Mithra et le Mithriacisme
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Table of contents :
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Dans le monde gréco-romain, Mithra n'est pas un dieu parmi d'autres, ni comme les autres. Venu d'ailleurs avec un lointain héritage indo-européen, il n'est pas lié à tel ou tel sanctuaire topique. On l'honore partout où un groupe de fidèles renouvelle en son nom le repas jadis partagé avec le Soleil sur la peau du taureau mis à mort pour abreuver la création : un culte à fortes connotations cos­ miques et que différencient le rituel très particulier de ses initiations en même temps qu'une doctrine vitaliste du sacrifice et du salut. Ce livre, qui intègre les recherches et les découvertes les plus récentes, expose, avec clarté et rigueur, le dossier complexe et fascinant des Mithriaca.

Ancien élève de l'École Normale Supérieure, ancien membre de l'École Française de Rome, membre de l'Insti­ tut, Robert Turcan, professeur à la Sorbonne, a publié, tant en France qu'à l'étranger, de nombreux ouvrages qui font autorité sur l'Antiquité romaine. On lui doit notam­ ment fléliogabale et le sacre du soleil, Mithras Platonicus, Religion romaine et, aux Belles Lettres, Vivre à la cour des Césars et Les cultes orientaux dans le monde romain.

120 F

ISBN

:

2-251-38023-X

18,29 E

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lll l l l l l l ll lll lllll l 782251 380230

DU MÊME AUTEUR Chez le même éditeur Firmicus Maternus, L'erreur des religions païennes, texte établi, traduit et commenté (Coll. des Universités de France), Paris, Les Belles Lettres, 1982. Vivre à la cour des Césars, Paris, Les Belles Lettres,

1991.

1987;

trad. italienne, Florence,

Les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, Les Belles Lettres,

1992.

1989;

réédition

Histoire Auguste, Vies de Macrin, Diaduménien, Héliogabale, texte établi, traduit et commenté (Coll. des Universités de France), Paris, Les Belles Lettres, 1993.

Chez d'autres éditeurs Le trésor de Guelma. Étude historique et monétaire, Paris, Arts et Métiers Graphiques,

1963.

Les sarcophages romains à représentations dionysiaques. Essai de chronologie et d'histoire religieuse (Bibl. des Écoles Françaises d'Athènes et de Rome, fasc. 210), Paris, É. de Boccard, 1966. Sénèque et les religions orientales (Coll. Latomus,

91),

Bruxelles,

1967

(épuisé).

Les religions de l'Asie dans la vallée du Rhône (Études préliminaires aux religions orientales dans l'Empire romain, 30), Leyde, E.J. Brill 1972. Mithras Platonicus. Recherches sur l'hellénisation philosophique de Mithra (Études préli­ minaires..., 47), Leyde, E.J. Brill, 1975. Numismatique romaine du culte métroaque (Études préliminaires...,

1983.

97)

Trésors monétaires de Tipasa et d'Announa (Coll. du CERGR, NS, Héliogabale et le sacre du Soleil, Paris, Albin Michel, Gênes, 1991. Nigra Moneta (CERGR, NS,

6),

Lyon,

1985

Leyde, E.J. Brill,

2),

Lyon,

1984.

(épuisé) ; trad. italienne,

1987.

Religion romaine, Iconography of Religions, XVII, 1 (Les dieux) et Leyde, E.J. Brill, 1988.

2 (Le

culte),

ROBERT TURCAN de l1nstitut

MITHRA ET LE MITHRIACISME 2f tirage

revu

et corrigé

PARIS LES BELLES LETTRES 2000

Tous droits

de traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous les pays.

© 2000. Société d'édition Les Belles Lettres, 95 bd Raspail 75006 Paris. wun.v.lesbelleslettres. com Jèrf. édition 1993. ISBN:

2-251-38023-X 1140-2539

ISSN:

