L'État rouage de notre exploitation [M Éditeur ed.]
 9782923986449

Table of contents :
L’État rouage de notre exploitation
Table des matières
Avant-propos, Michel Arseneault
Préface – L’importance de nommer l’ennemi, André Leclerc
Introduction – Manifeste pour une nouvelle stratégie
DOSSIER I – La politique de subventions : une politique économique de soutien à l’entreprise privée
Première partie – Bref historique de la loi des subventions
Deuxième partie – Présentation des résultats et analyse critique de cette politique économique
Troisième partie – Considérations générales sur le rôle que l’État fait jouer au capital public
DOSSIER II – Le chômage au Québec
Section I : Présentation
Section II : Analyse
Conclusion – Quelques pas à faire vers notre libération économique
REVENDICATIONS

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  L'État rouage de notre exploitation

Deuxième partie

Fédération des travailleurs du Québec

Avant-propos de Michel Arseneault Préface de André Leclerc

Deuxième partie

L’État rouage de notre exploitation

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Fédération des travailleurs du Québec L'État, rouage de notre exploitation (Collection Mouvements) Éd. originale: Montréal : Fédération des travailleurs du Québec, 1971. Comprend des réf. bibliogr. ISBN 978-2-923986-44-9 1. Québec (Province) - Conditions économiques - 20e siècle. I. Titre. II. Collection: Collection Mouvements. HC117.Q4F4 2012

330.9714'04

C2012-941451-4

M éditeur 1858, chemin Norway Ville Mont-Royal (Québec) Canada, H4P 1Y5 Courriel : [email protected] www.editionsm.info/ Distribution au Canada : Distribution Europe : Prologue Inc. Distribution du Nouveau-Monde/ 1650, boul. Lionel-Bertrand Librairie du Québec Boisbriand, QC 30, rue Gay-Lussac, Canada, J7H 1N7 75005 Paris, France Tél. : 450 434 0306 / 1 800 363 2864 Tél. : 01 43 54 49 02 Téléc. : 540 434 2627 Téléc. : 01 43 54 39 15 [email protected] [email protected] www.prologue.ca www.librairieduquebec.fr/ www.prologuenumerique.ca/ Dépôt légal : troisième trimestre 2012 Bibliothèque et Archives nationales du Québec Bibliothèque et Archives Canada

Table des matières

Préface, André Leclerc............................................................

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Introduction : Manifeste pour une nouvelle stratégie .........

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Dossier I La politique de subvention : une politique de soutien à l’entreprise privée ........................

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Première partie : Bref historique de la loi des subventions .........

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Deuxième partie : Présentation des résultats et analyse critique de cette politique économique ................................................. 1. Subventions par région : présentation des résultats ............ 2. Subventions et structure industrielle : présentation des résultats .................................................. 3. Subventions et licenciements ............................................ 4. Subventions et contrôle étranger  de l’économie québécoise ................................................. 5. Subventions et risque de l’entreprise ................................. 6. Subventions et capital public ............................................ 7. Subventions et surenchère publique .................................. 8. Nécessité des subventions ................................................. Troisième partie : Considérations générales sur le rôle que l’État fait jouer au capital public ....................................................... Annexe I – Liste des entreprises, par région, qui ont reçu des subventions du ministère de l’Expansion économique régionale - octobre 1969 à avril 1971 .................................... Annexe II – Liste des entreprises qui, ayant accepté l’offre gouvernementale, ont refusé ou se sont vues retirer l’offre ..... Annexe III – La manne québécoise des subventions ..............

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Deuxième partie

Avant-propos, Michel Arseneault ........................................... 7

Dossier Partie II Le chômage au Québec............................................................

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Section I : Présentation ....................................................... 87 I. Quelques définitions ..................................................... 87 II. L’évolution depuis 1946 ................................................ 90 III. La situation actuelle du Québec à l’intérieur du Canada .................................................................... 94 IV. Des saisons et des régions ............................................ 96 V.  Les âges et les sexes ...................................................... 101 VI. Perspectives de la main-d’œuvre, 1970-1980 ............... 102 Section II : Analyse : pourquoi le chômage au Québec ..... 104 VII.  Pourquoi le chômage est-il inévitable en régime capitaliste ? .................................................. 104 VIII. Pourquoi plus de chômage au Québec: absence de contrôle sur l’accumulation du capital étrange ............. 108 Conclusion ........................................................................... 114 Conclusion : Quelques pas à faire vers notre libération économique ......... 117 Première partie : les faits saillants .................................... 1. Le chômage ...................................................................... 2. Les disparités régionales et sociales .................................... 3. Subventions ...................................................................... 4. Licenciements et main-d’œuvre ........................................ 5. Deux démissions de l’État du Québec ..............................

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Deuxième partie : solutions à court terme ........................ 119 A) Renforcement des institutions économiques publiques .... 120 1. Soquem ........................................................................... 120 2. Soquip ............................................................................. 121 3. Rexfor ............................................................................ 121 4. Société Générale de financement (SGF) .................... 121 5. Société d’habitation du Québec (SHQ) ...................... 122 Revendications ........................................................................ 123 B) Les instruments financiers requis : nationalisation de l’épargne et Caisse de dépôt ................ 124

Michel Arseneault président de la FTQ

Avant-propos

Avant-propos

L

’année 1971, pendant laquelle a été rédigé L’État, rouage de notre exploitation, est aussi celle qui a vu la création du premier Front commun des grandes centrales syndicales du Québec, appelées à négocier avec l’État employeur les conventions collec­ tives dans les secteurs public et parapublic. S’il a fallu plusieurs années pour que « la Reine accepte de négo­­cier avec ses sujets1 », personne ne se doutait qu’à titre d’État employeur, le gouvernement du Québec revêtirait rapidement son uniforme d’État législateur pour freiner les revendications des travailleurs et des travailleuses des secteurs public et parapublic, pour forcer, deux fois plutôt qu’une, leur retour au travail ou pour imposer unilatéralement leurs conditions de travail. Depuis l’adoption du Code du travail en 1964, 14 lois ont été adoptées pour modifier le régime de négociation dans les secteurs public et parapublic, et pas moins de 21 lois d’exception et de coercition l’ont été pour sévir contre le libre exercice des droits d’association, de négociation et de grève. Plus encore, cette panoplie de lois antisyndicales a été, à l’occasion, accompagnée de l’emprisonnement 1. La pleine reconnaissance du droit à la négociation et du droit de grève n’a été acquise qu’en 1964 dans les secteurs de l’éducation, de la santé et de la fonction publique.

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de chefs et de représentants syndicaux, dont le plus connu reste celui, en 1972, des présidents des trois centrales, Louis Laberge (FTQ), Marcel Pepin (CSN) et Yvon Charbonneau (CEQ1). Somme toute, si « la Reine avait accepté de négocier avec ses sujets », c’était moyennant la possibilité de recourir, à son gré et en tout temps, à l’arme législative pour mater ses sujets, l’État employeur se confondant alors avec l’État législateur. L’État, ce « rouage de notre exploitation », c’est également celui qui n’a pas hésité à intervenir dans les conflits ouvriers et à satisfaire une volonté patronale qui n’a pas, elle, le pouvoir de législation. Les lois de Duplessis, notamment contre l’accès à la syndicalisation et le recours à la grève, nous rappellent la période de la Grande Noirceur. Depuis la bataille de la United Aircraft, en 1974-1975, jusqu’à celles d’aujourd’hui, les travailleurs et les travailleuses du Québec vivent régulièrement de trop longues périodes d’intimidation, de lockouts, de violations de la loi antibriseurs de grève, de chantage aux mises à pied et aux fermetures et d’abus de recours juridiques. Combien de fois avons-nous demandé l’intervention de l’État pour rappeler à l’ordre des patrons récalcitrants et pour faire respecter les droits du travail ? À des milliers d’occasions. Combien de fois a-t-il répondu à l’appel ? On pourrait les compter sur les doigts. À l’heure d’écrire ces lignes, le gouvernement libéral de Jean Charest vient tout juste d’adopter l’une des lois les plus odieuses de notre histoire, la loi 12 (issue du projet de loi 78), contre le mouvement étudiant et une mobilisation sans précédent au Québec. Une loi matraque qui a pour objectif réel de permettre au gouvernement de contrer tout mouvement de contestation allant à l’encontre de sa volonté et de pelleter ses responsabilités dans la cour des corps policiers. Il veut avoir les coudées franches lors de la prochaine campagne électorale. J’ose espérer que pour une fois, la devise du Québec prendra tout son sens. Le Je me souviens doit se transformer en une force collective elle aussi sans précédent, pour que toutes les personnes qui ont à cœur la défense des droits et des libertés démocratiques se débarrassent des forces qui voudraient les écraser. J’ose rêver du jour où nous n’aurons plus à parler de l’État, rouage de notre exploitation, et nous serons fiers d’être représentés par un État, rouage du bien-être collectif. 1. La Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) a changé de nom en 2000 et est devenue la Centrale des syndicats du Québec (CSQ).

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Préface André Leclerc1

L’importance de nommer l’ennemi Préface



L

e mardi soir du 30 novembre 1971, la salle des congrès de l’Hôtel Reine-Elizabeth est littéralement électrisée. L’ouverture du 12e Congrès de la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ) rompt avec la tradition. Au lieu de cette soporifique et traditionnelle cérémonie, où défilent un prêtre catholique, un pasteur protestant et un rabbin, appelant à tour de rôle les forces divines à éclairer les débats des déléguées, c’est par des cris enthousiastes et des appels au combat que les déléguées accueillent leur président, Louis Laberge. 1. André Leclerc a passé quelque 40 ans de sa vie dans le mouvement syndical. Après une brève incursion dans le journalisme à Saint-Jérôme en 1965-1966, il devenait responsable des communications à la Compagnie des jeunes Canadiens en 1967, puis au Syndicat canadien de la fonction publique en 1968. En 1970, il joignait l’équipe de la FTQ et y assumait tour à tour la direction du « soutien aux luttes » et celle de la « solidarité internationale », deux périodes de 18 ans entrecoupées d’un séjour de deux ans en Afrique sous mandat du Congrès du travail du Canada en 1988 et 1989. Il est à la retraite depuis 2008. En plus de rédiger de nombreux manifestes au nom de la centrale, il est l’auteur de deux recueils de poésie, publiés chez Parti-Pris, Poussières-Taillibert et Journal en vers et avec tous.

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Un seul front Exceptionnellement, le congrès s’ouvre en soirée et plusieurs centaines de militantes ont été invitées à se joindre aux 1 200 déléguées pour entendre le discours inaugural intitulé Un seul front. Les premières rangées sont occupées par quelques centaines de militants du secteur de la construction, dont une majorité de plombiers du « local 144 », qui agitent des drapeaux du Québec portant en surimpression le numéro de leur syndicat. Louis ne pourra entreprendre la livraison de son discours qu’après de longues minutes d’ovation. Cette acclamation enthousiaste contraste fortement avec les huées qu’il a dû essuyer deux ans plus tôt, lors du congrès tenu à Québec. On était alors en pleine crise du Bill 63, un projet de loi qui consacrait les privilèges linguistiques de la minorité anglophone du Québec. Les militantes reprochaient à Louis Laberge d’être resté neutre sur la question. La fronde des déléguées l’avait obligé à faire volte-face. Il avait appuyé ouvertement une politique linguistique1, qui rejetait sans ambiguïté le statu quo et faisait notamment du français la langue de travail au Québec. Cette fois-ci, en 1971, on ne l’accusera pas de « traîner de la patte ». Son discours est un appel à l’unité syndicale, à la mobilisation et à l’action politique. Il soutient que le mouvement doit cesser d’être un groupe de pression poli pour devenir une « force de frappe » : « Il ne suffit pas de faire quelques révérences devant les politiciens en leur soumettant nos voeux et besoins pour qu’une série de réformes législatives soient mises en branle. […] Les vieux partis, comme les patrons, n’entendent que le langage des rapports de force […] à côté des courtoises visites en commissions parlementaires, les manifestations de masse, les campagnes de presse d’envergure et l’action politique directe sont mille fois plus efficaces2. » Il affirme que, dans notre régime, « tout le poids du gaspillage matériel et humain qu’entraînent les machines à profit doit être porté par la classe ouvrière. Par contre, la croissance des capitaux, l’expansion économique des grandes entreprises, la maximisation de leurs profits, toutes ces pièces essentielles du moteur de notre bonne économie libérale n’ont pas pour conséquence l’amélioration 1. La politique linguistique adoptée par la FTQ en 1969, allait inspirer la partie de la Loi 101 consacrée au français langue de travail. 2. Un seul front, discours inaugural du président Louis Laberge, Montréal, 12e congrès de la Fédération des travailleurs du Québec, du 30 novembre au 4 décembre 1971, p. 16-17.

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Préface

du niveau de vie des travailleurs. Ils entraînent plutôt leur appauvrissement relatif. […] Ce n’est pas à nous, travailleurs, que profite cette machine. On y utilise les hommes comme du combustible : après les avoir brûlés, on les rejette. Les profits, eux, sont amassés dans des poches de plus en plus grosses et de moins en moins nombreuses1. » Le soir du congrès, Louis Laberge ne lit pas ce discours que j’ai été chargé de rédiger. Il préfère improviser. Mais il a préalablement souscrit à chacune des lignes du texte écrit qui sera largement diffusé après le congrès. Il acceptait même de se référer au Frantz Fanon des Damnés de la terre 2 en décrivant le Québec comme une terre coloniale : « Le Québec ne participe qu’accidentellement au paradis capitaliste. Pour le reste, son évolution et ses structures politiques faibles répondent avec exactitude au modèle colonial3. » Cette référence à Fanon peut paraître étonnante. Il faut rappeler que le mouvement de décolonisation et les luttes de libération qui prennent leur envol en Afrique et en Amérique latine dans les années soixante ont fortement inspiré les militantes progressistes au Québec. Le nouveau nationalisme québécois se nourrit de la pensée de ces mouvements qui font la jonction entre libération nationale et lutte de classes. Passant en revue les diverses batailles qu’a dû mener le mouvement syndical au cours des deux années précédentes, Laberge tire quelques leçons de ces luttes : « Tout le monde est menacé de la même façon dans le système économique qui ne répond qu’à des impératifs de profit maxima […] le matériel humain est relégué au rang des machines […] les lois ouvrières semblent faites pour être contournées […] l’appareil judiciaire est un simple prolongement de l’oppression du capital […] le pouvoir politique est entièrement à son service. […] Nous ne faisons face qu’à un seul et même ennemi : l’organisation oppressive d’une société faussement civilisée. Cet état de fait commande l’unification de tous nos efforts dans un seul front de lutte. […] Notre mission n’a pas changé. Elle reste fondamentalement libératrice : nous allons forcer la société à s’organiser en fonction des hommes, pas en fonction du confort de quelques-uns4. » 1. Ibid., p. 27-28. 2. Frantz Fanon, Les damnés de la terre, Paris, Maspero, 1961, préface de Jean-Paul Sartre, réédité à la Découverte en 2002. 3. Un seul front, op. cit., p. 27. 4. Ibid., p. 76-79.

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« Casser le régime » La radicalisation récente d’un Louis Laberge, qu’on sait batailleur, mais plutôt modéré politiquement, en surprend plusieurs. Mais, rappelons-nous : depuis quelques années, les affiliés de la FTQ vivent des conflits de travail très durs aux Postes, dans la construction, à General Motors, à Hydro-Québec et, plus récemment, au journal La Presse. En effet, au moment où s’ouvre ce congrès de 1971, la centrale est toujours directement et lourdement impliquée dans ce conflit, qui sévit depuis le 19 juillet. Et au cours des deux dernières années, c’est l’histoire du Québec qui s’est accélérée. Outre le débat linguistique, on vit intensément les élections du printemps 1970. La défaite électorale du Parti québécois est perçue comme un affront à la démocratie. Pour Laberge, « cette campagne électorale, plus que toute autre auparavant nous a renseignés sur le rôle essentiel que jouent les puissances de l’argent dans la prise du pouvoir. Il ne faut pas être sorcier en effet pour se douter que les gros propriétaires, dont les actions ont fait des “tours” dans les camions de la Brink’s, sont les principaux bailleurs de fonds de la caisse électorale rouge et les artisans de la victoire amorale des libéraux en 19701 ». Quelques mois plus tard, en octobre, c’est la crise dramatique déclenchée par l’action du Front de libération du Québec (FLQ) et la répression démesurée des gouvernements. Lors de la Crise d’Octobre, c’est la deuxième fois en autant d’années que l’armée canadienne occupe le Québec. En effet, un an auparavant, elle avait envahi les rues de Montréal pendant la grève de policiers et des pompiers de Montréal. Des manifestations réprimées dans la violence, nous en avons connues coup sur coup lors de la grève de Seven Up, pendant le défilé de la Saint-Jean-Baptiste, à l’occasion de l’opération McGill français, devant les installations de Murray Hill et, maintenant, au journal La Presse. Un mois avant le congrès, le 29 octobre 1971, en solidarité avec les lock-outées de La Presse, la centrale organise une grande manifestation appuyée par la Centrale des syndicats nationaux (CSN) et la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ). Plusieurs milliers de militantes parties du Carré Saint-Louis descendent la rue SaintDenis pour converger vers les locaux du journal, à l’angle des rues Saint-Laurent et Saint-Antoine. La manifestation est tenue en dépit du règlement antimanifestation de l’administration Drapeau-Saul1. Ibid., p. 24.

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nier. Les forces policières bloquent la rue et se déchaînent littéralement sur la foule. Elle matraque à tout va les manifestantes jusquelà pacifiques. Les trois présidents, qui croyaient être interpellés civilement, sont les premiers frappés. Il y a des centaines de blessées et une manifestante, souffrant d'asthme, ne survit pas aux poursuites sauvages des policiers à moto sur les trottoirs du Vieux-Montréal. Quatre jours plus tard, à l’invitation du président du Conseil central de la CSN de Montréal, Michel Chartrand, un grand ralliement de solidarité se tient dans un Forum de Montréal plein à craquer. C’est dans cette atmosphère survoltée que Louis Laberge lance : « Ce n’est pas des vitres que nous devons casser, c’est le régime que nous voulons casser ! » Il le répétera pendant son discours au Reine-Elizabeth. La Crise d’Octobre De tous ces événements qui ont contribué à la radicalisation d’un Louis Laberge, c’est assurément la Crise d’Octobre qui fut le plus marquant. Avec les autres centrales, la FTQ s’engage alors à fond dans la dénonciation de la Loi des mesures de guerre. Cette prise de position ne va pourtant pas de soi. De nombreux affiliés assimilent la dénonciation des Mesures de guerre à un appui au terrorisme du FLQ. Louis Laberge et Fernand Daoust doivent faire le tour du Québec et argumenter fermement avec de nombreux syndicalistes, qui ne se reconnaissaient plus dans les positions de leur centrale. Dans ces réunions, les dirigeants de la FTQ affirment que les causes profondes de la violence résident dans l’injustice sociale. Pendant cette période, ils présentent au gouvernement un « programme d’urgence », intitulé Pour une paix sociale durable. Ils réclament qu’on s’attaque aux racines du mal : les injustices sociales, le chômage, le statut de la langue, l’administration de la justice, l’absence de participation populaire… La centrale tient bon dans sa dénonciation de la suppression des droits civiques et la majorité de ses affiliés se rallie. Le cheminement politique de Louis Laberge n’est donc pas individuel. Muni d’un exceptionnel flair politique, il sent le vent tourner et en tire les conclusions. Il est un baromètre de la classe ouvrière québécoise. Partout, les travailleurs et travailleuses éprouvent en même temps un immense ras-le-bol. Dans le secteur public et parapublic, où la syndicalisation a fait un bond dans les années soixante, des dizaines de milliers de syndiquées n’arrivent pas à négocier leurs conditions de travail ;

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les travailleurs de la construction vivent un nouveau régime de relation de travail peu favorable aux ententes négociées ; dans le secteur minier, particulièrement instable en emplois, on réclame en vain un fonds d’indemnisation des mineurs victimes de mises à pied massives ; dans de nombreux conflits de travail du secteur privé, où sont implantés les syndicats de la FTQ, les employeurs ont systématiquement recours aux « scabs ». Ces derniers agissent en toute légalité, protégés par les forces policières et les tribunaux. Devant eux, c’est à coup de poing que les grévistes doivent s’opposer au vol de leur travail. Et ce sont eux qui sont traités comme des criminels. Le sentiment de faire face à un mur est généralisé L’État rouage de notre exploitation Au cœur de tous ces conflits sociaux et crises politiques, les centrales syndicales éprouvent en même temps le besoin de remettre en cause leurs stratégies de lutte. Elles ressentent aussi l’urgence de repenser leur action politique. Au début de 1970, des colloques régionaux intersyndicaux rassemblent les militantes de la CSN, la CEQ et la FTQ et des militantes des groupes populaires. Plusieurs jeunes militantes comme moi en sortent gonflées à bloc, convaincues que les centrales syndicales vont consacrer désormais des ressources considérables à l’action politique. L’un des objectifs avoués de ces colloques unitaires est de convaincre les syndicalistes d’investir les conseils municipaux, les commissions scolaires et autres pouvoirs locaux et régionaux. Le Front d’action politique (FRAP)1 est l’une des incarnations de cette stratégie. On espère bâtir ainsi un pouvoir populaire bien enraciné dans les régions, assise d’une prise prochaine du pouvoir central par la classe ouvrière. C’est donc dans un climat de grande fébrilité que se prépare le congrès de la FTQ de 1971. Pierre Maheu, un jeune économiste fraîchement embauché, travaille depuis quelques mois sur deux dossiers, l’un portant sur la politique de subventions de l’État versées à l’entreprise privée et l’autre sur le chômage au Québec. Dans le premier cas, il démontre que l’État s’est mis au service du capital, le plus souvent étranger, renonçant par le fait même à son rôle essentiel de maître d’œuvre du développement économique. L’étude sur le chômage explique son taux excessif au Québec par la domination 1. Formé de militantes d’organisations populaires et syndicales, le FRAP présentait des candidates aux élections municipales de Montréal du 25 octobre 1970. Associé au FLQ par le maire Jean Drapeau et par le ministre fédéral Jean Marchand, il ne recueillit que 10 % des voix.

