L'État néopatrimonial: Genèse et trajectoires contemporaines [PDF ed.] 2760319644, 9782760319646

Pourquoi le néopatrimonialisme est-il si fréquemment utilisé pour caractériser les systèmes politiques Africains ? Les p

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L'État néopatrimonial: Genèse et trajectoires contemporaines [PDF ed.]
 2760319644, 9782760319646

Table of contents :
Introduction
--Daniel C. Bach (Université de Bordeaux, France) et Mamoudou Gazibo (Université de Montréal, Canada)
SENS ET PERTINENCE DES CONCEPTS
Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines
-- Hinnerk Bruhns (École des hautes études en sciences sociales, France)
Patrimonialisme et néopatrimonialisme : Lectures et interprétations comparées
-- Daniel C. Bach
Le modèle de l’entrepreneur politique
-- Daniel Compagnon (Sciences Po Bordeaux, France)
Le néopatrimonialisme est-il soluble dans la démocratie ?
-- Mamoudou Gazibo
Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement
-- Alice Sindzingre (Université Paris X, France)
LE RENOUVELLEMENT DES PROBLÉMATIQUES EN AFRIQUE
Sortir du néopatrimonialisme : démocratie et clientélisme dans l’Afrique contemporaine
-- Nicolas van de Walle (Université Cornell, États-Unis)
Luttes armées, rebelles et seigneurs de la guerre : le spectre du patrimonialisme
-- Morten Bøås et Kathleen M. Jennings (Fafo, Norvège)
Origines et signification d’un phénomène nigérian : le “Godfatherism”
-- Chris Albin-Lackey (Human Rights Watch Africa)
L’État néopatrimonial au quotidien : politiciens, douaniers et milieux marchands au Niger
-- Mahaman Tijani Alou (Université Abdou Moumouni, Niger)
LA DIVERSITÉ DES INTERPRÉTATIONS ET TRANSCRIPTIONS : COMPARAISONS INTERNATIONALES
Oligarchisme et caciquisme : dérives et attributs de l’État philippin contemporain
-- Dominique Caouette (Université de Montréal, Canada)
Du jeitinho et d’autres phénomènes connexes dans le Brésil contemporain
-- Yves-André Fauré (Pôle universitaire Guyanais, Guyane)
Le “néopatrimonialisme hybride” du cas Berlusconi : entre charisme médiatique et représentation politique et sociale
-- Mauro Barisione (Université de Milan, Italie)
Clientélisme et patrimonialisme dans les relations internationales : le cas de la politique africaine de la France
-- Daniel Bourmaud (Université Montesquieu Bordeaux IV, France)
Conclusion

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L’État néopatrimonial : genèse et trajectoires contemporaines

« À Jean-François Médard »

L’État néopatrimonial : genèse et trajectoires contemporaines sous la direction de Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo

Les Presses de l’Université d’Ottawa 2011

© Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2011 Les Presses de l’Université d’Ottawa reconnaissent avec gratitude l’appui accordé à leur programme d’édition par le ministère du Patrimoine canadien en vertu de son programme d’aide au développement de l’industrie de l’édition, le Conseil des Arts du Canada, la Fédération canadienne des sciences humaines en vertu de son Programme d’aide à l’édition savante, le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada et l’Université d’Ottawa. Les Presses remercient aussi l’Institut d’études politiques de Bordeaux pour l’appui financier apporté à la publication de cet ouvrage.

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives Canada L’état néopatrimonial : genèse et trajectoires contemporaines / sous la direction de Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo. (Études en développement international et mondialisation) Comprend des réf. bibliogr. et un index. ISBN 9782760307674 EPUB eISBN 9782760319639 PDF eISBN 9782760319646 1. Corruption (Politique)--Afrique. 2. Morale politique--Afrique. 3. Afrique--Politique et gouvernement. I. Bach, Daniel II. Gazibo, Mamoudou III. Collection: Études en développement international et mondialisation JQ1875.A55C639214 2011  320.96  C2011-905680-1

Table des matières Liste des auteurs  vii Introduction  1 Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo SENS ET PERTINENCE DES CONCEPTS Chapitre 1

Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines  13 Hinnerk Bruhns Chapitre ii

Patrimonialisme et néopatrimonialisme : lectures et interprétations comparées  37 Daniel C. Bach Chapitre iii

Le modèle de l’entrepreneur politique  79 Daniel Compagnon Chapitre iv

Le néopatrimonialisme est-il soluble dans la démocratie ?  99 Mamoudou Gazibo Chapitre v

Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement  117 Alice N. Sindzingre LE RENOUVELLEMENT DES PROBLÉMATIQUES EN AFRIQUE Chapitre vi

Sortir du néopatrimonialisme : démocratie et clientélisme dans l’Afrique contemporaine  153 Nicolas van de Walle Chapitre vii

Luttes armées, rebelles et seigneurs de la guerre : le spectre du patrimonialisme  175 Morten Bøås et Kathleen M. Jennings

Chapitre viii

Origines et signification d’un phénomène nigérian : le « Godfatherism »  191 Chris Albin-Lackey Chapitre ix

L’État néopatrimonial au quotidien : politiciens, douaniers et milieux marchands au Niger  209 Mahaman Tidjani Alou LA DIVERSITÉ DES INTERPRÉTATIONS ET TRANSCRIPTIONS : COMPARAISONS INTERNATIONALES Chapitre x

Oligarchisme et caciquisme : dérives et attributs de l’État philippin contemporain  231 Dominique Caouette Chapitre xi

Du jeitinho et d’autres phénomènes connexes dans le Brésil contemporain  251 Yves-André Fauré Chapitre xii

Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi : entre charisme médiatique et représentation politique et sociale  275 Mauro Barisione Chapitre xiii

Clientélisme et patrimonialisme dans les relations internationales : le cas de la politique africaine de la France  293 Daniel Bourmaud Conclusion  313 Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo Bibliographie  323 Index  363

Liste des auteurs Chris Albin-Lackey est Senior Researcher à Human Rights Watch Africa où il a couvert pendant cinq ans le Nigeria et la Corne de l’Afrique. Son travail sur le Nigeria a porté sur la corruption dans les États pétroliers et gouvernements locaux du delta du Niger, la violence et la fraude électorale pendant les élections de 2007, ainsi que sur les processus de criminalité dans la vie politique nigériane. Chris est titulaire d’un BA en Science Politique de l’Université de Boston et d’un JD de la Columbia Law School. Daniel C. Bach est Directeur de recherche du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) au Centre Émile-Durkheim (UMR 5116) et professeur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux. Titulaire d’un doctorat de l’université d’Oxford, il a enseigné au Nigeria, au Canada, au Japon et aux États-Unis. Ses recherches portent sur l’État nigérian, les organisations régionales africaines et les interactions entre régionalismes, régionalisation et mondialisation. Ses travaux en cours traitent de l’Afrique dans les relations internationales et des rapports avec les pays émergents. Parmi ses publications récentes figurent « Régionalismes, régiona­lisation et globalisation », dans M. Gazibo et C. Thiriot (dir.), Afrique et sciences du politique (Paris, Éd. Karthala, 2009) et “The EU’s ‘strategic p ­ artnership’ with Africa: Model or Placebo?”, in O. Eze and A. Sesay (Eds), The Africa-EU Strategic Partnership: Implications for Nigeria and Africa (Lagos : Nigerian Institute of International Affairs, 2010). Mauro Barisione est Professeur de sociologie politique à l’Université de Milan. Titulaire d’un doctorat à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université de Florence, il a enseigné la Communication politique à l’IEP de Paris. Ses recherches portent sur les processus d’opinion publique, la communication électorale et la dimension symbolique du leadership. Parmi ses publications récentes figurent “Valence Image and the Standardization of Democratic Political Leadership”, Leadership, 5(1), 2009, p. 41-60 et Comunicazione e società. Teorie, processi, pratiche del framing (Bologna, Il Mulino, 2009). Morten Bøås (Ph. D.) est Directeur de la recherche et Senior Researcher de l’Institute for Applied International Studies du Fafo. Il a publié de manière extensive sur les rapports entre politique et développement en Afrique

et politique africaine, le Journal of Modern African Studies ; Third World Quarterly, African Spectrum et Global Governance. Ses deux ouvrages les plus récents sont (co-edité avec Kevin Dunn) African Guerrillas: Raging Against the Machine (Lynne Rienner Publishers, 2007) et (co-édité Benedicte Bull) International Development (vol. I-IV, Sage Publications, 2010). Daniel Bourmaud est Professeur de science politique à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV. Spécialiste de l’Afrique, il a travaillé initialement sur l’Afrique de l’Est, notamment le Kenya. Ses travaux ont ensuite porté sur l’analyse comparée des régimes politiques africains et sur les relations internationales africaines, notamment la politique africaine de la France. Simultanément, il a mené des travaux sur les mutations du régime politique de la France, en particulier la Ve République. Ses recherches actuelles s’orientent vers une analyse comparée des autoritarismes incluant des situations latino-américaines et asiatiques. Hinnerk Bruhns est Directeur de recherche émérite, « Centre national de la recherche scientifique ». Auteur d’une thèse en histoire ancienne à l’Université de Cologne, il a enseigné l’histoire ancienne à l­’Université de Bochum, puis l’histoire contemporaine et des sciences sociales à ­l’Université d’Aix-en-Provence, à l’EHESS (Paris) et à l’École normale supérieure de Cachan. Parmi ses publications récentes figurent Max Weber et le politique (avec Patrice Duran) Paris, 2009 ; Histoire et économie politique en Allemagne : de Gustav Schmoller à Max Weber, (dir.) Paris, 2004 ; Sociologie économique et économie de ­l’Antiquité, Paris, 2004 (dir.,  avec Jean  Andreau) ; Max Weber und die Stadt im Kulturvergleich (dir., avec Wilfried Nippel), Göttingen, 2000. Dominique Caouette est Professeur adjoint au Département de science politique de l’Université de Montréal où il enseigne les relations internationales. Il s’intéresse particulièrement aux acteurs non étatiques et à l’Asie du Sud-Est. Avant d’occuper ce poste, il a été chargé de cours à l’Université d’Ottawa et a travaillé pendant plus de cinq ans avec Inter Pares à titre de membre de l’équipe Asie. Il a écrit sur les mouvements sociaux et révolutionnaires et récemment, sur les réseaux et les mouvements de défense des droits transnationaux. Il détient un doctorat de l’Université Cornell ainsi qu’une maîtrise en affaires internationales de l’Université de Carleton. Au sein de l’Université de Montréal, il coordonne

le Réseau d’études des dynamiques transnationales et de l’action collective (REDTAC) et est membre du Centre d’études de l’Asie de l’Est. Daniel Compagnon, agrégé des universités, est Professeur de science politique à Sciences Po Bordeaux. Il a travaillé en Somalie et au Zimbabwe et publié sur la Corne de l’Afrique et l’Afrique australe, sous l’angle de la comparaison des autoritarismes et de leur économie politique et sous celui des politiques de l’environnement. Ses recherches portent actuellement sur la gouvernance environnementale globale. Son dernier ouvrage est intitulé A Predictable Tragedy: Robert Mugabe and the Collapse of Zimbabwe (Philadelphia, University of Pennsylvania Press, 2010). Yves-André Fauré est Professeur et Directeur du Pôle universitaire guyanais. Il a été enseignant-chercheur à l’Institut d’études politiques de Bordeaux, puis Directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), et a conduit des programmes sur les liens entre politiques économiques et formes politiques en Afrique de l’Ouest (ouvrages principalement publiés aux Éditions Karthala, Paris). Professeur à l’Université fédérale de Rio de Janeiro, il a ensuite mené des recherches sur les économies régionales et le développement local au Brésil (ouvrages publiés chez l’Editora E-Papers, Rio de Janeiro). Il poursuit actuellement des travaux sur les systèmes productifs locaux dans le Nordeste brésilien et dans le bassin amazonien. Mamoudou Gazibo est Professeur agrégé au Département de science politique de l’Université de Montréal (Canada). Il a obtenu son doctorat à l’Université Montesquieu-Bordeaux IV dans la spécialité « politique comparée ». Ses recherches portent sur les processus de démocratisation en Afrique subsaharienne, sur les relations Chine-Afrique ainsi que sur des questions théoriques et méthodologiques en politique comparée. Il a notamment publié à Montréal, Presses de l’Université de Montréal : La politique comparée : fondements, enjeux et approches théoriques, 2004 (avec Jane Jenson) ; Les paradoxes de la démocratisation en Afrique : analyse institutionnelle et stratégique, 2005 ; Introduction à la politique africaine, 2006 (2e éd., 2010) et Le politique en Afrique : état des débats et pistes de recherche, Paris, Éditions Karthala, 2009 (dir., avec Céline Thiriot). Il a également publié de nombreux articles dans des revues universitaires et dans des ouvrages collectifs sur les thématiques énumérées ci-dessus.

Kathleen M. Jennings est chercheuse à l’Institute for Applied International Studies du Fafo à Oslo, Norvège. Ses travaux portent sur les questions liées aux genres, aux opérations des Nations Unies de maintien de la paix et l’usage de la force dans les situations de conflits et post-conflits. Elle a été précédemment directrice adjointe du Norwegian Peacebuilding Center (Oslo), et chercheuse associée auprès du Council on Foreign Relations à Washington (D.C.). Kathleen Jennings a fait ses études à St. Antony’s College, Oxford, et à Stanford University. Alice Sindzingre est Chargée de recherche au Centre national de la recherche scientifique (CNRS, Paris), rattachée à EconomiX, Université Paris X-Nanterre, et Visiting Lecturer à la School of Oriental and African Studies (SOAS, Université de Londres), Département d’économie. Outre ses travaux dans le domaine de l’économie du développement et de l’économie politique de l’Afrique de l’Ouest, elle a publié autour des concepts d’institution, de pauvreté, de corruption et d’État développemental, notamment : “Uncertain Prospects of Commodity-Dependent Developing Countries”, Machiko Nissanke et George Mavrotas (dir.), Commodities, Governance and Economic Development under Globalization, (Basingstoke, Palgrave Macmillan, 2010) et “Financing the Developmental State: Tax and Revenue Issues”, Development Policy Review (25(5), September 2007, p. 615-632). Mahaman Tidjani Alou est titulaire d’un doctorat en science politique et d’une habilitation à diriger des recherches de l’université MontesquieuBordeaux IV. Il est actuellement Professeur agrégé de science politique à l’Université Abdou Moumouni et chercheur au Laboratoire d’études et de recherches sur les dynamiques sociales (LASDEL) de Niamey (République du Niger) qu’il a dirigé pendant plusieurs années. Il a enseigné dans plusieurs universités européennes et participe à de nombreux programmes de recherche internationaux. Ses publications touchent aux questions de coopération internationale, de l’État, ainsi que des pouvoirs locaux en Afrique de l’Ouest et principalement au Niger. Nicolas van de Walle est Professeur de sciences politiques à l’Université de Cornell, à Ithaca, New York. Il est également associé au Center for Global Development à Washington (D.C.). Il est diplômé de l’Université de Princeton (Ph. D., 1990). Ses travaux de recherche sur la politique en

Afrique, l’économie politique du développement et la démocratisation ont fait l’objet de plus de 100  communications et publications. Parmi ses ouvrages, on peut citer, Overcoming Stagnation in Aid-Dependent Countries, 2005 ; African Economies and The Politics of Permanent Crisis, 1979-1999, 2001, et Democratic Experiments in Africa: Regime Transitions in Comparative Perspectives (avec Michael Bratton, 1997).

Introduction Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo

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es références contemporaines au néopatrimonialisme témoignent d’un saisissant contraste entre une diffusion qui confine à l’hégémonie dès lors qu’il s’agit d’analyser les systèmes politiques africains, et les apories de la réflexion comparative sur les usages de ce concept1. Initialement suggéré par Shmuel N. Eisenstadt afin de lever toute ambiguïté sur la distinction entre les régimes patrimoniaux « traditionnels » et « post-traditionnels » modernes 2, l’application du néopatrimonialisme à l’Afrique va bien ­au-delà du cercle des travaux universitaires. Les acteurs du développement, qu’il s’agisse des ONG, des bailleurs de fonds ou encore des instituts de développement, intègrent, depuis plusieurs années explicitement, les références à un concept dont les usages se sont banalisés. Rendre compte de la diversité de sens attribués au néopatrimonialisme selon les auteurs et, partant, des impensés qui en découlent, est à l’origine de cet ouvrage qui entend saluer l’œuvre de Jean-François Médard. Médard fait en effet figure de pionnier lorsqu’il applique le concept à l’étude de l’État sous-développé au Cameroun en 19783. La confusion entre domaine public et domaine privé, qui pour lui constituait l’essence même du néopatrimonialisme4, demeure au cœur du modèle de l’État africain néopatrimonial dont il a largement contribué à préciser les contours et le contenu. Le caractère « endémique » des références au néopatrimonialisme offre un saisissant contraste avec sa faible mobilisation à l’extérieur du



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continent africain. Cette quasi-absence de travaux comparatifs utilisant le néopatrimonialisme comme concept commun est d’autant plus curieuse que le patrimonialisme a, jusqu’au début des années 1980, été d’abord et surtout mobilisé pour étudier des terrains ou des dynamiques qui n’étaient pas spécifiquement africains. Les chapitres de cet ouvrage qui abordent les cas de la Russie et des États postcommunistes d’Europe (chapitre 2) du Brésil (chapitre 11) ou des Philippines (chapitre 10), montrent pourtant que des pratiques qui relèvent du néopatrimonialisme y sont aisément repérables. Le jeu des interactions entre corruption, clientélisme et népotisme va de pair avec l’usage de références spécifiques, tels la notion de « capture » de l’État (Russie), le jeitinho (Brésil) ou le crony capitalism (Asie du Sud-Est). Dès lors que l’on délaisse l’idée que le néopatrimonialisme ne saurait que devenir intégral pour prendre en compte les degrés de différenciation entre normes publiques et privées et, partant, d’intériorisation et de prévalence des premières, le néopatrimonialisme s’avère constituer un étalon de comparaison applicable à un échantillon de pays considérablement plus large. Ce constat est la pierre angulaire de l’approche développée dans cet ouvrage. Le parti pris consistant à contester les versions essentialistes du néopatrimonialisme africain n’est pas sans soulever certaines difficultés. Échapper aux travers du comparatisme plat auquel aurait incité la comparaison entre les seuls pays africains, engendre le risque d’un étirement conceptuel du néopatrimonialisme afin de l’appliquer à des cas potentiellement étrangers à ses logiques, et minorer ainsi les différences qualitatives qui existent d’un cas à l’autre. Le risque d’une élasticité conceptuelle qui le transformerait en une notion « attrape-tout », ne saurait être ignoré. Il fait surtout référence à une critique plus générale qui, longtemps cantonnée aux usages du patrimonialisme dans les années 1970, n’épargne plus le néopatrimonialisme (chapitres 1 et 2). Conscients de ces problèmes méthodologiques, nous n’avons pas moins privilégié une approche qui analyse des différences de réception et les traditions qui y sont associées ; une démarche qui procède de l’œcuménisme dont Jean Blondel s’est fait l’avocat lorsque les objets sur lesquels porte une comparaison ne renvoient pas à une communauté et des traditions de recherche établies5. Le concept de néopatrimonialisme renvoie à des débats canoniques en science politique, et s’inscrit dans des préoccupations empiriques qui ne sont pas le propre d’une aire régionale particulière. Produit de la rencontre

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entre la sociologie wébérienne et des auteurs travaillant sur des aires et dans des disciplines différentes, il présente ainsi un intérêt heuristique toujours renouvelé (chapitre 1). Analyse du sous-­développement, conditions d’émergence du capitalisme, stratégies de conquête et de conservation du pouvoir, explication des déterminants structurels ou stratégiques des conflits dans certains systèmes politiques, place de la corruption dans le fonctionnement des systèmes de légitimation, ne sont que quelquesuns des phénomènes traités par les travaux qui mobilisent le concept de néopatrimonialisme. Il n’est dès lors pas surprenant que cette notion soit devenue incontournable en Afrique. Il n’est toutefois nullement nécessaire d’être un comparatiste pour se rendre compte que les questions abordées se posent aujourd’hui de manière transversale et concernent des contextes qui leur paraissaient étrangers. La question est alors de savoir en quoi le néopatrimonialisme est discriminant. Au-delà de son caractère polysémique, il y a au cœur du néopatrimonialisme un intérêt fondamental pour l’analyse de l’État, notamment la question de sa différenciation par rapport aux intérêts privés. En d’autres termes, le néopatrimonialisme renvoie à des situations caractérisées par l’existence d’un État qui se veut moderne, mais qui, contrairement à l’État bureaucratique wébérien régi par des règles impersonnelles, associe des normes qui sont tout à la fois publiques et privées. Celles-ci sont également « partiellement intériorisées » par les acteurs qui sont ainsi dans un entre-deux. Le néopatrimonialisme ne traduit donc pas l’absence de normes légales ni le règne de la tradition, mais bien un conflit de normes6. De ceci découle une interpénétration constante entre intérêts privés et intérêts publics, la gestion sur un mode privé des fonctions officielles, le népotisme dans le recrutement des fonctionnaires et dans la sélection de l’entourage des officiels, la primauté des loyautés personnelles sur les relations institutionnelles, ainsi qu’une faiblesse corrélative des institutions et du droit qui n’ont pas la capacité d’encadrer le comportement des acteurs. On peut également ajouter à cette liste la faible imputabilité des dirigeants et l’absence d’incitation ou d’obligations à adopter des politiques économiques développementales. Bien que le néopatrimonialisme fasse figure d’expression quintessentielle de l’État africain, confiner l’analyse aux travers du continent n’est plus de mise. Les ONG et think tanks qui proposent, à l’instar de Transparency International ou de la Banque européenne pour la recons-



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truction et le développement (BERD), des évaluations globales de l’intensité de la corruption et des interactions entre milieux politiques et d’affaires soulignent la large diffusion des phénomènes étudiés. L’opération Mani pulite en Italie et les scandales de grande corruption qui se sont multipliés en France dans les années 1980 et 1990, sont aussi venus rappeler que les questions traitées sont indissociables d’une réflexion plus générale sur le devenir de l’État, y compris dans les démocraties occidentales avancées. J.-F. Médard lui-même exprimait, avant sa disparition, le besoin de revisiter les concepts et de les sortir de leur confinement aux terrains africains. Son intérêt pour la grande corruption dans les grandes entreprises et le complexe militaro-industriel français ou les travaux sur la Françafrique7, témoignent de cette ouverture à d’autres terrains que ceux habituellement labourés. Le néopatrimonialisme, ou du moins ce qu’il recouvre sur le plan des dynamiques d’interpénétration et d’enchevêtrement public-privé, ne peut plus être perçu comme l’apanage de sociétés « en développement » et moins encore comme celui des pays africains. Il fait référence à des dynamiques de reconfiguration des fonctions de l’État dans les pays en développement aussi bien que dans les pays industrialisés. Afin de rendre compte de ces questionnements, les contributions présentées dans cet ouvrage sont regroupées en trois parties. La première, consacrée au sens et à la pertinence des concepts, débute par le chapitre de Hinnerk Bruhns qui s’attache au caractère éclaté des références au patrimonialisme dans les écrits de Weber. Il montre en quoi sa typologie est fermée en ce qui a trait aux types purs de domination, mais ne l’est pas quant aux formes empiriques, ce qui légitime l’utilisation du concept de néopatrimonialisme afin de caractériser tout un ensemble de situations contemporaines. H. Bruhns constate une certaine faiblesse de la réflexion conceptuelle tout en reconnaissant l’utilité du concept pour comprendre l’État postcolonial africain ou des formes empiriques de domination en général. Daniel Bach (chapitre 2) souligne lui l’apport fédérateur du néopatrimonialisme tout en critiquant certains usages de cette notion, devenue synonyme en Afrique subsaharienne d’une téléologie du déclin de l’État postcolonial fondée sur une équation entre néopatrimonialisme et patrimonialisation intégrale en son sein. Il en résulte un contraste avec des références au patrimonialisme qui, à l’extérieur du continent, ne sont pas traitées comme « structurellement » incompatibles avec la production

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de politiques publiques (patrimonialisme dans l’État). À partir d’une autre notion clé, celle du « politicien entrepreneur », Daniel Compagnon (chapitre 3) souligne la « banalité » du néopatrimonialisme. Se voulant aux antipodes du culturalisme, il s’inspire du modèle de l’entreprise politique que l’on trouve déjà chez Max Weber pour démontrer son égale pertinence pour analyser des démocraties représentatives occidentales ou des systèmes néopatrimoniaux africains et asiatiques. À travers une étude centrée sur le comportement des acteurs politiques, il ouvre donc largement les vannes de la comparaison. Mamoudou Gazibo (chapitre 4) dissèque, quant à lui, les rapports entre autoritarisme et démocratie. Il démontre, en substituant à des a priori normatifs une approche fondée sur l’exégèse du concept et l’analyse d’expériences empiriques, que les pratiques patrimoniales relèvent historiquement et empiriquement de la règle plus que de la déviance en politique. En réponse à l’interrogation par laquelle s’ouvre le chapitre – « le patrimonialisme est-il soluble dans la démocratie ? » – mieux vaudrait-il donc faire référence à un équilibre fluctuant. Ces fluctuations renvoient elles-mêmes au degré d’institutionnalisation, à l’existence de normes organisant la vie politique sur le plan formel, ou encore à des conduites informelles, constamment résurgentes dans tous les systèmes politiques. M. Gazibo s’appuie sur la littérature comparative des démocratisations de la « troisième vague » – notamment l’idée d’hybridation et de régimes partiels de la démocratie, pour montrer concrètement comment bien des aspects du néopatrimonialisme exercent un impact structurant sur ces nouvelles démocraties et ce, de manière durable. Le dernier chapitre de cette première partie considère la notion de néopatrimonialisme chez les économistes du développement. Leurs travaux, souligne Alice Sindzingre (chapitre 5), ont longtemps mis l’accent sur des variables strictement économiques, mais intègrent de plus en plus fréquemment des variables politiques afin d’expliquer les différences de croissance entre pays. Bien que ce concept ne soit qu’épisodiquement utilisé, A. Sindzingre montre comment il pourrait permettre de mettre à nu les limites de certains concepts économiques utilisés pour comparer les différentiels de croissance entre pays. Les effets du néopatrimonialisme sont pourtant déterminants dans le choix de politiques économiques, l’adhésion aux réformes économiques, le mode d’utilisation des ressources. La seconde partie de l’ouvrage est consacrée à l’évolution des contextes et situations auxquels le néopatrimonialisme a initialement été



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associé en Afrique : transitions démocratiques, luttes armées, substitution de la figure du godfather à celle du big man, et fonctionnement de l’État au quotidien sont ainsi discutés. Nicolas van de Walle ( chapitre 6), dont les travaux ont eu un impact décisif sur la diffusion du concept de ­néopatrimonialisme aux États-Unis, considère celui-ci, ou plus précisément le clientélisme inhérent aux régimes patrimoniaux, comme une variable dépendante des processus de transformation démocratique en cours sur le continent africain. Il propose une distinction cruciale entre trois formes de clientélisme : le tribut, le clientélisme d’élite et le clientélisme de masse. Considérant que les régimes néopatrimoniaux africains pratiquent plutôt un clientélisme d’élite en raison de leur faible capacité fiscale, il émet l’hypothèse qu’au fur et à mesure que celle-ci s’améliorera, on assistera à un recul du néopatrimonialisme. Le clientélisme politique étant constitutif de tous les systèmes politiques, N. van de Walle estime que ce vers quoi on pourrait tendre est une transformation des formes et des fonctions de la corruption, parallèlement à une évolution vers un clientélisme de masse, plus distributif et omniprésent au sein de toutes les démocraties. Morten Bøås et Kathleen M. Jennings ( chapitre 7) s’attachent, pour leur part, à l’étude du développement du phénomène du warlordism depuis les années 1990. Ils tentent de comprendre comment des groupes armés qui luttent au départ contre un État, finissent par reproduire les pratiques qui les ont initialement poussés à prendre les armes. À partir d’une comparaison entre mouvements rebelles en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest, ils montrent en quoi le spectre de l’État néopatrimonial façonne leurs représentations de l’État. Chris Albin-Lackey (chapitre 8) traite également d’un phénomène récent, emblématique du retour du Nigeria à la démocratie depuis 1999  : le godfatherism. Les parrains politiques (ou en politique) sont très différents du big man décrit par Médard à partir du cas d’école de Charles Njonjo, dans le Kenya des années 1980. Leur rapport à l’État et au politique est plus proche des débats asiatiques sur la pénétration de l’État par les milieux d’affaires, où, dans la Russie de Boris Eltsine, sa « capture » par les oligarques. Les parrains nigérians n’ambitionnent pas d’occuper des fonctions politiques eux-mêmes. Ils mettent plutôt leurs ressources – économiques, politiques, coercitives, relationnelles – au service de protégés et de la lutte contre leurs concurrents. Mahaman Tidjani Alou (chapitre 9) dresse enfin une chronique du fonctionnement de l’État néopatrimonial

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au quotidien, à travers le décryptage des rapports entre politiciens, douaniers et milieux marchands en République du Niger. Il montre comment l’État est en permanence contourné et évité, voire exclu de transactions et procédures douanières qu’il a pourtant instituées. À travers cette étude de cas, t­ ransparaît l’image d’un État impuissant à faire prévaloir les normes formelles dont il se prévaut. La troisième et dernière partie de l’ouvrage traite de l’application du néopatrimonialisme à des contextes extra-africains. Dominique Caouette (chapitre 10) aborde la capacité de l’État philippin à produire des politiques publiques dans un contexte où, à l’inverse des États africains, la force sociale dominante dispose de bases économiques indépendantes de l’appareil étatique. Contrairement à un État néopatrimonial de type classique où le contrôle de l’appareil administratif est central, le centre de gravité du pouvoir est à l’extérieur de la bureaucratie, totalement pénétrée et loyale aux intérêts de différentes factions de l’oligarchie terrienne. Les processus électoraux deviennent ainsi des occasions où s’expriment des luttes intra-oligarchiques. Le charisme, l’argent et l’utilisation de la violence s’y entremêlent, non sans rappeler le phénomène des big men. Yves-André Fauré (chapitre 11) propose, quant à lui, une relecture des modes habituels de référence au néopatrimonialisme à travers le cas du Brésil. Il démontre comment l’impressionnante diversité lexicographique et la vitalité des pratiques patrimoniales au sein de l’État, confirment son actualité, sans signifier pour autant la dissolution de ses capacités bureaucratiques. Du jeitinho, qui sert à désigner les arrangements de tous les jours au ­f isiologismo, utilisé pour qualifier le fait d’occuper des fonctions publiques en vue d’en tirer des faveurs, l’empreinte des pratiques patrimoniales est récurrente. Mauro Barisione (chapitre 12) s’interroge plus spécifiquement sur la capacité de la notion de big man, cette figure clé du néopatrimonialisme, à prendre sens dans un contexte européen. La démocratie italienne des vingt dernières années a souvent été présentée comme une sorte de laboratoire politique, au sein duquel certaines tendances communes aux démocraties contemporaines se manifestaient dans leur expression la plus extrême. À la lumière du « cas » Berlusconi, M. Barisione montre comment les pratiques de privatisation du public et de publicisation du privé sont les ingrédients d’une situation plus complexe. Les sources de la légitimation politique de Silvio Berlusconi sont en effet diverses. Elles peuvent être recherchées dans la d ­ imension c­ harismatique suscitée



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par une conjoncture extraordinaire de crise ­nationale, mais également dans les éléments idéologiques et de représentation politique mobilisés à partir d’une structure sociale plus profonde. Daniel Bourmaud (chapitre 13) aborde enfin les rapports entre patrimonialisme et clientélisme dans les relations internationales en proposant une relecture d’un cas d’école, celui des relations franco-africaines sous la Ve République. Il montre comment, pendant près de trois décennies, la politique africaine de la France s’est insérée dans une politique de puissance rendue possible par un système international bipolaire. Depuis une quinzaine d’années, souligne-t-il, la politique africaine de la France s’inscrit dans le cours erratique d’une politique étrangère qui cherche à se redéfinir dans un monde globalisé. Avec la période ouverte suite à la disparition du mur de Berlin, les variables structurelles qui stimulaient la patrimonialisation de la relation franco-africaine ont quasiment disparu. La notion de clientélisme collectif demeure toutefois pertinente pour qualifier l’asymétrie des relations entre acteurs et les avantages réciproques que chacun en retire. Ici, comme dans l’ouvrage en général, la démarche comparative repose sur l’appel à des cas « cliniques », traités dans une perspective plus « généralisante » qu’« individualisante »8. S’il s’agit de montrer en quoi le concept de néopatrimonialisme peut voyager, il est question aussi d’en identifier les limites. Cet ouvrage n’aurait pu voir le jour sans les soutiens matériel et financier accordés par l’Institut d’études politiques de Bordeaux et ses deux centres de recherches, Les Afriques dans le monde (UMR 5115) et l’équipe du Centre Émile-Durkheim (UMR 5116). À Montréal, le soutien de la Faculté des Arts et des sciences et du Département de science politique de l’Université de Montréal a également été décisif. Outre ces institutions, nous souhaitons tout particulièrement remercier Christophe Albouy pour sa disponibilité sans faille, Ndeye Anta Khoudia Ndiaye qui a travaillé sur la première version du manuscrit et Armelle Jézéquel, qui a assuré la préparation du texte final.

Introduction 9

NOTES 1.

2.

3. 4. 5. 6. 7. 8.

Sur les usages endémiques de la notion d’État néopatrimonial, voir par exemple A. Pitcher, M.H. Moran, M. Johnston, “Rethinking Patrimonialism and Neopatrimonialism in Africa”, African Studies Review, 52(1), 2009, p. 125‑156 ; L’Afrique est à l’inverse totalement ignorée par E. Budd, Democratization, Development and the Patrimonial State in the Age of Globalization, New York (MD), Lexington Books, 2004. S. N. Eisenstadt, Traditional Patrimonialism and Modern Neopatrimonialism, Beverly Hills (CA)/London, Sage Publications, coll. “Studies in comparative modernization series, Sage Research Papers in social sciences, no 90‑003”, 1973. J.‑F. Médard, « L’État sous‑développé au Cameroun », Année africaine 1977, Paris, Pédone, 1979, p. 35‑84. J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F.  Médard (dir.), États d’Afrique noire  : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 323‑353. J. Blondel, « Plaidoyer pour une conception œcuménique de l’analyse comparée », Revue internationale de politique comparée, 1(1), 1994, p. 5‑18. J.‑F. Médard, 1979, art. cit. Voir « Bibliographie des travaux de Jean‑François Médard », Revue internationale de politique comparée, 13(4), 2006, p. 711‑715. M. Dogan et D. Pelassy, Sociologie politique comparative : problèmes et perspectives, Paris, Economica, coll. « Politique comparée », 1981, p. 122.

Sens et pertinence des concepts

I

Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines Hinnerk Bruhns

D

epuis une trentaine d’années, les concepts de patrimonialisme et de néopatrimonialisme sont associés à l’analyse de certaines formes de construction étatique et de gouvernance tant en Afrique, qu’en Amérique latine et qu’en Asie. Comme le soulignent les chapitres qui suivent, on cherche ainsi à rendre compte de diverses facettes des obstacles rencontrés sur le chemin de la démocratisation et du développement politique en général. Ces préoccupations remontent au début des années 1970 lorsque, dans un contexte de remise en cause des théories de la modernisation, Shmuel N. Eisenstadt s’interrogeait sur « la justification à utiliser le terme patrimonial – un terme dérivé de l’analyse de systèmes politiques historiques traditionnels  – pour analyser des systèmes politiques modernes. » Et d’ajouter qu’une telle utilisation « pourrait en fait être extrêmement productive… dans la mesure où le terme patrimonial est utilisé pour qualifier non pas tant un niveau de “développement” ou une différenciation entre régimes politiques, qu’une manière particulière d’aborder une question essentielle de la vie politique, un problème susceptible de traverser les différents niveaux de “développement” ou de complexité structurelle ». Dans le même texte, Eisenstadt suggère également de distinguer les régimes patrimoniaux traditionnels des formes de patrimonialisme moderne, à propos desquelles il introduit les concepts de « néopatrimonialisme » et de « régimes post-­patrimoniaux »1. Le distinguo doit au premier chef permettre de mieux saisir les d ­ ifférences



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entre des régimes patrimoniaux antiques et médiévaux d’une part, modernes de l’autre. Pour lui, la différence essentielle entre régimes patrimoniaux et néopatrimoniaux réside « dans les problèmes politiques auxquels étaient respectivement confrontés les régimes traditionnels et modernes, et […] dans la constellation de conditions à même d’assurer la continuité d’un régime patrimonial spécifique »2. Dans les régimes néopatrimoniaux, les liens entre centre et périphérie étaient plus intenses et sollicités. Les conséquences en étaient l’établissement d’un cadre politique plus large et unifié, l’intégration de nouveaux groupes, et l’émergence de nouvelles dimensions d’identités collectives. La tendance expansive de ces régimes les rendait tout à la fois plus fragiles et sujets à des crises. S. N. Eisenstadt réagissait ici à une évolution dans l’emploi du concept de patrimonialisme initialement proposée par Guenther Roth3. Celui-ci avait observé que, dans beaucoup de nouveaux États, la tradition avait perdu sa force légitimatrice sans avoir été remplacée par une modernité légale-rationnelle. En conséquence, des formes de domination personnelle, qui ne correspondaient à aucun des trois types wébériens de légitimité (légal-rationnelle, traditionnelle, charismatique), devaient essentiellement leur maintien à des « incitations et des récompenses matérielles », notamment le clientélisme et la corruption. Pour rendre compte de cette évolution, G. Roth avait suggéré de saisir conceptuellement ces formes de domination en distinguant le patrimonialisme traditionnel d’un patrimonialisme personnalisé, dé-traditionnalisé, ultérieurement dénommé néopatrimonialisme. Depuis, certaines nuances et distinctions ont été introduites dans l’emploi du terme néopatrimonialisme. Un premier exemple en est la définition donnée par Jean-François Médard qui, ­c ontrairement à Eisenstadt, situe la différence dans le fonctionnement interne des deux régimes : La conception néopatrimoniale du pouvoir se situe dans le prolongement historique de la conception patrimoniale traditionnelle, mais ne peut être confondue avec elle, dans la mesure où elle ne s’enracine dans aucune légitimité traditionnelle. Il existe une différence entre les États néopatrimoniaux « rationalisés » c’està-dire régulés par un mode de régulation spécifique fondé sur



Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines

la redistribution particulariste, et les États purement prédateurs et kleptocrates qui débouchent sur une criminalisation et une privatisation de l’État. Ce dernier cas qui rappelle le « sultanisme » de Max Weber, correspond au cas limite et paroxystique du néopatrimonialisme qui détruit l’État dont il se nourrit. C’est le stade ultime du néopatrimonialisme4.

Notre deuxième exemple est tiré d’un texte plus récent dans lequel le problème central des discussions entre Africanistes sur le concept de néopatrimonialisme est ainsi défini : All the attempts to define neopatrimonialism (or « modern patrimonialism ») deal with, and try to tackle, one and the same intricate problem: the relationship between patrimonial domination on the one hand and legal-rational bureaucratic domination on the other, i.e. a very hybrid phenomenon. […] The term clearly is a post-Weberian invention and, as such, a creative mix of two Weberian types of domination: of a traditional subtype, patrimonial domination, and legal-rational bureaucratic domination5.

La différence entre patrimonialisme et néopatrimonialisme se situe pour les auteurs de ce texte dans le rapport privé/public. Dans le patrimonialisme, toutes les relations (politiques et administratives) entre gouvernants et gouvernés sont des relations privées : « il n’y a aucune différenciation entre domaines public et privé ». Dans le ­néopatrimonialisme, la distinction public/privé existe, au moins formellement, et elle est acceptée. L’exercice « néopatrimonial » du pouvoir se fait « dans le cadre et avec la revendication d’un cadre étatique (stateness) moderne de type légal-rationnel »6. Les deux auteurs proposent en conséquence une définition du néopatrimonialisme « tirée des concepts de patrimonialisme et de bureaucratie légale-rationnelle chez Weber ». Le néopatrimonialisme, ajoutent-ils « est le fruit de l’interpénétration de [ces] deux types de domination qui coexistent… »7. Le préfixe « néo » ne doit pas être compris comme un synonyme de « moderne »8. La référence à Weber se lit de façon un peu différente chez Blundo et Médard, qui écrivent, à propos de la nature néopatrimoniale des États africains :

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Cette notion est un prolongement de la notion de domination traditionnelle patrimoniale de Max Weber qui repose sur l’idée de confusion du public et du privé dans un contexte de légitimité traditionnelle. Le recours au préfixe néo- est là pour souligner qu’il ne s’agit plus d’un contexte traditionnel. Nous entendons par État néo-patrimonial le fait que, si l’État est par ses structures formellement différencié de la société, du point de vue de son fonctionnement, les domaines du public et du privé tendent informellement à se confondre. L’État est, en quelque sorte, privatisé à leur profit, par ceux-là même qui y détiennent une position d’autorité, d’abord au sommet de l’État, mais aussi à tous les niveaux de la pyramide étatique. Le dirigeant politique se comporte en chef patrimonial, c’est-à-dire en véritable propriétaire de son royaume9.

L’écart entre ces deux conceptions rappelle le débat des années 1970 : par rapport à la typologie wébérienne, le préfixe « néo » sert-il à indiquer un type différent de régime caractérisé par une interpénétration spécifique d’éléments de légitimité traditionnelle et légal-rationnelle, ou bien s’agit-il de saisir la différence entre des contextes traditionnel et moderne, et l’impact de cette différence sur la nature du régime patrimonial ? Les constants rappels de l’origine wébérienne de ces termes peuvent inciter à constater que le concept de patrimonialisme (ou celui plus récent de néopatrimonialisme) est entré dans le vocabulaire général des sciences sociales et qu’il y a prouvé son utilité. La référence à Weber semble ne plus avoir, la plupart du temps, qu’une fonction légitimatrice, voire purement décorative. Il est vrai que les études récemment consacrées au concept de patrimonialisme dans la sociologie wébérienne sont rares10 et n’ont guère trouvé d’écho auprès des analystes contemporains des régimes néopatrimoniaux. Il s’agit, de toute évidence, de deux domaines de recherche bien distincts : le concept de patrimo­nialisme s’est en quelque sorte autonomisé par rapport à la place et à la fonction que Weber lui avait données dans sa sociologie. Il est des cas, cependant, où, face à la définition mouvante des termes, se manifeste le besoin de revenir à l’origine du concept de patrimonialisme et également au moment de sa réinterprétation en terme de néopatrimonialisme. L’objectif est dès lors de leur redonner un sens



Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines

précis et une véritable fonction instrumentale, dans une situation où les deux termes ont tendance à se transformer en des concepts attrape-tout11. Pour autant, un tel retour à la signification originelle (ou supposée telle) du concept chez Weber n’est pas la chose la plus facile et pose un problème de méthode. Car il ne suffit pas de tirer une définition apparemment univoque du seul texte qui soit généralement cité dans les travaux modernes sur le patrimonialisme et le n ­ éopatrimonialisme : Wirtschaft und Gesellschaft (Économie et société ). En effet, l’emploi du concept de patrimonialisme n’est pas uniforme dans cet ouvrage, et l’analyse de l’évolution de ce concept y est compliquée par le fait que dans les cinq éditions successives de cette œuvre majeure, et par conséquent aussi dans toutes les traductions en langues étrangères existant actuellement, l’ordre des chapitres ne reflète pas les strates chronologiques de la rédaction de cet ensemble de textes, arrangé par Marianne Weber et par Johannes Winckelmann après la mort de Max Weber. Pour s’y retrouver, ainsi que dans des parties de l’œuvre publiées de façon posthume, le lecteur dispose, certes, d’un nombre croissant d’études particulières. Mais celles-ci s’adressent plus à des spécialistes de son œuvre qu’à des utilisateurs « extérieurs » de son appareil conceptuel. Le lecteur non germanophone demeure, en outre, dépendant de traductions qui, en raison de nombreuses imprécisions, voire d’erreurs, ne facilitent pas toujours la compréhension des textes. Une étude approfondie de l’emploi du concept de patrimonialisme par Weber se devrait de prendre également en compte d’autres écrits, en particulier la grande étude que l’auteur a consacrée au système politique, social et économique chinois, Confucianisme et taoïsme. Dans ce texte, peu lu par les chercheurs qui s’intéressent aux régimes (néo) patrimoniaux contemporains, il a utilisé très fréquemment le concept de patrimonialisme12. Pour toutes ces raisons, il ne semble pas inutile de retracer rapidement la manière dont M. Weber a introduit et utilisé le concept de patrimonialisme dans ses écrits de sociologie systématique et historique. Il ne s’agit point de préconiser ici un « retour aux textes » qui chercherait à opposer une quelconque orthodoxie wébérienne à ses interprètes modernes, mais plus simplement d’une tentative modeste d’apporter aux débats en cours quelques éléments d’information et de méthode qui pourraient s’avérer utiles.

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LES CONCEP TS DE PATRIMONIALISME ET DE DOMINATION PATRIMONIALE CHEZ WEBER

Max Weber n’a pas inventé le concept de patrimonialisme (Patrimonialismus), ni d’ailleurs celui de domination patrimoniale (Patrimonialherrschaft). Ce sont des termes qui, dans les États allemands du xixe  siècle font partie du vocabulaire de la réaction politique, des conservateurs. On les trouve, dans la théorie politique et dans des textes politiques allemands tout au long du xixe siècle, et l’auteur rappelle que « le concept lui-même provient (dans sa formulation conséquente) de la restauration de la science politique (Staatswissenschaft) due à Haller »13. L’usage que M. Weber fait du terme de patrimonialisme et de ses dérivés reflète, dans un premier temps, l’idée des théoriciens politiques et historiens du droit du xixe siècle qui instituaient une relation génétique entre patriarcalisme et patrimonialisme14. Dans ce sens, la domination patrimoniale correspond à une décentralisation de la communauté d’oikos15. C’est l’important ouvrage du médiéviste Georg von Below, Der Deutsche Staat des Mittelalters, paru en 1914, qui amène M. Weber à introduire une distinction nette entre patriarcalisme et patrimonialisme, c’est-à-dire entre le niveau de la « maison » et celui du groupement politique16. Défendant l’idée d’un « État » allemand médiéval, von Below s’était opposé à des théories évolutionnistes contemporaines, et notamment à celle de Karl Lamprecht pour qui la Landesherrschaft, la domination politique sur les territoires allemands, avait son origine dans la seigneurie foncière, donc dans des rapports de droit privé et patrimoniaux. Avant les années 1910, époque à partir de laquelle Weber entreprend à la fois ses travaux pour la rédaction d’Économie et société et ses études sur L’éthique économique des religions mondiales, les occurrences du terme de patrimonialisme n’y sont pas très nombreuses. On trouve, par exemple, la notion de juridiction ­patrimoniale (Patrimonialgerichtsbarkeit) dans ses écrits sur la Prusse, ou encore le terme latin de patrimonium (patrimoine) dans ses études sur l’histoire agraire romaine. Dans la troisième version des Agrarverhältnisse im Altertum (1909), Weber emploie la notion de droit patrimonial des seigneurs (patrimoniales Herrschaftsrecht) et constate, par exemple, que « le despote [contrairement au roi bureaucratique] a un intérêt politique (comme Napoléon l’a encore montré) à ce qu’aucun droit de domination patrimoniale fondé sur la possession des terres ne puisse se constituer sans un accord explicite venant de lui »17. Dans la partie de l’œuvre que l’on peut



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actuellement consulter sous forme numérisée18, on trouve 68 occurrences de l’adjectif patrimonial, 107 occurrences de Patrimonialismus, 18 de patrimoniale Herrschaft ou Patrimonialherrschaft. Le Patrimonialstaat apparaît 20 fois, et le Patrimonialbeamtentum (fonctionnariat patrimonial) 4 fois, sans compter d’autres mots composés à partir de Patrimonial. Dans Économie et société, les évocations du patrimonialisme doivent être abordées en fonction de leur date de rédaction. Deux ensembles, que l’on dénommera A et B, peuvent être distingués. Ce classement, il faut le souligner, ne correspond pas à l’ordre des chapitres dans les éditions étudiées depuis plus de quatre-vingts ans. Les textes sur la « Sociologie de la domination » (Soziologie der Herrschaft) ont été rédigés avant la Première Guerre mondiale et figurent dans la seconde partie d’Économie et société, qui n’est toujours pas entièrement traduite en français 19. La première partie de l’ouvrage, Catégories de la sociologie (Soziologische Kategorienlehre), en revanche, date des années 1919-1920. Elle comprend trois chapitres : (1) Les concepts fondamentaux de la sociologie, (2) Les catégories sociologiques fondamentales de l’économique, (3) Les types de domination. Dans son plan d ­ ’ensemble de l’ouvrage, Weber avait placé ces textes plus tardifs, qui ont un caractère systématique, avant ceux rédigés avant la guerre qui relèvent davantage de la sociologie historique. On ­dispose ­désormais d’une présentation plus complète des différentes versions et stades de rédaction de la Herrschaftssoziologie grâce à un travail récent d’Edith Hanke (2001). Elle y distingue huit strates de rédaction. Je me contenterai toutefois d’indiquer ici les principales différences entre les deux strates chronologiques majeures des manuscrits d’Économie et société. On peut y observer une évolution et une modification dans l’usage et la portée du concept de patrimonialisme20. Dans la version la plus ancienne du texte (A), les concepts de patriarcalisme et patrimonialisme sont utilisés de façon à suggérer clairement une relation génétique entre les deux phénomènes qu’ils désignent. Dans la version ultérieure (B), en revanche, M. Weber ne parle plus d’une version patriarcale du patrimonialisme. Il opère une distinction claire entre (i) le patriarcalisme primaire, principe structurel qui se rapporte à la maisonnée (Hausverband ou oikos) et (ii) le patrimonialisme en tant que forme de domination politique. Les différences dans la conceptualisation se combinent ensuite avec des questionnements différents entre les deux versions de la sociologie de la domination qui figurent dans Économie et société. Dans la partie plus

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ancienne du texte (Soziologie der Herrschaft), la question directrice est : comment la domination fonctionne-t-elle ? Dans la partie plus récente (Typen der Herrschaft), la question est : comment la domination se légitime-t-elle ?21 Ce sont des questionnements structurants, même si Weber lui-même ne les distingue pas toujours avec une clarté absolue dans ses efforts de catégorisation et de construction de typologies. On peut concéder que tout cela n’a pas une grande importance pour l’utilisateur ordinaire du concept de patrimonialisme. Mais, il devrait en être autrement dès lors qu’il s’agit de remettre à plat l’histoire du concept. C’est pourquoi nous allons esquisser ci-dessous à grands traits l’argumentation de Weber, à partir de l’identification de diverses thématiques pertinentes et en suivant l’ordre chronologique de la rédaction de ses textes. On évoquera donc successivement la filiation des contributions présentées dans « La sociologie de la domination » (regroupées dans Économie et société, 2e partie), avant de présenter les types de domination qui figurent dans « Les catégories de la sociologie » (Économie et société, 1re partie). La sociologie de la domination La Herrschaftssoziologie (« Sociologie de la domination ») a été rédigée pour l’essentiel entre 1911 et 1914. Dans les éditions courantes, elle comprend huit grandes sections, allant d’un chapitre sur les formes structurelles de la domination à la sociologie de l’État, en passant par la bureaucratie, la domination patriarcale et patrimoniale, la domination charismatique, les dominations politique et hiérocratique, et la « domination non légitime (typologie des villes) ». Dans l’édition critique des œuvres de Weber, qui est en cours de publication, cette disposition est abandonnée, et le volume intitulé Domination ne comprendra ni le texte sur « La Ville » (déjà publié à part, dans un volume séparé), ni « La sociologie de l’État »22. Les deux formes de domination traitées dans la section « Domination patriarcale et patrimoniale » représentent pour Weber les deux grands principes structurels prébureaucratiques. La domination patrimoniale est née sur le sol de l’oikos ; elle constitue un cas particulier de la domination patriarcale. Weber la définit comme  : « le pouvoir de chef de maison, décentralisé par le moyen de l’attribution de terres, et éventuellement d’instruments et d’équipements, à des fils de maison ou d’autres personnes dépendantes appartenant à la maison »23, puis il souligne que



Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines

« des rapports patrimoniaux de domination ont eu une portée extraordinaire comme fondement d’entités politiques (Égypte, Chine) »24. Et d’ajouter : Nous parlons d’une entité patrimoniale-étatique là où le prince organise son pouvoir politique – donc sa domination non-domaniale basée sur l’utilisation de contrainte physique à l’encontre des dominés – sur des territoires et des personnes extrapatrimoniales : les sujets politiques, en principe de la même façon qu’il organise l’exercice de son pouvoir patriarcal (Hausgewalt)25.

Dans la suite du texte, il passe à des analyses historiques, et étudie la naissance des fonctionnaires et des offices patrimoniaux (patrimoniale Ämter), en insistant sur la différence avec la bureaucratie moderne26. Il s’intéresse à la première administration patrimoniale-bureaucratique (patrimonial-bürokratische Verwaltung) « réalisée de façon totalement conséquente », celle de l’Égypte ancienne27 avant d’aborder un cas très différent : l’Empire chinois28, puis Rome, l’Europe moderne, etc. Dans la section suivante (Féodalisme, Ständestaat  – État fondé sur les corps  – et patrimonialisme), Weber aborde le patrimonialisme sous différents angles. Il établit une première distinction entre, d’une part, le féodalisme et, d’autre part, le patrimonialisme « pur », caractérisé par l’importance de l’arbitraire et, par conséquent, par le manque de stabilité des positions de pouvoir. Le féodalisme est considéré comme un cas limite de patrimonialisme, du fait d’une tendance à la stéréotypisation et à la fixation des rapports entre suzerains et vassaux 29. L’auteur envisage le passage du patrimonialisme féodal à la bureaucratie : la transition de l’office (Amt) patrimonial à la fonction bureaucratique est fluide (flüssig), car elle implique en général des formes d’administration occasionnelle (Gelegenheitsverwaltung) et le favoritisme (Günstlingswesen), auxquels le patrimonialisme offre « par son principe structurel » un « lieu spécifique du développement »30. De longs développements sont ensuite consacrés aux rapports entre patrimonialisme et économie, d’une part, patrimonialisme et conduite de vie d’autre part. Le patrimonialisme patriarcal et le féodalisme favorisaient des idéologies politiques et sociales divergentes et, par là, des conduites de vie très différentes31.

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Ces développements sont suivis par une section intitulée « La domination non légitime (Typologie des villes) ». Il s’agit en fait de l’essai connu sous le titre La Ville 32. C’est là que figurent les premiers grands développements de Weber sur la bureaucratie et le bureaucratisme patrimoniaux (Patrimonialbureaukratie et Patrimonialbureaukratismus). Il utilise ici ces termes afin de caractériser tout aussi bien des phénomènes comme l’administration des magasins à l’époque mycénienne que pour évoquer la nature de l’État continental moderne – à l’exception de l’Angleterre où, en raison du statut différent des villes, une bureaucratie patrimoniale ne s’était pas développée33. Une place plus importante encore est faite au patrimonialisme, à l’État patrimonial et à la bureaucratie patrimoniale dans Confucianisme et taoïsme34 dont la première version fut rédigée à la même période que les parties les plus anciennes d’Économie et société et que le texte inachevé La Ville. Weber n’y donne toutefois aucune définition du patrimonialisme qu’il se contente de qualifier de « … structure qui détermina fondamentalement l’esprit du confucianisme »35. Lorsqu’il évoque les incidences économiques de la bureaucratie patrimoniale, il entend montrer que la spéculation sur les chances d’une exploitation purement politique des charges officielles avait pour conséquence que ce n’était pas « l’acquisition essentiellement rationnelle qui dominait l’accumulation des fortunes, en particulier celle du sol, mais, avant tout, un capitalisme prédateur de politique intérieure… » (innenpolitischer Beutekapitalismus)36. Nous avons indiqué plus haut que la question directrice de la sociologie de la domination est celle du fonctionnement de la domination. Parallèlement, M. Weber réfléchit aux fondements des différentes formes de domination ; il élabore ainsi sa fameuse théorie des trois types purs de domination légitime. Les types de domination Weber rédige plusieurs versions de sa typologie des trois types purs de domination légitime. Les trois premières versions sont relativement brèves et datent d’avant la Première Guerre mondiale. À l’instar des chapitres sur la sociologie de la domination, le patrimonialisme y apparaît principalement comme une variante du patriarcalisme, considéré comme la forme la plus importante de la domination traditionnelle37. Nous nous



Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines

concentrons ici sur la version la plus récente, rédigée après la fin de la Première Guerre mondiale, et qu’il place au début de Wirtschaft und Gesellschaft. Notons tout d’abord que le chapitre en question (chapitre III) est intitulé « Les types de domination », et non « Les trois types purs de domination légitime ». Ceux-ci sont l’objet d’un paragraphe particulier à l’intérieur du chapitre I, intitulé « Les fondements de la légitimité » (Die Legitimitätsgeltung : La validité de la légitimité). Cette notion ainsi que celles de croyance en la légitimité (Legitimitätsglaube) et de revendication de légitimité (Legitimitätsanspruch) y sont traitées comme des éléments supplémentaires, généralement nécessaires afin de garantir une stabilité de la domination (Herrschaft). Selon Weber, le type d’obéissance et de direction administrative (Verwaltungsstab) nécessaire à l’exercice de la domination, et le caractère de celle-ci se différencient en fonction de la nature de la légitimité revendiquée. Pour cette raison, il lui semble approprié d’en distinguer les formes en fonction de la revendication de légitimité qui leur est propre38. Il s’agit bien là d’une distinction idéaltypique : Weber identifie trois types de domination légitime dont il cherche à qualifier les fondements. La domination peut être à caractère rationnel, traditionnel ou charismatique. La relation de domination qui est au centre de sa préoccupation est celle qui s’établit entre le seigneur et la direction, ou l’état-major administratif (Verwaltungsstab), puis, en second lieu seulement, entre l’appareil du pouvoir et la masse des dominés. La logique de cette démarche découle de son approche générale qui, dans cette partie de l’œuvre, met l’accent sur la sociologie de l’action. Il s’agit de déterminer la nature de l’obéissance et de la foi en des légitimités (idéaltypiques) qui, dans leur forme « pure », n’existent pas dans la réalité historique. Toutefois, pour Weber, ces trois types purs ne constituent pas le seul mode d’analyse des formes de domination. Il précise ainsi que la direction administrative (Verwaltungsstab) qui est nécessaire pour l’exercice effectif d’une domination : … peut être astreinte à obéir au (ou aux) détenteur(s) du pouvoir par la seule coutume, ou par des motifs purement affectifs, ou encore par des intérêts matériels ou des mobiles idéaux (rationnels en valeur) [wertrational]. La nature de ces motifs détermine en une large mesure le type de domination. Des motifs strictement matériels et rationnels en finalité [zweckrational ], d’alliance entre le détenteur du pouvoir et la

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direction administrative signifient une permanence relativement instable de celle-ci. [...] Mais coutume ou intérêts ne peuvent, pas plus que des motifs d’alliance strictement affectuels ou strictement rationnels en valeur, établir les fondements sûrs d’une domination. Un facteur décisif plus large s’y ajoute normalement : la croyance en la légitimité39.

Comme nous l’avons rappelé, Weber fonde son analyse de la domination, et dans un second temps ses typologies, sur la nature de la relation entre le détenteur du pouvoir et le Verwaltungsstab. L’analyse en termes de légitimité vise les dominations stables, à fondements sûrs. Les dominations « illégitimes » ou non légitimes sont considérées comme instables car elles ne reposent pas (outre d’autres motifs) sur une croyance en la légitimité. La discussion des types de domination ( chapitre III ) n’est que partiellement structurée en fonction des trois types de légitimité. Pour Weber, le critère de légitimité n’a qu’une fonction complémentaire, bien que décisive, pour l’analyse des formes de domination. Il n’en fait donc pas l’unique principe structurant. Les trois types sont eux-mêmes traités et subdivisés en sous-types, non pas en fonction du même critère de Legitimitätsgeltung, mais en fonction de critères de natures différentes. C’est ainsi que le terme de « domination rationnelle » disparaît du titre du chapitre correspondant dont l’intitulé devient « La domination légale avec direction administrative bureaucratique » (Die legale Herrschaft mit bürokratischem Verwaltungsstab). Puis, l’auteur traite  – apparemment  – sur le même plan que la domination traditionnelle ou charismatique, le féodalisme, la collégialité et la séparation des pouvoirs, les partis, la représentation, et d’autres phénomènes. Le terme de patrimonialisme apparaît, sans avoir fait l’objet d’une définition préalable, dans le chapitre sur la domination traditionnelle (Traditionale Herrschaft). Comme c’est le cas partout ailleurs dans la Soziologische Kategorienlehre, mais aussi dans de nombreux autres textes, la démarche de Weber consiste à établir des typologies et à préciser des concepts pour les rendre opérationnels. À propos de la domination traditionnelle, il introduit d’abord une distinction qui lui paraît fondamentale40 entre domination traditionnelle sans direction administrative et domination traditionnelle avec direction administrative. La première est divisée en deux sous-types, la gérontocratie et le patriarcalisme primaire.



Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines

La seconde peut reposer sur un recrutement traditionnel, c’est-à-dire patrimonial (Weber énumère six sous-types différents  : membres de la parentèle, esclaves, serfs, fonctionnaires domestiques, en particulier « ministériaux », clients, colons, affranchis), ou un recrutement extra­ patrimonial. Il identifie trois cas de recrutement extrapatrimonial, respectivement fondés sur la base de rapports personnels de confiance (c’est le cas des « favoris » libres), sur la base d’un lien ou d’un pacte de fidélité avec celui qui est légitimé comme seigneur (la vassalité) et enfin le recrutement de fonctionnaires libres qui entrent dans une relation de respect ou de piété vis-à-vis du seigneur. Max Weber insiste sur le lien entre patrimonialisme et bureaucratie  : « En Chine comme en Europe, la clientèle royale a été la source du fonctionnariat patrimonial. La “bureaucratie” a son origine première dans les États patrimoniaux, dans le fonctionnariat recruté d’une façon extra­patrimoniale. Mais ces fonctionnaires étaient avant tout […] des serviteurs personnels du seigneur »41. Pour lui, ce lien est essentiel  : « Avec l’apparition d’une direction administrative (et militaire) purement personnelle du seigneur, toute domination traditionnelle incline au patrimonialisme et, dans le degré maximal du pouvoir seigneurial, au sultanisme »42. Puis succède la définition de ces deux types : On appellera domination patrimoniale toute domination orientée principalement dans le sens de la tradition, mais exercée en vertu d’un droit personnel absolu ; sultanique, une domination patrimoniale qui, dans la manière dont elle est administrée, se meut principalement dans la sphère de l’arbitraire non lié à la tradition. La distinction est tout à fait fluide. C’est par l’existence de la direction administrative personnelle que les deux types de domination, donc également le sultanisme, se séparent du patriarcalisme primaire43.

Une nouvelle distinction est introduite ensuite qui montre bien que ces types et catégories sont élaborés à partir du matériau historique : On appellera domination d’un ordre (ständisch) cette forme de domination patrimoniale dans laquelle certains pouvoirs du seigneur et les chances économiques qui y correspondent sont appropriés par la direction administrative44.

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Weber propose ensuite une longue liste de distinctions en prenant comme critère discriminant la question de déterminer qui s’approprie ces opportunités, comment se fait l’appropriation, quels en sont les objets, et ainsi de suite. La dernière partie du chapitre traite de façon détaillée de la question des effets de la domination traditionnelle, et en particulier du patrimonialisme, sur la nature de l’activité économique45. Ces incidences sur l’économie, souligne Weber, dépendent tout d’abord du type de financement du groupement de domination46. Et il ajoute toute une série de distinctions, de catégories, de types. En second lieu intervient la nature de l’administration patrimoniale : « Le patrimonialisme normal ne cause pas seulement des retards à l’économie rationnelle par sa politique financière, mais aussi et surtout par le caractère général de son administration »47. Ceci tient notamment au traditionalisme inhérent au patrimonialisme qui gêne l’élaboration de règlements formellement rationnels. À ceci s’ajoutent l’absence de spécialisation des fonctionnaires, puis le vaste domaine de l’arbitraire matériel et du favoritisme purement personnel du seigneur et de la direction administrative. Le mode de validité de la légitimité, la nature de son fondement tend enfin à réguler l’économie selon une orientation matérielle (orientée « vers des idéaux “culturels”, utilitaires, éthico-sociaux ou matériels ») et non formelle (dans le sens d’une rationalité formelle orientée vers le droit « positif »). En conséquence, la domination de pouvoirs patrimoniaux « normaux », n’est pas incompatible avec des formes de capitalisme liées au commerce, au fermage des impôts, à l’enrichissement de fournisseurs d’État, au financement de guerres, et éventuellement au capitalisme des plantations et au capitalisme colonial. Toutefois demeure exclu le capitalisme d’entreprise, organisée rationnellement avec capital fixe, orienté vers le marché des consommateurs privés et opérant sur un marché du travail (formellement) libre. Weber s’empresse néanmoins de préciser que « cela n’est fondamentalement différent que là où le seigneur patrimonial a recours, pour ses intérêts personnels, financiers et de puissance, à une administration rationnelle et à des fonctionnaires spécialisés »48. Dans cette version ultérieure de la sociologie de la domination, Weber distingue donc clairement le patriarcalisme primaire comme principe structurant de l’oikos, d’un côté, du patrimonialisme en tant que forme de domination politique dans laquelle « […] les droits seigneuriaux et les chances qui y sont rattachées […] sont traités par principe à la manière de



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chances privées »49. Concernant les différenciations internes de ce type de domination, les modifications par rapport à la version plus ancienne sont mineures50. Lorsque la personnalisation maximale des liens avec l’appareil administratif permet d’étendre le champ de l’arbitraire, le patrimonialisme pur prend la forme extrême du sultanisme. Si le seigneur perd le contrôle de la direction administrative, nous sommes dans un cas de « ständischer Patrimonialismus » (patrimonialisme de corps). L’auteur distingue deux types de configurations : le prébendalisme si le seigneur, en contrepartie des services militaires ou administratifs, doit céder aux membres de la direction administrative uniquement des droits économiques ; le féodalisme s’il doit également leur céder des droits seigneuriaux. Dans ses analyses de configurations et régimes politiques historiques et contemporains, Weber ne fait jamais du terme « patrimonialisme » un instrument conceptuel isolé, défini de façon univoque par un seul critère déterminant, mais l’insère dans un, voire des systèmes conceptuels et dans des typologies qui répondent à la variété et à la richesse de situations empiriques. Cette dimension disparaît presque entièrement dans les ­références s­ ouvent réductrices à cet auteur que l’on rencontre dans des travaux récents sur le (néo)patrimonialisme. Si l’on accepte la logique des typologies wébériennes, et en particulier celle de l’idéal type, il est évident que, dans la réalité empirique, historique ou contemporaine, toutes les formes de domination existantes sont des mélanges de différents types « purs » de domination : « Un État “patrimonial” de type idéal absolument pur n’a jamais existé historiquement.51 » Si, comme dans certains chapitres d’Économie et société, le critère de classification est la nature de la légitimité revendiquée, la question principale est de savoir si la typologie de Weber (avec ses sous-types et ses croisements) est suffisante afin d’analyser non seulement les configurations historiques à partir de l’analyse desquelles il a construit sa propre typologie et ses concepts, mais de rendre compte, également, de situations contemporaines inédites. D’un point de vue pragmatique, on pourra donc se poser la question de savoir si la liste des sous-types de la domination traditionnelle qu’il élabore (entre autres : patriarcalisme, patrimonialisme, sultanisme) devrait être complétée par d’autres sous-types, sur la base de données et de configurations empiriques nouvelles. Si la typologie des « trois types purs de domination légitime » a, chez Weber, toutes les apparences d’une typologie fermée, la liste des

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sous-types, en revanche, celles des formes empiriques de domination, conceptuellement issues de mélanges entre des éléments de deux, voire de trois « types purs », est par définition ouverte. Dès lors, rien ne s’opposerait à appeler néopatrimonialisme une forme particulière de combinaison d’éléments du type traditionnel (patrimonial) et du type légal-rationnel, voire du type charismatique, c’est-à-dire une combinaison d’éléments de deux ou de trois types que Weber n’a pas traitée dans ses enquêtes de sociologie historique. La distinction opérée par certains auteurs modernes entre patrimonialisme et néopatrimonialisme en fonction de la nature et du contexte du rapport privé/public correspond, certes, à la logique de la typologie wébérienne, mais elle gagnerait à être repensée en termes de processus et de dynamique. C’est ce qu’a fait Jean-François Médard en proposant de réserver le concept de néopatrimonialisme à des formes d’État qui, à la différence de l’évolution européenne, sont le produit de « deux processus de bureaucratisation et de patrimonialisation [qui] sont allés de pair et sont intimement liés. » Il complétait ainsi l’idée wébérienne de patrimonialisme bureaucratique par celle de bureaucratie patrimonialisée52. La proposition de G. Roth, évoquée au début de ce chapitre, de distinguer le patrimonialisme traditionnel d’un patrimonialisme personnalisé, dé-traditionnalisé, proposition qui a servi de fondement initial au concept de néopatrimonialisme semble toutefois contraire à la logique de la typologie de Weber. Comme le constate Stefan Breuer cette conceptualisation mélange ce que Weber avait soigneusement séparé  : la domination légitime et la domination illégitime ou non légitime53. Comme nous l’avons vu, le critère principal de la typologie wébérienne est la Legitimitätsgeltung, le fondement de légitimité. La domination néopatrimoniale, dans le sens où l’entendait G. Roth, peut se maintenir un certain temps grâce à des soutiens acquis. Elle peut également générer de nouveaux soutiens, mais pas de foi en une légitimité. Comme le remarque S. Breuer, pour des formes de domination personnelle dans des États constitutionnels plus ou moins rationalisés, la sociologie wébérienne offre le concept de démocratie plébiscitaire. Mais celle-ci repose sur une foi spécifique en une légitimité (spezif ischer Legitimitätsglauben,) qui ne se contente pas uniquement de la coutume ou de l’intérêt, « pas plus que de[s] motifs d’alliance strictement affectifs ou strictement rationnels en valeurs »54. Tel n’est pas le cas du néopatrimonialisme.



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Pour un observateur extérieur, lecteur occasionnel des travaux sur le (néo)patrimonialisme en Afrique ou ailleurs, la référence aux travaux de Weber suscite trois séries de remarques. La ­première concerne le choix des textes que l’on consulte. Quand on cite Weber de première main, ce qui est loin d’être le cas le plus fréquent, on se rapporte en général toujours aux mêmes passages, soucieux d’y trouver des définitions univoques, utilisables dans des contextes divers. Weber traite pourtant du patrimonialisme à maints endroits de son œuvre, et le lecteur pourrait y trouver de nombreux éléments de comparaison, ainsi que des modèles (pas forcément à imiter ou à reprendre tels quels) de constructions conceptuelles. Ces éléments et ces modèles pourraient enrichir les discussions actuelles autour du concept de néopatrimonialisme et ses liens avec des phénomènes comme la corruption, le clientélisme, ou encore des formes particulières de bureaucratie. Le second point concerne la nature même du travail conceptuel. Weber s’était exprimé très clairement sur ce point, et il ne me semble pas inutile de citer ces lignes écrites en 1904 : L’Histoire des sciences de la vie sociale est et reste donc une continuelle alternance entre des tentatives,  – [1] d’ordonner, en pensée, les faits par la construction de concepts, – [2] de dissoudre les représentations ainsi construites en élargissant et en déplaçant l’horizon scientifique, et – [3] de construire de nouveaux concepts sur la base ainsi modifiée. Ce n’est pas en quelque sorte le caractère défectueux de la tentative de construire des systèmes conceptuels qui s’exprime alors  :  – toute science y compris la simple histoire descriptive, travaille avec les concepts disponibles à son époque –, ce qui se manifeste alors, c’est le fait que dans les sciences de la culture humaine, la construction de concepts dépend de la position des problèmes, et que cette dernière est susceptible de se modifier avec le contenu de la culture55.

On pourrait lire cette phrase comme une simple (toutefois très forte) justification des tentatives récentes ou actuelles de redéfinir le concept de patrimonialisme (pour rester dans le cadre de notre exemple). Mais il y a plus : Weber insiste sur les « systèmes conceptuels », et c’est cette dimension qui me semble être négligée dans les discussions sur patrimonialisme/­ néopatrimonialisme. Pourtant, elle n’était pas absente de l’ouvrage

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d’Eisenstadt Traditional Patrimonialism and Modern Neopatrimonialism (1973). Le troisième aspect concerne l’utilisation de la notion d’idéal-type. Nous avons rappelé plus haut que certains auteurs apprécient l’idéal-type wébérien « en raison de sa généralité » et que, dans cette optique, « le patrimonialisme, comme type idéal, constituerait le commun dénominateur de pratiques très diverses, caractéristiques de la politique africaine »56. Ce qui ne veut pas dire que de telles préoccupations et réflexions soient absentes de la littérature sur le néopatrimonialisme, au contraire. En 1991, J.-F. Médard avait passé en revue, sur fond de sa propre lecture de M. Weber, toute une série d’approches conceptuelles de la domination patrimoniale et du néopatrimonialisme, ainsi que de critiques de l’utilisation de ces concepts dans l’analyse des États africains contemporains. En conclusion, il reprochait à certains auteurs de n’avoir compris « ni ce qui constitue l’essence du patrimonialisme, à savoir la confusion du public et du privé, et ce qu’une telle définition implique, ni en quoi consiste l’usage d’un type idéal57. » Cette discussion mériterait d’être reprise et approfondie. Car, même chez cet auteur, il y a des risques de confusion à propos de l’idéal-type et de la différence entre patrimonialisme et néopatrimonialisme. L’idéal-type wébérien serait utile et éclairant en raison de sa généralité. Le patrimonialisme, comme type idéal, constituerait le commun dénominateur de pratiques très diverses, caractéristiques de la politique africaine  : népotisme, clanisme, tribalisme, régionalisme, clientélisme, copinage, patronage, prébendalisme, corruption, prédation, factionnalisme, etc.58 Le concept « a le mérite de permettre simplement de rendre compte de la logique commune à l’ensemble de ces pratiques, sans s’enfermer dans un seul type de société. » Répondant à un de ses critiques, Médard concédait avoir pu faire une confusion « entre un type idéal et un type mixte. Le type idéal, c’est le patrimonialisme, alors que le néo-patrimonialisme est un type mixte59 ». Or, sans aller dans le détail, rappelons que pour Weber : On obtient un idéal type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue en enchaînant une multitude de phénomènes donnés isolément, diffus et discrets, que l’on trouve tantôt en grand nombre, tantôt en petit nombre et par endroits pas du tout, qu’on ordonne selon les précédents points de vue choisis unilatéralement, pour



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former un tableau de pensée homogène. On ne trouvera nulle part empiriquement un pareil tableau dans sa pureté conceptuelle : il est une utopie60.

C’est la problématique de recherche qui définit quel point de vue est accentué unilatéralement et comment est construit l’idéal-type. On le voit bien dans le chapitre intitulé « Les types de domination », dans Économie et société. L’accentuation unilatérale ne concerne pas les mêmes points de vue quand il s’agit de la trilogie des types purs de domination légitime, ou quand il s’agit de construire des sous-types de la domination traditionnelle, dont la domination patrimoniale, ou enfin des sous-types de celle-ci. L’idéal type est le contraire d’un type général et ne peut être le commun dénominateur d’une variété de phénomènes. Quant aux types mixtes, ils sont ce que l’on trouve dans la réalité historique. Dire « que les États africains sont en général plus néo-­patrimoniaux que patrimoniaux dans la mesure où ils sont des types mixtes, mélangeant dans une combinaison complexe et instable des traits traditionnels et des traits modernes (et notamment bureaucratiques) […]61 », est, certes, une proposition désormais c­ ouramment acceptée par les travaux sur l’État (néo) patrimonial africain. Bien que du point de vue de la conceptualisation wébérienne des types de domination, une telle proposition puisse poser problème, l’utilité du concept de (néo)patrimonialisme pour l’analyse des mécanismes et fonctionnement de l’État africain postcolonial ne saurait être minimisée. A condition toutefois, qu’il soit clairement défini et que la référence à Max Weber soit accompagnée d’une discussion critique de sa typologie et n’ait pas uniquement une fonction légitimatrice. NOTES   1. S. N. Eisenstadt, 1973, op. cit., p. 13 et 46.   2. Ibid., p. 50.   3. G. Roth, “Personal Rulership, Patrimonialism, and Empire-Building in the New States”, World Politics, 20(2), 1968, p. 194-206.   4. J.-F. Médard, De la démocratie en Afrique, Ms, 1999, p. 15.   5. G. Erdmann and U. Engel, Neopatrimonialism Revisited – Beyond a Catch-All Concept (GIGA-WP-16), German Institute of Global and Area Studies/ Leibniz-Institut für Globale und Regionale Studien, February 2006,

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p. 17 ; voir G. Erdmann and U. Engel, “Neopatrimonialism Reconsidered: Critical Review and Elaboration of an Elusive Concept, Commonwealth & Comparative Politics, 45(1), February 2007, p. 104. G. Erdmann and U. Engel, 2007, op. cit., p. 18. Idem. Idid., p. 30. G. Blundo et J.-F. Médard, La corruption en Afrique francophone, Ms, 2002, p. 10-11. Voir les travaux de A. Anter, H. Bruhns et P. Duran, ainsi que ceux de A. Zingerle, F. Bünger, S. Breuer, H. Schmidt-Glinzer et S. Hermes cités dans la bibliographie en fin d’ouvrage. Voir la critique de R. Theobald, parue dans la revue où G. Roth avait lancé le débat en 1968. R. Theobald, “Patrimonialism”, World Politics. A Quarterly Journal of International Relations, 34(4), July 1982, p. 548-559. A. Zingerle, Max Weber und China. Herrschaft und ­religionssoziologische Grundlagen zum Wandel der chinesischen Gesellschaft, Berlin, Duncker & Humblot, 1972 ; H. Schmidt-Glintzer, « China und die Angemessenheit des Begriffs der “Patrimonialbürokratie” », Hanke E. et Mommsen W. J. (dir.), Max Webers Herrschaftssoziologie: Studien zu Entstehung und Wirkung, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, p. 223-231 ; S. Breuer, « Patrimonialismus », dans S.  Breuer, Max Webers tragische Soziologie. Aspekte und Perspektiven, Tübingen, Mohr Siebeck, 2006, p. 85, note 12. Une première version de ce texte a été publiée en 1996 sous le titre : « Patrimonialismo », Enciclopedia delle Scienze Sociali, vol. VI, Rome, 1996, p. 532-536. M. Weber, Wirtschaft und Gesellschaft: Grundriss der verstehenden Soziologie. 5, Auflage besorgt von J. Winckelmann (Studienausgabe), Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1972, p. 137 ; M. Weber, Économie et société, tome 1  : Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, coll. « Recherches en sciences humaines, 27 », 1971. [Réimpr. en 1995, vol. 1 : Les catégories de la sociologie ; vol. 2 : L’organisation et les puissances de la société dans leur rapport avec l’économie, Paris, Pocket, coll. « Agora, Les Classiques, 171-172 ».] M. Weber avait rencontré le patriarcalisme dans ses études sur l’histoire agraire romaine et dans ses enquêtes sur la condition des ouvriers agricoles dans les territoires prussiens à l’est de l’Elbe. M. Weber, 1972, op. cit., p. 583 ; voir S. Breuer, 2006, op. cit., p. 83. S. Breuer, Max Webers Herrschaftssoziologie, Frankfurt/New York, Campus Verlag, coll. « Theorie und Gesellschaft, 18 », 1991, p. 88.



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17. M. Weber, Économie et société dans l’Antiquité, précédé de Les causes sociales du déclin de la civilisation antique [introduction de Hinnerk Bruhns], Paris, la Découverte, coll. « Textes à l’appui, Histoire classique », 1999, p. 124. 18. C’est en fait l’essentiel de son œuvre qui est concerné. Voir CD-ROM Max Weber – Gesammelte Werke. Digitale Bibliothek vol. 58. Cette édition n’est pas complète. Elle ne repose pas sur la nouvelle édition complète et critique (MWG), mais sur les anciennes éditions qui comprennent toutefois ­l’essentiel des textes de Weber. 19. Pour Économie et société, nous donnons les références de l’édition allemande (1972) et, quand il s’agit de la première partie de cet ouvrage, également de la traduction française (1971/1995). 20. S. Breuer, 2006, op. cit., p. 83. 21. E. Hanke, « Max Webers “Herrschaftssoziologie”. Eine werkgeschichtliche Studie », dans E. Hanke et W.J. Mommsen (dir.), Max Webers Herrschaftssoziologie : Studien zu Entstehung und Wirkung, Tübingen, Mohr Siebeck, 2001, p. 33. 22. Pour la sociologie de l’État contemporain, voir A. Anter, Max Webers Theorie des modernen Staates : Herkunft, Struktur und Bedeutung, Berlin, Duncker & Humblot, coll. « Beiträge zur politischen Wissenschaft, 82 », 1995 et A. Anter et S. Breuer (dir.), Max Webers Staatssoziologie : Positionen und Perspektiven, Baden-Baden, Nomos Verlag, coll. « Staatsverständnisse/ herausgegeben von Rüdiger Voigt, 15 », 2007. 23. M. Weber, 1972, op. cit., p. 584. 24. Ibid., p. 585. 25. Idem. 26. Ibid., p. 594, sqq. 27. Ibid., p. 607 sqq. 28. Ibid., p. 608 sqq. 29. Ibid., p. 625. 30. Ibid., p. 638. 31. Ibid., p. 650. 32. Publié en 1921, un an après la mort de Weber, dans l’Archiv für Sozialwissenschaft und Sozialpolitik, sous le titre « Die Stadt. Eine soziologische Untersuchung », le texte a été repris dans la première édition de Wirtschaft und Gesellschaft, en 1922. À compter de la 3e édition, il y figure sous le titre « La domination non légitime (typologie des villes) ». On doit le consulter aujourd’hui dans la nouvelle édition publiée sous le titre Die Stadt, dans un volume à part de la Max-Weber-Gesamtausgabe (M. Weber, Gesamtausgabe. Bd. 22. Wirtschaft und Gesellschaft : die Wirtschaft

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und die gesellschaftlichen Ordnungen und Mächte  : Nachlaß. Teilband 5, Die  Stadt [W. Nippel et Bayerische Akademie der Wissenschaften. Kommission für Sozial-und-Wirtschaftsgeschichte (dir.)], Tübingen, Mohr Siebeck, coll. « Max Weber Gesamtausgabe.Abteilung I, Schriften und Reden, 22,5 », 1999. M. Weber, 1999, op. cit. supra, p. 235. De très nombreuses occurrences sont référencées dans l’index figurant à la fin de l’ouvrage (M. Weber, Die Wirtschaftsethik der Weltreligionen Konfuzianismus und Taoismus: Schriften 1915-1920 [Herausgegeben von Helwig Schmidt-Glintzer in Zusammenarbeit mit Petra Kolenko], Tübingen, J.C.B. Mohr, coll. « Max Weber Gesamtausgabe. Abteilung I, Schriften und Reden, 19 », 1989). Voir aussi H. Schmidt-Glintzer, 2001, op. cit. M. Weber, 1989, op. cit. supra, p. 201. Trad. fr. par C. Colliot-Thélène et J.-P. Grossein. M. Weber, Confucianisme et taoïsme, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 2000, p. 76. M. Weber, 1989, op.  cit., p.  258 et M. Weber, 2000, op.  cit., p.  134. Traduction modifiée par HB. Cette typologie est esquissée très rapidement dans la sociologie de la domination (M. Weber, 1972, op. cit., p. 549 sqq.), puis développée dans les dernières pages de l’Introduction à L’éthique économique des religions mondiales (Sociologie des religions [textes réunis, traduits et présentés par J.-P. Grossein ; introduction de J.-C. Passeron], Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1996, p. 370 sqq.). Elle apparaît d’autre part dans un texte publié de façon posthume, en 1922, dans les Preußische Jahrbücher : « Die drei reinen Typen der legitimen Herrschaft ». Ce texte a été intégré ensuite dans la Wissenschaftslehre (Gesammelte Aufsätze zur Wissenschaftslehre [1re éd. 1922], Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebeck), 1988 [7e éd., J. Winckelmann (dir.)]), mais il ne figure pas dans sa traduction française (Essais sur la théorie de la science [traduit par J. Freund], Paris, Plon, coll. « Recherches en sciences humaines, 19 », 1965. [réimpr. Paris, Presses Pocket, coll. « Agora, 116 », 1992].) M. Weber, 1972, op. cit., p. 122 ; et 1971/1995, op. cit. : I, p. 286. M. Weber, 1971/1995, op. cit. : I, p. 285 sq ; et 1972, op. cit., p. 122. M. Weber, 1972, op. cit., p. 131 et 1971/1995, op. cit. : 1, p. 303. Dans les passages cités, j’ai modifié, sans le signaler systématiquement, la traduction française de J. Freund et al., imprécise à bien des endroits. M. Weber, 1972, op. cit., p. 131 ; et 1971/1995, op. cit. : 1, p. 304. M. Weber, 1972, op. cit., p. 133.



Le concept de patrimonialisme et ses interprétations contemporaines

43. M. Weber, 1972, op.  cit., p.  134 et 1971/1995, op.  cit.  : I, p.  308 sqq. Traductions revues par HB. 44. M. Weber, 1971/1995, op. cit. : I, p. 309 ; et 1972, op. cit., p. 134. 45. M. Weber, 1972, op. cit., p. 137-140 ; et 1971/1995, op. cit. : I, p. 316-320. 46. M. Weber, 1971/1995, op. cit., p. 316. 47. M. Weber, 1971/1995, op. cit., p. 318, et 1972, op. cit., p. 138. 48. M. Weber, 1972, op. cit., p. 139 ; et 1971/1995, op. cit., p. 319. 49. M. Weber, 1971/1995, op. cit., p. 315, trad. mod. ; et 1972, op. cit., p. 137. 50. S. Breuer, 2006, op. cit., p. 83. 51. M. Weber, 1972, op. cit., p. 137 ; et 1971/1995, op. cit., p. 315. 52. J.-F. Médard, « Postface », dans J.-L. Briquet et F. Sawicki (dir.), Le clientélisme politique dans les sociétés contemporaines, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Politique d’aujourd’hui », 1998, p. 311 sqq. 53. Dans le sens d’une domination dont la stabilité est assurée par une revendication acceptée de légitimité, ce que S. Breuer (2006, op. cit., p. 90) omet d’ailleurs de préciser. 54. M. Weber, 1972, op. cit., p. 122 : « rein affektuelle oder rein wertrationale Motive der Verbundenheit », et 1971/1995, op. cit. : I, p. 286. 55. M. Weber, « L’objectivité de la connaissance dans les sciences et la politique sociales [1904] », dans M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Presses Pocket, coll. « Agora, 116 », 1992, p. 192. 56. J.-F. Médard, « L’État néo-patrimonial en Afrique noire », dans J.-F.  Médard (dir.), États d’Afrique noire  : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 338. 57. Ibid., p. 328. 58. Ibid., p. 329 sqq. 59. Ibid., p. 332. 60. M. Weber, 1992, op. cit., p. 172. 61. J.-F. Médard, 1991, op. cit., p. 332.

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II

Patrimonialisme et néopatrimonialisme : lectures et interprétations comparées Daniel C. Bach

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ans un article resté célèbre, Guenther Roth, spécialiste de Weber, soulignait, à la fin des années soixante, l’intérêt qu’il pourrait y avoir à reconsidérer la notion de domination patrimoniale pour analyser le gouvernement des « nouveaux » États1. La mobilisation du concept de patrimonialisme n’était pas nouvelle en Amérique latine ou en Asie, mais il en allait tout autrement pour les États nouvellement indépendants d’Afrique où l’on avait privilégié le concept d’autorité charismatique pour rendre compte de l’arrivée au pouvoir des leaders et partis nationalistes2. Un demi-siècle plus tard, l’enracinement et la diffusion du paradigme patrimonial lui valent, à travers son avatar néopatrimonial, d’avoir acquis une assise quasi hégémonique en Afrique. En Afrique, la première vague de travaux associés à la mobilisation du patrimonialisme dénote une ambivalence profonde quant à la manière de conceptualiser l’identification, au sein d’États « modernes », de traits associés chez M. Weber au mode le plus courant de domination traditionnelle3. A. Zolberg avait proposé dès 1966 de distinguer les régimes patrimoniaux « traditionnels » de ceux de type « néo-traditionnels »4. G. Roth suggère quant à lui de distinguer deux formes de domination patrimoniale, l’une résultant de la survivance de régimes patrimoniaux « traditionnels », l’autre associée à des formes de patrimonialisme « dé-traditionnalisés ». Dans ce second cas de figure, le pouvoir personnel du Chef repose sur des liens de loyauté qui ne requièrent aucune croyance dans ses qualifications personnelles, car ils sont



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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

« inextricablement liés à des incitations et des récompenses matérielles »5. C’est finalement Shmuel N. Eisenstadt qui, en 1973, fixera la terminologie en suggérant l’introduction du préfixe néo afin de lever toute ambiguïté sur la distinction entre les régimes patrimoniaux dits « traditionnels » et « posttraditionnels ». La notion de néopatrimonialisme ne fait plus tant référence à un mode de domination traditionnel ou d’origine traditionnelle, qu’à des systèmes politiques bureaucratiques et à des processus de domination modernes. L’introduction d’un néologisme permet d’analyser une situation inédite, celle de régimes politiques où les « formes d’organisation de la vie politique » associée à des appareils bureaucratiques, des partis et des mouvements populaires, sont largement plus développées que celles de systèmes politiques « traditionnels et relativement peu différenciés »6. Le néopatrimonialisme, est donc une variante particulière du patrimonialisme, un modèle-type hybride destiné à rendre compte des nouveaux systèmes de pouvoir dans les sociétés « post-­ traditionnelles » d’Amérique latine, d’Asie du Sud et du Moyen-Orient7. Les États nouvellement indépendants d’Afrique subsaharienne, bien qu’absents de la liste et des préoccupations de S. N. Eisenstadt, sont ceux où la notion de néopatrimonialisme va s’enraciner avec le plus de vigueur. Les pages suivantes s’attachent, dans un premier temps, à retracer les conditions dans lesquelles le néopatrimonialisme a été successivement érigé en archétype de l’État postcolonial africain, puis de l’État antidéveloppemental en général. La dissociation entre patrimonialisme et néopatrimonialisme, plus affirmée en Afrique que nulle part ailleurs, a pour contrepartie une réception qui présente des caractéristiques particulières, distinctes de celles associées aux mobilisations hors du continent. La seconde partie de cette contribution montre comment, en Amérique latine et en Asie tout particulièrement, les références à la notion de patrimonialisme se sont pérennisées, en dépit des critiques de laxisme formulées à l’encontre du concept au cours des années 1980. On verra comment la mobilisation des notions de patrimonialisme et de néopatrimonialisme procède, à l’extérieur de l’Afrique, d’une neutralité axiologique plus affirmée. AFRIQUE : LE MODÈLE DE L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

La référence au néopatrimonialisme ne s’impose en Afrique qu’à partir de la fin des années 1980. Les premières références à la notion



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

d’État ­patrimonial entendent expliquer l’enracinement d’un processus de construction administrative dans un substrat traditionnel, néotraditionnel ou traditionaliste. Les fondements dynastiques du régime de l’empereur Hailé Sélassié en font un cas jugé exemplaire de système politique patrimonial. Objet d’une minutieuse description par Robert Jackson et Carl Rosberg, ce règne est présenté comme un exemple « fascinant » de ce que Weber entendait par patrimonialisme8. Hormis ce cas d’école, rares sont les travaux sur l’Afrique subsaharienne qui, comme ceux portant sur les systèmes politiques latino-américains ou indonésien, mobilisent le concept de patrimonialisme dans un contexte de filiation historique avec des formations précoloniales ou coloniales. R. Jackson et C. Rosberg, lorsqu’ils se proposent de conceptualiser les systèmes de pouvoir personnel en Afrique subsaharienne, écartent les concepts Wébériens de patrimonialisme ou de sultanisme, considérant que, plutôt que de parler de patrimonialisme « traditionnel », l’on observe dans la plupart des nouveaux États africains « des formes de pouvoir personnel fondé sur des rapports de clientèle [...] et non pas sur une tradition politiquement pertinente »9. La pertinence du concept de patrimonialisme est donc contestée au regard de son absence d’inscription dans des logiques « traditionnelles » clairement établies. Il est vrai que la recherche de continuités entre composantes patrimoniales « modernes » et d’origine précoloniale n’a jamais été qu’une préoccupation marginale des historiens et politistes, et ce malgré l’intérêt suscité par Victor Le Vine lorsqu’il entreprend de démontrer comment les sociétés africaines sont généralement « plus proches d’un patrimonialisme diffus que du patriarcat » avec pour conséquence des transitions relativement aisées vers un patrimonialisme tout à la fois « plus ciblé, moderne et personnalisé »10. L’inscription de pratiques patriarcales sinon patrimoniales dans le fonctionnement du colonialisme tardif est également suggérée par M. Mamdani à travers sa notion de despotisme décentralisé11. Contrairement aux travaux sur l’Amérique latine qui abordent les logiques patrimoniales ou néopatrimoniales à travers le prisme de leur enracinement historique dans le système colonial espagnol ou portugais, en Afrique les références initiales à la patrimonialisation de l’État font exclusivement référence à l’étude de systèmes de pouvoir postcoloniaux. L’État colonial, soulignent ainsi Crawford Young et Thomas Turner, n’est pas un État patrimonialisé :

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

Bien que l’État colonial ait été à l’origine un fief personnel, au fil des années sa domination a été de plus en plus bureaucratisée. L’hégémonie de l’État a été maintenue à travers une bureaucratie européenne, socialement distante, paternaliste, mais impersonnelle. Les agents de l’administration disposaient de larges pouvoirs discrétionnaires […] mais le pouvoir colonial était hautement institutionnalisé, et opérait par le biais d’une matrice dense de lois et règlements12.