INTRODUCTI ON

La première édition de ce livre a paru en 1 98 1 dans la collection « Que sais-j e ? », et l'idée de consacrer un volume de cette série à Mithra pouvait surprendre : pourquoi pas à Mercure ou à Vénus ? En fait, il ne s'agit pas seulement d'un dieu parmi d'autres, mais aussi du mithriacisme, c'est-à-dire d'une théologie et d' une idéologie qui ont nourri un courant religieux assez puissant et attractif pour s' imposer durant plus de deux siècles à différents milieux de la société romaine, des bords de l'Euphrate à la Bretagne insulaire. Mithra a une très longue histoire, qui dure encore chez les zoroastriens de l ' I nde et de l' Iran. Mais c'est le dieu hellénisé et romanisé qui retiendra surtout notre atten­ tion. Il n'a pu conquérir l'Occident qu'en s'intégrant à un système de croyances et moyennant une organisation liturgique qui répondaient à certaines exigences des hommes dans le contexte historique du monde européen et méditerranéen des trois premiers siècles de notre ère . « Si le christianisme eût été arrêté dans sa croissance par quelque maladie mortelle, le monde eût été mithriaste », écrivait E. Renan. Affirmation exagérée, mais à laquelle l' abondance relative des sites cultuels et des trouvailles mithriaques donne une apparence de vérité. Les études concernant ce culte se sont multipliées dans le courant des vingt dernières années ; il a même été le

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MITHRA ET LE MITHRIACISME

thème de congrès internationaux. Le présent volume ne prétend pas résoudre les nombreux problèmes posés par les mystères de Mithra, mais il tient compte des inter­ rogations de tous ceux qu'intriguent les statues et bas­ reliefs dispersés dans les musées, ainsi que les allusions des auteurs anciens, païens ou chrétiens . Plutôt qu'un exposé didactique et simplificateur, j 'ai souvent préféré donner au lecteur un état des recherches actuelles et des difficultés soulevées tant par la documentation que par les interprétations antiques ou modernes du mithria­ cisme. Notre information reste tributaire de l'archéo­ logie, qui nous réserve sans doute bien des révélations ! Mais on perçoit assez clairement ce qui distinguait le mithriacisme des autres cultes païens (et même orien­ taux) pour en dégager l'originalité foncière et authen­ tique. Naturellement, cette réédition intègre les principales découvertes qui ont été faites durant la dernière décen­ nie, ainsi que les exégèses qui ont pu renouveler notre vision du mithriacisme. Elle est aussi pour l'auteur une occasion de se remettre d' accord avec lui-même sur certains points litigieux. C 'est pourquoi cinq appendices reconsidèrent quelques données anciennes ou récentes dont l'analyse continue d'être controversée. La biblio­ graphie a donc été remise à jour. Enfin des photo­ graphies, plus suggestives et mieux appropriées , rem­ placent plusieurs des dessins au trait qui illustraient trop sommairement (et insuffisamment) l' édition de 1 98 1 .

C HAPITRE PRE M I E R

Protohistoire de Mithra

1. Etymologies Le sens originel du nom même de Mithra continue d'être discuté. En védique, mitra signifie « ami » au masculin, « alliance, amitié » au neutre. L'avestique mi&ra désigne le « contrat » . Depuis A. Meillet 1 , beau­ coup admettent que Mithra est la personnification du contrat. En effet, le processus suivant lequel un nom neutre d'abstraction ou d' apparence abstraite devient un nom de divinité est bien attesté ailleurs ( cf. en latin Venus, Fides, Cupido) . Mais les attributions et représenta­ tions du Mi tra védique comme du Mi6ra iranien dépassent la notion de « contrat », du moins au sens moderne et juridique du terme. Pourvu d'un suffixe instrumental -tra ( -tro : cf. lat. aratrum « outil de labour » ; gr. &po-rpov même sens ; è:pE-rpov « rame ») , l'appellatif mitra serait formé sur le degré zéro (*mi-) d'une racine *mei-l*moi- qu'on retrouve dans toutes les langues indo-européennes (lat. miinuslmoenus, commiinis, miituus, mutare ; aiL gemeinsam ; lituan . mazna) avec l' idée d'échange (Meillet) . Les pactes d'amitié sont marqués par des échanges de dons qui attestent la bonne volonté réciproque des contractants . D'autres ( Peters­ son, Güntert, Walde et Pokorny, Scherer, Eilers) rat­ tachent mitra à une racine *mei- signifiant « lier, joindre » (cf. gr. fl-hpa « ceinture, lien ») , qui aurait donc une

