Machinations de Georges Aperghis (French Edition) 2747511111, 9782747511117

A plusieurs voix, à travers nombre de documents, de notes inédites et de témoignages, les auteurs ont machinés quelque é

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French Pages 160 [161] Year 2001

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Machinations de Georges Aperghis (French Edition)
 2747511111, 9782747511117

Table of contents :
Table des matières
Liminaire
(mode d'emploi)
Liste alphabétique
des entrées

Citation preview

Machinations.. .

Directeur de la publication Laurent Bayle Directeurs de collection Laurent Bayle Éric de Visscher Peter Szendy Secrétariat de rédaction Claire Marquet Correction-révision Catherine Lucchesi Maquette et mise en pages Véronique Verdier Couverture Michal Batory

(:,.

@ L'Harmattan, Ircam - Centre Pompidou, 2001 ISBN: 2-7475-1111-1 et 2-84426-014-4

Machinations de Georges Aperghis Textes réunis par Peter Szendy

Avec la participation Georges

de :

Aperghis

Sylvie Levesque Oonatienne

Michel-Oansac

Olivier François

Pasquet Regnault

Sylvie Sacoun Geneviève Strasser

Ircam L'Harmattan 5-7, rue de l'École-Polytechnique 75005 Paris France

L'Harmattan Hongrie Hargita u. 3

L'Harmattan Italia Via Bava, 37

1026 Budapest

10214 Torino

HONGRIE

ITALIE

C Nabil Boutros

. Machinations

:

une Image qui se construit très lentement: un jeu d'enfant, un jeu de Mikado...

.

. ... une encyclopédie,

c'est-à-dIre une méthode pratique pour se perdre...

.

.Les syllabes, ce sont des personnages. Prendre leur photo, de face et de profil. Une criminologie des phonèmes... (Georges Aperghis)

.

Liminaire (mode d'emploi)

Ce livre n'a pas, à proprement parler, d'auteur(s). Dire que j'ai servi d'. éditeur. (dans tous les sens du mot) n'est certes pas faux: j'ai transcrit, monté, trié, coupé, ajouté. Mais ce n'est pas vrai non plus: les autres (à commencer par Georges Aperghis) ont à leur tour monté, trié, etc., mes transcriptions, coupures, ajouts, etc. Etc. Tout au long du livre interviennent des guillemets, des italiques, des marques verbales (verbatim.. .), des paraphes, des initiales, des notes de bas de page, qui visent à identifier les voix de ceux et de celles qui parlent. C'est ainsi que, à n voix (parfois indémêlables), nous avons « machiné. quelque étrange encyclopédie autour et à partir de Machinations: merveilleux spectacle musical (c'est moi qui le dis) de Georges Aperghis et François Regnault, créé à l'Ircam en juin 2000 (festival Agora). Les pages qui suivent - sortes d'entrées dans un glossaire

-

en explorent la genèse, les ramifications et les résonances. ..

9

MAClDNA1l0NS

Les. documents

DE GEORGES APERGlDS

., comme on dit, qui composent

ce livre

n'ont pourtant pas tous un rapport direct avec Machinations. Georges Aperghis déclare volontiers: Je fais toujours la même chose. Parfois à des années d'intervalle, on trouve, dans ses carnets (quand il ne les a pas jetés) un schéma, une ébauche, un développement, un . exercice. in abstracto, qui ont été happés par notre machine encyclopédique, en profitant des convergences manifestes avec Machinations et sa genèse. Ces convergences, nous les avons aussi recherchées expressément, en établissant des parallèles. Ainsi s'esquisse, à travers Machinations, un bout de trajectoire dans l'œuvre d'Aperghis.

.

.