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extérieure de notre économie et par son développement aléatoire, en l’absence d’une intervention planificatrice de l’État. Dans les deux cas, on accuse l’État québécois de démission. Nous constatons qu’il s’agit là d’un reniement des objectifs de la Révolution dite tranquille, qui a permis de commencer la construction d’un État moderne au Québec. Le coup de frein a été appliqué par les Libéraux de Jean Lesage eux-mêmes avant de perdre le pouvoir aux mains de l’Union nationale (de 1966 à 1970). Cette dernière, peu réformiste par nature, ne fait pratiquement rien pour revigorer les interventions de l’État. Les Libéraux revenus au pouvoir en 1970 semblent encore plus inféodés au capital que tous les gouvernements précédents. Au sein de l’équipe de la FTQ, l’idée a germé de coiffer les deux études par une dénonciation de ce qu’était devenu l’État québécois. Jean-Guy Frenette, qui vient de compléter sa scolarité de doctorat en économie en France, nous revient avec un projet de thèse qui porte justement sur le rôle de l’État dans la planification économique. Je suggère de m’en inspirer pour rédiger sous forme de manifeste une introduction aux deux dossiers. Ainsi est né L’État rouage de notre exploitation. Demandeurs d’État Le manifeste tranche sur les écrits passés de la centrale avec son ton militant et son analyse radicale du rôle de l’État. Il n’en demeure pas moins une suite logique à la tradition politique de la mouvance syndicale dont est issue la FTQ. En effet, dès leur implantation chez nous à la fin du xixe siècle, les syndicats nord-américains, qu’on nomme alors « unions internationales1 », réclament l’intervention des gouvernements. Pour ces syndicalistes, l’État doit jouer un rôle central pour civiliser la jungle économique qu’est le capitalisme naissant ; dès 1898, le Congrès des métiers du travail du Canada (CMTC) réclame la nationalisation de l’eau, de l’électricité, des transports en commun et du télégraphe, l’instruction gratuite, la journée de travail de huit heures, un salaire minimum et des réformes fiscales. 1. Les « unions internationales » avaient pour caractéristique d’être neutres et étaient influencées par les courants idéologiques européens. Les syndicats catholiques (dont est issue la CSN) ont été mis sur pied et contrôlés par le clergé. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, ils eurent comme philosophie sociale le corporatisme ; ils mirent donc du temps à souhaiter l’intervention de l’État tant comme régulateur social et économique.

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En 1904, le Parti ouvrier, créé par des militantes de la même famille syndicale, met dans son programme des réformes similaires, auxquelles il ajoute l’instruction obligatoire, la nationalisation des banques et « l’assurance d’État contre la maladie et la vieillesse ». Le CMTC, quant à lui, réclame une assurance-chômage à partir de 1921. Une partie de ces réformes constitueront plus tard l’ossature de l’État-providence. Tout au long de son histoire, la FTQ n’a pas cessé de réclamer une intervention directe de l’État dans l’économie. Bien sûr, il n’était pas question de « casser le système », mais on revendique des réformes et des régulations qui en pourraient en modifier la nature. Pendant des années, une partie du mouvement syndical canadien appuie formellement la Commonwealth Cooperative Federation (CCF)1. Essentiellement, ce qu’on cherche à instaurer, c’est la social-démocratie. D’ailleurs, la FTQ participe avec le Congrès du travail du Canada (CTC) à la création du NPD en 1961 et, pendant quelques années, ses statuts spécifient qu’elle l’appuie. Quel modèle ? Le radicalisme de L’État rouage de notre exploitation peut laisser présager un changement dans le modèle de société que développerait désormais la centrale. On y parle de « socialisme démocratique » sans trop le définir. Au cours de l’année suivante, la FTQ tient des mini-congrès dans toutes les régions du Québec. Ces sessions organisées avec les Conseils du travail régionaux et la centrale permettent à des milliers de militantes de discuter des analyses et des propositions contenues dans le manifeste et dans Un seul front. Au cours du congrès suivant, une résolution sur la création d’un parti ouvrier (non adoptée) et une autre sur la légitimité du recours à la grève générale (adoptée) s’inscrivent dans la ligne défendue par le manifeste. Au gré des évènements, les textes et les manifestes produits par la centrale reprennent une analyse politique en phase avec L’État rouage de notre exploitation. Ainsi, le Manifeste des chômeurs, écrit à l’occasion d’un grand ralliement antichômage au Forum de Montréal en février 1972, Le travail, notre propriété, manifeste des grévistes québécois, divulgué lors de l’occupation du ministère du Travail, en août 1973, et même De l’humanisme à la dictature, la réponse de la centrale au rapport de la Commission Cliche, en 1975, sont de la même eau. 1. La CCF était appuyée par le Congrès du travail du Canada.

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La FTQ devient-elle un mouvement révolutionnaire ? Ses syndicats cesseront-ils de négocier des conventions collectives pour se consacrer désormais toutes leurs énergies à l’instauration de la dictature du prolétariat ? Pas tout à fait. Entre le rêve de ses membres les plus radicaux et ce que peut se permettre une institution syndicale, il y a un certain nombre de contraintes. Le syndicalisme est d’abord et avant tout un mouvement de défense collective. Il a pour mission première d’arracher aux employeurs les meilleures conditions de travail, de les préserver et de les améliorer. Aujourd’hui, comme à ses débuts, le mouvement syndical doit s’assurer que l’environnement politique, social et économique permet et favorise le maintien et l’amélioration des gains. D’où son action politique. Mais, à l’image de ses revendications quotidiennes en milieu de travail, le projet de société d’une organisation syndicale doit être réalisable à court ou moyen terme. Ainsi, dans les années soixante-dix, lorsqu’une embellie politique apparaît avec l’élection du Parti québécois, la nature réformatrice et sociale-démocrate du mouvement refait nettement surface. Et tous les efforts de définition de projets de société subséquents y sont conformes. La FTQ réclame la construction d’un État neutre et juste, régulateur et protecteur des droits sociaux et économiques des citoyennes, agent de la redistribution des richesses ; un État qui associe ses citoyennes dans la définition de leurs droits et dans leur exercice. Est-ce à dire que la radicalisation que constituait l’adoption en congrès de L’État rouage de notre exploitation en 1971 n’était que rhétorique ? Je ne le crois pas. Elle témoigne d’une volonté de bien identifier les forces en présence, de bien définir ce qui nous opprime. Il faut clairement nommer l’ennemi. Nous disons de façon percutante notre rejet d’une société qui se construit contre nous. Nous affirmons l’urgence d’une riposte large, forte et unifiée. Et les grandes mobilisations unitaires qui s’ensuivent trouvent dans ce texte et dans ceux des deux autres centrales un fondement théorique articulé et une légitimation stimulante. Démasquer Pourquoi rééditer aujourd’hui L’État rouage de notre exploitation ? N’est-ce pas anachronique en cette ère de laisser-faire généralisé et de démission de l’État ? Les forces conservatrices sont à l’œuvre à Ottawa, où le gouvernement se fait le valet des pétrolières, tout comme à Québec, où l’on s’active à paver le Nord au profit des

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pilleurs de richesses naturelles. Chaque jour, l’État se met davantage au service du capital. On doit aussi constater que la capacité du pouvoir capitaliste à générer l’injustice s’est accrue. Depuis la montée en puissance du néolibéralisme, de la financiarisation de l’économie et de sa mondialisation, les inégalités s’accroissent non seulement entre pays pauvres et pays développés, mais également à l’intérieur de ce qu’on nommait encore hier « les sociétés opulentes ». On y voit partout mis à mal les mécanismes de justice distributive et, au-delà, la notion de bien commun. Aujourd’hui comme hier, il est important de démasquer et de nommer l’ennemi. On découvre que, pour l’essentiel, il a très peu changé. Et la façon de le combattre demeure aussi très semblable : par la mobilisation, par l’action collective et par le développement d’un puissant et durable rapport de force. Heureusement, un nombre grandissant de citoyennes le réalisent et s’organisent depuis quelque temps. Les mouvements contre la mondialisation néolibérale, les regroupements d’indignées, la formation au Québec d’une « Alliance sociale » unissant syndicats, mouvement étudiant et groupes populaires pour la préservation des services publics, la lutte exemplaire du mouvement étudiant québécois pour l’accès démocratique à l’éducation… Voilà autant d’affirmations collectives qu’un autre monde est possible.

Introduction

C

haque étude économique honnête au Québec constitue un panneau qu’on retire pour mieux voir la condition de domination dans laquelle sont maintenus les travailleurs d’ici. En entreprenant la fabrication des deux dossiers que nous vous présentons aujourd’hui, nous n’avions pas d’arrière-pensée. Nous voulions simplement fouiller deux phénomènes majeurs de notre économie ; l’intervention massive de l’État dispensateur de subventions à l’entreprise privée et le problème du chômage. Nous constatons maintenant que ces travaux nous permettent de décrire avec plus de clarté la forme actuelle du système socio-économique à l’intérieur duquel se débattent les salariés, pour préserver une dose convenable de dignité et obtenir quelques réponses à leurs besoins les plus pressants. Il est important de connaître cette anatomie de la domination avant même d’entreprendre la lecture des dossiers économiques. On comprendra mieux la nature des problèmes décrits, lorsqu’on aura acquis une connaissance exacte du cadre qui les soutient. Une découverte importante qu’on fera alors est celle du rôle de l’État chez nous. Cela nous permettra de démêler les cartes que tant de politiciens embrouillent chaque jour à coup de slogans. Nous verrons entre autres que, contrairement à ce qu’on tente de nous faire croire, les interventions accrues de l’État dans l’économie, loin de le faire évoluer dans la voie du socialisme, renforcent la domination capitaliste. Situé à sa vraie place, l’État apparaît comme rien de plus qu’un rouage de notre exploitation.

Manifeste pour une nouvelle stratégie

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Mais partons d’une réflexion simple, celle qu’ont vécue collectivement les travailleurs québécois depuis quelques années. Tentons aussi, à partir de leurs constatations unanimes, de reconstituer le portrait de la société qui engendre les problèmes auxquels ils font face. Les luttes isolées Pour des raisons d’efficacité, parce qu’on croyait ainsi mieux cerner les problèmes, on a eu tendance dans le passé à leur faire face un à un. Et ceci valait tant sur le plan syndical que sur le plan social et politique. On se disait qu’il valait mieux défendre les travailleurs groupe par groupe, usine par usine. On avait ainsi plus de chance de servir adéquatement leurs intérêts particuliers. Au niveau politique, lorsque l’on réclamait des réformes, on définissait des objectifs axés sur un domaine particulier, préférant enregistrer des gains restreints plutôt que de perdre de grandes batailles. Cette stratégie semblait en tout cas légitimée par des progrès considérables effectués par de forts groupes de salariés syndiqués oeuvrant dans les industries de pointe comme celles des pâtes et papiers, des produits chimiques, de la métallurgie, de l’avionnerie et de l’automobile. Mais la réflexion collective à laquelle les travailleurs québécois s’adonnent depuis quelque temps a provoqué chez eux un réveil brutal. Ils ne peuvent s’empêcher de dresser un bien triste bilan de la stratégie des « luttes isolées ». Énumérons quelques maux chroniques qui les affligent en 1971. 1. Les secteurs défavorisés il y a vingt ans (textile, vêtement, bois ouvré, chaussure, etc.), en plus d’avoir maintenu des conditions de travail inhumaines, sont maintenant menacés d’extinction. 2. Les secteurs privilégiés il y a dix ans (mines, pâtes et papiers, produits chimiques, etc.) subissent des secousses importantes et éliminent par milliers les emplois. 3. Les taux de chômage se maintiennent à des niveaux inacceptables. 4. Les prix à la consommation augmentent à un rythme plus rapide que les salaires pour une partie importante de la population. 5. Le syndicalisme reste toujours inaccessible aux deux tiers des salariés. 6. L’absence des travailleurs dans les centres de décision politique engendre une carence législative dans tous les domaines qui les touchent directement : logement, éducation, statut de la langue, santé, bien-être, environnement, consommation, etc.

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En énumérant ces quelques problèmes majeurs, notre propos n’est pas de constater l’échec des stratégies passées du mouvement syndical. Il se peut bien que la stratégie jusque-là suivie ait été la seule possible à l’époque. Notre seule prétention, à la suite de l’analyse économique, que nous vous livrons dans le présent ouvrage, est que le maintien de notre tradition de combats indépendants les uns des autres ne constitue plus un frein à la détérioration de la situation. Il en va de même de toutes nos interventions successives et parcellaires auprès des autorités gouvernementales. Nous constatons maintenant que toutes ces positions défendues devant des commissions parlementaires, des commissions d’enquête ou par des déclarations publiques, ont un poids bien mineur lors de la prise des décisions par des politiciens qui, de toute façon, ne sont pas là pour défendre les intérêts de la classe ouvrière. Il est donc illusoire de réclamer des réformes en profondeur dans des secteurs d’activité importants, si nous nous en remettons au bon vouloir de ces pouvoirs politiques. Malheureusement, cette tendance que nous avons eue, en plus de s’avérer stérile, nous a portés à avoir une vision cloisonnée de la réalité. On a toujours regardé par morceaux les problèmes auxquels nous faisons face, alors qu’ils sont tous reliés : leur cause est commune, et ils sont maintenus, voire même multipliés par l’organisation de la société dans laquelle nous survivons. Tentons de voir la structure de cette société et les moyens dont elle dispose pour opprimer la classe ouvrière. Nous pourrons ensuite mieux définir l’orientation de l’action à déployer pour contrecarrer ce régime qui nous écrase. Les caractères communs Lorsqu’on examine l’ensemble des problèmes qui pèsent sur les travailleurs québécois, on saisit vite qu’ils ont des caractères communs. Identifions-en quelques-uns : 1. Ils affectent uniquement la classe ouvrière. En effet, nous sommes toujours les premiers touchés par le soubresaut de l’économie. Alors qu’un investisseur peut placer ailleurs ses capitaux et diversifier leur utilisation, nous n’avons en propre que notre travail ; quand on nous en prive, nous sommes démunis. Même les travailleurs qu’on considère généralement comme privilégiés doivent porter le poids des pro­ blèmes sociaux. Ce sont eux qui assument principalement

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les coûts sociaux du chômage et de l’assistance sociale en général. 2. Ils trouvent leur source dans une répartition inégale des richesses et une orientation de la production en fonction des profits plutôt que des besoins. Des chiffres démontrent que ces inégalités vont s’accentuant. L’expérience prouve, elle, que nous sommes incapables, par notre mode de revendication syndicale, de corriger ces inégalités, attribuables à une économie de marché. Seuls les besoins « solvables » peuvent être satisfaits dans une telle économie. Pourtant, on sait qu’une proportion croissante de la population n’est pas en mesure de satisfaire ses « besoins réels ». Notre économie produira donc des produits « payants » pour les producteurs, négligeant de rendre accessibles des produits « nécessaires » comme la nourriture, le vêtement, le logement. C’est la logique du profit qui s’oppose à une orientation de la production en fonction des besoins réels des individus, car la capacité productive chez nous serait normalement en mesure de les satisfaire. 3. Seule l’intervention directe de l’État pourrait résoudre ces problèmes. Ainsi, pour obtenir des systèmes de santé, de justice et de bien-être, qui répondent à nos besoins, nous avons eu tendance à croire qu’il suffisait que les gouvernements réforment leurs institutions et donnent une plus grande part de contrôle à la population. Pour que nos droits de travailleurs, de consommateurs ou d’électeurs soient respectés intégralement, nous avons cru également qu’il suffisait de réclamer des amendements législatifs. Finalement, pour corriger l’inefficacité et le gaspillage de l’entreprise privée dans la satisfaction des besoins sociaux, nous exigions que l’État intervienne directement par ses institutions économiques et financières. Il est clair que tant que l’État n’aura pas tous les pouvoir requis pour assumer la responsabilité du développement économique, il n’y aura jamais de progrès assuré pour la majorité. Nous serons les éternelles victimes de toutes les secousses d’une économie soumise à la loi du profit maximum. On peut se demander après ce bref tour d’horizon de nos problèmes et de leurs caractères communs, pourquoi l’État est incapable de corriger les injustices sociales et d’éliminer l’exploitation sous 22

La liberté de qui ? Pour connaître la source de tous ces maux chroniques qui jurent avec la société d’opulence qu’on nous promet depuis quelques décennies, il faut savoir ce que signifient des concepts comme « monde libre », « État libéral », « la liberté de l’entreprise privée ». Toutes ces expressions associées à l’idée de liberté sont trompeuses. Elles ne parlent pas de la liberté d’un peuple, mais bien de la liberté d’une classe privilégiée, celle des possédants. Quand ces derniers sont libres de presser les travailleurs comme des citrons, c’est qu’ils vivent dans le monde libre, par opposition au camp socialiste où leur liberté a été bafouée, sous prétexte de donner à tout le peuple le droit de vivre. Chez nous, heureusement, l’État porte le nom de libéral et permet tout à l’entreprise privée ; la vraie liberté, ce n’est pas celle de la classe ouvrière, c’est celle qu’on laisse au jeu de l’offre et de la demande, celle qu’on donne à toutes les agressions de la publicité sur les consommateurs et celle qui permet aux industriels de jeter subitement sur le pavé des milliers de pères de famille, parce que la marge de profit a diminué dans tel ou tel secteur d’activité. Ce système de liberté émouvant, c’est le système capitaliste. On le retrouve chez nous avec la teinte particulière du colonialisme, parce que la plus grande partie de notre économie est contrôlée par des capitaux américains ou anglo-canadiens. Mais on le retrouve tout de même intégralement avec tous les morceaux essentiels à son fonctionnement. Toute la motivation de notre système économique repose sur le profit des possédants et non sur la satisfaction des besoins des hommes producteurs. Ces derniers sont forcés de vendre leur travail pour subsister. Tous les problèmes identifiés plus haut ne sont pas des hasards du développement capitaliste, ni même des accidents de parcours. Ils découlent directement de sa nature. La recherche du profit maximum justifie tous les moyens : réduction des coûts de main-d’œuvre par des compressions de salaires et des réductions de personnel, accélération des rythmes de production, baisse de la qualité des produits à la consommation, etc. L’un des moyens

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toutes ses formes, que perpétue l’entreprise privée. Pour répondre à cette question autrement que par des accusations et des condamnations rapides, il importe d’examiner où se situe l’État dans notre système socio-économique. Et tout d’abord, quelle est la nature profonde de ce système ?

