nec uidere, nec audire, nec gustare, nec odorare, nec tangere possit. 〈21.〉 De primo die quo facta est lux Dixit ergo Deus: Fiat lux, quia ad nutum creatoris ea que aptitudine insunt, incipiunt inesse et actu. Huius autem actus prima sensualitas beneficium percipit, dum oculis infunditur prima lux ista exterior corpo36 litteras – legere] Augustin, Sermo 98 (PL 38, 592) 20, 6-7 in principio – terram] Gen. 1, 1 9 terra – uacua] Gen. 1, 2 tus – superfertur] cf. Gen. 1, 2 14 super – abyssi] Gen. 1, 2

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21, 2 dixit – lux] Gen. 1, 3 36 nec – esse] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 20, 2 uides] G 1 |uidens S 3 ; n exp. S 4 6 ait Moyses] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 8 creauit] creat G 1 |creauit S 3 15 nec audire] iter. G 1 ; semel del. G 2 |nec audire S 3

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20. De l’examen du microcosme Tu vois maintenant, je pense, une certaine similitude entre microcosme et macrocosme, selon la matière comme selon la forme. Attachons-nous à lui attribuer d’autres similitudes, suivant les mêmes notions. Pour que ce soit plus clair, transposons notre microcosme sur le macrocosme, suivant le récit de Moïse dans l’Hexaemeron. «À l’origine du temps», dit Moïse, «Dieu créa le ciel et la terre». Et à l’origine de l’homme, Dieu créa l’esprit humain capable de concevoir les réalités célestes et terrestres, lui conférant l’aptitude à ces quatre forces. «La terre était cependant désolée et vide», parce que, même si, aussitôt créé, l’esprit humain possède ces forces par aptitude, celle-ci gît cependant, comme la terre, immobile, incapable d’agir et dépourvue du bénéfice de ces quatre forces. «L’esprit de Dieu plane» seulement au-dessus de lui comme des eaux troubles, réchauffant et vivifiant, offrant un soupirail aux ténèbres encore existantes sur la surface de l’abysse, à savoir le poids de la chair, à la manière de profondes ténèbres enveloppant sa face, de sorte qu’il ne peut ni voir, ni entendre, ni goûter, ni toucher.

21. Du premier jour, où la lumière fut créée Ainsi, Dieu dit: «Que la lumière soit», car sur l’ordre du Créateur, ce qui existe en puissance commence à exister en acte. Et la première à ressentir le bienfait de cet acte est la sensibilité, quand cette lumière extérieure naissante se répand dans les yeux, leur révélant les divers aspects et couleurs des objets matériels, introduisant dans chacun des autres sens ce qui lui est perceptible, comme une sorte de lumière plus agréable de connaissance. Dieu «vit» alors que cette lumière «était bonne» puisqu’il la fit agréable à ceux qui la voyaient, «et il sépara la lumière des ténèbres, et il appela la lumière» ‘connaissance’, «les ténèbres» ‘ignorance’. «Et il y eut un soir et un matin: premier jour.» Car l’ignorance précède la connaissance.

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ralium rerum, uarias eis ostendens species et colores ceterisque sensibus suum unicuique perceptibile, uelud quandam scientie lucem ingerens iocundiorem. Vnde uidit Deus hanc lucem quod esset bona dum iocundam fecit uidentibus, diuisitque lucem a tenebris appellauitque lucem scientiam tenebras ignorantiam. Factumque est uespere et mane, dies unus: prior est enim ignorantia quam scientia.

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〈22.〉 De secundo die quo factum est fîrmamentum Dixit quoque Deus: ‘Fiat firmamentum in medio aquarum et diuidat aquas ab aquis’. Disposita sensualitate uenitur ad ymaginationem et eius dispositionem. Siquidem dum sensibus occurrunt uarie rerum species illos demulcentes, excitatur nimirum ymaginatio eatenus quasi dormiens ad earum ymagines memoriter retinendas, ut quas non potest semper habere presentes uel absentium teneat ymagines. Sicque fit ut, dum multiplicantur sensibus rerum species, multiplicentur et ymaginationi earundem absentium ymagines, fitque magna confusio ymaginum uolitantium circa sensum uelud aquarum fluitantium circa terram. Hec nimirum confusio semper maneret, nisi dispositor microcosmi Deus diceret: Fiat firmamentum in medio aquarum et diuidat aquas etc.

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〈23.〉 Diffusiorem ingreditur tractatum de opera secundi diei Hoc in loco considerandum est quod Moyses hic de megacosmi dispositione loquens aquarum dispositionem nimia breuitate perstringit. Subiungit enim breuiter et dicit: «Fecitque Deus firmamentum in medio aquarum et diuisit aquas que erant sub firmamento ab his que erant super firmamentum, uocauitque firmamentum celum, et factum est uespere et mane dies secundus», nec amplius aliquid uel de aquis super celos positis uel de ipso firmamento prosequens, excepto quod dicit illud uocatum celum, in quo etiam latenter insinuat hoc esse aliud celum ab eo quod supra terre copulauerat dicens: «In principio creauit Deus 7 uidit – bona] Gen. 1, 4 8 diuisitque – tenebris] Gen. 1, 4 tenebras] cf. Gen. 1, 5 9 factumque – unus] Gen. 1, 5

8-9 appellauit –

22, 2-3 fiat – aquas] Gen. 1, 6 23, 4-7 fecitque – secundus] Gen. 1, 7-8

10-11 in – terram] Gen. 1, 1

21, 5 species] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |species S 3 23, 1 diffusiorem] diffusiosem G 1 |diffusionem S 3 ; diffusiorem S 4

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22. Du deuxième jour, où fut créé le firmament Dieu dit aussi «Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux, et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux». La sensibilité une fois mise en place, on en vient à l’imagination et à son ordonnance. Puisque les choses, dans leurs divers aspects touchent les sens et les flattent, l’imagination jusque-là assoupie, est certes poussée à retenir de mémoire les images, de sorte qu’elle garde en elle les images qu’elle ne peut avoir devant elle, des choses même absentes. Et ainsi il se fait que, les formes des choses se multipliant pour les sens, leurs images (elles-mêmes étant absentes) se multiplient aussi pour l’imagination, et il se forme une grande confusion d’images voletant autour des sens, à la manière des eaux flottant autour de la terre. Cette confusion serait assurément sans fin si Dieu, organisateur du microcosme, n’avait pas dit «qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux, etc.»

23. Il aborde une étude plus étendue sur l’œuvre du deuxième jour À ce point, il faut remarquer que Moïse, parlant ici de l’organisation du mégacosme, résume trop brièvement le récit de la disposition des eaux. Cependant il ajoute ces quelques mots: «Dieu créa le firmament au milieu des eaux et il sépara les eaux qui étaient sous le firmament de celles qui étaient au-dessus du firmament, et il appela le firmament ciel et il y eut un soir et un matin: deuxième jour»; ne disant rien de plus, ni des eaux placées au-dessus du ciel, ni du firmament lui-même, sauf pour dire qu’il est appelé ciel, en quoi il laisse entendre à mots couverts qu’il s’agit là d’un autre ciel que celui qu’il avait associé plus haut à la terre en disant: «Au début, Dieu créa le ciel et la terre». Quant à nous, désirant appliquer avec le plus grand soin à notre microcosme ce qu’il dit sur le mégacosme, nous avons décidé de ne pas passer rapidement sur ce sujet mais de nous y arrêter un certain temps, et de développer plus amplement certains points, non seulement sur le firmament placé entre les eaux mais aussi sur les eaux placées au-dessus de lui.

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celum et terram». Nos uero ea que de megacosmo narrat microcosmo nostro diligentius adaptare cupientes, statuimus non hic cursim procedere sed aliquamdiu in hoc loco subsistere et non solum de hoc firmamento inter aquas posito uerum etiam de aquis super ipsum positis aliqua plenius disserere.

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〈24.〉 Ab alciori incipit Primum ergo uideamus quid sit hoc in nostro microcosmo firmamentum, quando et quomodo et quare inter aquas positum. Vt autem hec distincius tractentur, prenotandum est quod sicut in quatuor elementis megacosmi duo sunt agentia et duo patientia, id est duo sunt uicem materie habentia et duo uicem artificis in materia operantis, superiora scilicet operantia in inferiora, sic est nimirum etiam predictis quatuor elementaribus qualitatibus microcosmi, due superiores uelud artifices agunt in duas inferiores uelud materiam. Quod sic probari potest. Omne opus quod agimus aut foris aut intus est, id est aut exercitio corporis aut exercitio mentis fit. Quod foris est, ad sensualitatem, quod intus est, ad ymaginationem pertinet. Vtrumque horum necesse est et ratione informari et intellectu illuminari, id est necesse est ut rationabiliter fiat, et qui id facit hoc ipsum intelligat, alioquin non erit totum lucidum opus quod facit. Vnde Salomon: Spiritus discipline effugiet fictum et auferet se a cogitationibus que sunt sine intellectu. Ecce quomodo superiora, id est ratio et intellectus, in inferiora, in sensualitatem scilicet et ymaginationem, agunt necessario ad hoc ut opera eorum lucida sint. Porro intrinseci operis lux longe latencior est quam extrinseci. Nam extrinsecum opus quandam lucem foris habet qua aliquatenus discerni potest, intrinsecum autem nullam. Vnde non est dictum supra Fiat firmamentum inter lucem et tenebras, sicut hic dictum est Fiat firmamentum inter aquas et aquas. Nisi enim fieret magnum firmamentum inter aquas et aquas, in tanta confusione non possent diuidi aque ab aquis.

24, 15-16 spiritus – intellectu] Sap. 1, 52 s. 1, 7 (CCSL 40, p. 1479, l. 31-32)

22-23 Augustin, Enarr. in Ps., 103,

24, 10-11 aut – corporis] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 15 Salomon] G 1 ; fictus nichil rationaliter agit add. in marg. G 2 |in textu S 3 ; cancel. S 4 effugiet] G 1 | efugiet S 3 ; effugiet S 4 19 operis – quam] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 23-24 nisi – aquas] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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24. Il commence par l’élément supérieur Voyons donc tout d’abord ce qu’est ce firmament dans notre microcosme, quand, comment et pourquoi il est placé entre les eaux. Mais afin de traiter plus clairement de ces choses, il faut tout d’abord noter que, de même que dans les quatre éléments du mégacosme il y en a deux qui sont actifs et deux passifs, c’est-à-dire deux qui ont le rôle de la matière, et deux celui de l’artisan opérant sur la matière, à savoir deux éléments supérieurs opérant sur les inférieurs, il en va bien sûr de même pour les susdites quatre qualités élémentaires du microcosme: les deux supérieures agissent comme des artisans sur les deux inférieures, comme sur de la matière. Ce que l’on peut prouver ainsi: toute action que nous accomplissons est soit extérieure, soit intérieure. C’est-à-dire qu’elle se fait soit par l’exercice du corps, soit par celui de l’esprit. Ce qui est extérieur relève de la sensibilité, ce qui est intérieur, de l’imagination. Il est nécessaire que l’un et l’autre soient et informés par la raison et éclairés par l’intelligence, c’est-à-dire qu’il est nécessaire que ce soit fait selon la raison, et que celui qui fait cela comprenne ce qu’il fait, faute de quoi l’action qu’il accomplit ne sera pas totalement lucide. Ainsi Salomon: «L’esprit de discipline fuira le mensonge et se tiendra à l’écart des pensées sans intelligence.» Voilà comment les qualités supérieures que sont la raison et l’intelligence agissent nécessairement sur les inférieures, à savoir la sensibilité et l’imagination, afin que leurs actions soient lucides. En outre la lumière de l’action intérieure est beaucoup plus secrète que celle de l’action extérieure; car l’action extérieure possède une certaine lumière extérieure qui lui permet d’être discernée; l’action intérieure n’en a aucune. C’est pourquoi l’on n’a pas dit, plus haut, qu’il y ait un firmament entre la lumière et les ténèbres comme l’on a dit ici «qu’il y ait un firmament entre les eaux et les eaux», car s’il n’y avait pas de firmament entre les eaux et les eaux, dans une telle confusion les eaux ne pourraient être séparées des eaux.

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〈25.〉 Quatuor esse ymaginationis fontes Quatuor etenim sunt harum aquarum fontes in se inuicem refluentes, ex quibus omnis harum aquarum confusio procedit, id est quatuor sunt ymaginationis origines omnium imaginum monstra generantes, scilicet ingenium, concupiscibilitas, memoria, irascibilitas. Quarum prima absentium rerum ymagines querit et inuenit, secunda inuentas attrahit, tercia attractas retinet, quarta repellit. Quod dico tale est. Omnis anima humana preter predictas quatuor elementares qualitates habet adhuc et alias uires sibi innatas quatuor, ex quibus uelud ex fontibus omnes ymaginum species emanant, hinc ingenium et memoriam, inde concupiscibilitatem et irascibilitatem. Omnes dico, licet non sole. Nam et causas et naturas omnium rerum uisibilium et inuisibilium peruagantur, differenter tamen. Siquidem ingenium ymagines causas, naturas bonarum et malarum rerum inuestigat et inuenit, memoria uero e uestigio subsequens illud inuentas retinet, porro concupiscibilitas ex his omnibus sola que sibi uidentur concupiscibilia eligit et attrahit, irascibilitas autem contraria refugit et repellit. Itaque ymaginatione occupata circa ymagines quas ingenium inuenit, memoria retinet, concupiscentia attrahit, ira refugit, tanta nimirum fit, non solum inundantia aquarum istarum, uerum etiam commotio fluctuum, collisio undarum, ut uix hora uel dimidia fiat in microcosmo silentium.

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〈26.〉 Exemplariter docet quod proposuit Et ut tardiori lectori melius hec elucescant, ponamus aliqua sub exemplo. Ponamus Antichristum aduenisse iamiamque regnare, noua et inaudita premia in se credentibus polliceri, noua et inaudita supplicia sibi contradicentibus comminari, nec solum polliceri uel comminari hec uel illa, uerum etiam presenter dare et inferre hec et illa. Ecce noua inuenientium ingenium offert fidelium ymaginationi res inuentas bonas 25, 5 concupiscibilitas] concupiscibiscibilitas G 1 |concupiscibilitas S 3 5 memoria] meria G 1 ; mo add. sup. l. G 2 |memoria S 3 11 concupiscibilitatem] G 1 | concupiscibilitem S 3 ; ta add. sup. l. S 4 26, 3-6 ponamus – et illa] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |in textu S 3 6-7 noua inuenientium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |noua inuenientium S 3 7 fidelium] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |fidelium S 3

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25. Il y a quatre sources de l’imagination Quatre sont en effet les sources de ces eaux, refluant les unes dans les autres, d’où provient toute la confusion de ces eaux, c’est-à-dire que les origines de l’imagination sont au nombre de quatre, engendrant les extravagances de toutes les images, à savoir l’ingéniosité, le penchant à la concupiscence, la mémoire, l’irascibilité. La première d’entre elles cherche et trouve les images des choses absentes; une fois trouvées, la seconde les attire; une fois attirées, la troisième les retient, la quatrième les repousse. Ce que je dis est réel. Toute âme humaine possède, outre les susdites quatre qualités élémentaires, encore quatre autres forces innées, desquelles sortent, comme émanant de sources, toutes les formes d’images: d’ici l’ingéniosité et la mémoire, de là la convoitise et l’irascibilité. Toutes, dis-je, mais non les seules, car elles envahissent aussi les causes et les natures de toutes les choses visibles et invisibles, toutefois différemment: certes l’ingéniosité recherche et trouve les images, les causes et les natures des bonnes choses et des mauvaises; mais une fois trouvées, la mémoire, marchant sur ses pas, les retient. Ensuite la convoitise choisit et attire les seules choses, parmi toutes, qui lui paraissent désirables. L’irascibilité, quant à elle, fuit et repousse les choses qui lui sont hostiles. Ainsi, l’imagination occupée par les images que trouve l’ingéniosité, que la mémoire retient, la convoitise attire, la colère repousse, il se produit non seulement un déferlement de ces eaux mais aussi un déchaînement des vagues, un choc des ondes si violents qu’il se fait silence dans le microcosme durant une heure à peine, ou une demi-heure. 26. Il enseigne par l’exemple ce qu’il a exposé Et afin que ces choses soient plus claires pour le lecteur plus lent à comprendre, présentons-en quelques-unes sous forme d’exemple. Supposons que l’Antéchrist soit venu, qu’il doive régner, qu’il promette des récompenses nouvelles et inouïes à ceux qui croient en lui, et menace de supplices nouveaux et inouïs ceux qui s’opposent à lui, et qu’il ne se contente pas de les promettre ou d’en menacer mais qu’il les offre ou les inflige sur le champ. Voici que l’ingéniosité de ceux qui trouvent ces nouveautés offre à l’imagination des fidèles les choses qu’elle a trouvées, bonnes et mauvaises, désirables et non désirables: la mémoire arrive et retient ces choses offertes, la convoitise accourt et attire les images retenues des choses désirables, et voici que l’irascibilité repousse les images offertes des nouveaux supplices. Qui peut dire à quel point non seulement le déferlement des eaux mais aussi le déchaînement des vagues, le

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et malas, concupiscibiles et non concupiscibiles. Occurit memoria et retinet oblatas; concurrit concupiscibilitas et attrahit retentas rerum concupiscibilium ymagines. Adest et irascibilitas repellens nouorum suppliciorum oblatas ymagines. Dicat qui potest quanta, non solum inundantia aquarum, uerum etiam commotio fluctuum, collisio undarum oritur in cordibus fidelium, hinc noua et inaudita premia, hinc noua et inaudita supplicia sibi oblata ymaginantium, dum naturaliter hec ira repellit, illa concupiscentia attrahit, utraque memoria ymaginationi anteponit, ingenium quoque ex similibus similia uel etiam maiora inueniens eidem ostendit.

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〈27.〉 Aliud exemplum Item aliud de eodem reprobis familiare exemplum. Proponatur aliquis totus terrenis inhians, diuitiarum cupidus, dignitatum et honorum ambiciosus, uane glorie uentosus, uoluptatibus cenosus, cui tamen nichil horum ad uotum cedit, sed aduersitatibus fractus, nec diuiciis saciatur, nec dignitatibus honoratur, nec gloria iocundatur, nec uoluptatibus pro uoto saginatur. Fremit in semetipso, discurrit, circuit, sequens desiderata nec fugientia consequens. Tumultuatur, exagitatur, conquassatur ut nauis fluctuans in mari, dum uel desiderata que non obtinet ymaginatur, uel non desiderata que obtinet iugiter pre oculis speculatur. Dicat qui potest quibus uentis, quibus tempestatibus, quibus undis, quibus fluctibus tale cor concuciatur ex huiusmodi contrariarum rerum ymaginibus se in se collidentibus. Nimirum hoc mare magnum et spaciosum manibus, illic reptilia quorum non est numerus, animalia pusilla cum magnis; draco iste quem formasti ad illudendum ei, omnia elementa confundens, ita ut nichil aride, nichil aeris, nichil etheris appareat, nisi Deus dicat: Fiat firmamentum in medio aquarum et appareat arida.

27, 13-15 hoc – ei] Ps. 103, 25-26 8 concupiscibiles] cuncupiscibiles dita] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

17-18 fiat – arida] Gen. 1, 6; 1, 9 Delhaye

13-14 premia



inau-

27, 4 uoluptatibus] uoluptitatibus Delhaye 6 uoluptatibus] uoluptitatibus Delhaye 9 ut nauis – mari] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 non] G 1 | om. S 3 | add. sup. l. S 4 10 oculis] †…† G 1 ; add. in marg. G 2 |oculis S 3 13 mare] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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choc des ondes surgissent dans le cœur des fidèles? Ici des récompenses nouvelles et inouïes, là des supplices nouveaux et inouïs offerts à leur imagination, tandis que par nature la colère repousse les uns, la convoitise attire les autres, la mémoire propose les uns et les autres à l’imagination, et que l’ingéniosité aussi, en en découvrant d’autres semblables ou encore plus grands, les lui présente.

27. Autre exemple Encore un autre exemple sur ce même sujet, familier aux réprouvés. Supposons une personne totalement avide de biens terrestres, assoiffée de richesses, en quête de dignités et d’honneurs, gonflée de vaine gloire, dévoratrice de voluptés, pour qui cependant rien ne va selon son vœu mais brisée par les adversités, qui n’est pas comblée de richesses, ne reçoit pas l’honneur des dignités, ne jouit pas de la gloire, ne se repaît pas, comme elle le voudrait, de voluptés. Elle tremble en elle-même, elle court en tous sens, va et vient à la poursuite de ses désirs, et comme ils fuient, elle ne les obtient pas. Elle est troublée, elle s’excite, elle s’agite comme un bateau fluctuant sur la mer, tandis qu’elle imagine les désirs qu’elle n’obtient pas, ou voit devant elle en permanence ce qu’elle ne désire pas et qu’elle obtient. Qui peut dire de quels vents, de quelles tempêtes, de quels courants, de quels mouvements un tel cœur est secoué devant les images de choses si opposées et qui s’entrechoquent. Bien sûr, «grande est cette mer aux vastes bras, là se meuvent les reptiles en nombre incalculable, les petits animaux avec les grands, ce Léviathan que tu as formé pour t’en moquer», mélangeant tous les éléments de sorte qu’il n’y ait ni sec, ni air, ni éther, jusqu’à ce que Dieu dise «qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’apparaisse le sec».

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〈28.〉 Tercium exemplum de eodem Accipe si placet adhuc et tercium de eodem electis familiare exemplum. Proponamus uirum aliquem spiritualem, habentem quidem Spiritum Dei per gratiam in se manentem, sed ad exercitum suum multa adhuc spiritualia bella experientem.

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Mundus, caro, demonia Diuersa mouent prelia, in cursu tot fantasmatum turbatur cordis sabbatum, hinc etenim mundus concupiscibilia, hinc caro delectabilia, hinc demones odibilia obiciunt, omnium horum imagines non solum multiplicantes sed etiam uariantes tot et tantis modis, ut si fieri posset contingeret etiam electam animam subuersum iri. Cui etiam forsitan et quartum bellum a suo proprio spiritu non deest. Nam cum spiritus humanus etiam sine carne naturaliter sit concupiscibilis et irascibilis, concupiscibilitate sine delectu commoda querens, irascibilitate rursum sine delectu incommoda repellens, nimirum plerumque contingit eum inordinata concupiscentia et ira agitari, si contingat inter utilia et inutilia non discerni. Quod utique dormitante ratione potest aliquando contingere, quinimmo uigilante eadem reluctantibus ei uel ira uel concupiscentia nonnumquam alteri earum uictoria cedit, nisi Spiritu Dei manente in eo ratio adiuuetur contra has domesticas suas.

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〈29.〉 Obicit predictis ut soluat Sed fortasse mouet aliquem, quod dicimus a nostro spiritu nobis uenire temptationes, cum Apostolus dicat: Spiritus concupiscit aduersus carnem, utique non contra nos sed pro nobis resistendo carni nobis aduersanti. Et Dominus: Spiritus quidem promptus est, caro autem infirma. Non est in homine aliud nisi spiritus et caro. Si ambo hec hominem im-

28, 6-7 mundus – prelia] Adam de Saint-Victor, séq. Superne matris gaudia, str. 3 (Bibl. Vict. 20, p. 459) 29, 3-4 spiritus – carnem] Gal. 5, 17; cf. I Petr. 2, 11; Iac. 4, 1 firma] Matth. 26, 41 28, 12 animam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |animam S 3

5 spiritus – in-

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28. Troisième exemple sur le même sujet Accepte, maintenant, s’il te plaît, un troisième exemple encore sur le même sujet, familier aux élus. Supposons un homme spirituel, possédant certes l’esprit de Dieu ancré en lui par la grâce, mais menant encore, pour son exercice, de nombreux combats spirituels. Le monde, la chair, les démons Provoquent diverses luttes. À travers tant de fantasmes, le repos du cœur est troublé. D’un côté, en effet, le monde offre des choses désirables, d’un autre côté la chair, de délectables, ailleurs les démons, d’odieuses, non seulement multipliant mais aussi variant les images de ces choses de tant et de si grandes façons que, s’il était possible, même une âme élue en serait submergée. Cet homme n’est peut-être pas exempt non plus d’un quatrième combat provenant de son propre esprit. Car, comme l’esprit humain, même sans la chair, est naturellement envieux et irascible, recherchant ce qui lui convient par convoitise sans plaisir, repoussant par colère ce qui lui est incommode sans plaisir, il lui arrive le plus souvent, certes, d’être agité par une convoitise désordonnée et par la colère, si toutefois il ne peut distinguer ce qui est utile de ce qui ne l’est pas; ce qui peut parfois arriver quand la raison sommeille. Bien plus, même si elle est en éveil, la colère ou la convoitise lui résistant, il arrive parfois que la victoire cède à l’une des deux, à moins que, l’Esprit de Dieu demeurant en lui, la raison ne lui vienne en aide contre ses forces innées. 29. Il fait objection à ce qu’il a dit, afin d’apporter la solution Mais peut-être quelqu’un est-il choqué de ce que nous disons, que les tentations nous viennent de notre esprit, alors que l’Apôtre dit: «L’esprit convoite contre la chair», non pas du tout contre nous mais pour nous en résistant à la chair qui nous est contraire. Et le Seigneur: «Certes l’esprit est prompt, mais la chair est faible». Dans l’homme il n’y a rien d’autre que l’esprit et la chair. Si l’un et l’autre agressent l’homme, qui lui viendra en aide? Mais le Seigneur, rempli de l’Esprit de Dieu, et l’Apôtre, «l’Esprit de Dieu répandu en son cœur», disaient cela d’eux-mêmes. Car ailleurs l’Apôtre dit: «Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?» car l’Esprit de Dieu habitant en nous est pour nous, nous venant en aide contre nous-mêmes, c’est-à-dire contre notre esprit et notre chair. Il est en effet nécessaire que périsse l’homme dans lequel ne réside pas l’Esprit de Dieu, cette troisième force s’ajoutant à son

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pugnant, quis stabit pro eo? Sed Dominus Spiritu Dei plenus et Apostolus Spiritu Dei diffuso in corde suo, hec de se dicebant. Nam et Apostolus alibi dicit: Si Deus pro nobis, quis contra nos? Spiritus enim Dei habitans in nobis pro nobis est adiuuans nos contra nos, id est contra spiritum nostrum et carnem nostram. Necesse est enim perire hominem in quo non est tercius Spiritus Dei cum spiritu et carne sua, testante Domino qui dicit: Sine me nichil potestis facere, et rursum Apostolo dicente: Velle adiacet michi, perficere autem non inuenio. Quod etiam ratione sic probatur. Constat enim a carne nostra corrupta nobis non inesse nisi malum, nec indiget probatione. Porro a spiritu nostro sine adiutorio Spiritus Dei plus nobis inesse mali quam boni, sic constabit. Spiritus noster, sicut naturaliter rationalis est, ita etiam naturaliter irascibilis et concupiscibilis est, ut supradictum est, irascibilitate sine delectu fugiens incommoda, concupiscibilitate sine delectu querens commoda. Sed ratio magistra eligendorum discernit inter fugienda et querenda, commoda scilicet et incommoda, ex utrisque alia eligens alia proiciens. Itaque ratio iudex est duarum. Sed ille cece et precipites plerumque contempnunt iudicium eius, indiscrete, inmoderate, precipitanter exercentes negocium suum. Et quidem bonum et naturale est fugere incommoda, quaerere commoda, si tamen duce ratione hoc fiat. Sed, ut dictum est, nolunt semper habere ducem rationem, ideoque necesse est perire hominem duabus superantibus terciam, id est racionem, nisi ei assit Spiritus Dei. O quam iugi experiencia hec que dico unusquisque nostrum in semetipso experitur, quanti irrationabiles motus ire, quanti irrationabiles motus concupiscentie fatigant racionem uolentem eos compescere, nec ualentem nisi Spiritu Dei adiuuetur. Hec est gratia que totiens nobis in Scripturis commendatur, sine qua nichil possumus. Ex his nimirum patet quante temptaciones non solum a carne nostra sed etiam a spiritu nostro nobis insint, et quam necessarium sit humano spiritui hos temptacionum fluctus patienti diuini Spiritus adiutorium. Hic est spiritus qui 8 spiritu – suo] cf. Rom. 5, 5; Tit. 3, 5-6 9 si – nos] Rom. 8, 31 9-10 spiritus – nobis] Rom. 8, 9; I Cor. 3, 16; II Cor. 6, 16; II Tim. 1, 14; Iac. 4, 5 13 sine – facere] Ioh. 15, 5 14 uelle – inuenio] Rom. 7, 18 26-27 et quidem – fiat] cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, vii, 21-22 (PL 176, 296C-297B) 29, 14-15 ratione sic] G 1 |sic ratione S 3 ; ratione sic S 4 16 corrupta] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |corrupta S 3 22 discernit] G 1‫ ׀‬disceruit S 3 ; discernit post ras. S 4 23 et] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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propre esprit et à sa chair comme en témoigne le Seigneur par ces paroles: «Sans moi vous ne pouvez rien faire», et aussi ce que dit l’Apôtre: «Vouloir le bien est à ma portée, mais non pas l’accomplir». Ce qui est également confirmé par la raison. Il est manifeste en effet que du fait de notre chair corrompue, il n’y a rien d’autre en nous que le mal, et une preuve n’est pas nécessaire. En outre, de par notre seul esprit sans l’aide de l’Esprit de Dieu, on reconnaîtra qu’il y a en nous plus de mal que de bien. De même que notre esprit s’exerce naturellement par la raison, de même il est naturellement irascible et envieux, comme nous l’avons déjà dit, fuyant par irascibilité les désagréments, sans plaisir, recherchant par convoitise les commodités, sans plaisir. Mais la raison, maîtresse des choix, discerne entre ce qu’il faut fuir et ce qu’il faut rechercher, à savoir les commodités et les incommodités, et parmi elles, choisissant les unes, rejetant les autres. Ainsi la raison est le juge des deux. Mais ces forces-là, aveugles et emportées, dédaignent totalement son jugement, se précipitent sans retenue ni mesure, s’occupant de leurs affaires. Il est, certes, bon et naturel de fuir les incommodités et de rechercher les commodités, à condition que cela se fasse sous la conduite de la raison. Mais, comme on l’a dit, elles refusent toujours de se laisser conduire par la raison. C’est pourquoi, il est nécessaire qu’il meure, l’homme chez qui les deux forces innées dépassent la troisième, c’est-à-dire la raison, à moins que l’esprit de Dieu ne le seconde. Ô de quelle continuelle expérience chacun de nous éprouve en lui-même ce que je dis, quels mouvements irrationnels de colère, quels mouvements irrationnels de convoitise harcèlent la raison qui cherche à les contenir et n’y parvient pas, à moins que l’Esprit de Dieu ne lui vienne en aide! C’est là la grâce qui nous est tant de fois recommandée dans les Écritures, sans laquelle nous ne pouvons rien. Par là on voit clairement combien de tentations, non seulement de la chair mais aussi de notre esprit demeurent en nous, et combien le soutien de l’Esprit de Dieu est nécessaire à l’esprit de l’homme soumis à ces assauts de tentations. C’est là l’Esprit qui, «la terre étant encore désolée et vide, planait sur la surface des eaux», c’est-à-dire avant l’infusion de la grâce, offrant à se répandre en tous, afin que personne n’ait d’excuse.

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terra adhuc inani et uacua ferebatur super aquas, scilicet ante infusionem gratie infundendum se omnibus offerens, ne quis habeat excusationem. 〈30.〉 Dispositio aquarum medio firmamenti Sed quia per se inefficax est ad bonum omnis conatus liberi arbitrii sine nutu Dei, dixit Deus: Fiat firmamentum in medio aquarum et diuidat aquas ab aquis. Hec est in microcosmo secundi elementi, id est ymaginationis, dispositio, aquarum uidelicet ab aquis medio interposito firmamento diuisio, ubi nondum quidem ipsius gratie in animam infusio, sed potius ipsius ymaginationis que prima eam susceptura est, quedam significatur preparatio. Quia enim sensualitas uelud terra corpulenta, obtusa et inmobilis, semper in imo iacet, nec se ullatenus a corporalibus ad spiritualia subleuare ualet, ideoque nec Spiritui Dei ueniendi in animam locum dare, necesse erat gratie in animam uenture aliunde introeundi locum querere. Et primum sibi uidit introitum in ymaginatione posse aperiri, eo quod ipsa primum a corporalibus ad spiritualia se subleuat, dum relictis corporibus ymagines corporum uel uerorum uel uerisimilium captat. Vnde sicut per eam ad exteriora conuersam, anima ad quinque sensus et per quinque sensus ad cognitionem corporum exit, ita nimirum per eandem ad interiora conuersam, anima ad racionem et per racionem ad intelligentiam spirituum conscendit. 〈31.〉 Quid sit hoc firmamentum uel que aque Hoc igitur introitu Spiritus Dei, qui superfertur adhuc aquis hiis, introiturus in animam tanquam Deus et creator dicit: Fiat firmamentum in medio aquarum, quia ad nutum creatoris quedam naturalis uis 38 ferebatur – aquas] Gen. 1, 2 30, 3-4 fiat – aquis] Gen. 1, 6 18 ad – conscendit] cf. Richard de Saint-Victor, De contemplatione, IV, 5 (L’œuvre I, p. 386, l. 13-14) 31, 3-4 fiat – aquarum] Gen. 1, 6 30, 2 inefficax] G 1 |ineficax S 3 ; inefficax S 4 est – bonum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3 12 aliunde] G 1 |aliundi S 3 ; aliunde S 4 15 uerisimilium] uerisilium G 1 |uerisimilium S 3 16 anima] G 1‫ ׀‬animam S 3 ; anima S 4 31, 3 introiturus in animam] abest in G 1 ; add. sup. l. et add. in marg. G 2 |introiturus in animam S 3

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30. Disposition des eaux au milieu du firmament Mais parce que tout effort du libre arbitre vers le bien est de luimême inefficace sans l’aide de Dieu, Dieu dit: «Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux». Telle est, dans le microcosme, la disposition du second élément, c’est-à-dire de l’imagination, à savoir la séparation des eaux d’avec les eaux, par l’interposition au milieu du firmament, où ce qui est signifié n’est pas encore, certes, l’infusion de la grâce elle-même dans l’âme mais plutôt une certaine préparation de l’imagination elle-même qui devra la recevoir la première. Parce qu’en effet, la sensibilité réside toujours dans le fond, comme une terre épaisse, obtuse et immobile, et n’est en aucun cas capable de s’élever du corporel vers le spirituel et donc de laisser place, dans l’âme, à l’Esprit de Dieu à venir, il était nécessaire à la grâce, pour venir dans l’âme, de chercher un autre lieu pour s’y introduire. Elle vit tout d’abord une possibilité d’accès dans l’imagination, pour la raison qu’elle est la première à s’élever des réalités corporelles aux spirituelles puisqu’en laissant les corps eux-mêmes, elle cherche à retenir les images des corps, vrais ou vraisemblables. Ainsi, de même que l’âme, grâce à l’imagination tournée vers les réalités extérieures, sort vers les cinq sens, et par les cinq sens parvient à la connaissance des corps, de même, certes, grâce à l’imagination tournée vers les réalités intérieures, l’âme monte vers la raison, et par la raison parvient à l’intelligence des choses spirituelles. 31. Quel est ce firmament, ou quelles sont ces eaux Ainsi, par cet accès, l’Esprit de Dieu qui jusque-là plane à la surface de ces eaux, devant entrer dans l’âme, dit en tant que Dieu et Créateur: «Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux», car sur l’ordre du Créateur, une certaine force naturelle de discernement par laquelle l’âme distingue naturellement, parmi les mouvements de son imagination, ceux qui sont rationnels et ceux qui sont irrationnels, ceux qui sont spirituels et ceux qui sont charnels, une sorte de firmament est placé au milieu des eaux et ainsi toute cette confusion des eaux est ordonnée, et le choc tumultueux des ondes est apaisé. C’est pourquoi on l’appelle à juste titre «firmament», parce que dans l’âme élue, rien ne doit être plus fort que son discernement, grâce auquel elle ordonne ainsi tous ses mouvements et les maintient immobiles, chacun à sa place, les uns en haut, les autres en bas, les uns à droite, les autres à gauche, les uns par devant, les autres par derrière, laissant les uns libres, contenant les autres. De cette disposition, nous parlerons peut-être plus amplement par la suite.

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discretionis qua inter ymaginationis sue motus rationabiles et irrationabiles, spirituales et carnales, anima naturaliter discernit, quasi firmamentum in medio aquarum ponitur, et sic omnis illa aquarum confusio disponitur et undarum tumultuosa collisio compescitur. Ideoque recte firmamentum dicitur, quia in electa anima nichil firmius discretione sua esse debet, qua sic omnes motus suos ordinat, ut unumquemque suo loco immobiliter stare faciat, alios sursum, alios deorsum, alios dextrorsum, alios sinistrorsum, alios antrorsum, alios retrorsum, alios sibi liberos relinquens, alios cohercens. De qua dispositione fortasse in sequentibus plura dicemus.

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〈32.〉 Quid sit hic secundus dies Hec autem aquarum disposicio secundo die fit post primum, scilicet disposicionis terre, diem supradictum quia, sicut actus quinque sensuum in prima etate, id est in puericia, uenit, ita uis discretionis in adolescentia se ostendit, quamuis in aliis plus, in aliis minus et rursum in aliis cicius, in aliis tardius, siue ex corporum quibus ipsi spiritus infunduntur uaria complexione, siue ex alia qualibet causa latenciore. Electis tamen ad id etatis peruenientibus, semper discretio accedit quantum ad salutem sufficit; qualicumque corpori spiritus infundi contigerit reprobis, non ex uasorum conspersione sed ex arbitrii deprauatione, semper in deteriora tendentibus, sicut etiam in malis angelis qui corpora non habent apparet: Factum uero est uespere et mane. Dies secundus, quia prior est confusio quam discretio. 〈33.〉 Diligentius prosequitur opus secundi diei Opere precium erit in hac secundi elementi secunda die facta dispositione adhuc inmorari et, ut supra promisimus, diligentius prosequi de 32, 12 factum – secundus] Gen. 1, 8 6 spirituales et carnales] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |spirituales et carnales S 3 8 compescitur] G 1 |compescatur S 3 ; compescitur S 4 9 anima] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |anima S 3 10 suos] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |suos S 3 13 cohercens] coercens G 1 |coherens S 3 ; c add. sup. l. S 4 32, 1 quid] quis G 1 |quid S 3 8 id] idem (?) G 1 |idem S 3 ; id S 4 9 contigerit] contigit Delhaye 11-12 sicut – apparet] om. S 3 ; G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 11 non] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. G 5 12 factum uero] G 5 ; factumque G 1 |factum S 3 ; uero add. sup. l. G 5

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32. Quel est ce deuxième jour Or cette disposition des eaux se produit le deuxième jour, après le premier jour dont nous avons parlé, celui de la disposition de la terre; parce que, de même que l’exercice des cinq sens intervient dans le premier âge, celui de l’enfance, de même la capacité de discernement se révèle dans l’adolescence; toutefois, plus chez les uns, moins pour les autres, en revanche plus tôt chez les uns, plus tard chez les autres, soit en raison de la différence de nature des corps dans lesquels ces esprits se répandent, soit pour une autre raison plus cachée. Cependant pour les élus, arrivés à cet âge, le discernement intervient toujours dans la mesure nécessaire au salut, quel que soit le corps dans lequel l’esprit vient à se répandre; pour les réprouvés, le discernement ne provient pas de la diffusion dans les corps mais de la dépravation du libre arbitre, eux qui tendent vers le pire, comme le font aussi les mauvais anges qui n’ont pas de corps. «Mais il y eut un soir et un matin, deuxième jour», car la confusion précède le discernement.

33. Il étudie de plus près l’œuvre du deuxième jour Il vaudra la peine de nous arrêter encore sur cette disposition du second élément, qui se fit le deuxième jour et, comme nous l’avons promis plus haut, de voir d’encore plus près de quelle matière, comment et pourquoi fut fait ce firmament placé entre les eaux, et comment l’âme, destinée à aller au ciel, est tout d’abord éveillée aux réalités célestes; car l’esprit, assurément capable de concevoir les réalités célestes dont il sera un jour possesseur, parviendra plus facilement à cette possession à lui destinée si tout d’abord il en aura atteint, en quelque mesure, la connaissance. C’est pourquoi l’âme, établie dans le corps, est à la mesure des réalités célestes parce qu’elle est née, sinon matériellement du moins «causativement», des réalités célestes. Mais sortie dans le corps, elle est si fortement enivrée de l’amour de la chair qu’elle ignore presque toujours totalement son origine et, avec Dina, la fille de Jacob, séduite par

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qua materia et quomodo et quare factum sit hoc firmamentum inter aquas positum, animamque ad celos ituram prius exercitari in celestibus, quia nimirum celestium capax animus et eorundem aliquando possessor futurus, facilius ad sibi destinatam perueniet possessionem, si prius aliquatenus eius adeptus fuerit cognitionem. Inde namque anima in corpore constituta celestium capax est, quia de celestibus si non materialiter, causaliter tamen orta est. Sed ad corpus egressa, usque adeo illecebrose carnis inebriatur amore ut plerumque originem suam penitus nesciat, et cum Dina filia Iacob corruptoris sui delinita blandiciis pereat. Quomodo enim illud quod penitus ignorat recuperare satagat? Sed prorsus misera erit, nisi ad originem suam redire sategerit, ita ut etiam cum eo in quo nunc exulat, immo in quo nunc captiua tenetur, corpore redeat, et captiuitatem suam cum Domino captiuam ducat; quod non solum post diem iudicii faciet, cum reddita corpori, ipsum factum spirituale, secum celis inuehet materialibus, uerum etiam nunc interim, dum adhuc manens in hoc graui corpore, post resurrectionem suam a peccatis, carnem suam a uiciis et concupiscenciis crucifixum sic edomat, ut etiam sine labore eam celis inuehat spiritualibus. Quid enim aliud est quod gloriatur Apostolus adhuc in carne constitutus dicens: Conuersatio nostra in celis est, nisi quod totum hominem suum sic celibi uite mancipauerat, ut etiam sine difficultate caro spiritui seruiret et libenter ad imperium eius opera spiritus faceret? Sed unde hoc, nisi quia Apostolus in spiritualibus exercitatus, non solum noticiam celestium sed etiam exercitium tam perfecte habuit, ut adhuc in carne positus iam celorum possessor uideretur?

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〈34.〉 Quid sit hoc firmamentum et de qua materia factum Itaque anima in terris adhuc posita, id est solis corporis sensibus dedita sed cum Apostolo in celis conuersari desiderans, sciat se relicta terra mox in aquas offensuram, quas si confusas, si turbidas, si tempestuosas inuenerit, citius a caribdi absorbebitur quam in celum eleuabitur.

33, 12 Dina – blandiciis] Gen. 34, 3 23 conuersatio – est] Phil. 3, 20

16 captiuitatem – ducat] cf. Eph. 4, 8

33, 5 animamque – celestibus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 9-10 si – tamen] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 20 concupiscenciis] concupiscentes G 1 |concupiscenciis S 3 22 quod gloriatur] G 1 |gloriatur quod S 3 ; quod gloriatur S 4 24 suum] sum Delhaye 28 carne] G 1 |carnem S 3 ; carne S 4

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les flatteries de son corrupteur, elle meurt. Comment, en effet, s’efforcerait-elle de retrouver ce qu’elle ignore totalement? Mais elle sera tout à fait malheureuse si elle ne s’efforce pas de revenir à son origine, de sorte qu’elle revienne, aussi avec ce corps dans lequel elle est maintenant exilée, plus encore, dans lequel elle est maintenant retenue captive, et qu’elle conduise sa captivité, captive avec le Seigneur; ce qu’elle fera, non seulement après le jour du jugement, quand, rendue à son corps, elle fera entrer avec elle sa substance spirituelle dans les ciels matériels, mais aussi maintenant, en attendant, pourvu que, demeurant encore dans ce corps pesant, après la guérison de ses péchés, elle dompte totalement sa chair dépouillée des vices et des convoitises, de telle sorte qu’elle la fasse entrer, même sans effort, dans les ciels spirituels. Qu’est-ce donc d’autre ce que l’Apôtre, existant encore dans son corps, proclame en disant: «Notre séjour est dans le ciel» sinon qu’il avait offert toute sa personne humaine à la vie céleste afin que la chair serve l’esprit, et même sans difficulté, et qu’elle fasse de bon gré, sur son ordre, les œuvres de l’esprit. Or, d’où vient cela, sinon de ce que l’Apôtre, exercé dans les réalités spirituelles, possède si parfaitement non seulement la connaissance mais aussi la pratique des réalités célestes que, encore existant dans la chair, il semblait déjà en possession des cieux.

34. Quel est ce firmament, et de quelle matière il est fait C’est pourquoi l’âme demeurant encore sur la terre, c’est-à-dire livrée aux seuls sens corporels mais désireuse, avec l’Apôtre, de fréquenter les cieux, doit savoir qu’après avoir quitté la terre elle aura à affronter les eaux, et que si elle les trouve confuses, troubles, tempétueuses, elle sera plus vite absorbée par Charybde qu’elle ne sera élevée dans le ciel. C’est pourquoi il est nécessaire que, si l’âme veut aller vers le ciel à travers ces eaux, Dieu la pourvoie dès à présent en disant: «Qu’il y ait un firmament, etc.», c’est-à-dire qu’il lui donne le discernement lui permettant de faire le tri, une fois débarrassée des sens corporels, parmi les images qui lui sont encore attachées. Ainsi donc le firmament, séparant par l’œuvre de Dieu les eaux des eaux, est placé quasiment aux confins des deux éléments supérieurs, retenant de l’un et de l’autre la matière, afin de

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Vnde necesse est ut in celum ire uolenti per aquas, paret ei uiam Deus dicens: Fiat firmamentum etc., id est det ei discretionem qua discernat inter eas que relictis corporeis sensibus adhuc ei inherent ymagines. Fit ergo firmamentum Deo autore diuidens aquas ab aquis, poniturque in confinio duum superiorum elementorum, ab utroque capiens materiam ut inferioris elementi aquas diuidat et disponat, id est datur anime discretio media inter rationem et intelligentiam posita, ab utraque substanciam capiens, a ratione industriam, ab intelligentia circumspectionem, et sic ymaginationis sue motus anima discernit et disponit.

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〈35.〉 Non mirum sic fieri in microcosmo quia sic est in megacosmo Nec mirandum microcosmi firmamentum in confinio duum superiorum elementorum positum diuidere inter aquas inferioris elementi, cum et hoc in megacosmo fieri uideamus. Ecce enim firmamentum megacosmi longo spacio aeris interiecto distat ab aquis inferioribus, et tamen dicitur diuidere aquas ab aquis. Quod quidem theologus ad litteram etiam asserit. Sed philosophus nullo modo consentit, asserens non solum contra naturam elementorum esse aquas graues leui aeri superponi, sed etiam inutile. Neque enim inde pluuias terris infundi dicit opus esse cum potius ab inferioribus aquis uaporaliter in aere suspensis et in nubem conglobatis fiant pluuie, non naturali aquarum suspensione sed uiolenta, nec perpetua sed horaria, suspendente eas solis uiolentia.

34, 7 fiat firmamentum] Gen. 1, 6 35, 6-7 theologus – asserit] Ambroise, Hexameron, II, 3 (CSEL 32/1, p. 42, l. 1222; p. 43, l. 1-8; PL 14, 160A-161C); cf. Isidore, De natura rerum, 14 (PL 83, 987AB); Augustin, De Genesi ad litt., II, 3 (CSEL 28/1, p. 36, l. 17-25); II, 4 (p. 36, l-26p. 38, l. 17); II, 5 (p. 38, l. 18-p. 39, l. 18) 8 contra – aeri] Guillaume de Conches, De philosophia mundi, III, 4 (PL 172, 76B); cf. Isidore, Etymologiae, XIII, 10 (PL 82, 477C); Pseudo-Hugues de Saint- Victor, De bestiis et aliis rebus, IV, 14 (PL 177, 157C)

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séparer et disposer les eaux de l’élément inférieur, c’est-à-dire qu’il soit donné à l’âme le discernement, placé au milieu entre la raison et l’intelligence, prenant de l’une et de l’autre la substance, de la raison l’activité, de l’intelligence la circonspection, et ainsi l’âme discerne et met en place les mouvements de son imagination.

35. Il n’est pas étonnant qu’il en soit ainsi dans le microcosme parce qu’il en est ainsi dans le mégacosme Il ne faut pas s’étonner de ce que le firmament, placé aux confins des deux éléments supérieurs, sépare les eaux de l’élément inférieur puisque nous constatons que cela se produit aussi dans le mégacosme. Voici en effet que le firmament du mégacosme est séparé des eaux inférieures par un long espace d’air, et cependant l’on dit qu’il sépare les eaux des eaux. Ce que du moins le théologien affirme aussi à la lettre. Mais le philosophe n’acquiesce en aucune manière, affirmant que le fait que les eaux lourdes soient placées au-dessus de l’air léger est non seulement contraire à la nature des éléments mais encore inutile. Il dit en effet qu’il est inutile que ces eaux se répandent en pluie sur la terre puisque, au contraire, les pluies proviennent des eaux inférieures suspendues en vapeur dans l’air et rassemblées en nuage, non par suspension naturelle des eaux mais suspendues par la violence brutale, non permanente mais alternative du soleil.

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〈36.〉 Quomodo firmamentum microcosmi diuidat aquas ab aquis Sed nos ea que ad litteram est aquarum per firmamentum diuisione relicta, quomodo firmamentum microcosmi diuidat aquas ab aquis uideamus. Igitur quatuor fontes ymaginationis quos supra memorauimus, a quatuor microcosmi partibus disponamus, ab oriente scilicet ingenium a quo noua queque oriuntur, ab occidente memoriam cui uetera queque elabuntur, a meridiano calore concupiscentiam qua commoda uel prospera queque sine delectu attrahuntur, a septemtriano frigore iram qua incommoda seu aduersa queque sine delectu repelluntur. His ita dispositis superioribus elementis, id est ratione et intelligentia, quasi artificibus operantibus in inferius elementum, id est ymaginationem, quasi materiam, firmamentum hoc modo fit operante ratione et intelligentia. Discretio ab oriente se mouens et in occidentem tendens, mira uelocitate a finibus ingenii ad fines memorie peruenit et e conuerso, ita ut pene eodem momento hic et ibi sit deprehendens quid hic uel ibi fiat. Sed et partes suas, id est industriam et circumspectionem, circa se in omnem locum pari uelocitate dilatat, a dextris scilicet et a sinistris, sursum et deorsum, ante et retro, ita ut pene eodem momento ubique sint deprehendentes quid ubique fiat, immo disponentes et illuminantes omnia, industria disponente circumspectione illuminante. Sicque fit ut, dum rationabili motu rapitur hec machina, sphera quedam celestis solida et mobilis exeat. Sphera inquam solida, tres habens dimensiones equales, longum, latum et altum; mobilis, mira se uolubilitate uoluens, ita scilicet ut locum quem secundum partes suas mutare non desinit, secundum se totam numquam mutare uideatur, sed, quasi immobilis in medio aquarum hinc inde diuisarum stans, ordinatissimos facit aquarum motus, maxime tamen superiorum.

36, 1 quomodo firmamentum – aquas ab aquis] G 5 ; quomodo mistice in micro6 uetera] G 1 |ueteram S 3 ; cosmo firmamentum diuidat aquas G 1 |om. S 3 4 12-13 operante ratione et intelligentia] abest in G 1 ; add. in uetera S 2 marg. G |operante ratione et intelligentia S 3 17 et] G 1 |om. S 3 21 celestis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |celestis S 3

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36. Comment le firmament du microcosme sépare les eaux des eaux Mais, laissant de côté la séparation des eaux par le firmament, laquelle est comprise suivant la lettre, voyons comment le firmament du microcosme sépare les eaux des eaux. Ainsi faisons donc partir les quatre sources de l’imagination, que nous avons rappelées plus haut, des quatre points du microcosme: à savoir, de l’orient, l’ingéniosité, d’où naît toute nouveauté; de l’occident, la mémoire, dans laquelle tombe tout ce qui est ancien; de la chaleur du midi, la convoitise, par laquelle est attiré, sans plaisir, tout ce qui est agréable ou favorable; de la froidure du nord, la colère, par laquelle est repoussé, sans plaisir tout ce qui est désagréable ou adverse. Ces quatre sources ainsi placées, et les éléments supérieurs, à savoir la raison et l’intelligence, opérant comme des artisans dans l’élément inférieur, à savoir l’imagination, comme dans la matière, ainsi se crée le firmament, par l’œuvre de la raison et de l’intelligence. Le discernement, se déplaçant depuis l’orient et tendant vers l’occident, court à une vitesse étonnante des limites de l’ingéniosité aux limites de la mémoire, et inversement, au point qu’il est presque en même temps ici et là, saisissant ce qui se produit ici ou là. Mais il étend ses côtés, à savoir l’activité et la circonspection, tout autour de lui en tout lieu, à la même vitesse, c’est-à-dire à droite et à gauche, en haut et en bas, devant et derrière, de sorte qu’ils sont partout presque en même temps, saisissant ce qui se produit partout, ordonnant en outre et éclairant tout, l’ingéniosité ordonnant, la circonspection éclairant. Et ainsi il se fait que, tandis que cette machine est emportée par un mouvement de la raison, une sorte de corps céleste, solide et mobile, sort. Je dis bien un corps solide, ayant trois dimensions égales: longueur, largeur, hauteur, mobile tournant dans un extraordinaire mouvement de rotation, de sorte que, ne cessant, par ses côtés, de changer de place, il semble dans sa totalité ne jamais en changer, mais se tenant presque immobile au milieu des eaux réparties de part et d’autre, il ordonne parfaitement les mouvements des eaux, surtout ceux des eaux supérieures.

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〈37.〉 De quatuor cardinibus huius firmamenti Habet insuper hec machina quatuor cardines per quatuor sui partes in quibus uel circa quos tota uertitur, quatuor scilicet cardinales uirtutes: ab oriente prudentiam nouas aquas quas ingenium sed confusas effluit prudenter diuidentem, ab occidente iusticiam ueteres aquas quas iamdudum memoria sed confusas retinet iuste disponentem, a meridie temperantiam dulces aquas quas concupiscentia attrahit temperanter haurientem, a septemtrione fortitudinem amaras aquas quas sine delectu ira repellit fortiter admittentem. Sicque fit ut totum elementum aque firmamenti interpositione pulcherrime disponatur et anime in microcosmo suo, siue intrare, siue exire, siue ascendere, siue descendere uolenti per medias aquas uia facilis preparetur. Hec est secundi elementi secunda die facta dispositio.

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〈38.〉 De ascensu anime per medias has aquas exemplificat Libet nunc, antequam ad tercii diei opus ueniamus, aliqua de ascensu anime, qui per medias predictas aquas fit, exempla ponere. Et sciendum hunc eius ascensum, secundo elemento sicut dictum est disposito, a quatuor partibus predictis conuenienter fieri, ab oriente scilicet et occidente, meridie et septemtrione.

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〈39.〉 Exemplum de ascensu ab oriente Primum ergo de eo qui ab oriente fit agamus, non longe exempla sumentes, sed presentis operis formam intuentes. Ecce enim presentis operis autor relictis corporeis sensibus, ascendere cupiens ad spiritualia, ob oriente ascensum suum aggressus, nouas quasdam et adhuc illibatas ingenio suo effluente primum offendit aquas, uidelicet ymaginarium mundum id est microcosmum qui totius presentis operis materia est. Sed 37, 3 quatuor – uirtutes] cf. Julien Pomère, De vita contemplativa, III, 18 (PL 59, 501B); Grégoire le Grand, Hom. in Hiezech., I, iii (CCSL 142, p. 37, l. 130-133); Taio de Saragosse, Sententiae, III, 20 (PL 80, 875A-B) 37, 10 pulcherrime] G 1 |pulcherime S 3 ; r add. sup. l. S 4 39, 5 ingenio] ingenuo G 1 |ingenio S 3

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37. Des quatre points cardinaux de ce firmament Cette machine possède en outre quatre points cardinaux en ses quatre parties, dans lesquels, ou plutôt autour desquels, elle se tourne complètement, à savoir les quatre vertus cardinales: de l’orient, la prudence, qui sépare avec sagesse les eaux, nouvelles mais confuses, que l’ingéniosité laisse couler; de l’occident, la justice, qui dispose avec justesse les eaux anciennes mais confuses que la mémoire retient depuis longtemps; du midi, la tempérance, qui puise avec modération les eaux douces que la convoitise attire; du septentrion, la force qui reçoit avec courage les eaux amères que la colère repousse sans plaisir. Ainsi il se fait que tout l’élément de l’eau se trouve disposé de très heureuse façon par l’interposition du firmament, et qu’une voie aisée est préparée au milieu des eaux à l’âme qui veut entrer, sortir, monter ou descendre dans son microcosme. Telle est la disposition du second élément, opérée le deuxième jour. 38. Il donne des exemples de l’ascension de l’âme parmi ces eaux Maintenant, avant d’en venir à l’œuvre du troisième jour, nous voulons donner quelques exemples de l’ascension de l’âme, qui se produit au milieu de ces eaux. Et il faut savoir que cette ascension, le second élément une fois mis en place, comme on l’a dit, doit se faire convenablement à partir des susdits quatre points, c’est-à-dire depuis l’orient et l’occident, le midi et le septentrion. 39. Exemple de l’ascension depuis l’orient Parlons donc tout d’abord de celle qui se produit à partir de l’orient, sans prendre beaucoup d’exemples mais en respectant la forme du présent ouvrage. Voici donc l’auteur de ce présent traité, désirant, après avoir laissé les sens corporels, s’élever aux réalités spirituelles, ayant entamé son ascension depuis l’orient, et tandis que son ingéniosité s’écoule, il affronte tout d’abord certaines eaux jusque-là pures, à savoir le monde imaginaire, c’est-à-dire le microcosme qui est la matière de tout cet ouvrage. Mais parce qu’il trouve ces eaux – le firmament, dont nous avons maintenant assez parlé, placé depuis longtemps au milieu – séparées et disposées convenablement, par l’œuvre de la sagesse, il arrive, grâce à Dieu, avec bonheur jusqu’au lieu où il est maintenant. Que le lecteur conclue donc et qu’il revoie s’il veut bien, avec beaucoup d’attention tout ce que nous avons examiné depuis le début de cet ouvrage, et il

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quia easdem aquas iamdudum interposito medio firmamento, de quo iam satis dictum est, diuisas et conuenienter dispositas operante prudentia inuenit, Deo autore prospere usque ad id loci in quo nunc est peruenit. Epiloget ergo lector et diligenti si placet consideratione percurrat quecumque ab initio huius operis prosecuti sumus, et inueniet nimirum ita esse ut dicimus. Non enim uacat nobis nunc ad alia tendentibus epilogare que dicta sunt, sed nec opus est.

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〈40.〉 Exemplum de ascensu ab occidente Alius rursum relictis corporalibus ascendere cupiens ad spiritualia, ab occidente ascensum suum aggreditur, et ecce primum ueteres aquas a memoria sepius occidente retentas offendit. Verbi gratia: uenit enim in memoriam uetus illa apostolica sententia: Inuisibilia Dei a creatura mundi per ea que facta sunt intellecta conspiciuntur. Vetus aqua est hec, id est ymaginaria uia querendi Deum per creaturam mundi a creatura mundi, id est ab homine. Neque enim hic docet Apostolus corporalem hunc mundum corporaliter circueundum ut inueniatur Deus, sed potius considerata proprietate creature mundi inueniendum esse Deum. Quod quidam sic fecerunt: considerauerunt mundum hunc magnum non a se sed ab alio esse, et inuenerunt creatorem eius summe magnum. Considerauerunt mundum pulchrum, et inuenerunt creatorem eius summe sapientem. Considerauerunt mundum bonum, et inuenerunt creatorem eius summe bonum. Sicque ascensum sibi per ea que facta sunt ymaginarie considerata, usque ad Deum fecerunt et inuisibilia trium personarum in uno Deo deprehenderunt. Et hic quidem ymaginarius ascensus est in megacosmo. Porro alii in microcosmo, id est in semetipsis, ymaginarium ascensum usque ad Deum sic fecerunt, ex doctrina ipsius creatoris sui, inicium sibi facientes ascensus sui. Dixit enim creator hominis: Faciamus hominem ad ymaginem et similitudinem nostram. Considerauerunt hec uerba creatoris sui non posse esse nisi uera, sed et experimento ueritatem uerborum in humano spiritu probauerunt. Neque enim in corpore humano eorum ueritatem potue40, 5-6 inuisibilia – conspiciuntur] Rom. 1, 20 7 ymaginaria – mundi] cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., v (SC 419, p. 102, l. 10-15); De contemplatione, I, 11 (L’œuvre I, p. 124, l. 29-31) 21-22 faciamus – nostram] Gen. 1, 26 39, 5 ingenio] ingenuo G 1 |ingenio S 3

11 percurrat] precurrat Delhaye

40, 24-25 potuerunt inuenire] inuenire potuerunt G 1 |potuerunt inuenire S 3

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verra sans aucun doute qu’il en est comme nous le disons. Nous n’avons certes pas à conclure sur ce qui a été dit puisque nous devons maintenant passer à autre chose; de plus, cela est inutile.

40. Exemple de l’ascension depuis l’occident Un autre en revanche, désirant, une fois débarrassé des réalités corporelles, atteindre les réalités spirituelles, entame son ascension depuis l’occident; et voici qu’il affronte tout d’abord les vieilles eaux retenues par la mémoire, le plus souvent à l’occident; par exemple lui vient en mémoire cette ancienne sentence apostolique: «Ce que la créature terrestre ne peut voir de Dieu, elle peut le discerner par l’intelligence de ce qui a été fait.» Voilà ce qu’est la vieille eau: à savoir la voie, en imagination, de la recherche de Dieu à travers la créature du monde, par la créature du monde, c’est-à-dire l’homme. Cependant l’Apôtre n’enseigne pas qu’il faut examiner corporellement ce monde corporel pour trouver Dieu, mais plutôt que Dieu doit être trouvé en considérant la propriété de la créature du monde: ce qu’ils firent; ils considérèrent que ce vaste monde n’existe pas par lui-même mais par l’œuvre d’un autre, et ils trouvèrent que son Créateur est grand. Ils virent que le monde est beau et trouvèrent que son Créateur est la sagesse suprême. Ils virent que le monde est bon et trouvèrent que son Créateur est la bonté suprême. Et ainsi c’est par les choses créées, vues en imagination qu’ils firent leur ascension jusqu’à Dieu. Et ils saisirent l’invisible des trois personnes en un seul Dieu. Et cette ascension en imagination existe dans le mégacosme. D’autres firent aussi l’ascension jusqu’à Dieu, en imagination, dans le microcosme, c’est-à-dire en eux-mêmes, commençant leur ascension suivant l’enseignement de leur Créateur lui-même. Car le Créateur de l’homme dit: «Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance.» Ils considérèrent que ces paroles de leur Créateur ne pouvaient être autres que vraie, mais firent la preuve de la vérité de ces paroles par l’expérience dans l’esprit humain. Or ils ne purent trouver la vérité de ces paroles dans le corps humain, c’est pourquoi, ayant examiné avec soin l’esprit humain, ils trouvèrent qu’il peut, sait, veut par nature quelque chose de bon, et que dans la plus parfaite acquisition de ces trois capacités réside le sommet de toute béatitude. En outre, ils trouvèrent que rien

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runt inuenire. Diligenter itaque considerato spiritu humano, inuenerunt eum naturaliter aliquid boni posse, scire, uelle, et in horum trium summa adeptione tocius beatitudinis summam consistere, porro creatore suo nichil beatius esse ac per hoc ipsum summe potentem, scientem, uolentem siue bonum esse, que est beata Trinitas unus Deus.

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〈41.〉 Exemplum de ascensu a meridie Item alius corporalia relinquens et ad spiritualia ascendere cupiens, a meridie ascensum suum aggreditur. Et ecce primum offendit aquas dulces a concupiscentia sine delectu attractas sed diuidente eas firmamento pertransit securus. Ymagines enim concupiscibilium huius mundi rerum media discretione, duce temperantia, ita diuidit ut de ipsis etiam uiam sibi ascendendi ad Deum sternere non desinat. Verbi gratia affluunt ei concupiscibiles huius mundi res, scilicet diuitie et honores et alia huiusmodi, et prosperatur in his et quidem uidet in his multa esse commoda carnis. Sed e contrario considerat et experitur illecebras carnis et pericula spiritus que in eisdem sunt super omnia autem transitorias et fallaces esse quia spem beatitudinis quam ex commoditate conferunt transitu auferunt. Consideratis igitur et circumspectis undique huiusmodi proprietatibus earum, media discretione incipit uti eis temperanter ad necessitatem non etiam ad uoluptatem et sic, iuxta preceptum Domini dicentis: Facite uobis amicos de mammona iniquitatis, per ordinatum usum rerum quibus tantum utendum est uiam sibi sternit ad res quibus fruendum est.

〈42.〉 Quartum exemplum de ascensu ab aquilone Alius rursum recedens a corporalibus et ad spiritualia tendens, ascensum suum a septemtrione aggreditur. Et ecce primum offendit aquas

41, 16 facite – iniquitatis] Luc. 16, 9 41, 4 dulces] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |dulces S 3 4 sine delectu] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sine delectu S 3 14 incipit] prudenter praem. G 1 |incipit S 3 17 sternit] struit Delhaye 42, 2 et] abest in G 1 |et S 3

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n’est plus saint que leur Créateur, et donc qu’il est le pouvoir, le savoir, le vouloir, à savoir le bien suprême, c’est-à-dire la sainte Trinité, un seul Dieu.

41. Exemple de l’ascension depuis le midi Un autre encore, délaissant les réalités corporelles et désirant accéder aux spirituelles, entame son ascension depuis le midi. Et voici qu’il affronte tout d’abord les eaux douces attirées par la convoitise, sans plaisir; mais puisqu’elles sont séparées par le firmament, il les traverse sans risque. Par le moyen du discernement, sous la conduite de la tempérance, il distingue si bien les images des choses désirables de ce monde qu’il ne cesse d’en paver même la voie de son ascension vers Dieu. Par exemple, affluent à lui les choses désirables de ce monde, c’est-à-dire les richesses et les honneurs, et autres biens de ce genre et il prospère en tous ces succès, dans lesquels il trouve qu’il y a beaucoup d’agréments pour la chair. Mais en revanche il constate par l’expérience que les charmes de la chair et les périls pour l’esprit qu’ils comportent sont cependant transitoires et fallacieux plus que tout, car l’espoir de bonheur qu’ils confèrent par les agréments, ils le suppriment par leur caractère transitoire. C’est pourquoi, ayant étudié et examiné sous tous les aspects leurs propriétés, il commence, grâce au discernement, à en user avec tempérance, suivant la nécessité et non pour la volupté, et donc, suivant le précepte du Seigneur qui dit: «Faites-vous des amis avec l’argent de l’iniquité», par un usage ordonné des biens dont il faut seulement user, il s’ouvre la voie qui conduit aux biens dont il faut jouir. 42. Quatrième exemple, de l’ascension depuis le septentrion Un autre encore, abandonnant les réalités corporelles et recherchant les spirituelles, entame son ascension depuis le septentrion. Et voici que tout d’abord il affronte les eaux amères, repoussées sans plaisir par la colère, qu’il veut éviter tout à fait et ne le peut pas; mais ces eaux étant séparées par le firmament, il les traverse sans risque. Les images des adversités qu’il subit s’imposant à lui, il les discerne si bien, grâce au discernement et guidé par l’énergie, qu’il parvient à s’en faire un chemin pour monter vers Dieu. Par exemple, il est tourmenté par de nombreuses difficultés et incommodités corporelles, de sorte que les images de ces troubles qu’il retourne nuit et jour dans son esprit ne réussissent pas à

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amaras quas ira sine delectu repellente omnes declinare uult, non potest, sed diuidente eas firmamento pertransit securus. Ymagines enim rerum aduersarum quas patitur sibi occurentes, media discretione, fortitudine duce, ita diuidit ut de ipsis etiam uiam ascendendi ad Deum sibi sternere possit. Verbi gratia, fatigatur multis aduersitatibus et incommodis corporalibus, ita ut huiusmodi rerum ymagines quas nocte et die animo uersat, pene eum obruere debeant. Sed e contrario considerat huiusmodi tribulationes temporales uiro iusto uelud auro fornacem non consumptorium sed purgatorium esse. Media ergo discretione, incipit aduersa fortiter sustinere et quasi per medios fluctus obice fortitudinis hinc et inde diuisos, sursum tendere, et sic quem in prosperis perditurus fuerat, in aduersis Deum inuenire.

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〈43.〉 Animam per corporalia dispergi, per spiritualia recolligi Ecce per quatuor exempla demonstrauimus a quatuor partibus microcosmi animam sibi ascensum facere a corporalibus ad spiritualia, a terris ad celum, a seipsa ad Deum, per predictas aquas medio firmamento diuisas ascendere incipientem, donec tandem ab ipsis aquis emergat et sereniori aeri se committens absque ymaginum fantasiis, spiritualia contemplari subtilius incipiat. Quamdiu enim adhuc in aquis uersatur nichil purum, nichil perfectum sed quasi per speculum et in enigmate contemplatur. Ideoque in his nonnisi ascendendi inicium est. Recte autem ab his quatuor partibus ascensus sui initium sumit, cum ad unum summum bonum suum tendit. Licet enim idem summum bonum eius in sui natura unum tantum sit, tamen ut nos dispersos per hec inferiora colligeret ad se, in plura diriuauit se, id est in naturalia et gratuita. Vnde Iacobus: Omne datum optimum et omne donum perfectum desursum est descendens a Patre luminum, ‘Patrem luminum’ uocans illum unum et summum fontem bonorum ad nos diriuatorum dispersos hic illuminantium et accendentium et sic eleuantium, ut ad ipsum unum colligi ualeamus, ‘data optima’ et ‘dona perfecta’ uocans naturalia et gra-

42, 11 tribulationes – fornacem] cf. Prov. 27, 21 43, 1 animam – recolligi] cf. Augustin, De Genesi ad litt., XII, xvi, 33 (CSEL 28/1, p. 401, l. 10-p. 402, l. 18) 8-9 per – enigmate] I Cor. 13, 12 14-15 omne – luminum] Iac. 1, 17 43, 11-12 idem – eius] G 1 |summum bonum idem eius S 3

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l’accabler tout à fait, mais au contraire il considère ces tribulations comme passagères, tel un foyer non destructeur mais purificateur pour l’homme juste comme l’or. Ainsi, grâce au discernement, il commence à supporter les adversités avec courage et, comme au milieu des vagues séparées de part et d’autre par le rempart de la force, à trouver dans les adversités Dieu qu’il avait été sur le point de perdre dans la prospérité.

43. Que les réalités corporelles dispersent l’âme, les réalités spirituelles l’unifient Ainsi nous avons démontré que l’âme fait son ascension, des réalités corporelles vers les spirituelles, depuis les quatre parties du microcosme, commençant à monter de la terre vers le ciel, d’elle-même vers Dieu, à travers les susdites eaux séparées de part et d’autre par le firmament, jusqu’à ce qu’elle émerge enfin de ces eaux et, se mêlant à un air plus serein, commence à contempler plus délicatement, sans les fantasmes des images, les réalités spirituelles. Car aussi longtemps qu’elle est encore plongée dans les eaux, elle ne peut rien contempler de pur, rien de parfait, mais seulement comme «à travers un miroir et en énigme». C’est pourquoi ce n’est là rien d’autre que le début de l’ascension. Et il est juste qu’elle entame son ascension depuis ces quatre parties, du moment qu’elle tend vers son unique bien suprême. Car, bien que ce bien suprême qui est le sien sit en sa nature propre, afin de nous rassembler à lui – nous qui sommes dispersés dans ces réalités inférieures – il se divisa en plusieurs dons, à savoir les naturels et les gratuits. Ainsi, Jacques dit: «Tout ce qui est donné de meilleur et tout don parfait vient d’en haut, descend du Père des lumières», appelant «Père des lumières» cette unique et suprême source de biens dirigés vers nous, qui sommes dispersés ici-bas, nous illuminant et nous embrasant, et ainsi nous élevant, afin que nous puissions nous rassembler en Lui, l’Unique, qui appelle les dons les meilleurs et les grâces parfaites, dons naturels et dons gratuits. Ceux qui sont naturels, il les appelle très justement «dons excellents» car l’âme, rejetée dans ces réalités inférieures, ressent, dès sa propre création, qu’il lui ont été envoyés et répandus en elle en premier. Mais les

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tuita. Quorum naturalia quidem ideo recte ‘data optima’ uocat, quia anima ad hec inferiora deiecta, ea prima ab ipsa creatione sua ad se diriuata sibique infusa percipit, cetera namque corporis bona quia extrinseca sunt, sicut et ipsum corpus bona sunt quidem, sed non optima quia intrinsecis anime bonis, minus sunt bona minusque utilia. Porro gratuita recte ‘dona perfecta’ uocat, quia post naturalia per gratiam electis adiciuntur et participantes eis per ea perficiuntur, et ad unum summum bonum prouehuntur et colliguntur a quo longe dispersi sunt dum adhuc in terra sunt.

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〈44.〉 De dispersione anime latius agit De qua dispersione paulo latius aliqua dicamus ut melius innotescat quod de collectione dicimus. Ecce anima foras ad corporalia ab intimis suis exiens, per quinque sensus quasi per totidem portas egreditur. Egredienti ad portam uisus occurunt omnia uisibilia. Que, quia pulchra sunt, mox eam ad sui concupiscentiam rapiunt; raptam illiciunt – illecebrose enim sunt nimis uisibilium rerum pulchre species – illectam blandimentis deliniunt. Et ecce ad portam auditus occurunt audibilia, que quia nunc sonora, nunc canora, nunc persuabilia sunt, quante in eis illecebre sint, ipsa sibi testimonio sunt. Inter hec autem, dum et uisa et audita quibus illecta est tangere etiam festinat, ad portam tactus exeunti occurunt tangibilia. Que quia nunc suauia tactui, nunc odora olfactui, nunc sapora gustui sunt, non solum suas, uerum etiam aliorum duorum sensuum porta ei aperiunt. In quibus omnibus quid illecebrarum, quid blandimentorum animam sic exeuntem distrahentium sit, omnium experientia nouit. Quis ergo estimare, quis dinumerare possit dispersiones anime sic ad corporalia per quinque sensuum suorum portas exeuntis? Nec solum dispersiones, uerum etiam excecationes et corruptiones, ita

44, 4 quinque – portas] cf. Jérôme, Adversus Iovinianum, II (PL 23, 297B); Jean Scot, Periphyseon, II (CCCM 162, p. 606, l. 1379-1380); V (CCCM 165, p. 1646, l. 5343); Bernard de Clairvaux, Serm. in dominica sexta post pentecost., II, 5 (Bern. opera, V, p. 212, l. 8) 19 optima] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |optima S 3 20 creatione] G 1 | 3 4 2 25 et ] id est Delhaye 26 bonum] suum add. G 1 |bocreatore S ; creatione S num S 3

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autres biens corporels, parce qu’ils sont extérieurs, sont, certes, des biens, au même titre que le corps lui-même, mais ne sont pas les meilleurs, car étant des biens extérieurs à l’âme, ils sont moins bons et moins utiles. En revanche les dons gratuits, Il les appelle à juste titre «dons parfaits» parce qu’ils sont accordés en plus, après les dons naturels, par la grâce, aux élus qui, participant d’eux, sont rendus parfaits par eux et ils sont promus et rassemblés à l’unique Bien suprême dont ils sont éloignés et dispersés, tant qu’ils sont encore sur la terre. 44. Il traite plus amplement de la dispersion de l’âme Sur cette dispersion, disons-en un peu plus afin que ce que nous disons sur le rassemblement devienne plus clair. Voici que l’âme, s’extrayant du fond d’elle-même vers les réalités corporelles, sort par les cinq sens comme par autant de portes. Sortant à la porte de la vue, toutes les choses visibles lui parviennent. Et parce qu’elles sont belles, elles la poussent très vite à les convoiter; une fois entraînée, elles la séduisent, car le bel aspect des choses visibles est très séduisant. Une fois séduite, elles l’entourent de flatteries. Et voici qu’à la porte de l’audition lui arrivent les choses audibles; lesquelles, parc qu’elles sont tantôt sonores, tantôt mélodieuses, tantôt captivantes, témoignent d’elles-mêmes de toutes les séductions qui sont en elles. Mais en même temps, tandis qu’elle s’empresse aussi de goûter à ce qu’elle a vu et entendu, dont elle a été séduite, sortant à la porte du tact, lui parviennent les choses tangibles. Et parce que ces dernières sont tantôt douces au toucher, tantôt agréables à l’olfaction, tantôt savoureuses au goût, elles lui ouvrent non seulement leurs propres portes mais aussi celles des deux autres sens. En tout cela, elle fait l’expérience de toutes les flatteries, de toutes les séductions qui distraient l’âme qui sort de cette façon. Qui peut en effet mesurer, qui peut dénombrer les dispersions de l’âme qui sort vers les réalités corporelles par les portes de ses cinq sens? Et ce ne sont pas seulement des dispersions mais des aveuglements et des corruptions, au point qu’elle ne se souvient pas de sa lumière intérieure et qu’elle ne cherche pas à se souvenir du bien véritable qui est en elle, dont elle s’est grandement éloignée. Je dis bien qu’elle ne se souvient pas, à cause de son aveuglement, qu’elle ne cherche pas à se souvenir, en raison de sa corruption. Car plus elle s’attarde à contempler les réalités extérieures, plus elle perd la vision de sa lumière intérieure, et plus elle en est envahie plus elle se corrompt, très éloignée de son bien véritable, et s’approche de la mort.

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ut nec meminerit intimi luminis sui, nec meminisse curet ueri boni sui a quo longe recessit. Non meminerit, inquam, propter excecationem suam, non curet propter corruptionem. Quanto enim diligentius exteriora intuetur, tanto magis ab intimo lumine suo excecatur, et quanto ardentius eadem amplectitur, tanto a uero bono suo longe facta corrumpitur et morti uicinatur.

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〈45.〉 Reprobam animam ex dispersione perire, electam non Hinc fit ut reproba quidem anima sic foras egressa et his modis dispersa, cum se totam his illicebris dederit, ab intimo lumine suo penitus excecata et a uera salute sua infirmata finaliter pereat. Porro electa anima, licet et ipsa similiter foras egressa, cum prodigo filio patris in regionem dissimilitudinis abiens, etiam usque ad porcos pascendos deuenerit, quia tamen electa est, etsi perire possit, non finaliter perit sed occulto quodam uel necessitatis uel liberi arbitrii motu tacta, aliquando in se reuertitur et dispersionem suam periculosam considerans, paulatim se recolligit in se et quasi filius prodigus nondum dignus patris gratia, uult fieri interim in domo patris sui mercenarius, ubi etiam multi mercenarii habundant panibus, timore non amore illi seruiturus, potius quam sub alieno domino periturus, quia pater forsitan illi se patrem est exhibiturus et de seruo citius filium facturus. Itaque naturalium bonorum substantiam quamuis dissipatam sed non penitus consumptam – neque enim facile funditus consumi potest – utcumque recolligit, et primum naturale ingenium dissipatum resarciens, duce prudentia ab oriente ad patrem redire incipit. Noui aliquid artificii non tamen patri displicentis ingeniose fingit, dum de filio seruum se facit, duce quoque iusticia, ab occidente ad preteritorum memoriam redit, dum se acturum penitenciam apud patrem dicit. Iustum

45, 5 prodigo filio] cf. Luc. 15, 11-31 5-6 regionem – dissimilitudinis] Plotin, Ennéades, I, 8, 13 (Creuzer, p. 154, l. 14); Augustin, Confess., VII, x, 16 (CCSL 27, p. 103, l. 17); Bernard de Clairvaux, Sermo de diversis, 40, 4 (Bern. opera, VI, p. 237, l. 933 uirtutes – gratuita] cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, vi, 17 (PL 175, 273B) 44, 19 intimi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |intimi S 3 sup. l. G 2 |ueri S 3

ueri] abest in G 1 ; add.

45, 3 his] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 dederit] dedit Delhaye abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |periculosam S 3

9 periculosam]

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45. Que l’âme réprouvée meurt par la dispersion, l’âme élue, non Par conséquent il se produit que l’âme réprouvée ainsi extériorisée et dispersée de cette façon, en se livrant toute entière à ces séductions, totalement oublieuse de sa lumière intérieure et privée de son véritable salut, finit par mourir. En revanche, l’âme élue, bien qu’extériorisée elle aussi de la même façon, s’en allant, avec le fils prodigue du Père, vers la région de dissemblance, au point d’en arriver à nourrir des porcs, parce qu’elle est cependant élue, même si elle peut périr elle ne finit pas par périr, mais touchée à un certain moment par une sorte de mouvement caché, soit de la nécessité soit du libre arbitre, elle revient en elle-même et, voyant le danger de sa dispersion, elle se recueille peu à peu en ellemême, et telle le fils prodigue encore indigne du pardon du père, elle veut, en attendant, devenir serviteur dans la maison de son Père où même les nombreux serviteurs sont nourris en abondance. Devant le servir, par crainte et non par amour, plutôt que de périr sous le joug d’un maître étranger, parce que le Père se montrera peut-être comme un père à son égard, et de serviteur, faire bientôt de lui un fils. C’est pourquoi, il rassemble comme il peut la substance des bien naturels, certes dispersée mais non complètement consumée – car elle peut difficilement être consumée jusqu’au fond – et, corrigeant tout d’abord son ingéniosité dispersée, il commence, sous la conduite de la sagesse, à revenir de l’orient vers le Père. Il se forge malicieusement une sorte de nouveau visage en se présentant comme serviteur et non comme fils, qui cependant ne déplaît pas au Père, et sous la conduite de la justice, il revient de l’occident vers la mémoire des choses passées, en disant qu’il fera pénitence auprès du Père. Il est juste, en effet, que le pécheur fasse pénitence pour les fautes commises, si toutefois il désire obtenir le pardon. Mais, sous la conduite aussi de la tempérance, il corrige depuis le midi ses convoitises, en s’estimant satisfait du salaire de serviteur. De même, en se préparant à supporter les épreuves de la pénitence avec une forte volonté, depuis le septentrion, sous la conduite de la force, il s’affermit contre toutes les adversités. Cependant tout cela, il le fait non pas encore en tant que fils mais en tant que serviteur, quand il décide de le faire par peur plutôt que par amour. Ainsi l’âme élue, revenant de sa multiplicité en laquelle, s’étant extériorisée, elle avait été dispersée tout d’abord en quatre points, elle rassemble ses dispersions à travers ces eaux de l’imagination, séparées par le moyen du discernement, jusque-là par le seul bon usage des biens naturels, et elle s’empresse, autant qu’elle peut, de s’élever par un effort

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est enim ut peccator de commissis penitentiam agat, si tamen ueniam consequi desiderat. Sed et duce temperantia a meridie concupiscentias suas castigat, dum se mercenarii mercede contentum reputat. Similiter a septemtrione, duce fortitudine, contra aduersa queque se roborat, dum se penitencie laboribus sustinendis forti animo preparat. Omnia tamen hec non ut filius adhuc sed ut seruus agit, dum timore magis quam amore talia facere disponit. Sic itaque electa anima a multiplicitate sua ad quam foras egressa dispersa fuerat, adhuc quaternarium primo se recolligens, per has ymaginarias aquas media discretione diuisas, solo adhuc naturalium bono usu, dispersiones suas congregat, et eo quo potest naturali conatu ad unum bonum suum ascendere festinat. Neque enim quatuor cardinales uirtutes ad dona gratuita pertinent, cum plerumque perfecte inueniantur in malis. Potius ad industriam pertinere eas credimus, quam discretionis partem diximus. Tunc pater misericors filio sic ad se uenienti, mox ut eum uidet occurrere festinat, et adiectione gratie naturalis conatus insufficientiam adiuuans et ipse dispersiones eius ad plenum congregat, testante psalmista qui ait: Edificans Iherusalem dominus dispersiones Israelis congregabit. Moraliter enim, dum electe anime sic disperse gratiam apponit, Iherusalem edificat; dum eam ad se colligit, dispersiones congregat et miro quodam modo ad unum collectam dilatat, que se in multa dispergendo pene ad nichilum redegerat. Maius quippe est illud unum uniuersis in que se dispergendo diuiserat. Quo autem ordine huius congregationis per gratiam consummatio fieri habeat, eiusdem gratie adiutorio cum ad quarti diei opus uentum fuerit exequamur. Nunc de tercii diei opere quod instat agemus.

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〈46.〉 De opere tercii diei Dixit quoque Deus: Congregentur aque que sub celo sunt in locum unum et appareat arida. Omissis hic penitus aquis quas super celos esse dixerat, Moyses ad eas que sub celo remanserunt stilum uertens, dicit Deum dixisse: Congregentur aque que sub celo sunt in locum unum et appareat arida. Vbi primum ad litteram quedam questio non pretereunda

38-39 edificans – congregabit] Ps. 146, 2 46, 2-3 congregentur – arida] Gen. 1, 9 34 inueniantur] et add. G 1 |inueniantur S 3 45 uentum] uuentum Delhaye

38 psalmista] psalmiste Delhaye

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naturel vers son Bien unique. Car les quatre vertus cardinales n’appartiennent pas aux dons gratuits puisqu’on les trouve le plus souvent parfaitement chez les mauvais. Nous pensons qu’elles appartiennent plutôt à l’activité, dont nous avons dit qu’elle fait partie du discernement. Alors le Père, miséricordieux envers le fils qui vient ainsi à lui, dès qu’Il le voit, s’empresse d’accourir, et palliant l’insuffisance de l’effort naturel par le don supplétif de la grâce, Il rassemble lui-même parfaitement ses dispersions, au témoignage du psalmiste qui dit: «En bâtissant Jérusalem le Seigneur rassemblera les dispersions d’Israël». Au sens moral, en effet, en accordant la grâce à l’âme élue ainsi dispersée, il édifie Jérusalem, en la recueillant à lui, il rassemble les dispersions et, ramassée dans son unicité, d’une manière étonnante il la dilate, elle qui en se dispersant en de nombreuses parties s’était presque réduite à néant. Bien sûr, cette unicité est plus grande que toutes les parties en lesquelles elle s’était divisée en se dispersant. Dans quel ordre doit s’opérer, par la grâce, l’accomplissement de cette unification, avec l’aide de cette même grâce nous en traiterons quand nous en serons arrivés à l’œuvre du quatrième jour. À présent, occupons-nous de l’œuvre du troisième jour, qui vient maintenant.

46. De l’œuvre du troisième jour Et Dieu dit: «Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et que le sec paraisse». Passant totalement sous silence les eaux qu’il avait dit être situées au-dessus du ciel, Moïse tournant sa plume vers celles qui sont restées sous le ciel, déclare que Dieu avait dit: «Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et que le sec paraisse.» Il y a là tout d’abord, suivant la lettre, une question non négligeable entre le théologien et le philosophe, qui, si elle n’est pas résolue, l’affirmation de la foi catholique sera ébranlée. Car d’après ces paroles de Moïse, auxquelles les Pères de la foi catholique eux-mêmes ont adhéré, il semble que le sec soit apparu en un seul lieu du monde, et que toutes les autres parties de la terre aient été recouvertes d’une étendue continue d’eau. En revanche, le philosophe naturaliste, sans doute à l’aide d’un

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inter theologum et philosophum occurrit que, si enodata non fuerit, assertio fidei catholïce uacillabit. Ex his enim dictis Moysi, cui et catholice fidei patres assensum prebuerunt, uidetur in uno tantummodo loco mundi aridam apparuisse ceterasque terre partes uniuersas continuatis aquis coopertas esse. E contra autem naturalis philosophus probabili ualde ratione in quatuor locis mundi quatuor aridas asserit apparuisse et singulas non solum habitabiles sed et habitatas esse. Docet enim quinque esse terre uel celi zonas, quarum duas extremas frigoris intemperie propter perpetuam solis absentiam probabiliter asserit inhabitabiles, mediam uero caloris intemperie propter perpetuam solis presentiam inhabitabilem, porro duas inter mediam et extremas constitutas frigoris et caloris temperie habitabiles et habitatas propter solis ad eas accessum et recessum temperatum. In singulis enim duas apparuisse aridas astruunt, in superiori scilicet emisperio duas et in inferiori, duas magno oceano utramque zonam bis diuidente et sic quatuor aridas faciente, ita ut due que in eadem zona sunt, altera in inferiori, altera in superiori emisperio indirecte quidem sibi contraposite sint. Quorum etiam habitatores anthetos, id est contrapositos, uocant. Que uero in diuersis zonis sunt, altera sursum, altera deorsum, que per medium terre conum se respiciunt, directa sibi contrapositione opponuntur. Vnde et earum habitatores antipodes uocant, quasi pedes contra pedes positos habentes.

9-11 in – esse] cf. Cicéron, Somnium Scipionis, 6, 20 (Ronconi, p. 52); Macrobe, Comment. in Somnium Scipionis, II, v, 34 (p. 115, l. 24-26) 14-19 quinque – temperatum] cf. Isidore, Etymologiae, III, 44 (PL 82, 173B); Guillaume de Conches, Dragmaticon, VI, 3, 3 (CCCM 152, p. 188, l. 25-32) 23-28 quorum – habentes] cf. Lactance, Divinae institut., III, 24 (CSEL 19, p. 254, l. 18-19); Guillaume de Conches, Glosae super Boethium, II, pr. 7 (CCCM 158, p. 121, l. 64-66) 46, 7 fuerit] G 1 |fuerint S 3 14 esse terre] G 1 |terre esse S 3 uel celi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uel celi S 3 19 et 2 – temperatum] temperatum et recessum G 1 ; habent G 2 | S 3 20 emisperio] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |emisperio S 3 21-22 magno – faciente] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |in textu S 3

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solide raisonnement, affirme que quatre zones sèches sont apparues dans quatre régions du monde, et qu’elles sont toutes non seulement habitables mais habitées. Il enseigne en effet qu’il y a cinq zones de la terre ou du ciel, dont il affirme que les deux extrêmes sont probablement inhabitables en raison de l’excès de froid, causé par l’absence permanente du soleil, que la zone centrale est aussi inhabitable en raison de l’excès de chaleur, causée par la présence permanente du soleil, mais que les deux zones situées entre la médiane et les extrêmes sont habitables et habitées en raison de la tempérance du froid et de la chaleur, causée par un bon équilibre entre présence et absence du soleil. Ils font savoir que dans chacune d’elles sont apparues deux régions sèches, à savoir deux dans l’hémisphère supérieur, et deux dans l’inférieur, un grand océan séparant deux fois chaque zone, créant ainsi quatre régions sèches, de sorte que les deux qui se trouvent dans la même zone, l’une dans l’hémisphère inférieur, l’autre dans le supérieur, se trouvent indirectement «contraposées». Et ils appellent leurs habitants anthetos, ce qui veut dire «contraposés». Mais celles qui se trouvent dans des zones différentes, l’une en haut, l’autre en bas, qui se regardent par la pointe médiane de la terre, s’opposent par «contraposition» directe. C’est pourquoi ils appellent leurs habitants antipodes, ayant en quelque sorte pieds contre pieds.

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〈47.〉 Quare philosophicam opinionem commemorauerit Ecce philosophicam opinionem predicte Moysi sententie contrariam, quam nos, licet a proposito digredientes, idcirco tamen hic commemorauimus, quia multi christianorum philosophorum in hanc opinionem declinantes, a recto fidei tramite exorbitauerunt, dum tot hominum genera quot aridas in mundo, cogente hac opinione, arbitrati sunt. Quod quam longe ab orthodoxa fide sit quis non uidet? Hinc etenim prouenit nec ab uno homine omnes exisse nec per unum hominem mortem in hunc mundum introisse ac per hoc nec per unum hominem uitam mundo rediisse.

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〈48.〉 Dupliciter resistit philosophica opinioni Itaque opere precium erit huic resistere opinioni eiusque falsitatem detegere. Quod duobus modis faciemus, primum auctoritate diuina huius opinionis assertores conuincemus, deinde ex alia eorum assertione hanc ipsorum assertionem refellemus. Auctoritate diuina sic: Deus est qui dixit: Congregentur aque que sub celo sunt in locum unum et apparent arida. Non dixit: ‘Diuidantur aque que sub celo sunt in loca quatuor et appareant aride’. Non est ergo sub celo arida nisi una, exceptis insulis que sub eadem zona uni aride continuantur, ceteris omnibus terre zonis continuo aque elemento naturaliter, ut in proximo ostendemus, coopertis. Sed nec illa ipsa una arida que nunc apparet naturali motu elementorum facta est, sed ad imperium eius qui ipsam naturam mutat ut uult. Ipse enim dixit: Congregentur aque que sub celo sunt in locum unum et appareat arida.

47, 8-9 per – introisse] cf. Rom. 5, 12 48, 6-7 congregentur – arida] Gen. 1, 9 47, 7 ab] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 48, 2 resistere opinioni] opinioni resistere G 1 |resistere opinioni S 3 moru Delhaye

11 motu]

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47. Pourquoi il a rappelé l’opinion philosophique Telle est l’opinion philosophique, contraire à la susdite phrase de Moïse, que nous avons rappelée ici, Dieu que hors du sujet, pour la raison que beaucoup de philosophes chrétiens, penchant pour cette opinion, se sont écartés du chemin de la vraie foi en estimant, en vertu de cette opinion, qu’il y a autant d’espèces d’hommes que de régions sèches dans le monde. Qui ne voit pas à quel point cela est éloigné de la foi orthodoxe? Car il en découle que tous les hommes ne descendent pas d’un seul homme, ni que la mort est entrée en ce monde à cause d’un seul homme et donc que la vie n’a pas été rendue au monde par un seul homme. 48. Il s’oppose doublement à l’opinion physique C’est pourquoi il sera important de s’opposer à cette opinion et d’en mettre en évidence la fausseté. Et nous le ferons de deux façons: d’abord nous convaincrons par l’autorité divine les tenants de cette opinion, ensuite nous rejetterons cette assertion par une autre de leurs affirmations. Ainsi, par l’autorité divine: Dieu est Celui qui a dit: «Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et qu’apparaisse le sec.» Il n’a pas dit «que les eaux qui sont sous le ciel se partagent en quatre endroits et que paraissent les régions sèches.» Car il n’y a qu’une région sèche sous le ciel à l’exception des îles qui, dans la même zone, sont rattachées à une seule région sèche, toutes les autres zones de la terre étant naturellement couvertes d’une continuelle étendue d’eau, comme nous allons le démontrer tout de suite. Mais cette unique région sèche, qui maintenant est évidente, n’a pas été créée par un mouvement naturel des éléments mais par la volonté de Celui qui change la nature elle-même à sa volonté. Car c’est lui qui dit: «Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et que le sec apparaisse.»

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〈49.〉 Tria esse opera et tres operarios Alia namque sunt opera solius Dei sine ministerio nature, alia sunt opera nature ministrantis Deo, alia sunt opera artificis imitantes naturam. Opera Dei sine ministerio nature sunt quecumque in exameron per Moysen a Deo facta narrantur, quorum unum est quod dicente Deo apparuit arida. Que enim natura est ut terra naturaliter ponderosior aqua appareat super aquam, nisi imperanti Deo cessisset natura? Opera nature ministrantis Deo sunt que Deo quidem autore, sed ministerio nature postea facta sunt ut quod homines de hominibus, fructus de arboribus naturaliter gignuntur et huiusmodi. Opera artificis naturam imitantis sunt ut quod homo uidens montem fecit domum, uidens ouem uestitam lana fecit sibi uestem de lana et huiusmodi. Itaque quod contingatis aquis que sub celo sunt una arida apparuit, solius Dei, non etiam nature opus fuit.

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〈50.〉 Quare Deus unam tantum fecerit aridam Preuidens enim Deus se hominem facturum ex duabus substantiis, corporali uidelicet et spirituali, terrena et celesti, et eundem propter terrenam substantiam terram naturaliter inhabiturum, propter celestem uero ad celos naturaliter inhiaturum, statuit ei primo terrenam habitationem parare ut in ea naturaliter degentem et celis inhiantem tandem per gratiam celis inueheret, degenerantem a natura sua sibi relinqueret, et quia ex uno omnes prodire et unam omnibus legem dare uoluit, unam etiam omnibus habitationem constituit. Dixit ergo: Congregentur aque

49, 1 tria – opera] Hugues de Saint-Victor, Didasc., I, 9, (Buttimer, p. 16, l. 7-8); In Eccles. hom., 14 (PL 175, 216A); Guillaume de Conches, Glosae Super Boethium, III, m. 9 (CCCM 158, p. 158, l. 118-136); Dragmaticon, I, vii (CCCM 152, p. 30, l. 22-23) 3 opera – naturam] Guillaume de Conches, Glosae super Platonem, xxxvi (CCCM 203, p. 69, l. 2-3) 50, 9-10 congregentur – arida] Gen. 1, 9 49, 10 naturam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |naturam S 3 1

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14 opus] operis Delhaye

50, 1 fecerit aridam] aridam fecerit G |fecerit S ; fecerit aridam G 5

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49. Il y a trois sortes d’œuvres, et trois sortes d’ouvriers Autres sont en effet les œuvres de Dieu seul, sans le ministère de la nature, autres sont les œuvres au service de Dieu, autres enfin les œuvres de l’artisan imitant la nature. Les œuvres sans le ministère de la nature sont toutes celles dont Moïse dit, dans l’Hexaemeron, qu’elles ont été faites par Dieu; dont l’une est que, sur le commandement de Dieu, le sec apparut. Quelle est en effet cette nature, pour que la terre, naturellement plus lourde que l’eau, apparaisse au-dessus de l’eau, si ce n’est que la nature aurait cédé devant le commandement de Dieu? Les œuvres de la nature au service de Dieu sont celles qui ont été faites ensuite, Dieu en étant l’auteur, mais par le ministère de la nature, comme le fait que, par nature, les hommes naissent des hommes, les fruits des arbres, ainsi de suite. Les œuvres de l’artisan imitant la nature sont, par exemple, le fait que l’homme, voyant une montagne, construisit une maison, voyant une brebis vêtue de laine, se fit un vêtement de laine, ainsi de suite. Ainsi, le fait que, les eaux qui sont sous le ciel une fois rassemblées, une seule région sèche apparut, est l’œuvre de Dieu seul, sans le ministère de la nature. 50. Pourquoi Dieu a créé une seule région sèche Car Dieu prévoyant de faire l’homme de deux substances, à savoir corporelle et spirituelle, terrestre et céleste, prévoyant qu’en raison de sa substance terrestre, il devait naturellement habiter la terre, qu’en raison de sa substance céleste, il devrait naturellement aspirer au ciel, décida de lui préparer tout d’abord une habitation terrestre où il passerait sa vie, naturellement, en aspirant aux cieux, pour l’emporter enfin au ciel, par la grâce, mais pour l’abandonner à lui-même s’il se détournait de sa nature, et parce qu’il voulut que tous participent de l’unicité, et qu’Il voulut donner à tous une seule loi, Il leur constitua aussi à tous une seule habitation. Car Il dit: «Que toutes les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et qu’apparaisse le sec». Que les prêcheurs de fables y aillent donc, et qu’ils racontent à ceux qui les croient les fables qu’ils ont échafaudées sur les quatre régions sèches et leurs quatre sortes d’habitants. Quant à nous, nous ne tenons pour rien de telles choses nous qui savons que, naturellement, il n’a pas pu apparaître une seule région sèche sinon parce que la nature a obéi à l’ordre de Celui qui peut l’impossible, qui voulut absolument, pour la dite raison, qu’une seule région sèche apparaisse.

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omnes que sub celo sunt in locum unum et appareat arida. Eant ergo fabularum assertores et quas de quatuor aridis et quatuor earum habitatoribus confixerunt fabulas sibi credentibus narrant. Nobis enim pro nichilo talia narrant, qui scimus nec unam naturaliter potuisse apparere aridam, nisi ei qui potest impossibilia inperanti obedisset natura, qui utique propter dictam causam non nisi unam uoluit apparere aridam.

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〈51.〉 Ex alia philosophorum opinione refellit hanc Nam etsi probabile est quod de quinque zonarum temperie uel intemperie asserunt, ideoque duas temperatas inter mediam et extremas intemperatas esse posse et ratione temperiei habitatores habere, hoc tamen omnino inprobabile est quod de quatuor aridis adiciunt. Ex alia enim eorum assertione hanc eorum assertionem facile est refellere. Ipsi namque asserunt numeris elementa ligari et firmissimis quibusdam proportionum connexionibus ea sibi inuicem ita constringi, ut nec locum semel sibi constitutum mutare possint: terra prima ponderositate sua in imo subsidente, aqua secunda ponderositate sua illi incumbente, igne prima leuitate sua summa petente, aere secunda leuitate sua inter aquam et ignem se diffundente, ita ut nullum horum sine medio uel mediis tercium uel quartum a se contingere aut locum suum possit relinquere. Quomodo enim elementarium proportionum ligatura constaret si terra, spreto medio uel mediis suis, usque ad aerem uel ignem excederet uel e contrario? Neque enim excedentia uel excessa sunt ut excedere se uel excedi a se naturaliter uel in parte possint, nisi nature Dominus hanc excedentiam preter ordinem nature fieri inperasset, et ita locum habitaturo in terra homini preparasset.

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〈52.〉 Post digressionem rediit ad opus tercii diei His de megacosmo ad litteram per digressionem breuiter decursis propter periculosum quorumdam nostrorum philosophorum errorem extyrpandum, iam nunc ad propositum ueniamus, et quis sit hic tercius dies uel quod sit hoc opus tercii diei in microcosmo nostro deinceps uideamus. Congregentur, inquit, aque que sub celo sunt in locum unum et

51, 4-5 hoc – adiciunt] cf. Macrobe, Comment. in Somnium Scipionis, I, 11 (p. 46, l. 25-26) 9-13 terra – relinquere] cf. Guillaume de Conches, Glosae super Platonem, lxiv (CCCM 203, p. 112-113, l. 16-25) 52, 6-7 congregentur – arida] Gen. 1, 9

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51. Il repousse cette opinion par une autre opinion des philosophes Car même si ce qu’ils affirment sur la tempérance ou intempérance des cinq zones est probable, et donc que deux zones tempérées entre une zone médiane et deux extrêmes, non tempérées, puissent exister et, en raison de leur tempérance, posséder des habitants, en revanche ce qu’ils ajoutent sur les quatre régions sèches est totalement improbable. Car il est facile de rejeter cette assertion par une autre de leurs affirmations. Ces philosophes affirment en effet que les éléments sont liés entre eux par des nombres, et sont tellement solidaires entre eux par des rapports immuables de proportion qu’ils ne peuvent se déplacer du lieu qui leur a été assigné une fois pour toutes: la terre, en raison de sa plus grande densité est au fond: l’eau, en raison de sa moindre densité, s’étend sur elle; le feu, parce qu’il est de première légèreté monte au plus haut; l’air, parce qu’il est de moindre légèreté, se répand entre l’eau et le feu, de sorte qu’aucun d’eux ne peut atteindre directement le troisième ou le quatrième élément sans un ou plusieurs intermédiaires, ni quitter sa place. Car comment le lien des rapports élémentaires tiendrait-il si la terre, abandonnant son ou ses milieux, s’en allait jusqu’à l’air ou le feu, ou le contraire? Car aucune sortie ne pourrait se faire ou être faite d’ellemême, naturellement, même en partie, si le Seigneur de la nature n’avait ordonné que cette sortie se fasse en dehors de l’ordre de la nature, et n’avait ainsi préparé un lieu sur la terre pour que l’homme y habite.

52. Après cette digression, il revient à l’œuvre du troisième jour Après ces brèves digressions faites, à la lettre, sur le mégacosme, pour extirper une erreur dangereuse de certains de nos philosophes, venons-en maintenant à notre sujet et voyons ce qu’est ce troisième jour, et quelle est cette œuvre du troisième jour dans notre microcosme. «Que les eaux», dit-il «qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et que le sec apparaisse.» Traitant du microcosme, nous avons dit plus haut que l’âme élue, pendant qu’elle est encore dans le corps, quand elle est tournée vers les réalités extérieures, elle sort par l’imagination vers les cinq sens, et par les cinq sens vers la connaissance des corps, mais quand elle est tournée vers les réalités intérieures, elle monte par cette même imagination vers la raison, et par la raison vers l’intelligence des

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appareat arida. De microcosmo agentes, superius diximus electam animam, dum adhuc in corpore est, nunc ad exteriora conuersam per ymaginationem ad quinque sensus et per quinque sensus ad cognitionem corporum exire, nunc uero ad interiora conuersam et per eandem ad rationem et per rationem ad intelligentiam spirituum conscendere. Et utique, dum in corpore est, necesse habet utrumque facere, nunc scilicet ad exteriora, nunc ad interiora se conuertere, ad exteriora propter uarias et multas necessitates corporis cui habet prouidere, ad interiora propter unum summe necessarium suum bonum quod instanter habet querere. Igitur ad exteriora conuersa per ymaginationem ad sensus exit, quia nemo sensibilia hec foris percipere querit, nisi prius aliqua ymaginatione ea preconceperit. Exeunti ergo per ymaginationem ad sensus, dum sensibus res sensibiles percepte inportune se ingerunt et alie nondum sensu perceptarum ymagines rerum terrenarum, uelud aque sub celo terris inherentes et inportunitate sua simul et numerositate ita inuoluunt sensus eius uelud aque terram, ut nichil adhuc appareat aride, nisi Deus dicat: Congregentur aque que sub celo sunt in locum unum et appareat arida. Quamuis enim per discretionem iam diuisi sint rationabiles motus anime ab irrationabilibus, sursum positis rationabilibus, tanti adhuc deorsum sunt irrationabiles ut sicut supradictum est, si fieri posset, etiam electa anima perire deberet nisi Deus diceret: Congregentur aque etc. id est nisi Deus ante gratie appositionem tali anime legem poneret discipline qua carnalium desideriorum mare coherceretur et quasi quibusdam certis terminis includeretur, ne supereffluens omnem terram occuparet, et sic etiam electam animam obrueret. Ponit ergo Deus legem discipline tali anime nondum filialiter amanti sed seruiliter timenti, hinc preceptionibus, hinc prohibicionibus, hinc concessionibus, hinc permissionibus, quasi quatuor quibusdam terminis, hoc desideriorum carnalium mare cohercens ut appareat arida, sensualitas scilicet a fluxu prauorum desideriorum arefacta, et fiat bonorum operum faciendis fructibus apta. Hoc autem recto fit tertio die, tertie scilicet etatis, id est iuuentutis tempore, quando amplius huius maris estus intumescunt et super uni-

52, 8 nunc] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 10 et 1] abest in G 1 |et S 3 15 quod – querere] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 21 ymagines rerum] G 1 |rerum ymagines S 3 ; imagines rerum S 4 aque] aqua Delhaye 23 aque] aqua Delhaye 29 gratie] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |gratie S 3 32 legem] G 1 |om. S 3 3435 quasi – terminis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3

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réalités spirituelles. Et quoi qu’il en soit, tant qu’elle est dans un corps, elle doit nécessairement faire les deux, c’est-à-dire se tourner tantôt vers les réalités extérieures, tantôt vers les réalités intérieures. Vers les extérieures, en raison des besoins multiples et variés du corps auquel elle doit pourvoir, vers les intérieures, en raison de son bien unique et suprêmement nécessaire qu’elle doit rechercher sans relâche. Ainsi, tournée vers les réalités extérieures par l’imagination, elle sort vers les sens parce que personne ne cherche à percevoir ces réalités sensibles à l’extérieur s’il ne les a pas conçues à l’avance par une certaine imagination. Sortant donc par l’imagination vers les sens, tandis que les réalités sensibles perçues par les sens la pénètrent importunément, d’autres images encore, de choses terrestres non encore perçues par les sens, s’attachant à la terre comme l’eau qui est sous le ciel, entourent tellement ses sens par leur importunité et leur grand nombre, comme l’eau entoure la terre, que rien encore n’apparaîtrait sec si Dieu ne disait pas «que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et qu’apparaisse le sec». Cependant, bien que les mouvements rationnels de l’âme soient déjà bien distingués des irrationnels grâce au discernement, les mouvements rationnels étant placés au-dessus, si nombreux sont encore les mouvements irrationnels, placés en bas, que, comme on l’a dit, même l’âme élue, s’il était possible, devrait mourir si Dieu ne disait pas: «Que se rassemblent les eaux, etc.» c’est-à-dire si Dieu, avant l’attribution de la grâce, n’avait imposé à cette âme une loi de discipline par laquelle la mer des désirs charnels serait contenue et comme enfermée par des bornes délimitées afin de ne pas déborder et envahir toute la terre, et détruire ainsi jusqu’à l’âme élue. Dieu impose donc cette loi de discipline à cette âme qui n’aime pas encore filialement mais qui éprouve une crainte servile, contenant cette mer des désirs charnels soit par des ordres, soit par des interdictions, soit par des concessions, ou encore par des promesses, comme par quatre bornes, afin que le sec paraisse, c’est-à-dire la sensibilité épurée du flux des mauvais désirs, et qu’elle devienne capable de produire les fruits des œuvres bonnes. Telle est en vérité l’œuvre du troisième jour, au temps du troisième âge qui est celui de la jeunesse, quand les houles de cette mer gonflent davantage et, si elles ne sont pas contenues, se répandent sur toute la surface de la terre. En vérité ce que nous disons ici, au sens tropologique, de chaque âme, s’est produit jadis pour tout le genre humain, qui et comme un microcosme collectif; qui, encore enfant, du temps de Noé, reçut de Dieu une faible lueur de connaissance; presque adolescent, du temps d’Abraham, il reçut le discernement; jeune, du temps de Moïse, il reçut

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uersam faciem terre nisi coherceantur excrescunt. Nam et hoc quod tropologice nunc de unaquaque anima dicimus, de uniuerso genere humano, qui est quidam generalis microcosmus, olim factum est, qui sub Noe quidem adhuc puer modicam de Deo lucem sciencie, sub Abraham quasi adolescens discretionem, sub Moyse iuuenis legem discipline accepit, cuius timore magis quam amore Deo seruire cepit.

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〈53.〉 Quid sit terram germinare herbam uirentem Sic itaque posita lege aquis que sub celo sunt et apparente arida, hoc ipso die dicit Deus: Germinet terra herbam uirentem et facientem semen lignumque pomiferum faciens fructum secundum genus suum etc., bona opera significans que sensualitas sic arefacta gignit. Bona inquam, non quidem meritoria adhuc, que sine gratia haberi non possunt, sed tamen interim ad habendam gratiam proficentia. Quorum duo quidem genera breuiter commemorat figurate ea ‘herbarum uirentium’ et ‘ligni pomiferi’ nominibus appellans. Quia enim uiua non sunt opera que in caritate non fiunt, nondum dicit Deus «Producat terra animam uiuentem», sicut in sequentibus dicturus est, sed Germinet terra herbam uirentem etc.

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〈54.〉 Questionem super hoc mouet et soluit Queri ergo potest que sit hec herba uirens, aut hoc lignum pomiferum quod arida germinare dicitur. Nam si arida est, quomodo germinat? Aut si germinat, quomodo est arida? Sed terra electe anime, etiam ante gratie appositionem, et arida est quoad quid et irrigua. Siquidem per legem discipline a uitioso humore et superfluo arefit, non autem a necessario et utili uel honesto. Vnde in sequentibus: Fons egrediebatur de loco uoluptatis qui exinde diuisus est in quatuor partes ad irrigandam uniuersam superficiem terre. Quia, etsi cohercite sint aque que sub celo sunt in locum unum, ex eisdem tamen aquis flumina uniuersam terram irrigantia profluunt et eam germinare interim uel herbas uel ligna pomifera faciunt. 53, 3-4 germinet – suum] Gen. 1, 11 54, 7-9 fons – terre] Gen. 2, 6 et 10 40-41 tropologice nunc] nunc tropologice G 1 |tropologice nunc S 3 41 anima] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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la loi de discipline dont la crainte plutôt que l’amour le fit commencer à servir Dieu.

53. Que signifie ‘que la terre produise de l’herbe verdoyante’ La loi ainsi imposée aux eaux qui sont sous le ciel, et le sec paraissant, ce même jour Dieu dit: «Que la terre produise l’herbe verdoyante portant des semences, l’arbre fruitier portant des fruits suivant son espèce, etc.», désignant les œuvres bonnes qu’engendre la sensibilité ainsi épurée. Bonnes, dis-je, mais non encore méritoires, lesquelles ne peuvent s’obtenir sans la grâce, mais progressant vers l’obtention de la grâce. Et il en rappelle brièvement deux sortes, en les appelant symboliquement du nom d’herbe verte et d’arbre fruitier. Mais parce que les œuvres qui ne se font pas dans la charité ne sont pas vivantes, Dieu ne dit pas encore «Que la terre produise une âme vivante», comme Il le dira plus tard, mais «que la terre produise de l’herbe verdoyante». 54. Il soulève une question sur ce sujet, et la résout Ainsi donc on peut se demander quelle est cette herbe verte ou cet arbre fruitier que le sec est censé produire. Car s’il est sec, comment produit-il? Et s’il produit, comment est-il sec? Mais la terre de l’âme élue, même avant le don de la grâce, est à la fois sèche jusqu’à un certain point et irriguée; puisqu’elle s’assèche, par la loi de discipline, de l’humeur mauvaise et surabondante, mais non de l’humeur nécessaire et utile, voire honorable. D’où, plus loin: «Une source jaillissait de l’Éden de volupté, et de là se divisa en quatre rivières pour irriguer toute la surface de la terre». Car, même si les eaux qui sont sous le ciel sont contenues en un seul lieu, de ces eaux s’écoulent cependant, en abondance, des fleuves qui irriguent toute la terre et lui permettent de produire alors, tantôt de l’herbe verdoyante, tantôt des arbres fruitiers.

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〈55.〉 De duobus fluminibus terram irrigantibus Que uero sunt hec duo flumina terram irrigantia ut hec germinare possit? Ipsa nimirum sunt quedam utiles et honeste scientie humane uite necessarie quas uis ymaginationis, a uitiosis motibus suis per legem discipline cohibita et in his se occupans, adiuncto sibi ingenio et his que supra commemorauimus, copiose profluxit. In quibus prime sunt ille quas mechanicas uocant, secunde quas uocant practicas. Et prime quidem, id est mechanice, licet hoc nomen sortite sint propter abusum earum, quoniam plerumque ad uoluptatem eis abutuntur homines, cum nonnisi ad necessitatem et utilitatem inuente sint, rectius tamen et ipse practice dicerentur propter bonum usum earum qui in exteriori actu consistit. Secunde tamen hoc nomen specialiter obtinuerunt propter honestam et laudabilem que foris est humane uite conuersationem, ad cuius ornatum et decorem inuente sunt.

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〈56.〉 Subdiuisio fluminum predictorum Hec sunt duo flumina de aquis que sub celo sunt in unum locum congregatis profluentia. Quorum primum quidem in multa se flumina subdiuidit ita ut uniuersas partes terre microcosmi impleat easque uirentibus herbis undique cooperiri faciat, quibus non solum animalia terre pascuntur, uerum etiam ipsa terra uenustatur. Quia tamen herbe sunt et ad tempus uirentes, nonnisi temporali uite proficiunt. Secundum uero, et ipsum in tria se subdiuidit, et per multas terre partes diffluens, eam ligna pomifera germinare facit. Que tamen, quia ligna sunt et temporalem tantum fructum faciunt, ad eternitatem non perueniunt.

55, 8-9 mechanice – uoluptatem] Hugues de Saint-Victor, Didasc., I, 8 (Buttimer, p. 16, l. 4) 11-12 practice – consistit] Hugues de Saint-Victor, Didasc., I, 8 (Buttimer, p. 16, l. 2) 55, 4-5 per legem discipline] abest in G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 vel G 5 14 ornatum] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 56, 7 proficiunt] perficiunt Delhaye

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55. Des deux fleuves qui irriguent la terre Quels sont en vérité ces deux fleuves qui irriguent la terre, pour qu’elle puisse produire tout cela? Ce sont, bien sûr, certaines sciences utiles et honnêtes, nécessaires à la vie humaine, que la force de l’imagination, maintenue à l’écart de ses mouvements mauvais par la loi de discipline, et s’y consacrant, avec l’aide de l’ingéniosité et des facultés que nous avons rappelées plus haut, fit couler en abondance. Parmi elles, il y a d’abord celles que l’on appelle «mécaniques», ensuite celles que l’on appelle «pratiques». Or, les premières, à savoir les mécaniques, bien qu’elles aient reçu ce nom en raison de l’usage abusif que l’on en fait, car la plupart des hommes en abusent par plaisir alors qu’elles ont été inventées uniquement pour la nécessité et l’utilité, devraient cependant s’appeler plus justement «pratiques» en raison de leur bon usage, qui réside dans l’action extérieure. Quant aux secondes, elles ont reçu ce nom tout spécialement pour le commerce honnête et louable de la vie humaine, à l’extérieur, à l’ornement et la beauté de laquelle elles ont été inventées. 56. Subdivision des susdits fleuves Tels sont les deux fleuves qui s’écoulent des eaux qui sont sous le ciel, rassemblées en un seul lieu. Le premier d’entre eux se subdivise en une quantité de rivières, de sorte qu’il emplit toutes les parties de la terre du microcosme et la font se couvrir entièrement d’herbe verdoyante, dont non seulement les animaux de la terre se nourrissent mais la terre ellemême est aussi parée. Cependant, parce que c’est de l’herbe et ne verdoyant qu’à certaines époques, elle n’a qu’une vie temporaire. Le second, quant à lui, se subdivise en trois rivières et, se répondant en de nombreuses parties de la terre, lui permet de produire des arbres fruitiers; mais parce que ce sont des arbres et qu’ils ne produisent des fruits que temporairement, ils ne parviennent pas à l’éternité.

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microcosmvs, I, 57

〈57.〉 Subdiuisio mechanice Videamus adhuc diligentius si placet que sunt subdiuisiones primi et que secundi fluminis. Flumina hec, ut dictum est, scientie sunt et diuisiones eorum species earumdem scientiarum sunt. Et mechanice quidem scientie species, cum sint multe, septem nobis enumerare sufficiat: prima armatura, secunda mercatura, tercia agricultura, quarta fabricatura, quinta lanifactura, sexta uenatura, septima medicatura. Armatura militum, mercatura mercatorum, agricultura rusticorum, fabricatura fabrorum, lanifactura lanificium, uenatura uenatorum, medicatura medicorum adinuentio est. Ex quibus omnibus quid in terra gignatur, nemo est qui non iugiter experiatur. Siquidem ex armatura militie in terra nostra pax et quies gignitur. Nam etsi abusus militie fomes odii et inuidie sit, boni tamen usus eius finis nonnisi pax et quies est. Cuius autem finis bonus est, ipsum quoque bonum est. Ex commerciis autem mercatorum merces suas de terris in terras transportantium adiuuatur inopia terrarum. Sed et agricultorum quid opus est utilitatem commemorare, quorum laboribus et obsequiis omnis anima pascitur? Nec minor apparet utilitas lanificuum, qui non solum ne feda nuditate uel frigoribus afficiamur agunt, uerum etiam mirum decorem humane uite conferunt. Porro fabriles artes quid prosint, urbes excelse, castra, uille et domorum miranda edificia ex lapide, ligno, metallo facta probant. Inter hec etiam non degener est usus uenandi, sicut probat lautior mensa diuitum. Denique quid possit uirtus plurima medicorum, multa experimentorum commoda docuerunt. Sed hec omnia non incongrue uirentibus herbis comparantur, quia temporalem uirorem tantum terre nostre prestant, dum foris apparentia nichil de suo ad interiorem hominem transmittunt.

57, 4-9 mechanice – medicatura] cf. loc. pr. Fons philos., str. 6 (MichaudQuantin, p. 36); Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 20 (Buttimer, p. 38, l. 2728); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 14 (Châtillon, p. 109, l. 2-3) 57, 9 lanificium] lanificuum G 1 |lanificium S 3 add. sup. l. G 2 |adinuentio est S 3

10 adinuentio est] abest in G 1 ;

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57. Subdivision de la science mécanique Voyons maintenant de plus près, s’il vous plaît, quelles sont les subdivisions du premier et du second fleuve. Ces fleuves, comme on l’a dit, sont les sciences, et leurs subdivisions sont les différentes branches de ces mêmes sciences. Et comme les branches de la science mécanique sont nombreuses, il nous suffira d’en énumérer sept: la première, l’armement; la seconde, le commerce; la troisième, l’agriculture; la quatrième, l’artisanat; la cinquième, le travail de la laine; la sixième, la chasse, la septième, la médecine. L’armement est l’invention des soldats; le commerce, celle des marchands; l’agriculture, celle des paysans; l’artisanat, celle des artisans; le travail de la laine, celle des filandriers; la chasse, celle des chasseurs; la médecine, celle des médecins. Il n’y a personne qui ne fasse la continuelle expérience de ce qui, sur la terre, naît de ces sciences, puisque de l’exercice des armes naît la paix et la tranquillité sur notre terre. Car même si l’abus des armes est un foyer de haine et de jalousie, le but de leur bon usage ne peut être que la paix et le calme. Et ce dont la finalité est bonne est également bon. Par le commerce des marchands qui transportent leurs marchandises de terres en terres, la pénurie des terres se trouve soulagée. Mais qu’est-il besoin de rappeler l’utilité des agriculteurs, eux qui, par leurs efforts et leurs soins, nourrissent tout être vivant? Et l’utilité des filandriers ne semble pas moindre eux qui non seulement œuvrent pour que nous ne soyons pas exposés à la nudité ou au froid, mais confèrent aussi à la vie humaine une remarquable parure. En outre, pour ce qui est de l’utilité des arts de fabrication, des villes superbes, des châteaux, des bourgs et des demeures admirables, faits de pierre, de bois, de métal, sont là pour la prouver. Parmi ces disciplines, la chasse non plus n’est pas sans noblesse, comme le prouve la table somptueuse des riches. Enfin de quoi est capable la compétence multiple des médecins, beaucoup de bienfaits l’ont démontré par l’expérience. Mais toutes ces choses peuvent légitimement être comparées aux herbes verdoyantes parce qu’elles n’offrent à notre terre qu’une efflorescence temporaire, alors qu’en se manifestant à l’extérieur, elles ne transmettent rien de leur essence à l’homme intérieur.

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microcosmvs, I, 58-59

〈58.〉 Subdiuisio practice Et primi quidem fluminis diuisionibus inferiora terre sic irrigantibus, secundi fluminis diuisiones nichilominus eiusdem terre superiora circumeunt et sua irrigatione eam ligna pomifera germinare faciunt. Sunt autem tres secundi fluminis diuisiones. Nam practica tres habet species: ethicam, echonomicam, politicam. Quarum prima, dum propria conuersationis uniuscuiusque exteriora laudabilibus uite huius institutis adornat, secunda dum patrisfamilias domum foris in oculis hominum pulchre ordinat, tercia quoque dum subiectum populum suo principi laudabiliter conformat, quasi terram nostram ligna pomifera germinare faciunt. Siquidem moralia instituta et secundum seculi huius formam tradita, dum sui obseruatores sublimes et robustos in uia morum et fructuosos aliis et laudabiles fama bone opinionis faciunt, non iam quasi herbe uirentes sed quasi ligna pomorum odoriferorum feratia sunt. Quia tamen ad eternitatem non perueniunt, eorum quasi pomorum transeuntium fructus et odor pretereunt. Hinc est quod antiqui moralium preceptorum doctores et obseruatores, Socrates uidelicet et Plato et alii multi, Seneca quoque iunior his sed sublimior in his, ita ut etiam quibusdam nostris mirabilis esset, omnes quidem in uita sua quasi odorifera poma longe lateque redolentia fuerunt, sed nunc ut aromatum fumus euanuerunt.

〈59.〉 Quod deficientibus autoribus scientiarum non deficiant ipse scientie Verumtamen, licet ligna pomifera cum pomis et odoribus suis transeant, flumina tamen ea gignentia semper augentur et multiplicantur in

58, 5-6 practica – politicam] cf. loc. par. Fons philos., str. 100-101 (MichaudQuantin, p. 48-49); Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 19 (Buttimer, p. 37, l. 22-23); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 13 (Châtillon, p. 109, l. 2-3) 17-18 Socrates – Seneca] Hugues de Saint-Victor, Didasc., III, 2 (Buttimer, p. 50, l. 3-4); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 24 (Châtillon, p. 112, l. 8-9) 18 Seneca] cf. loc. par.: Fons philos., str. 103-104 (Michaud-Quantin, p. 49) 58, 8-10 secunda – conformat] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |in textu S 3

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58. Subdivision de la science pratique Les bras du premier fleuve irrigant ainsi les parties inférieures de la terre, les bras du second fleuve entourent tout autant les parties supérieures de cette même terre, et, par cette irrigation, lui permettent de produire des arbres fruitiers. Les bras du second fleuve sont au nombre de trois; car la science pratique comporte trois branches: l’éthique, l’économique, la politique. Elles permettent en quelque sorte à notre terre de produire des arbres fruitiers: la première d’entre elle, en ornant remarquablement le comportement extérieur de chacun par des règles de vie, la seconde, en organisant heureusement la maison du père de famille extérieurement, aux yeux des hommes, la troisième, en conciliant avec succès le peuple sujet avec son prince; puisque les principes moraux, transmis suivant la norme de ce siècle, en rendant leurs adeptes excellents et forts sur la voie des mœurs, féconds dans les autres domaines et estimables par leur bonne réputation, ne sont plus comme de l’herbe verte mais comme des arbres porteurs de fruits parfumés. Cependant, parce qu’ils n’atteignent pas l’éternité, le produit et le parfum de leurs sortes de fruits transitoires disparaissent. C’est pourquoi, les anciens docteurs et adeptes de préceptes moraux, comme Socrate et Platon, et beaucoup d’autres, et aussi Sénèque, plus récent qu’eux mais plus excellent en ce domaine au point qu’il semblerait merveilleux même à certains des nôtres, furent tous dans leur vie comme des fruits parfumés, exhalant leur fragrance tout alentour, mais aujourd’hui ils se sont évaporés comme vapeur d’aromates. 59. Que si les hommes de science font défaut, les sciences elles-mêmes ne doivent pas faire défaut Toutefois, bien que les arbres fruitiers, avec leurs fruits et leurs parfums, ne fassent que passer, les fleuves qui les produisent grossissent sans cesse et se développent sur la terre. Toujours, en effet, se multiplient les livres d’éthique, d’économie et de politique, et les constitutions de droit privé, public et civil des peuples et des princes sont renouvelés, et de jour en jour notre terre sèche devient plus productive en arbres fruitiers avec leurs fruits. Telle est la disposition du troisième jour, faite de la main de Dieu dans le microcosme. «C’est pourquoi Dieu vit que cela était bon. Et il y eut un soir et un matin, troisième jour». Car la dissolution des mœurs précède la discipline.

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terra. Semper enim noui ethicorum echonomicorum et politicorum libri crescunt et iuris iuati et publici, ciuilis quoque et gentium et principum constitutiones innouantur, et de die in diem arida nostra nouorum lignorum pomiferorum cum pomis suis feratior efficitur. Hec est tercii diei in microcosmo diuinitus facta dispositio. Vidit ergo Deus quod esset bonum. Factumque est uespere et mane, dies tercius, quia prior est dissolutio morum quam disciplina.

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〈60.〉 Quod Moyses dispositionem aquarum superiorum sub silentio preteriit Propositi ordinis exigentia nunc procedendum uidebatur ad quarti diei opus. Sed occurrit quod, cum Moyses dispositionem aquarum que sub celo sunt conuenienter a Deo factam narrauerit, earum tamen dispositionem quas super celos dixerat omnino sub silentio preteriit. Sed quis eas que super celos sunt credat mansisse indispositas aut confusas, cum nichil ibi confusum aut inordinatum esse credatur? Quacumque uero de causa Moyses earum que super celos sunt aquarum dispositionem in megacosmo tacuerit, ipse uidit. Multa enim que a Deo facta sunt breuitati studens tacuit; nos earum dispositionem que in microcosmo super celos sunt non tacebimus quia et proposito nostro conueniens est et expedibile, sicut ex sequentibus forsitan apparebit.

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〈61.〉 Eodem die congregate sunt aque inferiores et superiores Sciendum ergo est quod, sicut aque que sub celo sunt iussu Dei tertio die congregate sunt in locum unum ut appareret arida, sic quoque eodem die aque que super celos sunt iussu Dei congregate sunt in locum unum ut ab aquoso humore urgaretur ether et sic daretur locus luminaribus celi quarto die in ethere faciendis, que nimirum sub aquis lucere non possent. Quod forsitan ideo Moyses tacuit quia quod de inferioribus dixerat de superioribus quoque intelligendum reliquit. Videamus 59, 9-10 uidit – tercius] Gen. 1, 12-13 59, 5 terra] tria Delhaye 8 Hec] Hoc Delhaye 10 factumque] factum quoque Delhaye 60, 4 cum] om.

9 ergo] igitur Delhaye

7 credat] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |credat S 3 1

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12 et] etiam 1

61, 3 unum] abest in G ; add. sup. l. G |unum S quoque] G |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 6 in ethere] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in ethere S 3

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60. De ce que Moïse passa sous silence la disposition des eaux supérieures Le respect de l’ordre que nous nous sommes proposé semblait exiger de passer maintenant à l’œuvre du quatrième jour. Mais il se trouve que Moïse a bien décrit clairement la disposition, faite par Dieu, des eaux qui sont sous le ciel, mais a totalement passé sous silence la disposition de celles dont il a dit qu’elles sont au-dessus du ciel. Mais qui pourrait croire que celles qui sont au-dessus du ciel sont restées désorganisées et en désordre alors qu’en ce lieu rien ne passe pour être désordonné ou désorganisé? Or quelle que soit la raison pour laquelle Moïse s’est tu sur la disposition des eaux qui sont au-dessus du ciel dans le mégacosme, il la vit lui-même; en réalité, il s’est tu sur beaucoup de choses que Dieu a créées, par souci de brièveté; mais nous, nous ne nous tairons pas sur la disposition de celles qui sont au-dessus du ciel dans le microcosme, parce que cela convient et s’adapte à notre propos, comme on le verra peut-être par la suite.

