Néo-libéralisme, version française : histoire d'une idéologie politique 9782354570361, 2354570368

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Néo-libéralisme, version française : histoire d'une idéologie politique
 9782354570361, 2354570368

Table of contents :
NÉO-LIBÉRALISME
Introduction
Et l’économie devint politique
La crise du capitalisme
Le procès du libéralisme
L’économie politique contestée
Les libéraux dans la tourmente
Libre-échange contre néo-capitalisme
Un révélateur des dissensions : le Groupement de défense des libertés économiques
L’émergence de la technocratie
Les premiers pas du néo-libéralisme
Un philosophe marginal : Louis Rougier
En quête d’une Cité libre
Le Colloque Walter Lippmann : le moment fondateur
Une mobilisation éphémère
Une entreprise politique : Les Éditions de Médicis
Associer théoriciens et praticiens de l’économie
Être libéral sous l’Occupation
De la Libération à la Guerre froide : débâcle et renaissance
L’État incontournable
Le retour des libéraux
La Société du Mont-Pèlerin : une citadelle pour le néo-libéralisme
À la conquête du pouvoir politique
La plasticité de l’idéologie dominante
La conversion au marché
Conclusion
Notes
Notes de Pintroduction
Notes du chapitre 1
Notes du chapitre 2
Notes du chapitre 3
Notes du chapitre 4
Notes du chapitre 5
Notes du chapitre 6
Notes de la conclusion
Fonds d’archives consultés
Principaux sigles utilisés
Index des noms cités
A
B
Table des matières

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François Denord

NÉO-LIBÉRALISME VERSION FRANÇAISE Histoire d'une idéologie politique

© Éditions Demopolis, 2007 24, rue du Champ-de-l’Alouette 75013 Paris www.demopolis.fr ISBN : 978-2-35457-036-1

Introduction « Régression néo-libéraie », « tyrannie néo-libérale », « contre-révolution néo-libérale » : depuis le milieu des années 1990, le « néo-libéralisme » passe pour avoir changé le monde1. La seule évocation du terme fait surgir les figures de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, accompagnées d’un cortège de politiques publiques et de slogans : privati­ sation, déréglementation, extension de la « concurrence libre et non faussée » à tous les domaines. Associée à 1’« ultra-libé­ ralisme », à une « réaction théorique et politique véhémente contre l’interventionnisme étatique et l’État Providence »2, l’étiquette a désormais valeur de stigmate. Au point que certains économistes libéraux n’hésitent pas à l’affirmer : « le néolibéralisme, ça n’existe pas », « la doctrine néolibé­ rale n’existe que dans l’esprit de ses ennemis »3. Et pourtant, des libéraux convaincus ont bel et bien inventé le néo-libéralisme. Il ne vient pas tout droit de Grande-Bretagne ou des États-Unis. Il n’est pas sorti armé de toutes pièces de la globalisation financière des années 1980-19904. Son histoire s’enracine dans le bouillonnement intellectuel de l’entre-deux-guerres. Des économistes, des patrons et des hauts fonctionnaires jettent alors les bases d’un libéralisme nouveau qui se veut une troisième voie entre un « laissez-faire » jugé moribond et une planifica­ tion économique supposée faire le lit du socialisme. Face au renforcement de la puissance publique, ils prônent la

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construction d’un État garant du libre fonctionnement du mécanisme concurrentiel. De cette mobilisation naissent des organisations comme le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme, inauguré à Paris en 1939, ou la Société du Mont-Pèlerin qui, depuis 1947, réunit tous les deux ans des universitaires, des hommes politiques et des représentants patronaux5. Si, selon les adversaires politiques et les résistances administratives, le discours a pu varier, le néo-libéralisme renvoie à un projet cohérent : créer les condi­ tions institutionnelles d’une société libérale ; restreindre le périmètre de l’action étatique sans revenir au laissez-faire ; ouvrir de nouveaux espaces au mécanisme concurrentiel ; défendre sans concession la libre-entreprise. Ce livre dresse la généalogie de cet interventionnisme libéral en s’appuyant sur des documents d’archives souvent inédits, conservés en France et aux États-Unis6. Il ne s’atta­ che pas uniquement à retracer l’histoire des ramifications françaises d’un mouvement international. Il montre à travers elle un ensemble de transformations : celles du rôle de l’État et de ses structures, celles des doctrines économiques qui participent à cette évolution et celles du champ du pouvoir et de l’action publique. À l’histoire des idées ou à une pers­ pective macro-sociologique usant d’indicateurs généraux sur de longues périodes (taux d’inflation ou d’imposition par exemple)7, il privilégie la mise en contexte de luttes politi­ ques et d’individus. Elle seule permet de saisir ce que le néo­ libéralisme recèle de nouveau. Les analystes de la pensée économique l’associent généra­ lement à des auteurs contemporains qu’ils situent cependant dans le prolongement des « classiques ». Les économistes marxistes le tiennent fréquemment pour le badigeon intel­ lectuel d’un capitalisme qui, d’industriel, serait devenu

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Introduction

financier. Quant aux spécialistes de la science politique, ils le réduisent souvent au renouveau du libéralisme dans la vie politique et les pratiques étatiques. Le néo-libéralisme ne ferait en somme que radicaliser certains postulats vieux de deux siècles. S’inspirant des principes exposés, entre autres, par Adam Smith dans Richesse des nations (1776), les libéraux affirment que les individus sont libres et ration­ nels, qu’ils déterminent eux-mêmes leurs actions dans un monde de concurrence, guidés par leurs seuls intérêts8. Le marché assurerait l’ordre social parce que la confrontation des intérêts individuels concourt à l’intérêt de tous. Poussé à l’extrême, le raisonnement amène à conclure à l’inanité de l’action publique. Qu’y a-t-il alors de nouveau dans le néo-libéralisme ? Les rénovateurs du libéralisme ont tourné le dos au maxima­ lisme et à la chimère d’une société sans État. Ils ont imaginé un art de gouverner plutôt qu’une utopie9. Loin d’être antiétatiste, le néo-libéralisme déploie l’intervention publique dans trois directions principales. De manière offensive, il cherche à faire sauter les verrous réglementaires, législatifs ou corporatifs qui entravent la libre concurrence et à désen­ gager l’État du secteur productif. De manière pragmatique, il crée un cadre légal favorable au marché, supplée l’initiative privée là où elle s’avère défaillante, incite à la concentration industrielle ou, au contraire, la freine. Ça et là enfin, l’État néo-libéral adapte le droit aux évolutions économiques, sanctionne les fraudes et vient en aide aux plus défavorisés. Cette maintenance du système s’imposant dans tous les cas de figure, deux grandes formes concurrentes de néo-libé­ ralisme se dessinent. Elles peuvent coexister durant une même période historique, s’incarner dans des modèles nationaux, mobiliser différentes coalitions d’intérêts. La prédominance

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du versant « offensif » produit ainsi un néo-libéralisme plutôt conservateur. Celle du versant « pragmatique » engendre un néo-libéralisme d’allure plus sociale. En simplifiant, le modèle américain, tel qu’il a pu être porté par l’École de Chicago, s’oppose au modèle allemand d’« économie sociale de mar­ ché » qui inspire aujourd’hui la construction européenne. Le néo-libéralisme ne forme donc pas un tout cohérent, une sorte de « pensée unique ». C’est un courant intellec­ tuel au sein duquel coexistent des groupes aux conceptions économiques différentes, parfois antagonistes. C’est aussi une vision du monde qui se construit avec et contre des « doctrines » économiques et politiques concurrentes. Non seulement les idées se redéfinissent au gré des changements de rapports de forces matériels et intellectuels, mais elles peuvent aussi être relayées à l’insu de leurs promoteurs, leur échapper jusqu’à devenir méconnaissables. Ce livre suit ainsi le cheminement du néo-libéralisme de l’entre-deux-guerres aux années 1980. Il raconte la longue marche qui a précédé le « grand bond en arrière »10. Le néo-libéralisme apparaît dans une configuration idéo­ logique et institutionnelle singulière. Première Guerre mon­ diale, Révolution bolchevique, naissance du fascisme, crise économique, avènement du nazisme, puis New Deal, Front populaire et enfin Seconde Guerre mondiale : de 1914 à 1945, le capitalisme traverse une crise sans précédent. Le XIXe siècle avait consacré l’équilibre des puissances internationales, le règne de l’étalon-or et le triomphe de l’État libéral11. En l’es­ pace de trois décennies, ce modèle vacille. La reconstruction des années 1920 ravive la croissance économique avant que le capitalisme ne plonge durablement dans la dépression. Jugé coupable, le credo libéral cède le pas devant la méfiance envers le laissez-faire, le besoin de règles et la revendication

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Introduction

d’une intervention étatique organisée. Cette « grande trans­ formation », comme l’a appelée Karl Polanyi, et les désor­ dres économiques, sociaux et politiques qui la motivent, ont contribué à faire de l’entre-deux-guerres l’une des périodes intellectuelles les plus novatrices du XXe siècle. Rarement la question du rapport entre l’État et l’économie aura été aussi discutée. Quantité de discours à prétentions syn­ crétiques ou révolutionnaires bénéficient de la mise en place de régimes de types nouveaux (le fascisme ou le stalinisme par exemple) et de la disqualification du laissez-faire. Deux pro­ cessus s’entretiennent mutuellement : la revalorisation du rôle économique de l’État dans les débats politiques et la création de nouveaux dispositifs d’intervention étatique sur l’économie. À la manière de doctrines concurrentes (le « planisme » ou le « néo-corporatisme »), le néo-libéralisme se veut une politique économique et c’est en cela que réside sa nouveauté. Son histoire est aussi celle d’un groupe et d’une mobili­ sation politique. Elle s’enclenche le 26 août 1938 lorsque s’ouvre à Paris une réunion internationale : le Colloque Walter Lippmann. Quatre mois après YAnschluß, un mois avant la signature des accords de Munich, ce huis-clos d’in­ tellectuels épris de libéralisme (Raymond Aron, Friedrich Hayek, Jacques Rueff et bien d’autres) a quelque chose de singulier. La mort du libéralisme et l’effondrement de la civilisation du XIXe siècle avaient maintes fois été annoncés. C’est désormais aux libéraux de convenir que c’en est fini du laissez-faire. « Nous nous heurtons à un fait brutal, déclare le journaliste américain Walter Lippmann dans son allocution inaugurale, le siècle du progrès vers la démocra­ tie, vers l’individualisme, vers la liberté économique, vers le positivisme scientifique s’est terminé par une ère de guerre, de révolution et de réaction12. »

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Néo-libéralisme version française

Si le Colloque Walter Lippmann a pour prétexte la traduc­ tion en français d’un essai à succès de l’éditorialiste américain (La Cité libre), l’ambition de certains de ses organisateurs est en réalité bien plus grande : analyser les causes du déclin du libéralisme et provoquer une renaissance intellectuelle de cette doctrine. En un mot « réviser le procès du capita­ lisme »13. Avec la fondation à Paris du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme en mars 1939, le Colloque Lippmann introduit également une rupture orga­ nisationnelle. Les néo-libéraux forment bon an mal an un groupe soudé contre le planisme et le socialisme. L’expérience tourne court : devant l’arbitraire du pouvoir en place (le régime de Vichy), redoublé par l’appareil de coercition nazi, les néo-libéraux français opèrent des choix qui les séparent parfois de manière irréversible. Le devenir du néo-libéralisme peut dès lors être analysé en tenant compte de deux ensem­ bles de transformations : celles de l’État et de ses structures ; celles des groupes qui promeuvent cette vision du monde. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la puissance publique devient ordonnatrice de la croissance, régulatrice de l’activité et dispensatrice des richesses produites. Entre 1944 et 1946, la France se transforme en laboratoire. Le libéralisme a fait long feu. Ancien ou nouveau qu’importe, c’est la démocratie économique et sociale que réclament les résistants. On expérimente de nouvelles institutions, repense les modes de production, introduit la sécurité sociale. Ces deux années ont nourri bien des mythes : celui d’une France cornaquée par un État planificateur et durablement sociali­ sante ; celui d’une « modernisation » impulsée par un petit nombre, portant à bout de bras le « redressement » national. Comme si la permanence de structures administratives et d’individus suffisait à garantir la continuité des politiques

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Introduction

menées. Comme si l’humeur réformatrice de la Libération tenait davantage de la règle que de l’exception. Les néo-libéraux partaient avec de sérieux handicaps. La création de nouveaux dispositifs d’intervention sur l’écono­ mie offrait à des hauts fonctionnaires la possibilité de concré­ tiser leur aspiration à une économie rationalisée. Accusé de tous les maux, y compris de s’être enrichi sous l’Occupation, le patronat n’avait pas voix au chapitre. Quant aux écono­ mistes, ils n’exerçaient que peu d’influence sur les réformes en cours. Pourtant, dès 1947, les rapports de forces se modifient. Alors que la France a opté pour des structures dirigistes, les libéraux reviennent au pouvoir, au nom de la recherche de l’expansion dans la stabilité et de la lutte contre l’Union sovié­ tique. Leur aura intellectuelle ne sera que tardivement recon­ nue. Socialisme, marxisme et catholicisme social donnent plus que jamais le ton dans la vie intellectuelle de l’après-guerre. Comme leurs homologues étrangers, les intellectuels libéraux français se replient alors dans des organisations internatio­ nales telle la Société du Mont-Pèlerin, créée pour favoriser le dialogue entre partisans de l’économie de marché. De ces années de Guerre froide à la période immédiate­ ment contemporaine, néo-libéralismes social et conservateur coexistent en France. Parfois rivaux, leurs tenants se soutien­ nent contre un adversaire commun : le socialisme. Un néo­ libéralisme modéré, assez conforme à l’agenda élaboré en 1938, s’épanouit d’abord chez des économistes et des hauts fonctionnaires, qu’ils se revendiquent des fondateurs du néo­ libéralisme français ou qu’ils trouvent leur inspiration dans le monde anglo-saxon ou en Allemagne. Parallèlement, un discours plus radical prend son essor dans l’univers patro­ nal, où la défense de la libre entreprise transcende bien des clivages. Il s’agit ni plus ni moins de remettre en cause la

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place prise par l’État dans le développement économique national. Le premier de ces néo-libéralismes s’impose sur la scène politique durant les années 1950 puis, grâce à l’avènement du marché commun et de la V' République, au sein même des bureaucraties d’État. L’heure est à une politique écono­ mique qui cherche à dynamiser les structures nationales par le recours à la concurrence extérieure, à instituer le marché et à le protéger pour que le mécanisme des prix puisse pro­ gressivement être libéré et fonctionner de manière optimale. La seconde forme de néo-libéralisme bénéficie des crises pétrolières des années 1970, qui mettent à mal les politiques de relance, ainsi que des effets produits par l’arrivée au pouvoir d’une majorité socialiste en 1981. L’État devrait avant tout se désengager. C’est l’époque de la « double rupture » : « Rupture avec les politiques contradictoires et également dangereuses que conduit [...] le gouvernement socialo-communiste. Mais aussi rupture avec l’évolution plus ou moins voulue, plus ou moins subie, des années 1970 qui nous a menés à une forme de socialisation à peine déguisée de l’économie et de la société françaises », martèle alors Jacques Chirac14. Le maintien des structures mises en place à la Libération a pu dissimuler les progrès du néo-libéralisme première manière, parfois qualifié de « gestionnaire »15. Durant les années 1980, la vigueur du second a aiguillonné la droite parlementaire pour échafauder le programme de privatisa­ tions et de déréglementations qu’elle engage une fois revenue aux affaires. Il aura ainsi fallu près de cinquante ans pour que le modèle néo-libéral se métamorphose en solution politique.

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Et l’économie devint politique La France de 1900 a pu être présentée comme l’arché­ type du pays libéral. Nulle instance publique ne cherche à imposer aux acteurs privés leurs objectifs économiques à moyen ou à long terme. Le pays ne dispose pas même d’un ministère de l’Économie nationale. Pourtant, depuis la fin du xixe siècle, l’État républicain ne se contente pas d’user de ses prérogatives en faveur de la défense, de l’éducation ou de l’accès à la propriété. Il soutient l’expansion de la banque, des chemins de fer, de la sidérurgie ou encore de l’électricité, et protège l’agriculture, principal secteur d’activité du pays, derrière des barrières douanières1. La jeune République doit satisfaire les revendications des catégories qui lui sont acqui­ ses, tenter de réguler les aléas de la conjoncture et élargir son assise. Elle développe son emprise dans le domaine de la production et met en place les premiers instruments de l’État social face à la montée en puissance du mouvement ouvrier : loi sur les accidents du travail de 1898, loi d’assistance pour les vieillards de 1905, loi sur les retraites ouvrières et pay­ sannes de 1910, création de l’impôt sur le revenu en 1914. Corrélativement à l’émergence d’un État de services publics, les discours des élites sur le rôle économique et social de l’État s’infléchissent2. Ce n’est donc pas uniquement par souci d’orthodoxie que les libéraux ne cessent avant 1914 de dénoncer « l’étatisme » de leur époque. Dès le début du siècle, le renforcement graduel des fonctions étatiques annonçait à 11

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leurs yeux l’avènement d’un « socialisme d’État », la « cons­ titution d’un énorme trust gouvernemental qui englobera toutes les branches de l’industrie », l’apparition d’un Étatpatron qui « gouvernera ses ouvriers comme un père, les prendra dès leur naissance pour les élever dans ses crèches, les instruire dans ses écoles, les employer dans ses ateliers, les soigner dans ses hôpitaux, abriter leur vieillesse dans ses hospices et les enterrer dans ses cimetières sans qu’ils aient à s’occuper eux-mêmes de leur destinée »3. L’idéalisation rétrospective du libéralisme de la « Belle époque » résulte de la conjonction de deux points de vue qui se recouvrent partiellement : celui de représentants de la bourgeoisie ancienne qui ont subi avec la Première Guerre mondiale d’importantes pertes humaines et financières ; celui de militants libéraux dont l’identité politique est malmenée par la crise des années 1930 et l’extension consécutive du rôle de l’État. À considérer la situation désastreuse de l’éco­ nomie française durant l’entre-deux-guerres, l’avant 1914 peut bien évoquer un havre de paix. Selon Jacques Rueff - inspecteur des finances et personnage de premier plan dans l’histoire du néo-libéralisme -, c’est même un « ordre collec­ tif », produit du seul « chaos des trajectoires individuelles », bénéficiant d’une situation de « quasi-équilibre » grâce à l’action bienfaitrice du « mécanisme des prix »4. La « crise du capitalisme » change la donne. L’ébranlement des structures économiques provoqué par la séquence Première Guerre mondiale - crise mondiale - Seconde Guerre mondiale a fait de l’État un acteur économique de premier plan et un objet incontournable des débats économiques. En postulant que la société se régule d’elle-même, le libéralisme s’apparente toujours à une forme de dénégation du politi­ que5. Avec la crise du capitalisme, il est battu en brèche.

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La crise du capitalisme La Première Guerre mondiale marque le point de départ d’un vaste mouvement de revalorisation de l’action étatique. Elle hâte l’instauration en France, comme dans la plupart des pays belligérants, d’un régime économique dirigiste et productiviste. Parce que la mobilisation prive villes et campagnes de main-d’œuvre, raréfie les capitaux et met fin au système de l’étalon-or, l’État alloue les ressources, fixe les prix, contrôle importations et exportations. Il devient le principal moteur de l’économie sans toutefois disposer d’un corps de fonctionnaires préparés à cette tâche. Rien n’eut d’ailleurs été plus contraire à la vision du monde d’un inspecteur des finances que de se risquer à mettre en péril l’équilibre budgétaire ou la valeur du Franc. La guerre four­ nit l’occasion à des individus pour la plupart étrangers au monde parlementaire et aux grands corps d’intervenir non seulement dans les débats économiques, mais plus encore dans la gestion de l’économie nationale. Elle a ainsi contri­ bué à l’expérimentation d’un mode de régulation peu respec­ tueux des principes marchands et à l’émergence de nouvelles formes d’expertises6. Mobilisation industrielle, mobilisation intellectuelle La mobilisation industrielle a dans une large mesure été conçue et entretenue par des intellectuels. À la tête du minis­ tère du Commerce entre 1915 et 1919, le député radical Étienne Clémentel s’entoure ainsi de centraliens et d’uni­ versitaires, comme Henri Hauser, spécialiste de géographie économique, ou Daniel Serruys, historien. Avec le concours de ces savants, il crée un système de consortiums chapeau­ tant étroitement l’industrie nationale et élabore des plans de reconstruction visant à développer la productivité ainsi 13

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qu’à organiser le dialogue entre administration et patronat. D’autres convictions inspirent Albert Thomas, socialiste réfor­ miste, qui introduit au ministère de l’Armement d’anciens condisciples de l’École normale supérieure, parmi lesquels les sociologues Maurice Halbwachs et François Simiand. Jusqu’à sa démission du gouvernement en septembre 1917, Albert Thomas se veut le promoteur de la rationalisation industrielle et de la nationalisation7. Son successeur, l’indus­ triel polytechnicien Louis Loucheur, recrute des ingénieurs, tel Ernest Mercier, l’une des futures grandes figures du monde patronal. Également partisan d’une transformation des structures économiques initiée par l’État, il souhaite cependant un retour progressif au libre jeu du marché8. Malgré leurs divergences de vue, les trois ministres qui prennent en charge la direction de l’économie durant la Première Guerre mondiale ont en commun la volonté de rationaliser l’activité économique nationale. Elle découle à la fois de leurs formations intellectuelles et de nécessités pratiques. Si Albert Thomas réclamait déjà avant-guerre une « économie organisée », si Louis Loucheur s’était fait reconnaître comme un technicien chevronné, rien ne laissait deviner l’ardeur réformatrice d’Étienne Clémentel. Ce notaire de province, qui a tout du notable de la IIIe République, impulse pourtant au lendemain de la guerre la création des régions économiques et de la Confédération générale de la production française ( c g p f ), principale organisation patronale dans les années 1930. De nombreux historiens ont insisté sur le rôle matriciel qu’a pu jouer la Première Guerre mondiale dans le dévelop­ pement de certaines idéologies politiques (le communisme et le fascisme principalement). C’est également vrai en ce qui concerne les discours économiques. Comme le soulignait

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à l’époque l’économiste Eugène Duthoit, porte-parole du catholicisme social, la guerre a « contribué à mettre en lumière l’aspect national des problèmes économiques et par conséquent la part qui revient à l’État dans leur solution »9. Bien que la plupart des institutions mises en place durant le conflit a été démantelée par le Bloc national (coalition de droite largement victorieuse lors des législatives de 1919), l’esprit de la mobilisation perdure. La guerre a profondé­ ment marqué les corps et les mentalités. Elle n’a pas seule­ ment tué près d’un million et demi de Français et fait de très nombreux blessés, elle a également accéléré le vieillissement social de ceux à qui la mobilisation « épargna, [selon le mot de Jacques Rueff], l’âge si ingrat de l’adolescence », les fai­ sant passer du « statut d’écolier à celui d’adulte » dans des conditions pour le moins traumatisantes10. De même que beaucoup d’anciens combattants aspirent à une rénovation des cadres politiques du pays, l’idée d’une réforme des struc­ tures économiques fait son chemin. Le conflit a mis en évidence certaines failles de la doctrine libérale, voire son caractère absurde : « L’économie qui a fait faillite, écrit en 1917 un économiste universitaire, [c’est] cette métaphysique solennelle qui bâtit ses constructions sur des données d’intérêts purement individuels dans une hypothèse de paix indéfinie et de concurrence uniquement économique11. » Des aspirations réformatrices germent au sein de groupes très divers. Des publicistes et des syndica­ listes de la Confédération générale du travail ( c g t ), de la Fédération des fonctionnaires, de la Fédération nationale des coopératives et de l’Union syndicale des techniciens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture ( u s t i c a ) prônent des « nationalisations industrialisées »12. La revendication d’une organisation rationnelle de la politique économique 15

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trouve également des relais parmi les catholiques sociaux, les radicaux et leurs soutiens universitaires, et même chez des patrons proches de l’Action Française, à l’image d’Eugène Mathon, un réactionnaire qui se fait précurseur en récla­ mant un ministère pour l’Économie nationale13. Dans un contexte marqué par la Révolution russe, des grèves, une forte croissance économique et une crise profon­ de des finances publiques, la plupart de ceux qui se pronon­ cent sur le rôle économique de l’État s’accordent à faire de ce dernier plus qu’un organisme de représentation politique. Il s’agit cependant avant tout d’y intégrer des représentants des forces économiques et sociales, jugés plus compétents que les hommes politiques dès lors qu’il est question d’économie14. Aux pôles les plus opposés de l’espace politique se dévelop­ pent ainsi des mouvances « réaliste » et « technicienne » qui appréhendent les problèmes économiques comme des enjeux politiques et proposent des programmes de réorganisation de l’économie nationale15. Durant les années 1920, les questions économiques et financières deviennent prépondérantes dans l’univers poli­ tique. Les difficultés liées à la reconstruction, à l’inflation et au déclin du franc dominent les débats. Elles défont des gouvernements, comme le Cartel des Gauches (1924-1926), ou confèrent à d’autres leur légitimité : les gouvernements Poincaré de 1926 à 1929 et, dans un premier temps, le cabi­ net Tardieu qui leur succède16. Une certaine défiance vis-àvis de la capacité de l’État à gérer les activités économiques demeure cependant. L’enjeu est tout au plus de faire de lui un interlocuteur des intérêts économiques et l’initiateur de tra­ vaux publics. Ceux qui promeuvent le principe d’une direc­ tion de l’économie, tel le journaliste Bertrand de Jouvenel17 (il ne se rallie au libéralisme qu’après la Seconde Guerre

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mondiale), occupent des positions relativement marginales dans les univers politique, économique et intellectuel, de sorte qu’ils disposent de peu de moyens pour réaliser leurs projets. Si l’économie s’impose progressivement comme une caté­ gorie d’intervention publique à part entière, elle reste, en tant que telle, peu institutionnalisée. L’une des seules réalisa­ tions pratiques des années 1920, dont on peut faire remonter l’origine à la Guerre, est le Conseil national économique ( c n e )18. Créé en 1925, cet ancêtre du Conseil économique et social se veut un lieu d’études et de représentation des intérêts économiques et sociaux, un espace de négociation et d’expertise. Il n’a pas pour autant de responsabilité directe dans la définition et l’application d’une politique systémati­ que de l’économie. L’économie se dote d ’un ministère En mars 1930, la mise en place par le gouvernement André Tardieu d’un sous-secrétariat d’État à la présidence du Conseil chargé de l’Économie nationale marque un tour­ nant. Mais cette construction institutionnelle reste fragile et ses prérogatives limitées. Il n’est pas question pour le soussecrétariat de se faire le « reflet d’une politique économique générale »19. Il produit notes et rapports à destination de la présidence du Conseil et tente de « protéger la main-d’œuvre et l’industrie nationales par un contrôle des achats des produits et des matériaux étrangers par les administrations ou services publics »20. Après coup, l’un des sous-secrétaires regrettera de n’avoir occupé qu’un poste de « demi-ministre qui, n’ayant point d’autorité sur les ministres à “part entière”, ne joua jamais d’autre rôle que celui de chef du Bureau d’études du président du Conseil »21. 17

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L’échec du sous-secrétariat d’État était du reste prévisi­ ble. La jeune institution ne pouvait avoir qu’un patron ou un « permanent » patronal à sa tête22. S’y sont principale­ ment succédé entre 1930 et 1934 des chefs d’entreprise et d’anciens hauts fonctionnaires reconvertis dans le privé : André-François Poncet, agrégé d’allemand devenu directeur de la Société d’études et d’informations économiques et du Bulletin Quotidien, Louis Loucheur, l’industriel « moder­ n isâtes » plusieurs fois ministre, Claude-Joseph Gignoux, agrégé d’économie politique responsable de la Journée industrielle ou Raymond Patenôtre, dirigeant d’un groupe de presse. L’État ne peut s’arroger un nouveau domaine de compétences sans donner des gages à ceux qui jusqu’alors en avaient la charge23. Le sous-secrétariat n’a donc que des objectifs limités. Lorsqu’il disparaît, peu s’en plaignent, si ce n’est un député, représentant des intérêts agricoles, qui dit à la Chambre regretter « cet arbitre [qui] avait l’avantage d’être sans bureaux »24, sans doctrine, et qui ne jouait qu’un rôle temporisateur entre l’Agriculture et l’Industrie. Les bureaux et la doctrine arrivent avec le Front populaire. Il faut en effet attendre 1936 pour qu’apparaisse un vérita­ ble ministère de l’Économie nationale ( m e n ). Son titulaire, Charles Spinasse25, spécialiste des questions économiques du Parti socialiste ( s f i o ), se trouve chargé d’un ministère dépourvu de moyens bien que disposant sur le papier de pouvoirs très étendus : « De la compétence du ministre de l’Économie nationale relèvent tous les problèmes économi­ ques ; elle comprend aussi bien les mesures qui ont pour objet de régler dans son ensemble une question essentiellement économique par nature, que celles dont la vie économique ne peut ressentir que des répercussions indirectes » proclame le Journal Officiel26. C’est ainsi au ministre de l’Économie

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nationale que revient la coordination des administrations des Travaux publics, du Commerce, de l’Agriculture, des p t t o u de la Marine marchande. Dans les faits, le ministère n’entre­ prend que des réformes d’ampleur toute relative. Dès 1937, il est d’ailleurs supprimé et ses services se trouvent rattachés aux Finances, un secrétariat général à l’Économie nationale prenant la relève. Il ne réapparaît au gré des changements de gouvernements qu’en 1938, avec des pouvoirs diminués, avant d’être remplacé en septembre 1939 par un haut-com­ missariat à l’Économie nationale, confié à Daniel Serruys. Cet ancien artisan de la mobilisation industrielle de 1914-1918 était entre-temps devenu le président de la Commission éco­ nomique de la Confédération générale du patronat français. Si l’expérience du m e n a été de courte durée, elle a pro­ duit des formes inédites de coordination entre les services de l’État27 et donné une vigueur nouvelle à l’idée de direction économique. Tirant des leçons de l’échec, le jeune conseiller d’État Michel Debré propose par exemple la mise en place d’un organisme capable tantôt d’intervenir, tantôt d’éviter les progrès de l’étatisme28. L’impact du sous-secrétariat d’État, puis du ministère, déborde le cadre de leur bilan. Leur simple existence a parachevé l’institutionnalisation de la catégorie « économie nationale » dans les débats économiques et poli­ tiques. Parler d’économie nationale, c’est non seulement considérer l’économie comme un enjeu politique mais aussi la spatialiser, en opérant une distinction entre plusieurs ordres d’activités interdépendants (économie locale, régio­ nale, nationale, internationale), le niveau national s’impo­ sant théoriquement et pratiquement aux autres. L’apparition du sous-secrétariat d’État à l’Économie nationale, et plus encore celle du ministère, montre que l’économie est désor­ mais pensée comme une affaire de souveraineté.

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Cette évolution ne s’observe pas qu’en France. Les ÉtatsUnis de Roosevelt font reposer leur économie sur de nom­ breux organismes de coordination, du « Brain Trust » d’uni­ versitaires qui entourent le Président à la National Recovery Administration créée en 1933. L’Allemagne nazie possède un ministère de l’Économie du Reich (Reichwirtschaftsministe rium) confié au Docteur Schacht. Et si le nazisme préserve les structures d’une économie capitaliste, « l’économie alle­ mande est [...] considérée comme un immense service public contrôlé et dans une certaine mesure dirigé par des fonction­ naires dépendants en dernier ressort du ministre de l’écono­ mie qui n’est responsable que devant le Führer »29. L’Italie fasciste a depuis 1926 son ministère des Corporations et même dans les pays restés plus libéraux, telles la Belgique ou la Grande-Bretagne, des instances régulatrices apparaissent. La banalisation de l’idée d’économie nationale dans la France des années 1920-1930 est d’abord liée à des boulever­ sements qui affectent l’économie depuis le début du siècle. Le développement de la production rationalisée, la constitution dans le secteur industriel d’entreprises en réseaux ainsi que la multiplication des ententes et cartels amènent économis­ tes, hommes politiques et syndicalistes à mettre l’accent sur l’interdépendance et la solidarité entre les différentes compo­ santes de l’activité économique30. De manière plus générale, le nombre de petites entreprises a diminué : près de 66 % de la population active concernée travaille en 1931 dans des établissements industriels de plus de dix salariés contre 42 % vingt-cinq ans plus tôt31. Mis à part la période 1914-1918 et l’immédiat après-guerre, le volume du commerce extérieur n’a cessé de croître : en 1929, les importations ont augmenté de 33 % par rapport à 1913, les exportations de 47 %32. Si l’on met en parallèle de ces changements structurels la

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création de régions économiques (1919), la naissance de la Confédération générale de la production française (1919), l’apparition de la Chambre de commerce internationale (1920), ou encore l’organisation de grandes conférences monétaires inter-étatiques, on peut émettre l’hypothèse que la vision économique d’une partie des chefs d’entreprise, des dirigeants syndicaux et du personnel politique n’a pu que s’internationaliser ou, à tout le moins, se « nationaliser ». André-François Poncet, premier titulaire du poste de Soussecrétaire d’État à l’Économie nationale, le constatait devant le CNE le 10 avril 1930 : « L’idée d’une économie nationale, la conception d’une économie internationale se sont impo­ sées à nous et il semble bien que notre époque doive être celle de l’économie organisée33. » Crise économique et anomie intellectuelle Conjuguée aux effets de la guerre, cette évolution de la manière d’appréhender les phénomènes économiques conduit à une revalorisation de l’action publique. Mais c’est la crise de 1929 qui joue intellectuellement le rôle de véritable catalyseur. De nombreuses doctrines, comme le « néo-corporatisme » ou le « planisme », apparaissent dans un contexte de mise en accusation du libéralisme. La « crise du capitalisme » que d’aucuns évoquent correspond à un ensemble de dérèglements matériels et intellectuels, large­ ment perceptibles durant les années 1930. Épargnée jusqu’au second semestre 1930, la France est à son tour affectée par la dépression économique. Entre 1930 et 1935, la production industrielle chute de 25 %, le nombre de « chômeurs secourus » est multiplié par 72 et la quantité de faillites rapportées par année augmente de 275 %34. La crise dépasse rapidement la seule sphère économique. Elle

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s’accompagne de comportements pathologiques (hausse du nombre de suicides, d’internements dans des asiles, d’ho­ micides) et d’une instabilité politique sans précédent : pas moins de 25 gouvernements se succèdent entre 1930 et 1939. À cela s’ajoutent certaines évolutions démographiques (diminution du taux de natalité et de nuptialité) qui, dans le prolongement de la Première Guerre mondiale, nourrissent tant les discours natalistes qu’une forme de « jeunisme ». On ne compte plus dans les années 1930 les organisations prétendant s’adresser avant tout aux « jeunes », catégorie « fourre-tout » qui permet de penser le monde politique sans recourir aux clivages traditionnels (gauche / droite, répu­ blicains / monarchistes, etc.) ou à une analyse en termes de classes ou de métiers. La tourmente frappe évidemment de manière différente les classes, les groupes, les secteurs. Les paysans subissent la crise d’autant plus violemment qu’ils ont déjà chèrement payé la Première Guerre mondiale ; les chômeurs voient leur pouvoir d’achat s’éroder alors que celui des fonctionnaires ou des retraités se maintient35 ; certaines branches indus­ trielles sont profondément atteintes, à l’image du textile, tandis que d’autres semblent « abritées », par leur proximité avec l’État ou la concentration industrielle36. Comme le note Marcel Mauss, « l’une des erreurs [...] de la façon purement philosophique de parler des crises, c’est de croire qu’à leur intérieur, il n’y a aucune espèce de choses nombrables et emplaçables »37. Mais s’il y a bien des inégalités devant la crise, personne ne peut rester à l’écart. La crise désorganise les perceptions ordinaires du monde économique et favorise l’émergence d’une multiplicité de points de vue. Ce n’est pas un hasard si l’un des rares secteurs à connaî­ tre une forte croissance durant cette période est celui de la

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presse et de l’édition. Face au désordre il faut identifier des coupables : « La crise est toujours une réaction contre des erreurs ou des aberrations collectives qui l’ont précédée. C’est l’expiation nécessaire des fautes commises » explique Raoul Hacaut, directeur de la Vie financière en 193038. Trouver des boucs-émissaires réduit l’incertitude, en focalisant les débats sur des groupes ou des entités qui, caractérisés par quelquesunes de leurs propriétés réelles ou supposées, ne peuvent qu’être fautifs. Pour les « libéraux », l’intervention de l’État, des syndicats et des coopératives ainsi que l’abus de crédit ont causé le désastre. Ils entraveraient l’action salutaire du mécanisme des prix. Symétriquement, les tenants d’une éco­ nomie planifiée accusent les « congrégations économiques, qui par l’intermédiaire d’administrateurs communs, en très petit nombre, de parlementaires stipendiés, d’anciens hauts fonctionnaires encore introduits dans les ministères font de l’État leur chose »39. Quant aux traditionalistes, ils s’en pren­ nent à l’individualisme, à cet esprit de jouissance qui aurait provoqué une crise d’autorité, dont l’issue ne pourrait être trouvée que dans le renforcement du pouvoir d’arbitrage de l’État et dans le développement de l’organisation profession­ nelle. Eugène Mathon résume la crise en ces termes : « Nous assistons présentement à l’effondrement d’une civilisation [...]. Depuis de nombreuses années, les lois, les mœurs, la littérature ont concouru à favoriser le développement de l’individualisme. Jamais on n’a autant parlé des droits de l’homme, mais jamais on ne s’est aussi peu soucié des devoirs qui en sont le corollaire. Cette idolâtrie de l’individu a porté ses fruits inévitables, et on a vu s’épanouir l’égoïsme féroce, l’hypertrophie du moi, le matérialisme obtus »40. La sphère économique peut-elle demeurer autonome ? Doit-elle se plier à des impératifs sociaux et politiques et

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cesser de viser la seule recherche du profit ? Ces questions obsèdent les protagonistes des débats économiques et poli­ tiques des années 1930. À la structure marchande, régie par le principe de concurrence, sont opposés d’autres types d’organisation : cartellisation, découpage en secteurs plus ou moins « libres », gestion corporatiste ou République syndicale. Même lorsqu’elles se parent des attributs de la nouveauté, les « doctrines » revendiquées ou stigmatisées ne surgissent pas ex nihilo. Elles reposent pour la plupart sur des schèmes préexistants, mais qui acquièrent d’autant plus de force que la crise rend possible la formulation de points de vue jusqu’alors peu recevables, ou circonscrits à des cer­ cles restreints. S’investir dans les débats économiques néces­ site ordinairement la possession d’une forme de compétence (scolaire et professionnelle en particulier), qui limite d’emblée le nombre des intervenants. Comme le déplore l’économiste Gaëtan Pirou en 1934 : « Maintenant, le public participe à la querelle ; à chaque degré, toutes les classes de la société sont touchées par la crise. [...] Ce ne sont plus seulement quelques agitateurs, c’est l’ensemble du public qui met en accusation le capitalisme et en prédit, ou en espère, la prochaine dispari­ tion41. » La crise du capitalisme fournit ainsi l’occasion d’une confrontation faiblement régulée entre de multiples groupes, clubs, associations, partis, journaux, qui ne s’adressent pas aux seuls spécialistes des questions économiques. Dans le climat de fortes polarisations sociales qui carac­ térise la France du milieu des années 1930, les débats écono­ miques traduisent avant tout les rapports antagonistes entre les classes, bien que sous une forme atténuée : ouvriers, et surtout paysans, restent largement sous-représentés au profit de porte-parole qui ne partagent souvent pas leurs condi­ tions de vie42. Si l’on considère les origines et trajectoires des

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dirigeants et des membres actifs des différents groupements qui donnent alors le ton, le fondement social des prises de position sur l’économie apparaît nettement43. D’un côté, des intervenants fréquemment issus de la bourgeoisie pari­ sienne, passés par des grandes écoles ou la Faculté de droit, enseignant dans les écoles du pouvoir économique et politi­ que (l’École des libres sciences politiques par exemple) qui occupent une position dominante dans l’univers économique (direction d’une grande entreprise industrielle ou exercice de fonctions d’expert international). De l’autre, des individus souvent plus jeunes, d’origine modeste, aux activités profes­ sionnelles moins prestigieuses (ouvrier, employé, professeur de lycée) qui ont en commun un engagement actif dans le syndicalisme et dans la presse militante de gauche. À cette opposition correspond celle de deux visions anta­ gonistes du monde : les uns appartiennent à des organisa­ tions promouvant le libéralisme classique (la Société d’éco­ nomie politique, le Journal des économistes, la Ligue du libre-échange) ou le « néo-capitalisme » (la Confédération générale de la production française) ; les autres animent des lieux de production de discours plus ou moins subversifs, se réclamant du « planisme » (Révolution constructive., YHomme réel, YAtelier pour le plan), ou bien sûr du « marxisme », référence incontournable pour les gauches socialiste et communiste. Les débats sur l’économie sont aussi, si ce n’est surtout, des débats sur les formes de reproduction des structures sociales et à ce titre, ils mobilisent largement aux deux pôles opposés de la hiérarchie sociale : aux fractions dominantes de l’Université, de l’administration et du monde patronal, le libéralisme dans ces différentes versions ; aux syndicalistes ouvriers, petits fonctionnaires, professeurs de lycées, les socialismes et le planisme.

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Rares sont les contre-exemples. Le catholicisme social se construit ainsi de manière volontariste sur la négation des luttes de classes et associe dans des organisations comme les Semaines sociales de France, créées en 1904, syndicalistes ouvriers de la Confédération française des travailleurs chré­ tiens ( c f t c ), patrons de la Confédération française des pro­ fessions, professeurs de droit (de l’université ou des facultés catholiques) et ecclésiastiques. Il n’en demeure pas moins des régularités dont la condamnation conjointe du capitalisme et du socialisme témoigne à sa manière44 : le corporatisme catholique s’adresse principalement aux classes moyennes, celles-là même qui pourraient se sentir prises en étau entre bourgeoisie et prolétariat.

Le procès du libéralisme À la fin des années 1930, l’un des porte-parole du néo­ libéralisme constatait avec amertume que « les derniers partisans [du libéralisme] font figure de donquichottesques paladins attardés à défendre une cause perdue »45. L’apogée de la dépression économique coïncide en effet avec la publi­ cation de nombreux plans de sortie de crise qui rejettent, au moins formellement, « le laissez-faire, laissez-passer »4é : plans de « socialisations », plans de « nationalisations », plans mâtinés de « corporatisme », plans qui remettent en cause le capitalisme ou qui entendent au contraire le sauve­ garder. Comme le note ironiquement l’économiste univer­ sitaire Henri Noyelle à propos du plan des Radicaux, « le plus raisonnable des programmes est tenu aujourd’hui de se qualifier [de] plan, même s’il ne vise qu’à des réformes mineures et, pour justifier son titre, il croit devoir postuler la faillite d’un régime [le capitalisme] qu’il se propose de consolider »47. Exception faite d’un planisme de façade, la

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remise en cause du libéralisme prend deux formes principa­ les. Tandis qu’à gauche on revendique une socialisation des activités économiques, principalement grâce à leur rattache­ ment partiel ou total à l’État, certains à droite entendent les encadrer au sein de structures sociales traditionnelles telles que la famille, le métier ou la profession. La vogue du planisme Que la gauche conteste les bienfaits du libéralisme n’a évidemment rien d’inédit. Dans son célèbre discours sur le libre-échange, Marx recommandait déjà aux membres de l’Association démocratique de Bruxelles de ne pas s’en laisser « imposer par le mot abstrait de liberté ». Car, poursuivait-il, la liberté économique, « ce n’est pas la liberté d’un simple individu, en présence d’un autre individu. C’est la liberté qu’a le capital d’écraser le travailleur »48. Si Panti-libéralisme est une valeur largement partagée à gauche depuis le XIXe siècle, il inspire dans les années 1930 des projets de réorganisation économique et sociale de natures sensiblement différentes. Popularisée par le socialiste belge Henri de Man, l’idée de plan, une « tranche » du programme socialiste faite de mesu­ res cohérentes devant amener au contrôle de l’activité éco­ nomique par l’État, polarise ainsi largement les débats entre les diverses composantes de la gauche syndicale et politique. Pour ses promoteurs, le plan présente l’avantage d’économi­ ser une révolution et de construire progressivement le socia­ lisme. Les planistes prônent l’union des forces sociales pro­ ductives (classes moyennes comprises) contre le capitalisme et contre le fascisme, autour de quelques grands principes : nationalisation du crédit ainsi que des « industries-clés » et instauration d’un Conseil supérieur de l’économie chargé de la direction de l’économie nationale49.

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Ces « réformes de structures » viennent contrebalancer et compléter les « réformes de répartition » traditionnellement mises en avant par le mouvement ouvrier (diminution du temps de travail, hausse des salaires). Grâce à la mise en place d’organismes de prévision et de planification, le planis­ me fournirait ainsi une alternative pratique au libéralisme, tout en laissant subsister un secteur libre. Mais plus qu’un ensemble de remèdes concrets à la crise, le planisme est aussi un état d’esprit. Contre « l’anarchie » de l’économie libérale, les théoriciens de l’économie dirigée font du plan une sorte de mythe, comme la grève générale chez Georges Sorel50, une représentation collective incitant les masses à agir, devant permettre l’émergence d’un nouvel ordre stable dans lequel s’opérerait graduellement le passage du capitalisme au socia­ lisme. Selon le néo-socialiste Marcel Déat, c’est d’ailleurs en cela que réside la « vertu essentielle du Plan », « beaucoup moins dans les détails mêmes des projets que l’on propose que dans l’attitude mentale que suppose le planisme luimême »51. Cette doctrine aux contours flous doit principalement son essor à des tentatives soit de délégitimation de la réfé­ rence marxiste, soit de révision du marxisme. L’offensive vient d’abord de courants socialistes minoritaires. Depuis le Congrès de Tours de 1920 où s’est effectuée la scission entre Section Française de l’Internationale Ouvrière ( s f i o ) et Communiste ( s f i c ), le parti de Léon Blum continue à se présenter comme un mouvement révolutionnaire refusant le principe d’une période de transition entre capitalisme et socialisme. Le planisme, et plus généralement le principe d’économie dirigée, permettent d’envisager le changement social dans la durée. Dès lors, le soutien à des gouvernements à dominante radicale-socialiste se justifie et la participation

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gouvernementale devient elle-même pensable. Le planisme fournit ainsi une idéologie de substitution à des réformistes qui plaident davantage pour un régime soucieux de « l’in­ térêt général » que pour la « dictature du prolétariat » et préfèrent la promotion des « compétences » aux « luttes de classes ». Dans ses Perspectives socialistes (1930), Marcel Déat, qui passe à la fin des années 1920 pour l’un des plus brillants intellectuels socialistes, a donné une certaine force théori­ que à ce point de vue - ses prises de position sont souvent relues uniquement en fonction de sa rupture avec la sfio en 1933 et de son collaborationnisme durant l’Occupation. Définissant le capitalisme en s’appuyant sur les travaux de Max Weber et de Werner Sombart, Déat tente de réconcilier Émile Durkheim et Karl Marx, tout en soulignant les limites du matérialisme historique pour appréhender le « fait capi­ taliste » : « Le matérialisme historique et les lois dialecti­ ques qui en dérivent sont de moins en moins vrais à mesure qu’on remonte le cours de l’histoire, mais de plus en plus vrais dès que l’on entre dans l’ère proprement capitaliste. Cela doit nous permettre de comprendre ce qu’est au fond le matérialisme historique. Lui aussi est consubstantiel au capitalisme, et il ne saurait, plus que le régime qu’il analyse, prétendre à l’universalité dans le temps et dans l’espace »S1. Pour Déat, le matérialisme historique a donc une portée his­ torique toute relative et l’anticapitalisme n’est pas le propre de la classe ouvrière53. Ce sociologue, normalien et agrégé de philosophie, verrait bien les savants et les techniciens renforcer le front anticapitaliste. Quant à l’État, il ne serait pas l’instrument de la domination d’une classe sur une autre mais l’expression d’un rapport de forces entre les classes. Il pourrait donc être mis au service des forces anticapitalistes.

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en s’associant aux syndicats et aux coopératives. Les thèses de Déat ont un retentissement important au sein de la s f i o et provoquent une grave crise interne, d’ailleurs soldée par l’exclusion des néo-socialistes. L’influence du « révision­ nisme » continue cependant de se faire sentir tout au long des années 1930. Deux tendances se revendiquent du planisme à la s f i o : la Révolution constructive, née en 1931, regroupant sous la houlette de Georges Lefranc des anciens de la Fédération nationale des étudiants socialistes (parmi lesquels Claude Lévi-Strauss et Robert Marjolin)54 et Le Combat marxiste, créé en 1933 par Lucien Laurat et sa femme Marcelle Pommera. Ancré à gauche, le planisme n’en a pas moins un caractère attrape-tout. Les militants de la Révolution constructive et du Combat marxiste diffèrent ainsi profon­ dément tant par leurs parcours que par leurs socialisations politiques. Exemples de réussite scolaire, les premiers, sou­ vent normaliens et agrégés, passent pour des intellectuels en devenir, tandis que les seconds, plus âgés et autodidac­ tes n’occupent pas, ou de manière marginale, de positions dans le système d’enseignement. La Révolution constructive constitue le représentant officiel du planisme demanien en France. Le Combat marxiste s’inscrit lui dans une tout autre tradition intellectuelle : le luxembourgisme. Marxisme orthodoxe ou révisé ? C’est le rapport au marxisme qui commande l’attitude adoptée vis-à-vis du planisme. Dénoncée par la droite comme une force politique et intellectuelle très puissante, l’économie marxiste n’a en réalité dans la France de l’entre-deux-guerres que peu de théoriciens et reste confinée à des cercles très restreints55. La s f i o et le Parti communiste se disputant le monopole de l’interprétation légitime en matière de marxisme, seul un

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petit nombre d’individus participe à des débats surinvestis politiquement, qui supposent en outre l’accès à des textes souvent non traduits. Quatre figures se dégagent. Georges Politzer, agrégé de philosophie, responsable des questions économiques auprès du Comité central du PCF, se veut le garant intellectuel de l’orthodoxie marxiste. La plupart de ses interventions économiques concernent cependant la conjoncture, y compris lorsqu’elles sont publiées dans Les Cahiers du bolchevisme, revue à vocation théorique du Comité central. Robert Louzon, ingénieur des mines, a quit­ té le PCF en 1924 pour rejoindre l’équipe de la Révolution Prolétarienne (syndicaliste révolutionnaire)56. C’est un vul­ garisateur qui traite de « plus-value », de « capital », de « lutte des classes », mais ne fait guère référence à Marx57. Ancien professeur d’économie à l’Université communiste des minorités nationales d’Occident, Lucien Laurat a rompu avec la IIIe Internationale en 1924. Il se veut un fin connais­ seur des textes, critique de Robert Louzon58 et du simplisme des théoriciens du Parti communiste. Quant à Jean Duret, l’un des fondateurs de la c g t u (communiste), il a été exclu du PCF en 1932. Il adopte une position en surplomb depuis laquelle il entend donner des leçons de marxisme à ceux qui se disent marxistes, à commencer par Lucien Laurat et Georges Politzer59. Le planisme suscite le ralliement de théoriciens « révision­ nistes », tels Jean Duret et Lucien Laurat, tous deux très investis dans les instances de réflexion économique de la CGT. Non-communiste et ouvertement réformiste, la centrale de Léon Jouhaux a fait du planisme sa doctrine officielle et mis en place en 1934 un Bureau d’études économiques, calqué sur le modèle du Bureau d’études sociales du Parti ouvrier belge. Des militants syndicaux y fréquentent des

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essayistes et des universitaires (notamment Étienne Antonelli et François Simiand). Les cours et publications de l’Insti­ tut supérieur ouvrier, organisme de formation syndicale, relayent le planisme de la c g t . Des périodiques lui sont dédiés comme L’Homme réel, créé en janvier 1934 par Achille Dauphin-Meunier (à l’origine anarchiste, il passe au début de la Seconde Guerre mondiale du planisme au néo­ libéralisme) ou L’Atelier pour le plan, lancé en mai 1935 avec l’appui de Léon Jouhaux. Du côté du Parti communiste, la condamnation du pla­ nisme ne s’est pas faite attendre. Les théoriciens du p c fus­ tigent dans les Cahiers du bolchevisme ce qui leur apparaît comme un instrument de sauvegarde de l’État bourgeois. La seule issue possible à la crise est révolutionnaire60. Avant que la tactique du Front populaire n’impose des compromis, le PCF n’en démord pas : « L’expropriation sans indemnité des usines, des banques, de la grande propriété immobilière et du commerce de gros créera toutes les prémisses pour une économie de classe de l’État ouvrier61. » Par crainte d’un renforcement des pouvoirs de l’État, les syndicalistes révo­ lutionnaires de La Révolution Prolétarienne affichent leur scepticisme62. Tiraillée entre tendances réformistes et révolutionnaires, la S F io se montre plus ambivalente dans son rapport au pla­ nisme. Si certains députés s’en réclament, comme l’universi­ taire André Philip ou l’ingénieur polytechnicien Jules Moch, le parti de Léon Blum doit préserver son unité, alors que le planisme est constitutif de la démarche des néo-socialistes qui réclament, derrière Marcel Déat, une politique économi­ que « cartésienne »63. Face à la montée du Parti communiste, le débat met aussi en jeu l’identité politique et sociale de la S F io . Les planistes socialistes échouent à imposer l’idée de

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plan à leur parti. Certaines de leurs propositions s’intégrent néanmoins au programme du Front populaire (les nationa­ lisations, par exemple), ce qu’explique sans doute la ferveur dont bénéficie le planisme dans l’univers syndical. Le retour à Vordre chrétien : le corporatisme Planisme, socialisme marxiste et bolchevisme fournissent autant de manières d’envisager une socialisation de l’écono­ mie. Mais entre planisme et libéralisme une autre forme de contestation du laissez-faire gagne en audience durant les années 1930 : le corporatisme. Inspiré par la doctrine sociale de l’Église, il entend réconcilier les classes par l’association professionnelle, considérée comme une cellule de base de la société, devant arbitrer les antagonismes entre les groupes et réglementer la production. Doctrine à la fois économique et politique (accorder à la profession organisée un pouvoir décisionnel en matière économique va souvent de pair avec la représentation des intérêts économiques et sociaux dans l’État), le corporatisme a fait l’objet durant les années 1930 de très nombreuses publications64. Son succès, au moins éditorial, tient autant aux réactions de l’Église face à la crise (l’encyclique Quadragesimo Anno de 1931 actualise la doc­ trine sociale catholique), qu’à l’avènement du fascisme et du nazisme. Les corporatistes français ne s’accordent cependant que sur quelques principes : la condamnation du laissezfaire, le rappel des valeurs chrétiennes (défense de la per­ sonne et de la famille) et une extrême méfiance vis-à-vis du corporatisme d’État65 qui se traduit par la limitation de son rôle à son « pouvoir suprême de contrôle, d’arbitrage et de coordination »66. Le corporatisme allie critique de l’étatisme et rejet du libéralisme traditionnel, pensé comme l’idéologie des élites laïques de la République. « La liberté, écrit ainsi

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Louis Salleron, n’a son sens plein que si elle s’accompagne d’une puissance réelle et c’est pourquoi le libéralisme, doctrine de la liberté, est aussi la doctrine des puissances établies67. » Des militants d’extrême droite, proches ou non de l’Action Française, des syndicalistes de la c f t c et des juristes catho­ liques promeuvent l’organisation professionnelle. Autant dire que les partisans du corporatisme n’adoptent bien sou­ vent ni la même définition de la profession, ni de l’État et du même coup des relations devant exister entre ces deux entités. Si un travail de systématisation du corporatisme se poursuit dans le cadre des Semaines sociales de France et au sein d’organisations comme l’Institut d’études corporati­ ves et sociales créé en 193468, les contradictions demeurent nombreuses69. Les disciples de La Tour du Pin et des juristes plaident en faveur d’un groupement professionnel unique pour patrons et ouvriers70, ce que ne peuvent accepter ni les membres de la c f t c , ni ceux de la Confédération française des professions. Eugène Mathon, du Comité central de la Laine, dénie aux ouvriers tout pouvoir de décision dans le domaine économique, ce que refusent les dirigeants de l’Ins­ titut d’études corporatives71 tout autant que les adhérents de la c f t c 72. Certains veulent conserver la possibilité de ne pas se syndiquer, tandis que l’économiste François Perroux souhaite l’avènement d’une « communauté de travail » dans laquelle patrons et ouvriers seraient obligatoirement affiliés à un syndicat qui, lui, serait librement choisi73. D’autres contestent la pluralité syndicale, alors que la c f t c milite pour sa préservation afin d’éviter la prééminence des syndi­ calistes CGT largement majoritaires en effectifs. À ces lignes de clivages s’ajoutent les conceptions poli­ tiques antagonistes des différents groupements (refus du parlementarisme et sentimentalisme contre-révolutionnaire

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des monarchistes, acceptation de la République des démo­ crates chrétiens) et le caractère socialement hétéroclite de la mobilisation corporatiste. Dans le conseil de présidence de l’Institut d’études corporatives et sociales siègent ainsi des universitaires, des peintres comme Henri le Sidaner et JeanGuillaume Henri-Martin, des industriels ou le compositeur régionaliste Joseph Canteloube. La définition du corpora­ tisme et celle des moyens de le réaliser ne cessent de diviser ses partisans, qui se voient concurrencés sur leur propre ter­ rain par la réhabilitation de la notion de métier chez certains syndicalistes et chez les néo-socialistes74. D’une troisième voie à l’autre Planistes et corporatistes reprennent souvent la thémati­ que de la « troisième voie » (ni libéralisme, ni communisme). Elle trouve des relais au sein d’une partie de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie qui nourrit une même aversion pour un mode de reproduction sociale fondé sur la trans­ mission directe d’un patrimoine (qu’il s’agisse d’un capital économique, d’une charge ou d’un mandat politique). La « troisième voie » joue cependant un rôle mobilisateur pour deux secteurs relativement distincts de l’espace social. D’une part, une majorité de littéraires, occupant des positions de second rang dans l’univers académique (principalement des professeurs de lycée), ou ayant délaissé leurs activités d’enseignement pour se consacrer à leur action politique. Ils peuplent certains mouvements dits « non conformistes », et notamment ceux de la composante « spiritualiste » du nonconformisme75. D’autre part, des grands commis de l’État, des juristes et des ingénieurs, qui tentent de faire valoir leur compétence dans la gestion de la chose publique et que l’on regroupe généralement sous le label de « techniciens ».

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Ces étiquettes prêtent à confusion, la catégorie « nonconformistes » soulignant d’elle-même qu’elle ne trouve de cohérence que dans l’opposition, et celle de « techniciens » se révélant socialement très polysémique. Les « techniciens » peuvent être issus du monde économique et de l’adminis­ tration, des « praticiens », par différence avec les « théori­ ciens » universitaires. Le terme de « techniciens » s’utilise également comme synonyme de « producteurs » pour oppo­ ser des individus aux origines sociales plutôt modestes, qui doivent leur carrière à leur seul « travail », à des individus initialement favorisés. Par techniciens, on peut encore dési­ gner tous ceux qui disposent d’une compétence, pour parler des problèmes économiques, garantie par des titres scolaires et par une pratique d’expert auprès des pouvoirs publics. La notion doit sans doute son succès dans les années 1930 à la multiplicité des assemblages qu’elle autorise. La distinction entre deux formes d’avant-gardes demeure cependant opé­ ratoire : d’un côté, l’équipe d'Esprit dominée par Emmanuel Mounier et Denis de Rougemont, ou celle de l'Ordre Nouveau avec Robert Aron, Arnaud Dandieu et Alexandre Marc ; de l’autre, des groupes comme celui du 9 juillet 1934 qui réunit, sous le patronage de l’écrivain Jules Romains, des syndicalistes, des militants venus des ligues de droite ainsi que des ingénieurs polytechniciens, ou la revue planiste et anticommuniste l'Homme nouveau dans laquelle écrivent ces mêmes polytechniciens et syndicalistes, des néo-socialis­ tes et de jeunes hauts fonctionnaires (les conseillers d’État Michel Debré et Pierre Laroque notamment). Les positionnements de la composante « spiritualiste » et de la composante « technicienne » ne sont pas le produit des mêmes socialisations politiques. Pour les uns, l’apparte­ nance au catholicisme conduit sur le plan politique à rejeter

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le radicalisme et le socialisme laïcs, tandis que les aspirations réformatrices amènent à se distancier du clergé et des élites catholiques traditionnelles dans le champ intellectuel76. Pour les autres, leurs compétences techniques, réelles ou suppo­ sées, les distinguent dans le champ politique des notables et des représentants du conservatisme, alors que leurs positions sociales les poussent à écarter les formes de subversions les plus radicales telles que le marxisme. Ces deux mouvances convergent toutefois dans un même refus d’une « oligarchie de profiteurs pourvue d’appuis dans tous les partis »77, et dans la condamnation d’un État « faible et qui s’avère, en outre, pourri »78. Elles ne sont d’ailleurs pas totalement sans liens. Certains ingénieurs, comme Robert Loustau ou Robert Gibrat, participent ainsi aux activités à'Ordre Nouveau et à celles de cénacles polytechniciens. Esprit ouvre ses colon­ nes à des représentants du syndicalisme et à des ingénieurs. Pour Emmanuel Mounier, il semble même qu’une forme de division du travail puisse régler la confrontation entre ces acteurs, étant entendu que la technique reste en position subalterne79. De telles mobilisations collectives doivent beaucoup à la crise politique qui secoue la IIIe République au milieu des années 1930 : la manifestation du 6 février 1934, qui affirme publiquement le risque que l’extrême droite peut faire cou­ rir à la République, et la diffusion corrélative du thème de la « réforme de l’État »80. Elles permettent un brassage des thématiques. Le Plan du 9 juillet 1934 dénonce ainsi le libé­ ralisme, souhaite revaloriser le rôle de l’État et regrouper les producteurs dans un cadre social, régional et corporatif. De manière comparable, les personnalistes d'Esprit reprennent certaines des revendications du planisme81, se réclament un temps du corporatisme, avant d’en critiquer les « duplicités ».

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Tous ces discours de rupture ne débouchent guère sur des réalisations concrètes. Ils entament cependant le crédit des économistes « professionnels ».

L’économie politique contestée En France comme ailleurs, la place des économistes au sein des élites dépend du rôle que leur accordent le système éducatif, l’État et les dirigeants économiques82. Or, au milieu des années 1930, l’économie politique est une discipline jeune, relativement méconnue du personnel politique, qui fournit des savoirs bien éloignés des préoccupations des hommes d’affaires. Une discipline encore marginale En s’appuyant sur des sociétés de pensée (la Société d’éco­ nomie politique), des maisons d’édition (Guillaumin) et des journaux (le Journal des économistes), le « lobby libéral » a obtenu la création des premiers enseignements publics et pri­ vés de cette discipline au xixe siècle83. Pourtant, si l’économie a droit de cité depuis plusieurs décennies au Conservatoire national des arts et métiers (1819) ou au Collège de France (1830), elle pâtit encore de son statut de discipline nouvelle dans la France des années 1930. Du côté des grandes écoles, il n’y a guère qu’à l’École libre des sciences politiques (le futur Sciences Po), que l’économie fait pleinement partie d’un projet pédagogique d’ensemble. Jacques Rueff se féli­ cite au milieu des années 1930 que « sur 89 cours et confé­ rences qui figurent au programme [...] il n’y en a pas moins de 46 dont le titre même indique qu’ils traitent de questions économiques, financières ou fiscales »84. Rien de tel dans les écoles scientifiques et techniques. Introduite à Polytechnique en 1904, sans lien véritable avec les autres cours de l’École85,

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l’économie fait tout au plus office de complément à la forma­ tion technique dispensée dans les écoles d’application (École des Mines et École des Ponts et Chaussées). À l’université, elle devient obligatoire en 1877 comme matière d’examen pour la deuxième année de la licence de droit. Elle ne dispose cependant de son propre corps professoral qu’à partir de la création d’un doctorat en 1895 ainsi que d’une agrégation un an plus tard. De l’aveu même de ses plus prestigieux représentants, l’éco­ nomie demeure à l’université une discipline « auxiliaire »8é. Et dans les grandes écoles, les professeurs sont aussi souvent des praticiens de l’économie qui ne consacrent à son ensei­ gnement qu’une partie de leur temps. Albert Aupetit, ancien économiste de la Banque de France, administre plusieurs entreprises financières ; Jacques Rueff exerce des fonctions éminentes au ministère des Finances, par exemple celle de directeur du Mouvement général des fonds (1936-1939). Dans les facultés, l’économie politique se range sous la tutelle du droit. Les économistes formés comme juristes composent majoritairement les jurys d’agrégation qui recrutent les pro­ fesseurs d’économie politique jusqu’en 1920. Et de manière générale, on compte à l’université un économiste pour qua­ tre professeurs de droit87. À cette position subalterne correspondent des origines sociales qui distinguent les professeurs d’économie politique des juristes. Ils sont moins liés au monde du droit et à la bourgeoisie économique et plus souvent fils de moyens et hauts fonctionnaires. Leurs convictions religieuses ne sont pas nécessairement identiques : les professeurs de droit sont fréquemment des catholiques affichés, tandis qu’un nombre non négligeable d’économistes est protestant88. Rien d’étonnant alors à ce que l’économie reste méprisée par les juristes,

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persuadés de la supériorité de leur « art » sur cette « science » qui attire d’ailleurs peu les étudiants. Durant la période 1925-1939, les thèses d’économie politique ne représentent en moyenne, et malgré la crise, que 13,5 % de l’ensemble des thèses soutenues dans les facultés de droit89. Tout concourt donc à faire de l’économie politique une discipline relativement marginale. Son institutionnalisation impose néanmoins une carrière type. Hormis les enseignants des grandes écoles, presque tous les économistes passent par la Faculté de droit, y font leur doctorat et y préparent l’agrégation du supérieur. C’est à Paris que le contenu des enseignements d’économie est le plus diversifié90 et qu’il est possible d’acquérir les relations nécessaires à l’obtention d’un poste. La majorité des professeurs d’économie, même d’origine provinciale, y a donc effectué tout ou partie de ses études supérieures. Cette communauté de trajectoires, avec ses passages obligés que sont les cours des grands maîtres du début de la IIIe République, nourrit un esprit de corps. Les économistes universitaires partagent de mêmes références intellectuelles. Décrivant le climat dans lequel se sont dérou­ lées ses études, Bernard Lavergne, professeur à la faculté de Lille, note que plusieurs enseignants « ont marqué en [lui] une forte empreinte », parmi lesquels il place au premier rang Charles Gide, le fondateur de la Revue d’économie politique, à qui il doit « l’illumination qui devait en grande partie orienter toute [sa] vie »91. Ce nom revient souvent sous la plume d’économistes qui ont été formés au début du siè­ cle. D’autres figures s’imposent aux agrégés des années 1920 et 1930, celles de Gaëtan Pirou ou de Charles Rist, deux des professeurs les plus renommés de la faculté de droit de Paris. Pour les économistes des écoles scientifiques et techni­ ques, le dénominateur commun se nomme Clément Colson,

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conseiller d’État et professeur à Polytechnique, aux Ponts et à l’École libre. Cooptation et contrôle du corps Sur le plan de l’approche théorique et des méthodes, il existe bien des différences entre les économistes de l’en­ tre-deux-guerres. Leurs écrits et leurs cours en attestent92. Et pourtant, l’espace des pensables demeure circonscrit. On chercherait en vain un économiste marxiste à l’univer­ sité et encore ne faut-il pas confondre hétérodoxie d’hier et d’aujourd’hui. Se placer dans la filiation de Walras - devenu de nos jours une référence incontournable - revient, jusque dans les années 1920, à exhiber un stigmate infamant. Il vaut par exemple à Étienne Antonelli d’échouer plusieurs fois à l’agrégation. Faire partie du corps des économistes implique un renoncement tacite aux options intellectuelle­ ment les plus originales ou aux préférences politiques qui risqueraient de heurter les principaux représentants de la discipline. La conversion intellectuelle peut s’opérer presque mécaniquement et comme en sourdine. Robert Marjolin raconte ainsi dans ses mémoires comment, de jeune militant socialiste partisan du planisme, il en vient au libéralisme en devenant un proche collaborateur de Charles Rist, vivant même « pendant deux ou trois ans dans deux mondes complètement distincts »93. L’aspirant économiste ne peut se permettre de transgresser les valeurs du groupe qu’à la condition d’afficher des états de service irréprochables. Si François Perroux se fait sans encombre le théoricien de la « communauté de travail », s’en prend au conformisme du corps et aux « amateurs de procès »94, c’est d’abord qu’il a satisfait jeune et brillamment aux rites de passage de la carrière académique : il est docteur à 23 ans, reçu premier

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à l’agrégation à 25 et obtient une chaire à Paris au bout de neuf ans seulement. Le monde des économistes universitaires des années 1930 fonctionne comme un corps, un groupe soudé derrière les grandes figures de la discipline, où s’affirme une certaine homogénéité, tant des origines que de la formation et de la doctrine. Les économistes des facultés de droit font partie d’une même « génération universitaire »9S. Qu’ils comptent au nombre des premiers agrégés d’économie politique ou qu’ils débutent leur carrière dans les années 1930, ils parti­ cipent d’un même mode de sélection des individus reconnus comme ayant acquis un niveau élevé de connaissances en économie et aptes à l’enseigner. La faiblesse des effectifs (45 universitaires en 1931) rend possible une continuité logique entre les positions occupées, les épreuves franchies avec suc­ cès et les postes futurs. Dès lors, la division Paris / Province ne crée que peu de rivalités entre pairs, contrairement à ce que l’on peut observer dans d’autres disciplines96. L’obtention d’une chaire à Paris et, étape supplémentaire, dans les établissements du pouvoir comme l’École libre des sciences politiques, prend du temps : aux jeunes agrégés la province où enseignent également quelques anciens devenus des notables ; aux professeurs bien installés dans la carrière académique, la capitale et ses grandes institutions. Ce système de cooptation ne se limite pas aux seuls lieux d’enseignement ou de recherche. Il joue à plein pour accé­ der aux revues, maisons d’édition et lieux de sociabilité du corps, qui permettent à un jeune économiste de se faire un nom. La clôture du milieu est d’ailleurs d’autant plus grande que ces instances de consécration sont rares. On ne dénom­ bre ainsi dans la France des années 1930 que deux revues universitaires généralistes : la Revue d ’économie politique.

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dirigée par Gaëtan Pirou et Charles Rist, qui dispense le « discours économique dominant, descriptif, réaliste, faible­ ment théorisé »97 ; la Revue d’histoire économique et sociale d’Edgard Allix, François Albert-Buisson (sénateur) et Roger Picard, qui se veut plus ouverte théoriquement et davantage tournée vers l’histoire. Les deux périodiques n’en demeu­ rent pas moins institutionnellement très liés : neuf membres du comité de rédaction de la Revue d ’économie politique siègent également dans celui de la Revue d’histoire écono­ mique et sociale. Les maisons d’édition prêtes à accueillir des travaux d’économistes ne sont guère plus nombreuses. La majorité doit ainsi se contenter d’éditeurs juridiques spécialisés (Dalloz, l g d j , Sirey), chez lesquels officient comme directeurs de collection certains des « maîtres » de la discipline (Albert Aftatlion, Louis Baudin, Gaëtan Pirou). Seuls ces derniers sont en mesure d’être publiés par de gran­ des maisons généralistes (Flammarion, Gallimard, Grasset, Payot). Quant aux lieux de sociabilité de la discipline, ils imposent une certaine tournure d’esprit et un respect de la bienséance académique. Créé en 1926, le Congrès des éco­ nomistes de langue française vise ainsi à uniformiser théories et méthodes et surtout à souder les économistes, en tant que corps, au-delà des frontières. Ce forum international réu­ nit chaque année autour de deux thèmes d’actualité la très grande majorité des économistes français. Quels que soient les sujets étudiés (la place des syndicats dans l’économie, l’évolution du crédit ou l’autarcie), rares sont ceux qui osent contester les points de vue exposés par leurs pairs. Ces mécanismes de cooptation produisent chez nombre d’économistes un désir d’unanimité que manifeste la volonté de fonder, au-delà des clivages théoriques, une « économie politique sans doctrines », selon l’expression de Jean Lescure,

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professeur à la faculté de droit de Paris98. Avec la crise, le fleuve tranquille se met cependant à bouillonner. Les économistes sous le feu de la critique Des enseignants issus de disciplines connexes investissent le terrain économique et dédaignent les conclusions de la science économique officielle. Le corporatisme a ainsi la faveur de nombreux juristes catholiques. Or, pour la grande majorité des économistes, il n’est au mieux qu’une « plan­ che de salut » « quand bien même [ils] préféreraient] pou­ voir [s’]accrocher à quelque barque plus sûre »". Certains juristes, comme le constitutionnaliste Joseph Barthélemy, partagent d’ailleurs leur point de vue100. À la critique des professeurs de droit s’ajoute celle des sociologues durkhei­ miens. Maurice Halbwachs et François Simiand reprochent ainsi aux économistes leur méconnaissance de la statistique, leur croyance en l’existence de lois immuables et leur utili­ tarisme101. Les économistes raillent en retour ceux à qui « la sociologie [paraît] infiniment plus générale, et par consé­ quent plus scientifique »102. Ces remontrances professorales sont bien moins virulentes que celles des syndicalistes ouvriers et patronaux, journalistes, essayistes et hommes politiques qui stigmatisent l’incompé­ tence des économistes à trouver des solutions concrètes à la crise. Dans un pamphlet paru en 1935, Jacques Duboin conte ainsi les tribulations d’un jeune Chinois, traversant une France gorgée de richesses où paradoxalement beaucoup connaissent la misère. Qui sont les coupables ? Les écono­ mistes qui vouent dans l’Abbaye de « Sainte Économie » un culte à « Saint Jean-Baptiste Say », l’un des fondateurs de l’École libérale française. Vivant en cénobites, les pères Germain-Martin (Louis Germain-Martin), Minoux-Minout

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(Claude-Joseph Gignoux), Momier (Lucien Romier), Ollix (Edgard Allix), Pèze (Gaston Jèze) et Trist (Charles Rist) ont pour adeptes patrons, journalistes et hommes politiques. Ils récitent la litanie de la sainte monnaie, chantent le cantique de la déflation et prononcent l’oraison de l’équilibre bud­ gétaire. Ponctuant inlassablement leurs prières de « laissez faire, laissez aller », ils endoctrinent dirigeants et dirigés pour le bien-être d’une étroite minorité103. Jacques Duboin peut bien passer pour un original. Industriel et banquier issu d’une famille de magistrats, cet ancien député et secrétaire d’État au Trésor s’est fait durant les années 1930 le prophète du socialisme dans l’abondance, annonçant la venue d’une nouvelle civilisation, celle de La Grande Relève des hommes par la machine104. On y travaillera peu, recevra de l’État une somme adaptée à ses besoins, cessera de détruire les biens excédentaires pour les partager. Les économistes n’ont d’ailleurs pas manqué de dénoncer dans l’abondancisme de Jacques Duboin « l’un des exemples les plus purs de l’aberration et de la décadence des esprits de l’entre-deuxguerres »105. La très grande majorité des économistes reste fidèle au libéralisme, même si coexistent en leur sein deux groupes de libéraux : le premier rassemble des enseignants des grandes écoles scientifiques et techniques ; le second se compose de professeurs des facultés de droit, appartenant aux premières générations à avoir dispensé des cours d’économie à l’uni­ versité. Le conflit entre ingénieurs économistes et économis­ tes universitaires trouve d’abord son origine dans le décret de mars 1877 qui permet à l’économie politique de faire son entrée dans les facultés de droit. Sous la pression des juristes, le gouvernement d’alors avait rendu obligatoire la possession d’un doctorat de droit pour enseigner l’économie,

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ce qui avait eu pour conséquence directe d’exclure du corps enseignant les représentants de l’École libérale106. Économistes universitaires et économistes des grandes écoles défendent en outre des conceptions différentes de l’économie. Tandis que les professeurs d’économie appli­ quée et les ingénieurs-économistes vantent l’emploi de la statistique, voire considèrent l’économie politique comme une « science statistique »107, les juristes économistes parmi les plus âgés restent enclins à une présentation littéraire de la discipline. Ils n’ont en outre pas le même rapport à la question sociale. Ils viennent généralement de milieux moins favorisés que leurs collègues des grandes écoles (professions libérales contre haute fonction publique et patronat) et cer­ tains se sont engagés dès la fin du xixe dans les milieux réfor­ mateurs et notamment au Musée Social, haut lieu d’études et de débats de la philanthropie protestante108. Louis GermainMartin en a été le Secrétaire général en 1898, Charles Rist et Henri Truchy figurent encore parmi les membres de son conseil de direction durant les années 1930. C’est également parce qu’ils contestaient le dogmatisme du Journal des éco­ nomistes que des économistes universitaires ont créé autour de Charles Gide la Revue d'économie politique (1887), solidariste et coopératiste à ses origines109. L’économie politique des premiers enseignants universitaires se voulait comme le droit, « la base de la philosophie pratique à l’usage des hommes d’État »no, c’est-à-dire un savoir adapté à l’État républicain et à ses services publics. Contre un libéralisme qui glorifiait le mécanisme des prix, voire le déifiait, pouvait ainsi s’affirmer un libéralisme plus pragmatique, acceptant une part d’intervention étatique. S’ils restent prégnants à la veille du premier conflit mon­ dial, ces principes de différenciation perdent progressivement

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de leur emprise. L’interpénétration entre ie milieu des pro­ fesseurs de la Faculté de droit et celui des ingénieurs-éco­ nomistes est visible au sein de différentes sociétés savantes (Société d’économie politique et Société statistique de la ville de Paris, par exemple). De la même manière, l’Académie des sciences morales et politiques, temple du libéralisme classi­ que depuis sa restauration par Guizot en 1832, s’ouvre dès les années 1920 aux plus prestigieux porte-parole de l’éco­ nomie universitaire. Ainsi Clément Colson et André Liesse, sont-ils rejoints par Auguste Souchon en 1919, Henri Truchy en 1922, Louis Germain-Martin en 1927, Charles Rist en 1928 et en 1936 sont admis simultanément Edgard Allix et Albert Aupetit. On trouve ainsi côte à côte les principaux animateurs de la Société d’économie politique, de la Revue d ’économie politique et du Journal des économistes, deux périodiques entre lesquels s’instaure au tournant des années 1930 une véritable division du travail. Le premier se consa­ cre à la théorie et le second à la doctrine, pour reprendre une distinction chère aux juristes de l’époque111. Même s’ils entendent défendre un « libéralisme économi­ que [...] moins absolu et moins intransigeant qu’aux temps héroïques de Bastiat [économiste pamphlétaire du xixe siècle] et de ses compagnons de lutte »m , les anciens libéraux « sociaux » des facultés de droit sont conduits par un certain nombre d’évolutions structurelles à se rapprocher de leurs homologues « orthodoxes ». Avancés dans la carrière ou retraités, occupant des positions de pouvoir dans les champs économique et politique, les voilà victimes d’une forme de vieillissement social parce que les questions économiques deviennent de véritables enjeux politiques et que s’observent conjointement l’arrivée de nouveaux entrants à l’Univer­ sité, avec parfois des convictions de gauche plus marquées. 47

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Dans son journal, le patron lyonnais Auguste Isaac écrit ainsi à propos d’André Liesse, l’un de ses amis professeur au CNAM : « Arrivé à près de 60 ans, de petite santé, crai­ gnant de laisser une veuve sans ressources, il voudrait bien maintenant trouver quelques conseils d’administration qui augmentent son budget [...]· Il semble penser que le parti des riches n’a pas suffisamment récompensé sa fidélité »113. Même si le jugement est cruel, il vaut sans doute aussi pour les universitaires les plus âgés. Face aux revendications d’interventionnistes suscitées par la guerre, les libéraux « orthodoxes » se sont mobilisés pendant et après le conflit114. Les libéraux « sociaux » de la Faculté de droit leur emboîtent le pas, car s’ils peuvent admettre à l’encontre d’un Jacques Rueff qu’il faut « réviser la doctrine », ils ne sont pas prêts à accepter une quelconque forme d’économie dirigée ou de planisme. Certaines trajec­ toires s’infléchissent. Ainsi celle de Charles Rist, passionné au tournant du siècle par la question sociale, qui dès les années 1920 joue un rôle d’expert économique national et interna­ tional, occupe la fonction de sous-gouverneur de la Banque de France et passe progressivement à droite de l’échiquier politique. Ainsi également celle de Louis Germain-Martin, qui entame une carrière politique nationale à l’âge de 56 ans, est plusieurs fois ministre, notamment des Finances, devient l’un des directeurs du Journal des économistes, avant d’ac­ céder à la fin des années 1930 à la présidence d’une associa­ tion patronale, le Comité de prévoyance et d’action sociales ( c p a s ), d’un anticommunisme virulent115. Paradoxalement, au moment même où les économistes français semblent sur le modèle allemand se rapprocher du pouvoir politique116, s’observe une radicalisation de ceux dont la carrière était intimement liée à la nébuleuse réformatrice.

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Principal animateur du Congrès des économistes de langue française, Jean Lescure remarque ainsi avec satisfaction que le libéralisme, malgré des désaccords, y est « largement et brillamment défendu »n7. Ceux-là même qui avaient pris les positions les plus socialisantes, tels les élèves de Charles Gide, Bernard Lavergne et Roger Picard, assument désormais cette doctrine. Le premier faisait partie du Conseil supérieur du travail créé par la CGT en 1919. Le second exerçait entre 1910 et 1914 les fonctions de secrétaire de rédaction de la Revue socialiste auprès d’Albert Thomas. En plein débat sur la crise du capitalisme, les économistes font donc figure de sous-juristes, de libéraux patentés et de théoriciens coupés des réalités pratiques. Cela explique que tout en se concentrant sur l’actualité immédiate (économie dirigée, corporatisme), ils tentent souvent dans leurs travaux de dissocier théorie et doctrines économiques afin de dépo­ litiser des débats dans lesquels le poids des considérations politiques est pourtant déterminant. Par la voix de leurs porte-parole les plus légitimes, ils revendiquent également leur autonomie vis-à-vis du droit118 et cherchent à se doter d’instruments de formation qui puissent contribuer à faire taire les critiques. Avec le soutien de la Fondation Rockefeller, Charles Rist fonde par exemple l’Institut scientifique de recherches économiques et sociales ( i s r e s ) en 1933119. Ses fonctions restent cependant limitées. Selon les termes de Charles Rist, « à aucun degré [il] ne vise à être Institut de prévisions ou de prophéties ». L’essentiel est de constituer un laboratoire de recherche, ouvert aux étudiants d’économie, afin qu’ils puissent « s’entraîner à l’étude directe des faits, à l’analyse des documents et à l’observation sociale »120. L’is r e s accumule de la documentation (sur la balance des paiements ou les indices du coût de la vie), lance de grandes 49

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enquêtes, notamment sur le chômage, et publie plusieurs périodiques (L’Activité économique, les Tableaux de l’éco­ nomie française et une Chronologie internationale)111. Il ne parvient cependant que difficilement à diffuser ses travaux et bien qu’il soit en liaison avec la plupart des instituts de conjoncture existant de par le monde, le jugement de hauts fonctionnaires soucieux de développer l’information éco­ nomique est rétrospectivement sans appel : « Une fois de plus les économistes se dérobent à leur responsabilité. Leur chef de file Charles Rist se garde de se compromettre [...]. La France roule donc sans phares, elle n’a pas d’institut de conjoncture, pas d’organisme d’information libre »122. Dans Kou l’ahuri, Jacques Duboin se montrait à peine plus conciliant : le père Trist avait bien tenté de se jucher sur un escabeau pour observer ce qui se tramait hors de l’Abbaye de Sainte Économie, mais sans succès. Les économistes français apparaissent ainsi doublement décalés par rapport aux transformations en cours durant les années 1930 : ils ne disposent pas des outils qui per­ mettraient de penser une politique économique d’ensemble, alors que celle-ci semble en voie d’élaboration ; ils restent majoritairement libéraux, même si derrière cette étiquette des conceptions économiques concurrentes peuvent se faire jour.

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Les libéraux dans la tourmente Si une doctrine pâtit particulièrement de la crise, c’est bien le libéralisme économique. Non seulement la gauche syndi­ cale et politique, mais aussi les catholiques sociaux ou les spiritualistes le décrivent comme un archaïsme : il attiserait les luttes de classes et la concurrence conduirait inéluctable­ ment au règne des trusts. À partir de 1932, les gouvernants se montrent de plus en plus interventionnistes1, tandis qu’au sein des milieux politiques et intellectuels la contestation du libéralisme bat son plein. Elle favorise l’essor du planisme et du corporatisme, doctrines qui se diffusent d’autant plus vite que des expériences étrangères de natures très diver­ ses (Allemagne, États-Unis, Italie, URSS) semblent prouver qu’elles offrent de possibles modes de régulation, voire de dépassement, d’un capitalisme en crise. Dans un contexte où le libéralisme fait figure d’horresco referens, la mobilisation de ses défenseurs peut emprunter deux voies : soit maintenir coûte que coûte l’orthodoxie, soit amender la doctrine pour la présenter sous un jour plus favorable2. Cette seconde perspective prévaut rapidement. La Société d’économie politique se veut ainsi « plus tolérante et plus éclectique », parce que la faillite de 1929 montrerait qu’il n’y a « aucun idéal qui ne doive se plier à des compro­ mis avec la réalité »3. Des partis libéraux comme l’Alliance démocratique intègrent dans leurs programmes des éléments de corporatisme et de dirigisme4. Lors d’un débat organisé

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par l’Académie des sciences morales et politiques sur la « crise du capitalisme », Jacques Rueff qui, de manière fort classique, défend la thèse selon laquelle la crise et sa durée sont liées à l’intervention de l’État, voit son propos contesté par Charles Rist, peu susceptible de sympathie pour l’écono­ mie dirigée, et par Louis Marlio, grand patron qui lui oppose qu’il « serait aussi utopique de vouloir supprimer complète­ ment l’interventionnisme que de lui demander de résoudre toutes les difficultés actuelles »5. Tout comme Jacques Rueff, Charles Rist et Louis Marlio figureront parmi les premiers membres de la Société du Mont-Pèlerin. Si l’heure est à Yaggiornamento idéologique, la crise ne peut empêcher que des clivages perdurent chez les libéraux et parce qu’elle fournit l’occasion aux gouvernements d’innovationd institutionnelles, certaines lignes de fractures se creusent. Que les libéraux doivent faire face à des réforma­ teurs sociaux ou à des socialistes n’a rien d’inédit. En revan­ che, la formation d’un groupe de jeunes hauts fonctionnaires et d’ingénieurs, promouvant une vision de l’économie natio­ nale organisée selon des principes qui ne sont réductibles ni au libéralisme, ni au planisme stricto sensu, constitue une réelle nouveauté. L’émergence de la « technocratie » relève d’un processus, soutenu par certains dirigeants patronaux, de remise en cause progressive de l’autonomie du monde économique. Il oblige à repenser l’équilibre entre le marché et l’interventionnisme étatique.