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absolument nécessaires au maintien et au développement de ce régime est le contrôle du pouvoir politique par le pouvoir économique. Les grands financiers doivent s’assurer que leur liberté ne sera pas brimée par des pouvoirs politiques, qui répondraient à des vœux populaires : ils créent donc des liens étroits avec les appareils politiques et maintiennent au pouvoir des gouvernements qui servent leurs intérêts. Ce sont les gouvernements bourgeois, qu’on nomme habituellement États libéraux. C’est ce type de gouvernement que nous avons à Québec et à Ottawa. Qu’il s’agisse des Progressistes conservateurs, de l’Unité-Québec1 ou des Libéraux, ces partis qui se sont échangé le pouvoir depuis toujours chez nous respectent tous les règles du jeu capitaliste. De plus en plus gros Une autre idée qu’il faut tuer pour y voir clair, c’est celle de l’harmonie vers laquelle est supposée tendre l’organisation de notre société. C’est du mensonge que de prétendre que « tout le monde a sa place au soleil ». En pays capitaliste, le bien-être n’est pas un arbre fruitier dans lequel tout le monde est libre d’aller cueillir ce que bon lui semble. Le contrôle qu’exercent les possédants sur le reste de la population est fait pour s’accroître. Automatiquement, le nombre de possédants diminue proportionnellement au nombre de ceux qui leur sont assujettis. Ce phénomène s’appelle généralement concentration des capitaux, il peut entraîner la formation des monopoles et, si l’on veut parler de la forme qu’il prend au niveau mondial, il faut le nommer impérialisme économique. L’économie capitaliste, c’est une jungle où l’on s’entredévore jusqu’à ce que l’une des espèces concurrentes ait éliminé son adversaire. « Au plus fort la poche » est une expression populaire qui reproduit plus franchement l’image de notre régime que le « tout le monde a sa place au soleil ». La vérité, c’est que les capitalistes croient tous profondément au jeu de la concurrence, jusqu’à ce qu’ils en soient sortis vainqueurs. Dès qu’ils se sont bien installés dans un monopole, ils consolident leur pouvoir par tous les moyens. À ce moment ils, parlent plutôt de la liberté d’action de l’entreprise privée face au pouvoir politique. Ils n’osent pas parler de leur liberté de domination sur le pouvoir politique, parce qu’ils n’aiment pas les formules trop limpides. 1. De 1971 à 1973, l’Union nationale, sous la direction de Gabriel Loubier, a adopté le nom de Parti pour Unité Québec. En 1973, lors des élections générales, ce parti n’a obtenu que 4,92 % des suffrages. NdE.

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Le rouage essentiel Les travailleurs québécois ont été gâtés par les leçons d’économie politique qu’on leur a servies au cours de conflits ou de mises à pied massives ces derniers temps. Ils ont vite constaté que l’État bourgeois provincial ou fédéral assistait en spectateur aux dégâts occasionnés par le système économique. Les interventions importantes de l’État dans le jeu économique jouent toutes en faveur des grands détenteurs de capitaux, qu’ils soient américains, canadiens ou même québécois. L’État libéral bourgeois se montre sous son vrai jour : c’est le rouage essentiel qui soutient le régime économique capitaliste. Ni le gouvernement fédéral, avec ses pouvoirs théoriques de contrôle économique, ni l’espèce de sous-État aux pouvoirs atrophiés que constitue le gouvernement du Québec, ne sont des arbitres impartiaux des conflits entre travailleurs et capital. Les deux, Québec et, Ottawa, sont des agents du pouvoir économique majoritairement américain, minoritairement anglo-canadien et minusculement québécois. Il faut cesser de concevoir l’État bourgeois comme le protecteur de l’intérêt public. Jetons un coup d’oeil sur les ramifications dont dispose le pouvoir politique. Nous comprendrons vite que tout changement en profondeur est quasi impossible, quand on se conforme à toutes les règles du jeu définies par lui pour se maintenir en place ; il contrôle en effet : 1. Les appareils proprement politiques lui permettant de fabriquer des lois, qui servent carrément les pourvoyeurs de caisse électorale ; 2. l’appareil judiciaire qui surveille l’application de ces lois et au sommet duquel trônent des juges nommés pour services rendus par le pouvoir politique et choisis à cause de leur respect religieux de la grosse propriété. Les travailleurs ont des preuves quotidiennes que cet appareil, qui leur sert des injonctions à la pelle, n’est que le prolongement des pouvoirs de l’argent ; 3. les appareils idéologiques ou culturels qui permettent de convaincre les honnêtes citoyens qu’ils vivent au paradis terrestre : a) le système d’éducation ;

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b) les médias contrôlés par les grands financiers ou le gouvernement bourgeois ; c) l’orientation de la culture en général, qui, ne seraitce que par les moyens qui ne sont pas mis à la disposition de la population, invite les gens à ne pas trop penser et surtout à éviter de créer.

Pour résumer, la cause véritable des problèmes aigus qui écrasent chaque jour davantage les travailleurs, c’est le système capitaliste monopoliste organisé en fonction du profit de ceux qui contrôlent l’économie, jamais en fonction de la satisfaction des besoins de la classe ouvrière qui regroupe l’immense majorité de la population. Le système n’évolue pas à l’échelle restreinte d’une province ou d’un pays. Les compagnies multinationales qui l’animent étendent leurs tentacules partout dans le monde. Partout les mêmes gros possédants achètent du travail pour produire des biens qui, revendus, leur rapporteront des profits. La concentration du pouvoir économique aux mains des grands propriétaires mondiaux étend sur des pays entiers la domination de l’impérialisme écono­mique. C’est ce que les Américains font chez nous. Mais cet impérialisme n’est qu’une forme grossie du capitalisme. Il ne suffirait pas de s’en défaire pour être libéré de l’oppression. Des capitalistes québécois francophones ne seraient pas plus tendres pour les salariés québécois. Ils répondraient aux mêmes motivations et aux mêmes lois économiques. Ils utiliseraient de la même façon l’État libéral comme chien de garde de leurs privilèges et comme alimenteur de leurs machines à profit. C’est toute cette structure de pouvoir qu’il faut avoir en tête lorsqu’on examine des phénomènes comme, le chômage. C’est la combinaison du régime capitaliste avec son protecteur, l’État libéral et son prolongement mondial, l’impérialisme, qui engendre une telle plaie sociale. L’accroissement des profits à tout prix n’est pas une loi qui tient compte du droit au travail. Surtout pas lorsque les priorités d’investissement et de production sont définies en pays étranger. Pour le capitaliste américain, qui élimine soudain deux mille emplois, les profits qu’il réalisera ailleurs ne seront pas grevés par les coûts sociaux du chômage. Même le capitaliste québécois sait qu’il n’aura pas à assumer la plus grande part de ces coûts. Ce sont les salariés encore au travail qui en absorberont la plus grande partie. Il faut penser aussi à cette structure de domination et au rôle précis qu’y joue l’État en analysant les effets des politiques de sub-

ventions à l’entreprise privée. On ne sera pas étonné ensuite de parvenir aux conclusions suivantes :

2. l’État ne se donne pas en retour de vrais contrôles sur l’utilisation de notre argent ; 3. cette politique permet de réduire les difficultés de mise en valeur du capital de la classe possédante ; 4. c’est surtout en fonction des intérêts de la fraction dominante (monopoliste) de la classe capitaliste que se développent les politiques étatiques de soutien à l’entreprise privée ; 5. la politique de développement économique du gouvernement fédéral repose sur l’entreprise privée et non sur de supposés objectifs de correction des disparités régionales ;

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1. l’État transforme en capital privé une large part du capital public, tiré avant tout des poches des salariés ;

6. en conclusion, l’État libéral (québécois et fédéral) renforce avec notre argent le pouvoir économique privé, ce qui permet d’accroître chez nous le développement du capitalisme et la mainmise de l’impérialisme sur notre vie économique. Il est important de noter qu’il n’y a pas de différence entre l’État libéral fédéral et québécois, ni entre les partis politiques, qui se remplacent périodiquement au pouvoir, quant à leur orientation face à l’entreprise privée. Notons aussi que c’est l’État fédéral, contrôlé par la bourgeoisie anglo-saxonne, qui détient les pouvoirs-clés pour intervenir dans l’économie. Sortir de l’isolement L’isolement où nous nous sommes plus ou moins maintenus dans nos luttes syndicales et dans la revendication de réformes politiques n’a pas permis de corriger convenablement les grands problèmes des travailleurs. Le régime capitaliste, qui est à l’origine de ces maux, s’est renforcé, lui. Il peut compter maintenant sur un pouvoir politique bien développé pour le servir et sur une concentration de capitaux jamais égalée auparavant. Une telle force ne peut qu’engendrer de nouvelles tares sociales et accentuer celles que nous supportons présentement. 27

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Des phénomènes comme celui de la concentration du capital, de la propriété monopolistique des entreprises, de l’intervention accrue de l’État favorable au capital, ont transformé le jeu de la négociation, tel que nous le pratiquons depuis la guerre. L’équilibre des forces que nous tentions d’y maintenir s’en trouve drôlement compromis. Il est de plus en plus difficile de remporter petit groupe par petit groupe, usine par usine, des victoires déterminantes. Quand nous en remportons, elles sont éphémères et tout est à reprendre quelques mois plus tard. En tout cas, elles sont partielles et ne touchent pas les autres problèmes qui menacent les travailleurs : fermetures d’usine, chômage, crise du logement, etc. À ce niveau, les réformes partielles que nos parvenons à obtenir à force de représentations visent plutôt à apaiser l’insatisfaction populaire et à « gagner des élections » qu’à résoudre définitivement les problèmes. Bien plus, beaucoup de mesures législatives, en apparence bonnes, permettent aux rouages publics et privés du système de se perfectionner pour exploiter de façon plus « moderne » la classe ouvrière. Nous devons sortir de notre isolement et élargir les fronts de lutte. C’est une question de légitime défense. Le système écono­ mique et politique dans lequel nous vivons tend à nous écraser. Nous n’avons pas d’autre choix que de le détruire, pour ne pas être détruit. Toutes les revendications que nous ferons sans remettre en cause les fondements de cette société ne peuvent donner, au mieux, que des adoucissements. Elles n’élimineront pas l’exploitation, elles lui donneront des visages différents. Nous devons viser à remplacer le système capitaliste et l’État libéral qui le soutient, par une organisation sociale, politique et économique dont le fonctionnement sera basé sur la satisfaction des besoins collectifs, par un pouvoir populaire gui remette les appareils de l’État et les produits de l’économie aux mains de l’ensemble des citoyens. Une nouvelle stratégie Cet objectif ne sera pas atteint spontanément, du jour au lendemain. Il ne sera possible que si toutes les factions de non-possédants, travailleurs syndiqués et non syndiqués, chômeurs, assistés sociaux et étudiants fournissent un effort soutenu d’organisation collective. Devant des appareils aussi puissants que ceux du capitalisme nordaméricain, ce serait courir au suicide que d’entreprendre des luttes spontanées, sans organisation et stratégies préalables. Il est aussi

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impérieux que toutes ces couches de population exploitées se reconnaissent et créent des liens de solidarité permanents. À long terme, nous accorderons donc notre priorité à l’organisation de notre force politique en multipliant les intrusions dans les mécanismes décisionnels régionaux où l’entrée des travailleurs est moins systématiquement filtrée. Nous tenterons aussi de nous donner des instruments de représentation et de lutte politique capables de mobiliser toutes les victimes de l’exploitation. Une telle institution peut être bâtie à partir de structures existantes que nous tenterions d’influencer de façon à les subordonner aux aspirations des travailleurs. Elle peut aussi être bâtie de toutes pièces, si aucun parti ou organisation politique québécoise n’est en mesure de satisfaire notre objectif de libération économique. À court terme, pour ne pas enregistrer de recul irréversible, nous devons tendre à minimiser les dégâts humains occasionnés par l’économie libérale. Il importe donc de continuer à lutter avec une ardeur sans cesse accrue pour conserver les droits acquis dans nos milieux, dans les lois dites sociales, etc. On devra aussi continuer à revendiquer fortement des améliorations des conditions de travail et des salaires. Nous exigerons aussi de l’État libéral qu’il cesse de dilapider nos fonds publics dans l’entreprise privée et qu’il se donne des institutions économiques fortes pour contrecarrer les effets du régime économique anarchique. Nous ne devons cependant pas perdre de vue que ces luttes à court terme (que nous développerons dans le chapitre intitulé : « Quelques pas vers notre libération économique »), ne constituent pas une solution finale. En supposant même qu’elles portent leur fruit, elles nous débarrasseront peut-être de l’emprise américaine et anglo-saxonne sur notre économie, mais ce sera pour la remplacer par une bourgeoisie technocratique et capitaliste québécoise. C’est là une étape de notre libération que nous devons escamoter. Les grands efforts collectifs sont trop coûteux en énergies humaines et en espoirs pour qu’on les gaspille dans des luttes qui mènent à des culs-de-sac. Si nous acceptons collectivement de nous approprier du pouvoir qui nous revient, concentrons le plus fort de nos énergies vers cet objectif final. Ne nous laissons pas endormir par les situations de moindre mal qu’on ne manquera pas de nous proposer.

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Dossier I

La politique de subventions…

La politique de subventions : une politique économique de soutien à l’entreprise privée

V

oyons comment l’État fédéral, au niveau d’une seule de ses politiques économiques – celle de la subvention aux entreprises privées –, dispose allégrement de nos fonds publics pour soutenir une idéologie (le libéralisme) et une institution (l’entreprise privée) qui accentuent nos problèmes économiques et sociaux plutôt que de les atténuer. Il nous faudra faire l’analyse exhaustive des politiques économiques des États fédéral et québécois – bien que nous sachions qu’elles convergent toutes, en particulier, vers un soutien à l’entreprise privée et, en général, au développement capitaliste sous toutes ses formes, même les plus désuètes. Plus particulièrement, il faudrait, pour avoir une idée plus juste de l’apport du capital public, connaître ce que représentent, comme coût social, les exemptions d’impôt et de taxes accordées aux entreprises. Ces trois formes de financement représentent seulement les mécanismes les plus connus de l’aide de l’État à l’entreprise privée. Nous devrons, dans le cadre de ce document, à cause de l’absence d’informations valables sur l’ampleur de l’aide publique accordée sous l’égide de centaines de lois (à peu près 300), faire l’analyse d’une seule de ces lois, la « Loi sur les subventions au développement régional », administrée par le ministère fédéral de l’Expansion économique régionale. Nous incluons dans la troisième partie de ce document une énumération des principales formes d’aide à l’entreprise privée à même les fonds publics, et nous en ferons une interprétation d’ensemble. 31

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Nous présenterons :

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1. d’abord un bref historique de cette loi et de ses objectifs ; 2. puis une compilation des résultats de la politique de subvention et une analyse des effets et de la signification de cette politique ; 3. et finalement, une interprétation d’ensemble des formes d’aide publique à l’entreprise privée.

Première partie

La politique de subventions…

Bref historique de la loi des subventions

Première phase – 1963-1969 : La naissance de la poule aux œufs d’or C’est en 1963 que fut adoptée la loi fédérale stimulant le développement de certaines régions. Elle fut appliquée par l’Agence de développement régional (ADR) relevant du ministère de l’Industrie. Ses objectifs : • Agir comme coordonnateur des diverses politiques de développement d’une région. • Remédier aux problèmes de chômage excessif. • Rehausser le revenu de certaines régions. Son programme : • Subvention de développement en espèces ou en crédit d’impôt, jusqu’à concurrence du tiers des frais d’immobilisation. • Amortissement fiscal accéléré jusqu’à concurrence de 50 % par année. • Allocation spéciale du coût en capital jusqu’à concurrence de 20 % par année. Résultats sommaires : Au Canada, de 1963 à la fin de 1967, le Fédéral avait versé 370 millions de dollars sous forme de subventions ou d’exemptions d’impôt pour un investissement total de 1 845 000 000 dollars dans 33

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845 établissements nouveaux ou agrandis. Les bénéficiaires de ces dons ont estimé avoir créé 50 000 emplois. – Le coût moyen de création d’un emploi pour le gouvernement était de 7 400 dollars. – Le financement public des investissements privés représentait 20 % de l’immobilisation totale. Au 31 mars 1969, le ministère de l’Expansion économique régionale signalait dans son rapport annuel un nombre total de 1 040 projets, depuis 1963, qui devaient donner lieu à 2,6 milliards de dollars de nouvelles immobilisations et à la possibilité de créer 65 000 emplois directs. Au Québec, de 1963 à la fin de 1967, on disposait des informations suivantes : – Investissement total : 481 millions de dollars, soit 26 % du total canadien. – Subventions publiques : 90 millions de dollars ou 24 %. – Emplois directs estimés : 10 500 ou 21 %. – Nombre de projets : 207. – Subventions par rapport aux immobilisations : 19 %. – Coût moyen de création d’un emploi pour le gouvernement : 8 570 dollars. De 1963 au 31 mars 1969, on comptait 289 projets devant créer près de 17 000 emplois directs à la suite de nouvelles immobilisations de 800 millions de dollars. Pour la période se terminant à la fin de 1967, il est intéressant de rappeler que c’est l’industrie primaire de la pâte et du papier qui a reçu 30 % du total des subventions, soit 110 millions de dollars, et qu’il en coûtait 127 000 dollars en moyenne par création d’un emploi en fonction de l’investissement total (capital public et capital privé), et ce sur 31 projets subventionnés. Pour les 841 autres projets industriels, la création d’un emploi était estimée à 26 000 dollars en moyenne. Deuxième phase – juillet 1969 : et Marchand survint Il y eut la création en 1969 du ministère de l’Expansion économique régionale pour « officiellement s’occuper du problème des 34

1. Définition de 22 zones spéciales dont a) Québec – TroisRivières ; b) Sept-Îles – Port-Cartier ; c) Lac-Saint-Jean, et d) Sainte-Scholastique, qui sera ajoutée plus tard ; pour ces régions, il est prévu une aide financière à l’établissement de l’infrastructure économique dont nous ne ferons pas l’analyse dans ce document. 2. Pour les industries, la loi permet d’accorder deux genres de subventions dans les zones désignées : a) Une subvention principale dont le montant peut atteindre 20 % du coût d’immobilisation approuvé, de l’agrandissement et de la modernisation d’un établissement existant. Le montant maximal est de 6 millions de dollars. b) Une subvention secondaire pour l’implantation d’un nouvel établissement ou agrandissement en vue de la fabrication d’un nouveau produit. Le montant de la subvention peut atteindre 5 % du coût d’immobilisation approuvé, plus un maximum de 5 000 dollars par emploi créé directement dans l’entreprise. c) Une subvention combinant une subvention principale et secondaire – donnant droit à 25 % du coût d’immobilisation et à 5 000 par emploi créé ne doit pas dépasser le moindre des montants suivants :

• • •

La politique de subventions…

inégalités économiques régionales » et qui est essentiellement un « royaume des incitations » à l’entreprise privée. Une nouvelle loi sur les subventions au développement régional entre en vigueur au mois de juillet 1969 ; les points saillants sont :

30 000 dollars par emploi créé directement ; ou 12 000 000 de dollars ; ou la moitié du capital affecté à l’entreprise.

Troisième phase – janvier 1971 : l’exception devient la règle Les amendements apportés à la loi et qui sont entrés en vigueur en janvier 1971 stipulent que 1. Le plafond de 12 millions de dollars pour une subvention combinée disparaît. 35

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2. Le sud-ouest du Québec, y compris Montréal et Hull, entre dans une zone désignée et peut recevoir des subventions spéciales au développement. 3. Dans ce dernier cas, la subvention pourra atteindre 10 % du coût estimé des immobilisations pour agrandissement et modernisation et, en plus de ce 10 %, jusqu’à 2 000 dollars par emploi créé pour de nouvelles entreprises ou pour agrandissement en vue de la fabrication d’un nouveau produit. 4. Les nouveaux établissements commerciaux (hôtels, centres commerciaux) seront susceptibles d’obtenir également en certains cas des garanties de remboursement de prêts jusqu’à 80 % du coût d’immobilisation total.

Deuxième partie

La politique de subventions…

Présentation des résultats et analyse critique de cette politique économique

C

ette analyse se présente à la fois comme une critique « interne » en fonction des objectifs que veut poursuivre ce type de politique et portera également sur les effets et la signification politique réelle d’une telle pratique gouvernementale. Il nous faudra ultérieurement établir la complémentarité entre cette politique fédérale et les politiques québécoises qui sont de même nature. 1. Subventions par région : présentation des résultats Au début de cette présentation, il convient de signaler que notre étude couvre une période de 18 mois, soit depuis la fin d’octobre 1969 au moment où le ministère de l’Expansion économique régionale (MEER) a commencé à distribuer ses subventions, jusqu’au mois d’avril 1971 inclusivement. Durant cette période, pour le Québec seulement, 57 655 513 de dollars ont été accordés en subventions pour 213 projets devant créer 12 818 emplois directs. Les immobilisations prévues se chiffraient à 253 millions de dollars. À partir du Tableau 1 de la page suivante, il convient de présenter très schématiquement quelques remarques concernant les subventions par région. A. Répartition régionale des subventions : 1. Québec et Trois-Rivières ont reçu plus de 50 % des subventions (110 sur 213). 37

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2. Montréal vient au 3e rang avec 41 subventions. Cependant, les modifications apportées à la loi en décembre 1970 feront que Montréal, selon nous, recevra à l’avenir le plus grand nombre de subventions. 3. Puis viennent les Cantons de l’Est avec 26 subventions. 4. Le reste étant saupoudré à travers la province, soit 36 subventions sur 213 pour les six autres régions.

C. Les emplois créés par région : 1. En ce qui concerne les emplois créés, les régions de Québec et de Trois-Rivières ont aussi fourni la moitié des nouveaux emplois, soit 3 757 à Québec et 2 767 à Trois-Rivières. 2. Si on y ajoute les régions des Cantons-de-l’Est et de Montréal, avec 1 719 et 2 931 emplois créés, on obtient alors 87,2 % des emplois créés pour ces quatre régions. 3. Le reste (1 644 emplois) est réparti à travers les autres régions.