61. Le même jour ont été rassemblées les eaux inférieures et supérieures Il faut savoir en effet que, de même que les eaux qui sont sous le ciel furent rassemblées sur l’ordre de Dieu, le troisième jour, en un seul lieu, afin que le sec apparaisse, de même, le même jour, les eaux qui sont audessus du ciel ont été rassemblées par ordre de Dieu en un seul lieu, afin que l’éther soit purgé de l’humeur aqueuse et qu’un espace soit réservé pour les luminaires du ciel qui devraient être créés le quatrième jour dans l’éther, lesquels ne pourraient certes pas briller sous les eaux: ce que Moïse a peut-être tu, précisément parce que, ce qu’il avait dit des eaux inférieures, il l’a laissé entendre des eaux supérieures. Voyons donc ce que veut dire, dans le microcosme, que les eaux supérieures se rassemblent en un seul lieu, pour laisser place aux luminaires du ciel qui seraient créés le quatrième jour. Beaucoup plus haut nous avons dit que les eaux supérieures, placées en haut par la position intermédiaire du firmament, sont les mouvements spirituels et rationnels de l’imagination, tendant vers le haut; que signifie donc que ces eaux soient rassemblées en un seul lieu, si non que tous les mouvements rationnels de l’imagination tendant vers

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ergo quid sit in microcosmo aquas superiores congregari in locum unum ut detur locus luminaribus celi quarto die faciendis. Longe superius diximus aquas superiores medii firmamenti interpositione sursum positas esse spirituales et rationabiles motus ymaginationis sursum tendentes. Quid est ergo aquas istas in unum locum congregari nisi omnes rationabiles motus ymaginationis sursum tendentes ad amorem sapientie dirigi? Amor ergo sapientie est unus locus ad quem congregantur omnes he aque, amor autem sapientie philosophia est. Omnium ergo harum aquarum philosophia fons est fons inquam profundissimus, amplissimus, fecundissimus, et redundans et multa ex se flumina sursum tendentia emittens et que uniuersi microcosmi superiora sufficienter irrigent et ad spirituales fructus gignendos preparent. Nam etsi ex his aliqua deorsum tendere uideantur, non id suapte natura sed male utentium uitio fit. Igitur aque iste, dum et in unum locum congregantur et de uno loco ordinate effluunt, futuris luminaribus celi non solum lucendi locum uerum et nutrimentum prestant. Quod qualiter fiat uideamus precognito que sunt hec luminaria celi.

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〈62.〉 Quid sit superiores aquas in unum locum congregari Sicut duobus modis microcosmum accipimus, uel generaliter scilicet pro uniuersitate electarum animarum siue uniuersa Ecclesia Dei, uel particulariter pro unaquaque electa anima, sic duobus modis luminaria celi accipienda sunt, scilicet uel excellentiores et lucidiores per gratiam persone in Ecclesia Dei, uel ipsa dona gratie excellentiora et lucidiora in unaquaque electa anima. Quid est ergo superiores aquas ad unum locum congregari ut luminaribus celi detur locus lucendi, nisi quod naturalia queque etiam superiora, uel personas ea sola habentes creator eorum Deus seorsum esse uoluit a gratuitis ut eo ipso gratuita uel habentes ea lucidiora apparerent, quo a se inuicem separata essent natu61, 18-20 fons – emittens] cf. loc. par. Fons philos., str. 12 (Michaud-Quantin, p. 36) 9 in microcosmo] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in microcosmo S 3 les et] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |spirituales et S 3

12 spiritua-

62, 5 excellentiores et lu-] G 1‫ †…† ׀‬S 3 ; sup. eras. S 4 6 excellentiora] G 1 |†…† S 3 ; sup. eras. S 4 7 ergo superiores] G 1 ;|†…† S 3 ; sup. eras. S 4 9 personas] persone G 1‫ ׀‬persona S 3 ; s add. sup. l. G 5

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le microcosme, I, 61-62

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le haut, sont dirigés vers la sagesse? L’amour de la sagesse est en effet un lieu où se rassemblent toutes ces eaux. Or l’amour de la sagesse, c’est la philosophie. Et la philosophie est la source de toutes ces eaux, une source, dis-je, très profonde, très vaste, très féconde et redondante, faisant surgir de sa substance même de nombreux fleuves tendant vers le haut, qui irriguent en suffisance les parties supérieures de tout le microcosme et prédisposent à la naissance de fruits spirituels. Car même si certains d’entre eux semblent tendre vers le bas, ce n’est pas par l’effet de leur nature mais par le vice de ceux qui en font mauvais usage. C’est pourquoi ces eaux, en se rassemblant en un seul lieu et, d’autre part, en s’écoulant d’un seul lieu régulièrement, offrent aux futurs luminaires du ciel, non seulement un lieu pour briller mais aussi une nourriture. Voyons comment cela se fait, non sans avoir défini au préalable ce que sont ces luminaires du ciel.

62. Que signifie que les eaux supérieures se rassemblent en un seul lieu De la même façon que nous avons interprété le microcosme en deux sens, soit général, c’est-à-dire englobant la totalité des âmes élues, à savoir toute l’Église de Dieu, soit particulier, concernant chaque âme élue, de même les luminaires du ciel doivent être interprétés en deux sens, soit les personnes, dans l’Église de Dieu, qui sont les plus éminentes et éclairées par la grâce, soit les dons eux-mêmes de la grâce, les plus éminents et éclairés, qui résident en chaque âme élue. Ainsi, que signifie que les eaux supérieures se rassemblent en un seul lieu afin de donner aux luminaires un espace pour briller, sinon que les qualités naturelles, même supérieures, ou bien les personnes qui ne possèdent qu’elles, Dieu, leur Créateur, voulut qu’elles soient placées au-dessous des gratuites, afin que les qualités gratuites, ou ceux qui les possèdent, apparaissent plus clairement, par le fait même que les naturelles et les gratuites sont séparées entre elles. Et pourtant les qualités naturelles elles-mêmes, bien qu’éloignées en dignité des gratuites, en se mêlant aux gratuites à force de s’écouler régulièrement de leur source par l’application et le bon exercice, offrent aux gratuites nourriture et croissance en abondance; bien plus, elles peuvent devenir elles-mêmes gratuites.

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microcosmvs, I, 62-63

ralia et gratuita? Et tamen ipsa naturalia, licet dignitate a gratuitis distent, dum per studium et excercitium bonum ordinate a loco suo effluentia gratuitis se permiscent, plurimum gratuitis nutrimentum et incrementum prestant; immo forsitan ipsa gratuita fiunt. Quod ne de meo influere uidear beato Gregorio teste utar qui exponens parabolam Domini de quinque et duobus talentis quinque sensus talenta quinque intellectum et operationem duo uult intelligi. In quibus tamen, siue quinque siue duobus bene operantem seruum meruisse dicit intrare in gaudium Domini sui. Constat autem sensus quinque inter naturalia etiam inferiora computari. Intellectum quoque quem dicit unum de duobus talentis de naturalibus esse non dubium est. Constat etiam solis naturalibus neminem mereri intrare in gaudium Domini sui. Dicat ergo qui potest quomodo solis quinque talentis seruus meruit intrare in gaudium Domini sui si naturalia aut bonus usus eorum non fit gratuitum donum? Ex his igitur ad minus hoc quod proposuimus constat, scilicet bono usu naturalium gratuitis permixtorum ipsa gratuita plurimum adiuuari.

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〈63.〉 Alio modo probat idipsum Quod etiam alio modo comprobamus. Proponamus duos eque gratuitis donatos, alterum autem in naturalibus et bono usu eorum nimis excellentem, alterum uero penitus idiotam et simplicem et nichil gracie nisi alterius ope habentem, eo tamen usque ministerio doctrine et uirtutis eius prouectum, ut in gratiam par ei sit sed in naturalibus longe dispar. Nam ille sapientissimus et eloquentissimus non solum hec ad eum in quo est statum gratie prouexit, sed etiam multos alios naturali industria prouehere non desinit. Quis ergo existimet in tam eximio uiro gratiam naturalibus non adiuuari, et naturalia adiuncta gratuitis hoc illi conferre quod per se illa non possent? He sunt nimirum aque superiores que in unum locum congregate, non solum luminaribus celi locum dant lucendi, sed et de eodem loco suo ordinate effluentes, eisdem luminari62, 17 parabolam Domini] cf. Matth. 25, 14-23 17-18 quinque – talenta] Grégoire le Grand, Homiliae in evang., I, ix, 1 (CCSL 141, p. 59, l. 17-20) 22 de] e G 1 |de S 3 63, 6 sed – longe] G 1 |†…† S 3 ; sup. eras. S 4 7 non solum] G 1‫ ׀‬tamen add. S 3 8 alios naturali] G 1 |†…† S 3 ; sup. eras. S 4 12 non solum] abest in G 1 | S 3 ; add. sup. l. S 4

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le microcosme, I, 62-63

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Et pour ne pas avoir l’air d’avancer cela de moi-même, je fais appel au témoignage de saint Grégoire qui, dans son commentaire de la parabole du Seigneur sur les cinq et deux talents, veut voir, dans les cinq talents, les cinq sens, et dans les deux, l’intelligence et l’activité. Et dans ces talents, soit les cinq, soit les deux, il dit que le serviteur qui a bien travaillé a mérité d’entrer dans la joie de son Seigneur. Il est cependant évident que les cinq sens font partie des qualités naturelles et même des qualités inférieures; l’intelligence aussi, dont il dit qu’elle est un des deux talents, fait partie sans aucun doute des qualités naturelles. D’autre part, il est évident que personne ne mérite d’entrer dans la joie de son Seigneur par les seules qualités naturelles. Qui donc peut dire comment le serviteur mérita, par cinq talents seulement, d’entrer dans la joie de son Seigneur si les qualités naturelles ou leur bon usage ne sont pas un don gratuit? C’est pourquoi ce que nous avons exposé prouve pour le moins à l’évidence que du bon usage des qualités naturelles mêlées aux gratuites, ces dernières sont elles-mêmes grandement secondées. 63. Il prouve la même chose d’une autre manière Et cela, nous le confirmons d’une autre manière. Supposons deux bénéficiaires à parts égales de qualités gratuites, l’un tout à fait excellent dans les qualités naturelles et dans leur bon usage, l’autre au contraire tout à fait idiot et ingénu, ne possédant aucun don de grâce sinon par le pouvoir d’un autre, tellement stimulé par l’apport de son enseignement et de sa vertu qu’il est son égal dans la grâce, mais lui est très inégal en qualités naturelles. Or, le premier, très savant et très éloquent, non seulement poussa ces qualités jusqu’à l’état de la grâce dans lequel il se trouve mais ne cessa pas de promouvoir d’autres hommes aussi par une application naturelle. Qui donc peut estimer que chez un homme si remarquable, la grâce n’est pas aidée par les qualités naturelles, et que les qualités naturelles, ajoutées aux gratuites, ne lui confèrent pas ce dont elles seraient incapables par elles-mêmes? Ce sont là, évidemment, les eaux supérieures qui, rassemblées en un seul lieu, non seulement donnent aux luminaires du ciel un espace pour briller mais encore, en s’écoulant depuis ce lieu, régulièrement, fournissent à ces luminaires la nourriture qui leur est nécessaire pour briller, comme on l’a démontré dans l’exemple précédent.

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bus prestant nutrimentum lucendi, sicut in premisso exemplo monstratum est.

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〈64.〉 Quomodo superiores aque in unum locum congregate ordinate effluant Et ut euidentius adhuc appareat quod dicimus, uideamus de aquis his congregatis in unum locum quomodo ordinate effluant. Ecce aliquis omnia naturalia sua ad amorem sapientie confert et uehementer ea illi applicans totum se in hunc locum congregat et diu in eo quasi fixus stans conatur totis uiribus apprehendere quam amat, et multo quidem conatu tandem aliquid de ea apprehenderit. Sed quantumcumque de ea apprehenderit, nichil se nisi amorem sapientie apprehendisse reputat, quia quanto plus de ea apprehendit, tanto minus apprehendisse se inuenit, et quanto minus apprehendisse se inuenit, tanto ardentius amat et apprehendere querit. Nemo enim in hac uita ad plenum eam apprehendere potest. Vnde ipsa de quoquomodo apprehendentibus se dicit: Qui edunt me adhuc esurient et qui bibunt me adhuc sitient. Ac si aperte diceret: «Cibus quidem sum et potus animarum, unde et aliqui in hac uita aliquatenus me edunt, quia aliquid de me inuenientes et se de me reficientes, nunc cum labore quasi masticando me edunt, nunc sine labore quasi sine masticatione me bibunt, numquam tamen in hac uita de me saturantur, sed adhuc esurient et sitient donec de inedia huius uite ad plenitudinem et saturitatem mei perueniant». Igitur, ut dictum est, quantumcumque quis ad amorem sapientie se conferens de ea apprehenderit, nichil se nisi amorem sapientie apprehendisse reputat. Vnde et hoc ipsum quod de ea apprehendit philosophiam, id est amorem sapientie, non sapientiam uocat, indignum reputans minimum quid tante rei utpote guttam fluminis nomine fluminis appellare. Quicquid tamen illud est quod de tanta re mente concepit, conatur in lucem proferre nec potest, quia solis adhuc naturalibus 64, 14 qui – sitient] Eccli. 24, 29 23-24 philosophiam – uocat] cf. Boèce, De musica, II, 2 (p. 227, l. 20-21); Augustin De civitate Dei, VIII, ii (CCSL 47, p. 217, l. 10-11); Isidore, Etymologiae, VIII, 6 (PL 82, 305B); Hugues de Saint-Victor, Didasc., I, 2 (Buttimer, p. 6, l. 15- 18) 64, 4 his] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |his S 3 5 confert] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |confert S 3 19 me] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 22 apprehenderit] apprehendit Delhaye 23 de ea] G 1 |de Dei S 3 24 non sapientiam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |non sapientiam S 3 26 tanta] tante Delhaye

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64. Comment les eaux supérieures, rassemblées en un seul lieu, s’écoulent régulièrement Et pour que ce que nous disons apparaisse maintenant de façon plus évidente, voyons comment ces eaux rassemblées en un seul lieu s’écoulent régulièrement. Prenons un homme qui consacre toutes ses qualités naturelles à l’amour de la sagesse et les y applique avec énergie; il se concentre tout entier sur ce point, et s’y tenant presque fixement pendant longtemps, il tente de toutes ses forces d’atteindre cette sagesse qu’il aime, et par beaucoup d’efforts il en saisit enfin une partie. Mais combien qu’il en saisisse, il pense n’avoir saisi rien d’autre que l’amour de la sagesse, parce que, plus il en saisit, moins il considère en avoir saisi, et moins il pense en avoir saisi, plus ardemment il l’aime, et cherche à la saisir. Car personne ne peut, dans cette vie, la saisir pleinement. C’est pourquoi, de ceux qui la saisissent de quelque manière, elle dit: «Ceux qui me mangent auront encore faim et ceux qui me boivent auront encore soif.» Ce qui revient à dire en clair: Je suis la nourriture et la boisson des âmes. C’est pourquoi, dans cette vie, certains me mangent jusqu’à un certain point, parce que, trouvant en moi quelque chose et se restaurant en moi, tantôt ils me mangent comme en mâchant péniblement, tantôt ils me boivent sans effort et presque sans mastication, mais ne sont jamais, dans cette vie, rassasiés de moi; cependant ils auront encore faim et soif, jusqu’à ce qu’ils parviennent, de la pénurie de cette vie à la plénitude et au rassasiement de moi. C’est pourquoi, comme on l’a dit, quelle que soit la quantité de sagesse que puisse obtenir quiconque se consacre à l’amour de la sagesse, il considère n’avoir obtenu rien d’autre que l’amour de la sagesse. Ainsi cette parcelle même qu’il en saisit, il l’appelle philosophie c’est-à-dire l’amour de la sagesse et non sagesse, trouvant indigne cette infime parcelle d’une si grande vertu, comme d’appeler une goutte d’un fleuve du nom de fleuve. Cependant, quelle que soit la part qu’il peut concevoir mentalement d’une si grande vertu, il s’efforce de la porter à la lumière mais ne le peut pas, car tant qu’il s’appuie sur les seules qualités naturelles, sans la grâce, il ne trouve pas les mots appropriés qui lui permettent de l’exprimer comme il le désire. Alors, recourant à des figures et des images, il définit la philosophie par ces mots: la philosophie est la source de la sagesse.

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nitens sine gratia, non inuenit propria uerba quibus illud ut desiderat possit edere. Ad figuras ergo et ymagines transferens se philosophiam ita describit dicens: «Philosophia est fons sapientie».

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〈65.〉 Per figuras docet quod proprie non potest Hec est Rachel uxor Iacob, formosa quidem sed infructuosa, que uirum habens et ab eo sepius cognita sterilis adhuc permanet. Vnde uehementer dolorosa, dum non potest per se parere, mauult ancillam suam Balam uiro suo pro se subponere, ut per illam uel adoptiuam prolem possit habere, dum electa anima que omnia naturalia sua ad amorem sapientie contulit, id quod de ea apprehendit, non proprie sed per ymagines edit, dicens: «Philosophia est fons sapientie». Et quamuis non proprie, ordinate tamen hoc ipsum prosequitur adiciens sub eadem metaphora: qui fons in excelsi montis uertice natus, inmensus amplitudine, inexhaustus profunditate, illimis puritate, duabus se uenis largissimis effundit, uiue scaturiginis aquas ebulliens, gustu quidem saporas sed non omnibus idem sapientes, immo quod dictu incredibile est, eidem nunc aceti nunc nectaris saporem ingerentes. Duplici nichilominus colore differunt duarum uenarum ebullitiones. Nam cum altera uenarum profundior sit altera uene profundioris ebullitio rutilat aureo fulgore sed alterius nitet argenteo candore. Ex quibus duobus una facta color mixtura fons totus adhuc in alueo suo contentus electri splendet colore. Miro tamen quodam modo mox ut alueum suum fons excedit singule uene suo natiuo colori pariter et sapori restituuntur, et in diuersa se loca diuidentes, diuerso etiam colore et sapore diuiduntur. 〈66.〉 Philosophiam sub metafora riuulorum fontis diuidit Effundunt autem se in duo flumina ingentia, duos phisicos effectus habentia. Nam uocem candor acuit, rubor purgat pectus, cumque duo

65, 2-6 Rachel – habere] cf. Gen. 30, 1-6 12-14 gustu … ingerentes] cf. loc. par. Fons philos., str. 12-13 (Michaud-Quantin, p. 36-37) 14-17 duplici – candore] cf. loc. par. Fons philos., str. 14 (Michaud-Quantin, p. 37) 66, 2-6 effundunt – perstrepit] cf. loc. par. Fons philos., str. 15-16 (MichaudQuantin, p. 37) 65, 12 uiue] ui†… G 1‫ ׀‬S 3 (?); sup. eras. S 4

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65. Il enseigne par figures ce qu’il ne peut enseigner par des termes appropriés Voici Rachel, l’épouse de Jacob, belle, certes, mais stérile. Bien qu’ayant un mari, qui la connut souvent, elle reste stérile. Alors, gravement affectée, et ne pouvant procréer elle-même, elle choisit de se faire remplacer par sa servante Balam auprès de son mari, afin qu’il puisse avoir par elle une descendance, fût-elle adultérine; de même l’âme élue, qui a reporté toutes ses qualités naturelles sur l’amour de la sagesse, exprime ce qu’elle peut en saisir non par des termes appropriés mais par images, en disant: la philosophie est la source de la sagesse. Et elle poursuit, non pas en termes appropriés mais de façon ordonnée, en ajoutant sous la même métaphore: cette source née au sommet d’une haute montagne, d’une immense ampleur, d’une profondeur inépuisable, d’une pureté limpide, se répand en deux canaux extrêmement larges, crachant les eaux bouillonnantes d’un vif torrent, savoureuses au goût, certes, mais n’ayant pas la même saveur pour tout le monde; bien au contraire, ce qui est incroyable à dire, provoquant chez la même personne tantôt un goût de vinaigre, tantôt un goût de nectar. Les bouillonnements des deux canaux sont pourtant de deux couleurs différentes. Car tandis que l’un des canaux est plus profond que l’autre, son bouillonnement brille d’un éclat d’or; tandis que le bouillonnement de l’autre luit d’une blancheur d’argent. D’une couleur faite du mélange des deux, la source toute entière, tant qu’elle est contenue dans son lit, resplendit de la couleur de l’ambre; mais, chose étonnante, dès que la source sort de son lit, les deux canaux retrouvent leur couleur et saveur d’origine, et en se divisant en divers endroits, ils se divisent aussi en couleur et saveur différentes. 66. Il divise la philosophie sous la métaphore des ruisseaux de la source Cependant elles coulent en deux immenses fleuves qui ont deux effets physiques; car la blancheur aiguise la voix, le rouge purifie la poitrine; et bien que toutes deux dérivent pareillement d’une seule source, elles se répandent dans des espaces très différents et diffèrent l’une de l’autres par leurs façons différentes de couler; car l’une s’écoule en silence, l’autre s’agite en ondes véhémentes. Celle qui s’écoule en silence se divise en trois bras d’une grandeur et d’une profondeur surprenantes. Le premier d’entre eux, chose étonnante à dire, tend vers le haut; il possède des eaux très pures, des chemins très secrets car il circule dans les parties supérieures du monde, que peu d’habitants connaissent, et parvient enfin à Dieu par un sentier plus secret. Il a pour habitants des

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pariter ab uno fonte deriuentur, disparibus ualde spaciis euagantur et uariis currendi modis disparantur, nam alterum cum silentio fluit alterum concitatis undis perstrepit. Quod cum silentio fluit mire magnitudinis et profunditatis in tria se brachia diuidit. Quorum primum mirabile dictu sursum tendit aquas habens mundissimas, semitas secretissimas. Nam et mundi superiora raris habitatoribus cognita circuit et tandem secretiore semita ad Deum peruenit. Habet tamen habitatores uiros celibes qui, spretis mundanis, celi sepius metas excedunt et ad Deum celsiore uia conscendunt. Nam emersis aquis aliquando puriori se celo committunt et transcensis humanis et angelicis spiritibus ad summum spirituum spiritum aliquatenus pertingunt.

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〈67.〉 Phisica rerum causas et naturas prodit Secundum brachium trium predictorum brachiorum non alta sed intima mundi penetrans, quicquid in intimis latet in lucem profert, causas omnium et naturas subtiliter inueniens et inuentas nosse uolentibus diligentur ostendens.

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〈68.〉 Mathematica subdiuiditur in quatuor Porro tercium in medio duorum discurrens quasi per meandrios lusus spaciatur et nunc se aliis aquis permiscens, nunc se ab eis diuidens, mille figurarum flexibus figuratur. Vnde fit ut, dum nimiis aquis redundat, in quatuor se flumina subdiuidat que uulgus latine quadriuium nominat. Quod nimirum nomen ob hoc sortite sunt quod sicut uno initio ita quoque uno fine coeunt, nam sicut de fonte sapientie prodeunt, ita quoque ad finem sapientie tendunt. 7-14 quorum – pertingunt] cf. loc. par. Fons philos., str. 80-81 (Michaud-Quantin, p. 46); cf. Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 2 (Buttimer, p. 25, l. 10-19); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 7 (Châtillon, p. 107, l. 9-11) 67, 1-5 phisica – ostendens] cf. loc. par. Fons philos., str. 83 (Michaud-Quantin, p. 46) 68, 2-4 porro – figuratur] cf. loc. par. Fons philos., str. 85 (Michaud-Quantin, p. 46); Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 6 (Buttimer, p. 29, l. 28 et p. 30, l. 1315); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 8 (Châtillon, p. 107, l. 2-3) 5-7 que – coeunt] loc. par. Fons philos., str. 86 (Michaud-Quantin, p. 47) 66, 4 deriuentur] derivientur Delhaye

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hommes célibataires qui, ayant abandonné les affaires du monde, dépassent très souvent les limites du ciel et s’élèvent vers Dieu par une voie plus haute car, s’étant dégagés des eaux, ils s’unissent parfois à un ciel plus pur, et ayant dépassé les esprits humains et angéliques, ils atteignent parfois jusqu’à un certain point l’Esprit le plus haut des esprits.

67. La physique expose les causes et les natures des choses Le deuxième des trois bras susdits, pénètre non pas dans les parties hautes, mais dans les parties intérieures du monde, et met au jour tout ce qui est enfoui au fond, découvrant avec précision les causes et les natures de toutes choses et, une fois trouvées, les exposant avec application à ceux qui veulent les connaître. 68. La mathématique se divise en quatre branches Enfin le troisième bras, courant çà et là au milieu des deux autres, se promène comme à travers un jeu de méandres et, tantôt se mêlant aux autres eaux, tantôt s’en séparant, dessine mille contours de figures. Ainsi il arrive que, lorsqu’il regorge d’eau, il se subdivise en quatre rivières que le vulgaire appelle en latin le quadrivium: un nom qu’elles ont évidemment reçu parce qu’elles se rejoignent par un même début et une même fin. Car, de même qu’elles sortent de la source de la sagesse, de même elles tendent aussi vers le but qu’est la sagesse.

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〈69.〉 Arithmetica simplicis multitudinis magistra Ex his primi fluminis alueus ita plenus est calculis ut nec plenum uas aque de flumine haurire ualeas nisi simul et calculos haurias. Hinc fit ut, dum multitudinem calculorum aque labentes offendunt, iocundo murmure perstrepunt. Habet hic riuus assidentes sibi qui de ipso bibunt, compotistas, abacistas, algoristas, calculis ludentes, aggregantes, multiplicantes, diuidentes, mille modis calculos uariantes, nunc eos in lineam porrigentes nunc certis limitibus in superficiem uel solidum replicantes, et de utroque nunc quadraturam equilateram, nunc altera parte longiorem, nunc circulum figurantes, nunc etiam trigones, tetragonos, pentagones et his similia facientes, et discretam quantitatem quasi in continuam redigentes.

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〈70.〉 Musica relate Secundus ex his riuus, et ipse calculosus sed priore satis profundior cum canoro strepitu labitur. Hic gustu admodum delectabilis et murmure iocundissimus armonicos sonos resonat, dispares quidem sed simphonicos, hinc blandis resonantibus semitoniis, hinc tonis grauioribus, hinc diapenticis, hinc diathessaronicis, hinc diapasonicis simphoniis consonantibus. Que dum omnia aut epogdoe aut epitrete aut sesqualtere aut duple respondent proportioni, nichil par organice modulationi. Neque enim uniformis est ista modulatio, nam nunc est humana, nunc mundana, nunc in planetis, nunc in elementis, nunc in temporibus, nunc in uocibus, nunc in instrumentis artificialibus et omnino tam multimoda dulcedine resonans ut quamlibet atroces animos 69, 1 arithmetica – multitudinis] cf. Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 6 (Buttimer, p. 30, l. 9-10); cf. loc. par. Fons philos., str. 87-88 (Michaud-Quantin, p. 47) 70, 1 musica relate] cf. Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 6 (Buttimer, p. 30, l. 8-10) 2-14 secundus – creatam] loc. par. Fons philos., str. 89-92 (MichaudQuantin, p. 47) 9-10 modulatio – mundana] cf. Boèce, De musica, I, 2 (p. 187, l. 20-26) 11 in – artificialibus] cf. Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 10 (Châtillon, p. 108, l. 14-16) 69, 4 aque] aquam Delhaye

5 Hic] G 1 |hinc S 3 ; hic S 4

70, 1 relate] magnitudinis add. Delhaye 3 hic] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |hic S 3 4 sonos resonat] resonat sonos G 1 |sonos resonat S 3 8 modulationi] G 1 | mudulationi S 3 Delhaye

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69. L’arithmétique, maîtresse du multiple du simple Le lit du premier de ces fleuves est si chargé de cailloux que l’on ne pourrait pas puiser un plein seau d’eau de ce fleuve sans puiser en même temps les cailloux. Ainsi il se produit que lorsque les eaux, en tombant, heurtent le tas de cailloux, elles retentissent d’un doux murmure. Ce cours d’eau a ses habitués qui boivent de son eau: computistes, abacistes, algoristes, jouant avec des cailloux, ajoutant, multipliant, divisant, disposant les cailloux de mille façons, tantôt les alignant, tantôt les disposant à plat ou en tas sur une certaine surface, et d’une façon comme de l’autre dessinant tantôt un quadrilatère équilatéral ou plus long d’un côté, tantôt un cercle, ou bien formant aussi des trigones, des tétragones, des pentagones, ou autres figures semblables, et réduisant une quantité fractionnée en quantité continue. 70. La musique, du proportionnel Le deuxième de ces cours d’eau, chargé lui aussi de cailloux, mais sensiblement plus profond que le précédent, coule en un bruit mélodieux. D’un goût tout à fait délicieux, d’un murmure très agréable, il résonne de sons harmonieux, différents mais symphoniques, tantôt en demi-tons caressants, tantôt en tons plus graves, tantôt consonnant en harmonies de quintes, de quartes ou d’octaves. Tandis que toutes correspondent à une proportion épogde, épitrite, sesquialtère ou double, en rien pareille à la modulation instrumentale. Cette modulation, en effet, n’est pas uniforme car elle est tantôt humaine, tantôt universelle, tantôt planétaire, tantôt élémentaire, tantôt dans les temps prosodiques, tantôt dans les voix, tantôt dans les instruments fabriqués, et résonnant parfaitement d’une douceur si variée qu’elle l’emporte sur toute autre pour apaiser les esprits indomptés. Ainsi il est prouvé, non seulement par la science mais plus sûrement par l’expérience, que l’âme humaine a été créée dans des proportions musicales.

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microcosmvs, I, 70-72

mansuefacere preualeat. Vnde non solum scientia sed etiam experientia certiore probatum est humanam animam in musicis proportionibus creatam.

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〈71.〉 Geometria inmobilis magnitudinis Tercius autem quadruuialium riuorum, ceteris magis deorsum uergens, quia tamen de sursum uenit, eque montes et ualles uniuerse terre circuit et comprehensis omnium locorum mensuris, iterum ad alta unde uenerat tendens, ad lune globum peruenit et comprehensa eius quantitate sexies minorem terra inuenit. Inde altius adhuc enitens solis globum circuit, ipsumque octies terra ac per hoc quadragies octies luna maiorem colligit. Circulos quoque solis et lune et aliorum planetarum sed et uniuerse mundane machine ambiens ex aliis alios conicit. Neque enim ideo primum ad terram declinat cum de superioribus aquis exit ut in terra permaneat, sed ut a minoribus incipiens facilius maiora comprehendat. Videres in huius aluei ripis sedentes geometras, mensuras geometricas in manibus tenentes, figuras infinitis ductiles lineis in sabulo depingentes, circulos, triangulos, quadrangulos et his amplius mille modis figurantes, que sit inter circumferentiam circuli et eius diametrum distantia, que inter basim, cathetum et ypothenusam trianguli non equilateri differentia facile inuenientes. Quid dicam? Nulla magnitudinis inmobilis quantitas diligentiam eorum preterire potest, cuius nos summam exempli gratia perstringimus, quia singula prosequi non intendimus. 〈72.〉 Astronomia mobilis magnitudinis Porro quartus quasi matheseos fluuius mobilis magnitudinis imitans circuitum, circuli flexu uoluitur et nunc firmamenti, nunc solaris orbite uestigia sequitur, nunc cum luna ceterisque planetis euagatur. Hic 71, 1 geometria – magnitudinis] Boèce, Arithmetica, I, 1 (CCSL 94A, p. 10-11, l. 39-41); Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 15 (Buttimer, p. 34, l. 20-22); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 8 (Châtillon, p. 107, l. 8-9) 2-5 tercius – tendens] loc. par. Fons philos., str. 97-98 (Michaud-Quantin, p. 48) 13-14 figuras – quadrangulos] cf. loc. par. Fons philos., str. 94 (Michaud-Quantin, p. 48) 72, 1 astronomia – magnitudinis] Boèce, Arithmetica, I, 1 (CCSL 94A, p. 14, l. 120); cf. Hugues de Saint-Victor, Didasc., II, 6 (Buttimer, p. 30, l. 8-10); Richard de Saint-Victor, Liber exc., I, i, 7, (Châtillon, p. 107, l. 23-24) 72, 2 quasi] G 1 | om. S 3

matheseos] G 1 |mathesos S 3 ; matheseos S 4

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71. La géométrie, maîtresse de la quantité immobile Le troisième de ces cours d’eau «quadriviaux», se précipitant plus bas que les autres parce qu’il vient d’en haut, parcourt également les montagnes et les vallées de toute la terre, et ayant pris les mesures de tous les lieux, il remonte vers les hauteurs d’où il était venu et atteint la sphère de la lune; ayant mesuré son volume, il la trouve six fois plus petite que la terre. De là, montant encore plus haut, il fait le tour du globe du soleil et le trouve, à son tour, huit fois plus grand que la terre et donc quarantehuit fois plus grand que la lune. Tournant alors autour du cercle du soleil, de la lune et des autres planètes, ainsi que de toute la machine du monde, il les compare les uns aux autres. Cependant, sortant des eaux supérieures, il ne commence pas par descendre vers la terre pour y demeurer, mais commence par les planètes plus petites afin de mieux comprendre les grandes. Il faudrait voir les géomètres assis sur les rives de ce lit, tenir en main les mesures de géométrie, tracer dans le sable, en lignes générales, des figures variées, cercles, triangles, quadrilatères et autres, les dessinant de mille façons, trouvant aisément la différence entre la circonférence du cercle et son diamètre, la différence entre la base, la perpendiculaire et l’hypoténuse du triangle non équilatéral. Que dire de plus? Aucune mesure de la quantité immobile ne peut échapper à leur zèle, mesure que nous avons résumée à titre d’exemple, car nous n’avons pas l’intention de présenter chacune d’elles en détail. 72. L’astronomie, maîtresse de la quantité mobile Enfin le quatrième fleuve de la connaissance, de quantité mobile, imitant une révolution, s’enroule en une courbe circulaire et tantôt suit les traces du firmament ou de l’orbe solaire, tantôt fait digression sur la lune et les autres planètes. Ce fleuve, le plus grand des fleuves «quadriviaux», reçoit enfin en lui-même tous les autres, et ses eaux, de couleur parfaitement hyaline, brillent par endroits comme des lumières fixées dans les cieux. Auprès de ce fleuve se trouvent des hommes éminents suivant le monde, ayant fait leur preuve dans leur science et leur vie, manipulant dans leurs mains des sphères, les uns, des sphères massives, les autres, des sphères plates, couvertes de descriptions des mouvements des sphères célestes: par quoi ils se vantent de saisir les causes cachées de toutes choses, et aussi les effets à venir des causes, par lesquels ils expliquent visuellement le tracé circulaire de ce fleuve. Il faut voir dans ces sphères les nombreux cercles, tracés avec sagesse conceptuelle, s’entre-

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maximus quadruuialium fluuiorum nouissime ceteros omnes in se recipit, cuius aque per totum yalini coloris per loca fulgent instar luminum celis infixorum. Assident huic flumini quidam uiri secundum seculum eximii, scientia et uita probati, gestantes manibus spheras alii solidas, alii planas, descriptionibus motuum celestium spherarum plenas, ex quibus rerum omnium latentes, causas et effectus causarum etiam futuros deprehendere se iactitant, in ipsis ad oculum demonstrantes huius fluminis circuitus. Videres in his spheris circulos multiplices ideali prudentia fictos, hinc inde uarie se intersecantes et uniuersum celum multiplici diuisione siue a polo in polum, siue ab oriente in occidentem, siue aliunde alio diuidentes. Siquidem zodiacus qui ceteris omnibus est principalior circulus planetarum, solus latitudine eque ut longitudine notabilis, nec ab oriente ad occidentem, nec a polo ad polum directe, sed ab obliquo horum medium celum ambit tamquam celi corona xii signas insignita, quorum singula animalium nomine excepto uno censentur. Vnde et ipso «zodiacus» id est «animalis» dicitur. Propter hoc ideali prudentia ficti sunt et alii circuli ipsum multipliciter aut intersecantes aut discriminantes: primum duo coluri, quorum alter ab oriente in occidentem per tropica signa zodiaci, alter a polo in polum per equinoctialia signa eiusdem pertransiens se ipsos inuicem et ipsum bis intersecant, et huiusmodi sectionibus factis per medium firmamenti, quasi quatuor in eo emisperia faciunt. Deinde quinque paralelli a se equaliter distantes idem firmamentum per totum et ipsos coluros, a parte orientis ad partes occidentis deducti, per quinque partes intersecant et intersecantur ab eis. Quorum extremi duo hinc inde polis uiciniores duas inhabitabiles zonas excludunt, duas ut dicunt habitabiles includunt. Porro duo his uiciniores ipsas habitabiles a media torrida et ob hoc inhabitabili hinc inde discriminantes, ipsum etiam zodiacum a tropoicis signis hinc inde contingentes discriminant. Denique medius ex quinque, et ipse ceteris am16-21 siquidem – dicitur] loc. par. Fons philos., str. 52 (Michaud-Quantin, p. 42). 21-27 propter – faciunt] cf. loc. par. Fons philos., str. 51 (MichaudQuantin, p. 42). 27-29 deinde – eis] cf. loc. par. Fons philos., str. 50 (MichaudQuantin, p. 42) 10 rerum omnium] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |rerum omnium S 3 12 Videres] G 1 |Videns S 3 ; Videres S 4 |Vides Delhaye 18 directe] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |directe S 3 29 intersecantur] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 33 tropoicis] tropicis G 1 |tropoicis S 3

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coupant ici et là de diverses façons, et partageant tout le ciel en plusieurs sens, soit de pôle à pôle, soit de l’orient à l’occident, soit ailleurs et autrement. Puisque le zodiaque qui est le premier de tous les cercles des planètes, le seul qui soit remarquable par sa largeur comme par sa longueur, se déplace, non pas directement de l’orient vers l’occident, ou de pôle à pôle, mais obliquement par rapport à ces points, au milieu du ciel comme une couronne du ciel, marquée par douze signes dont chacun porte un nom d’animal, sauf un. Ainsi lui-même est appelé zodiaque, c’est à dire animal. C’est pourquoi ont été tracés avec sagesse conceptuelle d’autres cercles qui l’entrecoupent ou le divisent de multiples façons: tout d’abord deux colures, allant, l’un de l’orient à l’occident par les signes tropiques du zodiaque, l’autre de pôle à pôle par les signes équinoxiaux du même zodiaque, qui s’entrecoupent entre eux et l’entrecoupent deux fois, et par de telles sections créées au milieu du firmament, y tracent en quelque sorte quatre hémisphères. Ensuite cinq parallèles équidistants, tracés depuis la région de l’orient vers les régions occidentales, divisent de même entièrement le firmament et les colures eux-mêmes, et sont divisés par eux. Parmi eux, les deux extrêmes les plus proches, de part et d’autre, des pôles, marquent la limite de deux zones inhabitables et contiennent, dit-on, deux zones habitables. Ensuite, les deux qui leur sont les plus proches, en séparant de part et d’autre ces zones habitables de la zone médiane torride, et donc inhabitable, séparent le zodiaque lui-même des signes tropiques, en se présentant de part et d’autre. Enfin le parallèle médian parmi les cinq, étant lui-même plus grand que les autres par l’amplitude de sa circonférence, divise la zone torride médiane et aussi le zodiaque médian, en passant à travers les deux équinoxes. Quant à l’horizon, il est la ligne limite de la vue, certes naturellement un, mais multiple en raison de sa fuite, divisant les autres de diverses façons, et divisé par les autres. Je ne parle pas de la galaxie qui, étant un cercle céleste remarquable par sa clarté, n’a pas été compté parmi les cercles conçus par la sagesse idéelle. Le Ciel tout entier est partagé par des lignes de séparation, afin que la trajectoire des planètes qui se déplacent sous le ciel soit mieux connue de ceux qui les observent, et ainsi, que les effets que produisent naturellement les planètes par leur déplacement dans les régions inférieures soient mieux compris. Alors, pourquoi toutes ces choses ont-elles été inventées sinon pour que le Créateur soit reconnu et loué dans la créature et, comme dit l’Apôtre, «les choses invisibles de Dieu sont

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plitudine circumferentie sue dilatacior, mediam torridam mediumque zodiacum per equinoctia duo discurrens diuidit. Est et orizon finitor uisus, naturaliter quidem unus sed digrediendi ratione diuersus et diuerso modo secans alios et sectus ab aliis. Taceo de galaxia qui et ipse cum sit circulus celestis candore suo notabilis inter eos tamen quos idealis prudentia finxit numerandus non fuit. His omne celum distinctionibus uariatum est, ut uia planetarum sub eodem discurrentium intuentibus notior fiat, et sic quid in inferioribus discursu suo planete naturaliter efficiant melius innotescat. Hec autem omnia cur adinuenta sunt nisi ut inueniatur et laudetur creator in creatura et, ut Apostolus ait, inuisibilia Dei per ea que facta sunt intellecta conspiciantur. He sunt aque de illa profundiore fontis sapientie uena ordinate effluentes et luminarium celi splendorem non solum non impedientes uerum etiam promouentes.

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〈73.〉 De uena eloquentie Videamus nunc de alterius uene eiusdem fontis aquis, candidis quidem sed minus profundis, qualiter et ipse de loco suo ordinate effluentes, luminarium celi splendori non parum nitoris adiciant. Quis enim nesciat quantum decoris addat eloquentia adiuncta sapientie, uel donis gratie, uel personis habentibus gratiam? Et tamen minor est eloquentia sapientia, minor inquam in precio, minor in dignitate. Ideo hec auro illa argento comparatur, si tamen simul sunt et simul ordinate effluant. Nam altera sine altera, id est sapientia sine eloquentia, publicari non potest, ideoque eam euanescere necesse est. Ipsa est enim de qua quidam sapiens ita ait: «Nobilis possessio sapientia, que distributa suscipit incre36-38 est – aliis] cf. loc. par. Fons philos., str. 53 (Michaud-Quantin, p. 42) 41 taceo – fuit] cf. loc. par. Fons philos., str. 54 (Michaud-Quantin, p. 42) 46 inuisibilia – conspiciantur] Rom. 1, 20

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73, 7-8 hec – comparatur] cf. Ambroise, In psalmum 118, s. 21 (CSEL 62, p. 479, l. 7-9) 11-12 nobilis – elabitur] cf. Epist. ad Anselmum, 239 (Schmitt, IV, p. 147, l. 30); Guillaume d’Auvergne, Sermones de sanctis, s. 10 (CCCM 230B, p. 37, l. 73- 75) 37-38 et 1 – aliis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 39 celestis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |celestis S 3 42 intuentibus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |intuentibus S 3 73, 5 quantum] quantis G 1 ; quantum G 2 | S 3

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contemplées par le moyen de l’intelligence des choses qui ont été créées». Ce sont là les eaux qui s’écoulent régulièrement de cette veine très profonde de la source de sagesse, qui non seulement ne troublent pas la splendeur des luminaires du ciel mais au contraire la mettent en valeur.

73. De la veine de l’éloquence Voyons maintenant ce qu’il en est de l’autre veine de la même source, aux eaux claires, certes, mais moins profondes; comment ces eaux, en s’écoulant régulièrement elles aussi hors de leur lit, ajoutent beaucoup à la splendeur étincelante des luminaires du ciel. Qui, en effet, peut ignorer toute la beauté qu’apporte l’éloquence jointe à la sagesse, ou bien aux dons de la grâce, ou aux personnes qui possèdent la grâce; et pourtant l’éloquence est inférieure à la sagesse, je dis bien inférieure en valeur, inférieure en dignité. Ainsi celle-ci est égale à de l’or, celle-là à de l’argent, pourvu qu’elles existent ensemble et s’écoulent régulièrement ensemble. Car l’une sans l’autre, à savoir la sagesse sans l’éloquence, ne peut être proclamée et sa disparition est donc inéluctable. C’est d’elle, en effet, que le sage dit: «La sagesse est une noble possession qui, partagée, prend de la valeur, et si, ne voulant pas d’un possesseur avare, elle n’est pas proclamée, elle disparaîtra. Or elle ne peut être proclamée sinon par l’éloquence. En outre, il ne convient pas que l’éloquence soit proclamée sans la sagesse, car sans la sagesse, elle n’est que bavardage et non éloquence. Par conséquent il est nécessaire que les eaux d’or de la sagesse et les eaux d’argent de l’éloquence s’écoulent ensemble, régulièrement, de la même source, pour rehausser la splendeur des luminaires du ciel. Ainsi, dans le Cantique de l’amour, l’époux dit à son épouse, sous un autre symbole: «Nous te ferons des chaînes d’or pailletées d’argent». Une très belle image, s’il en est, exprimant la fusion de la sagesse et de l’éloquence en

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mentum et auarum dedignata possessorem nisi publicetur elabitur». Non potest autem publicari nisi per eloquentiam. Porro ipsam eloquentiam sine sapientia publicari non expedit. Siquidem sine sapientia garulitas est, non eloquentia. Simul ergo et de eodem fonte necesse est ordinate effluere aquas sapientie aureas cum aquis eloquentie argenteis ad augendum decorem luminarium celi. Hinc Sponsus in Cantico amoris sub alia figura ita sponse sue dicit: Murenulas aureas faciemus tibi uermiculatas argento, pulcherrima quadam figura mixturam sapientie et eloquentie in uno sermone significans, quo anima perfecta uelud Christi sponsa non solum munitur in pectore ut monili, uerum etiam ornatur in aure et collo ut murenula. Murenula siquidem species est monilis oblongi et pulcherimi a similitudine piscis qui murena uocatur, sic dicti quod longitudine sua ab aure per collum usque ad pectus dependens, non solum collo et auribus sponse ornatum, uerum etiam pectori contra illicitos tactus munimentum parat. Hec autem murenula conuenienter et aurea et argento uermiculata non etiam argentea dicitur, quia diuinus sermo et ex sapientia uelud ex auro materiam, et ex eloquentia uelud ex argento capit formam. Materiam inquam ex sapientia que nusquam ei deesse, formam ex eloquentia que passim ei deesse debet, ne si semper ei assit color eloquentie ex industria fucatu ad decipiendum, si numquam, ex imperitia inefficax inueniatur ad persuadendum. Ex auro ergo est, quia totus sapientia plenus, sed uermiculatus argento quia per loca coloribus eloquentie respersus. 〈74.〉 Diuisio eloquentie per species suas Quamuis autem simul de eodem fonte effluere et ad eundem refluere habeant he due uene, sapientie scilicet et eloquentie, tamen effluentes non semper eisdem se modis comitantur aut spaciis. Nam quod de

74, 2-7 quamuis – dulcisono] cf. loc. par. Fons philos., str. 16 (Michaud-Quantin, p. 37) 14-15 Porro – eloquentia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 15-16 et – fonte] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 18 sub – figura] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | om. S 3 ; add. in marg. S 4 23 est monilis] monilis est G 1 |est monilis S 3 oblongi et] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |oblongi et S 3 26 parat] prestat Delhaye 28 dicitur] G 1 |dicuntur S 3 ; dicitur S 4 74, 1 eloquentie] G 1 | S 3 ; per species suas add. G 5 sup. l. G 2 |scilicet S 3

3 scilicet] S 3 ; abest in G 1 ; add.

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une seule phrase, par laquelle l’âme parfaite, telle l’épouse du Christ, non seulement est fortifiée en sa poitrine comme par un collier, mais aussi est ornée à l’oreille et au cou comme par une chaîne; puisque la chaîne est une sorte de collier très long et très beau, semblable au poisson que l’on appelle murène, ainsi nommé parce que, descendant grâce à sa longueur de l’oreille au cou et jusqu’à la poitrine, il offre non seulement un ornement au cou et aux oreilles, mais aussi un rempart à la poitrine contre les attouchement illicites. Cependant cette chaîne, pertinemment façonnée d’or pailleté d’argent, on ne peut dire qu’elle est faite aussi d’argent parce que la parole divine prend sa matière dans la sagesse, comme dans de l’or, et sa forme dans l’éloquence comme dans de l’argent: la matière, dis-je, dans la sagesse qui ne doit jamais lui faire défaut, la forme dans l’éloquence qui doit parfois lui faire défaut car si la couleur de l’éloquence l’assiste en permanence, elle risque de se révéler comme un maquillage artificiel fait pour tromper, si elle ne l’assiste jamais, elle risque de se révéler, par inexpérience, inefficace pour persuader. Ainsi la parole de Dieu est de l’or, parce que toute pleine de sagesse, mais pailletée d’argent parce que resplendissant par endroits des couleurs de l’éloquence.

74. Division de l’éloquence suivant ses branches Cependant, bien que ces deux veines, à savoir la sagesse et l’éloquence, doivent s’écouler ensemble de la même source et refluer vers la même, en coulant, elles n’évoluent pas toujours ensemble de la même façon ni dans les mêmes espaces. Car ce qui sort de la veine la plus profonde tend vers les régions plus hautes, illuminant tout en silence, comme on l’a dit. Ce qui sort de la veine la moins profonde se répand dans les régions plus planes, se répandant dans les espaces de lait avec un doux son. Or en se diffusant elle se divise en trois bras: le premier parcourt les parties inférieures de l’air, le second les parties médianes, le troisième les parties supérieures. La grammaire, en effet, examine toutes les propriétés et impropriétés, c’est-à-dire les figures de la voix. Or dans le microcosme la voix est un filet d’air frappé, que ce fleuve parcourt par un chemin très direct, «créé par sa rosée, de fins rameaux nouveaux, engendre d’autres»

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profundiore prodit uena, petit altiora, omnia lustrans ut dictum est cum silentio, quod de minus profunda, diffundit se per planiora spacia aeris peruagans cum strepitu dulcisono. Diffundendo autem se diuidit in tria brachia: primum aeris inferiora, secundum media, tercium superiora perlustrat. Siquidem grammatica omnes uocis proprietates et inproprietates siue figuras inuestigat. In microcosmo enim uox est aer ictus tenuissimus quem hoc flumen uia rectiore perambulat, uirgulta tenera suo rore creat alia flumina pleniora uena fecundat. Secundum flumen rethorice media tenens et quasi per amena prati lasciuiens, uernat sinu picto floribus, ceteris euagatur longius, primum quidem currens tardius, postea concitatius. At tercium dialectice flumen summa tenens loca transit latebrosa, rupes lucos, inuia penetrat scrupulosa, cuius uia anfractuosior, semita strictior, aqua fortior et inpetuosior. Ad ueritatem enim que in abditis latet tendit et quoscumque inuenit obices falsitatis aut nugacitatis inueniende ueritati contrarios natiua uirtute comminuit. Cumque triuium hoc uniuersa aeris spatia per se peruagetur, nouissime se quadruuio et ceteris, que commemorata sunt superius fluminibus, infundit formam omnibus, etsi non materiam prestans. Eadem enim constructio, forma grammatica, materia theologica est. Sic eadem oratio forma rhetorica materia mathematica est. Similiter eadem argumentatio, forma dialectica, materia fisica est, et cetera huiusmodi pro uarietate materie.

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〈75.〉 Conclusio predictorum Exemplariter iam satis docuimus de utrisque aquis medio firmamento diuisis, inferioribus scilicet et superioribus, qualiter in unum locum congregate tertio die de suis fontibus effluant et effluendo ordinate quid efficiant. Hec est dispositio microcosmi tribus diebus prioribus facta. Nunc ad ornatum eiusdem tribus sequentibus diebus factum ueniendum est ut sic opus exameron compleatur.

7-9 diffundendo – perlustrat] cf. loc. par. Fons philos., str. 17 (Michaud-Quantin, p. 37) 10-13 siquidem – fecundat] cf. loc. par. Fons philos., str. 18 (MichaudQuantin, p. 37) 13-15 secundum – concitatius] cf. loc. par. Fons philos., str. 20 (Michaud- Quantin, p. 38) 16-18 at – inpetuosior] cf. loc. par. Fons philos., str. 19 (Michaud-Quantin, p. 37) 8 brachia] S 3 ; abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |brachia S 3 sup. l. S '

11 siue] G 1 |om. S 3 ; add.

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fleuves «plus abondants que la veine.» Le deuxième bras, celui de la rhétorique, se tenant dans les régions médianes et s’ébattant comme dans la douceur du pré, se couvre d’une guirlande de fleurs, «se propage plus loin que les autres», courant tout d’abord «assez lentement, puis plus rapidement». Mais le troisième bras, celui de la dialectique, occupant les sommets, «traverse des lieux secrets, des roches, des bois», pénètre «dans des endroits impraticables et rocailleux, dont la voie est plus tortueuse, «le chemin» plus étroit, l’eau plus vigoureuse et impétueuse». Il tend cependant vers la vérité qui est cachée dans des lieux secrets, et brise par une force innée tous les obstacles de la fausseté ou de la plaisanterie, contraires à la recherche de la vérité. Et tandis que ce trivium se répand dans tous les espaces de l’air, il pénètre enfin dans le quadrivium et les autres fleuves cités plus haut, donnant à tous la forme sinon la matière. Car la même construction est grammaticale par la forme, théologique par la matière; ainsi le même discours est rhétorique par la forme, mathématique par la matière; pareillement, la même argumentation est dialectique par la forme, physique par la matière; et ainsi de suite suivant la nature de la matière.

75. Conclusion de ce qui a été exposé plus haut À présent, au sujet des deux eaux, inférieures et supérieures, séparées par le firmament, nous avons assez expliqué comment, réunies en un seul lieu le troisième jour, elles s’écoulent depuis leurs sources, et ce qu’elles provoquent en s’écoulant régulièrement. Telle est la disposition du microcosme, accomplie les trois premiers jours. Maintenant il faut en venir à son ornementation, accomplie les trois jours suivants, afin qu’ainsi l’œuvre de l’Hexaemeron soit achevée.

LIBER SECVNDVS 〈76.〉 Quid theologus inspexerit hominem mundum appellans Hactenus quid philosophus inspexerit in humano spiritu hominem microcosmum appellans, naturalia uidelicet in quibus, ut ostensum est, similitudinem habet cum mundo, licet diffuse non tamen confuse prosecuti sumus, ut etiam eo ipso superiorum aquarum de fonte suo exitum ordinatum quodam modo exemplariter doceremus. Deinceps quid theologus inspexerit in homine mundi nomine eum appellans, gratuita uidelicet post naturalia homini superaddita per gratiam, in quibus similitudinem habet cum Deo, que est dignitas hominis in hoc mundo, nobis assistente eadem gratia prosequemur ut sic humane dignitatis consummationem in ipso opere nostro demonstremus quia, sicut electa anima a naturalibus incipit et in gratuita proficit donec in eisdem consummetur, ita hoc opus nostrum, uelud quoddam electe anime speculum, duximus inchoandum, prosequendum et perficiendum.

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〈77.〉 Propter hominem non propter angelum mundum hunc uisibilem esse factum Hec est enim dignitas hominis quam theologus inspexit dum mundi nomine eum appellauit, uidelicet quod per gratiam similis sit Deo et habitatio Dei, maior omni alia creatura ac per hoc maior mundo et dominus mundi, utpote propter quem factus est mundus. Neque enim 77, 1-2 propter – factum] Origène, Contre Celse, 4, 74 (PG 11, 114-115); Grégoire de Nysse, De opificio hominis, 1 (PG 44, 132); Augustin, De divers. quaestionibus, 83, 30 (CCSL 44A, p. 40, l. 59-60); Ambroise, De Noe, 4, 10 (CSEL 32/1, p. 419, l. 24- p. 420, l. 1) 76, 8-9 in – mundo] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 prosequamur Delhaye 77, 3 theologus] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 sup. l. G 2 | in textu S 3

10 prosequemur]

4-5 et – Dei] abest in G 1 ; add.

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LIVRE SECOND 76. Qu’est-ce que le théologien a pris en compte en appelant l’homme «monde» Jusqu’ici nous avons étudié, bien que de manière diffuse mais non confuse, ce que le théologien a examiné dans l’esprit humain, en appelant l’homme microcosme, à savoir les qualités naturelles dans lesquelles, comme on l’a démontré, il a une ressemblance avec le monde, afin d’expliquer par là aussi, d’une certaine façon par l’exemple, la sortie ordonnée de sa source des eaux supérieures. Maintenant étudions avec l’aide de la grâce ce que le théologien a examiné dans l’homme en l’appelant du nom de monde, à savoir les qualités gratuites, ajoutées pour l’homme aux naturelles, par la grâce, par lesquelles il a une ressemblance avec Dieu, ce qui constitue la dignité de l’homme dans ce monde; afin de démontrer ainsi, dans notre propre œuvre, l’accomplissement de la dignité humaine; car, de même que l’âme élue commence par les qualités naturelles et progresse dans les gratuites, jusqu’à s’accomplir en elles, de même notre présent ouvrage, comme une sorte de miroir de l’âme élue, nous l’avons conduit en progressant du début jusqu’à la fin. 77. Que ce monde visible a été créé pour l’homme, non pour l’ange C’est cela, en effet, la dignité de l’homme que le théologien a examiné quand il l’a appelé du nom de monde, à savoir que, par la grâce, il est semblable à Dieu et qu’il est la demeure de Dieu, au-dessus de toute créature et au-dessus du monde, et le seigneur du monde, vu que le monde a été créé pour lui. Car ce n’est pas pour lui-même que Dieu créa le monde et ce n’est pas non plus pour l’ange que ce monde visible a été créé, car une créature invisible n’avait pas besoin d’une habitation visible, mais c’est pour l’homme, que Dieu décida de créer de deux substances, la visible et l’invisible. Et c’est pourquoi il lui ménagea une double demeure, l’une naturelle, l’autre gratuite, tout d’abord la naturelle, ensuite la gratuite. Après l’avoir d’abord placé dans la demeure naturelle, c’est-à-dire le Paradis terrestre, et lui avoir donné une règle de vie avec des biens naturels aussi bien que gratuits, qui lui permettaient de progresser vers la demeure gratuite – mais il ne la prépara pas pour celui qui ne la mériterait pas, bien qu’il la préparât avant qu’elle ne soit méri-

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propter se Deus mundum fecit, sed neque propter angelum factus est hic mundus uisibilis, quia non opus erat inuisibili creature uisibilis habitatio, sed propter hominem quem Deus ex duabus substantiis, uisibili scilicet et inuisibili, creare statuit. Ideoque duplicem quoque ei habitationem preparauit, alteram tamen naturalem, alteram gratuitam, naturalem primam, gratuitam secundam. Cumque eum primo in naturali habitatione id est in paradiso terrestri collocasset, legemque uiuendi ei dedisset cum naturalibus bonis pariter et gratuitis quibus ad gratuitam habitationem proficeret – neque enim non merituro eam preparauit quamuis eam nondum merito preparauit – maiora illi gratuita, minora naturalia quam angelo conferre disposuit, minora inquam naturalia in quibus eum sub angelo creauit, maiora gratuita quibus eum super angelum eleuauit. Vtrumque ad confusionem apostate angeli qui maioribus naturalibus bonis preditus stare non potuit et minoribus naturalibus bonis predito homini statum inuidit et secum in precipitium incautum traxit. Vtrumque rursum ad gloriam electe anime que infirmioris nature, per gratiam tamen post precipitium surgere potuit.

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〈78.〉 Quid preuiderit Deus homini ab eterno Preuiderat enim Deus ab eterno quam plurimos, licet de lutea materia factos, licet naturaliter infirmiores angelis homines, quasi nature fragili uim facturos et inimicos generis sui fortiter debellaturos, et in confusionem illorum qui, de lutea materia nichil habentes, non infirmitate nature sed sola malicia peccauerunt, multa uiriliter acturos. Ideoque hos dignos gratia, illos indignos iudicauit. Sicque factum est ut qui minus acceperunt in natura, plus acciperent in gratia, non solum ruentibus angelis, uerum etiam stantibus, quia ubi maior est pugna, ibi nimirum post uictoriam maior est et corona. Nam ut ait beatus Ieronimus in Sermone ad Paulam et Eustochium: «In carne angelicam gratiam acquirere 13 habitatione – terrestri] cf. Gen. 1, 8 78, 11-12 in carne – habere] Paschase Radbert (ex Pseudo-Jérôme) Epist. 9 ad Paulam et Eustochium, 5 (PL 30, 127A) 7 propter 1 – neque] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 15 eam preparauit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 21 predito] G 1 |predieto S 3 ; predito S 4 78, 2 eterno] G 1 |eterna S 3 ; eterno S 4 9 etiam] G 1 | om. S 3

3 homines] G 1‫ ׀‬hominis S 3 ; homines S 4

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tée – il décida de lui conférer de plus grands dons gratuits et de moins grands naturels qu’à l’ange; de moins grands dons naturels, dis-je, dans lesquels il le créa inférieur à l’ange, de plus grands dons gratuits, par lesquels il l’éleva au-dessus de l’ange. Ces deux dispositions à la confusion de l’ange apostat qui, doté de plus grands biens naturels, ne put se maintenir, jalousa l’état de l’homme, doté de biens naturels inférieurs, et l’entraîna, l’imprudent, dans le précipice: deux dispositions qui tournèrent à la gloire de l’âme élue qui, de nature plus faible, put cependant, après la chute, ressurgir par la grâce.

78. Qu’avait prévu Dieu pour l’homme, de toute éternité Dieu avait prévu de toute éternité que la plupart des hommes, bien que faits de la matière d’argile, bien que par nature plus faibles que les anges, tireraient leur force de la nature fragile, combattraient avec vigueur les ennemis de leur propre espèce et, à la confusion de ceux qui, n’étant nullement faits de matière d’argile, ont péché non par faiblesse de la nature mais seulement par malice, accompliraient beaucoup d’actions courageuses. C’est pourquoi il jugea ceux-ci dignes de la grâce, ceux-là indignes. Et ainsi il se fit que ceux qui reçurent moins en nature devaient recevoir plus en grâce, non seulement devant les anges déchus mais aussi devant les anges dressés, parce que là où le combat est plus dur, plus grande assurément est aussi la couronne après la victoire. Car, comme le dit saint Jérôme dans sa lettre à Paula et Eustochius, «acquérir la grâce angélique dans la chair est plus méritoire que la posséder». Car être ange de félicité, ou bien être vierge de vertu, c’est ce que l’ange possède par nature, tandis que l’homme cherche à y atteindre par ses forces, jointes à la grâce. Car bien que cela soit vrai pour la seule sainte Vierge et Mère, pour qui, spécialement, cela avait été dit, cette vérité est néanmoins évidente pour tous ceux qui luttent pour Dieu avec leur chair, et qui l’assujettissent victorieusement.

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microcosmvs, II, 78-79

maius est meritis quam habere». Esse enim angelum felicitatis est, esse uero uirginem uirtutis, dum hoc obtinere uiribus nititur cum gratia, quod angelus habet ex natura. Quod licet pro beata Virgine et matre singulariter uerum sit pro qua et specialiter dictum fuit, nichilominus tamen pro omnibus cum carne sua propter Deum luctantibus eandemque uictoriose sibi subicientibus, ueritas dicti constat.

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〈79.〉 Hominem in gratuitis superiorem esse angelo Licet igitur in naturalibus homo inferior sit angelo, in gratuitis superior inuenitur. Hinc psalmista ait: Minuisti eum paulo minus ab angelis, quasi diceret: «In naturalibus quidem hominem minorem angelo fecisti sed in gratuitis gloria et honore coronasti eum et constituisti eum super opera manuum tuarum». Vbi duplex gratia homini a Deo collata insinuatur, altera meriti, altera premii, altera in presenti, altera in futuro. In presenti, qua eum capiti suo Christo unitum gloria et honore coronauit, gloria regni, honore sacerdocii; fecit inquit nos regnum et sacerdotes, spiritualiter scilicet regnantes, spirituale sacrificium Deo nos ipsos offerentes. In futuro, qua eum eleuatum ad dexteram Patris in capite Christo super opera manuum suarum constituit. Cui enim angelorum dixit aliquando: ‘Filius meus es tu ego hodie genui te, postula a me et dabo tibi gentes hereditatem tuam et possessionem tuam terminos terre’. Et iterum: ‘Sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum’. Ecce quanta dignitas hominis super angelum, qua per gratiam factus est non solum Dominus mundi ut Deus sed etiam similis Deo et Deus, quod nulli unquam angelorum contigit aut continget. Quid ergo mirum si eum mundi nomine theologus appellandum censuit quem etiam Dei nomine non indignum uidet? Quid, inquam, mirum si corpus eius mundum uocauit, cuius capud Deum uocare non dubitauit?

79, 3 minuisti – angelis] Ps. 8, 6; Hebr. 2, 7 5-6 gloria – tuarum] Ps. 8, 6-7; Hebr. 2, 7; cf. Sap. 9, 2 9 fecit – sacerdotes] cf. Apoc. 1, 6; 5, 10 12 super – constituit] Ps. 8, 7; Hebr. 2, 7 12-13 cui – te] Hebr. 1, 5; cf. Hebr. 5, 5; Act. 13, 33 13-14 postula – terre] Ps. 2, 8 15 sede – tuorum] Ps. 109, 1; Matth. 22, 44; Luc. 20, 42-43; Act. 2, 34-35; Hebr. 1, 13; cf. I Cor. 15, 25 79, 11 qua] quia Delhaye Patris] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 1 3 14 tuam] G | om. S 19 continget] G 1 |contingat S 3 ; continget S 4 22 uocauit] uocant Delhaye

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79. Que l’homme est supérieur à l’ange en dons gratuits Ainsi, bien que l’homme soit inférieur à l’ange en dons naturels, il se révèle supérieur en dons gratuits. Ainsi le psalmiste dit: «tu l’as fait de peu inférieur à l’ange», comme pour dire: tu as fait l’homme inférieur à l’ange en dons naturels, mais en dons gratuits «tu l’as couronné de gloire et d’honneur et tu l’as établi au-dessus des œuvres de ses mains». Là il fait allusion à la double grâce accordée à l’homme par Dieu, l’une du mérite, l’autre de la récompense, l’une dans le présent, l’autre dans l’avenir. Dans le présent, la grâce par laquelle Il couronna l’homme uni à sa tête, le Christ, de gloire et d’honneur: la gloire du royaume, l’honneur du sacerdoce. «Il fit de nous» dit l’Apôtre, «un royaume et des prêtres», régnant spirituellement, nous offrant nous-mêmes à Dieu en sacrifice spirituel; dans l’avenir, parce que, élevé à la droite du Père dans le Christ qui est la tête, «il l’a établi au-dessus des œuvres de ses mains. Car auquel des anges a-t-Il jamais dit: «Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré; demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et pour ta possession les limites de la terre». Et encore: «Assieds-toi à ma droite jusqu’à ce que j’ai mis tes ennemis comme escabeau pour tes pieds». Telle est la dignité de l’homme au-dessus de l’ange, par laquelle il a été fait, par la grâce non seulement le seigneur du monde, comme Dieu, mais aussi semblable à Dieu et Dieu lui-même, ce que n’arriva ni n’arrivera jamais à aucun ange. Quoi d’étonnant, en effet, à ce que le théologien ait jugé bon de l’appeler du nom de monde, lui qu’il ne considère même pas indigne du nom de Dieu? Quoi d’étonnant, dis-je, à ce qu’il ait appelé son corps «monde», lui dont il n’a pas hésité à appeler la tête «Dieu»? Car la tête du monde est Dieu, la tête de l’Église est le Christ. Quoi d’étonnant à ce qu’il l’ait appelé «monde» lui en qui Dieu a décidé de demeurer pour l’éternité? C’est lui le monde dont un sage, en priant le Seigneur, dit ceci: «Dieu, dont le royaume est le monde entier», lui, que la perception de la mort corporelle ignore, dont la partie inférieure, à savoir les pécheurs, telle une région sublunaire, est toujours soumise au flux et au changement.

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microcosmvs, II, 79-80

Capud enim mundi Deus, capud Ecclesiae Christus. Quid mirum si eum mundum uocauit quem Deus in eternum inhabitare decreuit? Hic est mundus de quo quidam sapiens ad Dominum orans ita ait: «Deus cuius regnum est totus mundus», quem mortalis corporis sensus ignorat, cuius etiam inferior pars, id est peccatores, semper quasi sublunaris regio fluxui et mutabilitati subiacet.

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〈80.〉 De ornatu microcosmi Huius mundi disposicionem iuxta premissam demonstrationem tribus diebus fecit Deus, huius mundi peccata tribus diebus tulit Dei Agnus, huius mundi ornatum tribus diebus fecit Spiritus sanctus post ascensionem Domini baptizans eum in nomine Patris et Filii et Spiritus sancti et in nouam creaturam fideles suos regenerans. Huius mundi ornatum deinceps facit tota Trinitas unus Deus usque ad consummationem seculi. Vnde propheta Osee: Viuificabit nos post duos dies. In die tercia suscitabit nos. Hunc huius mundi ornatum tribus diebus iuxta Moysi narrationem in megacosmo factum, et nos in microcosmo prosequamur deinceps usque ad consumationem tam ipsius mundi quam operis nostri, hoc est iter trium dierum quod postulauit Moyses a Pharaone filiis Israël sacrificaturis Deo suo in deserto. Sed a Pharaone non est impetratum, a Deo autem donatum est. He sunt tres gratie quibus ornatur hic mundus ex eo tempore quo peccata eius tulit Agnus. Tulit enim mala ut conferret bona, tulit peccata ut daret gratiam, immo ut daret gratias quibus primo ornaretur ad meritum, deinde ad premium. Sed gratia meriti in tres gratias subdiuiditur ut post apparebit. Hic est ternarius ad quem post predictum qua25-26 Deus – mundus] cf. Augustin, Soliloquia, I, i, 3 (CSEL 89, p. 5, l. 15-16) 80, 2-3 tribus – Deus] Hugues de Saint-Victor, Sententiae de divinitate, III, i (Piazzoni, p. 932, l. 173-174) 6 nouam creaturam] II Cor. 5, 17 6-7 mundi ornatum] cf. Gen. 2, 1; Or. Man. 2 8-9 uiuificabit – nos] Os. 6, 8 12 iter – dierum] cf. Ex. 5, 3 13 sacrificaturis – deserto] cf. Ex. 5, 1; 8, 8; 8, 20 23-28 quid – subiacet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 80, 3 peccata] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 4 tribus diebus] G 1 |om. S 3 tribus diebus] ornatum add. G 1 ; canc. G 2 5-6 et 2 – regenerans] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 13-14 sed – est 2] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 17 primo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |primo S 3 18-21 deinde – spiritualia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

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80. De l’ornement du microcosme Dieu accomplit en trois jours la disposition de ce monde, suivant la démonstration que nous venons d’en donner; l’Agneau de Dieu enleva en trois jours les péchés de ce monde; l’Esprit saint fit en trois jours l’ornement de ce monde en le baptisant après l’Ascension du Seigneur, au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, et en faisant renaître ses fidèles en une nouvelle créature. Depuis lors, toute la Trinité, qui est un seul Dieu, fait l’ornement de ce monde jusqu’à la consommation des temps. Ainsi le prophète Osée: «Dans deux jours, il nous fera vivre. Le troisième jour il nous mettra debout.» Cet ornement du monde présent, fait en trois jours dans le mégacosme, suivant le récit de Moïse, nous aussi nous le poursuivons maintenant dans le microcosme jusqu’à l’achèvement, tant de ce monde que de notre ouvrage, à savoir le voyage de trois jours que Moïse demanda au Pharaon de lui accorder pour les fils d’Israël qui devraient sacrifier à leur Dieu dans le désert. Mais si le Pharaon ne le leur accorda pas, Dieu leur en fit don. Ce sont là les trois grâces dont ce monde est orné depuis que l’Agneau a enlevé ses péchés. Il a enlevé le mal pour apporter le bien, il a enlevé les péchés pour donner la grâce, bien plus, pour donner les grâces afin qu’il soit orné tout d’abord pour le mérite, ensuite pour la récompense. Mais la grâce du mérite se subdivise en trois grâces, comme on le verra après. Telle est donc la triple grâce en vue de laquelle, après la quadruple citée plus haut, l’âme dispersée se recueille, montant des réalités corporelles vers les spirituelles. Voyons donc ce que raconte Moïse, mystiquement, sur cet ornement du monde, et suivons-le pas à pas.

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microcosmvs, II, 80-81

ternarium colligitur anima dispersa, ascendens a corporalibus ad spiritualia. Videamus ergo quid Moyses mistice de hoc ornatu mundi narret et eius uestigiis diligentius insistamus.

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〈81.〉 Secundum narrationem Moysi agit de ornatu microcosmi Dixit autem Deus: Fiant luminaria in firmamento celi et diuidant diem et noctem et sint in signa et tempora et dies et menses et annos ut luceant in firmamento celi illuminant terram, et factum est ita. Fecitque Deus duo magna luminaria, luminare maius ut preesset diei et luminare minus ut preesset nocti et stellas. Et posuit eas Deus in firmamento celi ut lucerent super terram et preessent diei et nocti et diuiderent lucem a tenebris. Diligenter uidetur hic prosecutus Moyses ad litteram causam creationis luminarium celi et locum et officium eorum, maximeque duum magnorum luminarium, solis uidelicet et lune, quorum locum assignans: Fiant, inquit, luminaria in firmamento celi, et officium: ut diuidant diem et noctem etc., et causam: ut illuminent terram. Quod tamen de loco dicitur, distincte intelligendum est. Nam cum horum luminarium alia sint mobilia ut planete septem, alia fixa ut stelle minores, planete sub firmamento mouentur, secundum alios circa firmamentum, secundum alios cum firmamento, stelle uero minores in ipso fixe sunt firmamento. Sed credo Moysen respectu misterii hec indistincte protulisse nec ignorasse eum aliter hec secundum litteram se habere, secundum misterium uero nichil referre utrum in firmamento celi an sub firmamento esse dicantur, sicut in sequentibus manifestum erit. Nobis igitur his que ad litteram dicta sunt omissis incunbit horum luminarium celi misterium diligentius prosequi. Quod ut distinctius fiat, libet trium dierum sequentium opus, primum summatim perstringere et tunc demum ad singula pertractanda diffusius redire.

81, 2-7 fiant – tenebris] Gen. 1, 14-17 12-13 fiant – terram] Gen. 1, 14 15 planete – stelle] Isidore, Etymologiae, III, 62-64 (PL 82, 177B-C); Bède, De natura rerum, 11-12 (CCSL 123A, p. 201-202); Guillaume de Conches, De philosophia mundi, II, 6-7 (PL 172, 59C-60A) 81, 4 celi] et add. G 1 |celi S 3 9 uidetur] G 1 |uidentur S 3 ; uidetur S 4 loco dicitur] om. G 1 ; add. sup. l. G 2‫ ׀‬in textu S 4

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81. Il traite, suivant le récit de Moïse de l’ornement du microcosme Dieu dit en effet: «Qu’il y ait des luminaires dans le firmament du ciel et qu’ils séparent le jour de la nuit, et qu’ils soient pour saisons, jours, mois et années, et qu’ils brillent dans le firmament du ciel, illuminent la terre; et il en fut ainsi. Et Dieu fit deux grands luminaires: un plus grand, pour présider au jour, un plus petit, pour présider à la nuit, et les étoiles. Et il les plaça dans le firmament du ciel afin qu’ils brillent au-dessus de la terre et président au jour et à la nuit, et séparent la lumière des ténèbres. Il apparaît que Moïse a retenu au sens littéral la cause de la création des luminaires du ciel, leur position et leur fonction, surtout pour les deux grands luminaires, à savoir le soleil et la lune, dont il situe la position: «Qu’il y ait, dit-il, des luminaires dans le firmament du ciel», et la fonction: «afin qu’ils séparent le jour et la nuit, etc.», et la raison d’être: «afin qu’ils illuminent la terre.» Ce qui est dit de la position doit être compris diversement. Car, comme parmi ces luminaires les uns sont mobiles, comme les sept planètes, les autres fixes, comme les étoiles plus petites, les planètes se déplacent sous le firmament, suivant les uns, autour du firmament, suivant les autres, avec le firmament, les étoiles plus petites en revanche, sont fixées dans le firmament. Mais je crois que Moïse a affirmé cela sans tenir compte du mystère, et n’a pas ignoré que cela se comprend différemment suivant la lettre, mais suivant le mystère il ne dit en rien si ils sont réputés se trouver dans le firmament ou sous le firmament, comme on le verra clairement par la suite. C’est pourquoi, laissant de côté ce qui a été dit suivant la lettre, il nous faut étudier plus à fond le mystère de ces luminaires du ciel. Et pour que cela soit plus clair, nous voulons résumer tout d’abord brièvement l’œuvre des trois jours suivants, et ensuite revenir plus en détail pour les traiter chacun séparément.

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microcosmvs, II, 82

〈82.〉 Primo summatim perstringit opus trium sequentium dierum Sciendum igitur a tempore gratie initium habere tres hos dies sequentes quibus ornatur microcosmus, id est sancta Ecclesia uniuersaliter uel quelibet electa anima particulariter. Ipsa est enim uerus microcosmus, ut supra dictum est, non a minoritate dignitatis sed quantitatis sic dictus. Tres etiam gratias a Moyse, uel potius a Spiritu sancto autore scripture cuius Moyses erat minister, nobis insinuari sciendum est, quibus ab initio gratie usque ad consummationem uniuersalis Ecclesie, siue etiam uniuscuiusque electe anime, microcosmus iste ornatur et, ad hoc ut Deus eum digne inhabitet, preparatur. Harum gratiarum prima est gratia illuminationis ad ueritatem, secunda est gratia affectionis ad uirtutem, tercia est gratia facultatis ad operationem. He sunt tres gratie ab initio inchoantis temporis gratie microcosmo collate quibus nimirum, cum perfecte ornatus fuerit, digna Dei habitatio erit. Prima gratia a fide incipit et per scientiam proficit et ad ueritatem peruenit; secunda a bona uoluntate incipit, per bonas affectiones crescit et ad uirtutem peruenit; tercia a potentia incipit, per exercicia bona proficit et ad facultatem bene operandi peruenit. Prima ergo est scire bonum, secunda est uelle bonum, tercia posse bonum. Posse, inquam, non a possibilitate sed a facultate. Nam posse possibilitatis a natura est, posse facultatis a gratia est, sic scire sic uelle, aliud nature, aliud gratie est. Quodlibet autem horum quod nature est, ab initio conditi hominis est. Quod gratie est, ab initio reconditi est hominis. Et in naturalibus quidem alius ordo est, alius in gratuitis. Nam in naturalibus primum est posse, secundum scire, tercium uelle; in gratui-

82, 14-15 prima – incipit] cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, II, liii, 85 (CCSL 143, p. 111, l. 2) 19 prima – bonum] cf. Baudouin de Ford, De commendatione fidei, 56 (CCCM 99, p. 403, l. 6-7) 82, 7-8 sciendum est] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |sciendum est S 3 10 preparatur] Hic nota animam ascendentem ad spiritualia a corporibus, post quatuor ad tria recolligi et tandem a tribus ad unum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in marg. S 3 12 uirtutem] ueritatem S 3 ; uirtutem S 4 |ueritatem S 3 ; uirtutem S 4 13 ab initio] G 1 (?)|ab initio S 3 temporis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |temporis S 3 14 digna] digne Delhaye 16 uirtutem] G 1 |ueritatem S 3 ; uirtutem S 4 1 3 19 ergo est] G |est ergo S uelle] ualle G 1 |ualle S 3 ; uelle S 4 19-20 tercia 1 3 22 horum] abest in G 1 ; add. posse bonum] G | om. S ; super l. S 4 sup. l. G 2 |horum S 3 23-24 est hominis] hominis est G 1 |est hominis S 3

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82. Tout d’abord il résume brièvement l’œuvre des trois jours suivants Il faut savoir, en effet qu’à partir du temps de la grâce commencèrent ces trois jours suivants pendant lesquels est orné le microcosme, c’est-àdire la sainte Église, dans son universalité, ou toute âme élue en particulier: car c’est elle le vrai microcosme, comme on l’a dit plus haut, ainsi nommée, non pas en raison d’une moindre dignité mais en raison d’une moindre quantité. Il faut savoir que trois autres grâces nous sont signalées par Moïse, ou plutôt par l’Esprit saint, auteur de l’Écriture dont Moïse était l’instrument; grâces dont depuis le début du temps de la grâce jusqu’à la consommation de l’Église universelle, mais aussi de chaque âme élue, ce microcosme est orné et préparé pour que Dieu puisse l’habiter dignement. Et remarque bien ici que l’âme monte des réalités corporelles aux spirituelles, que de quatre elle est rassemblée vers trois, et enfin, de trois à une seule. La première de ces grâces est la grâce de l’illumination à la vérité, la seconde est la grâce de l’attachement à la vertu, la troisième est la grâce de l’aptitude à l’action. Ce sont là les trois grâces conférées au microcosme depuis le commencement du temps de la grâce, par lesquelles, assurément, quand il aura été parfaitement orné, il sera digne d’être l’habitation de Dieu. La première grâce commence par la foi, progresse par la connaissance et parvient à la vérité. La seconde commence par la bonne volonté, s’accroît par les bonnes dispositions et parvient à la vertu. La troisième commence par le pouvoir, progresse par de bons exercices et parvient à la capacité de bien faire. La première est donc de connaître le bien, la seconde est de vouloir le bien, la troisième est de pouvoir le bien. Pouvoir, dis-je, non par possibilité mais par aptitude. Car pouvoir par possibilité est un don de la nature, pouvoir par aptitude est un don de la grâce; ainsi savoir, ainsi vouloir, appartiennent, l’un à la nature, l’autre à la grâce. Mais, tout ce qui, parmi les facultés, appartient à la nature, remonte à la création de l’homme. Ce qui appartient à la grâce appartient à l’homme régénéré. Et l’ordre est certes différent dans les dons naturels et dans les dons gratuits. Car dans les dons naturels, le premier est pouvoir, le second est savoir, le troisième est vouloir; mais dans les gratuits, le premier est savoir, ensuite vouloir, enfin pouvoir. La Puissance du Père créateur donne d’abord le pouvoir, la sagesse du Fils créateur donne d’abord le savoir, la bonté de l’Esprit créateur donne d’abord le vouloir. La sagesse du Fils re-créateur donne en second lieu le savoir, qui est le premier dans les dons gratuits; la bonté de l’Esprit re-créateur donne en second lieu le vouloir; la Puissance du Père re-créateur donne en second lieu le pouvoir. Car le Père et

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tis autem primum est scire, deinde uelle, nouissimum posse. Potentia Patris creatoris dat primum posse, sapientia Filii creatoris dat primum scire, bonitas Spiritus creatoris dat primum uelle. Sapientia Filii recreatoris dat secundum scire quod est primum in gratuitis, benignitas Spiritus recreatoris dat secundum uelle, potentia Patris recreatoris dat secundum posse. Nam Pater et Filius et Spiritus sanctus unus et idem creator et recreator omnium. A Patre ergo incipiunt naturalia et in Patrem desinunt gratuita. Ipse dat primum, ipse dat ultimum posse. Ipse ergo proprie est alpha et omega, principium et finis, quamuis et hoc nichilominus sint Filius et Spiritus sanctus.

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〈83.〉 Aliter se habere ordinem naturalium aliter gratuitorum Quod autem sic se habeat ordo naturalium et gratuitorum ipsa opera Dei naturalia et gratuita probant. In principio creationis omnium potentia Dei fecit esse omnia, sapientia Dei disposuit facta ut pulchra essent omnia, bonitas Dei ordinauit disposita ut bona essent omnia. In principio recreationis omnium, sapientia in iam entibus sed deformatis prima operari incipiens et quasi quid ipsa esset primum de se ostendens, tamquam uera lux illuxit mundo iam enti sed deformato ut reformaretur. Illuxit inquam in celo per stellam, id est in mente per fidem. Neque enim sine causa sapientia nata in carne per stellam apparuit in celo, que si uoluisset eque per solem apparuisse potuisset. Sed in stella primum apparere uoluit ut quo ordine mundus ad eam peruenturus esset insinuaret, scilicet a fide per scientiam ad ueritatem. Credidit mundus illucescenti per carnem sapientie, profecit ad scientiam, peruenit ad ueritatem. In progressu recreationis omnium, bonitas siue Spiritus Dei secundo operari incipiens et quasi quid ipse proprie esset de se ostendens, uelle bonum iam illuminato per fidei ueritatem mundo, gratuito infudit quo ueritatem quam cognouerat dilexit, et sic multiplicatis affectionibus bonis proficiens ad uirtutem peruenit. Porro in consummatione re26-31 potentia – posse] cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, ii, 6 (PL 176, 208D); Richard de Saint-Victor, De Trinitate, VI, 15 (Ribaillier, p. 247, l. 2-3) 31-32 Nam – omnium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 83, 3 creationis omnium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |creationis omnium S 3 4 facta] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |facta S 3 5 disposita] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |disposita S 3 6 in 2 – deformatis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 8 iam – sed] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3

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le Fils, et l’Esprit saint sont un seul et même créateur et re-créateur de toutes choses. Du Père, naissent en effet les dons naturels et dans le Père s’achèvent les gratuits. C’est lui qui donne en premier le pouvoir, c’est lui qui donne en dernier le pouvoir. Car lui seul est l’alpha et l’oméga, le principe et la fin, bien que le Fils et l’Esprit saint le soient tout autant.

83. Qu’autrement se présente l’ordre des dons naturels, autrement celui des dons gratuits Car, que l’ordre des dons naturels et celui des dons gratuits se présentent de la façon suivante, les œuvres naturelles et gratuites de Dieu elles-mêmes le prouvent. Au commencement de la Création de toutes choses, la puissance de Dieu fit que toutes choses soient, la sagesse de Dieu fit que toutes choses créées soient belles, la bonté de Dieu ordonna que toutes choses ainsi établies soient bonnes. Au commencement de la re-création de toutes choses, la sagesse, commençant à œuvrer dans les êtres déjà existants mais déformés, et montrant tout d’abord d’ellemême, en quelque sorte, ce qu’elle était, brilla, telle la vraie lumière, sur le monde déjà existant mais déformé, afin de le re-former. Je dis bien, elle brilla dans le ciel par le moyen d’une étoile, c’est-à-dire dans l’esprit par la foi. Et ce n’est pas sans raison que la sagesse, née dans la chair, apparut dans le ciel par le moyen d’une étoile alors que, si elle l’avait voulu, elle aurait pu tout aussi bien apparaître par le moyen du soleil. Mais elle voulut apparaître sous la forme d’une étoile afin de faire comprendre dans quel ordre le monde parviendrait à elle, à savoir depuis la foi, par la connaissance, vers la vérité. Le monde crut en la sagesse brillant par la chair, progressa vers la connaissance, parvint à la vérité. Dans la progression de la re-création de toutes choses, la bonté, ou l’esprit de Dieu, commençant à opérer pour la seconde fois et montrant de lui-même, en quelque sorte, ce qu’il était personnellement, infusa gratuitement dans le monde, déjà illuminé par la vérité de la foi, le «vouloir-le-bien», grâce auquel il aima la vérité qu’il avait appris à connaître, et ainsi, progressant par de multiples bonnes affections, il parvint à la vérité. Ensuite, dans l’achèvement de la re-création de toutes choses, la Puissance commençant à opérer pour la troisième fois, et montrant

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creationis omnium potencia tercio operari incipiens et quid ipsa proprie esset de se ostendens, mundo iam scienti et uolenti bonum sed nondum implere potenti, posse bonum gratuito contulit quo ad exercitia bona conualescens ad facultatem bene operandi peruenit. Hi sunt tres dies quibus ornatus est microcosmus: primum ornato eius celo luminaribus, secundo ornato aqua et aere aquatilibus et uolatilibus, tercio ornata terra terrestribus animalibus et nouissime homine inducto in habitationem eius. His ita summatim perstrictis de ornatu microcosmi tribus diebus perfecto, nunc ad singulorum trium dierum opus diffusius pertractandis redeamus, et primum de primo agendum.

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〈84.〉 Hic incipit diffusius de singulis agere Fiant inquit luminaria in firmamento celi et diuidant diem et noctem. Notandum solo iussu Dei sine ministerio nature hec luminaria fieri, ubi nimirum nobis insinuatur preueniens gratia que sola sine nobis prima opera sua operatur in nobis, de qua uersificator ita ait: «Quicquid habes meriti preuentrix gratia donat». Nil Deus in nobis preter sua dona coronat, preuentricem gratiam uocans ipsum donum Dei quod nobis a Deo datur sine nobis. Verbi gratia ut est fides quam nemo sibi potest mereri. Cui tamen dono accedente libero arbitrio nostro, incipimus uti hoc dono, id est incipimus credere, quod est bonus usus huius doni, qui utique sine nobis non est quia sine libero arbitrio nostro non est. Neque enim crederemus nisi credendum libere arbitraremur. Ibi ergo incipimus mereri ubi dono Dei, quod nostrum non est, liberum arbitrium, quod nostrum est, incipit admisceri. Ergo ipsum credere, quod est bonus usus fidei, meritum est, ipsa autem fides meritum non est sed causa meriti. De hoc quoque beatus Augustinus super locum illum euangelii Iohannis ubi Dominus loquitur: Nemo potest uenire ad me nisi Pater qui me misit traxerit eum, ita ait: «Quid est nemo potest uenire ad me, nisi quia nemo potest credere in me, nisi Pater qui misit me traxerit eum. Ille uenit quem

84, 2 fiant – noctem] Gen. 1, 14 5-6 quicquid – donat] Carmina burana, Versus 40, 1 (Vollmann, p. 98) 17-18 nemo – eum] Ioh. 6, 44 18-19 quid – eum] Augustin, Tract. in Ioh., XXVI, 6, 4-9; 53, 12, 9-10 (CCSL 36, p. 263, l. 5-6); Liber de praed. sanct., 8, 13 et 15 (PL 44, 970-972); cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXXIII, xxi, 38 (CCSL 143B, p. 1709, l. 20-24) 28 singulorum] singularum Delhaye

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d’elle-même ce qu’elle était personnellement, conféra gratuitement le «pouvoir le bien» au monde connaissant et voulant déjà le bien mais encore impuissant à l’accomplir, grâce auquel, progressant dans les bonnes pratiques, il parvint à la capacité de bien œuvrer. Tels sont les trois jours où le microcosme fut orné; son ciel tout d’abord, orné par des luminaires, secondement l’eau et l’air, par des êtres aquatiques et volatiles, troisièmement la terre, ornée par des animaux terrestres et enfin par l’homme, introduit dans sa demeure. Après ce bref résumé sur l’ornement du microcosme, accompli en ces trois jours, revenons maintenant, plus longuement, à l’œuvre de chacun des trois jours, en commençant par le premier. 84. Ici il commence à traiter plus en détail de chacun des trois jours «Qu’il y ait», dit-il, «des luminaires dans le firmament du ciel et qu’ils séparent le jour d’avec la nuit». Il est à noter que ces luminaires se font par le seul ordre de Dieu sans le ministère de la nature: où la grâce prévenante s’introduit assurément en nous, qui accomplit seule, sans nous, ses premières œuvres en nous: ce dont le versificateur dit ceci: «quelque mérite que tu aies, c’est la grâce prévenante qui t’en fait don». Dieu n’honore rien en nous, si ce n’est ses propres dons, appelant grâce prévenante le don même de Dieu, qui nous est donné par Dieu, sans nous; par exemple, comme la foi, dont personne ne peut s’attribuer le mérite. Or, notre libre arbitre accédant à ce don, nous commençons à en user, c’est-à-dire que nous commençons à croire: ce qui est un bon usage de ce don; lequel n’existe absolument pas sans nous, parce que sans notre libre arbitre il n’existe pas. Et, en effet, nous ne croirions pas si nous n’estimions pas, librement, qu’il faut croire. Nous commençons donc à mériter là où le libre arbitre qui est nôtre, commence à se mêler au don de Dieu, qui n’est pas nôtre. C’est pourquoi, le fait de croire, qui est le bon usage de la foi, est un mérite, mais la foi en elle-même n’est pas un mérite mais la cause du mérite. À ce sujet, sur le passage de l’Évangile de Jean où le Seigneur dit: «Personne ne peut venir à moi si le Père qui m’a envoyé ne l’a attiré», saint Augustin aussi déclare: «Que signifie que personne ne peut venir à moi sinon que personne ne peut croire en moi si le Père qui m’a envoyé ne l’a attiré. Celui-là vient, que la grâce de Dieu prévient; à qui nous disons avec le Prophète: «sa miséricorde me préviendra». Note bien qu’il dit: Celui-là vient que la grâce de Dieu prévient, ce qui veut dire: celui-là croit, à qui a été donné le don de la foi, afin que croire soit un mérite, et la foi, la cause du mérite. Tel est donc le premier

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gratia Dei preuenit, cui cum propheta dicimus: Misericordia eius preueniet me». Nota quod dicit: «Ille uenit quem gratia Dei preuenit», quod est dicere: «ille credit cui datum est donum fidei, ut credere sit meritum, fides causa meriti. Hoc est ergo primum luminare quod creat Deus ad ornandum microcosmum, primum inquam causa etsi non tempore; prima petit campum dubia sub sorte duelli pugnatura fides. Quod autem dixi de fide, de omnibus quoque aliis gratie donis creatis in nobis sine nobis intellige, que multa et uaria sunt sicut multa et uaria sunt luminaria celi».

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〈85.〉 Quare celi et non terre luminaria dicantur cum terram potius illuminent Cur autem luminaria celi dicantur, cum terram potius quam celum illuminare uideantur, sicut etiam ipsa Moysi narratio continet dicentis: Vt illuminent terram, nunc opere pretium est inuestigare. Et quidem uerum est quod celum, id est humanam mentem, illuminant principaliter et ornant hec luminaria, quia ei proprie ut accidentia insunt et idcirco proprie eius luminaria sunt. Quia tamen radiorum suorum emissione beneficium sui luminis pariter et caloris usque ad terram porrigunt, non incongrue et terram illuminare dicuntur, non quod terre ut celo insint, sed quod terre ut celo prosint. Immo plus terre quam celo prosunt, quia terra sine his tota tenebrosa et frigida, ac per hoc tota infructuosa et inhabitabilis remaneret, infructuosa nisi eorum calore foueretur, inhabitabilis nisi splendore illuminaretur. Sed non sic celum quod et naturali lumine decorum est etiam antequam accidentali lumine adornetur, et naturali potentia actiuum est etiam antequam accidenti calore adiuuetur. Terra uero neutrum nisi ex accidenti habet. Passiua enim tantum est, nec aliquid per se potest, nisi agentibus in se superioribus elementis, ut supradictum est. Quid enim boni potest caro nostra nisi regente eam primum naturali ratione, dehinc gratuita Dei donatione? Sed et si microcosmum uni-

20-21 misericordia – me] Ps. 58, 11 85, 5 ut – terram] Gen. 1, 15 84, 20 preuenit] G 1 |peruenit S 3

22 credit] G 1 (?)|credet S 3 ; credit S 4

85, 4 illuminare] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 manam G 1 |humanam mentem S 3

6 humanam mentem] mentem hu-

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luminaire que Dieu crée pour l’ornement du microcosme; le premier, dis-je, par la cause, et non par le temps. La foi, la première, recherche un champ pour combattre, incertaine sur le sort du duel. Cependant, ce que j’ai dit de la foi vaut aussi pour tous les autres dons de la grâce, créés en nous sans nous, qui sont multiples et variés, comme sont multiples et variés les luminaires du ciel.

85. Pourquoi ils sont appelés luminaires du ciel et non de la terre, alors qu’ils illuminent plutôt la terre Il est maintenant important de rechercher pourquoi ils sont appelés luminaires du ciel, alors qu’ils semblent illuminer la terre plutôt que le ciel, comme on le voit dans le récit lui-même de Moïse, qui dit: «Pour qu’ils illuminent la terre.» Et il est vrai, certes, que ces luminaires illuminent et ornent principalement le ciel, c’est-à-dire l’esprit humain, parce qu’ils lui sont proprement comme accidentels, et, pour cela ils sont proprement ses luminaires. Mais parce qu’ils étendent jusqu’à la terre, par l’émission de leurs rayons, le bienfait de leur lumière et de leur chaleur, ils sont réputés à juste titre illuminer aussi la terre, non parce qu’ils sont dans la terre comme ils sont dans le ciel, mais parce qu’ils sont bénéfiques pour la terre comme pour le ciel. Et ils sont encore plus bénéfiques pour la terre que pour le ciel parce que la terre, sans eux, demeurerait ténébreuse et froide, et donc totalement stérile et inhabitable; stérile, à moins d’être réconfortée par leur chaleur, inhabitable, à moins d’être illuminée par leur éclat. Mais il n’en va pas de même pour le ciel, qui est orné aussi d’une lumière naturelle même avant d’être adorné d’une lumière accidentelle, et doté d’une puissance naturelle avant même d’être stimulé par une chaleur accidentelle. Mais la terre ne possède aucune de ces deux qualités, si ce n’est par accident. Elle est seulement passive et ne peut rien par elle-même sinon, comme on l’a dit, par l’action en elle d’éléments supérieurs. Car qu’est-ce que notre chair peut faire de bon si elle n’est pas gouvernée tout d’abord par la raison naturelle, ensuite par le don gratuit de Dieu? Mais même si nous comprenons le microcosme dans un sens universel, comme étant l’Église des élus, les luminaires du ciel comme étant les hommes célibataires dans l’Église, lumineux des dons de la grâce, mais la terre comme étant tous les hommes de la terre, encore constitués

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uersaliter pro electorum Ecclesia accipiamus, luminaria uero celi uiros celibes in Ecclesia donis gratie luminosos, terram autem terrenos quosque adhuc in Ecclesia constitutos, non absurde et hoc sensu luminaria celi terram potius quam celum illuminant et ad fructum faciendum habilem reddunt, dum tenebrosos adhuc et uel ignorantie uel uiciorum tenebris obuolutos, nunc doctrine sue lumine illustrant, nunc bone uite exemplis ad frugem bonorum operum confouent. Nam etsi sancti uiri celesti conuersatione sibi inuicem coniuncti sunt, non sic tamen sibi inuicem prosunt sicut terrenis, a quibus longe et conuersatione et meritis differunt.

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〈86.〉 Quid sit mistice luminaria celi in firmamento fieri Sed et hoc sub silentio pretereundum non arbitror quod hec luminaria in firmamento celi fieri dicuntur. Siue enim luminaria dona gratie siue personas habentes ea uocauerimus, recte luminaria in firmamento fieri dicuntur. Omnis enim uirtus et uite nostre motus intra metas discretionis quam supra firmamenti nomine significari diximus discurrere debet. Siue enim ad orientem, id est ad eos qui ad bona facienda surgunt animandos moueatur uir sanctus, siue ad occidentem, id est ad eos qui a bono deficiunt reuocandos, siue ad aquilonem, id est ad eos qui in bonis operibus frigidi adhuc et torpidi sunt excitandos, siue ad austrum, id est ad eos qui iam in bonis operibus faciendis incaluerunt confirmandos, semper intra terminos discretionis moueri debet, nichil minus, nichil plus, nichil intensius, nichil remissius, nichil citius, nichil tardius agens quam discretio moderatrix exigit. Nam etsi plerumque per euagationes a linea rectitudinis excedit, numquam tamen a discretionis moderamine recedit qui nouit quid, quare, quomodo, quando, ubi faciendum, paciendum, simulandum, dissimulandum sit, qui nouit pro loco, pro tempore, pro personna, pro causa, necessitatis, utilitatis, pietatis intuitu, multa dispensare et miro quodam modo de dispendio conpendium facere. Siquidem inter duo dispendia constituta, quorum alterum uidet sibi necessario eligendum esse, dum utrumque suo libramine pensat, citius inuenit quid e duobus eligat et cum utrumque per se pensatum dispendium sit, quodammodo pro tempore de altero sibi conpendium 29 sunt] sint Delhaye 86, 2 et] om. G 1 ; add. sup. l. G 2 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 5 uirtus et] abest in G 1 S 3 | add. sup. l. G 5 12 nichil minus] nihilominus Delhaye 17 qui] S 3 ; que G 1 | S 3 18 pro personna] propria Delhaye

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en Église, dans ce sens il n’est pas absurde que les luminaires du ciel illuminent la terre plutôt que le ciel et la rendent apte à produire des fruits tantôt en éclairant de la lumière de leur doctrine les hommes encore ténébreux et livrés aux ténèbres de l’ignorance ou des vices, tantôt en les confortant par les exemples d’une bonne vie pour produire des œuvres bonnes. Car même si les hommes saints sont liés entre eux par une familiarité avec le ciel, ils ne sont pas pareillement utiles les uns aux autres comme le sont les terriens, desquels ils diffèrent de loin, et par leur orientation personnelle et par leurs mérites. 86. Que signifie, au sens mystique, que les luminaires du ciel se produisent dans le firmament Cependant je ne pense pas non plus qu’il faille passer sous silence le fait que ces luminaires sont dits se produire dans le firmament du ciel. Car, que nous appelions luminaires les dons de la grâce ou les personnes qui les possèdent, il est juste de dire que ces luminaires se produisent dans le firmament. Toute force, en effet, et tout mouvement de notre vie, doivent se mouvoir dans les limites du discernement, que nous avons cidessus désigné du nom de firmament: que l’homme saint se meuve, soit vers l’orient, c’est-à-dire pour exhorter ceux qui sont prêts à faire le bien, soit vers l’occident, c’est-à-dire pour rappeler ceux qui s’écartent du bien, soit vers l’aquilon, c’est-à-dire pour pousser ceux qui jusque-là sont indifférents et insensibles aux bonnes œuvres, soit vers le midi, c’est-àdire pour raffermir ceux qui se sont déjà engagés à accomplir des œuvres bonnes: il doit toujours se mouvoir dans les limites du discernement, mais en agissant ni plus, ni plus fortement, ni plus mollement, ni plus vite, ni plus lentement que ne l’exige le discernement modérateur. Car, même si le plus souvent il sort de la ligne droite en divagant çà et là, il n’abandonne cependant jamais la mesure du discernement celui qui sait ce qu’il faut faire, supporter, simuler, dissimuler, pourquoi, comment, quand et où, celui qui sait donner beaucoup, suivant le lieu, le moment, la personne, la raison, par intuition de nécessité, d’utilité, de piété, et transformer, d’une manière admirable, cette dépense en gain; puisque entre deux dépenses qui se présentent, dont il voit que l’une des deux doit nécessairement être choisie par lui, en les pesant l’une et l’autre à sa balance, il trouve très vite laquelle des deux choisir, et bien que l’une et l’autre, pesées par lui, soient une dépense, d’une certaine manière il fait de l’autre, suivant le moment, un gain pour lui. Ainsi il se forme quel-

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parat. Sic sic nonnumquam iuxta publicam stratam semita fit que, etsi rectior quadam strata non sit, ob aliquas tamen commoditates eius discretus eam uiator eligit.

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〈87.〉 Non omnia luminaria megacosmi sed microcosmi diuidere inter diem et noctem Quod autem dicitur: Vt diuidant diem et noctem, etsi ad litteram de omnibus luminaribus megacosmi intelligi uere non possit, neque enim omnia diuidunt inter diem et noctem, de omnibus tamen luminaribus microcosmi recte intelligitur. Omnia enim dona gratie uel etiam habentes ea, quia lumina uel illuminata sunt, inter se et sibi contrarias tenebras diuidunt. Verumtamen sicut in megacosmo duo magna luminaria tantum inter noctem et diem diuidunt, sic et in microcosmo duo quoque magna luminaria sunt inter noctem et diem diuidentia que sunt secundum allegoriam quidem Christus et Ecclesia, secundum tropologiam autem fides et scientia. Nam Christum solem, lunam Ecclesiam significare eo quod Christus a se, Ecclesia a Christo lucem habeat, non nostre uel noue adinuentionis sed antique traditionis esse constat.

〈88.〉 Quomodo Christus et Ecclesia inter noctem et diem diuidant Videamus ergo primum quomodo Christus et Ecclesia noctem et diem diuidant. Vita eterna dies est, uita presens nox est teste Apostolo qui ait: Nox precessit, dies autem appropinquabit. Eternitatis diem immi-

87, 3 ut – noctem] Gen. 1, 14 12-14 Christum – traditionis] Pseudo-Hugues de Saint-Victor, Allegoriae in vet. Testamentum, I, 4 (PL 175, 638B); cf. Pierre Abélard, Dialogus inter philos. iudaeum et christianum (Thomas, p. 152, l. 2943-2947); Hildebert de Lavardin, Carmina de operibus sex dierum, 1170, dies quartus (PL 171, 1214B); Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, I, 5 et 6 (PL 193, 37B et 40A); Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 991A et 1057B) 88, 4 nox – appropinquabit] Rom. 13, 12 87, 5 omnia] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |omnia S 3 add. in marg. G 2 | in textu S 3

10 inter – sunt] abest in G 1 ;

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quefois un chemin le long de la voie publique; et bien qu’il ne soit pas plus direct qu’une autre voie, le voyageur avisé le choisit cependant pour certaines commodités qu’il offre. 87. Que tous les luminaires du mégacosme, contrairement à ceux du microcosme, ne séparent pas le jour de la nuit Même si le fait de dire «afin qu’ils séparent le jour de la nuit» ne peut être tenu pour vérité littérale pour tous les luminaires du mégacosme, et si tous ne séparent certes pas le jour de la nuit, cela est cependant exact pour tous les luminaires du microcosme. Tous les dons de la grâce, en effet, et aussi ceux qui les possèdent, parce qu’ils sont lumineux ou illuminés, séparent entre eux les ténèbres qui leur sont contraires. Toutefois, de même que dans le mégacosme deux grands luminaires seulement séparent la nuit du jour, de même dans le microcosme il y a également deux grands luminaires qui séparent la nuit du jour, qui sont, selon l’allégorie, le Christ et l’Église, mais selon la tropologie, la foi et la connaissance. Car le fait que le soleil signifie le Christ et la lune l’Église, pour la raison que le Christ a la lumière en lui-même et que l’Église la reçoit du Christ, est une évidence qui ne relève pas d’une invention personnelle ou récente, mais appartient à une antique tradition. 88. Comment le Christ et l’Église séparent la nuit du jour Voyons donc tout d’abord comment le Christ et l’Église séparent la nuit du jour. La vie éternelle est le jour, la vie présente est la nuit, au témoignage de l’Apôtre qui dit: «la nuit a précédé mais le jour va approcher». Le Prédicateur de la Vérité enseignait en ces termes que, le temps de la vie présente s’étant achevé, le jour de l’Éternité est imminent: le Christ, soleil de justice, revenant au lever après le coucher, revenant à la vie après la mort, préside au jour de l’Éternité, dispensant la lumière éternelle à ceux qui sont avec lui, dans ce même jour de l’Éternité. Le soleil s’est élevé et la lune s’est tenue à sa place, parce que, tant que le soleil était au coucher il éclairait les régions inférieures, c’est-à-dire tant que le Christ était encore placé dans cette vie mortelle, Il éclairait le peuple cheminant dans les ténèbres par la parole de sa doctrine et l’exemple de sa vie, et aussi l’éclat des miracles; il monta au ciel, et la lune, c’est-à-dire l’Église, s’est tenue à sa place, la place qui lui a été assignée, afin que la lumière lui ayant été transmise par le soleil, elle éclaire la nuit de la vie présente, jusqu’à ce qu’elle aussi s’élève avec le soleil. Ainsi, en ce temps de grâce, le soleil et la lune, le Christ et l’Église, séparent le jour de la nuit;

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nere decurso presentis uite tempore predicator ueritatis his uerbis docebat: Christus sol iusticie post occasum rediens ad ortum, post mortem ad uitam, preest diei eternitatis eternam lucem ministrans his qui cum ipso sunt in eodem die eternitatis. Eleuatus est sol et luna stetit in ordine suo quia, cum adhuc esset sol in occasu lucebat inferioribus, Christus scilicet in hac mortali uita adhuc positus, uerbo doctrine et exemplo uite sed et miraculorum fulgore lucebat populo ambulanti in tenebris; ascendit in celum et luna, id est Ecclesia, stetit in ordine suo, in ordine sibi statuto, scilicet ut mutuato a sole lumine luceat nocti presentis uite, donec et ipsa eleuetur cum sole. Sic itaque hoc tempore gratie, sol et luna, Christus et Ecclesia, diuidunt diem et noctem dum ille preest eterne uite diei, ista presentis uite nocti. Et hoc secundum allegoriam dictum sit. Secundum tropologiam fides et scientia, luna et sol, fides quasi minus luminare preest nocti presentis uite, scientia quasi maius luminare preest diei eterne uite. Videmus nunc per speculum et in enigmate, et hoc est minus luminare; tunc autem facie ad faciem, hoc est maius luminare, et fides quidem a scientia mutuatum lumen habet ut a sole luna. Nam Filius Dei qui primus lumen Verbi ministrauit, a se ipso non aliunde id habuit, a scientia non a fide; qui autem postea uerbum uite ministrauerunt, non a se sed aliunde id habuerunt, a fide scilicet non a scientia. Crediderunt predicanti sapientie, non ipsi sciuerunt. Ergo fides quasi minus luminare

6 sol iusticie] Mal. 4, 2; Césaire d’Arles, Sermo 136, 3 (CCSL 103, p. 561, l. 5); Augustin, Enarr. in Ps., 103, s. 3, 21 (CCSL 40, p. 1517, l. 1-2); Isidore, De natura rerum, 15, 3 (PL 83, 988A-B) 6 Christus – ortum] Ambroise Autpert, Expositio in Apocalypsin, I, 1 (CCCM 27, p. 85, l. 39-44); V, 10 (CCCM 27, p. 387, l. 15-16); Gautier de Saint-Victor, Sermo XII, 2 (CCCM 30, p. 105, l. 46-55) 8-9 eleuatus – suo] cf. Hab. 3, 11 (selon LXX); Augustin, De civitate Dei, XVIII, 32 (CCSL 48, p. 625, l. 64); cf. Jérôme, In Abacuc, II, 3 (CCSL 76A, p. 637, l. 718-737); Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XVII, xvi, 22 (CCSL 143A, p. 864, l. 9-12); Homiliae in evang., II, xxix, 10 (CCSL 141, p. 253, l. 220-226) 12 luna – suo] Garnier de SaintVictor, Gregorianum, I, 6 (PL 193, 40A) 14-15 sol – ecclesia] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 991A); Hildebert de Lavardin, Carmina de operibus sex dierum (PL 171, 1214B); Pierre Abélard, Dialogus inter philos. iudaeum et christianum (cf. lxxxvii, 10-12); Pseudo-Hugues de Saint-Victor, Allegoriae in vet. Testamentum, I, 4 (PL 175, 638B-C) 20-21 I Cor. 13, 12 88, 6-7 post – uitam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 11 fulgore] G 1 |fulguore S 3 ; fulgore S 4 19 et 2] abest in G 1 |et S 3 23 autem] G 1‫ ׀‬om. S 3 ; add. sup. l. S 4 24-25 crediderunt – sciuerunt] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

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tandis que Lui préside au jour de la vie éternelle, Elle, préside à la nuit de la vie présente: cela doit être dit selon l’allégorie. Suivant la tropologie, la foi et la connaissance, soit la lune et le soleil, la foi, tel un plus petit luminaire, préside à la nuit de la vie présente, la connaissance, tel un luminaire plus grand, préside au jour de la vie éternelle. «Maintenant nous voyons à travers un miroir et en énigme»: c’est le plus petit luminaire. «Alors nous verrons face à face»: c’est le plus grand luminaire; et la foi possède la lumière transmise par la connaissance, comme la lune par le soleil. Car le fils de Dieu, qui le premier dispensa la lumière du Verbe, la posséda de lui-même et non d’ailleurs, de la connaissance, non de la foi; mais ceux qui dispensèrent la parole de vie, ne la possédèrent pas d’euxmêmes mais d’ailleurs, c’est-à-dire de la foi, non de la connaissance. Ils crurent en Celui qui prêcha la sagesse, ils ne la connurent pas d’euxmêmes. C’est pourquoi la foi, tel un plus petit luminaire, illumine les fidèles dans le brouillard ténébreux de cette nuit; la connaissance, tel un plus grand luminaire, illumine les saints dans la lumière brillante de la vie éternelle.

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illuminat fideles in huius noctis caligine tenebrosa, scientia quasi maius luminare illuminat beatos in eterne uite luce clara. 〈89.〉 Quod utrumque conuenienter possit intelligi de presenti uita Quamuis tamen utrumque conuenienter intelligitur de presenti uita. Sunt enim etiam in hac uita uiri eximii in fidei ratione ita ut fides eorum scientia dici possit in respectu aliorum, habent enim et reddunt rationem omni poscenti de ea que in ipsis est fide, sunt alii simpliciter credentes, rationem autem fidei nec habentes nec reddere potentes. Nam etsi simpliciter aliis fidem suam indicant, interrogati tamen rationem de ea que in ipsis est fide, etiam usque scientiam adultam reddere nesciunt. De utrisque canitur in psalmo: Dies diei eructat uerbum et nox nocti indicat scientiam. Quod est dicere: contemplatiuus contemplatiuo de pleno eructat uerbum diuinitatis et simplex simplici qui in actione magis quam in ratione fidem habet, quoquomodo indicat quod sit de fide, cui indifferens est scire et credere. Quod enim credit simpliciter scire se reputat, nec quicquam inter scientiam et fidem suam distare putat. Nam interrogatus de fide sua, constanter scire se dicit quod credit. Potest tamen hec auctoritas de uno et eodem doctore competenter intelligi, qui potens in uerbo pro qualitate personarum uarie nouit illud dispensare, sublimibus sublimia, humilibus humilia predicare, sicut apostolus qui omnibus omnia factus inter perfectos loquitur sapientiam, apud alios nichil se scire reputat preter Christum et hunc crucifixum. Hii tales, modo ut sol sunt, quando uidelicet sapientiam loquuntur, modo ut luna, quando ut lune lumen crescunt et decrescunt, modo a parte inferiori mutuantes lumen a sole, modo a superiori: a parte inferiori per actionem erga proximum, a superiori per contemplationem conuersi ad Deum, ab inferiori dum recedunt a sole, a superiori dum accedunt ad solem. Recedentes a sole instar lune superius decrescunt, inferius crescunt; accedentes ad solem superius crescunt, inferius decrescunt, ita ut

89, 5 rationem – fide] I Petr. 3, 15 9-10 dies – scientiam] Ps. 18, 3 bus – factus] I Cor. 6, 22 20 scire – crucifixum] I Cor. 2, 2

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89, 3 ratione] G 1 | uacuum praem. S 3 13 credit simpliciter] simpliciter credit G 1 |credit simpliciter S 3 17 uarie] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uarie S 3 21 sunt] fiunt Delhaye 21-22 modo ut – quando] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 26 instar lune] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |instar lune S 3

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89. Que l’une et l’autre peuvent parfaitement se concevoir pour la vie présente Cependant, bien que l’une et l’autre puissent parfaitement se concevoir pour la vie présente, il y a aussi, dans cette vie, des hommes remarquables dans l’intelligence de la foi, de sorte que leur foi peut être dite connaissance, par rapport aux autres, car ils possèdent et donnent la raison à quiconque les interroge sur cette foi qui est en eux. Il y en a d’autres qui croient simplement, mais qui ne possèdent ni ne peuvent donner la raison de la foi. Car même s’ils font connaître simplement leur foi aux autres, ils sont cependant incapables de donner à quiconque les interroge sur la raison de la foi qui est en eux, jusqu’à une complète connaissance. De toutes deux l’on chante dans le psaume: «Le jour proclame la parole au jour et la nuit transmet la connaissance à la nuit». Ce qui revient à dire: le contemplatif proclame pleinement au contemplatif la parole de la divinité, et le simple au simple, lui qui possède la foi davantage en acte qu’en intelligence, de quelque façon qu’il fasse savoir ce qu’il en est de la foi à celui qui ne fait pas la différence entre savoir et croire. Car ce qu’il croit tout simplement, il estime le connaître, et ne pense pas qu’il y ait une différence entre la connaissance et sa foi. Interrogé sur sa foi, il ne cesse en effet de dire qu’il sait ce qu’il croit. Cette affirmation peut cependant aisément convenir quand elle s’applique à un seul et même docteur, qui a le don de la parole, qui sait enseigner diversement, suivant la qualité des personnes, prêcher des choses sublimes aux sublimes, humbles aux humbles, à l’image de l’Apôtre qui, s’étant asservi à tous, parle de sagesse parmi les parfaits, et auprès des autres, estime ne rien savoir sauf le Christ, et qu’il a été crucifié. De tels hommes deviennent tantôt comme le soleil, quand, manifestement, ils parlent de sagesse, tantôt comme la lune quand ils croissent et décroissent comme la lumière de la lune; recevant la lumière du soleil, soit par leur partie inférieure, soit par leur partie supérieure: par leur partie inférieure, dans l’action envers le prochain; par leur partie supérieure, dans la contemplation, étant tournés vers Dieu; par l’inférieure, quand ils s’éloignent du soleil; par la supérieure quand ils s’approchent du soleil. En s’éloignant du soleil, à l’instar de la lune ils décroissent en haut, croissent en bas. En s’approchant du soleil, ils croissent en haut, décroissent en bas: de sorte que, se tenant avec le soleil, à la manière de la lune, ils s’affaiblissent totalement dans leur partie inférieure et brillent parfaitement dans leur partie supérieure; tout à fait à l’écart du soleil, ils s’affaiblissent au contraire dans leur partie supérieure et brillent parfaitement dans l’inférieure.

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microcosmvs, II, 89-90

cum sole existantes more lune omnino ab inferiori deficiant, a superiori toti luceant; remotissimi a sole e conuerso a superiori deficiant, ab inferiori toti luceant.

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〈90.〉 Quomodo fides a scientia lumen accipit ut a sole luna et in eo nunc crescat, nunc decrescat Sic fides a scientia mutuato lumine, ut a sole luna, illuminatur dum nesciens a sciente salutiferam fidem accipit, et in accepta fide nunc crescit, nunc decrescit. Quod multipliciter fit. Alius enim a Deo accipit fidem, alius ab homine et qui ab homine, alius a Deo homine, alius a puro homine. Verbi gratia, Abraham a Deo accepit fidem Trinitatis et unitatis dum tres uidit et unum adorauit. Quis enim docuisset Abraham hanc salubrem doctrinam fidei que in Deum est, nisi Deus ipse primus electo suo eam reuelare dignatus esset? Quis inquam hominum hanc fidem homini persuadere potuisset, scilicet quod sit Deus trinus et unus, cum longe supra rationem sit omnis eius assertio, nisi Deo scienti et reuelanti seipsum homo nesciens credidisset? Hanc fidem homo ab homine non accepit, philosophus scrutator naturarum non penetrauit. Soli electi Dei eam a Deo didicerunt et per gratiam intellexerunt, et intellectam dilexerunt, et ideo salutem a doctore Deo meruerunt, quia nec alius eam docere potuisset, nec ab alio eam didicisse potuissent, nec alia uia salutem inuenissent. Ergo hec fides a scientia quasi a sole luna lumen accepit, que posita in huius mundi nocte caliginosa tenebras eius illuminauit, ita ut in eius lumine ambulans, homo sciret aliquatenus quo gressus suos dirigeret. Mouens autem se circa hanc scientiam fides, ut luna circa solem modo creuit, modo decreuit, creuit dum in trino et uno Deo alium Patrem, alium Filium, alium Spiritum sanctum didicit. Neque enim eo ipso quo trinum et unum Deum credidit, Patrem et Filium et Spiritum sanctum 90, 7 Abraham – unitatis] Ambroise, De Cain et Abel, I, 8, 30 (CSEL 32/1, p. 365, l. 5-6); Augustin, Contra Maximinum, II, xxvi, 5 (PL 42, 806) 8 tres – adorauit] cf. Gen. 18, 1-2 28 sole] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

deficiant] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4

90, 2 nunc 2] G 1 |nec S 3 6 et qui – homine] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in 9 que in] quem Delhaye 16 dilexerunt] delexerunt Delhaye textu S 3 21 dirigeret] G 1 |dirigent S 3 ; dirigeret S 4 22 ut – solem] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3

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90. Comment la foi reçoit la lumière de la connaissance, comme la lune du soleil, et qu’en cette lumière, tantôt elle croît, tantôt elle décroît Ainsi la foi, ayant reçu la lumière de la connaissance comme la lune du soleil, est illuminée quand l’ignorant reçoit de celui qui sait la foi salvatrice, et dans la foi reçue, tantôt il croît, tantôt il décroît. Ce qui se produit de multiples façons. L’un reçoit la foi de Dieu, l’autre la reçoit de l’homme, et parmi ceux qui la reçoivent de l’homme, l’un la reçoit de Dieu-homme, l’autre simplement de l’homme. Par exemple, Abraham reçut de Dieu la foi en la Trinité et en l’unicité, puisqu’il vit trois personnes et adora un seul Dieu. Qui, en effet, aurait pu enseigner à Abraham cette doctrine salubre de la foi, qui est en Dieu, si Dieu lui-même n’avait pas, le premier, daigné la révéler à son élu. Qui, dis-je, parmi les hommes, aurait pu convaincre l’homme de cette foi, à savoir, que Dieu est trine et un, alors que toute affirmation à son sujet dépasse de loin la raison, si l’homme, ignorant, n’avait pas cru en Dieu qui sait et se révèle lui-même. Cette foi, l’homme ne l’a pas reçue de l’homme, le philosophe, investigateur des phénomènes naturels, ne l’a pas pénétrée. Seuls les élus de Dieu l’ont apprise de Dieu et, par la grâce, l’ont comprise; et, l’ayant comprise, l’ont aimée; et ainsi ils ont reçu le salut de Dieu, le maître, parce que personne d’autre n’aurait pu l’enseigner, qu’ils n’auraient pu l’apprendre de nul autre, et n’auraient trouvé nulle autre voie de salut. Ainsi cette foi reçut la lumière de la connaissance comme la lune du soleil, elle qui, placée dans la nuit obscure de ce monde, illumina ses ténèbres, de telle sorte que l’homme, marchant dans sa lumière, sache dans une certaine mesure où diriger ses pas. Quant à la foi, tournant autour de cette connaissance à la manière de la lune qui en tournant autour du soleil tantôt crut, tantôt décrut, elle s’est accrue quand elle a appris à reconnaître dans le Dieu trine et un, le Père, le Fils et l’Esprit saint, car ce n’est pas dans le fait en lui-même d’avoir cru en Dieu trine et un qu’elle fut convaincue que le Père, le Fils et l’Esprit saint sont dans le Dieu trine. Mais quel est l’homme qui aurait pu en convaincre l’homme, alors que cette affirmation est encore plus incroyable que la précédente. Quelle raison naturelle sait en effet que, parce que Dieu est un et trine, il est pour autant le Père, le Fils et l’Esprit saint? Il était opportun et tout à fait nécessaire pour le salut des croyants que cette foi croisse afin que, comme l’on croyait déjà que Dieu est trine et un, l’on crût aussi qu’Il est le Père, le Fils et l’Esprit saint, et que ces trois personnes sont un seul et unique Dieu.

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in trino Deo esse persuasum fuit. Sed quis hominum id homini persuasisset cum ipsum priori adhuc incredibilius sit. Que enim naturalis ratio habet ut quia Deus unus et trinus est, ideo sit Pater et Filius et Spiritus sanctus? Oportunum et omnino necessarium erat saluti credentium eo usque hanc fidem crescere ut, cum iam creditum esset Deum trinum et unum, crederetur etiam ipsum esse Patrem et Filium et Spiritum sanctum, et hos tres quidem personas esse sed unum Deum.

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〈91.〉 Quare Deus factus sit homo Deus igitur curam salutis humane gerens, decreuit homini nescienti per hominem scientem hec persuadere. Sed homo purus hoc, etsi credere poterat, scire tamen non poterat. Voluit ergo Deus Deum hominem fieri ut unus et idem Deus et homo, habens huius scientiam rei, persuaderet homini nescienti Deum trinum esse Patrem et Filium et Spiritum sanctum, et sic a uero sole qui preest uero diei illuminaretur, luna ut preesset nocti. Ecce cur Deus homo. Nam alia ratio cur Deus passus. Sic itaque purus homo a Deo homine uelud luna a sole lumen huius fidei accepit, scilicet trinum Deum esse Patrem et Filium et Spiritum sanctum. Sed futuri erant qui hoc fidei lumine accepto, enormiter in eo crescerent, tres personas, tres etiam substantias astruentes. Precauens ergo Deus homo hoc enorme lune crementum et fidei detrimentum, tres substantias tulit et unam tantum posuit et sic lunam decrescere fecit quando Philippo dicenti: Domine ostende nobis Patrem, dixit: Philippe qui uidet me uidet et Patrem et rursum: Ego et Pater unum sumus. Vides nunc ut arbitror qualiter Deo homine purum hominem docente fides hec ut luna modo creuerit, modo decreuerit.

91, 8 ecce – homo] cf. Anselme, Cur Deus homo (Schmitt, I, ii, p. 48, l. 2-5, et passim) 15 domine – patrem] Ioh. 14, 8 15-16 Philippe – patrem] Ioh. 14, 9 16 ego – sumus] Ioh. 10, 30 28 unus et trinus est] trinus est et unus G 1 |trinus et unus est S 3 Delhaye; unus et trinus est S 4 32 sed] solum Delhaye 91, 15-16 uidet me] iter. G 1 |uidet me S 3

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91. Pourquoi Dieu s’est fait homme Ainsi Dieu, qui prend soin du salut humain, décida de convaincre l’homme ignorant par le truchement de l’homme qui sait. Mais l’homme pur, même s’il croyait en cela, ne pouvait pourtant pas le savoir. C’est pourquoi Dieu voulut que Dieu soit fait homme afin que un seul et même Dieu et homme, ayant cette connaissance, fasse savoir à l’homme que Dieu est trine: Père, Fils et Esprit saint, et qu’il soit ainsi illuminé par le vrai soleil qui préside au vrai jour, et que la lune préside à la nuit. Voilà pourquoi Dieu s’est fait homme. Mais c’est pour une autre raison qu’il a souffert. Ainsi l’homme pur reçut de Dieu-homme, comme la lune du soleil, la lumière de cette foi, à savoir que Dieu est trine, Père, Fils et Esprit saint. Mais des hommes devaient venir, qui, ayant reçu cette lumière de la foi, gonfleraient énormément en elle, ajoutant que les trois personnes étaient aussi trois substances. C’est pourquoi Dieu-homme, prévenant cette énorme croissance de la lune, et ce préjudice pour la foi, fit disparaître les trois substances et en établit une seule, et Il fit décroître la lune quand, à la demande de Philippe: «Seigneur, montre-nous le Père», il répondit: «Philippe, qui me voit, voit le Père», et aussi: «Moi et le Père, nous sommes un». Maintenant je pense que tu vois comment, quand Dieu-homme enseigne l’homme pur, cette foi, telle la lune, tantôt crut, tantôt décrut.

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〈92.〉 Questio non dissimulanda et solutio eiusdem non contempnenda Si autem insistat quis adhuc querens cur per Filium Dei hominem potius hec fides ministrata sit mundo quam per Patrem uel Spiritum sanctum humanatos, insistat et similitudini proposite de sole et luna et nimirum huius rei rationem uidebit. Neque enim sol ipse personaliter ad lunam pergit ut eam illuminet sed radium suum in eam mittit quo tenebrosam lucem faciat, calorem quo frigidam calefaciat. Discat ergo diligens inquisitor ex una questione duarum solutionem, uidelicet non solum cur Pater miserit Filium, uerum etiam cur Spiritum sanctum, et alterum incarnatum, alterum non, ut quod homo foris apparens foris existentibus loquebatur, Spiritus introrsum reuocatos intus doceret. Sicut enim radius solis foris tacta foris tantum illuminat, calor autem etiam ad interiora penetrat, sic Filius Dei homo hominibus foris loquebatur, Spiritus intus operabatur. Vnde ipse Filius in euangelio quasi hoc priuilegium interioris doctrine Spiritui sancto reseruans ait: Multa habeo uobis dicere sed non potestis ea portare modo. Cum autem uenerit ille Spiritus ueritatis docebit nos omnem ueritatem.