Les premières tentatives d’application du modèle patrimonial à l’Afrique ont également pour caractéristique leur ambivalence quant au sens qu’il convient de donner à la patrimonialisation de l’État. ­Jean-Claude Willame, avec la notion de « patrimonialisme décentralisé » entend souligner le caractère lacunaire du contrôle du pouvoir central dans le Zaïre des années 1960, un processus qui va de pair avec le développement de relations « fondées sur des liens de loyauté primordiale et personnelle, l’usage d’armées privées, de milices et de mercenaires » pour gouverner13. Toujours à propos du Zaïre, mais dans une perspective inversée, Thomas Callaghy mobilise la notion de patrimonialisme à propos de la consolidation du pouvoir et de l’ascension politique de Mobutu au début des années 197014. En se fondant sur une description de la trajectoire des États autoritaires d’Amérique latine, et surtout de l’expérience de la monarchie absolue en France au xviie siècle, T. Callaghy voit dans l’État mobutiste un système « patrimonial administratif, ayant une orientation stato-organique et à caractère hautement autoritaire », qui s’est donné pour finalité l’extension de l’autorité et du pouvoir de l’État15. Le Zaïre est en réalité un early modern state dont le système politique est tantôt qualifié de « néo-traditionnel et patrimonial »16, tantôt décrit à travers la notion de régime « patrimonial-administratif ». L’auteur considère en effet que « la consolidation de structures étatiques viables est encore incertaine dans une bonne partie de l’Afrique noire » où les « formes patrimoniales de domination sont encore dominantes [et] seulement affectées de manière partielle et intermittente par la bureaucratisation » 17. C’est l’époque où la montée des autoritarismes et la mise en place des systèmes d’État-parti unique en Afrique incitent à mobiliser la notion de early modern states : pour décrire le régime de Félix Houphouët Boigny, des analogies sont établies avec le Bonapartisme (Zolberg), tandis que le régime Mobutu



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

est qualifié de « césarisme bureaucratique » (Willame) ou de « monarchie administrative » (Callaghy)18. C’est à propos du régime d’Ahidjo au Cameroun et du défaut d’institutionnalisation de l’État, de son « sous-développement », que J.-F. Médard est le premier à proposer d’appliquer la notion d’État néopatrimonial en Afrique. Le Cameroun est, souligne-t-il, un État à la fois « fort, autoritaire, absolu et [...] impuissant » où l’autorité politico-­ administrative est convertie en patrimoine privé par une bureaucratie et un parti que le président Ahidjo contrôle étroitement19. Personnalisation du pouvoir, confusion entre domaine public et domaine privé et absence de distinction entre la fonction et son titulaire sont masquées, ajoute Médard, par des discours, normes juridiques et institutions qui entretiennent l’illusion de logiques légal-bureaucratiques. Mise en avant officiellement à travers des normes et institutions bureaucratiques, la distinction entre espace public et intérêts privés est dans la pratique « niée et vidée de son contenu »20. En l’absence d’idéologie de légitimation, le Chef doit sa capacité à se maintenir au pouvoir à une capacité à transformer le monopole étatique en source d’opportunités pour la famille, les amis et clients. Ainsi, sont également posés les fondements d’une approche plus structurelle, centrée sur la mise en exergue des interactions entre institutionnalisation et informalisation. La démarche de Médard prend pour point d’ancrage, à l’instar de celles de C. Clapham ou de R. Lemarchand, le clientélisme et la relation de clientèle21. L’utilisation du préfixe « néo » permet également, comme le souligne Daniel Bourmaud, d’affranchir le concept de patrimonialisme des références aux configurations historiques auxquelles Weber l’avait associé22. Les modes d’expression et incidences de la personnalisation du pouvoir s’expriment de manière emblématique à travers le modèle du big man, emprunté à la typologie proposée par Marshall Sahlins23. Analysée et réinterprétée par Médard puis Yves-André Fauré à partir d’une étude du politicien kenyan Charles Njonjo24, la réussite du politicien-entrepreneur résulte d’un chevauchement (straddling) entre positions économiques et politiques. Notre big man, dès lors qu’il n’est pas le chef [de l’État], se doit de conserver la confiance totale de ce dernier car l’accès aux ressources institutionnelles qui fondent son influence en dépend. Le big man africain a en effet pour caractéristique première de devoir sa réussite économique et sociale à un investissement en politique.

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Personnalisation du pouvoir et confusion entre poste et fonction au sein d’un État qui, ne serait-ce que formellement, est doté d’institutions et de structures bureaucratiques modernes, fondent la filiation et les caractéristiques spécifiques du néopatrimonialisme. L’affichage de normes et modes de fonctionnement légal-bureaucratiques postule des rapports fondés sur des échanges impersonnels et non interpersonnels. En réalité : [...] Dans les régimes néopatrimoniaux, le chef de l’exécutif maintient son autorité par le biais des rapports de clientèle, plutôt qu’à travers une idéologie ou la loi. Comme dans le patrimonialisme classique, le droit de diriger revient à un individu plus qu’à une fonction. [Les...] relations de loyauté et de dépendance imprègnent un système formel administratif et politique, où les responsables de fonctions bureaucratiques sont moins là pour remplir un service public que pour acquérir richesse personnelle et statut [...] L’essence du néopatrimonialisme est l’attribution par les détenteurs de fonctions publiques de faveurs personnelles, aussi bien à l’intérieur de l’État [...] que dans la société [...]25

La coexistence de logiques patrimoniales avec des éléments légalbureaucratiques incite à s’interroger sur le type d’interactions qui en résultent, ou plus directement, la capacité ou non d’un État néopatrimonial à produire des politiques « publiques ». D. Bourmaud aborde le sujet de manière neutre lorsqu’il définit le néopatrimonialisme en évoquant une « situation de dualisme où l’État se caractérise par un phénomène de patrimonialisation et de bureaucratisation »26. M. Bratton et N. van de Walle évoquent également des États contemporains où « la logique patrimoniale coexiste avec le développement d’une administration publique », tout en précisant que les éléments de légitimité légale-bureaucratique peuvent n’être qu’une simple apparence27. Le dualisme que recouvre cette notion est, de fait, susceptible de s’exprimer à travers une large palette de situations empiriques. Médard, devenu de plus en plus sensible aux dérives engendrées par des applications indifférenciées du néopatrimonialisme devait également esquisser à la fin des années 1990 une classification fondée sur l’intensité et le mode de régulation des pratiques patrimoniales. Il propose alors d’identifier :



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

[...] deux types d’États en Afrique qui constituent deux pôles avec toutes les situations intermédiaires possibles  : d’un côté les États néopatrimoniaux caractérisés par un mode patrimonial de régulation politique fondé sur la redistribution (la Côte d’Ivoire sous Houphouët Boigny), de l’autre, les États purement prédateurs correspondant à un patrimonialisme de type sultanique (le Zaïre de Mobutu)28.

Cette typologie recoupe également une distinction sous-jacente dans les travaux sur le néopatrimonialisme africain, entre les systèmes politiques au sein desquels les pratiques patrimoniales tendent à être régulées et ceux où la patrimonialisation de l’État, associée à des logiques d’exclusion et de capture de rentes, tend à devenir intégrale, avec pour conséquence une perte de sens des notions d’espace et de politiques publiques. Le néopatrimonialisme régulé La personnalité du Chef demeure l’élément déterminant dans la mise en œuvre de mécanismes de régulation qui s’expriment d’abord à travers la mise en place, parfois formalisée, d’une politique d’équilibre ethnorégionale pour la distribution des ressources et des prébendes sur une base inclusive, c’est-à-dire nationale. Outre l’atténuation des identités sociales, ethnorégionales et religieuses le néopatrimonialisme régulé tend à stimuler loyauté et cohésion parmi les élites. L’accent est mis par le chef de l’État sur la construction de systèmes personnels de pouvoir qui contribuent à sa stabilité. Personnalisation du pouvoir et dilution de la distinction entre sphère publique et privée au sein des appareils politico-­administratifs vont de pair avec une incitation au compromis, le renforcement de la cooptation et de la redistribution plutôt que de la coercition. Il en résulte une capacité accrue à pénétrer la société et à s’imposer à elle. Les préoccupations hégémoniques inhérentes au projet de consolidation du parti unique et de l’étatisation de l’économie sont modulées par l’ambition d’assurer un encadrement et une adhésion de l’ensemble du territoire, voire de construire l’État-nation. Tout en minant les notions d’éthique officielle et de bien public, le néopatrimonialisme régulé s’inscrit dans une « économie morale » en ce qu’il privilégie des processus de redistribution qui tendent à couvrir l’ensemble du territoire29. Le caractère inclusif de ces pratiques se double toutefois d’une modulation de leur intensité

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

et de leur champ d’application. Certains secteurs de l’administration fonctionnent en intégrant des logiques légal-bureaucratiques, ce qui a pour conséquence l’existence d’une capacité à produire des politiques « publiques ». Les exemples les plus approchants de l’épure du néopatrimonialisme régulé sont les systèmes politiques mis en place par Jomo Kenyatta (1964‑1978) et Houphouët-Boigny (1960‑1993) au Kenya et en Côte d’Ivoire. Développée par Bourmaud pour caractériser le Kenya de J. Kenyatta, la notion de clientélisme rationalisé rend bien compte de la manière dont ce régime tente de conjuguer de manière fonctionnelle les exigences contradictoires d’un État bureaucratique où l’impersonnalité des règles va de pair avec la perpétuation de logiques sociales qui viennent tempérer les effets d’une compétition politique « dont la rudesse serait incompatible avec la fragilité de l’État‑nation »30. Les synergies entre présidentialisme, système de parti unique et clientélisme deviennent ainsi le vecteur d’une incorporation de la périphérie par le centre. La mécanique distributive inhérente à un fonctionnement de l’État qui engendre un « système institutionnalisé de clientélisme » contribue à assurer la suprématie de l’État central sur sa périphérie. La succession de niveaux sur lesquels se décline le patronage contribue, du sommet à la base, à un maillage du système politique se déployant jusqu’au sein de la société rurale, contribuant ainsi à leur « aspiration [...] à l’intérieur de l’État »31. En Côte d’Ivoire, la personnalisation du pouvoir qu’incarne le régime de Félix Houphouët-Boigny (1960‑1993), archétype du big man en politique, a comme marque de fabrique sa capacité à privilégier des stratégies de cooptation sans usage excessif de la répression. Un contrôle direct est également exercé sur le recrutement de l’élite politique afin de maintenir un « équilibre entre rivalités ethniques, générationnelles ou simplement personnelles »32. Le système politique ivoirien associe un « pouvoir personnel fort, qui combine l’exercice d’un contrôle à travers des relations entre patrons et clients, avec l’usage d’agences bureaucratiques modernes ». Le néopatrimonialisme y est également régulé en ce que la capacité des logiques patrimoniales à interférer dans le fonctionnement de l’État est contenue33. L’élite administrative et politique du pays semble bien moins divisée que ne le sont les « bureaucraties patrimoniales » d’autres États africains, en conclut Richard Crook à la fin des années 1980 : outre la stabilité politique induite par la routinisation de pratiques régulées sur



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

une période relativement longue, les dynamiques patrimoniales n’entravent pas la production et la mise en œuvre de politiques « publiques ». Les éléments patrimoniaux dans le système politique ne sont pas en mesure de s’imposer face à un « engagement manifeste au sommet de l’État envers des formes légales‑rationnelles de contrôle, des performances effectives et la mise en œuvre d’un programme économique »34. L’État camerounais, durant la présidence de Ahmadou Ahidjo (1960‑1982), relève également d’un néopatrimonialisme régulé s’il faut en juger par le bilan que Médard en a dressé rétrospectivement  : bien que ce régime ait été fréquemment qualifié d’État policier, l’usage de la violence y serait finalement resté « [...] fonctionnel, discret et encadré », le président associant des stratégies efficaces de cooptation des opposants, avec des formes de clientélisme rationalisé – la politique dite d’équilibre, fondée sur une répartition des postes et prébendes entre les différents groupes géo‑ethniques35. Les années 1970 et 1980 sont celles de l’âge d’or du néopatrimonialisme régulé. Les cours des matières premières exportées sont bien orientés et l’État dispose souvent de ressources conséquentes à redistribuer. Consolidation du pouvoir personnel du Chef et construction de l’État, sinon de la nation, paraissent compatibles et sont dotées de vertus intégratrices36. Le néopatrimonialisme prédateur Le néopatrimonialisme prédateur fait référence à des processus de personnalisation du pouvoir et de centralisation des ressources politiques qui sont portés à leur paroxysme. Ceci a pour conséquence un « échec de l’institutionnalisation [...] donc de l’État »37. L’absence d’espace public et de toute capacité de production de politiques publiques en est le corollaire. Clientélisme et logiques distributives reposent sur des fondements ethnogéographiques tout à la fois plus sélectifs et/ou fortement inégalitaires. Ainsi en Angola, malgré l’augmentation rapide des revenus tirés de l’exploitation pétrolière et la fin de la guerre, le « néo‑patrimonialisme présidentiel » de José Eduardo Dos Santos engendre, dès les années 1980, l’effondrement du système de distribution clientéliste censé « rapprocher dirigeants et dirigés, lier le centre et la périphérie, [et] les zones urbaines aux zones rurales »38. En Centrafrique, autoritarisme et

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

exercice arbitraire du pouvoir sous Bokassa sont synonymes de confusion totale entre la fonction et son occupant. L’ampleur de la désinstitutionnalisation engendre une dissolution de l’État qui transforme en oxymore l’idée même d’un « État néopatrimonial »39. C’est toutefois le régime de Mobutu (1965‑1997) qui fait figure de prototype de l’État néopatrimonial intégral à partir de 1974. La décomposition de l’État zaïrois incite à une réinterprétation radicale de son fonctionnement au regard d’une « capacité inégalable à institutionnaliser la kleptocratie à chaque niveau de la pyramide sociale, et d’un talent tout aussi inégalable à transformer le pouvoir personnel en culte et le clientélisme en cronyism »40. La désinstitutionnalisation est poussée à l’extrême. Couramment qualifié de « kleptocratique » ou de « prédateur », l’État mobutiste confine au sultanisme, conséquence d’une imprégnation de l’État « patrimonial mobutiste » par une corruption omniprésente au point d’être devenue « la propriété la plus visiblement à même de définir l’État zaïrois »41. Dans ses manifestations les plus radicales, le néopatrimonialisme prédateur rejoint le sultanisme, proposé par M. Weber afin de caractériser les cas extrêmes où la domination ne repose plus tant sur des bases traditionnelles que sur le pouvoir arbitraire et incontrôlé du Chef 42. La privatisation des ressources publiques, poussée à l’extrême, finit par dissoudre l’espace public, avec pour conséquence une « informalisation » du fonctionnement de l’État, voire la disparition de ses institutions43. La distinction entre néopatrimonialisme régulé et néopatrimonialisme intégral signale les deux extrémités d’un continuum marqué par une grande diversité de configurations empiriques. La dissolution de la frontière entre espace public et intérêts privés du chef de l’État tend à devenir totale dans le cas d’un néopatrimonialisme prédateur, tandis que celui dit régulé conserve une certaine capacité à produire des politiques publiques. Le néopatrimonialisme dans l’État doit être distingué des situations marquées par sa patrimonialisation intégrale44. La dissémination du concept : du modèle au paradigme La diffusion du modèle de l’État néopatrimonial africain durant les années 1980 s’inscrit en contrepoint d’un accent mis sur l’intérêt heuris­ tique de son application à l’Afrique subsaharienne. M. Bratton et N. van de Walle considèrent ainsi que :



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

si les pratiques néopatrimoniales sont repérables au sein de tous les systèmes politiques, en Afrique elles sont l’élément clé de la politique [...] Les interactions entre le big man et son entourage élargi définissent la politique, des sommets du palais présidentiel jusqu’aux assemblées de village les plus humbles45.

Les mêmes auteurs identifient ainsi au début des années 1990 quelque quarante États africains où les éléments constitutifs d’une routinisation des pratiques néopatrimoniales sont identifiables. Cette « institutionnalisation » se manifeste à travers un ensemble de règles de comportement et de procédures qui ont en commun : un recours systématisé au clientélisme, la redistribution des ressources de l’État à des fins de légitimation, et l’adoption du présidentialisme, fondement d’une concentration du pouvoir au profit d’un individu. Le néopatrimonialisme est, par-delà les changements de régimes, la marque distinctive des régimes africains. Les critiques suscitées par les paradigmes développementalistes et dépendantistes durant les années 198046, ont largement contribué à la valorisation et à la diffusion du modèle de l’État néopatrimonial africain. La mobilisation du néopatrimonialisme permet de rendre compte du fonctionnement empirique d’une extraordinaire palette de systèmes politiques. Le concept se révèle également apte à interagir de manière fructueuse avec des travaux qui procèdent de postulats distincts mais apparentés : tel est le cas de la typologie quasi wébérienne des systèmes de pouvoir personnel que proposent R. Jackson et C. Rosberg47, ou de l’appel à la notion, empruntée à Weber, d’État prébendier, mobilisée par Richard Joseph à propos du Nigeria 48. Également apparentée, la notion de « quasi‑États » sera développée par Jackson, pour qualifier des États dotés de capacités limitées pour affirmer leur souveraineté49. En France tout particulièrement, le paradigme de « la politique du ventre » de Jean‑François Bayart50, les approches en termes de « politique par le bas »51 et le lancement de la revue Politique africaine dynamisent l’intérêt porté à l’analyse de l’État africain. En Afrique subsaharienne, la dissémination du concept de néopatrimonialisme a été pendant longtemps inscrite dans un cadre bien spécifique, marqué par l’accent mis sur le déclin des capacités administratives et bureaucratiques, puis territoriales, de l’État postcolonial. L’équation

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entre patrimonialisation et sous‑développement institutionnel de l’État entend rendre compte de processus qui, sous couvert de diffusion de normes bureaucratiques « modernes », véhiculent une détérioration des capacités administratives52. La patrimonialisation est la contrepartie d’une déconstruction progressive de l’État colonial, qui débute modestement, précise Crawford Young, jusqu’à ce que l’inflation progressive du coût des prébendes engendre « des détournements des trésors publics qui, destinés à huiler la machine patrimoniale, sont devenus très importants  – voir colossaux [...] »53. Et C. Young d’en conclure que la poursuite de stratégies rentières par les élites implantées dans l’État détruit désormais la capacité à élaborer des politiques publiques. Le développement de pratiques néopatrimoniales régulées est remis en cause par la crise économique qui, endémique dans nombre d’États dès la fin des années 1970, réduit les capacités étatiques de distribution de prébendes et de captation de rentes54. La crise financière mine les fondements de la régulation patrimoniale et stimule un double mouvement de désétatisation et de régression de l’encadrement territorial des États55. En Afrique, le néopatrimonialisme fait désormais couramment référence à des cas de « décadence politique, d’effondrement économique et autres situations administratives plus grotesques les unes que les autres »56. Le déclin des taux de croissance, la détérioration des conditions de vie des populations d’Afrique subsaharienne, et la contraction des ressources à redistribuer incitent à s’interroger sur les risques d’une montée du sultanisme consécutive à une « dégénérescence » du néopatrimonialisme dans des formes « économiquement irrationnelle[s] de “pouvoir personnel” »57. Parce qu’elle tend à devenir intégrale, la patrimonialisation de l’État plonge ce dernier dans une spirale de crise économique permanente : malgré la pression des marchés internationaux, les régimes en place s’assurent du maintien du statu quo en tirant parti de transferts substantiels de l’aide internationale et de la négociation de programmes de réforme avec les institutions financières internationales58. Avec la fin de la guerre froide, la vague des revendications démocratiques souligne les limites mais aussi la capacité du néopatrimonialisme à s’insérer dans des processus d’institutionalisation59. Rares sont désormais les régimes politiques qui ne sont pas qualifiés de néopatrimoniaux par Bratton et van de Walle lors de leur étude des transitions politiques engagées à cette époque. C’est le cas du Botswana, de la Gambie, de Maurice,



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du Sénégal et du Zimbabwe, regroupés sous le vocable de polyarchies multipartisanes (multi‑party polyarchy) car, bien qu’« imparfaitement démocratiques, le pouvoir personnel est contenu de manière significative par des règles légal‑formelles, une alternance dans la direction de l’État, et une mesure d’objectivité dans les processus décisionnels »60. Alors que l’État africain tend désormais à être systématiquement associé à des formes de néopatrimonialisme prédateur, cette notion de polyarchies multipartisanes a le mérite de rappeler indirectement l’existence de systèmes politiques africains où néopatrimonialisme et régulation vont de pair. L’État africain, s’insurge Thandika Mbandawire au début des années  2000, est devenu « l’institution sociale la plus diabolisée du continent, [il est] tout à la fois stigmatisé pour sa faiblesse, sur surdimensionnement, ses interférences avec le bon fonctionnement des marchés, son caractère répressif, sa dépendance envers les puissances étrangères, son ubiquité, ses absences, etc. »61. Le caractère polymorphe de la crise de l’État s’exprime également à travers l’inflation d’épithètes qui tentent de proposer un diagnostic : R. Sandbook évoque ainsi un État devenu « fictif », là où R. Jackson parle de quasi‑États, J.‑F. Bayart évoque un État rhizome, T. Callaghy un Léviathan boiteux. Joshua Forrest évoque la perspective d’une « inversion [du processus de construction] de l’État » alors que se multiplient les signes de contestation de son assise territoriale62. Marina Ottaway se fait l’écho d’un point de vue alors largement partagé en affirmant que « la probabilité que tous les États africains survivront intacts à l’intérieur des frontières établies par les puissances coloniales semble faible »63. La dissémination du concept de l’État néopatrimonial est également stimulée par le développement de recherches autour des processus de désinstitutionnalisation, d’informalisation et de criminalisation de l’État. À partir du cas des guerres civiles en Sierra Leone, William Reno montre, par exemple, comment l’informalisation des réseaux de contrôle du pouvoir et d’enrichissement contribue à façonner un État fantôme (shadow state)64. Le contraste entre l’État tel qu’il se donne et la réalité de son fonctionnement y sont poussés à l’extrême. La patrimonialisation s’inscrit dans un contexte de montée de la violence et d’asymétrie accrue dans les pratiques de distribution des ressources et prébendes. La figure du warlord prend le pas sur celle du big man et avec lui les logiques de gang se substituent à celles de patronage.

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Les travaux sur l’informalisation et la criminalisation des systèmes politiques contribuent enfin et surtout à l’assimilation du néopatrimonialisme à une téléologie du déclin de l’État. Le néopatrimonialisme devient un succédané de l’informalisation de la vie politique, de la dissolution des institutions de l’ensemble des États du continent dans l’informel et la criminalité : « l’État n’est, en Afrique, guère plus qu’une coquille vide » affirment les auteurs d’un ouvrage aussi provocateur qu’influent65. La téléologie du déclin, qui imprègne les références à l’État néopatrimonial en Afrique, est devenue sa marque de fabrique, le fondement de représentations qui en font un archétype de l’État antidéveloppemental. L’État néopatrimonial africain, prototype de l’État « antidéveloppemental » Dès les années 1980, Richard Sandbrook avait suggéré de se fonder sur l’analyse du néopatrimonialisme en termes d’appropriation privée des pouvoirs de l’État, pour rendre compte de l’échec développemental de l’État africain, posant ainsi les fondements d’une « économie politique » du néopatrimonialisme 66. Quelques années plus tard, Goran Hyden n’hésite pas à parler d’une « malédiction institutionnalisée » pour qualifier les effets de la diffusion du néopatrimonialisme en Afrique67. L’État africain, perçu comme « klepto‑patrimonial »68, fait également figure de repoussoir dans les travaux qui ont entrepris de modéliser la notion d’État développemental. La typologie proposée par Peter Evans, à partir de l’expérience de la première vague des nouveaux pays émergents (Asie orientale), identifie ainsi trois prototypes d’États selon leur caractère plus ou moins propice à promouvoir un développement économique. L’État développemental, dont la Corée du Sud est le prototype, a pour caractéristique d’être embedded‑autonomous, c’est‑à‑dire capable de conjuguer son inscription (embeddedness) dans l’environnement sociétal avec une bureaucratie et des capacités action autonomes (autonomy). Une catégorie intermédiaire d’États, illustrée par le Brésil, dispose de capacités bureaucratiques, bien que celles‑ci soient bridées par un système oligarchique. Le Zaïre de Mobutu est, enfin et surtout, érigé en archétype de l’État prédateur et antidéveloppemental où « les préoccupations rentières de la classe politique ont transformé en proie le reste de la société », un cas d’école,



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poursuit P. Evans, de ce que « ce n’est pas tant la bureaucratie qui fait obstacle au développement que l’incapacité à se comporter comme une bureaucratie [...] »69. Plus récent, le tableau synoptique dressé par Atul Kohli, afin d’exposer les processus de développement et d’industrialisation dans les États périphériques ou émergents, érige également l’État néopatrimonial, dont on comprend bien qu’il est d’abord africain, en contre‑modèle. À l’accent mis par la sociologie de Weber sur le contrôle territorial et le développement institutionnel de l’État, A. Kohli ajoute l’existence ou non d’une arène publique effective, clairement différentiable des intérêts, organisations et loyautés privés70. Faute d’un tel espace, la capture de l’État par des intérêts factionnels conduit à la production d’États « néopatrimoniaux hautement inefficaces »71. Les États jugés véritablement développementaux sont qualifiés de cohesive capitalist states, car ils sont à même « de concentrer le pouvoir au sommet et d’utiliser le pouvoir de l’État afin de discipliner leurs sociétés », à l’instar de la Corée du Sud au cours de la décennie 1960‑1970, de Taiwan, des dragons et tigres asiatiques, de la Turquie, du Mexique et, seule exception africaine, de l’Afrique du Sud72. Les multi‑class fragmented states appartiennent à une catégorie intermédiaire : ils sont également considérés comme « modernes », car ils disposent d’espaces publics. Leurs capacités sont toutefois limitées, à l’exemple de l’Inde et du Brésil. La troisième catégorie, celle de l’État néopatrimonial, est caractérisée par l’inexistence d’un espace public, l’inefficacité de l’État, l’absence de développement d’un capitalisme indigène, et des élites d’abord préoccupées à se maintenir au pouvoir et à privatiser des ressources publiques à leur profit ou pour le bénéfice de communautés ethniques73. Ce n’est plus le Zaïre, mais le Nigeria qui en est désormais considéré comme un modèle presque parfait – le modèle de l’État néopatrimonial est toutefois jugé applicable à « presque tous » les États africains74. On retrouve l’idée d’un néopatrimonialisme qui, en Afrique, serait de pure prédation, tandis qu’à l’extérieur du continent, il pourrait être régulé, c’est‑à‑dire n’entraverait pas nécessairement l’expression de logiques légales‑bureaucratiques ou la production de politiques publiques au plus haut niveau.

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PATRIMONIALISME ET NÉOPATRIMONIALISME AU‑DELÀ DU CONTINENT AFRICAIN

La première partie de ce chapitre vient de montrer en quoi la téléologie du déclin dans laquelle s’inscrivent nombre de références à l’État néopatrimonial en Afrique est progressivement devenue sa marque de fabrique. À l’inverse, en Amérique latine, au Moyen‑Orient, en Asie et dans les sociétés postcommunistes de l’Europe à l’Asie centrale, la mobilisation de la notion de patrimonialisme a été généralement plus précoce qu’en Afrique. Les références au patrimonialisme puis au néopatrimonialisme ont généralement mis l’accent sur des interactions et logiques duales sans postuler que les pratiques patrimoniales au sein de l’État aient automatiquement vocation à le pénétrer intégralement ni à devenir antinomiques de l’affirmation de dynamiques développementales. Patrimonial, mais également bureaucratique : l’État latino‑américain La transcription du concept de patrimonialisme en Amérique latine présente quatre grands traits : une filiation avec des formes traditionnelles de domination propres à l’État colonial espagnol ou portugais ; l’accent mis sur la transition de logiques de pouvoir personnel vers des logiques corporatistes ; l’absence de réduction des institutions bureaucratiques au statut de simples façades ; enfin et surtout des approches qui ne postulent pas l’existence d’une antinomie entre logiques patrimoniales et le développement d’un État bureaucratique et capitaliste. En Amérique latine, la mobilisation du patrimonialisme fait d’abord référence aux trois siècles de présence coloniale espagnole et portugaise75. Dès la fin des années 1950, Richard Morse note comment le patrimonialisme permet d’exposer la persistance dans l’Amérique « espagnole » contemporaine de logiques ayant leurs origines dans l’empire espagnol aux Amériques76. L’administration de la vice‑royauté du Mexique reproduisait également le caractère patrimonial de l’État espagnol soulignent Henrique Florescano et Isabel Gil Sánchez, à travers « la récompense des services rendus par le biais de l’octroi de prébendes et le legs de privilèges »77. Avec les indépendances, l’émergence des caudillos s’inscrit dans un processus où la lutte pour le contrôle d’un « appareil patrimonial, [désormais] coupé du modèle original impérial » les fait osciller entre tyrannie et anarchie 78. À



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l’instar des conquistadores, leur pouvoir découle d’un charisme personnel et de prouesses militaires par lesquels ils s’imposent à leurs hommes. Comme le big man en Afrique, le caudillo est un entrepreneur politique, mais son pouvoir personnel, s’il procède d’une confusion entre deniers publics et fonds personnels, repose autant sur des capacités militaires que sur la constitution de réseaux de clientèles et la distribution des prébendes. Il se distingue également du personnage du warlord qui, du moins dans l’Afrique des années 1990, est mû par des logiques de prédation. Le caudillo est là pour mettre fin au chaos et (r)établir au profit d’une élite oligarchique les fondements d’un État « patrimonial‑bureaucratique »79. La banalisation de l’usage de la notion de patrimonialisme au Brésil constitue une bonne illustration d’usages du concept qui, dans le droit fil de la sociologie de Weber, entendent rendre compte de sociétés « traditionnelles » en voie de « modernisation ». Le patrimonialisme est devenu un paradigme incontournable dans les travaux sur la trajectoire de l’État brésilien, décrit communément comme un « État bureaucratique qui a été au service d’un ordre patrimonial »80. Il est ainsi fait référence à la permanence et au renouvellement d’un système de domination qui remonte aux capitaineries héréditaires introduites par les Portugais. Initialement publié en 1958, l’ouvrage de Raymundo Faoro sur la formation du patronage politique au Brésil décrit un État brésilien fortement centralisé, où élites politiques et bureaucrates n’ont jamais opéré de distinction entre la fonction et son occupant, ressources publiques et intérêts privés81. Les subordonnés s’y doivent d’être loyaux aux Chefs et non à la fonction qu’ils occupent. Quelques décennies plus tard, les notions couramment employées de « société patrimoniale », de « régime patrimonial » ou « d’ordre patrimonial » font surtout référence à des continuités qui transcendent les changements de régime ou la nature des élites en place82. Les changements politiques, y compris lorsqu’ils engendrent une révision drastique des politiques, n’ont pas eu pour conséquence une remise en cause de la nature « fondamentalement élitiste du système politique ni de la nécessité de conserver un ordre patrimonial afin de préserver leur propre statut »83. Au Brésil, concluait une analyste de la crise du système judiciaire brésilien du début des années 1990, le patrimonialisme procède de la pérennisation d’une « tradition [...] tendant à perpétuer ce qui a toujours existé », à savoir l’appropriation des charges publiques par des particuliers et l’absence de concrétisation de la séparation entre sphère

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publique et privée. En résultent « un mouvement de privatisation de la chose publique » et une « logique dominante [marquée par] les tentatives d’informalisation de l’appareil judiciaire existant »84. En parlant de « tentative », Eliane Botelho Junqueira rejoint les grilles de lecture qui, à travers la référence quasi systématique à un système politique qualifié de « patrimonial‑bureaucratique » et à des processus de « bureaucratisation patrimoniale »85, rejettent toute inscription des logiques patrimoniales dans une téléologie du déclin institutionnel. En Amérique latine, les frontières entre tradition et traditionalisme semblent s’effacer lorsque les références au patrimonialisme sont employées pour illustrer le rétablissement de régimes totalitaires au Brésil, en Argentine et au Pérou à compter des années 1970. La remobilisation du concept va alors de pair avec l’accent mis sur les synergies entre patrimonialisme et corporatisme86. Le patrimonialisme peut également faire tout simplement référence – lorsque Lorenzo Meyer décrit le fonctionnement du système de parti unique du Mexique des années 1940 jusqu’aux élections de 1988 – à une concentration du pouvoir au profit du chef au sein de l’exécutif 87. La permanence ou non de formes de pouvoir « précapitalistes » constitue un élément clé de la distinction proposée par Oscar Oszlak entre régimes néopatrimoniaux, régimes libéral‑démocratiques et régimes bureaucratiques‑autoritaires88. L’usage de la notion de néopatrimonialisme, que l’auteur est le premier à expérimenter en Amérique latine, fait ici simplement référence à « des cas contemporains » où un « gouvernement personnalisé » transforme l’État en une propriété privée de ceux qui le dominent89. Contrairement aux usages du néopatrimonialisme constatés en Afrique, la personnalisation du pouvoir n’est pas synonyme de désinstitutionnalisation. La perspective d’un régime néopatrimonial qui tirerait profit de son contrôle sur l’État pour en assurer la modernisation n’est d’ailleurs pas exclue lorsque le dualisme inhérent au patrimonialisme va de pair avec la mise en place d’une « véritable “Cour” d’hommes de “confiance” [...qui] agit en tant qu’exécutants [du dictateur] au sein des institutions clés, tandis qu’une petite équipe de professionnels assure la responsabilité de certains grands programmes (comme les travaux publics, la promotion industrielle) »90. O. Oszlak considère que, dans un régime de type bureaucratique‑autoritaire, l’appropriation et l’allocation des ressources sont « sujettes à la discrétion voire aux caprices du chef »91, mais



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ignore curieusement les incidences de la marginalisation des procédures de contrôle sur le développement de la corruption et du népotisme. Cette dimension, traitée par Karen Remmer à travers le cas d’Augusto Pinochet, vaudra au régime de ce dernier d’être déclaré de type néopatrimonial au regard de « procédures de fonctionnement de base, de modes de nomination et de processus décisionnels ...[devenus] plus patrimoniaux que bureaucratiques »92. L’introduction du préfixe « néo » entend ici, comme chez O. Oszlak, souligner que l’autorité patrimoniale coexiste avec une armée professionnelle, des personnels technocratique et administratif et, plus généralement, « tous les éléments d’une société industrialisée et relativement moderne » par rapport à d’autres93. Qu’il s’agisse du patrimonialisme ou du néopatrimonialisme, les interprétations latino‑américaines du concept s’inscrivent dans un cadre implicite, celui des interactions entre logiques patrimoniales et bureaucratiques au sein de l’État. Outre cette absence d’association du concept à une téléologie du déclin de l’État, l’accent est mis sur la dimension tout à la fois personnelle et corporatiste des intérêts dont la défense est ainsi assurée. Déshérence du patrimonialisme, valorisation du néopatrimonialisme : l’Afrique du Nord et le Moyen‑Orient En Afrique du Nord et au Moyen‑Orient, la réflexion sur les formes de pouvoir a d’abord mis en exergue la fluidité des interactions entre patrimonialisme et domination patriarcale, un type de domination exclusivement fondé sur les rapports entre le chef et ses proches. La différenciation opérée par Weber entre les deux types d’autorité n’est pas formellement contestée, mais l’accent est mis sur la personnalisation des liens entre dirigeants et dirigés plutôt que sur la spécialisation des rôles et la différenciation des structures. Les références au patrimonialisme invoquent son association à des situations historiques précoloniales, tout en soulignant la fragilité des frontières entre patrimonialisme et patriarcat dans des systèmes de pouvoir marqués la prégnance de rapports à la fois interpersonnels et paternels94. Les mêmes auteurs sont souvent enclins à procéder par références allusives au « style patrimonial du leadership au Moyen‑Orient », ou à la notion de « patrimonialisme moyen‑oriental » pour décrire un large spectre de situations historiques ou contemporaines. Le patrimonialisme

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est aussi bien invoqué pour analyser les formations politiques historiques au Yémen et en Arabie saoudite, marquées par le poids de logiques patriarcales, que pour examiner les systèmes administratifs complexes de l’Empire ottoman et de la dynastie Qajar (1779‑1925) en Iran95. Seuls les régimes du roi Hassan II et de Muhammad Reza Shah Pahlavi sont, à l’instar de celui de Hailé Sélassié, qualifiés de patrimoniaux au regard d’une continuité avec des modes de domination traditionnels96. La mobilisation du patrimonialisme pour caractériser les systèmes politiques du Moyen‑Orient procède d’usages souvent métaphoriques et d’un laxisme conceptuel illustré par la dilution de la démarcation entre domination patrimoniale, domination patriarcale et pouvoir autoritaire. La notion de sultanisme est appréhendée sur un mode similaire lorsque ­l’Algérie de Boumediene est qualifiée de « sultanisme populaire » ou l’Égypte de Nasser présentée comme une forme de « socialisme sultanique »97. Ces références au patrimonialisme et aux autres catégories wébériennes de domination, concluent Jean Leca et Yves Schemeil, visent d’abord à rendre compte de « situations de modernité » dans lesquelles transparaissent des traits, réels ou supposés, de l’État traditionnel. Les deux auteurs, tout en reprenant à leur compte les critiques que suscite la transformation du patrimonialisme en un concept « attrape‑tout », notent l’intérêt heuristique que pourrait revêtir la mobilisation du néopatrimonialisme. Nourrie de références récurrentes aux travaux des politistes africanistes, la mobilisation de la notion de néopatrimonialisme s’est progressivement substituée à celle de patrimonialisme, tombée en déshérence. Cette référence a ainsi été mobilisée à propos de la Syrie, de l’Irak, de la Libye et de la Tunisie, afin de rendre compte de la stabilité de régimes autoritaires et patrimoniaux dès lors qu’ils ne sont pas confrontés à de fortes pressions et interférences externes98. De manière moins euphémisée, la référence au néopatrimonialisme a également été associée à l’échec du projet de construction d’un État palestinien après les accords d’Oslo99. La domination exercée par Yasser Arafat sur l’Autorité palestinienne, chargée de construire le futur État, conjugue pouvoir autoritaire et faible distinction entre sphère publique et intérêts privés. L’État palestinien en formation reste la « propriété » d’un leader qui dirige par le biais de la distribution de faveurs et de rentes à ses « clients » avec pour conséquence un État de droit fragilisé, une corruption et un clientélisme



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endémiques que sanctionneront la victoire électorale du Hamas en janvier 2006100. Le prisme des rapports de « connivence » : pouvoir politique et argent en Asie du Sud‑Est Alors qu’en Afrique et en Amérique latine les notions de patrimonialisme ou de néopatrimonialisme mettent l’accent sur le rapport aux institutions et à la construction de l’État, la mobilisation des catégories wébériennes est, en Asie de l’Est et en Asie du Sud‑Est, étroitement corrélée à l’analyse des interactions entre État et développement du capitalisme. Ceci se manifeste par des analyses qui érigent les rapports entre régimes politiques et milieux d’affaires en nœud gordien de la différenciation entre État développemental et néopatrimonial. En Indonésie, l’emprise des logiques patrimoniales dans la vie publique fut initialement invoquée pour souligner l’empreinte, au sein de l’État postcolonial, de conceptualisations du pouvoir propres aux monarchies javanaises précoloniales101. La phase de « démocratie guidée » qu’engage en 1959 le président Soekarno (1947‑1967), fait rétrospectivement remarquer Harold Crouch, souligne surtout la résurgence de traits traditionnels qui semblaient de type patrimonial jusqu’à ce que la désintégration du système vienne infirmer ce diagnostic102. Le projet de construction du New Order qu’affiche son successeur, le général Suharto (1967‑1998), implique une neutralisation des partis politiques, une dépolitisation des masses, et surtout une politique de « distribution patrimoniale de bénéfices divers au sein de l’élite » afin d’assurer la stabilité du régime103. Qu’il s’agisse de Soekarno ou de Suharto, les stratégies mises en œuvre instrumentalisent et réinventent la tradition. Bien que le concept ne soit pas évoqué, le registre est donc plus celui du néopatrimonialisme que du patrimonialisme. L’exercice personnel du pouvoir par Suharto, s’il se fonde sur une capacité à distribuer faveurs et prébendes, ne fait pas obstacle à la mise en œuvre d’une politique économique à la fois nationaliste et libérale. Suharto, résume William Liddle : [...] favorise les nationalistes pour des raisons essentiellement idéologiques et culturelles [...] Les [lobbies] patrimonialistes sont utilisés pour punir et récompenser matériellement les individus et

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groupes qui pourraient menacer sa position. Les nationalistes sont en conflit direct et fondamental avec les économistes pour ce qui est de la politique de développement ; les patrimonialistes n’ont ni amis ni ennemis permanents, simplement un intérêt permanent à ce que le flot des fonds ne tarisse pas104.

À la veille de la crise financière de 1997‑1998, l’Indonésie fait figure, à l’instar des autres États d’Asie du Sud‑Est, de prototype d’une capacité « asiatique » à combiner personnalisation du pouvoir, stratégies de rente et corruption, avec des performances macroéconomiques qui valent à l’État indonésien d’être considéré développemental. Dans son étude comparée des trajectoires de l’Indonésie et du Nigeria, Peter Lewis décrit un régime Suharto qui, malgré une personnalisation du pouvoir et une centralisation beaucoup plus fortes qu’elles ne le sont au Nigeria à cette époque, est parvenu à « réduire les incertitudes qui entouraient le contrôle personnel [du pouvoir] en donnant de l’influence à une équipe de technocrates compétents [...et] en coopérant étroitement avec les bailleurs d’aide internationale »105. Aux Philippines, la transcription de la notion de patrimonialisme a historiquement mis l’accent sur la relation entre patrons et clients, et les réseaux de loyauté personnelle qui les sous-tendent. Le qualificatif de patrimonialisme oligarchique employé par Paul Hutchcroft décrit l’emprise que des clans issus des grandes familles de l’élite exercent sur l’État philippin, avec pour conséquence des obstacles structurels au développement de logiques plus « légal‑rationnelles », et d’un capitalisme fondé sur des logiques de production, et non la captation de rentes 106. Le capitalisme de « prédation » (booty capitalism ou Beute Kapitalismus chez Weber), qui est ainsi stimulé, traduit une position de faiblesse de l’État dans ses rapports avec les milieux économiques : l’influence des « forces extra‑­bureaucratiques absorbe l’influence de la bureaucratie », l’essentiel du pouvoir étant, de fait, « entre les mains du secteur privé »107. Ces termes de l’échange traduisent également un retournement des logiques d’extraction propres à l’État africain où la patrimonialisation procède surtout de la capacité du chef et des détenteurs d’offices publics à exploiter de l’intérieur les ressources que leur confère l’appareil d’État. L’accent mis sur les interactions entre État et milieux d’affaires en Asie du Sud‑Est a pour pendant une diversité lexicographique qui



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tente de rendre compte de variantes du capitalisme labellisé tour à tour d’oligarchique, de prédateur, de bureaucratique ou de rentier. Des termes nouveaux sont également introduits avec la notion de crony capitalism, destinée à souligner la dilution des frontières entre pouvoir politique et intérêts économiques, ou encore la formule condescendante d’« ersatz de capitalisme », employée à propos de la Malaisie108. De fait, l’analyse des interactions entre État et milieux d’affaires est au centre de la construction de la notion d’État développemental, suggérée pour rendre compte des performances économiques du Japon, de Taiwan et de la Corée du Sud dans les années 1960‑1970. L’impasse est alors faite sur les perspectives de développement du capitalisme en Malaisie, aux Philippines, en Indonésie ou en Thaïlande. En Asie du Sud‑Est, la corruption et les rentes de situation engendrées par les relations de connivence entre État et grandes entreprises sont considérées trop intenses. La croissance économique est également jugée trop dépendante envers le secteur tertiaire. À ceci s’ajoute le handicap d’une délégitimation du capitalisme productif, liée à l’absence d’intégration politique et sociale des milieux d’affaires locaux – les « entrepreneurs parias » chinois109, et à des processus d’industrialisation jugés trop dépendants de coûteuses subventions gouvernementales. Les critiques ainsi formulées, observe Peter Searle, ne visent pas tant l’interventionnisme de l’État, que la nature des interventions, sur fond de représentations dégradées d’un groupe d’États jugé « [...] incapable de traiter de l’intérêt national dans une perspective qui soit à long terme ou systématique, car [l’État est] captif de ses propres fonctionnaires et fonctionne dans le sens de leur intérêt à produire des formes d’intervention [publiques] rentières »110. La notion de patrimonalisation intégrale de l’État que véhiculaient ces pronostics pessimistes, contraste avec celle d’une compatibilité historique entre développement du capitalisme, relations de connivence et patrimonialisme au Japon, en Corée du Sud ou à Taïwan111. Les performances économiques de la Malaisie, de l’Indonésie, des Philippines et de la Thaïlande ont finalement imposé, pendant les années 1990 une révision des descriptions condescendantes d’un capitalisme prisonnier de logiques rentières, mélange de corruption et de cronyism. De fait, en Malaisie, les entrepreneurs se sont autonomisés par rapport aux réseaux de patronage étatiques. Ils se sont également révélés aptes à faire face à la concurrence internationale. Ces processus, considérés

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comme la contrepartie d’une tendance à la normalisation (regularization) du fonctionnement de l’appareil d’État, ont été de pair avec la persistance de relations qualifiées de « fortement patrimonialisées » entre l’État et les milieux économiques112. C’est toutefois avec la crise financière de la fin des années 1990 que les rapports entre argent et politique en Asie orientale et du Sud‑Est ont été l’objet d’une véritable réévaluation. En Corée du Sud, le mythe d’une croissance économique fondée sur l’alliance vertueuse entre des technocrates méritocratiques et des généraux austères s’effondre brutalement, et avec lui le modèle classique de l’État développemental. Les rapports entre argent et politique, souligne David Kang sont beaucoup plus pertinents pour juger des évolutions contrastées de la Corée du Sud et des Philippines, que l’accent traditionnellement mis sur les bureaucrates et leurs politiques113. La bureaucratie a, certes, acquis une autonomie certaine face aux pressions sociétales sous les régimes de Syngman Rhee (1948‑1960), Park Chung‑hee (1963‑1979) ou de Ferdinand Marcos (1965‑1986), mais elle n’a jamais conquis son indépendance par rapport aux intérêts de ces derniers. Ainsi, en Corée, Park Chung‑hee a « créé une bureaucratie bifonctionnelle [bifurcated ] qui lui a permis de répondre aux exigences du clientélisme tout en poursuivant la recherche de l’efficacité économique »114. La différenciation entre les Philippines et la Corée ne procéderait in f ine non pas tant de l’existence de rapports de connivence entre l’État et le privé, que des rapports de force entre pouvoir politique et milieux économiques. Aux Philippines, les rapports entre État et milieux d’affaires ont eu des incidences économiques négatives au regard d’une situation de compétition permanente entre des groupes en lutte pour le partage des dépouilles et ressources de l’État. À l’opposé de ce modèle, figure la Corée où, comme à Taiwan, ou au Japon dans une phase antérieure, ­élites politiques ou économiques n’ont jamais été en mesure d’acquérir un avantage décisif les unes par rapport aux autres. Corruption et rapports de collusion ont ainsi été de pair avec des investissements et processus décisionnels plus efficients sur le long terme, car fondés sur un équilibrage des rapports entre gouvernement et élites économiques. Si l’État coréen peut, à l’instar de l’État taïwanais, être qualifié de développemental au regard d’une indéniable capacité à attirer les investissements productifs, développer les infrastructures et plus généralement l’accès de la population



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à des « biens publics », cela ne signifie pas nécessairement qu’il en avait l’intention  : « la production de biens publics a souvent été un résultat heureux mais fortuit de la compétition que se livraient des acteurs pour tirer des bénéfices privés des ressources de l’État »115. « Capture » de l’État et néopatrimonialisme : les systèmes postcommunistes de l’Europe à l’Asie centrale L’application du patrimonialisme aux États communistes et postcommunistes d’Europe et d’Asie centrale a longtemps porté l’empreinte des écrits de Weber sur la nature patrimoniale du système administratif de la Russie pétrine116. Plus récemment, le système stalinien a été régulièrement présenté comme un phénomène de « résurgence », sous une forme, certes, « modifiée et dans un contexte historiquement totalement différent » du patrimonialisme, prépondérant dans la Russie des xviie et xviiie siècles117. L’adoption du concept d’État néopatrimonial a contribué à une revitalisation des lectures contemporaines du fonctionnement des systèmes soviétique et postsoviétique. Écartant les références au patrimonialisme, qu’il juge datées ou trop allusives, Yoram Gorlizki convoque le néopatrimonialisme pour rendre compte de la coexistence au sein même de l’État soviétique, de dynamiques à la fois patrimoniales et modernes118. L’ouverture aux chercheurs des archives de la période soviétique révèle comment, dans le fonctionnement quotidien de l’État à son plus haut niveau, l’expression d’une loyauté personnelle sans faille des clients et dépendants envers la personne de Staline primait sur les enjeux d’ordre idéologique ou programmatique119. La rupture que constitue la révolution bolchevique a crée un environnement favorable à l’accession au pouvoir de Staline en instaurant un système politique fondé sur une « orchestration » par le parti des rapports entre des institutions dont les sphères de compétences se recoupent. Staline a alors consolidé les fondements de son pouvoir en constituant des « réseaux patrimoniaux » fondés sur l’affectation de fonctionnaires loyaux à des postes clés de l’appareil du parti120. Le pouvoir discrétionnaire de Staline procède de l’absence de définition claire des sphères de compétence en matière de pouvoir et surtout d’une disparition de la frontière entre fonctions et occupants, sphère publique et privée121. L’exercice du pouvoir sur un mode patrimonial s’insère toutefois dans un environnement « moderne » que confirment des

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« processus décisionnels tout à fait rationnels et prévisibles aux échelons moins élevés de la hiérarchie », et l’attention portée par Staline lui‑même envers « certaines formes légales‑rationnelles d’administration »122. La patrimonialisation de l’État est donc, en quelque sorte, à géométrie variable : elle s’exprime de manière aléatoire, en fonction du lieu et des circonstances ; Staline est à même d’intervenir à tous les échelons et dans tous les secteurs de l’activité gouvernementale, mais ne le fait pas de façon automatique. Le système néopatrimonial tend également à se reproduire à l’intérieur de l’Union soviétique par le biais de personnalités qui, à l’instar de Staline, exercent un pouvoir discrétionnaire considérable sur leurs terrains respectifs123. Le néopatrimonialisme fait bel et bien référence à une situation duale, marquée par la coexistence entre des processus décisionnels de type légal‑bureaucratiques et un système d’appropriation du pouvoir et de ses attributs à des fins personnelles. Avec les transitions postsoviétiques et postcommunistes vers la démocratie, l’ouverture de nouveaux champs d’investigation a également suscité une remobilisation ponctuelle de la notion de patrimonialisme, traitée dans son acception classique. Ronald Linden avait, dès les années 1980, suggéré à propos du régime de Nicolas Ceausescu l’application de cette notion afin de rendre compte de la longévité d’un système politique, épargné par les problèmes d’ajustement macroéconomique et les tensions politiques qui affectaient alors la Pologne, la Yougoslavie ou la Hongrie124. Ce régime est qualifié de patrimonial au regard d’une personnalisation du pouvoir et d’un exercice discrétionnaire, qui reposent sur un système de loyautés personnelles, sans que ceci signifie une dissolution de l’État. De fait, pour R. Linden, le régime Ceausescu s’inscrit également dans un projet politique dont la rationalité, « définie par l’État », s’exprime à travers la mise en œuvre d’une version nationale du marxisme léninisme125. Herbert P. Kitschelt et ses collègues se fondent également sur le degré de patrimonialisation du pouvoir et la propension des régimes à réprimer, coopter ou tolérer les expressions de dissidence politique pour élaborer une typologie du communisme. Trois formes d’expression sont ainsi identifiées : le communisme patrimonial (patrimonial communism), le communisme de type national et accommodant (national accomodative communism) et le communisme bureaucratique‑­autoritaire (bureaucratic‑­autoritarian communism)126. Dans le cas du modèle patrimonial‑­communiste, l’accent est moins mis sur la personnalisation du pouvoir que sur la corruption,



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les relations de clientèle et le népotisme. L’informalisation du pouvoir est plus ou moins intense, selon que l’on est confronté à un « appareil d’État formel‑rationnel qui exclut la corruption et le clientélisme » ou, à l’inverse, à une « administration fondée sur des réseaux personnels de loyauté et d’échange mutuel »127. Particulièrement longue, la liste des États issus de régimes ayant pratiqué un communisme qualifié de patrimonial comprend, en outre la Russie, l’Albanie, l’Arménie, la Biélorussie, la Bulgarie, la Géorgie, la Moldavie, la Roumanie, l’Ukraine et les États d’Asie centrale128. Les relations de collusion entre pouvoir politique, administrations et milieux d’affaires représentent une autre incitation à relire les rapports entre patrimonialisme et transitions postcommunistes. Les travaux qui, dans les années 1990, se proposent d’employer la notion de « capture de l’État » pour en rendre compte ne font pas alors référence au paradigme néopatrimonial. Ces études renouent toutefois de manière saisissante avec des thématiques rendues familières par les débats asiatiques sur l’État développemental et son rapport à l’argent. Investisseurs et bailleurs de fonds internationaux entreprennent alors d’évaluer le devenir des transitions dans les ex‑pays communistes à l’aune des perspectives de régularisation des interactions entre des bureaucraties jugées « prédatrices et corrompues » et des magnats de l’industrie et de la finance, les oligarques, qui, en Russie tout particulièrement, contrôlent une part significative de l’économie129. La Banque mondiale et la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) financent ainsi diverses études et une grande enquête sur le thème de la « capture de l’État »130. La notion de capture de l’État est assez vague, car portée par des travaux d’économistes qui divergent quant à son sens et à sa portée131. La capture de l’État, dans les usages empiriques qui en sont fait, se résume toutefois à un souci de mesurer l’intensité avec laquelle l’État est « sujet à une “capture”  – où soumis à une influence qui ne devrait être  – par des intérêts occultes puissants »132. L’accent est mis sur le repérage de la grande corruption, c’est‑à‑dire la pénétration des États par des intérêts et lobbies privés susceptibles de peser sur le contenu des politiques publiques en façonnant les règles et la législation et en offrant des « gains privés illicites » aux fonctionnaires133. À l’issue d’une enquête réalisée dans vingt‑deux pays postcommunistes et auprès de plusieurs milliers d’entreprises, onze États étaient ainsi qualifiés de high capture economies en 1999134.

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La Russie de Boris Eltsine (1991‑1999) fait figure d’archétype de la capture de l’État  : l’accumulation du pouvoir économique entre les mains des « oligarques » intervient dans un contexte de privatisation massive des avoirs de l’État, et d’affaiblissement des institutions et de l’environnement normatif hérités de l’époque communiste135. L’élection de Vladimir Poutine en 2000 amorce une politique de restauration de l’autorité de l’État fédéral. La notion de « capture » conserve sa pertinence pour rendre compte d’interférences extérieures dans certains secteurs de l’État ou de l’administration136, mais n’est plus à même d’exprimer le mouvement de renversement des rapports de force qui est intervenu : les oligarques doivent désormais témoigner d’une loyauté indéfectible envers le pouvoir politique137. On vient de voir, dans les pages précédentes, en quoi l’appel à la notion de patrimonialisme à propos des régimes politiques communistes et postcommunistes recouvre trois types d’approches qui, analytiquement distinctes, sont étroitement mêlées. Un premier courant aborde le patrimonialisme en tant que modèle historique ou culturel. Mikhail Maslovski qualifie ainsi de « réversion » le développement de logiques patrimo­niales au sein du système stalinien138. Hans van Zorn voit également dans l’Ukraine postcommuniste un « État patrimonial [qui...] aggrave les tendances anti modernes dans la société »139. Le second courant, généralement associé à la notion de néopatrimonialisme, procède de l’analyse de systèmes politiques au sein desquels la prépondérance de logiques patrimoniales n’est pas exclusive d’une capacité à produire des politiques sous‑tendues par des processus décisonnels de type légal‑bureaucratiques. Le qualificatif de néopatrimonial que Jan  Golinski applique à l’État stalinien au quotidien, ne fait pas référence à un système de pouvoir traditionnel. La patrimonialisation du pouvoir n’est pas intégrale pour autant : On ne qualifiera pas ici de « patrimonial » le pouvoir discrétionnaire énorme dont disposait Staline pour [...] déterminer son propre engagement dans l’État‑parti. L’image qui se dessine n’est pas celle, traditionnelle, d’un pouvoir autocratique fondé sur la confusion et la désorganisation institutionnelle, mais celle d’une autorité patrimoniale qui coexiste avec des formes tout à fait modernes et routinières de décision, au niveau le plus élevé140.



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

La patrimonialisation du régime stalinien est donc à intensité et géométrie variables. À l’instar des usages dominants de la notion de patrimonialisme en Amérique latine et en Asie du Sud‑Est, les références à l’État néopatrimonial ne sont pas synonymes de patrimonialisation intégrale. À ces deux courants s’en ajoute un troisième qui fait référence à des situations où la patrimonialisation tend à devenir intégrale. Ce courant d’analyse s’inscrit explicitement dans la lignée des travaux africanistes sur les interactions entre personnalisation du pouvoir, clientélisme et désinstitutionnalisation de l’État. En Ukraine, le système politique dominé par Leonid Kuchma (1994‑2005) depuis son indépendance de l’Union soviétique est qualifié de néopatrimonial au regard d’une « désintégration de l’appareil d’État, de la capture de l’État par les clans au pouvoir [et] de la diffusion de pratiques corrompues dans la bureaucratie d’État »141. C’est toutefois en Ouzbékistan et à propos du régime d’Islam Karimov (1990‑), que l’intérêt heuristique du modèle de l’État néopatrimonial intégral trouve une expression empirique quasi parfaite. Aux logiques de désinstitutionnalisation de l’État africain postcolonial, font écho des processus de « capture rampante » du système politico‑administratif hérité des Soviétiques par des réseaux de patronage et d’intérêts142. La patrimonialisation de l’État est la contrepartie de l’établissement d’un système de pouvoir personnel, fondé sur l’intégration de logiques d’alliances claniques dans des relations de clientèle et le détournement des ressources que confère le contrôle de l’appareil d’État. Poussée à l’extrême, l’informalisation des relations de pouvoir a pour contrepartie l’émergence d’un « réseau de pouvoir parallèle face à la hiérarchie existante de l’État »143, une configuration évocatrice du paradigme de l’État fantôme de W. Reno précédemment évoqué. La perspective sous‑jacente, pour paraphraser une formule restée célèbre, serait celle d’un développement du sous‑développement institutionnel de l’État au regard de sa dissolution dans des réseaux informels. NÉOPATRIMONIALISME ET TÉLÉOLOGIE DU DÉCLIN : LES APORIES D’UNE APPROCHE RÉIFIÉE DE L’ÉTAT AFRICAIN

En tant que modèle hybride, le néopatrimonialisme a longtemps permis aux travaux des africanistes d’échapper aux critiques que suscitaient dans d’autres parties du monde les références au patrimonialisme, stigmatisé

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au regard d’usages métaphoriques, allusifs et laxistes144. Initialement expérimentée par Médard pour rendre compte du système politique camerounais, la référence au néopatrimonialisme s’est, en Afrique, révélée d’un apport considérable pour rendre compte du fonctionnement des régimes politiques postcoloniaux. De nos jours, la dissémination du paradigme néopatrimonial sur le continent demeure sans équivalent dans les autres régions du monde. Les travaux des politistes sur le néopatrimonialisme ont été largement repris au sein des institutions multilatérales, ONG, think tanks et bailleurs de fonds internationaux145, avec pour conséquence des objets d’étude de plus en plus disparates146. Qualifé par certains d’endémique147, voire de « paradigme des quatre saisons »148, le concept de néopatrimonialisme est, en Afrique tout particulièrement, associé à une doxa qui, amplifiée par les travaux sur l’État développemental en Asie, tend à faire de l’État africain une expression quintessentielle de processus de désinstitutionnalisation et de déterritorialisation. Légué par le colonisateur, l’appareil institutionnel et bureaucratique ne serait plus qu’une simple façade, minée par la prépondérance de logiques d’informalisation et de capture par des réseaux plus ou moins criminalisés. En bref, une équivalence s’est instaurée entre néopatrimonialisme et prédation, la persistance ou l’émergence de pratiques contenues, voire régulées, étant écartée. Dès les années 1990, les processus de démocratisation, quels qu’aient été leurs limites, invitaient pourtant à substituer aux discours sur l’État néopatrimonial(isé), une approche plus fine, fondée sur l’identification du degré et de la nature du néopatrimonialisme au sein de l’État. La doxa néopatrimoniale s’avérait également peu apte à rendre compte des variations empiriques considérables obervées, par exemple, dans les pratiques de management public des États africains149. Trop longuement négligée en Afrique, l’étude des modes d’expression du néopatrimonialisme « régulé » mérite d’être réhabilitée. C’est à un tel modèle que renvoient indirectement les travaux d’A. Pitcher et ses co‑auteurs qui décrivent un système politique du Botswana où les élites : [...] n’ont pas abandonné le patrimonialisme [traditionnel] ni ne l’ont dépassé, mais ont plutôt construit un État démocratique en s’appuyant sur des loyautés et réciprocités traditionnelles et fortement



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personnalisées [...]. [En conséquence...] l’une des success stories de l’Afrique [...] est peut-être aussi l’un des États les plus clairement susceptibles d’être qualifiés de « patrimonial » ou « néopatrimonial ». Au Botswana, à travers des liens réciproques complexes entre le gouvernement et ses citoyens, la légitimité est créée et renforcée à travers l’État de droit et des liens personnels…150

Le système politique du Botswana, concluent les auteurs, démontre comment le néopatrimonialisme n’est pas incompatible avec une forte légitimité et un État développemental151. Bien que les prémisses ne soient pas identiques, on retrouve ici les éléments de diagnostics portés en leur temps à propos des régimes de Jomo Kenyatta ou de Houphouët-Boigny. Le néopatrimonialisme n’est intrinsèquement porteur d’aucune dimension téléologique. Les trajectoires « développementales » des différentes vagues de pays émergents soulignent que la coexistence de logiques patrimoniales et légal‑rationnelles ne saurait préjuger de la capacité de l’une ou de l’autre des composantes à exercer une emprise structurante. En Afrique, comme ailleurs, l’identification de rapports régulés et contenus entre espaces publics et intérêts privés n’aurait jamais dû cesser de constituer un objet d’étude pertinent. Les évolutions en cours sur le continent, à l’instar de celles précédemment observées dans certains États d’Amérique latine et d’Asie du Sud‑Est, incitent à une relecture des interactions entre néopatrimonialisme, développement institutionnel et État développemental en Afrique. Ici, comme ailleurs, l’État peut, dans certaines circonstances, se révéler être tout à la fois néopatrimonial et développemental152. La démarche comparatiste ne saurait être considérée comme un simple détour alors que l’Afrique, désormais érigée en front pionnier et en continent émergent, donne à voir l’ampleur et la profondeur des bouleversements qu’engendre un mouvement indissociable de fortes synergies entre appareils d’États et acteurs privés.

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NOTES   1. G. Roth, “Personal Rulership, Patrimonialism and Empire Building in the New States”, World Politics, 20(2), January 1968, p. 194.   2. C. Ake, “Charismatic Legitimation and Political Integration”, Comparative Studies in Society and History, 9(1), 1966, p. 6‑13.   3. F. Parkin, Max Weber, 3rd ed., London/New York, Routledge, coll. “Key sociologists”, 2004, p. 81‑82.   4. A. Zolberg, Creating Political Order the Party States in West Africa, Chicago, Rand McNally, 1966, p. 140‑141.   5. G. Roth, 1968, art. cit., p. 196.   6. S.N. Eisenstadt, Traditional Patrimonialism and Modern Neo‑Patrimonialism, Beverly Hills (CA)/London, Sage publications, coll. “Studies in comparative modernization series, Sage Research Papers in social sciences, no 90‑003”, 1973, p. 11.   7. Ibid., p. 15   8. R.H. Jackson and C.G. Rosberg, Personal Rule in Black Africa: Prince, Autocrat, Prophet, Tyrant, Berkeley (CA), University of California Press, 1982, p. 120‑126.   9. Ibid., p. 74.   10. V.T. Le Vine, “African Patrimonial Regimes in Comparative Perspective”, The Journal of Modern African Studies, 18(4), 1980, p.  658 ; sur l’appréhension de l’espace public dans les sociétés précoloniales, voir T. Dahou, « L’espace public face aux apories des études Africaines », Cahiers d’études africaines, 178 (Le retour du politique), 2005, p. 329‑336 et J.‑P. Olivier de Sardan, “A Moral Economy of Corruption in Africa?”, Journal of Modern African Studies, 37(1), 1999, p. 25‑52.   11. M. Mamdani, Citizen and Subject: Contemporary Africa and the Legacy of Late Colonialism, Princeton, Princeton University Press, 1996, p. 53‑61.   12. C. Young and T. Turner, The Rise and Decline of the Zairian State, Madison (WI), University of Wisconsin Press, 1985, p. 164 ; C. Young, The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven/London, Yale University Press, 1994, p. 291 sqq.   13. J.‑C. Willame, 1972, op. cit., p. 2 et 128.   14. T.M. Callaghy, The State‑Society Struggle: Zaire in Comparative Perspective, New York, Columbia University Press, 1984.   15. T. Callaghy, 1984, op. cit., p. 65.   16. Ibid., p. 46.   17. Ibid., p. 66.



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  18. A.R. Zolberg, “Political Development in the Ivory Coast since Independence”, in P. Foster P. and A.R. Zolberg (Eds), Ghana and the Ivory Coast: Perspectives on Modernization, London/Chicago, University of Chicago Press, 1971, p. 13‑14 ; J.‑C. Willame, Patrimonialism and Political Change in the Congo, Stanford (CA.), Stanford University Press, 1972, p. 162.   19. J.‑F. Médard, « L’État sous‑développé au Cameroun », Année africaine, 1977, Paris, Pedone, 1979, p. 39.   20. Ibid., p. 68.   21. J.‑F. Médard, “The Underdeveloped State in Tropical Africa: Political Clientelism or Neo‑Patrimonialism?”, in C. Clapham (Ed.), Private Patronage and Public Power: Political Clientelism in the Modern State, London, Frances Printer, 1982, p. 162‑192 ; S.N. Eisenstadt and R. Lemarchand (Eds), Political Clientelism, Patronage and Development, Beverly Hills, Sage, 1981.   22. D. Bourmaud, La Politique en Afrique, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs, Politique », 1997, p. 61.   23. M. Sahlins, “Poor Man, Rich Man, Big‑Man, Chief: Political Types in Melanesia and Polynesia”, Comparative Studies in Society and History, 5(3), April 1963, p. 285‑303.   24. J.‑F. Médard, « Charles Njonjo : portrait d’un “big man” au Kenya », dans E. Terray (dir.), L’État contemporain en Afrique, Paris, l’Harmattan, coll. « Logiques sociales, 19 », 1987, p.  49‑87 ; Y.‑A. Fauré et J.‑F. Médard, « L’État‑business et les politiciens entrepreneurs. Néo‑patrimonialisme et big  men  : économie et politique », dans Y.‑A. Fauré et S. Ellis (dir.), Entreprises et entrepreneurs africains, Paris, Éd. Karthala/Éd. de l’ORSTOM, coll. « Hommes et sociétés », 1995, p. 289‑309.   25. M. Bratton and N. van de Walle, “Neopatrimonial Regimes and Political Transitions in Africa”, World Politics, 46(4), July 1994, p. 458.   26. D. Bourmaud, 1997, op. cit., p. 62.   27. N. van de Walle, “Neopatrimonialism and Democracy in Africa, With an Illustration from Cameroon”, in J.A. Widner (Ed.), Economic Change and Political Liberalization in Sub‑Saharan Africa, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1994, p. 131.   28. J.‑F. Médard, « L’État et le politique en Afrique », Revue française de science politique, 50(4), 2000, p. 854.   29. J.‑P. Olivier de Sardan, “A Moral Economy of Corruption in Africa?”, Journal of Modern African Studies, 37(1), 1999, p. 25‑52.   30. D. Bourmaud, « L’État centrifuge au Kenya », dans J.‑F. Médard (dir.), États d’Afrique noire  : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 262.

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  31. Ibid., p. 263‑274.   32. R.C. Crook, “Patrimonialism, Administrative Effectiveness and Economic Development in Côte d’Ivoire”, African Affairs, 88(351), 1989, p. 214.   33. R. Sandbrook, The Politics of Africa’s Economic Stagnation, Cambridge/ New York, Cambridge University Press, coll. “African society today”, 1985, p. 119‑121.   34. R. Crook, 1989, art. cit., p. 227‑228.   35. J.‑F. Médard, « État, démocratie et développement  : l’expérience camerounaise », dans S. Mappa (dir.), Développer par la démocratie ? : injonctions occidentales exigences planétaires, Paris, Éd. Karthala, coll. « Publications du Forum de Delphes, 6 », 1995, p. 360‑361.   36. R. Theobald, “Patrimonalism”, World Politics. A Quarterly Journal of International Relations, 34(4), July 1982, p. 550.   37. J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », Médard J.‑F. (dir.), États d’Afrique noire : formation, mécanismes et crise, op. cit., p. 339.   38. N. Vidal, “The Angolan Regime and the Move to Multiparty Politics”, in P. Chabal and N. Vidal (Eds), Angola: The Weight of History, New York, Columbia University Press, 2008, p. 127.   39. D. Bigo, Pouvoir et obéissance en Centrafrique, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1988.   40. R. Lemarchand, “The Democratic Republic of the Congo: From Failure to Potential Reconstruction”, in R.I. Rotberg (Ed.), State Failure and State Weakness in a Time of Terror, Cambridge (MA)/Washington (DC), World Peace Foundation/Brookings Institution Press, 2003, p. 31.   41. C. Young and T. Turner, 1985, op. cit., p. 165.   42. H.E. Chehabi and J.J. Linz (Eds), Sultanistic Regimes, Baltimore (MD), Johns Hopkins University Press, 1998.   43. P. Englebert, State Legitimacy and Development in Africa, Boulder/London, Lynne Rienner, 2000, p. 104‑105.   44. À l’instar de la dichotomie utilisée par C. Geffray afin de décrire les rapports entre État et criminalité au Brésil ; C. Geffray, « État, Richesse et Criminels », Mondes en développement, 2000, 18(110), p. 15‑30.   45. M. Bratton and N. van de Walle, 1994, art. cit., p. 459.   46. J.‑F. Bayart, L’État en Afrique, la politique du ventre, 1re éd., Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique, 29 », 1989, p. 20‑64 ; J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », 1991, op. cit., p. 323‑324.   47. R. Jackson et C. Rosberg, 1982, op. cit.   48. Empruntée à Weber, la notion de prébendes fait référence à l’inflation des emplois et fonctions politico‑bureaucratiques qu’engendrent la refonte



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du système fédéral – avec la création des nouveaux États et collectivités locales – et la transition vers la IIe République ; R.A. Joseph, Democracy and Prebendal Politics in Nigeria, the Rise and Fall of the Second Republic, Cambridge, Cambridge University Press, coll. “African studies series, 56”, 1987. R.H. Jackson, Quasi‑states: Sovereignty, International Relations, and the Third World, Cambridge, Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in International Relations, 12”, 1993. Sur les rapports entre néopatrimonialisme et politique du ventre, voir par exemple D. Bourmaud, 1997, op. cit., p. 56‑59. J.‑F. Bayart, A. Mbembe et C. Toulabor, Le politique par le bas en Afrique noire, nelle éd. augm., Paris, Éd. Karthala, coll. « Les Afriques », 2008. J.‑F. Médard, « L’État sous‑développé au Cameroun », 1979, op.  cit., p. 35‑84. C. Young, The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven/ London, Yale University Press, 1994, p.  291 ; également G. Hyden, “The Governance Challenge in Africa”, in G. Hyden, D. Dele and H.W. Okoth‑Ogendo (Eds), African Perspectives on Governance, Trenton (NJ), Africa World Press, 2000, p. 24. N. van de Walle, 1994, op. cit., p. 131. J.‑F. Médard, « Étatisation et désétatisation en Afrique noire », 1991, op. cit., p. 356‑365. R. Crook, 1989, art. cit., p. 206. R. Sandbrook, 1985, op. cit., p. 12‑13 et 89 sqq. N. van de Walle, African Economies and the Politics of Permanent Crisis, 1979‑1999, Cambridge/New York, Cambridge University Press, coll. “Political economy of institutions and decisions”, 2001, p. 49‑63. N. van de Walle, 1994, op. cit., p. 130. M. Bratton and N. van de Walle, 1994, art. cit., p. 473‑474. T. Mkandawire, “Thinking About Developmental States in Africa”, Cambridge Journal of Economics, 25, 2001, p. 289. J. Forrest, “State Inversion and Non‑State Politics”, in L.A. Villalón and P.A. Huxtable (Eds), The African State at a Critical Juncture: Between disintegration and reconf iguration, London/Boulder (CO), Lynne Rienner Publishers, 1998, p. 45‑56. M. Ottaway, “Nation‑Building and State Disintegration”, in K. Mengisteab and C. Daddieh (Eds), State Building and Democratization in Africa: Faith, Hope and Realities, Westport (Conn.), Praeger, 1999, p. 83.

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

  64. W. Reno, Corruption and State Politics in Sierra Leone, Cambridge (UK)/ New York, Cambridge University Press, coll. “African studies series, 83”, 1995.   65. P. Chabal and J.‑P. Daloz, Africa Works: Disorder as Political Instrument, London/Oxford/Bloomington, International African Institute/James Currey/Indiana University Press, coll. “African issues”, 1999, p. 24.   66. R. Sandbrook, 1985, op. cit.   67. G. Hyden, 2000, op. cit., p. 19.   68. I. McIntyre cité dans P. Searle, The Riddle of Malaysian Capitalism: Rent‑Seekers or Real Capitalists?, Honolulu, Asian Studies Association of Australia/Allen & Unwin/University of Hawai’i Press, coll. “Southeast Asia publications series”, 1999, p. 8.   69. P. Evans, “Predatory, Developmental and Other Apparatuses: A Comparative Analysis of the Third World State”, Sociological Forum, 4(4), 1989, p. 570.   70. A. Kohli, State‑Directed Development: Political Power and Industrialization in the Global Periphery, Cambridge (UK)/New York, Cambridge University Press, 2004, p. 408.   71. A. Kohli, 2004, op. cit.   72. Ibid., p. 381‑382.   73. Ibid., p. 289.   74. Ibid., p. 394‑395.   75. G. Zabludovsky, “The Reception and Utility of Max Weber’s Concept of Patrimonialism in Latin America”, International Sociology, 4(1), 1989, p. 51‑66 ; R. Roett, Brazil: Politics in a Patrimonial Society, 3rd ed., West Port, Praeger, 1984.   76. R.M. Morse, “The Heritage of Latin America”, in L. Hartz (Ed.), The  Founding of New Societies: Studies in the History of the United States, Latin America, South Africa, Canada, and Australia, New York, Harcourt, Brace & World Inc., 1964, p.  157‑158 ; M. Sarfatti, Spanish Bureaucratic‑Patrimonialism in America, Berkeley, Institute of International Studies, University of California, coll. “Politics of modernization series, 1”, 1966.   77. E. Florescano et I. Gil Sánchez, cités dans G. Zabludovsky, 1989, art. cit., p. 52.   78. R. Morse, 1964, art. cit., p. 163.   79. Sur ce point, voir T. Callaghy, 1984, op. cit., p. 29.   80. R. Roett, 1984, op. cit., p. 1 ; F. Uricoechea, The Patrimonial Foundations of the Brazilian Bureaucratic State, Berkeley, University of California Press, 1980.



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

  81. M.J. Osiel, “The Dilemma of the Latin American Liberal: The Case of Raymundo Faoro”, Luso‑Brazilian Review, 23(1), 1986, p. 39 sqq.   82. R. Roett, 1984, op. cit., p. 23.   83. Idem.   84. E. Botelho Junqueira, « La sociologie juridique brésilienne à travers le miroir », Droit et Société, 22, 1992, p. 437 et 439.   85. G. Zabludovsky, 1989, art. cit., p. 57.   86. S. Schwartman, “Back to Weber: Corporatism and Patrimonialism in the Seventies”, in J.M. Malloy (Ed.), Authoritarianism and Corporatism in Latin America, Pittsburgh, University of Pittsburgh Press, coll. “Pitt Latin American series”, 1977, p. 89‑106.   87. L. Meyer cité dans G. Zabludovsky, 1989, art. cit., p. 58.   88. O. Oszlak, “Public Policy and Political Regimes in Latin America”, International Social Science Journal, 38(2), 1986, p. 230.   89. Ibid., p. 229.   90. Ibid., p. 232.   91. Ibid., p. 233.   92. K.L. Remmer, “Neopatrimonialism: The Politics of Military Rule in Chile, 1973‑1987”, Comparative Politics, 21(2), January 1989, p. 150. Le caractère massif des détournements de fonds pratiqués par Augusto Pinochet a été révélé par le rapport du Sénat américain sur ses comptes secrets à la banque Riggs de Washington ; “The Secret Pinochet Portfolio: Former Dictator’s Corruption Scandal Broadens”, George Washinton University National Security Archive Electronic Briefing Book, no 149. [http://www.gwu.edu/~nsarchiv/NSAEBB/NSAEBB149/index.htm]   93. Ibid., p. 165.   94. J.A. Bill and C. Leiden, The Middle East: Politics and Power, Boston, Allyn & Bacon, 1974, p. 104‑105.   95. Ibid., p. 250.   96. Ibid., p.  142 ; J. Waterbury, “Endemic and Planned corruption in a Monarchical Regime”, World Politics, 25(4), July 1973, p. 535.   97. J. Leca et Y. Schemeil, « Clientélisme et patrimonialisme dans le monde arabe », International Political Science Review, 4(4), 1983, p. 474 sqq.   98. J. Brownlee, “…And Yet They Persist: Explaining Survival and Transition in Neopatrimonial Regimes”, Studies in Comparative International Development, 37(3), September 2002, p. 35‑63.   99. R. Brynen, “The Neopatrimonial Dimension of Palestinian Politics”, Journal of Palestine Studies, 25(1), Autumn 1995, p. 23‑36 ; I. Amundsen, “Corruption and State‑Formation in Palestine”, in J. Chr. Andvig,

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

100. 101. 102. 103. 104. 105. 106. 107. 108.

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110. 111.

112.

O.‑H. Fjeldstad and A. Shrivastava, Corruption: Critical Assessments of Contemporary Research, WP 2001‑17, Bergen, Chr. Michelsen Institute, 2000, p. 16‑17. A. Le More, International Assistance to the Palestinians after Oslo: Political Guilt, Wasted Money, London, Routledge, coll. “Routledge studies on the Arab‑Israeli conflict, 1”, 2008. D. Brown, The State and Ethnic Politics In Southeast Asia, London/ New York, Routledge, coll. “Politics in Asia series”, 1994, p. 117. H. Crouch, “Patrimonialism and Military Rule in Indonesia”, World Politics, 31(4), July 1979, p. 575. Ibid., p. 578‑579. W.R. Liddle, “The Relative Autonomy of the Third World Politician: Soeharto and Indonesian Economic Development in Comparative Perspective”, International Studies Quarterly, 35(4), December 1991, p. 418. P.M. Lewis, Growing Apart: Oil, Politics, and Economic Change in Indonesia and Nigeria, Ann Arbor (MI), University of Michigan, coll. “Interests, identities, and institutions in comparative politics”, 2007, p. 7 et 65‑66. P.D. Hutchcroft, Booty Capitalism: The Politics of Banking in the Philippines, Ithaca (NY ), Cornell University Press, 1998, p. 20. Ibid., p. 52. K. Yoshiharas, The Rise of Ersatz Capitalism in South‑East Asia, Singapore/ New York, Oxford University Press, 1988 ; N.J. White, “The Beginnings of Crony Capitalism: Business, Politics and Economic Development in Malaysia, c. 1955‑70”, Modern Asian Studies, 38(2), 2004, p. 389‑390. Initialement suggérée par F. Riggs à propos de la Thaïlande, cette formule fait référence aux caractéristiques (domination sans intégration) de la prépondérance chinoise dans la vie économique locale des quatre États concernés ; Searle, 1999, op. cit., p. 7. Idem. Ibid., p. 8 ; J.E. Hunter, The Emergence of Modern Japan: An Introductory History since 1853, London/New York, Longman, 1989. Au sein du Japon contemporain, liens du sang et alliances matrimoniales continuent également de véhiculer une forte interpénétration entre personnels politiques et bureaucratiques, ainsi qu’en témoigne la transmission sur un mode héréditaire et intrafamilial de patrimoines, de statuts professionnels ; É. Seizelet, « La patrimonialisation des charges parlementaires au Japon », Critique internationale, 33(4), octobre‑décembre 2006, p. 115‑133. P. Searle, 1999, op. cit., p. 8.



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

113. D.C. Kang, Crony Capitalism: Corruption and Development in South Korea and the Philippines, Cambridge/New York, Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in comparative politics”, 2002, p. 4. 114. Ibid., p. 63‑64. 115. Ibid., p. 6. 116. M. Maslovski, “Max Weber’s concept of patrimonialism and the Soviet system”, Sociological Review, 44(2), 1996, p. 295. 117. Ibid., p. 303 ; J. Hughes, “Patrimonialism and the Stalinist system: The case of S.I. Syrtsov”, Europe‑Asia Studies, 48(4), June 1996, p. 551 ; A. Ilkhamov, “Neopatrimonialism, Interest Groups and Patronage Networks: The Impasses of the Governance System in Uzbekistan”, Central Asian Survey, 26(1), 2007, p. 74. 118. Y. Gorlizki, “Ordinary Stalinism: The Council of Ministers and the Soviet Neopatrimonial State, 1946‑1953”, Journal of Modern History, 74(4), 2002, p. 701‑702. 119. J. Hughes, 1996, art. cit, p. 563 ; Y. Gorlizki, 2002, art. cit., p. 720‑721. 120. J. Hughes, 1996, art. cit., p. 551 et note 1, p. 565. 121. Les membres du Politburo étaient ainsi fréquemment convoqués à des réunions nocturnes, organisées « informellement » dans la salle à manger de la datcha de Staline ; un sentiment d’intimité mêlé à la peur habitait alors les participants ; Y. Gorlizki, 2002, art. cit., p. 718. 122. Ibid., p. 701‑702. 123. Ibid., p. 727. 124. R.H. Linden, “Socialist patrimonialism and the global economy: The case of Romania”, International Organization, 40(2), March 1986, p. 347. 125. Ibid., p. 348. 126. H.P. Kitschelt, “Divergent Paths of Postcommunist Democracies”, in L.J.  Diamond and R. Gunther (Eds), Political Parties and Democracy, Baltimore (MD), Johns Hopkins University Press, coll. “Journal of democracy book”, 2001, p. 299‑323. 127. H. Kitschelt, Z. Mandsfeldova, R. Markowski and G. Tóka, Post‑Communist Party Systems: Competition, Representation and Inter‑Party Cooperation, Cambridge/New York, Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in comparative politics”, 1999, p. 21. 128. H. Kitschelt et al., 2001, op. cit., p. 38‑39. 129. S. Guriev and A. Rachinsky, “The Role of Oligarchs in Russian Capitalism,” Journal of Economic Perspectives, 19(1), winter 2005, p.  131‑150 ; T. Gustafson, Capitalism Russian‑Style, Cambridge (UK)/ New York, Cambridge University Press, 1999.

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

130. J.S. Hellman, G. Jones, D. Kaufmann and M. Schankerman, Measuring Governance, Corruption, and State Capture: How Firms and Bureaucrats Shape the Business Environment in Transition Economies, Washington (D.C.), The World Bank/World Bank Institute, Governance, Regulation and Finance/European Bank for Reconstruction and Development Chief Economist’s Office, coll. “Policy Research Working Paper, no 2312”, April 2000 ; J.S. Hellman and D. Kaufmann, “Confronting the Challenge of State Capture in Transition Economies”, Finance and Development, 38(3), September 2001, p. 31‑35. 131. La notion est aussi bien mobilisée par des économistes de l’école de Chicago et les économistes néoclassiques que par des travaux qui font référence à ceux de Karl Marx et de Paul Baran sur la capture de l’État par le grand capital ; J.‑J. Laffont and J. Tirole, A theory of Incentives in Procurement and Regulation, Cambridge (MA), MIT Press, 1993, p. 476. 132. European Bank for Reconstruction and Development, Transition Report 1999: Ten years of Transition, London, EBRD, coll “Transition report”, 1999. [http://transitionreport.co.uk/TRO/c.abs/transition‑report/volume1999/ issue1/article93] 133. J. Hellman and D. Kaufmann, 2001, art. cit., p. 31. 134. Il s’agit de l’Azerbaïdjan, de la Bulgarie, de la Croatie, de la Géorgie, du Kirghizstan, de la Lituanie, de la Moldavie, de la Roumanie, de la Russie, de la Slovaquie et de l’Ukraine ; J.S. Hellman, G. Jones and D. Kaufmann, Seize the State, Seize the Day: State Capture, Corruption and Influence in Transition, Washington (D.C.), World Bank, coll. “World Bank Policy Research Working Paper, no 2444”, September 2000, p. 1‑41. 135. I. Slinko, E. Yakovlev and E. Zhuravskaya, “Laws for Sale: Evidence from Russia”, American Law and Economics Review, 7(1), 2005, p. 284‑318. 136. E. Yakovlev and E. Zhuravskaya, State Capture: From Yeltsin to Putin, Moscou, CEFIR/NES Working paper series, Working paper no 94, January 2006, p. 19 ; G. Favarel‑Garrigues, « Violences mafieuses et pouvoir politique en Russie », dans J.‑L. Briquet et G. Favarel‑Garrigues (dir.), Milieux criminels et pouvoir politique : les ressorts illicites de l’État, Paris, Karthala, coll. « Recherches internationales », 2008, p. 187‑218. 137. H. van Zon, Russia’s Development Problem: The Cult of Power, London, Palgrave, coll. “Studies in economic transition”, 2008. 138. M. Maslovski, 1996, art. cit., p. 302.



Patrimonialisme et néopatrimonialisme

139. H. van Zon, “Neo‑Patrimonialism as an Impediment to Economic Development: The Case of Ukraine”, Journal of Communist Studies and Transition Politics, 17(3), 2001, p. 72. 140. Y. Gorlizki, 2002, art. cit., p. 701‑702. 141. H. van Zon, 2001, art. cit., p. 72. 142. A. Ilkhamov, 2007, art. cit., p. 75. 143. Ibid., p. 71. 144. R. Theobald, art. cit., p. 548‑559 ; J. Leca et Y. Schemeil, « Clientélisme et patrimonialisme dans le monde arabe », International Political Science Review, 4(4), 1986, p. 474 sqq ; Y. Gorlizki, 2002, art. cit., p. 701‑702. 145. Au début des années 2000, les études et programmes du Department for International Development (DFID) britanniques ont tenté d’opérationnaliser le paradigme néopatrimonial dans le cadre de programmes de développement (le programme Drivers of Change, en particulier). Parmi les instituts et think tanks internationaux qui ont activement contribué à la diffusion des travaux des politistes sur l’État néopatrimonial figurent l’Overseas Development Institute (Londres) et le Chris Michelsen Institute (Bergen) ; D. Cammack, “The Logic of African Neopatrimonialism: What Role for Donors?”, Development Policy Review, 25(5), August 2007, p. 599‑614 ; B. Levy and S.J. Kpundeh (Eds), Building State Capacity in Africa: New Approaches, Emerging Lessons, Washington (DC), World Bank, coll. “WBI development studies”, 2004, p.  6 sqq ; S.D. Kaplan, Fixing Fragile States: A New Paradigm for Development, Westport (CO), Praeger Security International, 2008, p. 49‑64. 146. C. von Soest, How Does Neopatrimonialism Affect the African State? The Case of Tax Collection in Zambia, German Institute of Global and Area Studies Working Paper no 32, November 2006 ; T. Rauch, “Poverty reduction in a political trap? The PRS process and neopatrimonialism in Zambia”, Africa Spectrum, 41(3), 2006, p. 479‑481 ; A. DeGrassi, “Neopatrimonialism and Agricultural Development in Africa: Contributions and Limitations of a Contested Concept”, African Studies Review, 51(3), December 2008, p. 107‑133. 147. G. Erdmann and U. Engel, “Neopatrimonialism Reconsidered: Critical Review and Elaboration of an Elusive Concept”, Commonwealth and Comparative Politics, 45(1), 2007, p. 95‑119. 148. O. Therkildsen, “Understanding Public Management Through Neopatrimonialism: A Paradigm for all African Seasons?”, in U. Engel and G.R. Olsen (Eds), The African Exception, Aldershot, Ashgate, coll. “Comtemporary perspectives on developing societies”, 2005, p. 36.