Libre-échange contre néo-capitalisme Bien que l’on puisse d’emblée poser que le libéralisme recrute ses principaux porte-parole dans les fractions domi­ nantes des champs économique, académique et administratif, parce qu’historiquement c’est dans ces milieux qu’il a pris

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son essor, il demeure nécessaire de le penser comme un espace de productions théoriques au sein duquel voisinent des groupes de natures différentes. Peuvent se qualifier de libéraux, ou l’être par leurs adversaires, des individus aux profils et aux visions du monde sensiblement distincts. Et il est d’autant plus difficile de mettre en évidence les clivages qui structurent l’espace du libéralisme que l’existence depuis le xixe siècle d’un lobby organisé tend à nourrir l’illusion d’une unité qui n’est pour partie que de façade. Hors du libre-échange, point de salut Créée en 1842, la Société d’économie politique, aujour­ d’hui encore l’un des bastions du libéralisme6, est ainsi fort peu homogène du point de vue de sa composition et des idées qui s’y expriment. Consacrée depuis son origine à la promotion de « l’économie politique », terme entendu comme synonyme de libéralisme, elle recrute ses membres dans divers secteurs des élites, sans véritable exclusive. Parmi les participants réguliers à ses réunions durant les années 1938-1939, 38 proviennent de l’univers patronal (majoritairement de la banque, des assurances ou de la finance), 17 de l’Université (principalement des facultés de droit et de l’École libre des sciences politiques), 16 de la presse (notamment économique), 16 de l’administration (de l’inspection des finances à la diplomatie, en passant par l’armée) et 18 de secteurs divers (politique, philanthropie, etc.)7. Cette disparité des activités professionnelles va de pair avec celle des origines ou des formations, même si la surface sociale du recrutement reste étroite. L’un des objectifs de la Société d’économie politique est précisément de produire et de maintenir une forme de solidarité entre membres des élites traditionnelles par le rappel d’une identité idéologique

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commune : liberté du commerce, de l’industrie, du travail. Ainsi ses membres sont-ils strictement cooptés, ce qui vise à garantir une relative unité intellectuelle, et les conflits restent rares dans un lieu plutôt mondain où se rencontrent notables parisiens et provinciaux, que ce soit lors de séances ou des « déjeuners d’études économiques » organisés chaque mois. D’importants écarts de doctrine subsistent cependant. On ne peut ainsi mettre sur un même plan le libéralisme plu­ tôt « orthodoxe »8 d’un Clément Colson et « l’intervention­ nisme libéral » d’un Henri Truchy, professeur de la faculté de droit de Paris, pour qui « les solutions de la politique économique sont toujours des compromis »9. Tous deux figurent pourtant parmi les membres les plus prestigieux de la Société d’économie politique qu’ils ont présidée. C’est sans doute dans l’univers patronal que la variété des libéralismes se laisse le mieux appréhender, les patrons libéraux s’embarrassant moins que leurs interlocuteurs universitaires de précautions oratoires et de références savantes. Aucun secteur n’a le monopole du libéralisme. La Société d’économie politique compte ainsi dans ses rangs non seulement des banquiers et des assureurs, mais aussi des industriels. Le libéralisme répond aux attentes de très nombreux dirigeants d’entreprises de l’entre-deux-guerres, ce que le recrutement élitiste d’une société savante n’illustre qu’imparfaitement. Lorsqu’Émile Durkheim remarquait que les professions économiques sont sans doute celles qui sont le moins dotées d’une morale professionnelle10, il ne faisait que constater la prégnance du libéralisme économi­ que en leur sein. Dans un univers peu organisé, peu unifié, où dominent les entreprises familiales de petites tailles, on se défie et du mouvement ouvrier et de l’interventionnisme étatique.

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Ce sont logiquement des associations issues du monde du commerce qui soutiennent avec le plus de continuité le libéralisme classique. Parmi celles-ci, l’Union des intérêts économiques, fondée en 1910 par Ernest Billet, joue le rôle de bailleur de fonds pour les candidats « modérés » et assure la promotion du libéralisme à travers les colonnes de son journal Le Réveil économique. La plupart des organisations libérales ne se consacre cependant qu’à un thème en parti­ culier. L’une des plus anciennes est ainsi la Ligue du libreéchange, créée en 1910 par Yves Guyot. Animée durant les années 1930 par James Hennessy, producteur de cognac et sénateur de la Charente, elle réunit près de 150 adhérents dont des Chambres de commerce, des conseillers du com­ merce extérieur, des représentants de syndicats patronaux du commerce et de l’industrie, des hommes politiques liés aux milieux commerciaux et nombre de patrons d’entreprises moyennes11. Proche de la Société d’économie politique et du Journal des économistes, la Ligue du libre-échange bénéficie de l’adhé­ sion de certaines personnalités prestigieuses qui lui confè­ rent la crédibilité qui ferait défaut à une simple émanation du patronat industriel et commercial : Edgard Allix, Émile Borel, président de l’Académie des sciences, Clément Colson, Émile Mireaux, sénateur et directeur du Temps, Édouard Payen, ancien député et rédacteur en chef du Journal des économistes, Jacques Rueff ou encore Henri Truchy. Le libéralisme prôné par la Ligue du libre-échange n’en reste pas moins radical. Dans la lignée de la britannique Anti Corn Law League de Richard Cobden, elle défend le petit producteur et les lois « naturelles » qui disqualifient par avance l’interventionnisme étatique : « L’économie dirigée c’est la réglementation de tous nos besoins par la loi, comme

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s’ils n’étaient pas infinis et indéterminés. L’économie dirigée est une subtilité économique brassée dans la démagogie. Le libre-échange peut seul sauver de l’impasse dans laquelle on veut nous conduire »12. La Ligue du libre-échange n’est pas isolée dans la défense de la liberté du commerce. C’est ainsi avec le soutien de l’État qu’a été créée en 1915 l’Association nationale d’ex­ pansion économique (a n e e ), présidée à partir de 1925 par Étienne Fougère, industriel de la soierie lyonnaise et homme politique qui a fait de cette organisation l’une des grandes associations interprofessionnelles du monde patronal. Si, parce qu’elle représente des entreprises de tailles et de natu­ res différentes, Γ α ν ε ε n’est pas toujours hostile à des mesu­ res protectionnistes, elle n’en appelle pas moins continûment à des dégrèvements fiscaux, des compressions de dépenses publiques et des réductions de taxes13. La cause libérale dispose également de relais auprès des petits commerçants et négociants. À la fin des années 1930 est ainsi fondée une Association française pour la liberté du commerce interna­ tional, représentée à Paris par Henri Bellet, fils d’un ancien secrétaire perpétuel de la Société d’économie politique, et dirigée depuis Nice par Roger Daspet. Organisateur de plusieurs manifestations « spectaculai­ res » en faveur du libre-échange (distributions de tracts, déplacements en voiture publicitaire sur la Promenade des Anglais)14 et auteur de brochures qui conjuguent rigorisme économique et religieux, Roger Daspet adopte une présenta­ tion de soi révélatrice du public que son association souhaite convaincre : courtier en café, c’est un travailleur indépen­ dant, un « homme libre » qui, ayant beaucoup voyagé, a pu constater l’existence de « lois économiques naturelles com­ munes à toutes les sociétés réparties à la surface du globe

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terrestre »15. Commerçant libre-échangiste, il entend repré­ senter le « contribuable-consommateur-producteur », « le capital moyen et le petit capital », contre « le Gros capital [qui] n’a pas de patrie » et un État jugé irresponsable. Quant à sa définition du libéralisme, elle laisse peu de place aux subtilités théoriques. Sa doctrine reste une « idéologie prati­ que » : « la défense du contenu [...] des porte-monnaie »16. Dans un pays qui compte près d’un million d’entreprises industrielles et commerciales de moins de vingt employés, le libéralisme traditionnel exprime les intérêts d’une très grande majorité de patrons, souvent peu ou pas diplômés. La conception classique du libéralisme doit cependant faire face à l’émergence d’un autre courant de pensée, le « néo­ capitalisme », auquel s’identifie la plupart des dirigeants de la Confédération générale de la production française. Rationalisation industrielle et fascination de l’Amérique Le développement du néo-capitalisme accompagne celui de la rationalisation industrielle. Si les doctrines de l’orga­ nisation scientifique du travail ont été introduites avant la Première Guerre mondiale, notamment par des savants et experts comme Henry Le Chatelier17, c’est l’économie de guerre qui a justifié leur essor. Les méthodes tayloriennes, dont l’application doit beaucoup à l’action d’Albert Thomas, suscitent un grand intérêt durant les années 1920 tant auprès de patrons-ingénieurs18 que de certaines figures du mouve­ ment ouvrier. Le syndicaliste (c g t ) Hyacinthe Dubreuil s’est ainsi rendu célèbre avec son ouvrage Standards : le travail américain vu par un ouvrier français, paru en 1929 chez Grasset, vendu à près de 30 000 exemplaires et traduit en six langues. Dans une économie qui connaît une expansion record (la production industrielle s’accroît de près de 5 %

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par an entre 1924 et 192919), notamment grâce aux indus­ tries de la seconde industrialisation (industrie électrique, pétrolière ou chimique), le succès du thème de la rationa­ lisation est le corollaire d’un mouvement de concentration industrielle marqué par la mise en place de holdings qui réalisent une intégration financière des entreprises, et par la volonté d’introduire dans les firmes les méthodes d’organi­ sation scientifique du travail. Produit de l’application à l’économie d’une conception technicienne et méthodique, le néo-capitalisme vise à ratio­ naliser l’activité de manière à atteindre durablement un niveau de production élevé. Si l’on en croit Edmond Giscard d’Estaing (père de Valéry Giscard d’Estaing), ancien inspec­ teur des finances qui s’est fait le théoricien du néo-capitalis­ me20, il suppose avant tout de modifier les relations sociales au sein de l’entreprise en associant davantage les ouvriers à sa gestion. Il s’agit de transformer le capitalisme, qui est « une maison confortable, largement ouverte à l’air et à la lumière », d’agrandir « ses portes pour que tous y trouvent un abri et une protection »21. On retrouve ainsi des thèmes largement répandus au xixe siècle (intéresse­ ment aux bénéfices et actionnariat ouvrier), que contribue à populariser le très catholique Comte Edmond de Fels, propriétaire de la Revue de Paris. Mais pour nombre de néo-capitalistes, il faut également concevoir une réforme de l’organisation de l’économie et de la vie sociale dans son ensemble. Ils souhaitent remiser la petite entreprise familiale qui fait prévaloir la liberté individuelle sur l’efficacité et introduire partout où cela est possible la rationalisation sui­ vant la voie empruntée par l’industrie américaine : « Moins d’individualisme, écrit Auguste Detœuf, patron d’Alsthom, une acceptation sinon enthousiaste, du moins volontaire,

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de maintes unifications, de maintes normalisations, une solidarité plus grande, un sentiment moins étroit de l’intérêt personnel, moins de crainte des charges immédiates que cause à l’industrie l’amélioration du sort du personnel, plus de largeurs de vues dans l’organisation, plus de confiance dans les relations d’affaires, un peu moins de traditionalisme irraisonné, un peu plus de foi réfléchie dans l’avenir et d’effort pour développer ses possibilités22. » Durant les années 1930, la Russie soviétique séduit également les patrons néo-capi­ talistes, satisfaits par ses progrès, « progrès matériel dans les conditions de nourriture, de vêtements [...] progrès dans l’ordre, dans la discipline, progrès aussi en ce sens que le Gouvernement, se sentant plus fort, se croit obligé à moins de propagande extérieure [qu’auparavant] »23. À les en croire, l’élévation du rendement industriel a bien des vertus, même si elle ne justifie pas - loin s’en faut - la « férocité despotique » du régime24. À une époque où s’intensifie la circulation internationale des discours managériaux25, le néo-capitalisme convainc les dirigeants de grandes entreprises modernes qui attendent de la pacification sociale la stabilité, la prévision raisonnable et finalement l’expansion. Et puisque la rationalisation concerne principalement les grandes entreprises, les firmes marginales, dès lors qu’elles empêchent le développement d’une produc­ tion de masse, doivent être liquidées26. C’est en partant de ce principe qu’émerge un mouvement en faveur des ententes industrielles. Certains néo-capitalistes plaident pour une organisation du capitalisme par les ententes, mais sans l’inter­ vention de l’État. À l’économie dirigée, ils opposent « l’éco­ nomie organisée », c’est-à-dire organisée par les capitalistes eux-mêmes coordonnant leur production et fixant leurs prix au sein d’ententes libres27. Le néo-capitalisme se différencie

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du laissez-faire, puisqu’il entend substituer la concertation dans la profession à la concurrence28. Mais selon les néo­ capitalistes, « les ententes industrielles n’étant qu’une formule de discipline librement consentie et non imposée, [elles] ne constituent en aucune façon une aliénation de la liberté »29. Hors de tout interventionnisme étatique, l’économie orga­ nisée s’accommode assez bien d’une forme de corporatisme en ce qui concerne les problèmes sociaux. L’un des objectifs des néo-capitalistes étant d’atténuer, voire de supprimer, la lutte des classes, la corporation par la réunion des « syn­ dicats patronaux et ouvriers de la même industrie » (sur les plans local, régional, national) pourrait permettre « la discussion des conditions de travail, l’application du sys­ tème des allocations familiales, l’organisation du logement [...] » grâce à des organismes décentralisés qui reprendraient les fonctions qu’exerceraient sinon des services de l’État « bureaucratiques et pléthoriques »30. On peut ainsi ratta­ cher à ce courant la création en 1936 du Comité central de l’organisation professionnelle ( c c o p ), association patronale liée à la c g p f , que certains ont qualifiée de « centrale de la pensée corporatiste »31, mais en réalité très représentative du néo-capitalisme. Particulièrement actifs en ce qui concerne la promotion des ententes, les membres du c c o p veulent s’organiser avant que l’État n’agisse : « L’intervention de l’État [...] doit être réduite au strict minimum, explique le polytechnicien André Monestier. Le patronat conscient de son devoir et de la haute mission sociale qui lui est dévolue doit établir son programme et le législateur doit lui donner des moyens efficaces pour l’imposer à ceux qui par égoïsme, ou par paresse, refuseraient de l’appliquer »32. Durant les années 1920 et 1930, les principaux tenants du néo-capitalisme sont issus des rangs de l’État et peuvent

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faire valoir dans l’univers industriel une compétence techni­ que et administrative garantie à la fois par leur formation et par leur passage au sein des grands corps. Il s’agit de gérer la concurrence et plus seulement des entreprises. En sont exemplaires les trajectoires de Louis Marlio et d’Henri de Peyerimhoff33. Tous deux sont nés dans les années 1870 dans des familles de notables : le père de Louis Marlio était com­ missaire-priseur de la Seine, celui d’Henri de Peyerimhoff, substitut du procureur de Colmar. Leurs parcours sco­ laires au sein des filières traditionnelles de l’élite (École Polytechnique et faculté de droit pour le premier, École libre des sciences politiques et facultés de droit et de lettres pour le second) les ont logiquement amenés à la haute fonction publique. Ingénieur en chef des ponts, puis maître des requê­ tes au Conseil d’État, Louis Marlio a été chef de cabinet au ministère des Travaux publics (1909-1914). Auditeur au Conseil d’État, Henri de Peyerimhoff a fait partie entre 1898 et 1905 du cabinet du Gouverneur général de l’Algérie. L’un comme l’autre, après une carrière d’une dizaine d’années au service de l’État, rejoignent cependant le privé. En 1916, Louis Marlio entre à la Compagnie des Produits Chimiques d’Alais et de la Camargue, dont il est directeur général de 1917 à 1921, puis administrateur-délégué, vice-président en 1934 et enfin président en 1939. En 1906, Henri de Peyerimhoff entre lui au Comité des houillères, l’une des plus puissantes organisations patronales. Administrateur de nombreuses entreprises, également enseignant, Louis Marlio s’est fait reconnaître comme une autorité dans les débats économiques. Il se trouve, de fait, à l’intersection des champs économique et universitaire, ce dont témoigne son apparte­ nance à la Société d’économie politique et à l’Académie des sciences morales et politiques (1934). Henri de Peyerimhoff,

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bien qu’il soit lui aussi administrateur d’entreprises (dans la banque, l’électricité, les mines), reste avant tout un employé du patronat organisé, un « fonctionnaire patronal » qui se fait Tardent représentant de ceux qui ont fourni un nouveau point de départ à sa carrière. Les figures du patron ancien fonctionnaire et de l’ancien fonctionnaire devenu fonctionnaire patronal sont centra­ les dans les débats économiques de l’entre-deux-guerres. L’émergence de ces nouveaux acteurs tient à plusieurs élé­ ments étroitement liés. Les compétences dont ils sont sup­ posés être les détenteurs sont autant de formes de savoir (juridique, technique) et de savoir-faire (capacité à organiser, mais aussi à écrire, à parler en public) qui en font des agents indispensables à une activité industrielle rationalisée ainsi que de bons interlocuteurs pour les pouvoirs publics et les syndicats34. Il s’agit d’utiliser les dispositions associées au sens de l’État au bénéfice de l’entreprise moderne, dont la gestion exige « non seulement des outils de travail techniques aux effets calculables, mais aussi [...] une administration régie par des règles formalisées »35. Si certains hauts fonctionnai­ res acceptent, c’est évidemment parce qu’ils en retirent des profits, d’ordre économique, mais aussi symbolique, en accé­ dant à des positions de pouvoir qu’ils ne pourraient occuper dans leur secteur d’origine (parce qu’ils sont trop jeunes ou au contraire parce qu’il ne leur reste plus d’échelons à gravir), qui elles-mêmes ouvrent l’accès à d’autres. Et parce qu’être admis au sein d’un groupe fondé sur une cooptation très sélective suppose que Ton s’en montre reconnaissant, ces anciens fonctionnaires se font les défenseurs zélés des inté­ rêts patronaux. Sans leur intervention, on ne comprendrait pas la naissance d’un discours comme le néo-capitalisme, qui constitue une rationalisation théorique du libéralisme

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économique, justifiant les structures d’une économie ellemême rationalisée à des fins pratiques. Une alliance institutionnalisée D’une certaine manière, deux « conservatismes » écono­ miques s’affrontent dans l’univers patronal, l’un antérieur à la seconde industrialisation et prédominant encore auprès du petit et moyen patronat (restaurer l’ordre ancien), l’autre mieux adapté au développement de l’entreprise moderne (consolider l’ordre en train de se construire). Certains indivi­ dus établissent cependant des jonctions entre les différentes composantes patronales. Aux anciens hauts fonctionnaires professant le néo-capitalisme correspondent ainsi des homo­ logues dans le camp du libéralisme traditionnel, recrutés dans des filières également élitistes, mais moins prestigieuses (il s’agit principalement de « littéraires »). Un normalien et agrégé d’histoire, Jacques Lacour-Gayet, anime le Comité d’action économique et douanière (c a e d ), constitué en 1925 par le Groupement d’études des grands magasins36. La Société d’études et d’informations économiques ( s e ie ), éditrice du Bulletin Quotidien, fondée en 1922 par Robert Pinot, prototype du fonctionnaire patronal, a également à sa tête des normaliens comme Émile Mireaux puis François Herbette, de même que La Journée industrielle a pour rédac­ teur en chef le chartiste Lucien Romier entre 1920 et 1925, auquel succède Claude-Joseph Gignoux, agrégé d’économie. Les anciens fonctionnaires dominent largement la produc­ tion doctrinale du patronat. Des relais institutionnels, à l’image du quotidien Le Temps, mobilisent les divers groupements libéraux contre leurs adversaires communs37. Les grandes revues de l’époque don­ nent ainsi un aperçu de l’imbrication des milieux libéraux.

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La plus célèbre d’entre elles est sans doute la Revue des deux mondes. Dirigée entre 1916 et 1937 par le critique litté­ raire René Doumic, puis par André Chaumeix, elle s’adresse avant tout aux élites traditionnelles politiques, militaires et académiques38. Dès qu’il y est question d’économie, Clément Colson, Edmond Giscard d’Estaing ou André Liesse rappel­ lent le point de vue libéral. Le Journal des débats, propriété de François de Wendel, a quant à lui pour rédacteur éco­ nomique André Liesse, qui tient une chronique hebdoma­ daire, et compte parmi ses collaborateurs Édouard Payen. La Revue de Paris, concurrente directe de la Revue des deux mondes, publie fréquemment des articles d’Edmond Giscard d’Estaing et de membres de la Société d’économie politique. Quant à la Revue politique et parlementaire, elle reste fidèle au programme fixé par ses fondateurs dès la fin du xixe siè­ cle : « Il n’y a pas de solution possible aux questions dites sociales [...] en dehors du respect de la liberté individuelle et de la propriété privée39. » Entre libéraux classiques, libre-échangistes et néo-capi­ talistes, des formes de solidarité perdurent face à l’ennemi : le socialisme. Elles ne tiennent plus cependant dès lors qu’il s’agit de concevoir les moyens d’un retour... au libéralisme.

Un révélateur des dissensions : le Groupement de défense des libertés économiques La naissance du Groupement (textile) de défense des libertés économiques, créé en 1935 et qui disparaît en 1940, illustre ainsi la manière dont le libéralisme a pu connaître un renouveau, par réaction non seulement au renforcement de l’intervention publique, mais aussi à certaines évolutions du monde patronal. Si cette organisation peu connue a joué un rôle important dans la diffusion des thématiques néo-

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libérales (son principal animateur Pierre Lhoste-Lachaume, est un « libertarien » de la première heure), son histoire ne peut se comprendre qu’en relation avec les difficultés que rencontre l’industrie textile durant les années 1930. Dans un secteur industriel plus affecté que d’autres par la crise écono­ mique, les initiatives des syndicats patronaux et des pouvoirs publics, visant à réguler la production par la formation d’en­ tentes professionnelles, fournissent l’occasion de redéfinir les rapports de forces entre différentes composantes du patro­ nat. Elles mettent en jeu la nature et le fonctionnement des entreprises ainsi que le rôle et la structure de l’État. Crise du textile, crise du patronat Le Groupement textile de défense des libertés économi­ ques apparaît à la fois contre l’Union des syndicats patro­ naux des industries textiles de France qui, appuyée par la CGPF, demande aux pouvoirs publics d’intervenir pour que les organisations syndicales puissent réglementer la produc­ tion40, et contre le projet de loi présenté en ce sens le 16 jan­ vier 1935 par Paul Marchandeau, ministre du Commerce. La loi rendrait obligatoires les ententes au-delà d’un quorum de deux tiers des membres d’une branche et des trois quarts du chiffre d’affaires, avec un contrôle de l’État. Adopté par la Chambre mais non par le Sénat, le projet Marchandeau passe pour une attaque en règle contre la libre concurrence et contre un mode de régulation des rapports sociaux encore prédominant dans le secteur textile : le paternalisme41. Il pré­ voit en effet l’institution d’une taxe professionnelle, la pos­ sible restriction des moyens de production, la limitation du temps de travail, la création de contrats collectifs et, chose plus inconcevable encore pour des patrons familiaux, la mise en place d’un Comité d’arbitrage dans lequel siégeraient

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le Secrétaire général de la c g t et le vice-président ouvrier du Conseil supérieur du travail42. Autant d’éléments que condamnent les adhérents du Groupement textile de défense des libertés économiques. Entreprises de tailles moyennes, qui se transmettent de père en fils, elles ne sont pas prêtes à accepter les ententes obligatoires43. Le Groupement textile de défense des libertés économi­ ques dénonce l’ingérence de l’État et des syndicats ouvriers et se propose de défendre des principes « d’anti-économie dirigée, d’anti-corporatisme légal et obligatoire, [...] d’anti­ étatisme et d’intervenir chaque fois que les droits de la liberté économique risqueraient d’être compromis »44. Ayant reçu l’adhésion de nombreuses entreprises du textile, il modifie ses statuts et change de nom après un an d’existence. Il se transforme en Groupement de défense des libertés éco­ nomiques ( g d l e ) et entend élargir son action à l’ensemble des branches de l’économie. Ce faisant, il se démarque aussi bien de l’Union textile, qui « tout en affirmant sa neutralité, admet les ententes obligatoires »45, que de la c g p f , dont les syndicats seraient « portés vers les solutions collectivistes d’une pseudo-organisation professionnelle » et où les idées libérales ne seraient « pas suffisamment représentées et défendues »4é. Ce positionnement témoigne de la crise que traverse le patronat au moment du Front populaire. Sa principale orga­ nisation, la c g p f , est depuis sa fondation largement domi­ née par les industries lourdes et les grandes entreprises. Les accords Matignon, signés en juin 1936 par les dirigeants du syndicat patronal sans concertation avec leur base, ont été vécus par de nombreux patrons comme une défaite contre l’ennemi. Le remplacement à la tête de la c g p f de René-Paul Duchemin (Kuhlmann, Union des industries chimiques) par

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l’économiste Claude-Joseph Gignoux et l’inflexion consécu­ tive de la ligne de la centrale patronale en faveur des petites et moyennes entreprises n’empêchent pas la mise en place de nouvelles organisations (le Comité de prévoyance et d’action sociales par exemple). En prenant le parti de la concurrence, le Groupement de défense des libertés économiques entend s’affirmer dans le monde patronal contre deux formes anti­ thétiques de ce qu’il qualifie de « corporatismes » : celui des tenants de l’économie organisée par les ententes industrielles, Auguste Detœuf, Louis Marlio ou Henri de Peyerimhoff; celui du patronat corporatiste traditionaliste. À bas le consortium. ! À bas Désiré Ley ! 47 » Issus des grandes dynasties patronales du textile (les Le Blan, Lepoutre, Prouvost ou encore Wallaert)48, les fon­ dateurs du GDLE sont pour la plupart des opposants résolus au Consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing. Cette organisation, qui a pour fonction principale de gérer les allocations familiales accordées aux chefs de famille nom­ breuses49, exerce depuis 1919 une véritable emprise sociale et politique sur les entreprises du nord de la France. Dirigée d’une main de fer par Eugène Mathon et Désiré Ley, ancien ouvrier devenu un fonctionnaire patronal particulièrement combatif, elle cherche par tous les moyens à éradiquer le « péril » communiste50. Tant pour les conceptions écono­ miques que défendent ses dirigeants, que pour sa politique répressive vis-à-vis des syndicats (il diffuse par exemple des circulaires où sont nommés les fauteurs de troubles qu’il ne faut pas embaucher), le Consortium attise les haines ouvrières et fait honte à une partie du patronat catholique. L’anecdote veut ainsi qu’Eugène Motte, beau-frère de Mathon, ait déclaré à Désiré Ley qui s’apprêtait à le rejoindre sur le quai «

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de la gare de Roubaix un jour de 1930 : « Je ne veux pas vous voir à mon côté. Vous êtes un individu néfaste et répu­ gnant. Allez-vous en, je ne peux vous supporter51. » À l’initiative du Groupement de défense des libertés éco­ nomiques, on trouve ainsi certains des frondeurs du patro­ nat du Nord, à commencer par Albert-Eugène Prouvost, industriel de Roubaix, fondateur de l’Union Française des industries exportatrices52. Il s’est adjoint les services de Pierre Lhoste-Lachaume, fervent catholique et ancien bras droit de Mathon au Comité central de la laine. Né en 1900 loin du nord industriel (il est originaire de la région de Sens), Pierre Lhoste-Lachaume se définit lui-même comme un permanent patronal, « un intellectuel, mêlé aux affaires sans être ni patron, ni ouvrier », et un bon connaisseur des « formations politiques, sans [s’être] laissé inféoder à aucune d’elles »53. Son parcours rappelle celui de Désiré Ley : il vient d’un milieu modeste et met un point d’honneur à défendre sans compromis les intérêts patronaux. Quant à ses mandants, ils figurent pour nombre d’entre eux parmi les adhérents de la Bourgeoisie Chrétienne, mouvement qui a joué un rôle non négligeable dans l’évolution idéologique du patronat du Nord, en favorisant, sous l’égide du clergé, le dialogue entre syndicalistes chrétiens et industriels. Le Groupement de défense des libertés économiques est un rejeton de la lutte que se livrent le Consortium et les entrepreneurs à l’origine du Syndicat patronal textile de Roubaix-Tourcoing54. La querelle n’est pas uniquement de nature économique. Elle engage le rapport aux syndicats chrétiens, à la hiérarchie catholique et au Vatican. Alors qu’Eugène Mathon avait porté plainte auprès du Pape en 1924 contre les syndicats c f t c accusés d’attiser la lutte des classes, il s’est vu « débouté » en 1928 tandis que leur

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défenseur, l’Abbé Liénard, était élevé au rang d’évêque55. Si l’on ajoute à cela la condamnation de l’Action Française par le Vatican en 1926 et l’arrivée à la tête des entreprises texti­ les d’une nouvelle génération de dirigeants, on comprend le succès que peut avoir un mouvement comme la Bourgeoisie Chrétienne, qui cherche à rechristianiser un patronat jugé trop peu charitable et trop autoritaire. La fidélité au Pape et au clergé, mais aussi une appréhension différente de la question sociale, ont amené à une polarisation assez nette de l’univers patronal. Soutenu par certaines grandes entre­ prises comme le constructeur automobile Louis Renault, le Groupement de défense des libertés économiques revendique 600 membres en 1936, tandis que le Consortium en comp­ terait seulement 48156. Le Groupement de défense des libertés économiques illustre ainsi la transformation du patronat du Nord, une fraction des employeurs acceptant le dialogue avec les syndicats ouvriers, sans pour autant renoncer à une vision traditionaliste du monde social, peu compatible avec un interventionnisme trop marqué des pouvoirs publics. La création du Groupement s’inscrit dans un processus de mise en adéquation entre des dispositions patronales, produites par un état antérieur du système économique et social, et des dispositifs en pleine évolution : croissance des entreprises, dont les types se diversifient (fusions, constitution de socié­ tés anonymes)57 ; menace que les syndicats font peser sur le système paternaliste ; possibilité d’un contrôle de l’État sur le fonctionnement des entreprises, voire sur leurs structures. Ces trois éléments expliquent en grande partie la physio­ nomie du libéralisme que défend le g d l e . Pour reprendre les termes employés par Durkheim à propos du socialisme, ce « n’est pas une science, une sociologie en miniature, c’est

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un cri de douleur et parfois de colère »i8 poussé ici par de petits patrons sentant leur existence menacée par le dévelop­ pement de la grande entreprise, de la critique sociale et de rinterventionnisme étatique. Vordre naturel, Vordre réel Pierre Lhoste-Lachaume prétend vouloir donner à son groupement une identité idéologique spécifique, « médiane entre la liberté “anarchique” et la réglementation “planis­ te” >»59. Le positionnement du g d l e sur le marché des idées économiques l’amène cependant à tenir un discours forte­ ment marqué par la mentalité de la bourgeoisie industrielle du XIXe siècle. 11 loue les vertus d’un capitalisme considéré comme la forme naturelle de l’économie, engendrée par la propriété individuelle, « fondement indispensable de l’ordre social »*°. Les seules critiques que s’autorise le Groupement visent le capitalisme financier, ces « monstres économiques et sociaux que sont les trusts, lorsqu’ils ne sont pas légitimés par l’intérêt public »6I et les sociétés anonymes, dont les patrons ne sont pas nécessairement les propriétaires62. Quels que soient les régions ou le secteur considérés (soie, laine, coton, etc.), l’industrie textile se caractérise par un fonctionnement essentiellement familial63. Rien d’étonnant dès lors à ce que le Groupement s’oppose à toute mesure qui pourrait remettre en cause le lien unissant le patron à son entreprise et notamment la direction de celle-ci par « un mandataire plus indifférent : ΓAdministrateur-Délégué >M. Aux yeux de Pierre Lhoste-Lachaume, toute politique don­ nant à l’État un rôle économique plus grand que la mise en place d’un cadre réglementaire ne peut aboutir qu’à « une prospérité artificielle, aussi dangereuse par ses conséquences qu’éphémère dans sa durée » et « à la supplantation par

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étapes, mais inéluctable, du capitalisme par le collectivisme étatique »65. La vision que défend le Groupement est pater­ naliste et familialiste. C’est le patron, qui « sans abdiquer sur aucun point son autorité de chef, seul responsable, doit dans ses rapports avec son personnel se montrer “humain” et lui porter intérêt »66. Il n’est aucunement question que l’État se substitue au chef d’entreprise dans ses fonctions sociales et il faut se méfier « comme de la peste de l’État Providence et de ses illusions »67. Cette conception de l’entreprise, de taille modeste, régie sur le mode domestique et dominée par la figure du patron qui seul prend des risques, s’accompagne de l’exaltation d’une morale bourgeoise, très préoccupée de perpétuation familiale. Si dans l’entreprise, il y a un chef, il y en a éga­ lement un et un seul dans la famille, cellule naturelle et fondamentale de la société vouée à la procréation (pas moins de trois enfants par famille) : l’homme, supérieur en tout point à la femme, intuitive, proche de la nature, sentimen­ tale, qui n’est guère capable de raisonner et « n’a pas bien souvent, le détachement intellectuel suffisant pour goûter l’ironie ». Pierre Lhoste-Lachaume défend le vote familial et affirme qu’il faut condamner « cet individualisme, qui sous prétexte d’égalité, voudrait rendre la femme indépendante de l’homme ». La construction sociale de la différence bio­ logique entre les sexes se conjugue avec une représentation biologique du monde social, où la propriété est à l’économie ce que la cellule familiale est à la politique. Ainsi l’économie elle-même fonctionnerait sur des principes naturels comme « la dure mais salutaire loi de la sélection » ou « la loi de l’offre et de la demande, d’un réalisme sain et naturel dans sa brutalité ». Et si l’Église chrétienne est « la grande source d’énergie et d’idéal, et à ce titre, la plus grande bienfaitrice

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de l’humanité », c’est aussi parce que « le christianisme est essentiellement viril ». L’ordre social reste, en dernière ana­ lyse, déterminé par la Providence divine et la hiérarchie « naturelle » qu’elle institue dans une société où les masses doivent accepter la domination d’une élite patronale : « De même que, dans une armée, il n’y a que peu de Chefs et beaucoup de troupes - tout autre conception n’étant que fantaisie d’opéra-comique - de même, la Société se compo­ sera toujours d’une classe dirigeante et d’une masse dirigée. Celle-ci ne “sert” pas à proprement parler celle-là, mais coo­ père avec elle, à titre subalterne, à la réalisation d’un ordre général, aussi indispensable que bienfaisant ». Malgré l’extrémisme d’un discours dans lequel la reven­ dication de l’autorité s’exprime brutalement, le g d l e ren­ contre un certain succès, y compris hors des milieux textiles. Réalisme et sérénité de Pierre Lhoste-Lachaume est ainsi accueilli favorablement par la presse du Nord (Le Journal de Roubaix, La Dépêche de Lille), la presse patronale (La Journée industrielle), la presse de droite et d’extrême droite (Gringoire, l’Espoir Français) ou certaines revues généralistes (Mercure de France, Le Journal des débats)66, tant et si bien que son auteur pense un temps fonder son propre journal, au titre programmatique : La France qui travaille. Quant aux « manifestations doctrinales » du Groupement, elles drainent un public de « qualité » : près de 300 personnes, dont 15 professeurs d’université, 20 présidents de Chambre de Commerce et 25 hommes politiques auraient ainsi assisté à celle du 14 avril 193769. Parmi les orateurs, on retrouve bien sûr des patrons liés au textile, mais aussi des repré­ sentants de la droite libérale tels Jean Boivin-Champeaux, sénateur du Calvados, ou Lucien Lamoureux, député de l’Ailier. Comme caution intellectuelle, le Groupement de

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défense des libertés économiques peut compter sur des universitaires de renom : le juriste Joseph Barthélemy, élu député du Gers sur les listes Union républicaine et natio­ nale en 1919, qui a siégé pendant huit ans au centre droit de l’Assemblée Nationale ; Roger Picard, membre du Comité directeur de la Ligue des droits de l’homme qui, s’il a souvent été perçu a posteriori comme un universitaire plutôt de gauche70, garde la « conviction profonde que rien ne saurait suppléer la liberté sur le terrain économique »71. La formation du Groupement de défense des libertés économiques témoigne autant des divisions qui affectent le patronat que de celles propres aux libéraux. Certains ont choisi de réarmer idéologiquement le libéralisme en y inté­ grant quelques éléments de sa critique. D’autres continuent de louer les vertus du seul laissez-faire. La création du g d l e est également révélatrice d’un autre phénomène : l’antago­ nisme latent durant les années 1930, et bien au-delà, entre les représentants du monde des notables et de la politique et ceux que l’on commence à appeler les « technocrates »72.

L’émergence de la technocratie Régime parlementaire doté d’un système administratif au sein duquel fleurissent des comités ministériels et des conseils supérieurs plus ou moins éphémères, la IIIe Républi­ que se caractérise par une instabilité politique chronique qui rend quasiment impossible la mise en œuvre d’une politique économique. Dans un contexte de crise, les hommes politi­ ques constituent des cibles de choix pour tout discours qui prétend à une rénovation ou à une révolution des cadres économiques et politiques du régime. La multiplication des scandales politico-financiers, dont le plus célèbre reste l’affaire Stavisky (1933-1934), et l’inefficacité des mesures

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économiques adoptées par les gouvernements font de l’an­ tiparlementarisme un sentiment diffus. Au sein même de l’État s’opère une séparation de plus en plus prononcée entre responsables politiques et dirigeants administratifs. Deux modes de reproduction se font face : celui des héri­ tiers, qu’illustrent par exemple les quelques hommes politi­ ques qui apportent leur soutien au Groupement de défense des libertés économiques, parfois députés ou sénateurs de père en fils ; celui des « technocrates », qui commencent à jouer un rôle prépondérant dans la prise de décision publique. En faisant prévaloir une conception des questions économiques, en partie autodidacte, au sein d’associations prônant le dialogue entre différentes fractions de la classe dominante, ils contribuent à l’émergence d’une politique de l’économie. Les polytechniciens et le discours de la compétence Si, parmi les individus que l’on peut rattacher à la mou­ vance technocratique des années 1930, tous n’arborent pas le titre de polytechniciens, c’est largement à ces der­ niers que l’on doit la création d’organisations telles que le Redressement Français, X-Crise ou Les Nouveaux Cahiers. Durant les années 1930, l’École Polytechnique occupe dans le système d’enseignement une position sans vérita­ ble équivalent. L’École libre des sciences politiques reste certes un passage obligé pour la préparation de certains concours administratifs (Conseil d’État, Cour des comptes, Inspection des finances, Affaires étrangères)73, mais c’est une institution très bourgeoise où l’on ne vient générale­ ment que pour compléter un cursus entamé à la faculté de droit. La formation dispensée à Polytechnique offre un large éventail de carrières publiques et privées et nourrit un esprit

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de corps dans lequel se reconnaît peu ou prou la plupart des anciens élèves. Entrer à Polytechnique demeure un « rite d’institution »74 qui, à en croire certains, permet à la fois de sélectionner des éléments « parmi les jeunes courageux du peuple aussi bien que de la bourgeoisie »75 et de produire un groupe de « garçons d’âme rigoureuse et qui veulent d’un combat honnête et s’il le faut, acharné, faire surgir une vie et une construction, des garçons formés par la vérité pour la vérité », qui se distinguent de « ces habitués de bars ou de champs de courses, qui déshonorent un peuple désaxé et une bourgeoisie vieillissante ». Être polytechnicien, c’est appartenir à une lignée, néces­ saire et éternelle, celle « des grands hommes morts et à venir », que consacre une institution, en même temps qu’elle la produit, en façonnant ses manières de voir et d’agir : « désintéressement », « raisonnement logique », « refus de quitter le vraisemblable, le raisonnable, le véridique », « refus d’accepter le contradictoire, de préférer l’obscur au lumineux, le passionnel à l’universel, le trouble à l’ordre ». Le titre de polytechnicien affirme la « compétence » particu­ lière de son détenteur, qui en retour se doit de proclamer sa fidélité à l’institution qui l’a fait. Roland Boris, le président d’X-Crise, place ainsi les activités de son groupement sous le patronage de l’École, « [leur] École bien-aimée dont [ils sont] si fiers, que le facteur commun le plus certain de [leurs] ambitions individuelles est de parvenir à la rendre plus fière encore de chacun [d’eux], en hommage de filiale reconnais­ sance »76. L’un des fondements essentiels de l’investissement des ingénieurs et patrons polytechniciens dans les débats écono­ miques et politiques de l’entre-deux-guerres est la croyance que l’occupation d’une position de pouvoir, dans le champ

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économique ou bureaucratique, a pour contrepartie une responsabilité sociale particulière. Le rôle social de l’officier (Polytechnique est une école militaire), théorisé par le Maréchal Lyautey, et le rôle social de l’ingénieur, affirmé de manière exemplaire par Georges Lamirand, permettent de penser le rôle social du patron et plus largement celui de l’élite77, au sein de laquelle les ingénieurs polytechniciens occupent une place centrale. On assiste en fait à un véritable jeu de miroir entre ces chefs qui pour commander doivent prouver aux yeux de leurs subordonnés qu’ils sont fondés à le faire : « Vos subordonnés, explique Auguste Detœuf, reconnaissent que vous méritez, que vous avez le droit de commander, parce que dans le fond de leur cœur, ils recon­ naissent que vous faites bien votre métier de chef. [...] Avec cela, un patron fait socialement tout ce qu’il doit faire : il justifie la hiérarchie, il montre que ce n’est pas par hasard, par privilège qu’il est patron, mais parce qu’il est conforme à l’intérêt commun qu’il soit patron78. » Les discours sur le rôle social des patrons polytechniciens ont pour fonction de légitimer leur place dans l’entreprise et leur action politique. Dans l’univers industriel, ils visent simultanément à les différencier du patronat traditionnel et à mettre en cohérence leurs trajectoires : ces polytechniciens n’ont pas rejoint le secteur privé simplement pour s’enrichi^ ils restent des ingénieurs et ne peuvent être accusés d’être des « capitalistes », au sens où ce terme est employé péjo­ rativement par la gauche et par l’Église (« spéculateurs », « rentiers »). Gérard Bardet, l’un des fondateurs d’X-Crise, explique ainsi qu’il s’est imposé une politique de « présence » dans son entreprise, arrivant avant les ouvriers, s’accordant une pause déjeuner n’excédant pas la demi-heure et partant tard. Il a aussi tout entrepris pour prouver à ses employés sa

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« supériorité technique », fondement de ia « seule hiérarchie que tolère l’ouvrier et même qu’il consente librement »79. Ce discours affirme à la fois la volonté de ses énonciateurs de se conformer aux préceptes du christianisme et de lutter pratiquement contre le socialisme (les ouvriers ont besoin de leurs patrons). Il est aisé de le transposer dans le domaine politique. Aux « bavardages » des hommes politiques tra­ ditionnels s’opposent l’action et l’efficacité, à leur incom­ pétence dès lors que les questions économiques priment les débats politiques, les connaissances pratiques. La trajectoire d’Ernest Mercier, dirigeant, entre autres entreprises, de la Compagnie Française des pétroles (l’an­ cêtre de Total), montre comment les liens qui unissent les figures de l’officier, de l’ingénieur et de l’entrepreneur amènent certains polytechniciens à promouvoir une forme d’action politique qui a partie liée avec l’émergence de la technocratie80. Le grand-père paternel d’Ernest Mercier était officier et, après avoir quitté l’armée en 1854, s’est installé avec sa famille en Algérie. Son fils, officier interprète, a été maire de Constantine pendant près de vingt ans et l’un des leaders locaux du Parti radical. Deux des trois frères d’Ernest Mercier sont entrés dans l’armée. En s’orientant vers Polytechnique (il a obtenu une bourse pour aller étu­ dier à Louis-Le-Grand), Ernest Mercier souhaitait rejoindre la Marine. Il devint ingénieur du génie maritime. C’est à partir de cette position qu’il peut accéder au monde fermé de l’élite patronale, en entrant dans l’industrie électrique d’abord, puis en passant par le cabinet de Louis Loucheur, avant de devenir l’administrateur de nombreuses entreprises, sans jamais cesser de se présenter comme un « ingénieur »81, faisant partie d’une élite désintéressée, celle des producteurs, sélectionnés pour leur talent, leur compétence.

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La multiplication des lieux neutres : X-Crise et les Nouveaux Cahiers C’est pour défendre cette conception de l’élite qu’Ernest Mercier a créé en décembre 1925 le Redressement Français, mouvement qui compte à son apogée jusqu’à 10 000 mem­ bres. Ce groupement se veut « un organe d’action et de réali­ sations pratiques » s’adressant à des hommes « courageux et actifs » dont la politique n’est pas la « besogne »82. Il renoue avec un idéal saint-simonien prônant un modèle de société fondée sur la science de la production, dirigée non par des politiciens professionnels mais par des industriels dont l’autorité se justifie par les services qu’ils rendent aux mas­ ses en les amenant vers le progrès social : « D’un côté, les abeilles laborieuses, de l’autre les frelons qui se nourrissent de leur travail83. » Le mouvement exige une réforme de l’État, par une limitation des pouvoirs du parlement, ayant pour corollaire une consolidation de la présidence du Conseil. Il refuse les luttes politiques (prônant un gouvernement d’unité nationale), appelle à la collaboration entre travail et capital et loue à cette fin le productivisme : « Le bien-être de chacun est fonction de la richesse et de la productivité de la nation, en même temps que du mode de répartition du revenu natio­ nal [...]. Pour résoudre le problème social, il faut résoudre le problème du rendement84. » Fer de lance du néo-capitalisme, le Redressement Français se définit contre les partis en place et intègre rapidement cer­ tains hauts fonctionnaires (conseillers d’État, inspecteurs des finances), des représentants de grandes fédérations patrona­ les, et même certains intellectuels de gauche marginaux. Le groupement d’Ernest Mercier décline cependant dès la fin des années 1920, avant de s’auto-dissoudre en 1935 : des dissensions internes, le succès de la stabilisation Poincaré,

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puis le ministère Tardieu le privent de son originalité et ainsi d’une partie de ses soutiens. Sans qu’il y ait nécessairement filiation directe, la même volonté de fédérer les « compéten­ ces » se retrouve néanmoins dans de nombreuses organisa­ tions, à commencer par X-Crise, l’une des plus influentes sociétés de pensée des années 1930. X-Crise a été créé en 1931 par un groupe d’amis poly­ techniciens qui, persuadés de l’excellence de la formation polytechnicienne, entendent appliquer une démarche scien­ tifique à l’étude des problèmes économiques dans le but d’analyser la crise et de lui apporter des solutions concrè­ tes85. Les trajectoires de ces polytechniciens situent l’ancrage originel de l’organisation : Gérard Bardet, fils d’un ingénieur des arts et métiers, a repris l’entreprise familiale de mécani­ que de pointe dès sa sortie de l’École ; André Loizillon, fils d’un polytechnicien, est passé par les Mines, avant de deve­ nir ingénieur chez Schneider puis chez Shell ; John Nicolétis, ingénieur des poudres, fils d’un médecin, travaille pour l’Imperial Chemical Industries. Issus de la petite et moyenne bourgeoisie, les fondateurs d’X-Crise ont délaissé le service public pour le privé, exercent des fonctions de direction dans des entreprises modernes, mais marquent clairement leur différence par rapport au patronat traditionnel : « Je suis, écrit Gérard Bardet, avant tout un Ingénieur d’études et un Constructeur mécanicien dont l’activité consiste à concevoir, créer et mettre au point des machines automatiques nouvel­ les, sans spécialisation aucune [...]. Ainsi je ne suis pas seu­ lement un industriel animant des bureaux et des ateliers [...] à la suite d’un hasard héréditaire consacré par une culture générale assez poussée. J’ai un métier que je connais et que j’aime et je suis capable d’inventer moi-même une machine nouvelle86. »

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Si X-Crise s’appuie au départ sur ce petit groupe d’ingé­ nieurs polytechniciens, son recrutement s’élargit rapidement. Le Centre polytechnicien d’études économiques devient dès 1933 une véritable institution, disposant d’un bulletin mensuel tiré à plusieurs milliers d’exemplaires, comptant bientôt plus de 800 membres et recevant pour des confé­ rences les principales personnalités du monde économique (syndicalistes ouvriers et patronaux et économistes réputés). L’activisme d’X-Crise doit beaucoup au prosélytisme de Jean Coutrot87, figure emblématique du groupe, qui s’est engagé dans les débats économiques des années 1930 avec la foi d’un missionnaire. Dirigeant d’une entreprise familiale de fabrication de papier ainsi que d’un bureau d’ingénieurconseil, c’est un touche-à-tout féru de rationalisation. Ce qu’il appelle « l’humanisme économique », qu’il définit dans un ouvrage intitulé De quoi vivre (1935), se veut ainsi « une véritable et intégrale rationalisation de l’activité économi­ que »8®. Il s’agit de gérer l’ensemble des individus comme une gigantesque entreprise, « de coordonner leurs activités, de les équilibrer avec leurs pouvoirs et leurs besoins au sein d’une organisation souple et spontanée, aussi éloignée de l’anarchie Ubérale que de l’improductivité marxiste »89. Le moteur de cette économie coordonnée devrait être un Ordre des chefs d’entreprise, n’acceptant en son sein que des patrons reconnus pour leur compétence et leur moralité, « qu’ils viennent d’en bas ou d’en haut w90. Jean Coutrot peut bien tenir des discours vagues aux accents prophétiques (à la veille de la Seconde Guerre mondiale, il a ainsi jeté les bases d’une philosophie très générale, « le transhumanisme »91), il joue un rôle essentiel au sein de la direction collégiale d’X-Crise. Très entreprenant, il cherche surtout à assurer le développement matériel de l’association. Car s’ils partagent

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souvent son enthousiasme en matière de rationalisation, les dirigeants d’X-Crise se refusent à faire la promotion d’une doctrine économique en particulier. Au sein de l’organisation coexistent en fait trois cou­ rants, chacun correspondant à un type de profil social : le premier, minoritaire et libéral, se compose essentiellement de hauts fonctionnaires (Clément Colson et Jacques Rueff en particulier) ; le second, à dominante planiste, fédère entre autres Jules Moch, John Nicolétis et Louis Vallon, qui ont créé un Centre polytechnicien d’études collectivistes baptisé ironiquement l’Anti-Colson ; le troisième, majoritaire, défini par la mise à distance des deux autres, regroupe diverses personnalités du monde patronal favorables à un inter­ ventionnisme modéré des pouvoirs publics jugé inéluctable pour sauvegarder une économie capitaliste en crise92. À l’exception notable du marxisme (et de quelques courants très minoritaires comme l’abondancisme), il n’est guère de famille de pensée qui n’ait trouvé sa place à X-Crise. Par son recrutement, cette association tranche avec les sociétés de pensée traditionnelles. La majorité des adhérents actifs sont jeunes, leurs origines sociales diverses, même si les individus issus des classes populaires et de la petite bourgeoisie demeurent minoritaires. Polytechnique oblige, la plupart ont fait toute ou partie de leur carrière dans le service public, rejoignant quand ils le quittent des entre­ prises de la seconde industrialisation. Par comparaison, les membres de la Société d’économie politique sont nettement plus âgés, d’origines sociales plus élevées, universitaires ou patrons dans la banque et les assurances. À l’encontre du modèle ritualisé des sociétés savantes où l’on vient habi­ tuellement présenter le résultat de travaux effectués ailleurs, le noyau dur d’X-Crise est extrêmement dynamique sur le

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plan de la réflexion collective. Ses membres s’intéressent à la conjoncture, à Péconométrie. À partir de 1936, le groupe publie des livres (de Jean Coutrot, d’Ernest Mercier ou de Louis Vallon), de nouvelles commissions de travail se met­ tent régulièrement en place et l’équipe de direction s’ouvre à de jeunes polytechniciens, comme Pierre Massé, Jean Ullmo ou Alfred Sauvy. X-Crise est progressivement devenu un incubateur de nouvelles élites et nombreux sont ainsi les technocrates de l’après-guerre qui auront fréquenté ce lieu ni mondain, ni austère, ni vraiment de gauche, ni vraiment de droite, où seules importent finalement la reconnaissance et l’estime mutuelles que s’accordent les membres d’une étroite minorité. Si X-Crise donne au discours technocratique sur l’écono­ mie ses lettres de noblesse, d’autres clubs tels les Nouveaux Cahiers se consacrent davantage aux questions sociales. Officiellement fondé en mars 1937 à l’initiative d’entrepre­ neurs qui se réunissaient déjà depuis plusieurs années93, ce groupe a pour principal animateur Auguste Detœuf, figure aty­ pique du patronat de l’entre-deux-guerres94. Polytechnicien, issu d’un milieu catholique, provincial et relativement modes­ te (son grand-père était agriculteur et son père, directeur d’une papeterie), il a entamé sa carrière comme ingénieur des Ponts avant de rejoindre le secteur privé. Devenu direc­ teur général adjoint de la Compagnie française ThomsonHouston en 1923 et administrateur-délégué d’Alsthom doté des pleins pouvoirs en 1928, il préside à partir de 1936 le Syndicat général de la construction électrique. Farouche partisan de la rationalisation industrielle (il a découvert aux côtés d’Emest Mercier la production en masse des grandes firmes américaines), Auguste Detœuf se prononce en faveur d’un syndicalisme obligatoire, unique et apolitique, exalte

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le dialogue social sur le modèle suédois et conspue le libé­ ralisme classique. Auteur d’un célèbre recueil d’aphorismes - Les Propos d ’O.-L. Barenton confiseur -, il raille le monde des affaires avec un certain talent pour l’autodérision. Autant d’éléments qui lui ont valu de solides inimitiés dans les rangs du patronat traditionnel. Ils lui ont en revanche permis d’attirer aux Nouveaux Cahiers de nombreuses personnali­ tés : des journalistes, des conseillers d’État, des diplomates, des écrivains, des économistes ou encore des syndicalistes réformistes. La philosophe Simone Weill y côtoie l’ancien dirigeant communiste Boris Souvarine, le personnaliste Denis de Rougemont, l’économiste Gaëtan Pirou, le syndicaliste Louis Vallon, le magnat de l’électricité Ernest Mercier... Quelles que puissent être les divergences d’opinion, les Nouveaux Cahiers se définissent avant tout par leur paci­ fisme tant dans le domaine social (recherche de la conci­ liation, rejet du syndicalisme de classes) que sur le plan international (une majorité des membres est favorable aux accords de Munich). Leur objectif est de constituer, dans une atmosphère alliant anticommunisme et christianisme, un cer­ cle de réflexion sur les problèmes contemporains, sans avoir les préoccupations scientifiques d’X-Crise et sans se limiter à l’économie. Comme le soulignait en 1938 Daniel Villey, l’une des futures figures de proue du néo-libéralisme français, « un ami d'Esprit ne se trouvera pas dépaysé aux Nouveaux Cahiers »9S. Le club cherche à fabriquer du consensus entre des élites en confrontant des agents aux intérêts très divers, amenés à faire des compromis et à taire les lignes de clivages qui peuvent les diviser. Dès le premier numéro de la revue éponyme, cette forme de dépolitisation hautement politi­ que est fièrement revendiquée : « Bien que leur éducation intellectuelle, politique ou sociale les eût éloignés les uns des

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autres, [leurs fondateurs] avaient éprouvé [...] le sentiment commun que cet éloignement même, ce cloisonnement des esprits en castes fermées, pouvait bien être l’une des causes, sinon la cause essentielle, qui rend de plus en plus irritante la position des problèmes actuels, qui risque de rendre de plus en plus difficile, douloureuse leur solution future96. » Lieux carrefours, X-Crise et les Nouveaux Cahiers per­ mettent d’opérer des synthèses entre des courants de pensée opposés, sans que celles-ci n’appellent nécessairement des prises de position collectives. La contribution de ces grou­ pements au débat sur la crise du capitalisme aura ainsi été d’une double nature : alimenter la critique du laissez-faire d’un point de vue technicien ; opérer un rapprochement entre néo-capitalisme et planisme visant à concilier écono­ mie de marché et interventionnisme des pouvoirs publics. Concilier libéralisme et intervention de l’État Que le libéralisme traditionnel soit contesté dans ces cénacles polytechniciens va presque de soi. Lorsque Jacques Rueff tente d’expliquer devant X-Crise le 8 mai 1934, « Pourquoi, malgré tout, [il] reste libéral », les reproches pleuvent, ses contradicteurs dénonçant sa croyance dans le laissez-faire et les conséquences sociales du libéralisme97. Du reste, Jacques Rueff, qu’un économiste a pu rétrospec­ tivement qualifier de « libéral perdu chez les planistes »98, savait à quoi s’attendre : il venait confesser à ses anciens condisciples son « péché », celui d’« être resté libéral dans un monde qui cessait de l’être ». L’économie classique paraît dépassée aux yeux de nombreux ingénieurs soucieux d’assu­ rer la paix sociale et confrontés aux écarts entre théorie et réalités empiriques : les agents économiques n’agissent pas toujours de manière rationnelle, l’État ne cesse d’intervenir^

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les marchés ne fonctionnent pas selon les critères d’une concurrence pure et parfaite puisque cartels et ententes se multiplient. Jacques Rueff n’est pas le seul à essuyer de virulentes critiques. Quand le Baron Charles Mourre, l’un des caciques de la Société d’économie politique, dénonce à X-Crise le planisme comme une forme « d’attentat contre la loi de l’offre et de la demande », il se voit rabroué par un ingénieur pour qui c’est précisément la libre concurrence qui a engendré la crise du capitalisme". Mais si certaines des prises de position observables à X-Crise ou aux Nouveaux Cahiers vont effectivement à l’en­ contre du libéralisme classique et sont donc susceptibles de rallier des soutiens de gauche ou corporatistes, la critique du libéralisme ne vaut pas nécessairement établissement d’un certificat de décès. Car dès lors que l’on accepte la propo­ sition d’Auguste Detœuf selon laquelle « le libéralisme est mort [...] tué, non par la volonté des hommes ou à cause d’une libre action des Gouvernements, mais par une inéluc­ table évolution interne », reste qu’il est possible de le sauve­ garder à condition de l’amender : « Puisqu’il a été bienfai­ sant, puisqu’il recèle des ferments utiles nécessaires, il faut tâcher de sauver du libéralisme tout ce qui peut être sauvé. » Certaines conférences faites à X-Crise ou dans le cadre des Nouveaux Cahiers tiennent ainsi autant de la critique du libéralisme que de l’autocritique dans un contexte de remise en cause des élites dirigeantes, qui touche particulièrement le patronat : « Nous cramponner au libéralisme, nous, bourgeois, possédants ou profiteurs - selon qu’on préfère nous nommer, ou élite, comme nous préférons qu’on nous nomme - n’est-ce pas pratiquer une politique qui ressemble fort à celle de la France vis-à-vis de l’Allemagne depuis la guerre ? » s’interroge Auguste Detœuf100.

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De surcroît, s’il y a bien un anti-libéralisme chez de nombreux ingénieurs, les principaux thèmes de l’économie dirigée, à commencer par le plan, sont susceptibles de retra­ duction dans des termes acceptables pour qui entend préser­ ver l’économie de marché. Selon Jacques Branger, l’une des figures montantes d’X-Crise à la fin des années 1930, si l’on considère une économie divisée entre secteur libre et secteur « plané », « les plans marquent [...] un retour certain vers le libéralisme. [...]. On délimite deux domaines [...] et le libé­ ralisme peut retrouver ainsi dans l’un d’eux les conditions nécessaires à son fonctionnement et à sa pérennité ». Le plan permettrait ainsi de concilier une économie libérale et une économie dirigée produisant une « concurrence dirigée ». Et pour l’ingénieur polytechnicien, on peut par-là-même étendre « la rationalisation du seul domaine de la produc­ tion matérielle à toute l’organisation de la société » et, grâce à ce « suprême recours à l’intelligence », remplacer « les mobiles classiques du capitalisme par des mobiles d’ingé­ nieurs ». Ainsi s’esquisse une alternative à l’économie dirigée dans son acception socialisante qui, sans renouer avec le libéralisme manchestérien (le laissez-faire, laissez-passer du XIXe siècle), reste respectueuse du principe d’une régulation de la société par le marché. Cette alternative, s’il fallait lui donner un nom, Jacques Branger l’appellerait « néo-libéra­ lisme »101. C’est effectivement l’une des formes que prendra cette idéologie. Le rôle joué par les technocrates dans les débats économi­ ques des années 1930 ne doit sans doute pas être surestimé : les frontières du groupe demeurent floues et les réalisations institutionnelles guère pérennes. X-Crise n’aura ainsi obtenu que la création par Charles Spinasse d’une Caisse nationale des marchés de l’État, et celle d’un Institut de Conjoncture

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dont Alfred Sauvy décroche la mise en place en 1938. Sur le plan économique, les technocrates ont connu leur heure de gloire en 1936-1937. Si les cabinets des sous-secrétaires d’État à l’Économie nationale du début des années 1930 étaient composés de manière traditionnelle par des juristes et de jeunes recrues des grands corps, celui de Charles Spinasse fait une large place à des polytechniciens. Les tenants du libreéchangisme y ont évidemment vu un affront : « Le “maître de l’heure”, remarque l’un d’entre eux, est M. Spinasse. Or cet Éminence est un technocrate de la pire espèce [...] en admi­ ration devant le Brain Trust de Roosevelt : cette équipe de techniciens qui, ayant trusté toute l’intelligence n’en avaient pas laissé pour nous, pauvres mortels...102 » La création du m e n entérine d’ailleurs une modification des rapports de force entre les différents groupes engagés dans les débats sur l’économie : avec le sous-secrétariat d’État, c’est le néo­ capitalisme qui prédominait ; avec le ministère, c’est une forme de technocratie. S’il n’est guère parvenu à renouveler les institutions de la IIIe République déclinante, le parti de l’intelligence en pleine gestation trouve progressivement sa place dans l’État. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, les technocrates investissent les différents ministères, certains se voyant même confier des portefeuilles103. Pour reprendre la célèbre distinction saint-simonienne, « l’administration des choses » prend sa revanche sur le « gouvernement des hommes », le laissez-faire n’a désormais plus voix au cha­ pitre. C’est dans ce cadre nouveau qu’apparaît le néo-libé­ ralisme : en réintégrant de manière positive l’État dans la théorie économique libérale, il offre à diverses fractions des élites une issue réaliste à la crise.

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Les premiers pas du néo-libéralisme Un livre a servi d’étendard aux rénovateurs du libé­ ralisme : La Cité libre, du journaliste américain Walter Lippmann. En août 1938, lorsque se tient à Paris un collo­ que pour discuter ses principales thèses, il fait déjà figure de référence incontournable chez les intellectuels libéraux, tant aux États-Unis, où il a été publié en 1937, qu’en Europe. Après avoir lu l’ouvrage, Fritz Machlup, économiste autri­ chien exilé à New York, écrit à Walter Lippmann n’avoir aucun doute quant à son avenir : La Cité libre ne « peut manquer d’avoir une forte et bénéfique influence sur le public américain »'. William Rappard, directeur de l’Institut universitaire des hautes études internationales de Genève, va plus loin : elle « marquera une véritable date dans l’histoire de notre temps »2. Quant à Auguste Detœuf, qui quelques mois auparavant annonçait la « mort du libéralisme », il est tout aussi catégorique : il s’agit du « monument économicophilosophique le plus important des cinquante dernières années »3. Si, a posteriori, La Cité libre apparaît comme un essai politico-journalistique de facture classique, c’est un ouvrage précurseur en 1937-1938. Il conjugue dénon­ ciation des régimes « totalitaires », mis en équivalence parce que prônant la dictature d’un chef ou d’un parti, et critique du laissez-faire. Cette doctrine d’action qui, selon

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Walter Lippmann, avait fait la grandeur du xixe siècle, s’est peu à peu muée en une « collection de formules geignardes invoquées par les propriétaires pour résister aux attaques lancées contre leurs intérêts établis »4. À ce libéralisme étriqué, qui se satisfait de la concentration industrielle et du règne des privilèges, Walter Lippmann oppose un libéra­ lisme rénové, présenté comme une « ligne de conduite qui cherche à réformer l’ordre social pour satisfaire les besoins et réaliser les promesses d’un mode de production basé sur la division du travail »5. Les participants au Colloque Walter Lippmann donnent à cette doctrine le nom de néo-libéralisme. Considérée de manière rétrospective, l’assistance est des plus prestigieuses. Des entrepreneurs néo-capitalistes côtoient des intellectuels promis à un brillant avenir, de grands commis de l’État voi­ sinent avec les représentants les plus distingués de l’école libérale. Parmi les 26 participants, certains devaient devenir Prix Nobel d’économie (Friedrich Hayek), professeur au Collège de France (Raymond Aron), dirigeant de l’Orga­ nisation européenne de coopération économique (Robert Marjolin), architectes de 1’« Économie sociale de marché » allemande (Wilhelm Röpke, Alexander Rüstow), directeur de la Banque des règlements internationaux (Roger Auboin), conseiller financier du général de Gaulle (Jacques Rueff) et même concepteur du projet de Guerre des Étoiles de Ronald Reagan (Stefan Possony). Reste qu’en 1938 nombre d’entre eux demeurent incon­ nus hors de leur domaine de spécialisation. L’organisation du Colloque Lippmann doit ainsi beaucoup à l’intense cam­ pagne en faveur d’un « retour au libéralisme »6 menée par Louis Rougier. Ce professeur de l’université de Besançon, aujourd’hui tombé dans l’oubli, a contribué d’une manière

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décisive à la structuration du néo-libéralisme en France et sur le plan international.

Un philosophe marginal : Louis Rougier Né à Lyon en 1889, agrégé de philosophie en 1914, Louis Rougier a été professeur dans plusieurs lycées avant de sou­ tenir à Paris en 1920 un doctorat consacré aux Paralogismes du rationalisme. Il enseigne ensuite au Lycée Chateaubriand de Rome (1920-1922), à la faculté des lettres de Besançon (1924-1939) et à l’université du Caire (1934-1936). De cet historien des religions, logicien et philosophe des sciences, on ne retient en général que le rôle d’intermédiaire, en partie autoproclamé, entre le régime de Vichy et la Grande-Bretagne et des ouvrages, comme Mission secrète à Londres7, qui ten­ tent d’accréditer l’idée d’un double jeu du maréchal Pétain. Les éléments que Louis Rougier met en avant pour défendre sa thèse sont bien maigres et certains des documents qu’il utilise, escamotés8. Son action en faveur du régime de Vichy et ses fréquentations politiques ultérieures - Rougier s’est par exemple lié d’amitié avec Alain de Benoist, l’inspirateur de la Nouvelle droite9 - tendent ainsi à voiler le reste de son itinéraire. Le néo-libéralisme, tel que le conçoit Rougier dans les années 1930, est le produit de la remise en ordre logique du libéralisme économique, non seulement en tant que discours dont l’architecture a été pour partie transformée (ne serait-ce que par l’introduction du préfixe « néo » et celle d’adjectifs à connotation positive comme « constructif »10), mais aussi en tant qu’ensemble de propositions tirées d’une axiomatique, qui pour être cohérentes doivent être empiriquement vérifiables. Les conceptions qui président à l’élaboration du discours néo-libéral de Louis Rougier découlent de la position

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paradoxale qu’il occupe dans l’univers des philosophes de l’entre-deux-guerres. Celle d’un positiviste en lutte contre toute forme de métaphysique et d’un « anti-rationaliste », introducteur en France de l’empirisme logique. Contre la métaphysique et le rationalisme Depuis le xixe siècle, les débats philosophiques voient souvent deux camps s’affronter, celui des « positivistes » et celui des « spiritualistes ». Pour les premiers, la philosophie doit tenir compte des acquis des sciences positives, voire les prendre pour modèle, tandis que pour les seconds, cela reviendrait à l’asservir à la science et à remettre en cause le primat de l’esprit sur la matière11. En temps ordinaire, un certain œcuménisme prévaut : les frontières entre les pôles « scientifique » « métaphysique » s’estompent devant la ten­ dance dominante - une synthèse de rationalisme et d’idéa­ lisme12, héritée du kantisme - face à laquelle se développent de nombreux courants critiques dans un « no man’s land où naissent et meurent toutes espèces de formes généralement non viables »13. Mais dès lors qu’il s’agit de la position de la philosophie face à la science et donc de sa place dans la hiérarchie des disciplines, les divisions restent marquées. L’acceptation ou la critique des résultats de la recherche scientifique (les découvertes des géométries non-euclidien­ nes, de la physique quantique et de la théorie de la relativité) engendrent des cultures philosophiques différentes. Elles correspondent également à des profils sociaux distincts. Car « positivistes » et « spiritualistes » ne se recrutent pas dans les mêmes milieux : les uns sont majoritairement provin­ ciaux et viennent de familles de la petite et moyenne bour­ geoisie intellectuelle, les autres, plutôt parisiens, ont grandi dans des familles aisées14.

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Issu d’une lignée de notables lyonnais, située à la croisée des mondes de la médecine et du droit, Louis Rougier a tout du positiviste. Philosophe élevé dans un milieu où l’on valorise fortement l’instruction et le travail intellectuel, il se décrit lui-même comme atteint depuis sa jeunesse d’une « fringale de lecture »15. De ses premiers articles à sa mort, il n’a d’ailleurs cessé d’accumuler des connaissances dans des domaines très variés (mathématiques, physique, éco­ nomie) et a toujours prêché pour une philosophie adaptée au développement des sciences de son temps. Influencé par Henri Poincaré, Louis Rougier a consacré ses deux thèses de doctorat à une tentative de systématisation du convention­ nalisme16 dont il est rapidement devenu l’un des principaux promoteurs. L’idée qu’il développe est que la philosophie universitaire française vivrait sur une fausse distinction entre deux formes de vérités, « les unes empiriques, ou a posteriori, les autres dites rationnelles, ou a priori. Les premières [...] contingentes, particulières, révisibles (sic) et approximatives; les secondes [...] nécessaires, universelles, éternelles et absolues »17. Selon Rougier, la science n’est que la mise en cohérence logique des données de l’expérience, le rationnel n’est qu’une suite formelle d’inférences et les véri­ tés nécessaires ne sont que des conventions, des hypothèses ou des généralisations de résultats d’observation. Ce relati­ visme l’amène à s’intéresser à la logique formelle à laquelle il consacre plusieurs articles entre 1916 et 1940 ainsi qu’un livre118. Le positivisme de Louis Rougier a pour corollaire le rejet du spiritualisme et de toute forme de métaphysique, consi­ dérée comme empreinte de présupposés, de croyances, en un mot « mystique » (terme central chez lui). Rien n’est ainsi plus opposé à ses conceptions philosophiques que le bergsonisme

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dans lequel il voit une mode intellectuelle peu rigoureuse, peu au fait des acquis scientifiques, propre à satisfaire les prétentions d’individus peu doués pour la philosophie19. Ce refus de la métaphysique se prolonge par une critique radi­ cale des religions monothéistes, formes achevées, en même temps qu’originelles, du spiritualisme antiscientifique. Bien qu’il soit né dans une famille catholique, Louis Rougier a jeune perdu la foi20. Dans Celse ou le conflit de la civilisation antique et du christianisme primitif (1926), il oppose terme à terme la société païenne de l’Empire romain, non dogma­ tique et tolérante parce que polythéiste, et les sociétés juives et chrétiennes, formant en son sein des entités particulières, lieux du culte d’un dieu jaloux, autoritaire et exclusif dont le prosélytisme justifiait la répression. Mais si Rougier se veut un penseur anti-chrétien, c’est aussi, à la différence de nombreux positivistes, un anti-ratio­ naliste21. Au culte de la raison, « une et entière en chacun » selon Descartes, il faudrait selon lui substituer la science des « structures mentales », entendues comme l’ensemble des croyances et des superstitions qui ont cours à une époque donnée. Car Louis Rougier remet en cause non seulement l’idée d’une fixité de l’esprit humain dans le temps et dans l’espace, mais aussi le principe d’une raison universellement partagée entre les hommes. Il pose d’emblée qu’ils sont inégaux par nature et donc inégalement doués en « rai­ son ». Le rationalisme serait un mysticisme22, produit par l’intellectualisme socratique, perpétué par le platonisme, la scolastique, le cartésianisme, Phégélianisme etc., qui s’opposerait à la mentalité proprement scientifique. C’est dans cette perspective de dévoilement des formes historiques du rationalisme que Rougier consacre plusieurs travaux à la scolastique et au thomisme. Ils lui valent des critiques aussi

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bien de la part du clergé23 que de philosophes spécialistes de la pensée religieuse et de l’histoire des sciences24. Louis Rougier, qui avant la soutenance de sa thèse sem­ blait promis à une brillante carrière, se marginalise rapide­ ment dans la communauté des philosophes. Il ne partage ni les références universitaires dominantes, ni celles d’une philosophie (le bergsonisme) qui a conquis un large public hors de l’université. Cet enseignant de province, qui vit rue Vaneau dans le VIIe arrondissement de la capitale, ne peut guère espérer une consécration parisienne. Il ne possède pas l’une des propriétés essentielles à l’exercice de la profession de philosophe en France, être normalien, ce qui le prive du capital social que l’appartenance au groupe confère. À cela s’ajoute son formidable ego. Jeune philosophe, Rougier prend de haut la plupart de ses confrères, y compris les plus influents. Pourfendeur du rationalisme, il soutient sa thèse devant un jury dans lequel siège Léon Brunschvicg, le professeur de philosophie générale de la Sorbonne. Élève d’Edmond Goblot, il prétend lui succéder à Lyon en 1930, mais c’est Jean Wahl, neveu de Brunschvicg, qui obtient le poste. Le ressentiment pousse Rougier à publier dans le Mercure de France un article de 41 pages où, sous couvert de controverse philosophique, il s’en prend très violemment à Brunschvicg qu’il qualifie, entre autres, de « faussaire »25. Rougier, l’anti-Brunschvicg, ne peut trouver d’appuis qu’hors de l’Université : il écrit par exemple dans la Revue de Paris ou la Revue des deux mondes. Mais c’est surtout à l’étranger qu’il obtient des soutiens. L’attraction qu’exercent sur lui le conventionnalisme de Poincaré et la logique for­ melle, sa détestation de la métaphysique le rapprochent des travaux d’un courant de pensée en plein développement : l’empirisme logique26. Entré en contact avec Moritz Schlick

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en 1931, invité au séminaire de Hans Reichenbach à Berlin en 1932, Rougier profite d’une mission dans les pays d’Europe centrale pour participer aux activités du Cercle de Vienne en 193427. Au milieu des années 1930, il est ainsi le seul Français qu’on puisse clairement rattacher au « Mouvement pour l’unité de la science ». En 1935, il organise à la Sorbonne le premier Congrès international de philosophie scientifique, comptant près de 160 participants, parmi lesquels Rudolf Carnap, Bertrand Russell, Moritz Schlick ou Alfred Tarski. En 1937, il récidive en introduisant au Congrès Descartes (le IXe Congrès international de philo­ sophie), une section « Unité de la science », où l’on retrouve Rudolf Carnap, Hans Reichenbach ou encore Otto Neurath. Louis Rougier a tenté de vulgariser les thèses de l’empirisme logique en France28 et donné plusieurs articles à Erkenntnis, puis au Journal o f United Science, dont il devient l’un des éditeurs associés en 1939. Un projet philosophique et politique Que Louis Rougier soit l’un des premiers découvreurs français de la philosophie analytique ne doit pas être consi­ déré de manière anachronique. Promouvoir le positivisme logique en France c’est faire preuve de marginalité. D’autant plus que Rougier n’épouse pas les conceptions politiques, plutôt « progressistes », que défendent plusieurs représen­ tants de ce courant, comme Otto Neurath, social-démocrate et ancien ministre spartakiste. Sans qu’il faille y voir une simple instrumentalisation, l’importation du positivisme logique dans le champ philosophique français de l’entredeux-guerres reste politiquement marquée à « droite », tandis qu’ailleurs ce courant peut être perçu comme de « gauche »29.

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Louis Rougier conteste en fait une morale politique : le « républicanisme » dont on sait combien il doit au néo­ kantisme. Car quand Louis Rougier philosophe, la politique n’est jamais très loin. S’il apprécie Ernest Renan, ce n’est pas simplement en tant qu’historien des religions et positiviste, c’est aussi en tant que théoricien conservateur, traditionaliste mais non religieux. S’il loue le conventionnalisme d’Henri Poincaré, c’est parce qu’il lui permet de critiquer le culte de la raison et de dénoncer comme absurde le principe de l’égalité entre les hommes. L’œuvre de Louis Rougier se rattache ainsi à ce courant politique élitiste et anti-démo­ cratique où se sont illustrés entre autres Gustave Le Bon et Vilfredo Pareto. C’est d’ailleurs dans une collection dirigée par le premier (« la Bibliothèque de philosophie scientifique » chez Flammarion), que Louis Rougier publie en 1929 La Mystique démocratique, dédiée à la mémoire du second. La critique de l’idéal démocratique fonctionne à partir des mêmes schèmes que celle du rationalisme ou des religions, tous ces éléments étant pour Rougier inextricablement liés. La mystique démocratique, de par son messianisme égali­ taire (héritage du prophétisme juif et du rationalisme cartésien), porterait en germe le marxisme (« le judaïsme laïcisé a trouvé son dernier prophète en Karl Marx »30) et le bolchevisme, « mystique de classe », qui constitue l’achèvement d’une doctrine dévoyée. Selon Louis Rougier, « attaquer la mystique démocra­ tique, ce n’est pas nécessairement s’en prendre au régime républicain ». Il partage cependant avec Le Bon et Pareto élitisme et anti-socialisme31, et s’il est prêt à accepter la République, il doit s’agir d’une République débarrassée de la croyance en l’égalité naturelle, politique, économique et sociale, des hommes. Typique du conservatisme et de l’anti-

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démocratisme, l’ensemble de son discours reste structuré par le couple élites/masses, principe de classement élémentaire qui permet de penser le monde social en opposant finesse et grossièreté, singularité et banalité, hauteur et petitesse, cou­ rage et lâcheté. Lorsque Gustave Le Bon dénonçait « l’ère des foules » au sein desquelles les individus ne seraient plus eux-mêmes et agiraient de manière irrationnelle et violente, il s’en prenait à un public, les classes populaires, et à un régime politique, la démocratie. C’est sur le même mode, et comme nombre de ses contemporains, que Louis Rougier dénonce le pouvoir des masses définies comme l’antithèse de l’élite et va jusqu’à récuser l’idée de souveraineté populaire (ce que certains libéraux lui reprochent). Dans le domaine économique, Rougier en appelle à la fois au « retour au libéralisme » - c’est le titre d’un article qu’il fait paraître dans la Revue de Paris le 1er janvier 1938 - et à l’émergence d’un nouveau libéralisme. Ce « libéralisme constructif » ou « néo-libéralisme » marque une rupture avec le libéralisme économique classique pour lequel le mar­ ché est une donnée et l’économie une sphère autonome où l’État n’a pas à intervenir. Ce que Louis Rougier reproche au « laissez-faire, laissez-passer » de l’École de Manchester, c’est sa croyance en un ordre naturel, institué par Dieu et la Nature, tel qu’il serait nécessaire et suffisant de le « laisser librement agir pour réaliser, dans une nation, le maximum de prospérité au prix du minimum d’efforts et de dépenses »32. Contre cette théorie optimiste qui peut aboutir à la des­ truction du libéralisme par lui-même, en favorisant la nais­ sance d’une économie de monopoles, il prône un « libéralisme constructeur » qui implique « un ordre juridique positif tel que la possibilité de la libre concurrence soit toujours sau­ vegardée ». Louis Rougier justifie donc l’interventionnisme

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étatique s’il permet de favoriser le libre jeu de la concurrence. En même temps qu’il critique le libéralisme ancien, il fustige l’économie dirigée : « Plus un régime économique s’écarte des conditions de la libre concurrence basée sur l’automa­ tisme des prix, plus il sacrifie l’intérêt des consommateurs à des fins extra-économiques, plus l’économie se planifie, plus elle tombe dans l’arbitraire et dans l’oppression. » Comme en philosophie ou en politique, Louis Rougier dénonce sans relâche ce qu’il appelle les « mystiques écono­ miques », ces doctrines qui ne sont « fondées ni en raison ni en expérience, qui explicitent simplement en les colorant de pseudo-démonstrations scientifiques, certaines attitudes sentimentales, certains préjugés de classe, certaines habi­ tudes mentales ; en bref certains partis-pris passionnés ». Aux croyances irraisonnées, celui qui se veut le prophète d’un nouveau libéralisme oppose la vérité qu’il dévoile : « Le libéralisme constructeur, qui est le libéralisme véritable, ne permet pas qu’on utilise la liberté pour tuer la liberté. Il diffère radicalement en cela du libéralisme manchestérien, qui ne peut être que conservateur ou anarchique, et du planisme socialiste, qui est nécessairement despotique et arbitraire ». Armé de ce message, Louis Rougier va de conférences en conférences, parvenant à faire des « convertis ». Car il se sent véritablement investi d’une mission, lui qui affirme que lorsqu’il écrivit son article sur le « Retour au libéralisme », il eut l’impression « comme le bouc émissaire de l’Écriture, de [se] charger de tout le ridicule du monde »33. Le prophète du néo-libéralisme français Louis Rougier n’a pas que des arguments théoriques pour convaincre. Ce n’est ni un enseignant de la Faculté de droit, ni un patron ou un ingénieur économiste sorti d’une

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grande école, ni un syndicaliste, ni un grand commis de l’État. Son extériorité au monde économique donne à son action les apparences de la gratuité. Elle est cependant toute relative. L’examen des tables de La Revue de métaphysique et de morale montre que certains économistes, par exemple Bernard Lavergne, Gaëtan Pirou, Charles Rist ou Jacques Rueff, se préoccupent des implications philosophiques de leurs théories et qu’inversement, certains philosophes s’inté­ ressent à l’économie et à la conjoncture : le jeune Raymond Aron publie ainsi en 1937 un article contre la politique éco­ nomique du Front populaire, « Réflexions sur les problèmes économiques français »34. Quant à Louis Rougier, il est cer­ tes spécialiste de philosophie scientifique mais il a également travaillé sur l’inflation, sur le lien unissant Réforme et esprit du capitalisme et, en s’intéressant aux mystiques religieu­ ses, en vient à la politique puis à l’économie. On pourrait d’ailleurs ajouter qu’il a des « antécédents » familiaux. Son grand-père paternel, un disciple de Say, a été le premier titu­ laire de la chaire d’économie politique de la faculté de droit de Lyon, le fondateur et le vice-président perpétuel de la Société d’économie politique de la même ville. Un philosophe universitaire qui part en croisade pour défendre le libéralisme économique n’est cependant pas chose courante à la fin des années 1930. Selon Louis Rougier, le Front populaire expliquerait son entrée dans la mêlée. Revenant d’Égypte où il a passé deux ans à l’université du Caire, il se serait trouvé dans une France divisée « en deux camps adverses, la France de droite et la France de gauche, qui montraient le poing dans une attitude d’hostilité et de défi »35. Il se serait dès lors senti - encore l’extraordinaire ego de Louis Rougier - obligé d’apporter « à ses concitoyens le concours de sa bonne volonté et l’appoint de sa lucidité

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d’esprit »3é. L’adhésion au libéralisme économique résulterait quant à elle des conclusions qu’il a pu tirer de ses missions à l’étranger: en 1932, il se rend en URSS à la demande d’Anatole de Monzie, ministre de l’Éducation nationale37 ; en 1934, il est chargé par la Fondation Rockefeller d’un voyage d’études sur la situation des intellectuels en Europe. « Le spectacle des régimes totalitaires » lui aurait prouvé « par l’absurde, la nécessité, le bien-fondé du libéralisme »38. De là, il peut prétendre condamner l’alternative entre libéra­ lisme et planisme, promettant par la rénovation du premier d’échapper aux conséquences supposées du second. Louis Rougier n’est évidemment pas le seul non-économiste à tenir un discours à caractère prophétique sur l’économie et ses modes de régulation. Son « réalisme » le distingue cependant d’une partie de ses concurrents potentiels : le néo-libéralisme peut paraître d’autant plus sensé aux yeux de représentants des fractions dominantes du monde écono­ mique, universitaire ou administratif, que nombre des inno­ vations intellectuelles des années 1930 usent de catégories étrangères au discours économique classique ou appellent à une rupture révolutionnaire avec l’ordre établi. Par le flou qu’il entretient entre défense du libéralisme et rupture d’avec le libéralisme, le discours de Louis Rougier tombe également à point nommé pour fédérer des groupes qu’au départ tout semble opposer. En accordant une large place au droit, il autorise l’application d’un point de vue de juriste à l’écono­ mie, conforme à l’enseignement dispensé dans les facultés de droit et à l’École libre des sciences politiques ; il en appelle à la science et peut ainsi toucher les ingénieurs économistes ou patrons ingénieurs qui condamnent le laissez-faire, sans rejeter nécessairement l’économie libérale. À la manière du discours sur les classes moyennes qui lui est contemporain,

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le néo-libéralisme que Louis Rougier prescrit permet une double démarcation39. Dans l’ordre idéologique, il établit une distinction entre « libéraux de stricte observance » et néo-libéraux, mais aussi entre une partie de la gauche (com­ muniste, planiste, marxisante) et déçus du Front populaire. Les Mystiques économiques - unique ouvrage de Rougier intégralement consacré aux questions économiques - reçoi­ vent ainsi un accueil des plus favorables. Dans le Bulletin d’X-Crise d’abord, là même où avait été publiée la confé­ rence d’Auguste Detœuf annonçant la mort du libéralisme, le contenu du livre n’est pas discuté et l’auteur des notices bibliographiques préfère simplement écrire que « nous ne saurions mieux marquer l’intérêt qui s’attache à cet ouvrage qu’en en publiant [...] l’avant-propos Par certains radi­ caux, comme Pierre Dominique, rédacteur en chef de La République, l’ouvrage de Louis Rougier est considéré comme « d’une importance extrême »41. Ernest Seillière, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences morales et politiques et aïeul de l’ancien président du Medef, s’enthousiasme dans le Journal des débats : « M. Louis Rougier nous donne sur Les Mystiques économiques un ouvrage fort pénétrant42. » À la Faculté de droit, le livre est également salué. Roger Picard note ainsi dans la Revue d ’histoire économique et sociale qu’il « rendra de grands services aux économistes, par ses pénétrantes analyses critiques de doctrine ; [et qu’] il en rendrait aussi aux hommes politiques, trop férus de systèmes, s’ils avaient le loisir ou le goût de lectures de cette qualité »43. Seul Gaëtan Pirou s’interroge dans la Revue d ’économie politique sur les mesures concrètes que Les Mystiques économiques pourraient inspirer44. Mais ce programme, Louis Rougier n’a pas besoin de le concevoir C’est celui que le pouvoir en place met en œuvre à

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partir de novembre 1938. La réussite de ce que certains ont appelé « l’offensive du néo-libéralisme »45 doit en effet beau­ coup à l’actualité politique immédiate. Avec le gouvernement Daladier, la prédiction d’un « retour au libéralisme » semble bel et bien se réaliser : intraitables avec les syndicats, Édouard Daladier et Paul Reynaud cherchent par tous les moyens à sauver la monnaie et à redresser les finances publiques. Le néo-libéralisme de Louis Rougier fonctionne ainsi d’autant mieux que le gouvernement mène à grands coups de décretslois une politique néo-libérale46. Rougier peut alors affirmer que du « plan théorique, l’offensive néo-libérale [est passée] sur le plan pratique »47 et même sous-entendre qu’il n’est pas étranger à cette évolution, puisque François-Félix Legueu chroniqueur financier au Figaro, qui le 29 octobre 1938 avait couvert d’éloges Les Mystiques économiques48 - devient deux jours plus tard expert auprès de la présidence du Conseil. Le néo-libéralisme de Louis Rougier est rassembleur. Ce n’est pas qu’une affaire de discours. On ne peut dissocier sa réception de la recherche consciente de soutiens, grâce à l’in­ sertion dans de nombreux réseaux de relations. Le charisme de Louis Rougier est avant tout le produit de son capital social, forme de ressource dont on ne voit jamais aussi bien les effets qu’en période de crise. C’est parce que Rougier assure des liaisons utiles entre des groupes rarement amenés à dialo­ guer ensemble qu’il peut prétendre se faire le prophète du néo­ libéralisme. Bien qu’universitaire, il fréquente certains milieux patronaux (il a collaboré au Bulletin de la Société d’études et d’informations économiques dans les années 192049) et des groupements « modernisateurs » comme X-Crise ou Les Nouveaux Cahiers - ce qui ne l’empêche pas de critiquer leur « technocratisme ». Louis Rougier a également effectué des missions à l’étranger et donné des conférences à l’Institut

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universitaire des hautes études internationales de Genève. En ne s’investissant que dans des lieux réellement efficients dans la production des problématiques dominantes de l’époque, il joue un rôle de passeur à la fois en France et entre la France et l’étranger. L’organisation du Colloque Walter Lippmann fait de lui un interlocuteur indispensable pour tous ceux qui se reconnaissent dans le programme défini par La Cité libre.