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〈93.〉 Quomodo mistice adhuc conueniat fidei ut lunam crescere et decrescere Ex his patet quod non solum fides a scientia ut a sole luna lucendi initium habuit, uerum etiam profectum, dum a fide trini Dei ad fidem Patris et Filii et Spiritus sancti profecit. Sed quia luna uarie se mouens circa solem, modo crescit, modo decrescit et uarias formas et nomina

92, 2-4 cur – sanctum] cf. Pierre Lombard, Sententiae, III, i, 1 (p. 24, l. 10-12) 17 multa – ueritatem] Ioh. 16, 12-13

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92, 2 hominem] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |hominem S 3 4 humanatos] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |†…† S 3 ; in ras. S 4 10 apparens foris] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 93, 3 lucendi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |lucendi S 3 4 uerum etiam profectum] G 1 |ueram etiam profactum S 3 ; uerum etiam profectum S 4

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92. Question à ne pas dissimuler, et sa solution à ne pas négliger Si cependant quelqu’un s’attarde encore à chercher pourquoi cette foi a été dispensée au monde par le fils de Dieu, homme, plutôt que par le Père ou l’Esprit saint humanisés, qu’il s’arrête aussi sur la comparaison proposée du soleil et de la lune, et il en comprendra assurément la raison. Le soleil, en effet, ne va pas personnellement vers la lune pour l’illuminer mais lui envoie son rayon pour, de ténébreuse, la rendre lumineuse, de froide, la rendre chaude. Que le chercheur attentif apprenne donc, par une seule question, la solution à deux questions, à savoir: non seulement pourquoi le Père a envoyé son Fils mais aussi pourquoi il a envoyé l’Esprit saint, et l’un incarné, l’autre non, afin que, ce que l’un, se manifestant homme à l’extérieur, disait aux êtres extérieurs, l’autre, l’Esprit, l’enseignât aux êtres recueillis en eux-mêmes. Car, de même que le rayon de soleil illumine à l’extérieur seulement ce qu’il touche de l’extérieur, mais que la chaleur pénètre aussi à l’intérieur, de même le fils de Dieu-homme parlait aux hommes de l’extérieur, mais l’Esprit œuvrait à l’intérieur. Ainsi le Fils lui-même, dans l’Évangile, réservant en quelque sorte ce privilège de l’enseignement intérieur à l’Esprit saint, dit: «J’ai beaucoup de choses à vous dire, mais vous ne pouvez pas encore les supporter. Mais quand viendra l’Esprit de vérité, il vous enseignera toute vérité». 93. Comment le fait de dire que croître et décroître, comme la lune, convient aussi à la foi, au sens mystique De là il ressort que non seulement la foi reçut de la connaissance sa première lumière comme la lune du soleil, mais aussi la progression, puisque de la foi en un Dieu trine, elle en est arrivée à la foi dans le Père, le Fils et l’Esprit saint. Mais parce que la lune, en changeant de position autour du soleil, tantôt croît, tantôt décroît, change de formes et de noms, est dite tantôt monoïdes, c’est-à-dire d’un seul jour, tantôt dicothomos, c’est-à-dire divisée en deux, tantôt panselonos, c’est-à-dire totalement pleine, il ne sera pas inopportun de se pencher maintenant avec plus d’attention sur le mystère de la chose. Ce mystère, le Seigneur luimême nous l’explique dans l’Évangile, parlant aux foules par la parabole du semeur et du grain, qui tombe sur une terre foulée, une terre pierreuse, une terre épineuse, une terre bonne. Tombant sur une terre foulée, il ne naît pas; tombant sur une terre caillouteuse, il naît sans doute mais ne prend par racine; tombant sur une terre épineuse, il naît et prend racine, mais avant de porter du fruit elle est étouffée; tombant sur de la

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accipit, nunc enim dicitur monoides, id est unius diei, nunc dicothomos, id est in duo diuisa, nunc panselenos, id est tota plena, non ab re erit adhuc diligentius etiam huius rei misterium attingere. Hoc misterium nobis ipse Dominus explanat in euangelio parabolice loquens turbis per similitudinem seminantis et seminis cadentis in terram conculcatam, petrosam, spinosam, bonam. In conculcatam cadens nec nascitur, in petrosam cadens nascitur quidem sed non radicatur, in spinosam cadens nascitur et radicatur sed antequam fructum faciat, suffocatur. In bonam cadens etiam fructuum ubertate multiplicatur. Varietas cordium uelud terra uarie suscipientium semen a seminente, uel ut luna uarie suscipientium lumen fidei a predicatore uelud a sole, hic nobis significatur. Quid enim Dominus per semen terre mandatum a seminante pro uarietate terre uarie proficiens significare uoluit, hoc nos per lumen solis super lunam lucentis, et pro uarietate lune circa solem uarie se mouentis, nunc crescens, nunc decrescens significamus. Siquidem ueritatis predicatore uerbum fidei predicante, corda audientium uarie mouentur, et pro uario motu eorum alia minus, alia plus de uno et de eodem uerbo illuminantur, et nascitur in aliis lumen fidei adhuc tenerum quasi luna monoides, in aliis lumen dimidium dum intus quidem lucet in corde sed foris non lucet in opere uel e conuerso quasi luna dicothomos, in aliis lumen plenum intus erga Deum, foris erga proximum pleno lumine lucens quasi luna panselenos. Quamuis tamen in uno et eodem corde possit hec uarietas lunaris luminis assignari, dum unum et idem cor diuerso tempore ad auditum ueritatis uerbum uarie mouetur, ita ut aut omnino nichil, aut parum, aut plus, aut plene illuminetur et illuminatum rursus obscuretur. 93, 7-8 monoides – panselenos] Guillaume de Conches, Dragmaticon, IV, 14, 9 et 10, l. 87 et 93 (CCCM 152, p. 127, l. 87-90 et p. 127-128, l. 95-99); Pierre de Blois, Epist. 8 (PL 207, 22A-B) 10 cf. Matth. 13, 35; Ps. 77, 2 10-11 cf. Matth. 13, 18-23; Marc. 4, 14-20; Luc. 8, 11-15 9 adhuc diligentius] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |adhuc diligentius S 3 attingere – misterium] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 16 uarie] abest in G 1 |uarie S 3 19 Dominus] Deus Delhaye 20 significare] figurare Delhaye 21 lucentis] S3 22 significamus] figuramus Delhaye lucens G 1 |lucentis 23 audientium] G 1 |uidentium S 3 ; audentium S 4 24 de 2] abest in G 1 |de S 3 25 tenerum] terrenum Delhaye 26-27 in corde sed foris non lucet] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 27 uel e conuerso] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |uel e conuerso S 3 33 obscuretur] abscuratur Delhaye

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bonne terre, il produit du fruit au centuple. La diversité des cœurs, comme pour la terre, la diversité de celles qui reçoivent le grain du semeur, ou comme pour la lune, la diversité de ceux qui reçoivent du prédicateur, comme venant du soleil, la lumière de la foi, voilà ce qui nous est signifié. Car ce que Dieu a voulu signifier par le grain jeté en terre par le semeur et évoluant diversement suivant la diversité du sol, c’est ce que nous signifions par la lumière du soleil brillant au-dessus de la lune, et suivant les variations de la lune, se déplaçant diversement autour du soleil, tantôt croissant, tantôt décroissant. Certes les cœurs des auditeurs sont diversement émus par le prédicateur de vérité prêchant la parole de la foi, et suivant l’intensité de leur émotion, ils sont illuminés, les uns moins, les autres plus, par une seule et même parole, et il naît dans les uns la lumière encore faible de la foi, telle la lune monoïdes; dans les autres une demi-lumière, puisqu’elle brille certes, à l’intérieur, dans le cœur, mais ne brille pas à l’extérieur, en œuvre, ou inversement, comme la lune dichotomos; chez les autres encore, la lumière pleine, brillant à l’intérieur envers Dieu, à l’extérieur envers le prochain, d’une pleine lumière, telle la lune panselenos; bien que, cependant l’on puisse attribuer à un seul et même cœur cette diversité de lumière lunaire, puisqu’un seul et même cœur est, suivant les temps, diversement ému à l’écoute de la parole de vérité, de sorte qu’il peut ne pas être du tout, ou peu, ou plus, ou pleinement illuminé, et, une fois illuminé, s’obscurcir à nouveau.

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〈94.〉 Quid sit ad litteram quod dicitur: «et sint in signa et tempora et dies et annos» Hec de duobus magnis luminaribus noctem et diem microcosmi diuidentibus pro modulo nostre intelligentie disseruimus, obscuris obscura ut nox nocti scientiam indicantes nec diei eructanti uerbum diei preiudicantes. Nunc quod sequitur prosequentes, uideamus quid sit quod dicitur: Et sint in signa et tempora et dies et annos. Quantum ad litteram nec hoc, sicut nec id quod superius dictum est, de omnibus celi luminaribus sed de solis duobus magnis luminaribus dictum arbitramur. Sola enim duo magna luminaria, in signa et tempora et dies et annos constituta sunt. In signa inquam, non ut mathematici dicunt qui signa futurorum et fata hominum in constellationibus ponunt, sed ut orthodoxi patres docuerunt, qui multa et ueneranda mysteria Ecclesie in sole et luna et stellis posuerunt; immo posita a Spiritu sancto autore sacre Scripture per diuersa loca inuenerunt, e quibus et nos nunc aliqua in proximis superioribus capitulis inuenimus et inuenta in lucem protulimus. Nam in signa huius modi quidem etiam luminaria minora, in tempora uero et dies et annos sola luminaria maiora sunt. In tempora, quia naturali motu solis in zodiaco ueris, estatis, autumpni et hiemis distinctiones fiunt, accidentali uero dierum et noctium, utroque autem annorum et ciclorum solarium. Rursum naturali motu lune distinctiones mensium et annorum lunarium siue communium siue embolismalium fiunt. Accidentali uero quedam nocturnarum tenebrarum iocunda illuminatio terris ministratur dum earum densitas lunaris globi pleno lumine releuatur. Sed et utrisque, scilicet solis et lune naturali motu, quidam ut ita dicam discors 94, 1-2 et sint – annos] Gen. 1, 14 5 nox – diei] Ps. 18, 3 7 et sint – annos] Gen. 1, 14 11-12 mathematici – ponunt] Ambroise, Hexameron, IV, 14 (CSEL 32/1, p. 121, l. 22-p. 122, l. 2); Augustin, De Genesi ad litt., II, 17, 35 (CSEL 28/1, p. 59, l. 25 et p. 66, l. 26); cf. De doctrina christiana, II, xxi, 32-xxiii 36 (CCSL 32, p. 55- 59, l. 1-46); De divers. quaestionibus 83, q. 45, 1-2 (CCSL 44A, p. 67, l. 1-3); De quaest. ad Simplicianum, I, ii, 3 (CCSL 44, p. 26, l. 70-72) 19 ueris – hiemis] Ambroise, Hexameron, IV, 5 (CSEL 32/1, p. 127, l. 19-23) 23 embolismalium] Isidore, Etymologiae, VI, 17, 24 (PL 82, 249A-B) 94, 1 ad litteram] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ad litteram S 3 17 etiam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |etiam S 3 21 et ciclorum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |et ciclorum S 3 24 nocturnarum] noctunarum Delhaye 25 earum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |earum S 3

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94. Que signifie, à la lettre, de dire: «qu’ils soient pour signes, pour saisons, pour jours et pour années» Ainsi nous avons disserté sur les deux grands luminaires qui séparent la nuit et le jour du microcosme, suivant la mesure de notre intelligence, les ténèbres montrant la connaissance aux ténèbres, comme la nuit à la nuit, sans faire peser la parole du jour sur le jour qui se lève. Maintenant poursuivons et voyons ce que signifie de dire «qu’ils soient pour signes et pour saisons et pour jours et pour années». Quant à la lettre, comme pour ce qui a été dit plus haut, nous ne pensons pas que cela ait été dit de tous les luminaires du ciel mais seulement des deux grands luminaires; car seuls les deux grands luminaires ont été établis en signes, en saisons, en jours et en années. En signes, dis-je, non pas comme disent les mathématiciens qui placent des signes de l’avenir et le destin des hommes dans les constellations, mais comme l’ont enseigné les pères orthodoxes qui ont placé de nombreux et vénérables mystères de l’Église dans le soleil, la lune et les étoiles; en outre ils en trouvèrent de disposés en divers endroits de l’Écriture Sainte par l’Esprit saint qui en est l’auteur, parmi lesquels nous en avons trouvé nous aussi quelques-uns maintenant, dans les derniers chapitres précédents, que nous avons ensuite mis en lumière. Car les petits luminaires aussi sont en signes de cette sorte, mais seuls les grands luminaires sont en saisons, en jours et en années. En saisons, parce que, par le mouvement naturel du soleil dans le zodiaque, ils font la séparation entre printemps, été, automne et hiver; mais par le mouvement accidentel ils séparent les jours des nuits, et par les deux ils séparent les années et les cycles solaires. En revanche, par le mouvement naturel de la lune, ils font la séparation entre mois et années lunaires, soit communs soit embolismiques; mais par le mouvement accidentel, une agréable illumination des ténèbres nocturnes est dispensée aux terres car leur densité est allégée par la pleine lumière du globe lunaire. Mais par les deux, à savoir par le mouvement naturel du soleil et de la lune, un certain parcours discordant, pour ainsi dire, devient concordant, car tantôt, par les épactes et les réguluiers lunaires, la variation du cycle lunaire se termine la dix-neuvième année, tantôt par les concurrents et les réguluiers fériaux, le parcours du cycle solaire s’étend sur vingt-huit années, tantôt la course de l’un et de l’autre s’étant combinées, il se prolonge encore sur cinq cent trente-deux années car cette somme s’obtient par la multiplication de vingt-huit par dix-neuf. Mais après avoir brièvement rappelé ces choses selon la lettre incidemment, venons-en au mystère dont nous voulons traiter principa-

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ambitus ad concordiam reuocatur dum, nunc per epactas et regulares lunares lunaris cicli diuersitas in decimum nonum annum terminatur, nunc per concurrentes et regulares feriales solaris cicli ambitus in xxviii annos protelatur, nunc utriusque circuitus in se multiplicatus in quingentos triginta duos annos longius extensus dilatatur. Hec enim summa excrescit ex xxviii decies nouies multiplicatis. Sed his ad literam ex incidenti breuiter commemoratis, ad misterium de quo principaliter intendimus ueniamus, et quid sit in microcosmo luminaria celi posita esse in signa et tempora et dies et annos uideamus, et primum quid sit ea esse posita in signa.

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〈95.〉 Quid sit mistice luminaria celi esse in signa Luminaria celi, ut supradictum est, aut habentes dona gratie in ea aut ipsa dona gratie sunt. De habentibus dona gratie primum dicamus. Inter habentes dona gratie Christus homo primus est, primus inquam dignitate non tempore. Ad ipsum enim scriptum est quia accepisti dona in hominibus. Sed et de ipso scriptum est quia requieuit super eum Spiritus Domini et quia accepit Spiritum sine mensura. Ipse ergo maius luminare celi est, ut supradictum est, et ut omnis de eo Scriptura clamat et ut ipse quoque de seipso testimonium perhibet dicens: Ego sum lux mundi. Audiamus quid de ipso senex ille Symeon prophetauerit dicens: Ecce hic positus est in ruinam et in resurrectionem multorum in Israël et in signum cui contradicetur. Ecce luminare celi, et maius luminare, positum in signum expresse dicitur et, quod magis mirabile est, in signum cui contradicetur. Nam si solari lumini contradicetur ita ut lumen esse negetur, cui alii lumini non contradicetur? Et reuera contradictum est illi, contradictum est et aliis et, quod mirabilius est, facilius euicerunt tenebras minora luminaria quam maius lumen. Nimirum quia sol sub nube latuit

27 epactas] Isidore, Etymologiae, VI, 17, 29 (PL 82, 249C) 95, 5-6 accepisti – hominibus] Ps. 67, 19 6-7 requieuit – domini] Is. 11, 2 7 accepit – mensura] Ioh. 3, 34 9-10 ego – mundi] Ioh. 8, 12 11-12 ecce – contradicetur] Luc. 2, 34 in signum] cf. Is. 11, 10 12-14 ecce – contradicetur] Richard de Saint-Victor, Quomodo Christus ponitur in signum (PL 196, 524C-D) 27 nunc] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |nunc S 3 in marg. G 2 |lunaris cicli S 3 95, 17 luminaria] lumina G 1 |luminaria S 3

28 lunaris cicli] abest in G 1 ; add. sol] G 1‫ ׀‬om. S 3

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lement, et voyons ce que signifie, dans le microcosme, que les luminaires placés dans le ciel sont pour signes, pour saisons, pour jours et pour années, et tout d’abord, que veut dire qu’ils ont été placés comme signes.

95. Que signifie, au sens mystique, que les luminaires sont placés pour signes Les luminaires du ciel sont, comme on l’a dit, soit ceux qui possèdent en eux les dons de la grâce, soit les dons de la grâce eux-mêmes. Parlons tout d’abord de ceux qui possèdent les dons de la grâce. Parmi ceux qui possèdent les dons de la grâce, le Christ-homme est le premier, le premier, dis-je, par la dignité, non par le temps. Car c’est pour lui qu’a été écrit que «tu as reçu des dons dans les hommes». Mais c’est aussi de lui qu’a été écrit que «l’esprit du Seigneur reposa sur lui» et qu’ «il reçut l’Esprit sans mesure». C’est donc Lui le plus grand luminaire du ciel, comme cela a déjà été dit, et comme toute l’Écriture le proclame à son sujet, et comme lui-même aussi porte témoignage de lui-même en disant: «Je suis la lumière du monde». Écoutons les paroles prophétiques que le vieillard Siméon prononce à son sujet: «Voici Celui qui a été mis pour la chute et pour le relèvement d’un grand nombre, en Israël, et pour signe en butte à la contradiction. Voici le luminaire du Ciel, et le plus grand luminaire, qui est dit placé pour signe, et, ce qui est plus étonnant, pour signe auquel on s’opposera. Car si l’on s’oppose à la lumière du soleil, comme n’étant pas la lumière, à quelle autre lumière ne s’opposera-t-on pas? Et en vérité on s’est opposé à lui, on s’est opposé aussi aux autres, et, ce qui est plus étonnant, les petits luminaires triomphèrent plus facilement des ténèbres que le grand luminaire. Et cela n’est pas étonnant car le soleil resta caché sous le nuage, avant même de s’éteindre. Combien plus, tandis qu’il s’éteignait sous la nuée ténébreuse, la divinité resta-t-elle cachée sous la chair morte? Ainsi le soleil subit-il une éclipse quand le Christ s’éteignit. Quand le Christ mourut, on pensait qu’il ne ressusciterait pas, on pensait que son nom s’éteindrait.

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etiam antequam extingueretur. Quanto magis cum extingueretur sub nube tenebrosa, sub carne mortua latuit diuinitas? Vnde et eclipsim passus est sol quando Christus extinctus est. Quando Christus est mortuus, putabatur non resurrecturus, putabatur extinctum iri nomen eius.

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〈96.〉 Quod Christus in resurrectione sua positus est in signum Resurrexit et reluxit sol eclipsim passus, credentibus signum uite, non credentibus signum mortis; hoc est signum aliis in ruinam, aliis in resurrectionem, hoc est signum cui contradicitur usque hodie ab incredulis. De hoc signo ipso Dominus in euangelio incredulis Iudeis signum de celo querentibus, ita ait: Generatio hec praua et peruersa signum querit et signum non dabitur ei nisi signum ione prophete, et subiungens adiecit: Sicut fuit Ionas in uentre ceti tribus diebus et tribus noctibus, ita erit filius hominis in corde terre. Ac si diceret: de celo signum querunt solis aut lune sed eis dabitur mirabilius signum de terra in sole et luna, quia ecce includam solem et lunam in corde terre tribus diebus et tribus noctibus, et post oriri eos faciam de terra, non de celo, nouos et ornatos et ultra non defecturos, quod est longe mirabilius signum quam si de celo sol nouus aut luna noua oriretur. Et reuera sic erit. Post tres dies ornatus microcosmi, de quibus supradictum est, orietur sol nouus et luna noua de terra, in generali scilicet resurrectione mortuorum quando fulgebunt Christus et Ecclesia in regno Dei sicut sol et luna noua orta de terra. Nam etsi Christus iam resuscitatus, completis ad litteram suis tribus diebus, ut sol nouus ortus de terra fulgeat in regno Patris sui, longe tamen excellentius fulgebit completis misticis tribus diebus, quando corpus capiti suo adunabitur et totius microcosmi ornatus complebitur.

18-19 sub – diuinitas] cf. Augustin, Adnotationes in Iob, VII (PL 34, 868); Aelred de Rievaulx, Sermo 61 (CCCM 2B, p. 140, l. 70-74); cf. Adam de Saint-Victor, séq. Splendor Patris, str. 10 (Bibl. Vict. 20, p. 274); Pierre Lombard, Comm. in Ps., 59 (PL 191, 556D) 96, 6-7 generatio – prophete] Matth. 12, 39

8-9 sicut – terre] Matth. 12, 40

96, 1 Quod – signum] G 1 |om. S 3 7 subiungens] subiunxgens G 1 | S 3 ; subiungens S 4 17 in – Dei] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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96. Que le Christ, en sa résurrection, fut placé ‘en signe’ Le soleil qui avait subi une éclipse ressuscita et brilla de nouveau, en signe de vie pour les croyants, en signe de mort pour les non croyants. C’est là le signe de la chute pour les uns, du relèvement pour les autres; c’est là le signe auquel s’opposent jusqu’à présent les incrédules. C’est de ce signe que le Seigneur dit, dans les Évangiles, aux Juifs incrédules qui cherchaient un signe venant du ciel: «Cette génération dépravée et perverse recherche un signe et il ne lui sera pas donné de signe, si ce n’est le signe de Jonas le Prophète», et il ajouta ensuite: «De même que Jonas resta trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le fils de l’homme restera dans le sein de la terre». Comme pour dire: ils cherchent, venant du ciel, un signe du soleil ou de la lune, mais, plus étonnant, il leur sera donné un signe venant de la terre, dans le soleil et dans la lune, car voici que j’enferme le soleil et la lune dans le cœur de la terre pendant trois jours et trois nuits, puis je les ferai sortir de la terre, non du ciel, nouveaux et ornés; et ils ne failliront plus; ce qui est un signe de loin plus merveilleux que si le soleil nouveau ou une lune nouvelle sortait du ciel. Et en vérité il en sera ainsi. Après les trois jours d’ornement du microcosme, dont il a été question plus haut, un soleil nouveau et une lune nouvelle s’élèveront de terre, à savoir dans la résurrection de tous les morts, quand le Christ et l’Église resplendiront dans le royaume de Dieu, comme le soleil et la lune nouvelle sortie de terre. Car bien que le Christ, désormais ressuscité après avoir accompli ses trois jours, à la lettre, brille comme un soleil nouveau sorti de la terre dans le royaume de son Père, Il resplendira beaucoup plus parfaitement, après l’accomplissement des trois jours mystiques, quand le Corps sera uni à sa tête, et que l’ornement de tout le microcosme sera accompli.

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〈97.〉 Quod in natiuitate sua positus est in signum Non solum autem in resurrectione sua, uerum etiam in natiuitate, passione et ascensione sua Christus ut luminare maius positus est in signum. Consulamus Scripturas et uideamus an et hoc ex eis comprobari possit. Legimus in libro Regum sed et in libro sermonum Ysaie prophete quod Rasin rex Syrie et Phacee filius Romelie rex Israël egressi sunt in prelium contra regem Iuda et timuit Achaz rex Iuda. Dixit ergo Dominus ad Ysaiam prophetam: Vade et dic regi Iuda: Noli timere a duabus caudis ticionum fumigantium istorum, quia uirtus eorum in breui deficiet ut firmus ticionum iam igne exustorum. Et cum non crederet rex Achaz uerbis Ysaie adiecit: Pete tibi signum a Domino Deo tuo, in profundum inferni siue in excelsum supra. Quo respondente: Non petam et non temptabo Dominum, audiuit: Ecce uirgo concipiet et pariet filium etc. Partus ergo uirginis signum erat liberationis populi Dei de manibus inimicorum suorum. Multa et magna super hoc signo patres orthodoxi disputauerunt ad natiuitatem Christi pertinentia que nos hic pretereunda duximus, hoc solum commemorantes propter quod ipsum capitulum induximus, uidelicet quod Christus natus in mundum tanquam lumen exortum in tenebris, positus sit in signum fidelibus et infidelibus, fidelibus ad saluationem, infidelibus ad dampnationem, sicut ipse ait in euangelio: Ego in iudicium ueni in hunc mundum ut qui non uident uideant et qui uident ceci fiant.

97, 6 Rasin – Israël] IV Reg. 16, 5

6-13 Is. 7, 1-14

97, 9 deficiet] deficeret G 1 |deficiet S 3 marg. G 2 | in textu S 3

21-22 Ioh. 9, 39

16 ad – pertinentia] abest in G 1 ; add. in

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97. Que, dans sa nativité, le Christ a été placé ‘en signe’ Or ce n’est pas seulement dans sa résurrection mais aussi dans sa nativité, dans sa Passion et dans son ascension que le Christ a été placé en signe, comme grand luminaire. Reportons-nous aux Écritures et voyons si elles nous permettent de confirmer cela aussi. Nous lisons dans le Livre des Rois, mais aussi dans le livre des paroles du Prophète Isaïe que «Retsin, roi de Syrie, et Pekakh, fils de Remalia, roi d’Israël, partirent en guerre contre le roi de Juda, et Achaz, roi de Juda, eut peur. Alors le Seigneur dit à Isaïe le prophète: «Va et dis au roi de Juda: ‘N’aie crainte devant ces deux bouts de tison fumants, car leur force déclinera dans peu de temps comme la fumée des tisons bientôt consumés par le feu». Et comme le roi Achaz ne croyait pas dans les paroles d’Isaïe, il ajouta: «Demande un signe au Seigneur ton Dieu, dans les profondeurs de l’enfer ou en haut dans le ciel». Et tandis qu’il répondait: «Je ne solliciterai ni ne tenterai le Seigneur», il entendit: «Voici qu’une Vierge concevra et donnera le jour à un fils etc.» L’enfantement de la Vierge était donc le signe de la libération du peuple de Dieu des mains de ses ennemis. Les Pères orthodoxes ont beaucoup disserté et dit de grandes choses sur ce signe, relatives à la nativité du Christ, que nous jugeons devoir être, ici, passées sous silence, rappelant seulement ce pour quoi nous avons introduit ce chapitre-ci, à savoir que le Christ, né dans le monde comme une lumière élevée dans les ténèbres, est placé en signe pour les fidèles et les infidèles, pour les fidèles, en vue du Salut, pour les infidèles, en vue de la damnation, comme il le dit lui-même dans l’Évangile: «Je suis venu en ce monde pour le jugement; afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles».

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〈98.〉 Quod in passione sua positus est in signum Sed et in passione sua Christum positum in signum ex Scripturis probare possumus. Legimus Moysen erexisse eneum serpentem in deserto, populo Dei ab ignitis serpentibus percusso in signum, ut intuentes signum liberarentur a morsibus ignitorum serpentum. Nota – Patrum expositio est – per eneum serpentem erectum in signum Christum significari, eleuatum in crucem et per crucem de mortali inmortalem factum. Nam serpens, qui prima causa mortis fuit, mortem significat et es inmortalitatis firmitatem significat. Christus ergo in passione sua mortuus, in resurrectione inmortalis factus, positus est in signum per fidem se intuentibus, quia liberabuntur a morsu demonum ignitis iaculis uiciorum incautos occidentium.

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〈99.〉 Quod in ascensione sua positus est in signum Denique in ascensione sua Christus in euidentissimum signum positus est, eleuatus ad dexteram Patris, ubi non iam ut serpens eneus intuendus proponitur percussis ab ignitis serpentibus, sed ut sol uerus refulgens in deitate sua cunctis fidelibus adorandus. Maxime que his qui celesti conuersatione illum sequentes, tanquam membra capiti suo coherentia, interim eleuantur cum ipso mente, donec rapiantur ad ipsum et corpore. Nam quia ipse capud eorum est et ipsi membra eius, necesse est ut illuc tendat eorum intentio uelud ad signum sublime sibi positum in alto, quo ipsum signum semper intueantur eleuatum. In hoc signum se positum uel ponendum esse anime se per amorem intuenti, id est sponse sue, sponsus in Cantico amoris ita testatur seu potius hortatur dicens: Pone me ut signaculum super cor tuum. Et repetit ut addat: Pone me ut signaculum super brachium tuum. Sedens enim nunc ad dexteram Pa-

98, 3-4 legimus – signum] cf. Num. 21, 9 3-9 eneum – significat] cf. Césaire d’Arles, Sermo 112, 1 (CCSL 103, p. 461-462, l. 1-5); Augustin, Tract. in Ioh., XII, 11 (CCSL 36, p. 127, l. 21-22); Hugues de Saint-Victor, Sententiae de divinitate, prol. (Piazzoni, p. 918, l. 181-183) 99, 3-14 pone – tuum] Cant. 8, 6 98, 2 et] om. Delhaye textu S 3

7 eleuatum – crucem 2] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in

99, 9 tendat] rendat G 1 |tendat S 3

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98. Que dans sa Passion il a été placé ‘en signe’ Mais nous pouvons prouver par les Écritures que le Christ, dans sa Passion, a été placé en signe. Nous lisons que Moïse a élevé le serpent d’airain dans le désert, placé en signe pour le peuple de Dieu frappé par des serpents en flammes, afin que, voyant le signe, ils soient délivrés des morsures des serpents en flammes. À noter que – et c’est l’explication des Pères – par le serpent d’airain élevé en signe, c’est le Christ qui est signifié, élevé sur la Croix, et par la Croix, de mortel devenu immortel: car le serpent, qui fut la première cause de la mort, signifie la mort et la force de l’immortalité. Ainsi le Christ, mort dans sa Passion, devenu immortel dans sa résurrection, a été placé en signe pour ceux qui le discernent par la foi, car ils seront délivrés de la morsure des démons qui tuent les imprudents par les javelots brûlants des vices. 99. Que dans son ascension il a été placé ‘en signe’ Enfin, dans son ascension, le Christ a été placé en signe très évident, élevé à la droite du Père, où il est offert, non plus pour être vu, comme un serpent d’airain, de ceux qui sont frappés par les serpents enflammés, mais pour être adoré comme le vrai soleil resplendissant dans sa déité par tous les fidèles. Surtout parce que, pour ceux qui en le suivant, grâce à leur familiarité avec le ciel, comme des membres attachés à leur tête, sont aujourd’hui élevés avec lui en esprit avant d’être emportés vers lui, aussi en leur corps, mais aussi parce qu’il est leur tête et eux ses membres, il est nécessaire qu’ils tendent vers ce but comme vers un signe sublime placé pour eux dans les hauteurs, où ils puissent toujours reconnaître ce signe élevé. C’est en ce signe que l’Époux, dans le Cantique de l’amour, témoigne qu’il est placé, ou engage à ce qu’il soit placé dans l’âme qui le reconnaît par amour, c’est-à-dire en son épouse, quand il dit: «Posemoi comme un sceau sur ton cœur», et il insiste en ajoutant: «Pose-moi comme un sceau sur ton bras». Siégeant aujourd’hui à la droite du Père, et là, reconnaissant qu’il est posé comme un sceau en son épouse, il l’avertit de se souvenir de ce à quoi il s’est exposé pour elle, non pas parce qu’il pense qu’elle l’ait oublié – autrement elle ne serait pas son épouse – mais afin de la pousser à tendre de plus en plus vers lui. Et cette tension, parce qu’elle redouble, pour qu’elle soit parfaite, c’est-à-dire d’un amour fort – sur lequel il ajoute aussitôt: «l’amour est fort comme la mort» – et d’une parfaite efficacité, exige qu’un sceau soit posé tout d’abord sur le cœur, puis sur le bras. Comme pour dire: Moi, ô épouse, je suis placé comme un sceau dans le ciel. mais parce que tantôt tu entres par la

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tris et agnoscens ibi se esse positum ut signaculum sponse sue, admonet eam ut meminerit ad quid ei ibi expositus sit, non quia eam sui oblitam putet – alioquin sponsa eius non esset – sed ut eam magis ac magis in se intendere prouocet. Que intentio, quia dupliciter fit ut perfecta sit, forti uidelicet dilectione de qua mox addit: Fortis est ut mors dilectio, et condigna operatione, primum super cor iubet poni signaculum, deinde super brachium. Quasi diceret: «Ego tibi, o sponsa, positus sum ut signaculum in celo, sed quia nunc ingrederis per contemplationem, nunc egrederis per actionem, ne obliuiscaris mei quocumque te uertis, ingrediens pone me super cor tuum scilicet in potiore loco tui ubi mox ingredienti occurit memoria mei, egrediens pone me super brachium tuum ut in quolibet opere tuo memineris mei. Quia fortis est ut mors dilectio qua te dilexi, fortis inquam ad separandum me a uita mundi ut tibi uiuerem, et ideo fortis quoque debet esse ut mors dilectio qua me diligis ad separandum te a mundi uita ut michi uiuas».

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〈100.〉 Quod in sacramento altaris in multa sit signa Quid plura de signis huius magni luminaris referam, cum tot et tanta sint eius signa, quot et quanta non potest enarrare humana lingua? Nam etiam hoc quod in sacramento altaris edendum se et bibendum fidelibus sub specie panis et uini Christus prebet, in uno signo tot et tanta signa multiplicantur ut ea cor humanum, etsi credere possit, comprehendere tamen omnino non possit. Quis enim comprehendit in multis altaribus uel locis a se inuicem longe diuisis, unum et idem integrum et indiuisum esse corpus? Quis sub duabus diuisis speciebus forma et natura omnino differentibus, unam et eandem carnem et sanguinem esse, ita ut sub utraque specie utraque res integra et indiuisa sit, non potius mirari quam comprehendere possit? Quis ueram fractionem cum uera integritate unius et eiusdem rei non magis horrere quam intelligere possit? Quis accidentia que foris uidentur, in speciebus oculis intuentium 15-17 sponse – esset] cf. Hugues de Saint-Victor, De amore sponsi ad sponsam (PL 176, 987C); Richard de Saint-Victor, Liber exc., II, x, 9 (Châtillon, p. 393, l. 2-5) 19 fortis – dilectio] Cant. 8, 6 15 ibi] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 19 de – dilectio] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 23 uertis] uerteris G 1 |uertis S 3 28 ut mors] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ut mors S 3 100, 5 Christus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3

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contemplation, tantôt tu sors par l’action, afin de ne pas m’oublier en quelque sens que tu te diriges, en entrant pose-moi sur ton cœur, c’està-dire sur la meilleure partie de ton être, où aussitôt en entrant le souvenir de moi te revient, en sortant pose-moi sur ton bras, afin que dans toute action que tu accomplis, tu te souviennes de moi. Car «fort comme la mort est l’amour» dont je t’ai aimée; assez fort, dis-je, pour me séparer de la vie du monde afin de vivre pour toi; et c’est pourquoi doit être aussi fort comme la mort l’amour dont tu m’aimes pour te séparer de la vie du monde afin de vivre pour moi.

100. Que dans le sacrement de l’autel il est en de multiples signes Que pourrais-je dire de plus sur les signes de ce grand luminaire, alors que ses signes sont si nombreux et si grands que le langage humain ne peut en exprimer ni le nombre ni la grandeur? Car ce qu’en outre le Christ offre aux fidèles dans le sacrement de l’autel, sous l’espèce du pain et du vin à manger et à boire, se multiplie, sous un seul signe, en tant et en de si grands signes que le cœur de l’homme, même s’il peut les croire, ne peut cependant en aucun cas les comprendre. Qui peut comprendre en effet que le même corps, unique et indivis soit présent en de nombreux autels ou lieux sacrés très éloignés les uns des autres? Qui pourrait ne pas s’étonner plutôt que de comprendre que sous deux espèces séparées, totalement différentes par la forme et la nature, il y ait une seule et même chair, un seul et même sang, de sorte que sous l’une et l’autre espèce, l’une et l’autre substance soit entière et indivise? Qui pourrait ne pas craindre plutôt que de comprendre qu’il y ait une véritable fraction en même temps qu’une véritable intégrité d’une seule et même substance? Qui ne s’étonnerait pas de ce que les phénomènes qui se voient à l’extérieur, offerts en apparences aux yeux de ceux qui les observent, n’ont aucun fondement, et ne les vénérerait pas comme étant le signe le plus merveilleux et le plus divin de tous les signes? Mais c’et en vain que je m’efforce d’énumérer les signes de ce signe, et c’est pourquoi il vaut mieux ici que je me taise plutôt que d’oser dire quelque chose sur des signes si grands et si admirables.

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microcosmvs, II, 100-101

subiectis, fundamentum nullum habere non admiretur simul et ueneretur tamquam signum omnibus signis mirabilius et diuinius? Superuacue nitor signa huius signi enumerare et ideo magis hic expedit silere quam temere aliquid in tantis signis et mirabilibus dicere.

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〈101.〉 Quomodo minus luminare sit in signa Veniamus nunc ad minoris luminaris quod preest nocti, lune uidelicet, id est Ecclesie, in nocte huius mundi lucentis signa. Nam et ipsa nimirum in signa est utpote que signis et mirabilibus plenissima est, attestante hoc ipsum de ea qui in Apocalipsi diuinitus sibi facta reuelatis oculis tot et tanta in ea signa uidit et uisa mundo enarrauit. Et scribens ea in septem quidem principalia signa, omnes uisiones suas distinguit, sed eadem septem tot et tantis septenis, nunc binis, nunc singulis multiplicat ut pene usque ad septuaginta septem eorum multiplicatio excrescat. Quod in una, id est prima ex septem, libet exemplariter declarare. Raptus enim in Spiritu uidet primum septem candelabra aurea et in medio vii candelabrorum aureorum similem Filio hominis uestitum podere et precinctum ad mamillas zona aurea; et post pauca interposita, rursum uidet in dextera eiusdem Filii hominis septem stellas. Ecce in prima ex septem principalibus uisionibus suis duo septena, vii uidelicet candelabrorum et septem stellarum. In quibus quid aliud nisi lucida dona Spiritus Dei in Ecclesia aut habentes eadem dona significantur? Ipso filio hominis paulo post ita ei uisa exponente, ait enim: Sacramentum vii stellarum quas uidisti in dextera mea et vii candelabrorum aureorum: hoc est septem stelle, vii angeli sunt vii ecclesiarum et candelabra septem, vii ecclesie sunt. Vnde mox in subsequentibus cuique angelo et cuique ecclesie sua subdit mandata, ita ut fiant etiam vii numero mandata, sic legenti per singulas vii principales uisiones nimirum occurrent septena, aut sin-

101, 5-6 apocalipsi – enarrauit] Apoc. 5, 1 11 raptus – spiritu] cf. Apoc. 4, 2 11-13 septem – aurea] Apoc. 1, 12-13 14 in – stellas] Apoc. 1, 16 1516 duo – stellarum] Apoc. 2, 1 18-21 sacramentum – sunt] Apoc. 1, 20 15 admiretur] G 1 |admirentur S 3 ; admiretur S 4 101, 6-7 scribens ea] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |scribens ea S 3 12 candelabrorum] candelabrarum G 1 | S 3 ; candelabrorum S 4 14 septem stellas] stellas septem G 1 |septem stellas S 3 16 nisi] aut add. G 1 |nisi S 3 17 in ecclesia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in ecclesia S 3

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101. Que le petit luminaire est ‘en signes’ Venons-en maintenant aux signes du petit luminaire qui préside à la nuit, à savoir de la lune, c’est-à-dire de l’Église, brillant dans la nuit de ce monde. Car elle est elle-même, bien sûr, en signes puisqu’elle est ellemême très riche en signes et en merveilles, comme en témoigne à son sujet Celui qui vit tant et de si grands signes manifestés en elle, qui lui furent révélés par la divinité, dévoilés à ses yeux, et qui raconta au monde, dans l’Apocalypse, ce qu’il avait vu. Et en les décrivant, il divise toutes ses visions en sept signes principaux, mais il multiplie ces sept signes en tant et de si grands septains, soit seuls, soit par deux, que leur nombre arrive à atteindre soixante-dix-sept. Parmi lesquels nous voulons en citer un, à savoir le premier, à titre d’exemple. Emporté en esprit, il vit tout d’abord «sept chandeliers d’or, et au milieu des sept chandeliers d’or, quelqu’un semblable au Fils d’homme, vêtu d’une longue tunique et ceint à la poitrine d’une ceinture d’or». Et après quelques autres précisions, il ajoute qu’il voit «dans la main droite» de ce fils d’homme «sept étoiles». Et voilà, dans la première de ses sept principales visions, deux groupes de sept: à savoir sept chandeliers et sept étoiles. Que peuvent signifier ces choses sinon assurément les dons éclairés de l’Esprit de Dieu dans l’Église, ou bien ceux qui possèdent ces dons? Le Fils de l’homme, lui expliquant ensuite ces visions, lui dit en effet: «Voici ce qu’est le mystère des sept étoiles que tu as vues dans ma droite et des sept chandeliers d’or: les sept étoiles sont les sept anges des sept églises, et les chandeliers sont les sept églises». Et aussitôt après, il donne à chaque ange et à chaque église ses missions, de telle sorte qu’elles forment aussi le nombre sept, et qu’ainsi, par chacune des sept principales visions, se présentent au lecteur des groupes de sept, soit isolés, soit groupés, qui sont tous, évidemment, les signes de l’Église, brillant pour les observateurs attentifs et portant une signification.

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microcosmvs, II, 101-102

gula aut plura, que omnia euidenter signa sunt Ecclesie diligenter intuentibus lucentia et aliquid significantia.

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〈102.〉 Quomodo stelle sint in signa Ex premisso capitulo non solum lunam, id est Ecclesiam, uerum etiam stellas, id est personas quasque in Ecclesia, ex donis gratie que habent, lucidas, immo ipsa dona gracie lucida, in signa esse manifestum est, ipso Filio hominis hoc Iohannem docente, ubi ei sacramentum vii stellarum reuelans ait: Septem stelle, vii angeli ecclesiarum sunt. Vbi nomine vii angelorum uniuersos prelatos uel episcopos ecclesiarum diuersis donis gratie lucidos et ex eisdem donis subditis suis in lucis exempla, uelud in signa positos, manifeste significat. Vnde mox in sequentibus iubens Iohanni singulis singula mandata scribere, singulos propriis signis notat: Angelum Ephesiorum signo patiencie, angelum Smirne signo paupertatis uoluntarie, angelum Pergami signo fidei perfecte, angelum Tiatire non solum unius uirtutis signo sed etiam multarum uirtutum signis notabilem et imitabilem predicans, angelum quoque Philadelphie modice uirtutis, id est humilitatis que ceterarum uirtutum custos est, signo admodum notabili commendat, quem etiam postea ob meritum huius signi nominis sui noui signo uelud quodam singulari premio donat, et hos quidem quinque uelud quinque planetas ceteris stellis lucidiores et in exercitio bonorum operum mobiliores commendare, et ex propriis signis uirtutum preferre uidetur. Sed quia nemo in hac uita tam lucide uirtutis est qui obscurari non possit, nemo quoque tam desperati uitii qui illuminari non possit, duos ex septem signo uicii notat, alterum id est angelum Sardis infidelitatis, alterum id est angelum Laodicie tepeditatis arguens. Quod utique ualde mirabile uidetur ut ex vii omnes angeli dicantur, et tamen duo ex eis tam grauium uiciorum signis notentur ut alter eorum mortuus licet uiuere uideatur, alter ab ore Dei euomendus perhibeatur. In quo nimirum hoc

102, 6 septem – sunt] Apoc. 1, 20 11 angelum – patiencie] cf. Apoc. 2, 3 angelum – paupertatis] cf. Apoc. 2, 8-9 12 angelum – fidei] cf. Apoc. 2, 12-13 1213 angelum – uirtutum] cf. Apoc. 2, 18-19 14-15 angelum – uirtutis] cf. Apoc. 3, 7-8 23 angelum – infidelitatis] cf. Apoc. 3, 1 24 angelum – tepeditatis] cf. Apoc. 3, 14-15 26-27 mortuus – uideatur] cf. Apoc. 3, 1 ab – euomendus] Apoc. 3, 16 102, 14 philadelphie] G 1 |philadephie S 3

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102. Comment les étoiles sont ‘en signes’ Du chapitre précédent il ressort avec évidence que non seulement la lune, c’est-à-dire l’Église, mais aussi les étoiles, c’est-à-dire toutes les personnes, dans l’Église, éclairées par les dons de la grâce qu’elles possèdent, ou même les dons éclairés de la grâce eux-mêmes, sont en signes: le Fils de l’homme l’enseigne lui-même à Jean, quand il lui révèle le mystère des sept étoiles en ces termes: «les sept étoiles sont les sept anges des églises»; quand, sous le nom de sept anges, il désigne manifestement tous les prélats ou évêques des églises, éclairés par les divers dons de la grâce, et par ces mêmes dons placés en exemples de lumière, comme en signes, pour leurs fidèles. Et aussitôt après, ordonnant à Jean de mettre par écrit la mission attribuée à chaque église, il marque chaque ange d’un signe particulier: l’ange d’Éphèse, du signe de la patience; l’ange de Smyrne, du signe de la pauvreté volontaire; l’ange de Pergame, du signe de la foi parfaite; l’ange de Thyatire, non seulement du signe d’une vertu unique mais des signes de multiples vertus, en le proclamant éminent et digne d’être imité; l’ange de Philadelphie, il le confie au signe très éminent d’une vertu modeste, à savoir l’humilité qui est la gardienne des autres vertus; et ensuite, en raison du mérite de ce signe, il lui fait don du signe de son nouveau nom, comme d’une récompense singulière. Et il semble recommander ces cinq anges comme cinq planètes plus brillantes que les autres étoiles et plus actives dans l’exercice des bonnes œuvres, et les élire en raison du signe de vertu propre à chacun. Mais parce qu’en cette vie, nul n’est d’une vertu si lumineuse qu’il ne puisse être obscurci, et que nul, non plus, ne peut être d’un vice si désespéré qu’il ne puisse être illuminé, il en marque deux, sur les sept, du signe du vice, accusant l’un, l’ange de Sardes, d’infidélité, l’autre, l’ange de Laodicée, de tiédeur. Et il paraît tout à fait extraordinaire que tous les sept soient appelés anges, alors que deux d’entre eux sont marqués de vices si graves que l’un d’eux semble mort bien qu’il vive, que l’autre est présenté comme devant être rejeté de la bouche de Dieu. En cela, il est clairement signifié que, parmi les prédestinés à la vie, l’un, déjà mort dans la fidélité, peut être sauvé, l’autre encore vivant dans la tiédeur, peut être condamné, mais que l’un et l’autre sont comptés parmi les anges de Dieu, bien que l’un, qui est mort, est si éloigné de la vie qu’il ne semble plus jamais devoir vivre, que l’autre, qui vit, est si proche de la mort qu’il est déjà compté parmi les morts.

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microcosmvs, II, 102-103

significatur quod ex predestinatis ad uitam, alius adhuc mortuus in fidelitate saluari potest, alius iam uiuus tepiditate dampnari potest, uterque tamen uere inter angelos Dei computatus est, quamuis alter, qui mortuus est, tam longe sit a uita ut nunquam uicturus uideatur, alter, qui uiuit, tam prope sit morti ut iam inter mortuos habeatur.

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〈103.〉 Quomodo luminaria celi sint in tempora et dies et annos De luminaribus celi quomodo sint in signa dictum est; de eisdem quomodo sint in tempora et dies et annos dicendum. Secundum misterium ego arbitror in his uerbis ubi dicitur ut sint in tempora et dies et annos, perpetuitatem regni Christi et Ecclesie et donorum gracie Dei prophetatam. Siquidem Spiritus sanctus, huius autor Scripture, preuidens futuros hereticos qui dicerent Christum ad tempus regnaturum et Ecclesiam desituram in tempore, et fidem catholicam et cetera dona gratie que sunt in Ecclesia in exterminium itura, fideles suos, quos uelud luminaria in celo posuit, quibus et perpetuum regnum ibidem preparauit, firma anchora spei eiusdem regni solidari uoluit, dum eos et per luminaria celi materialia et materialiter in celo fixa significauit, et quod in tempora et dies et annos futuri essent, predixit. Quid enim est eos in tempora et dies et annos futuros nisi in omnia tempora futuros? Generali enim nomini temporis premisso pluraliter et specialibus nominibus temporis subiunctis similiter, quid aliud quam omne tempus insinuauit? Ac si dixisset: Sint in tempora et dies et annos, id est in omnia tempora, quamuis tamen distincte possint intelligi tempora, dies et anni, eadem manente substantia. Duo enim sunt tempora Ecclesie, tempus generationis et tempus regenerationis. Tempus generationis Ecclesie est quo generantur fideles in Christo ex aqua et Spiritu. Tempus regenerationis est quo regenerabuntur in carne, reuocato spiritu ad carnem. De tempore generationis scriptus est liber generationis Ihesu Christi filii Dauid, filii Abraham. Ex tunc enim Ecclesie generatio cepit quo Christi generatio cepit. De tempore regenerationis ipse Dominus in Euangelio loquitur dicens: In regeneratione cum sederit filius hominis in sede maiestatis sue etc. Pluraliter ergo tempora dixit, ne in tempore desitura sed de tempore generationis ad 103, 24 liber – Abraham] Matth. 1, 1

26-27 in – sue] Matth. 19, 28

103, 6 prophetatam] prophetari G 1 |†…† S 3 ; prophetatam in ras. S 4 pore] G 1 |tempora S 3 ; tempore S 4

28 tem-

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103. Comment les luminaires du ciel sont en temps, jours et années Nous avons dit comment les luminaires du ciel sont en signes; il nous faut dire comment ils sont en temps, jours et années. Dans les paroles où il est dit qu’ils soient en temps, jours et années, je pense qu’est prophétisée mystérieusement l’éternité du royaume du Christ et de l’Église, et des dons de la grâce de Dieu. Car, prévoyant les hérétiques à venir, qui diraient que le Christ régnerait temporairement, que l’Église disparaîtrait un jour, et que la foi catholique et les autres dons de la grâce qui sont dans l’Église seraient bientôt chassés, l’Esprit saint, auteur de ces Écritures, voulut affermir ses fidèles, qu’il plaça comme des luminaires dans le ciel où il leur prépara un royaume éternel, par l’ancre ferme de l’espérance en ce règne; ainsi il les symbolisa par les luminaires matériels du ciel, fixés matériellement dans le ciel, et il prédit qu’ils seraient en temps, jours et années. Que signifie donc qu’ils seront en temps, jours et années, sinon qu’ils seront éternels? Car par le terme général de «temps» placé en tête au pluriel et les autres noms particuliers désignant le temps, ajoutés de même, qu’a-t-il voulu signifier sinon «tous les temps». Comme pour dire: «qu’ils soient en signes des temps, jours et années», c’est-à-dire «tous les temps», bien que les temps, les jours et les années puissent être compris séparément, la substance restant la même. Car il y a deux temps de l’Église, le temps de la génération et le temps de la régénération. Le temps de la génération de l’Église est celui où sont engendrés des fidèles dans le Christ par l’eau et par l’Esprit. Le temps de la régénération est celui où ils seront régénérés dans la chair, l’esprit étant rappelé à la chair. Sur le temps de la génération, a été écrit le «Livre de la génération de Jésus Christ, fils de David, fils d’Abraham». Dès lors, en effet, la génération de l’Église commença quand commença la génération du Christ. Du temps de la régénération, le Seigneur lui-même parle en ces termes dans l’Évangile: «Dans la régénération, quand le fils de l’homme siégera sur son trône de gloire» etc. Ainsi il parla des temps au pluriel afin que l’on comprenne non pas que l’Église devra disparaître dans le temps mais qu’elle devra passer du temps de la génération au temps de la régénération, et de là à l’éternité, quand les justes resplendiront comme le soleil dans le royaume de leur Père, et comme les étoiles dans les éternités perpétuelles». Et il ajouta: «jours et années». Six, en effet, est le nombre de jours de travail pour les justes, dont nous traitons maintenant en suivant l’Hexaemeron de Moïse. Le septième sera le jour du repos, le huitième le Jour de la gloire, le seul sur des

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microcosmvs, II, 103-104

tempus regenerationis et inde ad eternitatem transitura intelligeretur Ecclesia, ubi fulgebunt iusti tamquam sol in regno Patris eorum et uelud stelle in perpetuas eternitates. Vnde et addidit dies et annos. Sex enim sunt dies laboris iustorum de quibus et nos nunc agimus iuxta exameron Moysi. Septimus erit quietis, octauus glorie, qui unus sine uespera erit super milia. De his diebus in psalmo sexagesimo: Dies super dies regis adicies. Vbi mox et de annis eius, in illum unum diem qui est super milia consummandis addit dicens: Annos eius in diem generationis. Est enim annus benignitatis cuius corone benedixit Dominus, et est annus eternitatis qui non deficiet sed in diem generationis et generationis proficiet, id est in perpetuum diem. Hoc ergo uolens significare et electos suos contra uenturam heresim roborare, Spiritus sanctus ait: Vt sint in tempora et dies et annos, id est in omnia tempora. Propter hoc etiam uniuersalis Ecclesia omnem orationem suam ad Deum Patrem factam ita concludit: Per Dominum nostrum Ihesum Christum Filium tuum qui tecum uiuit et regnat in unitate Spiritus sancti Deus per omnia secula seculorum. Sed et nos hunc quartum diem quo firmamentum celi luminaribus ornatum est, hic concludimus dicentes: Et factum est uespere et mane, dies quartus, quia priora sunt naturalia que respectu gratuitorum subsequentium quasi nox sunt obscura, donec superuenientibus gratuitis illuminentur uelud quadam luce diuina.

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〈104.〉 De opere quinti diei quo aque ornate sunt De opere quarti diei in microcosmo, id est de gratia illuminationis qua celum mentis nostre ornatur et illuminatur ad sciendum bonum, dictum est. De opere quinti diei qua in aquis et ex aquis natatilia et uolatilia ad ornandum eas creantur, id est de gratia affectionis qua afficitur

30-31 fulgebunt – eternitates] Matth. 13, 43 32-33 sex – quietis] cf. Isaac de l’Étoile, Sermo 17, 7 (PL 194, 1746B) 33 octauus glorie] Augustin, Sermo 259, 2 (PL 38, 1197) 34-35 dies – adicies] Ps. 60, 7 36 annos – generationis] Ps. 60, 7 37 benignitatis – corone] cf. Ps. 64, 12 38 annus – deficiet] cf. Ps. 101, 28 38 in – generationis] Ps. 60, 7 40-41 ut – annos] Gen. 1, 14 4345 per – seculorum] Missale Romanum, Orationes ad Patrem 46-47 et – quartus] Gen. 1, 19 39 proficiet] perficiet Delhaye

43 Deum] Dominum G 1 |Deum S 3

104, 1 ornate] G 1 |ornare S 3 3 nostre] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |nostre S 3 6 illuminate] illuminanate G 1 |illuminante S 3 ; illuminate S 4

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le microcosme, II, 103-104

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milliers qui sera sans soir. De ces jours, on lit dans le psaume soixante: «Tu ajouteras des jours aux jours du roi». Et aussitôt après, sur ses années qui doivent se consumer en ce seul jour qui est au-dessus de milliers d’autres, il ajoute ceci: «Ses années seront jusqu’au jour de génération en génération». Il y a en effet «l’année de sa bonté», que le Seigneur bénit de la couronne, et il y a l’année de l’éternité, qui ne défaillira pas» mais qui s’accomplira «dans le jour de génération en génération», c’està-dire dans le jour perpétuel. Voulant donc expliquer cela, et conforter ses élus contre l’hérésie à venir, l’Esprit saint déclare: «afin qu’ils soient en temps, jours et années», c’est-à-dire pour tous les temps. C’est pour cela aussi que l’Église universelle achève toute sa prière adressée au Seigneur Père par ces mots: «Par Notre Seigneur Jésus Christ, ton Fils, qui vit et règne avec Toi dans l’unité du Saint-Esprit, Dieu, pour tous les siècles des siècles». Mais nous aussi nous concluons ici ce quatrième jour, où le firmament du ciel fut orné de luminaires par ces mots: «Et il y eut un soir et un matin, quatrième jour»; car les dons naturels sont les premiers, lesquels, au regard des dons gratuits qui viennent ensuite, sont comme une nuit obscure, jusqu’au moment où, quand les dons gratuits viendront en plus, ils seront illuminés comme par une certaine lumière divine. 104. De l’œuvre du cinquième jour, où les eaux furent ornées Nous avons parlé de l’œuvre du quatrième jour dans le microcosme, à savoir de la grâce d’illumination par laquelle le ciel de notre esprit est orné et illuminé pour connaître le bien. Il nous faut parler de l’œuvre du cinquième jour, par laquelle dans les eaux et par les eaux, poissons et oiseaux sont créés pour les orner, c’est-à-dire de la grâce d’affection par laquelle la force de notre imagination déjà illuminée s’applique à vouloir le bien. Et certes, nombreuses sont les affections du cœur humain, qui détournent et relâchent inévitablement la force de notre imagination, la rendant comme une mer grande et spacieuse, et pire encore, bouleversant le plus souvent cette mer depuis ses fondements par des bouillonnements extrêmement turbulents, au point que le cœur humain, très agité par ses troubles, est presque ou complètement oppressé. Mais nous traiterons, non pas de ce qui trouble cette mer, mais de ce qui en fait l’ornement, en en présentant d’abord tous les éléments dans leur ensemble, afin que le discernement en retienne quelques-uns.

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microcosmvs, II, 104-105

uis ymaginationis nostre iam illuminate ad uelle bonum, dicendum est. Et quidem multe sunt humani cordis affectiones uim ymaginationis nostre nimium distrahentes et distendentes, et quasi mare magnum et spaciosum eam facientes, immo hoc ipsum mare turbulentissimis ex estuationibus a fundo suo plerumque euertentes, ita ut cor humanum suis tempestatibus exagitatum aut omnino aut pene obruatur. Sed nos de his tantum nunc agemus quibus hoc mare non turbatur sed ornatur, adductis tamen primum in medium generaliter omnibus, ut certa inter eas discretio habeatur.

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〈105.〉 Tres esse humani cordis affectiones Tres itaque sunt humani cordis affectionum species, alie meritorie, alie demeritorie, alie neutre. Meritorias creat habitus gratie, demeritorias defectus gratie, neutras ius nature. Meritorie ornant hoc mare uiuis et mundis animalibus, demeritorie turbant hoc mare uiuis quidem sed inmundis animalibus, neutre generant hoc mare aquis naturaliter influentibus. Quod dico tale est ut prepostere dicta repetam. Neutre affectiones sunt naturales motus cordis ad uolendum aliquid uel nolendum ex uariis ymaginibus exteriorum rerum memoriter retentis intus orti, sinuosam illam cordis amplitudinem multiplicibus quidem motibus uelud aquis implentes sed non turbantes. Verbi gratia, ut est dolor qualis fuit ille dolor Iob acceptis diuersis nunciis de dampno rerum suarum, naturalis ex occursu tristium ymaginum de preterito uel de presenti se ingerentium. Gaudium naturale ex occursu letarum ymaginum de preterito uel de presenti se ingerentium. Timor naturalis ex occursu tristium ymaginum de futuro se ingerentium. Spes naturalis ex occursu letarum ymaginum de futuro se ingerentium. Amor naturalis ex occursu pulchrarum ymaginum cordi amanti se ingerentium. Odium naturale ex occursu fedarum ymaginum cordi respuenti se ingerentium. Verecundia uel pudor naturalis ex occursu turpium factorum suorum. Presumptio uel confidentia naturalis ex occursu magnorum et uirilium factorum suorum. Sunt et multa alia in hunc modum cordi humano se 104, 8-9 mare – spaciosum] Ps. 103, 25 105, 5 et – uiuis] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4 9 uel nolendum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uel nolendum S 3 12-13 qualis – suarum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 18 amanti] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |amanti S 3 23 naturaliter] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |naturaliter S 3

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105. Les affections du cœur humain sont au nombre de trois Ainsi il y a trois sortes d’affections du cœur humain, les unes méritoires, les autres déméritoires, les autres neutres. L’état de grâce crée les méritoires, le défaut de la grâce crée les déméritoires, la loi naturelle crée les neutres. Les affections méritoires ornent cette mer d’animaux vivants et purs, les déméritoires troublent cette mer par des animaux vivants, certes, mais impurs, les neutres produisent cette mer aux eaux naturellement pénétrantes. Ce que je dis exige que je le reprenne en sens inverse. Les affections neutres sont des penchants naturels du cœur à vouloir ou ne pas vouloir quelque chose, nés à l’intérieur, de différentes images de choses extérieures retenues de mémoire, qui emplissent sans le troubler cet espace sinueux du cœur de multiples mouvements, comme avec des eaux. Par exemple, c’est une douleur semblable à celle qu’éprouva Job quand il apprit par quelques messagers la destruction de ses biens, douleur naturelle en raison des images tristes, du passé ou du présent, qui surviennent et qui pénètrent. Joie naturelle provoquée par les images heureuses du passé ou du présent, surviennent et qui pénètrent; crainte naturelle, en raison des images tristes de l’avenir, qui surviennent et qui pénètrent; espérance naturelle, en raison des images heureuses de l’avenir, qui surviennent et qui pénètrent; amour naturel, en raison des belles images qui surviennent et qui pénètrent dans le cœur aimant; haine naturelle provoquée par des images affreuses qui surviennent et qui pénètrent dans le cœur qui les repousse; honte ou pudeur naturelle du fait de ses actes honteux; présomption ou outrecuidance naturelle du fait de ses actes glorieux et courageux. Il y a encore beaucoup d’autres affections qui pénètrent de la sorte, naturellement, dans le cœur de l’homme, qui, comme par des eaux, emplissent tout son espace mais ne le troublent pas, ou si elles le troublent, ne le perturbent pas ni ne bouleversent complètement l’état du cœur parce qu’elles sont naturelles.

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microcosmvs, II, 105-106

naturaliter ingerentia, totam amplitudinem eius uelud aquis implentia nec tamen turbantia, aut si turbantia non tamen perturbantia, nec statum cordis funditus euertentia quia sunt naturalia.

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〈106.〉 De demeritoriis affectionibus Demeritorie affectiones sunt uiciosi motus cordis ad aliquid inordinate uel inmoderate uolendum uel nolendum. Que et ipse sicut naturales, ex uariis ymaginibus extrinsecarum rerum memoriter retentis intus orte, ex defectu gratie uicio deformantur et in inmunda animalia ex ipsis aquis transfigurantur, non Deo creante sed uicio deformante. Sicut enim Deus creat quidem homines non peccatores, ipsi autem suo uitio ex defectu gratie fiunt peccatores, ita nimirum creat affectiones eorum naturales non uiciosas, ipse autem ex defectu gratie deformantur et in inmunda animalia transfigurantur. Ipsa sunt reptilia in hoc mari magno quorum non est numerus. Verbi gratia ut est dolor uiciosus de peccato non perpetrato in furorem hominem rapiens aliquando, gaudium uiciosum de peccato perpetrato, timor de non perpetrando, spes de perpetrando, amor adultere inmoderatus, odium caste inordinatum, pudor de non commisso scelere, gloriatio de commisso, hec et huiusmodi sunt inmunda reptilia uel etiam uolatilia ex aquis huius maris nascentia, cor humanum non numquam funditus euertentia et nunc in abyssum deprimentia, nunc in altum eleuantia. De his omnibus nunc nobis agendum non est; commemoranda tamen erant ut discerni possint ab his de quibus agendum est, id est de meritoriis. Que, quia proprie creatura Spiritus sancti sunt qui aquis his superfertur, ipsum hic Spiritum specialiter inuocamus ut dignum hic aliquid de creatura eius dicere ualeamus. Ipsi ergo clamamus dicentes: «Veni Creator Spiritus, 106, 2-3 inordinate – inmoderate] cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., vii (SC 419, p. 108, l. 12-14); De contemplatione, II, 3 (L’œuvre I, p. 158, l. 27-30) 5 inmunda animalia] cf. Guillaume de Saint-Thierry, Meditationes, X, 8 (CCCM 89, p. 59, l. 72-75); Aelred de Rievaulx, Sermo 82 (CCCM 2B, p. 335, l. 84-85) 7-8 Deus – peccatores] cf. Augustin, Enarr. in Ps., 102, 13 (CCSL 40, p. 1463, l. 19-20) 10-11 reptilia – numerus] Ps. 103, 25 21-22 aquis – superfertur] cf. Gen. 1, 2 24-27 ueni – pectora] Hymnus officii Pentecostes, str. 1 106, 5-6 ipsis aquis] aquis ipsis G 1 |ipsis aquis S 3 12 aliquando] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |aliquando S 3 16 reptilia] reptila Delhaye 21-22 qui – superfertur] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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106. Des affections déméritoires Les affections déméritoires sont les mouvements vicieux du cœur à vouloir ou ne pas vouloir quelque chose de façon désordonnée ou immodérée; lesquelles, bien que naturelles, nées à l’intérieur de diverses images de choses extérieures retenues de mémoire, sont déformées par le vice, en raison du défaut de grâce, et sont transformées en animaux impurs par ces eaux elles-mêmes, non par Dieu créant mais par le vice déformant. De même que Dieu crée, certes, les hommes non pécheurs, mais que ce sont eux qui, par leur vice dû au défaut de grâce, deviennent pécheurs, de même Il crée, bien sûr, leurs affections naturelles, non vicieuses, mais ce sont elles-mêmes qui se déforment par défaut de grâce, et sont transfigurées en animaux impurs. Ce sont eux «les reptiles innombrables dans cette vaste mer». Comme par exemple la douleur vicieuse du péché non perpétré, mettant parfois l’homme en fureur, la joie vicieuse du péché perpétré, la crainte de ne pas pouvoir le perpétrer, l’espoir de le perpétrer, l’amour immodéré de l’adultère, la haine désordonnée de la chasteté, la honte du crime non commis, la vantardise du crime commis: toutes ces affections, et d’autres semblables, sont les reptiles impurs et aussi les volatiles naissant des eaux de cette mer, qui bien souvent bouleversent profondément le cœur de l’homme, tantôt le plongeant dans l’abîme, tantôt l’élevant dans les hauteurs. De toutes ces affections nous n’avons pas à parler maintenant, mais il fallait tout de même les rappeler, afin qu’elles puissent être bien distinguées de celles dont il faut traiter, à savoir des affections méritoires. Et, parce qu’elles sont la créature propre de l’Esprit saint, qui «plane audessus des eaux», nous invoquons ici spécialement l’Esprit saint afin de pouvoir parler dignement de sa créature. C’est pourquoi nous crions vers lui en disant: «Viens, Esprit Créateur, visite l’esprit des tiens, emplis les cœurs que tu as créés de ta grâce céleste». Car c’est lui, tout spécialement, qui crée les affections méritoires disposées à vouloir le bien, chez le pécheur, ce que le Fils illumine d’abord pour connaître le bien, et le Père parachève pour faire le bien. Parce que l’Esprit saint, comme Créateur, plane en effet sur la face de ces eaux, pour les orner, voyons dans quel ordre, en planant au-dessus d’elles, il parfait leur ornement.

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microcosmvs, II, 106-107

mentes tuorum uisita, imple superna gratia que tu creasti pectora». Ipso enim meritorias affectiones ad uelle bonum proprie creat in peccatore, quod Filius prius illuminat ad scire bonum, Pater nouissime consummat ad facere bonum. Quia ergo Spiritus sanctus ut creator superfertur aquis his ut ornet eas, uideamus quo ordine in superferendo eis, hunc earum ornatum perficiat.

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〈107.〉 De meritoriis affectionibus, quomodo per Spiritum sanctum oriantur Constat quia peccatores omnes nascimur et sumus, et opus habemus penitentia ut salutem inueniamus. Hinc est quod nostre salutis opus, id est predicationem suam, Dominus inchoans a penitentia cepit dicens: Penitentiam agite, appropinquat enim regnum celorum. Et Dominus quidem qui ut lux uenerat in mundum illuminare eum per fidem ad ueritatem, promouere etiam uolebat eum per bonas affectiones ad uirtutem. Vnde ut homo hominibus foris predicabat penitentiam. Porro penitentia duplex est: interior scilicet et exterior. Ex his prior nimirum est interior quam exterior quia interior est dolor de commisso peccato, exterior satisfactio de eodem, que naturaliter sequitur priorem. Igitur ut predicatio Domini foris facta effectum haberet, necesse erat priorem precedere ut suo ordine subsequeretur secunda. Ipsa uero prior, id est dolor de commisso peccato, opus Spiritus sancti est intus in corde peccatoris, primum quendam salubrem dolorem creantis, sine quo quicquid foris agitur in uacuum laboratur. Itaque primum nostre salutis opus est dolor de commisso peccato, qui est opus Spiritus sancti

107, 3 peccatores – nascimur] cf. Rom. 5, 12; Augustin, Contra duas epist. Pelagianorum, IV, 11 (CSEL 60, p. 560, l. 9-10); De peccato originali, 41, 47 (CSEL 42, p. 205, l. 13-15); Bernard de Clairvaux, Sermones in circumcisione Domini, 3, 5 (Bern. opera, IV, p. 285, l. 20); Pierre Abélard, Commentaria in epist. Pauli ad Romanos, II, 5 (CCCM 11, p. 171, l. 594-597) 6 penitentiam – celorum] Matth. 3, 2 7 lux – illuminare] cf. Ioh. 1, 9 107, 2 oriantur] ornantur Delhaye 7 qui] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |qui S 3 7-8 lux – uirtutem] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 9 unde ut] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |unde ut S 3 11 interior est dolor] G 1 |est interior dolor S 3 ; interior est dolor S 4 15 prior] priore G 1 |prior S 3

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107. Des affections méritoires, comment elles naissent par l’Esprit saint Il est évident que nous naissons et que nous sommes tous pécheurs, et que nous avons besoin de la pénitence afin de trouver le salut. C’est pourquoi le Seigneur, entreprenant l’œuvre de notre salut, c’est-à-dire son enseignement, commence par la pénitence en disant: «Faites pénitence car le Royaume des cieux approche». Et le Seigneur qui, certes, «était venu comme une lumière dans le monde pour l’illuminer» par la foi en la vérité, voulait aussi l’inciter à la vertu par les bonnes affections. Aussi, en tant qu’homme prêchait-il aux hommes la pénitence, à l’extérieur. D’autre part, la pénitence est double: à savoir l’intérieure et l’extérieure. De ces deux, l’intérieure précède évidemment l’extérieure parce que la douleur du péché commis est intérieure, extérieure est la réparation de ce même péché, laquelle suit naturellement la première. C’est pourquoi, pour que l’enseignement du Seigneur dispensé à l’extérieur fût effectif, il était nécessaire que la première précédât pour que la seconde suive dans son ordre. La première, à savoir la douleur du péché commis, est en effet l’œuvre de l’Esprit saint à l’intérieur, suscitant tout d’abord dans le cœur du pécheur une certaine douleur salutaire, sans laquelle tout ce qui se fait à l’extérieur opère dans le vide. C’est pourquoi, la première œuvre de notre salut est la douleur du péché commis, laquelle est l’œuvre de l’Esprit saint qui la suscite, dans cet ordre, au cœur du pécheur. Avec l’aide de la mémoire il rassemble de divers lieux et rappelle même ses fautes presque oubliées, et les met toutes devant ses yeux; une fois rassemblés il les compte; une fois comptés, il les pèse. Il les rassemble, dis-je, pour lui montrer quelles sont ses fautes; il les compte pour lui en montrer le nombre; il les pèse pour lui en montrer le poids. Alors il lui ouvre les yeux pour qu’il voie ce qu’il est à présent, qu’il voie ce qu’il fut jadis.

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microcosmvs, II, 107-108

hoc ordine eum creantis in corde peccatoris. Ministrante memoria congregat de diuersis locis et quasi pene elapsa reuocat et statuit ante oculos ipsius omnia errata sua, congregata numerat, numerata ponderat. Congregat, inquam, ut ostendat ei que sont errata eius, numerat ut ostendat quot sint, ponderat ut ostendat quanta sint. Tunc aperit oculos eius ut uideat se qualis nunc est, uideat se qualis aliquando fuit.

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〈108.〉 Quomodo salubris nascatur dolor In ostendendo ei qualis nunc est, quid nisi pungitiuum ei dolorem incutiat cum nil in se quod sibi iocundum sit, uideat. Quicquid enim uidet in se, aut culpa causa pene est, aut pena effectus culpe est, aut naturalia ex utroque corrupta sunt. In culpa, causa pene, uidet originalia et actualia sua, in originalibus uidet reatum et actum quorum etsi alter, id est reatus, transiit, alter, id est actus, tamen remansit si non ad culpam uel ad penam. In actualibus autem uidet e contrario actum quidem transisse sed reatum remansisse. Hic ergo tot monstra uidet quot momenta uiuit. Monstra inquam uel culparum uel penarum: culparum in uerbis, in factis, in cogitatis propriis uel alienis, propriis ex commisso, alienis ex admisso. Penarum in afflictione spiritus, in afflictione corporis. Spiritus in ignorantia, inpotentia, maliuolentia, que omnia nonnunquam tam culpe quam pene sunt. Corporis in tot et tantis defectibus, concupiscentiis, desideriis, appetitibus carnalibus constituti, que omnia, aut peccata, aut occasiones, aut illecebre peccatorum sunt. Defectibus inquam mortalitatis, infirmitatis, necessitatis, famis, sitis, frigoris, caloris, nuditatis, egritudinis, mortis post omnia necessario corpus et animam separantis. Concupiscentiis inquam rerum concupiscibilium quas mundus aut foris oculis ceterisque sensibus ostendit pre-

108, 1 quomodo – dolor] cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, VI, xxiii, 40 (CCSL 143, p. 313, l. 12-13); cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., ix (SC 419, p. 112, l. 3-4); De contemplatione, II, 24 (L’œuvre I, p. 226, l. 7-10) 20 de – locis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 add. in marg. G 2 |errata S 3

21 errata] abest in G 1 ;

108, 2 pungitiuum] pungiturum Delhaye 3 quod] quid Delhaye 5 aut 2 – sunt] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 7 id – reatus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 id – actus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 9 quidem] G 1 (?)|quidem S 3 8-9 autem – ergo] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 15 desideriis] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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108. Comment naît la douleur salutaire En lui montrant ce qu’il est à présent, que suscite-t-il en lui, sinon une douleur qui le tourmente puisqu’il ne voit rien en lui qui le réjouisse. Car tout ce qu’il voit en lui est soit la faute cause de la peine, soit la peine effet de la faute, soit les dons naturels corrompus par l’une et par l’autre. Dans la faute, cause de la peine, il voit ses facultés originelles et actuelles: dans les originelles il voit la culpabilité et l’acte, dont si l’une, à savoir la culpabilité, est un état passé, l’autre, à savoir l’acte, demeure, sinon quant à la faute, du moins quant à la peine. Dans les facultés actuelles, il voit au contraire que l’acte est passé mais que la culpabilité est restée. Ainsi il voit autant de monstres qu’il vit d’instants. Les monstres, dis-je, soit des fautes soit des peines, monstres des fautes en paroles, en actions, en pensées, les siennes ou celles des autres, les siennes pour les avoir commises, celles des autres pour les avoir admises. Monstres des peines dans l’affliction de l’esprit, dans l’affliction du corps: de l’esprit, dans l’ignorance, l’impuissance, la malveillance, qui toutes sont souvent aussi bien des fautes que des peines; du corps, établi en tant et de si graves défaillances, concupiscences, désirs, appétits charnels, qui sont tous soit des péchés, soit des occasions ou des tentations de pécher. Défaillances, dis-je, de la mortalité, de la faiblesse, de la nécessité, de la faim, de la soif, du froid, de la chaleur, de la nudité, de la maladie, de la mort qui, enfin, sépare inévitablement le corps et l’âme. Concupiscences, dis-je, des choses enviables que le monde, soit présente réellement à l’extérieur aux yeux et aux autres sens, soit introduit virtuellement à l’intérieur, dans l’imagination; aux yeux, aimables à voir; aux oreilles, délectables à entendre; aux mains, suaves à toucher; au palais, douces à goûter; aux narines, agréables à sentir. Toutes ces choses, même si elles ne sont pas présentes à l’extérieur, aux sens, sont absorbées dans l’imagination par la multitude des pensées. Que dire des désirs et appétits charnels dans le fait de coucher ensemble, jouer, manger, boire, dormir, veiller, se tenir assis, debout, se promener, se reposer, et beaucoup d’autres choses semblables, que l’on fait non par obligation mais à plaisir? En toutes ces choses, qui peut ignorer combien forts sont non seulement les occasions et les tentations, mais aussi les liens et les lacs inextricables et embrouillés des péchés, dont, lorsqu’ils sont montrés, par la grâce de l’Esprit saint, au pécheur déjà illuminé par la foi, afin que dans la nuit de cette vie misérable il puisse entrevoir ce qu’il est présentement, ses os sont transpercés de douleurs, de sorte que, les vers de sa conscience dévorant ses moelles, il puisse dire

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sentes, aut intus ymaginationi ingerit absentes. Oculis amabilia uisui, auribus delectabilia auditui, manibus suauia tactui, palato dulcia gustui, naribus iocunda olfactui. Que omnia, etiam si foris sensibus absunt, intus per cogitationum turbam ingeruntur ymaginationi. Quid dicam de desideriis et appetitibus carnalibus concumbendi, ludendi, edendi, bibendi, dormiendi, uigilandi, sedendi, standi, ambulandi, quiescendi et alia multa his similia non ad debitum sed ad libitum faciendi? In quibus omnibus quis ignorat quante sint non solum occasiones aut illecebre uerum etiam inextricabiles et perplexi funes et laquei peccatorum, que dum per gratiam sancti Spiritus ostenduntur peccatori iam per fidem illuminato ut in nocte huius misere uite se aliquatenus uideat qualis nunc est, nimirum ossa eius perforantur doloribus, ita ut uermibus conscientie medullas eius consumentibus dicere possit cum Iob: Nocte os meum perforatur doloribus et qui me comedunt non dormiunt, a facie eorum consumitur uestimentum meum; comparatus sum luto et assimilatus sum fauille et cineri.

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〈109.〉 Quomodo crescat salubris dolor In ostendendo ei qualis aliquando fuit, quid nisi pungiturum ei dolorem multipliciter augeatur? Nam sicut in inspiciendo se qualis nunc est mala sua presentia uidet, sic in inspiciendo se qualis aliquando fuit bona sua perdita, quedam etiam irrecuperabiliter, uidet. De eo namque peccatore loquor qui iam illuminatus per fidem credit a quo initium habuit, ad quod medium deuenit, ad quem finem deuenturus sit. Inspiciens ergo qualis aliquando fuit, uidet se a bono creatore bonum creatum esse, a sapiente sapientem, a potente potentem. Videt ergo se factum ad ymaginem et similitudinem Dei, uidet se per potentiam constitutum super opera manuum Dei, per sapientiam aptum frui uisione Dei, per bonitatem etiam unitum persone Dei. Quid his maius potuit creature conferri? Sed his omnibus tam magnis beneficiis dum se uidet 34-36 nocte – cineri] Iob 30, 17-19 109, 10 ad – Dei] Gen. 1, 26 25 dicam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |dicam S 3 30 sancti spiritus] G 1 |spiritus sancti S 3 31 aliquatenus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |aliquatenus S 3 34 doloribus] iter. G 1 ; semel del. G 2 |doloribus S 3 109, 7 deuenit] deuenerit G 1 |deuenit S 3 8 uidet] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 (?) 10-11 se 2 – Dei] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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avec Job: «La nuit, mes os sont transpercés de douleurs, et ceux qui me rongent ne dorment pas. Par leur torche mon vêtement se consume, j’ai été traité comme de la boue et suis devenu comme poussière et cendre».

109. Comment croît la douleur salutaire En lui montrant ce qu’il fut jadis, qu’en sera-t-il, sinon que s’aggravera fortement la douleur qui le tourmentera? Car de même qu’en examinant ce qu’il est aujourd’hui il voit ses maux présents, de même en examinant ce qu’il fut jadis il voit les biens qu’il a perdus, certains même irrémédiablement. Et je parle en effet de ce pécheur qui, déjà illuminé par la foi, sait de qui il tient son origine, à quel point il en est arrivé, à quelle fin il parviendra. Ainsi, en examinant ce qu’il fut jadis, il voit qu’il a été créé bon par un Créateur bon, sage par un Créateur sage, puissant par un Créateur puissant. Il voit donc qu’il a été fait à l’image et ressemblance de Dieu, il voit que par la puissance il a été établi au-dessus des œuvres des mains de Dieu, par la sagesse, apte à jouir de la vision de Dieu, par la bonté, uni aussi à la personne de Dieu. Qu’aurait-il pu offrir de plus à la Créature? Mais en se voyant privé, par sa faute, de ces si grands bienfaits, et voué aux fautes et aux peines que nous avons rappelées plus haut, qui peut mesurer la douleur qui le torture, non seulement parce qu’il découvre ces maux mais aussi et surtout parce qu’il a perdu ces si grands biens? De sorte qu’il peut gémir avec Job en une plainte douloureuse, en disant: «Que soit effacé le jour de ma naissance, et la nuit où il a été dit: un homme a été conçu». Car voyant qu’il fut conçu un jour et né un autre jour, dans la violente douleur de ce jour perdu où il a été conçu, il maudit le jour où il est né. Là, en effet, aucune nuit de la conception ne précède le jour de la naissance, tandis qu’ici la nuit mal-

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culpa sua priuatum et in eas quas supra memorauimus culpas et penas deuolutum, quis pensare potest quo dolore crucietur non solum quia hec mala inuenit, uerum etiam multo magis quia illa tanta bona perdidit? Ita ut cum Iob doloroso planctu plangere possit dicens: Pereat dies in qua natus sum et nox in qua dictum est: conceptus est homo. Videns enim se in alio die conditum et in alio natum, uehementi dolore amissi diei in quo conditus est maledicit diei quo natus est. Ibi enim nulla nox conceptionis preuenit diem natiuitatis, hic autem infelix nox conceptionis preuenit infeliciorem diem natiuitatis. Quia enim homo ex creatione nulli culpe, nulli pene obnoxius fuit – Deus enim non in ira sed in bonitate sua eum bonum, sapientem, potentem creauit – nulla nox eius creationem precessit, ne pena culpam precederet, sed in luce diuine cognitionis creatus ad eternam creatoris sui uisionem preparatus fuit. Peccans autem in mentis cecitatem quasi in uentrem nature corrupte a luce iusticie excussus est, ibique male coalescens ut dicit beatus Gregorius super hunc locum, quasi in uitam peccati conceptus est, sed deterius natus est in die, id est in falsa spe adipiscende diuinitatis, cum diceretur ei a serpente: Eritis sicut dii, quando de uentre male cogitationis in lucem, id est in manifestationem pessime operationis egressus est, qui prius in luce iusticie et cognitionis diuine conditus fuerat.

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〈110.〉 Quis sit effectus salubris doloris in corde peccatoris Vides nunc, ut arbitror, qualiter quidam salubris dolor in corde peccatoris nascitur uelud quoddam natatile et mundum animal in aquis et ex aquis, operante Spiritu sancto, dum ymaginationi eius anteponit seipsum qualis nunc est uel qualis aliquando fuit, presentes scilicet calamitates in quibus nunc uersatur ei ostendens et preterita gaudia amissa ad 17-18 pereat – homo] Iob 3, 3 20-22 maledicit – natiuitatis] cf. Rupert de Deutz, De operibus Spiritus sancti, II (CCCM 24, p. 1866, l. 171-172) 28-29 ibique – Gregorius] Grégoire le Grand, Moralia in Iob, IV, xii, 22 (CCSL 143, p. 178, l. 7-8) 29-30 in – conceptus] cf. Augustin, Contra litteras Petiliani, II, ci, 232 (CSEL 52, p. 147, l. 27-28) 31 eritis – dii] Gen. 3, 5 110, 7-8 lupus – deuorat] cf. Isidore, Etymologiae, XII, 6 (PL 82, 453B) 25-26 ne – precederet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 cens] G 1 |malesdens S 3 ; coalescens S 4 110, 3 quoddam] quiddam Delhaye ritu S 3

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4 Spiritu] Spiritus G 1 ; Spiritu G 2 | Spi-

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heureuse de la conception précède le jour, plus malheureux encore, de la naissance. Parce que l’homme ne fut assujetti de par sa création à aucune faute, à aucune peine – car Dieu, non dans la colère mais dans sa bonté, le créa bon, sage, puissant – aucune nuit ne précéda sa création, afin que la peine ne précède pas la faute, mais créé dans la lumière de la connaissance divine il avait été préparé à la vision éternelle de son Créateur. Mais en commettant le péché dans l’aveuglement de son esprit comme dans le ventre de sa nature corrompue, il a été arraché à la lumière de justice, et là, «se développant mal», comme le dit saint Grégoire à ce sujet, il a été pour ainsi dire conçu dans la vie du péché, mais pire encore, il est né le jour, c’est-à-dire dans la fausse espérance d’atteindre à la divinité, alors qu’il lui était dit par le serpent: «Vous serez comme des dieux», quand, du ventre de la mauvaise pensée, il sortit à la lumière, c’est-à-dire à la manifestation de la plus mauvaise opération, lui qui auparavant avait été créé dans la lumière de la justice et de la connaissance divine.

110. Quel est l’effet salutaire de la douleur dans le cœur du pécheur Tu vois maintenant, je pense, comment une douleur salutaire naît dans le cœur du pécheur, à la manière d’un animal marin et pur né des eaux et dans les eaux, quand par l’opération de l’Esprit saint il se met face à son imagination, tel qu’il est à présent ou qu’il fut jadis, c’est-à-dire lui montrant les calamités présentes dans lesquelles il se trouve maintenant et rappelant à sa mémoire les joies passées qu’il a perdues, dans lesquelles, tandis qu’il nage çà et là, tel un loup marin, l’animal pur dévore assurément les animaux immondes: entendons que l’affection pure et méritoire dévaste les affections impures et déméritoires, parce que le pécheur, en déplorant salutairement les maux commis, efface en lui-même, salutairement, les maux commis. Cet animal se nourrit aussi dans les eaux, tandis qu’aux anciennes calamités s’en ajoutent sans cesse de nouvelles, selon la volonté de Dieu, et ainsi le pécheur s’applique assidûment à vouloir le bien, et par là, à la vertu. C’est de cette façon que se nourrissait la douleur de Job, progressant sans cesse tandis qu’aux anciennes calamités s’ajoutaient les nouvelles, tandis qu’à la perte de sa chère descendance s’ajoutaient la dérision de sa stupide épouse et les opprobres que lui je-

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memoriam reducens, in quibus dum quasi lupus aquaticus huc et illuc pernatat, nimirum mundum animal inmunda animalia deuorat, id est munda et meritoria affectio inmundas et demeritorias affectiones uastat, quia peccator, dum de commissis malis salubriter dolet, commissa mala salubriter in se ipso delet. Nutritur etiam hoc animal in aquis, dum ueteribus calamitatibus noue semper nutu adiciuntur Dei, et sic peccator ad uelle bonum ac per hoc ad uirtutem iugiter exercetur. Hoc modo nutriebatur dolor Iob ad maiora semper proficiens, dum ueteribus calamitatibus noue adiciebantur, dum amissioni dilecte sobolis addebatur irrisio stulte uxoris et illi obprobria illata ab amicis, ut multiplicatis dolendi causis multiplicarentur et merita dolentis, non quod Iob iustus hec meruisset sed ut peccatori talia merenti exemplo esset, ne inter flagella que mererentur deficeret, dum iustum inter flagella que non mereretur proficere uideret.

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〈111.〉 Quomodo creatur salubris metus in corde peccatoris Sic creato et nutrito primum salubri dolore in corde peccatoris opere Spiritus sancti, rursum Spiritus sanctus aperit oculos eius ut uideat se qualis futurus sit, hic nimirum inter spem et metum eum ponit, creans in eo salubrem metum et salubrem spem. Metum si de malis in quibus uersatur exire non sategerit, spem si sategerit. Anteponit enim oculis eius mala et bona futura, penas scilicet impiorum et premia piorum, et utraque incomparabilia presentibus malis uel bonis, non solum quia interminabilia erunt, uerum etiam quia mirabilia erunt, qualia scilicet nec oculus uidit, nec auris audiuit, nec in cor hominis ascenderunt que preparauit Deus utrisque. His itaque sibi antepositis peccator uel adfutura mala impiorum uel adfutura bona piorum inspicienda se conuertit. Si ad mala futura conuertitur, quid putas salubris metus ei incutitur dum diem iudicii futu111, 5 salubrem metum – spem] cf. Isidore, In Deuteronomium, X, 2 (PL 83, 363A); Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXXIII, xii, 24 (CCSL 143B, p. 1694, l. 81-82); Rupert de Deutz, De sancta Trinitate, In Deuteron., I (CCCM 22, p. 1050, l. 1395-1400) 10-11 nec – Deus] I Cor. 2, 9 8 deuorat] G 1 |deuorate S 3 ; deuorat S 4 peccator S 3

10 peccator] abest in 11; add. sup. l. G 2 |

111, 10 audiuit] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |audiuit S 3 12 adfutura] ad futura G 1 |adfutura S 3 15 dextram] dexteram G 1 |dextram S 3

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taient ses amis: ainsi les raisons de se plaindre allant se multipliant, se multiplient aussi les mérites du plaignant, non pas que Job, le juste, eût mérité tout cela mais pour qu’il fût un exemple pour le pécheur qui mérite de telles choses. De la sorte il ne défaillira pas sous les coups qu’il mérite, en voyant le juste progresser sous les coups qu’il ne mérite pas.

111. Comment se crée une crainte salutaire dans le cœur du pécheur Après que s’est tout d’abord créée et nourrie par l’opération de l’Esprit saint une douleur salutaire dans le cœur du pécheur, l’Esprit saint lui ouvre alors les yeux pour qu’il voie ce qu’il sera. Ici il le place assurément entre espérance et crainte, suscitant en lui une crainte salutaire et une espérance salutaire: crainte, s’il ne s’efforce pas de sortir des maux dans lesquels il vit, espérance, s’il s’y efforce. Il place devant ses yeux les maux et les biens futurs, à savoir les peines pour les impies et les récompenses pour les justes, sans commune mesure avec les maux et les biens présents, non seulement parce qu’ils seront sans fin, mais aussi parce qu’ils seront extraordinaires, tels que «l’œil n’a pas vu, l’oreille n’a pas entendu, qui ne sont pas montés au cœur de l’homme et que Dieu a préparés» pour les uns et les autres. C’est pourquoi, ayant ces choses devant les yeux, le pécheur se met à examiner soit les maux à venir pour les impies soit les biens à venir pour les justes. S’il se tourne vers les maux futurs, que penses-tu que la crainte salutaire lui inspire, quand il imagine le jour du jugement à venir, où les impies seront placés à gauche, mais les justes à droite du juge infaillible, quand les impies, leur propre conscience les accusant, entendront bientôt, sans débat sur leur cause, l’immuable sentence judiciaire: «Allezvous-en, maudits, dans le feu éternel». Et là, quel sera assurément le feu à venir, «l’œil ne l’a pas vu, l’oreille ne l’a pas entendu, il n’est pas monté au cœur de l’homme». Cependant, ce dont le Prophète de la Vérité ou la Vérité même témoignent à son sujet, il est nécessaire que le pécheur

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rum ymaginatur, in quo impii ad sinistram pii uero ad dextram iudicis infallibilis statuentur, quando impii, accusante se conscientia sua, mox absque discussione cause sue audient sententiam iudiciariam indeclinabilem: Ite maledicti in ignem eternum. Et hic quidem ignis qualis futurus sit, nec oculus uidit, nec auris audiuit, nec in cor hominis ascendit. Verumtamen id quod Veritatis propheta uel ipsa Veritas de eo testantur, necesse est peccatorem ymaginari. Ait enim ueritatis propheta de hoc igne et conscientia peccantis iam infernaliter dampnati: Ignis eorum non extinguetur et uermis non morietur. Veritas autem sic: Ibi erit fletus et stridor dentium: quorum altero pene protensio, altero intensio designatur, utraque tam horribilis ut, si fieri posset, peccator solo metu ymaginationis huiusmodi consumi deberet.

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〈112.〉 Quis sit effectus salubris metus in corde peccatoris Natus itaque ex huiusmodi ymaginatione salubris metus uelud mundum animal in aquis et ex aquis, profunda harum aquarum pernatans, uideamus quid inueniat. Hinc inuenit peccata sua se prementia et accusantia, inde terrentem iusticiam, subtus patens horridum chaos inferni, desuper iratum iudicem, intus urentem conscientiam, foris ardentem mundum, iustum uix salutari, angelos contremiscere, uirtutes celorum moueri, se in peccatis suis deprehendi. Quid ergo faciet? In quam partem se premet? Deprehensus ubi latebit? Quomodo parebit? Latere erit impossibile, apparere intolerabile. Illud desiderabile et nusquam erit, illud execrabile et ubique erit. Quid ergo tunc, quid tunc erit? Quis tunc eruet de manibus Dei deprehensum miserum? Et hec quidem ante conspectum summi iudicis statutus ymaginando quasi piscis in aquis natando inuenit. Inmersus autem in profundum aquarum istarum, post 18 ite – eternum] Matth. 25, 41 19 nec – ascendit] I Cor. 2, 9 morietur] Is. 66, 24 23-24 ibi – dentium] Matth. 8, 12

22-23 ignis –

112, 5-6 inde – conscientiam] Anselme, Orationes, meditatio, 1 (Schmitt, II, iii, p. 78-79, l. 72-74) 5 patens – chaos] cf. Luc. 16, 26 7 iustum – salutari] I Petr. 4, 18 angelos – contremiscere] cf. Iob 9, 6 et 26, 11 7-8 uirtutes – moueri] Matth. 24, 29; Marc. 13, 25; Luc. 21, 26; cf. Augustin, Epistula 199, xi, 39 (CSEL 57, p. 278, l. 11-17); Grégoire le Grand, Homiliae in evang., I, i, 2 (CCSL 141, p. 6-7, l. 32-34) 17 indeclinabilem] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |indeclinabilem S 3 22 et – dampnati] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 23 morietur] morientur G 1 ; morietur G 2 |morietur S 3 26 deberet] IIII G 1 ; add. in marg. G 2 |deberet S 3

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l’imagine. Le Prophète de la Vérité dit en effet au sujet de ce feu et de la conscience du pécheur déjà condamné à l’enfer: «Leur feu ne s’éteindra pas et le ver ne mourra pas». Et la Vérité dit ceci: «Là il y aura des pleurs et des grincements de dents»; dans un cas, c’est l’avertissement qui est signifié, dans l’autre c’est la menace: l’un et l’autre si horribles que, s’il était possible, le pécheur devrait être consumé par la seule crainte de cette perspective.

112. Quel est l’effet salutaire de la crainte dans le cœur du pécheur Une crainte salutaire, née ainsi de cette imagination, est tel un animal pur dans les eaux et émané des eaux, nageant dans les profondeurs de ces eaux. Voyons ce qu’il rencontre. Ici il rencontre ses péchés qui l’oppriment et l’accusent; là une terrifiante justice; gisant au-dessous, l’horrible chaos de l’enfer; au-dessus, le juge courroucé; à l’intérieur, la conscience qui consume; à l’extérieur, le monde qui brûle, «le juste qui est à peine sauvé, les anges qui tremblent, les puissances des cieux qui s’ébranlent», et lui, surpris dans ses péchés. Que faire? De quel côté se blottir? Une fois surpris, où se cacher? Comment apparaître? Se cacher sera impossible, se montrer, intolérable. Ce qui est désirable ne se trouvera nulle part, ce qui est exécrable, partout. Alors quoi, qu’est-ce qui se passera? Qui arrachera alors des mains de Dieu le misérable surpris? Voilà ce qu’il trouve, placé par l’imagination face au juge suprême, comme un poisson nageant dans les eaux. Plongé dans les profondeurs de ces eaux, après le jugement il voit encore devant lui l’horrible chaos de l’enfer, «la terre ténébreuse et recouverte de l’obscurité de la mort, où ne réside aucun ordre mais l’horreur perpétuelle»; il voit aussi des feux sulfureux développant des volutes ténébreuses de flammes infernales, des vers vivant dans le feu, avides de ronger, le feu qui ne peut s’éteindre, ni les vers mourir. Des démons horribles à voir, fumant de chaleur, tremblant de fureur, s’acharnant cruellement sur ceux qui sont plongés dans les peines et sont emportés de-ci, de-là sans pouvoir être apaisés d’aucune manière, par aucun remède, par aucun arrêt: homicides, adultères, fornicateurs, contempteurs résolus de Dieu. Au milieu de tout cela, il entend assurément aussi les voix confuses des hurlements, le tumulte des

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iudicium uidet adhuc patens horridum chaos inferni, terram tenebrosam et opertam mortis caligine, ubi nullus ordo sed sempiternus horror inhabitans; uidet et ignes sulfureos rotari caliginosa flammarum tartarearum uolumina, uermes in igne uiuentes ad rodendum auidos, nec ignem posse extingui, nec uermes mori. Demones aspectu horribiles, fumantes ardore, frementes furore, crudeliter insistentes hiis qui uolutantur in penis et rapiuntur in alias ab aliis, nullo modo, nullo remedio, nullo fine temperandis, homicidis, adulteris, fornicatoribus, contemptoribus Dei paratis. Inter hec nimirum audit et confusas uoces ululatuum, tumultus dentibus stridentium, inordinatas multitudines gementium «ue» «ue» et totue lacrimose iterantium suspiria mori uolentium nec ualentium, planctus, plausus se ipsos odientium. Quid plura? Hec et his similia infinita salubris timor per Spiritum sanctum creatus in corde talia ymaginantis inuenit et peccatorem ad uelle bonum mire afficit.

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〈113.〉 Quomodo salubris spes nascitur in corde puro Porro si ad bona futura inspicienda conuertitur, quid putas salubris spei concipit, dum in illum diem iudicii aciem mentis dirigens ad dexteram summi iudicis ymaginatur statuta piorum agmina gratulantia, si tamen eis se conformare satagerit ut in eis numerari dignus sit, ita ut cum eis audire possit illam iocundam et beatam sententiam: Venite benedicti Patris mei, percipite regnum quod uobis paratum est ab origine mundi? Et hoc quidem quale futurum sit regnum nec oculus uidit, nec auris audiuit, nec in cor hominis ascendit, ideoque de eo iuxta ymagines sompniorum nichil ymaginari licet ad falsam spem excitandam in nobis; ueruntamen iuxta regulam ueritatis multa hic ymaginari potest spes, opere Spiritus sancti ex aquis his uelud animal mundum creata, quibus ad uelle bonum nutriatur. Siquidem ueritas in Euangelio discipulos diuersis in suos do15-16 terram – caligine] Iob 10, 21

24-25 «ue» «ue»] cf. Apoc. 8, 13

113, 1 quomodo – nascitur] cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., x (SC 419, p. 116, l. 13 sq.) 6-7 uenite – mundi] Matth. 25, 34 8-9 nec – ascendit] I Cor. 2, 9 112, 15 adhuc] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |adhuc S 3 23 ululatuum] ulutatuum Delhaye 24 «ue» «ue»] neue Delhaye 25 iterantium] G 1 | S 3 ; interiantium Delhaye 113, 3 in – dirigens] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 tram G 1 |dexteram S 3

dexteram] dex-

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grincements de dents, les foules désordonnées de ceux qui gémissent «malheur!» «malheur!», les soupirs incessants et lamentables de ceux qui agonisent, désirant mourir mais ne le pouvant pas, les pleurs, les coups de ceux qui se haïssent eux-mêmes. Que dire de plus? C’est cela, et bien d’autres choses semblables, que trouve la crainte salutaire créée par l’Esprit saint dans le cœur de celui qui les imagine, et qui dispose merveilleusement le pécheur à vouloir le bien.

113. Comment une espérance salutaire naît dans un cœur pur En outre, s’il se consacre à l’examen des biens futurs, quel genre d’espérance salutaire penses-tu qu’il conçoive, tandis que, dirigeant la pointe de son esprit vers le jour du Jugement, il imagine les armées des justes établis à la droite du juge suprême en lui rendant grâces, il se demande s’il s’efforcerait de se conformer à eux afin de mériter d’être compté parmi eux, de sorte qu’il puisse entendre avec eux cette heureuse et bienheureuse sentence: Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès le commencement du monde. Et ce que sera le royaume, l’œil ne l’a pas vu, ni l’oreille ne l’a entendu, et ce n’est pas monté au cœur de l’homme. C’est pourquoi on ne peut rien imaginer de lui, d’après les images des songes, pour faire naître en nous une fausse espérance. Cependant, en suivant la règle de la vérité, l’espérance peut ici imaginer beaucoup de choses, étant engendrée par l’œuvre de l’Esprit saint, tel un animal pur, de ces eaux dont elle est nourrie à vouloir le bien. Ainsi la Vérité, en enseignant ses disciples dans l’Évangile, et les invitant à l’espérance de ce royaume, chacun en reçoit des promesses en quelque sorte différentes dans ce royaume, quand elle dit: Heureux les pauvres en esprit car le royaume des cieux est à eux, etc.; énumérant sept béatitudes différentes, la huitième et dernière revenant à la première, et dans lesquelles, lorsque l’espérance des fidèles donne libre cours à l’imagination, chacun trouve la récompense qui lui convient, chacune différente de l’autre dans l’unique royaume des cieux, à savoir: le pauvre, les richesses; le doux, la possession de la terre; celui qui pleure, la consolation; l’af-

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cens et ad huius regni spem inuitans hoc regno quasi diuersa promittit, dicens: Beati pauperes spiritu quoniam ipsorum est regnum celorum etc., enumerans septem beatitudines diuersas, octaua tandem redeunte ad primam, que omnia dum ymaginando perambulat spes fidelium, inuenit unusquisque quod sibi conueniat diuersum ab alio premium in uno regno celorum, uidelicet pauper diuicias, mitis possessionem terre, lugens consolationem, esuriens sacietatem, misericors misericordiam, mundus corde Dei uisionem, pacificus filii Dei appelationem, persecutionem paciens regni adeptionem, in quibus omnibus, dum in uno regno celorum diuersis diuersa promittuntur, singuli sibi conuenientia premia non absurde ymaginari possunt, quamuis tamen hec omnia unum sint.

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〈114.〉 Quomodo liceat spei ymaginari de futuris bonis Sic et beatus Iohannes apostolus et euangelista, secretorum celestium conscius, multa de hoc regno celi per ymagines mirabiliter depingens et spei fidelium formam dans similia faciendi, in apocalipsi sua ita de hoc regno inter alia pinxit dicens: Vidi turbam magnam quam dinumerare nemo poterat ex omnibus gentibus et tribubus et populis et linguis stantes ante tronum et in conspectu agni amicti stolis albis et palme in manibus eorum. Et clamabant uoce magna dicentes: ‘Salus Deo nostro qui sedet super tronum et agno’. In quibus uerbis statum illum superne ciuitatis futurum post iudicium nobis depingi per ymagines omnibus ea recte intelligentibus constat. Siquidem octo illius beate ciuitatis et regni celorum post iudicium propria in his uerbis nobis sub ymaginibus uelat, que nos diligenti lectori nunc ad alia festinantes indaganda relinquimus, aut si mauult ope nostra ad eorum noticiam peruenire, querat libellum sermonum nostrorum et in eo nouissimum sermonem qui est de sollempnitate omnium sanctorum hoc ipsum thema in initio sui habentem

15 beati – celorum] Matth. 5, 3 16 enumerans – beatitudines] cf. Hugues de Saint-Victor, De quinque septenis (PL 175, 405D) 114, 5-9 uidi – agno] Apoc. 7, 9-10 17 perambulat] perambulabat Delhaye 18 quod] quid Delhaye 21 pacificus] pacificius Delhaye 24-25 quamuis – sint] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 114, 16 hoc – habentem] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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famé, la satiété; le pacifique, le nom de fils de Dieu; celui qui est persécuté, la possession du royaume. En tout cela, tandis que dans un seul royaume des récompenses différentes sont promises aux uns et aux autres, chacun peut raisonnablement imaginer les récompenses qui lui conviennent en propre, bien que toutes n’en fassent qu’une.

114. Comment il est permis à l’espérance d’imaginer les biens futurs Saint Jean, apôtre et évangéliste, instruit des secrets célestes, qui décrivit merveilleusement, par images, beaucoup de choses sur ce royaume des cieux et qui donna à l’espérance des fidèles le modèle pour faire de même, décrivit en particulier ceci, dans son Apocalypse, au sujet de ce royaume: «Je vis une grande multitude que personne ne pouvait compter, de toutes nations et tribus, et peuples, et langues, se tenant devant le trône et face à l’agneau, vêtus de longues robes blanches et tenant des palmes dans leurs mains. Et ils criaient à haute voix en disant: ‘Salut à notre Dieu qui est assis sur le trône et à l’Agneau’». Par ces mots il est évident que c’est le statut futur de la Cité céleste après le jugement qui nous est décrit en images, dont tous comprennent la véritable signification, puisqu’il nous cache par ces mots et sous des images les huit propriétés de cette sainte cité et du royaume des cieux après le jugement: ce que nous laissons à approfondir au lecteur attentif pour passer à d’autres questions. Mais s’il préfère savoir ce que nous en disons, qu’il se reporte au recueil de nos sermons et qu’il en lise le dernier, à savoir celui pour la fête de tous les saints, qui traite, au début, de ce sujet, et il trouvera assurément bien des nourritures salutaires pour notre espérance, adaptées à la mesure de notre intelligence sans images, et concernant spécialement le bienheureux statut du royaume des cieux.

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legat, et nimirum inueniet multa spei nostre salubria nutrimenta pro modulo nostre intelligentie remotis ymaginibus conuenientia ad illum beatum regni celorum statum proprie pertinentia. 〈115.〉 De odio bono et amore bono His affectionibus bonis, opere Spiritus sancti creatis in corde peccatoris talia ymaginantis, quasi quibusdam mundis et esibilibus animalibus in aquis, mirum est si non iam incipit odire mala in quibus se esse dolet aut in quibus se futurum, si non sibi cauerit, timet; amare etiam et desiderare bona in quibus se futurum, si eis querendis intenderit, sperat. Consequenter ergo, forsitan non tempore sed causa, nascuntur in eo bonum odium mali et bonus amor boni, due scilicet mirabiles affectiones ad uelle bonum efficacissime, uelud duo cete grandia omne illud ymaginationis mare perambulantia et quid in eo mundum uel inmundum inueniant diligenter inuestigantia, altero quelibet inmunda omni nisu persequente et uastante, altero quelibet munda conseruante et fouente. Quod quis dubitet ad ornatum aquarum, de quo nunc agimus, pertinere?

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〈116.〉 Prius agit de odio, rationem reddens quare prius de eo De his igitur duabus affectionibus, quasi quibusdam cetis grandibus ymaginationis nostre mare ornantibus, aliqua hic dicturi, in ordine tractatus nostri odium amori premittendum duximus ut, sicut prius insunt nobis mala quam bona, ita precedant destructiua mali, sequantur constructiua boni. Hunc etenim ordinem etiam propheta didicit a Domino dicente sibi: Vt euellas et destruas et disperdas et dissipes et edifices et plantes: quatuor destructiuis mali premissis et duobus constructiuis

115, 7-8 nascuntur – boni] cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., xl (SC 419, p. 206, l. 5-6) 116, 7-8 ut – plantes] Ier. 1, 10 17 inueniet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |inueniet S 3 115, 10 perambulantia] G 1 |perambulantiam S 3 ; perambulantia S 4 116, 2 cetis] conieci; cete G 1 | S 3 Delhaye 5 sequantur] abest in G 1 ; add. 7 disperdas] G 1 |disperdis S 3 ; disperdas S 4 sup. l. G 2 |sequantur S 3 dissipes] G 1 |disperdes S 3 ; dissipes S 4

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115. De la bonne haine et du bon amour Grâce à ces bonnes affections, créées, telles des animaux purs qu’il est permis de consommer et vivant dans les eaux, par l’opération de l’Esprit saint dans le cœur du pécheur qui imagine de telles choses, il serait étonnant qu’il ne commence pas alors à haïr les maux dans lesquels il se plaint de se trouver, ou dans lesquels il craint de se trouver s’il n’y prend pas garde, qu’il ne commence pas aussi à aimer et désirer les biens dans lesquels il espère se trouver un jour, s’il s’attache à les rechercher. Par conséquent, ce n’est peut-être pas par l’effet du temps mais de la cause que naissent en lui une haine bonne du mal et un amour bon du bien, deux affections merveilleuses, très efficaces pour vouloir le bien, comme deux grandes baleines parcourant toute cette mer de l’imagination et recherchant avec application tout ce qu’elles peuvent trouver de pur ou d’impur, l’une poursuivant et dévastant de toutes ses forces tout ce qui est impur, l’autre conservant et préservant tout ce qui est pur. Qui pourrait douter que cela appartienne à l’ornement des eaux, dont nous parlons maintenant. 116. Il traite tout d’abord de la haine, en donnant la raison de cette priorité Or, comme nous aurons à parler ici quelque peu de ces deux affections, telles de grandes baleines ornant la mer de notre imagination, nous avons jugé bon, dans l’ordre de notre traité, de placer la haine avant l’amour afin que, de même que les maux existent en nous avant les biens, de même ce qui est destructeur du mal précède et ce qui est constructeur du bien suive. Or cet ordre, le Prophète lui-même l’a appris du Seigneur qui lui dit: «Afin que tu renverses et détruises, que tu anéantisses et dissipes, que tu édifies et plantes»: quatre actes destructeurs du mal placés en tête, et deux constructeurs du bien ajoutés ensuite. Ce dont on pourrait s’étonner: comment cela se fait alors que ces actes semblent devoir plutôt s’opposer les uns aux autres pour la restauration du bien malheureusement détruit. Mais le Seigneur, en instituant Jérémie prophète encore novice, usa d’un genre léger d’enseignement en l’instruisant de certains maux qui existent chez le pécheur, non pas en les classant par genre mais en lui en énumérant certains en particulier, afin que, poussé peu à peu vers de plus grands, il lui en fasse connaître beaucoup à partir d’un petit nombre. Nombreux sont en effet les maux qui pénètrent le pécheur: les uns plantés sur une mauvaise racine et bons à être arrachés,

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boni subiunctis. Quod forsitan aliquis mirari potest cur factum sit, cum singulis singula potius opponenda uiderentur ad reformationem boni male destructi. Sed Dominus Iheremiam nouitium adhuc prophetam instituens leui quodam genere docendi usus est, quedam mala que peccatoribus insunt non per diuisionem specierum sed per enumerationem singulorum quorundam ei insinuans, ut sic paulatim promotus ad maiora ex paucis multa communiceret. Multa etenim sunt peccatoribus mala insita, alia mala radicatione radicata et digna euelli, alia mala fundatione fundata uel edificatione edificata et digna destrui, alia mala congregatione congregata et digna disperdi, alia mala municione munita et digna dissipari, alia male uiuentia et digna mortificari, alia male durantia et digna consumi, alia male stantia et digna deici, alia male uigentia et digna debilitari, et alia et alia multa his similia. Que omnia Dominus prophete conuenienter poterat enumerasse sed enumeratis paucis multa uoluit intelligi. Vnde nec quatuor malis enumeratis pari oppositione quatuor bona opposuit, cum et hoc posuisset, quia sicut sunt mala alia euellenda, alia destruenda, alia disperdenda, alia dissipanda, sic nimirum sunt bona, alia plantanda, alia edificanda, alia congreganda, alia munienda que prophete quem docuit intelligenda reliquit. Precedentibus ergo destructiuis mali, ut dictum est, prius sunt in nobis precedentia mala uastanda ut locum possint habere bona. Neque enim simul esse possunt in eodem. Vastantur autem mala precipue per detestationem mali quod nos bonum odium uocamus: nemo enim perfecte in se persequitur malum nisi detestetur illud.

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〈117.〉 Antipofora, id est responsio ad tacitam obiectionem Nemo autem submurmuret de boni odii appellatione quasi sit oppositio in adiecto, eo quod nomen odii non nisi in mala significatione uulgariter accipi soleat. Nos enim, uulgi usu spreto, ratione et auctoritate huiusmodi appellationem comprobare possumus. Ratione, quia,

9 cur – sit] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 13 specierum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |specierum S 3 14 singulorum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | singulorum S 3 paulatim] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |paulatim S 3 15 communiceret] communicet Delhaye 26 dissipanda] dissipenda Delhaye 29 mala] uacuum praem. G 1 |mala S 3 117, 2 autem|iter. S 3 ; semel del. S 4 4 nos – spreto] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 4-5 spreto – possumus] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 5 appellationem] appelatione Delhaye

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les autres établis sur une mauvaise fondation ou érigés sur une mauvaise construction, et bons à être détruits, d’autres réunis en un mauvais assemblage et bons à être dispersés, d’autres bâtis sur un mauvais rempart et bons à être mis en pièces, d’autres vivant mal et dignes d’être anéantis, d’autres qui survivent mal et dignes d’être détruits, d’autres mal dressés et dignes d’être abattus, d’autres prospérant mal et dignes d’être affaiblis, et beaucoup d’autres semblables. Tout cela, le Seigneur aurait très bien pu en faire l’énumération au Prophète, mais en en citant un petit nombre il voulut en signifier beaucoup. Ainsi, par cette disposition, il n’opposa pas aux quatre maux énumérés quatre biens dans une égale opposition, car, de même qu’il y a d’autres maux, les uns à arracher, les autres à détruire, les autres à disperser, les autres à faire disparaître, de même il y a assurément d’autres biens, les uns à planter, les autres à bâtir, les autres à rassembler, les autres à fortifier, qu’Il laissa à entendre au Prophète qu’il instruisit. Grâce donc aux réalités destructrices du mal, qui existent en premier, comme nous l’avons dit, il nous faut tout d’abord détruire en nous les maux qui existent en premier, afin que les biens puissent avoir place. Ils ne peuvent en effet exister ensemble dans le même être. Cependant les maux sont principalement anéantis par la détestation du mal, que nous appelons une haine bonne, car nul ne peut vraiment lutter contre le mal en lui s’il ne le déteste pas.

117. Antiphora, c’est-à-dire réponse à une objection tacite Cependant personne ne peut douter que dans l’expression «haine bonne» il y ait comme une opposition dans les termes, du fait que le nom de «haine» est habituellement compris en mauvaise part. Mais nous, qui n’avons que faire de l’usage vulgaire, nous pouvons justifier cette appellation par la raison et par l’autorité. Par la raison, parce que, comme l’amour et la haine sont des affections naturelles, presque informes tant qu’elles n’ont pas reçu, de l’extérieur, une forme, suivant qu’elles sont touchées par la grâce ou par le vice elles se forment ou se déforment, de sorte qu’elles sont alors belles ou repoussantes. Pour l’amour cela est tout à fait évident puisque les exemples d’amour chaste et impudique abondent. Il n’en va pas de même pour la haine. Écoute donc, toi qui doutes, la parole du psalmiste: «J’ai eu en haine les injustes». De quelle haine, je vous le demande, sinon de celle dont il dit

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cum amor et odium naturales affectiones sint et quasi adhuc informes donec aliunde formam accipiant, accedente gratia uel uicio, aut formantur aut deformantur ita ut iam aut pulchre aut fede sint. Et de amore quidem hoc satis est euidens, cum casti et incesti amoris habundent exempla. De odio autem non sic. Audi ergo quisquis submurmuras psalmistam dicentem: Iniquos odio habui. Quo queso odio nisi eo de quo idem alibi dicit: Perfecto odio oderam illos? Quid est perfectum odium quo iniqui odiuntur nisi perfecte bonum odium? Bonum est ergo odium, non sicut bonus fur sed sicut bonus homo, odium scilicet quo caritas non solum odit sed etiam occidit malos, et tanto perfectius quanto perfectior est caritas. Quia, sicut perfecta caritas perfecte diligit bonum, ita perfecte odit malum nec potest perfecte hoc diligere nisi illud perfecte odiat. Vnde etiam hoc prouenit ut tantum odiat quantum diligit caritas, id est habens caritatem. Hinc etiam singulariter in persona Domini dictum intelligitur illud psalmiste quod Paulo ante induximus: Perfecto odio oderam illos. Sicut enim nullus unquam perfectius eo dilexit bonum, sic nullus perfectius eo odit malum. Hinc et alibi dicit: Zelus domus tue comedit me. Adeo enim inpacabili odio persecutus est malos amore domus Dei, id est bonorum, ut mali eum quantum in ipsis erat comederent, id est morte consumerent. Vere ergo bonum odium sicut bonus amor est in una et eadem caritate, nec sunt contraria bonus amor et bonum odium sed hec potius contraria sunt bonus amor et malus amor, et bonum odium et malum odium. Et quanto perfectior est uel maior caritas, tanto iste due affectiones, amor scilicet et odium, eadem informate perfectiores et maiores sunt, ita ut non indigne cete grandibus comparentur in his aquis de quarum ornatu nunc agimus. 〈118.〉 De effectu boni odii De hoc ergo cete grandi, id est de bono odio, prius agentes, dicimus quod quam cito nascitur sui generis in se naturam ostendit. Subito enim 117, 11 iniquos – habui] Ps. 118, 113 12 perfecto – illos] Ps. 138, 22; cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., xl (SC 419, p. 206, l. 12-13) 21 perfecto – illos] Ps. 138, 22 23 zelus – me] Ps. 68, 10; cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., xl (SC 419, p. 206, l. 14-16) 9 est] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |est S 3 13 est ergo] ergo est G 1 |est ergo S 3 16 est] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |est S 3 17 malum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |malum S 3 18 prouenit] peruenit Delhaye 27 hec] hoc Delhaye

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ailleurs: «Je les haïssais d’une haine parfaite»? Quelle est la haine parfaite dont les injustes sont haïs sinon la haine parfaitement bonne? C’est en effet une haine bonne, non comme un bon voleur mais comme un homme bon, c’est-à-dire la haine par laquelle la charité, non seulement hait les mauvais, mais les tue; et d’autant plus parfaitement que la charité est plus parfaite. Parce que, de même que la charité parfaite aime parfaitement le bien, de même elle hait parfaitement le mal, et ne peut aimer parfaitement l’un si elle ne hait pas parfaitement l’autre. D’où il se fait aussi que la charité – c’est-à-dire celui qui possède la charité – hait autant qu’elle aime. Ainsi cette parole du psalmiste que nous avons citée un peu plus haut désigne précisément la personne du Seigneur: «Je les haïssais d’une haine parfaite». Car de même que nul n’a jamais plus que lui aimé parfaitement le bien, de même nul plus que lui n’a haï parfaitement le mal. Car il dit ailleurs: «Le zèle de ta maison m’a dévoré». Il a, en effet, à tel point pourchassé les mauvais d’une haine implacable, par amour pour la maison de Dieu, c’est-à-dire des bons, que les mauvais le dévoraient de tout leur pouvoir, c’est-à-dire le consumaient par la mort. Vraiment, la bonne haine, comme le bon amour, résident dans une seule et même charité, et le bon amour et la bonne haine ne sont pas contraires mais ce sont plutôt le bon amour et le mauvais, la bonne haine et la mauvaise, qui s’opposent. Et plus la charité est parfaite et grande, plus ces deux affections, à savoir l’amour et la haine, pareillement formés, sont parfaites et grandes, au point de pouvoir être comparées à de grandes baleines dans ces eaux, de l’ornement desquelles nous traitons maintenant.

118. De l’effet de la bonne haine Traitant donc tout d’abord de cette grande baleine, c’est-à-dire de la bonne haine, nous disons qu’aussitôt née, elle montre en elle la nature de son espèce. Aussitôt, en effet, elle grossit énormément en poids et en volume du corps, de sorte que s’enfuit devant elle tout reptile impur né et nourri de ces eaux. Or j’appelle «poids de son corps» la tension extrême de cette affection avec laquelle elle pourchasse tout vice, tant en elle-même que dans les autres, au point que, le plus souvent même, inconsciente du danger qu’elle court, elle s’acharne, la gueule grande ouverte, à dévorer tous les monstres qui se trouvent dans cette mer; tant et

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excrescit nimia mole et uastitate corporis, ita ut ante faciem eius fugiat omne inmundum reptile in his aquis natum uel nutritum. Molem autem corporis eius appello uehementem intensionem huius affectionis qua intenditur aduersus omne uitium tam in se quam in alio persequendum, ita ut etiam plerumque, sui inmemor periculi, hianti ore sic instet deuorandis omnibus que in hoc mari sunt monstris, ut temporalem salutem suam neggligat, dummodo quicquid detestabile inuenit destruat. Verbi gratia, uidisti hominem detestatione uiciorum suorum tam corporalium quam spiritualium in se male uiuentium infinitis se afflictionibus dedentem et, ut hec in se mortificet, seipsum periculo dantem. Luxuriosus est: detestatione huius uitii in seipsum seuit, miris modis carnem suam castigando uigiliis, ieiuniis, corporalibus disciplinis se subiciendo, omnem speciem concupiscibilem fugiendo, nec solum sensus suos ab huiusmodi illicebris subtrahendo, uerum etiam interiorem hominem suum ab huiusmodi ymaginationibus per labores corporales et exteriores occupationes muniendo. Quid tibi uidetur iste aliud facere quam odio luxurie persequi luxuriam ita etiam ut seipsum periculo tradat? Alius gulosus est: subito detestatione huius uitii in seipsum seuire incipit, gule flammas aridissimis inediis extinguit, et plerumque etiam dum aliter eas extinguere non preualet, necessitati famis et sitis se subiciens et occasiones ardenti gule subtrahens, loco sterili se committit ubi etiam si uelit nec necessaria nature inuenit. Quid tibi uidetur de isto? Nonne odio gule etiam sibi ipsi non parcit? Alius garrulitati deditus est: subito Spiritu Dei tactus in se reuertitur, uicium garrulitatis detestatur, perpetuo se silentio mancipat et ut hoc melius tenere possit, consortia hominum declinat, et ita unius uicii odio multa a se uicia amputat. Alius leuis et inconstans est in omnibus uiis suis: subito gratia Dei uisitatur, hoc in se uicium detestatur et tanta seuitia persequitur ut pedes suos in compedes Christi iniciat, nullum mandatorum eius pretereat sed quasi meta fixus in eis inmobilis permaneat. Et hec quidem de corporalibus uiciis sufficiant, de spiritualibus aliqua adiciamus.

118, 31-32 pedes – iniciat] cf. Eccli. 6, 25 118, 12 male uiuentium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |male uiuentium S 3 17 suos] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |suos S 3 19-25 quid – inuenit] G 1 |iter. S 3 ; semel del. G 5 24 ardenti] ardendi G 1 | S 3 ; ardenti S 4 26 sibi ipsi non parcit] del. S 4

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si bien qu’elle ne tient aucun compte de son salut temporel pourvu qu’elle anéantisse tout ce qu’elle peut trouver de détestable. Par exemple, voici un homme qui, en raison de la détestation de ses vices tant corporels que spirituels qui le tourmentent, s’adonne à d’infinies mortifications et s’expose au danger par ses macérations. Il est luxurieux: par détestation de ce vice, il se punit lui-même en châtiant sa chair d’étonnantes façons, en se soumettant à des veilles, des jeûnes, des disciplines corporelles, en fuyant toute espèce de concupiscence, non seulement en soustrayant ses sens de ces tentations mais aussi en protégeant son être intérieur de ces sortes d’imaginations par des travaux corporels et des occupations extérieures. Que penses-tu que cet homme fasse d’autre sinon de pourchasser la luxure par haine de la luxure jusqu’à se mettre lui-même en danger? Un autre est gourmand: aussitôt il commence à s’emporter contre lui-même par détestation de ce vice, il éteint les flammes de sa bouche par de très dures privations et le plus souvent aussi, quand il ne parvient pas à les éteindre autrement, en se soumettant aux nécessités de la faim et de la soif et en se soustrayant aux occasions de faire s’enflammer sa bouche, il se confine dans un lieu stérile où, le voudrait-il, il ne trouve même pas ce qui est nécessaire à la nature. Que te semble-t-il de cet homme? N’est-ce pas que par haine de la gourmandise il ne s’épargne même pas lui-même? Un autre s’adonne au bavardage: aussitôt touché par l’esprit de Dieu, il rentre en lui-même, déteste le vice de bavardage, se tient dans un silence permanent, et pour mieux s’y tenir, décline la fréquentation des hommes, et ainsi, par haine d’un seul vice il en évite de nombreux. Un autre est léger et inconstant en tout ce qu’il fait: subitement la grâce de Dieu le visite, il déteste ce vice en lui et le pourchasse avec une telle rigueur qu’il engage ses pas sur les traces du Christ, ne néglige aucune de ses prescriptions mais, comme fixé à une borne, il s’y tient de façon immuable. Mais en voilà assez pour les vices corporels; ajoutons quelque chose sur les vices spirituels.

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〈119.〉 Exemplificat de spiritualibus uitiis Aliquis iracundus est ita ut nemo eum sustinere possit; canino dente in omnes seuit et percutit pugno impie: subito a Deo uisitatur, et qui in alios seuiebat, detestatione sui uicii in seipsum seuire incipit et expugnare animum suum fortior expugnatore urbium, aliis omnibus mansuetior agno factus. Sic Saulus olim frendens in christianos, subito de Saulo fit Paulus, de lupo agnus. Alius inuidie facibus intus ardens, foris ardore suo consummitur, seuior sibi quam aliis, dum uel solus uel primus ipse seuitie sue dampna sentit. Hic licet difficile tandem tamen .benignitate diuini Spiritus afflatus, alium in se concipit ignem quo tam suauiter intus ardet ut etiam foris ardoris sui suauitate pinguescat, et omnibus dulcis factus sibi magis detestatione sui uitii dulcescat. Alius superbie spiritu inflatus est, belua ceteris huius maris beluis inmanior. Sed ecce subito Spiritu Dei flante in illum, omnis ille uentus quo inflatus erat exsufflatur, dum detestatione tanti uitii, tantum uitium mortificatur et quasi mala belua a bona belua deuoratur. Possunt hec predicta uitia que nunc per personas diuisimus et alia multa in una persona inueniri, que omnia, dum Spiritus Dei superfertur his aquis, detestatione eorundem ita consummuntur ut in eis nullum inmundum uel uiuum remaneat, sicut apparet in Maria Magdalena que, foris adhuc nichil agens nisi lacrimans, septem demonia quibus plena erat intus tam uehementi intensione odii eorundem persecuta est ut una munda belua multa etiam demonia deuoraret. Quod idcirco dixerim quia interioris hominis bonum opus ad ornatum aquarum, exterioris autem ad ornatum terre de quo posterius dicemus magis pertinet. Vnde etiam in premissis omnibus exemplis, mox ut uitium in detestationem uenit, ibi moritur et necdum foris apparente aliquo bono opere, interior homo ornatur. Vnde dixi: «Confitebor,» etc.

119, 6 Saulus – christianos] cf. Act. 9, 1 6-7 de – agnus] Augustin, Sermo 295, 6 (PL 38, 1351); Sermo 317, 3 (PL 38, 1436); cf. Paschase Radbert, De bened. patr., II (CCCM 96, p. 116, l. 1616) 18-19 spiritus – aquis] Gen. 1, 2 20-21 apparet – demonia] Luc. 8, 2 28 dixi – confitebor] Ps. 31, 5 119, 6 agno] G 1 |agni S 3 ; agno S 4 13 maris] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 19 consummuntur] G 1 |consumuntur S 3

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119. Il donne des exemples sur des vices spirituels Voici un homme irritable, au point que personne ne peut le supporter. Il s’attaque à tous avec un croc de chien et frappe du poing de façon sacrilège. Subitement, il est visité par le Seigneur, et lui qui s’en prenait aux autres commence, par détestation de son vice, à sévir contre luimême, à s’attaquer à son esprit, avec plus de force que pour prendre une ville d’assaut. Devenu envers tous les autres plus doux qu’un agneau, à l’image de Saül qui, persécutant jadis les chrétiens, de Saül devint subitement Paul, de loup, agneau. Un autre, brûlant en lui-même des flammes de la jalousie, se consume à l’extérieur de son propre feu, plus dur envers lui-même qu’envers les autres, quand, seul ou le premier, il mesure les dommages de sa sévérité. Alors, inspiré, bien que difficilement, par la bonté de l’esprit de Dieu, il commence à ressentir en lui un autre feu dont il brûle si suavement dans son être que ce feu déborde aussi à l’extérieur de la douceur délicieuse de son ardeur, et, devenu doux envers tous, il s’adoucit encore plus envers lui-même par la détestation de son vice. Un autre est gonflé de l’esprit d’orgueil, bête féroce plus pénible que les autres bêtes féroces de cette mer. Mais voici que tout à coup, l’Esprit de Dieu soufflant sur lui, tout le vent dont il était gonflé est exhalé étant donné qu’un si grand vice est anéanti par la détestation d’un aussi grand vice, en quelque sorte comme une mauvaise bête est dévorée par une bonne bête. Ces vices que nous venons d’attribuer à des personnes différentes, et beaucoup d’autres, peuvent se rencontrer en une seule personne, qui tous, pourvu que «l’Esprit de Dieu plane au-dessus de ces eaux», sont anéantis par leur propre détestation, de telle sorte qu’il ne reste en eux rien d’impur ni d’actif; comme on le voit chez Marie Madeleine qui, ne faisant jusque-là rien d’autre à l’extérieur que de pleurer, pourchassa intérieurement les sept démons dont elle était habitée avec une haine si acharnée contre eux qu’une seule bête pure dévora de nombreux démons. De ce que j’ai pu dire, il s’ensuit que la bonne œuvre de l’homme intérieur appartient à l’ornement des eaux, mais que celle de l’homme extérieur appartient davantage à l’ornement de la terre, dont nous parlerons après. D’où il résulte aussi de tous les exemples cités, que dès qu’un vice arrive à être détesté, il meurt sur le champ, et avant qu’une bonne œuvre apparaisse à l’extérieur, l’homme intérieur est déjà orné. C’est pourquoi «J’ai dit: je confesserai» etc.

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〈120.〉 Quomodo male durantia in nobis paulatim consumuntur Non solum autem male uiuentia in nobis per detestationem eorundem moriuntur, uerum etiam male durantia in nobis intensa eorundem detestatione paulatim consumuntur. Verbi gratia, contingit aliquando predicta uel alia uitia longo usu indurescere in corde peccatoris salutem suam penitus negligentis, immo, quod deterius est, contempnentis, sicque fit ut pessima consuetudine uitium uertatur in naturam. Hic nimirum non solum intensiori, uerum etiam protensiori opus est uitii detestatione ad sic inolitum uitium consummendum, et licet gratia Dei nulli desit nisi illi qui deest, quia tamen talis peccator diu deest gratie sibi semper oblate, et ipsa illi tanquam ingrato diu deest, quia contemptor eius cristallo durior eam se illi iugiter offerentem accipere dedignatur. Verumtamen qui mittit cristallum suam sicut bucellas, emitit uerbum suum et liquefacit dura. Flat spiritus eius et fluunt aque, incipitque tandem cristallus uehementi spiritu afflatus fieri bucella panis esibilis, dum intensissima detestatione uitii sic sibi in naturam uersi peccator fit iustus, ita ut exemplo sue iusticie multos reficiat esurientes iusticiam.