La politique de subventions…

B. Le montant des subventions : 1. Ce sont également les 4 mêmes régions qui ont reçu le plus gros montant en subventions, soit 46,6 millions de dollars ou 81 % des subventions totales. 2. Trois-Rivières vient en tête avec 14,8 millions de dollars de subventions. 3. Ici encore, Québec et Trois-Rivières reçoivent près de la moitié (48,2 %) du montant des subventions, soit 27,7 millions de dollars sur 57,6 millions.

D. Le coût de création d’un emploi par région : 1. Il est intéressant de noter la grande disparité dans le coût de la création d’un emploi pour chaque région. 2. C’est dans le Nord-Ouest qu’il en coûte le plus cher, soit 9 262 dollars par emploi, soit 2,7 fois plus cher qu’à Montréal. 3. Par contre, si on fait exception de la Côte-Nord qui n’a reçu que quatre subventions, c’est à Montréal et à Québec qu’il en coûte le moins cher, soit respectivement 3 737 et 3 432 dollars. Ceci peut se comprendre par le fait que l’infrastructure déjà en place et la grandeur du marché sont plus importantes dans ces régions. 4. Il en coûte au pouvoir public en moyenne 4 500 dollars pour créer un emploi. 5. Il nous en coûterait en somme 450 000 000 dollars pour créer 100 000 emplois ; il y a des promesses électorales qui peuvent nous coûter cher ! Et dans cette logique, un parti politique peut nous promettre n’importe quoi1, si on est prêt à en payer le coût nous-mêmes.

1. En 1970, Robert Bourassa, le nouveau chef du Parti libéral du Québec, a fait de la création de 100 000 emplois la promesse principale de sa campagne électorale victorieuse. NdÉ.

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Critique 1 : Les régions les plus défavorisées sont également les régions les plus négligées par cette politique. Il est paradoxal de constater qu’une politique d’« incitations », qui vise à « compenser les inconvénients auxquels se heurtent les industries qui désirent s’établir là où les conditions d’emploi laissent le plus à désirer », abandonne dans les faits son but original qui était de lutter contre les inégalités régionales en stimulant l’emploi. On constate que les trois régions les plus défavorisées du Québec, soit la Gaspésie, le Lac-Saint-Jean et le Nord-Ouest, reçoivent : • 14,0 % des subventions ; • 11,1 % des emplois créés ; alors que les régions de Québec, de Trois-Rivières, de Montréal et des Cantons-de-l’Est reçoivent : • 81,0 % des subventions ; • 87,2 % des emplois créés. C’est une démission à l’égard du développement des régions défavorisées ; même si la loi fixait trois pôles : Québec – TroisRivières ; Sept-Îles – Port-Cartier et Lac-Saint-Jean, les deux derniers reçoivent 5,6 % des subventions et 4,3 % de l’emploi ; c’est un échec lamentable. On peut se demander si cette politique de subventions qui se situe dans le sens du mouvement du développement économique naturel au Québec – en particulier, à cause, des facilités de toutes sortes que permet la proximité du Saint-Laurent – ne vient pas uniquement appuyer ce développement, mais sans l’orienter et perpétuer ainsi le problème des inégalités régionales. Il est en effet très difficile sinon impossible de déceler la moindre orientation d’un développement industriel coordonné et planifié. Il suffit de regarder la situation de la sous-région de Québec et de la région de Trois-Rivières. Dans la sous-région de Québec, sur 43 subventions, on en retrouve principalement dans les secteurs suivants : Bois : 8 subventions Aliments et boissons : 7 subventions Appareils et matériel électriques : 6 subventions Matériel de transport : 6 subventions Notons que trois subventions ont été refusées ou déclinées dans ce dernier cas depuis que notre compilation est faite. Sur ces 27 sub40

La politique de subventions…

ventions, seulement quatre (4) ont entraîné de nouvelles immobilisations de plus d’un million de dollars, dont celle à Control Data Canada Ltd. dont les immobilisations se chiffraient à près de 10,6 millions de dollars. Dans le cas de la région de Trois-Rivières, la situation est encore moins reluisante : aucune concentration dans la sous-région de la Mauricie et faible concentration dans la sous-région des BoisFrancs (rive sud de Trois-Rivières) dans trois secteurs, soit : Textile : 7 subventions Matériel de transport : 5 subventions Industrie des produits métalliques : 5 subventions dont trois (3) subventions dans le secteur textile, qui ont entraîné des immobilisations d’un ou de deux millions de dollars. Ce n’est certainement pas avec une telle politique de « saupoudrage », sans vue d’ensemble globale sur le développement industriel et régional, que l’on réussira à sortir le Québec du bourbier dans lequel il se débat actuellement. Critique 2 : Cette politique, en perpétuant les inégalités régionales, maintient la concentration du développement économique et aura tendance à l’accentuer dans le futur. La couverture idéologique de cette politique est à nouveau niée par les amendements récents apportés à la loi pour inclure dans une zone spéciale la région du sud-ouest du Québec, y compris Montréal et Hull. Pour cette zone, la subvention pourra être de 10 % du coût d’immobilisation et, en plus, jusqu’à 2 000 dollars par emploi. Ceci a pour effet direct de diminuer de 50 % les incitations à la décentralisation économique qui est l’objectif avoué de la loi. De toute manière si après un an et demi de fonctionnement – période couverte par notre étude – le fédéral a été impuissant, avec ses subventions et notre argent dans son attaque au problème du sous-développement régional, pourquoi ne serait-il pas logique avec lui-même et récompenser toutes les entreprises privées qui ont la bonté de venir nous créer des emplois, car il semble bien, d’après nos gouvernements, que cela soit devenu l’unique objectif de l’investisseur privé, du moins, c’est ce qu’on voudrait bien nous faire croire. On peut donc prévoir que la zone Québec – Trois-Rivières et Montréal engloutira la très grande majorité des subventions, ce qui nous ramènera à un développement économique fort centralisé : ce

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qui était la règle naturelle avant l’intervention des gouvernements. Ce « tournage en rond » dans le développement du Québec aura permis au moins une chose : soit d’utiliser les situations économiques pénibles de certaines régions pour introduire la justification idéologique de l’intervention de l’État fédéral (avec l’appui de l’État québécois) dans l’économie afin d’appuyer avec son capital public la rentabilité des capitaux privés. D’ailleurs, cette nouvelle politique a indéniablement reconnu l’état de sous-développement global de la province de Québec. Nous savions qu’il existait des régions au Québec qui étaient sous-développées ; maintenant, on reconnaît que c’est toute la province qui est sous-développée. 2. Subventions et structure industrielle : présentation des résultats Nous avons parlé brièvement dans les paragraphes précédents du manque de politique de développement industriel et régional. Nous voulons ici présenter les subventions qui ont été accordées selon les secteurs industriels et essayer de voir leur impact sur les structures de l’industrie québécoise. A. Les secteurs qui ont reçu le plus de subventions sont : Bois : 38 subventions Aliments et boissons : 26 subventions Textile : 25 subventions Matériel de transport : 25 subventions (il est à noter que 3 subventions ont été retirées depuis) Industrie des produits métalliques : 16 subventions Industries manufacturières diverses : 13 subventions Ceci représente 130 des 213 subventions, soit 61 %, si on exclut les « Industries manufacturières diverses ». Tous les autres secteurs ont reçu 10 subventions ou moins, l’industrie du tabac et celle du pétrole n’en recevant aucune. B. Les secteurs qui ont reçu le plus fort montant en subventions : Appareils et matériel électriques 11 408 271 $ 19,8 % (10 sub.) Industrie métallique 9 423 120 $ 16,3 % (5 sub.) primaire Bois 8 741 971 $ 15,2 % (38 sub.) Matériel de transport 5 259 140 $ 9,1 % (25 sub.)

42

La politique de subventions…

Produits minéraux non métalliques 5 093 427 $ Industrie chimique et produits connexes 5 002 246 $ Textile 4 218 222 $

8,8 %

(8 sub.)

8,7 % 7,3 %

(3 sub.) (25 sub.) 43

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Il est à noter que sur ces sept (7) secteurs, représentant 85,2 % du montant total des subventions, seulement trois (3) ont reçu plus de dix (10) subventions, ce qui expliquera le coût élevé de création d’un emploi dans les quatre (4) secteurs ayant reçu peu de subventions, mais de forts montants. Il s’agit de secteurs à industries lourdes (par opposition au textile) demandant des montants élevés d’investissements. C. Les secteurs qui ont créé le plus d’emplois : Matériel de transport 2 608 20,3 % Bois 2 063 16,1 % Appareils et matériel électriques 1 716 13,4 % Textile 946 7,4 % Vêtement 834 6,5 % soit 8 167 des 12 818 emplois, ce qui représente près des ⅔ du total. Textile + vêtement + bonneterie = 2 143 emplois, soit un peu plus que dans le Bois (2 063). D. Coût de la création d’un emploi : Industrie métallique primaire 11 913 $ (5 sub.) Produits minéraux non métalliques 11 845 $ (8 sub.) Industrie chimique et produits connexes 11 091 $ (3 sub.) Appareils et matériel électriques 6 648 $ (10 sub.) Textile (au niveau de la moyenne) 4 459 $ (25 sub.) • C’est dans le secteur vêtement qu’il en coûte le moins cher, soit 905 dollars par emploi, suivi du cuir avec 1 473 dollars. • On notera la grande disparité dans le coût de création d’un emploi entre le vêtement (905 dollars) et l’industrie métallique primaire (11 913 dollars), soit 13 fois plus élevé dans ce dernier secteur. E. Dernières tendances : Après un rapide examen des données de juin à août 1971, qui n’apparaissent pas dans cette compilation, les tendances suivantes semblent se dégager : • forte proportion de subventions accordées dans la région de Montréal (zone administrative 6-6), plus de 50 % ; • peu de nouvelles usines, mais des agrandissements ou des modernisations ;

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Critique 3 : Cette politique ne modifie pas fondamentalement la structure industrielle du Québec. Il ne faudrait peut-être pas demander à cette politique des mérites qu’elle n’a pas voulu rechercher, mais il faut noter cependant que, de façon générale, elle maintient et perpétue à peu près tous les « vices » ou déficiences des structures économiques québécoises. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer la structure de l’emploi des 20 catégories industrielles du secteur fabrication – domaine où s’appliquent les subventions – avec la proportion des emplois créés par le MEER dans chaque secteur industriel. Pour 14 des 20 secteurs, la proportion d’emplois créés dans chacun d’eux par la politique de subventions correspond à peu près au pourcentage d’employés travaillant dans chacun de ces secteurs. Par exemple, 2,8 % des emplois créés l’ont été dans le secteur « bonneterie » alors qu’en mai 1968 (période de référence qui a également servi dans l’étude sur le chômage), 2,6 % des travailleurs de l’industrie manufacturière étaient employés dans ce secteur. De façon générale, dans ces 14 secteurs, l’écart était inférieur à 3 % Trois secteurs ont contribué à la création d’emplois dans une proportion moindre que les emplois qu’ils représentaient dans le secteur fabrication. Ce sont : « aliments et boissons » avec 5,6 % des emplois, comparativement à 11,2 % en mai 1968 ; « vêtement » avec 6,5 %, à rapprocher de 11,7 % et « papier et produits connexes » avec 0,5 %, comparé à 8,9 %· Toutefois, dans ce dernier cas, les entreprises de pâte de bois et de papier journal n’étaient pas admissibles aux subventions du MEER. De plus, l’industrie primaire de la pâte et du papier avait bénéficié de subventions de 110 millions de dollars, au Canada, entre 1963 et 1967. Quant au secteur « vêtement », il est fort possible que les modifications apportées à la loi, et qui incluent Montréal comme « zone désignée », modifieront la tendance actuelle.

La politique de subventions…

• concentration accentuée dans l’industrie du textile, vêtement, bonneterie (surtout à Montréal), dans le secteur alimentaire, dans celui du bois et des meubles ; • le montant des subventions est peu élevé (inférieur à 100 000 dollars et peut-être même à 50 000) – ceci est dû aux modifications apportées à la loi (décembre 1970) permettant des subventions dans la région de Montréal jusqu’à 10 % du coût d’immobilisation et 2 000 dollars par emploi créé.

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Les trois (3) autres secteurs, par contre, ont contribué davantage à la création d’emplois que le pourcentage d’employés qu’ils représentaient en mai 1968. Il s’agit des secteurs : • Bois, qui a bénéficié de 16,1 % des emplois créés par les subventions, alors qu’il contribuait à 3,2 % des emplois du secteur fabrication. • Matériel de transport, avec 20,3 % des emplois créés, comparativement à 7,4 % en mai 1968. • Appareils et matériel électriques avec 13,4 % des emplois, à rapprocher de 7,5 %. Dans ce dernier cas, notons que près de 75 % des emplois créés ont été le fait de deux subventions accordées : l’une à IBM Canada Ltd., au montant de six (6) millions de dollars pour la création de 708 emplois ; et l’autre à Control Data Canada Ltd., au montant de 4,1 millions de dollars pour 560 emplois. Le reste des emplois est parsemé parmi les huit (8) autres entreprises qui ont reçu des subventions. D’autre part, il est inutile d’argumenter très longtemps sur le secteur « bois » pour savoir que ce n’est pas en fabriquant des bâtons de hockey qu’on va assurer une économie dynamique au Québec. L’analyse des subventions du secteur « matériel de transport » nous montre clairement l’absence de politique de développement industriel et que le gouvernement est à la merci des demandes de subventions de l’entreprise privée sans pouvoir donner quelque orientation que ce soit au développement coordonné de l’économie québécoise. Tout le monde connaît l’essor phénoménal de l’industrie de la motoneige depuis quelques années. C’est le nouveau « Klondike ». Les entreprises naissent comme des champignons puis, à la première occasion, se vendent au premier venu (très souvent américain). C’est le domaine en or pour faire une « piastre » rapidement si l’entreprise réussit. Le gouvernement fédéral, dans sa volonté de contribuer à la création des « 100 000 emplois de Bourassa », a sans doute vu là une occasion unique de contribuer au développement d’une « industrie typiquement québécoise ». Aussi, y est-il allé de sa modeste « contribution » en participant à la création des entreprises suivantes :

Nouveaux

175 135 82 58 90 225 80 195 1 040

Montant de la subvention

188 770 187 300 117 211 82 587 62 000 321 000 125 000 796 800 1 880 668

Les trois (3) dernières entreprises ont décliné l’offre gouvernementale depuis notre compilation.

Pendant ce temps-là, des analyses de Pittsburgh, de New York et de Montréal affirment que le nombre de véhicules (motoneiges) invendus a été de 135 000 en Amérique du Nord pour 1970-1971, comparativement à 70 000 pour 1969-1970. La production des dix (10) plus grands manufacturiers de motoneiges en Amérique du Nord a atteint 538 000 véhicules en 1970-1971. De plus, on prévoit « 3 000 mises à pied à partir de la mi~décembre, en attendant la prochaine saison de production1. » Un autre secteur « prometteur » dans lequel le gouvernement fédéral a voulu participer est celui des maisons mobiles (roulottes, caravanes, etc.). Voici la liste des subventions accordées. Nouveaux

Maisons Mobiles Idéales Apalache Ind. Ltd. Pacific Mobile Corp. Roulottes Champlain Ltée Tentes Mobiles Inc. TOTAL

emplois

45 61 100 110 35 351

La politique de subventions…

Autoneige Toundra Ine. Ski Bec Inc. Auto-Ski Ine. Wee-Ski Corp. Int’l. Ltée Moto-Jet (1970) Ltée Polyéthylène Kébec Inc. Rembourrage Industriel Kébec Ine. Les Élastomères Kébec Inc. TOTAL

emplois

Montant de la subvention

148 500 137 700 157 300 166 800 77350 687 650

Dans le dernier cas, il s’agit d’un agrandissement pour un nouveau produit.

À la suite de ces deux exemples de la « générosité » gouvernementale, on peut se demander si le MEER se base sur des études de marché sérieuses avant d’accorder une subvention ou s’il ne regarde que les garanties de solvabilité qu’offre une entreprise. Le gouvernement 1. Le Quotidien populaire, 9 novembre 1971.

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ne contribue-t-il pas par ses subventions à développer une industrie où les entreprises qu’il a aidées en viendront à se mener une concurrence ruineuse qui pourra entraîner la faillite de l’une ou l’autre des entreprises subventionnées et la mise à pied de dizaines et de centaines de travailleurs ? Est-ce que le MEER se préoccupe de savoir si les subventions qu’il accorde ne produiront pas des mises à pied dans le même secteur, mais chez un concurrent de la nouvelle entreprise ? Est-ce que les subventions n’ont tout simplement pas pour résultat final de déplacer le chômage d’une région à l’autre ou à une entreprise déjà en marche ? À notre connaissance, le MEER n’a jamais soulevé ces problèmes publiquement. L’a-t-il seulement déjà fait dans ses bureaux ? Pour confirmer notre critique, nous pouvons aborder le problème d’une autre façon en comparant le nombre d’emplois créés par les subventions fédérales à la répartition de l’emploi dans l’industrie manufacturière selon les secteurs à productivité forte, moyenne ou faible. Le Tableau II-A fait clairement ressortir les déficiences de la structure industrielle du Québec. Alors que 33 % de l’emploi manufacturier au Québec se trouve dans les secteurs à faible productivité et 32 % dans les secteurs à haute productivité, la situation de l’Ontario est très différente avec seulement 14 % de l’emploi manufacturier dans les secteurs à faible productivité et 42 % dans les secteurs à haute productivité. On constate, d’autre part, au cours de la période de 1956-1966, que non seulement la croissance de l’emploi est beaucoup moins forte dans l’ensemble de l’industrie manufacturière au Québec (16 %) qu’en Ontario (28 %) et au Canada (22 %), mais encore que la main-d’œuvre au Québec continue de s’accroître à un taux relativement plus élevé dans les secteurs à faible productivité (8 %) et à un taux beaucoup plus bas dans les secteurs plus productifs (12 % comparé à 30 % en Ontario). Finalement, on remarquera que les emplois créés par les subventions fédérales à l’entreprise privée ont « calqué » la répartition de l’emploi qui existait en 1966 – et qui était à peu près la même en 1968 – dans les secteurs à forte, moyenne ou faible productivité. En effet, 35,3 % des emplois ont été créés dans les secteurs à faible productivité, comparativement à 33 % des emplois qui existaient dans ces secteurs en 1966. Dans les secteurs à haute productivité, 35,7 % des emplois y ont été créés comparativement à 32 %

La politique de subventions…

de l’emploi en 1966. Il faut toutefois noter que trois (3) subventions pouvant créer 500 emplois ne seront pas accordées au secteur matériel de transport. Si on excluait ces emplois, la répartition des emplois créés serait la suivante : 49

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37,2 % dans les secteurs à productivité faible ; 30,2 % dans les secteurs à productivité moyenne ; 32,6 % dans les secteurs à productivité forte. On voit plus clairement ainsi que les subventions n’ont fait que reproduire la structure de l’emploi qui existait en 1966. L’emploi dans les secteurs à productivité moyenne perd de l’importance et c’est l’emploi dans les secteurs à faible productivité qui gagne de l’importance. Les subventions fédérales se sont donc révélées impuissantes à modifier la structure industrielle du Québec. 3. Subventions et licenciements L’absence de politique coordonnée ne se manifeste pas uniquement au niveau du manque de priorités sectorielles, mais se traduit également par une incohérence qui entraîne des licenciements massifs. A. Bilan partiel des licenciements Une compilation des cas de licenciement, soumise au ministère du Travail et de la Main-d’œuvre, révèle que plus de 15 000 mises à pied temporaires ou permanentes ont été effectuées entre le 1er novembre 1970 et le 14 mai 1971, soit en six (6) mois et demi (tableau III). De ce nombre, environ 13 000 ont eu lieu dans le secteur manufacturier couvert par des subventions du MEER. Les 2 000 autres cas se sont produits surtout dans le secteur des services (hôpitaux, CÉGEP, etc.). Les quatre secteurs industriels les plus affectés ont été dans l’ordre :

Nombre de travailleurs

Appareils et matériel électriques : Matériel de transport : Industrie chimique et produits connexes : Textile :

3 566 1 501 1 313 1 248

Par ailleurs, les régions ou zones administratives provinciales les plus touchées ont été : • Montréal, avec 10 408 travailleurs mis à pied, dont 7 300 dans le Montréal métropolitain ; • Québec, avec plus de 2 000 personnes touchées ; • Trois-Rivières, avec 730 travailleurs congédiés. 50

La politique de subventions…

Pendant à peu près la même période, soit de novembre 1970 à la fin d’avril 1971, le ministère de l’Expansion économique régionale accordait des subventions devant entraîner la création de près 51

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de 6 000 emplois directs d’ici deux ou trois ans (car l’évaluation du nombre d’emplois créés est basée sur le moment où la production atteindra son rythme normal, soit habituellement entre deux ou trois ans). Le bilan : 13 000 licenciements réalisés ; 6 000 promesses d’emplois. Donc plus que deux fois plus de réalisations (licenciements) que de promesses (emplois). Notons l’important bilan négatif du secteur « appareils et matériel électriques ». Serait-ce une autre industrie qui filerait vers l’Ontario ? B. Ravages causés dans nos syndicats Une très rapide enquête faite au cours du mois d’avril 1971, auprès des différents syndicats affiliés à la FTQ, a révélé que plus de 12 500 travailleurs syndiqués à la FTQ ont été congédiés. Nous n’avons retenu que les cas ou un syndicat (et non un local) avait perdu plus de 100 membres. II faut également ajouter que le taux de réponse à l’enquête a été particulièrement faible, soit une dizaine de syndicats sur environ 60, donc 15 %, ce qui ne révèle qu’une faible partie du phénomène dont sont victimes les syndiqués de la FTQ. Voici les résultats de ce sondage : • Métallos : 5 013 travailleurs affectés par des fermetures ou des mises à pied permanentes. • Machinistes : 4 681 licenciements. • Union internationale des ouvriers du vêtement pour dames : 1 758 travailleurs affectés par 75 fermetures d’usines dont 1 188 dans l’industrie de la robe (44 fermetures) 462 dans l’industrie du manteau (18 fermetures) 105 dans l’industrie de la broderie (13 fermetures) • Union des ouvriers du textile d’Amérique : 595 travailleurs touchés par des fermetures. • Travailleurs amalgamés du vêtement d’Amérique : 291 travailleurs licenciés à la suite de fermeture. • Ouvriers unis du caoutchouc d’Amérique : 100 travailleurs licenciés.