En quête d’une C ité lib re L’originalité du livre de Walter Lippmann tient à la place que son auteur accorde à la loi, et partant à l’État, garant de son application. La loi doit non seulement permettre de fixer les droits et obligations individuels, mais plus encore instituer le marché et les règles de son fonctionnement. Aux yeux de Lippmann, le marché, le capitalisme ou la propriété privée sont tout sauf des produits de la nature. Ce sont des constructions historiques qui n’existent que parce qu’un cadre institutionnel le permet. Dès lors, ce que le législateur a bâti peut être défait et l’État doit rétablir la concurrence si elle ne fonctionne pas d’elle-même, en luttant contre les monopoles ou en réformant le statut des sociétés anonymes. L’État libéral a donc une fonction économique et non des moindres. C’est à lui que revient de déterminer par les lois sur la propriété, les contrats, les groupements, les brevets ou la monnaie, le cadre légal qui garantit la libre entreprise. La doctrine de Lippmann réhabilite ainsi l’action étatique sous la forme d’un interventionnisme juridique et d’une politique de la concurrence. L’économie morale du néo-libéralisme L’un des principaux tenants français du néo-libéralisme pouvait résumer cette vision du monde en recourant à une

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métaphore automobile : « Être [néo] libéral, ce n’est pas, comme le “manchestérien”, laisser les voitures circuler dans tous les sens, suivant leur bon plaisir, d’où résulteraient des encombrements et des accidents incessants ; ce n’est pas, comme le “planiste”, fixer à chaque voiture son heure de sor­ tie et son itinéraire ; c’est imposer un Code de la route tout en admettant qu’il n’est pas forcément le même au temps des transports accélérés qu’au temps des diligences50. » Souvent reprise, y compris en des lieux où on ne l’atten­ drait guère51, cette métaphore du « code de la route » appli­ quée aux régimes politiques et économiques est lourde de sens. Elle présuppose l’insertion de l’ordre marchand dans des structures institutionnelles ; elle définit le type d’inter­ vention qui correspond à une politique économique libérale : l’État fixe le cadre juridique au sein duquel la concurrence se déploie et l’adapte en fonction des transformations économi­ ques et sociales ; elle indique la nature de l’État néo-libéral : c’est un régulateur de conflits, abstentionniste dans la sphère de la production et des échanges, mais prêt à sanctionner les écarts de conduite par le droit et la justice. Cette manière de penser le gouvernement libéral est indissociable d’une pho­ bie de l’État expansionniste52. Le planisme que Lippmann tient à la suite des économistes autrichiens Friedrich Hayek et Ludwig von Mises pour une impossibilité scientifique (et auquel sont assimilés socialisme, communisme et fascisme), engendrerait nécessairement le développement d’une bureau­ cratie politisée, la centralisation étatique, l’accroissement des inégalités et finalement la guerre. Cet argumentaire puise sa force de conviction dans l’actualité : les expériences soviétique, allemande et italienne nourrissent les débats autour de l’économie dirigée. Quant à la guerre, elle semble inéluctable. Le néo-libéralisme se veut

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non seulement une réponse à la crise du capitalisme, mais aussi à l’émergence du totalitarisme, produit de la « révolte des masses » (Ortega y Gasset) qui inclineraient naturel­ lement à l’étatisme. Irrationnelles, elles auraient besoin de chefs. Sentimentales et inconscientes, elles imposeraient une direction de l’économie qui, elle, se présente comme consciente. Le néo-libéralisme, en tant que mode de gou­ vernement, suppose de dissocier masses et individus, de substituer aux « inégalités extrinsèques dues aux privilèges et aux prérogatives » les « supériorités intrinsèques »53, seul fondement juste d’un ordre social durable. La Cité libre a bien suscité quelques réserves chez les libéraux, notamment auprès de ceux qui n’approuvent pas totalement le radicalisme de l’argumentaire de Ludwig von Mises contre l’économie planifiée54. Elle connaît cependant un certain succès en France, tant à la Faculté de droit, bien qu’il ne s’agisse pas d’« une œuvre de haute technicité »55 qu’à X-Crise, où l’on écrit qu’elle « vient à son heure en res­ tituant au libéralisme sa signification humaine et en offrant un signe de ralliement à tous ceux qui refusent d’identifier le totalitarisme et la civilisation »56. Si le livre plaît, l’une des raisons en est sans doute l’adéquation entre le mora­ lisme de l’auteur, par ailleurs crédité d’une « probité » et d’une « conscience morale » « incontestées »57, et l’attente proprement morale d’une partie des individus investis dans les débats sur l’économie qui, tel Auguste Detœuf, ne perçoi­ vent d’issue à la crise que dans « une transformation morale qui exigera bien des générations »58. « Le drame moral de notre époque, déclare le philosophe Louis Rougier dans son allocution d’ouverture au Colloque Walter Lippmann, c’est [...] l’aveuglement des hommes de gauche qui rêvent d’une démocratie politique et d’un planisme économique, sans

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comprendre que le planisme économique implique l’État totalitaire [...]. Le drame moral de notre époque, c’est l’aveu­ glement des hommes de droite qui soupirent d’admiration devant les gouvernements totalitaires, tout en revendiquant les avantages d’une économie capitaliste, sans se rendre compte que l’État totalitaire dévore la fortune privée, met au pas et bureaucratise toutes les formes de l’activité économi­ que d’un pays »S9. La Cité libre offre une issue « morale » à la crise. Plus encore, son auteur possède un capital de mora­ lité dont certains théoriciens libéraux malmenés par la crise peuvent espérer tirer parti. Né à Manhattan le 23 septembre 1889, Walter Lippmann vient d’une famille aisée d’immigrés juifs allemands : son père est un industriel du textile enrichi grâce à de judicieux placements immobiliers. Le jeune Lippmann a fait ses études secondaires dans une école privée avant de rejoindre Harvard qu’il quitte licencié en philosophie en 1910. Très tôt attiré par le journalisme (âgé de 14 ans, il dirige le journal de son école) et par la politique (à Harvard, il anime le Harvard Socialist Club), Walter Lippmann devient rapidement un édi­ torialiste et un essayiste influent. Il commence sa carrière au Boston Common, journal socialiste, avant de participer à la fondation du New Republic Magazine, d’orientation libérale, au sens américain du terme. Conseiller de Woodrow Wilson, c’est l’un des rédacteurs des « 14 points », déclaration sur les buts de guerre des alliés qui préconise, entre autres, la mise en place de la Société des nations. Il travaille au Secrétariat d’État et fait partie de la délégation américaine à la confé­ rence de Paris de 1919. Prenant ses distances avec Wilson (il est hostile au Traité de Versailles), il entre au New York World en 1920, avant de rejoindre en 1931, le New York Herald Tribune pour lequel il rédige pendant près de trente

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ans l’éditorial « Today and Tomorrow ». Walter Lippmann a rondement acquis un capital de moralité, notamment grâce à ses essais politico-philosophiques, comme Public Opinion (1922)60 et surtout A Preface to Morals (1929)61, où il dis­ cute longuement des angoisses métaphysiques que génère l’incroyance dans le monde moderne. C’est un personnage relativement consensuel. Il défend l’Amérique des petits (patrons) et se montre sensible au sort des plus démunis qu’il a découvert un peu par hasard lorsqu’étudiant à Harvard, il a été amené à prêter mainforte à des pompiers luttant contre un incendie ravageant le quartier pauvre de Boston. Sa moralité politique, c’est celle du juste milieu : il n’est ni vraiment Démocrate, ni vraiment Républicain. Dès lors, ses prises de positions successives, parce qu’elles l’ont conduit à soutenir des gouvernements d’orientations différentes, lui garantissent une forme d’ob­ jectivité. Embarrassé, un fonctionnaire du f b i chargé d’éta­ blir un rapport sur son compte ne peut que constater le long chemin parcouru depuis l’époque du Harvard Socialist Club, sans toutefois parvenir à trancher : pour certains, Lippmann serait fidèle aux conceptions réformatrices de sa jeunesse, tandis que pour d’autres, il ne ferait que badigeonner d’un vocabulaire de gauche la « doctrine de porteurs de titres de créance »61. Quand il est question de politique, Walter Lippmann reste avant tout un moraliste. La Cité libre fait écho à A Preface to morals. C’est une entreprise de sociodicée tout comme la Cité de Dieu de saint Augustin était une théodicée : les lois de l’État libéral doivent gouverner le monde moderne, qui ne peut plus s’en remettre aux seules lois de Dieu et qui, s’il se conforme aux préceptes du néo-libéralisme, verra ses structures sociales justifiées. Walter Lippmann propose une

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morale du Bien, qui arbitre entre des « lignes de conduite » (libéralisme et collectivisme), l’une jugée vertueuse, l’autre contradictoire et dangereuse, ne s’appliquant pas qu’à un domaine spécial (l’économie), mais ayant des conséquences sur tous les pans de la vie humaine. Elle se double d’une morale individualiste d’État qui ne fait que borner l’action de la puissance publique « à l’administration d’une justice toute négative »63 : « L’État libéral doit être conçu comme une institution qui protège des droits égaux en rendant la justice entre les individus. Il s’efforce de protéger les hom­ mes contre l’arbitraire et non pas de les diriger arbitraire­ ment64. » L’articulation entre libéralisme et morale a bien quelque justification d’ordre théorique : le libéralisme suppose une société d’individus autorégulée, potentiellement autodestruc­ trice si les activités lucratives exacerbent les passions indivi­ duelles au lieu de les compenser65 : « Le libéralisme exige la morale comme tout autre système qui ne comporte pas une étroite dictature. Étant un régime de contrats, il implique le respect des engagements. Le dilemme est inévitable : ou morale ou contrainte66. » Il s’agit donc de modérer l’intérêt par la morale pour que le règne de l’intérêt soit aussi celui de la vertu. Mais poser le problème en termes moraux n’est évidemment pas neutre. Cela permet d’imputer des respon­ sabilités, de passer du registre matériel (où l’échec du libéra­ lisme est aux yeux de beaucoup patent) au plan symbolique, d’analyser la crise comme une forme de confusion mentale, avant de spécifier son origine : la confusion « s’est peu à peu emparée de l’esprit des masses et des intellectuels »67. Dans l’économie de la morale que propose le néo-libéralisme naissant, il y a ce qui est immoral, les abus du capitalisme financier68, ce qui est amoral, les masses grégaires manipulées

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par des intellectuels malhonnêtes, et finalement une élite qui, seule, peut rééduquer ces déviants. Cosmopolitisme et construction en réseaux Les thèses de Walter Lippmann sur le libéralisme rénové et le totalitarisme se diffusent d’autant plus vite que l’avè­ nement du fascisme, du nazisme et du franquisme contraint à l’exil certains des porte-parole les plus en vue du libéra­ lisme, tandis que dans les pays demeurés des démocraties libérales, il nourrit l’angoisse d’une guerre imminente. Le néo-libéralisme compte plusieurs foyers durant les années 1930 : une école allemande d’abord, dont Walter Eucken et Wilhelm Röpke sont les figures de proue et qui, après la Seconde Guerre mondiale, bâtit ce que l’on appelle « l’Éco­ nomie sociale de marché »69 ; une école anglaise, localisée à la London School o f Economies où enseignent Friedrich Hayek et Lionel Robbins et qui, durant les années 1930, devient le théâtre d’affrontements verbaux entre keynésiens et libéraux70; une école autrichienne, dominée par Ludwig von Mises, maître de Hayek, qui anime durant de longues années à Vienne un séminaire privé auquel ont participé Oscar Morgenstern, Alfred Schütz et bien d’autres ; une école américaine enfin, l’École de Chicago fondée par Frank H. Knight, non représentée lors du Colloque Lippmann mais la plus célèbre aujourd’hui, parce qu’elle est devenue une véritable pépinière de Prix Nobel en économie. S’en tenir à un découpage géographique n’aurait cependant guère de sens. D’une part, un grand nombre de représentants des écoles autrichienne et allemande sont en exil durant les années 193071. D’autre part, la circulation des idées libérales n’obéit pas à une logique du type exportation/importation. L’international précède ici le national.

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Ce que Marcel Mauss rappelle à propos du prophétisme religieux (« c’est dans des milieux déjà cosmopolites que le cosmopolitisme religieux fut fondé >>72) vaut aussi pour les univers économiques ou politiques. Qu’il trouve son origine dans l’appartenance à la grande bourgeoisie (vacances en famille à l’étranger, voyages d’études, missions confiées par de grands organismes publics ou privés) ou qu’il soit imposé, selon des degrés divers, par le contexte politique (cas de ceux qui fuient les régimes franquiste, fasciste et nazi pour échapper à la terreur intellectuelle ou à la haine raciale), le cosmopolitisme reste le plus petit dénominateur commun aux participants du Colloque Lippmann : onze ne vivent pas dans leur pays d’origine, dont six pour des raisons politiques, huit ont passé toute ou partie de leur scolarité à l’étranger, la plupart sont polyglottes. Se mêlent ainsi dirigeants d’or­ ganisations financières ou philanthropiques internationa­ les, patrons de stature mondiale, universitaires formés en partie hors de leur pays d’origine et hommes de relations économiques internationales. Chez certains, le cosmopoli­ tisme confine au style de vie. Ainsi l’économiste John Bell Condliffe a-t-il grandi et étudié en Nouvelle-Zélande avant de rejoindre Cambridge, puis d’être chercheur à Hawaï, d’enseigner à l’université du Michigan, d’entrer au service de documentation économique de la s d n (1931-1937), de s’installer à Londres et de retourner aux États-Unis en 1939. Parmi les intellectuels invités au Colloque Lippmann73, beaucoup ont cependant subi de plein fouet crise du capi­ talisme et crise des démocraties libérales : les antifascistes italiens Luigi Einaudi, Francesco Nitti et Umberto Ricci ; les exilés espagnols José Castillejo et José Ortega y Gasset ; l’allemand Wilhelm Röpke, antinazi qui, démis de son poste à l’université de Marburg, est devenu professeur à Genève

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après un passage par la Turquie ; l’Autrichien Ludwig von Mises, économiste de la Chambre de commerce de Vienne, installé en Suisse après l’Anschluß. Lors du Colloque, les Italiens n’ont pu venir, de même que l’espagnol José Ortega y Gasset. D’autres exilés les remplacent au pied levé : Michael Polanyi (frère de Karl), chimiste et épistémologue qui quitte Berlin pour Londres en 1933 ; Stefan Possony, autrichien un temps agent tchèque, spécialiste de l’économie de guerre qui œuvre pour la défense française ; Alexander Rüstow, écono­ miste allemand et ami de Röpke, qui enseigne à l’université d’Istanbul ; Alfred Schütz enfin, banquier et sociologue, qui profite d’un séjour commercial à Paris pour fuir l’Autriche avant d’émigrer aux États-Unis. La circulation des idées néo-libérales doit beaucoup aux formes de solidarité qui existent au sein des communautés d’exilés et vis-à-vis d’elles, notamment de la part d’universi­ taires dont le milieu est de longue date tourné vers l’interna­ tional. Une part significative des échanges épistolaires entre les participants du Colloque Lippmann est ainsi consacrée aux problèmes internationaux et aux difficultés concrètes auxquelles certains sont confrontés. Sur le plan matériel, cette solidarité bénéficie des subsides qu’offrent des orga­ nismes philanthropiques pour fuir les régimes totalitaires, comme la Fondation Rockefeller74. Plusieurs des invités au Colloque Lippmann travaillent pour cette organisation : Tracy B. Kittredge, responsable de la division sciences socia­ les du bureau de Paris, Charles Rist, Luigi Einaudi ou Johan Huizinga qui officient comme conseillers pour le recrute­ ment des boursiers Rockefeller. Si aucun d’entre eux ne se joint finalement au Colloque, Kittredge et Rist participent aux activités du Centre international d’études pour la réno­ vation du libéralisme né à sa suite.

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Le cosmopolitisme favorise des rapprochements idéolo­ giques (le refus du totalitarisme, notamment) et nourrit un projet politique : le fédéralisme européen qui reste longtemps l’un des combats les plus chers aux néo-libéraux. Dès la fin des années 1930, Friedrich Hayek, Louis Rougier ou encore Auguste Detœuf s’investissent dans des mouvements militant en faveur de la constitution d’une fédération franco-britan­ nique comme Federal Union, « une organisation pluraliste, regroupant toutes les nuances fédéralistes, du fédéralisme mondial au fédéralisme intégral »75. Du cosmopolitisme découle également ce sans quoi la diffusion du néo-libéra­ lisme serait impossible : la permanence du groupe au-delà des frontières à un moment où les rivalités entre nations sont exacerbées, et la désignation de chacun de ses membres en gardiens des limites nationales (au sens de territoriales) du groupe, selon un principe de division du travail qui fait des « nœuds » du réseau les détenteurs d’une légitimité à dire qui peut ou non en faire partie. Ainsi de Louis Rougier en France, de Friedrich Hayek en Grande-Bretagne ou de Wilhelm Röpke et William Rappard en Suisse. Des lieux de sociabilité internationaux La reproduction de ce capital social international et sa démultiplication sont assurées par un ensemble d’institu­ tions qui, si elles n’ont pas pour vocation de propager le néo-libéralisme, permettent cette « harmonie non prééta­ blie, ce concert non concerté » que Louis Rougier croit pouvoir placer au fondement du Colloque Lippmann76. Les néo-libéraux disposent en effet dès les années 1930 de lieux qui, par leur fonctionnement, rendent possible la sélection d’individus suffisamment homogènes sur le plan idéologique. 113

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Quand ils sont économistes, ils ont pour la plupart fré­ quenté les réunions annuelles du Congrès des économistes de langue française, organisation qui fonctionne grâce à une cooptation très sélective. Les économistes qu’il associe, français et étrangers (principalement belges et suisses), sont également liés par des revues (Revue d’économie politique de Paris, Revue économique internationale de Liège) et des appartenances croisées à des sociétés de pensée (Société d’économie politique de France et de Belgique par exemple). Autre institution importante, la Chambre de commerce internationale, organisation privée inaugurée en 1920, qui compte en 1938 des adhérents dans 51 pays. Ce lobby patro­ nal n’a théoriquement pas d’objectifs politiques, mais son recrutement et son objet font de lui l’une des institutions qui promeut avec le plus de continuité le libéralisme sur le plan national et international : « Libertés économiques indispensa­ bles au jeu des initiatives créatrices, [...] stabilité et [...] sécurité des affaires, [...] confiance, source de progrès technique et de paix »77 ; « accès aux matières premières, retour au commerce multilatéral, abolition progressive des contingentements, sup­ pression progressive du contrôle des changes78. » Quant à la théorisation du néo-libéralisme, elle s’effectue surtout dans certains lieux importants de la vie politique et intellectuelle genevoise et en particulier l’Institut uni­ versitaire des hautes études internationales ( i u h e i ). Fondé en 1927 avec les soutiens de l’université, du canton et de la ville de Genève, financé par la Fondation Rockefeller, I’i u h e i fonctionne comme la véritable plaque tournante du néo-libéralisme dans les années 1930. Deux raisons à cela : sa proximité avec la Société des Nations (William Rappard, à la tête de l’Institut, représente la Suisse au sein de l’assem­ blée de la s d n ) et sa politique de recrutement. Comme le

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dit ironiquement son directeur, c’est à Mussolini et à Hitler que I’i u h e i « doit » la qualité de son corps enseignant79 : non seulement le théoricien du droit autrichien Hans Kelsen et Thistorien italien Guglielmo Ferrero, mais aussi pour les réseaux de production et de diffusion du néo-libéralisme, Ludwig von Mises, Wilhelm Röpke ou le jeune Polonais Michael Heilperin. Autant d’éléments qui permettent à cette institution, qui fait également appel à des professeurs invités, de maintenir les relations entre les différentes composantes du néo-libéralisme naissant : allemand, britannique, autri­ chien, suisse et même français puisque Louis Rougier pro­ nonce des conférences à l’Institut en 1935 et 1937. Alors que la guerre semble inéluctable, la tenue du Colloque Walter Lippmann évoque une atmosphère de fin de règne : celui d’une bourgeoisie intellectuelle cosmopolite qui voit s’effondrer le monde de la « cité libre », celui d’une bourgeoisie industrielle dont le pouvoir est plus ou moins violemment contesté (lors du Front populaire par exemple), celui d’une bourgeoisie financière attachée à un équilibre des puissances internationales en train de s’effriter. Bref, c’est le modèle de la Société des Nations dans ses aspects politiques et économiques qui se disloque80. Il semble qu’à bien des égards l’économiste Pierre Dieterlen ait vu juste lorsqu’il lie rétrospectivement la naissance du néo-libéralisme à un phéno­ mène de peur collective. « Cette peur, l’actualité la légitimait : tension internationale portée à son comble par l’affaire des Sudètes [...], séquelles de la grande dépression et son souvenir encore vivace ; [...] les théories de la maturité qui battaient leur plein ; l’inquiétude provoquée par l’expérience Roosevelt non encore muée en confortable sévérité. L’échec du “bloc or” et les dévaluations en cascade donnaient à réfléchir. Pour tout dire, le libéralisme avait mauvaise conscience81. »

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Le Colloque Walter Lippmann : le moment fondateur Si le Colloque Lippmann marque un tournant dans l’histoire du libéralisme, son organisation a été quelque peu improvisée. Une chance pour Louis Rougier, Walter Lippmann voyage beaucoup et souvent en Europe. Lorsqu’il arrive à Paris en juin 1938 pour un séjour de trois mois, il ne se doute pas des espoirs que suscite sa venue. Revenant d’Italie, il loue avec sa femme un appartement aux abords de l’île Saint-Louis, donne des conférences, se rend pour quelques jours à Genève et participe à des cérémonies offi­ cielles82. Du dîner mondain au colloque savant Apprenant l’arrivée imminente de Walter Lippmann, Louis Rougier a entamé la préparation du Colloque fin mai. À l’origine, il ne s’agissait que d’organiser un dîner pour célébrer l’auteur de La Cité libre. Un curieux dîner toute­ fois : à certains confrères, comme le suisse William Rappard, Louis Rougier fait miroiter une rencontre entre intellectuels de premier plan. Autour de Walter Lippmann doivent pren­ dre place son préfacier français, André Maurois, qui vient d’entrer à l’Académie française, les économistes Bernard Lavergne et Jacques Rueff, l’un des trustees de la Fondation Rockefeller, Tracy B. Kittredge, ainsi qu’un professeur du Collège de France, André Siegfried83. À d’autres, dont Walter Lippmann, Louis Rougier n’adresse pas la même liste de convi­ ves. Il évoque bien André Maurois et certains « collègues de la Faculté de droit », mais ajoute les noms de Paul Baudouin, directeur de la Banque d’Indochine, et de Marcel Bourgeois, « commanditaire des Éditions de Médicis » qui ont publié La Cité libre94. Très marqués à droite, tous deux auraient

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financé des mouvements fascistes comme le Parti populaire français ( p p f ) de Jacques Doriot. Walter Lippmann, qui n’a jusqu’alors rencontré Louis Rougier qu’une seule fois - à Genève en compagnie de Ludwig von Mises, William Rappard et Wilhelm Röpke -, devient méfiant85. Bien que Friedrich Hayek lui ait dépeint son interlocuteur français comme « un distingué philosophe » « très respecté pour ses travaux sur les problèmes épistémologiques »86, il comprend qu’au menu les discussions intellectuelles ne tiendront lieu que de horsd’œuvre. Dans une lettre adressée au directeur de I’i u h e i , Louis Rougier ne cache d’ailleurs pas son objectif : conduire « une croisade internationale en faveur du libéralisme constructif »87. Peut-être parce que Friedrich Hayek et Ludwig von Mises sont aussi de la partie, Walter Lippmann se laisse convaincre de participer à « un colloque restreint et fermé, pour discuter les thèses maîtresses de [son livre] ». Ce colloque aurait dû n’être qu’une répétition générale « en vue d’organiser un Congrès international en 1939 sur les mêmes sujets »88. Guerre oblige, ce congrès n’a jamais lieu, même si deux colloques prolongent les efforts de l’été 1938 : l’un consacré les 9 et 10 juillet 1939 au « statut éco­ nomique, politique et spirituel de l’Europe de demain » ; l’autre portant les 13 et 14 avril 1940 sur « les conditions économiques d’une future fédération de l’Angleterre et de la France »89. Le Colloque Lippmann se tient du 26 août au 30 août dans les locaux de l’Institut international de coopération intellectuelle, organisme lié à la Société des Nations qui préfigure l’actuel u n e s c o . On ne pouvait rêver mieux pour une rencontre entre universitaires, patrons et hauts fonctionnaires : 2 rue Montpensier, à mi-chemin entre la

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Bibliothèque nationale (rue de Richelieu) et le ministère des Finances (rue de Rivoli), à deux pas du Conseil national économique et du Conseil d’État, non loin de la Bourse. Tous les participants ont été triés sur le volet. Le théoricien marxiste Rudolf Hilferding et l’ancien ministre socialiste Charles Spinasse qui souhaitaient assister aux débats sont ainsi prestement écartés, au motif qu’ils « furent (sic) des hommes politiques »90. Outre un important contingent d’universitaires et d’intellectuels étrangers91, prennent part à la réunion des économistes (Louis Baudin et Bernard Lavergne), des entrepreneurs influents (Auguste Detoeuf, Ernest Mercier, Louis Marlio), des hauts fonctionnaires (Jacques Rueff et Roger Auboin), de jeunes universitaires proches de Charles Rist (Raymond Aron, Étienne Mantoux, Robert Marjolin, André Piatier) et le maître d’œuvre des Éditions de Médicis (Marcel Bourgeois). Les congressistes ont pour seule consigne un programme de lectures : La Cité libre de Walter Lippmann, Le Socialisme de Ludwig von Mises ainsi que subsidiairement « la fin du libéralisme » d’Auguste Detœuf et Révision de valeurs de Marcel van Zeeland92. L’ordre du jour a été élaboré par Louis Rougier, révisé par Walter Lippmann, Friedrich Hayek et Wilhelm Röpke. Après des allocutions d’ouverture de Louis Rougier et de Walter Lippmann, les discussions doivent se décliner autour de sept sujets : « Le déclin du libéralisme est-il dû à des causes endogènes ? », « le libéralisme et l’économie de guerre », « le libéralisme et le nationalisme économique », « le libéralisme et la question sociale », les « causes psy­ chologiques et sociologiques, [...] politiques et idéologiques du déclin du libéralisme », « l’agenda du libéralisme » et enfin, « les problèmes théoriques et pratiques du retour au libéralisme ».

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Affirmation et divisions d'une doctrine S’il y a bien accord sur l’objectif final, il ne règne pas durant le Colloque Walter Lippmann une atmosphère de consensus. Les débats ont parfois tendance à s’éterniser - Lippmann fait des croquis pour passer le temps - chaque thème abordé produisant de nouvelles lignes de clivages. Certaines sont classiques dans l’histoire du libéralisme économique : la liberté constitue-t-elle une fin (position défendue par Étienne Mantoux et Louis Rougier) ou un moyen (Louis Baudin, Robert Marjolin) ? Le libéralisme n’est-il que l’application rigoureuse des lois de la science économique (Louis Marlio) ou une idéologie qui en vaut une autre (Robert Marjolin) ? Le libéralisme doit-il tenir compte d’une exigence de sécurité sociale (Louis Rougier, Walter Lippmann) ou peut-il très bien s’en passer (Jacques Rueff) ? À plusieurs reprises, de franches oppositions se révèlent : lorsqu’il est question de la concentration industrielle que critiquent les économistes universitaires, au nom du marché et de la concurrence, tandis que les industriels néo-capitalis­ tes, Louis Marlio en tête, s’en font les défenseurs ; à propos de la monnaie, que Jacques Rueff ou Louis Baudin ne sont pas prêts à voir « dirigée » alors que Walter Lippmann le prône ; quand, enfin, le statut légal des sociétés anonymes est contesté par l’éditorialiste américain. Les bailleurs de fonds du Colloque Lippmann n’iraient pas jusqu’à scier la branche sur laquelle ils sont assis : Louis Marlio apparaît huit fois dans l’annuaire des sociétés anonymes de 1939, Auguste Detœuf, neuf, et Ernest Mercier, dix-huit93. Le néo-libéralisme ne forme pas un bloc. Même le nom de la doctrine pose problème : Louis Baudin préfère se reven­ diquer de « l’individualisme », auquel Louis Rougier répli­ que par le « libéralisme positif », tandis que Jacques Rueff

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concède, du bout des lèvres, un « libéralisme de gauche ». Le terme « néo-libéralisme » ne se banalise réellement qu’après le Colloque pour des raisons moins doctrinales que stratégiques : « Le mot de “néo” et celui de “rénovation”, déclare Louis Marlio, nous [...] distinguent d’un certain nombre d’auteurs dont nous n’avons pas adopté toutes les théories et toutes les objections pratiques, sociales ou autres à l’égard d’interventions [étatiques] qui sont acceptées par beaucoup d’entre nous comme des choses parfaitement nor­ males. Pour ceux qui le savent, [...] le mot de “néo” n’est peut-être pas indispensable, mais pour ceux qui ne le savent pas il est tout à fait utile94. » Bref, se qualifier de « néo-libé­ ral » c’est reconnaître qu’il ne suffit pas de laisser faire pour que le marché fonctionne et du même coup, revendiquer au nom du libéralisme une politique économique. Dès lors, plusieurs commentateurs ont pu relever l’exis­ tence de deux groupes au sein des congressistes de 1938. D’un côté, « ceux pour qui le néo-libéralisme est foncière­ ment différent, dans son esprit et son programme, du libé­ ralisme traditionnel »95 (Louis Rougier, Auguste Detœuf, Louis Marlio, Wilhelm Röpke, Alexandre Rüstow) et de l’autre, le « vieux libéralisme » qu’incarneraient Louis Baudin, Jacques Rueff et les membres de l’École autri­ chienne. Certains des participants l’assument pleinement, tel Alexandre Rüstow qui, agacé par les piques que lui lance Ludwig von Mises, n’y va pas par quatre chemins : « Il est indéniable qu’ici, dans notre cercle, deux points de vue dif­ férents sont représentés. Les uns ne trouvent rien d’essentiel à critiquer ou à changer au libéralisme traditionnel [...]. Nous autres nous cherchons la responsabilité du déclin du libéralisme dans le libéralisme lui-même ; et par conséquent, nous cherchons l’issue dans un renouvellement fondamental

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du libéralisme96. » En public, Rüstow respecte les règles de la bienséance universitaire, mais en privé, il confesse à Wilhelm Röpke tout le mal qu’il pense de Friedrich Hayek et de Ludwig von Mises : leur place est au musée, dans le formol. Les gens de leur espèce sont responsables de la grande crise du xxe siècle97. Si les cartes sont encore quelque peu brouillées, certains des conflits qui émaillent par la suite l’histoire du néo-libéralisme se dessinent d’ores et déjà : celui entre « l’ordo-libéralisme » allemand et le néo-libéralisme radical, entre l’acceptation de l’interventionnisme étatique et son rejet, entre les parti­ sans d’une politique libérale volontariste et les nostalgiques du laissez-faire. Le Colloque Lippmann n’en constitue pas moins une double rupture dans l’histoire du libéralisme éco­ nomique. Sur le plan doctrinal, il se conclut par l’adoption unanime d’un manifeste, « l’Agenda du libéralisme », qui énonce plusieurs principes contraires au libéralisme classique. En premier lieu, il octroie à l’État un rôle de régulateur juridique : « C’est à l’État qu’incombe la responsabilité de déterminer le régime juridique qui sert de cadre au libre développement des activités économiques. » En second lieu, il élargit les attributions que les libéraux lui concèdent classi­ quement : un État libéral « peut et doit percevoir par l’impôt une partie du revenu national et en consacrer le montant au financement collectif de 1° la défense nationale 2° les assu­ rances sociales 3° les services sociaux 4° l’enseignement 5° la recherche scientifique ». En troisième lieu, il reconnaît plus largement à l’État un droit d’intervention car : « A. [...] les prix du marché sont affectés par le régime de la propriété et des contrats. B. [...] l’utilité maxima est un bien social, mais n’est pas nécessairement le seul qui doive être recherché.

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C. [...] même lorsque la production est régie par le mécanisme des prix, les sacrifices qu’implique le fonctionne­ ment du système peuvent être mis à la charge de la collec­ tivité.98 » L’« Agenda du libéralisme » de Walter Lippmann permet ainsi de préciser certains des postulats du néo-libéralisme : le recours au mécanisme des prix comme principe organi­ sateur de l’activité économique ; la responsabilité juridique de l’État pour instaurer un cadre marchand ; la nécessité du libéralisme politique pour établir les lois ; la possibilité pour un régime libéral de poursuivre des fins sociales et de prélever dans ce but une partie de la richesse nationale par l’impôt. Les tenants du néo-libéralisme veulent un État qui instaure et protège l’ordre concurrentiel. L’embryon d ’une internationale La seconde rupture qu’introduit le Colloque Walter Lippmann est la naissance d’une organisation pour pro­ mouvoir la doctrine nouvelle : le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme ( c i r l ). Société savante et groupe militant, il se donne pour objet « de re­ chercher, de déterminer et de faire connaître en quoi les principes fondamentaux du libéralisme [...] permettent à l’encontre des directives des économies planifiées, d’assurer aux hommes le maximum de satisfaction de leurs besoins et à la société les conditions nécessaires de son équilibre et de sa durée »". Plusieurs directions de recherche ont d’em­ blée été retenues lors du Colloque Lippmann : les formes d’intervention des pouvoirs publics compatibles avec le mécanisme des prix, les rapports entre économie libérale et économie de guerre, les fonctions et les structures de l’État libéral, les relations économiques internationales

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entre pays libéraux, l’attitude des États libéraux vis-à-vis des États totalitaires, les problèmes liés à la « résorption » des économies totalitaires et enfin, l’éducation libérale des élites et des masses100. Contrairement à ce qu’affirment certains travaux qui mentionnent son existence, le c i r l n’est pas mort-né101. Officiellement inauguré devant un parterre de personnalités en mars 1939, il devait accueillir pour cette seule année des exposés de Louis Marlio, président de l’organisation, Louis Rougier, son secrétaire général, Jacques Rueff, Louis Baudin, ou encore Étienne Mantoux, le premier Français à avoir pro­ posé un article de fond sur la Théorie générale de Keynes102, Robert Gibrat, l’un des animateurs d’X-Crise, et Robert Lacoste, secrétaire de la Fédération des fonctionnaires de la CGT et l’un des artisans de son plan103. Un certain nombre d’interventions n’ont pu avoir lieu : seules cinq ou six séan­ ces publiques se sont effectivement tenues au Musée Social, lorsque la guerre interrompt le programme des réunions104. Quant aux publications, si un unique Cahier du c i r l paraît (celui où sont reproduits les débats du Colloque Walter Lippmann), d’autres étaient en préparation. L’un d’eux - les épreuves étaient prêtes en juin 1940 - aurait dû contenir un texte de Friedrich Flayek, sobrement intitulé « La liberté et le système économique », première esquisse de l’un des bestsellers de l’histoire du libéralisme contemporain, La Route de la servitude'05. À la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’ancêtre de la Société du Mont-Pèlerin n’a d’international que le nom. Lors du Colloque Lippmann était pourtant prévue la mise en place de sections étrangères : aux États-Unis avec Walter Lippmann, en Angleterre avec Friedrich Flayek et en Suisse avec Wilhelm Röpke. Selon un tract diffusé en 1939, des

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centres se formeraient à Bâle, Bruxelles, Genève, Londres, aux États-Unis (Harvard, New York, Princeton, Washington) et d’autres seraient planifiés aux Pays-Bas, dans les États Scandinaves et en Amérique du Sud106. Mais si dans ces pays existent des groupes libéraux organisés, le c i r l ne s’est pas développé en tant que tel. Des problèmes matériels tempè­ rent les ardeurs de certains. Après avoir constaté le désordre provoqué par les accords de Munich, Walter Lippmann écrit ainsi à Louis Rougier qu’il ne lui est guère possible de trouver des fonds si les Européens ne prennent pas d’abord des initiatives107. D’autres expriment leur crainte de paraître clairement marqués dans le camp libéral. C’est le cas de Maurice Ansiaux, doyen de l’Université libre de Bruxelles108, ou du Norvégien Trygve J.B. Hoff, rédacteur en chef de Farmand, qui se dit prêt à mettre en place un Centre à Oslo mais souligne « que nous servirons la cause beaucoup mieux si nous ne nous lions pas officiellement avec un mouvement qui peut être - et qui sera - caractérisé comme un mouve­ ment politique »109. En tant que communauté internationale, le néo-libé­ ralisme n’est qu’en voie de formation à la fin des années 1930, même si Louis Rougier a acquis une certaine notoriété hors de France et que Gaëtan Pirou, auteur de Néo-libéra­ lisme, néo-corporatisme, néo-socialisme permet, grâce aux conférences qu’il donne à l’étranger, de faire connaître les débats du Colloque Walter Lippmann. En France, l’œuvre du journaliste américain dispose d’infatigables promoteurs. Auguste Detœuf, qui a fait de La Cité libre son livre de che­ vet, multiplie ainsi les réunions publiques pour proclamer sa conversion110. Certains de ses fidèles lui emboîtent le pas comme Boris Souvarine, l’ancien permanent de l’Interna­ tionale communiste devenu journaliste au Figaro, qui en

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décembre 1938 présente l’ouvrage de Lippmann à Radio Paris sous un jour très favorable111. Quelques années seule­ ment après que les thématiques de l’économie dirigée et du corporatisme se sont imposées, l’habileté de Louis Rougier aura ainsi été d’orchestrer une véritable croisade en faveur du libéralisme rénové, dans laquelle s’engagent des individus aux profils pour le moins différents.

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Une mobilisation éphémère Le néo-libéralisme est exemplaire de ces opérations de traduction et de démarquage qui confèrent à une doctrine un caractère syncrétique qu’elle ne possède pas nécessai­ rement à ses origines. Comme tous les biens culturels, les discours économiques sont toujours produits deux fois : par des auteurs d ’abord, socialement et historiquement situés dans une configuration idéologique donnée ; par des publics ensuite, qui se les approprient en y important leurs attentes spécifiques. On peut émettre l’hypothèse que dans un contexte tel que celui de la fin des années 1930, où s’observent une standardisation de l’offre en matière de doctrines économiques, en même temps qu’une porosité qui facilite les reconversions, la demande d’une rupture claire avec le désordre établi maximise le risque de compromis factices et de quiproquos intel­ lectuels. La genèse du néo-libéralisme doit beaucoup à deux phé­ nomènes qui n’obéissent pas à la même temporalité : la remise en cause du credo libéral dans le domaine de l’action publique, largement amorcée depuis le premier conflit mon­ dial ; la déconvenue de certaines doctrines concurrentes (en particulier, le planisme), liée à l’impossibilité pour le Front populaire de réformer en profondeur les structures de l’éco­ nomie. D’une certaine manière, le laissez-faire comme son principal rival semble disqualifié. Au prix d’un certain flou

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théorique, le néo-libéralisme parvient à amalgamer rénova­ teurs du libéralisme et déçus du planisme. Son institutionnalisation est d’abord l’œuvre d’un petit groupe mobilisé qui se constitue autour d’une maison d’édition, Les Éditions de la Librairie de Médicis, avant de se doter d’une organisation pour promouvoir la doctrine nouvelle : le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme. Ce club fédère la plupart des individus engagés dans la réhabilita­ tion du libéralisme à la fin des années 1930, ainsi que ceux qui animent le débat sur le libéralisme, à l’exclusion de la gauche communiste et des milieux fascisants. Il permet une confron­ tation réglée entre libéraux classiques, néo-libéraux et corpo­ ratistes anti-étatistes. Durant près d’un an, cette association politique se distingue ainsi dans l’univers politique français par son objet (la reformulation théorique du libéralisme économi­ que en vue d’une application pratique) et par les personnalités qui la composent : près de soixante-dix individus, souvent connus et consacrés, qui se recrutent principalement dans les champs économique et universitaire. Le néo-libéralisme rap­ proche des individus que tout semble opposer : économistes, hommes d’affaires, hauts fonctionnaires et même syndicalistes ouvriers, issus de la tendance réformiste de la c g t . La Seconde Guerre mondiale met brutalement fin à l’expérience. Certains entrent dans la Résistance ou rejoi­ gnent Londres, d’autres jouent un rôle important à Vichy, une minorité choisit de ne pas s’engager ou de s’exiler. La dislocation du groupe révèle tout autant ses ambivalences que l’étude de sa formation.

Une entreprise politique : Les Éditions de Médicis Si de nombreuses maisons d’édition publient pendant les années 1930 des ouvrages traitant de problèmes économiques, 128

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le libéralisme reste largement sous-représenté, contrairement à ses concurrents. Le « corporatisme » peut compter sur la collection les « Études corporatives » chez Dunod, sur les Éditions de la Fédération nationale catholique ou sur les Œuvres Françaises. Le « planisme » inspire les publications de l’Institut supérieur ouvrier de la cgt, celles des Éditions de l’État moderne, celles de la Librairie Valois. Le libéralisme économique ne dispose pas de maisons d’édition attitrées, à une exception près, la Société d’études et d’informations éco­ nomiques (seie), diffusant de courtes études et un Bulletin Quotidien. Cette source d’informations, sans véritable équi­ valent durant l’entre-deux-guerres, pâtit cependant de sa proximité avec le grand patronat1. Les plus « théoriciens » des libéraux ont donc recours soit à des éditeurs universitai­ res qui possèdent des collections spécialisées en économie, soit à des éditeurs généralistes. Il existe donc une position médiane à construire pour manifester l’existence du néo­ libéralisme en tant que courant de pensée. Un créneau à prendre C’est à cette fin que sont mises en place en juin 1937 les Éditions de la Librairie de Médicis - leur nom vient de la localisation de la librairie qui les abrite, sise 3 rue de Médicis à Paris. Jusqu’à leur disparition au milieu des années 1970, leur histoire se confond avec la trajectoire de leur directrice, l’une des rares femmes à avoir été membre de la Société du Mont-Pèlerin. Âgée de seulement 31 ans lors de leur fonda­ tion, Marie-Thérèse Génin dispose, malgré sa jeunesse, de compétences politiques et éditoriales ainsi que de relations dans le monde patronal. Autant d’éléments sans lesquels une femme, issue de la moyenne bourgeoisie provinciale (son père, ingénieur des arts et métiers, était inspecteur des

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chemins de fer à Nancy) aurait peu de chance de parvenir à la tête d’une maison d’édition dans un univers très masculin, où les structures artisanales fragilisées par la crise doivent faire face à de grandes entreprises modernes2. Originaire d’une famille catholique (ses deux tantes diri­ gent d’importants établissements d’enseignement privé) et diplômée du supérieur (licenciée ès lettres), Marie-Thérèse Génin a entamé sa carrière comme assistante d’hommes politiques de droite. Désiré Ferry, membre de la Ligue des patriotes, député de la Meurthe-et-Moselle (1919-1936), journaliste et directeur du quotidien La Liberté, lui confie ainsi la rédaction d’articles contre le Front populaire. Débute alors véritablement son engagement politique. Quittant Nancy pour Paris en 1937, Marie-Thérèse Génin trouve une place dans le « Bureau de documentation » que dirige Marcel Bourgeois. Cet industriel parisien, implanté dans l’Est, préside le Comité des industries chimiques de France. C’est surtout le secrétaire général de la c g p f 3. Installé au Vésinet dans la banlieue chic de Paris, son bureau de docu­ mentation diffuse un modeste périodique, la Documentation économique, politique, sociale (1936-1938) au ton volon­ tiers polémique. Ces petites brochures à la pagination fluctuante (de une à douze pages) sont viscéralement anticommunistes. Elles dénoncent les « provocations, violences et actes d’in­ timidation du Front populaire en France », rapportent des « scènes d’émeutes », des menées communistes contre des réunions politiques de partis d’extrême droite comme le Parti Populaire Français de Jacques Doriot ou le Parti Social Français du colonel de La Rocque4. La Documentation éco­ nomique politique et sociale va jusqu’à justifier les activités de la « Cagoule » (Comité secret d’action révolutionnaire

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qui préparait un coup d’État), tout en condamnant le recours à la violence : « Pour se défendre contre le péril communiste, les “cagoulards” réunissaient des armes. S’ils n’avaient que celles qu’on connaît, ils n’auraient pas été bien loin. On comprend que des Français se disent, en face des possibili­ tés d’action directe des communistes : nous laisserons-nous faire sans résister ? On comprend cette préoccupation5. » Quant aux options économiques et politiques du « journal » de Marcel Bourgeois, elles s’affichent clairement : les entre­ prises doivent faire des bénéfices, le syndicalisme de classe doit disparaître et se muer dans le monde agricole en corpo­ ratisme paysan6. Bref, les gouvernements nationaux doivent se substituer aux gouvernements de Front populaire. La fondation des Éditions de Médicis s’inscrit dans un contexte de radicalisation de certaines franges patronales qui vivent le Front populaire comme un cauchemar orches­ tré par des activistes, rythmé par des grèves sauvages et des occupations d’usine, s’achevant par une défaite : la négocia­ tion avec un gouvernement socialiste et des augmentations de salaires. Seule une petite minorité de patrons éclairés aura vu dans l’expérience de 1936 une « cure psychanalytique »7. Si la propagande du Bureau de documentation se destinait principalement aux classes moyennes et populaires (une série spéciale s’adresse aux syndicalistes ouvriers), les Éditions de Médicis ciblent un autre public. Marcel Bourgeois charge Marie-Thérèse Génin de créer une véritable maison d’édition afin « d’influencer les milieux intellectuels »8. L’objectif poli­ tique reste lui identique : contenir le marxisme et l’économie planifiée, montrer comment renouer avec le libéralisme éco­ nomique et politique qui a fait la grandeur du xixe siècle9. C’est en suivant le principe selon lequel « quand une restauration est faite dans les esprits, il ne s’écoule jamais

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très longtemps avant qu’elle n’apparaisse dans les faits »10 qu’ont été créées les Éditions de Médicis. Les masses étant jugées influençables, inconscientes et « fanatisées »u, le discours libéral doit avant tout circuler dans des cercles restreints, susceptibles de le mettre en pratique. Et c’est là qu’interviennent les intellectuels : « Un homme “intelligent”, explique rétrospectivement Marie-Thérèse Génin, sera tou­ jours attiré par un livre “intelligent”. [...] La première tâche de la propagande est de publier des livres d’auteurs connus. On ne doit jamais oublier que toutes les révolutions naissent ou se développent à cause d’un livre : [...] La Bible, Les Évangiles, Le Coran, Le Capital et, horresco referens. Mein Kampf12. » L’intellectualisme inspire largement la perspec­ tive adoptée : les transformations politiques, économiques et sociales auraient pour fondement des évolutions intellectuel­ les antérieures et pour accéder au pouvoir il s’agirait donc d’abord d’unifier les élites autour de quelques idées forces13. Cette stratégie - une forme de bolchevisme pour intellectuels conservateurs -, Ludwig von Mises en a fait une théorie à prétention sociologique : « Les masses ne pensent pas. [...] La direction spirituelle de l’humanité appartient au petit nombre d’hommes qui pensent par eux-mêmes ; ces hommes exercent d’abord leur action sur le cercle capable d’accueillir et de comprendre la pensée élaborée par d’autres ; par cette voie les idées se répandent dans les masses où elles se conden­ sent peu à peu pour former l’opinion publique du temps14. » Les Éditions de Médicis recrutent ainsi leurs auteurs parmi les savants et les intellectuels. Elles jouent sur un double registre : d’un côté, la compétence garantie des auteurs ; de l’autre, un propos qui n’est pas exclusivement scientifique. Une quarantaine de livres et brochures estampillés Médicis circulent entre 1937 et 1940. En sélectionnant pour

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Une m obüîsatkm éphémère

le compce de l’éditeur les auteurs, les ouvrages à traduire et leurs préfaciers, Louis Rougier devient l’un des inter­ médiaires incontournables pour mettre en place un réseau national et international de diffusion du néo-libéralisme. S’il conserve des prétentions académiques et envisage ainsi de republier certains classiques du libéralisme (comme Frédéric Basdat ou Benjamin Constant), il lui faut dans l’immédiat parer au plus pressé. Trois livres sur l’u sss15 et surtout des écrits d’économistes universitaires, ayant pour but de dis­ qualifier toute évolution v o s le dirigisme économique : Le Socialism e et Illusions du protectionnism e e t de Vautarde de Ludwig von Mises, Q uelques faux rem èdes à la dépres­ sion économ ique de Umberto Ricci, Le G uide à travers les panacées économ iques de Fritz Machhrp, La P olitique du pouvoir d ’achat devant les fa its d’André Piettre, La Crise e t ses rem èdes de Bernard Laveigne, L’Économ ie planifiée et l’O rdre international de Lionel Robbins, L’Économie dirigée en régim e collectiviste, livre collectif introduit et conclu par Friedrich Hayek. Parmi ces ouvrages, beaucoup n’ont d’autre objectif que de dénoncer l’inwrwMuinwnkmr étatique et le socia­ lisme. Dès lors, leur accueil est sans surprise. Le suocès les attend à l’Académie des sciences morales et politiques et à la Société d ’économie politique. Après plusieurs aimées de débats théoriques sur les mérites de l’économie dirigée et du corporatisme, Henri Trnchy dit son soulagement de voir paraître un ou vrage comme celui du Britannique Lionel Robbins, qui en finir avec la notion de plan : « Plan, ce vieux mot, s’est révélé étonnamment prolifique dans la Hnérature économique contemporaine. B a engendré planification, planisme, économie planifiée, qnrlqurs-uns disent même économie planée, ce qui dépasse scandaleusement les bornes du 03

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néologisme licite »16. Quand paraît Le Socialisme de Ludwig von Mises, Ernest Seillière salue « un considérable ouvrage qui envisage vraiment sous toutes ses faces le problème capi­ tal du temps présent »17. Dans le Journal des économistes, on juge ces mêmes livres comme étant les meilleurs que l’on puisse écrire sur les sujets qu’ils abordent : « L’ouvrage de M. von Mises détruit, et ce n’est pas son moindre mérite, les préjugés que la propagande socialiste répand dans le public pour empêcher qu’on accède à la connaissance impartiale de ses problèmes »18 ; « Le Pr. Robbins, en nous montrant les possibilités de rétablissement de la paix et de la prospérité, fait à la fois œuvre de technicien de grande classe et d’homme de bonne volonté »19. À la Société d’économie politique, on admire particulièrement le livre de Bernard Lavergne, l’un de ses membres, ainsi que celui de Fritz Machlup, « une excur­ sion critique et même ironique chez les fabricants d’idoles de notre temps »20. Voici enfin, selon Roger Picard, « la démonstration, très serrée et documentée de la supériorité de l’économie libérale sur tous les régimes qui cherchent à la remplacer »21. À l’opposé de ces éloges, X-Crise, pour qui Le Socialisme de Ludwig von Mises fourmille de « combats d’arrièregarde, vingt-cinq ans en arrière de la première ligne où progressent les chercheurs véritablement contemporains »n et les commentaires de Louis Vallon, qui constate dans le journal cégétiste Syndicats que si certaines des publications de la Librairie de Médicis constituent des oeuvres importan­ tes, d’autres « sont de vieilles chansons réactionnaires qui ont déjà bercé nos grands-pères »23. Reste qu’ils en parlent. La publication de ces ouvrages produit un effet de nombre, même si leur diffusion demeure souvent modeste (moins de mille exemplaires par livre).

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Doter le néo-libéralisme d’une maison d’édition, c’est déjà en partie l’institutionnaliser et surtout lui attacher des noms français et étrangers - attachement qui permet de donner une image collective à l’extérieur, mais que produit aussi le lien économique unissant un auteur à son éditeur. Pour la Société d’économie politique, « les tendances vers une renaissance du libéralisme prennent une forme de plus en plus agissante et concrète »24. Dans la Revue d’économie politique, on parle de la « campagne puissamment orches­ trée en vue de déclencher (...) une renaissance intellectuelle du libéralisme »25. Selon le syndicaliste Louis Vallon, « La Librairie de Médicis vient de publier en quelques mois à la suite les uns des autres, plusieurs livres qui attaquent à fond les thèses essentielles du socialisme, du syndicalisme, du col­ lectivisme et prônent l’instauration d’un libéralisme nouveau (...) n’en doutons pas, il faudra répondre et pour répondre ajuster les idées et renouveler la doctrine »2é. De nombreux articles associent le néo-libéralisme aux Éditions de Médicis et à leur dynamisme. Celui-ci ne tient pas seulement à l’action de Marie-Thérèse Génin ou de Louis Rougier. Plus qu’une maison d’édition, la Librairie de Médicis fonctionne à la manière d’un club où s’entrecroisent plusieurs mouvements militants. À l’intersection de deux groupes militants Deux groupes, de nature sociale et politique différentes, cohabitent au sein des Éditions de Médicis, chacun dispo­ sant de son périodique : Les Faits économiques et sociaux pour le premier et Civilisation pour le second. Rédigés par des économistes de la Faculté de droit, Les Faits économiques et sociaux (une grande feuille de format A3) « a pour but, selon son en-tête, de permettre aux universitaires

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et aux intellectuels les plus compétents d’exprimer en toute liberté leurs connaissances et leurs opinions ». Des opinions qui restent assez tranchées dans le domaine politique et social. Qu’ils soient catholiques, comme Louis Baudin et André Piettre, protestants, comme René Courtin et Bernard Lavergne, voire israélite mais formé au protestantisme social tel Roger Picard, les rédacteurs des Faits économiques et sociaux cherchent à concilier libéralisme et spiritualité. Pour ces libéraux qui exaltent l’autonomie de chacun, et pour qui des lois « objectives » et neutres, comme le mécanisme des prix, règlent les rapports entre les individus, l’ordre social préexiste à la volonté des hommes. Il est « le produit spontané de la dynamique sociale elle-même »27 voire le produit de Dieu28. Il s’agit de préserver cet ordre stable que les intérêts individuels concourent à reproduire en même temps qu’il s’impose à eux. Et dans ce but, il faut éduquer les masses, elles qui, aux dires de Ludwig von Mises, ont naturellement « un certain penchant pour la cruauté, la vindicte et même le sadisme »29. Politiquement, les auteurs des Faits économiques et sociaux viennent de traditions différentes, mais que des transformations inhérentes au fonctionnement du champ politique de l’entre-deux-guerres tendent à rapprocher. Face aux succès remportés à gauche par la thématique de l’éco­ nomie dirigée, les coopératistes Bernard Lavergne et Roger Picard se retrouvent aux côtés de libéraux classiques : René Courtin, qui dit être un « libéral extrémiste »30 ou Jean Lescure, bien que ce dernier affirme qu’il « ne s’agit pas de renflouer le libéralisme [mais] d’établir sur la ruine indubi­ table des anciens systèmes une science économique fondée sur l’observation et la raison »31. Quant à Louis Baudin, auteur de plusieurs articles dans Je suis partout, et à André Piettre,

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signataire en 1930 du manifeste de Réaction32, ils flirtent avec l’extrême droite catholique et maurrassienne. C’est l’opposition au Front populaire qui cimente le groupe. Dans les Faits économiques et sociaux, Léon Blum passe pour un apprenti « dictateur », ayant engagé de « fol­ les dépenses »33 au service de doctrines avec lesquelles « tant de bateleurs, industriels égoïstes, travailleurs illuminés, poli­ ticiens de profession ou économistes amateurs avaient pu si profondément égarer l’opinion »34. A contrario, le plan de Paul Reynaud, en revenant sur la réduction du temps de travail et en promettant la mobilisation des capacités pro­ ductives du pays, se caractériserait par sa « clairvoyance », son « courage civique », bref serait « sage » et même le seul espoir de la France35. Dénonciation du planisme, hymne au productivisme et à la stabilité de la monnaie forment ainsi le socle du libéralisme défendu par Les Faits économiques et sociaux, qui a de « néo-libéral », sa critique du capitalisme financier spéculatif - ennemi de « l’honnête profit » et de la « bienfaisante épargne »36 - ainsi que sa revendication d’un interventionnisme juridique, qu’incarne à sa manière la poli­ tique Daladier-Reynaud. Le second groupe militant présent aux Éditions de Médicis, le mouvement Civilisation, n’est pas, à proprement parler, libéral. Mais bien que son équipe rédactionnelle se compose principalement de représentants de l’extrême droite catholi­ que et monarchiste, des convergences existent dont témoigne la participation de certains des principaux tenants du néo­ libéralisme français des années 1930 : Louis Baudin, André Piettre et Louis Rougier. Civilisation a été lancée en avril 1938 par Jean de Fabrègues, transfuge de l’Action Française, avec le soutien du philosophe personnaliste Gabriel Marcel37. Cette revue défend un parti-

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pris spiritualiste : « Nous voulons [...] rendre à la pensée son rôle directeur dans l’histoire humaine et rappeler que son libre exercice et sa puissance créatrice sont à l’origine de toute dignité humaine, de tout progrès et de toute civilisation38. » Sa création illustre une inflexion d’une partie de la « Jeune droite » de l’entre-deux-guerres, souhaitant rompre avec l’ac­ tivisme de revues préexistantes et faire passer au premier plan les questions philosophiques et sociales. De Pierre Dominique de La République à l’historien néerlandais Johan Huizinga, en passant par André Joussain de la Ligue des contribua­ bles, Civilisation ouvre ainsi ses colonnes à des individus qui n’étaient pas jusqu’alors des familiers de cette mouvance catholique et nationaliste. La revue défend une ligne anti-tota­ litaire, même si elle fait parfois preuve d’ambiguïtés vis-à-vis du fascisme. Dans le domaine économique et social, les tradi­ tionalistes de Civilisation conservent d’ailleurs un faible pour le corporatisme : Louis Salleron se charge de la chronique de « sciences sociales », François Perroux donne des articles. Il est du reste l’auteur de la préface au Socialisme de Ludwig von Mises, « une contribution exceptionnelle à la critique du socialisme », selon ses propres termes39. Qu’il soit ou non compatible avec la théorie libérale, le corporatisme ne génère pas de véritables clivages. Néo-libé­ raux et traditionalistes ont en commun un même refus du socialisme, de l’étatisme et de la civilisation de masse et un attachement à un ordre social dominé par une élite intellec­ tuelle. Lorsque Civilisation publie en avril 1939 deux articles sur le libéralisme économique, chacun « exprimant une opi­ nion des plus autorisées des deux tendances en présence »40, les dissensions ne sont pas aussi grandes que l’on pourrait l’escompter. Le premier (« La légende du libéralisme ») four­ nit l’occasion à Louis Baudin de dénoncer la confusion entre

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individualisme et anarchisme, de poser le libéralisme comme l’antithèse du socialisme et surtout d’affirmer que cette doc­ trine respecte les enseignements de l’Église. Et dans le second (« Faut-il encore parler de libéralisme ? »), le théoricien du corporatisme agricole Louis Salleron doit bien reconnaître qu’en acceptant une part d’interventionnisme étatique, le néo-libéralisme fournit une théorie « extrêmement inté­ ressante en ce sens qu’elle semble bien marquer l’abandon définitif d’une philosophie générale [...] absolument incom­ patible avec la dignité humaine »41. Pour les néo-libéraux comme pour les traditionalistes, rien n’est plus important que « de chercher à discerner le mal essentiel, puis de rassembler contre lui toutes les forces disponibles, sans s’attacher aux mots et aux nuances. Or ce mal, c’est [...] le marxisme fondé sur le matérialisme et la lutte des classes »42. La place du mouvement Civilisation au sein des Éditions de Médicis reste modeste. Deux ouvrages émanant de ce groupe, l’un et l’autre préfacés par Gabriel Marcel, ont été publiés sur les 38 parus entre 1937 et 1940 : Incertitudes de Johan Huizinga, alliant pessimisme culturel et dénonciation des totalitarismes, et Diagnostics du « philosophe paysan » Gustave Thibon, livre-clé du discours communautaire vichyssois43. Les liens tissés entre économistes libéraux et spiri­ tualistes de droite informent néanmoins sur la nature du néo-libéralisme naissant. Aristocratisme et traditionalisme imprègnent la jeune doctrine qui valorise la fidélité aux élites et aux valeurs héritées du passé. Propagande intellectuelle et propagande patronale : sedif Si les Éditions de Médicis doivent leur dynamisme à l’activisme de certains auteurs, la popularité des ouvrages qu’elles éditent tient en partie à la division du travail qui 139

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s’est instaurée entre elle et le Groupement de défense des libertés économiques. Parce que l’économie constitue tout à la fois un instrument de connaissance et un enjeu de pou­ voir, le maintien d’une forme de solidarité entre les groupes sociaux qu’elle mobilise (enseignants, patrons, hommes politiques) suppose un travail de traduction. L’une des forces du dispositif mis en place à la fin des années 1930 réside dans la symbiose qui existe entre les Éditions de Médicis et une autre maison d’édition, sedif (Société d’études et de diffusion de l’idée française), créée en mars 1939 par Pierre Lhoste-Lachaume. sedif naît un peu par défaut, le délégué du Groupement de défense des libertés économiques souhaitant avant tout mettre sur pied un Conseil d’études économiques et sociales rassemblant des personnalités patronales, politiques et intel­ lectuelles. Quand son projet échoue, il se tourne vers l’édition, non sans avoir recruté au préalable Raoul Audouin, ancien étudiant en droit, histoire et langue, aujourd’hui connu pour ses traductions de Friedrich Hayek et d’Irving Kristol. À la fin des années 1930, leur maison d’édition a pour principale activité la diffusion d’un périodique, Réalisme économique. Journal bimensuel sous-titré « Contre l’idéologie planiste, pour la liberté dans l’Ordre », il s’adresse au patronat des petites et moyennes entreprises familiales, auquel il promet l’essentiel de l’information économique sous une forme « à la fois décortiquée, clarifiée et condensée »44. Dès 1937, Pierre Lhoste-Lachaume avait mûri son projet : pour frapper le lecteur, « la présentation typographique tiendrait plus de l’affiche que du journal »4S. Certaines phrases de Réalisme économique sont composées en caractères gras, certaines expressions en majuscules, d’autres soulignées ou en itali­ que. L’en-tête de Réalisme économique est particulièrement

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percutant. En haut à gauche, on peut lire : « Contre les ruineuses chimères du “planisme” collectivisant, de l’orga­ nisation bureaucratique, de “l’interventionnisme” étatique, de la sécurité fallacieuse. » Et à droite : « Pour la saine prospérité : la désintoxication du “dirigisme”, la tonique de la concurrence loyale, l’esprit d’entreprise et d’initiative, la responsabilité du risque. » La présentation reproduit ainsi le clivage politique traditionnel entre gauche et droite, entre partisans du socialisme et libéraux. Mais puisque c’est le bon sens qui commande d’être libéral, dans une colonne mala­ droitement intitulée « Tous les chemins mènent à Rome », se succèdent des citations qui, de Léon Blum à Joseph Goebbels, semblent vanter le libéralisme économique. Dans d’autres numéros, ce sont des petites phrases de patrons qui louent les vertus du marché ou d’auteurs certifiés du néo-libéralisme comme Louis Rougier ou Roger Picard. Des tableaux rappellent des données économiques fondamenta­ les (l’état de la production, par exemple), accompagnés de slogans simples comme « dirigisme = faillites ». Réalisme économique cherche à amener le lecteur à percevoir les faits uniquement selon l’alternative économie dirigée et totalita­ risme ou libéralisme économique et prospérité. Et comme dans les écrits de Louis Rougier, il s’agit également de couper une fraction des libéraux, « les bons » qui ne condamnent pas toutes les interventions de l’État des autres, « les mau­ vais », monopolistes46. Originalité de Réalisme économique, des suppléments accompagnent chaque livraison. Après une introduction de Lhoste-Lachaume, y sont donnés des extraits des œuvres des principaux auteurs se consacrant pendant les années 1930 à la rénovation du libéralisme47 ou des études sur le problème des ententes48. Ces digests d’ouvrages parus chez Médicis 141

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ou d’auteurs de l’équipe des Faits économiques et sociaux, « aussi courts et clairs que possible », entendent contribuer « à la formation d’une opinion publique libérale »49. Le passage d’un livre de Médicis vers sedif permet de diviser prix et nombre de caractères par dix, tandis que le tirage est multiplié dans la même proportion. À en croire certains articles parus dans la presse de droite, Réalisme économique serait ainsi le journal grâce auquel les rénovateurs du libéralisme auraient lancé « une offensive générale de grand style »50. La propagande du Groupement de défense des libertés économiques permet la diffusion du néo-libéralisme auprès de fractions patronales plus rétives que d’autres aux discours théoriques ou à prétention philo­ sophique. Le couple Médicis/SEDIF célèbre ainsi un curieux mariage d’intérêts entre universitaires réputés et petits patrons du textile. En juillet 1939, Pierre Lhoste-Lachaume pouvait se féliciter du travail accompli : « Maintenant le libéralisme revient à la mode, si j’ose m’exprimer ainsi. D’importants personnages en redécouvrent les bienfaits et les écrits les plus sérieux lui sont à nouveau consacrés. Nous pouvons d’ailleurs ajouter en toute objectivité que notre croisade de défense et de propagande a sa large part dans ce renversement de situation et dans ce retour aux sages conceptions des libertés économiques51. »

Associer théoriciens et praticiens de l’économie Cette « croisade » aboutie, c’est désormais au Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme de donner le ton. Bien qu’il en soit membre, Pierre LhosteLachaume contraste au sein de cette organisation. Comme X-Crise ou les Nouveaux Cahiers, mais en modèle réduit, le ciR L se veut l’un des lieux où s’évaluent et s’arbitrent hors de

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l’État les antagonismes entre différentes élites. Ce club vise à universaliser une vision du monde qui, défendue par des individus que sous certains rapports on tendrait à opposer, gagne en crédibilité. Il s’apparente à un « groupe consen­ suel »52 reproduisant en son sein une large gamme d’intérêts et de positions sociales. Si patrons rationalisateurs et écono­ mistes universitaires forment deux groupes en concurrence durant les années 1930, le cirl réussit la gageure de les rassembler autour d’une cause commune. Un recrutement élitiste La liste des adhérents et sympathisants du cirl semble directement extraite du Bottin Mondain ou de YAnnuaire de la Légion d ’Honneur. Ses fondateurs recherchent avant tout des adhésions « précieuses »S3 qu’ils peuvent mettre en avant. La majorité des adhérents appartient ainsi à la grande bourgeoisie, ce dont attestent entre autres des origines socia­ les élevées (père de profession intellectuelle, de profession libérale ou patron), des formations (Polytechnique et grands corps ou Faculté de droit et École libre des sciences politi­ ques), un niveau de diplôme rarement inférieur au doctorat, des activités professionnelles prestigieuses (du professeur de la faculté de droit de Paris au patron de stature internationa­ le) et des lieux de résidence (17 membres du cirl habitent le XVIe arrondissement). Le Centre compte dans ses rangs des individus célèbres et consacrés, collaborateurs de la grande presse quotidienne (André Siegfried au Figaro ou Joseph Barthélemy au Temps), parfois membres de hauts lieux de reconnaissance académique, comme l’Institut de France. Ces personnalités publiques écrivent dans de prestigieuses revues institutionnelles : la Revue bleue, de tradition libérale où s’expriment principalement des universitaires ; la Revue

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des deux mondes, influente au sein des élites conservatrices ; la Reime de Paris, plus littéraire et plus ouverte politique­ ment. Ils publient chez de grands éditeurs : Gallimard pour André Chaumeix et Auguste Detœuf, Flammarion pour Louis Marlio, Grasset pour Max Hermant, certains cumu­ lant les maisons d’éditions, comme André Siegfried édité par des institutions universitaires (Armand Colin) et des maisons généralistes (Gallimard, Flammarion, Grasset, CalmannLévy). La domiciliation du cirl au Musée social, rue Las Cases en plein cœur du VIIe arrondissement de Paris, en dit long sur l’identité du groupement. Sur le modèle de la structure qui l’abrite, il « a la prétention d’être indépendant », affirme que « son but est désintéressé »S4. Entreprise scientifique et philanthropique, le Musée social commandite des missions sur les problèmes sociaux, conserve des documents, forme une « sorte de réseau de réseaux »55 à la charnière d’une bourgeoisie économique cultivée et d’une bourgeoisie intel­ lectuelle qui s’est enrichie. Présidé par Louis Marlio, le cirl s’adresse implicitement à des entrepreneurs de la « seconde industrialisation », dif­ férents de leurs « aînés », souvent issus de familles d’affaires et exerçant leur activité dans la banque, la métallurgie ou le textile. Si l’ascendance est élevée dans l’ensemble, ce n’est pas la propriété du capital économique qui justifie la place de ces patrons. Beaucoup peuvent se targuer d’être diplômés du supérieur, voire surdiplômés, à une époque où le bacca­ lauréat constitue encore une épreuve extrêmement sélective scolairement et socialement. Parmi la vingtaine d’entrepre­ neurs ralliés à la cause néo-libérale, les polytechniciens prédominent, suivis par une forte minorité de juristes, deux cursus renvoyant à des aptitudes complémentaires dans le

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monde des affaires : la compétence technique et la compé­ tence administrative que les polytechniciens ont l’avantage de cumuler56. Quant à la présence de normaliens dans cet univers, elle rappelle le rôle que jouent à l’époque certains « intellectuels patronaux » ou « patrons intellectuels », l’un, André Chaumeix, étant le directeur de la Revue des deux mondes, et l’autre, Émile Mireaux, celui du Temps. Ces patrons versés dans la lecture de Walter Lippmann et de Ludwig von Mises n’ont pas grand-chose à voir avec la majorité des dirigeants d’entreprise de l’entre-deux-guerres. Très hiérarchisé, le patronat français compte alors près de 700 000 petites ou moyennes entreprises, parmi lesquel­ les bon nombre n’ont pas d’employés. Seules 430 sociétés anonymes dominent toutes les autres57. Les adhérents du ciRL font partie de cet univers fermé, connu au milieu des années 1930 sous le sobriquet des « Deux Cents familles », du nom des deux cents actionnaires de la Banque de France qui cumulent les sièges dans les conseils d’administration des plus puissantes entreprises. Les stratégies qui conduisent à administrer un nom­ bre élevé de sociétés sont irréductibles aux intérêts d’une entreprise, quelle qu’en soit la taille, d’un groupe ou d’une famille. Accusé sous l’Occupation par la presse collaborationniste d’être un chef de trust, Ernest Mercier ironise sur ce thème : « La difficulté principale que j’ai rencontrée dans ma vie industrielle n’a jamais consisté à obtenir mon entrée dans un conseil, ce que je n’ai jamais sollicité, mais à résister aux invites trop flatteuses, qui m’étaient faites pour y pénétrer58. » Dans une note qu’il adresse à son avocat, il classe ses participations en cinq catégories (il en reconnaît trente et une avant-guerre). La première comprend les dix entreprises du groupe Messine (électricité) qui forment « une

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coopérative de sociétés distributrices, groupées pour réaliser en commun, aux meilleures conditions, leur alimentation en énergie électrique, soit par des usines leur appartenant en propre, soit par des accords de fournitures passés avec des producteurs extérieurs ». La seconde dérive de la première : neuf « sociétés filiales et sociétés dans lesquelles le Groupe Messine possède des intérêts à divers titres ». La troisième (cinq entreprises dont l’Alsthom et le Crédit Commercial de France) correspond aux sociétés « où [Ernest Mercier] figure intuitu personae », tout comme la quatrième, qui regroupe des « affaires de pétrole » basées en Roumanie, pays où Ernest Mercier a des intérêts depuis la Première Guerre mondiale. Quant à la dernière, « une concentration verticale totale », elle concerne trois entreprises liées à la Compagnie Française des Pétroles, « le seul groupe d’affaires qui, de l’aveu d’Ernest Mercier, mériterait cette épithète de trust dont on désire [l’]accabler ». Si la situation de cet administrateur est exceptionnelle, elle témoigne des multiples formes de contrôles directes ou indirectes qu’exercent les unes sur les autres les grandes entreprises industrielles de l’époque. Leurs conseils tendent ainsi à devenir davantage que de simples lieux d’activité pro­ fessionnelle. Ils intègrent en réseaux des patrons de forma­ tions et de secteurs économiques très divers jusqu’à consti­ tuer, selon le mot d’Auguste Detœuf, 1’« une des manières les plus distinguées de perdre son temps »59. Ces membres de l’élite patronale ont bien des points communs, à commencer par des liens étroits noués avec l’État. Ils prennent leurs sources dans le passage de près de la moitié d’entre eux par les grands corps. Ils se sont affermis dans des fonctions d’experts ainsi que grâce à l’exercice de responsabilités plus directement politiques : la participation

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à des conférences intergouvemementales ou le passage par les cabinets ministériels, par exemple. Et pour leurs bons et loyaux services, ces patrons qui exercent souvent dans des secteurs stratégiques de l’industrie nationale se sont vus remettre les titres honorifiques les plus prestigieux : quatre arborent l’insigne de chevalier de la Légion d’honneur, onze celui d’officier ou de commandeur. Ce patronat d’État se caractérise ainsi par son haut niveau de formation, sa forte interconnexion et par des trajectoires placées sous le signe du public, au double sens de proximité avec les instances étatiques et de visibilité ou de prestige. C’est logiquement que l’on retrouve parmi ces entrepreneurs certains des plus influents industriels des années 1930 : des leaders de la cgpf, un peu en retrait depuis la signature des accords de Matignon, et des représentants de « l’aile mar­ chante » du patronat60 comme les animateurs des Nouveaux Cahiers. Les premiers (René-Paul Duchemin, Max Hermant, René Mayer) figurent au nombre des plus farouches parti­ sans de ce qu’au sein de la centrale patronale on appelle la « défense de la saine doctrine de la liberté », faite de libé­ ralisme et de cartellisation industrielle61. Les seconds, tels Auguste Detœuf et Guillaume de Tarde, cherchent à rénover le libéralisme par l’organisation professionnelle et le dialo­ gue avec les syndicalistes réformistes. Acteurs économiques de premier plan, leur libéralisme doit souvent peu aux seules spéculations théoriques. Ils recomposent le discours libéral en y important leurs prati­ ques (les ententes industrielles notamment), donnant ainsi à cette idéologie l’aspect d’une technique. Leur néo-libéralisme constitue « le schéma d’un art destiné à construire un ordre social »62. C’est une manière de gouverner les hommes et les entreprises en recourant à des instruments scientifiques,

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comme « la division du travail », qui ne fonctionne que grâce à « la spécialisation des aptitudes et la concentration des industries »63 en vue d’une fin, l’ordre et la stabilité sociale. Par son objet, rénover théoriquement le libéralisme avant d’en dégager un ensemble de solutions pratiques, le CIRL recrute largement au sein du monde académique. L’organisation issue du Colloque Lippmann a même béné­ ficié en ce domaine d’un véritable « effet de corps »64 : elle réunit de nombreux représentants de la discipline écono­ mique (dont 11 agrégés) ainsi que des juristes, des philoso­ phes, le titulaire de la chaire de géographie industrielle et commerciale du cnam. Les plus jeunes (Laurence Ballande, Robert Marjolin, Étienne Mantoux, André Piatier), docteurs ou thésards de la faculté de droit de Paris, travaillent pour l’Institut scientifique de recherches économiques et sociales de Charles Rist. Les cadets, politiquement marqués à droite voire à l’extrême droite, comme Louis Salleron ou André Piettre, officient dans l’enseignement supérieur catholique. Quant à la grande majorité, ils ont suivi une carrière clas­ sique, les menant de l’agrégation à l’enseignement en pro­ vince ou à la faculté de Paris, les plus consacrés donnant également des cours dans les écoles du pouvoir économique ou politique (Hautes études commerciales ou École libre des sciences politiques). Si bon nombre d’économistes universitaires participent aux activités du cirl, cela ne signifie pas pour autant qu’ils défendent comme un seul homme le point de vue néo-libéral. Le corporatiste François Perroux reste ainsi très critique, considérant que, même « néo », les libéraux « veulent conserver un langage, et défendre, sans révisionnisme, de vieilles frontières »6S. Grand spécialiste des doctrines

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économiques, Gaëtan Pirou n’est là qu’à titre d’observateur. Il écrit ainsi à Fritz Machlup, dont il refuse de préfacer Le Guide à travers les panacées économiques, qu’il « ne [croit] guère [...] à la possibilité de résoudre les problèmes actuels de politique économique par la thérapeutique libérale »66. Et quand il intervient à la suite de Jacques Rueff lors de la première séance de travail du cirl le 13 mars 1939, il main­ tient ce point de vue : accord sur « la partie théorique et technique » de l’exposé qui envisage les formes d’interven­ tions étatiques du point de vue de leur compatibilité avec le mécanisme des prix, désaccord quant à sa portée politique car des « considérations sociales ou nationales [...] peuvent légitimement réclamer des solutions non libérales d’inter­ vention, de fiscalité, de réglementation »67. Mais parce que certains des représentants les plus légitimes de l’économie universitaire, à commencer par Charles Rist ou les membres de l’équipe des Faits économiques et sociaux, sont acquis aux thèses libérales, le débat sur le néo-libéralisme ne peut être esquivé ni par leurs collègues, ni par les enseignants de disciplines connexes. Et c’est d’autant plus vrai que certains des adhérents du cirl, notamment parmi les plus jeunes, « doivent » une partie de leur carrière à leurs « maîtres ». Les universitaires néo-libéraux reviennent incessamment sur les valeurs économiques et politiques qui charpentent ce discours : il a permis le progrès de la civilisation, « un essor qui défie toute comparaison avec celui des siècles passés »68 ; il garantit la démocratie car « qui tue la liberté économique tue du même coup la liberté politique et inversement69 ». C’est ainsi au nom de la philosophie libérale qu’ils contestent les plaidoyers patronaux en faveur des ententes industrielles : elles menacent « l’individualisme comme source de progrès, par la liberté qu’il laisse à l’initiative personnelle »70. Il serait

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cependant caricatural de faire des universitaires libéraux de simples contemplateurs de la doctrine. Plusieurs ont joué un rôle d’expert et parfois de premier plan : Charles Rist a participé à la stabilisation du franc en 1926 et représenté la France dans de nombreuses conférences internationales sur les problèmes monétaires et financiers ; Gaston Jèze, autre membre du Comité des experts de 1926, a travaillé à la s d n (1935-1938) et conseillé le Négus. Même parmi les moins aguerris, André Piatier fréquente « professeurs, hommes d’État, hauts fonctionnaires des administrations financiè­ res et des instituts d’émission »71 dans le cadre de l’Institut international de finances publiques dont il est le secrétaire général. Ces économistes savent qu’il leur faut faire des compromis. L’État se doit d’intervenir « en deçà » du méca­ nisme des prix pour aménager le cadre légal approprié à son fonctionnement et « au-delà », pour pallier les conséquences de son libre jeu (assistance aux plus démunis)72. La politique économique peut ainsi trouver sa place. Si économistes universitaires et entrepreneurs de la secon­ de industrialisation s’accordent à promouvoir le néo-libé­ ralisme, c’est au nom de 1’« interventionnisme juridique » que prône Walter Lippmann. Du point de vue du patronat rationalisateur, il s’agit de limiter l’intervention de l’État à la définition d’un cadre réglementaire qui assure prévisibilité et information aux agents économiques. L’État doit concou­ rir à la réalisation des conditions de la concurrence pure et parfaite : « La raisonnable prévision exige en particulier l’intervention de l’État libéral pour assurer le maximum de régularité de la vie économique ; la justice exige son inter­ vention pour assurer la publicité et l’équité des contrats; l’ordre exige son autorité exercée par le moyen de sanctions et de récompenses »73. Les patrons néo-libéraux assument

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ainsi le fait que le libéralisme économique n’a pu historique­ ment avoir de traductions concrètes que grâce à une action politique74. En défendant le principe d’une économie orga­ nisée par les professions avec l’aide de l’État, ils plaident en fait pour un capitalisme rationnel. L’idée selon laquelle le libéralisme peut être corrigé dans ses excès par la législation fait également partie intégrante de la formation d’universitaires passés par la Faculté de droit et correspond à l’enseignement qu’ils dispensent. Les juristes et les juristes-économistes de la IIIe République jouent un rôle central dans la légitimation de l’État et des doctrines politiques par le droit, que ce soit en tant que formateurs des responsables politiques et administratifs, dans leur pratique de l’expertise ou, bien que le cas soit plus rare, par leurs engagements politiques75. Libéralisme et droit forment ainsi à leurs yeux un couple indissociable : « Un régime de liberté, écrit ainsi Louis Baudin, n’est concevable que si des lois lui permettent de se maintenir sinon nous avons affaire à une anarchie76. » L’accord entre néo-libéraux passe donc par une juridicisation du libéralisme, le marché étant compris comme une construction historique qui ne peut fonctionner que grâce à des règles. Pour les néo-libéraux, l’ordre social est un ordre indissociablement économique, politique et moral avec lequel il est nécessaire de renouer, en même temps qu’il faut mettre en place les dispositifs qui en garantissent le fonc­ tionnement. En tant qu’instance collective qui dispose d’un pouvoir de régulation sociale, concurrent de celui du mar­ ché et pensé comme non efficient, l’État se doit de créer des instruments juridiques qui assurent la pérennité de l’ordre marchand, et en premier lieu s’interdire juridiquement d’in­ tervenir de manière systématique. L’État doit se mettre au

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service de « l’Économie », car « des droits adaptés à une Économie donnée ne le sont point à une autre »71’. Les rénovateurs du libéralisme projettent ainsi les princi­ pes de l’idéologie économique dans l’univers politique tout en réintégrant l’État dans la théorie économique. C’est à lui que revient le rôle de lutter contre l’étatisme car « on ne peut [...] revenir d’une économie dirigée à une économie pro­ gressivement libérale que par un interventionnisme en sens contraire, ayant pour but le rétablissement de l’équilibre non contraint »78. L’État doit être le « gendarme du marché » et plus encore l’instituer. La crise du planisme Au nom de cette revalorisation de l’action étatique, le néo­ libéralisme circule à l’extérieur des cercles traditionnellement acquis au laissez-faire. Le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme se présente comme un « groupe d’action politique absolument en dehors des partis »79 et pratique de fait une forme d’œcuménisme contrôlé sur le plan intellectuel. Il n’écarte ni les corporatistes déclarés, ni les représentants de mouvements de classes moyennes, ni les militants d’organisations libérales concurrentes, à l’image de Pierre Lhoste-Lachaume ou de Hyacinthe Dubreuil, tous deux membres de la Ligue du libre-échange. En se démar­ quant du libéralisme le plus radical, le c i r l bénéficie en outre de la participation de militants CGT. Wilhelm Röpke peut chaleureusement féliciter Louis Rougier pour avoir « réussi à attirer les chefs du syndicalisme »80. Non seule­ ment une commission mixte libéraux-syndicalistes se met en place en mars 193 981 en liaison avec certains des dirigeants de la CGT (René Belin, Robert Lacoste, Christian Pineau et Louis Vallon), mais il est aussi « convenu que, lors des

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séances de travail [du cirl], l’exposé de base et la conduite des discussions reviendraient, à tour de rôle, à un libéral et à un socialiste »82. À l’exception de René Belin, les quelques « syndicalistes » qui se prêtent à l’exercice n’ont jamais été des militants de base. Fils de fonctionnaires et diplômés du supérieur, ces homologues des permanents patronaux conçoivent le syndi­ calisme sur le mode intellectuel comme une forme et un idéal d’action politique. Élevé dans la misère, René Belin a lui gravi toutes les étapes de la carrière syndicale jusqu’à accéder au Secrétariat national de la CGT en 1933. Ce « dauphin » de Léon Jouhaux, postier de profession, n’a pu « se cultiver dans le domaine économique et social » que grâce à son arri­ vée dans les organes de direction du syndicat ouvrier83. Mais qu’ils soient des intellectuels syndicaux ou des autodidactes, tous voient leur position au sein des instances dirigeantes de la CGT fragilisée par la montée en puissance des militants communistes. Deux tendances distinctes, mais qui se recoupent partiel­ lement, sont représentées au cirl. La première, Syndicats, réunit autour du journal du même nom des militants paci­ fistes et anticommunistes84. Ces grands perdants de la réuni­ fication syndicale cherchent à rassembler sous la houlette de René Belin les anciens de la cgt réformiste afin d’« organi­ ser une bataille globale décisive pouvant aboutir à la rupture avec les communistes »85. La seconde tendance, dite « cen­ triste », dont sont issus Christian Pineau (secrétaire de la sec­ tion fédérale de la Banque et de la Bourse) et Robert Lacoste (secrétaire de la Fédération des fonctionnaires), soutient la direction confédérale qui s’est alliée avec les communistes contre la non-intervention en Espagne86. Les uns ne concè­ dent rien aux communistes, les autres sont prêts à davantage

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de compromis. Pourtant, si les positionnements des deux tendances pouvaient être résumés de la sorte au milieu des années 1930, les choses sont d’autant plus confuses que l’on se rapproche de la Seconde Guerre mondiale. René Belin, qui se marginalise au sein du secrétariat de la CGT, considère lui-même que son action se borne alors « à des combats d’arrière-garde contre la grande manœuvre communiste de colonisation syndicale »87. Syndicats en est réduit à lancer en 1939 une grande campagne sur le thème du syndicalisme « constructif », fondé sur la coopération patrons/ouvriers, proche cousin sans doute du libéralisme et du socialisme « constructifs ». Quant à l’union du « courant » centriste avec les communistes, elle est largement affaire de circons­ tances. La majorité des « centristes », comme les membres de Syndicats, proclame ouvertement son réformisme et son opposition à une solution économique de type soviétique. Si le langage emprunte volontiers au vocabulaire de la radicalité politique, la modération l’emporte donc sur le fond. Devant un parterre de syndicalistes, Louis Vallon peut bien justifier les nationalisations au motif « d’abattre les formes cancéreuses du capitalisme féodal »88. Reste qu’il n’exclut pas le dialogue avec les patrons rationalisateurs qu’il fréquente à X-Crise ou aux Nouveaux Cahiers. Quant à Robert Lacoste, il fait valoir dans ces mêmes cénacles « modernisateurs » que la nationalisation, au sens de la cgt, ne signifie pas socialisation, ni expropriation ou spoliation mais « associe à la direction de l’industrie les représentants des producteurs (ouvriers et techniciens), ceux des consom­ mateurs et ceux des collectivités publiques ». « Elle respecte [...] les droits légitimes de l’épargne investie » et ne « touche nullement les activités économiques auxquelles s’adonnent essentiellement les classes moyennes »89.

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La participation de membres de ces deux courants aux activités du cirl témoigne autant de la désorganisation de la CGT que de l’état d’esprit d’une partie des milieux réfor­ mistes, qui doute de l’avenir de l’économie dirigée. Selon Louis Vallon, le Front populaire n’a tout simplement pas su avoir « la politique économique de sa politique sociale »90. Certains insistent sur le manque de personnel compétent pour mener à bien une transformation économique d’am­ pleur : « Avant de déclarer il faut tout nationaliser, il serait bon d’avoir sous la main les techniciens qui nous man­ quent91. » D’autres appellent à plus de « réalisme » : « Il est puéril de compter sur le rapatriement des capitaux et sur des investissements massifs. Il semble donc qu’on devra ou bien capituler, ou bien s’orienter dans une autre voie92. » La confrontation des théoriciens du planisme avec l’expérience du pouvoir a amené nombre d’entre eux à s’interroger sur la viabilité d’une économie dirigée en régime démocratique. Lorsque Pierre Laroque, ancien du groupe du 9 juillet et signataire de plusieurs articles dans L’Homme réel, feint de questionner Raymond Aron sur « la possibilité d’un vérita­ ble socialisme sans une dictature économique et politique totale »93, ni l’un ni l’autre n’y croient encore. Pour une partie des planistes, il s’agit avant tout de trou­ ver des soutiens extérieurs à une CGT divisée et en difficulté après l’échec de la grève générale du 30 novembre 193894. Car sur le fond, néo-libéraux et planistes de la cgt n’ont que peu de chose en commun. Quand dans une réunion du cirl Robert Lacoste souligne certains points d’accord avec Jacques Rueff, il se voit contredit par l’intéressé, Louis Marlio et Louis Rougier95. Dans un contexte de crise globale, alors que la cgt elle-même traverse une crise, les ambiguïtés du dis­ cours néo-libéral ne permettent un « curieux rapprochement

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d’idées jusqu’ici opposées »96, qu’à la condition de faire dire au néo-libéralisme ce qu’il ne dit pas. Lorsque par exemple l’agenda du libéralisme de Walter Lippmann énonce que « la détermination du régime légal constitue la méthode libérale de contrôle social », cela signifie selon Louis Vallon « que les trusts et cartels capitalistes ne sont pas au-dessus des lois, que leurs intérêts égoïstes ne sauraient légalement faire obstacle aux libres choix de la démocratie ». Bref, La Cité libre servirait la cause des nationalisations, ce que Walter Lippmann n’avait certainement pas imaginé. Le dis­ cours néo-libéral se révèle ainsi suffisamment malléable pour satisfaire les attentes politiques les plus divergentes. Un « curieux rapprochement d ’idées » Si davantage de publicité avait été donnée aux séances organisées par le cirl, un observateur des années 1930 n’aurait pu qu’être surpris en compulsant la liste des inter­ venants. À l’occasion de l’inauguration du Centre, le 8 mars 1939, prennent ainsi la parole les syndicalistes CGT René Belin et Louis Vallon, le philosophe Raymond Aron, le professeur de la Faculté libre de droit de Paris, Louis Salleron, et André Lebreton, conseiller technique de la Confédération générale des syndicats de classes moyennes97. Autant d’individus dont la participation à une même réunion politique passait pour improbable. La crise économique et sociale se double d’une grave crise politique : les institutions de la IIIe République sont violemment contestées et le Front populaire se désa­ grège. Peu après la signature des accords de Munich, Louis Rougier, incrédule, écrit à Raymond Aron qu’en quelques jours « on a pu voir le syndicat des instituteurs et des ptt prêter main-forte à l’Action Française, Gringoire publier des articles de Tardieu qui étaient le contre-pied des éditoriaux,

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le président et le vice-président de l’Alliance Démocratique adopter un point de vue radicalement opposé, une campa­ gne de fausses nouvelles qui étaient en somme véritables, des arguments sur la non-validité du pacte franco-tchèque qui dépassent toute la mauvaise foi teutonique [...] »98. Les positionnements politiques sont des plus volatils à la veille de la Seconde Guerre mondiale. En regardant la même liste d’intervenants du 8 mars 1939, mais cette fois avec les yeux de celui qui connaît la suite de l’histoire, on repère côte à côte un futur ministre de Vichy (Belin), l’intellectuel de La France libre (Aron), l’un des responsables de la Corporation paysanne de Vichy (Salleron) et le directeur adjoint du cabi­ net du général de Gaulle (Vallon). Les différences politiques et sociales qui fragmentent le public du Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme ne sont pas des constructions sociologiques a posteriori. Elles sont vécues. René Belin se décrit lui-même comme en difficulté lorsqu’il a dû exposer son point de vue de syndicaliste à X-Crise en 1937 : « Cette conférence dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne m’a surtout laissé le souvenir de la panique qui fut la mienne lorsque je découvris l’immensité d’une salle comble et la qualité de l’auditoire où figuraient beaucoup de messieurs chauves avec de grands faux-cols et des boutonnières rutilantes. La sueur me coulait le long du dos". » Et quand, trois ans plus tard, il devient ministre de la Production industrielle du maréchal Pétain, Charles Rist écrit d’ailleurs dans son journal de manière méprisante : « Que sait de l’industrie et de l’économie du pays cet ancien postier P100 » Ces antagonismes latents engendrent des rapports différents au néo-libéralisme. S’il est « naturel » pour certains d’être engagés dans la rénovation du libéralisme, le qualificatif de néo-libéral n’ayant qu’une

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importance toute relative, pour d’autres, à commencer par les quelques syndicalistes venus de la cgt, s’investir dans ces débats a nécessairement un coût. La mobilisation d’individus aussi éloignés dans l’espace social n’est possible que grâce à la préexistence d’une cons­ truction en réseaux qui permet leur intégration, au travers de nombreuses organisations (professionnelles, syndicales, ou politiques). Plusieurs profils coexistent en effet dans le petit monde du néo-libéralisme : celui de hauts fonctionnaires et de patrons rationalisateurs, passés par les grands corps de l’État et membres d’organisations comme X-Crise ou les Nouveaux Cahiers ; celui d’universitaires, pour la plupart économistes, ayant écrit dans la Revue d ’économie politi­ que et fréquentant les lieux de sociabilité propres au corps, comme le Congrès des économistes de langue française ; celui de syndicalistes qui animent des groupes planistes ; celui d’individus liés aux autres principalement par leur par­ ticipation aux activités des Éditions de Médicis et à certains des mouvements militants qu’elle abrite ; celui d’universi­ taires proches du patronat et d’entrepreneurs intellectuels, ayant en commun leur appartenance à certains des bastions du libéralisme classique comme la Société d’économie politi­ que ou l’Académie des sciences morales et politiques. À cha­ cun de ces univers correspondent des familles de trajectoires qui s’évitent parfois systématiquement. Le patronat d’État n’a ainsi quasiment aucun lien professionnel ou associatif avec les militants des Éditions de Médicis. Les syndicalistes ouvriers ne sont pas non plus liés à ce groupe, de même qu’ils ont peu de relations avec le pôle mondain101. L’espace du néo-libéralisme se décline en un petit nombre de positions qui ne peuvent s’articuler les unes aux autres que si certains individus effectuent les médiations nécessaires.