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〈121.〉 Quomodo male stancia in nobis deiciuntur Rursum sunt aliqua male stantia in nobis que nimirum nisi uehementis tempestatis impetu non possunt deici. Verbi gratia, sunt qui prosperantur in uiis suis malis, de quibus psalmista nos admonet dicens: Noli emulari in eo qui prosperatur in uia sua, in homine faciente iniustitias. Nec solum prosperantur sed prosperitate sua erecti et inflati gloriantur cum male fecerint. Quibus rursum psalmista per inuectionem 120, 9-10 gratia – deest] Augustin, De natura et gratia, XXVI, 29 (CSEL 60, p. 254, l. 28-p. 255, l. 4) 13-14 qui – dura] Ps. 147, 17-18 121, 5 noli – iniustitias] Ps. 36, 7

8 quid – iniquitate] Ps. 51, 3

120, 3 intensa] G 1 |intensi S 4 Delhaye 8 uitii] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uitii S 3 16 intensissima] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |intentissima S 3 121, 4 suis] om. Delhaye

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120. Comment les [vices] qui persistent à sévir en nous disparaissent peu à peu Or, non seulement les vices qui sévissent en nous meurent par la détestation que l’on en a mais aussi ceux qui persistent à sévir en nous disparaissent peu à peu par l’intensité de la détestation envers eux. Par exemple, il arrive parfois que ces vices, ou d’autres, ‘endurcissent par une longue pratique dans le cœur du pécheur qui ne se préoccupe nullement de son salut, bien plus, ce qui est plus grave, qui le méprise, et ainsi il se fait que, par une accoutumance des plus déplorables, le vice devient nature. Ici, il faut assurément non seulement une détestation plus intense du vice, mais aussi plus tenace pour faire disparaître ce vice ainsi enraciné, et bien que la grâce de Dieu ne manque à personne sinon à celui qui lui fait défaut – parce qu’un tel pécheur manque en effet longtemps à la grâce qui lui est toujours offerte, la grâce, de son côté, lui fait défaut longtemps, en tant qu’ingrat, parce que son contempteur, plus dur que la glace, ne daigne pas la recevoir alors qu’elle s’offre à lui inlassablement. Cependant, «celui qui jette sa glace comme par morceaux, envoie sa parole et fait fondre les duretés, souffle son Esprit et les eaux coulent» et la glace commence enfin, animée par un esprit vigoureux, à devenir bouchée de pain comestible, quand le pécheur, par la violente détestation du vice tourné en nature en lui, devient juste, de sorte que par l’exemple de sa justice il redonne des forces à beaucoup de ceux qui ont soif de justice. 121. Comment les vices qui persistent à sévir en nous sont jetés à bas En revanche il y a des vices qui persistent à sévir en nous, qui assurément ne peuvent être abattus sans le choc d’une violente tempête. Par exemple, certains prospèrent dans leurs voies mauvaises; contre eux le psalmiste nous met en garde en disant: Ne te laisse pas entraîner par celui qui prospère dans sa voie, par l’homme qui commet des injustices. Non seulement ils prospèrent mais dressés et gonflés par leur prospérité, ils se glorifient du mal qu’ils ont fait. En retour, le psalmiste leur lance cette invective: De quoi te glorifies-tu dans ta malice, toi qui tires ta puissance de l’injustice? Ceux-là, debout et la nuque raide, se jugent dans leur cœur supérieurs à tous, et disent: Qui est notre maître? Ils ne daignent en effet incliner leur nuque raide sous aucun vent, semblables au chêne dressé en haut de la montagne, ne voulant, comme on le lit dans les fables, plier sous aucun vent. Et voici que le souffle impétueux de la tempête se jette sur le dédaigneux et l’abat parmi les hirondelles qui, elles, demeurent en place et s’étonnent de sa chute, le chêne s’étonnant à son tour de ce

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dicit: Quid gloriaris in malicia qui potens es iniquitate? Hii tales rigida ceruice erecti stantes omnibus se superiores iudicant in corde suo dicentes: Quis noster Dominus est? Ad nullum enim uentum ceruicem rigidam uel inclinare dignantur, similes quercui stanti in uertice montis ut in fabulis legimus nulli uento cedere uolenti, et ecce spiritus tempestatis torrens irruit in eam et dedignantem deicit inter harundines adhuc stantes, mirantibus harundinibus casum illius, mirante uicissim quercu statum illarum. Sic nimirum sic est omnis male stans quem necesse est aut uehementi tempestate torrentis aduersitatis inuitum ruere aut certe uehementiori detestatione sui uitii se sponte humiliare.

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〈122.〉 Quomodo male uigentia debilitentur Sunt adhuc quedam male uigentia in nobis que necesse est non dico extingui in nobis sed debilitari. Quia enim a natura proficiscuntur, extingui non possunt, debilitari possunt: hii sunt primi motus cogitationum nostrarum a concupiscibilitate uel irascibilitate, que sunt naturales anime uires, originem habentes et ideo naturales, quia naturale est anime semper moueri ad aliquid cogitandum uel appetendum, adeo ut huiusmodi motus in potestate arbitrii nostri non sint. Neque enim facere possumus ut non oriantur, quamuis hoc facere possimus ne orti progrediantur. Orti uero, si a concupiscibilitate sunt, ad delectationem progrediuntur primum, inde ad consensum et sic tandem ad actum. Si ab irascibilitate sunt, ad auersionem primum progrediuntur, inde ad odium, tandem ad detestationem rei cogitate. Vtrique horum, nunc ad bonum, nunc ad malum sunt. Si ad bonum sunt, fomites uirtutum sunt. Si ad malum, fomites uitiorum sunt. Verbi gratia, cogitas de castitate. Nondum delectaris in hac cogitatione tua sed nec auersaris eam, primus motus est ad neutrum se habens. Procedat ad delectationem uel auersionem, secundus motus est. Si ad delectationem fomes uirtutis et quasi quedam scintilla boni igniculi est. Procedat ad consensum, iam uirtus est. Procedat ad actum, opus uirtu-

10 quis – est] Ps. 11, 5 (Ellis, p. 18)

12-13 fabulis – harundines] cf. Avianus, Fabula XVI

122, 7 uel appetendum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |uel appetendum S 3 9-10 ne orti progrediantur] ut orti non progrediantur G 1 |ne orti progrediantur S 3 18-19 si – delectationem] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 20 ad 2] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ad S 3

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qu’elles sont encore là. Ainsi en va-t-il de tout vice persistant: il est nécessaire soit de l’abattre malgré lui par une tempête impétueuse d’adversité déferlante, soit de l’humilier de plein gré par une détestation encore plus violente de son propre vice. 122. Comment les mouvements qui se développent mal s’affaiblissent Il y a des mouvements qui se développent mal en nous, qui doivent, je ne dis pas s’éteindre en nous mais s’affaiblir car, provenant de la nature, ils ne peuvent être éteints, mais peuvent s’affaiblir. Ce sont tout d’abord les mouvements de nos pensées, que suscitent le concupiscible et l’irascible, qui sont des forces naturelles de l’âme, qui y ont leur origine, et sont donc naturelles, car il est dans la nature de l’âme d’être toujours poussée à penser ou désirer quelque chose, au point que les mouvements de ce genre échappent au pouvoir de notre jugement. Et nous ne pouvons faire en sorte qu’ils ne naissent pas, bien que nous puissions faire en sorte qu’une fois nés ils ne se développent pas. Cependant, une fois nés, s’ils ressortissent au concupiscible, ils évoluent tout d’abord vers la délectation, puis vers le consentement, enfin vers l’acte. S’ils ressortissent à l’irascible, ils évoluent tout d’abord vers l’aversion, ensuite vers la haine, enfin vers la détestation de la chose pensée: les uns et les autres tendent tantôt au bien, tantôt au mal. Si c’est au bien, ils sont sources de vertus. Si c’est au mal, ils sont sources de vices. Par exemple, tu penses à la chasteté. Tu ne te délectes pas encore dans cette pensée mais ne t’en détournes pas: c’est le premier mouvement, qui s’en tient à la neutralité. Que cette pensée en vienne à la délectation ou à l’aversion, c’est le second mouvement. Si c’est à la délectation, elle est source de vertu et comme l’étincelle d’un feu bienfaisant. Si elle en vient au consentement, c’est déjà une vertu. Si elle en vient à l’acte, c’est une œuvre de la vertu. À l’inverse: tu penses à la fornication. Si tu ne te délectes pas encore dans cette pensée mais ne t’en détournes pas, c’est le premier mouvement, qui s’en tient à la neutralité. Que cette pensée en vienne à la délectation ou à l’aversion, c’est le second mouvement. Si c’est à l’aversion, elle est source de vertu et comme l’étincelle d’un feu bienfaisant. Si elle en vient maintenant à la haine de la fornication, c’est une vertu parce qu’elle est amour de la chasteté. Troisièmement, si elle tourne en détestation et en fuite de la fornication, c’est une œuvre de la vertu. Si la délectation se présente à la première pensée de fornication, c’est une source de péché; si c’est le consentement, c’est un péché; si c’est l’acte, c’est une œuvre de péché. Car, voir avec des yeux corporels pécher

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tis est. Econtra cogitas de fornicatione. Nondum delectaris in hac cogitatione tua sed nec auersaris eam, primus motus est ad neutrum se habens. Procedat ad delectationem uel auersionem, secundus motus est. Si ad auersionem, fomes uirtutis et quasi scintilla boni igniculi est; procedat adhuc ad odium fornicationis, uirtus est quia amor castitatis est. Procedat tertio ad detestationem et fugam fornicationis, opus uirtutis est. Quod si prime cogitationi fornicationis accedat delectatio, fomes peccati est; si consensus, peccatum est; si actus, opus peccati est. Quod enim est corporeis oculis uidere peccantes absque delectatione peccati, hoc est cogitare peccatum absque delectatione peccati. Siquidem cogitatio est interior uisus, et sicut nonnumquam foris uidemus peccata sine peccato, sic intus cogitamus peccata sine peccato, quando uidelicet adhuc prima est cogitatio sine delectatione. Illa enim adhuc in potestate nostra non est, et ideo imputabilis nobis non est quia plerumque sine nobis oritur in nobis. Porro semel orta, cum ad delectationem progreditur, quia hoc sine nobis non fit nec sine culpa nostra fit. In potestate enim nostra est, si uolumus, male progredientem reprimere, male uigentem debilitare; ortus enim eius nature est, progressus uitii aut gratie; malus progressus uitii, bonus gratie. Malus ergo progressus eius detestatione sui debilitandus est ne male uigeat, sicut bonus roborandus est ut bene uigeat.

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〈123.〉 Quomodo aliena uitia bono odio persequenda sunt Exemplariter docuimus quomodo quisque sua uitia bono odio sine detestatione eorundem persequatur; nunc etiam exemplariter docebimus quomodo aliena. Sed sicut predicta exempla ad suum uniuscuiusque microcosmum pertinent, sic necesse est post dicenda ad generalem microcosmum pertinere.

122, 28 consensus – peccatum] Augustin, Retract., I, 15 (CCSL 57, p. 47, l. 64) 123, 3-4 nunc – aliena] cf. Richard de Saint-Victor, Beni. min., xli (SC 419, p. 212, l. 39-40) 24-25 procedat – est] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 123, 3 persequatur] prosequitur Delhaye

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sans délectation du péché, revient à penser le péché sans délectation du péché, puisque la pensée est une vision intérieure: de même que parfois nous voyons à l’extérieur des péchés, sans péché, de même nous pensons intérieurement à des péchés sans péché, c’est-à-dire quand c’est seulement la pensée qui vient en premier, sans délectation. Jusque-là cette pensée n’est pas en notre pouvoir et ne nous est donc pas imputable parce que, le plus souvent, elle naît en nous malgré nous. Ensuite, une fois née, quand elle tourne à la délectation, parce que cela ne se fait pas sans nous ni sans notre faute, il est en revanche en notre pouvoir, si nous le voulons, d’éviter qu’elle évolue dans le mal, qu’elle se renforce dans le mal, car le fond de sa nature est son évolution en vice ou en grâce; mauvaise si c’est en vice, bonne si c’est en grâce. Son évolution en mal doit être brisée par sa détestation afin qu’elle ne se renforce pas dans le mal, comme son évolution en bien doit être renforcée afin qu’elle prospère dans le bien.

123. Comment les vices des autres doivent être combattus par une haine bonne Nous avons démontré par des exemples comment chacun combat ses propres vices par une haine bonne ou bien par la détestation de ces vices. Maintenant nous allons aussi montrer par des exemples comment combattre les vices des autres. Mais les exemples présentés ci-dessus relevaient du microcosme particulier à chacun, ceux que nous avons à exposer relèvent, il faut le dire, du microcosme général.

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microcosmvs, II, 124

〈124.〉 Primum exemplum de martyribus In his exemplis primum locum damus martyribus sanctis in quorum cordibus Spiritus sanctus perfectum odium uitiorum mundialium quasi quoddam cete grandissimum creauit, quo mare huius mundi ornaretur et innumeris quibus sordidabatur uitiis purgaretur. Inter ipsos autem sanctos martyres, primus prothomartyr Stephanus, quasi capud huius cete grandissimi protulit, et aperto ore quod Spiritus sanctus in die Pentecostes repleuerat ad loquendum magnalia Dei, tanta locutus est ut non possent resistere sapientie et Spiritui qui loquebatur omnes synagoge Libertinorum et Cirenensium et Alexandrinorum et eorum qui erant a Cilicia et Asia, qui conuenerant, disputantes cum illo, sed spiritualiter mox absorti sunt ab eo licet corporaliter ab illis absorto. Perfecto enim odio persequens illos, etiam corporaliter absortus, absorbuit infidelitatem iudaicam primum dum unum ex absortis ab ore suo euomens, id est uirtute orationis sue, ab infidelitate iudaica liberans, Saulum scilicet, unum ex persecutoribus suis, Paulum fecit et uere fidei predicatorem constituit, in quo etiam post et ydolatrie errorem per uniuersum mundum absorbuit. Euomitus enim Paulus ab ore Stephani et missus a Spiritu sancto cum Barnaba ad opus ad quod eos assumpsit, tanto odio persecutus est ydolatriam huius mundi, factus et ipse cete grande, ut pene totam in uniuerso orbe deuorauerit ydolatrie inmunditiam. Huic capiti accreuerunt postea multa grandia membra martyrum, unum inmense molis cete grande construentia et maximam maris huius profunditatem replentia, sicut hodie rebus ipsis apparet. Nullus enim est huius maris angulus quem non aliquod huius cete grandis membrum occupet, quia in omnibus terrarum finibus beatorum martyrum memoria uiget.

124, 7-8 spiritus – loquendum] cf. Act. 2, 1-4 9-11 possent – illo] Act. 6, 9-10 14-15 uirtute – orationis] cf. Augustin, Sermones de scripturis, s. 168, 6 (PL 38, 914) 15-16 Saulum – predicatorem] cf. Act. 9, 1-20; Augustin, Sermones de scripturis, s. 122 (PL 38, 684), et passim 18-19 a spiritu – assumpsit] Act. 13, 2 124, 6 capud] caput G 1 |capud S 3 21 orbe] orde G 1 |corde S 3 ; prbe S 4 22 molis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |molis S 3 23 cete] G 1 |cote S 3 ; cete S 4

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124. Premier exemple: des martyrs Parmi ces exemples, nous accordons la première place aux saints martyrs, dans le cœur desquels l’Esprit saint a créé une haine parfaite des vices du monde, telle une grande baleine dont cette mer serait ornée et purgée des vices innombrables dont elle était polluée. Or, parmi ces saints martyrs, le premier, le protomartyr Étienne, constitua en quelque sorte la tête de ce très grand monstre marin, qui, ouvrant grand la bouche que «l’Esprit saint, le jour de la Pentecôte, avait remplie pour qu’elle proclame» les grandeurs de Dieu, en dit tant «que ne pouvaient pas résister à la sagesse et à l’esprit qui parlait» tous ceux de la synagogue des Affranchis, Cyrénéens, Alexandrins et ceux de Cilicie et d’Asie qui s’étaient réunis pour disputer contre lui», mais, spirituellement, ils furent très vite absorbés par lui, bien qu’il fût corporellement absorbé par eux. Car les combattant d’une haine parfaite, bien qu’absorbé corporellement, il absorba tout d’abord l’infidélité judaïque: en vomissant de sa bouche l’un d’entre ceux qu’il avait absorbés, – entendons par la force de sa parole – et le libérant de l’infidélité judaïque, de Saül, l’un de ses persécuteurs, il fit Paul, et l’institua prédicateur de la vraie foi, lui en qui, par la suite, il absorba aussi l’erreur de l’idolâtrie dans le monde entier. Or Paul, vomi de la bouche d’Étienne et envoyé «par l’Esprit saint, avec Barnabé pour la mission à laquelle il les engagea», combattit avec une telle haine l’idolâtrie de ce monde, devenu lui aussi une grande baleine, qu’il dévora presque toute l’impureté de l’idolâtrie dans le monde entier. Sur cette tête se greffèrent ensuite les membres nombreux et grands des martyrs, constituant un monstre marin d’une masse énorme, remplissant presque toute la profondeur de cette mer, comme on le voit aujourd’hui par les faits eux-mêmes. Il n’y a en effet pas un seul coin de cette mer qui ne soit occupé par quelque membre de cette grande baleine, parce que la mémoire des saints martyrs est vivante dans toutes les régions de la terre.

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microcosmvs, II, 125

〈125.〉 Secundum de religiosis et piis ordinibus Secundum locum damus omnibus religiosis et piis ordinibus passim in Ecclesia constitutis. Qui quidem seculum hoc perfecto odio et detestatione tam suorum quam alienorum uitiorum spiritualiter fugerunt, sed quia corporaliter de hoc mundo exire nequeunt, quodam modo in hoc mari sunt et non sunt. Sunt ad exemplum, non sunt ad conuersationem. Ad exemplum sunt ut, sicut ipsi odio perfecto et detestatione uitiorum propriorum seculum hoc fugerunt, ita eos qui adhuc in hoc seculo sunt, exemplo suo ad se trahentes sibi incorporent pari uitiorum suorum detestatione absortos et huic seculo penitus mortuos. Ad conuersationem non sunt ne, si conuersatione seculo miscerentur, ad confusionem suam cete grandia a non cete grandibus caperentur uel etiam absorberentur: quod utique plerumque contingit religiosis conuersatione ad seculum redeuntibus et quarumcumque uilissimarum affectionum laqueis incidentibus. Horum quidem ordinum patres et institutores plures fuerunt sicut et ipsi ordines plures sunt, sed omnes uno Spiritu Dei repleti perfecto odio mundi huius uitia persecuti sunt, adeo ut quicquid ex eo uitiosum et inmundum hianti ore absorbere possent, totum sibi incorporatum de inmundo mundum facerent. Hoc Antonius monastici ordinis plantator in Egypto, hoc Benedictus eiusdem propagator in Italia, hoc Augustinus canonici ordinis pater in Africa, quasi diuersa cete grandia in diuersis huius maris partibus, nutu Dei et opere Spiritus sancti creata ut uitia huius mundi hianti ori absorberent et incorporata sibi in uirtutes conuerterent. Quanti homicide, quanti adulteri, quanti fornicatores, quanti denique cuiuslibet nec nominandi flagitii peccatores ab his absorti, felici mutatione facti sunt et ipsi uitiorum alienorum instantissimi persecutores et uirtutum propagatores, qualibet adhuc hodie Dei munere pollent per uniuersum mundum diuersi ordines.

125, 20-21 Antonius – Benedictus – Augustinus] cf. Propylaeum ad Acta Sanctorum decembris (p. 25, 106, 305) 26 nec nominandi] Eph. 5, 3 125, 18 quicquid] quidquid G 1 |quicquid S 3 20 plantator] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |plantator S 3 28 qualibet] G 1 |qualibus S3 Delhaye

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125. Second exemple: des ordres religieux et consacrés Nous accordons la deuxième place à tous les ordres religieux et consacrés, fondés un peu partout dans l’Église. Ils ont, certes, fui spirituellement ce siècle «par haine parfaite» et détestation, tant de leurs propres vices que des vices d’autrui, mais parce qu’ils ne peuvent sortir, corporellement, de ce monde, d’une certaine façon ils sont et ne sont pas dans cette mer. Ils en font partie pour l’exemple, ils n’en font pas partie pour leur fréquentation. Ils en font partie pour l’exemple, dans la mesure où, de même qu’ils ont fui ce siècle «par haine parfaite» et détestation de leurs propres vices, de même ils s’incorporent ceux qui sont encore dans ce siècle en les attirant à eux par leurs exemples, absorbés par une même détestation de leurs vices et tout à fait morts à ce siècle. Ils n’en font pas partie par leur fréquentation, de crainte que s’ils se mêlaient au monde en le fréquentant, ces grandes baleines seraient prises, à leur confusion, par des baleines qui ne sont pas grandes, ou seraient même absorbées; ce qui arrive le plus souvent et partout aux religieux qui retournent au siècle par leurs fréquentation et tombent dans tous les pièges des plus viles affections. Nombreux furent les pères et fondateurs de ces ordres, comme nombreux sont ces ordres eux-mêmes, mais tous, remplis d’un seul et même Esprit de Dieu, ont combattu les vices «d’une parfaite haine» de ce monde, au point que tout ce qu’ils pouvaient en absorber de vicieux et impur, la bouche béante, en se l’incorporant totalement, d’impur ils le rendaient pur. Ainsi Antoine, fondateur de l’ordre monastique en Égypte; ainsi Benoît, propagateur de cet ordre en Italie; ainsi Augustin, père de l’ordre canonial en Afrique, tels différentes grandes baleines dans les différentes parties de cette mer, créées par la volonté de Dieu et l’opération de l’Esprit saint pour qu’elles absorbent, la bouche grande ouverte, les vices de ce monde, et une fois incorporés en elles, qu’elles les transforment en vertu. Combien d’homicides, combien d’adultères, combien de fornicateurs, combien enfin de coupables de toutes sortes de turpitudes innommables, absorbés par elles, sont devenus eux-mêmes, par une heureuse transformation, des persécuteurs très zélés des vices des autres et propagateurs de vertus, grâce auxquels, par un don de Dieu, divers Ordres pullulent aujourd’hui encore dans le monde entier.

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microcosmvs, II, 126

〈126.〉 Tercium de bonis prelatis Tercium locum damus prelatis ecclesiarum qui specialiter ad hoc in plebibus constituti sunt ut cum predicto propheta primum euellant et destruant et disperdant et dissipent, similiter et occidant et dehinc uiuificent et edificent et plantent. Quod si faciunt nimirum cete grandia in hoc mari fiunt, officium suum rite implentes et, cum nomine, rem nominis habentes occidunt et uiuificant, occidunt uitia uiuificant uirtutes. Hoc autem duobus modis necesse est ut faciant ita ut neuter modorum alteri desit, ore hiante uentre calente. Ore hiante ut multa deuorent, uentre calente ut multa sibi incorporent. Os hians, doctrina cum desiderio proficiendi est; uenter calens, caritas ardens zelo iusticie erga subditos est. His duobus modis, si alter alteri non desit, efficacissime uitia subditorum a prelatis castigantur. Os hians ad predicationem, uenter calens ad exemplum pertinet. Neque enim sufficit uerbum recte predicationis sine exemplo sancte conuersationis nec e conuerso. Est tamen adhuc et alius modus persequendi uitia subditorum aliquando pernecessarius, sed quia non adeo generalis est cum predictis duobus computandum non duximus, uidelicet uirga iuste correptionis quam zelus iusticie exercet, qui modus tunc tantum exercendus est cum subditi pertinaciter delinquunt. Subditorum enim alii ex ignorantia, alii ex stulticia, alii ex nequitia pertinaci delinquunt; talibus uirga iuste correptionis necessaria est. Prelatus enim non solum doctor sed etiam iudex est. Iuste igitur correptionis uirgam exercere habet in tales ne sit iniusta uel ex animo uel ex ordine uel ex causa, nichil sine causa, nichil sine ordine, nichil odio persone sed uitii fiat. Iuste inquam ut secundum qualitatem persone, secundum qualitatem uel quantitatem culpe sit qualitas uel quantitas pene. Iuste ergo, id est moderate ne modum excedat et seueritatis nomen incurrat. Est autem multiplex hec uirga corporalis et spiritualis: corporalis in uerberibus, in carceribus, in ieiuniis, in uigiliis et aliis huiusmodi, interdum etiam in pena pecuniaria; spiritualis in excommunicatione si in laicos, in suspensione uel degradatione si in clericos exercetur. 126, 3-5 euellant – plantent] cf. Ier. 1, 10 126, 5 edificent] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 11 iusticie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |iusticie S 3 13-14 os – pertinet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 19 quam – exercet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 24 uel ex – ordine] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4 27 seueritatis] sueueritatis Delhaye

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126. Troisième exemple: des bons prélats Nous accordons la troisième place aux prélats des églises qui ont été institués dans le peuple tout spécialement pour, avec le susdit prophète, d’abord arracher, détruire, disperser et dissiper, ainsi que tuer, et ensuite vivifier, édifier et planter. Et s’ils font cela, ils deviennent assurément de grandes baleines dans cette mer; remplissant strictement leur office, possédant avec le nom, la réalité du nom, ils tuent et vivifient, tuent les vices et vivifient les vertus. Cependant il est nécessaire qu’ils agissent ainsi de deux façons, de telle sorte qu’aucune des deux ne manque à l’autre, la bouche grande ouverte, le ventre échauffé: la bouche grande ouverte pour dévorer beaucoup de vices, le ventre échauffé pour en incorporer beaucoup. La bouche ouverte, c’est la doctrine, avec le désir de progresser; le ventre échauffé, c’est la charité brûlant du zèle de la justice à l’égard des fidèles. De ces deux façons, si l’une ne manque pas à l’autre, les vices des fidèles sont très efficacement corrigés par les prélats. La bouche grande ouverte relève de la prédication; le ventre échauffé, de l’exemple. Car la parole d’une bonne prédication ne suffit pas sans l’exemple d’une vie sainte, ni le contraire. Il y a toutefois une autre façon de combattre les vices des fidèles, parfois tout à fait nécessaire, mais parce qu’elle n’est pas assez généralisée, nous n’avons pas jugé utile de la compter avec les deux autres susdites: il s’agit de la verge d’une juste correction qu’exerce le zèle pour la justice. C’est une façon dont il ne faut user que lorsque les fidèles persistent dans leur faute. Cependant certains fidèles commettent des fautes par ignorance, d’autres par sottise, d’autres encore par méchanceté tenace; pour ceux-là la verge d’une juste correction s’impose. Car le prélat est non seulement un maître mais aussi un juge. C’est pourquoi il doit pratiquer sur eux la verge de la correction avec justice afin qu’elle ne soit pas rendue injuste, soit par l’humeur, soit par la mesure ou le motif, que rien ne soit fait sans raison, rien sans mesure, rien par haine de la personne mais seulement par haine du vice. Avec justice, dis-je, de sorte que la nature et l’importance de la peine soient proportionnées à la nature de la personne, la nature et l’importance de la faute. Avec justice donc, c’est-àdire avec modération, de sorte qu’elle n’excède pas la mesure et ne soit pas taxée de sévérité. Or cette verge est double: corporelle et spirituelle. Corporelle, sous forme de coups, d’emprisonnements, de jeûnes, de veilles et autres peines semblables, parfois aussi d’amendes. Spirituelle, par l’excommunication si elle s’exerce contre des laïcs, par la suspense ou la dégradation si elle s’exerce contre des clercs.

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microcosmvs, II, 127-128

〈127.〉 Quod uicia que extingui non possunt in seruitutem redigantur Vsque adeo autem hoc sanctum odium seuit in uitia sua uel aliena, ut si ea nulla ui potest extinguere uel seruituti subiciat, et hostem suum sibi tributarium faciat. Sic olim Israël pertinaci odio seuiens in Cananeum, ubi eum penitus extinguere non potuit, uiuere quidem apud se permisit sed seruituti subiectum tributarium sibi fecit, et sic sibi diuitias quas per mortuum non potuisset per uiuentem cumulauit. Sic sic nimirum sancti uiri, siue prelati, siue subditi, uel sua uel aliena uitia in se uel in suis funditus extinguere non preualent, uiuere quidem apud se permittunt, sed seruire sed tributum sibi reddere compellunt. Quod utique bene tunc fit, cum sanctus quisque ex uitio quod in se uel in suis inuitus tolerat, fit humilior, deuotior, orationi instantior, elemosinarum profusior et aliarum quarumlibet spiritualium diuitiarum habundantior quam fuisset si omnino hoc uitio caruisset.

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〈128.〉 Quedam uicia inprecatione persequenda Est adhuc et alius modus bono odio seuiendi in uitia sua uel aliena quando aliter superari non possunt. Qui modus per inprecationem uel maledictionem nimia detestatione uitiorum factam, et est hic modus ualde mirabilis nec uidetur omnino sanctis uiris conuenire. Sed quia frequens est usus eius in sacra Scriptura, docti uiri diuina iuditia subtilius intelligentes, non iudicauerunt eum inprobandum eo quod diuine iusticie concordet. Nec debet homo aliud orare quam quod diuine uoluntati ueraciter intellexerit concordare. Hoc odio seuiebat uel in sua uel in aliena uitia qui dicebat: Pereat dies in qua natus sum et nox in qua dictum est: ‘Conceptus est homo’. Dies ille uertatur in tenebras etc. Noctem illam tenebrosus turbo possideat, sit solitaria nec laude digna. Maledicant ei 128, 10-13 pereat – Leuiatan] Iob 3, 3-8 127, 4 tributarium] tributaririum G 1 |tributarium S 3 ras. G 2 |permisit S 3 128, 2 uitia] iutia Delhaye

6 permisit] iter. G 1 ; semel

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127. Que les vices qui ne peuvent être détruits doivent être réduits en esclavage D’autre part cette haine sainte s’acharne tellement sur ses propres vices ou sur ceux des autres que si elle n’a aucune possibilité de les faire disparaître, elle doit les réduire en esclavage et en faire son ennemi tributaire. Ainsi jadis Israël, s’acharnant avec une haine tenace sur le Cananéen et ne pouvant le faire totalement disparaître, lui permit certes de vivre auprès de lui mais s’en fit un sujet tributaire soumis à la servitude, et ainsi, les richesses qu’il n’avait pu engranger en les obtenant d’un mort, il les accumula en les obtenant d’un vivant. Ainsi, assurément, les hommes saints, prélats ou fidèles, qui ne réussissent ni par leur propre force ni par une force extérieure à faire disparaître complètement leurs propres vices ou ceux des autres, ni en eux-mêmes, ni en les leurs, leur permettent de vivre auprès d’eux mais les contraignent à servir, à leur payer tribut. Ce qui est une très bonne chose puisque tout homme saint, par le fait du vice qu’il tolère malgré lui en lui-même ou chez les siens, devient plus humble, plus pieux, plus fervent à la prière, plus généreux en aumônes, mieux pourvu en toutes sortes d’autres richesses spirituelles qu’il ne l’aurait été s’il n’avait pas eu ce vice. 128. Certains vices doivent être combattus par l’imprécation Il est encore un autre moyen de s’attaquer avec une haine bonne à ses propres vices ou à ceux d’autrui, quand ils ne peuvent être maîtrisés autrement. Ce moyen use de l’imprécation ou malédiction inspirée par une extraordinaire détestation des vices. Ce moyen est tout à fait étonnant mais il ne semble pas du tout convenir aux hommes saints. Cependant, parce que son usage est fréquemment cité dans l’Écriture sainte, des hommes savants, comprenant avec plus de subtilité les jugements divins, n’ont pas jugé devoir le rejeter parce qu’il est en accord avec la justice divine. Mais l’homme ne doit pas prier autrement que dans les termes dont il aura compris qu’ils correspondent véritablement à la volonté divine. C’est avec cette haine que s’attaquait à ses propres vices ou à ceux d’autrui celui qui disait: «Que périsse le jour où je suis né et la nuit où il a été dit: un homme a été conçu. Que ce jour-là se fasse ténèbres, etc. Cette nuit-là, que le tourbillon de ténèbres s’en empare; qu’elle soit reléguée et indigne de louanges. Que la maudissent ceux qui maudissent le jour; ceux qui sont prêts à réveiller le Léviathan, etc.» À qui, je vous prie, appartient la voix d’une si cruelle imprécation, qui s’acharne si terriblement contre le jour de sa naissance et la nuit de sa

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qui maledicunt diei. Qui parati sunt suscitare Leuiatan etc. Cuius, queso, hec est uox tam dire inprecationis in diem natiuitatis sue et in noctem conceptionis sue tam terribiliter seuientis, nisi perfecti odii originalia uitia sua persequentis nec aliter superare ualentis? Quis enim sic mente captus est ut hominem tam simplicem et tam rectum ut erat ille de cuius corde hec imprecatio prodiit, diei aut nocti temporis iam tot annis preteriti, tam irrationabiliter maledixisse crediderit? Hoc quoque odio seuiebat in persecutores suos fel in escam et acetum in potum sibi ministrantes qui dicebat: Fiat mensa eorum coram ipsis in laqueum et in retributiones et in scandalum etc., psalmi lxviii usque ad locum illum: Ego sum pauper et dolens. Vbi tot et tantis iaculis maledictionis configit inimicos, ut merito sic confixi mori debeant nec ad uitam resurgere queant, quorum non solum penis penas sed etiam culpis culpas inprecatur apponi: Appone inquit iniquitatem super iniquitatem eorum et de libro uiuentium deletos cum iustis non scribi. Simile huic est et illud quod in psalmo c°viii° idem eisdem inprecatur dicens: Constitue super eum peccatorem et diabolus stet a dextris eius etc., usque ad locum illum: Hoc opus eorum qui detrahunt michi apud Dominum. Vbi, licet in unam tantum personam maledictionis sue iacula mittere uideatur, multos tamen eisdem configi ex fine apparet. Multa alia huiusmodi exempla iustarum inprecationum perfecto odio uitia persequentium ex antiquorum iustorum scriptis possemus inducere, sed supersedemus notis ne paginam nostram superfluis inductionibus uideamur extendere. Quibus omnibus quid aliud nobis insinuatur, nisi quod uiri iusti ea que in diuinis iudiciis futura considerant, eisdem iudiciis concordantes, impleri uel accelerari desiderant. Et quidem potest esse ut ad uotum obtineant quod sic inprecando desiderant. Potest et esse ut non obtineant, diuinis iudiciis aliud continentibus quod ipsi non uident, nichil tamen meritis eorum deperit sed accrescit, dum uidentes mala que corrigere non possunt, in seipsis tabescunt, et quasi in frixorio confringuntur odio malorum que uident nec corrigere 20 fel – potum] cf. Ps. 68, 22 21-23 fiat – dolens] Ps. 68, 23-30 26-27 appone – scribi] Ps. 68, 28-29 28-30 constitue – Dominum] Ps. 108, 6-20 17 cuius] ciuius Delhaye 18 annis] G 1 (?)|annis S 3 26 appone – eorum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 26 inquit] G 1 ; om. G 2 |inquit S 3 eorum] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 35 inductionibus] G 1 |indictionibus S 3 ; 38 eisdem – desiderant] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 inductionibus S 4 39 inprecando] G 1 |predicando S 3 ; precando S 4

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conception, sinon à la haine parfaite pourchassant ses vices originels et ne pouvant les maîtriser autrement? Qui est, en effet, dépourvu de raison au point de croire qu’un homme aussi simple, aussi droit que celui qui fit jaillir du fond de son cœur cette imprécation, aurait pu maudire de façon si irrationnelle le jour ou la nuit, alors passés depuis tant d’années? C’est aussi de cette haine qu’il enrageait contre ses persécuteurs qui mirent «du fiel dans sa nourriture et du vinaigre dans sa boisson», celui qui disait: «Que leur table soit devant eux un piège, punitions, scandale, etc.» paroles du psaume lxviii jusqu’à ces mots: «Et moi, je suis pauvre et affligé». Où il accable les ennemis de tant et de si graves flèches de malédiction que, justement accablés de la sorte, ils doivent mourir et ne peuvent pas revenir à la vie, eux dont il supplie que leur soient ajoutées non seulement des peines aux peines mais aussi des fautes aux fautes: «Ajoute, dit-il, l’iniquité à leur iniquité et, effacés du livre de vie, ne les inscris pas avec les justes». Semblable à cette imprécation est celle qu’il adresse en ces termes contre eux, dans le psaume CVIII: «Établis sur lui un pécheur, et que le diable se tienne à sa droite etc.», jusqu’à ces paroles: «Voici l’œuvre de ceux qui me retranchent de devant le Seigneur». Par là, bien qu’il semble envoyer les flèches de sa malédiction sur une seule personne, il apparaît, par la fin de ce psaume, que beaucoup en aient été criblés. Nous pourrions donner bien d’autres exemples semblables de justes imprécations combattant les vices d’une haine parfaite, pris dans les écrits de justes anciens mais nous nous dispensons de les mentionner pour ne pas gonfler notre texte de développements superflus. À travers tous ces exemples, que nous donne-t-on à comprendre? Sinon que les hommes justes désirent voir s’accomplir ou accélérer ce qu’ils pensent devoir arriver plus tard dans les jugements divins, auxquels ils adhèrent. Et il peut certes se faire qu’ils obtiennent, selon leur vœu, ce qu’ils désirent en leurs imprécations. Il peut se faire aussi qu’ils ne l’obtiennent pas, les jugements divins comportant d’autres intentions qu’eux-mêmes ne voient pas; leurs mérites toutefois n’en sont en rien diminués, mais au contraire augmentés puisqu’en voyant les maux qu’ils ne peuvent corriger, ils se consument et brûlent, comme dans un foyer, de la haine des maux qu’ils voient et ne peuvent corriger. Ainsi, le Psalmiste: «J’ai vu les renégats et j’en avais horreur parce qu’ils ne gardèrent pas ta parole»; et aussi: «Mon zèle m’a dévoré parce que mes ennemis ont oublié tes paroles»; et encore: «La défaillance m’a saisi à cause des pécheurs qui abandonnent ta loi». Et nombreuses sont les autres déplorations du même genre, de la part des saints qui voient «la paix des pécheurs» mais

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preualent. Vnde psalmista: Vidi preuaricantes et tabescebam quia eloquia tua non custodierunt, et iterum: Tabescere me fecit zelus meus quia obliti sunt uerba tua inimici mei, et iterum: Defectio tenuit me pro peccatoribus derelinquentibus legem tuam. Et multi sunt alii huiusmodi planctus sanctorum pacem peccatorum uidentium sed turbare eam non preualentium, et ob hoc huiusmodi odio tabescentium. Et uidentur quidem foris nonnullis animi morbo intus laborare, cum tamen reuera non aliunde tabescant quam perfecto odio malorum que de medio auferre non possunt.

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〈129.〉 Autoritate Genesis probat hoc odium esse opus Spiritus sancti Quod autem huiusmodi odium opus Spiritus sancti sit, libet ipsius Spiritus sancti autoritate comprobare. Liquet cunctis fidelibus stilo Spiritus sancti scriptum esse quicquid in Genesi continetur, ubi inter cetera diuina oracula continetur etiam hoc quod creator omnium Deus protulit in serpentem prime matris Eue deceptorem: Ponam inimicitias, inquit, inter te et mulierem, et semen tuum et semen ipsius. Ipsa conteret caput tuum et tu insidiaberis calcaneo eius. Vere diuinum et altissime profunditatis oraculum proprio digito Dei conscriptum, in quo sic beate Virginis et matris dignitas singulariter commendatur, ut etiam uniuersaliter Ecclesie et particulariter cuiuslibet electe anime, quod est semen mulieris, id est Ecclesie, gratia commendetur, qua sic perpeti odio aduersus antiquum serpentem humani generis hostem et aduersus semen eius, qui sunt omnes reprobi, exarsit Ecclesia et semen eius, ut inpacabilibus inimiciciis eum persequi non cesset, maxime caput suggestionum eius conterendo, quamuis nichilominus totum corpus eius conterere non omittat, illo e contra pertinacissime ei resistente et totum corpus

44-45 uidi – custodierunt] Ps. 118, 158 45-46 tabescere – mei] Ps. 118, 39 46-47 defectio – tuam] Ps. 118, 53 48 pacem – uidentium] Ps. 72, 3 49 tabescentium] cf. Ps. 118, 158; 138, 21 129, 3-4 stilo – scriptum] cf. Hugues de Saint-Victor, De scripturis et scriptoribus sacris, I (PL 175, 10A) 6-8 ponam – eius] Gen. 3, 15 129, 4 continetur] G 1 |continentur S 3 ; continetur S 4 6 inquit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |inquit S 3 11-12 quod – ecclesie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 12 qua] quasi Delhaye 14 et semen eius] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

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ne peuvent y faire obstacle, et qui, pour cela, sont dévorés de cette haine. De l’extérieur, ils semblent bien à certains souffrir intérieurement d’une maladie de l’âme alors qu’ils ne se consument de rien d’autre que de la haine parfaite des maux qu’ils ne peuvent faire disparaître.

129. Il démontre par l’autorité de la Genèse que cette haine est l’œuvre de l’Esprit saint Mais je veux démontrer par l’autorité de l’Esprit saint lui-même que cette haine est l’œuvre de l’Esprit saint. Il est évident à tous les fidèles que tout ce que contient la Genèse fut écrit de la plume de l’Esprit saint. Entre autres paroles divines, il y est dit aussi que Dieu, Créateur de toutes choses, révéla dans le serpent le séducteur d’Ève, la première mère. «Je mettrai inimitié», dit-il, «entre toi et la femme et entre ta descendance et sa descendance. Elle te brisera la tête et tu lui saisiras le talon». Parole véritablement divine et d’une très grande profondeur, tracée du propre doigt de Dieu: en elle la dignité de la sainte Vierge et mère est mise en valeur personnellement, de sorte que la grâce de l’Église, universellement, et celle de toute âme élue, particulièrement – qui est la postérité de la femme, c’est-à-dire de l’Église – est aussi mise en valeur. Par elle, l’Église et sa postérité brûlèrent d’une haine continuelle contre l’antique serpent, ennemi du genre humain, et contre sa postérité, que sont tous les réprouvés, à tel point qu’elles ne cessent de le poursuivre de haines acharnées, en écrasant surtout la tête de ses séductions sans oublier cependant de broyer tout son corps, tandis que lui, au contraire, lui résistant avec la plus grande ténacité, s’efforce de dévorer tout son corps, la gueule grande ouverte. Car il se croit capable «d’engloutir le Jourdain».

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eius amplissimo hiatu oris sui deuorare nitente. Estimat enim quod Iordanis influat in os eius. 〈130.〉 Quomodo serpens insistit calcaneo mulieris Maxime tamen calcaneo eius insistit dum per illicebras carnis, que est ultima pars hominis, animas se posse tenere credit, uel certe ideo calcaneo eius insistere dicitur. Nam electorum Ecclesiam quam ab initio quidam serpens antiquus persequi non desiit, aduertante fine mundi quo perpetuam suam dampnationem iminere sensit, grauioribus insidiis impetiuit dum singulariter semen Virginis matris in quo salus mundi constitit, id est Dominum Ihesum Christum, crucifigi fecit estimans se eum deuorare posse. Sicut in Apocalipsi sub tipo mulieris amicte sole et habentis in utero scriptum est: Draco, inquit, stetit ante mulierem que erat paritura ut cum peperisset filium eius deuoraret. Sed miser non attendens Scripturam alibi de se scriptam: Draco iste quem formasti ad illudendum ei, dum in mari huius seculi captat escam quam sibi dandam expectat in tempore, proiecto sibi hamo diuinitus inescato, uelud piscis auidus esce quam uidet capitur hamo quem non uidet. Et sic quidem tunc illusum est ei a Sapientia Dei in singulari semine mulieris per aculeum diuinitatis latentem sub esca humanitatis. Sed ecce mox, excusso de maxilla aculeo cum ipsa esca, insurgit acrior et amplius debachatur in mulierem et semen eius reliquum, multos quidem martyres Dei faciens sed nouam stultus illusionem paciens, quia dum persequitur corpora martyrum, animas quas solas in corporibus captat mittit in celum.

18-19 Iordanis – eius] Iob 40, 18; cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 971D) 130, 10-11 draco – deuoraret] Apoc. 12, 4 12-13 draco – ei] Ps. 103, 26 3-15 mari – uidet] cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, XXXIII, vii, 14 (CCSL 143B, p. 1684, l. 16-25); Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 947B-C) 16-17 per – humanitatis] cf. Adam de Saint-Victor, séq. Salue dies dierum gloria, str. 4 (Bibl. Vict. 20, p. 311) 20-21 corpora – animas] cf. Matth. 10, 28 130, 2-4 dum – dicitur] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |in textu S 3 quam G 1 |quem S 3 14 hamo] homo G 1 ; hamo G 2 |hamo S 3

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130. Comment le serpent marche sur le talon de la femme Cependant, c’est surtout quand il croit pouvoir tenir les âmes par les tentations de la chair, qui est la partie la plus basse de l’homme, qu’il lui foule le talon, et c’est sans nul doute pourquoi l’on dit qu’il lui foule le talon. Depuis le début il ne cessa de harceler l’Église des élus; au signe de la fin du monde qui lui fit sentir l’imminence de sa damnation éternelle, l’antique serpent tendit des embûches plus graves quand, d’une manière extraordinaire, il fit crucifier la postérité de la Vierge Marie, en laquelle réside le salut du monde, à savoir le Seigneur Jésus Christ, croyant pouvoir le dévorer. Comme il est écrit dans l’Apocalypse, sous le symbole d’une femme revêtue du soleil et enceinte: «Le dragon, dit le texte, se tint devant la femme qui allait enfanter, afin qu’à la venue de son Enfant, il le dévorât». Mais, le misérable, ignore ce qu’il est écrit ailleurs à son sujet: «Ce Dragon que tu as formé pour te jouer de lui» Dans la mer de ce monde, il capture une proie dont il s’attend à ce qu’elle lui soit donnée en son temps; un hameçon garni d’appât par la main de Dieu lui ayant été lancé, le voici tel un poisson avide de la nourriture qu’il voit, pris par le hameçon qu’il ne voit pas. Ainsi fut-il joué par la sagesse divine dans la postérité unique de la femme, par le dard de la divinité caché sous l’appât de l’humanité. Mais voici que bientôt, dard et nourriture rejetés ensemble de la mâchoire, il s’emporte plus fortement et fait rage plus violemment contre la femme et le reste de sa postérité, faisant certes de nombreux martyrs de Dieu, mais subissant dans sa folie une nouvelle tromperie: en persécutant les corps des martyrs, il envoie au ciel les âmes qu’il n’atteint que dans les corps.

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〈131.〉 Quomodo per antichristum inpugnabit mulierem Nouissime uero, deprehenso sepius sibi ab inimicis illusum esse per carnem, temptabit et ipse inimicos illudere per carnem. Ingredietur personaliter in unum sue sortis hominem, et alium quam serpentem se fingens mira arte insistet calcaneo mulieris, id est nouissimi temporis fidelibus. Cuius artis modum benignus Spiritus sanctus ad cautelam nobis in ix° psalmo iam olim prescripsit dicens: Dixit enim in corde suo: ‘Non mouebor a generatione in generationem sine malo’: ecce artem cordis, id est cogitationis; Cuius maledictione os plenum est et amaritudine et dolo sub lingua eius labor et dolor: ecce artem oris, id est locutionis; Sedet in insidiis cum diuitibus in occultis ut interficiat innocentem: ecce artem operis quam etiam multipliciter subdiuidit, prosequens insidias eius miras usque ad illum locum: Cum dominatus fuerit pauperum. His artibus, antiquus ille et tortuosus draco, per hominem cui se corporaliter infundet, calcaneo mulieris indicibiliter insistet dum extremos quosque de Ecclesia sibi, mille laqueis pedibus eorum iniectis attrahet, usque adeo proficiens in illis ut non solum calcaneum sed etiam caput mulieris illaqueatum se presumat, et quasi de uictoria securus capitaneos et primos quosque de Ecclesia, multiplicatis adhuc laqueis attrahat. Vnde idem Iohannes bestiam eum irrisorie uocat et per corpus pardo, per caput leoni, per pedes urso assimilat, eo quod harum bestiarum maxime proprietates habeat. Capita quoque vii et cornua x, totidemque diademata ei dat in uariarum quidem bestiarum formas propter uarios 131, 1 antichristum – mulierem] cf. I Ioh. 2, 18; 2, 22; 4, 3; II Ioh. 7; Apoc. 12, 13 5-6 calcaneo – fidelibus] cf. Primasius d’Hadrumète, Commentarius in Apocalypsin, I, 2 (CCSL 92, p. 27, l. 107-109); Pierre de Celle, Commentaria in Ruth, I, 3 (CCCM 54, p. 67, l. 1203-1205) 7-13 dixit – pauperum] Ps. 9, 27-31 14 antiquus – draco] Apoc. 12, 9; cf. Primasius d’Hadrumète, Commentarius in Apocalypsin, III, 12 (CCSL 92, p. 185, l. 143-148); Augustin, Enarr. in Ps., 103, s. 4, 7 (CCSL 40, p. 1526, l. 1-3); Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 906C); Adam de Saint-Victor, séq. Laus erumpat, str. 3 (Bibl. Vict. 20, p. 424) 20-21 corpus – assimilat] Apoc. 13, 2; Primasius d’Hadrumète, Commentarius in Apocalypsin, IV, 13 (CCSL 92, p. 193, l. 16-20); Bède, Explanatio Apocalypsis, II, 21 (CCSL 121A, p. 401, l. 19-22); Richard de Saint-Victor, In Apocalypsim, V, 4 (PL 196, 804C) 2223 capita – dat] Apoc. 13, 2 131, 2 sepius sibi] sibi sepius G 1 |sepius sibi S 3 5-6 id est … fidelibus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 13 locum] cadet add. G 1 |om. S 3 18 illaqueatum] illaqueraturum Delhaye 20 et] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |et S 3 23 propter] IIII G 1 |propter S 3

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131. Comment il s’attaquera à la femme par l’antéchrist Mais à la fin, surpris à avoir été très souvent trompé, dans la chair, par ses ennemis, il tentera à son tour de tromper ses ennemis dans la chair: il entrera en personne dans un homme de sa condition, et prenant une autre forme que celle du serpent, il s’attaquera avec une adresse remarquable au talon de la femme, c’est-à-dire aux fidèles des derniers temps. Et cette sorte d’adresse, l’Esprit saint bienveillant, pour nous en préserver, nous l’a déjà signifié jadis en disant: «Car il dit en son cœur: d’âge en âge je résisterai au malheur». Voici l’artifice du cœur, c’est-à-dire de la pensée: «Sa bouche est pleine de malédiction, d’amertume et de fourberie, sous sa langue il n’y a que peine et souffrance». Voici l’artifice de la bouche, c’est-à-dire de la parole: «Il se tient dans les embuscades avec les riches, dans des lieux cachés pour tuer l’innocent». Voici l’artifice de l’œuvre que le psalmiste subdivise en plusieurs parties, poursuivant l’énumération de ces pièges extraordinaires jusqu’à ce passage: «tandis qu’il aura eu raison des pauvres». Par ces artifices, cet antique et tortueux dragon, par le truchement de l’homme auquel il se sera incorporé, s’attaquera de façon indicible au talon de la femme, en attirant à lui les derniers hommes, hors de l’Église, en lançant sur leurs pieds mille lacets au point de prétendre, en prospérant en eux, prendre au piège non seulement le talon mais aussi la tête de la femme, et, presque sûr de la victoire, attirer, en multipliant encore les lacets, les chefs et les plus hauts dignitaires de l’Église. C’est pourquoi, le même Jean l’appelle par dérision «la bête», et il l’assimile, par le corps, au léopard, par la tête, au lion, par les pieds, à l’ours, pour la raison qu’il possède au plus haut point les propriétés de ces bêtes. Il lui attribue sept têtes et dix cornes, et autant de diadèmes, dans la forme des différentes bêtes, en raison des différentes fourberies: les têtes, en raison des princes de la terre qui lui sont soumis, les cornes, en raison des royaumes soumis à son empire, les diadèmes, en raison des victoires grâce auxquelles il soumettra tout à lui. Il est long et superflu d’énumérer ici les inimitiés que Dieu ou son esprit a établies entre cette femme et ce serpent, et il n’est pas dans notre intention de reprendre point par point ce qui est écrit à ce sujet dans l’Apocalypse. Si quelqu’un veut en savoir davantage, qu’il lise la quatrième vision de l’Apocalypse.

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dolos, capita propter principes terrarum sibi subiectos, cornua propter regna sue dominationi subdita, diademata propter uictorias quibus sibi subiciet omnia. Longum et superfluum est hic enumerare inimicicias inter hanc mulierem et hunc serpentem positas a Deo siue a Spiritu eius, nec est nostre intentionis singula prosequi que de his in Apocalipsi scripta sunt. Quisquis ea plenius nosse desiderat, quartam Apocalipsis uisionem legat.

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〈132.〉 Elucidatio cuiusdam obscuri loci in Apocalipsi Vnum tamen de his inimicitiis inter alia breuiter ibi commemoratum, et ob hoc minus intellectum, libet hic in medium deducere, et adiuuante Spiritu Dei qui mulierem adiuuit, plenius elucidare, quamuis uideamur in hoc ipso ab intentione nostra recedere. Sed quisquis lector ea diligentius inspexerit fortisan non quasi aliena reprobabit. Quisquis enim ueraciter de semine huius mulieris est, ex his lectis et intellectis, maius odium in serpentem sue matris hostem concipiet, quod utique ad sui microcosmi ornatum proficiet, ac per hoc omnino ad nostram intentionem pertinet, siquidem de ornatu inferiorum aquarum microcosmi nunc agimus.

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〈133.〉 Qu’id sit ille obscurus locus Igitur Iohannes figuratiue narrans prelia et inimicitias quas posuit Deus inter hunc serpentem et hanc mulierem, ad id loci tandem deuenit ubi tanta uictoria cedit serpenti in mulierem, ut omnes habitantes in terra subiciantur ei et bestie et ymagini bestie per quos signa et mirabilia facientes seducit omnes, ita ut adorent eum et bestiam et imaginem bestie, et quicumque hoc non fecerit occidatur. Et faciat omnes, pusillos et magnos,

24 capita – subiectos] cf. Richard de Saint-Victor, In Apocalypsim, V, 4 (PL 196, 804B-C) 24-25 cornua – regna] Jérôme, In Abacuc, II, 3 (CCSL 76A, p. 625, l. 281-282); Bède, Explanatio Apocalypsis, III, 30/17 (CCSL 121A, p. 465, l. 19-21); cf. Anselme de Laon, Enarr. in Apoc., 12 (PL 162, 1543D) et 13 (1546C) 132, 4 mulierem adiuuit] cf. Gen. 3, 15; Apoc. 12, 6 et 16 133, 4-10 habitantes – eius] cf. Apoc. 13, 14-17 133, 1 quid] quis G 1 |quid S 3 2 figuratiue] abest in G 1 ; add. 2 3 3 id loci tandem] id tandem loci Delhaye 5 subiciansup. l. G |figuratiue S tur] sudiciantur G 1 |subiciantur S 3 6 et bestiam] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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132. Éclaircissement d’un passage obscur de l’Apocalypse Cependant nous voulons traiter maintenant de l’une de ces inimitiés brièvement évoquée ici parmi les autres, et pour cela moins bien comprise, et avec l’aide de l’Esprit de Dieu qui aida la femme, l’expliquer plus clairement, même si nous voyons bien qu’en cela nous écartons de notre sujet. Mais le lecteur qui examinera de plus près nos explications ne les rejettera peut-être pas comme étrangères à notre propos. Car quiconque appartient véritablement à la postérité de cette femme, après les avoir lues et comprises, nourrira envers le serpent ennemi de sa mère une haine plus forte, qui favorisera en tous points l’ornement de son microcosme; et c’est pourquoi cela entre parfaitement dans notre intention puisque nous traitons maintenant de l’ornement des eaux inférieures du microcosme.

133. Quel est ce passage obscur Ainsi Jean, racontant en figure les combats et les embûches que Dieu établit entre ce serpent et cette femme, en arrive à ce passage où le serpent remporte sur la femme une victoire qui soit à ce point grande que tous «les habitants de la terre lui soient soumis, à lui et à la bête, et à l’image de la bête, par lesquels, accomplissant signes et prodiges, il les séduit tous, de sorte qu’ils l’adorent, lui et la bête, et l’image de la bête, et que quiconque ne le ferait pas soit tué; et qu’il fasse que tous, petits et grands, riches et pauvres, libres et esclaves, reçoivent la marque de la bête, dans la main droite ou sur le front; et que personne ne puisse acheter ou vendre s’il n’a pas la marque du nom de la bête ou le nombre de son nom». À ces paroles, Jean ajoute ces quelques mots: «Ici est la sagesse. Que celui qui a l’intelligence compte le nombre de la bête, car c’est le nombre de l’homme et son nombre est six cent soixante-six». Jean nous a laissé cette parole, si obscure que même l’explication qu’il semble en donner brouille plus encore notre compréhension. Car, dire «c’est le nombre de l’homme et ce nombre est six cent soixante-six» semble être une explication. Mais que signifie qu’il nous ait prescrit de compter le nombre et qu’il dise: «Que celui qui a l’intelligence compte le nombre

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diuites et pauperes, liberos et seruos, habere caracterem bestie in manu dextera aut in frontibus suis; et ne quis possit aut emere aut uendere nisi qui habet caracterem nominis bestie aut numerum nominis eius. His dictis subiungit Iohannes breue uerbum dicens: Hic sapientia est. Qui habet intellectum computet numerum bestie; numerus enim hominis est et numerus eius est sexcenti sexaginta sex. Hoc uerbum adeo obscurum nobis reliquit Iohannes ut etiam hoc quod ipse de eo exponere uidetur, magis turbet intellectum nostrum. Nam ad exponendum pertinere uidetur quod ait: Numerus enim hominis est et numerus eius est sexcenti sexaginta sex. Sed quid est hoc quod numerum nobis ipse prescripsit computatum et tamen dicit: Qui habet sapientiam computet numerum bestie? Num istud intendit ut computando sapienter hoc tantum inueniamus quot in isto numero sint monades aut decades? Quis sapientiam habens tam diligenti computatione quereret istud aut querendum proponeret? Ergo, quoniam ad computandum non alium hic hortatur nisi qui habet sapientiam, forte in numero problema est. Et quidem uiri illustres Scripture huius tractatores ante nostra tempora hunc numerum strenue uersantes quedam nomima aduerterunt, ex quibus arbitrati sunt se inuenisse quid dicere uoluerit Iohannes, tria uidelicet greca nomina et unum goticum, id est antemos, arnoime, teitan, gensericos. Quorum primum interpretatur honori contrarius, secundum nego, tercium sol, quartum gentium seductor.

11-13 hic – sex] Apoc. 13, 18 17-25 quid – aduerterunt] cf. Béat de Liébana, Commentarius in Apocalipsin, VI, 4 (Sanders, p. 500, l. 10; Gryson, CCSL 107C, p. 715-716, l. 479-483); Théodulphe d’Orléans, Commemoratorium de Apocalypsi, XIII, 18 (CCSL 107, p. 327, l. 24-29); Bruno d’Asti, Expositio in Apocalypsim, IV, 13 (PL 165, 879B); Anselme de Laon, Enarr. in Apoc., 13 (PL 162, 1549B-D); Rupert de Deutz, Commentarium in Apocalypsim, VIII, 13 (PL 169, 1083D-1084B); 2629 tria – seductor] cf. Anonyme, De enigmatibus ex Apoc. Ioh., 72 (CCSL 107, p. 278, l. 6-10); Béat de Liébana, Commentarius in Apocalipsin, VI, 4 (Sanders, p. 499, l. 23 et p. 500, l. 5; Gryson, CCSL 107C, p. 714-715, l. 460-466); Ambroise Autpert, Expositio in Apocalypsin, VI, xiii, 18 (CCCM 27A, p. 518, l. 90-94); Richard de Saint-Victor, In Apocalypsim, IV, 5 (PL 196, 808D); Rupert de Deutz, Commentarium in Apocalypsim, VIII, 13 (PL 169, 1084A) 17 quod] et add. G 1 |quod S 3

prescripsit] prescribit G 1 |prescripsit S 3

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de la bête?» Veut-il dire qu’en comptant avec sagesse nous trouvions seulement combien de monades et de décades contient ce nombre? Mais quel homme de sagesse mettrait tant de soin à faire ce calcul ou le donnerait-il à faire? Donc, parce qu’il appelle à faire ce calcul exclusivement celui qui possède la sagesse, peut-être le problème est-il dans le nombre. Des hommes illustres, certes, ont travaillé, avant notre temps sur ce texte et en étudiant ce nombre avec attention ont signalé certains noms grâce auxquels ils pensaient avoir trouvé ce que Jean avait voulu dire: trois nom grecs et un gothique, à savoir: antemos, arnoime, teitan, gensericos. Le premier signifie «contraire à l’honneur», le second «je nie», le troisième «le soleil», le quatrième «séducteur de peuples».

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〈134.〉 Quod littere horum nominum hunc numerum continent Singulorum nominum istorum littere numerum istum in se continent grecis figuris scripte. Apud Grecos enim omnes littere numeros significant. Nam prima huius nominis quod est antemos, littera «a» grece scripta unum, «n» quinquaginta, «t» trecentos, «e breue» quinque, «m» quadraginta, «o breue» septuaginta, «s» ducentos significat: que in summa faciunt sexcentos sexaginta sex. Similiter est et de aliis tribus nominibus grecis litteris scriptis. Laudanda est hec patrum inspectio. Veruntamen est aliquid in his non ociose querendum. Numquid enim bestia talibus uolet nominibus appellari, talibus uocabulis salutari? Numquid eos a quibus honori contrarius seu gentium seductor dicetur pace sua remunerabit, ut uel emere uel uendere possint? Sic enim hic habes ut ne quis possit emere aut uendere nisi qui habent caracterem aut nomen bestie aut numerum nominis eius? Numquid hoc edicet ut contrarius, quod est Satan siue antemos, aut ut negator uel gencium seductor pronuncietur et ut qui hoc pronunciauerit ille sit liber, ille uendere uel emere possit, aut numquid giganteo nomine quod est «teitan» contentus erit cum extollatur supra omne quod dicitur aut quod colitur Deus, ostendens se tanquam sit Deus? Apud nos latinos etiam littere latine quibus scribitur dic lux, eundem numerum continent. Nam «d» quingentos, «c» centum, «l» quinquaginta, «u» quinque, «i» unum, decem significat «x». Que in unum collecta faciunt similiter dclxvi. Sed etsi Scriptura hoc loco nomen istud ei palam ascriberet et nominis huius numerum dclxvi esse diceret, nonne tunc quoque ad querendum superesset quid ad illum hominem hic numerus pertineret?

134, 2-25 singulorum – pertineret] cf. Rupert de Deutz, Commentarium in Apocalypsim, VIII, 13 (PL 169, 1084B-D) 134, 6 quadraginta] quinquaginta G 1 ; quadraginta G 2 |quinquaginta S 3 11 di17 giganteo] gigantico cetur] diceretur Delhaye 13 aut] uel G 1 |aut S 3 1 Delhaye 21 quinque] G |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 23 etsi] etiamsi G 1 |etsi S 3 22 faciunt] iter. G 1 ; semel del. G 2 |faciunt S 3 24 nonne] G 1 |nunne S 3 nonne S 4 |utrumque Delhaye

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134. Que les lettres composant ces noms contiennent ce nombre Écrites en caractères grecs, les lettres de chacun de ces noms contiennent en elles ce nombre. Car chez les Grecs toutes les lettres représentent des nombres. Ainsi la première lettre du nom antemos, la lettre a écrite en grec, signifie un, n signifie cinquante, t, trois cents, e bref cinq, m quarante, o bref soixante et dix, et s deux cents: ce qui fait en tout six cent soixante-six. Pareillement des trois autres noms, écrits en caractères grecs. Cette analyse des Pères est digne de louange. Il y a toutefois quelque chose sur ce point qu’il n’est pas inutile de rechercher. Est-ce que la bête voudrait être désignée par de tels noms, être saluée en de tels termes? Est-ce qu’elle accordera sa paix à ceux qui l’appelleraient «contraire à l’honneur» ou «séducteur de peuples», de sorte qu’ils puissent acheter ou vendre? Car on lit ceci: «Afin que personne ne puisse acheter ni vendre sinon ceux qui ont la marque ou le nom de la bête, ou le nombre de son nom?» Ne déclare-t-il pas cela afin que l’Ennemi, qui est Satan, ou Antemos, ou le négateur, ou le séducteur de peuples soit dénoncé, et que celui qui l’aura dénoncé, celui-là soit libre, qu’il puisse vendre ou acheter; ou bien se satisfera-t-il du nom démesuré de Teitan, pour être exalté au-dessus de toute parole ou de toute vénération, à savoir Dieu, se montrant comme s’il était Dieu? Chez nous aussi, Latins, les lettres latines qui composent les mots dic lux contiennent le même nombre, car d signifie cinq cents, c signifie cent, l, cinquante, u, cinq, i, un, et x, dix: qui toutes ensemble font aussi dclxvi. Mais même si l’Écriture, en ce passage, lui donnait ce nom en clair et disait que le nombre de ce nom était dclxvi, ne resterait-il pas alors à rechercher aussi en quoi ce nombre pourrait concerner cet homme?

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〈135.〉 Non de numero nominis sed hominis intelligendum esse quod dicitur Igitur quoniam et numerus hic positus est et tamen ad computationem eiusdem sapientia queritur cum dicitur si quis habet sapientiam computet numerum bestie, sapientiam consulamus, sacram Scripturam inspiciamus, sine qua nichil constans aut certum, siue de numero bestie que aduersus Deum extollitur, siue de numero Dei inuenire possumus. Nam sicut antiquus ille Sanson ueraciter dicere potuit: Si non arassetis in uitula mea non inuenissetis proposicionem meam, sic Dominus noster Ihesus Christus, cuius nimirum propositiones siue problemata sunt omnia que in Apocalipsi continentur profunda misteria, ueraciter nobis dicat: Si non araueritis in alia Scriptura, non inuenietis solutionem numeri huius quem presens nobis signauit Scriptura. Primo igitur diligenter aduertendum est quia prius quidem, cum dixisset ut ne quis possit emere aut uendere nisi qui habent caracterem bestie aut nomen aut numerum, signanter addidit: Nominis eius. Post uero cum dicit: Si quis habet sapientiam computet numerum, de nomine nullam mentionem fecit, sed tantum computet numerum bestie inquit, ac deinde et numerus eius absque interpretatione nominis est ait «dclxvi». Cur queso hoc, nisi quia aliud nomen bestie significat et aliud ipsa est? Bestia namque ipsa homo est et in ea diabolus inhabitat; nomen autem eius quod sibi usurpat, quod nisi quis confessus fuerit uendere aut emere non poterit, Deus est. Aduersatur namque et extollitur super omne quod dicitur Deus aut colitur ita ut in templo Dei sedeat ostendens se tamquam sit Deus. Duos hic ergo numeros intelligi oportet, alterum nominis eius quod illa bestia sibi usurpat, scilicet Dei, alterum bestie, id est hominis quod ipsa erit. Alius namque est numerus Dei et alius hominis, immo omnis rationalis creature que ad creatoris gratiam non pertingit, siue hominis siue angeli. Debuerat quidem unus esse numerus creatoris et creature sed creatura numerum sibi alium elegit dissentiendo a creatore. Quis autem est ille numerus creatoris? Numerus septenarius sicut Scriptura dicit: Compleuitque Deus die septimo opus suum quod fecerat et requieuit ab 135, 3-60 igitur – Deus] cf. Rupert de Deutz, Commentarium in Apocalypsim, VIII, 13 (PL 169, 1084D-1086C) 4-5 si – bestie] cf. Apoc. 13, 18 8-9 si – meam] Iud. 14, 18 14-15 ne – numerum] Apoc. 13, 17 16-18 si – bestie] cf. Apoc. 13, 18 23-24 aduersatur – Deus] II Thess. 2, 4 32-34 compleuit – faceret] Gen. 2, 2 135, 23 colitur] ut sepe iam dictum est add. G 1 ; del. G 2 | S 3

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135. Ce qui est dit doit être entendu non du nombre du nom mais de celui de l’homme Ainsi, puisque le nombre est cité ici, mais que la sagesse est requise pour le compter quand il est dit: «Que celui qui a la sagesse compte le nombre de la bête», examinons la sagesse, examinons l’Écriture Sainte, sans laquelle nous ne pouvons trouver rien de stable ni de certain, ni sur le nombre de la bête, qui est élevée contre Dieu, ni sur le nombre de Dieu. Car de même que l’antique Samson put dire en vérité: «Si vous n’aviez pas labouré avec ma génisse, vous n’auriez pas trouvé mon énigme», de même Notre Seigneur Jésus-Christ, dont les énigmes ou questions, sont toutes, assurément, ces profonds mystères contenus dans l’Apocalypse, nous dirait en vérité: «Si vous ne labourez pas dans l’autre Écriture, vous ne trouverez pas la solution de ce nombre que la nouvelle Écriture nous a indiqué». Car il faut tout d’abord souligner qu’auparavant, quand il dit que personne ne peut acheter ni vendre sinon ceux qui ont la marque, le nom ou le nombre de la bête, il ajouta expressément: «de son nom». Mais ensuite, quand il dit: «Que celui qui a la sagesse compte le nombre», il ne fait nulle mention du nom, mais il dit: «Qu’il compte le nombre de la bête»; puis il dit: «et son nombre (sans ajouter «du nom») est dclxvi». Pourquoi cela, je vous prie, sinon parce qu’une chose est le nom de la bête, autre chose la bête elle-même. Car la bête elle-même, c’est l’homme, et le diable habite en elle; mais son nom, qu’il accapare à son profit, sans lequel, à moins de l’avoir reconnu, personne ne peut vendre ou acheter, c’est Dieu. Elle s’oppose, en effet, et s’élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu ou vénéré comme tel, de sorte qu’elle siège dans le Temple de Dieu, se faisant passer pour Dieu. Il faut donc envisager ici deux nombres: l’un le nombre de son nom, celui que la bête usurpe pour elle-même, qui est celui de Dieu, l’autre le nombre de la bête, c’est-à-dire celui de l’homme, qu’elle sera elle-même. Autre est en effet le nombre de Dieu, autre celui de l’homme, ou même de toute créature douée de raison, qui n’atteint pas à la grâce du Créateur, homme ou ange. Le nombre du Créateur et de la créature devaient être unique, certes, mais la créature s’en choisit un autre, se séparant du Créateur. Mais quel est ce nombre du Créateur? Le nombre sept, comme le dit l’Écriture: «Et Dieu acheva, le septième jour, l’œuvre qu’il avait accomplie, et il se reposa de toute l’œuvre qu’il avait faite; et il bénit le septième jour et il le sanctifia, car en ce jour, il se reposa de toute l’œuvre qu’il créa en la faisant». Mais quel est le nombre de la créature? Le nombre six, parce que l’Écriture englobe la création toute entière en

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omni opere quod patrarat et benedixit diei septimo et sanctificauit illum, quia in ipso cessauerat ab omni opere quod creauit ut faceret. Quis uero est numerus creature? Numerus senarius quia uidelicet numero dierum senario creaturam uniuersam Scriptura comprehendit et in sexto die creauit Deus hominem, unde et senarius numerus est hominis. Et ille quidem a Deo conditus est ut post obedientie opus consummatum cum Deo in septima ora sabbatizaret, id est requiesceret, atque compleretur bono quod significatur dicendo: Compleuitque Deus die septimo opus suum quod fecerat. Significat namque dies septimus remunerationem boni operis, Apostolo quoque attestante qui dicit: Ingrediemur enim in requiem qui credidimus, quemadmodum dixit: Sicut iuraui in ira mea si introibunt in requiem meam. Vt ergo in illam Dei requiem homo introiret, ut in illius septenarii numeri sabatismo sabatizaret cum Deo, idcirco conditus est, sed neque tunc homo introiuit, nec diabolus qui illum decepit unquam introibit. Nam uterque sine Deo immo contra Deum in creatura mundi et in semetipso gloriari uoluit. Videamus ergo quem numerum attribuat bestie que se Deum facit Dei scilicet an hominis. Numerus inquit hominis est. Premiserat autem: Si quis habet sapientiam computet numerum bestie, ac si dicat: Qui habet sapientiam cum uiderit illum hominem peccati, filium perditionis potentem ac diuitem, extollentem se, et resistentes sibi occidentem et in omnibus magnifice agentem, recogitet ac perpendat quia quicquid loquitur, quicquid agit, non pertinet ad illam requiem, non est de illa septima creatoris, de uerbo Dei, de regno caritatis, sed tantummodo de creatura mundi, de concupiscentia oculorum et superbia uite, ac perinde quasi certo confirmatus argumento sciat et dicat quia ille homo non est ipse quem se esse dicet, non est Deus sed fallaciter se ostendit quasi sit Deus.

42-44 ingrediemur – meam] cf. Hebr. 3, 11 et 18; 4, 3 et 5 cf. Apoc. 13, 18 57 de concupiscentia – uite] I Ioh. 2, 16 39 septima ora] 〈septimo〉 Delhaye

59 dicet] dicit Delhaye

51 si – bestie]

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six jours, et le sixième jour, Dieu créa l’homme, c’est pourquoi le nombre six est le nombre de l’homme. Et l’homme a été créé par Dieu afin qu’après consommation de l’œuvre d’obéissance il «sabbatise» à la septième heure, c’est-à-dire qu’il se repose, et qu’il soit accompli pour le bien qui est signifié par ces paroles: «Dieu accomplit, le septième jour, son œuvre qu’il avait faite». Le septième jour signifie en effet la récompense de l’œuvre bonne, comme en témoigne aussi l’Apôtre en disant: «Car nous entrons dans le repos, nous qui avons cru», de même qu’il dit: «Comme je jurai dans ma colère: s’ils entrent dans mon repos». C’est donc pour que l’homme entre dans le repos de ce jour, pour qu’il «sabbatise» avec Dieu dans le sabbat de ce nombre sept qu’il a été créé, mais alors l’homme n’y entra pas, ni le diable, qui le trompa, n’y entrera jamais; car l’un comme l’autre voulut se glorifier sans Dieu, et même contre Dieu dans la créature du monde, et en soi-même. Voyons donc quel nombre il attribue à la bête qui se fait Dieu: celui de Dieu ou celui de l’homme. «Ce nombre, dit-il, est celui de l’homme». Mais il avait déclaré auparavant: «Que celui qui a la sagesse compte le nombre de la bête». Comme s’il disait: «Quand celui qui a la sagesse voit cet homme de péché, fils de perdition, s’exalter, tuer ceux qui lui résistent, agir en tout avec faste, qu’il réfléchisse et se rende compte que tout ce qu’il dit, tout ce qu’il fait ne relève pas de ce repos, n’appartient pas à ce septième jour du Créateur, au Verbe de Dieu, au royaume de la charité, mais seulement à la créature, à la concupiscence des yeux, à l’orgueil de la vie; et donc, confirmé dans cette preuve quasicertaine, qu’il sache et dise que cet homme n’est pas ce qu’il dit être, n’est pas Dieu, mais que c’est mensongèrement qu’il se présente comme étant Dieu.

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〈136.〉 Quare non simplicem sed tam multiplicatum senarium posuerit? Cum igitur dixisset «numerus enim hominis est senarius», singularis siue simplex subintelligi poterat, siquidem homo ille, homo tantum et non etiam diabolus esset. At uero homo ille homo quidem natura sed potestate diabolus in illo totus erit cum omni sua uirtute, tota plenitudine, ut ait Apostolus, quia eiusdem hominis aduentus erit secundum operationem Sathane. Recte ergo non ait: «Et numerus eius senarius» sed «sexcenti sexaginta sex», ter repetito senario, immo in decuplum atque in centuplum, multiplicato. Arithmeticis siue abacistis est notum quod nunc dicimus: senarii caracter de primo et singulari limite in secundum, id est decenum, transiens lx facit, indeque in tercium, id est centenum, traductus sexcentos efficit. Cum ergo dicit: «et numerus eius est dclxvi, senarius qui erat numerus hominis», ut iam dictum est, ad septimum diem, id est ad sabbati requiem propter suam preuaricationem non pertingentis, secundi et tercii limitis transgressione multiplicatus est. Quid est hoc nisi quia diabolus et Sathanas, cuius secundum operationem ille homo ueniet et qui in illo totus habitabit, postquam semel a requie Dei, a sabatismo celesti sese excussit, secundo ac tercio laborem suum multiplicauit? Nota, replicamus: ubi, quando, quomodo numerum suum multiplicauerit transgressor ille antiquus, multiplicator laboris? Primo ubi perfecto celo et terra et omni ornatu eorum die septimo compleuit Deus opus suum quod fecerat et requieuit ab omni opere quod patrarat. Ille cum requiescente creatore in septimo eius die non requiescebat. Quin etiam iamdudum propter inquietudinem superbie sue de celo, in istum caliginosum aerem proiectus in circuitu impius ambulabat et laborabat. Erat ergo in numero senario scilicet in ista sex dierum creatura, in quo uidelicet senario se detineri dolens homo penitens, septimumque diem suspirans dicit in psalmo: Notum fac michi Domine finem meum et numerum dierum meorum qui est. Ille autem impius et

136, 3-53 cum – Deus] cf. Rupert de Deutz, Commentarium in Apocalypsim, VIII, 13 (PL 169, 1086D-1088B) 7-8 eiusdem – Sathane] II Thess. 2, 9 8-9 numerus – sex] Apoc. 13, 18 22-24 primo – patrarat] Gen. 2, 1-2 2930 notum – est] Ps. 38, 5 136, 9 ter] tunc Delhaye repetito] G 1 |repentito S 3 ; repetito S 4 10 arithmeticis] G 1 |†…† S 3 ; arismeticis in ras. S 4 12 indeque] inque Delhaye 30 dierum] G 1 | iter. S 3 ; semel del. S 4

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136. Pourquoi a-t-il posé une «sizaine», non pas simple mais à ce point multipliée Ainsi, en disant «C’est le nombre de l’homme», on aurait pu sousentendre une «sizaine» seule, c’est-à-dire simple, puisque cet homme est seulement un homme et non également le diable. Mais cet homme est certes homme par la nature, mais le diable, dans sa puissance, résidera tout entier en lui, dans toute sa force, toute sa plénitude, comme dit l’Apôtre, car «la venue de cet homme se fera par l’opération de Satan». C’est pourquoi justement il ne dit pas «Et son nombre est six» mais «six cent soixante-six» en répétant la «sizaine» et la multipliant par dix et par cent. Ce que nous disons ici est connu des arithméticiens et des abacistes. Le chiffre six, passant de sa première valeur simple à la seconde, c’est-à-dire au décuple, donne lx, et passant à la troisième c’est-àdire au centuple, donne six cents. Donc, quand il dit: «Et son nombre est dclxvi», le nombre six qui était, comme on l’a dit, le nombre de l’homme lequel, en raison de sa prévarication, n’atteint pas au septième jour, c’est-à-dire au repos du sabbat, a été multiplié par le passage au second et au troisième multiple. Qu’est-ce à dire? Sinon que le Diable et Satan, par l’opération de qui cet homme viendra, et qui habitera tout entier en lui, après qu’il s’est exclu lui-même du repos de Dieu, du sabbat céleste, multiplia son œuvre deux et trois fois. Note bien, répondonsnous, où, quand, comment cet antique transgresseur, ce multiplicateur d’œuvre a-t-il multiplié son nombre. Tout d’abord, après avoir créé le ciel et la terre avec tout leur ornement, Dieu accomplit au septième jour l’ouvrage qu’il avait fait, et, au septième jour, se reposa de tout l’ouvrage qu’il avait fait. Mais tandis que le Créateur se reposait, lui en son septième jour ne se reposait pas. Mieux encore, projeté du haut du ciel dans cet air ténébreux, en raison de l’inquiétude de son orgueil, l’impie tournoyait et œuvrait. Il était donc dans le nombre six, c’est-à-dire dans cette créature des six jours, nombre six dans lequel l’homme pénitent, souffrant d’être enfermé et soupirant après le septième jour, dit dans le psaume: «Seigneur, fais-moi savoir ma fin et la mesure de mes jours». Mais lui, l’ange impie et prévaricateur, n’agit pas ainsi: tandis qu’il était hors du repos, ou du septième jour, et que la «sizaine» de la créature était encore simple ou unique, il ne se contenta pas de son œuvre mais il ajouta, par jalousie, qu’il attirerait avec lui le genre humain dans cette œuvre, en trompant l’être de création; faisant cela il augmenta en tous points la transgression; et, à juste titre, l’œuvre de l’homme lui est aussi

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preuaricator angelus non sic, sed, cum esset foris a requie siue septima die et senarius eius adhuc simplex, siue singularis esset, non contentus fuit labore suo sed adiecit per inuidiam ut humanum genus in eundem laborem traheret secum decipiendo prothoplastum, hoc agendo utique transgressionem auxit et recte sicut suus ita et hominis labor imputatur illi. Multiplicatus est primus senarius eius et factus est iam nunc numerus eius lxvi. Verum nec isto contentus adiciet adhuc ut illum hominem peccati, filium perditionis, totus ingrediatur et faciat per illum id quod de bestia hic dicitur, odio inpacabili persequens mulierem et semen eius. Illic nimirum tertia transgressione senarius eius multiplicabitur, quando is qui hominem primum dolo cepit sine ui, idem et dolo in prodigiis mendacibus pariterque ui siue gladio, Dei hominumque hostis manifestus utetur; perseuerante inuidia et odio quo mundo mortem induxit, perseuerante immo et peius aucta superbia qua sese in celo aduersus Deum extulit, ideoque necesse est perseuerare odium mulieris et seminis eius inter ipsam et semen eius. Bene ergo cum dixisset: Numerus enim hominis est, addidit: Et numerus eius sexcenti sexaginta sex, quia uidelicet labor peccatoris qui in homine cum Deo etiam sabbatizante simplex est, in illa bestia notis incrementis secundo ac tercio multiplicatus est. Hic ergo est uerus bestie numerus dclxvi. Ceterum numerus nominis eius sic falso illi attribuitur, sicut et ipsum nomen quo se iactat tanquam sit Deus. Hec idcirco hic interseruimus ut et locus ille obscurus in Apocalipsi lucidior fieret et boni odii ratio tante autoritatis robore constaret.

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〈137.〉 Alias uirtutum feminas de Veteri Testamento inducit ad comprobandum propositum Amplius adhuc huius sancti odii ratio comprobatur hystorialiter exemplis multarum uirtutis feminarum, hoc odio inimicos sub tipo Ecclesie persequentium et ad maiorem confusionem partis aduerse etiam in sexu fragili uictoriose agentium. Huius odii robore firmata mulier illa 47-48 numerus – sex] Apoc. 13, 18 33 humanum genus] genus humanum G 1 |humanum genus S 3 Delhaye 137, 1-2 ad – propositum] G 5 ; abest in G 1 | S 3 ; add. G 5 sup. l. S 4

43 siue] sine

3 ratio] G 1 |om. S 3 ; add.

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imputée comme la sienne propre. Sa première «sizaine» a été multipliée, et dès lors son nombre est devenu lxvi. Cependant, non content de cela, il ajoutera encore qu’il pénétrera totalement en cet homme de péché, fils de perdition et fera, par lui, ce qu’il est dit ici de la bête, poursuivant d’une haine implacable la femme et sa semence. Et là, sa «sizaine» sera assurément multipliée par une troisième transgression, quand celui qui, tout d’abord, posséda l’homme par la ruse, sans user de la force, celui-là même, ennemi de Dieu et des hommes, usera et de la ruse de prodiges mensongers, et pareillement de la force, c’est-à-dire du glaive, dans une jalousie tenace et une haine par laquelle il introduisit la mort dans le monde, dans un orgueil tenace et, pire encore, accru, par lequel il s’est exalté lui-même dans le ciel, contre Dieu. C’est pourquoi il est nécessaire que persiste la haine de la femme et de sa semence, la haine entre elle et sa semence. Ainsi quand il dit «Car le nombre de l’homme est», il ajouta justement: «Et son nombre est six cent soixante-six», parce que, assurément la peine du pécheur, qui, dans l’homme qui se repose avec Dieu, est simple, dans cette bête, en raison des accroissements mentionnés, a été multipliée deux et trois fois. Ainsi dclxvi, tel est le véritable nombre de la bête. Au reste, le nombre de son nom lui est ainsi faussement attribué, de même que ce nom par lequel elle se targue d’être Dieu. Nous avons inséré ici ces commentaires, précisément pour que ce passage obscur de l’Apocalypse devienne plus clair et que la raison de la haine bonne soit rendue évidente par la force d’une si grande autorité. 137. Par ailleurs, il prend l’exemple de femmes vertueuses de l’Ancien Testament pour renforcer son propos La raison de cette sainte haine est rendue encore plus évidente, selon l’histoire, par les exemples de nombreuses femmes vertueuses qui ont poursuivi de cette haine les ennemis, qui, selon la typologie, persécutaient l’Église, et qui à la plus grande confusion de la partie adverse, ont agi victorieusement, bien que de sexe fragile. Confortée par la force de cette haine, Judith, cette femme célèbre, forte par le courage plus que par le corps, s’introduisit en toute sécurité, bien que sans armes, dans les châteaux fortifiés des ennemis, se présenta devant le chef, Holopherne, et bien qu’aimablement reçue par lui, elle ne se départit pas, même pendant les repas, de la haine qu’elle avait conçue en son cœur contre lui par l’inspiration de l’Esprit saint. Elle qui, attendrissant le cœur de fer de cet

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famosa Iudith, animo magis quam corpore fortis, inimicorum castris armatis, licet inermis, secura se ingessit, Holoferni duci se representauit et quamuis amicabiliter ab illo suscepta, odium cordis sui quod in eum sancti Spiritus inspiratione conceperat et inter epulas non mutauit, et que ferreum uiri pectus magnitudine sue pulchritudinis emolliens in amorem sui conuertit, ipsa fedo amore eius emolliri non potuit, sancti odii uirtute adamante durior, ita ut ad concubitum eius inuitata etiam inter amplexus uiriles non uinceretur sed ebrium uirum sobria demulcens in soporem uerteret et proprio illius pugione soporato capud amputaret, pulcherime in se inchoari insinuans illud diuinum oraculum supra commemoratum, antiquo serpenti dictum, uidelicet: Ipsa conteret capud tuum etc., post in Beata Virgine et in Ecclesia, cuius ipsa membrum erat, perficiendum. Similiter huius odii uirtute roborata femina uirtutis Hester, de semine quidem Iudeorum sed ob salutem generis sui nutu Dei facta regina gentium, in Aman seuientem malo odio in genus illius, illa bono odio tam diu seuire non desiit, in tipo Ecclesie cuius et ipsa membrum extitit, donec ipsum et uniuersum semen eius deleuit, significans Antichristum cum omni semine suo ab ea delendum.

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〈138.〉 Item alias de Nouo Testamento Possem adhuc alias uirtutis feminas hoc sancto odio aduersus uitia sua uel aliena roboratas ex Veteri Testamento in medium deducere, sed delectat me magis ad Noui Testamenti feminas uirtutis uenire, quarum tanta copia occurit ut ipsa me copia inopem faciat, dum nec omnes que occurunt commemorare ualeo et quas ex aliis eligam commemorandas hesito. In omni enim ordine, coniugatarum scilicet uiduarum et uirginum, innumerabiles inuenio que hoc odio armate cum sexu mundum et diabolum expugnauerunt, nimirum ipso Domino eas hoc odio armante qui dicit in Euangelio: Qui odit animam suam in hoc mundo in uitam eternam custodit eam. Cui uerbo etiam feminea agmina tam tenaciter adheserunt ut ruborem incusserint infinitis uirorum agminibus retro

137, 7 Iudith – fortis] cf. Iudith 8, 1 sqq.; Speculum virginum, 7 (CCCM 5, p. 205, l. 443-445) 17-18 ipsa – tuum] Gen. 3, 15 9-20 roborata – Hester] cf. Esth. 7, 10; 8, 1 138, 10-11 qui – eam] Ioh. 12, 25; cf. Marc. 8, 35; Matth. 10, 39; Luc. 17, 33 10 conceperat] G 1 |conceperant S 3 ; conceperat S 4

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homme par la splendeur de sa beauté, le convertit en amour pour elle, ne put elle-même être attendrie par son amour repoussant, à ce point plus dure que son amant par la force de la sainte haine, que, invitée à partager sa couche, elle ne se laissa pas vaincre, même parmi les enlacements de l’homme mais que, sans avoir bu, elle caressa l’homme ivre jusqu’à l’endormir et, dans son sommeil, avec son poignard, elle lui coupa la tête. Par là elle donnait à entendre, et excellemment, qu’en elle commençait à se réaliser cet oracle divin que nous avons mentionné, adressé à l’antique serpent – à savoir: «Elle te brisera la tête etc.» – et qui ensuite devra s’accomplir dans la Sainte Vierge et dans l’Église dont elle était un membre. Semblablement confortée par la force de cette haine, Esther, femme vertueuse, de la race des Juifs, certes, mais devenue, avec l’aide de Dieu, reine des nations pour le salut de son peuple, ne cessa pas de sévir pendant si longtemps contre Haman qui opprimait d’une mauvaise haine son peuple à elle, préfigurant l’Église dont elle fut un membre, jusqu’à le faire disparaître, lui et toute sa descendance, signifiant par là qu’il fallait faire disparaître de l’Église l’Antéchrist avec toute sa descendance. 138. De même ailleurs, dans le Nouveau Testament Je pourrais encore présenter d’autres femmes de vertu, dans l’Ancien Testament, confortées par cette sainte haine contre leurs propres vices ou contre ceux d’autrui, mais il m’est plus agréable d’en venir aux femmes vertueuses du Nouveau Testament. Elles se présentent en si grand nombre que la quantité me prend au dépourvu, car il m’est impossible de commémorer toutes celles qui se présentent et j’hésite sur celles que, pour les commémorer, j’ai choisies parmi d’autres. Car dans chaque ordre, à savoir celui des femmes mariées, celui des veuves et celui des vierges, j’en trouve d’innombrables, qui, armées de cette haine quoique femmes, ont chassé le monde et le diable, le Seigneur lui-même, assurément, les munissant de cette haine, lui qui dit dans l’Évangile: «Qui hait son âme dans ce monde, la préserve pour la vie éternelle». À cette parole des troupes de femmes, elles aussi, adhérèrent si fortement qu’elles firent rougir de honte ces innombrables troupes d’hommes qui battent en retraite et se mettent hors d’atteinte de cette parole sévère. Mais chez les vierges fortes l’efficacité de cette haine est d’autant plus glorieuse qu’elle est étonnante. Car dans la fragilité de leur sexe, elles ont repoussé les amusements de la chair au point de ne même pas daigner en faire une fois l’expérience, se conformant à la grandeur angélique, s’efforçant de

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euntibus et duri sermonis attactum refugientibus. Sed in uirginibus uiraginibus quanto mirabilior tanto gloriosor est huius odii efficacia. Ipse enim in sexu fragili, sic carnis oblectamenta detestate sunt ut nec semel ea experiri dignarentur, angelice se celsitudini conformantes, in carne preter carnem uiuere satagentes. Inter quas adhuc et ille ceteras dignitatis gloria precedunt que uirginea corpora, in quibus angelicam uitam duxerunt, detestatione mundane infidelitatis, martyrio tradere quam infidelium errori communicare maluerunt. Hoc Agatha, hoc Lucia, hoc Agnes, hoc Cecilia, hoc infinite alie uirgines uiragines, sancto odio aduersus mundi infidelitatem armate, tam uiriliter exercuerunt, ut etiam uiris similia facientibus, iure anteponi debuerint, eo quod in sexu fragili hoc facere preualuerint. Sed quid paucas uirginum personas nominatim commemoro, qui etiam undecim milium uirginum et martyrum exercitum pre manibus habeo, que omnes simul uno sancto odio armate carnem cum mundo debellauerunt, et per angelos inter angelos in celum transferri meruerunt?

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〈139.〉 De odio mali transit ad amorem boni De odio mali multipliciter uitia persequente et ymaginationis humane inmunda queque uastante, uelud quodam cete grandi uniuersum mare microcosmi perambulante et quelibet eius monstra deuorante, multa iam diximus et que forsitan tediosus lector prolixitatis arguere possit. Sed nos a principio huius nostri operis non tedioso sed studioso lectori seruire proposuimus cui nichil, ut arbitror, quod saluti proximum sit prolixum esse poterit. Tedioso ergo lectore prolixitatem nostram refugiente, studiosus lector accedat. Ipse enim est qui odio mali et amore boni ad bona studia mouetur, et nos ei specialiter nunc de hoc seruire curabimus. Sic etenim supra tractatum nostrum de his duabus affectionibus ordinauimus, ut prius de odio mali dehinc de amore boni tractaremus. Et quidem numquam est odium mali sine amore boni, usque adeo sese co13 uiraginibus] cf. Gen. 2, 23 20-21 Agatha – Lucia – Agnes – Cecilia] cf. Propylaeum ad Acta sanctorum decembris (p. 50, 254, 30, 539) 25 undecim – martyrum] cf. Propylaeum ad Acta sanctorum decembris (p. 467) 138, 18 uirginea] G 1 |uirgeinea S 3 ; uirginea S 4 23-24 quod – preualuerint] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 25 exercitum] exercitium Delhaye 139, 10 specialiter] spiritualiter Delhaye

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vivre dans la chair au-delà de la chair. Parmi elles, encore, celles qui préférèrent livrer au martyre leurs corps virginaux, dans lesquels elles menèrent une vie angélique, par haine de l’infidélité du monde, plutôt que de participer à l’erreur des infidèles, l’emportent sur les autres par la gloire de la dignité. C’est ce que pratiquèrent Agathe, Lucie, Agnès, Cécile et d’innombrables autres vierges fortes, armées d’une sainte haine envers l’infidélité du monde, avec tant de virilité qu’elles devaient, de droit, être placées devant les hommes qui agissaient de même, pour la raison que, dans la fragilité de leur sexe, elles avaient en cela plus d’aptitude. Mais pourquoi rappeler nommément la mémoire de quelquesunes de ces vierges, quand j’ai encore une armée de onze mille vierges martyres à ma disposition, qui, toutes ensemble, armées d’une même sainte haine, repoussèrent la chair ainsi que le monde, et furent dignes d’être transportées au ciel par les anges parmi les anges.

139. De la haine du mal, il passe à l’amour du bien Sur la haine du mal qui combat les vices de multiples façons et qui détruit tout ce qui est impur dans l’imagination humaine, telle une grande baleine parcourant toute la mer du microcosme et en dévorant tous les monstres, nous avons déjà beaucoup parlé et dit des choses que le lecteur, lassé, pourrait peut-être juger comme trop développées. Mais nous, depuis le début de cet ouvrage, nous nous sommes proposé de servir, non pas le lecteur qui s’ennuie mais le lecteur attentif, pour qui rien, à mon sens, qui touche de près au salut, ne pourra sembler être prolixe. Donc, le lecteur qui s’ennuie fuyant notre prolixité, que vienne le lecteur attentif. C’est celui, en effet, qui par haine du mal et amour du bien s’adonne aux bonnes études, et pour nous, nous nous efforcerons maintenant de le servir spirituellement en cette matière. Car nous avons organisé, plus haut, notre traité sur ces deux affections, de manière à traiter tout d’abord de la haine du mal puis de l’amour du bien. Il n’est jamais de haine du mal sans amour du bien, tant ils sont liés l’un à l’autre. C’est pourquoi, il peut sembler que l’on a assez traité de l’un et de l’autre quand on a assez traité de l’un des deux, mais une chose est ce qu’ils ont tous deux en commun, autre chose est ce qui est propre à chacun d’eux. Car si «éviter le mal et faire le bien» ont ceci en commun que celui qui évite le mal fait le bien, et inversement, autre est cependant l’effet propre de refuser le mal, autre celui de faire le bien.

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mitantur hec duo. Ideoque uideretur forsitan satis actum esse de utroque ubi satis actum est de altero. Sed aliud est quod commune habent hec duo, aliud quod utrique proprium est. Sicut enim declinare a malo et facere bonum hoc commune habent ut qui declinat a malo faciat bonum et e conuerso, alius tamen est proprius effectus eius quod est declinare a malo et alius eius quod est facere bonum: sic nimirum sic odium mali, cuius effectus est declinare a malo, et amor boni, cuius effectus est facere bonum, hoc commune habent ut qui odit malum amet bonum et e conuerso; alius tamen est proprius effectus unius et alius alterius. Et nos quidem de odio mali et propriis effectibus eius hactenus egimus; nunc uero de amore boni et propriis effectibus eius agemus.

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〈140.〉 Amorem boni magnos habere effectus Sciendum ergo est quod, sicut odium mali magnos et miros effectus habet in persecutione mali, ut ex predictis manifestum est, ita amor boni magnos et miros effectus habet in promotione boni, ut ex dicendis manifestum fiet. Vnde, sicut odium mali in hoc mari ymaginationis humane rite comparauimus cete grandi ante cuius faciem fugiat omne inmundum, ita et amorem boni recte comparare licet alteri cete grandi cuius nutui et inperio se sponte subicit omne mundum in hoc mari natum uel nutritum. In inmensum enim excrescit hec affectio, ita ut fiat fortis ut mors dilectio, immo ut fiat fortis ut Deus caritas, miscente se Spiritu sancto huic affectioni et secundum se eam disponente. Plus dico: non solum cete grande ad perambulandum hoc mare, uerum etiam uolatile grande magnarum alarum fit aliquando ad euolandum in celum, ubi sine ymaginibus etiam celestia scrutetur et contempletur et contemplando iocundetur. Quod bene opus Spiritus sancti est qui se in eam diffundit et diu in se exercitatam aliquando supra se prouehit, et a turbulentiori elemento de quo nata est, ad purioris elementi serenitatem dignanter extollit. Sic quippe de eadem materia natatilia et uolatilia cre139, 17-18 declinare – bonum] Ps. 36, 27 140, 10 fortis – dilectio] Cant. 8, 6 14-15 celestia – iocundetur] cf. Richard de Saint-Victor, De contemplatione, II, 16 (L’œuvre I, p. 196, l. 24-27) 15-16 Spiritus – diffundit] cf. Rom. 5, 5 15 uideretur] uidetur Delhaye

forsitan] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |forsitan S 3

140, 8 sponte] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |sponte S 3 ciat (?) G 1 |subiecit S 3 ; subicit S 4 12 etiam] et add. Delhaye

subicit] subi-

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Ainsi, assurément, la haine du mal, dont l’effet est d’éviter le mal, et l’amour du bien, dont l’effet est de faire le bien, ont ceci en commun que celui qui hait le mal aime le bien, et inversement, mais l’effet propre de l’un n’est pas le même que l’effet propre de l’autre. Quant à nous, nous avons jusqu’ici traité de la haine du mal et de ses effets propres; maintenant, nous allons traiter de l’amour du bien et de ses effets propres.

140. Que l’amour du bien produit de grands effets Il faut donc savoir que, de même que la haine du mal produit de grands et surprenants effets sur la lutte contre le mal, comme nous venons de le montrer à l’évidence, de même l’amour du bien produit de grands et surprenants effets sur le progrès du bien, comme cela paraîtra évident par ce que nous allons dire. De même donc que nous avons comparé symboliquement la haine du mal, dans cette mer de l’imagination humaine, à une grande baleine devant laquelle tout ce qui est impur fuirait, de même on peut à juste titre comparer l’amour du bien à une autre grande baleine, sur l’ordre et au commandement de laquelle obéirait spontanément tout ce qui est pur, né ou élevé dans cette mer. Car cette affection augmente à l’infini, au point de devenir un amour «fort comme la mort», de devenir même fort comme Dieu charité, l’Esprit saint se mêlant à cette affection et la disposant à son gré. Je vais encore plus loin: elle devient non seulement une grande baleine parcourant cette mer, mais aussi, parfois, un grand oiseau aux vastes ailes, volant dans le ciel, pour y scruter et contempler aussi, sans images, les réalités célestes et se réjouir de cette contemplation. Et cela est le bienfait de l’Esprit saint se diffusant en cette affection; et après avoir longtemps agi en elle, il la soulève parfois au-dessus de lui et l’élève avec dignité, de l’élément très agité d’où elle est née, à la sérénité de l’élément très pur. Ainsi il est certain que les poissons et les volatiles sont créés de la même matière, mais tandis que ceux qui appartiennent par nature à l’élément inférieur demeurent dans le lieu de leur naissance, les volatiles sont enlevés au-dessus du sol natal. Ainsi, tandis que la haine du mal se tient comme un poisson dans les limites de l’imagination, l’amour du bien est soulevé comme un volatile au-dessus des limites de l’imagination.

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antur et tamen, natatilibus in inferiori elemento, natiuitatis sue, uidelicet loco, remanentibus, uolatilia sursum supra natale solum rapiuntur. Sic odio mali uelud natatili in ymaginationis finibus remanente, amor boni supra fines ymaginationis eleuatur ut uolatile. Hoc quoque de spe et de gaudio, affectionibus timori et dolori oppositis, sentiendum est. Nam cum omnes he quatuor, spes et timor, gaudium et dolor, affectiones ex ymaginatione uelud inferiore elemento aque oriantur, duabus tantum, id est dolore et timore, intra terminos natiuitatis sue remanentibus, relique due, id est spes et gaudium, supra terminos natalium suorum quasi uolatilia rapiuntur, dum per habundantiam gratie spei datur etiam in hac uita sine ymaginibus aliquatenus intueri illa eterna bona que sperat et quodammodo futura quasi presentia pregustare, ac per hoc etiam de futuris quasi presentibus pregustatis gaudere. Hoc nimirum pregustauerat ille qui filios ad similia gustanda inuitabat dicens: Gustate et uidete quoniam suauis est Dominus. Neque enim ad gustandum alios inuitaret qui nisi ipse prius gustasset, et tamen nichil se gustasse nisi per spem mox insinuauit cum subiunxit: Beatus uir qui sperat in eo. Hoc autem facit certitudo spei solido fidei fundamento subnixe et quasi in scientiam uerse. De quo Iob ait: Scio quod redemptor meus uiuit et in nouissimo die de terra surrecturus sum et rursun circumdabor pelle mea, et in carne mea uidebo Deum saluatorem meum. Quem uisurus sum ego ipse et oculi mei conspecturi sunt et non alius, ab eo scilicet qui nunc sum, licet alteratus. Nichil ymaginabatur qui hec dicebat, sed certa se scientia comprehendere asserebat hec omnia, et tamen hanc ipsam scientiam nonnisi certitudinem spei supra se eleuate esse in fine declarauit dicens: Reposita est hec spes mea in sinu meo. Quod est dicere: ita certa spe hoc teneo ac si esset in sinu meo.

30-32 futura – gaudere] cf. Richard de Saint-Victor, De contemplatione, III, 19 (L’œuvre I, p. 328-329, l. 32-34) 33 gustate – Dominus] Ps. 33, 9 35-36 beatus – eo] Ps. 33, 9 37-40 scio – alius] Iob 19, 25-27 44 reposita – meo] Iob 19, 27 24-25 spes – dolor] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 26 intra] in terra Delhaye 29 aliquatenus] aliquetenus Delhaye 33-34 neque – gustasset] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 37 quasi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quasi S 3

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Sur l’espérance et sur la joie, affections opposées à la crainte et à la douleur, voici ce qu’il faut aussi savoir. Tandis que ces quatre affections, espérance et crainte, joie et douleur, naissent de l’imagination, en quelque sorte comme de l’élément inférieur de l’eau, deux d’entre elles seulement, la douleur et la crainte, demeurent à l’intérieur des limites de leur lieu de naissance, alors que les deux autres, à savoir l’espérance et la joie, sont enlevées au-dessus des limites de leur lieu de naissance, tels des oiseaux, tandis que par l’abondance de la grâce il est donné à l’espérance, déjà dans cette vie, de percevoir sans images, dans une certaine mesure, ces biens éternels qu’elle espère, et de goûter à l’avance, d’une certaine manière, les biens futurs comme étant présents et par là aussi de se réjouir de ces biens futurs goûtés à l’avance comme s’ils étaient présents. C’est cela qu’avait assurément goûté à l’avance celui qui invitait ses fils à goûter des biens semblables, en disant: «Goûtez et voyez que le Seigneur est doux». Et, en effet, il n’aurait pas invité les autres à goûter s’il n’avait pas goûté lui-même auparavant, mais il laissa aussitôt entendre qu’il n’avait rien goûté autrement que par l’espérance, en ajoutant: «Heureux l’homme qui espère en Lui». Car c’est cela que fait la certitude de l’espérance, soutenue par le fondement solide de la foi et changée, en quelque sorte, en connaissance. Ce sur quoi Job dit: «Je sais que mon rédempteur est vivant, et qu’au dernier jour je ressusciterai de la terre, et de nouveau je serai recouvert de ma peau et dans ma chair je verrai Dieu mon sauveur; et c’est moi-même qui le verrai, et mes yeux qui le contempleront, et non un autre», à savoir sur ce que je suis aujourd’hui, bien qu’atteint. Celui qui prononçait ces paroles n’imaginait rien mais il affirmait comprendre tout cela d’une connaissance certaine, et cependant à la fin, il déclara que cette connaissance n’était rien d’autre que la certitude de l’espérance élevée au-dessus de lui, en disant ceci: «Mon espérance repose dans mon sein». Ce qui revient à dire: je tiens cela d’une espérance aussi certaine que si elle était en mon sein.

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〈141.〉 Amor boni, cum sit naturalis, gratis informatur ut fiat gratuitus Sed quia de amore boni specialiter nunc agimus, de eo quod cepimus prosequentes, aliquid altius ad ornatum inferiorum aquarum microcosmi dicamus. Primum ergo notandum est quod hec affectio que est amor boni, sicut et illa de qua proxime egimus, id est odium mali, naturalis est omni homini, ex naturali ratione procedens. Omnis enim homo ex naturalis rationis instinctu sibi insitum, habet ut amet bonum et odiat malum. Vnde et sic describi potest: amor boni est naturalis affectio anime ex ratione proficiscens ad amandum bonum suum. Bonum autem hic appellatur non corporale sed spirituale, bonum scilicet animi non corporis, bonum uerum non falsum. Corporis autem bonum, falsum bonum est quia fugitiuum est et fallax. Non enim dat quod promittit. Promittit beatitudinem, sed nec eam dat nec ad eam conducit, quia totum quod est foris, non intus est, sicut et ipsum corpus cuius bonum est foris, non intus est. Porro anime bonum intus est totum, sicut et ipsa anima tota intus naturaliter est, quamuis accidentaliter foras egressa per multa dispergatur, ut longe supra dixisse me memini. Vnde cum unum tantum sit bonum eius et hoc ipsum intus, in plura tamen se diriuauit ut dispersam colligeret, id est in naturalia et gratuita, ut supra dictum est. Quorum naturalium scilicet hec affectio, id est amor boni, unum est. Qui quamdiu naturalis tantum est, informis quidem est, ratione ex qua proficiscitur per uarias affectiones turbata nec preualente certam ei formam inprimere donec adueniente gratia formetur. Nam Spiritus sanctus spirans ubi uult et quando uult, aliquando se ei, ut paulo ante dictum est, miscet et infundit et secundum se eam disponit, et sic informem non solum format, uerum etiam firmat ut fiat fortis ut mors dilectio siue caritas. 141, 12-13 corporis – promittit] Guillaume de Saint-Thierry, Excerpta de libris beati Ambrosii super Cantica Cant., 67 (CCCM 87, p. 288, l. 102-103) 14-15 promittit – intus est] cf. Richard de Saint-Victor, De eruditione hom. int., II, 25 (PL 196, 1324C) cf. Hugues de Saint-Victor, Quomodo sermo Dei, scil. De verbo Dei, I, 3 (PL 177, 289D) 22-24 qui – formetur] cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, i, 6 (PL 176, 192C) 24-25 spiritus – uult] Ioh. 3, 8 141, 1-2 ut fiat gratuitus] abest in G 1 | S 3 et S 4 |add. G 5 3 specialiter] spiritualiter Delhaye 22 est 1] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 26 infundit] infundet G 1 | S 3 ; 27 etiam] et Delhaye 27-28 siue caritas] et ut Deus cariinfundit S 4 tas G 1 |siue caritas S 3

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141. L’amour du bien, bien que naturel, est modelé par la grâce en sorte de devenir gratuit Mais comme nous traitons maintenant spécialement de l’amour du bien, disons quelque chose de plus élevé sur l’ornement des eaux inférieures du microcosme. Tout d’abord il faut noter que cette affection, qui est l’amour du bien, de même que celle dont nous venons de parler, à savoir la haine du mal, est naturelle à tout homme, car procédant de la raison naturelle. Tout homme en effet a ancré en lui, par instinct de la raison naturelle, l’amour du bien et la haine du mal. Ce qu’on peut exposer ainsi: l’amour du bien est une affection naturelle de l’âme émanant de la raison, tendant à aimer son propre bien. Ici on appelle «bien» non pas celui du corps, mais celui de l’esprit, c’est-à-dire celui de l’âme, non du corps, le vrai bien, non le faux. Car le bien du corps est un faux bien, parce qu’il est fugace et fallacieux: il ne donne pas ce qu’il promet. Il promet le bonheur mais ne le donne pas, et n’y conduit pas non plus parce que tout ce qui est extérieur n’est pas intérieur, comme le corps luimême, dont le bien est extérieur et non intérieur. En revanche, le bien de l’âme est totalement intérieur, comme l’âme elle-même est naturellement toute intérieure, bien que, quand d’aventure elle sort à l’extérieur, elle se disperse largement, comme je me souviens l’avoir mentionné beaucoup plus haut. Donc, comme son bien est un et qu’il est intérieur, il s’est divisé en plusieurs dons afin de rassembler l’âme dispersée, à savoir en dons naturels et gratuits, comme on l’a dit plus haut. Cette affection qu’est l’amour du bien est un de ces dons naturels. Tant qu’elle est seulement naturelle, elle est informe, la raison qui la suscite étant troublée par divers sentiments et incapable de lui imprimer une forme précise, jusqu’à ce qu’elle soit formée par la venue de la grâce. Car l’Esprit saint soufflant où et quand il veut, finit par se mêler et se répandre en elle, comme nous venons de le dire, et la façonne à son gré. Ainsi, d’informe, non seulement il la forme mais aussi la conforte, en sorte qu’elle devient une «dilection – ou une charité – forte comme la mort».

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〈142.〉 Quod caritas nunc diuinis nunc humanis insistit Hec itaque dilectio siue caritas, nunc cete grande est in mari humane ymaginationis terminos huius maris non excedens ut natatile, nunc uolatile grande fit terminos huius maris longe supergradiens et purioris elementi spatia peruolans. Quia enim caritas numquam ociosa est, semper aut humanis intendit aut diuinis, humanis utilitatibus, diuinis honoribus, humanis per actionem, diuinis per contemplationem. In humanis cete grande est ymaginationis humane mare perambulans, in diuinis uolatile est etiam celi sublimia transuolans. Quadruplex est enim caritas: alia qua diligimus quod est supra nos, alia qua diligimus nos, alia qua diligimus quod est iuxta nos, alia qua diligimus quod est infra nos, quamuis tamen non sint nisi duo precepta caritatis quibus he quatuor includuntur. Caritas qua diligimus nos aut qua diligimus quod est iuxta nos, id est proximum, aut qua diligimus quod est infra nos, id est corpus nostrum, actioni insistit et, ut dictum est, quasi cete grande mare humane ymaginationis non excedit sed perambulans illud munda queque in eo gignit, nutrit, congregat, custodit et prouehit. Caritas qua diligimus quod est supra nos, id est Deum, contemplationi insistit et quasi uolatile grande in altum se supra se eleuans, eum qui supra se est summo conamine querit, id est ex toto corde, ex tota anima, ex tota mente, et donec eum inueniat non quiescit. Et quidem in hac uita plena erumpnis, plena tenebris ceterisque miseriis eius intentioni obsistentibus, plene eum non inuenit, ideoque numquam in hac uita quiescit, nec tamen ob hoc ab intentione sua deficit, sed quasi cursor ad destinatum locum festinans, quod super est stadii transuolat ut brauium accipiat. Sicque fit ut, dum currendo magis ac magis proficiat in merito, post cursus sui laborem feliciter consummatum, magis accipiat in premio, et tanto fiat ei iocundius premium quanto extitit laboriosius meritum, et quo grauius urebatur in labore querendi, suauius ardeat in amore inuenti. Hic est enim beatus finis laboriose caritatis et karissimi laboris.

142, 12 duo precepta] cf. Matth. 22, 38-39 22, 37 142, 24 ob] G 1 |ab S 3 Delhaye

20-21 ex toto – mente] cf. Matth.

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142. Que la charité s’attache tantôt aux réalités divines, tantôt aux réalités humaines Ainsi, cette dilection ou charité est tantôt une grande baleine dans la mer de l’imagination humaine, ne débordant pas, en tant que poisson, des limites de cette mer, tantôt devient un grand oiseau, dépassant de loin les limites de cette mer et parcourant les espaces de l’élément le plus pur. Parce qu’en effet la charité n’est jamais inactive, elle tend toujours soit vers les réalités humaines, soit vers les réalités divines, – les nécessités humaines, les honneurs rendus à Dieu – les réalités humaines par l’action, les divines par la contemplation. Dans les réalités humaines, elle est une grand baleine parcourant la mer de l’imagination humaine; dans les divines, elle est un oiseau parcourant les plus grandes hauteurs du ciel. Car la charité est quadruple: l’une, dont nous aimons ce qui est audessus de nous; une autre, dont nous nous aimons nous-mêmes; une autre, dont nous aimons ce qui est auprès de nous; une autre, dont nous aimons ce qui est au-dessous de nous: bien qu’il n’y ait, cependant, que deux préceptes de charité qui incluent les quatre. La charité dont nous nous aimons nous-mêmes, ou dont nous aimons ce qui est auprès de nous, à savoir le prochain, ou dont nous aimons ce qui est au-dessous de nous, à savoir notre corps, s’attache à l’action et, comme on l’a dit, telle une grande baleine, ne déborde pas de la mer de l’imagination humaine, mais tout en la parcourant, engendre, nourrit, rassemble, protège et favorise en elle tout ce qui est pur. La charité dont nous aimons ce qui est au-dessus de nous, c’est-à-dire Dieu, s’attache à la contemplation et, telle un grand oiseau, s’élevant dans les hauteurs au-dessus d’elle-même, recherche Celui qui est au-dessus d’elle de toutes ses forces, c’est-à-dire «de tout son cœur, de toute son âme, de tout son esprit», et ne connaît pas le repos qu’elle ne l’ait trouvé. Il est certain qu’en cette vie pleine de malheurs, pleine de ténèbres et autres misères, qui font obstacle à son dessein, elle ne le trouve pas pleinement. C’est pourquoi en cette vie, elle ne trouve jamais le repos sans pour autant se départir de son dessein, mais, telle un coureur se hâtant vers son but, elle traverse d’un coup d’aile l’espace qui domine le stade pour recevoir le prix de la victoire. Ainsi, il advient qu’en courant, elle gagne de plus en plus en mérite, heureusement acquis, après l’effort de sa course, qu’elle reçoit une plus grande récompense, et que la récompense devient pour elle d’autant plus agréable que fut pénible la performance. Plus ardemment elle se consumait dans l’effort de la recherche, plus délicieusement elle brûle de l’amour de Celui qu’elle a trouvé. Telle est en effet la fin heureuse de la charité active et d’un labeur très aimé.

LIBER TERCIVS 〈143.〉 Incipit tercius liber de diuersorio caritatis De ornatu inferiorum aquarum microcosmi agentes, iam longius progressi, ad usque diuersorium caritatis duce gratia peruenimus ubi, et amplo et ameno et tuto loco repausandi inuento, preteritos estiui solis ardores mitigare et imminentes future hiemis asperitates declinare curauimus. Ingressi igitur tam commode tamque ioconde stationis mansionem, mox obuiam nobis habuimus hylari uultu benignam caritatem. Que lassatos ex itinere gratiosa salutatione suscipiens, gratiosiorem se nobis beneficiis exhibuit. Nam post primam salutationem qua se nobis ineffabiliter affabilem prebuit, longe se non solum officiosiorem uerum etiam tractabiliorem nobis exposuit. Et ut aliqua uel affabilitatis uel officiositatis uel etiam tractabilitatis eius munera breuiter percurram, neque enim omnia michi possibile esset enarrare, etiam si centum linguas haberem, primo nos sic dulci refecit affatu: Venite ad me qui laboratis et onerati estis et ego reficiam uos. Habebam enim mecum aliquos itineris mei comites, longioris uie seu labore seu tedio seu etiam desperatione fractos, quos ut uidit mox agnouit et quid eis cordi esset intellexit, et pia eos dulcis affabilitatis compassione primum recreauit dicens: Pusillanimes confortamini et nolite timere. Ecce ad diuersorium caritatis prospere peruenistis, non est quod amplius timere debeatis. Mementote quod caritati nichil difficile est. Date michi manum et sequemini me. Moxque porrecta michi manu 143, 14-15 uenite – uos] Matth. 11, 28

19-20 pusillanimes – timere] cf. Is. 35, 4

143, 3 duce gratia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |duce gratia S 3 8 salutatione] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |salutatione S 3 9 beneficiis exhibuit] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 nam – se] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4 10-11 non – tractabiliorem] non solum tractabiliorem uerum etiam officiosiorem G 1 ; non solum officiosiorem uerum etiam tractabiliorem G 2 | S 3 uerum etiam]|om. S 3 ; add. in marg. S 4 1112 uel tractabilitatis uel etiam officiositatis G 1 ; uel officiositatis uel etiam officiositatis sed etiam tractabilitatis S3 tractabilitatis G 2 |uel 13 michi] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 14 primo] G 1 | S 3 ; add. G 5 16 uie] me Delhaye 17 etiam] et Delhaye 20 prospere] abest in G 1 ; add. 2 3 20-21 non – debeatis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in sup. l. G |prospere S textu S 3

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LIVRE TROISIÈME 143. Ici commence le livre troisième, du domaine de la charité Après nous être très longtemps attardé sur l’ornement des eaux inférieures du microcosme, nous en arrivons, sous la conduite de la grâce, au domaine de la charité, où, ayant trouvé un lieu de repos vaste, agréable et sûr, nous avons pris soin d’apaiser les ardeurs passées du soleil estival et de fuir les rigueurs proches de l’hiver à venir. Ainsi, étant entrés si aisément et si agréablement dans ce lieu de séjour, nous avons aussitôt trouvé devant nous la charité bienveillante, au visage souriant. Accueillant d’un salut gracieux les voyageurs fatigués du voyage, elle se montra encore plus obligeante envers nous par ses bienfaits. Car après une première salutation dans laquelle elle nous témoigna une indicible affabilité, elle se montra non seulement encore plus empressée mais aussi encore mieux complaisante à notre égard. Et pour citer brièvement quelques-uns de ses dons et d’affabilité et de serviabilité voire d’être accommodante – il me serait en effet impossible de les décrire tous, même si j’avais cent langues –, elle commença par nous redonner des forces par ces douces paroles: «Venez à moi, vous qui peinez et êtes accablés, et je vous donnerai le repos». Or j’avais avec moi quelques compagnons de route, rompus de fatigue, ou de lassitude, ou de découragement, en raison de la longueur du voyage; dès qu’elle les vit, elle les reconnut et comprit ce qu’ils désiraient, et elle les réconforta avec une douce affabilité compatissante en disant: «‘Hommes au cœur timide, prenez des forces et n’ayez pas peur’. Voici que vous êtes arrivés avec bonheur au gîte de la charité, il n’y a pas lieu de craindre davantage. Souvenez-vous qu’à la charité rien n’est difficile. Donnez-moi la main et suivez-moi.» Et aussitôt elle me tendit la main et prit la mienne, nous conduisit dans une salle à manger admirable de beauté et de douceur, merveilleuse en profusion et en fragrance, admirable de grandeur et de beauté, où, en entrant, nous trouvâmes tout l’apparat des délices célestes, dont à la seule vue nous fûmes aussitôt si bien réconfortés que nous ne nous souvenions presque plus de nos fatigues passées, pensant être entrés au paradis. Et après nous avoir invités à la table des nourritures spirituelles garnie en abondance, elle versa de l’eau sur nos mains pour les laver, offrit elle-même du pain à chacun, servit le

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sua et arrepta manu mea, deduxit nos in cenaculum miri decoris et dulcoris, mire habundantie et fraglantie, mire magnitudinis et pulchritudinis, ubi cum introissemus omne apparatum celestium deliciarum inuenimus, quarum mox solo uisu ita refecti sumus ut preteritorum laborum nostrorum pene non meminerimus, estimantes nos introisse in paradisum. Cumque ad mensam spiritualium epularum copia refertam nos inuitasset, ipsa aquam manibus abluendis infudit, ipsa panem singulis proposuit, ipsa uinum ministrauit, ipsa inter copias deliciarum spiritualium unicuique quid sibi magis conuenisset apposuit, et cum esset ei familia multa nimis, non dico seruorum et ancillarum – neque enim seruos aut ancillas sibi uidimus – sed filiorum et filiarum, fratrum et sororum quibus imperare poterat omne quod libuisset, ipsa maluit in propria persona gratissime officiositatis erga singulos munus implere ut etiam sic potuisset hospites suos ad emulationem uirtutis promouere.

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〈144.〉 De officiositate caritatis Itaque cum deambulans per singulos qui ad mensas eius discumbebant – multos enim alios discumbentes ibi inuenimus – unicuique competentia ministraret, ad me perueniens uetustissima ueterum cum pane ordeacio et austeriore uino aqua mixto michi apposuit, mirante me, mirantibus et ceteris, quid sibi hoc uellet, presertim cum non inopia cogente id ageret et me deliciis assuetum magis omnes estimarent. Cumque fastidiens apposita ad manducandum tardior essem, ipsa michi modestissimo, ut sibi moris est, signo innuit ut manducarem, post refectionem relatura quid ageret. Neque enim inter epulas uerborum colluctationes aut clamosas disputationes admittebat, uolens omnes conuiuas suos sub silentii quiete panem suum manducare. Itaque acquieui inperio eius et cepi manducare, lente quidem primum et quasi summis labiis queque degustans, uirtutem appositorum adhuc ignorans. Quam ut paulatim deprehendi, magis magisque ad manducandum conualui, facta enim sunt omnia non solum palato meo dulcissima, sed et uentri meo 144, 4 uetustissima ueterum] cf. Lev. 26, 10 4-5 pane – ordeacio] cf. IV Reg. 4, 42; Ambroise, Hexameron, VI, ii, 6 (CSEL 32/1, p. 207, l. 18); Sedulius Scotus, Collectaneum miscellaneum, lxx, 63 (CCCM 67, p. 290, l. 169) 30 inter – spiritualium]; abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 144, 3 alios] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |alios S 3 enim G 1 |enim sunt S 3

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vin, dans la quantité de délices spirituels elle donna à chacun ce qui lui convenait le mieux, et comme elle disposait d’une très nombreuse maisonnée – je ne parle pas de serviteurs et de servantes, car nous ne lui vîmes ni serviteurs ni servantes – mais de fils et de filles, de frères et de sœurs à qui elle pouvait commander tout ce qu’elle aurait désiré, elle préféra remplir en personne, avec grand plaisir, l’office du service envers chacun, afin de pouvoir ainsi inciter par là aussi ses hôtes à progresser dans la vertu.

144. De l’empressement de la charité Ainsi, passant parmi tous ceux qui étaient allongés pour le repas – car nous en trouvâmes beaucoup d’autres qui étaient allongés là – et servant à chacun ce qui lui convenait, arrivée à moi, elle me présenta «les plus vieilles des vieilles» nourritures, avec du pain d’orge et du vin très âpre et mêlé d’eau, à mon étonnement et devant les autres qui se demandaient ce qu’elle entendait signifier par là, d’autant plus qu’elle n’y était pas contrainte par la pénurie et que tous pensaient plutôt que j’étais habitué aux délices. Et comme je repoussais ce qu’elle me présentait, que je tardais à manger, très discrètement selon son habitude, elle me fit signe de manger, devant m’expliquer son intention après le repas, car elle n’admettait pas les querelles verbales ou les discussions bruyantes, désirant que tous ses convives mangeassent leur pain dans le repos du silence. J’obéis donc à son ordre et commençai à manger, tout d’abord lentement et comme goûtant à tout du bout des lèvres, ignorant encore la vertu des nourritures présentées. Et au fur et à mesure que je la découvrais, j’avais de plus en plus d’appétence à manger, car toutes ces nourritures devinrent non seulement très douces à mon palais mais très salubres pour mon ventre, tant et si bien qu’avant même la fin du repas je devenais plus dispos que tous les autres, moi qui, peu avant, avais été plus dédaigneux, ne comprenant pas encore la cause de ma bonne disposition bien qu’en sentant les effets, jusqu’au moment où, à la fin du repas, j’appris tout plus clairement, grâce à ses explications.

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saluberrima, ita ut etiam ante finitam refectionem ceteris omnibus fierem uegetatior, qui paulo ante fueram fastidiosior, nundum tamen me huius uegetationis mee causam intelligente, licet effectum sentiente, donec post finitam refectionem omnia didici plenius ipsa exponente.

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〈145.〉 Rursum de affabilitate et collatione caritatis Finita demum refectione quam diutissime protraximus tum propter multiplicationem tum propter delectationem appositorum, remoti sumus nos a mensis non mense a nobis, quas propter aduentancium frequentiam semper instructas esse oportebat. Cumque iussisset nos residere seorsum in loco collationi deputato post officia pietatis in refectione nobis exhibita, quam affabilem quam tractabilem se prestiterit denuo in collatione exhibenda quis enarrare poterit? Veniens enim et assidens michi quem quodammodo turbasse uidebatur in refectione, usque adeo exhylarauit iocunda collatione ut ipsa eius collatio fieret michi secunda refectio. Nam quod in sacra lectione ministra caritate quodammodo mandimus, in repetita eiusdem collatione meliori modo ruminamus. Et quos mensa Sacre Scripture primum per caritatem reficit, eos sepius repetita collatio per eandem perficit. Incipiens ergo sic ait: Scis, frater, quid fecerim tibi? Ego mater diuiciarum et deliciarum omnium, ex industria tibi ministraui non quod inopia coegit sed quod copia offerente tua persona exigit. Noui quis sis et unde uenias aut quo uadas et quid intentionis habeas, noui quod a corporalibus ad spiritualia tendas et ad hec tendendi uiam non solum tibi sed et aliis sternere satagas. Noui te a naturalibus intencionem tuam inchoasse et per ipsa naturalia ambulantem a corporalibus ad spiritualia te eleuasse. Per corporalis enim mundi, id est megacosmi, sic etenim eum uocas, creationem, dispositionem, ornatum, ad spiritualis mundi, id est microcosmi, sic enim et hunc appellas, creationem, dispositionem et ornatum, progrediens eo usque per naturalia et gratuita spiritus humani profecisti ut ad ornatum inferiorum aquarum microcosmi tui perueneris. Vbi iam dudum immorans et harum aquarum profunda et alta pe145, 15 scis – tibi] Ioh. 13, 12

18 unde – uadas] Ioh. 3, 8

17 etiam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |etiam S 3 145, 8 in – exhibenda] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 19 hec] hoc Delhaye 26 profecisti] proficisti Delhaye 26-27 microcosmi – aquarum] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. inf. S 4

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145. Et encore, sur l’affabilité et le repas de la charité Une fois le repas terminé, que nous fîmes durer très longtemps en raison et de l’abondance des nourritures et de leur succulence, nous quittâmes la table, mais la table ne nous quitta pas, car en raison de la fréquence des nouveaux arrivants, il fallait qu’elle soit toujours dressée. Après nous avoir offert ses services de piété en nous réconfortant, et nous avoir ordonné de rester assis dans la salle servant aux collations, qui pourra dire combien elle se montra affable, combien douce, en nous offrant de nouveau une collation? Car, venant et se tenant auprès de moi, et voyant qu’elle m’avait quelque peu troublé dans le repas, elle se réjouit tellement de cette agréable collation que celle-ci devint pour moi une deuxième réfection. Car ce que nous absorbons en quelque sorte dans la lecture sacrée, sous l’égide de la charité, nous le ruminons de meilleure manière en l’assimilant une deuxième fois. Et ceux que la table de l’Écriture Sainte a nourris une première fois par la charité, une deuxième assimilation les comble le plus souvent par cette même charité. Elle se mit alors à dire: «Sais-tu, frère, ce que j’ai fait pour toi? Moi, la mère de toutes les richesses et de tous les délices, je t’ai donné par mon activité, non pas ce qu’exigeait la pénurie, mais ce que, au milieu de l’abondance, ta personne réclame. Je sais qui tu es, et d’où tu viens et où tu vas, et quel est ton propos; je sais que tu aspires à aller des réalités corporelles aux spirituelles et que tu t’efforces de préparer la voie dans cette intention, non seulement pour toi mais aussi pour les autres. Je sais que tu as commencé ton cheminement à partir des réalités naturelles, et que, marchant à travers elles, tu t’es élevé des réalités corporelles vers les spirituelles. En avançant à travers la création, la disposition, l’ornement du monde corporel, c’est-à-dire du macrocosme – car c’est ainsi que tu l’appelles – vers la création, la disposition et l’ornement du monde spirituel, à savoir le microcosme – car c’est ainsi que tu l’appelles aussi – tu en es venu, en passant par les réalités naturelles et gratuites de l’esprit humain, à atteindre l’ornement des eaux inférieures de ton microcosme. En y demeurant depuis longtemps et en parcourant les profondeurs et les hauteurs de ces eaux, et en recherchant attentivement de quelle façon elles sont ornées, tu m’as trouvée, par bonheur, placée dans l’ornement de ces eaux et tu t’es heureusement dirigé vers mon refuge, ici, pourvu que désormais tu ne t’éloignes pas de moi. Il te convient en effet de ne pas t’éloigner de moi, de même qu’il te convenait de te diriger vers moi.» À ces dernières paroles je fus un peu troublé, alors que ses propos précédents m’avaient plutôt réjoui, mais je n’osai plus l’interroger; je me

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rambulans et quibus modis ornentur diligenter inuestigans, me in aquarum istarum ornatu positam non infauste reperisti et ad meum huc diuersorium feliciter diuertisti, si tamen de cetero a me non diuerteris. Eque enim tibi expedit a me ultra non diuertere sicut tibi expedit ad me diuertisse. His postremo dictis aliquantulum turbatus sum, cum precedentia uerba eius satis me exhylarassent, sed nichil adhuc ausus interrogare, intuitus eam cogitabam quid intenderet. Metuebam enim ne forte intentionem meam uellet inpedire. Ipsa uero mox uidens cognitionem meam subiunxit dicens: «Scias autem quod nisi tu ipse sic deliraueris ut ab intencione tua recedere uolueris, propositum tuum prosequendo a meo regno ultra non egredieris. Ego etenim sum regina huius quem tu perambulas mundi nec est in eo quicquam quod non sit mei iuris, quamuis in eo sint multi qui mei iuris adhuc esse nolint. Quos tamen ego tanto pacientius sustineo quanto sapientius uniuscuiusque finem preuideo. Certa enim sum quod finis omnium mee cedet aut uoluntati, aut imperio. Igitur ad quoscumque fines huius mundi perrexeris, sursum, deorsum, superiora uel inferiora elementa perambulans, meas ubique possessiones et meum regnum inuenies. Vnde quod me cete grande in hoc inferiori elemento uel superiori uolatile grande uocas, licet dignitati mee derogare uidearis, tamen intencionem tuam bonam uidens, ignosco simplicitati tue. Nam et ipsum Deum leonem et agnum et huiusmodi multa, Sacra Scriptura figuratiua locutione uocare consueuit. Pacienter igitur fero quod hec michi nomina inponis, dummodo regine michi nomen non abneges. Neque existimes me in hac inferiori parte huius mundi hanc tantummodo possessiunculam habere, cum sim, ut dixi, mater omnium diuiciarum et deliciarum quas super omnes alios duplices et habeo et do cui uoluero».