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PROTOHISTOIRE DE MITHRA

valeur très proche du sens que retenait Meillet. Plus récemment, W. Lentz y a déchiffré l'idée de pietas en faisant dériver le nom mitra d' une racine *ma- ( *ma-) signifiant « mesure, j uste mesure » (cf. gr.!J-É't'pov) , garan­ tie du lien social et familial. Enfin, J. Gonda fait mainte­ nant valoir une autre racine *mei-l*moi- du sanskrit mdyah ( « restauration, revigoration » ) , en glosant quel­ que peu sur les textes védiques relatifs à Mitra2 . Aucune de ces deux dernières explications n'a sérieuse­ ment ébranlé celle de Meillet que retiennent aujourd'hui la plupart des spécialistes, même si le linguiste français eut le tort d'entendre le mot « contrat » de façon restrictive en l'opposant à la notion d'amitié. Mitra « contrat » et mitra « ami » n'illustrent pas un cas d'homonymie accidentelle (1. Gershevitch) , car il n'y a pas d'amitié sans engagement « mutuel » . Cette réciprocité fonde un lien, une alliance : prolongement sémantique naturel qui n'a pas lieu d'être isolé de la racine *mei-/*moi- ( « échanger ») . Le schéma évolutif : « obligation mutuelle (par échange de dons) » � « ami, amitié » � « dieu Mitra » est historiquement vrai­ semblable3. La racine *mei- « lier » se confond probable­ ment avec celle qui, par la notion même d'échange, connote l'idée de réciprocité. Mithra serait donc initialement le garant de lafides, de l'accord qui consacre l'ordre du monde et de la société, c'est-à-dire aussi bien les rapports entre les dieux et les hommes que des hommes entre eux. Cette fonction fonda­ mentale élucide à la fois les représentations védiques et avestiques, voire l'identification ultérieure du dieu avec le soleil ou la lumière. A l'époque romaine, il restera le dieu de la foi que se donnent les contractants par la dexiôsis, serrement de mains, serment sur le feu de l'autel.

II. Mitra védique Dans le texte d'un traité conclu vers 1 380 entre le roi hittite Subbiluliuma et le roi de Mitani Mativaza sont

MITRA VÉDIQUE

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invoqués comme témoins et garants de l'engagement pris par le Mitanien les dieux Mitra et Varuna, puis I ndra et les jumeaux Nasatya. Cette séquence, qui transcrit théologiquement les trois fonctions de la société indo-européenne, coïncide avec celle qu'on trouve dans la religion védique, et tout donne à penser que ces Aryas de Mitani représentent un rameau des futurs Indiens égaré en Occident. Mitra et Varuna védiques sont couramment accouplés (sous la forme du double duel Mitra-Varuna) comme les deux faces antithétiques et complémentaires de la souve­ raineté. Mitra en incarne l'aspect juridico-sacerdotal, bienveillant, conciliant, lumineux, proche de la terre et des hommes ; Varuna, l'aspect magique, violent, ter­ rible, ténébreux, invisible et lointain. Cette opposition à l'intérieur d'un même genre n'est pas aussi nette dans les hymnes du �g Veda que dans les commentaires litur­ giques et théologiques qui appartiennent à une époque postérieure. Mais il n'y a aucune raison solide pour interpréter cette différence en termes d'évolution, ni surtout pour ramener les deux termes de l'antinomie à une quasi-synonymie, comme l'a tenté P. Thieme (en expliquant le nom V a runa· comme « la Parole Vraie », étymologie purement conjecturale et très controversée) . Mitra et Varuna garantissent tous deux, en tant que dieux souverains, le r,ta, c' est-à-dire l'ordre cosmique, religieux et moral. Mais le premier - dieu « ami » règle les problèmes à l'amiable, par des contacts entre les parties et par leur bonne volonté réciproque : il harmo­ nise et, comme le dit un hymne du �g Veda ( 3 , 59) , il fait « s'arroyer » ou « s' entendre les gens » (L. Renou traduit : « qui hiérarchise les hommes ») , tandis que Varuna, dieu « lieur » , est le gardien statique et redou­ table du �ta. Mitra incarne donc quelque chose de la négociation réfléchie, de l'équité. Il est « force délibé­ rante », tandis que Varuna est « force agissante ». Dans