+ Il n'y a pas une note de musique

dans la

. partition. de

Machinations, réalisée après le spectacle et publiée aux éditions Durand (2001). C'est que les phonèmes, les syllabes, les mots y sont la musique, avec leurs agencements, leurs compressions, leurs dilatations, leurs vies et morts, leurs maladies, leurs déploiements, leurs manières de se tuiler et contrepointer.. . On trouvera, in fine, le . livret. rédigé par François Regnault, dont seuls les fragments indiqués sont directement audibles (le reste est lisible en filigrane partout dans le spectacle). Ces phrases sont des îlots au milieu du flux de la langue musicale qu'Aperghis ne cesse de réinventer d'œuvre en œuvre, et dont on trouve des échantillons dans diverses entrées (Sans titre (1) et Sans titre (2), Phonèmes.. J. Machinations, c'est tout simplement la composition des deux, livret et phonèmes. Et c'est aussi, bien sûr, le jeu des. diseuses. qui les interprètent (elles ont apporté ici leur précieux témoignage), et c'est encore ce qui se donne à voir en images

10

LIMINAIRE

(Daniel

Lévy fut le concepteur

des lumières

et du dispositif

de

projection).

.:. On peut lire nos Machinations de Georges Aperghis de deux manières au moins: dans l'ordre de la table des matières finale; dans l'ordre alphabétique des entrées (page suivante). Et de bien d'autres manières à inventer et réinventer. P. Sz.

N.B. Les extraits de Machinations sont reproduits l'aimahle autorisation des Editions Durand, Paris.

avec

Liste alphabétique des entrées

Autoportrait (1) . . . . . . . . Autoportrait (2) . . . . . . . . Autoportrait (3) . . . . . . . . Bestiaire et littérature (avec Ça va s'appeler... . . . . . . . Confession (1) . . . . . . . . . Confession (2 et 3). . . . . . Conversation

(1) : le

...... ...... .... .. Deleuze ...... ...... ......

......... ......... ......... et Guattari) ......... ......... .........

. . . . . . .

p. p. p. p. p. p. p.

23 28 32 78 18 41 61

. livret». . . . . . . . . . . . . . . p. 54

Conversation (2) : les phonèmes. . . . . . . . . . . . p. 58 Conversation (3) : images et gestes. . . . . . . . . . p. 65 Conversation (4) : diseuses et personnages. . . . . p. 70 Conversation (5) : confession et bestiaire. . . . . . p. 76 Défauts et clicks (le machiniste). . . . . . . . . . . . p. 109 Diseuse (soprano) : correspondance. . . . . . . . . . p. 84 Diseuse (comédienne) : après coup. . . . . . . . . . p. 89 Diseuse (flûtiste) : texto. . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 94 Diseuse (altiste) : dits et contredits. . . . . . . . . . . p. 97

13

MACHINATIONS

DE GEORGES APERGHIS

Énumération (l). . . . . . . . . . . . Énumération (2). . . . . . . . . . . . Énumération (3). . . . . . . . . . . . Énumération (4) : ustensiles. . . Exercices. . . . . . . . . . . . . . . . . Le . livret» de François Regnault. Notes (l). . . . . . . . . . . . . . . . . Notes (2). . . . . . . . . . . . . . . . . Notes (3). . . . . . . . . . . . . . . . . Parallèles (l) : Sextuor. . . . . . . Parallèles (2) : Hamletmaschine. phonèmes. . . . . . . . . . . . . . . . Pour voir». . . . . . . . . . . . . . .

.

Sans titre (l) Sans titre (2) Ses muscles... Synopsis (l). Synopsis (2).

. . . . .

. . . . . . . . . . . p. 42 . . . . . . . . . . . p. 45 . . . . . . . . . . . p. 48 . . . . . . . . . . . p. 51 . . . . . . . . . . . p. 36 . . . . . . . . . . p. 115 . . . . . . . . . . . . p. 30 . . . . . . . . . . . . p. 34 . . . . . . . . . . . . p. 39 . . . . . . . . . . . . p. 25 . . . . . . . . . . . p. 101 . . . . . . . . . . . . p. 72 . . . . . . . . . . . . p. 80

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 63 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 68 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 56 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 15 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 113

Synopsis (1)

*

Nous nous trouvons en présence de quatre femmes assises autour d'une table et, tout près d'elles, d'un homme (le musicien-technicien derrière son ordinateur). Les quatre femmes sont des vocalistes, leurs voix sont amplifiées et semblent contrôlées, comme sous surveillance, par le musicien-technicien. Elles émettent des phonèmes, elles profèrent, prononcent,

. parlent ". À partir d'un vocabulaire phonèmes divers, la partition qui jouent entre eux comme (Ils luttent, gagnent ou voyelles, ou, au contraire, couples ou des agrégats.)