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149. O. Therkildsen, 2005, op. cit., p. 36. 150. A. Pitcher, M.H. Moran and M. Johnston, “Rethinking Patrimonialism and Neopatrimonialism in Africa”, African Studies Review, 52(1), 2009, p. 150. 151. Ibid., p. 134 152. L.J. de Haan, “Perspectives on African Studies and Development in Sub‑Saharan Africa”, Africa Spectrum, 45(1), 2010, p. 108‑109.

III

Le modèle de l’entrepreneur politique Daniel Compagnon

N

ombre de travaux sur le néopatrimonialisme en Afrique, y compris l’œuvre pionnière de Jean‑François Médard1, ont d’abord mis l’accent sur les structures de l’État « importé »2 et d’une société civile captive, telles que façonnées par l’ère coloniale. Ils ont souligné par exemple le rôle de la parenté et la manipulation de l’ethnicité, en tentant d’expliquer les variations du phénomène observables empiriquement par les trajectoires historiques des différents pays3. Toutefois, l’étude comparative des néopatrimonialismes africains ne peut faire l’économie d’une analyse du poids spécifique des leaders et du style de leadership4. De ce rôle central de certains acteurs sociaux dans la dynamique politique des systèmes néopatrimoniaux, J.‑F. Médard a eu également l’intuition. À partir d’une analyse fine de la trajectoire personnelle du politicien et homme d’affaires kenyan Charles Njonjo5, le politiste bordelais forge la notion de big man africain et analyse la carrière de ce « politicien entrepreneur »6, en s’inspirant à la fois de théorie sociologique de l’échange social et politique, des analyses anthropologiques du big man mélanésien7, et d’un article précurseur de Jean‑Patrice Lacam sur le politicien investisseur en France8. Par delà les différences observées entre les époques et les latitudes, le concept d’entrepreneur politique subsume des stratégies de conquête et de conservation du pouvoir profondément similaires, établissant un lien fonctionnel entre l’acteur politique et le contexte néopatrimonial d’interaction. À rebours d’un évolutionnisme ethnocentrique qui voudrait



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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

n’y voir qu’une forme moderne et par là même cantonnée aux « marchés politiques » plus aboutis, que seraient les démocraties occidentales, l’entreprise politique relève de l’histoire longue et du comparatisme le plus large. Notre démarche s’efforce ici d’être fidèle à l’esprit éclectique d’un chercheur qui transgressait les tabous intellectuels et pratiquait la comparaison en restant attentif à la variance culturelle des sociétés, mais aux antipodes du culturalisme. Après avoir souligné la validité potentiellement universelle du concept d’entrepreneur et d’entreprise politique, à travers un bref rappel de la genèse intellectuelle de cette approche, nous entendons souligner son caractère heuristique pour l’intelligibilité des systèmes politiques africains. UN CONCEP T CLÉ

C’est Max Weber qui, dans sa célèbre conférence Politik als Beruf 9 a le premier souligné les spécificités d’une activité tendue vers la conquête du pouvoir, quelles qu’en soient les motivations, idéales ou égoïstes, y compris le désir « de jouir du sentiment de prestige qu’il confère »10. Ainsi était mise en évidence l’existence d’une catégorie d’acteurs vivant de la politique et non pour elle, et pour lesquels cette activité constitue une source permanente de revenus. L’entrepreneur politique est charismatique en tant qu’il suscite et entretient la confiance (la foi en sa personne) de ses partisans par sa capacité de rétribution11, notamment à travers un système de « dépouilles » plus ou moins officialisé et le contrôle clientéliste des emplois publics. Il est perpétuellement à la recherche de ressources, et la conquête du pouvoir, d’objectif, se mue aisément en moyen d’accéder aux prébendes, de façon à rémunérer ses partisans et concourir à la reproduction de ce pouvoir. Dans ce contexte, comme note déjà Max Weber, la corruption n’est qu’une forme « dénaturée, irrégulière et formellement illégale »12 de rémunération de l’activité politique. D’où l’intérêt porté par cet auteur au boss de la machine partisane locale aux États‑Unis du début du xxe siècle. Cet « entrepreneur politique capitaliste » (dixit) investit ses ressources (issues soit d’une activité économique soit de la corruption) pour apporter un bloc de voix au candidat à l’élection, en échange d’une influence future sur le système décisionnel. Celle‑ci lui garantit une sorte de retour sur investissement avec un droit de regard sur l’attribution future des prébendes. Entre l’élu,



Le modèle de l’entrepreneur politique

le boss et le fonctionnaire de parti s’opère une division du travail – assortie de passerelles entre ces rôles en cours de carrière – au service de l’entreprise politique commune. Comme l’ont souligné des travaux ultérieurs sur la politique locale aux États Unis, « une machine politique est une organisation commerciale dans un champ particulier des affaires : obtenir des votes et gagner des élections »13. La corruption est au cœur de son fonctionnement, mais ce n’est pas une condition absolue de son existence ; en revanche, celle‑ci est étroitement liée à un contexte historique et social spécifique : des électeurs de milieux défavorisés, peu instruits, peu motivés par les controverses idéologiques et bien davantage par les rétributions et services que cette organisation peut offrir. C’est dans un contexte semblable que se déroule aujourd’hui la compétition politique dans beaucoup de sociétés du tiers‑monde. Le professionnel de la politique, souligne Weber, s’est incarné dans différentes figures historiques et le chef de parti parlementaire contemporain, qu’il examine plus en détail, n’en constitue qu’un cas particulier. Weber évoque ainsi les figures du chef de bande (de chasseurs/cueilleurs néolithiques ou de brigands, ce n’est pas précisé), du fermier général de l’Ancien Régime et du condottiere italien de la fin du xive et du début du xve siècle. Ce dernier, chef d’une armée privée qui loue ses services militaires à un prince ou une cité, est, davantage qu’un mercenaire, un entrepreneur qui combat pour le pouvoir et l’argent. Amoral dans la guerre comme d’autres le sont dans le commerce, le condottiere use de la menace afin d’obtenir des terres et des titres, forçant ainsi l’entrée du cercle étroit de l’aristocratie italienne (l’un d’eux, Francesco Sforza, devient duc de Milan en 1450, d’autres deviendront Pape). Soucieux de réussir politiquement par la guerre, le condottiere victorieux ne songe qu’à se tailler une principauté, soit dans le territoire de l’adversaire défait, soit dans celui de son maître affaibli, agissant en associé/rival plutôt qu’en employé docile14. Dans les cités italiennes de la Renaissance, riches en capital et pauvres en capacités de coercition15, le condottiere coexiste avec d’autres types d’entrepreneurs politiques. Certains sont des « capitalistes » qui accèdent au pouvoir du fait de leur richesse et de l’influence qu’elle leur donne (p.ex., les Médicis), d’autres des « experts » rendus indispensables par leur compétence (tel le juriste/conseiller Cicco Simonetta à Milan). Un autre cas de figure d’entrepreneur politique réussissant par la guerre, est illustré par Albert de Wallenstein qui recruta et équipa plusieurs

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

régiments pendant la guerre de Trente Ans, pour les louer à l’empereur germanique et roi d’Autriche Ferdinand II et devenir son général en chef. Il reçut, en récompense, des terres étendues et le droit d’y lever des impôts, avant de finir assassiné parce qu’il devenait plus riche et plus puissant que l’empereur lui‑même16. C’est encore Weber qui voit dans les affrontements entre Guelfes et Gibelins de l’Italie du Moyen Âge les ancêtres des partis modernes. Il n’y a pas, selon lui, de différence d’essence entre les entreprises politiques du passé et la compétition sur le « marché électoral » (dixit) contemporain. Derrière les différences apparentes tenant aux discours et programmes se profilent des comportements dont les ressorts sont identiques. L’entreprise politique se définit avant tout par les moyens qu’elle utilise. Bien sûr, les formes historiques de la compétition politique ont évolué. Plus précisément, l’élimination de la violence est liée en Occident au processus de rationalisation de l’action sociale (fil directeur de la sociologie historique de Weber), dont participent la professionnalisation des politiciens aussi bien que l’autonomisation d’une sphère économique, et à un développement de l’État fondé sur le monopole de la violence légitime. La politique en Occident n’est pas d’une essence différente, et sa pacification et moralisation sont fort récentes et fragiles. C’est à tort que certains politistes, à partir d’une lecture réductrice de Weber, ont subordonné l’entreprise politique à l’existence d’un « marché politique » moderne assimilé à la compétition électorale routinisée des démocraties pluralistes17. Le concept d’entrepreneur politique est pleinement pertinent dans d’autres contextes que celui de la démocratie parlementaire occidentale, y compris dans le tiers‑monde quand la violence redevient – au moins temporairement – l’instrument privilégié de la compétition politique. Si Joseph A. Schumpeter exclut des formes de compétition démocratique, l’insurrection militaire, la « prise de possession du commandement politique par consentement tacite du peuple » et « l’élection par acclamation »18, ces méthodes, pour être non démocratiques – la compétition ne portant pas « sur les votes du peuple » –, n’en demeurent pas moins concurrentielles. Dans les situations autoritaires et assimilées, la lutte pour le pouvoir porte par exemple sur les soutiens factionnels au sein du parti unique – de fait ou de droit19. L’entreprise politique s’inscrit donc chez Weber dans une conception réaliste de la compétition politique, à contre‑courant de l’idéalisme des théories de la représentation (l’élu au service de la volonté générale !),



Le modèle de l’entrepreneur politique

mais aussi d’une sociologie politique néofonctionnaliste ou « systémique » qui assigne pour objectif à tout acteur politique la réalisation de buts ou « valeurs » collectifs. Étudier les comportements d’entrepreneurs politiques, c’est au contraire analyser des stratégies d’accession et de maintien au pouvoir en les détachant de toute conception métaphysique de la légitimité, ou de l’idéologie particulière dont ces acteurs se réclameraient (p.ex., la démocratie). Il ne s’agit pas pour autant de spéculer sur leur psychologie profonde : l’amour du pouvoir n’est pas une pathologie, mais participe de l’ethos professionnel de celui qui vit de et pour la politique. Cette vision réaliste se retrouve chez J.‑A. Schumpeter qui, comme Weber, compare la compétition politique pour les votes à la concurrence économique. Il ne s’agit pas d’une confusion simpliste entre entreprise économique et entreprise politique mais d’une analogie des formes et logiques d’action20. Schumpeter met également l’accent sur le rôle des états‑majors politiques qui façonnent la prétendue volonté générale au moyen de la propagande en utilisant les mêmes moyens que la publicité21. Les lois et règlements ne sont alors que des sous‑produits de l’activité politique, de même, précise‑t‑il, que la production est accessoire par rapport à la recherche du profit dans l’entreprise économique. Dans ces conditions, porter un jugement moral sur les revirements de discours de l’entrepreneur, les contradictions entre ses paroles et ses actes (p.ex., promesses électorales non tenues), ou encore la « trahison » d’engagements passés, lorsque les adversaires d’hier rallient le vainqueur du jour, n’a pas grand sens pour l’analyste. Cet auteur rejoint ici Weber : si le comportement de l’entrepreneur politique nous paraît amoral, c’est qu’il doit s’adapter « aux mœurs en vigueur dans ce secteur »22, de la même façon que l’entrepreneur économique se soumet à la morale du marché. Si d’aucuns peuvent entrer en politique par idéal plutôt que par intérêt, il n’est qu’une façon d’y réussir et « l’entreprise politique est nécessairement une entreprise d’intérêts »23. L’entrepreneur politique est donc un aspirant à la conquête du pouvoir qui s’entoure d’une équipe de partisans dont la fidélité est cimentée par les rétributions à la fois matérielles et symboliques. Réussir comme leader, « c’est rassembler plus de ressources que ses adversaires et les utiliser avec plus d’habileté. Attaquer un adversaire, c’est s’efforcer de détruire ses ressources ou de l’empêcher d’y accéder ou d’en faire un usage efficace »24. L’homologie structurale que Frederick G. Bailey établit entre

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différentes formes de lutte pour les trophées politiques s’appuie sur la comparaison de contextes culturels et historiques en apparence largement dissemblables25. Dans les différentes arènes du local au global, s’affrontent les entrepreneurs (l’anthropologue anglais les nomme plus volontiers « leaders », mais définit bien le leadership comme une entreprise) et leurs équipes pour le contrôle des positions de pouvoir qui commandent l’accès à de nouvelles ressources. Les compétiteurs se conformant aux normes explicites du jeu, mais surtout aux règles pragmatiques (tricherie, mensonge, corruption, etc.) quand elles garantissent le succès, y compris quand elles contredisent les premières. La distinction entre politiciens vertueux et crapules avérées est ici sans objet, car les règles pragmatiques de la compétition sont les mêmes pour tous dans une société donnée, quelles que soient les valeurs mises en avant par les intéressés. Seule importe, selon F. G. Bailey, l’opposition entre les entrepreneurs qui réussissent et ceux qui échouent. Il ne s’agit pas de réduire la motivation de l’action humaine à la quête des seuls intérêts matériels aux dépens de comportements altruistes ou d’un esprit de sacrifice. La fidélité des membres de l’équipe repose en partie sur des éléments symboliques (religion, sorcellerie, liens de parenté ou charisme révolutionnaire), que l’entrepreneur mobilise autant qu’il le peut, parce que ces ressources sont souvent moins coûteuses à produire. La croyance des membres de l’équipe dans les capacités de leur leader à les diriger est une ressource essentielle. Pour conserver l’attachement manifesté par ses fidèles, le leader se doit d’avoir un comportement apparent conforme à leurs attentes. Toute transgression ouverte ruinerait son capital politique. Bailey réserve le nom de « faction » aux entreprises politiques où les liens sont purement transactionnels, où le leader ne conserve sa position qu’aussi longtemps qu’il peut redistribuer des avantages matériels à ses partisans. Les liens affectifs cimentant le « noyau » de l’équipe autour du leader sont également plus durables, tandis que les partisans stipendiés sont susceptibles de déserter aussitôt que les ressources matérielles diminuent. Cet auteur distingue également la possession avérée et la possession virtuelle de ressources : beaucoup d’entrepreneurs « vivent à crédit » tant qu’ils bénéficient de la confiance de leurs supporters et que leur capacité de rétribution n’est pas mise à l’épreuve, mais une crise peut conduire à une dévalorisation brutale de leurs ressources et donc une perte de crédit. Ainsi s’éclairent les épisodes de trahison et de ralliement



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et l’importance de la clientèle politique et de sa rétribution, par ailleurs au cœur du néopatrimonialisme africain. L’analyse de la mobilisation/combinaison des ressources permet de mieux appréhender la dynamique de l’entreprise politique. L’aptitude des entrepreneurs politiques à mobiliser des ressources politiques rares et, en les combinant de façon innovante, à « exploiter l’environnement politique et social ou à en limiter les effets contraignants » se trouve au centre de la définition proposée par Warren F. Ilchman et Norman T. Uphoff 26. Pour reprendre une autre formulation, à l’instar d’un chef d’entreprise, l’homme politique « est un entrepreneur [...] au sens où, d’une part, il se constitue un capital de ressources utiles à sa carrière, et où, d’autre part, son capital constitué, il active ses ressources dans le but de produire du pouvoir »27. Ce ne sont pas les affaires publiques ou l’État en tant qu’organisation que le politicien gère comme une entreprise, mais bien sa carrière28. Celle‑ci recouvre l’ensemble des fonctions officielles auxquelles il accède successivement, mais aussi le cumul des stratégies adoptées au fil du temps pour parvenir à l’éminence politique. L’entreprise politique consiste essentiellement à mobiliser et conserver des soutiens efficaces. Il s’agit également d’alléger les contraintes émanant de l’environnement de l’acteur (y compris, mais pas seulement, l’environnement institutionnel), en activant les ressources pertinentes accumulées préalablement. Bien que présente dans la littérature depuis les années 196029 la notion de ressource politique n’a guère été approfondie. Un élément essentiel de l’habileté et de la réussite de l’entrepreneur découle pourtant de la constitution et de la restructuration permanente de son stock de ressources à travers le temps. Quelle que soit la typologie retenue30, les gisements identifiés – qu’ils soient matériels ou symboliques – ne peuvent être considérés comme des ressources tant qu’ils n’ont pas été mobilisés par un entrepreneur dans le cadre d’une stratégie déterminée. C’est son action qui, dans un contexte d’interaction donné, convertit argent, violence, réseau social ou identité ethnique en autant de ressources. Il lui faut entretenir la foi de ses partisans, y compris au moyen de la propagande et ici rien n’est gratuit, même si le coût dépend étroitement du contexte31. Il s’avère ainsi plus coûteux de retenir ses partisans dans une équipe déjà en décomposition, que d’en attirer lorsqu’une entreprise politique est dans une phase ascendante.

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Si l’on peut, comme l’a fait J.‑P. Lacam, comparer les matrices de ressources en début et fin de carrière d’un politicien, il faut garder à l’esprit leur caractère fluctuant et la dimension dynamique de l’analyse de leur mobilisation. La réussite d’un entrepreneur notait déjà Robert A. Dahl, dépend moins de la taille de son stock initial de ressources que de son habileté à les faire fructifier. La nécessité de leur restructuration provient à la fois de la dynamique propre de l’entreprise dans le temps, de l’évolution de son environnement politique et de l’usure et l’obsolescence normale des éléments utilisés. Les sources d’erreur de leur gestion sont multiples, d’autant que les autres acteurs sociaux ne se laissent pas faire : l’homme politique qui perd « n’est pas tant celui qui est dépourvu de ressources que celui qui n’a pas le sens de la ressource adéquate » rappelle Lacam 32, plus précisément de la combinaison adéquate face à un concurrent plus habile que soi. Cette perspective analytique dénuée de tout caractère déterministe ou normatif fait de l’approche de l’entrepreneur et de ses ressources un instrument pertinent pour l’intelligence de la domination politique en Afrique. DE LA DIVERSITÉ DES ENTREPRENEURS ET ENTREPRISES POLITIQUES

Si la professionnalisation de la fonction politique, son institutionnalisation par le droit et sa médiatisation sont moins poussées en Afrique que dans les démocraties occidentales33, plus qu’ailleurs encore le politicien y vit de la politique autant que pour elle. L’entreprenariat politique apparaît en Afrique à l’ère des indépendances avec la formation d’une arène électorale nationale34. Le phénomène ne disparaît pas pour autant lorsque se ferme le jeu démocratique et qu’advient l’ère des partis uniques dans la période 1970‑1980. De fait, le pouvoir est alors monopolisé par l’entreprise politique dont le leader s’est révélé mieux doté en ressources ou plus habile que ses concurrents. La compétition politique, loin d’avoir cessé par enchantement, s’est plutôt déplacée à l’intérieur du parti‑État où elle alimente le factionnalisme : à tout moment, un membre de l’équipe qui a réussi à accumuler des ressources de façon autonome peut s’ériger en rival. L’enjeu en est le partage inégal des dépouilles et prébendes, mais aussi la succession, toujours repoussée, du leader suprême35. Bien que les ressources de ce « Quasi-État »36 soient limitées, notamment sur le



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plan fiscal, en revendiquer la direction permet de contrôler la plupart des canaux d’extraversion, ainsi que ceux de l’aide internationale. La position de chef d’État offre une rente de situation sans équivalent, lui permettant par exemple de monnayer un soutien diplomatique contre toutes sortes d’avantages matériels37. Dans un tel contexte, les entrepreneurs concurrents s’efforcent de tirer le profit maximal de leurs positions de pouvoir, afin d’élargir leurs soutiens et de se hisser au sommet de l’État. La carrière et la chute de Charles Njonjo38 au Kenya sont exemplaires à cet égard. Dans le cadre semi‑compétitif du système de parti unique des années 1970 et des années 198039, ce « big man » africain a accumulé des ressources, notamment monétaires, pour accéder au pouvoir, dans un contexte où les positions dans l’appareil politico‑administratif constituaient alors le principal moyen de s’enrichir (hors filiales des firmes transnationales). Notre entrepreneur politique pratiquait donc naturellement le chevauchement des positions (straddling)40 entre fonctions politiques et secteur privé, soit simultanément, soit successivement dans le temps, « car s’il faut avoir du pouvoir politique pour être riche, il faut être riche pour le conserver »41. Il est difficile de participer à la compétition politique – notamment de se constituer une faction – dans un environnement néopatrimonial si on est pauvre. Contrairement à l’entrepreneur politique occidental qui intervient dans un champ politique très autonome et spécialisé, où des règles normatives fortement instituées devraient exclure a priori la confusion des genres, l’entrepreneur politique africain doit impérativement recourir à la corruption et au détournement de fonds pour réussir. Ce sont les règles pragmatiques, au sens de Bailey, de la compétition politique qui sont déterminantes quand les règles de droit sont impunément bafouées. Il y a bien quelques exceptions en Afrique comme le Botswana lequel, sans être totalement exempt de corruption politico‑­administrative, a évité le « syndrome hollandais » et la prédation généralisée, grâce notamment aux modalités de gestion des revenus du diamant choisies par le premier président. Le niveau et les formes de corruption y sont comparables à ce qu’on trouve en Occident42. L’Afrique du Sud où le régime de l’Apartheid a contribué à l’émergence d’une bureaucratie légale‑rationnelle forte, et plus paradoxalement d’une société civile influente, semble également échapper, pour l’instant, au sort de la plupart des pays africains, en dépit des appétits grandissants de certains de ses dirigeants. Les moyens

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illicites ne constituant qu’une partie des ressources politiques mobilisables, la posture du « chevalier blanc » luttant contre la corruption peut devenir elle‑même une source de légitimité. Les dirigeants de l’ANC au pouvoir à Pretoria bénéficient encore d’une forte légitimité historique, comme ce fut longtemps le cas de Robert Mugabe au Zimbabwe. Le périmètre de la corruption, tout comme le degré d’acceptation sociale de ces pratiques sont éminemment mouvants d’une société à l’autre43 et l’entrepreneur politique sait jusqu’où il peut aller. Le big man africain accumule tout au long de sa carrière, mais dépense et redistribue presque autant, et a un besoin récurrent de liquidités : c’est affaire de prestige (consommations ostentatoires) mais aussi d’obligation sociale (exigences de la parenté) comme de capital politique (rétribution au sens propre des soutiens). Les accidents de parcours sont nombreux, de la faillite économique à la défaveur politique, voire la prison, et l’habileté de l’entrepreneur politique se mesure aussi à sa capacité à « remonter la pente », ce qui implique de revenir en cour. Ainsi Charles Njonjo, retiré de la vie publique depuis 1983, fut réhabilité en 1998, l­orsque le président Moi, en bout de course, le nomma au poste honorifique de président du Kenya Wildlife Service. Depuis lors, grâce à sa fortune, son expérience et son influence dans le pays Kikuyu, il a repris une part active à la vie politique kenyanne, en apportant en 2006 son soutien public à l’opposition au président Kibaki (issu de la même ethnie, mais son rival de toujours). Les cliques dirigeantes dans les États néopatrimoniaux africains sont des « factions » au sens de Bailey : l’entrepreneur politique suprême doit extraire en permanence de nouvelles ressources de la société pour contrôler la régulation de la compétition politique. À la fois homme‑lige et associé‑rival du super « big man » qu’est le chef de l’État, l’entrepreneur politique se doit de gérer ses propres ressources dans un contexte fluide d’alignements factionnels changeants, que reflètent par exemple les tensions à l’intérieur de l’élite du pouvoir au Zimbabwe à propos de l’hypothétique succession de Robert Mugabe. Au sommet de la pyramide, le chef de l’État est lui aussi affecté par l’obsolescence et l’usure de ses ressources politiques et il arrive un moment où tous les efforts de restructuration deviennent vains. Il faut alors soit déclarer forfait – comme le firent Daniel Arap Moi, Hissène Habré ou Charles Taylor – soit opter pour la quête d’une survie politique à court terme aux effets sociaux et



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économiques dévastateurs, tel Mohamed Siyad Barre en Somalie44. Le capital politique ainsi dépensé au profit de stratégies personnelles de pouvoir n’est pas investi dans l’institutionnalisation de l’État. Comme le cas de Félix Houphouët-Boigny le montre bien en Côte d’Ivoire, ces entreprises ne débouchent pas sur des systèmes de pouvoir durables, capables de survivre à leur fondateur. Bien que les pratiques néopatrimoniales se perpétuent d’un gouvernement à l’autre, tout nouvel impétrant doit recréer son système personnel de domination et d’accumulation. Ayant phagocyté « l’État faible »45, les entrepreneurs politiques le conduisent donc souvent à sa perte au terme d’une prédation élargie. À cet égard, ce sont les néopatrimonialismes les plus arbitraires, prédateurs et violents, qualifiés par Weber de « sultanismes », qui illustrent le mieux les risques d’une entreprise de pouvoir personnel sans aucun contrepoids interne. Dans ce contexte de faible institutionnalisation qui caractérise l’État néopatrimonial, l’évolution des règles normatives  – par exemple lors du rétablissement du multipartisme46 – n’altère que superficiellement les logiques de carrière des entrepreneurs politiques africains. Ceux‑ci se convertissent aisément au discours convenu sur la démocratie et les droits de l’homme qu’ils prétendaient jusqu’alors hors d’atteinte, quitte à solliciter l’assistance de Dieu à travers une conversion fort à propos47. Dans les cas limites d’effondrement de l’État, les matrices individuelles de ressources politiques sont radicalement affectées mais beaucoup d’entrepreneurs parviennent à s’adapter. L’absence de contraintes institutionnelles et le recours banalisé à la violence maximisent alors les opportunités d’enrichissement rapide pour les anciens politiciens et officiers devenus leaders de factions armées – plutôt que véritables « warlords »48. Pour autant, la compétition n’en reste pas moins politique, ainsi qu’en témoigne le souci commun des factions en lutte de contrôler la capitale et de voir leur gouvernement internationalement reconnu. De même, les motivations des entrepreneurs de guérilla ne sont‑elles pas réductibles à la rapine contrairement à ce qu’affirme une économie politique des guerres civiles très normative49. Le double processus d’accumulation (de pouvoir et d’argent) des big  men est également à même de s’accommoder des mutations de la politique économique sous la pression des bailleurs de fonds et de la globalisation marchande. Dans la phase immédiatement postérieure à l’indépendance, l’étatisation de l’économie sous diverses formes fut le

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véhicule privilégié de la patrimonialisation de l’État, entravant l’émergence d’une bourgeoisie nationale. Depuis les années 1980, les entrepreneurs politiques ont su s’adapter à l’ajustement structurel et au discours néolibéral, en tirant parti de privatisations peu transparentes et de dérégulations opportunes. Lorsque des politiques « d’africanisation » de l’économie ont été mises en œuvre, elles ont souvent servi, comme au Zimbabwe, de justification idéologique à des transferts massifs de capitaux et à l’enrichissement éclair des big men et de leurs protégés, notamment la famille élargie du président50. Ainsi s’est encore creusé le fossé entre ces cliques affairistes ou « parasites »51 et d’authentiques capitalistes africains. L’opposition entre ces derniers et les « political businessmen » s’est parfaitement incarnée au Zimbabwe dans les trajectoires respectives de Strive Masiyiwa et de Philip Chiyangwa52. La conversion des dirigeants zimbabwéens au crony capitalism dans les années 1990, accompagnée d’une corruption encore accrue, n’a pas conduit à un décollage économique, contrairement aux modèles asiatiques53, car les entrepreneurs politiques africains et leurs dépendants préfèrent soit dilapider leurs ressources, soit les externaliser massivement 54, conformément à l’éthos néopatrimonial55. Le refus du pluralisme politique dans certains cas, ou le sabotage des transitions démocratiques dans d’autres, s’apparentent in f ine à un refus de partager l’accès aux sources d’enrichissement dans une exploitation des ressources économiques qui demeure fondamentalement minière. Le changement de génération n’apporte pas de réelle solution, car beaucoup de nouveaux dirigeants africains ont été socialisés dans la culture néopatrimoniale qu’ils dénonçaient dans l’opposition (c’est à leur tour de « manger » selon la formule consacrée). Il serait d’ailleurs suicidaire de leur part d’agir autrement, en l’absence d’une réforme profonde des modes de gouvernance publique et privée56, en dépit des objurgations de la Banque mondiale et des pressions pusillanimes des pays donateurs. Au‑delà d’un plaidoyer en faveur de l’usage comparatif du concept d’entrepreneur politique, le présent chapitre en souligne l’intérêt heuristique, aussi bien pour les démocraties représentatives occidentales, que pour les systèmes néopatrimoniaux africains – ou asiatiques. De fait, une approche exclusivement holiste ne permet pas d’appréhender complètement les processus associant changement institutionnel et pérennités des pratiques,



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par exemple dans le cadre des « transitions démocratiques » réussies ou avortées des années 1990. A contrario, les stratégies d’entrepreneur ne sont pas séparables de la culture politique nationale – largement façonnée par l’histoire – et de l’économie politique de l’État néopatrimonial. En effet, le néopatrimonialisme ne se limite pas à une forme de domination politique, il se déploie dans l’ensemble des rapports économiques et sociaux que l’État contribue à orienter57. L’analyse des comportements d’acteurs permet cependant de comprendre comment ces derniers contribuent cumulativement à la reproduction du néopatrimonialisme, à travers les générations politiques et au‑delà de la conjoncture historique qui les a vus apparaître. Cette perspective prend également le contre‑pied du préjugé ordinaire opposant jusqu’à la caricature les politiciens « naturellement » corrompus des pays du Sud aux hommes d’État vertueux, défenseurs de la veuve et de l’orphelin, du Nord. Cette fiction, que les politiciens occidentaux de tous bords s’efforcent d’accréditer, fait bon marché de la logique implacable de la compétition politique où l’argent joue partout un rôle décisif. Bien entendu, tous les professionnels de la politique ne sont pas également corrompus, mais c’est parfois qu’ils n’en ont pas eu l’occasion, ou qu’ils ont pu compter sur d’autres ressources. Il n’y a en la matière, qu’une différence de degré et non de nature entre l’Occident donneur de leçons et les pays du Sud : en France, l’adoption à la fin des années 1980, d’une législation devenue de plus en plus contraignante sur le financement des partis politiques a paradoxalement révélé à quel point l’ampleur de la corruption avait été sous‑estimée – y compris par les politistes. Elle affectait pourtant des pans entiers de la politique étrangère, notamment la politique africaine58 et la politique arabe59, mais aussi le fonctionnement de grandes entreprises publiques comme Elf‑Aquitaine60. De ce point de vue, la figure de l’entrepreneur politique, dont le meilleur modèle européen est certainement Sylvio Berlusconi en Italie61, vient souligner cette unité profonde du comportement humain. En ce sens, le « détour africain » nous permet de mieux penser la vraie nature de l’activité politique dans nos sociétés.

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NOTES   1. J.‑F. Médard, “The Underdeveloped State in Tropical Africa: Political Clientelism or Neo‑patrimonialism?”, C.S. Clapham (Ed.), Private Patronage and Public Power, London, Frances Pinter, 1982, p.  125‑172, également « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F. Médard (dir.), États d ’Afrique noire  : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 323‑353.   2. B. Badie, L’État importé : essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, coll. « L’Espace du politique », 1992.   3. Bien que Jean‑François Bayart ait récusé le concept de néopatrimonialisme pour lui préférer l’expression « politique du ventre », son ouvrage éponyme (L’État en Afrique : la politique du ventre, 1re éd., Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique, 29 », 1989) témoigne d’une large convergence avec les analyses de J.‑F. Médard.   4. R.H. Jackson and C.G. Rosberg, Personal Rule in Black Africa: Prince, Autocrat, Prophet, Tyrant, Berkeley (CA), California University Press, 1982 ; H.W. Wriggins, The Ruler’s Imperative: Strategies for Political Survival in Asia and Africa, New York, Columbia University Press, coll. “Southern Asian Institute series”, 1969.   5. J.‑F. Médard, « Charles Njonjo : portrait d’un “big man” au Kenya », dans E. Terray (dir.), L’État contemporain en Afrique, Paris, l’Harmattan, coll. « Logiques sociales, 19 », 1987, p. 49‑87.   6. J.‑F. Médard, « Le “Big Man” en Afrique : esquisse d’analyse du politicien entrepreneur », L’Année sociologique, 42 (La sociologie du développement : bilan et perspectives), 1992, p. 167‑192.   7. M.D. Sahlins, “Poor Man, Rich Man, Big‑Man, Chief: Political Types in Melanesia and Polynesia”, in S.W. Schmidt, L. Guasti, C.H. Landé and J.C. Scott (Eds), Friends, Followers and Factions, A Reader in Political Clientelism, Berkeley, University of California Press, 1977, p. 220‑232.   8. J.‑P. Lacam, « Le politicien investisseur : un modèle d’interprétation de la gestion des ressources politiques », Revue française de science politique, 38(1), 1988, p. 23‑47.   9. Littéralement, « la politique comme profession » ; les différentes traductions ont euphémisé cette dimension en parlant de vocation. La même difficulté de traduction existe pour Betrieb (entreprise) souvent traduit par organisation. 10. M. Weber, Le savant et le politique, 1re éd. 1919, Paris, UGE, coll. « 10/18 », 1959, p. 113. 11. M. Weber, 1959, op. cit., p. 156.



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12. M. Weber, op. cit., p. 127. 13. E.C. Banfield and J.Q. Wilson, City Politics, éd. originale 1963, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1967. 14. I. Cloulas, « L’Italie divisée  : princes et républiques », dans C. Bec, I. Cloulas, B. Jestaz et A. Tenenti (dir.), L’Italie de la Renaissance : un monde en mutation 1378‑1494, Paris, Fayard, 1990, p 27‑80. 15. C. Tilly, Contrainte et capital dans la formation de l’Europe : 990‑1990, éd. originale 1990, Paris, Aubier, traduit de l’anglais, coll. « Aubier histoires », 1992. 16. J. Bérenger, Histoire de l’empire des Habsbourg : 1273‑1918, 1re éd., Paris, Fayard, 1990, p. 298‑305. 17. M. Offerlé, Les partis politiques. Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais‑je ?, 2376 », 1987 ; D. Gaxie, La démocratie représentative, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs, Politique », 1993. Cela les conduit paradoxalement aux mêmes impasses que les tenants du Public Choice (G. Tullock et M. Perlman (coll.), Le marché politique : analyse économique des processus politiques, Paris, Economica, 1978), quant à la nature de l’échange et l’absence de « monnaie » sur ce marché. 18. J.A. Schumpeter, Capitalisme, socialisme et démocratie, 1re éd. 1942, Paris, Payot, 1972, p. 357 note 2. 19. Des passerelles entre ces différents modes de compétition existent bel et bien, comme l’ont prouvé Hitler, Mussolini et autres dictateurs arrivés au pouvoir par les urnes. 20. Pour Weber, elles emploient des moyens similaires, mais surtout s’inscrivent dans le même processus général de rationalisation de l’action. Il ne s’agit pas pour autant de tomber dans l’illusion fâcheuse d’une fusion entre science économique et science politique (W.F. Ilchman and N.T. Uphoff, The Political Economy of Change, Berkeley (CA), University of California Press, 1969), ou dans la caricature d’une analyse économique de la vie politique (P. Merle, « L’homo politicus est‑il un homo oeconomicus ? L’analyse économique du choix politique  : approche critique », Revue française de science politique, 40(1), février 1990, p. 64‑80). 21. J. Schumpeter, 1972, op. cit., p. 347, p. 356. 22. M. Weber, 1959, op. cit., p. 167. 23. Ibid., p. 141. 24. F.G. Bailey, Les règles du jeu politique : étude anthropologique, éd. originale anglaise 1969, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Bibliothèque de sociologie contemporaine, 37 », 1971, p. 50.

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25. Plus précisément, un État de la fédération indienne, le système politique britannique au début du siècle et les sociétés traditionnelles africaines. 26. W.F. Ilchman and N.T. Uphoff, 1969, op. cit., p. 204. 27. J.‑P. Lacam, 1988, op. cit., p. 24‑25. 28. F. Chazel, « Individualisme, mobilisation et action collective », dans P. Birnbaum et J. Leca (dir.), Sur l’individualisme : théories et méthodes, Paris, Presses de la FNSP, 1986, p. 244‑268. 29. R.A. Dahl, L’analyse politique contemporaine, éd. originale 1963, Paris, R. Laffont, coll. « Science nouvelle », 1973. 30. D’aucuns ont noté que le concept de « ressources » était le « ventre mou » de la théorie des mouvements sociaux (D. Lapeyronnie, « Mouvements sociaux et action politique : existe‑t‑il une théorie de la mobilisation des ressources ?  », Revue française de sociologie, 29(4), 1988, p.  593‑619). De nombreuses typologies des ressources ont été proposées (N.T. Uphoff, “Distinguishing Power, Authority and Legitimacy: Taking Max Weber at his Word by Using Resources‑Exchange Analysis”, Polity, 22(2), Winter 1989, p. 295‑322 ; P. Braud, « Du pouvoir en général au pouvoir politique », dans M. Grawitz et J. Leca (dir.), Traité de science politique, vol. 1 : La science politique, science sociale. L’ordre politique, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p.  335‑393 ; et P. Braud, Sociologie politique, Paris, LGDJ, coll. « Manuel », 1992 ; G. Hermet, « L’autoritarisme », dans M. Grawitz et J. Leca (dir.), Traité de science politique, vol.  2  : Les régimes politiques contemporains, Paris, Presses universitaires de France, 1985, p. 269‑312), mais celle de Lacam est la plus utile pour l’analyse de l’entreprise politique. Elle repose sur deux critères qui se combinent en une matrice à neuf cases. Selon leur origine, les ressources sont : a) personnelles (réseau de relations de l’entrepreneur, son habileté ­tactique ou ses dons d’orateur), b) contextuelles (l’environnement politique et social), ou c) institutionnelles (positions acquises dans des organisations). Selon les dimensions de l’influence, et à la suite d’Amitaï Etzioni, les ressources peuvent être également : a) coercitives (usage ou menace de la force publique ou privée), b) rétributives (gratifications matérielles ou symboliques), ou c) p ersuasives (légitimation par la propagande et construction du ­charisme) ( J.‑P. Lacam, 1988, op. cit., p. 28). 31. F.G. Bailey, 1971, op. cit., p. 51 sqq pour ce §. 32. J.‑P. Lacam, 1988, op. cit., p. 30.



Le modèle de l’entrepreneur politique

33. La campagne pour l’élection présidentielle française du printemps 2007 a vu s’affronter, en particulier au deuxième tour, des entrepreneurs politiques qui, en s’appuyant sur les médias, ont fait de leur image personnelle une ressource politique décisive. En revanche, l’idéologie n’est intervenue qu’en tant que ressource rhétorique ponctuelle, fût‑ce d’ailleurs aux dépens de la cohérence intellectuelle quand le candidat de droite mêlait références aux figures tutélaires de la gauche et thématiques d’extrême droite. Sur un marché toujours aussi concurrentiel, le discours électoral se rapproche de plus en plus du discours publicitaire. Acheter ou voter, c’est tout un. 34. A.R. Zolberg, Creating Political Order: The Party‑States of West Africa, Chicago (IL), Rand MacNally coll. “Studies in political changes”, 1966. 35. R.H. Jackson and C.G. Rosberg, 1982, op. cit. 36. R.H. Jackson, Quasi‑states: Sovereignty, International Relations, and the Third World, 1re éd., Cambridge (UK), Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in International Relations, 12”, 1990. 37. La fin de la guerre froide et la globalisation économique croissante ont certes entamé cette rente internationale liée à l’exercice d’une « souveraineté négative » au sens de Jackson (ou souveraineté virtuelle), mais elles n’ont pas supprimé entièrement l’intérêt de contrôler l’État pour s’enrichir. C. Clapham, Africa and the International System: The Politics of State Survival, Cambridge (UK)/New York, Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in international relations, 50”, 1996. 38. Proche du premier président kenyan, Jomo Kenyatta, Charles Njonjo fut ministre de la Justice (Attorney General ) du Kenya de l’indépendance en 1963 jusqu’en 1979, lorsqu’il fut élu au Parlement ministre des Affaires constitutionnelles de 1980 à 1983 et considéré alors comme le troisième personnage de l’État ; il tomba en disgrâce en 1983, quand une enquête judiciaire téléguidée par la présidence mit au jour ses pratiques d’enrichissement illégal, mais il était également soupçonné par le président Moi d’être impliqué dans le coup d’État manqué d’août 1982. J.‑F. Médard, 1987, op. cit. 39. On retrouve les mêmes mécanismes dans les partis dominants de nombreux pays du continent. Les « primaires au sein du parti unique qui domine de facto la vie politique zimbabwéenne depuis l’indépendance, la Zimbabwe African National Union‑Patriotic Front (ZANU‑PF), remplissent une fonction similaire ( J.W. Makumbe and D. Compagnon, Behind the Smokescreen: The Politics of Zimbabwe’s 1995 General Elections, 1re éd., Harare [Zimbabwe], University of Zimbabwe Publications, 2000).

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

40. Sur cette notion, élaborée dans le cadre du « débat kenyan » sur la nature du capitalisme local, voir Y.‑A. Fauré et J.‑F. Médard, « L’État‑business et les politiciens entrepreneurs. Néo‑patrimonialisme et Big Men : économie et politique », dans Y.‑A. Fauré et S. Ellis (dir.), Entreprises et entrepreneurs africains, Paris, Éd. Karthala/Éd. de l’ORSTOM, coll. « Hommes et sociétés », 1995, p. 304‑305. 41. J.‑F. Médard, 1992, op. cit., p. 172. 42. J.‑F. Médard, « Corruption et non‑corruption au Botswana : la normalisation d’un cas déviant ? », dans D. Compagnon et B.T. Mokopagkosi (dir.), Le Botswana contemporain, Paris/Nairobi, Karthala/IFRA, 2001, p. 119‑146. 43. J.‑F. Médard, « La corruption internationale et l’Afrique subsaharienne : un essai d’approche comparative », Revue internationale de politique comparée, 4(2) (La corruption), septembre 1997, p. 413‑440. 44. D. Compagnon, Ressources politiques, régulation autoritaire et domination personnelle  : le régime de Mohamed Syad Barre en Somalie (1969‑1991), Thèse de doctorat de science politique, Pau, Université de Pau et des Pays de l’Adour, ronéotype, 1995. 45. J.S. Migdal, Strong Societies and Weak States: State‑Society Relations and State Capabilities in the Third World, Princeton (NJ), Princeton University Press, coll. “Princeton paperbacks”, 1988. 46. Sur les transitions démocratiques, voir entre autres M. Bratton and N. van de Walle, Democratic Experiments in Africa: Regime Transitions in Comparative Perspective, Cambridge (UK)/New York (NY ), Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in comparative politics”, 1997. D’une part, cette vague du début des années 1990 s’est épuisée ; d’autre part, elle a souvent débouché sur une restauration autoritaire sous forme d’autocratie électorale (A.P. Schedler (Ed.), Electoral Authoritarianism: The Dynamics of Unfree Competition, Boulder [CO], Lynne Rienner, 2006). 47. J.‑P. Daloz (dir.), Le (non‑)renouvellement des élites en Afrique subsaharienne, Talence, CEAN, 1999. 48. D. Compagnon, “Somali Armed Movements: The Interplay of Political Entrepreneurship and Clan‑Based Factions”, in C.S. Clapham (Ed.), African Guerrillas, Oxford (UK), James Currey, 1998, p. 73‑90. 49. R. Marchal et C. Messiant, « De l’avidité des rebelles  : l’analyse économique de la guerre civile selon Paul Collier », Critique internationale, 16, juillet 2002, p. 58‑69. 50. D. Compagnon, « Mugabe and partners (Pvt) Ltd ou l’investissement politique du champ économique », Politique africaine, 81 (Le Zimbabwe : l’alternance et le chaos), 2001, p. 101‑119.



Le modèle de l’entrepreneur politique

51. J. Iliffe, The Emergence of African Capitalism, London, Macmillan, 1983. 52. Reflet d’une étroite articulation entre champs économique et politique, Chiyangwa s’est engagé, au début des années 2000, dans une carrière politique tonitruante – provisoirement freinée par de mauvais choix tactiques dans les luttes factionnelles au sein de la ZANU‑PF –, tandis que Masiyiwa finançait la presse indépendante sans toutefois adhérer au parti d’opposition Movement for Democratic Change (MDC). B.  Raftopoulos and D.  Compagnon, “Indigenisation, the State Bourgeoisie and Neo‑authoritarian Politics”, in S. Darnolf and Laakso L. (Eds), Twenty Years of Independence in Zimbabwe: From Liberation to Authoritarianism, Basingstoke/New York, Palgrave Macmillan, coll. “International political economy”, 2003, p. 15‑33. 53. J.‑F. Médard, 1997, art. cit. 54. Par exemple, 2005 fut une année record pour l’importation de Mercedes haut de gamme dans le Zimbabwe en crise, en dépit de la pénurie de ­devises étrangères. De même, les exportations illégales de capitaux par les Big Men du régime Mugabe atteignent des sommets. 55. D. Compagnon, « Discours et pratiques de “l’indigénisation” de l’économie : une comparaison Zimbabwe‑Malaisie », Revue internationale de politique comparée, 6(3) (Crise de la gouvernance et globalisation), 1999, p. 751‑776. 56. La tentative de la Banque mondiale d’imposer au Tchad une mise en réserve d’une partie des revenus du pétrole pour financer le développement durable et la lutte contre la pauvreté s’est heurtée à la détermination et au cynisme du président Deby qui a renié l’accord signé. Les dirigeants africains usent à merveille de ce que Jackson appelle la « souveraineté négative » (1990, op. cit.), pour s’émanciper des conditionnalités qui entravent leurs stratégies de capture des ressources. 57. Y.‑A. Fauré et J.‑F. Médard, 1995, op. cit. 58. J.‑F. Médard, “France‑Africa: within the family”, in D. Della Porta and Y. Mény (Eds), Democracy and Corruption in Europe, London/Washington, Francis Pinter, coll. “Social change in Western Europe”, 1997, p. 22‑34 et « “La politique est au bout du réseau”. Questions sur la méthode Foccart », Cahiers du Centre de recherches historiques, (30) (Foccart – Entre France et Afrique), 2002, p. 99‑116. 59. D. Styan, France & Irak: Oil, Arms and French Policy Making in the Middle East, London, I. B. Tauris, coll. “Library of international relations, 25”, 2006. 60. Les « affaires », comme la presse les nomme, qui avaient défrayé la chronique à partir de la fin des années 1980, ont continué à entacher la vie publique sous les deux septennats de Jacques Chirac, qu’il s’agisse de

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ventes d’armes, de logements sociaux, de comptes bancaires à l’étranger ou d’emplois fictifs. Les autres pays occidentaux ne sont guère épargnés : le gouvernement britannique fut récemment épinglé par l’OCDE pour avoir interrompu, au nom de l’intérêt supérieur de l’État, une enquête judiciaire sur les contrats de fourniture d’armements à l’Arabie saoudite. J.‑F. Médard, “Oil and War: Elf and ‘Françafrique’ in the Gulf of Guinea”, 10 th IAAC Conference, Prague, 6‑9 October 2001, Working paper, p. 15. 61. Voir chapitre 12.

IV

Le néopatrimonialisme est‑il soluble dans la démocratie ? Mamoudou Gazibo

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ne des perspectives décrivant le mieux la démocratie est probablement celle selon laquelle il s’agit d’un système au sein duquel « des partis perdent des élections »1. Un tel système est caractérisé par l’existence d’un espace public autonome par rapport aux forces politiques et sociales qui l’animent, l’institutionnalisation des règles du jeu politique, la concurrence pour le pouvoir et l’indétermination de ses résultats ; bref, par le refus de tout paternalisme2. À l’inverse, le néopatrimonialisme, dont la conceptualisation, les caractéristiques et les conséquences sont exposées par Jean‑François Médard décrit un système déterminé par l’arbitraire, l’autoritarisme, la privatisation du pouvoir, le clientélisme et surtout une confusion du public et du privé. Néopatrimonialisme et démocratie sont manifestement fondés sur des logiques antithétiques et sont donc, a priori, incompatibles. Gero Erdmann et Ulf Engel3 relèvent même qu’il y a consensus pour classer les pouvoirs néopatrimoniaux parmi les autoritarismes. Une telle conclusion s’impose certainement si l’on se place dans une perspective normative, c’est‑à‑dire de promotion de la démocratie. En revanche, d’un point de vue analytique fondé sur des situations politiques empiriques, qu’elles soient historiques ou contemporaines, cette vision épurée de la démocratie résiste mal à l’observation. Dans ce chapitre, nous procédons par une exégèse de textes afin de poursuivre trois objectifs : d’abord, montrer au plan théorique comment la



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thèse de l’exclusion mutuelle entre néopatrimonialisme et démocratie s’est imposée. Ceci, on le verra, n’est pas étranger à une lecture particulière de l’histoire de l’État et de la démocratie et d’interprétations normatives de leur avènement hors Occident dont les prémisses figurent dans l’œuvre fondatrice de Max Weber, mais aussi dans la sociologie historique et la sociologie politique africaniste. Ensuite, nous soulignerons au plan historique comment les pratiques patrimoniales relèvent de la règle plus que de la déviance en politique. En effet, la nature des régimes (bureaucratique ou patrimoniale) dépend en réalité d’un équilibre fluctuant selon soit l’institutionnalisation des normes formelles qui organisent la vie politique, soit la prépondérance de certaines conduites traditionnelles (au sens de M. Weber) constamment résurgentes dans tout système politique. Enfin, nous illustrerons à l’aide d’exemples de démocraties de la troisième vague4 que l’on dit hybrides, cette idée de solubilité du néopatrimonialisme dans la démocratie, notamment dans ces nouveaux régimes dont il semble définir l’identité d’une manière non pas transitoire, mais stable et durable. DE WEBER À MÉDARD : LA TENSION ENTRE DÉMOCRATIE ET (NÉO)PATRIMONIALISME

Néopatrimonialisme et démocratie sont a priori insolubles l’un dans l’autre. Cette assertion se fonde de prime abord sur l’œuvre de M. Weber et la sociologie comparative de l’État et de la démocratie. Dans la sociologie wébérienne, une sociologie de l’État, de la bureaucratie, des partis, bref de la « modernité », le patrimonialisme est l’un des sous‑types de la domination traditionnelle. Selon lui5, c’est « avec l’apparition d’une direction administrative (et militaire) purement personnelle du détenteur du pouvoir [que] toute domination traditionnelle incline au patrimonialisme et, à l’apogée du pouvoir du seigneur, au sultanisme ». La domination traditionnelle, en retour, s’oppose à la domination légale. Ces deux formes, en tant que « formes quotidiennes spécifiques de domination », s’opposent à celle charismatique qui, elle, est « extraordinaire » ou « révolutionnaire »6. L’intérêt est donc ici dans une mise en relation des deux premières formes de domination. Weber considère que « le type pur de domination légale est la domination par le moyen de la direction administrative bureaucratique » fondée sur des fonctionnaires nommés en vertu du savoir et des compétences7. Mais la domination légale renvoie aussi à la démocratie



Le néopatrimonialisme est‑il soluble dans la démocratie ?

sans s’y réduire : Weber y associe « le détenteur légal du pouvoir qui n’est pas un “fonctionnaire”, par exemple […] le président élu d’un État ». L’auteur fait enfin remarquer que l’esprit de la bureaucratie rationnelle, du point de vue des fonctionnaires comme des administrés, renvoie à des questions touchant à « la théorie de la “démocratie” »8. La domination traditionnelle qui inclut le patrimonialisme, au contraire, serait adéquate afin de décrire les systèmes politiques des petites communautés ; systèmes peu différenciés et basés sur des économies rudimentaires comme les chefferies africaines d’avant la colonisation9. En comparant les formes de domination, notamment la domination légale rationnelle par rapport à la domination traditionnelle, Weber laisse à penser qu’il établit une gradation inscrite dans une perspective normative. En effet, ces deux modèles ne semblent pas seulement différents quant à leur forme, mais aussi qualitativement, et ce aussi bien chez Weber que chez ses lecteurs. On remarque que dans l’un et l’autre, respectivement, au degré de différenciation du pouvoir et d’institutionnalisation des fonctions, s’oppose la confusion entre la personne et le rôle ; l’importance accordée aux règles s’oppose à l’alchimie des rapports humains ; le recrutement du personnel sur la base de compétences s’oppose à celui sur la base du statut de parents et clients. La domination légale à laquelle correspond le premier terme de chacun de ces couples antinomiques, paraît ainsi qualitativement supérieure, plus « évoluée » que la domination traditionnelle à laquelle est associé le second terme10. Mieux encore, Weber insiste sur l’importance de « l’apparition d’une direction administrative (et militaire) purement personnelle » lorsqu’un abandon de « types primaires de domination traditionnelle » conduit à l’émergence du patrimonialisme11 qu’il définit négativement par ce qui lui manque : la compétence fixe déterminée selon une règle objective ; la hiérarchie rationnelle fixe ; la formation spécialisée12. Ce sont là autant d’aspects qui caractérisent précisément la domination légale, ainsi érigée sur les cendres de la domination traditionnelle. La sociologie historique, qui doit beaucoup à l’œuvre de Weber sans s’y réduire13, s’est peu intéressée directement à la question du néopatrimonialisme. Les exceptions sont rares14, y compris pour ce qui est des travaux sur l’Afrique15. Ces travaux ont toutefois logiquement conduit à des interprétations sur la relation entre patrimonialisme et démocratie car ce lien est inhérent à son objet phare, c’est‑à‑dire l’histoire de la

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souveraineté dans ses deux formes, à savoir la souveraineté nationale incarnée par l’État moderne, et la souveraineté populaire incarnée par la démocratie. Ces rapports ont également fait l’objet d’une rationalisation a posteriori lors de l’étude de contextes non occidentaux, jaugés à l’aune de l’Occident. La meilleure illustration est probablement offerte par les travaux des historiens de l’État16. Le lien entre les travaux de sociologie historique et le postulat d’une opposition entre néopatrimonialisme et démocratie est mis en exergue dans l’œuvre de Norbert Elias17, qui décrit l’État comme le produit d’un processus de « monopolisation des chances » dont les origines remontent à l’Europe féodale. N. Elias montre comment en Europe, la construction de l’État s’est faite par étapes, selon un processus de centralisation progressive. Lancé au départ au hasard des guerres, des alliances matrimoniales et des successions, l’État devient un projet à partir du moment où des territoires conquis en vertu de la loi du monopole sont progressivement délimités et institutionnalisés. Initialement, c’est‑à‑dire entre le xie et le xiiie  siècle, on est dans une « phase de libre concurrence » durant laquelle le roi n’est qu’un primus inter pares et dépend des seigneurs pour ses revenus comme pour la levée des troupes18. Puis, arrive la « phase des apanages », entre le xive et le xve  siècle, une fois les rois d’Angleterre évincés de leur prétention sur les territoires continentaux19. On entre dans une période marquée par la « victoire du monopole royal » entre la fin du xve et le xvie siècle20. Deux éléments sont importants ici : d’une part, la monopolisation en tant que telle, puisque des territoires relativement importants se concentrent entre les mains du roi, annonçant l’ère des États modernes aux frontières claires ; d’autre part, et surtout, une fois le monopole affermi, ce qu’Elias appelle « la publicisation du monopole », à savoir le processus par lequel l’État se dote d’une administration, d’une armée nationale, de budgets publics et commence à se différencier de la personne du roi. En bref, ce qui est décrit ici, c’est la constitution progressive d’un espace public distinct d’autant que parallèlement à l’édification de l’État, l’évolution menant à la souveraineté populaire s’enclenche dès 1215 avec la Magna Carta dans l’Angleterre de Jean Sans Terre. Sans dire encore son nom, ce processus culmine au xixe siècle avec l’émergence des citoyens, des partis politiques et du suffrage universel21. Ce rappel permet de faire remarquer que si chez Elias et les sociohistoriens, ces processus de construction de l’État sont au moins jusqu’à



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un certain point le fruit du hasard22, la tentation n’en est pas moins grande de rationaliser a posteriori l’État et la démocratie, qui deviennent alors des conquêtes sur la « tradition », l’« arbitraire », la « personnalisation du pouvoir » ; en un mot, l’envers du « patrimonialisme ». Orienter la recherche vers les obstacles à l’étatisation et à la démocratisation est pratiquement inévitable pour les auteurs qui s’intéressent non pas à ces processus sui generis, mais à des États africains qualifiés d’importés23, dont les systèmes politiques relevant du type wébérien de domination traditionnelle sont, après la conquête européenne, sommés de se rationaliser et plus tard, de se démocratiser. Les processus d’étatisation et de démocratisation propres à ces systèmes politiques accréditent l’idée que les deux formes sont antithétiques, la domination légale rationnelle caractéristique du pouvoir démocratique ne pouvant être bâtie que sur les cendres des formes traditionnelles africaines. La conception du lien entre néopatrimonialisme et démocratie proposée par J.‑F. Médard est largement influencée par cet héritage de M. Weber et de la sociologie historique sans pour autant être téléologique, ce qu’on voit bien lorsqu’il montre les exigences communes des deux souverainetés que sont l’État et la démocratie. Selon lui, « si l’État moderne suppose l’institutionnalisation du pouvoir, l’État démocratique exige doublement des mécanismes institutionnels permettant de limiter l’arbitraire du pouvoir »24. Lorsqu’il aborde ce lien au moment où les pays africains entrent dans la troisième vague de démocratisation, il défend une thèse de l’incompatibilité en soutenant par exemple l’idée que « le patrimonialisme s’exprime naturellement dans l’autocratie, tout en contribuant à subvertir la démocratie »25. Pour lui, le néopatrimonialisme, en ce qu’il favorise la personnalisation des relations politico‑administratives, constitue l’envers de l’institutionnalisation du pouvoir qui caractérise précisément la démocratie. Considérant que « les tentatives de démocratisation constituent un essai de dépassement du patrimonialisme dans la mesure où la démocratie ne peut reposer que sur un degré poussé d’institutionnalisation du pouvoir », il estime que « la démocratie, dans la mesure où elle parviendrait à responsabiliser les gouvernants, serait un moyen de limiter le patrimonialisme en les forçant à « manger moins vite et moins seuls »26. Le dilemme qu’il soulève vient du fait qu’« une limitation ou un contrôle de la politique du ventre […] paraît une condition sine qua non de l’introduction de régimes démocratiques en Afrique ».

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Les travaux de J.‑F. Médard ne se focalisaient cependant pas à proprement parler sur les démocratisations de la troisième vague et ne portaient pas sur une analyse approfondie de la manière dont les pratiques patrimoniales affectent ces expériences. En revanche, les transitologues en ont largement débattu. Michael Bratton et Nicolas van de Walle sont probablement ceux qui sont allés le plus loin dans cette voie en faisant du néopatrimonialisme, la variable indépendante principale de la démocratisation en Afrique, qu’il s’agisse de la dynamique de la revendication démocratique, des modes de transition ou des perspectives de consolidation à long terme. Au regard des caractéristiques du patrimonialisme, ils notent que nombre de pays dans le monde en développement présentent, sous des formes modifiées, certains des traits caractéristiques du néopatrimonialisme, qui structurent ainsi leurs dynamiques politiques27. Il s’agit notamment de la personnalisation du pouvoir par des big men, du clientélisme et de l’utilisation des ressources publiques à des fins privées. Compte tenu de ces caractéristiques, les régimes manquent de légitimité et s’appuient sur la coercition. Même s’il y a des variations entre eux, ces régimes permettent peu de compétition et de participation des citoyens et étouffent la société civile28. Les conséquences pour la démocratisation sont importantes : les dictateurs ne quittent le pouvoir que contraints et forcés, le plus souvent à la suite de mobilisations populaires ; les élites, divisées entre insiders profitant du pouvoir et outsiders qui en sont exclus ne peuvent négocier et s’engagent plutôt dans un jeu à somme nulle et, finalement, la démocratisation est toujours sous la menace des perdants de ce jeu. Dans ce contexte néopatrimonial, concluent‑ils, les gains démocratiques s’érodent rapidement car les pratiques de patronage, d’autoritarisme, de manipulations des règles du jeu empêchent l’institutionnalisation de la démocratie29. Cette analyse a le mérite de nous rappeler ce qu’Alexis de Tocqueville30 soulignait déjà, à savoir qu’il est difficile de faire table rase des pratiques et des institutions politiques en matière de changement politique. Dans cette perspective, le néopatrimonialisme apparaît comme un ensemble d’institutions informelles qui, fortement enracinées dans le paysage politique, guident les conduites d’acteurs hostiles à la mise en place d’institutions et de pratiques démocratiques formelles31. L’idée d’une incompatibilité entre patrimonialisme et démocratie renvoie en réalité à une réflexion normative et à une interprétation



Le néopatrimonialisme est‑il soluble dans la démocratie ?

partielle et partiale des auteurs (Médard, Weber) et de la sociologie historique. Leur lecture plus attentive, et un regard sur les caractéristiques empiriques des expériences de démocratisation de la troisième vague permettent de dresser un tableau plus nuancé. NÉOPATRIMONIALISME ET DÉMOCRATIE : QUEL ÉQUILIBRE ENTRE NORMES FORMELLES ET PRATIQUES INFORMELLES ?

L’hypothèse d’une exclusion mutuelle entre démocratie et néopatrimonialisme ressort de l’interprétation wébérienne du lien entre domination traditionnelle et domination légale, mais aussi de la rationalisation a posteriori de l’histoire de l’État, de la démocratie et de l’analyse des obstacles à la démocratisation en Afrique. Une telle conclusion relève néanmoins d’une lecture partielle, reflet d’un a priori normatif, la volonté d’instaurer la démocratie et de l’enraciner au lieu de simplement l’étudier. Une étude approfondie de Médard montre en effet qu’entre néo‑­ patrimonialisme et démocratie, le rapport relève moins de l’opposition que de l’équilibre entre normes légales et normes informelles : « dans l’État néo‑patrimonial, ce n’est pas seulement une absence de distinction entre le domaine privé et le domaine public que l’on constate, mais aussi un conflit entre des normes privées et des normes publiques partiellement intériorisées »32. Mais revenons d’abord à M. Weber dont la typologie vise en premier lieu à faciliter la compréhension des phénomènes de domination. Puisque « toutes […] cherchent à éveiller et à entretenir la croyance en leur légitimité », il prévient qu’« il faut distinguer les formes de domination suivant la revendication de légitimité qui leur est propre »33. Cette exigence implique l’adoption d’une démarche idéaltypique. Or, « on obtient un idéal‑type en accentuant unilatéralement un ou plusieurs points de vue  […] qu’on ordonne suivant les précédents points de vue choisis unilatéralement pour former un tableau de pensée homogène »34. Cette démarche nécessite donc une simplification des phénomènes présentés dans leurs traits purs et abstraits, qui sont construits plutôt que donnés au chercheur. C’est ce que Weber a si clairement souligné ailleurs, où il avertit que :

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La sociologie élabore des concepts de types et elle est en quête de règles générales du devenir […]. Comme pour toute science généralisante, les abstractions qui lui sont propres font que ses concepts ne sauraient être que relativement vides en contenu par rapport à la réalité concrète d’ordre historique. En compensation, elle fournit une univocité accrue des concepts […]. Le même événement historique peut par exemple avoir par un de ses aspects une structure « féodale », par un autre « patrimoniale », par d’autres « bureaucratique » et par d’autres encore « charismatique ». Si l’on veut penser quelque chose d’univoque sous ces termes, la sociologie est obligée d’élaborer de son côté des types (« idéaux ») « purs » de chacune de ces sortes de structures […] qui, pour cette raison, ne se présentent peut-être pas davantage dans la réalité sous cette forme pure, absolument idéale […]. Ce n’est que sur la base de ce pur type (« idéal ») qu’une casuistique sociologique est possible35.

Le distinguo entre formes de domination dont découle l’analyse du patrimonialisme a donc pour but premier, « de parvenir à une systématique », à « une fixation conceptuelle la plus pure possible », et de permettre la comparaison des types entre eux et par rapport au type idéal36. La conclusion qui s’impose ici est que, a priori, chaque type de domination – y compris la démocratie – est par définition un type mixte, susceptible d’incorporer des éléments légaux et des éléments traditionnels ou charismatiques. Si chaque type de domination réel est mixte, il se distingue cependant des autres par le fait qu’il est à dominante charismatique, traditionnelle ou légale. On peut donc logiquement concevoir la possibilité d’une domination démocratique qui soit mixte, avec une dominante légale, et ce, pas uniquement en Afrique. Cette coexistence n’y est en rien surprenante si l’on revient à l’évocation du caractère hybride de l’État africain chez Médard. Se placer dans une perspective idéaltypique permet d’ouvrir la porte à une interprétation du lien entre néopatrimonialisme et démocratie en termes de conflit de normes. En bon wébérien, Médard démontre que l’un des éléments de différenciation des États africains, considérés tous comme néopatrimoniaux, réside dans leur plus ou moins grande proximité par rapport à l’idéal type patrimonial. En d’autres termes, les questions pertinentes lorsqu’on analyse ces cas réels sont : « Jusqu’à quel point le



Le néopatrimonialisme est‑il soluble dans la démocratie ?

patrimonialisme s’articule‑t‑il à des logiques « modernes » qui lui sont contraires ? Dans quelle mesure ces logiques sont intégralement subverties ? Dans quelle mesure ont‑elles un effet spécifique ? »37. Sur cette base, J.‑F. Médard estime également que « la capacité de combiner ces logiques contradictoires dans un néopatrimonialisme plus ou moins viable… [est] une des clefs permettant d’expliquer, au‑delà du noyau patrimonial commun, les différences souvent considérables de performances selon les États et leurs leaders »38. Dans une telle perspective, la différence entre les pays est moins une question d’identité strictement patrimoniale ou strictement légale que de degré de prévalence entre normes légales formelles et normes informelles patrimoniales. On n’est plus dans un schéma d’opposition absolue entre un néopatrimonialisme propre à l’autoritarisme et une démocratie qui en serait exempte. Le concept de néopatrimonialisme, essentiellement forgé afin de rendre compte de situations mixtes, est intrinsèquement hybride, ce qui fait dire à G. Erdmann et U. Engel 39 que toute approche visant à le définir ou à l’opérationnaliser doit partir de l’idée qu’en tant que concept mixte, il peut aussi bien rendre compte de situations confinant au modèle pur de patrimonialisme que de configurations associées au modèle légal‑rationnel. Par voie de conséquence, la réflexion sur la démocratie et le néopatrimonialisme ne peut pas plus se réduire à la quête d’une forme indigène de système40, qu’à l’idée d’inanité ou de pure façade41. Si l’on réexamine les implications de la démarche idéaltypique tout en admettant l’idée d’hybridation qu’implique le concept de néopatrimonialisme, on est en mesure de sortir des catégorisations binaires et exclusives pour comprendre les régimes politiques rebelles à cette forme de classification du fait de leur appartenance à une zone grise42. LES NOUVELLES DÉMOCRATIES, SITES D’INSTITU TIONNALISATION DE NORMES CONTRADICTOIRES

La coexistence de normes contradictoires dépasse largement une réflexion limitée aux régimes issus des transitions tentées dans les pays africains dits néopatrimoniaux. Elle touche à la nature des « nouvelles démocraties » en général, qu’elles soient issues des transitions africaines, du monde post­soviétique ou des bureaucraties autoritaires d’Amérique

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latine. Dès le début des années 1990, le thème des régimes hybrides s’est imposé dans les études sur la démocratisation, conduisant à une réflexion sur la possibilité et les conditions de leur survie, notamment dans le tiers‑monde43. Larry J. Diamond44 constate par exemple que nombre de pays engagés dans la démocratisation se singularisent par le fait que leur nouveau régime persiste à travers le temps, mais sans s’institutionnaliser, ni se légitimer ; deux éléments qui définissent les démocraties dites consolidées45. Pour sa part, Thomas Carothers46 montre qu’en 2002, sur la centaine de pays alors engagés dans des transitions démocratiques, seule une vingtaine était engagée sur la voie de la consolidation. Parmi les pays restants, un petit nombre est retombé dans l’autoritarisme, mais la plus grande partie reste dans ce qu’il qualifie de « zone grise ». Ceux‑ci ne semblent ni retourner au statu quo autoritaire, ni approfondir les gains de la libéralisation politique. C’est cette situation d’entre‑deux qui explique la multiplication des adjectifs47 par lesquels les chercheurs cherchent à qualifier ces systèmes48 sur lesquels nous reviendrons. T. Carothers propose alors de classer ces pays de la zone grise en deux catégories  : ceux au pluralisme dévoyé ( feckless pluralism) et ceux à pouvoir exécutif écrasant (dominant‑power system). Dans la première catégorie, évocatrice des démocraties délégatives (delegative democracies)49 ou des démocraties fondées sur un électoralisme trompeur ( fallacy of electoralism50), les procédures démocratiques sont respectées, mènent parfois à une alternance, mais le système reste confiné dans une dimension purement électorale. En effet, les politiciens corrompus et égoïstes prennent en otage la population qui ne bénéficie d’aucune amélioration tangible de ses conditions de vie. La seconde catégorie, que forment les États dotés d’un pouvoir exécutif écrasant, rappelle la notion de démocraties illibérales51 : les libertés civiles et politiques y sont peu respectées, mais surtout, un parti, une oligarchie, voire un seul homme, domine totalement la vie politique au point de se confondre avec l’État et de laisser peu de chances à la possibilité d’une éventuelle alternance politique. On n’est manifestement pas très loin du modèle néopatrimonial du big man52, ce leader qui personnalise le pouvoir, crée un réseau de loyaux et de dépendants et parvient à dominer la vie politique et économique de son pays ou de sa région. La classification binaire de T. Carothers représente un effort de réduction d’une grande diversité de régimes possibles. Les deux types qu’il identifie réconcilient et font jouer ensemble des éléments clés de



Le néopatrimonialisme est‑il soluble dans la démocratie ?

définition de la démocratie et du néopatrimonialisme pourtant censés être contradictoires. On assiste en effet à l’incorporation d’éléments de la démocratie tels que les élections, l’existence de plusieurs partis politiques, le respect de certaines libertés civiles, la possibilité laissée à la population de participer au jeu politique. Dans le même temps transparaissent également nombre de caractéristiques du néopatrimonialisme telles que la corruption des élites, la mainmise des élites au pouvoir sur l’État, ses ressources et ses institutions ou encore le paternalisme du big man. Il n’est pas possible d’appliquer le concept de démocratie à tous les nouveaux régimes sans succomber au piège de l’élasticité conceptuelle53. On ne saurait pour autant se contenter de reléguer ces systèmes dans la catégorie des régimes autoritaires, dont ils diffèrent clairement en raison de certains gains démocratiques consécutifs à la libéralisation politique. Adopter une de ces postures reviendrait à s’empêcher ainsi de capturer l’essence de régimes hybrides54. Comme le souligne L. J. Diamond55, la réponse à la question de savoir si des pays tels que la Russie, la Turquie, le Venezuela ou le Nigeria sont ou ne sont pas des démocraties n’est plus aussi simple. Nombre d’entre eux ont adopté des formes démocratiques sans la substance et sont de ce fait, ambigus. Pour tenter de sortir de ce dilemme, les chercheurs ont multiplié les conceptualisations. David Collier et Steven Levitsky56 montrent qu’il y a eu prolifération de catégories aussi curieuses que les « démocraties autoritaires », les « démocraties néo‑patrimoniales », les « démocraties à dominante militaire » ou les « protodémocraties ». D’autres ont tenté de forger des typologies explicatives toutes plus complexes les unes que les autres. Ainsi, G. Erdmann et U. Engel57 proposent de distinguer trois types de régimes : les démocraties, les hybrides et les autoritarismes. Le néopatrimonialisme n’est pas, pour eux, une catégorie intrinsèque, mais une modalité possible dans chacun de ces trois types selon la forme de gouvernement et de bureaucratie. Dans ce modèle, on peut concevoir qu’un régime autoritaire soit, à l’instar d’un régime hybride, à tendance néopatrimoniale. On peut aussi concevoir parmi les démocraties, une sous‑catégorie, adaptée à nombre de régimes africains, celle de « systèmes multipartites néo‑patrimoniaux », parallèlement aux sous‑catégories spécifiques à d’autres régions telles les démocraties imparfaites (Defective Democracies) ou les démocraties illibérales (Illiberal Democracies). On retrouve bien ici l’idée de conflit de normes et d’équilibre fluctuant entre normes légales et normes patrimo-

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niales. Si la typologie précédente reste largement conceptuelle, les auteurs n’y distribuant pas de pays, celle proposée par L. J. Diamond répartit les pays en cinq catégories. Les critères renvoient d’abord à la distinction entre les démocraties dites libérales (Liberal Democracy) ou électorales (Electoral Democracy) selon qu’elles coïncident ou non avec un véritable État de droit. Les trois catégories suivantes sont dites pseudodémocratiques si elles vont de pair avec l’organisation d’élection (Competitive Authoritarian et Hegemonic Electoral Authoritarian Regimes) ou non démocratiques si l’on a affaire à des systèmes complètement fermés (Politically Closed Authoritarian). Enfin, une dernière catégorie est représentée par ce que L. J. Diamond appelle les régimes ambigus (Ambiguous Regimes). Qu’ils parlent de néopatrimonialisme en Afrique ; de bossism ou de cacique democracy aux Philippines ; de democradura et de dictablanda en Amérique latine ; de feckless pluralism en général, les chercheurs renvoient habituellement à l’une ou l’autre des pratiques que J.‑F. Médard58 regroupe sous le vocable de néopatrimonialisme. Outre des problèmes méthodologiques et d’élasticité conceptuelle soulevés plus haut, plusieurs questions se posent ici  : ces régimes sont‑ils transitoires ou appelés à

Tableau 4.1 : Les régimes autoritaires, hybrides et démocratiques

Type de régime

Exemples représentatifs

Démocraties électorales (Electoral Democracies)

Brésil, Ghana, Inde, Niger, Mali, Philippines

Démocraties libérales (Liberal Democracies)

Régimes autoritaires compétitifs (Competitive Authoritarian Regimes) Régimes autoritaires électoraux hégémoniques (Hegemonic Electoral Authoritarian Regimes) Autoritarismes fermés (Politically Closed Authoritarian Regimes) Régimes ambigus (Ambiguous Regimes)

Adapté de L. J. Diamond 59.

Canada, Chili, Japon, Botswana, Cap‑Vert

Russie, Malaisie, Gabon, Cameroun, Iran Kazakhstan, Singapour, Burkina, Ouganda, Égypte

Turkménistan, Cuba, Soudan, Syrie, Chine, Swaziland Arménie, Venezuela, Nigeria, Turquie



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durer ? Dans quelle mesure bousculent‑ils les modèles d’analyse habituels de la démocratisation ? La réponse à la première question est relativement simple, car on ne saurait considérer ces régimes comme des formes prédémocratiques ayant pour vocation de tendre, au fil du temps, vers la démocratie. Les premiers transitologues60 avançaient dès les années 1980 que la transition pouvait déboucher sur plusieurs possibilités, la démocratie n’étant que l’une d’entre elles. Cela nous amène à la seconde question portant sur les modèles d’analyse. Ces régimes semblent non seulement capables de durer 61, mais même de devenir des « composantes stables » du paysage politique, c’est‑à‑dire une forme peut‑être permanente, comme nous le rappellent Fareed Zakaria62 et Richard Banégas63. Cette permanence appelle un effort d’innovation portant non seulement sur leur nature, mais sur la problématique de la consolidation. Il est généralement admis dans la littérature actuelle que ces régimes ne peuvent pas se consolider64. Or, les régimes hybrides bousculent ce modèle basé sur l’analyse de cas classiques moins ambigus. Quelques travaux suggèrent de poursuivre dans ce sens. Ainsi R. Banégas, nous ramenant plus spécifiquement au néopatrimonialisme, montre à partir de la « marchandisation du vote » au Bénin, que loin de s’y opposer, la démocratie peut être réinventée et articulée aux logiques locales de la politique du ventre. Pour sa part, Wolfgang Merkel65, après avoir fait remarquer que les régimes hybrides proposés par d’autres auteurs diffèrent par le type de défauts qu’ils présentent, propose de concevoir la démocratie comme un ensemble de cinq régimes partiels interdépendants, le régime électoral étant la composante centrale autour de laquelle gravitent les quatre autres, à savoir : les droits politiques ; les libertés civiles ; la séparation des pouvoirs et le pouvoir effectif de gouverner. Chaque régime partiel renvoie à certaines exigences. En fonction du régime dont les exigences sont affectées, W. Merkel identifie quatre types de démocraties défectueuses : illiberal democracy, domain democracy, exclusive democracy, delegative democracy. Jusque‑là, il n’y a rien de très nouveau, ces concepts ayant été proposés par d’autres auteurs. L’idée réellement novatrice est que l’approche binaire qui distingue les démocraties consolidées de celles qui ne le sont pas, est une approche réductrice. Il est aussi intéressant que l’on puisse envisager, d’un point de vue analytique, une consolidation à géométrie

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variable selon que le processus démocratique progresse ou non d’un régime partiel à un autre. Ces propositions offrent également un début de réponse aux questions de J.‑F. Médard quant à la possibilité de combiner des logiques néopatrimoniales et légales‑rationnelles contradictoires. D’un point de vue normatif, la démarche de W. Merkel est critiquable, car elle risque de conduire à un abaissement des exigences démocratiques. Mais analytiquement, elle offre un spectre plus riche en cas et en nuances et, après tout, c’est ce que donnent à voir les expériences de la troisième vague. L’idée de régimes hybrides n’est pas nouvelle, mais celle de savoir si la démocratie peut se forger sur des fondements patrimoniaux ou des pratiques assimilées, elle, s’est posée avec les démocratisations de la troisième vague66. De ce point de vue, elle remonte aux années 1990 marquées en Amérique latine par la stagnation de processus démocratiques incapables de s’approfondir67 et en Afrique par la difficile transformation des régimes patrimoniaux dans le sens de démocraties consolidées68. L’on est tenté d’y voir une anomalie, ce qui serait fondé dans une perspective normative peu attentive aux fondements théoriques et aux leçons empiriques. L’exégèse des textes de Weber, Médard et d’autres et le regard sur des processus réels nous montrent non seulement une coexistence, mais aussi la possibilité d’« institutionnalisation » de régimes mêlant éléments bureaucratiques et patrimoniaux et ce, de manière durable. Ce phénomène a nourri la réflexion sur les régimes hybrides, mais comme le rappelle G. Erdmann et U. Engel69, en dépit des nombreuses tentatives, nous manquons toujours d’outils conceptuels et de consensus pour comprendre ces régimes dans leur diversité. À cela s’ajoute le débat, peut‑être plus important, sur la consolidation. Si ces régimes sont un phénomène nouveau et sont appelés à durer, une réflexion s’impose pour approfondir notre compréhension de la démocratie et de son fonctionnement. Elle doit s’atteler à repenser la question sur une base autre que celle utilisant des indicateurs de mesure des cas classiques plus limpides. Elle doit aussi être débarrassée de tout a priori normatif empêchant de comprendre ces cas rebelles aux modèles normatifs.



Le néopatrimonialisme est‑il soluble dans la démocratie ?

NOTES   1. A. Przeworski, Democracy and the Market: Political and Economic Reforms in Eastern Europe and Latin America, Cambridge, Cambridge University Press, coll. “Studies in rationality and social change”, 1992, p. 10.   2. D. Beetham, “Liberal Democracy and the Limits of Democratization”, Political Studies, 40(1), 1992, p. 40‑53.   3. G. Erdmann et U. Engel, “Neopatrimonialism Reconsidered: Critical Review and Elaboration of an Elusive Concept”, Commonwealth and Comparative Politics, 45(1), 2007, p. 111.   4. S.P. Huntington, The Third Wave: Democratization in the Late Twentieth Century, 2nd ed., Norman (Okla.)/London, University of Oklahoma Press, coll. “The Julian J. Rothbaum distinguished lecture series, 4”, 1993.   5. M. Weber, Économie et société, tome 1 : Les catégories de la sociologie, Paris, Plon, coll. « Recherches en sciences humaines, 27 », 1971, p. 308.   6. Ibid., p. 323‑324.   7. Ibid., p. 294‑299.   8. Ibid., p. 301.   9. M. Bratton and N. van de Walle, Democratic Experiments in Africa: Regime Transitions in Comparative Perspective, New York, Cambridge University Press, 1997, p. 62. 10. M. Weber, 1971, op. cit. supra, p. 290‑306. 11. Ibid., p. 307‑308. 12. Ibid., p. 304. 13. Y. Deloye, Sociologie historique du politique, Paris, La Découverte, coll. « Repères, 209 », 2003, p. 33 ; M. Gazibo et J. Jenson, La politique comparée : fondements, enjeux et approches théoriques, Montréal, Presses de l’Université de Montréal, coll. « Paramètres », 2004, et surtout S. Kalberg, Max Weber’s Comparative‑Historical Sociology, Chicago, The University of Chicago Press, 1994. 14. Voir cependant S. N. Eisenstadt, Traditional Patrimonialism and Modern Neopatrimonialism, Beverly Hills (CA)/London, Sage Publications, coll. “Studies in comparative modernization series, Sage Research Papers in social sciences, no 90‑003”, 1973 ; et Patterns of modernity, vol. 1: The West et vol. 2: Beyond the West, Washington Square (NY ), New York University Press, 1987. 15. J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F  Médard (dir.), États d’Afrique noire  : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 324.

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16. M. Bloch, La société féodale, Paris, Albin Michel, coll. « L’Évolution de l’humanité », 1978 ; G. Bergeron, Petit traité de l’État, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Politique éclatée », 1990 ; C. Tilly, Contrainte et capital dans la formation de l’Europe : 990‑1990, éd. originale 1990, Paris, Aubier, coll. « Aubier histoires », 1992 ; N. Elias, La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann‑Lévy, coll. « Archives des sciences sociales, 15 », 1976. 17. N. Elias, 1976, op. cit. 18. Ibid., p. 43. 19. Ibid., p. 61. 20. Ibid., p. 83. 21. M. Weber, 1963, op. cit., p. 171. 22. N. Elias, 1976, op. cit., p. 26 ; G. Bergeron, 1990, op. cit., p. 17. 23. B. Badie, L’État importé : essai sur l’occidentalisation de l’ordre politique, Paris, Fayard, coll. « L’Espace du politique », 1992. 24. J.‑F. Médard, 1991, op. cit., p. 341. 25. J.‑F. Médard, « Autoritarismes et démocraties en Afrique Noire », Politique africaine, 43 (Les chemins de la démocratie), octobre 1991, p. 92‑104. 26. J.‑F. Médard, 1991, op. cit., p. 353. 27. M. Bratton and N. van de Walle, 1997, op. cit., p. 61‑62. 28. Ibid., p.  68‑76 ; C. Young, The African Colonial State in Comparative Perspective, New Haven/London, Yale University Press, 1994, p. 87‑89. 29. M. Bratton and N. van de Walle, 1997, op. cit., p. 233. 30. A. de Tocqueville, L’Ancien Régime et la Révolution, 3e éd., Paris, Gallimard, coll. « Œuvres, papiers et correspondances d’Alexis de Tocqueville », 1952. 31. C. Young, 1994, op. cit., p. 292. 32. J.‑F. Médard, 1991, op. cit., p. 334. 33. M. Weber, 1971, op. cit., p. 286. 34. M. Weber, Essai sur la théorie de la science, Paris, Plon, coll. « Recherches en sciences humaines, 19 », 1965, p. 81. 35. M. Weber, 1971, op. cit., p. 48‑49. 36. Ibid., p. 290. 37. J.‑F. Médard, 1991, op. cit., p. 351. 38. Ibid., p. 351‑352. 39. G. Erdmann and U. Engel, 2007, op. cit., p. 112‑113. 40. J.‑F. Bayart, L’État en Afrique : la politique du ventre, 1re éd., Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique, 29 », 1989. 41. P. Chabal et J.‑P. Daloz, L’Afrique est partie ! : du désordre comme instrument politique, Paris, Economica, coll. « Analyse politique », 1999 ; J.‑F. Bayart, « Globalisation et changement politique en Afrique subsaharienne



42. 43. 44. 45. 46. 47. 48. 49. 50.

51. 52. 53. 54. 55. 56. 57. 58. 59. 60. 61.

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(1989‑2005) », Afriche e Orienti, II (The West and Africa. Democracy and Nationalism from the First to the Second Transition, Zamponi M. (Ed.)), 2006, p. 52‑67. T. Carothers, “The End of the Transition Paradigm”, Journal of Democracy, 13(1), January 2002, p. 9. F.W. Riggs, « Fragilité des régimes du tiers monde », Revue internationale des sciences sociales, 136, mai 1993, p. 236‑287. L.J. Diamond, Developing Democracy: Toward Consolidation, Baltimore/ London, Johns Hopkins University Press, 1999, p. 22. M. Bratton and N. van de Walle, 1997, op. cit., p. 236. T. Carothers, 2002, art. cit., p. 9. Ibid., p. 11. D. Collier and S. Levitsky, “Democracy with Adjectives: Conceptual Innovation in Comparative Research”, World Politics, 49(3), April 1997, p. 430‑451. G.A. O’Donnell, “Delegative Democracy”, Journal of Democracy, 5(1), January 1994, p. 55‑69. Voir T.L. Karl, “Imposing Consent: Electoralism and Democratization in El Salvador”, in P.W. Drake, E. Silva and K. Middlebrook (Eds), Elections and Democratization in Latin America, 1980‑1985, San Diego, University of California‑San Diego, Center for International Studies, 1986, p. 9‑36. F. Zakaria, “The Rise of Illiberal Democracy”, Foreign Affairs, 76(6), November‑December 1997, p. 22‑43. J.‑F. Médard, 1991, op. cit. G. Sartori, « Bien comparer, mal comparer », Revue internationale de politique comparée, 1(1), avril 1994, p. 19‑36. Pour l’Amérique latine, voir T.L. Karl, “The Hybrid Regimes of Central America”, Journal of Democracy, 6(3), July 1995, p. 72‑86. L. Diamond, “Thinking about Hybrid Regimes”, Journal of Democracy, 13(2), April 2002, p. 21. D. Collier and S. Levitsky, 1997, art. cit., p. 430‑431. E.G. Erdmann and U. Engel, 2006, op. cit., p. 29. J.‑F. Médard, 1991, op. cit., p. 330. L. Diamond, 2002, art. cit., p. 30‑31. G.A. O’Donnell and P.C. Schmitter, Transitions from Autoritarian Rule, Tentative Conclusions About Uncertain Democracies, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1986. F.C. Weffort, “New Democracies and Economic Crisis in Latin America”, in P.D. Oxhorn and G. Ducatenzeiler (Eds), What Kind of Democracy? What

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62. 63. 64. 65. 66. 67.

68.

69.

Kind of Market?: Latin America in the Age of Neoliberalism, University Park (PA), Pennsylvania State University Press, 1998, p. 219‑226. F. Zakaria, 1997, art. cit. R. Banégas, La démocratie à pas de caméléon : transition et imaginaires politiques au Bénin, Paris, Éd. Karthala, coll. « Recherches internationales », 2003. F. Weffort, 1998, op. cit., p. 226 ; L. Diamond, 1999, op. cit., p. 22. W. Merkel, “Embedded and Defective Democracies’”, Democratization, 11(5), December 2004, p. 35‑43. L. Diamond, 2002, art. cit., p. 23‑25. G.A. O’Donnell, « Repenser la théorie démocratique  : perspectives latino‑américaines », Revue internationale de politique comparée, 8(2) (La  consolidation de la démocratie  : nouveaux questionnements), 2001, p.  199‑224 ; L. Morlino, « Consolidation démocratique  : la théorie de l’ancrage », Revue internationale de politique comparée, 8(2) (La consolidation de la démocratie : nouveaux questionnements), 2001, p. 245‑267. P. Quantin, « La difficile consolidation des transitions démocratiques africaines », dans C. Jaffrelot (dir.), Démocraties d’ailleurs  : démocraties et démocratisations hors d’Occident, Paris, Éd. Karthala, coll. « Recherches internationales », 2000, p. 124‑145. G. Erdmann and U. Engel, 2007, op. cit., p. 113.