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La politique de subventions…

Nous ne faisons qu’ouvrir le dossier, et il nous faudra obtenir de plus amples informations pour connaître davantage le phénomène. Il sera alors nécessaire que tous les syndicats locaux affectés par des mises à pied, permanentes ou temporaires, en avisent la FTQ par l’intermédiaire de leur syndicat ou du conseil du travail régional. C. Les « subventionnées » licencient également Il convient de noter un autre phénomène important concernant les subventions et les licenciements. Il s’agit d’entreprises qui ont 53

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reçu une (ou des) subvention(s) et qui ont effectué des licenciements dans leurs usines existantes ou qui ont pu également fermer une usine et transférer leurs opérations dans la nouvelle entreprise subventionnée. Là aussi, nous ne faisons que lever le voile. Ce n’est qu’un modeste début. Critique 4 : Création d’emplois et licenciements : des mouvements contradictoires sur lesquels l’État fédéral est aveugle et la politique de subventions impuissante. En ne cherchant pas à connaître les causes profondes et particulières des licenciements dans les secteurs et en donnant allégrement nos fonds à des entreprises qui semblent présenter un « bulletin de santé satisfaisant », la politique de subvention « court après sa queue » et ne parvient même pas à éponger les mises à pied, et encore moins le problème du chômage. S’il y a fermeture ou licenciements dans un secteur, c’est qu’il y existe soit : a) un problème de marché ou b) effectivement un problème de déphasage technologique qui ne rend plus concurrente une entreprise – dans les deux cas, le sort est le même pour les travailleurs : ils perdent leurs droits acquis. Pendant ce temps, d’autres concurrents – quand ce n’est pas la compagnie qui a effectué des mises à pied – demandent au gouvernement une aide économique pour agrandir leur usine ou lancer un nouveau produit qui, dans certains cas, est le même produit que fabriquait un concurrent qui a procédé à des licenciements. Dans ce cas, la subvention n’a pour effet que de faire le jeu de la concurrence aux frais des deniers publics et de la sécurité d’emploi des travailleurs ; c’est un luxe dont on pourrait se passer. Du fait que le gouvernement accepte aveuglément les lois du marché et n’est là que pour payer la note de certains pots cassés, le capital public dans chaque cas particulier appuie de façon sélective un capital privé par rapport aux autres capitaux dans un secteur précis. Finalement, tous ces faits font ressortir plus clairement l’illo­gisme et l’absurdité d’une politique de subventions qui ne fait pas partie intégrante d’une politique cohérente de développement industriel et qui serait établie en fonction des besoins prioritaires des Québécois. 4. Subventions et contrôle étranger de l’économie québécoise Nous présentons ci-joint la liste des entreprises qui ont reçu une subvention fédérale supérieure à 250 000 dollars.

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La politique de subventions…

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Critique 5 : Cette politique perpétue le contrôle étranger – américain et anglo-saxon – sur l’économie québécoise.

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Tout le monde sait jusqu’à quel point l’économie québécoise est possédée par des intérêts étrangers, en particulier américains, et

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également canadiens-anglais. Or, seule une politique économique gouvernementale consciente serait en mesure de contrer ces lois de développement mais, en son absence, il n’est pas surprenant que l’intervention de l’État n’ose aller contre certaines tendances « naturelles », dont celle de la domination du capital étranger. Il suffit de

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se rappeler les pèlerinages du premier ministre québécois, à New York entre autres, et des concessions faites à ITT sur la Côte-Nord pour se rendre compte que le gouvernement est prêt à vendre nos richesses naturelles à des prix ridicules en plus de subventionner nos « sauveurs ». D’ailleurs, il suffit de noter dans le tableau précédent que les dix (10) compagnies qui ont reçu des subventions de plus de 1 000 000 de dollars totalisant ainsi plus de la moitié (30 542 604 de dollars) des subventions pour la période sont toutes des entreprises américaines, anglo-canadiennes et belges. Il faut de plus remarquer que sept (7) d’entre elles déclaraient, pour l’année fiscale 1970, un revenu net variant entre 14 millions et 1 milliard de dollars. Cette situation ne devrait d’ailleurs pas nous surprendre lorsqu’on constate que tous les gouvernements, tant canadiens que québécois, ont démissionné devant l’ampleur de ce problème de colonisation. 5. Subventions et risque de l’entreprise Le tableau suivant nous donne la liste des entreprises qui ont reçu une subvention fédérale de plus de 40 % du montant des immobilisations. Critique 6 : La subvention a pour effet de faire disparaître l’élément risque qui justifie le profit de l’entrepreneur. Les capitalistes ont toujours tenté de justifier le profit par le risque, l’initiative et l’innovation dont ils font preuve quand ils décident d’investir. Mais peut-on encore dire que les entrepreneurs « courent » un risque lorsque l’État fournit en moyenne près de 23 % du cota d’immobilisation ? Dans 26 des 213 cas étudiés, l’État a fourni plus de la moitié de l’investissement en immobilisations ; et dans vingtquatre (24) autres cas, il a fourni de 40 % à 50 % des immobilisations. Il a même réussi à financer une entreprise à 100,4 % de ses immobilisations et une autre à 86,3 %, bien que « dans le cas de l’implantation d’un établissement, la mise de fonds du requérant doit égaler au moins 20 % du coût d’immobilisation approuvé ». De ce nombre (50), dans 43 cas, il s’agissait de nouveaux établissements et, dans six (6) autres cas, de lancements de nouveaux produits. Alors, peut-on encore parler de risque pour l’entrepreneur ? Sûrement pas, car la subvention a pour effet d’absorber le risque ou l’incertitude financière que peut représenter le lancement d’une nouvelle

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opération ou d’un nouveau produit. Dans le cas d’une subvention pour agrandissement où l’élément risque, ou incertitude, est pratiquement inexistant, on peut se demander s’il ne s’agit pas purement et simplement d’un don de la collectivité à un groupe d’individus à moins qu’il ne s’agisse de récompenses pour services rendus à un parti politique. Ceci est tout particulièrement vrai lorsqu’il s’agit, par exemple, d’une subvention pour l’agrandissement d’une laiterie, d’une boulangerie ou de la fabrication de boissons gazeuses. Dans ces cas, le marché est, soit local, soit régional. Il ne s’agit pas d’un marché couvert par les importations. La demande existe, l’entrepreneur n’a qu’à la satisfaire et il ne court pas un grand risque. Pour ce qui est de l’élément innovation, il faut rappeler que les subventions publiques à la recherche scientifique et, de façon générale, l’orientation gouvernementale donnée à la recherche scientifique appliquée, ont pour effet de faire absorber de plus en plus par la collectivité la découverte de l’innovation dont l’exploitation est confiée à des intérêts privés. On retrouve donc au niveau de l’innovation – comme élément justifiant le profit – la même contradiction qu’au niveau du « risque » : c’est l’État qui de plus en plus assume les risques et finance les innovations. Dans tous les cas où l’État a fourni une subvention supérieure à 20-25 % du coût d’immobilisation, on peut croire qu’il a investi autant que l’entrepreneur et pourtant l’État n’a droit à aucun contrôle sur l’entreprise, même pas un contrôle proportionnel à sa participation. Aucun capitaliste n’accepterait une telle situation ; seul l’État y consent avec les fonds des contribuables. 6. Subventions et capital public Critique 7 : En injectant, et sur une échelle de plus en plus élargie, du capital public ou social dans l’entreprise privée, les États libéraux, fédéral et provinciaux (et ceci s’applique à tout le système capitaliste), contribuent à socialiser le mode de production capitaliste et à rendre de plus en plus contradictoire le caractère privé de la production. A. Québec et partout ailleurs au Canada, ce genre de politique nous porte à remettre en cause le maintien de la propriété privée et du pouvoir économique encore tout puissant. Voyons les conséquences pour une entreprise particulière qui a reçu une subvention.

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CIP – Systems Home-makers a obtenu une subvention ou un capital public de 1 749 200 dollars, soit 74,6 % du coût d’immobilisation (2 346 000 dollars), pour lancer un nouveau produit. Dans les faits, ce nouveau produit devrait être contrôlé par les pouvoirs publics qui ont fourni la plus grande part de capitaux et ce contrôle ne devrait pas être étranger, mais bien québécois. Les questions qu’on peut se poser sont multiples. Au nom de quel principe la CIP est-elle justifiée de conserver le contrôle de ce produit ? Est-ce que ce nouveau produit répond à un besoin effectif ou est-ce un nouveau besoin qu’il faudra créer par la publicité ? Est-ce que ce produit est un substitut ou un produit original et, dans le premier cas, est-ce uniquement un problème de concurrence entre deux firmes dont on fait le jeu ? Estce que la CIP sera justifiée de décider de l’arrêt de la fabrication de ce produit ? De faire des licenciements quand ça lui conviendra ? Quel devrait être le taux de profit acceptable pour la fabrication de ce produit social dont on en a confié la responsabilité à des intérêts privés. Est-ce que ce doit être un taux de profit « nationalisé » ? Toutes ces questions sont passées sous silence actuellement et la réponse fautive avancée est toujours la même : les formes d’aide publique à l’entreprise privée ne doivent pas modifier la nature et les lois de l’économie capitaliste dont on doit respecter le caractère privé, seule garantie de dynamisme, d’initiative et de liberté. Or, dans les faits, l’économie capitaliste a tendance à ne pouvoir se développer qu’avec une part de plus en plus large de capital public. Il faudra bien reconnaître ce fait et en tirer toutes les conclusions sur le caractère contradictoire et désuet du contrôle privé sur l’économie, et sur son orientation. Cette tâche n’est pas celle du pouvoir politique et économique actuel car ce n’est pas dans ses intérêts, mais bien la nôtre, car ce sont nos intérêts qui sont en cause. S’il n’existe alors aucune raison objective si on reprend l’exemple de la CIP – Systems Home-makers, que des intérêts privés contrôlent un produit social dans l’acceptation la plus complète du terme, il faut alors savoir pourquoi cette situation contradictoire persiste. L’explication, à notre avis, est à rechercher dans la « dictature politique » qu’exerce le pouvoir économique dans les pays où l’entreprise privée est le maître absolu. C’est le pouvoir économique qui impose sa doctrine, ses lois, ses exigences au pouvoir politique qui se complaît béatement dans cette situation et qui se gêne peu des contradictions les plus grossières qu’il contribue à créer et qu’il croit pouvoir perpétuer indéfiniment.

7. Subventions et surenchère publique

En établissant ainsi un plancher minimum d’appui au capital privé, le gouvernement fédéral a laissé la voie libre à chaque province d’aller au-delà de ce seuil. Chaque province doit alors offrir une meilleure politique d’accueil de capitaux que les autres. Le Québec joue également cette surenchère1. Si on ajoute, à cette « cour assidue » aux capitaux, les municipalités des différentes provinces qui peuvent elles aussi y mettre leur grain de sel et les pays européens – qui cependant viennent de se donner un plafond commun –, on se retrouve alors devant un phénomène qui est hors de notre contrôle. Il est inutile de démontrer une vérité de La Palice. Si on veut être défaitiste, on peut accepter cette situation, mais on ne peut pas s’empêcher de chercher à comprendre pourquoi le capitalisme actuel a besoin qu’on lui fasse des cadeaux de capitaux publics pour assurer la rentabilité de ses capitaux privés. Pourquoi faut-il de plus en plus entretenir de nos fonds (sous forme de subventions, dégrèvements fiscaux, de prêts garantis et d’exemptions fiscales de toutes sortes), une institution qui veut demeurer « sauvagement » privée ? Qu’est-ce qui reste de « privé » dans l’entreprise privée après toutes ces injections de capitaux publics ? Ce n’est pas parce que les choses se passent ainsi, qu’il faut les accepter comme telles. Ne pas chercher à comprendre cette contradiction et à en tirer la ligne politique gui s’impose, serait une démission de notre part, doublée d’irresponsabilité.

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Critique 8 : Cette politique crée la surenchère publique en faveur de l’entreprise privée.

8. Nécessité des subventions Critique 9 : C’est parce qu’elles permettent une hausse du taux de profit, et non pour quelques motifs philanthropiques, que les capitalistes ont recours aux subventions qui sont la plupart du temps non nécessaire. 1. Le gouvernement québécois a adopté le printemps dernier la « Loi de l’aide au développement industriel du Québec », le Bill 20, et la « Loi favorisant le développement industriel au moyen d’avantages fiscaux », le Bill 21.

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Il importe d’éclaircir immédiatement un point. La subvention n’a pas pour effet de pallier une rareté de capital sur le marché financier. Le président de Procter & GambIe Cie, N. McElroy, pose le problème en ces termes : « Notre problème n’est pas celui de l’accès au capital, et je pense que ceci est vrai pour la plupart des compagnies américaines. Notre problème est celui du développement des idées qui vont justifier l’investissement de capital1. » Bien qu’il soit évident que ce n’est pas avec des « idées » que l’on puisse acheter les nouveaux produits – ce qui semble échapper à M. N. McElroy – cette déclaration soulève deux points importants : a) le problème d’un nouvel investissement pour la majorité des grands capitalistes est un problème de rentabilité et non de liquidité ; et b) il faut vendre « l’idée » d’un produit avec les mécanismes de publicité et de crédit sans égard aux besoins réels. On ne peut plus penser que le rôle dominant en économie capitaliste revient aux entreprises individuelles, mais bien aux grandes corporations constituées par une multitude de liens entre compagnies qui ont leur propre réseau financier – chapeauté par une banque – qui draine les épargnes et canalise les liquidités du groupe. Les plus grosses subventions ont été accordées à des entreprises dont l’accès aux capitaux était le moindre des problèmes. Elles sont en mesure d’assurer elles-mêmes leur propre financement et la subvention publique est un cadeau ou un don qui a pour unique effet de hausser les profits. Il suffit de rappeler que pour les dix compagnies qui ont reçu plus de 1 000 000 de dollars de subventions totalisant plus de la moitié des subventions, sept d’entre elles déclaraient pour l’année fiscale 1970 un revenu net variant de 14 millions à 1 017 521 000 de dollars. De façon générale, on peut postuler que ce sont les compagnies les plus prospères qui ont des projets d’investissement et que la subvention n’est pas nécessairement déterminante dans la décision d’investir. Il reste donc à rechercher une quelconque influence déterminante de la subvention sur la décision d’investir de la part de la petite et moyenne entreprise (PME). Tout le système d’incitations repose fondamentalement sur l’initiative privée et tente de la soutenir et de la susciter pour en faire la principale « force » de résorption des inégalités régionales. Si celle-ci vient à manquer, c’est toute 1. Dans Kari Levitt, Silent Surrender. The Multinational Corporation in Canada, Toronto, MacMillan of Canada, 1970.

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la politique qui sombre. Or, l’initiative privée a été absente, voire impuissante, à l’égard des inégalités régionales et au moment où on peut proclamer ouvertement son échec, voici que les États s’en remettent à elle pour solutionner ce problème. C’est le monde à l’envers. Comme on l’a constaté, la politique de subventions a aggravé le problème des disparités régionales puisqu’elle repose sur un faux postulat qui est celui de l’initiative privée comme élément de solution au développement économique et régional. Or, celle-ci a toujours fait défaut, et de façon tout particulièrement éclatante, dans la solution des inégalités régionales. Si l’État fédéral veut subventionner cette belle qualité qu’est l’initiative afin qu’elle ne disparaisse pas du genre humain, qu’il le dit, mais qu’il ne se cache pas derrière le problème des inégalités pour le faire. Il est donc illusoire de penser que les PME sont en mesure de relever le défi des disparités régionales et il semble bien que ce ne soit que pour elles que les subventions puissent jouer un rôle déterminant dans la décision d’investir – mais elles n’investissent pas dans les régions défavorisées. Si les grandes corporations reçoivent les subventions comme des dons et si les PME ne peuvent relever le défi des inégalités régio­ nales, il faut alors rechercher en dehors des objectifs avoués le rôle du capital public dans l’économie privée.

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Troisième partie

L

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Considérations générales sur le rôle que l’État fait jouer au capital public

des États libéraux préparent et soutiennent la rentabilité des capitaux privés et assument la relève des secteurs devenus non rentables et délaissés par l’entreprise privée, mais nécessaires au fonctionnement de l’économie capitaliste. es politiques économiques

Voyons maintenant de façon plus générale, car la politique de subventions n’était qu’un exemple, comment s’inscrit le capital public dans le cycle de rentabilité du capital privé. L’idée que nous développerons ici sur le rôle du capital public dans les différentes phases de rentabilisation du capital financier a une importance fondamentale et conditionne la stratégie que nous pouvons développer à l’égard d’une canalisation de nos épargnes vers l’État, seul agent collectif susceptible de résoudre nos problèmes. Il s’agit de cerner quel peut être le rôle dévolu au capital public lorsqu’il s’associe ou soutient le capital privé. On distingue trois phases de rentabilisation des capitaux : 1) la préparation des opérations ; 2) la rentabilisation ; et 3) le dépassement (1er déclin). Nous présentons d’abord un aperçu des « stimulants » publics à l’entreprise privée1 tout en précisant le plus exactement possible les phases de rentabilité qu’ils appuient. Une étude exhaustive, comme 1. Tiré de la brochure Assistance financière au développement industriel du Québec, Hydro-Québec, 1970.

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celle que nous avons faite pour les subventions, nous permettrait d’en préciser la nature exacte et l’ampleur ; malheureusement, cette étude n’a jamais été faite.

Signe * = s’applique à plus d’une phase.

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1. La phase préparatoire nécessite un engagement de capitaux importants sans rendement immédiat. Ce sont les investissements requis pour la recherche technique et scientifique, la mise au point des procédés, l’exploration du marché, l’établissement de l’infrastructure, enfin tous les frais requis pour le lancement d’une nouvelle entreprise ou d’un nouveau produit. D’une part, le capital privé, contrôlé habituellement par un groupe financier (genre Power Corporation, Banque de Montréal, etc.) investit le niveau de capitaux requis pour conserver le contrôle de l’opération. D’autre part, il s’associe le maximum de capitaux d’appoint qui n’exige que peu ou pas de rentabilité. Il s’agit de capitaux recueillis auprès d’une pléiade de petits investisseurs et surtout de capitaux publics. Dans cette phase, l’État a tendance à fournir une partie de plus en plus importante de ce capital d’appoint par des mesures dont il n’attend que peu ou pas de rentabilité comme les prêts publics par exemple, ou dont il n’en attend aucune comme avec les subventions et les mesures d’aides indirectes, comme le financement de la recherche (Institut national de la recherche scientifique – INRS), les concessions, les exemptions et détaxations de toutes sortes, se rapportant aux nouveaux investissements, etc. Des sociétés publiques comme Soquem et Soquip1 sont vouées par législation à remplir ce rôle de défricheurs d’opportunité de profits pour l’entreprise privée. Ces formes d’appuis économiques de l’État sont évidemment complétées par une série de mesures d’ordre politique et social (the law and order) qui doivent donner confiance aux investisseurs « incertains » et peu portés aux « risques » sociaux et politiques. C’est la répression politique et syndicale qui complète les stimulants économiques. 2. La phase de rentabilisation modifie les rôles des capitaux publics et privés. Le groupe financier ou le monopole s’assure le maximum de participation directe en écartant le plus possible le capital complémentaire. L’État a beau défrayer 20 % des coûts d’immobilisation et cela avec sa seule politique de subventions – il n’en est pas moins complètement écarté de la rentabilité de l’opération. Le rôle de l’État dans cette phase est d’assurer et de promouvoir l’expansion du marché (à la fois par ses commandes, par les tarifs, 1. Respectivement Société québécoise d’exploration minière, créée en 1965, et Société québécoise d’initiative pétrolière, créée en 1969. NdÉ.