.

Georges

Aperghis,

descriptif

établi de fragments de mots, de est une polyphonie de vocables des personnages musicaux. perdent des consonnes ou des ils finissent par constituer des

succinct

du projet

15

de Machinations

(juin 1999)

MACHINATIONS

DE GEORGES APERGHIS

. Le jeu sonore et la théâtralité qu'il contient dictent le comportement des vocalistes. Il en résulte un théâtre minimal. qui à son tour crée un jeu de fausses pistes, sur lesquelles le spectateur va se perdre et se retrouver sans cesse. Les contradictions, les contrastes internes à la polyphonie bouleversent sans cesse ce qui pourrait par instants apparaître comme une véritable dramaturgie. Le jeu consiste en effet à faire croire un instant que de véritables personnages sont devant nous, des situations reconnaissables, puis le moment d'après à voir surgir (suivant la logique du flux musical) d'autres personnages, d'autres situations. Ce jeu parvenu à son paroxysme arrive carrément à brouiller la perception et à rendre le tout momentanément opaque, comme une bouffée d'inconscient pur. Ce jeu interne aux quatre vocalistes est à la fois perturbé et stimulé par l'électronique (via le musicien-technicien). Ce dernier (devant le spectacle de ces quatre femmes) se pose la question: Est-ce que l'électronique est capable d'affects ? Il essaie d'y répondre par tous les artifices dont il dispose. Il essaie d'entrer dans ce monde féminin en proposant des objets ou des actions sonores que l'être humain ne peut

.

.

.

produire:

p. ex.

. prononcer. un chapelet de vocables avec

des caractéristiques diverses et changeantes, à des allures différentes. Reprendre les dires des femmes intervenant dans les paramètres de leurs voix, de leurs phonèmes. Enfin, les surprendre en leur adressant des phrases sans voyelles, des phrases sans consonnes, ou encore des combinaisons de séries de voyelles et consonnes impossibles à prononcer pour un humain. Le face-à-face entre ces deux. mondes. (les quatre vocalistes et l'électronicien) se présentera comme une. machine. à créer des tourbillons de sons et d'états d'âme.

16

SYNOPSIS (1)

Il s'agira finalement d'un jeu de séduction tantôt tendre, tantôt cruel. Le but étant (d'un côté comme de l'autre) de faire osciller la . parole» entre des sons animaux, des sons humains et enfin des sons non identifiables, pour tenter de concentrer et de représenter ce qui pourrait ressembler à un combat. Qui domine l'autre? »

.

Ça va s'appeler...

Novembre 1999. Georges Aperghis me parle du spectacle qu'il prépare pour juin prochain. Je n'ai vu que quelques notes d'intention, ainsi que le « livret» de François Regnault. Sur tel document, le titre était Face-à-face; sur tel autre, il s'était allongé pour donner: face-à-face-à-face-à-face-à-machine... (P Sz) Je vais changer encore, mais personne n'est au courant. Ça va s'appeler Machinations.

.. Supposons qu'un phonème, comme une espèce vivante, a des origines. Comment remonter dans le temps? Comment remonter vers les ancêtres de nos actuelles espèces phonématiques, vers ces archaïques petites existences langagières ?

18

ÇA VA S'APPELER...