V

Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement Alice N. Sindzingre

L

a croissance est traditionnellement analysée en économie à l’aide de concepts tels que l’investissement physique ou le capital humain. Cependant, les faibles performances de nombreux pays à bas revenu au cours des deux dernières décennies, particulièrement en Afrique sub‑­ saharienne (ASS), ont suscité une intensification de l’exploration de variables alternatives dans la liste des déterminants possibles de la croissance. L’économie du développement recourt ainsi de plus en plus à des concepts empruntés à l’économie politique, tels que prédation et corruption, pour expliquer les différences entre pays en termes de croissance et de niveau de revenu. Comme les autres sous‑disciplines de l’économie, l’économie du développement s’appuie sur le cadre néoclassique et utilise des concepts dérivés de celui‑ci, tels que les gains et les coûts, les incitations, les droits de propriété et les groupes d’intérêt, parmi d’autres. Ces concepts sont censés expliquer les institutions politiques, et facilitent la transformation de celles‑ci en « variables » qui peuvent être traitées par des modèles mathématiques – les modèles et analyses économétriques (habituellement des régressions multi‑pays ou « cross‑country ») sont en effet devenus à partir de la seconde moitié du xxe siècle les principaux instruments de validation en économie. Ces instruments, cependant, permettent rarement de saisir en profondeur les causalités en jeu, car les variables ne se réfèrent



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qu’à la forme des phénomènes, et en outre sont supposées rester identiques à travers l’histoire, et quel que soit le contexte. D’autres approches théoriques se sont néanmoins écartées du cadre néoclassique et ont souligné que les trajectoires de croissance peuvent être sujettes à des « équilibres multiples » (« bas » et « hauts ») qui peuvent être enclenchés par des chocs ou des déviations aléatoires, même limités. Ces trajectoires de croissance sont caractérisées par la dépendance vis‑à‑vis des trajectoires passées ( path dependence), des processus de feedback, des rendements croissants, des causalités cumulatives et des effets de seuil, en fonction des combinaisons de divers facteurs1. Par exemple, si la corruption ne ralentit pas nécessairement la croissance, elle peut maintenir des pays dans des situations « d’équilibres bas » (low equilibria) et de trappes à pauvreté (poverty traps). Ce chapitre examine le concept de néopatrimonialisme sous l’angle des modalités selon lesquelles l’économie du développement a réinterprété les phénomènes subsumés sous ce concept. Un point important est que ce concept est rarement mentionné de manière explicite dans la littérature de l’économie du développement, car il est perçu comme relevant davantage de la science politique et de la sociologie politique. Partant de l’approche développée par Jean‑François Médard, ce chapitre montre la richesse du concept de néopatrimonialisme, car celui‑ci rassemble et relie des phénomènes ressortissant simultanément aux sphères politiques et économiques. Il montre ainsi les limites des méthodologies purement quantitatives désormais valorisées par l’économie standard dans la compréhension des différents impacts de ces phénomènes et de leur contribution aux différences de croissance économique entre pays. Ce chapitre révèle enfin l’utilité du concept de néopatrimonialisme pour la compréhension des mécanismes de « verrouillage » (lock‑in), car il permet d’analyser les cercles vicieux économiques et politiques qui enferment les pays dans des trappes à pauvreté. Une théorie de la transformation des institutions est ainsi esquissée, qui réconcilierait l’approche néopatrimonialiste et l’économie du développement en soulignant le caractère multidimensionnel des institutions politiques et l’endogénéité des processus politiques et économiques. Le chapitre discute en premier lieu le concept de néopatrimonialisme et montre qu’il a aidé à comprendre les causes sous‑jacentes des médiocres performances économiques de certains pays en d ­ éveloppement,



Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

notamment en Afrique subsaharienne (ASS). Il montre la multidimensionnalité du concept, car ce dernier se réfère à des processus et des phénomènes composites qui sont simultanément « publics » et « privés », politiques et économiques, individuels et sociaux, « anciens » et « nouveaux ». Il montre aussi l’indétermination des relations entre les dynamiques patrimoniales, d’une part, et des institutions politiques spécifiques, d’autre part. En second lieu, le chapitre explore les distinctions entre le concept de néopatrimonialisme et des concepts apparentés tels que clientélisme, corruption et cronyism (que l’on peut traduire par relations de connivence ou de « copinage »), de même que la complexité de leurs relations avec la croissance. En troisième lieu, le chapitre examine les interprétations par l’économie du développement des phénomènes subsumés sous le concept de néopatrimonialisme, pour lesquels, significativement, l’économie utilise le concept de corruption plutôt que celui de néopatrimonialisme. Il évalue de façon critique une approche quasi exclusivement fondée sur des modèles mathématiques et des méthodes économétriques  : ceux‑ci ne permettent pas de comprendre l’impact de ces phénomènes sur la croissance, puisque le néopatrimonialisme se réfère à des processus composites et multidimensionnels. Le chapitre démontre que le concept de néopatrimonialisme a eu un rôle précurseur en rassemblant des phénomènes que l’économie a conceptualisés grâce aux notions d’effets de seuils et d’équilibres « bas » stabilisés : le concept de néopatrimonialisme a en particulier montré la possibilité de cercles vicieux, de processus auto‑renforçants et de « trappes »  – typiquement les « trappes » où les dynamiques néopatrimonialistes et la stagnation économique se renforcent réciproquement. L’approche néopatrimonialiste et ces concepts construits par l’économie peuvent s’enrichir mutuellement car ils ont en commun de prendre en compte la multidimensionnalité des institutions et des comportements, de même que l’endogénéité des dynamiques politiques et économiques, rendant ainsi possible théorie plus fine des transformations institutionnelles et économiques. NÉOPATRIMONIALISME, ÉTATS ET DÉVELOPPEMENT

Ainsi que le soulignent les chapitres 1 et 2, le concept de néopatrimonialisme, issu des analyses classiques du patrimonialisme élaborées par

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Max Weber, a été approfondi en particulier par Shmuel Eisenstadt et Jean‑François Médard. Selon Max Weber, les institutions démocratiques occidentales se différencient des États patrimoniaux par le fait que les institutions (« légales‑rationnelles ») y constituent des sources impersonnelles d’obligations individuelles. En contraste, dans les États patrimoniaux, les institutions sont d’abord l’expression de relations de pouvoir entre des individus ou des groupes utilisant la « tradition » aux fins de perpétuer leur domination. Avec le concept de néopatrimonialisme, Eisenstadt a montré que ce phénomène pouvait être « moderne » et prospérer dans les sociétés contemporaines. Le concept a connu ensuite un relatif déclin, tout en étant, comme l’a montré Daniel Bach, appliqué aux contextes et régions les plus variés. Il a alors perdu de sa richesse et de sa précision  – étant par exemple réduit à un synonyme de « prédation » –, et acquis un statut de « prototype global »2. Depuis les années 1990, la littérature de science politique portant sur les États des pays en développement, notamment sur l’ASS, a élaboré une série de concepts considérés comme caractéristiques de ces États : par exemple, « kleptocrates », « prébendiers », « quasi‑États » ou « prédateurs » – Peter Evans3 opposant ces derniers aux États « développementaux » d’Asie de l’Est, tels que le Japon, Taiwan ou la Corée du sud. Le néopatrimonialisme comme concept multidimensionnel En contraste avec le patrimonialisme, qui a mis en avant une conception dualiste et a distingué deux types de régimes (impersonnel et personnel), le concept de néopatrimonialisme a mis l’accent sur les chevauchements et les échanges entre plusieurs domaines  : le « public » et le « privé », le politique et l’économique, l’individuel et le collectif, l’« ancien » et le « nouveau ». Il fait référence à des comportements individuels qui peuvent­être partagés par des groupes – domination par certaines catégories d’individus, appropriation privée de gains – et à des mécanismes qui brouillent la distinction entre les sphères publique et privée – les ressources de l’État sont « privatisées » (au sens où les individus les traitent comme une propriété privée) ainsi que la distinction entre les sphères politique et économique – le pouvoir sur les individus est simultanément un pouvoir sur des ressources (sur la terre, la production, la force de travail, par exemple). Le concept rassemble les dimensions de concentration du



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pouvoir politique, de la redistribution de faveurs personnelles et l’usage privé de ressources publiques4. Un point crucial est que ces comportements ne sont pas l’expression de normes « traditionnelles ». Dans les pays en développement, et de même en ASS, les systèmes politiques modernes ne sont plus traditionnels5. Les phénomènes associés au « néo »‑patrimonialisme sont « nouveaux » en ce sens qu’ils ne sont pas la simple traduction des institutions patrimoniales « traditionnelles » (par exemple villageoises), mais qu’ils résultent de transformations et d’emprunts d’éléments de ces institutions « traditionnelles ». Les « entrepreneurs » politiques utilisent le chevauchement de positions entre le public et le privé et entre le politique et l’économique, de même que des éléments de tradition, mais ils leur donnent des formes ou des contenus différents. Les phénomènes néopatrimoniaux peuvent, par exemple, attribuer un nouveau contenu à d’anciennes formes institutionnelles : le langage de la sorcellerie peut ainsi être utilisé dans des situations de compétition pour de nouveaux marchés ; des contenus anciens peuvent aussi être associés à de nouvelles formes – des légitimités « traditionnelles » peuvent ainsi animer des institutions démocratiques formelles. La coalescence du néopatrimonialisme, de la formation des États et du développement : les trajectoires des États africains après les indépendances En Afrique subsaharienne, les dynamiques qui ont suivi les indépendances des années 1960 ont favorisé la formation d’États néopatrimoniaux. Les dirigeants d’ASS ont été confrontés à la double contrainte d’une base industrielle limitée pour amorcer la pompe du développement et de la nécessité de construire leur légitimité6. Le secteur privé était alors essentiellement constitué d’entreprises étrangères. Les dirigeants s’appuyèrent donc sur des investisseurs étrangers et construisirent leurs économies par le biais de l’intervention de l’État et de l’appropriation et de l’exploitation publiques des ressources (par exemple, via des entreprises publiques). Ils encouragèrent des entrepreneurs privés choisis parmi leurs alliés politiques et dont la richesse ne constituait pas une menace7. La fragilité de leur légitimité politique a souvent conduit les dirigeants à décourager les activités privées locales qui n’étaient pas sous leur contrôle.

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Dans ce contexte, les ressources et les rentes étatiques (telles que les ressources naturelles, les entreprises publiques, les droits sur l’exercice de certaines activités, l’accès au crédit) ont constitué le socle de l’accumulation privée, soit au profit personnel des hommes politiques et des fonctionnaires, soit pour le bénéfice d’entreprises privées et d’individus. Le secteur privé était composé soit d’alliés politiques « achetés » par les dirigeants grâce aux ressources publiques, soit d’entrepreneurs contraints de choisir entre le harcèlement et l’affiliation politique. Cette ambivalence (et parfois antagonisme) des dirigeants à l’égard du secteur privé est une caractéristique de nombreux pays d’ASS et a été considérée comme l’un des facteurs de sa stagnation économique. La construction des sphères « publique » et « privée » s’est effectuée sur la base à la fois du chevauchement et de la méfiance, ce qui a été aggravé par le comportement de bureaucraties fonctionnant aussi selon le modèle extractif et rentier. En termes économiques, ces processus ont généré un équilibre stable « verrouillé », et de fait un équilibre « bas » ou même une trappe à pauvreté. La plupart des économies d’ASS après les indépendances n’ont pas pu sortir de la structure de « petite économie ouverte » mise en place durant la colonisation, où les colonies exportaient des matières premières vers la métropole et importaient des produits manufacturés de celle‑ci, leurs recettes fiscales dépendant fortement de ces exportations de matières premières (café, cacao, pétrole, etc.)8. Les processus auto‑réalisateurs mentionnés ci‑dessus se sont renforcés dans les années 1980, lorsque la chute accompagnée d’une forte volatilité des prix internationaux des matières premières ont déstabilisé les équilibres budgétaires. Les gouvernements n’eurent souvent pas d’autre choix que de demander l’aide des institutions financières internationales (IFI) – le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale –, qui ont conditionné leurs prêts à la mise en œuvre de programmes centrés sur un strict contrôle des dépenses publiques. Les mécanismes néopatrimoniaux – appropriation privée des ressources publiques, ambivalence à l’égard du secteur privé domestique – ont aussi été aggravés par l’existence de vastes secteurs informels contribuant à la formation de « trappes », c’est‑à‑dire de cercles vicieux constitués par des États pressés par les IFI de collecter leurs recettes et des individus qui cherchent à échapper à l’impôt en raison de la faible crédibilité des gouvernements et de leurs politiques  – celles‑ci étant essentiellement perçues comme animées par des motivations d’enrichissement personnel.



Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

Les programmes des IFI  – mis en œuvre des années 1980 aux années  2000  – n’ont pas augmenté les taux de croissance, qui ont été proches de zéro durant cette période9. C’est seulement l’augmentation des prix des matières premières survenue après le milieu des années 2000 qui a amélioré les performances de croissance dans la plupart des économies subsahariennes. La récurrence des guerres civiles, combinée avec la stagnation économique et l’émergence d’un monde « globalisé » dans les années 1990, donna lieu dans la littérature des IFI à des analyses décrivant les États d’ASS comme « post‑patrimoniaux », « effondrés » ou « fragiles ». Une modalité extrême de néopatrimonialisme et des « quasi‑États » analysés par Jackson et Rosberg est celle de l’économie politique des seigneurs de guerre10 : ici, la condition suffisante à l’existence d’un État est la présence d’un groupe qui contrôle l’extraction d’une rente disposant de débouchés internationaux (minerais, etc.). Selon cette approche, la globalisation ne modifie pas le modèle néopatrimonial, et a plutôt permis de mondialiser la circulation et la rentabilité des ressources exploitées. Le néopatrimonialisme comme processus politique aux effets économiques Dans la littérature de l’économie du développement, les phénomènes rassemblés sous le concept de néopatrimonialisme ont été expliqués par des facteurs économiques tels que les types de ressources disponibles11. Cette fameuse « malédiction des ressources naturelles » est ici associée à la « mauvaise gouvernance », à la prédation12, aux fortes inégalités13, au manque de diversification des exportations, et donc à la stagnation économique. En contraste, le concept de néopatrimonialisme souligne qu’il doit d’abord être compris comme un dispositif politique qui détermine des comportements et des modes d’exercice du pouvoir spécifiques. Ce sont les produits de systèmes politiques qui peuvent être « développementaux » ou prédateurs. Lors des processus historiques de formation des États d’ASS, le développement a constitué l’objectif premier des gouvernements postindépendance. Cependant, en raison de la faiblesse des institutions « impersonnelles » et dans des contextes d’instabilité politique et économique, cet objectif devint progressivement dépendant de leur consolidation politique, et donc, dans un cercle vicieux, de l’accumulation

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de richesse par les hommes politiques. Cette consolidation politique, en l’absence d’une large base industrielle intensive en main‑d’œuvre, a souvent reposé sur la distribution des rentes tirées des ressources naturelles. Les rationalités sous‑jacentes au néopatrimonialisme sont avant tout politiques, mais le concept englobe leurs implications économiques. Dans les contextes néopatrimoniaux, les incitations au développement sont conditionnées par les calculs politiques de groupes particuliers ; les dirigeants ou les élites ne se saisissent des opportunités économiques que si elles correspondent à leurs intérêts politiques. Les caractéristiques individuelles des dirigeants constituent aussi des variables importantes, notamment leur horizon temporel, comme l’a montré Mancur Olson 14 : un horizon de court terme peut les inciter au siphonnage des ressources, tandis qu’un horizon de long terme rend rationnel un comportement rentier. Dans le premier cas, les dirigeants peuvent devenir de réels prédateurs, et peuvent même avoir intérêt à détruire les institutions politiques et économiques qui favoriseraient le développement15, car celles‑ci permettraient une redistribution plus égale des ressources et des richesses qui échapperait à leur contrôle et constituerait ainsi une potentielle menace politique. Un lien peu concluant avec des régimes politiques spécifiques Par construction, le concept de néopatrimonialisme explique la déconnexion vis‑à‑vis de formes particulières de régimes politiques du mécanisme d’économie politique particulier qu’il désigne, notamment son traitement de la distinction public‑privé : en effet, le concept de néopatrimonialisme met l’accent sur des mécanismes de chevauchement (public‑privé, politique‑­ économique) et de pouvoir personnel, et de tels mécanismes peuvent « remplir » différentes formes et institutions formelles. Le néopatrimonialisme ne paraît pas lié à des types particuliers de régimes politiques, par exemple démocratiques ou autoritaires, de même qu’à des types particuliers de politiques publiques, par exemple rendant moins de compte, moins transparentes : en effet, le néopatrimonialisme se réfère à des ensembles de préférences individuelles, de mécanismes et fonctions sociales, qui peuvent être véhiculées par une grande variété de « formes » – par de nombreuses « formes » de politiques publiques et d’institutions. Par exemple, des politiques publiques qui dans leur forme



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ont été mises en œuvre pour améliorer la responsabilisation d’un gouvernement peuvent en fait renforcer les dynamiques néopatrimoniales, comme l’a montré Soest sur l’exemple des agences autonomes de collection des impôts en Zambie : en étant efficaces (augmentant les recettes fiscales), ces agences ont en fait augmenté les ressources disponibles pour une redistribution néopatrimoniale et ont ainsi renforcé le système néopatrimonial existant16. La démocratie est un exemple de ces déconnexions. Des dirigeants peuvent ruiner leur pays tout en respectant des formes démocratiques. Il n’existe en effet pas de relation établie entre les États néopatrimoniaux ou à l’inverse « développementaux » et des types précis de systèmes politiques formels. De même, les liens entre croissance et des types particuliers de régimes politiques formels, tels que la démocratie, demeurent l’objet de vifs débats17. Les « États développementaux » d’Asie orientale ont émergé sous l’égide de régimes autoritaires (comme en Corée, ou à Singapour et en Chine18). Dans les années 1950, dans de nombreux pays en développement, les régimes autoritaires étaient réputés mieux équipés pour mener à bien la modernisation. En contraste, de nombreux États néopatrimoniaux sont formellement démocratiques. Dans les pays d’ASS, les « restaurations » autoritaires qui ont suivi la vague de démocratisation des années 1990 ont montré que la mise en place d’institutions démocratiques formelles était insuffisante pour modifier les « équilibres bas » créés par le néopatrimonialisme et la conception du pouvoir politique comme mode d’accès aux ressources étatiques, conception qui s’est stabilisée au cours des décennies pour devenir un comportement routinier19. L’accès aux ressources étatiques est ici à la fois condition et promesse de richesse, et constitue ainsi une puissante incitation se perpétuant d’elle‑même, où les institutions démocratiques formelles peuvent en fait fournir de nouvelles opportunités de pratiques prédatrices20. Également, les nouvelles incertitudes découlant de l’échec des démocratisations et les luttes pour les ressources qui s’en sont ensuivies ont pu consolider des systèmes néopatrimoniaux, comme l’ont montré Pierre Englebert et James Ron sur le cas des relations entre pétrole et guerre civile dans la République du Congo21. C’est pourquoi il est difficile d’analyser le néopatrimonialisme en ne s’appuyant que sur les outils de l’économétrie et des régressions multi‑pays. Les régimes néopatrimoniaux et « développementaux » résultent de combinaisons variées impliquant,

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parmi d’autres, des intérêts politiques, des caractéristiques propres à des individus ou à des groupes, des institutions économiques et politiques, des normes sociales, l’environnement économique, parmi tous les éléments spécifiques à des pays et périodes de temps donnés. Plus importantes que la forme des régimes politiques, les déterminants politiques de la croissance impliquent d’autres variables, telles que la confiance des citoyens envers les élites, la façon dont les dirigeants utilisent et distribuent les ressources publiques, la nature des institutions (capturées par les groupes au pouvoir, fournissant des mécanismes de contrôle, etc.) ou les mécanismes de délégation et de représentation (systèmes présidentiels proportionnels ou polarisés, etc.). La taille des classes moyennes apparaît également comme un facteur important du développement22. La fuite des capitaux constitue aussi un indicateur classique du manque de confiance des citoyens dans leur gouvernement et leur économie. L’ASS est précisément l’une des régions où elle est la plus forte23, particulièrement si on la compare aux États d’Asie orientale, où, bien que le cronyism (« copinage ») et la corruption puissent prévaloir, les citoyens investissent les rentes au sein de la région. Au cours de la période 1970‑1990, la fuite des capitaux s’est élevée à 3 p. 100 de la richesse de l’Asie, contre 37  p.  100 de celle de l’ASS24. Entre 1970 et 2004, les actifs privés extérieurs de l’ASS ont dépassé la dette externe publique  : la fuite des capitaux totale s’est élevée à 420 milliards de dollars US (en dollars de 2004), à comparer avec une dette externe de 227 milliards25. NÉOPATRIMONIALISME, CORRUP TION, CRONYISM : SIMILARITÉS ET DIFFÉRENCES

Le concept de néopatrimonialisme a approfondi la compréhension de phénomènes liés aux processus néopatrimonialistes, mais néanmoins distincts de ceux‑ci, ainsi que celle de leurs déterminants et conséquences respectifs : en particulier la corruption, le clientélisme, le cronyism et les phénomènes de « capture ». Dans la science politique, ces derniers concepts ont supplanté celui de patrimonialisme ou de néopatrimonialisme, tandis que l’économie a fait porter ses analyses principalement sur la corruption. Lorsque l’on contraste le néopatrimonialisme avec ces concepts voisins, un point important est que le concept de néopatrimonialisme se



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réfère à un système politique et économique pris dans son ensemble, où le niveau politique et le niveau économique se renforcent mutuellement, et qui influence l’ensemble des institutions politiques et économiques, les normes sociales, et les comportements et croyances individuelles. Également, le néopatrimonialisme subsume et se différencie des concepts de corruption, de clientélisme, de népotisme et de personnalisation du pouvoir, car il fait référence à un mode particulier de formation et de fonctionnement de l’État, à des relations politiques spécifiques entre ses composantes – les gouvernements, les fonctionnaires, les groupes d’intérêt, par exemple – et à des mécanismes précis, tels que l’appropriation de rentes publiques à des fins d’accumulation privée, qui ont des impacts spécifiques sur le développement26. La corruption : une collection d’activités hétérogènes Le concept de corruption est plus étroit que celui de néopatrimonialisme : en effet, elle ne fait pas référence à un système politique et économique pris dans son entier comme c’est le cas pour le néopatrimonialisme, mais seulement à une certaine catégorie d’activités. Également, la corruption peut être répandue dans certains contextes politiques et économiques qui ne sont pas nécessairement néopatrimoniaux. Par ailleurs, le concept de corruption est plus large que celui de néopatrimonialisme, car elle désigne des activités qui peuvent se rattacher à de multiples et diverses autres activités. La corruption est difficile à définir, et particulièrement en économie (qui typiquement utilise ce concept comme explication de nombreux autres phénomènes), elle englobe des activités hétérogènes, telles que les pots‑de‑vin, le trafic d’influence, les détournements, l’achat de vote, etc.27 La corruption demeure néanmoins une dimension récurrente du néopatrimonialisme. De même, les similarités entre corruption et néopatrimonialisme se retrouvent dans leurs impacts. Un consensus existe désormais dans la littérature quant aux conséquences négatives de la corruption28 : aggravation des inégalités à travers un enrichissement des riches et un appauvrissement des pauvres, exploitation de ces derniers qui, par définition, sont moins à même de se défendre politiquement29. Induisant un cercle vicieux, la corruption mine encore davantage la faible crédibilité de l’État et favorise l’informalisation des activités

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économiques. Ceci, à son tour, diminue les recettes fiscales, entrave la construction d’infrastructures et la redistribution sociale qui précisément permettraient d’améliorer la réputation de l’État30. La taille des économies et des marchés constitue aussi un facteur important : la corruption a un impact bien plus dévastateur dans les pays d’ASS qui sont pauvres, souvent mono‑exportateurs, et ne possèdent qu’une poignée d’entreprises et de banques. La structure des exportations influence également l’impact de la corruption : les matières premières ne créent qu’une faible valeur ajoutée, nécessitent peu de capital humain local et favorisent moins les investissements à forte intensité de main‑d’œuvre que ceux à forte intensité en capital, qui sont propices à la corruption (par exemple, les ports et les routes)31. Au vu des fortes primes de risque associées à l’ASS, les investisseurs préfèrent les investissements qui rapportent des profits rapides et élevés, mais qui sont exposés à la corruption internationale (tels que les investissements d’enclave dans le pétrole et les minerais). Le néopatrimonialisme partage de nombreux traits communs avec le clientélisme. Comme le rappelle le titre de son article de 1982 (« clientélisme politique ou néopatrimonialisme »), pour Médard les deux sys­ tèmes devaient être distingués. Le patronage et les relations patron‑client, cependant, peuvent être considérés comme des éléments centraux des systèmes néopatrimoniaux 32  – des exemples typiques de clientélisme étant les individus ou groupes qui ciblent les transferts prélevés sur des ressources privées ou des fonds publics sur des individus et groupes spécifiques, aux fins d’acheter leur soutien. Le concept de « capture » (par exemple, capture d’un système politique, capture des élites33) est également lié à celui de néopatrimonialisme  : il est cependant plus étroit, car la « capture » des processus politiques, des politiques économiques et des institutions par des groupes d’intérêt privés est une dimension du néopatrimonialisme. La « capture des appareils de régulation » (regulatory capture) est celle des politiques publiques et des institutions judiciaires par des groupes spécifiques aux fins d’accumuler richesses et pouvoir, qui chacune mène à l’autre dans ce type de système ; ce dernier concept a été beaucoup utilisé à propos des économies en transition après la chute du communisme en 198934 – il est à remarquer que ces études ont ignoré le concept de néopatrimonialisme.



Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

Un contraste avec un cronyism productif ? Le concept de cronyism (« copinage ») est également lié à celui de néopatrimonialisme, mais doit aussi en être distingué. Davantage utilisé à propos des contextes asiatiques, le cronyism décrit l’imbrication entre, d’un côté, l’élite politique et de l’autre, les milieux d’affaires et leurs réseaux. Cette relation est typiquement fondée sur les échanges de ressources : le financement politique et les pots‑de‑vin pour les hommes d’affaires, et l’allocation de rentes, de droits et d’un contrôle sur des ressources de la part des hommes politiques. Le « copinage » fait référence aux connexions politiques des entreprises : celles qui sont connectées au gouvernement profitent de subventions et d’avantages, au contraire des autres. Comme l’attestent certains pays d’Asie du Sud‑Est (Malaisie, Thaïlande), le ­cronyism ne fait pas toujours obstacle à la croissance ou au développement de l’investissement et du secteur privés : il repose en effet sur des intérêts mutuels et sur des incitations à entretenir le flux de ressources dans les deux sens. C’est pourquoi il est souvent fait référence au « capitalisme de copinage » (crony capitalism)35. Par contraste, les systèmes néopatrimoniaux reposent davantage sur l’appropriation des ressources publiques par des individus pour leur profit personnel (ou leurs réseaux sociaux) que sur des échanges réciproques de biens publics et privés. En outre, ils ne requièrent pas l’existence d’un secteur privé significatif. Le cronyism a ainsi été considéré comme plus profitable à la croissance et plus « productif » que le néopatrimonialisme, ce dernier ayant pour dimension intrinsèque d’opérer une ponction « improductive » sur les ressources publiques et l’entreprenariat privé. Ces phénomènes aident à comprendre les différences de performance économique entre l’Asie orientale et l’ASS36. Le contraste entre le néopatrimonialisme et le cronyism permet d’affiner la comparaison entre les États d’ASS et ceux d’Asie et met en lumière des phénomènes spécifiques à cette dernière : par exemple, la Corée, avec la collusion entre hommes politiques et conglomérats industriels (chaebols), l’Asie du Sud‑Est, avec les réseaux d’affaires entre les politiciens et leurs amis, et la Thaïlande, avec les achats de votes. Le cronyism, cependant, présente des traits communs avec le néopatrimonialisme car ses effets sur la croissance demeurent débattus. Bien avant la crise financière de 1997, le « miracle » asiatique avait été considéré comme

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un « ersatz » de capitalisme, reposant sur la redistribution de rentes à des entreprises ayant les « bonnes connexions »37, et malgré sa croissance spectaculaire et indiscutable, des questionnements similaires sont adressés à la Chine, par exemple quant au rôle des fameuses « connexions » (guanxi)38. Les gouvernements asiatiques ont néanmoins utilisé ces arrangements pour canaliser les rentes dans des secteurs et investissements productifs39. Les hommes politiques et le secteur des affaires avaient des intérêts communs à la croissance, afin de renforcer respectivement leur légitimité et leurs profits40, selon un modèle de « capitalisme d’alliance »41. La collusion entre les politiciens, les banques et les entreprises, ainsi que la gestion et la propriété familiales des entreprises n’ont pas freiné la croissance et ont même contribué à celle‑ci42. Les avantages des entreprises politiquement connectées, cependant, ont diminué après la crise financière de 1997‑199843. Une leçon de ces comparaisons est que ce sont les interactions de ces différents phénomènes avec les autres institutions, avec des groupes sociaux spécifiques et avec le type de rentes utilisées qui déterminent in fine leurs effets sur la croissance. Inversement, des taux de croissance élevés peuvent exister dans des pays minés par la kleptocratie et la corruption, comme ceux qui dépendent de matières premières et où la croissance est poussée par la seule fluctuation des prix internationaux des ressources naturelles (comme les pays producteurs de pétrole, ainsi le Nigeria, l­’Angola ou la Guinée équatoriale). LE NÉOPATRIMONIALISME ET L’ÉCONOMIE DU DÉVELOPPEMENT : DES CONCEP TUALISATIONS COMMUNES ?

Les phénomènes subsumés dans le concept de néopatrimonialisme ont été analysés par l’économie du développement. Celle‑ci a cependant davantage utilisé la notion de corruption – ou bien celles d’« institutions faibles » ou de « mauvaise gouvernance » promues par la littérature des IFI – que celle de néopatrimonialisme, quasiment ignorée par l’économie du développement. En effet, lorsque l’économie analyse des phénomènes politiques, elle le fait à l’aide des concepts qui prévalent en économie, par exemple ceux d’incitation, de contrat, de coût et de gain, d’asymétrie information-



Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

nelles ou de collusion, et s’appuie sur les cadres théoriques donnants, tels que la théorie principal‑agent, l’économie néo‑institutionnaliste (avec les concepts de coûts de transaction et de droits de propriété, souvent vus comme synonymes de celui d’institution) et la « macroéconomie ­politique » qui modélise les conséquences économiques des différentes formes d’institutions politiques (par exemple l’impact budgétaire des élections, les effets économiques des constitutions, etc.44). Les explications des trajectoires de croissance par des concepts tels que la dépendance du passé (path dependence), le « verrouillage » (lock‑in), les processus cumulatifs, les effets de seuil et les « trappes » demeurent relativement marginales en économie du développement. Les limites de la modélisation des processus politiques par l’économie De nombreuses analyses d’économie du développement sont restées confinées à l’utilisation des variables « institutionnelles » dans des régressions économétriques explorant les déterminants de la croissance à l’intérieur d’un pays ou entre pays45, par exemple le régime politique (démocratie ou dictature), le nombre de partis politiques ou d’élections, mais la réflexion sur le concept d’institution lui‑même y est limitée. La nécessité de modéliser et de quantifier oblige à trouver des variables proxy qui peuvent être très éloignées de ce qu’elles cherchent à représenter (par exemple, le nombre de journaux comme approximation de l’État de droit). En outre, les « variables institutionnelles » agrègent des phénomènes hétérogènes. Afin d’établir des causalités quantifiables, ces « variables institutionnelles » sont posées au départ comme des entités discrètes, stables dans le temps et indépendantes de leur contexte et de leurs relations avec d’autres institutions dans une société donnée, par exemple, « le judiciaire », « le Parlement », etc.46 Ces variables se réfèrent le plus souvent à des institutions formelles et des systèmes juridiques, les autres phénomènes étant subsumés dans des notions telles que « normes sociales informelles » – « capital social », « redistribution informelle » – et la notion de corruption y est une variable centrale. Les analyses se limitent le plus souvent à des commentaires sur les coefficients des variables ou des résidus des régressions économétriques, et à la mise en œuvre de séries de tests, mais ne peuvent être considérées comme des « explications », par exemple des déterminants de la

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trajectoire de croissance d’un pays donné47. Elles ignorent souvent les nombreux problèmes inhérents aux régressions de croissance, tels que la colinéarité et les erreurs de spécification du modèle48. Comme l’a montré Bernhard Kittel, les résultats des travaux comparatifs macro‑quantitatifs sont s­ ouvent peu robustes en raison des limites inhérentes des analyses statistiques dès qu’elles abordent des macro‑phénomènes complexes49. Les corrélations entre régimes politiques et performances économiques sont ainsi peu concluantes, par exemple entre croissance et démocratie50, et entre type de régime politique et type de réforme économique51. La relation entre croissance et stabilité politique semble plus solide52. La variable de la stabilité politique, en tant que telle, ne fournit cependant aucune information sur la nature du régime politique, et notamment sur son caractère néopatrimonial ou autocratique. En Corée du Sud, en Thaïlande, ce sont des régimes militaires qui ont mis en œuvre des stratégies de développement. En contraste, un exemple désastreux en termes de croissance tel que l’ex‑Zaïre a constitué un cas notoire de stabilité politique. Les liens entre croissance et « légitimité » sont également explorés, ceux‑ci étant très complexes53 : les contenus du concept de légitimité dépendent en effet fortement de leurs contextes, la légitimité peut être un attribut de formes politiques et institutionnelles très diverses, et des dirigeants néopatrimoniaux peuvent jouir d’une grande légitimité54. La même indétermination prévaut dans les modèles explorant l’impact de la variable « corruption », par exemple sur la croissance ou l’investissement étranger : la corruption a en effet un impact limité sur la croissance lorsque les rentes sont canalisées vers les secteurs productifs55 et la variable « corruption » agrège des phénomènes hétérogènes, tels que les pots‑de‑vin, la surfacturation, la contrebande, l’achat de votes, etc. La corruption est un exemple typique des problèmes d’endogénéité des causalités : par exemple, est‑ce que les « États effondrés » aggravent la corruption ou est‑ce que la corruption accélère l’effondrement de l’État ? L’économétrie a des difficultés à analyser les phénomènes non linéaires de même que les effets macroéconomiques de déterminants microéconomiques, tels que les anticipations individuelles, les perceptions relatives à la légitimité, à l’incertitude ou à la stabilité – par exemple, de ce que les règles du jeu ne changent pas de façon arbitraire et au gré des intérêts des groupes au pouvoir (ainsi les constitutions56).



Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

Nombre d’études économétriques expliquent aussi la corruption, les guerres civiles, l’instabilité politique, les faibles taux de croissance, etc., en utilisant de façon hasardeuse la variable de l’« ethnicité », associant par exemple la « fragmentation ethnique » et l’absence de croissance57. L’« ethnicité » est cependant un concept vague58  : les groupes sociaux se combinent et se superposent avec de nombreuses variations dans les degrés d’appartenance ; ils englobent des sous‑groupes dont les antagonismes ne se révèlent que dans certaines situations59. L’appartenance ethnique est souvent un idiome qui reflète des conflits préexistants, qui peut n’avoir aucune relation avec la « tradition » et peut même avoir été créé par les institutions politiques étatiques60. Elle est un marqueur d’identité sociale parmi d’autres, l’identité ayant elle‑même de nombreuses significations différentes (politiques, sociales, psychologiques) 61. En outre, les pays ethniquement homogènes ne se développent pas mieux et peuvent même être davantage affectés de guerres civiles, tandis que des pays ayant de nombreux groupes « ethniques » peuvent bénéficier de taux de croissance élevés. De telles études économétriques sont donc questionnables  : la prévalence de l’« ethnicité » dépend des capacités de l’État et de ses politiques, notamment la gestion par une autorité politique centrale de l’accès aux ressources politiques et économiques et de l’allocation des droits aux citoyens. Une variable plus pertinente et prédisant mieux les conflits est le niveau de richesse d’un pays62  : ceci confirme les cercles vicieux créés par l’appropriation privée de ressources publiques lorsque celles‑ci sont de plus en plus limitées. Les modèles économétriques cherchent aussi à relier l’absence de croissance à des variables telles que les « normes sociales ». Ici encore, les variables utilisées comme proxies sont discutables – ainsi, le concept de « capital social », qui agrège des phénomènes hétérogènes dans des mesures simplistes63 – et elles ne constituent pas des unités indépendantes de leurs contextes (voir des variables telles que la « réputation » ou le « statut »). Les résultats sont donc peu concluants. L’appartenance ethnique commune favorise l’action collective, ce qui peut être un facteur de croissance mais elle génère aussi de l’exclusion. En outre, la fragmentation sociale peut s’appuyer sur de nombreux critères et mécanismes autres que l’appartenance ethnique, ainsi la profession, l’éducation, l’absence de normes de coopération ou de dispositifs obligeant à respecter les contrats64.

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Des études économiques plus sophistiquées ont analysé les phénomènes subsumés sous le concept de néopatrimonialisme, notamment celles de Daron Acemoglu et James A. Robinson. Ceux‑ci modélisent l’endogénéité des institutions économiques et politiques qui sont susceptibles de conduire à la stagnation. Ils font l’hypothèse que les comportements politiques sont déterminés par des incitations économiques et que la forme des institutions économiques et politiques résulte de conflits entre des groupes aux intérêts divergents (les « élites » et les « citoyens »). Dans certaines conditions, par exemple, les élites et les groupes d’intérêt ont des incitations à démocratiser ou à accorder le droit de vote à d’autres groupes de citoyens, à élever leur niveau d’éducation et à mettre en œuvre une répartition plus égale des biens (par exemple la terre) qui stimule la croissance. Certaines conditions génèrent des incitations favorisant la prédation ou, en contraste, la création d’institutions bénéfiques pour la croissance65. Des notions telles que le pouvoir personnel, les échanges entre les sphères publique et privée, entre les sphères politique et économique, la théorisation du néopatrimonialisme comme système, d’une part, et d’autre part les théories économiques de la dépendance à l’égard des trajectoires passées, des trappes et des effets de seuil, soulignent les limites des modèles économiques standard et des études économétriques s’appuyant sur les variables censées être séparables des autres phénomènes et fixes dans l’espace et dans le temps. Cependant, des notions telles que « démocratie », « liberté », « responsabilité » et même « incitations » font référence à des configurations économiques, politiques et institutionnelles qui se transforment dans le temps et dans l’espace et sont endogènes les unes aux autres. Le néopatrimonialisme a souligné que certains types de comportements  – le « copinage », la « corruption » – résultent d’évolutions uniques et de mécanismes hétérogènes qui impliquent des objectifs politiques, des incitations économiques, des institutions étatiques formelles, des normes sociales et des représentations psychologiques. Le néopatrimonialisme est un concept multidimensionnel qui met en cohérence des processus politiques, des performances économiques et des phénomènes sociaux (par exemple, des normes, des statuts). En raison de leurs hypothèses et variables simplistes, la plupart des exercices de modélisation ne peuvent appréhender cette complexité.



Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

Le renforcement mutuel des caractéristiques économiques, des mécanismes politiques et des normes sociales : l’émergence de cercles vicieux Le néopatrimonialisme résulte de processus liés à la formation de l’État et à la configuration des institutions politiques et des incitations qui leurs sont associées. Il constitue un exemple typique des cercles vertueux ou vicieux, des causalités rétroactives et des rendements croissants mis en évidence par l’économie, qui peuvent capturer des pays entiers dans des « trappes », comme l’ont montré Brian Arthur et Paul David. Le néopatrimonialisme, sous ses dimensions de corruption généralisée, de transferts vers des clients, d’appropriation privée des ressources publiques, de fragmentation des fonctions publiques des territoires et des marchés en multiples groupes d’appartenance fondés sur des allégeances personnelles et la collusion, et d’érosion des services publics, conduit à la formation d’équilibres politiques et économiques stables. Sortir de tels équilibres stabilisés est difficile pour un gouvernement, et implique des coûts politiques et économiques élevés. Les contextes économiques et le néopatrimonialisme peuvent se renforcer mutuellement, bien que les causalités entre les faibles niveaux de croissance et la corruption (puisque l’économie se centre sur la corruption et ignore le néopatrimonialisme) soient vivement débattues en économie du développement. La pauvreté est souvent considérée comme alimentant la corruption dans les pays à faible revenu, ce qui en retour accentue le manque de respect pour les règles étatiques et la fonction publique. En outre, les fonctionnaires sont souvent vus comme bénéficiaires de salaires plus élevés relativement au PIB par habitant (ou relativement au salaire moyen ou médian) – bien que dans nombre de pays, les salaires des fonctionnaires ne permettent pas de couvrir les besoins élémentaires (lorsqu’ils sont payés), ce qui est aggravé par des systèmes de sécurité sociale formels très limités. Les déterminants de revenus « justes » d’un point de vue subjectif demeurent cependant complexes (le statut relatif, le niveau d’inégalité du pays, les niveaux de vie des pays riches). Les réformes des IFI modifiant les salaires relatifs des fonctionnaires ont moins d’impact sur la réduction de la corruption que le fait qu’une économie ne s’est pas encore stabilisée dans un « équilibre bas » et dans des anticipations auto‑réalisatrices – où les individus anticipent que toutes les

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transactions comportent de la corruption et que les sanctions ne peuvent être crédibles66. Cette endogénéité entre les caractéristiques des dirigeants et les institutions économiques a été mise en évidence par Mancur Olson67, qui a analysé les arbitrages auxquels sont confrontés les dirigeants, entre le choix de l’impôt (s’ils anticipent de rester au pouvoir) ou celui de la prédation (dans le cas contraire) : la stabilisation de processus néopatrimoniaux dépend de l’horizon temporel des dirigeants et des arrangements contractuels et droits de propriété qui lui sont associés. Les individus ayant un horizon temporel de long terme et qui ont construit un système de transferts de ressources et de corruption centralisé, favorisent un équilibre stable des droits de propriété qui facilite les transactions, le développement des marchés et donc la croissance. La corruption est ici stabilisée par le biais d’un dispositif centralisé, où un « dictateur » cherche à s’en assurer le monopole et à l’utiliser de façon discrétionnaire afin de distribuer des droits sur les rentes à d’autres fonctionnaires en échange de leur soutien. Ce dispositif est moins néfaste à la croissance qu’une corruption « décentralisée », au sein de laquelle les individus corrompus sont en compétition les uns avec les autres, sans contrôle ni coordination, et effectuent des prélèvements sur tout ce qui est produit. Ceci conduit à un équilibre d’économie en ruine, qui à son tour empêche la consolidation de droits de propriété protégés par l’État68. Des seuils peuvent émerger, permettant la stabilisation de « trappes à corruption », comme l’a montré Alejandro Gaviria69 sur l’exemple du regain de la criminalité en Colombie. Les « équilibres » néopatrimoniaux ont typiquement tendance à se stabiliser, en raison à la fois des difficultés à en échapper et des incitations à leur perpétuation. L’application des règles punissant la corruption peut entraîner d’importants coûts économiques et politiques dans les pays qui se sont stabilisés dans des équilibres de corruption généralisée, ce qui maintient le cercle vicieux d’États appauvris par la corruption, mais n’ayant pas les moyens de sortir de la « trappe à corruption ». Dans ce contexte de pauvreté et de forte corruption, les dirigeants peuvent faire le calcul que de bas salaires sont moins coûteux en termes de budget et de contrôle, même s’ils favorisent la corruption (ce que Timothy Besley et John McLaren70 ont appelé des salaires de « capitulation »). En effet, lutter contre des « clients » corrompus peut être risqué pour des gouvernements illégitimes et fragiles. En contraste, capter et partager les



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ressources publiques constituent un instrument efficace pour alimenter le clientélisme, qui précisément requiert à la fois une faible institutionnalisation et des fonctionnaires recrutés via des allégeances personnelles et non en raison de leurs compétences techniques ou de leur mérite. L’absence de sanctions contre l’appropriation privée de biens publics et contre des individus puissants défiant l’État de droit (ou des sanctions excessives, perçues comme l’expression d’antagonismes personnels plus que de celle de lois impersonnelles) enclenche des cercles vicieux perpétuant le pouvoir personnel et renforçant le manque de crédibilité des politiques publiques et des institutions. Le néopatrimonialisme est ainsi souvent associé au secret et à de faibles incitations à déléguer le pouvoir. Dans certains cas – lorsque le néopatrimonialisme ne s’est pas stabilisé dans des dictatures répressives ou la prédation généralisée –, ces processus peuvent être limités par l’existence d’une presse libre et par le caractère public des informations sur les allocations des fonds gouvernementaux71. La crédibilité des institutions étatiques « impersonnelles » est un élément crucial pour sortir de la « trappe » du néopatrimonialisme, mais cette crédibilité est un processus typiquement dépendant des trajectoires passées ( path‑dependent) et construit sur la longue durée. Faisant une analogie avec la construction de politiques crédibles via des banques centrales indépendantes, certaines études soulignent que les sanctions à l’encontre des pratiques néopatrimoniales peuvent être mises en œuvre grâce à des « agences de contrainte » (agencies of restraint) externes qui pourraient améliorer la crédibilité des institutions étatiques72. Comme pour la légitimité cependant, ces réorganisations sont des conditions nécessaires, mais non suffisantes. Le contenu de la crédibilité demeure ici sous‑déterminé : les agences externes peuvent elles‑mêmes ne pas être crédibles (comme ce fut le cas pour les sanctions et les conditionnalités des IFI), tandis que les dirigeants néopatrimoniaux peuvent être parfaitement crédibles. Les mécanismes politiques néopatrimoniaux génèrent des effets économiques et sont renforcés par ceux‑ci, ce qui peut stabiliser des « équilibres bas ». Comme l’ont souligné Daron Acemoglu et James A. Robinson73, ce sont à la fois les opportunités économiques et les contraintes imposées par les groupes politiques dominants qui déterminent les structures institutionnelles et les politiques économiques. Un exemple des effets économiques découlant de la nature politique des mécanismes néopatrimoniaux concerne l’attitude adoptée envers les

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réformes é­ conomiques, particulièrement les conditionnalités des IFI. Ces réformes sont acceptées et « internalisées » par les gouvernements si elles sont compatibles avec leurs intérêts et programmes politiques internes74. Les réformes sont « filtrées » davantage en fonction des calculs politiques internes des groupes au pouvoir que d’objectifs de développement. Des cercles vicieux et des trappes à pauvreté sont susceptibles d’émerger ­lorsque le n ­ éopatrimonialisme, la stagnation économique et la dépendance à l’égard des prêts des IFI se renforcent mutuellement : par exemple lorsque la manipulation des réformes et des financements des IFI conduit à une détérioration des performances économiques, donc à une augmentation de l’influence des IFI sur les choix de politiques économiques internes, et donc finalement à la résistance des gouvernements néopatrimoniaux à l’encontre des réformes. Le néopatrimonialisme favorise ainsi, et est favorisé par la présence massive des IFI et des agences d’aide, particulièrement en ASS où nombre de pays sont fortement dépendants de l’aide extérieure  : celle‑ci y finance une grande part de l’investissement public ainsi que des dizaines d’agences extérieures promouvant des centaines de projets et cherchant à influencer les politiques économiques des pays récipiendaires75. S’ajoutant aux ressources publiques, les flux d’aide représentent, dans les pays dépendant de l’aide, des ressources et des opportunités cruciales en termes d’emplois et de rentes – tandis que le fonctionnement général de l’industrie de l’aide, qui revendique d’être apolitique, fournit aux donateurs des incitations à ignorer le caractère néopatrimonial des gouvernements récipiendaires76. Dans ces situations de cercles vicieux, la crédibilité des agences donatrices s’est de fait érodée en raison de l’inefficacité récurrente des réformes, de la poursuite des prêts à des gouvernements illégitimes et du manque de sanction face au report des réformes. L’intérêt des donateurs est de maintenir les flux de l’aide, ce dont les gouvernements récipiendaires sont parfaitement conscients77. Les normes sociales sont aussi endogènes aux systèmes néopatrimoniaux : ces derniers influencent les normes sociales et sont renforcés par celles‑ci, et affectent en cascade toutes les transactions individuelles. La diffusion de routines néopatrimoniales constitue un mécanisme auto‑entretenu  : dans les États néopatrimoniaux, les règles impersonnelles, par exemple les règles légales interdisant la corruption, ne sont pas crédibles et il n’existe pas de niveau « méta », de « superviseur du superviseur » qui ne serait pas lui‑même pris dans les mêmes routines et qui



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aurait la volonté, le pouvoir et la crédibilité d’interdire et de transformer ces routines. Dans les régimes néopatrimoniaux, les systèmes judiciaires sont une excroissance du pouvoir personnel. De nombreuses réformes de la fonction publique, fondées sur le mérite ou l’autonomie des technocrates (dans les services des douanes ou des impôts par exemple) ont dès lors échoué. Ces réformes se fondent sur l’hypothèse que les incitations économiques sont efficaces. Or, ces dernières sont aussi façonnées par l’environnement politique et par les normes sociales. Pour un fonctionnaire, par exemple, les incitations à satisfaire un donateur externe peuvent être plus faibles que celles qui le poussent à sécuriser sa survie politique ou économique via l’appartenance à des réseaux de clientèle, le respect des obligations sociales découlant de l’appartenance à un groupe de parenté ou celui des normes organisant les statuts sociaux (comme pour le « big man » analysé par Médard78). Dans les pays développés, les institutions, les lois, les normes et les incitations limitent la corruption et sont intériorisées par les individus. Dans de nombreux pays à faible revenu, les individus peuvent même ignorer les lois existantes, soit en raison d’une stratégie délibérée du gouvernement, soit parce que l’État est trop pauvre pour informer ses citoyens, soit encore parce que ces derniers ne considèrent pas les lois comme pertinentes, ainsi lorsque les règles étatiques diffèrent des normes sociales qui organisent les groupes d’appartenance  – telles les normes fondées sur la parenté. Que les règles étatiques puissent être considérées comme non pertinentes, à la fois en raison du comportement prédateur de ceux qui les édictent et de l’existence de normes concurrentes issues des appartenances aux groupes sociaux, constitue en effet un problème clé dans les États néopatrimoniaux, où la référence citoyenne est fragile. Les règles et les sanctions sont nécessaires, mais non suffisantes : les sanctions peuvent être « filtrées » par les normes et les croyances locales – par exemple, être perçues comme déterminées uniquement par les intérêts des hommes politiques. Les sanctions légales sont efficaces lorsqu’elles correspondent à des normes intériorisées79. Les normes sociales constituent la base des institutions formelles qui, à leur tour, influencent de manière endogène les normes sociales, celle‑ci résultant en partie de l’éducation80, tandis que cette dernière est elle‑même non seulement un produit des normes sociales privées, mais aussi des réglementations et des politiques publiques. Le respect des règles

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étatiques nécessite que les individus soient incités à les appliquer et à contrôler les actions des autres81. Ceci dépend d’équilibres et d’effets de seuil résultant de calculs individuels quant aux gains et aux coûts associés au respect des règles et à l’effort de les faire respecter par les autres. Dans les pays en développement, les règles proviennent de plusieurs sources et créent différentes sphères d’obligation – par exemple l’État, les sociétés et les agences d’aide internationales. La pluralité de ces sources, à la fois « informelles » et « formelles », génère des chevauchements et des asymétries d’information qui sont facilement exploitées par des intérêts particuliers : ceci rend encore plus difficile la transformation des régimes néopatrimoniaux et la maîtrise de la corruption. Un concept comme le néopatrimonialisme explique donc les processus de rétroaction dans lesquels les comportements individuels sont façonnés par des « équilibres institutionnels » spécifiques. Dans le même temps, le degré de développement et les formes des institutions résultent d’« équilibres politiques » particuliers qui, à leur tour, sont influencés par la structure des intérêts économiques82. Ces interactions font émerger des formes institutionnelles, des droits de propriété et des contrats spécifiques. L’économie du développement a élaboré la notion de « marchés manquants » (tels que le marché du crédit) qui freinent la croissance des pays en développement : le concept de néopatrimonialisme a souligné comment, dans les pays en développement, certaines institutions peuvent « manquer », être « fragiles » ou purement formelles, ce qui, selon des processus de rétroaction, renforce le pouvoir personnel et la segmentation des citoyens en groupes centrifuges ne se préoccupant que de l’appropriation des ressources disponibles. Comme l’a montré Peter Evans83, des sociétés civiles fortes vont de pair avec des États forts et des institutions efficaces. Ces interactions politico‑institutionnelles sont typiquement prises dans des dilemmes du prisonnier : les individus (ou les groupes) sont incapables de voir que leur coopération entraînerait une augmentation des gains totaux pour tous, ce qui a des conséquences dévastatrices en termes de croissance économique. Construire sur le concept de néopatrimonialisme : multidimensionnalité et processus cumulatifs Comprendre les déterminants qui renforcent les États néopatrimoniaux ou prédateurs, d’une part, et les États développementaux, d’autre part,



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requiert une théorie du changement institutionnel qui puisse réconcilier l’approche néopatrimonialiste et l’économie du développement, c’est‑à‑dire qui souligne la multidimensionnalité des institutions et des normes, et le caractère endogène des processus économiques et politiques. Les institutions ne sont pas des objets concrets, mais des ensembles de représentations mentales ayant une dimension normative et qui sont pensées de façon collective84. Ce sont des entités composites dont les formes et les contenus se transforment au cours du temps et empruntent constamment à d’autres environnements. Leurs significations et leurs fonctions sont délimitées par le biais de leurs relations et de leurs combinaisons avec d’autres institutions  : par exemple, les institutions démocratiques ont un contenu différent selon qu’il existe un système de protection sociale, selon le niveau d’éducation, etc. Leurs significations et leurs fonctions ne sont pas fixées ex ante (par exemple, celle de service public), de même que les combinaisons d’institutions et leurs résultats particuliers ne sont pas stables au fil du temps. Dans plusieurs États d’ASS, par exemple, les institutions démocratiques établies dans les années 1990 ont été progressivement vidées de leur contenu et « remplies » par des routines néopatrimoniales. En contraste, des institutions et des chaînons peuvent aussi manquer : un pays peut avoir une presse qui dénonce la corruption, mais pas d’institutions judiciaires. Le néopatrimonialisme peut en effet être caractérisé par la confusion entre le domaine public et le domaine privé, mais aussi par des discontinuités entre les différentes sphères de légitimité publiques. Le fait que les institutions économiques et politiques soient des entités composites, qui combinent leurs formes et leurs contenus de multiples façons en fonction des trajectoires passées, décrit précisément les processus cumulatifs analysés par les théories économiques qui ont mis en lumière l’existence d’équilibres multiples, la dépendance vis‑à‑vis des trajectoires passées et les problèmes de crédibilité inhérents à l’exercice du pouvoir et aux politiques économiques, (l’absence de « superviseurs des superviseurs » qui seraient situés « à l’extérieur » des normes existantes). Les systèmes néopatrimoniaux peuvent constituer de puissants « bassins d’attraction » vers des comportements mimétiques et des trappes à pauvreté.

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Ce chapitre a exploré les usages et réinterprétations du concept de néopatrimonialisme par l’économie du développement. Il a discuté les contributions du néopatrimonialisme à la compréhension de la stagnation des économies d’Afrique subsaharienne, ainsi que ses relations complexes avec les régimes et institutions politiques. Il a également examiné les analyses des phénomènes subsumés dans le concept de néopatrimonialisme élaborées par l’économie du développement, et a montré les limites inhérentes à la modélisation pour comprendre l’impact sur le développement des phénomènes rassemblés dans ce concept. Ce chapitre a également montré que le concept de néopatrimonialisme relie des phénomènes composites et multidimensionnels – domination politique, gains économiques, normes sociales, sphères publique et privée – et que le néopatrimonialisme doit être compris comme un système résultant de processus endogènes dynamiques. Le concept de néopatrimonialisme contribue également à l’analyse de cercles vicieux et de trappes (à pauvreté et à corruption), que l’économie a conceptualisés en termes d’effets de seuil et d’« équilibres bas » stables. Réconcilier les grilles d’analyse du néopatrimonialisme et les concepts de l’économie du développement permet d’esquisser une théorie des transformations institutionnelles plus fine que les théories économiques basées sur des modèles économétriques expliquant la croissance par des « variables institutionnelles ». La multidimensionnalité des institutions et le caractère endogène des processus économiques et politiques peuvent ainsi être mieux soulignés. NOTES   1. W.B. Arthur, Increasing Returns and Path Dependence in the Economy, Ann Arbor (MI), University of Michigan Press, coll. “Economics, cognition, and society”, 1994 ; P.A. David, “Path Dependence, its Critics and the Quest for ‘Historical Economics’”, mimeo, Oxford, All Souls College, 2000 (in P. Garrouste and S. Ioannides (Eds), Evolution and Path Dependence in Economic Ideas: Past and Present, Cheltenham (UK)/Northampton (MA), Edward Elgar, 2001) ; S.N. Durlauf and H.P.  Young, “The New Social Economics”, S.N. Durlauf and H.P. Young (Eds), Social Dynamics, Washington (D.C.)/Cambridge (MA), Brookings Institution Press/MIT Press, coll. “Economic learning and social evolution series”, 2001, p. 1‑15 ;



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Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

56. Comme en Côte d’Ivoire, bien que cela ne soit pas spécifique à l’ASS. 57. Par exemple, W. Easterly and R. Levine, “Africa’s Growth Tragedy: Policies and Ethnic Divisions”, Quarterly Journal of Economics, 112(4), November 1997, p. 1203‑1250. 58. J.‑F. Médard, “Corruption in the Neo‑Patrimonial States of Sub‑Saharan Africa”, in A.J. Heidenheimer and M. Johnston (Eds), Political Corruption: Concepts and Contexts, New Brunswick (NJ), Transaction Publishers, 2002. 59. Ce que les anthropologues nomment les « processus segmentaires ». 60. D.N. Posner, Institutions and Ethnic Politics in Africa, Cambridge, Cambridge University Press, coll. “Political economy of institutions and decisions”, 2005. 61. J.D. Fearon, What Is Identity (as We Now Use the Word)?, mimeo, Stanford, Stanford University, Department of political science, November 1999. 62. J.D. Fearon and D.D. Laitin, “Ethnicity, Insurgency, and Civil War”, American Political Science Review, 97(1), February 2003, p. 75‑90. 63. P. Englebert, « La Banque Mondiale et les vertus insoupçonnées du “capital social” », dans G. Rist (dir.), Les mots du pouvoir : sens et non‑sens de la rhétorique internationale, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Nouveaux cahiers de l’Institut universitaire d’études du développement de Genève », 2002. 64. M. McBride and S. Skaperdas, Explaining Conflict in Low‑Income Countries: Incomplete Contracting in the Shadow of the Future, mimeo, Irvine, University of California, 2005. 65. D. Acemoglu, S. Johnson and J.A. Robinson, “The Colonial Origins of Comparative Development: An Empirical Investigation”, American Economic Review, 91(5), December 2001, p. 1369‑1401 ; et Institutions as the Fundamental Cause of Long‑Run Growth, London, Centre for Economic Policy Research, coll. “CEPR discussion paper, 4458”, June  2004/ Cambridge (MA), National Bureau of Economic Research, coll. “NBER working paper series, 10481”, May 2004 ; D. Acemoglu and J.A. Robinson, Economic Origins of Dictatorship and Democracy, Cambridge, Cambridge University Press, 2006. 66. C. van Rijckeghem and B. Weder, Corruption and the Rate of Temptation: Do Low Wages in the Civil Service Cause Corruption?, Washington (D.C.), International Monetary Fund, Research Department, coll. “IMF Working paper, WP/97/73”, June 1997. 67. M. Olson, 1993, art. cit. 68. A. Shleifer and R.W. Vishny, “Corruption”, Quarterly Journal of Economics, 108(3), August 1993, p. 599‑617 ; J. Charap and C. Harm, Institutionalized



69. 70. 71. 72.

73. 74. 75. 76. 77. 78. 79.

80.

Le néopatrimonialisme et ses réinterprétations par l’économie du développement

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Le renouvellement des problématiques en Afrique

VI

Sortir du néopatrimonialisme : démocratie et clientélisme dans l’Afrique contemporaine Nicolas van de Walle

L

a nature, l’ampleur et l’impact des changements politiques et économiques en cours en Afrique subsaharienne font actuellement l’objet de nombreux débats. Si tous les auteurs ne s’accordent pas sur la nature et l’ampleur des récentes réformes politiques, il est clair que des changements significatifs sont en train de se produire, au moins sur le plan des institutions formelles. Depuis 1989, les réformes politiques se sont traduites par l’introduction d’une compétition électorale multipartite dans une région où le parti unique et les régimes militaires avaient constitué la règle pendant presque toutes les décennies 1970 et 19801. Dans son sillage, la compétition électorale a entraîné une démocratisation politique à travers une plus grande indépendance des pouvoirs législatifs et judiciaires. Elle a aussi permis la libéralisation de la presse et l’émergence d’une société civile plus active, ou au moins, de plus d’organisations non contrôlées par l’État. Évidemment, l’ampleur de ces réformes varie énormément selon les États de la région, mais au moins en surface, la politique autoritaire semble battre en retraite. Le débat le plus significatif est relatif à l’impact de ces réformes sur les structures plus profondes qui sous‑tendent la politique africaine. Le paradigme dominant de compréhension de la politique africaine de l’essentiel de la période postcoloniale était une variante de la thèse néopatrimoniale, à laquelle Jean‑François Médard est si éminemment associé2. J’entends ici que la plupart des universitaires s’accordaient sur



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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

le fait que les dynamiques politiques africaines étaient structurées par un ensemble d’institutions informelles qu’ils qualifiaient de « politique du big man », « régime personnel », « politique du ventre » ou néopatrimonialisme, pour reprendre les termes favoris et sans entrer dans les débats fratricides entre les tenants de cette ligne générale d’analyse3. La plupart des observateurs se sont mis d’accord sur deux thèses : premièrement, que le néopatrimonialisme était intrinsèquement antidémocratique en ce sens qu’il était constitué par un ensemble de mécanismes et de normes qui ont permis la stabilité des régimes autoritaires et ont miné la compétition et la participation politique. Deuxièmement, que le néopatrimonialisme a joué un rôle central en empêchant l’accumulation capitaliste dans la région, et constituait donc un facteur explicatif essentiel de la crise économique persistante en Afrique4. En conséquence, son repli a largement été considéré comme un préalable à une croissance économique durable et à une transformation structurelle dans la région. Cette contribution traite brièvement une question centrale posée par les récentes évolutions politiques et économiques : quel sera l’effet de l’introduction d’une compétition électorale multipartite sur le néopatrimonialisme, en Afrique subsaharienne ? La réponse à cette première interrogation permettra en outre d’éclairer un peu ses perspectives économiques. J’avance que le néopatrimonialisme est largement incompatible avec la démocratie, et donc qu’il s’affaiblira à mesure que la démocratie s’y consolidera. Je considère d’ailleurs que la survie à moyen terme des tendances néopatrimoniales dans un pays, malgré la convocation régulière d’élections multipartites, constitue un bon indicateur du fait que le régime est effectivement une autocratie électorale5, plutôt qu’une démocratie consolidée. D’un point de vue analytique, il est utile de penser les régimes néopatrimoniaux comme constitués de trois éléments. Premièrement, ils sont caractérisés par le présidentialisme, dans lequel les règles formelles et informelles placent un homme – généralement le président – a­ u-dessus des lois et en dehors du système de contre‑pouvoirs qui limite les exécutifs dans les anciennes démocraties. Dans ces cas, un des effets de la démocratisation est nécessairement l’affaiblissement du président par rapport aux autres pouvoirs. Deuxièmement, ils reposent sur un clientélisme systématique de la part du président et de son entourage afin d’entretenir le statu quo et d’assurer la stabilité politique. Troisièmement, les régimes



Sortir du néopatrimonialisme

néopatrimoniaux dépendent de la fiscalité d’un État moderne pour disposer des ressources pouvant être distribuées selon une logique clientéliste. Parce que je considère que la littérature comparatiste est très imprécise et même confuse dans l’analyse de la question, cette contribution sera essentiellement focalisée sur le devenir du clientélisme politique à la suite de la démocratisation des régimes néopatrimoniaux. Cette étude est ouvertement comparative. Elle commence par quelques observations relatives à l’évolution historique du clientélisme politique et aux relations entre croissance capitaliste, évolution de l’État et démocratie. Son argument central est que le clientélisme politique est un trait omniprésent de la politique moderne (qui ne disparaîtra pas plus de l’Afrique que des États‑Unis ou de l’Italie), mais que sa forme et sa fonction évolueront de manière significative selon la nature des régimes politiques africains et de leurs économies. Je reconnais qu’il s’agit là d’un sujet outrageusement ambitieux pour ces courtes lignes. Mon objectif sera donc d’utiliser certaines observations théoriques et empiriques afin d’établir des hypothèses générales pouvant être explorées plus profondément par la suite. Je distingue d’abord différents types de clientélisme que je relie aux types de régime et aux niveaux de développement économique. J’examine ensuite les effets probables de la démocratisation sur le clientélisme politique. J’avance que le néopatrimonialisme est incompatible avec la démocratie, et que ses manifestations s’atténueront progressivement dans les pays de la région à condition, au minimum, qu’ils se démocratisent (ce qu’ils ne feront pas tous). Mon étude soutient qu’il n’y a pas de raison de croire que le clientélisme disparaîtra, car il se révèle être une caractéristique omniprésente de l’État moderne. Elle suggère néanmoins que la nature du clientélisme changera significativement en raison de la démocratisation. LES CLIENTÉLISMES POLITIQUES

Dans la définition anthropologique classique, le clientélisme politique peut être défini comme une relation d’échange entre acteurs inégaux, qui fournit un avantage politique au plus puissant et un avantage matériel au moins puissant6. Peut‑être à cause de ses racines anthropologiques, les discussions journalistiques relatives au clientélisme en Afrique (et également de trop nombreuses analyses universitaires) ont été enclines à

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

considérer ces pratiques comme de l’atavisme primordial, subsistance d’une culture politique traditionnelle. Ceci est assurément faux pour deux raisons. Premièrement, les dynamiques clientélistes existent dans tous les systèmes politiques, même si parfois de manière très différente. Une nouvelle littérature témoigne d’ailleurs de la réémergence de débats théoriques à propos de ses manifestations dans les démocraties d’Europe et d’Amérique latine7. Deuxièmement, le clientélisme semble devoir exister dans tous les États modernes, pour autant que les acteurs politiques aient la capacité d’allouer les ressources dont ils disposent de manière préférentielle, afin d’en tirer un profit politique. Les structures étatiques bénéficiant d’un certain degré de capacité fiscale ou de régulation auront des ressources discrétionnaires à leur disposition. La capacité fiscale fournira aux agents des ressources à distribuer, tandis que la capacité à réguler cette distribution des biens et services dans l’économie leur donnera une discrétion sur l’allocation de ces biens et services. Il semble plus utile de penser le clientélisme politique comme un phénomène moderne, inhérent à l’État moderne, mais qui change selon le type d’État. Le clientélisme politique existe dans tous les États modernes d’une façon ou d’une autre. Mais, ses manifestations précises varient considérablement. Plus spécifiquement, la forme du clientélisme politique varie en fonction de la structure économique et de la nature du régime politique. Bien qu’ils soient souvent amalgamés dans des analyses ethnocentriques et peu sérieuses, trois types distincts de clientélisme peuvent être identifiés dans la littérature8. Tout d’abord, le tribut constitue la pratique traditionnelle de l’échange de cadeaux dans les sociétés paysannes et les royaumes traditionnels où les patrons et les clients sont engagés dans des relations de réciprocité et de confiance. Il est enchâssé dans un ethos communautaire, même si les anthropo‑économistes donnent une explication parfaitement rationnelle de sa prévalence, en termes de partage des risques. Les big men africains reprennent parfois le répertoire culturel et la rhétorique des formes traditionnelles de tribut afin de légitimer les pratiques clientélistes qu’ils veulent instaurer. Cependant, leur clientélisme est fondamentalement différent et les références à certaines traditions de tribut ne sont d’ailleurs pas nécessairement exactes et peuvent être inventées au cours



Sortir du néopatrimonialisme

de la période moderne. En d’autres termes, il n’y a pas de raison de croire que le niveau de clientélisme politique dans un pays africain aujourd’hui soit lié aux traditions de tribut ayant pu exister ou non dans son passé. Ensuite, ce qui peut être qualifié de clientélisme d’élite se limite à une petite élite politique. Ce type se caractérise par le prébendalisme, ou l’allocation politique des emplois publics à des personnes stratégiques, donnant ainsi un accès personnel aux ressources étatiques. Il peut être associé aux États autoritaires à faible capacité, dans un environnement pauvre en ressources. Je soutiendrai plus loin que ce fut la forme dominante du clientélisme politique dans les pays autoritaires d’Afrique subsaharienne. Enfin, il peut être distingué du clientélisme de masse, qui est fondé sur l’utilisation des ressources étatiques pour fournir des emplois et des services à de vastes clientèles politiques. Ce qui implique généralement les organisations politiques et s’inscrit dans la compétition électorale. L’usage généralisé du patronage, défini comme l’instrumentalisation politique de la distribution d’emplois et de services publics, vise à obtenir un soutien au parti politique plus ou moins bien institutionnalisé qui le dispense. Il devrait être associé à la politique de masse, y compris dans les anciennes démocraties occidentales. Ces trois types de clientélisme sont souvent confondus dans la littérature, mais il est important de réaliser ce qui les distingue. Pour la clarté du propos et parce que le clientélisme de tribut est moins pertinent pour les États modernes, la discussion qui suit sera essentiellement focalisée sur la différence entre le clientélisme de masse et le clientélisme d’élite. Plus généralement, il est important de distinguer entre les systèmes politiques qui reposent principalement sur le patronage de ceux qui reposent sur le prébendalisme. Les prébendes et le patronage se recouvrent, évidemment, mais j’aimerais souligner leurs différences fondamentales. Employer un membre de son groupe ethnique pour une position importante au sein du bureau des douanes constitue un exemple de patronage. Permettre au fonctionnaire des douanes d’utiliser sa position à des fins d’enrichissement personnel en manipulant les taxes d’importation et d’exportation est un exemple de prébende. De ces exemples, trois différences fondamentales peuvent être déduites entre la politique par patronage et le prébendalisme. Premièrement, ils ont des implications très différentes en termes de fiscalité. Le prébendalisme constitue un trait de la plupart des premiers

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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

États, invariablement caractérisés par l’absence d’une administration professionnelle et par une faible capacité d’extraction9. Il a constitué une des institutions fiscales de base des États féodaux européens, au sein desquels le roi n’avait d’autre choix que de permettre à ses seigneurs d’empocher une large proportion des revenus sur lesquels ils avaient un contrôle. En tant que mécanisme politique, le prébendalisme attire les leaders qui ne contrôlent pas un grand niveau de ressources ou n’ont qu’une capacité de contrôle limitée au sein de l’appareil étatique. Le patronage, du reste, nécessite un État relativement sain et en croissance, car il est coûteux. Les petits et pauvres États d’Afrique subsaharienne n’ont, pour la plupart (et  avec des différences sous‑régionales mineures) pu se permettre de grandes stratégies de patronage. Certains observateurs ont parfois suggéré à tort que le patronage était un trait important de la politique africaine. Une telle affirmation relève à mon sens d’une confusion entre le patronage et le prébendalisme. En fait, les États africains à faible revenu disposent de peu de ressources et d’une plus petite part du PNB que les gouvernements des pays riches. À la fin des années 1990, à peu près un tiers des États africains avaient des recettes publiques inférieures à 15 p. 100 de leur PNB, un chiffre remarquablement bas si on le compare aux niveaux de ceux de l’OCDE qui atteignent régulièrement la moitié de PNB bien supérieurs. En somme, je ne nie pas que le patronage ait existé en Afrique, mais je soutiens que son importance politique est facilement exagérée, et qu’il est très certainement moins important pour garantir la stabilité politique que le clientélisme d’élite, strictement restreint à quelques centaines (ou peut‑être quelques milliers) de personnes constituant le sommet de l’élite politique du pays. Une conséquence directe de cette réalité est que les structures des États africains ont eu tendance à être relativement petites, avec un nombre de fonctionnaires considérablement inférieur à celui des États d’autres régions du monde10. Les statistiques disponibles, présentées dans le tableau 6.1, suggèrent donc que la force de travail public moyenne des États africains représente environ 2  p.  100 de la main‑d’œuvre totale, comparée à 7,7 p.  100 dans les pays riches de l’OCDE. En termes simples, les présidents africains n’avaient pas les moyens de se permettre des stratégies de clientélisme de masse. D’ailleurs, les régimes qui, juste après leur indépendance, ont cherché à construire des États sur la base d’un vaste patronage ont tous été bien rapidement confrontés à une crise



Sortir du néopatrimonialisme

159

Tableau 6.1 : Emplois dans le gouvernement, début des années 1990 Employés

Région

Afrique (n=20)  Botswana  Sénégal Asie (11)

 Maldives

 Bangladesh

Europe de l’Est et ancienne URSS (17)

en % de la pop.

% au sein du gouv. central

 5,8

60

 2,0  0,8  2,6  4,9  0,6  6,9

45 50 35 61 67 14

 Arménie

10,5

 8

Amérique latine et Caraïbes (9)

 3,0

40

 Turquie

 2,6

38

 Barbade

 6,8

59

Moyen‑Orient et Afrique du Nord (8)

 3,9

36

 Chili

 0,9

33

 Égypte

 6,2

29

OCDE (21)

 7,7

23

 Liban

 Suède  Grèce

Total (86)

 1,4 17,4  2,7  4,7

14 24 41 26

Pays à haut et bas revenus donnés pour chaque région ; les autres catégories sont le gouvernement local, l’enseignement et la santé. Source : Salvatore Schiavo‑Campo, Giulio de Tommaso, et Amitabha Mukherjee, “An International Statistical Survey of Government Employment and Wages” World Bank Working Paper no 1806. (1997) Washington (D.C.), the World Bank.



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fiscale, conduisant le FMI à prescrire sa « potion » stabilisatrice. À la fin des années 1970, tout projet d’expansion de l’appareil d’État avait été écrasé et le régime était engagé sur la voie de la discipline fiscale, sous le regard attentif des bailleurs. En résumé, j’avance que la richesse de l’économie et les ressources dont dispose l’État conditionnent l’étendue du clientélisme, quelle que soit la nature du régime politique. Dans les États pauvres qui ne peuvent se permettre un patronage de masse, il est probable que le clientélisme se limite à la distribution d’emplois pour l’élite. Par ailleurs, le patronage est plus probable dans les États riches qui bénéficient d’économies substantielles et diversifiées, et qui peuvent davantage supporter un État avec une administration dense et coûteuse. En relation avec cette première distinction, la seconde concerne l’impact du clientélisme sur la capacité de l’État. Tandis que les pratiques de prébendes affaiblissent l’État, ou au moins limitent sa capacité, le patronage est tout à fait compatible avec un appareil d’État efficace et responsable. À partir d’une grande variété de régimes dans le temps, nous savons que les machines politiques de patronage peuvent répondre aux aspirations des citoyens et distribuer les services. D’ailleurs, les soi‑disant « machines politiques » des politiques urbaines américaines et européennes du début du xxe siècle étaient des machines électorales qui bénéficiaient d’un soutien parce qu’elles répondaient aux préoccupations de l’électorat. De plus, le prébendalisme du clientélisme d’élite peut être associé aux régimes qui cherchent à limiter la participation et ne sont pas responsables devant leurs citoyens. Même si une petite aristocratie politique bénéficie de libéralités grâce à ses liens avec l’appareil d’État, le citoyen moyen ne bénéficie ni de services sociaux appropriés ni ­d ’infrastructures adéquates. Troisièmement, les types de clientélisme diffèrent sur le plan de la relation à la légalité. Le patronage est souvent parfaitement légal et de nombreuses démocraties établies l’ont officiellement codifié et ont circonscrit son étendue. Bien que le favoritisme qu’il implique soit mal perçu et constitue une « zone grise » de pratique acceptable, il demeure présent dans les structures étatiques des économies les plus développées du monde. Robin Théobald cite par exemple l’estimation de 4 millions de fonctions de patronage au sein de l’État et des gouvernements locaux aux États‑Unis au début des années 198011. Ces fonctions sont presque toutes



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contrôlées par les Partis républicains et démocrates, qui fournissent ainsi des emplois sûrs à leurs troupes, et utilisent les ressources étatiques afin d’effectuer un nombre significatif de recrutements. Sur le plan fédéral, le spoils system permet explicitement au Président d’effectuer plusieurs milliers de nominations politiques dans le gouvernement fédéral. Les individus embauchés en tant que « désignés politiques » sont soumis à un ensemble de règles administratives différentes de celles en vigueur pour les autres employés fédéraux. Par exemple, on attend d’eux qu’ils quittent leur emploi quand le Président qui les a nommés n’est plus au pouvoir. Le prébendalisme, par ailleurs, induit invariablement des pratiques par lesquelles les agents publics de haut rang corrompent ouvertement la règle de droit à leur profit personnel. En conséquence, ces pratiques sont fatalement illégales et illégitimes, même dans les pays où elles sont répandues. Conséquence directe de la discussion précédente, les différents types de clientélisme ont enfin une relation de causalité spécifique avec la nature du régime politique. Le clientélisme d’élite n’est en particulier pas compatible avec la participation et la compétition inhérentes à la politique démocratique. La pratique du prébendalisme va de pair avec un système politique fermé, dans lequel les élites sont peu responsables devant leurs citoyens et où leurs actions illégales ne sont pas sanctionnées. De l’autre côté, la politique de patronage correspond aux besoins des hommes politiques engagés dans la compétition électorale et est compatible avec le niveau élevé de participation de la politique démocratique. En termes plus généraux, j’avance que le degré de démocratie dans le système détermine la nature du clientélisme. Plus le système est démocratique, plus les pratiques clientélistes profiteront à un grand nombre de publics, et plus elles seront restreintes à des comportements légaux et codifiés. Moins le système est démocratique, plus le clientélisme bénéficiera aux élites, et plus les pratiques clientélistes corrompront la règle de droit et mineront les droits de propriété. Un corollaire de ce dernier point est que le clientélisme d’élite se retrouve typiquement au sein du pouvoir exécutif, tandis que le clientélisme de masse se situe plus probablement au sein des partis politiques et du pouvoir législatif. Dans le premier cas, l’objectif est la conservation du pouvoir par le président et ses amis. Lorsque l’on regarde les régimes sans partis ou à parti unique dans les pays africains avant la démocratisation

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Tableau 6.2 : Caractéristiques et corrélatifs des différents types de clientélisme Mécanisme clé

Ressources en jeu

Distribué par

Légalité

Implications pour l’État central

Relation à la démocratie

Tribut

Patron

Patron

Coutume

Légitimité alternative à l’État

Incompatible Positive : mécanisme rationnel et partage des risques

Clientélisme de masse

Patronage

État

Parti politique

Zone grise

Biais pour Compatible les États plus grands

Clientélisme d’élite

Prébendes

État

Réseau présidentiel

Illégal

Mine la capacité et la légitimité de l’État

Dépend de la qualité de l’intervention de l’État

Incompatible Négative : mine les droits de propriété

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Clientélisme traditionnel

Relation à l’économie



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des années 1990, on est frappé par le statut subalterne et marginal des partis politiques. C’est le président et son cercle intime qui dominaient la politique. Le parti pouvait être un instrument du pouvoir présidentiel. Cependant, entre la fin des compétitions électorales du tout début de la période postindépendance et la vague de démocratisation de la première moitié des années 1990, les partis ont vu leur importance politique décliner progressivement. Même dans des pays comme le Kenya ou la Côte d’Ivoire, où les régimes avaient construit des partis de gouvernement relativement forts, les pratiques clientélistes ont contourné l’appareil du parti pour devenir, au fil du temps, dominées par l’État lui‑même, et notamment par la présidence. Dans les systèmes de clientélisme de masse, au contraire, l’objectif est de gagner les élections. Le parti politique constitue alors en toute probabilité l’instrument clé de la compétition électorale. La centralité de la compétition partisane est la porte d’entrée de la politique électorale. Le recours au patronage pour renforcer les partis est ainsi une caractéristique commune d’un grand nombre de démocraties. La codification et la limitation des pratiques clientélistes qui se sont produites dans les pays riches, il y a un siècle, étaient accompagnées d’une campagne réformiste plus large visant à professionnaliser et à discipliner l’administration publique ; elles ont ainsi déplacé en dehors de l’État et vers les partis politiques les pratiques clientélistes qui existaient encore. Le tableau 6.2 résume la discussion en cours. Il établit une distinction entre les différents types de clientélismes. DÉMOCRATISATION ET CLIENTÉLISME EN THÉORIE

Évidemment, cette distinction entre clientélisme de masse et clientélisme d’élite est idéal‑typique. La plupart des régimes du monde moderne sont affectés par les deux types et, en pratique, il n’est pas toujours facile de les distinguer. En outre, d’autres facteurs façonnent leur nature politique ; du régime électoral et des autres dispositions constitutionnelles en vigueur qui conditionnent le recours à la politique particulariste12, à la nature des clivages partisans et de l’évolution des partis13. Néanmoins, et avec ces précautions en tête, il est utile d’avancer que les États néopatrimoniaux d’Afrique subsaharienne étaient c­ aractérisés

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par un clientélisme d’élite en raison de leur nature autoritaire et de leur structure économique. Malgré les affirmations souvent faites dans la littérature, il n’y a eu que peu de patronage de masse dans la région, largement parce que ces pays n’étaient pas suffisamment riches pour se le permettre et que leur nature autoritaire limitait la nécessité qu’ils soient responsables devant leurs citoyens. Au contraire, la politique se caractérisait souvent par des processus d’arrangement entre élites dans lesquels les différents groupes ethniques étaient intégrés dans le système politique par le biais du clientélisme d’élite. Comme cela a été bien décrit par une littérature africaniste conséquente14, l’État a réuni au sein de la majorité présidentielle des big men originaires de différents groupes ethniques dont on attendait qu’ils apportent le soutien de leur communauté. Je suis à présent en mesure de répondre à la question posée au début de cette contribution : que se passe‑t‑il quand ce type de régime évolue vers la compétition électorale ? En général, j’avance que la consolidation démocratique dans la région conduira au déclin du néopatrimonialisme et à une évolution d’un clientélisme d’élite vers diverses formes de clientélisme de masse. Qu’est‑ce que cela implique ? Tout d’abord, j’émets ­l’hypothèse que les arrangements de prébende disparaîtront progressivement et seront remplacés par le type de patronage que l’on observe dans les démocraties établies, en général concentré autour des partis politiques. Ces pratiques peuvent être plus ou moins significatives, de la même manière qu’il existe des variations entre, par exemple, la Belgique, les Pays‑Bas et le Danemark sur le plan du lieu et de l’étendue du patronage de parti. Mais, dans l’ensemble, elles n’égaleront pas la flagrante illégalité que l’on observe dans les systèmes néopatrimoniaux actuels. Une dimension importante de validation de mon argument concerne les ressources fiscales dont disposent les régimes africains en voie de démocratisation. La fiscalité constitue le talon d’Achille de ces pays pour les années à venir. Comme je l’ai souligné précédemment, l’avantage du clientélisme d’élite est qu’il est peu coûteux. En outre, en raison du caractère plus ambigu des dépenses qu’il induit, le clientélisme de masse est porteur d’un certain risque économique. L’histoire de l’Amérique latine d’après la Seconde Guerre mondiale est d’ailleurs, par de nombreux aspects, l’histoire de l’échec de la transition d’un clientélisme d’élite à celui de masse. Les régimes populistes qui ont émergé, alors que le droit de vote était élargi dans les années 1960 et 1970, avaient en effet établi des



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économies politiques reposant sur un populisme que leurs économies ne pouvaient, au bout du compte, pas soutenir15. En Afrique, la réussite de la transition proviendra de la capacité à aiguiller des ressources limitées vers des dépenses publiques productives (notamment des investissements dans le secteur social), favorables à l’accroissement de la productivité et au développement économique, et autorisant la construction de coalitions politiques. Ensuite, et dans la mesure où l’économie le permettra, l’évolution vers le clientélisme de masse apportera aux pays qui se démocratisent un plus grand degré de redistribution économique. Des économistes comme Branko Milanovic16 ont montré récemment que l’Afrique postcoloniale a connu une rapide augmentation des inégalités. Ceci me paraît inévitable, car les institutions néopatrimoniales génèrent une stratification sociale et économique. De nouveau, contre quelques analystes imprécis qui affirment le contraire, le clientélisme d’élite des États néopatrimoniaux n’est pas redistributif. Il est plutôt orienté en faveur d’une élite extrêmement petite qui accumule une richesse disproportionnée. En outre, dans ces régimes, il y a peu de redistribution économique par le biais des impôts, des programmes sociaux et des dépenses publiques qui sont limités et rarement progressistes. Par définition, les régimes démocratiques sont plus responsables devant leurs électorats. Au fur et à mesure que les réseaux clientélistes s’étendent dans la logique électorale, on peut s’attendre à une plus grande redistribution économique. Les réseaux clientélistes sont plus susceptibles de fonctionner vers le bas de l’échelle sociale, et les élections démocratiques entraîneront probablement davantage de dépenses pour les services sociaux. En résumé, plus un pays est démocratique, plus son clientélisme sera redistributif, même si la logique du clientélisme accordera toujours l’accès aux biens publics à une minorité relativement privilégiée. La taille de cette dernière augmente lorsque prévaut la politique électorale. En outre, qu’elles soient clientélistes ou non, les démocraties engendrent quasi assurément de plus grandes dépenses publiques (notamment dans les secteurs sociaux) que les États autoritaires. Enfin, dans les nouvelles démocraties, l’évolution du clientélisme d’élite vers un clientélisme de masse entraînera une importance croissante des partis dans la vie politique. De manière frappante, dans les démocraties consolidées, la principale cause de corruption politique apparaît être l’appétit insatiable des partis politiques pour le financement de leurs

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campagnes électorales. Dans un contexte de surenchère rapide des campagnes électorales, des hommes politiques de nombreux pays de l’OCDE sont régulièrement impliqués dans des intrigues illicites visant à financer leurs partis. Le profit personnel est rarement la principale motivation de ces scandales. Bien sûr, un fonctionnaire peut aussi être pris occasionnellement dans une affaire de trafic d’influence, mais c’est encore plus rare. Par exemple, dans l’affaire du trafic d’influence d’Abramoff, probablement le plus grand scandale de la politique américaine de ces vingt dernières années, et qui impliquait un lobbyiste « K Street » et ses amis républicains et de la Maison‑Blanche, quasiment aucun fonctionnaire de carrière n’avait été impliqué. En résumé, lorsque les hommes politiques africains seront régulièrement emprisonnés, non pour enrichissement personnel, mais pour avoir détourné de l’argent au profit de partis politiques dans les mois précédant les élections, alors nous saurons que la transition démocratique de l’Afrique est accomplie. DÉMOCRATISATION ET CLIENTÉLISME EN PRATIQUE

Je m’empresse d’ajouter que les points précédents ne constituent pas une prédiction pour le futur de l’Afrique. Au contraire, je propose une hypothèse pour ce qui se produira si ces pays se démocratisent avec succès. Il n’est pas évident que la consolidation démocratique se produise dans plus que quelques États17. Michael Bratton a néanmoins raison de spéculer, à partir des données de l’Afrobaromètre, que les élections multipartites sont suffisamment ancrées dans les attitudes populaires pour pouvoir dorénavant être « considérées comme une norme institutionnalisée de la politique africaine »18. Dans une large proportion d’États africains cependant, les dirigeants néopatrimoniaux se sont adaptés avec une remarquable facilité aux nouvelles règles du jeu. Ils ont institué des « démocraties de façade »19 ou des « autocraties électorales »20 qui ne menacent ni leur emprise sur le pouvoir, ni les principaux instruments qui confortent leur règne. Comme de nombreux observateurs cherchent maintenant, de manière quelque peu perverse, à pointer ces autocraties électorales afin de souligner les insuffisances présumées de la démocratie21, il peut être utile de se rappeler qu’une grande partie de l’Afrique ne se démocratise pas.



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Même dans les pays qui ont connu des progrès démocratiques significatifs, les régimes qui en sont issus sont caractérisés, au mieux, comme des régimes « hybrides »22 ou « illibéraux »23 puisque des aspects autoritaires coexistent avec des gains démocratiques. Aucun des nouveaux régimes multipartites n’a abandonné, par exemple, le régime présidentiel au profit du régime parlementaire qui est en vigueur dans un nombre limité des 48  pays africains. Bien que la démocratisation ait mené à des efforts concertés en vue de limiter les pouvoirs présidentiels et de disposer de mécanismes de responsabilité horizontale et verticale, il est courant que les pouvoirs présidentiels demeurent significatifs. Si Scott P. Mainwaring24 et d’autres ont raison, le présidentialisme affaiblit les partis politiques dans les pays à faible revenu et rend la bonne gouvernance moins probable. Compte tenu du lien logique entre présidentialisme et néopatrimonialisme, il est clair que l’emprise persistante de ce dernier sur la politique africaine est une source de pessimisme quant aux chances d’une démocratisation plus profonde. La prise de distance avec le néopatrimonialisme sera probablement longue et lente. Pour plusieurs raisons. D’abord, les caractéristiques ­nationales qui facilitent le néopatrimonialisme et le clientélisme d’élite demeureront en place à court et moyen terme, même après que les institutions formelles ont été modifiées. La stagnation économique et la crise fiscale s’opposeront aux tentatives de mise en place de stratégies de patronage. La faible capacité de l’État allait en effet de pair avec l’ancien dirigeant néopatrimonial, qui n’avait pas grand intérêt à promouvoir un appareil d’État effectif. Cependant, même si le nouveau régime est complètement engagé à renforcer la capacité de l’État et à éliminer la corruption, l’héritage du passé prendra des années à s’effacer. Si Adam Przeworski et al.25 ont raison de suggérer que les démocraties ont peu de chance de survivre dans les pays à faibles revenus à moins qu’elles ne génèrent une croissance économique rapide, alors au moins quelques-unes d’entre elles faiblement institutionnalisées ne survivront pas. Pendant longtemps, le plus grand danger qui les guettera sera leur incapacité à promouvoir la croissance économique, ce qui pourra conduire à une réaction antidémocratique. D’un autre côté, une croissance économique rapide peut aider à financer le développement de l’appareil d’État et des services qu’il fournit, renforçant ainsi les opportunités de patronage et la légitimité du régime. En bref, une période de croissance économique

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soutenue semble être une nécessité incontournable pour la consolidation d’une démocratie plus profonde. Ensuite, la transition vers la démocratie peut virtuellement se produire du jour au lendemain, mais la culture démocratique met davantage de temps à se développer. Selon l’heureuse expression de Jonathan Fox26, il faut du temps pour transformer les clients en citoyens : les organisations civiques, la presse et les attentes citoyennes ne s’ajusteront pas immédiatement à la nouvelle configuration, mais ont besoin d’être nourries et encouragées. Pour leur part, de nombreux hommes politiques et leurs soutiens ont été socialisés dans le cadre de l’ancien régime et ont certaines attentes à l’égard du nouveau. Pour ces hommes politiques, l’ancienne forme de clientélisme demeurera une solution confortable à leurs problèmes quotidiens, particulièrement tant que les partis politiques, instruments de la nouvelle forme de politique, demeureront faibles et peu organisés. Elmer E. Schattschneider27 peut avoir raison de dire que la démocratie n’est pas concevable sans partis politiques, mais la construction d’organisations partisanes fortes a besoin de temps et d’habileté. Elle nécessite le passage du temps, pour la simple raison que les élections sont des événements spécifiques qui ne se produisent qu’épisodiquement. Entre-temps, le recours aux bonnes méthodes éprouvées de la politique africaine sera tentant. En outre, Gretchen Helmke et Steven Levitsky28 nous rappellent que, dans les démocraties consolidées, une panoplie d’institutions informelles bien établies renforce l’ordre démocratique et façonne les attentes et les comportements des acteurs politiques. Ces institutions incluent les cadres normatifs et cognitifs des relations entre partis politiques, les mécanismes d’arrangement et de compromis entre les branches du gouvernement et, dans une acception large, les standards de ce qui est légal et de ce qui constitue un comportement acceptable dans le jeu politique. De nouveau, ces règles n’émergent pas immédiatement après la démocratisation. Elles nécessitent le passage du temps et l’expérience répétée d’élections, de cycles budgétaires et de sessions législatives. Simultanément, l’ancienne culture néopatrimoniale sera invoquée de manière répétée par les acteurs qui la trouveront utile à leurs fins. Il n’est alors pas évident que les autres acteurs soient en mesure de proscrire les comportements qui en résulteront. Enfin, les relations internationales de la plupart des pays africains contribuent plutôt au maintien du statu quo. Il est vrai que depuis la fin de



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la guerre froide, l’Occident a fait la promotion de la démocratie dans les pays en développement avec plus de constance et de sincérité. Cependant, les 20 milliards de dollars d’aide annuelle qui sont pour l’essentiel alloués aux gouvernements servent plus à consolider leur emprise sur le pouvoir et pourrait affaiblir les institutions bureaucratiques nécessaires pour contrebalancer les tendances néopatrimoniales29. En fait, certains observateurs ont émis l’idée que les modalités actuelles d’allocation de l’aide sont facilement et régulièrement instrumentalisées dans un but clientéliste par les élites des pays africains30. REMARQUES DE CONCLUSION

De nombreux auteurs suggèrent qu’en Afrique subsaharienne, la démocratisation a en réalité renforcé le clientélisme. La compétition à l’occasion des élections alimenterait l’achat et la vente des votes, et induirait un clientélisme plus important que par le passé. D’autres analystes ont avancé que la démocratisation avait renforcé les identités ethniques et aiguisé la politique ethnique, par le biais du lubrifiant des ressources publiques et de la compétition électorale. Je suis sceptique à propos de telles affirmations. Premièrement, même si elles sont exactes, il est possible que l’augmentation du clientélisme résulte de la récente démocratisation, et non de la démocratie. Au moins dans certains cas, il semble effectivement que la démocratisation de la vie publique ait attisé la compétition ethnique et augmenté la corruption. Alors que de nouveaux acteurs politiques émergent et que s’instaure une compétition politique plus forte, les régimes en transition peuvent constituer une boîte de Pandore pour la résurrection d’anciens conflits et ressentiments restés jusque‑là contenus. Cependant, l’enjeu n’est alors pas nécessairement la nature de la démocratie ou de la compétition électorale, mais plutôt l’incertitude et le chaos engendrés par le passage d’un ensemble de règles à un autre. Deuxièmement, nombre de ces accusations sont faites à propos des autocraties électorales. Il semble donc déplacé de rendre la démocratie responsable de maux qui sont essentiellement ceux de régimes autoritaires, où les élections sont faussement compétitives. On devrait réfuter de telles critiques en avançant que ces insuffisances sont souvent dues aux aspects non démocratiques de ces régimes.