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PROTOHISTOIRE DE MITHRA

la fonction souveraine, il représente le roi-prêtre (il est « brahman ») et il a des affinités avec les Vasu, divinités liées à la troisième fonction , alors que Varuna doué du ksatra (pouvoir de la force) est mis parfois sur le même plan qu' I ndra, dieu guerrier. Aussi a-t-on pu parler ( toutes proportions gardées ) de pouvoirs « spirituel » et « temporel » . De ce point de vue aussi, G . Dumézil a comparé le duo védique à celui des deux premiers rois de Rome, Romulus et Numa, qui correspondraient respec­ tivement à Varuna et à Mitra. Pour conclure un accord, il faut offrir une victime blanche à Mitra. Mais curieusement ce dieu sacerdotal qui, dans le mithriacisme romain, donnera l'exemple de la tauroctonie (ou immolation du taureau ) répugne au sacrifice sanglant. Il refuse d'abord de s'associer aux dieux qui veulent assassiner Soma en alléguant que les taureaux se détourneront de lui et en disant : « Je suis l'ami de tous. » Pourtant il participe finalement au sacrifice, et H. Lommel a vu dans cette histoire la préfiguration de la tauroctonie : Soma personnifie, en effet, la pluie fécondante qui provienf de la Lune et vivifie tous les êtres, comme le sang du taureau tel que les reliefs mi thriaq ues nous le montreront à l' époq ue romaine . Il est vrai aussi que le soma est une boisson fermentée (équivalent du haoma iranien) et que le roi de Perse s'enivrait une seule fois par an, pour la lete de Mithra précisément. Mais dans le mythe indien Mitra ne fait que collaborer à l'exécution de Soma, il n'est pas le sacrificateur par excellence ; et Soma n'est pas un tau­ reau , même s'il a quelque rapport avec la Lune, comme la victime du Mithra gréco-romain. Il reste que le Mitra védique annonce à certains égards le Mithra hellénistique et occidental. Respon­ sable avec Varuna du ciel et de la terre, des révolutions solaires et lunaires, il est plus précisément attentif à la Création et aux créatures terrestres ; il veille sur les

MITHRA A VESTIQUE

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communautés humaines, protège ses fidèles, venge l'honnêteté bafouée. Ce dieu secourable du matin lumi­ neux, défenseur de la bonne foi et de la vérité, garant de l'accord qui maintient l'ordre cosmique, rituel et social, qui « soutient le ciel et la terre » ( J} g Veda, 3 , 59) , n'est pas étranger au futur Mithra sauveur et kosmokratôr.

III. Mithra avestique Les Giithii qui portent ou reflètent la pensée de Zoroastre se différencient théologiquement des autres parties de l'Avesta. La réforme zoroastrienne fondée sur un monothéisme moral a éliminé les dieux au profit du seul Ahura Mazdah escorté de six entités, les Amasha Spanta ou « I mmortels bienfaisants » . Mais dans les deux premiers, Vohu Manah et Asha ( « Bonne Pensée » et « Ordre ») , se détecte la transcription du vieux duo Mitra-Varuna. Le polythéisme réaffieure dans l'Avesta récent avec les Yazata, subordonnés comme des « anges » à ces « archanges » que sont les Amasha Spanta, tandis qu'I ndra et les Nasatya sont rej etés , dégradés en démons . Parmi les Yazata compte notamment Mithra. Dans le xe Yasht (ou « hymne ») qui lui est consacré et qui évoque une situation de géographie politique peut-être contemporaine de Cyrus le Grand (vers 550530 av. J.-C . ) , on trouve l'expression fossilisée Mithra­ Ahura qui est parallèle à la syzygie védique (la locution Ahura-Mithra n'est qu'une correction faite ultérieure­ ment en fonction de la prééminence d'Ahura Mazdah) . Mais le couple eut la vie dure, puisque les rois perses se croyaient investis , nous dit Plutarque, par un Mésoromas­ dès où S. Wikander a déchiffré les noms de Mithra et d'Ahura Mazdah, c'est-à-dire des dieux responsables de la souveraineté. Rituellement, les Achéménides restaient donc fidèles à la plus ancienne théologie indo-euro­ péenne.