Il faudrait arriver aux espèces les plus simples, à des balbutiements. Et puis, peu à peu, construire, agencer des phonèmes plus compliqués. C'est ce que je tente de faire. Dans cette sorte d'évolution organique, je m'amuse aussi à inventer des maladies: des consonnes, par exemple, qui commencent à se faire manger par des voyelles; ou, à l'inverse, des agglomérats de consonnes qui viennent détruire quelque chose qui avait un sens. De ce point de vue, Machinations, avec ses quatre» diseuses s'inscrit dans la continuité de mon " travail sur le texte. Mais il y a aussi un cinquième et nouveau personnage: quelqu'un,

une puissance

occulte

-

on ne sait pas d'où

elle

vient - qui se tient derrière un écran et qui, à l'évidence, est là pour brouiller les choses. C'est un » machiniste. qui, à l'ordinateur, intervient sur notre perception des phonèmes. + Les phonèmes étant des produits du corps humain, ils constituent pour moi comme une sorte de mémoire. Une mémoire de nous autres humains. Je voudrais qu'on voie, sur les écrans disposés au-dessus de chaque» diseuse des objets aussi simples, aussi primitifs " que des phonèmes: une feuille d'arbre, un caillou, des ossements, un fruit, la main de quelqu'un, sa paume, une spirale sur du sable, un labyrinthe. Là encore, je cherche à imaginer comment ces choses auraient pu être le point de départ d'une évolution qui conduit jusqu'au jeu de l'oie, jusqu'aux échecs, jusqu'à des matrices complexes. Puis, comme un pas de plus dans cette généalogie qui sous-tend implicitement le spectacle, la machine est là pour introduire un degré supplémentaire d'artifice. Dans les voix, elle enlèvera par exemple les respirations, si bien que les phonèmes seront dits comme personne ne peut les dire. Des pho-

19

MACIDNATIONS

DE GEORGES APERGIDS

nèmes prononcés à perte de souffle, sans respirer... Ces toutes petites choses vivantes que sont les phonèmes, la machine les rend cosmiques. Elle en fait une foule. Une foule de phonèmes. + Avec Olivier Pasquet [l'assistant musical pour MachinationsJ, nous venons de programmer sur l'ordinateur la situation suivante: il y a d'abord une grande foule de phonèmes que l'on ne reconnaît pas, parce qu'ils sont filtrés pour ne laisser sortir que certaines consonnes; puis, peu à peu, le flltre s'en va et l'on découvre qu'il y a des voyelles à nouveau; les voix changent, elles deviennent plus naturelles et elles fInissent dans la bouche d'une femme dont on s'aperçoit qu'elle était en train de parler depuis le début. C'est ce va-et-vient qui m'intéresse. + Je suis dans un dilemme, je ne sais pas encore comment je vais travailler. Il y a deux possibilités. Ou bien j'organise les phonèmes rythmiquement, je leur donne des hauteurs, des articulations vocales, etc., pour écrire avec eux une partition précise et complexe. Ou bien je donne ces phonèmes, tels quels, aux quatre. diseuses en leur demandant de créer " avec eux des jeux, d'improviser sur place des organisations musicales. Je penche plutôt vers cette seconde solution: à procéder ainsi, j'obtiendrais véritablement un spectacle fait pour les quatre. dames. et non une partition mise en scène. Quitte à noter le tout a posteriori. +

20

ÇA VA S'APPELER...

Je travaille aussi l'ornementation des phonèmes: c'est comme du lierre qui en arrive parfois à cacher l'arbre. Je cherche à faire proliférer les ornements. Prenons une consonne. Elle revient d'abord une fois toutes les douze lettres, puis onze, puis dix... Elle s'impose peu à peu, elle devient comme une percussion que l'on entend épisodiquement et qui, en intensifiant ses récurrences, fait taire les autres phonèmes. Il y aura donc, dans Machinations, des sortes de maladies des. mots. ; dans les concaténations de phonèmes, certaines espèces deviennent envahissantes. Ce qui m'intéresse, c'est d'arriver à un état maladif de la langue, à un état inhumain charriant des affects puissants mais difficilement identifiables. Et ceci sans qu'il y ait quoi que ce soit à jouer, au sens le plus trivialement théâtral de ce verbe. Il n'y a pas à jouer une maladie ou un affect: c'est la construction des phonèmes qui génère l'étouffement, le balbutiement, le bégaiement ou tout autre symptôme perçu comme émotif. Il s'agit - un peu comme chez Kafka ou Gherasim Luca, sur lesquels

Deleuze

a écrit de très belles pages

-

d'inclure

l'affect

dans la construction. L'animalité, le piaulement, l'aboiement...