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3. La phase du déclin apparaît avec les phénomènes de dépassement technique qui provoquent une baisse du taux de profit. Le capital financier amorce son mouvement de retrait tout en faisant jouer une série de mécanismes de relais. L’État a de nouveau un rôle important à jouer afin d’assurer la production dans des secteurs non rentables, mais utiles. Les stimulants prennent plusieurs formes dont les subventions et prêts à la modernisation, au regroupement, la détaxation des profits (jamais celle des salaires), etc. Au Québec, la Société Générale de financement est la forme achevée du type d’intervention de l’État dans cette phase. Ce n’est qu’en dernier lieu qu’on a recours à la nationalisation comme ce fut le cas pour Sidbec1.

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exemptions des taxes, etc.), et de maintenir les conditions favorables d’accumulation capitaliste. Un capital d’appoint persiste également dans cette phase et il est fourni par le marché financier sous forme d’actions par exemple. Cette collecte de l’épargne faite par le marché financier touche plusieurs sources, dont les plus près de nous sont la Caisse de dépôt, les fonds de pension, Caisses populaires, les Mutuelles, les Compagnies d’assurance, etc. Cependant, ce capital d’appoint reste sous le contrôle du groupe financier qui le maintient dans des limites raisonnables tout en lui assurant une rentabilité moyenne et se réservant pour lui l’essentiel des profits.

4. Le camouflage de l’aide publique à l’entreprise privée : la difficulté que l’on rencontre, quand on veut analyser l’ampleur de l’aide publique accordée à l’entreprise privée vient du fait que les États fédéral et québécois – et ceci vaut également pour tous les États capitalistes – ont tendance à débudgétiser l’aide qu’ils apportent à l’entreprise privée. On peut connaître, dans les budgets publics, ce que coûtent l’assurance maladie, l’éducation, l’assistance sociale, enfin on sait en gros ce que coûtent les programmes publics qui touchent plus particulièrement la classe ouvrière et la population en générale et on n’hésite pas à clamer tout haut, comme le fait le Conseil économique du Canada par exemple, que la progression dans le coût de ces programmes est trop rapide et que même il faut en ralentir l’expansion. 1. C’est en 1964 que le gouvernement libéral de Jean Lesage a fondé Sidbec (Sidérurgie du Québec). NdÉ.

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Pour ce qui est de l’aide à l’entreprise privée, c’est une autre situation. On ne parle évidemment pas du coût public de plus en plus élevé pour soutenir le capitalisme et, de plus, les programmes et les mesures de soutien ou de dons n’apparaissent pas tous dans le budget public. On débudgétise la contribution de l’État au capitalisme, en refilant l’application de mesures ou de programmes à des sociétés, corporations ou institutions publiques, semi-publiques ou autonomes et même privées. C’est ainsi que personne ne peut plus savoir exactement le coût social qu’il faut payer pour nourrir le capitalisme. On évite ainsi, lors de la présentation des budgets, toute discussion publique sur ce sujet dans les succursales politiques du capitalisme que sont la Chambre des communes et l’Assemblée nationale. 5. Conclusions. Cette démonstration sommaire avait pour objectif de présenter les moments où le capital financier avait besoin de l’appui du capital public et le rôle dévalorisant que joue le capital public. Selon la logique du système capitaliste, tout capital doit se valoriser lui-même, c’est-à-dire « créer » lui-même du capital. Or, l’État capitaliste dans sa générosité à l’égard du capital privé a décidé que le capital public n’aurait pas à se valoriser lui-même, mais qu’il préparerait les sentiers et soutiendrait et aiderait le capital privé à se valoriser davantage, car de là seulement vient notre salut. Au Québec, en 1967, le capital public se composait surtout de l’impôt prélevé sur le capital et les profits des compagnies (14,2 %), sur les salaires (35,5 %), de taxes de vente au détail (25,4 %), d’autres taxes (20,7 %) et autres (4,5 %). Au Fédéral, l’impôt prélevé sur les revenus des particuliers représentait 39,5 % et sur les compagnies (20,9 %). De plus, l’État draine de l’épargne populaire sous d’autres formes, telles les prestations de retraite, d’assurance-chômage, émissions d’obligations, etc. En résumé, la situation actuelle avec l’État libéral veut que lorsqu’une partie de ce capital public intervient dans l’économie, il se donne au capital privé ou le soutient pour hausser son taux de profit, renforçant ainsi le pouvoir privé au détriment d’un nécessaire développement et maintien du pouvoir public sur lequel la population pourrait un jour avoir le contrôle. C’est avec notre argent et nos épargnes que l’État libéral renforce ceux contre qui nous devons lutter quotidiennement, et de plus en plus tenacement, pour maintenir et améliorer nos conditions de travail et d’existence. Tous les

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partis politiques tant provinciaux que fédéraux, à l’exception du Nouveau Parti démocratique (NPD), veulent maintenir la nature de l’État libéral qui aggrave nos problèmes plus souvent qu’il n’essaie de les résoudre. Notre recherche politique ne doit donc pas porter sur un renforcement de l’État libéral, mais bien en une modification profonde de sa nature.

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Nous n’avons pas été encore en mesure de faire l’étude des subventions que l’État québécois accorde à l’entreprise. Notre travail est rendu extrêmement difficile par l’absence d’information et la politique du secret que poursuit le gouvernement sur cet épineux sujet. Nous ne renonçons pas pour autant à faire cette étude malgré toutes les difficultés que peut nous poser le gouvernement québécois. Nous présenterons seulement les renseignements disponibles pour les subventions accordées sous l’égide de trois lois particulières : 1. Loi de l’aide au développement industriel régional (21 juin 1968 au 31 décembre 1969). 2. Loi pour le développement de certaines industries. 3. Loi pour l’assistance financière à l’industrie de pointe (1er août 1969 au 31 décembre 1969). Nombre Investissements de projets en dollars

Loi 11 Loi 2 Loi 32 TOTAL

235 16 6 257

194 295 88.19 17 993 050.82 92 000 000.00 304 288 939.01

Montant des subventions consenties

30 489 492.02 2 476 927.57 2 500 000.00 35 466 419.59

Pour une période de 31 mois et sous l’égide de trois lois seulement, le Québec y est donc allé lui aussi de sa modeste contribution (35,5 millions de dollars) pour soutenir l’entreprise privée. 1. 1 036 entreprises ont fait des demandes de subventions du 21 juin 1968 au 31 janvier 1971, dont 235 ont reçu une réponse positive du Ministère. La grande majorité des autres demandes étaient à l’étude au mois de mars. 2. Jusqu’à présent, sur neuf (9) projets présentés au Ministère, six (6) sont à l’étude pour lesquels 13 500 000 de dollars de subventions pouvaient être accordées.

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Dossier II

Le chômage au Québec

Le chômage au Québec

SECTION I : PRÉSENTATION 1 I. Quelques définitions 1. La population en âge de travailler (14 ans et plus selon les statistiques canadiennes) est : a) ou en dehors du marché du travail (étudiants, femmes au foyer, retraités, etc.) ; b) ou dans la main-d’œuvre. Le rapport entre la main-d’œuvre et la population en âge de travailler sera appelé taux de participation. 2. La main-d’œuvre à son tour sera faite : a) des personnes ayant un emploi ; b) des personnes sans emploi et qui cherchent du travail : les chômeurs. 3. Au Canada, ces renseignements sont obtenus chaque mois au moyen d’une enquête qui porte sur un échantillon de 30 000  familles. Dans certains pays (par exemple l’Angleterre), on compte comme chômeurs ceux qui contribuent à la 1. Cette section du dossier a été tirée d’une étude sur le chômage entreprise par M. Pierre Harvey, professeur à l’École des Hautes Études commerciales, et M. Pierre Maheu, du service de recherche de la FTQ.

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Caisse d’assurance-chômage et qui sont enregistrés comme sans emploi. Dans d’autres cas, on compte ceux qui sont enregistrés au service de placement. 4. Il faut bien noter que la définition du chômeur est toujours, pour les fins statistiques, basée sur une convention : a) si on a à compter, dans un stock d’outils, les marteaux et les scies, on n’a pas de problèmes de définition ; b) si on demande de dire combien il y a de villes au Canada, il faut d’abord choisir une définition : • au moins combien faudra-t-il d’habitants pour qu’il s’agisse d’une ville et non d’un village ; • il faudra aussi spécifier une surface, parce qu’en élargissant assez la surface on finira toujours par grouper le nombre d’habitants voulu ; c) en ce qui concerne les chômeurs, comptera-t-on au mois de décembre : • le débardeur qui a un emploi permanent pendant la saison de navigation ? • le travailleur qui a abandonné un emploi pour un autre et qui a trois jours de jeu entre les deux emplois ? • l’étudiant qui se cherche du travail pour le congé des Fêtes ? Etc. Sur chacun de ces cas et beaucoup d’autres, il faut prendre une décision. C’est en ce sens que la définition résulte d’un choix. 5. Ce qui importe, cependant, ce n’est pas que l’on compte exactement tout sans oublier un cas (ce qui est impossible), c’est que les renseignements soient fournis d’une manière constante pour pouvoir suivre l’évolution de la situation. 6. Puisque la définition « canadienne » du chômage résulte d’un choix, il faut savoir qu’elle ne tient pas compte de certaines formes très importantes de sous-utilisation de la main-d’œuvre. a) Chômage déguisé dans l’agriculture : c’est le cas, par exemple, d’une famille de cinq (5) adultes travaillant tous à la ferme, alors que le travail pourrait être exécuté par trois (3) personnes seulement. On rencontre cette situation surtout lorsque le taux de chômage est élevé et l’emploi difficile à trouver. Cette situation affectait le tiers des travailleurs agricoles dans l’ensemble de l’Abitibi, du Saguenay – Lac-Saint-Jean et de la Gaspésie, lors du recensement de 1961.

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b) Le sous-emploi visible : cette situation se traduit par une durée de travail inférieure à la normale et caractérise les personnes travaillant involontairement à temps partiel. Pour les trois mêmes régions, le sous-emploi affectait les salariés dans la proportion de 20 à 50 %, selon les comtés. Le sous-emploi des salariés est donc près de deux fois plus élevé que le chômage réel. c) Les travailleurs découragés : il s’agit de travailleurs qui seraient désireux d’entrer sur le marché du travail, mais qui n’essaient pas, face à l’impossibilité de se trouver un emploi facilement, en particulier dans les périodes de forts taux de chômage, comme c’est la situation actuellement. d) Les travailleurs en recyclage : ce sont des travailleurs qu’on maintient ou qu’on renvoie aux études pour acquérir des connaissances qu’ils seront trop souvent incapables d’utiliser sur le marché du travail. Un grand nombre d’entre eux subissent, en fait, une forme d’assurance-chômage déguisée. La sous-utilisation de la main-d’œuvre traduit donc une situation plus tragique que la seule situation du taux de chômage. 89

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II. L’évolution depuis 1946

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A. Comment se constitue le chômage 1. L’impression générale qui ressort des journaux et des discussions veut que le chômage résulte d’une baisse des emplois. Ce qui n’est pas le cas : le nombre d’emplois augmente et de plus en plus rapidement. Mais la main-d’œuvre augmente encore plus vite. D’où la hausse du chômage. 2. On peut suivre sur le Tableau 1 le résultat de ces différents éléments depuis 1946 : a) la population de 14 ans et plus a augmenté de 2,3 % par an ; b) les taux de participation des hommes (TPH) ont diminué de 85,7 % à 76,4 % ; c) mais la participation féminine est passée de 22,2 à 33,2 % (TPF) ; d) ce qui a fait passer le taux de participation total (TPT) de 52,5 à 55 % de 1946 à 1969. À même la population de 14 ans et plus, il y a donc 55 % de travailleurs en 1969 contre 52,5 % en 1946 ; e) une population en âge de travailler qui s’est accrue à 2,3 % par an, combinée à un TPT qui est passé de 52,5 à 55 %, a entraîné un accroissement de la main-d’œuvre de 2,37 % par année de 1946 à 1969.

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3. Regardons maintenant du côté de l’emploi : a) le nombre d’hommes ayant un emploi s’est accru de 1,62 % par an ; b) le nombre de femmes ayant un emploi s’est accru de 4,01 % par an ; c) le nombre de personnes ayant un emploi en dehors de l’agriculture s’est accru de 3,09 % par an ; d) le nombre d’emplois dans l’agriculture a diminué de 4,13 % par an ; e) le résultat de tous ces mouvements a été un accroissement de l’emploi total de 2,24 % par an.

4. La main-d’œuvre (offre de travail) ayant augmenté de 2,37 % par an et l’emploi (demande de travail) de 2,24 %, l’augmentation de l’emploi n’a pas été suffisante pour absorber l’augmentation de la main-d’œuvre et le chômage est passé de 4,1 % de la main-d’œuvre en 1946 à 6,9 % en 1969. 91

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B. Le déroulement du phénomène dans le temps 1. De 1946 à 1969, la main-d’œuvre et l’emploi se sont accrus à un rythme de plus en plus rapide : a) pour la main-d’oeuvre : 1,75 %, 2,33 %, 2,66 % par an pour 1946-1950, 1951-1959 et 1960-1969 ; b) pour l’emploi : 1,65 %, 1,92 % et 2,76 % par an. 2. Entre 1946 et 1950, le taux de chômage est passé de 4,1 % à 4,4 %, le rythme de croissance de la main-d’œuvre (1,75 % par an) ayant été supérieur au rythme de croissance de l’emploi (1,65 % par an). 3. Entre 1951 et 1959, le taux de chômage est passé de 4,4 à 8 % pour la même raison. 4. Entre 1960 et 1969, la situation s’est légèrement améliorée, le taux de croissance de l’emploi (2,76 %) ayant été supérieur au taux de croissance de la main-d’œuvre (2,66 %). C. Les années récentes 1. Si on examine ce qui s’est passé depuis deux ou trois ans, on constate : a) que l’emploi et la main-d’œuvre n’ont à peu près pas bougé en 1969 et au début de 1970 ; b) à partir du milieu de 1970, l’emploi et la main-d’œuvre se sont accrus rapidement, mais la main-d’œuvre a monté plutôt, ce qui a fait grimper le taux de chômage ; c) ensuite les deux séries se sont déployées en parallèle, ce qui a stabilisé le taux de chômage au niveau atteint au milieu de 1970. 2. On remarquera alors que par suite de ces mouvements, le taux de chômage s’est accru de moitié en l’espace de six mois, en 1970. Ceci n’est cependant pas dû à une chute de l’emploi. 3. On remarquera aussi que l’emploi s’est accru à un rythme élevé de juillet 1970 à février-mars 1971 : les évènements tragiques de la période n’ont peut-être pas exercé sur l’emploi l’influence que certains ont supposée. 4. Enfin, on notera que depuis le milieu de 1970, le chômage est resté à peu près constant, à un niveau très élevé. Les politiques

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Le chômage au Québec

économiques choisies par nos gouvernements n’ont pas permis de réduire le niveau atteint il y a un an et demi. Conclusions de la partie II : 1. L’emploi s’est accru constamment et à un rythme de plus en plus rapide depuis 1946 dans le Québec. 2. La main-d’œuvre s’est accrue plus vite encore, ce qui entraîne une hausse de chômage. 3. L’emploi féminin s’est accru deux fois plus vite que l’emploi masculin, ce qui a amené une féminisation rapide de la main-d’œuvre. 93

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4. L’emploi agricole a été réduit en 1970 au tiers de ce qu’il était en 1946. III. La situation actuelle du Québec à l’intérieur du Canada A. Comment se manifeste le « plein-emploi » canadien à l’intérieur du Québec 1. Le Conseil économique du Canada a défini le plein-emploi par un chômage ne dépassant pas 3 %. Quel est le sens de cet objectif pour le Québec ? Cette « moyenne canadienne » sera obtenue par des taux de chômage de : 1,8 % en Ontario 4,4 % dans le Québec. Pour en arriver, dans les conditions actuelles à un plein-emploi de 3 %, on doit donc admettre que le taux de chômage dans le Québec sera alors de 50 % plus élevé et de 40 % plus bas en Ontario. Ce qui fait qu’en plein-emploi « national », le taux de chômage dans le Québec sera deux fois et demie (245 %) plus élevé dans le Québec qu’en Ontario. 2. Comparons maintenant la situation qui prévaut actuellement ou à peu près : un taux de chômage de 7 % sur l’ensemble du Canada. Ceci signifie 9,1 % dans le Québec et 5,3 % en Onta-

Source : Frank T. Denton, Conseil économique du Canada, Étude n° 15.

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B. Comparaison de deux périodes 1. La situation défavorable du Québec s’améliore-t-elle au moins avec le temps ? La réponse est non ! Pour s’en rendre compte, on compare la situation de deux périodes : 1951-1959 et 1960-1969.

Le chômage au Québec

rio. Notre taux de chômage sera de 30 % plus élevé que le taux canadien et celui de l’Ontario sera de 25 % plus faible. Ce qui fera que notre taux sera de 70 % supérieur à celui de l’Ontario. La situation permanente du Québec est déjà si défavorable qu’en période de chômage généralisé, les autres se rapprochant de nous, l’écart qui nous sépare du reste du Canada devient plus faible.

2. Supposons que pour tout le reste du Canada, en dehors du Québec, on constate un taux de chômage annuel moyen de 3 %, ce qui correspond à la définition canadienne du plein-emploi. Ceci signifierait qu’au cours de l’été, le taux de chômage aurait été dans le reste du Canada entre 1951 et 1959, de 1,9 % et de 3,1 % dans le Québec, ce qui fait une différence de 1,2 % entre le Québec et le reste du Canada. 3. Supposons une situation semblable entre 1960 et 1969. Le taux de chômage dans le Canada (hors Québec) sera, en été, de 2,3 % et de 4,3 % dans le Québec. La différence est alors de 2 %. 4. Pour des circonstances comparables : 95

L'État rouage de notre exploitation

a) chômage de 3 % dans le reste du Canada (hors Québec) ; b) et en période d’été, l’écart défavorable du Québec passe entre 1951-1959 et 1960-1969 de 1,2 à 2 points. La situation relative du Québec par rapport au reste du Canada se détériore avec le temps. Conclusions de la partie III 1. Les taux de chômage dans le Québec sont toujours, depuis 1946 au moins, supérieurs au Québec à ce qu’ils sont au Canada. 2. Les taux de chômage dans le Québec sont toujours à peu près deux fois plus élevés que ceux de l’Ontario. 3. Avec le temps, l’écart défavorable au Québec s’élargit : les taux actuels du Québec sont bien au-dessus de ceux du reste du Canada comparé à il y a 20 ans. IV. Des saisons et des régions A. Le cycle saisonnier 1. Chaque année, selon les saisons, l’emploi et la main-d’œuvre suivent un cycle presque parallèle : a) hausse au printemps b) sommet en été c) descente en automne et creux en hiver. Les étudiants, par exemple, gonflent la main-d’œuvre en été, mais c’est aussi la période où il y a le plus d’emplois au cours de l’année. 2. Les deux mouvements ne sont cependant pas exactement parallèles. Par exemple, à l’automne, l’emploi descend plus vite que la main-d’œuvre. Au printemps, par contre, l’emploi monte plus vite que la main-d’œuvre ; le résultat de ces mouvements partiellement différents, c’est le cycle saisonnier du chômage qui atteint toujours son maximum en hiver. 3. On remarquera aussi que tous ces mouvements concernent une « tranche » particulière de la population. Statistiquement, 45 % de la population en âge de travailler est toujours en emploi. Un autre 45 % est toujours hors du marché. Les fluctuations

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Le chômage au Québec

saisonnières prennent place dans le 10 % intermédiaire qui se contracte et se gonfle selon les saisons. 4. Ces fluctuations saisonnières ne sont pas particulières au Québec. Les autres régions vivent une expérience semblable :

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B. Chômage régional 1. On peut dire cependant que dans le monde occidental, l’Amérique du Nord accepte les taux de chômage les plus élevés. En Amérique du Nord, le Canada a des taux de chômage plus élevés que ceux des États-Unis. À l’intérieur du Canada, le Québec a des taux de chômage plus élevés que la moyenne. Ces taux de chômage sont encore gonflés par les variations saisonnières. 2. À l’intérieur même du Québec, l’écart du taux de chômage est également très grand entre les régions. On peut les diviser en trois (3) catégories : a) régions avec taux de chômage de 30 à 80 % supérieurs à la moyenne provinciale : Gaspésie, Saguenay – Lac-Saint-Jean, Mauricie et Côte-Nord ; b) régions dont le taux est semblable à la moyenne provinciale : Québec, Cantons-de-l’Est, Outaouais et Abitibi-Témiscamingue ; c) régions dont le taux est inférieur à la moyenne provinciale : Montréal.