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Troisièmement, j’avancerais que l’augmentation de l’attention portée à la corruption ne signifie pas souvent une réelle montée de son occurrence. Elle traduit plutôt l’existence d’une plus grande liberté de la presse, plus à même de relayer les accusations de corruption que dans le passé, et d’un public moins intimidé et plus ouvertement critique à l’égard des abus de pouvoir qu’auparavant. Un des paradoxes de la démocratie est précisément que sa nature plus ouverte et participative générera davantage de critiques, parfois délégitimantes, que celle des régimes autoritaires. Quoi qu’il en soit, une question plus pertinente posée ici n’est pas de savoir si la corruption politique augmentera ou déclinera, mais plutôt si sa fonction et ses formes seront amenées à évoluer. J’ai cherché à montrer qu’en commençant à démocratiser sa politique, l’Afrique subsaharienne a emprunté le long chemin vers la sortie du néopatrimonialisme. Cela signifie‑t‑il que la politique échappera totalement aux diverses imperfections ? Certainement pas. Néanmoins, au commencement de la seconde décennie de démocratisation, les analyses des experts de l’Afrique sont porteuses d’une tonalité insidieuse, prompte à ressasser les imperfections des élections multipartites de la région. Il est important d’éviter l’optimisme panglossien. Cependant, en suggérant que le clientélisme politique est une caractéristique essentielle et omniprésente de toutes les démocraties, cette contribution vise à injecter davantage d’optimisme dans l’étude des pratiques démocratiques africaines. Achat du vote, emplois pour les enfants, écoles construites dans des circonscriptions clés dans les semaines précédant les élections, scandales de financement de partis, scandales de corruption dans la presse, trafic d’influence au Parlement – ces phénomènes ne peuvent être célébrés, bien sûr, mais ils signifient que l’Afrique est en train de devenir moins néopatrimoniale et plus démocratique. NOTES   1. M. Bratton and N. van de Walle, Democratic Experiments in Africa: Regime Transitions in Comparative Perspective, Cambridge (UK)/New York (NY ), Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in comparative politics”, 1997.   2. Par exemple, J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F. Médard (dir.), États d’Afrique noire : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 323‑353.



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  3. Pour une récente revue : G. Erdmann and U. Engel, “Neopatrimonialism Reconsidered: Critical Review and Elaboration of an Elusive Concept”, Commonwealth & Comparative Politics, 45(1), February 2007, p. 95‑119. Pour la suite de cet article, j’utiliserai le terme général de néopatrimonialisme comme un terme générique pour qualifier cet ensemble d’institutions informelles.   4. P. Chabal and J.‑P. Daloz, Africa Works: Disorder as Political Instrument, London/Oxford/Bloomington, James Currey/Indiana University Press, coll. “African issues”, 1999 ; N. van de Walle, African Economies and the Politics of Permanent Crisis, 1979‑1999, Cambridge/New York, Cambridge University Press, coll. “Political economy of institutions and decisions”, 2001.   5. A. Schedler (Ed.), Electoral Authoritarianism: The Dynamics of Unfree Competition, Boulder (CO), Lynne Rienner Press, 2006.   6. S.W. Schmidt, L. Guasti, C.H Landé and J.C. Scott (Eds), Friends, Followers, and Factions: A Reader in Political Clientelism, Berkeley, University of California Press, 1977, p. 220‑232 ; S.N. Eisenstadt and R. Lemarchand (Eds), Political Clientelism, Patronage and Development, Beverly Hills (CA), Sage Publications, 1981.   7. H. Kischelt and S.I. Wilkinson (Eds), Patrons, Clients and Policies: Patterns of Democratic Accountability and Political Competition, Cambridge (UK)/ New York, Cambridge University Press, 2007 ; S. Piattoni (Ed.), Clientelism, Interests, and Democratic Representation, Cambridge/New York, Cambridge University Press, coll. “Cambridge studies in comparative politics”, 2001 ; G. Helmke and S. Levitsky (Eds), Informal Institutions and Democracy: Lessons from Latin America, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006.   8. Pour une discussion plus complète et des citations, voir N. van de Walle, “Meet the New Boss, Same as the Old Boss? The Evolution of Political Clientelism in Africa”, in H. Kischelt and S.I. Wilkinson (Eds), Patrons, Clients and Policies: Patterns of Democratic Accountability and Political Competition, Cambridge (UK)/New York, Cambridge University Press, 2007, p. 50‑67.   9. Par exemple G. Ardant, “Financial Policy and Economic Infrastructure of Modern States and Nations”, Tilly C. (Ed.), The Formation of National States in Western Europe, Princeton (NJ), Princeton University Press, coll. “Studies in political development, 8”, 1975, p. 162‑242. 10. A.A. Goldsmith, “Sizing up the African State”, Journal of Modern African Studies, 38(1), 2000, p. 1‑20.

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11. R. Theobald, Corruption, Development and Underdevelopment, London, Macmillan, 1990. 12. G.W. Cox and M.D. McCubbins, “The Institutional Determinants of Economic Policy Outcomes”, in S. Haggard and M.D. McCubbins (Eds), Presidents, Parliaments, and Policy, Cambridge (UK)/New York, Cambridge University Press, coll. “The political economy of institutions and decisions”, 2001, p.  21‑63 ; S. Haggard and M.D. McCubbins (Eds), Presidents, Parliaments, and Policy, Cambridge (UK)/New York, Cambridge University Press, coll. “The political economy of institutions and decisions”, 2001. 13. M. Shefter, Political Parties and the State: The American Historical Experience, Princeton (NJ), Princeton University Press, coll. “Princeton studies in American politics”, 1994. 14. Par exemple, J.‑F. Bayart, L’État en Afrique : la politique du ventre, 1re éd., Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique, 29 », 1989. 15. S.P. Huntington and J.M. Nelson, No Easy Choice: Political Participation in Developing Countries, Cambridge (MA), Harvard University Press, 1976 ; K.L. Remmer, “Exclusionary Democracy”, Studies in Comparative International Development, 20(4), December 1986, p. 6‑485. 16. B. Milanovic, Is Inequality in Africa really Different?, second draft, The World Bank, May 2003. 17. Pour une récente vue d’ensemble exhaustive et plutôt optimiste, voir S.I. Lindberg, Democracy and Elections in Africa, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006. 18. M. Bratton and N. van de Walle, op. cit., 2007, p. 8. 19. R.A. Joseph, “Africa: States in Crisis”, Journal of Democracy, 14(3), July 2003, p. 159‑170. 20. A. Schedler, 2006, op. cit. 21. Par exemple, T. Carothers, “The End of the Transition Paradigm”, Journal of Democracy, 13(1), January 2002, p. 5‑21. 22. L.J. Diamond, “Thinking about Hybrid Regimes”, Journal of Democracy, 13(2), April 2002, p. 21‑35. 23. F. Zakaria, “The Rise of Illiberal Democracy”, Foreign Affairs, 76(6), November‑December 1997, p. 22‑43. 24. S.P. Mainwaring, Rethinking Party Systems in the Third Wave of Democratization: The Case of Brazil, Stanford (CA), Stanford University Press, 1999. 25. A. Przeworski, M.M. Alvarez, J.A. Cheibub and F. Papaterra Limongi Neto, “What Makes Democracies Endure”, Journal of Democracy, 7(1), January 1996, p. 39‑55.



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26. J. Fox, “The Difficult Transition from Clientelism to Citizenship: Lessons from Mexico”, World Politics 46(2), January 1994, p. 151‑184. 27. E.E. Schattschneider, Party Government, New York, Rinehart & Company, Inc., 1942. 28. G. Helmke and S. Levitsky, 2006, op. cit., 29. T. Moss, G. Pettersson and N. van de Walle, “An Aid‑Institutions Paradox? A Review Essay on Aid Dependency and State Building in Sub‑Saharan Africa”, in W. Easterly (Ed.), Reinventing Foreign Aid, Cambridge (MA), MIT Press, 2007, p. 255‑282. 30. J.‑P. Olivier de Sardan, « Chefs de projets au village (Niger) », Bulletin de l’APAD, 15 (Les dimensions sociales et économiques du développement local et la décentralisation en Afrique au Sud du Sahara), mai 1998, p.  65‑89 ; N. van de Walle, 2001, op. cit.

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VII

Luttes armées, rebelles et seigneurs de la guerre : le spectre du patrimonialisme Morten Bøås et Kathleen M. Jennings

C

es dernières décennies, des régions entières de l’Afrique centrale et de l’Afrique de l’Ouest ont été minées par les guerres civiles. En général elles sont expliquées par une récession de l’État, associée à l’émergence de seigneurs de la guerre et du warlordism1. Peu d’attention a été portée aux comportements et aux actions des groupes armés non‑­ étatiques impliqués dans ces conflits, et à la manière dont ils peuvent évoluer au cours du temps2. Comment des mouvements qui étaient initialement l’expression d’une rébellion sociale, certes violente, contre un État autoritaire et corrompu, finissent‑ils par devenir le reflet perverti de l’État qu’ils entendaient détruire au départ ? Cette transformation du comportement des groupes armés dans le temps est peut-être expliquée par de la cupidité (greed ) conjuguée à une quête d’accès accru aux ressources3. Une approche en terme de cupidité peut aussi permettre de saisir la dépendance grandissante des groupes à l’égard de l’extraction et de la commercialisation de ressources tout au long du conflit. Cependant, la quête du profit n’explique pas en elle‑même pourquoi, ou dans quelle mesure, les groupes s’éloignent de leur agenda politique initial – et pourquoi nombre d’entre eux finissent par reproduire certaines pathologies des États qu’ils contestent. Nous préconisons donc une approche différente. Une approche duale constitue le meilleur moyen de comprendre le processus par lequel des groupes rebelles peuvent abandonner leurs



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programmes politiques pour rechercher le profit et devenir des entités marchandes. La première dimension de cette analyse implique de contextualiser la révolte en fonction des niveaux de violence structurelle et réelle au sein de la société, tels qu’ils existaient avant le conflit. En ceci, on fera écho à Paul Richards4 pour qui la nature violente de ces mouvements doit « être comprise en relation avec les modes d’expression de la violence déjà inscrits dans la société ». La seconde dimension découle de la première. Elle est centrée sur la question de savoir si, dans les pays affectés, les structures étatiques – et plus spécifiquement, la logique singulière du néopatrimonialisme dysfonctionnel – ont engagé les insurgés sur un sentier propice à l’émergence d’un « warlordism » mercantile. On peut également s’interroger sur la mesure dans laquelle ces structures et itinéraires présentent des traits spécifiques ou communs à l’Afrique centrale et à l’Afrique de l’Ouest. À l’instar de Morten Bøås et de Dunn5, le second élément de notre grille d’analyse reflète donc une conviction selon laquelle « le fait que ces guérillas agissent au sein de contextes locaux, socioéconomiques et historiques qui leurs sont propres, ne signifie pas que leurs trajectoires soient totalement singulières ». Certains traits communs se retrouvent à travers l’espace. Ils sont fondés sur des métadiscours qui reflètent et expriment des expériences collectives de corruption, d’abus de pouvoir et de position, et de pauvreté6. La toile de fond de l’inexorable et systématique récession et prédation de l’État se retrouve ainsi tant en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique centrale. Il en va de même, jusqu’à un certain degré, pour la vision du monde des combattants de ces conflits. Celle‑ci demeure imprégnée d’expériences et de perceptions du monde partagées, qu’il s’agisse d’exclusion économique, sociale et politique ou de marginalisation. Notre approche vise donc à éclairer comment et dans quelle mesure des mouvements qui sont nés de visions du monde similaires ont emprunté des chemins analogues ; et en quoi ces itinéraires partagés découlent – et dépendent – de facteurs structurels déterminés par l’État néopatrimonial et la société dans laquelle ils s’insèrent7. Notre approche postule également que les actions des groupes armés et des mouvements rebelles peuvent être analysées de manière systématique. Certains figurent au premier rang de ces conflits – tels le Revolutionary United Front (RUF) en Sierra Leone, la Lord’s Resistance Army (LRA) dans le nord de l’Ouganda, le mouvement Mai‑Mai dans



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l’Est du Congo, ou encore les multiples factions de la guerre civile libérienne  – et ne semblent entretenir que des rapports éloignés avec les typologies de science politique sur les mouvements insurrectionnels. Il n’en résulte pas pour autant que la violence qu’ils exercent est irrationnelle. Les pages qui suivent montrent comment des situations de marginalisation et d’exclusion, dans des sociétés patrimoniales où l’extraction de ressources naturelles constitue une option, semblent conduire les rébellions à ressembler à la société contre laquelle leurs griefs de départ étaient adressés. Nous n’affirmons pas que cela survient nécessairement, mais plutôt qu’il existe un certain sentier de dépendance, et que la force de cette dynamique dépend des réponses locales, nationales, et internationales apportées au conflit. La manière dont un mouvement armé peut conserver son programme de changement social et politique (et agir en adéquation avec lui) dépend dans une certaine mesure de la manière dont le groupe est traité par le système et la société contre lesquels il se rebelle. Le RUF n’a jamais été présenté ou traité autrement que comme un rassemblement de malfrats, de jeunes délinquants et de bandits cupides. Au bout du compte, c’est ce qu’il est devenu. De nos jours, les dépêches en provenance du delta du Niger se focalisent sur les tactiques de piraterie qu’emploient les groupes armés et tendent à minimiser les causes sociales très réelles qu’ils mettent en avant. C’est aussi manifestement le cas dans l’approche inquiétante de l’État nigérian qui traite les jeunes en armes comme des bandits à même d’être légitimement écrasés par un emploi sans retenue de la force publique. UNE PRATIQUE SOCIALE

Le néopatrimonialisme est généralement présenté comme un système de gouvernement au sein duquel coexistent des normes bureaucratiques et patrimoniales8. Lorsqu’un tel système existe à l’échelle d’une nation, il en résulte un État capable d’extraire et de redistribuer des ressources. Cette extraction et cette redistribution sont toutefois privatisées. Ce phénomène n’est pas unique à l’Afrique centrale ou à l’Afrique de l’Ouest : des éléments de patrimonialisme peuvent se retrouver dans les différents systèmes politiques à travers le monde. Il existe néanmoins d’importantes différences entre ces systèmes, tant pour ce qui est du degré de pénétration de la logique néopatrimoniale qu’en ce qui concerne sa fonctionnalité.

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Dans l’absolu, le néopatrimonialisme est un système de gouvernement comparable à n’importe quel autre : il pose les fondations du jeu politique de la distribution et de la redistribution et, comme l’illustre la longévité de nombreux régimes africains, peut être facteur d’ordre et de stabilité. Ces systèmes n’en peuvent pas moins s’avérer extrêmement vulnérables. Le régime de Mobutu au Zaïre montre par exemple à quel point la fragmentation de l’État peut être rapide dès lors que le système ne parvient plus à se reproduire. Devenu dysfonctionnel, le patrimonialisme continue d’opérer conformément à sa logique antérieure, mais en ne disposant plus de la capacité à distribuer. Même lorsqu’elle fonctionne, l’une des premières conséquences de cette forme de régulation est de diviser la population selon des lignes régionales, ethniques et parfois familiales, en fonction des différentes voies patrimoniales de redistribution. Cette logique a des implications évidentes pour le régime, les institutions étatiques et les élites en compétition ; mais aussi, de manière équivalente, pour la population dans son ensemble. Au regard de notre propos, une question centrale est celle des conditions nécessaires à l’expression d’une résistance tant au sein qu’à l’encontre d’un tel système. Dans quelle mesure est‑il possible de concevoir une organisation politique alternative lorsqu’une telle logique imprègne non seulement l’État et ses macro‑institutions, mais aussi la vie quotidienne des gens – lorsqu’elle est devenue l’ordre des choses, le principal ressort des interactions socioéconomiques à tous les niveaux de la société ? Qu’ils le désirent ou non, tous appartiennent et sont impliqués dans ce système social ; celui‑ci façonne les pratiques et la vie quotidienne, y compris les plus éloignés de la curée. Plutôt que de voir dans le néopatrimonialisme une simple variante de la typologie établie par Max Weber 9, il serait plus fructueux de l’interpréter comme une pratique sociale itérative, capable d’engendrer une structure institutionnelle informelle, difficile à briser ou à infléchir. Il ne s’agit pas ici de prétendre que toute résistance est inutile ni que le changement soit impossible. Toutefois, en analysant comment des projets de changement peuvent se métamorphoser en une défense du statu quo, il apparaît que la généralisation de systèmes néopatrimoniaux de plus en plus dysfonctionnels confère les caractères d’une « machine politique » à la vie politique en Afrique. Cette dimension est susceptible de réapparaître lors d’insurrections armées. Cela est tout particulièrement le cas au sein



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de celles qui s’inscrivent dans la longue durée et surviennent dans un environnement où l’extraction des ressources est possible, tandis que la victoire (dans tous les sens du terme) s’avère de plus en plus improbable. MOUVEMENTS REBELLES ET WARLORDISM

Une fois acceptée l’existence d’une relation forte entre les structures étatiques antérieures à la guerre et la nature de l’insurrection armée, il convient de s’interroger sur les types de normes sociales qui sont intériorisées, les mentalités et cosmologies qui se développent dans des circonstances précédemment décrites. Ce qui nous ramène à la première dimension de notre analyse. La Sierra Leone et le Liberia constituent à cet égard deux terrains d’un grand intérêt heuristique. En Sierra Leone, soulignent Caspar Fithen et Paul Richards10, « le RUF représente un paradoxe. Il affirmait vouloir une société plus juste et a fini comme une machine à tuer arbitraire et hasardeuse », à la recherche de toute forme de profit pour ses membres. Un examen plus précis des conditions sociétales d’avant‑guerre dans les zones d’insurrection pourrait jeter un éclairage supplémentaire sur le caractère inéluctable ou non de la guerre en Sierra Leone. Ceci permettrait également de savoir dans quelle mesure l’évolution du RUF est à rapporter à celle des structures étatiques que l’établissement du mouvement avait initialement eu pour objectif de contrer et combattre par la révolution armée. De fait, l’histoire de la gouvernance en Sierra Leone est caractérisée par la corruption, la mauvaise gestion et la négligence, qui ont finalement conduit à une décadence totale de l’État et à la guerre civile. La majorité des Sierra-Léonais était et demeure pauvre, dépourvue de tout accès aux services généralement liés au secteur public, telle l’éducation, y compris lorsque ces services existaient. Ce déclassement et cette marginalisation économique et politique prévalaient dans les zones urbaines comme dans les zones rurales. Le district de Kono, centre historique de l’extraction des diamants dans le pays, illustre particulièrement bien cette relation entre le structurel et le social. Des diamants y avaient été découverts en 1930. Dès la fin de la décennie, les principales matières premières exportées par la Sierra Leone étaient le diamant, le minerai de fer, la bauxite et le rutile. Ceci reflète la rapidité avec laquelle était intervenu le passage d’une dépendance envers des produits forestiers (tels que l’huile de palme, le café

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et le cacao) à une économie minière. Bien que l’extraction du diamant ait généralement été effectuée par de jeunes hommes pauvres, le contrôle de l’exploitation diamantifère a toujours été entre les mains des riches, des puissants et des mieux dotés en capital relationnel11. Un bref regard sur l’industrie de l’extraction du diamant à Kono révèle d’emblée le caractère systématique de la corruption et des relations de clientèle – entre jeunes mineurs et chefs locaux, mais aussi entre les chefs et le centre. On peut également constater que les questions de l’autochtonie et d’exclusion sont intégrées dans le fonctionnement et les modes de contrôle d’une économie patrimoniale fondée sur le diamant. Pendant l’essentiel de la période antérieure à l’indépendance (à savoir de 1935 à 1956), les Sierra-Léonais n’avaient pas le droit d’extraire leurs propres diamants12. Une compagnie britannique, la Sierra Leone Selection Trust (SLST), disposait des droits exclusifs d’exploitation. Afin d’éviter toute extraction illicite, la SLST avait demandé l’expulsion des régions diamantifères de tous ceux qui n’y étaient pas considérés comme autochtones. L’administration coloniale avait également donné aux chefs traditionnels la responsabilité du contrôle des migrations et des installations vers ces zones. Les chefs avaient ainsi le pouvoir de décider de qui était ou non originaire des régions productrices de diamants. Une migration substantielle vers les zones diamantifères n’en devait pas moins continuer dans les années 1950, nombre de migrants parvenant à contourner le monopole de la SLST par le biais de la corruption et de l’établissement de relations clientélistes avec les chefs locaux. Ainsi furent posés les fondements de ce que William Reno13 a, par la suite, dénommé la structure de « l’État fantôme » en Sierra Leone. À la suite de violentes protestations dans le district de Kono en 1955, les Sierra-Léonais furent légalement autorisés à extraire le diamant. Dans les zones auparavant contrôlées par la SLST, l­’Alluvial Diamond Mining Scheme (ADMS) fut établi afin d’accorder des permis d’extraction à des Sierra-Léonais et à des compagnies nationales. Les premiers bénéficiaires de cette réforme furent les riches et les mieux connectés, pour l’essentiel des chefs, hommes politiques, fonctionnaires et commerçants, seuls capables d’acquérir les licences et l’équipement nécessaire. La communauté libanaise de Sierra Léone, du fait de ses capitaux, a également été en mesure de pénétrer et de dominer le nouveau secteur minier censé être réservé aux populations « autochtones ». À leur tour, les chefs des zones



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riches en diamants, tel Kono, ont pu s’enrichir grâce aux pouvoirs dont ils disposaient pour accorder des licences et attribuer des sites d’extraction. Pendant ce temps, les détenteurs de permis s’installaient et embauchaient des employés afin qu’ils creusent à leur place. Ce système a permis une certaine stabilité dans le court terme. La production et les ventes par le biais des voies légales et imposables ont même légèrement augmenté. À la fin des années 1950, on estimait que jusqu’à 75 p. 100 de la valeur totale de la production de diamants pouvait circuler en contrebande14. La perte du contrôle formel sur les zones diamantifères était déjà à l’œuvre à la fin de la période coloniale. Elle n’a fait que s’accentuer après l’indépendance en 1961. Après l’arrivée au pouvoir de Siaka Stevens, en 1968, le gouvernement a tenté de réimposer son contrôle sur les zones diamantifères, notamment en envoyant l’armée pour soutenir la police dans sa lutte contre les activités minières illégales. Loin de contribuer à sa diminution, ceci a favorisé l’expansion et la consolidation d’une culture de corruption. En effet, les agents de la police et de l’armée se sont mis à accepter des pots‑de‑vin de la part des mineurs qui ne disposaient pas des permis nécessaires. À cette époque également, le nouvel Office gouvernemental du diamant (Government Diamond Office – GDO) créé par Stevens, a entrepris de promouvoir une politique d’achat à bas prix et de vente à prix fort. Ceci n’a fait que renforcer les incitations à la contrebande. Bien que le trafic de diamants ait induit de graves problèmes pour les recettes et les institutions publiques, il se faisait au bénéfice mutuel des détenteurs de permis et des employés de l’État. Ces derniers tiraient profit du fait de fermer les yeux sur les opérations de contrebande, lorsqu’ils ne collaboraient pas activement. Les structures étatiques chargées de contrôler le secteur du diamant au bénéfice du pays ont ainsi dégénéré en une entreprise d’escroquerie à des fins d’enrichissement personnel. À la fin des années 1980, selon certaines estimations, jusqu’à 95 p. 100 des diamants produits en Sierra Leone étaient exportés par les voies de la contrebande15. Lorsque Joseph Momoh est arrivé au pouvoir en janvier 1986, il a dû faire face à des pressions de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international (FMI) afin que le trafic soit contrôlé et endigué. En 1987, l’armée est à nouveau envoyée dans les régions productrices de diamants. Plutôt que d’améliorer la situation, cette décision a pour conséquence d’élargir les rapports de coopération et de cooptation entre les intérêts miniers et l’armée, comme cela avait été le cas lors de la tentative de

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Stevens de re‑réguler le secteur à la fin des années 1960. La prétendue réforme s’était avérée inefficace, mais l’expulsion par l’armée de près de 10 000 mineurs à Kono avait créé une masse importante de jeunes ex‑mineurs mécontents. Cette population a ultérieurement fourni leur principale base de recrutement au RUF, à l’armée, et à la Force de défense civile (CDF) pendant la guerre civile16. Tandis que l’État perdait le contrôle formel sur ses richesses en diamants, celles‑ci ont servi de substrat à une culture de corruption et de détournement de la gestion des ressources nationales pour le plus grand profit personnel des élites politiques et économiques, des forces armées et d’intérêts étrangers. Dans le même temps, la population en général, mais aussi la plupart des mineurs demeuraient dans une situation de pauvreté et de vulnérabilité17. La situation des mineurs migrants était particulièrement précaire du fait de leur double exclusion : ils n’avaient pas accès aux canaux politiques et économiques par lesquels les dépouilles étaient acquises et redistribuées. En tant qu’allogènes (strangers) dans les zones diamantifères18, ils étaient également dépendants du « bon vouloir » des chefs locaux pour mener leurs activités, un bon vouloir généralement obtenu en contrepartie de paiements dans le cadre d’un racket de protection. Les mineurs étaient peut-être également mal préparés aux difficultés de l’activité d’extraction et déçus de n’avoir pu trouver le gros diamant de leur rêve, garant d’un futur confortable19. Et même s’ils en trouvaient un, leur part du butin eût été vraisemblablement limitée. Des individus comme l’infâme seigneur de la guerre du RUF, Sam ‘Maskita’ Bockarie, étaient particulièrement conscients de cet état de fait car ils avaient grandi à Kono durant cette période. Lorsqu’il a été tué, début mai 2003, Bockarie était considéré comme l’un des hommes les plus dangereux d’Afrique de l’Ouest : le rebelle était un bandit, mais aussi un homme de pouvoir dont les actions pouvaient menacer la stabilité de toute la région ouest africaine. Pourtant, son parcours était parfaitement ordinaire. Né en 1964, fils d’un mineur de diamants, Bockarie avait grandi dans la ville de Koidu, à Kono. Il avait quitté l’école très tôt afin de devenir un mineur de diamants, un destin typique dans un pays où les frais d’écolage sont élevés, et où les familles sont à la fois pauvres et dépendantes du revenu que leurs enfants peuvent leur procurer. Bockarie était employé à l’échelon le plus bas de la hiérarchie de l’extraction diamantifère jusqu’à ce que, comme beaucoup d’autres, il quitte la mine



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pour gagner sa vie autrement. Ce sera d’abord en tant que danseur de disco professionnel en Sierra Leone, puis comme coiffeur à Abidjan où il rencontre des recrues du RUF et décide de lier son sort au leur. Il n’y a pas grand‑chose de spécial dans son parcours qui, par la combinaison de l’absence de finalités et le poids des contraintes, est similaire à celui de nombreux autres qui sont devenus des rebelles ou des soldats. Un tel parcours témoigne cependant de ce que, dans des pays comme la Sierra Leone, un système de plus en plus dysfonctionnel a endommagé et détruit l’État et ses institutions, mais aussi la vie des habitants20. Les jeunes sont susceptibles d’être particulièrement sensibles aux effets de l’exclusion des opportunités d’avancement ou de changement21. Dès lors, est‑il si surprenant que, en situation de rébellion, et face à une résistance plus forte qu’ils ne l’avaient prévue, ces mouvements recourent aux pratiques observées et expérimentées par leurs membres dans leurs années de formation ? Ce faisant, ils corrompent leur « révolution » et deviennent le reflet de l’État patrimonial dysfonctionnel contre lequel ils s’étaient à l’origine rebellés. Comme le disait Foday Sankoh, leader du RUF, en 2000, « ils nous demandent pourquoi on extrait des diamants. Pourquoi n’a‑t‑on pas demandé cela à Jamil [Said Mohammed] ou Shaki [Siaka Stevens] quand le [All Peoples Congress] était au pouvoir ? Oui, on extrait les diamants ! Nous n’allons pas abandonner les diamants ou nos fusils à quiconque »22. BANDITISME SOCIAL ET STRUCTURES NÉOPATRIMONIALES

Le cas de la rébellion du delta du Niger illustre les propos qui précèdent à partir d’une perspective légèrement différente. On peut, certes, toujours souhaiter que la rébellion puisse encore aboutir à un résultat différent de celui de la Sierra Leone. Elle est toutefois beaucoup plus étroitement insérée dans une structure néopatrimoniale que l’était celle de Sierra Leone. L’ensemble des relations sociales entre les groupes et les intérêts de la région du delta tourne autour du pétrole et des revenus pétroliers. Malgré la mauvaise gestion des ressources pétrolières, la corruption, la pauvreté et la marginalisation, un certain type d’ordre prévaut toujours dans le delta23. Cet ordre permet d’assurer la production pétrolière, mais il a un prix. Les compagnies pétrolières doivent la poursuite de leurs activités à une

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cohabitation (ou coopération) difficile avec toute une palette d’acteurs. Parmi ceux‑ci figurent des mouvements rebelles comme le Movement for Emancipation in the Niger Delta (MEND), diverses autres factions armées, des bandits, des hommes politiques locaux, des compagnies de sécurité privées, l’armée nigériane, et des hommes politiques nationaux24. Pour autant, la production pétrolière profite peu aux communautés locales qui luttent sous le poids de la pauvreté, du chômage, des problèmes environnementaux, du crime et de la corruption. Ces communautés ont contribué à alimenter un soulèvement militant qui menace à la fois la production pétrolière du Nigeria et la fragile transition démocratique du pays25. Ces dernières années, différents groupes rebelles se sont affrontés à l’armée, ont détruit des installations pétrolières, pris en otage des employés de compagnies pétrolières, et mené plusieurs attentats à la voiture piégée26. À la suite d’une vague de prise d’otages en août 2006, le président Olusegun Obasanjo a menacé d’écraser par la force les soi‑disant « éléments criminels » du delta du Niger. Le résultat le plus notable durant cette année-là a été la destruction de plusieurs centaines d’habitations dans les bidonvilles de Port Harcourt, à proximité du lieu où un soldat avait été tué lors de la prise d’otages d’employés étrangers du secteur pétrolier27. L’emploi de tactiques de répression brutale a déjà été essayé par le passé, mais n’avait produit aucun des résultats escomptés. Il n’y a aucune raison de croire qu’elles soient plus efficaces aujourd’hui28. La montée des milices, qu’il s’agisse de factions armées qui poursuivent un programme politique, de bandits, ou une catégorie intermédiaire (par exemple, des bandits sociaux) résulte de revendications locales qui doivent être traitées. Deux aspects de la situation du delta du Niger méritent d’être soulignés. Tout d’abord, l’existence de connexions entre les milices et les élites politiques locales du delta fait peu de doutes. L’une des revendications du MEND est d’ailleurs la libération de Diepreye Alamieyeseigha, un ancien gouverneur de l’État de Bayelsa condamné pour corruption. Les élections de 2003 ont également révélé la force des liens entre milices et élites politiques. La « convergence entre militantisme armé et vie politique »29 est un élément clé dans les élections nigérianes. Dans le delta, les scrutins ont ainsi été marqués par le harcèlement de candidats et de leurs supporters par des groupes armés (essentiellement composés de jeunes hommes, au service d’un candidat adverse), sans parler des affrontements entre groupes armés contrôlés par différents opposants politiques.



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Le second aspect notable de la rébellion du delta du Niger tient à la multiplicité des casquettes portées par les jeunes hommes en armes30. Sous la bannière du MEND, ils attaquent les installations pétrolières et prennent en otage leurs employés tout en revendiquant plus d’autonomie régionale et un meilleur contrôle des recettes pétrolières. Les mêmes jeunes ont également pris des otages en août 2006, afin de soutenir des revendications spécifiques de communautés locales à l’égard d’une compagnie pétrolière nigériane  : la Peak Petroleum31. Le kidnapping initial de quatre employés et les négociations qui s’ensuivirent pourraient être considérés comme des actes politiques, suscités par des demandes et des revendications légitimes. En réalité, les mêmes groupes d’hommes peuvent également capturer des otages sans qu’il y ait la moindre considération politique, leur unique objectif étant l’obtention d’une rançon. Leurs membres sont également employés comme hommes de main par les politiciens et hommes forts locaux, particulièrement lors des campagnes électorales. Leurs rôles et leurs activités se chevauchent. Ils sont engagés dans une insurrection politique armée, mais se comportent aussi comme des bandits. Dans le delta du Niger, la rébellion recouvre une tentative de réponse à l’injustice sociale tout en constituant aussi un mode de production et un moyen de gagner sa vie. Il est difficile de savoir si la rébellion va y conserver sa dimension sociale ou si elle va dériver vers la seule criminalité. Les rebelles marchent sur le fil du rasoir. Ils louvoient entre « cupidité » (greed ) et « doléances » (grievances) si l’on considère la manière dont ils sont insérés dans des relations de type clientélistes et patrimoniales avec des hommes forts locaux, mais aussi l’importance des acteurs et de l’argent liés au pétrole dans la région. Il en faudrait peu pour qu’une rébellion considérée comme légitime se transforme en une entité mercantile, prise dans la spirale descendante d’un ordre patrimonial dysfonctionnel. C. Fithen et P. Richards32 l’ont souligné à juste titre, dans le cas du RUF en Sierra Leone, le basculement dans la violence fataliste, les tueries au hasard et le warlordism mercantile auraient pu être évités si, plutôt que de nier ce mouvement, davantage d’attention avait été portée aux raisons de son émergence. Dans le cas du delta du Niger, il n’est pas écrit que le MEND doive suivre le chemin du RUF. Le mouvement a mis en avant des revendications politiques légitimes qui devraient être prises au sérieux, tout comme sa proposition de négociations (supervisées par un

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tiers neutre) sur la distribution des revenus pétroliers. Si ces demandes sont ignorées ou rejetées, le mouvement en viendra très probablement à être dominé par les logiques patrimoniales dans lesquelles les jeunes en armes du MEND sont déjà impliqués. À l’instar d’autres mouvements rebelles avant lui, ce mouvement deviendra alors une sorte de facsimile perverti de la société contre laquelle il s’était rebellé. NOTES   1. Voir T.S. Thomas, S. Kiser and W.D. Casebeer, Warlords Rising: Confronting Violent Non‑State Actors, Lanham (MD), Lexington Books, 2005 ; S. Lezhnev, Crafting Peace: Strategies to Deal with Warlords in Collapsing States, Lanham (MD), Lexington Books, 2005 ; P. Green and T. Ward, State Crime, Governments, Violence and Corruption, London, Pluto Press, 2004 ; J. Mackinlay, Globalisation and Insurgency, Oxford/New York, Oxford University Press for the International Institute for Strategic Studies, coll. “Adelphi Papers, 352”, 2002 ; A. Rashid, Taliban: The Story of the Afghan Warlords, 2nd ed., London, Pan Books, 2001 ; W. Shawcross, Deliver us from Evil: Peacekeepers, Warlords and a World of Endless Conflict, New York, Simon & Schuster, 2000 ; P.B. Rich (Ed.), Warlords in International Relations, Basingstoke, Macmillan Press, 1999 ; W. Reno, Warlord Politics and African States, Boulder (CO)/London, Lynne Rienner, 1998.   2. À noter deux exceptions : C.S. Clapham, “Introduction: Analysing African Insurgencies”, in C. Clapham (Ed.), African Guerrillas, Oxford (UK), James Currey, 1998, p.  1‑18 ; M. Bøås, “Marginalised youth” in M. Bøås and K.C. Dunn (Eds), African Guerrillas: Raging Against the Machine, Boulder (CO)/London, Lynne Rienner, 2007, p. 39‑53.   3. D. Keen, “Incentives and Disincentives for Violence”, in M. Berdal and D.M. Malone (Eds), Greed and Grievance: Economic Agendas in Civil Wars, Boulder (CO)/London, Lynne Rienner, 2000, p. 19‑42.   4. P. Richards, “New war: An ethnographic approach”, in P. Richards (Ed.), No Peace, No War: An Anthropology of Contemporary Armed Conflicts, Athens (OH)/Oxford, Ohio University Press/James Currey, 2005, p. 1.   5. M. Bøås and K.C. Dunn, “African guerrilla politics: Raging against the machine?”, in M. Bøås and K.C. Dunn (Eds), African Guerrillas: Raging Against the Machine, Boulder (CO)/London, Lynne Rienner, 2007, p. 9‑37.   6. M. Bøås, “Rebels with a cause? Africa’s young guerrillas”, Current History, 103(673) (Africa), May 2004, p. 211‑214.



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  7. Le concept « d’État fantôme » (shadow state), développé par Reno en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, permet de rendre compte de sociétés au sein desquelles le néopatrimonialisme devient la norme, qu’il s’agisse des interactions socioéconomiques entre élites et contre‑élites ou de celles entre personnes de toutes classes et strates (W. Reno, Corruption and State Politics in Sierra Leone, Cambridge (UK)/New York, Cambridge University Press, 1995 ; W. Reno, 1998, op. cit. ; et “Shadow states and the political economy of civil wars”, in M.  Berdaland D.M. Malone (Eds), Greed and Grievance: Economic Agendas in Civil Wars, Boulder (CO)/ London, Lynne Rienner, 2000, p. 43‑68.   8. Voir J.‑F. Médard (dir.), États d’Afrique noire  : formation, mécanismes et crises, Paris, Éd. Karthala, 1991, et “Patrimonialism, neopatrimonialism and the study of the post‑colonial state in Sub‑Saharan Africa”, in H. Secher Marcussen (Ed.), Improved Natural Resources Management  – The Role of Formal and Informal Networks and Institutions, Roskilde, IDS, Roskilde University Press, 1996, p. 76‑97 ; E. Braathen, M. Bøås and G. Sæther, “Ethnicity kills? Social struggles for power, resources and identities in the neo‑patrimonial state”, in E. Braathen, M.  Bøås and G. Sæther (Eds), Ethnicity Kills? The Politics of War, Peace and Ethnicity in Sub‑Saharan Africa, Basingstoke/New York, Macmillan/St Martin’s Press, 2000, p. 3‑22.   9. M. Weber, The Theory of Social and Economic Organization, 1st ed. 1921, New York/London, Free Press/Collier Macmillan, 1947. 10. C. Fithen and P. Richards, “Making war, crafting peace: Militias solidarities and demobilisation in Sierra Leone”, in P. Richards (Ed.), No Peace, No War: An Anthropology of Contemporary Armed Conflicts, Athens (OH)/Oxford, Ohio University Press/James Currey, 2005, p. 117‑136. 11. Pour une description des conditions de vie des mineurs de diamants dans le district de Kono, voir M. Bøås and A. Hatløy, Living in a Material World: Children and Youth in Alluvial Diamond Mining in Kono District, Sierra Leone, Oslo, Fafo Research Program on Trafficking and Child Labour, coll. “Fafo‑report 515”, 2006. Ils décrivent comment les jeunes mineurs ne sont guère tentés de garder pour eux « leurs » diamants et de les vendre, car ils n’ont pas les contacts et connaissances nécessaires pour en tirer un prix avantageux ; les mineurs savent également qu’ils seraient poursuivis et punis sévèrement si leur activité était découverte. 12. D. Keen, Conflict & Collusion in Sierra Leone, Oxford/New York, James Currey/Palgrave, 2005 ; M. Bøås and A. Hatløy, 2006, op. cit. 13. W. Reno, 1995, op. cit. 14. D. Keen, 2005, op. cit.

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15. M.A. Sesay, Interdependence and Dependency in the Political Economy of Sierra Leone, Ph. D.‑Thesis, Southampton, University of Southampton, 1993 ; D. Keen, 2005, op. cit. 16. Voir I. Abdullah, “Bush path to destruction: The origins and character of the Revolutionary United Front/Sierra Leone”, Journal of Modern African Studies, 36(2), 1998, p. 203‑235 ; et I. Abdullah (Ed.), Between Democracy and Terror: The Sierra Leone Civil War, Dakar, Council for the Development of Social Science Research in Africa (CODESRIA), 2004 ; P. Richards, Fighting for the Rain Forest: War, Youth & Resources in Sierra Leone, Oxford: James Currey, 1996 ; W. Reno, 1998, op. cit. ; C. Fithen, Diamonds and War in Sierra Leone: Cultural Strategies for Commercial Adaptation to Endemic Low‑Intensity Conflict, Ph. D.‑Thesis, London (UK), University College London, 1999. 17. M. Bøås and A. Hatløy, 2006, op. cit. ; W. Reno, “Political Networks in a Failing State: The Roots and Future of Violent Conflict in Sierra Leone”, Internationale Politik und Gesellschaft, 2, 2003, p. 44‑66. 18. W. Reno, 2003, op. cit. 19. Le passage de l’espoir à la déception ou au désespoir n’est pas unique à la Sierra Leone. Dans son analyse des bana Lunda (jeunes urbains zaïrois ayant émigré vers la province angolaise de Luanda Norte pour y extraire des diamants), F. De Boeck décrit comment ces jeunes vont tenter leur chance avec l’espoir d’un profit rapide. Pour ce faire, ils sont prêts à aller jusqu’à l’automutilation – en s’amputant des doigts ou en s’arrachant des dents – afin de conjurer le sort (mpiaka) qui les a empêchés de trouver des diamants depuis un certain temps. F. De Boeck, “Domesticating Diamonds and Dollars: Identity, Expenditure and Sharing in Southwestern Zaire (1984‑1997)”, in B. Meyer and P.  Geschiere (Eds), Globalization and Identity: Dialectics of Flow and Closure, Oxford/Malden (MA), Blackwell, 1999, p. 177‑209. 20. M. Bøås, 2007, op. cit. 21. A. Honwana and F. De Boeck, “Children and Youth in Africa: Agency, Identity and Place”, in A. Honwana And F. De Boeck (Eds), Makers and Breakers: Children and Youth in Postcolonial Africa, Oxford/Trenton/Dakar, James Currey/Africa World Press/Codesria, 2005, p. 1‑18. 22. Né en Sierra Leone et partenaire d’affaires de Siaka Stevens, Jamil Said Mohammed est un Libanais qui a dirigé l’Office gouvernemental du diamant dans les années 1970. Par cet organe, Stevens et lui contrôlaient une proportion considérable des recettes du diamant (cité dans W. Reno, 2003, op. cit., p. 59).



Luttes armées, rebelles et seigneurs de la guerre

23. International Crisis Group, The Swamps of Insurgency: Nigeria’s Delta Unrest, Brussels, ICG, coll. “Africa report 115”, 3 August 2006. 24. D.A. Yates, “The scramble for African Oil”, paper presented to the Tri‑annual International Political Science Association’s World Congress, Fukuoka ( Japan), 9‑13 July 2006 ; ICG, 2006, op. cit. 25. K. Omeje, High Stakes and Stakeholders: Oil Conflict and Security in Nigeria, Aldershot, Ashgate, 2006 ; M. Kaldor, T.L. Karl and S. Yahia (Eds), Oil Wars. How Wars Over Oil Further Destabilise Faltering Regimes, London/ Ann Arbor (MI), Pluto Press, 2007. 26. ICG, 2006, op. cit. 27. BBC News, Nigerian Troops Burn Delta Slums, London, BBC, 25 August 2006. 28. L. Hillary Bain, “Shell Shocked”, The Dominion, 2006. [http://dominionpaper.ca/environment/2006/03/20/shell_shoc.html]. 29. ICG, 2006, op. cit., p. 21. 30. BBC News, Tempting Riches of Nigeria Oil Crime, London, BBC, 30 August 2006. 31. Deux employés norvégiens et deux employés ukrainiens de la compagnie Trico Supply AS furent kidnappés sur leur bateau. Trico Supply AS est une filiale norvégienne d’une compagnie basée aux États‑Unis, Trico Marine, qui fournit des services de soutien maritime à l’industrie du gaz et du pétrole. Le navire d’approvisionnement avait été loué par Peak Petroleum. Les hommes furent par la suite libérés, sains et saufs (interview de l’auteur avec les otages norvégiens libérés). Voir également M. Bøås, “Kampen om oljen i Nigeria”, Dagbladet, 14 June 2006, p. 56 (op. ed ) ; et “Oljebanditer?”, Dagbladet, 20 August 2006, p. 44 (op. ed ). 32. C. Fithen and P. Richards, 2005, op. cit.

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VIII

Origines et signification d’un phénomène nigérian : le « Godfatherism » Chris Albin‑Lackey

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e portrait du politicien kenyan Charles Njonjo, qualifié de big man du Kenya, est devenu indispensable à la compréhension du clientélisme et de la gouvernance néopatrimoniale en Afrique1. Au cours des vingt dernières années, cette catégorisation a donné lieu à une série de variations qui tentent de rendre compte d’éléments importants et multiples de la thématique générale. La nécessité de considérer le recours à la violence comme une ressource politique n’est pas le moindre de ces éléments. Jean‑François Médard était conscient de ce problème lorsqu’il avait suggéré d’emprunter aux débats relatifs au pouvoir et à la domination en Papouasie-Nouvelle‑Guinée la distinction entre le big man, disposant d’une capacité de redistribuer les ressources, et le strong man, détenteur d’un pouvoir essentiellement fondé sur la capacité à instrumentaliser la violence et la coercition2. C’est au Nigeria que ces questions ont acquis une dimension emblématique, profondément enracinée dans le retour du pays à la « démocratie » depuis 1999. Le phénomène, désormais célèbre sous le nom de parrainage politique ( political godfatherism) renvoie, dans la culture politique du pays, à des individus capables de dominer les institutions publiques en faisant en sorte que leurs protégés occupent des postes élus et autres fonctions gouvernementales importantes3. Ces godfathers ne se contentent pas d’être de simples soutiens financiers de ces détenteurs de positions officielles ; leur réussite repose aussi sur leur capacité à ­mobiliser



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violence et corruption avec suffisamment d’efficacité pour gêner tous les concurrents éventuels de leurs protégés, tout en garantissant que les nombreuses transgressions de la loi impliquées demeurent impunies4. Il a été suggéré que les godfathers du Nigeria pouvaient être considérés comme une forme d’expression particulière d’un phénomène plus général, celui de l’émergence de strong men qui défient, par leur emploi de la violence, la domination du big man dans de nombreuses parties d’Afrique : Là où le « big man » combine pouvoir économique et fonctions économiques clés en tant qu’intermédiaire dans un environnement néo‑patrimonial, le « strong man » tire parti de sa capacité à contrôler des formes « illicites » de violence, au besoin par la manipulation de moyens publics de coercition. Le « strong man » peut être un seigneur de guerre ou un chef de gang ; il peut aussi être, comme on l’observe au Nigeria sous la IVe République, un politicien malhonnête ou son godfather 5.

Les parrains nigérians sont l’expression d’un phénomène fondamentalement distinct des modèles politiques associés aux concepts de big man, puis du strong man, qui prédominent dans de nombreuses parties de l’Afrique depuis les indépendances. Certes, ces hommes sont issus d’un cadre similaire à ceux qui ont produit ou sont influencés par des big men comme Charles Njonjo. En s’appuyant sur des recherches menées dans le pays au cours des deux dernières années, ce chapitre démontre en quoi les parrains du Nigeria contemporain sont fondamentalement différents des strong men qui dominent les institutions gouvernementales dans d’autres contextes. Leur influence et leur pouvoir croissants ont également contribué à pousser le système politique nigérian vers des horizons inexplorés. Depuis 1999, les institutions publiques de la IVe République du Nigeria ont été de plus en plus fortement marquées par l’incorporation de pratiques criminelles incontrôlées dans la poursuite d’objectifs légitimes de gouvernement6. Le résultat est une perversion non démocratique et souvent violente des idéaux fédéralistes du pays7. Son système politique n’est pas autoritaire au sens traditionnel du terme. Il ressemble davantage à une « autocratie électorale »8 dans laquelle l’accent formel mis sur les élections prétendrait masquer l’absence de



Origines et signification d’un phénomène nigérian

toute exigence de responsabilité des élites et l’importance persistante du clientélisme politique. Le fédéralisme demeure, en théorie, au cœur du système politique du Nigeria. En réalité, sur le terrain, son fédéralisme a dégénéré en une structure qui se contente d’accommoder une multiplicité d’espaces politiques décentralisés et anarchiques – qu’il s’agisse des 36 États et 774 gouvernements locaux, ou de parcelles plus réduites de terroirs politiques dont les contours ne sont pas formellement délimités9. La configuration politique actuelle contribue à accroître ou reflète, selon les cas, le pouvoir, l’activisme et la prolifération des parrains politiques au sein du pays. Ceux‑ci focalisent leur engagement dans la vie publique sur le contrôle personnel et l’attribution d’une portion du « gâteau national » (national cake) – c’est‑à‑dire l’accès direct aux revenus pétroliers du Nigeria, aux dépens d’une tentative plus large d’établir une hégémonie politique. La conception classique du clientélisme politique implique que le plus puissant des deux acteurs fournisse à celui qui l’est moins des bénéfices matériels en échange du pouvoir politique10. La relation parrain‑­protégé postule le contraire. Les parrains politiques du Nigeria ne s’intéressent pas du tout à l’exercice de fonctions publiques : ils travaillent à les dominer par procuration en les faisant occuper par des protégés qui seraient incapables d’y accéder par eux‑mêmes. Leur comportement reflète une perception qui réduit l’accès aux institutions gouvernementales à un investissement susceptible de produire davantage de richesse et de pouvoir personnel ; ceci implique également que les institutions concernées puissent être effectivement dominées de l’extérieur. Les parrains exigent des « retours » financiers réguliers de la part de ceux qu’ils placent à des postes de responsabilité publique. Ces retours sur investissement prennent la forme d’argent volé dans les caisses publiques par les détenteurs de fonctions officielles – soit directement, soit par le biais de marchés publics fantômes ou gonflés grossièrement – et remis aux mains des « parrains ». Ces derniers réclament fréquemment le pouvoir de contrôler les nominations à des fonctions gouvernementales qui relèvent des attributions formelles de leurs protégés, et de s’assurer que de nombreux contrats lucratifs soient octroyés aux individus de leur choix. En pratique, les godfathers s’approprient la capacité de leurs protégés en poste à dispenser des parrainages, multipliant ainsi le nombre de leurs protégés. Ces derniers deviennent autant de sources de retours financiers

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supplémentaires pour eux. C’est à l’échelon des États et des collectivités locales que le phénomène se manifeste de la manière la plus flagrante dans ce système fédéral à trois échelons qu’est le Nigeria. Ces parrains nigérians sont également uniques en leur genre du fait que leur pouvoir et leur pertinence découlent entièrement de leur compétence en matière d’activités criminelles. Ils financent des bandes d’hommes de main chargés de truquer les élections et de corrompre les officiers de police ou représentants du gouvernement qui pourraient faire obstacle à leur succès. Ce faisant, ils mettent les politiciens qu’ils parrainent dans une situation d’endettement permanent. Ils font également en sorte que ces dettes soient remboursées, si nécessaire en ordonnant des actes de violence débridée ou d’autres formes de vengeance criminelle contre les débiteurs qui s’avéreraient récalcitrants. Le fait que les revenus d’origine gouvernementale valent la peine que l’on lutte pour eux d’une manière aussi brutale atteste de la taille des revenus pétroliers gouvernementaux, mais aussi de la faiblesse des autres secteurs de l’économie nigériane11. PORTRAIT DE DEUX PARRAINS

Afin de mieux illustrer ce phénomène de parrains au Nigeria – et le degré auquel celui‑ci traduit une criminalisation plus vaste de la politique – les pages qui suivent sont consacrées à deux des parrains politiques les plus connus : le Chef Lamidi Adedibu de l’État d’Oyo dans le sud‑ouest du Nigeria, et Chris Uba de l’État de l’Anambra au sud‑est. On mettra l’accent sur leur rôle en politique sous la IVe République, plutôt que sur la présentation de leurs biographies. Dans le cas d ­ ’Adedibu, il y a d’ailleurs eu au moins une tentative récente, par Ebenezer Obadare, de présenter de façon détaillée ses origines et son histoire12. Adedibu aussi bien qu’Uba ont été interrogés en 2007 dans le cadre de recherches qui avaient pour fil conducteur les atteintes généralisées aux droits humains générées par leurs activités13. Sauf indication contraire, la plupart des informations qui suivent sont extraites de cette recherche. Lamidi Adedibu Lamidi Adedibu affirmait avoir fait de la politique dans le sud‑ouest du pays depuis 1951, neuf ans avant l’Indépendance du Nigeria. Initialement,



Origines et signification d’un phénomène nigérian

et alors qu’il était beaucoup plus jeune, on le dépeint généralement comme quelqu’un ayant travaillé localement à la mobilisation d’hommes de main pour l’Action Group (AG) d’Obafemi Awolowo. Après la mort de ce dernier en 1987, il s’est hissé avec succès à une position politique beaucoup plus importante14. Lorsque le Nigeria est revenu à un régime civil en 1999, il était parvenu à sélectionner et à contrôler étroitement au moins un des anciens gouverneurs de l’État d’Oyo, Kolapo Ishola15. À partir de 1999, L. Adedibu avait fait beaucoup plus que simplement conserver sa suprématie en matière d’intermédiation politique ( power broker) dans l’État d’Oyo. Si l’on en juge par les apparences, son pouvoir et son influence se sont accrus sous le gouvernement démocratique, du moins nominalement, du Nigeria, tandis que se renforçait également sa capacité à mobiliser impunément violence, corruption et autres modes illégaux de concurrence politique. Il est ainsi devenu l’un des exemples emblématiques du phénomène des godfathers sous la IVe République nigériane. Jusqu’à son décès en 2008, L. Adedibu affiche ouvertement son pouvoir politique ; dans un entretien télévisé, il affirmait ainsi négligemment : « De nos jours, j’ai le dernier mot sur les décisions politiques dans l’État d’Oyo ». Lors d’un entretien avec Human Rights Watch, il déclarait de manière similaire : « Je parraine tous les politiciens quels qu’ils soient. » De leur côté, les politiciens « parrainés » ne l’ont pas démenti. Le gouverneur actuel de l’État d’Oyo, Christopher Alao‑Akala (réélu en 2007), a ainsi reconnu que « le Chef Adedibu a parrainé tout le monde. Tous ceux qui exercent quelque influence dans la politique de l’État d’Oyo sont passés par [son domicile] ». C. Akala est un protégé de longue date d’Adedibu qui nous l’a d’ailleurs confirmé lui‑même : « Je l’ai parrainé pour devenir président du Conseil de son gouvernement local. À la fin de son mandat, je lui ai dit que c’était mieux de devenir vice‑gouverneur. » Et il en fut ainsi. C. Akala, devenu vice‑gouverneur du gouverneur Rashidi Ladoja du Parti démocratique populaire (PDP) à l’issue des élections de 2003, a ultérieurement été porté au poste de gouverneur lors des élections de 2007, ouvertement truquées dans tout le pays16. Ce n’est pas seulement le pouvoir politique d’Adedibu qui en fait un personnage emblématique du syndrome du godfather. Tout aussi cruciale est la façon dont il accumule le pouvoir tout en s’assurant la loyauté de ses protégés. L. Adedibu est un acteur très brutal qui s’appuie essentiellement

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sur une capacité à mobiliser la violence à la demande afin d’affirmer une influence politique et de garantir la loyauté politique des politiciens de l’Oyo. Le principal réservoir d’hommes de main politiques (political thugs) de cet État est la section fédérale du Syndicat national des travailleurs du transport routier (NURTW). Cette dernière est dominée par les « rabatteurs » qui opèrent sur les parkings, ils sont violents et sans emploi véritable, par opposition aux chauffeurs et autres travailleurs qui constituent la plupart des adhérents du syndicat ailleurs dans le pays. Avant 2003, L. Adedibu a parrainé un autre de ses protégés, Lateef Akinsola – plus connu sous le surnom de « Tokyo » – afin qu’il accède à la fonction de président de la section du NURTW pour l’Oyo. Grâce à celui‑ci et grâce à la distribution courante par L. Adedibu d’argent liquide et de nourriture à un noyau de membres du NURTW, Adedibu a depuis plusieurs années acquis la capacité de mobiliser une violence à grande échelle avec peu de difficulté. L. Adedibu n’a jamais hésité à montrer son pouvoir lorsqu’il était menacé. Tel fut le cas lorsque le candidat qu’il avait soutenu avec succès pour le poste de gouverneur en 2003, Rashidi Ladoja, élu sous la bannière du PDP, a essayé de se libérer de son contrôle presque immédiatement après avoir pris ses fonctions. R. Ladoja soutiendra qu’Adedibu réclamait d’énormes versements en espèces tirées des caisses de l’État, le droit de distribuer à ses compères les nominations au cabinet de R. Ladoja, et l’attri­ bution des contrats publics lucratifs à son profit et à celui de ses proches, afin de pouvoir détourner la majorité de l’argent engagé. Le gouvernement de R. Ladoja a réagi en inculpant Tokyo de meurtre et l’a emprisonné sans caution afin de tenter d’entamer le pouvoir d’Adedibu ; Ladoja a ensuite installé l’un de ses propres partisans à la présidence du NURTW. L. Adedibu, pour sa part, a régulièrement traité Ladoja d’« ingrat » tout en luttant sans la moindre retenue pour rétablir son contrôle sur le gouvernement de l’État d’Oyo. En 2005, il a fait en sorte qu’une tentative de destitution du gouverneur (impeachment) soit lancée par ses partisans au sein de l’Assemblée législative de l’État d’Oyo  : 18 des 32 députés ont tenté de voter la destitution du gouverneur Ladoja. Les fidèles de ce dernier affirment également que les partisans de cette mise en accusation étaient soit largement soudoyés, soit victimes de chantage, soit redevables envers L. Adedibu. Les péripéties de la procédure de mise en accusation ont profondément divisé l’assemblée de l’État d’Oyo, occasionnant de multiples



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actes de violences, alors que les législateurs favorables à Ladoja essayaient de s’opposer au vote. À un moment donné, un législateur favorable à L.  Adedibu a même poignardé l’un de ses collègues au sein d’une des ailes de la Chambre. Le vote visant à constituer la commission d’enquête qui devait mener à la mise en accusation de R. Ladoja a eu lieu après une fusillade entre partisans des deux camps rivaux ; une attaque d’hommes de main favorables à L. Adedibu a ensuite mis à sac la Chambre des députés et saccagé le bureau de Ladoja. Ce dernier a fini par être brièvement écarté de ses fonctions en 2006, avant d’y être rapidement rétabli car le vote contre lui n’avait pas obtenu la majorité des 2/3 exigée par la Constitution. Dès lors, L. Adedibu a poursuivi sa lutte contre R. Ladoja dans la rue. À l’approche des élections de 2007 au Nigeria, R. Ladoja a sollicité l’investiture du PDP pour un second mandat, tandis qu’Adedibu cherchait à l’évincer en faveur du vice‑gouverneur C. Akala. Les deux parties adverses ont mobilisé des factions rivales du NURTW, ainsi que divers autres groupes d’hommes de main, pour se livrer à des combats de rues. Tawa, le dirigeant de la faction du NURTW favorable à R. Ladoja, avait établi ses quartiers dans l’enceinte de la résidence officielle du gouverneur17. La guerre entre L. Adedibu et le gouverneur a atteint son paroxysme en février 2007, dans la ville d’Akure de l’État voisin du Ondo, quand le PDP a officiellement accordé son soutien à la candidature de C. Akala au poste de gouverneur. Des affrontements sanglants ont immédiatement éclaté entre partisans des deux camps adverses, se soldant par au moins quatre morts. Une fois R. Ladoja écarté de sa route, L. Adedibu, avec le concours de l’appareil du PDP dans l’État d’Oyo, est aisément parvenu à imposer C. Akala au poste de gouverneur lors des élections d’avril 2007. Les observateurs électoraux, qu’ils soient nationaux et internationaux, ont fait état d’intimidations et de fraudes systématiques, des bandes d’hommes de main du NURTW agressaient les électeurs et les partisans de l’opposition tout en attaquant les bureaux de vote pour voler les urnes en de nombreux endroits. Depuis, la position d’Adedibu dans l’État d’Oyo n’a jamais été aussi forte. Et à vrai dire, tous les signes concordent pour indiquer une loyauté indéfectible du gouverneur C. Akala envers son bienfaiteur. Les actions entreprises par L. Adedibu pour maintenir son emprise sur l’État d’Oyo après 2003 ont été majoritairement en violation claire de la loi. Loin d’être poursuivi par la police, il a bénéficié de l’affectation à son service d’un détachement d’officiers de la police mobile afin d’assurer

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sa protection en permanence. Lorsqu’il a été porté à la connaissance du public qu’il avait en toute illégalité conduit des agents électoraux à lui fournir six machines pour l’inscription des votants pour son usage personnel, la police s’est refusée à enquêter sur ce délit, passible d’une peine de prison d’un an selon la loi électorale du Nigeria. Il n’y a eu aucun signe d’enquête policière sur le soutien qu’Adibu a apporté au vu et au su de tous aux violences politiques contre les partisans de Ladoja, avant et au cours des élections de 2007. Il n’y a eu aucune réaction de la police ou du gouvernement fédéral afin de contenir les activités des bandes du NURTW liées à Akala et à Adedibu. Elles ont continué à commettre des exactions sanglantes contre les partisans de Ladoja – dont Tawa, son ancien protégé du NURTW – tout aussi bien qu’à l’encontre des citoyens ordinaires. En dépit de l’association à la fois centrale et notoire d’Adedibu à la violence, la corruption et autres violations de la loi, il a toujours été traité par les pouvoirs en place avec respect et fait même figure d’acteur légitime dans le processus politique. Il a bénéficié d’un accès aux couloirs du pouvoir bien au‑delà de son propre État. Tout au long de la période de l’administration Obasanjo, L. Adedibu a rencontré régulièrement le président, qui le considérait comme un partenaire pour la concrétisation des ambitions du PDP en Oyo. L’ancien président du PDP, Ahmadu Ali, n’a pas hésité à évoquer cet État en utilisant la métaphore d’une « garnison » dont L. Adedibu était le « commandant ». Sa position n’a pas été ébranlée par le départ d’Obasanjo : lorsque la directrice de l’Agence nationale pour l’administration des aliments et des médicaments (NAFDAC) du Nigeria a accusé L. Adedibu de commercialiser des contrefaçons de médicaments en octobre 2007, le commissaire de police d’Oyo a réagi en la critiquant publiquement18. Adedibu est décédé en juin 2008, âgé d’environ 80 ans selon les estimations courantes – lui seul connaissait probablement son âge exact. Son décès a suscité des commentaires venant de l’ensemble du Nigeria et de tous les segments de la population. De nombreux commentateurs ont exprimé un mélange de soulagement et de satisfaction devant sa disparition de la scène. Pour reprendre les propos d’un éditorialiste : Adedibu n’est plus. Nous ne devrions probablement pas nous réjouir de la mort d’un être humain, mais nous sommes incontestablement soulagés d’apprendre le départ d’une racaille qui a tout fait pour que



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la démocratie ne puisse progresser de son vivant. Souhaitons qu’il n’ait aucun successeur. Et que tous ceux qui, comme lui, ont pris cette nation en otage, le rejoignent. Le Nigeria sera sans aucun doute un endroit plus heureux sans eux19.

La réaction des élites politiques du Nigeria a toutefois été, dans la plupart des cas, totalement différente. Il n’est pas de meilleur témoignage de l’empreinte laissée par des hommes comme Adedibu sur la formation de la trajectoire politique du Nigeria que les hommages émotionnels que lui ont rendus des politiciens après son décès. Le PDP a ainsi appelé les Nigérians à une semaine de deuil pour marquer son décès20. Les principaux journaux étaient remplis d’encarts publicitaires achetés afin de déplorer sa disparition. L’ancien président Obasanjo lui‑même a qualifié la mort d’Adedibu de « fin d’une ère », tout en déclarant que « personne ne peut le remplacer ». Et Obasanjo d’ajouter que Adedibu l’avait appelé pour le saluer deux jours à peine avant son décès21. Un porte‑parole du Sénat nigérian déclarait également que « Nous [sénateurs] sommes en deuil et souhaitons à tous d’avoir pu profiter d’une manière ou d’une autre de son style de vie, fait d’une liberté de don aux nécessiteux et d’une priorité absolue accordée au bien-être de ses disciples »22. La plus intéressante des réactions est sans doute venue du protégé d’Adedibu, Alao‑Akala : « J’ai beaucoup de chance », déclarait le gouverneur. « Étant donné les enseignements que j’ai reçus de mon père (Baba), je peux faire face à n’importe qui23 ». Chris Uba Chris Uba est un godfather politique tout aussi célèbre et notoire au Nigeria que l’est le Chef L. Adedibu de l’État d’Oyo. C. Uba atteint l’apogée de son pouvoir en 2003, lorsqu’il a « parrainé » et contribué à truquer l’accession de candidats du PDP à des fonctions électives au sein de l’État d’Anambra – parmi ceux‑ci figurait le gouverneur d’alors, Chris Ngige. Après ces élections, C. Uba s’est publiquement vanté d’être le « plus grand “godfather” du Nigeria » tout en décrivant sa réussite comme « la première fois où un individu a, à lui seul, assuré la mise en place de chacun des politiciens de l’État »24. Chris Ngige est devenu gouverneur de l’État d’Anambra en 2003, à l’issue d’élections truquées et grâce au soutien d’Uba. En échange de ce

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soutien, il avait été contraint de renoncer, par écrit, à une grande partie de ses prérogatives. Leur accord était détaillé en des termes remarquablement clairs, par un contrat écrit et une « déclaration de loyauté » signés par les deux parties25. Aux termes de ce contrat, le gouverneur Ngige jurait « absolue fidélité » à Chris Uba et acceptait de lui garantir le contrôle sur les nominations à d’importantes fonctions officielles dont le cabinet du gouverneur. L’attribution de tous les contrats publics et autres décisions significatives devaient également lui revenir. Comme dans le cas d’Adedibu dans l’État d’Oyo, la violence associée à l’influence exercée par C. Uba sur la vie politique de l’État d ­ ’Anambra est apparue de façon particulièrement manifeste lorsque C. Ngige, l’homme qu’il avait aidé à accéder au poste de gouverneur, a essayé de se libérer de son influence. Ngige et Uba ont donné des versions différentes quant aux fondements de leur désaccord peu après la prise de fonctions de Ngige. C. Uba nie avoir fait des demandes explicites de compensation financière au‑delà du droit à s’approprier et à attribuer des contrats publics lucratifs. Ngige prétend pour sa part que l’argent était au cœur de leur querelle. C. Uba, selon lui, n’a pas cessé de faire « des demandes personnelles pour que j’aille à la trésorerie, prendre de l’argent et le lui remettre en liquide », et ce, pratiquement, dès le lendemain de l’accession à ses fonctions. Peu avant sa prise de fonctions comme gouverneur, Ngige affirme aussi que des hommes armés firent irruption chez lui et le forcèrent, sous la menace de leurs armes, à signer une promesse selon laquelle il verserait à Chris Uba 3 milliards de nairas tirés du Trésor public de l’État ­d ’Anambra. Uba a contesté cette version tout en reconnaissant que la tentative de Ngige de revendiquer son indépendance avait été au cœur de leur querelle. Sa position est que Ngige a rompu les termes de leur accord en n’offrant aucune des contreparties auxquelles C. Uba estimait avoir droit pour avoir permis l’accession de Ngige au poste de gouverneur. En nous recevant dans sa luxueuse maison de Enugu, C. Uba avait ajouté qu’il considérait que « le gouverneur avait essayé d’être plus malin, en dirigeant le gouvernement tout seul […] Le problème, c’est que Ngige était un politicien qui n’avait pas investi un naira, même pas un kobo, tout en voulant tout emporter, refusant également de partager les nominations ». Les tentatives d’Uba pour réaffirmer son contrôle sur l’empire politique, qu’il pensait avoir fondé à travers l’élection de Ngige, ont pris une



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tournure violente, comparable par bien des aspects à ce qui s’est produit en Oyo. En 2003, le gouverneur Ngige a été enlevé, apparemment par des policiers armés, puis forcé sous la contrainte de signer une « lettre de démission ». Ngige affirme qu’Uba était derrière cet acte. L’Assemblée législative, où les partisans d’Uba étaient nombreux à siéger, a accepté cette démission en dépit des circonstances dans lesquelles elle avait été obtenue. L’un des législateurs devrait expliquer plus tard que la plupart d’entre eux, lui‑même compris, étaient « assujettis » (in bondage) à C. Uba. Les tribunaux ont toutefois rapidement annulé cette décision. Face à ce revirement judiciaire, C. Uba a recouru à des tactiques encore plus violentes. En 2004, une bande importante d’hommes de main armés a attaqué des bâtiments publics – y compris la résidence du gouverneur partiellement réduite en cendres. La police n’est pas intervenue, se contentant d’observer les faits – 24 personnes furent tuées dans des échanges de coups de feu. Le gouverneur Ngige, comme une grande partie de la presse et de la société civile nigériane, a accusé C. Uba d’avoir orchestré cette attaque et voit dans le refus d’intervention policière une preuve de son implication. Les hostilités entre les deux hommes ont pris subitement fin en mars 2006, quand une Cour d’appel fédérale a jugé que les élections de 2003, qui avaient porté Ngige au pouvoir, étaient si manifestement truquées que leurs résultats devaient être annulés. Ngige a quitté ses fonctions et son adversaire lors de ces élections, Peter Obi, candidat d’un parti d’opposition, le All Progressives Grand Alliance (APGA), lui a succédé. On peut considérer que le départ de Ngige n’a pas véritablement affecté C. Uba puisqu’il avait perdu depuis longtemps toute influence sur le gouverneur. Quelques mois plus tard, les ambitions et le pouvoir de Chris Uba ont subi un autre revers dévastateur lorsqu’il a été écarté par son propre frère, plus puissant, Andy Uba26. Ce dernier, après avoir obtenu, avec le soutien actif de la présidence à Abuja l’investiture du PDP pour les élections au poste de gouverneur en 2007, a cherché à conforter son ambition en écartant son frère, afin de prendre le contrôle de la politique de l’État d’Anambra. Profitant de ce que Chris était en vacances à l’extérieur du Nigeria, Andy a poussé vers la sortie les fidèles de son frère contrôlant la direction du PDP pour l’État d’Anambra. La manœuvre, qualifiée de « coup d’État » par Chris, a alors permis à Andy de le marginaliser totalement au sein la scène politique. L’influence déjà déclinante exercée par

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C. Uba sur le pouvoir législatif a continué à s’affaiblir, et il a pratiquement disparu de la scène politique. Andy Uba, après avoir obtenu son investiture par le PDP, a remporté les élections du mois d’avril 2007, truquées à un point sans précédent, y compris à l’aune des expériences du pays en matière de manipulation cynique des autorités électorales. Chris Uba a subi ce qui fut probablement sa plus grande humiliation lorsque, durant la période du scrutin, il a été détenu deux jours dans une cellule de la prison d’Abuja, ceci afin d’éviter qu’il ne perturbe les élections. Les ambitions d’Andy Uba n’en ont pas moins, elles aussi, été contrecarrées. Alors qu’il avait été élu triomphalement en Anambra grâce à des élections truquées, quelques jours après qu’il eût pris ses fonctions, la Cour suprême du Nigeria a jugé que ces élections n’auraient jamais dû se tenir, le gouverneur Obi n’ayant pas eu la possibilité d’aller jusqu’au terme des quatre années de son mandat. Le pouvoir de C. Uba sur l’État d’Anambra s’était quant à lui largement évaporé à l’occasion de ces événements, mais il n’avait pas totalement disparu. Après les élections de 2007, il est resté membre du Comité directeur national du PDP. Quant à l’idée de le poursuivre ou même d’enquêter à son sujet pour les actes de corruption et les violentes exactions qui lui étaient directement attribuées – sans parler des personnes de son entourage – elle n’a, à ce jour, jamais été sérieusement soulevée dans les cercles gouvernementaux. VUE D’ENSEMBLE

L. Adedibu et C. Uba sont tous deux des personnalités hors norme  : l’échelle de leurs excès et de leurs performances politiques ne sont pas caractéristiques de l’élite politique du Nigeria. Mais leurs actions et la manière d’influencer les événements autour d’eux aident à mieux cerner les éléments de ce phénomène idiosyncrasique que constitue le parrainage politique. La plupart des godfathers nigérians sont moins célèbres et flamboyants qu’Uba et Adedibu, mais ils ont tous en commun certaines caractéristiques fondamentales. Ce qui caractérise un godfather (ou une « marraine », car il y en a quelques‑unes), c’est sa capacité à contrôler, grâce à la violence et à la corruption, des ressources associées à des fonctions officielles que notre « homme » n’occupe pas lui‑même.



Origines et signification d’un phénomène nigérian

Certains godfathers ont parfois exercé eux‑mêmes une fonction officielle, puis ont cherché à contrôler leurs successeurs après les avoir choisis et aidés, par la fraude, à obtenir cette fonction. Au cours de la campagne électorale de 2007, d’anciens gouverneurs qui ne pouvaient se représenter, ayant rempli les deux mandats auxquels la Constitution nigériane les limite, ont été accusés d’essayer de se positionner comme godfathers de leurs successeurs. Des personnalités notoirement corrompues comme Peter Odili, l’ancien gouverneur de l’État de Rivers et James Ibori, de l’État de Delta, ont été accusées d’appartenir à cette catégorie. Dans leur cas, les motivations pourraient comprendre non seulement la préservation de l’accès et le contrôle d’opportunités liées au clientélisme, mais aussi le désir d’éviter des enquêtes criminelles sur les exactions commises lorsqu’ils occupaient eux‑mêmes le poste. L’ancien président Olusegun Obasanjo a été accusé d’avoir tenté de se poser en une sorte de godfather extrêmement puissant du président Umaru Yar’Adua – Obasanjo avait choisi Yar’Adua, supervisé les élections fortement truquées qui l’ont porté au pouvoir, et s’était réservé la présidence du puissant Comité directeur du PDP. Il est impossible de confirmer ces motifs imputés à O. Obasanjo, P. Odili, J. Ibori et autres anciens fonctionnaires. Toutefois, au regard de la nature du système politique du Nigeria depuis 1999, il n’est pas difficile de saisir pourquoi nombreux sont ceux qui trouvent ces allégations crédibles. Dans d’autres circonstances, ce sont les godfathers eux‑mêmes qui, alors qu’ils occupent des fonctions gouvernementales, se servent du pouvoir et des ressources qu’ils leur confèrent pour installer leurs protégés à des postes que leurs propres fonctions ne leur permettent pas de contrôler officiellement. Ils exigent alors des retours de la part de ces protégés de la même façon que n’importe quel autre godfather. C’est ainsi que le commissaire aux Sports de l’État de Rivers jusqu’aux élections de 2007 est largement connu pour avoir usé de son influence et de son accès aux recettes publiques pour installer un protégé, notoirement violent, à la présidence de son administration locale : Etche. En retour, il est soupçonné de lui avoir réclamé des rétributions financières régulières, tirées des allocations budgétaires mensuelles. Cette administration présidée par Etche était, de fait, profondément entachée par la corruption et des détournements qui lésaient ses services de base, bien qu’il ait été impossible de justifier avec précision ce qu’il était advenu de ces recettes, pourtant substantielles27.

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La large diffusion du parrainage politique au Nigeria est un phénomène unique qui reflète – c’est la conclusion à laquelle l’auteur voudrait parvenir – l’évolution du système de gouvernement fédéral du pays. Alors que, dans nombre d’États africains, les luttes pour le contrôle politique se focalisent sur le centre, au Nigeria les luttes politiques les plus féroces et acharnées se déroulent souvent aux échelons locaux et intermédiaires – les États fédérés. Le fédéralisme, dans le contexte du système de gouvernance criminalisé et corrompu du pays, promeut une gestion décentralisée des milliards de dollars de recettes publiques entre 774 administrations locales et 36 États, susceptibles, pour la plupart, de passer sous le contrôle de l’entrepreneur politique local le plus puissant. C’est à cette multiplicité d’espaces politiques non démocratiques – mais dont aucun ne présente d’intérêt personnel direct pour les politiciens qui contrôlent le centre – que l’on doit la prolifération des godfathers au Nigeria, mais aussi à leur capacité à réussir individuellement tout en coexistant les uns avec les autres. Le parrainage politique est étroitement lié à la nature violente et corrompue de la vie politique du Nigeria. L’existence même des ­godfathers est en soi un témoignage quant à la nature de la IVe République nigériane, si l’on considère que leur influence présuppose une capacité à participer à la violence, à la corruption et autres activités criminelles ouvertement et en totale impunité : l’écran de fonctions officielles qui assureraient une protection contre la loi n’est même pas nécessaire. Les composants associés à l’établissement et au renforcement d’une position de godfather – tout comme les avantages retirés – sont tous illégaux, et pourtant il n’y a pas eu un seul cas qui, à quelque niveau que ce soit, ait été l’objet de poursuites pour ses crimes entre 1999 et 2007. Ceci traduit l’impunité générale qui, après avoir initialement conduit à ce phénomène, a ensuite favorisé l’enracinement de la violence et de la corruption dans la vie politique nigériane.



Origines et signification d’un phénomène nigérian

NOTES   1. J.‑F. Médard, « Charles Njonjo : portrait d’un “big man” au Kenya », dans E. Terray (dir.), L’État contemporain en Afrique, Paris, l’Harmattan, coll. « Logiques sociales, 19 », 1987, p. 49‑87.   2. J.‑F. Médard, « Le “big man” en Afrique : esquisse d’analyse du politicien entrepreneur », Année sociologique, 42(1) (La sociologie du développement  : bilan et perspectives), 1992, p. 167‑192.   3. J. Ibrahim, “The Rise of Nigeria’s Godfathers”, BBC News Focus on Africa Magazine, 10 November 2003.   4. Human Rights Watch Africa (HRWA), Criminal Politics: Violence, “Godfathers” and Corruption in Nigeria, New York, HRW, 17(16‑a), October 2007. [http://www.hrw.org/sites/default/files/reports/nigeria1007webwcover_0. pdf ].   5. D. Bach, “Inching Towards a Country Without a State: Prebendalism, Violence and State Betrayal in Nigeria”, in C.S. Clapham, J.L. Herbst and G. Mills (Eds), Big African States, Johannesburg, Witwatersrand University Press, 2005, p. 67.   6. Le terme d’« activité criminelle » doit ici être compris au sens le plus large possible afin de couvrir tous les délits commis par des fonctionnaires, ainsi que les violations graves du droit pénal nigérian pouvant aller de la fraude électorale à la corruption, en passant par l’agression et le meurtre.   7. Pour une présentation détaillée, voir HRWA, Election or “Selection?”: Human Rights Abuse and Threats to Free and Fair Elections in Nigeria, New York, HRW, April 2007. [http://hrw.org/backgrounder/Afrique/Nigeria0407/Nigeria0407web.pdf ]. La criminalisation de la vie politique au Nigeria a suscité des désillusions considérables à l’égard d’un système démocratique jugé purement formel. Selon une enquête d’opinion de 2007, huit ans après la fin du régime militaire, seuls 36 p. 100 des Nigérians avaient une vision positive de la démocratie dans leur pays ; Pew Global Attitudes Project, Global Opinion Trends in 2002‑2007: A Rising Tide Lifts Moods in the Developing World. Sharp Decline in Support for Suicide Bombing in Muslim Countries, coll. “47‑Nation Pew Global Attitudes Survey”, 24 July 2007. [http://pewglobal.org/reports/pdf/257.pdf ].   8. A.P. Schedler (Ed.), Electoral Authoritarianism: The Dynamics of Unfree Competition, Boulder (CO), Lynne Rienner, 2006.   9. Pour une discussion plus générale du déclin des institutions gouvernementales au Nigeria depuis l’indépendance, et de la montée de la violence

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politique et de la corruption, voir E.E. Osaghae, Crippled Giant: Nigeria since Independence, Bloomington, Indiana University Press, 1998. S.N. Eisenstadt and R. Lemarchand (Eds), Political Clientelism, Patronage and Development, Beverly Hills (CA), Sage Publications, 1981. P. Lewis, “Getting the Politics Right: Governance and Economic Failure in Nigeria”, in R.I. Rotberg (Ed.), Crafting the New Nigeria: Confronting the Challenges, Boulder (CO), Lynne Rienner, 2004, p. 99‑124 : R.I. Rotberg (Ed.), Crafting the New Nigeria: Confronting the Challenges, Boulder (CO), Lynne Rienner, 2004. E. Obadare, « Lamidi Adedibu ou l’État nigérian entre contraction et sous‑traitance », Politique africaine, 106, juin 2007, p. 110‑127. HRW, October 2007, op. cit. La trajectoire politique d’Adedibu est exposée en détail par E. Obadare (2007, op. cit.). Ishola a été en fonction pendant le bref intermède civil qui a accompagné la « transition » infructueuse amorcée, avant d’être finalement sabotée par Ibrahim Babangida en 1992‑1993. Ishola lui‑même, lors d’un entretien chez Adedibu à Ibadan, a confirmé : « Quand j’étais gouverneur, Adedibu était censé avoir été interdit [de politique] par l’armée, mais nous venions presque tous en cachette demander son soutien. » European Electoral Observation Mission (EUEOM) in Nigeria, Final Report, Gubernatorial and State Houses of Assembly Elections, 14 April 2007 ; et Presidential and National Assembly Elections, 21 April 2007. [http://www.eueom‑ng.org]. Plusieurs membres du NURTW ont essuyé des coups de feu et ont été blessés par des membres de factions rivales dans la période préélectorale. Vanguard, 31 October 2007. Six mois après avoir quitté le pouvoir, Obasanjo a également déclenché une controverse en qualifiant publiquement Adedibu de « père du PDP » ; This Day, 21 November 2007. S. Nda‑Isaiah, “May Adedibu Go Forever,” Leadership, 16 June 2008. Parti démocratique populaire, “PDP Declares 7 Days of Mourning,” This Day, 12 June 2008. J. Ajani and O. Ajayi, “Adedibu, Strongman of Ibadan Politics, Dies At 80”, Vanguard, 12 June 2008. [http://allafrica.com/stories/200806120274.html]. S. Ojeifo, “Senators Eulogise Him,” This Day, 12 June 2008. ThisDay, 19 June 2008. J. Ibrahim, 2003, op. cit.



Origines et signification d’un phénomène nigérian

25. Des extraits de ce contrat, que nous avons pu consulter, figurent en annexe de Human Rights Watch Africa (October 2007, op. cit.). 26. Les trois frères Uba ont tous figuré parmi les personnages politiques les plus puissants de leur État d’Anambra natal, depuis 1999. Ugochukwu Uba a exercé les fonctions de sénateur jusqu’en 2007, tandis qu’Andy Uba a occupé le poste de Conseiller spécial du président Obasanjo pendant presque toute la durée de ses huit ans à la présidence – il était alors désigné couramment et en plaisantant à moitié comme le « “godfather” de tout le Nigeria ». 27. Human Rights Watch Africa (HRWA), Chop Fine: The Human Rights Impact of Local Government Corruption and Mismanagement in Rivers State, Nigeria, New York, HRW, January 2007. [http://hrw.org/reports/2007/Nigeria0107].