+ Je n'ai pas une voix forte. J'ai beaucoup de mal à parler. S'il y a du monde, par exemple. Et, corrélativement, je suis très attentif aux manières de parler. Les instruments me sont toujours apparus comme la transposition de ces manières de parler. C'est ce que je trouve merveilleux dans les quatuors de Beethoven. Ce sont des dialogues, des échanges d'affects à quatre. Le piano des concertos de Mozart, aussi, dit des choses très précises, comme un récitatif qui n'en finit pas. ,.

21

MAClDNATIONS

DE GEORGES APERGlllS

+ Il y aura des images dans Machinations, des images construites et assemblées sous nos yeux par les mains des chanteuses bricolant chacune sur sa table avec de menus objets (un jeu de Mikado, un foulard...) ; leurs assemblages seront en permanence visibles sur quatre écrans au-dessus d'elles, par un dispositif très simple de rétroprojection. Il y aura aussi quelques images toutes faites, des illustrations, un peu comme dans certaines éditions des romans de Jules Verne. Je travaille depuis toujours avec des images - j'ai pratiqué la peinture jusque vers l'âge de seize ans, avant que la musique prenne définitivement le dessus. Quand je peignais, j'écoutais volontiers de la musique en même temps. Et il est souvent arrivé que, à telle couleur que j'avais appliquée, un passage musical reste pour ainsi dire collé. En revanche, dans les spectacles que j'ai écrits par la suite, je n'ai jamais cherché de correspondances. Dans Zwielicht, une pièce que j'ai composée récemment sur des textes de Goethe, de Klee et de Kafka, il y a même un passage qui, pour moi, témoigne de l'impossibilité d'une fusion synesthésique entre musique et couleur. La flûte joue une sorte de bisbigliando dans l'aigu

-

qui pourrait

ressembler

à une

lumière

vibrante

-

et elle

alterne avec un projecteur qui amène une couleur; l'alternance se répète plusieurs fois, mais l'effet qui en résulte n'aboutit en rien à fondre son et couleur: tout se passe plutôt comme si la flûte appelait une couleur (celle-ci ou une autre), la déclenchait... Du reste, dans Zwielicht, les couleurs sont parfois comme des maladies: elles gagnent peu à peu tout l'espace, elles l'envahissent. Après le début entièrement blanc du spectacle, quelqu'un ouvre une caisse contenant de la lumière rouge qui se répand. Comme une boîte de Pandore contenant des maux colorés. Machinations, en revanche, sera en noir et blanc.

Autoportrait (1)

*

Des regards me scrutent Avec attention. Sans relâche. Opiniâtres. Ils attendent. Croient que je vois nettement. Certains que je vois nettement une chose précise qu'eux ne peuvent voir. Immobile. Tendu. Avec léger tremblement des paupières. Les yeux énormément ouverts

.

La série des Autoportratts de Georges Aperghis a été publiée dans le n° 19

de la revue Symphonta.

23

MACHINATIONS

DE GEORGES APERGIDS

puis énormément fermés la tête tendue en avant Je ne vois rien. Absolument rien. Mon corps comme ficelé ainsi l'énergie gardée dans le regard j'essaie de toutes mes forces d'apercevoir ce qu'ils croient que je vois. Les regards restent rivés sur moi. Ils attendent. Autrefois j'ai dû les provoquer. Maintenant ils me scrutent. Ils pensent: et si son regard était vide?

.

.

Humiliation d'avouer je ne peux avouer ma cécité. Ils se détourneront de moi. Alors, j'oublierai ce que jadis j'ai cru voir. Donc demeurer à l'infini immobile regardeur pour que les regards en me scrutant prolongent l'instant.