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Ainsi Gaëtan Pirou et Charles Rist sont-ils susceptibles de relier l’Université au monde patronal par des canaux dif­ férents, les cercles modernisateurs comme les Nouveaux Cahiers pour le premier, des comités d’experts et des conseils d’administration pour le second. Joseph Barthélemy et André Siegfried permettraient la liaison entre l’univers des patrons intellectuels et les pôles universitaire et modernisateur. Auguste Detœuf, Ernest Mercier et Guillaume de Tarde connecteraient ce dernier aux autres. Mais si une minorité est capable d’établir les jonctions indispensables, peu s’y emploient réellement, à l’exception peut-être d’Auguste Detœuf. L’appartenance au Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme ne garantit aucunement une implication réelle. La recherche d’adhésions « précieu­ ses » s’inscrit en partie dans une logique de « prête-nom » : elle vise à capter une part du capital symbolique associé à des individus qui par leur présence, au moins sur le papier, témoignent de la moralité de la cause défendue. En contre­ partie, la mise en avant de leurs noms peut très bien aller de pair avec une absence de participation concrète. Deux personnages jouent un rôle prépondérant dans la mobilisation d’ensemble : Louis Rougier, l’entrepreneur intellectuel, et Jacques Rueff, l’un des rares Français à béné­ ficier de l’estime intellectuelle de Friedrich Hayek ou de Ludwig von Mises. Rougier, peut-être parce que sa place dans l’univers des philosophes est mal assurée, s’est créé une position qui dans le monde intellectuel restait vacante, celle du libéral rassembleur à l’intersection du monde économique et universitaire, de la France et de l’étranger. Il sait magnifier son rôle auprès de ses interlocuteurs, se rendre indispensable. Quant à Rueff, directeur du Mouvement général des fonds nommé par le Front populaire, puis sous-gouverneur de la

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Banque de France (1939), il trône au sommet de l’adminis­ tration économique. Polytechnicien, membre du conseil de la sncf, expert et proche d’X-Crise, il dispose de contacts dans les milieux patronaux. Diplômé de l’École libre des sciences politiques où il enseigne, membre du comité de direction de La Revue d’économie politique, il est également proche des universitaires. Si l’orthodoxie de ses prises de position agace, y compris parmi les libéraux - il adopte parfois le « point de vue de Sirius », en observant les phénomènes économiques « d’un peu haut ou d’un peu loin »102 - il est incontournable dans cette mouvance. À la fin des années 1930, le néo-libéralisme possède une ébauche de doctrine et de structure pour le promouvoir. La Seconde Guerre mondiale clôt cependant l’expérience.

Être libéral sous l’Occupation La construction du néo-libéralisme a supposé des com­ promis qui ne sont plus de mise après 1940 : les difficultés qu’engendre la défaite imposent la mise en place de structu­ res économiques dirigistes ; le régime de Vichy et l’occupa­ tion allemande abolissent les principes du libéralisme politi­ que. L’espace du néo-libéralisme connaît une fragmentation d’autant plus prompte qu’il lui a manqué de nombreux élé­ ments pour pouvoir s’institutionnaliser : le néo-libéralisme est un produit idéologique récent auquel se sont ralliés des individus aux profils sociaux hétérogènes, il dispose certes d’une organisation, mais relativement lâche (ce qui corres­ pond au mode de sociabilité politique propre à une partie des personnalités qui fréquentent le cirl ), il ne « tient » que grâce à l’action de quelques-uns. Louis Rougier, qui a tellement contribué à faire exister le groupe, connaît durant l’occupation une singulière destinée.

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Après avoir vainement tenté d’obtenir un accord secret entre Vichy et Londres, il rejoint les États-Unis en décem­ bre 1940. Par son refus de reconnaître la légitimité de la France combattante, son nationalisme et sa dénonciation véhémente du blocus anglais contre la France, il se coupe de la plupart des intellectuels français en exil avant d’être exclu de la New School for Social Research de New York qui avait accepté de l’accueillir103. Rougier ne reste pas inac­ tif aux États-Unis, au grand dam de Walter Lippmann qui souhaiterait qu’il se tienne tranquille. Avec Stefan Possony et Harry D. Gideonse (président de Brooklyn College), il cherche à remettre sur pieds un Comité d’études pour la rénovation du libéralisme associant Frank H. Knight, Louis Marlio, Ludwig von Mises, Alfred Schütz ou encore Paul van Zeeland104. Il propose également des synopsis à des édi­ teurs, dont celui d’une Bible du libéralisme. Sans succès. Il ne cesse parallèlement de solliciter les autorités américaines pour se voir confier des missions. Mais comme l’écrit luci­ dement l’un des responsables de la Fondation Rockefeller, « il surestime [...] son propre rôle »ias. Même dans les pays épargnés par l’occupation allemande, comme la Grande-Bretagne, la guerre contribue à la dis­ persion des militants libéraux106. En France, la dissociation du groupe s’effectue rapidement. Le c ir l interrompt ses activités, les Éditions de Médicis ne publient que six ouvra­ ges entre janvier et septembre 1940 et aucun en 1941. La constitution d’un point de vue sur les camps qui s’affrontent prend, elle, plus de temps, ne serait-ce que parce que les alternatives ne sont pas immédiatement données ou perçues. Le passage d’une relative indétermination devant le sens des événements à la possibilité (ou à l’obligation) de choi­ sir entre plusieurs orientations ne s’opère pas de manière

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synchronique, ni identique pour tous. La désorganisation matérielle (débâcle, déplacements de population, problèmes de ravitaillement) et la confusion politique prennent les néo­ libéraux, comme tant d’autres, par surprise. Charles Rist s’interroge ainsi dans son journal à quelques jours du vote des pleins pouvoirs au maréchal Pétain : « [...] Quel est le gouvernement ? Que veut-il ? Que croit-il ? On parle même de la réunion des Chambres. Quelles libertés auront-elles ? Est-ce un gouvernement militaire ? Ou un gouvernement Croix de feu ? Un gouvernement de représailles ou un gou­ vernement d’union nationale ?107 » De la même manière, René Belin écrit ne pas très bien savoir ce qu’il va faire à Vichy : « La désignation par le maréchal Pétain, à la tête d’un grand ministère, d’un homme connu pour avoir été pendant les sept années précédentes l’un des dirigeants de la c g t était absolument inattendue, extraordinairement insolite et ne pouvait pas ne pas faire sensation108. » L’incertitude est de mise, y compris pour ceux qui rejoignent la France combattante : « Les projets que j’avais faits, note Robert Marjolin, les ambitions que j’avais, devenir professeur d’université, écrire une œuvre économique qui compterait dans mon époque, tout cela disparaît109. » Le voilà contraint de remiser son « libéralisme économique », « en attendant des temps meilleurs »n0. Des reclassements inattendus Les annotations, souvent cruelles, que Charles Rist consi­ gne dans son journal en disent long sur les antagonismes profonds que la situation de crise a engendrés ou ravivés. À propos de Joseph Barthélemy, l’un de ses collègues de la Faculté de droit qui a toujours défendu les principes du libé­ ralisme politique et qui devient pourtant Garde des Sceaux

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en 1941, il parle de « trahison »1U. Il dépeint Paul Baudouin, ministre des Affaires étrangères de Vichy, qui avait été, aux côtés de Jacques Rueff et de lui-même, l’un des experts de la pause de 1937, comme un être « répugnant »112. Et plus largement, c’est le procès de toute une classe qu’entreprend Charles Rist : la bourgeoisie, sa « bêtise retardataire et har­ gneuse », son manque de courage et sa crainte du commu­ nisme. Ce rejet de sa propre classe d’origine se retrouve sous la plume d’un autre économiste protestant, René Courtin, pour qui « voulant tout sauver, la bourgeoisie, par égoïsme à courte vue, manque d’intelligence et de générosité, est en train de tout perdre »n3. La guerre éloigne brutalement des individus initialement proches socialement et politiquement. Dans son « journal », recueil d’aphorismes écrits pendant la guerre, Daniel Villey note ainsi le 4 avril 1942 qu’« il n’y a pas de plus sotte maxime que celle-ci, fort répandue : l’ami­ tié ne dépend pas des opinions ». Car, poursuit-il, « combien j’ai perdu d’amitiés ces temps-ci ! »1H. La victoire allemande et l’antisémitisme d’État du régime de Vichy, officiel à partir d’octobre 1940 (premier statut des juifs) et réaffirmé en juin 1941 (second statut) poussent cer­ tains néo-libéraux dans la clandestinité. Intégrés jusqu’alors au sein de l’élite, leur appartenance à la communauté Israéli­ te, qui aux yeux de certains pouvait passer pour secondaire, annule une grande partie des éléments constitutifs de leur identité sociale antérieure. La trajectoire de Pierre Laroque en témoigne. Fils d’un haut magistrat, docteur en droit et diplômé de l’École libre des sciences politiques, maître des requêtes au Conseil d’État, il s’est imposé comme un spé­ cialiste des questions sociales. Il accepte d’entrer au cabinet de René Belin pour travailler sur le projet de loi instituant les comités d’organisation, structures mises en place pour

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encadrer la production de diverses branches profession­ nelles. Bien qu’il dispose de tous les attributs d’un membre de l’élite et qu’il fréquente les milieux technocratiques et de gauche qui fournissent alors une partie du personnel du régime de Vichy115, Pierre Laroque doit quitter ses fonc­ tions en raison du statut des juifs. Son destin relève du cas limite : Laroque a dans un premier temps accepté de servir le nouveau gouvernement avant que l’arbitraire du pouvoir ne se révèle à lui parce qu’il en est victime. « Tout cela me porta un coup très dur, écrit-il dans ses mémoires. J’eus le sentiment de voir la terre se dérober sous mes pieds. Alors que j’avais toujours bénéficié d’une sécurité totale, familiale d’abord, professionnelle ensuite, je me voyais dans le vide, du jour au lendemain, sans rien pour me raccrocher116. » Les néo-libéraux d’origine juive ont pour la plupart quitté la France : à titre « préventif »117 comme Raymond Aron qui part pour l’Angleterre en juin 1940 ; pour fuir les persécutions comme Pierre Laroque, qui se réfugie en zone libre en 1940 et rejoint en 1942 la France combattante, Étienne Mantoux, qui obtient en juin 1941 une bourse pour Princeton avant de s’engager en 1943 dans les Forces Françaises Libres, ou Roger Picard, invité fin 1940 à la New School for Social Research118. D’autres, soupçonnés d’être juifs, doivent se retirer de la vie publique. Ainsi Ernest Mercier subit-il dès 1940 les accusations de la presse collaborationniste et se voit-il menacé plusieurs fois par le Commissariat général aux questions juives et par la Gestapo. Sa position unique dans le champ économique fait de lui un « juif » tout dési­ gné dans l’imaginaire antisémite : il échappe de peu à la déportation en août 1943119. De même Jacques Rueff est-il exclu de l’inspection des finances qu’il ne réintègre que grâce à l’intervention du maréchal Pétain, lié à la famille de

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son épouse120. C’est réfugié dans l’Ardèche qu’il se consacre à partir de 1942 à la rédaction de L’Ordre social, entamé dans les années 1930 et publié après la Seconde Guerre mondiale121. Que ces victimes du racisme vichyssois et nazi aient inté­ gré les milieux de la Résistance ou de la France combattante n’est guère surprenant. D’une part, leur appartenance passée aux champs intellectuel et politique les prédispose à l’engage­ ment. D’autre part, leurs compétences et leurs relations leur permettent d’échapper à l’isolement et en font des recrues potentielles pour ceux qui contestent la légalité du régime. S’il y a bien une certaine logique à ce que Raymond Aron devienne l’intellectuel de La France libre, que René Mayer, ancien haut fonctionnaire et responsable patronal, exerce des fonctions plus politiques à Alger (comme Commissaire aux Communications et à la marine marchande à partir de 1943), que Pierre Laroque gère les services civils de la France com­ battante ou qu’Ernest Mercier fréquente l’un des rares grou­ pes patronaux de résistance, les modalités de leurs engage­ ments doivent beaucoup aux circonstances et à des éléments d’ordre psychologique. Pourquoi Raymond Aron, alors qu’il souhaitait prendre les armes, se résigne-t-il à des fonctions de journaliste, tandis que son ami Étienne Mantoux, après avoir achevé sa thèse et le manuscrit d’un ouvrage qui remet fermement en cause les analyses de Keynes sur les réparations allemandes122, rejoint-il l’aviation britannique puis la division Leclerc et meurt au combat le 29 avril 1945 ? Aux trajectoires de ceux qui sont contraints à l’exil et continuent d’affirmer des convictions semblables à celles qu’ils défendaient avant-guerre, s’opposent les stratégies de reconversion d’un petit nombre qui trouve dans l’ordre vichyssois une occasion unique de rehausser sa position. Paul

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Baudouin, le patron de la Banque de l’Indochine, à la tête de laquelle il n’est pourtant pas un « homme comblé », « ne paraît pas dédaigner, dès que l’occasion se présente, la griserie du jeu d’influence »123. Nommé ministre des Affaires étrangè­ res par Paul Reynaud le 5 juin 1940, puis reconduit dans ses fonctions par le maréchal Pétain, il devient ministre secrétaire d’État à la Présidence du conseil chargé de la jeunesse et de la Légion en décembre 1940. L’avènement du régime de Vichy concrétise son aspiration au retour d’un ordre naturel et hiérarchique124. Autre personnage de premier plan de l’État français, Henri Moysset occupait précédemment une position relativement marginale dans l’univers intellectuel (ce profes­ seur à l’École navale, exégète de Proudhon, n’a pas d’œuvre propre). Proche de Darlan, il est nommé secrétaire d’État à la vice-présidence du Conseil de juin à août 1941, puis ministre d’État jusqu’en avril 1942. Il peut ainsi cumuler les profits d’une position d’intellectuel et d’une position de pouvoir qui le font passer pour l’intellectuel du régime. Si les convictions politiques de Paul Baudouin et d’Henri Moysset facilitent leurs revirements, d’autres surprennent davantage : celui de René Belin, l’un des dirigeants de la cgt, ou de Joseph Barthélemy, l’une des grandes figures du libéra­ lisme tant politique qu’économique. L’un comme l’autre ont des raisons politiques d’adhérer au régime (l’anticommunis­ me notamment). Mais la proposition d’un poste de ministre est surtout une chance à saisir. Aux yeux de René Belin, son appartenance à la gauche ne se comprenait qu’en fonction de ses origines sociales : « Ma seule ambition vraie, confie-t-il à la fin de sa vie [...], a été de m’évader de la misérable condi­ tion de mon enfance et de mon adolescence125. » La rupture biographique s’opère parce que, comme l’écrit l’historien Robert Paxton, « la vacance du pouvoir a été, pour certains

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des perdants des années 1930, une chance de se remettre en selle »126. Joseph Barthélemy, issu d’une famille bourgeoise en déclin127, qui d’étudiant boursier est devenu l’un des profes­ seurs de droit constitutionnel les plus renommés de France et un député influent, a perdu son siège à la Chambre en 1928. La nomination au ministère de la Justice permet la rencontre entre l’espoir de jouer un rôle politique de premier plan et le besoin du pouvoir d’asseoir la légalité de ses actes128. René Belin et Joseph Barthélemy ont beau prétendre avoir agi comme « l’homme de bonne foi »129, comme le « peuple de France, qui pendant des mois [...] se rallia de cœur et d’esprit au gouvernement »130 et avoir empêché l’irréparable, ils ont renié les principes auxquels ils semblaient jusqu’alors attachés : l’ancien secrétaire national de la CGT signe le décret portant dissolution des confédérations syndicales du 16 août 1940 et proclame la Charte du travail d’octobre 1941 qui, entre autres, abolit le droit de grève ; Joseph Barthélemy a été le ministre du Procès de Riom et des sections spéciales, explique qu’il « a cru à un salut miraculeux de la France, à un renouveau de la mission de Jeanne d’Arc », qu’il « a pratiqué ce culte », qu’il a « eu cette foi » et que le maréchal Pétain était « incarnation de la nation [...], reconstructeur de la France dans les tourments, artisan de la patrie, point com­ mun de rencontre de tous les Français, de toutes les classes et de toutes les catégories »131. Le poids des engagements passés Si la guerre provoque des reclassements inattendus, il n’en reste pas moins que l’adhésion à l’un des camps qui s’affrontent doit beaucoup aux positionnements politiques antérieurs132. Hormis René Belin, les quelques syndicalistes qui avaient pris part aux débats sur le néo-libéralisme optent

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clairement pour l’opposition à Vichy et au nazisme. Robert Lacoste et Christian Pineau sont à l’initiative du Comité d’études économiques et syndicales créé en novembre 1940, organisme semi-officiel au sein duquel se réunissent des syndicalistes hostiles à Vichy et à sa Charte du travail133. Ils sont également les rédacteurs du « Manifeste du syndicalisme français », signé par des dirigeants de la c g t et de la c f t c , qui réaffirme certains principes constitutifs de l’identité syndicale tels l’anticapitalisme, le respect de la personne humaine et le refus du racisme134. Tous deux font partie des fondateurs de Libération Nord, Robert Lacoste ayant en outre participé à la création de Libération Sud ainsi qu’à celle du Comité général d’études de la Résistance. Louis Vallon, en captivité jusqu’en 1941, rejoint Libération Nord puis Londres en 1942, où il est recruté par les services secrets de la France combattante. Pour ces syndicalistes, le choix de la Résistance était d’autant plus probable qu’ils occupaient une place à part dans l’uni­ vers syndical. La guerre infléchit cependant leurs trajectoires. Christian Pineau et Robert Lacoste deviennent des diri­ geants du mouvement socialiste et, en tant que tels, députés et ministres sous la IV République. Quant à Louis Vallon, directeur adjoint du cabinet du général de Gaulle en 1944, qui déjà en mai 1940 en appelait à « une philosophie sociale nouvelle susceptible de donner un sens aux événements »135, il adhère au gaullisme, s’impose comme l’un des leaders du Rassemblement du peuple français (r p f ) et reste jusqu’à la mort du général de Gaulle une personnalité importante de la famille gaulliste. La plupart des membres du c ir l se « rallie » au régime de Vichy (aucun ne semble cependant avoir été pro-nazi, contrairement à ce qui a pu être observé chez certains néo-libéraux en Allemagne136). Cette affirmation nécessite

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d’emblée une précision. On sort difficilement de la dichoto­ mie résistant/vichyssois, parce qu’elle a été consacrée par la littérature hagiographique, par certains travaux historiques (même si d’autres ont apporté plus de nuances, comme la distinction entre « vichysme », « maréchalisme », « pétainisme ») et par le sens commun (souvent sous des formes exclusives). Son usage appelle certaines réserves dès lors que l’on n’a pas affaire à des prises de position tranchées. Dans un régime autoritaire qui dispose d’une importante force de répression, les discours critiques sur les enjeux politiques ne peuvent s’exprimer publiquement de manière brutale sauf lorsqu’ils ont la caution des autorités (jeu des uns contre les autres). Le positivisme de nombreux textes parus sous l’Oc­ cupation peut ainsi être interprété de manière totalement antinomique : la description acritique est-elle une preuve d’adhésion ou sa froideur est-elle une forme de critique ? Et que penser de l’absence de références aux événements en cours ?137 Si l’on peut poser que le résistant est celui qui prend ouvertement position contre le régime, avec tous les risques que cela comporte, ou mène des actions sinon clan­ destines du moins hors-la-loi, la posture inverse peut être définie très largement, de l’obéissance aveugle à l’adhésion exaltée, en passant par les différentes formes de l’attentisme. Sans même parler des difficultés que posent la chronolo­ gie ou les doubles jeux, le classement des individus semble d’autant plus difficile qu’issus des élites, ils restent proches du pouvoir : ils peuvent être moins enclins que d’autres à un bouleversement de l’ordre existant ; ils sont particulièrement exposés, une prise de position critique ayant presque néces­ sairement valeur de soutien à la contestation du régime. Chez les universitaires, c’est parmi les représentants de la droite catholique que se recrutent les plus fervents partisans

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de la Révolution nationale. Les corporatistes qui s’étaient rapprochés des néo-libéraux, au nom d’un même rejet du socialisme, ne peuvent que louer les valeurs affichées par l’État français : moralisme, organicisme, antiparlementa­ risme. Au moins jusqu’en 1943, et de manière parfaitement cohérente avec ce qu’il écrivait avant-guerre, François Perroux se fait ainsi l’apôtre de la Révolution nationale communautaire, que ce soit dans ses cours, à la tête de la Fondation française pour l’étude des problèmes humains, plus connue sous le nom de Fondation Alexis Carrel, au sein du Conseil national, assemblée sans grands pouvoirs du régi­ me de Vichy138, où il intervient en tant qu’expert, ou dans la série des cahiers intitulés Renaître, publiés avec l’africa­ niste et membre de la Légion française des combattants Yves Urvoy139. Parfois critique des réalisations économiques de l’État français, François Perroux, par son mysticisme, son exaltation des communautés naturelles, du rôle du chef, de l’autorité, reste l’un des grands idéologues du régime, même s’il n’y joue en pratique qu’un rôle mineur. Autre ralliement logique, celui de Louis Salleron, monar­ chiste (il a été rédacteur en chef du Courrier royal), mili­ tant de la Jeune droite et catholique intransigeant que l’on retrouve à Idées, au Conseil national, à l’Institut d’études corporatives et sociales, qui avec l’avènement du régime connaît une véritable renaissance140, et surtout parmi les dirigeants de la Corporation paysanne créée par Vichy en décembre 1940141. La guerre agit ici comme un révélateur: puisque l’idéologie corporatiste triomphe, du moins en apparence, nul besoin de rechercher une proximité avec les néo-libéraux. Du reste, une partie d’entre eux soutient le gouvernement tout en pouvant contester tel ou tel aspect de son organisation économique. Jean Lhomme, professeur

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à la faculté de droit de Paris, semble ainsi sceptique sur les réalisations du régime, s’oppose au dirigisme et loue l’indi­ vidualisme. Mais sur le plan politique, son discours regorge de lieux communs vichyssois : rejet du parlementarisme et réprobation des élites républicaines, traditionalisme. Il en vient même à regretter « des suicides, tout au moins moraux, qui eussent rendu plus de services à la France que bien des maintiens en activité »142. Ce découplage entre critique de la politique économique de l’État français et acceptation des principes politiques de la Révolution nationale (aussi flous soient-ils) s’observe également chez Louis Baudin. Il marque ainsi sa sympathie teintée de critiques envers le cor­ poratisme143, mais n’en continue pas moins durant la guerre à affirmer sa fidélité au néo-libéralisme et fait soutenir en 1943 une thèse sur le sujet144. Les plus réactionnaires (au sens propre du terme) rallient la Révolution nationale. D’autres prennent le parti de la Résistance. Leurs investissements empruntent des formes très diverses. Prisonnier jusqu’en mars 1941, Daniel Villey qui avait été l’un des traducteurs pour les Éditions de Médicis de L’Économie dirigée en régime collectiviste et surtout un collaborateur de la revue Esprit, s’oppose (contre Mounier) à sa reparution sous l’Occupation145. Il prend clairement des positions anglophiles, se montre hostile à l’État français, mais ne s’engage pas pour autant dans l’un des mouvements clandestins. Professeur à la faculté de Montpellier, René Courtin s’est au contraire intégré dans les réseaux universi­ taires de la zone sud dès l’automne 1940 et notamment au sein du groupe Liberté. Faisant partie des responsables de Combat, il devient le sixième membre du Comité général d’études de la Résistance (cge). Ancien militant de la sfio , Robert Marjolin rejoint la France combattante, travaille

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aux côtés de Jean Monnet et de Hervé Alphand, deve­ nant, selon ses propres termes, « un intellectuel perdu dans l’administration »14é. Chez les dirigeants d’entreprises passés par le c ir l , c’est très largement l’adhésion au régime de Vichy qui prévaut. Encore faut-il distinguer entre deux aspects en apparence contradictoires de l’État français : son versant traditionaliste et son versant technocratique, les intellectuels patronaux se reconnaissant sans doute davantage dans le premier et les patrons rationalisateurs dans le second. Côté traditionalis­ me, André Chaumeix ancre la Revue des deux mondes dans le camp de la Révolution nationale147, François-Félix Legueu réussit à faire reparaître la Vie industrielle, Émile Mireaux accepte le poste de ministre de l’Instruction et des BeauxArts entre juillet et septembre 1940 et siège par la suite au Conseil national. Ces individus représentatifs des milieux libéraux de l’avant-guerre se rallient au pétainisme148 par anticommunisme, pacifisme et conservatisme. Côté patrons rationalisateurs et néo-capitalistes, le régime de Vichy ne signifie pas non plus nécessairement rupture avec les activi­ tés politiques de l’avant-guerre. Il peut même fournir l’occa­ sion de leur donner une envergure sans précédent. Les principaux animateurs des Nouveaux G eiers, Auguste Detœuf et Guillaume de Tarde, officient ainsi dans la plupart des lieux étatiques ou para-étatiques où s’élaborent des plans de reconstruction économique pour l’après-guerre. Detœuf, grand patron marginal dans les années 1930, occupe ainsi une surface sociale inédite dans sa trajectoire : en tant que fondateur du Comité d’études pour la France, organisme qui prend la relève des Nouveaux Cahiers, membre du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale du minis­ tère de la Production industrielle et du Conseil consultatif

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de la Délégation générale à l’équipement national ( d g e n ), l’un des hauts lieux de la planification sous Vichy149. Il siège également à la tête du comité d’organisation de la construc­ tion électrique et de la Commission du plan comptable. Le rejet de la politique, le moralisme, la valorisation des compétences trouvent pleinement à s’exprimer dans un régime qui, tout en ayant pour idéologie officielle le « retour à la terre » et le corporatisme, a incontestablement accordé une place centrale aux technocrates. Detœuf et de Tarde n’ont rien de militants d’extrême droite. Ils continuent, par exemple dans le cadre du Comité d’études pour la France, à entretenir des relations avec des individus plutôt de gauche, parfois même résistants. Mais leur dégoût pour la politique peut désormais s’accompagner d’une condamnation claire du régime républicain : « La liberté démocratique, écrit de Tarde en 1942, était illusoire : c’était une fausse liberté. Elle masquait et consacrait en fait l’esclavage des âmes à l’égard des biens matériels, à l’égard des idées mêmes. Nous pen­ sions être libres, naguère, parce que nous avions des libertés, celle de circuler à notre guise, de manger de toute notre faim, de disposer de nos biens, de nous réunir, d’écrire et de dire publiquement tout ce qu’il nous plaisait d’écrire et de dire. Mais nous n’étions pas libres, parce que la liberté ne consiste pas à dépendre de ses libertés mais à s’en affranchir. Notre jugement même n’était pas libre ; nous ne savions pas qu’il était serf ; serf de vieilles notions hypocrites dissimulant sous le nom de la Morale et du Droit le mobile de l’intérêt de per­ sonne ou de classe, serf de puissances occultes qui, à droite ou à gauche, pesaient sur lui à notre insu150. » La frontière entre traditionalisme vichyssois et technocra­ tisme se réduit parfois à peu de chose. Ayant partiellement inspiré la loi sur les comités d’organisation, le néo-capitaliste

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André Monestier anime depuis Paris un Centre d’études tech­ niques et sociales qui prône la construction d’un État fort, servant de « guide » et de « maître », appuyé sur une élite « hiérarchisée de chefs respectés », une jeunesse « audacieuse et forte, rassemblée par une éducation commune », un peuple « ayant le sentiment des véritables hiérarchies et des grandes disciplines nécessaires », et une administration « rénovée, simplifiée, décentralisée »151. Il stigmatise tout à la fois les « complicités de la politique et de l’argent » et rêve d’un « ministère de l’Économie impériale », qui contrôlerait et orienterait l’ensemble de l'activité, tout en laissant subsister un secteur libre organisé par les professions. Et lorsqu’il évo­ que dans une conférence le rôle de I’o c r p i , l’Office central de répartition des produits industriels de Vichy, il ne voit aucune contradiction entre l’existence de cet organisme étatique et le libéralisme inspiré de l’œuvre de Walter Lippmann152. Néo-capitalisme et Révolution nationale peuvent donc faire corps. Hormis Ernest Mercier, la seule personnalité patronale qui marque clairement ses distances avec le régime est Louis Marlio, l’ancien président du c i r l . Envoyé en juin 1940 en mission extraordinaire auprès de l’Ambassa­ deur de France aux États-Unis par le maréchal Pétain, celui qu’à l’extrême gauche on qualifiait durant l’entre-deuxguerres de « clérical notoire » rompt tout lien avec l’État Français à partir de mai 1941. Il devient un fervent admira­ teur de l’effort de guerre américain et plus largement de la démocratie américaine, de sa vie sociale pacifiée et de son fédéralisme. C’est ainsi un autre pan du néo-capitalisme (le « libéralisme social ») qui affirme sa permanence et, à com­ parer les positions d’un Monestier et d’un Marlio, on mesure combien certains des produits idéologiques de l’entre-deuxguerres sont des composés instables.

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Les mirages de l’attentisme Bien qu’une partie des soutiens du néo-libéralisme ait opéré des choix clairs durant l’Occupation, nombreux sont ceux dont l’attitude reste ambiguë, parce qu’ils veulent pré­ server leur vie et celles de leurs proches, parce qu’ils sont incrédules quant à l’existence d’alternatives au régime en place ou qu’ils sont dans l’impossibilité matérielle de faire valoir leurs convictions. L’attentisme peut revêtir des formes multiples. On sait par exemple que pour les hauts fonction­ naires de Vichy, l’attentisme vaut souvent prise de position politique déguisée, des marges de manœuvres existant bel et bien au sein de l’État français153. Les responsables adminis­ tratifs qui continuent à servir l’État, comme Jacques Branger ou Henri Deroy, et appliquent sa législation (y compris antisémite154), ne sont pas des thuriféraires de la Révolution nationale. Mais ils trouvent leur place dans le nouveau régime : Jacques Branger, ancien d’X-Crise et directeur de la Caisse nationale des marchés de l’État, est lié au technocra­ tique et charismatique ministre Jean Bichelonne qui a mar­ qué toute une génération de polytechniciens. Quant à Henri Deroy, directeur de la Caisse des dépôts plutôt conservateur, il a été pressenti comme ministre d’un éventuel gouverne­ ment Barthélemy155. La situation des professeurs des facultés de droit ou de l’École libre des sciences politiques est différente parce que ces institutions conservent une autonomie plus grande : le pouvoir se désintéresse de l’enseignement de l’économie ou du droit156 ; les enseignants n’ont pas de responsabilité directe dans l’application des lois du régime. Rien ne les oblige donc ni à faire l’apologie de l’État français, ni à entrer dans les diverses commissions mises en place par le régime. On ne peut dès lors qu’être étonné de ce que

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certains aient vu dans le cours dispensé à l’École libre des sciences politiques par Gaëtan Pirou une forme de « résis­ tance intellectuelle », parce qu’il critique certaines des réalisations du régime157. C’est précisément dans la logique de l’autonomie relative dont dispose l’institution. Gaëtan Pirou n’en est pas moins conférencier pour le ministère de l’Information, membre du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale ainsi qu’expert auprès de la seconde commission du Conseil national chargée des ques­ tions économiques. D’autres producteurs intellectuels que les universitaires adoptent une conduite ambiguë. Maison spécialisée dans les ouvrages politiques, économiques et philosophiques, les Éditions de Médicis ne survivent en cette période de crise que grâce à des publications dont le moins que l’on puisse dire est qu’elles ne prennent pas le contre-pied des idées défendues par le régime : plusieurs études de la Fondation Carrel158, des écrits de François Perroux et d’auteurs corpo­ ratistes, deux rééditions des Diagnostics de Gustave Thibon. L’attentisme est toujours à la limite de la prise de position politique et le plus souvent c’est un proto-pétainisme. Seul Charles Rist fait exception dans ce domaine. Partisan déclaré des alliés, qui souhaiterait obtenir un poste d’ambassadeur à Washington, il dénie toute compétence aux parties en pré­ sence. Pour lui, le gouvernement du maréchal Pétain est « un ministère de partisans et non de compétence », « une petite clique de réactionnaires qui l’entourent et l’adulent », ils sont grotesques et manquent de culture. Mais les Résistants ne trouvent pas davantage grâce à ses yeux : « Au début des enthousiastes, aujourd’hui des gens à la solde et qui en font métier; Leurs idées sont simplistes et absurdes », ils n’ont « ni jugement ni capacité159. »

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Trois facteurs éclairent le devenir des néo-libéraux et de ceux qui participaient à leurs débats durant la Seconde Guerre mondiale. En premier lieu, le nouveau régime désajuste le rapport qui liait dans l’ordre social antérieur espérances et chances160 : les positions auxquelles certains auraient pu « normalement » prétendre deviennent parfois inaccessibles ou ils en sont chassés, tandis que d’autres peu­ vent se maintenir en selle ou voient des opportunités nou­ velles s’offrir à eux. En second lieu, les logiques qui amènent à adhérer au régime de Vichy ne sont pas celles qui condui­ sent à rejoindre la Résistance ou la France combattante : d’un côté, des intellectuels pour la plupart issus de la droite catholique trouvant dans la Révolution nationale les prémis­ ses d’une restauration morale et des patrons rationalisateurs qui peuvent se sentir en affinité avec les structures dirigistes de Vichy ; de l’autre, des agents que tout porte à refuser l’ordre vichyssois (sous ses diverses formes), responsables de la CGT, défendant les valeurs de la gauche politique et du syndicalisme et libéraux fermement attachés aux principes démocratiques. Enfin, à un choix clair en faveur de l’un des camps qui s’affrontent s’opposent toutes les formes de l’at­ tentisme, manières de vivre perçues comme apolitiques, qui elles aussi dépendent de facteurs sociaux, notamment des conditions d’existence, pouvant amener à ne pas contester le régime en place ou à nourrir une défiance vis-à-vis des « extrêmes ». La Seconde Guerre mondiale a ainsi anéanti le travail entrepris dans les années 1930. Que le groupe initial n’ait pas survécu à la guerre ne signifie pas que ses idées aient disparu. Aussi bien à Vichy que dans la France libre ou dans la Résistance, d’anciens du c ir l et de nouveaux convertis rappellent (comme en sourdine) le point de vue néo-libéral.

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La Libération exerce deux effets contradictoires sur l’his­ toire de cette doctrine. Elle scelle sa défaite institutionnelle mais, par les reclassements qu’elle provoque, lui permet de trouver un nouvel essor.

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De la Libération à la Guerre froide : débâcle et renaissance « Âge d’or de l’État1 », les années de reconstruction ont nourri bien des discours héroïques. Prenant la mesure des défis à venir, une poignée de grands commis et de patrons éclairés auraient ainsi imposé contre vents et marées une « moderni­ sation » qui évita au pays la décadence. Ils auraient restauré l’État et construit les instruments de pensée et d’action lui permettant de mener à bien les transformations nécessaires : ouverture à la concurrence internationale, hausse des rende­ ments dans de nombreux domaines, création de grands grou­ pes industriels. Bref, ils auraient rendu possible la naissance d’un État régulateur et producteur souvent qualifié de « key­ nésien ». De Jean Monnet à Pierre Uri, en passant par Robert Marjolin, de nombreux acteurs de la période ont eux-mêmes accrédité cette version des faits, par le biais de l’histoire orale ou au travers de mémoires et d’autobiographies2. La relance de l’économie française a certes impliqué volontarisme et conversion du regard des élites dirigean­ tes sur l’économie. Mais les réformes entreprises durant la période 1944-1946 ne surgissent pas ex nihilo. Elles s’inscrivent dans le prolongement de la crise des années 1930, des débats qu’elle a suscités et qui se sont poursuivis durant la Seconde Guerre mondiale. Au sein de la France combattante, à Vichy et dans la Résistance, des instances 179

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ont été créées pour imaginer l’ordre économique d’aprèsguerre. Développant et amplifiant certaines des thématiques des années 1930, elles ont largement contribué à définir les « réformes de structures » de la Libération et à légitimer le projet de les mener à bien. La guerre et la Libération hypothèquent ainsi lourde­ ment l’avenir du néo-libéralisme. Cette vision du monde s’était construite sur le rejet des formes d’économie plani­ fiée pratiquées par des États difficilement comparables sous d’autres rapports : États-Unis de Roosevelt, Italie fasciste, Allemagne nazie, URSS. Dans le cas français, c’était l’inter­ ventionnisme croissant des pouvoirs publics, non traduit en une politique systématique de l’économie, qui avait favo­ risé la mobilisation. En ces temps de Guerre froide, seuls I’u r s s et ses satellites font encore figure de régimes politi­ ques repoussoirs et la France a finalement opté en faveur de méthodes dirigistes. Les rénovateurs du libéralisme ne déposent pas les armes : de nombreux groupes, situés à la croisée des mondes universitaire, politique et patronal, perpétuent l’héritage des années 1930. Les nationalisations, la mise en place des institutions de l’État Providence et les succès électoraux du Parti communiste ont suscité des réactions dont le néo-libéralisme profite. Dès cette époque, il présente cependant un double visage. Face à l’emprise des idéaux progressistes dans le monde intellectuel, il peut sembler marginal. Les plus radicaux ne trouvent ainsi de relais qu’au sein d’organisations internationales, comme la Société du Mont-Pèlerin, où le libéralisme confine parfois à l’utopie de marché. En revanche, en tant que politique visant à préserver et dynamiser les structures de l’économie de marché, le néo-libéralisme progresse, quitte à accepter des compromis.

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L’État incontournable La période qui s’ouvre avec la Libération voit triompher l’idéologie des « réformes de structures »3. La reprise de cette expression, bien au-delà des milieux où elle circulait dans les années 1930, est en elle-même révélatrice d’un double phénomène. Elle entérine d’abord une évolution des rapports de forces entre les différents groupes investis dans les débats sur l’économie : le petit patronat et les écono­ mistes officiels sont relégués au second plan. Elle témoigne ensuite d’un déplacement des enjeux : il n’est plus question de choisir entre libéralisme et dirigisme. Seules les modalités de l’intervention étatique restent à définir. L’âge de la réforme Par « réformes de structures », il faut ainsi entendre un ensemble de mesures visant une transformation profonde du capitalisme libéral ou, à tout le moins, son encadrement très strict. Le programme adopté par le Conseil national de la résistance ( c n r ) en mars 1944 en rappelle les grandes lignes : « instauration d’une véritable démocratie économi­ que et sociale » ; « réorganisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intérêts particuliers à l’intérêt général » ; « intensification de la production nationale selon les lignes d’un plan arrêté par l’État après consultation des représentants de cette production » ; nationalisation des moyens de production monopolisés et « éviction des gran­ des féodalités économiques et financières de la direction de l’économie »4. Le vocabulaire de la Résistance prend volontiers des formes subversives. Il trouve néanmoins son pendant auprès de syndicalistes et patrons modernisateurs ralliés à Vichy qui, craignant un bouleversement radical de l’ordre social, entendent grâce à des réformes de structures

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(planification et organisation professionnelle) faire l’éco­ nomie d’une révolution qui balayerait, sinon, « toutes les industries et tous les commerces »5. Le climat intellectuel de la Libération a largement été modelé par les années d’Occupation. Malgré des différences idéologiques sensibles, la production de discours économi­ ques présente bien des similitudes chez les parties adverses6. En plein essor à partir de 1941, elle émane d’organismes officiels ou semi-officiels fonctionnant en réseaux, au sein desquels et entre lesquels existent des relations de concurrence et de coopération. Tous mettent l’accent sur la nécessité pour la France d’adopter une véritable politique économique dont le plan serait l’instrument privilégié. En 1943 paraissent ainsi le rapport du Comité général d’études de la Résistance sur La Politique économique de l’après-guerre7 et celui du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale de Vichy sur La Politique économique et les problèmes du plan8. Le processus qu’au début des années 1950 un économiste néo-libéral qualifie de « carnaval des mots »9 s’accélère ainsi sous l’Occupation. Parler de « plan », de « secteurs », de « nationalisations » ou d’« industries-clés » revient à intro­ duire dans le vocabulaire économique une terminologie que, jusqu’à la guerre, les économistes professionnels parvenaient à écarter d’un revers de main. À la Libération, Gaëtan Pirou doit convenir qu’avec le temps les choses se sont éclaircies. On appelle par exemple industries-clés , « celles qui for­ ment en quelque sorte le soubassement de toutes les autres. Ce sont, essentiellement : 1° les charbonnages et la grosse métallurgie ; 2° la production et la distribution de l’énergie électrique ; 3° les entreprises de transport. On peut y adjoin­ dre les banques, en invoquant le fait que toute entreprise a besoin de crédit »10.

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La guerre a élargi le cadre intellectuel au sein duquel s’ins­ crivent les débats économiques, en facilitant l’appropriation d’idées défendues par les courants réformateurs des années 1930 dans des régions de l’espace social qui leur étaient tra­ ditionnellement hostiles. À gauche comme à droite, à Vichy comme dans la Résistance, il est admis que la crise du capi­ talisme n’était pas de nature conjoncturelle, mais le produit inéluctable du laissez-faire. Le programme de l’Organisation civile et militaire ( o c m ), groupement de résistance plutôt classé à droite, proclame ainsi la mort du libéralisme : « Les tentatives faites depuis vingt ans pour sauver le libéralisme économique ou le faire évoluer constituent une suite d’échecs. Il n’y a pas d’autres possibilités que de substituer un système nouveau au système ancien11. » Certains libéraux, qu’ils aient rallié Vichy, comme Claude-Joseph Gignoux, ou la Résistance, comme René Courtin, s’accordent d’ailleurs sur le diagnostic : le libéralisme d’avant-guerre a fait faillite12. La nécessité d’instaurer une véritable politique écono­ mique fait ainsi l’unanimité à Vichy et dans la Résistance. Pour renforcer le caractère volontariste de cette notion, on parle même de politique économique « générale »13 et le vocabulaire prend volontiers un tour martial : la France devrait se doter d’un « état-major économique » et 1’« unité de commandement » serait la condition sine qua non d’une intervention cohérente de l’État. La politique économique, à laquelle sont pour la première fois consacrés des cours dispensés par Achille Dauphin-Meunier à l’École supérieure d’organisation professionnelle14 - une ancienne dépendance du CCOP -, est érigée en symbole de l’action rationnelle de l’État se devant, sur le modèle des entreprises rationalisées, de prévoir, d’organiser, de commander, de coordonner et de contrôler l’activité15. Elle permettra le relèvement du pays et

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le bien-être de sa population, grâce à un État jouant un rôle de « régulateur de l’équilibre économique, social et finan­ cier »,é. La politique économique est ainsi présentée dans ses deux versants. C’est une politique de long terme qui trouve son expression dans le plan élaboré par un service spécia­ lisé qui pourrait être rattaché à un ministère de l’Économie nationale17, un « ministère de la Vie économique » (o c m ) ou un « ministère de l’Économie impériale »'*. C’est aussi une politique contracyclique de lutte contre les difficultés immédiates. On voit ainsi aboutir un processus de politisation et de « nationalisation » de l’économie déjà à l’œuvre dans les années 1930 : « L’Économie considérée dans son ensemble est enfin devenue inséparable de la Politique19. » Il a pour corollaire une revalorisation du rôle de l’État, défini dans le domaine économique comme une « réalité distincte de l’Administration qui le sert »20, « un ensemble qui n’est ni arithmétique ni algébrique », « l’expression de la Nation [...], la représentation de sa puissance, [...] la réalisation de ses aspirations politiques [...], l’administration de ses inté­ rêts »2I. La politique économique devient tout à la fois affaire de souveraineté, justifiant que la liberté économique indi­ viduelle s’efface devant l’indépendance nationale, et mar­ que distinctive permettant de situer l’action de l’État dans l’ordre des doctrines économiques : « Le premier critère, à l’aide duquel se définira l’attitude de l’État en matière éco­ nomique, est [...], dit-on à Vichy, l’absence ou l’existence d’une politique économique. Aussi longtemps que l’État n’a pas ou ne veut pas avoir de politique économique, il est nécessairement conduit, soit au libéralisme put; soit à l’in­ terventionnisme. En revanche dès que l’État prétend avoir 184

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une politique économique ou dès que les événements lui en imposent une, il est nécessairement conduit soit au dirigisme, soit à l’étatisme. »22 Un néo-libéralisme bien tempéré Puisque l’adoption d’une politique économique signifie­ rait rupture avec l’ordre libéral, c’est entre le dirigisme et l’étatisme que peut se faire jour un néo-libéralisme, entendu comme une forme de dirigisme refusant néanmoins la « dic­ tature économique ». Comme l’écrit l’un des rédacteurs de la Vie industrielle : « Orienter l’économie ? Oui. L’étatiser ? Non.23 » Les réticences à l’établissement d’un système éco­ nomique étatiste se manifestent en fait à tous les niveaux : les conditions d’élaboration de la politique économique, ses domaines de validité, les modalités de son exécution et sa durée d’application. Si l’on en croit Claude-Joseph Gignoux, la politique d’économie dirigée serait (ou devrait être) limitée notamment « par le respect nécessaire de l’initiative et des activités privées ; par l’impossibilité pour l’appareil direc­ teur, c’est-à-dire pour l’État, d’assurer à la fois la conception, le contrôle et l’exécution du plan ; et, dans le temps, par l’obligation de n’engager une telle politique que par paliers et une fois mis en place les institutions et les cadres appro­ priés »24. Ces trois arguments rappellent, mais sous une forme atténuée, ceux que les néo-libéraux des années 1930 opposaient au planisme. L’action de l’État suscite des critiques dès lors qu’elle enca­ drerait trop strictement les activités privées. La technocrati­ que Délégation générale à l’équipement national souligne ainsi que « l’initiative privée garde une efficacité supérieure quand il s’agit de satisfaire aux besoins d’une vie économi­ que riche et différenciée »25. Au Conseil national de Vichy,

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des notables imposent également cette ligne : « Le contrôle de l’État ne s’exerce sur les activités économiques que dans la mesure où l’intérêt général l’exige, il ne doit jamais entra­ ver l’effort individuel, l’initiative féconde, la responsabilité et les risques générateurs du profit légitime »26. C’est aussi ce que tente de faire valoir Auguste Detœuf au sein du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale, où il demeure minoritaire. Il faut « corriger les méfaits du libé­ ralisme et [...] s’efforcer de s’en assurer ce qu’on croit en être les bienfaits »27. Le plan doit simplement permettre de « parer au plus pressé », car l’essentiel reste de « rétablir le jeu normal de la concurrence, donc la liberté du commerce, partout où des intérêts majeurs de la Nation (économiques, politiques et sociaux) n’exigent pas d’intervention »28. La défense de l’initiative privée constitue à Vichy l’une des préoccupations majeures du patronat industriel et commercial contre les prétentions interventionnistes, voire étatistes, de quelques hauts fonctionnaires occupant, dans le champ économique, des positions de pouvoir qui n’étaient pas les leurs précédemment. L’improvisation et les ratés du système économique et social mis en place par Vichy ne sont pas du goût d’une majorité de chefs d’entreprise, par­ fois pris entre plusieurs comités d’organisation et pouvant subir des pressions, tant de la part de l’Occupant que de la part du gouvernement. Le caractère bureaucratique des comités d’organisation, la faible influence des PME quant à la définition des priorités économiques du régime29 sont ainsi des thèmes largement repris dans la Vie industrielle. Lorsque Jacques Lacour-Gayet, président de la Fédération nationale des entreprises à commerces multiples, publie en 1942 Commerce et économie dirigée, où il s’en prend aux réalisations du régime, il reçoit le soutien de l’équipe de ce

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journal, mais aussi d’économistes universitaires comme Henry Laufenburger et certains dirigeants de la Société statistique de la ville de Paris30. Même les libéraux qui se satisfont du Vichy politique n’approuvent pas pour autant son organisation économique. C’est bien ce qui chagrine Gérard Bardet, ancien secrétaire général d’X-Crise devenu responsable du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale : « Beaucoup de gens n’ont rien appris, n’ont rien compris depuis deux ans. En août 1940, il n’y avait plus d’industrie ni de commerce français. L’État a bâti une bar­ rière derrière laquelle une industrie, un commerce ont pu se reconstituer. [...] Or, j’ai constaté que lorsque la puissance publique a besoin de l’industrie ou du commerce, pour n’im­ porte quelle œuvre, elle se heurte à des positions de Ponce Pilate et à un égoïsme général des gens qui ont oublié ce qu’ils lui devaient31. » Les jusqu’au-boutistes, Pierre Lhoste-Lachaume ou Maurice Goudard, fondateur des usines Solex et auteur d’un libelle intitulé La Défense du libéralisme, se comptent néanmoins sur les doigts d’une main. Ni par ses orientations politiques (quelles qu’en soient les fluctuations), ni par ses structures économiques, Vichy ne fut un régime libéral. Mais le conservatisme social et politique (gouvernement des élites) qui caractérise nombre de « libéraux » facilite parfois leur insertion dans le régime, tout au moins avant le retour au pouvoir de Pierre Laval en 1942. Vichy a pu faire office de rempart à la fois contre le communisme et contre une fasci­ sation de l’État, pourtant indéniable à partir de 1943. Dans les mouvements de Résistance et dans la France combattante, la pensée libérale traditionnelle n’aura joué qu’un rôle marginal. Les libéraux sont trop peu nombreux pour faire contrepoids à une humeur socialisante qui, sous 187

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des formes très diverses, domine32. Certains tentent cepen­ dant de résister à l’influence grandissante des socialistes et des communistes. À Londres, Étienne Hirsch, proche de Jean Monnet et futur commissaire général du Plan, ne conçoit ainsi la planification que comme un stimulant moral : « Il ne peut [...] pas s’agir de réaliser une économie dirigée ou planifiée à proprement parler, mais de créer l’ambiance générale, le climat, les pentes qui inclineront avec le mini­ mum de contrainte l’économie dans les directions estimées désirables pour l’accomplissement des buts sociaux »33. Le Rapport du Comité général d’études (cge) ne dit pas autre chose lorsqu’il affirme que « la France éprouve le besoin d’être guidée, mais [qu’] elle a soif également de retrouver ses libertés perdues - ses libertés économiques comme ses libertés politiques »34. La réticence des « libéraux » à la supplantation de l’ini­ tiative privée par l’action étatique se lit clairement dans l’un des débats centraux de la période, celui sur la division de l’économie en secteurs. À la conception unitaire de la poli­ tique économique portée par la gauche ( « l’interdépendance de tous les problèmes économiques et sociaux35 »), qui est aussi une représentation de l’économie divisée en deux sec­ teurs (l’un nationalisé et l’autre non), soumis à une même « démocratie économique et professionnelle », s’oppose une vision de l’économie découpée en deux secteurs, sans qu’il y ait nécessairement nationalisation, ou en trois secteurs, le premier étant nationalisé, le second contrôlé et le troisième libre. D’un programme à l’autre, la délimitation des sec­ teurs n’obéit souvent pas aux mêmes principes : la logique politique prime le plus souvent au sein des organismes résis­ tants, les nationalisations étant une manière de sanctionner « les féodalités économiques et financières » ; la logique

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économique est invoquée à Vichy, où le secteur « dirigé » se composerait principalement d’industries-clé ; les deux se mêlent dans le programme du CGE, pour qui seuls certains monopoles devraient subir la nationalisation. Contre le prin­ cipe d’une nationalisation pure et simple ou d’une direction centralisée, la sectorisation de l’économie peut s’avérer une solution « pluraliste »36, permettant la conciliation d’une politique économique et du maintien d’une économie libre, bien qu’encadrée. L’essentiel pour les libéraux reste d’introduire une cer­ taine souplesse dans l’économie dirigée. Ils arguent que c’est son inscription dans le temps et dans l’espace qui poserait problème. La nécessité d’une direction à court terme n’est pas contestée mais, pour la dgen, par exemple, « il est important que l’initiative publique sache, au fur et à mesure que la situation s’améliorera, restreindre son domaine et ne pas laisser survivre à leur fonction provisoire les organismes qu’elle aura été dans l’obligation de ne créer que pour répon­ dre à une situation critique et heureusement passagère »37. C’est aussi le point de vue du cge. Et en ce qui concerne les relations internationales, néo-libéraux de Vichy, de la France combattante et de la Résistance convergent sur un point : la France ne peut décider à elle seule de sa politique économi­ que. Elle ne saurait se définir que dans un cadre européen, dont la constitution pourrait par exemple supposer la créa­ tion de marchés transnationaux. À Londres, Hervé Alphand, Étienne Hirsch et quelques autres jettent ainsi les bases d’une union économique euro­ péenne, avec libre circulation des produits et monnaie uni­ que38. Plus modestement, René Courtin appelle à établir une synthèse entre des modèles concurrents (la Grande-Bretagne et la Russie dans son esprit)39. Quant à Claude-Joseph Gignoux,

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qui ne doit pas avoir les mêmes pays en tête, il écrit : « Nous assisterons nécessairement après la guerre à une détente des économies dictatoriales cependant que les nations dites démocratiques poursuivront l’évolution où on les voit enga­ gées vers une discipline et un contrôle croissant de leurs acti­ vités. À la rencontre de ces deux tendances, il y a place pour un régime qui concilie durablement l’autorité nécessaire de l’État et les libertés non moins nécessaires de la personne humaine40. » La Seconde Guerre mondiale a remodelé le discours néo-libéral. Face à la constitution d’une pensée économique d’État, les néo-libéraux multiplient les concessions à leurs adversaires idéologiques, à commencer par les planistes. Le néo-libéralisme devient insaisissable. Certains l’assimilent au néo-capitalisme et à la promotion des ententes libres41, d’autres, au contraire, le pensent comme un système écono­ mique où l’État empêche que « les concertations d’intérêts privés ne viennent mettre en péril l’intérêt général »42 ; cer­ tains opposent les partisans de « l’école néo-libérale » aux « zélateurs de l’économie dirigée »43, tandis que d’autres font du néo-libéralisme un « libéralisme dirigé » et, en tant que tel, une doctrine « directionniste »44. Prôner la mise en place d’une politique économique libérale n’avait cependant de sens sous l’Occupation que dans la mesure où l’État ne disposait pas des moyens d’une politique économique d’en­ semble. La Libération donne un coup d’arrêt à ces « com­ promissions » avec le dirigisme. Haro sur le dirigisme La France adopte entre 1944 et 1946 un modèle de déve­ loppement hybride. Si l’économie de marché est préservée, les réformes de structures donnent à l’État de puissants

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outils d’intervention (nationalisation du crédit, de l’énergie, des transports), les syndicats jouent un rôle de premier plan et les réglementations se multiplient. En réaction, le discours néo-libéral se durcit. Comme l’annonçait déjà Gaëtan Pirou en 1939, « la tendance “néo” s’estompera et sera reléguée à l’arrière-plan [...]. La doctrine échappera alors au risque de déliquescence et d’opportunisme que comporterait un libéralisme élargi. Elle conservera ses lignes nettes et pures. Elle fournira aux problèmes économiques et sociaux des réponses simples et péremptoires »45. En l’espace de deux ans, la IVe République bouleverse de fond en comble le paysage économique français. Les houillères du Nord, Renault, Air France, les compagnies de gaz et d’électricité, 34 sociétés d’assurances et des banques de dépôt ont été nationalisés. En 1947, plus d’un million de personnes travaillent dans les usines de l’État qui four­ nissent 14 % de la production industrielle nationale46. Parallèlement, le redressement économique a supposé la mise en place d’outils de rationalisation à grande échelle : le Commissariat général du plan, né en janvier 1946, indique les objectifs économiques à poursuivre ; l’Institut national de la statistique et des études économiques (insee) et certaines directions du ministère des Finances fournissent l’informa­ tion économique et élaborent la comptabilité nationale ; les grandes écoles de la fonction publique, l’Institut d’Études Politiques de Paris nationalisé en 1945 et la nouvelle École Nationale d’Administration, forment les cadres dirigeants de l’économie nationale. À la tête de ces différentes instances s’affairent des ser­ viteurs de l’État marqués par le bouillonnement intellectuel des années 1930 et de la guerre. Anciens d’X-Crise, des mouvements de résistance ou des structures technocratiques

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de Vichy, les voilà désormais « modernisateurs » du minis­ tère des Finances, chargés de missions du Plan ou patrons des grandes entreprises nationalisées47. L’émergence de nou­ veaux acteurs dans la prise de décision économique - les énarques deviennent rapidement majoritaires dans les équi­ pes dirigeantes du ministère des Finances48 -, et l’apparition d’outils permettant de penser l’activité nationale en termes macroéconomiques49 concourent à une autonomisation de la politique économique vis-à-vis des gouvernements et du Parlement. La place occupée par les hauts fonctionnaires dans le champ économique devient prépondérante à la fin des années 1940 et au début des années 1950. L’évolution des « commissions de modernisation » du Plan, où s’entrecroi­ sent les représentants des différents secteurs, en témoigne. Alors que des ingénieurs proches du monde de l’entreprise donnaient le ton pour le premier plan (1947-1952), dès le second, la part des agents de l’État augmente sensiblement tandis que celle des patrons et syndicalistes décline50. La formation des nouveaux responsables de la politi­ que économique n’incline guère au libéralisme. Dès 1946, François Perroux introduit son enseignement d’histoire des doctrines économiques à Sciences Po par une analyse du « sens de la révolution keynésienne »51. Roger Nathan et Paul Delouvrier présentent aux futurs élèves de I’ena la politique économique comme distincte de l’économie politique, personnifiée par Jacques Rueff, le libéralisme comme une « politique conservatrice » et la véritable poli­ tique économique comme un instrument d’État52. Dans un cours dispensé avec plusieurs inspecteurs des finances, Jean Meynaud, secrétaire général de la Fondation nationale des sciences politiques, traite du néo-libéralisme en évitant

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systématiquement de mentionner ses théoriciens français, notamment Jacques Rueff (auquel il fait pourtant allusion à plusieurs reprises). Il déclare même que considérer les actes du Colloque Lippmann comme « une manifestation de la doctrine néo-libérale serait tout à fait déloyal à l’égard de cette doctrine »53. Et dans un autre cours, il ironise sur le « point de vue affirmé avec fracas par des libéraux intransi­ geants [Friedrich Hayek dans La Route de la servitude] selon lesquels toute intervention de l’État dans la vie économique et, a fortiori, toute tentative de planification, seraient suscep­ tibles de conduire, et même conduiraient, inévitablement à une société intégralement collectiviste, gestapo et chambre à gaz comprises »54. Mais si le libéralisme est rejeté, cela ne signifie pas pour autant que le socialisme soit à l’honneur. Le volontarisme des pouvoirs publics, la recherche de la croissance et de l’em­ ploi servent de référence. L’efficacité technocratique est l’éta­ lon de mesure de toute politique économique : « Production et productivité, donc équipement et modernisation »55. Plus que toute autre expérience pratique de politique économi­ que, le Plan Monnet (1947-1952) serait l’exemple à suivre, pour « l’originalité de la méthode employée », parce que ce « n’est pas une œuvre bureaucratique »5é. L’idéologie des planificateurs français conspue le libéralisme, symbole d’un monde ancien, dépassé, celui de la IIIe République voire de l’avant-1914, et exalte le service public, l’intérêt général et un mode de production qui associe puissance publique et patronat clairvoyant57. Le Plan français est pourtant à bien des égards une entre­ prise paradoxale58. S’il doit son aura aux revendications planistes des années 1930 et au programme du c n r , sa réali­ sation est bien peu conforme à ces prémices. La planification

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ne vise en aucune manière une socialisation de l’économie. Une planification démocratique ? Elle est à la charge d’une petite équipe logée rue de Martignac, nommée par décret, qui ne dépend pas du ministère de l’Économie nationale mais de la Présidence du Conseil. Alors que le terme même de planification laisse penser à une institution dirigiste - l’exemple soviétique est évidemment dans toutes les têtes -, le Commissariat général au plan s’est fait le promoteur d’une « économie concertée ». Les objectifs fixés par le Plan n’ont rien d’obligatoires et c’est par l’intermédiaire des commis­ sions de modernisation que les responsables de la jeune ins­ titution entendent convaincre les acteurs des différents sec­ teurs. Le Plan se veut une œuvre pédagogique. Rien n’aurait été plus contraire à l’esprit de Jean Monnet que de donner à quelques hauts fonctionnaires le pouvoir de régenter l’éco­ nomie. Cet ancien homme d’affaires, devenu expert en rela­ tions franco-américaines, s’est d’ailleurs entouré d’individus partisans d’un interventionnisme modéré, dont certains ne cachent pas leur sympathie libérale, comme Roger Auboin ou Robert Marjolin, deux anciens du Colloque Lippmann. Le Plan a enfin de particulier de ne pas être uniquement un instrument de politique économique. Il est conçu comme un vecteur de paix sociale et comme une arme diplomatique devant non seulement rassurer le bailleur de fonds américain sur la volonté de la France de se moderniser, mais aussi pré­ parer la construction d’un espace européen intégré59. Bref, plutôt que d’instaurer un système socialiste, il s’agit de substituer au vieux libéralisme un capitalisme rationalisé. « La planification à la française est, selon l’un des succes­ seurs de Monnet, la recherche d’une voie moyenne conciliant l’attachement à la liberté et à l’initiative individuelles avec une orientation commune de développement60. » Le modèle

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choisi n’est donc pas incompatible avec une forme de néo­ libéralisme, même s’il ne peut que provoquer la colère des patrons libéraux : « Nous ne sommes pas dupes des vérita­ bles motifs qui inspirent les planistes. Ce Plan d’équipement est un pavillon qui couvre un Plan politique. Il s’agit de socialiser la France dans un minimum de temps et pour cela de ruiner l’Entreprise libre pensant que l’on tient en mains les leviers du pouvoir61. » Avec l’avènement de la IVe République, la notion de politique économique et des objectifs tels que la croissance dans la stabilité (lutte contre l’inflation), le plein-emploi, la productivité, en un mot « la modernisation », s’imposent comme les éléments constitutifs d’une nouvelle forme de sens commun au sein des fractions dirigeantes. Ce chan­ gement d’orientation a suscité d’intenses luttes au sein des gouvernements successifs et de la haute fonction publique : conflit entre le néo-libéral René Courtin, éphémère secré­ taire général à l’Économie nationale lors de la Libération, et Pierre Mendès France, partisan d’un dirigisme fortement teinté d’austérité ; tensions entre ce même Mendès France, René Pleven et Robert Lacoste, puis rivalité entre Jean Monnet et André Philip pour savoir qui aurait la responsa­ bilité de l’élaboration du Plan62. Mais la revalorisation du rôle de l’État a surtout été possible grâce à une évolution interne au champ politique. Lors des élections d’octobre 1945, socialistes et commu­ nistes remportent 50 % des sièges à l’Assemblée et, dans le gouvernement constitué alors, le PCF contrôle les ministères de l’Économie nationale, de la Production industrielle, du Travail et de la Sécurité sociale63. Entre 1944 et 1947, la gauche a le vent en poupe, ce qui favorise la mise en place d’une politique dirigiste, quelles que soient les oppositions

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politiques, sociales et religieuses qui structurent les relations entre les trois grandes forces politiques du moment : socia­ listes, communistes et démocrates chrétiens du Mouvement républicain populaire ( m r p ). Parce qu’elle va à l’encontre de l’humeur du temps, la critique des réformes de structures a pu sembler marginale à certains historiens64. Elle bénéficie cependant de soutiens dans la presse, tant générale que spécialisée, et répond aux aspirations d’une large partie du patronat qui, jusqu’en 1946, ne dispose pas d’une organisation lui permettant de s’oppo­ ser efficacement aux mesures gouvernementales65. Le Figaro, déjà l’un des plus grands journaux français à la Libération, a été précurseur. L’écrivain catholique Paul Claudel y publie le 11 janvier 1945 un article très hostile aux nationalisations et un mois plus tard, André Siegfried relaye son propos dans un texte plus nuancé66. Entre 1945 et 1946, Auguste Detœuf, qui tient la chronique économique du journal, signe 34 articles où il plaide pour un retour à la liberté des prix et un desserrement des contraintes pesant sur l’économie67. Celui qui s’était fait le tenant du néo-libéralisme de Walter Lippmann et le promoteur de l’organisation professionnelle prône un État devant progressivement s’occuper uniquement « d’information et de défense de l’intérêt public »68. Et il n’y a pas qu’au Figaro que les néo-libéraux peuvent faire valoir leur hostilité à la mainmise de l’État sur l’écono­ mie. Le Monde, quotidien fondé avec le soutien des pouvoirs publics en décembre 1944 pour remplacer Le Temps, accor­ de une large place à leurs argumentaires. Rien d’étonnant à cela : René Courtin, l’un de ses trois co-directeurs (avec Hubert Beuve-Méry et Christian Funck-Brentano), a large­ ment imprimé sa marque entre 1944 et 1949. « L’entente fragile [entre Courtin et Beuve-Méry] est alors préservée par

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la relative incompétence de chacun des deux hommes dans le domaine de prédilection de l’autre [l’économie pour le pre­ mier, la politique étrangère pour le second], expliquent deux historiens. Pour “éviter d’inutiles bagarres”, Courtin veillait à ne pas utiliser des formules trop voyantes. Beuve-Méry qui, affirme-t-il, à ce moment-là surtout, ignorait tout des problèmes économiques, eut accepté de couvrir la politique libérale la plus échevelée pourvu qu’elle se présentât sous un aspect empirique69. » Le ton nuancé des articles dissimule parfois une attitude très combative. Sur les quatre textes que Daniel Villey, auteur d’un Pamphlet contre les réformes de structures, publie dans le Monde en 1945, deux ont ainsi donné lieu à de vives controverses : l’un assimile « marxistes » (conscients ou inconscients de l’être) et « hitlériens » et appelle à sauver la « civilisation individualiste et libérale »70, ce qui vaut à Daniel Villey une réponse de Léo Hamon dans la même édition ; l’autre, consacré à « l’indemnisation des porteurs d’actions d’entreprises nationalisées »71, suscite une répli­ que immédiate de Pierre Hervé dans L’Humanité. La même année, Louis Baudin rédige trois articles, Pierre Fromont dix, presque tous consacrés aux problèmes agricoles, Charles Rist un, sur les prélèvements sur le capital. Quant à René Courtin, il livre quarante-cinq articles en 1946, dont certains courent sur plusieurs numéros. Le fait que deux des journaux s’adressant aux élites éco­ nomiques et politiques laissent prévaloir une orientation néo-libérale sur les questions économiques témoigne de la vigueur de ce courant d’idées. Car ce qui se donne à voir au niveau de la grande presse relève d’une mobilisation plus large. La presse économique, presse patronale s’il en est (elle se confond avec la presse financière jusqu’aux années 1950

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et ne cherche pas encore à conquérir les cadres et les classes moyennes72), ne dissimule pas son hostilité au nouveau cadre économico-institutionnel. Les Nouvelles économiques, L'Opinion économique et financière ou la revue Banque égratignent régulièrement l’inefficacité bureaucratique73. Le néo-libéralisme peut également compter sur de grands périodiques généralistes comme la Revue de Paris, où officie Edmond Giscard d’Estaing, fermement opposé aux natio­ nalisations74, ainsi que sur de nouvelles revues, Hommes et Mondes et Planète, créées en 1947 à l’instigation de patrons influents tels Ernest Mercier ou Gaston Riou, président de l’Union économique et douanière européenne. Si l’on ajoute à cela les 46 ouvrages parus aux Éditions de Médicis en 1945-1946 (dont deux rééditions de la Cité libre, les traduc­ tions de la Route de la servitude de Friedrich Hayek et de Civitas Humana de Wilhelm Röpke), les conférences publi­ ques organisées par des groupements patronaux, comme le Comité d’action économique et douanière75, ou par la Société d’économie politique76, force est de constater qu’une opposition néo-libérale s’organise.

Le retour des libéraux Ce n’est pas au sein du champ politique que s’est initia­ lement amorcée la dynamique libérale, mais dans l’univers patronal. Que la France ait compté parmi les nations occi­ dentales qui ont poussé le plus loin la socialisation de leurs activités économiques tient en partie au discrédit qui affecte le patronat pour sa collaboration réelle ou supposée avec l’Occupant et avec les autorités de Vichy. La revendication libérale joue ainsi un rôle central dans la reconstruction du syndicalisme patronal : elle permet de faire peau neuve à ceux qui se sont laissés séduire par les sirènes du corporatisme

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vichyssois ; elle répond aux aspirations de nombreux entre­ preneurs, quels que soient leurs secteurs d’origine et leurs divergences d’intérêt. Le C N P F à l’offensive Créé en juin 1946 pour coiffer le patronat d’une organisa­ tion réellement représentative, le Centre national du patronat français (c n p f ) marque la réconciliation entre patronat ingénieurial et familial. La direction du c n p f résulte d’un savant dosage entre fractions potentiellement rivales. À la présiden­ ce de l’organisation, Georges Villiers, industriel moyen, offre une caution résistante au patronat : ancien maire de Lyon, il a été condamné à mort pour la protection qu’il a accordée à des résistants et déporté à Dachau. À la vice-présidence éco­ nomique, Pierre Ricard a toutes les propriétés du manager : ce polytechnicien, ingénieur des mines devenu administra­ teur, est passé par le comité d’organisation de la fonderie. En revanche, la vice-présidence sociale échoit à Marcel Meunier, ingénieur des arts et métiers, paternaliste hostile aux syndi­ cats ouvriers, tandis qu’Emmanuel Mayolle, un savonnier n’ayant pas fait d’études supérieures, complète l’équipe. Dotée d’une direction très combattive, l’organisation patro­ nale espère pouvoir compter sur une base plus large que celle de la défunte c g p f . Ce n’est donc pas un hasard si son recrutement exclut les dirigeants d’entreprises publiques en position de monopole - on les compte parmi les adhérents de l’Association des cadres dirigeants de l’industrie pour le progrès social et économique (a c a d i ). Dans un univers où les clivages entre paternalistes et modernisateurs, patrons propriétaires et administrateurs, demeurent structurants, la lutte pour la sauvegarde de la libre entreprise constitue un thème fédérateur.

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C’est ainsi à l’initiative des instances dirigeantes du cnpf qu’est créée en 1947 l’Association de la libre entreprise, une organisation visant à « défendre et [...] préconiser la liberté d’entreprise sur le plan économique et social avec toutes ses conséquences »77. Son modèle vient tout droit des États-Unis où Georges Villiers s’est rendu pour un voyage d’études de trois semaines en 1946. Invité par des industriels, il a décou­ vert les travaux de la Foundation for Economie Education de New York, un think tank qui armera intellectuellement et financièrement la Société du Mont-Pèlerin78. À l’image de son homologue américain, l’Association de la libre entrepri­ se entretient des relations avec une vingtaine d’organisations disséminées en Europe et aux États-Unis. Elle tente même de coordonner leurs activités en organisant une conférence internationale à Paris en octobre 195079. Moins « intellec­ tuelle » que la Foundation for Economie Education, l’Asso­ ciation de la libre entreprise diffuse avant tout des brochures « éducatives » sur l’économie de marché. Parfois tiré à plus de 300 000 exemplaires, son trimes­ triel Voici les faits donne le ton : « Mettre en évidence les méfaits du dirigisme - celui de l’État notamment - et le dénoncer comme le cancer de la France80. » Son contenu rédactionnel se réduit au minimum (graphiques, caricatures, tableaux occupent une place centrale) et martèle systéma­ tiquement un même message : les charges sociales écrasent l’entreprise, les impôts brident l’initiative, les fonctionnaires pullulent et sont injustement protégés du chômage. Durand, le « Français moyen » héros des brochures de l’Association - c’est un personnage classique dans la presse de l’époque -, doit toujours payer pour les autres (les improductifs) et s’il veut que les choses changent, il faut qu’il aille voter (et du bon côté)81.

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Avec l’Association de la libre entreprise, c’est moins le néo­ libéralisme qui est à l’honneur que le libéralisme classique. Pendant les quelque quinze années que dure son existence, l’Association est animée par un quasi-inconnu. « Morisot Georges, Jules, né le 11 juin 1898 à Orly de Georges et de Labasque Eugénie... » précise la notice biographique, archi­ vée par Hubert Beuve-Méry alors qu’il soupçonne l’Asso­ ciation de la libre entreprise d’être à l’origine du Temps de Paris, journal lancé pour contrecarrer l’influence du Monde82. Ingénieur d’origine modeste (son père était un petit entrepre­ neur en maçonnerie de la région parisienne), Georges Morisot est en fait l’homme de confiance des dirigeants de Michelin, un factotum « mis à la disposition » de Georges Villiers à l’oc­ casion de son escapade new-yorkaise83. Depuis le 199 boule­ vard Saint-Germain, dans le VIIe arrondissement de Paris, il dirige une association aux activités certes limitées mais auréo­ lées d’un très large soutien dans l’univers patronal. Au milieu des années 1950, elle est présidée par Georges Villiers, secondé par André Charon, président de la Shell française, Étienne Villey, du Groupe des industries métal­ lurgiques, mécaniques et connexes de la région parisienne, Jacques Moreau, gérant de la Librairie Larousse, et René Fould, président de la Chambre syndicale des constructeurs de navires. Autant d’individus qui occupent des positions de pouvoir dans le monde économique et qui bénéficient d’un certain prestige : Fould compte parmi les proches d’Ernest Mercier, Charon arbore la médaille de la Résistance, Villey est l’un des principaux bailleurs de fonds de la propagande anticommuniste, en même temps que l’un des artisans de la reconstruction du mouvement patronal après la Libération. Quant au conseil d’administration de l’Association, il donne un aperçu de la multiplicité des soutiens dont dispose la cause

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libérale. S’y trouvent réunis des représentants du grand patro­ nat industriel (Raoul de Vitry, vice-président de Pechiney, et Roland Labbé, président de l’Union des industries métallurgi­ ques et minières), des notables comme le président de l’Auto­ mobile Club de France, un conseiller du Centre des jeunes patrons (Hyacinthe Dubreuil) et des membres d’organisations de p m e et de classes moyennes (Paul Pisson, président de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, CGPME, Lucien Daffos, vice-président de l’Association inter­ professionnelle de l’entreprise à capital personnel). L’adhésion au libéralisme transcende les clivages patro­ naux ordinaires. Le c n p f et son Association pour la libre entreprise n’imposent pas une interprétation unique du libéralisme. De nombreuses structures intermédiaires per­ durent, ce que dans le langage de cet univers on appelle des « groupements patronaux d’intérêt général », affichant une orientation confessionnelle, ou agissant comme des lobbies à l’image de la c g p m e 84. Georges Villiers, le patron des patrons, collectionne lui-même les appartenances : Comité France-Dollar, associations « France-Amérique », « FranceÉtats-Unis », ou encore « France-Amérique Latine ». Comme dans les années 1930, c’est parmi les organi­ sations liées au commerce et aux industries exportatrices que se recrute une bonne partie des tenants du laissez-faire. Les manifestions organisées par le c a e d , devenu en 1951 le Comité d’action et d’expansion économique, témoignent ainsi de la permanence de cette tradition. Bien que nourri de références historiques et placé « à l’ombre du colloque Lippmann »85, le libéralisme, défendu par Jacques LacourGayet et ses proches, demeure radicalement anti-dirigiste et en affinité avec les intérêts immédiats du grand commerce : limiter la réglementation, la bureaucratie, les charges fiscales.

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C’est aussi un discours traditionaliste (on se méfie des statis­ tiques des planificateurs) et moraliste : « L’économie dirigée que nous pratiquons est profondément immorale, dénonce Lacour-Gayet. D’abord elle constitue une incroyable entre­ prise de gaspillage. Il est immoral dans un pays exsangue et ruiné, de prodiguer, pour des résultats aussi décevants, tant d’intelligence, tant d’argent et tant de main-d’œuvre. [...] L’économie dirigée est encore plus immorale quand elle accoutume à la fraude et au mensonge. [...] L’économie dirigée et la concussion sont comme la face et le revers d’une médaille, inséparables. [...] Une grande tâche s’offre au gou­ vernement de la France : assainir l’atmosphère morale de ce pays.86 » Le néo-libéralisme du Centre de jeunes patrons (c j p ), l’un des héritiers du néo-capitaliste c c o p des années 1930, se construit sur des bases bien différentes. Inspiré par le catholicisme social, abreuvé des écrits d’Auguste Detœuf et d’Hyacinthe Dubreuil, le c j p se revendique d’un « libéra­ lisme concret »87, vantant tout à la fois la libre entreprise, la concurrence « loyale » et l’organisation scientifique du travail qui doit permettre à chaque salarié de se muer en un entrepreneur autonome88. Fervents soutiens de la « moder­ nisation » de l’après-guerre, les jeunes patrons semblent politiquement inclassables : leur organisation, dirigée par d’authentiques militants corporatistes à l’image de Jacques Warnier, porte ainsi à sa tête au début des années 1960 José Bidegain, qui en de multiples occasions rend publique sa sympathie pour la gauche. Proches de l’équipe du Plan, les dirigeants des Jeunes patrons acceptent les nationalisations, dès lors qu’elles concernent des monopoles de fait, et, à l’en­ contre des catholiques libéraux, prônent une association des travailleurs à la gestion de l’entreprise par l’intermédiaire de

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collèges mixtes. Si l’Association de la libre entreprise ou le CAED se revendiquent d’un libéralisme classique, les Jeunes patrons reprennent les thématiques du libéralisme social, combinant rationalité gestionnaire et exaltation du dialogue entre partenaires sociaux. Ce discours pour patrons familiaux transformés en managers a des résonances étonnamment socialisantes, surtout si on l’écoute avec les oreilles d’un membre de l’As­ sociation interprofessionnelle de l’entreprise à capital per­ sonnel (a i e c p ). De l’aveu même des responsables de P a c a d i , souvent en phase avec le c jp , « un trou béant » sépare leurs conceptions économiques et sociales et celles des dirigeants de I’a i e c p 89. Aujourd’hui bien oubliée, cette organisation s’est en effet longtemps vouée à porter le libéralisme le plus intransigeant dans le monde patronal, notamment grâce à son journal L’Informateur. Le programme de I’a ie c p , née à Lyon en août 1940 et plutôt proche du régime de Vichy à ses débuts90, est tout entier contenu dans son appellation. Qu’estce qu’une entreprise à capital personnel ? « L’entreprise à capital personnel est dans toutes les professions celle où le Chef, le “Patron” travaille à la fois avec son argent, avec son cerveau et souvent, avec ses mains. » Le patron de I’aiecp n’est pas l’administrateur prévoyant des Jeunes patrons se devant d’« éviter toute tâche d’exécution »91. C’est un chef d’entreprise au sens fort du terme. Propriété, profit, liberté de commerce forment ainsi le socle du libéralisme d’une organisation demandant le retour des entreprises nationali­ sées au secteur privé et refusant toute idée de cogestion. « Propriété : nous défendons la propriété de nos entrepri­ ses et de nos moyens de production. Profits : défendant le profit, nous nous élevons contre cette croyance erronée qui consiste à penser que ce que gagne l’homme l’est au détriment

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des autres comme si les richesses étaient une quantité cons­ tante qui doit être divisée entre tous. Le profit réalisé par l’entrepreneur est la rémunération de son travail et de son activité et ça n’est qu’une partie des richesses qu’il créée et dont la collectivité va bénéficier. Liberté de commerce : considérant que la situation de pénurie actuelle ne peut être regardée que comme une situation anormale et passagère, nous nous élevons contre les formules de contraintes ridicu­ les que le dirigisme voudrait imposer à l’économie92. » L’a ie c p fait entendre les revendications de petits entrepre­ neurs indépendants, souvent ingénieurs des arts et métiers, au sein des instances dirigeantes du c n p f et de la c g p m e . Elle peut s’enorgueillir du prestige de certains de ses membres (Antoine Pinay notamment) et dispose de relais au travers du Conseil international pour l’entreprise libre, constitué en 1955 et réunissant des organisations issues de cinq pays européens et des États-Unis, pour promouvoir l’entreprise personnelle contre la planification et le socialisme93. L’a ie c p poursuit le combat entamé durant les années 1930 par le Groupement de défense des libertés économiques. Certains de ses principaux dirigeants tels Lucien Daffos, constructeur et réparateur de matériel électrique, et René Berger-Perrin, administrateur de l’association, sont d’ailleurs des proches de Pierre Lhoste-Lachaume. À la tête du Point de rencontre libéral-spiritualiste fondé en 1947, celui-ci est parti en croisade contre les catholiques sociaux coupables à ses yeux de sympathie envers le dirigis­ me. « Le libéralisme, explique-t-il, n’a pas à se renier pour se mettre d’accord avec le christianisme [...] car si le libéralisme économique et politique a pour clé de voûte indispensable la morale du Décalogue, celle-ci a pour ennemi ouvert le tota­ litarisme, et pour poison insidieux le matérialisme larvé de

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l’État Providence94. » Au catholicisme social défendu par des universitaires, hauts fonctionnaires et managers s’oppose un catholicisme libéral, diffus dans certaines franges du patronat, qui entend concilier le temporel et le spirituel par la charité. Il s’agit à la fois de combattre l’État Providence, dont « les institutions collectivisantes sapent la prospérité économique, affaiblissent le pouvoir politique, et aboutissent à faire des “assujettis” des chasseurs de privilèges »95, et de rejeter le matérialisme « parce qu’il réduit l’homme aux seuls intérêts de sa nature animale, et, en niant les exigences de sa nature morale, le coupe de toute vie libre et spirituelle profonde »96. Si l’héritage des années 1930 est revendiqué par la plupart des groupements patronaux, y compris l’Association interpro­ fessionnelle de l’entreprise à capital personnel, l’un des effets importants des réformes de structures aura été de marginaliser le versant « social » du néo-libéralisme dans l’univers patronal. Le cjp n’a ainsi jamais compté plus de trois mille adhérents sur la période 1945-197097. Conçu comme une doctrine visant à préserver le cadre dans lequel une économie de marché peut fonctionner de manière efficace, le néo-libéralisme des années 1930 pouvait inspirer une forme de dirigisme. Or la plupart des libéraux ne sont pas prêts à embrasser une doctrine que peu ou prou les planificateurs de l’après-guerre ont faite leur. L’osmose entre l’État planificateur et le patronat, la fameuse « conjuration du Plan »9S associant hauts fonctionnaires et dirigeants des grandes entreprises, n’est qu’un mythe, sauf à considérer les responsables du secteur nationalisé comme des patrons à part entière. L’inflexion des politiques gouvernementales Tout comme le patronat, la droite libérale fait piètre figure à la Libération : le prestige de la Résistance et l’épuration

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placent communistes, socialistes et démocrates chrétiens en position de force. Le libéralisme économique reste néan­ moins représenté par une kyrielle de formations, parfois difficiles à situer politiquement". Entre les mouvements d’inspiration libérale, les frontières sont souvent poreuses et les dissensions nombreuses : l’Alliance démocratique conti­ nue d’exister sous la direction de Pierre-Étienne Flandin, même frappé d’inéligibilité ; la Fédération républicaine refuse de rejoindre le Parti républicain de la liberté ( p r l ), formé en décembre 1945. Recrutant parmi les rescapés du pétainisme et la droite de la résistance, c’est ce groupement qui se fait à l’Assemblée le porte-drapeau de la lutte contre le « marxisme ». Son programme économique tient en un mot : « néo-libéralisme100. » La famille libérale se recompose progressivement autour de deux pôles. Le premier a pour pivot le Rassemblement des gauches républicaines ( r g r ), créé en 1946, auquel adhè­ rent à « gauche » le Parti radical, l’Union démocratique et socialiste de la Résistance ( u d s r ) ; à « droite » le Parti social-démocrate de Paul Faure (socialiste rallié à Vichy), l’Alliance démocratique et le Parti républicain et social de la réconciliation française, héritier du Parti social français du colonel de La Roque. Des radicaux, de tendance « néo­ radicale », dominent cette formation hétéroclite. Défenseurs de la libre entreprise, hostiles au dirigisme et aux nationali­ sations, ils repositionnent le Parti radical au centre droit de l’échiquier politique101. C’est dans ce sillage que le sénateur Marcel Pellene met en place en 1950 un Comité d’études pour le redressement économique et financier dont les publi­ cations dénoncent la fiscalité, les gaspillages, les privilèges de la fonction publique et de manière générale l’emprise de l’État sur l’économie102.