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IX

L’État néopatrimonial au quotidien : politiciens, douaniers et milieux marchands au Niger Mahaman Tidjani Alou

C

e n’est pas sans hésitation que l’État du Niger s’est engagé, sous l’impulsion de la Banque mondiale (BM) et du Fonds monétaire international (FMI), à promouvoir des politiques de réformes macro‑­ économiques depuis le début des années 1980. En réaction à la crise financière provoquée par la baisse des recettes fournies par la rente de l’uranium1, de nombreuses mesures ont été adoptées, visant une libéralisation de l’économie et une meilleure mobilisation des ressources nationales. Ceci implique en premier lieu l’élargissement de l’assiette fiscale à travers un recouvrement plus effectif de l’impôt et une réduction de l’espace économique informel, c’est‑à‑dire, la partie de l’économie non encore « domptée » par l’État. D’autres mesures visent à augmenter des recettes douanières à travers la privatisation partielle des services douaniers dont certains pans ont été confiés, depuis 1997, à une multinationale basée en Suisse, la COTECNA, chargée du contrôle et de la vérification des valeurs des produits d’importation2. Or, sur cet aspect précis de la politique économique gouvernementale, les résultats enregistrés montrent une persistance dans les circuits de l’informel d’un nombre important d’opérateurs économiques qui ne ressentent pas le besoin de formaliser leurs activités commerciales, ni même de s’acquitter de l’impôt douanier dans le cadre de leurs transactions internationales. Une telle situation donne lieu à une prolifération de pratiques de contournement ou d’évitement de l’État. Celui‑ci se retrouve, d’une certaine façon, placé dans la situation



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de tierce partie, exclue de nombre des transactions qui se déroulent sur son territoire et cela au détriment des règles qu’il institue. Les terrains d’expression du néopatrimonialisme au Niger sont de ce fait nombreux et mettent en scène une grande diversité d’acteurs. Notre propos ici n’est toutefois pas d’étudier l’État néopatrimonial dans une perspective générale qui privilégierait le comportement des hommes politiques dans la gestion quotidienne du pouvoir politique, mais d’orienter plutôt le regard vers ses niveaux intermédiaires, relevant plus directement de l’action de ses agents dans leurs relations avec les usagers des services publics3. C’est donc surtout des bureaucraties d’interface qu’il sera question ici4. L’option retenue est d’explorer le terrain économique en privilégiant plus particulièrement les activités marchandes et les processus qu’elles génèrent dans leurs multiples interactions avec certaines administrations étatiques, en l’occurrence douanière. Commerçants et douaniers constituent par conséquent les deux pôles d’observation mis en avant afin de comprendre les pratiques de néopatrimonialisme au sein de l’État. Il s’agit ici de considérer que les relations corruptrices sont des sites privilégiés pour observer certaines figures du patrimonialisme telles qu’elles s’expriment au Niger. Une telle configuration met en scène l’État qui se présente ici comme un acteur omniprésent. Il prend surtout forme à travers les règles qui l’instituent. Celles‑ci permettent de l’entrevoir de façon abstraite et désincarnée tout en le symbolisant et lui donnant une certaine permanence au‑delà des hommes qui les appliquent. Les douaniers constituent un corps d’État à part entière, porté par une histoire singulière5. On pourrait dire qu’ils sont l’État objectivé dans un secteur d’activité déterminé ; les commerçants, pour leur part, constituent une des catégories d’usagers de cette administration. Pour les douaniers et les milieux marchands, le rapport à l’État fait figure d’enjeu central. Sa situation est des plus paradoxales, car il a lui‑même joué un rôle déterminant dans la structuration des milieux marchands6. Les détenteurs du pouvoir politique participent directement à la production des grands commerçants qui, à leur tour, contribuent largement au financement des activités des partis politiques au pouvoir. On peut d’ailleurs remarquer que la direction régionale de la plupart des grands partis est assurée par de grands commerçants. Ce choix n’est pas anodin. Il participe de la patrimonialisation des partis qui deviennent en



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quelque sorte leur « chose » à l’échelle régionale ou locale. Par ailleurs, l’État nigérien tire également d’importantes ressources de la collecte de l’impôt douanier, ce qui fait des douaniers un instrument prépondérant de sa politique économique. Lorsqu’ils les prélèvent à travers la taxation de porte7 pratiquée sur les marchandises qui entrent sur le territoire du Niger, les douaniers opèrent au nom de l’État, se parent de ses atours et s’en réclament pour imposer leur pouvoir à travers les fonctions qu’ils exercent. Bien que les discours officiels les présentent comme des agents attitrés de l’État, ils sont en réalité perçus comme travaillant pour leur propre compte, à cause des ponctions qu’ils opèrent sur les usagers en échange d’un allègement de l’application des règles qui organisent leurs activités8. Les douaniers disposent en effet d’une marge de manœuvre relativement importante, leur ouvrant des possibilités réelles d’actions autonomes qui les amènent à agir souvent pour leur propre compte, faisant de la profession, un métier fortement rentier. Les commerçants qui structurent ce que nous avons appelé les milieux marchands cherchent souvent à les utiliser ou à les contourner afin de minimiser les coûts liés au passage à la frontière de leur marchandise. Il s’agit pour eux de rechercher les moyens qui leur permettraient de contourner la réglementation étatique, au besoin en assujettissant ses agents (constitution de réseaux personnalisés au sein des administrations publiques) ou, du moins, en cherchant des arrangements ponctuels en dehors de tout cadre légal. C’est là qu’apparaît une dissociation nette entre l’État et ses fonctionnaires. En l’occurrence, le douanier s’arroge des prérogatives étatiques qu’il manipule à son profit personnel9. Aussi, utilise-t‑il sa position d’agent public pour se forger une rente de situation confortable, au détriment de l’État. Cette situation est rendue possible par les collusions qui se nouent entre douaniers, placés à des « postes juteux », souvent en raison de leur appartenance politique, et grands commerçants politiquement très orientés. Dans cette perspective, il devient alors possible d’analyser les pratiques de corruption chez les douaniers dans leur rapport avec les usagers, plus particulièrement avec les commerçants, comme un terrain fécond pour identifier et comprendre les pratiques de patrimonialisation dans les bureaucraties étatiques au Niger. Dans les pages suivantes, il s’agira d’abord de configurer le décor qui favorise le contournement de l’État. À ce niveau, les frontières constituent des terrains de prédilection où s’opèrent ces transactions de

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c­ ontournement. Il sera ensuite question de jeter un regard sur certaines pratiques de corruption propres au secteur douanier, qu’il est possible d’analyser comme des terrains d’expression du néopatrimonialisme. Un dernier aspect de la démarche permettra de caractériser les mécanismes de corruption qui émergent dans les relations entre douaniers et commerçants et qui donnent accès à certains aspects du fonctionnement de l’État néopatrimonial dans ce secteur particulier. Ce cheminement permet de mettre en évidence un État impuissant, face aux pratiques néopatrimoniales des acteurs qui l’animent et lui donnent corps. DOUANES ET FRONTIÈRES COMME ESPACES DE CONTOURNEMENT DE L’ÉTAT

L’administration douanière est avant tout un segment de l’État nigérien. Mais, elle a la particularité d’être installée au niveau des frontières. La douane ne constitue certes pas la seule administration identifiable à ce niveau, mais elle occupe une position prépondérante, notamment pour tout ce qui touche à l’importation de marchandises. D’ailleurs, au départ, les douaniers portaient la dénomination de « garde‑frontière » au moment de la création du corps au début du siècle ! L’appellation « douanier » n’apparaît que plus tard. Aujourd’hui, cette administration figure parmi les plus vieux corps d’État. En effet, l’implantation d’un régime douanier au Niger remonte à novembre 1913 même si celui‑ci sera supprimé en 1918 pour être finalement rétabli en 193810. Ainsi, l’administration douanière est apparue très tôt comme un symbole fort de l’État colonial dans ses entreprises de domination11. En effet, dès la première période de son existence, la douane a d’abord été conçue comme une administration de surveillance12, perçue par les populations comme un corps de ponction et de racket au profit du colonisateur. Ces images auront la vie dure, d’autant que dans un pays enclavé comme l’est le pays, la douane a constitué longtemps la principale source de revenus de l’État. L’exploitation des ressources uranifères, au cours des années 1970, a quelque peu amoindri sa position en tant que première pourvoyeuse en ressources financières du budget de l’État. Cette position, l’administration douanière l’a largement reprise, en raison de la baisse de la rente de l’uranium, et elle occupe sans conteste une place de premier ordre dans la politique de mobilisation des ressources internes de l’État. Entre 1995 et 1998, les recettes douanières



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sont passées de 29,3 milliards de francs CFA à 55,8 milliards de francs CFA. Elles représentaient alors plus de 40 p. 100 des ressources internes du budget national13. En outre, dans le contexte d’ajustement structurel que connaît le pays, la douane, comme on l’a montré, est au cœur de la politique économique et financière de l’État. L’administration des douanes du Niger compte de nos jours plus d’un millier agents14, tous grades confondus, répartis sur tout le territoire et en particulier dans les zones frontalières et sur les grands axes routiers. Elle donne l’image d’une administration réglementée et fortement organisée. En outre, elle fonctionne à la manière d’une entreprise privée moderne. En début d’année, l’État lui fixe des objectifs à atteindre en termes de recettes. Le directeur général des douanes s’acharne à les atteindre, car c’est selon ce critère que sa compétence et son efficacité sont mesurées. Lui‑même utilise ce critère pour les responsables de bureaux et de postes travaillant sous son autorité. Pour les stimuler et maintenir leur intégrité, les douaniers bénéficient de primes de rendement mensuelles (Taxes extra légales ou TEL), ainsi que d’une ristourne sur les dossiers contentieux qu’ils traitent. Pourtant, en dépit de ces mesures mises en place par l’État, l’espace douanier demeure un terrain privilégié pour observer les pratiques de contournement de l’État. Ce contournement s’opère à travers les relations personnalisées qui s’instituent entre douaniers et milieux marchands. Les milieux marchands nigériens frappent par leur hétérogénéité. Les commerçants qui les symbolisent s’ancrent dans une pluralité de figures. La figure classique du commerçant est bien connue. Il est illettré et évolue dans l’informel. Il brasse de nombreuses affaires, allant du transport de marchandises à des placements rentiers indifférenciés. Il gère ses affaires sans structure comptable formelle et verse volontiers dans l’ostentation. Emmanuel Grégoire, dans sa recherche remarquée sur les Alhazai de Maradi, avait essayé de reconstruire la structuration progressive de la profession en distinguant trois étapes successives : une première, se situant de la fin du xixe siècle au début du xxe siècle, a vu l’émergence de marchands d’envergure commerciale plutôt limitée et tablant leurs échanges sur des produits divers (tissu, cola) qu’ils rapportaient de Kano où ils vendaient du bétail et des peaux ; une seconde étape, qu’il situe au cours de la période coloniale, a vu l’apparition de nouveaux commerçants jouant un rôle d’intermédiaires entre les maisons de commerce européennes,

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les producteurs et consommateurs locaux. Pour E. Grégoire, ce groupe a bénéficié non seulement de l’économie de traite après 1945, notamment avec le développement de la production arachidière et l’organisation de son transport, mais aussi de la pénétration des produits manufacturés. Ce groupe a aussi bénéficié de l’appui de l’État nigérien favorisant son essor avec le retrait des maisons de commerce européennes. Une troisième étape a vu l’éclosion d’une nouvelle génération de commerçants beaucoup plus modernistes et entreprenants, investissant dans l’immobilier, le transport et même l’industrie. Ils sauront mettre à profit les circuits bancaires existants et tisser des réseaux commerciaux dépassant le cadre régional15. Depuis, de nouveaux réseaux sont nés dans la foulée des politiques de privatisation et de promotion du secteur privé. Ces politiques s’inscrivent dans le cadre des programmes d’ajustement structurel (mesures incitatives diverses de création de petites entreprises) et surtout à la faveur de l’ouverture des marchés dans un monde devenu de plus en plus globalisé. Aux figures déjà anciennes s’ajoute désormais une autre, marquée par des caractéristiques différentes16. L’apparition de ces réseaux sur le marché est récente et massive. Ils rivalisent dans la captation des marchés publics et leur capacité à les exécuter à moindres frais, au besoin en contournant ou en « négociant » le cordon douanier. PETIT INVENTAIRE DES PRATIQUES DE CORRUP TION ET D’ÉVITEMENT

Les pratiques corruptives constituent un site privilégié dans l’identification des figures du néopatrimonialisme au Niger. D’une part, ces pratiques mettent en évidence un État contourné, aussi bien par ses propres agents que par les usagers. D’autre part, l’ampleur prise par le dédouanement forfaitaire met à jour des processus de négociation multiformes associant aussi bien les douaniers que les commerçants, souvent au détriment des caisses de l’État. Le contournement de l’État Dans son discours officiel, l’administration douanière considère la fraude comme « une gangrène pour l’économie nigérienne ». Elle touche divers produits : pièces imprimées, tissus, thé, cigarettes, chaussures, hydrocar-



L’État néopatrimonial au quotidien

bures, appareils de musique, etc., introduits sur le marché sans réaliser les formalités douanières prescrites. La démarche consiste donc à contourner la réglementation douanière en jouant sur deux filières possibles. Dans un premier cas, il s’agit d’éviter les postes et les bureaux de contrôle des ­douanes. L’enjeu n’est alors pas tant de corrompre systématiquement les douaniers que de les contourner, les éviter autant que possible en empruntant des circuits non couverts par leurs services. Dans un second cas, il s’agit de « fermer les yeux des douaniers », c’est‑à‑dire de monnayer leur pouvoir de contrôle, leur discrétion moyennant rétribution. De telles pratiques sont courantes et difficiles à combattre en raison de l’institutionnalisation des réseaux frauduleux qui associent les acteurs les plus variés : les douaniers eux‑mêmes, mais aussi les populations qui en profitent à travers l’existence et le développement de « zones franches informelles » largement tolérées par l’État. La porosité des frontières du Niger, notamment celle avec le Nigeria, premier partenaire économique du pays, explique très probablement l’importance prise par ces pratiques. Leur origine est lointaine. Les historiens la situent au début de la période coloniale. Dans les années 1914‑1918, les pratiques frauduleuses semblent avoir motivé la mise en place des premiers postes provisoires de surveillance des frontières17. Mais elles n’ont pas été jugulées. Elles se sont même accrues et concernent désormais toutes les régions. Ainsi, « à l’origine, la fraude se faisait la nuit. Mais de nos jours, avec l’évolution de la technologie, la fraude se fait à tout moment, de jour comme de nuit »18. Elle semble s’être même transformée en culture : Quand vous prenez par exemple une brigade mobile qui poursuit un fraudeur, on sait bien ce qui handicape le plus l’économie du pays, c’est l’informel. Et bien une brigade qui poursuit un fraudeur et qui arrive dans un village ou même dans une ville, automatiquement la population oublie que la douane est là en train de travailler pour le pays, pour tous, et au lieu de lui donner un coup de main, le premier réflexe c’est plutôt de donner un coup de main au fraudeur pour qu’il fuie davantage, pour qu’il échappe à la douane, vous voyez ? (un adjudant des douanes en service à Niamey)

La lutte contre la fraude, à laquelle les pouvoirs publics accordent de plus en plus d’importance19, est perçue comme « le moyen approprié

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pour assurer une protection efficace de la production nationale contre la concurrence déloyale »20. Elle est également perçue comme un moyen important « au plan de la mobilisation des recettes, de la sauvegarde des intérêts du fisc et de l’activité économique »21. Parmi les explications évoquant la persistance de la fraude, on trouve la surévaluation des taxes douanières, de même que l’ingéniosité des fraudeurs à lier de nombreuses relations, y compris au sein même de l’administration douanière. La négociation avec l’État : le dédouanement forfaitaire L’activité de dédouanement se base sur l’application d’une taxation précise qui, pour être effective, exige de l’agent de douane un travail systématique de vérification des marchandises importées22. Cette opération implique une identification détaillée (en nombre, en qualité et en valeur) en vue de déterminer les taxes appropriées. Le travail est donc simple à exécuter puisqu’il s’agit d’appliquer la réglementation en vigueur, la tâche du douanier étant de vérifier et de corroborer le travail fait par le transitaire. C’est un travail long et fastidieux. Un transitaire rapporte qu’un dossier doit suivre plusieurs étapes : 1) chef de bureau, 2) recevabilité (vérification des documents) 3) enregistrement (l’informatique) 4) ventilation (savoir à quel vérificateur le dossier est destiné) 5) vérification, 6) apurement, 7) sortie. On peut faire ce circuit en 2 h de temps, mais les textes autorisent le douanier à détenir le dossier pendant 48 heures. En fait la durée du circuit dépend des largesses du transitaire ou de l’usager lui‑même, c’est‑à‑dire de sa capacité à donner de l’argent tout au long du circuit pour accélérer son dossier.

Les commerçants sont souvent pressés d’accomplir les formalités de sortie de leurs marchandises. La pratique du dédouanement forfaitaire découle en partie du pouvoir discrétionnaire dont dispose le douanier dans la détermination de la quantité de marchandises transportées, de sa qualité en partant de sa valeur. Pour les marchandises en provenance d’Europe, soumises au Programme d’inspection et de vérification des importations mis en œuvre par la COTECNA, le douanier ne dispose guère de marge de manœuvre. Mais pour le reste, il peut exploiter les faiblesses des normes



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juridiques en vigueur afin de réduire légalement la taxe douanière ; il peut aussi décider d’appliquer des forfaits qu’il détermine hors de toutes normes légales pour dédouaner des marchandises dont il ne connaît pas la valeur. C’est un des critères les plus porteurs pour ceux qui s’adonnent aux pratiques de corruption. Il s’agit de faire des dédouanements de faveur au détriment de l’État, en échange d’une rétribution dont le montant et la nature sont négociables. Ces pratiques courantes favorisent l’éclosion de collusions multiformes entre douaniers et commerçants. Le cas emblématique des convois L’exemple des convois23 permet d’illustrer cette connivence qui s’institue de fait entre les douaniers et certains commerçants. Les convois sont la traduction d’une stratégie mise en œuvre par les opérateurs économiques pour contourner les nouvelles réglementations induites par les mesures d’ajustement implémentées par l’État nigérien24. Bien entendu, les convois ne constituent pas la seule stratégie identifiable des commerçants. Cependant, on peut estimer qu’ils constituent un cas singulier qu’il serait intéressant de comprendre dans son contenu et ses conséquences. Mais, qu’est‑ce qu’un convoi ? Il ne s’agit surtout pas d’y voir une procession de camions, gros‑­ porteurs ou non, mis en convoi et qui assureraient le transport de certaines marchandises importées ou encore ces files incessantes de véhicules importés qui quittent le port de Cotonou vers le Niger ou le Nigeria. Le convoi, tel que présenté ici, n’est pas une organisation formelle au sens juridique du terme, mais une mutualisation par des commerçants des charges liées au transport et au dédouanement des marchandises qu’ils importent. Ces marchandises sont fort diverses et révèlent un négoce actif et rentable. Ce négoce concerne, comme Karine Bennafla25 l’a montré pour le Tchad, des produits d’origine asiatique et européenne. Il s’agit notamment de tissus ou tapis d’Orient, ou encore de bijoux en or, de vaisselle, de matériel électroménager et hi‑fi, de véhicules et pièces détachées de marque japonaise. On repère aussi des matériels divers comme les micro‑ordinateurs, le mobilier, la quincaillerie, etc. Toutes ces marchandises, qui arrivent par le biais des convois, sont vendues sur les marchés locaux et leurs prix concurrentiels permettent à beaucoup de commerçants d’honorer les marchés publics auxquels ils accèdent.

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En fait, les convois, dans le fonctionnement quotidien, génèrent des formes de sociabilité fortement personnalisées, puisant directement leurs références dans des relations socioculturelles préexistantes, qui leur servent de substrat. Les convois, dans leurs structures, privilégient des valeurs comme la séniorité, l’antériorité dans la profession ou les relations personnelles, d’où l’importance du capital social accumulé par les acteurs au cours de leur carrière de commerçant. Là où l’État prescrit des règles générales et impersonnelles, le système des convois oppose d’autres types de stratégies, plus orientées vers les acteurs et les réseaux qu’ils constituent, en privilégiant un code de conduite basé sur des relations personnelles au détriment des règles et des normes instituées par l’État. Ainsi, par ce système des convois, la réglementation douanière est contournée. Les chefs de convoi opèrent sans factures. Leurs transactions avec les douaniers ne laissent guère de traces écrites. Les valeurs des marchandises sont donc établies de façon forfaitaire afin d’obtenir un dédouanement au plus bas prix, qui est ensuite répercuté, comme on l’a vu, au niveau des commerçants engagés dans les convois. Mais l’efficacité du circuit, et même la condition de son fonctionnement, on le voit, repose, pour une très large part, sur une corruption à la chaîne qui, pour être efficace, a besoin de constituer des réseaux fonctionnels, de forger des habitudes et des complicités pour permettre au système de se pérenniser. MANIPULATION DES RÈGLES ET PRATIQUES D’INTERMÉDIATION

Les mécanismes de corruption, tels qu’ils se développent au sein de l’admi­ nistration douanière, révèlent l’existence d’un État largement manipulé dans ses règles. Y transparaît également un État largement phagocyté par les nombreuses pratiques d’intermédiation qui annihilent son autonomie. Les services douaniers fonctionnent sur la base d’une multitude de textes juridiques, dont les principales caractéristiques sont la complexité et l’opacité. Seuls quelques professionnels du métier et leurs commissionnaires ont la compétence requise pour les décoder. Ainsi, le douanier dispose d’un savoir basé sur la connaissance des règles multiformes qu’il est censé appliquer aux usagers de ses services. En plus de celles, classiques, qui relèvent du travail traditionnel de la douane, il existe tout un corpus de circulaires édictées par leur directeur général ou par le ministre des



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Finances en fonction, relatives à l’orientation particulière à donner à la politique économique du pays et que le douanier est chargé d’appliquer sur le terrain. Ainsi, il se trouve nanti de prérogatives professionnelles qui lui octroient des pouvoirs variés et changeants, que l’usager n’a jamais le temps, ni le moyen de connaître ou de maîtriser : le pouvoir de vérification du poids, de l’origine et de la valeur de la marchandise, le pouvoir de signature, le pouvoir de sanction, en cas d’irrégularité, et le pouvoir de transiger ou de négocier. Autant de ressources normatives qui lui attribuent de fait un fort pouvoir discrétionnaire de contrôle. Manipulation des règles Face aux services douaniers, l’usager commerçant est confronté à de nombreux enjeux : comment gagner du temps en contournant la réglementation douanière ? Comment minimiser les coûts du dédouanement en manipulant ces règles ? Quel que soit le cas de figure ici, sa mise en œuvre n’est pas possible sans la complicité du douanier. Deux cas de figure existent : Dans le premier, l’usager commerçant essaie de gagner du temps, en payant une commission « déflatée » au douanier, qui le laisse passer sans faire son travail normal. Il achète, à moindres frais, son indulgence ou son laxisme en l’empêchant d’exercer son pouvoir classique de contrôle. Pour l’usager, il faut éviter les files d’attente, le déchargement ou la fouille systématique qui font « perdre du temps ». Le gain du temps est fondamental pour maximiser les profits. Le témoignage d’un chauffeur est à cet égard édifiant : … disons aussi que c’est à volonté que certains commerçants cherchent à éviter le déchargement, parce que parfois, il y a des gens qui cachent sous le chargement une marchandise prohibée ou non dédouanée, donc il faut éviter le déchargement au risque de se faire découvrir et la meilleure façon de l’éviter c’est de chercher tout de suite à corrompre le douanier pour qu’il abandonne l’idée du déchargement. D’autre part, on sait aussi que certains douaniers qui menacent de décharger le véhicule n’ont pas les moyens humains pour le faire, en pleine brousse, un douanier te dit de décharger, tu sais toi‑même que c’est une simple menace, en réalité c’est pour te contraindre à lui donner quelque chose et c’est tout. Le rapport

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commerçant‑douanier est un rapport marchand, tous deux ferment les yeux sur l’intérêt national [...]26

La seconde option implique, pour l’usager, de minimiser les coûts du dédouanement de ses marchandises. C’est probablement à ce niveau qu’il faut rechercher les facteurs les plus pernicieux de la corruption douanière. En effet, le pouvoir de transaction du douanier l’autorise légalement à négocier des arrangements avec l’usager. Mais cette négociation, censée se faire au profit de l’État, cache souvent des finalités strictement personnelles. Aussi, l’un des mécanismes de cette corruption se situe‑t‑il au niveau de l’établissement de l’ECOR27. Là, le douanier, moyennant rétribution, peut manipuler les textes à souhait pour donner forme à une déclaration « arrangée » qui servira de base au dédouanement. Cependant, une telle opération n’est possible que si le douanier et l’usager s’assurent des complicités tout au long du circuit nécessaire aux formalités d’importation. Chaque étape de ce circuit peut exiger une renégociation des termes de la transaction initiale. Et même hors circuit, la marchandise n’est pas à l’abri d’un contrôle ex‑post de la part des services administratifs compétents de la douane. C’est dire qu’à ce niveau, la corruption ne peut pas prospérer sans l’existence dans l’administration douanière de chaînes dont les maillons sont consentants. On peut illustrer cette pratique de minimisation des coûts par l’exemple du dédouanement forfaitaire, pratique largement répandue qui consiste en l’utilisation abusive du pouvoir de transaction du douanier. Cette pratique est rendue possible par les incertitudes liées à la valeur des marchandises importées. L’ampleur prise aujourd’hui par l’utilisation des convois atteste de la généralisation d’un procédé qui réduit considérablement les revenus de l’État en procurant aux douaniers et aux commerçants des gains exorbitants en raison des facilités de dédouanement accordées des uns aux autres. Multiplicité des modes d’intermédiation Les pratiques d’intermédiation sont générées par la surréglementation et la complexité qui caractérisent le fonctionnement des services douaniers. On peut distinguer trois formes d’intermédiation : l’une institutionnelle que symbolise le transitaire ; une autre politique qui prend forme à travers



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les pratiques d’interventionnisme politique ; et la dernière sociale, qui en appelle aux relations sociales du douanier. L’intermédiation institutionnelle, initialement assurée par les sociétés de transit, a vu ses acteurs se diversifier progressivement. Ces sociétés, bien entendu, gardent toujours la part belle. Leur nombre a augmenté considérablement. Beaucoup opèrent hors normes. Elles occupent une position privilégiée dans le processus de dédouanement. La nature de leur activité en fait un partenaire obligé des services douaniers, qu’elles côtoient quotidiennement. Les transitaires ont pour tâche d’établir les déclarations en douane, de représenter l’usager auprès des services de la douane et d’effectuer le travail de dédouanement. Cette fonction les oblige à maîtriser toute la complexité de la réglementation et à gérer quotidiennement un réseau touffu de relations dans ce milieu, et cela, à tous les niveaux, du petit manœuvre au plus haut responsable, en passant par les secrétaires et autres agents occupant une quelconque position de pouvoir au sein de l’appareil de leur juridiction. Face aux usagers, ils sont les intermédiaires obligés des douaniers et beaucoup de transactions corruptrices passent par eux. Il leur revient souvent de trouver des arrangements au bénéfice de l’usager qui les emploie. Eux‑mêmes trouvent leur compte dans les transactions qu’ils négocient. Leur volume d’affaires dépend de leur capacité à maîtriser le circuit et faire sortir rapidement les marchandises de leurs clients. L’acquisition de cette maîtrise a un coût financier important qui implique pour le transitaire une forte capacité de redistribution à tous les niveaux de la hiérarchie. Dans une situation de corruption généralisée, ces transitaires deviennent de véritables vecteurs de corruption. La seconde forme d’intermédiation, de nature expressément politique, prend forme dans l’immixtion des autorités politiques dans le travail de l’administration douanière, limitant ainsi son autonomie et son impartialité dans l’accomplissement de ses tâches. À cet égard, tout au long des entretiens que nous avons réalisés, les douaniers ont souvent stigmatisé l’action des autorités politiques et administratives comme ayant des effets négatifs sur l’efficacité de leurs services. Ils dénoncent la forte collusion qui existe entre les hommes politiques et les grands commerçants. Ces derniers finançant les campagnes politiques, ils estiment normal d’être rétribués en retour une fois la victoire acquise. Cette redistribution passe

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par l’exemption illégale et informelle du paiement des droits de douane ou leur extrême minimisation. Pour le Syndicat national des agents des douanes (SNAD), il s’est instauré et institutionnalisé une impunité depuis l’avènement de la démocratie multipartite par le jeu d’une solidarité partisane commune à toute la classe politique nigérienne, caractérisée par le favoritisme et l’inégalité devant l’impôt au profit de certains opérateurs économiques qui ont constitué des provisions financières électoralistes à récupérer par tout procédé, une fois la victoire politique acquise28.

Le refus de s’acquitter des droits de douane est une des formes de rétribution qu’ils s’octroient en toute impunité, parce que bénéficiant de la protection des autorités politiques et administratives. Ces dernières interviennent dans le contentieux douanier pour dispenser les contrevenants des sanctions prévues par la loi à leur encontre. On a connu de tout temps les interventions intempestives des autorités politiques, coutumières et administratives pour demander des passe‑droits pour eux‑mêmes ou leurs parents et alliés. Nous avons souffert que ces mêmes autorités interviennent avec beaucoup d’énergie pour demander que telle ou telle marchandise (frauduleusement introduite) soit restituée, ou que telle valeur soit minorée. Cet interventionnisme est rentré dans les mœurs de notre service, il est récurrent et apparemment tous semblent s’en accommoder. Comment pouvait‑il en être autrement lorsque toute résistance à un niveau de chef d’unité est très souvent désavouée par la hiérarchie. Le phénomène de l’interventionnisme a désarticulé le service et (c’est son coté vicieux) a systématisé chez le douanier une autre manière (qui n’est pas orthodoxe) de se comporter et même souvent de se compromettre… Nous subissons chaque jour les assauts d’une classe de dirigeants qui se croient omnipotents…29

Ce faisant, les autorités favorisent la fraude douanière et le développement d’un secteur économique évoluant dans l’informel. En outre, elles créent chez les douaniers des frustrations personnelles démotivantes,



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car elles disqualifient le travail de contrôle et encouragent les collusions douaniers/fraudeurs. Les autorités politiques interviennent aussi dans la gestion des ressources humaines de la douane. Cette dernière étant perçue comme un secteur porteur, avec de réelles possibilités d’enrichissement, les amis politiques et les parents les sollicitent pour leur placement dans les postes dits « juteux », c’est‑à‑dire qui capitalisent une forte densité de transactions. Dans une telle situation, le directeur général des douanes ne dispose pas librement de son personnel, dont les postes d’affectation lui sont souvent imposés de l’extérieur. De telles pratiques ne lui permettent guère d’utiliser le principe de l’adéquation du profil de l’agent au poste qui lui est affecté. De manière générale, ces interférences politiques restent fortement liées, dans leur intensité, à la stabilité des régimes politiques. Avec les diverses successions au Niger au cours de ces dix dernières années, on peut imaginer, sans difficulté, la mobilité qui s’en est suivie dans l’administration douanière et l’état d’esprit qu’elle a généré, en termes d’accumulation rapide pour le personnel, en l’absence de garantie de stabilité au poste occupé. La troisième et dernière forme d’intermédiation, que l’on peut qualifier de sociale, tient à ce que le douanier est aussi souvent soumis à la pression de ses amis et de ses parents qui, à travers leurs interventions intempestives, l’obligent à contourner la règle et à agir en leur faveur. La fonction que moi j’ai eu à exercer, même à Gaya, je crois que le terme le plus fréquent c’est le terme d’arrangement là, essayez d’arranger. Chaque fois que je rédige une reconnaissance, et que je refuse un dédouanement sur une certaine base, ou on me dit « a gyara » (arrangeons‑nous), ou alors ce sont les marchandises de telle personne, ou alors on joue carrément sur nos relations. Ou on vous dit que le propriétaire de la marchandise il est tout pour vous, c’est l’ami de votre frère ou ceci cela, on vous cite des gens que vous connaissez déjà pour vous casser un peu moralement. (un contrôleur des douanes)

Là, la rétribution n’est pas nécessairement financière. Elle est symbolique et peut se traduire en capital social diversement reconvertible.

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IMPUISSANCE DE L’ÉTAT

Pourquoi les douanes sont-elles si peu efficaces dans la lutte contre la corruption ? La question incite à s’interroger sur l’une des spécificités de l’administration douanière du Niger, son système d’autocontrôle censé optimiser la collecte de l’impôt douanier. Il s’agit là d’un dispositif institutionnel assez étoffé puisqu’il comprend une direction des enquêtes douanières et de la surveillance du territoire (DCEDST), une inspection des services, une cellule d’intervention rapide (compétente au niveau national), des brigades d’intervention et de recherche, dites brigades mobiles (compétentes au niveau national), un système de stimulation des agents destiné à préserver le corps de la corruption par un système de récompense (la Taxe extra légale30, les ristournes sur contentieux, la médaille de mérite, etc.). À ceci s’ajoutent les activités de renseignement douanier, destinées à renforcer les capacités des services en matière d’information : tels la mise en place d’un outil informatique et de lutte contre la fraude31 et le programme d’inspection et de vérification des importations (PIV) exécuté par la COTECNA32. Une telle organisation aurait dû en principe prémunir son administration douanière contre la fraude et de la corruption. Les réalités sont tout autres. Il se dégage des résultats de nos enquêtes de nombreux éléments qui attestent de la vacuité de ce dispositif du fait de moyens matériels d’intervention limités (insuffisance et vétusté du parc automobile), d’un système de renseignement peu fiable, de ressources humaines mal gérées, d’une population hostile (stigmatisation de la fonction de douanier, protection des fraudeurs) et d’un interventionnisme politique intempestif qui sévit à tous les niveaux. L’État, à travers les règles qu’il institue dans ses différents périmètres d’activité, demeure au cœur de pratiques qui relèvent du néopatrimonialisme. La spécificité des configurations observées tient au niveau d’observation choisi – les administrations d’interface – autant qu’à notre choix d’observer les processus de patrimonialisation de l’État à partir du terrain de la corruption. In f ine, la patrimonialisation de l’État ne s’observe pas seulement au sommet de l’État, dans les comportements des dirigeants politiques. Elle est tout aussi repérable dans les administrations publiques où les agents de l’État utilisent leur pouvoir à d’autres fins, y compris personnelles.



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Nous retrouvons ici les logiques et pratiques néopatrimoniales étudiées par Jean‑François Médard. Parce qu’elles se situent, dans notre cas, à un niveau bien particulier, celui des bureaucraties d’interface, ces pratiques impliquent des fonctionnaires placés à divers échelons de la hiérarchie de leurs administrations. Ceux‑ci ne sont, pour autant, dénués de liens avec les sommets de l’État dont les tenants peuvent intervenir directement dans leur nomination. Dans ses écrits sur l’État néopatrimonial, J.‑F. Médard souligne d’ailleurs que l’importance de la confusion du public et du privé doit aller de pair avec une prise en considération du degré d’intériorisation des normes publiques33. Il est intéressant de relever, dans les cas que nous avons examinés, l’amenuisement certain et progressif de l’espace public. Celui‑ci est certes posé en tant que norme à travers les règles qui organisent le fonctionnement des services douaniers. Mais ces règles sont sans cesse contournées et parfois ignorées. À bien des égards, les services fonctionnent comme le domaine privé des fonctionnaires qui les gèrent. C’est à juste titre qu’on peut parler de « privatisation informelle »34. Des règles normatives donnent certes à ces services une dimension formelle évidente, mais celles‑ci sont sans cesse bafouées, donnant des services douaniers une image de services individuellement appropriés et accaparés par ceux qui ont la charge de les gérer. De ce fait, être nommé à ces positions administratives est fortement rémunérateur et permet d’enclencher divers processus de redistribution qui structurent des chaînes de corruption et assurent une pérennisation de ce système. Au‑delà des règles formelles, ce sont des administrations réticulaires qui s’installent. Celles‑ci sont apparentées à des réseaux de relations personnelles et ancrées dans les structures bureaucratiques de l’État. Le fonctionnaire est affecté à un « poste juteux » en raison de relations personnelles, construites par le truchement de la politique ou le biais d’autres relations sociales tout aussi porteuses et diversement convertibles sur le terrain administratif. Les pouvoirs en place ont tendance à installer « leurs douaniers » aux postes stratégiques afin de faciliter le passage de « leurs commerçants » qui jouissent ainsi de très nombreuses facilités. Les gains capitalisés dans un tel processus contribuent fortement au financement des campagnes électorales par les grands commerçants, et partant à l’acquisition progressive par ceux‑ci d’un pouvoir de production et de placement des hommes politiques pour asseoir leur influence. Dans un

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tel contexte, clientélisme et corruption font bon ménage pour maintenir l’État dans une situation d’impuissance. NOTES   1. P. Guillaumont et S. Guillaumont (dir.), Ajustement structurel, ajustement informel : le cas du Niger, Paris, l’Harmattan, coll. « Bibliothèque du développement », 1991 ; A. Woba, « Aperçu des politiques de développement et évolution économique du Niger de 1990 à 2000 », Sahel Dimanche, spécial 22 décembre 2002, p. 4‑5.   2. Il s’agit d’un maillage destiné à mettre en place un système de contrôle en amont et en aval en vue de réduire autant que possible la fraude sur les valeurs des marchandises à l’importation.   3. D. Darbon, « De l’introuvable à l’innommable  : fonctionnaires et professionnels de l’action publique dans les Afriques », Autrepart, 20, 2001, p.  27‑42 ; J. Copans, « Afrique noire  : un État sans fonctionnaires ? », Autrepart, 20, p. 11‑26, 2001 ; J.‑P. Olivier de Sardan, « La sage‑femme et le douanier. Cultures professionnelles locales et culture bureaucratique privatisée en Afrique de l’Ouest », Autrepart, 20, 2001, p. 61‑73.   4. M. Lipsky, Street‑Level Bureaucracy: Dilemmas of the Individual in Public Services, New York (NY), Russel Sage Foundation, 1980 ; V. Dubois, La vie au guichet : relation administrative et traitement de la misère, 2e éd., Paris, Economica, coll. « Études politiques », 2003 ; G. Jeannot, Les usagers du service public, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Que sais‑je ?, 3359 », 1998.   5. B. Chalfin, “Global customs regimes and the traffic in sovereignty: Enlarging the anthropology of the State”, Current Anthropology, 47, 2006, p. 243‑276.   6. J.‑L. Amselle et E. Grégoire, « Complicités et conflits entre bourgeoisies d’État et bourgeoisies d’affaires  : au Mali et au Niger », dans E. Terray (dir.), L’État contemporain en Afrique, Paris, l’Harmattan, coll. « Logiques sociales, 19 », 1987, p.  23‑47. E. Grégoire et P. Labazée, « Approche comparative des réseaux marchands ouest-africains contemporains », dans E.  Grégoire et P. Labazée (dir.), Grands commerçants d’Afrique de l’Ouest : logiques et pratiques d’un groupe d’hommes d’affaires contemporains, Paris, Éd.  Karthala/Éd. de l’ORSTOM, coll. « Hommes et sociétés », 1993, p. 9‑36. Y.‑A. Fauré et J.‑F. Médard (dir.), État et bourgeoisie en Côte d’Ivoire, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés, Sciences politiques et économiques, 2 », 1982.



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  7. La taxe de porte, c’est l’impôt prélevé par l’État sur tous les produits d’importation.   8. M. Tidjani Alou, « La petite corruption au Niger », Études et travaux du LASDEL, 3, novembre 2001, p. 11‑20.   9. J.‑P. Olivier de Sardan, 2001, op. cit. 10. K. Idrissa, « Histoire des douanes nigériennes  : la première expérience d’une administration douanière ou l’échec d’une politique économique, 1898‑1918 », La France et l’outre‑mer. CHEFF, 1998, p. 132. 11. La partie sud du territoire nigérien constitue une zone frontière avec la zone d’influence anglaise en Afrique de l’Ouest. 12. Voir la carte des services des douanes, 1914‑1918 (K. Idrissa, 1998, op. cit., p. 175). 13. Interview de M. Diallo Mamadou Yacouba, directeur général des Douanes, Revue des douanes nigériennes, 2, août 1999, p. 9. 14. Interview de Mme Idrissa Zeinabou Yabo, directrice générale des Douanes, Revue des douanes nigériennes, 1, août 1998, p. 8. 15. On trouve une analyse similaire dans J.‑L. Amselle, « Fonctionnaires et hommes d’affaires au Mali », Politique africaine, 26, 1987, p.  63‑72 ; E. Grégoire, Les Alhazai de Maradi, Niger, Bondy, Éd. de l’ORSTOM, coll. « Travaux et documents, 187 », 1986, p. 181‑183. 16. M. Tidjani Alou, « État, réseaux marchands et mondialisation. Le cas des convois au Niger », Nouveaux cahiers de l’IUED, 15, 2004, p. 125‑140. 17. K. Idrissa, 1998, op. cit., p. 175. 18. Voir la Revue des douanes nigériennes, 3, 1999, p. 13. 19. Voir « Compte rendu de l’atelier sur l’élaboration d’un plan national de lutte contre la fraude douanière au Niger », Revue des douanes nigériennes, 3, décembre 1999, p. 11‑34. 20. Revue des douanes nigériennes, op. cit., p. 5. 21. Revue des douanes nigériennes, op. cit. 22. Loi no  61‑61 du 31 mai 1961 déterminant le régime douanier de la République du Niger, Journal officiel, no 4 du 26 juillet 1961. Cette loi a été modifiée à plusieurs reprises. Voir aussi ses différents décrets d’application. 23. M. Tidjani Alou, 2004, op. cit., p. 125‑140. 24. Il faut dire que l’État nigérien, sous la pression des syndicats, avait interrompu son programme avec les institutions de Bretton Woods. Les nouvelles équipes gouvernementales issues du régime de transition démocratique mis en place après la conférence nationale en 1991 avaient elles aussi compté sur la mobilisation des ressources internes pour accroître les recettes de l’État. Elles ont, par conséquent, refusé de renouer avec

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la Banque mondiale. Mais ces solutions s’étaient avérées improductives, poussant le gouvernement en place en 1995 à reprendre les négociations avec la Banque mondiale. On peut dire que la privatisation partielle de la douane s’inscrit dans la logique des mesures d’ajustement ainsi préconisées. K. Bennafla, « Entre l’Afrique noire et le monde arabe  : nouvelles tendances des échanges informels tchadiens », Revue Tiers Monde, 152, octobre‑novembre 1997, p.  879‑896 ; et « Tchad  : l’appel des sirènes arabo‑islamiques », Autrepart, 16, 2000, p. 67‑86. M. Tidjani Alou, 2001, op. cit., p. 18. Nous n’avons pas pu trouver le sens exact de ce mot pourtant largement utilisé dans le milieu douanier, où il est synonyme de dénombrement des marchandises. Voir la déclaration du secrétaire général du SNAD radiodiffusée du 12 février 2001. I. Yacouba, « Grandeur et misère d’une carrière », Bulletin off iciel d’information et de sensibilisation du CDTN, spécial 1er mai, 2001, p. 15. La TEL permet de faire des prélèvements pour permettre le paiement des heures supplémentaires. En fait, les sommes collectées sont redistribuées à tous les douaniers à la fin de chaque mois. Elles équivaudraient au montant de leur salaire mensuel. H.G. Traoré, « Lutte contre la fraude : un nouvel outil informatique et de communication », Revue des douanes nigériennes, 1, 1998, p. 12‑15. J.‑L. Palé, « Programme d’inspection et de vérification des importations en République du Niger », Revue des douanes nigériennes, 1, août 1998, p. 17‑25. J.‑F. Médard, « L’État néopatrimonial en Afrique noire », dans J.‑F. Médard (dir.), États d ’Afrique noire  : formation, mécanismes et crises, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 333. G. Blundo et J.‑P. Olivier de Sardan, « La corruption quotidienne en Afrique de l’Ouest », Politique africaine, 83, 2001, p. 32‑33.

La diversité des interprétations et transcriptions : comparaisons internationales

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Oligarchisme et caciquisme : dérives et attributs de l’État philippin contemporain Dominique Caouette

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n février 2006, alors que les Philippines s’apprêtaient à fêter les 20 ans de la révolte populaire qui avait mis fin à la dictature de Ferdinand Marcos1 la présidente Gloria Macapagal-Arroyo proclamait l’état d’urgence. Déclarant qu’elle venait de déjouer une tentative de coup militaire planifiée par un certain nombre d’officiers des forces d’élite, elle interdisait les rassemblements populaires, imposait un couvre‑feu et autorisait des arrestations sans mandat2. Simultanément, elle accusait également la gauche communiste d’avoir concocté une alliance tactique avec ces militaires afin de renverser le gouvernement. Un peu plus d’une semaine plus tard, soit le 3 mars, G. Macapagal-Arroyo annonçait qu’elle était en mesure de lever l’état d’urgence, affirmant que le calme était revenu et qu’elle était à même de contrôler la situation. Ce nouvel épisode de l’imbroglio politique qui caractérise les Philippines depuis la « transition démocratique » d’il y a vingt ans, illustre bien les difficultés et contradictions inhérentes à une démocratie inachevée, greffée sur une structure de pouvoir oligarchique, des forces armées de plus en plus politisées, et une société civile qui voit dans la rue un exutoire à ses frustrations. Au‑delà d’un électoralisme douteux et de l’idée d’une démocratie malmenée, sujette à des crises soudaines et imprévisibles, c’est la continuité avec le passé qui frappe au regard de la nature des luttes politiques depuis ces deux dernières décennies.



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Ces pages constituent une tentative de restitution des modalités d’expression du patrimonialisme aux Philippines. Après une présentation des racines historiques du régime politique, on s’attachera à comprendre les mécanismes, en particulier le contrôle des luttes électorales qui ont permis, et permettent toujours, aux élites oligarchiques de conforter leur mainmise sur l’État philippin. Il sera en particulier question de son double caractère, à la fois patrimonial et oligarchique. S’inspirant des thèses de Max Weber, le qualificatif « d’État oligarchique patrimonial » proposé par Paul D. Hutchcroft est particulièrement approprié3 afin de saisir les dynamiques politiques du pays. Selon l’auteur, les Philippines illustrent bien cette forme étatique dans laquelle « la force sociale dominante possède une base économique indépendante en grande partie de l’appareil étatique, où néanmoins l’État joue un rôle central dans le processus d’accumulation de la richesse »4. Ainsi, tout comme dans les États patrimoniaux en général, il existe une mince séparation entre le privé et le public, mais plus précisément, dans ce pays, ce sont les élites terriennes constituées de grandes familles capables d’imposer leurs vues et visées sur l’appareil bureaucratique et même électoral qui déterminent ce caractère oligarchique. Ainsi, contrairement à un État patrimonial de type classique où le contrôle de l’appareil administratif est central, le centre de pouvoir repose à l’extérieur de la bureaucratie, qui reste totalement pénétrée et loyale aux intérêts de différentes factions de l’oligarchie terrienne et souvent incapable de mettre en place de véritables réformes5. LES FONDEMENTS D’UN ÉTAT PATRIMONIAL ET OLIGARCHIQUE

Afin de mieux saisir l’importance et l’interpénétration entre économie et politique aux Philippines, il importe de remonter à la période de la colonisation par les États-Unis, au tournant du xxe siècle. Si l’on reprend la périodisation proposée par Gary Hawes6, trois grandes périodes se sont succédé, à savoir l’émergence d’une oligarchie terrienne lors de la colonisation américaine ; puis, une diversification des intérêts de l’élite après la Seconde Guerre mondiale ; et enfin, une désintégration de cette cohésion intra‑élite durant les années 1960. C’est en examinant la mise en place d’une élite terrienne liée aux marchés internationaux par le biais des cultures destinées à l’exportation, que l’on arrive le mieux à saisir en



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quoi le système politique est devenu oligarchique. La courte période d’industrialisation par substitution des importations observée au début des années 1960 a créé d’importantes tensions au sein de cette élite, mais le contrôle de l’appareil politique par cette dernière n’en a pas vraiment été modifié. L’émergence et l’importance des mobilisations populaires à la fin de la dictature de Ferdinand Marcos n’ont pas véritablement remis en cause cet héritage. La colonisation espagnole C’est avec la colonisation espagnole au xvi e  siècle que l’on voit se mettre en place les grandes familles terriennes, qu’Aguilar7 qualifie de « caciques ». Ces grandes familles formées en grande partie des anciennes élites autochtones constitueront le noyau de l’oligarchie terrienne 8. N’ayant pas vraiment trouvé d’or ou de métaux précieux, la colonisation espagnole se caractérise par le peu d’investissement en infrastructure. Une grande partie de la gestion de la colonie est d’ailleurs sous la responsabilité d’une multitude de congrégations religieuses qui, au fil des ans, sauront acquérir le contrôle d’une bonne partie du territoire de l’archipel9. De fait, pendant longtemps, Manille, la nouvelle capitale, n’est guère plus qu’un grand entrepôt pour les produits provenant de/ou destinés à la Chine. La soie et les porcelaines chinoises sont achetées avec l’argent du Mexique pour être revendues avec d’énormes profits de l’autre côté du Pacifique et en Europe. C’est à la fin du xviiie siècle, lorsque le port de Manille s’ouvre au commerce international et aux vaisseaux étrangers, qu’émerge la première véritable incitation à la commercialisation à plus large échelle de produits agricoles tropicaux, tels le sucre, l’indigo, et l’abaca10. Alors qu’en 1855, les exportations de sucre totalisaient 53 000 tonnes et celles d’abaca 12 000 tonnes, 40 ans plus tard, ces exportations sont respectivement de 376 000 et 7 000 tonnes11. Avec l’essor du commerce de ces produits tropicaux, les meztisos (métisses nés d’un père chinois ou espagnol et d’une mère philippine) réalisent l’importance qu’il y a à accumuler de la terre. La colonisation américaine Les luttes pour l’indépendance de la fin du xixe siècle et la colonisation américaine à partir de 1898 à la suite de la guerre hispano‑américaine

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ne vont guère modifier cette concentration des meilleures terres arables, spécialement autour des cultures d’exportation. En fait, l’insertion de l’économie philippine dans la sphère économique américaine, à travers une série de traités, aura surtout pour effet d’intensifier leur place, tout en renforçant la concentration des terres entre quelques mains12. À travers ce processus de monopolisation terrienne, la colonisation américaine va contribuer, de manière significative, à la consolidation d’une oligarchie nationale solidement établie et bien en vue alors que se mettent en place des institutions politiques bicamérales, inspirées du Congrès, mais sans véritable ajustement. Ainsi que l’explique Benedict Anderson13, « ce nouveau système de représentation se révèle être tout à fait adapté aux ambitions sociales et géographiques des nouveaux riches mestizos, leur base économique étant enracinée dans l’agriculture d ­ ’hacienda et non dans la capitale ». Cette oligarchie terrienne va graduellement asseoir son contrôle non seulement des institutions nationales, mais aussi locales en supervisant notamment les postes électifs et en tissant tout un réseau de patronage. Elle n’assume pas d’emblée la variété de postes administratifs, mais promeut plutôt une suite de fidèles qui doivent leurs situations professionnelles aux faveurs et aux largesses de leurs « parrains »14. De plus, son statut et son prestige social sont également consolidés par l’inscription de sa progéniture dans les meilleures universités américaines. Celle‑ci finira d’ailleurs par constituer une nouvelle classe de professionnels dans les domaines de la médecine, du barreau et des autres professions libérales15. À travers ses réseaux, cette oligarchie terrienne établit également une maîtrise de l’ensemble de l’appareil bureaucratique. C’est durant cette période, marquée par l’adoption en grande partie du système électoral américain, que se forgent les caractéristiques particulières du patrimonialisme philippin. Du fait de critères restrictifs – linguistiques, de propriété et d’alphabétisme –, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, seuls 14 p. 100 de la population peut voter, ce qui circonscrit de manière significative les possibilités de participation populaire16. En outre, le système électoral qui prévoit un seul représentant par district prend rapidement un tour oligarchique et patrimonial. La grande variété des langues locales permet aux politiciens d’utiliser non seulement le pouvoir de l’argent, les liens patrons‑clients, mais aussi les barrières linguistiques comme sources de légitimation et de domination. Ce système électoral



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assure une certaine stabilité politique, car il disperse le pouvoir de manière horizontale à travers l’archipel. Il permet également la formation de liens verticaux, car les oligarques terriens s’assurent d’une certaine représentation à Manille. Toutefois, il n’y a pas de création d’une bureaucratie professionnelle centralisée17. En fin de compte, la période coloniale américaine se traduit par l’établissement d’un État où l’élite terrienne contrôle fermement « tout autant l’économie que le politique »18. Ce système demeure relativement stable durant l’ère américaine grâce au libre accès économique qui est offert, en particulier à l’industrie sucrière, au marché des États‑Unis, alors l’un des plus protégés du monde19. Cette industrie prend d’ailleurs un énorme essor car l’accès à ce marché lui permet de vendre du sucre à des prix beaucoup plus élevés que sur le marché mondial, ce qui assure la consolidation d’une oligarchie sucrière. L’époque américaine est également propice à l’émergence de nouvelles grandes familles du fait de la vente de 400 000 acres de terres agricoles des plus fertiles, confisquées par les Américains aux congrégations religieuses. Le contrôle oligarchique de la législature coloniale permet aussi le « pillage » des trésors publics à travers des institutions gouvernementales telles que la Banque centrale des Philippines. En dépit des trente‑cinq années durant lesquelles sont organisées des élections, celles‑ci n’engendreront pas la moindre législation destinée à avoir des effets bénéfiques pour la population philippine dans son ensemble20. Vers une démocratie oligarchique L’occupation japonaise (1941‑1945) ouvre la porte à l’indépendance, sans toutefois modifier un système de domination où continuent à s’entremêler pouvoir politique et pouvoir économique. Ce dernier reste largement concentré entre les mains de l’oligarchie terrienne organisée autour de grandes familles souvent sous l’égide d’un patriarche21. Si l’occupation japonaise et la guerre ont affecté de manière significative l’économie, elles n’ont pas pour autant permis de briser le contrôle oligarchique malgré une pression grandissante des paysans résistants qui, au moment de l’indépendance, vont exiger une série de réformes relatives en particulier au contrôle de la terre22. L’aide, les investissements et le soutien militaire des États‑Unis dans la lutte anti-insurrectionnelle est déterminante pour la restauration de l’ordre oligarchique. Trois accords bilatéraux avec ce

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pays s’avèrent décisifs pour le rétablissement de cette mainmise politique et économique  : le Tyding Rehabilitation Act, garantit aux Philippines 620 millions de dollars US pour la reconstruction du pays et en particulier une réhabilitation rapide du secteur agro‑exportateur ; un second traité garantit aux Américains le contrôle et l’utilisation de leurs bases militaires (23  installations réparties sur l’ensemble de l’archipel) pour 99 ans23. Enfin, le Bell Act rétablit le libre‑échange entre les deux pays, permettant ainsi un meilleur accès au marché américain pour les produits philippins24. Jusqu’à la fin des années 1950, ce système économique, essentiellement fondé sur les exportations agraires vers le marché américain, permet à l’oligarchie terrienne de maintenir son contrôle politique. Des balances de paiements de plus en plus négatives, dues à la réduction des dépenses américaines aux Philippines associées à une baisse des prix des produits d’exportation et une augmentation des coûts des biens d’importation, conduiront le gouvernement philippin à mettre en place une série de politiques associées au modèle d’Industrialisation par substitution des importations (ISI). Ces politiques industrielles associées à un nouveau militantisme étudiant et ouvrier vont créer certains remous à l’intérieur de la coalition gouvernementale sans toutefois remettre en question le caractère oligarchique de la gouvernance. Alors que l’économie se modernise peu à peu tout en conservant son caractère agraire, il est possible de voir émerger de manière plus précise les caractéristiques associées à l’État néopatrimonial oligarchique. Le système électoral s’est également adapté aux conditions de l’indépendance, dans un pays dénué de bureaucratie centrale cohérente et solide, sans armée professionnelle et où le contrôle de la police et des armées privées est fragmenté et dominé par des oligarques provinciaux25. L’argent et la violence deviennent deux composantes intrinsèques des luttes politiques, conduisant à un pillage encore plus intensif des finances publiques et à la formation de réseaux complexes de machines politiques souvent organisées autour d’un oligarque ou d’une famille puissante26. Les tactiques électorales déployées vont de l’achat de votes à l’intimidation directe par des milices privées27. Alors que dans la période de l’aprèsguerre, ces milices avaient pour fonction première de contrôler et de réprimer les mouvements paysans, celles‑ci sont maintenant déployées dans le cadre de compétition intra‑oligarchique28.



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CACIQUISME ET DICTATURE : FERDINAND MARCOS (1972‑1968)

Avec la montée des demandes de participation populaire, les tensions se développent à l’intérieur de la coalition oligarchique autour du type de politiques à favoriser. Alors que les politiques de substitution des importations s’essoufflent, le FMI et la Banque mondiale deviennent des acteurs essentiels, à travers l’octroi de prêts croissants au gouvernement philippin, afin de couvrir les déficits récurrents de la balance des paiements29. Maintenir le modèle de gouvernance oligarchique apparaît de plus en plus difficile dans un tel contexte. C’est alors qu’émerge la figure de Ferdinand Marcos qui, élu en 1965 et réélu en 1969, proclame la loi martiale en 1972. Domination oligarchique et logiques de connivence Marcos était confronté à l’impossibilité d’une nouvelle réélection et à la lenteur des travaux d’une Convention constitutionnelle qui aurait dû, selon ses plans, proposer la mise en place d’un système parlementaire pouvant assurer la pérennité de son régime. Celui-ci va choisir de centraliser d’une manière inédite l’ensemble du pouvoir politique et de briser le modus operandi oligarchique caractérisant les Philippines depuis les débuts de la colonisation américaine. La déclaration de la loi martiale marque le début d’un régime autoritaire caractérisé par la domination du président et de sa famille, des cronies et des militaires. P. D. Hutchcroft définit les cronies comme étant les individus et les familles les plus favorisés par le régime30. D’ailleurs, pour l’auteur, les Philippines constituent une forme de booty capitalism (capitalisme du pillage) marquée par l’extraction massive et récurrente de privilèges et de ressources étatiques de la part des cronies et des grandes familles oligarchiques, d’où l’importance des luttes interoligarchiques31. Marcos n’est pas le seul dirigeant autoritaire en Asie du Sud‑Est à cette époque. Qu’il suffise de citer Mohammed Suharto en Indonésie ou les généraux au pouvoir en Thaïlande et en Birmanie. Néanmoins, Marcos et ses acolytes (cronies) illustrent sans doute le mieux les formes prédatrices de gouvernance patrimoniale, tant le pillage de l’État et du trésor public est organisé de manière discrétionnaire et orientée en vue

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de soutenir un réseau de patronage privé étendu à travers l’ensemble du territoire. De plus, il n’existe pas, pour ainsi dire, une tradition bureaucratique indépendante ou encore une armée professionnelle. Au contraire, Marcos saura rapidement s’allier de larges secteurs des forces armées et policières qu’il met à son service. L’accroissement des effectifs de l’armée va de pair avec leur implication croissante dans le maintien de l’ordre civil, des opportunités élargies pour participer directement ou indirectement à la vie économique et, pour les soldats, des augmentations de salaire32. Afin de s’assurer leur loyauté, Marcos sait habilement redistribuer, qu’il s’agisse de « la gestion des propriétés confisquées à des opposants, des entreprises publiques, des biens immobiliers ou autres »33. Dans le même temps, Marcos se présente à l’étranger comme une force stabilisatrice et un allié indéfectible des Américains, embourbés au Vietnam et soucieux de maintenir leurs bases en Asie du Sud‑Est. Il tire ainsi parti de l’importance stratégique des bases militaires mises à la disposition des États‑Unis afin de remplir ses propres coffres34. Faisant un large usage de la violence, le régime civil philippin met en place un système de monopoles qui va ruiner l’économie philippine, alors même que le régime des militaires thaïlandais s’avère à la fois moins coercitif et plus propice à un boom économique35. Ce pillage personnalisé du président et de ses alliées ne se fait pas sans résistance. Dès la fin des années 1970, la guérilla dirigée par le Parti communiste philippin (CPP) s’intensifie, de même qu’un mouvement d’opposition au sein des grandes familles oligarques isolées du pouvoir et dans certains cas dépossédées par ce régime. Cette opposition multiforme s’élargira particulièrement après l’assassinat de l’opposant au régime, Benigno Aquino lors de son retour d’exil politique36. Face à cette opposition et au scepticisme grandissant des Américains, Marcos opte pour la voie électorale et annonce une élection présidentielle impromptue en novembre 198537. Cependant, ce calcul lui joue un tour. En 1985, le mouvement d’opposition s’est élargi, il comprend alors une bonne partie de la classe entrepreneuriale, une partie de l’Église catholique (y compris certains membres de la hiérarchie), des membres des classes moyennes38, plusieurs secteurs populaires importants, l’intelligentsia, et plusieurs jeunes officiers militaires et aussi un nombre important d’oligarques exclus du cercle restreint des protégés du chef de l’État. En marge du dépouillement des



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scrutins, en février 1986, qui donnent Marcos gagnant face à la candidate vedette Corazon Cojuangco Aquino, veuve de Benigno Aquino, deux acolytes du président, son sous‑chef d’état-major Fidel Ramos et son ministre de la Défense Juan Ponce Enrile déclenchent une mutinerie. Celle‑ci est soutenue par une émeute populaire en réponse à l’appel de l’opposition, en particulier celui de l’influent Cardinal Sin. Devant l’impasse et le retrait du soutien des Américains, Marcos et sa famille acceptent de quitter le pays pour un exil douillet à Hawaii. LE RETOUR DES OLIGARQUES

Durant les premiers mois de la présidence Aquino, la vie politique semble placée sous le signe de l’ouverture, avec la formation d’un cabinet qui comprend plusieurs représentants de la société civile, et des personnalités qui n’ont pas nécessairement de liens avec les grandes dynasties oligarques 39. Cette ouverture démocratique va être de courte durée. La coalition réunie autour d’Aquino s’avère trop hétérogène, tandis que l’armée et plusieurs éléments de l’oligarchie restent méfiants face à des personnalités jugées trop menaçantes pour leurs intérêts. L’armée reste toutefois trop divisée pour prendre le pouvoir, comme le montre l’échec de six tentatives de coup d’État. Néanmoins, ces rébellions vont inciter le gouvernement en place à renouer avec les logiques de fonctionnement oligarchique. Lorsque prend fin le mandat d’Aquino, une véritable restauration oligarchique a pris place. Celle ci s’est traduite par la restauration d’une grande partie des privilèges des cronies de Marcos et une approche laxiste lors des poursuites judiciaires40. Les instances électorales nationales, le Congrès et le Sénat, jouent à nouveau leurs fonctions premières de pacification face à une population mobilisée autour de la destitution de Marcos. En même temps, les quelques mesures législatives qui avaient une teneur sociale, tel le programme de réforme agraire, ont été progressivement vidées de leur contenu41. L’élément marquant de la fin du régime d’Aquino est son transfert pacifique du pouvoir, après l’élection de Fidel Ramos, ancien chef d’étatmajor puis ministre de la Défense. Ramos rétablit les finances publiques en faisant appel aux institutions financières internationales. Comme l’écrivait Damien Kingsbury, les structures de pouvoir sous‑jacentes ne changent pas vraiment. Ce que l’on peut observer c’est une première forme

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de néopatrimonialisme à caractère technocratique, Ramos se présentant comme un gestionnaire entouré d’une équipe de technocrates dont un contingent important d’économistes néolibéraux. Il terminera son mandat en 1998 avec l’élection de Joseph Estrada, ancien acteur de cinéma, personnage populiste et charismatique, précédemment maire d’une des municipalités de la région métropolitaine de Manille et vice‑président durant le mandat de Ramos. La présidence d’Estrada sera de courte durée. Rapidement, il mine plusieurs des efforts de paix menées par son prédécesseur avec les rebelles musulmans et les communistes. De plus, sa gestion économique est désastreuse. Comme l’observe Walden Bello : « Joseph Estrada était un pratiquant invétéré, mais aussi maladroit, du capitalisme de crony42. » Ainsi, il ne remet pas en question le modèle patrimonial de la démocratie oligarchique philippine qui continue sa restauration amorcée depuis la révolte d’EDSA. Au cours de cette présidence, il devient de plus en plus clair que l’administration et les candidats qui s’opposent n’ont pas véritablement de programmes politiques et économiques. Il apparaît aussi que le système électoral mis en place depuis 1986 reproduit celui d’avant 1972, qui encourage le maximum de compétition entre les factions politiques tout en maintenant une forme de front uni contre tous changements véritables. Certains, tel Walden Bello43, parlent du système d’EDSA comme un système à deux visages. D’un côté, c’est une organisation démocratique au sens formel de la tenue d’élections et de l’égalité des votes. De l’autre, il est excessivement dispendieux, et maintient l’ordre socioéconomique en place, ce qui permet aux élites de changer de manière périodique. À l’inté­ rieur de ce système, les masses philippines sont manipulées au profit des luttes entre les élites44. Depuis la révolte d’EDSA, les régimes qui se sont succédé n’ont pas été capables d’amener la prospérité promise, de réduire les inégalités et de stopper l’exode des Philippins (près de 10  p.  100 de la population, soit 9 millions vivent à l’extérieur des Philippines et 3 000 Philippins quittent chaque jour le pays pour travailler à l’étranger). De plus, il n’existe pas encore une bureaucratie solide et impartiale capable de mettre en place de véritables politiques et programmes. En 2001, à la suite d’un scandale financier durant lequel Estrada tente d’acheter les membres du Congrès, une nouvelle mobilisation s’organise. Appelée EDSA II, cette nouvelle émeute est celle des classes moyennes urbaines. Elle mène au départ du président et à l’arrivée au



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pouvoir de la vice‑­présidente Gloria Macapagal-Arroyo. Nouvellement installée aux commandes du pays depuis février 2001, Arroyo doit faire face à un nouveau soulèvement en mai 2001. Cette fois, il s’agit d’une mobilisation des classes populaires, certaines franges financées par les partisans loyaux d’Estrada, mais également des groupes sociaux favorables à son discours populiste. Populaire, arrivée au pouvoir avec une grande légitimité, Arroyo est la fille d’un ancien président philippin. Lorsqu’elle accède à la présidence, elle est considérée comme intègre bien qu’il soit évident que sa famille et son mari soient enracinés dans l’oligarchie politique. Rapidement ­confrontée à une résurgence de la rébellion musulmane et aux groupuscules armés et terroristes tels qu’Abu Sayyaf sur l’île de Mindanao, elle choisit les solutions du passé, c’est‑à‑dire ouvrir à nouveau les portes du pays aux forces armées américaines grâce à une entente d’exercices militaires conjoints, assortie d’une assistance financière et militaire substantielle. Il s’agit là d’une solution pratique à court terme qui lui permet de consolider son tout nouveau régime. Mais elle doit aussi répondre aux attentes des masses populaires, surtout des classes moyennes descendues dans la rue pour la soutenir lors du renversement du président Estrada. Le 11 septembre arrive donc à un moment opportun et Macapagal‑Arroyo sera une des premières à soutenir les États‑Unis dans leur aventure afghane. Elle se montre aussi des plus ouvertes à explorer les possibilités qu’offre la constitution philippine quant au déploiement de forces américaines à des fins d’exercices conjoints avec l’armée philippine. C’est d’ailleurs sous cette clause que sont arrivés en janvier 2000 un premier contingent de conseillers militaires américains mais aussi des promesses d’aide financière importantes perçues comme essentielles à la relance de l’économie. L’armée philippine, alliée d’Arroyo, y trouve également son compte avec l’arrivée d’équipements neufs et l’utilisation de matériel de détection par satellite qui réduit le nombre d’embuscades et de pertes face aux rebelles. Néanmoins, la manière de confronter la crise à Mindanao, selon une logique militaire, ne résout aucunement les conflits sociopolitiques qui existent sur l’île quant au contrôle de la terre, à la distribution de la richesse, au contrôle de l’appareil politique par les élites économiques et à la marginalisation économique des groupes autochtones, des paysans sans‑terre, des travailleurs agricoles et ouvriers urbains, qu’ils soient chrétiens, musulmans ou animistes.

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En 2004, Macapagal‑Arroyo arrive à se faire élire grâce à une très mince majorité qui, d’ailleurs, est rapidement remise en question lorsque l’enregistrement d’une conversation téléphonique au cours de laquelle elle demande au responsable de la Commission électorale de lui assurer une avance d’un million de votes est diffusé dans les médias. Depuis, les problèmes s’accumulent : tentatives répétées de coup d’État, échec des négociations de paix avec la rébellion communiste et piétinements dans sa stratégie face aux groupes musulmans de Mindanao, malgré un appui militaire et financier substantiel de la part du gouvernement américain. Plongée dans la tourmente politique depuis le milieu de 2005, la présidente Gloria Macapagal‑Arroyo s’accroche au pouvoir alors que son navire prend l’eau de toute part. En juin 2005, elle a dû reconnaître publiquement avoir communiqué avec un haut responsable de la Commission électorale au moment du dépouillement des scrutins en mai 2004. En septembre, elle survit à une procédure de destitution initiée par des membres des partis d’opposition au Congrès. En février 2006, elle proclame l’État d’urgence au moment où se préparent d’imposantes manifestations pour célébrer les 20 ans de l’émeute populaire d’EDSA et le départ de Marcos. Accusant une section des forces armées de vouloir fomenter un coup d’État, elle fait arrêter trois responsables militaires, interdit les manifestations prévues et ferme un quotidien. L’anniversaire tourne à la résistance citoyenne. Les pressions viendront de toutes parts : des alliés traditionnels, des ex‑présidents, des membres influents de l’Église catholique et de la société civile et aussi de certains États de la communauté internationale. Une semaine plus tard, l’État d’urgence est levé, la présidente déclarant que l’ordre et le calme sont revenus. Depuis, les rumeurs de soulèvement persistent et reviennent périodiquement. Bien que souvent non‑fondées, il n’en reste pas moins que le régime devenu funambule marche sur un fil qui s’amincit de jour en jour. Si d’un côté, la société civile philippine reste mobilisée et la presse relativement libre, de l’autre, les disparités économiques sont aujourd’hui les plus aiguës de la région avec un coefficient Gini de 0,46. De plus, le pays obtenait en 2005 le classement peu enviable de 117e pays sur 159 par l’organisation Transparency International 45 sur son index de la perception de la corruption, en chute de plus de 15 places par rapport à l’année antérieure. Tout aussi inquiétant est le fait qu’aujourd’hui les Philippines sont considérées par l’organisation Reporters sans frontières comme l’un



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des pays les plus dangereux pour les journalistes46. Le climat d’impunité actuel est des plus préoccupants et le nombre croissant d’assassinats en 2006 par des escadrons paramilitaires en témoigne47. L’analyse des régimes politiques aux Philippines est riche de concepts et typologies suggérés pour tenter de rendre compte d’une histoire complexe48. Pour certains, tels Carl Lande49, Thomas Novak et Kay Snyder50, ce sont les liens complexes de patronage et de clientélisme qui décrivent le mieux et permettent de comprendre l’exercice du pouvoir. Pour d’autres, tel Gary Hawes51, il serait plutôt adéquat de parler aux Philippines d’une certaine forme d’autonomie étatique, quoique nettement moindre que dans les nouveaux pays industrialisés de l’Asie de l’Est et affaiblie par les luttes internes de la bourgeoisie52. Nombre d’auteurs, dont David Wurfel53, ont vu dans la dictature de Ferdinand Marcos l’expression d’un État néopatrimonial dans sa version la plus répressive et centralisée. David Wurfel suggère qu’en fait, sous Marcos, le système politique dans son ensemble était devenu beaucoup trop complexe, que la base du pouvoir du dictateur s’étendait bien au‑delà du contrôle de l’appareil bureaucratique et qu’il est préférable de parler d’autoritarisme patrimonial ou encore de néopatrimonialisme en tant que forme hautement personnalisée mais aussi institutionnalisée de pouvoir politique54. Enfin, certains proposent plutôt une vision sur le long terme, tels B. Anderson55 et Paul D. Hutchcroft56, qui voient plutôt l’épisode Marcos comme l’expression quasi caricaturale d’une logique de pouvoir inhérente au système politique qui a été consolidé durant la période américaine (1898‑1946). Le premier préfère parler de « démocratie caciquiste » et le second d’État patrimonial oligarchique, où l’importance du contrôle du jeu électoral lui‑même devient l’une des règles implicites de l’exercice du pouvoir patrimonial. SYNTHÈSE

Longtemps considéré comme le prototype d’une transition démocratique pacifique, les Philippines célébraient en février 2006, le 20e anniversaire du soulèvement populaire contre Marcos en 1986. Cet anniversaire au goût plutôt aigre‑doux a eu le mérite d’exposer au grand jour comment l’imbroglio politique philippin s’inscrit dans la continuité et la ­consolidation d’un régime politique patrimonial dans un contexte de

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démocratie oligarchique. Plutôt que de chercher l’événement ou la crise, il importe aujourd’hui de chercher quelles sont les tendances de fond et les ­composantes de la vie politique philippine qui se reproduisent. En ceci, le régime de la présidente Macapagal‑Arroyo révèle un nombre important d’éléments de continuité. Un premier élément de continuité est sans doute la persistance de la mainmise des grandes familles oligarchiques encore enracinées dans la propriété terrienne sur le système électoral. Cette structure de pouvoir ne date pas d’hier et plusieurs comme B.  Anderson57 et D.  Wurfel58, font remonter ses origines à la période américaine qui a vu se mettre en place un système électoral hautement fragmenté. En fait, ce système a été si bien copié qu’il existe aujourd’hui un nombre impressionnant de postes élus. On estimait au milieu des années 1980, qu’il y avait un élu pour 1 400 électeurs. Cependant, loin de permettre une plus grande démocratisation, cela a conduit plutôt à la canalisation de la participation électorale vers une série de réseaux clientélistes complexes et de machines politiques59. La particularité de ce système, en plus d’être des plus dispendieux, est qu’il a permis de sécuriser et d’asseoir le pouvoir des oligarques. Dans ce contexte, l’ère Marcos mérite d’être vue comme celle d’un big man ou de l’ultime « cacique »60. Depuis EDSA et malgré l’introduction de certains éléments de proportionnalité dans les processus électoraux, les postes au Congrès et surtout au Sénat restent l’apanage d’une oligarchie résiliente et traversée par d’intenses luttes de pouvoir comme dans tout système néopatrimonial. Second élément troublant, mais qui reflète bien aussi cette forme de continuité, c’est la politisation croissante des forces armées et l’impossible institutionnalisation du pouvoir. Avec la proclamation présidentielle 1017 et l’arrestation de plusieurs dirigeants militaires, dont le Brigadier Général Danilo Lim et le Colonel Ariel Querubin en 2006, le gouvernement philippin en était à sa douzième tentative de coup d’État depuis le soi‑disant retour à la démocratie en février 1986. Qui plus est, Lim, Querubin et leurs acolytes n’en étaient pas à leur première tentative : ils avaient déjà lancé une première mutinerie contre Arroyo en 2003 et Lim avait lui participé à une tentative de coup d’État contre la présidente Aquino en décembre 1989 avant d’être finalement amnistié, apparemment afin de ramener l’harmonie au sein des forces armées. Aujourd’hui, la mutinerie ou la menace de mutinerie, telle l’occupation d’un centre commercial des



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beaux quartiers de Manille en 2003, sont devenues des formes de moyen de pression et de négociations pour les militaires. Dernier élément au tableau, le rôle des élections. Loin d’être l’indicateur du caractère démocratique du pays, elles semblent aujourd’hui profondément questionnées. Comme l’atteste la crise qui a suivi la diffusion de la conversation téléphonique relative à la présidente Arroyo, le rôle des élections en tant que canal d’expression politique a certainement du plomb dans l’aile. Les récentes campagnes électorales ont vu resurgir une multitude de formes d’accords, de tractations et d’alliances tactiques entre la gauche radicale et la droite, entre mouvements populaires et oligarques, et entre guérilleros et politiciens traditionnels. Bref, bien que le système limité de représentation proportionnelle ait permis l’émergence de partis sectoriels, le système électoral reste dans son ensemble profondément douteux, car il réussit bien mieux à pourvoir aux demandes et aux pressions politiques des élites qu’à permettre la mise en place d’une gouvernance démocratique. Comme il a été démontré dans le passé par P. D. Hutchcroft61, qui parle d’un État patrimonial oligarchique et par B. Anderson62 qui évoque l’idée d’une démocratie caciquiste, l’analyse des différents régimes politiques qui se sont succédé depuis la colonisation américaine révèle plusieurs des attributs du néopatrimonialisme : un lien étroit entre les intérêts privés et publics, des institutions politiques faibles et facilement manipulables, le favoritisme et la domination des réseaux clientélistes63. De plus, l’étude de ces régimes révèle la faible capacité de l’État philippin à mettre en place des politiques transparentes et imputables64. De plus, les processus électoraux sont l’occasion de luttes intra‑­ oligarchiques où le charisme, l’argent et l’utilisation de la violence s’entremêlent, non sans rappeler le phénomène des « hommes puissants »65, et le rôle du politicien investisseur66. Les études de John Sidel67 et Jose F. Lacaba68 sur les « caïds » régionaux, celle d’Alfred McCoy69 sur les grandes dynasties familiales ainsi que celle de Jennifer Franco70 sur l’importance des réseaux clientélistes font écho aux travaux de Marshall D. Sahlins et Jean‑Patrice Lacam tout en offrant un éclairage philippin à la récente discussion de Gero Erdmann et Ulf Engel71. Il apparaît donc que pour comprendre les dynamiques politiques philippines, le recours au néopatrimonialisme est fécond, surtout si on en souligne la dimension oligarchique structurante qui les discrimine tout en y restant l’élément déterminant des luttes électorales.

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NOTES   1. Le soulèvement de février 1986 fait partie intégrante de la mythologie politique nationale et est célébré rituellement chaque année. On y fait référence sous le nom d’EDSA, acronyme de l’Epifanio de los Santos Avenue qui traverse la ville de Manille en passant entre deux camps militaires, à ceux de Crame et d’Aguinaldo. C’est là que s’étaient réfugiés les officiers qui avaient amorcé la rébellion contre Marcos. Leur mutinerie avait alors été relayée par l’appel du Cardinal Sin et de diverses figures de l’opposition, provoquant une mobilisation générale sur l’EDSA (B. Anderson, “Cacique Democracy in the Philippines: Origins and Dreams”, New Left Review, I(169), May‑June 1988, p. 3‑33 ; D. Wurfel, Filipino Politics: Development and Decay, Quezon City (Philippines), Ateneo de Manila University Press, 1988).   2. J. Gomez, “Philippines President: Coup Try Quashed”, Associated Press, 24 February 2006. [http://www.fortwayne.com/mld/newssentinel/13946277.htm]   3. P.D. Hutchcroft, Booty Capitalism: The Politics of Banking in the Philippines, Quezon City (Philippines), Ateneo de Manila University Press, 1998.   4. P.D. Hutchcroft, 1998, op. cit., p. 52, ma traduction.   5. P.D. Hutchcroft, 1998, op. cit., p. 53.   6. G. Hawes, The Philippine State and the Marcos Regime: The Politics of Export, Ithaca/London, Cornell University Press, coll. “Cornell studies in political economy”, 1987, p. 19.   7. F.V. Jr. Aguilar, Clash of Spirits: The History of Power and Sugar Planter Hegemony on a Visayan Island, Manila, Ateneo de Manila University Press, 1998.   8. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 125.   9. B. Anderson, 1998, p. 5, ma traduction. 10. L’abaca, également appelé chanvre de Manille, est une fibre textile fabriquée à partir des feuilles de bananier pouvant être tissée, et qui était utilisée dans la confection de vêtements mais aussi pour une multitude de produits, tels les cordages, les sandales et même des meubles. 11. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 22. 12. P.N. Abinales and D.J. Amoroso, State and Society in the Philippines, 1st ed., Lanham (MD), Rowman and Littlefield, coll. “State and society in East Asia series”, 2005, p. 117‑130. 13. B. Anderson, 1988, op. cit., p. 11. 14. P.D. Hutchcroft, “Oligarchs and Cronies in the Philippine State: The Politics of Patrimonial Plunder”, World Politics, 43(3), April 1991, p. 421.



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15. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 28. 16. B. Anderson, “Elections and Participation in Three Southeast Asian Countries”, in R.H. Taylor (Ed.), The Politics of Elections in Southeast Asia, New York (NY ), Cambridge University Press, coll. “Woodrow Wilson Center series”, 1996, p. 24. 17. B. Anderson, 1996, op. cit., p. 22. 18. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 19. 19. B. Anderson, 1996, op. cit., p. 22. 20. B. Anderson, 1996, op. cit. 21. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 28 ; D.J. Steinberg (Ed.), In Search of Southeast Asia: A Modern History, New York, Praeger, 1971 ; A.W. McCoy (Ed.), An Anarchy of Families: State and Family in the Philippines, Quezon City (Philippines), Ateneo de Manila Press, 1994 ; et D. Wurfel, “Elites of Wealth and Elites of Power, the Changing Dynamic: A Philippine Case Study”, Southeast Asian Affairs 1979, Singapore, Institute of Southeast Asian Studies, 1980, p. 233‑245. 22. De 1948 à 1954, le centre du pays est le théâtre d’une rébellion armée paysanne qui revendique la répartition des terres, la démocratisation des processus électoraux et une plus grande participation politique (B.J. Kerkvliet, The Huk Rebellion: A Study of Peasant Revolt in the Philippines, Quezon City (Philippines), New Day Publishers, 1979). 23. B. Anderson, 1988, op. cit., p. 14. 24. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 29. 25. B. Anderson, 1988, op. cit., p. 23‑24. 26. Ibid., p. 24 ; voir aussi J. Sidel, Capital, Coercion, and Crime: Bossism in the Philippines, Stanford (CA), Stanford University Press, coll. “East‑West Center series on contemporary issues in Asia and the Pacific”, 1999 ; D. Kingsbury, South‑East Asia: A Political Profile, 2nd éd., South Melbourne/ Oxford, Oxford University Press, 2005 ; D. Wurfel, 1988, op. cit. 27. J. Conroy Franco, Election and Democratization in the Philippines, New York, Routledge, coll. “Comparative studies in democratization”, 2001. 28. B. Anderson, 1988, op. cit., p. 18. 29. D. Wurfel, 1988, op.  cit., p.  16 ; A. Lichauco, Nationalist Economics: History, Theory, and Practice, Quezon City (Philippines), Institute for Rural Industrialization, 1988, p. 32‑38. 30. P.D. Hutchcroft, 1991, op. cit., p. 435. 31. P.D. Hutchcroft, 1998, op. cit., p. 20. 32. G. Hawes, 1987, op. cit., p. 40. 33. B. Anderson, 1988, op. cit., p. 23.

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34. P.D. Hutchcroft, 1991, op. cit., p. 429. 35. B. Anderson, 1996, p. 25. 36. J. Rocamora, Breaking Through: The Struggle of the Communist Party of the Philippines, Manila, Anvil Publishing, 1994 ; D. Caouette, « Rendez‑vous manqué avec la souveraineté », Relations, 678, juillet‑août 2002, p. 28‑29. 37. Lorsqu’il annonce cette consultation électorale durant une entrevue sur une chaîne de télévision américaine, Marcos veut apaiser l’opinion internationale qui lui est de plus en plus défavorable. (D. Wurfel, 1988, op. cit., p. 295). 38. Il faut souligner qu’une partie des classes moyennes se prévaut des politiques migratoires relativement favorables de plusieurs pays occidentaux, dont les États‑Unis, pour quitter le pays, et ce, depuis les années 1960 (Anderson, 1988, p. 24, ma traduction). 39. B. Anderson, 1988, op. cit. ; Kingsbury, 2005, p. 306. 40. Kingsbury, 2005, op. cit., p. 308. 41. J. Putzel, A Captive Land: The Politics of Agrarian Reform in the Philippines, London/New York, Catholic Institute for International Relations and Monthly Review Press, 1992 ; D. Wurfel, 1988, op.  cit., p.  321‑323 ; J.B. Goodno, The Philippines: Land of Broken Promises, London, Zed Books, 1991, p. 269‑277. 42. W.F. Bello, H. Docena, M. De Guzman and M.L. Malig, The Anti‑Development State: The Political Economy of Permanent Crisis in the Philippines, Quezon City (Philippines), Department of Sociology, College of Social Sciences and Philosophy, The University of the Philippines Diliman and Focus on the Global South, 2004, p.  243, ma traduction. 43. W. Bello, 2004, op. cit. 44. W. Bello, et al., 2004, op. cit., p. 1‑5. 45. Transparency International and G. Quimson, National Integrity Systems – Transparency International: Country Study Report – Philippines 2006, Berlin, Transparency International Secretariat, 2006, p. 46, note 2. 46. Reporters sans frontières, V. Brossel et J.‑F. Julliard, Philippines : Mettre f in à l’impunité, « Justice pour Marlene Esperat et les 51 autres journalistes tués ou assassinés depuis 1986 », Paris, Reporters sans frontières, Secrétariat international, 2005, p. 2. 47. Dans son dernier rapport annuel, Amnistie internationale dénonce d’ailleurs cet état de fait, soulignant qu’en 2005, 66 dirigeants de gauche et travailleurs communautaires avaient été tués (Amnesty International, Rapport annuel, 2006, London, 2006).



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48. N.G. Quimpo, “Oligarchic Patrimonialism, Bossism, Electoral Clientelism, and Contested Democracy in the Philippines” (Review Article), Comparative Politics, 37(2), January 2005, p. 229‑250. 49. C.H. Lande, Leaders, Factions and Parties: The Structure of Philippine Politics, New Haven, Yale University Press, coll. “Yale University, Southeast Asia Studies, Monograph series, 6”, 1965. 50. T.C. Novak and K.A. Snyder, “Clientelist Politics in the Philippines: Integration or Instability?”, American Political Science Review, 68(3), September 1970, p. 1147‑1170. 51. G. Hawes, 1987, op. cit. 52. Ibid., p. 53. 53. D. Wurfel, 1988, op. cit. 54. Ibid., p. 153. 55. B. Anderson, 1988, op. cit. 56. P.D. Hutchcroft, 1998, op. cit. 57. B. Anderson, 1996, op. cit. 58. D. Wurfel, 1988. 59. E.L.E. Hedman and J.T. Sidel, Philippines Politics and Society in the Twentieth Century: Colonial Legacies, Post‑Colonial Trajectories, London, Routledge/Taylor and Francis Group, coll. “Politics in Asia series”, 2000 ; N.G. Quimpo, 2005, op. cit. 60. B. Anderson, 1988, op. cit. ; et D. Caouette, 2002, op. cit. 61. P.D. Hutchcroft, 1998, op. cit. 62. B. Anderson, 1988, op. cit. 63. J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F. Médard (dir.), États d’Afrique noire : formation, mécanismes et crises, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 342. 64. Transparency International and G. Quimson, 2006, op. cit. 65. M.D. Sahlins, “Poor Man, Rich Man, Big‑Man, Chief: Political Types in Melanesia and Polynesia”, in S.W. Schmidt, L. Guasti, C.H. Lande and J.C. Scott (Eds) Friends, Followers, and Factions: A Reader in Political Clientelism, Berkeley, University of California Press, 1977, p. 220‑232. 66. J.‑P. Lacam, « Le politicien investisseur. Un modèle d’interprétation de la gestion des ressources politiques », Revue française de science politique, 38(1), 1988, p. 23‑47. 67. J. Sidel, 1999, op. cit. 68. J.F. Labaca (Ed.), Boss: 5 Case Studies of Local Politics in the Philippines, Pasig/Metro Manila (Philippines), Philippine Center for Investigative Journalism (Quezon City)/Institute for Popular Democracy, 1995.

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69. A. McCoy, 1994, op. cit. 70. J. Conroy Franco, 2001, op. cit. 71. G. Erdmann and U. Engel, Neopatrimonialism Revisited – Beyond a Catch‑All Concept (GIGA‑WP‑16), German Institute of Global and Area Studies/ Leibniz‑Institut für Globale und Regionale Studien, February 2006, p. 3‑38.

XI

Du jeitinho et d’autres phénomènes connexes dans le Brésil contemporain1 Yves‑André Fauré

L

es commentaires et réflexions qui suivent visent à présenter un certain nombre de pratiques patrimonialistes associées à la sphère publique brésilienne, en prenant comme référence implicite les caractéristiques du patrimonialisme telles qu’elles étaient définies dans l’article rédigé en commun avec celui à qui le présent ouvrage rend un amical hommage posthume2. À l’instar de toute démarche recourant prudemment à des idéaux‑types ou à des modèles, notre propos ici n’est pas de chercher à vérifier des confirmations absolues dans les réalités empiriques analysées. Il convient plutôt de se servir de ces idéaux‑types afin d’identifier et d’interpréter ces mêmes réalités sans avoir à considérer la totalité des critères classificatoires, tout en maintenant des distances avec des définitions trop figées pour trouver des applications conformes. De fait, on ne saurait prétendre que le patrimonialisme caractérise tout ou même principalement le système politico‑institutionnel brésilien, qu’il oriente l’essentiel des pratiques de pouvoir et de gestion publique. Le pays s’est historiquement doté de normes, d’institutions, d’organes de représentation politique et de gestion publique qui ont tout d’une organisation étatique moderne. En ce sens, conformément à la définition proposée par Max Weber, l’État revendique le monopole de la coercition légitime sur l’ensemble des citoyens, le système de gouvernement y est formellement basé sur l’autorité de la loi et non sur la subordination personnelle, l’administration



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y est animée par des corps de fonctionnaires techniquement compétents, et, pourrait‑on ajouter pour tenir compte de défis socioéconomiques qui étaient naturellement hors de l’horizon du sociologue allemand, l’État y assume des responsabilités en termes de développement et engage, à ce titre, des politiques publiques mobilisant des ressources humaines et matérielles qui ne relèvent principalement ni du fait du prince ni de la gestion traditionnelle du domaine. Bref, se vérifient bien les éléments d’un système de domination légal‑rationnel et, finalement, dans l’ordre des formes politiques correspondantes, on perçoit plusieurs traits composant la figure d’un État libéral démocratique. Pourtant, sur chacun de ces indicateurs, on peut d’emblée avancer quelques réserves générales : le haut niveau et la généralisation de la violence, la prospérité des gangs organisés que prolongent le foisonnement de milices et autres services particuliers de protection solidement armés montrent l’échec de la fonction première de l’État ; l’importance des nominations à la faveur et non au mérite dans les divers échelons administratifs réduit d’autant le fonctionnement des organes publics sur la seule compétence technique ; la loi générique, à laquelle tous les citoyens sont en principe assujettis, se négocie dans son application concrète prouvant ainsi que l’égalité formelle s’accompagne de régimes juridiques particuliers à telle ou telle catégorie de citoyens ; enfin, la conception et la mise en œuvre des politiques publiques obéissent fréquemment aux jeux d’intérêts corporatistes. De sorte que, globalement, l’État brésilien se présente comme un organe mixte combinant, sur le mode majeur, les caractéristiques d’une organisation politique et administrative moderne et, sur le mode mineur mais significatif, les traits, souvent hérités de l’histoire mais sans cesse actualisés par les pratiques et aiguillonnés par des intérêts renouvelés, d’un système patrimonialiste de gouvernement et de gestion de la chose publique. L’organisation publique est donc le fruit d’un processus d’hybridation3. Il était tentant, pour certains, de penser que cette deuxième dimension du régime institutionnel brésilien allait se rétracter, à défaut de se résorber, à l’occasion de l’accès au pouvoir du président Luiz Inácio Lula da Silva et de son Parti des travailleurs (PT). Leur programme politique promettait la modernisation des pratiques publiques et plaçait l’éthique au cœur des comportements et décisions politiques. Mais les « scandales » révélés depuis donnent la pleine mesure des pratiques patrimonialistes inscrites dans la routine de la vie publique nationale et justifient le retour

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à leur analyse. Ces « affaires » récurrentes et persistantes impliquent tant de responsables politico‑administratifs, portent sur de tels montants financiers, engagent tant de structures de l’État et de ses ramifications, révèlent une telle diversité des sources et des usages patrimonialistes qu’ils en confirment à la fois la profondeur et la banalité4. Ces comportements renvoient autant à des pratiques qu’au système de valeurs qui les habilite de sorte que recourir aux termes de « scandales », d’« affaires » ou encore de « corruption » impose l’usage des guillemets  : les faits portés à la connaissance des autorités publiques, des commissions parlementaires, de la justice, de la police, des procureurs du Ministère public et des médias ne sont scandaleux qu’aux yeux de ceux, minoritaires, qui y voient des faits indésirables ou répréhensibles ou de ceux qui ont intérêt dans leur mise au jour. On touche ici à une caractéristique paradoxale du patrimonialisme. Déviant par rapport à des modèles de comportements publiquement ou officiellement affichés et proclamés, le patrimonialisme contrevient à des normes explicites. Dans le même temps, il faut concéder qu’il s’agit là d’un phénomène banal portant sur des pratiques communes et largement tolérées. Annonçant la réorganisation et l’accroissement des moyens du Contrôle général de l’Union (Controladoria‑geral da União), celui qui allait être nommé ministre des Finances dans le nouveau gouvernement issu des élections présidentielles – et qui, plus tard, ironie de l’histoire, serait écarté du gouvernement pour des faits peu vertueux – s’exprimait ainsi en décembre 2002 : « Nous devons établir un nouveau contrat social entre les Brésiliens où la corruption soit entièrement délégitimée et réduite à une pratique isolée dans la vie politique du pays »5. Pour le professeur Kant de Lima, coordinateur du Centre d’études et de recherches de l’Université fédérale Fluminense, les affaires qui ont éclaboussé ces dernières années le gouvernement, le parti majoritaire et ses alliés parlementaires, révèlent combien la criminalité, notamment celle consistant à user de caisse noire (caixa dois) – implicitement légitimée dans les pratiques quotidiennes des entreprises privées et de l’espace public – fonctionne tant dans l’économie que dans la moralité brésiliennes. Cette ambiguïté entre ce qui est légal et ce qui est illégal caractérise notre sphère publique […]. Le recours à ces pratiques revient à naturaliser l’illégalité6.

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Devant cette ambivalence de la « corruption », à la fois fustigée et couramment pratiquée, l’analyse distanciée ne peut emprunter le registre de la dénonciation. Dans le même temps cette analyse serait dépourvue de sens si elle ne se référait pas, en arrière‑plan, à des situations où ces pratiques patrimonialistes sont suffisamment absentes, éradiquées ou contenues pour servir de points de comparaison, au moins implicites, à la compréhension de ces phénomènes. Au‑delà de son utilité pour restituer certaines des réalités brésiliennes, le recours au concept général ou fondamental de patrimonialisme présente plusieurs avantages7. Il s’agit d’une notion fédératrice qui englobe des pratiques liées entre elles, mais souvent abordées séparément et indépendamment du contexte dans lequel elles prennent place. Elle autorise des explorations factuelles tout en restituant de manière holistique le climat qui légitime un ensemble de pratiques et de comportements connexes. La présente étude, que les contraintes d’espace limiteront à une modeste intention descriptive, proposera tout d’abord un rapide tour d’horizon lexical qui suggérera une corrélation entre la richesse des termes définissant des pratiques patrimonialistes et la prégnance de celles‑ci au Brésil. On s’efforcera ensuite de montrer que l’État est une formidable source d’allocation de prébendes, que les marchés publics récompensent les bailleurs financiers des campagnes électorales, que les arènes législatives donnent lieu à des marchandages et à des votes matériellement intéressés, que le népotisme irrigue les différentes structures publiques. Enfin, on verra comment le très coûteux fonctionnement de la vie politique est une source d’enrichissement ou d’accroissement de la richesse des élus. DES MOTS ET DES COMPORTEMENTS

Le Brésil n’est pas à court de mots et d’expressions pour nommer des faits et pratiques qui entrent dans la panoplie du patrimonialisme. La « corruption » dans toutes ses manifestations et qualifications courantes, administratives et pénales (fraude, concussion, prévarication, trafic d’influence, etc.) est au cœur du lexique courant. Mais ces termes ne renvoient qu’à une parcelle des réalités patrimonialistes et peinent à restituer l’existence d’un système organisé et valorisé de processus qui dépassent ces réalités en les rendant possibles et récurrentes.