Parallèles (1)

Sextuor

3 mai 1993. Création de Sextuor de Georges Aperghis, pour cinq chanteuses et une violoncelliste, sur un texte de François Regnault. Entre (1) Machinations, (2) Sextuor et (3) Hamletmaschine, il y a une sorte de triangulation dans la distance, des liens rétrospectift qui se tissent. Pour n'évoquer que lesplus visibles: la machine (1 et 3), l'oratorio (2 et 3), l'évolution des espèces (1 et 2)... « L'Origine des espèces, Sextuor, a pour dessein, si je puis dire, de représenter la doctrine scientifique des espèces animales issue de Darwin et renouvelée par le néo-darwinisme, et notamment par les réflexions sur la contingence de l'Histoire naturelle faites à partir des découvertes du schiste de Burgess en Colombie-Britannique, où fut trouvée une série étrange de Trilobites remontant au début du paléozoïque (cf La vie est belle, de Stephen Jay Gould). Investi par la Science paléontologique, qui nous sert de mythologie, avec ses Dina-

25

MACJDNAll0NS

DE GEORGES APERGlDS

saures chers aux enfants de notre époque, l'oratorio s'est donc ici laïcisé, il s'est séparé de la théologie. Les Saisons des espèces se sont comme substituées à leur Création. Ceci est donc un oratorio matérialiste, avec les préjugés ordinaires du matérialisme, une sorte de poème didactique à la gloire de la contingence, qui commence aux Stromatolites et autres Algues bleues et qui s'achève avec l'Homme, non sans perplexité, et qui est chanté par des femmes, non sans émotion. » (François Regnault, Un oratorio scientifique " dans Lejournal de l'Atem, na 4, mai 1993)

.

. Le texte que j'avais demandé à François Regnault sur l'origine des espèces m'a finalement

surpris par quelques

évi-

dences : par exemple, l'alternance entre les explosions de vie et les grandes périodes de mort et de silence. Il m'apparaissait alors évident que la pièce devait rassembler à la fois une sorte de messe des morts pour toutes les espèces disparues et une ode à la vie pour toutes les apparitions; non seulement l'apparition d'espèces nouvelles, mais aussi celles de facteurs nouveaux propres à l'évolution du monde animal: la motricité, l'adaptation aux différents milieux, l'apparition des sens, la vue, l'ouïe, etc. . Partant de là, j'ai pensé à une sorte d'oratorio, à peine représenté théâtralement, qui parle des espèces comme de gens vivants; on doit donc avoir l'impression que ces six femmes parlent des espèces comme de personnes qu'elles connaissent très bien, ou qu'elles pleurent leurs morts comme on pleure la mort d'un proche... Ce sont les grandes et les petites misères des espèces au travers desquelles j'imagine d'inévitables correspondances avec ce qui constitue nos sociétés. [...] » C'est vrai que, par analogie, une espèce se trouve prise dans l'Évolution comme un thème l'est dans une partition; elle apparaît, se transforme, puis laisse la place à d'autres. Il y

26

PARALLÈLES

(1)

: SEXTUOR

a un début et une fm, et surtout, une nécessaire humilité face à l'ensemble de l'organisation. De la même manière les situations se succèdent, humbles, reliées "naturellement" par le continuum musical. [...] L'écriture de la partition de ce spectacle a été, sur certains " points, comparable à celle que je pratique pour n'importe quelle musique de chambre ou, en l'occurrence, pour un groupe vocal. Les ensembles en particulier pourraient, je pense, se jouer tels quels au concert, comme une succession de pièces brèves. Chacune de ces pièces est ainsi construite d'une manière un peu systématique, sans pour autant chercher à créer un "catalogue" - autour d'un ou de plusieurs intervalles qui, à leur tour, se mixant, fabriquent un troisième objet musical. Comme s'il y avait là aussi un processus de

création d'espèces...