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PROTOHISTOI RE DE MITHRA

Cependant Ahura Mazdah prévalait comme dieu suprême et Mithra, tout en lui demeurant lié plus ou moins étroitement, prend un caractère guerrier qui le rapproche de la deuxième fonction. Accosté de VaraOra­ gna, Yazata de la victoire, il tend même à prendre la place que tenait I ndra dans le système védique. Mais, comme Vohu Manah, il s'intéresse au bœuf, ce qui le tourne vers la troisième fonction . Le Y asht de Mithra invoque en lui le dieu qui « accroît » et qui « épand les eaux », celui qui « fait pousser les plantes » et « donne la vie ». Mithra dieu du contrat et de l'accord - fait donc le lien entre les différents niveaux de la société, dont il garantit l'ordre, comme le Mitra védique. Son Yasht le glorifie comme « aussi digne de culte et de prière qu'Ahura Mazdah » , comme « le souverain . . . q u i donne l e bien-être d e l a Loi et la souveraineté », mais également comme le dieu « aux vastes pâturages » , attentif au bétail et à la fécondité. Or ce protecteur des éleveurs-agriculteurs patronne en même temps ceux qui défendent leur terri­ toire. Lui sacrifient « les chefs de pays se rendant à la guerre contre les hordes meurtrières ». Mithra « lève les armées . . . met en train la bataille . . . brise les bataillons rangés ». Il « fait voler la tête » de ceux qui lui mentent. Il est « le plus victorieux des dieux qui marchent sur cette terre », le « guerrier aux chevaux blancs », « le plus fort des plus forts » qu'Ahura Mazdah « a établi pour garder tout le monde mobile et veiller sur lui », le dieu « qui garde la création de Mazdah » . Cette annexion du domaine militaire e s t dans l a logique de ses attributions e n tant que dieu garant de l ' ordre et proche de l ' homme, donc défenseur de l'homme. Justicier qui sait tout, pourfendeur du men­ songe et soldat vigilant de la Vérité, « donneur de vie », il personnifie une sorte de providence active au service de tous ceux qui l'honorent par le respect de la loi et du contrat. La loyauté est solidaire de la lumière. Aussi

MITHRA AVESTIQUE

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Mithra est-il dieu de l'aurore qui se lève sur le mont Hara. Le Yasht du Soleil (VI ) s'achève par une invoca­ tion à Mithra, le plus lumineux des Yazata. Gardien secourable des créatures, omniscient et victorieux, il a déjà la vocation du dieu sauveur et solaire que deviendra le deus inuictus du mithriacisme gréco-romain.

C HAPITRE II

De l'empire achéménide aux pirates ciliciens

Le problème le plus ardu est de savoir pourquoi et comment le Mithra iranien a pu s'imposer dans certains secteurs de l'Orient achéménide, puis hellénistique au point de gagner plus tard l' Occident romain. Plus diffi­ cile encore apparaît la question des circonstances histo­ riques dans lesquelles ce culte persique est devenu une religion à mystères, avec sa liturgie et sa théologie spécifiques, autrement dit : comment, à partir du Mithra oriental, s'est formé un mithriacisme gréco-romain ? En réaction contre F. Cumont, S . Wikander a nié tout rapport entre le Mithra iranien et celui des mystères : thèse paradoxale et insoutenable. Il importe aujourd'hui de réexaminer le dossier des données archéologiques, épigraphiques et littéraires concernant la place de Mithra dans le royaume perse, puis dans les monarchies hellénistiques où il est présent soit matériellement dans l'iconographie et les inscriptions, soit onomastiquement.

1. La Perse achéménide Le nom de Mithra est ignoré des Gatha ( même s'il se d i s s i m u l e fo n c t i o n n e l l e m e n t s o u s cel u i de Vohu Man ah ) . Il 1' est aussi de l'épigraphie des premiers rois a c h é m é n i d e s q u e l ' o n c o n s i d è r e s o u v e n t com me « zoroastriens ». Mithra était néanmoins le « Baga »

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DE L ' EMPIRE ACHÉMÉNIDE . . .