Du jeitinho et d’autres phénomènes connexes dans le Brésil contemporain

Dans les arrangements courants que recouvre le terme de jeitinho se détache la figure traditionnelle et centrale du despachante, sorte d’intermédiaire entre le citoyen ordinaire et l’appareil bureaucratique public afin d’obtenir des documents officiels, des licences, des autorisations, etc. C’est le personnage typique d’une société où l’on craint l’anonymat, la file d’attente, l’infériorisation que révèle crûment le statut de quémandeur sans qualité. Dans le domaine politique le patrimonialisme repose, entre autres, sur le clientélisme qu’on ne peut réduire à la situation interindividuelle et verticale de personnes ayant des statuts, des pouvoirs et des ressources inégaux. Plus fondamentalement, le patrimonialisme fournit la structure d’« agencement du pouvoir d’État et d’accaparement de celui‑ci par une élite »8. Le concept de paternalisme que certains analystes emploient en lieu et place du clientélisme9 met l’accent sur l’œuvre bienfaisante du politicien et l’infinie gratitude à son égard suscitée par le bitumage d’une rue, l’installation de canalisations d’eau potable, la création d’une crèche, l’équipement d’un centre social ou l’implantation d’un terrain de sport, alors que ces financements sont dus au Trésor public et ces réalisations à l’administration publique. Le paternalisme procède d’une attitude et d’un affect tous deux très répandus au Brésil, et pas seulement dans les États fédérés aux pratiques jugées archaïques, marquées par la force des oligarchies, du coronelismo ou du caciquisme. Le président actuel, pourtant ancien leader syndicaliste, aime user de la métaphore familiale pour expliquer les décisions gouvernementales  : il dit agir en tant que « père » et traiter les Brésiliens comme ses « enfants ». Ces emprunts terminologiques vont bien au‑delà de simples formules rhétoriques. Ils disent la réalité profonde de la conception des relations dans le système sociopolitique national. Ce que les Brésiliens nomment f isiologismo définit l’exercice de mandats publics guidés exclusivement par la recherche d’avantages et de faveurs. Il est peu ou prou pratiqué par toutes les formations et les hommes politiques tout en caractérisant plus spécifiquement la démarche de certains partis. Ainsi peuvent, partiellement, s’expliquer les « scandales » qui se sont accumulés au sein du gouvernement du président Lula dès lors qu’à la place des alliances, dites de « front populaire », promises dans la phase de conquête du pouvoir se sont substitués des accords avec des partis mieux représentés au Congrès national et particulièrement

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sensibles aux privilèges et bénéfices attachés aux charges et fonctions publiques. Les personnes liées à un leader politique faisant office de parrain qui dicte les conduites et facilite, en retour, l’accès aux postes et avantages, sont désignées sous le vocable d’apadrinhados. Les formations politiques sont toutes structurées autour de personnalités nationales, régionales, locales de sorte qu’elles sont la plupart du temps des conglomérats de clans et factions fondés sur des relations personnelles de dépendance et d’échanges et très rarement des ensembles porteurs de visions, de conceptions politiques générales. Il n’est guère question en effet, dans le monde des partis politiques, d’idéologies nettes et différenciées ou de programmes d’action ayant pour but la transformation de tout ou partie de l’ordre social. La fonction d’articulação política est l’art de négocier des alliances et des appuis. Le régime électoral, qui génère mécaniquement un éparpillement de la représentation politique, la rend indispensable pour tout gouvernement, à quelque échelon que ce soit, national, estadual et municipal. La moeda (monnaie) eleitoral désigne les ressources publiques distribuées à des fins de captation des votes (rations alimentaires de base, fournitures scolaires, etc.). La moitié des conseillers municipaux de telle grande agglomération sont ainsi membres de la direction de centres sociaux qui fonctionnent avec des subventions publiques et qui leur servent, parmi d’autres organismes, de réservoir électoral. Une formule qui se traduit littéralement par « livrer les ministères et les entreprises publiques à porte fermée » (entregar os ministérios e as estatais com a porteira fechada) signifie, dans ce langage imaginatif qui euphémise les pratiques patrimonialistes, que les nominations aux directions et fonctions intermédiaires des ministères, entreprises publiques et agences officielles sont laissées au plein et libre choix du parti qui les revendiquait. Multiplier les cargas comissionadas revient à attribuer les postes de confiance à des amis et fidèles, hors de tout concours administratif. Le verbe aparelhar ou l’expression lotear a máquina désignent le fait de remplir les organes politiques ou administratifs publics de clients, membres du même parti, obligés locaux ou régionaux. Fraudar as licitações consiste à fausser les appels publics à fourniture de biens et de services au bénéfice d’entreprises dans lesquelles l’élu ou le dirigeant nommé par ses soins dispose d’intérêts directs ou indirects à travers des parents et alliés.

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Dans cette floraison de termes et d’expressions qui n’a d’égale que la fréquence des faits et gestes qu’elle recouvre, le baixo clero, soit le « bas‑clergé », n’est pas le moins important. Cette expression signale l’ensemble, populeux, des députés fédéraux et estaduais, souvent sans formation et sans autre objectif que d’agir au Congrès ou dans les Assemblées législatives des États fédérés en vue d’obtenir des avantages matériels pour eux et pour leurs alliés et clients. Dans un système où les partis ne sont pas, sauf rares exceptions, programmatiques, les membres du baixo clero ont encore moins de programmes que les autres. Comme il a été noté plus haut, diverses et retentissantes affaires ont marqué le gouvernement et l’administration du nouveau pouvoir « petiste » depuis 2003, impliquant la chute de ses dirigeants successifs et la mise à l’écart ou la démission de plus de cinquante hauts responsables politiques et administratifs qu’il avait nommés. Ceci s’est traduit par le départ de plusieurs ministres, des remplacements à la direction du Parti des travailleurs, l’éloignement de collaborateurs du palais présidentiel et de membres de la coordination de la campagne électorale pour la réélection du président. Au total plus d’une centaine d’importantes personnalités a été mise en examen par le procureur général du Ministère public fédéral, parallèlement à l’ouverture de poursuites judiciaires par le Suprême Tribunal fédéral10. Certes, plusieurs directoires et élus régionaux et locaux du PT ont déjà par le passé été mêlés à des affaires délictueuses et se sont livrés à des opérations peu scrupuleuses. Mais, le parti nouvellement parvenu au pouvoir à l’échelle nationale était jusqu’alors plutôt moins engagé dans de telles activités suspectes comparativement aux autres formations politiques. Les affaires les plus récentes ont révélé une tout autre dimension, plus imposante et plus systématique des pratiques du parti. Cela a sensiblement écorné la « moralité publique » qui constituait l’un des deux fonds sur lesquels ce parti avait historiquement construit sa différence dans l’univers politique et qui lui avait valu un succès grandissant auprès de l’électorat11. Il n’est pas besoin de détailler ici la liste des « affaires » qui ont scandé et continuent de marquer le fonctionnement des plus hautes instances de l’État et de la représentation politique nationale12. Ces affaires se doublent de celles, plus nombreuses encore, qui occupent les scènes régionales et locales. Par‑delà le système des justifications utilisé par les acteurs, il est possible d’avancer une interprétation générale qui

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renvoie au mouvement profond de la vie politique brésilienne. On ne cherchera pas à savoir ici si ce sont les affaires ou leur révélation et leur dénonciation qui sont plus importantes et fréquentes que par le passé. Il est toutefois permis de se demander si certains traits fondamentaux, si certaines marques structurelles du système politique brésilien n’ont pas eu raison des intentions les plus vertueuses. Le PT, dont la vocation affichée initialement était la modernisation des institutions et des rapports de pouvoir, est longtemps resté confiné dans l’opposition et dans une fonction jusque‑là tribunicienne, tout au moins au plan fédéral. Il s’est, in f ine, transformé en une formation décidée à conquérir « à tout prix » les leviers du pouvoir à l’échelle du pays et dans les plus hautes instances de l’État, ce qui a conduit certains critiques et observateurs à parler dès lors de projet hégémonique du PT. Un corollaire quasi mécanique de ce revirement pourrait avoir été une perte des marques différentielles du parti et sa banalisation qui, en phase avec le fisiologismo ambiant, aurait achevé en quelque sorte de le « brasilianiser ». Il ne s’agit pas ici de suggérer une quelconque « naturalisation » des procédés patrimonialistes. Ceux‑ci se construisent et se renouvellent sans cesse en fonction de conditions sociales ou historiques déterminées. Ceci étant dit, on peut interpréter cette évolution comme le cheminement d’un mouvement politique assimilant, à l’épreuve du pouvoir, les pratiques dominantes et les caractéristiques du fonctionnement de la sphère publique, ou, en d’autres termes, s’inscrivant pleinement dans les règles du champ en fonction desquelles il a évolué, s’est renforcé et a fini par s’imposer. Une expression populaire synthétise remarquablement une réalité nourrie autant par la fréquence des comportements patrimonialistes que par le climat général de tolérance à leur égard : rouba mas faz – « il vole mais il agit » – pour absoudre les élus et dirigeants indélicats qui, dans le même temps, font avancer des projets et sont crédités de quelques réalisations. L’ÉTAT, SOCLE DE DISTRIBU TION DES PRÉBENDES

À maints égards, le système institutionnel brésilien fait figure de vaste entreprise de nomination ou d’allocation de postes, où les critères bureaucratiques et techniques, la compétence et le mérite sont moins pertinents

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que des logiques d’affiliations partisanes, de confiance interpersonnelle, d’alliance et d’échange autour d’intérêts politiques et matériels. De fait, les nominations sont principalement orientées par les prébendes et avantages concrets qu’elles génèrent, tout en consacrant des rapports de pouvoir. Ces pratiques impliquent la quasi‑totalité des formations de l’échiquier politique national. Ce qui singularise le Brésil n’est pas tant l’existence d’un système de nomination fortement politisé dans la sphère publique – d’autres États y compris parmi ceux anciennement industrialisés y ont recours – que l’ampleur considérable qu’il y atteint. Au Brésil, le système des dépouilles opère à grande échelle. Dans sa dimension horizontale, il touche à l’ensemble des organismes relevant du pouvoir de nomination par les exécutifs élus – chef de l’État, ministres fédéraux, gouverneurs et secrétaires des États fédérés, directeurs des administrations et entreprises publiques, maires et secrétaires municipaux. Le spoil system agit également en profondeur par la multiplicité des échelons administratifs et techniques dans lesquels sont placées des « personnes de confiance » au sein des fameuses cargas comissionadas. Il est en outre régulièrement réactivé par la courte durée des cycles électoraux – 4 ans en moyenne, sauf pour les sénateurs du Congrès fédéral. L’attrait qu’exercent les directions des ministères et secrétariats d’États fédérés, les fonctions et charges publiques ou encore les directions des grands services de l’État et des entreprises publiques, est fonction de l’importance des ressources que ces postes permettent de contrôler. Les organes les plus convoités par les hommes politiques et les partis alliés aux exécutifs élus dans les trois échelons de gouvernement sont ceux qui disposent des budgets les plus importants. Les calculs ne portent pas seulement sur les ressources directes que sont les dotations budgétaires. Ils englobent aussi les ressources indirectes, notamment celles manipulées par le biais des marchés administratifs à même de favoriser, par des irrégularités fort communes, tel client ou telle entreprise qui a soutenu le parti ou le candidat. S’établit ainsi une véritable hiérarchie des postes animant la curée. À cette aune chacun sait que le ministère des Transports suscite un intérêt mesuré à hauteur de 10 p. 100 de celui de la Santé, mais est quatre fois plus intéressant que celui du Tourisme, etc. Cette hiérarchie intègre aussi les nombreux Fonds, non directement consolidés avec les budgets ministériels, que gèrent certains départements. Le ministère des Villes, bien que son budget ne figure qu’en 16e position parmi la trentaine

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de ministères et secrétariats fédéraux, voit ainsi ses attraits fortement augmentés puisqu’il supervise le substantiel FGTS (Fundo de Garantia do Tempo de Serviço), l’équivalent d’une caisse de cotisation contre le chômage. Le ministère des Communications, modestement placé lui aussi selon le critère du budget affiché, est tout aussi fortement convoité en raison de son implication dans la gestion du richement doté FUST (Fundo de Universalização dos Serviços de Telecomunicações). Un ancien sénateur pressenti par un parti allié du gouvernement pour devenir le président de l’Institut national de sécurité sociale (INSS) était tout naturellement présenté dans son État fédéré d’origine comme l’homme « qui contrôlera un coffre de 127 milliards de reais ». Les postes ministériels, charges et fonctions publiques dotées de compétences décisionnelles ou gestionnaires de ressources substantielles sont pourvus dans le cadre de négociations entre les chefs des exécutifs (nationaux, fédérés, locaux) et les partis ou factions de partis ou leaders politiques disposés à les soutenir. Ce sont ces patrons politiques qui indiquent les noms des personnes (pessoas indicadas) qui vont occuper ces postes en échange de l’appui apporté dans les enceintes législatives de même échelon. Ces « indications de personnes » sont de notoriété publique. Ce régime de nomination concerne les ministères et administrations fédérales et leurs services déconcentrés sur l’ensemble du territoire ainsi que les gouvernements et administrations des 27 entités de la Fédération (États et district fédéral). Il s’applique aussi aux institutions et entreprises publiques nationales, et aux organes assimilés qui complètent l’appareil public dans chacun des États13. À leur tour, et en accord avec leurs patrons politiques nationaux ou régionaux, les présidents, directeurs, superintendants, responsables de grands départements et services administratifs et de ces nombreux organismes publics et semi‑publics nomment des alliés, des fidèles, des clients à des postes intermédiaires, jugés économiquement sensibles. On estime que le nombre de postes publics directement pourvus en fonction de critères d’affiliations ou d’alliances politiques au sein du seul exécutif fédéral serait de 20 00014. Toute l’administration publique, aux trois niveaux de la fédération  – Union, États fédérés, municípios, entreprises et agences publiques, etc. – est ainsi dirigée par des personnes désignées sur une base essentiellement politique modulée par les préoccupations d’ordre tactiques ou liées à la conjoncture gouvernementale (gouvernabilité, négociations entre les

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partis, jeux d’influence). Certes, la compétence est parfois mise en avant comme critère de nomination, mais nul n’est dupe de ces justifications. Ce processus est appelé aparelhamento do estado par ceux qui en dénoncent l’ampleur et les méfaits. Le régime de dictature militaire (1964‑1985) que sa méfiance à l’endroit des politiciens avait incité à rompre avec la tradition, avait tendance à nommer des techniciens aux postes‑clefs de l’appareil public. Le retour à un régime civil a été l’occasion d’une expansion considérable de nominations sur une base strictement politique. Nul ne s’en cache et peu de personnes s’émeuvent de cette pratique, au prétexte que la « confiance » doit fonder les rapports dans la conduite des affaires publiques. Dans un système de pouvoir où prédominent les liens interpersonnels et politiques, la compétence technique n’est pas considérée comme un gage suffisant de loyauté. Les alliances pré‑électorales et postélectorales se nouent et se dénouent en liaison directe avec l’état des négociations dans ce système de répartition des charges et fonctions publiques entre partis et leaders politiques. Les menaces qui pèsent sur les votes dans les Assemblées législatives réaniment assez régulièrement les cycles de marchandages. De ce fait, des positions avantageuses conquises au cours des négociations peuvent aussi, parfois, se révéler précaires. Au gré des alliances en recomposition, au gré d’intérêts circonstanciels, des ministres et secrétaires d’État, des dirigeants d’entreprises publiques – et, par voie de conséquence, les personnes nommées par ceux‑ci aux différents échelons des organes publics – peuvent se voir remerciés sur l’heure et devoir laisser leur place aux membres et clients d’une nouvelle coalition. Les marchés publics ou le retour sur investissement des campagnes électorales Les marchés publics (licitações) constituent une des voies majeures d’accumulation de ressources, qu’il s’agisse de rétribuer des aides obtenues dans la phase de conquête d’un poste électif, ou de s’attacher des fidélités personnelles indispensables au sein d’un régime politique fortement clientéliste. Les marchés publics représentent aussi des sources essentielles d’enrichissement du personnel politique et de ses alliés par le biais de l’attribution des contrats de fournitures de biens et de services à des entreprises liées directement ou indirectement à l’élu, à sa parentèle

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ou à ses proches et alliés. Les opérations de travaux publics, les achats d’équipements scolaires et de santé, les marchés publicitaires richement dotés, sont autant d’occasions d’engendrer de profitables affaires. On peut éclairer ces pratiques et procédés en les rapportant aux conditions matérielles d’organisation des campagnes électorales. Il ne s’agit bien évidemment pas de tenter une entreprise de justification, mais d’essayer de comprendre une des causes des « manipulations » dont de nombreux marchés administratifs font l’objet. Cela permet de mettre en lumière la faible chance de voir ces pratiques diminuer tant que persistera un des facteurs qui en sont à l’origine. Les volumes financiers investis dans les longues et multiples campagnes électorales sont considérables. On connaît approximativement le coût individuel de chaque campagne électorale grâce aux estimations, publiées sous forme de « tarifs » par la presse. Celles‑ci sont étalonnées financièrement en fonction de l’importance du poste électif convoité, du périmètre géographique de la circonscription électorale et de la taille du corps électoral à mobiliser. Les coûts oscillent entre plusieurs dizaines de milliers de reais pour un conseiller municipal et plusieurs dizaines de millions pour un sénateur au Congrès fédéral. Les cotisations versées aux partis politiques et les subventions publiques (Fundo partidário) ne sont pas suffisantes pour couvrir les frais engagés. Une partie des dépenses de campagne doit être impérativement financée par la mobilisation de contributions individuelles et surtout d’entreprises. Les généreux donateurs ne manquent pas de « se couvrir », selon l’expression des marchés financiers, en soutenant de multiples candidatures concurrentes. Conjointement lorsqu’ils apportent leurs concours, ils émettent un signal très clair sur les espérances de « retour sur investissement ». C’est ainsi que les financements privés des campagnes se présentent souvent comme des opérations de préemption sur de futurs contrats publics et commandes administratives. Une étude récente15 confirme cette interprétation des fonctions des contributions financières des campagnes électorales. Les mandats électoraux sont relativement brefs et les donateurs pressés et pressants, ce qui peut expliquer les comportements interlopes ou indélicats et les nombreuses irrégularités ou fraudes dans la gestion des ressources publiques par les élus. En dépit des politiques néolibérales adoptées depuis la fin des années 1980, la « machine » publique demeure donc un

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fondement important de la vie des affaires et de la prospérité de secteurs liés aux commandes de l’État. Le marchandage institutionnalisé dans les Assemblées législatives Les parlementaires des trois niveaux de gouvernement de la Fédération peuvent obtenir de leurs exécutifs respectifs des financements particuliers, affectés en principe à telle ou telle opération précise. À ceci s’ajoutent des dépenses programmées dans les budgets publics (orçamentos) votées chaque année par les Assemblées législatives au Congrès national, dans les États fédérés et dans les communes. Ces emendas parlamentares, négociées individuellement dans un cadre fortement personnalisé, sont des ressources ayant pour but le financement de projets localisés dans les fiefs (redutos) électoraux des solliciteurs. Elles s’établissent dans un contexte clientéliste d’échange, la fréquente contrepartie de ces financements « extra » étant l’obtention de soutiens politiques. Cette procédure est très prisée car les décaissements prennent de grandes libertés quant aux règles des marchés publics et souvent s’en exonèrent totalement. Au Congrès national de 2006, chacun des 513 députés et des 81 sénateurs s’est vu reconnaître officiellement un « droit de tirage » atteignant 5 millions de reais (soit un peu moins de 2 millions d’euros). Nombre de parlementaires obtiennent, entre autres par cette voie, des concours publics au bénéfice d’établissements éducatifs et de santé, d’associations ou d’ONG au sein desquels ils ont des intérêts financiers directs en tant que dirigeants/administrateurs, ou parce que des membres de leur parentèle occupent ces postes. Le même processus se vérifie à l’échelle des États et des municipalités. Il existe une autre forme de marchandage financier fortement personnalisé mais qui ne met pas nécessairement en scène cette fois des parlementaires et leurs exécutifs respectifs. Il s’agit des verbas qui se présentent comme des subventions publiques directement attribuées par les autorités (Gouvernement fédéral, gouvernements des États, mairies) et versées à une multitude d’organismes, associations, ONG ou bureaux d’étude qui œuvrent dans différents domaines (défense des droits, actions caritatives, éducation ou formation, santé, etc.). Ces crédits sont alloués selon des procédures qui ne subissent pratiquement aucun contrôle

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et la presse n’a aucun mal à révéler l’achat d’études jamais réalisées, de programmes d’interventions sociales non mis en œuvre et d’autres activités tout aussi fictives. Ce sont, à chaque fois, des sommes considérables qui sont en jeu. Les tribunaux des Comptes publics se contentent ­généralement d’un contrôle ex post de la régularité des demandes d’explications et n’émettent des remontrances qu’en cas de manquements très graves. Les subventions parviennent pour l’essentiel aux politiciens qui trouvent là des sources importantes de financement de leurs campagnes électorales ou, plus trivialement, des moyens d’enrichissement personnel. Le confort du népotisme Les institutions publiques sont l’occasion, pour leurs dirigeants, non seulement de les peupler en « plaçant » alliés et clients, mais aussi de recruter directement des membres de leur parentèle conformément à une vieille tradition nationale. Un double avantage découle de ces pratiques : des rapports de confiance en principe renforcés, mais aussi des opportunités démultipliées d’enrichissement et d’accumulation dans le périmètre familial. L’exemple des conseils municipaux (Câmaras dos Vereadores), très courant, ne fait que refléter la situation prévalant dans nombre d’organes publics. Leurs membres peuvent s’entourer de nombreux assesseurs et collaborateurs, nommés à leur entière discrétion, sans avoir à présenter des garanties de qualification et de compétences, le tout financé sur le budget de l’Assemblée locale. Ces postes, dénommés cargas de natureza especial sont assimilables aux cargas comissionadas déjà signalées précédemment ; grassement rémunérés, ils sont pourvus hors des concours du secteur public. Le recours à la « main‑d’œuvre familiale », visible dans de telles conditions à tous les échelons de la fédération, est proportionnellement plus fréquent aux échelons régionaux et locaux. Des projets de loi émanant des Assemblées législatives des trois échelons de la Fédération ont été ici et là adoptés pour limiter le recours au népotisme, mais leur application et donc leur impact sont jusqu’à présent très réduits. Le monde judiciaire se révèle être un terrain de choix des pratiques népotiques. Très nombreux sont les employés des tribunaux, des plus modestes aux plus hautes juridictions de l’État, qui occupent des postes dits de confiance et sont parents des magistrats. Cette pratique très répandue est largement connue et même mesurée et dénoncée, depuis

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longtemps, dans maints reportages journalistiques. La loi 9.421 de 1996 avait en principe interdit la nomination de conjoints et parents jusqu’au troisième degré, mais ce n’est qu’en octobre 2005 que le Conseil national de justice (CNJ), organe de contrôle des tribunaux, a décidé de prohiber le népotisme et a laissé 90 jours aux magistrats pour mettre un terme aux emplois des membres de leur famille16. Il existe au moins deux manières de contourner cette difficulté. La première relève de ce qu’on appelle le népotisme croisé – le recrutement de parents entre magistrats ou entre magistrats et procureurs du Ministère public. La seconde méthode consiste en des pressions exercées par certains tribunaux sur les entreprises prestataires de biens et de services afin que soient employés leurs parents. Une enquête montre que 82 p. 100 des charges dites de confiance du tribunal de justice de l’État du Pernambouc sont occupées par des parents directs des magistrats. Une loi de 1997 de l’État de Goiás institutionnalise le népotisme, allant jusqu’à permettre que chaque responsable de l’Exécutif, du Législatif et du Judiciaire contracte jusqu’à deux parents directs. Dans l’État d’Alagoas le président du tribunal de justice « travaille pratiquement à la maison » selon l’expression des journalistes qui ont relevé le cas : pas moins de 25 parents sont des employés du tribunal. Le tribunal de justice de l’État d’Amazonie compte 33 parents directs de juges. Dans le seul État du Piauí, peu peuplé, le Syndicat des fonctionnaires de carrière de justice estime que 400 personnes devront être démises si la mesure prohibant le népotisme est appliquée. Le phénomène est loin de se circonscrire aux États oligarchiques du pauvre Nordeste. Le syndicat des fonctionnaires du Ministère public du Rio Grande do Sul, souvent présenté comme un État proche des pratiques et valeurs européennes, a relevé 68 cas de népotisme. Des recours en référé (liminares) ont été présentés devant le Tribunal fédéral suprême par des employés, parents de juges du tribunal du Travail de l’État du Maranhão et par des magistrats de plusieurs États prétextant de la légalité des contrats de recrutement de leurs proches et de l’inconstitutionnalité de la décision du Conseil national de justice. La vénalité des votes et des mandats Le bulletin de vote et le mandat électoral sont des ressources qui se monnayent couramment au Brésil. S’agissant d’abord des votes  : une enquête réalisée dans 143 communes par l’Institut brésilien d’opinion

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publique (IBOPE) pour le compte de l’ONG Transparência Brasil et de l’Union nationale des analystes et techniciens des finances et du contrôle (UNACON) indique que près de 10 p. 100 des électeurs (soit 11 millions du corps électoral) ont été l’objet de démarches actives et directes visant à acheter leur vote – offre d’argent, de biens, de faveurs, etc. – lors de la dernière série de scrutins17. Ceci vient s’ajouter aux généreuses distributions auxquelles se livrent la plupart des candidats lors de leurs campagnes électorales jusqu’au moment du scrutin (fournitures scolaires, denrées de première nécessité, inscription dans des écoles du réseau public, facilité d’accueil dans des établissements de soins, distribution de repas, voire coupes de cheveux, etc.). Ces pratiques qui peuvent apparaître pittoresques pour des lecteurs habitués à des procédures de vote plus rigoureuses et sincères, correspondent cependant à des réalités profondes et courantes au Brésil. Les achats de vote peuvent également prendre la forme insidieuse de dépenses budgétaires qui augmentent significativement peu avant les échéances électorales. Parmi de nombreuses libéralités du gouvernement, signalons la substantielle augmentation des pensions du système national des retraites du secteur privé (INSS) décidée par les autorités fédérales à quelques semaines d’importantes consultations nationales et régionales d’octobre 200618. À la même période, on a également noté une augmentation significative du salaire minimum, la correction circonstancielle des bases de l’impôt sur le revenu, des « paquets » (pacotes) financiers offerts au secteur de l’habitat, au secteur agricole et aux employeurs de personnels domestiques. Toutes ces mesures ont contribué à faire battre des records aux dépenses publiques alors que les spécialistes et les agences internationales comme la CEPAL (Commission économique des Nations Unies pour l’Amérique latine) dont l’orientation n’est pas spécialement orthodoxe en économie, jugeaient déjà trop élevées les dépenses fédérales de personnel et de fonctionnement, et beaucoup trop faibles les investissements publics19. Ces décisions des pouvoirs publics, destinées à orienter les choix électoraux, voire, dans certains cas, assimilables à des tentatives d’achats de vote, ne sont guère intelligibles si elles sont isolées d’un climat plus général et de tendances anciennes et profondes qui les agréent20. Il est une autre pratique qui relève des mêmes principes et participe des mêmes valeurs : la location de mandats électoraux, appelée aluguel de mandatos ou encore troca‑troca. Ces procédés, qui correspondent plus spécifiquement à une opération de débauchage d’élus, alimentent

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l’important nomadisme partisan observé dans les Assemblées législatives des trois niveaux de la Fédération21. Un premier facteur de changements d’affiliation tient à la recherche par les exécutifs des trois échelons de la Fédération d’une base législative majoritaire dans un système dont les règles électorales fragmentent la représentation politique et produisent ce qu’on a pu appeler un présidentialisme de coalition. S’ensuivent des marchandages continuels dans les coulisses politiques, après que les électeurs se sont prononcés lors des scrutins, en vue d’obtenir des soutiens lors de votes cruciaux, moyennant des postes et d’autres avantages âprement disputés. Hors ce contexte de recherche des conditions de la gouvernabilité, dans le fonctionnement routinier du Congrès, la recherche d’avantages financiers et de faveurs alimente régulièrement les pérégrinations interpartisanes et est à l’origine de nombreux changements d’affiliation aux partis politiques, ce qui a pour effet de modifier notablement la répartition des sièges au Congrès22. UNE SOURCE D’ENRICHISSEMENT PRIVÉ : LE DISPENDIEUX FONCTIONNEMENT DE LA VIE POLITIQUE

Que l’exercice de mandats électifs dans un système politique mâtiné de patrimonialisme soit une source d’enrichissement pour les heureux élus relève du truisme. Pour dire les choses prosaïquement et sur la base d’observations faites maintes fois par des analystes, dans un tel régime le mandat qui donne en principe vocation à servir permet aussi, et parfois surtout, à ses titulaires de se servir. On ne peut cependant déconnecter ces opportunités d’accroissement des patrimoines des élus du caractère fort onéreux de la vie politique brésilienne en général et du fonctionnement de ses institutions électives en particulier. Les possibilités d’enrichissement personnel de leurs membres dépendent indirectement de l’ampleur des ressources gérées ou supervisées par les organes exécutifs et les Assemblées d’élus de la République. La faiblesse des contrôles et sanctions conditionne également les considérables moyens mis à la disposition de ces mêmes organes et Assemblées. Il est possible d’appréhender ce problème des coûts de la vie politique par le biais de certaines données quantitatives23. On sait ainsi que chaque député fédéral coûte 1,14 million de reais par an (422 000 euros),

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hormis les convocations hors sessions parlementaires du Congrès24. Les députés et sénateurs du Congrès de la Fédération disposent en 2006 d’un budget de 5,4 milliards de reais. Le Sénat est aidé par une armée de 12 000 employés. Les effectifs de la Chambre des députés étaient cette année-là de 20 579 personnes, parmi lesquelles 3 579 employés dits de carrière (engagés sur la base d’un concours public de recrutement), 2 266 personnes titulaires de charges de confiance, 9 821 secrétaires parlementaires nommés eux aussi à la discrétion des députés et percevant d’importants salaires, soit un total de 15 666 agents dits actifs25. On peut comprendre l’anthropologue Darcy Ribeiro lorsqu’il écrivait à propos de la Haute Assemblée fédérale : « C’est mieux que le ciel car il n’est pas besoin de mourir pour y accéder. Le Sénat est un grand club convivial, déférent et cordial »26. Quant au phénomène d’enrichissement, s’il est nettement perceptible par un observateur moyennement attentif, les sources pour l’identifier sérieusement et des mesures précises pour en évaluer l’ampleur manquaient quelque peu jusqu’ici. Parmi plusieurs enquêtes effectuées récemment par des journalistes – investigations difficiles car elles supposent l’accord des tribunaux électoraux pour accéder aux déclarations de patrimoine des candidats aux élections – on peut évoquer la série de reportages publiée par O Globo en avril 2006 qui montre que près de la moitié des députés de l’Assemblée législative de l’État de Rio de Janeiro sont parvenus à doubler la valeur de leurs biens déclarés entre le début et la fin de leur mandat électoral de quatre ans. Une autre enquête journalistique a révélé que les députés nationaux ont dépensé en carburants pour leurs déplacements des sommes vertigineuses. Ces gastos estratosféricos selon l’expression brésilienne courante, correspondent à plus de 4 100  tours du monde ou à 215 voyages vers la lune27. Parmi d’autres élus les députés fédéraux bénéficient, outre leurs rémunérations et celle de leurs très nombreux collaborateurs, de financements importants pour couvrir toutes sortes de dépenses sans avoir à fournir de justificatifs, ce qui a pour effet d’alimenter un circuit de fausses factures entre autres choses28. Les décaissements profitent bien souvent à des entreprises dont les politiciens sont propriétaires, actionnaires ou dirigeants, ou au sein desquelles ils conservent des intérêts à travers des familiers et des alliés. Une étude minutieuse menée sur près de 1 800 élus fédéraux et estaduais dans l’intervalle de deux élections législatives pointe le net enrichisse-

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ment réalisé par les parlementaires au cours de leurs mandats, ceux du parti majoritaire ayant quasiment doublé leur patrimoine dans l’intervalle de deux élections29. Encore ne s’agit‑il, dans cet examen, que des biens déclarés à la justice électorale par les candidats… L’ensemble de ces opportunités pécuniaires est tout à la fois le fruit et un des facteurs de la patrimonialisation de la gestion des ressources publiques. Leur prise en compte dans l’analyse permet de compléter quelque peu la présentation des fonctions formelles que sont sensés remplir les organes de représentation et de gouvernement de la société telles qu’elles sont encore exposées trop naïvement dans les traités et manuels de droit public. Mais les quelques procédés décrits jusqu’ici sont loin d’épuiser la gamme des comportements patrimonialistes en vigueur dans la sphère publique brésilienne. Les attributions de licences et d’autorisations dont la très formaliste administration publique est friande donnent lieu à de fréquentes pratiques mercantiles exercées souterrainement, allant jusqu’à impliquer de véritables organisations délictueuses, voire criminelles, dans les corps officiels chargés d’octroyer et/ou de contrôler des droits (fisc, travail, santé, environnement, etc.). Les fonds de pension de retraites complémentaires des entreprises du secteur public accumulent des sommes considérables et sont fréquemment mobilisés dans des opérations peu rigoureuses débordant leur objet social. Le droit de la construction, dont le régime est défini à l’échelle des communes, et les permis de construire délivrés en pleine souveraineté par les mairies, constituent un domaine où se mêlent à l’ordinaire intérêts publics et privés peu scrupuleux. L’enregistrement de faux agents et employés publics est une pratique assez répandue qui autorise des détournements de fonds publics via le paiement de salaires fictifs. Les achats d’actes de justice afin d’obtenir par exemple des habeas corpus, ou encore des sentences judiciaires favorables aux puissants font aussi partie de la panoplie des opérations que favorise un tel contexte patrimonialisé. Il resterait, à ce stade, à éclairer la prégnance de ces comportements et pratiques patrimonialistes et à avancer quelques explications qui les rendent possibles, fréquentes et légitimes. La survivance historique de l’activité de patronage aux échelles locale et régionale (phénomène appelé coronelismo30), la dualité anthropologique de la société où l’individu, figure abstraite sujet du droit, s’efface encore devant la personne, pourvue de

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qualité sociale et qui domestique la norme à son profit31, l’influence d’un système de croyances et de valeurs qui permet de s’accommoder de prescriptions invalidant les comportements patrimonialistes tout en aidant à leur reproduction font partie des facteurs structurels conditionnant le jeitinho brésilien. À la vivacité de celui‑ci contribuent aussi d’autres phénomènes et processus tels que les criantes inégalités sociales, caractérisant encore nettement l’activité économique, un régime pénal et judiciaire des plus libéraux, les généreuses libertés et immunités que s’accorde la classe politique, les collusions fréquentes de celle‑ci avec le monde du banditisme, l’impunité qui accompagne la puissance, que celle‑ci soit politique, économique ou même criminelle, les incertitudes et instabilités des règles, les politiques d’assistance, la facilité à transgresser la frontière entre sphères publique et privée, jusques et y compris dans l’espace physique, la fréquente soumission de l’appareil d’État et de ses ressources aux intérêts de catégories particulières, sociales ou corporatives, etc. Ce sont là des sources, variées et récurrentes, qui actualisent sans cesse le patrimonialisme au Brésil et lui assurent encore un prospère avenir. NOTES   1. Le terme jeitinho, littéralement « la petite habileté », est utilisé par les Brésiliens pour désigner les mille et un arrangements quotidiens permettant d’accommoder les contraintes et de contourner les règles, souvent en contrepartie d’un pourboire (propina) ou d’un échange de services.   2. Voir Y.‑A. Fauré et J.‑F. Médard : « L’État‑business et les politiciens entrepreneurs. Néo‑patrimonialisme et Big Men : économie et politique », dans S. Ellis et Y.‑A. Fauré (dir.), Entreprises et entrepreneurs africains, Paris, Éd.  Karthala/Éd. de l’ORSTOM, coll. « Hommes et sociétés », 1995, p.  289. Notre définition s’apparente aux conceptions et aux approches de ceux qui furent les pionniers de la réintroduction du patrimonialisme  – terme que, par commodité, on adoptera ici en lieu et place de néopatrimonialisme pour décrire des situations contemporaines  – dans l’analyse sociale et politique : par exemple, A. Zolberg, Creating Political Order: The  Party‑States of West Africa, Chicago (IL), Rand MacNally, coll. “Studies in political changes”, 1966 ; G. Roth, “Personal Rulership, Patrimonialism and Empire Building in the New States”, World Politics, 20(2), January  1968, p.  194‑203 ; J.‑C. Willame, Patrimonialism and Political Change in the Congo, Stanford, Stanford University Press, 1972 ;

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R.H. Jackson and C.G. Rosberg, Personal Rule in Black Africa: Prince, Autocrat, Prophet and Tyrant, Berkeley (CA), University of California Press, 1982. B. Badie et G. Hermet, Politique comparée, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Themis, Science politique », 1990. L. Hippolito, Por dentro do governo Lula : Anotações num diário de bordo, São Paulo, Editora Futura, 2005. O Globo, 22 décembre 2002. O Globo, 4 août 2005. Plusieurs analystes ont usé de notions, termes et expressions variés pour rendre compte de processus assimilables au patrimonialisme : « système de patronage » (C.S. Clapham, Private Patronage and Public Power: Political Clientelism in the Modern State, London, Francis Pinter, 1982, p. 162‑192), « régime clientéliste » ( J.‑F. Bayart, L’État au Cameroun, Paris, Presses de la FNSP, 1979), « économie politique des prébendes » (R. Joseph, Democracy and Prebendal Politics in Nigeria: The Rise and Fall of the Second Republic, Cambridge, Cambridge University Press, coll. “African studies series, 56”, 1987), « politique du ventre » ( J.‑F. Bayart, L’État en Afrique : la politique du ventre, 1re éd., Paris, Fayard, coll. « L’espace du politique, 29 », 1989), etc. B. Badie et G. Hermet, 1990, op. cit., p. 257. P. Léna, C. Geffray et R. Araújo (dir.), « L’oppression paternaliste au Brésil », Lusotopie, (L’oppression paternaliste au Brésil ), 1996, diverses contributions : p. 111‑353. Parmi les plus importantes de ces « affaires » figurent les suivantes dans leur appellation courante au Brésil : Waldomiro, Correios, mensalão et Valérioduto, sanguessugas, vampiros, dossiêgate, etc. Règles et procédure pénales, règlements des Assemblées législatives, immunités politiques organisées par la constitution, etc. servent de solides boucliers aux inculpés et très peu sont finalement sanctionnés. La plupart des élus impliqués dans ces « affaires » ont été reconduits dans leurs mandats lors des scrutins d’octobre 2006. Le second pilier qui différenciait le PT consistait dans son engagement à mettre en œuvre une politique économique opposée aux mesures libérales des gouvernements précédents. Sur ce point aussi, la continuité l’a largement emporté sur la rupture. La présente étude a été rédigée en octobre 2006. Depuis, de nouvelles « affaires » de détournements de fonds et, plus généralement, de « corruption », dont certaines de très grande ampleur et impliquant plusieurs

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formations politiques, ont émaillé la scène publique brésilienne (opération navalha, etc.). Le même système de dépouilles est en vigueur à l’échelle des quelque 5 561 municipalités brésiliennes. Sa description et surtout ses effets en termes de gestion économique et de développement local sont précisés dans Y.‑A. Fauré (« Décentralisation institutionnelle et dynamiques économiques localisées. Discordances brésiliennes », Série Document de travail, DT/99/2004, CED‑IFREDE‑GRES‑Université Bordeaux IV, juin 2004 ; et « Des politiques publiques décentralisées entraves au développement local. Expériences brésiliennes : décentralisation et développement local. Un lien repensé », Revue Tiers Monde, 181, janvier‑mars 2005, p. 95‑118) et dans Y.‑A. Fauré et L. Hasenclever (dir), O Desenvolvimento Local no Estado do Rio de Janeiro. Estudos avançados nas realidades municipais, Rio de Janeiro, Editora E‑Papers, 2005. Exactement 19 925 en 2005 (source  : Ministério do Planejamento, Orçamento e Gestão), en augmentation de près de 2 000 au cours des trois premières années de la « présidence Lula ». Ces chiffres excluent les mêmes types de postes dits de confiance (cargas comissionadas) en exercice au sein du Législatif et du Judiciaire fédéraux, des entreprises publiques et d’économie mixte, des exécutifs, législatifs et judiciaires des États fédérés et des municípios. Sur ce sujet, voir les dossiers assez complets publiés par la Folha de São Paulo, 16 mars 2003 et par O Globo, 15 octobre 2006. D. Samuels, Gasto público menor e ef iciente, São Paulo, Editora Topbooks, 2006. On ne sait à l’heure actuelle si cette décision sera appliquée, un vent de fronde s’étant levé parmi les juges, plusieurs tribunaux s’étant mobilisés et coalisés contre cette mesure considérée comme attentatoire à l’indépendance de la corporation. Ce résultat vient confirmer des enquêtes antérieures (O Globo, 16 mars 2005). Les augmentations antérieures se limitaient à des ajustements pour maintenir le pouvoir d’achat du troisième âge. La loi de responsabilité financière (Lei de Responsabilité Fiscal) de 2000, si elle a eu quelques effets modérateurs sur les finances publiques (voir Y.‑A. Fauré, 2005, op. cit.), n’a toujours pas endigué la tradition consistant à gonfler les dépenses publiques en période préélectorale. Une récente étude produite par les chercheurs de la Fondation Getúlio Vargas indique que, depuis 1983, en moyenne, les revenus des Brésiliens se sont accrus de 12,1 p. 100 lors des années d’élections présidentielles et

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de gouverneurs, subissant une décrue de 11,9 p. 100 l’année suivante. Dans l’ensemble de ces revenus (salaires, pensions de retraites, etc.), ce sont les dépenses gouvernementales de transfert – composées notamment par les programmes sociaux – qui, en moyenne, ont le plus augmenté les années de scrutin : +24 p. 100 (source : Centro de Políticas Sociais, Fundação Getúlio Vargas, 2006). Les mesures ponctuelles ou spécifiques de faveur prennent ainsi sens dans cette atmosphère générale propice aux libéralités par temps électoraux. Y.‑A. Fauré, 2005, op. cit. Les changements d’adhésion aux partis politiques – correspondant entre autres à des passages entre opposition et base gouvernementale – lors des sept législatures depuis le retour au régime civil ont été au nombre de : 168 (1983‑1987), 174 (1987‑1991), 261 (1991‑1995), 207 (1995‑1999), 225 (1999‑2003), et dépassent les 200 dans l’actuelle législature 2003‑2006 (source : Secretaria Geral das Mesas do Congresso). On limite ici la description aux seuls organes législatifs de l’Union. Les mêmes tendances, toutes proportions gardées, s’observent dans les organes législatifs des autres échelons de la Fédération (27 États, y compris le District fédéral, et les 5 561 municípios). Ajoutons à l’ampleur des dépenses des appareils législatifs le fait qu’elles ne sont pas proportionnelles à l’importance démographique des unités considérées. Ainsi, par exemple, l’Assemblée législative de l’État de Rio présente un coût supérieur de 25 p. 100 à celui de l’Assemblée de l’État de São Paulo pour une population deux fois moindre (voir, entre autres, O Globo, 22 octobre 2006). Jornal do Brasil, 18 février 2006. À ceux‑ci s’ajoutent 4 400 retraités et ayants droit (inativos e pensionistas) (source : Tesouro Nacional et Câmara dos Deputados). Cité par la Folha de São Paulo, 6 avril 2006. D. Ribeiro, O Povo Brasileiro: A formação e o sentido do Brasil, São Paulo, Companhia das Letras, 2006. Cette dernière comparaison n’est pas insolite dans le contexte national : en 2006, le voyage de l’astronaute brésilien sur un engin russe a été acquitté par le gouvernement de Brasilia à un tarif commercial, et certains se sont gaussés de ce périple jugé par eux plus touristique que scientifique. Voir, par exemple, O Globo, 25 avril 2006. F. Rodrigues, Políticos do Brasil. Uma investigação sobre o património declarado e a ascensão daqueles que exercem o poder, São Paulo, Editora Publifolha, 2006. Voir Y.‑A. Fauré, 2004, op. cit. R. Da Matta, Carnavals, bandits et héros : ambiguïtés de la société brésilienne, Paris, 1983, Éd. du Seuil, coll. « Esprit », 1978.

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XII

Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi : entre charisme médiatique et représentation politique et sociale Mauro Barisione

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a démocratie italienne des vingt dernières années a souvent été présentée comme une sorte de laboratoire politique, au sein duquel certaines tendances communes aux démocraties contemporaines se manifestaient dans leur expression la plus extrême. Dominée par la figure centrale de Silvio Berlusconi qui fut, à plusieurs reprises, soit Premier ministre soit leader de l’opposition politique, la scène politique italienne peut être analysée essentiellement à la lumière du « cas Berlusconi », au moins dans la mesure où le but de l’analyse est de faire ressortir la dimension néopatrimoniale de la sphère publique politique et de l’exercice du pouvoir. Toutefois, l’expérience politique du « Berlusconisme » n’est pas, à son tour, intelligible en dehors du cadre historique et social dans lequel elle a pu apparaître et s’épanouir. Ainsi, les éléments néopatrimoniaux que l’on peut déceler dans une pratique répandue de privatisation du public et de publicisation du privé doivent être analysés comme les ingrédients d’une dynamique plus complexe, combinant des facteurs à la fois structurels et conjoncturels. Les sources de la légitimation politique de ce cas sont en effet multiples, et peuvent être recherchées tant dans la dimension charismatique émergeant d’une conjoncture extraordinaire de crise nationale, que dans les éléments idéologiques et de représentation politique mobilisés à partir d’une structure sociale plus profonde.



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Dans l’analyse de cette forme de « néopatrimonialisme hybride » qui semble caractériser le cas Berlusconi, nous examinerons d’abord la genèse de ce phénomène dans son contexte historique et dans sa spécificité nationale ; ensuite, nous considérerons l’interaction entre un élément de type patrimonial tel que l’usage politique des ressources médiatiques, et l’élément de nature charismatique lié à la reconnaissance publique d’un leadership perçu comme « extraordinaire ». Enfin, nous en présenterons les aspects les plus typiquement néopatrimoniaux, tout en soulignant une difficulté qui nous paraît être au fond la raison essentielle de son succès : celle de scinder clairement ces éléments d’une part et, d’autre part, le discours politique, les énoncés idéologiques et les justifications sociologiques qui concourent, par un usage stratégique et un effort communicationnel continus, à la légitimation publique de la domination berlusconienne. LA GENÈSE DU BERLUSCONISME ET LE CONTEXTE SYSTÉMIQUE ET CULTUREL

Le cas Berlusconi révèle des caractéristiques à la fois systémiques et culturelles spécifiques au contexte italien. Au plan systémique, il faut souligner le rôle joué par les partis politiques comme principales ancres institutionnelles pour la consolidation et le maintien d’une démocratie qui jouissait, dans l’ère républicaine postérieure à la Seconde Guerre mondiale, d’une légitimité limitée auprès de la société civile1. Le système de partis avait également la particularité d’être un « bipartisme imparfait »2 du fait de la présence du plus grand Parti communiste occidental. Il en résultait une polarisation inachevée, celui‑ci étant dans l’impossibilité, pour des raisons de politique internationale, d’accéder au gouvernement et de rendre possible une démocratie de l’alternance. Pour ce qui est de la culture politique, le fonctionnement de la démocratie italienne renvoie à deux phénomènes que les historiens de la fin du xixe siècle mettaient déjà en lumière : la tendance à un certain « transformisme » – ou capacité à se métamorphoser politiquement – au sein de la classe politique, et la large diffusion de pratiques clientélistes aux différents niveaux du pouvoir3. Au‑delà de ces données de fond, et pour bien cerner le cas Berlusconi, il est également nécessaire de retracer la genèse de son itinéraire politique, lié aux événements politiques contingents du début des années 1990. L’arrivée de Silvio Berlusconi sur la scène politique est à



Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi

mettre en rapport avec le déficit inédit de représentation que la disparition soudaine des principaux partis de la première République avait produit dans le système politique et dans la société italienne. Les célèbres enquêtes anticorruption conduites à partir de 1992 avaient impliqué des représentants majeurs des partis historiquement au gouvernement, c’est‑à‑dire la Démocratie chrétienne, le Parti socialiste, le Parti républicain, le Parti libéral et le Parti social‑démocrate. Après avoir perdu en quelques mois leur capital de crédibilité et leur légitimation publique, ces derniers avaient littéralement implosé. Aucun de ceux‑ci, qui représentaient un électorat modéré, idéologiquement plutôt hétérogène mais essentiellement anticommuniste, ne devait survivre aux scandales judiciaires. Il en est résulté un déficit important d’offre politique en vue des élections législatives anticipées de 1994. Le principal parti postcommuniste – le Parti démocrate de la gauche –, qui était traditionnellement dans l’opposition et avait été relativement épargné par les enquêtes, paraissait alors destiné à obtenir une majorité parlementaire aisée. Sur la scène publique de ce début des années 1990, S. Berlusconi était un entrepreneur extrêmement connu, qui s’était imposé dans un premier temps dans le domaine immobilier pour ensuite diversifier ses activités dans des domaines aussi variés que la télévision, les services financiers, la publicité, la grande distribution, ou le football. Bien qu’il ne se soit pas directement impliqué en politique, des liens personnels directs l’avaient rapproché du leader ultramodernisateur du Parti socialiste, Bettino Craxi, considéré comme son « parrain » politique au sein du gouvernement. Tout semblait l’éloigner en revanche de l’univers postcommuniste : systèmes de valeurs, styles culturels, modèles de consommation, mais aussi intérêts économiques, horizons financiers et stratégies d’entreprise4. Deux faits relatifs aux activités de Fininvest, la principale société dont Berlusconi était propriétaire, semblent avoir contribué à sa décision de descendre lui‑même dans l’arène politique : l’implication embryonnaire du groupe Fininvest dans certains chapitres des enquêtes judiciaires en cours et le fort endettement financier de ce dernier. De telles interprétations, si on les retient, tendent à accréditer la thèse de l’interchangeabilité des ressources politiques et économiques des chefs néopatrimoniaux5. Selon cette hypothèse, un changement du cadre politique favorable à la gauche démocratique postcommuniste aurait pu avoir des conséquences

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néfastes pour les équilibres de la société Fininvest, dépendante de banques encore pour la plupart de propriété publique. À l’inverse, la possibilité d’accéder directement aux centres politiques décisionnels pouvait permettre de limiter les dommages attendus de procédures judiciaires destinées à se multiplier dans les années à venir. Après l’écroulement des principales forces politiques italiennes, la consécration de Berlusconi comme acteur politique s’est faite par le biais d’une déclaration de soutien en faveur de Gianfranco Fini, à l’occasion des élections municipales de Rome en novembre 2003. Fini était le leader du Mouvement social italien, une petite formation de droite nostalgique de l’expérience fasciste de la République de Salò (1943‑1945). Ce nouveau positionnement public allait servir de prélude au lancement, quelques semaines plus tard, d’un parti politique, Forza Italia, suivi par la conquête du leadership d’une plus large coalition politique. Outre le parti de Fini, débarrassé pour l’occasion de l’étiquette postfasciste et renommé « Alliance nationale », cette coalition englobait la formation fédéraliste aux accents xénophobes de la Ligue du Nord et le segment le plus conservateur de la vieille Démocratie chrétienne. Si l’on suit l’hypothèse qu’« un homme riche ne puisse se réaliser pleinement en tant que big man que s’il entre en politique »6, le cas Berlusconi semble donc conforme à l’idéal-type. Toutefois, les objectifs plus ou moins latents d’autodéfense d’intérêts personnels ou privés paraissent difficilement dissociables de la quête, publiquement énoncée, d’une alternative politique au gouvernement de gauche. L’appel rhétorique à l’anticommunisme en est l’exemple paradigmatique, s’exprimant dans ses formes les plus élémentaires mêlant vieilles techniques de la propagande idéologique à la mobilisation des nouveaux canaux de la communication politique médiatisée. L’anticommunisme allait également fournir le fil conducteur de toutes les campagnes électorales ultérieures, afin de (re)mobiliser un électorat en majorité hostile ou non identifié à la tradition communiste. À telle dimension idéologique s’est ajouté un facteur sociologique plus complexe : cette sorte de représentation sociale que l’offre politique de Berlusconi est parvenue à construire – bien que probablement dans une vision de représentation plus « symbolique » que « substantielle »7 – pour des couches significatives de la population, notamment pour les catégories socioprofessionnelles liées au travail autonome.



Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi

Il est en effet nécessaire de considérer que la structure particulière de la société et de l’économie en Italie se fonde sur une proportion remarquablement élevée de petites et moyennes entreprises à majorité familiales d’une part, et de travailleurs autonomes (petits entrepreneurs, professions libérales, commerçants, artisans) sur le total de la population active d’autre part ; et que, par ailleurs, le nombre de lois qui réglementent les activités productives y est considérablement plus élevé que dans les autres grands pays européens8. Pour une sorte d’interaction entre la nécessité de s’inventer quotidiennement une forme d’adaptation et d’esquive des contraintes législatives d’une part, et l’adhésion à un type de culture civique individualiste et particulariste inspirée de ce qui fut défini comme une forme de « familialisme amoral »9 de l’autre, l’attitude commune à cette couche importante de la population italienne est celle d’une méfiance fondamentale non seulement envers l’État, souvent perçu comme le contrôleur à fuir aussi bien en matière d’impôts que de législation du travail, mais aussi envers l’univers du secteur public, identifié comme un fardeau économique et un obstacle à la compétition. Cette catégorie si symptomatique de la société italienne s’est révélée particulièrement sensible aussi bien au discours politique de Berlusconi, souvent évoquant le « vol » accompli de l’État qui demande aux entrepreneurs la moitié de leurs gains et ouvertement légitimaire face à la pratique exceptionnellement répandue de l’évasion fiscale, qu’à son appel idéologique de type anti étatique et néolibéral, mélangé à des accents populistes et à des éléments empruntés à la tradition catholique‑populaire. Ce n’est pas un hasard si, aux élections législatives de 2006, vaincues de peu par la coalition de centre‑gauche, la coalition de centre‑droit menée par Silvio Berlusconi obtenait environ 67 % des voix parmi l’ensemble des travailleurs autonomes, donnant lieu ainsi au clivage le plus significatif entre les possibles facteurs explicatifs du vote dans l’Italie contemporaine10. Un dernier élément doit être pris en compte avant d’en venir aux composants les plus typiquement néopatrimoniaux qui caractérisent les formes quotidiennes de la domination berlusconienne – de la propagation de la politique informelle à la personnalisation du pouvoir, de la publicisation du privé au conflit d’intérêts. Les pages qui suivent s’attachent à rendre compte de la dimension « extraordinaire » de cette légitimation du leadership politique dans sa phase critique initiale, qui a souvent induit les observateurs à évoquer la notion wébérienne de « charisme ».

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Cependant, l’élément charismatique est lui aussi indissociable du canal médiatique et du moyen télévisuel, qui donnent une empreinte décisive à la relation singulière post ou pseudo‑charismatique entre un leader donné et ses électeurs. Mais il n’est pas non plus dissociable de l’élément patrimonial, présent sous la forme de « ressources contextuelles‑­persuasives »11 du leader, qui, dans le cas qui nous intéresse, est propriétaire de ces mêmes moyens de communication qui participent à la construction de la domination « charismatique ». Pris dans leur ensemble, ces éléments – patrimoniaux, média‑charismatiques, idéologiques et de représentation sociale – constituent les fondements de ce que nous définissons ici comme le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi12. ENTRE LEADERSHIP CHARISMATIQUE ET PROPRIÉTÉ TÉLÉVISUELLE

Parmi les conditions nécessaires à l’avènement d’un leadership de type charismatique13 figure un contexte exceptionnel de crise – à savoir, dans le cas italien des années 1992‑1994, une crise institutionnelle et un état d’« anomie » politique accompagnés d’une disparition des repères partisans traditionnels. C’est en effet dans les situations historiques extraordinaires qu’un homme doté de qualités perçues comme exceptionnelles, pourra être reconnu par la masse comme un leader charismatique, investi d’une mission salvatrice pour le pays. C’est bien comme cela qu’apparaît la stratégie narrative que pratique Berlusconi pour présenter, au début de 1994, sa candidature à un leadership national. La mission est celle d’un outsider couronné de succès  – la phrase « comme entrepreneur, Berlusconi y’a pas à discuter » en est le stéréotype le plus diffus – qui, fort d’une vie exemplaire sur le plan des réalisations individuelles, se propose d’être le sauveur du pays face au péril de la gauche communiste, mais aussi le porteur d’une nouvelle ère de prospérité et de succès nationaux14. Le contexte de crise, un parcours personnel censé être exemplaire et la tonalité messianique du message sont des éléments qui coïncident avec l’idéal‑type de légitimation charismatique du pouvoir. Il en va de même pour l’élément de la reconnaissance populaire, dont témoigne la surprenante victoire électorale de mars 1994 à la tête d’une coalition politique axée sur un parti « personnel »15, Forza Italia, tout récemment fondé.



Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi

Considérer que le leadership berlusconien relève du type charismatique n’est toutefois pas totalement justifié, et cela pour plusieurs raisons. Premièrement, si le leadership charismatique est par définition lié au caractère exceptionnel du contexte, l’étiquette n’est plus utilisable dès lors qu’il s’agit de décrire les bases ordinaires et continues de l’exercice du pouvoir politique. Berlusconi n’aurait été un leader charismatique que partiellement et durant la phase de statu nascendi de son expérience politique. Cela n’était plus le cas avec l’inévitable processus d’institutionnalisation de son leadership, achevé notamment par sa nomination en tant que Premier ministre (avril 1994, puis mai 2001 et encore mai 2008). Il a également été observé16 que son message, visant trop explicitement à la conquête d’un consensus majoritaire et à la maximisation des résultats économiques (personnels et n ­ ationaux), contrastait avec ce désintérêt supérieur et cette énergie visionnaire et révolutionnaire propres au type pur de leadership charismatique. Enfin, l’utilisation de la télévision comme principal moyen pour la construction d’un leadership charismatique peut contenir une contradiction intrinsèque, notamment à cause des effets de « restructuration de l’espace » engendrés par les médias électroniques quant aux rapports entre leader et électeurs17. La télévision tend en effet à réduire la distance entre l’acteur (le leader) et le spectateur (le citoyen). Elle contribue donc à banaliser le leader, à le démystifier, tout en l’abaissant au niveau de son audience18. Ce faisant, la télévision nie la possibilité d’un leadership authentiquement charismatique, fondé sur une aura de grandeur et sur une perception de supériorité que seul le maintien d’une certaine distance physique et symbolique pourrait garantir19. De ce fait, Berlusconi aussi, à l’instar des autres leaders politiques des média‑­démocraties contemporaines, serait tout au plus un leader pseudo‑charismatique, doté d’un charisme « postiche »20 ; ou média‑charismatique, dès lors que, dans l’usage journalistique et quotidien d’aujourd’hui, on emploie l’adjectif « charismatique » là où l’on entend plus simplement « communicatif » ou « télégénique »21 ; ou encore « postcharismatique », faisant référence à une ère communicative, télévisuelle et encore plus digitale, où le charisme dans l’acception wébérienne est devenu structurellement impraticable22. Le charisme attribuable au leadership de Berlusconi peut donc être considéré profondément hybride ou éloigné du type pur. Une telle hybridation mérite également d’être mise en relation avec la forte contamination de la composante média‑charismatique par les éléments de type

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patrimonial, relatifs à la propriété et au contrôle des moyens de définition du leadership charismatique lorsqu’il est mis en scène publiquement. Le débat autour du rôle des télévisions de Berlusconi dans la détermination de ses succès électoraux a longtemps été central en Italie. L’observateur externe, dès lors qu’il se place du point de vue des journalistes23, ne peut que stigmatiser une étrange réticence des analystes italiens à identifier la télévision comme le secret mal caché du pouvoir politique de Berlusconi. En effet, le principe selon lequel « Berlusconi a gagné les élections parce qu’il possède les télévisions » a subi le sort des objets rapidement usagés pour excès d’utilisation : trop souvent proférée dans les premiers temps de l’ère berlusconienne, cette affirmation a subi un traitement critique tellement intense qu’elle en est devenue imprononçable, sinon au risque d’immédiates accusations de simplisme et de banalité. Bien sûr, il serait méthodologiquement et, plus encore, épistémologiquement irréaliste de penser pouvoir obtenir, à partir des données empiriques, une réponse définitive quant aux effets électoraux directs des canaux télévisuels Mediaset contrôlés par Berlusconi. Certes, un modèle économétrique construit à partir de données d’enquête24 a semblé attribuer à ces canaux un effet décisif en termes de voix déplacées en direction du centre‑droit. D’autres analyses du vote conduites à un niveau agrégé, ont, en revanche, mis en lumière une notable stabilité des comportements électoraux au niveau territorial25. Plus généralement, les spécialistes en communication politique ont dénoncé le risque d’un retour à un comportementalisme naïf dans l’interprétation des effets des médias sur le vote26. Lors des campagnes électorales italiennes des années 1990 et 2000, ils ont effectivement constaté un net effet de mobilisation et de réactivation des identités politiques existantes (anticommunisme contre antiberlusconisme), et une moindre importance des conversions et déplacements des voix d’un camp à l’autre27. Ces campagnes conduites à travers la télévision, en somme, ne feraient basculer que très peu de voix d’une coalition à l’autre, notamment du fait d’un double mécanisme d’exposition et de perception sélectives : les électeurs qui suivent l’information politique des chaînes Mediaset seraient déjà affectivement proches de Berlusconi28, alors que ceux de centre‑gauche tendraient d’une part à suivre essentiellement les chaînes publiques de la RAI pour l’information politique, et d’autre part à interpréter en termes négatifs toute communication ayant pour objet le leader du centre‑droit29.



Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi

L’empreinte de la contamination patrimonialiste sur le charisme médiatique de Berlusconi a pu se manifester sous des formes autres que celles de l’impact électoral immédiat et direct. En premier lieu, il faut considérer l’hypothèse d’un effet de « culture » (cultivation effect) de long terme, d’une sorte d’adéquation culturelle entre telle offre télévisuelle et telle offre politique et symbolique. Selon cette hypothèse, les chaînes Mediaset auraient affirmé et rendu socialement dominants des styles culturels et des modèles de consommation particulièrement congruents avec la proposition de leadership incarnée par Berlusconi. Cela pouvait également impliquer une mise en valeur implicite des éléments néolibéraux et individualistes contenus dans son amalgame idéologique et politique30. En second lieu, cette entrée en politique dans un contexte de crise et de fort changement représentait en soi un vecteur de nouvelles identifications politiques pour des électeurs privés des repères traditionnels. C’est dans ce processus de définition d’une nouvelle identité politique diffuse que ses télévisions privées se sont avérées susceptibles de déployer leurs effets les plus puissants, notamment en garantissant à l’intéressé une forte visibilité et en contribuant à la construction d’une image de leader média‑charismatique, clairement située dans un nouvel espace politique de centre‑droit31. Enfin, si rien ne peut démontrer l’impact direct sur le vote, et donc sur l’accès au pouvoir politique, des chaînes Mediaset, la couverture des campagnes électorales de la part de leurs organes d’informations s’est signalée, de façon tout à fait prévisible et même inévitable, tant pour le choix d’un cadrage (framing) d’informations qualitativement  – plus ou moins subtilement – favorable au candidat‑propriétaire, que pour des temps de présence et de parole quantitativement déséquilibrés en faveur de Berlusconi32. L’effet global de ce déséquilibre qualitatif et quantitatif dans les flux de communication politique provenant des chaînes Mediaset fut décisif, sinon pour la conversion de nouveaux électeurs, du moins pour le maintien du capital de consensus acquis dans la phase critique initiale – celle de la définition des nouvelles identités politiques. NÉOPATRIMONIALISMES ET DISCOURS POLITIQUE

La présence d’une importante dimension néopatrimoniale dans l’expé­ rience du cas Berlusconi est aussi bien perceptible durant ses années

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de gouvernement du pays, que dans la phase initiale du lancement du nouveau parti, sans parler des conditions préliminaires à cette expérience. Le préliminaire le plus évident concerne le thème déjà évoqué des ressources médiatiques et d’information politique à la disposition de l’un des candidats en présence. Cela a contribué ab origine à une situation paradoxale de déséquilibre compétitif, en laissant envisager la possibilité d’un usage personnel et partisan de ressources privées obtenues par concession étatique, en vue de missions de service public. Sur ce plan, la stratégie politique de Berlusconi paraît s’être toujours inspirée d’une logique de type patrimonial : par exemple en transférant, quand ceci était nécessaire, la propriété formelle à des membres de sa famille ou aux plus fidèles collaborateurs, tout en conservant un contrôle substantiel malgré la vente de certaines parts de propriété à des associés externes33. La phase de fondation de Forza Italia, sujet de droit privé issu de la société civile mais concourant à l’exercice du pouvoir politique, offre un exemple évident de déploiement de pratiques néopatrimoniales, du fait de « l’immédiate correspondance entre structures de parti et cadres de l’entreprise » et une totale « identification entre leadership et propriété »34. Dès l’origine Forza Italia s’est appuyée, pour toutes ses activités constitutives – dirigeants, responsables locaux, candidats, mais aussi logistique, communication, marketing, sondages, organisation territoriale  – sur le principal groupe appartenant à Berlusconi (dans sa phase initiale dénommé Fininvest et comprenant les chaînes du futur Mediaset) et sur sa branche publicitaire (Publitalia). L’ensemble de l’organigramme du parti se présentait comme une sorte d’« appareil personnel »35, et reflétait un système de relations fondé sur un principe de fidélité et de proximité à la personne du leader. Ceci contribuait à donner vie à une sorte de dimension clanique qui dissolvait toute distinction entre parti et business36. Le modèle de Forza Italia apparaissait unique également sur le plan des financements, puisqu’il préfigurait un système dans lequel un parti dépend d’une seule entreprise et de son propriétaire. En ce sens, « la relation symbiotique de Forza Italia avec Fininvest produit des conflits d’intérêts sur une échelle qui n’a pas de précédent »37. Malgré un processus partiel d’institutionnalisation du modèle organisationnel et d’enracinement du parti sur le territoire au fil des années38, la définition de « parti entreprise » s’accole toujours à celle de « parti personnel » afin de désigner le modèle originel de parti de Forza Italia. Cela



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a contribué à rappeler la nature singulièrement hybride de l’offre politique de Berlusconi, tout à la fois néopatrimoniale et postcharismatique. En matière de néopatrimonialisme, néanmoins, la question centrale demeure l’enchevêtrement entre intérêts privés et intérêts publics, entre entreprise et gouvernement, entre « patrimoine » et État. Ce qui est ici en jeu est, plus précisément, la capacité, y compris à l’état potentiel, de générer des bénéfices d’entreprise à travers des réglementations contraignantes fixées dans l’exercice des fonctions du gouvernement. En un mot, c’est tout le problème du « conflit d’intérêts », que pose l’hypothèse du glissement d’une forme de parti‑entreprise vers un « gouvernement‑entreprise » capable d’atteindre le cœur des institutions étatiques. La question est bien connue et fut débattue dès la première candidature politique de Berlusconi, qui souleva le débat sur l’opportunité d’une loi restreignant l’accès des détenteurs d’intérêts économiques importants à des charges publiques. Dès cette époque, en effet, un paradoxe potentiel apparaît clairement : celui d’un conseil des ministres discutant ou approuvant un projet de loi en matière d’assurances, d’éditions, ou d’attribution de fréquences télévisuelles, etc., au sein duquel le Premier ministre serait porteur d’un intérêt personnel. En cela, l’existence d’une volonté stratégique de favoriser un intérêt économique spécifique peut être considérée comme secondaire, une issue objectivement favorable pouvant être indépendante d’une intention explicite. Malgré cela, les gouvernements de centre‑gauche qui se sont succédé entre 1996 et 2001 – soucieux de dialoguer avec l’opposition guidée par Berlusconi afin de réaliser une réforme constitutionnelle plus vaste  – ne furent jamais capables de parvenir à une loi sur le conflit d’intérêts. Le gouvernement Berlusconi lui‑même (2001‑2006) ne voulut pas adopter une mesure plus contraignante de la « loi Frattini », laquelle ne reconnaissait pas le caractère problématique de la propriété pour les prétendants à une fonction publique. Les problèmes engendrés par l’interpénétration entre ressources politiques et économiques se sont néanmoins présentés sous des formes variées et à plusieurs reprises. La loi pour la dépénalisation du faux en bilan et la « réforme Gasparri » sur les télécommunications en sont deux exemples particulièrement explicites. Dans le premier cas, l’effet immédiat fut l’annulation directe de chapitres entiers de certains procès qui concernaient les sociétés de Berlusconi39. Dans le cas de la réforme du marché des télécommunications, en revanche, les bénéfices furent plus diversifiés.

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On citera ici la dérogation à la décision de la Cour constitutionnelle qui imposait à l’une des chaînes Mediaset d’émettre seulement via satellite, l’élévation de facto du plafond limitant la concentration des propriétés dans le domaine des médias, ou encore la confirmation d’une situation de quasi‑monopole sur le marché publicitaire parmi les chaînes privées. De cette façon, le groupe appartenant au Premier ministre de l’époque a pu consolider par voie législative sa position dominante sur le plan national dans le secteur télévisuel et publicitaire40. Par‑delà la faible différenciation entre les sphères du politique et de l’économique, le problème de la poursuite des intérêts privés au sein de l’État s’est également manifesté dans la fusion entre domaines politique et judiciaire qui a véritablement marqué l’histoire du cas Berlusconi. Les mesures, prétendument de nature « libérale », destinées à réduire la marge d’action de la magistrature sont apparues comme des priorités pour les gouvernements successifs qu’il a présidés : une loi adoptée durant l’été 1994 (en pleine saison de l’enquête « Mains Propres ») a permis de limiter l’incarcération préventive des personnes faisant l’objet d’une enquête ; la « Loi Cirami » de 2002 a consenti aux avocats le droit de réclamer le déplacement du siège de l’instruction d’un procès en cas de « légitime suspicion » de non-impartialité des juges ; en 2003, le « Lodo Schifani », avant d’être abrogé en partie par la Cour Constitutionnelle en 2004, puis présenté de nouveau en 2008 sous la dénomination de « Lodo Alfano »,

a voulu garantir l’immunité du Premier ministre et des détenteurs des plus hautes charges de l’État. Dans tous les cas, les répercussions de ces dispositions législatives devaient être bénéfiques pour Berlusconi ou les représentants de ses entreprises et collaborateurs personnels qui étaient personnellement mis en cause dans divers procès. L’ensemble de ces actes n’a pu que renforcer l’image d’un leader politique enclin à « utiliser à son profit, subvertir ou encore contourner » les règles et les contraintes de la vie publique et institutionnelle41. Dans l’enchevêtrement complexe de type néopatrimonial entre organisation partisane, action du gouvernement et intérêts économiques et judiciaires, s’insère toutefois l’énonciation d’un discours politique structuré, qui avance des objectifs à la fois idéologiques (l’invocation d’un État libéral face à une présumée « République des juges ») et pragmatiques (l’appel à la nécessité d’une force plus importante des groupes nationaux dans la compétition mondiale). Il en résulte la difficulté de



Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi

faire exactement la part entre idéaux, rationalisations a posteriori et simple propagande dans le décodage public du discours berlusconien. C’est ainsi que la réduction de l’impôt sur les revenus les plus élevés, ou l’abolition des taxes de succession sur les grands patrimoines, répondent à un objectif, inséré dans une matrice néolibérale, de poursuite d’une politique de réduction du poids de l’État. Pour autant, ces mesures ont pour résultat objectif de faire économiser chaque année d’importantes sommes au citoyen privé et à l’entrepreneur. Dès lors, les bénéfices engagés du fait de cette fusion profonde entre discours public et position privée pourraient même être considérés comme le but premier de cette entrée en politique. Celui‑ci, alors même qu’il annonçait sa candidature, acquérait en effet les droits d’usage de l’argumentation qui accompagnera toute sa défense publique : au cours des nombreux procès judiciaires où il sera impliqué dans les quinze années successives, il ne cessera de dénoncer la nature fondamentalement politique, porteuse d’intérêts partisans, des attaques de la magistrature. En plus de la question de conflit d’intérêts potentiel, une autre trace de type néopatrimonial marque l’expérience de ce gouvernement. Elle peut être décelée dans le processus de diffusion de la politique informelle vers la sphère des institutions formelles, parallèlement à un phénomène de personnalisation du pouvoir politique. Parmi les exemples les plus représentatifs de ces processus, il est possible d’indiquer : la nomination de certains de ses avocats personnels comme ministres ou présidents de commissions parlementaires ; l’utilisation de sa résidence privée de Rome pour des rencontres intragouvernementales, ou de sa villa en Sardaigne pour la réception informelle de chefs d’État étrangers avec lesquels il affirmait entretenir des relations d’amitié personnelles (Vladimir Poutine et Tony Blair). À ceci s’ajoutera l’invitation à des dîners hebdomadaires, systématiques à partir de 2001, de Umberto Bossi, leader de la Ligue du Nord, le parti responsable de la chute du premier gouvernement Berlusconi en 1995 ; et plus généralement, l’accent mis sur le jeu des relations personnelles et sur les réseaux de fidèles, fondés sur l’octroi d’imposantes « ressources personnelles‑rétributives »42. Par ailleurs, dès qu’il eut obtenu, en tant que chef de gouvernement, un pouvoir de supervision formelle des nominations des dirigeants de la télévision publique (RAI), Berlusconi a paru se consacrer à une extension du réseau de ses fidèles au sein des institutions formelles, en nommant certains de ses ­collaborateurs de

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confiance dans des positions clés de la télévision publique. Ces dernières se sont révélées, à la lumière de certaines écoutes téléphoniques rendues publiques par la presse en 2007, et avec encore plus de retentissement en 2011 être autant de tremplins en vue de l’homogénéisation de l’information politique sur les chaînes RAI et Mediaset, et un contrôle des canaux étatiques d’information. Enfin, et pour renverser les termes de la problématique sur les formes de privatisation du politique, le cas Berlusconi semble combiner une tendance générale à la publicisation du privé, ou à l’exposition médiatisée de la dimension personnelle. Ce phénomène est à mettre en relation avec un processus plus global de personnalisation et de médiatisation de la politique moderne, mais aussi avec l’extension corrélative du champ d’intérêt des médias à la sphère privée de la personnalité publique. La communication de Berlusconi s’est nourrie en permanence de ces éléments personnalistes et privés, qu’il s’agisse d’anecdotes sur sa vie familiale, de l’exposition publique des désaccords de son couple, de la distribution de dizaines de millions d’exemplaires d’une biographie autoglorifiante, ou encore d’affiches représentant son portrait au détriment des candidats locaux de son parti. À ceci sont venues s’ajouter les affaires à connotation sexuelle révélées par les médias depuis 2009. Dans ce cas, toutefois, l’éclatement de ces scandales, ainsi que leurs conséquences judiciaires, ne reflètent en rien une stratégie berlusconienne de « publicisation du privé », mais confirment plutôt l’élargissement de l’emprise des médias jusqu’aux affaires les plus intimes de la vie des hommes publics. Encore une fois, le caractère singulièrement hybride du cas Berlusconi réside ainsi dans cette tendance à condenser les divers éléments – néopatrimoniaux, charismatiques et communicationnels, idéologiques et de représentation politique et sociale – en un unicum, qui est au fond l’essence de ce qui a été désigné et diversement défini comme « berlusconisme ». Ce phénomène, qui pourrait bien n’être qu’une variante de processus plus amples émergents dans les démocraties contemporaines, peut se décrire exactement comme la revendication sous forme idéologique, sociologiquement fondée et propagée par voie médiatique et personnalisée, de la privatisation du public et de la publicisation du privé.



Le « néopatrimonialisme hybride » du cas Berlusconi

NOTES   1. L. Morlino, « Consolidation démocratique : la théorie de l’ancrage », Revue internationale de politique comparée, 8(2) (La consolidation de la démocratie : nouveaux questionnements), 2001, p. 245‑267.   2. G. Galli, Il bipartitismo imperfetto: comunisti e democristiani in Italia, Bologna, Il Mulino, coll. « La specola contemporanea », 1966.   3. C. Tullio‑Altan, La nostra Italia: clientelismo, trasformismo e ribellismo dall’unità al 2000, Milano, Egea/Università Bocconi, 2000.   4. Par exemple, le PCI (Parti communiste italien) s’était battu au Parlement en 1989 pour que soient imposées des limites à la programmation des spots publicitaires, jugés culturellement délétères, des trois chaînes télévisées appartenant à Berlusconi (Canale 5, Rete 4, Italia 1). La même année, ce dernier avait engagé une bataille financière, doublée de multiples rebondissements judiciaires (procès Lodo‑Mondadori pour corruption en actes judiciaires) afin de s’adjuger le contrôle d’une série d’hebdomadaires et de quotidiens, parmi lesquels figuraient L’Espresso et La Repubblica, tous deux réputés politiquement de gauche.   5. J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F.  Médard (dir.), États d’Afrique noire  : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 323‑353.   6. Ibid., p. 343.   7. H.F. Pitkin, The Concept of Representation, Berkeley/Los Angeles, University of California Press, 1967.   8. P. Ginsborg, Italy and Its Discontents: Family, Civil Society, State, 1980‑2001, New York, Palgrave Macmillan, 2003.   9. E.C. Banfield and L.F. Banfield, The Moral Basis of a Backward Society, New York, The Free Press, 1958. 10. Un phénomène analogue fut également relevé aux élections de 2001, vaincues par la coalition de centre‑droit (I. Diamanti et R. Mannheimer, « Le basi sociali del voto. La frattura che attraversa i ceti medi », dans M. Caciagli et P. Corbetta (dir.), Le ragioni dell’elettore. Perché ha vinto il centrodestra nelle elezioni italiane del 2001, Bologna, Il Mulino, 2002). Italian National Election Studies (ITANES), Dov’è la vittoria? Il voto del 2006 raccontato dagli italiani, Bologna, Il Mulino, coll. « Contemporanea, 174 », 2006. 11. J.‑P. Lacam, « Le politicien investisseur. Un modèle d’interprétation de la gestion des ressources politiques », Revue française de science politique, 38(1), 1988, p. 23‑47.

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12. Le néopatrimonialisme comme catégorie d’analyse se présente toujours, du moins dans les démocraties contemporaines, sous une forme « hybride » greffée sur une base de domination légale‑rationnelle. Le phénomène d’hybridation auquel nous faisons ici référence se situe à un niveau plus spécifique, marqué par l’enchevêtrement profond des dimensions patrimoniale, charismatique, politico‑idéologiques et de représentation sociale du cas Berlusconi. 13. M. Weber, Wirtschaft und Gesellschaft, Tübingen, Mohr, 1922. 14. L. Cavalli, “The Personalization of Leadership in Italy”, Working Paper no 2, Firenze, Centro Interuniversitario di Sociologia Politica, 1994. 15. M. Calise, Il partito personale, Roma/Bari, Laterza, 2000. 16. E. Poli, “Silvio Berlusconi and the myth of the creative entrepreneur”, Modern Italy, 3(2), November 1998, p. 271‑279. 17. J.B. Thompson, The Media and Modernity: A Social Theory of the Media, Stanford (CA), Stanford University Press, 1995. 18. J. Meyrowitz, No Sense of Place: The Impact of Electronic Media on Social Behavior, New York (NY ), Oxford University Press, 1985. 19. D. Katz and R.L. Kahn, The Social Psychology of Organizations, 2nd ed., New York, Wiley, 1978. 20. J. Bensman and M. Givant, “Charisma and modernity: Use and abuse of a concept”, Social Research, 42(4), 1975, p. 570‑614. 21. D. Aberbach, Charisma in Politics, Religion and the Media: Private Trauma, Public Ideals, New York (NY ), New York University Press, 1996. 22. M. Barisione, L’immagine del leader: quanto conta per gli elettori, Bologna, Il Mulino, coll. « Contemporanea. Centosettanta, 170 », 2006. 23. T. Jones, The Dark Heart of Italy, London (UK), Faber and Faber, 2003. 24. L. Ricolfi, « Elezioni e mass media. Quanti voti ha spostato la tv », Il Mulino, 6, novembre‑décembre 1994, p. 1031‑1046. 25. R. D’Alimonte et S. Bartolini (dir.), Maggioritario ma non troppo: le elezioni politiche del 1994, Bologna, Il Mulino, 1995. 26. G. Mazzoleni, La comunicazione politica, Bologna, Il Mulino, coll. « Le Vie della civiltà », 2005. 27. H. Schadee et P. Segatti, « Informazione politica, spazio elettorale ed elettori in movimento », dans M. Caciagli et P. Corbetta (dir.), Le ragioni dell’elettore : perché ha vinto il centro‑destra nelle elezioni italiane del 2001, Bologna, Il Mulino, coll. « Studi e ricerche », 2002, p. 339‑369 ; ITANES, 2006, op. cit. 28. Les enquêtes relèvent de fortes corrélations entre les informations télévisées suivies habituellement (RAI vs Mediaset) et le choix de vote (centre‑­gauche



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vs centre‑droit). De telles relations sont toutefois interprétées comme étant moins le signe de modèles d’« influence » (des infos à la préférence politique) que l’expression de modèles d’« incorporation » (de la préférence politique aux infos) (G. Legnante, « Tra influenza ed incapsulamento  : cittadini, comunicazione e campagna elettorale », dans M. Caciagli et P.  Corbetta (dir.), Le ragioni dell’elettore  : perché ha vinto il centro‑destra nelle elezioni italiane del 2001, Bologna, Il Mulino, coll. « Studi e ricerche », 2002, p. 233‑273). Un trait personnel comme celui de son honnêteté offre un cas évident de perception influencée par les orientations idéologiques et affectives du récepteur : 77 % des sondés qui se situent au centre‑droit jugent qu’il est « fondamentalement honnête », contre seulement 16  % de ceux de centre‑gauche (M. Barisione, 2006, op. cit.). La corrélation significative entre les heures d’exposition quotidienne à la télévision et le vote pour Forza Italia semble favorable à cette hypothèse (ITANES, Perché ha vinto il centro‑destra, Bologna, Il Mulino, coll. « Contemporanea”, 2001). C’est justement dans les conjonctures politiques de crise, conflit ou fort changement, qu’apparaissent une plus grande ouverture à l’influence des médias, mais aussi une dépendance du public plus élevée envers ces derniers (M.L. DeFleur and S.J. Ball‑Rokeach, Theories of Mass Communication, New York/London (UK), Longman, 1989). Durant les deux mois de la campagne électorale officielle pour les élections législatives de 2006, la loi obligeait les moyens d’information à donner des temps télévisés égaux aux deux principaux leaders de la coalition. Malgré les sanctions économiques auxquelles elles pouvaient être soumises, les chaînes Mediaset ont globalement attribué 74 % du temps de parole à Berlusconi, les 26 % restant revenant à Prodi (données de l­’Observatoire de Pavie). Son frère possède officiellement le quotidien Il Giornale. Mediaset a pour président, l’ami de toujours Fedele Confalonieri. Son vice‑président est le fils de Berlusconi, Pier Silvio. Fininvest est présidée par sa fille Marina, qui dirige également les importantes Editions Mondadori. M. Prospero, Lo stato in appalto: Berlusconi e la privatizzazione del politico, Lecce, P. Manni Editore, coll. « Studi », 2003, p. 54. M. Maraffi, « Forza Italia », dans G. Pasquino (dir.), La politica italiana. Dizionario critico, 1945‑95, Roma, Laterza, coll. « Storia e società », 1995, p. 247‑259. F. Raniolo, “Forza Italia: A Leader with a Party”, South European Society and Politics, 11(3‑4), 2006, p. 439‑455.

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37. J. Hopkin, “Towards a chequebook democracy? Business, parties and the funding of Politics in Italy and the United States”, Journal of Modern Italian Studies, 10(1), March 2005, p. 55. 38. E. Poli, Forza Italia: strutture, leadership e radicamento territoriale, Bologna, Il Mulino, coll. « Studi e ricerche, 478 », 2001. 39. Procès Fininvest All‑Iberian, Sme‑Ariosto, Droits télévisés Mediaset. 40. M. Hibberd, “Conflicts of interest and media pluralism in Italian broadcasting”, West European Politics, 30(4), September 2007, p. 881‑902. 41. M. Lazar, L’Italie à la dérive : le moment Berlusconi, Paris, Perrin, 2006, p. 19. 42. J.‑P. Lacam, 1988, op. cit.