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Un second pôle se développe avec le Centre national des indépendants (c n i ), né en 1948 et qui absorbe durant les années 1950 la plupart des groupements modérés, notam­ ment paysans (en 1951, le c n i devient ainsi le c n i p ). Fondé par Roger Duchet, viticulteur en Côte-d’Or, avec le soutien de représentants des mouvements de la droite libérale de l’entre-deux-guerres, ce parti bénéficie d’emblée de l’adhé­ sion de nombreux notables provinciaux et d’intellectuels de droite comme Jacques Rueff. Son hebdomadaire France indépendante offre une tribune de choix aux libéraux103. Le chroniqueur économique Jacques Plassard, conseiller de la Fédération française des sociétés d’assurances et animateur aux côtés de Bertrand de Jouvenel de la Société d’études et de documentation économique ( s e d e i s ), s’y montre particu­ lièrement inflexible : le dirigisme compromet la prospérité française, le syndicalisme ouvrier nuit gravement à la paix sociale. D’élogieux portraits de personnalités connues pour leur engagement libéral agrémentent le journal. Parmi elles, Louis Baudin, Hyacinthe Dubreuil, Claude-Joseph Gignoux, Edmond Giscard d’Estaing, Bertrand de Jouvenel, Jacques Lacour-Gayet, François-Félix Legueu, Émile Mireaux. Le c n i a d’ailleurs intégré dans ses commissions de travail la plupart de ces doctrinaires du néo-libéralisme. Ferraillant contre la gauche et le RPF du général de Gaulle104, il rem­ porte rapidement des succès électoraux et provoque même la division des députés gaullistes, certains d’entre eux ayant voté l’investiture Pinay le 6 mars 1952. La position de la droite libérale dans le champ politique reste néanmoins fragile : elle est fragmentée par des querelles de personnes qui doivent beaucoup aux choix antagonistes faits sous l’Occupation ; son assise sociale se restreint à la bourgeoisie économique ; la révolte antifiscale de l’Union

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de défense des commerçants et artisans ( u d c a ) de Pierre Poujade contribue à la désorganisation des droites, certains patrons libéraux se ralliant au papetier de Saint-Céré dans sa lutte en faveur du contribuable. Les idées libérales progressent cependant. La Guerre froide a en effet pour conséquence de modifier les rapports de force politiques et syndicaux et ainsi de transformer les politiques économiques qui en sont à court terme le produit. Le renvoi des ministres communistes du gouvernement le 5 mai 1947 met fin au tripartisme et les grandes grèves de l’automne, qui ont introduit dans le pays un climat insur­ rectionnel, conduisent à l’éclatement de la c g t . Parce qu’à droite de l’échiquier politique le RPF conteste le régime, la IVe République ne fonctionne désormais que grâce à une alliance des socialistes, des radicaux, des indépendants et du MRP.

Le régime glisse mécaniquement vers la droite. Ce mou­ vement s’accompagne d’une remise en cause de la politique économique des années 1944-1946. Durant deux ans, la France avait fait le choix de l’inflation contre celui de l’aus­ térité. Cette victoire des « modérés » avait fermé la porte au dirigisme total envisagé par Mendès France qui prônait le blocage des prix et des comptes en banque ainsi qu’un alour­ dissement des impôts indirects sur les consommations de luxe. Au final, René Pleven et Paul Ramadier optaient pour un échange de billets sans blocage, un emprunt, un impôt de solidarité nationale et des expériences de libéralisation des prix. Comme le note Jean Bouvier, « les choix faits en 19441946 tant en politique conjoncturelle qu’au plan des struc­ tures orientèrent la croissance économique française pour un long temps. L’ultérieure et progressive évolution vers une économie certes “mixte”, mais de plus en plus “néo-libérale”

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[...] était en germe dans l’acceptation de l’inflation et dans des réformes de structures qui permirent d’immédiats et indispensables sauvetages, sans apporter de solutions vrai­ ment neuves aux problèmes de l’État et du pouvoir »105. L’économie française peine à redémarrer et le cocktail diri­ gisme-politique de la confiance montre rapidement ses limites. Après les communistes, c’est au tour des partisans d’un inter­ ventionnisme fort d’être exclus du gouvernement (notamment le socialiste André Philip en octobre 1947). Les politiques suivies par les ministres des Finances successifs, René Mayer et Maurice Petsche, tranchent avec celles de leurs prédéces­ seurs106. La recherche de l’équilibre budgétaire, la lutte contre l’inflation, les tentatives de libéralisation des prix caractérisent ainsi la politique économique et sociale de la fin des années 1940. Du point de vue d’un doctrinaire, les mesures adoptées sont évidemment bien timorées. Une forme de néo-libéralisme inspire néanmoins Henri Queuille, Edgar Faure ou Antoine Pinay, des modérés qui, par l’interventionnisme étatique, cher­ chent à recréer les conditions de la concurrence. Dans la plus pure tradition du radicalisme, le premier fait de l’équilibre budgétaire un « impératif catégorique »107. Pragmatique, le second réfléchit aux conditions permettant « l’établissement d’une concurrence effective »108, même s’il est contraint de suspendre la liberté des échanges. Quant au troi­ sième, il pourfend les fonctionnaires « fiscalo-dirigistes »109 du ministère des Finances et tente de vaincre l’inflation par la confiance. Aucun de ces présidents du Conseil n’aura mené une politique libérale orthodoxe : les contraintes de la reconstruction ne le permettent pas. L’inspiration néo-libé­ rale perce cependant. Antoine Pinay, que le journal Combat présentait comme « le moins libéral des libéraux », place ainsi son action sous le signe d’un « libéralisme loyal qui

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dans le climat de concurrence saine, doit rechercher sans cesse le progrès technique et la paix sociale »no. Sa politique se conforme donc aux préceptes du néo-libéralisme accep­ tant « que tout ne rentre pas dans l’ordre instantanément et que le gouvernement libéral “dirige” une population qui a besoin de refaire l’apprentissage de la liberté »m . Le tournant libéral de la IVe République n’est pas uni­ quement l’œuvre du centre-droit de l’échiquier politique. Même la politique économique du gouvernement Mendès France présente des analogies avec la doctrine exposée lors du Colloque Lippmann. Au dirigiste de 1945 s’est en effet substitué un partisan du marché, soucieux de conserver ses appuis électoraux dans la famille radicale et doutant de la capacité de l’administration à redresser l’économie natio­ nale112. Les « modernisateurs » qui croyaient obtenir un renforcement des pouvoirs du Plan déchantent rapidement. Mendès, qui n’est pas encore le chantre de la « planifica­ tion démocratique » des années 1960-1970, ne jure que par la libéralisation des échanges et la concurrence interna­ tionale pour assurer la modernisation de la France. L’idée qu’il défend avec ses proches collaborateurs, Simon Nora notamment, est toute darwinienne : « Se servir des pressions de la concurrence extérieure pour éliminer les “canards boi­ teux” dont on organise activement, sur le plan intérieur, la reconversion et le reclassement113. » Et tout en brocardant l’adjectif « néo-libéral » (que selon lui on emploie avec « plus d’habileté que de précision »), ce keynésien se félicite de la politique économique poursuivie en Allemagne par Ludwig Erhard, un exemple pour la France114. L’histoire de la IVe République n’est pourtant pas celle d’un progrès continu vers la liberté économique. Les tensions internationales et la décolonisation (guerre d’Indochine,

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guerre d’Algérie) grèvent les finances publiques et obligent à ponctionner toujours davantage le revenu national. La France des années 1940-1950 n’en est pas moins marquée par une disjonction entre des gouvernements qui tentent de rétablir le libre jeu du marché, mais sont victimes d’une ins­ tabilité politique chronique, et des structures économiques dirigistes qui, elles, perdurent. Les pouvoirs publics se heur­ tent à l’impossibilité politique de réformer en profondeur l’État Providence, une conquête de la Libération, aboutisse­ ment d’années de revendications et d’essais institutionnels. Les plus « sociaux » des néo-libéraux en conviennent, il leur faudra patienter : « Il n’est pas possible d’envisager la sup­ pression de la Sécurité sociale, écrit Claude-Joseph Gignoux ; il faut concevoir une prévention et une garantie des risques sociaux qui n’écrase pas l’économie. On peut [...] considé­ rer les nationalisations comme une erreur de principe ; il est inutile de s’abuser sur la possibilité de révoquer la totalité de celles qui ont été opérées [...]115. » Les plus radicaux eux, à l’image de Pierre Lhoste-Lachaume, condamnent ce régime hybride et nourrissent du res­ sentiment vis-à-vis d’intellectuels libéraux qui, à leurs yeux, contribuent à le légitimer. La vigueur de Vanticommunisme Malgré leurs divisions, les néo-libéraux font bloc contre un adversaire commun : le communisme. L’histoire politique a eu coutume de s’interroger sur la nature du Parti commu­ niste, ses velléités révolutionnaires et l’attraction qu’il a pu exercer auprès des intellectuels. Mais si le communisme a joué un rôle central dans la vie politique de l’après-guerre, l’anticommunisme constitue le plus petit dénominateur commun entre des groupes de nature très différente. Ils ne

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s’adressent pas aux mêmes publics et n’usent pas des mêmes moyens : d’un côté, des instances de réflexion intellectuelle sur la nature du communisme et du totalitarisme ; de l’autre, des organes qui ont pour objectif la dénonciation du com­ munisme par la propagande et la lutte électorale. Les grou­ pements anticommunistes se différencient également selon qu’ils possèdent un ancrage international (européen ou atlantique) ou au contraire strictement national, voire local. Outil de la diplomatie culturelle américaine116, le Congrès pour la liberté de la culture, qui s’installe à Paris au prin­ temps 1951, se pare d’emblée d’une forme de respectabi­ lité intellectuelle. Autour de sa revue Preuves, il parvient en effet à fédérer des représentants de la gauche antista­ linienne (ex-membres du Rassemblement démocratique révolutionnaire comme David Rousset), des conservateurs (Thierry Maulnier, ancien de l’Action française, journaliste au Figaro), des gaullistes et des libéraux de la revue Liberté de l’esprit (Raymond Aron)117. Contre Les Temps modernes de Jean-Paul Sartre et Esprit, deux revues influentes par leur « anti-anticommunisme », Preuves affirme son européa­ nisme et son rejet radical du totalitarisme. Elle se définit à la fois comme l’expression intellectuelle de la Troisième Force (union des partis modérés contre le communisme) et en contrepoint des « progressistes » qui appellent à la recherche d’une troisième voie entre capitalisme et communisme et au neutralisme dans la Guerre froide. Dans le champ intellectuel de l’après-guerre. Preuves occupe ainsi une position en porte-à-faux. Proche à ses ori­ gines de la S F io , la revue passe pour droitière dans certains milieux de gauche. Elle n’est en outre guère du goût des élites éclairées de la modernisation. Comme le Congrès pour la liberté de la culture au niveau international. Preuves se

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déplace progressivement de la gauche antistalinienne vers le libéralisme politique et économique. C’est en quelque sorte la trajectoire de Raymond Aron qui se lit dans l’itinéraire de cette revue. Universitaire devenu journaliste au Figaro parce qu’il veut s’engager en politique, Aron a rompu avec son milieu intellectuel d’origine. Contre le philo-communisme ambiant, il s’est brouillé avec Sartre et l’équipe des Temps modernes jusqu’à adhérer au r p f du général de Gaulle, mou­ vement qui concentre la haine des intellectuels progressistes parisiens. Raymond Aron a opté pour de Gaulle contre un parlementarisme qui ne fonctionne pas, et pour le libéra­ lisme économique contre une gauche dont l’étatisme menace à ses yeux les libertés politiques118. Bien que peu diffusée, Preuves témoigne de l’existence en France d’un courant anticommuniste intellectuellement conséquent, à mille lieux de l’activisme des militants réu­ nis autour de Georges Albertini. Tandis que les uns tentent de saisir les fondements du « préjugé favorable »119 dont bénéficie l’Union soviétique dans les milieux intellectuels et construisent le discours du courant anti-totalitaire sous la forme qu’il conserve jusqu’aux années 1970, les autres s’in­ vestissent dans une lutte quotidienne. Issu d’un milieu modeste, archétype du jeune intellec­ tuel socialiste des années 1930 (normalien, il a adhéré aux Étudiants socialistes, rejoint Révolution constructive, le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes et l’Institut supérieur ouvrier de la c g t ), Georges Albertini fait partie de cette fraction de militants de gauche dont la trajectoire a été entièrement redéfinie par la Seconde Guerre mondiale120. Viscéralement anticommuniste, c’est l’une des figures mon­ tantes de la mouvance collaborationniste sous l’Occupation : secrétaire général du Rassemblement national populaire de

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Marcel Déat de 1942 à 1944, directeur de son cabinet minis­ tériel en 1944, auteur de nombreux articles dans le National populaire, L ’Œuvre, Le Rouge et le Bleu, il est condamné en décembre 1944 pour « intelligence avec l’ennemi ». Gracié en 1948, il rejoint la Banque Worms (Hippolyte Worms était son voisin de cellule à Fresnes) et surtout se lance dans la propagande anticommuniste systématique et le fichage des militants avec le soutien de milieux patronaux (le Groupe des industries métallurgiques de la région parisienne notam­ ment121). Georges Albertini crée en 1948 l’Association d’études et d’informations politiques internationales qui diffuse un bulletin, le b e i p i (devenu Est-Ouest en janvier 1956), puis en 1951 le Centre d’archives et de documentation politiques et sociales qui publie les Informations politiques et sociales. Intervenant lors des élections, imprimant des brochures, disposant de relais dans le monde syndical (principalement à Force ouvrière), l’organisation mise en place par Georges Albertini se prévaut d’exercer sur les pouvoirs publics une forte influence. « D’une manière schématique, écrit Georges Albertini en 1955, tous les présidents du Conseil, tous les ministres importants, tous les personnages importants de l’État, tous les hauts fonctionnaires, un grand nombre de journalistes qualifiés, français et étrangers, ont participé par un biais ou par un autre à notre action. Nous avons eu, grâce à eux, constamment accès à des sources d’information fermées à tous autres. Nous avons agi, bien souvent, comme une sorte d’organisation d’État122. » S’il y a sans doute quelque exagération dans son propos, le nombre de périodiques dans lesquels écrivent les proches de Georges Albertini reste impressionnant : des quotidiens comme Le Figaro (Boris Souvarine), L’Aurore (Georges Albertini), 215

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Le Parisien libéré (Lucien Marzet), La Dépêche du Midi (Émile Roche) ou Le Dauphiné libéré (Pierre Darnar) ; des hebdomadaires allant de L’Ouvrier des Mines (Eugène Dumoulin, c g t - f o ) à France indépendante (Guy Lemonnier), en passant par La Vie française (François-Félix Legueu) ; des mensuels comme Les Écrits de Paris (Jean Arfel, plus connu sous le pseudonyme de Jean Madiran), Fédération et Le X X e siècle fédéraliste'23. L’entreprise de Georges Albertini assure la reconversion d’anciens militants socialistes ou communistes (le plus sou­ vent passés par le r n p ) en professionnels de l’anticommu­ nisme, opération qui permet de les blanchir partiellement de leur passé parce que leurs connaissances peuvent être un atout pour le patronat de combat et certains hom­ mes politiques libéraux. Rétrospectivement, l’un des fidèles d’Albertini décrit ceux qui s’engagent dans l’équipe comme « des hommes assez au fait de la vie des organisations syn­ dicales, ouvrières et patronales, pour saisir l’importance de certains problèmes que les purs praticiens de l’activité écono­ mique sont enclins à négliger, pour se rendre compte qu’un des plus grands dangers qui menacent la liberté d’entrepren­ dre et toutes les libertés [...] réside dans l’environnement idéologique hostile qui enserre de toutes parts la libre entre­ prise en dépit de ses réussites »124. Des néo-radicaux comme Émile Roche, qui succède à Léon Jouhaux à la tête du Conseil économique et social en 1954, ou Paul Devinât, l’un des rares Français membres de l’Internationale libérale, fréquentent assidûment l’équipe de Georges Albertini. À la rupture avec les milieux socialistes provoquée par les choix opérés sous l’Occupation s’ajoute un infléchissement vers le libéralisme économique. L’itinéraire de Lucien Laurat, l’un des théori­ ciens marxistes de l’entre-deux-guerres, en est exemplaire.

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Pacifiste, ayant écrit durant la guerre dans La France socia­ liste et L’Atelier, emprisonné à la Libération et exclu de la SFio, il peut présenter les nationalisations de 1945 comme la réalisation de conceptions bolcheviques et étatistes, criti­ quer la « spoliation des propriétaires dépossédés » et prôner, sur le modèle américain, une économie orientée par l’État, « nullement incompatible avec un libéralisme discipliné »12S. De ce passage du socialisme au libéralisme, en transitant par la Collaboration, Guy Lemonnier (alias Claude Harmel) fournit une autre illustration. Celui que Georges Albertini présentait depuis sa cellule de Fresnes comme « l’un des plus jeunes doctrinaires du nouveau socialisme, supérieur [...] et de beaucoup, à Marcel Déat, pour la compréhension des nécessités historiques du XXe siècle »m devient l’un des fondateurs de l’Association pour la liberté économique et le progrès social ( a l e p s ) au milieu des années 1960. La vigueur de l’anticommunisme et sa capacité à fédé­ rer des individus extrêmement divers (Boris Souvarine établit ainsi le lien entre Preuves et le b e i p i ) font à la fois la force et la faiblesse du néo-libéralisme dans les années 1950. L’anticommunisme permet en effet aux vaincus de la Seconde Guerre mondiale de se forger une identité poli­ tique acceptable et, dès lors, atlantisme et néo-libéralisme constituent bien souvent la philosophie sociale à laquelle ils se rallient. Ce reclassement aux côtés de l’Amérique et contre l’Union soviétique s’organise autour de revues telles que les Cahiers des Études américaines, un trimestriel dirigé par Achille Dauphin-Meunier, l’ancien directeur de l’École supérieure d’organisation professionnelle de Vichy, devenu professeur à la Faculté libre de droit de Paris. Les livraisons des Études américaines associent des responsables politi­ ques américains ou sud-américains, des universitaires, des

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représentants patronaux, des hommes politiques libéraux et d’ex-syndicalistes anticommunistes. On y vante le Plan Marshall, la fin de l’isolationnisme américain, le rappro­ chement franco-américain, les investissements américains en France et la communauté atlantique. Alors que l’Améri­ que permet le relèvement économique de l’Europe, et de la France en particulier, l’atlantisme inscrit les vaincus d’hier aux côtés des vainqueurs et les rapproche du même coup des élites économiques qui voient dans les États-Unis le symbole de la modernité. La convergence entre d’anciens vichyssois, des atlantistes et des néo-libéraux irrigue la Nouvelle Revue de l’écono­ mie contemporaine, créée en 1950. Également dirigée par Achille Dauphin-Meunier et diffusée par les Éditions de Médicis, elle compte dans ses comités de rédaction et de patronage plusieurs des collaborateurs des Écrits de Paris. Cette revue regroupe depuis janvier 1947 des intellectuels de droite et d’extrême droite contestant le « résistantialisme » et l’épuration. Ils voisinent avec d’anciens responsables de l’administration économique de Vichy. La Nouvelle Revue de l’économie contemporaine est ainsi l’héritière directe de la Revue de l’économie contemporaine publiée par le Centre d’information interprofessionnel durant la guerre, et la seule revue d’économie que l’on peut qualifier de néo-libérale au sens strict durant les années 1950. Ce journal, qui « exprime plus ou moins officiellement les idées des chefs du mou­ vement patronal »127, rassemble des dirigeants du c n ip , de vieux libéraux de la Faculté de droit, d’ex-militants corpora­ tistes, des ingénieurs économistes et, bien sûr, des dirigeants du CNPF et de la c g p m e . Le rapprochement qui s’opère autour de cette revue préfigure certaines tentatives pour réaliser l’unification des

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droites comme la création en 1954 du Centre d’études politiques et civiques ( c e p e c ), club dont le président d’hon­ neur, le général Weygand, fait partie du comité de patronage de la revue. Présidé par Alfred Pose, économiste devenu banquier, et René-Georges Laederich, industriel membre du Comité d’honneur de l’Association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain, le c e p e c se voulait le creuset d’une droite nationale et libérale, soutenant les travaux du Comité Armand-Rueff128 et réclamant contre toute idée de réforme de l’entreprise la renaissance des libertés économi­ ques et sociales129. Le néo-libéralisme bénéficie donc à partir de 1947 de la reconstruction des droites avec toutes les ambiguïtés qu’elle charrie : l’amalgame entre vichyssois, libéraux et conserva­ teurs. Face au communisme et à la doctrine floue du gaul­ lisme en matière sociale (par certains aspects - l’association capital-travail notamment - elle peut heurter une partie du patronat traditionnel130), le néo-libéralisme permet l’alliance de ceux qui se reconnaissent le moins dans les structures éco­ nomiques, voire politiques, mises en place à la Libération. Cette dynamique de Guerre froide n’est pas spécifiquement française. Elle se manifeste également au sein d’organisations qui portent le renouveau libéral sur le plan international.

La Société du Mont-Pèlerin : une citadelle pour le néo-libéralisme Créée par Friedrich Hayek et Wilhelm Röpke en 1947, la Société du Mont-Pèlerin forme le cœur d’un réseau mon­ dial visant à garantir la circulation des idées néo-libérales. Destinée à promouvoir ce qui, dans un contexte de Guerre froide, s’apparente à une « utopie » (Hayek), cette société savante qui réunit économistes, patrons et hommes politiques 219

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libéraux, a largement contribué à faire du néo-libéralisme un ensemble de « solutions » politiquement acceptables, sans recourir à une forme directe et visible de propagande. Le meeting fondateur de la Société du Mont-Pèlerin s’est tenu du 1er au 10 avril 1947 près de Vevey, en Suisse. Organisé par Friedrich Hayek, financé par des fonds amé­ ricains et suisses, il est le fruit d’une longue préparation entamée en 1944, année où Hayek publie La Route de la servitude. Ce pamphlet qui exalte l’individualisme, la concurrence, le risque, la spontanéité du mécanisme du mar­ ché, la grandeur de la civilisation occidentale et dénonce par opposition le socialisme et le planisme, qui engendreraient nécessairement totalitarisme et nazisme131, a connu un franc succès en Grande-Bretagne et aux États-Unis, où il est épuisé dès sa parution. Cette réussite, sans doute en partie favorisée par l’édition de digests, aux États-Unis mais aussi en France (chez s e d i f )132, permet à Hayek, jusqu’alors peu connu hors du monde des économistes, d’acquérir une rapide notoriété. Allant de conférence en conférence et multipliant les échanges épistolaires, il parvient à réunir 39 participants, en majorité universitaires, pour mettre sur pied une société de pensée, dont le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme a été la préfiguration. La Société du Mont-Pèlerin se développe ensuite rapidement : en 1951, elle compte 173 membres répartis sur 21 pays, recrutés par cooptation (en fonction de leur âge, de leurs publications, des positions qu’ils occupent dans le monde universitaire, patronal...), après parrainages133. Une cause métapolitique Dans un contexte de Guerre froide et d’institutionnali­ sation du Welfare State, la Société du Mont-Pèlerin vise à

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mettre en relation des intellectuels (au sens large, il peut s’agir d’écrivains, de journalistes, de patrons et surtout d’économistes universitaires) hostiles au socialisme, partant du principe que les idées provoquent les transformations sociales et qu’il existe une catégorie d’agents intellectuels, des second hand dealers o f ideas, sorte de brocanteurs d’idées qui, comme les journalistes, ont un intérêt (y com­ pris matériel) au renouvellement des idées économiques et politiques134. Les néo-libéraux ont fait leur le précepte keynésien selon lequel « les hommes d’action qui se croient parfaitement affranchis des influences doctrinales sont d’ordinaire les esclaves de quelque économiste passé »135. Il s’agit de maintenir l’existence d’un courant néo-libéral, d’en­ tourer progressivement l’adversaire comme au jeu de go, en attendant que les conditions historiques et institutionnelles permettent l’unification des élites économiques et politiques autour de ses thématiques. Cette forme de repli offensif a quelque chose d’utopi­ que que certains n’ont pas manqué de railler. Au début des années 1950, Joseph Schumpeter voyait ainsi dans la réunion du peu d’économistes libéraux que l’on comptait alors, tout en haut d’une montagne suisse, une confirmation de sa thèse selon laquelle le capitalisme libéral était irrémédiablement condamné136. Friedrich Hayek, lui, est sûr de sa stratégie : « Notre but n’est pas de diffuser une doctrine particulière, mais d’élaborer au moyen d’un effort continu une philo­ sophie de la liberté qui puisse fournir une alternative aux opinions politiques actuellement dominantes. Notre but, en d’autres termes, n’est pas de trouver une solution applicable à une tâche pratique ou permettant de gagner un soutien de masse en faveur d’un programme politique donné, mais au contraire de s’assurer le soutien des meilleurs esprits pour

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formuler un programme qui ait une chance d’être accepté de manière plus générale. Notre effort diffère donc d’une tâche politique en cela qu’il doit essentiellement se concentrer sur le long terme et non pas tant sur des objectifs qui pourraient être immédiatement praticables, mais [...] sur des convic­ tions qui doivent retrouver un ascendant137. » Dès lors, il ne faut pas s’étonner si les sujets débattus lors des réunions du Mont-Pèlerin peuvent paraître bien loin de préoccupations de court terme et si le recrutement de la Société tend à la faire ressembler davantage à un lieu de ren­ contre et de consécration, pour des intellectuels relativement isolés idéologiquement dans leur pays d’origine (Raymond Aron ou Karl Popper), qu’à une organisation politique. Cette caractéristique s’est maintenue avec le temps : un son­ dage effectué au milieu des années 1980 montrait que 50 % des membres étaient des universitaires, très majoritairement économistes, 25 % des patrons, 10 % des employés d’orga­ nismes privés de recherche, 7 % des hommes politiques, 5 % des juristes, 2 % des hauts fonctionnaires138. La Société du Mont-Pèlerin interdit toute forme de pro­ pagande en son nom. Aucun texte « officiel » ne lie ses adhérents, si ce n’est la résolution intitulée « Statement of aims » adoptée à l’issue de la première réunion, qui définit des objectifs très généraux comme la promotion de la liberté individuelle. Elle compte relativement peu de membres comparativement à d’autres forums internationaux, a une structure simplifiée à l’extrême (un président, un secrétaire, un trésorier, un « Board o f Directors » et des adhérents) et ne dispose pas d’une importante trésorerie (les cotisations étant peu élevées, des fonds doivent être levés lors de chaque réunion). Bref, c’est en quelque sorte une instance immaté­ rielle (ses statuts sont déposés dans l’Illinois, elle n’a pas de

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bureaux, les réunions se tiennent dans des pays différents tous les deux ans), dans laquelle peuvent se reconnaître des intellectuels qui pensent le néo-libéralisme comme le dis­ cours d’une élite destiné à une élite. L’efficacité de la Société du Mont-Pèlerin tient à son carac­ tère fermé et au fait qu’elle fonctionne à la manière d’une « communauté émotionnelle » : Friedrich Hayek a gagné à sa cause des auxiliaires permanents, qui forment autour de lui un groupe relativement soudé, et dispose d’adeptes qui permettent au néo-libéralisme d’avoir support et ancrage matériels139. Les réseaux néo-libéraux pratiquent une stricte division du travail : la Société du Mont-Pèlerin n’accepte en son sein qu’un petit nombre de membres, qui se voient ainsi reconnus comme spécialement qualifiés et qui, en retour, aident non seulement à financer la Société, mais aussi à assurer la diffusion du néo-libéralisme, grâce à leurs activités propres (de formation et de publication, dans des entrepri­ ses, des médias ou des organisations internationales) et par la mise en place d’organisations nationales. Ainsi nombre de membres de la Société du Mont-Pèlerin ont participé, ou sont eux-mêmes à l’origine de la fondation de think tanks, véritables « boîtes à idées » qui abreuvent hommes politi­ ques et médias d’analyses idéologiquement orientées, activité qui, parce qu’elle est trop directement politique, n’est pas du ressort de la Société du Mont-Pèlerin. Le plus célèbre de ces think tanks est sans doute YInstitut o f Economie Affairs, né en 1955 en Grande-Bretagne140. Les liens entre la Société du Mont-Pèlerin et les think tanks libéraux sont évidents : à leur tête, tout comme au sein de leurs comités de patronage, se trouvent des membres du Mont-Pèlerin. Si l’objet principal de la Société du Mont-Pèlerin est de nature idéologique, elle remplit néanmoins bien d’autres

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fonctions. Elle permet la naissance d’amitiés intellectuelles durables (entre Bertrand de Jouvenel et Michael Polanyi par exemple141) qui peuvent être le point de départ d’autres réseaux, tout en attachant au néo-libéralisme des noms qui lui apportent reconnaissance et prestige. Cette conversion de capital social en capital symbolique, grâce aux transferts qu’une commune appartenance autorise, est sans doute l’un des éléments qui expliquent à la fois l’attraction qu’exerce la Société du Mont-Pèlerin dans certains milieux patronaux, universitaires ou politiques et le lien quasi indéfectible qui attache certains membres à cette organisation. On ne com­ prendrait pas l’enthousiasme de certaines recrues, ni la persé­ vérance avec laquelle d’aucuns ont cherché à adhérer^ si l’on ne mesurait pas les profits symboliques que l’appartenance à la Société du Mont-Pèlerin procure : elle permet à des petits patrons d’acquérir une stature internationale et d’obtenir estime et considération dans le syndicalisme patronal, elle fait de professeurs peu connus hors du champ universitaire les compagnons de route d’intellectuels célèbres. Et en retour, parce que faire partie d’un groupe fondé sur une cooptation très sélective suppose que chacun en défende les frontières, la Société du Mont-Pèlerin peut, même si les crises internes existent, se prémunir de graves dissensions et s’assurer un ancrage solide. C’est ainsi que lorsqu’il quitte la Société au début des années 1960, Bertrand de Jouvenel le fait sur « la pointe des pieds »142, tant cela a été pour lui un « immense honneur » que d’être invité à la réunion fondatrice de 1947. Sa trajectoire politique antérieure, qui l’a mené du radica­ lisme à l’engagement au sein du p p f de Jacques Doriot et au soutien du régime de Vichy, ne le prédisposait pas en effet à devenir l’un des fondateurs d’une organisation promouvant le libéralisme. Décrivant la première réunion de la Société,

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William Rappard suggérait à André Siegfried, qu’il souhaitait voir accepter la fonction de vice-président, que la nomination d’un intellectuel français exilé en Suisse ne pourrait qu’en­ tacher l’image de la jeune organisation : « Hayek avait [...] invité Bertrand de Jouvenel, qui habitait dans les environs du lieu de notre réunion. Grâce à son intelligence et à sa connais­ sance de l’anglais, il fut celui des Français qui prit la part la plus active aux discussions. Tous se rendaient compte cepen­ dant - et lui, je crois, le tout premier - que pour des raisons que vous comprendrez sans peine, il ne serait pas opportun de l’appeler à représenter votre pays au sein du conseil143. » La Société du Mont-Pèlerin n’est pas seulement un accumulateur de capital social et symbolique. C’est aussi une entreprise intellectuelle. Certains peuvent tirer de leur appartenance (ou de leur proximité) des avantages matériels. L’insertion dans les réseaux de diffusion des idées néo-libé­ rales crée des débouchés éditoriaux, si bien que l’organisa­ tion de conférences, la traduction d’ouvrages, la recherche d’éditeurs sont l’une des principales activités des membres, la limite étant tracée par la quête d’un paradis fiscal pour un universitaire français comme Louis Baudin, qui sollicite le secrétaire européen de la Société pour qu’il lui trouve un éditeur suisse, afin de contourner une législation qui l’oblige à verser 60 % de ses droits d’auteur au fisc144. Mais la fonction principale d’une organisation comme la Société du Mont-Pèlerin réside sans doute dans le rôle qu’elle joue, aux côtés d’autres instances non-étatiques, dans l’unification des champs économiques nationaux et du champ économique mondial. Lorsque l’archiduc Robert d’Autriche écrit à Albert Hunold, à la suite d’une réunion, qu’il s’est réjoui « de pouvoir [se] tremper un peu dans une atmosphère plus universitaire et de voir les problèmes qui

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surgissent quotidiennement dans la vie des affaires d’une manière plus théorique et sous un angle intellectuel plus haut »145, il dit bien ce que l’on peut attendre de ce type d’association : le maintien d’une forme de solidarité entre les pôles temporel et scientifique du champ économique. La Société du Mont-Pèlerin prétend avoir pour programme de ne pas en avoir146. En forçant la rencontre de patrons, universitaires et essayistes d’un même pays avec leurs homo­ logues étrangers, elle ne peut cependant qu’avoir une inci­ dence sur les groupes néo-libéraux nationaux. Or l’organi­ sation internationale créée par Friedrich Hayek n’est pas une communauté au sein de laquelle il n’y aurait ni concurrence, ni intérêts divergents. Une organisation divisée Pour comprendre la manière dont s’est développée la Société du Mont-Pèlerin et s’est structuré autour d’elle un vaste espace de production et d’oppositions théoriques, il faut séparer le moment de sa genèse, où se rassemblent des individus qui lui apportent prestige et influence, de celui où elle n’est plus simplement une somme d’individualités, mais a acquis un nom, ses membres devenant avant tout des représentants qui se doivent de posséder des propriétés en adéquation avec celles de l’organisation et qui n’ont donc pas nécessairement à être aussi consacrés que leurs prédéces­ seurs. Dès lors, les transformations de la Société du MontPèlerin peuvent en grande partie être analysées en tenant compte de deux éléments étroitement liés : les oppositions entre les trajectoires de ses fondateurs et les conflits qu’elles suscitent amenant à des redéfinitions du néo-libéralisme, ainsi que l’évolution de la hiérarchie politique et économi­ que des nations représentées en son sein.

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Depuis sa création, la Société du Mont-Pèlerin a connu des crises internes qui révèlent l’existence en son sein de conceptions divergentes du néo-libéralisme et des modes d’action nécessaires à sa propagation. D’emblée, elle est née de la synthèse de deux projets rivaux : celui de Friedrich Hayek et celui de Wilhelm Röpke qui, à une société de pensée, aurait préféré un périodique destiné aux fractions intellectuelles de la classe dominante aussi bien en Europe qu’aux États-Unis, permettant la clarification et la discus­ sion d’idées et ayant un pouvoir d’influence immédiat sur les enjeux économiques et politiques contemporains147. Si les difficultés rencontrées auprès de plusieurs éditeurs suisses contactés donnent raison à Hayek contre Röpke, la tension entre secret et publicité, inhérente à tout type d’organisation qui sert à la fois des objectifs intellectuels et politiques, reste constante dans l’histoire du Mont-Pèlerin. De manière plus générale, les oppositions que l’on peut esquisser entre les trajectoires de Hayek et de Röpke résument bien des clivages entre néo-libéraux. Hayek est né en 1899 à Vienne, capitale culturelle de l’Europe au tournant du siècle, dont le bouillonnement intel­ lectuel l’a durablement marqué. Röpke, né la même année, est issu d’une communauté rurale de fermiers indépen­ dants et d’artisans, Schwarmstädt, située près de Hanovre en Allemagne. Hayek est le fils d’un docteur en médecine, travaillant au service municipal de la santé de Vienne mais qui, passionné de botanique, rêverait d’être universitaire (les deux grands-pères de Hayek le sont). Fils d’un médecin de campagne, Röpke appartient à une famille de la bourgeoi­ sie provinciale, qui compte plusieurs pasteurs luthériens dans ses rangs. Hayek, bien que sa famille soit catholique, n’a pas reçu d’instruction religieuse. Röpke est un fervent

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protestant. Hayek n’est pas entré directement dans la carrière universitaire : en 1921 il travaille pour le Bureau des comp­ tes autrichien, organisme gouvernemental que dirige Ludwig von Mises, avant de devenir en 1927 directeur de l’Institut autrichien de recherches sur les cycles économiques. Röpke, habilité en 1922, est professeur à Iéna (1924-1928), puis à Graz en Autriche (1928-1929) et à Marburg (1929-1933), tout en étant expert auprès du gouvernement allemand. Hayek quitte volontairement Vienne où il est Privatdozent (1929-1931) pour la London School o f Economies. Röpke, opposant au nazisme, est contraint à l’exil en Turquie (1933) avant de rejoindre en 1937 la Suisse, qu’il refuse de quitter durant la Seconde Guerre mondiale malgré des sollicitations américaines. Hayek part pour l’université de Chicago en 1950 et ne retourne en Europe qu’au début des années 1960, sans avoir exercé durant toute cette période de responsa­ bilités politiques. Röpke reste à l’Institut universitaire des hautes études internationales de Genève tout en devenant un conseiller très écouté du gouvernement ouest-allemand et un membre important de l’Internationale Libérale. Hayek et Röpke se différencient tant sur le plan des origi­ nes sociales et géographiques que des dispositions religieuses ou politiques. Autant de traits qui influencent directement leurs conceptions du libéralisme : méfiance vis-à-vis des religions monothéistes jugées intolérantes pour le premier contre défense des religions chrétiennes face à l’étatisme pour le second ; rejet de toute forme de « justice sociale » contre acceptation d’un État social limité compatible avec le libre jeu du marché ; État cantonné à ses fonctions régalien­ nes et à la gestion des biens collectifs contre État autorisé à intervenir directement dans l’économie pour soutenir l’offre ou la demande ; conviction que l’État crée les monopoles et

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que la concurrence permet la sélection des meilleurs contre nécessité d’une législation anti-trusts limitant concentration industrielle et expansion urbaine, protégeant les communau­ tés rurales et les industries familiales. En grossissant le trait, on uetrouve la plupart des lignes de clivage observables au sein de la Société du Mont-Pèlerin. Elles peuvent être retra­ duites selon des logiques géographiques (États-Unis contre Europe), durcies (libéralisme classique contre néo-libéra­ lisme ou « ordo-libéralisme » ) ou spécifiées dans des enjeux particuliers (privatisation de la monnaie contre défense de Pétalon-or, par exemple). Tous ces éléments jouent à plein lorsqu’éclate à la fin des années 1950 ce que l’on a appelé au sein du Mont-Pèlerin « l’affaire Hunold »148. Au départ limité aux accusations que se renvoient Friedrich Hayek et l’entrepreneur suisse Albert Hunold de vouloir faire main basse sur l’organisation, ce conflit clarifie les oppositions internes. Il met aux prises celui qui symbolise le prestige intellectuel de la Société et son secrétaire européen, un patron qui se pense comme un intel­ lectuel mais assure le fonctionnement matériel de l’organisa­ tion. Il se solde par le départ non seulement de Hunold, mais aussi de Röpke et d’une quinzaine de membres pour la plu­ part européens, qu’ils soutiennent Hunold ou non, à l’instar de Bertrand de Jouvenel, pour qui la crise a avant tout été un révélateur d’antagonismes intellectuels préexistants149. Selon lui, en 1960 la Société du Mont-Pèlerin a perdu sa raison d’être en devenant l’instrument d’un libéralisme manichéen, qui voue un culte à la liberté d’entreprendre plutôt qu’à la liberté individuelle et dénie toute efficacité à la régulation étatique. Sans provoquer de plus large scission, la crise per­ met une radicalisation du néo-libéralisme et ouvre la voie à un renforcement de la domination américaine en son sein.

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Si le recrutement de la Société du Mont-Pèlerin n’est théoriquement pas soumis à un impératif de représentativité nationale, il n’est qu’à considérer l’évolution de ses effectifs pour comprendre que le nombre d’adhérents qui revient à chaque pays et à chaque bloc géographique peut être un enjeu de luttes. Lorsque la Société du Mont-Pèlerin a été créée, tout a été entrepris pour qu’à sa tête Américains et Européens, et parmi ces derniers Allemands, Anglais, Français et Suisses, soient représentés équitablement. Certains manœuvrent pourtant pour assurer la prééminence des uns sur les autres ou pour préserver un équilibre, alors que la position de leur pays sur la scène internationale pourrait les reléguer au second plan. Le Français Daniel Villey s’opposera ainsi à la nomination de Milton Friedman à la tête de la Société dans les années 1960 : « Malgré tout et bien que Milton Friedman me semble le président idéal pour notre société, une pré­ sidence américaine avec un secrétaire anglais me semble contestable. Est-ce un excès de patriotisme de l’Europe des Six de ma part ?150 » À l’origine majoritaire, la part des Européens admis au Mont-Pèlerin décline clairement à la fin des années 1950, tandis que celle des Américains ne cesse de croître. La com­ position de la Société du Mont-Pèlerin reflète ainsi diverses transformations intervenues dans les rapports de forces entre les nations : croissance de la puissance américaine, tant dans le domaine politique qu’économique ; recul européen sous les mêmes rapports, et en particulier de pays comme la France, tandis que d’autres, comme l’Allemagne, se maintiennent. L’inégale représentation des États au sein du Mont-Pèlerin reproduit des phénomènes aussi généraux que le découplage entre puissance économique et puissance politique, certains pays comme l’Allemagne pouvant paraître sur-représentés à

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l’aune de cette dernière. Pour autant, la structure du MontPèlerin n’est pas qu’un simple enregistrement de l’évolution de la hiérarchie entre puissances économiques. Née pendant la Guerre froide, la Société du Mont-Pèlerin est pour l’économie ce que le Congrès pour la liberté de la culture, avec qui elle a eu en commun un certain nombre de membres, a été dans le domaine culturel : un instrument de lutte contre le communisme et plus largement contre toute forme de collectivisme socialiste. Cela explique qu’elle ait été financée par des fondations privées américaines, des syndicats patronaux ou le ministère allemand de l’Économie151. Cela explique également la progressive hégémonie américaine en son sein, le nombre d’adhérents qui revient à chaque pays pouvant, quant à lui, être lu comme un indicateur de proxi­ mité politique et stratégique avec les États-Unis. La prédominance progressive des États-Unis au sein du Mont-Pèlerin n’est pas sans conséquences. La première phase de l’existence de la Société a été marquée par une réussite européenne : la construction d’une « économie sociale de marché » en Allemagne de l’Ouest sous la houlette de Ludwig Erhard, Walter Eucken, Alfred Müller-Armack, Alexandre Rüstow et Wilhelm Röpke (tous membres de l’organisation). Le déplacement du centre de gravité de l’espace du néo-libé­ ralisme de l’Europe vers l’Amérique conduit à une dépré­ ciation de ce qui pouvait subsister de « libéralisme social ». Dans cette opposition entre États-Unis et Europe, ou entre néo-libéralisme radical et libéralisme social, les Français ne sont pas neutres. Ils ont clairement choisi l’Allemagne pour modèle. Lorsqu’Albert Hunold sollicite les membres de cha­ que section pour obtenir leur soutien contre Hayek, il reçoit des procurations de l’ensemble des Français, à l’exception de celle de Jouvenel, parce qu’il est sur le départ152.

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La traversée du désert des Pèlerins français La section française de la Société du Mont-Pèlerin a été constituée après des tâtonnements successifs. Parce que Louis Rougier s’est fourvoyé aux yeux des Britanniques, en prétendant qu’existaient entre la Grande-Bretagne et le régime de Vichy des accords secrets dont il aurait été l’insti­ gateur, celui qui s’est fait le plus ardent propagateur du néo­ libéralisme durant les années 1930 est écarté153. Sa présence, qui peut irriter les membres britanniques et une partie des français, n’est pas souhaitée jusqu’à la fin des années 1950. Il ne rejoint la Société du Mont-Pèlerin qu’en 1956, sur proposition de Ludwig von Mises et de Friedrich Hayek, après accord de Lionel Robbins et des adhérents français, à commencer par Louis Baudin et Jacques Rueff. Louis Rougier n’intervient cependant que peu dans les meetings de la Société et ses contributions reprennent parfois point par point l’agenda de 1938 ou les arguments développés dans Les Mystiques économiques154. Les Français contactés initialement par Wilhelm Röpke et Friedrich Hayek sont irréprochables quant à leur compor­ tement durant la Seconde Guerre mondiale : René Courtin et Charles Rist dans un premier temps, puis Maurice Allais, Daniel Villey et Jacques Rueff. C’est d’abord à des intellec­ tuels que s’adresse la Société du Mont-Pèlerin. Son recrute­ ment s’étend ensuite au patronat, les universitaires désignant ceux des patrons qui leur paraissent les plus qualifiés, ceux-ci recommandant à leur tour d’autres dirigeants d’en­ treprises ainsi que des universitaires. La formation de la section française de la Société du Mont-Pèlerin doit ainsi beaucoup à certains individus capables d’établir des jonc­ tions entre patronat et Université tels Roger Truptil, p d g du Groupement de la construction navale, qui collabore

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de longue date à la Revue d ’économie politique, et surtout Jacques Rueff. Les premières années d’existence de la section française de la Société du Mont-Pèlerin semblent marquées par un certain dynamisme. En 1951, dix-huit Français en font partie, ce qui la place au second rang en Europe derrière la Grande-Bretagne. De Jacques Rueff à Marcel Bourgeois, en passant par Louis Marlio, Ernest Mercier ou l’éditrice Marie-Thérèse Génin, beaucoup ont fréquenté le Centre international d’études pour la rénovation du libéralisme. Des membres de l’Association de la libre entreprise (Marcel Crozet-Fourneyron, Georges Morisot, Roger Truptil, Georges Villiers), des essayistes comme Jacques Chastenet et Bertrand de Jouvenel ainsi qu’un professeur d’économie de Lyon, François Trévoux, s’agrègent au groupe initial. L’importance de la section française peut se mesurer à l’aune de deux éléments. Son apport financier à l’activité de la Société du Mont-Pèlerin est essentiel : le cnpf de Georges Villiers subventionne le secrétariat d’Albert Hunold par le tru­ chement de Georges Morisot et de son Association de la libre entreprise. En second lieu, c’est en France que se déroule en septembre 1951 le quatrième congrès de la Société. Organisé à Beauvallon, sur la Côte d’Azur, réunissant 68 participants, il a coûté au cnpf la bagatelle de deux millions de francs de l’époque, l’équivalent de 39 000 euros155. Pourtant, seuls huit Français ont participé à cette réunion, dont trois (Raymond Aron, Louis Baudin et Bertrand de Jouvenel) ont présenté une contribution. Ce décalage entre l’aide matérielle apportée et l’investissement intellectuel réel reste l’un des traits caractéris­ tiques de l’action des Français au sein du Mont-Pèlerin. La section française, constituée en tant que telle en 1950 avec Jacques Rueff pour président et Roger Truptil comme

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trésorier156, est dirigée par des praticiens de l’économie qui n’ont sans doute que peu de temps à consacrer à des ren­ contres internationales vouées aux discussions théoriques. Elle subit en outre un double phénomène de vieillissement. D’une part, elle perd rapidement plusieurs de ses membres les plus renommés pour leur combat en faveur du libéra­ lisme (Marcel Crozet-Fourneyron, Ernest Mercier, Louis Marlio et Charles Rist). Âgés, ils n’ont guère participé à ses activités, certains étant même morts avant d’avoir pu rejoindre officiellement l’organisation (Roger Picard). D’autre part, la section française se renouvelle difficile­ ment, ne parvenant à recruter que des individus moins prestigieux que leurs prédécesseurs. Hormis Edmond Giscard d’Estaing et Jacques Georges-Picot, directeur géné­ ral de la Compagnie de Suez, la composante patronale de la Section française ne s’enrichit à la fin des années 1950 que des responsables de l’Association interprofessionnelle de l’entreprise à capital personnel et de Raoul Audouin, fidèle second de Pierre Lhoste-Lachaume. Aux managers qu’étaient Ernest Mercier et Louis Marlio succèdent ainsi des entrepreneurs peu versés dans la théorie économique ou des intellectuels patronaux sans réelle audience hors des cercles libre-échangistes. De même, peu d’universitai­ res sont cooptés dans les années 1950-1960, hormis Louis Rougier, Georges-Henri Bousquet de la faculté d’Alger, Gaston Leduc, professeur à Paris, et Henry Hornobstel, directeur de l’Institut d’administration des entreprises de Poitiers. Si l’on ajoute à cela les démissions de Raymond Aron et de Bertrand de Jouvenel qui ne se reconnaissent plus dans le libéralisme défendu par la Société du MontPèlerin, on mesure la difficulté pour la section française de fédérer l’ensemble des néo-libéraux.

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Les clivages traversant l’organisation mère se manifestent au sein de l’espace français du néo-libéralisme. Maurice Allais et Pierre Lhoste-Lachaume en incarnent les deux facettes opposées. Alors qu’il fait partie des rares Français présents lors de la première réunion du Mont-Pèlerin, Maurice Allais refuse de signer le « Statement o f Aims » de l’organisation, parce que celui-ci pose que la propriété privée est supérieure à la propriété collective. Selon lui, le statut de la propriété n’est qu’une contingence historique, la propriété des entreprises n’est pas de même nature que celle des sols et en aucun cas la propriété privée ne saurait constituer un but en soi157. Maurice Allais se considère comme un simple observateur des activités du Mont-Pèlerin, n’acceptant que son nom ne figure parmi ceux des membres qu’à la condition que soit ajoutée une mention explicitant sa position. Pour Hayek, un tel point de vue, pur produit de la « psychologie française »158 qu’il exècre, est inacceptable. Fidèle au modèle de la troisième voie revendiqué par le néo-libéralisme dans les années 1930, Maurice Allais prône en effet l’alliance entre socialistes et néo-libéraux contre le collectivisme et le laissez-faire. Le rappel de son itinéraire permet de mieux comprendre ses motivations. Fils de petits commerçants parisiens (ses parents possèdent une fromagerie) eux-mêmes d’origine modeste, Maurice Allais incarne la méritocratie républi­ caine : après être passé par le lycée Lakanal, il entre à l’École Polytechnique dont il sort major à 22 ans avant d’intégrer le corps des Mines. Ingénieur à Nantes (1937-1943), directeur du Bureau de documentation minière (1943-1948) au minis­ tère de la Production industrielle, il a été amené à fréquenter certains des principaux représentants de la mouvance tech­ nocratique et polytechnicienne des années 1930 : en 1936, 235

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il fait partie de l’équipe réunie par Jean Bichelonne pour réaliser une enquête sur le marché charbonnier ; en 1938, il publie l’un de ses premiers articles dans la revue de Jean Coutrot L’Humanisme économique ; en 1943, il rencontre Auguste Detœuf qui exerce sur lui une influence détermi­ nante. Parallèlement à ses activités de fonctionnaire, Maurice Allais s’est jeté à corps perdu dans la recherche économique, partant du principe que la science économique, étudiant des lois comparables à celles de la physique, peut être refondée mathématiquement. Quoiqu’encore marginal, il se trouve associé dès 1944 à un groupe d’études sur la théorie écono­ mique rattaché à l’Institut de science économique appliquée ( i s e a ) de François Perroux159 et crée la même année, avec Auguste Detœuf, le Groupe de recherche économiques et sociales ( g r è s ) qui, sur le modèle des Nouveaux Cahiers (et peut-être aussi du Comité d’études pour la France), réunit des économistes, des patrons et des syndicalistes pour des conférences organisées mensuellement au Café Saint-Sulpice160. Cumulant après la Libération les postes de professeur d’économie générale à l’École des Mines, de professeur d’économie théorique à l’Institut de statistiques de l’université de Paris (1947) et de directeur de recher­ che au c n r s (1954), Maurice Allais est en quelque sorte le continuateur dans l’univers académique du néo-libéralisme des patrons ingénieurs. Il se veut ainsi le théoricien d’un « planisme concurrentiel », alliance des contraires, reposant sur une « organisation décentralisée et concurrentielle com­ plétée par une planification du cadre institutionnel », aussi éloignée « du laisser-fairisme que de l’économie planifiée autoritairement, aussi éloigné d’un conservatisme béat, qui trouve tout excellent, tout admirable depuis la propriété

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privée de la rente foncière et l’émission de crédits à décou­ vert jusqu’aux impôts sur le revenu du travail, que d’un interventionnisme brouillon et tyrannique qui bouleverse tout à tort et à travers >>161. C’est sur ces bases que Maurice Allais crée à la fin des années 1950 une organisation politique, le Mouvement pour une société libre, se proposant de « définir un programme d’action rénovant et dépassant à la fois le libéralisme et le socialisme traditionnels et permettant de grouper tous les hommes de bonne volonté de droite comme de gauche, tous les véritables libéraux comme tous les véritables socia­ listes »162. Patronné par des radicaux et des indépendants (entre autres René Mayer et Antoine Pinay), bénéficiant du soutien de plusieurs néo-libéraux français (Luc Bourcier de Carbon, René Courtin, Gaston Leduc, Louis Rougier et Jacques Rueff) ainsi que d’intellectuels et patrons engagés en faveur du fédéralisme européen (les anciens militants d’extrême droite Jacques Bassot et Thierry Maulnier notam­ ment), le Mouvement pour une société libre n’a eu, faute de ressources financières et du fait des déplacements réguliers de Maurice Allais à l’étranger, qu’une brève existence. Il n’en a pas moins fortement divisé les libéraux. Pour Pierre Lhoste-Lachaume, penser pouvoir concilier libéralisme et socialisme est purement illusoire163. C’est se compromettre avec le collectivisme : il n’est question d’accepter ni attein­ tes à la propriété privée, ni nationalisations, ni arbitrages de la puissance publique lors de conflits économiques et sociaux. À travers cette opposition entre néo-libéralisme et libéralisme radical, deux modes de reproduction sociale s’affrontent : d’un côté, des intellectuels possédant une certaine légitimité académique qui sont prêts à accepter des compromis et considèrent qu’il n’y a pas de libéralisme

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possible sans intervention de l’État ; de l’autre, des petits patrons et leur porte-parole, qui rejettent toute remise en cause des structures sociales traditionnelles. Cette opposition reflète un phénomène plus général. Alors qu’à la fin des années 1930, le c ir l contribuait à rassembler sous le label « néo-libéral » des individus dont les concep­ tions économiques pouvaient être dissemblables, nulle ins­ titution ne joue un rôle comparable dans les années 19501960. Les organisations libérales se multiplient sans mettre au diapason leurs revendications. Le terme « néo-libéral » lui-même ne fait pas l’unanimité. Si Jacques Rueff finit par l’adopter, d’autres le renient, le trouvant « éculé, compromis [...] par le destin malheureux du néo-socialisme »l64 ou le refusent parce qu’il revient à légitimer la planification à la française. « Les néo-libéraux d’avant la Deuxième Guerre mondiale, dénonce ainsi Lhoste-Lachaume, ont [...] ouvert la voie à [un] néo-néo-libéralisme qui laisse l’État régenter l’économie à travers la planification, la fiscalité, le crédit, la monnaie inflationniste et le secteur nationalisé165. »

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À la conquête du pouvoir politique L’un des principaux historiens de l’économie française a pu de manière paradoxale qualifier les années 1950 d’« ordre néo-libéral », tout en caractérisant celui-ci par le triomphe de « l’économie dirigée »'. À un État interven­ tionniste qui s’essaie à « moderniser » l’économie nationale correspond en effet chez les élites un espace de pensables, où les options doctrinales les plus tranchées s’orientent vers le dirigisme ou, à l’inverse, vers le libéralisme. Entre ces deux bornes prennent place des constructions intellectuelles hybrides, le « planisme concurrentiel » d’un Maurice Allais ou la volonté de « substituer la liberté des transactions au planisme des intérêts privés »2 de certains modernisateurs. Une forme de néo-libéralisme social peut d’autant plus faci­ lement s’imposer que les alternatives crédibles en matière de politique économique sont rares, dès lors que l’on écarte d’emblée le marxisme3. Au tournant des années 1950, les ministres des Finances et les présidents du Conseil successifs cherchent ainsi à dyna­ miser l’économie nationale grâce au levain de la concurrence extérieure. Les idées néo-libérales circulent. D’une part, le modèle économique porté par la haute fonction publique se concilie avec une forme de néo-libéralisme, bien que rares soient les technocrates à s’en revendiquer. D’autre part, le

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renouvellement du corps des économistes permet l’adapta­ tion de certaines thèses de libéraux allemands et britanni­ ques au contexte national. De jeunes économistes, à l’image de Raymond Barre, tentent même d’associer sur le plan théo­ rique politique économique volontariste et respect du cadre concurrentiel. Le néo-libéralisme profite en somme de la fai­ blesse de ses concurrents : le keynésianisme, notamment, ne constitue pas encore un courant en tant que tel. Une certaine proximité intellectuelle existe en outre entre néo-libéralisme modéré et catholicisme social, l’une des doctrines les plus prégnantes dans les débats économiques de l’après-guerre. La crise que traverse la France à la fin des années 1950 précipite la chute de la IVs République et donne au néo-libé­ ralisme l’occasion d’une revanche. Avec la naissance de la Vs République, la France dispose d’un régime politique solide où l’exécutif peut insuffler des politiques économiques à moyen et à long terme. Le Plan Pinay-Rueff, puis la forma­ tion du Comité Armand-Rueff, consacrent le retour en grâce des idées du Colloque Lippmann. La reconstruction s’achève et le développement économique national est désormais solidaire de celui du marché commun. Sans remettre radica­ lement en cause les structures mises en place à la Libération, le néo-libéralisme devient un art de gouverner. Sous les coups de boutoirs des crises pétrolières des années 1970, ce néo-libéralisme gestionnaire perd cependant en cré­ dibilité. Incapable de redresser l’économie nationale, il subit les attaques d’une gauche qui rêve de « changer la vie ». Il se voit également contesté par un libéralisme plus radical, partiellement inspiré des expériences anglo-saxonnes, qui prospère dans le monde patronal et à l’Université avant de conquérir le discours politique. L’alternance de 1981 joue un rôle décisif dans l’acclimatation des idées libérales à droite.

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La conversion au marché des principaux partis d’opposition ancre durablement le néo-libéralisme dans l’espace politique français. D’une pratique gestionnaire, il se mue en un pro­ jet de société. Le libéralisme radical ne l’emporte peut-être pas, mais il incite la droite à opérer un tournant intellec­ tuel. Comme le déclarait Jacques Chirac devant un parterre d’économistes libéraux au milieu des années 1980 : « Il faut bien un libéralisme absolu pour nous inciter à faire concrè­ tement aujourd’hui le libéralisme nécessaire4. »

La plasticité de l’idéologie dominante Trente ans plus tôt, rien n’est gagné, y compris auprès des économistes. La place de l’économie dans l’action étatique, l’augmentation des effectifs étudiants, la multiplication des lieux d’enseignement et de recherche concourent après 1945 à un élargissement du corps enseignant et à une diversifica­ tion des valeurs revendiquées. Le monde des économistes tend à se structurer davantage comme un champ que comme un corps. Les idées néo-libérales s’y diffusent, mais souvent de manière relativement indépendante des milieux qui les avaient initialement promues. Marginalistes et littéraires Les professeurs d’économie ne représentent en 1945 que 22 % de l’ensemble du corps enseignant des facultés de droit5. Et l’attraction exercée par l’économie demeure faible : 14 % des thèses soutenues dans les facultés de droit entre 1945 et 1949 se rattachent à cette discipline, 19 % entre 1950 et 1954, puis à nouveau autour de 15 % entre 1955 et 19596. Alors même que l’Université a besoin de nouveaux professeurs, l’économie politique traverse une véritable crise de recrutement. Sur les 10 places mises au

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concours d’agrégation en 1950, seules 5 ont été pourvues pour 42 candidats7. Rebelote deux ans plus tard. Sur les 12 places offertes, 7 trouvent preneurs, tandis que le nombre de candidats, lui, a diminué. Parce que les postes restent en nombre limité, que les bourses sont insuffisantes et qu’il n’existe que peu de possibilités de reconversion, les meilleurs étudiants semblent se détourner de l’agrégation et s’orienter vers I’e n a qui « offre [...] études rémunérées et [...] situation sinon toujours brillante, du moins toujours garantie »8. Si le corps des économistes se renouvelle lentement par l’admission de nouveaux entrants, sa physionomie n’en est pas moins profondément modifiée par la disparition de nombre des grands maîtres de l’entre-deux-guerres : Jean Lescure, Roger Picard, Gaëtan Pirou, Charles Rist et Henry Truchy. Dès lors, les jeunes agrégés des années 1930-1940 accèdent aux postes de professeurs à Paris et dans les gran­ des villes de province. Une nouvelle génération universitaire se constitue. La division Paris / province acquiert un sens qu’elle n’avait pas précédemment, de même que s’établit une forme de concurrence entre différentes instances au sein de la capitale : la Faculté de droit et la VIe section de l’École pratique des hautes études créée en 1947, notamment. De nouvelles structures de recherche voient le jour (l’Institut de sciences économiques appliquées de François Perroux), de grandes revues disciplinaires apparaissent (Économie appliquée en 1946, puis la Revue économique en 19509), des séminaires s’institutionnalisent (celui d’économétrie fondé par René Roy au c n r s en 1946, par exemple). L’univers des économistes connaît une forte fragmentation. Alors qu’à la Libération, de nombreux universitaires, dont René Courtin, Robert Mossé ou François Perroux, avaient participé à la création d’un Cercle des économistes, afin de faciliter le

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dialogue entre « économistes de cabinet » et « praticiens » et de peser sur les décisions gouvernementales10, une telle tentative serait vaine au début des années 1950. André Marchai, l’une des nouvelles grandes figures de la discipline, distingue trois courants parmi les économistes de cette époque : les « économistes de tradition classique » d’abord (les néo-libéraux patentés), les « économistes de conception réaliste et sociologique » ensuite (la grande majorité allant des tenants de la « psychologie expérimenta­ le » comme Pierre-Louis Reynaud aux spécialistes de l’étude des relations de domination comme François Perroux), les « économistes d’observation » tel Alfred Sauvy, enfin, situés entre analyse de la conjoncture et prévision11. Sur le plan institutionnel, on pourrait également opposer hors de l’Université « néo-marginalistes » et « keynésiens » et en son sein « libéraux » et « réalistes »12. Ces lignes de clivages ont cependant davantage de portée épistémologique que politique. Dans chacune des familles qu’elles dessinent, le libéralisme a des partisans. Comme le notait ironiquement dès 1950 un chargé de cours de la faculté de droit de Caen : « À qui voudrait s’administrer la preuve que tout travail de classement ou toute construction de plan est une œuvre de l’arbitraire, il suffirait de s’exercer [...] à essayer d’ordon­ ner la masse des œuvres des auteurs néo-libéraux et de les regrouper autour de quelques idées générales13. » Sous l’impulsion de Maurice Allais, la tradition des ingénieurs économistes trouve de nouveaux relais dans un espace intermédiaire entre les grandes écoles scientifiques, les organismes de prévision et les départements d’études des entreprises publiques14. L’État planificateur absorbe ainsi une bonne dose d’économie néo-classique parce qu’elle lui fournit des instruments d’action. Maurice Allais essaime

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d’abord à P in s e e en la personne d’Edmond Malinvaud, polytechnicien qui conjugue attachement au libéralisme clas­ sique et conception physicaliste de l’économie. « Il est aussi impossible pour l’homme politique d’ignorer les tendances du marché que pour l’ingénieur d’ignorer la gravitation universelle », écrit-il en 195015. Ancien boursier Rockefeller et chercheur à la Cowles Commission for Research in Economies à Chicago en 1951, Edmond Malinvaud cumule à la fin des années 1950 les postes de directeur d’études à l’École pratique des hautes études et de co-directeur du Centre des programmes économiques de P i n s e e . Parallèlement, le marginalisme de Maurice Allais convainc Marcel Boiteux, normalien, agrégé de mathéma­ tique, d’abord attaché de recherche au c n r s puis l’un des piliers de l’Électricité de France. Une entreprise pilote en quelque sorte : à P e d f officie également Pierre Massé, XPonts futur Commissaire du Plan, qui tout en n’ayant que peu de liens avec l’équipe de Allais s’inspire de ses travaux. Des Charbonnages de France à la s n c f , en passant par Gaz de France, un milieu acquis au marginalisme se structure, avec comme figures de proue des ingénieurs qui circulent entre les administrations et les firmes. L’échec de la candidature de Maurice Allais à un poste de professeur à Polytechnique a pour certains de ses proches été le révélateur d’une « cabale antilibérale » sévissant dans les hauts lieux du pouvoir : « Dans les nominations à Sciences Po, à l’École nationale d’administration, au Conseil écono­ mique, à l’École pratique des hautes études, dans les grandes administrations de l’État, elle se développe d’une façon sys­ tématique au bénéfice des dirigistes, des planistes, des cryp­ tocommunistes », affirme Louis Rougier16. Reste que dans les années 1950, les marginalistes imposent leur expertise au

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sein des grandes entreprises nationalisées, créent des sociétés savantes comme la Société française de recherche opération­ nelle (1956)17 et se dotent d’organisations privées à l’image de la Société de mathématique et d’économie appliquées de Jacques Lesourne (1958)18. Les organismes, tels la Cowles Commission ou la Rand Corporation, qui jouent un rôle central dans la diffusion de l’orthodoxie néo-classique aux États-Unis19 ont ainsi des homologues français, de taille évidemment plus modeste. En dehors du Groupe de recherches économiques et sociales de Maurice Allais, c’est le séminaire d’économétrie animé par René Roy qui sert de point de ralliement aux ingénieurs éco­ nomistes. Parmi les exposants réguliers (Malinvaud, Boiteux ou Massé) dont les communications très pointues nourris­ sent des Cahiers diffusés par les Éditions de Médicis, c’est sans doute Jean Dayre, du Centre français de productivité, qui a le mieux résumé la philosophie du groupe. Le plan et le marché peuvent se soutenir mutuellement, une forme de capitalisme social opérera nécessairement le dépassement du capitalisme libéral et du socialisme bureaucratique20. Le néo-libéralisme offensif conserve des alliés à la Faculté de droit parmi les héritiers de l’ancienne génération, celle de la Revue d ’économie politique. Tout les oppose scien­ tifiquement à Maurice Allais et à ses disciples. Défenseurs d’une conception « aristocratique » de la science écono­ mique, Louis Baudin et Daniel Villey rejettent ainsi non seulement la réduction de leur discipline à la comptabilité nationale et à la formalisation mathématique, mais aussi les visées « impérialistes » de certains de leurs collègues qui cherchent à analyser toute action humaine du point de vue de la rationalité21. Aux côtés de René Courtin et de quel­ ques enseignants plus jeunes (Luc Bourcier de Carbon ou

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Gaston Leduc), ils passent pour les porte-voix du néo-libéra­ lisme le plus intransigeant. En réalité, ils se révèlent souvent pragmatiques sur le plan économique. Dans son essai UAube d’un nouveau libéralisme publié en 1953, Louis Baudin rap­ pelle ainsi les points fondamentaux de l’agenda adopté en 1938 et plaide pour un compromis entre un « socialisme édulcoré » et un « libéralisme assoupli »22. Ce sont des prises de position de nature plus politique qui valent à Louis Baudin et à Daniel Villey leur réputation d’orthodoxes. Le premier ne cache pas son traditionalisme. Il envoie ainsi en 1951 au secrétaire européen de la Société du Mont-Pèlerin une carte postale représentant l’ossuaire de Douaumont en exergue de laquelle une citation du maréchal Pétain célèbre « le souvenir des Héros de Verdun »23. Quant au second, il est connu pour son goût de la polémique. Il publie ainsi en 1948 dans la Revue d ’économie politique un article extrêmement virulent qui officialise sa rupture avec le catholicisme social, dont il dénonce 1’« archaïsme », le « moralisme », 1’« organicisme », 1’« utopisme », le « mal­ thusianisme économique », 1’« anéconomisme » et le « syn­ thétisme », chacun de ces travers étant considéré comme l’un des sept « péchés capitaux »24. L’attaque lui vaut en retour d’être dépeint par le président des Semaines sociales de France comme l’un de ces « poupons drus et forts qui battent le sein de leur nourrice »25. Phénomène rétrospectivement passé sous silence - l’his­ toire de la pensée économique est aujourd’hui souvent l’œuvre d’économistes hétérodoxes - , le néo-libéralisme compte également des soutiens chez les tenants d’une éco­ nomie réaliste et sociologique. Ils se montrent soucieux toutefois de se distinguer des plus classiques des professeurs de la Faculté de droit. André Marchai souligne ainsi - pour

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s’en féliciter - les points de convergence entre néo-libéra­ lisme et dirigisme26. Devenu enseignant à Sciences Po, Pierre Dieterlen, l’ancien secrétaire général du Conseil supérieur de l’économie industrielle et commerciale de Vichy, conspue le libéralisme « dogmatique », mais se réclame d’Auguste Detœuf et de Claude-Joseph Gignoux27. Quant au catholi­ que social Henri Guitton, critique de certains intransigeants comme Daniel Villey, il défend un libéralisme modéré28. Le néo-libéralisme, s’il ne s’affirme pas de manière trop provo­ cante, gagne en respectabilité tout au long des années 1950. L’évolution du catalogue des Éditions de Médicis en est révélatrice : il s’ouvre aux frères André et Jean Marchai, à Jacques Lecaillon ou encore à l’agronome René Dumont. La circulation internationale des idées économiques La diffusion des thématiques néo-libérales tient d’abord au contexte de Guerre froide. Durant les années 1950, les discours de rupture avec le capitalisme restent inaudibles dans les facultés de droit. Et à cela s’ajoutent certains effets de la circulation internationale des idées économiques. La France découvre la science économique anglaise et améri­ caine. Ces transferts de connaissance exercent un important effet de dépolitisation sur les théories économiques : les doc­ trines circulent sans leur contexte de production et peuvent être dissociées de leurs promoteurs nationaux. À l’Institut de science économique appliquée ( i s e a ) de François Perroux, le néo-libéralisme, dans sa variante britan­ nique, a dès le début des années 1950 des partisans, notam­ ment Yves Mainguy et Georges Rottier, premier directeur du Centre de recherche et de documentation sur la consom­ mation (Credoc)29. Ils revendiquent un État qui ne soit pas neutre économiquement et qui intervienne conformément

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« à la logique interne de l’économie d’entreprise et de mar­ ché pour en conserver les effets jugés favorables à l’intérêt général et en éliminer les effets jugés défavorables »30. Par bien des aspects, I’i s e a des années 1950 en appelle au tiers chemin. Créé peu avant la Libération, l’héritier direct du département de socio-biologie de la Fondation Carrel compte à sa naissance parmi ses correspondants étrangers aussi bien John Hicks, Lord Keynes et Joan Robinson que Friedrich Hayek, Fritz Machlup ou William Rappard. Dans le premier numéro d'Économie appliquée, le directeur de I’i n s e e Francis-Louis Closon, situe la démarche « à mi-che­ min entre le monde des savants et celui des utilisateurs de la science économique », en position neutre du point de vue de la doctrine : « Tandis que le planiste s’efforce de déterminer les règles de son action, le néo-libéral cherche les moyens qui permettront aux forces économiques de reprendre leur jeu naturel. Qu’il s’agisse de fixer les normes et d’en assurer l’application sous la forme d’un plan qui réduit la liberté économique des groupes ou des individus, qu’il s’agisse, au contraire, de rechercher les moyens qui permettent le retour du jeu libre des forces naturelles, le résultat est le même31. » Le néo-libéralisme allemand reste moins étudié par les économistes français au début des années 1950, même s’il a des promoteurs. Certains en retiennent les avancées métho­ dologiques32. D’autres, comme Jacques Rueff, ne dissimulent pas leur admiration militante en affirmant que le « miracle allemand, dans sa réalité n’est qu’un produit rationnel de la doctrine néo-libérale, expressément formulée et systématique­ ment appliquée »33. L’ordo-libéralisme subit cependant une double lecture politique : il trouve des adeptes auprès d’éco­ nomistes qui se réclament eux-mêmes du néo-libéralisme comme François Bilger34 ou qui, au contraire, cherchent à

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faire le parallèle entre néo-libéralisme allemand et planifi­ cation à la française. C’est sur cette base que le catholique social André Piettre va jusqu’à dénier à Ludwig Erhard le caractère libéral de sa politique35. Qu’importe : progressive­ ment l’ordo-libéralisme devient une référence en matière de politique économique qu’on enseigne par exemple à Sciences Po, l’un des temples de la pensée modernisatrice36. Les thèses de néo-libéraux étrangers circulent et certains tentent d’en faire la synthèse.Traducteur de Friedrich Hayek37, lecteur de Walter Eucken et de Lionel Robbins, Raymond Barre postule ainsi que l’essentiel pour la science économique est de définir ce que peut être une intervention compatible avec une économie de marché : une politique économique alliant un « planning for competition » (Hayek) et une politique de la demande38. La position qu’occupe Raymond Barre à la fin des années 1950 témoigne du désenclavement progressif du néo-libéralisme. Il appartient au courant « réa­ liste » et « sociologique » de la science économique, celui-là même qui s’est construit sur le rejet de l’économie classique. C’est un savant associé à la Revue économique et à Critique, grande revue intellectuelle généraliste. Mais c’est aussi un éco­ nomiste lié à Sciences Po, où il dirige le Service de recherche sur l’activité économique (l’ex-iSRES des années 1930), qui entre en 1959 au cabinet de Jean-Marcel Jeanneney, ministre de l’Industrie du général de Gaulle. La formation intellec­ tuelle de Raymond Barre associe le libéralisme politique de Tocqueville et de Raymond Aron, le gaullisme et la pensée hétérodoxe de François Perroux. Proposition qui a posteriori peut sembler étonnante pour un néo-libéral, Raymond Barre en appelle même à « tirer le meilleur parti de la révolution keynésienne »39. Car si certains aînés conspuent le keynésia­ nisme, de jeunes économistes jugent cette doctrine compatible 249

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non seulement avec le modèle de développement prôné par les planificateurs, mais aussi avec le néo-libéralisme. Jacques Cros, futur haut fonctionnaire européen, a même consacré une thèse à établir un lien entre les idées débattues lors du Colloque Lippmann, le keynésianisme et les propositions des catholiques sociaux40. Le secrétaire du Mont-Pèlerin, Albert Hunold, en fut fort dépité : « Ce M. Cros a encore contribué à créer de l’obscurcissement », il « ne comprend rien du néolibéralisme »41. Quand il ne se réduit pas à une justification du déficit budgétaire ou à un appel en faveur d’une politique de la demande, le « keynésianisme » divise en fait les néo-libéraux depuis l’entre-deux-guerres. Tandis que cinq ans avant la traduction de la Théorie générale, Étienne Mantoux dénon­ çait déjà le « génie mystificateur » de Keynes parvenu à « la justification ésotérique des préjugés de l’homme de la rue »42, certains de ses proches, comme Robert Marjolin ou Raymond Aron, se montraient nettement plus indulgents. L’anti-keynésianisme systématique n’a pu se développer qu’en réaction à l’émergence d’un courant keynésien qui n’existe pas durant les années 193043. Plusieurs des parti­ cipants au Colloque Lippmann ont d’ailleurs marqué leur sympathie envers les écrits de Keynes. Pour Louis Marlio, président du c i r l , il « n’y a pas grande différence entre la définition que donnait du rôle de l’État le fondateur du libé­ ralisme, Adam Smith », et celle de Keynes qu’il qualifie de « plus évolué des économistes anglais »44. Walter Lippmann cite à plusieurs reprises la Théorie générale, sans émettre de critiques45. Et même au début des années 1950, Louis Baudin note ironiquement que si certains socialistes font de Keynes un nouveau Marx, il prétendait lui-même être « indi­ vidualiste et cherche[r] à sauver le capitalisme »46.

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C’est Jacques Rueff qui s’est fait après 1945 le pourfen­ deur de la théorie keynésienne dans un article demeuré célèbre de la Revue d ’économie politique. Lui qui s’était confronté à Keynes à plusieurs reprises durant les années 1930 conteste non seulement son appréhension de la consommation et des questions monétaires, mais aussi ses conséquences politiques. Jacques Rueff est catégorique : la théorie keynésienne en tant qu’instrument de gouverne­ ment, « par les désordres économiques qu’elle provoquera [...], réinstallera dans le monde un régime de planification généralisée, analogue au régime de guerre, et fondé sur la suppression de toute liberté individuelle »47. Une partie des néo-libéraux ne souscrit pas à son point de vue. Devant un parterre de patrons du commerce, Daniel Villey se dit prêt à « annexer Lord Keynes et nombre de ses disciples ». Car « demander une politique de la conjoncture, des investisse­ ments d’État pour amorcer les reprises économiques, une politique avisée de manipulations monétaires, et une poli­ tique du taux d’intérêt, ce n’est point là faire du planisme ! Ce n’est pas briser l’armature du régime ! C’est entendre surveiller, et de temps en temps réparer ou guider, la machi­ ne »48. De son côté, Raymond Aron reproche à Jacques Rueff de ne pas comprendre que la Théorie générale repré­ sente des progrès considérables pour la science économique, le qualifie, de manière peu aimable, de « pré-keynésien » et considère L’Ordre social, son maître ouvrage, comme rempli d’erreurs, « à l’échelle du livre lui-même, massives, fonda­ mentales »49. Quand on sait que L’Ordre social comporte plus de 600 pages... Tout comme le néo-libéralisme, le keynésianisme est le produit d’une réintégration de l’État dans la théorie économi­ que, reflétant des transformations matérielles qui préexistent 251

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à la Théorie générale. Il a été diffusé en France dans une période troublée (l’Occupation) et par deux groupes de nature différente : d’une part, des économistes proches de François Perroux et de la Fondation Carrel50 ; d’autre part, des inspecteurs des finances, à commencer par Jean Rioust de Largentaye, traducteur de Keynes, mais aussi Claude Gruson et certains des hauts fonctionnaires qui jouent un rôle important dans la politique économique d’après 1945 : Wilfried Baumgartner ou Roger Goetze. L’appropriation du keynésianisme par ces deux groupes (instrument de lutte contre l’économie classique pour les uns, manière macroscopique d’appréhender l’économie nationale pour les autres) trouve son prolongement dans l’après-guerre. La référence keynésienne s’impose tant dans des organismes comme I’ i s e a de François Perroux et, de manière plus générale, chez les économistes liés au catholi­ cisme social (en particulier Henri Guitton et Alain Barrère), que chez les « autodidactes » de la modernisation51. « La comptabilité nationale, c’est tout de même essentiellement Keynes » explique Jean Denizet, administrateur civil au ministère des Finances52. Dès lors, il ne faut pas se méprendre sur la signification du keynésianisme français qui relève moins de l’adhésion doctrinale à l’œuvre de Keynes que de l’adéquation entre des dispositions réformatrices et une théorie qui s’est attaquée, « sans que l’auteur en ait du reste eu entièrement conscience, au phénomène économique fondamental : la croissance, et à l’objectif économique fondamental : la croissance harmo­ nisée par une politique délibérée »53. Le clivage entre keyné­ sianisme et néo-libéralisme est analogue à celui qui traverse le néo-libéralisme depuis les années 1930. Les plus pragma­ tiques des néo-libéraux se satisfont d’un État régulateur,

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tout en condamnant le recours à l’inflation, la politique du pouvoir d’achat ou la persistance du déficit public. Les plus radicaux rejettent tout en bloc parce qu’ils font de la mon­ naie neutre le pivot de l’ordre social. Les ambiguïtés du discours modemisateur L’idéologie économique de la fin des années 1950 et du début des années 1960 a ses mots de passe (« modernisa­ tion », « productivité », « croissance ») et ses passeurs à mi-chemin entre les organisations syndicales, patronales et les bureaucraties d’État. Trois sortes de pilotins manœuvrent le navire de la modernisation. Des hauts fonctionnaires d’abord, dont François Bloch-Lainé est sans doute l’un des plus illus­ tres. Fils d’un banquier, cet inspecteur des finances passé par l’École libre des sciences politiques et docteur en droit, aurait pu devenir l’un des apôtres doctrinaires de l’équilibre budgétaire. Mais l’ancien financier de la Résistance, directeur du Trésor (1947-1952) puis de la Caisse des dépôts et consi­ gnations (1952-1967), a choisi un autre cheval de bataille : le progrès social, par la transformation des structures de direction de l’entreprise, et la modernisation : « La planifica­ tion et la libre entreprise ne sont pas des humanismes rivaux, des instruments contradictoires de l’épanouissement de la personne humaine, écrit-il dans Four une réforme de l’entre­ prise. Elles servent, en effet, des “valeurs” complémentaires, qui se situent à deux niveaux différents. Ni l’une ni l’autre ne suffit54. » Certains néo-libéraux applaudissent55, d’autres gri­ macent56 devant les audaces modernistes de l’une des futures grandes consciences de la gauche socialiste dont le général de Gaulle hésite pourtant à faire un ministre. Deuxième type de manœuvrier de la modernisation : l’ingénieur civil reconverti en serviteur de l’État au gré de 253

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diverses péripéties biographiques. Durant plus de deux décennies, Jean Fourastié, centralien entré sous l’Occupation au comité d’organisation des assurances, endosse le rôle du héraut de la croissance économique et de la productivité à l’américaine. Homme du Plan et professeur au c n a m ainsi qu’à la VIe section de l’École pratique des hautes études, il pourfend le manque de culture économique des Français (classes populaires et élites dirigeantes confondues) et œuvre à travers la Commission de la main d’œuvre (1950-1967) au dialogue social. Ce polygraphe, auteur de nombreux Que sais-je ?, éditorialiste à L’Express (mendésiste) et au Figaro (conservateur), ne semble avoir ni chapelle doctrinale, ni spécialité bien définie. L’ingénieur économiste d’État ferme le trio de la pensée modernisatrice. Fantasmée par les technocrates d’X-Crise, touchée du doigt par les hauts fonctionnaires de Vichy, l’apparition d’« économistes d’action », « une race spéciale d’hommes » ayant en charge la gestion des grandes entre­ prises et des services publics57, est devenue une réalité sous la IVe République. Nul mieux qu’Alfred Sauvy, le grand contempteur du malthusianisme économique, n’incarne cette nouvelle figure. Passé par les cabinets du Front populaire avant d’entrer dans ceux du gouvernement Daladier, directeur de l’Institut de conjoncture sous la IIIe République puis sous le régime de Vichy, ce mendésiste, premier directeur de I’in e d , peut être perçu simultanément comme un cryptocommu­ niste58 et comme un « néo-libéral »59. C’est en quelque sorte la personnification de « cette idéologie économique moderni­ satrice qui s’épanche, au même moment, au Plan, à Sciences Po et au c n a m , c’est-à-dire dans les organismes où l’expertise économique d’État est parvenue à s’imposer comme forme “moderne” de capital politico-bureaucratique »60. 254

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Ces thuriféraires de la concertation (Bloch-Lainé), de l’Amérique (Fourastié) ou de la grandeur nationale (Sauvy) sont difficilement assignables à un courant intellectuel parti­ culier. Trop peu doctrinaires pour les puristes, trop conformis­ tes pour ceux qui rêvent de renverser le régime, ils brassent des « idées qui sont dans l’air », tout en proclamant que les « faits ont été plus vite que les idées »6I. Leur réalisme les placerait ainsi au-dessus des querelles idéologiques, tandis que leur volontarisme leur permettrait de se départir des contingences matérielles. Les modernisateurs perçoivent l’action publique comme leur chasse gardée, un territoire où ils n’auraient à subir ni l’influence d’un parti, ni le contrôle des élus. Leur discours rejoint les conceptions économiques d’un catholicisme social en plein renouveau. Car l’une des prin­ cipales caractéristiques de la haute fonction publique des années 1950-1960 reste sa très forte religiosité62. L’esprit de service public trouve une terre d’élection parmi les catholi­ ques pratiquants. Or, les thèses défendues par le catholicisme social ont été largement remodelées par l’expérience de l’Oc­ cupation et de la Libération. La disqualification du corpora­ tisme vichyssois a contribué à rendre obsolètes certains des aspects les plus originaux de la doctrine sociale catholique d’avant-guerre63. La mise en place par l’État d’une politique de la famille conduit en outre à un déplacement du lieu de production des discours politiquement et socialement effica­ ces sur la famille, des « autorités sociales » vers des instances bureaucratiques64. Quant à la montée du communisme et à l’affirmation au sein du monde catholique d’une reven­ dication de « socialisme démocratique »65 - certains vont même jusqu’à flirter avec le marxisme66 - elles inclinent le catholicisme social à privilégier certains thèmes comme la redistribution des richesses.

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L’importance accordée par les intellectuels catholiques aux questions économiques se retraduit clairement dans l’organisation des Semaines sociales, présidées à partir de 1945 par un banquier, Charles Flory. La session de 1947, « le catholicisme face aux grands courants contemporains », traite du corporatisme, du libéralisme et du socialisme. En 1949, on débat du « réalisme économique » et du « progrès social », en 1950, de la place de l’agriculture dans l’écono­ mie, en 1952, de la croissance et de la répartition du revenu national, en 1956, des « exigences humaines et [de] l’expan­ sion économique »... À ce déplacement des thématiques du social vers l’économique, correspond une transformation du corps des conférenciers. Aux côtés des syndicalistes chrétiens et des ecclésiastiques, le groupe des économistes s’est accru et rajeuni (avec Alain Barrère, Maurice Byé ou Jean Marchai) et surtout, les Semaines sociales parviennent à attirer des hauts fonctionnaires (François Bloch-Lainé et Francis-Louis Closon), d’anciens chargés de mission au Commissariat général du Plan comme Jean Fourastié ou Jean Baboulène (également ancien directeur de Témoignage chrétien), ainsi que des patrons du secteur nationalisé et de grandes entre­ prises privées, notamment des responsables de I’a c a d i . Les Semaines sociales forment ainsi dans les années 19501960 une sorte de modèle réduit du monde des « modernisateurs » : proches de François Perroux et représentants du courant « réaliste et sociologique », dirigeants des adminis­ trations économiques, patrons d’État issus des grands corps, tous étant liés par l’appartenance à des lieux neutres, comme le Conseil économique et social, l’Institut d’études politiques de Paris ou l’École nationale d’administration. Les Semaines sociales travaillent activement à la réconciliation des catho­ liques que la guerre a divisés : membres du Comité général

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d’études (François de Menthon), de la commission sociale de la France combattante (Maurice Bouladoux) et partisans du corporatisme vichyssois (Jean Brèthe de la Gressaye, François Perroux) s’y côtoient. Dans ce contexte, le traditionnel rejet du libéralisme et du socialisme prend un sens nouveau. À ce qui s’apparentait à une stratégie de subversion contre l’État laïc (l’organisation professionnelle par la corporation) s’est substituée une forme de sociodicée : on tente de « concilier planisme et liberté », d’associer « réalisme économique et progrès social »67 ; on condamne l’économie dirigée dans son principe, mais on salue « l’effort considérable et partiellement original d’or­ ganisation économique »68 réalisé depuis la Libération ; on trouve justifiées les campagnes en faveur de la productivité, on souligne certaines lacunes du Plan Monnet69, mais on déclare que « l’effort commencé par le Plan de moderni­ sation et d’équipement doit s’étendre à toute l’industrie française »70. Bref, les Semaines sociales se réjouissent de la coexistence du capitalisme et du socialisme, du régime économique « hybride » que connaît la France71, qui a le double avantage d’être conforme aux encycliques papales et de pouvoir constituer un rempart face au communisme, en favorisant l’intégration de la classe ouvrière. Si le néo-libéralisme fait l’objet de condamnations répé­ tées aux Semaines sociales, notamment de la part du keyné­ sien Alain Barrère, certains tentent des rapprochements. Dès 1950, Jacques Rueff organise ainsi avec le soutien d’André Piettre une rencontre entre néo-libéraux et catholiques sociaux, ces « hommes de bonne volonté que divisent [...] de vaines oppositions doctrinales »72. Car la persistance de dissensions ne doit pas dissimuler qu’une proximité intellec­ tuelle existe entre « l’aile droite » du catholicisme social et 257

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« l’aile gauche » du néo-libéralisme. Certains appartiennent d’ailleurs à ces deux mondes, tel Gaston Leduc qui devient président de la Société du Mont-Pèlerin en 1974. L’enjeu pour les catholiques sociaux et de nombreux modemisateurs reste de concilier économie de marché et justice sociale. Ils reprennent ainsi les thématiques de l’une des tendances qui s’étaient manifestées lors du Colloque Lippmann, au moment même où elle semble reléguée au second plan dans l’univers du néo-libéralisme.