49-50 ipsum – consueuit] cf. Augustin, Sermo 4 (CCSL 41, p. 39, l. 571-573); Sermo 73 (PL 38, 471); Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 855C et 983A) 29 infauste] G 1 |fauste S 3 ; infauste S 4 34 ausus] sum add. Delhaye 41 in eo sint] sint in eo G 1 |in eo sint S 3 nolint] G 1 |nolent] S 3 51 michi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |michi S 3

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demandais, en la voyant, quelle était son intention; je craignais en effet qu’elle veuille éventuellement entraver mon projet. Mais elle, saisissant aussitôt ma pensée, ajouta: «Sache cependant qu’à moins que tu ne délires au point de vouloir renoncer à ton intention, si tu poursuis ton but, tu ne sortiras plus de mon royaume. Je suis en effet la reine de ce royaume que tu parcours, et il n’y a rien qui ne soit de ma juridiction, même si, en lui, beaucoup refusent encore d’être de ma juridiction. Mais je les supporte avec d’autant plus de patience que je prévois avec sagesse la fin de chacun; car je suis certaine que la fin de tous cédera soit à ma volonté, soit à mon pouvoir. C’est pourquoi vers quelque région du monde que tu te diriges, en haut, en bas, parcourant les éléments supérieurs ou inférieurs, tu rencontreras partout mes possessions et mon royaume. Ainsi, que tu m’appelles grande baleine dans cet élément inférieur, ou grand oiseau dans l’élément supérieur, bien que tu sembles déroger à ma dignité, je pardonne à ta candeur, sachant que ton intention est bonne; car l’Écriture Sainte a coutume de désigner Dieu lui-même en termes figurés, lion et agneau et beaucoup d’autres noms de ce genre. C’est pourquoi je supporte avec patience que tu m’attribues ces noms pourvu que tu ne me dénies pas le nom de reine. Et ne considère pas que je n’aie, dans cette partie inférieure de ce monde, que cette petite possession, alors que je suis, comme je l’ai dit, la mère de toutes les richesses et de tous les délices, que je possède deux fois plus que tous les autres et que je donne à qui je veux.»

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〈146.〉 Que sint diuicie uel delicie caritatis Et si uis plenius nosse que sint he mee diuitie aut delicie, aperi os tuum et attrahe Spiritum et implebo illud. Et cum hoc dixisset, aperto ore nichil ausus loqui adhuc, inhiabam his que dictura erat. Ipsa uero sic prosecuta est dicens: «Ego diuicias alias habeo communes, alias proprias et utrasque multiplices. Diuitie mee communes sunt quas communiter mecum habent et alieni, qualis est diuinarum intelligentia Scripturarum. In his est plenitudo scientie. Que sunt harum diuiciarum delitie? Has diuitias uel etiam delicias non opus est tibi subdistinguere, quoniam cum tu eas manibus tractes et a capite recte inchoaueris, non te credo membra capitis ignorare. Hoc omnimodis caueas ne tamquam alienus eas habeas». Hoc cum dixisset, commotus ad lacrimas unum uerbum protuli cum singultu dicens: «Domina tu scis…», et ipsa: «Lacrimas tuas amplector quia de fonte meo emergunt». Et hoc dicto quod inceperat rursum prosecuta est dicens: «Diuitie mee proprie sunt quas ego sola do et quibus non communicat alienus; de quibus et scriptum est: Sit tibi fons proprius cui non communicet alienus. Hoc est diuinorum custodia mandatorum. In his est plenitudo dilectionis et obedientie que sunt harum diuitiarum prime in hac uita delitie, seconde in futura uita gaudium beatitudinis eterne. Propter quod et fons dicitur quia, sicut fonte nichil est prius, multi autem ex eo sunt riuuli, ita hac gratia ad meritum uite nichil prius est, multi autem ex eo uel meritorum uel premiorum riuuli emanant. Et meus fons, quia ego ipsa sum hic fons, de me fundens meipsam et deriuans me usque ad meos et omnes et solos, ita ut de me nichil capiat alienus. Alienus autem est qui, quantumlibet in mandatis Dei habeat scientie, nichil tamen habet diligentie.»

146, 2-3 aperi – spiritum] cf. Ps. 118, 131 3 implebo illud] Ps. 80, 11 13 domina – scis] cf. Tob. 8, 9; Ioh. 21, 16 17 sit – alienus] cf. Prov. 5, 15-17 (sec. Vet. lat.); Augustin, Enarr. In Ps., 103, s. 1, 9 (CCSL 40, p. 1482-1483, l. 76-80); In Ioh. ep. ad Parthos, VII, 6 (PL 35, 2032); Contra Crescionum, II, xiv, 17 (CSEL 52, p. 376, l. 23-26); Ad catholicos de secta Donatistarum, 23, 67 (CSEL 52, p. 313, l. 2024); Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, II, xiii, 11 (PL 176, 542C-D); Pierre Abélard, Sic et non, q. 138, 37 (Henke, p. 371); Bernard de Clairvaux, Sermo in Cant., 22, 2 (Bern. Opera, I, p. 130, l. 10-12) 146, 4 ausus – adhuc] adhuc ausus G 1 |habet S 3 8 sunt] sint Delhaye 11 capitis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |capitis S 3 15 inceperat] G 1‫ ׀‬inceperaret (?) post ras. S 3 |inceperas Delhaye 22 uite] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |uite S 3

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146. Quelles sont les richesses et les délices de la charité «Et si tu veux savoir plus précisément quelles sont mes richesses et mes délices, ouvre la bouche et aspire, et je la remplirai». À ces mots, la bouche ouverte n’osant plus rien dire, j’aspirais les paroles qu’elle allait prononcer. Alors elle poursuivit par ces mots: «Je possède des richesses, les unes communes, les autres propres, les unes et les autres multiples. Mes richesses communes sont celles que d’autres ont avec moi, comme l’intelligence des Écritures divines. En elles réside la plénitude de la connaissance. Quelles sont les délices de ces richesses? Il est inutile de t’énumérer ces richesses, non plus que ces délices puisque, comme tu les tiens en tes mains et que tu as avec raison commencé par la tête, je ne crois pas que tu ignores les membres de la tête. Garde-toi bien de toute façon de ne pas les posséder comme un étranger». À ces mots, ému jusqu’aux larmes, dans un sanglot, je prononçai ce seul mot: «Madame, toi, tu sais». Alors, elle: «J’accueille tes larmes parce qu’elles jaillissent de ma source». Cela dit, elle poursuivit par ces mots: «Mes richesses me sont propres, et je suis seule à les donner; personne d’autre n’y participe. Ce sur quoi il est écrit: «Que cette source soit à toi seul, que nul autre n’y participe». C’est là l’observance des ordres divins. En eux réside la plénitude de l’amour et de l’obéissance qui sont, dans cette vie, les premières délices de ces richesses, et les seconds, dans la vie future, seront la joie de la béatitude éternelle. C’est pourquoi on l’appelle «source»: car il n’y a rien avant la source mais les ruisseaux qui en dérivent sont nombreux, ainsi rien ne donne plus de valeur à la vie que cette grâce, mais nombreux sont les ruisseaux de mérite et de récompense qui en émanent. Et «ma» source, parce que je suis moi-même cette source, me répandant moi-même de moi-même, et m’écoulant jusqu’aux miens, tous les miens mais eux seuls, de sorte qu’un étranger ne prend rien de moi. L’étranger est en effet celui qui, quel que soit le degré de connaissance qu’il ait des commandements de Dieu, n’en tient aucun compte.

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〈147.〉 Subdiuisio diuiciarum uel deliciarum propriarum caritatis Huius proprii fontis mei riuulos siue harum diuiciarum uel deliciarum mearum partes tibi subdiuidere opere pretium erit, hoc tamen precognito quod melius experiendo quam audiendo discuntur. Vnde scriptum est: Gustate et uidete quantum suauis est Dominus. Quod est dicere: experimini et intelligetis quante delitie sint in custodia mandatorum Domini. Harum itaque deliciarum mearum, alie rursum communes sunt omnibus meis, alie quibusdam proprie. Communes sunt sine quibus nemo meorum esse potest, ut est fideliter, prudenter, constanter, alacriter, perseueranter ambulare uel etiam currere uiam communium mandatorum Dei. Hoc per experientiam didicerat qui dicebat: Viam mandatorum tuorum cucurri cum dilatasti cor meum. He sunt communes omnium meorum delitie, uidelicet dilatatio cordis qua cum hylaritate curritur in uia Domini, non in angaria cum Symone Cireneo portante ad tempus crucem Domini, non in angustia cum illo qui, curis huius seculi coartatus uel oneratus, non potest transire per foramen acus, non in murmure cum carro qui fenum portat et semper murmurat. Tales enim nec ad has communes delicias meas pertingunt. Proprie delicie quorundam meorum sunt, cum quidam ex meis, non contenti communi et publica mandatorum Dei strata, ad conpendia semitarum diuertunt et in eis sic proficiunt ut delectentur in eis sicut in omnibus diuitiis, ita etiam ut queque difficilia fiant eis facilia, amara dulcia, aduersa prospera, tristia leta, fastidiosa deliciosa uel etiam e conuerso. Ex his erant qui dicebant: Letati sumus pro diebus quibus nos humiliasti, annis quibus uidimus mala. Ex his erant qui ibant a conspectu concilii gaudentes, quantum digni habiti sunt pro nomine Ihesu contumeliam pati. Ex his uel esse desiderabat, si necdum erat, qui dicebat: Deduc me in semita mandatorum tuorum quia ipsam uolui. Quomodo enim se147, 5 gustate – Dominus] Ps. 33, 9 12-13 uiam – meum] Ps. 118, 32 15 Symone – Domini] cf. Luc. 23, 26 16-17 transire – acus] Matth. 19, 24 1718 non in murmure – murmurat] Augustin, Enarr. in Ps., 132, 12 (CCSL 40, p. 1934, l. 12-17) 25-26 letati – mala] Ps. 89, 15 26-28 ibant – pati] Act. 6, 41 28-29 deduc – uolui] Ps. 118, 35 147, 5 quantum] quoniam Delhaye 11 communium] abest in G 1 ; add. 2 3 15 cireneo] G 1 |cireno S 3 17 murmure] munimine sup. l. G |communium S Delhaye 18 communes] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |communes S 3 24 tristia – deliciosa] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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147. Subdivision des richesses et des délices propres à la charité Il sera utile pour toi de subdiviser les ruisseaux de cette source qui m’est propre, c’est-à-dire les différentes parties de mes richesses ou de mes délices, sachant cependant à l’avance qu’on les apprend mieux par l’expérience qu’en les écoutant. Ainsi il est écrit: «Goûtez et voyez car le Seigneur est doux». Ce qui revient à dire: «Faites l’expérience et comprenez combien il y a de délices dans l’observance des commandements du Seigneur». Or parmi mes délices, certains sont communs à tous les miens, d’autres sont propres à quelques-uns. Communes sont celles sans lesquelles aucun des miens ne peut exister, comme par exemple marcher et même courir fidèlement, sagement, avec constance, avec ardeur, persévérance, sur la voie des commandements communs de Dieu. Il l’avait appris par expérience celui qui disait: «J’ai couru sur la voie de tes commandements, car tu as dilaté mon cœur». Telles sont celles de mes délices qui sont communes à tous les miens, c’est-à-dire la dilatation du cœur qui permet de courir avec joie sur la voie du Seigneur, non sur le chemin de charroi avec Simon de Cyrène portant pour un temps la Croix du Seigneur, non plus sur le chemin resserré avec celui qui, contraint ou accablé par les soucis de ce monde, ne peut passer par le chas d’une aiguille, non plus dans ce grincement de la charrette qui porte le foin et qui murmure constamment. Ceux-là, en effet, ne parviennent même pas à mes délices communes. Les délices propres à certains des miens sont ceci: quand certains des miens, ne se contentant pas de la route commune et publique des commandements de Dieu, se dirigent vers de petits chemins de traverse, où ils prospèrent si bien qu’ils s’y délectent comme en toutes sortes de délices, au point que tout ce qui est difficile devient facile, tout ce qui est amer devient doux, tout ce qui est adverse devient prospère, tout ce qui est triste devient gai, tout ce qui est ennuyeux devient agréable; ou aussi l’inverse. De ces derniers faisaient partie ceux qui disaient: «Nous nous sommes réjouis pour les jours où tu nous as humiliés, pour les années où nous avons vu des maux». Au nombre de ceux-ci étaient ceux qui «se retiraient de devant l’assemblée, se réjouissant d’avoir été estimés dignes de souffrir des opprobres pour le nom de Jésus». De leur nombre désirait être compté, s’il ne l’était pas déjà, celui qui disait: «Conduis-moi sur le sentier de tes commandements parce que je l’ai désiré». Comment donc désirerait-il emprunter ce sentier celui qui ne pourrait pas encore marcher sur la route? Toi aussi, tu t’efforces assurément de faire partie de ceux-là, toi qui, des réalités corporelles, tends vers les spirituelles par

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mitam desideraret, qui necdum in strata ambulare posset? Ex his et tu nimirum conaris esse, qui a corporalibus ad spiritualia per naturalia et gratuita tendens, in difficilibus mandatorum Dei semitis, non contentus publica strata te exercere cupis. Et quia omnem ornatum tuum inefficacem esse sine me comperisti, prudenti consilio ad meum domicilium quod in his microcosmi partibus est qua transitus tuus erat diuertisti. Nunc igitur age quod agis, insiste quibus insistis, quia ego tibi de cetero non deero nisi tu michi forte defueris. Ob hoc etenim tuam et tuorum considerans lassitudinem, qua sine me hactenus frustratorio conamine fatigati estis, primum uos in ea refectione reficiendos duxi, ut factis uobis uegetatioribus mea ope difficilia fieri possent facilia.

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〈148.〉 Quid sit mistice refectio ordeacii panes et uini aqua mixti Te uero qui comitum tuorum dux et in assumpto labore ceteris feruentior esse uideris, mistica refectione singulariter refeci. Nam, quia a corporalibus ad spiritualia tendens per naturalia primum profecturus in elementis microcosmi, id est in primis quatuor naturalibus humani spiritus, intentionem tuam fundasti ut signa rebus conuenirent, primum tibi uetustissima ueterum in refectione proposui. Quid enim uetustius est in humano spiritu quam id in quo conditus est? Nam si Sacra Scriptura recte ueterem uocat hominem propter peccata sua in quibus post lapsum inueterauit, quanto rectius eum ueterem uocabit propter naturalia sua in quibus eum Deus ante creauit? Et si cibus illi est Sacra Scriptura que ei commemorat peccata sua ad recolendam sui lapsus humilitatem, quanto magis cibus illi esse debet que ei commemorat naturalia sua ad recolendam sue conditionis dignitatem? Vterque quidam uetus sed alter uetustior, et uetus proiciendus sed uetustior commedendus. Vnde uetustissima ueterum comedetis et nouis superuenientibus, ue148, 7 uetustissima ueterum] Lev. 26, 10; Bède, De tabernaculo, 1 (CCSL 119A, p. 38, l. 1287-1292); Pierre Damien, Epistulae CLXXX, t. II, ep. 49 (PL 144, 269BD); Baudouin de Ford, Tract. de sacramento altaris, II, 1 (PL 204, 649C-651A); Pierre le Chantre, Verbum adbreviatum, I, 2 (CCCM 196, p. 14-15, l. 140-146); Pierre le Mangeur, Sermo 20 (PL 198, 1778A-B) 9 ueterem – hominem] Rom. 6, 6 16 uetustissima – superuenientibus] Lev. 26, 10 148, 5 naturalibus] elementis add. Delhaye 9 recte] abest in G 1 ; add. in 2 3 1 16 comedetis] G |comendetis S 3 ; comedetis S 4 16marg. G |recte S 17 unde – proicietis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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les dons naturels et gratuits, et non content de la route publique, désires t’exercer dans les difficiles sentiers des commandements de Dieu. Et parce que tu as découvert que tout ton ornement est inefficace sans moi, par un sage conseil tu t’es détourné vers ma demeure, qui se trouve dans ces régions du microcosme par où passait ton chemin. Continue donc d’agir comme tu le fais, attache-toi à ce qui t’occupe, car désormais je ne te ferai pas défaut, à condition que toi, tu ne me fasses pas gravement défaut. C’est donc pourquoi, considérant ta fatigue et celle des tiens dont, sans moi jusqu’ici, vous vous êtes épuisés dans un effort décevant, je vous ai tout d’abord conduits à ce repas pour vous réconforter, afin que, rendus plus dispos par mes soins, ce qui est difficile puisse vous devenir plus facile.» 148. Quelle est la signification mystique d’un repas de pain d’orge et de vin mêlé d’eau «Mais toi qui sembles être le guide de tes compagnons et plus fervent que les autres dans le travail entrepris, je t’ai donné tout spécialement une nourriture mystique. En effet, tendant des réalités corporelles aux spirituelles et devant commencer par les naturelles dans les éléments du microcosme, c’est-à-dire dans les quatre premiers dons naturels de l’esprit humain, tu t’es donné pour but que les signes correspondent aux choses. Je t’ai donc offert, tout d’abord, pour repas les réalités les plus anciennes parmi les anciennes. Qu’y a-t-il en effet de plus ancien dans l’esprit humain que ce en quoi il a été fondé? Car si l’Écriture Sainte, à juste titre, parle de «l’homme ancien», en raison de ses péchés dans lesquels il a persisté après la chute, combien plus justement le dira-t-elle «vieux» en raison de ses dons naturels, en lesquels Dieu le créa auparavant? Et si sa nourriture est l’Écriture Sainte qui lui rappelle ses péchés, afin qu’il se souvienne de l’abaissement de sa chute, combien plus doitelle être pour lui la nourriture qui lui rappelle ses dons naturels, afin qu’il se souvienne de la dignité de sa condition? Tous deux sont anciens, certes, mais l’un l’est plus que l’autre: ce qui est ancien doit être rejeté, ce qui est le plus ancien doit être consommé. C’est pourquoi «vous mangerez les plus anciennes parmi les anciennes et s’il en arrive de nouvelles», vous vous déferrez des anciennes, car la mémoire des péchés doit être rejetée après la pénitence, mais la mémoire des dons naturels doit être constamment retenue puisque celui qui ne retient pas la cause efficiente de sa condition ne parviendra pas avec bonheur à la cause finale.»

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tera proicietis quia peccatorum memoria post penitentiam proicienda, naturalium uero memoria iugiter est retinenda, quoniam qui efficientem causam sue conditionis non retinet, ad finalem feliciter non perueniet.

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〈149.〉 Distinctio inter uetera et uetustissima ueterum Verumtamen in ipsis naturalibus alia sunt uetustiora, alia uetustissima, uetustiora quibus humanus regitur uel disponitur spiritus, uetustissima ex quibus quasi materia conditur. Ac per hoc recte tibi primum uetustissima ueterum comedenda proposui, qui in eis primam tuam intentionem fundasti, ex quibus constat humanus spiritus, ac deinde, quia ad ea quibus regitur uel disponitur naturaliter profecisti, et creationem uel dispositionem microcosmi tui creationi uel dispositioni megacosmi secundum narrationem Moysi adaptasti, rursum ut signa rebus conuenirent, ordeaceo te pane cibaui. Quis enim unquam antiquorum sacre Scripture expositorum de tam tenacissimis paleis ueteris Testamenti talem medullam eruit qualem tu nunc eruere conatus es? Quis inquam tibi tam occulta reuelasset, nisi tibi intendenti fraterne edificationi caritas ipsa affuisset, etiam antequam tu illi affuisses? Nondum enim tunc ut nunc ad me diuerteras, ego tamen me iam ad te conuerteram, quia preuidens futurum meritum tuum, ut acceleraretur quod futurum erat, conuertendo me ad te interim adiuuabam conatum tuum, occulta tibi primum reuelans et post ut aliis ea reuelare posses cooperans. Quid enim tam occultum quam in quatuor elementis mundi, quatuor anime uires elementares contineri et eas iuxta elementares mundi proportiones in anima disponi? Quis tibi hanc uniformem utriusque mundi dispositionem reuelasset, nisi caritas creatoris utriusque mundi? Quis tibi hanc aliis reuelare dedisset, nisi caritas proximi? Quia enim in utroque 149, 5 uetustissima ueterum] Lev. 26.10 10-12 antiquorum – eruere] cf. Augustin, Tract. in Ioh., XXIV, 5 (CCSL 36, p. 246, l. 3-8); Bernard de Clairvaux, Sermo in Cant., 73, 2 (Bern. opera, II, p. 234, l. 7-8); Rupert de Deutz (dubium), Comment. in Iob, 24 (PL 168, 1065B) 149, 3 uel disponitur] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uel disponitur S 3 4 primum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |primum in textu S 3 5 ueterum] abest in G 1 ; add. 8 uel dispositionem] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ueterum in textu S 3 2 3 11 Testamenti] te Delhaye 16 acceleraretur sup. l. G |uel dispositionem S quod] accelaretur quid Delhaye 18 primum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |primum S 3 post] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |post S 3

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149. Différence entre les vieilles qualités et les vieilles des vieilles «Toutefois, parmi ces qualités naturelles, les unes sont assez anciennes, les autres très anciennes. Les assez anciennes celles par lesquelles l’esprit humain est régit ou disposé; les très anciennes celles à partir desquelles, presque comme d’une matière, il est constitué. C’est pourquoi, avec raison, je t’ai donné tout d’abord à manger les anciennes des anciennes, à toi qui as fondé en elles, dès l’abord, ton intention, en lesquelles réside l’esprit humain. Ensuite, parce que tu as progressé naturellement vers celles par lesquelles il est dirigé ou disposé, et que tu as adapté la création ou la disposition de ton microcosme à la création ou la disposition du macrocosme suivant le récit de Moïse, je t’ai nourri de pain d’orge en sorte que les signes, en retour, s’adaptent aux choses. Qui, en effet, parmi les anciens exégètes de l’Écriture Sainte, n’a jamais extrait des pailles si tenaces de l’Ancien Testament une moelle si abondante que celle que tu t’es efforcé maintenant de faire jaillir? Qui, dis-je, t’aurait révélé de si grands secrets si la charité ne t’avait pas été présente à toi qui te proposes l’édification fraternelle, avant même que tu ne te sois présenté à elle? Car alors tu ne t’étais pas encore dirigé vers moi comme maintenant, mais moi, de mon côté, déjà je m’étais tournée vers toi: prévoyant en effet ce que serait ton mérite à venir, pour hâter ce qui était à venir, en me tournant vers toi je facilitais, en attendant, ton effort tout d’abord en te révélant les réalités cachées, puis en t’assistant pour que tu puisses les révéler aux autres. Car qu’y a-t-il de plus caché que la présence des autres forces de l’âme dans les quatre éléments du monde, et que ces dernières sont disposées dans l’âme suivant les proportions élémentaires du monde? Qui t’aurait révélé cette égale disposition de l’un et l’autre monde, sinon la charité du Créateur de l’un et l’autre monde? Qui te l’aurait donnée à révéler aux autres sinon la charité envers le prochain? Parce que tu as en effet décidé de chercher et trouver dans l’un et l’autre monde le Créateur de l’un et de l’autre, la grâce de Celui que tu cherchais est venue à toi, fût-ce à ton insu. Mais parce que tu t’es attaché à communiquer aussi cette grâce aux autres, cette grâce-là que tu comptais communiquer est venue à toi.»

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mundo creatorem utriusque querere et inuenire disposuisti, affuit tibi etiam nescienti gratia eius quem quesisti. Quia uero eandem aliis etiam communicare studuisti, affuit tibi eadem quam communicandam duxisti.

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〈150.〉 Aliud misterium ordeacii panis et uini aqua mixti Est et alia ratio cur te uel asperiore pane uel austeriore uino refecerim. Quia enim non es contentus communibus diuitiis meis, quibus mecum communicant etiam alieni, sed nec illis quibus mecum omnes et soli mei, audacter aspirans etiam ad eas quibus mecum communicant soli familiarissimi mei, necesse tibi est ut de cetero assuescas aspera pro suauibus, grauia pro leuibus, amara pro dulcibus computare, aduersa in prospera, tristia in leta, fastidiosa in delitias, tenebrosa in lucida commutare, cum illo meo familiarissimo qui dixit: Et nox illuminatio mea in deliciis meis. Quia tenebre non obscurabuntur a te et nox sicut dies illuminabitur, sicut tenebre eius ita et lumen eius. Amodo enim tenebre, id est aduersa, erunt tibi ut lumen, id est ut prospera, ita ut nox illuminatio tua tibi sit in delitiis, scilicet ut in tribulationibus tuis delecteris, sicut in omnibus diuitiis. Que quia duplices sunt, alie namque sunt carnis, alie spiritus, id est alie sunt exterioris hominis, alie interioris, has in panis asperitate, illas in uini austeritate tibi apponendas censui, ut in asperitate panis tribulationem carnis, in austeritate uini tribulationem spiritus intelligeres, et utrasque tibi de cetero pro summis deliciis habendas scires. Sed et in hoc quod austeritatem uini aqua tibi temperaui, tribulationem spiritus in hoc exilio mitigandam lacrimis pro desiderio celestis patrie fusis insinuaui. Nichil enim sic consolatur animam pro huius exilii sui miseriis iugiter spiritu contribulatam sicut dulces lacrime frequenter spiritui contribulato permixte et pro dilatione supernorum bonorum que inpacienter expectat sepius effuse.

150, 9-11 et nox illuminatio – eius] Ps. 138, 11-12 13-14 delecteris – diuitiis] cf. Ps. 118, 14 21-22 consolatur – lacrime] cf. Grégoire le Grand, Homiliae in evang., I, ii, 8 (CCSL 141, p. 18-19, l. 158-164); Yves de Chartres, Sermo 12 (PL 162, 577A-B); Jean de Fécamp, Oratio pro gratia lacrymarum (PL 158, 892B-C); Richard de Saint- Victor, De contemplatione, II, 17 (L’œuvre I, p. 206, l. 109-113); De eruditione hom. int., I, 16 (PL 196, 1256B) 22-23 spiritu – contribulato] cf. Ps. 50, 19 150, 15 has] G 1 |illas S 3 Delhaye; has S 4

20 lacrimis] latrimis Delhaye

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150. Autre mystère du pain d’orge et du vin mêlé d’eau «Il y a encore une autre raison pour que je t’aie nourri et d’un pain très rugueux et d’un vin très âpre: c’est qu’en effet tu ne te contentes pas de mes richesses communes, par lesquelles même les étrangers communiquent avec moi, non plus que de celles par lesquelles les miens et eux seuls communiquent avec moi, mais, aspirant aussi avec témérité à celles par lesquelles seuls les êtres qui me sont très familiers communiquent avec moi, il est nécessaire que tu t’habitues désormais à regarder les choses rudes comme suaves, les lourdes comme légères, les amères comme douces; de changer les choses adverses en prospères, les tristes en joyeuses, les fastidieuses en délicieuses, les ténébreuses en lumineuses, avec celui, mon très familier, qui dit: ‘Et la nuit est illumination dans mes délices, parce que les ténèbres ne me cacheront pas de toi et la nuit resplendira comme le jour, et ses ténèbres seront comme sa lumière’. Car dorénavant les ténèbres, c’est-à-dire les adversités, seront pour toi la lumière, c’est-à-dire les succès, de sorte que la nuit te soit ‘illumination dans les délices’, c’est-à-dire que tu te délectes dans les tribulations comme parmi toutes les richesses. Et parce qu’elles sont doubles, car les unes appartiennent au corps, les autres à l’esprit, c’est-à-dire que les unes sont le fait de l’homme extérieur, les autres de l’homme intérieur, j’ai jugé qu’il fallait te les servir, les unes dans la rugosité du pain, les autres dans l’âpreté du vin, afin que tu reconnaisses, dans la rugosité du pain, la tribulation de la chair, dans l’âpreté du vin, la tribulation de l’esprit, et que tu saches qu’il te faut désormais les tenir, les unes et les autres, pour suprêmes délices. Mais, tempérant pour toi l’âpreté du vin avec de l’eau, je t’ai avec raison fait comprendre qu’en cet exil la tribulation de l’esprit doit être adoucie par les larmes répandues du désir de la patrie céleste. Rien en effet ne console autant l’âme, constamment broyée par l’esprit en raison des misères de son exil, que les douces larmes souvent mêlées à l’esprit écrasé, et le plus souvent répandues en raison du retard des biens célestes qu’elle attend avec impatience. Ces larmes, nul jamais ne peut les posséder sinon celui à qui elles auraient été accordées par don de la grâce divine, à l’exemple d’Axa, la fille de Caleb, à qui, tu le sais, son père avait donné la source d’eau d’en bas, et elle n’étant pas satisfaite de ce don, il lui ajouta la source d’eau d’en haut: l’âme pécheresse à qui il arrive d’être touchée au cœur par un don de Dieu, ayant suffisamment pleuré ses péchés, ne doit pas se contenter de ces pleurs mais, tendant à la perfection, il lui faut demander au Père des larmes plus douces, estimant avoir reçu de lui une terre stérile, s’il

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Quas utique nemo habere potest nisi cui collate fuerint diuine gratie munere, exemplo Axe filie Caleph cui, ut nosti, cum dedisset pater irriguum inferius et illa hoc dono contenta non esset, adiecit ei irriguum superius quia, cum anima aliquando diuino munere conpuncta peccata sua sufficienter planxerit, non debet contenta esse hoc planctu sed ad perfectionem tendens peccatrix dulciorem petere a patre planctum, sterilem se reputans ab eo accepisse terram nisi irriguo inferiori adiciat et superius. Quod et tu nunc similis forme fecisse uideris qui, cum ante nostram refectionem lentus et fastidiosus esses, etiam ad ipsam refectionem, uegetatior ceteris factus es in ipsa refectione, nondum tamen tue uegetationis causam intelligens, licet effectum sentiens, donec postea ad unum uerbum meum commotus, in lacrimas cum uino spiritus contribulati sensisti tibi misceri aquam irrigui.

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〈151.〉 De expulsione presumptionis et pusillanimitatis Hactenus michi singulariter locuta circumspexit et intuita comites itineris mei: «Vnde tibi hec comitum multitudo», inquit? Videbat enim inter eos quosdam proposito meo minus conpetentes, unum a dextris uidelicet de propriis uiribus presumptionem, unum a sinistris id est de extrinsecis obstaculis pusillanimitatem. Et ait ad illos: «Quis uos huic homini comites asciuit?» Intelligebat enim eos potius me inuitum prosecutos quam uocanti obsecutos. Siquidem alter, id est pusillanimitas, pene ab infantia michi inuito et quasi uiolenter eam expellere conanti coaluit et multa bona mea proposita non solum retardauit, uerum etiam nonnumquam penitus euacuauit; alter uero, id est presumptio, ex eo tempore quo hoc iter agressus sum, michi incauto quasi retro accessit. Cui et ait: Quomodo huc quasi fur introisti? Cumque ille obmutuisset, nichil ad hec respondere ualens, et illa conuersa ad dextram quasi fustem quereret quo sum expelleret, ille mox ab occulis omnium euanuit et ultra nusquam conparuit. Alter uero, cum ad similia quereretur, 26-28 Axe – superius] cf. Ios. 15, 17-19; Iud. 1, 12-15 lati] Ps. 50, 19

36-37 spiritus contribu-

151, 1 expulsione – presumptionis] cf. Richard de Saint-Victor, De eruditione hom. int., III, 4 (PL 196, 1252C) et passim 13 quomodo – introisti] Matth. 22, 12 32 qui] quia Delhaye 151, 4 unum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |unum S 3 in marg. G 2 |mea S 3

10 mea] abest in G 1 ; add.

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n’ajoute à la source d’eau d’en bas celle d’en haut. Toi aussi, tu t’es ainsi comporté, toi qui, avant notre repas et même au moment de le prendre, étais lent et sans entrain, et qui, pendant le repas même, es devenu plus dispos que les autres. Tu ne comprenais toutefois pas encore la cause de ta bonne disposition mais en ressentais les bienfaits, jusqu’au moment où, ému aux larmes à une seule parole de ma part, tu as senti qu’au vin de l’esprit accablé se mêlait pour toi l’eau de la source d’en haut.»

151. De l’expulsion de la présomption et de la pusillanimité S’étant jusque-là adressée à moi seul, elle regarda alentour et fixant ses regards sur mes compagnons de route, elle dit: «D’où vient cette troupe de compagnons?» Elle voyait bien que, parmi eux, certains n’adhéraient guère à mon propos: l’un, à droite, à savoir la présomption de ses propres forces, l’autre, à gauche, à savoir la pusillanimité devant les obstacles extérieurs. Et elle leur dit: «Qui vous a fait les compagnons de cet homme?» Car elle comprenait que, plutôt que d’avoir répondu à mon appel, ils m’avaient fait escorte malgré moi. L’un en effet, à savoir la pusillanimité, prit racine en moi presque depuis la petite enfance, malgré moi et malgré mes efforts violents pour l’extirper. Non seulement il avait retardé beaucoup de mes bonnes intentions mais il est même arrivé qu’il les fasse parfois disparaître totalement. Quant à l’autre, à savoir la présomption, du moment où j’ai entrepris ce voyage, il m’a saisi sans que j’y prenne garde, comme par derrière. Elle lui dit alors: «Comment es-tu entré ici comme un voleur?» Tandis qu’il se taisait, ne sachant que répondre à cette question, et qu’elle, tournée vers la droite, semblait chercher un bâton pour le chasser, aussitôt il disparut de la vue de tous et n’apparut plus nulle part. Quant à l’autre, désirant faire de même, il rechercha un subterfuge, ne voulant ni disparaître ni être chassé, estimant avoir un droit sur nous de ce qu’il est une habitude d’une autre nature. Alors, avec une fourche à deux dents présentée par hasard, elle l’attaqua. Tout tremblant il fuyait sous la fourche; dès qu’elle cessait, il revenait au galop, suivant l’adage: «Chasse la nature à la fourche, elle reviendra au galop». Mais elle, comprenant très clairement ce qui se

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subterfugium petiit nec euanescere uolens nec expelli, estimans aliquid se iuris habere apud nos eo quod altera natura sit consuetudo. At illa casu sibi oblata furca bidenti aggressa est tremulum, et ille quidem sub furca fugiebat sed cessante furca usque recurrebat, sicut scriptum est: «Naturam expellas furca tamen usque recurret». Tunc illa altius intelligens quid ageretur, interim quiescendum censuit donec natura condita paulatim sibi restitueretur. Corrupte enim consueta nature non instituta condite hoc esse perpendit, se autem presente quantumcumque inolitam consuetudinem, non die regnaturam sed condite potius institutionem nature sibi paulatim redituram. Ex tunc igitur inolita michi pusillanimitas se pedetentim cepit subtrahere et loco eius quedam ingenua magnanimitas accedere. Quod cum ego in me deprehendissem – neque enim michi talis meriti mutatio indeprehensibilis esse potuit – aliquantulum solito magnanimior factus et de me minus presumens, in ipsa autem que me sic demutauerat omnem meam fidutiam constituens, audacter aggressus sum eam de residuo mei itineris interrogare dicens: «Ecce Domina me michi penitus abstulisti, nichil michi pristinarum uirium mearum reliquisti, dum michi eum cuius solius pene fidutia nitebar, in omni hoc itinere meo de medio tulisti. Nam etsi primum michi incauto accesserat, tamen ut plerumque fieri solet, ita se michi fidelem in omni hoc itinere meo ministrum exhibuit ut per eum quicquid aggrederer, licet difficile, me peracturum non desperarem. Quid ergo michi restat faciendum nisi ut totus tibi oportunus et importunus adheream, donec meam perfecte consolata fueris insufficientiam, presertim cum ab inolita michi pusillanimitate nondum me ad plenum liberare aut nolueris aut non potueris?» Cumque hec et huiusmodi alia cum quodam eiulatu prosequerer et genibus eius prouulutus pedes ipsius tenerem, nec me eam dimissurum nisi pleno ab ea percepto solatio iurarem, ipsa hanc inportunitatem meam dulciter amplectens, indicibiliter se michi tractabilem prestitit dicens:

20-21 naturam – recurret] Horace, Epistulae, I, 10, v-24 (p. 270) 22 paulatim] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |paulatim S 3 Delhaye 43 prosequerer] prosequer Delhaye

38 aggrederer] aggreder

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passait, décida de cesser un moment, jusqu’à ce que lui revienne peu à peu la nature originelle. Elle estima en effet que c’étaient là des habitudes de la nature corrompue, non des dispositions de la nature originelle, que cette habitude, si enracinée qu’elle fût alors, ne durerait pas longtemps, mais plutôt que lui reviendrait peu à peu la disposition de la nature originelle. À partir de ce moment, en effet, la pusillanimité qui était enracinée en moi commença à se retirer pas à pas. À sa place s’avançait une certaine magnanimité naturelle. Comme je m’étais aperçu de cela en moi – car un tel changement de qualité ne me pouvait passer inaperçu – devenu un peu plus magnanime que d’ordinaire et présumant moins de moimême, mais mettant toute ma confiance en elle qui m’avait changé à ce point, je me mis, avec audace, à l’interroger sur le reste de mon voyage, en disant: «Voici, ma dame, que tu m’as totalement arraché à moimême, tu ne m’as rien laissé de mes forces précédentes en chassant de moi, pendant tout ce voyage, celui, seul, sur la foi de qui je m’appuyais, car bien qu’il m’ait atteint dès l’abord à mon insu, il s’est montré pour moi, comme cela se produit le plus souvent, un serviteur si fidèle tout au long de ce voyage que toutes les difficultés que j’affrontais, je ne désespérais pas, grâce à lui, de les surmonter. Que me reste-t-il à faire, sinon, de gré ou de force, m’attacher totalement à toi jusqu’à ce que tu aies parfaitement compensé mon insuffisance? D’autant plus que tu n’as toujours pas voulu ou pu me libérer totalement de ma pusillanimité enracinée». Et tandis que je continuais, en me lamentant, à tenir ces propos et d’autres semblables, et que, prostré à ses genoux, je lui tenais les pieds et jurais de ne pas la quitter que je n’aies reçu d’elle une entière consolation, elle, saisissant avec douceur l’occasion que je lui présentais, se montra d’une indicible complaisance à mon égard, en disant:

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microcosmvs, III, 152

〈152.〉 De tractabilitate caritatis «Tu pedes meos quasi michi inportunus tenes, ego tibi non solum pedes sed et manus et capud, immo et totum corpus meum tractandum ut libuerit expono, si tamen tu michi prius iuraueris te nec post acceptum a me solatium dimissurum me. Neque enim gratanter admitto perfunctorie tangentes me, quamuis tamen ex his ipsis nonnullos admittam ut mea liberalitate uel sic eos ad meliora sue salutis consilia prouocem. Plurimorum siquidem tangere me uolentium tactus, adulterinis tactibus similes sunt, qui ad unam sue libidinose uoluptatis experientiam semper inexperta captantes experta fastidiunt. Talium similem te esse omnino caueas si ad meos tactus aspiras. Nam etsi me passim omnibus officiosam presto in conuiuio, in collatione affabilem, non tamen sic omnibus me prebeo in attactu tractabilem. Castos, inuiolatos, perpetuos attactus expeto et me totam solis his expono». Hec cum dixisset, metum quasi michi incussit pro sua reuerentia sed auxit fidutiam pro mea conscientia. Igitur nichil ultra de meis uiribus sed totum de gratia eius presumens iuraui et statui custodire iudicia iusticie eius. Quo facto, eleuauit me adhuc iacentem ad pedes suos et ad osculum me inuitans ait: «Da michi osculum». Quo dato et inuicem accepto, tanta michi suauitas ab ore eius uenit, acsi cor eius tetigissem, et ex ipsa suauitate tantum robur et solatium quantum sperare non potuissem. Dixit ergo michi: «Quid sentis?» Et ego: «Sentio, inquam, me tetigisse cor tuum». Et rursum illa: «Bene sensisti quia unum est os meum et cor meum». Ex tunc totus confisus in gratia eius, securus rui in amplexus eius deosculans capud et manus et omne corpus eius. Inter hec autem ipsa se michi ita amabilem ut mater, tractabilem ut uxor prestitit. Mirabili namque modo utrumque michi facta est, mater, quasi nouum me hominem gignens, uxor, quasi nouos filios castissima copula me ex se gignere faciens, in utroque uirgo permanens, in utroque uirginem conseruans, in utroque sterilitatem tollens. Nam si sapientia sapientis uxor recte dicitur a Salomone dicente: Ama sapientiam tanquam sponsam et ipsa amplectabitur te, et ex ea sapiens filios et filios filiorum 152, 2-3 non – capud] Ioh. 13, 9 17 iuraui – iusticie] Ps. 118, 106 19 da – osculum] Gen. 27, 26 19-20 quo – uenit]cf. Aelred de Rievaulx, De speculo caritatis, II, 11 (CCCM 1, p. 77-78, l. 449-456) 32-33 ama – te] cf. Prov. 4, 8 152, 30 uirginem] uirginitatem Delhaye

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152. De la complaisance de la charité «Toi, tu m’importunes presque en me tenant les pieds, mais moi, je te livre non seulement mes pieds mais mes mains et ma tête, plus encore, tout mon corps, pour que tu le manies à ta guise, à condition qu’auparavant tu me jures que même après avoir reçu de moi la consolation, tu ne me quitteras pas. Car ce n’est pas volontiers que j’admets ceux qui me touchent négligemment, bien que j’en admette certains afin de les pousser, grâce à ma libéralité, à prendre de meilleures résolutions pour leur salut. Le contact de nombreuses personnes qui veulent me toucher ressemble en effet à des contacts adultérins parce que, s’emparant toujours de ce qui n’a pas été éprouvé, pour la seule curiosité de leur volupté libidineuse, ils dédaignent ce qui a été éprouvé. Garde-toi bien de leur ressembler, si tu aspires à mon contact. Car même si je me montre indistinctement empressée envers tous dans les festins et affable dans les collations, je ne me montre cependant pas aussi complaisante envers tous pour le contact. Je cherche les contacts chastes, inviolés, éternels, et c’est à eux seuls que je me prête totalement». En disant cela, elle me frappa d’une sorte de crainte révérencielle envers elle, mais elle augmenta la confiance en raison de ma conscience. Aussi, ne comptant plus sur mes propres forces mais totalement sur sa grâce, je jurai et décidai de retenir les jugements de sa justice. Ensuite, de prostré que j’étais à ses pieds, elle me releva et m’invitant à un baiser elle dit: «Donne-moi un baiser». Ce baiser une fois donné et mutuellement accepté, me parvinrent de sa bouche une telle suavité – comme si j’avais touché son cœur – et de cette suavité une telle force et un réconfort tel que je n’aurais pu l’espérer. Elle me dit alors: «Que sens-tu?» et moi: «Je sens, dis-je, que j’ai touché ton cœur»; et elle, à son tour: «Tu as bien senti, car ma bouche et mon cœur sont un». Dès lors, pleinement confiant en sa grâce, insouciant, je courus l’embrasser, baisant sa tête, ses mains et tout son corps. Pendant ce temps elle se montra envers moi aimante comme une mère, complaisante comme une épouse. Car, d’une façon extraordinaire, elle devint pour moi une mère en me faisant naître en homme nouveau, en même temps qu’une épouse en me faisant engendrer par elle, dans une union très chaste, des fils nouveaux, demeurant vierge dans les deux cas, conservant dans les deux cas la virginité, supprimant dans les deux cas la stérilité. Car si la sagesse est justement appelée épouse du sage, suivant cette parole de Salomon: «Aime la sagesse comme une épouse, et elle t’embrassera», et s’il n’est pas absurde de dire que le sage reçoit d’elle des fils et des fils des fils, suivant la parole

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habere non absurde dicitur in nono canticorum graduum dicente Dauid: Vxor tua sicut uitis habundans in lateribus domus tue, filii tui sicut nouelle oliuarum in circuitu mense tue, et paulo post: Videas filios filiorum tuorum etc., nimirum et caritas amantis se uxor recte dicitur, et amans eam filios et filios filiorum habere ex ea non minus recte dicitur, quia amanti et pertractanti se ex ipsa sola opera meritoria et premia meritorum nascuntur. Ipsa etiam sola est sapientia quam tamquam sponsam nos amare Salomon hortatur et que se amantes ultro amplexatur.

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〈153.〉 Experientia certior doctrina Itaque cum sic admissus in amplexus eius pro libito pertractassem omne corpus ipsius, nimirum experiendo didici plenius quod audiendo iam didiceram segnius. Hic, inquam, didici quid sit ordinatus amor eius quod est infra nos, que est inferior pars corporis eius; quid sit ordinatus amor eius quod est iuxta nos, que est dextera uel sinistra pars corporis eius; quid sit ordinatus amor eius quod sumus nos, que est media pars corporis eius; quid sit ordinatus amor eius quod est supra nos, que est summa pars siue caput corporis eius. Et secundum quod didici, iussit michi ut scriberem et ex eadem caritate qua id ab ipsa percepissem aliis communicarem. Pro exigentia igitur loci in quo nunc constituti sumus, eo ordine quo cepimus pergamus et quid agimus peragamus.

35-36 uxor – tue] Ps. 127, 3

36-37 uideas – tuorum] Ps. 127, 6

153, 5-8 quod – nos] cf. Augustin, De doctrina christiana, I, xxiii, 22 (CCSL 32, p. 18, l. 6-9) 34 habere] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 39 amanti – se] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3 41 Salomon] abest in G 1 ; Salomone add. sup. l. G 2 |Salomon S 3 153, 5 ordinatus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ordinatus S 3 7 ordinatus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ordinatus S 3 6-8 iuxta – est 1] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4

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de David au verset 9 du Cantique des cantiques: «Ton épouse comme une vigne fructueuse aux flancs de ta maison, tes fils comme des plants d’olivier autour de la table», et plus loin: «Vois les fils de tes fils», etc.; il est aussi juste de dire que la charité est l’épouse de celui qui l’aime et il est aussi juste de dire que celui qui l’aime reçoit d’elle des fils et des fils des fils, parce que d’elle seule naissent à celui qui l’aime et qui la pratique, des œuvres méritoires et des récompenses des mérites. Elle seule est la sagesse, que Salomon nous exhorte à aimer comme une épouse et qui en plus embrasse ceux qui l’aiment. 153. L’expérience est plus sûre que la doctrine C’est pourquoi, ainsi admis à son étreinte, comme j’explorais à loisir tout son corps, j’appris plus à fond assurément par l’expérience, ce que j’avais appris plus nonchalamment en écoutant. Ainsi, dis-je, j’appris ce qu’est l’amour ordonné de ce qui est au-dessous de nous, qui est la partie inférieure de son corps; ce qu’est l’amour ordonné de ce qui à côté de nous, qui est la partie droite ou gauche de son corps; ce qu’est l’amour ordonné de ce que nous sommes, qui est la partie médiane de son corps; ce qu’est l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de nous, qui est la partie supérieure ou la tête de son corps. Ensuite elle m’ordonna d’écrire ce que j’avais appris et de le communiquer aux autres avec la même charité dont je l’avais reçu d’elle. Donc, compte tenu du point où nous en sommes arrivés, poursuivons dans l’ordre que nous suivons depuis le début et menons à terme ce que nous faisons.

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〈154.〉 Quid sit ordinatus amor eius quod est infra nos Ordinatus amor eius quod est infra nos est uinculum dilectionis quod ex caritate carni nostre debemus. Neque enim nichil dilectionis ei debemus cui personaliter unimur, non nichil ei debemus cui tanquam uxori maritamur, non nichil ei debemus in quo tanquam in domicilio nostro habitamus, non nichil ei debemus a quo tanquam a iumento nostro portamur, non nichil ei debemus cum quo tanquam cum socio ad patriam de exilio tendimus. Denique non nichil ei debemus cum quo tanquam cum coherede in patria paterna hereditate in eternum participabimus. Cum ergo spiritus et caro una persona, unus homo sint et in eternum futuri sint, quaquam uersum pergant sursum deorsum, ad paria se diligere uel etiam odire debent. Si alter trahit alterum sursum, ad id se inuicem diligere et ad id sibi inuicem subministrare debent. Si alter trahit alterum deorsum, ad id se inuicem odire, ad id sibi inuicem repugnare debent, hoc est odium et pugna inter carnem et spiritum que nobis totiens sacra Scriptura commemorat, de quibus et nos supra nonnulla diximus.

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〈155.〉 Quod spiritus humanus ex inferioribus partibus suis est ponderosus Et quidem caro naturaliter ponderosa ut terra uel aqua, inferiores partes spiritus sibi personaliter uniti, id est sensualitatem et ymaginationem, sibi conformans quodam modo facit terram uel aquam, que sunt duo inferiora elementa microcosmi, in quorum altero nunc constituti sumus. Hinc fit ut spiritus personaliter illi unitus et ipse ex magna sui parte fiat naturaliter ponderosus, et non solum trahente se carne, uerum etiam deprimente se, magna parte sui uergat deorsum. Ideoque pernecessarium est reliquis duabus partibus eiusdem spiritus non solum ut na-

154, 10 cum – homo sint] cf. Richard de Saint-Victor, De Trinitate, III, 9 (Ribaillier, p. 144, l. 12-14) 154, 2 ordinatus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ordinatus S 3 in G 1 ; add. in marg. G 2 |dilectionis S 3

3 dilectionis] abest

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154. Qu’est-ce que l’amour ordonné de ce qui est au-dessous de nous L’amour ordonné de ce qui est au-dessous de nous est le lien de dilection que nous devons par charité à notre chair. Car nous ne sommes pas sans devoir envers ce à quoi nous sommes personnellement unis; nous ne sommes pas sans devoir envers ce à quoi nous sommes mariés, comme à une épouse; nous ne sommes pas sans devoir envers ce en quoi nous habitons, comme étant notre demeure; nous ne sommes pas sans devoir envers ce par quoi nous sommes transportés, comme notre monture; nous ne sommes pas sans devoir envers ce avec quoi nous nous dirigeons, comme avec un compagnon, de l’exil vers la patrie. Enfin nous ne sommes pas sans devoir envers ce avec quoi, comme avec un cohéritier, nous aurons part à l’héritage pour l’éternité dans la patrie du Père. Donc, comme l’esprit et la chair sont une seule personne, un seul homme et le seront pour l’éternité, dans quelque sens qu’ils se dirigent, vers le haut, vers le bas, ils doivent s’aimer, ou encore se haïr pareillement. Si l’un tire l’autre vers le haut, ils doivent pour cela s’aimer mutuellement, et pour cela s’aider mutuellement. Si l’un tire l’autre vers le bas, ils doivent pour cela se haïr mutuellement, et pour cela s’opposer l’un à l’autre. C’est cela la haine et les combats entre la chair et l’esprit, que l’Écriture Sainte nous rappelle si souvent, et dont nous avons, nous aussi, parlé quelque peu ci-dessus. 155. Que l’esprit humain est alourdi par ses parties inférieures La chair, naturellement pesante comme la terre ou l’eau, en se conformant les parties inférieures de l’esprit personnellement uni à elle – à savoir la sensibilité et l’imagination – en fait, d’une certaine façon, de la terre ou de l’eau, qui sont les deux éléments inférieurs du microcosme, dont, pour l’un et l’autre, nous sommes présentement constitués. D’où il se fait que l’esprit, personnellement uni à elle, devient lui aussi, en grande partie, naturellement pesant, et comme la chair non seulement le tire mais aussi l’enfonce, il tend pour une grande part de luimême vers le bas. C’est pourquoi il faut de toute nécessité que les deux autres parties de cet esprit non seulement soient par nature légères, mais soient aussi par grâce rendues plus légères pour tendre vers le haut et s’opposer tant à elles-mêmes qu’à la chair, de crainte que, ne voulant s’appuyer que sur leurs propres forces, elles ne se jettent, emportées par elles, dans le précipice. Tel est en effet, par la grâce, l’amour ordonné de sa propre chair, par lequel l’esprit, soutenu et soulevé, s’abaisse à la chair de telle façon qu’il

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tura sint leues, uerum etiam per gratiam fiant leuiores ad sursum tendendum, et tam sibi quam carni reluctandum, ne dum suis uiribus tantum niti uolunt cum se trahentibus in precipicium ruant. Gratia autem hec est ordinatus amor carnis sue quo spiritus adiutus et subleuatus carni deorsum uergenti, sic condescendit ut non sinat eam precipitari in uicium. Quod utique nec sola ratio, nec sola intelligentia naturalis, nec simul ambe possunt facere, nisi eis assit hec gratia, id est ordinatus amor carnis sue. Nam cum tribus modis amemus carnem nostram, naturaliter, ordinate, inordinate, naturalis quidem amor intra limites nature subsistere facit deorsum uergentem, inordinatus infra limites nature precipitat in uitium, ordinatus solus supra limites nature subleuat ad Deum. Hi tres amores quasi tria quedam pondera sunt in diuersa rapientia spiritum cui insunt, alius sursum, alius deorsum, alius ad medium. Ordinatus amor sursum, inordinatus deorsum, naturalis in medio consistit. Ordinatus ergo amor proficit ad meritum, inordinatus officit, naturalis nec proficit nec officit.

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〈156.〉 Quod ordinatus amor carnis condescendit carni usque ad ymaginationem Igitur, ut dictum est, ordinatus amor carnis, licet sursum tendens, condescendit tamen carni sue, modo usque ad ymaginationem, modo usque ad sensualitatem. Vsque ad ymaginationem ei condescendit, dum ymaginationi salubres cogitationes, meditationes, delectationes, uoluntates ad carnem pertinentes inmittit et in his eam iugiter usque ad consensum carnis exercendo perficit. Verbi gratia: inmittit ei primum cogitationem castigandi lasciuientem adhuc carnem suam, et sic in aquis his inferioribus quasi quoddam mundum reptile gignit. Tunc demum cogitationem hanc meditatione nutrit, dum iugi meditationi insistit quomodo id ita discrete et moderate fiat ut uitium non natura deficiat. Inuento modo meditationem suam usque ad delectationem prouehit. Tunc incipit uelle id in quo delectatur, et uolendo delectationem suam custodit, donec tandem pleno consensu uolitum perficit. Ecce uides quomodo in his inferioribus aquis microcosmi circa terram fluctantibus, id est in ymaginatione circa carnem uersante, ordinatus amor carnis 155, 17 possunt facere] facere possunt G 1 |possunt facere S 3 in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ergo S 3 156, 3 carnis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |carnis S 3 add. sup. l. G 2 |imaginationi S 3

25 ergo] abest

6 ymaginationi] abest in G 1 ;

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ne lui permette pas de plonger dans le vice. Ce que ni la seule raison ni la seule intelligence naturelle, ni toutes deux ensemble ne peuvent faire si cette grâce ne les assiste, à savoir l’amour ordonné de sa propre chair. Nous aimons notre chair de trois façons, naturellement, de façon ordonnée, de façon désordonnée. L’amour naturel la fait se maintenir dans les limites de la nature, tendant vers le bas; l’amour désordonné la précipite dans le vice au-dessous des limites de la nature; seul l’amour ordonné l’élève au-dessus des limites de la nature vers le Seigneur. Ces trois sortes d’amour sont comme trois poids qui emportent l’esprit dans lequel ils résident en des sens différents, l’un vers le haut, l’autre vers le bas, l’autre encore au milieu: l’amour ordonné en haut, l’amour désordonné en bas, l’amour naturel au milieu. Ainsi l’amour ordonné augmente le mérite, l’amour désordonné l’empêche, l’amour naturel ne l’augmente ni ne l’empêche.

156. Que l’amour ordonné s’abaisse à la chair jusqu’à l’imagination C’est pourquoi, comme on l’a dit, l’amour ordonné de la chair, bien que tendant vers le haut, s’abaisse cependant à sa chair, tantôt jusqu’à l’imagination, tantôt jusqu’à la sensibilité. Il s’y abaisse jusqu’à l’imagination quand il insuffle à l’imagination des pensées saines, des méditations, des délectations, des volontés relatives à la chair, et qu’en elles il parvient, en l’exerçant continuellement, jusqu’au consentement de la chair. Par exemple, il lui insuffle tout d’abord l’idée de corriger sa chair encore lascive, et ce faisant il engendre dans ces eaux inférieures une sorte de reptile pur. Alors seulement il nourrit cette pensée par la méditation en demeurant dans une continuelle méditation se demandant comment cela peut se faire avec assez de sagesse et de mesure pour que le vice s’éteigne, non la nature. En ayant trouvé le moyen, il pousse sa méditation jusqu’à la délectation. Il commence alors à vouloir ce en quoi il se délecte, et persiste à vouloir sa délectation jusqu’à ce qu’enfin il accomplisse son vouloir d’un plein consentement. Tu vois donc comment dans ces eaux inférieures du microcosme ondoyant autour de la terre, c’est-à-dire dans l’imagination tournant autour de la chair, l’amour ordonné de la chair, tel un monstre marin de cette mer, engendre, nourrit, impulse, protège et parfait des reptiles purs, et met ainsi une dernière main à l’ornement de cette mer.

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quasi cete grande huius maris munda reptilia gignit, nutrit, prouehit, custodit et perficit, et sic ornatui maris huius supremam manum apponit. Hec experiendo edoctus, idcirco nunc diligentius exemplificaui, non solum ut ex similibus similia intelligenda darem, uerum etiam ut nomen cete grandis quod supra regine caritati generaliter attribuisse uidebar secundum quid ei conueniat edocerem. Quomodo autem ordinatus amor carnis carni sue condescendat usque ad sensualitatem, alibi fortasse cum ad ornatum terre uentum fuerit, exemplariter ostendemus, quamuis tamen a simili iam ex dictis perpendi possit. Hoc autem de ordinato amore carnis adhuc hic dicendum restat: quod nunquam sic carnem suam amat licet personaliter sibi unitam ut ad uitia procliui condescendat aut in mediis nature eam subsistere finaliter permittat, sed cum uitiis et concupiscentiis crucifixam, extinctis in cruce uitiis, ipsam uiuam de cruce tandem deponat et cum spiritu sibi personaliter unito, spiritualiter uiuere faciat. Hec enim est eius ad alios predictos amores distantia ut, sicut ipse naturaliter sursum tendit, sic eam cui condescendit carnem secum aliquando sursum rapiat et, a uitiis in cruce extinctis eleuatam, crucis sue obliuisci et cum spiritu suo iocunde uiuere faciat. Tunc demum cum spiritu caro uoluntarie sursum tendens, subministrat etiam ipsa uires spiritui sursum se portanti, ita ut ambo alacres ad altiora enitentes, tandem ad celestem conuersationem sine difficultate perueniant.

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〈157.〉 Quid ordinati amoris spiritus debeat carni ex eo quod ei tanquam uir maritatur uxori Nunc uideamus quid ordinati amoris spiritus debeat sue carni ex eo quod ei tanquam uir maritatur uxori. Nimirum per omnia hoc debet ei quod uir uxori: preesse scilicet non subesse, quia sicut uir est capud mulieris sic spiritus carnis. Sicut uir habet regere mulierem sic spiritus carnem, non e conuerso. Quod utique nec inordinato amore facit nec naturali perficit. Nam si eam inordinato amore diligit, cum ea in preci156, 31 cum – crucifixam] Gal. 5, 24

39 celestem conuersationem] Phil. 3, 20

18 maris] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |maris S 3 19 et 2 – apponit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 29 licet – unitam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 38 etiam ipsa] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |etiam ipsa S 3 157, 7-8 facit – diligit] G 1 | S 3 ; add. in marg. G 5

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Instruit par ces expériences, je me suis donc appliqué à présenter ici des exemples, non seulement pour donner à comprendre les semblables par les semblables mais aussi pour montrer en quoi lui convient le nom de monstre marin que je semblais, plus haut, avoir attribué de façon générale à la reine charité. Toutefois nous démontrerons peut-être ailleurs, par des exemples, comment l’amour ordonné de la chair condescend à sa propre chair jusqu’à la sensibilité, quand on en arrivera à l’ornement de la terre; bien que l’on puisse cependant en juger par ce qui a déjà été dit. Mais sur l’amour ordonné de la chair, il reste encore à dire ceci: que jamais il n’aime sa propre chair, bien que personnellement unie à lui, au point de condescendre à la tentation du vice ou de permettre qu’elle reste finalement entre les mains de la nature, mais qu’au contraire, «crucifiée avec les vices et les concupiscences», les vices éteints sur la Croix, il la dépose enfin, vivante, de la Croix, et avec l’esprit personnellement uni à elle, il la fasse vivre spirituellement. Telle est en effet la différence entre cet amour et les autres, cités plus haut, de sorte que non seulement il tend lui-même naturellement vers le haut mais encore emporte enfin avec lui cette chair à laquelle il condescend, vers le haut, élevée au-dessus des vices éteints sur la Croix, lui fait oublier sa croix et la fait vivre dans la joie, avec son esprit. Alors enfin, la chair tendant volontairement vers le haut, avec son esprit, donne à son tour des forces à l’esprit qui se dirige vers le haut, de telle sorte que tous deux, s’élevant promptement vers de plus grandes hauteurs, atteignent enfin sans difficulté au séjour céleste. 157. Quelle sorte d’amour ordonné l’esprit doit à la chair du fait qu’il est marié à elle comme un homme à sa femme Voyons maintenant quelle sorte d’amour ordonné l’esprit doit à sa chair, du fait qu’il est marié à elle comme un homme à sa femme. Il lui doit, en toutes choses, ce qu’un mari doit à sa femme: c’est-à-dire diriger, non se soumettre; car de même que «l’homme est le chef de la femme», de même l’esprit l’est de la chair. De même que l’homme se doit de diriger la femme, de même l’esprit se doit de diriger la chair, et non l’inverse. Et c’est ce qu’il ne fait nullement dans l’amour désordonné ni dans l’amour naturel: s’il l’aime d’un amour désordonné, il va, avec elle, droit au précipice; s’ils s’aiment tous deux d’un amour seulement naturel, ils demeurent tous deux là où l’on ne doit pas demeurer, et ne tendent pas là vers quoi ils doivent tendre. Ils ne progressent donc que par l’amour ordonné; et s’ils s’aiment l’un l’autre de cette manière, suivant cet amour ils se doivent une obéissance mutuelle, mais aucune

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picium tendit. Si naturali tantum amore se inuicem diligunt, ambo stant ubi standum non est nec tendunt quo illis tendendum est. Solo igitur ordinato amore proficiunt, si hoc modo se inuicem diligunt, et uterque alteri secundum hunc amorem debet obedientiam, secundum inordinatum nullam. Porro secundum naturalem conuenientiam quidem uterque alteri prestare potest, sed non debet, obedientiam nisi periclitante natura. Vsque adeo per omnia maior est auctoritas uiri quam mulieris, spiritus quam carnis, ita ut quicquid agit uterque uel patitur, ad nutum spiritus potius quam carnis dirigatur excepto debito nature. In quo soluendo sicut pares sunt uir et uxor, ita spiritus et caro. Verbi gratia: in soluendo debito carnis ad paria iudicantur uir et uxor, teste apostolo qui utrique pariter percipit dicens: «Vir debitum reddat uxori, similiter et uxor uiro, quia mulier potestatem sui corporis non habet sed uir; similiter et uir non habet potestatem sui corporis sed mulier» quia nec mulier ad alium uirum, nec uir ad aliam mulierem potestatem habet sui corporis; nec uir ad continendum nec mulier potestatem habet sine mutuo consensu sed alter alterius potestatem corporis habet, ut poscenti alteri non liceat alteri negare debitum. Sic nimirum sic in soluendo sibi inuicem debito nature spiritus et caro ad paria iudicantur. Verbi gratia: debet spiritus carni contemplationem, debet caro spiritui actionem; quibus duobus sibi inuicem subseruiunt ad querenda uite huius que sine labore transigi non potest necessaria. Contemplatione spiritus prouidet quid et quomodo agendum sit carni ut habeant ambo huius uite necessaria. Actione corporali caro querit et inuenit quod spiritus querendum et inueniendum prouiderit. Non potest in his alter horum alteri partes suas negare. Non potest alter horum, derelicto suo iugali, ad aliud uel ad alia suas partes transferre, nature lege indeclinabili contradicente, etiam si pulcriora, si honestiora, si placentiora queque prouidenda uel facienda occurrant, interim dum nature necessitas hec facienda dictauerit, adeo sibi inuicem obligati sunt et ad paria tenentur ut nec ordinatus amor hanc nature legem dissoluere possit. Nam et hoc ipsum ad ordinatum amorem spectat ut ineuitabili legi nature quam sibi inuicem spiritus et caro, ut uir et mulier, obligantur, non contradicat.

22-24 sed 2 – corporis] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 31 quomodo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quomodo S 3 33 in his] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in his S 3 38 dictauerit] G 1 |ditauerit S 3 ; dictauerit S 4

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obéissance si c’est dans un amour désordonné. En outre, par la sympathie naturelle, chacun peut bien manifester à l’autre de l’obéissance, mais non pas comme un dû, sinon au détriment de la nature. L’autorité de l’homme est, en tous points, tellement supérieure à celle de la femme, l’esprit tellement supérieur à la chair, que quoi que chacun fasse ou subisse, cela est réglé selon la volonté de l’esprit plutôt que de la chair, excepté ce qui est dû à la nature. Pour accomplir ce devoir l’homme et la femme sont égaux, de même l’esprit et la chair. Par exemple, pour ce qui est de l’accomplissement du devoir de la chair, l’homme et la femme sont considérés comme à égalité, au témoignage de l’Apôtre qui les considère l’un et l’autre comme égaux, en disant: «Que le mari s’acquitte de son devoir envers sa femme, et la femme envers son mari. Car la femme ne dispose pas de con corps, mais l’homme; pareillement l’homme ne dispose pas de son corps, mais la femme», parce que ni la femme ne peut disposer de son corps pour un autre homme, ni l’homme pour une autre femme. Ni l’homme ni la femme n’ont le pouvoir de choisir la continence, sans consentement mutuel, mais l’un dispose du corps de l’autre, de sorte que si l’un le demande, il n’est pas permis à l’autre de refuser de faire son devoir. Ainsi, en accomplissant mutuellement le devoir de nature, l’esprit et la chair sont assurément considérés comme à égalité. Par exemple, l’esprit doit à la chair la contemplation, la chair doit à l’esprit l’action. Par ces deux services réciproques, ils se secondent l’un l’autre pour chercher ce qui est nécessaire à cette vie, que l’on ne peut traverser sans peine. Par la contemplation, l’esprit prévoit ce que la chair doit faire et comment le faire, afin que tous deux aient ce qui est nécessaire à cette vie. Par l’action corporelle, la chair cherche et trouve ce que l’esprit prévoit de chercher et de trouver. En cela, aucun des deux ne peut dénier son rôle à l’autre. Aucun des deux ne peut, après avoir abandonné son attelage, transférer son rôle sur une ou plusieurs autres expériences, la loi de la nature s’y opposant formellement, même s’il s’en présentait de plus belles, plus nobles, plus agréables à prévoir ou à faire, pour le cas où la nécessité de la nature recommanderait de les faire. Ils sont si obligés l’un envers l’autre et tenus à égalité que même l’amour ordonné ne peut dissoudre cette loi de la nature. Car il appartient précisément à l’amour ordonné de ne pas aller contre la loi naturelle inéluctable, par laquelle l’esprit et la chair, comme l’homme et la femme, sont obligés l’un envers l’autre, mutuellement.

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〈158.〉 Quid ordinati amoris spiritus debeat carni in qua tanquam in domicilio suo habitat Videamus et hoc quod ordinati amoris spiritus debeat sue carni ex eo quod in ea quasi in domicilio suo habitat. Nimirum hoc debet ei quod dominus domus sue domui, uidelicet ruinosam edificare, sordidam mundare, mundatam ornare. Ruinosam inquam edificare: lutea enim est huius nostre habitationis domus et terrenum habens fundamentum ideoque facile dissolubilis modo influxum culpe, modo influxum pene. Influxum culpe per concupiscientias, influxum pene per miserias. Que utique ruine resarciri non possunt nisi ordinato amore carnis. Nam si inordinato amore caro diligitur, destruitur domus potius quam edificatur. Vidi nonnullos delitiis affluentes, ebrietatibus et crapulis insistentes, omni generi luxurie corpora sua dedentes et quasi perpetuam sibi mansionem in carne inordinato eius amore edificare studentes. Et ecce res omnino cessit in contrarium, subita mors ex inprouiso superueniens in momento diruit omne huiusmodi edificium. Si inordinato amore caro diligitur, etiam si non destruitur, sordidatur potius domus quam mundatur. Isti sunt sues semper in uolutabro luti uersantes. Sed et si naturali tantum amore caro diligitur, nec sic ad beatum domus huius edificium proficitur. Igitur solus ordinatus amor carnis etiam in hac uita promouet hoc edificium in templum Dei. Vnde Apostolus his qui sic edificium suum promouerant loquitur dicens: Nescitis quod corpora uestra templum sunt Spiritus sancti? Neque enim solummodo edificat sed et mundat et ornat ordinatus amor ut merito templum Dei fiat. Edificat inquam, primum luteam materiam eius igne suo decoquendo et quasi in lateres solidando, dehinc singulos lateres ordinate suis in locis disponendo dum singulorum membrorum corporis motus facit disciplinatos, a noxiis eos fluxibus retrahendo et continentie nexibus constringendo. Nouissime sic edificatam mundat et ornat. Mundat queque uitia adhuc in ea residentia tollendo, ornat uirtutum uarietate decorando.

158, 19 sues – luti] II Petr. 2, 22

23-24 nescitis – sancti] I Cor. 6, 19

158, 8 influxum 1.2] influxu Delhaye 9 pene] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |pene S 3 11 domus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |domus S 3 18 etiam – destruitur] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3 potius] potuis Delhaye 25 ordinatus amor] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ordinatus amor S 3

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158. Quelle sorte d’amour ordonné l’esprit doit à la chair, dans laquelle il habite comme dans sa demeure Voyons aussi quelle sorte d’amour ordonné l’esprit doit à sa chair, du fait qu’il habite en elle comme en sa demeure. Il lui doit, assurément, ce qu’un maître de maison doit à sa maison, c’est-à-dire l’édifier si elle est en ruines, la nettoyer si elle est sale, l’orner après qu’elle a été nettoyée. Je dis bien «l’édifier si elle est en ruines» car la demeure où l’on habite ici-bas, ayant un fondement terrestre, est boueuse, et par conséquent facilement destructible sous l’effet, tantôt de la faute, tantôt de la peine; sous l’effet de la faute, par les concupiscences; sous l’effet de la peine, par les malheurs. Des ruines qui ne peuvent en aucun cas être réparées sinon par l’amour ordonné de la chair; car si la chair est aimée d’un amour désordonné, la demeure est détruite plutôt qu’édifiée. J’ai vu des hommes plongés dans les plaisirs, vivant dans l’ébriété et les excès, livrant leurs corps à toutes sortes de luxures et s’appliquant à se construire une sorte de demeure éternelle dans la chair, d’un amour désordonné pour elle. Et voici que la situation se retourne complètement: la mort, frappant tout à coup, à l’improviste, fait s’écrouler en un instant tout cet édifice. Si la chair est aimée d’un amour désordonné, même si la maison n’est pas détruite, elle est souillée plutôt que nettoyée. Ce sont là les porcs se vautrant continuellement la bauge de l’ordure. Mais même si la chair n’est aimée que de l’amour naturel, elle ne progresse pas pour autant vers le saint édifice de cette demeure. C’est pourquoi seul l’amour ordonné de la chair transforme cet édifice, même dans cette vie, en temple de Dieu. Ainsi l’Apôtre, parlant à ceux qui avaient transformé leur demeure de cette façon dit: «Ne savez-vous pas que vos corps sont le Temple de l’Esprit saint?» L’amour ordonné, non seulement l’édifie mais le purifie et l’orne afin qu’il devienne, à juste titre, le Temple de Dieu. Je dis bien «il édifie», tout d’abord en réduisant par son feu sa matière souillée, et le consolidant en quelque sorte sur les côtés, ensuite en disposant avec ordre chaque côté à sa place, tout en réglant méthodiquement les mouvements de chaque membre du corps, en leur évitant les pulsions malfaisantes et en les retenant par les liens de la continence. Enfin, la demeure ainsi édifiée, il la purifie et l’orne. Il la purifie en éliminant les vices qui peuvent encore résider en elle; il l’orne en la décorant de la diversité des vertus.

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〈159.〉 Quam ordinatum amorem spiritus debeat carni a qua ut a iumento suo portatur Dehinc non inutiliter considerandum est quam ordinato amore debeat amari a spiritu sua caro a qua portatur ut a iumento suo. Neque enim inordinato amore id fieri oportet, ne dum male id fit, sessor iumenti fiat iumentum, ignominiose se illi substernendo et nature iura subuertendo. Omnimodis ergo satagat quomodo id ordinate fiat. Fiet autem ordinate si tria illi debita reddat, scilicet uirgam, onus et pabulum. Virga iuste correptionis, onus debite actionis, pabulum pie consolationis. Virgam si inobediens, si recalcitrans, si erroneum, si pigrum id inueniat; uirgam inquam uerbi uel uerberis discipline uel castigationis. Onus pensi diurni, mensurni, annui, onus proprium, onus fraternum: onus proprium de quo dicit Apostolus: Vnusquisque onus suum portabit, onus fraternum de quo idem: Alter alterius onera portate. Onus inquam, non quo opprimatur sed quo ad maiora semper excerceatur et promoueatur. Pabulum refectionis tam corporalis quam spiritualis; caro enim non solum corporaliter uerum etiam spiritualiter pascitur dum spiritualibus consolationibus etiam corporaliter uegetatur et corporalibus consolationibus etiam spiritualiter recreatur. Plerumque enim sicut per spiritualia ad corporalia sic per corporalia ad spiritualia promouemur. Hec tria nobis bonus ille Samaritanus in suo iumento mirabiliter insinuauit dum non pro se sed pro nobis tribus exercitari iumentum suum uoluit. Virgam, dum pro nostris excessibus, inobedienciis, recalcitrationibus, erroribus, pigriciis corripi, flagellari, colafizari et nouissime uirgam crucis subire uoluit. Onus, dum peccata nostra ipse portauit et a latronibus uulneratum iumento suo impositum sua infirmitate sanitati restituit, suo onere exonerauit. Pabulum, dum pro penalitatibus nostris in corpore suo uoluntarie susceptis lactari, nutriri, pasci, portari, uestiri, 159, 4 caro – iumento] cf. Augustin, De utilitate ieiunii, III (CCSL 46, p. 235, l. 97); Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, vii, 19 (PL 176, 295B); Hugues de SaintVictor, Miscellanea, I, 45 (PL 177, 495B) 13 unusquisque – portabit] Gal. 6, 5 14 alter – portate] Gal. 6, 2 21 bonus – samaritanus] cf. Luc. 10, 13 sqq.; cf. Ambroise, Expos. in evang. sec. Lucam, VII (CCSL 14, p. 239 l. 756-766); Augustin, Quaestiones evangeliorum, II, 19 (CCSL 44B, p. 62-63, l. 13-14); et in multis aliis locis 25 peccata – portauit] cf. Is. 53, 11-12 159, 1 Quam] Quem Delhaye 9 Virga – pabulum] G 1 |om. hom. S 3 ; -lum uirga correptionis, onus debite actionis pabu-add. in marg. inf. G 5 18-19 corporaliter – etiam] G 1 | om. S 3

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159. Quel amour ordonné l’esprit doit à la chair par laquelle il est porté comme par sa monture Il n’est dès lors pas inutile de considérer combien la chair doit être aimée par l’esprit de l’amour ordonné qu’elle lui porte comme à sa monture. Il ne faut pas, en effet, que cela se fasse d’un amour désordonné, de crainte que, cela se faisant mal, le cavalier de la monture ne devienne luimême monture, se soumettant ignominieusement à elle et renversant les droits de la nature. Par conséquent, il doit s’efforcer par tous les moyens de trouver comme cela pourrait se faire de façon ordonnée. Or cela se fera de façon ordonnée s’il rend à la chair trois devoirs: à savoir la verge, la charge et la nourriture. La verge de la juste correction, la charge de l’action à accomplir, la nourriture d’une pieuse consolation. La verge, s’il la trouve désobéissante, récalcitrante, vagabonde, indolente. Je dis bien: la verge de la parole ou du fouet de la discipline ou du châtiment. La charge de la tâche quotidienne, mensuelle, annuelle, la charge personnelle, la charge fraternelle; la charge personnelle, dont l’Apôtre dit «Chacun portera son propre fardeau»; la charge fraternelle, dont le même dit: «Portez les fardeaux les uns des autres». Je parle d’une charge dont on n’est pas écrasé mais par laquelle on est constamment entraîné et poussé à de plus grandes choses. La nourriture de la réfection tant corporelle que spirituelle, car la chair se nourrit non seulement corporellement mais spirituellement, étant donné qu’elle est animée, corporellement aussi, de réconforts spirituels, et vivifiée, spirituellement aussi, de réconforts corporels. Car généralement nous progressons des réalités corporelles aux réalités spirituelles, comme des spirituelles aux corporelles. Le bon Samaritain, par sa monture, nous a admirablement signifié ces trois devoirs quand il voulut, non pour lui-même mais pour nous, exercer sa monture dans ces trois devoirs: la verge, quand il voulut qu’elle soit saisie, flagellée, rouée de coups et qu’elle subisse la verge de la Croix pour nos excès, nos désobéissances, nos rebellions, nos erreurs, nos négligences; la charge, quand «il porta lui-même nos péchés», et qu’il plaça sur sa monture un homme blessé par des brigands, lui rendit la santé et paya son dû de ses deniers; la nourriture quand, pour nos fautes volontairement assumées dans son corps, il ne s’opposa à ce qu’elle soit choyée, soignée, nourrie, portée, vêtue, accueillie, réchauffée, qu’elle dorme, qu’elle se repose et qu’elle soit réconfortée d’innombrables autres façons. Tout cela, il l’accomplit dans un tel amour ordonné de sa chair que, devenue plus légère, toute en esprit, il la transporta au ciel et la plaça à la droite du Père.

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hospitari, calefieri, dormire, quiescere et aliis modis infinitis refici non renuit. Que omnia ita ordinato amore sue carnis expleuit, ut eandem carnem omni spiritu leuiorem factam celis inuexerit et ad dexteram Patris collocauerit.

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〈160.〉 Quam ordinatum amorem debeat spiritus carni quam tanquam socium accepit itineris sui Nunc etiam hoc uideamus quam ordinatum amorem spiritus debeat carni quam, in hoc exilium deiectus et ad patriam tendens, accepit tanquam socium itineris sui. Et reuera a prima conditione sui, coniunctione spiritus et corporis humani, Deus, conditor et coniunctor eorum, posuit inter eos honestissimam legem societatis, non quidem de exilio in quo nondum erant tendendi ad patriam – neque enim ante culpam penam exilii meruerant – sed a primo statu sue conditionis tendendi ad statum consummationis. Secundum quam legem pares quidem etsi non natura tamen institutione permansissent, si pariter eam custodissent. In huius etiam societatis signo, paulo post facti sunt duo de uno, masculus et femina, et coniuncti sunt indissolubili lege coniugalis societatis uir et uxor, ut qui paulo ante facti erant duo in natura unum in persona, fierent etiam unum in natura duo in persona. Sed quia legem sibi positam prior uxor uel caro neglixit et ad idem incautum uirum uel spiritum deflexit, ob culpam deiectis in hoc exilium, posuit aliam legem iusticia et misericordia iudicis peccatores iuste et misericorditer iudicantis, ut in hoc exilio prius agerent pariter penitentiam, et sic de exilio ad predestinatam sibi tenderent pariter consummati status patriam. Cumque nec hanc societatis legem mulier uel caro prona in uitium seruaret, sed magis post se traheret spiritum uel uirum inordinato sibi amore adhuc herentem, cessante interim iusticia iudicis, affuit aliquando peccatoribus misericordia eius, in simili spiritu et carne apparens eis et docens eos tam exemplo quam uerbo positam sibi legem

160, 13-14 uir – uxor] cf. Augustin, Tract. in Ioh., XV, 19 (CCSL 36, p. 158, l. 4041); Grégoire le Grand, Moralia in Iob, IV, xxvii, 49 (CCSL 143, p. 193, l. 21-25); Richard de Saint-Victor, Adnot. in Ps., 121 (PL 196, 363B) 160, 1 Quam] Quem Delhaye 17-18 et misericordia] abest in G 1 ; add. 2 3 19 pariter] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |pariter S 3 sup. l. G |et misericordia S 20 tenderent pariter] pariter tenderent G 1 |tenderent pariter S 3 23 adhuc – iudicis] G 1 | iter. S 3 ; semel del. S 4

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160. Quel amour ordonné l’esprit doit à la chair qu’il a reçue comme compagnon de route Maintenant, voyons aussi quel amour ordonné l’esprit doit à la chair, que, jeté dans cet exil et tendant vers la Patrie, il reçut pour compagnon de route. Et en vérité, dans leur condition première, par la conjonction de l’esprit et du corps humain, Dieu, qui les créa et les unit, plaça une très noble loi d’association, non pas pour qu’ils tendent de l’exil où ils ne se trouvaient pas encore vers la Patrie – car avant la faute, ils n’avaient pas mérité la peine de l’exil – mais pour qu’ils tendent du premier état de leur condition à l’état d’achèvement. Et suivant cette loi, s’ils l’avaient également respectée, ils seraient certainement demeurés égaux, sinon par nature du moins par disposition. En outre, en signe de cette association, peu après d’un ils devinrent deux, mâle et femelle, et furent unis par la loi indissoluble d’association conjugale, mari et femme, de sorte qu’ayant été peu auparavant créés deux en nature et un en personne, ils devenaient alors un en nature et deux en personne. Mais parce que la femme, ou la chair, la première transgressa la loi qui lui avait été imposée et entraîna à faire de même le mari imprudent, ou l’esprit, rejetés pour leur faute dans cet exil, la justice et la miséricorde du Juge qui juge les pécheurs avec droiture et miséricorde instaura une autre loi leur imposant à tous deux de faire tout d’abord pénitence dans cet exil, et ainsi de tendre ensemble de l’exil à la patrie à eux prédestinée, de l’état achevé. La femme, ou la chair, encline au vice, ne respectant pas non plus cette loi d’association, tirait plutôt derrière elle l’esprit, ou l’homme, encore attaché à elle par un amour désordonné. La justice du juge cessant alors, sa miséricorde fut enfin donnée aux pécheurs, se manifestant à eux en esprit aussi bien qu’en chair, et leur enseignant tant par l’exemple que par la parole à observer la loi à eux appliquée. L’esprit, ou l’homme, assurément plus prompt, déférant enfin à son maître, commença à repousser sa chair, ou sa femme, au point de devenir son adversaire, lui qui avait été son compagnon de route. Et comme la chair, ou la femme, plus faible, ne pouvait s’entendre avec son adversaire, le bon maître et guide de l’un et de l’autre, voulant encore différer le jugement, se tournant vers elle, l’avertit par ces mots: «Accorde-toi avec ton adversaire pendant que tu es avec lui en chemin», c’est-à-dire dans cette vie, où il y a place pour la pénitence, où il y a le temps pour la miséricorde. Et il ajouta cette menace: «de peur que, d’aventure, il ne te livre au juge», c’est-à-dire à moi, qui suis à présent ton maître mais pourrais devenir ton juge si tu ne t’accordes pas maintenant avec lui. «Alors le juge te livrera à ses ministres»,

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seruare; et spiritus uel uir quidem promptior, tandem aliquando acquiescens docenti se, cepit reluctari carni uel mulieri sue adeo ut fieret ei aduersarius, qui fuerat in uia socius. Cumque nec aduersario consentire posset caro uel mulier infirmior, pius magister et doctor utriusque uolens adhuc differre iudicium, conuersus ad illam sic eam instruxit dicens: Esto consentiens aduersario tuo dum es cum eo in uia, id est in hac uita, ubi locus est penitendi, ubi tempus est miserendi. Et adiecit cominationem dicens: Ne forte tradat te iudici, scilicet michi, quia qui nunc tibi sum doctor, aliquando tibi ueniam iudex si non hic ei consenseris; iudex autem tradat te ministris, id est angelis malis, et ministri mittent te in carcerem, id est in gehennam; non exies inde donec reddas nouissimum quadrantem, id est minimum peccatum. His tam metuendis comminationibus aliquando exterrita, mulier uel caro cepit timere et cum spiritu uel uiro, nunc aduersario olim socio, pace facta, ad antiquam societatem redire et unanimi consensu ambulantes in uia sua de exilio ad patriam tendere. Hec in multis factitari cernimus hodie in quibus spiritus et caro, uel uir et mulier, ordinato amore coniuncti cum summa alacritate pergunt uiam que ducit ad patriam.

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〈161.〉 Quam ordinatum amorem debeat spiritus carni quem habiturus est coheredem regni Dei Denique quam ordinatum amorem debeat carni spiritus quam, post huius uie laboriosam societatem, habiturus est in patria perpetuam et beatam coheredem regni Dei quis estimare potest, presertim cum solo ordinato amore, quo se hic inuicem diligunt promerendum sit eis hic quod ibi pariter accepturi sunt? Et quidem pro diuersitate nature uterque diuersa quedam ibi accepturi sunt premia. Nam spiritus pro natura spirituali premium spirituale, id est uisionem Dei solus percipiet, corpus autem pro natura corporali premium corporale, id est uisionem glorio31-37 esto – quadrantem] Matth. 5, 25-26 161, 9-10 corpus – corporale] cf. Augustin, De civitate Dei, XXII, 29 (CCSL 48, p. 856, l. 1-4) 26 uel uir] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |om. S 3 27 ei] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ei S 3 29-30 uolens – iudicium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |uolens iudicium S 3 33 scilicet michi] michi scilicet G 1 |scilicet michi S 3 quia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |quia S 3 161, 1 Quam] Quem Delhaye

4 uie] uite Delhaye

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c’est-à-dire aux mauvais anges, et «les ministres t’enverront en prison», c’est-à-dire dans la géhenne: «Tu ne sortiras pas de là que tu n’aies rendu jusqu’au dernier quart d’as», c’est-à-dire le plus petit péché. Terrifiée par des menaces si redoutables, la femme, ou la chair, commença à avoir peur et ayant fait la paix avec l’esprit, ou l’homme, alors son adversaire et jadis son compagnon, elle commença à revenir à l’ancienne association et, cheminant sur leur route dans une entente mutuelle, à se diriger de l’exil vers la Patrie. Aujourd’hui nous constatons que chez beaucoup l’esprit et la chair, ou l’homme et la femme, unis d’un amour ordonné, parcourent avec le plus grand empressement la route qui conduit à la Patrie.

161. Quel amour ordonné l’esprit doit à la chair qu’il aura comme cohéritière du royaume de Dieu Enfin, qui peut estimer à quel point l’esprit doit un amour ordonné à la chair, qu’après une difficile association en cette vie, il aura dans la Patrie comme cohéritière éternelle et bienheureuse du royaume de Dieu? D’autant plus que c’est seulement par l’amour ordonné dont ils s’aiment mutuellement ici-bas qu’il leur faut mériter ici-bas ce qu’ils recevront l’un et l’autre là-bas. Et en fonction de leur diversité de nature, l’un et l’autre recevront, là-bas, des récompenses différentes. L’esprit, en effet, du fait de sa nature spirituelle, recevra une récompense spirituelle, c’està-dire qu’il aura seul la vision de Dieu, tandis que le corps, du fait de sa nature corporelle, recevra une récompense corporelle, c’est-à-dire qu’il bénéficiera, même par les sens, de la vision des corps glorieux. Une béatitude si joyeuse et une joie si bienheureuse ne pourraient nullement advenir au seul esprit mais par la conjonction éternelle du corps glorifié, qui est assurément la cause principale de l’amour ordonné de l’esprit envers la chair: par elle et par elle seulement, il verra non seulement la gloire universelle de tous les corps saints mais aussi la gloire singulière du corps personnellement glorifié du Rédempteur et Sauveur de tous, en qui réside la somme de toute la béatitude de l’un et de l’autre.

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microcosmvs, III, 161-162

sorum corporum etiam sensibiliter hauriet. Que utique tam iocunda beatitudo et tam beata iocunditas soli spiritui prouenire non posset nisi ex perpetua coniunctione glorificati corporis que nimirum precipua causa ordinati amoris spiritus ad carnem est, quod per eam et non nisi per eam uisurus est, non solum communem gloriam corporum sanctorum omnium, uerum etiam singularem gloriam singulariter glorificati corporis redemptoris et saluatoris omnium, in quo summa tocius beatitudinis utriusque consistit. Nam, licet simul ambo, scilicet spiritus et caro, incorruptibilitatem et impassibilitatem et alia multa huiusmodi eterne beatitudinis premia sint accepturi, nil tamen ex omnibus comparabile erit illi beate uisioni qua corporaliter etiam Redemptorem et Dominum suum semper simul uidebunt, ut dum solus spiritus creatus creatoris Spiritus spirituali uisione perfruitur, ad cumulum sue beatitudinis per carnem et cum carne saluatoris sui etiam corporali uisione iocundetur, totumque ad eius beatitudinem pertineat siue per se creatorem suum, siue per carnem saluatorem suum uideat. Hec de carne per gratiam ordinati amoris ab omni uitio carnis liberata et in gloriam demutata prosecuti sumus, non ignorantes quod caro et sanguis, id est caro peccati sanguine corrupta, regnum Dei non possidebunt.

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〈162.〉 Questionem hic interponit ut soluat Pro loco in quo nunc constituti sumus, per imagines quedam de inferiori parte corporis regine caritatis, id est de ordinato amore eius quod est infra nos, diximus, nunc ad medias partes corporis eiusdem transituri, id est de ordinato amore eius quod sumus nos, aliqua dicturi, questionem quandam utrique parti equilater pertinentem hic interserrere curauimus. Queritur ergo utrum ad duo precepta caritatis pertineant amor eius quod est infra nos uel amor etiam eius quod sumus nos. Videntur enim hec ad duo precepta caritatis omnino non pertinere, primum auctoritate 29-30 caro – possidebunt] cf. I Cor. 15, 50 19 scilicet] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |scilicet S 3 24 perfruitur] perfru29-30 regnum – possidebunt] etur G 1 |perfruitur S 3 |perfruatur Delhaye iter. G 2 | S 3 ; semel del. S 4 162, 6 interserrere] interferre Delhaye etiam S 3

9 amor etiam] etiam amor G 1 |amor

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le microcosme, III, 161-162

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Bien que tous deux ensemble, à savoir l’esprit et la chair, recevront l’incorruptibilité, l’impassibilité et bien d’autres récompenses semblables de la béatitude éternelle, rien de tout cela ne sera cependant comparable à cette vision bienheureuse par laquelle ils verront éternellement, ensemble, corporellement aussi, leur Rédempteur et Seigneur. De la sorte, tandis que seul l’esprit créé jouit de la vision spirituelle de l’esprit Créateur, il parviendra au comble de sa béatitude par la chair et avec la chair, se réjouissant de la vision, corporelle aussi, de son Sauveur, et toute sa béatitude consistera en ce qu’il verra soit par lui-même son Créateur, soit par la chair son Sauveur. Nous avons poursuivi ces réflexions sur la chair libérée de tout vice par la grâce de l’amour ordonné et transfigurée en gloire, sans ignorer que «la chair et le sang», c’est-àdire la chair corrompue par le sang du péché, «ne posséderont pas le royaume de Dieu».

162. Il intercale ici une question pour la résoudre Pour en arriver au point où nous en sommes, nous avons exposé quelques idées par images sur la partie inférieure du corps de la reine charité, c’est-à-dire sur l’amour ordonné de ce qui est au-dessous de nous; puisque maintenant nous allons passer aux parties médianes de son corps, c’est-à-dire que nous allons traiter quelque peu de l’amour ordonné de ce que nous sommes nous-mêmes, nous avons pris soin d’intercaler ici une question pareillement relative aux deux sortes d’amour. On cherche donc à savoir si l’amour de ce qui est au-dessous de nous ou encore l’amour de ce que nous sommes nous-mêmes appartiennent aux deux préceptes de la charité. Ils ne semblent en rien appartenir aux deux préceptes de la charité, tout d’abord selon l’autorité du Pape saint Grégoire sur ce passage de l’Évangile de Luc: «Le Seigneur désigna soixante-douze autres et les envoya deux par deux, etc.»; «Voici, dit-il, qu’il envoya les disciples deux par deux pour prêcher, parce qu’il y a deux préceptes de charité, à savoir l’amour de Dieu et celui du prochain; et la charité ne peut être contenue en moins qu’en ces deux. Car nul ne peut être dit posséder la charité en propre, pour soi-même, mais la dilection

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microcosmvs, III, 162

beati Gregorii pape super illum locum Euangelii Luce: Designauit Dominus et alios septuaginta duos et misit illos binos etc. «Ecce, inquit, binos in predicationem discipulos mittit quia duo sunt precepta caritatis, Dei uidelicet amor et proximi, et minus quam inter duos haberi non potest caritas. Nemo enim proprie ad semetipsum caritatem habere dicitur, sed dilectio se in alterum tendit ut esse caritas possit». Ecce auctoritas magni doctoris et magna ratione nitens ad huius questionis negationem confirmandam, cui etiam si nullum aliud adesset rationis uel auctoritatis adminiculum, ipsa sola uideretur ad huius partis assertionem sufficere. Sed accedit ad hec maior auctoritas Domini dicentis in Euangelio: Qui amat animam suam perdet eam, cui accedens expositor dicit: «Noli animam tuam amare in hac uita ne perdas eam in eterna uita». Si non est homini amanda anima sua in hac uita, quanto magis nec caro. His duabus auctoritatibus quasi grauissimis quibusdam malleis uidetur omnino non solum oppugnari sed opprimi pars affirmatiua huius questionis. Accedit his ad hec et ratio qua dicitur: «Non opus est precipi homini id ad quod uel presto est ex natura uel pronus ex uicio». Vnde nemo umquam carnem suam odio habuit, quanto minus se. Sed si nos huic parti assensum prebuerimus, euacuabuntur omnia non solum que iam de ordinato amore proprie carnis dicta sunt, uerum etiam que de ordinato amore suimet uniuscuiusque dicenda sunt. Euacuabitur et illa auctoritas Canticorum: Ordinauit in me caritatem. Super quem locum nonnulli expositores eius quatuor illa que nos supra commemorauimus 162, 11-12 designauit – binos] Luc. 10, 1 15-16 nemo – possit] Grégoire le Grand, Homiliae in evang., I, xvii (CCSL 141, p. 117, l. 4-7); cf. Pierre Abélard, Theologia chr., I, 34 (CCCM 12, p. 86, l. 460-462; IV, 117 (p. 323-324, l. 18611866)); Richard de Saint-Victor, De Trinitate, III, 2 (Ribaillier, p. 137, l. 28-30) 21 qui – eam] Ioh. 12, 25 21-22 noli – uita] Augustin, Tract. in Ioh., LI, 10 (CCSL 36, p. 443, l. 6-7) 27-28 accedit – uicio] cf. Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, II, xiii, 7 (PL 176, 531C) 29 nemo – habuit] Eph. 5, 29 33 ordinauit – caritatem] Cant. 2, 4 18-19 uel auctoritatis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uel auctoritatis S 3 20 ad hec] adhuc G 1 Delhaye|ad hec S 3 21 qui – suam] G 1 |†…† S 3 ; in ras. G 5 22 animam tuam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |animam tuam S 3 25 oppugnari] obpugnari G 1 |oppugnari S 3 opprimi] obprimi G 1 |opprimi S 3 27-29 accedit – se] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 28 unde] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4, G 5 (?) 34 supra] super G 1 |supra S 3 supra commemorauimus] supercommemorauimus Delhaye

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se porte vers l’autre pour pouvoir être charité». Telle est l’autorité du grand docteur, fondée sur une solide doctrine, confirmant la réponse négative à cette question. Même s’il n’y avait aucun autre argument de raison ou d’autorité pour l’appuyer, elle seule pourrait suffire pour cette partie de l’assertion. Mais à elle s’ajoute l’autorité plus grande du Seigneur, disant dans l’Évangile: «Qui aime son âme la perd», à quoi le commentateur ajoute: «Garde-toi d’aimer» ton âme «en cette vie afin de ne pas la perdre dans la vie éternelle». Si l’homme ne doit pas aimer son âme en cette vie, combien moins sa chair! Ces deux autorités sont comme de très lourds marteaux qui non seulement s’attaquent à la partie affirmative de cette question, mais l’écrasent. Mais à elles s’ajoute encore la raison, qui dit: «Il est inutile de recommander à l’homme ce à quoi il est prompt par nature ou enclin par vice». Ainsi «personne n’a jamais haï sa chair», combien moins soimême. Mais si nous donnons notre assentiment à cette opinion, alors sera réduit à rien non seulement tout ce qui a déjà été dit sur l’amour ordonné de sa propre chair mais aussi ce qu’il faut dire de l’amour ordonné de chacun pour soi-même. Sera réduite à rien aussi l’autorité de cette phrase du Cantique: «Il a disposé en moi la charité»; phrase dont certains commentateurs ont estimé que les quatre citations que nous avons rappelées ci-dessus devaient être disposées dans leur ordre. Enfin ceci aussi sera également réduit à rien: «Si tu offres avec justesse mais ne discernes pas avec justesse, tu as péché», car il offre avec justesse celui qui offre à qui il doit offrir, c’est-à-dire à Dieu, non à l’idole, non au diable. Mais cela ne suffit pas s’il ne distingue pas également avec justesse, c’està-dire s’il ne discerne pas ce qu’il doit offrir et dans quel ordre, comme il discerne Celui à qui il doit offrir. Car même si tu offres à qui tu dois offrir mais ne discernes pas, parmi les choses à offrir, ce que tu dois offrir et dans quel ordre, tu as péché. Par exemple, si tu mets ton corps au service de Dieu avant ton âme, ou tes biens avant toi-même, ou ton prochain avant toi-même et si tu offres tout cela à Dieu sans jamais t’offrir toi-même, parce que tu ne respectes pas l’ordre de la charité, tu pèches. Car il est écrit: «Prends pitié de ton âme pour plaire à Dieu», c’est-àdire en l’offrant en premier à Dieu, ce qui ne peut se faire sinon par l’amour ordonné.

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microcosmvs, III, 162-163

suo ordine ordinanda censuerunt. Denique et illud nichilominus euacuabitur: Si recte offeras recte autem non diuidas, peccasti. Recte offert quidem qui ei offert cui offerre debet, Deo scilicet, non ydolo, non diabolo. Sed non sufficit hoc, nisi et recte diuidat, id est nisi distinguat quid et quo ordine offerat sicut distinguit cui offerat. Nam et si offeras cui offerre debes, inter offerenda uero non distinguas quid uel quo ordine offeras, peccasti. Verbi gratia: si corpus tuum mancipes seruitio Dei priusquam animam, si tua priusquam te, si proximum tuum priusquam te, et si hec omnia offeras Deo et numquam offeras te, quia caritatis ordinem negligis, peccas. Scriptum est enim: Miserere anime tue placens Deo, scilicet primum eam offerendo Deo, quod nonnisi ordinato amore fit.

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〈163.〉 Solutio Hic itaque necessario ad illam tripartitam amoris distinctionem quam supra commemorauimus recurrendum est. Et procul dubio inueniemus solum ordinatum amorem siue proprie carnis, siue suimet uniuscuiusque hominis, siue proximi, siue Dei, ad preceptum pertinere caritatis; inordinatum uero ad prohibitionem Domini dicentis: Qui amat animam suam perdet eam. Quod sic prohibitur exponitur: «Noli amare animam tuam in hac uita, quod est inordinate amare, ne perdas in eterna uita». Naturalem autem ad concessionem eo quod ad naturalia exercenda uniuscuiusque natura sine precepto parata sit. Quia enim ordinatus amor ad quemcumque dirigatur uirtus est – est autem opus uirtutis arduum ac per hoc difficile et meritorium – iure ad preceptionem pertinet. Inordinatus autem amor quia uicium est – omne uero opus uitii procliue ad malum ac per hoc periculosum est – prohibitionem meretur nec preceptione dignum estimatur. Igitur ordinatus amor ad quemcumque dirigatur, siue ad carnem, siue ad spiritum, siue ad proximum, siue ad Deum, quia tamen ut uirtus semper ad ardua tendit, quodammodo se relinquit et in alterum se tendit dum in altum tendit.

44-45 miserere – Deo] Eccli. 30, 24 163, 6-7 qui – eam] Ioh. 12, 25 (CCSL 36, p. 443, l. 5-13)

7-8 noli – uita] Augustin, Tract. in Ioh., LI, 10

163, 12-13 et – pertinet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ad malum S 3

14 ad malum]

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163. Solution C’est pourquoi il faut ici nécessairement recourir à cette distinction tripartite de l’amour que nous avons rappelée ci-dessus. Nul doute que nous découvrirons que seul l’amour ordonné, soit de sa propre chair, soit, pour chaque homme, de soi-même, ou de son prochain, ou de Dieu, appartient au précepte de la charité; et que l’amour désordonné appartient à l’interdit du Seigneur, qui dit: «Qui aime son âme la perd». Cet interdit s’explique ainsi: «N’aime pas ton âme en cette vie», c’est-àdire aimer de façon désordonnée, «afin de ne pas la perdre dans la vie éternelle». C’est cependant une concession faite à la nature, du fait que la nature de chacun est prompte à accomplir, sans précepte, des actes naturels. Parce que l’amour ordonné doit être, assurément, dirigé vers quiconque, c’est une vertu – c’est cependant une œuvre vertueuse ardue et donc difficile et méritoire – et il relève, de droit, de la prescription. L’amour désordonné, en revanche, parce qu’il est un vice – or toute œuvre de vice tend vers le mal et est donc dangereuse – doit être prohibé et n’est pas jugé digne de prescription. L’amour ordonné doit donc être dirigé vers quiconque, soit vers la chair, soit vers l’esprit, soit vers le prochain, soit vers Dieu. Mais parce que, en tant que vertu, il tend toujours vers les difficultés, il se quitte en quelque sorte et tend vers l’autre tout en tendant vers le haut. Mais il se quitte tout en recherchant les difficultés de la vertu, par le mépris de la nature et le rejet du vice. Et nous pensons que c’est ce que dit saint Grégoire: «Nul n’est dit posséder la charité en propre, pour soi-même, mais la dilection se tend vers l’autre pour pouvoir être charité». Car en un même homme il y a pour ainsi dire deux réalités, la chair et l’esprit, ou bien l’homme charnel et l’homme spirituel, et nul ne peut être dit posséder la charité pour soimême, s’il aime de façon ordonnée sa chair et son esprit, de même que nul n’est dit se tuer soi-même, s’il tue en lui la chair et vivifie l’esprit, ou le contraire, bien que la chair et l’esprit soient un seul et même homme. Ainsi il n’y a donc pas véritable suppression de l’un si l’autre reste vivant, du moment qu’elle se fait en une seule et même personne, laquelle ne peut mourir et vivre en même temps. En vérité, ce n’est pas la personne, laquelle est absolument une, qui serait tuée ou resterait vivante, mais des deux êtres qui sont dans une seule personne, l’un serait tué, l’autre resterait vivant. Et ainsi, entre les deux, l’amour ordonné tend de l’un vers l’autre.

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microcosmvs, III, 163-164

Sed relinquit dum naturam uilipendens et a uicio longe se faciens uirtutis ardua petit. Et hoc esse credimus quod beatus Gregorius dicit: «Nemo proprie ad semetipsum caritatem habere dicitur, sed dilectio se in alterum tendit ut esse caritas possit». In uno namque homine quodammodo duo sunt, caro et spiritus, siue carnalis et spiritualis homo, nec ad semetipsum caritatem quis habere dicendus est dum carnem et spiritum suum ordinate diligit, sicut nec semetipsum quis occidere dicitur qui in se occidit carnem et uiuificat spiritum uel e conuerso, quamuis sint unus et idem homo, caro et spiritus; nec ideo non est uera occisio alterius altero uiuo remanente, quia in una et eadem persona fit que simul mori et uiuere non potest; nam non persona que utique tantum una est ibi occiditur aut uiua remanet, sed duum que sunt in una persona, alterum occiditur, alterum uiuum remanet. Sic et inter eadem duo ordinatus amor tendit in alterum.

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〈164.〉 Responsio ad id quod de ratione obiectum est Quod autem de ratione obicitur, scilicet id non esse precipiendum ad quod quilibet uel ex natura promptus uel uicio pronus est, hoc et nos concedimus. Sed ad ordinatum amorem uel eius quod est infra nos uel eius quod sumus nos, nec ex natura prompti nec ex uitio proni sumus, sicut nec ad ordinatum amorem eius quod est iuxta nos uel eius quod est supra nos. Aliud enim est hec omnia quolibet modo amare, aliud hoc modo id est ordinate omnia hec amare; quod gratie non nature est. Et quidem hec omnia solent amari ab hominibus. Sed utinam hec omnia tot haberent ordinatos amatores quot habent amatores!

21-23 nemo – possit] Grégoire le Grand, Homiliae in evang., I, xvii (CCSL 141, p. 117, l. 7-12) 24 siue] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |siue S 3 25 caritatem quis] quis caritatem G 1 |caritatem quis S 3 quis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quis S 3 dicendus est] dicitur G 1 |dicendus est S 3 suum] abest in G 1 |suum S 3 25-26 caritatem – diligit] quis caritatem habere dicitur dum caro et spiritum ordinate amore diligit uel 26 quis] abest in G 1 |quis G 5 e conuerso G 1 | om. S 3 ; add. in marg. G 5 1 3 4 31 remanet] G |remaneat S ; remanet S 164, 7 enim est] est enim G 1 |enim est S 3 marg. G 2 | in textu S 3

8 quod – est] abest in G 1 ; add. in

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164. Réponse à l’objection faite par la raison Quant à ce qu’objecte la raison – à savoir qu’il ne faut pas prescrire ce à quoi chacun est prompt par la nature, ou enclin par le vice – nous le concédons nous aussi. Mais à l’amour ordonné, soit de ce qui est au-dessous de nous, soit de ce que nous sommes, nous ne sommes ni prompts par nature, ni enclins par vice; pas plus que nous ne le sommes à l’amour ordonné de ce qui est à côté de nous ou de ce qui est au-dessus de nous. Car une chose est d’aimer tout cela de n’importe quelle façon, autre chose est d’aimer tout cela de cette façon, c’est-à-dire de façon ordonnée: ce qui relève de la grâce, non de la nature. Et pourtant toutes ces choses sont généralement aimées par les hommes. Mais plût au ciel qu’elles eussent autant d’amants ordonnés qu’elles ont d’amants. Or aujourd’hui, un peu partout, les hommes se précipitent tous dans l’amour de ces choses, mais la plupart sont emportés par un amour aveugle, ne discernant pas parmi les choses qu’ils aiment et ne prenant pas garde à la façon ni à l’ordre dont il faut les aimer. Ils dépensent leur amour pour toutes ces choses, soit de manière nuisible, soit inutilement eu égard à la béatitude à mériter. C’est pourquoi, il serait tout à fait nécessaire que tous ceux qui aiment ces choses ouvrent maintenant les yeux et ne se laissent pas emporter par l’amour aveugle de l’une d’entre elles, sous l’effet du précepte qui nous commande de les aimer, de crainte qu’en abusant du précepte, nous offensions le législateur et que, même en nous en tenant d’une certaine façon au précepte, nous accomplissions des actes contraires à notre salut.

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microcosmvs, III, 164-165

Nunc autem passim omnes homines in horum ruunt amorem, sed ceco amore rapti, plurimi dum non discernunt amores suos, nec modum nec ordinem hec amandi attendunt, aut noxie aut inutiliter quoad meritum beatitudinis his omnibus amores suos impendunt. Vnde admodum necessarium esset omnibus horum amatoribus hic aperire oculos suos, nec ceco amore rapi in quodlibet horum occasione precepti quo hec amare precipimur, ne dum precepto abutimur, et preceptorem offendamus et nostre saluti contraria etiam preceptum quodammodo tenentes agamus.

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〈165.〉 Exemplaris demonstratio Libet aliqua de his exempla ad dilucidandum ponere. Ecce aliquis audiens preceptum esse ordinate amare id quod est infra nos, quasi obedire uolens, precepto amat carnem suam, sed ceco amore eiusdem raptus, ordinem et modum et finem amoris sui non attendit: ordinem scilicet quid ei preferre debeat, modum qualiter uel quantum eam diligere debeat, finem ad quid eam diligere debeat. Et hic quidem talis amator carnis sue quodammodo quod preceptum est facit, quia carnem suam diligit, sed modum precepti clausis oculis non intuens et inordinate faciens quod facit, faciendo quod facit, quodammodo non facit quod facit. Alius audiens preceptum esse ordinate amare seipsum, promtitudine quidem nature uel pronitate uicii substantiam precepti, non ad modum respicit, id est ad amandum se, non ad ordinate amandum intendit se. Nam in amando se, forsitan etiam Deo se preponit plus se quam Deum amans, et sic ordinem amandi se negligit. Propter hanc nimirum ordinis negligentiam ex huiusmodi promtitudine nature et pronitate uitii nascentem, amor horum duum, id est carnis sue uel suimet, nulli erat aperte uel expresse precipiendus. Erat tamen omnibus tacite insinuandus ut et naturalis amoris promtitudo temperaretur et inordinati amoris pronitas reprimeretur, et ordinati amoris necessaria preceptio non omitteretur. 12 discernunt] G 1 |discernent S 3 ; discernunt G 5 13 hec] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |hec S 3 18 quodammodo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quodammodo S 3 165, 8-9 quia – diligit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 11 promtitudine] pronititudine Delhaye 13-14 intendit se] se intendit G 1 |intendit se S 3 14-15 plus – amans] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 16 ordinis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ordinis S 3 promtitudine] pronititudo Delhaye et] uel G 1 |et S 3

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165. Démonstration par l’exemple Nous voulons présenter quelques exemples de ces hommes pour éclaircir la question. Voici quelqu’un qui entend qu’il y a un précepte d’aimer de façon ordonnée ce qui est au-dessous de nous. Voulant, à sa manière, obéir à ce précepte, il aime sa chair, mais emporté par un amour aveugle envers elle, il ne veille ni à l’ordre, ni à la façon, ni à la finalité de son amour: l’ordre, c’est-à-dire ce qui lui doit être préféré; la façon, c’està-dire comment et combien il doit l’aimer; la finalité, c’est-à-dire en vue de quoi il doit l’aimer. Certes, un tel amant de sa chair exécute d’une certaine façon ce qui est prescrit car il aime sa chair, mais, les yeux fermés, ne percevant pas le mode du précepte et faisant ce qu’il fait de façon désordonnée, en faisant ce qu’il fait, en quelque sorte il ne fait pas ce qu’il fait. Une autre personne, entendant que le précepte consiste à s’aimer soi-même de façon ordonnée, ne perçoit pas bien la substance du précepte, qui est de s’aimer, en raison de l’impulsivité de sa nature ou de son inclination au vice, et il ne s’applique pas à aimer de façon ordonnée. Car en s’aimant il risque de se préférer même à Dieu en s’aimant lui-même plus que Dieu, et ainsi il ne respecte pas l’ordre dans lequel il doit s’aimer. En raison de cette évidente négligence de l’ordre, provenant de cette nature impulsive et de cette inclination au vice, l’amour des deux réalités, à savoir de sa chair et de soi-même, ne devait être prescrit à personne, ouvertement ou expressément. Toutefois il devait être conseillé à tous tacitement, pour que l’élan de l’amour naturel soit tempéré, que soit réprimée l’inclination à l’amour désordonné, et que ne soit pas oublié le nécessaire précepte de l’amour ordonné.

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microcosmvs, III, 166-167

〈166.〉 Vbi insinuatus sit amor horum duorum Quod si quis querat ubi uel insinuatus sit amor horum duum, ibi nimirum ubi competentior erat locus eum insinuandi, id est in precepto de amore proximi ubi dictum est: Diliges proximum tuum sicut te ipsum. Quia enim amor proximi nec ipse quoad meritum uite ad preceptum caritatis pertinet nisi ordinatus sit – nemini namque precipitur aut naturaliter tantum aut inordinate proximum diligere – cum expresse dandum esset preceptum homini de ordinato amore proximi sub hac forma: Diliges proximum tuum, competentissime sub simili forma mox ei insinuatum est preceptum similis amoris carnis sue uel sui, dum incontinenti adiectum est: Sicut te ipsum. Quid enim est aliud dicere: Diliges proximum tuum sicut teipsum quam dicere: «Diliges proximum tuum et diliges te ipsum, et sicut te ipsum ita et proximum», id est ordinato amore te ipsum et ordinato amore proximum? Sic etenim nota et usitata expositio huius precepti se habet: Diliges proximum tuum sicut te ipsum, id est ad quod te ipsum, scilicet non naturaliter tantum, non inordinate quia nec «sic te ipsum», sed ordinate, sed ad eum finem tendens in diligendo proximum ad quem tendere habes in diligendo te ipsum.

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〈167.〉 Oppositio cum eius solutione Hic fortassis aliquis michi submurmurans dicet: «Tu demonstrare nobis habebas quomodo in expresso precepto dilectionis proximi insinuatum sit nobis preceptum dilectionis horum duum, id est carnis nostre et nostri. Sed ecce nonnisi de altero horum hoc demonstrasti.» Ad quod dicimus quia, sicut in dilectione proximi proximus quidem exprimitur, non etiam caro eius, nichilominus tamen in expresso non expressum intelligitur, sic et insinuata suimet dilectione, cuilibet non solum quod insinuatum est, uerum etiam coherentis sibi rei, que insinuata non 166, 4 diliges – ipsum] Matth. 19, 19 166, 5 nec] iter. Delhaye

8 homini] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |homini S 3

167, 3 precepto] G 1 |†…† S 3 ; in ras. G 5 6 dilectione] G 1 |lectione S 3 ; 5 1 8 insinuata] in insinuata G |insinuata S 3 cuilibet] abest in G 1 ; dilectione G add. sup. l. G 2 |cuilibet S 3

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166. Où l’amour des deux est donné à entendre Et si quelqu’un cherche où l’amour des deux a été donné à entendre, il le fut dans le lieu qui était certes le plus pertinent pour le donner à entendre, à savoir dans le précepte de l’amour du prochain, qui dit: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même». Car l’amour du prochain luimême ne relevant pas du précepte de la charité, en ce qui concerne le mérite de la vie, s’il n’est pas ordonné – on ne prescrit en effet à personne d’aimer son prochain d’un amour seulement naturel ou désordonné – alors que l’amour ordonné du prochain devait expressément être prescrit à l’homme sous cette forme: «Tu aimeras ton prochain», aussitôt lui fut insinué, très pertinemment, sous la même forme le précepte d’un amour égal pour sa chair et pour lui-même, par l’ajout qui fait suite aussitôt: «Comme toi-même». Donc, dire: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même», n’est pas dire autre chose que «Tu aimeras ton prochain et t’aimeras toi-même, et pareillement toi-même et ton prochain, c’est-à-dire toi-même d’un amour ordonné, et ton prochain d’un amour ordonné». Et ainsi le commentaire usuel et connu de ce précepte est celui-ci: «Tu aimeras ton prochain comme toi-même, c’est-à-dire, pour ce qui est de toi-même, à savoir non d’un amour seulement naturel, non d’un amour désordonné, car ce n’est pas ainsi que tu dois t’aimer toimême, mais de façon ordonnée, mais, en tendant, en aimant ton prochain, à cette fin à laquelle tu dois tendre en t’aimant toi-même.» 167. Une objection et sa solution Ici, quelqu’un peut-être me dira tout bas: «Tu devais nous démontrer comment, dans le précepte exprès de l’amour du prochain, il nous est insinué le précepte d’amour des deux, à savoir de notre chair et de nous-mêmes. Or, tu ne nous l’as démontré que pour l’un des deux seulement». Ce à quoi nous répondons que, de même que dans l’amour du prochain, le prochain est certes exprimé mais non sa chair, que néanmoins ce qui n’est pas exprimé est compris dans ce qui est exprimé, de même, par l’amour insinué de soi-même, chacun peut comprendre non seulement ce qui est insinué mais aussi la chose qui lui est attachée, laquelle n’est pas insinuée. Eh quoi! Est-ce que nous devons, à nousmêmes ou aux prochains, par charité, les seuls bienfaits spirituels et non pas aussi les bienfaits corporels? Où seraient alors les six œuvres de miséricorde, corporelles plus que spirituelles, que le Seigneur nous recommande dans l’Évangile, nous invitant à les accomplir soit envers nousmêmes, soit envers les prochains, à savoir: donner à manger à celui qui a

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est, intellectus datur. Quid enim? Numquid sola spiritualia et non etiam corporalia beneficia uel nobis uel proximis ex caritate debemus? Vbi ergo sunt illa sex opera misericordie, corporalia magis quam spiritualia, que nobis in Euangelio commendat Dominus, inuitans nos ad ea uel nobis uel proximis exhibenda, uidelicet in cibando esurientem, potando sitientem, nudum uestiendo, hospitem colligendo, infirmum uel incarceratum uisitando, mortuum sepeliendo, que omnia non nisi corporalia beneficia sunt, nostris uel proximorum corporibus ex officio caritatis impendenda?

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〈168.〉 De ordinato amore eius quod sumus nos Iam nunc uideamus quid sit ordinatus amor eius quod sumus nos. Ordinatus amor eius quod sumus nos est uinculum dilectionis quod ex caritate nobismet ipsis debemus. Et recte uinculum dicitur, eo quod cor humanum deuinciat et castiget, ne dissolutione noxia ad illicita uel superflua desideria diffluat. Nam cor humanum naturaliter sic se habet ut aqua que non ualet stare nisi coartata, sed semper aut deorsum defluit, aut in latum se diffundit, aut profundum de se ipsa sibi facit, ita ut nonnumquam fiat immeabilis et impenetrabilis abissus, numquam autem naturaliter sursum feratur, nisi uiolentia solaris caloris sibi desuper imminentis uaporaliter in altum suspendatur. Hoc enim ei naturale est ut solis adiuta calore in nubes aut nebulas aut in aliud elementum aeris resoluatur. Sic inquam, sic se habet cor hominis instar aque, imaginariis cogitationibus et delectationibus uariis, nunc naturalibus, nunc innaturalibus diffluens, nec stare ualens nisi certis limitibus coarcetur sed semper aut deorsum defluens terrena desiderando, aut in latum se diffundens, infinitas uanitates sectando, aut profundum de se ipso sibi faciens, ignota et inscrutabilia perscrutando, ita ut nonnumquam impenetrabili et immeabili abisso se inuoluat unde omnino se expedire non ualeat, numquam autem suapte natura sursum tendat nisi calorem Spiritus sancti quasi sol desuper sibi imminentis sentiat. Omnibus enim presto est gratia diuina desuper imminens, quamuis non omnes eam sentiant nimia frigiditate congelati. Qui autem eam sentiunt, hoc eis naturale est, ut tali adiutorio subleuati et quasi uaporaliter 13 in Euangelio] cf. Matth. 25, 35 sqq.; Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, II, xiii, 2 (PL 176, 527A-B) commendat] G 1 |commendet S 3 ; commendat S 4 168, 21 sancti] Dei G 1 |sancti S 3 sup. l. G 2 |et S 3

sol] solis G 1 |sol S 3

24 et] abest in G 1 ; add.

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faim, à boire à celui qui a soif, vêtir celui qui est nu, accueillir l’hôte, visiter le malade ou le prisonnier, ensevelir le mort, toutes choses qui ne sont rien d’autre que des bienfaits corporels, qui doivent être prodigués à nos corps ou à ceux des prochains par devoir de charité?

168. De l’amour ordonné de ce que nous sommes Voyons donc maintenant ce qu’est l’amour ordonné de ce que nous sommes. L’amour ordonné de ce que nous sommes est le lien de dilection que nous devons à nous-mêmes par devoir de charité. Et il est justement appelé lien, du fait qu’il domine le cœur humain et le corrige, afin qu’il ne se répande pas, par une dissolution nocive, en des désirs illicites ou inutiles. Car le cœur humain se comporte naturellement comme l’eau, qui ne peut se tenir immobile si elle n’est pas contenue, mais s’écoule toujours vers le bas, ou se répand par côtés, ou bien, de sa propre substance, constitue de la profondeur, de sorte qu’elle devient parfois un abysse inaccessible et impénétrable, sans jamais être naturellement portée vers le haut, à moins d’être suspendue en l’air en vapeur par la brutalité de la chaleur solaire qui se tient au-dessus. Car c’est pour elle un phénomène naturel que, sous l’effet de la chaleur du soleil, elle se transforme en nuages ou en nébulosités, ou encore en un autre élément de l’air. C’est ainsi, dis-je, que se comporte le cœur de l’homme, à l’instar de l’eau, se répandant en pensées imaginaires, en toutes sortes de délectations, tantôt naturelles, tantôt non, incapable de se tenir immobile à moins d’être contenu dans certaines limites, mais s’écoulant toujours vers le bas, attiré par les biens terrestres, ou s’écoulant par côté à la poursuite d’infinies vanités, ou bien constituant de la profondeur de sa propre substance, explorant des choses inconnues et impénétrables, de sorte qu’il se plonge parfois dans un abysse impraticable et inaccessible d’où il ne peut nullement s’échapper; mais jamais il ne pourrait, par sa nature propre, tendre vers le haut s’il ne sentait pas la chaleur de l’Esprit saint, se tenant au-dessus de lui comme le soleil. Car la grâce divine est présente, se tenant au-dessus de tous, bien que tous, raidis par une trop grande froideur, ne la sentent pas. Cependant à ceux qui la sentent cela est naturel de sorte que, soulevés par un tel élan

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in altum suspensi, nunc in nubes, nunc in nebulas, nunc in aliud elementum resoluantur. Igitur gratia Dei desuper omnibus imminens, dum se libero arbitrio fluidi cordis ipsam sentientis ac per hoc ipsam admittentis infundit, primum ei ordinatum sue carnis amorem ministrat, et ne nimis inordinate per carnales concupiscentias deorsum defluat, quasi quodam uinculo suo uagos fluxus ei ligat, deinde et ordinatum suimet amorem adicit, quo ipsum ne se nimis in latum diffundat aut in profundum demergat, sua disciplina quasi quodam uinculo constringit. Expertis his credendum est, siquidem experientia optima hic magistra est. Multi enim talium inexperti, dum desuper sibi oblatum suimet ordinatum amorem non admittunt, infinitis uanitatibus inutilium curiositatum distenti, aut impenetrabili profundo latentium rerum quas inordinato amore sequuntur inmersi, non solum eterne sed et temporalis uite dispendia, nimia consumptione corporis et spiritus incurrunt.

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〈169.〉 Quam necessarius sit cuilibet ordinatus amor carnis sue uel suimet Ex his nimirum iam patet quam necessarius sit omni anime salutem suam querenti ordinatus amor uel sue carnis uel suimet. Per alterum enim amputat a se omnem inordinatum fluxum carnalium desideriorum, scilicet fornicationes, adulteria, stupra, incestus, omnes illicitos uel innaturales concubitus, gulam, ebrietatem, crapulam omnesque perniciosas carnis uoluptates, siue quas in habitu, siue quas in uictu, siue quas alio quolibet modo caro deliciosa concupiscit. Per alterum uero amputat a se omnem inordinatum fluxum mundanorum desideriorum, quibus omnis anima, suimet ordinato amore carens, infinitis modis diffluit, nunc diuitiarum, nunc dignitatum, nunc potentie, nunc glorie, nunc cuiuslibet alterius mundanarum rerum rapta cupiditatibus, adeo ut etiam carne saciata et inebriata suis deliciis, spiritus adhuc quiescere non 28 amorem] G 1 |infundat add. S 3 ; del. S 4 33 experientia] experientiam Delhaye 37 inmersi] inmensi Delhaye sed et] uerum etiam G 1 |sed et S 3 169, 8 in uictu] G 1 |inuictu S 3 |in uictitu Delhaye 8-9 siue 3 – modo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3 11 ordinato amore] amore ordinato G 1 |ordinato amore S 3

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et suspendus en l’air comme en vapeur, ils se transforment tantôt en nuages, tantôt en nébulosités, tantôt en un autre élément. C’est pourquoi la grâce de Dieu se tenant au-dessus de tous, en se répandant par le libre arbitre du cœur pénétrable, et qui donc la reçoit, lui apporte tout d’abord l’amour ordonné de sa chair, et afin qu’il ne s’écoule pas vers le bas de façon trop désordonnée par des concupiscences charnelles, elle en encercle comme par un lien le flux vagabond. Elle ajoute ensuite l’amour ordonné de soi-même, par lequel elle l’enchaîne par sa discipline, comme par un lien, afin qu’il ne se répande pas trop par côtés, ni ne s’enfonce dans les profondeurs. C’est par l’expérience qu’il faut croire en ces choses puisque l’expérience est ici la meilleure des maîtresses. Nombreux sont ceux qui n’en ont pas l’expérience et qui, n’admettant pas l’amour ordonné d’eux-mêmes qui leur est offert d’en haut, gonflés d’innombrables curiosités vaines et inutiles ou trompés par la profondeur insondable des choses cachées qu’ils poursuivent d’un amour désordonné, risquent des dommages non seulement pour la vie éternelle mais aussi pour la vie temporelle, en raison d’un trop grand épuisement du corps et de l’esprit. 169. Combien est nécessaire à chacun l’amour ordonné de sa chair et de soi-même Par là, on voit maintenant à l’évidence combien est nécessaire à toute âme qui cherche son salut l’amour ordonné et de sa chair et de soimême. Par l’un en effet, elle éloigne d’elle tout flux désordonné des désirs charnels, à savoir: fornications, adultères, stupres, incestes, tous accouplements illicites ou contre nature, gloutonnerie, ivrognerie, crapulerie et toutes voluptés pernicieuses de la chair que, soit dans le comportement, soit dans la nourriture, soit de toute autre façon, la chair voluptueuse convoite. Par l’autre, elle éloigne d’elle tout flux désordonné de désirs mondains par lesquels toute âme dépourvue d’amour ordonné se répand de multiples façons, emportée par des cupidités, soit de richesses, soit d’honneurs, soit de pouvoir, soit de gloire, ou toute autre satisfaction mondaine, au point que, la chair étant repue et enivrée de ses délices, l’esprit ne peut toujours pas se reposer, recherchant, en toutes ces choses, des délices qui lui soient propres, mais ne parvient pas à la satiété. Mais c’est par lui qu’elle chasse toutes les tentations diaboliques des esprits les plus mauvais, c’est-à-dire l’esprit d’orgueil, de vaine gloire, de colère, d’agressivité, de querelle, d’amertume, de tristesse, de jalousie, d’hérésie, de blasphème, et accès de mille autres esprits im-

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possit, dum in his omnibus proprias preter carnem delicias querit sed ad sacietatem non inuenit. Per hunc eundem expellit a se omnes diabolicas nequissimorum spirituum temptationes, id est spiritum superbie, uane glorie, ire, rixe, dissensionis, amaritudinis, tristicie, inuidie, heresis, blasphemie et aliorum mille spirituum immundorum immissiones, neque carni, neque spiritui humano proficuos aut delectabiles, quibus omnibus uexantur et consummuntur, maxime hii qui inordinato suimet amore distrahuntur. Que utique ordinatus amor penitus excludit suo uinculo ad se restringendo cor cui semel insederit. Porro naturalem carnis sue uel suimet amorem non eliminat sed adiuuat et, mirabili quodam federe societatis cum eo inito, omnia nature officia ad ordinem reuocat, ita ut consencientibus sibi inuicem natura et gratia uix discernere queas inter earum officia. Et primum quinque sensus carnis plerumque sic componit ordinatus amor carnis, ut non facile discerni possit officium earum nature sit an gratie an potius utriusque, adeo sibi inuicem in uno homine consentiunt natura et gratia uel certe magis unum fiunt natura et gratia. Sed et alia officia omnia quecumque per carnem administrat natura, ut est officium manducandi, bibendi, ambulandi, standi, sedendi, iacendi, loquendi, cantandi, psallendi et queque alia solius carnis opera, ita ordinatus amor carnis componit et secundum se informat ut sint meritoria quasi essent solius gratie opera. Denique motus omnes uel opera interioris hominis plerumque sic componit ordinatus amor suimet, ut omnia naturalia eius, qualia sunt credere, sperare, diligere et multa huiusmodi alia que omni rationali spiritui naturaliter insunt, fiant gratuita aut gratuitis informata, consentientibus sibi inuicem natura et gratia.