"

(Georges Aperghis,

. Les principes

de l'évolution

",

propos recueillis par Antoine Gindt, Ibid.)

Autoportrait (2)

Scruter. Plus rien. À plusieurs reprises. Ouvrir. Scruter. Rien. La porte - grincement aigu Lorsque la porte s'ouvre... Plus long. Plus rien - en ouvrant. Patience. Leurs regards à nouveau. Encore. Surprendre le son. Plus long: en ouvrant lentement - avec tendresse. Est-ce un grincement qui se fait entendre? Sans haine: en ouvrant - aigu.

28

AurOPORTRAlT (2)

Freins de camion. Silence! Elle s'ouvre. Mes yeux se fatiguent. Sifflement encore. Comique. Mesurer la distance. Brève, lorsqu'elle se referme vite. Encore. Leurs regards toujours. Les câbles. Mesurer la vitesse du vent. Cri atroce - imaginé? Vibrations des câbles télégraphiques. plus rien. Retenir sa respiration. Utiliser son poumon extérieur. Constat: Je ne peux distinguer que leurs regards. Foule de regards. Trompés depuis longtemps.

Notes (1).

Les phonèmes

en tant qu'espèces

(Darwin).

Définir les espèces - Leur différence.

. Les espèces

sont le produit de l'évolution (la partition) et

non de l'esprit humain.

.

Les phonèmes atteignent leur unicité en élaborant un programme génétique suffisamment différent pour que les membres de l'espèce puissent se reproduire entre eux, mais non avec les membres d'autres espèces. Des mots-éponges

qui attirent les phonèmes en passant.

Un phonème seul (ancêtre unicellulaire). Un mot composé de plusieurs phonèmes cellulaire).

.

G. A., notes sur les phonèmes de Macbinattons

30

(descendant

(juin 1999).

pluri-

NOTES (1)

Des mots ayant l'air différent, accomplissant des fonctions différentes, mais construits par les mêmes phonèmes. La fusion: un groupe de phonèmes se rassemble et forme un

. mot

".

Un phonème dans la . coquille" d'un autre phonème. Un mot dans la . coquille" d'un autre mot. Des mots composés de 1 à 10 phonèmes. Exploiter toutes les combinaisons (Caméléon).

Autoportrait (3)

Fermeture des paupières. Soulèvement des sourcils. Abaissement des sourcils. Rien. Case départ. Fermeture des yeux. Ouverture des yeux. Rire. Étonnement. Spasme. Rien. Case départ. Certains regards m'abandonnent. Froid.

32

AUTOPORTRAIT

(3)

Certains regards se tournent vers le ciel. Paralysie. Lassitude. Faim. Sommeil. Soif. Luxure. Rien à faire. Il faut que je trouve quelque chose de nouveau. Leurs regards tendent toujours vers ma mort, chacun d'eux me maintient par sa violence.

Notes (2).

Définir les espèces (phonèmes). 1. a) b) c)

Leurs différences.

Par la chose extérieure à laquelle ils font penser les éléments (feu, eau, vent, terre) chaleur - froid, dur - mou, lisse - strié, etc. ressemblance avec un mot (sens préds)

2. Par leur organisation interne a) structurés par des consonnes b) structurés par des voyelles Définir les variétés de comportements des consonnes voyelles (proches du souffle, de la percussion, etc.). c) selon quel ordre se font les agencements voyelles

.

G. A., notes sur les phonèmes

de Machtnations

34

(juin 1999).

et

consonnes-

NOTES (2)

3. a) b) c)

Créer d'une façon artificielle des phonèmes: à dominante consonnes à dominante voyelles à égalité

4. Extraire des phonèmes

dans des textes existants.

Exercices.

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millent de ce type d'. exercice. abstrait (t. e. non destiné à un contexte déterminé). Il s'agit ici successivement: 1. d'une grille combinatoire applicable à des agencements de syllabes ou de hauteurs; 2. et 3. de séquences de mots ou phonèmes associés à des notes fixes, éventuellement rythmés.

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ExERCICES

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