Le grand tournant institutionnel : la V République Ces ambivalences du discours modernisa teur reflètent en partie les contradictions d’un État dont l’orientation libérale est bridée par des structures dirigistes maintenues. L’avènement de la \Λ République change la donne. Les guerres d’Indochine et d’Algérie ont lentement mis à mon la I\* République. Alors que le système politique se montre impuissant à gérer la décolonisation, les finances publiques s’épuisent et la monnaie s’affaiblit. Sur fond d’agitation en Azérie et en métropole, le retour au pouvoir du général de Gaulle offre l’occasion au néo-libéralisme de prendre un nouveau départ. U s’ancre durablement dans l’État et mieux encore redessine le contour de certaines institutions, à com­ mencer par le Plan. Le premier Président de la V République n’a pourtant rien « fr i libéral. C’est même un partisan résolu de l’intervention étatique pour qui la vie économique suppose « une imptdrion, une harmonisation, des règles, qui ne sauraient procéder que de LÉcat. Bref, il y faut le dirigisme *>73. Dans le domaine social, il prêche depuis les années t i r Passociatio® capenatnavail, rebaptisée sous son m andat « participa­ tion % une troisième voie entre capitalisme et socialisme. Ses

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sources d’inspiration : un curieux mélange de catholicisme social - même s’il est « difficile d’identifier les filiations explicites entre les catholiques sociaux français, la doctrine sociale de l’Église et la pensée du général de Gaulle »74 - et de socialisme français, en particulier de fouriérisme. Comme le souligne le politiste Patrick Guiol, Charles de Gaulle ne va tout de même pas jusqu’à vouloir abolir le capitalisme. Car « il dit : “association” et “abolition du salariat” d’une part, et il dit “capital-travail”, d’autre part, postulant la per­ manence d’acteurs antagonistes »7S. De Gaulle reste avant tout un nationaliste, aussi « ouvert » qu’il puisse l’être. Il se résout à l’économie de marché par utilitarisme76. C’est au nom de l’État fort et de la grandeur nationale que, selon le témoignage de Roger Goetze, l’un de ses conseillers, il subit « beaucoup l’influence de Rueff », « celle d’un certain libé­ ralisme, alors que son tempérament l’aurait plutôt porté au dirigisme »77. L’alliance improbable du gaullisme et du libéralisme Libéraux et gaullistes entretiennent de longue date des relations conflictuelles. Si le cnip soutient l’agitation en Algérie de 1958 et, après une péride de flottement, se rallie au général de Gaulle, il s’en sépare dès l’annonce de l’autodé­ termination du peuple algérien. Au sein de la section française de la Société du Mont-Pèlerin, presque toute la gamme des opinons possibles s’exprime sur le sujet, parfois violemment. Raymond Aron plaide en faveur de l’autodétermination du peuple algérien, Maurice Allais défend avec vigueur l’associa­ tion78, tandis que Daniel Villey dénonce la séparation entre la France et l’Algérie comme « une entreprise monstrueuse, contre-nature, impossible, inadmissible », allant jusqu’à souhaiter que le général de Gaulle soit « pendu (ou condamné

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à l’être) »79. La question algérienne et celle des institutions du nouveau régime déchirent la famille libérale80. Derrière Jean Lecanuet, certains rejoignent l’opposition tandis que les Républicains indépendants de Valéry Giscard d’Estaing s’intégrent à la majorité présidentielle81. Sur le plan électoral, le CNIP périclite. La droite libérale se démarque du gaullisme par sa conception de l’État et du pouvoir : la quête d’un lien direct entre le peuple et son chef s’écarte des canons du libé­ ralisme classique ; le rôle central que jouent des technocrates dans le nouveau régime (au gouvernement et à l’assemblée) désempare les notabilités provinciales qui voient rogner leur autorité. Le « oui, mais » de Valéry Giscard d’Estaing, exclu du gouvernement en 1966, et lui-même une sorte d’hybride entre le technocrate (polytechnicien et énarque) et le notable, en dit long sur l’ambivalence des libéraux. L’année 1958 voit cependant se nouer une alliance impro­ bable. La France est bien incapable de tenir ses engagements internationaux dans les domaines monétaire et commercial. Sur le plan intérieur, la remise en ordre des finances publiques appelle un spécialiste. De Gaulle pense à François Bloch-Lainé qui décline. Avec quelques regrets, il nomme Antoine Pinay. Le ministre applique la même recette qu’en 1952 : un emprunt de 3,5 % à capital garanti, assorti d’une amnistie fiscale : « la faculté de rapatriement sans pénalité de tous avoirs dis­ simulés à l’étranger82. » L’État engrange de « l’argent frais », mais sans engager de réformes profondes. C’est ce qui décide Jacques Rueff à entrer en scène. Lui dont la carrière après la Seconde Guerre mondiale n’est pas à la hauteur des ambi­ tions - il se confine dans des organisations internationales et échoue à obtenir un mandat électif - perçoit le changement de régime comme l’occasion d’un assainissement profond des finances publiques. Son aspiration à l’ordre social résonne

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avec le volontarisme gaullien : « À ce théoricien consommé, note Charles de Gaulle dans ses mémoires, à ce praticien éprouvé, rien n’échappe de ce qui concerne les finances, l’éco­ nomie, la monnaie. Doctrinaire de leurs rapports, poète de leurs vicissitudes, il les veut libres. Mais, sachant de quelles emprises abusives elles se trouvent constamment menacées, il entend qu’elles soient protégées »83. Armé d’une note définissant « un programme de rénova­ tion économique et financière », Rueff contacte Pinay et l’en­ tourage du général de Gaulle qu’il convainc. Entre septembre et décembre 1958, le « Plan » Pinay-Rueff, dont le ministre des Finances se serait bien passé, est élaboré par un comité d’experts dans le plus grand secret84. « Si la composition du Comité avait été connue, écrit rétrospectivement le Directeur des prix, la clameur eût été universelle. On n’y aurait trouvé aucun représentant de la paysannerie, aucun représentant ouvrier ou cadre, aucun porte-parole du commerce ou de la petite et moyenne industrie. Mais trois banquiers [...], l’un des plus grands industriels français [Raoul de Vitry], un ancien secrétaire d’État des gouvernements modérés d’avant-guerre, devenu directeur de la Journée industrielle, organe du patronat, M. Claude-Joseph Gignoux ; un pro­ fesseur d’économie politique réputé pour son libéralisme doctrinal, Jean-Marcel Jeanneney, du Conseil d’État, ancien directeur du Cabinet d’Henri Queuille, M. Brassart ; et enfin le Président d’Honneur de l’Ordre des Experts Comptables, M. Alexandre85. » Épaulés à Matignon par Roger Goetze, les experts libéraux proposent un « plan » drastique, immédia­ tement traduit dans les faits par ordonnances. Les mesures forment un ensemble cohérent : des finances publiques en équilibre grâce à des coupes claires dans les dépenses et à une augmentation des impôts ; une monnaie 261

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dévaluée, redevenue librement convertible et symbolique­ ment érigée en nouveau Franc ; des frontières ouvertes à la compétition économique internationale. Si dans la presse, les partis et les syndicats, la réprobation est générale, le plan atteint rapidement ses objectifs et enclenche une dynamique réformatrice. Car ce n’est pas seulement l’œuvre d’un petit groupe de notables. Son élaboration a supposé une large mobilisation administrative que facilite l’accord de vues entre experts et fonctionnaires des Finances. « Il y avait, raconte Goetze, d’un côté le comité qui faisait les grandes choses, qui brassait les idées, etc., dont on discutait et puis après leur approbation, il y avait tout un travail matériel nécessaire qu’il fallait faire86. » Sept mois après l’adoption de sa réforme financière, Jacques Rueff revient à la charge auprès des pouvoirs publics. Entre 1944 et 1946, la gauche a su imposer ses réformes de structures. Il est temps d’en faire de même et d’« extirper de notre économie, dans tous les domaines, les pratiques malthu­ siennes, causes de la limitation de nos facultés et de la médio­ crité de nos niveaux de vie »87. C’est en jouant sur la fibre nationale que Rueff obtient de Michel Debré et du général de Gaulle la création d’un comité institué auprès du Premier ministre, « chargé d’examiner les situations de fait ou de droit qui constituent d’une manière injustifiée un obstacle à l’ex­ pansion de l’économie et de proposer les réformes de nature à mettre fin à cette situation ». Il ne ressemble pas à celui de 1958. Sa composition, savamment pesée, est on ne peut plus officielle88. C’est une sorte de commission du Plan en minia­ ture. Le comité intègre des syndicalistes ouvriers (Gaston Tessier pour la c f t c et Gabriel Ventejol pour Force ouvrière), des cadres (André Malterre de la c g c ), des représentants des intérêts agricoles (Jean Keilling, ingénieur agronome), des

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universitaires libéraux (René Courtin), des patrons chrétiens (entre autres Marcel Demonque des Ciments Lafarge et Louis Estrangin à'Ouest France), des « modernisateurs » (Pierre Massé, commissaire général du Plan, et Alfred Sauvy) et des dirigeants d’entreprises nationalisées (Louis Armand, viceprésident du comité, patron de la s n c f , Alexandre Verret des Charbonnages de France, proche de Guy Mollet). Après huit mois de travail, le Comité dit Armand-Rueff rend sa copie. Les différents chapitres Rapport sur les obs­ tacles à l’expansion économique89 définissent les axes que pourrait emprunter une politique économique néo-libérale : « Réduire les rigidités qui affectent l’économie », « éliminer les atteintes à la véracité des coûts et des prix », « écarter les obstacles à une croissance harmonieuse », « remédier aux insuffisances de l’information et de l’instruction » et enfin « réformer l’administration ». Le rapport dresse surtout un inventaire des métiers incriminés pour leur rigidité : boulan­ ger, notaire, pharmacien, chauffeur de taxis, autant de sym­ boles de ce qui, pour la pensée technocratique, représente l’archaïsme, la France arc-boutée sur ses privilèges90. Si le rapport Armand-Rueff n’a eu que très peu de retom­ bées immédiates, il est le premier d’une longue série de docu­ ments publics appelant à une libéralisation partielle de l’éco­ nomie : rapport Nora sur les entreprises publiques (1967), rapport Montjoie sur le développement industriel (1968), rapport Marjolin-Sadrin-Wormser sur le marché monétaire et les conditions du crédit (1969). Dans l’imaginaire libéral, le rapport Armand-Rueff fait office d’étalon de mesure et d’acte de naissance, un véritable « vivier où une politique réformatrice, soucieuse de réalisations concrètes, devra à l’avenir s’alimenter »91. On ne compte plus depuis les appels à la constitution d’un nouveau Comité Rueff, expérience

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irremplaçable pour de nombreux jeunes énarques, diplômés au milieu des années 1950, et réquisitionnés pour les besoins de l’enquête sur laquelle s’appuit le rapport : 11 viennent du Conseil d’État, 8 de l’Inspection des Finances, 10 de la Cour des Comptes et une trentaine sont administrateurs civils92. Parmi ces hauts fonctionnaires, on remarque les noms d’un futur Commissaire général du Plan, Michel Albert, inspec­ teur des finances chargé du secrétariat général du Comité, et d’un futur Premier ministre, Édouard Balladur, alors audi­ teur au Conseil d’État. L’ancrage européen : le marché institutionnel La réforme financière de 1958 n’avait pas uniquement une visée nationale. Elle garantissait l’entrée de la France dans la Communauté économique européenne. La libération des échanges constitue ainsi l’une des principales ruptures introduites par la Ve République. Depuis les années 1930, l’Europe unie est l’un des thèmes de prédilection des néo-libéraux93. Seuls un marché euro­ péen et une union politique, même a minima, pourraient mettre à bas les structures dirigistes nationales, parce qu’il y a « incompatibilité totale et absolue entre la liberté de circulation des marchandises, des capitaux et des hommes d’une part, et le maintien des souverainetés nationales fondé sur des politiques et des armées nationales indépendan­ tes, d’autre part »94. Rien d’étonnant dès lors à ce qu’un Daniel Villey ait été l’un des plus farouches partisans de l’élaboration d’une constitution européenne95 ou que René Courtin, qui considère l’Europe comme « la seule possibilité de créer un cadre pour le néo-libéralisme »96, soit au milieu des années 1950 le président du comité exécutif français du Mouvement européen. La plupart des membres français du

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Mont-Pèlerin font d’ailleurs partie de la Ligue européenne de coopération économique, l’un des principaux lobbies européistes dans le monde des affaires97. Le « pôle libéral du mouvement européen », connaît bien sûr des divisions : entre unionistes et fédéralistes, entre ceux qui acceptent une part de dirigisme international et ceux qui récusent toute forme d’Europe technocratique98. Mais à l’exception des plus radicaux (encore et toujours Pierre Lhoste-Lachaume), le Traité de Rome a été accueilli comme une divine surprise. Il donne naissance à un marché néo-libéral où le « laissezpasser » l’emporte sur le « laissez-faire ». Les États euro­ péens se sont eux-mêmes chargés de construire la machine dont les néo-libéraux rêvaient de longue date pour affaiblir le pouvoir des États. Dans un article prophétique, paru successivement dans Le Monde99 et dans la Revue d ’économie politique, Jacques Rueff a mis en lumière la spécificité du traité instituant la CEE : il façonne « un marché institutionnel ». La nouveauté du traité ne réside pas tant dans l’objectif qu’il poursuit - la libération des échanges - que dans « les voies par lesquelles il prétend y parvenir » : une construction progressive gom­ mant les disparités entre les économies nationales et attri­ buant « à des institutions communautaires dotées de pou­ voirs définis une fois pour toutes [le] soin de créer le marché commun et de le défendre contre les entreprises tendant à en tourner les dispositions ». La mise en place d’une politique européenne de la concurrence constitue ainsi l’une des pierres angulaires de la Communauté100. Combinant divers types d’interventions visant à assurer un fonctionnement optimal des marchés, ce type de politique présente un aspect paradoxal. Justifié le plus souvent par la défense du consommateur, il conduit à

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la création de dispositifs contraignants pour les entreprises, tout en permettant l’élaboration d’un cadre réglementaire qui assure prévisibilité et information aux agents économi­ ques. La politique de la concurrence peut donc à la fois être pensée comme un outil de démocratie économique et comme un instrument de préservation du capitalisme moderne. Cette antinomie, que l’expression « politique de la concurrence » renforce, puisqu’elle suggère, conformément à la théorie néo-libérale, que le maintien d’un ordre concurrentiel n’est pas naturel, ne peut que favoriser une forme de consensus autour d’une politique qui, parce qu’elle engage des savoirs juridiques et économiques très élaborés, est rarement pen­ sée comme politique. Le Traité de Rome, en construisant l’Europe comme un marché et en donnant les instruments de sa protection (encadrement des ententes et des fusions, restriction des aides d’État), marque ainsi « l’aboutissement et le couronnement de l’effort de rénovation de la pensée libérale ». Et Jacques Rueff de conclure que « le marché institutionnel devrait renouveler dans tous les pays de l’Oc­ cident les problèmes de politique intérieure ». Car l’inscription dans la Communauté économique euro­ péenne n’est pas sans effet sur les structures économiques nationales. Certains l’ont perçu d’emblée. Claude Gruson, le keynésien directeur du Service des études économiques et financières, n’a eu de cesse de prévenir les autorités qu’elles se liaient les mains101. Favorable, Daniel Villey ironisait sur le soutien apporté par les socialistes à la ratification du Traité. Avaient-ils seulement lu ce monument de 248 articles qui rendait caduques leurs velléités réformatrices P102 L’une des principales conséquences de l’entrée de la France dans le marché commun, et non des moindres, est en effet d’avoir provoqué le déclin de la planification et du mode de gestion

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publique qui lui était associée, P« économie concertée »103. Chasse gardée des ordo-libéraux allemands, la politique de la concurrence entrave théoriquement l’action de l’État, tant du point de vue des aides accordées que des choix industriels (l’application de la législation européenne ne sera cependant que très progressive). La libre circulation des hommes et des capitaux « oblige les fonctionnaires français à limiter certai­ nes de leurs interventions qui risqueraient de chasser les fac­ teurs de production »104 (le chantage aux délocalisations peut commencer). L’ouverture des frontières conduit la politique économique à se focaliser sur le court terme : l’équilibre de la balance des paiements, la lutte contre l’inflation et la stabilité des taux de change concentrent toute l’attention des pouvoirs publics. Politiques budgétaire et monétaire expansives devien­ nent donc difficilement praticables et ce, d’autant plus que la communauté de marché amène une convergence des structu­ res économiques et sociales qui, pour la France, signifie un rapprochement avec l’Allemagne ordo-libérale. La République gaullienne aura donc paradoxalement pro­ clamé la renaissance du Plan tout en sapant ses fondements. Les pères fondateurs de la planification, à commencer par Jean Monnet ou Pierre Uri, avaient du reste ouvert la voie. En 1966, l’un des hagiographes de la planification notait, amer, que « déjà, le Plan français a perdu de son emprise sur la majeure partie des secteurs productifs, emportés par le courant du marché élargi. Déjà ses programmes publics font l’objet d’analyses, parfois de révisions, annuelles et les esprits sont préoccupés d’équilibres de courte période. Si cette évolu­ tion se poursuivait, de quinquennale la planification deviendra annuelle, de générale sectorielle : elle cessera d’exister »105. La mort annoncée du Plan explique que nombre de planifica­ teurs qui s’étaient ralliés aux institutions de la V* République 267

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s’engagent en politique. Fidèles du Club Jean Moulin106, fami­ liers de la Confédération française et démocratique du travail ( c f d t ) issue de la c f t c , o u du Groupe de recherche ouvrier et paysan ( g r o p ), ils s’investissent en faveur de la candidature avortée de Gaston Deferre, alias « Monsieur X »107. On n’a ainsi jamais autant parlé de la planification démocratique qu’au moment où l’inscription dans le marché commun a transformé le Plan en un bureau d’études. Un néo-libéralisme gestionnaire La politique économique du gaullisme est difficilement interprétable d’un seul tenant. Les influences exercées sur le général de Gaulle varient108. Quand il s’agit de politique monétaire et du taux de change entre le franc et le dollar, Jacques Rueff officie souvent en première ligne109. Mais dans d’autres domaines, de Gaulle se fait parfois plus ico­ noclaste. Il soutient par exemple les projets d’intéressement aux bénéfices des « gaullistes de gauche » et marque même sa sympathie pour l’insolite « pancapitalisme » de Marcel Loichot110. Au service d’un rêve de grandeur nationale, la politique gaullienne cherche à concilier libre entreprise et dirigisme. Les débuts de la Ve République marquent ainsi l’apogée de la politique économique, comprise comme un tout et non comme la simple somme d’interventions secto­ rielles, parce qu’un pouvoir politique stable coïncide avec une administration économique expérimentée. Un libé­ ral doctrinaire note de manière critique qu’« entre la IVe et la Ve République, les conceptions quant au rôle de l’État n’ont pas changé, seul le pouvoir s’est durci : on conçoit la politique économique en termes de puissance et de pres­ tige et la politique sociale comme une redistribution des revenus »in .

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Reste qu’entre le Premier Plan et les années 1960, les enjeux économiques changent de nature. La reconstruction est achevée, la croissance forte et l’inflation maîtrisée. Les équipements collectifs et la réorganisation de l’économie nationale deviennent des priorités. Alors que du côté du Plan, le commissaire Pierre Massé et certains de ses colla­ borateurs, comme Jacques Delors, souhaitent réviser le par­ tage des bénéfices, le pouvoir se satisfait d’une « politique plutôt défensive, et telle que son exécution peut être confiée à des conservateurs : Antoine Pinay, Wilfrid Baumgartner, Valéry Giscard d’Estaing - pour ne pas citer Georges Pompidou »m . Charles de Gaulle et ses ministres ne jurent que par l’équilibre budgétaire et la monnaie stable. L’État considère le Plan comme une « ardente obligation », mais il n’en est pas le maître d’œuvre. Tout au plus épaule-t-il les entreprises, étant admis que son rôle, selon les termes du Ve Plan (1965), « consiste en premier lieu à créer les condi­ tions générales favorables au développement industriel ; en second lieu à apprécier en liaison avec les professions inté­ ressées, les orientations de la politique à suivre dans les dif­ férentes branches et, le cas échéant, à appuyer les initiatives des entreprises conformes à ces orientations »113. L’une des principales obsessions de l’État gaulliste est ainsi de facili­ ter les concentrations tant dans le secteur public que dans le secteur privé, afin que les entreprises françaises puissent rivaliser avec leurs concurrentes étrangères, tout en demeu­ rant sous contrôle national. L’orientation libérale de la politique économique s’affer­ mit encore avec l’accession au pouvoir de Georges Pompidou. Le second président de la Ve République conserve le verbe gaullien mais débarrassé d’une partie de ses accents sociaux. Le 3 juin 1968, lorsque le général de Gaulle lui demande :

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« Pompidou, êtes-vous décidé à faire, avec moi, la partici­ pation ? », il rétorque : « Mon Général, je ne pourrais vous répondre que si je savais ce qu’est la participation. Si j’en crois [René] Capitant, c’est soit la soviétisation, soit l’éta­ blissement dans l’entreprise du régime d’assemblée. Si c’est ça, je ne suis pas d’accord114. » Entre 1969 et 1972, une dyarchie s’instaure pourtant. D’un côté, Jacques ChabanDelmas, Premier ministre qu’on a pu qualifier de « plus à gauche des gaullistes de gouvernement »115, prône l’instau­ ration d’une « Nouvelle Société ». Dans un style mendésiste, il plaide pour une modernisation économique assortie de garanties sociales : « La Nouvelle Société, déclare-t-il dans un journal gaulliste, ne pourra se réaliser sans que ne soit rénovée et mise à jour une planification à moyen terme sus­ ceptible d’assurer un développement économique et social harmonieux »116. De l’autre côté de l’exécutif, un Président de la République plus libéral que son prédécesseur, et aux yeux duquel « quand on a choisi le libéralisme internatio­ nal, il faut opter aussi pour le libéralisme intérieur. L’État doit donc diminuer son emprise sur l’économie au lieu de chercher perpétuellement à la diriger et à la contrôler »117. Si Jacques Chaban-Delmas est parvenu à mener l’une des politiques sociales les plus audacieuses depuis 1945118, le style et les objectifs déplaisent au chef de l’État. La réorien­ tation de la politique gouvernementale après l’éviction de Chaban-Delmas est d’autant plus aisée que « sa » majorité parlementaire ne le soutient pas et que les réformes écono­ miques engagées depuis les années 1960 commencent à faire sentir leurs effets. Les directions des grandes entreprises nationalisées avaient été conquises par des libéraux dès la fin des années 1950. À la charnière des années 1960 et 1970, c’est dans l’ensemble

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de la haute fonction publique chargée des questions écono­ miques que s’opère une transformation119. L’idéologie cha­ rismatique qui pouvait prévaloir après la guerre et à laquelle était associée l’exaltation du service public (au sens fort) s’est progressivement routinisée pour laisser place à une direction administrative plus « rationnelle ». Les continua­ teurs des « modemisateurs » ne sont plus des autodidactes, ils ne partagent pas leur expérience de la Résistance et de l’Occupation120. Quand il s’agit d’anciens élèves de I’e n a , iis ont fréquenté une école en plein chamboulement intellectuel dans laquelle « [...] en quelques années, le néo-libéralisme a réalisé une percée qui a correspondu à une évolution idéologique en profondeur, mais a répondu aussi à un souci d’opportunisme politique. Le climat général avait changé, l’enseignement économique à Sciences Po avait changé ; la politique gouvernementale avait changé »121. Quand il s’agit d’économistes d’État, ils ont vécu l’affaiblissement de la macroéconomie « keynésienne » au profit de l’écono­ mie néo-classique, dont le chef de file en France, Edmond MaÜnvaud, dirige l’École nationale de la statistique et de l’administration économique ( e n s a e ) entre 1962 et 1966, avant de se hisser au sommet de la Direction de la prévision du ministère des Finances en 1972. L’évolution du Commissariat général du plan témoigne de cette inflexion globale. À la tête de cette institution à laquelle se sont ralliés les dirigeants du c n p f dans la seconde moi­ tié des années I960122 se succèdent entre 1966 et 1974 de hauts fonctionnaires recrutés directement au sein du cabinet de Georges Pompidou. Le premier, François-Xavier Ortoli (1966-1967) - futur président d’honneur de Medef inter­ national - est un énarque, ancien directeur général de la Direction au marché intérieur de la Commission européenne. 271

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Le second, René Montjoie (1967-1974), X-Mines, a fré­ quenté la Cowles Commission de Chicago et ne marque son passage au Commissariat que par l’introduction d’une réfor­ me du processus de planification inspirée par le patronat123. Le Plan avait initialement été une œuvre d’intellectuels, il nécessite désormais un recours croissant aux techniques économétriques. Les jeunes chargés de mission libéraux du Commissariat, des X-Mines, rivalisent de sophistication et importent leurs outils conceptuels des États-Unis, où ils ont étudié (Lionel Stoléru à Stanford, Thierry de Montbrial à Berkley, Christian Stoffaes à Harvard)124. Au sein des grou­ pes de réflexion du plan, la référence néo-libérale s’impose. Le groupe d’études prospectives du VIe Plan (1971-1975) plaide ainsi pour « la décentralisation des responsabilités, le renforcement de la compétition par la suppression des “blocages” économiques et sociologiques qui entravent encore notre société et le recours méthodique à la démarche scientifique expérimentale dans l’élaboration des choix »125. Dans la perspective du VIIe Plan (1976-1980), le groupe « Monnaie, Prix, Croissance » planche sur le monétarisme de Milton Friedman (une politique de contrôle de la masse monétaire en circulation visant à contenir l’inflation) et cer­ tains de ses membres prônent une « politique économique intermédiaire entre le keynésianisme et le friedmanisme »126. Belle définition du néo-libéralisme à la française.

La conversion au marché Si le néo-libéralisme est devenu le pivot de la vie politi­ que française contemporaine, il faut en chercher les raisons dans la conjoncture des années 1970. Favorisé par la dis­ parition du système de Bretton Woods et la « stagflation » - coexistence inédite après le choc pétrolier de 1973 d’une

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croissance faible et d’une inflation forte -, le renouveau du libéralisme est sans doute moins spectaculaire en France qu’en Grande-Bretagne ou aux États-Unis. Il est cependant bien réel. Les progrès électoraux de la gauche suscitent un ensemble de mobilisations sectorielles orchestrées par des groupes militants situés à la jonction entre univers patronal et universitaire. Bien qu’ils n’aient pu empêcher la défaite de 1981, ils ont joué un rôle décisif dans l’adoption des idées libérales par la droite, dont la principale force politique, le gaullisme, équilibrait libre jeu du marché, interventionnisme étatique et redistribution. Entre le patronat et l’Université Alors que le patronat français a entrepris de se recons­ truire après guerre en passant outre ses clivages traditionnels sans véritablement y parvenir, un discours libéral combatif s’impose au milieu des années 1970 à la confluence de ses différentes composantes. Dès 1965, une partie du patronat n’en peut plus. Comme l’écrit dans Le Figaro Louis Armand, l’ancien président de la s n c f : « L’État aujourd’hui se veut libéral - d’un libéralisme moderne à l’allemande. [...] Il y a face aux intentions les actes. Ils ne vont généralement pas dans le sens du libéralisme127. » Au sein du c n p f , la colère gronde, au moins depuis le plan Giscard d’Estaing de 1963 qui encadre sévèrement les prix. À l’instigation du comte Pierre Lalande de Calan, un hobereau breton passé de l’ins­ pection des finances à l’industrie cotonnière puis à la méca­ nique128, l’assemblée générale du c n p f adopte une charte très offensive. Elle enjoint le gouvernement de prendre la voie du progrès (écarter le dirigisme) et rappelle l’orthodoxie : « La libre création et le développement des entreprises dans le respect des lois économiques naturelles sont des sources

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irremplaçables d’amélioration de la condition humaine » ; « le profit est l’un des moteurs essentiels de la croissance économique et, par les investissements et l’expansion qu’il suscite, la garantie de l’avenir » ; « la vérité et la liberté des prix sont la condition même de toute vie économique et sociale orientée vers le progrès »129. Écrite pour satisfaire les p m e , cette « charte libérale » courrouce les patrons modernisateurs d’inspiration chrétienne. Pierre de Calan n’en est pas à son coup d’essai. En 1963, il publiait Renaissance des libertés économiques et sociales, écrit partiellement en contrepoint de Pour une réforme de l’entreprise de François Bloch-Lainé. Tandis que le Directeur général de la Caisse des dépôts, soutenu par le c j p et I’a c a d i , voulait ouvrir la direction des entreprises aux salariés et rendre les directeurs révocables par une magistrature éco­ nomique, Pierre de Calan rappelait les règles du bon sens actionnarial : « Quelles que soient les dimensions et la forme juridique de l’entreprise, les dirigeants ne peuvent être que les propriétaires du capital ou les salariés de haut rang choisis par les propriétaires »,3°. Renaissance des libertés économiques et sociales est un livre doublement important du point de vue du courant libéral français. Il reprend la plupart des thématiques classiques du néo-libéralisme : cri­ tique du laissez-faire et acceptation d’un interventionnisme modéré des pouvoirs publics, assorties de la traditionnelle métaphore du code de la route : « L’installation de feux mul­ ticolores, de lignes jaunes et de panneaux de signalisation, l’intervention de la force publique, le maniement du sifflet et du bâton blanc ne mettent pas en cause la liberté de la circulation131. » Mais Renaissance des libertés économiques et sociales exprime aussi la volonté d’un groupe d’industriels réunis autour d’Henry Fayol fils, préfacier de l’ouvrage, de

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se forger une doctrine. Les syndicats ouvriers ont un projet de société. Les patrons doivent suivre l’exemple. Contrer l’idée de réforme de l’entreprise, c’est également ce à quoi s’emploient non seulement des proches de Pierre Lhoste-Lachaume132, mais aussi William François, directeur gérant de la revue Les Essais et animateur de l’Association pour l’étude des problèmes économiques et humains de l’Eu­ rope133. Sous l’impulsion de son ambitieux président, cette organisation qui compte dans ses rangs des universitaires (Gaston Leduc, Louis Rougier), des hommes politiques libé­ raux (Jean-Robert Debray) et des patrons, prend en charge l’organisation d’un congrès de la Société du Mont-Pèlerin à Vichy en 1967. Ce n’est pas un franc succès, pour les Français tout au moins. Certains caciques, comme Daniel Villey, s’offusquent de la place que William François s’octroie - de quoi reléguer des personnages comme Jacques Rueff au second plan. Et si l’association a déboursé près de 45 000 euros134 et reçu plus de 200 participants, les exposés des orateurs français ne les mettent guère en valeur : des notes techniques, un rappel par Louis Rougier de son adhésion aux principes ordo-libéraux, une mâle injonction de Pierre Lhoste-Lachaume à « présenter le libéralisme comme un idéal simple et viril »135 et le plaidoyer d’un universitaire, plus connu pour son exégèse de Pareto, en faveur de la lutte patronale : « Il faudrait [...], déclare Georges-Henri Bousquet, inciter les chefs d’entreprise à l’action directe contre les syndicats ouvriers et surtout contre l’État, action se manifestant non plus par des discours et des motions, mais par des mesures plus violentes »136. L’État gaulliste en a sans doute tremblé... Malgré les efforts de William François, ce n’est pas son association qui cristallisera les différentes tendances du

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libéralisme français, mais celle d’un industriel, André Arnoux, qui souhaite gagner son élection à l’Académie des sciences morales et politiques137. Cet ingénieur de pointe, qui aurait soutenu le mouvement poujadiste138, est l’auteur d’un recueil de poèmes et de divers essais sur la foi religieuse. Sa réputation n’est pas suffisamment établie pour qu’il puisse concourir. Sur les conseils de Guy Lemonnier, bras droit de Georges Albertini, il décide de créer un prix pour couronner une œuvre « qui tend à mettre en relief le rôle de la liberté écono­ mique comme facteur du progrès social et de la promotion de l’homme »139. La gestion du grand Prix André Arnoux, généreusement doté de l’équivalent de 10 000 euros actuels, échoit à l’Association pour la liberté économique et le pro­ grès social (a l e p s ). Créée en 1966, elle a comme président fondateur André Arnoux, comme président d’honneur l’ex-syndicaliste Hyacinthe Dubreuil et comme président en exercice Daniel Villey, remplacé après sa mort par Luc Bourcier de Carbon, professeur à Nanterre. Le Prix va successivement à Jacques Rueff (1967), Maurice Allais (1968), Raymond Aron (1969), Pierre de Calan (1970), Louis Armand (1971), Jean Rey (1972) - ancien président de la Commission européenne - et Thierry Maulnier (1973). À partir de 1968, I’a l e p s organise chaque année une « Semaine de la pensée libérale » qui se veut le pendant de la « Semaine de la pensée marxiste ». Deux ans après sa fondation, Guy Lemonnier, secrétaire général de I’a l e p s , exulte : « Il y a eu la Semaine de la pensée marxiste. Il y a la Semaine de la pensée libérale. La première a disparu. La seconde est bien vivante. » Il ajoute qu’elle « est en passe de devenir une institution »14°. La composition du public, cette année-là et les suivantes, tend à le laisser penser : Maurice Allais voisine avec Pierre de Calan, François Dalle (L’Oréal),

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Jean-Marcel Jeanneney, Robert Marjolin, Michel Poniatowski, Noël Pouderoux ( c e g o s ), Antoine Riboud ( b s n ), ou encore René Sédillot (La Vie Financière). Universi­ taires, académiciens, essayistes, hommes politiques de droite, patrons mais aussi syndicalistes anti-communistes (de la CGC et de Force Ouvrière) se pressent aux Semaines de la pensée libérale pour « contribuer au réarmement idéologique des partisans et des praticiens de l’économie de marché »H1. Pourtant, l’unanimité n’y est pas plus de mise que lors du Colloque Walter Lippmann ou des meetings de la Société du Mont-Pèlerin. Tandis que le secrétaire général de I’a l e p s s’in­ génie à réhabiliter le « vieux titre » de « libéral »142, d’autres se réclament du néo-libéralisme et affirment que « la liberté des néo-libéraux s’accommode fort bien de l’État, mais d’un État qui sait garder sa juste place »143. Si certains tiennent des discours politiquement conservateurs, l’ancien commis­ saire européen Robert Marjolin s’attache à marquer sa sym­ pathie pour la gauche : « Quand on dit, en Amérique, d’un homme que c’est un libéral, eh bien, on dit presque que c’est un homme de gauche. Personnellement, j’avoue que je me sens très proche de ce libéralisme américain144. » Quant à la planification, elle peut se voir taxée par le patron de Shell de n’être qu’un « schéma cybernétique dégénéré »145, alors que Jean Marczewski, expert renommé entré au Mont-Pèlerin au début des années 1960, la croit compatible avec un régime économique libéral146. L’essentiel est sans doute moins dans la cohérence d’en­ semble que dans la manifestation publique d’une dyna­ mique libérale qui s’enclenche avec l’entrée progressive dans « l’après-de Gaulle ». « L’après-gaullisme, explique le politiste Jean Chariot, s’est ouvert le 5 décembre 1965 avec la mise en ballottage du général de Gaulle à l’élection 277

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présidentielle. Ce n’est pas encore l’après-de Gaulle, mais ce n’est plus tout à fait le gaullisme147. » Et pour la succes­ sion, la bataille s’engage dès 1967 entre un parti gaulliste rénové (l’Union démocratique pour la VeRépublique) et une mouvance libérale en train de se constituer autour de Valéry Giscard d’Estaing, son parti (les Républicains indépendants) et les clubs Perspectives et Réalités. Le gaullisme social s’estompe face au pompidolisme (un antigaullisme aux dires des gaullistes de gauche148), tandis que les giscardiens procla­ ment leur adhésion au néo-libéralisme149. Si l’organisation de la Semaine de la pensée libérale est la principale activité de I’a l e p s durant ses premières années d’existence, ses promoteurs s’engagent sur tous les fronts. Trois cercles s’entrecroisent : celui d’universitaires catholi­ ques qui, comme Luc Bourcier de Carbon ou Jacques Garello, participent aux activités du Centre d’études de la doctrine sociale de l’Église ; celui des proches de Guy Lemonnier, tel le jeune Alain Madelin, gravitant autour de l’Institut supé­ rieur du travail mis en place en 1971 par Lemonnier avec d’anciens syndicalistes ralliés à Vichy (Georges Lefranc et Achille Dauphin-Meunier) ; celui enfin de figures montantes du patronat français. Le comité d’organisation de la première Semaine de la pensée libérale comprend ainsi Albert Garand, économiste du CNPF, Octave Gélinier, directeur général adjoint de la c e g o s , Patrice Leroy-Jay, secrétaire général du syndicat patronal, et Jacques Plassard, éditorialiste à La Vie française, animateur de Rexeco, un institut de prévi­ sions patronal, mis en place par Paul Huvelin, successeur de Georges Villiers150. Les événements de mai 1968 et leurs prolongements politiques contribuent à une radicalisation des dirigeants patronaux et de leurs alliés universitaires. Alors qu’à la fin

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des années 1960 les partis de gauche sont désorganisés, le nouveau Parti socialiste place François Mitterrand à sa tête en 1971 et signe un « programme commun de gouverne­ ment » avec le Parti communiste et les Radicaux de gauche en 1972. Au menu : nationalisations des secteurs-clés de l’économie et réduction du temps de travail. Quant à la c f d t et au Parti socialiste unifié ( p s u ), ils militent pour l’autoges­ tion des entreprises. Le début des années 1970 marque ainsi un véritable renouveau de la gauche sur le plan des idées économiques. Du côté du Parti communiste, le changement s’est amorcé au milieu de la décennie précédente avec l’éla­ boration de la théorie du capitalisme monopoliste d’État. C’est l’âge d’or de la section économique du parti jusqu’alors très fermement tenue par la direction151. Du côté du Parti socialiste, jamais la réflexion économique n’aura été aussi développée depuis la Seconde Guerre mondiale. Les succès électoraux de 1973 et 1974 lui permettent en effet d’inté­ grer de jeunes experts qui, malgré de profondes divergences de vue, donnent une vigueur nouvelle à ses argumentaires. Ainsi de Jacques Attali, X-Mines, auditeur au Conseil d’État et conseiller personnel de François Mitterrand, de Laurent Fabius, lui aussi auditeur au Conseil d’État et professeur d’économie à l’École normale supérieure, ou encore de Michel Rocard, énarque passé par le ministère des Finances, qui a drainé vers le parti d’anciens intellectuels de la c f d t et du p s u 152. Que la ligne économique du Parti socialiste s’infléchisse tout au long des années 1970 - les rocardiens davantage planificateurs que nationalisateurs progressent au détriment des éléments plus marxisants - , peu importe : des patrons entrent durablement dans l’arène politique. Octave Gélinier et Jacques Piassard créent ainsi en 1973 avec Michel Drancourt,

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rédacteur en chef d’Entreprise, et Yvon Gattaz, p d g de Radiali, Les Quatre Vérités. Cette modeste feuille mensuelle sonne le tocsin contre le Programme commun et l’emprise de l’État sur la vie économique, tandis qu’elle vante la propriété privée, le marché et le rôle du patron qu’il faut réhabiliter en tant que citoyen153. À l’approche des élections de 1974, I’a l e p s et les réseaux Albertini s’activent. Grâce à leurs relais patronaux, ils diffusent à des milliers d’exemplaires des journaux au ton catastrophiste et des brochures destinées à des publics ciblés154. Aux enseignants susceptibles de voter à gauche, on promet le pire : François Mitterrand croit pou­ voir manœuvrer les communistes pour arriver au pouvoir, mais en réalité c’est eux qui le manipulent. L’alliance entre le Parti socialiste et le Parti communiste pourrait ainsi se tra­ duire par la mise en place d’une dictature, suivant le scénario du coup de Prague : « Quelle liberté resterait-il à François Mitterrand, même nanti de tous les pouvoirs qui sont ceux aujourd’hui du président de la République, si le pc déci­ dait de mobiliser contre lui les masses ? Il serait tout aussi impuissant que le fut à Prague le Président Edouard Benès, un certain jour de février 1948.155 » C’est avec le même type d’arguments que l’on rédige une « lettre confidentielle des cadres supérieurs », qui souligne, en outre, les menaces que ferait peser un régime socialiste sur les cadres, notamment en ce qui concerne les impôts156. Ces initiatives se prolongent au-delà des élections et de la victoire sur la corde de Valéry Giscard d’Estaing. En 1975, I’a l e p s peut s’enorgueillir de compter dans ses rangs la plupart des membres français du Mont-Pèlerin ainsi que son président (Gaston Leduc)157. Elle réforme ses statuts et se dote d’une nouvelle direction qui associe Albert Garand du CNPF et Jacques Garello, agrégé d’économie, professeur

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à l’université d’Aix-Marseille. Un collège présidentiel est formé, instance honorifique où l’on retrouve Pierre de Calan, Gaston Leduc, Jacques Rueff et Thierry Maulnier. Quant au conseil d’administration de l’association, il intègre de nouveaux membres (Jacques Plassard ainsi que Roland Drago et Pascal Salin, respectivement professeur à Assas et à Dauphine). Ils siègent aux côtés de représentants patro­ naux158. Les mobilisations libérales se multiplient. Yvon Gattaz et Octave Gélinier fondent fin 1975 e t h ic (Entreprises de taille humaine industrielles et commerciales), mouvement qui se veut à l’avant-garde du patronat en condamnant « les aides aux canards boiteux, les infirmeries de campagne pour entreprises malades, les subventions à des secteurs sans espoir et à des grands groupes industriels mal gérés »159. La même année apparaît l’Institut de l’entreprise qui se présente comme « un lieu d’échanges, de débats et de contacts », un « laboratoire d’idées » au « service de l’entreprise, cellule-clé de l’économie de marché et de concurrence »160. Le succes­ seur du Centre de recherche des chefs d’entreprises, conçu en 1953 sur le modèle de la Fondation Alexis Carrel161, associe chefs d’entreprise, journalistes économiques et universitai­ res pour donner une plus grande visibilité à la réflexion patronale. C’est Michel Drancourt qui pilote la structure. Son efficacité réside non seulement dans les argumentaires qu’elle produit contre les nationalisations et l’autogestion162 - thèmes de prédilection des gauches « ancienne » et « nou­ velle » -, mais aussi dans sa capacité à mobiliser des acteurs que l’histoire du monde patronal oppose : des diplômés d’écoles d’ingénieurs et de Sciences Po, des industriels et des conseillers en organisation, des individus ayant exercé des responsabilités publiques et des patrons du privé. Ce n’est

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pas un hasard si plusieurs des dirigeants du CNPF ont au préalable été des responsables de l’Institut de l’entreprise. Quelles que puissent être les nuances intellectuelles qui les séparent, ces différents groupes convergent sur le plan politique : en 1974, où Valéry Giscard d’Estaing, candidat du « changement sans risque » et du « libéralisme avancé », apparaît au second tour des élections présidentielles comme le seul rempart contre le Programme commun ; en 1978, où la gauche manque de peu de remporter les élections législa­ tives. La politique menée par le tandem Giscard-Barre, après la démission de Jacques Chirac en 1976, semble d’ailleurs dans bien des domaines conforme aux vœux des libéraux : diminution des dépenses publiques, déblocage des prix indus­ triels et politique monétaire restrictive163. Valéry Giscard d’Estaing, plusieurs fois approché par Friedrich Hayek pour devenir comme son père membre du Mont-Pèlerin, n’avaitil pas proclamé que « la forme la plus savante de la pensée économique contemporaine est la pensée néo-libérale »164 ? Déception, radicalisation et captation : les années Giscard Pour la première fois depuis les débuts de la Ve République, le pouvoir politique échoit à un président et à un premier ministre dont le néo-libéralisme constitue l’horizon intellec­ tuel. Tandis qu’à Matignon, Jacques Chirac avait eu recours à une politique de relance toute traditionnelle, Raymond Barre entend faire prévaloir une logique de long terme. C’est la lutte contre l’inflation qui s’impose comme l’objectif principal. En 1975, à l’occasion d’une réunion parisienne de la Société du Mont-Pèlerin, Jacques Rueff avait diagnosti­ qué « la fin de l’ère keynésienne »16S. L’année 1976 marque effectivement un tournant dans la politique économique française : la référence au plein-emploi et à la croissance

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s’efface au profit de la défense de l’économie de marché nationale et européenne. On cherche moins à résorber le chômage qu’à faire fonctionner le mécanisme des prix qui se chargera du reste. L’État n’est pas passif, il fait faire166. « Si vous entendez par libéralisme économique la doctrine du “laissez-faire - laissez-passer”, résume Raymond Barre, alors je ne suis certainement pas libéral. Si vous entendez par libéralisme économique, la gestion décentralisée d’une économie moderne qui combine à la fois la liberté, assortie de responsabilité, des centres de décisions privés et l’inter­ vention régulatrice de l’État, alors vous pouvez me tenir pour libéral167. » La célèbre apostrophe de Raymond Barre aux chômeurs les incitant à créer leurs propres entreprises prend ainsi tout son sens. Le « plan » Barre du 22 septembre 1976 se traduit par une baisse de la t v a , la limitation du crédit et l’établissement d’un budget en équilibre, grâce à une hausse des prélèvements obligatoires. Une fois les élections législatives de 1978 pas­ sées, le Premier ministre met en place un second volet de sa politique : la libération progressive des prix, la recherche de l’équilibre financier dans les entreprises publiques et diverses mesures en faveur de l’épargne des ménages. Les néo-libé­ raux français applaudissent : « Le plan Barre marque une première rupture avec le passé keynésien : la stabilité moné­ taire passe avant le plein-emploi. La deuxième rupture est le refus d’une politique conjoncturelle et discrétionnaire et la préférence pour une action continue et de longue haleine. La troisième rupture est le désir de s’attaquer aux causes structurelles de l’inflation et de restaurer les mécanismes de marché concurrentiel plutôt que de multiplier les interven­ tions de l’État168. » Bref, c’en est fini du laxisme, de l’accent constamment mis sur le collectif, du socialisme qui ne dit

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pas son nom. Car en parallèle de la politique économique, la politique sociale elle aussi s’infléchit. C’est particulièrement visible dans le domaine du logement, où l’aide personnali­ sée et l’accession à la propriété individuelle deviennent une priorité169. Le pouvoir montre rapidement des signes d’usure. L’Union pour la démocratie française ( u d f ) , créée en 1978 et groupant Parti républicain (ex-Républicains indépendants). Centre des démocrates sociaux et Parti radical valoisien, échoue à contrecarrer la domination gaulliste. Le parti du Président ne gouverne que grâce au soutien du parti de l’ex-Premier ministre Jacques Chirac, mieux représenté à l’Assemblée et qui a délibérément choisi de doubler les giscardiens sur leur gauche : « Ce n’est pas je ne sais quel libéralisme, je ne sais quel laissez-aller au nom de je ne sais quels principes qui avaient cours au xixe siècle, assène Jacques Chirac, qui nous permettront de surmonter nos difficultés »17°. Si les gaullistes se gardent bien de rallier l’opposition, la majorité présidentielle est faible. Des affaires ternissent son image et sa politique économique connaît de sérieux revers : le tan­ dem Giscard-Barre a sacrifié le plein-emploi sur l’autel de la sainte monnaie. Or, le taux de chômage atteint des niveaux jusqu’alors inégalés tandis que l’inflation caracole. Dès les législatives de 1978, les progrès de la gauche, que beaucoup pensent gagnante, amènent la majorité à tenir un langage plus modéré. Les libéraux doctrinaires se retrouvent une fois de plus orphelins. « Il n’y a pratiquement plus de vrai parti libéral en France, se lamente Pierre de Calan. Le seul qui pourrait revendiquer ce titre est le c n i p dont on sait qu’il n’a guère eu qu’une dizaine d’élus. Dans tous les autres partis, même ceux qui à droite se réclament du libéralisme (sauf à atténuer immédiatement cette prise de position par

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un préfixe comme “néo” ou un adjectif comme “avancé”) l’imprégnation n’est pas évidente »*71. Et plus on s’approche de l’élection présidentielle de 1981, plus les libéraux dou­ tent. Le gouvernement Barre incarnait le libéralisme d’État, le néo-libéralisme dans son sens historique. Les relèves libé­ rales jettent rapidement le préfixe « néo » aux poubelles de l’histoire. Raymond Barre et les conseillers de Valéry Giscard d’Estaing (Lionel Stoléru, Christian Stoffaes) avaient le modèle allemand en tête. Mais l’introduction de l’ordo-libéralisme comme règle d’action gouvernementale se fait dans un contexte si particulier (c’est l’État qui l’impulse dans une situation de crise) que « la mise en œuvre du modèle com­ porte [...] tout un tas de difficultés et comme une sorte de lourdeur mêlée d’hypocrisie »172. L’accession au pouvoir de Margaret Thatcher en GrandeBretagne en 1979 et de Ronald Reagan aux États-Unis en 1980, tous deux conseillés par des économistes liés au Mont-Pèlerin, fournit de nouvelles sources d’inspiration : « Raymond Barre a-t-il été un précurseur de Margaret Thatcher ou de Ronald Reagan, feint de s’interroger Pascal Salin ? Disons-le tout de suite : il n’en est rien, même si cer­ tains efforts ont été réalisés en direction d’une libéralisation de l’économie. [...]. On peut reconnaître au gouvernement Barre le mérite d’avoir supprimé une grande partie du contrôle des prix [...]. Par contre, il s’est régulièrement laissé enfermer dans le cadre pernicieux des recettes keynésiennes de mini-plan de relance en mini-plan de relance. Quant à la politique monétaire, elle n’est guère qu’une caricature de politique monétariste173. » En moins de cinq ans, les libéraux ont déchanté. Les moyens d’action et les argumentaires sont à repenser. Lorsque I’a l e p s organisait à la veille des législatives de 1978

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des débats contradictoires avec des économistes socialistes, plusieurs centaines de personnes venaient assister aux débats174. Mais au grand dam de la jeune garde libérale, c’était davantage pour entendre les faire-valoir de l’oppo­ sition (Jacques Attali et Laurent Fabius notamment) que les porte-parole de la majorité présidentielle. Amer, l’un des dirigeants de I’a l e p s note « le manque de goût des classes dirigeantes et moyennes pour les idées générales, même quand leurs intérêts sont en cause, leur absence de civisme [...], de réflexe de solidarité, une certaine niaiserie naturelle qui les porte à goûter particulièrement les idées de leurs adversaires, enfin, un désir éperdu d’individualisme mal compris qui éloigne leurs membres de toute action collec­ tive suivie »175. À quoi bon défendre la libre entreprise si les patrons eux-mêmes ne s’investissent pas dans la lutte ? Puisque le néo-libéralisme dans sa formulation classique ne fait pas recette et que le laissez-faire ne convainc personne, il faut désormais « donner la parole principalement à ceux qui aujourd’hui réinventent le libéralisme » et « accepter, au moins dans un premier temps, l’approche purement scien­ tifique qui se veut être celle de l’école de Chicago et de ses disciples français »176. Le renouveau du libéralisme est ainsi porté par une génération de militants, les « nouveaux éco­ nomistes » (Florin Aftalion, Jacques Garello, Henri Lepage, Jean-Jacques Rosa ou encore Pascal Salin), qui n’ont pas les mêmes références que leurs aînés177. Hormis Jacques Rueff, exit les libéraux français du xxe siècle. Universitaires liés au monde de l’entreprise (notamment par leurs activités dans le domaine de la formation professionnelle) ou journalistes économiques adoptant des positions politiques très tran­ chées (leur production se définit clairement en opposition à celle du Parti socialiste et de ses intellectuels), les « nouveaux

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économistes » s’emploient à faire connaître le monétarisme, les théories de l’offre et à stigmatiser le keynésianisme178. Si la gauche a sur le modèle américain ses économistes « radi­ caux », comme Jacques Attali et Marc Guillaume, auteurs de L’Anti-économique179, les nouveaux économistes se nour­ rissent également d’auteurs américains qui ont l’immense avantage d’être beaucoup moins attachés à l’État que leurs homologues français. Les « anarcho-capitalistes » tiennent même des discours aux accents révolutionnaires, intellec­ tuellement plus stimulants que de simples rappels à l’ordre gestionnaire. Parmi les nombreux ouvrages publiés par les nouveaux économistes à la fin des années 1970, c’est Demain le capi­ talisme d’Henri Lepage qui fait véritablement connaître leur mouvement en France et à l’étranger (il a été traduit en sept langues)180. Formé à l’Institut d’études politiques de Paris, passé par la London School of Economies et l’université du Colorado, Henri Lepage est un proche de Michel Drancourt. Il a été journaliste économique avant de devenir chargé de mission à l’Institut de l’entreprise. Sans verbiage, il dresse un vaste panorama du libéralisme américain : théorie du capital humain, école des droits de propriété, analyse écono­ mique du droit et des institutions politiques... Ce que seule une minorité d’économistes connaissait jusqu’alors devient accessible à un public plus large. L’objectif est de donner des arguments scientifiques aux défenseurs de la libre entre­ prise : ce ne sont pas leurs seuls intérêts qui doivent justifier le mode de production capitaliste, mais son efficacité. Le marché ne fonctionne pas de manière optimale, disent les économistes de gauche ? L’État encore moins : fonctionnai­ res et politiques cherchent à maximiser leur propre intérêt, tandis que les groupes de pression tentent d’arracher des

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réglementations avantageuses. La science économique devrait tenir compte des acquis des sciences sociales et renoncer au modèle de Yhomo economicus ? Au contraire, le calcul coûtavantage est extensible à tous les domaines de la vie : coûts et avantages de l’enfant, du mariage, du chômage, du crime, etc. Comme le souligne un commentateur libéral, les Gary Becker, James Buchanan, Milton Friedman et autres Georges Stiegler - tous membres du Mont-Pèlerin et tous anciens ou futurs Prix Nobel d’économie - offrent « une réserve inépui­ sable de contre-arguments et de réfutations scientifiques à opposer aux “anti-économiques”, et qui servira particulière­ ment à ruiner le mythe de l’État Providence »181. Que la gauche ait raillé Henri Lepage et les nouveaux éco­ nomistes182 - l’amalgame a souvent été fait entre « nouvelle économie » et « nouvelle droite » - n’empêche pas leurs idées de connaître une large audience. Leurs thèses peuvent sembler par bien des aspects extrémistes. Elles servent d’aiguillons. Elles participent d’un mouvement plus général de dénon­ ciation du marxisme, des postulats progressistes et de l’État Providence. C’est en effet à la fin des années 1970 que les « nouveaux philosophes », comme André Glucksman et Bernard-Henri Lévy, partent en guerre contre le totalitarisme et que les disciples de Raymond Aron créent Commentaire, revue fonctionnant à la manière d’un club, où peuvent s’ex­ primer représentants du libéralisme politique et économique : des aroniens bien sûr (Jean-Claude Casanova, Annie Kriegel ou Pierre Hassner), mais aussi les « nouveaux économistes » et certains intellectuels patronaux comme Michel Drancourt. Le libéralisme bénéficie d’un embryon de mode intellectuelle parce qu’il permet des rapprochements entre des universi­ taires conservateurs, de nouveaux entrants dans l’univers académique et d’anciens militants de gauche, hostiles à

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l’Union de la gauche et au discours marxisant du premier secrétaire du Parti socialiste. De manière symptomatique, Pascal Salin est un ancien de la c f d t , de même que Florin Aftalion, également passé par le p s u , tandis que Jean-Jacques Rosa a été secrétaire général du Club Jean Moulin183. Le libéralisme est dans l’air du temps. Au moment des élections présidentielles de 1981, c’est paradoxalement un candidat gaulliste qui s’en saisit. Si les doctrinaires du libéra­ lisme se recrutaient précédemment chez les Indépendants du CNIP ou au sein du Parti républicain, c’est désormais le parti de Jacques Chirac qui donne le ton. Après son échec aux élec­ tions européennes de 1979, le Rassemblement pour la répu­ blique ( r p r ) cherche à se refaire une santé intellectuelle. Parti d’un homme connu pour ses revirements idéologiques184, le r pr est avant tout une machine électorale. Sa doctrine est des plus floues. Dans un discours prononcé à Égletons en octobre 1976, Jacques Chirac a défini l’orientation du parti comme l’alliance « des valeurs essentielles du gaullisme » et « d’un véritable travaillisme français »185. Pendant près de trois ans, le r p r ferraille ainsi avec le pouvoir giscardien, en appelant à une politique de relance, à la revalorisation du Plan, tout en défendant la libre entreprise. Le mouvement adopte des positions toujours hésitantes dans le domaine économique, même si des contacts ont été noués avec des économistes libéraux, comme Jacques Rueff peu avant son décès186. D’un côté, le r p r rejette « les remèdes classiques de type Keynes et pousse aux réorganisations structurelles, dont le rapport Rueff-Armand avait abondamment parlé naguère »187. De l’autre, c’est toujours le Plan, qui en fixant des objectifs à la nation, doit être le moteur d’une croissance soutenue, appuyée sur l’investissement et l’exportation. Jean Méo, ancien p d g de Havas et conseiller économique du r p r , le

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confesse : « Il y a là, de notre part, une certaine contradiction et nous cherchons un compromis, je le dis franchement, entre l’initiative privée, l’esprit d’entreprise, [...] qui est à la base de toute richesse économique et donc sociale, et la fixation de quelques objectifs prioritaires qui sont, eux, du domaine de l’État, le plan étant l’expression d’une politique, d’une volonté politique dans le domaine économique et social188. » En adoptant en 1981 une plate-forme rompant ostensi­ blement avec les canons du gaullisme (1’« ardente obligation du plan » et la participation dans l’entreprise), Jacques Chirac cherche à faire peau neuve. C’est Édouard Balladur qui l’incite à réorienter le projet politique du RPR189. Ancien conseiller d’État parti pantoufler dans le privé, il avait été l’un des proches collaborateurs de Georges Pompidou. Édouard Balladur a accédé au champ politique par la voie technocratique. Comme l’écrit Annie Collovald, sa notice biographique dans le Who’s Who est en elle-même révéla­ trice : « Un profil dépersonnalisé, comme aboli derrière sa personnalité publique », « il ne dit rien [...] de sa famille, de ses goûts, ne mentionne pas son adresse personnelle190. » Lorsqu’il s’est mis au service de Georges Pompidou, il n’ap­ partenait ni à la génération du gaullisme de guerre, celle du compagnonnage et de l’expérience du feu, ni à celle de la relève formée politiquement au r p f . Édouard Balladur s’est d’abord trouvé des affinités avec le mendésisme, comme de nombreux hauts fonctionnaires. Il est longtemps apparu comme un « rallié » de l’après-1958, un serviteur de l’État, qui par sa compétence s’est fait une place dans une haute administration dominée par I’u n r 191. Loin d’être un nostal­ gique de la période de la Libération, Édouard Balladur rejette l’humeur toujours favorable aux réformes de structures et souhaite tirer partie de la vague qui a porté Margaret

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Thatcher et Ronald Reagan au pouvoir : moins d’impôts, moins d’État Providence. Dans l’entourage de Jacques Chirac, deux personnages jouent également un rôle important : Alain Juppé, agrégé de lettres et énarque, conseiller technique à la Mairie de Paris, parti suivre la campagne de Ronald Reagan aux États-Unis192, et Yvan Blot, autre énarque, entré au RPR en 1978 et mem­ bre de son Comité central depuis 1979. Si Édouard Balladur fixe le cap, Alain Juppé tient la plume tandis qu’Yvan Blot façonne les arguments. Ce dernier est bien placé pour cela, puisqu’il préside depuis 1974 le Club de l’Horloge, cercle fondé par d’anciens élèves de I’e n a , connu aujourd’hui pour sa proximité avec l’extrême droite193. Le mot d’ordre du cénacle : mettre sur pied une droite nationale et libérale en facilitant la confrontation entre élus, responsables patronaux et intellectuels (les nouveaux économistes notamment). « Il faut [...], écrivent ses dirigeants, réconcilier la nation et la liberté, opérer une synthèse entre l’indépendance nationale et la liberté des citoyens. C’est la seule voie conforme à la tradition républicaine et aux exigences de notre avenir194. » L’orientation retenue à la fin des années 1970 est claire. C’est contre la bureaucratie qu’il faut trouver des solutions car « l’État ne cesse de croître, par sa réglementation et le poids croissant de ses prélèvements sur l’économie »195. Alors qu’il annonce sa candidature le 3 février 1981, Jacques Chirac martèle son futur message de campagne : il faut libérer l’économie196. Et dans sa première conférence de presse, il renvoie dos à dos majorité giscardienne et opposi­ tion de gauche, non pas en refusant l’alternative entre collec­ tivisme et libéralisme, comme il l’aurait fait quelques années plus tôt, mais en affirmant que giscardisme et socialisme engendrent l’étatisme : « Curieuse situation en effet, selon

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lui, que celle d’un pays où se côtoient sans s’entendre une majorité qui brandit en permanence les slogans de liberté, d’initiative, de responsabilité, mais qui laisse, jour après jour, s’insinuer sournoisement une sorte de collectivisme rampant, en développant l’emprise de plus en plus grande de l’État sur la vie des individus, comme sur l’activité des entreprises et une opposition qui voit petit à petit se réaliser son pro­ gramme sans y être pour rien. » Sorte de Barry Goldwater à la française - héraut du libé­ ralisme radical aux élections présidentielles américaines de 1964197- , Jacques Chirac se présente comme le seul candi­ dat du libéralisme économique : « Les Français ont le choix entre [...] trois solutions : le collectivisme de deux candidats [François Mitterrand et Georges Marchais], l’étatisme du troi­ sième [Valéry Giscard d’Estaing] et enfin la libération de l’éco­ nomie et de l’initiative que je propose198. » Le Président du RPR reprend les revendications traditionnelles des libéraux : diminuer les prélèvements obligatoires, notamment l’impôt sur le revenu, réduire les dépenses publiques, recruter chaque année un nombre de fonctionnaires égal à la moitié des départs en retraite, supprimer la taxation sur les plus-values et la taxe professionnelle, baisser les droits de succession pour les PME, faciliter les procédures de licenciement199. De quoi flatter une partie du patronat effrayée par les 110 propositions du Parti socialiste et de son candidat François Mitterrand. Jacques Chirac ne manque pas de s’attirer des reproches au sein de son propre parti et de la majorité. Pour Michel Debré, autre candidat gaulliste à l’élection présidentielle, le programme du président du RPR n’est « qu’une addition de propositions catégorielles, qui représentent peut-être quelque chose au niveau de la Corrèze »200. Jean Charbonnel, un gaulliste social, voit chez Jacques Chirac « le langage d’une

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certaine droite à la fois autoritaire et poujadiste »201. Quant aux partisans de Valéry Giscard d’Estaing, ils fustigent le programme chiraquien, Raymond Barre ironisant sur le thème du « “reaganisme” mal digéré et abusivement trans­ posé »202. Les commentaires de la gauche sont à l’avenant. La dénonciation de l’emprise de l’État, la volonté de libérer les entreprises, bref, le « reaganisme à la française », recueille tout de même 18 % des voix. Un libéralisme réactionnel La conversion au marché du parti le mieux structuré de la droite française permet de faire du libéralisme le lien entre les formations politiques qui, pour la première fois depuis la naissance de la Ve République, perdent le pouvoir. Face à la politique économique menée par la gauche entre 1981 et 1983, les formations de l’opposition enregistrent un afflux d’adhésions. Les nationalisations qui affectent les secteurs bancaire et industriel, la réduction du temps de travail, la création de l’impôt sur la fortune, la loi Quillot en faveur des locataires et les lois Auroux sur la représentation du personnel et son droit d’expression dans l’entreprise provo­ quent plus qu’un tollé à droite. C’est à l’ordre institué que semble vouloir s’en prendre le pouvoir. À I’u d f , l’augmen­ tation des effectifs ne modifie pas profondément le recrute­ ment : industriels, cadres supérieurs, professions libérales et indépendants demeurent sur-représentés au sein du Centre des démocrates sociaux et du Parti républicain203. Le r p r connaît une évolution plus marquée qui le rapproche de I’u d f : ouvriers et employés qui représentaient 20 % de ses adhérents en 1977 passent à 16 % en 1984, dont seulement 3 % d’ouvriers, alors que le parti en revendique encore 11,3 % en 1979204.

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L’homogénéisation sociale de la droite et la place prépon­ dérante en son sein de représentants des classes moyennes a une double conséquence : les prises de positions anti-étatistes prospèrent et la grande masse des militants, souvent peu diplômée, se laisse dessaisir de son rôle dans l’élaboration programmatique au profit de dirigeants qui tiennent un discours conforme à ses aspirations. La ligne est clairement fixée : deux France s’opposent et ce n’est pas du côté du ser­ vice public que la droite ira chercher ses voix. « La France d’aujourd’hui, selon le programme du r p r , est atteinte d’hé­ miplégie, une moitié d’elle-même est soustraite à tout souci de productivité, à toute exigence de rentabilité. Quand les Français produisent deux francs, l’un de ces francs leur est aussitôt enlevé pour être affecté à la couverture des dépen­ ses publiques et à la protection sociale [...]. Les entreprises du secteur concurrentiel, les Français qui y travaillent ne doivent plus être considérés comme les vaches à lait d’un immense secteur protégé.205 » Quelle que soit la formation considérée, les instances dirigeantes des partis de droite connaissent un important renouvellement au début des années 1 9 8 0 . Sur le plan des origines sociales, la stabilité l’emporte : les responsables locaux et les députés se recrutent principalement dans la bourgeoisie économique tandis que les directions parisiennes reviennent aux cadres ou anciens cadres de la haute fonction publique passés par les écoles du pouvoir. En revanche, sur le plan politique un glissement s’opère. Les nouveaux res­ ponsables des partis sont, soit par leur formation (le plus souvent Sciences Po et I’e n a de la fin des années 1 960), soit par leurs activités professionnelles, davantage enclins au libéralisme que leurs aînés. Leur socialisation politique s’est en outre effectuée de manière très différente. Quand ils sont

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« gaullistes » (cas d’Alain Juppé ou de Jacques Toubon), ils sont entrés dans la vie politique après la disparition du général de Gaulle et sont du même coup moins attachés à l’État et plus sensibles aux revendications des entrepreneurs du privé que leurs prédécesseurs. Quand ils sont libéraux, leur engagement à droite a souvent débuté à l’époque du « libéralisme avancé » et des premières avancées significati­ ves de la gauche (Jean-Pierre Raffarin), à moins que, comme une minorité, ils n ’aient fait leurs débuts à l’extrême droite (Alain Madelin et Gérard Longuet, anciens militants d’Occident). Ces nouveaux dirigeants politiques, que dans les années 1980 on appelle les « cadets »206, sont ainsi souvent en première ligne pour promouvoir le libéralisme, rejeter l’étatisme et louer les vertus de la « révolution conservatrice américaine » dont se délecte Guy Sorman207, un essayiste membre du Parti radical valoisien. Même les plus anciens y vont de leur couplet reaganien ou thatchérien. Après avoir rencontré le président américain en janvier 1983208, Jacques Chirac déclare devant la presse anglo-saxonne que la politi­ que qu’il propose pour la France est « celle conduite actuel­ lement en Grande-Bretagne, aux États-Unis, en République Fédérale Allemande »209. En février 1984, face aux cadres supérieurs et aux chefs d’entreprises de l’Executive Club de France, il réaffirme que « le truc de Reagan, ça marche, et que le truc de Mitterrand ça ne marche pas »210 avant d’en­ foncer le clou en septembre 1984 : « Regardez du côté des États-Unis...211 » La transformation des partis de droite s’accompagne du développement de clubs et d’associations. Tandis que les députés de l’opposition organisent une véritable guérilla parlementaire212, les clubs ont pu passer pour l’un des moyens les plus sûrs de la reconquête du pouvoir, de la même manière 295

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qu’ils avaient joué un rôle central pour la gauche au début de la Ve République. La France compte rapidement plusieurs centaines d’organismes, plus ou moins institués, tentant de « former maillon après maillon, la chaîne de la résistance à l’emprise idéologique de l’État socialiste »213. Toutes les familles politiques de la droite s’y investissent. En 1982, les « nouveaux économistes » réactivent ainsi l’Institut économique de Paris, un think tank qu’ils avaient tenté de mettre sur pieds au début du septennat giscardien. Lié aux principaux organismes libéraux du même type en Grande-Bretagne ou aux États-Unis, avec un comité de patronage prestigieux et Friedrich Hayek comme membre d’honneur, l’Institut économique de Paris abreuve hommes politiques et journalistes de notes et d’analyses. L’objectif poursuivi par son délégué général - Guy Plunier, un ancien cadre international de chez Michelin - est ambitieux : « Fournir les instruments intellectuels nécessaires à l’appari­ tion [d’une] nouvelle culture après des décennies de domina­ tion presque absolue d’une pensée dirigiste surannée dont on s’aperçoit avec retard combien elle est dangereuse pour les libertés et inefficace pour la bonne marche des sociétés214. » Les nouveaux économistes publient également un bulle­ tin, La Nouvelle Lettre, et créent un Groupe de recherche d’action et de liaison des libéraux ( g r a l l ) en collabora­ tion avec des parlementaires appartenant à I’ u d f (François Léotard, Gérard Longuet, Alain Madelin). Dans les dîners qu’ils organisent, Jacques Chirac prend date : « Face à une machine d’État devenue folle, face une fonction publique à la croissance monstrueuse, face à une situation déjà difficile mais encore plus sombre pour les années à venir, que pourra faire, à l’heure de l’alternance, le responsable politique qui aura la charge des intérêts du pays ? Il n’aura guère d’autre

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choix que le libéralisme »2U. Quant à Raymond Barre, rede­ venu le candidat préféré des intellectuels libéraux au début des années 1980, il y va de sa métaphore piscicole favorite : «Je cite toujours [...] notre éminent prédécesseur, Bastiat, qui expliquait que la concurrence était nécessaire par l’apo­ logue du bassin dans lequel se trouvaient des carpes : les carpes risquent de prendre un goût de vase si l’on n’y intro­ duit pas un brochet... Je crois que de temps à autre, il faut introduire le brochet de la concurrence internationale pour que nos carpes nationales perdent le goût de la vase »216. Le clubisme, comme mode de socialisation politique et comme accumulateur d’idées, fait partie intégrante de la stratégie de la droite pour conquérir le « pouvoir culturel » : les clubs permettent de faire participer au débat politique des individus rétifs à l’engagement partisan tout en les mainte­ nant dans l’orbite des partis ; ils contribuent à la construction d’un sens commun libéral et tiennent souvent des discours radicaux propres à mobiliser ceux qui entrent dans la vie politique après 1981, sans que les partis aient à les assumer. La division du travail entre clubs et partis peut prendre des formes très diverses. Certains clubs sont étroitement liés à un appareil de parti ou à une personnalité comme les gis­ cardiens Clubs perspectives et réalités ou le Club 89, fondé par des proches de Jacques Chirac en 1981 (Michel Aurillac, Nicole Catala et Alain Juppé). D’autres sont inter-partis à l’image du Club de l’Horloge. Son président Yvan Blot est le chef de cabinet de Bernard Pons, secrétaire général du RPR, et membre du Comité central de ce parti ; Jean-Yves le Gallon, le Secrétaire général, appartient au Conseil national du Parti républicain ; Henri de Lesquen et Michel Leroy, les vice-présidents, n’adhèrent officiellement à aucun parti217. Seule une minorité de clubs, tels les Comités d’action

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républicaine de Bruno Mégret, tente de s’affranchir des tutelles partisanes et de constituer une force politique auto­ nome. Chaque club a son style propre. Si l’on s’en tient aux deux organisations qui ont sans doute marqué le plus nette­ ment le discours libéral des années 1980, Club 89 et Club de l’Horloge, les différences sont nettes. Structure décentralisée qui vise à recruter un maximum d’adhérents à Paris comme en province, le Club 89 a pour objectif de faire naître un projet politique d’ensemble « qui soit moins un instrument de conquête du pouvoir qu’un moyen de l’exercer dans la durée >>218. Les ouvrages que diffuse le club déclinent les différentes facettes de la politi­ que que le RPR et I’u d f pourraient mener une fois revenus au pouvoir. Ils nourrissent directement le programme du RPR ainsi que la plate-forme commune de 1986 (élaborée en collaboration avec Perspectives et Réalités). À travers colloques, réunions publiques et publications, il s’agit, selon Alain Juppé, de « “vendre” ces notions de liberté et de res­ ponsabilité à nos concitoyens pour bien leur prouver qu’elles ne sont pas porteuses d’égoïsme, de repli sur soi, de dureté de la vie sociale mais, au contraire, d’épanouissement de l’individu »219. Sans être un mouvement de masse, le Club 89 connaît un développement et un succès rapides. Si seulement 47 personnes étaient présentes lors de l’Assemblée générale constitutive en septembre 1981, on en compte près de 500 à celle d’octobre de la même année et huit mois plus tard, on fête l’adhésion du millième membre220. Son influence sur le discours de la droite se lit au travers de la reprise de certai­ nes expressions, l’opposition entre « État gérant » et « État garant »221 par exemple. Nettement plus élitiste, le Club de l’Horloge se préoccupe d’élaborer une nouvelle façon de faire de la politique. L’enjeu 298

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n’est ni d’attaquer de manière frontale les socialistes, ni de rechercher un compromis, mais de travailler progressive­ ment au remplacement de la division gauche/droite par une opposition marxistes/républicains-nationaux-libéraux222. Tandis que le Club 89 s’essaye à renouveler le programme de la droite et à définir les mesures qu’elle pourrait prendre une fois revenue au pouvoir, le Club de l’Horloge s’inspire d’une stratégie gramseienne visant à conquérir l’hégémonie en modifiant les structures du « champ de forces idéolo­ giques ». La rhétorique du Club de l’Horloge fonctionne toujours selon le même principe. La devise républicaine (Liberté, Égalité, Fraternité) est invoquée et à partir de cha­ cune de ses valeurs constitutives, on tente de montrer le fossé qui la sépare des idées et de la pratique socialistes. La force du Club est qu’au-delà de la production doctrinale, il permet aussi à toutes les sensibilités de droite de s’exprimer et de dialoguer. Les « nouveaux économistes » et leurs soutiens ne se privent pas d’y intervenir. Que les stratégies et les discours divergent ne doit pas masquer la grande complémentarité entre les clubs. Les multi-appartenances et les manifestations communes sont nombreuses, ce que les profils sociaux relativement similai­ res des clubs-men facilitent. Les clubs recrutent principale­ ment des individus fortement diplômés, issus du privé où ils occupent des postes de responsabilité. Quant à leurs ani­ mateurs, il s’agit bien souvent d’anciens élèves de Sciences Po et de I’e n a . La collaboration entre clubs et partis se traduit par une homogénéisation des discours tenus par les différentes formations politiques et en leur sein (les nuances s’estompent ainsi entre les composantes de I’u d f ). Une fois la droite revenue au pouvoir, il lui faudra dénationaliser, déré­ glementer, désétatiser. Le libéralisme défendu par la droite

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française est très largement réactionnel. Popularisé par de très nombreux essais et pamphlets, il se définit avant tout dans l’opposition au socialisme de la période 1981-1982. Il emprunte dès lors à toutes les sources possibles, quelles que puissent être les contradictions doctrinales et les sensi­ bilités apportées par chacun223. Anticipations rationnelles, main invisible, responsabilité des agents économiques se combinent de multiples façons pour faire du marché l’instance la plus efficace de régulation de la société. Le discours libéral de la droite ne puise pas aux sources françaises du néo-libéralisme. Il s’inspire très largement de son rameau américain. Rien de surprenant du côté de I’u d f : Pascal Salin et Georges Mesmin, l’animateur du GRALL, appartenaient tous deux à la « Commission éco­ nomique » du parti giscardien au début des années 1980224. Le GRALL a accueilli principalement des leaders de I’u d f et plusieurs des « nouveaux économistes », comme Jacques Garello ou Henri Lepage, comptent parmi les proches d’Alain Madelin, familier de I’a l e p s 225. Le r p r n’est pour­ tant pas en reste. Public choice ? « La bureaucratie n’est pas seulement le produit de l’extension du secteur public, elle en est aussi en partie la cause. Son intérêt est de maximiser la taille de ses budgets » assène un député226. Anticipations rationnelles qui rendent inefficaces les politiques conjonctu­ relles ? « La confiance ne se décrète pas, énonce le program­ me du parti, mais se mérite : elle ne renaîtra dans le pays que le jour où nos concitoyens auront la certitude d’avoir à leur tête une équipe de gestionnaires responsables, décidés à refuser toute tentative démagogique et à rétablir fut-ce au prix de douloureux sacrifices, un équilibre rigoureux de tous les comptes publics227. » Il n’y a guère que le monétarisme qui soit contesté parce qu’« au lieu d’agir directement sur

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À la conquête du pouvoir politique

les facteurs structurels de l’inflation, écrit Alain Juppé, les politiques monétaires trop restrictives provoquent inélucta­ blement une récession »228. Si le discours de la droite est libéral sur le plan économi­ que, il ne l’est presque jamais dans le domaine moral (cas de certains libertariens mis à part) : défense de la famille traditionnelle, dénonciation de l’insécurité, lutte contre l’im­ migration restent des thèmes récurrents, que la concurrence du Front national amène à marteler systématiquement. La reconstruction de la droite autour du libéralisme économi­ que a également pour corollaire le déclin de la tradition qui contrebalançait le libéralisme, le gaullisme. Le nationalisme gaullien peut bien encore inspirer des prises de position en matière de politique étrangère, mais les volontés réformatri­ ces (réelles ou supposées) du gaullisme social ne survivent qu’à l’état résiduel et le plus souvent en marge de la force politique se réclamant du gaullisme. Au milieu des années 1980, la mode libérale atteint son paroxysme. La conjoncture nationale s’y prête : l’an­ née 1984 est marquée par la formation du gouvernement Fabius, le départ du Parti communiste de la majorité ou encore la querelle dite de « l’école libre ». Le libéralisme semble avoir le vent en poupe, à tel point qu’une partie de la gauche, jusque-là toujours mise en minorité, se rallie ouvertement à la cause du marché229. À droite, la mue idéo­ logique paraît accomplie : Libres et Responsables du r p r . Réflexions pour demain230 de Raymond Barre, La Liberté à refaire23\ dirigée par Michel Prigent, La Solution libérale232 de Guy Sorman, sont autant de plaidoyers en faveur du libéralisme qui paraissent cette année-là. Une grande fête libérale est même organisée à Paris. À l’initiative des nou­ veaux économistes, la Société du Mont-Pèlerin tient en mars

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un meeting régional, financé entre autres par de grandes entreprises, comme Michelin - jamais en reste semble-t-il quand il s’agit de défendre la bonne cause233 - , Nina Ricci ou Yves Rocher234. La réunion connaît une affluence record. Aux côtés des membres de la Société, des patrons (François Ceyrac, Michel Drancourt), des hommes politiques (Yvan Blot, Alain Juppé), des intellectuels anticommunistes et des essayistes (Alain Besançon, Guy Sorman) viennent écouter Friedrich Hayek proclamer que « même en France », « le libéralisme classique est devenu la nouvelle pensée »23S. Sous le charme, Jacques Chirac remet au patriarche libéral la grande médaille de Vermeil de la ville de Paris. En 1976, le président du parti gaulliste déclarait à l’occasion d’un mee­ ting que « la justice sociale est sans doute une des exigences les plus profondes de notre tempérament national »236. En 1984, il félicite Friedrich Hayek pour avoir montré que rien n’était plus arbitraire que cette notion : « Qui permettra de déterminer ce qu’il est équitable de distribuer, si ce n’est, en fin de compte, la décision arbitraire d’un seul ou d’un petit nombre, en fait, l’État omniprésent qui s’arroge le droit de décider pour tous ? » s’interroge-t-il. Avant de déclamer en hommage au récipiendaire quelques vers du poète allemand Friedrich Hölderlin : « Allons, viens ! Que nous voyions l’Orient. Que nous cherchions quelque chose de vivant, si loin soit-il237. »

Conclusion Certaines idées politiques s’épanouissent longtemps après avoir été formulées pour la première fois. En 1953, l’écono­ miste Louis Baudin écrivait : « Le néo-libéralisme est en voie de formation. La semence est jetée, la moisson viendra à son heure1. » Les néo-libéraux pensaient que l’État planificateur était promis à la déliquescence, que la liberté économique retrouverait un jour ses droits. Mais ils savaient devoir se montrer patients. Érigée en théorie par Friedrich Hayek, cette conception de l’action politique semble a posteriori avoir été payante. Tandis que les crises économiques des années 1970 mettaient à mal le volontarisme des pouvoirs publics, l’effondrement de l’Union soviétique achevait de discréditer le socialisme d’État. La Société du Mont-Pèlerin peut aujourd’hui compter sur l’activisme de plusieurs centai­ nes de think tanks disséminés de par le monde, autonomes politiquement et financièrement vis-à-vis d’elle. Mais les idées, aussi radicales soient-elles, ne transpor­ tent pas avec elles leurs conditions d’efficacité. La bataille politique ne se confond pas avec une bataille d’intellectuels : une idéologie politique ne conquiert l’ascendant que dans la mesure où elle consolide des forces sociales qui dispo­ sent d’un pouvoir réel sur l’économie. Si le goût de l’utopie contribua à faire advenir un ordre naguère « impensable »2, le néo-libéralisme doit d’abord son triomphe à la transfor­ mation des rapports de force politiques qui lui fraya la voie, plus qu’à l’influence exercée par telle ou telle organisation internationale. La fermeture de l’espace des possibles en matière de politique économique, la conversion de la droite au marché, d’une partie de la gauche et de la haute fonction

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publique, découlent avant tout d’évolutions structurelles qui toutes ont concouru à la disqualification des solutions éco­ nomiques alternatives. Lorsqu’il affirmait que les « vision­ naires influents, qui entendent des voix dans le ciel, distillent des utopies nées quelques années plus tôt dans le cerveau de quelques écrivailleurs de Faculté »3, Keynes exagérait le rôle des intellectuels dans les changements sociaux. Pour qu’elles survivent à leurs auteurs, les stratégies de subversion intel­ lectuelle ont besoin d’intérêts qui les soutiennent et d’insti­ tutions qui les relayent. Promesse d’un retour à l’ordre, volonté d’organiser le capitalisme et de rétablir les fondements de l’économie libérale, le néo-libéralisme bénéficia dans les années 1930 d’un double parrainage : celui d’économistes à l’autorité contestée dans et hors l’Université ; celui de patrons rationalisateurs et d’intellectuels patronaux, malmenés par les représentants des petites et moyennes entreprises qui cher­ chaient à reprendre le contrôle du syndicalisme patronal. Parce qu’il cristallisa non seulement de franches oppositions, mais aussi des déceptions (de syndicalistes et de jeunes réfor­ mistes), le Front populaire constitua l’événement fondateur du néo-libéralisme français. Ce dernier puisait sa popularité à la source de l’humeur du temps : exaspération d’une partie des libéraux devant l’interventionnisme étatique croissant, remise en cause des élites traditionnelles concurrencées par la montée en puissance de techniciens soucieux de rationa­ liser « scientifiquement » l’économie et la vie sociale. La prophétie néo-libérale s’adressait à ces fractions rivales un temps réconciliées par le tandem Daladier-Reynaud qui leur offrait la possibilité d’une revanche. L’apparition de cette vision du monde à la fin des années 1930 présente une double singularité. Elle apporte une

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Conclusion

réponse opportune à la crise du capitalisme et prend acte des profonds bouleversements survenus au début du xxe siècle : naissance de la grande entreprise, rationalisation indus­ trielle, émergence de nouvelles figures comme le directeur salarié ou l’expert universitaire. Le néo-libéralisme précoce tire avantage d’une position centrale vis-à-vis de deux sys­ tèmes concurrents. Contre le planisme et le libéralisme tra­ ditionnel, il vise la construction d’un cadre juridique propre à garantir le fonctionnement du mécanisme concurrentiel. Mais, planifiant en quelque sorte le libéralisme, il prône le désengagement de l’État de la sphère économique par un interventionnisme « en sens contraire ». Alors que l’ultra­ libéralisme exige l’extension infinie du laissez-faire (ouvrir toujours de nouveaux espaces à la concurrence), le néo-libé­ ralisme développera une politique active de l’économie desti­ née à préserver la concurrence et, simultanément, à freiner la tendance « naturelle » de l’État à étendre son contrôle sur la sphère productive. L’innovation de ce libéralisme renouvelé fut d’imaginer l’État comme l’acteur de son propre dessai­ sissement. Cette équivoque caractérise toute l’histoire de la doctrine : le néo-libéralisme est un réformisme conservateur. Janus économique, il présente alternativement l’une ou l’autre de ses faces au gré des exigences tactiques. C’est peu dire que la route fut longue. Car les préceptes néo-libéraux peinèrent à s’extirper des milieux qui les avaient produits. Leur dissémination s’opéra par à-coups. Depuis leur base universitaire et patronale, ils pénétrèrent certains secteurs du monde politique à la fin des années 1940, puis une partie des entreprises d’État et des administrations publi­ ques dans les années 1950-1960, avant de nourrir de véri­ tables projets politiques d’ensemble. La reconquête libérale se percevait d’autant plus difficilement que le cheminement

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des idées était erratique, l’identité de ceux qui les portaient, changeante - et que ses missionnaires manifestaient une étonnante capacité à s’adapter aux aléas de la conjoncture. Et pourtant : elle est déjà amorcée lorsque les dirigeants de la Ve République reprennent en main l’administration économique. Dès cette époque, le développement national s’ancre dans un espace plus vaste, celui du marché commun. Un marché néo-libéral, où le « laissez-passer » l’emporte sur le « laissez-faire ». Comme mode de gouvernement, le néolibéralisme trouve ainsi sa place dans l’État bien avant les crises pétrolières des années 1970 et la stagflation. C’est néanmoins la décennie 1980 qui marque l’abou­ tissement du processus en levant les derniers obstacles idéologiques au tournant libéral4. Dans un roman paru en 1989, l’écrivain Daniel Pennac dressait, de manière ironique, le portrait de l’inventeur d’un nouveau style littéraire : le « réalisme libéral »5. Hybride de Jacques Chirac et de PaulLoup Sulitzet, il publie sous pseudonyme des best-sellers dont les héros sont d’impitoyables hommes d’affaires, ne devant leur fortune et leur réussite personnelle qu’à leur seul talent. L’outrance des personnages est celle d’une époque. De la victoire électorale de François Mitterrand en 1981 à la commémoration du bicentenaire de la Révolution française, la France connaît le « triomphe de l’entrepreneur »6 et le déclin des idéaux progressistes. Ce n’est pas le patron qui a été réhabilité, mais une conception manichéenne de la libre entreprise. Pour reprendre les termes qu’emploie Bertrand de Jouvenel lorsque vingt ans plus tôt il quitte la Société du Mont-Pèlerin : « L’État ne fait rien de bon tandis que l’en­ treprise privée, elle, ne se trompe jamais7. » Rarement les libéraux s’étaient montrés aussi pugnaces. Cette vigueur avait une dimension purificatrice8 : rejetée

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Conclusion

dans l’opposition, la droite fit peau neuve en se débar­ rassant de ses « complexes » intellectuels vis-à-vis de la gauche. Le libéralisme devint constitutif de son identité politique grâce à une nouvelle génération de dirigeants et une base radicalisée par la présence d’une majorité socia­ liste au pouvoir. Adhérents et électeurs ont bien sûr pu être divisés. Dès le début des années 1980, certains prennent le parti de Raymond Barre plutôt que de Jacques Chirac. En 1989, après l’échec de l’un et l’autre aux élections pré­ sidentielles, I’u d f et le RPR connaissent l’affirmation d’un courant « rénovateur » regroupant de jeunes élus des deux formations contestant les choix de leurs directions. En 1995, deux candidats issus du RPR s’affrontent... Mais quelles que puissent être les recompositions à l’œuvre, le libéralisme s’affirme comme le discours dominant. Dans cette perspec­ tive, la naissance de l’Union pour un mouvement populaire ( u m p ) et le ralliement à cette organisation des dirigeants de Démocratie libérale (ex Parti-Républicain) et même du c n ip , ont des vertus clarificatrices : les « cadets » des années 1980 sont désormais au pouvoir ; les libéraux ont, à droite, rem­ porté la bataille des idées. Devant ces transformations, la position des intellectuels libéraux est paradoxale. Alors même qu’ils ont contribué au renouveau idéologique de la droite, ils restent minoritaires dans des structures partisanes sur lesquelles ils n’ont guère d’emprise. De manière provocatrice, l’un des membres fran­ çais de la Société du Mont-Pèlerin déclarait récemment que « la France se retrouve plus socialiste en 2004 qu’en 1981 », que « l’expression politique du libéralisme n’existe plus » et que « les voix libérales ont été bâillonnées »9. Sans doute une fois sa croisade aboutie, un entrepreneur de morale peut-il toujours en dénier l’efficacité, sans quoi il perd sa 307

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raison d’être10. Mais ces propos témoignent également de la distance qui sépare aujourd’hui libéraux radicaux et néo-libéraux, deux courants qui s’opposent plus fortement que dans les années 1930 ou au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Quand il n’y a plus d’adversaires de poids à combattre, pourquoi sceller une alliance que les uns jugent intellectuellement peu conséquente tandis que les autres redoutent ses implications sur le plan électoral ? Plus consensuel que le libéralisme orthodoxe, le dis­ cours néo-libéral a envahi la vie publique, en particulier la presse, jusqu’à former une sorte de vulgate11. Lorsqu’en octobre 2006, le professeur Edmund Phelps reçoit le « Prix Nobel » d’économie, l’unanimité est ainsi de mise dans les médias français. De Libération au Figaro, en passant par Le Monde, journalistes et économistes célèbrent l’œuvre d’un savant qui porta un coup sévère aux fondements théoriques des politiques de relance des années 1970. À « gauche », ils soulignent qu’Edmund Phelps ne considère pas la flexibilité et la baisse des impôts comme une panacée12. À « droite », ils retiennent que cet économiste américain condamne « les protections qu’offrent aux salariés les conventions collecti­ ves et le salaire minimum [qui] aboutissent à exclure de l’em­ ploi les moins qualifiés »13. Si les partis de gouvernement ont une infinie variété de mesures à proposer, elles ne sortent pas d’un cadre bien circonscrit, celui de l’économie de marché, que tout au plus certains veulent « sociale ». L’expression « économie sociale de marché », héritée de l’ordo-libéralisme allemand, figurait d’ailleurs en bonne place dans le projet de constitution européenne repoussé par référendum en mai 2005. Le néo-libéralisme possède toujours deux principaux versants : l’un « offensif », remettre l’État à sa place, l’autre

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Conclusion

« pragmatique », créer, avec l’aide de l’État, un cadre pour le marché. L’une des spécificités du cas français aura été d’associer durablement des éléments contradictoires. Tout en conservant des institutions héritées de la Libération et un vaste secteur public, la France a opté il y a près de quarante ans pour l’intégration dans le marché commun. La cause européenne a servi de justification et de moteur à la libéralisation de l’économie française. En redessinant le périmètre de l’action étatique, elle a satisfait aux aspirations du néo-libéralisme tel qu’il s’était historiquement constitué. Depuis l’introduction de l’Euro, l’État n’a plus de politique monétaire et ses marges de manœuvre dans le domaine budgétaire sont très étroites. Peut-être à ses dépens, l’archi­ tecture institutionnelle de l’Europe a également favorisé le développement d’un libéralisme plus radical, car une fois l’État dépossédé de ses attributions, les seules régulations possibles ressortissent d’organismes supranationaux, appe­ lés par leur fonctionnement à neutraliser les positions politi­ ques les plus tranchées et à consolider les pouvoirs d’experts. Ironie de l’histoire, l’Europe se voit ainsi conspuée par les libéraux intransigeants parce qu’elle remettrait au goût du jour un interventionnisme tatillon. Elle réalise pourtant le programme du néo-libéralisme.