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〈170.〉 Adiuuante gratia fieri possibile quod sine gratia esset impossibile Quod utique soli nature humane qualis nunc est, impossibile esset nisi gratiam adiutricem haberet, qua adiuuante fit possibile quidem quod erat impossibile, sed non statim fit facile, natura fragili primum segniter admittente gratiam ut, cum iam uelle ceperit ad ordinati amoris regulam se restringere, nondum possit quod uult perficere. Vnde Apostolus talium personam in se representans ait: Velle adiacet michi, 23 amor] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |amor S 3 31 fiunt] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |fiunt S 3 34 solius] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |solius S 3 170, 3 qualis] qualiter Delhaye

5 fragili] G 1 |tantum add. S 3 ; del. S 4

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mondes, qui ne sont profitables ou délectables ni pour la chair, ni pour l’esprit humain, et dont sont tourmentés et consumés ceux surtout que distraits l’amour désordonné d’eux-mêmes. Toutes choses que l’amour ordonné exclue totalement, ramenant à lui par son lien le cœur dès l’instant où il s’y est établi. Il n’élimine certes pas l’amour naturel de sa propre chair ni l’amour de soi-même, mais il l’aide, et ayant conclu avec lui un étonnant accord d’association, il rappelle à l’ordre toutes les fonctions de la nature, de sorte que par une entente mutuelle de la nature et de la grâce, on pourrait difficilement distinguer entre les fonctions de l’une et de l’autre. Et tout d’abord l’amour ordonné de la chair organise le plus souvent les cinq sens de la chair si bien qu’on peut malaisément discerner entre les fonctions de l’une et de l’autre, de la nature ou de la grâce, ou plutôt de l’une et l’autre, tant la nature et la grâce s’accordent entre elles dans un seul homme, ou bien plutôt nature et grâce deviennent un. Mais toutes les autres fonctions que la nature fournit par la chair, telles que manger, boire, marcher, se tenir debout, être assis, couché, parler, chanter, psalmodier, et toutes les autres œuvres relevant de la seule chair, l’amour ordonné de la chair les organise et les façonne conformément à lui-même, pour qu’elles soient méritoires, comme si elles étaient les œuvres de la seule grâce. Enfin tous les mouvements ou œuvres de l’homme intérieur, l’amour ordonné de soi-même les organise le plus souvent de telle sorte que tous ses mouvements, de naturels qu’ils sont, tels que croire, espérer, aimer, et beaucoup d’autres mouvements de ce genre, qui appartiennent naturellement à tout esprit rationnel, deviennent gratuits ou informés par les gratuits, par l’accord mutuel de la nature et de la grâce. 170. Avec l’aide de la grâce, ce qui serait impossible sans la grâce devient possible Ce qui serait totalement impossible à la seule nature humaine, telle qu’elle est présentement, si elle n’avait la grâce adjuvante, avec elle lui devient possible mais non immédiatement facile, la nature fragile acceptant tout d’abord mollement la grâce, puisque dès qu’elle commence à vouloir se soumettre à la règle de l’amour ordonné elle ne peut pas encore ce qu’elle veut accomplir. Ainsi l’Apôtre, se représentant en luimême une personne dans cette situation, dit: «Le vouloir est à ma portée mais je ne parviens pas à l’accomplir»; et encore: «Je ressens dans mes membres une autre loi qui repousse la loi de mon esprit». Il signifie assurément par «la loi des membres», la fragilité de la nature qui

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perficere autem non inuenio, et rursum: Video aliam legem in membris meis repugnantem legi mentis mee, nimirum per legem membrorum significans fragilitatem nature ex qua prona est in uicium, ideoque primum repugnat legi mentis, id est huic de quo loquimur, nunc ordinato amori detractando et societatem eius segniter admittendo, dum uidet difficilem ingressum, difficiliorem progressum, difficillimum egressum uite per omnia ordinate. Neque enim solum presens initium tante difficultatis contemplatur, uerum etiam futura queque media et ultima laboriosi ordinis siue ordinati laboris ante mentis oculos ponens imaginatur, et primum uehementer abhorret imagines quas ante oculos habet, nesciens adhuc aliud imaginari nisi ordinate uite difficultates. Et uerum quidem est quod ordinatus amor omnia uult ad ordinem redigi, sed infirma natura solas adhuc infirmitates suas intuens, uires amoris etiam difficillima queque uincentis non attendit. Sed neque dulcedinem eius qua naturam fouere et sola uitia persequi consueuit adhuc degustauit, donec ad plenum admissa eius copula quasi uxor uiro maritetur et cum illo unus spiritus et caro efficiatur, unus spiritus idem cum eo plene uolendo, una caro idem cum eo delectabiliter operando, id est donec uelle quod prius adiacebat non iam iacenti adiaceat sed surgenti assurgat et ad opus bonum naturam roboratam assurgere faciat.

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〈171.〉 Plerumque difficilius esse homini seipsum quam alium corrigere, ac per hoc ipsum magis esse meritorium ordinatum amorem suimet quam proximi Quod nimirum plerumque difficilius est homini in seipso quam in alio actitare. Facilius enim est nonnullis alios quam se ad ordinem reuocare, ac per hoc nonnumquam ordinatus amor suimet magis etiam est meritorius quam ordinatus amor proximi, eo quod fortior sit expugnatore urbium qui potest expugnare animum suum et per gratiam ad ordinem redigere naturam suam in uicium pronam. Hinc est quod bona doctrina doctoris aliquando inefficax est sibi que non est inefficax alii, 170, 8-9 uelle – inuenio] Rom. 7, 18

9-10 uideo – mee] Rom. 7, 23

12 loquimur] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |loquimur S 3 23 et – persequi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 | in textu S 3 25 plene] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |plene S 3 26-27 donec uelle] quod prius uelle add. Delhaye

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la rend propice au vice. C’est pourquoi elle lutte d’abord contre «la loi de l’esprit», c’est-à-dire celui dont nous parlons, repoussant alors l’amour ordonné et acceptant mollement sa compagnie puisqu’elle prévoit le début difficile, la poursuite plus difficile et la fin très difficile d’une vie totalement ordonnée. Elle voit, en effet, non seulement les débuts d’une telle difficulté mais, mettant devant les yeux de son esprit les difficultés futures de la poursuite et de la fin d’un ordre laborieux, ou d’un labeur ordonné, elle se représente et prend tout d’abord en horreur les images qu’elle a devant les yeux, encore incapable d’imaginer autre chose que les difficultés d’une vie ordonnée. Et il est certes vrai que l’amour ordonné veut faire tout rentrer dans l’ordre, mais la faible nature, ne percevant encore que ses propres faiblesses, ne prend pas conscience des forces de l’amour qui peut vaincre même les plus grandes difficultés. Mais elle n’en a pas encore goûté la douceur par laquelle conforter la nature, habituée qu’elle était à ne rechercher que les vices, jusqu’au moment où, ayant accepté pleinement son union, elle s’unit comme une épouse à un époux, et avec lui il se forme un seul esprit et une seule chair; un seul esprit dans une même et totale volonté, une seule chair dans une même opération délectable, c’est-à-dire jusqu’à ce que le vouloir, qui auparavant se tenait de côté, ne reste plus à côté de celui qui languit mais se dresse auprès de celui qui se dresse et fasse surgir une nature raffermie en vue d’une œuvre bonne. 171. Il est en général plus difficile pour l’homme de se corriger lui-même plutôt qu’un autre, et par conséquent l’amour ordonné de soi-même est plus méritoire que l’amour ordonné du prochain Assurément, il est en général plus difficile pour l’homme d’agir en lui-même qu’en un autre. Il est plus facile à certains de rappeler à l’ordre les autres plutôt qu’eux-mêmes, et donc l’amour ordonné de soi-même est parfois plus méritoire que l’amour ordonné du prochain: car il est plus fort qu’un preneur de villes celui qui peut prendre d’assaut son esprit et ramener à l’ordre, par la grâce, sa nature encline au vice. De là il se fait que la bonne doctrine d’un maître est parfois sans effet sur lui-même et n’est pas sans effet sur un autre, comme on lui dit à juste titre: «Il est honteux pour le docteur quand la faute le confond». De même, au médecin malade de la même maladie dont un autre souffre, la médecine étant inefficace pour ce premier mais non inefficace pour ce dernier, il est juste de dire: «Médecin, guérit-toi toi-même». Pourquoi cela, sinon parce que son vice ou son mal est plus profond chez lui que chez un

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ut merito ei dicatur: «Turpe est doctori cum culpa redarguit ipsum», sicut et infirmo medico eodem etiam genere morbi quo alius laborat laboranti inefficax est medicina, que non est illi inefficax, ut etiam merito ei dicatur: Medice cura teipsum. Cur hoc, nisi quia uitium uel morbus suus ei magis est inolitus quam alii suus, aut si qua alia est latens causa uel materia morbi medico uel medicine inobediens, quantumcumque peritus sit medicus aut efficax medicina? Hinc etiam et aliud quiddam multis forsitan mirabile prouenit quod si quis in talem casum incideret in quo necesse esset aut se aut omnes homines perire, et ei daretur optio e duobus eligendi quod uellet, potius eligere deberet suam salutem cum omnium perditione, quam omnium salutem cum sua perditione. Adeo ordinatus amor suimet qui in expresso precepto non est, unicuique preferendus est ordinato amori proximi qui in expresso precepto est, tanquam maximum donum gratie sine quo nulli salus est.

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〈172.〉 De ordinato amore eius quod est iuxta nos His dictis de ordinato amore eius quod sumus nos, nunc aliqua adiciamus de ordinato amore eius quod est iuxta nos, que est dextera et sinistra pars corporis regine caritatis. Ordinatus amor eius quod est iuxta nos est uinculum dilectionis quam ex caritate proximis debemus. Aliud enim est quod ex caritate, aliud quod ex natura proximis debemus, aliud quod eis ex uitio exhibemus. Nam cum naturaliter homo sociale animal sit, naturaliter sibi inuicem debent et exhibent homines societatem qua uelud quodam naturali uinculo sibi deuincti pacificam et iocundam simul uitam ducant. Et quidem sine hac iocunda uita non ducitur, sed per hanc solam ad beatam uitam non peruenitur. Quinnimo multis occasio longius a beata uita exulandi fuisse reperitur, sicut in ipsis primis parentibus nostris omnes miserabiliter experti sumus, qui occasione tam iocunde societatis quam ex prima conditione sua a creatore suo perceperant, seducti a diabolo peccantes, longe a beate uite patria in huius mi171, 11 turpe – ipsum] Denys Caton, Disticha, I, 30 (Boas, p. 69) teipsum] Luc. 4, 23

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172, 7 sociale animal] Sénèque, De beneficiis, VII, i, 7 (p. 181, l. 1) 171, 15 inolitus] G 1 |molitus S 3 Delhaye sup. l. G 2 |uel materia S 3

16 uel materia] abest in G 1 ; add.

172, 2 ordinato] iter. G 1 ; semel del. G 2 |et ordinato S 3 6-7 aliud – exhibemus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 8 inuicem] iniucem Delhaye

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autre, ou que la maladie ait une autre cause ou soit d’une autre nature, réfractaire au médecin ou à la médecine, quelle que soit la compétence du médecin ou l’efficacité de la médecine? De là découle autre chose, qui pourrait paraître étonnant à beaucoup: que si quelqu’un se trouvait dans une telle situation où il faudrait nécessairement que lui-même ou tous les hommes meurent et qu’on lui donnerait à choisir entre ces deux solutions, il devrait choisir son propre salut et la disparition de tous plutôt que le salut de tous et sa propre disparition, tant l’amour ordonné de soi-même, qui n’est pas expressément inscrit dans le précepte, est pour chacun préférable à l’amour ordonné du prochain, qui est inscrit dans le précepte, en tant que don suprême de la grâce, sans lequel il n’est de salut pour personne.

172. De l’amour ordonné de ce qui nous est proche À ce qui a été dit sur l’amour ordonné de ce que nous sommes, ajoutons maintenant quelques réflexions sur l’amour ordonné de ce qui nous est proche, qui est la partie droite et gauche du corps de la reine charité. L’amour ordonné de ce qui nous est proche est le lien de dilection que nous devons par charité aux prochains. Une chose est en effet ce que nous devons aux prochains par charité, autre chose est ce que nous leur devons par nature, autre chose encore est ce que nous leur montrons par vice. Car comme l’homme est par nature un animal social, les hommes se doivent par nature et pratiquent entre eux la communauté qui leur permet, reliés entre eux comme par un lien naturel, de mener ensemble une vie paisible et agréable. Sans elle il n’est pas de vie agréable, mais par elle seule on ne parvient pas à une vie bienheureuse. Bien au contraire, nombreux sont ceux qui eurent le malheur de s’éloigner grandement d’une vie heureuse, comme nous en avons fait hélas l’expérience chez nos premiers parents eux-mêmes, qui, tandis qu’ils avaient reçu de leur Créateur la faveur d’une si heureuse association, dans leur première condition, tombés dans le péché par la séduction du diable, ont été rejetés loin de la patrie de la vie heureuse dans l’exil de cette misérable vie, comme le prouvent les paroles de notre premier parent lui-même, qui, reconnaissant après l’avoir commis le péché perpétré contre son Créateur, renvoya la responsabilité du péché sur cette association en disant: «La femme que tu m’as donnée pour compagne m’a donné du fruit de l’arbre et j’ai mangé».

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sere uite exilium deiecti sunt, sicut manifestum est ex ipsius primi parentis nostri uerbis qui, cum a creatore suo post perpetratum peccatum de eodem conueniretur, causam peccati in hanc societatem retrorsit, dicens: Mulier quam dedisti michi sociam, dedit michi de ligno et comedi. Itaque in premissa descriptione ordinati amoris proximi, posito nomine caritatis, naturalis dilectionis uinculum, uerbo uero debiti, uiciose uel inordinate dilectionis uinculum exclusimus. Nam naturalis quidem dilectionis uinculum, sicut et gratuite proximis debemus et exhibemus, uiciose autem uel inordinate dilectionis omnino proximis nec consensum debemus nedum uinculum. Quamuis tamen hoc uinculo, magis quam naturali uel gratuito, plurimi adeo sibi inuicem deuincti sint ut ad omnia scelera sibi subseruire parati sint, ceco amore rapti nec discernantes nec discernere scientes aut curantes quo sibi inuicem uinculo deuincti sint, nectentes cathenas quibus ligentur, quibus deorsum in infernum trahantur, quas etiam plerumque sacramentis adhibitis ita ferreas et indissolubiles sibi faciunt, ut eas etiam ipsi rumpere sine maioris dispendii periculo non possint, perplexitate sua non solum ipsi circumplexi sed et alios circumplectentes. De quibus psalmista: Funes peccatorum circumplexi sunt me. Cumque se sic preceptum de amore proximi conuenienter obseruare non dubitent, cum summa securitate in hac pace et societatis uinculo conquiescunt. Sed de hac pace usque adeo turbatur ordinatus amor proximi ut, ubi eam inquietare non potest, plangat dicens: Mei autem pene moti sunt pedes, pene effusi sunt gressus mei quia zelaui super iniquos pacem peccatorum uidens. Huius pacis male durantis in mundo uinculum se rupturum Dominus in Euangelio testatus est dicens: Non ueni pacem mittere in terram sed gladium. Veni enim separare patrem a filio et filium a patre et inimici hominis domestici eius, procul dubio de huiusmodi inordinati amoris mala pace et ordinati amoris bono gladio hec prosecutus. Quod et ipse primus tunc fecit et aliis idem faciendi exemplum dedit, dum acutissimum uerbi gladium uibrans in huius pacis autores et patronos, rupit uinculum pacis dicens: Ve uobis scribe et pharisei qui circuitis mare et aridam ut faciatis unum 19-20 mulier – comedi] Gen. 3, 12 34-35 funes – me] Ps. 118, 61 3940 mei – uidens] Ps. 72, 2-3 42-43 non – eius] Matth. 10, 34-36 48-49 ue – proselitum] Matth. 23, 15 21 proximi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |proximi S 3 in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

45-46 tunc – dum] abest

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Ainsi, dans la susdite description de l’amour ordonné du prochain, en usant du nom de «charité» mais en désignant par le mot «devoir» le lien de dilection naturelle, nous avons exclu le lien de dilection vicieuse ou désordonnée. Car autant nous devons et manifestons aux prochains, gratuitement, le lien de dilection naturelle, autant nous ne devons aucunement accorder aux prochains notre assentiment ou moins encore le lien de dilection vicieuse ou désordonnée. Cependant, bien que la plupart des hommes soient reliés entre eux par ce lien plutôt que par le lien naturel ou gratuit, au point qu’ils sont prêts à se prêter main forte pour tous les crimes, emportés par un amour aveugle, incapables ou refusant de comprendre par quels liens ils sont tenus les uns aux autres, nouant les chaînes par lesquelles ils sont liés, qui les entraînent en enfer, qu’ils se rendent le plus souvent si fortes et indissolubles, en y ajoutant même des serments, que même eux ne peuvent pas les rompre sans courir le risque d’un préjudice plus grand, plongés eux-mêmes dans leur perplexité et y plongeant aussi les autres. Ce dont le psalmiste dit «les cordes des pécheurs m’ont entouré». Et comme ils sont sûrs d’observer ainsi, rigoureusement, le précepte d’amour du prochain, ils se reposent en toute sécurité dans cette paix et ce lien d’association. Mais l’amour ordonné du prochain est si troublé par cette tranquillité que, ne pouvant la perturber, il se lamente en disant: «Il s’en fallut de peu que mes pieds ne me manquent, de peu que mes pas ne glissent, car j’ai porté envie aux méchants en voyant la tranquillité des pécheurs». Ce pacte de paix qui s’aggrave dans le monde, le Seigneur témoigne dans l’Évangile qu’il se romprait, en disant: «Je ne suis pas venu pour apporter la paix sur la terre, mais le glaive. Car je suis venu pour séparer le père du fils et le fils du père, et les ennemis d’un homme seront les gens de sa maison». Il est certain qu’il s’y appliqua en chassant la mauvaise paix de cette sorte d’amour désordonné avec le bon glaive de l’amour ordonné. Ce qu’il fit lui-même, le premier, donnant l’exemple aux autres pour qu’ils fassent de même, quand, brandissant le glaive très aiguisé de la parole contre les auteurs et les maîtres de cette paix, il rompit ce lien de paix en disant: «Malheur à vous, scribes et pharisiens, qui parcourez mer et terre pour faire un prosélyte», comme pour ramener le peuple des gentils à l’unité de votre paix. Mais il n’en sera pas ainsi: sera fait notre prosélyte plutôt celui qui sera uni à nous par la paix de l’amour ordonné. Ce qui fut fait comme le voulut celui lui qui put seul faire cela.

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microcosmvs, III, 172-174

proselitum, quasi ut in uestre pacis unitatem redigatis gentilem populum, sed non sic erit, potius fiet noster proselitus ordinati amoris pace nobis unitus. Quod et factum est sicut ipse uoluit, qui solus id facere potuit.

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〈173.〉 Distinctio trium predictorum amorum Cum igitur tot amorum uinculis sibi inuicem astricti sint homines, libet singulos diligentius a se inuicem distinguere, ut ordinati amoris, qui solus ad beatam uitam conducit, plenior possit haberi cognitio. 〈174.〉 Quid sit naturalis amor Naturalis amor proximi quo sibi ad inuicem astringuntur homines, est uinculum dilectionis quod ex natura sibi inuicem homines debent, ut est amor parentum in filios, fratris uel sororis in fratres uel sorores, cognatorum ad cognatos, maritorum ad uxores, affinium ad affines et huiusmodi. Hoc amoris uinculum si rumpitur, semper quidem offenditur natura, sed non semper offenditur Deus: ob iniuriam enim Creatoris plerumque rumpendum est a creatura. Vnde patet id ad preceptum non pertinere. Ad hoc amoris uinculum pertinent et ille amicitie quas natura simul et industria adinuenit, et concordia animorum ex conuictu uel ex alia aliqua honesta causa proueniens firmauit. Nam et hoc naturale est omnibus hominibus huiusmodi fedus amicitie sibi inuicem firmare ad huius seculi uitam securius et iocundius agendam. In harum amicitiarum commendatione, sapientes huius mundi multa conscripserunt, ut Tullius de amicitia et alii quamplures, eo quod ad huius uite honestatem et iocunditatem pernecessarie sunt. Sed nichil ex his ad beate uite conquisitionem sufficit, unde nec ipse in precepto sunt.

174, 14 sapientes huius mundi] cf. I Cor. 3, 19, et Hugues de Saint-Victor, Super Ierarch. Dion., I, prol. (CCCM 178, p. 404, l. 145) 49 in uestre] mutue Delhaye 174, 2 proximi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |proximi S 3 4 sororis] sororum G 1 |sororis S 3 5 maritorum – uxores] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 6 offenditur] G 1 |ostenditur S 3 Delhaye 7 enim] G 1 |caritatis add. S 3 ; 10 adinuenit] adiuuent Delhaye ex conuictu] abest in G 1 ; add. del. S 4 sup. l. G 2 |ex conuictu S 3 16 sunt] sint G 1 |sunt S 3

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le microcosme, III, 173-174

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173. Distinction entre les trois amours cités ci-dessus Ainsi donc, les hommes étant reliés entre eux par tant de liens d’amour, nous voulons les distinguer plus précisément les uns des autres, afin que l’on puisse avoir une connaissance plus plénière de l’amour ordonné qui conduit seul à une vie bienheureuse.

174. Ce qu’est l’amour naturel L’amour naturel du prochain auquel les hommes sont tenus les uns envers les autres est le lien de dilection que les hommes se doivent mutuellement par la nature, tel que l’amour des parents envers leurs enfants, d’un frère ou d’une sœur envers ses frères ou sœurs, de parents envers leurs parents, de maris envers leur femme, d’alliés envers leurs alliés, et ainsi de suite. Si ce lien d’amour est rompu, la nature est, certes, toujours offensée mais Dieu ne l’est pas toujours, car en raison de l’offense faite au Créateur, il arrive souvent qu’il lui faille être rompu par la créature. D’où il ressort que cela ne relève pas du précepte. À ce lien d’amour appartiennent ces amitiés que la nature ainsi que l’acte volontaire doivent favoriser et qu’a renforcées l’entente des esprits due à la vie commune ou à toute autre raison honnête. Il est en effet naturel à tous les hommes de renforcer mutuellement ce contrat d’amitié afin de mener une vie plus sûre et plus agréable en ce monde. Des sages de ce monde ont beaucoup écrit pour recommander ce genre d’amitiés – tel Tullius Cicéron «Sur l’amitié», et bien d’autres – pour la raison qu’elles sont tout à fait nécessaires à une vie vertueuse et agréable. Rien de tout cela toutefois ne suffit pour parvenir à une vie bienheureuse: aussi ces choses ne figurentelles pas dans le précepte.

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microcosmvs, III, 175

〈175.〉 Quid sit innaturalis amor Innaturalis siue inordinatus amor proximi est uinculum dilectionis quo se sibi inuicem filii seculi huius indebite deuinciunt ad praua desideria sua commodius et secretius explenda. Huiusmodi enim confederatio ad inuicem omnes huius seculi filios corrumpit, nunc adulteriis, nunc fornicationibus, nunc innaturalibus libidinibus, nunc uariis incestibus parentibus filios uel filias, fratribus uel sororibus, fratres uel sorores, coniugibus etiam coniuges proprias inordinate amantibus et omnino ignominiosas luxurias ad inuicem exercentibus. Huiusmodi quoque peruersa confederatio animorum commessationes, ebrietates, crapulas uel alia multa nec nominanda gignit. Hinc furta, hinc latrocinia, hinc rapinas que per se unus exercere non posset, nefanda societate confederati exercent. Hinc omnium horribilium facinorum conspirationes et consilia prodeunt, hinc seditiones, hinc bella ciuilia et intestina ad effectum perducuntur, hinc denique simoniace conuentiones, detestande ambitiones subtilissimorum consiliorum abhominabili conflatorio conflantur et effectui mancipantur. Hee sunt uulpes Absalonis in caudis ignem portantes quas, cum per caudas colligasset et in agrum Ioab misisset, messem eius igne conflagrauit eo quod ad ipsum uenire tardaret; quas et filius hominis sequi se uolentis a se repulit dicens: Vulpes foueas habent, filius autem hominis non habet ubi capud suum reclinet. Hee sunt zizania que inimicus homo superseminauit tritico in agro patris familias seminato, que utique, si discerni possent a tritico, mox eradicanda essent, sed quia non facile discernuntur, usque ad messem sustineri precipiuntur ubi, plena habita eorum discretione, in fasciculos ligantur et in ignem mittuntur.

175, 11 nec nominanda] cf. Eph. 5, 3 17-18 uulpes – portantes] cf. II Reg. 14, 30; Iud. 15, 4 20-21 uulpes – reclinet] Luc. 9, 58 22-26 zizania – mittuntur] cf. Matth. 13, 25-30 175, 4 secretius] securius G 1 |secretius S 3 7 uel 2 – uel] abest in G 1 |add. S 3 7 fratribus uel sororibus, fratres uel sorores] fratribus sorores G 1 |fratribus uel sororibus in textu S 3 |fratribus uel sororibus, fratres uel sorores: “fratres uel sorores” add. sup. G 5 10 animorum] amicorum Delhaye 15 effectum] affectum Delhaye 17 hee] he G 1 |hee S 3 20-21 quas – reclinet] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 22 hee] he G 1 |hee S 3 23 a tritico] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |a tritico S 3

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175. Qu’est-ce que l’amour contre nature L’amour contre nature ou désordonné du prochain est le lien de dilection par lequel les fils de ce monde s’unissent entre eux injustement pour accomplir très commodément et très secrètement leurs désirs pervers. Ce genre d’association mutuelle corrompt en effet tous les fils de ce siècle, tantôt par les adultères, tantôt par les fornications, tantôt par les jouissances contre-nature, tantôt par les incestes en tout genre: parents avec leurs fils ou filles, frères ou sœurs avec leurs frères ou leurs sœurs, époux pratiquant l’amour contre-nature même avec leurs propres conjoints et accomplissant entre eux des actes de luxure totalement ignominieux. Ce genre d’association entre esprits engendre aussi, par sa perversité, orgies, saouleries, actes crapuleux, et beaucoup d’autres pratiques dont il ne faut pas même prononcer le nom. Rassemblés en bande malfaisante, ils se livrent à des vols, des larcins, des rapines qu’un individu seul ne pourrait commettre. Ainsi se multiplient les complots et organisations de tous les crimes horribles, ainsi les séditions, ainsi les guerres civiles et intestines arrivent à réalisation, ainsi, enfin, les pactes simoniaques, les ambitions détestables sont dévorés du feu abominable de conseils très rusés et finissent par aboutir. Ce sont là les renards d’Absalon, des torches liées à la queue, que ce dernier, après les avoir attachés entre eux par la queue, envoya dans le champ de Joab, en détruisant par le feu la moisson parce qu’il tardait à venir vers lui; ces renards que le Fils de l’homme repoussa tandis qu’ils voulaient le suivre, en disant: «Les renards ont des tanières mais le fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête». Ce sont là les ivraies que l’homme ennemi a répandu au milieu du blé qui avait été semé dans le champ du père de famille. Si l’on pouvait distinguer ces ivraies du blé, il faudrait bien sûr les arracher aussitôt, mais parce qu’il est malaisé de les distinguer, il leur est prescrit de demeurer jusqu’à la moisson; alors, quand on peut parfaitement les reconnaître, elles sont liées en bottes et jetées au feu.

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microcosmvs, III, 176

〈176.〉 Quid sit horum trium amorum conuenientia uel differentia His itaque distinctis, iam patet que sit ordinati amoris proximi ad alios conuenientia uel differentia. In hoc enim solo conueniunt omnes quod animorum concordantium uincula sunt; in ceteris ualde disconueniunt. Sed de hoc ipso hic queri potest quomodo ordinatus amor proximi uel uinculum sit animorum, cum de eo spiritualiter scriptum intelligatur latum mandatum tuum nimis. Nam neque de ordinato amore carnis sue uel suimet, sed nec de ordinato amore Dei, hoc ita conuenienter intelligitur sicut de ordinato amore proximi qui se a dextris et a sinistris etiam usque ad inimicos diligendos dilatat et media corporis regine caritatis ita amplificat ut omnes homines intra se includat. Quale ergo est uinculum quod sic se dilatat? Sed ordinatus amor proximi et latum mandatum est, et nichilominus est uinculum. Latum mandatum est quia, quantum in ipso est, ad omnes homines includendos se dilatat, ita ut in sinu suo omnes includi possint qui se illi includendos tradiderint. Vinculum est quia quoscumque intra se incluserit artissima sibi caritate deuincit. Latum itaque mandatum est includendis, uinculum inclusis; latum est quia se etiam usque ad reprobos extendit; uinculum quia solos electos firmissime includit. Sed adhuc dicet michi aliquis: «Vbi discordia est animorum, nullum est mutuum uinculum eorum. Inter inimicos autem discordia est animorum. Quomodo ergo ordinatus amor proximi se extendit ad inimicum, cum nullum sit inter inimicos mutuum uinculum animorum?» Sed ad preparationem cordis ordinati amoris hoc est referendum. Paratum etenim habet cor ordinatus amor inimico sibi deuinciendo, si tamen per illum non steterit. Quod si per illum stet, nichilominus tamen uinculum est ab aptitudine non ab actu. Multa enim uincula nichil uinciunt et tamen uincula sunt quia ad uinciendum parata et apta sunt.

176, 7 latum – nimis] Ps. 118, 96; cf. Augustin, Enarr. in Ps., 118, 8 (CCSL 40, p. 1735, l. 9-11) 176, 1 quid] que G 1 |quid S 3 uel differentia] G 1 ; add. in marg. G 2 |uel 4 1 2 itaque] ita G |itaque S 3 12 quale – dilatat] abest in G 1 ; add. differentia S 2 in marg. G | in textu S 3 22 inimicum] inuicem Delhaye 24 est referendum] referendum est G 1 |est referendum S 3

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le microcosme, III, 176

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176. Quelle est la concordance ou la différence entre ces trois amours Ces distinctions faites, la concordance ou la différence entre l’amour du prochain et l’amour envers les autres apparaît désormais clairement. Ils concordent tous en ceci seulement qu’ils sont des liens qui relient des esprits concordants. Pour le reste, ils diffèrent grandement. Mais même sur ce point on peut ici se demander comment l’amour ordonné du prochain serait aussi le lien des esprits, alors que ce qui est écrit à son sujet doit être compris au sens spirituel; «Ton commandement est trop large». Car cela s’applique moins précisément à l’amour ordonné de sa propre chair ou de soi-même, ou même à l’amour ordonné de Dieu, qu’à l’amour ordonné du prochain qui s’étend à droite et à gauche, voire jusqu’à l’amour des ennemis, et qui agrandit à tel point le centre du corps de la reine charité qu’il renferme en lui-même tous les hommes. Quel est donc ce lien qui s’étend ainsi? C’est l’amour ordonné du prochain, qui est un large commandement mais qui néanmoins est un lien. C’est un large commandement parce que, pour autant qu’il est en lui, il s’étend pour inclure tous les hommes, de sorte que puissent être enfermés en son sein tous ceux qui se sont donnés à lui pour y être enfermés. C’est un lien, parce que tous ceux qu’il renferme en lui-même, il se les attache par une charité très intime. C’est un commandement large pour ceux qui sont à inclure, un lien pour ceux qui sont inclus; un commandement large parce qu’il s’exerce même sur les réprouvés; un lien parce qu’il ne retient très fermement que les élus. Mais on me dira alors: «Là où il y a discorde des esprits, il n’y a pas de lien entre eux. Entre ennemis en effet il y a discorde des esprits. Comment donc l’amour ordonné du prochain s’étend-il en retour s’il n’y a aucun lien mutuel des esprits entre ennemis?» Or, cela fait partie de la préparation du cœur à l’amour ordonné. De fait, l’amour ordonné possède un cœur prêt à s’attacher à l’ennemi, à condition toutefois de ne pas dépendre de lui. Et s’il dépend de lui, il n’en est pas moins un lien, mais en aptitude et non en acte. Car beaucoup de liens n’attachent rien et pourtant ce sont des liens, parce qu’ils sont prêts et aptes à attacher.

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microcosmvs, III, 177

〈177.〉 Quam discrete ordinatus amor proximi officium suum exerceat Cum ergo ordinatus amor proximi uinculum sit animorum, non stuppeum, non ferreum sed aureum uinculum rectissime dici potest. Sapienter enim et discrete officium suum exercet. Nam etsi omnes homines amet, non tamen uniformiter, non indifferenter omnes amat. Alios enim amat in Deo, alios propter Deum; amicos et se reamantes in Deo, inimicos et se odientes propter Deum; amicos quia sunt ei socii in uia Dei, inimicos ut fiant ei socii in uia Dei; amicos plus, inimicos minus. Sed et amoris sui indicia non indifferentia omnibus ostendit. Nam his quos minus amat plerumque maiora et his quos plus minora beneficia foris impendit, aliis blandiens, alios terrens, alios uerbis, alios uerbere castigans, alios et corporaliter occidens, omnes tamen aut plus aut minus diligens. Nam et quos corporaliter occidit plerumque plus diligit, prudenter discernens et ponderans merita et causas omnium, merita ad affectum, causas ad effectum ut pro meritis intus unumquemque plus aut minus diligat, pro causis foris unicuique plus aut minus beneficii exhibeat et nunc pro necessitate, nunc pro utilitate, nunc pro pietate, nunc pro honestate, uaria foris beneficia largiatur, cum tamen intus nonnunquam in contrarium moueatur. Hic amor omnes status, omnes gradus, omnes ordines, omnes dignitates Ecclesie disponit, distribuens unicuique non ut meretur sed ut oportet; sexus, etates, uires, infirmitates omnium diligenter obseruans; coniugatis, continentibus, uirginibus; laicis, clericis, monachis, presbiteris, diaconis, subdiaconis ceterisque clericorum ordinibus; abbatibus, episcopis, archiepiscopis et aliis ecclesiasticis dignitatibus; ducibus, regibus, imperatoribus, omnibusque secularibus potestatibus, unicuique non ut meretur sed ut oportet distribuens, unumquemque non ut meretur sed ut oportet disponens. Adeo autem omnium horum dispositio ad ordinati amoris proximi nutum spectat, ut quicquid sine eius nutu in uniuerso corpore Ecclesie disponitur tanquam inordinatum et omnino Deo displicens dissolui mereatur. Iure igitur ordinatus amor proximi aureum siue auro pretiosius uinculum animorum dicitur, iuxta illud 177, 3 aureum uinculum] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 870A) 177, 16 beneficii] G 1 | iter. S 3 ; semel del. S 4 18 uaria] G 1 |nobis add. S 3 ; del. S 4 20 dignitates] dignitatis G 1 ; dignitates G 2 | S 3 25 dignitatibus] laïcis add. S 3 ; del. S 4

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177. Avec quel discernement l’amour ordonné du prochain doit exercer son office L’amour ordonné du prochain étant un lien des esprits, on peut donc dire, à très juste titre, qu’il est un lien, non pas d’étoupe, non pas de fer, mais d’or. Il exerce en effet son office avec sagesse et discernement. Car, même s’il aime tous les hommes, il ne les aime pas tous pareillement, pas indifféremment. Il aime les uns en Dieu, les autres à cause de Dieu; les amis qui le retrouvent en Dieu, les ennemis qui le haïssent à cause de Dieu; les amis, parce qu’ils sont des compagnons sur le chemin de Dieu, les ennemis, pour qu’ils deviennent ses compagnons sur le chemin de Dieu; les amis davantage, les ennemis moins. Mais il n’offre pas à tous les mêmes marques de son amour. Car à ceux qu’il aime moins, il accorde extérieurement des bienfaits bien plus grands, à ceux qu’il aime plus, des bienfaits moins grands, flattant les uns, effrayant les autres, corrigeant les uns par la parole, les autres par le fouet, assommant les autres encore corporellement, il les aime le plus souvent davantage, discernant et pesant avec sagesse les mérites et les situations de tous, les mérites pour l’affection, les situations pour l’acte effectif, afin d’aimer intérieurement chacun, plus ou moins suivant les mérites, afin de dispenser extérieurement à chacun plus ou moins de bienfaits suivant les situations, et d’accorder extérieurement différents bienfaits, tantôt suivant la nécessité, tantôt suivant l’utilité, la piété ou la convenance, même si parfois il est poussé à faire le contraire. Cet amour règle tous les états, tous les grades, tous les ordres, toutes les dignités de l’Église, distribuant à chacun non pas selon son mérite mais selon ce qui convient, tenant compte scrupuleusement des sexes, des âges, des forces, des faiblesses de tous, distribuant à chacun, hommes mariés, continents, vierges; laïcs, clercs, moines; prêtres, diacres, sousdiacres et tous les autres ordres de cléricature; abbés, évêques, archevêques et autres dignités ecclésiastiques; ducs, rois, empereurs et toutes les puissances temporelles, distribuant à chacun non pas selon le mérite mais selon la convenance, disposant chacun, non pas selon le mérite mais selon la convenance. Or, la disposition de toutes ces choses relève à tel point de la décision de l’amour ordonné du prochain, que tout ce qui, dans le corps universel de l’Église, est réglé en dehors de son commandement mérite d’être détruit, comme étant désordonné et tout à fait déplaisant à Dieu. C’est pourquoi, l’amour ordonné du prochain est appelé à bon droit «lien d’or» des esprits, ou plus précieux que l’or, suivant cette parole du Psalmiste: «J’ai aimé tes commandements plus que

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microcosmvs, III, 177-178

psalmiste: Dilexi mandata tua super aurum et topazion, et rursum: Desiderabilia super aurum et lapidem pretiosum multum. Quod etsi de omnibus mandatis Dei recte dicatur, rectissime tamen de ordinato amore proximi dictum intelligitur, quia eo sanctissime corda plurimorum uinciuntur.

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〈178.〉 Quid sit hunc amorem a dextris et a sinistris dilatari Quid autem sit hunc amorem a dextris et a sinistris dilatari, licet superius iam insinuatum sit ex parte, libet tamen id adhuc diligentius exponere. Per dexteram bonos, per sinistram malos, eo quod boni ad dexteram, mali ad sinistram ponendi sunt, non absurdum est intelligi. Ad dexteram ergo se dilatat et ad sinistram, quia ad bonos et malos, siue amicos et inimicos quod idem est, eque se extendit, utrisque manum beneficii porrigendo ex caritate. Neque enim alios reputat amicos nisi bonos, nec alios inimicos nisi malos; in beneficio caritatis neque uirtutem neque uitium sed naturam attendens. Et beneficium quidem duplex, corporale scilicet et spirituale utrisque porrigit, non tamen utrisque suscipientibus utrumque. Soli boni utrumque suscipiunt, mali alterum tantum. Boni inquam utrumque suscipiunt sed diuersa intentione. Nam spirituale suscipiunt ut principale, corporale ut secundarium ad huius uite uiaticum. Ideo ipsi a dextris sunt ad principale inhiantes quod per dextram porrigitur, licet eis etiam non inhiantibus corporale adueniat, quod propter corporales necessitates suas non recusant. Mali autem solum corporale suscipiunt, nichil inter principale et secundarium distinguentes sed de secundario principale facientes: illi soli inhiant quod per sinistram porrigitur, ideoque ipsi merito a sinistris sunt. Neque enim in uia se esse credunt ut aliquid ad uiaticum querant sicut boni qui didicerunt se non habere hic manentem ciuitatem sed futuram inquirere. Ideo33 dilexi – topazion] Ps. 118, 127

34 desiderabilia – multum] Ps. 18, 11

178, 4-5 dexteram – sinistram] cf. Matth. 25, 33; cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 909A et 1055C) 22 manentem – inquirere] Hebr. 13, 14 178, 2 et] uel G 1 |et S 3 3 id] om. Delhaye 6 ad 3] abest in G 1 ; add. 2 3 1 7-8 utrisque manum beneficii G |utrisque manum extendit, sup. l. G |ad S utrisque manum beneficii S 3 ; utrisque manum beneficii S 4 10 sed naturam] abest in G 1 | abest in S 3 ; add. in marg. S 4 14-15 ad – uiaticum] abest in G 1 ; ad – uie uiaticum add. in marg. G 2 |in textu S 3 16 adueniat] G 1 |†…† S 3 ; in ras. S 4 22 hic] huiusmodi Delhaye manentem ciuitatem] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |manentem ciuitatem S 3

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l’or et le topaze», et aussi: «Plus désirables que l’or et quantité de pierres précieuses». Et même si cela est dit, justement, de tous les commandements de Dieu, cela s’applique très justement à l’amour ordonné du prochain car les cœurs de beaucoup lui sont très saintement attachés. 178. Que signifie que cet amour s’étende à droite et à gauche Que signifie donc que cet amour s’étende à droite et à gauche? Bien que cela ait déjà été évoqué plus haut, nous voulons maintenant l’expliquer plus en détail. Il n’est pas illogique de comprendre que la droite signifie les bons, la gauche, les mauvais, puisque les bons doivent être placés à droite, les mauvais à gauche. Il s’étend donc à droite et aussi à gauche, parce qu’il s’étend également vers les bons et les mauvais, ou vers les amis et les ennemis, ce qui revient au même, tendant aux uns et aux autres par charité la main du bienfait. Et il ne considère comme amis que les bons, et comme ennemis que les mauvais, ne tenant compte, dans le bienfait de la charité, ni de la vertu, ni du vice, mais de la nature. Aux uns et aux autres il offre un double bienfait, à savoir corporel et spirituel, mais les uns et les autres ne reçoivent pas les deux: seuls les bons reçoivent les deux, les mauvais n’en reçoivent qu’un. Les bons, dis-je, reçoivent les deux mais dans une disposition différente, car ils reçoivent le bienfait spirituel comme le principal, le corporel comme secondaire, un viatique pour cette vie. Aussi sont-ils à droite, aspirant au principal qui leur est offert par la droite; mais le secondaire, auquel ils n’aspirent pas, leur est aussi donné, et en raison des besoins corporels ils ne le refusent pas. Les mauvais au contraire ne reçoivent que le bienfait corporel; ils ne font pas la différence entre le principal et le secondaire et prennent le secondaire pour le principal. Eux seuls aspirent à ce qui leur est offert par la gauche. Aussi est-ce justice qu’ils soient à gauche. Ils ne pensent pas être en chemin et donc devoir rechercher un quelconque viatique, comme le font les bons, qui ont appris qu’ils n’ont pas «ici-bas de cité où demeurer, mais qu’ils doivent rechercher la demeure future». C’est pour cela qu’ils reçoivent les seuls bienfaits corporels de quiconque les leur offre et qu’ils établissent des fondements sur eux: là-dessus ils persistent, non pas comme des voyageurs mais comme des constructeurs, à édifier une cité permanente. D’où il arrive que, l’amour ordonné leur retirant le bienfait temporel et eux ne s’arrêtant qu’aux choses visibles, ils se retrouvent privés de tout bienfait de sa part. Il faut bien qu’ils soient à un moment privés de tout bienfait de la grâce, eux qui, à la fin, de-

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que sola corporalia beneficia a quocumque sibi porrecta indifferenter accipiunt, et in his fundamentum ponentes non tamquam uiatores sed tanquam edificatores insistunt edificare super hoc manentem ciuitatem, unde prouenit ut dum ordinatus amor eis corporale beneficium subtrahit, cum non nisi solis uisibilibus insistant, uacui ab omni eius beneficio remaneant. Necesse est enim eis aliquando omnis gratie beneficium subtrahi, qui finaliter omni gratia fiunt indigni ac per hoc nec ad manentem ciuitatem cum bonis perueniunt, nec hic edificium consummant quod super instabile fundamentum edificare incipiunt.

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〈179.〉 Alius modus dilatationis a dextris et a sinistris Potest adhuc et alio modo conuenienter intelligi ordinati amoris proximi ad dextram et ad sinistram dilatatio. Solent enim in sacra scriptura per dextram prospera, per sinistram aduersa significari, sicut me iam supradixisse memini. Ad dextram ergo et ad sinistram dilatatur ordinatus amor proximi quia perfecti quique, sicut nec de suis prosperis eleuantur, sic nec de suis aduersis deprimuntur, sed utraque cum obueniunt equaliter dilatato ad gaudium corde suscipiunt, aut certe intensiore et dilatatiore gaudio obuenientibus aduersis exultant quam prosperis, scientes sibi ex aduersis hilariter susceptis merita crescere. Sic nimirum proximorum saluti studentes aduersa eorum, sicut prospera pari cordis dilatatione suscipiunt, scientes nichil in hoc mundo sine nutu Dei fieri, ipsum autem Deum gubernatorem omnium desuper omnia spectantem nosse quid cuique opus sit et quod nouit posse, quodque nouit et potest, uelle prout opus est cuique. Vnde tanquam potentissimus et infallibilis et pius animarum uulneratarum medicus, aliis uinum aliis infundit oleum, infallibiliter sciens hos non aliter quam uini infusione, illos autem non aliter quam olei unctione curandos. Quisquis igitur huic tanto gubernatori omnium non concordaret, nonne eius potentie, sapientie et bonitati derogaret? Itaque et de proximorum prosperis et aduersis, siue boni siue mali sint proximi, eque exultandum est. Nam si mali sunt, iusta iudicia Dei, si 179, 3-4 dextram – aduersa] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 909B et 1055B) 26 eis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |eis S 3 179, 3 dextram] dexteram Delhaye sup. l. G 5 21 de] G 1 | add. sup. l. G 5

7 sic] G 1 |add. sup. l. G 2 |om. S 3 |add.

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viennent indignes de toute grâce, et pour cette raison ne parviennent pas à la cité éternelle avec les bons, et n’achèvent pas non plus, ici-bas, l’édifice qu’ils commencent à construire sur un fondement instable.

179. Autre façon de s’étendre à droite et à gauche À présent, on peut bien comprendre, d’une autre façon aussi comment l’amour ordonné du prochain s’étend à droite et à gauche. Dans l’Écriture sainte, en effet, les événements heureux sont généralement signifiés par la droite, les malheureux, par la gauche, comme je me souviens l’avoir déjà dit. L’amour ordonné du prochain s’étend donc à droite et à gauche parce que tous les parfaits, ni ne se vantent de leurs succès, ni ne sont humiliés par leurs échecs. Mais quand ces événements subviennent, ils les acceptent, les uns et les autres, d’un cœur pareillement ouvert à la joie, ou plutôt ils exultent d’une joie plus intense et plus rayonnante devant les échecs que devant les succès, sachant que leurs mérites augmentent s’ils acceptent les revers avec joie. Ainsi, soucieux assurément du salut de leurs prochains, ils acceptent avec la même ouverture du cœur leurs revers comme leurs succès, sachant que rien ne se produit dans ce monde en dehors de la volonté de Dieu, et que Dieu luimême, maître de toutes choses, observant tout d’en haut, sait ce qui convient à chacun, peut ce qu’il sait, veut ce qu’il sait et peut, selon ce qu’il faut à chacun. C’est pourquoi, étant tout-puissant, infaillible et pieux médecin des âmes blessées, il répand sur les uns du vin, sur les autres de l’huile, sachant infailliblement que les uns ne peuvent être soignés autrement qu’en versant du vin, les autres, non autrement que par l’onction de l’huile. Ainsi, quiconque n’acquiescerait pas à un si grand maître de toutes choses, ne dérogerait-il pas à sa puissance, sa sagesse et sa bonté? C’est pourquoi il faut se réjouir pareillement des succès et des revers des prochains, que ces prochains soient bons ou mauvais. Car, s’ils sont mauvais, nous invoquons les justes jugements de Dieu, s’ils sont bons, nous invoquons la miséricorde de Dieu. C’est pour cette raison que l’Église universelle rappelle d’un souvenir solennel non seulement la gloire des saints mais aussi

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boni, misericordiam Dei commendamus. Hinc est quod uniuersalis Ecclesia non solum gloriam sanctorum, uerum etiam passiones eorum cum sollempni memoria recolit, sciens cum apostolo quoniam diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum, his qui secundum propositum uocati sunt sancti, quorum nimirum plurimi aduersis profecerunt ad gloriam, qui prosperis defecissent ad gehennam, quos inspector cordium Deus maluit aduersitate depressos exaltari quam prosperitate erectos humiliari, cui nullus modus saluandi suos difficilis est, cui nemo sapiens dicere presumit cur sic facit.

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〈180.〉 De uerecundia et fiducia Sic pertractatis inferioribus et mediis, dextris et sinistris partibus corporis regine caritatis, assumpta maiori fiducia de adiutorio eius, adieci extendere manum ad superiores partes, id est ad caput eiusdem, uolens ordini premisse enumerationis respondere ordinem executionis. At illa: «Fiducialius inquit solito te geris, qui et ea de inferioribus et mediis, dextris et sinistris partibus corporis mei que nemo adhuc tetigit pertractare non dubitasti, et adhuc adicis ad caput meum extendere manum. Et ego quidem fiduciam tuam qua non tuis sed meis uiribus nitens id agere conaris laudo. Sed subsiste paululum, ne festines. Volo enim prius hanc ipsam confidentiam tuam que, si per me ordinata fuerit multam habebit remunerationem, aliquatenus instituere et ad ordinem reuocare. Quod utique et tu moleste ferre non debes, quoniam et ad tui propositi ordinem pertinet hoc in loco eam ordinare cum sua que ei semper adherere debet uerecundia, nisi forte oblitus es ordinis tractatus tui quo tu ipse longe supra has ipsas affectiones inter munda animalia maris huius in quo nunc sumus ordinasti.» Ad hec uerba robore perfusus, retraxi manum quam altius extenderam, et accessit mihi uerecundia salubrior quam pene oblitus fueram, propositi mei nimis auidus, nichilominus tamen perseuerante quam assumpseram fiducia. Quod ut uidit, subrisit et ait: «Hoc est quod uolui, hoc est ad quod te in omnibus uiis tuis uolo informari, uidelicet ut has duas inseparabiles tibi quocumque te uertens asciscas comites, nec um25-27 diligentibus – sancti] Rom. 8, 28 180, 1 De uerecundia et fiducia] De fiducia et uerecundia G 1 |De uerecundia et fiducia S 3 7 dextris et sinistris] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |dextris et sinistris S 3 8 pertractare] Domino add. S 3 ; del. S 4

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leur passion, sachant avec l’Apôtre que «toutes choses coopèrent au bien de ceux qui aiment Dieu, de ceux qui sont appelés à la sainteté selon son dessein». La plupart d’entre eux ont assurément progressé vers la gloire par l’adversité, qui par les succès seraient tombés dans la géhenne, eux que Dieu qui sonde les cœurs préféra élever tandis qu’ils étaient accablés par l’adversité plutôt qu’humilier alors qu’ils s’enorgueillissaient de leur prospérité; Dieu pour qui nulle façon de sauver les siens n’est difficile et dont nul sage ne peut prétendre dire pourquoi Il agit ainsi. 180. De la discrétion et de la confiance Ayant ainsi exploré les parties inférieures et médianes, droites et gauches de la reine charité, puisant de son aide une plus grande confiance, je me risquai à tendre la main vers les parties supérieures, c’est-à-dire vers sa tête, désirant que l’ordre d’exécution corresponde à l’ordre préétabli. Mais elle: «Tu te comportes d’une manière plus confiante qu’à l’ordinaire, toi qui n’as pas hésité à explorer ce qui relève des parties inférieures, médianes, droites et gauches de mon corps, que personne jusqu’ici n’a touchées, et qui maintenant vas jusqu’à tendre la main vers ma tête. Et moi, je loue assurément ta confiance qui te permet de t’y efforcer, en t’appuyant non sur tes propres forces mais sur les miennes. Mais arrête-toi un moment, car il ne faut pas te hâter. Je veux en effet, tout d’abord établir quelque peu et remettre en ordre cette confiance qui, une fois disposée par moi, sera d’un grand profit; chose que tu ne dois pas supporter avec peine puisqu’il appartient aussi à ton dessein de la mettre à sa place, avec la discrétion qui doit toujours lui être attachée, à moins que d’aventure tu n’aies oublié l’ordre de ton traité où tu as toi-même, beaucoup plus haut, disposé ces affections parmi les animaux purs de cette mer dans laquelle nous sommes actuellement». À ces mots, rempli de vigueur, je retirai la main que j’avais portée trop haut, et je fus touché par une discrétion plus salubre, que j’avais presque oubliée tant j’étais dévoré par mon propos, tout en conservant néanmoins la confiance que j’avais acquise. Voyant cela, elle dit en souriant: «C’est ce que j’ai voulu, c’est ce à quoi je veux t’initier en tous tes chemins, à savoir que tu prennes avec toi ces deux compagnes inséparables, où tu te diriges, et que tu ne laisses jamais l’une s’approcher de toi sans l’autre, sachant que l’une et l’autre te sont nécessaires même si l’une seule coopère avec toi. Car le seul respect de l’une, c’est-à-dire de la discrétion, te sera nécessaire, là où l’autre, c’est-à-dire la confiance, coopère

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quam alteram sine altera ad te accedere permittas, sciens utramque tibi esse necessariam etiam una sola tibi cooperante. Solus enim respectus alterius, id est uerecundia, ubi altera, id est fiducia, tibi cooperatur, erit necessarius. Et quidem fiducia tibi frequentius cooperabitur. Ipsa enim ad omne opus bonum uoluntatem bonam corroborat, ipsa cor ipsa manum confirmat, cor ne deficiat a bona uoluntate iam concepta, manum ne deficiat a bona operatione iam incepta. Ipsa, si a me informata fuerit, etiam meipsam prouehit, quamuis hoc ipsum de me accipit quod me prouehit. Ego enim do ei formam qua discernitur ab aliis specie quidem sibi similibus sed ueritate sibi longe dissimilibus.»

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〈181.〉 Fiduciam et uerecundiam aliquando uirtutes esse, aliquando non Nam, cum fiducia sit affectio animi qua ad quodlibet propositum suum conualescit animus, proposita autem hominum uaria sint, alia namque sunt naturalia, alia innaturalia et exinnaturalibus, alia bona, alia mala, sic et hominum affectiones circa hec proposita uersantes se uariant, quarum ille sole que bone sunt a me informantur, et per eam quam ego illis inprimo formam ab aliis specie sibi similibus diuiduntur. Formosa est enim illa que a me informatur fiducia uel etiam quelibet uirtus alia meam omnibus in se representans ymaginem, reliquis aut in naturali informitate sua remanentibus aut, quod deterius est, ad innaturalem deformitatem degenerantibus. Quocienscumque igitur fiducialiter agere quid aggrederis, diligenter intuere ipsam qua ad id moueris fiduciam tuam, et secundum eam quam illi uideris impressam formam, diiudica eam. Si meam in ea ymaginem expressam uideris, secure agito per eam quod agis. Meam autem in hoc maxime dinosces ymaginem si comitem habeat uerecundiam. Nam secundum me informata fiducia nunquam est sine uerecundia ut, sicut de bonis que ex proposito aguntur, animus per eam roboratur, sic de malis que sine proposito nonnunquam surrepunt, animus per illam salubriter confundatur, nec de his tantum que iam surrepserunt malis, uerum etiam de his que adhuc surrepere 26 id – uerecundia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 in G 1 ; add. in marg. G 2 |id est fiducia S 3

id est fiducia] abest

181, 4-5 alia namque sunt naturalia, alia innaturalia et exinnaturalibus] G 1 |hom. om. S 3 9-10 uel – alia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 15 expressam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |expressam S 3 16 dinosces] G 1 |dinoscens S 3 ; dinosces S 4 18 proposito] preposito G 1 | S 3 ; proposito S 4

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avec toi; et il est certain que la confiance coopérera plus souvent avec toi, car c’est elle qui renforce la bonne volonté pour toute œuvre bonne, c’est elle qui raffermit le cœur, qui raffermit la main: le cœur, pour qu’il ne fasse pas défaut à la bonne volonté déjà résolue, la main, pour qu’elle ne fasse pas défaut à la bonne action déjà entamée. C’est elle qui, pourvu qu’elle ait été façonnée par moi, m’élève moi aussi, bien qu’elle reçoive de moi ce par quoi elle m’élève. C’est moi, en effet, qui lui donne la forme qui la distingue des autres, qui lui sont semblables d’aspect mais tout à fait dissemblables au regard de la vérité.» 181. Que la confiance et la discrétion sont tantôt des vertus, tantôt non Or comme la confiance est une affection de l’esprit qui le rend capable de n’importe quel dessein et que les desseins des hommes sont divers, les uns bons, les autres mauvais, ainsi les affections des hommes, s’adaptant à ces desseins, varient elles aussi: parmi elles, seules les bonnes sont façonnées par moi, et par la forme que je leur imprime elles se distinguent des autres qui leur sont semblables d’aspect. Belle est en effet cette confiance qui est façonnée par moi, ou aussi toute autre vertu qui présente en elle, en tous points, mon image; les autres, ou bien restent dans leur état naturel informe, ou bien, ce qui est plus grave, tombent dans une difformité contre-nature. C’est pourquoi, chaque fois que tu t’apprêtes à faire quelque chose dans la confiance, examine attentivement ta confiance qui te pousse à faire cette chose, et suivant la forme dont elle te semble imprimée, opère sur elle un discernement. Si c’est mon image que tu y vois imprimée, fais ce que tu fais, en toute sécurité grâce à elle. En cela tu reconnaîtras à coup sûr mon image si la discrétion l’accompagne. Car la confiance façonnée d’après moi n’existe jamais sans la discrétion. Ainsi, de même que dans les bonnes actions qui se font avec intention, l’esprit est conforté par elle, de même dans les mauvaises actions qui s’insinuent parfois sans intention, l’esprit est heureusement vaincu par elle, et non seulement dans les mauvaises actions qui se sont déjà insinuées mais aussi dans celles qui peuvent encore s’insinuer. Or l’Ennemi, inspirateur des mauvaises actions, ne s’attaque à personne autant qu’à celui qui agit en confiance; lequel, en s’adonnant tout entier à son action, trop confiant, ne prête pas suffisamment attention aux pièges redoutables du Tentateur, et ainsi il arrive qu’il tombe très vite dans le piège, à moins que la sollicitude providentielle de la discrétion ne le protège.

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possunt. Nulli autem sic insidiatur malorum suggestor inimicus ut fiducialiter agenti qui, dum ex nimia fiducia totus operi insistit, temptatoris insidiis cauendis minus intendit, ac per hoc fit ut in laqueum citius incidat, nisi eum prouida uerecundie sollicitudo custodiat. Hanc fiducie comitem uerecundiam sponsus in Cantico amoris sponse sue pulchre insinuat dicens: Pulchre sunt gene tue sicut turturis. Sponsam suam Ecclesiam uel quamlibet perfectam animam sponsus turturi comparat quia turturis natura est ut, si casu coniugem suum perdiderit, quasi illi soli seruans amorem, fiducialiter omnem alium amorem contempnat. Sic Ecclesia uel perfecta anima, corporali presentia sponsi sui Christi priuata, fiducialiter eum expectans, omnem huius mundi amorem contempnit, usque adeo ut uerecundetur ad omnem etiam illecebrosum atractum, castissima uerecundia abhorrens uniuersa carnis uitia. Que uerecundia ob hoc in genis recte significatur, quia genarum rubore citius manifestatur. Pluraliter etiam recte dicuntur gene, cum sit tamen una uirtus uerecundie, quia utrobique se circumspiciens casta uerecundia non minus erubescit de committendis quam de commissis.

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〈182.〉 Confidentiam et uerecundiam iam inseparabiles esse ad hoc ut uirtutes sint Oportet ergo, ut dictum est, uerecundiam confidentie inseparabilem esse comitem, ne uel confidentia sola in preceps eat, uel uerecundia sola a bono opere deficiat, dum et hec sola minus de omni facto suo confidit et illa sola minus de omni facto suo erubescit, sicque fit ut coniuncte uirtutes sint que disiuncte uirtutes non sunt. Has coniunctas habuisse perpenditur ille qui in psalmo decimo loquitur dicens: In Domino confido, quomodo dicitis anime mee: transmigra in montem sicut passer. In eo namque quod dicit: In Domino confido, uirtutem confidentie se habere manifestat. In eo uero quod addidit: Quomodo dicitis anime mee: transmigra in montem sicut passer, uirtutem uerecundie se habere insinuat. Quia enim peccatoribus hec dicebat, sicut ex sequenti uersu patet ubi dicitur: Quoniam ecce peccatores etc., quorum peccata sicut 181, 27 pulchre – turturis] Cant. 1, 9 29-31 turturis – contempnat] cf. Physiologus latinus, 28, 2 (Carmody, p. 49- 50); Jean Scot, Periphyseon, III (CCCM 163, p. 171, l. 5040-5043); Eugène de Tolède, Libellus carminum, 47 (CCSL 114, p. 257) 182, 8-10 in domino – passer] Ps. 10, 2 182, 7 sunt] sint Delhaye

14 quoniam – peccatores] Ps. 10, 3

11 addidit] addit G 1 |addidit S 3

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C’est cette discrétion, compagne de la confiance, que l’Époux insinue à sa belle épouse dans le Cantique de l’amour, en disant: «Tes joues sont belles comme celles de la tourterelle». L’Époux compare son épouse, l’Église ou toute âme parfaite, à la tourterelle parce que la nature de la tourterelle est ainsi faite que si par malheur elle perd son époux, conservant en quelque sorte pour lui seul son amour, elle repousse avec confiance tout autre amour. Ainsi l’Église, ou toute âme parfaite, privée de la présence corporelle de son époux, le Christ, en l’attendant avec confiance, repousse tout amour de ce monde, à tel point qu’elle a honte de tout attrait, même séducteur, détestant avec une très chaste pudeur tous les vices de la chair. Aussi cette pudeur est-elle justement symbolisée dans les joues: parce qu’elle se manifeste très vite par la rougeur des joues. On parle aussi de «joues» au pluriel quoiqu’il n’y ait qu’une vertu de pudeur, parce que la pudeur chaste, s’examinant de part et d’autre, ne rougit pas moins des actions à commettre que celles commises. 182. Que la confiance et la discrétion doivent alors être inséparables pour pouvoir être des vertus Il convient donc, comme on l’a dit, que la discrétion soit la compagne inséparable de la confiance, de crainte que la confiance, seule, ne se précipite, ou que la discrétion, seule, n’entrave l’œuvre bonne puisqu’elle seule n’a confiance en rien de ce qu’elle fait, et que la confiance ne rougit de rien de ce qu’elle fait, de sorte qu’ensemble elles soient des vertus alors que séparées elles n’en sont pas. Il a manifestement possédé ces deux vertus, celui qui dit dans le Psaume 10: «Je me confie au Seigneur; pourquoi dites-vous à mon âme: envole-toi vers la montagne comme le passereau». Car en disant: «je me confie au Seigneur», il montre qu’il possède la vertu de confiance, mais en ajoutant: «Pourquoi dites-vous à mon âme: envole-toi vers la montagne comme le passereau», il laisse entendre qu’il possède la vertu de discrétion. Et parce qu’il disait cela aux pécheurs – comme le démontre le verset suivant où il est dit: «Car voici les pécheurs» etc. – dont les péchés qu’il voyait à la fois le faisaient rougir et détester ces saintes rougeurs, il est évident qu’il possédait les deux vertus conjointes, et ainsi, dans son intention, il agissait avec autant de confiance que de discrétion. Dans le sixième des Cantiques graduels, il affirme que tous ceux qui possèdent ces deux vertus conjointes sont inébranlables dans leur intention, en di-

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uidebat sic et erubescebat et sancta erubescentia abhorrebat, constat quia has uirtutes coniunctas habebat et ideo in suo proposito sicut confidenter sic uerecunde agebat. Idem in sexto Canticorum graduum omnes qui has coniunctas uirtutes habent immobiles in suo proposito esse ita asserit dicens: Qui confidunt in Domino, subaudis immobiles sunt sicut mons Syon, id est sicut Dominus Ihesus Christus qui est mons Syon, id est Ecclesie super se edificate. Qui non solum has uirtutes in se coniunctas habebat sed etiam omnium uirtutum et habitu et usu plenissimus erat, ita ut facile esset ei in opus redigere omne propositum suum. Propter quod et sponsa manus eius tornatiles dicit quia quicquid uoluit, etiam in hac mortalitate constitutus, sine difficultate fecit. Sic nimirum, sic omnes confidenter in Domino in se autem uerecunde agentes et, ut in psalmo nonagesimo scriptum est In adiutorio altissimi habitantes et in protectione Dei celi commorantes, merito in suis propositis immobiles sunt, non timentes a timore nocturno, nec a sagitta uolante in die sed neque a negocio perambulante in tenebris uel ab incursu et demonio meridiano, quia cadent a latere eorum mille et decem milia a dextris eorum etc., sicut idem psalmus prosequitur usque in finem. Semper igitur habeto confidentiam cum uerecundia, confidentiam inquam in me, uerecundiam in te, et non erit quod te permoueat quia nec ipsa confidentia te poterit precipitare nec ipsa uerecundia retardare, et que disiuncte tibi poterant nocere quia quodammodo sibi uidentur contrarie, coniuncte sibi inuenientur optima consentanee et tibi proficue.

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〈183.〉 Quam utile sit has coniunctas esse His exhortationibus benigna caritas ad maiorem confidentiam me prouocans, eo quod ex propria confessione mea superius me sensisset pusillanimem, miscere tamen uoluit confidentie uerecundiam quia, sicut ante assumptam confidentiam me deprehendit plus iusto timidum, sic post assumptam eandem me cognouit minus iusto uerecundum, 19-20 qui – Syon] Ps. 124, 1 24 manus – tornatiles] Cant. 5, 14 27-28 in adiutorio – commorantes] Ps. 90, 1 29-31 a timore – dextris] cf. Ps. 90, 5-7 16 in suo] G 1 | iter. S 3 ; semel del. 27 in psalmo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in psalmo S 3 36 tibi – quia] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 183, 2 maiorem] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |maiorem S 3 3 propria] G 1 |persona add. S 3 ; del. S 4 5 ante] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 plus iusto] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |plus iusto S 3

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sant: «Ceux qui se confient au Seigneur», sous-entendu: ils sont inébranlables «comme le mont Sion», c’est-à-dire comme le Seigneur Jésus Christ qui est le mont Sion, à savoir le mont de l’Église édifiée sur lui. Lui qui non seulement possédait ces vertus conjointes mais qui était tout rempli de toutes les vertus, et dans son être et dans son action, de sorte qu’il lui était facile de transposer toute son intention en œuvre. C’est pourquoi l’Épouse dit de ses mains qu’elles sont «faites au tour» parce que tout ce qu’il voulut, même dans son état de mortalité, il le fit sans difficulté. Ainsi assurément, ainsi tous ceux qui agissent en confiance dans le Seigneur, mais avec discrétion en eux-mêmes, et, comme il est écrit au Psaume 90, «habitant dans le refuge du Très Haut et demeurant sous la protection du Dieu du ciel», sont à juste titre inébranlables dans leur propos ne craignant pas «les frayeurs de la nuit, ni la flèche qui vole de jour, ni les peines qui marchent dans la nuit, ni le démon qui attaque en plein midi», car «il en tombe mille à leur côté et dix mille à leur droite», etc. comme on le lit dans le même psaume, jusqu’à la fin. C’est pourquoi, possède toujours la confiance avec la discrétion; la confiance en moi, dis-je, la discrétion en toi, et rien ne t’ébranlera parce que ni la confiance ne pourra te presser, ni la discrétion te ralentir, et elles qui, disjointes, pouvaient te nuire parce que, d’une certaine façon, elles semblent opposées, si elles sont conjointes, elles se révèleront parfaitement concordantes et te seront profitables. 183. Combien il est utile qu’elles soient conjointes Tout en me poussant par ces exhortations à une plus grande confiance, du fait qu’à travers ma propre confession elle m’avait d’abord senti pusillanime, la bienveillante charité voulut cependant mêler la discrétion à la confiance, car, de même qu’avant que je prenne confiance, elle me trouva plus timide que de raison, de même, après que je l’ai prise, elle constata que j’étais trop peu discret. Ainsi voulut-elle tempérer une vertu par l’autre, de crainte que par confiance je ne me répande trop, ou par discrétion ne me contienne trop. Mais sur toutes ces affections en moi elle donna une leçon générale, afin que tous sachent que ces affections de l’esprit, si elles sont séparées les unes des autres, n’appartiennent pas à la charité, et par conséquent non plus à la vertu, et ne peuvent être comptées parmi les animaux purs de cette mer, dont nous avons déjà parlé; mais si elles sont conjointes, elles peuvent au contraire être façonnées par la charité et devenir les animaux purs de cette mer, et l’orne-

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ideoque utramque per alteram temperare uoluit, ne uel per confidentiam nimis effluerem uel per uerecundiam nimis refluerem. Sed et omnibus in me generalem de his affectionibus doctrinam tradidit ut sciant omnes has animi affectiones, si a se inuicem diuise sint, ad caritatem non pertinere ac per hoc nec ad uirtutem, neque inter munda huius maris animalia de quibus iamdudum egimus computari posse, coniunctas autem et caritate informari et munda animalia maris huius posse fieri et inferiorum aquarum microcosmi ornatum in eis consummari. Hec de sex animi affectionibus ad ornatum maris huius pertinentibus, quod est quinti diei opus, diximus, non quod non sint plures quam sex, sed nos ex paucis prudenti coniectori plura intelligenda dedimus. Factumque est uespere et mane dies quintus, quia inter opera gratie quibus mens peccatoris mundatur et ornatur, prior est penitentia quam iusticia.

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〈184.〉 De opere sexti diei, id est de ornatu terre Dixit quoque Deus: ‘Producat terra animam uiuentem, iumenta, reptilia et bestias in genere suo ‘. Et factum est ita etc. Superius de opere quinti diei id est de ornatu inferiorum aquarum microcosmi dictum est. Nunc de opere sexti diei id est de ornatu terre dicendum. Sed quia magistra caritate et superiora acta et inferiora agenda sunt, qualiter ipsa etiam hic nobis affuerit non est reticendum. Tunc assumpsit me benigna caritas de aquis multis et eductum solidiori litori terre inposuit, et per medias nationes gentium deductum constituit me super excelsam terram ut comederem fructus agrorum, ut sugerem mel de petra oleumque de saxo durissimo, butirum de armento et lac de ouibus, cum adipe agnorum et arietum filiorum basan et hyrcos cum medulla tritici, et sanguinem uue biberem meracissimum. Cumque introduxisset me in aulam regiam in dextro sitam, miro opere mira materia conditam, et ostendisset mihi uel has uel alias delicias et diuitias suas infinitas, dixit michi: «Hoc est diuersorium meum

183, 17-18 factumque – quintus] Gen. 1, 23 184, 2-3 dixit – ita] Gen. 1, 24 14

9-13 constituit – meracissimum] Deut. 32, 13-

10 animi] anime Delhaye 14 microcosmi] michrocosmi G 1 |microcosmi S 3 16 quam sex] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quam sex S 3 184, 14 dextro] G 1 | IIII S 3

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ment des eaux inférieures du microcosme peut se réaliser en eux. Nous avons dit ces choses sur six affections de l’esprit qui appartiennent à l’ornement de cette mer, lequel est l’œuvre du cinquième jour, non qu’il n’y en ait pas plus de six, mais par quelques-unes nous en avons donné à entendre de plus nombreuses à l’interprète avisé. «Et il y eut un soir et un matin, cinquième jour», parce que, parmi les œuvres de la grâce, par lesquelles l’esprit du pécheur est purifié et orné, la pénitence vient avant la justice.

184. De l’œuvre du sixième jour, c’est-à-dire de l’ornement de la terre «Et Dieu dit: que la terre produise des êtres vivants, bestiaux, reptiles et bêtes selon leur espèce, et il en fut ainsi, etc.» Plus haut, nous avons parlé de l’œuvre du cinquième jour, c’est-à-dire de l’ornement des eaux inférieures du microcosme. Maintenant, il nous faut parler de l’œuvre du sixième jour, c’est-à-dire de l’ornement de la terre. Mais parce que les actions supérieures et inférieures doivent être accomplies sous l’égide de la charité, il ne faut pas taire la façon dont elle nous aura assistés, même ici-bas. La bienveillante charité me tira alors des eaux abondantes et me plaça sur une berge plus stable de la terre; et m’ayant conduit parmi les nations des gentils, elle «m’établit sur une terre admirable afin que je mange les produits des champs, que je suce le miel du rocher, l’huile du roc très dur, le beurre de la vache et le lait des brebis avec la graisse des agneaux, des béliers de la race de Bashân, les boucs avec les grains de froment, que je boive le sang très pur de la grappe». Après qu’elle m’eut introduit dans la salle royale, située à droite, faite d’un travail admirable, d’une matière remarquable, et m’avoir montré toutes sortes de délices et ses richesses infinies, elle me dit: «Ceci est mon refuge que je possède sur la terre, et ce sont là mes richesses et mes délices, que je transmets aux fils des hommes qui adhèrent à moi dans une vraie foi et un véritable amour. C’est pourquoi, parce que tu m’as donné ton serment, je t’établis maintenant dans cette mienne demeure, je te propose ici ces richesses et ces délices, les sachant appropriées à ton dessein présent. Donc toi, qui es aimé, fais-en usage suivant que tu les juges adaptées ou utiles à ton dessein, non pour que tu regimbes comme

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quod habeo in terra et he sunt diuitie et delitie mee quas his communico filiis hominum michi uera fide et sincero amore adherentium. Quia igitur michi iuratus es, in hac te mansione mea nunc constituo, has tibi diuitias et delitias meas hic propono, sciens eas presenti intentioni tue commodas. Tu igitur, ut dilectus, utere eis ut nosti intentioni tue conuenire uel expedire, non ut incrassatus, inpinguatus, dilatatus recalcitres ut olim dilectus, sed ut ille potius cui uinea facta est in cornu, in loco uberi. Hic experientia te docebit quicquid intentio tua presens exigit, hic quicquid ad opus sexti diei, id est ad ornatum terre microcosmi tui pertinet, inuenies. Hic animalia quecumque terra gignit munda et inmunda a se inuicem discernere poteris et uti his et illis prout tibi opus fuerit et uolueris.» Cumque hec dixisset, uisa est diuertere a me, me michi relinquens et omnia potestati mee tradens. Tunc ego accersitis ad me familiarius illis quos michi nuper commendauerat sociis, id est fiducia et uerecundia, cepi specialius cum illis agere de ea que nunc erat intentione mea, hoc est de ornatu terre microcosmi.

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〈185.〉 Qualiter facultas operandi accedat scienti et uolenti bonum His igitur fideliter michi assistentibus et per singula loca ad que me uertissem, uisendorum locorum gratia mecum deambulantibus ut aliqua nostre intentioni congrua disceremus, inuenimus diuersis in locis diuersas hominum multitudines, ordine, gradu, officio, etate, sexu differentes, diuersis quidem operibus insistentes, sed omnia in unum concorditer et facillime cooperantes. Cumque me illis miscuissem cooperaturus eis, paulatim michi cepit accedere facultas operandi quicquid sciebam aut uolebam. Que est tercia ex his gratiis quas supra longe distinxerimus ad tres dies ornatus microcosmi pertinentibus. Nam licet hactenus gratia sciendi et uolendi bonum michi aliquatenus affuissent, non tamen sic affuerat facultas operandi. Que utique, sicut hic experiendo didici, nonnisi per exercitium boni operis cum fiducia et uere-

22-23 incrassatus – dilectus] cf. Deut. 32, 15

23 uinea – cornu] Is. 5, 1

17 his] abest in G 1 ; hic add. in marg. G 2 |his S 3 22 incrassatus] iter. in marg. G 2 |incrassatus S 3 27 et 2 – uolueris] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 30 accersitis] accersitus Delhaye 32 specialius] spiritualiter Delhaye 185, 3-8 ut – eis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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quelqu’un qui aurait «engraissé, épaissi, grossi, tel celui qui fut jadis bien-aimé» mais plutôt comme celui pour qui «une vigne fut plantée sur un coteau, en un lieu fertile». Ici l’expérience t’enseignera tout ce que ton dessein présent exige. Ici, tu trouveras tout ce qui appartient à l’œuvre du sixième jour, c’est-à-dire à l’ornement de la terre de ton microcosme. Ici, tu pourras distinguer, parmi tous les animaux que la terre engendre, ceux qui sont purs ou impurs et les utiliser, les uns et les autres, suivant tes besoins et ta volonté.» Après avoir prononcé ces mots, elle parut s’éloigner de moi, m’abandonnant à moi-même et livrant tout à mon pouvoir. Quant à moi, ayant réuni plus intimement à moi les compagnons qu’elle venait de me confier, à savoir la confiance et la discrétion, je me mis à traiter plus particulièrement avec eux de ce qui était alors mon dessein, à savoir l’ornement de la terre du microcosme.

185. De quelle façon la faculté d’œuvrer vient à celui qui sait et qui veut le bien Ainsi, avec l’assistance fidèle de ces compagnons qui déambulaient avec moi en tous les lieux où je me dirigeais, à la faveur des lieux que nous avions à visiter afin d’apprendre certaines choses convenant à notre dessein, nous trouvâmes, en divers lieux, diverses foules d’hommes, différant en ordre, grade, fonction, âge, sexe, occupés en des ouvrages certes divers, mais coopérant en tout, tous ensemble, dans la concorde et une entente parfaite. En me mêlant à eux pour coopérer avec eux, peu à peu commença la faculté de mettre en œuvre tout ce que je savais ou voulais. C’est là la troisième de ces grâces, que nous avons parfaitement distinguées ci-dessus, comme appartenant aux trois jours de l’ornement du microcosme. Car, bien que jusque-là la grâce de savoir et de vouloir le bien m’ait assisté dans une certaine mesure, la faculté d’œuvrer ne m’avait pas autant assisté: or, comme je l’appris là par l’expérience, elle ne s’acquiert que par le seul exercice de l’œuvre bonne accomplie avec confiance et discrétion. Dans une âme discrète et timide en effet, même si cette grâce fait en quelque manière l’œuvre bonne, elle ne parvient cependant pas à la faculté d’accomplir l’œuvre bonne qui est l’ornement de la terre du microcosme. C’est pourquoi cette grâce, de même que nous l’avons apprise par un don de la reine charité, en en faisant l’expé-

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cundia facti comparatur. In uerecundia namque et meticulosa anima, etiamsi quoquomodo bonum opus facit, ad facultatem tamen boni operis non peruenit, que est ornatus terre microcosmi. Hanc itaque gratiam, sicut ex donatione regine caritatis experiendo didicimus, ita quoque aliis eam ministrare curabimus ut, quicquid ad perfectionem boni inspiratus aspirat, non id tantum scire et uelle sed et opere iugiter exercere satagat.

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〈186.〉 Notabis Deum in terra aliqua creasse quod non in aliis elementis Dixit ergo Deus: ‘Producat terra animam uiuentem’ etc. Notanda ualde est hic differentia huius dicti diuini ad illud dictum diuinum, quod longe superius dixit Deus de eadem terra: Germinet terra herbam uirentem et facientem semen, lignumque pomiferum faciens fructum iuxta genus suum. Hic autem dicit: Producat terra animam uiuentem in genere suo, iumenta, reptilia et bestias terre secundum species suas. Quid queso cause esse potest ut de una et eadem terra loquens, non eodem die nec eodem loco tam diuersa dixerit Deus et unius terre opera sic diuiserit, quod de nulla alia mundi creatura fecisse legitur, nisi quia nobis in misterio aliud significare uoluit, uidelicet quod in microcosmo, id est in mundo spirituali, naturalia que primum rationali spiritui creando indidit, longe a gratuitis que postea superaddidit et tempore distant et dignitate? Tempore, quia illa ab initio creati hominis, ista ab initio recreati. Dignitate, quia illa ad temporalis uite commodum, ista ad eterne uite meritum preparauit, ac per hoc quanto digniora sunt eterna temporalibus, tanto digniora sunt gratuita naturalibus. Iure igitur sic diuisa sunt in Scriptura que sic diuisa sunt in figura. Si quis autem scire uoluerit qualiter in superioribus naturalia significentur, recurrat ad ea que superius de his diximus. Non enim acta sed magis non acta nunc agemus. 186, 3 dixit – uiuentem] Gen. 1, 24 7-8 producat – suas] Gen. 1, 24 14 uerecundia] uerecunda Delhaye

5-7 germinet – suum] Gen. 1, 11

19 id] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |id S 3

186, 1 Deum] Dominum Delhaye 9 ut] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 una et] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |una et S 3 10 et – diuiserit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 11-13 nobis – spirituali] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 14 superaddidit] †……………………† add. G 1 ; eras. G 2 |superaddidit S 3 distant] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |distant S 3 15 hominis – recreati] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 18 diuisa] diuersa Delhaye 21 de his] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |de his S 3

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rience, de même nous veillerons à la procurer aussi aux autres, de sorte que quel que soit le désir de celui qui est poussé à accomplir le bien, il doit non seulement s’efforcer de le savoir et de le vouloir mais aussi de le mettre sans cesse à exécution.

186. Tu noteras que Dieu a créé sur la terre certaines choses qu’il n’a pas créées dans d’autres éléments «Or Dieu dit: ‘Que la terre produise des êtres vivants, etc.’» Il faut noter ici la grande différence entre cette parole divine et cette autre parole divine que Dieu prononça beaucoup plus haut, sur cette même terre: «Que la terre fasse pousser l’herbe verdoyante portant semence, l’arbre fruitier produisant du fruit selon son espèce». Cependant, ici, il dit: «Que la terre produise des êtres vivants, chacun selon son espèce, bestiaux, reptiles, bêtes de la terre selon leur espèce». Quelle peut être la raison, je vous prie, pour que Dieu, parlant d’une seule et même terre, mais non le même jour ni en un même lieu, ait dit des choses si différentes, ait différencié à ce point les œuvres d’une seule et même terre, ce qu’il n’a fait, à ce qu’on lit, pour aucune autre créature du monde? Sinon qu’il voulut nous laisser entendre autre chose dans le mystère, à savoir que dans le microcosme, c’est-à-dire dans le monde spirituel, les dons naturels, qu’il applique tout d’abord, en les créant, à l’esprit rationnel, sont très loin, par le temps et la dignité, des dons gratuits qu’il attribua en plus par la suite. Par le temps, parce qu’il disposa les dons naturels dès la création de l’homme, les dons gratuits dès sa re-création; par la dignité, parce qu’il disposa les premiers pour la commodité de la vie temporelle, les seconds pour l’accession à la vie éternelle, et ainsi, d’autant les éternels sont plus dignes que les temporels, d’autant les gratuits sont plus dignes que les naturels. C’est pourquoi ils sont justement aussi divers dans l’Écriture qu’ils sont divers dans les figures. Si quelqu’un veut cependant savoir de quelle façon les dons naturels sont signifiés dans les chapitres précédents, qu’il se reporte à ce que nous en avons dit plus haut. Occupons-nous maintenant, non de ce qui est fait mais plutôt de ce qui n’est pas fait.

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〈187.〉 De sex dictis Dei Videamus ergo quid sit Deo dicere: Producat terra animam uiuentem; quando hoc Deus dicat, que sit hec gratia que hoc dicente Deo terre confertur et que sit hec terra cui hec gratia confertur. Deo dicere: Producat terra animam uiuentem, est in Verbo sapientie sue predestinare opera meritoria uite in carne rationali spiritui personaliter unito carni. Quod, quia forsitan adhuc minus intelligibile est, libet in hoc nouissimo loco de sex dictis Dei que per sex dies premissos eum dixisse Scriptura commemorat aliqua diffusius agere, ut quod sexcies obscurius dictum est semel elucescat. Ex premissis enim habemus iam sexcies Deum dixisse: «Fiat hoc et fiat hoc», et «factum est ita» ut dixit. Quid est ergo sexcies eum dixisse, qui in eterno Verbo sapientie sue omnia semel dicit, sicut scriptum est: Qui uiuit in eternum creauit omnia simul? Sed semel dicit in eterno Verbo creanda disponendo que sexcies dicit in tempore creata distinguendo. Sic omnia simul creauit, qui creanda simul ab eterno disposuit, quamuis tamen hoc dictum congrue possit iuxta communem usum loquendi accipi. Solent enim dici ea simul fieri que continue fiunt donec perficiantur. Sic etenim opus unius anni quod continuo et sine intermissione fit, simul fit. Sic humano spiritui personaliter unito corpori, Deus creator utriusque ab eterno semel sua data uel dona conferenda disposuit, que per senariam distinctionem quasi per sex dies illi in tempore contulit, primum naturalia data per ternarium quasi per tres dies distincta, dehinc gratuita dona rursum per ternarium quasi per alios tres dies distincta. Et de naturalibus primum quidem fuit cum dixit: Fiat lux et facta est lux, secundum cum dixit: Fiat fîrmamentum in medio aquarum et diuidat aquas ab aquis et factum est ita, tercium cum dixit: Congregentur aque que sub celo sunt in locum unum et appareat arida, et factum est ita. In quibus, quomodo naturalia data Deus humano spiritui mixto corpori

187, 2 producat – uiuentem] Gen. 1, 24 11-12 fiat – hoc] cf. Gen. 1, 3 sqq. 14 qui uiuit – simul] Eccli. 18, 1 26-27 fiat – lux] Gen. 1, 3 27-28 fiat – ita] Gen. 1, 6-7 28-29 congregentur – ita] Gen. 1, 9 187, 2 ergo] †…† add. G 1 ; eras. G 2 |ergo S 3 3 dicat] †etiam …† add. G 1 ; eras. G 2 |dicat S 3 4 confertur] †…† add. G 1 ; eras. G 2 |confertur S 3 5 est] †……† add. G 1 ; eras. G 2 |est S 3 6 carne] †…† add. G 1 ;; eras. G 2 |carne S 3 rationali] rationalis G 1 |rationali S 3

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187. Des six paroles de Dieu Voyons donc ce que signifie pour Dieu de dire: «Que la terre produise des êtres vivants»; quand Dieu dit cela, quelle est cette grâce conférée à la terre par cette parole de Dieu, et quelle est cette terre à laquelle cette grâce est conférée? Que Dieu dise: «Que la terre produise des êtres vivants» signifie, dans son Verbe de sagesse, prédestiner les œuvres méritoires de la vie dans la chair à l’esprit rationnel personnellement uni à la chair. Et parce que, peut-être, cela est jusqu’ici peu compréhensible, nous voulons, dans le présent chapitre, traiter plus amplement des six paroles de Dieu dont l’Écriture rappelle qu’Il les a prononcées au cours des six jours susdits, et ce afin que ce qui fut dit six fois de façon assez obscure s’éclaire en une seule fois. Par ce qui précède nous savons déjà que Dieu a dit six fois: «Que ceci soit» et «Que cela soit», et cela s’est fait comme il l’a dit. Que signifie donc qu’Il l’ait dit six fois, lui qui, dans le Verbe éternel de sa sagesse, dit tout une seule fois, selon ce qui est écrit: «Celui qui vit éternellement créa tout simultanément»? Mais Il s’exprime une seule fois, en une parole éternelle, pour disposer les choses à créer, et s’exprime six fois dans le temps pour différencier les choses créées. Ainsi il créa toutes choses simultanément, lui qui disposa simultanément, de toute éternité, toutes choses à créer, bien que cette parole puisse à bon droit être acceptée selon la façon commune de parler. Car on a coutume de dire que ce qui se fait progressivement se fait en une seule fois, jusqu’à ce que cela s’achève. Ainsi, certes, l’œuvre d’une année, qui se fait continuellement et sans interruption, se fait en une seule fois. De même dans l’esprit humain personnellement uni au corps, Dieu, Créateur de l’un et de l’autre, disposa, en une seule fois de toute éternité les qualités naturelles et les dons à lui conférer, qu’il lui conféra dans le temps, répartis en six fois, comme au cours de six jours: tout d’abord les qualités naturelles, réparties en trois, comme au cours de trois jours; ensuite les dons gratuits, également répartis en trois, comme au cours de trois autres jours. Et ce fut la première des qualités naturelles, quand il dit: «Que la lumière soit, et la lumière fut»; la seconde, quand il dit: «Qu’il y ait un firmament au milieu des eaux et qu’il sépare les eaux d’avec les eaux, et il en fut ainsi»; la troisième, quand il dit: «Que les eaux qui sont sous le ciel se rassemblent en un seul lieu et que le sec apparaisse, et il en fut ainsi». Quelqu’un veut-il savoir en qui et comment Dieu conféra à l’esprit humain mêlé au corps les qualités naturelles, en y ajoutant quelques dons? Qu’il se reporte, ci-dessus, aux œuvres des trois premiers jours, et

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per incrementa quedam contulerit, si quis scire uoluerit, recurrat ad superiora trium primorum dierum opera et inueniet. Porro de gratuitis donis primum fuit cum quarto die dixit: Fiant luminaria firmamento celi ut luceant super terram etc., et factum est ita, secundum fuit cum quinto die dixit: Producant aque reptile anime uiuentis et uolatile super terram, et factum est ita. In quibus rursum quomodo gratuita dona Deus humano spiritui constituto in carne naturalibus superaddiderit, qui nosse cupit ad quarti et quinti diei opera recurrat et inuenire poterit. Tercium autem est quod nunc sexto die dicit: Producat terra animam uiuentem, iumenta et reptilia et bestias etc., in quo quam gratiam Deus humano spiritui personaliter unito carni contulerit, nunc dicendum est.

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〈188.〉 Quid sit producere terram animam uiuentem Est autem hec gratia posse facere bonum que, precedentibus duabus addita, id est gratie sciendi et gratie uolendi bonum, perducit ad facultatem operandi que est perfectio boni. Neque enim sufficit scire et uelle bonum nisi accedat et posse. Quod cum accesserit et in opus redactum fuerit per boni operis exercitium, quod prius erat difficile tandem fit facillimum. Quod, quia per carnis instrumenta, sensualitas, que est humani spiritus in corpore constituti pars inferior, operatur, recte hec gratia terre microcosmi, id est sensualitati, attribuitur cum dicitur: Producat terra animam uiuentem. Quod est dicere: spiritus humanus iam habens gratiam sciendi et uolendi bonum, qui sunt quasi duo dies eius, accipiat et gratiam operandi, qui est quasi tercius dies eius, ut quod scit et quod uult bonum, per exterioris operis exercitium fiat ei aliquando facillimum, fiat et aliis in exemplum, et sic quasi triplici die illuminatus luceat non solum sibi et Deo intus, ut ante per gratiam sciendi et gratiam uolendi faciebat, uerum etiam et aliis foris per gratiam operandi, sicut in Euangelio precipit Dominus dicens: Luceant opera uestra bona coram hominibus ut uidentes glorificent patrem uestrum que in celis est. 33-34 fiant – ita] Gen. 1, 14-15 40 producat – bestias] Gen. 1, 24

35-36 producant – ita] Gen. 1, 20

188, 10 producat – uiuentem] Gen. 1, 24

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17-19 luceant – est] Matth. 5, 16

31 contulerit] contulit Delhaye 188, 15 et Deo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |et Deo S 3

16 et 2] abest in G 1 |et S 3

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il le trouvera. Ce fut ensuite le premier des dons gratuits quand il dit le quatrième jour: «Qu’il y ait des luminaires dans le firmament du ciel et qu’ils illuminent la terre, etc. … et il en fut ainsi»; le second, quand il dit le cinquième jour: «Que les eaux produisent un foisonnement d’êtres vivants et que les oiseaux volent au-dessus de la terre, et il en fut ainsi». Là aussi, si quelqu’un veut savoir en qui et comment Dieu surajouta, dans l’esprit humain constitué dans la chair, les dons gratuits aux naturels, qu’il se reporte aux œuvres des quatrième et cinquième jours, et il pourra le trouver. Mais le troisième est ce qu’il dit le sixième jour: «Que la terre produise des êtres vivants, bestiaux, reptiles, bêtes, etc.» en qui et quelle grâce Dieu conféra à l’esprit humain personnellement uni à la chair, c’est ce dont nous allons maintenant parler. 188. Que signifie «que la terre produise des êtres vivants» Or, c’est cette grâce de pouvoir faire le bien qui, ajoutée aux deux précédentes, c’est-à-dire à la grâce de savoir et à la grâce de vouloir le bien, conduit à la faculté d’agir, qui est l’accomplissement du bien. Car il ne suffit pas de savoir et vouloir le bien, il faut aussi parvenir à la faculté de le faire. Et quand on y parvient et que cela se traduit en acte, grâce à la pratique de l’œuvre bonne, ce qui auparavant était difficile finit par devenir très facile. Et parce que l’exercice des sens, qui est la partie inférieure de l’esprit humain établi dans le corps, réalise cela par les instruments de la chair, c’est à juste titre que cette grâce est attribuée à la terre du microcosme, c’est-à-dire aux sens, quand il est dit: «Que la terre produise des êtres vivants»; ce qui revient à dire que l’esprit humain possédant déjà la grâce de savoir et de vouloir le bien, qui sont en quelque sorte ses deux jours, reçoit la grâce d’agir, qui est comme son troisième jour, de sorte que le bien qu’il sait et qu’il veut, par la pratique de l’action extérieure, devienne pour lui très facile et devienne pour les autres un exemple. Ainsi, comme illuminé par un triple jour, il brille non seulement au-dedans pour lui-même et pour Dieu, comme il le faisait auparavant par la grâce de savoir et la grâce de vouloir, mais aussi audehors, pour les autres, par la grâce d’agir, comme le Seigneur l’enseigna dans l’Évangile, en disant: «Que vos bonnes œuvres brillent devant les hommes afin qu’en les voyant ils glorifient votre Père qui est dans les cieux».

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〈189.〉 Quare hec gratia dicatur anima uiuens de terra nata Hec autem gratia recte anima uiuens de terra nata dicitur, quia est opus meritorium uite ex sensualitate natum. Sicut enim bona uoluntas intus in spiritu ex bonis affectionibus quasi ex aquis nata est meritoria uite, sic et bonum opus ex sensualitate quasi ex terra natum et ipsum est meritorium uite, quod est anima uiuens in terra. Vbi queri potest inter hec duo: uoluntas bona scilicet et opus bonum in eodem homine et circa eandem rem sint unum meritum an diuersa merita? Vt si quis uoluntatem habeat dandi elemosinam propter Deum, ipsa uoluntas meritoria est; accedat opus uoluntati quod et ipsum meritorium est, sintne hec duo meritoria uel merita an unum? Quod si hec duo merita uel meritoria sunt, uidetur similiter esse in contrario, scilicet uoluntatem malam et opus malum in eodem et circa eandem rem duo esse peccata. Sed fortasse non sic est in inuio sicut in uia. Quomodocumque autem sit, nos hanc questionem tamquam minus ad nos pertinentem scolasticis disputationibus relinquimus, ad alia nostram conuertentes intentionem.

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〈190.〉 Quid sit quod additum est: «in genere suo» Viso igitur quid sit terram producere animam uiuentem, uideamus quid sit quod additum est: In genere suo. Neque enim frustra putanda est hec facta adiectio. Vnde cum nomine terre sensualitas hic significetur, querendum est cuius generis sit hec terra, id est sensualitas, que secundum genus suum producere iubetur animam uiuentem. Sed terra hec quartum elementum microcosmi est. Eius ergo nimirum generis est cuius ipsa quarta pars elementaris est. Microcosmus autem mundus spiritualis est, ipsa ergo genere et natura spiritualis est. Quid igitur est ipsam producere animam uiuentem secundum genus suum, nisi opus spirituale proferre quasi sui generis fructum? Et quidem Spiritu Dei imperante, qui ubi uult spirat, id facit. Sed per se id facere non posset, quia

190, 3 in – suo] cf. Gen. 1, 21

12 ubi – spirat] Ioh. 3, 8

189, 6 in terra] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in terra S 3

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189. Pourquoi cette grâce est dite «âme vivante née de la terre» Cette grâce, en effet, est appelée à juste titre «âme vivante née de la terre» parce qu’elle est l’œuvre méritoire de la vie, née des sens. Car, de même que la bonne volonté, née des bonnes affections comme des eaux, à l’intérieur, dans l’esprit, est méritoire de la vie, de même l’œuvre bonne, née des sens comme de la terre, est-elle aussi méritoire de la vie, car elle est une âme vivante sur la terre. On peut donc poser cette alternative: la volonté bonne et l’œuvre bonne, dans le même homme et pour la même chose, constituent-elles un seul mérite ou des mérites différents? Ainsi, si quelqu’un a la volonté de donner une aumône pour Dieu, sa volonté en elle-même est méritoire; si l’œuvre, qui est méritoire elle aussi, s’ajoute à la volonté, sont-elles toutes deux séparément ou méritoires ou formant mérite ou bien n’en font-elles qu’un seul? Que si elles sont deux mérites ou méritoires séparément, il en va, semble-t-il, de même pour le contraire, à savoir que la volonté mauvaise et l’œuvre mauvaise dans le même homme et pour la même chose sont deux péchés distincts; mais peut-être n’en va-t-il pas de même en un lieu impraticable et sur la route. Mais quoi qu’il en soit, nous laissons cette question, qui ne relève pas de notre sujet, aux discussions d’école et orientons notre propos vers d’autres recherches. 190. Que signifie ce qui est ajouté: «selon son espèce» Ainsi, après avoir vu ce que signifie que la terre produise des êtres vivants, voyons ce que signifie ce qui est ajouté: «selon son espèce»; car ce n’est pas pour rien que cette adjonction a été faite. Donc, comme les sens sont ici désignés par le nom de «terre», il faut se demander de quel genre est cette terre – c’est-à-dire les sens – à laquelle il est commandé de produire des êtres vivants selon leur espèce. Or cette terre est le quatrième élément du microcosme. Elle est donc évidemment de l’espèce de celui dont elle est la quatrième partie élémentaire. Or, le microcosme est le monde spirituel: elle est donc spirituelle par espèce et par nature. Que signifie donc qu’elle produise des êtres vivants selon leur espèce, sinon qu’elle engendre l’œuvre spirituelle comme étant en quelque sorte le fruit de son espèce? Et sur l’ordre de l’Esprit de Dieu, qui souffle où il veut, elle l’accomplit. Mais elle ne pourrait pas le faire par elle-même parce que ne pourrait le faire par lui-même l’esprit humain, si grand soitil, dont elle-même est comme la partie inférieure en raison de la corruption du récipient dans lequel il est répandu. Combien moins les sens qui adhèrent au fond de ce récipient, comme sans intermédiaire. En outre,

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nec totus spiritus humanus cuius ipsa quasi pars inferior est propter corruptionem uasis cui infusus est, id per se facere posset, quanto magis nec sensualitas que quasi sine medio uasis huius fundo adhesit. Relique etenim tres anime uires sensualitatem mediam inter se et carnem habent, ipsa autem sensualitas nichil inter se et carnem medium habet. Vnde plerumque contingit ut destituta Spiritu Dei quasi tota caro fiat et, a suo genere degenerans, inmunda animalia gignat, ac per hoc non solum se sed etiam totum genus suum degenerare faciat. Hec est Eua que Adam seducit, caro que spiritum corrumpit, mulier que uirum euirat, terra que spinas et tribulos germinat, nisi aliquando Spiritus Dei dicat: Producat terra animam uiuentem in genere suo.

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〈191.〉 Quo ordine Spiritus Dei hanc gratiam conferat Hoc autem Spiritus Dei tali ordine facit. Primum expellit ab ea inordinatum amorem carnis ex quo spinas et tribulos germinat. Tunc inmittit ei ordinatum amorem carnis quasi custodem et cultorem ipsius. Qui ueniens condescendit quidem carni non ut cum ea deorsum uergat sed ut eam sursum trahat. Condescendit inquam usque ad sensualitatem a qua primum eliminat quicquid ibi inuenit indisciplinatum. Nam eius auertit oculos ne uideant uanitatem, aut si quid aliud genus mortis per oculorum fenestras intrat, obturat aures ne hauriant uenena detractionis, aut si quid aliud genus ueneni anime mortiferi per illum subintrat aditum, manus ab illicito tactu pedes ab inordinato discursu reuocat. Sic olfactus sic gustus instrumenta castigat. Sic denique omnium membrorum corporis inconpositos motus refrenat. Sic eliminatis uiciosis carnis motibus a sensualitate quasi spinis et tribulis a terra eradicatis, nimirum fit ydonea terra hec ad producendum non solum herbam uirentem aut lignum pomiferum, ut supra, uerum 13-15 pars – adhesit] Tertullien, Adversus Marcionem, V, 14 (CCSL 1, p. 699, l. 1925); Lactance, Divinae institut., VII, xii, 21 (CSEL 19, p. 622, l. 13-16) 2122 terra – germinat] cf. Gen. 3, 18 22-23 producat – suo] Gen. 1, 24 191, 3 spinas – germinat] Gen. 3, 18 16 herbam – pomiferum] Gen. 1, 12

8 auertit – uanitatem] Ps. 118, 37

190, 13 quasi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quasi S 3 add. in marg. S 4

16-17 et – se] G 1 |om. S 3 ;

191, 7 eius] abest in G 1 |eius S 3 9 obturat] obruat Delhaye cessu Delhaye 13 corporis] abest in G 1 |corporis S 3

11 discursu] dis-

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les trois autres forces de l’âme ont les sens comme intermédiaire entre elles-mêmes et la chair, mais les sens, eux, n’ont aucun intermédiaire entre eux-mêmes et la chair; d’où il arrive le plus souvent qu’abandonnés par l’Esprit de Dieu ils deviennent totalement chair et, dégénérant au regard de leur espèce, ils engendrent des animaux impurs et, par là, ils font dégénérer non seulement eux-mêmes mais toute leur espèce. C’est elle, Êve qui séduit Adam, la chair qui corrompt l’esprit, la femme qui dénature l’homme, «la terre qui produit épines et chardons», à moins que l’Esprit de Dieu ne dise un jour: «Que la terre produise des êtres vivants selon leur espèce». 191. Dans quel ordre l’Esprit de Dieu confère cette grâce Voici l’ordre dans lequel l’Esprit de Dieu fait cela. Tout d’abord il expulse de cette terre l’amour désordonné de la chair qui fait pousser épines et chardons, puis il lui insuffle l’amour ordonné de la chair, comme son gardien et son formateur. Il vient et condescend, certes, à la chair, non pour s’incliner avec elle vers le bas mais pour la tirer vers le haut. Il s’abaisse, dis-je, jusqu’aux sens, desquels il élimine tout d’abord tout ce qu’il y trouve d’indiscipliné, car «il détourne leurs regards pour qu’ils ne voient pas la vanité», ou si quelque autre genre de mort entre par les fenêtres des yeux, il bouche les oreilles pour qu’elles ne puisent pas le venin de la dépréciation, ou si quelque autre genre de venin mortifère pour l’âme s’introduit par cet accès, il repousse les mains du toucher illicite, les pieds d’une agitation désordonnée. De la même façon il corrige les organes de l’odorat et du goût. Enfin il refrène de la même manière les mouvements désordonnés de tous les membres. Ainsi, les mouvements vicieux de la chair une fois éliminés des sens, comme les épines et les chardons arrachés de la terre, cette terre devient assurément capable de produire non seulement «de l’herbe verdoyante» ou «des arbres fruitiers», comme cela a été dit plus haut, mais aussi «des êtres vivants selon leur espèce». Car les dons naturels ne sont pas éliminés mais favorisés par la survenue de la grâce, ainsi qu’on a dit plus haut. Le mouvement des yeux, qui est naturel, détourné de la vanité par la grâce de l’amour ordonné, est tourné vers la vertu, l’ouïe des oreilles vers la vérité, les mains vers la charité, les pieds vers la gravité. Ainsi les organes de chaque sens, les fonctions naturelles de chaque membre, recevant en eux, sur l’ordre de l’Esprit de Dieu, la forme et la vie de l’amour ordonné, peuvent produire «des êtres vivants»,

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etiam animam uiuentem in genere suo. Naturalia enim a superueniente gratia non eliminantur sed adiuuantur, ut supra dictum est. Nam oculorum motus, qui naturalis est, per ordinati amoris gratiam auersus a uanitate, conuertitur ad uirtutem, aurium auditus ad ueritatem, manus ad caritatem, pedes ad grauitatem. Sic singulorum sensuum instrumenta, sic singulorum membrorum officia naturalia, ad inperium Spiritus Dei ordinati amoris formam in se suscipientia et uitam, producant animam uiuentem id est opera uiuentia, ita ut iam sint in terra tot anime uiuentes quot sunt humani corporis partes ad sensualitatem pertinentes, et hec omnia in genere suo, sensualitatis scilicet, ut sicut ipsa tota foris est lucens luce Spiritus quo informatur, ita eius tota foris opera sint eadem luce lucentia coram hominibus. Neque enim nunc de interioris hominis operibus agimus, de quibus supra satis actum est, sed de exterioris hominis extrinsecis operibus corporaliter exhibitis et corporaliter apparentibus. Que tamen omnia sunt nichilominus spiritualia et ad genus spiritus pertinentia, quia et Spiritu Dei uiuunt et operantibus se conferunt uitam spiritualem potius quam corporalem.

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〈192.〉 Que sint tres species anime uiuentis in terra Cumque tot sint species anime uiuentis in hac terra, tres tantum species eius commemorat subiungens et dicens: Iumenta, reptilia, bestias terre secundum species suas. Differentias operum meritoriorum his nominibus significat. Non quod non sint plures, sed enumerando quasdam plures reliquit intelligendas. Sed que sunt uel iste? Puto his tribus uocabulis animarum uiuentium nobis insinuari tria excellentia genera operum meritoriorum corporaliter exhibitorum uel exhibendorum. Quorum primum quasi domesticum animal nomine ‘iumenti’ significatur eo quod ipsum familiarius nobis subseruiat, id est opus caritatis; secundum uero nomine ‘reptilis’ eo quod ipsum deuotius nobis sub17 animam – suo] Gen. 1, 24 23-24 animam uiuentem] cf. supra 14 suo] cf. supra 14 28 coram hominibus] Matth. 10, 32

26 in –

192, 3-4 iumenta – suas] Gen. 1, 24 26-27 est – foris] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4 eius tota foris G 1 |ita eius tota foris opera S 3 marg. G 5 192, 6 sunt] sint Delhaye

ita eius tota foris opera] ita opera 27 opera] G 1 |om. S 4 ; add. in

7 genera] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |genera S 3

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c’est-à-dire des œuvres vivantes, en sorte qu’il y ait désormais sur terre autant d’êtres vivants qu’il y a de parties du corps humain appartenant aux sens, et toutes selon leur espèce, à savoir celle des sens, et que, de même que les sens eux-mêmes sont totalement extérieurs, brillant de la lumière de l’esprit dont ils sont façonnés, de même toutes leurs œuvres extérieures brillent de cette même lumière devant les hommes. Cependant, nous ne traitons pas ici des œuvres de l’homme intérieur dont nous avons suffisamment parlé plus haut, mais des œuvres extrinsèques de l’homme extérieur qui se manifestent corporellement et corporellement apparentes, lesquelles sont néanmoins toutes spirituelles et appartenant à l’espèce de l’esprit parce qu’elles vivent de l’Esprit de Dieu et confèrent à ceux qui les pratiquent la vie spirituelle plutôt que corporelle.

192. Quelles sont les trois espèces d’êtres vivants sur la terre Alors qu’il y a tant d’êtres vivants sur cette terre, il n’en mentionne que trois en ajoutant «bestiaux, reptiles, bêtes de la terre selon leur espèce»: il signifie par ces noms la diversité des œuvres méritoires. Non qu’elles ne soient pas nombreuses, mais en en citant quelques-unes il en sous-entend beaucoup. Mais même celles-là, quelles sont-elles? Je pense que par ces trois noms d’êtres vivants, nous sont données à comprendre les trois espèces excellentes d’œuvres méritoires qui se manifestent ou doivent se manifester corporellement. Le premier des trois désigne, sous le nom de «bestiaux», une sorte d’animal domestique, pour la raison qu’il nous sert de façon plus familière: c’est l’œuvre de charité; le second, sous le nom de «reptile», du fait qu’il nous sert de façon plus dévouée: c’est l’œuvre d’humilité; le troisième sous le nom de «bête», parce qu’il nous sert de façon plus vigoureuse. Et en vérité, les hommes saints sont tellement parfaits dans les œuvres de vertu qu’il leur est facile, autant qu’ils le peuvent, d’accomplir toute œuvre de vertu, en fonction des circonstances: ils se ceignent tantôt plus familièrement pour toute œuvre de charité, tantôt avec plus de dévouement pour toute œuvre d’humilité, tantôt avec plus d’énergie pour toute œuvre de force, et suivant ce qui leur semble utile, ils se servent en quelque sorte des animaux purs de

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seruiat, id est opus humilitatis; tercium nomine ‘bestie’ eo quod ipsum fortius nobis subseruiat. Sancti namque uiri eo usque perfecti in operibus uirtutum ut facile eis sit, quantum in ipsis est, omne opus uirtutis implere pro diuersarum exigentia circumstantiarum, nunc familiarius ad omne opus caritatis, nunc deuotius ad omne opus humilitatis, nunc fortius ad omne opus fortitudinis accinguntur, et quasi huius terre sue mundis animalibus, ut sibi opus esse uiderint, utuntur. Quod si qua in eis inmunda animalia sint, et ipsa prudenter a mundis discernere et eis uti pro commodo suo optime norunt, ita ut nonnunquam bonus usus mali cedat eis in bonum, eque sicut bonus usus boni.

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〈193.〉 Nota Apostolum contra carnis stimulum qui sibi inerat humilitate accingi, ne magnitudine reuelationum extolleretur Sic Apostolus stimulo carnis in hac terra sua nato et diu duranti tam prudenter usus est, ut inmundum animal, quod cuilibet alteri in cuius terra id uiueret potuisset esse causa defectus a bono, ei potius fieret occasio profectus in bono. Nam contra hoc inmundum reptile quod ad exercendum eum Dominus in terra eius nasci et uiuere permisit, adiuuante gratia natum est ei in eadem terra mundum reptile, scilicet opus et exercitium humilitatis quo, non solum mente coram Deo factus est humilior et deuocior seruus, uerum etiam habitu et actu, et professione uocis exterius humilians se et quasi repens in terra animal, non erubesceret infirmitatem suam profiteri, quam infiniti alii metu despectus sui aut extenuant aut omnino celant, ne apud homines uiles fiant.

193, 1-2 stimulum – extolleretur] cf. II Cor. 12, 7 16 omne] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |omne S 3 omne opus S 4 18 uiderint] uiderunt Delhaye haye

3 stimulo carnis] cf. 1-2

17 omne opus] G 1 |opus omne S 3 ; 20 nonnunquam] nunquam Del-

193, 7 Dominus] Deus Delhaye 8 ei] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ei S 3 9 Deo] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |Deo S 3 11 exterius] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |exterius S 3

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cette terre qui est la leur. Et s’il y a en eux des animaux impurs, ils savent aussi avec sagesse les distinguer de ceux qui sont purs et les utiliser au mieux suivant leurs besoins, de sorte que parfois un bon usage du mal tourne pour eux en bien, de la même façon que le bon usage du bien.

193. Note que l’Apôtre se ceint d’humilité contre l’aiguillon de la chair qui était en lui, afin de ne pas être arraché à la grandeur des révélations Ainsi l’Apôtre s’est-il servi avec tant de sagesse de l’aiguillon de la chair né dans sa terre et persistant, que l’animal impur, qui pour n’importe qui d’autre, dans la terre de qui il vivait, aurait pu causer un défaut de bien, devenait pour lui plutôt un progrès dans le bien. Car contre ce reptile impur que Dieu permit qu’il naisse et vive sur sa terre pour le mettre à l’épreuve, avec l’aide de la grâce il lui est né dans cette même terre un reptile pur, c’est-à-dire l’œuvre et l’exercice de l’humilité par lequel non seulement il est devenu en esprit, devant le Seigneur, un serviteur plus humble et plus dévoué, mais aussi, tel un animal rampant sur la terre, s’humiliant au dehors par le comportement, les actes et l’exercice de la parole, il n’aurait pas honte d’avouer sa faiblesse, que beaucoup d’autres, de peur de s’abaisser, amoindriraient ou cacheraient complètement pour ne pas passer pour vils auprès des hommes.

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〈194.〉 Iob contra inpaciencie stimulum, ne sibi inesset, opere fortitudinis accingitur Sic beatus Iob est traditus a Domino temptandus, Inimico petenti eum sibi tradi, dicente Domino: Ecce in manu tua est, ueruntamen animam eius serua. Noluit enim Dominus uel corporaliter eum deficere sub manu inimici nedum spiritualiter, sciens eum inter flagella robustiorem futurum. Inimicus autem, de hoc ipso letior quod non acceperat potestatem occidendi eum corporaliter, estimabat se tanto grauius eum occisurum spiritualiter anime illius potius quam corporis affectans mortem. Ad hoc enim omnibus modis tendebat ut spiritum eius inpatientie uelud inmani et inmunde bestie deuorandum traderet, nunc in substantiam, nunc in familiam, nunc in carnem eius ita callide seuiens, ut nec eum uellet uitam corporalem finire, sed spiritum potius inter inmania et longa tormenta deficere. At ille e contra Spiritu Dei roboratus, inmani bestie sed inmunde inmaniorem bestiam sed mundam opposuit, uirtute fortitudinis intus foris autem opere et exercicio eiusdem se muniens, et ita uiriliter omnem illius impetum facile repellens. Quid enim aliud sunt omnia uerba eius quibus uel inimicum uel uxorem uel tres amicos suos se rodentes remomordit, quam quasi quidam dentes bestie munde remordentis inmundam bestiam se rodentem?

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〈195.〉 Quod caritas semper et in habitu et in actu habenda sit nisi facultas desit His de reptili et bestia huius terre breuiter exempli gratia dictis, de iumentis eiusdem nunc aliqua nobis latius dicenda sunt. Ipsa enim non solum ornant hanc terram numerositate et uarietate sua sed et usu suo cotidiano multa illi commoda afferunt, quod neque reptilia neque bestie faciunt. Nam, licet uirtus humilitatis et uirtus fortitudinis et cetere uirtutes tanquam habitus animi bene dispositi semper intus in animo 194, 4-5 ecce – serua] Iob 2, 6 194, 4 tua] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |tua S 3 sint Delhaye 195, 5 suo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |suo S 3

5 enim] G 1 |eum S 3

17 sunt]

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194. Job, pour que l’aiguillon de l’impatience ne s’installe pas en lui, se ceint de l’œuvre de courage Ainsi le bienheureux Job fut livré par le Seigneur à la tentation, le Seigneur disant à l’Ennemi qui demandait qu’il lui soit livré: «Voici qu’il est en ta main; cependant préserve son âme». Car le Seigneur ne voulut pas que sous la main de l’Ennemi il ne lui fasse défaut, ni corporellement ni encore moins spirituellement, sachant que sous les coups il serait plus fort. Mais l’Ennemi, se réjouissant davantage de ne pas avoir reçu le pouvoir de le tuer corporellement, pensait qu’il le tuerait d’autant mieux spirituellement en infligeant la mort à son âme plutôt qu’à son corps. Car il s’efforçait par tous les moyens de livrer son esprit à l’impatience comme à une bête monstrueuse et immonde qui le dévorerait, sévissant avec une ardeur d’autant plus grande tantôt dans ses biens, tantôt dans sa famille, tantôt dans sa chair qu’il ne voulait pas détruire sa vie corporelle mais plutôt plonger son esprit dans des tourments cruels et infinis. Mais lui, au contraire, conforté par l’Esprit de Dieu, opposa à la bête monstrueuse mais impure, une bête plus monstrueuse mais pure, s’armant intérieurement de la vertu de courage mais extérieurement de la mise en œuvre et de l’exercice de cette même vertu, et repoussant ainsi facilement avec force tout assaut de la première. Que sont en effet toutes ses paroles, dans lesquelles il s’en prend soit à son Ennemi, soit à la femme, soit à ses trois amis qui le tourmentent, sinon comme des dents de la bête pure mordant la bête impure qui la tourmente? 195. Que la charité doit être toujours observée et dans la disposition intérieure et dans l’action, à moins que la faculté ne manque Après avoir parlé brièvement et par l’exemple du reptile et de la bête de cette terre, il nous faut maintenant nous arrêter un peu plus longuement sur ses animaux domestiques. Ceux-là en effet non seulement ornent cette terre par leur nombre et leur variété, mais ils lui offrent aussi, par leur utilisation quotidienne, beaucoup de commodités, ce que ne font ni les reptiles ni les bêtes. Car bien que la vertu d’humilité, la vertu de courage et les autres vertus, en tant qu’attitude de l’esprit bien disposé, soient toujours nécessaires, à l’intérieur, dans l’esprit, leur action, qui est extérieure et non intérieure, n’est pas toujours aussi nécessaire mais se manifeste à l’extérieur suivant l’occasion et le moment. La charité, au contraire, doit toujours être présente, et dans la disposition intérieure et dans l’action, à moins que la faculté ne manque. C’est pourquoi son œuvre est à juste titre désignée par le nom de jumentum parce

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necessarii sint, actus eorum tamen, qui foris non intus est, non sic semper necessarius est sed pro causa et tempore se foris ostendit. Caritas autem et in habitu et in actu semper esse debet nisi facultas desit. Vnde et opus eius recte iumenti nomine designatur quia, sicut iumentum a iuuando quasi iuuamentum dicitur eo quod nos in hac uita corporali sustentanda iuuet, sic et opus caritatis nos ad sustendendam uitam spiritus adiuuat usque adeo ut spiritus humanus uita spirituali sine eo omnino uiuere non possit.

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〈196.〉 Distinctio iumentorum huius terre per species suas Quod ut manifestius fiat, distinguamus hic diligentius iumenta huius terre per species suas. Vbi primum, secundum literam, notandum est quod Scriptura iumenti nomine hic inproprie usa est. Nam iumenta proprie maiora domestica animalia dicuntur, pecora minora. Hic autem tam minora quam maiora nomine iumentorum designantur, alioquin ubi pecora Deus creauerit, non hic potest inueniri. Itaque sicut iumenta, alia sunt minora alia maiora, utraque tamen domestica animalia, sic nimirum sic et caritatis opera, alia sunt minora alia maiora, utraque tamen spiritualis uite uel ornatui uel sustentationi familiariter necessaria. Minora sunt opera innocentis uite que per oues significantur. Maiora sunt opera laboriose uite que per boues designantur. Sunt namque nonnulli homines ouine innocentie formam in exteriori conuersatione sua pretendentes, simplices, dulces, tractabiles, a malo declinantes, mortalia peccata cauentes, neminem ledentes, neminem offendentes, neminem calumpniantes, de interiori et exteriori substantia sua tanquam de lacte et lana sua uictum et uestitum indigentibus 195, 12 iumenti nomine] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 973D-974A) 196, 11-12 maiora – boues] cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, II, xxx, 49 (CCSL 143, p. 88, l. 5-6); Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 876C); Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, III, 7 (PL 193, 95B) 13 ouine innocentie] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 115A); Garnier de SaintVictor, Gregorianum, III, 14 (PL 193, 105C) 9 eorum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |eorum S 3 sup. l. G 2 |sicut S 3 15 adiuuat] aduivat Delhaye

12 sicut] abest in G 1 ; add.

196, 6 designantur] G 1 |desingnantur S 3 ; designantur S 4 7 hic] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |hic S 3 17 sua] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sua S 3

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que, de même que le jumentum est appelé en quelque sorte juvamentum, de iuvandum, du fait qu’il nous aide à nous soutenir dans cette vie corporelle, de même l’œuvre de charité nous aide à soutenir la vie de l’esprit, au point que l’esprit humain ne peut absolument pas vivre de vie spirituelle sans cette œuvre.

196. Différence entre les animaux domestiques de cette terre, suivant leur espèce Pour que cela devienne plus clair, distinguons ici avec plus d’attention les animaux domestiques de cette terre suivant leur espèce. Et là il faut tout d’abord noter, suivant la lettre, que l’Écriture a ici employé improprement le nom de jumentum. Car sont appelés jumenta les seuls animaux domestiques de grande taille; les plus petits sont dits «bétail». Ici au contraire sont appelés jumenta les animaux domestiques tant de grande que de petite taille: au demeurant, on ne peut savoir ici quand Dieu créa le bétail. C’est pourquoi, de même que les jumenta sont petits pour les uns, grands pour les autres, mais que les uns comme les autres sont des animaux domestiques, de même, assurément, les œuvres de la charité aussi sont mineures pour les unes, majeures pour les autres, mais les unes comme les autres sont familièrement nécessaires ou à l’ornement ou au soutien de la vie spirituelle. Les œuvres mineures sont celles de la vie innocente, symbolisées par les brebis; les majeures sont les œuvres de la vie laborieuse, symbolisées par les bœufs. Certains hommes, en effet, manifestent dans leur comportement extérieur une certaine forme de l’innocence de l’agneau, simples, doux, dociles, évitant le mal, se gardant des péchés mortels, ne blessant personne, n’offensant personne, ne calomniant personne, offrant aux indigents nourriture et vêtement en prenant sur leurs subsistance intérieure et extérieure comme sur leurs réserve de lait et de laine, ne prétendant cependant rien faire avec effort, respectant certes les préceptes communs mais, soit par la fragilité du corps, soit par la pusillanimité du cœur, n’osant entreprendre rien de pénible, rien de difficile sur la voie de Dieu, et cependant, par ces œuvres d’innocence, non seulement ils s’acquièrent le salut mais aussi ils procurent à l’Église universelle de Dieu beaucoup de bienfaits et beaucoup d’ornement. Ce sont là les brebis dont on lit que

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prestantes, nichil tamen laboriosi operis agere preualentes, communia quidem precepta seruantes, sed uel pre teneritudine corporis uel pusillanimitate cordis nichil arduum nichil artum in uia Dei aggredi presumentes, et tamen per hec innocentie opera non solum salutem sibi comparant, sed etiam uniuerse Dei Ecclesie multa commoda et multum ornatum prestant. He sunt pecora quibus uir ille simplex et rectus legitur habundasse et ex huiusmodi substancie habundantia multa aliis beneficia prestitisse. Sunt item nonnulli homines in exteriori conuersatione sua laboriose uite exercitio boum formam preferentes, robusto corpore et corde omnem laborem ferre preualentes, alieno se iugo sponte subicientes, terram excolentes, alieno uictui frumenta parantes, et ipsi paleas comedentes. Hec sunt ut arbitror opera fortia uirorum forcium Domini se iugo ex magna caritate subicientium, terrena corda fortiter euertentium et aut uocatione predicationis aut aliis quibusque fortibus et exemplaribus actionibus suis excolentium et bonorum operum frugibus reddendis aptantium. Qui etiam laboribus suis corporalibus animas egentium corporaliter reficiunt, seipsos autem ieiuniis et durissima maceratione carnis affligentes, uilissimis quibusque quasi boues paleis corporaliter pascunt, sibi parci, aliis largi, sibi graues, aliis suaues. Quid queso talium conuersatio tam laboriosa, nisi boum tibi figuram pretendit?

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〈197.〉 Alia significatio iumentorum huius terre Possumus adhuc alio modo hec iumenta, spiritualis uite iuuamenta forinseca, per tres species distinguere, secundum tres ordinatos amores de quibus supra nonnulla diximus. Nam sicut intus in anima sunt tres iste ordinate affectiones quibus interior homo ornatur, id est ordinatus amor carnis nostre, ordinatus amor nostri, ordinatus amor proximi, ut

23 uir – legitur] cf. Iob 1, 3 32 uocatione predicationis] cf. Garnier de SaintVictor, Gregorianum, III, 7 (PL 193, 94C) 20 in – Dei] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 21 hec] hoc Delhaye 22 comparant] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |comparant S 3 26 exteriori] G 1 | exteriore S 3 ; exteriori S 4 30 domini] G 1 |om. S 3 ; domini S 4 32 quibusque] et add. G 1 |quibusque S 3 197, 2 iumenta] id est add. G 1 |om. S 3 2-3 spiritualis – forinseca] add. sup. l. S 4 iuuamenta forinseca] forinseca iuuamenta G 1 |iuuamenta forinseca S 3 5 iste] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |iste S 3

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«cet homme simple et droit» fut pourvu en abondance et apporta aux autres, de l’abondance de ces biens, de nombreux bienfaits. Il y a aussi des hommes qui, par leur comportement extérieur et la pratique des durs travaux de la vie, présentent l’aspect de bœufs, sont capables, grâce à la robustesse de leur corps et de leur cœur, de supporter toutes sortes de travaux, se soumettent spontanément au joug étranger, travaillent la terre, cultivent les grains pour la nourriture d’autrui, euxmêmes mangeant la paille. Ce sont là, je pense, les œuvres fortes des hommes forts qui se soumettent par une grande charité au joug du Seigneur, retournant avec force les cœurs terrestres, les cultivant soit par la vocation à la prédication, soit par toute autre action forte et exemplaire, et les rendant aptes à rendre abondance de bienfaits. Ce sont eux aussi qui réconfortent corporellement l’âme des faibles par leurs travaux corporels, et s’imposant à eux-mêmes des jeûnes et une très dure macération de la chair, paissent corporellement, presque comme des bœufs, toutes sortes de pailles les plus viles, sobres pour eux-mêmes, généreux pour les autres, austères pour eux-mêmes, doux pour les autres. Que t’inspire, je te prie, l’activité si laborieuse de tels hommes, sinon l’image de bœufs?

197. Autre signification des jumenta de cette terre Nous pouvons maintenant diviser d’une autre façon ces jumenta, secours extérieurs de la vie spirituelle, suivant trois espèces, d’après les trois sortes d’amour ordonné dont nous avons un peu parlé plus haut. Car, de même qu’il y a à l’intérieur, dans l’âme, ces trois affections ordonnées dont l’homme intérieur est orné – à savoir l’amour ordonné de notre chair, l’amour ordonné de nous-mêmes, l’amour ordonné du prochain, comme on l’a dit ci-dessus – ainsi il est assurément nécessaire qu’il y ait trois effets, à l’extérieur, de ces affections c’est-à-dire les trois œuvres de charité dont l’homme extérieur est orné: l’œuvre de charité que par l’amour ordonné nous nous devons à nous-mêmes, l’œuvre de charité que nous accordons à notre chair, l’œuvre de charité que par l’amour ordonné nous devons aux prochains. Et chacun d’eux s’exerce doublement quand, soit nous aidons notre chair par l’amour ordonné, dans les nécessités, afin que notre jumentum ne croule pas sous le poids, soit nous lui soustrayons ce qui est inutile et nocif, afin qu’il ne se précipite pas dans les vices et ne se putréfie comme une bête vile dans ses propres déjec-

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supra dictum est, sic nimirum foris esse necesse est tres ordinatos effectus eorum, id est tria caritatis opera quibus exterior homo ornatur, id est opus caritatis quod ex ordinato amore nobismetipsis exhibemus, opus caritatis quod ex ordinato amore carni nostre inpendimus, opus caritatis quod ex ordinato amore proximis debemus. Quorum quodlibet dupliciter exercetur dum uel carnem nostram ex ordinato amore in necessariis adiuuamus ne iumentum nostrum sub onere deficiat, uel eidem superflua et noxia subtrahimus ne in uitia proruat et tanquam uile iumentum in stercore suo conputrescat. Similiter nobismetipsis opus caritatis exhibemus dum bonum quod scimus, possumus et uolumus, saluti nostre intenti opere implemus. Quod autem nondum scimus aut non possumus, omni studio nocte ac die forinseca actione satagimus ut sciamus et possimus; e contrario autem malum quod scimus aut possumus operari omnimodis etiam forinseca actione declinamus ita ut, dum se uel occasio uel oportunitas id faciendi temptante nos inimico ingerit, etiam corporaliter nos ab eo longe faciamus. Sed et proximo quoque opus caritatis inpendimus, dum ex ordinato amore quem illi debemus, necessaria illi ministramus superflua uel noxia subtrahimus etiam nolenti, etiam reluctanti, etiam occidenti nos. Nam et uitam temporalem pro proximo libenter inpendere debemus, ut ei uitam eternam comparemus. Vnde enim fortis ut mors comprobatur dilectio nisi, dum moriendo pro alio, fortiter ostendit in effectu quod habet intus in affectu.