3. Phénomène constant : pour la période de 1955 à 1964 – seule actuellement disponible –, on note une constance dans la place relative qu’occupent les différentes régions dans l’échelle du taux de chômage : 98

4. Les variations saisonnières régionales : trois (3) groupes de régions ont des amplitudes différentes de variation des taux de chômage saisonnier : a) Régions à chômage fortement saisonnier et à des degrés divers : Gaspésie, Côte-Nord, Outaouais, Québec, Cantons-de-l’Est, Abitibi-Témiscamingue. b) Régions où le chômage a des incidences saisonnières : Saguenay – Lac-Saint-Jean et Mauricie. Pour ces régions, les taux minima de chômage varient entre 7,7 % et 6 %, alors que les taux maxima de chômage varient entre 22,9 % et 17,3 %. c) Région à faibles variations saisonnières : c’est la région évidemment de Montréal qui connaît les variations saisonnières les moins marquées.

Le chômage au Québec

a) Gaspésie, Saguenay – Lac-Saint-Jean, Côte-Nord et Mauricie occupent toujours les quatre premières places ; b) les Cantons-de-l’Est occupent les cinquième ou sixième rangs ; c) l’Outaouais a tendance à occuper les septième ou huitième rangs ; d) Montréal a toujours le taux le plus faible.

5. Pour comprendre le phénomène saisonnier, il faut aussi tenir compte de l’importance du secteur dans l’ensemble. Par exemple, l’industrie forestière donne lieu à des fluctuations très largement plus importantes que celles que l’on trouve dans le commerce. Mais comme il y a beaucoup plus de travailleurs dans le commerce qu’en forêt, le commerce exerce une influence nettement plus forte sur la variation saisonnière d’ensemble (voir le Tableau VI). 6. Les variations saisonnières de l’emploi sont très différentes d’un secteur d’activité à l’autre. Dans l’industrie forestière, il y a cinq fois plus d’hommes au travail en octobre qu’en avril. Dans le commerce, l’écart saisonnier le plus large ne représente que 7 % de l’emploi à peu près. On peut suivre de mois en mois l’évolution normale d’un secteur en référant au tableau des variations moyennes. On constatera que les secteurs n’atteignent pas tous leur maximum et leur minimum en même temps. C’est d’abord la combinaison de ces cycles particuliers qui fait le cycle général. 99

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V. Les âges et les sexes

2. L’économie ne crée pas les emplois nécessaires pour les jeunes : il faut cependant noter que le pourcentage des jeunes dans les contingents de chômeurs est nettement plus élevé que les contingents de jeunes dans la main-d’œuvre. Par exemple, les 14-19 ans représentaient 10,2 % de la main-d’œuvre en 1969, mais ils fournissaient 22,6 % des chômeurs. À l’inverse, les 25-44 ans fournissaient 43,6 % de la main-d’œuvre, mais ne comptaient que 32,4 % du total des chômeurs. Si le chômage est élevé chez les jeunes, ce n’est donc pas tout simplement parce qu’ils sont plus nombreux : l’économie ne crée pas les emplois nécessaires. À pourcentage constant de jeunes sur le marché, ceux-ci seraient, de toute manière, plus fortement touchés qu’il y a cinq ou dix ans.

Le chômage au Québec

1. Les jeunes sont actuellement frappés durement par le chômage : en 1969, les jeunes de 14 à 19 ans chômaient dans une proportion trois (3) fois plus forte que les personnes de 25 à 44 ans ; 15 % des 14 à 19 ans étaient en chômage contre 5,2 % des 25 à 44 ans. Ceci s’explique en partie par le fait qu’il y a plus de jeunes que jamais qui arrivent sur le marché du travail.

3. De même, les hommes sont nettement plus exposés au chômage que les femmes : les taux de chômage des hommes sont presque le double des taux féminins. Ceci s’explique de deux façons : 101

L'État rouage de notre exploitation

a) les femmes occupent souvent un emploi temporaire et se retirent du marché quand le travail manque parce que le revenu est alors un revenu d’appoint ; b) en second lieu, l’emploi féminin s’est développé nettement plus vite que l’emploi masculin, comme on a pu le constater au début de ce document.

4. Les femmes ne prennent pas les emplois des hommes : certains diront alors que les femmes ont pris les emplois des hommes. Ce qui est largement faux, car c’est surtout dans les services que l’emploi féminin s’est développé ; il s’agit alors de postes de travail traditionnellement tenus par la population active féminine. VI. Perspective de la main-d’œuvre – 1970-1980 D’un article paru récemment dans Le Devoir au sujet du Livre blanc Pour une politique québécoise de la main-d’œuvre (1971), on peut retenir quelques extraits significatifs sur l’évolution de la situation au cours des années 1970. a) 670 000 nouveaux travailleurs. « La main-d’œuvre québécoise connaîtra au cours de la prochaine décennie un taux de croissance beaucoup plus élevé que dans la plupart des pays industrialisés. Sur une population de 7,4 millions en 1981, le Québec aura trois millions de travailleurs. La main-d’œuvre, au cours des années 1970, évoluera à un taux de 2,7 % par année, soit un rythme plus rapide que celui des années d’avant 1965. On prévoit une augmentation globale de 670 000 travailleurs d’ici 1980. » 102

c) 60 000 jeunes chaque année. « Si l’on veut diminuer le chômage de moitié d’ici à 1980, il faudra créer, au minimum, de 75 000 à 77 000 nouveaux emplois chaque année, dont 60 000 environ pour les jeunes qui arrivent sur le marché du travail. Près du quart des chômeurs actuels ont moins de 25 ans et ce groupe d’âge est victime du chômage le plus prolongé. On doit s’attendre à des difficultés d’emploi considérables pour les jeunes travailleurs des niveaux professionnels et techniques. On doit également prévoir une augmentation considérable de la main-d’œuvre féminine. »

Le chômage au Québec

b) 70 000 nouveaux emplois pour conserver notre chômage actuel. « Il faut trouver chaque année au moins 67 000 emplois pour absorber les nouveaux travailleurs qui se présentent sur le marché du travail et au moins 3 000 à 5 000 emplois pour remplacer ceux qui disparaissent chaque année. En 1970, le Québec a subi une perte d’environ 11 000 emplois. C’est dire qu’en conservant le taux de chômage actuel, il faut faire l’effort d’au moins 70 000 emplois par année pendant les dix prochaines années. »

d) Tous les secteurs seront affectés. « Un grand nombre de travailleurs sont touchés par les changements techniques. On entrevoit même que ce mouvement s’étendra à l’ensemble des secteurs d’activité, de telle sorte que presque tous les travailleurs devront faire face à des adaptations successives à des nouveaux modes de production. » c) Les chômeurs restent chômeurs : 264 000 assistés sociaux en 1980. Le Livre blanc nous révèle un autre indice extrêmement important au sujet de la détérioration intolérable du marché du travail qui se traduit par son incapacité de récupérer les chômeurs. « Un autre phénomène évident au Québec : les chômeurs chroniques se désintéressent à la longue du marché du travail et tombent en quelque sorte dans la catégorie de la population inactive. Le chômage a tendance à devenir chronique et à s’éterniser pour plusieurs chômeurs : 22 500 assistés sociaux aptes au travail en 1960-1961, 114 300 en 1969-1970. Et on en prévoit 15 000 de plus chaque année. » 103

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SECTION II : ANALYSE POURQUOI LE CHÔMAGE AU QUÉBEC ? Il nous faut d’abord essayer de comprendre pourquoi il y a chômage en régime capitaliste et surtout pourquoi il y en a plus au Québec qu’ailleurs en Amérique du Nord et en Occident. Nous allons donc présenter schématiquement dans une première partie, la pensée de deux écoles d’économie libérale sur ce sujet pour ensuite préciser ce problème tel que nous le concevons. Dans une deuxième partie, nous répondrons à la question, fort complexe, qui est de savoir pourquoi il y a plus de chômage au Québec. VII. Pourquoi le chômage est-il inévitable en régime capitaliste ? Voyons ce qu’en pensait l’école classique : A. La pensée classique Selon la théorie classique de l’économie libérale, c’est la loi de l’offre et de la demande qui devait commander le marché du travail autour de l’équilibre de plein-emploi. Le graphique IV présente les mécanismes régulateurs de l’emploi1.

Si le nombre de chômeurs augmente, il sera nécessaire que les salaires baissent pour que les demandes d’emploi s’accroissent, les 1. Hugues Puel, Chômage et capitalisme contemporains, Éditions ouvrières, Paris, 1971.

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B. La pensée moderne Les politiques économiques actuelles de lutte contre le chômage s’inspirent de la théorie libérale de Keynes – appelée révolution keynésienne en économie libérale. C’est en quelque sorte la charte d’intervention systématique de l’État dans l’économie privée. Cette théorie part de la constatation que le capitalisme ne pouvait réaliser qu’un équilibre de sous-emploi et que pour survivre, il devait se révéler capable de réaliser le plein-emploi. Pour cela, l’intervention de l’État était nécessaire et elle devait consister à stimuler l’investissement et à soutenir la consommation (les industries de consommation) en versant des revenus aux chômeurs et en lançant des travaux publics afin de distribuer des salaires. Schématiquement, cette théorie se présente ainsi :

Le chômage au Québec

capitalistes trouvant ainsi un intérêt à embaucher de nouveaux travailleurs. Les salaires vont alors augmenter au fur et à mesure que l’économie se rapproche du plein-emploi. La réponse des capitalistes pour limiter le coût de l’emploi est la substitution des machines par l’automatisation au travail et le freinage de la production afin de diminuer l’offre d’emploi (la main-d’œuvre), donc en créant du chômage – c’était la façon la plus efficace pour les capitalistes de limiter la hausse des salaires. Cet échafaudage théorique devait maintenir l’équilibre autour du plein-emploi. Il y a toujours eu chômage pour le travail et non pour le capital. On a donc dû inventer une nouvelle théorie. Durant tout ce temps, les travailleurs ont dû se battre contre de telles idéologies économiques et les pratiques capitalistes qu’elles suscitaient.

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L'État rouage de notre exploitation

Cet économiste soutenait que la diminution des salaires avait pour effet de prolonger la dépression et d’empêcher la reprise. Les syndicats en s’opposant à la baisse des salaires se montraient, selon cet auteur, des économistes plus raisonnables que les théoriciens classiques. Pour accroître l’emploi, il faut donc agir sur la demande des biens, laquelle est conditionnée par les revenus monétaires des salariés. Il faut alors encourager la consommation par des allocations versées aux chômeurs et par des salaires distribués, grâce aux grands travaux financés par les fonds publics, et on peut y ajouter maintenant tous les types de prestations monétaires accordées par les gouvernements aux différentes catégories de personnes dans le besoin. Malheureusement, la pratique économique étatique qui s’est inspirée de cette pensée depuis plus de 25 ans n’a pu sortir le capitalisme de sa logique profonde qu’est le sous-emploi. Les pouvoirs publics se rattachent désespérément à cette théorie, car elle a préservé pour un certain temps les économies capitalistes occidentales d’un retour au taux de chômage des années 1930, mais ce ne fut que passager, car on s’en rapproche rapidement au Québec entre autres. On ne peut attendre une nouvelle révolution libérale keynésienne pour nous sauver temporairement de la catastrophe. C. En résumé : le chômage comme rapport de force Il est important de ne pas oublier que ce phénomène fut toujours présent, à quelques exceptions près, lors des guerres par exemple ; c’est donc une situation normale en quelque sorte. Cette condition économique de la classe ouvrière qu’est le chômage découle essentiellement d’un rapport de force entre les travailleurs et les capitalistes qui détiennent la propriété privée des moyens de production. Ce rapport de force, qui détermine les possibilités d’emploi ou l’offre de travail, est toujours défavorable à la classe ouvrière. Voyons de près ce processus. 1. Du côté de la classe ouvrière (force de travail), elle mène une lutte permanente pour faire hausser le taux de salaire afin de modifier la répartition des revenus qui s’accumulent plus rapidement du côté du capital. 2. C’est en période de plein-emploi, à cause de la rareté de la main-d’œuvre, qu’apparaissent, pour la classe ouvrière, les conditions les plus favorables pour faire hausser les salaires.

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3. La classe capitaliste résiste à cette lutte pour maintenir son taux de profit, lequel détermine le rythme d’accumulation capitaliste et conditionne le niveau d’emploi. Le chômage au Québec

Les relations entre ces trois facteurs : Accumulation – Emploi – Salaires sont multiples et se conditionnent mutuellement selon leur grandeur. Le graphique de ces relations se présente ainsi :

Les relations entre ces différents facteurs font qu’en régime capitaliste le plein-emploi est exceptionnel, c’est le sous-emploi qui est la situation normale. S’il y a plein-emploi, il y aura pression pour hausser les salaires, ce qui réduira la part des profits que prélèvent les capitalistes sur les salaires et réduira ainsi les possibilités de l’accumulation. Cette réduction de l’accumulation réduit le niveau d’emploi et exerce ainsi une pression à la baisse sur les salaires. Cette pression s’exprime par le chômage et non pas essentiellement sur la feuille de paye du salarié. La pression à la baisse sur les salaires est donc nécessaire pour la réalisation des profits. De plus, dans cette lutte permanente, la classe capitaliste réussit à restreindre la demande d’emploi grâce au pouvoir qu’elle a – puisqu’elle détient la propriété des moyens de production – d’introduire des innovations. Elle procède alors par l’élévation des rendements de la force de travail active sous les formes d’introduction de nouvelles techniques, de nouveaux procédés ou d’augmentation du rythme de travail (les cadences), etc. La logique des rapports de force qui s’expriment sur le marché du travail, dans le système capitaliste, est impeccable pour la classe capitaliste. Lorsque nous utilisons notre pouvoir de revendication pour hausser les salaires nous provoquons une concentration accrue des moyens de production entre les mains des capitalistes. Ceux-ci effectuent les changements technologiques requis pour 107

L'État rouage de notre exploitation

augmenter la productivité ou l’exploitation de chaque travailleur cherchant ainsi à maintenir leur taux de profit. Cette fuite en avant du capitalisme, remplaçant l’homme par la machine pour faire pression sur l’emploi en fonction du maintien d’un taux de profit privé est une loi inexorable de l’évolution du système capitaliste qui trouve son fondement dans la propriété privée des moyens de production. L’évolution de la production par l’intégration des techniques nouvelles et l’assimilation de la science est en soi un progrès que nulle société ne peut bouder ; mais quand ce progrès ne peut se réaliser qu’à travers un rapport de force, toujours favorable à la classe capitaliste, là, on rencontre matière à opposition. C’est sur cette toile de fond qu’il faudrait approfondir davantage pour comprendre comment se développe le chômage et d’où lui vient son caractère permanent dans le type d’économie que nous avons. Le chômage c’est la plaie de l’économie capitaliste et c’est aussi la conséquence fort cruelle pour les travailleurs de l’absence de contrôle sur les moyens de production. Ceci n’explique pas encore pourquoi le Québec détient le record du chômage en Occident. C’est ce qu’il faut développer maintenant. VIII. Pourquoi plus de chômage au Québec : absence de contrôle sur l’accumulation du capital étranger La raison profonde des déficiences de la structure industrielle québécoise est la domination extérieure, soit l’impérialisme. Cette domination extérieure qui est à peu près de l’ordre de 85 % (capital anglo-saxon, américain et étranger) a provoqué un développement anarchique, car il ne fut pas orienté en fonction des besoins d’une économie intégrée, mais bien des impératifs dictés par les économies extérieures fortes et des perspectives de rentabilité permettant de drainer le maximum de profit du Québec. On ne peut faire du problème de la domination étrangère un problème culturel. C’est une situation économique et politique objective qui a des répercussions quotidiennes sur les conditions d’emploi au Québec, et il nous faut en saisir toutes les implications. L’impérialisme américain : comment les mécanismes de la propriété étrangère maintiennent-ils les pays dominés dans la dépendance économique ?

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Le chômage au Québec

A. L’ampleur du phénomène et ses tendances Quelques données nous permettront de retracer ces mécanismes de domination par l’investissement direct, qui est le type d’investissement privilégié des États-Unis. Dans le Tableau IX, nous rappelons tout simplement que sur 26,2 milliards de dollars d’investissement étranger au Canada en 1963, près de 60 % avait pris la forme d’investissement direct (par opposition à l’investissement indirect : portefeuille, achat d’obligations, etc.), et que les États-Unis en détenaient près de 80 %. Ce mouvement va en s’accentuant. L’investissement direct assure la propriété et le contrôle et de là vient sa « popularité ». En 1967, le Canada « possédait » 30 % des investissements américains à travers le monde, lesquels contribuaient à 13,5 % des rentrées de profits aux États-Unis sur leurs investissements étrangers. L’Europe, qui jouissait de 30,5 % des investissements américains, participait à 18,2 % des profits rapatriés. La situation du Canada et de l’Europe était somme toute confortable si on la compare à celle de l’Afrique et de l’Asie où pour des investissements américains de l’ordre de 4,2 % et de 7,3 %, ils participaient à 12,1 % et 25,7 % du rapatriement total des profits.

Source : A. E. Safarian, Foreign Ownership of Canadian Industry, Toronto, McGraw-Hill, 1966, p. 10.

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B. Comment on se fait coloniser avec nos propres moyens et par notre exploitation Il existe une « loi d’airain » de l’accumulation de tout capital étranger investi directement au Canada et au Québec, dont le ressort fondamental est dans le capitalisme lui-même, et qui consiste à nous coloniser avec nos propres ressources, nous maintenant sous une domination perpétuelle. Examinons brièvement ce que fut l’apport original de capitaux américains par exemple au Canada, au cours des périodes 1957-1964 et 1963-1965 ; malheureusement, nous ne possédons pas de données comparables pour le Québec, pour voir comment fonctionne ce mécanisme. Le tableau qui suit est fort éloquent par lui-même.

Source : A. E. Safarian, Foreign Ownership of Canadian Industry, Toronto, McGraw-Hill, 1966, p. 235.

Pour les années 1957-1964, la moyenne des différentes sources de fonds du capital américain investi au Canada était la suivante : (1) 15 %, (2) 42 %, (3) 31 %, (4) 12 % . On constate que l’apport de capitaux américains diminue de 15 % à 11,4 % au profit du drainage de capitaux canadiens, 12 à 17,9 % . Bien que d’après ces données le pourcentage des profits retenus semble demeurer relativement stable, on observe une croissance continue depuis 1957, alors qu’il était de 35 % et qu’en 1964, il avait atteint 49 %. Toutes les données récentes confirment que cette tendance s’est maintenue. Par la technique de l’investissement direct, caractéristique principale de l’impérialisme américain, une mise de fonds de plus en plus restreinte met en marche un processus sans cesse élargi de la propriété et du contrôle de l’économie canadienne et québécoise. Nous ne croyons pas qu’une politique économique libérale puisse renverser cette tendance de l’impérialisme américain au contrôle presque absolu. 110

Pour les années 1967-1969, 16,7 % de l’épargne canadienne brute (soit 8,8 d’un total de 52,8 milliards de dollars) s’est engouffrée dans les coffres d’entreprises étrangères. Le chômage au Québec

Source : Christian Goux et Jean-François Landeau, Le péril américain, Paris, Calman-Levy, 1971.

Pour la seule année 1969, il y eut un apport de capital américain de 619 millions de dollars et une exportation aux États-Unis des profits (762 millions) et des redevances (269 millions) de 1 031 millions de dollars, soit une perte nette pour l’économie canadienne de 511 millions de dollars. Pour la décennie 1960-1969, on évalue cette perte à 2,6 milliards de dollars pour le Canada et à 350 millions pour le Québec. C’est avec une partie de plus en plus importante de l’épargne canadienne et québécoise que l’impérialisme américain s’installe définitivement chez nous et qu’il peut rapatrier en l’espace de dix ans environ 150 % de sa mise de fonds originale. C’est ce qu’on appelle de l’entrepreneurship rentable. Au problème de la domination de l’impérialisme américain sur l’économie québécoise, il faut ajouter celle de la bourgeoisie anglo-saxonne ; ce qui ne rend pas notre situation plus confortable. Enfin, il faut souligner que l’impérialisme n’est pas uniquement économique, il imprègne toute notre existence collective par ses effets politiques, idéologiques et culturels. Sur le plan culturel, les monopoles – têtes de pont de l’impérialisme – tendent à éliminer toutes les formes de résistance au modèle de consommation qu’ils ont défini dans leur stratégie. Les monopoles ont un intérêt vital à détruire les différences culturelles entre les nations et à homogénéiser un mode de vie et des normes de consommation à travers le monde. Georges Grant, dans une étude sur les entreprises multinationales, soutient que « l’entreprise capitaliste et le libéralisme vont de pair […] et que 111

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le libéralisme est le moyen idéologique par lequel les cultures sont homogénéisées et […] qu’au cœur du libéralisme moderne se situe le désir d’homogénéiser le monde. Aujourd’hui, les sciences sociales et naturelles se développent consciemment comme instrument pour atteindre cette fin1 ». L’intensification de la lutte idéologique que mènent les monopoles pour justifier un mode de vie devient un aspect important dont il faut également tenir compte. 2. La domination de la bourgeoisie anglo-saxonne sur l’économie québécoise A. Le contrôle Nous pouvons évaluer grossièrement l’importance relative de la domination étrangère (américaine), anglophone et francophone sur le secteur manufacturier de l’économie québécoise en utilisant, comme André Raynauld l’a fait2, le pourcentage de la valeur ajoutée sur les produits québécois qui revient à chacun de ces groupes. Selon l’indice de la valeur ajoutée, la domination anglophone (42,8 %) serait aussi importante que la domination américaine (41,8 %) sur l’économie québécoise. Un maigre 15 % demeurerait sous le contrôle de la petite bourgeoisie francophone.