(dieu) par excellence. Aussi, lorsque dans sa proclama­ tion de Behishtun Darius déclare : « le grand Baga, c'est Ahura Mazdah » , on peut se demander s'il ne fait pas profession de zoroastrisme, car c'est une façon d'exclure Mithra. Cette « révolution blanche » donne à penser que les prédécesseurs de Darius honoraient d'autres bagas qu'Ahura Mazdah. J . Duchesne-Guillemin 1 a interprété la rosace sculptée au fronton de la tombe de Cyrus comme un symbole de Mithra. Plus tard le nom du dieu se lira sous les formes Mi&ra et Mitra qui sont mèdes (en vieux perse, c'est *Missa qui devrait répondre au Mi&ra de l'Avesta) . Cyrus aurait donc adoré un dieu mède, et le fait qu'on ait conservé son nom mède trahirait dans le culte perse de Mithra une tradition nord-iranienne. Or les Mages étaient une tribu mède et, d'après Xénophon, c'est Cyrus qui les aurait installés en Perse. De plus, la réaction anti-mède de Darius, qui persécuta certains Mages après l'usurpation manquée de Gau­ mata, coïncide avec l' effacement officiel de Mithra - ce qui ne veut pas dire que tous les Mages aient eu partie liée avec Mithra. Xerxès eut apparemment la même politique religieuse que son père . Ayant réprimé (en Babylonie ?) une révolte qui s'appuyait sur des cultes locaux, il dit avoir détruit un sanctuaire de daiva ( « démons » ) et i n s tauré à leur place l ' adoration d'Ahura Mazdah . Selon R.C . Zaehner, les mithriastes procéderaient des dévots iraniens de daiva qui auraient trouvé refuge en Mésopotamie à l'époque des prohibi­ tions fulminées par Xerxès . Cette hypothèse n'a aucun fondement sérieux. I ncontestablement, Mithra est alors éclipsé dans le culte royal par le grand dieu zoroastrien. Mais l' anthro­ ponymie perse atteste sa popularité, notamment sous le nom de Baga. Des inscriptions persépolitaines nous font connaître des prêtres élamites et des Mages qui honorent Ahura Mazdah en même temps que Mithra. Officielle­ ment cependant le dieu ne réapparaît dans l'épigraphie

LA PERSE ACHÉMÉNIDE

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qu'à dater d'Artaxerxès (405-359) . Le grand roi dit avoir rebâti par la faveur d'Ahura Mazdah, d' Anahita et de Mithra le palais qui avait brûlé sous le règne de son grand-père Artaxerxès 1 e r; il prie les trois dieux de le protéger du mal. Dans une inscription d'Artaxerxès I I I , seuls Ahura Mazdah e t Mithra sont invoqués : « Qu'ils me protègent, ainsi que mon pays et ce que j ' ai bâti ! » Ce duo Ahura Mazdah-Mithra correspond au Mésoromasdès dont se réclamaient les rois de Perse, avec inversion de l'ordre des noms conformément au mazdéisme officiel (cf. la substitution d'Ahura-Mithra à Mithra-Ahura dans l'Avesta) . Mi thra restait donc étroitement associé au dieu suprême comme divinité tutélaire du souverain (le Roman d'Alexandre désigne Darius comme « partageant le trône de Mithra » , cruv6povoç 't' chez Tertullien, Paris, 1 970, p. 279. 1 0. Dans H. RoNDET, Etudes augustiniennes ( Théologie, 28) , Paris, 1 953, p. 1 6 1 ss . , 1 89 ss. 1 1 . E. RUFFINI , dans E. RuFFINI, E. LODI, : la sacramentalità negli scritti dei padri e nei testi liturgici primitivi Bologne, 1 987, p. 1 04 ss. 1 2 . I , 1 6, 20 ; traduction commentée d'A. SCHNEIDER, Le premier livre Ad Nationes de Tertullien (Bibl. Helvetica Romana, 9 ) , Neuchâtel, 1 968, p. 1 05 et 283. 1 3 . Les mystères de Mithra", Bruxelles, 1 9 1 3 , p. 1 60. 14. Praescr. haer. , 40, 4. 1 5 . Ibid. , 2. 1 6. F. CUMONT, Les mystères de Mithrii, p. 1 6 1 s. Mis en doute par P. BESKOW, Branding in the mysteries of Mithras ?, Mysteria Mithrae (EPRO, 80 ) , Leyde, 1 979," p. 487 ss. 1 7 . Adu. Julian. , I , 70. Mais l'état et la portée du texte demeurent problématiques : P. BESKOW, loc. cit. , p. 489 s. 1 8. M .J . VERMASEREN and c . e . VAN EsSEN, The Excavations in the Mithraeum of the Church ofSanta Prisca in Rome, Leyde, 1 965, p. 226 ss. ; R.L. GoRDON, Franz Cumont and the doctrines of Mithraism, Mithraic Studies, Manchester, 1 975, I , p. 24 1 . 1 9. Pall. , 4, 7 . 20. An. , 3, 2. 2 1 . An. , 1 7 , 1 2 et 3 1 , 6 ; Res. , 5, 1 ; Marc. , IV, 25, 3. Cf. G. CLAESSON, Index Tertullianeus, I I , Paris, 1 975, p. 1 1 7 1 , s.u. 22. La physica ratio des