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〈198.〉 Alia significatio de uarietate iumentorum huius terre Multa nobis adhuc de uarietate horum iumentorum terram hanc iuuantium et ornantium dicenda suppetunt, que fortasse non expedit sub silentio preteriri. Nam sicut uaria sunt humane uite temptamenta, ut uir ille simplex et rectus qui ea per experientiam didicit testatur dicens: Temptatio est uita hominis super terram, sic nimirum necesse est in ea-

197, 27-28 fortis – dilectio] Cant. 8, 6 198, 6 temptatio – terram] cf. Iob 7, 1 9-10 nobismetipsis – inpendimus] carni nostre impendimus opus caritatis quod ex ordinato amore nobismetipsis exhibemus G 1 |habet S 3 198, 1 significatio] assignatio G 1 |significatio S 3 4 sicut] sic G 1 ; sicut G 2 | S 3 6 est] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |est S 3 sic] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sic S 3

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tions. Semblablement nous prodiguons à nous-mêmes l’œuvre de charité quand le bien que nous connaissons, pouvons et voulons, tendus vers notre salut, nous l’accomplissons dans l’œuvre. Mais ce que nous ne savons ou ne pouvons pas encore, nous nous efforçons de tout notre pouvoir nuit et jour, dans l’action extérieure, de le savoir et le pouvoir; mais à l’inverse, le mal que nous connaissons ou pouvons accomplir, nous le refusons aussi de toutes les façons par l’action extérieure, de telle sorte que, quand l’occasion ou l’opportunité de l’accomplir se présente par la tentation de l’Ennemi, nous devons nous en écarter, même corporellement. Cependant, nous prodiguons aussi l’œuvre de charité envers le prochain quand, par l’amour ordonné que nous lui devons, nous lui procurons le nécessaire, nous lui soustrayons le superflu ou ce qui est nocif, même s’il refuse, même s’il se rebelle, même s’il nous tue. Car nous devons consacrer de bon gré notre vie temporelle au prochain afin de coopérer avec lui en vue de la vie éternelle. C’est pourquoi «l’amour» s’avère en effet «fort comme la mort» à condition qu’en mourant pour un autre il manifeste fortement dans l’acte ce qu’il ressent à l’intérieur, dans son âme.

198. Autre signification de la diversité des jumenta de cette terre Nous avons maintenant bien des choses à dire sur la diversité des jumenta qui servent et ornent cette terre et qu’il ne faut sans doute pas passer sous silence. Car de même que les épreuves de la vie humaine sont variées, comme «cet homme simple et droit» qui les apprit par l’expérience en témoigne par cette parole «La vie de l’homme sur la terre est une épreuve», ainsi il est assurément nécessaire que sur cette même terre où la vie de l’homme est soumise à l’épreuve, Dieu crée des jumenta, ou des auxiliaires pour l’aider afin qu’il ne soit pas découragé par tant de difficultés. La vie est en effet proche de la désolation, elle qui est soumise à des épreuves si multiples, à moins qu’il ne plaise à la seule miséricorde divine de l’aider par de tels secours. Ainsi, pour que l’on voit mieux quels sont ces épreuves et ces secours dont la vie de l’homme sur la terre, c’està-dire constitué en son état terrestre, est éprouvée d’une part, secourue d’autre part, opposons par antithèse ces épreuves et ces secours les uns

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dem terra super quam uita hominis sic temptatur, a Deo creari iumenta siue iuuamenta quibus adiuuetur ne tot temptacionibus desoletur. Proxima enim est desolationi que tam multiplici subiacet temptationi, nisi talibus eam iuuamentis adiuuari placeat soli diuine miserationi. Vt ergo melius uideantur hec temptamenta siue hec iuuamenta quibus uita hominis super terram, id est super terrenitatem suam constituti, hinc temptatur, hinc adiuuatur, per antithesim hec temptamenta et hec iuuamenta sibi contraponamus ut clarius hinc inde singula queque uideamus. Et ne longe huius rei exempla petamus, eundem uirum simplicem et rectum cuius nunc testimonio ad hoc ipsum usi sumus, in exemplum nobis proponamus.

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〈199.〉 Vtitur eius exemplo cuius usus est testimonio Traditus est Iob Sathane ad temptandum, et primum Sathanas eum dura percussione in exteriori substantia sua percussit dum iumenta, dum pecora, dum familiam eius dira morte consumpsit. Ecce temptatio extrinseca terram Iob desolans. Quid ille his opposuerit, notum est. Dominus inquit dedit, Dominus abstulit, sicut placuit Domino ita factum est, sit nomen Domini benedictum. Ego nunc huius sancti misteria indaganda non suscepi, ad Moralia beati Gregorii talium curiosum transmitto. Id michi solum considerare nunc libet quid uir iste simplex et rectus tam dure uerberatus tam duris uerberibus opponat, et foris quidem uerberabatur et foris erat quod uerberibus opponebatur. Sed cum hinc dira uerbera seuirent, que etiam usque ad intima cordis penetrare potuissent, inde simplicitatis et rectitudinis uerba tantum sonarent, plus in hostem multiplicem simplicia uerba quam in hominem simplicem multiplicia uerbera preualuerunt. Nam simplicis hominis uerba simplicia grauiter hostem uerberauerunt, sed hominem simplicem multiplicia uerbera multiplicis hostis in nullo penitus ledere potuerunt. Quinimmo corporalium iumentorum, pecorum familiarium dirus interitus, in terra simplicis hominis diuinitus adiuti, tantam copiam spiritualium iumen-

199, 5-7 Dominus – benedictum] Iob 1, 21 199, 2 est] om. G 1 ; add. sup. l. G 2 |est S 3 6 placuit domino] forinseca iuuamenta G 1 |iuuamenta forinseca S 3 10 uerberatus] uerberatur Delhaye 14 simplicia] talia G 1 ; canc. G 2 |simplicia S 3 multiplicia] talia G 1 ; canc. G 2 |multiplicia add. s. lin. G 2 |multiplicia S 3

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aux autres, afin de les voir plus clairement chacun, de part et d’autre. Et pour ne pas aller chercher loin des exemples en la matière, prenons comme exemple «cet homme simple et droit» dont nous avons cité à l’instant le témoignage sur ce sujet.

199. Il prend pour exemple celui qu’il a pris pour témoin Job fut livré à Satan pour être tenté, et Satan commença par le frapper très durement dans ses ressources extérieures quand, par une mort cruelle, il fit disparaître ses bestiaux, son bétail et sa famille. C’est là l’épreuve extérieure, qui désola la terre de Job. On sait comment cet homme réagit à cela: «Le Seigneur», dit-il, «a donné, le Seigneur a retiré. Il fut fait comme il a plu au Seigneur. Que le nom du Seigneur soit béni». Quant à moi, je n’ai pas entrepris, ici, d’enquêter sur les mystères de ce saint, et je renvoie toute personne intéressée par cela aux Moralia de saint Grégoire. Je veux seulement considérer ici ce que cet «homme simple et droit», si durement frappé, oppose à des coups si durs: il était, certes, frappé à l’extérieur, et ce qu’il opposait aux coups était extérieur. Mais tandis que d’une part les coups durs frappaient, qui auraient pu aussi pénétrer au fond du cœur, que d’autre part ne résonnaient que des paroles de simplicité et de rectitude, ce sont les paroles simples contre l’Ennemi multiple qui prévalurent plutôt que des paroles multiples contre l’homme simple. Car les mots simples de l’homme simple frappèrent gravement l’Ennemi, mais les paroles multiples de l’Ennemi multiple ne purent en rien blesser l’homme simple. Bien au contraire, la destruction cruelle des jumenta corporels, des troupeaux familiers sur la terre de l’homme simple divinement secouru suscita une telle abondance de jumenta spirituels, de troupeaux familiers que les dommages corporels ne pouvaient en aucun cas égaler les richesses spirituelles. «Seigneur», dit-il, etc. Vois combien de jumenta, c’est-à-dire combien de secours extérieurs de la vie spirituelle nés sur la terre de cet homme simple, se révèlent dans ces quelques mots: «Le Seigneur a donné». Il confesse que l’auteur du

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torum, pecorum familiarium suscitauit ut dampna corporalia diuitias spirituales coequare nullo modo possent. Dominus, inquit etc. Vide quanta iumenta, id est quanta spiritualis uite, forinseca iuuamenta in terra huius uiri simplicis nata appareant in his paucis uerbis: Dominus dedit. Autorem muneris Deum confitetur. In quo et hostem grauiter percutit et ius illi donationis pariter et dominationis tollit et uero Domino attribuit, quod nullatenus hostis uoluisset falsum sibi usurpans dominium. Et addit: Dominus abstulit. In quo adhuc grauius hostem percutit. Nam, dum nec hosti attribuere dignatus est quod reuera hostis fecerat sed ut minister Domini non ut Dominus, grauius hostem percutit qui se hec fecisse non ut minister sed ut Dominus uideri uoluit. In quo et Domini commendatur potentia et hostis contempnitur inpotentia qui nichil sine permissione Domini potuisse conprobatur. Dum uero tertio adicit: Sicut Domino placuit ita factum est, magis ac magis hostem gradatim confundit pariter et confodit, aut certe potius perfodit, dum et ex his que facta sunt nichil hostis arbitrio sed Domini beneplacito attribuit, et Dominum sola uoluntate omnia fecisse, hostem autem laboriosa circuitione omnia ministrasse innuit. At dum nouissime concludit: Sit nomen Domini benedictum, omnia que patitur contempnere se manifestans magis inimicum aduersum se prouocat, dum et in tribulationibus gaudere se demonstrat et autorem omnium tam in aduersis quam in prosperis laudat.

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〈200.〉 Adhuc insistit exemplo Iob ad demonstrandum propositum Hinc est quod cruentus hostis deinceps acrius in eum insurgit et, nichil se sic profecisse uidens, familiarius tangendi eum licentiam petit. Sed inspector cordium et uirium uniuscuiusque Deus qui nouit de quolibet nostrum quo melius proficere possit, simplicem uirum et rectum

24 dominus dedit] Iob 1, 21 24-25 hostem – percutit] cf. Grégoire le Grand, Moralia in Iob, II, xviii, 32 (CCSL 143, p. 80, l. 32-43) 27 dominus abstulit] Iob 1, 21 33 sicut – est] cf. Iob 1, 21; Grégoire le Grand, Moralia in Iob, II, xviii, 31 (CCSL 143, p. 79, l. 13-14) 38 sit – benedictum] Iob 1, 21 21 inquit] dedit add. G 1 |inquit S 3 etc.] om. G 1 ; add. sup. l. G 2 22 forinseca] 29 Dominus] Deus Delhaye abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |forinseca S 3 30 uideri] uidi Delhaye 38-39 omnia – manifestans] abest in G 1 |add. S 3 39 inimicum] inimicus Delhaye 200, 4 quolibet] G 1 |quodlibet S 3 ; quolibet S 4

5 quo] quomodo G 1 |quo S 3

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don est Dieu: ce en quoi il frappe gravement l’Ennemi et lui enlève le droit de donner comme de dominer, mais il l’attribue au Seigneur, ce que l’Ennemi n’aurait absolument pas voulu, lui qui usurpe la fausse domination. Et il ajoute: «Le Seigneur a retiré»: ce en quoi il frappe ici encore plus gravement l’Ennemi, car en ne daignant même pas attribuer à l’Ennemi ce que l’Ennemi avait fait réellement mais qu’il aurait fait en tant que ministre du Seigneur, non en tant que Dieu, il frappa plus gravement l’Ennemi, lui qui aurait voulu passer pour l’auteur de ces choses, non en tant que ministre mais en tant que Seigneur. En cela est mise en valeur la puissance du Seigneur et méprisée l’impuissance de l’Ennemi, qui fait la preuve qu’il n’a pu rien faire sans la permission du Seigneur. Mais en ajoutant en troisième lieu: «il fut fait comme il a plu au Seigneur», il confond de plus en plus l’Ennemi, peu à peu, en même temps qu’il l’accable, ou plutôt le transperce, quand il n’attribue rien de ce qui a été fait à la volonté de l’Ennemi, mais au bon vouloir du Seigneur, et indique que le Seigneur avait fait tout cela par sa seule volonté, mais que l’Ennemi avait tout exécuté par un détour tortueux. Mais quand enfin il conclut: «Que le nom du Seigneur soit béni» en manifestant son mépris pour tout ce qu’il subit, il provoque davantage l’Ennemi contre luimême puisqu’il montre qu’il se réjouit dans les tribulations et qu’il loue l’auteur de toutes choses, dans l’adversité comme dans la prospérité. 200. Maintenant, il s’arrête sur l’exemple de Job pour exposer sa doctrine D’où il arrive que le cruel Ennemi s’acharne désormais plus violemment sur lui et, voyant qu’en agissant ainsi il n’avait pas progressé, demande qu’il lui soit permis de l’atteindre plus intimement. Mais Dieu, scrutateur des cœurs et des forces de chacun, qui connaît ce qui en nous peut nous faire le mieux progresser, voulut priver pour un temps cet homme simple et droit de biens corporels pour l’enrichir de biens spirituels, sachant qu’il progresserait plus par une voie simple et droite que par toute autre voie, et qu’il ne s’écarterait pas de la voie de la rectitude et de la simplicité, au motif de quelconques adversités, même plus graves que les précédentes, et que «celui qui ne pécha pas en paroles» pour des dommages sur des biens extérieurs ne pècherait pas pour des dommages sur son propre corps, étant établi dans la citadelle de la simplicité et de la rectitude. Aussi, afin que l’adversaire multiple et inique soit mieux confondu, dans un combat réitéré avec l’homme simple et droit, Dieu

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ad tempus in corporalibus bonis deficere uoluit, ut eum in spiritualibus ditaret, sciens eum simplici et recta uia melius quam alia profecturum, nec propter aduersa quelibet etiam maiora premissis a rectitudinis et simplicitatis uia recessurum, et qui non peccauit in labiis suis ob dampna rerum extrinsecarum nec ob dampna proprii corporis peccaret, in arce simplicitatis et rectitudinis constitutus. Igitur, ut magis confundetur aduersarius multiplex et iniquus in congressione iterata cum uiro simplici et recto, dedit ei potestatem seuiendi adhuc acrius in carne illius, salua tamen anima in qua sola uis huius pugne tota pendebat. Hanc enim solam aduersarius inpetebat etiam dum carnem affligebat. Hac sola se uir simplex et rectus defendebat, etiam dum linguam contra aduersarium mouebat. Nam percussa carne eius a planta pedis usque ad uerticem nichil illi custodiuit Deus de tota carne eius, nisi cor et linguam, reliquis omnibus partibus corporis inimico traditis, cor ad interioris hominis custodiam, linguam ad exterioris. Cor pro scuto ne ad interiora transirent tela inimici, linguam pro framea qua ipse inimicum referiret. Cor ad cogitationes bonas, linguam ad locutiones; cor ad contemplationem ueritatis, linguam ad manifestationem uirtutis simul et ueritatis; cor ad illuminationem sui, linguam ad illuminationem proximi. Denique cor ad ornatum rationis, linguam ad ornatum sensualitatis ex qua sola, deficientibus omnibus ceteris membris corporis sui, tot et tanta nata sunt ei in terra sua iumenta siue iuuamenta spiritualia, ut he eius diuitie non solum ipsum sed et uniuersum mundum ditauerint. Mentior si non in his que dico testem beatum Gregorium habeo, qui etiam in his uerbis eius que secundum literam omnino absurda uidentur, tantam duce gratia misteriorum profunditatem seu morum edificationem inuenit, et quasi mirabiles thesauros de hac terra effodit ut pene plus mirari possit mundus huiusmodi thesauros in hac terra inuentos quam contentos.

200, 9 non – suis] Iob 1, 22

17 percussa – uerticem] cf. Iob 2, 7

7 sciens eum simplici et recta] sciens eum hac uia G 1 ; del. G 2 |simplici et recta S 3 12 aduersarius] III G 1 ; add. in marg. G 2 |aduersarius S 3 15 etiam – affligebat] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 16-17 etiam – mouebat] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 17 uerticem] G 1 |capitis add. S 3 ; del. S 4

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lui donna le pouvoir de l’attaquer encore plus sévèrement dans sa chair, mais non dans son âme en laquelle, seule, résidait toute la force de ce combat; car c’est elle seule que l’adversaire attaquait, même quand il frappait sa chair. C’est par elle seule que l’homme simple et droit se défendait, même quand il levait langue contre l’adversaire. «Sa chair frappée depuis la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête», Dieu, en effet ne lui épargna rien de toute sa chair, si ce n’est le cœur et la langue, toutes les autres parties de son corps étant livrées à l’ennemi: le cœur pour la sauvegarde de l’homme intérieur, la langue pour la sauvegarde de l’homme extérieur; le cœur comme bouclier, afin que les flèches de l’ennemi ne pénètrent pas à l’intérieur, la langue comme épée, pour lui permettre de frapper l’ennemi; le cœur pour les bonnes pensées, la langue pour les bonnes paroles; le cœur pour la contemplation de la vérité, la langue pour la manifestation tant de la vertu que de la vérité; le cœur pour l’illumination de soi, la langue pour l’illumination du prochain; enfin le cœur pour l’ornement de la raison, la langue pour l’ornement des sens, desquels, seuls, tous les autres membres de son corps défaillant, lui sont nés sur sa terre tant et de si grands jumenta, ou secours spirituels, que ces richesses devaient l’enrichir, non seulement lui-même mais le monde entier. Je mens si, en ce que je dis, je n’ai pas pour témoin saint Grégoire qui, même dans ces paroles qui, à la lettre, semblent totalement absurdes, trouva, sous l’inspiration de la grâce, une telle profondeur de mystères, ou une telle édification de mœurs, et fit sortir de cette terre comme des trésors merveilleux, que le monde pourrait presque davantage admirer que de pareils trésors soient découverts en cette terre plutôt qu’admirer qu’ils y soient contenus.

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〈201.〉 Quod terra Iob semper ornata fuerit et quid hoc significet Et hec quidem iumenta produxit terra uiri simplicis et recti dum affligeret eum inimicus. Quamuis ergo prius habundasse putanda est animarum uiuentium diuitiis dum nulla adhuc eam tempestas tetigit, que nec tempestatibus obruta uiuentes animas producere desiit. Probat hec mistica descriptio possessionum eius, qua ante dictum est quia fuit possessio eius septem milia ouium et tria milia camelorum, quinquaginta quoque iuga bouum et quingente asine. In quibus omnibus quid preter literam uel allegoriam tropologice significetur si quis scire desiderat, ad Moralia beati Gregorii studiosus lector accedat. Nam neque nostre facultatis neque nostre intentionis est nunc ad ea per singula prosequenda frustra conari, que nullius unquam conatus melius illo fuisset prosecutus temporibus preteritis aut prosecuturus sit futuris. Ipse enim hunc uirum simplicem et rectum talem nobis siue secundum literam siue secundum allegoriam seu etiam secundum tropologiam depinxit ut uere et plene nobis in eo nostri microcosmi, de quo nunc agimus, exemplar proposuerit. Vnde et nos quoque ipsum cuntis legentibus in exemplum proponimus, ut secundum descriptionem beati Gregorii ipsum inspecientes in eo uelud in speculo nostri microcosmi ymaginem inueniamus. Nam secundum literam microcosmi singularis, secundum allegoriam microcosmi generalis, secundum tropologiam microcosmi particularis nobis pretendit ymaginem. Singularis inquam, quia ad literam in interiori et exteriori homine suo ad similitudinem mundi a Deo creatus, dispositus et ornatus fuit. Generalis quia Christi integri, id est capitis cum membris, qui est generalis microcosmus, secundum allegoriam figura fuit. Particularis quia uniuscuiusque anime perfecte secundum tropologiam forma extitit. Quod nobis euidentissime demonstratur in triplici gregoriana expositione super librum Iob qui, cum sit paruus in litera, quasi quidam maximus mundus efficitur in figura.

201, 6-8 fuit – asine] Iob 1, 3 201, 2 hec] hoc Delhaye 6 ante] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |ante S 3 8 omnibus] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |omnibus S 3 11 ad] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ad S 3 26 microcosmus] microcosmi Delhaye

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201. Que la terre de Job fut toujours ornée, et ce que cela signifie La terre de l’homme simple et droit produisit assurément ces jumenta «tandis que l’ennemi l’accablait». Ainsi, bien qu’auparavant elle ait abondé, pense-t-on, en multitude d’êtres vivants, quand aucune calamité ne l’avait encore touchée, écrasée de malheur elle ne cessa pas de produire des êtres vivants, comme le prouve cette description mystique de ses possessions, dont nous avons dit plus haut que «ses possessions furent de sept mille brebis, trois mille chameaux, cinquante paires de bœufs et cinq cents ânes». De tout cela, si quelqu’un désire savoir quelle est la signification tropologique, au-delà de la lettre ou de l’allégorie, qu’il se reporte en lecteur attentif aux Moralia de saint Grégoire. Car nous n’avons ni la capacité ni l’intention de tenter en vain, maintenant, de poursuivre sur ces points, un par un, ce que nul n’a tenté de faire mieux que lui dans les temps passés, ni ne fera dans les temps à venir. Car il nous a décrit cet homme simple et droit, que ce soit selon la lettre ou selon l’allégorie, soit aussi selon la tropologie, de façon à nous le proposer comme modèle exemplaire véritable et total de notre microcosme, dont nous traitons à présent. C’est pourquoi nous aussi nous le donnons en modèle exemplaire à tous les lecteurs afin qu’en le considérant à travers la description de saint Grégoire nous trouvions en lui, comme dans un miroir, l’image de notre microcosme. Il nous fait voir, en effet, selon la lettre, l’image du microcosme singulier, selon l’allégorie, l’image du microcosme général, selon la tropologie, l’image du microcosme particulier. Singulier, dis-je, parce que dans son état humain intérieur et extérieur il a été créé, disposé et orné par Dieu, selon la lettre, à la ressemblance du monde; général, parce que, selon l’allégorie, il fut la figure du Christ total, à savoir la tête avec les membres, qui est le microcosme général; particulier, parce que, selon la tropologie, il a représenté parfaitement la forme de chaque âme: ce qui nous est démontré de la façon la plus évidente dans la triple exposition grégorienne sur le livre de Job qui, bien que petit selon la lettre, constitue, en figure, comme un monde immense.

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microcosmvs, III, 202

〈202.〉 De nouissimo et maximo ornatu terre, id est de creatione hominis Igitur ut ad summam operis sexti diei iam ueniamus, ipse Iob in misterio est ille de quo Moyses, post enumerata cetera que ad ornatum terre sexto die facta sunt, in fine subiungit dicens: Vidit Deus quod esset bonum et ait: Faciamus hominem ad ymaginem et similitudinem nostram. Hoc est nouissimum et maximum opus sexti diei. Hic est nouissimus et maximus ornatus terre, scilicet homo factus in terra et de terra ad ymaginem et similitudinem Dei, quod nulli alii terrene creature collatum est, quod nullo alio precedentium dierum consummatum est. Vnde et post hoc opus suum, nullum aliud opus nouum fecisse sed in hoc tanquam in maximo opere suo requieuisse legitur Deus. Et quidem maximum et solius diuine artis opus erat spiritum celestem et natura indissolubilem miscere terre natura dissolubili, ita ut terra dissolubilis beneficio sibi mixti spiritus, et ipsa fieri posset indissolubilis et digna eterna habitatione Dei. Sed longe diuinioris artis erat in hoc ipso spiritualis mundi, id est microcosmi de quo actenus egimus misterium ponere, quem Deus non solum spiritualiter sed etiam corporaliter dignaretur in eternum inhabitare. Quod quemadmodum uel quo ordine Deus in unoquoque electorum suorum per sex data uel dona sua quasi per sex dierum distinctionem faciat, hucusque pro posse nostro docuimus. Deinceps qualiter homo totus uiuus ad ymaginem et similitudinem Dei plene et perfecte formatus exeat duce gratia, cuius totum hoc opus est, docebimus. Quem enim natura inchoat creando et per tria naturalia data quasi per tres dies promouet disponendo, gratia tandem per gratuita dona, et ipsa tria, quasi per tres alios dies consummat ornando.

202, 5-6 uidit – nostram] Gen. 1, 4-5

12 requieuisse – Deus] cf. Gen. 2, 2

202, 4 ille] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ille S 3 5 die] abest in G 1 ; add. in 6 hominem] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. G 5 (?) marg. G 2 |die S 3 7 nouissimum] G 1 | iter. S 3 ; semel del. S 4 8 et de terra] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |et de terra S 3 12 legitur] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 13 diuine] diue Delhaye 17 ipso] ipsum G 1 |ipso S 3 23 plene] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 26 et ipsa] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |et ipsa S 3

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202. Du dernier et plus grand ornement de la terre, c’est-à-dire de la création de l’homme Ainsi, pour en venir maintenant à la plus grande œuvre du sixième jour, Job lui-même est en mystère Celui dont Moïse, après avoir énuméré les autres choses qui ont été faites le sixième jour pour l’ornement de la terre, dit à la fin: «Dieu vit que cela était bon», et: «Faisons l’homme à notre image et à notre ressemblance». C’est là l’ultime et la plus grande œuvre du sixième jour. C’est là l’ultime et le plus grand ornement de la terre, à savoir l’homme fait sur la terre et de la terre à l’image et ressemblance de Dieu, ce qui ne fut accordé à aucune autre créature de la terre, ce qui ne fut accompli en aucun des jours précédents. Ainsi, après cette œuvre, on lit que Dieu n’en fit nulle autre mais qu’il s’est reposé en celle-là, comme en sa plus grande œuvre. Et c’était certes une œuvre sublime, et le fait du seul art divin que de mêler l’esprit céleste et indissoluble par nature à la terre dissoluble par nature, de sorte que la terre dissoluble, par le bienfait de l’esprit mêlé à elle, puisse devenir elle-même indissoluble et digne de la demeure éternelle de Dieu. Mais il appartenait à un art beaucoup plus divin de placer le mystère en ce lieu même du monde spirituel, c’est-à-dire du microcosme dont nous traitons ici, que Dieu daignerait habiter pour l’éternité, non seulement spirituellement mais aussi corporellement. Et comment ou dans quel ordre Dieu répartit en six ses biens ou ses dons en chacun de ses élus, comme par une distribution en six jours: nous l’avons jusqu’ici expliqué, selon notre pouvoir. Désormais, nous allons expliquer comment l’homme apparaît tout vivant, pleinement et parfaitement formé à l’image et ressemblance de Dieu, sous la conduite de la grâce dont c’est là toute l’œuvre. Cet homme que la nature commence par créer et promouvoir en le disposant par trois dons naturels, comme en trois jours, la grâce enfin l’accomplit en l’ornant par les dons gratuits au nombre de trois eux aussi, comme en trois autres jours.

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〈203.〉 Quod perfecta dilectio creatoris sit consummatio hominis Cuius consummationis supprema manus Dei est eius quod supra se est perfecta dilectio, perfecta, inquam, primum modo uie, tandem modo patrie. Nam cum secundum ea que supradicta sunt, homo institutus fuerit per gratiam, primum ad ordinatum amorem eius quod sub se est, deinde ad ordinatum amorem eius quod ipse est, tertio ad ordinatum amorem eius quod iuxta se est, et in his tribus se exercitauerit ita ut facile sit ei actitare quicquid ei horum trium amorum quilibet suggesserit, tunc demum sic instituto Dei gratia suppremam manum apponit dum, omnibus his prehabitis, ordinati amoris eius quod supra se est exercitium ad consummationem superaddit, primum formans eum secundum gratiam meriti, deinde consummans eum secundum gratiam premii. Qui est consummatus status spiritus humani ad ymaginem et similitudinem Dei facti. Quem utique tante dignitatis statum, anima humana adipisci nullomodo posset nisi ordine premisso instituta, ad hanc excellentiam paulatim quasi de terra ad celum eleuata, quibusdam amoris alis ut animal celeste euolaret.

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〈204.〉 Hic incipit agere de spirituali ascensu hominis a terra in celum, in quo consumatur ornatus microcosmi Hac mentione habita de alis amoris eius qui mirabiliter quidem nos fecit sed mirabilius refecit, ut tam me quam quemlibet proximum meum ad amorem ipsius intensius accenderem, cum adhuc essem in terra in qua me iamdudum regina caritas constituerat propter edificationem proximi, subito factus in spiritu, uidi supra me uolatile grande quasi aquilam magnarum alarum expansis alis obumbrantem me et audiui uo204, 3-4 mirabiliter – mirabilius] cf. Missale Romanum, Oratio ad Patrem « Deus qui humanae substantiae» 203, 1 quod – hominis] abest in G 1 |add. S 3 hominis] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. G 5 3-4 perfecta – patrie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 10 exercitium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |exercitium S 3 11-14 primum – facti] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |in textu S 3 204, 1-2 Hic – microcosmi] quomodo autor huius operis deinceps profecerit] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. G 5 1 ascensu] ascensione Delhaye 7 me] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |me S 3

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203. Que l’amour parfait du Créateur est l’achèvement de l’homme La dernière main de Dieu pour son accomplissement est qu’au-dessus de lui il y a l’amour parfait; parfait, dis-je, d’abord par le moyen du chemin, enfin par celui de la Patrie. Car, alors que, d’après ce qu’on a dit plus haut, l’homme fut institué par la grâce tout d’abord à l’amour ordonné de ce qui est au-dessous de lui, ensuite à l’amour ordonné de ce qu’il est lui-même, troisièmement à l’amour ordonné de ce qui est à côté de lui, et qu’il s’est exercé en ces trois sortes d’amour, de façon qu’il traduisît aisément en acte tout ce que lui aura suggéré n’importe lequel de ces trois sortes d’amour, alors enfin, ainsi institué et tout cela étant acquis, la grâce de Dieu met la dernière main quand elle ajoute à la consommation l’exercice de l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de lui, tout d’abord en le formant selon la grâce du mérite, ensuite en l’accomplissant selon la grâce de la récompense. Ce qui est l’état achevé de l’esprit humain, fait à l’image et à la ressemblance de Dieu. Cet état de si grande dignité, l’âme humaine ne pourrait nullement l’atteindre si, instituée dans l’ordre susdit, élevée peu à peu à cette excellence comme de la terre vers le ciel, elle ne s’envolait comme par les ailes de l’amour, tel un animal céleste. 204. Ici il commence à traiter de l’ascension spirituelle de l’homme de la terre vers le ciel, en laquelle s’achève l’ornement du microcosme Mention ainsi faite des ailes de l’amour de celui qui nous a certes créés merveilleusement, mais nous a recréés plus merveilleusement encore, pour que je brûle plus ardemment de son amour, aussi bien moimême que mon prochain, quel qu’il soit, étant encore sur cette terre en laquelle la reine charité m’avait depuis longtemps établi pour l’édification du prochain, tout-à-coup transporté en esprit, je vis au-dessus de moi un grand oiseau semblable à un aigle aux grandes ailes, me couvrant de l’ombre de ses ailes déployées, et j’entendis sa voix qui me disait: «Rassemble tes dispersions et monte jusqu’ici». À ces mots, et retenant en moi-même ce qui était dit, je compris bien vite qui était celle qui parlait et ce qu’elle disait. Mais ces paroles étaient pour moi moins faciles à mettre en acte qu’à comprendre. J’étais en effet embarrassé pour deux raisons, car il n’était pas facile pour moi de rassembler mes dispersions, et, une fois rassemblées, de monter. Je dis alors: «Le vouloir est avec moi, mais je ne parviens pas à l’accomplir». Et elle dit: «Où sont tes compagnons auxquels je viens de te recommander?» Et comme ils s’étaient approchés – et de fait ils n’étaient pas loin – ils arrivèrent aus-

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cem dicentem michi: «Collige dispersiones tuas et ascende huc». Quo audito et apud me retractato quid diceretur, intellexi mox et quis esset qui loquebatur et quid loqueretur. Sed non erat michi tam facile factu quam intellectu quod dicebatur. Duobus enim modis prepediebar, nam neque facile michi erat colligere dispersiones meas nec collectis eis ascendere. Et dixi: «Velle adiacet michi perficere autem non inuenio». Et dixit: «Vbi sunt comites tuis quibus nouissime commendaui te?» Qui cum affuissent, non enim longe erant, mox affuerunt simul et uires utrumque faciendi. Morosius tamen primum feci quia multe erant dispersiones mee. Nam alie erant extra me, alie intra me; extra me per sensus, intra me per ymaginationes. Que uero per sensus extra me, alie infra me, alie supra me, alie a dextris, alie a sinistris, alie ante, alie retro ita ut in omnem uentum distractus essem. Que autem intra me, miro quodam modo omnes intra me erant et tamen tanto diffusiores extrinsecis, quanto diffusiora sunt maria terris. Quas tamen omnes misso ueloci nuncio, uidelicet desiderio ascendendi, sperato citius in unum collegi. Quibus tandem in unum collectis aquila desuper obumbrans me demisit unam ex alis suis in terram. Sex enim habebat alas. Dictumque est michi: «Ascende super alam hanc». Ascendi adiuuantibus me hinc desiderio, hinc fiducia cum uerecundia, desiderio propter ascendendi auiditatem, fiducia propter uocantis benignitatem, uerecundia propter meam indignitatem. Moxque subleuatus a terra, nutare cepi propter insolitum cui insistebam fundamentum pedum. Dictumque est michi: «Quid nutas? Solidum est licet insolitum cui inniteris fundamentum». Ad hanc uocem mirum in modum dilatata est cui insistebam ala, et solidissime compacta ceteris alis in circuitu pari modo dilatatis et ad inuicem compactis. Et factum est unum amplissimum et amenissimum deambulatorium, quasi firmamentum in circuitu corporis aquile uolantis, ex consertis et dilatatis in omnem partem circulariter sex alis eius.

14 uelle – inuenio] Rom. 7, 18 26-27 sex – super alam] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 856D); Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, II, 2 (PL 193, 70B) 20 ita] om. Delhaye 25 sperato] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sperato S 3 cende] ascendere Delhaye

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sitôt, en même temps que les forces pour accomplir l’une et l’autre chose. Cependant au début, je le fis assez difficilement parce que mes dispersions étaient nombreuses, et, en effet, les unes étaient à l’extérieur de moi, les autres à l’intérieur: à l’extérieur de moi par les sens, à l’intérieur par les imaginations. Or parmi celles qui étaient à l’extérieur de moi par les sens, les unes étaient au-dessous de moi, les autres au-dessus de moi, les autres encore à droite, à gauche, devant ou derrière, de sorte que j’étais emporté à tous les vents. Mais celles qui étaient à l’intérieur de moi y étaient toutes incluses d’une manière extraordinaire mais d’autant plus diffuses par rapport à celles qui étaient à l’extérieur, que sont plus diffuses les mers que les terres. Toutefois, grâce à un messager rapide qui me fut envoyé, à savoir le désir de m’élever, je les rassemblai plus vite que je n’aurais espéré. Enfin, après qu’elles furent toutes rassemblées, l’aigle qui me couvrait de son ombre laissa tomber à terre une de ses ailes; car il possédait six ailes. Il me fut dit de monter sur cette aile; je montai avec l’aide, d’une part du désir, d’autre part de la confiance avec la discrétion. Du désir, en raison de l’impatience à monter; de la confiance, en raison de la bienveillance de celle qui m’appelait; de la discrétion, en raison de mon indignité. Et bientôt soulevé de terre, je me mis à chanceler à cause du caractère inaccoutumé du support sur lequel je me posais. Il me fut dit: «Pourquoi chancellestu? Le support sur lequel tu t’appuies est solide, bien qu’insolite». À ces mots, l’aile sur laquelle je me posais se dilata de façon surprenante et très solidement fixée aux autres ailes, elles-mêmes dilatées tout autour de même façon et attachées entre elles. Et il se fit un très grand et très doux espace, tel un firmament tout autour du corps de l’aigle qui volait, depuis ses six ailes fixées les unes aux autres et dilatées tout autour.

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〈205.〉 Quam sit necessaria uirtus circumspectionis Quod cum uidissem, securior et alacrior factus, stabam fortiter et circumspeciebam. Et ecce apparuit michi in loco capitis aquile nota facies regine caritatis. Tunc pre gaudio continere me non ualens, accurrere cepi ut tenerem et deoscularer capud eius. Intelligebam enim ipsam esse uolatile hoc grande de aquis quidem natum sed uirtute eius in aera subleuatum. At illa: «Quid agis?» inquit, «En altera iam uice nimis fiducialiter te geris, cum tamen non sine uerecundia huc adueneris. Sed ignosco tibi quia te rapit uehemens amor mea, qui non semper sic circumspecte sicut recte se gerit, sed totus innixus fidutie etiam presentis aliquatenus obliuiscitur uerecundie, presertim cum fidutia sibi innitentem fortius trahit et retrahentem uerecundiam uincit. Vnde te hic primum de circumspectione aliquid docere curabo quod expedibile tibi forsitan erit in futuro: et quidem in proximo te circumspicientem uidebam sed mox ubi me uidisti quasi circumspectionis oblitus in me ruere cepisti. Scias autem quod magna est circumspectionis uirtus, in cuius commendatione sancta Dei animalia leguntur plena oculis et ante et retro.» Sed quia per sancta animalia perfecti significantur, quorum omne corpus, id est opus gratia, circumspicit et custodit ne uel in facto uel in dicto offendant, potest sane intelligi non semper humana circumspectione perfectis opus esse quod diuinus non deserit oculus, maxime in articulo necessitatis ubi deest humanus. Vnde et ipse Dominus apostolos suos, quos ipsemet ad perfectionem iam promouerat humanam circumspectionem uilipendere docuit dicens: Cum steteritis ante reges et presides, nolite cogitare quomodo aut quid loquamini. Et humane circumspectionis aliquando uilipendende rationem subiungens adiecit: Non enim uos estis qui loquimini sed Spiritus Patris uestri qui loquitur in uobis, acsi diceret: «Non opus habetis humana circumspectione quos gratia diuina circumspiciens non solum in omni facto sed etiam in omni dicto custodit. Sed hoc solis perfectis conuenit, quos ego tanquam pullos meos enu-

205, 17 plena – retro] Apoc. 4, 6

25-28 cum – uobis] cf. Matth. 10, 18-19

205, 10 etiam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |etiam S 3 13-14 quod – proximo] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 20 et custodit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |et custodit S 3 22-23 maxime – necessitatis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 23 deest] G 1 (?)|deest S 3 29 habetis] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 30 omni facto] G 1 |facto omni S 3 Delhaye|omni facto S 4

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205. Combien la vertu de circonspection est nécessaire Voyant cela, je devins plus assuré, plus empressé: je me tenais fermement et regardais tout alentour. Et tout à coup m’apparut, à la place de la tête de l’aigle, le visage de la reine charité. Alors, ne tenant plus de joie, j’accourus pour prendre et embrasser sa tête, car je comprenais que c’était elle ce grand oiseau, certes né des eaux mais élevé dans les airs par sa propre force. Mais elle: «Que fais-tu», dit-elle, «n’est-ce pas que tu agis maintenant pour la deuxième fois avec trop d’assurance, alors que tu es arrivé ici avec discrétion. Mais je te pardonne parce que ton amour brûlant pour moi t’emporte, lui qui ne se conduit pas toujours aussi prudemment qu’il le faudrait mais qui, totalement guidé par la confiance, oublie même, dans une certaine mesure, la discrétion requise, surtout quand la confiance sur laquelle il s’appuie tire plus fort et vainc la discrétion qui se retire. Je prendrai donc soin tout d’abord de t’enseigner, sur la circonspection, quelques principes qui te seront peut-être utiles. Or, jusqu’ici je te voyais regarder tout autour, mais dès que tu m’as vue, comme oubliant la circonspection, tu t’es mis à te précipiter sur moi. Sache cependant que la vertu de circonspection est grande: c’est pour la recommander, qu’on lit que les saints animaux de Dieu ‘sont pleins d’yeux devant et derrière’. Mais parce que les ‘saints animaux’ désignent les parfaits, dont la grâce surveille et protège tout le corps, c’est-à-dire l’action, pour qu’ils n’offensent ni en acte ni en parole, on peut aisément comprendre que les parfaits n’aient pas toujours besoin de circonspection humaine pour la raison que l’œil divin ne fera pas défaut, surtout dans l’urgence de la nécessité ou l’œil humain est absent. C’est pourquoi le Seigneur lui-même apprit à ses apôtres, qu’il avait élevés à la perfection, à vilipender la circonspection en disant: ‘Quand vous comparaîtrez devant les rois et les gouverneurs, ne vous demandez pas comment parler ou que dire’. Et pour préciser la raison de vilipender parfois la circonspection humaine, il ajoute: ’Car ce n’est pas vous qui parlez, mais l’Esprit de votre Père qui parle en vous’. Comme pour dire: ‘Ne vous préoccupez pas de la circonspection humaine, vous que la grâce divine, en veillant sur vous, protège non seulement en toute action mais aussi en toute parole’. Mais cela convient seulement aux parfaits, que j’ai nourris comme mes poussins et qu’en déployant mes ailes j’ai soulevés quand ils étaient encore trop faibles pour voler, et que j’ai formés jusqu’à ce qu’ils volent. Et maintenant ils sont les saints animaux de Dieu, possédant six ailes, comme tu le vois en moi. Mais toi, tu es encore un poussin, à peine emplumé et inca-

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triui et expandens alas meas assumpsi eos, cum adhuc essent inbecilles ad uolandum, et educaui donec per se uolarent. Et nunc sancta Dei animalia sunt senas alas habentia sicut me uides habere, que sum mater omnium eorum. Tu uero qui adhuc pullus es ac pene in plumis et ad uolandum inualidus, materna circumspectione opus habes, ne preter necessitatis articulum nimis incircumspecte agens, in precipicium ruas. Propter quod et nunc ascendenti tibi super alas meas et nutanti ego prospexi, dilatando eas et conpingendo in unum in quo tu tibi prospicere non poteras, ne nutans in preceps rueres».

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〈206.〉 Quod caritas diuerso modo suos prouehit «Nunc ergo sede humilis super alas meas et quasi pullus auis ab ore matris capiens escas, aperto ore cordis percipe uerba oris mei quibus enutritus in celeste animal ad uolandum plumescas. Hactenus enim quasi terrenum animal te in inferioribus elementis enutriui ad ambulandum, deinceps quia de alis meis mentionem fecisti quas tamen nondum uidisti, sentio quod ad altiora tendis, et ideo enutrire te nunc uolo quasi celeste animal ad uolandum. Propter quod et in hac forma tibi hic appareo, que me pro loco et tempore conformo bonis et piis desideriis omnium diuerso modo ad Deum tendentium. Nam non solum uerba mea sed hac ipsa forma mea, si ei diligenter intenderis, intentionem tuam promouebit et ut ordinate ad tangendum capud meum, quod tu iam secundo prepropere tangere uoluisti, peruenias adiuuabit».

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〈207.〉 De doctrina caritatis His auditis, resedi deuotus et intentus uerbis oris eius. At illa aperiens os suum sic me docuit dicens: «Primum tibi de hac ipsa forma mea quid sibi uelit ostendam. In hac forma mea in qua tibi nunc appareo, qualem te esse uelim doceo. Sic olim Deus inuisibilem formam sui cor-

39 eas] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |eas S 3 206, 3 ore cordis] cordis ore G 1 |ore cordis S 3 6-7 de – quod] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 7 et ideo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |et ideo S 3 nunc] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |nunc S 3 11 sed] et add. G 1 |sed S 3 12-13 iam secundo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |iam secundo S 3

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pable de voler; tu as besoin de la circonspection maternelle, de crainte que dans l’urgence de la nécessité tu n’agisses trop imprudemment et ne te jettes dans le précipice. C’est pourquoi, t’ayant maintenant vu monter sur mes ailes et chanceler, je les ai déployées et réunies entre elles, là où tu ne pouvais pas faire attention à toi-même, afin qu’en chancelant, tu ne te précipites pas la tête la première».

206. Que la charité fait progresser les siens de diverses façons «Maintenant, assied-toi donc sur mes ailes, dans l’humilité, et comme un oisillon recevant la nourriture de la bouche de sa mère, reçois, la bouche du cœur ouverte, ‘les paroles sortant de ma bouche’: nourri par elles pour devenir un animal céleste, tu pourras te couvrir de plumes pour voler. Jusqu’ici, en effet, je t’ai nourri d’éléments inférieurs, comme un animal terrestre, pour que tu puisses marcher; désormais, parce que tu as fait mention de mes ailes que cependant tu n’as pas encore vues, je sens que tu tends vers de plus grandes hauteurs et je veux donc maintenant te nourrir comme un animal céleste, pour voler. C’est pourquoi je t’apparais aussi sous cette forme, par laquelle je me conforme, suivant le lieu et le moment, aux bons et pieux désirs de tous ceux qui, de manières diverses, tendent vers le Seigneur. Car non seulement mes paroles mais aussi ma forme elle-même, favorisera ton projet, si tu y tends avec diligence, et t’aidera à pouvoir toucher de façon ordonnée ma tête, qu’avec trop de hâte tu as déjà voulu toucher une deuxième fois», 207. Enseignement de la charité À ces mots, je m’assis pieusement, prêtant attention aux paroles venant de sa bouche. Alors elle, ouvrant la bouche, me fit cette leçon: «Tout d’abord, il faut que je t’explique ce que signifie cette forme que je présente En cette forme sous laquelle je t’apparais maintenant, je t’enseigne qui je voudrais que tu sois. Ainsi, jadis, Dieu, voulant rendre visible aux yeux corporels sa forme invisible, ce qu’il pouvait faire, créa le corps du soleil pour que Lui qui avait déjà montré son image invisible aux créatures invisibles, à l’intérieur d’elles-mêmes, montre aussi aux créatures visibles son image visible dans le soleil. Et ainsi, pour faire comprendre aux observateurs attentifs vers quoi et comment il fallait tendre pour aller vers lui, il créa le soleil en lui-

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poralibus oculis, ut fieri potuit, uisibilem proponere uolens, solis corpus creauit, ut qui iam inuisibilem ymaginem suam inuisibilibus creaturis in se ipsis ostenderat, in sole etiam uisibilem ymaginem suam uisibilibus creaturis ostenderet. Sicque quo sibi tendendum esset et qualiter intuentibus diligenter insinuaret, solem fecit in seipso rotundum, lucidum, calidum, et in his tribus super omnes creaturas uisibiles summum – nichil enim in creaturis uisibilibus rotundius, lucidius, calidius sole – in summa rotunditate eius suam omnipotentem eternitatem seu eternam omnipotentiam, in summa claritate eius suam summam sapientiam, in summa caliditate suam summam bonitatem demonstratis, et sic uniuersis creaturis rationalibus que foris erant, quo tendere deberent intus mirabiliter insinuans, id est ad omnipotentem eternitatem, sapientiam, bonitatem. Et ut scirent omnes qua uia et quomodo id facere deberent, aliud mirabile sacramentum Deus Pater in sole posuit, dum eum circulari motu celos ambientem et a celis non recedentem, tante magnitudinis et uirtutis creauit ut et solo radio suo in terram misso, omnia illuminaret et per radium diffuso ubique calore suo omnia uiuificaret, in magnitudine quidem et uirtute eius potentiam suam omnia gubernantem, nec ob hoc unquam ab eternitatis sue infinitate recedentem significans; in radio eius misso in terram Sapientiam suam personaliter in carnem uenientem et in ipsa omnia illuminantem et uiam qua sursum ad inuisibilia tenderetur ostendentem denuntians; in calore uero per radium ubique diffuso amorem et ardorem spiritus omnia uiuificantem, mediante quidem sapientia per orbem diffusum sed sua ui omnia trahentem sursum. Quod itaque summa Trinitas uniuersis in solaris caloris exemplo naturali proposuit: ego Trinitatis eiusdem summa bonitas tibi uni et in te uniuersis in hac mea forma gratuito exemplo propono, et que me aliquando terrenum animal terram suam excolentibus, et aquaticum 207, 8-9 in – ostenderet] cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 1057B-D); Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, I, 5 (PL 193, 37B); Platon, République, 508a 207, 8 in sole] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in sole S 3 15 summa claritate] claritate summa G 1 | S 3 ; summa claritate S 4 16 sic] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sic S 3 19-31 Et ut scirent omnes – trahentem sursum] om. G 1 |add. in pag. sequ. G 2 |in textu S 3 19 facere] G 1 |facerent S 3 ; facere S 4 21 celos] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |celos S 3 32 bonitas] G 1 |bonitatis S 3 ; bonitas S 4 33 gratuito exemplo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |gratuito exemplo S 3

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même, rond, brillant, chaud, et, en ces trois qualités, le sommet de toutes les créatures visibles – car, dans les créatures visibles il ne fit rien de plus rond, de plus brillant, de plus chaud que le soleil – il montra dans sa parfaite rotondité, son éternité toute puissante, ou sa toute-puissance éternelle, dans sa brillance parfaite, sa sublime sagesse, dans sa chaleur parfaite, sa sublime bonté, et faisant ainsi comprendre merveilleusement à toutes les créatures rationnelles qui étaient à l’extérieur, à quoi elles devaient tendre intérieurement, c’est-à-dire à son éternité toute puissante, à sa sagesse et à sa bonté. Et afin que tous sachent par quel chemin et de quelle façon ils devaient s’y prendre, Dieu le Père plaça dans le soleil un autre mystère admirable, quand il le créa se déplaçant dans les cieux par un mouvement circulaire, et sans quitter les cieux, d’une telle grandeur et d’une telle force que même par un seul de ses rayons envoyé sur la terre il illumine tout, et, par sa chaleur diffusée partout grâce à son rayon, il vivifie tout. Il manifeste donc, par la grandeur et par la force du soleil sa puissance qui gouverne toutes choses sans jamais pour autant s’écarter de l’infinité de son éternité; il signifie, par le rayon du soleil envoyé sur la terre, sa Sagesse venant personnellement dans la chair et illuminant tout en elle, et montrant le chemin par lequel s’élever vers les réalités invisibles; il signifie par la chaleur partout diffusée par le rayon, l’amour et l’ardeur de l’Esprit qui vivifie toutes choses, répandu dans le monde par l’intermédiaire de la sagesse qui tire par sa force toutes choses vers le haut. C’est pourquoi la sublime Trinité, par l’exemple naturel de la chaleur solaire, proposa à tous: ‘Moi, bonté suprême de cette même Trinité, je m’offre librement comme exemple, à toi seul, et par toi à tous les hommes, sous cette mienne forme, et moi qui me présente parfois comme un animal terrestre à ceux qui habitent sa terre, et comme un animal marin à ceux qui recherchent la pureté du cœur, je me montre maintenant à toi et à tes semblables comme un animal céleste.’ C’est cela que symbolisa le serviteur de Dieu Moïse dans l’image d’un aigle déployant ses ailes et transportant sur elles ses aiglons, le Seigneur dans l’image d’une poule rassemblant ses poussins sous ses ailes, enfin Jean, dans l’Apocalypse, donna le symbole de lui-même avec quatre autres animaux, c’est-à-dire de tous ceux qui, emportés plus haut que les autres par l’amour des réalités spirituelles, deviennent des oiseaux spirituels. Quant aux autres qui, occupés à des activités terrestres pour le Seigneur, sans la contagion du péché mortel, accomplissent dans la vie active les œuvres de vertu dont ils sont capables, ce sont des animaux terrestres évoluant sur la terre avec Dieu homme et ils peuvent être juste-

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animal cordis mundiciam querentibus exhibeo, nunc me celeste animal tibi et tui similibus ostendo. Hoc Moyses famulus Dei in figura aquile expandentis alas suas et assumentis pullos suos super eas, hoc Dominus in figura galline congregantis pullos suos sub alas suas, hoc denique Iohannes in Apocalipsi inter cetera quatuor animalia in se ipso figurauit, scilicet omnes qui spiritualium amore ceteris altius rapiuntur fieri spirituales aues. Ceteri namque, qui sine peccati mortalis contagione, propter Deum terrenis actionibus occupati, uirtutum opera que possunt in actiua uita exercent, terrena Dei animalia cum homine Deo super terram ambulantia sunt, et oues uel boues uel iumenta uel aliquid aliud huiusmodi secundum diuersarum uirtutum diuersas actiones de quibus et tu supra locutus es, congrue dici possunt. Vnde et idem Iohannes, de quo nunc exemplum tibi proposui, reliqua ex quatuor sanctis animalibus in figura hominis, bouis et leonis secundum diuersas his figuris competentes actiones, Dei hominis super terra ambulantis figurauit, seipsum autem qui contemplationi deditus et amore spiritualium raptus, altius aliquid de diuina filii Dei natura scripsit, et sui similes a me informatos, in animalis celestis figura depinxit. Quod et ego tibi quoque et tui similibus nunc in hac mea forma depingo, uolens te intelligere in me ipsa quod facio in meis, et me esse dico quod meos esse facio, sicut et Apostolus me operari dicit quod per me mei operantur: Spiritus, inquit, postulat pro nobis gemitibus inenarrabilibus, id est postulare facit. Tales enim facio omnes meos altius per contemplationem amore spiritualium raptos».

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〈208.〉 De misterio alarum eius «Et hoc quidem huius mee forme non contempnenda ratio est. Sed nunc audi non magis contempnendam de misterio, numero uel ordine seu etiam dispositione alarum mearum rationem. Misterium alarum mearum hoc est. Scis quod de uirtutibus procedunt opera uirtutum, maximeque de caritate opera caritatis. Caritas enim numquam ociosa 37-39 figura – suas] Deut. 32, 11; Ex. 19, 4 38-39 in – suas] Matth. 23, 37 3940 Iohannes – figurauit] Apoc. 4, 7 57 spiritus – inenarrabilibus] Rom. 8, 26 42 Deum] Dominum Delhaye 52 Dei] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |Dei S 3 52 similes – animalis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 55-58 et 1 – facit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 58 id – postulare] G 1 ; del. G 2 | habet S 3

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ment appelés brebis, bœufs ou jumenta, ou tout autre nom de ce genre suivant les différentes activités de chaque vertu dont, toi aussi, tu as parlé plus haut. C’est pourquoi Jean lui-même, que je viens de te montrer en exemple, représenta les autres des quatre saints animaux par la figure de l’homme, du bœuf et du lion, suivant les différentes activités de Dieu homme évoluant sur la Terre, adaptées à ces figures; mais lui-même qui, voué à la contemplation et possédé par l’amour des réalités spirituelles, écrivit des choses très élevées sur la nature divine du Fils de Dieu, se représenta lui-même et d’autres semblables à lui et inspirés par moi, par la figure de l’animal céleste. Et moi aussi, je me manifeste maintenant à toi aussi et à tes semblables sous cette mienne forme voulant que tu comprennes en moimême ce que j’opère dans les miens et je dis que je suis ce que j’opère dans les miens, ainsi que l’Apôtre dit également que j’opère ce que les miens opèrent par moi: «L’Esprit», dit-il, «intercède pour nous en des gémissements ineffables», c’est-à-dire qu’il fait intercéder. Car c’est ainsi que je rends tous les miens, que la contemplation emporte plus haut par l’amour des réalités spirituelles».

208. Du mystère de ses ailes «Et c’est là, assurément, la raison non négligeable de cette forme qui est la mienne. Mais écoute maintenant la raison non davantage négligeable du mystère, du nombre ou de l’ordre c’est-à-dire de la disposition de mes ailes. Voici quel est le mystère de mes ailes: Tu sais que des vertus procèdent les œuvres de vertus, et surtout que de la charité procèdent les œuvres de charité. Car la charité n’est jamais inopérante: ou elle progresse ou elle régresse. En outre, comme tu t’en souviens, tu as toi-même énuméré plus haut certaines sortes d’amour ordonné, à savoir l’amour ordonné de ce qui est au-dessous de toi, l’amour ordonné de ce que tu es, l’amour ordonné de ce qui est à côté de toi, l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de toi, et tu as dit que c’étaient là des parties de mon corps, et tu as exploré, à ta guise, certains autres points de ce sujet, puisque je

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microcosmvs, III, 208-209

est: aut proficit aut deficit. Porro, ut memini, tu ipse superius quasdam species ordinati amoris enumerasti, id est ordinatum amorem eius quod infra te est, ordinatum amorem eius quod tu es, ordinatum amorem eius quod iuxta te est, ordinatum amorem eius quod supra te est, et has corporis mei partes esse dixisti, et nonnulla alia de his ut libuit pertractasti, quoniam preter capud ego tibi meum corpus pro libito tractandum concessi. Veruntamen quia non quicquid corporis mei erat, tunc pertractasti ut erat, quia non in ea qua nunc tibi forma apparebat, quod reliquum est, nunc tibi pertractandum concedo. Insuper et ubi membrorum meorum misteria non capis, etiam dum tangis, doctrine mee clariore luce reuelo ut plenius discas quo ordine meum capud tangere debeas.»

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〈209.〉 De ala prima «Igitur, sicut te ipso teste, membra corporis mei uirtutes sunt, sic ex ipsis membris procedentes ale generalia opera uirtutum sunt. Singule uero penne alarum, singula opera uel usus uirtutum sunt. Verbi gratia, ordinatus amor carnis, id est amor eius quod infra te est propter Deum ordinatus, ut tu ipse asseris, inferius membrum corporis mei est, hic amor ociosus esse non potest. Operatur ergo magna si est scilicet continentiam quinque sensuum. Que, si propter Deum fit, quam magna sit ipse Dominus manifestat, qui eam quinque prudentibus uirginibus cum sponso ad nuptias intrantibus comparat. Operatur et gule, lingue, luxurie, omnium denique illicitorum motuum carnis continentiam. Nec solum membra corporis ab operibus malis continet, uerum etiam in bonis operibus exercet; hinc lasciuientis carnis maceratio procedit per crebra ieiunia, uigilias, orationes, disciplinas corporales et alias quamplures corporis afflictiones quas ordinatus amor carnis adinuenit ut ponderosam leuem faciat et secum facilius in altum rapiat. Quid plura? Multa tibi adhuc uirtutum opera de hoc ordinato carnis amore procedentia enumerare possem, sed breuius ea nunc pertranseo, quia tu superius 209, 9 quinque – uirginibus] cf. Matth. 25, 4 208, 12 preter capud] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |preter capud S 3 abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |capud S 3

17 capud]

209, 5 infra te est] est infra te Delhaye Deum] Dominum Delhaye 8 quam – sit] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 Deum] Dominum Delhaye 11 solum] abest 12 operibus] abest in G 1 ; add. in in G 1 ; add. in marg. G 2 |solum S 3 marg. G 2 |operibus S 3 13 procedit] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |procedit S 3

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t’ai autorisé à manier mon corps à ta guise, excepté ma tête. Cependant parce qu’elle n’était pas une partie quelconque de mon corps, tu l’as alors touchée telle qu’elle était, parce qu’elle ne t’apparaissait pas dans la forme que tu vois maintenant. Quant au reste, je te permets maintenant de l’explorer. De plus, lorsque tu ne comprends pas les mystères de mes membres, lors même que tu les touches, je révèle plus clairement ma doctrine, afin que tu apprennes plus pleinement selon quel ordre tu dois toucher ma tête.»

209. De la première aile «Ainsi, et toi-même en es le témoin, comme les membres de mon corps sont des vertus, de même les ailes qui procèdent de ces membres sont les œuvres générales des vertus. Car chaque plume des ailes est une œuvre ou une pratique de vertu. Par exemple, l’amour ordonné de la chair, c’est-à-dire l’amour de ce qui est au-dessous de toi, ordonné pour le Seigneur, comme tu l’affirmes toi-même, est le membre inférieur de mon corps. Cet amour ne peut pas être inopérant. Il opère donc de grandes choses s’il signifie la continence des cinq sens. Laquelle, si elle se fait pour Dieu, le Seigneur lui-même en manifeste la grandeur en la comparant aux cinq vierges sages entrant avec l’époux pour les noces. Il opère la continence et de la bouche, et de la langue, et de la luxure, à savoir de tous les mouvements illicites de la chair. Non seulement il éloigne les membres du corps des actes malins mais il agit aussi dans les œuvres bonnes. Ainsi la macération de la chair lascive s’exerce par les jeûnes fréquents, les veilles, les prières, les disciplines corporelles et beaucoup d’autres épreuves physiques que l’amour ordonné de la chair invente pour la rendre, de pesante qu’elle est, légère, et l’emporter plus facilement avec lui dans les hauteurs. Que dire de plus? Je pourrais t’énumérer encore beaucoup d’œuvres de vertu procédant de cet amour ordonné de la chair, mais je les passe maintenant sous silence parce que tu as énoncé, plus haut, quelques vérités à leur sujet, qui correspondent à mon enseignement. Car grande est l’aile de cette partie de mon corps, qui contient en elle-même presque autant de plumes qu’elle engendre d’œuvres de vertu.»

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microcosmvs, III, 209-211

nonnulla de his uera et mee doctrine consona pertractasti. Magna igitur est hec huius partis corporis mei ala, que de se quasi tot pennas emittit quot uirtutis opera gignit.»

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〈210.〉 De ala secunda «Rursum ordinatus amor eius quod tu es, ut tu asseris, media pars corporis mei est. Hic amor maiora priore operatur. Nam quanto dignior est interior homo quam exterior, tanto maiora sunt opera huius quam prioris. Cogitationes et affectiones sordidas mundat, superfluas amputat, fluxas ordinat, bonas gignit, nutrit, custodit, perficit et conseruat, sicut tu ipse superius de eo dixisti, nec repeti opus est que iam a te bene dicta sunt. Hic ergo amor quot uirtutum opera in interiore homine operatur, quasi tot de se pennas emittit quibus interior homo sursum eleuatur. Magna igitur et hec ala est in dextera corporis mei parte, ex opposito prioris constituta. Nam ut tu ipse nunc uisu discernere potes, hec dextera et hec sinistra pars corporis mei est.»

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〈211.〉 Correctio cuiusdam superioris distinctionis partium corporis caritatis «Quod autem tu superius ordinatum amorem carnis in inferiori parte corporis mei posuisti, tui uero amorem in media parte eiusdem, ego tibi paulo aliter corporis mei membra distinguere uolo. Tu namque uulgi more distinguis ea in quatuor, ego tibi primitus ea in tria distinguo, dehinc singula trium in bina subdistinguo: sic ordinatus amor, alius est ordinatus amor sui, alius ordinatus amor proximi, alius ordinatus amor Dei. Porro sui amor, alius est carnis, alius spiritus. Nam quem tu uulgi more in amorem eius quod tu es et amorem eius quod infra te est diuidis, ego tibi pro commodo distinctionis alarum mearum unum amorem pono, indignum reputans hominem totum cum quacumque parte sua in diuisionem uenire et non potius ipsas partes inter se diuidere. Non quod considerata intentione sic diuidentis inprobanda sit illa tua diuisio, sed quod hec mea diuisio et mee nunc doctrine sit commodior et ueritati conuenientior. Reuera enim homo constans ex anima et carne, nec cum 210, 5 et affectiones] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |et affectiones S 3 amputat] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |superfluas amputat S 3

5-6 superfluas

211, 1 corporis] abest in G 1 | S 3 ; add. sup. l. G 5 7 trium – amor] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. G 5 sic] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sic S 3 10 te] tu Delhaye

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210. De la deuxième aile «En revanche, l’amour ordonné de ce que tu es, comme tu l’affirmes, est la partie médiane de mon corps. Cet amour opère de plus grandes choses que le précédent. Autant en effet l’homme intérieur est plus digne que l’homme extérieur, autant ses œuvres sont supérieures à celles de l’amour précédent. Il purifie les pensées et les affections mauvaises, il supprime celles qui sont superflues, contient celles qui débordent, engendre les bonnes, les nourrit, les protège, les perfectionne et les garde, comme tu l’as dit toi-même plus haut, et il est inutile de le répéter parce que tu en as déjà bien parlé. Cet amour produit donc autant d’œuvres de vertu dans l’homme intérieur qu’il crée de plumes en luimême, par lesquelles l’homme intérieur s’élève vers le haut. Grande est en effet cette aile aussi, de la partie droite de mon corps, placée à l’opposé de la précédente. Car, comme tu peux le voir toi-même de tes yeux, c’est là la partie droite et la partie gauche de mon corps.» 211. Correction d’une certaine distribution, énoncée plus haut, des parties du corps de la charité «Mais sur le fait que tu as placé, ci-dessus, l’amour ordonné de la chair dans la partie inférieure de mon corps, et l’amour de toi-même dans sa partie médiane, je veux te présenter un peu autrement la distribution des membres de mon corps. Toi, tu les distribues, à la manière ordinaire, en quatre; moi je les distribue pour toi, dans un premier temps, en trois, puis je subdivise chacune des trois en deux: car il y a dans l’amour ordonné, l’amour ordonné de soi-même, l’amour ordonné du prochain, l’amour ordonné de Dieu. En outre, dans l’amour de soimême, il y a l’amour de la chair d’une part, l’amour de l’esprit de l’autre. Car ce que tu divises, à la manière ordinaire, en amour de ce que tu es et en amour de ce qui est au-dessous de toi, moi je te le présente comme un seul amour par le moyen commode de la distribution de mes ailes, considérant comme indigne que l’homme total puisse être divisé en quelque partie de lui-même, pas plus que ces parties puissent être divisées entre elles. Non que ta division doive être désapprouvée, ton intention de diviser ainsi étant prise en compte, mais parce que ma division est plus commode pour mon enseignement et plus conforme à la vérité. En vérité l’homme, constitué de l’âme et de la chair, ne peut être séparé d’aucune de ses parties et n’est pas en lui-même, d’après elles, supérieur ou inférieur, mais si ses parties sont divisées entre elles, l’une se trouve être

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microcosmvs, III, 211-213

aliqua partium suarum in diuisionem proprie uenit, nec secundum eas se ipso superior uel inferior est, sed partibus inter se diuisis, altera inferior altera superior inuenitur. Igitur, ut dixi, partibus inter se diuisis, ordinatus amor sui, alius est carnis alius est spiritus. Ordinatus amor proximi, alius est amici alius inimici. Ordinatus amor Dei, alius tantum Dei alius hominis Dei. Et ecce ex tribus membris corporis mei sex procedunt ale, hinc inde a dextris et a sinistris disposite, a singulis trium utrimque emergentibus binis.»

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〈212.〉 De numero alarum eius, quam sit necessarius «Est autem necessarius omnino senarius hic alarum mearum numerus ita ut, si una quelibet earum tolleretur, relique penitus inutiles remanerent. Sublato namque ordinato amore carnis, quid ualeret qualiscumque amor spiritus uel e conuerso? Si inordinate carnem tuam amando, solas carnis delicias quereres, quomodo spiritum deseruires? Si inordinate spiritum amando neglecta penitus carne solas delicias spiritus affectares, quomodo necessitatibus carnis satisfaceres? Non potest omnino alterum horum inordinate amari sine altero, sed nec ordinate. Sic de amore amici et inimici, sic de amore Dei et hominis Dei omnino senciendum est. Non potest aliquis horum sine alio, non dico utilis esse, sed nec esse, et sicut non potest hic numerus minui, sic non potest augeri. Nichil admittit superfluum, nil patitur diminutum. Recte igitur non solum diuina ratione qua Deus omnia in senario fecit, uerum etiam humana ratione qua dicitur senarius ex suis partibus constare, perfectus est hic alarum mearum numerus.»

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〈213.〉 De ordine et dispositione earum «Sed et ordo quoque et dispositio inpermutabilis in eis est. Neque enim de primis secundas uel tercias, neque de secundis uel primis tercias, neque de terciis uel secundis primas sine confusione ordinis facere potes. Primum enim est misereri tui ut placeas Deo, secundum est misereri proximi ut placeas et Deo et proximo, tercium est omnia referre ad 212, 4 ualeret] G 1 |ualerent S 3 ; ualeret S 4 1

5 conuerso] contrario Delhaye 2

213, 3 uel tercias] abest in G ; add. sup. l. G |uel tercias S 3

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le microcosme, III, 211-213

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inférieure, l’autre supérieure. C’est pourquoi, comme je l’ai dit, les parties étant divisées entre elles, de l’amour ordonné de soi-même, l’un est l’amour de la chair, l’autre l’amour de l’esprit. De l’amour du prochain, l’un est l’amour de l’ami, l’autre l’amour de l’ennemi. De l’amour de Dieu, l’un est l’amour de Dieu seulement, l’autre l’amour de Dieu homme. Et voici que des trois membres de mon corps procèdent six ailes, disposées de part et d’autre, à droite et à gauche, et de chacun des trois membres il en sort deux, d’un côté et de l’autre.» 212. Du nombre de ses ailes: combien ce nombre est nécessaire «Il est cependant de toute nécessité que ces ailes soient au nombre de six, en sorte que si l’une d’elles était ôtée, les autres deviendraient parfaitement inutiles. Si en effet, on retirait l’amour ordonné de la chair, que vaudrait un quelconque amour de l’esprit, ou le contraire? Si, en aimant ta chair de façon désordonnée, tu recherchais seulement les plaisirs de la chair, comment cultiverais-tu l’esprit? Si, en aimant l’esprit de façon désordonnée en négligeant la chair, tu t’attachais aux seules satisfactions de l’esprit, comment pourvoirais-tu aux besoins de la chair? Aucun des deux ne peut être aimé sans l’autre, ni de façon désordonnée, ni de façon ordonnée. Ainsi doit-on en juger de l’amour de l’ami et de l’ennemi, de l’amour de Dieu et des hommes de Dieu. Aucun des deux ne peut, je ne dis pas être utile mais même exister sans l’autre, et de même que ce nombre ne peut être diminué, il ne peut non plus être augmenté. Il n’admet rien de plus et ne supporte rien de moins. C’est pourquoi ce nombre de mes ailes est vraiment parfait, non seulement suivant la raison divine, par laquelle Dieu créa toutes choses dans le nombre six, mais aussi suivant la raison humaine qui dit que le nombre six est constitué de ses parties: ce nombre de mes ailes est donc parfait.» 213. De l’ordre et de la disposition de ces ailes «Mais l’ordre et la disposition de ces ailes n’est pas interchangeable; car tu ne peux sans bouleverser l’ordre faire des premières les secondes ou les troisièmes, ni des secondes ou des premières les troisièmes, ni des troisièmes ou des secondes les premières. En premier lieu en effet, il s’agit de prendre pitié de toi-même pour plaire à Dieu, en second lieu de prendre pitié du prochain pour plaire à Dieu et au prochain, en troisième lieu de tout rapporter à Dieu. Tel est l’ordre de la charité que l’Époux disposa dans son épouse introduite dans le cellier à vin. Aussi, dans le Cantique de l’amour, elle le glorifie ainsi en exultant: «Le roi m’a

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microcosmvs, III, 213-214

Deum. Hic est ordo caritatis quem sponsus in sponsa sua in cellam uinariam introducta ordinauit. Vnde ipsa gloriatur exultans in Cantico amoris ita: Introduxit me rex in cellam uinariam, ordinauit in me caritatem. Nimirum cellam uinariam significans Ecclesiam in qua continetur uinum illud euangelicarum nuptiarum de aqua factum, uinum inquam nouissimum primo melius iuxta architriclini iudicium, quo inebriata anima in amore Dei perfecta, humani amoris ordinis obliuiscitur et diuini docta efficitur. Conuenientibus igitur duobus his, id est numero et ordine tali in alis meis, tercium, id est dispositio earum in rotundum, necessario prouenit. Nam quisquis in se sic ordinatam habet caritatem, procul dubio sursum eleuatus ut animal celeste, tendit in eternitatem. Quod deinceps diligentius ostendere non erit sursum tendentibus inutile.»

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〈214.〉 Quomodo his alis uolatur et unde incipiatur «Audiant ergo omnes auidi tendendi in Deum unde incipere debeant et unde sibi pennas ad uolandum sumant. Prime ale mee motus initium tendendi ad Deum est. Motus autem eius est ordinati amoris carnis opus, id est ordinate amare carnem suam. Vsque adeo autem necesse est hinc incipere uolatum ut si centum alas habere posses et omnes sine ista mouere, nichil ageres. Quis enim inordinate diligens carnem suam, ad aliquid bonum se potest uel erigere, nedum uolare? In luto iacens quomodo uolat? Sed huic ale unde nascuntur penne ad se mouendum? Vtique ex his que tu ipse supra diligentius enumerasti que me tibi inspirante precurrente intellectu peruidisti, etiam antequam has alas meas uidisses, antequam de huiusmodi uolatu quicquam didicisses, id est ex iugi consideratione eorumque spiritus carni sue ex caritate debet, siue ex eo quod personaliter ei unitur, siue ex eo quod illi tamquam uxori maritatur, siue ex eo quod in ea tamquam miles in tabernaculo suo militat, siue ex eo quod ipsa tamquam iumentum eius eum portat, siue 213, 9 introduxit – caritatem] Cant. 2, 4 10 cellam – ecclesiam] Bède, In Cant. cant., I, 2 (CCSL 119B, p. 213-214, l. 117-121) 11 uinum – aqua] Ioh. 2, 9 1112 uinum – iudicium] cf. Ioh. 2, 10 7 caritatis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |caritatis S 3 13 in amore] in anima G 1 |in amore S 3 amoris] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |amoris S 3 214, 2 Deum] Dominum Delhaye abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |iugi S 3

3 sumant] sumantur Delhaye

13 iugi]

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le microcosme, III, 213-214

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introduite dans le cellier à vin, il a disposé en moi la charité»: appelant assurément cellier à vin l’Église contenant ce vin des noces évangéliques, fait à partir de l’eau; le vin, dis-je, le dernier, meilleur que le premier, de l’avis du maître d’hôtel, le vin dont l’âme, accomplie dans l’amour divin, est enivrée et, négligeant l’ordre de l’amour humain, se pénètre de l’amour divin. L’un et l’autre étant donc en accord, à savoir ce nombre et cet ordre dans mes ailes, la troisième chose, c’est-à-dire leur disposition en forme circulaire, en découle nécessairement. Car quiconque possède en lui la charité ainsi disposée, élevé sans nul doute vers le haut comme un animal céleste, tend vers l’éternité. Ce que nous allons maintenant nous appliquer à démontrer ne sera pas inutile à ceux qui tendent vers le haut.» 214. Comment on vole avec ces ailes et par où il faut commencer «Qu’ils écoutent donc, tous ceux qui sont impatients de tendre vers Dieu, par où il leur faut commencer et comment ils doivent se munir de plumes pour voler. Le mouvement de ma première aile est le début de la tension vers Dieu. Son mouvement est en effet l’œuvre de l’amour ordonné de la chair, c’est-à-dire aimer de façon ordonnée sa propre chair. Or il est à tel point nécessaire de commencer par là son envol que si tu pouvais avoir cent ailes et les mouvoir toutes sauf celle-là, tu ne ferais rien. Qui donc, s’il aime sa chair de façon désordonnée, peut parvenir à quelque chose de bon, à plus forte raison à voler? Gisant dans la fange, comment peut-il voler? Mais d’où naissent les plumes à cette aile pour qu’elle puisse voler? Avant tout de ce que tu as énuméré plus haut très en détail, choses que tu as prévues sous mon inspiration, grâce à ton intelligence, avant même que tu ne voies mes ailes, avant que tu n’apprennes la moindre chose de cette façon de voler: c’est-à-dire par la prise en compte continuelle de ce que l’esprit doit par charité à sa chair, soit parce qu’il lui est personnellement uni, soit parce qu’il est marié à elle comme à une épouse, soit parce qu’il combat en elle comme un soldat dans sa tente, soit parce qu’elle le porte, comme étant sa monture, soit parce qu’il se hâte avec elle comme avec un compagnon de l’exil vers la Patrie, soit surtout parce qu’il attend avec elle, comme avec sa cohéritière, la participation éternelle à l’héritage paternel. Ce sont là assurément les six plumes nées de lui-même pour l’amour ordonné de la chair, par lesquelles l’esprit est poussé à aimer de façon ordonnée sa propre chair, et par là-même

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microcosmvs, III, 214-215

ex eo quod cum ipsa tamquam cum socio de exilio ad patriam festinat, siue maxime ex eo quod cum ipsa tanquam cum coherede sua eternam participationem paterne hereditatis expectat: he nimirum sunt pene sex ordinato amori carnis ex se ipso nate, quibus spiritus mouetur ad ordinate amandum carnem suam, ac per hoc ad sursum subleuandum eam. Quisquis ergo ordinatum amorem carnis habet sed nondum alam sibi exinde natam habet, diligenter predicta considerare curet et paulatim sibi alam nasci ex huiusmodi pennarum multiplicatione sentiet.»

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〈215.〉 Quod una ala non uolatur sed uno pari alarum, et quod secunde ale penne inde nascuntur unde et prime «His itaque pennis natis, multiplicatis et adultis in te, unam quidem alam habes que, licet ad mouendum se sufficiat, ad uolandum tamen non sufficit. Ad uolatum enim non una sola ala sed ad minus unum par exigitur alarum. Sed huic ale, unde nascuntur penne ad se mouendum nisi unde et priori? Nam cum prima et secunda ala unum par alarum sint, sicut ipse ex una radice nascuntur, sic et earum pennas ex eadem radice nasci necesse est et causa simul et tempore. In uno namque pari alarum non prius plumescit una quam altera sed sicut simul crescunt, sic et simul plumescunt, quamuis non possint simul dici que possunt simul fieri. Igitur sicut ex iugi consideratione eorum que spiritus debet sue carni, nascuntur ordinato amori carnis penne ad se mouendum, sic ex consideratione eorum que caro reciproca dilectione debet sui spiritui, nascuntur ordinato amori spiritus penne ad se mouendum. Quibus natis et adultis iam quidem unum par alarum habes aptum, quantum in se est, non solum ad se mouendum uerum etiam ad uolandum. Sed aptitudo ad actum non peruenit nisi habitis et reliquis duobus alarum paribus. Nam non habitis illis his uolare non potes, licet quiescentibus illis his uolare possis. Post hoc itaque primum par alarum satagendum, tibi est ut habeas secundum et tercium.»

20 spiritus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |spiritus S 3 catione Delhaye

24 multiplicatione] mutipli-

215, 5 uolatum] uolandum Delhaye 15 sui] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |sui S 3 19 alarum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |alarum S 3

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à l’élever vers le haut. Quiconque possède l’amour ordonné de la chair mais ne possède pas encore l’aile qui lui en naît, doit veiller à examiner attentivement ce qui a été dit, et peu à peu il sentira qu’il lui naît une aile par cette sorte de multiplication de plumes.»

215. Que l’on ne vole pas avec une seule aile, mais avec une paire d’ailes, et que les plumes de la deuxième aile naissent d’où sont nées celles de la première «Ainsi, une fois que les plumes sont nées, se sont multipliées, ont grandi en toi, tu possèdes une aile, certes, mais même si elle te permet de te mouvoir, elle ne suffit cependant pas pour voler. Car pour voler il faut non pas une aile seule mais au moins une paire d’ailes. Mais à cette deuxième aile, d’où naissent les plumes nécessaires pour se mouvoir, sinon de là où naissent celles de la première? Alors que la première et la deuxième aile forment en effet une seule paire d’ailes, de même qu’elles naissent d’une seule racine, de même il est nécessaire que leurs plumes naissent de la même racine, en raison à la fois de la cause et de temps. Dans une seule paire d’ailes, en effet, l’une ne s’emplume pas avant l’autre, mais, poussant en même temps, elles s’emplument en même temps, bien que l’on ne puisse pas dire qu’elles peuvent se former en même temps. C’est pourquoi, de même que par une continuelle observance de ce que l’esprit doit à sa chair, des plumes naissent à l’amour ordonné de la chair pour qu’il se meuve, de même par l’observance de ce que la chair, par un amour réciproque, doit à l’esprit, des plumes naissent à l’amour ordonné de la chair pour qu’il se meuve, de même par l’observance de ce que la chair, par un amour réciproque, doit à l’esprit, des plumes naissent à l’amour ordonné de l’esprit pour qu’il se meuve. Une fois qu’elles sont nées et devenues adultes, tu possèdes assurément une paire d’ailes capable, selon son pouvoir, non seulement de se mouvoir mais aussi de voler. Mais cette aptitude n’aboutit pas à l’acte si tu ne possèdes pas les deux autres paires d’ailes; car sans ces dernières tu ne peux pas voler avec les premières, alors que tu pourrais voler avec elles, même si les premières étaient au repos. C’est pourquoi, après cette première paire d’ailes, il te faut t’empresser d’obtenir la deuxième et la troisième paire.»

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microcosmvs, III, 216

〈216.〉 De secundo pari alarum et unde ei penne nascantur «Sed hic dicet michi aliquis: ‘Secundo pari alarum unde, queso, penne nasci possunt ad uolandum? Aut quomodo ex una radice sunt ordinatus amor amici et ordinatus amor inimici ut ex una eis radice pares penne nascantur?’ Nam si aliquatenus uideri potest ex qua radice penne nasci debeant ordinato amori amici, hoc nullatenus uideri potest unde nasci debeant uel ordinato uel inordinato etiam amori inimici. Vnde et naturalis legis preceptum antiquissimum proditum fuit: Diliges amicum tuum et odio habebis inimicum tuum. Quapropter naturali legi directa fronte contraire uidetur qui dixit: Ego autem dico uobis: ‘Diligite inimicos uestros, benefacite his qui oderunt uos’. Sed hoc sibi dicant qui per gratiam nondum discernere didicerunt inter naturam et naturam. Nam qui per gratiam illuminati hoc didicerunt, sciunt aliam esse legem nature condite, aliam nature corrupte. Natura condita nullum inimicum nouit, ac per hoc nullum preceptum de odiendo inimico unquam accepit. Naturaliter enim conditus est homo sociale animal, sed illuminatus per gratiam nullum quantum in se est reputat inimicum. Sola corrupta natura sibi fecit et habet inimicos. Est autem corruptio nature defectus a natura condita que, dum sibi confidit de se et a proposita sibi gratia auertit se, deficit in se et a se, facta inferior se et plerumque usque adeo deficit a se, ut penitus obcecata et emortua, defectum et morbum suum ipsa nec uideat nec sentiat. Vnde prouenit ut cum nec sana nec integra sit, inolitum sibi ex consuetudine longiore uitium, pro natura computet et ipsa nimirum est que legem quam naturalem uocant homines de diligendo amico et odiendo inimico accepit. Porro illa natura que a conditione sua nunquam deficit et que defectam per gratiam reficit, merito dixit: Diligite inimicos uestros etc., loquens his quos per gratiam nature condite restituit, non quod tales aliquos reputent inimicos, sed quod a nondum restitutis ipsi inimici reputentur.

216, 8-9 diliges – tuum] Matth. 5, 43 10-11 ego – uos] Matth. 5, 44 12 discernere – naturam] cf. Hugues de Saint-Victor, Libellus de formatione arche, III (CCCM 176, p. 133, l. 43) 27 diligite – uestros] Matth. 5, 44 216, 2 queso] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |queso S 3 11-13 per – gratiam] G 1 |†…† S 3 ; in ras. S 4 21-22 et emortua] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |et emmortua S 3 23 sana 3] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. G 5 25 odiendo] G 1 |obediendo S 3 ; add. sup. l. G 5

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216. De la seconde paire d’ailes, et d’où lui naissent les plumes «Mais alors on me dira: ‘D’où, je vous prie, peuvent naître à la seconde paire d’ailes des plumes pour voler? Ou comment sont issus d’une seule racine l’amour ordonné de l’ami et l’amour ordonné de l’ennemi pour que leur naissent d’une seule racine des plumes jumelles? ’ Car si l’on peut voir, dans une certaine mesure, de quelle racine doivent naître les plumes pour l’amour ordonné de l’ami, on ne peut nullement voir d’où doivent naître les plumes pour l’amour ordonné, ou même désordonné, de l’ennemi. D’où un très ancien précepte de la loi naturelle fut promulgué: «Tu aimeras ton ami et tu haïras ton ennemi». C’est pourquoi, il semble aller à l’encontre de la loi naturelle, celui qui dit: «En vérité, je vous le dis, aimez vos ennemis, faites le bien à ceux qui vous haïssent». Mais laissons dire cela à ceux qui n’ont pas encore appris à discerner, par la grâce, entre nature et nature. Car ceux qui, illuminés par la grâce, ont appris cela, savent qu’une chose est la loi de la nature créée, autre chose est celle de la nature corrompue. La nature créée ne connaît aucun ennemi, et n’a donc jamais reçu aucun précepte concernant la haine de l’ennemi. Car l’homme naturellement créé est un animal social, mais l’homme illuminé par la grâce ne se connaît, autant que possible, aucun ennemi. Seule la nature corrompue s’est fait et possède des ennemis. C’est un fait que la corruption de la nature est une défaillance de la nature créée qui, se fiant à elle-même et se détournant de la grâce offerte, défaille en elle-même et se fait défaut à elle-même, devenue inférieure à elle-même et se détache complètement d’elle-même, au point que, totalement aveuglée et éteinte, elle ne voit ni ne sent sa défaillance ni sa maladie. D’où il arrive que, n’étant ni saine ni indemne, elle attribue à la nature le vice enraciné en elle par une trop longue habitude, et c’est elle assurément qui a accepté cette loi, que les hommes appellent naturelle, qui prescrit d’aimer l’ami et de haïr l’ennemi. Par ailleurs, cette nature qui ne faillit jamais à sa condition et qui, quand elle faillit, la redresse par la grâce, dit à juste titre: «Aimez vos ennemis, etc.», en parlant à ceux qu’elle rétablit par la grâce de la nature créée, non pas que ceux-là comptent des ennemis mais parce qu’euxmêmes sont comptés comme ennemis par ceux qui ne sont pas encore rétablis. C’est pourquoi, si tu considères non pas la nature qui faillit à ellemême mais la nature qui progresse en elle-même, tu verras comment d’une seule racine naît l’amour ordonné de l’ami et l’amour ordonné de l’ennemi. Cependant ni la nature ni la grâce ne connaissent l’amour dé-

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Igitur si ad naturam non a se deficientem sed in se proficientem respicias, uidebis quomodo ex una radice nascatur ordinatus amor amici et ordinatus amor inimici. Inordinatum uero amorem uel amici uel inimici nec natura nec gratia nouit, sed defectus nature, id est uitium, sibi eum ut potuit comparauit. Cum enim natura condita defecisset in se, quod in se non inuenit auxilium, foris querere conpulsa est et quoquo modo aliquos sibi amicos fecit; quos autem facere non potuit, inimicos inuenit dum eis nec in bono concordare potuit nec a malo discordare uoluit. Inde ergo nascitur ordinatus amor inimici eque ut amici, unde nascitur amor proximi. Nam cum omnis homo tibi sit proximus, nullus tibi reputandus est inimicus, licet aliquis te sibi reputet inimicum. Tu enim nullum odio habere debes si tamen per gratiam nature tue restitutus es, licet aliquis te odio habeat qui nondum restitutus est. Quapropter is qui preceptum de diligendo inimico dedit, cum premisisset: Diligite inimicos uestros, non adiecit: ‘Benefacite his quos uos odistis’, sed qui oderunt uos, sciens a se restitutos nature prime, immo per gratiam ad maiora prouectos nullum odire, licet ipsi a multis odiantur, quod utique maioris uirtutis est quam si nullum inimicum habentes, nullum ipsi odissent.»

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〈217.〉 Vna radix duplex est: amoris proximi preceptum et exemplum Domini «Vt ergo de naturali amore proximi qui in precepto non est taceam, ut uiciosum amorem eiusdem qui in prohibitione est et ideo omnino memoria mea dignus non est, a doctrina mea longe faciam, ordinati amoris proximi qui in expresso precepto est, siue ad amicum diligendum siue etiam ad inimicum, una radix est adeo tenax ut etiam si nulla alia esset nullis uiribus euelli posset, uidelicet quod is de utroque preceptum dedit, qui et exemplum. Cuius precepti autoritas, cum tanta esset ut inpune contempni non posset etiam si sola esset, ex nimia tamen caritate

44-45 diligite – uestros] cf. 27-28 217, 9 qui – exemplum] cf. Ioh. 13, 15; I Petr. 2, 21 42 debes] deberes G 1 |debes S 3 217, 1 duplex] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |duplex S 3 5 non] G 1 |om. S 3 ; add. S 4 8 esset] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |esset S 3 9 autoritas] auctoritas Delhaye

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sordonné de l’ami ou de l’ennemi, mais c’est la défaillance de la nature, c’est-à-dire le vice, qui se l’est approprié comme il a pu. Alors que la nature créée avait failli en elle, ne trouvant pas de secours en elle-même, elle fut contrainte de rechercher à l’extérieur et se fit, d’une certaine façon, quelques amis, mais ceux dont elle ne put pas se faire des amis elle s’en fit des ennemis puisqu’elle ne put pas s’accorder avec eux dans le bien, ni ne voulut s’éloigner avec eux du mal. C’est pourquoi de là naît l’amour ordonné de l’ennemi comme de l’ami, de là naît l’amour du prochain car, comme tout homme est ton prochain, aucun ne doit être considéré comme ton ennemi, même si quelqu’un te considère comme son ennemi. Quant à toi, tu ne dois avoir de haine pour personne, si toutefois tu as été rétabli dans ta nature par la grâce, même si quelqu’un qui n’aurait pas encore été rétabli te tient en haine. C’est la raison pour laquelle celui qui prescrivit d’aimer l’ennemi, après avoir dit: «Aimez vos ennemis», n’ajouta pas: «Faites du bien à ceux que vous haïssez», mais «qui vous haïssent», sachant que ceux qui ont été restitués par lui à leur nature première, et même exaltés par la grâce à de plus hauts degrés de perfection, ne haïssent personne lors même que beaucoup les haïssent, ce qui est en tous points plus vertueux que s’ils ne haïssaient personne parce qu’ils n’auraient aucun ennemi.» 217. Une racine unique est double: le précepte de l’amour du prochain et l’exemple du Seigneur Donc pour ne pas parler de l’amour naturel du prochain qui n’est pas objet du précepte, écartant totalement de ma doctrine l’amour vicieux de ce dernier, qui fait partie de ce qui est interdit et n’est donc en rien digne que j’en fasse mention, la racine unique de l’amour ordonné du prochain, qui est inscrit expressément dans le précepte, soit pour aimer l’ami, soit aussi pour aimer l’ennemi, est à tel point tenace que, même s’il n’en existait pas une autre, aucune force ne pourrait l’arracher; c’est-à-dire que Celui qui donna le précepte de l’un et de l’autre en donna aussi l’exemple. Et bien que l’autorité de ce précepte fût si grande qu’elle n’aurait pu être transgressée impunément même si elle avait été seule, par un excès de charité le Seigneur voulut se faire proche de l’homme, ce qu’il n’était pas encore alors qu’il était Dieu, afin de confirmer par l’exemple ce qu’il établissait en précepte par l’autorité divine, dans une charité divine elle aussi. Ce qu’il confirma aussi par l’exemple, de sorte que dans l’admiration d’un tel exemple, pour ne pas parler d’imitation, tout homme ne puisse faillir.

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microcosmvs, III, 217-219

uoluit fieri proximus hominis, quod nondum erat cum Deus esset, ut quod ex autoritate diuina statueret in precepto ex caritate quoque diuina confirmaret exemplo. Quod etiam usque adeo exemplo confirmauit ut in admiratione tanti exempli, ne dicam in imitatione, omnis homo deficere possit.»

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〈218.〉 Obiectio ad predicta «Sed hic rursum dicet michi aliquis: ‘Vtrumque quidem precepit sed de utroque exemplum quomodo dedit, qui se pro amicis tantum animam ponere dicitur? Maiorem, inquit, hac dilectione nemo habet quam ut animam suam ponat quis pro amicis suis. In quo uerbo, non solum se pro amicis mori dicit, uerum etiam maiorem esse dilectionem mori pro amicis quam pro inimicis’. Sed hoc est quod superius dixi: ‘Quia enim ipse qui a natura condita numquam defecit, insuper et in gratia profecit, nullos odio habuit et suos qui a naturalibus defecerant non solum ad naturalia reuocauit sed etiam per gratiam ad maiora naturalibus sublimauit, rectissime se non pro inimicis sed pro amicis mori asseruit.’ Quomodo enim recte se pro inimicis animam ponere dixisset qui, quantum in ipso erat, nullum exosum habebat, se autem odientes etiam pro eis moriendo sibi amicos faciebat? Que utique dilectio tanto maior erat omni humana dilectione, quanto ipse diligens et ex ea dilectione animam pro amicis ponens, maior erat omni se diligente. Quamuis possit et alio sensu recte dictum intelligi maiorem dilectionem nemo habet, scilicet ut nomen dilectionis pro signo dilectionis intelligatur. Maius quippe signum dilectionis nullum esse potest quam mors sponte pro quolibet suscepta, ut non sit uis dicti in eo quod additur: pro amicis.»

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〈219.〉 Alia radix amoris proximi et ipsa duplex Vna ergo radix ineuulsibilis utriusque amoris, amici scilicet et inimici, preceptum pariter et exemplum tanti autoris est, que etiam si sola esset, ut dictum est, ad pennandum hec par alarum sola sufficere posset. Nunc autem est et alia radix antiquior nec minus sufficiens, scilicet quod 218, 4-5 maiorem – suis] Ioh. 15, 13

17 maiorem – habet] cf. 4-5

12 autoritate] auctoritate Delhaye 218, 9 odio habuit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |odio habuit S 3 219, 4 hec] hoc Delhaye

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le microcosme, III, 218-219

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218. Objection à ce qui vient d’être dit «Mais ici on m’objectera: ‘ Il a certes prescrit l’un et l’autre amour, mais comment donna-t-il l’exemple de l’un et de l’autre, lui qui est dit donner son âme pour ses seuls amis? Nul n’a plus grand amour, dit-il, que celui qui donne sa vie pour ses amis. Par ces mots, il dit non seulement mourir pour ses amis mais aussi que c’est un plus grand amour de mourir pour ses amis que pour ses ennemis.» Mais voici ce que j’ai dit plus haut: que lui qui n’a jamais failli à la nature créée, qui a, en outre, progressé en grâce, qui jamais n’a eu de haine pour personne, et qui non seulement rappela aux réalités naturelles les siens qui avaient failli aux réalités naturelles, mais les a même portés par grâce à des réalités naturelles plus élevées, affirme très justement mourir, non pour ses ennemis mais pour ses amis. Car comment aurait-il pu dire à juste titre donner sa vie pour ses ennemis, lui qui, pour ce qui était de lui, n’avait de haine pour personne mais qui en mourant aussi pour ceux qui le haïssaient, en faisait ses amis. Et cet amour était d’autant supérieur à tout amour humain que lui, en aimant et en donnant par cet amour sa vie pour ses amis, était plus grand que quiconque pouvait l’aimer. On peut comprendre il est vrai dans un autre sens la phrase: «nul n’a plus grand amour», en ce sens que le mot ‘amour’ soit entendu au sens de ‘signe d’amour’. Il ne peut y avoir de plus grand amour que la mort assumée volontairement pour chacun, de sorte qu’il ne sert à rien d’ajouter: pour ses amis».

219. Autre racine de l’amour du prochain, elle-même double Ainsi, une unique racine indéracinable de l’un et l’autre amour, celui de l’ami et celui de l’ennemi, est aussi bien un précepte qu’un exemple d’un si grand auteur, qui, même si elle était seule, comme on l’a dit, pourrait suffire à elle seule pour emplumer cette paire d’ailes. Maintenant il y a une autre racine plus ancienne, non moins suffisante, à savoir que tous les hommes sont frères, nés d’un seul père terrestre, tous fils d’un seul Père céleste, et pouvant devenir cohéritiers de la béatitude éternelle. Mieux encore, beaucoup ont déjà reçu de ce Père céleste la promesse, le gage et les arrhes d’un tel héritage, qui ont mérité de les recevoir par la grâce. Eux qui sont aussi tenus, par le devoir d’amour fraternel, d’appeler de toutes leurs forces, entraîner, contraindre au partage d’une si

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microcosmvs, III, 219-220

omnes homines ex uno patre terreno nati fratres sunt, omnes unius Patris celestis filii et eterne beatitudinis coheredes fieri possunt; immo iam ipsius celestis Patris repromissiones pignus et arras tante hereditatis multi acceperunt qui eas per gratiam accipere meruerunt. Qui etiam ex fraterne dilectionis debito tenentur omni nisu uocare, trahere, conpellere ad tante beatitudinis consortium eos qui nondum aliquid arre uel pignoris inde accipere meruerunt. Quod si fecerint, et sibi et coheredibus suis consulunt. Sin autem facere neglexerint, et pro sui et pro coheredum suorum negligentia pereunt. Quis ergo iam non uideat, horum consideratio diligens, quantas huic pari alarum pennas gignat et nutriat et habiles ad uolandum faciat?

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〈220.〉 Quousque primo pari uoletur «Ex predictis iam patet unde primis duobus paribus alarum mearum penne nascuntur ad uolandum. Nunc quousque eis uoletur diligentius te docebo, licet ex premissis iam aliquatenus insinuatum sit. Et primum quidem par si bene pennatum sit, animam et corpus ad tante celsitudinem dignitatis eleuat, ut se ab inuicem pro tempore separare non timeant, spiritu libenter ad tempus carnem deponente et carne libenter spiritui ad hoc consentiente, spe felicioris coniunctionis quam alter alteri repromittit. Hinc est quod et quandiu coniuncti sunt pacienter magis quam libenter coniuncti sunt, et quando separantur, libenter magis quam pacienter separantur, siue necessitatis articulo instante, quo spiritus aut negare conpellitur eum quem diligit aut percussori carnem exponere, persuadente id spiritu carni, carne in idipsum libenter spiritui consentiente; siue necessitatis quidem articulo non instante sed mutue uoluntatis desiderio in id flagrante, eo quod spiritus cupiat dissolui et esse cum Christo, caro autem requiescere in spe, suggerente ei spiritu et dicente: ‘Caro mea mecum nata, nutrita, adulta, dilecta mea, socia exilii mei, comes itineris mei, futura coheres regni communis Domini, ecce iam diu cohabitauimus, coambulauimus, collaborauimus, leta et tristia 220, 15-16 cupiat – Christo] Phil. 1, 23

16 caro – spe] Ps. 15, 9

6 homines] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |homines S 3 9 accipere] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |accipere S 3 13 neglexerint] neglexerunt Delhaye pro] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |pro S 3 220, 9 coniuncti] conuincti Delhaye 10 coniuncti] conuincti Delhaye 16 requiescere] G 1 |requiesceret S 3 ; requiescere S 4

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grande béatitude ceux qui n’ont pas encore mérité d’en recevoir une part d’arrhe ou de gage. Et s’ils font cela, ils l’agréent pour eux et pour leurs cohéritiers; si au contraire ils négligent de le faire, ils périssent, du fait de cette négligence d’eux-mêmes et de leurs héritiers (en raison de leur propre négligence et de celle de leurs cohéritiers). Dès lors, qui ne voit combien l’attention diligente à ces choses engendre et fournit de plumes à cette paire d’ailes et les rend capables de voler.

220. Jusqu’où vole-t-on avec la première paire De ce qui a été dit apparaît désormais clairement d’où naissent aux deux premières paires de mes ailes des plumes pour voler. Maintenant je t’apprendrai plus précisément jusqu’où l’on vole avec elles, bien que ce qui a été dit le laisse entendre dans une certaine mesure. La première paire, si elle est bien emplumée, élève l’âme et le corps à un tel niveau de dignité qu’elles ne craignent pas de se séparer l’une de l’autre, suivant les moments, l’esprit quittant volontiers la chair pour un temps, et la chair donnant volontiers son assentiment à l’esprit pour cela, dans l’espoir d’une conjonction plus heureuse qu’ils se promettent l’un à l’autre. Par conséquent tant qu’ils sont conjoints, ils le sont plus par contrainte que par volonté, et quand ils se séparent, ils le font plus par volonté que par contrainte, soit sous la pression instante de la nécessité qui force l’esprit soit à renier celui qu’il aime ou à livrer la chair à l’agresseur – l’esprit amenant la chair à l’accepter, la chair s’accordant volontairement à l’esprit pour cela – soit sous la pression instante de la nécessité mais dans le désir ardent d’une volonté partagée, du fait que l’esprit désire «disparaître et être avec le Christ», mais «la chair désirant reposer dans l’espérance»; l’esprit le lui inspirant par ces mots: «Ma chair, née, élevée, développée avec moi, mon aimée, compagne de mon exil, compagne de ma route, future cohéritière du royaume commun du Seigneur, voici que nous avons déjà depuis longtemps cohabité, que nous avons cheminé ensemble, collaboré, que nous avons partagé les joies et les peines, nous brûlons déjà de la vision de notre Seigneur commun mais ne pouvons maintenant parvenir à Lui ensemble. Notre association est désormais pénible pour nous deux, tandis que, de mon côté, je murmure par moments que tu es pour moi obscure, fragile, sordide,

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communicauimus, communis Domini iam uisione flagramus sed ad eum nunc simul peruenire non possumus’. Grauis est de cetero utrique nostrum hec nostra societas murmurante me interdum quod tenebrosa, quod lutea, quod sordida michi es, murmurante te uicissim quod durus, quod grauis, quod inportabilis tibi sum, dum te macero ieiuniis, consumo uigiliis, punio suspiriis, perfundo lacrimis, affligo corporalibus disciplinis, patere iam equanimiter hanc utrique onerosam dissolui societatem, patere ut preuolem et precedam te ad Dominum communem. Et ecce promitto tibi quod tempore statuto reuertar ad te et resumam te non iam tenebrosam sed lucidam, non iam luteam sed solidam, non iam sordidam sed mundam, et tu me recipies non iam durum sed placidum, non iam grauem sed leuem, non iam inportabilem sed omnimodis tractabilem, et tunc ambo felicius et inseparabiliter coniuncti communi Domino presentabimur et sic de communi uisione eiusdem simul in eternum gloriabimur. Hec meo instinctu suggerente spiritu carni, acquiescit caro spiritui et ordinati amoris pennis utrique subleuati, ille desiderio, illa consensu, parati sunt ad huius onerose sibi cohabitationis dissolutionem, adeo ut suspenso in altum spiritu per desiderium et carne per consensum, pro utroque spiritus dicat ei in quem suspenditur: Sitiuit in te anima mea, Deus meus, quam multipliciter tibi caro mea.»

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〈221.〉 Quod sic euolans spiritus adhuc desiderio carnis sue estuat «Et plerumque annuente Deo mox obuenit eis quod optant, et euolat usque sub altare Dei spiritus alis ordinati amoris tam carnis sue quam sui adiutus, ubi constitutus, non potest obliuisci carnis cuius altera ala sursum sublatus est in requiem, nec se totum reputat liberatum, quantamcumque adeptus sit beatitudinem, donec recipiat sociam sui exilii et coheredem sui gaudii adhuc in puluerem dormientem, sed desi39-40 sitiuit – mea] Ps. 62, 2 221, 3 sub altare] Apoc. 6, 9 23 michi] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |michi S 3 26 patere] patiere Delhaye 27 patere] patiere Delhaye et precedam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |et precedam S 3 221, 3 usque – altare] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 4 adiutus] G 1 (?); raptus in ras. G 2 ;|abtus S 3 ; adiutus G 5 (?) ubi – potest] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 6 adeptus] G 1 |ab eptus S 3

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que, de ton côté tu murmures que je te suis brutal, pesant, insupportable, quand je te tourmente par des jeûnes, que je te consume par des veilles, que je te fais subir des plaintes, que je me répands en larmes sur toi, que je te terrasse par des disciplines corporelles. Il est évident que désormais cette association, pesante pour l’un comme pour l’autre, doit être dissoute, il est évident que je dois voler devant toi et que je te précède vers notre Seigneur commun. Mais je te promets de revenir vers toi au moment fixé et de te reprendre alors, non plus obscure mais claire, non plus fragile mais ferme, non plus sordide mais pure, et tu m’accueilleras alors, non plus brutal mais doux, non plus pesant mais léger, non plus insupportable mais accommodant en tous points. Alors, associés l’un à l’autre plus heureusement et inséparablement, nous serons présentés à notre Seigneur commun, nous rendrons gloire ensemble, éternellement, pour cette vision commune que nous aurons de Lui». L’esprit révélant cela à la chair, par mon inspiration, la chair acquiesce à l’esprit, et tous deux, soulevés par les plumes de l’amour ordonné, lui par le désir, elle par le consentement, sont prêts à la dissociation de cette cohabitation qui leur pèse, au point que, suspendus en l’air, l’esprit par le désir, la chair par le consentement, l’esprit lui dit, pour tous deux, vers qui il est suspendu: «Mon âme a soif de toi, mon Dieu, combien ma chair languit après toi». 221. Qu’en s’envolant ainsi, l’esprit brûle du désir de sa chair «Et le plus souvent, avec l’accord de Dieu, il leur arrive bientôt ce qu’ils souhaitent, et l’esprit s’envole jusque «sous l’autel de Dieu», aidé par les ailes de l’amour ordonné, tant de sa chair que de lui-même; et y étant établi, ne pouvant oublier la chair il est élevé vers le haut par sa deuxième aile pour le repos mais ne se sent pas complètement libéré, pour autant qu’il ait atteint la béatitude, tant qu’il ne reçoit pas la compagne de son exil et la cohéritière de sa joie, qui dort encore en poussière, mais brûlant de son désir, il crie vers Celui qui se libéra afin qu’il accélère sa propre libération. Mais «Il fut donné une longue robe à celui qui criait, et il lui fut dit qu’il se reposât», attendant l’autre robe «jusqu’à ce que soit au complet le nombre de ses frères». Les premiers saints martyrs entendirent cette réponse qui leur fut donnée du haut du ciel, eux qui s’envolèrent avec cette paire d’ailes bien emplumées jusque «sous l’autel de Dieu», comme le dit Jean, quand sous la pression instante de la nécessité dont ils allaient mourir, soit temporairement dans leur chair, soit pour l’éternité dans leur esprit, la chair et l’esprit y consentant par

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derio eius estuans clamat ad eum qui se liberauit ut acceleret et illius liberationem. Sed data una stola clamanti respondetur ut requiescat expectans alteram stolam donec compleatur numerus fratrum suorum. Hoc responsum sibi celitus datum, primi sancti martyres audiuerunt, qui hoc pari alarum bene pennatarum usque sub altare Dei, ut Iohannes dicit, euolauerunt dum instante articulo necessitatis quo aut caro temporaliter aut spiritus eternaliter periturus erat, consencientibus ex amore carne et spiritu carnem percussori tradiderunt ut spiritus liber euolaret. Hoc pari alarum euolant omnes qui, cum non habent subditos quos regant aut prelatos a quibus bene regantur, ipsi sui reges efficiuntur spiritu ordinate imperante carni, carne ordinate obediente spiritui, ita ut pari motu alarum suarum interim alter euolet usque sub altare Dei, donec alterum resumptum alter deferat usque ante conspectum Dei.»

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〈222.〉 Quomodo et quousque secundo pari alarum uoletur «Et primo quidem pari alarum mearum sic uolatur instar turturis aut soliuagi aut cum uno tantum compare suo uolantis. Porro secundo pari gregatim uolatur instar columbe, donec ad eandem cum priori metam ueniatur. Nam qui primarum alarum mearum bene pennatarum libero uolatu seipsum altius a terra eleuauit, et earum agilitate roboratus de proprio casu minus metuit, adicit et secundas alas meas aliquando mouere et earum se uolatu exercere. Que dum se a dextris et a sinistris longe lateque dilatant, ex his quos utrobique reperiunt, alios sub se positos obumbrant et protegunt, alios etiam super se eleuant, obumbrant et protegunt terrena Dei animalia uolare non ualentia. Obumbrant inquam ab estu carnalium desideriorum, ab estu tribulationum, protegunt a temptationibus et insultibus inmundorum spirituum eos qui terrenis actionibus occupantur et huiusmodi estibus et inpugnationibus fatigantur, postulantes iugiter diuine protectionis umbraculum et dicentes: Custodi me, Domine, ut pupillam oculi, sub ombra alarum tuarum protege me. Licet enim hi tales uolitare non possint, quia tamen habitant in 9-10 data – suorum] cf. Apoc. 6, 11

19 sub altare] cf. 2

222, 16-17 custodi – protege me] Ps. 16, 8 cf. Ps. 90, 1

17-18 habitant – commorantur]

8 estuans] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |estuans S 3 222, 6 roboratus] roboratur Delhaye 16 Domine] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |domine S 3 ombra] umbra Delhaye

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amour, ils livrèrent la chair à l’agresseur afin que l’esprit pût s’envoler librement. Avec cette paire d’ailes s’envolent tous ceux qui, n’ayant aucun sujet à diriger ni aucun chef pour les bien diriger, deviennent eux-mêmes leurs propres rois, l’esprit commandant à la chair de façon ordonnée, la chair obéissant à l’esprit de façon ordonnée, de sorte que l’un s’envole tout d’abord jusque «sous l’autel de Dieu», jusqu’à ce que l’un rapporte l’autre, qu’il a reprise, jusque devant le regard de Dieu.»

222. Comment et jusqu’où vole-t-on avec la seconde paire d’ailes «Et tout d’abord, avec la première paire de mes ailes on vole certainement comme la tourterelle, volant seule ou avec un seul compagnon. Mais avec la seconde paire on vole en groupe comme les colombes, jusqu’à ce que l’on atteigne la même limite qu’avec la première. Car celui qui s’est élevé très haut au-dessus de la terre dans un libre vol de mes premières ailes bien empennées, et fortifié par leur agilité, n’a pas craint sa propre chute, celui-là envisage de mouvoir un jour mes secondes ailes et de s’exercer dans leur vol. Et quand elles se déploient de part et d’autre en tous sens, parmi ceux qu’elles repèrent de part et d’autre, elles étendent leur ombre et protègent les uns, placés au-dessous d’elles, elles élèvent aussi les autres au-dessus d’elles, elles couvent et protègent les animaux terrestres de Dieu incapables de voler. Elles mettent à l’ombre, dis-je, en préservant du feu des désirs charnels, du feu des tribulations; elles protègent des tentations et des assauts des esprits immondes ceux qui sont occupés aux affaires du monde et sont travaillés par des agitations et des agressions, réclamant sans cesse l’ombrage de la protection divine et disant: «Garde-moi, Seigneur, comme la prunelle de l’œil, à l’ombre de tes ailes protège-moi». Bien que ceux-là ne puissent pas voleter, comme pourtant ils «habitent dans le secours du Très-Haut et demeurent sous la protection du Dieu du ciel», ils obtiennent ce qui leur est promis dans le psaume 90, à savoir: «Il te couvrira de ses ailes et tu trouveras l’espérance sous son pennage». Puis, ceux qui s’efforçant de monter plus haut et désirant voler s’exercent avec mes secondes ailes, commencent une fois en haut à les placer sur mes premières ailes afin

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adiutorio altissimi et in protectione Dei celi commorantur fit eis quid in psalmo xc mo promittitur eis ita: Scapulis suis obumbrabit tibi et sub pennis eius sperabis. Porro ad altiora nitentes et uolare cupientes, eleuatis qui in his secundis alis meis se exercent, et eleuatos primum ponit super primas alas meas ut in eis primum conualescant ad uolandum sibi, sicut et ego nunc te super primas alas meas eleuaui, et dum in his conualuerint, tunc eos transfert ad secundas, si tamen ydoneos uiderit ad uolandum aliis. Hoc enim est proprium harum alarum mearum officium ut aliis uolent non sibi, sicut primarum est officium sibi uolare non aliis. Nam quicumque per primas sibi sufficientes libere uolat, non opus est ei ut secundis adiuuetur ipse sed alii potius eis adiuuentur. Quisquis ergo in his secundis alis meis exercere se uult, sciat se non ad opus suum sed ad opus aliorum eas accepisse, scilicet uel ad umbraculum et protectionem eorum qui uolare non possunt, uel ad subleuandum eos qui uolare possunt, ita ut si quem ex utrisque periclitari uiderint, etiam animam pro eis ponere parati sint. Hec est enim huius paris alarum mearum summitas uolatus, uidelicet animam ponere pro fratribus eiusdem secum regni futuris coheredibus, presertim si in regimine eorum constituti hoc eis ex officio uolatum debeant. Nulli enim in regimine constituto sufficit primo pari alarum mearum quantuncumque expedite uolare, nisi satagerit in secundo se iugiter exercere.» 〈223.〉 Quod ipse Dei filius auis nobis factus, in hoc pari alarum se plus exercuit «In hoc regimine constitutus a Patre, Dei Filius, sicut ipse in secundo psalmo de se testatur dicens: Ego autem constitutus rex etc., fac19-20 scapulis – sperabis] Ps. 90, 4 35 animam – fratribus] cf. 33-34

33-34 animam – ponere] Ioh. 15, 13

223, 1 Dei – auis] cf. Augustin, De consensu evangelistarum, II, 75 (CSEL 43, p. 249, l. 7); Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, II, 1 (PL 193, 65D) 4 ego – rex] Ps. 2, 6 22 sibi] G 1 (?)|sibi S 3 24 tamen] G 1 |tunc S 3 |tum Delhaye si – uiderit] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 34 Hec] Hoc Delhaye 39 iugiter] iugitur Delhaye 223, 3 constitutus] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |constitutus S 3 in G 1 ; add. sup. l. G 2 |dicens S 3

4 dicens] abest

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qu’ils se rétablissent d’abord sur elles pour voler pour eux – de même que moi je t’ai élevé maintenant sur mes premières ailes –, et une fois rétablis sur elles, il les transfère alors sur les secondes si du moins il les a jugés capables de voler pour les autres. Car c’est là la fonction propre de ces miennes ailes, de voler pour les autres, non pour soi-même, comme la fonction des premières est de voler pour soi-même, non pour les autres. Car quiconque vole librement par les premières qui lui suffisent, il ne lui est pas utile d’être aidé par les secondes, mais plutôt que les autres soient aidés par elles. Donc, quiconque veut s’exercer dans mes secondes ailes doit savoir qu’il les a reçues non pour son utilité personnelle mais pour l’utilité d’autrui, c’està-dire soit pour ombrager et protéger ceux qui ne peuvent voler, soit pour relever ceux qui peuvent voler, de sorte que, s’ils voient l’un d’eux péricliter, ils soient prêts à «donner jusqu’à leur vie pour eux». Tel est en effet le point culminant du vol de cette paire d’ailes miennes, à savoir de «donner sa vie pour ses frères», futurs cohéritiers avec elle du Royaume, surtout si, chargés de les diriger, ils leur doivent ce vol par fonction. Car il ne suffit à personne, chargé de diriger, de voler convenablement si peu que ce soit par la première paire de mes ailes, s’il ne s’empresse de s’exercer continuellement dans la seconde.»

223. Que le fils de Dieu lui-même, devenu oiseau pour nous, s’exerça davantage dans cette paire d’ailes Le Fils de Dieu, constitué dans ce gouvernement par le Père comme il en témoigne lui-même au Psaume deuxième par ces mots: «J’ai été établi roi, etc.», et devenu le prochain de l’homme dans la chair assumée pour l’homme, se manifesta aux hommes dans cette même chair, non seulement homme en vivant parmi eux selon la raison, mais aussi veau en s’offrant à la mort pour les mortels, et lion en ressuscitant pour ceux qui ressusciteront, et aigle en montant au ciel avec ceux qui monteront. Selon cette figure de cet aigle, volant par sa vie immaculée plus haut que tous les autres oiseaux du ciel, et possédant lui aussi six ailes, ainsi que les autres saints animaux de Dieu, il s’exerça plus virilement que tous les autres avec cette paire d’ailes qui sont miennes, lui qui «comme l’aigle entraînant ses poussins à voler et voletant au-dessus d’eux, déploya ses ailes, les saisit et les porta sur ses épaules», en trouva certains capables de voler. Ceux qu’il trouva encore incapables de voler, il les protégea, en

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tus proximus hominis in carne assumpta pro homine, in eadem carne se exhibuit hominibus non solummodo hominem inter eos rationabiliter uiuendo, uerum etiam uitulum pro morientibus morti se offerendo, et leonem pro resurrecturis surgendo, et aquilam pro ascensuris ascendendo. In cuius aquile figura etiam per celibem conuersationem sublimius omnibus uolatilibus celi uolans, cum et ipse sex alas haberet sicut cetera sancta animalia Dei, in hoc tamen pari alarum mearum se ceteris omnibus uirilius exercuit, qui sicut aquila prouocans ad uolandum pullos suos et super eos uolitans expandit has alas suas et assumpsit eos atque portauit in humeris suis quoscumque ad uolandum ydoneos inuenit. Quos autem nondum ydoneos inuenit interim sub umbra alarum suarum protexit donec et ipsi ydonei fierent, si non ad uolandum hoc pari aliis, tamen ad uolandum primo pari sibi. Nec inmerito, nam qui primus de hoc pari alarum preceptum dedit, pre ceteris omnibus etiam exemplum dare debuit. Exemplum inquam non solum quomodo uolarent, uerum etiam quousque uolarent, id est usque ad ponendam animam pro fratribus. Maiorem enim, hac dilectionem nemo habet etc. Ad cuius mortis nescio quid uerius dicam, an exemplum an preceptum. Puto tamen exemplum, uelud ad corpus tot et tante postea congregate sunt aquile quot et quanti inueniuntur boni pastores animarum in Ecclesia Dei fuisse, omnes eousque his alis uolitantes ut parati essent pro fratribus animas ponere, licet non omnes inueniantur pro fratribus animas posuisse, ac per hoc omnes cum his quas hic secum euexerunt animabus congregatim uolantes usque sub altare Dei peruenisse. Nam is qui eis hic fuit aquila protegens uel euehens eos alis suis, ibi eis factus est altare protegens eos ab estu et a pluuia cornibus suis, donec omnes in unum uirum perfectum consumentur et ab ipso Deo Patri regnum tradantur.»

7-8 uitulum – aquilam] Garnier de Saint-Victor, Gregorianum, III, 11 (PL 193, 101D-102A) 12-14 sicut – suis] Deut. 32, 11 15 sub – suarum] Ps. 16, 8 21-22 ponendam – habet] Ioh. 15, 13 24 corpus – aquile] Matth. 24, 28 26 pro – ponere] cf. 21-22 29 sub altare] Apoc. 6, 9 31 in – perfectum] Eph. 4, 13 32 Deo – tradantur] cf. I Cor. 15, 24 11 animalia Dei] Dei animalia G 1 |animalia Dei S 3 in marg. G 2 |primo S 3

17 primo] abest in G 1 ; add.

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attendant «à l’ombre de ses ailes» jusqu’à ce qu’ils soient capables, sinon de voler avec cette paire pour les autres, du moins de voler avec la première paire pour eux-mêmes. Et ce n’est pas injuste car lui qui le premier donna le précepte sur cette paire d’ailes, dut en donner aussi l’exemple avant tous les autres. L’exemple, dis-je, non seulement de la façon de voler mais aussi jusqu’où voler, c’est-à-dire jusqu’à «donner sa vie pour ses frères. Car nul n’a de plus grand amour etc.». De sa mort, je ne sais dire en vérité si ce fut un exemple ou un précepte. Je pense cependant que ce fut un exemple. De même qu’ «autour du corps, des aigles» aussi nombreux et d’aussi grande taille «se sont rassemblés», de même on voit qu’il y eut, en grand nombre et tels qu’ils furent, de bons pasteurs des âmes dans l’Église de Dieu, qui tous volèrent de ces ailes au point d’être prêts à «donner leur vie pour leurs frères», même s’il se trouve qu’ils n’ont pas de fait donné leur vie pour leurs frères. Et ainsi, volant tous ensemble avec les âmes qu’ils emportèrent ici avec eux, tous sont parvenus «jusque sous l’autel de Dieu». Car celui qui pour eux fut ici-bas un aigle, les protégeant et les soulevant de ses ailes, est devenu là-bas un autel qui par ses cornes les protège de la chaleur et de la pluie, jusqu’à ce que tous soient consommés en un seul «homme parfait» et soient donnés par lui en Royaume à Dieu le Père.

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〈224.〉 Quomodo post hec predicta uisio disparuit Hec et huiusmodi multa subtiliter disserente magistra caritate de duobus paribus alarum suarum, et eam, quam ego sensu meo supra feceram parcium corporis eius distinctionem dilucidius corrigente, ego sedebam adhuc deuotus et inhians uerbis oris eius sicut inhiat pullus auis alimentis sibi ministratis ab ore matris, et enutriebar instar pulli uirtute uitalis eloquii eius, ita ut singule uerborum eius sillabe quasi singule quedam michi fierent ad uolandum penne. Tanta enim erat uirtus sermonis eius ut efficatia dictorum generaret michi etiam intelligentiam dicendorum. Vnde factum est ut, cum se preparare uideretur adhuc ad futuram dictionem de tertio pari alarum suarum quod supererat, inardesceret animus meus ad prosequenda per me dictionis eius residua, sicut pullus iam bene pennatus contemptis alimentis matris per se uolare gestit ad pascua. Quo comperto ipsa me diligentius intuens ait: «Video me non ociose tibi hactenus protelasse sermonem. Iam enim non solum dicta mea memoriter tenes, uerum etiam dicenda preuolante ingenio uides. Sed memento uerbi quod tu ipse supradixisti de quatuor mei corporis partibus, id est de quatuor ordinatis amoribus, loquens scilicet quod si quis in tribus primis ex his que sunt duo paria alarum mearum, ut tu nunc uides, se bene exercitauerit ita ut facile sit ei actitare quicquid eorum quilibet sibi suggesserit, tunc demum sic instituto Dei gratia supremam manum apponit dum omnibus his prehabitis ordinatum amorem eius quod supra se est ad consummationem superaddit, qua sola gratia ad tangendum capud meum quis ydoneus fit. Quam cum tu nondum haberes dum hoc dicebas, eo quod in tribus primis adhuc inexercitatus esses quos alas meas esse nescires, idcirco tibi in hac forma apparui ut primum in duobus paribus alarum mearum eruditus exercitareris, et sic supreme gratie appositione dignus efficereris. Hoc autem exercicium, non in solius lingue de qua tu presumere uideris potentia, sed magis in cordis et manus uirtute consistit. Si ergo in his omnino exercitatus es, bene est, euola quouis; sin autem securius adhuc sedebis et uidebis uolantem quam uolabis». Tum ego non sine lacrimis et singultuosis suspiriis dixi: «Domina mea tu nosti melius et scire et uelle et posse meum, ante te omne deside224, 3 paribus] G 1 |partibus S 3 4 eius] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |eius S 3 11 pari] om. Delhaye 12 per me] prime Delhaye 18 memento] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |memento S 3 partibus] loquentis add. G 1 ; del. G 2 |partibus S 3

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224. Comment, après cela, la susdite vision disparut Pendant que la maîtresse charité exposait subtilement ces choses et d’autres semblables sur les deux parties de ses ailes, et que je rectifiais avec plus de discernement la distinction que j’avais faite plus haut, à mon idée, des parties de son corps la becquée que lui dispense sa mère, et je me nourrissais, à l’instar du poussin, de la force de son discours de vie, de telle sorte que chaque syllabe de ses paroles devenait chacune pour moi comme des plumes pour voler. La force de son discours était si grande que l’efficacité de ce qui était dit engendrait en moi l’intelligence de ce qui était à dire. D’où il se fit que tandis qu’elle semblait se préparer à son prochain discours sur la troisième et dernière paire de ses ailes, mon esprit s’enflammait à l’idée de poursuivre moi-même le reste de son discours, comme un poussin déjà bien emplumé, négligeant la nourriture apportée par la mère, se dirige vers les pâtures. Ce que voyant, en me regardant plus attentivement elle dit: «Je vois que ce n’est pas en vain que je t’ai tenu jusqu’ici ce discours; car maintenant non seulement tu retiens de mémoire mes paroles mais, prévenu par ton intelligence, tu vois aussi ce qu’il faut dire. Mais souviens-toi de la parole que tu as prononcée tout à l’heure sur les quatre parties de mon corps, c’est-à-dire des quatre amours ordonnés, disant en fait que si quelqu’un s’exerce bien dans les trois premiers d’entre eux qui sont deux paires de mes ailes, comme tu le vois maintenant, de sorte qu’il lui soit facile de mettre en pratique celui d’entre eux qu’on lui aurait suggéré, arrivé à ce stade, la grâce de Dieu lui met la dernière main quand, en possession de tous ceux-là, elle porte l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de lui à la perfection, grâce à laquelle seule il devient digne de toucher ma tête. Mais comme tu ne l’avais pas encore quand tu disais cela, du fait que tu étais encore inexpérimenté dans les trois premiers dont tu ignorais qu’ils étaient mes ailes, je me suis donc manifestée à toi sous cette forme afin que, parfaitement instruit en mes deux paires d’ailes, tu t’y entraînes tout d’abord et ainsi deviennes digne de l’apposition de la grâce suprême. Cet exercice, en effet, ne consiste pas seulement dans le pouvoir de la langue, dont tu sembles te prévaloir, mais plus dans la vertu du cœur et de la main. Si donc tu as été parfaitement exercé en cela, c’est bien, envole-toi où tu veux; sinon il sera plus sûr pour toi de rester encore assis et de regarder voler que de voler.» Je dis alors, dans les larmes, les soupirs et les sanglots: «Madame, tu connais mieux mon savoir, mon vouloir et mon pouvoir, devant toi tout mon désir. Aie pitié de moi car mon âme se confie en toi». Elle dit alors:

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rium meum. Miserere mei quoniam in te confidit anima mea». At illa: «Ego quidem melius te noui te, sed deuocionem cordis oris confessione manifestari uolui. Nunc ergo tibi licet prematurius euolandi licentiam do, quia uelle tuum altius quam posse pondero. Accede nunc et tange capud meum ut augeatur posse tuum et sic effectum habeat uelle tuum.» Nondum uerba finierat cum ego euolans tetigi capud eius, semel et secundo et tertio deosculans illud. Quo facto dixit michi: «Quid sentis?» Et ego: «Turtur inuenit sibi nidum ubi reponat pullos suos». Et illa: «Ecce inuenisti quod optabas. Euola nunc ut uis et reuertere ad nidum tuum ut uis, et repone pullos tuos ut uis». Et hoc dicto disparuit uisio. Ego autem inuentus sum in Ecclesia iuxta altare Domini mei cui iugiter inseruiebam. Tunc reuersus ad me, retractaui apud me quod uideram et audieram et intellexi quid me de cetero magistra caritas agere uoluisset, scilicet ut in ordinato amore Domini mei, capitis sui et capitis mei, quem ab ipsa didiceram perseuerarem, ut omnes conatus et uolatus meos in ipsum dirigerem, in ipso finirem, conatus quoad difficilia, uolatus quoad facilia, conatus quoad humilia, uolatus quoad sublimia, id est ut quicquid orando, meditando, psallendo, legendo, scribendo seu quidlibet aliud quo sursum tenditur actitando inciperem, totum ad ipsum referrem, totum in ipso quasi pullos in nido reponerem. Sed et si quos proximos his uel aliis modis lucrari possem et ipsos quasi pullos in hoc nido enutrirem. His igitur admoniti ordinato amori eius quod est supra nos, quod est tercium par alarum caritatis, de ipsius adiutorio confisi supra nos euolantes, insistimus.