B. Performance des entreprises francophones Il est à noter que les entreprises francophones avec 21,8 % de la main-d’œuvre ne contribuent qu’à 15,4 % de la valeur ajoutée et qu’à 16,4 % des expéditions alors qu’à l’autre extrême les entreprises étrangères avec 31,3 % de la main-d’œuvre du secteur manufacturier produisent 41,8 % de la valeur ajoutée et participent à 40,8 % des expéditions. 1. George Grant, Lament for a Nation, Toronto, McClelland and Stewart, 1965. 2. Raynaud, op. cit., p. 91.

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C. Répartition des secteurs entre les trois bourgeoisies Les industries du bois et du cuir comptent respectivement pour 2,5 et 2,2 % de la valeur ajoutée du secteur manufacturier, ce qui démontre bien le faible contrôle du capitalisme autochtone. On observe l’importance du contrôle du capitalisme anglophone et étranger (américain) dans la presque totalité des secteurs manufacturiers et leur implantation dans les industries est très marquée. En effet, « en moyenne (non pondérée) le groupe étranger compte pour 73,6 % de la valeur ajoutée des industries dont il est le producteur principal, tandis que le groupe canadien anglophone ne contribue qu’à 62 % de la valeur ajoutée des industries dont 1,1 est le producteur principal1 ». Ce qui est amplement suffisant pour s’assurer du contrôle économique dans les secteurs manufacturiers où ils sont implantés.

D. Comparaison sur la taille et la productivité des entreprises Les données sont tout aussi éclatantes quand l’auteur compare les entreprises des différents groupes ethniques sur le plan de la taille 1. Ibid., p. 92.

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et de la productivité. Sur le premier point, « l’établissement étranger est sept fois plus grand et l’établissement canadien anglophone quatre fois plus grand que l’établissement francophone1 ». Par rapport à la moyenne, la productivité de l’établissement anglophone est supérieure de 15 %, et celle de l’établissement étranger est supérieure de 33 %. Si on compare les établissements entre eux sur le plan de la productivité, l’auteur observe alors que « la productivité de l’établissement canadien francophone est ainsi de 14,1 % plus faible que celle de l’établissement canadien anglophone et de 45,1 % plus faible que l’établissement étranger. L’établissement canadien anglophone de son côté est de 36 % moins productif que l’établissement étranger2 ». Conclusion En résumé, dans le cadre du système capitaliste, la bourgeoisie québécoise n’est pas parvenue à accumuler elle-même, par les profits réalisés, le capital nécessaire à de nouveaux investissements, et il n’est pas question dans notre esprit que l’État québécois se convertit lui-même ou aide à la création d’une bourgeoisie québécoise. La place est presque entièrement occupée par les capitaux anglophones et américains et la mise de fonds nécessaire pour lancer une nouvelle affaire devenant de plus en plus considérable, et par conséquent de moins en moins accessible ; il faut toujours s’en remettre au bon vouloir des maîtres étrangers de l’économie. Ces derniers contrôlent le rythme et l’utilisation de l’accumulation en fonction des besoins et intérêts de l’économie mère et non de ceux de l’économie québécoise. Le seul « agent » capable au Québec de rationalité quelque peu différente et ne possédant pas encore les moyens financiers et les pouvoirs économiques requis n’est pas un « agent privé », mais bien « collectif », soit l’État avec son capital public formé de nos impôts, taxes et épargnes. Cependant, comme on peut le voir à la lumière de l’étude sur la politique des subventions publiques à l’entreprise privée, les États tant fédéral que québécois, avec leurs politiques aplaventristes de soutien et d’appui à l’entreprise privée, gaspillent en les saupoudrant au hasard nos fonds publics ; c’est de la démission pure et simple devant l’intérêt public. C’est une tentative infructueuse de camoufler l’échec de l’entreprise privée, c’est du racolage étatique auprès du capitalisme. 1. Ibid., p. 96. 2. Ibid., p. 99.

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Le chômage se présente comme l’une des formes les plus visibles et cruelles de l’exploitation de l’impérialisme et de la domination extérieure au Québec, et ce sont les travailleurs et les salariés qui en subissent le coût. L’économie québécoise a la caractéristique peu enviable d’être la plus dominée en Occident. C’est cette caractéristique qui enlève toute possibilité de contrôle sur le surplus économique réalisé au Québec. Seul le contrôle sur ce surplus permettrait d’orienter l’économie québécoise en fonction des besoins du Québec. Notre dépendance est à ce point entière que même le capitalisme ne pourra jamais rétablir un quelconque équilibre. Et nous qui en subissons les conséquences, nous sommes pressés de corriger la situation.

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Conclusion

PREMIÈRE PARTIE : LES FAITS SAILLANTS

Quelques pas à faire vers notre libération…

Quelques pas à faire vers notre libération économique

1. Le chômage Le premier problème dont il faut prendre conscience, le premier problème à analyser, le premier problème à résoudre, c’est celui du chômage. Le chômage d’un individu ou les statistiques du chômage au Québec sont plus qu’une absence de travail. Ce sont aussi l’insécurité et l’inquiétude qui risquent de miner toute action collective, sociale ou syndicale. C’est aussi l’avortement des autres politiques sociales : éducation, santé, sécurité sociale, environnement, maind’œuvre. Pour un individu ou pour le Québec tout entier, le chômage transforme ces autres politiques sociales en courroies de transmission d’une infériorité cumulative. Le chômage révèle et mesure la faillite pour le Québec d’un parti-pris farouchement et aveuglément idéologique : celui de nous abandonner exclusivement à l’entreprise privée. Le profit comme mobile exclusif de l’action économique, et comme seul moteur du développement économique, nous laisse évidemment et inévitablement le chômage. Le chômage est le premier problème à résoudre, car le chômage rend l’État et l’individu impuissants à résoudre les autres problèmes économiques et sociaux. La démission de l’État envers l’action 117

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économique et les privilèges du profit entraîne son inefficacité dans ses autres politiques. 2. Les disparités régionales et sociales Un régime économique fondé exclusivement sur l’inégalité économique entraîne fatalement des disparités non seulement individuelles, mais aussi sociales et régionales. Si la seule façon d’attirer des hommes et des capitaux est la disparité, forcément les hommes et les capitaux laisseront les secteurs et les régions les plus faibles et les plus désorganisées dans la course aux profits. 3. Subventions Une politique de subventions, visant à attirer les capitaux dans les régions sous-développées, a rapidement révélé que le Québec tout entier était une région sous-développée. Montréal aussi est sous-développée et, avec elle, le Québec tout entier. La part disproportionnée des subventions aux grandes entre­ prises déjà favorisées, révèle bien que ce soutien indirect de l’État est impuissant à corriger l’inégalité, et donc l’aggrave. Les inégalités résultant de l’entreprise privée étant beaucoup plus fortes que la velléité égalitaire de l’État, les subventions de l’État accroîtront les disparités sociales et régionales. 4. Licenciements et main-d’œuvre Il faut dire que l’État n’a pas de politique pour endiguer les licenciements, ni finalement de politique de main-d’œuvre. L’État ne joue ni sur la demande, ni sur l’offre, ni sur le marché du travail. C’est un marché privé et de tous les marchés privés le plus désorganisé et le plus inefficace. Pour la seule offre de travail, la première étape serait une syndicalisation massive des travailleurs, interdite en pratique par les lois actuelles. Sans une telle syndicalisation à la fois libre et massive, toute politique de main-d’œuvre en sera une d’inefficacité économique et d’embrigadement individuel. Par exemple, l’absence d’une syndicalisation massive empêche même le relèvement du salaire minimum à un niveau cohérent avec une politique déjà faible de sécurité sociale. La faiblesse des salaires dans plusieurs secteurs et plusieurs régions est un frein à tout dynamisme économique de ces mêmes secteurs et de ces mêmes régions. 118

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5. Deux démissions de l’État au Québec La cause la plus profonde du chômage au Québec est la double démission de nos gouvernants : démission face à l’entreprise privée et démission face à Ottawa. A. Face à l’entreprise privée d’abord. L’État affiche qu’il s’abandonne exclusivement à l’entreprise privée, qu’il se refuse à toute action économique et donc il est responsable du chômage où la libre entreprise laisse les plus faibles. Les quelques initiatives de l’État dans l’action économique sont stérilisées à volonté : Soquem, Sidbec, Caisse de dépôt et placement, l’absence d’une politique d’achats du gouvernement, la non-utilisation de notre épargne collective dans l’action écono­mique, le non-encouragement du secteur coopératif, l’absence de frein à la spéculation immobilière, l’absence d’une politique de développement que révèlent les subventions et la quête des investissements. Le meilleur et le premier indice de démission de l’État sont sa démission dans l’usage de notre épargne collective (fonds de pension, assurance vie). En réalité, nous finançons nous-mêmes l’achat de nos industries par des intérêts privés. Et nous y ajoutons des subventions. Ces intérêts privés perpétuent l'inégalité économique qui sous-développe le Québec. Nous produisons notre propre chômage. B. Démission aussi face à Ottawa. Ni Ottawa ni Québec ne possèdent aujourd’hui les pouvoirs suffisants pour adopter une politique économique collective, s’ils en avaient l’envie. Cette division des pouvoirs invite à la démission des pouvoirs face à l’entreprise privée, domestique ou étrangère. Sur le plan strictement économique, le peuple du Québec ne peut tolérer cette équivoque sans se suicider. La conséquence de l’ambiguïté fédérale actuelle sera un chômage et une désorganisation croissants au Québec. DEUXIÈME PARTIE : SOLUTIONS À COURT TERME En matière de chômage et d’économie, la solution gouvernementale miracle actuelle est le recours exclusif à l’entreprise privée, et pourtant il existe des outils collectifs et une volonté collective québécoise. Notre premier outil collectif, c’est le poids économique de l’État au Québec. L’État devrait être le seul maître d’œuvre qui puisse harnacher l’épargne, la compétence et l’initiative de chacun pour en forger un outil collectif de libération économique.

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Le chantier économique du Québec est présentement en voie de se fermer par la désorganisation des sous-traitants à qui nous avons confié notre développement. Nous les avons payés très cher, pour nous apercevoir que la somme de leurs intérêts privés était contraire à notre intérêt collectif. Seule une idéologie aveugle ou un intérêt privé peuvent soutenir le contraire. Une première tâche actuelle du syndicalisme et du peuple québécois est de réveiller cette volonté d’action économique de l’État et de préciser les premiers outils concrets nécessaires à cette action : a) participation dans l’action économique par le renforcement des institutions publiques ; b) usage collectif de l’épargne collective. A. Renforcement des institutions économiques publiques 1. Soquem : Société québécoise d’exploration minière a) Son capital. Soquem fut créé en 1965, c’est une société publique. Son capital est fixé à 15 millions de dollars et souscrit par le ministre des Finances au rythme de 1,5 million de dollars durant 10 ans. b) Ses fonctions : i Faire de l’exploration minière. ii Mettre en valeur seule ou avec d’autres des découvertes minières faites par elle ou par d’autres. iii Participer à la mise en exploitation des gisements miniers, soit en les vendant ou en prenant une participation contre la valeur des propriétés minières transmises. c) Son orientation fondamentale : i « S’engager dans des programmes conjoints avec l’entreprise privée à qui elle peut offrir son support financier et son concours technique1. » ii « Soquem recherche particulièrement des partenaires qui, dans l’éventualité d’une découverte, assureraient la gestion de l’exploitation, car elle est essentiellement une société d’exploration et non pas une société d’exploitation2. » 1. Annuaire du Québec, 1968, p. 156. 2. Ibid.

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3. Rexfor : Société de récupération et d’exploitation forestière du Québec (1969) a) Son capital : Le ministre des Finances avance tout montant jusqu’à concurrence des sommes versées à titre d’indemnités pour les terrains publics forestiers ; il peut garantir des emprunts ou avancer tout autre montant jugé nécessaire. b) Ses fonctions : Récupérer et exploiter toute agglomération considérable de bois menacée de perdition sur les terrains du domaine public du Québec. c) Son orientation fondamentale : Réagir pour sauver les ressources sur un territoire de plus en plus réduit qu’est le domaine public. Nos forêts ne nous appartiennent plus.

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2. Soquip : Société québécoise d’initiatives pétrolières (1969) a) Son capital : Les mêmes modalités que Soquem. b) Ses fonctions : i Rechercher, produire, emmagasiner, transporter et vendre des hydrocarbures bruts, liquides ou gazeux. ii Participer au raffinage des hydrocarbures bruts, liquides ou gazeux, à l’emmagasinage, au transport et à la vente d’hydrocarbures raffinés ainsi qu’à la mise en valeur des découvertes d’hydrocarbures faites par d’autres. Elle a aussi pour objet de s’associer à toute personne ou société pour ces fins. c) Son orientation fondamentale : Elle est la même que pour Soquem et doit s’associer à l’entreprise privée pour le raffinage et la vente d’hydrocarbures.

4. Société générale de financement : La SGF présente encore un espoir ; on commence à comprendre son lent départ sous la direction de Filion1. Le patronage politique des Rouges, La Patente, les achats forcés et les mauvaises transactions apparaissent au grand jour depuis la publication du dossier de 1. Gérard Filion, ex-directeur du journal Le Devoir, a été le premier président et directeur général de l’histoire de la SGF, de 1963 à 1966, puis est nommé président de Marine Industries ltée de Sorel-MIL. NdÉ.

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Québec-Presse 1. Une Commission d’enquête sur le fonctionnement de la SGF s’impose pour faire la lumière sur cette période noire. La SGF fut plutôt un gouffre qu’un essor économique. La situation de la SGF, aussi calme soit-elle depuis quelque temps, semble s’être quelque peu stabilisée. L’action de la SGF doit s’orienter en fonction d’une perspective globale du développement économique québécois et d’une conception rigoureuse du rôle de l’État dans ce développement. Malheureusement, ces deux dimensions ne préoccupent pas le pouvoir actuel. 5. Société d’habitation du Québec (SHQ) : Cet organisme public fondé en 1967 doit, entre autres objectifs, mettre à la disposition des Québécois des logements à loyers modiques. La Société apporte son aide financière aux municipalités et autres organismes pour réaliser les programmes de rénovation et d’habitation. Elle disposait de 400 000 000 dollars pour réaliser un programme de cinq ans. Au cours des trois premières années, elle avait pris des engagements de l’ordre de 80 % de sa programmation originale. En 19691970, une révision des politiques fédérales dans ce domaine la força à surseoir à des projets qu’elle avait élaborés avec les municipalités.

1. Le 19 octobre 1969 paraît Québec-Presse, un hebdomadaire tiré en moyenne à 25 000 exemplaires. Fondé par des militants de groupes syndi­ caux et coopératifs, le journal visait à offrir un soutien aux syndicats, aux coopératives et aux comités de citoyens afin de « refléter et stimuler la pensée et l’action populaire et démocra­tique ». Le 6 novembre 1974, à la suite de la publication de 252  numéros, l’hebdomadaire ferme boutique. Entretemps, le Parti québécois avait créé, en février 1974, le quotidien Le Jour qui a cessé sa publication le 25 août 1976 à la suite de difficultés financières et de conflits entre les journalistes et la direction du Parti québécois. La création du Jour a pesé lourd sur le destin de Québec-Presse. NdÉ.

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REVENDICATIONS

a) Que leur capital croisse au rythme des besoins de l’économie québécoise et non au rythme mathématique que leur a fixé le gouvernement ; en somme, qu’il adopte la même politique qu’à l’égard de l’entreprise privée à qui il accorde en moyenne 14 millions de dollars de subventions par année. b) Que leurs fonctions soient non seulement l’exploration ou le sauvetage, mais également l’exploitation des ressources naturelles. c) Que leur vocation fondamentale de défrichage d’opportunités de profit pour l’entreprise privée soit changée et qu’elles interviennent directement en « balayant » l’entreprise privée dans l’exploitation de nos ressources naturelles. d) Que tout le territoire québécois soit considéré comme leur champ d’action. e) Qu’elles fassent preuve d’audace et d’initiatives et qu’elles assument dorénavant toute nouvelle exploitation de nos ressources naturelles. f ) Que ces sociétés soient représentées dans tous les organismes consultatifs à caractère économique du gouvernement du Québec.

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1. Nous revendiquons pour Soquem, Soquip et Rexfor :

2. Pour ce qui est de la SGF, nous demandons : a) que le gouvernement augmente sa contribution financière à la SGF. En 1969, le gouvernement a porté sa souscription à 10 millions de dollars. Pour une société publique qui existait depuis six ans, c’était effectivement manifester peu de confiance. b) Que la SGF se définisse une politique précise d’intervention économique. c) que la SGF se définisse une politique précise de développement du secteur coopératif et non uniquement de soutien au secteur privé. 3. Quant à la SHQ, connaissant les données de la crise du logement au Québec que le dernier congrès de la FTQ avait étudiées en profondeur, nous reformulerons donc deux revendications : 123

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a) Que le gouvernement du Québec augmente les ressources financières de la SHQ afin d’accélérer la construction d’habitations à loyers modiques et la rénovation urbaine au Québec. b) Que la SHQ se donne des outils techniques, sous la forme de Société publique de construction, pour appuyer les municipalités dans la réalisation des programmes d’habitation. B. Les instruments financiers requis : nationalisation de l’épargne et Caisse de dépôt. Pour renforcer entre autres ces institutions économiques québécoises qui ont un rôle de premier plan à jouer dans le développement du Québec, nous préconisons une nationalisation de plus en plus poussée de l’épargne collective et sa canalisation vers la Caisse de dépôt et placement. La majorité de l’épargne collective des Québécois est sous le contrôle des institutions financières privées et étrangères. Celles-ci sont loin de l’utiliser en fonction de nos besoins. Ces institutions nous prêtent notre argent à fort taux d’intérêt et souvent sous la menace du chantage. Malheureusement, il n’existe pas de relevés précis et exhaustifs du drainage d’épargne au Québec par les institutions privées et son affectation géographique au Québec. Cependant, pour l’assurance vie seulement nous versons 350 millions de dollars par an à des compagnies étrangères, montant sur lequel nous perdons le contrôle à tout jamais. Voyons la distribution et l’importance relative de l’épargne dans ces institutions avant de présenter quelques idées sur la nationalisation et la canalisation de l’épargne québécoise. Nous demandons que l’État intervienne d’abord directement au niveau de deux institutions : les Compagnies d’assurance et les Caisses de retraite. 1. Pour ce qui est des Compagnies d’assurance vie, nous préconisons que l’État procède à une nationalisation progressive afin de pouvoir orienter cette épargne en fonction des priorités québécoises de développement économique et social, lequel doit reposer sur l’essor des sociétés publiques. La nationalisation des

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Source : Rapport du Comité d’étude sur les institutions financières, Gouvernement du Québec, 1969.

Compagnies d’assurance automobile est également une priorité en ce sens. 2. Pour ce qui est des Caisses de retraite, nous reprenons à notre compte deux recommandations du Comité d’étude sur les institutions financières et en réitérons une troisième. a) Que les fonds de pension dont les contributions émergent pour plus de la moitié à des budgets de dépenses financées par l’impôt et dont la prestation est reliée aux salaires soient affectés à la Caisse de dépôt. b) Que les fonds de pension d’entreprises publiques et mixtes soient aussi canalisés vers le secteur public. 125

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c) Que la Caisse de dépôt puisse administrer les Caisses de retraite privées et que les mesures coercitives soient prises pour que ces fonds lui soient confiés. Nous réitérons notre position voulant que les salariés soient représentés sur le Conseil consultatif de la caisse pour avoir un contrôle efficace sur l’utilisation de leur épargne.

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Achevé d’imprimer en septembre 2012 par les travailleuses et travailleurs de l’imprimerie Gauvin Gatineau, Québec

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