Notes Notes de Pintroduction 1.

2. 3. 4. 5.

6.

7.

8.

9. 10. 11. 12. 13. 14. 15.

Dans ce livre, le term e néo-libéralisme comporte toujours un tiret conformément à l'usage qui a longtemps prévalu. Les seules excep­ tions proviennent de citations dont nous avons choisi de respecter la forme. Perry Anderson, « Histoire et leçons du néo-libéralisme », La Pensée, octobre-novembre-décembre 1999, p. 47. Pascal Salin, « Le Néolibéralisme, ça n'existe pas », Le Figaro, 6 février 2002 . Dieter Plehwe, Bernhard Walpen et Gisela Neunhöffer (eds), Neoliberal Hegemony. A Global Critique, Londres et New York, Routledge, 2005. Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft. Eine hegemonietheoretische Studie zur Mont Pèlerin Society, Hambourg, VSA-Verlag, 2004. Une liste des fonds consultés est donnée en annexe. Marion Fourcade-Gourinchas et Sarah L. Babb, « The Rebirth of Liberal Creed: Path to Neoliberalism in Four Countries », American Journal of Sociology, vol. 108, n°3, novembre 2002, p. 553-579 ; Monica Prasad, « Why is France so French ? Culture, Institutions and Neoliberalism, 1974-1981 », American Journal of Sociology, vol. Ill, n°2, septembre 2005, p. 357-407. Jean-Claude Perrot et Jacques Wolff, « Dialogue sur la naissance du libéralisme économique », Les Cahiers Français, n°228, octobredécembre 1986, p. 4. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique. Cours au Collège de France (1978-1979), Paris, Gallimard / Seuil, 2004. Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière. Comment l'ordre libéral s'est imposé au monde, Paris, Fayard, 2006. Karl Polanyi, La Grande Transformation, Paris, Gallimard, 1983, p. 21. CIRL, Compte rendu des séances du Colloque Walter Lippmann, Paris, Médicis, 1939, p. 20. Ibid., p. 7. Jacques Chirac, « Préface » in Alain Juppé, La Double Rupture, Paris, Économica, 1982, p. 7. Bruno Jobert (dir.), Le Tournant néolibéral en Europe. Idées et recettes dans les pratiques gouvernementales, Paris, L'Harmattan, 1994.

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Notes du chapitre 1 1.

Michel Bruguière et al., Administration et contrôle de l'économie (18001914), Genève, Droz, 1985.

2.

Bruno Dumons, « Universitaires et construction de l'État Providence : la formation économique et juridique des élites françaises (1890-1914) », Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique, n°20, 1999, p. 179-195. Gustave de Molinari, « Chronique », Le Journal des économistes, n°3, juin 1901, p. 463. Jacques Rueff, La Crise du capitalisme, Paris, Éditions de la Revue bleue, 1935, p. 5. Pierre Rosanvallon, Le Capitalisme utopique. Histoire de l'idée de mar­ ché, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. VII. Patrick Fridenson (dir.), The French Home Front 1914-1918, Providence et Oxford, Berg, 1992. Martine Fine, « Guerre et réformisme en France, 1914-1918 », in Lion Murard et Patrick Zylberman (dir.), Le Soldat du travail, guerre et fascisme, Recherches, n°32-33,1978, p. 305-324. Stephen D. Caris, Louis Loucheur, ingénieur, homme d'État, modernisateur de la France, 1872-1931, Villeneuve d'Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2000. Eugène Duthoit, « Comment adapter l’État à ses fonctions économi­ ques », in ld„ Vie économique et catholicisme, Paris, J. Gabalda et Cie ; Lyon, Chronique sociale de France, 1924, p. 112. Jacques Rueff, De l'Aube au crépuscule. Autobiographie de l'auteur, in Œuvres complètes, 1.1, Paris, Plon, 1977, p. 17. René Gonnard, « L'Économie politique a-t-elle fait faillite ? », Revue politique et parlementaire, 10 avril 1917, p. 73. Georges Lefranc, « Les Origines de l’idée de nationalisation industria­ lisée en France (1919-1920) », in Essais sur les problèmes socialistes et syndicaux, Paris, Payot, 1970, p. 109-125. Eugène Duthoit, « Comment adapter l'État à ses fonctions écono­ miques », op. cit. ; Charles Rist, « La Politique économique », in La Politique républicaine, Paris, Alcan, 1924, p. 273-300 ; Eugène Mathon, « La Corporation, base de la représentation des intérêts », Cahiers des États généraux, n°6 , octobre 1923, p. 28-29. Georges Davy, « Le Problème de l’industrialisation de l'État », Revue de métaphysique et de morale, n°4, 1924, p. 599-641 ; René Pinon, « Les nouvelles Conceptions de l'État », Revue économique internatio­ nale, octobre 1929, p. 8-30.

3. 4. 5. 6.

7.

8.

9.

10. 11. 12.

13.

14.

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Notes des pages 11 à 20

15. Olivier Dard, Le Rendez-vous manqué des relèves des années 1930, Paris, PUF, 2002. 16. Kenneth Mouré, La Politique du Franc Poincaré, Paris, Albin Michel, 1998. 17. Bertrand de Jouvenel, L'Économie dirigée. Le programme de la nou­ velle génération, Paris, Valois, 1928. 18. Alain Chatriot. La Démocratie sociale à la française. L'expérience du Conseil national économique, 1924-1940, Paris, La Découverte, 2002. 19. Henri Culmann, Les Services publics économiques, Paris, PUF 1943, P· 77. 20. « Note pour le Président » (Archives Nationales / F60 / 579). 21. Claude-Joseph Giqnoux, L'Économie française entre les deux guerres 1919-1939, Paris, Société d’éditions économiques et sociales, 1943, p. 322. 22. Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les Permanents patronaux: éléments pour une histoire de l'organisation patronale en France dans la première moitié du X X e siècle, Metz, Centre de recherche histoire et

civilisation de l'Europe occidentale, 2005. 23. Vincent Dubois, La Politique culturelle : genèse d'une catégorie d'in­ tervention publique, Paris, Belin, 1999. 24. Interpellation de Pierre de Monicault, député de l'Ain, Journal officiel de la République française, Chambre des députés, séance du 16 janvier 1931, p. 64. 25. Olivier Dard, « Charles Spinasse, du socialisme à la collaboration », L’information historique, n °5 8 ,1996, p. 49-64. 26. Journal Officiel de la République Française. Lois et décrets, 20 juin 1936. 27. Henri Culmann, Les Services publics économiques, op. cit., p. 80. 28. Michel Debré, « Pour une Administration de l'économie française », Revue des sciences politiques, n° 8 , juin 1938, p. 246-269. 29. Paul Rives, Rapport fait au nom de la commission des finances, Journal Officiel de la République Française. Documents parlementaires. Annexe n°1274, séance du 12 novembre 1936, p. 192.

30. Le principal théoricien de l'économie nationale en France entre les deux guerres est sans conteste Lucien Brocard (1870-1936), professeur à la Faculté de droit de Nancy. Ses écrits permettent, grâce à leur systématicité - plus de 2 300 pages pour ses deux principaux ouvrages pres­ que entièrem ent consacrés à l'économie nationale - de comprendre ce que sous-tend cette notion et notamment une forme de productivisme

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et de nationalisme économique, mais relativement ouvert. (Lucien Brocard, Principes d'économie nationale et internationale, Paris, Sirey, 3 volumes, 1929-1931 et Id., Les Conditions générales de l'activité éco­ nomique, Paris, Sirey, 1934). 31. Michel Didier et Edmond Malinvaud, « La concentration s'est-elle accentuée depuis le début du siècle ? », Économie et statistiques, 1 (2), 1969, p. 7. 32. Alfred Sauvy, Histoire économique de la France entre les deux guerres, Paris, Économica, 1984, t.3, p. 340. 33. Discours reproduit in Alain Chatriot, Représenter la société. Le Conseil National Économique 1924-1940, une institution entre expertise et négociation sociale, EHESS, thèse de doctorat d'histoire, 2001, p. 655.

34. Ces chiffres ont été calculés à partir des données publiées in INSEE, Annuaire rétrospectif de la France, Paris, ministère de l'Économie et des finances, 1961 et 1966. 35. Alain Leménorel, L'Économie libérale à l'épreuve 1914-1948, Paris, La Découverte, 1998, p. 32. 36. Jean Dessiner, « Secteur "abrité" et "non abrité" dans le déséquilibre actuel de l'économie française », Revue d'économie politique, n°4, juillet-août 1935, p. 1330-1363. 37. Marcel Mauss, « Note sur les crises », in Écrits politiques. Textes réunis et présentés par Marcel Fournier, Paris, Fayard, 1997, p. 772. 38. Cité in Kenneth Mouré, « La Perception de la crise par les pouvoirs politiques », Le Mouvement social, n°154, janvier-mars 1991, p. 139. 39. Pierre Ganivet [Achille Dauphin-Meunier], « Les Leçons des événe­ ments de février », L'Homme réel, n°3, mars 1934, p. 149. 40. Eugène Mathon, « Crise économique et crise morale », discours prononcé au déjeuner ayant suivi la XII' assemblée générale annuelle du Comité central de la laine, 19 avril 1934, p. 5. 41. Gaëtan Pirou, La Crise du capitalisme, Paris, Sirey, 1936 (1™éd., 1934), p. 31. 42. Les difficultés qu’a le monde agricole à faire entendre ses revendica­ tions face à la crise sont l'une des explications du développement d'un fascisme rural particulièrement virulent. Cf. Robert Paxton, Le Temps des chemises vertes. Révoltes paysannes et fascisme rural 1929-1939,

Paris, Éditions du Seuil, 1996. 43. On présente ici sous une forme « littéraire » les résultats de différents traitements statistiques s'appuyant sur des données biographiques concernant 300 individus. Cf. François Denord, Genèse et institution­ nalisation du néo-libéralisme en France (années 1930 - années 1950),

Paris, EHESS, thèse de sociologie, 2003.

314

Notes des pages 20 à 31

44. Semaines sociales de France, Le Désordre de l'économie internatio­ nale et la pensée chrétienne, Paris, J. Gabalda et Cie ; Lyon, Chronique

sociale de France, 1932. 45. Louis Rougier, Les Mystiques économiques. Comment l'on passe des démocraties libérales aux États totalitaires, Paris, Médicis, 1938, p. 14. 46. Jacques Branger, « Le Contenu économique des plans et le planisme » (22 février 1935), in X-Crise, Gérard Brun et al., X Crise, De la Récurren­ ce des crises économiques, Paris, Économica, 1982, p. 124-133 ; Henri Noyelle, « Les Plans de reconstruction économique et sociale à l'étran­ ger et en France », Revue d'économie politique, numéro spécial 1935, p. 193-268 ; Charles Pomaret, « Catalogue des plans », L'État moderne, avril 1935, p. 304-307. 47. Henri Noyelle, « Les Plans de reconstruction... », art. cit., p. 248. 48. Karl Marx, « Discours sur le libre-échange (1848) », in Œuvres I. Économie I, Paris, Gallimard, 1963, p. 154. 49. Jacques Amoyal, « Les Origines socialistes et syndicalistes de la planification en France », Le Mouvement social, n°87, avril-juin 1974, p. 137-169. 50. Jean Duret, « Le Syndicalisme et la notion de plan », L'Homme réel, n°5, mai 1934, p. 68-69. 51. Cité in Philippe Burrin, La Dérive fasciste. Doriot, Déat, Berqery 19331945, Paris, Le Seuil, 1986, p. 153. 52. Marcel Déat, Perspectives socialistes, Paris, Valois, 1930, p. 22. 53. Ibid., p. 37. 54. Stéphane Clouet, De la Rénovation à l'utopie socialistes. Révolution constructive, un groupe d'intellectuels socialistes des années 1930,

Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1991. 55. Thierry Paquot, « L'impossible Économie de Marx », in L'État des scien­ ces sociales en France, Paris, La Découverte, 1986, p. 66-72 ; Thierry Pouch, Les Économistes français et le marxisme. Apogée et déclin d'un discours critique (1950-2000), Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2001. 56. Colette Chambelland, Pierre Monatte, une autre voix syndicaliste, Paris, Éditions de l’Atelier, 1999. 57. Robert Louzon, L'Économie capitaliste. Précis d'économie politique, Paris, La Révolution Prolétarienne, nouvelle édition, 1935. 58. Lucien Laurat, « Les Œuvres économiques de Karl Marx », La Critique sociale, n°3, octobre 1931, p. 105.

315

■(téo-libéralisme version française

59. Sur Lucien Laurat : Jean Duret, Le Marxisme et les crises, Paris,

Gallimard, 1933, p. 232-235 et sur Georges Politzer : Jean Duret, « Comment faire payer les Riches ? », L'Atelier pour le plan, n°8 , 15 décembre 1935, p. 120-121. 60. Par exemple : Lucien Constant, « Les Réformistes et la crise », Les Cahiers du bolchevisme, juillet 1933, p. 894-906 et décembre 1933, p. 1575-1586. 61. « Pour l'Issue révolutionnaire de la crise », Les Cahiers du bolchevis­ me, juillet 1933, p. 911. 62. Georges Lefranc, « La Diffusion des idées planistes en France », in Essais sur les problèmes socialistes et syndicaux, Paris, Payot, 1970, p. 159. 63. Marcel Déat, « Vers une Politique cartésienne », in Célestin Bouglé et ai, Inventaires II. L'économique et le politique, Paris, Alcan, 1938, p. 205-227. 64. Jean-Pierre Le Crom, Syndicats nous voilà ! Vichy et le corporatisme, Paris, Éditions de l'Atelier, 1995, p. 63. 65. L'attitude étant plus ambiguë en ce qui concerne le Salazarisme. Par exemple : Louis Salleron, Un Régime corporatif pour l'agriculture, Paris, Dunod, 1937, p. 100. 66 . Eugène Duthoit, « Par une autorité corporative vers une économie ordonnée », in Semaines sociales de France, L'Organisation corpora­ tive, Paris, J. Gabalda et Cie ; Lyon, Chronique sociale de France, 1935, p. 45. 67. Louis Salleron, « Faut-il encore parler du Libéralisme ? », Civilisation, n°10-11, avril-mai 1939, p. 28. 68 . Steven L. Kaplan, « Un Laboratoire de la doctrine corporative sous le régime de Vichy : l'Institut d'études corporatives et sociales », Le Mouvement social, n°195, avril-juin 2001, p. 35-77. 69. Maurice Bouvier-Ajam, La Doctrine corporative, Paris, Sirey, 1937, 2e édition, p. 119. 70. Jean Brèthe de la Gressaye, Le Syndicalisme, l'organisation profession­ nelle et l'État, Paris, Sirey, 1930. 71. Pierre Virion, « Corporatismes et corporatisme », Le Corporatisme, 15 juin 1937, p. 20-27. 72. Le Plan de la CFTC, Paris, Éditions SPES, 1936, p. 45. 73. François Perroux, Capitalisme et communauté de travail, Paris, Sirey, 1938. 74. Marcel Déat, « Corporatisme et liberté », Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, n°1-2, 1938, p. 37-67. Jean-Pierre Le Crom, Syndicats nous voilà !... op. c il, p. 63.

316

Notes des pages 31 à 40

75. Olivier Dard, Le Rendez-vous manqué des relèves des années 1930..., op. cit. 76. Luc Boltanski, « Les Aventures d'une avant-garde », Actes de la recher­ che en sciences sociales, n°2-3, juin 1976, p. 34. 77. Plan du 9 juillet. Réforme de la France, Paris, Gallimard, 1934, p. 16. 78. X, « Directives sans programme », L'Homme nouveau, n°3, mars 1934, p.3. 79. Emmanuel Mounier, « Confrontation », Esprit, septembre 1933, p. 718. 80. Nicolas Roussellier, « La Contestation du modèle républicain dans les années 1930 : la réforme de l'État », in Serge Berstein et Odile Rudelle (dir.), Le Modèle républicain, Paris, PUF, 1992, p. 319-335. 81. Alain-Gérard Slama, « Henri de Man et les néo-traditionalistes français (1933-1936) », Revue européenne des sciences sociales, 12 (31), 1974, p. 169-188. 82. Marion Fourcade-Gourinchas, « Politics, institutional structures and the rise of economics: a comparative study », Theory and Society, 30, 2001, p. 397-447. 83. Lucette Le Van-Lemesle, Le Juste ou le riche. L'enseignement de l'économie politique 1815-1950, Paris, CHEFF, 2004. De nombreuses informations factuelles présentes dans les paragraphes gui suivent sont tirées de ce livre. 84. Jacques Rueff, « L’École libre des sciences politiques », in L'ensei­ gnement économique en France et à l'étranger, Paris, Sirey, 1937, p. 27. 85. Michel Armatte, « L'Économie à Polytechnique », in Bruno Belhoste, Amy Dahan Dalmedico, Antoine Picon (dir.), La Formation polytech­ nicienne 1794-1994, Paris, Dunod, 1994, p. 382 et François Etner, « L'Enseignement économique dans les grandes écoles au xix* siècle en France », Économies et Sociétés, n°6,1986, p. 169. 86 . Gaëtan Pirou, « Les Facultés de droit », in L'enseignement économique en France et à l'étranger, Paris, Sirey, 1937, p. 7.

87. Luc Marco, « Le "Cocotier" des économistes français avant la réforme de 1968. Éléments pour l’histoire des 5e et 6e sections du CNU », Les Cahiers de recherche du GRIMM, n°2,2001, p. 4. 88 . C'est ce qui ressort de la comparaison entre les biographies de 41 éco­

nomistes universitaires présents dans notre échantillon et les données fournies par Christophe Charle pour 48 juristes de la faculté de droit de Paris (économistes compris), in Id., La République des universitaires 1870-1940, Paris, 1994, p. 261. 89. Comptage effectué à partir de 4142 thèses de droit enregistrées dans la base de données du Système Universitaire de Documentation. La situation est quelque peu différente à Paris, où en 1935 les thèses

317

Néo-libéralisme version française

d'économie représenteraient la moitié des thèses soutenues à la faculté de droit. (Luc Marco, « Le Nombre de thèses économiques en France (1910-1982) », Vie et sciences économiques, n°103, mai/juin 1984, p. 17). 90. Henri Hauser, L'Enseignement des sciences sociales. État actuel de cet enseignement dans les divers pays du monde, Paris, Librairie Marescq Ainé, A. Chevalier-Marescq & Cie Éditeurs, 1903, p. 153-155. 91. Bernard Lavergne, Essor et décadence des idées politiques et sociales en France de 1900 à nos jours. Souvenirs personnels, Paris, Fischbacher, 1965, p. 117. 92. Ludovic Frobert, L'Économie de l'homme raisonnable. Une relecture du développement contrarié de l'hétérodoxie française du premier tiers du X X e siècle, Université de Lyon II, Thèse de doctorat en Science

économique, 1994. 93. Robert Marjolin, Le Travail d'une vie, Paris, Robert Laffont, 1986, p. 63. 94. François Perroux, Capitalisme et communauté de travail, op. cit., p. 8 . 95. Pierre Bourdieu, Homo Academicus, Paris, Minuit, 1984, p. 192. 96. Christophe Charle, La République des universitaires..., op. cit., p. 245. 97. Marc Pénin, « La Revue d’économie politique ou l’essor d’une grande devancière (1887-1936) », in Luc Marco (dir.), Les Revues d'économie en France (1751-1994), Paris, L’Harmattan, 1996, p. 191. 98. Jean Lescure, « Une Économie politique sans doctrines (étude comparée du capitalisme et du bolchevisme) », Revue d'économie politique, n°1, janvier-février 1937, p. 28-42. 99. Louis Baudin, « Préface », in Maurice Bouvier-Ajam, La Doctrine corporative, op. cit., p. 10-11. 100. Joseph Barthélemy, « Préface », in Pierre Jolly, La Mystique du corporatisme, Paris, Hachette, 1935, p. 5-13. 101. Jean-Christophe Marcel, Le Durkheimisme dans l'entre-deux-guerres, Paris, PUF, 2001, p. 85-114. 102. Charles Rist, « Célestin Bouglé (1870-1940) », Revue d'économie politique, n°1, janvier-février 1940, p. 1. 103. Jacques Duboin, Kou l'ahuri ou la misère dans l'abondance, Paris, Éditions Nouvelles, 1935. 104. Id., La Grande relève des hommes par la machine, Paris, Éditions Nouvelles, 1934. 105. Auguste Murat, Les Doctrines de l'abondance, Renaître, n°19, 1944, p. 28.

318

Notes des pages 40 à 49

106. Yves Breton et Luc Marco, « Naissance du doctorat d'économie politi­ que », Revue d'histoire des facultés de droit et de la science juridique, n°16,1996, p. 48-49. 107. Jacques Rueff, « L’Économie politique, science statistique », Revue de métaphysique et de morale, n °4 ,1925, p. 475-487. 108. Janet Home, Le Musée social : aux origines de l'État Providence, Paris, Belin, 2004. 109. Marc Pénin, « Un Solidarisme interventionniste : la Revue d'économie po­ litique et la nébuleuse réformatrice, 1887-1914 », in Christian Topalov (dir.), Laboratoires du nouveau siècle. La nébuleuse réformatrice en France et ses réseaux, 1880-1914, Paris, Éditions de l'EHESS, 1999, p. 95-119. 110. Alfred Jourdan, Des Rapports entre le droit et l'économie politique, Paris, Rousseau, 1885, p. 286. 111. Évelyne Laurent et Luc Marco, « Le Journal des économistes ou l’apologie du libéralisme (1841-1940) », in Luc Marco (dir.), Les Revues d'économie en France (1751-1994), op. cit., p. 89. 112. Edgard Allix, séance de février 1938, Annales de la Société d'économie politique, 1938, p. 2. 113. Auguste Isaac, Journal d'un notable lyonnais 1906-1933. Choix des extraits et annotation par Hervé Joly, Lyon, Éditions BGA Permezel, 2003, p. 204. 114. Francis d'Azambula, Les Économistes libéraux et la législation sociale d'après-guerre en France, Université d'Aix-Marseille, thèse de doctorat économique et politique, impr. M. Leconte, 1927. 115. Ingo Kolboom, La Revanche des patrons. Le patronat face au Front populaire, Paris, Flammarion, 1986, p. 256-259 ; Olivier Dard, « Louis Germain-Martin (1872-1948) de la "nébuleuse réformatrice" au CPAS : le sens d’un itinéraire », in Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les Permanents patronaux..., op. cit., p.109-124. 116. Marion Fourcade-Gourinchas, « Politics, institutional structures and the rise of economics: a comparative study », art. cit. 117. Jean Lescure, in Travaux du Congrès des économistes de langue française, Évolution du crédit et contrôle des banques/La réforme économique aux États-Unis, Paris, Domat-Montchrestien, 1935, p. 7. 118. Gaëtan Pirou, « Les Facultés de droit », op. cit. 119. Brigitte Mazon, « La Fondation Rockefeller et les sciences sociales en France, 1925-1940 », Revue française de sociologie, XXVI, 1985, p. 311-342 ; Ludovic Tournés, « L'Institut scientifique de recherches économiques et sociales et les débuts de l’expertise économique en France (1933-1940) », Genèses, n°65, décembre 2006, p. 49-70.

319

N éo-hbéraksm e version française

120. Robert Marjolin, « Le Directeur de l'institut de recherches économ i­ ques e t sociales », Revue d'économ ie politique, numéro spécial, 1956, p. 919-920. 121. ISRES, Rapport sur l'exercice, Paris, Sirey, 1934-1939. 122. Alfred Sauvy, De Paul Reynaud à Charles de Gaulle. Un économiste face aux hommes politiques (1934-1967), Paris, Casterman, 1972, p. 18.

Notes du chapitre 2 1.

Michel Mangairaz, L'État, les finances et l'économie. L'histoire d'une conversion 1932-1952, Paris, CHEFT, 1991. p. 30.

2.

Florence Rigautt, « La Stratégie libérale française durant l'entre-deuxguerres. Un chaînon manquant dans l’histoire du libéralisme », Écono­ mies et Sociétés, Série Œconomia, PE, n°14, janvier 1991, p. 181-204.

3.

Edgard Allix, Annales de la Société d'économie politique, n°1, janvier 1938, p. 2.

4.

Olivier Wieviorka, « Une droite moderniste et libérale sous l'Occupa­ tion : l'exemple de la Vie industrielle », Histoire, économie et société, 3* trimestre 1985, p. 401.

5.

Jacques Rueff, La Crise du capitalisme, op. cit., p. 10 et p. 21.

6.

Frédéric Lebaron, La Croyance économique. Les économistes entre science et politique, Paris, Éditions du Seuil, 2000, p. 30.

7.

Comptage effectué pour 84 individus, dont les principales positions professionnelles (105 au total) ont été obtenues en croisant celles mentionnées dans l'Annuaire de la Société d'économie politique et dans divers annuaires biographiques.

8.

Ce qualificatif est emprunté à Denise Larocque, La Crise et les doc­ trines libérales françaises, Université de Caen, thèse de droit, 1937, p. 145 et suiv. Le term e « orthodoxe » n'a de valeur que relationnelle. Clément Colson n'a jamais défendu un libéralisme absolu qui ne recon­ naîtrait pas à l'État d’interventions légitimes. Cf. Michel S. Zouboulakis, « Éclectisme théorique et libéralisme pragmatique dans l'œuvre de Clément Colson », in Pierre Dockes, Ludovic Frobert et Gérard Klotz (dir.), Les Traditions économiques françaises 1848-1939, Paris, Éditions du CNRS, 2000, p. 581-593.

9.

Henri Truchy, « Libéralisme économique et économie dirigée », L'Année politique française et étrangère, décembre 1934, p. 366.

10. Émile Durkheim, Leçons de sociologie, Paris, PUF, 1997, p. 48-52.

320

Notes des pages 49 à 59

11. Annuaire de la Ligue du libre-échange de 1936 et de 1937. (Supplément au n°58 du Libre-échange, janvier-février 1937 ; Supplément au n°65 du Libre-échange, janvier-février 1938).

12. Frédéric Branconnier, « L'Économie dirigée », Le Libre-échange, n°61, mai-juin 1937, p. 76. 13. Antoine Daudet, « Les Vœux du congrès de l'expansion économique française », Revue politique et parlementaire, 10 janvier 1930, p. 115-117. 14. Le Libre-échange, n°70, janvier-février 1939, p. 21-22. 15. Roger Daspet, Nous pouvons sauver la France, Paris, Les Presses modernes, 1939, p. 7. 16. Ibid., p.8,9,11. 17. Odile Henry, « Henry Le Chatelier et le taylorisme », Actes de la recherche en sciences sociales, n°133, juin 2000, p. 79-88. 18. Aimée Moutet, Les Logiques de l'entreprise. La rationalisation dans l'in­ dustrie française de l'entre-deux-guerres, Paris, Éditions de l’EHESS, 1997. 19. Richard Kuisel, Le Capitalisme et l'État en France..., Modernisation et dirigisme au xx* siècle, Paris, Gallimard, 1984, p. 156-157. 20. Son principal ouvrage sur le thèm e est Le Capitalisme, Paris, Éditions des Portiques, 1931. 21. Edmond Giscard d’Estaing, « Le Néo-capitalisme », La Revue des deux mondes, 1" août 1928, p. 688 . 22. Auguste Detœuf, « Les Conditions de la production américaine », Revue politique et parlementaire, 10 août 1926, p. 185. 23. Louis Marllo In L’Économie dirigée, conférences organisées par la Société des anciens élèves de l'École libre des sciences politiques, Paris, Alcan, 1934, p. 255-256. Voir aussi Ernest Mercier, URSS. Réfle­ xions. Janvier 1936, Paris, Centre polytechnicien d’études économi­

ques, 1936. 24. Auguste Detœuf, « Où va la Liberté ? », Conferenda, 15 février 1939, p. 269. 25. Patrick Fridenson, « La Circulation internationale des modes mana­ gériales », In Jean-Philippe Bouilloud et Bernard-Pierre Lécuyer (dir.), L’Invention de la gestion. Histoires et pratiques, Paris, L'Harmattan, 1994, p. 81-89. 26. Richard Kuisel, Le Capitalisme et l'État en France... op. cit., p. 161. 27. Louis Marllo, « Économie organisée ou dirigée », Bulletin mensuel du CREE, mars-avril 1934, p. 17-18.

321

Néo-libéralisme version française

28. André Piettre, L'Évolution des ententes industrielles en France depuis la crise, Paris, Sirey, 1936, p. 10. 29. Louis Marlio, « Les Ententes industrielles », Revue de Paris, 15 févier 1930, p. 829. Sur le même thème, Henri de Peyerimhoff, « Les Formu­ les modernes d'organisation économique », Revue des deux mondes, 15 mars 1929, p. 439-450. 30. Louis Marlio, Dictature ou Liberté, Paris, Flammarion, 1940, p. 226-229. 31. Henry W. Ehrmann, La Politique du patronat français 1936-1955, Paris, Armand Colin, 1959, p. 58. 32. André Monestier, « Pour réaliser l’Organisation professionnelle », Les Nouveaux Cahiers, n°44,1er mars 1939, p. 16. Ce polytechnicien est l'un des vice-présidents du CCOP. 33. Sur Louis Marlio : Henri Morsel, « Louis Marlio, Position idéologique et comportement politique. Un dirigeant d’une grande entreprise dans la première moitié du xx* siècle », in Ivan Grinverg et Florence HachezLeroy (dir.), Industrialisation et sociétés en Europe occidentale de la fin du XIXe siècle à nos jours. L'âge de l'aluminium, Paris, Armand Colin, 1997, p. 106-124. Sur Henri de Peyerimhoff de Fontenelle : Alain Chatriot, « Henri de Peyerimhoff (1871-1953), le "gentleman du charbon" », in Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les Permanents patronaux..., op. cit., p. 45-73. 34. Christophe Charle, « L’Image sociale des milieux d’affaires d’après Oui êtes-vous ? (1908) », in Maurice Lévy-Leboyer (dir.), Le Patronat de la Seconde Industrialisation, Paris, Éditions ouvrières, 1979, p. 291. 35. Max Weber, L'Éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Paris, Flammarion, 2000, p. 62. 36. Laurence Badel, Un Milieu libéral et européen. Le grand commerce français (1925-1948), Paris, CHEFF, 1999. 37. Jean-Noël Jeanneney, François de Wendel en République. L'argent et le pouvoir 1914-1939, Paris, Éditions du Seuil, 1976. 38. Sur la Revue des deux mondes dans l’entre-deux-guerres : Anne Karakatsoulis, La Revue des deux mondes de 1920 à 1940 : une revue française devant l'étranger, EHESS, thèse d'histoire contemporaine, 1995. 39. Marcel Fournier, « Notre Programme », Revue politique et parlemen­ taire, n°1, juillet 1894, p. 3. 40. GDLE, Compte rendu des Assemblées générales du 31janvier 1936, p. 6. 41. Pour une mise en perspective de cette notion : Gérard Noiriel, « Du “Patronage” au ’’paternalisme’’ : la restructuration de la main-d'œuvre ouvrière dans l'industrie métallurgique française », Le Mouvement social, n°144, juillet-septembre 1988, p. 17-35.

322

Notes des pages 60 à 70

42. Alain Chatriot, La Démocratie sociale à la française..., op. cit., p. 259-270. 43. Pierre Lhoste-Lachaume, « Le "bon" et le "mauvais" libéralisme », Le Journal des économistes, n°2, mars-avril 1938, p. 186. 44. GDLE, Compte rendu..., op. cit., p. 9. 45. Ibid., p. 30. 46. GDLE, Le Salut ou l'abdication du patronat ?, novembre 1937, p. 25. 47. Titre d'une brochure du Parti communiste diffusée à Lille durant l'entre-deux-guerres. 48. Jean Lambert-Dansette, Origines et évolution d'une bourgeoisie. Quelques familles du patronat textile de Lille-Armantières (1789-1914),

Lille, Émile Rouast et Cie, 1954. 49. Sur la politique familiale du Consortium : Susan Pedersen, Family, dependence and the origins of the Welfare State. Britain and France 1914-1945, Cambridge, Cambridge University Press, 1993, p. 236-261.

50. Jean-Claude Daumas, « L’Idéologue et le secrétaire. Les dirigeants du consortium de l’industrie textile de Roubaix-Tourcoing (1919-1942) », in Olivier Dard et Gilles Richard (dir.), Les Permanents patronaux..., op. cit., p. 243-267. 51. André Caudron, « Du Consortium à la bourgeoisie chrétienne », Revue du Nord, n°290-291, avril-septembre 1991, p. 414. 52. Claude Paillat, Dossiers secrets de la France contemporaine. 2. La Victoire perdue, Paris, Robert Laffont, 1979, p. 236 et 272. 53. Pierre Lhoste-Lachaume, Pour la Rénovation française et la Concorde des Français. Lettre ouverte à ceux que la situation angoisse et qui veulent bien y réfléchir de sang-froid, Paris, 1937, p. 19.

54. Jacques Dumortier, Une Page d'histoire sociale. Le syndicat patronal textile de Roubaix-Tourcoing de 1942 à 1972, Lille, 1975. 55. Claude Paillat, Dossiers secrets de la France contemporaine. 2. La Victoire perdue..., op. cit., p. 275-299. 56. GDLE, Compte rendu..., op. cit., p. 21 ; Susan Pedersen, Family, depen­ dence and the origins of the Welfare State..., op. cit., p. 243. 57. Jean-Pierre Daviet, « Le Complexe industriel de Roubaix-Tourcoing et le marché de la laine (1840-1950) », Revue du Nord, n°275, octobredécembre 1987, p. 809-810. 58. Émile Durkheim, Le Socialisme, Paris, PUF, 1992, p. 37. 59. GDLE, Le Salut ou l'abdication du patronat ?, op. cit., p. 20. 60. Pierre Lhoste-Lachaume, Réalisme et sérénité. Synthèse pratique de pensée et d’action, Paris, Alcan, 1936, p. 16.

323

Néo-libéralisme version française

61. GDLE, Le Salut ou l’abdication du patronat ? op. cit., p. 15. 62. Pierre Lhoste-Lachaume, « Le "bon" et le "mauvais" libéralisme », art. cit., p. 189. 63. Nicole Delfortrie-Soubeyroux, Les Dirigeants de l'industrie française, Paris, Armand Colin, 1961, p. 248. 64. Pierre Lhoste-Lachaume, Réalisme et sérénité..., op. cit., p. 25 (en note). 65. GDLE, Le Salut ou l’abdication du patronat ?, op. cit., p. 18. 66 . Ibid., p. 14.

67. Pierre Lhoste-Lachaume, Réalisme et sérénité..., op. cit., p. 41. Les citations qui suivent sont issues de la même source (p. 285, 287, 34, 406, 403,153,10). 68 . Pierre Lhoste-Lachaume, Pour la Rénovation française et la Concorde des Français..., op. cit., 1937, p. 25-28.

69. GDLE, Pour une économie ordonnée et sociale... mais individualiste et libre, Paris, 1937, p. 1-2. 70. Christophe Charle, « Entretiens avec Ernest Labrousse », Actes de la recherche en sciences sociales, n°32-33, avril-juin 1980, p. 112. 71. Roger Picard,« Le Point de vue financier »,/n GDLE, Pour une économie ordonnée et sociale..., op. cit., p. 21. 72. Olivier Dard, « Les Technocrates : archéologie d'un concept, généalogie d’un groupe social », in Olivier Dard, Jean-Claude Daumas et François Marcot (dir.), L’Occupation, l'État français et les entreprises, Paris, Association pour le développement de l’histoire économique, 2000, p. 213-227. 73. Guy Thuillier, L'ENA avant ΙΈΝΑ, Paris, PUF, 1983, p. 165. 74. Pierre Bourdieu, « Les Rites comme actes d'institution », Actes de la recherche en sciences sociales, n°43, juin 1982, p. 58-63. 75. Auguste Detœuf, « L'École Polytechnique », in Id., Pages retrouvées, Paris, Éditions du Tambourinaire, 1955, p. 48. Les citations suivantes sont issues de ce document (p. 48-50). 76. Roland Boris, Bulletin du CPEE, n°14-15, juin-juillet 1934, p. 29. 77. « Du Rôle social de l’officier », Revue des deux mondes, 15 mars 1891, p. 443-459 ; Georges Lamirand, Le Rôle social de l'ingénieur, Paris, Plon, 1954. (1re éd., 1932) ; Auguste Detœuf, « Le Rôle social du patron », Nouveaux Cahiers, 1er juin 1938, p. 1-4 ; Ernest Mercier, « Réflexions sur l’élite », Revue des deux mondes, 15 février 1928, p. 882-895. 78. Auguste Detœuf, « Le Rôle social du patron », art. cit, p. 2-3.

324

Notes des pages 70 à 82

79. Gérard Bardet « Une expérience de collaboration ouvrière à la direction d'une usine ». in Jean Coutrot, Les Leçons de juin 1936. L'Humanisme économique. Paris, Éditions du CPEE, p. 35. 80. Richard Kuisel, Ernest Mercier french technocrat Berkeley. University of California Press. 1967. 81. C'est le titre qu'il fait figurer dans la liste des membres du conseil d'ad­ ministration du Redressement Français. (< Le Conseil d'Administration du Redressement Français », Ernest Mercier papers. Box n°1. Hoover Institution Archives). 82. Henri Cacaud, ancien préfet et secrétaire général du Redressement Français, « Sur la Crise financière », s.1., s.d„ p. 5. (AN/485/AP/1). 83. Comte de Fels, « Le Redressement Français », Revue de Paris, 1* mai 1926, p. 7. 84. x Le Programme social du Redressement Français », Organisation e t réformes. Le Redressement Français. Centre d'études et (Taction sociales économiques e t politiques. Bulletin Mensuel. n°7, Γ janvier

1927, p. 25. 85. Olivier Dard. Jean Coutrot de l'ingénieur au prophète. Besançon, Presses universitaires franc-comtoises, 1999, p. 57-58. 86. Gérard Bardet. < Réflexion sur six mois d'activité publique ». s d , p. 1. (AN/F/37/77). Ce texte a été écrit au début de la Seconde Guerre mondiale. 87. Olivier Dard, Jean Coutrot De l'ingénieur au prophète-, op d t et Jackie Clarke, « Engineering a New Order in the 1930‘s; the Case of Jean Coutrot », French Historical Studies, vol 24, n°l, hiver 200L p. 63-66. 88. Jean Coutrot, De quoi vivre, Paris, Grasset 1935, p. 214. 89. /bid, p. 215. 90. Jean Coutrot « L'Humanisme économique devant l'opinion », L’Huma­ nisme économique, n°1, septembre 1937, p. 15. 91. Olivier Dard, Jean C outrot De l'ingénieur au prophète _ op. crt, p. 379-383. Il développe particulièrement ce discours au sein d'un Centre d'études des problèmes humains, créé en 1937 et consacré à la promotion des « sciences de l'homme ». Voir Odile Henry. « De la sociologie comme technique sociale. La contribution de Jean Coutrot 0895-1941) », Actes de la recherche en sciences sociales, n°153, juin 2 004 , p. 49-64. 92. Gérard Brun. < Histoire d'X-Crise », in Gérard Bun et aL, X-Crise, de la récurrence des crises économiques, op. d t . p. 23. 93. Jacques Bamaud. directeur générai de la Banque Worms. Henry Davezac du Syndicat général de la construction électrique. André

325

Néo-libéralisme version française

Isambert, directeur de la Compagnie générale d'électricité, Guillaume de Tarde, directeur de la Compagnie des Chemins de fer de l’Est. 94. François Perthuis, Auguste Detœuf (1883-1947) ou l'ingénieur bâtis­ seur de l'impossible paix, Paris, Institut d'Études Politiques de Paris, DEA d’histoire du xx* siècle, 1990. 95. Daniel Villey, « Les Nouveaux Cahiers », Esprit, n°65, février 1938, p. 669. 96. « Pourquoi les Nouveaux Cahiers ? », Les Nouveaux Cahiers, n°1, 15 mars 1937, p. 2. 97. Olivier Dard, Jean Coutrot de l'ingénieur au prophète..., op. cit., p. 8182. 98. Georges Lane, « Jacques Rueff, un libéral perdu chez les planistes », in Alain Madelin (dir.), Aux Sources du modèle libéral français, Paris, Perrin, 1997, p. 413-435. 99. Bulletin du CPEE, n°20-21, mars-avril 1935, p. 19-20 100. Gérard Brun et al., X-Crise, De la récurrence des crises économiques, op. cit., p. 71-72. 101. Ibid., p. 128-133. 102. Achille Daudé-Bancel, « L’Organisation professionnelle », Le Libreéchange, n°60, avril 1937, p. 64-55. 103. Gérard Brun, Technocrates et technocratie en France (1914-1945), Paris, Éditions de l’Albatros, 1985, p. 167-199.

Notes du chapitre 3 1.

2. 3.

Fritz Machlup à Walter Lippmann, 20 septembre 1937, Fritz Machlup Papers, Box 50, Folder 20, Hoover Institution Archives. Les archives de la Hoover Institution sont nommées par la suite HIA. Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft..., op. cit., p. 56. Auguste Detœuf à Walter Lippmann, 3 mars 1939, Walter Lippmann Papers, Manuscripts and Achives, Yale University library ; Box 67, Folder 610. Le fonds Lippmann est nommé par la suite WLP. Walter Lippmann, La Cité libre, Paris, Médicis, 1938, p. 225.

4. 5. Ibid., p. 222. 6. Louis Rougier, « Retour au Libéralisme », La Revue de Paris, 1er janvier 1938, p. 179-197. 7. Louis Rougier, Mission secrète à Londres, Genève, À l'enseigne du Cheval ailé, 1946.

326

Notes des pages 82 à 95

8. Robert Franck, « Vichy et les Britanniques 1940-1941 : double jeu ou double langage ? », in Jean-Pierre Azéma et François Bédarida (dir.), Le Régime de Vichy et les Français, Paris, Fayard, 1992, p. 143-163.

9. Olivier Dard, « Louis Rougier : itinéraire intellectuel et politique des années 1920 à Nouvelle école », Philosophia Scientiae, Cahier spécial, n°7, 2007, p. 50-64. 10. Louis Rougier, « Le Libéralisme constructif », conférence faite à l'Union pour la Vérité, 28 mai 1938. (Fonds Louis Rougier, Château de Lourmarin de Provence RI). L'expression « libéralisme constructif » fait écho au Socialisme constructif de Henri de Man (Paris, Félix Alcan, 1933). 11. Jean-Louis Fabiani, Les Philosophes de la République, Paris, Éditions de Minuit, 1988, p. 91 et suiv. ; Louis Pinto, « (Re)traductions. Phéno­ ménologie et "philosophie allemande" dans les années 1930 », Actes de la recherche en sciences sociales, n°145, décembre 2002, p. 21-33. 12. Célestin Bouglé, Les Maîtres de la philosophie universitaire en France, Paris, Librairie Maloine, 1937, p. IX. 13. Arnaud Dandieu, « Préface », in Collectif, Anthologie des philosophes contemporains, Paris, Éditions du Sagittaire, 1931, p. 22. 14. Jean-Louis Fabiani, Les Philosophes de la république, op. cit., p. 93-101. 15. « Réponse du professeur Louis Rougier lors de la célébration de son 90e anniversaire le 5 avril 1979 à la Maison de l'École Polytechnique à Paris », in Maurice Allais, Louis Rougier, prince de la pensée, Lourmarin de Provence, 1990, p. 44. 16. Louis Rougier, Les Paralogismes du rationalisme. Essai sur la théorie de la connaissance, Paris, Félix Alcan, 1920 ;/d., La Philosophie géométrique de Henri Poincaré, Paris, Félix Alcan, 1920. 17. Id., Les Paralogismes du rationalisme..., op. cit., p. 2. 18. Id., La Structure des théories déductives. Théorie nouvelle de la déduc­ tion, Paris, Félix Alcan, 1921. 19. Louis Rougier, Celse ou le conflit de la civilisation antique et du chris­ tianisme prim itif, Paris, Éditions du Siècle, 1926, p. 118. 20. Mathieu Marion, Investigating Rougier, Cahiers d'épistémologie, n°314, 2004, p. 7. 21. Thierry Leterre, L'Éveil et la rupture. Alain et le problème du rationa­ lisme, Université de Paris I, thèse de philosophie, 1995. 22. Louis Rougier, Les Paralogismes du rationalisme, op. cit., p. 38. 23. Pedro Descoqs, Thomisme et scolastique, λ propos de M. Rougier, Paris, Beauchesne, 1927.

327

Néo-libéralisme version française

24. Alexandre Koyré, Revue philosophique, janvier-juin 1926, p. 462-469. 25. Louis Rougier, « L'Affaire Pascal et la méthode littéraire de M. Brunschvicg », Mercure de France, 1er novembre 1931, p. 513-553. 26. Pierre Jacob, L'Empirisme logique, ses antécédents, ses critiques, Paris, Éditions de Minuit, 1980. 27. Louis Rougier, « Itinéraire philosophique », La Revue libérale, n°33, 1961, p. 53. 28. Louis Rougier, « Une philosophie nouvelle : l’empirisme logique », La Revue de Paris, 1er janvier 1936, p. 182-195. 29. Pierre Bourdieu, « Les Conditions sociales de la circulation interna­ tionale des idées », Actes de la recherche en sciences sociales, n°145, décembre 2002, p. 3-8. 30. Louis Rougier, La Mystique démocratique, Paris, Albatros, 1983, p. 184. Les citations suivantes sont extraites des pages 59 et 44. 31. Robert A. Nye, The Origins of crowd psychology: Gustave Le Bon and the Crises of Mass Democracy in the Third Republic, Londres et Beverly Hills, Sage publication, 1975 ; Benoît Marpeau, Gustave Le Bon. Parcours d'un intellectuel, Paris, CNRS Éditions, 2000. 32. Louis Rougier, Les Mystiques économiques..., op. cit., p. 71 puis 34,193, 7 et 88 . 33. Id„ « L’Offensive du néo-libéralisme », conférence faite devant la Société d'économie politique de Lyon, 1939, p. 3, R2. 34. Raymond Aron, « Réflexions sur les problèmes économiques fran­ çais », Revue de métaphysique et de morale, t. XLIV, n °4 ,1937, p. 793822. 35. Louis Rougier, « Le Libéralisme constructif », conférence citée. 36. Ibid. 37. Sophie Cœuré, La Grande Lueur à l'Est : les Français et l ’Union Soviéti­ que 1917-1939, Paris, Éditions du Seuil, 1999, p. 279-281. 38. Louis Rougier, discours à une réunion de patrons, s.l. s.d., RI. Cette conférence date d’après la Seconde Guerre mondiale. 39. Luc Boltanski, Les Cadres. La formation d’un groupe social, Paris, 1982, p. 90. 40. Bulletin mensuel du CPEE, n°44, janvier 1938, p. 43-45. 41. Pierre Dominique, Les Nouvelles littéraires, 7 mai 1938. 42. Ernest Seillière, Le Journal des débats, 14 mai 1938. 43. Roger Picard, Revue d’histoire économique et sociale, n°3,1938, p. 287.

328

Notes des pages 95 à 108

44. Gaëtan Pirou, « Jugem ents nouveaux sur le capitalisme », Revue d'économie politique, juillet-août 1938, p. 1097-1120. 45. Louis Vallon, « Offensive du néo-libéralisme », Syndicats, 4 janvier 1939. 46. Richard Kuisel, Le Capitalisme et l'État en France..., op. cit., p. 221225 ; Michel Margairaz, L'État, les finances et l'économie..., op. cit., p. 467-492. 47. Louis Rougier, « L’Offensive du néo-libéralisme », conférence citée, p. 6 . 48. François-Félix Legueu, « Défense et illustration de l’économie libéra­ le », Le Figaro, 29 octobre 1938. 49. Tristan Lecoq, « Louis Rougier et le néo-libéralisme de l'entre-deuxguerres », Revue de synthèse, n°2, avril-juin 1989, p. 248. 50. CIRL, Compte rendu..., op. cit., p. 16 (Louis Rougier). 51. « Je plaide, déclare Michel Rocard en 1984, pour une reconnaissance du fait que l’État a la responsabilité de réguler les échanges et la circulation des produits, de fixer le cadre de la concurrence avec le même détail qu'il le fait pour la circulation automobile, ce qui n’enlève rien à la liberté du producteur de base, tout comme l’automobiliste reste libre du choix de ses itinéraires et de ses destinations. Voilà mon socialisme. » (Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, La Deuxième Droite, Paris, Robert Laffont, 1986, p. 44). 52. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique, op. cit., p. 192 et suiv. 53. Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., p. 422. 54. Frank H. Knight, « Lippmann’s The Good Society », The Journal of Political Economy, vol. 46, n° 6 , décembre 1938, p. 864-872 ; Lionel Robbins à Walter Lippmann, 16 octobre 1937, WLP, Box 99, Folder 1810. 55. Gaëtan Pirou, Revue d'économie politique, septembre-octobre 1938, p. 1458. 56. Bulletin mensuel du CPEE, n°53, janvier 1939, p. 37. 57. Louis Vallon, « Une Offensive idéologique du libéralisme », La Tribune des fonctionnaires, 28 janvier 1939. 58. Auguste Detceuf à Louis Rougier, s.d., RI. 59. CIRL, Compte rendu..., op. cit., p. 14-15. 60. Loïc Blondiaux, La Fabrique de l'opinion. Une histoire sociale des son­ dages, Paris, Éditions du Seuil, 1998, p. 94-99. 61. Walter Lippmann, A Preface to Morals, New York, Macmillan, 1929. 62. Federal Bureau of Investigation, Freedom of Information / Privacy Acts Section Cover Sheet, Subject: Walter Lippmann, p. 22-23 (http://foia. fbi.gov/foiaindex/walterlippmann.htm).

329

Néo-libéralisme version française

63. Émile Durkheim, Leçons de sociologie, op. cit., p. 88 . 64. Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., p. 432. 65. Albert 0. Hirschman, Les Passions et les intérêts, Paris, PUF, 1980. 66 . CIRL, Compte rendu..., op. cit., p. 97. (Louis Baudin).

67. Ibid., p. 13 (Louis Rougier). 68 . Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., p. 269.

69. François Bilger, La Pensée économique libérale dans l'Allemagne contemporaine, Paris, LGDJ, 1964. 70. Alan Ebenstein, Friedrich Hayek, A biography, New York, Palgrave, 2001, p. 49-59. 71. Earlene Craver, « The Emigration of the Austrian Economists », History of political economy, vol. 18, n°1,1986, p. 1-32. 72. Marcel Mauss, « Nation, nationalité, internationalisme », in Id., Œuvres, t.3, Cohésion sociale et divisions de la sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1969, p. 618. 73. Sont initialement conviés : Louis Baudin, John Bell Condliffe, José Castillejo, Auguste Detœuf, Luigi Einaudi, Friedrich Hayek, Johan Huizinga, Tracy B. Kittredge, Bernard Lavergne, Walter Lippmann, Louis Marlio, Ernest Mercier, Ludwig von Mises, Francesco Nitti, José Ortéga y Gasset, William Rappard, Umberto Ricci, Charles Rist, Lionel Robbins, Wilhelm Röpke, Louis Rougier, Jacques Rueff, Henri Truchy, Marcel van Zeeland. (Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft..., op. cit., p. 57). 74. Giuliana Gemelli (dir.), The “Unacceptables". American Foundations and Refugee Scholars between the Two Wars and after, Bruxelles, P.I.E-Peter Lang, 2000. Sur le rôle de la Fondation Rockefeller dans le domaine de l'économie : Earlene Craver, « Patronage and the Directions of Research in Economies: The Rockefeller Fondation in Europe, 1924-1938 », Minerva, n°24,1986, p. 205-222. 75. Christophe Le Dréau, « Les Idées européistes de New Britain et New Europe», in Olivier Dard et Étienne Deschamps (dir.), Les Relèves en Europe d'un après-guerre à l'autre. Racines, réseaux, projets et postérités, Bruxelles, P.I.E-Peter Lang, 2005, p. 330.

76. CIRL, Compte rendu..., op. cit., p. 7. 77. « 1919-1939 », L'Économie internationale, n°2, avril 1939, p. 1. 78. La Chambre de commerce internationale, Paris, 1938, p. 5-6. 79. Victor Monnier, William E. Rappard. Défenseur des libertés, serviteur de son pays et de la communauté internationale, Genève, Éditions Slatkine et Bâle, Helbing et Lichtenhahn, 1995, p. 492.

330

Notes des pages 109 à 122

80. Karl Polanyi, La Grande Transformation..., op. cit., p. 43 et suiv. 81. Pierre Dieterlen, « Deux Autocritiques du libéralisme », Critique, mars 1958, p. 268. 82. Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft..., op. cit., p. 56. 83. Ibid., p. 56. 84. Louis Rougier à Walter Lippmann, 28 mai 1938, WLP, Box 100, Folder 1848. 85. Walter Lippmann à Louis Rougier, 1w juillet 1938, WLP, Box 100, Folder 1848. 86 . Friedrich Hayek à Walter Lippmann, 10 juillet 1937, WLP, Box 77, Folder

1011. 87. Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft..., op. cit., p. 56.

88.

Ibid.

89. Louis Rougier à Walter Lippmann, 25 avril 1940, WLP, Box 100, Folder 1848. 90. Louis Rougier à Walter Lippmann, 11 août 1938, WLP, Box 100, Folder 1848. 91. José Castillejo, John Bell Condliffe, Friedrich Hayek, Michael Heilperin, Bruce C. Hopper, Walter Lippmann, Ludwig von Mises, Michael Polanyi, Stephan Possony, Alexander Rüstow, Wilhelm Röpke, Alfred Schütz et Marcel van Zeeland. 92. Colloque Walter Lippmann, IIe circulaire, s.d., WLP, Box 123, Folder 2416. 93. Annuaire Chaix, Paris, Chaix, 1939. 94. « Interventions de Jacques Rueff au cours de la première séance de travail du Centre international pour la rénovation du libéralisme », in Emil M. Classen (dir.), Les Fondements philosophiques des systèmes économiques. Textes de Jacques Rueff et essais rédigés en son hon­ neur, Paris, Payot, 1967, p. 460,463.

95. Gaëtan Pirou, Néo-libéralisme. Néo-corporatisme. Néo-socialisme, Paris, Gallimard, 1939, p. 62. 96. CIRL, Compte rendu..., op. cit., p. 91. 97. Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft..., op. cit.,

p. 57. 98. CIRL, Compte rendu..., op. cit., p. 100-101. 99 . Ibid., p. 2 .

100. Ibid., p. 107.

331

Néo-libéralisme version française

101. Richard Cockett, Thinking the unthinkable. Think-Tanks and the Eco­ nomic Counter-Revolution (1931-1983), Londres, Fontana Press, 1995, p. 57 ; Keith Dixon, Les Évangélistes du marché. Les intellectuels bri­ tanniques et le néo-libéralisme, Paris, Raisons d'agir, 1998, p. 7. 102. Etienne Mantoux, « La "Théorie générale" de M. Keynes », Revue d'économie politique, novembre-décembre 1937, p. 1559-1590. 103. CIRL, « Programme des séances d'études », RI. 104. Marie-Thérèse Génin, « Le Néo-libéralisme », conférence, s.l., s.d, p. 9. 105. « La Liberté et le système économique », RI. 106. CIRL, Document sans titre, RI. 107. Walter Lippmann à Louis Rougier, 28 octobre 1938, RI. 108. Maurice Ansiaux à Louis Rougier, 13 juillet 1939, RI. 109. Trygve J.B. Hoff à Louis Rougier, 27 octobre 1938, RI. 110. Auguste Detœuf, « Où va la Liberté ? », Conferenda, 15 février 1939, p. 260-277. 111. Louis Rougier à Walter Lippmann, 17 décembre 1938, WLP, Box 100, Folder 1848.

Notes du chapitre 4 1.

Gérard Brun, Technocrates et technocratie en France..., op. cit., p. 17-18.

2.

Jean-Yves Mollier, « Les Mutations de l’espace éditorial français du xvine au xxe siècle », Actes de la recherche en sciences sociales, n°126127, mars 1999, p. 29-38.

3.

Jean-Noël Jeanneney, François de Wendel..., op. cit., p. 572.

4.

La Documentation économique, politique, sociale, n°19, 7 janvier 1937

et n°20,14 janvier 1937. 5.

« Réflexions sur l'affaire des cagoulards », La Documentation écono­ mique, politique, sociale, n °5 8 ,16 décembre 1937.

6 . « Le Marxisme contre l'agriculture française. La guerre de la mois­ son », La Documentation économique, politique, sociale, n°4 6 ,26 août

1937. 7.

Olivier Dard, Jean Coutrot..., op. cit.

8.

Interview de Marie-Thérèse Génin à un journal canadien, citée dans une note la concernant que nous a généreusement adressée sa famille.

9.

Louis Rougier à Walter Lippmann, 8 juillet 1937, WLP, Box 100, Folder 1848.

332

Notes des pages 123 à 137

10. André Maurois, « Préface » in Walter Lippmann, La Cité libre..., op. cit., p. 10. 11. Marie-Thérèse Génin, « Le Néo-libéralisme », conférence s.l., s.d., p. 19. 12. Id., « Reflections on propaganda », The Owl, avril 1951, p. 13. 13. Dieter Plehwe et Bernhard Walpen, « Wissenschaftliche und wissen­ schaftspolitische Produktionsweisen im Neoliberalismus », Prokla, Heft 115, 29. Jg., 1999, p. 1-34. 14. Ludwig von Mises, Le Socialisme. Étude économique et sociologique, Paris, Médicis, 1952 (1938), p. 589. 15. Anonyme, La Femme en URSS, Paris, Médicis, 1937 ; Boris Brutzkus, URSS, terrain d'expériences économiques, Paris, Médicis, 1937 ; Wladimir Drabovitch, Le Régime de l'URSS à son 20* anniversaire, Paris, Médicis, 1938. 16. Revue des travaux de l ’Académie des sciences morales et politiques, janvier-février 1939, p. 138. 17. Id., septembre-octobre, 1938, p. 712. 18. Le Journal des économistes, n°2, mars-avril 1938, p. 227. 19. Id., n°5, novembre-décembre 1938, p. 616. 20. Annales de la Société d'économie politique, n°9,1938, p. 204. 21. Revue d'histoire économique et sociale, n°2,1939, p. 188. 22. Bulletin mensuel du CREE, n°51, novembre 1938, p. 23. 23. Louis Vallon, « Offensive du néo-libéralisme », Syndicats, 4 janvier 1939. 24. Annales de la Société d'économie politique, n°9,1938, p. 204. 25. Gaëtan Pirou, Revue d'économie politique, septembre-octobre 1938, p. 93. 26. Louis Vallon, « Offensive du néo-libéralisme », art. cit. 27. Jean-Pierre Dupuy, Libéralisme et justice sociale, Paris, Hachette, 1992, p. 15. 28. Jean-Claude Perrot, Une Histoire intellectuelle de l'économie politi­ que : xviP-xvnf siècle, Paris, Éditions de l'EHESS, 1992, p. 333-354. 29. CIRL, Compte rendu.... op. cit., p. 89. 30. René Courtin à Louis Rougier, 1er mai 1939, RI. 31. Jean Lescure à Louis Rougier, 25 juillet 1939, RI. 32. Nicolas Kessler, Histoire politique de la jeune droite (1929-1942). Une révolution conservatrice à la française, Paris, L'Harmattan, 2001.

333

Néo-libéralisme version française

33. Bernard Lavergne, « La Stabilisation du franc est une question d’éner­ gie », Les Faits économiques et sociaux, n°1,2 0 mai 1938. 34. René Courtin, « Pourquoi et comment accroître la production », Ibid. 35. Bernard Lavergne, « Le Plan Reynaud, la durée du travail et le salut du pays », Les Faits économiques et sociaux, n°8, novembre 1938. 36. André Piettre, « L'Expérience Roosevelt et la présente crise », Les Faits économiques et sociaux, n °2 ,7 juin 1938. 37. Nicolas Kessler, Histoire politique de la jeune droite (1929-1942)..., op. cit., p. 401-409. 38. Page de garde reproduite au début de toutes les livraisons de Civilisa­ tion.

39. François Perroux, « Préface », in Ludwig von Mises, Le Socialisme..., op. ciL, p. 6. 4 0. « Sur le Libéralisme », Civilisation, n°10-11, avril-mai 1939, p. 21. 41. Louis Salleron, « Faut-il encore parler de libéralisme ? », Ibid., p. 30. 42. Louis Baudin, « La Légende du libéralisme », Ibid., p. 21. 43. Robert 0. Paxton, La France de Vichy 1940-1944, Paris, Éditions du Seuil, 1973, p. 255-257. 44. Réalisme économique, n°1,28 avril 1939. 45. Pierre Lhoste-Lachaume, Pour la rénovation française et la concorde des Français, op. cit., p. 9. 46. Pierre Lhoste-Lachaume, « Le "bon" et le "mauvais” libéralisme », art. cit. 47. Louis Rougier, « Tragique destin du planisme », Supplément à Réalisme économique, 12 mai 1939 ; Joseph Barthélemy, « Les Expériences économiques de la Révolution Française», 26 mai 1939 ; Bernard Lavergne, « Essor et décadence du capitalisme : concurrence ou monopole ? », 25 juin 1939 ; Walter Lippmann, « La Bonne Économie », 28 juillet 1939. 4 8 . Roger Picard, « L’Impromptu du Palais Royal », 28 avril 1939 ; Pierre Lhoste-Lachaume, « Pièces à conviction ou le projet de conclusions sur les ententes économiques », 9 juin 1939. 49. Henry Lepeytre, Réalités économiques contre mythes politiques, Paris, SEDIF, 1948, p. 23. 50. Pierre Lucius, « Bagarres autour des questionnaires du Conseil Natio­ nal Économique », Je suis partout, 12 mai 1939. 51. Pierre Lhoste-Lachaume, in GDLE, Des conditions politiques de la liberté économique. Manifestation à l’Hôtel de Crillon, 6 juillet 1939, p. 5.

334

Notes des pages 137 à ISO

52. Remi Lenoir, « Groupes de pression et groupes consensuels. Contribu­ tion à une analyse de la formation du droit », Actes de la recherche en sciences sociales, n°64, septem bre 1986, p. 30-39. 53. Louis Marlio, « Le Néo-libéralisme », conférence de presse, 15 mars 1939, p. 2, RI. 54. Ibid., p. 4. 55. Colette Chambelland, « Avant-propos », in Collette Chambelland (dir.), Le Musée social en son temps, Paris, Presses de TENS, 1998, p. 9. 56. Christophe Charte, « L'Image sociale des milieux d'affaires d'après Oui êtes-vous ? (1908) », op. cit., p. 287. 57. Ingo Kolboom, La Revanche des patrons..., op. cit., p. 75-76. 58. Ernest Mercier, « Notes pour le Bâtonnier Charpentier et Me Henri Lévêque », 4 août 1941, Ernest Mercier Papers, Box n°1, HIA. 59. Auguste Detœuf, Propos de O. L. Barenton confiseur, Paris, Éditions du Tambourinaire, 1960, p. 93. 60. Patrick Fridenson, « Le Patronat français », in René Rémond et Janine Bourdin (dir.), La France et les Français en 1938-1939, Paris, Presses de la FNSP, 1978, p. 143. 61. Henry Ehrmann, La Politique du patronat français 1936-1955, Paris, Librairie Armand Colin, 1959, p. 40. 62. Louis Marlio, Dictature ou liberté, Paris, Flammarion, 1940, p. 220. 63. Louis Marlio, « Le Néo-libéralisme », op. cit., p. 2. 64. Pierre Bourdieu, « Effet de champ et effet de corps », Actes de la recherche en sciences sociales, n°59, septembre 1985, p. 73. 65. François Perroux, « Pour et contre la communauté de travail », Archives de philosophie du droit et de sociologie juridique, n°1-2,1938, P· 72. 66 . Gaëtan Pirou à Fritz Machlup, 1er août 1938, Fritz Maclup Papers, Box n°58/23, HIA. 67. Emil M. Classen (dir.), Les Fondements philosophiques des systèmes économiques, op. cit., p. 459. 68 . Charles Rist, Revue d'économie politique, septembre-octobre 1938, p. 1456. 68 . Joseph Barthélemy, « Les Expériences économiques de la Révolution Française », Supplément à Réalisme économique, 26 mai 1939, p. 5. 70. André Piettre, L'Évolution des ententes industrielles en France depuis la crise, op. cit., p. 142. 71. André Piatier, « L'Institut international de finances publiques », Revue d'économie politique, n°5, septembre-octobre 1938, p. 1432.

335

Néo-libéralisme version française

72. Louis Baudin, Le Mécanisme des prix, Paris, LGDJ, 1940, p. 151. 73. Auguste Detœuf, « Projet de manifeste pour le Centre international de rénovation du libéralisme », RI. 74. Albert 0. Hirschman, Les Passions et les intérêts, Paris, PUF, 1980, p. 116 ; Karl Polanyi, La Grande Transformation..., op. cit., p. 201. 75. Marc Milet, La Faculté de droit de Paris face à la vie politique : de l ’affaire Scelle à l'affaire Jèze, 1925-1936, Paris, LGDJ, 1996. 76. Louis Baudin, L'Aube d'un nouveau libéralisme, Paris, Médicis, 1953, p. 46. 77. Auguste Detœuf, « Projet de manifeste... », op. cit. 78. CIRL, Compte rendu..., op. cit., p.17. (Louis Rougier). 79. Louis Rougier à Raymond Aron, 9 octobre 1938, Fonds Raymond Aron, Centre de recherches politiques Raymond Aron, EHESS. 80. Wilhelm Röpke à Louis Rougier, 31 mars 1939, RI. 81. Louis Rougier à Walter Lippmann, 3 mars 1939, WLP, Box 100, Folder 1848. 82. Emil M. Classen (dir.), Les Fondements philosophiques des systèmes économiques, op. cit., p. 458. 83. Georges Lefranc, in René Belin, Du Secrétariat de la CGT au gouver­ nement de Vichy : mémoires 1933-1942, Paris, Éditions de l'Albatros, 1978, p. 12. 84. Marie-France Rogliano, « L'anticommunisme dans la CGT : Syndicats », Le Mouvement social, n°87, avril- juin 1974, p. 63-84. 85. René Belin, Du secrétariat de la CGT..., op. cit., p. 72. 86 . Jean Bruhat, « La CGT », in René Rémond et Janine Bourdin (dir.), La France et les Français en 1938-1939, op. cit., p. 170. 87. René Belin, Du secrétariat de la CGT..., op. cit., p. 72. 88 . Louis Vallon, in IIIe Conférence internationale des plans du travail, Abbaye de Pontigny, 23-24 octobre 1937, p. 85. 89. Robert Lacoste, in Gérard Brun et al., X Crise, De la récurrence des crises économiques, op. cit., p. 163. 90. Louis Vallon cité in Jean Louis Panné, « Louis Vallon », in Jean Maitron (dir.), Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français (19141939), Paris, Éditions ouvrières, tome 43,1993, p. 39. 91. IIIe Conférence internationale des plans du travail, Abbaye de Pontigny, 23-24 octobre 1937, p. 67. 92. Ibid., p. 63. 93. Pierre Laroque à Raymond Aron, 28 novembre 1937, Fonds Raymond Aron, Centre de recherches politiques Raymond Aron, EHESS.

336

Notes des pages ISO à 163

94. Guy Bourdé, La Défaite du Front populaire, Paris, Maspéro, 1977. 95. Emil M. Classen (dir.), Les Fondements philosophiques des systèmes économiques, op. cit., p. 459-471. 96. Louis Vallon, « De l'Agenda du libéralisme au plan de la CGT », Syndicats, 25 janvier 1939. 97. « Liste des personnes inscrites pour prendre la parole après la conférence de M. Rougier », RI. 98. Louis Rougier à Raymond Aron, 9 octobre 1938, Fonds Raymond Aron, Centre de recherches politiques Raymond Aron, EHESS. 99. René Belin, Du Secrétariat de la CGT..., op. cit., p. 78. 100. Charles Rist, Une Saison gâtée. Journal de la Guerre et de l'Occupa­ tion 1939-1945, Paris, Fayard, 1983, p. 82. 101. On utilise ici les résultats de différentes analyses de réseaux portant sur une population de 64 individus membres du CIRL ou conférenciers du GDLE et sur leurs affiliations à une soixantaine d'organisations allant du club mondain au groupe militant. Cf. François Denord, Genèse et institutionnalisation du néo-libéralisme en France..., op. cit., p. 239253. 102. Gérard Brun et al., X-Crise, De la récurrence des crises économiques, op. cit., p. 64. 103. Jeffrey Mehlman, Émigrés à New York. Les intellectuels français à Manhattan, 1940-1944, Paris, Albin Michel, 2005, p. 149-181. 104. Louis Rougier à Walter Lippmann, 5 janvier 1941, WLP, Box 100, Folder 1848. 105. Tracy B. Kittredge, cité in Laurent Jeanpierre, Des Hommes entre plusieurs mondes. Étude sur une situation d'exil. Intellectuels français réfugiés aux États-Unis pendant la Deuxième Guerre mondiale, thèse

de sociologie, EHESS, 2004, p. 184. 106. Richard Cockett, Thinking the unthinkable..., op. cit, p. 57. 107. Charles Rist, Une Saison gâtée..., op. cit., p. 78-79. 108. René Belin, Du Secrétariat de la CGT..., op. cit., p. 125. 109. Robert Marjolin, Le Travail d'une vie..., op. cit., p. 92. 110. Ibid., p. 89. 111. Charles Rist, Une Saison gâtée..., op. cit., p. 177. 112. Ibid., p. 141. 113. Jacques Rueff, De l'Aube au crépuscule..., op. cit., p. 72. 114. Daniel Villey, « Tranches de journal » in Id., Redevenir des hommes libres, Paris, Médicis, 1945, p. 256-257.

337

Néo-libéralisme version française

115. Robert Paxton, La France de Vichy, op. cit., p. 247-254 et p. 258-264. 116. Pierre Laroque, Au Service de l'homme et du droit. Souvenirs et réflexions, Paris, Association pour l'étude de l’histoire de la sécurité sociale, 1993, p. 127. 117. Raymond Aron, Mémoires, 50 ans de réflexion politique, Paris, Julliard, 1983, p. 164-165. 118. Comme Louis Rougier, il s'y marginalise assez rapidement. (Claude Singer, Vichy, l'Université et les juifs, Paris, Les Belles Lettres, 1992, p. 305). 119. Richard Kuisel, Ernest Mercier, French technocrat, op. cit., p. 148-150. 120. Charles Rist, Une Saison gâtée..., op. cit., p. 140-141. 121. Jacques Rueff, De l'Aube au crépuscule..., op. cit., p. 170-171. 122. Étienne Mantoux, La Paix calomniée ou les « conséquences écono­ miques de M. Keynes », Paris, L’Harmattan, 2002 (1re éd. Gallimard, 1946). 123. Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazéra, Les Patrons sous l'Occupation, Paris, Odile Jacob, 1995, vol. 1, p. 344. 124. Michel Berges, Vichy contre Mounter. Les Non-conformistes face aux années 1940, Paris, Économica, 1997, p. 31. Anglophile et rétif à la collaboration, il quitte le gouvernement en juin 1941. (Renaud de Rochebrune et Jean-Claude Hazéra, Les Patrons sous l'Occupation, op. cit., p. 352-367). 125. Cité in Jean Maitron, « René Belin », in Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, Paris, Éditions ouvrières, t. XVIII, 1982, p. 348. 126. Robert Paxton, La France de Vichy..., op. cit., p. 259. 127. Frédéric Saulnier, Joseph-Barthélémy 1874-1945 : la crise du constitu­ tionnalisme libéral sous la IIIe République, Paris, LGDJ, 2004. 128. Joseph Barthélemy, Ministre de la justice, Vichy 1941-1943, Paris, Pygmalion, 1989, p. 45. 129. 130. 131. 132.

Ibid., p. 34.

René Belin, Du Secrétariat de la CGT..., op. cit., p. 185. Joseph Barthélemy, Ministre de la justice..., op. cit., p. 61-62 Gisèle Saprio, La Guerre des écrivains, Paris, Fayard, 1999, p. 82 et suiv.

133. Diane de Bellescize, Le Comité général d'études de la résistance, Paris, thèse pour le doctorat de droit, 1974, p. 112-117. 134. « Circulaire de la CGT à ses militants pour reprendre le contact », in Henri Michel et Boris Mirkine-Guetzevitch, Les Idées politiques et sociales de la Résistance, Paris, PUF, 1954, p. 360.

338

Notes des pages 164 à 174

135. Louis Vallon, « Problèmes économiques et sociaux de demain », Les Nouveaux Cahiers, mai 1940, p. 8 . 136. RaUPtak,VomOrdoliberalismuszurSozialenMarktwirtschaft.Stationen des Neoliberalismus in Deutschland, Opladen, Leske+Budrich, 2004, p. 62-90. 137. Anne-Françoise Ropert-Precloux, « Ou'enseignait-on à la faculté de droit de Paris ? Corporatisme et antisémitisme dans les cours et les ouvrages (1940-1944) », Le Genre humain, n°30-31, été-automne 1996, p. 413-432. 138. Michèle Cointet, Le Conseil national de Vichy. Vie politique et réforme de l'État en régime autoritaire, Université de Paris X, thèse de docto­ rat d'État en histoire, 1984. 139. Antonin Cohen, Histoire d'un groupe dans l'institution d'une commu­ nauté européenne (1940-1950), Université de Paris I, thèse de docto­ rat en sciences politiques, 1999. 140. Steven L. Kaplan, « Un Laboratoire de la doctrine corporative sous le régime de Vichy... », art. cit. 141. Isabel Boussard, Vichy et la corporation paysanne, Paris, Presses de la FNSP, 1980. 142. Jean Lhomme, Comment former des élites, Paris, PUF, 1943, p. 13. 143. Louis Baudin, Le Corporatisme, Paris, LGDJ, 1942. 144. Michel Marculesco, La Critique du libéralisme d'après les auteurs néolibéraux, Paris, Impr. de M. Lavergne, 1943. 145. Michel Winock, Histoire politique de la revue Esprit 1930-1950, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 214. 146. Robert Marjolin, Le Travail d’une vie..., op. cit., p. 117. 147. Gisèle Saprio, La Guerre des écrivains, op. cit. 148. Gilles Martinez, « Comment les Libéraux sont arrivés à Vichy. Étude d'un parcours paradoxal », Revue d'histoire moderne et contempo­ raine, n°3, juillet-septembre 1999, p. 571-590. 149. Richard Kuisel, « Vichy et les Origines de la planification économique (1940-1946) », Le Mouvement social, n°98, janvier-mars 1977, p. 77-101. 150. Guillaume de Tarde, « Fondement d'une morale civique », mars 1942, p. 2, AN/F/22/4962. 151. Centre d'études techniques et sociales, « Doctrine », 9 octobre 1941, AN/F/37/77. 152. André Monestier, « La Répartition des produits industriels », in Henri Noyelle, André Monestier, Alfred Sauvy et Antoine de Tavernost, L'Organisation de la production industrielle, Paris, Librairie sociale et économique, 1941, p. 12.

339

Néo-libéralisme version française

153. Marc Olivier Baruch. Servir l'État français. L'administration en France de 1940 à 1944, Paris, Fayard, 1997. 154. Alya Aglan, Michel Margairaz et Philippe Verheyde (dir.), La Caisse des dépôts et consignations, la Seconde Guerre mondiale et le xx* siècle,

Paris, Albin Michel, 2003. 155. Robert Paxton, La France de Vichy, op. cit., p. 134. 156. Michèle Cointet, « Les Juristes sous l’Occupation : la tentation du pétainisme et le choix de la Résistance », in André Gueslin (dir.), Les Facs sous Vichy. Étudiants, universitaires et universités de France pendant la Deuxième Guerre mondiale, Clermont-Ferrand, Institut

157. 158.

159. 160.

d'études du Massif central, 1994, p. 52. Lucette Le Van Lemesle, « Gaëtan Pirou et l'économie dirigée », Ibid., p. 73. Alain Drouard, Une inconnue des sciences sociales, la Fondation Alexis Carrel 1941-1945, Paris, Éditions de la MSH, 1992, p. 204-205 et p. 525528. Charles Rist, Une Saison gâtée..., op. cit., p. 82, p. 208, p. 339. Pierre Bourdieu, Méditations pascaliennes, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 245-288.

Notes du chapitre 5 1. 2.

Ezra Suleiman et Guillaume Courty, L'Âge d'or de l'État. Une métamor­ phose annoncée, Paris, Éditions du Seuil, 1997.

Brigitte Gaïti, « Les modernisateurs dans l'administration d'aprèsguerre. L’écriture d'une histoire héroïque », Revue française d'admi­ nistration publique, n°102, avril-juin 2002 , p. 295-306. 3. André Philip, « Réformes économiques de structures », Études et documents, n°1-2, mars-avril 1945, p. 3-58 ; Daniel Villey, « Pamphlet contre l'idéologie des réformes de structures », in Id., Redevenir des hommes libres, op. cit., p. 91-149. 4. CNR, « Texte définitif du Programme d'action de la Résistance, 15 mars 1944 », in Claire Andrieu, Le Programme commun de la Résistance. Des idées dans la guerre, Paris, Les Éditions de l’érudit, 1984, p. 173. 5. Gérard Bardet, Allocution, 3 novembre 1942, p. 4, AN/F/12/10143. 6 . Andrew Shennan, Rethinking France. Plans for Renewal 1940-1946, Oxford, Clarendon Press, 1989. 7. CGE, Rapport sur la politique économique d'après-guerre, Alger, Éditions Combat, 1944. (Une première version a été diffusée dans la clandestinité en novembre 1943).

340

Notes des pages 17S à 186

8. 9.

CSEIC, La Politique économique et les problèmes du plan, 25 juin 1943, AN/F/12/10144. Louis Baudin, « Le Carnaval des mots », Nouvelle revue de l'économie contemporaine, n°4, avril 1950, p. 1-2.

10. Gaëtan Pirou, « Le problème des trois secteurs », Revue d'économie politique, n“ 4 -6, juillet 1940-décembre 1944, p. 450. 11. OCM, « La Réforme économique », In Maxime Blocq-Mascart, Chroni­ ques de la Résistance, Paris, Éditions Corrêa, 1945, p. 312. 12. Claude-Joseph Gignoux, « La Désagrégation du libéralisme. De l'en­ tente à la corporation », Revue de l'économie contemporaine, n°6, octobre 1942, p. 6-9 ; CGE, Rapport..., op. cit. 13. Hervé Alphand et alii, Problèmes économiques d'après-guerre. Un point de vue français, 1943, p. 26, AN/72/AJ/546. 14. Achille Dauphin-Meunier, Politique économique, Paris, Centre d'infor­ mation interprofessionnel, 1943,2 vol. 15. André L. A. Vincent, « Problèmes d'économie dirigée », SAEF, B/55/363. 16. CSEIC, « Économie dirigée », s.d., p. 3, AN/F/12/10145. 17. Gaël Fain, « Le Gouvernement de l’économie nationale », Revue de l'économie contemporaine, n°25, mai 1944, p. 12-18. 18. Centre d'études techniques et sociales, « Le Ministère de l’économie impériale », AN/F/37/77. 19. CSEIC, La Politique économique..., loc. cit., p. 7. 20. CSEIC, Les Rapports de l'État et de la profession organisée, 28 janvier 1944, p. 1, AN/F/12/10145. 21. OCM, « La Réforme économique », loc. cit., p. 311. 22. CSEIC, Les Rapports de l'État et de la profession organisée, loc. cit., p. 4. 23. Cité In Olivier Wieviorka, « Une Droite moderniste et libérale... », art. cit, p. 416. 24. Claude-Joseph Gignoux, « Limites de l'économie dirigée », Revue de l'économie contemporaine, n°20, décembre 1943, p. 4. 25. DGEN, Plan d'équipement national, première tranche décennale, rap­ port général, juin 1942, p. 28, AN/F/60/658. 26. Michèle Cointet, Le Conseil national de Vichy..., op. cit., p. 432. 27. Auguste Detœuf, « Observations sur le projet de rapport sur le plan », p. 14, AN/F/12/10144. 28. « Rectificatif au procès-verbal de la réunion du 27 novembre 1942 », AN/F/12/10144.

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Néo-libéralisme version française

29. Claire Andrieu, La Banque sous l'Occupation. Paradoxes de l'histoire d'une profession, Paris, Presses de la FNSP, 1990, p. 139.

30. Laurence Badel, Un milieu libéral et européen..., op. cit., p. 294-307. 31. Gérard Bardet, Allocution, 3 novembre 1942, p. 4-5, AN/F/12/10143 32. Henri Michel, Les Courants de pensée de la Résistance, Paris, PUF, 1962. 33. « Note du Commandant Bernard », AN/72/AJ/546. 34. CGE, Rapport..., op. cit., p. 9. 35. « Programme du Parti socialiste clandestin (11 décembre 1943) », in Henri Michel et Boris Mirkine-Guetzevitch, Les Idées politiques et sociales de la Résistance, op. cit., p. 205. 36. Gaëtan Pirou, « Le Problème des trois secteurs », art. cit., p. 447. 37. DGEN, Plan d'équipement national, première tranche décennale, /oc. cit., p. 28. 38. Hervé Alphand et alii, Problèmes économiques d'après-guerre, /oc. cit., p. 23-25. 39. CGE, Rapport..., op. cit., p. 12. 40. Claude-Joseph Gignoux, « Limites de l'économie dirigée », art. ciL, p. 4. 41. Id., « La Désagrégation du libéralisme. De l’entente à la corporation », art. cit., p. 8 . 42. Achille Dauphin-Meunier, Produire pour l'homme, Paris, Plon, 1941, p. 387. 43. CGE, Rapport..., op. cit., p. 11. 44. Louis Baudin, « L'Évolution récente de l'économie française », in L'organisation économique actuelle, conférences d'information orga­ nisées en juillet-août 1941 par l'École supérieure d’organisation profes­ sionnelle, Paris, Centre d'information interprofessionnel, 1941, p. 9. 45. Gaëtan Pirou, Néo-libéralisme. Néo-corporatisme. Néo-socialisme, op. cit., p. 65. © Éditions Gallimard. 46. Henry W. Ehrmann, La Politique du patronat français..., op. cit., p. 293. 47. Olivier Dard, « Parole d’experts, représentations et mémoires : le cas des "modernisateurs" », Territoires contemporains, n ° 5 ,1998, p. 31-43 ; Brigitte Gaïti, De Gaulle, Prophète de la V* République, Paris, Presses de Sciences Po, 1998, p. 263-309. 48. Aude Terray, Des Francs-tireurs aux experts. L'organisation de la pré­ vision économique au ministère des Finances 1948-1968, Paris, CHEFF, 2002, p. 598 et 601.

342

Notes des pages 186 à 196

49. Béatrice Touchelay, L'INSEE des origines à 1961 : évolution et relation avec la réalité économique et sociale, Université de Paris XII, thèse de doctorat d'histoire, 1993. 50. Michel Margairaz et Henry Rousso, « Le Plan, une affaire d'État ? Les responsables des commissions du Ier au IX* Plan », in Henry Rousso (dir.), La Planification en crises (1965-1985), Paris, Éditions du CNRS, 1987, p. 19-71. 51. François Perroux, Histoire des doctrines économiques contemporai­ nes, Paris, Centre de documentation universitaire, 1946-1947, p. 2-54. 52. Roger Nathan et Paul Delouvrier, Politique économique de la France, Paris, Les Cours de droit, Fascicule 1,1948-1949, p. 2 et p. 11. 53. Jean Meynaud, Pierre Besse, François Bloch-Lainé, Claude Gruson et Maurice Pérouse, La Vie économique, Paris, Les Cours de droit, Fasci­ cule 1,1952-1953, p. 65. 54. Jean Meynaud, Politique économique comparée, Paris, Les Cours de droit, Fascicule 1,1954-1955, p. 305. 55. Roger Nathan et Paul Delouvrier, Politique économique de la France..., op. cit., p. 322. 56. Ibid., p. 321. 57. Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rothschild, Paris, Raisons d'agir, 2005, p. 67-102. 58. Philippe Mioche, Le Plan Monnet. Genèse et élaboration 1941-1947, Paris, Publications de la Sorbonne, 1987. 59. Frances M. B. Lynch, « Resolving the Paradox of the Monnet Plan: National and International Planning in French Reconstruction », The Economie History Review, n°2, mai 1984, p. 229-243. 60. Pierre Massé, Le Plan ou l'anti-hasard, Paris, Gallimard, 1965, p. 144. 61. Biaise Richard [Lucien Daffos], « Plan d’équipement ou Plan politi­ que ? », L'Informateur de l'entreprise à capital personnel, n° 88 , 10 jan­ vier 1949. 62. Michel Margairaz, L'État, les finances et l'économie..., op. cit., p. 855859. 63. Jean-Marcel Jeanneney, Forces et faiblesses de l'économie française 1945-1959, Paris, Armand Colin, 1959, p. 29. 64. Lucette Le Van-Lemesle, « Les Économistes officiels : experts ou politiques », in Claire Andrieu, Lucette Le Van-Lemesle et Antoine Prost (dir.), Les Nationalisations de la Libération. De l'utopie au compromis, Paris, Presses de la FNSP, 1987, p. 211-221.

343

Néo-libéralisme version française

65. Jean-Nöel Jeanneney, « Un Patronat au piquet (septembre 1944janvier 1946) », in Id., L'Argent caché. Milieux d'affaires et pouvoirs politiques dans la France du XXesiècle, Paris, Fayard, 1981, p. 283-309. 66 . Gaëtan Pirou, « Le Problème des trois secteurs », art. cit, p. 463. 67. François Perthuis, Auguste Detœuf 1883-1947..., op. cit., p. 146-148. 68 . Auguste Detœuf, Passé, présent, avenir de l'organisation profession­ nelle. Paris, Éditions du Chêne, 1946, p. 29. 69. Jean-Noël Jeanneney et Jacques Julliard, Le « Monde » de BeuveMéry ou le métier d'Alceste, Paris, © Éditions du Seuil, 1979, p. 103. 70. Daniel Villey, « Point à la ligne ou parenthèse ? (dimension historique de la guerre) », Le Monde, 31 mars 1945. 71. Le Monde, 29 et 30 novembre 1945. 72. Philippe Riutort, « Le Journalisme au service de l'économie. Les condi­ tions d'émergence de l'information économique en France à partir des années 1950 », Actes de la recherche en sciences sociales, n°131-132, mars 2002, p. 41-55. 73. Philippe Mioche, Le Plan Monnet..., op. cit., p. 60-61 ; Olivier Dard, « Théoriciens et praticiens de l'économie : un changement de para­ digme », in Serge Berstein et Pierre Milza (dir.), L'Année 1947, Paris, Presses de Sciences Po, 2000, p. 78-91. 74. Edmond Giscard d'Estaing et Louis Baudin, Nationalisations/Ou'est-ce gu'une nationalisation ?, Paris, SPID, 1945. 75. Louis Baudin, Daniel Villey, André Marchai, Louis Fromont, Pierre Benaerts, René Courtin, Paul Naudin, Henri Solente et Charles Rist, Pour une économie libérée, Paris, SPID, 1946. 76. Louis Marlio, « Le Libéralisme social », conférence faite devant la Société d'économie politique, 16 novembre 1946. 77. Journal officiel de la République française, 16 octobre 1947, p. 10268. 78. George Nash, The Conservative Intellectual Movement in America since 1945, Wilmington, Intercollegiate Studies Institute, 1996, p. 17-19. 79. Mont-Pèlerin Society papers. Box n°31/8, HIA. 80. « Aux abonnés ». Voici les faits. n°15,1953. 81. « La parole est à Durand », Voici les faits, n°7,1950. 82. Fondation nationale des sciences politiques / Fonds Hubert BeuveMéry / 97. 83. Georges VHIiers, Témoignages, Paris, Éditions France-Empire, 1978, p. 138. 84. Sylvie Guillaume, Confédération générale petites moyennes entrepri­ ses : son histoire, son combat, un autre syndicalisme patronal, 19441978, Talence, Presses universitaires de Bordeaux, 1987.