〈225.〉 Quid sit ordinatus amor eius quod est supra nos Videamus ergo quid sit iste ordinatus amor eius quod est supra nos, cuius alis eleuatus spiritus humanus ad tantam dignitatem prouehitur ut 224, 35-36 ante – meum] Ps. 37, 10 36 miserere – mea] Ps. 56, 2 suos] Ps. 83, 4 48 reuersus – me] cf. Act. 12, 11

43 turtur –

37 te 3] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |te S 3 38 Nunc] Hunc Delhaye 50 capitis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |capitis S 3 51 omnes] omnis Delhaye

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«Certes, je te connais mieux que toi-même mais j’ai voulu que la dévotion de ton cœur se manifestât par la confession de ta bouche. Je te donne donc maintenant, bien que prématurément, la permission de t’envoler parce que j’estime que ton vouloir est plus fort que ton pouvoir. Maintenant, approche-toi et touche ma tête afin que ton pouvoir augmente et qu’ainsi ton vouloir se réalise.» Elle n’avait pas fini de parler qu’en m’envolant je lui touchai la tête, une fois, deux fois, trois fois, en l’embrassant. Ensuite elle me dit: «Que sens-tu?» et moi: «La tourterelle s’est trouvé un nid où déposer ses petits». Elle: «Voici que tu as trouvé ce que tu désirais. Envole-toi maintenant où tu veux et reviens à ton nid comme tu veux et dépose tes petits comme tu veux». Cela dit, la vision disparut. Je me suis alors retrouvé dans l’église, auprès de l’autel de mon Seigneur que je servais en permanence. Revenu à moi, je repassais alors en moi-même ce que j’avais vu et entendu et je compris ce que la maîtresse charité avait voulu que je fasse désormais, à savoir que je persévère dans l’amour ordonné de mon Seigneur, de sa tête et de la mienne, amour que j’avais appris d’elle, que je dirige tous mes efforts et mes vols en lui, que je les accomplisse en lui, quelque difficiles que soient les efforts, quelque faciles que soient les vols, quelque humbles que soient les efforts, quelque sublimes les vols, c’est-à-dire que, quoique j’entreprenne de faire en fait de prière, méditation, psalmodie, lecture, écriture, ou toute autre chose qui tendrait à m’élever, je reporte tout à lui, je dépose tout en lui comme des poussins dans le nid. Mais même si je pouvais enrichir quelques prochains de cette façon ou d’autres, je les nourrirais eux aussi comme des poussins dans ce nid. C’est pourquoi avertis par ces enseignements sur l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de nous, qui est la troisième paire d’ailes de la charité, confiants en son aide, nous nous appliquons à nous envoler au-dessus de nous-mêmes. 225. Qu’est-ce que l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de nous Voyons donc maintenant ce qu’est l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de nous, par les ailes duquel l’esprit de l’homme élevé est promu à une telle dignité que, devenu un homme totalement nouveau, formé «à l’image et à la ressemblance de Dieu» et comme une sorte de monde, c’est-à-dire un microcosme, il devient digne d’être habité par Dieu. C’est pour cette raison, certes, que l’esprit humain est appelé microcosme par le théologien parce qu’il devient digne d’être habité par Dieu éternellement. Cet amour est le lien de la très douce dilection par

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totus nouus homo ad ymaginem et similitudinem Dei formatas et quasi quidam mundus, id est microcosmus, habitatore Deo dignus efficiatur. Hac siquidem ratione spiritus humanus a theologo microcosmus dicitur quia habitatore Deo in eternum dignus efficitur. Amor iste est uinculum dulcissime dilectionis quo humana anima per gratiam supra se prouecta Deo astringitur, inmediate, indicibiliter, indissolubiliter illi adherens. Inmediate dico, quia anima perfecte diligens Deum nichil sibi inter se et Deum constituit medium propter quod diligit Deum. Vinculum inquam mutuum, quia dilecta et diligens, et miro modo prius dilecta quam diligens, quia ab eterno dilecta temporaliter diligens, dilecta ut diligat, non diligens ut diligatur. Hoc dilectionis uinculum nulla anima perfecte nosse potest quante dulcedinis sit, nisi que experitur. Sed et ipsa que id experitur non sic exprimere potest ut est, quia in humanis affectionibus nichil ei simile est, quia Spiritus sanctus est. Veruntamen sancta anima que id experitur et exprimere uolens quod experitur, sub tipo sponse sponsi desiderio estuantis id ut potest exprimit dicens: Osculetur me osculo oris sui. Sed et post adeptionem desiderati quanta dulcedo sit in ipsa re adapta, sub eodem typo exprimit ut potest cum subiungit dicens: Quia meliora sunt ubera tua uino fraglantia unguentis optimis, non quod tante rei uel hoc comparabile sit, sed quod in humanis affectionibus nichil ei similius inueniri potuit. Quid enim in humanis affectionibus dulcius est amore sponsi et sponse? Idcirco et ipse Deus erga huiusmodi animam mutuum amorem suum exprimere uolens, consuetudini humane condescendit et se sponsum talis anime uocari non respuit. Immo ut expressius hunc nobis amorem suum mutuum commendaret, ipse personaliter se nature nostre unire dignatus est totum hominem, scilicet animam et carnem in perso-

225, 4 ad – similitudinem] Gen. 1, 26 14-17 dilectionis – sanctus] cf. Augustin, De Trinitate, XV, xvii, 29 (CCSL 50A, p. 504, l. 64-72); Hugues de Saint-Victor, De sacramentis, I, iii, 27 (PL 176, 229D- 230B); Sententiae de divinitate, V, iii (Piazzoni, p. 953, l. 177-186) 17-19 anima – sponsi] cf. Bernard de Clairvaux, Sermo in Cant., 7, 2 (Bern. Opera, I, p. 31, l. 8); Richard de Saint-Victor, De contemplatione, IV, 13 (L’œuvre I, p. 416, l. 4-6) 22 quia – optimis] Cant. 1, 2 225, 8 per gratiam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |per gratiam S 3 9 inmediate – indissolubiliter] indissolubiliter – immediate G 1 |habet S 3 10 Deum] Dominum Delhaye 10-11 inmediate – Deum 2] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 11 Deum 1.2] Dominum Delhaye 14 perfecte] perfecta Delhaye 22 unguentis] G 1 |ungentis S 3

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lequel l’âme humaine, projetée par la grâce au-dessus d’elle-même, est liée à Dieu, attachée à lui directement, de façon indicible, indissoluble. Directement, dis-je, parce que l’âme qui aime parfaitement le Seigneur n’établit entre elle et le Seigneur nul intermédiaire qui justifierait son amour du Seigneur; un lien, dis-je, mutuel parce qu’aimée et aimant, et, de manière merveilleuse, aimée avant d’aimer parce qu’aimée de toute éternité, aimant temporairement, aimée afin qu’elle aime, n’aimant pas pour être aimée. Ce lien de dilection, aucune âme parfaite ne peut savoir à quel point il est doux si elle n’en fait l’expérience. Mais même celle qui en fait l’expérience ne peut réellement l’exprimer, parce que dans les affections humaines rien ne lui est comparable, car c’est l’Esprit saint. Toutefois l’âme sainte qui en fait l’expérience et qui veut l’exprimer, l’exprime comme elle le peut par le symbole de l’épouse qui, brûlant du désir de l’Époux, dit: «Qu’il me baise du baiser de sa bouche». Mais après avoir reçu l’aimé, elle exprime comme elle peut toute la douceur de la chose reçue, par le même symbole, en disant: «Tes amours sont meilleures que le vin, l’arôme de tes parfums est exquis». Non que cela soit comparable à une telle chose, mais parce que dans les affections humaines on ne peut rien trouver de plus semblable. Car dans les affections humaines qu’y a-t-il de plus doux que l’amour de l’époux et de l’épouse? Aussi Dieu lui-même, voulant exprimer son amour réciproque envers une telle âme, condescend aux pratiques humaines et ne répugne pas à être appelé époux d’une telle âme. Bien plus, afin de nous confier expressément son amour mutuel, il a daigné s’unir personnellement à notre nature, assumant en sa personne l’homme total, c’est-à-dire l’âme et la chair; l’âme, certes, directement, la chair, par le truchement de l’âme, afin que notre double nature unie à lui ne soit plus attachée comme l’époux à l’épouse par une union spirituelle comme dans un mariage entamé, mais soit liée indissolublement comme un mari à sa femme par une union charnelle comme dans un mariage consommé. Dans notre chef ce lien d’amour mutuel entre Dieu et l’homme est désormais si consommé et si indissoluble que l’homme est heureux en Dieu qui l’habite pour l’éternité. Mais dans les membres, il attend encore d’être consommé, et en aucun autre homme vivant sur la terre qu’en le Christ ce lien d’amour mutuel ne s’est fait aussi indissoluble pour mériter le nom d’union, l’épouse soupirant encore et gémissant dans l’attente de cette union dont elle ne reçut que les arrhes, jusqu’à ce que s’accomplisse en elle l’union divine par laquelle Dieu l’attira à Lui, tandis que par excès d’amour il s’anéantit peu à peu en «prenant sa forme» afin de la remplir par amour mutuel en lui imprimant sa forme, c’est-à-dire son

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microcosmvs, III, 225-226

nam sibi assumens, et animam quidem inmediate, carnem uero mediante anima, ut unita sibi utraque natura nostra non iam ut sponsus sponse per spiritualem copulam quasi iniciato coniugio adhereret, sed ut maritus uxori per carnalem copulam quasi consummato matrimonio indissolubiliter cohereret. Et in capite quidem nostro ita consummatum et indissolubile iam factum est hoc mutue dilectionis inter Deum et hominem uinculum, ut in ipso iam eterno habitatore Deo beatus sit homo. Sed in membris adhuc expectatur consumandum, nec in aliquo alio homine super terra uiuente quam in Christo sic indissolubile factum est hoc mutue dilectionis uinculum, ut coniugii nomen mereatur, suspirante adhuc et ingemiscente sponsa de dilatione coniugii cuius non nisi arras accepit, donec compleatur in ea sponsio diuina qua ad se eam traxit Deus, dum ex nimio amore se paulatim exinaniuit formam eius accipiens ut per mutuum amorem illam impleret, formam id est ymaginem et similitudinem suam illi inprimens, et sicut Deus quodammodo ex amore defecit in hominem, sic homo quodammodo ex amore proficeret in Deum.

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〈226.〉 Nota duplici uinculo dilectionis hominem trahi in Deum Ex his colligitur quod duplici uinculo dilectionis, quod est tercium par alarum caritatis, homo trahitur in Deum, altero quod Deus est, altero quod propter eum homo factus est, altero quo ex amore eum creauit, altero quo ex amore eum recreauit, altero quo eum fecit capacem bonorum suorum, altero quo eum fecit plenum bonorum suorum, et eo amplius quo non sine quadam ut ita dicam iniuria sua, quoniam cum inanicione sua fecit eum plenum bonorum suorum. Ex quo etiam hoc con43 exinaniuit – accipiens] Phil. 2, 7

44-45 ymaginem – Deus] Gen. 1, 26; 5, 1

226, 7-8 cum inanicione] cf. Phil. 2, 7 36 hoc] hec Delhaye Deum] Dominum Delhaye 37 beatus] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 homo] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 39 super – uiuente] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 45 amore] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |amore S 3 226, 1 nota duplici uinculo dilectionis hominem trahi in Deum] nota duplici uinculo dilectionis G 1 ; hominem obligari Deo add. in marg. G 2 |nota duplici uinculo S 3 ; dilectionis hominem trahi in Deum add. in marg. G 5 2-3 quod 2 – caritatis] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 7 quadam – dicam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

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le microcosme, III, 225-226

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image et sa ressemblance; et de même que Dieu défaillit en quelque sorte en l’homme par amour, ainsi l’homme devait croître en quelque sorte en Dieu par amour.

226. Note que l’homme est attiré en Dieu par un double lien de dilection De là on conclut que l’homme est attiré en Dieu par un double lien de dilection, qui est la troisième paire des ailes de la charité, l’un parce qu’il est Dieu, l’autre, parce qu’ il a été fait homme pour lui, l’un par lequel il le créa par amour, l’autre par lequel il le recréa par amour, l’un par lequel il le fit digne de ses bienfaits, l’autre par lequel il le fit comblé de ses bienfaits, et d’autant plus que ce ne fut pas, pour ainsi dire, sans un certain préjudice pour lui puisque c’est en s’abaissant lui-même qu’Il le fit comblé de ses bienfaits. Par conséquent on conclut aussi que l’homme est attiré en Dieu par un amour plus grand du fait que Dieu est homme que parce qu’Il est Dieu. Car l’un est naturel, l’autre gratuit. Par l’amour naturel il tend vers Dieu, par le gratuit il tend vers l’Homme-Dieu. Moindre est en effet ce qui est naturel, plus est le don gratuit. Et c’est par l’amour naturel que l’homme est formé «à l’image de Dieu», c’est par l’amour gratuit qu’il est reformé «à la ressemblance de Dieu».

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microcosmvs, III, 226-228

sequenter colligitur quod maiori amore homo trahitur in Deum eo quod Deus homo est quam quod Deus est. Nam alter horum naturalis est, alter gratuitus. Naturali in Deum, gratuito in hominem Deum tendit. Minus autem est quod naturale est, maius quod gratuitum donum. Et naturali amore formatur homo ad ymaginem Dei, gratuito reformatur ad similitudinem Dei.

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〈227.〉 Tam ymaginem quam similitudinem Dei in tribus consistere Quorum utrumque in tribus consistit, ut in utroque Trinitas creatrix et Trinitas recreatrix et Trinitas creata et Trinitas recreata inueniatur. Trinitas creatrix summa potencia, summa sapientia, summa bonitas, que creauit hominem naturaliter potentem, sapientem, bonum, que est Trinitas creata et ymago Dei. Rursum Trinitas recreatrix summa sapientia, summa bonitas, summa potentia, que recreauit hominem gratuito summe sapientem, summe bonum, summe potentem, que est Trinitas recreata et similitudo Dei.

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〈228.〉 Ymaginem et similitudinem Dei in persona Christi iam consummatas esse Et hec quidem ymago et similitudo Dei iam in Christo homine perfecta est. Ipse enim per gratiam iam summe sapiens, summe bonus, summe potens in unito sibi personaliter unigenito Dei factus est. Et hoc sexto die, id est perfecta in eo diuinorum operum senaria distincione, uel sexto die ad literam quo et conceptus et passus est et mox gloria et honore coronatus, uel certe sexto die sexta uidelicet huius seculi etate, in

13 ad ymaginem – Dei] Gen. 1, 26; 5, 1 227, 3-4 Trinitas – bonitas] cf. Hugues de Saint Victor, De sacramentis, I, ii, 6 (PL 176, 208C); I, iii, 26 (227C); Richard de Saint-Victor, De contemplatione, IV, 17 (L’œuvre I, p. 438, l. 54-56) 6 ymago Dei] cf. ccxxvi, 13 9 similitudo Dei] cf. Gen. 5, 1 et 3 228, 3 ymago – similitudo] cf. ccxxvi, 13-14 Hebr. 2, 7

7-8 gloria – coronatus] Ps. 8, 6;

227, 2 utrumque] uterque Delhaye 3 inueniatur] inueniantur Delhaye 5 creauit] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |creauit S 3 6 et – Dei] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 8-9 trinitas recreata] G 1 |tr. S 3 ; trinitas recreata S 4 228, 1 consummatas] consummatam G 1 |consummatas S 3 ; consummata S 4

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le microcosme, III, 227-228

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227. Que l’image comme la ressemblance de Dieu consiste en une triple réalité L’une et l’autre consistent en une triple réalité, à savoir que dans l’une et l’autre on trouve la Trinité créatrice, la Trinité recréatrice, la Trinité créée et la Trinité recréée. La Trinité créatrice, puissance suprême, sagesse suprême, bonté suprême qui créa l’homme naturellement puissant, sage, bon: c’est la Trinité créée et «l’image de Dieu». D’autre part, la Trinité recréatrice, puissance suprême, sagesse suprême, bonté suprême, qui recréa l’homme gratuitement, puissance suprême, sagesse suprême, bonté suprême: c’est la Trinité recréée et «la ressemblance de Dieu».

228. Que «l’image et la ressemblance de Dieu» a été déjà consommée dans la personne du Christ Et cette «image et ressemblance de Dieu» a été déjà consommée dans le Christ homme. Car il a déjà été fait, par la grâce, suprêmement sage, suprêmement bon, suprêmement puissant, dans le Fils unique de Dieu personnellement uni à lui. Et cela s’accomplit le sixième jour, où fut rendue parfaite en lui la distinction des œuvres divines opérées en six jours – à savoir selon la lettre le sixième jour où il fut conçu et souffrit sa Passion, et bientôt «couronné de gloire et d’honneur». On peut entendre encore le sixième jour comme le sixième âge de ce monde, où la sagesse de Dieu vint en lui avec «sept femmes saisissant un seul homme», qui le consumèrent totalement, lui qui était formé personnellement à l’image et à la ressemblance de Dieu, tant selon l’âme que selon le corps, tant suivant les réalités naturelles que suivant les gratuites, la sagesse disposant les réalités naturelles de façon à ne rien laisser en elles de désordonné ou de déplacé «de la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête», l’image de la puissance, de la sagesse et de la bonté créatrice brillant en lui, sept femmes ornant en outre un seul homme d’une telle plénitude de grâces qu’elles ne laissaient en lui rien de désordonné de la plante des pieds jusqu’au sommet de la tête», la ressemblance de la sagesse, de la bonté et de la puissance brillant en Lui, et cela tant selon la grâce du mérite que suivant la grâce de la récompense. Tout d’abord sous

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microcosmvs, III, 228-229

qua ueniens in ipsum sapientia Dei cum septem mulieribus apprehendentibus uirum unum, totum eum personaliter ad ymaginem et similitudinem Dei formatum consumauerunt, tam secundum animam quam secundum corpus, tam secundum naturalia quam secundum gratuita, sapiencia disponente naturalia ita ut nichil unquam in eis inordinatum uel indispositum relinqueret a planta pedis usque ad uerticem, relucente in eo ymagine potencie, sapiencie et bonitatis creatricis, porro septem mulieribus ornantibus uirum unum tanta plenitudine gratiarum ut nichil in eo inornatum relinquerent a planta pedis usque ad uerticem, relucente in eo similitudine sapientie, bonitatis et potentie recreatricis, et hoc tam secundum gratiam meriti quam secundum gratiam premii. Primum quidem prosequente eum gratia meriti a die conceptionis usque in diem passionis, ex tunc gratia premii succedente pro gratia meriti, propter hoc enim Deus exaltauit illum et donauit illi nomen quod est super omne nomen ut in nomine Ihesu omne genu flectatur celestium, terrestrium et infernorum et omnis lingua confiteatur quia Dominus Ihesus Christus in gloria est Dei Patris. Ecce gratia pro gratia, gratia premii pro gratia meriti, gratia glorificationis pro gratia passionis, pro ignominia gloria, pro humiliatione exaltatio, non quelibet sed usque ad consessum Patris.

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〈229.〉 Quo ordine post passionem exaltatus est Christus Que hoc ordine processit: formato namque sic hactenus homine Christo ad ymaginem et similitudinem Dei secundum gratiam meriti, iussit eum Deus crescere et multiplicari et dominari piscibus maris et uolatilibus celi et bestiis terre, et hoc iusso uidit Deus cuncta que fecerat et erant ualde bona, et factum est uespere et mane dies sextus. Hoc est iussit Deus in Christo finiri gratiam meriti et inchoari gratiam premii, id est finiri passiones eius et inchoari gloriam eius; et post commemorato 9-10 mulieribus – unum] Is. 4, 1 10-11 ad – Dei] cf. ccxxvi, 13-14 14 a – uerticem] Is. 1, 6 15 ymagine – creatricis] cf. Col. 1, 15 17 a – uerticem] Is. 1, 6 21-25 propter – Patris] Phil. 2, 9-11 229, 3 ad – Dei] cf. ccxxvi, 13-14 5-6 uidit – sextus] Gen. 1, 31

4-5 crescere – terre] Gen. 1, 28

9 septem] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 15 potencie] abest in G 1 ; add. 2 3 1 bonitatis] abest in G ; add. sup. l. G 2 |bonitas S 3 20sup. l. G |potencie S 21 in diem] post ras. G 2 |in diem S 3 22 super] supra G 1 |super S 3

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le microcosme, III, 228-229

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la conduite de la grâce du mérite depuis le jour de la conception jusqu’au jour de la Passion, puis la grâce de la récompense succédant à la grâce du mérite, car c’est en effet pourquoi «Dieu l’a exalté et lui donna le nom qui est au-dessus de tout nom, pour que tout genou fléchisse au nom de Jésus, dans le ciel, sur la terre et dans les enfers, et que toute langue confesse que le Seigneur Jésus Christ est dans la gloire de Dieu le Père». C’est là «la grâce surajoutée à la grâce», la grâce de la récompense sur la grâce du mérite, la grâce de la glorification au lieu de la grâce de la Passion, non plus l’ignominie mais la gloire, non plus l’humiliation mais l’exaltation, non une quelconque exaltation, mais jusqu’à siéger à la droite du Père.

229. Dans quel ordre, après la Passion, le Christ fut exalté Cela procéda dans l’ordre suivant: le Christ homme ayant été jusque-là formé «à l’image et ressemblance de Dieu» selon la grâce du mérite, Dieu lui donna l’ordre de «croître et multiplier et de dominer sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel et les bêtes de la terre» et, après avoir donné cet ordre, «Dieu vit que tout ce qu’il avait fait était très bon, et il y eut un soir et un matin, sixième jour». Cela signifie que Dieu ordonna que la grâce du mérite s’achève dans le Christ, et que commence la grâce de la récompense, c’est-à-dire que ses souffrances finissent et que commence sa gloire, et après un bref rappel de l’ordre de sa future gloire, «il vit que tout ce qu’il avait fait était très bon». Car Il vit qu’il appartenait tout à fait à sa bonté de faire succéder le repos à la peine, la paix aux souffrances, la gloire à l’ignominie, l’exaltation à l’humiliation. Et il y eut un soir, c’est-à-dire que «les souffrances de ce temps» se sont terminées dans le Christ, «lesquelles ne sont pas comparables à la future gloire qui s’est révélée» en lui, mais elles sont comme la nuit précédant le matin de sa gloire qui a commencé le matin du septième jour, dans l’ordre que Dieu avait commandé. Car Dieu lui avait

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breuiter ordine future glorie eius uidit cuncta que fecerat et erant ualde bona. Vidit enim bonitati sue ualde conpetere ut labori faceret succedere requiem, passionibus pacem, ignominie gloriam, humiliationi exaltationem. Et factum est uespere, id est finite sunt passiones huius temporis in Christo que non sunt condigne ad futuram gloriam que reuelata est in eo, sed sunt quasi nox precedens mane glorie eius, que inchoata est mane septimi diei eo ordine quo iusserat Deus. Primo namque iusserat eum Deus dominari piscibus maris. Et factum est ita.

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〈230.〉 Quia primum pisces maris subiecti sunt ei Die namque septimo, corpore quiescente in sepulchro, spiritus unite sibi personaliter diuinitatis opere fretus, liber quo uoluit euolans, primum profunda maris huius magni et spaciosi cuius reptilia quorum non est numerus potenter adiit et inferos penetrauit, ubi et cetum illum magnum qui Ionam deuorauerat, corporis sui obiectum inescatum diuinitatis aculeo transfixit, et se et alios ab illo deuoratos quos uoluit euomere fecit. Immo, quod mirabilius est, maxillam Leuiathan antiqui draconis quem formauerat ad illudendum ei armilla, unde Iob dicit: Perforauit per medium eius foramen absortos ab illo suos potestatiue subtraxit, et illo pro libito uincto cum suis captiuitatem captiuam ducens die a passione tertio, qui est post septimum octauus, resurgens, ad superos cum gloria rediit et sic quid potestatis in piscibus maris accepisse euidenter ostendit.

9-10 uidit – bona] cf. 4-5 12 factum – uespere] cf. 4-5 Rom. 8, 18-19 16 dominari – ita] cf. Gen. 1, 28

12-13 passiones – est]

230, 4-5 reptilia – numerus] Ps. 103, 25 6 Ionam – deuoraerat] cf. Ion. 2, 1 8-9 maxillam – armilla] cf. Iob 40, 20-21 formauerat – ei] Ps. 103, 26 11 captiuitatem – ducens] Eph. 4, 8 229, 8 post] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |post S 3 10 conpetere] post ras. G 2 |competere S 3 13 gloriam] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |gloriam S 3 230, 1 ei] ea Delhaye 2 Die namque] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |Dei namque S 3 6 obiectum] obiectu G 1 |obiectum S 3 7 transfixit] transfixisse Delhaye 9 unde Iob dicit] G 1 ; ubi Iob dicit add. in marg. G 2 |unde Iob dicit S 3 perforauit] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 11-12 die – resurgens] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3

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tout d’abord ordonné de «dominer sur les poissons de la mer. Et il fut fait ainsi».

230. Que tout d’abord les poissons de la mer lui furent soumis Le septième jour en effet, le corps reposant dans la tombe, l’esprit, fort de l’œuvre de la divinité personnellement unie à lui, s’envole librement où il voulut, plongea tout d’abord dans les profondeurs de cette «mer grande et spacieuse», «aux reptiles innombrables», et pénétra dans les enfers, où il transperça avec l’aiguillon de la divinité ce monstre marin qui avait dévoré Jonas, jeté en pâture pour son corps, et le lui fit vomir, avec d’autres qui avaient été dévorés par lui, qu’Il choisit. Et, ce qui est plus extraordinaire encore, de «la mâchoire du Léviathan», l’antique dragon qu’Il avait formé comme un dragon pour s’en moquer, ce dont Job dit: «Il le transperça par le milieu», il retira avec force les siens qui avaient été engloutis par lui. L’ayant vaincu à sa volonté avec les siens, «Il le conduisit prisonnier en captivité», et le troisième jour après la Passion, qui est le huitième après le septième, ressuscitant, il remonta aux cieux dans la gloire et montra ainsi avec évidence tout le pouvoir qu’Il avait reçu sur les poissons de la mer.

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〈231.〉 Quod uolatilia celi subiecta sunt ei Cum tali triumpho reuertenti ad superos, uolatilia celi, id est angelorum celestium chori, mox affuerunt et quid ei seruitutis deberent, ipsi sedulo ministerio docuerunt, dum et resurgenti signatum lapide monumentum mulieribus aperuerunt et uenientibus ad monumentum mulieribus apparentes, resurrectionis eius gloriam predicandam fidelibus euangelizauerunt, et post per quadraginta dies intranti clausis ianuis ad discipulos et exeunti, ut deuoti ministri semper astiterunt. Nouissime autem die quadragesimo, celos ascendentem prosecuti cum celestibus ymnis, astantibus fidelibus et ascendentis gloriam corporeis etiam oculis intuentibus, apparuerunt in uestibus albis ministerium debite seruitutis Domino exhibentes et, sicut potenter ascendebat, sic reuersurum iudicem omnium predicantes. Et quidem hystorice sic in euangelio legimus sanctos angelos resurgenti et ascendenti Domino ministrasse, prophetice autem non solum resurgenti uel ascendenti, uerum etiam ad inferos descendenti pari modo affuisse et tam inferas quam superas portas ei precursione sua aperuisse, Dauid in psalmo xxiii° precinit, ita dicens in persona sanctorum angelorum precurrentium aduentum eius apud inferos: Tollite portas principes uestras. Imperant enim sancti angeli Dominum suum precurrentes ad inferos, nequam angelis aperire portas eorum, id est portas mortis, ut exeant quos mors iniuste detinebat, et rursum idem sancti angeli eundem Dominum precurrentes ad superos principibus eternalium portarum imperant dicentes: «Eleuamini porte eternales ut cum rege glorie introeant erepti de portis mortis». Et factum est, utrumque admirantibus utrisque tanti regis gloriam et dicentibus: Quis est iste rex glorie? De descensione namque Domini ad inferos et reditu eiusdem ad superos cum sedula precursione sanctorum angelorum Domino suo ministrantium, hoc orthodoxe patres ita exposuerunt. Et hec de uolatilibus 231, 4-5 resurgenti – mulieribus 2] cf. Matth. 28, 2 sqq.; Luc. 24, 2 sqq. 11 in – albis] Act. 1, 10 19-20 tollite – uestras] Ps. 23, 7 24-25 eleuamini – glorie] cf. 19-20 25 de portis mortis] cf. Ps. Ps. 9, 15 26-27 quis – glorie] Ps. 23, 8 231, 3 mox] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |mox S 3 5 mulieribus] abest in G 1 |mulieribus S 3 6 resurrectionis] G 1 |reperuerunt S 3 ; expunct. et cancel S 4 7 per] G 1 | om. S 3 Delhaye clausis ianuis] ianuis clausis G 1 |ianuis S 3 ; clausis add. sup. l. S 4 9 prosecuti] prosequuti G 1 |prosecuti S 3 12 potenter] abest in G 1 ; add. in marg. inf. G 2 |potenter S 3 17 precursione] precasione Delhaye 2627 dicentibus – glorie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3

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231. Que les oiseaux du ciel lui sont soumis Retournant aux cieux dans un tel triomphe, les oiseaux du ciel, c’està-dire le chœur des anges célestes, l’environnèrent aussitôt et lui démontrèrent, par leur empressement, la sujétion qu’ils lui devaient quand, à sa résurrection, ils ouvrirent aux femmes le monument scellé d’une pierre, et tandis qu’elles arrivaient au tombeau ils leur apparurent et procurèrent la gloire de sa résurrection qui devait être annoncée aux fidèles. Ensuite, quarante jours durant, entrant et sortant toutes portes closes pour aller auprès des disciples, ils l’assistèrent comme des serviteurs zélés. Enfin, le quarantième jour, en le suivant dans son ascension vers les cieux, parmi les hymnes célestes, en présence des fidèles qui voyaient, même avec leurs yeux corporels, la gloire de celui qui s’élevait, ils apparurent en vêtements blancs, prêtant au Seigneur le service de la sujétion qu’ils lui devaient, et comme Il s’élevait dans sa puissance, ainsi ils annonçaient qu’il reviendrait pour juger tous les hommes. Selon l’histoire nous lisons en effet dans l’Évangile que les saints anges servirent le Seigneur ressuscité et s’élevant dans les cieux, mais nous le lisons également selon la prophétie: qu’ils étaient aussi bien présents, non seulement quand Il ressuscita et monta aux cieux mais aussi quand Il descendit aux enfers, et lui ouvrirent en le précédant les portes de l’enfer comme celles du ciel, David l’annonça dans le psaume 23, en s’exprimant ainsi en la personne des saints anges, devançant sa venue aux enfers: «Princes, élevez vos portes». Car en précédant leur Seigneur aux enfers, les saints anges ordonnent aux mauvais anges d’ouvrir leurs portes, à savoir les portes de la mort, afin que sortent ceux que la mort détenait injustement. Mais en revanche ces mêmes saints anges, devançant le Seigneur dans les cieux, commandent aux princes des portes éternelles en disant: «Élevez-vous, portes éternelles», afin qu’ «avec le roi de gloire» entrent ceux qui ont été arrachés aux portes de la mort. Et, dans les deux cas, c’est ce qui se fit, les uns et les autres admirant la gloire d’un si grand roi et disant: «Qui est ce roi de gloire?» Car de la descente du Seigneur aux enfers et son retour aux cieux, devancés avec zèle par les saints anges au service de leur Seigneur, c’est l’explication que donnèrent les Pères orthodoxes. Ce qui vient d’être dit sur les oiseaux du ciel soumis à l’homme en l’ «image et ressemblance de Dieu» doit suffire amplement, et ce ne sera pas non plus une lourde tâche d’ajouter un mot sur les bêtes de la terre, comment elles lui sont soumises.

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celi subiectis homini in ymagine et similitudine Dei profecto satis dicta sint, nec opere pretium erit etiam de bestiis terre qualiter ei subiecte sint, aliqua adicere.

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〈232.〉 Quod bestie terre subseruiant Et ad literam quidem psalmista loquens in psalmo viii° de homine ad ymaginem Dei facto, primo gloriam eius generaliter commendat ita dicens: Gloria et honore coronasti eum et constituisti eum super 〈opera〉 manuum tuarum. Et adhuc uniuersalius adicit: Omnia subiecisti sub pedibus eius, in quo nichil non subiectum dimisit. In eo autem quod specificando subiungit: Oues et boues etc. ad literam premisse generalitati derogare uidetur, in quo ad misticum nos mittit intellectum ut uidelicet in nominibus bestiarum terre quas nominat subdistinguens in tria, oues scilicet et boues et pecora campi, mistice intelligamus homines in moribus harum bestiarum ymaginem gerentes, in uolucribus celi angelos ut supra, in piscibus maris similiter ut supra, demones humanorum actuum et cordium fluctuantium scrutatores, et hos omnes subiectos esse homini Christo in ymagine et similitudine Dei perfecto, id est postquam eleuata est magnificentia eius super celos de qua paulo ante mentionem fecerat.

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〈233.〉 [Subtilior descriptio bestiarum terre Christo subiectarum] Sed nos de bestiis terre subiectis illi post ascensionem eius aliquid subtilius dicere possumus. Ecce enim mox post ascensionem eius, bestie terre, id est bestiales homines, insurrexerunt aduersus eum et aduersus membra eius, molientes extinguere nomen eius. Et primum infidelis Iudea quasi lupa rapax ore rabido stridebat dentibus in eum, persequen30 ymagine – Dei] cf. ccxxvi, 13-14 232, 3 ad – Dei] cf. ccxxvi, 13-14 4-5 gloria – tuarum] Ps. 8, 6-7 5-6 omnia – eius] Ps. 8, 8 7-10 oues – campi] cf. Ion. 3, 7 14 ymagine – Dei] cf. ccxxvi, 13-14 15 eleuata – celos] Ps. 8, 2 233, 6 lupa rapax] cf. Gen. 49, 27

stridebat – eum] Act. 7, 54

30 profecto] perfecto G 1 |profecto S 3 232, 4 〈opera〉] om. G 1 S 3 7 oues – etc. ] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 8 uidetur] uideri G 1 |uidetur S 3 13 fluctuantium] fluctuantia Delhaye 233, 1 Subtilior – subiectarum] add. Delhaye

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232. Que les bêtes de la terre sont à son service Le psalmiste, parlant certes selon la lettre dans le psaume huitième, de l’homme fait à l’image de Dieu, célèbre tout d’abord sa gloire en général par ces mots: «Tu l’as couronné de gloire et d’honneur, tu l’as établi au-dessus des œuvres de tes mains»; et il ajoute encore, plus universellement: «Tu as mis toutes choses sous ses pieds»; par cela il ne laissa rien qui ne lui fût soumis. Mais en précisant plus spécifiquement: «les brebis, les bœufs etc.», il semble contredire selon la lettre, la précédente généralité; or là il nous renvoie à l’intelligence mystique, à savoir que parmi les noms des bêtes de la terre qu’il cite, en distinguant sur la terre «brebis, bœufs et bêtes des champs» nous devons comprendre, au sens mystique, les hommes qui par leurs mœurs portent l’image de ces bêtes, les anges dans les oiseaux du ciel, comme on l’a dit, dans les poissons de la mer, comme on l’a dit, les démons, scrutateurs des fluctuations dans les actions et dans le cœur des hommes, et comprendre que tous sont soumis au Christ homme, accompli dans «l’image et la ressemblance de Dieu», c’est-à-dire après qu’ «a été élevée au-dessus du ciel sa magnificence» dont il avait fait mention un peu avant.

233. Description plus fine des bêtes de la terre soumises au Christ Mais nous, nous pouvons parler plus subtilement des bêtes de la terre qui lui furent soumises après son Ascension. Voici en effet qu’aussitôt après son Ascension les bêtes de la terre – entendons les hommes bestiaux – s’insurgèrent contre lui et contre ses membres, s’efforçant de faire disparaître son nom. Et en premier lieu l’infidèle Judée, telle «une larve rapace», la bouche enragée, «grinçant des dents contre lui», persécutant «Étienne et le lapidant après l’avoir expulsé de la ville». De la louve, ayant bu son sang, naquit un louveteau, qui devint un loup et «respirant toujours menaces et carnages contre les disciples du Seigneur, demanda» et reçut «des grands prêtres» le pouvoir de se repaître de leur sang. Mais le Seigneur Christ qui avait reçu du haut du ciel un pouvoir plus grand sur la Bête, lui montra de façon extraordinaire, à lui et à tous ceux qui en procédaient, combien son pouvoir sur la Bête était supérieur, non pas en tuant le loup physiquement, ce que quiconque aurait pu faire, mais en transformant spirituellement le loup en agneau, ce que lui seul pouvait faire, et, ce qui est encore plus extraordinaire, en éveillant l’agneau dans les entrailles de la mère louve, il enracina

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tes Stephanum et eiectum extra ciuitatem lapidantes. Cuius sanguine degustato, natus de lupa lupulus, creuit in lupum et spirans adhuc minarum et cedis in discipulos Domini petiit et accepit a principibus sacerdotum potestatem saciandi se sanguine eorum. Sed Dominus Christus, maiori de supra accepta potestate in bestiam, mirabiliter illi et omnibus de illa quantum plus in eam potestatis haberet ostendit, non quidem lupum corporaliter occidendo, quod etiam quilibet alius facere potuisset, sed spiritualiter agnum de lupo faciendo, quod ipse solus facere poterat, et quod adhuc mirabilius est, ipsum agnum in uiscera lupe matris commouendo, magnam sibi partem eorum inuiscerauit et tandem, destructo lupe cubili, omnes lupulos eius in omnem uentum dispersit post hunc agnum inmisso in eam apro de silua et singulari fero, Romano scilicet Imperatore, qui singulari feritate depastus est olim quidem uineam Domini sed nunc cubile luporum. Ipsum autem singularem ferum quamdiu quidem uoluit ferum esse permisit, ut per ipsum gloriosius et suos coronaret et inimicos debellaret. Cum autem complacuit ei qui et ipsum in potestate habuit tandem de fero fecit efferum, in ore ipsius dentes eius conterens et uerbi sui spiculo cor eius perfodiens, non tamen corporaliter occidens sed animi feritatem mansuefaciens, ita ut non solum ipsum sed per ipsum omnes feras terre suo dominio subiecerit, sedens ad dexteram Patris sicut iamdudum rebus ipsis apparuit. Subiectis etiam sibi feris maioribus que solebant nocere uiribus; de aliis feris minoribus que dolo magis nocebant cum quibus ipse congredi reputabat indignum precepit dicens: Capite nobis uulpes paruulas que demoliuntur uineas. Et factum est ita adeo ut omnes huiusmodi bestiole, aut de medio sublate sint, aut apparere non audentes in cuniculis suis se iamdudum receperint. Qui cuniculi iam uersi in puteum abyssi, clausus quidem adhuc sunt puteus; sed cum stella de celo ceciderit, habens clauem putei 7 Stephanum – lapidantes] Act. 7, 57-58 8-9 spirans – sacerdotum] Act. 9, 1-2 18-19 apro – est] Ps. 79, 14 19-20 depastus – uineam] cf. Is. 3, 14 24 dentes – conterens] Ps. 57, 7 30-31 capite – uineas] Cant. 2, 15; cf. Pseudo-Raban, Allegoriae in sacr. Script. (PL 112, 1084B); Bernard de Clairvaux, Sermo in Cant., 64 (Bern. opera, II, p. 166, l. 15-16) 35-36 stella – abyssi] Apoc. 9, 1 8 natus] est add. Delhaye 11 supra] super G 1 |supra S 3 12 haberet] habet Delhaye 13 alius] G 1 |aliud S 3 Delhaye 18 singulari] G 1 |singulariter S 3 ; singulari S 4 26 subiecerit] G 1 |subiecerat S 3 ; subiecerit S 4 34 receperint] receperunt Delhaye 35 sunt] fuit Delhaye

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en lui-même une grande partie de ces entrailles et enfin, le repaire de la louve étant détruit, il dispersa à tous les vents tous ses petits et envoya sur elle, après cet agneau, «le sanglier de la forêt et la bête singulière», à savoir l’Empereur romain, «qui dévora» avec une férocité singulière, jadis, la vigne du Seigneur, aujourd’hui le repaire des loups. Et cette bête singulière, il lui permit d’être cruelle aussi longtemps qu’il voulut afin de couronner les siens et de combattre les ennemis par elle, plus glorieusement. Mais quand il plut à celui qui l’eut en son pouvoir, de féroce il la rendit enfin sauvage, lui «broyant les dents» dans sa bouche, transperçant son cœur du dard de sa parole, ne la tuant pas corporellement mais apaisant la cruauté de son esprit au point de la soumettre, non seulement elle mais par elle toutes les bêtes sauvages de la terre à son pouvoir, siégeant à la droite du Père comme cela est apparu depuis longtemps par les faits eux-mêmes. Soumettant aussi à son pouvoir les bêtes sauvages les plus grandes qui habituellement nuisaient par leurs forces et pour les bêtes plus petites, qui nuisaient plus par la ruse, comme il estimait indigne de les combattre lui-même, il donna cet ordre: «Attrapez-nous les petits renards qui ravagent les vignes». «Et il fut ainsi fait», au point que toutes les bestioles de ce genre, ou bien furent enlevées du milieu, ou bien, n’osant pas se montrer, se retirèrent immédiatement dans leurs terriers. Une fois ayant débouché sur le puits de l’abîme, ils sont certes un puits fermé, mais quand «sera tombée du ciel l’étoile qui possède la clef du puits de l’abîme», suivant la révélation de Jean dans l’Apocalypse: «Ouvrant le puits et une fumée montant du puits, comme la fumée d’une grande fournaise, le soleil et l’air obscurcis par la fumée, des sauterelles se répandront sur la terre»; des bêtes, petites certes, mais très nuisibles par le nombre «auront cependant un pouvoir de nuisance semblable au pouvoir qu’ont les scorpions», mais leur pouvoir étant limité «à cinq mois», elles s’en iront en fumée comme elles en sont sorties, sur l’ordre du pouvoir supérieur du Seigneur Christ. Car le pouvoir du Seigneur aussi dominera et sera vaincue et réduite à néant «l’armée équestre», à savoir deux myriades de myriades, sur quoi Jean ajoute dans le même passage que «les quatre anges qui avaient été enchaînés sur le grand fleuve Euphrate ayant été déliés», ils se répandront sur la terre, «frappant le tiers des hommes par trois fléaux», à savoir «le feu, la fumée et le soufre» sortant de leur bouche.

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abyssi iuxta reuelationem Iohannis in Apocalipsi, aperto puteo et ascendente fumo de puteo tamquam fumo fornacis magne, obscurato sole et aere de fumo, exibunt locuste in terram, minuta quidem animalia sed numero admodum nociua. Habebunt enim potestatem nocendi sicut habent potestatem scorpiones, sed abbreuiata potestate eorum ad menses quinque maioris imperio potestatis Domini Christi in fumum euanescent sicut de fumo exierunt. Eiusdem quoque potestate superabitur et ad nichilum redigetur equestris exercitus, scilicet uicies milies dena milia de quo idem Iohannes ibidem subiungit quia solutis quatuor angelis qui alligati erant in flumine magno Eufrate exhibunt in terram, tribus plagis percutientes terciam partem hominum, id est igne, fumo et sulphure que procedunt de ore ipsorum.

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〈234.〉 Quomodo draco magnus et omnes eius sequaces tandem subiciuntur Christo Quid plura? Superabitur ab eo et ipse draco magnus, omnium dictorum uel adhuc dicendorum malorum capud, qui secundum eundem Iohannem uisus est in celo rufus habens capita vii et cornua x. In capitibus etiam suis vii diademata, trahens terciam partem stellarum et mittens eas in terram. Qui stetit ante mulierem amictam sole, habentem in utero et parturientem ut cum peperisset filium eius deuoraret. Sed nato filio eius et rapto ad tronum Dei, non ipso pugnante sed imperante terre Michael et angeli eius pugnauerunt cum dracone, et proiectus est draco et angeli eius de celo in terram et adnichillatus est omnis conatus eius quo uel in mulierem uel in semen eius seuiebat. Pari quoque potentia non pugnantis aut laborantis sed regnantis et imperantis Agni, stantis supra montem Syon et cantantis canticum nouum cum centum quadra36-38 aperto – terram] Apoc. 9, 2-3 39-40 habebunt – scorpiones] Apoc. 9, 3 40 ad – quinque] Apoc. 9, 5 43 equestris – milia] Apoc. 9, 16 44-45 solutis – Eufrate] Apoc. 9, 14 45-47 tribus – ipsorum] Apoc. 9, 18 234, 1 draco magnus] cf. Apoc. 12, 3 5-9 uisus – Dei] cf. Apoc. 12, 3-6 11 Michael – celo] cf. Apoc. 12, 7-9 13-16 agni – suis] cf. Apoc. 14, 1-3

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39 nocendi] G 1 | noliacendi S 3 ; nocendi S 4 41 maioris] G 1 |maiores S 3 Delhaye; maioris S 4 43 uicies] abest in G 1 ; add. sup. l. dub. G 2 |uicies S 3 44 subiungit] sibiungit Delhaye 234, 1-2 Quomodo – Christo] non legitur G 1 |habet S 3 add. S 3 ; deleuit S 4 5 cornua] corona Delhaye

1 sequaces] eandem

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234. Comment le grand dragon et tous ses émules finissent par être soumis au Christ Que dire de plus? Le grand dragon sera lui aussi vaincu par le Christ, lui qui est la source de toute mauvaise parole dite ou à dire, qui selon Jean «a été vu dans le ciel, roux, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses têtes sept diadèmes, traînant le tiers des étoiles et les jetant à terre. Il se tenait devant la femme vêtue de soleil, enceinte et en travail, prêt à dévorer son enfant aussitôt né. Mais dès qu’il naquit et fut emporté près du trône de Dieu», sans combattre mais dominant la terre, «Michel et ses anges combattirent le dragon, et le dragon avec ses anges furent projetés du ciel» sur la terre, et tous ses efforts par lesquels il s’acharnait contre la femme et sa semence furent réduits à néant. En outre par la même puissance de l’Agneau qui ne combattait ni ne peinait mais «qui régnait et gouvernait, se tenant sur le Mont Sion et chantant un cantique nouveau avec cent quarante-quatre milliers portant son nom et le nom de son Père écrit sur leur front», furent détruites les deux bêtes mauvaises, membres dudit dragon «dont l’une montait de la mer, ayant sept têtes et dix cornes, et sur ses cornes dix diadèmes, et sur ses têtes des noms de blasphème, semblable à un léopard, ses pattes comme celles d’un ours et sa gueule comme celle d’un lion. Et le dragon lui transmit sa puissance et une grande force, de sorte que l’une de ses têtes frappée à mort, la plaie mortelle fut guérie» et reprit vie, «et il lui fut donné une bouche qui proférait de grandes choses et des blasphèmes, et il lui fut donné de faire la guerre aux saints et de les vaincre pendant quarante-deux mois» par lesquels doit être éprouvée la patience des saints. L’autre Bête «montait de la terre, ayant deux cornes semblables à celles de l’Agneau mais elle parlait comme un dragon, et elle exerçait tout le pouvoir de la première Bête devant elle, et elle fit que les habitants de la terre adorent la première Bête dont la plaie mortelle fut guérie; disant aux habitants de la terre de faire une image de la Bête, à laquelle elle donna le souffle pour que l’image de la bête parlât, et fera que ceux qui adoreraient l’image de la Bête porteraient la marque de son nom sur la main droite ou sur le front, que personne ne pourrait vendre ou acheter sinon celui qui porte la marque du nom de la bête ou le nombre de son nom; mais fera exécuter ceux qui ne l’adoreraient pas et ne porteraient pas la marque ou le nombre du nom de la bête». Jean dit que dans ce nombre il y a la sagesse et que c’est pour cela que son observance ou sa connaissance est nécessaire à tout homme sage, en vue de la prudence: ce dont nous avons quelque peu parlé ci-dessus.

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ginta quatuor milibus habentibus nomen eius et nomen Patris eius scriptum in frontibus suis, destructe sunt et due male bestie membra predicti draconis. Quarum altera ascendebat de mari habens capita vii et cornua x et super cornua eius decem diademata, et super capita eius nomina blasphemie; similis pardo et pedes eius sicut ursi et os eius sicut leonis, cui dedit draco potestatem et uirtutem magnam, ita ut occiso uno de capitibus eius, plaga mortis eius curaretur et reuiueret, et datum est ei os loquens magna et blasphemias et bellum facere cum sanctis et uincere illos per menses quadraginta duos quibus probanda est paciencia sanctorum. Altera uero ascendebat de terra, habens cornua duo similia agni sed loquebatur ut draco. Et potestatem prioris bestie omnem faciebat in conspectu eius, et fecit habitantes in terra adorare bestiam primam, cuius curata est plaga mortis, dicens habitantibus in terra ut faciant ymaginem bestie, cui et Spiritum dedit ut loquatur ymago bestie et adorantes ymaginem bestie faciet habere caracterem nominis eius in manu dextera aut in frontibus, et ne quis possit uendere aut emere nisi qui caracterem nominis bestie aut numerum nominis eius habuerit, non adorantes autem nec habentes caracterem aut numerum nominis bestie faciet occidi. In quo numero Iohannes dicit esse sapientiam, ideoque omni sapienti ad cautelam necessariam esse eius obseruantiam siue noticiam, de quo et nos aliqua supradiximus. Hec idcirco prosecuti sumus ut liquido cunctis appareat quantum dominium Christus homo in bestias terre acceperit interim, dum adhuc personaliter tamen sedet ad dexteram Patris, dicente ei Patre: Sede a dextris meis donec ponam inimicos tuos scabellum pedum tuorum. 〈235.〉 Eadem adhuc consumanda in nobis Sic itaque personaliter consummato homine Christo, restat adhuc ut integraliter consummetur, id est ut quod in eius persona iam completum est, in eius etiam compleatur membris que, utique sicut sibi succe17-21 quarum – curaretur] cf. Apoc. 13, 1-3 21-23 et datum – duos] cf. Apoc. 13, 5-7 25-34 altera – occidi] cf. Apoc. 13, 11-17 39-40 sede – tuorum] Ps. 109, 1 15 scriptum] G 1 |scriptoribus S 3 ; scriptum S 4 18 et 1 – decem] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 19 eius] cuius Delhaye 32 habuerit] habuit Delhaye 235, 1 nobis] om. G 1 | add. S 3

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C’est pourquoi nous avons traité de tout cela, afin qu’apparaisse clairement pour tous quelle domination le Christ homme a reçue, pour un temps, sur les bêtes de la terre, tandis qu’il est assis maintenant à la droite du Père qui lui dit: «Siège à ma droite pour qu’enfin je place tes ennemis comme escabeau pour tes pieds».

235. Que ces mêmes transformations doivent encore s’accomplir en nous C’est pourquoi le Christ homme ayant été ainsi personnellement accompli, il faut encore qu’il soit accompli intégralement, c’est-à-dire que ce qui est déjà accompli en sa personne s’accomplisse aussi en ses membres qui, de la même manière qu’ils se suivent dans la succession des temps, doivent nécessairement être accomplis dans la succession des temps. Car, de même que le premier Adam, et lui personnellement, «a été formé le sixième jour à l’image et ressemblance de Dieu», mais non pas intégralement, c’est-à-dire non pas selon tous ses membres ou ses fils, qui se succèdent chacun en son temps, tous devant être formés, certes, «à l’image et ressemblance de Dieu», non pas, hélas, que tous doivent

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dunt per successiones temporum, sic etiam necesse est ea consummari per successiones temporum. Nam sicut primus Adam et ipse personaliter quidem sexto die formatus est ad ymaginem et similitudinem Dei, non autem integraliter, id est non secundum omnia membra uel filios eius qui sibi singuli suis temporibus succedunt, omnes quidem formandi ad ymaginem et similitudinem Dei – sed proh dolor, non omnes consumandi in ymagine et similitudine Dei – eo quod plurimi ex eis uicio suo degenerantes, finaliter in se deforment quod in eis formauit natura uel gratia, sic nimirum sic secundus Adam personaliter sexta die et sexta etate seculi formatus et consummatus est in ymagine et similitudine Dei, nondum tamen integraliter, id est non secundum omnia membra uel filios eius qui et ipsi singuli sibi suis temporibus succedunt, formandi et consumandi omnes per gratiam cum capite suo in ymagine et similitudine Dei. Nullus enim ex his finali uitio deformabit quod semel in eo natura uel gratia formauerit, natura creatrix, gratia recreatrix. Natura inquam creatrix, id est potentia, sapientia, bonitas que in eis format ymaginem Dei, id est potentiam, sapientiam, bonitatem creatam. Gratia recreatrix id est sapientia, bonitas, potentia, que in eis reformat similitudinem Dei, id est sapientiam, bonitatem, potentiam recreatam. Hoc enim ordine gratia reformat iam entia, sed uno uitio deformata ut supradictum est, uidelicet ut sciant, uelint, possint bonum per gratiam, quod desierant posse, scire, uelle per uicium, et in his reformentur per gratiam meriti donec in ipsis consummentur per gratiam premii. Cuius utriusque gratie summa consistit ut diximus in duplici uinculo dilectionis quo dulcissime anima perfecta copulatur primum Deo, dehinc homini Deo, et naturaliter Deo quo formetur ad ymaginem Dei, gratuito homini Deo quo reformetur ad similitudinem Dei. Non quod utrumque non sit gratuitum, sed quod alterum sic sit in respectu alterius ut naturale, alterum ut gratuitum. Omnino enim naturale est anime rationali diligere creatorem suum adeo ut etiam peruersissime cuiuslibet anime conscientia non possit odisse Deum, quamuis plurimi peruersi235, 7 sexto – Dei] Gen. 1, 26; 5, 1 9-10 ad – Dei] cf. 7 11 in – Dei] cf. 7 14 in – Dei] cf. 7 17-18 in – Dei] cf. 7 21 ymaginem Dei] Gen. 1, 26 23 similitudinem Dei] Gen. 5, 1 30 ad – Dei] cf. 21 31 ad – Dei] cf. 23 5 ea] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |ea S 3 10 sed] non Delhaye 12-13 uel gratia] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uel gratia S 3 13 sexta – et] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 15 omnia] G 1 ; anima add. sup. l. G 2 |omnia S 3 19 formauerit] formauerunt Delhaye

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être accomplis en l’image et ressemblance de Dieu du fait que la plupart d’entre eux, s’avilissant dans leur vice, à la fin déforment en eux-mêmes ce que la nature ou la grâce a formé en eux, ainsi, assurément, le deuxième Adam fut formé et accompli personnellement le sixième jour et au sixième âge du monde en l’image et ressemblance de Dieu, non pas encore intégralement, c’est-à-dire non pas selon tous ses membres ou ses fils qui se succèdent chacun en son temps, qui tous devront être formés et accomplis par la grâce, avec leur tête, «en l’image et ressemblance de Dieu». Aucun d’entre eux ne déformera par un vice définitif ce que la nature ou la grâce a formé une fois pour toutes en lui, la nature créatrice, la grâce recréatrice. La nature créatrice, dis-je, à savoir la puissance, la sagesse, la bonté, qui forme en eux l’image de Dieu, c’est-à-dire la puissance, la sagesse, la bonté créée. La grâce recréatrice, à savoir la sagesse, la bonté, la puissance, qui reforme en eux la ressemblance de Dieu, c’est-à-dire la sagesse, la bonté, la puissance recréée. C’est dans cet ordre, en effet, que la grâce reforme désormais les êtres, mais déformés par un seul vice, comme on l’a dit plus haut, c’est-à-dire pour qu’ils sachent, veuillent, puissent le bien par la grâce, ce qu’ils avaient cessé de pouvoir, savoir, vouloir par le vice, et qu’ils soient en cela reformés par la grâce du mérite, jusqu’à ce qu’ils soient accomplis en eux-mêmes par la grâce de la récompense. Le comble de l’une et l’autre grâce consiste, comme nous l’avons dit, dans le double lien de dilection par lequel l’âme parfaite s’unit, dans une grande douceur, tout d’abord à Dieu, ensuite à Dieu-homme: à Dieu, naturellement, par qui il est formé «à l’image de Dieu», à Dieuhomme, gratuitement, par qui il est reformé «à la ressemblance de Dieu». Non que l’une et l’autre union ne soit gratuite, mais que l’une est, respectivement à l’autre, plutôt naturelle, l’autre plutôt gratuite. Il est en effet parfaitement naturel pour une âme rationnelle d’aimer son créateur, au point que la conscience de n’importe quelle âme, fût-ce la plus perverse, ne peut haïr Dieu, bien que beaucoup le fassent par le vice de leur perversité, ce que leur conscience leur commande de ne pas faire. Car aimer parfaitement le Seigneur est le fait de la grâce plus que de la nature. Ainsi l’amour de Dieu progresse-t-il par la nature mais la perfection de cet amour progresse par la grâce. De plus l’amour de Dieu-homme, qu’il soit parfait ou imparfait, procède totalement de la grâce, comme Dieu-homme lui-même procède totalement de la grâce. Car seule la grâce unit personnellement l’homme à Dieu, sans la nature. La perfection de cet amour est, certes, une grâce surabondante, de sorte qu’il est

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tatis sue uicio id faciant quod eis consciencia sua non faciendum dictat. Perfecte autem Dominum diligere, gratie magis est quam nature. A natura ergo proficiscitur dilectio Dei sed perfectio eius a gratia. Porro dilectio Dei hominis siue perfecta siue inperfecta tota a gratia est, sicut ipse Deus homo totus a gratia est. Sola enim gratia personaliter uniuit hominem Deo, non etiam natura. Perfectio autem huius dilectionis habundantissima gratia est, ita ut excellentioris meriti sit in uia perfecte diligere hominem Deum quam Deum, ac per hoc excellentioris premii sit in patria diligere hominem Deum quam Deum. Nam si tantum quisque diligit in uia quantum credit, plus autem credit qui Deum hominem credit quam qui Deum credit; consequenter etiam tantum quisque in patria diligit quantum uidet. Plus autem uidet qui uidet hominem Deum quam qui tantum uidet Deum, ad cumulum enim beatitudinis pertinet etiam corporalis uisio hominis Dei quam hic meretur iuxta modum uie perfecta dilectio credens in hominem Deum, et ibi possidet iuxta modum patrie perfecta dilectio uidens hominem Deum. Hec igitur dilectio hominis Dei que hic format hominem ad ymaginem et similitudinem Dei ibi consumat eum in ymagine et similitudine Dei, et ipse est microcosmus, eterna uidelicet habitatio Dei.

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〈236.〉 Apostrophus ad spiritum humanum Eia nunc o spiritus humane de quo hactenus tot et tanta locuti sumus, de quo hactenus tot et tanta scripsimus, cui hactenus in tot et tantis seruiuimus, cui hactenus temetipsum proposuimus, ut uidendo te agnoscas te et agnitum admireris te. Quomodo enim non mireris te si talem uideris te qualem tibi depinxerimus te? Expergiscerisne adhuc ut apertis oculis uideas te? An adhuc dormis, nichil horum aduertens que iam dudum perstrepuerunt circa te? Ecce te mundo secundum

52-53 ad – Dei] cf. 21

53 in – Dei] cf. Gen. 1, 26

36 uicio] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |uicio S 3 37 dominum] Deum G 1 |dominum S 3 40-41 sola – natura] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 41 dilectionis] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |dilectionis S 3 43-44 ac – Deum] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4 46 quam – credit] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 47 in patria diligit] diligit in patria G 1 |in patria diligit S 3 50 iuxta – uie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 51 iuxta – patrie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 53-54 ibi – Dei] G 1 |om. S 3 ; add. in marg. S 4 236, 2 hactenus] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4

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d’un plus grand mérite d’aimer parfaitement, dans cette vie, Dieuhomme que Dieu, et pour cette raison il est digne d’une plus grande récompense, dans la Patrie, d’aimer Dieu-homme que Dieu. Si en effet, en cette vie, l’on aime à la mesure de ce que l’on croit, celui qui croit en Dieu-homme croit davantage que celui qui croit en Dieu, et par conséquent, dans la Patrie, il aime à la mesure de ce qu’il voit. Or celui qui voit Dieu-homme voit davantage que celui qui voit Dieu seulement; car la vision corporelle de Dieu-homme représente le sommet de la béatitude, que l’on mérite ici à la mesure de cette vie: l’amour parfait que l’on possède en croyant en Dieu-homme, l’amour parfait que l’on possède là-bas, à la mesure de la Patrie, en voyant Dieu-homme. C’est pourquoi cet amour de Dieu-homme qui, ici-bas forme l’homme «à l’image et ressemblance de Dieu», l’achève là-bas «dans l’image et la ressemblance de Dieu», et c’est là le microcosme, c’est-à-dire l’habitation éternelle de Dieu.

236. À l’adresse de l’esprit humain Allons, maintenant ô esprit humain, dont nous avons dit jusqu’ici tant et de si grandes choses, dont nous avons écrit jusqu’ici tant et de si grandes choses, à qui nous avons consacré jusqu’ici tant et de si grandes choses, toi à qui, jusqu’ici, nous t’avons présenté toi-même, pour qu’en te voyant tu apprennes à te connaître et te connaissant, tu t’admires. Comment en effet ne t’admirerais-tu pas si tu te voyais tel que nous t’avons décrit à toi-même? Vas-tu te réveiller maintenant, pour te voir les yeux ouverts? Ou bien dors-tu encore et ne te rends-tu pas compte de tout ce qui a retenti depuis longtemps autour de toi? Voici que nous t’avons conformé au monde dans les réalités naturelles, d’après le philosophe; voici que nous t’avons révélé au monde dans les réalités gratuites, d’après le théologien, quand nous t’avons décrit comme microcosme, c’est-à-dire l’habitation éternelle de Dieu; non seulement par toi-même mais aussi par ton intermédiaire, en raison de l’habitacle de ton corps puisque c’est en lui que Dieu habitera éternellement avec toi et par toi, afin que lui aussi devienne participant des bienfaits éternels avec toi et par toi, quand toi aussi tu verras en lui spirituellement, pour l’éternité, ton créateur, et que lui verra en toi corporellement, pour l’éternité, son

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phylosophum configurauimus in naturalibus, ecce te mundo secundum theologum pretulimus in gratuitis dum te microcosmum, id est habitationem Dei eternam, demonstrauimus. Nec solum te secundum te, sed et secundum habitaculum corporis tui mediante te, quoniam et in ipso Deus in eternum habitaturus est tecum et per te, ut et ipsum fiat particeps eternorum bonorum, tecum et per te, dum et tu in ipso spiritualiter in eternum uidebis creatorem tuum, et ipsum in te corporaliter in eternum uidebit redemptorem suum, ac per hoc idem redemptor tuus et suus non solum te reformabit ad ymaginem et similitudinem diuinitatis sue, sed et corpus humilitatis tue configurabit corpori claritatis sue ita ut non solum tu sed et totus homo sit microcosmus, id est eternum regnum Dei. Quod utique nulle alii creature tam excellenter collatum est ut homini. Nam etsi in angelis habitet et regnet Deus, habitaturus sit et regnaturus semper Deus, in hominibus tamen nullus habitat aut regnat nullus habitaturus aut regnaturus est in eternum angelus Deus, sicut in angelis habitat et regnat, habitaturus et regnaturus est sine fine homo Deus. Cui enim angelorum dictum est aliquando: ‘Filius meus es tu, ego hodie genui te?’ Et illud: ‘Sede a dextris meis donec ponam’ etc.

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〈237.〉 Ad hominem Sed tibi loquor, o homo constans ex hoc spiritu et corpore, secundum alterum quidem natura par angelo, secundum alterum natura inferior, secundum utrumque tamen gratia superior. Nam secundum utrumque personaliter unitus es Deo, quod non angelus. Secundum utrumque prelatus es omni creature, quod non angelus. Nec solum in sexu masculino, uerum etiam, quod mirabilius est sanctis angelis, quod inuidiosius est reprobis, in sexu feminino dum uident utrique, hii ad cumulum sue admirationis, hii ad cumulum sue confusionis, feminam super choros angelorum exaltatam et cum Filio rege reginam mundi constitutam, ita ut nichil in puris creaturis per gratiam sit eminentius 236, 18 corpus – sue] Phil. 3, 21 25 cui – aliquando] cf. Hebr. 1, 3 25-26 filius – te] Ps. 2, 7; Act. 13, 33; Hebr. 1, 5 26 sede – ponam] Ps. 109, 1; Matth. 22, 44; Luc. 20, 42; Hebr. 1, 13 13-14 ut – te] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4

19 et] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4

237, 2 secundum] om. Delhaye 5-6 personaliter – utrumque] G 1 |om. S 3 ; add. in 7 etiam] G 1 | om. S 3 ; add. sup. l. S 4 8-9 hii – admiratiomarg. S 4 nis] G 1 | om. S 3 ; add. in marg. S 4

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rédempteur, et qu’ainsi le même rédempteur, qui est le tien et le sien, non seulement te reformera à l’image et ressemblance de sa divinité, mais aussi conformera «ton corps de misère à son corps de gloire», de sorte que toi-même ainsi que tout homme soit un microcosme, c’est-àdire le royaume éternel de Dieu: ce qui n’a été conféré à aucune autre créature aussi excellemment qu’à l’homme. Car même si Dieu habite et règne, habitera et règnera éternellement dans les anges, dans les hommes cependant, aucun Dieu ange n’habite ni ne règne, n’habitera ni ne règnera éternellement, comme dans les anges habite et règne, habitera et règnera éternellement Dieu-homme. Car auquel des anges fut-il jamais dit: «Tu es mon fils, aujourd’hui je t’ai engendré»? Et cela encore: «Siège à ma droite jusqu’à ce que je place, etc.»

237. À l’homme Mais c’est à toi que je parle, ô homme composé de cet esprit et de ce corps: par l’un, certes, égal à l’ange par nature, par l’autre, inférieur par nature, mais par l’un et l’autre, supérieur par grâce. Car par l’un et l’autre tu es personnellement uni à Dieu, ce que l’ange n’est pas. Par l’un et l’autre tu es le prélat de toute créature, ce que l’ange n’est pas. Et non seulement dans le sexe masculin, mais aussi, ce qui est plus admirable pour les saints anges, ce qui est plus enviable pour les réprouvés, dans le sexe féminin, quand ils voient, les uns au comble de l’admiration, les autres au comble de la confusion, la femme exaltée au-dessus du chœur des anges, et, avec son Fils roi, établie reine du monde, de sorte que dans les créatures pures rien n’est plus éminent par la grâce que la femme que Dieu se choisit comme vase unique de la grâce, pour que l’honneur envers lui soit manifesté par toute créature; de même que par la réprobation rien n’est plus vil que le diable, qui le premier trompa la femme, jadis le plus excellent par nature de toutes les créatures, mais aujourd’hui inférieur à tous, de sorte qu’à présent toute créature se joue de lui. Et par un étonnant jugement de Dieu, il se fit que celui qui le premier trompa la première femme devait devenir le jouet, non seulement d’une seule femme mais aussi de toutes les saintes femmes, et même de toutes les

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femina quam sibi Deus elegit in singulare uas gratie, ut ei ab omni creatura honor exhibeatur, sicut per reprobationem nichil est uilius diabolo primo illusori femine, olim quidem per naturam creaturis omnibus excellentiori sed nunc omnibus inferiori, ita ut ei nunc ab omni creatura illudatur. Quod miro Dei iuditio factum est, ut primus illusor prime femine fieret ludibrium, non solum unius femine, uerum etiam omnium sanctarum feminarum, immo omnium creaturarum suo creatori uoluntarie subiectarum, ut qui suo superiori contempsit uoluntarie subici, ei illuderent omnes illi uoluntarie subiecti. Tibi inquam loquor, o homo, ad tantam dignitatem prouecte ut et inuasori tue apostate angelo factus sis inuidiosus, et illusor tuus tibi factus sit ludibrium; sed et stans angelus factus sit te inferior et tu illi factus sis sublimitate mirabilis, adeo ut pene sic deficiat in admiratione sublimati hominis sicut deficit in admiratione sublimis Dei, dum eundem contemplando admiratur et admirando contemplatur hominem et Deum. Videsne adhuc, o homo, dignitatem tuam, dum contemplaris in personam Dei sublimatam naturam tuam? Videsne inmensitatem caritatis Dei, cui non suffecit ut esses sublimior omnibus creaturis Dei, nisi te uniret persone Filii sui in cumulum confusionis illusoris tui, dum tibi fit illusor tuus ludibrium et tu tui fis illusoris illusor?

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〈238.〉 Cur Deus assumpserit naturam non personam hominis Et hec quidem dignitas tua, o homo, iam consummata est in natura tua, non autem in persona tua, assumente Deo naturam tuam, non personam tuam. Cuius assumptionis ratio si queratur, scilicet cur Deus potius assumpserit naturam quam personam hominis ut hominem sublimaret, preter eam que a patribus assignata est rationem, uidelicet ne 237, 27 uidesne – tuam] Léon le Grand, Tractatus, XXI, 3 (CCSL 138, p. 88, l. 7071); Bernard de Clairvaux, Sermo in Nativ., 2, 1 (Bern. opera, IV, p. 252, l. 6-7); Hugues de Saint-Victor, De arrha anime (L’œuvre I, p. 232, l. 99-100); Guillaume de Saint-Thierry, De natura corp. et animae (CCCM 88, p. 133, l. 1022-1028); Richard de Saint-Victor, De statu interioris hom., 14 (Ribaillier, p. 78); Liber exc., II, x, 2 (Châtillon, p. 397, l. 36-37); De contemplatione, III, 13 (L’œuvre I, p. 312, l. 3133) 13 per] G 1 |pro S 3 14 primo – femine] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 quidem] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |quidem S 3 15 sed – inferiori] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 19 superiori] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |superiori S 3 23-24 tu – sublimitate] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |in textu S 3 29 suffecit] sufficit Delhaye

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créatures soumises à leur Créateur, de sorte que tous ceux qui lui étaient volontairement soumis devaient se moquer de celui qui, volontairement, refusa de se soumettre à son supérieur. Je dis bien: c’est à toi que je parle, ô homme, toi qui es élevé à une telle dignité que tu es devenu objet de haine pour ton envahisseur, l’ange apostat, et que ton leurre est devenu pour toi objet de dérision. Même l’ange fidèle t’est devenu inférieur, et toi tu lui es devenu d’une merveilleuse élévation, au point qu’il défaille presque d’admiration pour l’homme élevé comme il défaille dans l’admiration d’un Dieu élevé quand il l’admire en le contemplant, et qu’il contemple en admirant l’homme et Dieu. Ne vois-tu pas maintenant, ô homme, ta dignité, quand tu contemples en la personne de Dieu ta nature surélevée? Ne vois-tu pas l’immensité de l’amour de Dieu, à qui il n’aurait pas suffi que tu sois plus sublime que toutes les créatures de Dieu s’il ne t’avait pas uni à la personne de son fils, à la confusion totale de ton leurre, puisqu’il devient pour toi, de leurre objet de dérision, et que toi, tu es devenu le leurre de ton leurre.

238. Pourquoi Dieu a assumé la nature, non la personne de l’homme Et cette dignité, ô homme, qui est la tienne, est déjà accomplie dans ta nature mais non en ta personne puisque Dieu assume ta nature, non ta personne. Et si l’on recherche la raison de cette «prise en charge», à savoir pourquoi Dieu a assumé la nature plutôt que la personne de l’homme pour le sublimer, outre la raison qui en a été donnée par les Pères, c’est-à-dire éviter que la Trinité ne puisse croître en quaternité, on peut avancer cette autre raison aussi plausible: les personnes humaines sont nombreuses mais leurs natures ne le sont pas. La nature de tous les hommes est en effet unique et spécifique. Donc pour que le salut et l’élévation communs à tous s’accomplissent, il fallait que la nature unique de tous soit assumée et qu’en elle l’espérance de son élévation soit donnée à tous ceux qui partagent cette même nature. Car si la seule personne de l’homme était assumée, et non la nature, une seule personne humaine serait élevée en Dieu, et l’espérance d’une pareille élévation ne serait ainsi offerte à nulle autre personne humaine, par le fait que la propriété singulière de chaque personne ne peut exister en aucune autre. Mais dans une seule nature commune à tous élevée en Dieu, l’espérance de

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diuina Trinitas in quaternitate uideretur excrescere, non inconuenienter et hec quoque proferri potest ratio. Multe sunt persone hominum sed non multe nature. Omnium namque hominum una est specifica natura. Vt ergo communis omnium salus et prouectus ageretur, conueniebat ut una omnium natura assumeretur et in ea spes omnibus eiusdem nature consortibus prouectionis sue daretur. Nam si una tantum persona hominis assumpta esset, non natura, una quidem persona hominis in Deum prouecta esset, sed nulli alii persone hominis ad eandem prouectionem spes ob hoc proposita esset, eo quod uniuscuiusque persone singularis proprietas in nulla alia persona esse potest. Nunc autem in una communi natura omnium prouecta in Deum spes eiusdem prouectionis proposita est omnibus eius nature consortibus, ut omnes possint ad idem pertingere culmen gracie ad quod uident pertigisse consortem communis omnium nature.

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〈239.〉 Quomodo compleatur in membris quod completum est in capite Hac itaque spe confortatus, o homo, quisquis es, intende saluti tue, intende prouectioni tue, intende inquam et satage ut compleatur in persona tua quod in natura tua completum est, id est ut gratie cuius factus es communiter, fias et personaliter particeps. Alioquin quid tibi proderit prouectio uel salus etiam omnium eadem communi natura tecum participantium, si tu solus personaliter uergas ad interitum? Quinimo tanto sibi tuus erit interitus intolerabilior, quanto solus in procurando negocio tue salutis inuentus es segnior, et hec fortassis est ratio qua cuique sui solius salutem cum omnium perditione magis eligere licitum sit, si in eum casum deuenerit in quo e duobus his alterum eligere necesse sit. Hoc autem modo conplebitur in personna tua quod completum est in natura tua, si is qui assumpsit naturam tuam in personam suam, assumat et personam tuam in naturam suam. Suam dicam an tuam? Sed ut uerius dicam, et suam et tuam, suam assumptam, non suam assumentem, id est humanam suam, non diuinam suam. Quod est apertius dicere: «Si ea caritate qua diuinitati sue uniuit naturam tuam, humanitati quoque sue uniat personam tuam, hoc est 238, 10 ageretur] agetur S 3 |agerentur Delhaye sup. l. G 2 |non natura S 3

13 non natura] abest in G 1 ; add.

239, 4 in – tua] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 5 et] etiam Delhaye 10 perditione] G 1 |perditionem S 3 Delhaye; perditione S 4 11 eligere] elicere Delhaye

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cette élévation est offerte à tous ceux qui partagent cette nature, afin que tous puissent être revêtus de la même plénitude de la grâce, à laquelle ils voient qu’est parvenu le copartageant de la nature commune à tous.

239. Comment doit s’accomplir dans les membres ce qui a été accompli dans la tête C’est pourquoi, conforté dans cette espérance, ô homme, qui que tu sois, tends vers ton salut, tends vers ton élévation, tends, dis-je, et donnetoi de la peine pour que s’accomplisse en ta personne ce qui fut accompli en ta nature, c’est-à-dire que tu deviennes aussi personnellement participant de la grâce dont tu as été fait le conjoint. Faute de quoi, à quoi te servirait l’élévation et même le salut de tous ceux qui participent de cette même nature commune, si toi seul, de ton côté, te diriges vers la mort? Bien au contraire, ta mort lui sera d’autant plus intolérable que tu te seras montré négligent à te donner les moyens de ton salut. Et c’est sans doute là la raison pour laquelle il est permis à chacun de préférer son propre salut, moyennant la perdition de tous, le cas échéant où il serait nécessaire de choisir l’un des deux partis. Or, c’est de cette façon que s’accomplira en ta personne ce qui fut accompli en ta nature, si celui qui a assumé ta nature dans sa personne assume aussi ta personne dans sa nature. Dois-je dire: la sienne ou la tienne? Mais pour être plus exact: et la sienne et la tienne; «la sienne» qu’il a assumée, et non pas «la sienne» qui assume, c’est-à-dire sa nature humaine, non sa nature divine. Et pour parler plus clairement: si par le même amour dont il a uni ta nature à sa divinité, il unit aussi ta personne à son humanité, c’est-à-dire qu’Il t’incorpore à son humanité comme un membre à la tête de sorte que vous soyez, l’un envers l’autre, toi le membre de la tête, et lui la tête du membre. Ce qui ne peut en aucun cas avoir lieu si vous n’êtes pas vi-

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incorporet te sue humanitati tanquam membrum capiti, ut sitis inuicem tu membrum capitis et ipse capud membri». Quod utique non potest fieri nisi spiritu uno uegetemini: neque enim alio spiritu membrorum quam capud uegetari potest. Vno autem spiritu uegetabimini si ea caritate qua sibi ipse tuam uniuit naturam tu applicatione liberi arbitrii ad gratiam tibi propositam humanitati eius tuam unias personam, ipsam scilicet humanitatem eius, non ut quod infra te est, non ut quod iuxta te est, non ut quod tu es, sed ut quod supra te est, id est ut capud tuum diligendo, interim quidem modo uie donec compleatur modo patrie, nec solum ut capud tuum, sed ut capud omnium tecum eadem gratia participantium.

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〈240.〉 Quod Christus duobus modis est capud nostrum Ipse enim duobus modis est capud tuum, altero secundum humanitatem, altero secundum diuinitatem. Secundum humanitatem ipse solus, non Pater, non Spiritus est capud corporis sui quod est Ecclesia. Secundum diuinitatem uero, non ipse solus sed et Pater et Spiritus unum capud est uniuerse creature sue. Nec tantum capud a quo omnia, sed et finis in quem omnia concurrunt alpha uocatus et omega. Secundum humanitatem ergo, tibi factus est capud gratie et ueritatis, quia gratia et ueritas per Ihesum Christum facta est. Gratia, quia in hoc capite factus es filius gratie, qui fueras filius ire. Veritas, quia in hoc capite constitutus, illuminatus es ad cognoscendam ueritatem, olim sedens in tenebris et in umbra mortis iuxta quod de eo prophetauit Zacharias propheta pater Iohannis Baptiste dicens: Visitauit nos oriens ex alto, illuminare his qui in tenebris et umbra mortis sedent etc. Item ueritas, quia in ipso exhibita est res ueterum promissionum et repromissionum factarum patri240, 4 corporis – ecclesia] Col. 1, 24 7 finis – omega] Apoc. 22, 13 tia – est] Ioh. 1, 17 13-14 uisitauit – sedent] Luc. 1, 78-79

8-9 gra-

21 uegetemini] G 1 |uegetimini S 3 ; uegetemini S 4 23-24 applicatione – propositam] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 25 quod] G 1 |om. S 3 ; add. sup. l. S 4 te] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |te S 3 27 interim – patrie] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 28 tecum – participantium] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 | in textu S 3 240, 1 quod – nostrum] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |om. S 3 11 ad – olim] abest in G 1 | S 3 ; add. in marg. G 5 12 Zacharias propheta] propheta Zacharias G 1 |Zacharias propheta S 3 15 promissionum] abest in G 1 ; add. sup. l. G 2 |promissionum S 3

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vifiés par un seul esprit; et un membre ne peut être vivifié par nul autre esprit que la tête. Mais vous serez vivifiés par un seul esprit si, par le même amour dont il s’est uni à ta nature, tu unis, en mettant ton libre arbitre au service de la grâce qui t’est proposée, ta personne à son humanité, en aimant son humanité non comme ce qui est au-dessous de toi, non comme ce qui est à côté de toi, non comme ce que tu es mais comme ce qui est au-dessus de toi, c’est-à-dire comme ta tête, maintenant comme de passage, jusqu’à ce qu’il s’accomplisse, dans la Patrie, non seulement comme ta tête mais comme la tête de tous ceux qui participent avec toi de la même grâce. 240. Que le Christ est notre tête de deux manières Car il est ton chef de deux façons: d’une part selon l’humanité, de l’autre selon la divinité. Selon l’humanité, lui seul, non le Père, non l’Esprit, est la tête «de son corps qui est l’Église». Mais selon la divinité, non pas lui seul mais aussi le Père et l’Esprit sont une seule tête de toutes leurs créatures, et non seulement la tête dont tout procède, mais aussi la fin vers laquelle tout converge, appelé «alpha et omega». Ainsi, selon l’humanité il est devenu pour toi la tête de la grâce et de la vérité parce que la «grâce et la vérité ont été réalisées par le Christ». La grâce, parce qu’en cette tête tu as été fait fils de la grâce, toi qui fus «fils de la colère». La vérité, parce qu’établi en cette tête tu es illuminé à la connaissance de la vérité, toi qui jadis t’égarais «dans les ténèbres et dans l’ombre de la mort», suivant ce que le prophète Zacharie, père de Jean-Baptiste, annonçait à cet égard en disant: «L’Orient nous a visité d’en haut pour illuminer ceux qui se tiennent dans les ténèbres et l’ombre de la mort, etc.». La vérité aussi, parce qu’en Lui s’est manifestée la réalité des promesses et répromissions faites à nos Pères, comme la sainte vierge, sa mère, et le susdit Zacharie en témoignent dans leurs cantiques: l’une s’exprime ainsi: «Comme il a parlé à nos pères, à Abraham et sa descendance pour les siècles». L’autre, ainsi: «Comme il a parlé par la bouche des saints, etc.». De même, par l’humanité il s’est fait pour toi, gratuitement, la tête de la vie sainte, lui qui, par la divinité, est pour toi naturellement la tête de la vie. Car en son humanité il t’a recréé, lui qui t’a créé dans sa divinité. Mais tu aurais certainement été créé pour ton malheur si tu n’avais pas été recréé après ta faute; tu aurais été créé pour ton malheur si tu avais été laissé dans ta faute car, de même que tu n’aurais pu te créer

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bus nostris, sicut beata Virgo eademque mater eius et iam dictus Zacharias in canticis suis testantur. Altera sic: Sicut locutus est ad patres nostros Abraham et semini eius in secula. Alter sic: Sicut locutus est per os sanctorum etc. Item per humanitatem tibi gratuito factus est capud beate uite, qui per diuinitatem tibi naturaliter est capud uite. Nam in humanitate te refecit, qui in diuinitate te fecit. Sed certe malo tuo factus esses, nisi post defectum tuum refectus esses. Malo tuo factus esses si tibi in defectu tuo relictus esses, quia sicut tu te non potuisti facere cum non esses, sic tu te non potuisti reficere cum defecisses. Dic ergo: si necesse esset alterum elegi a te, quid queso e duobus eligeres, potius te non fieri cum non eras, an te non refici cum defeceras? Non dubito quia eligeres potius te non fieri quam te non refici, quia non factus omnino nec bene nec male esses; non refectus autem non nisi male esses.

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〈241.〉 Cui plus debeat homo factori an refectori suo Vide ergo et considera diligenter, o homo, cui plus debeas factori an refectori tuo, plus inquam amoris quia aliud ei reddere non potes. Et utinam uel hunc ad plenum reddere posses, quamuis tamen et hoc possis quoad sufficientiam si non quoad debitum! Nam sufficit ei quod potes, plus autem debes ei quam potes, quia totum te ei debes et tanto plus te quanto ipse maior est te qui se dedit pro te. Sed arbitrare, ut dixi, cui plus debeas factori an refectori tuo? – Ego arbitror, inquies, factori quia qui me fecit, quantum in ipso erat, ideo me fecit ut me perficeret etiam si nunquam deficerem. Nunc autem quod defeci, non suo sed meo uitio defeci. Quid uero distat inter imperfecta perficientem et deficientia reficientem, non uideo. – Ad hec ego: Multum distat per omnem modum. Plerumque enim longe facilius est inperfecta perficere quam destructa reficere. – Sed apud homines, inquis, non apud Deum, nos autem de Deo loquimur qui sicut non facta, sic inperfecta, sic destructa penitus uerbo facit, perficit et reficit ut libet. – Sciebam inquam et uolebam te hoc dicturum et ad hec omnino tendebam ut propria confessione tua te prouocarem ad maiorem amorem eius qui te refecit. Nam uerbo quidem 17-18 sicut – secula] Luc. 1, 55

18-19 sicut – sanctorum] Luc. 1, 70

25-26 si – elegi] abest in G 1 ; add. in marg. G 2 |in textu S 3 241, 3 refectori] refactori Delhaye marg. G 2 | in textu S 3

27 refici] G 1 |refeci S 3

14-15 nos – loquimur] abest in G 1 ; add. in

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le microcosme, III, 240-241

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quand tu n’existais pas, de même tu n’aurais pu te recréer quand tu es tombé. Dis donc, s’il te fallait choisir entre les deux, que choisirais-tu de préférence, je te le demande: ne pas être créé alors que tu n’existais pas, ou ne pas être recréé quand tu es tombé? Je ne doute pas que tu choisirais plutôt de ne pas être créé que de ne pas être recréé, parce que n’étant pas créé du tout, tu ne serais ni bien ni mal, tandis que n’étant pas recréé tu ne pourrais être que mal.

241. À qui l’homme doit le plus: son créateur ou son recréateur Vois donc et examine avec attention, ô homme, à qui de ton créateur ou de ton recréateur tu es le plus redevable, et plus redevable d’amour, dis-je, parce que tu ne pourrais lui rendre autre chose. Et si seulement tu pouvais lui rendre pleinement, mais pour autant que tu le pourrais, ce serait à suffisance, si ce n’est à la mesure de ta dette. Car ce que tu peux lui suffit, mais tu lui dois plus que tu ne le peux parce que tu te dois tout entier à lui, et toi d’autant plus qu’Il t’est supérieur, lui qui s’est donné pour toi. Mais juge donc, comme je l’ai dit, à qui tu dois le plus, de ton créateur ou de ton recréateur? – Quant à moi je pense, diras-tu, au Créateur, parce que lui qui m’a créé, pour autant qu’Il le voulait, m’a créé en sorte de m’accomplir, même si je n’avais jamais failli. Mais puisque maintenant j’ai failli, j’ai failli à cause de mon vice, non du sien. Mais je ne vois pas la différence entre celui qui parfait ce qui est imparfait et celui qui redresse les fautes. À cela je réponds: – La différence est grande à tous égards. Le plus souvent en effet il est bien plus facile de parfaire ce qui est imparfait que de redresser ce qui est détruit. – Pour les hommes, dis-tu, non pour Dieu, or nous parlons de Dieu qui fait, parfait et refait par le Verbe, comme il l’entend, aussi bien ce qui n’est pas fait que ce qui est imparfait, ce qui est complètement détruit. – Je savais, dis-je, que tu allais dire cela et je le voulais, et le désirais ardemment pour te pousser par ta propre confession à un plus grand amour de Celui qui t’a recréé. Car il a pu te recréer par le Verbe, mais sachant que le cœur de l’homme est mauvais et enclin à l’ingratitude, si grand que soit le bienfait reçu,

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microcosmvs, III, 241

te reficere potuit sed sciens prauum cor hominis et ad ingratitudinem quanticumque beneficii pronum, alto consilio talem modum releuandi lapsi nec per se resurgere ualentis elegit, quo sibi cum artiori dilectione deuinciendum presciuit. In assumpto homine laborare, mori et ignominiose mori decreuit ut iacentem, laborantem et ignominiose uiuentem gloriose mori et resurgere faceret et super omnes creaturas suas exaltaret. Quid hac dilectione excellentius? Propter quod et dicit: Maiorem hac dilectionem etc. Ego arbitror quia si duo essent factor et refector tuus, et si inter inmensa comparatio fieri posset, maiorem te debere dilectionem ei qui sic te refecit quam qui sic te fecit. Nunc autem cum sit unus et idem factor et refector tuus, si inmensa possent ad inuicem comparari, plus ei deberes amoris quia sic te refecit quam quia sic te fecit.

241, 25-26 maiorem – dilectionem] Ioh. 15, 13

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le microcosme, III, 241

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dans sa haute sagesse il choisit, pour relever celui qui est tombé et ne peut se relever par lui-même, une façon dont il savait à l’avance qu’elle lui permettrait de se l’attacher par un amour plus fort. Dans l’homme assumé il décida de souffrir, de mourir et de mourir d’une mort ignominieuse afin de le faire mourir glorieusement et ressusciter, lui qui est abattu, qui peine et qui vit ignominieusement, et de l’exalter au-dessus de toutes ses créatures. Quoi de plus sublime que cet amour? Ce pourquoi il dit aussi: «Un amour plus grand que celui-ci, etc.». Pour moi je pense que si ton créateur et ton recréateur sont deux, et si l’on pouvait faire une comparaison entre deux réalités incommensurables, tu devrais un plus grand amour à Celui qui t’a ainsi recréé qu’à Celui qui t’a créé. Maintenant, si ton Créateur et ton Recréateur ne sont qu’un, si les réalités incommensurables pouvaient être comparées entre elles, tu lui devrais un plus grand amour parce qu’il t’a recréé, plutôt que pour t’avoir créé ainsi.

Index Citations scripturaires Sources

CITATIONS SCRIPTURAIRES Genèse (Gen.) 1, 1 20, 6-7; 23, 10-11 1, 2 20, 9; 20, 12; 20, 14; 29, 38; 106, 21-22; 119, 18-19 1, 3 sqq. 187, 11-12 1, 3 21, 2; 187, 26-27 1, 4-5 202, 5-6 1, 4 21, 7; 21, 8 1, 5 21, 8-9; 21, 9 1, 6-7 187, 27-28 1, 6 21, 12; 27, 17-18; 30, 3-4; 31, 3-4; 34, 7 1, 7-8 23, 4-7 1, 8 32, 12; 77, 1 1, 9 27, 17-18; 46, 2-3; 48, 6-7; 50, 9-10; 52, 6-7; 187, 28-29 1, 11 53, 3-4; 186, 5-7 1, 12-13 59, 9-10 1, 12 191, 16 1, 14-17 81, 2-8 1, 14-15 187, 33-34 1, 14 81, 12-13; 84, 2; 87, 3; 94, 1-2; 94, 7; 103, 40-41 1, 15 85, 5 1, 19 103, 46-47 1, 20 187, 35-36 1, 21 190, 3 1, 23 183, 17-18 1, 24 184, 2-3; 186, 3; 186, 7-8; 187, 2-3; 187, 39-40; 188, 10; 190, 22-23; 191, 17; 192, 3-4 1, 26 40, 21-22; 109, 10; 225, 4; 225, 44-45; 226, 13; 235, 7; 235, 9-10; 235, 11; 235, 14; 235, 17-18; 235, 21; 235, 30; 235, 52-53; 235, 53 1, 28 229, 4-5; 229, 9-10; 229, 12; 229, 16 1, 31 229, 5-6 2, 1-2 136, 22-24

2, 1 2, 2 2, 6 2, 10 2, 23 3, 5 3, 12 3, 15

5, 3 18, 1-2 27, 26 30, 1-6 34, 3 49, 27

80, 6-7 135, 32-34; 202, 12 54, 7-9 54, 7-9 138, 13-14 109, 31 172, 19-20 129, 6-8; 132, 4; 137, 17-18 190, 21-22; 191, 3 4, 15 6, 6-7 225, 44-45; 226, 13; 227, 9; 235, 7; 235, 9-10; 235, 11; 235, 14; 235, 17-18; 235, 23; 235, 31 227, 9 90, 8 152, 19 65, 2-6 33, 12 233, 6

Exode (Ex.) 1, 14 5, 1 5, 3 5, 7 8, 8 8, 20 13, 14 19, 4

14, 20 80, 13 80, 12 14, 15 80, 13 80, 13 14, 20 207, 37-39

3, 18 3, 19 3, 21 5, 1

Lévitique (Lev.) 26, 10 144, 4; 148, 7; 148, 16; 149, 5 Nombres (Num.) 21, 9 98, 3-4 Deutéronome (Deut.) 32, 11 207, 37-39; 223, 12-14 32, 13-14 184, 9-13 32, 15 184, 22-23

506 Josué (Ios.) 15, 17-19

index 150, 26-28

Juges (Iud.) 1, 12-15 150, 26-28 14, 18 135, 8-9 15, 4 175, 17-18 II e Livre des Rois (II Reg.) 14, 30 175, 17-18 IV e Livre des Rois (IV Reg.) 4, 42 144, 4 16, 5 97, 6 Tobie (Tob.) 8, 9 146, 13 Judith 8, 1 sqq.

137, 7

Esther (Esth.) 7, 10 137, 9-20 8, 1 137, 9-20 Job (Iob) 1, 3 1, 21 1, 22 2, 6 2, 7 3, 3 3, 3-8 7, 1 9, 6 10, 21 13, 25 13, 28 14, 1-2 14, 2 14, 4 19, 25-27 19, 27 25, 6 26, 11

196, 23; 201, 6-8 199, 5-7; 199, 24; 199, 27; 199, 33; 199, 38 200, 9 194, 4-5 200, 17-18 109, 17-18 128, 10-13 198, 6 112, 7 112, 15-16 5, 14-15; 16, 6; 16, 6 5, 15-16 15, 6-9 16, 6 15, 9-10 140, 37-40 140, 44 4, 9; 16, 5 112, 7

30, 17-19 40, 18 40, 20-21

108, 34-36 129, 18-19 230, 8-9

Psaumes (Ps.) 2, 6 223, 4 2, 7 236, 25-26 2, 8 79, 13-14 8, 2 232, 15 8, 6-7 79, 5-6; 232, 4-5 8, 6 79, 3-4; 228, 7-8 8, 7 79, 12 8, 8 232, 5-6 9, 15 231, 25 9, 27-31 131, 7-13 10, 2 182, 8-10 10, 3 182, 14 11, 5 121, 10 15, 9 220, 16 16, 8 222, 16-17; 223, 15 18, 3 89, 9-10; 94, 5 18, 11 177, 34 21, 7 4, 9; 4, 12; 16, 5 23, 7 231, 19-20; 231, 24-25 23, 8 231, 26-27 29, 8 8, 18-19; 9, 7; 9, 8-9 29, 9-10 9, 10-12 29, 11 9, 16-17 29, 12 9, 20 31, 5 119, 28 33, 9 140, 33; 140, 35-36; 36, 7 121, 5-6 36, 25 13, 8-9 36, 27 139, 17-18 37, 10 224, 35-36 38, 3 1, 14; 1, 42 38, 5 136, 29-30 44, 6 1, 46 50, 19 150, 22-23; 150, 36-37 51, 3 121, 8 54, 7 1, 11-12 54, 8 1, 12 56, 2 224, 36 57, 7 233, 24 58, 11 84, 20-21 60, 7 103, 34-35; 103, 36-37;

507

index 62, 2 64, 12 67, 19 68, 10 68, 22 68, 23-30 68, 28-29 72, 2-3 72, 3 72, 11-12 77, 2 79, 14 80, 11 83, 4 89, 15 90, 1 90, 4 90, 5-7 101, 5 101, 28 103, 25-26 103, 25 103, 26 108, 6-20 109, 1 118, 14 118, 32 118, 35 118, 37 118, 39 118, 53 118, 61 118, 96 118, 106 118, 113 118, 127 118, 131 118, 158 119, 1 119, 2 119, 3 119, 4 124, 1

103, 38 220, 39-40 103, 36-37 95, 5-6 117, 23 128, 20 128, 21-23 128, 26-27 172, 39-40 128, 48 5, 5-7 93, 10 233, 18-19 146, 3 224, 43 147, 25-26 182, 27-28; 222, 17-18 222, 19-20 182, 29-32 14, 9-10; 16, 6 103, 38 27, 13-15 104, 8-9; 106, 10-11; 230, 4-5 130, 12-13; 230, 8-9 128, 28-30 79, 15-16; 234, 39-40; 236, 26 150, 13-14 147, 12-13 147, 28-29 191, 8 128, 45-46 128, 46-47 172, 34-35 176, 7 152, 17-18 117, 11 177, 33 146, 2-3 128, 44-45; 128, 49 1, 35 1, 36-37 1, 38-39 1, 40; 1, 45; 1, 46 182, 19-20

127, 3 127, 6 138, 11-12 138, 21 138, 22 143, 4 146, 2 147, 17-18

152, 35-36 152, 36-37 150, 9-11 128, 49 117, 12; 117, 21 16, 6 45, 38-39 120, 13-14

Proverbes (Prov.) 4, 8 152, 32-33 5, 15-17 146, 17 27, 21 42, 11 Ecclésiaste (Eccl.) 2, 16 5, 11 9, 5 5, 11; 5, 12 Cantique des Cantiques (Cant.) 1, 2 225, 22 1, 9 181, 27 2, 4 162, 33; 213, 9-10 2, 4 213, 9-10 2, 9 11, 9-10 2, 15 233, 30-31 5, 14 182, 24 8, 6 99, 3-14; 99, 19; 140, 10; 197, 27-28 Sagesse (Sap.) 1, 52 24, 15-16 9, 2 79, 5-6 Ecclésiastique (Eccli.) 6, 25 118, 31-32 14, 18 16, 6; 16, 6 18, 1 187, 14 19, 3 4, 9; 16, 5 24, 29 64, 14 30, 24 162, 44-45 Isaïe (Is.) 1, 6 3, 14 4, 1 5, 1

228, 14; 228, 17 233, 19-20 228, 9-10 184, 23

508 5, 20 7, 1-14 11, 2 11, 10 14, 6 35, 4 40, 6 51, 12 53, 11-12 66, 24

index 6, 11-13 97, 6-13 95, 6-7 95, 11-12 16, 6 143, 19-20 5, 17 16, 6 159, 25 111, 22-23

Jérémie (Ier.) 1, 10 116, 7-8; 126, 3-5 Osée (Os.) 6, 8

80, 8-9

Jonas (Ion.) 2, 1 230, 6 3, 7 232, 7-10 Habacuc (Hab.) 3, 11 88, 8-9 Malachie (Mal.) 4, 2 88, 6 Matthieu (Matth.) 1, 1 103, 24 3, 2 107, 6 5, 3 113, 15 5, 16 188, 17-19 5, 25-26 160, 31-37 5, 43 216, 8-9 5, 44 216, 10-11; 216, 27-28; 216, 44 7, 6 1, 21-22 8, 12 111, 23-24 10, 18-19 205, 25-28 10, 28 130, 20-21 10, 32 191, 28 10, 34-36 172, 42-43 10, 39 138, 10-11 11, 28 143, 14-15 12, 39 96, 6-7 12, 40 96, 8-9

13, 18-23 13, 25-30 13, 35 13, 43 19, 19 19, 24 19, 28 22, 12 22, 37 22, 38-39 22, 44 23, 15 23, 37 24, 28 24, 29 25, 4 25, 14-23 25, 25 25, 26 25, 33 25, 34 25, 35 sqq. 25, 41 26, 41 28, 2 sqq.

93, 10-11 175, 22-26 93, 10 103, 30-31 166, 4 147, 16-17 103, 26-27 151, 13 142, 20-21 142, 12 79, 15-16; 236, 26 172, 48-49 207, 38-39 223, 24 112, 7-8 209, 9 62, 17 1, 15-16 1, 41 178, 4-5 113, 6-7 166, 10; 167, 13 111, 18 29, 5 231, 4-6

Marc (Marc.) 4, 14-20 93, 10-11 8, 35 138, 10-11 13, 25 112, 7-8 Luc (Luc.) 1, 55 1, 70 1, 78-79 2, 34 4, 23 8, 2 8, 11-15 9, 58 10, 1 10, 13 sqq. 15, 11-31 16, 9 16, 26 17, 33

240, 17-18 240, 18-19 240, 13-14 95, 11-12 171, 14 119, 20-21 93, 10-11 175, 20-21 162, 11-12 159, 21 45, 5 41, 16 112, 5 138, 10-11

509

index 19, 20 19, 23 19, 24 20, 42-43 20, 42 21, 26 23, 26 24, 2 sqq. Jean (Ioh.) 1, 9-10 1, 9 1, 17 1, 29 2, 9 2, 10 3, 8

1, 16 1, 17 1, 18-19 79, 15-16 236, 26 112, 7-8 147, 15 231, 4-6

16, 12-13 17, 25 21, 16

2, 10-12 12, 7-8; 107, 7 240, 8-9 2, 17-18 213, 11 213, 11-12 141, 24-25; 145, 18; 190, 12 95, 7 84, 17-18 95, 9-10 97, 21-22 91, 16 138, 10-11; 162, 21; 163, 6-7 152, 2-3 145, 15 217, 9 91, 15 91, 15-16 29, 13 218, 4-5; 218, 17; 222, 33-34; 223, 21-22; 223, 26; 241, 25-26 92, 15-17 2, 15-16 146, 13

Actes (Act.) 1, 10 2, 1-4 2, 34-35 6, 9-10 6, 41 7, 54 7, 57-58

231, 11 124, 7-8 79, 15-16 124, 9-11 147, 26-28 233, 6 233, 7

3, 34 6, 44 8, 12 9, 39 10, 30 12, 25 13, 9 13, 12 13, 15 14, 8 14, 9 15, 5 15, 13

9, 1-20 9, 1-2 9, 1 12, 11 13, 2 13, 33

124, 15-16 233, 8-10 119, 6 224, 48 124, 18-19 79, 12-13; 236, 25-26

Romains (Rom.) 1, 20 40, 5-6; 72, 45-46 5, 5 29, 8; 140, 15-16 5, 12 47, 8-9; 107, 3 6, 6 148, 9 7, 18 29, 14; 170, 8-9; 204, 14 7, 23 170, 9-10 8, 9 29, 9-10 8, 18-19 229, 12-13 8, 26 207, 57-58 8, 28 179, 25-27 8, 31 29, 9 12, 20 1, 48-49 13, 12 88, 4 I re aux Corinthiens (I Cor.) 2, 2 89, 20 2, 9 111, 10-11; 111, 19; 113, 8-9 3, 16 29, 9-10 3, 19 174, 14 6, 19 158, 23-24 6, 22 89, 19 13, 12 43, 8-9; 88, 20-21 15, 24 223, 32 15, 25 79, 15-16 15, 50 161, 29-30 II e aux Corinthiens (II Cor.) 1, 23 1, 35 5, 17 80, 6 6, 16 29, 9-10 12, 7 193, 1-2; 193, 3 Galates (Gal.) 5, 17 29, 3-4 5, 24 156, 31 6, 2 159, 14 6, 5 159, 13

510

index

Éphésiens (Eph.) 4, 8 33, 16; 230, 11 4, 13 223, 31 5, 3 125, 26; 175, 11 5, 29 162, 29 Philippiens (Phil.) 1, 23 220, 15-16 2, 7 225, 43; 226, 7-8 2, 9-11 228, 21-25 3, 20 33, 23; 156, 9 3, 21 236, 18 Colossiens (Col.) 1, 15 228, 15 1, 24 240, 4 re

II aux Thessaloniciens (II Thess.) 2, 4 135, 23-24 2, 9 136, 7-8 II e à Timothée (II Tim.) 1, 14 29, 9-10 Tite (Tit.) 3, 5-6

29, 8

Hébreux (Hebr.) 1, 3 236, 25 1, 5 79, 12-13; 236, 25-26 1, 13 79, 15-16; 236, 26 2, 7 79, 3-4; 79, 5-6; 79, 12; 228, 7-8 3, 11 135, 42-44 3, 18 135, 42-44 4, 3 135, 42-44 4, 5 135, 42-44 5, 5 79, 12-13 13, 14 14, 3-4; 178, 22 Jacques (Iac.) 1, 17 43, 14-15 4, 1 29, 3-4 4, 5 29, 9-10 4, 15 4, 8-9

I re de Pierre (I Petr.) 1, 24 16, 6 2, 11 29, 3-4 2, 21 217, 9 3, 15 89, 5 4, 18 112, 5 II e de Pierre (II Petr.) 2, 22 158, 19 I re de Jean (I Ioh.) 2, 16 135, 57 2, 18 131, 1 2, 22 131, 1 4, 3 131, 1 II re de Jean (II Ioh.) 7 131, 1 Apocalypse (Apoc.) 1, 6 79, 9-10 1, 12-13 101, 11-13 1, 16 101, 14 1, 20 101, 18-21; 102, 6 2, 1 101, 15-16 2, 3 102, 11 2, 8-9 102, 11 2, 12-13 102, 12 2, 18-19 102, 12-13 3, 1 102, 23; 102, 26-27 3, 7-8 102, 14-15 3, 14-15 102, 24 3, 16 102, 26-27 4, 2 101, 11 4, 6 205, 17-18 4, 7 207, 39-40 5, 1 101, 5-6 5, 10 79, 9-10 6, 9 221, 3; 223, 29 6, 11 221, 9-10 7, 9-10 114, 5-9 8, 13 112, 24 9, 1 233, 35-36 9, 2-3 233, 36-38 9, 3 233, 39-40 9, 5 233, 40

511

index 9, 14 9, 16 9, 18 12, 3-6 12, 3 12, 4 12, 6 12, 7-9 12, 9 12, 13 13, 1-3 13, 2

233, 44-45 233, 43 233, 45-47 234, 5-9 234, 2 130, 10-11 132, 4 234, 10-11 131, 14 131, 1 234, 17-21 131, 20-21; 131, 22-23

13, 5-7 13, 11-17 13, 14-17 13, 17 13, 18 14, 1-3 16 22, 13

234, 21-23 234, 25-34 133, 4-10 135, 14-15 133, 11-13; 135, 4-5; 135, 16-18; 136, 47-48 234, 13-16 132, 4 240, 7

Prière de Manassé (Or. Man.) 80, 6-7

SOURCES* Adam de Saint-Victor Laus erumpat: 131, 14 Salue dies: 130, 16-17 Splendor Patris: 95, 18-19 Superne matris: 28, 6-7 Zima uetus: 14, 15 Aelred de Rievaulx De speculo caritatis: 152, 19-20 Sermones: 95, 18-19; 106, 5 Ambroise De Cain et Abel: 90, 7-8 De Noe: 8, 2-3; 77, 1 Expositio in evangelium secundum Lucam: 159, 21 Hexameron: 35, 6-7; 94, 11-12; 94, 19; 144, 4 In psalmum 118: 73, 7-8 Ambroise Autpert Expositio in Apocalysin: 88, 6; 133, 26-29 Anonyme De enigmatibus ex Apoc. Ioh.: 133, 26-29 Anselme de Laon Ennarationes in Apocalysin: 131, 24; 133, 17-25 Augustin Ad catholicos de secta Donatistarum: 146, 17 Adnotationes in Iob: 95, 18-19 Confessiones: 45, 5-6 Contra Crescionum: 146, 17 Contra duas epistolas Pelagianorum: 107, 3 Contra litteras Petiliani: 109, 29-30

Contra Maximinum: 90, 7-8 De civitate Dei: 64, 23-24; 88,8-9; 161, 9-10 De consensu evangelistarum: 223, 1 De diversis quaestionibus: 77, 1; 94, 11-12 De doctrina christiana: 94, 11-12; 153, 5-8 De Genesi ad litteram: 35, 6-7; 43, 1; 94, 11-12 De Genesi contra Manichaeos: 6, 6-7; 13-4 De natura et gratia: 120, 9-10 De peccato originali: 107, 3 De quaestionibus ad Simplicianum: 94, 11-12 De quantitate animae: 8, 2-3 De Trinitate: 225, 14-17 De utilitate ieiunii: 159, 4 Enarrationes in Psalmos: 1, 44; 24, 21-23; 88, 6; 106, 7-8; 131, 14; 146, 17; 147, 17-18; 176, 7 Epistulae: 112, 7-8 In Iohannis epistulam ad Parthos: 146, 17 Liber de praedestinatione sanctorum: 159, 21 Quaestiones evangeliorum: 159, 21 Retractationes: 122, 28 Sermones: 19, 36; 103, 33; 119, 6-7; 145, 49-50 Sermones de Scripturis: 124, 14-15; 124, 16-17 Soliloquia: 79, 25-26 Tractatus in Iohannis evangelium: 84, 18-19; 98, 3-9; 149, 10-12; 160, 13-14; 162, 21-22; 163, 7-8 Avianus Fabulae: 121, 12-13

* Sources mentionnées dans l'apparat (directes ou indirectes).

index Baudouin de Ford Commentarius in Apocalipsin: 133, 17-25; 133, 26-29

513

Denys Caton Disticha: 171 , 11 Epistula ad Anselmum: 73, 11-12

Bède De natura rerum: 81, 15 De tabernacula: 148, 7 De temporibus rerum: 13, 4 Explanatio Apocalysis: 131, 20-21; 131, 24 In Canticum canticorum: 213, 10 In epistulas VII catholicas: 6, 6-7 Bernard de Clairvaux Sermo de convers. ad clericos: 6, 6-7 Sermo de diversis: 45, 5-6 Sermo in dom. sexta post Pent.: 44, 4 Ad beatam Virginem deiparam sermo panegyricus: 6, 6-7 Meditationes piissimae de cognitione humanae conditionis: 6, 6-7 Bernard de Clairvaux (Pseudo) Sermo de convers. ad clericos: 6, 6-7 Sermo de diversis: 45, 5-6 Boèce Arithmetica: 71, 1; 72, 1 De musica: 64, 23-24; 70, 9-10 In Porphyrium: 8, 2-3 Phil. consol.: 8, 2-3; 19, 8-9

Eugène de Tolède Libellus carminum: 181, 29-31 Garnier de Saint-Victor Gregorianum: 2, 7-9; 87, 12-14; 88, 12; 196, 11-12; 196, 13; 196, 32; 204, 26-27; 207, 8-9; 223, 1; 223, 7-8 Gautier de Saint-Victor Sermones: 88, 6 Godefroid de Saint-Victor Fons philosophiae: 58, 5-6; 58, 17-18; 61, 18-20; 65, 12-14; 65, 14-17; 66, 2-6; 66, 7-14; 67, 15; 68, 2-4; 68, 5-7; 69, 1; 70, 2-15; 71, 2-5; 71, 13-14; 72, 16-21; 72, 21-27; 72, 27-29; 72, 36-38; 72, 39-41; 74, 2-7; 74, 7-9; 74, 10-13; 74, 13-16; 74, 16-18 Grégoire de Nysse De opificio hominis: 77, 1

Cassiodore Expositio psalmorum: 10, 6-7

Grégoire le Grand Homiliae in evangelia: 62, 17; 88, 8-9; 112, 7-8; 150, 21-22; 162, 15-16; 163, 21-23 Homiliae in Hiezechiem: 37, 3-4 Moralia in Iob: 1, 44; 82, 14-15; 84, 18-19; 88, 8-9; 108, 1; 109, 28-29; 111, 5; 130, 3-15; 160, 13-14; 196, 11-12; 199, 24-25; 199, 11-12

Césaire d’Arles Sermones: 88, 6; 98, 3-9

Guillaume d’Auvergne Sermones de sanctis: 73, 11-12

Cicéron Somnium Scipionis: 46, 9-11

Guillaume de Conches De philosophia mundi: 35, 8; 81, 15

Bruno d’Asti Expositio in Apocalypsim: 133, 17-25 Carmina burana: 84, 5-6

514

index

Dragmaticon: 46, 14-19; 49, 1; 93, 7-8 Glosae super Boethium: 46, 23-28; 49, 1 Glosae super Platonem: 49, 3-4; 51, 9-13 Guillaume de Saint-Thierry De natura corporis et animae:237, 27 De natura et dignitate amoris: 6, 6-7 Excerpta de libris b. Amobrosii super Cant.: 141, 12-13 Meditationes: 106, 5 Hilaire de Poitiers De Trinitate: 2, 3-4 Hildebert de Lavardin Carmina de operibus sex dierum: 87, 12-14; 88, 14-15 Horace Epistulae: 151, 20-21 Hugues de Saint-Victor De amore sponsi ad sponsam: 99, 15-17 De arrha anime: 237, 27 De quinque septenis: 113, 6 De sacramentis: 29, 26-27; 45, 5-6; 82, 26-31; 141, 22-24; 146, 17; 159, 4; 162, 27-28; 167, 13; 225, 14-17; 227, 3-4 De scripturis et scriptoribus sacris: 129, 3-4 De tribus diebus: 2, 5 Didascalicon: 2, 5; 13, 24-25; 49, 1; 55, 8-9; 55, 11-12; 57, 4-9; 58, 5-6; 58, 17-18; 64, 23-24; 66, 7-14; 68, 2-4; 69, 1; 70, 1; 71, 1; 72, 1 In Ecclesiasten homiliae: 49, 1 Libellus de firmatione arche: 216, 12 Miscellanea: 159, 4 Quomodo sermo Dei: 141, 14-15

Sententiae de divinitate: 80, 2-3; 98, 3-9; 225, 14-17 Super Ierarchiam Dionisii: 174, 14 Hugues de Saint-Victor (Pseudo) Allegoriae in vetus Testamentum: 87, 12-14; 88, 14-15 De bestiis et aliis rebus: 35, 8 Isaac de l’Étoile Sermones: 103, 32-33 Isidore De natura rerum: 35, 6-7; 88, 6 Etymologiae: 13, 4; 35, 8; 46, 14-19; 64, 23-24; 81, 15; 94, 23; 94, 27; 110, 7-8 In Deuteronomium: 111, 5 Jean de Fécamp Oratio pro gratia lacrymarum: 150, 21-22 Jean Scot Homilia et commentarius in evangelium Iohannis: 2, 7-9 Periphyseon: 44, 4; 181, 29-31 Jérôme Adversus Iovinianum: 44, 4 Epistulae: 10, 6-7 In Abacuc: 88, 8-9; 131, 24 In Ionam: 2, 3-4; 10, 6-3 Julien Pomère De vita contemplativa: 37, 3-4 Lactance Divinae institutiones: 13, 24-25; 46, 23-28; 190, 13-15 Léon le Grand Tractatus: 237, 27 Missale Romanum: 103, 43-45; 204, 3-4

index Origène Contre Celse: 77 , 1 Paschase Radbert De benedictionibus patriarcharum: 119, 6-7 Epistulae: 78, 11-12 Physiologus latnus: 181, 29-31 Pierre Abélard Commentaria in epistolam Pauli ad Romanos: 107, 3 Dialogus inter philosophum, iudaeum et christianum: 87, 12-14; 88, 14-15 Expositio in Hexaemeron: 13, 4 Sic et non: 146, 17 Theologia christiana: 162, 15-16 Pierre Damien Epistulae: 148, 7 Pierre de Blois Epistulae: 93, 7-8 Pierre de Celle Commentaria in Ruth: 131, 5-6 Pierre le Chantre Verbum adbreviatum: 148, 7 Pierre le Mangeur Scolastica historia: 2, 5 Sermones: 148, 7 Pierre Lombard Commentarium in Psalmos: 1, 44; 10, 6-7; 95, 18-19 Sententiae in IV libris: 10, 1; 92, 2-4 Platon République: 207, 8-9 Plotin Ennéades: 45, 5-6

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Primasius d’Hadrumète Commentarius in Apocalysin: 131, 5-6; 131, 14; 131, 20-21 Raban Maur In honorem sanctae crucis: 2, 7-9 Raban Maur (Pseudo) Allegoriae in sacram Scripturam: 2, 7-9; 87, 12-14; 88, 14-15; 129, 18-19; 130, 3-15; 131, 14; 145, 49-50; 177, 3; 178, 4-5; 179, 3-5; 195, 12; 196, 11-12; 196, 13; 204, 26-27; 207, 8-9 Richard de Saint-Victor Beniamin minor: 40, 7; 106, 2-3; 108, 1; 113, 1; 115, 7-8; 117, 12; 117, 23; 123, 3-4; 160, 13-14 De contemplatione: 30, 18-19; 40, 7; 106, 2-3; 108, 1; 140, 14-15; 140, 30-32; 150, 21-22; 225, 17-19; 227, 3-4; 237, 27 De eruditione hominis interioris: 141, 14-15; 150, 21-22; 151, 1 De statu interioris hominis: 237, 27 De Trinitate: 82, 26-31; 154, 10; 162, 15-16 In Apocalypsim: 131, 20-21; 131, 24; 133, 26-29 Liber exceptionum: 13, 4; 57, 4-9; 58, 5-6; 58, 17-18; 66, 7-14; 68, 2-4; 70, 11; 71, 1; 72, 1; 99, 15-17; 237, 27 Quomodo Christus ponitur in signum: 95, 12-14 Rupert de Deutz Commentarium in Apocalysim: 133, 17-25; 133, 26-29; 134, 2-25; 135, 3-60; 136, 3-53 De operibus Spiritus sancti: 109, 20-22 De sancta Trinitate: 111, 5

516

index

Rupert de Deutz (dubium) Commentarium in Iob: 149, 10-12

Tertullien Adversus Marcionem: 190, 13-15

Sedulius Scotus Collectaneum miscellaneum: 144, 4

Théodulphe d’Orléans Commemoratorium de Apocalypsi: 133, 17-15

Sénèque De beneficiis: 172, 7 Speculum virginum: 137, 7 Taio de Saragosse Sententiae: 37, 3-4

Yves de Chartres Sermones: 150, 21-22

TABLE DES MATIÈRES INTRODUCTION I. II. III. IV.

5

Au centre d’un réseau «Rithmice, metrice, prosaïce» Le Microcosmus La présente édition

BIBLIOGRAPHIE

5 10 23 34 41

TEXTE ET TRADUCTION 1. Ici commence le Prologue de l’œuvre présente

53

LIVRE PREMIER 2. Microcosmus de Godefroid, chanoine de Saint-Victor de Paris 3. Il rend le lecteur docile 4. Le propos est fondé sur une question 5. Approfondissement de la question 6. Réponse à la question soulevée 7. Il y a encore trois œuvres de Dieu, se rapportant au corps de l’homme 8. Que la définition de l’homme comme animal raisonnable, mortel, n’est pas exacte 9. Il confirme ses dires en se fondant sur l’autorité 10. Que la mortalité et la «passibilité» sont maintenant le vêtement pénitentiel des élus 11. Que l’épouse, dans les Cantiques, appelle cela son mur 12. C’est suivant une chose qui relève de sa bassesse que l’homme est appelé ‘monde’ 13. Comment ce monde s’écoule 14. Laissant là les réprouvés, il se tourne vers les élus 15. Comment l’homme s’écoule

59 61 61 63 65 67 67 69 71 73 75 77 79 83

518

table des matières

16. Il conclut ce qui précède et passe à autre chose 17. La question étant résolue, il s’attache au sujet 18. Ce n’est pas selon le corps mais selon l’esprit que l’homme est appelé monde 19. Qu’a examiné le Philosophe dans les qualités naturelles de l’esprit humain quand il a appelé l’homme «monde» 20. De l’examen du microcosme 21. Du premier jour, où la lumière fut créée 22. Du deuxième jour, où fut créé le firmament 23. Il aborde une étude plus étendue sur l’œuvre du deuxième jour 24. Il commence par l’élément supérieur 25. Il y a quatre sources de l’imagination 26. Il enseigne par l’exemple ce qu’il a exposé 27. Autre exemple 28. Troisième exemple sur le même sujet 29. Il fait objection à ce qu’il a dit, afin d’apporter la solution 30. Disposition des eaux au milieu du firmament 31. Quel est ce firmament, ou quelles sont ces eaux 32. Quel est ce deuxième jour 33. Il étudie de plus près l’œuvre du deuxième jour 34. Quel est ce firmament, et de quelle matière il est fait 35. Il n’est pas étonnant qu’il en soit ainsi dans le microcosme parce qu’il en est ainsi dans le mégacosme 36. Comment le firmament du microcosme sépare les eaux des eaux 37. Des quatre points cardinaux de ce firmament 38. Il donne des exemples de l’ascension de l’âme parmi ces eaux 39. Exemple de l’ascension depuis l’orient 40. Exemple de l’ascension depuis l’occident 41. Exemple de l’ascension depuis le midi 42. Quatrième exemple, de l’ascension depuis le septentrion 43. Que les réalités corporelles dispersent l’âme, les réalités spirituelles l’unifient 44. Il traite plus amplement de la dispersion de l’âme 45. Que l’âme réprouvée meurt par la dispersion, l’âme élue, non 46. De l’œuvre du troisième jour 47. Pourquoi il a rappelé l’opinion philosophique

85 87 87 87 91 91 93 93 95 97 97 99 101 101 105 105 107 107 109 111 113 115 115 115 117 119 119 121 123 125 127 131

48. 49. 50. 51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61. 62. 63. 64. 65. 66. 67. 68. 69. 70. 71. 72. 73. 74. 75.

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Il s’oppose doublement à l’opinion physique Il y a trois sortes d’œuvres, et trois sortes d’ouvriers Pourquoi Dieu a créé une seule région sèche Il repousse cette opinion par une autre opinion des philosophes Après cette digression, il revient à l’œuvre du troisième jour Que signifie ‘que la terre produise de l’herbe verdoyante’ Il soulève une question sur ce sujet, et la résout Des deux fleuves qui irriguent la terre Subdivision des susdits fleuves Subdivision de la science mécanique Subdivision de la science pratique Que si les hommes de science font défaut, les sciences ellesmêmes ne doivent pas faire défaut De ce que Moïse passa sous silence la disposition des eaux supérieures Le même jour ont été rassemblées les eaux inférieures et supérieures Que signifie que les eaux supérieures se rassemblent en un seul lieu Il prouve la même chose d’une autre manière Comment les eaux supérieures, rassemblées en un seul lieu, s’écoulent régulièrement Il enseigne par figures ce qu’il ne peut enseigner par des termes appropriés Il divise la philosophie sous la métaphore des ruisseaux de la source La physique expose les causes et les natures des choses La mathématique se divise en quatre branches L’arithmétique, maîtresse du multiple du simple La musique, du proportionnel La géométrie, maîtresse de la quantité immobile L’astronomie, maîtresse de la quantité mobile De la veine de l’éloquence Division de l’éloquence suivant ses branches Conclusion de ce qui a été exposé plus haut

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LIVRE SECOND 76. Qu’est-ce que le théologien a pris en compte en appelant l’homme «monde» 77. Que ce monde visible a été créé pour l’homme, non pour l’ange 78. Qu’avait prévu Dieu pour l’homme, de toute éternité 79. Que l’homme est supérieur à l’ange en dons gratuits 80. De l’ornement du microcosme 81. Il traite, suivant le récit de Moïse de l’ornement du microcosme 82. Tout d’abord il résume brièvement l’œuvre des trois jours suivants 83. Qu’autrement se présente l’ordre des dons naturels, autrement celui des dons gratuits 84. Ici il commence à traiter plus en détail de chacun des trois jours 85. Pourquoi ils sont appelés luminaires du ciel et non de la terre, alors qu’ils illuminent plutôt la terre 86. Que signifie, au sens mystique, que les luminaires du ciel se produisent dans le firmament 87. Que tous les luminaires du mégacosme, contrairement à ceux du microcosme, ne séparent pas le jour de la nuit 88. Comment le Christ et l’Église séparent la nuit du jour 89. Que l’une et l’autre peuvent parfaitement se concevoir pour la vie présente 90. Comment la foi reçoit la lumière de la connaissance, comme la lune du soleil, et qu’en cette lumière, tantôt elle croît, tantôt elle décroît 91. Pourquoi Dieu s’est fait homme 92. Question à ne pas dissimuler, et sa solution à ne pas négliger 93. Comment le fait de dire que croître et décroître, comme la lune, convient aussi à la foi, au sens mystique 94. Que signifie, à la lettre, de dire: «qu’ils soient pour signes, pour saisons, pour jours et pour années» 95. Que signifie, au sens mystique, que les luminaires sont placés pour signes 96. Que le Christ, en sa résurrection, fut placé ‘en signe’ 97. Que, dans sa nativité, le Christ a été placé ‘en signe’

171 171 173 175 177 179 181 183 185 187 189 191 191 195 197 199 201 201 205 207 209 211

98. 99. 100. 101. 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108. 109. 110. 111. 112. 113. 114. 115. 116. 117. 118. 119. 120. 121. 122. 123. 124. 125. 126.

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Que dans sa Passion il a été placé ‘en signe’ Que dans son ascension il a été placé ‘en signe’ Que dans le sacrement de l’autel il est en de multiples signes Que le petit luminaire est ‘en signes’ Comment les étoiles sont ‘en signes’ Comment les luminaires du ciel sont en temps, jours et années De l’œuvre du cinquième jour, où les eaux furent ornées Les affections du cœur humain sont au nombre de trois Des affections déméritoires Des affections méritoires, comment elles naissent par l’Esprit saint Comment naît la douleur salutaire Comment croît la douleur salutaire Quel est l’effet salutaire de la douleur dans le cœur du pécheur Comment se crée une crainte salutaire dans le cœur du pécheur Quel est l’effet salutaire de la crainte dans le cœur du pécheur Comment une espérance salutaire naît dans un cœur pur Comment il est permis à l’espérance d’imaginer les biens futurs De la bonne haine et du bon amour Il traite tout d’abord de la haine, en donnant la raison de cette priorité Antiphora, c’est-à-dire réponse à une objection tacite De l’effet de la bonne haine Il donne des exemples sur des vices spirituels Comment les [vices] qui persistent à sévir en nous disparaissent peu à peu Comment les vices qui persistent à sévir en nous sont jetés à bas Comment les mouvements qui se développent mal s’affaiblissent Comment les vices des autres doivent être combattus par une haine bonne Premier exemple: des martyrs Second exemple: des ordres religieux et consacrés Troisième exemple: des bons prélats

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127. Que les vices qui ne peuvent être détruits doivent être réduits en esclavage 128. Certains vices doivent être combattus par l’imprécation 129. Il démontre par l’autorité de la Genèse que cette haine est l’œuvre de l’Esprit saint 130. Comment le serpent marche sur le talon de la femme 131. Comment il s’attaquera à la femme par l’antéchrist 132. Éclaircissement d’un passage obscur de l’Apocalypse 133. Quel est ce passage obscur 134. Que les lettres composant ces noms contiennent ce nombre 135. Ce qui est dit doit être entendu non du nombre du nom mais de celui de l’homme 136. Pourquoi a-t-il posé une «sizaine», non pas simple mais à ce point multipliée 137. Par ailleurs, il prend l’exemple de femmes vertueuses de l’Ancien Testament pour renforcer son propos 138. De même ailleurs, dans le Nouveau Testament 139. De la haine du mal, il passe à l’amour du bien 140. Que l’amour du bien produit de grands effets 141. L’amour du bien, bien que naturel, est modelé par la grâce en sorte de devenir gratuit 142. Que la charité s’attache tantôt aux réalités divines, tantôt aux réalités humaines

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LIVRE TROISIÈME 143. 144. 145. 146. 147. 148. 149. 150. 151. 152. 153.

Ici commence le livre troisième, du domaine de la charité De l’empressement de la charité Et encore, sur l’affabilité et le repas de la charité Quelles sont les richesses et les délices de la charité Subdivision des richesses et des délices propres à la charité Quelle est la signification mystique d’un repas de pain d’orge et de vin mêlé d’eau Différence entre les vieilles qualités et les vieilles des vieilles Autre mystère du pain d’orge et du vin mêlé d’eau De l’expulsion de la présomption et de la pusillanimité De la complaisance de la charité L’expérience est plus sûre que la doctrine

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154. Qu’est-ce que l’amour ordonné de ce qui est au-dessous de nous 155. Que l’esprit humain est alourdi par ses parties inférieures 156. Que l’amour ordonné s’abaisse à la chair jusqu’à l’imagination 157. Quelle sorte d’amour ordonné l’esprit doit à la chair du fait qu’il est marié à elle comme un homme à sa femme 158. Quelle sorte d’amour ordonné l’esprit doit à la chair, dans laquelle il habite comme dans sa demeure 159. Quel amour ordonné l’esprit doit à la chair par laquelle il est porté comme par sa monture 160. Quel amour ordonné l’esprit doit à la chair qu’il a reçue comme compagnon de route 161. Quel amour ordonné l’esprit doit à la chair qu’il aura comme cohéritière du royaume de Dieu 162. Il intercale ici une question pour la résoudre 163. Solution 164. Réponse à l’objection faite par la raison 165. Démonstration par l’exemple 166. Où l’amour des deux est donné à entendre 167. Une objection et sa solution 168. De l’amour ordonné de ce que nous sommes 169. Combien est nécessaire à chacun l’amour ordonné de sa chair et de soi-même 170. Avec l’aide de la grâce, ce qui serait impossible sans la grâce devient possible 171. Il est en général plus difficile pour l’homme de se corriger lui-même plutôt qu’un autre, et par conséquent l’amour ordonné de soi-même est plus méritoire que l’amour ordonné du prochain 172. De l’amour ordonné de ce qui nous est proche 173. Distinction entre les trois amours cités ci-dessus 174. Ce qu’est l’amour naturel 175. Qu’est-ce que l’amour contre nature 176. Quelle est la concordance ou la différence entre ces trois amours 177. Avec quel discernement l’amour ordonné du prochain doit exercer son office 178. Que signifie que cet amour s’étende à droite et à gauche 179. Autre façon de s’étendre à droite et à gauche

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180. De la discrétion et de la confiance 181. Que la confiance et la discrétion sont tantôt des vertus, tantôt non 182. Que la confiance et la discrétion doivent alors être inséparables pour pouvoir être des vertus 183. Combien il est utile qu’elles soient conjointes 184. De l’œuvre du sixième jour, c’est-à-dire de l’ornement de la terre 185. De quelle façon la faculté d’œuvrer vient à celui qui sait et qui veut le bien 186. Tu noteras que Dieu a créé sur la terre certaines choses qu’il n’a pas créées dans d’autres éléments 187. Des six paroles de Dieu 188. Que signifie «que la terre produise des êtres vivants» 189. Pourquoi cette grâce est dite «âme vivante née de la terre» 190. Que signifie ce qui est ajouté: «selon son espèce» 191. Dans quel ordre l’Esprit de Dieu confère cette grâce 192. Quelles sont les trois espèces d’êtres vivants sur la terre 193. Note que l’Apôtre se ceint d’humilité contre l’aiguillon de la chair qui était en lui, afin de ne pas être arraché à la grandeur des révélations 194. Job, pour que l’aiguillon de l’impatience ne s’installe pas en lui, se ceint de l’œuvre de courage 195. Que la charité doit être toujours observée et dans la disposition intérieure et dans l’action, à moins que la faculté ne manque 196. Différence entre les animaux domestiques de cette terre, suivant leur espèce 197. Autre signification des jumenta de cette terre 198. Autre signification de la diversité des jumenta de cette terre 199. Il prend pour exemple celui qu’il a pris pour témoin 200. Maintenant, il s’arrête sur l’exemple de Job pour exposer sa doctrine 201. Que la terre de Job fut toujours ornée, et ce que cela signifie 202. Du dernier et plus grand ornement de la terre, c’est-à-dire de la création de l’homme 203. Que l’amour parfait du Créateur est l’achèvement de l’homme

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204. Ici il commence à traiter de l’ascension spirituelle de l’homme de la terre vers le ciel, en laquelle s’achève l’ornement du microcosme 205. Combien la vertu de circonspection est nécessaire 206. Que la charité fait progresser les siens de diverses façons 207. Enseignement de la charité 208. Du mystère de ses ailes 209. De la première aile 210. De la deuxième aile 211. Correction d’une certaine distribution, énoncée plus haut, des parties du corps de la charité 212. Du nombre de ses ailes: combien ce nombre est nécessaire 213. De l’ordre et de la disposition de ces ailes 214. Comment on vole avec ces ailes et par où il faut commencer 215. Que l’on ne vole pas avec une seule aile, mais avec une paire d’ailes, et que les plumes de la deuxième aile naissent d’où sont nées celles de la première 216. De la seconde paire d’ailes, et d’où lui naissent les plumes 217. Une racine unique est double: le précepte de l’amour du prochain et l’exemple du Seigneur 218. Objection à ce qui vient d’être dit 219. Autre racine de l’amour du prochain, elle-même double 220. Jusqu’où vole-t-on avec la première paire 221. Qu’en s’envolant ainsi, l’esprit brûle du désir de sa chair 222. Comment et jusqu’où vole-t-on avec la seconde paire d’ailes 223. Que le fils de Dieu lui-même, devenu oiseau pour nous, s’exerça davantage dans cette paire d’ailes 224. Comment, après cela, la susdite vision disparut 225. Qu’est-ce que l’amour ordonné de ce qui est au-dessus de nous 226. Note que l’homme est attiré en Dieu par un double lien de dilection 227. Que l’image comme la ressemblance de Dieu consiste en une triple réalité 228. Que «l’image et la ressemblance de Dieu» a été déjà consommée dans la personne du Christ 229. Dans quel ordre, après la Passion, le Christ fut exalté 230. Que tout d’abord les poissons de la mer lui furent soumis

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231. Que les oiseaux du ciel lui sont soumis 232. Que les bêtes de la terre sont à son service 233. Description plus fine des bêtes de la terre soumises au Christ 234. Comment le grand dragon et tous ses émules finissent par être soumis au Christ 235. Que ces mêmes transformations doivent encore s’accomplir en nous 236. À l’adresse de l’esprit humain 237. À l’homme 238. Pourquoi Dieu a assumé la nature, non la personne de l’homme 239. Comment doit s’accomplir dans les membres ce qui a été accompli dans la tête 240. Que le Christ est notre tête de deux manières 241. À qui l’homme doit le plus: son créateur ou son recréateur

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INDEX

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Citations scripturaires Sources

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ERRATA §16, ligne 6: lire stipulam au lieu de stipulam §23, titre: lire opere au lieu de opera §59, ligne 6: lire priuati au lieu de iuati §61, ligne 5: lire purgaretur au lieu de urgaretur §73, ligne 31: lire fucatus au lieu de fucatu §103, ligne 47: lire et mane, dies quartus (en italiques) §133, titre: lire Quis au lieu de Qu’id §188, ligne 18: lire qui au lieu de que §204, ligne 15: lire tui au lieu de tuis §205, ligne 20: lire opus, gratia, au lieu de opus gratia, §223, ligne 25/26: lire eo usque au lieu de eousque