XIII

Clientélisme et patrimonialisme dans les relations internationales : le cas de la politique africaine de la France Daniel Bourmaud

I

l est devenu classique, pour ne pas dire commun, de considérer la relation entre la France et l’Afrique comme une relation à part. Sa singularité n’en finit pas d’intriguer l’observateur au point de susciter des réactions où se combinent l’analyse et l’opprobre. Il est vrai que les ingrédients de cette politique prêtent peu à la neutralité bienveillante. La corruption, le clientélisme et, sur un mode plus trivial, les coups tordus en constituent la trame ou, à tout le moins, en composent largement la substance. Souvent, les éléments retenus sont d’ailleurs incontestables. Et si les faits ne sont pas pleinement avérés, leur probabilité est suffisamment forte pour que l’analyse politique puisse s’en prévaloir. Mais pour en tirer quelles conclusions ? Jean‑François Médard a consacré une partie non négligeable de ses réflexions à l’analyse de cette relation singulière. En filigrane, la question du comment taraude la réflexion. Comment une ancienne puissance coloniale a‑t‑elle pu ainsi continuer à jouer un rôle aussi important dans son ancienne sphère d’influence et même au‑delà ? La question n’est pas sans implications. Ainsi formulée, elle privilégie la réflexion sur les moyens plus que sur les causes en insistant sur le poids des réseaux, le rôle clé de certains personnages emblématiques tels que Jacques Foccart, la prégnance des relations de type familial… Bref, un ensemble d’acteurs et de pratiques qui dessinent un tableau en apparence peu courant et difficilement réfutable. Pour autant, ce regard sur la politique africaine de la France, en se concentrant sur les instruments



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de la politique en question laisse largement dans l’ombre le problème de ses fondements. Les pages qui suivent tentent d’éclairer la politique africaine dans une optique contextuelle à laquelle d’ailleurs J.‑F. Médard1 lui‑même n’était pas insensible. En effet, l’approche stricte en termes de clientélisme et de patrimonialisme présente le risque de réduire la perspective en éludant l’analyse de l’environnement au sein duquel s’insère la politique africaine de la France. Même si cela peut s’apparenter à une banalité, il n’est pas sans importance de rappeler que la relation tissée entre la France et l’Afrique est une relation internationale. À ce titre, elle ne doit pas seulement être analysée à partir de la pratique des acteurs, mais en fonction aussi de la structure à l’intérieur de laquelle s’insèrent ces pratiques. Disons les choses de façon plus directe. Le rapport de clientèle observé dans les relations franco‑africaines est imbriqué dans une politique plus globale qui a ses propres déterminants. Que ceux‑ci viennent à changer et les pratiques s’en trouveront nécessairement altérées, voire inadaptées. La politique africaine de la France, telle qu’elle a été mise en place à partir des indépendances, est commandée par deux variables : l’idéologie et le système. La première renvoie à la conception que les gouvernants se font de la politique étrangère de la France et de la place qu’ils assignent à leur État dans les relations internationales. La seconde renvoie à la forme des rapports internationaux à un moment donné. C’est dans le cadre dessiné par ces deux variables en interaction que clientélisme et patrimonialisme peuvent ou non trouver leur place. Pendant près de trois décennies, grosso modo de 1960 à 1990, la politique africaine de la France s’est insérée dans une politique de puissance rendue possible par un système international bipolaire. Depuis une quinzaine d’années, elle suit le cours erratique d’une politique étrangère qui n’est pas encore parvenue à se redéfinir dans un monde globalisé. Autant le patrimonialisme avait trouvé dans la première configuration un terreau propice à son développement, autant la période ouverte avec la disparition du mur de Berlin ruine assez largement son utilité. LE PATRIMONIALISME AU SERVICE DE LA PUISSANCE

Rarement une politique n’a été autant façonnée par ceux qui l’ont conçue. La décolonisation donne naissance à une relation d’un type tout à fait



Clientélisme et patrimonialisme dans les relations internationales

particulier entre la France et l’Afrique. Politique d’exception si on la compare avec les politiques mises en place en Afrique par les autres anciennes puissances coloniales, la politique africaine de la France est indissociable du général de Gaulle. Pourquoi dès lors, sera‑t‑elle prolongée, pratiquement à l’identique, par les successeurs du Général ? C’est que, au‑delà de l’idéologie professée par le premier président de la Ve République, le gaullisme africain s’inscrit dans une vision du monde, commune à l’ensemble de la classe politique française. De cette unanimisme découle un système de relations franco‑africaines où l’instrument clientéliste/ patrimonial joue un rôle central. La relation entre la France et l’Afrique demeure incompréhensible si elle n’est pas reliée au projet politique porté par le général de Gaulle. L’Histoire ne se récrit pas, mais il paraît peu probable que la politique africaine de la France eût suivi le cours qui a été le sien si la IVe République ne s’était pas fracassée sur la guerre d’Algérie. Non que ses dirigeants eussent été indifférents à l’Afrique. La loi‑cadre adoptée en 1956, à l’initiative du ministre de la France d’outre‑mer Gaston Defferre, prépare en fait les indépendances en dépit de ses limites2. L’arrivée du Général à l’Élysée donne une tonalité particulière à la relation que la France va instituer avec ses anciennes colonies d’Afrique noire. D’abord parce que de Gaulle entretient un lien personnel avec le continent, qu’il a appris à connaître pendant la Seconde Guerre mondiale. Les pages qu’il consacre à l’Afrique dans ses Mémoires de guerre comme dans ses Mémoires d’espoir l’attestent. Mais aussi parce que la vision que l’homme du 18 juin a de la place de la France dans le monde le conduit à faire de l’Afrique un des piliers de l’influence française. L’intérêt se conjugue à la « générosité » et au « génie »3. Si la France défaite en 1940 a pu éviter le naufrage peut‑être définitif, elle le doit à l’Afrique qui a su lui rester fidèle, en dépit des velléités pétainistes qui travaillaient certains lobbys coloniaux. Si la France peut faire face aux défis du monde nouveau qui se lève après 1945, elle le devra, entre autres, au lien qu’elle sera capable de préserver et d’institutionnaliser avec l’Afrique. Le projet rapidement avorté de la Communauté participe de cette politique qui, grâce à l­’Afrique, permet à la France d’être grande. Échapper à la loi quasi physique de la marginalisation que la géographie et la démographie paraissent assigner à la France dans un monde bouleversé, telle est l’obsession du Général. La décolonisation, à laquelle de Gaulle finalement se résigne, ne doit pas

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abolir la relation d’affection et de nécessité réciproque entre la France et l’Afrique. La politique de coopération, soigneusement tissée à compter de 1962, met en forme la partition gaullienne. Si formellement les États africains sont indépendants, les fondations sur lesquelles repose la nouvelle alliance entre la France et ses anciennes colonies participent d’une véritable co‑souveraineté. Les compétences régaliennes demeurent en effet sous le regard de la métropole. Le franc CFA, mis en place en 1948 et maintenu après les décolonisations, assure aux États africains l’accès au marché des devises via la libre convertibilité en franc français ; mais il place ces mêmes États sous contrôle via le Trésor français qui surveille les paiements courants ; en outre ses règles de fonctionnement conduisent à interdire aux États africains de disposer librement du pouvoir de création monétaire4. Le système n’avait pas que des inconvénients, mais il mettait une limite stricte à une compétence qui normalement fait partie de la panoplie d’un État souverain. La sécurité des États par ailleurs est placée sous la bienveillante surveillance de la France. Les accords de défense signés avec huit pays africains garantissent aux États concernés sa protection face à une agression extérieure. Mais ils intègrent, le plus souvent par le biais d’accords dits spéciaux, une dimension intérieure en vertu de laquelle il peut être fait appel à la France aux fins de maintien de l’ordre 5. Dans cinq de ces pays, la France dispose de bases qui lui permettent de maintenir des « troupes prépositionnées » selon l’expression consacrée. À cela s’ajoutent les accords d’assistance militaire technique, signés en quelque trente ans avec 23 pays : les anciennes colonies françaises, mais aussi belges et même l’ancienne colonie espagnole devenue la Guinée équatoriale. La monnaie et la défense sont ainsi directement placées sous le regard de la France. En outre, la politique de coopération englobe toute une composante culturelle et technique dont les « coopérants » sont les acteurs  : professeurs, médecins, ingénieurs, experts, conseillers… peuplent les administrations, les universités, les lycées et œuvrent à la continuité de la présence française. Grâce à ce dispositif à nul autre pareil, la France s’est extirpée de la marginalisation qui la menaçait. Par l’Afrique, elle s’est reconstitué un périmètre, un « pré carré », un « champ », à la mesure de ses ambitions. Sa langue avec la francophonie, sa monnaie avec la zone CFA, son armée aussi, capable, au moins en Afrique, « avec 500 hommes de faire



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l­’Histoire » selon la formule de l’ancien ministre des Affaires étrangères Louis de Guiringaud, donnent un contenu à la grandeur. Cette idéologie de la puissance déclinée en Afrique survit au départ du Général. Chaque président de la République endossera l’héritage, en s’efforçant de lui apporter une plus-value personnelle. Georges Pompidou innovera en inaugurant le premier sommet franco‑africain le 13 novembre 1973 à Paris6. Sa démarche s’inscrit dans le prolongement direct du Général et consolide les liens traditionnels avec l’Afrique francophone. Valéry Giscard d’Estaing institutionnalisera ces sommets sur un rythme annuel. En même temps, il élargit le champ d’intervention de la France en s’ouvrant à l’Afrique anglophone, notamment le Nigeria7. Mais la véritable épreuve du feu se produit avec l’arrivée de François Mitterrand à l’Élysée. Nourrie d’un discours tiers‑mondiste8, prônant la rupture avec le capitalisme, dénonçant l’impérialisme et le néocolonialisme, la gauche française semble peu apte à chausser les bottes du gaullisme africain. Et pourtant ! Mitterrand l’Africain9, loin des généreuses utopies des intellectuels ou militants socialistes, enfourche le cheval franco‑africain avec d’autant plus de dextérité qu’il le connaît depuis longtemps. L’ancien ministre de la France d’outre‑mer, sous la IVe République, a déjà développé dans un ouvrage de 1952, Aux frontières de l’Union française : Indochine, Tunisie, sa vision des choses. En décrivant cette union comme un « bloc colossal qui, de Lille à Brazzaville et d’Abéché à Dakar, s’étale sur sept mille kilomètres de longueur et trois de largeur », destiné à former « du Congo au Rhin » un seul et même ensemble, le futur président formule avant l’heure le contenu de la relation franco‑africaine dans la vision gaulliste10 : une fusion en une « nation‑continent »11 liée par la conscience et le désir d’un destin commun. N’est-ce pas là une façon de désigner par anticipation ce que le président ivoirien Félix Houphouët-Boigny immortalisera par l’appellation « France‑Afrique » ? Le ralliement du président socialiste au dogme gaulliste ne relève donc pas de la révélation. Le converti était déjà croyant ! Mais, il emporte avec lui l’adhésion d’une gauche pourtant a priori peu encline à épouser un schéma jugé par elle par trop néocolonial. Comme le Général, F. Mitterrand inscrit son action dans une vaste vision où la France occupe la place centrale, à la tête des opprimés, brandissant l’étendard de la solidarité internationale contre les exploiteurs. De Gaulle avait eu son Phnom Penh. Mitterrand aura son Cancun 12. La pilule franco‑africaine passe d’autant mieux qu’elle est enrobée dans un habillage

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tiers‑mondiste. Le réalisme sait revêtir quand il le faut les oripeaux de l’idéalisme pour mieux faire accepter la brutalité des règles du jeu. Car cette vision de la grandeur, cette obsession du rang ne se déclinent pas dans la douceur. La France‑Afrique naît et se déploie en pleine guerre froide. Ni les États‑Unis, ni l’URSS ne sont disposés à laisser se développer des initiatives conduisant des États à s’ériger en puissances autonomes par rapport aux « deux grands ». Le tour de force du Général réside dans cette capacité à imposer au forceps la France comme une puissance avec laquelle il faut compter. Ses successeurs ne le démentiront pas. On a beaucoup glosé sur l’aspect surfait de cette prétention gauloise, sur son apparence où le verbe tenait le rôle central. Sans doute y a‑t‑il du vrai dans cette vision où les symboles sont agités avec d’autant plus de frénésie que les éléments matériels de la puissance font défaut. C’est oublier cependant que la France gaulliste s’est aussi dotée, au‑delà du discours, d’une panoplie qui lui confère un statut de puissance : le siège au Conseil de sécurité de l’ONU et l’arme atomique en sont les manifestations les plus visibles. L’Afrique s’insère dans ce dispositif et permet à la France de mobiliser des soutiens, d’obtenir des votes favorables à son point de vue à l’assemblée générale de l’ONU, de bénéficier des avantages d’un marché protégé, de s’imposer aussi comme le garant ultime des intérêts occidentaux sur un continent qui ne lui était pas d’emblée acquis. Grâce à l’Afrique, la France est parvenue à s’extraire de la tenaille bipolaire en s’érigeant, au moins dans son pré‑carré, comme la puissance sans laquelle rien n’était possible. Elle s’est hissée au rang d’un « grand », permettant à ses anciennes colonies d’échapper à la compétition directe entre les États‑Unis et l’URSS. Certes, une telle stature dérogatoire n’a pu être obtenue qu’avec l’assentiment des États‑Unis qui, d’abord réticents et perplexes devant les « prétentions » françaises, ont finalement souscrit à une division du travail qui leur convenait : la France, loin de se maintenir dans une posture de neutralité, s’est prêtée au rôle de gardienne des intérêts occidentaux dans « son » Afrique, évitant aux États‑Unis d’avoir à s’impliquer directement sur un continent qui ne faisait pas partie de leurs priorités. En isolant la Guinée de Sékou Touré, en soutenant la clôture de la parenthèse socialiste de Modibo Keita au Mali, en endiguant avec constance les velléités libyennes au Tchad, en s’accommodant, sans doute mieux que les Béninois eux‑mêmes, des espiègleries marxistes d’un Mathieu Kérékou, la France a participé au maintien d’un ordre qui n’était



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pas directement le sien. Mais elle en a tiré une puissance sans commune mesure avec ce qu’elle représentait seule. D’autant plus que ce rôle de gardien lui permettait d’élargir son emprise au sud du Sahara. Si la guerre du Biafra13 n’a pas permis d’étendre le périmètre de l’influence française, au détriment de l’influence souvent fantasmée de l’ennemi anglo‑saxon, en revanche l’élargissement en direction des anciennes colonies belges, à commencer par le gigantesque Congo devenu Zaïre, ou encore de l’ancienne Guinée espagnole devenue la Guinée Équatoriale, a donné corps à cette idée d’une puissance sans véritable concurrent en Afrique. Encore fallait‑il disposer d’un moyen pour donner à cette politique de puissance une texture qui la rende acceptable aux yeux de ceux qui la subissaient : les Africains. À politique d’exception, instruments d’exception. Certes, les moyens mis en œuvre, de la monnaie aux bases militaires, des flux de coopérants à la francophonie, ont tissé une relation pratiquement sans égale, si l’on met à part celle imposée par l’URSS à ses États satellites. Mais, l’exception ne s’arrête pas à la seule ampleur des outils déployés. La force et l’irréductible spécificité de la relation franco‑africaine tiennent à son caractère fusionnel. Il y a derrière cette politique de puissance, asymétrique par la domination exercée sur les anciennes colonies, un ingrédient totalement exceptionnel : la communion dans un même répertoire du dominant et du dominé. Le registre classique de la politique étrangère où prédominent la négociation, les rapports de force, le calcul d’intérêt, l’intimidation, est ici trop court pour rendre compte de la substance de la France‑Afrique. Non que ces éléments n’aient été présents. Mais leur articulation a été agrémentée d’une préparation onctueuse, selon une recette concoctée moins par la France que par les Africains. L’intérêt majeur de l’analyse des relations franco‑africaines en terme de patrimonialisme, proposée par J.‑F. Médard, réside dans le transfert à l’intérieur de la sphère des relations internationales, des pratiques constatées dans le fonctionnement interne des États, en l’espèce des États africains. Tout a été dit sur la confusion entre le domaine public et le domaine privé dans les relations entre la France et l’Afrique, sur l’omniprésence de la corruption, sur le rôle central des réseaux, gaullistes et autres. Beaucoup a été écrit sur le rôle ambivalent des entreprises publiques françaises à l’instar d’Elf, l’excroissance d’institutions officielles et officieuses où se croisaient, dans un gigantesque melting pot, les affinités

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gaullistes, franc‑maçonnes, les spécialistes du renseignement, les entrepreneurs hasardeux, les conseillers en tout genre et autres « barbouzes ». Sans doute l’Histoire, au sens de la science historique, est‑elle encore trop balbutiante sur les acteurs et les organisations qui, dans l’ombre, ont tissé la trame de la France‑Afrique. Mais trop de faits et d’indices convergents ont été mis en évidence pour contester cette réalité. Là où réside une erreur souvent répétée, c’est dans l’interprétation qui en est faite. La posture morale, la plus courante, n’est pas la plus pertinente, sauf à supposer que les différentes élites gouvernementales françaises, depuis de Gaulle jusqu’à Mitterrand, aient été par essence immorales et intrinsèquement corrompues14. En fait, si les présidents successifs de la Ve République15 ont reproduit le modèle patrimonial, c’est parce que celui‑ci était la condition de l’accomplissement de la politique de puissance voulue par la France. Chacun s’est donc appliqué à prolonger les institutions mises en place et leurs règles non écrites. La politique étrangère, érigée en domaine réservé du président de la République, selon une construction qui ne tenait en rien à l’obligation constitutionnelle, s’est déclinée avec une constance remarquable, y compris dans le champ africain avec ses spécificités. La fameuse cellule africaine de l’Élysée est ainsi devenue, sous la baguette de son « Monsieur Afrique », le chef d’orchestre de cette politique si singulière. Rien ne prédisposait à la reproduction d’une telle institution si ce n’est la nécessité d’articuler la quête de puissance avec la nécessaire personnalisation des relations imposées par les dirigeants africains. L’appareil diplomatique classique, avec ses protocoles et ses rites, n’était pas en mesure de répondre aux exigences d’une relation qui avait ses propres principes. J. Foccart16, l’inébranlable homme de l’ombre a eu ses épigones : René Journiac sous Giscard d’Estaing ou Guy Penne, appuyé un peu plus tard par le propre fils du président, sous F. Mitterrand17. Ces derniers se sont employés à répéter les leçons du maître, érigeant le « foccartisme » en doctrine de base de la Françafrique. À travers ces hommes, les présidents français ont entretenu une relation directe avec leurs homologues africains, sur un registre où les affaires d’État se d ­ evaient d’être des affaires de famille. Question d’efficacité. La lecture des mémoires de J. Foccart est à cet égard édifiante18. Si l’intéressé est peu prolixe sur les événements les plus troubles qui ont ponctué les relations franco‑­africaines, qu’il s’agisse des coups d’État ou des assassinats, il est en revanche intarissable sur les liens intimes noués avec les dirigeants africains. Que de gestes



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a­ ttentionnés, que de temps dispensé sans compter, que de parrainages accordés à des filleuls improbables ! Que d’affection aussi entre des chefs d’État ! Mais cette proximité était le meilleur gage de la confiance nécessaire à la solidité des liens politiques. Les institutions se sont donc pliées à cette contrainte impitoyable. Le ministère de la Coopération, la « rue Monsieur », n’était‑il pas le ministère des Africains ? Ce guichet réservé officialisait le statut particulier de l’Afrique dans l’appareil gouvernemental français. On comprend mieux ainsi la crise suscitée par Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération et du Développement, dans le premier gouvernement socialiste en 1981. En voulant fondre l’Afrique dans le vaste ensemble sans fond des pays en développement, en voulant moraliser des relations jugées perverses, le nouveau ministre brisait le code de courtoisie patiemment érigé depuis les indépendances. Se refusant à parler le langage de la famille « françafricaine », il détruisait les symboles de la confiance sans laquelle la politique de puissance était vouée à l’échec19. C’est pourquoi son limogeage s’imposera comme la conséquence inévitable et nécessaire à la survie d’une relation sans laquelle le rêve d’une puissance française qui compte s’effondrait. PUISSANCE ERRATIQUE ET BANALISATION PATRIMONIALE

L’acte de décès de la Françafrique a été prononcé. Non par ses adversaires qui redoutent de se retrouver en militants sans cause. Mais par les faits. Les conditions structurelles de son maintien se sont affaissées en quelques années sans qu’un modèle de substitution puisse voir le jour. Au discours de la grandeur porté par les élites s’est substitué insensiblement celui de l’impuissance tandis que se défaisaient un à un les piliers institutionnels de la politique africaine. Les pratiques clientélistes n’ont, dès lors, plus disposé du soubassement suffisant pour se pérenniser avec la même intensité. À en croire les perceptions les plus couramment véhiculées aujourd’hui, tant dans les médias que dans les cercles associatifs voire parfois académiques, la politique africaine de la France serait immuable. Une telle vision, adossée à des constats ponctuellement incontestables, confond les queues de comètes de la Françafrique avec la permanence d’un système voué à la reproduction. C’est occulter le fait que les soubassements politiques du système se sont effondrés un à un, dans un

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t­ élescopage historique imprévu. La fin de la guerre froide constitue à cet égard un élément capital. La politique africaine de la France ne saurait être considérée comme un isolat, sans lien avec les autres déterminants de la politique internationale. La redistribution de la hiérarchie des puissances a affecté simultanément l’Afrique et la France. La première, en échappant à la rivalité bipolaire, s’est trouvée précipitée dans un tourbillon de contradictions, au nombre desquelles les politiques d’ajustement, affectant directement les régulations qui prévalaient dans le fonctionnement des États. La seconde, en étant conduite à sortir de sa lecture gaulliste du système international et donc à reconsidérer les modalités de son insertion dans un monde globalisé. Ni l’Afrique ni la France n’étaient préparées à un tel défi et chacune a dû y faire face dans une évidente improvisation. Pour ce qui est de la France, sa politique s’est brutalement trouvée orpheline de la vision consensuelle qui prévalait depuis de Gaulle. Deux lignes vont se dessiner progressivement, transcendant le clivage partisan droite‑gauche20. Face à la conception traditionnelle portée par les héritiers du modèle émerge une ligne tournée vers le changement radical. Cette dernière est elle‑même composite. Elle recouvre d’un côté, et pour l’essentiel, une fraction de l’élite politico‑administrative, en rupture avec la culture politique classique des élites françaises. Moins étatiste, revendiquant ouvertement la référence au marché comme principe régulateur, cette aile moderniste n’a que peu d’affinités avec l’Afrique. Elle considère ce continent comme dépourvu d’intérêt dans le monde postbipolaire tel qu’il se reconfigure. La Françafrique appartient à un moment révolu de l’Histoire. Elle est dysfonctionnelle dans ses effets, bloquant le développement de l’Afrique et épuisant les ressources de la France dans des combinaisons qui n’en valent plus la peine. La francophonie n’a guère de sens à l’heure où l’anglais a gagné la bataille de la langue de communication internationale. Bref, la grandeur est une chimère dépassée, au mieux sympathique, au pire dangereuse. Ce courant que l’on peut qualifier de libéral est conforté par une deuxième mutation idéologique qui émerge dans les cercles associatifs et intellectuels. Du temps où la matrice gaulliste régnait de façon hégémonique, les associations impliquées sur le terrain en Afrique étaient idéologiquement en phase avec le paradigme en vigueur. Il s’agissait de participer au rôle de la France en direction des jeunes nations. Les maîtres‑­mots du langage d’alors étaient coopération et développement. Les organisations non gouvernementales les plus en vue



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au cours des années 1960 et 1970 étaient les Volontaires du progrès ou le Comité catholique contre la faim et pour le développement. Le discours humanitaire n’avait pas encore fait son irruption sur la scène des déshérités. La décennie 1980 se caractérise par un basculement dans le monde des ONG. Les valeurs du développement et de coopération s’estompent au profit de la compassion face à la souffrance, à l’horreur. Le syndrome du Biafra, en référence à cette guerre qui donne naissance à « Médecins sans frontières », frappe, une dizaine d’années plus tard, l’ensemble du monde associatif. L’Afrique devient le concentré de la misère universelle. L’émotion l’emporte sur la raison et le temps de l’action s’en trouve raccourci. La longue durée n’est plus de mise face à l’urgence. Il faut agir ici et maintenant. Le politique est enjoint de se plier à cette nouvelle priorité. Le lourd appareil d’État de la coopération est soudain considéré comme inapte à répondre aux défis du moment. Les critiques pleuvent sur les institutions de la Françafrique : redondances et rivalités des bureaucraties et partant inefficacité, donc culpabilité21. Car il faut un coupable à ces drames. La France est clouée au pilori pour avoir créé, organisé et profité de la gabegie, entretenu et soutenu des régimes inavouables. La crise rwandaise de 1994 et le génocide qui l’accompagne cristalliseront cette perception morale des choses, conduisant à l’accusation formulée à son encontre de complicité de génocide. Encore une fois, ce ne sont pas les faits en tant que tels qui sont nécessairement contestables, mais le cadre d’interprétation idéologique dans lequel ils s’insèrent et le moment où ce discours se manifeste. Car, pendant au moins les deux premières décennies qui suivent les indépendances, aucune voix ne s’est véritablement élevée afin de dénoncer les arrière‑cuisines de la Françafrique. La presse épousait le discours officiel en vigueur, à commencer par le quotidien « de référence », Le Monde. Était‑ce de la connivence ? L’explication serait trop simple sauf à accepter une lecture de l’Histoire par le complot généralisé. C’était surtout la manifestation d’une communion des élites dans l’adhésion au discours de la France‑puissance. Le basculement idéologique qui s’opère dans les années 1980 provoque la jonction non programmée des tenants d’un côté d’une modernisation de la politique africaine au nom de leur libéralisme pour l’essentiel économique et, d’un autre côté, des avocats de la purification de la Françafrique au nom de leur idéalisme. Cette alliance libérale‑morale a une conséquence : elle heurte frontalement le discours d’une politique de puissance en lui substituant

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une vision de la France sans puissance soit parce que le nouveau monde la condamne à la banalisation, soit parce que la morale prime toute autre catégorie d’analyse dans la compréhension du monde réel. Le terreau est dès lors fertile pour que la relation d’exception nouée entre la France et l’Afrique soit vidée de sa substance. Le discours de La Baule, prononcé par F. Mitterrand en 1990, lors du 16e sommet France‑Afrique, représente le moment emblématique où se retourne la Françafrique22. Il serait erroné de faire du président français le grand architecte de la recomposition de la politique africaine de la France. Héritier fidèle sur ce plan du modèle gaulliste, il illustre la force des contraintes à l’œuvre. Lucidement, le président socialiste tire les conclusions de l’avènement d’un système international postbipolaire qui frappe d’obsolescence la posture de la puissance et d’une mutation idéologique qui réclame le changement. Les gouvernements qui se succèdent, gauche et droite confondues, d’Édouard Balladur à Lionel Jospin en passant par Alain Juppé, vont tous assumer une part du « détricotage » des institutions de la Françafrique. Les deux piliers qui sous‑tendaient la cosouveraineté font l’objet d’une révision drastique. Le franc CFA tout d’abord témoigne de l’ébranlement du système. La dévaluation de 50 p. 100 décidée discrétionnairement par la France le 11 janvier 1994 signe, dans son contenu et ses modalités, la profondeur de la fracture dans le dispositif qui jusque‑là prévalait. En effet, il était entendu, du moins est‑ce ainsi que les choses étaient comprises par les acteurs, que la parité entre le franc français et le franc CFA était fixe. L’idée de sa remise en cause apparaissait comme une transgression du pacte postcolonial conclu entre la France et ses anciennes colonies. On l’a dit, de cette zone monétaire constituée autour du franc, chacun tirait des bénéfices, à la fois économiques et politiques23. Sa remise en cause signifie que la France n’a plus les moyens de maintenir unilatéralement une zone monétaire sans tenir compte de ses dysfonctionnements internes et des conséquences externes. La puissance prêtée à la France n’est plus ce qu’elle prétendait être. Quant à la méthode choisie pour décider de cette dévaluation, en excluant de facto les chefs d’État africains, elle signe la fin de l’esprit de famille qui présidait aux affaires communes. Il existe dorénavant des lois économiques qui s’imposent à tous, y compris à l’ancienne puissance coloniale. En adoptant quelques mois plus tôt, en septembre 1993, la doctrine dite d’Abidjan, le gouvernement d’É. Balladur officialise le ralliement français à des principes extérieurs : ceux du FMI



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et de la Banque mondiale contraignant les États africains à souscrire d’abord un accord avec ces institutions internationales avant de pouvoir prétendre au bénéfice de l’aide française. La cosouveraineté monétaire et, partant, financière exercée de concert par la France et les pays membres de la zone CFA fait ainsi place à un système soumis à des règles placées au‑dessus des acteurs. Une mutation identique s’observe dans le domaine de la sécurité avec les décisions de réduire le nombre de bases militaires où stationnaient les troupes dites « prépositionnées » et de diminuer les effectifs présents sur le sol africain. La mesure est de taille : elle signifie la renonciation au rôle de gendarme que la France avait longtemps revendiqué. La doctrine ReCAMP adoptée en 1997 signe là encore le tournant opéré24. En prônant la formation des armées africaines et en limitant son rôle à un soutien logistique, la France explicite son refus d’être impliquée directement dans des conflits. La guerre et la paix relèvent des acteurs africains de sorte que les accords de défense signés au moment des indépendances deviennent, dans la pratique, largement caduques. Enfin, la réforme du dispositif de coopération symbolise plus que tout la fin d’une époque. Envisagée par le gouvernement d’A. Juppé, elle est mise en œuvre par le gouvernent de L. Jospin. La fin de la « rue Monsieur », la « COOP », par l’intégration de la Coopération au sein du ministère des Affaires étrangères, à travers la DgCiD25, ôte aux Africains « leur » ministère. Quant au pré‑carré, il est dissous dans un ensemble continental où se retrouvent à quelques exceptions près tous les États africains auxquels sont adjoints ceux de l’ancienne Indochine ainsi qu’un certain nombre d’îles de la région caraïbe. Cette Zone de solidarité prioritaire (ZSP) contribue à mettre fin au traitement d’exception dont bénéficiaient les pays du champ. Quel espace reste‑t‑il dès lors aux rapports de clientèle ? Toutes les institutions porteuses de la « Françafrique » ont été démantelées ou bouleversées. Avec quelles ressources peut‑on alimenter ces liens d’allégeance personnels ? Mais surtout avec quels hommes ? Dans l’appareil d’État français, le « clan des Africains » ne pèse plus grand‑chose. Ces fonctionnaires qui ont été au cœur de la relation franco‑africaine depuis trois décennies s’effacent. Effet de génération bien sûr mais aussi volonté de mettre à l’écart les éléments les plus sulfureux, ceux qui incarnaient encore les restes du « foccartisme » à l’instar de Michel Dupuch en charge jusqu’en août 2002 de la cellule africaine de l’Élysée. Où sont passés les

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Charles Pasqua, Michel Roussin et autres Charles Debbasch pour ne citer que quelques noms ? Désormais, le code policé de la diplomatie est sensé retrouver sa place dans le domaine des relations franco‑africaines d’autant plus que simultanément un autre acteur s’est immiscé dans le grand jeu. L’intrusion des juges avec l’affaire Elf à partir de 1995, sape l’un des fondements de la Françafrique où les connivences autour des trafics en tout genre étaient monnaie courante. Les condamnations prononcées en particulier à l’encontre de Loïc Le Floch-Prigent confortent le sentiment que décidément les règles de droit ne sont plus compatibles avec les règles patrimoniales. Plus récemment, c’est la condamnation en juin 2007, d’une des « barbouzes » les plus emblématiques de la Françafrique, Bob Denard, qui témoigne du changement intervenu dans la politique africaine de la France. Mais la mutation ne s’effectue pas seulement du côté français. La relation spéciale tissée entre la France et l’Afrique reposait sur une affection partagée, le sentiment de former une grande famille au destin commun. Des personnes aussi différentes que F. Houphouët-Boigny, Jean Bédel Bokassa, Denis Sassou Nguesso, Mobutu Sese Seko ou Omar Bongo en ont été, chacun à leur façon, des symboles marquants. Réciproquement, au‑delà de ses élites, la France avait noué avec l’Afrique un lien particulier à travers les cohortes de coopérants qui se sont succédé en Afrique durant quelque 25 ans. Il existait bien un désir de France et un désir d’Afrique qui donnaient à la relation franco‑africaine une base sociale et culturelle. Ce terreau humain a aujourd’hui disparu, ou est en voie d’extinction. Non qu’il ait fait place à l’hostilité systématique même si celle‑ci existe. La question ivoirienne démontre plus que tout combien s’est délité le lien fusionnel qui a longtemps nourri les rapports de part et d’autre. Mais l’attrait aussi peut perdurer ici ou là. Au total coexistent plusieurs sentiments, plus ou moins contradictoires. Ils signent, surtout côté africain, la fin de la fascination unanime qui a prévalu durant près de trois décennies à l’égard de l’ancienne puissance coloniale. Cela va par exemple de l’intérêt raisonné tel qu’exprimé par l’ancien ministre centrafricain Jean‑Paul Ngoupandé à propos du franc CFA qui « évite des difficultés supplémentaires » et « assure une stabilité minimale »26 à la franche désapprobation manifestée par nombre d’intellectuels africains à la suite des déclarations du président français estimant, devant son auditoire à Dakar le 26 juillet 2007, que « l’homme africain n’est pas assez



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entré dans l’Histoire »27. Jugées arrogantes, les paroles de Nicolas Sarkozy résument en tout cas la rupture symbolique qui s’est opérée dans les relations franco‑africaines. Imagine‑t‑on l’un de ses prédécesseurs prononcer de tels mots ? Dans un autre registre, qui aurait pu prédire que les plus hautes autorités de l’État français se feraient remarquer par leur absence à Dakar en décembre 2001 à l’occasion des funérailles de l’ancien président Senghor ? Certes, le premier président du Sénégal n’était pas, loin s’en faut, l’archétype de la Françafrique. Il symbolisait même le versant « présentable » de la relation franco‑africaine. Mais justement, l’absence des autorités françaises n’en est que plus révélatrice qu’une page est bien tournée et que l’Afrique, dans l’esprit des élites françaises, ne relève plus d’un statut d’exception. Les variables structurelles qui ont favorisé la patrimonalisation de la relation franco‑africaine ont quasiment disparu. Est‑ce à dire que toute pratique clientéliste est révolue ? Les sceptiques mentionneront, à juste titre, la permanence de la tentation patrimoniale alors même que les institutions sont censées avoir été expurgées de leurs scories. Il est vrai que dans la grande transformation entamée il y a un peu plus de quinze ans, les entorses n’ont pas manqué. Le Congo, le Tchad, la Centrafrique sont là pour rappeler que la France a encore des intérêts et que les moyens utilisés pour obtenir satisfaction ne sont pas nécessairement en rupture avec ce qui a précédé. Les réseaux, même résiduels, peuvent encore être réactivés de façon efficace comme l’a montré la position française au moment de la guerre déclenchée par les Américains en Irak en 2003. L’espace d’un instant, la France a renoué avec son statut de grande puissance dans le plus pur style gaullien, suscitant des soutiens spontanés sur l’ensemble du continent, à quelques réserves près, en particulier celles du Rwanda. L’hypothèse d’une France toujours prête à verser dans un néogaullisme actif peut faire douter de sa renonciation à son tropisme de l’exception28. Après tout, la politique en direction de l’Afrique conçue par Dominique de Villepin, alors ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre, ne s’inscrivait‑elle pas dans une lignée héritée du fondateur de la Ve République29 ? Une France à nouveau volontariste ne pouvait‑elle pas écrire une nouvelle page, modernisée certes, donc sans tache, de la longue épopée franco‑africaine ? L’engagement prôné dans la crise ivoirienne, à travers les accords de Marcoussis, ne témoigne‑t‑il pas d’un retour à

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une France gendarme, certes pour le meilleur, car il s’agissait ni plus ni moins que de prévenir l’extension d’une guerre civile et, par capillarité, d’une guerre régionale ? Mais en retrouvant la fascination de la puissance, la France ne serait‑elle pas mécaniquement conduite à en épouser les conditions patrimoniales ? D’aucuns diront que, dans l’ombre, les mêmes puissances occultes sont à l’œuvre et que les « sorciers blancs »30 sont toujours là. Les mêmes ajouteront que l’affaire Borrel, du nom de ce magistrat français assassiné à Djibouti en 1995, illustre le jeu trouble des sommets de la République quand l’Afrique est en jeu. Peut‑être ? Pour autant, le processus de « dépatrimonialisation » semble peu susceptible de s’arrêter au profit d’un retour aux pratiques antérieures, les conditions structurelles analysées ci‑dessus étant révolues. Il n’existe plus en France de paradigme susceptible de façonner de manière consensuelle une politique offensive à l’égard de l’Afrique. Si D. de Villepin s’y est essayé, la pente dominante au sein de l’élite française conduit plutôt à une banalisation de la relation franco‑africaine. La politique menée par L. Jospin entre 1997 et 2002 est une des illustrations les plus évidentes. À cette évanescence idéologique du côté des élites françaises répond l’absence, ou la faiblesse, d’une demande de France au sein des élites africaines. Enfin, la structure du système international postbipolaire ne permet plus à la France de revêtir l’habit de la grande puissance, ce qui ne signifie pas qu’elle soit vouée à la marginalisation ni que les pratiques de corruption appartiennent définitivement au passé. Il y aurait dans cette vision idyllique une bonne dose de naïveté et une absence de perspective comparative. Dès que le regard se tourne vers d’autres horizons, il ne peut qu’être frappé par le caractère récurrent des phénomènes de corruption dans les relations internationales. C’est d’ailleurs pour lutter contre l’ampleur du phénomène que des dispositifs juridiques ont été mis sur pied. L’adoption en 1997 de la Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales en est l’illustration31. Chaque État, dès lors qu’il s’emploie à promouvoir ses intérêts, est conduit à construire des rapports de clientèle, à nouer des liens particularistes avec des hommes politiques ou des fonctionnaires. La France, dans sa relation à l’Afrique mais plus largement dans sa politique étrangère, ne peut se prévaloir sur ce plan-là d’aucun monopole. Le Royaume-Uni, pour nous en tenir à l’actualité en cours, est au centre d’un scandale qui secoue les institutions britanniques. L’affaire BAE Systems condense tous les éléments du rap-



Clientélisme et patrimonialisme dans les relations internationales

port de clientèle avec le versement depuis 1985 de 2 milliards de dollars de pots de vin au Prince Bandar bin Sultan d’Arabie saoudite pour le renouvellement de contrats de vente d’armes. Le montant des sommes en jeu est colossal, mais le gouvernement britannique s’est employé à bloquer toute enquête au motif que cela nuirait gravement aux intérêts fondamentaux du pays32. L’Allemagne de son côté est confrontée au scandale SIEMENS, l’entreprise ayant constitué une caisse noire afin de faciliter l’obtention de contrats avec l’étranger33. Les exemples de ce type pourraient être étendus à beaucoup d’autres pays. La difficulté, du point de vue des relations internationales, est de leur donner une interprétation. La notion de collective clientelism avancée par John Ravenhill34 souligne l’asymétrie des relations entre acteurs et les avantages réciproques que chacun en retire, le faible pouvant retourner à son profit, par exemple par le chantage, une situation a priori défavorable. Il pourrait être tentant d’appliquer le modèle à la relation franco‑africaine. La transposition ne va pas cependant sans problème. En effet, elle conduit insensiblement à assimiler les intérêts des acteurs privés et des acteurs étatiques. Or, si ponctuellement il peut y avoir convergence, les motivations et les contraintes des uns et des autres ne sont pas les mêmes. L’acteur privé est mû par son intérêt particulier, tel l’enrichissement. L’acteur étatique agit en fonction d’un environnement où prévalent les rapports de domination et la perception qu’il a de cet environnement. Les rapports de clientèle, les liens personnels, constituent des modalités pratiques de mise en œuvre d’une politique. Ils ne la structurent pas, mais s’y insèrent au contraire. Que celle‑ci offre des opportunités aux acteurs privés va de soi. Le projet gaulliste en direction de l’Afrique, au nom de la « grandeur », a permis à de multiples intérêts croisés de foisonner. Que ce projet disparaisse, tout comme les institutions qui lui donnaient corps, et c’est toute la « structure des opportunités » qui s’effondre, emportant sur son passage une relation franco‑africaine finalement pas si exceptionnelle que cela. NOTES   1. J.‑F. Médard, « Les avatars du messianisme français en Afrique », Afrique politique (L’Afrique politique 1999 entre transitions et conflits), 1999, p. 17‑34.   2. La loi‑cadre crée en particulier dans les territoires d’outre‑mer des Conseils de gouvernement, mais avec un mode de scrutin défavorable aux indigènes.

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  3. P. Quantin, « La vision gaullienne de l’Afrique noire. Permanences et adaptations » Politique africaine, 5 (La France en Afrique), mars 1982, p. 8‑18.   4. O. Vallée, Le prix de l’argent CFA : heurs et malheurs de la zone Franc, Paris Éd. Karthala, coll. « Les Afriques », 1989.   5. Les accords de défense, signés au lendemain des indépendances, comportent des clauses ou sont complétés par des accords spéciaux qui demeurent, encore aujourd’hui, secrets.   6. Organisé à la demande de quelques dirigeants africains, le premier sommet réunira dix chefs d’État, tous francophones.   7. D. Bach, « La France en Afrique sub-saharienne: contraintes historiques et nouveaux espaces économiques », dans S. Cohenet M-Cl. Smouts (dirs), La politique étrangère de Valéry Giscard d’Estaing, Paris: Presses de la Fondation nationale des Sciences Politiques, 1985, p. 284-310.   8. J.‑P. Biondi et S. Allende Gossens, Le Tiers‑socialisme : essai sur le socialisme et le Tiers‑monde, Paris, Flamarion, coll « La Rose au Poing », 1976.   9. P. Marchesin, « Mitterrand l’Africain », Politique africaine, 58, 1995, p. 5‑24 ; J.‑F. Bayart, La politique africaine de François Mitterrand : essai, Paris, Éd. Karthala, coll. « Les Afriques », 1984. 10. F. Mitterrand, Aux frontières de l’Union française : Indochine, Tunisie, Paris, R. Julliard, 1953. 11. Ibid., p. 34‑35. 12. Le discours dit de Cancun, prononcé par F. Mitterrand en 1981 au Mexique, a en réalité été prononcé à Mexico. C’est donc par erreur qu’il est dénommé discours de Cancun. Mais l’Histoire, à ce jour, a consacré l’erreur ! 13. D. Bach, « Le Général de Gaulle et la guerre civile au Nigeria », Revue canadienne des études africaines, XIV(2), 1980, p. 259‑272. 14. F.X. Vershave, La Françafrique : le plus long scandale de la République, Paris, Stock, 1998. 15. C. Wauthier, Quatre présidents et l’Afrique : de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand : quarante ans de politique africaine, Paris, Éd. du Seuil, 1995. 16. J.‑F. Médard, « “La politique est au bout du réseau”. Questions sur la méthode Foccart », Cahiers du Centre de recherches historiques, EHESS, (30) (Foccart – Entre France et Afrique), 2002, p. 99‑116. 17. René Journiac était lui‑même le collaborateur de Jacques Foccart de 1967 à 1974 avant de lui succéder à la tête de la « cellule africaine » de l’Élysée à la suite de l’élection de Valéry Giscard d’Estaing. Mort accidentellement en 1980, il sera remplacé par Martin Kirsch. Ce dernier n’exercera que peu



18. 19. 20.

21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. 31. 32. 33. 34.

Clientélisme et patrimonialisme dans les relations internationales

de temps ses fonctions en raison de l’élection de F. Mitterrand comme Président de la République en 1981. J. Foccart, Foccart parle : entretiens avec Philippe Gaillard : T. 1 (1995) : T. 2 (1997), Paris, Fayard/Jeune Afrique. J.‑P. Cot, À l’épreuve du pouvoir : le tiers‑mondisme, pour quoi faire ?, Paris, Éd. du Seuil, 1984. D. Bourmaud, “French political culture and African policy: From consensus to dissensus”, in D. Philander (compiled by), Franco‑south African Dialogue, Sustainable security in Africa, Pretoria, Institute for Security Studies, 50, 2000, p.  27‑36 ; « La politique africaine de Jacques Chirac  : les anciens contre les modernes », Modern and Contemporary France, France and black Africa, 4(4), 1996, p. 431‑442. Les faits ne sont pas toujours pleinement avérés et prêtent à débat. Seul le recul et le respect de la méthode historique permettront peut‑être un jour de dénouer plus précisément la trame des responsabilités. Dans ce discours, F. Mitterrand fait l’éloge de la liberté politique et annonce que, dorénavant, la France accordera son soutien, de façon privilégiée, aux États qui accepteront les principes démocratiques. OPCF, « La dévaluation du franc CFA », Observatoire Permanent de la coopé­ ration française. Rapport 1995, Paris, Desclée de Brouwer, 1995, p. 58‑94. Renforcement des capacités africaines de maintien de la paix. Direction générale de la Coopération internationale et du Développement. Libération, 15 septembre 2004. Libération, 2 août 2007. T. Chafer, “Franco‑african relations: No longer so exceptional?”, African Affairs, 101(404), July 2002, p. 343‑363. D. Bourmaud, « La nouvelle politique africaine de la France à l’épreuve », Esprit, 8‑9 (Vues d’Afrique), août 2005, p. 17‑27. V. Hugeux, Les sorciers blancs : enquête sur les faux amis français de l’Afrique, Paris, Fayard, 2007. P. Montigny, « La lutte contre la corruption internationale  : la vertu au risque du chaos ? », AGIR, Revue générale de stratégie, 31 (Espaces chaotiques), septembre 2007, p. 41‑48. “Labour tries to block new BAE inquiry”, The Guardian, 21 September 2007. Le Monde, 5 octobre 2007. J. Ravenhill, Collective clientelism: The Lomé conventions and North‑South relations, New York, Columbia University Press, coll. “The political economy of international change”, 1985.

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Conclusion Daniel C. Bach et Mamoudou Gazibo

I

ssu de l’adaptation du sous‑type wébérien de domination patrimoniale, le concept de néopatrimonialisme a gagné ses lettres de noblesse dans son application à l’analyse des systèmes politiques africains. Pourtant, rien ne laissait présager une telle identification aux études africaines. Ainsi que le montre abondamment Daniel Bach dans son chapitre, les réflexions initiales sur le patrimonialisme dans les systèmes politiques contemporains ne portaient pas tant sur l’Afrique que sur des terrains latino‑américains et, dans une moindre mesure, asiatiques. La préoccupation première était également de rendre compte, dans une perspective développementale, de l’enracinement des systèmes politiques dans des terreaux historiques associant impérialisme colonial et personnalisation du pouvoir. Pour ce qui est de l’Afrique, le potentiel heuristique d’une application du concept et de son avatar néopatrimonial aux « nouveaux » États avait bien été évoqué à la fin des années 1960, mais ce n’est qu’au début des années 1980 qu’intervient la généralisation de son application à l’ensemble de l’Afrique par Jean‑François Médard qui, lui‑même, la restreignait jusqu’alors au cas du Cameroun. Convaincu par l’idée de Zaki Ergas selon laquelle « les États africains peuvent varier dans leur idéologie, leur développement économique, leur style de leadership, mais […] ont tous d’une façon significative, un noyau patrimonial commun »1, Jean‑François Médard va alors plus loin, estimant que :



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le patrimonialisme constitue le commun dénominateur de pratiques diverses si caractéristiques de la vie politique africaine à savoir le népotisme, le clanisme, le « tribalisme », le régionalisme, le clientélisme, le « copinage », le patronage, le « prébendalisme », la corruption, la prédation, le factionnalisme, etc.

pratiques jusqu’alors souvent traitées de manière disparate par les auteurs2. Depuis lors, un pan considérable d’analystes s’est emparé du concept de néopatrimonialisme, de sorte qu’il est devenu un véritable paradigme dans les études africaines. S’il en a été ainsi, c’est parce que, du point de vue de l’analyse comparée, le concept a semblé offrir une passerelle ou un idéal type à partir desquels il était possible non seulement de comparer l’étatisation, la nature du pouvoir et de ses relations avec la société dans les pays africains les uns par rapport aux autres, mais aussi par rapport aux États (occidentaux notamment) supposés correspondre, eux, au modèle bureaucratique wébérien. Cette entreprise a contribué considérablement à l’enrichissement de la littérature sur l’État et les pouvoirs africains en offrant des cadres d’analyse intermédiaires, porteurs d’une incitation à la méfiance, sans que cela incite nécessairement au rejet pur et simple, à l’égard des « grandes théories » – initialement le développementalisme et la dependencia –, mais aussi des analyses purement centrées sur l’acteur. L’explication est devenue tout à la fois plus complexe et plus modeste, car située au carrefour de logiques plurielles, l’État africain étant le produit d’une rencontre entre des dynamiques endogènes et exogènes, et les élites africaines reproduisant des logiques importées (celles des institutions de l’État occidental), mais produisant aussi des stratégies propres, les unes et les autres coexistant et s’entrechoquant. L’apport du néopatrimonialisme à l’analyse de la trajectoire des régimes postcoloniaux africains a été stimulé par des rapports de cousinage avec des recherches sur les systèmes de pouvoir personnel, par l’informalisation du politique, par les transitions vers la démocratie ou par l’économie politique internationale du continent. La diffusion du concept n’a toutefois pas été exempte d’interrogations, que celles‑ci portent sur la pertinence même du concept ou sur les conditions de son application. Si certains auteurs ont préféré des notions apparentées, quoique dénuées du référentiel wébérien (par exemple, la métaphore de la « politique

Conclusion 315

du ­ventre » de Bayart), d’autres ont purement et simplement rejeté un concept considéré comme réductionniste au regard d’une tendance à ramener des phénomènes comme la corruption et le clientélisme à une forme d’exceptionnalisme africain3. Plus récemment, ces critiques ont cédé la place à une contestation de la capacité explicative d’un concept désormais qualifié, à l’instar du patrimonialisme il y a quelques décennies, d’« attrape‑tout ». De fait, la diffusion endémique des références au néopatrimonialisme a eu pour contrepartie une forte incitation à transformer le concept en un paradigme applicable à toutes les situations africaines4. Un corollaire de ce processus de « conceptual overstretching », est la constitution d’une « doxa » néopatrimoniale qui érige l’État africain en une expression quintessentielle de l’État anti-développemental. Légué par le colonisateur, l’appareil institutionnel et bureaucratique ne serait plus, dans l’ensemble du continent, qu’une simple façade, minée par la prépondérance de logiques d’informalisation et de capture par des réseaux plus ou moins criminalisés. Ce seul constat aurait pu justifier l’idée de préparer un ouvrage de réflexion sur la genèse et la banalisation d’un concept qui, lorsqu’il n’est pas d’emblée invoqué explicitement par la Banque mondiale ou des organismes de financement de l’aide au développement, fait figure de référent implicite dans les formulations euphémisées que constituent les expressions d’État failli, défaillant ou fragile5. Plus généralement, les problématiques associées au concept de néopatrimonialisme figurent depuis une vingtaine d’années au cœur des réflexions que praticiens (Banque mondiale, FMI, PNUD, ONG, etc.) et universitaires portent sur la démocratisation, la gouvernance, les politiques de développement ou encore la réforme de l’État. Confusion entre sphère publique et privée, clientélisme et personnalisation du pouvoir sont des traits distinctifs du néopatrimonialisme, alors même que toutes les théories de l’État, de la démocratisation ainsi que le débat normatif sur la gouvernance placent précisément ces caractéristiques au cœur du « problème ». Au moyen d’une approche résolument comparative, cet ouvrage contribue à une déconstruction de la notion. En effet, alors qu’elle est exprimée plus ou moins explicitement sous la forme d’un exceptionnalisme africain, on assiste à la résurgence des débats autour de pratiques qu’on avait cru (ou voulu croire) dépassées dans des contextes autres qu’africains. Si en Asie et en Amérique latine, des pratiques similaires ont toujours été étudiées, souvent en utilisant le crible d’autres concepts –



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tels ceux de caciquisme, de jetinho ou de cronyism –, en Occident, avec une intensité variable selon les pays, ces questions sont susceptibles d’être abordées par le biais de pratiques telles que la grande corruption dans les entreprises multinationales, leur capacité à infléchir la définition des politiques publiques, les dérives monarchiques de certaines démocraties et la patrimonialisation des relations franco‑africaines. Dès lors que l’on entend souligner les similitudes entre certaines pratiques observées en Afrique et ailleurs, et partant de la proposition de J.‑F. Médard selon laquelle le concept de néopatrimonialisme permet de les subsumer, une question s’impose : celle de la possibilité de dégager un cadre d’analyse autour du concept de néopatrimonialisme sans que cela fasse violence aux terrains. Peut‑on, à partir d’un concept fédérateur, voyager à travers des spécificités locales généralement considérées comme des obstacles à des comparaisons interrégionales ? Les différents contributeurs, en adoptant comme prémisse cette idée que le cadre général du néopatrimonialisme permettait de rendre compte de leur objet d’étude, n’en ont pas moins souligné la diversité de ses manifestations et transcriptions. Au terme de cet ouvrage, et sans prétendre entreprendre de résumer l’apport spécifique des contributions individuelles, trois pistes d’investigation peuvent être identifiées au regard des recadrages épistémologiques et du renouvellement des perspectives de recherche suggérées. Ces pistes ont trait, respectivement, à la genèse et à l’épistémologie du concept, aux spécificités engendrées par une diffusion devenue endémique en Afrique, et à l’apport d’une démarche plus résolument comparative, ouverte aux problématiques développées dans d’autres régions du monde. Offrir une relecture de la genèse d’un concept galvaudé, mais dont on ne saisit pas toujours les ramifications intellectuelles et la complexité était l’une de nos ambitions. La plupart des utilisateurs du concept se réfèrent, sans qu’il y ait un quelconque approfondissement, au « patrimonialisme chez Weber » et à une opposition quelque peu simpliste entre le mode de domination traditionnelle dont il découle et celui des régimes démocratiques contemporains. Cet ouvrage propose des éclairages nouveaux. Le chapitre de Hinnerk Bruhns vient rappeler la complexité et les variations quant à la définition du concept au fil d’une œuvre de Weber qui, longtemps mal traduite et publiée dans un ordre distinct de la rédaction des différents volumes, fait figure de simple élément « décoratif » quand on fait référence à la domination (néo)patrimoniale.

Conclusion 317

Au fil d’un minutieux travail de relecture, l’auteur montre comment les variations successives dans l’utilisation du concept doivent être liées aux conditions particulières de sa production. Ainsi que Daniel Bourmaud et Nicolas van de Walle le soulignaient déjà, il y a quelques années, l’ouvrage vient utilement rappeler que le néopatrimonialisme fait référence à une situation de dualisme où l’État se caractérise par un phénomène de patrimonialisation et de bureaucratisation6. Ce dualisme est également susceptible de s’exprimer dans une large palette de configurations empiriques. Le néopatrimonialisme ne véhicule intrinsèquement aucune dimension téléologique quant au devenir de l’État ; il ne préjuge pas non plus de sa capacité à concevoir et à mettre en œuvre des politiques publiques. La réduction systématique des institutions et procédures bureaucratiques au statut de simples « façades » procède donc d’une métaphore erronée, comme le rappelle à juste titre Léo de Haan7. La téléologie du déclin qui reste la marque de fabrique de nombre de travaux des années 1990 sur la crise de l’État néopatrimonial africain découlait, en ce sens, d’un postulat réductionniste dès lors qu’il semblait implicitement acquis qu’un État néopatrimonial ne pouvait être développemental. De manière similaire, des exigences normatives ayant pénétré l’analyse de la démocratisation, la démocratie a été fréquemment présentée comme l’antithèse du néopatrimonialisme, y compris chez J.‑F. Médard. La contribution de Mamoudou Gazibo restitue, à partir d’une analyse de la troisième vague de démocratisation, une analyse plus « réaliste » de l’hybridation entre pratiques patrimoniales et normes démocratiques, également en phase avec une relecture de Weber. La deuxième piste explorée dans cet ouvrage relève d’un souci de dépasser l’utilisation générique du concept de néopatrimonialisme afin de l’ouvrir à des perspectives théoriques à même d’en renouveler l’usage. Le chapitre de D. Bach propose dans cette optique une lecture des variations associées à l’application du concept en Afrique et en Amérique latine, mais aussi au Moyen‑Orient, en Europe de l’Est, en Asie centrale et en Asie du Sud‑Est. Les variantes et variations observées dans ses transcriptions incitent à jeter un regard critique sur un concept transversal qui, devenu paradigmatique en Afrique, a également engendré imprudences et généralisations abusives. Par exemple, ignorée par la « doxa néopatrimoniale », la distinction entre néopatrimonialisme régulé et néopatrimonialisme intégral permet de réhabiliter l’idée que, régulé,



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le néopatrimonialisme n’est pas nécessairement synonyme d’État antidéveloppemental. L’existence de pratiques néopatrimoniales au sein de l’État doit être distinguée des situations de patrimonialisation intégrale de l’État, marquées par la dissolution totale de la sphère publique dans des intérêts privés ; situation dans laquelle on tend alors vers le sultanisme. Ces prémisses sont sous‑jacentes dans les divers programmes de recherches qui visent actuellement à l’identification plus systématique de poches, secteurs ou enclaves au sein desquels s’expriment l’efficience et/ou le caractère développemental de politiques au sein d’États néopatrimoniaux8. Dans une optique comparable, N. van de Walle, tout en proposant une utilisation plus heureuse du concept de néopatrimonialisme, aborde sous un éclairage nouveau l’impact de la démocratisation de l’Afrique sur les pratiques néopatrimoniales. Rejoignant et se distinguant dans le même temps de M. Gazibo et D. Bach (qui ne voient pas nécessairement de relations d’exclusion entre démocratie et développement d’une part et néopatrimonialisme d’autre part), il opère une distinction entre différents types de clientélismes. Là où les travaux sur le sujet ne voient en général qu’une manifestation uniforme du néopatrimonialisme, N. van de Walle suggère que ce qui pose problème du point de vue de la démocratie, c’est plutôt le clientélisme d’élite et non le clientélisme de masse. Un souci identique de renouveler les problématiques en abordant de manière atypique « le prisme » néopatrimonial est à l’origine de sa confrontation à une série d’études de cas. L’économie du développement, démontre A. Sindzingre, gagnerait à utiliser de manière plus systématique les travaux et grilles d’analyse sur le néopatrimonialisme, étant donné son intérêt croissant pour des pratiques que le concept subsume précisément, comme la corruption. D’autres contributions viennent également montrer comment, au‑delà de l’objet premier d’investigation que constitue l’État, le concept de néopatrimonialisme permet de rendre compte de phénomènes qui traversent diverses échelles de la sphère sociopolitique. M. Tidjani Alou rend ainsi compte du néopatrimonialisme « au quotidien » dans une analyse très fine du phénomène des convois transfrontaliers et du rapport à la douane et aux douaniers. L’invite à quitter les terrains balisés est également partagée par M. Bøås et K. Jennings lorsqu’ils évoquent l’empreinte du « spectre » du néopatrimonialisme sur les mouvements de lutte armée des années 1990. À partir d’une analyse empirique détaillée, C. Albin‑Lackey propose de compléter les réflexions de D. Compagnon

Conclusion 319

sur le politicien entrepreneur et le big man par l’introduction d’une nouvelle figure emblématique, celle du godfather, dont l’identification au fonctionnement de la démocratie nigériane ne préjuge pas de la possibilité d’associer le concept de godfatherism à l’analyse d’autres systèmes politiques comme cela a déjà été le cas pour caractériser le fonctionnement de la démocratie en Thaïlande. Les travaux réunis dans cet ouvrage participent, enfin et surtout, d’une démarche résolument comparative, ouverte aux problématiques développées dans d’autres régions du monde et, plus précisément, aux préoccupations des travaux de politique comparée. Ce champ disciplinaire demeure trop souvent caractérisé par un écart significatif entre la générosité des appels à la promotion des comparaisons interrégionales et la production parcimonieuse d’études comparatives qui sortent de cadres régionaux relativement étanches. La faible fécondation mutuelle qui en découle témoigne de la rareté des concepts capables de voyager d’une région à l’autre. Contribuer à décloisonner les aires régionales et à ouvrir de nouveaux horizons aux comparatistes était l’une des ambitions fondatrices du projet de cet ouvrage. Les contributions présentées soulignent ainsi la diversité des réceptions du patrimonialisme et de son avatar néopatrimonial en Amérique latine, et dans les États postcommunistes d’Europe et d’Asie centrale. Premier constat déjà évoqué : la trajectoire ascendante du concept d’État néopatrimonial demeure pour une large part le reflet de son utilisation pour décrypter des problématiques et terrains africains, avec pour corollaire la focalisation sur l’analyse des rapports entre sphère publique et sphère privée au sein de l’État. Parallèlement, une réflexion non moins stimulante se poursuivait, fondée sur la qualification des rapports entre État et milieux d’affaires, et l’émergence ou non d’un État dit développemental. Une lexicographie spécifique voyait ainsi le jour, avec l’appel aux notions de patrimonialisme oligarchique et de capitalisme de connivence en Asie, ou de capture de l’État en Russie et en Europe centrale. En Amérique latine, les notions de caciquisme ou de patrimonialisme‑bureaucratique ont longtemps contribué à entretenir une tradition d’analyse ancrée dans une vision historique du patrimonialisme. Avec l’avènement des régimes militaires des années 1970, les références à la personnalisation du pouvoir ont été complétées par la substitution d’une dimension corporatiste afin de rendre compte de la promotion d’intérêts



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privés au sein de l’État. Ici comme ailleurs, à l’extérieur du continent africain, l’adoption de la notion de néopatrimonialisme ne s’est faite que progressivement, le plus souvent pour décrire, en Amérique latine, en Russie et en Asie centrale, des situations de patrimonialisation intégrale (souligné par les auteurs) de l’État. L’apport d’analyses ayant pour prémisses le repérage du néopatrimonialisme dans l’État n’en demeure pas moins. Il est rappelé par les chapitres de M. Barisione sur l’Italie de Sylvio Berlusconi, par l’étude de D. Bourmaud sur les relations franco‑­africaines, de D. Caouette sur les Philippines et de Y.‑A. Fauré sur le Brésil. L’intérêt de telles comparaisons réside dans l’analyse des cas présentés autant que dans le discours de la méthode qu’ils entendent promouvoir9. Ces différentes contributions viennent rappeler les capacités heuristiques d’un concept à même de rendre compte de pratiques politiques et sociales transrégionales tout en respectant leur originalité. NOTES 1. 2. 3.

4.

5.

6.

Z. Ergas, The African State in Transition, Palgrave, MacMillan, 1987, p. 2. J.‑F. Médard, « L’État néo‑patrimonial en Afrique noire », dans J.‑F. Médard (dir.), États d’Afrique noire : formation, mécanismes et crise, Paris, Éd. Karthala, coll. « Hommes et sociétés », 1991, p. 330. M. Tshiyembe, « La science politique africaniste et le statut théorique de l’État : un bilan négatif », Politique africaine, 71 (Les coopérations dans la nouvelle géopolitique), 1998, p. 109‑132. [http://www.politique‑africaine.com/numeros/pdf/071109.pdf ] O. Therkildsen, “Understanding Public Management Through Neopatrimonialism: A Paradigm for all African Seasons?”, in U. Engel and R.O Gorm (Eds), The African Exception, Aldershot, Ashgate, coll. “Contemporary perspectives on developing societies”, 2005, p. 36. J. Di John, “The Concept, Causes and Consequences of Failed States: A Critical Review of the Literature and Agenda for Research with Specific Reference to Sub‑Saharan Africa”, European Journal of Development Research, 22(1), February 2010, p. 10‑30. D. Bourmaud, La Politique en Afrique, Paris, Montchrestien, coll. « Clefs, Politique », 1997, p. 61 ; également N. van de Walle, “Neopatrimonialism and Democracy in Africa, With an Illustration from Cameroon”, in Widner

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7. 8.

9.

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Afrique subsaharienne. voir aussi pays individuels clientélisme. voir clientélisme corruption, 128, 130, 132. voir aussi Niger, État de démocratie et clientélisme, 153-154, 166-169 économie du développement, 121-123, 126, 128-129, 138-140 fonctionnaires, 158-160 indépendance et économie, 121, 122, 123-124, 164-165 investissement et corruption, 128 néopatrimonialisme, dissémination du, 47-48, 49-50, 121-123, 141, 154, 191 patronage, 158 pouvoir politique, systèmes de, 39, 161, 163 tributs, 156-157 « agences de contrainte », 137 Aguilar, F.V. Jr, 233 Ahidjo, Ahmadou, 41, 45 aide, agences d’, néopatrimonialisme et, 138



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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

Akala, Christopher Alao-, 195, 197, 199 Akinsola, Lateef, 196 Alao-Akala, Christopher, 195, 197, 199 Albin-Lackey, Chris, 6, 318-319 Algérie, 56, 295 Alhazai de Maradi, 213 Ali, Ahmadu, 198 Alluvial Diamond Mining Scheme (ADMS), 180 Alou, Mahaman Tidjani, 6-7, 318 Amérique latine clientélisme, 164-165 néopatrimonialisme, 54-55 patrimonialisme et bureaucratie, 52-55 analyse, modèles d’. voir modèle d’analyse Anambra, État d’, Nigéria, 199-202 Anderson, Benedict, 234, 243, 244, 245 Angola, années 1980, 45 anticommunisme, 278 appareils de régulation, capture d’, 128 Aquino, Benigno, 238 Aquino, Corazon Cojuangco, 239 Arabie saoudite, patrimonialisme, 56 Arafat, Yasser, 56 armée mutinerie, Philippines, 244-245 utilisation aux Philippines, 238, 241, 242 armes, vente d’, 309 Arroyo, Gloria Macapagal-, 231, 241-242, 244 Arthur, Brian, 135 Asie du Sud-Est. voir aussi Philippines cronyism, 129, 237 pouvoir politique et argent, 57-61 Assemblées législatives, Brésil, 257, 263264, 266-268 autoritarisme, 109, 110 Awolowo, Obafemi, 195

B Bach, Daniel, 4-5, 120, 313, 317, 318 Bailey, Frederick G., 83-84, 87, 88 baixo clero, 257 Balladur, Édouard, 304 Banégas, Richard, 111 Banque mondiale, 63, 122, 181, 209, 237, 305 Barisione, Mauro, 7, 320 Barre, Mohamed Siyad, 89 Bayart, Jean-François, 47, 49 Bello, Walden, 240 Below, Georg von, 18 Bénin, 111 Bennafla, Karine, 217 BERD, 4, 63 Berlusconi, Silvio, 7, 91 charisme, leadership et, 280-282 débuts en politique, 276-278, 280 élections, 279 type néopatrimonial et, 275-276, 283-288 Biafra, guerre de, 299, 303 big man accumulation de ressources, 89-90 africain, 41, 49, 79, 87, 88-89 Berlusconi, Silvio, 278 Côte d’Ivoire, 44 Marcos, Ferdinand, 244 Njonjo, Charles, 7, 191, 192 Zimbabwe, 90 Blondel, Jean, 2 Blundo, G., 15 Bøäs, Morten, 6, 176, 318 Bockarie, Sam ‘Maskita’, 182-183 Bokassa, 45 booty capitalism, 58, 237 Botswana exception en Afrique, 87 système politique, 48, 66-67 Bourmaud, Daniel, 8, 41, 42, 44, 317, 320 Bratton, Michael, 42, 46-47, 48, 104, 166

Index 365

Brésil corruption, 252-254, 258-267 élections, 259, 262, 265-267 enrichissement privé, 261-262, 263-264, 267-269 gouvernement, système de, 258-261, 263 néopatrimonialisme, 51 népotisme, 264-265 patrimonialisme, 53-54, 251-252, 254-255, 269-270 patronage, 53 prébendes, 258-259 scandales, 252-253, 255, 257-258 système de dépouilles, 259 système institutionnel, 258-259 système politique, 251-270 vocabulaire politique, 256-257 Breuer, Stefan, 28 Bruhns, Hinnerk, 4, 316 bureaucratie Corée du Sud et Philippines, 60 corruption au Niger, 210-225 patrimonialisme et, 22, 25, 54 C caciquisme, 110 colonisation espagnole, 233 démocratie et, 243, 245 Marcos, Ferdinand, 244 Callaghy, Thomas, 40, 41, 49 Cameroun Ahidjo, Ahmadou, 45 étude de Médard, 1 régime d’Ahidjo, Ahmadou, 41 campagne électorale. voir élections Caouette, Dominique, 7, 320 capitalism, crony, 90 capitalisme de copinage, 129 développement du, 57-61 développement en Asie, 59-61 patrimonialisme et, 26

de pillage, 237 de prédation, 58 capitaux, fuite des, 126 « capture », concept de, 64, 126, 128 capture de l’État, 63-64 cargas comissionadas, 259, 264 Carothers, Thomas, 108 caudillos, 52-53 Ceausescu, Nicolas, 62 Centrafrique, 45-46, 306, 307 CEPAL, 266 charisme, leadership et, 280-282 chef de l’État, personnalité, 43 Chine, guanxi (connexions), 130 Chiyangwa, Philip, 90 Clapham, C., 41 clientélisme Brésil, 255 collective clientelism, 309 démocratisation et, 165-166, 169-170 État et, 137, 160 néopatrimonialisme et, 128, 154 politique, 155-156, 193 rationalisé, 44, 45 types de, 6, 156-158, 160-161, 162, 163 cliques dirigeantes en Afrique, 88 cohesive capitalist states, 51 Collier, David, 109 colonialisme, période de. voir aussi indépendance colonies françaises, 295 État colonial, 39-40 Niger et douanes, 212 Sierra Leone, 180-181 colonisation, 296 Philippines, 232-235 système économique, 122 commerçant douanes au Niger, 211, 214-216, 216-217, 218-220 néopatrimonialisme au Niger, 210 profession au Niger, 213-214



366

L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

commission douanière, 219-220 communisme anticommunisme et, 278 État néopatrimonial et, 61 patrimonial, 62-63, 64 typologie, 62-63 compagnie, pétrolière, delta du Niger, 185 Compagnon, Daniel, 5, 318-319 compétition politique, 82-83 condottière italien, 81 conflit d’intérêts, Italie, 285 Congo, République de, 125, 177, 307 Congrès national, Brésil, 257, 263, 267-268 contournement de l’État, impôt douanier, 211-216 contrebande. voir corruption Convention sur la lutte contre la corruption (1997), 308 convois, douanes au Niger, 217-218 coopération, France-Afrique, 302-303 « copinage » (cronyism), 129-130 Corée du Sud crise économique, 60-61 cronyism, 129 économie et, 59 État développemental, 50, 51 corruption en Afrique, 87-88, 170 Afrique subsaharienne, 128, 130, 132 Asie du Sud-Est, 59, 60 Brésil, 252-254, 258-267 centralisé, 136 contrebande, 181 Convention sur la lutte contre la corruption (1997), 308 démocraties et, 165-166 diamants, Sierra Leone, 179-183 douanes de Niger, 210-225 lutte contre, 136-137, 138-140 manipulation des règles, Niger, 219-220 néopatrimonialisme et, 126-128, 135

Nigéria, 193-194, 195-198, 201-203 pays d’Occident, 91 Philippines, 240, 242 politique et, 81, 165-166 variable de croissance, 132, 134 vocabulaire au Brésil, 256-258 co-souveraineté, France et Afrique, 296 Cot, Jean-Pierre, 301 Côte d’Ivoire, 44. voir aussi HouphouëtBoigny, Félix COTECNA, 209 coup d’état, Philippines, 244 Craxi, Bettino, 277 criminalisation de l’État, 49-50 criminalité. voir corruption ; groupes armés ; violence crise économique, 48, 60 croissance cronyism, corruption et, 129-130 démocratie et, 125 trajectoires de, 118, 131, 132 variables politiques de, 126, 133 crony capitalism, 59, 90, 129 cronyism, 59, 129-130, 237, 239, 240 Crook, Richard, 44 Crouch, Harold, 57 D Dahl, Robert A., 86 David, Paul, 135 de Gaulle, général, 295-296, 298 décolonisation, Afrique, 294-296 déconnexion, politique et économie, 124-125 dédouanement fortaitaire, Niger, 216-217, 221 défense, accord France-Afrique, 296, 305 Defferre, Gaston, 295 delegative democracies, 108 delta du Niger, rébellion, 183-186 démocratie Brésil, 252 clientélisme et, 161, 169, 170

Index 367

domination et, 106 État et, 100, 103, 125 institutions démocratiques, 141 Italie, 275, 276 néopatrimonialisme vs., 99-100, 103, 105-107, 154 nouvelle démocratie, 107-112, 165-166 patrimonialisme et, 104-105 patronage et, 164 transition aux Philippines, 231 types de, 108, 109-110, 111 démocratisation en Afrique, 66, 104, 166-170 au tiers-monde, 108 des années 1990, 125 modèle d’analyse, 111 dépatrimonialisation, 308 dépendance du passé, 131 despachante, 255 détournement de fonds, 87, 269 développement, facteurs de, 126 diamants, extraction des, Sierra Leone, 179-183 Diamond, Larry J., 108, 109, 110 dictature Marcos, Ferdinand, 237-239 militaire vers régime civil, Brésil, 261 direction administrative (Verwaltungsstab), 23-24 distribution de ressources, 177-178 dominant power system, 108 domination légale rationnelle, 101 légitime, 22-24 oligarchique aux Philippines, 237 patriarcale, 55 patrimoniale, 20-21, 25, 37-38 traditionnelle, 24-25, 26-27, 37, 100-101 type mixte et, 106 donations, élections brésiliennes et, 262 Dos Santos, José Eduardo, 45

douanes, Niger administration de, 213, 223-225 contournement des, 209, 211, 214-220 règles et pratiques, 218-219 Dunn, K.C., 176 E économétrie, 132-133, 134 économie Afrique subsaharienne, 90, 121-123 analyse de politique par l’, 131-134 capitalisme en Asie du Sud-Est, 59-61 crise économique et néopatrimonialisme, 48 du développement, 117-118, 130-142, 318 domination traditionnelle et, 26 franc CFA, 296, 304, 306 Italie, 279, 285-286 néopatrimonialisme, études de, 134 Niger, 209, 212-214 Philippines, 233, 235, 236, 238 politique et, 285-286 Économie et société, 17, 18-20 ECOR, 220 EDSA, révolte d’, 240, 242, 244 Égypte, sultanisme, 56 Eisenstadt, Shmuel N. concept de patrimonialisme, 13-14 néopatrimonialisme, 1, 38, 120 systèmes conceptuels, 30 élections. voir aussi gouvernement ; votes achat de votes, Brésil, 265-267 entrepreneur politique et, 80-81 investissement privé au Brésil, 262 en Italie, 279, 280, 282-283 Nigéria, 201, 202 aux Philippines, 238, 240, 242, 245 Philippines, système électoral, 234-235, 236, 244 spoil system, Brésil, 259



368

L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

Elf, affaire, 306 Elias, Norbert, 102 élite, clientélisme d’, 157, 161-164, 165 Eltsine, Boris, 64 émeute populaire, 239 Empire ottoman, 56 employés. voir fonctionnaires d’État Engel, Ulf, 99, 107, 109, 112, 245 Englebert, Pierre, 125 enrichissement privé, Brésil, 261-262, 263-264, 267-269 entrepreneur politique en Afrique, 86-90 caractéristiques, 86-87 concept de l’, 79-81 corruption au Niger, 210-225 définition, 83-84 fidélité des partisans, 84-85 histoire de l’, 81-82 ressources politiques et, 85-86 entreprises. voir aussi entrepreneur politique en Asie du Sud-Est, 59, 60 Italie, système d’, 279 pouvoir politique et, 63, 285 équilibre bas, situation de, 118, 135, 136 Erdmann, Gero, 99, 107, 109, 112, 245 Ergas, Zaki, 313 Estrada, Joseph, 240, 241 État. voir aussi pays individuels ; pouvoir politique africain. voir Afrique ; Afrique subsaharienne analyse de l’, 3 antidéveloppemental en Afrique, 50-51 brésilien. voir Brésil capitalisme et, 57-61 capture de l’État, 63-64 colonial, 39-40 communisme patrimonial, 62-63 démocratie et, 100, 103, 125 développemental, 50, 59, 60-61

Europe féodale, 102 fantôme, 49 informalisation et criminalisation, 49-50 latino-américain, 52-55 lutte contre la corruption, impuissance, 223-225 manipulation des règles, Niger, 218-220 milieux d’affaires et, 58-60 néopatrimonial. voir Afrique ; Afrique subsaharienne ; néopatrimonialisme de Niger et douanes, 210-225 nigérien, Anambra, 199-202 nigérien, Oya, 194-198 oligarchique et patrimonial. voir oligarchie palestinien, 56-57 patrimonialisme. voir patrimonialisme philippin. voir Philippines prébendier. voir prébendalisme prédateur, 50-51 ressources. voir ressources stalinien, 61-62, 64-65 types d’, 50-51 États-Unis aide aux Philippines, 235-236 colonialisation des Philippines, 233-235 comme entrepreneur politique capitaliste, 80-81 France-Afrique et, 298 patronage aux, 160-161 Etche, État de Rivers, Nigéria, 203 ethnicité, concept d’, 133 Europe, féodale, États d’, 102 Evans, Peter, 50-51, 120, 140 évitement des douanes, pratiques d’, 214-218

Index 369

F fallacy of electoralism, 108 Faoro, Raymundo, 53 fascisme, Italie, 278 Fauré, Yves-André, 7, 41, 320 favoritisme douanes au Niger, 223 États-Unis, 160-161 système de faveurs, Brésil, 255-256, 258, 267 feckless pluralism, 108, 110 fédéralisme, Nigéria, 193 féodalisme, patrimonialisme vs., 21 financement. voir élections ; investissement Fini, Gianfranco, 278 Fininvest, 277-278, 284 f isiologismo, 7, 255, 258 Fithen, Caspar, 179, 185 Florescano, Henrique, 52 Foccart, Jacques, 293, 300 fonctionnaires d’État Brésil, 260-261, 263-265 douaniers au Niger, 210-211, 215-217, 218-225 pourcentage de, 158-160 revenus et néopatrimonialisme, 135-136 Fonds Monétaires International (FMI), 122, 181, 209, 237, 304 fonds publics, détournement des, 87, 269 Forrest, Joshua, 49 Forza Italia, 278, 280, 284 Fox, Jonathan, 168 franc CFA, 296, 304, 306 France coopération France-Afrique, 298-303 corruption des partis politiques, 91 relations avec l’Afrique, 8, 293-297 Franco, Jennifer, 245 fraude. voir corruption

G gangs, Brésil, 252 Gaulle, général de, 295-296, 298 Gazibo, Mamoudou, 5, 317, 318 Giscard d’Estaing, Valéry, 297, 300 godfatherism, 6, 191-204, 319 Golinski, Jan, 64 Gorlizki, Yoram, 61 gouvernement. voir aussi élections ; oligarchie Brésil, corruption et, 257-270 états de Nigéria, 194-202 fonctionnaires, 158-160 France, relations avec l’Afrique, 293-309 Italie, 276-277, 278, 279, 284-288 néopatrimonialisme et, 177-178 Nigéria, 192-193 nominations politiques, 161, 193 Sierra Leone, 179, 181-182 Grégoire, Emmanuel, 213-214 groupes armés en Afrique, 175 Brésil, 252 delta du Niger, rébellion, 183-186 Nigéria, 196, 200, 201 Philippines, 236, 238, 241, 243 guérillas, Philippines, 238 guerre de Biafra, 299, 303 civile en Afrique, 175 civile en Nigéria, 197 entrepreneur politique et, 81-82 H Haan, Léo de, 317 Habré, Hissène, 88 Hamas, 57 Hanke, Edith, 19 Hawes, Gary, 232, 243 Helmke, Gretchen, 168 Herrschaftssoziologie, 20-22



370

L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

hommes armés. voir groupes armés de main politiques, 196 Houphouët-Boigny, Félix, 40, 44, 67, 89, 297, 306 Hutchcroft, Paul, 58, 232, 237, 243, 245 Hyden, Goran, 50 I Ibori, James, 203 idéal-type, notion d’, 30, 31, 105-106 IFI, 122-123, 135, 138 Ilchman, Warren F., 85 impôt douanier, Niger, 209-225 indépendance Afrique subsaharienne, 121-124, 164-165 colonies françaises en Afrique, 294-297 Philippines, 235 Sierra Leone, 181 Indonésie, 57-58, 59 informalisation de l’État, 49-50 institutions Brésil, corruption et, 258-260, 263-267 caractéristiques, 141 démocratie consolidée, 168 intermédiation, modes d’, 220-221 lois et règles, 138-140 institutions financières internationales (IFI), 122-123, 135, 138 intermédiation, modes d’, 220-223 interventionnisme, 222 investissement corruption et, 128 privé, Brésil, 262, 263-264, 266-267 Iran, dynastie Qajar, 56 Ishola, Kolapo, 195 Italie, 91. voir aussi Berlusconi, Silvio

J Jackson, Robert, 39, 47, 49, 123 Japon, 59 jeitinho, 7, 255, 270 Jennings, Kathleen M., 6, 318 jeunes en armes, 177, 184 Joseph, Richard, 47 Jospin, Lionel, 304, 305, 308 Journiac, René, 300 Junqueira, Eliane Botelho, 54 Juppé, Alain, 304, 305 K Kang, David, 60 Karimov, Islam, 65 Kenya Njonjo, Charles, 7, 41, 79, 87, 88, 191 systéme politique, 44 Kenyatta, Jomo, 44, 67 Kingsbury, Damien, 239 Kitschelt, Herbert P., 62 Kittel, Bernhard, 132 Kohli, Atul, 51 Kono, district de. voir Sierra Leone Kuchma, Leonid, 65 L Lacaba, Jose F., 245 Lacam, Jean-Patrice, 79, 86, 245 Ladoja, Rashidi, 195, 196-197, 198 Lamprecht, Karl, 18 Lande, Carl, 243 Le Vine, Victor, 39 leadership charismatique, 280-282 Leca, Jean, 56 légalité, du clientélisme, 160-161 légitimité concept de, 132 domination légitime, 22-24 fondements de, 23, 24, 26, 28 Lemarchand, R., 41 Levitsky, Steven, 109, 168 Libéria, 177, 179

Index 371

licitacões, 261-262 Liddle, William, 57-58 Lim, Danilo, 244 Lima, Kant de, 253 Linden, Ronald, 62 lois corruption et, 138-140 loi martiale aux Philippines, 237 du monopole, 102 politique en Italie et, 286-287 Lord’s Resistance Army (LRA), 176 low equilibria, 118 Lula da Silva, Luiz Inácio, 252, 255 lutte armée. voir groupes armés M Macapagal-Arroyo, Gloria, 231, 241-242, 244 machine politique, 80-81 magistrature, Italie, 286-287 Magna Carta, 102 Mai-Mai, mouvement, 176 Mainwaring, Scott P., 167 Malaisie, capitalisme, 59-60 Mamdani, M., 39 mandat électoral. voir élections marchandage institutionnalisé, Brésil, 263-264, 267 marchandises et douanes. voir douanes marchés publics, Brésil, 261-262 Marcos, Ferdinand, 60, 237-239, 243, 244 Masiyiwa, Strive, 90 Maslovski, Mikhail, 64 masse, clientélisme de, 157, 161-163 Mbandawire, Thandika, 49 McCoy, Alfred, 245 Médard, Jean-François, 1, 153. voir aussi patrimonialisme Cameroun, régime d’Ahidjo, 66 clientélisme, 128 concept de néopatrimonialisme, 4, 30, 99, 118, 120, 316 démocratie, 103-104, 105, 317

États africains, caractéristiques, 15-16, 42-43, 106-107, 313-314 nature néopatrimoniale des États africains, 41, 45, 224-225 patrimonialisme vs néopatrimonialisme, 14-15, 28 pouvoir et domination, 191 régimes néopatrimoniaux, 110, 112 relation France-Afrique, 293, 294, 299 rôle des leaders en Afrique, 79 média, utilisation en politique, 281, 282-283, 284, 287-288 Mediaset, Berlusconi et, 282, 283, 286, 288 MEND, delta du Niger, 184, 185-186 Merkel, Wolfgang, 111, 112 Mexique, patrimonialisme, 52-53, 54 Meyer, Lorenzo, 54 Milanovic, Branko, 165 milice. voir groupes armés milieux d’affaires. voir entreprises Mindanao, crise à, 241, 242 mines des diamants, Sierra Leone, 179-183 économie des, 90 ministères, Brésil, 259-260 « miracle » asiatique, 129-130 Mitterand, François, 297, 300, 304 Mobutu, 40, 46 modèle d’analyse de la démocratisation, 111 des processus politiques par l’économie, 131-134 modernisation, 54, 125 modes d’intermédiation, 220-223 Moi, Daniel Arap, 88 Momoh, Joseph, 181 monnaie en Afrique, 296, 304-305, 306 monopole. voir oligarchie Morse, Richard, 52 Movement for Emancipation in the Niger Delta (MEND), 184, 185-186



372

L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

Moyen-Orient, patrimonialisme, 55-57 Mugabe, Robert, 88 multi-class fragmented states, 51 multi-party polyarchy, 49 mutinerie, Philippines, 239, 244-245 N néopatrimonialisme Afrique, 38-39, 47-50, 65-67, 313-315 Afrique du Nord et Moyen-Orient, 56-57 Afrique subsaharienne, 121-123 Amérique latine, 54-55 caractéristiques, 42, 107, 109, 317 communisme et, 61-65 concept, origines du, 2-3, 13-14, 37-38, 119-120 concept multidimensionnel, 120-121, 124, 134, 142, 178-179, 317-318 corruption et, 126-128, 135-137 cronyism et, 126, 129-130 démocratie vs., 99-100, 103, 105-107, 109, 154 démocratisation en Afrique, 104, 166-169 dissémination du modèle, 46-50 économie du développement, 130-142 gouvernement, système de, 177-178, 191 hybride du cas Berlusconi, 280, 283-284, 285-288 intégral, 46 Italie, 275-276, 283-288 Niger, 210, 224-225 vs. patrimonialisme, 14-17, 56 Philippines, 240, 243, 245 prédateur, 45-46 problématiques, 315-316 régimes néopatrimoniaux, 154-155 régulé, 45, 46, 66-67 type mixte, 30, 31

vs.patrimonialisme, 28 népotisme, Brésil, 264-265 Ngige, Chris, 199-201 Ngoupandé, Jean-Paul, 306 Niger, delta du, rébellion, 183-186 Niger, État de administration de douanes, 213, 223-225 convois, 217-218 douanes, contournement des, 211-225 réformes macro-économiques, 209 Nigéria économie de pétrole, 194 État néopatrimonial, 51 État prébendier, 47 godfathers, 192-204 guerre civile, 197 jeunes en armes, 177 rébellion et production pétrolière, 183-186 système politique, 192-193 Njonjo, Charles, 7, 41, 79, 87, 88, 191, 192 normes sociales, 138-140 Novak, Thomas, 243 NURTW, 196, 197, 198 O Obadare, Ebenezer, 194 Obasanjo, Olusegun, 184, 199, 203 Obi, Peter, 201 Occident, pays d’ corruption, 91 promotion de démocratie, 169 Odili, Peter, 203 oligarchie pays et, 108 aux Philippines, 237, 239-243, 244 terrienne aux Philippines, 232, 234, 235, 236 Olson, Mancur, 124, 136 ONG de France, 302-303

Index 373

ONU, France et, 298 Oslo, accords d’, 56 Oszlak, Oscar, 54-55 Ottaway, Marina, 49 Ouganda, 176 Ouzbékistan, 65 Oyo, État d’, Nigéria, 194, 195, 196, 198 P Papouasie-Nouvelle-Guinée, 191 Park Chung-hee, 60 parlement, Brésil, 257, 263-264, 266-268 parrain (godfather) caractéristiques, 203-204 Nigéria, 192-203 parrainage, politique, 191 Parti communiste philippin (CPP), 238 Parti démocratique populaire (PDP), 195, 196, 197, 198, 199, 202 Parti des travailleurs (PT), 252, 257, 258 partis politiques, Italie. voir gouvernement paternalisme, 255 path dependence, 131, 137 patriarcalisme, patrimonialisme et, 18, 19, 22, 39 patrimonialisation intégrale, 65 patrimonialisme. voir aussi Médard, Jean-François administration et, 26 Afrique du Nord et Moyen-Orient, 55-57 Amérique latine, 52-55 avant 1910, 18 Brésil et, 53-54, 251-252, 254-255, 269-270 bureaucratie et, 22, 25 communisme et, 61-65 concept, 16-17, 39, 253-254, 313 démocratie et, 103, 104-105 féodalisme vs., 21 France-Afrique, relations, 299-301 néopatrimonialisme et, 14-17, 38, 56

Niger, 224 Philippines et, 232, 234, 243 postcommunisme et, 64 systèmes politiques et, 177-178 type idéal, 30, 31 types de, 14 Weber, Max. voir Weber, Max patronage, 157-158, 160-161, 164, 269 Brésil, 53 pauvreté Biafra, guerre de, 303 corruption et, 135, 136-137 Sierra Leone, 179, 182 trappe à, 118, 138 pays. voir aussi Afrique ; Afrique subsaharienne ; démocratie ; État ; noms de pays individuels démocratisation et, 167-168 à faible revenu, 135-139 niveau de richesse, 133 oligarchies. voir oligarchie PDP, Nigéria, 195, 196, 197, 198, 199, 202 Peak Petroleum, 185 Penne, Guy, 300 pessoas indicadas, 260 pétrole, ressources au Niger et Nigeria, 183-186 Philippines armée et pouvoir politique, 238, 241 capitalisme et, 59 colonisation, 233-235 démocratie oligarchique, 235-237 État et milieux d’affaires, 60 exode des Philippins, 240 industrie du sucre, 233, 235 Macapagal-Arroyo, Gloria, 231, 241-242, 244 Marcos, Ferdinand, 237-239 patrimonialisme et, 58, 232, 237-238 Pinochet, Augusto, régime néopatrimonial, 55 Pitcher, A., 66-67



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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

pluralisme, dévoyé, 108 political godfatherism, 191 political thugs, 196 Politik als Beruf, 80 politique. voir aussi pouvoir politique africaine de la France, 293-309 clientélisme. voir clientélisme contrôle par le média, 282-284, 285-288 corruption. voir corruption entrepreneur. voir entrepreneur politique groupes armés et, 185 industrielle aux Philippines, 236 intermédiation, modes d’, 221-222 modélisation par l’économie, 131-134 néopatrimonialisme aux effets économiques, 123-124 Nigéria, 191-202 utilisation des traditions populaires, 121 polyarchies multipartisanes, 49 Pompidou, Georges, 297 population, division de la, 178 postcommunisme, 61-64 Poutine, Vladimir, 64 pouvoir politique. voir aussi big man ; politique Brésil, 258-264 commerçant et, 210-225 entrepreneur et, 81-86 et argent, Asie du Sud-Est, 57-61 France-Afrique, 299. voir aussi France Nigéria, 191-202 patrimonialisation du, 64-65 personnalisation du, 43, 62-63, 65, 287 ressources et, 120-121, 259, 267 télévision et, 282-283 poverty traps, 118 prébendalisme, 47, 157-158, 160, 161, 258-267

présidentialisme, 44, 154, 163, 167 Przeworski, Adam, 167 PT (Parti des travailleurs), 252, 257, 258 Q Querubin, Ariel, 244 R RAI, télévision publique italienne, 287, 288 Ramos, Fidel, 239, 240 Ravenhill, John, 309 rebelles. voir groupes armés redistribution de ressources, 177-178 réforme politique, Afrique subsaharienne, 153 régime. voir aussi État ambigu, 110 autoritaire, 109-110 communiste, 64-65 hybride, 109-110, 111, 112 militaire, 132 néopatrimonial. voir néopatrimonialisme oligarchique. voir oligarchie patrimonial. voir patrimonialisme totalitaire, 54 types démocratiques, 109-110, 111 règles, manipulation des, Niger, 218-220 regulatory capture, 128 relations franco-africaines, 8, 293-297 Remmer, Karen, 55 Reno, William, 49, 180 répression, delta du Niger, 184 Républiques, Italie, 277 ressources Brésil, marchés publics (licitacões), 267-268 diamants, Sierra Leone, 179-183 douanes, Niger, 222-223 économiques, Zimbabwe, 90 naturelles, politique et, 123-124 néopatrimonialisme et, 178

Index 375

pétrolières, delta du Niger, 183-186 politiques, entrepreneurs et, 85-86 pouvoir et, 120-121, 258-261, 267-269 privatisées, 120 régimes africains, 164-165 uranium, Niger, 209, 212 revenus des fonctionnaires, 135-136 Revolutionary United Front (RUF), 176, 177, 179, 182-183, 185 Rhee, Syngman, 60 Ribeiro, Darcy, 268 Richards, Paul, 176, 179, 185 richesse d’un pays, niveau de, 133 Robinson, James A., 134, 137 Ron, James, 125 Rosberg, Carl, 39, 47, 123 Roth, Guenther, 14, 28, 37 Royaume-Unis, scandale, 308-309 RUF, 176, 177, 179, 182-183, 185 Russie, 61-62, 64 Rwanda, crise de, 303 S Sahlins, Marshall, 41, 245 Sánchez, Isabel Gil, 52 sanctions, 139 Sandbrook, Richard, 49, 50 Sankoh, Foday, 183 Santos, José Eduardo Dos, 45 Sarkozy, Nicolas, 307 scandales politiques, 252-253, 255, 257-258, 277, 288, 308-309. voir aussi corruption Schattschneider, Elmer E., 168 Schemeil, Yves, 56 Schumpeter, Joseph A., 82, 83 scrutins. voir élections Searle, Peter, 59 seigneurs de guerre, 123, 182-183 Sélassié, Hailé, 39 Sénat, Brésil, 267-268 Sénégal, 49, 307

shadow state, 49 Sidel, John, 245 Sierra Leone diamants, gouvernance, corruption, 179-183 guerres civiles, 49, 176, 182 RUF, 176, 177, 179, 185 Sierra Leone Selection Trust (SLST), 180 Silva, Luiz Inácio Lula da, 252, 255 Sindzingre, A., 318 Sindzingre, Alice, 5 Snyder, Kay, 243 sociologie de la domination, 26-27 historique, 100, 101-103 Sociologie de la domination, 20-22 Soekarno, président, démocratie guidée, 57 Soest, 125 Somalie, 89 sommet franco-africain, 297, 304 souveraineté, nationale et populaire, 102 spoil system Brésil, 259 États-Unis, 161 stabilité politique, croissance et, 132 Staline, pouvoir patrimonial, 61-62, 64-65 Stevens, Siaka, 181 strong man, 191, 192 sucre, industrie aux Philippines, 233, 235 Suharto, général, pouvoir politique, 57-58 sultanisme, 25, 27, 46, 56 Syndicat national des agents des douanes (SNAD), 221-222 système de dépouilles, Brésil, 259 électoral, Philippines, 234-235, 236, 244 néopatrimonial. voir néopatrimonialisme politique, Brésil, 251-270



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L’ÉTAT NÉOPATRIMONIAL

politique, Nigéria, 192-193 postcommuniste, 61-64 T Taïwan, 59 taxation, douanes et, 216-217 Taylor, Charles, 88 Tchad, 217, 307 télévision contrôle du, 287-288 élections et politique, 281-283, 285-286 termes politiques, Brésil, 255, 256-257 Thaïlande, 59, 129 Théobald, Robin, 160 Tocqueville, Alexis de, 104 ‘Tokyo’, 196 tradition, vs. politique, 121 trafic, de diamants, 181 trajectoires de croissance, 118, 131, 132 trappe à corruption, 136 à pauvreté, 118, 138 travail conceptuel, Weber, 29 tribunaux Brésil, 264-265 Italie et pouvoir politique, 286-287 tribut, type de clientélisme, 156-157 Turner, Thomas, 39-40 type, idéal vs. mixte, 30-31, 105-106 U Uba, Andy, 201-202 Uba, Chris, 194, 199-202 Ukraine, 64, 65 Union soviétique, patrimonialisme, 61-62 Uphoff, Norman T., 85 uranium, ressource de Niger, 209, 212 V variables, institutionnelles, 131 Villepin, Dominique de, 307, 308

violence Brésil, 252 aux fins politiques, 49, 196 légitime, État et, 82 tactiques politiques de. voir groupes armés vocabulaire politique, Brésil, 255, 256-257 votes. voir aussi élections achat de, 265-266 influence du média sur les, 282-283 W Walle, Nicolas, van de, 6, 42, 46-47, 48, 104, 317, 318 Wallenstein, Albert de, 81-82 warlordism, 6, 49, 53, 175, 176 Weber, Max Confucianisme et taoïsme, 17, 22 démocratie, 100-101, 103, 120 domination, types de, 22-25 Économie et société, 17, 18-20 entrepreneur politique, 81-83 État, 47, 251-252 idéal-type, 30-31, 105-106 néopatrimonialisme, concept du, 15-17 notion de ‘charisme’, 279-282 ouvrages, 29 patrimonialisme, concept du, 17-22, 24-28, 39, 53, 55, 316 pouvoir, conquête du, 80 référence au néopatrimonialisme, 178 Sociologie de la domination, 20-22 sultanisme, 46 Willame, Jean-Claude, 40, 41 Wirtschaft et Gesellschaft (Économie et société). voir Économie et société Wurfel, David, 243, 244 Y Yar’Adua, Umaru, 203 Yemen, patrimonialisme, 56 Young, Crawford, 39-40, 48