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Notes des pages 196 à 207

85. Laurence Badel, Un milieu libéral et européen..., op. cit., p. 372. 86 . Ibid., p. 361. 87. Albert Pasquier, Les Doctrines sociales en France. Vingt ans d'évolu­ tion 1930-1950, Paris, R. Pichon et R. Durand-Auzias, 1950, p. 283 88 . Philippe Bemoux, Les Nouveaux Patrons, Paris, Éditions ouvrières, 1974, p. 33-35. 89. « Rapport sur l'activité de l’ACADI en 1952 », Bulletin de l’ACADI, n°68 , avril 1953, p. 134. 90. Cette organisation a changé plusieurs fois de nom. En 1940, elle s'ap­ pelle Association de la petite et moyenne entreprise. Sous l'Occupa­ tion, elle devient l'Association corporative de la petite et moyenne entreprise puis l’Association corporative de l'entreprise à capital per­ sonnel (AN/2AG/611). Dans les années 1960, il est finalement décidé de la dénommer Association des chefs d'entreprises libres. (Georges Lefranc, Les Organisations patronales en France : du passé au présent, Paris, Payot, 1976, p. 278-285). 91. Cité in Delphine Dulong, Moderniser la politigue. Aux origines de la V* République, Paris, L'Harmattan, 1997, p. 113. 92. Gustave Prost, « Le Patronat doit être un patronat d'idées », L'Infor­ mateur de l'entreprise à capital personnel, n°103,10 septembre 1949. 93. Mont-Pèlerin Society papers, Box n°40/11, HIA. 94. Pierre Lhoste-Lachaume, La Clef de voûte de la liberté, Paris, SEDIF, 1954, p. 7. 95. Id., « Les Buts et les limites de l’intervention de l'État », in Centre Paul Hymans, Travaux du colloque international du libéralisme économique, Bruxelles, Éditions du Centre Paul Hymans, 1958, p. 105. 96. Id., La Clef de voûte de la liberté, op. cit., p. 15. 97. Georges Lefranc, Les Organisations patronales en France..., op. cit., p. 267. 98. Andrew Shonfield, Le Capitalisme aujourd'hui, l'État et l'entreprise, Paris, Gallimard, 1967, p. 131-134. 99. Richard Vinen, Bourgeois politics in France, 1945-1951, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, p. 5. 100. Parti républicain de la liberté, « Programme du néo-libéralisme », RI 4. 101. Jean-Louis Rizzo, Mendès France ou la rénovation en politique, Paris, Presses de la FNSP, 1993, p. 34-43. 102. Par exemple : Marcel Pellene, Le Bilan de six ans d'erreurs, Paris, Publications du Comité d'études pour le redressement économique et financier, 1952.

345

Néo-libéralisme version française

103. Gilles Richard, Le Centre national des indépendants et paysans de 1948 à 1962, ou l'échec de l'union des droites françaises dans le parti des modérés, Institut d'études politiques de Paris, thèse de doctorat

d'État ès lettres et sciences humaines, 1998, p. 91-113. 104. Michel Jamet, L'Alternative libérale. La droite paradoxale de Raymond Bourgine, Paris, La Table Ronde, 1986, p. 257. 105. Jean Bouvier, « Sur la Politique économique en 1944-1946 », in Comité d'histoire de la Deuxième Guerre mondiale, La Libération de la France. Actes du Colloque international tenu à Paris du 28 au 31 octobre 1974,

Paris, Éditions du CNRS, 1976, p. 855-856. 106. François Caron, « Le Plan Mayer : un retour aux réalités », Histoire, économie et société, n °3 ,1982, p. 423-437 ; Olivier Dard, « Maurice Petsche, itinéraire, réseaux, valeurs », in François Roth (dir.), Les mo­ dérés dans la vie politique française de 1870 à 1965, Nancy, Presses universitaires de Nancy, 2000, p. 397-455. 107. Olivier Dard, « Henri Queuille face aux questions économiques et budgétaires : principes, contraintes et action », in La Direction du Budget face aux grandes mutations des années cinquante, acteur ou témoin ?, Journée d’études tenue à Bercy le 10 janvier 1997, Paris,

CHEFF, 1998, p. 11-42. 108. Commission créée par arrêté du 6 janvier 1954 pour l'étude des dis­ parités entre les prix français et étrangers, Rapport général présenté à M. Edgar Faure, ministre des Finances et des Affaires économiques et à Bernard Lafay, secrétaire d'État aux Affaires économiques, Paris, Imprimerie nationale, 1954, p. 40. 109. Aude Terray, Des Francs-tireurs aux experts..., op. cit., p. 215. 110. Cité in Christiane Rimbaud, Pinay, Paris, Perrin, 1990, p. 120. 111. Louis Baudin, L'Aube d'un nouveau libéralisme..., op. cit., p. 143. 112. Olivier Feiertag, « Pierre Mendès France, acteur et témoin de la planifica­ tion française 1943-1962 », in Michel Margairaz (dir.), Pierre Mendès-France et l'économie. Pensée et action, Paris, Odile Jacob, 1989, p. 384-385. 113. Note de Simon Nora, juillet 1954, Fonds de l'Institut Pierre Mendès France, Économie II. 114. Pierre Mendès France, « Le redressement économique de l'Allema­ gne », Le Monde, 8 juin 1954 in ld„ Œuvres complètes. II. Une politique de l'économie 1943-1954, Paris, Gallimard, 1985, p. 529-541. 115. Claude-Joseph Gignoux, « Le Tournant », Nouvelle Revue de l’écono­ mie contemporaine, n°1, janvier 1950, p. 3. 116. Frances S. Saunders, Oui mène la danse ? La CIA et la Guerre froide culturelle, Paris, Denoël, 2003.

346

Notes des pages 208 à 220

117. Pierre Grémion, Intelligence de l'anticommunisme. Le Congrès pour la liberté de la culture à Paris 1950-1975, Paris, Fayard, 1995. 118. Nicolas Baverez, Raymond Aron. Un moraliste aux temps des idéolo­ gies, Paris, Flammarion, 1993, p. 234. 119. Raymond Aron, « Du préjugé favorable à l'égard de l'Union soviéti­ que », meeting de la Société du Mont-Pèlerin de Beauvallon, 9-16 sep­ tembre 1951, Friedrich Hayek papers, Box n°81/55, HIA. 120. Laurent Lémire, L'Homme de l'ombre: Georges Albertini: 1911-1983, Paris, Balland, 1990 ; Jean Lévy, Le Dossier Georges Albertini: une intelligence avec l'ennemi, Paris, L’Harmattan, 1992. 121. Dans une note datée du 19 septembre 1957, Georges Albertini estime les sommes versées annuellement par Étienne Villey à 880 000 Francs de l'époque soit 14 354, 60 Euros d'aujourd'hui. (Georges Albertini papers, Box n°12, HIA). 122. « Historique de nos activités », le 29 mars 1955, p. 4, Georges Albertini papers, Box n°16, HIA. 123. « Journaux dans lesquels écrivent des collaborateurs du BEIPI et des IPS », s.d., Georges Albertini papers, Box n°16, HIA. 124. Claude Harmel [Guy Lemmonier], « Introduction », in ALEPS, Le Libéralisme sortie de secours du socialisme, 3e semaine de la Pensée Libérale, Paris, Éditions Étapes, 1971, p. 7. 125. Lucien Laurat, « Économie planée contre économie enchaînée. Pour­ quoi je ne vais pas à Canossa », Nouvelle revue de l'économie contem­ poraine, n°28, avril 1952, p. 16-19. 126. Georges Albertini, Histoire du RNP (texte écrit à Fresnes. Préambule daté du 29 septembre 1944. Cellule 257), p. 49. (Georges Albertini papers, Box n°5, HIA). 127. Henry W. Ehrmann, La Politique du patronat français..., op. cit., p. 188-189. 128. Marcel Demonque, Les Conclusions du Comité Armand-Rueff, Paris, Centre d'études politiques et civiques, Cahier n°15,1961. 129. Pierre de Calan, Renaissance des libertés économiques et sociales. Exposé fait au 34e dîner d'information du CEPEC, le 19 décembre 1963, Paris, Centre d'études politiques et civiques, Cahier n°24,1964. 130. Marc Sadoun, Jean-François Sirinelli et Robert Vandenbussche (dir.), La Politique sociale du général De Gaulle, Lille, Centre d'histoire de la Région du Nord et de l'Europe du Nord-Ouest, 1990 ; Patrick Guiol, L'impasse sociale du gaullisme: le RPF et l’action ouvrière, Paris, Presses de la FNSP, 1985. 131. Friedrich Hayek, La Route de la servitude, Paris, PUF, 1997 (Médicis, 1945).

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Néo-libéralisme version française

132. Id., L'Inéluctable Choix : société libérale ou collectivisme totalitaire, Paris, SEDIF, 1946. 133. « The Mont-Pelerin Society », juillet 1951, Friedrich Hayek papers, Box n°71/3, HIA. 134. Friedrich Hayek, « Les Intellectuels et le socialisme » (1949), Com­ mentaire, n°99, automne 2002, p. 673-683. 135. John Maynard Keynes, Théorie générale de l'emploi de l'intérêt et de la monnaie, Paris, Payot, 1982, p. 375. 136. Joseph Schumpeter cité in Albert Hunold, « The Mont-Pèlerin Society », reprinted from World Liberalism, a Publication o f The Liberal International, Spring 1955, p. 2. (Milton Friedman papers. Box n°83/5, HIA). 137. Cité in Cécile Pasche et Suzanne Peters, « Les Premiers pas de la Société du Mont-Pèlerin ou les dessous chics du néo-libéralisme », in Les Annuelles, Lausanne, Éditions Antipodes, 1997, p. 196. 138.1% était classé dans une rubrique « autres ». Ronald Max Hartwell, A History of the Mont-Pèlerin Society, Indianapolis, Liberty Fund, 1995, p. 211. 139. Max Weber, Économie et société, Paris, Press Pocket, 1995, vol. 2, p. 204-211. 140. Richard Cockett, Thinking the Unthinkable..., op. cit. 141. Michael Polanyi à Friedrich Hayek, 9 novembre 1955, Friedrich Hayek papers. Box n°43/55, HIA. 142. Bertrand de Jouvenel à George Stigler, 24 avril 1972, Milton Friedman papers. Box n°87/2, HIA. 143. William Rappard à André Siegfried, 9 mai 1947, Friedrich Hayek papers. Box n°45/6, HIA. 144. Louis Baudin à Albert Hunold, 22 novembre 1958, Mont-Pèlerin Society papers. Box n°37/9, HIA 145. Robert d'Autriche à Albert Hunold, 17 septembre 1959, Mont-Pèlerin Society papers. Box n°40/4, HIA. 146. Marie-Thérèse Génin, « La Société du Mont-Pèlerin », Nouvelle Revue de l'économie contemporaine, n°tl, novembre 1950, p. 27. 147. Wilhelm Röpke, « Plan for an international periodical », août 1945, Mont-Pèlerin Society papers. Box n°30/2, HIA. 148. Ronald Max Hartwell, A History o f the Mont-Pèlerin Society, op. c it, p. 100-133 ; Bernhard Walpen, Die offenen Feinde und ihre Gesellschaft... op. e it, p. 118 et suiv.

348

Notes des pages 220 à 238

149. Bertrand de Jouvenel à Milton Friedman, 30 juillet 1960, Milton Fried­ man papers. Box n°86/2, HIA. 150. Daniel Villey à Friedrich Hayek, 4 janvier 1968, Friedrich Hayek papers, Box n°80/1, HIA. 151. Karl Heinz Roth, « Klienten des Leviathan : Die Mont-Pèlerin Socie­ ty und das Bundeswirtschatfsministerium in den fünfziger Jahren », /999, n°16, 2001, p. 13-41. 152. Albert Hunold à Jacques Rueff, 10 août 1960, Mont-Pèlerin Society papers, Box n°42/6, HIA. 153. Friedrich Hayek à Maurice Allais, 14 février 1947, Friedrich Hayek papers, Box n°72/6, HIA. 154. Yves Steiner, « Louis Rougier et la Mont-Pèlerin Society : une contri­ bution en demi-teinte », Cahiers d'épistémologie, n°10,2005. 155. P. Anselme [secrétaire d'Emmanuel Mayolle, CNPF], 24 août 1951, Mont-Pèlerin Society papers, Box n°7/4, HIA. 156. Jacques Rueff à Albert Hunold, 24 novembre 1950, Mont-Pèlerin Society papers, Box n°31/9, HIA. 157. Maurice Allais à Friedrich Hayek, 12 mai 1947, Friedrich Hayek papers, Box n°72/6, HIA. 158. Friedrich Hayek à William Rappard, 27 mai 1947, Friedrich Hayek papers, Box n°45/6, HIA. 159. François Fourquet, Les Comptes de la puissance ? Histoire de la comp­ tabilité nationale et du plan, Paris, Encres, 1980, p. 42-43. 160. Jacques Lesourne, Un homme de notre siècle. De Polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, Paris, Odile Jacob, 2000, p. 197. 161. Maurice Allais, « Au-delà du laisser-fairisme et du totalitarisme », Nouvelle Revue de l'économie contemporaine, n°5, mai 1950, p. 28. 162. Colloque pour une société libre, Mouvement pour une société libre. Manifeste pour une société libre, Paris, Secrétariat général du mouve­ ment, 1959, p. 7. 163. Pierre Lhoste-Lachaume, Où gît le Désaccord entre libéraux et socia­ listes ? L'illusoire compromis de nos démocraties occidentales, Paris, SEDIF, 1960. 164. Pierre Dieterlen, « Libéralisme dogmatique et libéralisme critique », in Centre Paul Hymans, Travaux du colloque international du libéra­ lisme économique..., op. cit, p. 325. 165. Pierre Lhoste-Lachaume, Notes d'informations libérales, 22 octobre 1968.

349

Néo-libéralisme version française

Notes du chapitre 6 1. 2.

Richard Kuisel, Le Capitalisme et rÉtat en France..., op. cit., p. 409448. Louis R. Franck, « Planisme français et démocratie », Revue économi­ que, n°2,1953, p. 214.

3.

4.

François Denord et Xavier Zunigo, « "Révolutionnairement vôtre''. Économie marxiste, militantisme intellectuel et expertise politique chez Charles Bettelheim », Actes de la recherche en sciences sociales, n°158, juin 2005, p. 8-29. Jacques Chirac, « Le Libéralisme peut-il inspirer un projet politique ? », Liberté économique et progrès social, n°49, mars 1984, p. 22.

5.

Luc Marco, « Le Cocotier des économistes français avant la réforme de 1968... », art. cit, p. 4.

6.

Calcul effectué à partir de la base de données du Système universi­ taire de documentation.

7.

Henri Noyelle, « Le Rapport sur le concours d'agrégation 1950 », Revue économique, n °2 ,1951, p. 189-208.

8.

André Piettre, « Rapport sur le concours d’agrégation (octobre-dé­ cembre 1952) », Revue économique, n°3 ,1953, p. 380.

9.

Philippe Steiner, « La Revue économique 1950-1980. Une marche vers l'orthodoxie académique ? », Revue économique, n°5, septembre 2000, p. 1109-1058.

10. Pierre Bessaignet, « Le Cercle des économistes », La Revue internatio­ nale, n°1, décembre 1945, p. 121. 11.

André Marchai, La Pensée économique en France depuis 1945, Paris, PUF, 1953.

12. Richard Aréna, « Les Économistes français en 1950 », Revue économi­ que, n°5, septembre 2000, p. 971-1007. 13. Albert Pasquier, Les Doctrines sociales en France..., op. cit., p. 259. 14. François Etner, Histoire du calcul économique en France, Paris, Économica, 1987, p. 266-276. 15. Edmond Malinvaud, « L'Expérience travailliste et la pensée économi­ que anglaise », Nouvelle Revue de l’économie contemporaine, n°8-9, août-septembre 1950, p. 16. 16. Louis Rougier, Scandale à Polytechnique, Paris, Imprimerie des Tuile­ ries, 1959, p. 8 . 17. Daniel Benamouzig, La Santé au miroir de l'économie, Paris, PUF, 2005, p. 79.

350

Notes des pages 239 à 248

18. Francis Pavé, « Du Concept pur aux applications pratiques et retour. Les tribulations de l'Institut Henri Poincaré et de l'Institut statistique de l'université de Paris », Gérer et comprendre, n°67, mars 2002, p. 66 . 19. Philip Mirowski, Machine Dreams: Economies becomes a cyborg science, Cambridge, Cambridge University Press, 2002. 20. Jean Dayre, Les Faux Dilemmes. Libéralisme ou dirigisme ? Inflation ou récession ?, Paris, Éditions de l'Organisation, 1959. 21. Daniel Villey, « Examen de conscience de l'économie politique », Revue d'économie politique, novembre-décembre 1951, p. 858-859. 22. Louis Baudin, L'Aube d'un nouveau libéralisme..., op. cit., p. 143. 23. Louis Baudin à Albert Hunold, 30 octobre 1951, Mont-Pèlerin Society papers, Box 32/1, HIA. 24. Daniel Villey, « À propos du catholicisme social », Revue d'économie politique, n°2, mars-avril 1948, p. 305-306. 25. Charles Flory, « Le Conflit de l'économique et du social », in Semai­ nes sociales de France, Réalisme économique et progrès social, Paris, J. Gabalda et Cie ; Lyon, Chronique sociale de France, 1949, p. 24. 26. André Marchai, « Les Difficultés du libéralisme économique de 1929 à 1939 », in Pour une économie libérée, Paris, SPID, 1946, p. 48 ; Id., « Au-delà du capitalisme », Revue économique, n°2,1950, p. 256. 27. Pierre Dieterlen, « Libéralisme dogmatique et libéralisme critique », in Centre Paul Hymans, Travaux du colloque international..., op. cit., p. 300-327. 28. Richard Aréna, « Les Économistes français en 1950 »..., art. cit, p. 980. 29. Georges Rottier, « Aspects d'un nouveau libéralisme », Économie appliquée, n°2, avril-juin 1949, p. 247-274 ; Yves Mainguy, « Capitalisme, socialisme et... néo-libéralisme. Notes sur un événement, une doctrine et une politique », Économie appliquée, n°2, avril-juin 1951, p. 211-243. 30. Ibid., p. 211. 31. Francis-Louis Closon, « Avant-propos », Économie appliquée, n°1, jan­ vier-mars 1948, p. 7. 32. Jacques Bertrand, « La Notion d’ordre économique et ses possibili­ tés d'utilisation », Revue d'histoire économique et sociale, n °2 ,1953, p. 152-188. 33. Jacques Rueff, « Une vérification a contrario : la résurrection de l’Alle­ magne », Revue des deux mondes, 15 juin 1953, p. 607. 34. François Bilger, La Pensée économique libérale dans l'Allemagne contemporaine, Paris, LGDJ, 1964.

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Néo-libéralisme version française

35. André Piettre, « L’Économie allemande est-elle vraiment libérale ? », Revue économique, n°3, mai 1962, p. 339-354. 36. Jean François-Poncet, Politique économique de l'Allemagne occiden­ tale, Paris, Les cours de droit, Cours IEP de Paris 1959-1960,1960. 37. Friedrich Hayek, Scientisme et science sociale, Paris, Plon, 1953. 38. Raymond Barre, « L'Analyse économique au service de la science et de la politique économiques », Critique, avril 1952, p. 332-346. 39. Id., Revue économique, n°2 ,1957, p. 324. 40. Jacques Cros, Le Néo-libéralisme : étude positive et critique, Paris, Génin, 1951. 41. Albert Hunold à Marie-Thérèse Génin, 10 mars et 19 août 1953, MontPélerin Society papers, Box n°33/2, HIA. 42. Étienne Mantoux, « La "Théorie générale” de M. Keynes », Revue d'économie politique, novembre-décembre 1937, p. 1590. 43. Olivier Dard, « Économie et économistes des années trente aux an­ nées cinquante : un tournant keynésien ? », Historiens et géographes, n°361, mars 1998, p. 173-195 ; Pierre Rosanvallon, « Histoire des idées keynésiennes en France », Revue française d ’économie, n°4, automne 1987, p. 22-56. 44. Louis Marlio, Dictature ou liberté, op. c it, p. 99. 45. Walter Lippmann, La Cité libre, op. cit., p. 142,240, 383. 46. Louis Baudin, L'Aube d'un nouveau libéralisme, op. cit., p. 124. 47. Jacques Rueff, « Les Erreurs de la "Théorie générale" de Lord Keynes », Revue d'économie politique, n°1, janvier-février 1947, p. 33. 48. Daniel Villey, « Économique et morale », in Pour une économie libérée, op. cit., p. 30. 49. Raymond Aron, « Les Limites de la théorie économique classique », Critique, n° 6 , novembre 1946, p. 510. 50. Jean Domarchi, La Pensée économique de John-Maynard Keynes et son influence en Angleterre, Paris, Domat-Montchrestien, 1943. Sur le rôle de François Perroux dans la diffusion des idées keynésiennes : Antonin Cohen, « Du corporatisme au keynésianisme. Continuités pra­ tiques et ruptures symboliques dans le sillage de François Perroux », Revue française de science politique, n°4, août 2006, p. 555-592. 51. Aude Terray, Des Francs-tireurs aux experts..., op. cit., p. 43-47. 52. François Fourquet, Les Comptes de la puissance..., op. cit., p. 21. 53. François Perroux, La Généralisation de la General Theory, Istanbul, 1950, p. 4.

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Notes des pages 249 à 257

54. François Bloch-Lainé, Pour une réforme de l’entreprise, Paris. © Édi­ tions du Seuil, 1963, p. 33. 55. François Bilger, La Pensée économique libérale..., op. cit., p. 289. 56. Pierre de Calan, Renaissance des libertés économiques et sociales, Paris, Plon. 1963. 57. Henri Culmann, « L’Économie dirigée et la réforme de l'enseignement économique », Revue de l'économie contemporaine, n°4, août 1942, p.1-5. 58. Note de Georges Albertini, 7 mai 1952, Georges Albertini papers, Box n°5, HIA. 59. André Piettre à Jacques Rueff, 12 mai 1950, AN/579/AP/193. Sur le rapport ambigu d’Alfred Sauvy au libéralisme, voir Paul-André Rosental, L'Intelligence démographique. Sciences et politiques des populations en France (1930-1960), Paris, Odile Jacob, 2003, p. 121.

60. Frédéric Lebaron, La Croyance économique..., op. cit., p. 164. 61. François Bloch-Lainé, Pour une réforme de l'entreprise, op. cit., p. 7 et 9. 62. Alain Darbel et Dominique Schnapper, Les Agents du système adminis­ tratif, Paris, La Haye, Mouton, 1969, p. 91-106. 63. Jean-Pierre Le Crom, Syndicats, nous voilà..., op. cit., p. 186-194. 64. Remi Lenoir, Généalogie de la morale familiale. Paris, Éditions du Seuil, 2003, p. 371. 65. Gérard Adam, La CFTC1940-1958, Paris, Armand Colin, 1964, p. 263 et suiv. 66. Denis Pelletier, Économie et humanisme. De l’utopie communautaire au combat pour le Tiers-Monde. 1941-1946, Paris, Éditions du Cerf, 1996. 67. Charles Flory, « Le Conflit de l’économique et du social »..., op. c i t , , p. 29-30. 68. André Piettre, « Développement et limite de l’économie dirigée », in Semaines sociales de France, Le Catholicisme social face aux grands courants contemporains, op. cit., p. 91. 69. André Pairault, « Le Plan français de modernisation et d’équipement ». in Semaines sociales de France, Réalisme économique et progrès social, op. cit., p. 255-273. 70. Louis Charvert, « Les Difficultés françaises », Ibid., p. 134. 71. François Bloch-Lainé, « La Politique de l’investissement », in Semaines sociales de France, Les Exigences humaines de l’expansion économi­ que, Paris, J. Gabalda et Cie ; Lyon, Chronique sociale de France. 1956, p. 189. 72. Propos de Jacques Rueff rapportés in André Piettre à Jacques Rueff, 26 avril 1950, AN/579/AP/193.

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Néo-libéralisme version française

73. Charles de Gaulle, Mémoires d'espoir. Le renouveau 1958-1962, Paris, Plon, 1970, p. 159. 74. Philippe Levillain, « La Pensée sociale du général de Gaulle face à l'héritage du catholicisme social », in Marc Sadoun, Jean-François Sirinelli et Robert Vandenbussche (dir.), La Politique sociale du général de Gaulle..., op. cit., p. 49. 75. Patrick Guiol, L'Impasse sociale du gaullisme..., op. cit., p. 126. 76. Jean Chariot, « Le Gaullisme », in Jean-François Sirinelli et Éric Vigne (dir.), Histoire des droites en France. Tome 1. Politique, Paris, Gallimard, 1992, p. 667. 77. Nathalie Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze haut fonc­ tionnaire des Finances. Rivoli - Alger- Rivoli 1937-1958, Paris, CHEFF, 1997, p. 342. 78. Mouvement pour une société libre, « Déclaration sur l'Algérie », Confé­ rence de presse, le 8 mars 1960, R11. 79. Daniel Villey à Raymond Aron, 16 et 21 février 1962, Fonds Raymond Aron. 80. T. Alexander Smith, « Algeria and the French Moderes: the politics of immoderation ? », The Western Political Ouaterly, n°1, mars 1965, p. 116-134. 81. Jean-Claude Colliard, Les Républicains indépendants. Valéry Giscard d'Estaing, Paris, PUF, 1971. 82. Jacques Rueff, De l’aube au crépuscule..., op. cit., p. 227. 83. Charles de Gaulle, Mémoires d'espoir..., op. cit., p. 150. 84. Michel-Pierre Chelini, « Le Plan de stabilisation Pinay-Rueff : 1958 », Revue d'histoire moderne et contemporaine, n°4, octobre-décembre 2001, p. 102-122. 85. Louis Franck, 697 ministres. Souvenirs d'un directeur général des prix 1947-1962, Paris, CHEFF, 1990, p. 146-147. 86. Nathalie Carré de Malberg, Entretiens avec Roger Goetze..., op. cit., p. 345. 87. Jacques Rueff au général de Gaulle, 20 août 1959, in Jacques Rueff, De l'aube au crépuscule..., op. cit., p. 247. 88. Journal officiel de la République française. Lois et décrets, 14 novem­ bre 1959, p. 10772. Rueff s’est essayé à diverses compositions que l’on trouve dans ses archives (AN/579/AP/12). 89. Rapport sur les obstacles à l'expansion économique présenté par le Comité institué par le décret 59-1284 du 15 novembre 1959, Paris, Imprimerie nationale, 1960.

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Notes des pages 258 à 267

90. Pierre Bourdieu et Luc Boltanski, « La Science royale et le fatalisme du probable », Actes de la recherche en sciences sociales, 2-3, juin 1976, p. 39-57. 91. Jacques Rueff, De l'aube au crépuscule..., op. cit., p. 256. 92. « Liste provisoire des rapporteurs spéciaux proposés par MM. Mehl et Albert et concernant les anciens élèves de l’École nationale d'adminis­ tration », AN/579/AP/12. 93. Milène Wegmann, Früher Neoliberalismus und europäische Integration. Interdependenz der nationalen, supranationalen und internationalen Ordnung von Wirtschaft und Gesellschaft (1932-1945), Baden-Baden,

Nomos, 2002. 94. Maurice Allais, « Les Unions douanières et l’unification fédérale de l'Europe », GRES, 7 juillet 1948, R11. 95. Antonin Cohen, « La Constitution européenne. Ordre politique, utopie juridique et guerre froide », Critigue Internationale, n° 26, janvier 2005, p. 119-131. 96. René Courtin à Albert Hunold, 2 décembre 1948, Mont-Pèlerin Society papers, Box n°29/1, HIA. 97. Michel Dumoulin et Anne-Myriam Dutrieue, La Ligue européenne de coopération économique, 1946-1981 : un groupe d'étude et de pression dans la construction européenne, Berne, Lang, 1993. 98. Laurence Badel, Un Milieu libéral et européen..., op. cit., p. 416-464.

99. Jacques Rueff, « Une mutation dans les structures politiques : le marché institutionnel des communautés européennes », Le Monde économique et financier, 9 et 10 février 1958. Les citations qui suivent sont extraites de l’article. 100. Elle était déjà au cœur des préoccupations des promoteurs de la CECA. Cf. Matthias Kipping, La France et les origines de l'Union européenne 1944-1952 : intégration économique et compétitivité internationale,

Paris, CHEFF, 2002. 101. Aude Terray, Des Francs-tireurs aux experts..., op. cit., p. 210-211. 102. Daniel Villey, « La Position du libéralisme économique devant l’opinion publique et son avenir devant les grands courants démographiques, sociaux, politiques, psychologiques et techniques. Rapport introduc­ tif », in Centre Paul Hymans, Travaux du Colloque..., op. cit., p. 341. 103. Bela Belassa, « Whither French Planning? », The Quaterly Journal of Economies, n°4, novembre 1965, p. 537-554 ; Richard B. Du Boff, « The Decline of the Economie Planning in France », The Western Political Quaterly, n°1, mars 1968, p. 98-109. 104. Pierre Bauchet, La Planification française. Vingt ans d'expérience, Paris, Éditions du Seuil, 1966, p. 326.

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Néo-libéralisme version française

105. Ibid., p. 337. 106. Claire Andrieu, Pour l'Amour de la République : le club Jean-Moulin (1958-1970), Paris. Fayard, 2002. 107. Delphine Dulong, Moderniser la politique..., op. cit., p. 253-286 ; Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rothschild..., op. cit., p. 90-91. 108. Jean Touchard, Le Gaullisme, 1940-1969, Paris, Éditions du Seuil, 1978, p. 266-267. 109. Christopher S. Chivvis, « Charles de Gaulle, Jacques Rueff and French International Monetary Policy under Bretton Woods », Journal of Contemporary History, n°4, 2006, p. 701-720. 110. Selon ce polytechnicien, rien de tel pour régler la question sociale que la propriété privée des moyens de production, à condition de la généraliser. Car si l'on distribue l’accroissement annuel du capital sous forme d'actions aux salariés, « il en résulte, selon Loichot, cette conclusion étonnante, que dans l’hypothèse d’un accroissement an­ nuel du capital de 6 à 7% correspondant à la moyenne constatée en France, les salariés détiendraient la moitié du capital au bout de vingt à vingt-cinq ans et les trois quart après quarante-six ans, soit la durée d’une vie professionnelle active » (cité in François Vuillemin, Georges Pompidou et les gaullistes de gauche : conflits idéologiques et enjeu de pouvoir, Paris, mémoire de l’Institut d’études politiques, 1988, p. 38). 111. Pierre Lhoste-Lachaume, L'Illusoire Compromis..., op. cit., p. 89-90. 112. Jean Lacouture, De Gaulle. 3. Le Souverain 1959-1970, Paris, Éditions

du Seuil, 1986, p. 607. 113. Rapport sur le V* Plan de développement économique et social, Paris, La Documentation française, 1965 cité in Henri Weber, Le Parti des patrons. Le CNPF (1946-1986), Paris, Éditions du Seuil, p. 149. 114. Jean Lacouture, De Gaulle, 3. Le souverain, op. cit., p. 728. Le général de Gaulle aurait répondu : « Mais il ne s'agit pas de cela. Capitant est fou ». 115. Maurice Duverger cité in Henri Lerner, De Gaulle et la gauche, Limonest, L'interdisciplinaire, 1994, p. 270. 116. « Entretien avec Jacques Chaban-Delmas », Le Télégramme de Paris, n°33, janvier 1970. 117. Cité in Andrew Knapp, Le Gaullisme après de Gaulle, Paris, Éditions du Seuil, 1994, p. 772. 118. Luc Boltanski et Ève Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999, p. 263. 119. Bruno Jobert et Bruno Théret, « La Consécration républicaine du néolibéralisme : l'ultime étape d'une reconquête ? », in Bruno Jobert (dir.), Le Tournant néolibéral en Europe..., op. cit., p. 21-85.

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Notes des pages 267 à 276

120. Brigitte Gaïti, « Histoire d’une renaissance. L'esprit de service public », Politix, n °6 ,1989, p. 61-67. 121. Jean-François Kesler, L'ENA, la société, l'État, Paris, Berger-Levrault, 1985, p. 393. 122. Bernard Brizay, Le Patronat. Histoire, structure, stratégie du CNPF, Paris, Éditions du Seuil, 1975, p. 159-161. 123. Philippe Mioche, « Syndicats et CNPF dans le Plan : l'amorce d'un consensus ? », in Henry Rousso (dir.), La Planification en crise (79651985)..., op. cit., p. 100. 124. Claire Andrieu, « Le Plan vu de la banque 1946-1985 », in Ibid., p. 169. 125. Christian Stoffaes, « Groupe d’études prospectives du VI* Plan, 1985 : la France face au choc du futur », Revue économique, n°1,1974, p. 113. 126. Commissariat général du Plan, Monnaie, Prix, Croissance, Paris, La Documentation française, 1973, p. 55. 127. Louis Armand, « L’État et l'entreprise » (Le Figaro, les 24,25 et 26 dé­ cembre 1965), reproduit in ALEPS, L'Efficacité sociale du libéralisme. 4* Semaine de la Pensée Libérale décembre 1971, Paris, Éditions Alba­ tros, 1972, p. 177. 128. Henri Weber, Le Parti des patrons..., op. cit., p. 139-147. 129. « Charte du CNPF (janvier 1965) », in Georges Lefranc, Les Organisa­ tions patronales en France..., op. cit., p. 357-369. 130. Pierre de Calan, Renaissance des libertés économiques et sociales, op. cit., p. 156. 131. Ibid., p. 25. 132. François Dany, A propos du Livre sur la réforme de l'entreprise. M. Bloch-Lainé ne sait pas ce que c'est la gestion responsable d'une affaire, Paris, Sedif, 1963.

133. William François, Réponse à M. Bloch-Lainé, Paris, Association pour l’étude des problèmes économiques et humains de l’Europe, 1963. 134. « XVI* Congrès international de la Société du Mont-Pèlerin. Vichy, 11-16 septembre 1967. Plan de financement », Mont-Pèlerin Society papers, Box n°17/12, HIA. 135. Pierre Lhoste-Lachaume, « Actions pratiques en vue d’affirmer le libéralisme dans les circonstances présentes », Friedrich Hayek papers, Box n°85/13, HIA. 136. Georges-Henri Bousquet, « Du sentiment de culpabilité éprouvé par le capitalisme face au socialisme. Remarques sommaires », Friedrich Hayek papers, Box n°85/13, HIA. 137. Frédéric Charpier, Génération Occident, Paris, Éditions du Seuil, 2005, p. 187.

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Néo-libéralisme version française

138. Georges Albertini, « L'Union de défense du commerce et de l'artisa­ nat », note du 10 décembre 1954, Georges Albertini papers. Box n°6, HIA. 139. Liberté économique et progrès social, n°4, mars 1970. 140. Claude Harmel, « Introduction », in ALEPS, Le Libéralisme sortie de secours du socialisme, 3* semaine de la Pensée Libérale, Paris, Éditions Étapes, 1971, p. 7-8. 141. « Les journées de la Semaine de la Pensée Libérale. Jeudi 14, ven­ dredi 15, lundi 18, mardi 19, mercredi 20 novembre 1968. Organisées par l'ALEPS à la Maison de la Chimie », AN/579/AP/193. 142. Claude Harmel « Introduction », in ALEPS, L'Efficacité sociale du libé­ ralisme, op. cit., p. 7. 143. Jacgues Garello, « Les Dimensions de la liberté économique. La leçon des faits », in ALEPS, Problèmes actuels. Réponses libérales, op. cit., p. 18. 144. Robert Marjolin, « Intervention et liberté dans la politique économi­ que européenne », in ALEPS, Le Renouveau de la pensée libérale, 2e Semaine de la Pensée Libérale, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1970, p. 173. 145. Louis Devaux, « Croissance économique et redistribution des richesses dans une économie de marché », Ibid., p. 97. L’expression est reprise à Octave Gélinier. 146. Jean Marczewski, « Planification et libertés », in ALEPS, Problèmes actuels. Réponses libérales, ...op. cit., p. 73-74. 147. Jean Chariot, « L'Après-gaullisme », Revue française de science politi­ que, n°1,1968, p. 68. 148. Louis Vallon, L'Anti-de Gaulle, Paris, Éditions du Seuil, 1969. 149. Marie-Christine Kessler, « M. Valéry Giscard d’Estaing et les Républi­ cains indépendants : juillet 1966-novembre 1967 », Revue française de science politique, n°1,1968, p.79-80. 150. < Compte rendu de la réunion du 19 janvier 1968 du "Comité d'organi­ sation de la semaine de la pensée libérale" », AN/579/AP/193. 151. Thierry Pouch, Les Économistes français et le m arxism e-, op. c it ; Henri Jourdain, Comprendre pour accomplir. Dialogue avec Claude Willard, Paris, Éditions sociales, 1982. 152. Lyne Cohen-Solal et Christine Mitai, « Les Socialistes trébuchent sur l'économie », Le Nouvel Économiste, 4 décembre 1978. 153. Suzanne Berger, « Liberalism reborn: the new liberal synthesis in France », Contemporary France: a review o f interdisciplinary studies, Francis Printer, 1987, p. 86.

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Notes des pages 276 à 286

154. Jean Lévy, Le Dossier Georges Albertini..., op. cit, p. 200-203 ; Frédéric Charpier, Génération Occident..., op. cit., p. 239-252. 155. « Spécial enseignants », Liberté économique et progrès social, n°14, avril 1974, p. 6. 156. « La Lettre confidentielle des cadres supérieurs », Liberté économi­ que et progrès social, n°15, mai 1974, p 2. 157. « M. Gaston Leduc est élu président de la Société du Mont-Pèlerin », Liberté économique et progrès social, n°17, janvier 1975, p. 49. 158. « Chronique de l'ALEPS. Assemblée générale (16 avril 1975) », Liberté économique et progrès social, n°18, avril-juin 1975, p. 53-54. 159. Cité in Henri Weber, Le Parti des patrons..., op. cit., p. 406-407. 160. L'Institut de l'entreprise, Paris, 1986, p. 2-3. 161. Georges Villiers, Témoignages, op. cit., p. 151-152. 162. Par exemple : Henri Lepage, Autogestion et capitalisme. Réponses à Tanti-économie, Paris, Masson, 1978. 163. Thierry de Montbrial, « Fondements de la politique économique de Raymond Barre », Commentaire, n°6, été 1979, p. 223-230. 164. Cité in Albert Brimo, Les Doctrines libérales contemporaines face au socialisme, Paris, Pédone, 1984, p. 48. 165. AN/579/AP/178-179. 166. André Fourçans, « La Politique économique du gouvernement Barre et le néo-libéralisme », Paris, Encyclopédie Universalis, Universalia, 1979, p. 279-280. 167. « Dialogue sur le libéralisme » in Raymond Barre, Une politique pour l'avenir, Paris, Plon, 1981, p. 105-106. 168. Jacques Garello, « Le Libéralisme depuis 5 ans », Liberté économique et progrès social, n°26, avril-mai-juin 1977, p. 23-24. 169. Pierre Bourdieu, Les Structures sociales de l'économie, Paris, Éditions du Seuil, 2000. 170. L'Aurore, 11 septembre 1978. 171. Pierre de Calan, « Quelles peuvent être les bases sociologiques et psychologiques du libéralisme en France ? », Liberté économique et progrès social, n°30, avril-mai-juin 1978, p. 10. 172. Michel Foucault, Naissance de la biopolitique..., op. cit., p. 198. 173. Pascal Salin, « Tribune libre », La Nouvelle Lettre, n°1, mars 1981. 174. Liberté économique et progrès social, n°24 bis, février 1977 et n°28, octobre-novembre-décembre 1977.

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Néo-libéralisme version française

175. « Activités de l’ALEPS au cours de l'exercice 1977 et activités futu­ res », p. 3, AN/579/AP/193. 176. Pierre de Calan, « Quelles peuvent être les bases sociologiques et psychologiques du libéralisme en France ? », art. cit., p. 16. 177. Jean-Jacques Rosa et Florin Aftalion (dir.), L'Économique retrouvée, Paris, Économica, 1977. 178. Matthieu Douérin, Libéralismes. La route de la servitude volontaire, Paris, Éditions de la passion, 2002, p. 36-48. 179. Jacques Attali et Marc Guillaume, L'Anti-économique, Paris, PUF, 1975. 180. Henri Lepage, Demain le capitalisme, Paris, Pluriel, 1978. 181. René Berger-Perrin, « Demain le capitalisme », Données internationa­ les économiques et sociales, avril 1978, p. 3. 182. Vladimir Andreff et alii, L'Économie fiction : contre les nouveaux éco­ nomistes, Paris, Maspéro, 1982. 183. André Lesueur, « L'École d’Aix », Valeurs Actuelles, 2 octobre 1978. 184. Annie Collovald, Jacques Chirac et le gaullisme. Biographie d'un héri­ tier à histoires, Paris, Belin, 1999. 185. Jacques Chirac, Assises départementales de l'UDR de Corrèze, le 3 octobre 1976, Rassemblement actualités, n°18,1977, p. 18. 186. Note de Georges Albertini, 16 mai 1977, Georges Albertini papers, Box n°8, HIA. 187. RPR, Atout France. Présenté par Jean Méo, Paris, Éditions Rondil, 1980, p. 347. 188. Jean Méo, intervention au colloque « Quelle politique économique ? Quelle relance ? », organisé par l'ALEPS le 13 novembre 1979, Liberté économique et progrès social, n°37, janvier-mars 1980, p. 19. 189. Nicolas Domenach, Maurice Szafran, De si bons amis, Paris, Plon, 1994, p. 214-222. 190. Annie Collovald, « Identités stratégiques », Actes de la recherche en sciences sociales, n°73,1988, p. 33. 191. Jean Chariot, Le Phénomène gaulliste, Paris, Fayard, 1970. 192. Jacques Frémontier, Les Cadets de la droite, Paris, Éditions du Seuil, 1984, p. 56. 193. Catherine Rault, Le Club de l'Horloge (1981-1986), Paris, Institut d'Etudes Politiques de Paris, DEA d'histoire du xx* siècle, 1987. 194. Michel Leroy, Jean-Paul Benoit, Yvan Blot, Jean-Yves Le Gallou, Bruno Mégret, « La Fin du socialisme », Lettre d'information du Club de l'Horloge, n °3,1981, p. 13.

360

Notes des pages 286 à 298

195. Club de l'Horloge, Le Péril bureaucratique, Paris, Club de l'Horloge, 1980, p. 9. 196. « L'Élection présidentielle (26 avril-10 mai 1981) », Le Monde, dossiers et documents, mai 1981, p. 65. 197. Rick Perlstein, Before the Storm: Barry Coldwater and the Unmaking of the American Consensus, New York, Hill and Wang, 2001 ; Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière..., op. cit. 198. Le Figaro, 9 mars 1981. 199. « L'élection présidentielle (26 avril-10 mai 1981) », art. cit, p.76-77. 200. Le Monde, 31 mars 1981. 201. Le Figaro, 15 avril 1981. 202. Le Monde, 8-9 mars 1981. 203. Colette Ysmal, Demain la droite, Paris, Grasset, 1984. 204. Patrick Guiol et Éric Neveu, « Sociologie des adhérents gaullistes », Pouvoirs, n°28, 1983, p. 95 ; Pierre Bréchon, Jacques Derville et Patrick Lecomte, Les Cadres du RPR, Paris, Économica, 1987, p. 32. 205. RPR, Libres et responsables. Projet pour la France, Paris, Flammarion, 1984, p. 14. 206. Jacques Frémontier, Les Cadets de la droite..., op. cit. 207. Guy Sorman, La Révolution conservatrice américaine, Paris, Fayard, 1983. 208. Le Nouvel Observateur, 21 janvier 1983. 209. Le Figaro, 23 mars 1983. 210. Le Monde, 11 février 1984. 211. Libération, 14 septembre 1984. 212. Près de 34 0 0 0 amendements ont été déposés à l'Assemblée natio­ nale entre 1981 et 1984 (Andrew Knapp, Le Gaullisme après de Gaulle, op. cit., p. 129). 213. Patrick Buisson (dir.), Le Guide de l'opposition, Paris, Intervalles, 1983. 214. L'Institut économique de Paris, Paris, 1982. 215. Jacques Chirac, « Le Libéralisme peut-il inspirer un projet politi­ que ? », art. cit., p. 10. 216. Raymond Barre, « Le Libéralisme peut-il inspirer un projet politi­ que ? », Liberté économique et progrès social, n°46/47, octobre 1983, P· 17. 217. En réalité, Michel Leroy est permanent du PR, et Henry de Lesquen, militant RPR (Catherine Rault, Le Club de l'Horloge (1981-1986)..., op. cit., p. 165-166).

361

Néo-libéralisme version française

218. Michel Aurillac, « L'Espérance est au rendez-vous », Les Cahiers de 89, supplément au n°3, juillet 1982. 219. Alain Juppé, intervention lors du Colloque Responsabilités et Liber­ tés, Les Cahiers de 89, supplément au n°4, septembre 1982. 220. Le Monde, 10 octobre 1981 ; Michel Aurillac, « L'Espérance est au ren­ dez-vous », art. cit. 221. « Texte du manifeste », Les Cahiers de 89, n°14, novembre 1983. 222. Club de l’Horloge, Échecs ef injustices du socialisme suivi d'un projet républicain pour l'opposition, Paris, Albin Michel, 1982. 223. Bruno Théret, « Vices publics, bénéfices privés. Les propositions économiques électorales des néo-libéraux français », Critique de l'économie politique, n°31, avril-juin 1985, p. 77-134. 224. Georges Mesmin, « Théoriciens et politiques, les difficultés du dia­ logue », in De l'ancienne à la nouvelle économie : essais à l'occasion de la 10e université d'été de la nouvelle économie, Aix-en-Provence, Librairie de l’Université, 1987, p. 221. 225. Frédéric Lebaron, « La Dénégation du pouvoir. Le champ des écono­ mistes français au milieu des années 1990 », Actes de la recherche en sciences sociales, n°119, septembre 1997, p. 14. 226. Jacques Godfrain, « Le vrai Danger des nationalisations », Contre­ point, n° 39, automne 1981, p. 79. 227. RPR, Libres et responsables... op. cit., p. 26. 228. Alain Juppé, La Double Rupture. Préface de Jacques Chirac, Paris, Économica, 1983, p. 33. 229. Pierre Rimbert, Libération de Sartre à Rothschild, op. cit ; Serge Halimi, Le Grand Bond en arrière..., op. cit., p. 414 et suiv. 230. Raymond Barre, Réflexions pour demain, Paris, Hachette, 1984. 231. Michel Prigent (dir.), La Liberté à refaire, Paris, Hachette, 1984. 232. Guy Sorman, La Solution libérale, Paris, Fayard, 1984. 233. Michel Dufourt, « François Michelin, libéral intégriste », Golias Maga­ zine, janvier-février 2000, p. 39-50. 234. « The Mont-Pèlerin Society 1984 regional meeting », Ronald Max Hartwell papers, Box n°1, HIA. 235. Le Figaro Magazine, 10 mars 1984. 236. Jacques Chirac, Discours de Strasbourg, 17 décembre 1976. 237. « Allocution prononcée par Monsieur Jacques Chirac, maire de Paris », 1er mars 1984, Mont-Pèlerin Society papers, Box n°25/6, HIA.

362

Notes des pages 298 à 309

Notes de la conclusion 1.

Louis Baudin, L'Aube d'un nouveau libéralisme, op. cit., p. 218.

2.

Richard Cockett, Thinking the unthinkable..., op. cit.

3.

John Maynard Keynes, Théorie générale..., op. cit., p. 375.

4.

François Cusset, La Décennie : le grand cauchemar des années 1980, Paris, La Découverte, 2006.

5.

Daniel Pennac, La Petite Marchande de prose, Paris, Gallimard, 1989.

6.

Paul Thibaud, « Le Triomphe de l'entrepreneur », Esprit, décembre 1984, p. 101-110.

7.

L'expression exacte de Bertrand de Jouvenel est : « The Society has turned increasingly to Manicheism according to which the State can do no good and private enterprise can do no wrong » (Bertrand de Jou­ venel à Milton Friedman, 30 juillet 1960, HIA, Milton Friedman papers, Box 86/2).

8.

Jean Baudouin, « Le "Moment néo-libéral" du RPR : essai d'interpréta­ tion », Revue française de science politique, n °6 ,1990, p. 842. Jacques Garello, « Numéro 800 : 1981-2004 », La Nouvelle Lettre, n °8 0 0 ,19 juin 2004.

9.

10. Howard Becker, Outsiders. Études de sociologie de la déviance, Paris, Métailié, 1985, p. 177-178. 11. Julien Duval, Critique de la raison journalistique : les transformations de la presse économique en France, Paris, Éditions du Seuil, 2004. 12. « Edmund Phelps, un Nobel qui a bataillé contre le CPE», Libération, 10 octobre 2006. 13. « Edmund Phelps, Prix Nobel d'économie », Le Figaro, 10 octobre 2006.

363

Néo-libéralisme version française

Fonds d’archives consultés Archives nationales Série F (Versements des ministères et des administrations qui en dépendent)

- F 7 : Police - F 12 : Archives du ministère du commerce et de l'industrie - F 10 : ministère de l’Agriculture - F 22 : Travail et Sécurité sociale - F 37 : Commissions financières - F 60 : Archives de la présidence du Conseil Série AP (Archives Privées)

- 485 AP : Fonds Henri Cacaud - 579 AP : Fonds Jacques Rueff Série AJ (Fonds divers remis aux Archives nationales : AN)

- 68 AJ : Comités d'organisation - 72 AJ : Papiers du Comité d’histoire de la Seconde Guerre mondiale et fonds privés relatifs à la période 1939-1945 Série AG (Papiers des chefs de l'Etat)

- 2 AG : Archives du cabinet civil du maréchal Pétain

Fonds privés Centre d'études politiques Raymond Aron (EHESS) - Fonds Raymond Aron (transféré à la Bibliothèque nationale) Château de Lourmarin de Provence

- Fonds Louis Rougier (R) Fondation nationale des sciences politiques (CHEVS) - Fonds Hubert Beuve-Méry Hoover Institution Archives : H!A (Stanford) - Georges Albertini papers - Georges Lefranc papers

-

Milton Friedman papers Ronald Max Hartwell papers Friedrich Hayek papers Bertrand de Jouvenel papers

- Fritz Machlup papers - Ernest Mercier papers - Mont-Pèlerin Society papers

Yale University Library, Manuscripts and Archives

- Walter Lippmann papers (WLP)

364

Principaux sigles utilisés ACADI

Association des cadres dirigeants de l'industrie pour le progrès social et économique

AIECP

Association interprofessionnelle de l'entreprise à capital person­ nel

ALEPS

Association pour la liberté économique et le progrès social

ANEE

Association nationale d'expansion économique

CAED

Comité d’action économique et douanière

CCOP

Comité central de l’organisation professionnelle

CEGOS

Commission d'études générales d'organisation scientifique

CEPEC

Centre d'études politiques et civiques

CFDT

Confédération française démocratique du travail

CFTC

Confédération française des travailleurs chrétiens

CGC

Confédération générale des cadres

CGE

Comité général d'études

CGPF

Confédération générale de la production française, puis du patro­ nat français

CGPME Confédération générale des petites et moyennes entreprises CGT

Confédération générale du travail

CIRL

Centre international d'études pour la rénovation du libéralisme

CJP

Centre des jeunes patrons, puis CJD (dirigeants d'entreprise)

CNAM

Conservatoire national des arts et métiers

CNE

Conseil national économique

CNI

Centre national des indépendants puis CNIP (- et des paysans)

CNPF

Centre national du patronat français

CNR

Conseil national de la résistance

Comité de prévoyance et d’action sociales CREDOC Centre de recherche et de documentation sur la consommation Direction générale à l'équipement national DGEN CPAS

ETHIC

Entreprises de taille humaine industrielles et commerciales

ENA

École nationale d'administration École nationale de la statistique et des affaires économiques

ENSAE

365

Néo-libéralisme version française

GDLE

Groupement de défense des libertés économiques

GRALL Groupe de recherche d’action et de liaison des libéraux GRES GROP

Groupe de recherches économiques et sociales Groupe de recherches ouvrier-paysan

IEP

Institut d'études politiques de Paris (Sciences Po)

INSEE

Institut national de la statistique et des études économiques

ISEA

Institut de science économique appliquée

ISRES

Institut scientifique de recherches économiques et sociales

IUHEI MEN

Institut universitaire des hautes études internationales Ministère de l’Économie nationale

MRP

Mouvement républicain populaire

OCM

Organisation civile et militaire

OCRPI PPF

Office central de répartition des produits industriels Parti populaire français

PRL

Parti républicain de la liberté

PCF

Parti communiste français

PS

Parti socialiste

PSU RGR

Parti socialiste unifié Rassemblement des gauches républicaines

RPF

Rassemblement du peuple français

RNP

Rassemblement national populaire

RPR Rassemblement pour la république SEDEIS Société d’études et de documentation économique, industrielle et sociale SEDIF

Société d’études et de diffusion de l’idée française

SEIE

Société d’études et d’informations économiques

SFIC SFIO

Section française de l’internationale communiste Section française de l’internationale socialiste

UDCA

Union de défense des commerçants et artisans

UDF

Union pour la démocratie française

UDSR UMP

Union démocratique et socialiste de la Résistance Union pour un mouvement populaire

UNR

Union pour la nouvelle république

USTICA Union syndicale des techniciens de l’industrie, du commerce et de l’agriculture

366

Index des noms cités A Adam (Gérard) : 353 Aftalion (Florin) : 286, 289, 360 Aglan (Alya) : 340 Albert (Michel) : 264 Albertini (Georges) : 214, 215, 216, 217, 276, 280, 347, 353, 358, 359, 360 Allais (Maurice) : 232, 235, 236, 237, 239, 243, 244, 245, 259, 276, 327, 349, 355 Allix (Edgard) : 43, 45, 47, 55, 319, 320 Alphand (Hervé) : 172,189, 341, 342 Amoyal (Jacques) : 315 Anderson (Perry) : 311 Andreff (Vladimir) : 360 Andrieu (Claire) : 340, 342, 343, 356, 357 Antonelli (Étienne) : 32, 41 Arfel (Jean) : 216 Armand (Louis) : 263, 273, 276, 357 Armatte (Michel) : 317 Arnoux (André) : 276 Aron (Raymond) : 7, 90,100,118,155, 156,157,164,165, 213, 214, 222, 233, 234, 249, 250, 251, 259, 276, 288, 328, 336, 337, 338, 347, 352, 354 Attali (Jacques) : 279, 286, 287, 360 Auboin (Roger) : 90,118,194 Audouin (Raoul) : 140, 234 Aupetit (Albert) : 39, 47 Aurillac (Michel) : 297, 362 Azéma (Jean-Pierre) : 327

B Babb (Sarah L.) : 311 Baboulène (Jean) : 256 Badel (Laurence) : 322, 342, 345, 355 Balladur (Edouard) : 264, 290, 291 Ballande (Laurence) : 148 Bardet (Gérard) : 76, 79,187, 325, 340, 342 Barnaud (Jacques) : 325 Barre (Raymond) : 240, 249, 282, 283, 285, 293, 297, 301, 307, 352, 359, 361, 362 Barrère (Alain) : 252, 256, 257 Barthélemy (Joseph) : 44, 73,143, 159,162,166,167, 318, 334, 335, 338 Bassot (Jacques) : 237 Bastiat (Frédéric) : 47,133, 297 Bauchet (Pierre) : 355 Baudin (Louis) : 43,118,119,120,123, 136,137,138,151,171,197, 208, 225, 232, 233, 245, 246, 250, 303, 318, 330, 334, 336, 339, 341, 342, 344, 346, 348, 351, 352, 363 Baudouin (Jean) : 363 Baudouin (Paul) : 116,163,166 Baumgartner (Wilfrid) : 252, 269 Becker (Gary) : 288 Becker (Howard) : 363 Bédarida (François) : 327 Belassa (Bêla) : 355 Belhoste (Bruno) : 317 Belin (René) : 152,153,154,156,157, 162,163,166,167,168, 313, 319, 336, 337, 338, 360 Bellescize (Diane de) : 338 Benaerts (Pierre) : 344

367

Néo-libéralisme version française

Benamouzig (Daniel) : 350 Benoit (Jean-Paul) : 360 Berger (Suzanne) : 358 Berger-Perrin (René) : 205, 360 Berges (Michel) : 338 Bemoux (Philippe) : 345 Bertrand (Jacques) : 351 Besançon (Alain) : 302 Bessaignet (Pierre) : 350 Besse (Pierre) : 343 Bettelheim (Charles) : 350 Beuve-Méry (Hubert : 196,197, 201, 344, 364 Bichelonne (Jean) : 175, 236 Bidegain (José) : 203 Bilger (François) : 330, 351, 353 Bloch-Lainé (François) : 253, 255, 256, 260, 274, 343, 353, 357 Blocq-Mascart (Maxime) : 341 Blondiaux (Loïc) : 329 Blot (Yvan) : 291, 297, 302, 360 Blum (Léon) : 28, 32,137,141 Boiteux (Marcel) : 244, 245 Boivin-Champeaux (Jean) : 72 Boltanski (Luc) : 317, 328, 355, 356 Borel (Emile) : 55 Boris (Roland) : 75, 324 Bouglé (Célestin) : 316, 318, 327 Bouladoux (Maurice) : 257 Bourdieu (Pierre) : 318, 324, 328, 335, 340, 355, 359 Bourgeois (Marcel) : 116,118,130,131, 233 Bousquet (Georges-Henri) : 234, 275, 357 Bouvier (Jean) : 209, 346 Bouvier-Ajam (Maurice) : 316, 318 Branger (Jacques) : 86,175, 315

368

Breton (Yves) : 319 Brimo (Albert) : 359 Brizay (Bernard) : 357 Brocard (Lucien) : 313, 314 Bruhat (Jean) : 336 Brun (Gérard) : 315, 325, 326, 332, 336, 337 Brutzkus (Boris) : 333 Buchanan (James) : 288 Buisson (Patrick) : 361 Burrin (Philippe) : 315 Byé (Maurice) : 256

c Calan (Pierre de) : 273, 274, 276, 281, 284, 347, 353, 357, 359, 360 Canteloube (Joseph) : 35 Caris (Stephen D.) : 312 Carnap (Rudolf) : 96 Caron (François) : 346 Carré de Malberg (Nathalie) : 354 Carrel (Alexis) : 170, 248, 340 Casanova (Jean-Claude) : 288 Castillejo (José) : 111, 330, 331 Catala (Nicole) : 297 Caudron (André) : 323 Ceyrac (François) : 302 Chaban-Delmas (Jacques) : 270, 356 Chambelland (Colette) : 315, 335 Charbonnel (Jean) : 293 Charle (Christophe) : 317, 318, 322, 324, 335 Chariot (Jean) : 277, 354, 358, 360 Charon (André) : 201 Charpier (Frédéric) : 357, 359 Chastenet (Jacques) : 233 Chatriot (Alain) : 313, 314, 322, 323 Chaumeix (André) : 64,144,145,172

Index des noms cités

Chelini (Michel-Pierre) : 354 Chiapello (Ève) : 356 Chirac (Jacques) : 241, 282, 284, 289, 290, 291, 292, 293, 295, 296, 297, 302, 306, 307, 311, 350, 360, 361, 362 Chivvis (Christopher S.) : 356 Clarke (Jackie) : 325 Classen (Emil Μ.) : 331, 335, 336, 337 Claudel (Paul) : 196 Clémentel (Etienne) : 13,14 Closon (Francis-Louis) : 248, 256, 351 Clouet (Stéphane) : 315 Cockett (Richard) : 332, 337, 348, 363 Cohen (Antonin) : 339, 352, 355 Cohen-Solal (Lyne) : 358 Cointet (Michèle) : 339, 340, 341 Colliard (Jean-Claude) : 354 Collovald (Annie) : 290, 360 Colson (Clément) : 41, 47, 54, 55, 64, 81, 320 Condliffe (John Bell) : 111, 330, 331 Courtin (René) : 136,163,171,183, 189,195,196,197, 232, 237, 242, 245, 263, 264, 333, 334, 344, 355 Courty (Guillaume) : 340 Coutrot (Jean) : 80, 82, 236, 325, 326, 332 Craver (Earlene) : 330 Cros (Jacques) : 250, 352 Culmann (Henri) : 313, 353 Cusset (François) : 363

D Daffos (Lucien) : 202, 205, 343 Dalle (François) : 276 Dandieu (Arnaud) : 36, 327 Dany (François) : 357

Darbel (Alain) : 353 Dard (Olivier) : 313, 317, 319, 322, 323, 324, 325, 326, 327, 330, 332, 342, 344, 346, 352 Darnar (Pierre) : 216 Daspet (Roger) : 56, 321 Daudet (Antoine) : 321 Dauphin-Meunier (Achille) : 32,183, 217, 218, 278, 314, 341, 342 Davezac (Henry) : 325 Daviet (Jean-Pierre) : 323 Davy (Georges) : 312 Dayre (Jean) : 245, 351 Déat (Marcel) : 28, 29, 30, 32, 215, 217, 315, 316 Debray (Jean-Robert) : 275 Debré (Michel) : 19, 36, 262, 292, 313 Delfortrie-Soubeyroux (Nicole) : 324 Delors (Jacques) : 269 Delouvrier (Paul) : 192, 343 Demonque (Marcel) : 263, 347 Denizet (Jean) : 252 Deroy (Henry) : 175 Deschamps (Étienne) : 330 Dessiner (Jean) : 314 Detœuf (Auguste) : 58, 67,76, 82, 85, 89,102,106,113,118,119,120,124, 144,146,147,159,172,173,186,196, 203, 236, 247, 321, 324, 326, 329, 330, 332, 335, 336, 341, 344 Devaux (Louis) : 358 Devinât (Paul) : 216 Didier (Michel) : 314 Dieterlen (Pierre) : 115, 247, 331, 349, 351 Dixon (Keith) : 332 Dockes (Pierre) : 320 Domarchi (Jean) : 352 Dominique (Pierre) : 102,138, 328

369

Néo-libéralisme version française

Douérin (Matthieu) : 360 Doumic (René) : 64 Drago (Roland) : 281 Drancourt (Michel) : 280, 281, 287, 288, 302 Drouard (Alain) : 340 Du Boff (Richard B.) : 355 Duboin (Jacques) : 44, 45, 50, 318 Dubois (Vincent) : 313 Dubreuil (Hyacinthe) : 57,152, 202, 203, 208, 276 Duchemin (René-Paul) : 66,147 Dufourt (Michel) : 362 Dulong (Delphine) : 345, 356 Dumons (Bruno) : 312 Dumont (René) : 247 Dumortier (Jacques) : 323 Dumoulin (Eugène) : 216 Dumoulin (Michel) : 355 Dupuy (Jean-Pierre) : 333 Duret (Jean) : 31, 315, 316 Durkheim (Émile) : 29, 54, 69, 320, 323, 330 Duthoit (Eugène) : 15, 312, 316 Dutrieue (Anne-Myriam) : 355 Duval (Julien) : 363 Duverger (Maurice) : 356

E Ebenstein (Alan) : 330 Ehrmann (Henry W.) : 322, 335, 342, 347 Estrangin (Louis) : 263 Etner (François) : 317, 350 Eucken (Walter) : 110, 231, 249

F Fabiani (Jean-Louis) : 327 Fabius (Laurent) : 279, 286, 301

370

Fain (Gaël) : 341 Faure (Paul) : 207 Fayol (Henry) : 274 Ferry (Désiré) : 130 Flandin (Pierre-Étienne) : 207 Flory (Charles) : 256, 351, 353 Foucault (Michel) : 311, 329, 359 Fougère (Étienne) : 56 Fourastié (Jean) : 254, 255, 256 Fourcade-Gourinchas (Marion) : 311, 317, 319 Fourçans (André) : 359 Franck (Louis) : 354 Franck (Louis R.) : 350 François (William) : 275, 357 Frémontier (Jacques) : 360, 361 Fridenson (Patrick) : 312, 321, 335 Friedman (Milton) : 230, 272, 288, 348, 349, 363, 364 Frobert (Ludovic) : 318, 320 Fromont (Louis) : 344 Fromont (Pierre) : 197

G Garti (Brigitte) : 340, 342, 357 Garand (Albert) : 278, 280 Garello (Jacques) : 278, 281, 286, 300, 358, 359, 363 Garnier (jean-Pierre) : 329 Gattaz (Yvon) : 280, 281 Gaulle (Charles de) : 90,157,168, 214, 249, 253, 258, 259, 260, 261, 262, 268, 269, 277, 278, 295, 320, 342, 347, 354, 356, 358, 361 Gélinier (Octave) : 278, 279, 281, 358 Gemelli (Giuliana) : 330 Génin (Marie-Thérèse) : 129,130,131, 132,135, 233, 332, 333, 348, 352 Georges-Picot (Jacques) : 234

Index des noms cités

Germain-Martin (Louis) : 44, 46, 47, 48, 319 Gibrat (Robert) : 37,123 Gide (Charles) : 40, 46, 49 Gideonse (Harry D.) : 161 Gignoux (Claude-Joseph) : 18, 45, 63, 67,183,185,190, 208, 212, 261, 313, 341, 342, 346 Giscard d'Estaing (Valéry) : 58, 260, 269, 278, 280, 282, 285, 292, 293, 354, 358 Glucksman (André) : 288 Godfrain (Jacques) : 362 Goetze (Roger) : 252, 259, 261, 262, 354 Goldwater (Barry) : 292, 361 Goudard (Maurice) : 187 Gruson (Claude) : 252, 266, 343 Gueslin (André) : 340 Guillaume (Marc) : 287, 360 Guillaume (Sylvie) : 344 Guiol (Patrick) : 259, 347, 354, 361 Guitton (Henry) : 247, 252

H Halbwachs (Maurice) : 14, 44 Halimi (Serge) : 311, 361, 362 Hartwell (Ronald Max) : 348, 362, 364 Hassner (Pierre) : 288 Hauser (Henri) : 13, 318 Hayek (Friedrich) : 7, 90,105,110,113, 117,118,120,123,133,140,159,193, 198, 219, 220, 221, 223, 225, 226, 227, 228, 229, 231, 232, 235, 248, 249, 282, 296, 302, 303, 330, 331, 347, 348, 349, 352, 357, 364 Hennessy (james) : 55 Henry (Odile) : 321, 325 Herbette François) : 63

Hermant (Max) : 144,147 Hicks (John) : 248 Hirsch (Étienne) : 188,189 Hoff (Trygve J.B.) : 124, 332 Hölderlin (Friedrich) : 302 Huizinga (Johan) : 112,138,139, 330 Hunold (Albert) : 225, 229, 231, 233, 250, 348, 349, 351, 352, 355 Huvelin (Paul) : 278

I Isaac (Auguste) : 48, 319 Isambert (André) : 326

J Jacob (Pierre) : 328 Jamet (Michel) : 346 Janover (Louis) : 329 Jeanneney (Jean-Marcel) : 249, 261, 277, 343 Jeanneney (Jean-Noël) : 322, 332, 344 Jèze (Gaston) : 45,150 Jobert (Bruno) : 311, 356 Jolly (Pierre) : 318 Jouhaux (Léon) : 31, 32,153, 216 Jourdain (Henry) : 358 Joussain (André) : 138 Jouvenel (Bertrand de) : 208, 224, 225, 229, 231, 233, 234, 306, 313, 348, 349, 363, 364 Julliard (Jacques) : 344 Juppé (Alain) : 291, 295, 297, 298, 301, 302, 311, 362

K Kaplan (Steven L.) : 316, 339 Karakatsoulis (Anne) : 322 Keilling (Jean) : 263

371

Néo-libéralisme version française

Kesler (Jean-François) : 357 Kessler (Marie-Christine) : 358 Kessler (Nicolas) : 333, 334 Keynes (John Maynard) : 165, 248, 250, 251, 252, 289, 304, 332, 338, 348, 352, 363 Kipping (Matthias) : 355 Knapp (Andrew) : 356, 361 Knight (Frank H.) : 110,161. 329 Kolboom (Ingo) : 319, 335 Koyré (Alexandre) : 328 Kriegel (Annie) : 288 Kuisel (Richard) : 321, 325, 329, 338, 339,350

L Lacoste (Robert) : 123,152,153,154, 155,168,195, 336 Lacour-Gayet (Jacques) : 63,186, 202, 203, 208 Lacouture (Jean) : 356 Laederich (René-Georges) : 219 Lambert-Dansette (Jean) : 323 Lamirand (Georges) : 76,324 Lamoureux (Lucien) : 73 Larocque (Denise) : 320 Laroque (Pierre) : 36.155,163,164. 165, 336, 338 Laufenburger (Henry) : 187 Laurat (Lucien) : 30.31.216,315, 316, 347 Lavergne (Bernard) : 40,49.100,116, 118.133,134.136, 318, 330, 334, 339 Lebaron (Frédéric) : 320.353,362 Le Bon (Gustave) : 97,98. 328 Lecaillon (Jacques) : 247 Lecanuet (Jean) : 260 Lecoq (Tristan) : 329 Le Crom (Jean-Pierre) : 316,353

372

Le Dréau (Christophe) : 330 Leduc (Gaston) : 234, 237, 246, 258, 275, 280, 281, 359 Lefranc (Georges) : 30, 278, 312, 316, 336, 345, 357, 364 Le Gallou (Jean-Yves) : 360 Legueu (François-Félix) : 103,172, 208, 216, 329 Lemonnier (Guy) : 216, 217,276,278 Lenoir (Remi) : 335, 353 Léotard (François) : 296 Lepage (Henry) : 286, 287, 288. 300, 359,360 Lerner (Henri) : 356 Leroy (Michel) : 297, 360, 361 Leroy-Jay (Patrice) : 278 Lescure (Jean) : 44, 49,136, 242, 318, 319, 333 Lesourne (Jacques) : 245, 349 Lesquen (Henry de) : 297,361 Leterre (Thierry) : 327 Le Van-Lemesle (Lucette) : 317, 343 Lévy (Bernard-Henri) : 288 Lévy (Jean) : 347. 359 Ley (Désiré) : 67, 68 Lhomme (Jean) : 171, 339 Lhoste-Lachaume (Pierre) : 65, 68, 70. 71.72.140,141,142,152,187, 205, 212, 234, 235, 237, 238, 265, 275, 323, 324, 334, 345. 349, 356, 357 Liesse (André) : 47,48, 64 Lippmann (Walter) : 7, 8. 89,90, KM. 105,106,107,108. HO. m. 112,115, H6. 117,118,119.121.122.123,124,145,148, 150,156,161.193.194,196, 202, 211, 240, 250, 258, 277. 311. 326. 329, 330, 331, 332, 333, 334, 336, 337, 352.364 Loizillon (André) : 79 Longuet (Gérard) : 295.296

Index des noms cités

Loucheur (Louis) : 14,18, 77, 312 Loustau (Robert) : 37 Louzon (Robert) : 31, 315

M Machlup (Fritz) : 89,133,134,149, 248, 326, 335 Madelin (Alain) : 278, 295, 296, 300, 326 Mainguy (Yves) : 247, 351 Malinvaud (Edmond) : 244, 245, 271, 314, 350 Malterre (André) : 262 Man (Henri de) : 27, 317, 327 Mantoux (Étienne) : 118,119,123,148, 164,165, 250, 332, 338, 352 Marc (Alexandre) : 36 Marcel (Gabriel) : 139 Marchais (Georges) : 292 Marchai (André) : 243, 246, 247, 344, 350, 351 Marchai (Jean) : 247, 256 Marchandeau (Paul) : 65 Marco (Luc) : 317, 318, 319, 350 Marculesco (Michel) : 339 Marczewski (Jean) : 277, 358 Margairaz (Michel) : 320, 329, 340, 343, 346 Marion (Mathieu) : 327 Marjolin (Robert) : 30, 41, 90,118,119, 148,162,172,179,194, 250, 263, 277, 318, 320, 337, 339, 358 Marlio (Louis) : 52, 61, 67,118,119,120, 123,144,155,161,174,175, 233, 234, 250, 321, 322, 330, 335, 344, 352 Marpeau (Benoît) : 328 Martinez (Gilles) : 339 Marx (Karl) : 27, 29, 97, 250, 315 Massé (Pierre) : 82, 244, 245, 263, 269, 343

Mathon (Eugène : 16, 23, 34, 67, 68, 312, 314 Maulnier (Thierry) : 213, 237, 276, 281 Maurois (André) : 116, 333 Mauss (Marcel) : 22,111, 314, 330 Mayer (René) : 147,165,210,237 Mayolle (Emmanuel) : 199, 349 Mazon (Brigitte) : 319 Mégret (Bruno) : 298, 360 Mehlman (Jeffrey) : 337 Menthon (Françoise de) : 257 Méo (Jean) : 289, 360 Mercier (Ernest) : 14,77, 78, 82, 83, 118,119,145,146,159,164,165,174, 198, 201, 233, 234, 321, 324, 325, 330, 335, 338, 364 Mesmin (Georges) : 300, 362 Meunier (Marcel) : 199 Meynaud (Jean) : 192, 343 Michel (Henri) : 338, 342 Milet (Marc) : 336 Mioche (Philippe) : 343, 344, 357 Mireaux (Émile) : 55, 63,145,172,208 Mirkine-Guetzevitch (Boris) : 338, 342 Mirowski (Philip) : 351 Mises (Ludwig von) : 105,106,110, 112,115,117,118,120,132,133,134,136, 138,145,159,161, 228, 232, 330, 331, 333, 334 Mitai (Christine) : 358 Mitterrand (François) : 279, 280, 292, 295, 306 Moch (Jules) : 32, 81 Molinari (Gustave de) : 312 Mollier (Jean-Yves) : 332 Monestier (André) : 60,174,175, 322, 339 Monnet (Jean) : 172,179,188,193, 194,195, 267, 343

373

Néo-libéralisme version française

Monnier (Victor) : 330 Montbrial (Thierry de) : 272, 359 Montjoie (René) : 263, 272 Morgenstern (Oscar) : 110 Morisot (Georges) : 201, 233 Morsel (Henri) : 322 Mossé (Robert) : 242 Mounier (Emmanuel) : 36, 37,171, 317, 338 Moutet (Aimée) : 321 Moysset (Henri) : 166 Müller-Armack (Alfred) : 231 Murat (Auguste) : 318

N Nash (George) : 344 Nathan (Roger) : 192, 343 Naudin (Paul) : 344 Neunhöffer (Gisela) : 311 Neurath (Otto) : 96 Neveu (Éric) : 361 Nicolétis (John) : 79, 81 Noiriel (Gérard) : 322 Nora (Simon) : 211, 263, 346 Noyelle (Henri) : 26, 315, 339, 350 Nye (Robert A.) : 328

O Ortoli (François-Xavier) : 271

P Paillat (Claude) : 323 Paquot (Thierry) : 315 Pasquier (Albert) : 345, 350 Pavé (Francis) : 351 Paxton (Robert O.) : 167, 314, 334, 338, 340 Payen (Édouart) : 55, 64

374

Pedersen (Susan) : 323 Pellene (Marcel) : 207, 345 Pelletier (Denis) : 353 Pénin (Marc) : 318, 319 Pennac (Daniel) : 306, 363 Perlstein (Rick) : 361 Perrot (Jean-Claude) : 311, 333 Perroux (François) : 34, 41,138,148, 170,176,192, 242, 243, 247, 249, 252, 256, 257, 316, 318, 334, 335, 343, 352 Perthuis (François) : 326, 344 Petsche (Maurice) : 210, 346 Peyerimhoff (Henri de) : 61, 67, 322 Phelps (Edmund) : 308, 363 Philip (André) : 32,195, 210, 340 Piatier (André) : 118,148,150, 335 Picard (Roger) : 43, 49, 73,102,134, 136,141,164, 234, 242, 324, 328, 334 Piettre (André) : 133,136,137,148, 249, 257, 322, 334, 335, 350, 352, 353 Pinay (Antoine) : 205, 208, 210, 237, 240, 260, 261, 269 Pineau (Christian) : 152,153,168 Pinon (René) : 312 Pinot (Robert) : 63 Pinto (Louis) : 327 Pirou (Gaëtan) : 24, 40, 43, 83,100, 102,124,149,159,176,182,191, 242, 314, 317, 319, 329, 331, 333, 335, 340, 341, 342, 344 Pisson (Paul) : 202 Plassard (Jacques) : 208, 278, 280, 281 Plehwe (Dieter) : 311, 333 Pleven (René) : 195, 209 Plunier (Guy) : 296 Poincaré (Henri) : 16, 78, 93, 95, 97, 327, 351 Polanyi (Karl) : 6, 311. 331, 336

Index des noms cités

Politzer (Georges) : 31, 316 Pomaret (Charles) : 315 Pommera (Marcelle) : 30 Pompidou (Georges) : 269, 270, 271, 290, 356 Poniatowski (Michel) : 277 Pose (Alfred) : 219 Pouch (Thierry) : 315, 358 Poujade (Pierre) : 209 Prasad (Monica) : 311 Prigent (Michel) : 301, 362 Prost (Antoine) : 343 Prost (Gustave) : 345 Ptak (Ralf) : 339

Q Oueuille (Henri) : 210, 261, 346

R Raffarin (Jean-Pierre) : 295 Rappard (William) : 89,113,114,116, 117, 224, 248, 330, 348, 349 Rault (Catherine) : 360, 361 Reagan (Ronald) : 3,90,285,291,295 Reichenbach (Hans) : 96 Renan (Ernest) : 97 Rey (Jean) : 276 Reynaud (Paul) : 103,137,166, 320 Reynaud (Pierre-Louis) : 243 Riboud (Antoine) : 277 Richard (Gilles) : 313, 319, 322, 323, 346 Rigault (Florence) : 320 Rimbert (Pierre) : 343, 356, 362 Rist (Charles) : 40, 41, 43, 45, 46, 47, 48, 49, 50, 52,100,112,118,148,149, 150,157,159,162,163,176,197, 232, 234, 242, 312, 318, 330, 335, 337, 338, 340, 344

Riutort (Philippe) : 344 Rizzo (Jean-Louis) : 345 Robbins (Lionel) : 110,133,134,232, 249, 329, 330 Rocard (Michel) : 279, 329 Roche (Émile) : 216 Rochebrune (Renaud de) : 338 Rogliano (Marie-France) : 336 Roosevelt (Franklin D. : 20, 87,115, 180 Ropert-Precloux (Anne-Françoise) : 339 Röpke (Wilhelm) : 90,110,111,112,113, 115,117,118,120,123,152,198, 219, 227, 228, 229, 231, 232, 330, 331, 336, 348 Rosa (Jean-Jacques) : 286,289,360 Rosanvallon (Pierre) : 312, 352 Rosental (Paul-André) : 353 Roth (François) : 346 Roth (Karl Heinz) : 349 Rottier (Georges) : 247, 351 Rougemont (Denis de) : 36, 83 Rougier (Louis) : 90,91, 93,94, 95, 96, 97, 98, 99,100,101,102,103,106, 113,115,116,117,118,119,120,123,124, 133,135,137,141,152,156,159,160, 161, 232, 234, 237, 275, 315, 326, 327, 328, 329, 330, 331, 332, 333, 334, 336, 337, 338, 349, 350, 364, 376 Roussellier (Nicolas) : 317 Rousso (Henry) : 343, 357 Roy (René) : 242, 245 Rueff (Jacques) : 7,12,15, 38,39,48, 52, 55, 81, 84, 85, 90,100,116,118, 119,120,123,149,155,159,163,164, 192,193, 208, 232, 233,237, 238, 240, 248, 251, 257, 259, 260, 261, 262, 263, 264, 265, 266, 268, 275, 276, 281, 282, 286, 289, 312, 317, 319, 320, 326, 330, 331, 337, 338, 347, 349, 351, 352, 353, 354, 355, 356, 364

375

Néo-libéralisme version française

S

T

Sadoun (Marc) : 347, 354 Sadrin (Jean) : 263 Salin (Pascal) : 281, 285, 286, 289, 300, 311, 359 Salleron (Louis) : 34,138,139,148, 156,157,170, 316, 334 Sartre (Jean-Paul) : 213, 214, 343, 356, 362 Saulnier (Frédéric) : 338 Saunders (Frances S.) : 346 Sauvy (Alfred) : 82, 87, 243, 254, 255, 263, 314, 320, 339, 353 Schlick (Moritz) : 95, 96 Schnapper (Dominique) : 353 Schumpeter (Joseph) : 221, 348 Schütz (Alfred) : 110,112,161, 331 Sédillot (René) : 277 Serruys (Daniel) : 13,19 Shennan (Andrew) : 340 Siegfried (André) : 143,144,159,196, 224, 348 Simiand (François) : 14, 32, 44 Singer (Claude) : 338 Slama (Alain-Gérard) : 317 Solente (Henri) : 344 Sorman (Guy) : 301, 302, 361, 362 Souchon (Auguste) : 47 Souvarine (Boris) : 83,124, 215, 217 Spinasse (Charles) : 86, 87,118, 313 Steiner (Philippe) : 349, 350 Steiner (Yves) : 349 Stiegler (Georges) : 288 Stoffaes (Christian) : 272, 285, 357 Stoléru (Lionel) : 272, 285 Suleiman (Ezra) : 340 Sulitzer (Paul-Loup) : 306

Tarde (Guillaume de) : 147,159,172, 173, 326, 339 Tardieu (André) : 16,17, 79,156 Tarski (Alfred) : 96 Tavernost (Antoine de) : 339 Terray (Aude) : 342, 346, 352, 355 Tessier (Gaston) : 262 Thatcher (Margaret) : 3, 285, 291 Théret (Bruno) : 356, 362 Thibon (Gustave) : 139,176 Thomas (Albert) : 14, 49, 57 Thuillier (Guy) : 324 Topalov (Christian) : 319 Toubon (Jacques) : 295 Touchelay (Béatrice) : 343 Trévoux (François) : 233 Truchy (Henri) : 46, 47, 54, 55,133, 242, 320, 330 Truptil (Roger) : 232, 233

376

U Ullmo Jean : 82 Uri (Pierre) : 179, 267

V Vallon (Louis) : 81, 82, 83,134,135, 152,154,155,156,157,168, 329, 333, 336, 337, 339, 358 Ventejol (Gabriel) : 262 Verheyde (Philippe) : 340 Verret (Alexandre) : 263 Vigne (Éric) : 354 Villey (Daniel) : 83,163,171,197, 230, 232, 245, 246, 247, 251, 259, 264, 266, 275, 276, 326, 337, 340, 344, 349, 351, 352, 354, 355 Villiers (Georges) : 199, 200, 201, 202, 233, 344, 359

Index des noms cités

Vinen (Richard) : 345 Virion (Pierre) : 316 Vitry (Raoul de) : 202, 261 Vuillemin (François) : 356

Wendel (François de) : 64, 322, 332 Wieviorka (Olivier) : 320, 341 Willard (Claude) : 358 Winock (Michel) : 339 Wormser (Olivier) : 263

W Walpen (Bernhard) : 311, 326, 330, 331, 333, 348 Weber (Henri) : 356, 357, 359 Weber (Max) : 29, 322, 348 Wegmann (Milène) : 355 Weill (Simone) : 83

Y Ysmal (Colette) : 361

Z Zouboulakis (Michel S.) : 320 Zunigo (Xavier) : 350

Table des matières

I n t r o d u c t i o n ...........................................................................

3

1. E t l'é c o n o m i e d e v i n t p o l i ti q u e .....................................

11

La crise du ca p ita lism e........................................................... Mobilisation industrielle, mobilisation intellectuelle .............. L'économie se dote d’un ministère ........................................... Crise économique et anomie intellectuelle .............................

13 13 17 21

Le p ro cès du lib é ra lis m e ....................................................... La vogue du planisme ................................................................. Le retour à l'ordre chrétien : le corporatisme ......................... D'une troisième voie à l'a u tre ...................................................

26 27 33 35

L’économ ie politique c o n te s té e ........................................... Une discipline encore marginale ............................................... Cooptation et contrôle du corps ............................................... Les économistes sous le feu de la critique .............................

38 38 41 44

2 . L e s lib é r a u x d a n s la t o u r m e n t e .................................

51

L ibre-échange co n tre n éo -cap italism e............................. Hors du libre-échange, point de s a lu t ..................................... Rationalisation industrielle et fascination de l ’Amérique — Une alliance institutionnalisée ................................................

52 53 57 63

Un ré v élateu r d es dissensions : le Groupem ent de d éfen se d es lib ertés éc o n o m iq u es............................... Crise du textile, crise du p a tro n a t .......................................... « À bas le consortium ! À bas Désiré Ley ! » ........................... L’ordre naturel, l'ordre r é e l ......................................................

64 65 67 70

L’ém erg en ce de la tech n o c ratie.......................................... Les polytechniciens et le discours de la compétence ............ La multiplication des lieux neutres : X-Crise et les Nouveaux Cahiers............................................................ Concilier libéralisme et intervention de l'É ta t .......................

73 74 78 84

379

Néo-libéralisme version française

3 . L es p r e m ie r s p a s d u n é o - l i b é r a l i s m e ......................

89

Un philosophe marginal : Louis R o u g ier............................

91 92 96 99

Contre la métaphysique et le rationalisme ............................. Un projet philosophique et p o litiq u e ....................................... Le prophète du néo-libéralisme français .................................

En q u ête d'une C ité li b r e ....................................................... L'économie morale du néo-libéralisme ................................... Cosmopolitisme et construction en réseaux .......................... Des lieux de sociabilité internationaux ...................................

Le Colloque Walter Lippmann : le m om ent fondateur ..

104 104 110 113

Du dîner mondain au colloque savant ..................................... Affirmation et divisions d'une doctrine ................................... L'embryon d'une internationale ...............................................

116 116 119 122

4 . U n e m o b ilis a tio n é p h é m è r e .........................................

127

Une en tre p rise politique : Les Éditions de M édicis........

128 129 135 139

Un créneau à prendre ................................................................. À l'intersection de deux groupes m ilitants .............................. Propagande intellectuelle et propagande patronale : SEDIF

A ssocier th éoriciens e t praticiens de l'é c o n o m ie .......... Un recrutement élitiste ............................................................... La crise du planisme ................................................................... Un « curieux rapprochement d'idées » ....................................

Être libéral sous l’O ccupation...............................................

142 143 152 156

Des reclassements inattendus ................................................... Le poids des engagements passés ........................................... Les mirages de l'attentisme .......................................................

160 162 167 175

5 . D e la L ib é ra tio n à la G u e r r e f r o id e : d é b â c l e e t r e n a i s s a n c e ...................................................

179

L’É tat in c o n to u rn a b le .............................................................

380

L'âge de la réform e ..................................................................... Un néo-libéralisme bien tem péré ............................................. Haro sur le dirigisme ...................................................................

181 181 185 190

Le retour des libéraux............................................................. Le CNPF à l'offensive .................................................................

198 199

Table des matières

6.

L'inflexion des politiques gouvernementales ......................... La vigueur de l'anticommunisme ............................................

206 212

La S ociété du Mont-Pèlerin : une citadelle pour le néo-libéralism e.......................................................... Une cause métapolitique .......................................................... Une organisation divisée .......................................................... La traversée du désert des Pèlerins français .........................

219 220 226 232

À la c o n q u ê t e d u p o u v o ir p o l i t i q u e ........................

239

La plasticité de l'idéologie dom inante...............................

241 241 247 253

Marginalistes et littéraires ........................................................ La circulation internationale des idées économiques............ Les ambiguités du discours modernisateur ...........................

Le grand to u rn an t institutionnel : la V* R épublique___ L’alliance improbable du gaullisme et du libéralisme ............ L'ancrage européen : le marché institutionnel....................... Un néo-libéralisme gestionnaire ..............................................

La conversion au m arc h é......................................................

258 259 264 268

Entre le patronat et l'Université .............................................. Déception, radicalisation et captation : les années Giscard.. Un libéralisme réactionnel........................................................

272 273 282 293

C o n c lu s io n .............................................................................

303

N o t e s .........................................................................................

311

F o n d s d ’a r c h iv e s c o n s u l t é s ..........................................

364

P r in c ip a u x s iq le s u t i l i s é s ..............................................

365

In d e x d e s n o m s c i t é s ......................................................

367